F. de Sales, Lettres 1462

LETTRE CCCLXXX, A MERE DU CHASTEL, QUI ÉTAIT SUPÉRIEURE A GRENOBLE (fragment).

1462
Les aridités ne sont point contraires à l'amour de Dieu, et nos imperfections même produisent l'humilité. Privilèges des fondatrices, tant séculières que religieuses, de la Visitation.

Annecy, 19 août 1618.

Dites-moi, ma très-chère fille, votre coeur que fait-il? Il est, je m'assure, plus brave que l'ordinaire en cette sainte octave, en laquelle on célèbre les triomphes de notre reine, en la protection de laquelle notre esprit repose, et notre petite congrégation respire. O ma fille ! il le faut tenir haut élevé ce coeur, et ne promettre point qu'aucun accident de sécheresse, d'empressement ou d'ennui l'étonné, puisque, encore que cela le puisse éloigner de la consolation sensible de la charité, il ne le peut toutefois éloigner de la véritable charité, qui est la souveraine grâce de Dieu envers nous pendant cette vie mortelle.

Nos imperfections à traiter des affaires tant intérieures qu'extérieures sont un grand sujet d'humilité, et l'humilité produit et nourrit la générosité.

 Mais quel privilège ont les fondatrices devant Dieu? Leurs privilèges sont grands, car elles participent en une façon particulière à tous les biens qui se font au monastère, et à l'occasion du monastère. C'est un oeuvre de charité presque le plus excellent qu'on puisse faire ; bien plus grand sans comparaison que de bâtir un hôpital, recevoir les pèlerins, nourrir les orphelins. - Mais devant les hommes, il n'y a point de privilège que celui d'être supportées et assistées et honorées au monastère; dans lequel les fondatrices séculières obtiennent ordinairement l'entrée, et, après la mort, des services particuliers.

Or, cette fille ici, voulant être religieuse, établira quant à elle son privilège, je m'assure, à mieux obéir, si elle peut, que les autres, et à faire le plus de progrès qu'elle pourra en l'humilité, pureté de coeur, douceur, modestie et obéissance ; puisque le privilège des vraies religieuses est d'abonder en l'amour du céleste Époux. Au reste, je me réjouis que cette fille fasse une si bonne élection, et que, quittant les amours peu aimables des hommes, elle se consacre à l'amour très-aimable de son Dieu, vrai époux des âmes généreuses.



LETTRE CCCLXXXI, AU PÈRE LÉONARD LESSIUS, DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.

1465
(Conservée dans la maison professe de la compagnie de Jésus, à Anvers.)

Le Saint lui fait de grands éloges de ses ouvrages et de sa doctrine.

Annecy, 26 août i618.

Admodum, révérende in Christo pater, attulit mihi paternitatis vestrae litteras dilectissimus no-bis magister Gabriel, quae ut perhonorificaî, ita et jucundissimae mihi fuerunt. Amabam jampri-dem, imô etiam venerabar te nomenque tuum, mi pater, non solum quia soleo quidquid ex ves-trâ illà societate procedit, magni facere, sed etiam quia sigillatim de vestrâ reverentiâ multa audivi pneclara primum, deindè vidi, inspexi etsuspexi.

Vidi namque ante aliquot annos opus illud uti-lissimum : de Justitiâ et Jure, in quo et breviter simul et luctilenter, difficultatcs illius partis theo-logioe, pra: cseteris auctoribus quos viderim, egre-giè solvis.

Vidi postcà consilium quod à magni consilii an-gelo per te mortalibus datum est, de verâ lieli-giorie eligendâ.

Ac demum obiter in bibliothecâ collegii Lugdunensis Traclalum deProedestinatione; etquam-vis nonnisi sparsim, ut fit, oculos in eum injicere contigerit, cognovi tamen,'paterhitatem vestram sententiam illam.antiquitate, suavitate, ac Scrip-tiïrarum nativâ auctoritate nobilissimam de proe-destinatione ad gloriam posl proevisa opéra, amplecti et tueri ; quod mihi gratissimum fuit, i qui nimirum eam semper, ut Dei misericordia; tam ac gratioe magis consentaneam, veriorem ac amabiliorcm existimavi ; quod etiam tantisper in libello de Amore-D'ei indicavi.

Cum igitur ita erga paternitatis vestra: mérita, tniam dudum laudaverant apud me opéra ejus, affectus essem, mirificè profecto gavisus sum, metibi vicissim utcumque etiam carum esse; quod ut semper contingat, et dictiiro magistrum Ga-brielein commondatissimum habebo j et si quid

unquam potero quod tibi placere cognoscam, id exequar quàm impensissimè.

