F. de Sales, Lettres 676


LETTRE CXC, A UN CURÉ DU DIOCÈSE DE GENÈVE.

Il lui recommande la conversion d'un médecin hérétique qui traitait madame de Chantal, et qui refusait de se convertir.

Monsieur mon cher confrère et mon parfait ami, c'est par le retour de ce pauvre médecin (3) qui n'a su guérir notre mère (1), et que je n'ai su guérir. Ah ! faut-il qu'un fils empêche de vivre l'âme de son père ! Que notre chère malade donnerait de bon coeur sa vie pour la santé de son médecin! Et moi, pauvre chétif pasteur, que ne donnerais-je pas pour le salut de cette déplorable brebis ! Vive Dieu, devant lequel je vis et je parle, je voudrais donner ma peau pour le vêtir, mon sang pour oindre ses plaies, et ma vie temporelle pour l'ôter de la mort éternelle.

Pourquoi vous dis-je ceci, mon cher ami, sinon pour vous encourager, de peur que les loups voisins ne se jettent parmi vos brebis, ou pour vous dire plus paternellement, selon le sentiment de mon âme, sur ce pauvre Genevois : Prenez garde que quelque brebis galeuse n'infecte le cher et bien-aimé troupeau ? Travaillez doucement tout alentour de cette bergerie, et dites-leur souvent : Caritas fraternitatis maneat in vobis (He 13,1) ; et surtout priez celui qui a dit : Ego sum bonus Pastor (Jn 11,1), afin qu'il anime notre soin, notre amour et nos paroles.

Je recommande à vos sacrifices ce pauvre médecin malade. Dites trois messes à cette intention ; afin qu'il puisse guérir notre mère, et que nous le puissions guérir. Elle est bien malade, cette bonne mère, et mon esprit un peu en peine sur sa maladie; je dis un peu en peine, et c'est beaucoup. Je sais néanmoins que si le souverain achitecte de cette nouvelle congrégation veut arracher du fondement la première pierre fondamentale qu'il y a jetée, pour la mettre en la sainte Jérusalem, il sait bien ce qu'il veut faire du reste de l'édifice ; dans cette vue, je demeure en paix, et votre,,etc.

(3) C'est-à-dire, je vous écris par l'occasion du retour de ce pauvre médecin, etc..

(1) Madame de Chantal, alors fort malade, et que sa congrégation craignait de perdre.



LETTRE CXCI, A MGR JEAN PIERRE CAMUS, ÉVÊQUE DE BELLEY.

678
(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Meaux.)

Il lui recommande un domestique qui désirait entrer à son service, et en rend un témoignage avantageux.

12 avril 1611.

Monseigneur,

Cet honnête homme, parisien, a servi longuement, fidèlement et agréablement M. le premier président de Savoie ; et, pour quelque sujet hors de lui, il quitte maintenant ce service, et a désiré de moi cette lettre pour faire la révérence en vous la présentant, estimant que si d'aventure vous aviez besoin de quelque serviteur de sa sorte, par cette occasion il pourrait entrer au bien de l'être. Or, monseigneur, c'est ainsi sans artifice que je vous dis l'artifice louable de ce bon personnage, auquel je sais bon gré de quoi par ce moyen je puis me ramentevoir en votre sainte, sacrée et inviolable bienveillance, à laquelle je me recommande très-humblement, lui dédiant mon obéissance et service perpétuel. Dieu vous conserve et vous comble de ses grâces, monseigneur; et je suis votre, etc.



LETTRE CXCII, A ANTOINE DES HAYES.

679
(Communiquée par madame la comtesse de Beau-manoir.)

Il lui parle d'un jeune homme qui désirait employer la protection de cette personne pour obtenir une place de précepteur, et le prie de l'en dissuader.

Annecy, 13 avril 1611.

Monsieur,

1. outre que je ne saurais pouvoir me ramentuer en votre bienveillance, et ne le fasse pas, je suis bien aise de vous donner avis comme, sur ce que M. de Charmellier, mon cousin, m'avait dit touchant votre désir de me voir le carême prochain à Paris, j'ai écrit à son altesse, en sorte que j'espère en peu de jours avoir une réponse absolue (cf.
675 ), laquelle, si elle est selon notre gré, je pour-rois justement croire que Dieu l'aura voulu d'une volonté spéciale, puisque la concurrence des affaires du monde me sera peu favorable, comme je pense. Mais pensez, monsieur, quel contentement pour mot de pouvoir encore une bonne fois jouir de la douceur de votre présence.

