F. de Sales, Lettres 2019


LETTRE DCXXV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE POSTULANTE DE LA VISITATION.

(Tirée du monast. de la Visitât, de la rue du Bac ) Le Saint l'engage à se hâter d'entrer à la Visitation.

de notre bonne mère. Je vois que nous sommes à la veille de votre arrivée : que heureuse puisse-t-elle être! c'est pourquoi je n'ajoute rien. Si ces bonnes dames veuves vous parlent, dites-leur qu'ayant été. ici, vous les avertirez de tout bien particulièrement, car il ne les faut émouvoir qu'extrêmement bien à propos, et après un peu d'agencement de notre dessein, pour lequel je viens bien de prier notre chère Dame (1) et son S. Joseph.

Pour le premier livre que je produirai, je suis tant engagé vers Rigaud (2), que je ne sais si joie pourrai donner à Dijon ; car j'ai déjà fort lié ma liberté par ma promesse.

Or bien « venez, chère fille, venez es montagnes (Lc 1,29); Dieu vous y fasse voir l'époux sacré « qui tressaille es monts, et outrepasse les collines, qui regarde par les fenêtres, et à travers « la treille, les âmes qu'il aime (Ct 2,8-9). » Ah! que cela fut bien chanté hier en notre église et dans mon coeur. Dieu soit à jamais notre tout! je suis en lui uniquement, etc.


(1) La sainte Vierge.
(2) Imprimeur de Lyon.



LETTRE DCXXVI, A UNE RELIGIEUSE.

2021
Les larmes de la dévotion ne sont pas de commande : raison pour laquelle Dieu nous en prive. Il faut faire usage du bouquet spirituel après la méditation, c'est-à-dire collection de quelques-unes des pensées qui ont le plus touché Ja personne qui médite, dont on tache, par quelque moyen, de rappeler le souvenir de temps en temps dans la journée, comme une agréable odeur. Les afflictions ne doivent point être désirées, mais attendues.


Mon Dieu ! ma chère fille, je ne trouve nullement étrange que vous désiriez de mes lettres ; car, outre que Dieu le veut bien (qui est le grand mot de notre commerce), je sens tant de consolation de votre communication, que je sens aisément que vous en avez un peu de la mienne ; et ne faut point attendre d'autre sujet, ni pour vous ni pour moi, que celui d'une sainte conversation spirituelle entre nos âmes, et de la contribution que nous nous devons les uns aux autres de nos consolations.

Je ne dis rien, ma bonne fille, de votre coeur, en ce que vous n'avez pas de larmes : non, ma fille ; car le pauvre coeur n'en peut mais, puisque cela n'arrive pas faute de résolutions et vives affections d'aimer Dieu, mais faute de sensible passion, laquelle ne dépend point de notre coeur, mais d'autres sortes de dispositions que nous ne pouvons procurer. Car tout ainsi, ma chère fille, qu'en ce monde il n'est pas possible que nous puissions faire pleuvoir quand nous voulons, ni empêcher qu'il pleuve quand nous ne voulons pas qu'il pleuve ; aussi n'est-il pas à! notre pouvoir de pleurer quand nous voulons par dévotion, ni de ne pleurer pas aussi quand l'impétuosité nous saisit : cela ne vient pas de notre faute le plus souvent, mais de la providence de Dieu, qui nous veut faire faire notre chemin car terre et par désert, et non par eaux, et veut que nous nous accoutumions au travail et à la dureté.

Tenez votre bouquet en main : mais s'il se présente quelque autre odeur souëve et profitable par rencontre, ne laissez pas de l'odorer avec action de grâce ; car le bouquet ne se prend, sinon que pour ne vous laisser pas le long du jour sans confort et plaisir spirituel. Tenez bien ferme sur cette posture, que votre coeur soit entièrement à Dieu; car il n'y en a point de meilleur.

Pour tout, ne souhaitez pas des persécutions pour l'exercice de votre fidélité ; car il vaut mieux attendre celles que Dieu vous enverra, que d'en désirer : et cette votre fidélité a mille sortes d'autres exercices, en l'humilité, douceur, charité au service de votre pauvre malade, mais service cordial, amoureux et affectionné. Dieu vous donne un peu de loisir pour faire vos provisions de patience et de vigueur, puis le temps viendra de les employer.

O ma fille, ôtez bien toutes les robes de votre captivité par des continuels renoncements à vos affections terrestres ; et ne dites point que le roi ne vous en donne de royales pour vous tirer à son saint amour. Vive Jésus ! ma très-chère fille ; c'est le mot intérieur sous lequel il nous faut vivre et mourir, et avec lequel je proteste d'être toujours tout vôtre.




LETTRE DCXXVII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE RELIGIEUSE.

Exhortation à la pratique des vertus.

Servez Dieu avec un grand courage, et le plus que vous pourrez par les exercices de votre vocation. Aimez tous les prochains, mais surtout ceux que Dieu veut que vous aimiez le plus'. Ravalez-vous aux actes desquels l'écorce semble moins digne, quand vous saurez que Dieu le veut ; car de quelque façon que la sainte volonté de Dieu se fasse, ou par des hautes ou par des basses opérations, il n'importe. Soupirez souvent à l'union de votre volonté avec celle de notre Seigneur. Ayez patience avec vous-même en vos imperfections. Ne vous empressez point, et ne multipliez point des désirs pour les actions qui vous sont impossibles. Ma chère soeur, cheminez perpétuellement et tout doucement ; si notre bon Dieu vous fait courir, il dilatera votre coeur ; mais de notre côté arrêtons-nous à cette unique leçon : « Apprenez de moi que je suis débonnaire et humble de coeur (Mt 11,29). »



LETTRE DCXXV1II.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE RELIGIEUSE. Avis sur la dévotion.

Ma très-chère fille, si vous savourez votre point en l'oraison, c'est un signe que Dieu veut que vous suiviez cette méthode, du moins alors. Que si néanmoins Dieu nous tire, au commencement de l'oraison, à la simplicité de sa présence, et que nous nous y trouvions engagés, ne la quittons pas pour retourner à notre point, étant une règle générale que toujours il faut suivre ses attraits, et se laisser aller où son esprit nous mène. Les bouillonnements et dilatements du coeur ne peuvent quelquefois être évités ; mais quand on s'aperçoit de leur venue, il est bon d'adoucir ces mouvements et les apaiser, en débandant un peu l'attention et les élans, d'autant que l'oraison plus elle est tranquille, simple et délicate, c'est-à-dire plus elle se fait en la pointe de l'esprit, plus elle est fructueuse.




LETTRE DCXXIX.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE RELIGIEUSE SA COUSINE.

La conversation des personnes vaines et mondaines est dangereuse, surtout aux jeunes filles. Avis sur la méditation et sur les distractions qu'on y éprouve.



Ma chère fille, mais vraiment très-chère fille ma cousine, il la faut certes retirer, cette pauvre âme, du hasard ; car la molle façon de vivre du lieu où elle est, est tellement périlleuse, que c'est merveille quand on échappe de la mêlée. Hélas ! ma pauvre fille, vous avez raison de vous étonner qu'une créature veuille offenser Dieu ; car cela surpasse tout étonnement : mais pourtant cela se fait, comme par malheur on voit tous les jours ; et l'infortunée beauté et bonne grâce que ces pauvres filles fainéantes se font accroire d'avoir, parce que ces misérables le leur disent, est cela qui les perd ; car elles s'amusent tant au corps, qu'elles perdent le soin de l'âme. Or sus, ma fille, il faut faire ce qui se pourra, et demeurer en paix.

Et pour votre regard, ma chère cousine ma fille, il ne faut pas perdre courage ; car vous devez être si amoureuse de Dieu, qu'encore que vous ne puissiez rien faire auprès de lui et en ça présence, vous ne laissiez pas d'être bien aise de vous y mettre, pour seulement le voir et regarder quelquefois : et quelque peu avant que d'aller en l'oraison, mettez votre coeur en paix et en repos, et prenez espérance de bien faire ; car si vous y allez sans espérance et déjà toute dégoûtée, vous aurez peine de vous remettre en appétit. Courage donc, ma petite cousine ; dites à notre Seigneur que vous ne laisserez jamais, encore qu'il ne vous communiquerait jamais aucune douceur ; dites-lui que vous demeurerez devant lui jusqu'à ce qu'il vous ait bénie (Gn 32,27).

- Quand votre coeur s'égarera ou se distraira, ramenez-le tout doucement à son point, remettez-le tendrement auprès de son maître; et quand vous ne feriez autre chose tout au long de votre heure que de reprendre tout bellement votre coeur et le remettre auprès de notre Seigneur, et qu'autant de fois que vous l'y remettriez, il s'en détournerait, votre heure serait bien employée, et ferez un exercice fort agréable à votre cher Époux, auquel je vous recommande de même coeur que je suis tout vôtre.




LETTRE DCXXX.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE RELIGIEUSE.

Le Saint se justifie auprès d'elle de l'opinion qu'on avait qu'il voulait procurer la clôture de son monastère.



Il m'est avis que je vois votre coeur comme un cadran qui est posé au soleil, et qui ne remue point, ains demeure immobile, tandis que l'aiguille et la calamité qui est dedans s'agite incessamment, et par de continuelles inquiétudes s'élance du côté de sa belle étoile; car ainsi votre coeur demeurant immobile, votre volonté tend par de bons mouvements à son Dieu. C'est elle qui emmi la mêlée des passions crie toujours intelligiblement, Vive Jésus ! Vous avez donc bien raison de demeurer en paix ; oui, demeurez en paix, ma très-chère fille, et priez notre Seigneur qu'il lui plaise de s'asseoir sur mes lèvres comme sur son trône, pour de là bien faire entendre ses volontés et ordonnances à mes auditeurs pendant ce carême.