Valeat intérim reverenda paternttas tua, et te Dëus usque in senectam et senium nunquam de-relinquat, sed canos tuosbenedictionibus eoeles-tibus omet et compleat. Admodum reverenda; paternitatis vestra? humillimus et addictissimus frater et servus in Christo.





Mon très - révérend père en notre Seigneur, le docteur Gabriel, que je chéris très-particulièrement, m'a rendu la lettre que votre paternité m'a fait l'honneur de m'écrire, et dont j'ai eu une joie très-sensible. Ce n'est pas d'aujourd'hui que j'ai de l'amitié et même delà vénération pour vous et pour votre nom, mon cher père; non-seulement par cette raison générale, que j'ai coutume de faire grand cas de tout ce qui vient de votre compagnie, mais encore pour avoir ouï dire de votre révérence en particulier plusieurs belles choses dont j'ai été témoin dans la suite, et que je n'ai pu m'empêcher d'admirer.

Car il y a quelques années que j'ai vu cet ouvrage si utile, de la Justice et du droit, où sans trop vous étendre, vous répondez parfaitement, et mieux qu'aucun auteur que j'aie encore vu, aux difficultés que renferme cette partie de.la théologie.

Ensuite j'ai lu le Traite du choix de la -véritable Religion, que je regarde moins comme, votre ouvrage que comme celui de l'ange du grand conseil.

Enfin j'ai vu dans la bibliothèque du collège de Lyon votre Traité de la Prédestination : il est vrai que je n'ai fait que le parcourir à la hâte, et assez légèrement, comme il arrive quelquefois; cependant je n'ai pas laissé de remarquer que votre paternité était de cette opinion si ancienne, si consolante, et si autorisée par le témoignage même des Écritures prises dans leur sens naturel, savoir, que Dieu prédestine les hommes à la gloire en conséquence de leurs mérites prévus; ce qui a été pour moi le sujet d'une grande joie, ayant toujours regardé cette doctrine comme la plus conforme à la miséricorde de Dieu et à sa grâce, i comme la plus approchante de la vérité, et comme la plus propre à nous porter à aimer Dieu, ainsi que je l'ai insinué dans mon petit livre de l'Amour de Dieu (1).

Prévenu donc de la sorte en faveur de votre paternité, dont les ouvrages m'avaient depuis longtemps fait connaître le mérite, je vous avoue que j'ai eu une joie toute particulière d'apprendre que vous avez pour moi une amitié réciproque : pour m'en assurer la continuation, comptez que j'aurai toutes sortes d'égards à la recommandation que vous.me faites du docteur Gabriel, et que, tant qu'il sera en mon pouvoir, je ferai avec empressement ce que je jugerai capable de vous plaire.

Cependant je souhaite à votre paternité une santé parfaite, et je prie Dieu qu'il vous conserve jusqu'à une extrême vieillesse (
Ps 71,18), et que, sans vous abandonner jamais, il répande abondamment sur vous les bénédictions du Ciel. De votre paternité l'humble et l'affectionné frère et serviteur en Jésus-Christ, etc.

(1) Voir le Traité de t'Amour de Dieu, liv. Il, c. XII ; et liv. IV, C. VU.



LETTRE CCCLXXXII, A M. FRANCOIS DE FROTBARAIN, CONSEILLER AU PARLEMENT DE BOURGOGNE.

(Tirée du mouastère de la Visitation de la ville d'Amiens.)

Le Saint lui recommande le chapitre de sa cathédrale, dans une affaire qu'il avait avec les habitants de Sessel.

Annecy, 3 septembre 1618.

Monsieur, j'ai un chapitre autant bien qualifié qu'il se peut dire ; c'est pourquoi, outre le devoir que j'ai au service de Dieu et de l'Église, j'en ai un bien particulier à mes chanoines, qui, par un assez rare exemple, ne sont qu'un coeur et qu'une âme avec moi (Ac 4,32) au soin de ce diocèse.

Pour cela, monsieur, j'implore avec eux votre justice et piété, pour la conservation de leur droit en l'affaire qu'ils ont avec messieurs les syndic et habitants de Sessel, lesquels, si je ne suis grandement trompé, ont bon besoin d'être rangés et remis en devoir, tant envers les ecclésiastiques qu'envers les magistrats.

Mais de cela, monsieur, vous en discernerez et jugerez, tandis que priant Dieu qu'il vous fasse de plus en plus abonder en sa grâce, je veux être à jamais de tout mon coeur, votre, etc.



LETTRE CCCLXXXIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UN RELIGIEUX.

