F. de Sales, Lettres 797

LETRRE CCXXVni.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DE SES SOEURS.

Le Saint lui recommande la douceur et la paix dans les contretemps de cette vie.


30 juin 1612.

Ma très-chère soeur ma fille, je suis marri que je n'ai plus tôt reçu la salutation que maître Constantin m'avait apportée de votre part, car j'eusse eu plus de loisir de vous écrire selon mon coeur, qui est si plein d'affection pour vous, et vous chérit si fort, qu'il ne peut se contenter de vous entretenir pour un peu. Je vis avec beaucoup de contentement de savoir que votre âme est toute dédiée à l'amour de Dieu, auquel vous prétendez de vous avancer petit à petit pour toutes sortes de saints exercices. Mais je vous recommande toujours plus que tout celui de la sainte douceur et suavité, es rencontres que cette vie vous présente sans doute souventefois. Demeurez tranquille et toute aimable avec notre Seigneur sur votre coeur. Que vous serez heureuse, très-chère soeur ma fille, si vous continuez de vous tenir à la main de sa divine majesté, entre le soin et le train de vos affaires, lesquelles réussiront bien plus à souhait quand Dieu vous y assistera! et la moindre consolation que vous en aurez sera meilleure que les plus grandes de celles que vous pourriez avoir de la terre.

Oui, ma chère fille ma soeur, que je vous aime, et plus que vous ne sauriez le croire : mais principalement dès que j'ai vu eu votre âme le digne et honorable désir de vouloir aimer notre Seigneur avec toute fidélité et sincérité, à quoi je vous conjure de persévérer constamment, et de m'aimer toujours bien entièrement, puisque je suis d'un coeur tout entier et fidèle, ma très-chère fille, votre, etc.;




LETTRE CCXXIX.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DEMOISELLE.

Pour entrer en religion ce ne sont pas les parents qu'il faut consulter, mais ceux que Dieu a établis pour conduire les âmes. L'inspiration de Dieu, continuée au milieu des oppositions, est une preuve de la vocation ; mais il faut en tout cela corriger ce qui est excessif et imparfait, et non pas reculer ni rompre son dessein.



Annecy, 5 juillet 1612.

Mademoiselle, vous avez opinion que votre désir de vous retirer du monde ne soit pas selon la volonté de Dieu, puisqu'il ne se trouve pas conforme à celui de ceux qui de sa part ont le pouvoir de vous commander et le devoir de vous conduire. Si c'est de ceux à qui Dieu a donné le pouvoir et imposé le devoir de conduire votre âme et vous commander es choses spirituelles, certes vous ave?, raison, car, en obéissant à ceux-là, vous ne pouvez pas faillir, bien qu'eux se peuvent tromper et vous mal conseiller, s'ils le font principalement regardant ailleurs qu'à votre seul salut et avancement spirituel. Mais si ce sont ceux que notre Seigneur vous a donnés pour directeurs es choses domestiques et temporelles, vous vous décevez vous-même de les croire es choses èsquclles ils n'ont point d'autorité sur vous. Que s'il fallait ouïr les avis des parents, la chair et le sang, sur de telles occurrences, il se trouverait peu de gens qui embrassassent la perfection de la vie chrétienne. Voilà le premier point.

Le second est que, puisque non-seulement vous avez désiré de vous retirer, mais que vous le désireriez encore s'il vous était permis de ceux qui vous ont retenue, c'est un signe manifeste que Dieu veut votre retraite, puisqu'il continue son inspiration parmi tant de contradictions, et votre coeur, touché de l'aimant, a toujours son mouvement du côté de la belle étoile, quoique rapidement détourné par les empêchements terrestres. Car enfin, votre coeur, que dirait-il s'il n'était empêché ? Vous dirait-il pas : Retirons-nous d'entre les mondains? Il y a donc encore cette inspiration ; mais, parce qu'il est empêché, il ne le peut ou ne l'ose pas dire. Rendez-lui la liberté avant qu'il la dise, car il ne vous saurait pas mieux dire ; et cette parole secrète qu'il dit tout bellement en soi-même : Je voudrais bien, je désirerais bien sortir d'entre les mondains, c'est la vraie volonté de Dieu.