Il faut que je me réjouisse avec vous de cette petite confiance avec la chère petite cousine, que vraiment mon coeur aime tendrement comme vous: j'espère que notre Seigneur la rendra fort sa servante.

Il faut que je vous dise ce mot sur l'opinion qu'on a prise que je procurais d'enfermer votre monastère. Quiconque me connaîtra dira aussitôt qu'il ne faut pas croire de moi des duplicités. Si j'avais cette pensée de procurer votre enfermement, je l'aurais dit, je m'en serais déclaré, non pas à vous, qu'en vraie vérité j'estime correspondre à mon affection, mais à madame l'abbesse et autres, qui m'ont parlé confidemment, tant je vais loyaument en semblables occasions.

Je vous veux un jour tout dire ce que son altesse m'a communiqué de son dessein pour cela, et ce que je lui ai répliqué ; vous verrez si je suis doux en cela, et si c'est vous loger au sépulcre. Non, je n'ai pas voulu, en un monastère où j'avais toute autorité, les enfermer, parce que les filles n'y avaient pas inclination, et ai toujours dit que ces grands traits dépendaient de l'inspiration, et non de l'autorité extérieure, laquelle peut bien faire des enfermées, mais non pas des religieuses.

Soyez bien ferme à ne point mécroire de moi, ma bonne fille, et soyez toute certaine que je suis tout ouvert de coeur avec vous ; et pour les autres, Dieu les assistera s'il veut que je les serve, et s'il ne le veut pas, sa volonté soit faite : pourvu que sa majesté soit glorifiée en elles, comme je m'assure qu'elle sera toujours, je serai très-satisfait, et renoncerai de bon coeur au contentement spirituel que j'espérais avoir d'être utile à leur bien. Mon Dieu ! ma chère fille, non-seulement pour celui-là, mais pour tous les autres encore, je renonce et résigne tout mon intérêt au profit de la gloire de Dieu, et prie Dieu qu'il me rende tout purement résigné moi-même à son amour.




LETTRE DCXXXI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE RELIGIEUSE.

Il faut se supporter soi-même avec humilité, renouveler toujours la résolution de se corriger, et être doux envers le prochain. La fidélité dans les petites choses nous obtient la grâce d'être fidèles flans les grandes. On doit fuir la mauvaise tristesse.

Ma trés-chère fille, je vous répondrai en peu de paroles, puisqu'aussi bien sais-je ce que vous m'eussiez dit par votre lettre, comme si je vous eusse ouïe parler de bouche : car enfin c'est que vous êtes toujours celle-là que vous m'avez dit les années passées : à quoi je vous répondrai premièrement que vous vous devez doucement supporter, en vous humiliant beaucoup devant Dieu, sans chagrin ni découragement quelconque.

Secondement, vous devez renouveler tous les propos que vous avez ci-devant faits de vous amender ; et bien que vous ayez vu que, nonobstant toutes vos résolutions, vous êtes demeurée engagée en vos imperfections, vous ne devez pas pour cela laisser d'entreprendre un bon amendement, et l'appuyer sur l'assistance de Dieu : vous serez toute votre vie imparfaite, et il y aura toujours beaucoup à corriger ; c'est pourquoi il faut apprendre à ne se point lasser en cet exercice.

Tiercement, travaillez pour acquérir la suavité du coeur envers le prochain, le considérant comme oeuvre de Dieu, et qui enfin jouira, s'il plait à la bonté céleste, du paradis qui vous est préparé : et ceux que notre Seigneur supporte, nous les devons tendrement supporter, avec grande compassion de leurs infirmités spirituelles.

Acceptez de bon coeur cette petite visite que la divine bonté vous a faite." Il faut es petites occasions se rendre fidèle pour impétrer la fidélité es grandes.

Demeurez fort en paix, et repaissez votre coeur de la suavité de l'amour céleste, sans lequel nos coeurs sont sans vie, et notre vie sans bonheur. Ne vous relâchez nullement à la tristesse, ennemie de la dévotion. De quoi se doit attrister une fille servante de celui qui sera à jamais notre joie? Rien que le péché ne nous doit déplaire et fâcher; et au bout de ce déplaisir du péché, encore faut-il que la joie et consolation sainte y soient attachées. Je vous salue mille fois, et suis sans fin, ma chère fille, votre, etc.



LETTRE DCXXXII, A UNE RELIGIEUSE.

2022 Effets de l'amour divin dans les coeurs. Recommandation du silence dans les peines. La vue de Jésus crucifié petit en un moment apaiser toutes nos douleurs. Avantage qu'il y a dans notre union avec lui et dans son amour.


Dieu vous est donc bon, ma chère fille, n'est-il pas vrai? mais à qui ne l'est-il pas, ce souverain amour des coeurs? Ceux qui le goûtent ne s'en peuvent assouvir (cf.
Si 24,29), et ceux qui s'approchent de son coeur ne peuvent contenir les leurs de le bénir et louer à jamais.

Gardez ce saint silence que vous me dites, car vraiment il est bon d'épargner nos paroles pour Dieu et pour sa gloire. Dieu vous a tenue de sa bonne main en votre affliction. Or sus, chère fille, il faut donc toujours faire ainsi. « Mon Dieu, disait S. Grégoire à un évêque affligé, comme se peut-il faire que nos coeurs, qui sont meshui au ciel, soient agités des accidents de la terre?» C'est bien dit : la seule vue de notre cher Jésus crucifié peut adoucir en un moment toutes nos douleurs, qui ne sont que des fleurs en comparaison de ses épines. Et puis notre grand rendez-vous est en cette éternité, au prix de laquelle que peut sur nous tout ce qui se finit par le temps!

Continuez, ma fille, à vous unir de plus en plus à ce Sauveur ; abîmez votre coeur en la charité du sien, et disons toujours de tout notre coeur : Que je meure, et que Jésus vive ! Notre mort sera bien heureuse si elle se fait en sa vie : Je vis, dit l'apôtre ; mais il s'en repent : non, je ne vis plus en moi, mais mon Jésus vit en moi (Ga 2,20).

Bénie soyez-vous, ma chère fille, de la bénédiction que la bonté divine a préparée aux coeurs qui s'abandonnent en proie à son saint et sacré amour. Et courage, chère tille, Dieu nous est bon ; que tout nous soit mauvais, que nous en doit-il chaloir ? Vivez joyeuse auprès de lui ; c'est en lui que mon âme est toute dédiée à la vôtre. Les années s'en vont, et l'éternité s'approche de nous. Que puissions-nous tellement employer ces ans en l'amour divin,-que nous ayons l'éternité en sa gloire ! Amen.



LETTRE DCXXXIII, A UNE RELIGIEUSE.

2024
Il est plus utile de découvrir l'état de son âme de bouche que par écrit. Nos mauvaises inclinations servent à exercer notre fidélité.


Une autre fois il vous faut bien tenir votre coeur ouvert, et sans aucune sorte d'appréhension ; car il sera bien plus utile de confesser bouche à bouche que par écrit.

Ces inclinations que vous avez sont précieuses occasions que Dieu vous donne de bien exercer votre fidélité en son endroit, par le soin que vous aurez de les réprimer.

Faites aboutir vos oraisons et affections, qui leur sont contraires; et soudain que vous sentirez d'avoir fourvoyé, réparez là faute par quelque action contraire de douceur, d'humilité et de charité envers les personnes auxquelles vous avez répugnance d'obéir, de vous soumettre, de souhaiter du bien, et d'aimer tendrement : car enfin, puisque vous connaissez de quel côté vos ennemis vous pressent le plus, il vous faut roidir et vous bien fortifier et tenir en garde en cet endroit-là. Il faut toujours baisser la tête, et vous porter au rebours de vos coutumes ou inclinations, recommander cela à notre Seigneur, et en tout et par tout vous adoucir, ne pensant presque à autre chose qu'à la prétention de cette victoire.

De ma part, je prierai notre Seigneur qu'il la vous donne et le triomphe de son saint paradis. Il la fera, ma chère fille, si vous persévérez à la poursuite de son saint amour, avec le soin que vous avez de vivre humblement devant lui, aimablement envers le prochain, et doucement envers vous-même. Et moi, je serai toujours cordialement votre, etc.




LETTRE DCXXXIV.

S. FRANÇOIS DE SAXES, A UNE RELIGIEUSE.

Il l'exhorte à la pratique des vertus, spécialement à l'égalité d'esprit.

Vous me dites, ma très-chère fille, qu'en votre maison on faisait particulière profession de l'égalité d'esprit ; pour Dieu, je vous en conjure, tâchez de bien établir cet esprit-là en tout, avec celui de la douceur et humilité réelle. Je regarde meshui votre maison comme une pépinière de plusieurs autres: c'est pourquoi il faut songer d'y enraciner les grandes et parfaites vertus de l'abnégation de son amour-propre, l'amour de son abjection, la mortification des humeurs naturelles, la sincère dilection, afin que notre Seigneur et sa très-sainte mère soient glorifiés en nous et par nous.

Nous avons ici la cour; cela m'ôte beaucoup de mon loisir d'écrire à mon gré : mais ma grande fille se contentera bien aussi de lire dans mon coeur de loin que je suis parfaitement sien, en celui qui, pour être nôtre, et afin que nous fussions siens, voulut bien mourir pour nous. Vivez toute à Dieu, ma très-chère fille, donnez tous les moments de votre vie, avec un grand soin, à celui qui vous prépare son amiable éternité. Je suis tout vôtre.




LETTRE DCXXXV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME L'ABBESSE DE MONTMARTRE, ORDRE DE S. BENOIT (1).