(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Rouen.)

Il s'excuse auprès de lui d'écrire la vie d'un saint évêque son frère, à raison du voyage qu'il allait faire en France avec le cardinal de Savoie. Il lui promet cependant de lui envoyer quelques remarques pour servir à cette histoire. (Traduite de l'Italien, tirée du voyage littéraire du P. Martemi, seconde par-lie, p. 178.)



Annecy, 16 octobre 1618.

Molto reverendo pâtre singolarmcnte carissimo ed officiosissimo, quantunque io vedeva di non poter in niun modo scriverè convenientemente la vita, délia felice memoria, di monsignor Ves-covo.suo frcllo, per la mia troppo grande vozez-zéssa, ed insufficientia, nientedimeno il diletto ch'io havrei di dar gusto a V. R. e di dar testi-monio délia stima di questo gran servo di Dio, mi dava un certe che di speranza di poter lo fare in qualchc modo. Ma vedendom adesso tirato in Parigi, per servire il serenissimo principe car-dinaïinostro in questo viaggio di Francia io perdo ogni sorti di speranza di scriverè, e massiine che délia historia richiade di esser scruta da huomo, che possa super moltisme particolarità che io non posso cognoscere, ne intender qui e molto meno in Francia. Mi perdoni adunque Y. P. sio non la servo in questa occasione che pèr altro mi sarebbe stata gratissima, e veda che la sola impossibilità. m'impedisse. Ma non lasciaro a suo tempo di inan-dargli alcuni osservationi circa qu'ell historia che potranno forsi giovare il scrittore, et in ogni modo sono ; e sara sempre di V. P. certissimo ed affe-tissimo frello e servitore.



Mon très-cher et très-officieux père, quoique je me visse absolument hors d'état de pouvoir écrire la vie de monseigneur l'évêque votre frère, d'heureuse mémoire, soit à cause de ma trop grande impolitesse, soit à cause de mon incapacité ; cependant la satisfaction que j'aurais eue de faire plaisir à V. R. et- de marquer mon estime pour ce grand serviteur de Dieu, me faisait en quelque manière espérer de pouvoir entreprendre cet ouvrage : mais me voyant appelé à Paris par notre sérénissime prince cardinal; je perds toute sorte d'espérance de pouvoir m'appliquer à écrire, et surtout cette histoire, qui demande un homme qui puisse s'informer d'un très-grand nombre de particularités que je ne puis apprendre ni entendre ici. Je la supplie donc de vouloir m'excuser, si je ne lui rends pas ce service dans cette occasion, que j'embrasserais d'ailleurs avec plaisir, et d'être persuadé que ce n'est que par impossibilité que je m'en dispense. Je ne laisserai pourtant pas de vous envoyer dans son temps quelques remarques touchant cette histoire, qui seront peut-être de quelques secours à celui qui l'écrira. Je suis en toute manière, et serai toujours, de votre paternité, le très-sûr et très-affectionné frère et serviteur.






LETTRE CCGLXXXIV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE RELIGIEUSE DE LA VISITATION

Le Saint se réjouit dos progrès de l'ordre de la Visitation, et annonce le projet d'un établissement d'une maison a Turin.

5 décembre 1618.

Je salue votre coeur de tout le mien, et vous prie d'aimer toujours bien ce vieux père, qui vous chérit, certes, de tout son coeur, de plus en plus, ma très-chère fille, et se réjouit d'apprendre que, grâces à Dieu, cette maison-là s'avance en humilité, en douceur, paix et amour divin. Qu'à jamais l'éternelle bonté soit bénie.

On parle fort de faire un monastère de la Visitation à Turin. Voilà, ma très-chère fille, comme Dieu multiplie et bénit l'oeuvre qu'il lui a plu de faire commencer par la petitesse et abjection de trois petites créatures, lesquelles pour cela doivent s'évertuer d'être de plus en plus toutes à la divine majesté, et à cette vocation, pour la rendre tous les jours plus agréable à Dieu.

Je vous écris selon mon sentiment présent : car il faut aussi que j'écrive à l’âme de ma très-chère fille, priant Dieu qu'il la fasse sainte, et moi aussi, qui suis si éloigné de ce bonheur.

Encore vous faut-il dire ce mot, ma très-chère fille : si vous n'êtes pas favorisée, aimez-bien cette abjection. Croyez-moi, Dieu voit volontiers ce qui est méprisé (Ps 138,6), et la bassesse agréée lui fut toujours agréable. Dieu est si bon, qu'il visitera intérieurement notre Visitation, la fortifiera, et l'établira à la solide humilité, simplicité et mortification. Vivez joyeuse, tant que vous pourrez, de cette joie paisible et dévote de laquelle l'amour de notre abjection est la racine. Ma très-chère fille, je vous salue d'un esprit qui est inséparablement vôtre. Vive Jésus. Amen.