2. Au demeurant, j'ai avec moi un jeune homme d'église, neveu de M. le révérendissime mon prédécesseur, qui s'est imaginé qu'à l'aventure il pourrait entrer par-delà au service de quelque jeune seigneur, pour leur instruction, et par ce moyen étudier aussi ; et m'a tant pressé, sachant en quelle confiance je suis avec vous, que j'ai été contraint de lui promettre de vous supplier de me donner quelque avertissement, si cela pourrait être.

Mais j'ajoute pourtant qu'encore que ce jeune homme soit de fort bonne maison (mais maison déchue), et qu'il ait l'esprit fort gentil et bien étudié, si est-ce que c'est plus son jugement qui le porte à ce désir que non pas mon avis, qui est que son courage n'est pas pour entrer en ladite sujétion que- telle condition requiert : mais les jeunes gens dévorent toutes les difficultés de loin, et fuient à toutes les difficultés de près.

Or, monsieur, il me suffira, s'il vous plaît, de m'écrire un mot qui le puisse aucunement désabuser ; car il est forcé de traiter avec lui, afin que sans ce tourment de vous prier il attende que Dieu lui pourvoie des moyens de nager à ses dépens.; ce qui sera bientôt, puisque j'en vois déjà la semence paraitre sur le champ, qu'il serait prêt à recueillir dès maintenant, si la jeunesse lui eût permis d'être aussi arrêté ci-devant comme il est résolu de l'être dorénavant.

Monsieur, je m'intéresse avec vous, et use librement de ce petit artifice en faveur de ce jeune homme, que je dois affectionner pour l'espérance qu'il donne de devoir réussir, et surtout à la mémoire que je dois à M. son oncle. Vous interpréterez le tout en bonne part, comme d'un coeur qui prend toute confiance au vôtre.

3. Nous sommes ici sans nouvelles, mais non pas sans menaces de faire beaucoup de maux à nos Églises (cf. 669 670 ; mais la protection de laquelle ils font profession de tirer leur force, ne leur sera, comme j'espère, jamais donnée pour ces misérables effets. Dieu nous veuille donner la paix que le monde ne peut donner, et vous conserve, monsieur, longuement et heureusement, selon le souhait de votre, etc.




LETTRE CXCIII.

S. FRANÇOIS I)E SALES, A M. DE LA ROCHE, CONSEILLER D'ÉTAT AU SOUVERAIN SÉNAT DE SAVOIE, A CHAMBÉRI.

(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de la Flèche.)

Il lui recommande l'affaire de deux personnes.

13 avril 1611.

Monsieur mon frère, il n'est nul besoin que l'on vous recommande les oeuvres pies, que vous embrassez, grâce à Dieu, avec tant de charité : mais puisque M. de Vége, passant ici, a désiré que je vous suppliasse de le favoriser et sa partie d'un soin particulier pour leur accommodement, je le ferai volontiers, comme parent de l'une, et ami de toutes deux. Je vous en supplie donc très-humblement, bien aise d'avoir ce petit sujet de vous rafraîchir les offres de mon service, qui suis, monsieur mon frère, votre, etc.

Notre M. le prieur de Sauvax se porte très-bien, et sert Dieu et le prochain, catéchisant es hôpitaux, non sans ferveur et consolation, et non sans une sainte impatience de ne voir encore point ses désirs accomplis d'idées pour lesquelles néanmoins il ne se départira de votre direction.



LETTRE CXCIV, A MADAME L'ABBESSE DU PUITS-d'oRBE.

(Tirée du monast. de la Visitât, du Puits-d'Orbe.)

Chacun doit suivre sa vocation aux dépens même de l'amour des parents. Les fautes de fragilité ne doivent point nous décourager, non plus que les sécheresses dans la dévotion. Il faut s'attacher au solide, qui est l'affranchissement de nos mauvaises inclinations, et la persévérance dans le bien. Conseils relatifs à quelques affaires particulières au monastère.

A Sales, le 20 avril 1611.

Or sus, ma chère soeur, ma fille, je m'en vais vous écrire tant que je pourrai sur le sujet de votre lettre, qui m'a été rendue par la soeur que vous aimez tant, et qui vous chérit réciproquement de tout son coeur.