(1) Madame Marie de Beauvillers, fille de Claude de Beauvillers, comte de Saint-Aignan, naquit l'an 1574, au château de la Ferté-Hubert, en Sologne, et fut élevée par une de ses tantes, abbesse de Beaumont, qui la rendit capable de devenir un jour utile à l'ordre de S. Benoit. Marie avait pris l'habit de cet ordre à l'âge de douze ans (EN 1586), mais elle ne fit profession que quatre ans après (EN 1390). M. de Fresne lui fit donner l'abbaye de Montmartre (EN 1596), dont les bulles ne furent expédiées qu'au commencement de l'année 1598, lorsqu'elle était dans la vingt-quatrième année de son âge.

Cette abbaye n'avait alors que 2000 livres de revenu, et elle en devait 10,000. La grange était saisie, la crosse engagée, et il ne s'y trouva point de meubles pour garnir la chambre de l'abbesse ; chaque religieuse vivait de ce que ses parents ou amis voulaient bien lui envoyer chaque jour. M. de Fresne fit meubler un appartement pour l'abbesse, et lui fournit sa nourriture, dont elle faisait part à ses religieuses.

Le dérèglement des filles était encore plus grand que la pauvreté du monastère; il n'y avait plus de clôture.

Marie, ayant entrepris de faire cesser d'abord au moins une partie des désordres, fut exposée à tout ce que la fureur peut inventer pour perdre ses ennemis. On essaya contre elle le poison jusqu'à deux fois; et, comme on ne réussit pas, on résolut d'y employer le fer. Elle y serait périe, si l'un de ceux qui étaient chargés de l'assassinat ne lui eût découvert ce qui se tramait contre sa vie.



La difficulté qu'il y avait à faire rentrer dans le devoir des personnes qui s'en étaient si fort écartées, ne fit qu'augmenter son zèle : elle y employa toute son industrie et tout le crédit de son beau-frère, mais sans user de violence ; et enûn elle y réussit peu à peu, mais non sans les plus grandes difficultés.

Au mois de juillet 1599, le roi donna le brevet de l'abbaye de Saint-Pierre de Lyon à M. de Fresne pour une de ses soeurs. La compassion qu'il eut pour madame de Montmartre la lui fit offrir ; mais elle la refusa généreusement, lui disant, pour le consoler, qu'elle préférerait l'abbaye la plus pauvre auprès de lui, à l'abbaye la plus riche du monde en étant éloignée.

Ce fut en 1602 que S François de Sales, qui était à Paris, les docteurs Duval et Gamache, et mademoiselle Acharie, depuis fondatrice des carmélites réformées en France, sous le nom de soeur Marie de l'Incarnation, commencèrent à fréquenter madame de Montmartre et les religieuses de son parti, ce qui les mit en réputation ; et on ne rougissait plus d'être lié d'amitié avec elles.

Pendant près de soixante ans que madame de Beauvillers fut abbesse à Montmartre, elle donna l'habit à deux cent vingt-sept religieuses. Après avoir passé par toutes sortes d'épreuves, avoir essuyé des travaux immenses, et porté les vertus religieuses à un très-haut degré de perfection, elle mourut le 21 avril 1657, âgée de quatre-vingt-trois ans.





Il lui recommande de procéder à la réforme de son monastère sans précipitation, et avec douceur et tranquillité, selon la conduite de Dieu même, et de prendre avis de personnes spirituelles, avec la soumission nécessaire à son sexe.





Madame, j'ai reçu double consolation de la lettre que vous m'écrivîtes il y a quelques mois; car elle me témoigne votre bienveillance, que je désire beaucoup, et me donne avis des grâces que Dieu fait à votre monastère qui me sont des nouvelles les plus chères que je puisse recevoir, d'autant que j'honore et prise extrêmement cette maison, par une certaine inclination que Dieu m'en a donnée.

J'espère qu'en nos jours on verra votre mont sacré parsemé de fleurs dignes du sang dont il a été arrosé, et que leur odeur rendra tant de témoignages à la bonté de Dieu, que ce sera un vrai mont de martyrs.

La faveur que le roi vous fit dans l'octave de votre grand apôtre, quittant la nomination, en est un bon présage, mêmement étant accompagné de la bonne volonté de ces vertueux esprits qui concourent avec le vôtre au désir d'une entière réformation. Je représente souvent à l'autel ce saint dessein à celui qui l'a dressé, et qui vous a donné l'affection de l'embrasser, afin qu'il vous fasse la grâce de le parfaire.

Il m'est avis que j'en vois la porte ouverte : je vous supplie seulement, madame (et pardonnez à la simplicité et confiance dont j'use), que, parce que cette porte est étroite et malaisée à passer, vous preniez la peine et la patience de conduire par icelle toutes vos soeurs l'une après l'autre; car de les y vouloir faire passer à la foule et en presse, je ne pense pas qu'il se puisse bien faire, les unes ne vont pas si vite que les autres.

Il faut avoir égard aux vieilles ; elles ne peuvent s'accommoder si aisément, elles ne sont pas souples ; car les nerfs de leurs esprits, comme ceux de leurs corps, ont déjà fait contraction.

Le soin que vous devez apporter à ce saint ouvrage, doit être un soin doux, gracieux, compatissant, simple et débonnaire. Votre âge, ce me semble, et votre propre complexion le requièrent; car la rigueur n'est pas séante aux jeunes. Et croyez-moi, madame, le soin le plus parfait, c'est celui qui approche de plus près au soin que Dieu a de nous, qui est un soin plein de tranquillité et de quiétude, et qui, en sa plus grande activité, n'a pourtant nulle émotion, et n'étant qu'un seul, condescend néanmoins et se fait tout à toutes choses.

Surtout, je vous supplie, prévalez-vous de l'assistance de quelques personnes spirituelles, desquelles le choix vous sera bien aisé à Paris, la ville étant fort grande ; car je vous dirai, avec la liberté d'esprit que je dois employer partout, mais particulièrement en votre endroit : Votre sexe veut être conduit, et jamais en aucune entreprise il ne réussit que par la soumission ; non que bien souvent il n'ait autant de lumière que l'autre, mais parce que Dieu l'a ainsi établi. J'en dis trop, madame, puisque je ne doute point de votre charité et humilité; mais je n'en dis pas assez selon l'extrême désir que j'ai à votre bonheur, auquel seul vous attribuerez, s'il vous plaît, cette façon d'écrire ; car je n'ai su retenir mon esprit de vous présenter naïvement ce que cette affection lui suggère.

Au demeurant, madame, ne doutez point que je ne vous communique et applique beaucoup de sacrifices que notre Seigneur me permet de lui présenter.. Je vous supplie de les contre-charger de vos prières et plus ferventes dévotions : vous n'en donnerez jamais part à personne qui soit de meilleur coeur, ni plus que moi, madame, votre très-humble, etc.


LETTRE DCXXXVI, A LA MÈRE ANGÉLIQUE ARNAULD, ABBESSE DE PORT-ROYAL.

1570
Le Saint l'exhorte à vaincre ses mauvaises inclinations, et h ne s'en point troubler, parce que c'est j la condition de cette vie. Il faut fuir l'affectation dans les conversations. Les fautes vénielles ne nous privent point du fruit de nos résolutions. Il ne faut ni s'excuser ni s'accuser qu'avec justice. On ne doit pas trop atténuer son corps, afin de vaquer mieux à ses exercices spirituels et à l'observation de ses règles.

Fin d'octobre ou novembre 1619

... 1. Je vois clairement cette fourmilière d'inclinations que l'amour-propre nourrit et jette sur votre coeur, ma très-chère fille, et sais fort bien que la condition de votre esprit subtil, délicat et fertile, contribue à cela ; mais pourtant, ma très-chère fille, enfin ce ne sont que des inclinations, desquelles puisque vous sentez l'importunité, et que votre coeur s'en plaint, il n'y a pas de l'apparence qu'elles soient acceptées par aucun consentement délibéré. Non, ma très-chère fille ; votre chère âme ayant conçu le grand désir que Dieu lui a inspiré de n'être qu'à lui, ne vous rendez pas aisée à croire qu'elle prête son consentement à ces mouvements contraires. Votre coeur peut être trémoussé par le: mouvement de ses passions; mais je pense que rarement il pèche par le consentement.

O moi misérable homme ! disait le grand apôtre (
Rm 7,24), qui me délivrera du corps de cette mort (Rm 7,25) ? Il sentait un corps d'armée composée de ses humeurs, aversions, habitudes et inclinations naturelles, qui avait conspiré sa mort spirituelle ; et parce qu'il les craint, il témoigne qu'il les hait ; et parce qu'il les hait, il ne les peut supporter sans douleur; et sa douleur lui fait faire cet élan d'exclamation, à laquelle il répondit lui-même que « la grâce de Dieu par Jésus-Christ le garantira,» non de la crainte, non de la frayeur, non de l'alarme, non du combat, mais oui bien de la défaite, et l'empêchera d'être vaincu.

2. Ma fille, être en ce monde et ne sentir pas ces mouvements de passion sont choses incompatibles. Notre glorieux S. Bernard dit que c'est hérésie de dire que nous puissions persévérer en un même état ici-bas, d'autant que le Saint-Esprit a dit par Job, parlant de l'homme, que, jamais il n'est au même état (Jb 14,2). C'est pour répondre à ce que vous dites de la légèreté et inconstance de votre âme ; car je le crois fermement, qu'elle est continuellement agitée des vents de ses passions, et que par conséquent elle est toujours en branle ; mais je crois aussi fermement que la grâce de Dieu, et la résolution qu'elle vous a donnée, demeure continuellement en la pointe de votre esprit, où l'étendard de la croix est toujours arboré, et où la foi, l'espérance et la charité prononcent toujours hautement : Vive Jésus !