En quoi vous avez tort (et pardonnez à ma naïve liberté de langage), vous avez tort, dis-je, d'appeler les empêchements qui vous sont donnés à l'exécution de cette inspiration, volonté de Dieu, et le pouvoir de ceux qui vous empêchent, pouvoir de Dieu.

Le troisième point de mon avis est que vous n'êtes nullement en différence devant Dieu, puisque le désir de la retraite, qu'il vous a donné, est toujours dedans votre coeur, quoiqu'il soit empêché de faire son effet ; car la balance de votre esprit tend de ce côté-là, bien qu'on donne du doigt de l'autre côté pour empêcher le juste poids.

Le quatrième, c'est que si votre premier désir a été excessif en quelque chose, il le faut corriger, et non point le rompre. L'on m'a fait entendre que vous aviez offert la moitié de vos biens, ou bien le paiement de cette maison, qui est maintenant dédiée à Dieu. Peut-être fut-ce trop, en égard que vous aviez une soeur chargée do grosso famille, à laquelle, selon l'ordre de charité, vous eussiez plutôt du appliquer vos biens. Or sus, il faut corriger cet excès, et venir en cette maison avec une portion de votre revenu, autant qu'il est requis pour vivre sobrement, et laissant tout le reste à qui vous voudrez, et même réservant la portion susdite, après votre mort, pour ceux à qui vous voudrez faire du bien. En cette sorte, vous corrigerez l'excès et conserverez votre dessein ; et il n'y aura rien en cela qui n'aille gaiement, doucement et saintement.

Enfin, prenez courage à faire une bonne résolution absolue ; et, bien que ce ne soit pas péché de demeurer ainsi en ces faiblesses, si est-ce que sans doute on perd beaucoup de commodité de bien avancer, et recueillir des consolations grandement désirables.

Je vous ai voulu familièrement éclaircir de mon opinion, estimant que vous me ferez le bien de ne le point trouver mauvais. Dieu vous donne les saintes bénédictions que je vous souhaite, et la douce correspondance qu'il désire de votre coeur, et je suis en lui avec toute sincérité, mademoiselle, votre, etc.




LETTRE CCXXX.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME MARIÉE.

Avantages d'un saint mariage ; on doit, par un motif de reconnaissance envers Dieu, y vivre dans la pratique de la vertu, et continuer à pratiquer les bonnes résolutions qu'on avait prises auparavant.

La veille de Notre-Dame, à Lyon, 1612.

Madame, l'espérance que j'ai toujours eue dès une année en ça, d'aller en France, m'a retenu de vous ramentevoir mon inviolable affection à votre service par lettre, puisque je croyais que quelque heureuse rencontre me donnerait le moyen devons rendre ce devoir en présence; mais maintenant que je n'espère presque plus ce " bien, et que ce digne porteur me donne une commodité si assurée, je me réjouis de tout mon coeur avec vous, ma très-chère fille ; car ce mot est plus cordial.

Je me réjouis et loue notre Seigneur de votre si estimable et aimable mariage, qui vous servira de fondement pour bâtir et élever en vous une douce et agréable vie en ce monde, et pour heureusement passer cette morlalité en la très-sainte crainte de Dieu, en laquelle, par sa grâce, vous avez été nourrie dès votre berceau ; car tout le monde me dit que monsieur votre mari est un des plus sages et accomplis cavaliers de France, et ij.ue votre liaison est non-seulement nouée à la sainte amitié qui la doit serrer de plus en plus, mais aussi déjà bénie de la fertilité par laquelle vous êtes à la veille de vos couches, ainsi que N. m'assure.-

Il faut donc correspondre à toutes les faveurs du ciel, ma très-chère fille ; car elles vous sont sans doute données afin que vous les fassiez profiter à la gloire de celui qui vous gratifie, et à votre salut. Je ne puis que je ne croie, ma très-chère fille, que vous m'employiez votre courage à cela, et que vous ne le fassiez comme sachant que le bonheur de votre maison et de votre personne dépend de cela en cette vie passagère, et l'assurance de l'immortelle après celle-ci.

Or sus, en ce nouvel état de mariage auquel vous êtes, renouvelez souvent les résolutions que nous avons si souvent faites de vivre saintement et vertueusement, de quelle condition que Dieu nous fit être.