Il est vrai, nous l'avons enfin cette chère soeur; mais ce n'est pas moi pourtant qui vous l'ai ôtée, c'est Dieu qui nous l'a donnée, ainsi que, Dieu aidant, la suite le témoignera. Je ne doute nullement que cette petite conversation que vous eûtes ensemble à Bourbilly ne vous fût bien douce ; car c'est une heureuse rencontre que deux esprits qui ne s'aiment que pour mieux aimer Dieu ; mais il ne se pouvait faire que cette sensible présence durât longtemps, puisque notre commun maître vous demande l'une là, l'autre ici, pour son service. Nous ne laissons pourtant pas d'être toujours joints et unis, nous entretenant les uns aux autres par la commune prétention entreprise que nous avons.

Je suis bien aise de quoi vous manquez peu aux exercices que je vous ai marqués ; car cela montre que ces fautes que vous y faites ne proviennent pas d'infidélité, mais de faiblesse; et la faiblesse n'est pas un grand mal, pourvu qu'un fidèle courage la redresse petit à petit, ainsi que je vous conjure de faire, ma chère fille, pour la vôtre, sans vous affliger nullement de ce que vous n'avez ni sentiment ni goût ordinairement en tous vos exercices ; car notre Seigneur ne requiert pas cela de nous : aussi ne dépend-il pas de nous de l'avoir ou de ne l'avoir pas.

C'est pourquoi il nous faut mettre sur le solide, et considérer si notre volonté est bien affranchie de toutes mauvaises affections, comme serait toute dureté de coeur envers le prochain, impatience, mépris d'autrui, amitiés trop ardentes envers les créatures, et semblables choses. Que si nous n'avons point de réserve d'être tout à, Dieu ; si nous avons le courage de plutôt mourir que de l'offenser, et moyennant que telles soient les résolutions de nos coeurs, et que nous les sentions toujours plus fortes en nous, il n'y a rien à craindre, ni à prendre de la peine pour n'en sentir pas les dégoûts et les sentiments.

Or voici une bonne preuve de la fortification de ces chères résolutions que par la grâce de Dieu vous avez persévéré à conserver ce que je vous dis en confession, ainsi que vous m'assurez ; car cela vaut mieux que cent mille goûts spirituels. Faites donc toujours ainsi.

Je dirai la messe que vous me demandez, bien que jamais je n'en dise point qui ne soit très-expressément vôtre : mais je n'ai pu me remettre en mémoire le sujet que vous dites que je sais ; aussi n'en est-il pas besoin.

Si madame Theniée persévère à ne vouloir pas se ranger, vous n'aurez point de part à sa coulpe : cependant je me réjouis de quoi le reste de nos articles s'observe. Et pour la particulière qui ne veut pas s'accommoder à la communauté, il faut user de support et de bénignité envers elle, et Dieu la réduira au train des autres.

Hé bien, ma chère fille, la multitude des difficultés vous fit peur, et vous eûtes des pensées de tout quitter ; cependant vous avez vu que tout est fait : il en sera de même en tout le reste; la persévérance vaincra tout.

Pour lés pensions, elles sont bien entre vos mains, puisque nul autre ne s'en peut charger ; mais vous pourrez bien faire tenir compte d'icelles à une des filles. Vous m'avez bien fait rire, quand vous m'avez écrit que vous eussiez remis lesdites pensions, à chacune desdites religieuses la sienne, si vous n'eussiez eu peur que je ne me fâchasse à vous. Da, ma chère fille, quand m'avez-vous vu fâcher à vous? Je suis pourtant bien aise que l'on craigne un peu de déplaire àun pauvre chétif père ; car vraiment vous ne me déplairez jamais, ma chère fille, que quand vous déplairez à notre Seigneur, et que vous vous éloignerez de son pur et saint amour.

Il faut vraiment aller au chapitre, malgré toute la répugnance que vous y avez ; et, après la lecture de la règle, il faut dire quelque chose, quand ce ne serait, Que Dieu nous fasse la grâce d'observer ce qui a été lu.

 En la Fête-Dieu, je ne vois nul inconvénient que l'on fasse le tour du cloître ; car cela ne tire point à conséquence, à cause de la grandeur de la solennité.