Garnier, lettre 127 A MADAME DE CHANTAL

1501
Saint François la console au sujet de son fils, et l'exhorte à se détacher de plus en plus de toutes les créatures.

Paris, 5 janvier 1619 (selon éd. d'Annecy)

Vous aurez, je m'assure, reçu deux lettres, ma très-chère mère, quand celle-ci arrivera, et croyez que je ne perdrai désormais nulle occasion. Je suis grandement en peine de votre affliction, bien que je n'en sache pas les particularités; mais je vois bien, par ce peu de paroles que vous m'écrivez, que vous la sentez vivement.

Ma très-chère mère, cette vie mortelle est toute pleine de tels accidents, et les douleurs de l'enfantement durent souvent plus que les sages-femmes ne pensent. En quelles occurrences pouvons-nous faire les grands actes de l'invariable union de notre coeur à la volonté de Dieu ; de la mortification de notre propre amour, et de l'amour de notre propre abjection, et en somme de notre crucifixion, sinon en ces si âpres et rigoureux assauts ? Ma très chère mère, vous ai-je pas souvent intimé la nudité de toutes les créatures, pour se revêtir de notre Seigneur crucifié?

(Or sus, c'est Dieu qui veut ainsi mettre notre coeur au sec. Ce n'est donc pas une rigueur, c'est une douceur).

Or sus, Dieu sera au milieu de votre cœur qui vous affermira, et j'espère qu'il conduira ce fils à bon port et que vous aurez encore la consolation intérieure de le savoir. Je me porte fort bien, et je pense qu'aujourd'hui on résoudra sur notre affaire, qui a été grandement agitée. Plus je vais en la connaissance du monde, plus j'estime heureux ceux qui sont à Jésus-Christ, quoi qu'ils endurent pour lui. Je n'ai seulement pas loisir de revoir votre lettre pour voir si j'y oublie rien. A Annecy tout va bien, grâces à Dieu. Le bon M. de Forax est un peu malade et grandement en peine sur le sujet de sa prétention. C'est, à mon gré, le plus digne d'amitié qu'il est possible de voir. Mon frère est encore aussi un peu mal de son pied. J'ai eu un certain engourdissement de jambes qui passa et ne m'a nullement empêché d'aller et faire tout ce que j'ai voulu ; j'avais grand désir de voir Mgr notre archevêque, mais puisqu'il ne vient pas, je me réjouis en la consolation que vous avez de sa présence. Je lui baise très-humblement les mains, et salue de tout mon cœur nos très-chères sœurs. Je suis infiniment, ains que vous savez, ma très-chère mère, même en une façon incomparable, très-vôtre.
FRANÇOIS, évêque de Genève.




LETTRE CCCLXXXV, A LA VÉNÉRABLE MADAME DE CHANTAL, A BOURGES.

1504
Le Saint l'encourage de tout son pouvoir à boire le calice d'amertume sans adoucissement, et à se dépouiller totalement de sa propre volonté, pour s'unir d'autant plus à son époux céleste.

11 janvier 1619.

O ma mère toute très-chère ! si vous n'avez guère d'or ni d'encens pour offrir à notre Seigneur, vous aurez au moins de la myrrhe (cf.
Mt 2,11): et je vois qu'il l'accepte très-agréablement, comme si ce fruit de vie voulait être confit en la myrrhe d'amertume, tant en sa naissance qu'en sa mort (cf. Jn 19,39). En somme, Jésus glorifié est beau ; mais quoiqu'il soit toujours très-bon, si semble-t-il qu'il le soit encore davantage crucifié. C'est pour ce temps présent votre époux, ma très-chère mère ; à l'avenir ce sera lui-même glorifié.

(l'édition de 1823 place ici le début de la lettre 1501)

Voilà ce que je vous dis, ma très-chère mère ; et tout de même pour les nouvelles des déplaisirs de N. Enfin notre Seigneur peut-être vous veut ainsi conduire parmi les épines désormais ; et je confesse pour le regard de moi-même en moi, qu'il est bien temps : en vous, je le supplie de toutes mes forces qu'il attrempe doucement son calice, mais que notre volonté ne soit pas faite, ains la sienne toute sainte (Lc 22,42).