Et si vous l'avez agréable, continuez à me favoriser de votre bienveillance filiale, comme je vous assure, ma très-chère fille, que d'un coeur tout rempli d'affection paternelle, je ne célèbre jamais la très-sainte messe que très-particulièrement je ne vous recommande à Dieu avec monsieur votre mari, auquel je suis et serai toujours, ainsi que je suis pour vous, madame, votre très-humble, etc.




LETTRE CCXXXI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME.

De la résignation dans les peines, et de la douceur chrétienne.

17 août 1612.

Or sus, que voulez-vous que je vous dise, ma très-chère fille, sur le retour de nos misères, sinon qu'autour de l'ennemi il faut reprendre et les armes et le courage pour combattre plus fort que jamais? Je ne vois rien de bien grand au billet. Mais, mon Dieu! gardez-vous bien d'entrer en aucune sorte de défiance : car cette céleste honte ne vous laisse pas tomber de ces chutes pour vous abandonner, ains pour vous humilier, et faire que vous vous teniez plus serrée et ferme à la main de sa miséricorde.

Vous faites extrêmement à mon gré de continuer vos exercices emmi les sécheresses et langueurs intérieures qui vous sont revenues. Car, puisque nous ne voulons servir que pour l'amour de lui.et que le service que nous lui rendons parmi le travail des sécheresses lui est plus agréable que celui que nous faisons parmi les douceurs, nous devons aussi de notre côté l'agréer davantage, au moins de notre volonté supérieure; et, bien que selon notre goût et l'amour-propre, les suavités et tendretés nous soient plus douces, les sécheresses néanmoins, selon le goût de Dieu et son amour, sont plus profitables, ainsi que les viandes sèches sont meilleures aux hydropiques que les humides, bien qu'ils aiment toujours plus les humides.

Pour votre temporel, puisque vous vous êtes essayée d'y mettre de l'ordre, et que vous n'avez pu, il faut donc maintenant user de patience et de résignation, embrassant volontiers la croix qui vous est arrivée en partagé ; et selon que lés occasions se présentent, vous pratiquerez l'avis que je vous avais donné pour ce regard.

Demeurez en paix, ma très-chère fille; dites souvent à notre Seigneur que vous voulez être ce qu'il veut que vous soyez, et souffrir ce qu'il veut que vous souffriez. Combattez fidèlement vos impatiences, en exerçant non-seulement à tous propos, mais encore sans propos, la sainte débonnaireté et douceur à l'endroit de ceux qui vous sont plus ennuyeux ; et Dieu bénira votre dessein. Bonsoir, ma très-chère fille : Dieu soit uniquement votre amour.

Je suis en lui et de tout mon coeur, votre, etc,



LETTRE CCXXXII, A M. DESHAYES.

803
(Tirée du premier monastère de la Visitation de la ville de Rouen.)

Il le prie d'appuyer une requête qu'il lui envoie pour les affaires de son chapitre ; il lui parle d'un phénomène qui avait paru sur la ville de Genève.

Annecy, 31 août 1611.

Monsieur, il faut que l'assurance que j'ai de votre bienveillance soit infiniment assurée, puisqu'à tout propos, et avec tant de liberté, je prends la confiance de vous supplier pour les affaires ecclésiastiques que maintenant il me faut avoir de delà; car certes, de mon humeur, j'aime la modestie. Or voilà une requête pour obtenir une révision en faveur du chapitre de mon église. C'est une affaire, comme je pense, ordinaire; et que je ne vous voudrais pas donner la peine de faire ; mais votre amitié en mon endroit est si universelle, que volontiers elle me favorise en toutes occurrences grandes et petites. Aussi puis-je jurer que mon affection pour vous est si absolue, générale et invariable, que vous n'en aurez jamais de plus entière de personne du monde.

Je vous écris sans loisir, à cause du soudain départ de ceux qui portent ce paquet à Lyon ; aussi n'ai-je rien de nouveau dès la dernière lettre que je vous écrivis, sinon que nous avons vu en cette ville plusieurs colonnes enflammées sur Genève, et la veille de l'assomption, entre midi et une heure, en un jour très-clair, une étoile assez proche du soleil aussi brillante et resplendissante qu'est la plus belle étoile en une nuit bien sereine. Je suis, monsieur, etc'.



LETTRE CCXXXIII, A M. DESnAYES.

810
(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Rouen.)

Il est invité à prêcher le carême à Saint-Benoit, à Paris, l'année suivante, et répond qu'il ne peut l'assurer, vu les circonstances où il se trouve avec son souverain.