Hélas ! ma fille, si personne ne servait aux âmes que ceux qui n'ont point de difficultés es exercices, et qui sont parfaits, vous n'auriez point de père en moi ; et il ne faut pas laisser de soulager les autres, encore que l'on soit soi-même en perplexité. Combien y a-t-il de bons médecins qui ne sont guère sains ? et combien se fait-il de belles peintures par des peintres bien laids ? Quand donc vos filles viennent a vous, dites-leur tout bellement et en charité ce que Dieu vous inspirera, et ne les renvoyez point vides d'auprès de vous.

Vous faites bien de faire venir ainsi des pères minimes de temps en temps; car cela élargira le coeur aux filles, et soulagera leurs âmes. Je suis marri avec vous du dégoût qu'elles ont de votre chapelain ordinaire ; mais l'entremise des minimes peut suppléer à tout cela, puisque, comme vous dites, il est certes malaisé de trouver des prêtres bien conditionnés, et que celui-ci estasses capable. Enfin, ma très-chère soeur, ma fille très-chère, il faut reprendre votre premier courage, et plutôt mourir que de démordre.

Tenez-vous le plus que vous pourrez auprès de vos filles; car vos absences ne leur peuvent donner que des sujets de murmurer, et rien ne leur peut tant adoucir leur sujétion que la vôtre ; rien ne les peut tant retenir dans l'enclos de l'observance, que de vous y voir avec elles ; et c'est en cela qu'il faut se crucifier pour celui qui a été crucifié pour nous. Que vous serez heureuse, si vous aimez bien votre petit troupeau ? car après l'amour de Dieu, celui-là tient le premier rang.

Je vous écrirai toujours quand je pourrai, et tant que je pourrai ; et sans varier je persévérerai à jamais en l'affection que je vous ai une fois de si bon coeur dédiée. Demeurez ferme en cette créance; car elle est, Dieu aidant, infaillible. Non, ni là mort, ni les choses présentes, ni celles qui sont à venir, ne me sépareront jamais de cette dilection que je vous porte en Jésus notre Seigneur, auquel soient honneur et gloire. Votre, etc.

Mais, voyez-vous, ma très-chère fille, ce que je vous dis. Je vous le recommande bien étroitement, car la soeur m'a dit que vous vouliez que je parlasse ainsi.

Ma chère soeur, assurez toutes vos bonnes et bien-aimées soeurs et filles, que je les honore et chéris très-intimement, et spécialement madame, votre très-chère soeur, marri de ne leur pouvoir écrire maintenant : et pour vous humilier encore un peu, saluez de ma part M. Lafon, et ces bonnes filles qui servent Dieu en la personne de ses servantes; car tout cela m'est cher.




LETTRE CXCV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UN SEIGNEUR.

(Communiquée par MM. du Séminaire de Saint-Sulpice.)
Il le prie de s'intéresser en faveur du chapitre de Genève, pour lui faciliter l'acceptation d'un petit bénéfice.

15 juin 1611.