Voyez-vous, ma fille, ces inclinations d'orgueil, de vanité, de l'amour-propre, se mêlent partout, et fourrent insensiblement et sensiblement leurs sentiments presque en toutes nos actions ; mais pour cela ce ne sont pas les motifs de nos actions. S. Bernard les sentant un jour qu'elles le fâchaient, tandis qu'il prêchait : « Retire-toi de moi, Satan, » (Mt 4,10) dit-il, je n'ai pas commencé pour toi, et ne finirai pas pour toi. »

3. Une seule chose ai-je à vous dire, ma très-chère fille, sur ce que vous m'écrivez que vous fomentez votre orgueil par des affectations en discours et en lettres. Es discours certes quelquefois l'affection passe si insensiblement, qu'on ne s'en aperçoit presque pas; mais si pourtant on s'en aperçoit, il faut soudain changer de style: mais es lettres, à la vérité cela est un peu, ains beaucoup plus insupportable ; car on voit mieux ce que l'on fait, et si on s'aperçoit d'une notable affection, il faut punir la main qui l'a écrite, lui faisant écrire une autre lettre d'autre façon.

Au reste, ma très-chère fille, je ne doute point que parmi cette si grande quantité de tours et de retours de coeur, il ne se glisse par-ci, par-là, quelques fautes vénielles ; mais pourtant, comme étant passagères, elles ne nous privent pas du fruit de nos résolutions, ains seulement de la douceur qu'il y aurait de ne point faire ces manquements, si l'état de cette vie le permettait.

4. Or sus, soyez juste : n'excusez ni n'accusez aussi qu'avec mûre considération votre pauvre âme, de peur que si vous l'excusez sans fondement, vous ne la rendiez insolente ; et si vous l'accusez légèrement, vous ne lui abattiez le courage, et la rendiez pusillanime.

Marchez simplement, et vous marcherez confidemment (Pr 10,9 Ps 10,9).

Encore faut-il que j'ajoute en ce bout de papier ce mot important. Ne chargez point votre faible corps d'aucune autre austérité que de celle que la règle vous impose ; gardez vos forces corporelles pour en servir Dieu es pratiques spirituelles que souvent nous sommes contraints de laisser, quand nous avons indiscrètement surchargé celui qui avec l'âme les doit exercer.

Écrivez-moi quand il vous plaira, sans cérémonie ni crainte ; n'employez point le respect contre l'amour que Dieu veut être entre nous, selon lequel je suis à jamais invariablement votre très-humble frère et serviteur, etc.




LETTRE DCXXXVII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE RELIGIEUSE.

Le Saint l'exhorte à vivre dans l'humilité, la douceur et la simplicité.

Ma très-chère fille, il me semble certes que je le vois, ce Sauveur crucifié, au milieu de votre âme, comme un bel arbre de vie, qui, par les flammes des bons désirs qu'il vous donne, vous promet les fruits du divin amour qu'il produit ordinairement es lieux où sont la rosée d'humilité, douceur et simplicité de coeur.

Vivez donc bien ainsi, ma très-chère fille : ce sont mes voeux et mes souhaits continuels, comme vous chérissant d'une affection singulière, et me confiant que réciproquement vous soupirez souvent devant sa divine miséricorde pour l'amendement de mon coeur, dont je vous conjure ardemment, ma très-chère fille.

Si je puis retourner à Saint-André, ce sera de toute mon affection ; vous aurez votre désir. Que si je ne puis, vous aurez plus que votre désir, puisque le bon père, que j'aime et honore si cordialement, y fera cent fois mieux le service de notre commun maître que moi. Votre très-humble, etc.




LETTRE DCXXXVIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE RELIGIEUSE NOVICE.

Il la félicite de ce qu'elle a pris le parti du couvent. Il relève les avantages de la vie religieuse; de l'obéissance et de l'humilité.

Je me réjouis grandement, ma très-chère fille, du bonheur dont vous jouissez en cette sacrée compagnie en laquelle vous êtes ; car ce vous est un bien inestimable de vivre au service de Dieu en un lieu où toutes les âmes le servent, où leur conversation environne votre jeunesse, pour la confirmer et affermir en ses bons propos.

Et quant à moi, j'aurai perpétuellement une grande affection en votre avancement en la dévotion, non - seulement parce qu'étant fille d'un père que j'honore parfaitement et madame votre mère, j'ai mon intérêt en leur contentement ; mais aussi d'autant qu'avec leur permission et celle de madame votre abbesse, je pense avoir quelque part en votre âme, puisqu'elle porte le sacré caractère de la confirmation par mon entremise : c'est pourquoi vous êtes un peu ma fille, comme je crois, et je suis beaucoup votre père, ayant assurément senti une affection grandement paternelle pour vous.

Et en cette considération, je vous supplie de tout mon coeur de vous exercer fidèlement en la sainte humilité et obéissance envers ces âmes sacrées à qui Dieu a confié la vôtre, afin qu'un jour elle soit toute sienne et son épouse bien-aimée. Et tenez vous joyeuse, ma très-chère fille, puisqu'il n'y a pas de véritable joie en cette vie mortelle, que celle de se trouver en la voie plus assurée pour parvenir à l'immortelle. Vivez donc ainsi humblement et doucement, ma très-chère fille ; et priez-le souvent pour moi, qui suis votre très-humble, etc.




LETTRE DCXXXIX.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE RELIGIEUSE SUPÉRIEURE CARMÉLITE.

Le Saint la console sur la peine qu'elle avait d’avoir été élue supérieure; il l'encourage à supporter humblement le poids de sa charge, et lui donne quelques avis pour s'en bien acquitter.



Ma très-chère fille, quelle consolation pour vous que c'est Dieu même qui vous a fait supérieure, puisque vous l'êtes par les voies ordinaires ! C'est pourquoi sa providence vous est obligée, à cause de sa disposition", de vous tenir de sa main, afin que vous fassiez bien ce à quoi il vous appelle. Croyez, ma très-chère fille, il faut aller à la bonne foi, sur la conduite de ce bon Dieu, et ne point disputer contre cette règle générale que Dieu, qui a commencé en nous le bien, le parfera (Ph 1,6 1P 5,10) selon sa sagesse, pourvu que nous soyons fidèles et humbles.

Mais on va rechercher entre ses serviteurs quelqu'un qui soit fidèle () ; et je vous dis que vous serez fidèle, si vous êtes humble. Mais serai-je humble? Oui, si vous le voulez. Mais je le veux. Vous l'êtes donc. Mais je sens bien que je ne la suis pas. Tant mieux, car cela sert à l'être plus assurément. Il ne faut pas tant subtiliser, il faut marcher rondement ; et comme il vous a chargée de ces âmes, chargez-le de la vôtre, afin qu'il porte tout lui-même, et vous et votre charge sur vous. Son coeur est grand, et il veut que le vôtre y ait place. Reposez-vous ainsi sur lui ; et quand vous ferez des fautes ou des défauts, ne vous étonnez point; ains, après vous être humiliée devant Dieu, souvenez-vous que « la vertu de « Dieu se manifeste plus glorieusement dans notre infirmité (). »

En un mot, ma chère fille, il faut que votre humilité soit courageuse et vaillante en la confiance que vous devez avoir en la bonté de celui qui vous a mise en charge ; et pour bien couper chemin à tant de répliques que la prudence humaine, sous le nom d'humilité, a accoutumé de faire en telles occasions, souvenez-vous que notre Seigneur ne veut pas que nous demandions notre pain annuel, ni mensuel, ni hebdomadal, mais quotidien. Tâchez de faire bien aujourd'hui, sans penser au jour suivant ; puis le jour suivant, tâchez de faire de même, et ne pensez pas à tout ce que vous ferez pendant tout le temps de votre charge : ainsi allez de jour en jour passant votre office sans étendre votre souci, puisque votre Père céleste, qui a soin aujourd'hui, aura soin demain et passé demain de votre conduite, à mesure que, connaissant votre infirmité, vous n'espérerez qu'en sa providence.

Il m'est avis, ma très-chère fille, que je vais bien à la bonne foi avec vous de vous parler ainsi, comme si je ne savais pas que vous savez mieux que moi tout ceci : mais.il n'importe, car cela fait plus de coup quand un coeur ami nous le dit. Je suis votre, etc.




LETTRE DCXL.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE RELIGIEUSE.

Le Saint détermine quel bouquet elle doit présenter à son ange gardien à la fin de sa méditation, afin qu'il le consacre à son Époux céleste, et de quoi il doit être composé. Les chutes légères servent à nous humilier et à nous rendre vigilants. Il faut supporter les défauts du prochain.



Vous me demandez, ma très-chère fille, quel bouquet vous pourrez donner à votre Valentin (2). Il doit être fait de quelques petites actions de vertu que vous pratiquerez exprès en faveur de ce Valentin céleste ; et, au bout de la méditation du matin, vous le lui présenterez, afin qu'il le consacre à votre cher époux. Vous pouvez aussi quelquefois en cueillir, au jardin des Olives sur le mont du Calvaire, je veux dire ces bouquets de myrrhe de votre S. Bernard, et supplier votre céleste Valentin de les, recevoir de votre coeur, et d'en louer Dieu, qui est comme s'il en répandait l'odeur, puisque vous ne pouvez ni assez dignement flairer ses divines fleurs, ni assez hautement en louer la suavité.

Vous le pouvez encore prier, ce brave Valentin, qu'il prenne aussi ce bouquet, et que de sa main il le vous fasse adorer, et même qu'il vous en rende quelque autre en échange; qu'il vous donne des gants parfumés, couvrant vos mains d'oeuvres de charité et d'humilité, et vous donne des bracelets de corail, des chaînes de perles ; et ainsi faut-il exercer des tendresses d'amour avec ces heureux gentilshommes de ce roi de gloire.

Il me semble que ce fut S. Thomas d'Aquin que vous tirâtes (1) pour le mois, le plus grand docteur qui ait jamais été: il était vierge, et la plus douce-et humble âme qu'on saurait dire.