Annecy, 5 octobre 1612.

Monsieur,

1. je pense que vous ne douterez jamais de mon affection à l'accomplissement de vos volontés et désirs ; car l'excellente amitié de laquelle vous (n'honorez est arrivée jusqu'à ce point de perfection, qu'elle est exempte de toute défiance et de tout doute.

Mais en l'occasion d'aller en notre chaire de Saint-Benoît, ce n'est pas vous, monsieur, seulement qui n'en devez pas douter, c'est tous ceux qui s'entendent tant soit peu eu mes inclinations. Dieu sait bien que je préparais un coeur tout nouveau, plus grand, ce me semble, que le mien ordinaire, pour aller là prononcer ses saintes et divines paroles ; premièrement pour, en une si belle et digne occasion, rendre de la gloire à sa divine majesté, puis pour donner du contentement à celui qui m'y appelait avec tant de coeur et de courage. Et si je me promettais, par un certain excès d'amour à ce dessein, que, prêchant maintenant un peu plus mûrement, solidement, et pour le dire tout en un mot entre nous, un peu plus apostoliquement que je ne faisais il y a dix ans, vous eussiez aimé mes prédications, non-seulement pour ma considération, mais pour elles-mêmes.

2. Or, voici à quoi je me trouve à présent : son altesse a éconduit la reine, ainsi que M. de Roascieu vous aura dit, et un ami que j'ai en cour m'avertît que rien ne profitera en ce sujet, auquel son altesse est résolue de ne se laisser point plier. J'avais presque résolu de passer jusqu'à Turin, pour voir si je pourrais, par déclaration de mes intentions bonnes et franches, ébranler son esprit, mais voici que de toutes parts on m'assure qu'elle vient dans peu de jours avec monseigneur le prince à Chambéri, et notre monsieur le premier président Favre estime que sarlilc altesse me retient de deçà pour m'y trouver à sa venue : de sorte que me voilà en perplexité; car, si le pape même me commandait d'aller, et son altesse étant de deçà me retenait, avec promesse que le pape n'aurait pas désagréable, je serais bien en peine,comme vous pouvez penser.

Et quant à l'expédient du procès que j'ai au conseil privé, il m'est avis, sauf le vôtre meilleur, qu'il serait extrêmement pressant, et sujet à être soupçonné d'alfectation de mon côté, et à donner de l'avantage à mes parties.

3. M. de Charmoisy, qui après moi désirait le plus mon voyage, est en peine comme trouver une bonne sortie de ces considérations. Certes, si son altesse ne venait point, l'autorité du pape serait toute-puissante ; car j'emploierais son commandement, sans prendre congé que par lettre ; mais son altesse étant ici, j'aurais peine à me démêler des répliques qui me seraient faites, et ne crois pas que je le puisse.

Cependant le temps court, et nous va mettre dans peu de semaines à la veille de carême, si que il sera meshui malaisé de trouver un prédicateur sortable à votre chaire. Il faut confesser la vérité ; j'ai une extrême passion en cette occurence, et ne sais bonnement me résoudre, sinon à ce point que tout ce que vous me direz, je le ferai de très-bon coeur, quoi qu'il en doive arriver : et déplus, que si jamais je vais à Paris faire le carême, ce ne sera que pour votre seule considération, soit que vous ayez la charge de l'église, ou que vous ne l'ayez pas.

Je vous assure, monsieur, que je vous écris sans savoir presque ce que je fais ; tant il me fâche de ne pouvoir pas avec entière liberté vous dire : Je vais.

Vous m'excuserez donc, s'il vous plait, et mon style ; et croyez qu'avec un coeur invariable et immortel je suis et serai, monsieur, votre/etc.



LETTRE CCXXXIV, AU MARQUIS DE LANS.

818
(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Lavaldotte.)

Il intercède pour un capitaine qui avait quitté la ville de Genève et l'hérésie de Calvin, et à qui on négligeait de payer la pension qui lui avait été accordée par le duc de Savoie.

Annecy, 31 octobre 1612.