Ayez bon courage : pourvu que notre coeur lui soit fidèle, il ne vous chargera point outre votre pouvoir (2Co 10,15), et supportera notre fardeau avec nous, quand il verra que de bonne affection nous soumettrons nos épaules. Dieu nous bénisse et toutes nos soeurs : mais Dieu vous bénisse, ma très-chère mère, que je chéris plus que moi-même, on comme moi-même.






LETTRE CCCLXXXVI, A SOEUR CLAUDE AGNES DE LA ROCHE, ASSISTANTE DE LA VISITATION D'ANNECY.

1509
Dans les couvents de la Visitation la communication avec le confesseur extraordinaire doit être libre, mais sans afTection et sans détriment de la règle.


Paris, 21 janvier 1619.

Ma très-chère fille, pour les points que vous me marquez, il ne faut nullement altérer la règle du confesseur extraordinaire, ni aussi étonner les soeurs infirmes qui ont appétit d'avoir communication avec le confesseur extraordinaire plus souvent que quatre fois l'année ; mais il faut que si les soeurs n'ont pas la confiance de demander à parler à lui, lui-même la doit avoir de demander à parler à elles quelquefois ; et, s'il ne l'avait pas, il faut que vous la lui donniez, si c'est un père qui la puisse recevoir.

Car comme il faut pourvoir d'une juste liberté aux soeurs pour la communication, aussi les faut-il tenir dans la règle de la simplicité et humilité ; et il n'est pas raisonnable que la faiblesse de quelques-unes fasse multiplier les confessions extraordinaires à toute la congrégation, et mette en tristesse et ennui le pauvre confesseur ordinaire.

Bref, si chaque soeur veut être libre de croire en ses appétits intérieurs, la soumission et liaison se perdra, et avec elle la congrégation; de quoi Dieu nous veuille garder! Celles donc qui voudront communiquer extraordinairement, qu'elles le fassent en l'esprit d'une douce liberté ; qu'elles se confessent, s'il leur plaît, en communiquant, sans solliciter les autres au même désir, et sans les forcer par menées à les imiter.

Ici nous tâchons à vaincre les tentations suscitées contre l'institution de la Visitation, et espère que nous le ferons. Dieu vous bénisse ! Votre très-humble, etc. (1)


(1) Voici, pour l'éclaircissement de cette lettre, le xxe article des constitutions des Filles de la Visitation de Sainte-Marie, qui a pour titre, Des confessions extraordinaires :

« Quatre fois l'année, environ de trois mois en trois mois, la supérieure demandera à l'évêque ou au père spirituel un confesseur extraordinaire, homme bien conditionné, auquel toutes les soeurs, et elle aussi, se confesseront.

« Quand quelqu'une désirera se confesser, ou conférer de sa conscience avec quelques personnes bien reconnues et de bonnes conditions, la supérieure le permettra volontiers, sans s'enquérir du sujet pour lequel telle conférence ou confession est demandée. Mais pourtant, si la supérieure voyait quelque soeur requérir souvent telle conférence ou confession, spécialement si c'est avec un même confesseur, elle en avertira le père spirituel, pour, avec son avis, pourvoir dextrement à ce que la sainte liberté de la sainte confession et conférence ordonnée pour le bien et la plus grande pureté, consolation et tranquillité des âmes, ne soit convertie en quelques tentations secrètes de présomption, ou d'aversion aux confesseurs ordinaires, ou enfin de singularité et vaines inclinations aux personnes.

« En cas que quelque personne de qualité (requise) passât, de la conférence duquel la supérieure connût que les soeurs pourraient tirer de l'édification, elle pourra, si bon lui semble, le faire inviter à cela, et permettre aux soeurs de lui parler en confession ou autrement. »



LETTRE CCCLXXXVII, A MADAME DE VEYSSILIEU.

1515
Le Saint la console sur la mort de son père.

A Paris, le mardi saint, 26 (avril) mars 1619.

Ma très-chère fille, si j'étais auprès de vous, je vous dirais bien plus de choses que je n'en saurais écrire, et si j'étais en un autre lieu, je vous écrirais plus amplement que je ne puis faire en celui-ci. Ces quatre lignes partent de mon coeur, pour faire savoir au vôtre que si je ne l'ai visité, de présence en son affliction, c'a été, je vous assure, d'une affection grande et avec beaucoup de sentiments.

Mais enfin ce père est trépassé, en sorte que si la foi de la vie éternelle règne en nos esprits, comme elle doit, nous devons être grandement consolés. Petit à petit Dieu nous sèvre des contentements de ce monde. O ma très-chère fille, il faut donc plus ardemment aspirer à ceux de l'immortalité, tenir nos coeurs élevés au ciel où sont nos prétentions, et où nous avons meshui -une grande partie des âmes que nous chérissons le plus.