Monseigneur, nostre chapitre de Genève a plus coopéré aux commencements de l'établissement de l'exercice catholique à Gcx qu'aucuns ecclésiastiques: car, outre que M. le prévost, MM. Grandis, Bouchut et Gottei, chanoynes dudit chapitre, ont esté les premiers qui ont fait résidence à leurs despens en ce païs-là durant une année, ce fut ce chapitre qui fournit aux frais que nostre saint estât encore prenait pour la sollicitation de la confirmation de l'establisse-nient; en considération de cela, un certain seigneur de Monluot, qui, par longues années, avait possédé un petit bénéfice simple, audit Gex, de la valeur d'environ 20 ou 23 livres de revenu, ayant de son gré et par son élection désiré que ce sien bénéfice fust uni à nostre dit chapitre; je l'ai fait encor plus volontiers, comme chose sainte et juste : mays d'autant qu'à l'adventure les cours laïques, en cas qu'il y eût quelque controverse ci-après, requerront que les premiers ayent le placet ou brevet du roy ; et que la valeur du bénéfice n'est pas si grande qu'on puisse envoyer exprès pour en faire la supplication à sa majesté, à laquelle même en son événement nous n'aurions anssy pas moyen d'avoir bon accès que par une entremise, partant nous vous supplions très-humblement tous, que si ce n'est point une incommodité, il vous playse impétrer ledit placet. La petitesse de la pièce passe le travail de ceux de ce chapitre, vostre crédit, nous rendant une espérance certaine que cela ne sera pas fort malaysé. Car bien que nostre chapitre réside maintenant par emprunt, de deçà, si est-ce que naturellement il est de Genève, et messieurs de Saint - Claude estrangers, non-seulement au regard du royaume, mais encore au regard du diocèse, ont bien obtenu plusieurs placets pour divers bénéfices de ce païs-là, de Gex, où ils n'ont rendu, qu'on ne sache, aucun service comparable à ecluy que nos chanoynes ont fait. Voilà, monseigneur, ma requeste envers vous. Et voicy mes petites nouvelles : je fus l'autre jour à Gex, auprès de M. le Grand et M. de Lux, où j'eus la consolation de retirer un gentilhomme et capitayne de la religion à la foy catholique ; de réconcilier deux églises paroissiales, et, en quatre sermons, destromper plusieurs hérétiques, et leur faire admirer que la vérité catholique estait belle, quoique difficile à comprendre. Mays comme ce n'est pas toujours l'erreur de l'entendement avec le défaut de la volonté et l'impureté des affections qui tient les hommes hors de l'Église, aussy n'y rentrent-ils pas toujours quand ils commissent la vérité d'y-celle. A cette consolation MM. le Grand et de Lux en adjoustoyent presqu'ordinairement une autre, qui estait de me parler de vous et de vos mérites comme l'honneur amoureux que je vous porte, me pouvait faire désirer. A mon retour, je treuvay que mon voyage n'avait pas esté seulement fertile en consolations selon sa petitesse; mays aussy de ce costé de deçà et de delà les monts, de soupçons et calomnies. Que la vérité néanmoins effacera, comme je pense, par la suite de quelques jouis. Il fallait dire ce mot de confiance avec vous, qui me donnez si abondamment le bonheur de vostre amitié, que tout le monde s'en resjouit avec moy, et particulièrement ces seigneurs dont je viens de dire les noms. Continuez, je vous supplie, monseigneur, et croïez que je suis invariablement votre, etc..




LETTRE CXCVI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A LA MERE P. M- DE CHATEL.

(Tirée de la vie de la mère de Chatel, par la mère de Changi.)

Félicitations sur une grande maladie dont elle relevait.

Juillet 1611.



Courage, au nom de notre Seigneur, ma pauvre très-chère fille Péronne Marie; remettons-nous du tout en vigueur, pour servir de nouveau notre divin maître en sainteté et justice tous les jours de notre vie (Lc 1,73). Tenez-vous doucement en repos en Dieu, pour reprendre vos forces de sa main ; afin que quand notre chère mère reviendra elle nous trouve tous braves. Qu'aurait-elle dit, cette bonne mère, si, en son absence, nous eussions laissé mourir sa chère Péronne ? Sans doute son coeur en eût été maternellement affligé. Béni soit Dieu, qui nous a visités en sa douceur, et qui nous a consolés. Amen.



LETTRE CXCYIT, A M. ANTOINE DESHAYES.

700
(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Rouen.)

Grands témoignages d'amitié du saint évéque à M. Deshayes, et d'estime pour un père prieur des feuillants. Il parle d'un mariage rompu. M. de Charmoisy à Chambéri perd son second fils, filleul du Saint. M. l'Evêque de Montpellier doit passer le carême prochain à Paris. S. François ne peut obtenir d'y aller. M. Deshayes guéri d'une grande maladie.

 Annecy, 11 juillet 1611.

Monsieur,

1. hier seulement, que ce digne porteur le père prieur des feuillants m'arriva, je reçus la lettre que vous m'écrivîtes par lui-même le 17 avril. C'est toujours avec mille joies que tels témoignages de votre bienveillance m'adviennent ; et quoique vos lettres soient vieilles en dates, elles me donnent néanmoins des contentements nouveaux : mais je vois en celle-ci que vous avez longuement été sans en avoir des miennes. J'avoue sincèrement mes fautes: mais celle-ci, elle n'est pas mienne, ains des porteurs; car je sais bien que toujours, quand je puis, je vous écris de mes nouvelles, non-seulement parce que votre désir a tout pouvoir sur ma volonté, mais aussi parce que ma volonté a perpétuellement ce désir de vous parler comme il m'est possible, de parler de vous, et de vous ouïr, ou voir parlera moi.