Monsieur, me voici toujours aux requêtes pour ces pauvres gens de Genève, desquels meshui je serai le référendaire général auprès de votre excellence. Le capitaine La Rose est de ceux qui les premiers sortirent de cette ville-là, et de l'hérésie qui y règne (cf.
253 ). Son altesse sérénissime lui a donné un appointement par aumône, tant en considération de sa vieillesse que de sa famille, laquelle nous avons ici en grande disette : mais, à ce qu'il me fait savoir, il demeurera privé de l'effet de ce bénéfice, si votre excellence n'anime le commandement de son altesse par le sien. C'est pourquoi il m'a conjuré de vous supplier, monsieur, en sa faveur pour ce regard ; ce que je fais très-humblement, et d'autant pliis volontiers, que la bonne fête nous invite au secours des affligés. Je prie Dieu, monsieur, qu'il fasse de plus en plus abonder votre.excellence en prospérité. Votre, etc.



LETTRE CCXXXV, A M. DESHAYES.

824 (Tirée du premier monastère de la Visitation de la ville de Rouen.)

Il recommande à son ami une requête pour le pays de Gex contre les Genevois. Il souhaite que les Bernais restituent au duc de Savoie le pays de Vaux, notamment à'cause des vingt-cinq paroisses de son diocèse qui étaient dans ce pays ; mais les Bernais n'y veulent pas entendre.

Annecy, 14 novembre 1612.

Monsieur, je ne puis pas perdre cette occasion de vous ramentevoir mon affection qui vous honore au-dessus de toutes les pensées que vous en sauriez jamais avoir. J'écris à M. Le Masnier, toujours pour nos affaires de Gex, et lui recommande ma requête contre ceux de Genève, de laquelle il lui a plu me promettre d'avoir soin. Ce n'est pas que j'espère rien de cette poursuite en un sujet si plein de considérations humaines, mais au moins empêcherai-je la prescription ; et si Dieu nous envoie une saison plus pieuse, ce sera toujours nn avantage d'avoir demandé.

Nos ambassadeurs de deçà sont revenus de la diète de Bade, où ils pensaient que l'autorité du roi et l'entremise des cantons catholiques auraient disposé les Bernais à là restitution du pays de Vaux, ou au moins convenir d'arbitres pour une journée amiable ; mais ils ont trouvé tout au contraire : car les Bernais n'ont quasi pas voulu entendre la proposition, et nul n'a parlé en notre faveur. Reste que son altesse prenne une bonne et salutaire résolution d'attendre que Dieu fasse naître une occasion propre pour tirer sa raison.

Je suis marri de ce succès, à cause de la religion qui est si peu regardée et favorisée ; et j'ai encore mon intérêt particulier pour vingt-cinq ou trente paroisses de ce pays-là, qui sont de mon diocèse.

Voilà nos nouvelles; et n'est pas besoin que je vous dise que je ne désire pas que l'on sache que je les écrive ; car aussi ne les écrirois-je pas à un autre qu'à vous, à qui je suis tout extraordinaire-ment, monsieur, votre, etc.

Monsieur, je ne parle plus du déplaisir que j'ai eu de n'aller pas vers vous ; mais je ne le puis oublier.



LETTRE CCXXXVI, A MADAME LA PRÉSIDENTE FAVRE.

825
(Tirée du monast. de la Visitât, de la ville de Turin. ) Avis et conseils sur différentes matières de piété.,

Annecy, 18 novembre 1612.

Ma très-chère soeur (1), j'ai reçu vos deux lettres, toutes douces et de bonnes nouvelles ; car votre chère âme va bien, puisqu'elle veut bien s'avancer au saint amour de notre Seigneur. Faisons bien cela, ma très-chère fille, car enfin tout le reste n'est que vanité (
Qo 1,2 Qo 1,14 Qo 12,8): et parce que l'amour ne loge qu'en la paix, soyez toujours soigneuse de bien conserver la sainte tranquillité de coeur que je vous recommande si souvent.

Que nous sommes bienheureux, ma chère soeur, d'avoir des travaux, des peines et des ennuis ! car ce sont les voies du ciel, pourvu que nous les consacrions à Dieu.

Je vous renvoie les papiers de dévotion que je trouve bien utiles : mais si on les imprimait, je ne voudrais pas que votre nom y fût découvert, pour ne point donner lieu aux babillards d'en parler, et surtout l'oeuvre étant si courte!

Vous pouvez bien, ce me semble, choisir ce bon père-là pour confesseur, puisque aussi bien le père recteur est souvent empêché (cf. 770 ).