Qu'à jamais soit béni le nom de notre Seigneur (
Ps 113,2), et que son amour vive et règne au milieu de nos âmes ! La mienne salue cordialement la vôtre ; et suis, ma très-chère fille, très-parfaitement votre, etc.




LETTRE CCCLXXXVIII, A DONNA GINEVRA SCAGLIA.

1513
(Tirée du monast. de la Visitât, de la ville de Rouen.) Même sujet que la précédente.


Paris, 17 mai 1619. (éd. Annecy: 17 mars)

Madame et bien-aimée fille en Jésus-Christ,

1. voici qu'enfin l'heure dernière de M. le comte votre père est sonnée en l'horloge de la Providence divine, pour retourner en la main de son Créateur. Il est heureusement trépassé, puisqu'après avoir reçu le bénéfice de l'absolution de ses péchés au sacrement de pénitence, et la sainte communion quinze ou vingt jours devant son trépas, il en fit depuis une autre, et continua presque tous les jours à se confesser, selon que ses fautes lui revenaient en mémoire.

Il me voulut voir et communiquer la façon qu'il jugeait la meilleure pour assurer sa conscience; et certes, depuis que je l'eus visité, il me parlait avec un amour tout plein de respect qu'il portait à la dignité de laquelle je suis chargé, quoique indigne ; en quoi il montrait bien sa piété et religion.

Il me tendait la main, la tête découverte, demandant la bénédiction ; et comme le temps approchait de lui donner le saint Viatique, on voulut que je l'y disposasse, comme je fis ; en sorte qu'il le reçut de ma main, d'un désir de dévotion admirable ; et tandis qu'il eut l'usage de ses sentiments, il montra d'avoir toujours son coeur en Dieu. Bref, quoique je l'eusse vu fort peu d'heures devant son décès, je ne me trouvai toutefois présent quand il rendit l'âme ; ce fut mon frère qui eut ce bonheur de lui donner la dernière bénédiction. Je vous ai voulu écrire ceci, estimant que la conclusion de S. Paul est bonne à ce propos : Consolez-vous donc en ces paroles (
1Th 4,17-18) ; que cette consolation est suffisante aux enfants de Dieu, que les morts aient reçu les remèdes efficaces de la sainte Église devant que de mourir : et j'ajoute pour vous la consolation du glorieux S. François, que, n'ayant meshui de père temporel, vous puissiez d'autant plus librement dire, Notre Père qui êtes aux cieux (Mt 6,9), au nom duquel père céleste j'ai commencé de vous appeler ma fille bien-aimée. Je le prie de vous combler de ses saintes bénédictions, et suis à jamais, madame, votre très-humble, etc.



LETTRE CCCLXXXIX, A M. BOUVART, AVOCAT AU SÉNAT DE SAVOIE.

1523
(Tirée de la congrégation de la mission.)

Le Saint lui témoigne sa douleur de n'avoir pas réussi, par sa recommandation, à délivrer une personne d'une grande affliction ; et lui recommande ensuite une affaire personnelle.

Paris, 18 mai 1619.

Monsieur, répondant à la dernière lettre que vous avez pris la peine de m'écrire, je vous dirai que je n'ai rien oublié de tout ce que j'ai pu pour servir le pauvre M. le collatéral de Quocx en son affliction. Mais, A ce que je vois, mes remontrances et supplications ont été charmées par quelque esprit contraire, la force duquel Dieu a permis avoir été plus grande. De dire d'où ce malheur m'est arrivé, je ne le puis qu'en devinant. Les tribulations ne seraient pas tribulations si elles n'affligeaient ; et les serviteurs de Dieu n'en sont guère exempts, leur bonheur est réservé pour la vie future : et néanmoins j'espère que le coup que M. le collatéral recevra ne sera pas si grand comme l'appréhension. Monseigneur le duc de Nemours écrit à messieurs ses officiers qu'ils lui donnent avis sur la demande que je fais des protocoles (1) du châtelain Musici, que M. Bathellis a pris et gardés jusqu'à présent de son autorité. Je vous prie de prendre la peine de les instruire de mon droit, comme encore de ne vous lasser pas à bien conduire par vos avis l'affaire que j'ai avec M. de Marcossey. Je suis cependant, de tout mon coeur, monsieur, votre, etc.



(1) Protocole est un registre où l'on écrit des minutes, des actes, ou un journal : et le châtelain est un juge ou officier d'un seigneur. Celui dont il est ici fait mention était un officier de justice de M. le duc de Nemours.