Or parlons un peu de ce coeur de ma très-chère fille. S'il était à la vue d'une armée d'ennemis, ne ferait-il pas des merveilles, puisque la vue et la rencontre d'une petite fille maussade et écervelée le trouble si-fort? Biais ne vous troublez pas, ma très-chère fille ; il n'est point d'ennui si importun, que l'ennui qui est composé de plusieurs petites mais pressantes et continuelles importunités. Notre Seigneur permet qu'en ces petites rencontres nous demeurions courts, afin que nous i nous humiliions, et que nous sachions que si nous avons surmonté certaines grandes tentations, ce n'a pas été par nos forces, mais par l'assistance de sa divine bonté.

Je le vois bien, que par ces menues tracasseries, il y a force sujets d'exercer l'amour ou l'acceptation de notre propre abjection ; car que dira-t-on d'une fille qui n'a-point fait profiter, et n'a point bien dressé, ni donné bonne action à cette petite fille? Et puis qu'est-ce que nos soeurs diront, de voir que pour la moindre importunité qu'une créature nous fait, nous nous débattons, nous nous plaignons, nous grondons.

Il n'y a remède, ma très-chère fille. La fille de S. Athanase eût acheté cette condition au prix de l'or : mais ma fille n'est pas si ambitieuse ; elle aimerait mieux que l'occasion lui fût ôtée, que d'entreprendre de la faire valoir. Recourez bien à l'humilité ; et pour ce peu de temps que cet exercice durera, essayez-vous de le supporter en la présence de Dieu, et d'aimer cette pauvre chétive pour l'amour de celui qui l'a tant aimée qu'il est mort pour elle. Ne la corrigez pas, si vous pouvez, en colère ; prenez la peine qu'elle vous donne à gré ; et me croyez tout vôtre, etc.





(2) Il y avait à Annecy une coutume profane vers le temps du carnaval : les jeunes gens allaient par les rues, donnant des billets où étaient écrits lés noms des cavaliers ou des dames qui devaient former les assemblées mondaines. Les hommes s'appelaient Valentins, et les dames Valentines, et ceux-là étaient obligés de servir toute l'année celles qui leur étaient échues.

Comme cette coutume entraînait beaucoup de scandale et les plus graves inconvénients, le Saint voulant y apporter du remède, la défendit par un édit public, implorant même le secours du bras séculier, et ordonna qu'au catéchisme on distribuerait les noms des saints et des saintes auxquels les chrétiens auraient une particulière dévotion tout le long de l'année, à l'imitation de qui se pratiquait chez les jésuites.

(1) C'est une pratique louable de certaines communautés pieuses, de prendre chaque mois un patron entre les saints dont la fête arrive dans le mois, et ce saint patron est tiré au sort par chacun.






LETTRE DCXLI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE RELIGIEUSE.

Le Saint la remercie d'un bouquet qu'elle lui avait envoyé. Ne rien manger les vendredis de carême qui ait eu vie est une singularité suspecte de vanité. Ne point craindre de ne pas faire assez de bien. Rien n'est à craindre en aimant. Les répugnances de la nature ne marquent pas toujours qu'on manque d'amour de Dieu ; cependant il est important de les vaincre.



Que notre cher Jésus crucifié soit à jamais un bouquet entre vos mamelles (Ct 1,15), ma très-chère fille. Oui, car ses clous sont plus désirables que les oeillets, et ses épines que les roses. Mon Dieu ! ma fille, que je vous souhaite sainte ; et que vous soyez toute odorante des senteurs de ce cher Sauveur! C'est pour vous remercier de votre bouquet, et vous assurer que les petites choses me sont grandes quand elles sortent de votre coeur, auquel le mien est tout dédié, je vous en assure, ma très-chère fille.



Le Pater que vous dites pour le mal de tête n'est pas défendu; mais, mon Dieu! ma fille, non, je n'aurais pas le courage de prier notre Seigneur, par le mal qu'il a eu à la tète, de n'avoir point de douleurs en la mienne. Ah ! il a enduré afin que nous n'endurions point! Ste Catherine de Sienne, voyant que son Sauveur lui présentait deux couronnes, l'une d'or, l'autre d'épines : «. Oh! je veux la douleur, ce disait-elle, pour ce monde, l'autre sera pour le ciel. » Je voudrais employer le couronnement de notre Seigneur pour obtenir une couronne de patience autour de mon mal de tête.

Ne manger point chose qui ait eu vie les vendredis de carême n'est pas mal fait non plus ; mais cela tire un peu à la vanité d'esprit, quand cela se fait par le rapport de ce qui l'a eu : mais quand cela se fait par mortification, cela est bon.

Vivez toute entre les épines de la couronne du Sauveur ; et comme un rossignol dans son buisson, chantez, ma fille, Vive Jésus !

J'ai suivi votre désir, mais vous verrez que ce papier du livre a bu tout ce que j'y ai écrit ; et je crois certes que votre coeur en fera de même, car c'est le vin délicieux de l'âme, qui l'enivre et ravit saintement.

Que ce divin et céleste amour chemine toujours en cette confiance ; et en observant u ne amoureuse fidélité et loyauté envers ce cher Sauveur, ne vous mettez point, en crainte de ne pas assez bien faire : non, ma fille ; mais avouant votre bassesse et abjection, rejetez votre soin spirituel en la bonté divine, qui agrée nos petits et chétifs efforts, pourvu qu'ils soient faits avec humilité, confiance et fidélité amoureuse. Or j'appelle amoureuse la fidélité par laquelle à notre escient nous ne voudrions rien oublier de ce que nous estimerions être plus agréable à l'Époux ; parce que nous aimons ses contentements plus que nous ne craignons ses châtiments.

Cette chair est admirable à ne vouloir rien de piquant : mais la répugnance que vous avez ne témoigne pourtant point aucun manquement d'amour ; car, comme je pense, si nous croyions qu'étant écorchés il nous aimerait plus, nous nous écorcherions, non pas sans répugnance, mais malgré la répugnance. J'approuverais que par ma manière d'essai on tâchât deux ou trois fois de se surmonter avec un peu de violence, au moins quelquefois ; car qui ne gourmande jamais ces répugnances, il devient toujours plus douillet.

La pauvre mère de notre Visitation est cruellement tourmentée d'un catarrhe qu'elle a sur la bouche; mais elle s'en réjouit, et dit que pourvu qu'elle applique son coeur à Dieu, elle trouve de la douceur en cette cuisante douleur. C'est une bonne fille et bien résignée, qui vous chérit grandement : si fais-je bien moi, qui suis tout vôtre en Dieu. Ma chère fille, vivez toute en lui. Votre, etc.




LETTRE DCXLII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE RELIGIEUSE MALADE.

Il l'exhorte à prendre les remèdes qui lui étaient nécessaires dans un esprit de résignation et d'humilité, aimant en cela la volonté de Dieu.

Je vous assure, ma très-chère mère ma fille, que je voudrais bien porter dans mon corps et en mon coeur toutes les peines que vous avez parmi vos remèdes ; mais ne pouvant ainsi vous décharger, embrassez saintement ces petites mortifications, recevez ces abjections en esprit de résignation, et, s'il se peut, d'indifférence. Accommodez votre imagination à la raison, et votre naturel à l'entendement ; et aimez cette volonté de Dieu en ces sujets d'eux-mêmes désagréables, comme si elle était en des sujets des plus agréables. Vous ne recevez pas vos remèdes par votre élection, ni par sensualité ; c'est donc par obéissance et par raison : y a-t-il rien de si agréable au Sauveur? -

Mais il y a de l'abjection. Et S. André, et tant de saints, ont souffert la nudité par manière de croix. O petite croix! tu es aimable, puisque ni les sens ni la nature ne t'aiment point, ains la seule raison supérieure.

Ma très-chère mère, mon coeur salue le vôtre finalement, et plus que finalement, au-dessus de toute comparaison. Soyez une petite brebis, une petite colombe, toute simple, douce et aimable, sans réplique ni retour. Dieu vous bénisse, ma très-chère mère ; qu'à jamais votre coeur soit en lui et à lui. N'occupez pas votre esprit es affaires, et recevez humblement et amiablement les petits traitements que votre infirmité requiert. Vive Jésus et Marie ! Je suis celui que ce même Jésus a rendu vôtre, etc.-




LETTRE DCXLIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE RELIGIEUSE.

Le Saint lui écrit au sujet de l'anniversaire de sa profession, qu'il compare à un holocauste, à une consécration et à une renaissance spirituelle: Il l'en félicite, et s'en réjouit avec elle.



Oui-da, ma bonne et chère fille, bénissons Dieu ensemblement de cette heureuse journée en laquelle, par un feu tout nouveau, vous renouvelâtes l'holocauste de votre coeur, offert et voué piéçà à la divine majesté ; et que ce jour donc soit compté entre les jours mémorables de notre vie. O qu'il tienne le second rang après celui de votre baptême !

Jour du renouvellement de notre temple intérieur; jour auquel, par un échange favorable, nous consacrâmes notre vie à Dieu, pour ne plus vivre qu'en sa mort ; jour fondement, Dieu aidant, de notre salut; jour présage de la sainte et désirable éternité de gloire ; jour duquel le souvenir nous réjouira non-seulement en la mort temporelle, mais encore en la vie immortelle! Hélas ! ma très-chère fille, il est vrai, Dieu, ce me semble, vous faisait alors renaître spirituellement entre mes bras intérieurs, qui vous embrassèrent certes tendrement, et mon coeur fut tout dédié au vôtre.