Nos bonnes dames de la Visitation font extrêmement bien ; et quand leur logement sera du tout commode, elles seront très-bien où elles sont maintenant.

Votre fille (2) chemine fort dévotement, et se porte très-bien. La bonne mère de Chantal est presque guérie, et a aujourd'hui été à la sainte inesse.

Ce serait un très-grand bien qu'à Chambéri il y eût des ursulines, et voudrais bien y pouvoir contribuer quelque chose ; car enfin, bonheur à ceux qui nourrissent les enfants pour l'amour, crainte et service de Dieu. Il ne faut que trois filles ou femmes courageuses pour commencer ; Dieu donnera l'accroissement. Nos dames de la Visitation doivent donner courage d'entreprendre à celles qui seront tant soit peu disposées. Selon mon jugement, ce n'est pas hasarder que de se confier un peu extraordinairement à notre Seigneur es desseins de son service.

Ma très-chère soeur, ma fille, aimez toujours bien mon âme qui aime tant la vôtre. 3e suis en-notre Seigneur tout vôtre. Votre, etc.

 P. S. La bonne Tiollier sera, à mon avis, fort consolée en cette congrégation, laquelle se trouvera composée mercredi prochain de seize bonnes filles /laissant à part celles qui sont reçues, et qui ne peuvent encore venir. Désormais on sera en peine à refuser, et néanmoins il le faudra faire, si ce n'est pour quelque personne qui puisse rendre quelque extraordinaire service à notre Seigneur ; et quant aux moyens, rien n'y abonde, et rien n'y manque. Dieu a soin de ses servantes, et Notre-Dame les pourvoit. Il vous faut toujours dire des nouvelles de cette petite assemblée, laquelle, comme je crois, vous est chère. La pauvre Tiollier était si empressée, qu'elle oublia le paquet de la bonne madame d'Aiguebelle (cf. 646 ), à laquelle pourtant je ne saurais répondre. Je salue de tout mon coeur ma très-chère nièce.


(1) Nous avons vu que S. François de Sales, par une affection particulière pour M. Favre, l'appeloil son frère : c'est pourquoi il donne à son épouse le nom de soeur. (2) La mère Favre /fille du président.


LETTRE CCXXXVII, A MADAME DE CHANTAL

832
(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Rouen.) ,

Grands témoignages d'affection à cette dame, à qui il rappelle la mémoire de son sacre.

Vers le 8 décembre 1612.

 J'ai bien vu au sermon notre bien-aimée fille Françoise (1), mais je n'ai pas osé lui demander comment ma très-chère mère se portait ; car il y avait trop de gens qui m'eussent ouï, et eussent été en peine de curiosité pour savoir quelle était cette très-chère mère, autre que Dieu, ses anges, ses saints et notre coeur, ne sachant combien l'affection qui me rend père, fils, et une même âme avec vous, est suffisante et plus que suffisante pour faire cela.

Je donne donc la charge à ce petit billet de vous demander l'état de votre santé, et à notre chère petite fille de vous redire quelque chose du sermon, lequel j'ai fait hardiment et passionnément; et entre autres choses ayant différé hier de parler de moi» sacre, à cause qu'au demeurant j'aurais plus de gens, j'ai dit qu'il y avait dix ans que j'avois été consacré (1), c'est-à-dire que Dieu m'avait ôté à moi-même pour me prendre à lui, et puis me donner (2) au peuple, c'est-à-dire qu'il m'avait converti de ce que j'étais (5) pour moi en ce que je fusse pour eux.

Biais pour ce qui nous regarde, vous savez que Dieu m'a ôté à moi-même, non pas pour me donner à vous, mais pour me rendre vous-même. Ainsi puisse-t-il advenir qu'ôtés à nous-mêmes nous soyons convertis en lui-même par la souveraine perfection de son saint amour! Amen. Bonsoir, ma très-chère mère et plus que mère ; le bonsoir à nos filles.

Non, ce n'est pas le père Archange du Tillet, c'est le père Constahui de Chambrai, qui sera notre prédicateur le reste de cet avent; et moi je serai souvent celui de nos chères soeurs. Car ce n'est pas souvent, fors toujours, que je suis le, etc.


(1) C'est mademoiselle Françoise Rabutin Chantal, fille cadette de la bienheureuse veuve, qui a épousé M. de Toulongeon.
(1) C'est le 8 décembre 1602.
(2) Ici est une lacune à laquelle on a suppléé par le mot donner, y ayant un r resté dans l'original.
(5) Là est encore une lacune.