LETTRE CCCXC, A ANGELIQUE ARNAUD, ABBESSE DE PORT-ROYAL A MAUBUISSON.

1524
Il n'est pas nécessaire d'agir contre ses inclinations lorsqu'elles ne sont pas mauvaises : quand nous pouvons suivre nos inclinations naturelles.


Paris, 25 mai 1619.

1. Madame, non, je vous supplie, ne soyez jamais en crainte de m'importuner par vos lettres: car je vous dis en vraie vérité qu'elles me donneront toujours une très-grande consolation, tandis que Dieu me fera la grâce d'avoir-le coeur en sa dilection, ou du moins désireux de la posséder. Or, cela soit dit pour une bonne fois. Il est vrai, sans doute, ma très-chère mère, que si je ne fusse pas venu en cette ville (1), malaisément eussiez-vous pu communiquer vos affaires spirituelles avec moi ; mais puisqu'il a plu à la Providence céleste que j'y sois, il n'y a nul inconvénient que vous employiez cette occasion, si vous pensez qu'il soit à propos.

Et ne croyez nullement que j'ai cette cogitation, que vous recherchiez l'excellence du personnage ; car, bien que cette sorte de pensée est grandement convenable à ma misère, si est-ce qu'en telles rencontres elle ne me vient pas, ains au contraire, il n'y a peut-être rien qui soit plus capable de m'acheminer à l'humilité, admirant que tant de serviteurs et servantes de notre Seigneur aient une si grande confiance en un esprit si imparfait, comme est le mien ; et je prends un grand courage sur cela de devenir tel qu'on m'estime, et espère que Dieu me donnant la sainte amitié de ses enfans, me donnera la sienne très-sainte, selon sa miséricorde, après qu'il m'aura fait faire une pénitence convenable à mon mal.

Mais j'ai quasi tort de vous dire tout ceci ;

2. c'est donc ce méchant esprit, qui, à jamais privé d'amour sacré, voudrait empêcher que nous jouissions des fruits de celui que le Saint-Esprit veut être pratiqué entre nous ; afin que, par les réciproques communications saintes, nous ayons moyen de croître en sa céleste volonté.

Il est malaisé, ma très-chère soeur, de trouver des esprits universels, qui puissent également bien discerner en toutes matières : aussi n'est-il pas requis d'en avoir de tels, pour être bien conduit ; et n'y a point de mal, ce me semble, de recueillir de plusieurs fleurs le miel qu'on ne peut pas trouver sur une seule.

Oui ; mais, ce me dites-vous, cependant je vais dextrement favorisant mes inclinations et humeurs.

Ma chère soeur, je ne vois pas qu'il y ait grand danger en cela, puisque vous ne voulez pas suivre vos inclinations qu'elles ne soient approuvées ; et quoique vous cherchiez des juges favorables, si est-ce toutefois que, les prenant bons, sages et doctes, vous ne sauriez mal faire de suivre leurs opinions, bien que désirées par vous, pourvu qu'au reste vous proposiez naïvement vos affaires et les difficultés que vous avez.

Il suffit, ma très chère soeur, de se soumettre aux avis ; et n'est pas si nécessaire ni expédient de les désirer contraires à nos inclinations, ains seulement de les vouloir conformes à la loi et doctrine céleste. Pour moi, je pense que nous ne devons pas appeler les amertumes en nos coeurs, comme fit notre Seigneur, car nous ne les pouvons pas gouverner comme lui ; il suffit que nous les souffrions patiemment. C'est pourquoi il n'est pas requis que nous marchions toujours contre nos inclinations, quand elles ne sont pas mauvaises, et qu'ayant été examinées elles ont été trouvées bonnes.

Il n'y a pas grand mal d'ouïr les personnes et les affaires du monde, quand c'est pour y mettre du bien, et ne faut point être pointilleuse en l'examen qu'on en fait ; car c'est chose moralement impossible de demeurer beaucoup au fin point de la modération.

Mais, ma très-chère soeur, je ne voudrais pas que vous manquassiez à l'oraison, au moins d'une demi-heure ; sinon que ce fût pour des occasions violentes, ou quand l'infirmité corporelle vous tient.

3. Au reste, je vous supplie de croire que rien ne m'empêchera d'avoir le contentement de vous revoir, que l'impossibilité ; et prendrai tout le loisir que vous désirerez : tant il est vrai que je désire infiniment le vôtre, et que Dieu m'a donné une très-singulière affection pour votre coeur, que sa divine Majesté veuille combler de ses bénédictions. Alors donc nous parlerons à souhait de votre conduite, et de tout ce qu'il vous plaira me proposer, sans que je m'excuse de rien, sinon quand je n'aurai pas la lumière requise pour vous répondre. Demeurez donc toute à Dieu, et en lui je serai à jamais, ma très-chère fille, sans réserve et de toute mon âme, votre très-humble, etc.