Or je sais bien que vous avez très-souvent sujet d'exercer l'amour du mépris, des rabrouements et de votre propre abjection. Faites bien cela; car c'est le grand point de l'humilité, devoir, servir, honorer et s'entretenir es occurrences et à propos (car il ne faut pas se rendre importune en la recherche, avec ceux qui nous sont à contrecoeur, et demeurer humble, soumise, douce et tranquille entre; eux. C'est un point très-admirable ; car voyez-vous, ma fille, les humilités que l'on voit le moins sont les plus fines. Mais pour l'extérieur pourtant, je voudrais bien, à cause de la bienséance religieuse, que vous vous corrigeassiez de cette parole hautaine et intempérée.,

Ce n'est rien de ressentir ces mouvements de colère et d'impatience, pourvu qu'ils soient fortifiés à mesure que vous les voyez naître, c’est-à-dire que vous tâchiez de vous remettre au Jien et pacification du coeur ; car cela étant, encore bien que le combat durât tout le jour, ce serait de l'exercice, mais non pas de la perte pour vous. Ayez bon courage, ma fille. Je vois bien que notre Seigneur nous veut aimer, et rendre siens. J'espère en Notre-Dame que jamais aucun feu n'embrasera nos coeurs, que celui du saint amour de son fils, pour lequel je suis en toute vérité tout vôtre, etc.




LETTRE DCXLIV

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE-DEMOISELLE.»

L'inquiétude et l’empressement sont ennemis de l'oraison : le don d'oraison vient du ciel, et il s'y faut préparer avec soin; on s'y met en la présence de Dieu. Comment une jeune personne, qui veut être religieuse, doit se comporter lorsque ses parents ne se prêtent pas assez à ses bons désirs.



Mademoiselle, je reçus il y a quelque temps une de vos lettres, que je chéris fort, parce qu'elle porte témoignage de la confiance que vous avez en mon affection, qui aussi vous est entièrement acquise, vous n'en devez nullement douter. Je regrette seulement que je suis fort peu capable pour répondre à ce que vous desirezc.de moi sur les accidents de votre oraison. Aussi sais-je que vous êtes en un lieu et en, une compagnie où rien ne vous peut manquer pour ce sujet: mais la charité, qui se plaît à la communication, fait que vous me demandez la mienne en me donnant la vôtre. Je vous dirai donc quelque chose. L'inquiétude que vous avez à l'oraison, et laquelle est conjointe avec un grand empressement pour trouver quelque objet qui puisse arrêter et contenter votre esprit, suffit elle seule pour vous empêcher de trouver ce que vous cherchez. On passera cent fois là main et les yeux sur une chose, sans rien apercevoir, lorsqu'on la cherche avec trop d'ardeur. -

De cet empressement vain et inutile il ne vous peut arriver qu'une lassitude d'esprit ; et de, là cette froideur et engourdissement de votre âme. Je ne sais pas les remèdes dont vous devez user, mais je pense bien que si vous pouvez vous empêcher de l’empressement, vous gagnerez beaucoup ; car c'est l'un des plus grands traîtres que la dévotion et vraie vertu puissent rencontrer. Il fait semblant de nous échauffer au bien, mais ce n'est que pour nous refroidir, et ne nous fait courir que pour nous faire chopper. C'est pourquoi il s'en faut garder en toutes occasions, et particulièrement en l'oraison.

Et pour vous aider à cela, ressouvenez-vous que les grâces et biens de l'oraison ne sont pas des eaux de la terre, mais du ciel, et que, partant,-tous nos efforts ne les peuvent pas acquérir; bien- que la vérité est qu'il faut s'y disposer avec soin, qui soit grand, mais humble et tranquille'. Il faut tenir le coeur-ouvert au ciel, et attendre là-sainte rosée. Et n'oubliez jamais de porter à l'oraison cette considération, c'est qu'en icelle on s'approche de Dieu et on se met en sa présence pour deux raisons principales.

La première est, pour rendre à Dieu l'honneur et l'hommage que nous lui devons, et cela se peut faire sans qu'il nous parle, ni nous à lui ; car ce devoir se fait reconnaissant qu'il est notre Dieu, et nous ses viles créatures, et demeurant devant lui prosternés en esprit, attendant ses commandements'. Combien de courtisans y à-t-il qui vont cent fois en la présence du roi, non pour lui parler, ni pour l'ouïr, mais simplement afin d'être vus de lui, et témoigner par cette assiduité qu'ils sont ses serviteurs? Et cette fin de se présenter devant Dieuy seulement pour témoigner et protester

de notre volonté et reconnaissance à son service, elle est très-excellente y très-sainte et très-pure, et par conséquent de très-grande perfection.

 La seconde cause pour laquelle on se présente devant Dieu, c'est pour parler avec lui, et l'ouïr parler à nous par ses inspirations et mouvements intérieurs ; et ordinairement cela se fait avec un plaisir très-délicieux, parce que ce nous est un grand-bien de parler à Un-si grand Seigneur; et quand il répond, il répand mille baumes et onguents -précieux, qui donnent une grande suavité à l'âme!

Or, mademoiselle ma bonne fille, puisque vous voulez que je parle ainsi, l'un de ces deux biens ne vous peut jamais manquer à l'oraison.- Si nous pouvons parler à notre Seigneur, parlons, louons-le, prions-le, écoutons-le ; si nous ne pouvons pas parler, parce que nous sommes enroués, demeurons néanmoins en la chambre, et faisons-lui la révérence ; il nous verra là, il agréera notre patience, et favorisera notre silence : une autre fois nous serons tout ébahis qu'il nous prendra la main, et devisera avec nous, et fera cent tours avec nous es allées de son jardin d'oraison ; et quand il ne le ferait jamais, contentons-nous que c'est notre devoir d'être à sa suite, et que ce nous est une grande grâce et un honneur trop plus grand qu'il nous souffre en sa présence.

En cette sorte nous ne nous empresserons point pour lui parler, puisque l'autre occasion d'être auprès de lui ne nous est pas moins utile, ains peut-être beaucoup plus, encore qu'elle soit un petit moins agréable à notre goût. Quand donc vous viendrez auprès de notre Seigneur, parlez-lui, si vous pouvez ; si vous ne pouvez, demeurez là ; faites-vous voir, et ne vous empressez d'autre chose. Voilà mon avis, je ne sais s'il sera bon, mais je ne m'en mets pas en peine; car, comme je vous ai dit, vous êtes en un lieu où de beaucoup meilleurs ne vous peuvent pas manquer.

Quant à la crainte que vous ayez que votre père ne vous fasse perdre le désir d'être carmélite, par la trop grande distance de temps qu'il vous veut préfiger pour exécuter votre souhait, dites à Dieu : Seigneur, tout mon désir est devant vous (Ps 17,18), et le laissez faire ; il maniera le coeur de votre père, et le contournera à sa gloire et à votre goût. Cependant nourrissez votre bon désir, et le faites vivre sous la cendre de l'humilité.et résignation en la volonté de Dieu.

Mes prières, que vous demandez, ne vous manquent point ; car je ne saurais vous oublier, surtout à la sainte messe ; je me confie en votre charité que je ne suis pas oublié aux vôtres.

Je suis marri que monsieur de Paris nous laisse, etc.






LETTRE DCXLV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME.

Un père et une, mère doivent bénir Dieu lorsque leurs enfants se consacrent à son service. Il ne faut pas désirer de dispense d'âge pour entrer dans la religion, mais attendre l'âge déterminé par le concile de Trente.


Votre lettre, que M. Crichant m'a rendue, m'est de grande consolation, ma très-chère fille, étant aisé de voir que, comme je n'oublie point votre coeur, il n'oublie pas non plus le mien.

Vous avez certes raison de bénir Dieu sur l'inspiration qu'il donne à votre fille, la choisissant pour le meilleur parti de cette vie mortelle. Biais, ma fille, il faut faire toutes choses en leur temps. Ce n'est pas certes moi qui ai préfigé l'âge auquel il faut que les filles soient religieuses, ains le sacré concile de Trente.

Croyez-moi, ma très-chère fille, s'il n'y a rien d'extraordinaire qui presse, demeurez soumise en paix à l'obéissance des lois ordinaires de l'Eglise : Mieux vaut l'obéissance que les victimes () ; c'est une sorte d'obéissance grandement agréable à Dieu, que de ne point désirer de dispense sans grande occasion. Notre-Dame n'en demanda point pour enfanter avant le terme ordinaire, ni pour parler avec notre Seigneur avant l'âge auquel les enfants ont accoutumé de parler.

Marchez ainsi doucement, et tout vous réussira à bénédiction, et pour votre personne même ; après l'enfant, Dieu ouvrira la porte à la mère : et il n'est pas défendu de cuire au sacrifice la brebis au lait de la brebiette. En toute occasion je vous servirai très-affectionnément. Vous êtes hors de nécessité d'être aidée en ces occasions, puisque Dieu vous a laissé le révérend père Suffren (jésuite), et que ces soeurs de la Visitation sont tant obligées à votre dilection ; et, puisque vous avez tapissé leur oratoire au jour de leur entrée en la nouvelle maison, elles doivent beaucoup faire pour tapisser leur monastère de vos bonnes affections, et de celle de votre chère fille. Recommandez-moi à la miséricorde de Dieu, et à là bonté de sa mère. Votre plus humble, etc.




LETTRE DCXLVI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME.

Le Saint l'engage à la soumission.