LETTRE CCXXXVIII, A MADAME l'ABBESSe du puits-d'orbe.

833
(Tirée du monast. de la Visitât, du Puits-d'Orbe.)

Il la félicite sur l'avancement de sa maison en la piété.

Annecy, 18 décembre 1612.

Sans doute, ma très-chère soeur, que je ne pas-: serai jamais en Bourgogne sans aller voir votre âme bien-aimée, qui est toujours présente à la mienne; mais je ne suis pas prêt pour aller en ces quartiers-là. Il faut que je me trouve à Paris (4) pour le saint carême. Monsieur m'écrit que votre maison s'avance fort à la piété, dont je me réjouis selon la mesure avec laquelle je vous souhaite toute santé.

Hier je reçus votre billet, et j'y réponds hâtivement ce matin; mais je ne sais nulles nouvelles de votre santé, c'est-à-dire de l'état de votre pauvre jambe, de laquelle vous ne me faites nulle mention, non plus que si vous n'étiez pas ma chère fille, et que cette jambe ne fût pas la meilleure des deux pour vous avancer en la profession de l'amour divin : et vous savez, ma très-chère fille, que je vous ai toujours dit que vous m'écrivissiez plus amplement par l'entremise de madame la P. (1), qui aura bien le soin de m'envoyer vos lettres comme aussi de vous faire tenir les miennes.

M. l'abbé de Saint-Maurice (cf.
380 ) ne donne pas la survivance pour le prieuré de Semur, ne le pouvant faire; mais en toute occurrence de vacance, je ferai tout ce qui me sera possible pour monsieur votre frère. Je suis plus que jamais, ma très-chère fille, d'un coeur invariable, votre très-humble serviteur.

(4) S. François comptait sans doute se rendre à Paris l'année suivante, mais il n'y alla point.
(1) Madame Brulart, soeur de l'abbesse.




LETTRE CCXXXIX.

S. FRANÇOIS DE SALES, A LA SOEUR PAULE-HIÉRONIME DE MONTHOU, SUPÉRIEURE DU MONASTÈRE DE SAINTE-MARIE DE NEVERS.

(Tirée du monastère de la Visitation de Chaillot.) Témoignages de son affection pour elle.



Lyon, jour de Noël, 1612.

Cette chère demoiselle qui vous porte ce billet est digne d'être singulièrement chérie, parce qu'elle chérit très-affectionnément la divine majesté de laquelle nous célébrons aujourd'hui la sainte naissance ; mais outre cela, ma très-chère fille, elle vous aime saintement, et a désiré que je vous écrivisse par son entremise. Je le fais de tout mon coeur, ma très-chère fille, sans vous dire autre sorte de nouvelles, sinon que notre chère soeur Emmanuelle est toute pleine de ferveur en la réforme du monastère de Sainte-Catherine qui se fait à Rumilly ; car, que vous dirai-je de plus, ma très-chère fille, puisque cette bonne et vertueuse âme vous dira très-amoureusement tout ce qui se passe ici ? (2) Elle assure que le père Suffren, s'il n'y a de l’impossibilité, vous fera la faveur de vous voir et de vous dire par lettre et de vive voix... Je l'ai remercie de la prose latine qu'il vous donna... Venez..,, c'est un personnage tout aimable, et qui a une affection toute "sincère pour vous et pour votre monastère. Vivez toute en Dieu, ma très-chère fille, et pour Dieu, que je supplie vous recevoir dans le sein de sa très-sainte dilection, avec toute votre chère compagnie, qui suis sans fin, ma très-chère fille, votre, etc.



(2) Ce qui est en italique sont des lacunes de quelques mots rongés par la vétusté. On a suppléé à ceux qu'on a pu, et laissé les autres.




LETTRE CCXL.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME.

Il n'y a point de temps plus propre pour marquer à Dieu notre fidélité, que celui des afflictions dont cette vie est toujours pleine.

Le jour des Innocents, 1612.

Je ne doute point, ma chère fille, que vous ne soyez grandement exercée de diverses rencontres déplaisantes, sachant une partie des sujets qui vous en peuvent donner ; mais en quoi, et quand et comment pouvons-nous témoigner la vraie fidélité que nous devons à notre Seigneur, qu'entre les tribulations, es contradictions, et au temps des répugnances ?