Je ne refuse pourtant pas l'amiable offre que vous me faites de ne changer jamais ni varier en l'amitié que vous me portez, soit que je vous écrive, ou que je ne v.ous écrive point. Non, monsieur, je vous en supplie, ne variez jamais en cette affection que vous avez pour moi ; car croyez qu'aussi, soit que j'écrive, comme je ferai Dieu aidant, ou que je n'écrive pas, je ne varierai jamais en la résolution que j'ai faite d'être à jamais homme très-véritablement vôtre, et tout vôtre sans réserve ni exception. Je parle le langage de mon coeur, et non pas celui de ce temps. Or, selon mon sentiment, c'est tout dit quand je dis que je suis tout vôtre, et peu dit si je dis moins que cela.

Ce père, que j'honorais déjà bien fort pour les fruits que j'avais vus de son esprit, m'a lié à son amour et respect d'un lien indissoluble, quand j'ai connu en lui un si grand assemblage d'érudition, d'entendement, de vertu, de piété, et entre ses vertus l'estime qu'il fait de la vôtre, et du bien de votre conversation : car c'est une des maximes plus entières de mon a me, que j'honorerai quiconque vous honorera, et chérirai quiconque vous chérira.

2. Que de bruit, que de vaines espérances, que de vraies, afflictions avons-nous eues!... mais, grâces à Dieu, nous voici maintenant avec grande apparence de tranquillité. Nous avions longuement attendu quelle issue prendrait le traité si longuement entretenu du mariage de mademoiselle d'Ànet et de notre monsieur : mais, à ce qu'on nous a dit, nous n'en devons plus rien attendre, puisque tout en est cassé ; et Dieu veuille que certaines nouvelles espérances qu'on nous propose soient plus assurées que celles que nous venons de perdre n'ont été.

Notre M. de Charmoisy est à Chambéri il y a quelques jours, où je lui ai envoyé la nouvelle de la perte de son second fils, mon filleul. Je crois qu'il la ressentira; car ayant retiré son coeur de la cour, il l'avait mis en sa femme, ses enfants et ses amis.

3. Je me réjouis que M. de Montpellier soit à Paris le carême suivant, à jouir de la douceur de votre présence, à laquelle croyez que j'aspire souvent, mais pour néant, puisqu'ayant plusieurs fois fait demander congé à son altesse de pouvoir aller faire un carême en votre ville (cf.
675 ), je n'ai su jusqu'à présent l'obtenir, ni même autre réponse, sinon qu'il y fallait penser: mais nul ne me sati-rait empêcher que d'esprit et de coeur je n'y sois journellement auprès de vous, à vous honorer, chérir et embrasser de toutes mes forces.

Madame la marquise de Menetry (cf. 537 ,6) me fait trop de grâce de se ressouvenir de moi, et encore plus de désirer que j'aille là. Je suis son très-humble serviteur, et porte singulière révérence à son mérite: mais d'aller là, je n'en puis rien dire, sinon que ce sera quand je pourrai ; mais de savoir quand je pourrai, il n'est pas en mon pouvoir.

4. M. d'Hormelet, qui va petit à petit achevant le petit reste de sa vie, a désiré que je vous assurasse de son humble affection. Surtout, je vous assure de la mienne, et vous souhaitant toute prospérité, je suis, monsieur, votre, etc.

Monsieur, j'ai loué Dieu, quand oh m'a fait savoir de Lyon que vous étiez guéri d'une grande maladie avant que j'aie su que vous en ayez été atteint. Dieu vous conserve, et je m'en réjouis avec madame votre femme, de laquelle je suis de même humble serviteur.




LETTRE CXCVIII.

S. FRANÇ0IS DE SALES, A UNE DAME.

Exhortation à se livrer à l'oraison mentale. SI juillet 1611.

Madame ma très-chère fille, je vous écrivis avant-hier, seulement pour accompagner une lettre que la bonne mademoiselle N. envoyait à M. votre mari, son frère; mais j'aime bien mieux vous écrire maintenant sur le sujet de votre lettre.

Tandis que nos corps sont en douleur, il est malaisé d'élever nos coeurs à la considération parfaite de la bonté de notre Seigneur ; cela n'appartient qu'à ceux qui, par de longues habitudes, ont leur esprit entièrement contourné du côté du ciel : mais nous qui sommes encore trop tendres, nous avons des âmes qui se divertissent aisément au sentiment des travaux et douleurs du corps. C'est pourquoi ce n'est pas merveille si durant vos maladies, vous avez internais l'usage de l'oraison intérieure : aussi en ce temps-là il suffit d'employer ces prières jaculatoires et sacrées aspirations ; car puisque le mal nous fait souvent, soupirer, il ne coûte rien" de soupirer en Dieu, et à Dieu, et pour Dieu, plutôt que de soupirer pour faire des plaintes inutiles.