Vous aurez, je m'assure, reçu ce que vous désirez de monsieur le premier président de Savoie, car il le dépêcha soudain; et maintenant, ma très-chère fille, vous recevrez, s'il vous plait, en ce billet, une assurance nouvelle que je ne cesserai jamais de vous souhaiter mille et mille bénédictions. Tenez bon, ma chère fille, et soyez immobile es résolutions que vous aurez prises pour le salut de votre âme, afin que vous puissiez rendre bon compte de vous-même à notre Seigneur, au jour de votre trépas, lequel à mesure qu'il s'approche, vous invite à vous préparer soigneusement. Soyez bien douce et gracieuse parmi les affaires que vous avez, car tout le monde attend ce bon exemple de vous. Il est aisé de conduire la barque quand elle n'est pas pressée des vents, et de passer une vie qui est exempte d'affaires; mais parmi les tracas des procès, comme parmi les vents, il est difficile de tenir le chemin. C'est pourquoi il faut avoir grand soin de soi-même, de ses actions et de ses intentions, et faire toujours voir que le coeur est bon, juste, doux, humble et généreux. Vivez toute en notre Seigneur, conservez bien votre âme, et aimez la mienne, la recommandant souvent à la divine miséricorde, puisque je suis votre, etc.



LETTRE DCXLVII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A M. MAGIM, MARCHAND A ANNECY.

(Tirée de la bibliothèque des Jésuites du collège Louis-lè-Grand.

Le saint prélat le remercie de lui avoir rendu des lettres des religieuses de la Visitation de France, qu'on lui avait adressées, et des nouvelles qu'il lui apprend de ce royaume. Il lui recommande un jeune garçon pour lui trouver une condition. Il dit que les Genevois ont eu tort de prendre ombrage d'une chasse que le prince Thomas était venu faire en leur voisinage.

Monsieur, je vous remercie du soin qu'il vous a plu de prendre pour me faire avoir des lettres que les soeurs de la Visitation vous ont adressées, comme encore de la variété des nouvelles du monde, que je prie Dieu de nous vouloir donner de jour en jour meilleures pour la prospérité du christianisme, et en particulier pour celle du roi et du royaume.

Je sais que ce jeune garçon étant de ce pays, et assez bien conditionné, trouvera en vous une affection charitable, pour, s'il se rencontre, être logé à quelque service. Mais les amis et parents ayant désiré que je vous le recommandasse, je le fais volontiers, avec espérance que vous ne le prendrez pas à importunité, puisque cette mienne recommandation, comme toutes les miennes, se fait toujours avec la condition et réserve que vous n'en ayez aucune incommodité.

M. le prince Thomas (1); qui a logé céans ces trois ou quatre jours passés pour faire la chasse en ces plaines voisines, a mis, comme l'on vient de me dire, en alarme ceux de Genève, qui ont le plus grand tort du monde de se laisser agiter par tant de vaines appréhensions, puisqu'on observe si soigneusement les derniers articles qui ont été passés.

Je suis de tout mon coeur, monsieur, votre, etc.



(1) Le prince Thomas était un des fils du duc Charles-Emmanuel de Savoie, et fut prince de Carignan, marquis de Busqué, etc., grand-maître de France, général des armées de sa majesté très-chrétienne, après l'avoir été de celles du roi d'Espagne, enfin chevalier de l'Annonciade, un des plus malheureux capitaines de son siècle.

« Pendant la vie de son père il donna des marques signalées de sa valeur au passage de la rivière d'Orbe, à la retraite de Bastagne devant Ast, et dans Verue. Chez les Espagnols, en 1655, il perdit la bataille d'Avein, fit lever le siège de Breda en 1656. Il prit Bouchain, LeCatelet, Brai-sur-Somme et Corbie; et l'année suivante il fit lever le siège de Saint-Omer. Apres une guerre assez longue contre la duchesse sa belle-soeur, il se réconcilia avec elle en 1642, fit sa paix avec la France, se mit à la tête des armées de sa majesté très-chrétienne ; mais il ne fit rien de fort remarquable. Il mourut à Turin le 22 janvier 16S6. Il avait épousé, le 6 janvier 1625, Marie de Bourbon, fille de Charles, comte de Soissons, dont il eut plusieurs enfants. » (Méthode facile pour apprendre l'histoire de Savoie, page 242.)






LETTRE DCXLVIH.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME MARIÉE.

(Tirée du monastère de la Visitation, rue S. Antoine.) - Garnier lettre 199

Le Saint la félicite sur l'entrée de sa fille chez les carmélites.

J'ai ouï de la bouche du bon monsieur Cridant l'histoire de l'entrée et réception de votre chère petite fille en l'ordre sacré des carmélites, et comme elle passa de votre sein maternel, ma très-chère fille, dans celui de la bonne mère Madeleine de S. Joseph. J'espère que cette action sera bénie de la suavité de celui qui aime la promptitude des bons desseins et des bonnes exécutions, et qui trouva mauvaise la prudence de cet enfant qui voulait aller ensevelir son père avant que de se ranger tout-à-fait à sa suite.

Il y a un peu de l'extraordinaire en l'occasion de cette fille, et peut-être encore en sa réception ; mais ce n'est pas merveille qu'une aiguille non engraissée, non distante, non frottée d'ail, non empêchée par le diamant, s'attache si promptement et si puissamment à son aimant. Or sus, Dieu soit loué, ma très-chère fille ! voilà votre holocauste presque consommé avant qu'il soit bonnement sur l'autel. La divine Majesté vous bénisse de plus en plus de son saint amour, et le coeur de monsieur votre cher mari, qui conspire si doucement et avec vous pour aspirer tout-à-fait à Dieu, et ne respirer qu'en lui ! Je suis invariablement votre, etc.

Mon coeur est tout-à-fait dédié à celui de mademoiselle de Verton, votre chère soeur, dans lequel j'ai vu que Dieu règne ; plaise à sa divine Majesté que ce soit à toute éternité! Amen.




LETTRE DCXLIX.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADEMOISELLE DE TRAVES.

(Tirée du monastère de la Visitation du Puits-d'Orbe.)

Il la félicite de ce que sa soeur s'était retirée du monde, et il la console sur leur séparation.

Je me réjouis avec vous, ma très-chère fille, de la retraite de la chère soeur, tant parce qu'en vérité elle a été faite généreusement, saintement, et, pour le dire comme je l'entends, héroïquement et à la façon des anciennes âmes du christianisme de l'âge le plus saint, qu'aussi d'autant que, comme m'a écrit la bonne mère supérieure, vous avez autant de part en cette retraite, et plus encore que si vous fussiez retirée vous-même, au cas qu'il vous eût été loisible.

Oh! c'est ainsi, ma fille très-chèrement bien-aimée, qu'il faut servir Dieu ; car c'est le servir en Dieu, et par l'amour souverainement et incomparablement excellent. Je sais le fond vif et tendre amour de votre coeur envers cette soeur, et que cette petite séparation lui aura coûté de grands efforts ; et c'est cela qui me donne mille plaisirs en la partie supérieure ; car, en l'inférieure, croyez-moi, ma fille, j'ai trouvé mon sentiment engagé dans le vôtre.

Vous avez donc si bonne part en ce sacrifice agréable, que je m'en réjouis très-affectueusement avec vous, et crois que la divine bonté aura une douce souvenance de votre holocauste, qu'elle confirmera votre conseil, et vous rendra, selon l'intention de votre coeur, une consolation qui vous fera toujours croître en cet amour, ou une force qui, sans consolation, vous fera toujours de plus en plus parfaitement servir ce céleste amour. Je ne sais que vous dire davantage, ma très-chère fille, sinon que je suis indiciblement et incroyablement vôtre. Vive Jésus. Amen.




LETTRE DCL.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME DÉVOTE.

(Tirée du monastère de la Visitation de la ville d'Issoudun.) - Garnier lettre 201

Le Saint lui permet de renouveler un voeu de continence et d'obéissance à sa messe, et de le mettre par écrit pour le lui donner ensuite.

Madame, s'il vous plaît de renouveler le voeu de continence à la messe, ainsi que j'offrirai le saint-sacrifice, offrez-le à même temps à Dieu le père ; et moi, en votre nom, je lui offrirai aussi avec son fils, le chaste Agneau, auquel je le recommanderai, pour le garder et protéger envers tous et contre tous, comme aussi le propos de voeu d'obéissance ; et l'ayant mis par écrit, vous me le donnerez après la messe. Dieu veuille recevoir votre sacrifice, et bénir votre saint holocauste. Que la Vierge, les anges et tous les saints le veuillent accompagner et recommander à leur maître; et priez votre bon ange d'être près de vous quand vous le ferez.




LETTRE DCLI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A M. MILLETET, CONSEILLER AU PARLEMENT DE BOURGOGNE.

(Tirée da monastère de la Visitation de la ville de; Mamers.)

Le Saint lui recommande le bon droit d'un de ses amis.

Monsieur mon frère, vais-je point trop souvent à votre porte? vous importuné-je point par mes si fréquentes supplications? Certes, je ne dois, ni ne puis, ni ne veux manquer au devoir que j'ai à M. le marquis d'Aise, qui me fait la faveur de m'aimer très-particulièrement, et que pour ses rares qualités j'honore parfaitement. Or il y a une affaire devant la cour, et de bonne fortune en la chambre de la Tournelle, en laquelle vous êtes ; je vous supplie donc très-humblement, monsieur mon frère, de le gratifier de votre appui au soutènement de son bon droit, puisque même il implore mon intercession auprès de vous, sachant le bien que j'ai d'être avoué votre frère.

Le voyage du prince cardinal de Savoie étant différé pour quelque temps, et comme je crois, jusqu'au carnaval, je suis par conséquent d'autant éloigné de l'espérance que j'ai que par quelque rencontre ce voyage me pourra donner le bonheur de vous voir; mais cependant je ne laisserai pas de vous avoir présent à thon amé, ni de prier notre Seigneur qu'il vous comble, et madame ma soeur, de toutes ses prospérités, qui suis, monsieur mon frère, votre, etc.




LETTRE DCLII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME SA BELLE-SOEUR.