Cette vie est telle qu'il nous faut plus manger d'absinthe que de miel : mais celui pour lequel nous avons résolu de nourrir la sainte patience au travers de toutes oppositions, nous donnera la consolation de son saint Esprit en sa saison. Gardez-bien, dit l'apôtre, de perdre la confiance par laquelle étant revigorés, vous souffrirez et supporterez vaillamment le combat des afflictions, pour grand qu'il soit (He 10,55).

J’ai été, certes, marri, quand j'ai su cette petite altercation survenue entre les deux chers cousins pour ce morceau de pain laissé par le pauvre M. de N. Ainsi arriva-t-il entre les enfants des hommes.

Or sus, je suis pressé. Dieu nous donne la grâce de bien et saintement commencer et passer cette nouvelle année prochaine. Que puissions-nous en icelle sanctifier le saint nom de Jésus, et faire profiter le sacré soin de notre salut. Je suis immortellement tout votre, etc.


LETTRE CCXLI, A MADAME l'ABBESSE DU PUITS D'ORBE.

859
(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Langres.)

Il la félicite du bon ordre qu'elle avait mis dans son monastère par le moyen d'un bon prêtre.

23 février 1613.

1. Je suis, certes, bien marri, ma très-chère soeur, ma fille, que vous n'ayez reçu mes lettres, que souvent je vous ai écrites et adressées à Dijon, non point tant pour autre sujet, que pour la consolation que votre bon naturel vous l'ait recevoir quand vous voyez de mes écrits. Or sus, Dieu soit loué. Meshui, quand notre mère de Chantal écrirai Bourbilly, je me servirai de l'occasion, puisqu'elle est plus assurée. Mais dites-moi, je vous prie, ma chère fille, eussiez-vous bien pu croire qu'une affection plantée de la main de Dieu, arrosée par tant d'obligations que je vous ai et à votre maison, fût sujette à diminution ou ébranlement? Non, certes, ma très-chère soeur, ma fille, il n'est pas possible qu'une amitié vraie et solide puisse jamais cesser.

2. Quelle joie de quoi votre monastère va si bien, et qu'il fait honneur devant Dieu et ses anges à M. de Sauzea! Certes, je ne suis pas ange, mais je l'en honore davantage, et prie Dieu qu'il rétablisse de plus en plus cette sainte famille en son amour. J'écrivis il y a quelque temps audit sieur de Sauzea une réponse assez ample aux siennes : je ne sais s'il l'a reçue.

3. Au reste, pour votre particulier, faites souvent renaître toutes les saintes résolutions qu'au commencement de nos ferveurs Dieu nous départait si abondamment : que si-elles ne sont plus si sensibles, il n'importe, pourvu qu'elles soient fermes et fortes. J'ai bien entendu tout ce que vous m'écrivez, et me suffit. Dieu par sa bonté vous tienne tous les jours de sa très-sainte main ; c'est une prière quotidienne que je lui fais.

Je vous remercie de la toile; si vous venez l'été prochain, vous nous communiquerez bien de la recette; et cependant on emploiera ce que j'en ai.

Je dis, si vous venez; parce que, encore que ce me serait un contentement extrême de vous voir à souhait en nos pauvres petites contrées, si est-ce que je ne voudrais pas tirer sur moi le contre gré de messieurs vos proches, s'ils en avaient, en ne vous le conseillant pas, ni aussi préjudiciel- à ma consolation en vous conseillant. Dieu vous inspirera ce qui sera pour sa gloire et la vôtre.

Cependant il faudra donc écrire dans le livre quelque chose, à mesure que, parmi les fréquentes pensées que j'ai sur vous, il plaira à notre Seigneur jeter dans mon coeur des avis propres pour le vôtre.

4. Je salue infiniment toute votre chère troupe, et spécialement notre soeur. Je salue encore M. de Sauzea, si par fortune il est là. Mes frères sont tous vos serviteurs très humbles, surtout mon frère de Boisy, qui n'est pas présent maintenant que j'écris, et si, je ne l'ai point averti. Aimez-moi toujours cordialement, ma très-chère soeur, ma fille, puisque de tout mou coeur je suis vôtre. Dieu vous bénisse. Amen. Votre, etc.




F. de Sales, Lettres 797