Mais maintenant que Dieu vous a rendu votre santé, il faut bien, ma chère fille, reprendre votre oraison, au moins pour demi-heure le matin, et un quart d'heure le soir avant souper : car, depuis qu'une fois notre Seigneur vous a donné le goût de ce miel céleste, ce vous sera un grand reproche si vous vous en dégoûtez, et mêmement puisqu'il vous l'a fait goûter avec beaucoup de facilité et de consolation, ainsi que je me ressouviens fort bien que vous me l'avez avoué. Il faut donc bien prendre courage, et ne point permettre que les conversations, et cette vaine sujétion que nous rendons à ceux que nous hantons, vous privent d'un si rare bien comme est celui de parler coeur à coeur avec son Dieu.

Vous m'obligerez certes beaucoup de me donner un peu des nouvelles de votre âme : car la mienne l'aime chèrement, et ne se peut empêcher de désirer de savoir en quel état elle se trouve : mais la variété des desseins que M. votre mari a eus de vous faire revenir ici, et de vous faire demeurer aux champs, m'a retenu de vous en demander. Faites-moi donc ce bien, je vous en supplie, de m'écrire quelquefois, avec assurance que je vous donne de toujours vous répondre, comme aussi de correspondre fidèlement à l'honneur que vous me faites de me vouloir du bien, par une très-sincère affection à votre service. Dieu soit à jamais au milieu de votre coeur, pour le remplir et faire abonder en son saint amour. Ce sont les souhaits journaliers, madame ma chère fille, de votre, etc.




LETTRE CXCIX, A MADAME DE LA FLECHERE DONT IL AVAIT NOMMÉ UN ENFANT SUR LES FONTS DE BAPTÊME (1).

704
(I) Cette dame est probablement la même à laquelle est adressée la lettre précédente, et beaucoup de lettres suivantes.


Le respect humain est blâmable en matière de religion. Avis sur les sécheresses intérieures.

Annecy, 5 août 1611.

1. Je n'ai pas plus tôt vu monsieur votre cher mari, que j'ai su son départ de cette ville. Cela a été cause, ma très-chère fille, que je n'ai pu lui donner cette lettre, par laquelle je veux répondre, quoique couramment à mon accoutumée, aux dernières lettres que j'ai reçues de vous.

Sans doute, ma très-chère fille, il ne faut pas une autre fois rien rabattre des coutumes générales avec lesquelles nous professons notre sainte religion, pour la présence de ces bigearres huguenots, et il ne faut pas que notre bonne foi ait honte de comparaitre devant leur afféterie. Il faut en cela marcher simplement et confidemment (cf.
Pr 10,9).

Mais aussi le péché que vous fîtes n'est pas si grand qu'il s'en faille affliger après la repentance : car il ne fut pas commis en une matière de commandement spécial, ni ne contient pas aucun désaveu de la vérité, mais seulement un indiscret respect; et, pour le dire clairement, il n'y eut en cela aucun péché mortel, ni, comme je pense, véniel, ains une simple froideur procédant de troublement et irrésolution. Demeurez donc en paix de ce côté-là.

2. Quant au bon père dom Guillaume de Sainte-Geneviève, il y a environ deux mois que ses supérieurs l'ont envoyé pour résider à Tolose., Le père Galésius, à la vérité dire, est excellent, et. fait merveilles pour établir des bonnes résolutions; mais je crains fort qu'il ne soit déjà attaché : toutefois on pourrait bien le faire traiter dextrement, et par même moyen lui faire entendre qu'on ne l'invite qu'au seul exercice de charité, et en lieu où il n'y a rien à gagner que les âmes. Que si cela ne peut réussir, il nous faudra un peu considérer où nous pourrons donner de la main.

Le confesseur de Sainte-Catherine, père Antenne, prêcha il y a deux ans à la Roche, où il donna une fort grande satisfaction, et si il confesse; et, comme je crois, il n'est encore point arrêté. Nous verrons donc un peu ce qui se pourra faire.