 (1) De Paris.


LETTRE CCCXCI, A MADAME L'ABBESSE DE PORT-ROYAL (1), ALORS A MAUBUISSON.

1534
Il reçoit la confession générale d'une personne à Paris. Il exhorte l'abbesse à qui il écrit, à une douce, paisible et forte humilité, et à la fréquente communion. Il enseigne ce que c'est que de communier selon l'esprit.

(I) La mère Angélique Arnauld.


Paris, le 25 juin 1619.

1. Je ne vous écris pas, ma très chère fille, car je n'en ai pas le loisir, ce matin une âme pressée de retourner aux champs, et venant faire sa confession générale à.la dérobée, m'ôtant cette commodité. Je salue chèrement votre chère âme, à laquelle il ne se peut dire combien la mienne chétive est affectionnée, ne cessant de lui désirer la perfection du divin amour ; et vraiment je la reverrai avant mon départ (1), s'il se peut, afin que, la connaissant encore plus particulièrement, je puisse, si Dieu en dispose ainsi, la servir plus à son souhait es occurrences.

2. Dites cependant à cette fille bien-aimée que je vous ai tant recommandée, et que j'ai tant à coeur, que je persévère à lui dire que Dieu la veut tirer a une excellente sorte de vie, dont elle doit bénir cette infinie bonté, qui l'a regardée de son oeil aimable ; mais je lui dis aussi que le chemin par lequel elle doit suivre cette vocation n'est point extraordinaire ; car, ma chère fille, c'est une douce, paisible et forte humilité, et une très-humble, forte et paisible douceur.

3. Dites-lui, ma très-chère fille, qu'elle ne doit en sorte quelconque penser si elle sera des âmes basses ou des hautes ; ains qu'elle suive la voie que je lui ai marquée, et qu'elle se repose en Dieu, qu'elle marche devant icelui en simplicité et humilité.

Qu'elle ne regarde point où elle va, mais avec qui elle va : or, j'entends qu'elle va avec son roi, son époux et son Dieu crucifié. Où qu'elle aille, elle sera bienheureuse. C'est aller avec l'époux crucifié, que de s'abaisser et s'humilier, se mépriser soi-même jusqu'à la mort de toutes nos passions, et je dis jusqu'à la mort de la croix (
Ph 2,8). Mais, ma très-chère fille, notez que je réplique que cet abaissement, cette humilité, ce mépris de soi-même doit être pratiqué doucement, paisiblement, constamment, et non-seulement suavement, mais allègrement et joyeusement.

4. Dites-lui qu'elle communie hardiment, en paix, avec toute humilité, pour correspondre à cet époux qui, pour s'unir à nous, s'est anéanti et suavement abaissé jusqu'à se rendre notre viande et pâture, de nous qui sommes la pâture et la viande des vers. O ma fille ! qui se communie selon l'esprit de l'époux s'anéantit soi-même, et dit à notre Seigneur : Mâchez-moi, digérez-moi, anéantissez-moi, et convertissez-moi en vous.

Je ne trouve rien au monde de quoi nous ayons plus de possession et sur quoi nous ayons tant de domination, que la viande que nous anéantissons pour nous conserver ; et notre Seigneur est venu jusqu'à cet excès d'amour, que de se rendre viande pour nous : et nous, que ne devons-nous pas faire, afin qu'il nous possède, qu'il nous mange, qu'il nous mâche, qu'il nous avale et ravale, qu'il fasse de nous à son gré ! Si l'on murmure, sentez-le humblement et amoureusement : les murmurations se convertiront en bénédictions. Du reste je vous en parlerai en présence.

Ne prenez point garde à bien bâtir vos lettres pour me les envoyer ; car je ne cherche point les beaux édifices ni le langage des anges, ains le nid des colombes et le langage de la dilection. Vivez toute à Dieu, ma très-chère fille, et recommandez souvent à sa bonté l'âme de celui qui, d'une affection invariable, est tout dédié à la vôtre.

Je pensais ne vous écrire que pour vous saluer, mais insensiblement je vous ai écrit.

Mon frère vous salue très-humblement, et moi nos très-chères soeurs. Je salue la petite soeur, fille de M. Thonzé, et lui souhaite une heureuse persévérance.

(1) De Paris.




F. de Sales, Lettres 1462