3. Ma très-chère fille, vous faites toujours trop de considérations et d'examen pour connaitre d'où les sécheresses vous arrivent : si elles arrivaient de vos fautes, encore ne faudrait-il pas s'en inquiéter, mais avec une très-simple et douce humilité les rejeter, et puis vous remettre entre les mains de notre Seigneur, afin qu'il vous en fit porter la peine, ou qu'il vous les pardonnât, selon qu'il lui plairait. Il ne faut pas être si eu rieuse que de vouloir savoir d'où procède la diversité des états de votre vie. Il faut être soumise à tout ce que Dieu ordonne.

Hé bien, au demeurant, voilà donc le cher mari qui s'en va, ma chère fille, puisque sa condition et son humeur même le portent au désir de paraitre es occasions ; il faut humblement recommander son départ et son retour à notre Seigneur, avec confiance en sa miséricorde qu'il en disposera à sa plus grande gloire.

4. Vivez doucement, humblement et tranquillement, ma très-chère fille, et soyez toujours toute à notre Seigneur, duquel de tout mon coeur je vous souhaite la très-sainte bénédiction, et à vos petites, mais particulièrement à ma chère bonne petite filleule, qu'on m'a dit être toute de sucre. La chère cousine est aux vendanges, et on me dit qu'elle se porte bien,-comme fait madame.de N., qui, à mon avis, s'.avance fort en l'amour de Dieu avec toutes ses soeurs. Votre, etc.



LETTRE CC, A UNE DAME MARIÉE A UN SÉNATEUR.

706
(Tirée du monast. de St.-Nicolas du Chardonnet.)

Il l'exhorte à se donner toute à Dieu, l'assurant que c'est l'unique bonheur.

Annecy, 17 août 1611.

Madame, le souvenir de vos vertus m'est si agréable, qu'il n'a pas besoin d'être nourri par la faveur de vos lettres ; elles vous acquièrent néanmoins une nouvelle obligation sur moi, puisque je reçois par icelles et beaucoup d'honneur et beaucoup de contentement, de voir que non-seulement vous avez réciproquement mémoire de moi, mais que vous l'avez agréablement; aussi n'en sauriez-vous conserver pour personne qui ait plus de sincère affection pour vous, à qui je souhaite continuellement devant notre Seigneur mille bénédictions, et celle-là sur toutes et pour toutes; que vous soyez toute parfaitement sienne : soyez-le, madame, de tout votre coeur, car c'est le grand, ains l'unique bonheur qui vous puisse arriver; et si, monsieur le sénateur n'en aura point de jalousie, puisque vous n'en serez pas moins sienne, et en recevra de l'utilité, puisque vous ne sauriez donner votre coeur à Dieu que le sien n'y soit engagé.

Je suis, madame, mais je suis de tout le mien, votre, etc.



LETTRE CCI, A LA MÈRE DE BRECHARD.

721
(Tirée de la vie de la mère de Brechard, par la mère de Changi..

Il la console sur les peines et les afflictions qu'elle ressentait de son absence et de celle de madame de Chantal, alors en Bourgogne pour ses affaires de famille.

Annecy, vers le mois de septembre 1611 (Annecy: 29-31 octobre 1611).

Ma très-chère fille, (...)

il faut prendre du repos, et du repos suffisamment, laisser amoureusement du travail aux autres, et ne vouloir pas avoir toutes les couronnes : le cher prochain sera tout aise d'en avoir quelques-unes. L'ardeur du saint amour, qui vous pousse à vouloir tout faire, vous doit aussi retenir, et laisser faire quelque chose aux autres pour leur consolation. Dieu nous sera bon, ma fille; j'espère qu'il vous menace pour ne vous point frapper, et que la chère personne de notre mère ira au - devant de son arrivée, avec sa très-chère lieutenante, sa fille très-aimée, que je désire qui travaille avec un esprit ardent, mais doux; fervent, mais modéré; attendant le bon succès des maladies et affaires, non de sa peine, non de son soin, mais de l'amoureuse bonté de son époux. Qu'il la veuille bénir éternellement, avec toute la troupe de ma très-chère mère absente, et qui nous est si présente au coeur, en la présence de celui qui est l'unique tout du coeur de la mère et des filles : priez-le aussi qu'ainsi soit du père, afin que tout soit saintement égal en votre pauvre chère petite Visitation. Amen.




F. de Sales, Lettres 676