Souhaits de bénédiction. - Garnier lettre 203

La bénédiction que je vous souhaite, ma très-chère soeur ma fille, se doit obtenir de la main de notre Seigneur : et je crois que sa divine Majesté vous l'octroiera, si vous la requérez avec la soumission et humilité convenable.

Et quant à moi, ma très-chère fille, adorant de tout mon coeur cette divine providence, je la supplie de répandre sur votre coeur l'abondance de ses faveurs, afin que vous soyez bénie en ce monde et en l'autre des bénédictions du ciel et de la terre, des bénédictions de la grâce, et de la gloire éternelle. Ainsi soit-il.

Bénie soyez-vous en votre coeur et en votre corps, en votre personne et en celle de ceux qui vous sont plus chers ; en vos consolations et en vos travaux ; en tout ce que vous ferez et que vous souffrirez pour Dieu. Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen.




LETTRE DCLIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DES CRILLES, SA PARENTE.

(Conservée dans ie monastère de la Visitation de la ville de La Flèche).

Il lui donne avis qu'il a parlé à un de ses amis d'une affaire qu'elle avait avec lui pour des intérêts temporels. Il lui conseille de la terminer à l'amiable, par arbitres. - Garnier lettre 210

Voilà des lettres qui m'ont été rendues aujourd'hui, les unes venant de Chambéri, les autres venant de Bourgogne. Vous m'excuserez, s'il vous plaît, ma très-chère fille, si celle de monsieur de ... est ouverte, c'a été sans malice quelconque que je l'ai fait.

Au demeurant, je parlai à M. de Traverney assez longuement et doucement de vos affaires. Il me dit qu'à son avis vous vous trompiez grandement en l'estime des biens de-feu monsieur votre père, et qu'il se trouverait que vous auriez été portionnée très-suffisamment. Or la conclusion néanmoins fut qu'il se soumettrait â ce qui en serait avisé par tels arbitres et amis que l'on jugerait convenable de choisir pour vider les prétentions d'eux et de vous à l'amiable, qui est en somme le bon mot ; outre que vraiment il ne témoigna nullement de trouver mauvais votre recherche. Mais à votre venue, qui sera peut-être bientôt, nous en parlerons plus amplement.

Cependant ayez toujours souvenance de la sainte tranquillité et douceur du coeur, et de la parfaite remise de nos affections en la sainte providence de Dieu, à laquelle je vous supplie nie recommander, ma très-chère fille, comme votre plus humble parent et serviteur, etc.




LETTRE DCLIV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE COUSINE;

(Conservée dans le monastère de la Visitation de la ville d'Aix.)

Le Saint lui marque les avis qu'il a donnés à une demoiselle sur sa conduite par rapport aux hommes. - Garnier lettre 211

Ma très-chère fille, je salue votre coeur de toute mon âme : j'ai dit à ce porteur ce qui m'a semblé à propos, qui est qu'il regardât à trouver parti tout à loisir afin de sortir de ce service, auquel il est plus convenablement.

Ma fille N. doit être bien sur ses gardes, pour ne donner aucun sujet aux hommes de soupçon, par aucun dérèglement de contenance ou amusement, ni sujet de jalousie à l'époux céleste, qui est à la vérité jaloux des âmes qu'il favorise, afin qu'on ne distraie de son amour aucune affection, pour l'appliquer à la créature.

J'ai vu la soeur de Bons à Chambéri, et elle a fait fort dévotement et confidemment sa revue, lorsque je l'ouïs en confession en son abbaye.

Dieu vous comble de ses bénédictions, ma cousine ma fille ! et je salue votre soeur de N. et toutes nos autres soeurs.




LETTRE DCLV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME LA SÉNATRICE DE LA VALBONNE, SA NIÈCE (1).


 (Conservée dans le monastère de la Visitation de St.-Denis.)

Le Saint déplore le malheur d'une personne qui était tombée dans l'hérésie. Il engage sa nièce à travailler avec douceur à sa conversion.



Je vous écris subitement, ma très-chère nièce, sur le sujet que vous me touchâtes dernièrement, parce que, n'ayant pas eu de porteur d'assurance, je n'avais pas voulu faire réponse à ce point-là.

Cette pauvre misérable Belot a une âme qui ne veut point être corrigée par censures ; car elles ne lui ont pas manqué au commencement de ses vanités, cause de sa ruine ; et la-bonne mère de Chantal n'a rien épargné de ce qu'elle pouvait penser être propre pour l'en retirer, prévoyant bien que cette humeur vaine la porterait plus loin que pour lors elle ne s'imaginait.

Néanmoins on ne sait pas les conseils de Dieu, et ne faut jamais cesser de coopérer au salut du prochain en la meilleure façon que l'on peut : si donc vous pouviez parler à cette chétive créature, la prenant un peu doucement et amoureusement, lui remontrant combien elle serait heureuse de vivre en la grâce de Dieu, l'enquérant si, quand elle a vécu lorsqu'elle vint en cette, ville, elle n'était pas plus aise que maintenant ; et passant ainsi tout bellement à lui représenter son malheur, je pense que cela la pourrait toucher : mais il faut témoigner que vous êtes portée d'amour envers elle, et que vous n'avez point eu horreur de son malheur. Or, quand vous ne feriez que lui faire faire un bon soupir, Dieu en sera glorifié.

Mais je crois bien que vous aurez de la peine à trouver la commodité de faire à propos cet office, qui requiert beaucoup de loisir ; car on nous dit qu'elle est gardée fort soigneusement. O que de miséricordes Dieu fait aux âmes qu'il retient en sa très-sainte crainte et en son divin amour ! mieux vaut le moindre brin de ce trésor, que tout ce qui est au monde. Vivez toujours toute à ce souverain bien, ma très-chère fille ; c'est la prière ordinaire de votre, etc.

(1) Elle avait épousé M. de la Valbonne, sénateur de Chambéri, fils aîné de M. Favrc.



LETTRE DCLVI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME.

Il est permis de pleurer les morts, pourvu que ce soit avec modération et résignation. Les longues maladies sont avantageuses en ce qu'elles servent à nous préparer à la mort. Avis sur la variété des désirs et sur la manière de former ses résolutions, etc. - Garnier lettre 215

Or sus, ma très-chère fille, on me vient de dire que la chère soeur est partie, nous laissant encore ici-bas avec les passions ordinaires de la tristesse, qui a accoutumé d'attaquer les demeurants en telles séparations. O Dieu ! je n'ai garde, ma très-chère fille, de vous dire : Ne pleurez pas: non ; car il est bien juste et raisonnable que vous pleuriez un peu ; mais un peu, ma chère fille, en témoignage de la sincère affection que vous lui portiez, à l'imitation de notre cher maître qui pleura bien un peu sur son ami le Lazare; et npii pas toutefois beaucoup, comme font ceux qui, colloquant toutes leurs pensées aux moments de cette misérable vie, ne se ressouviennent pas que nous allons aussi à l'éternité, où, si nous vivons bien en ce monde, nous nous réunirons à nos chers trépassés, pour ne jamais les quitter;

Nous ne saurions empêcher notre pauvre coeur de ressentir-la condition de cette vie, et la perte de ceux qui étaient nos délicieux compagnons en icelle ; mais il ne faut pourtant pas démentir l'a solennelle profession que nous avons faite de joindre inséparablement notre volonté à celle de notre Dieu.

Qu'elle est heureuse, cette chère soeur, d'avoir vu venir petit à petit et de loin cette heure de son départ ! car ainsi elle s'est préparée pour la faire saintement. Adorons cette providence divine, et disons : Oui, vous êtes bénie, car tout ce qui vous plaît est bon. Mon Dieu ! ma très-chère fille, que ces petits accidents doivent être reçus doucement de nos coeurs; nos coeurs, dis-je, qui meshui doivent avoir plus d'affection au ciel qu'en la terré ! Je prierai Dieu pour cette âme, et pour la consolation des siens.

Ne vous mettez pas en peine de votre oraison, ni de cette variété de désirs qui nous viennent ; car la variété des affections n'est pjs mauvaise, ni les désirs de plusieurs vertus distinctes.

Pour vos résolutions, vous les pouvez bien particulariser en cette sorte : Je veux donc plus fidèlement pratiquer les vertus qui me sont nécessaires, comme en telle occasion qui se présente ; je me prépare à pratiquer telle vertu ; et ainsi des autres.

Il n'est pas besoin d'user de paroles, même intérieures : il suffit d'élancer son coeur, ou de le reposer sur notre Seigneur ; il suffit de regarder amoureusement ce divin amoureux de nos âmes, car entre les amants les yeux parlent mieux que la langue.

Je vous écris sans loisir et en la présence du laquais. Bonsoir donc, ma très-chère fille : fondez et versez le trépas de la soeur en celui du Sauveur ; ne regardez point cette mort de là soeur qu'en celle du Rédempteur. Qu'à jamais sa volonté soit glorifiée! Amen.

Votre très-humble serviteur, etc.




LETTRE DCLVII.

S. FRANÇOIS DE SALES*, A UNE PERSONNE DONT LE SAINT AVAIT NOMMÉ LA FILLE AU BAPTÊME.

(Tirée du monast. de la Visitât, de la rue du Bac.)



Il le félicite sur l'arrivée de sa fille, et prédit qu'elle sera la consolation de ses parents.



Je loue Dieu de l'heureuse arrivée de cette belle fille que vous m'avez accordée pour filleule : madame sa mère sera un jour récompensée, je dis même en ce monde, des travaux qu'elle a soufferts pour la produire, quand elle la verra, pleine de vraie vertu, lui rendre mille sortes de contentements. Mes faibles prières ne lui manqueront pas à cette intention, ni à vous, monsieur et madame sa mère, pour votre longue postérité, que je souhaiterai toujours avec grande affection. Votre commodité fera toujours naître la mienne, pour l'honneur que je désire de pouvoir aussi véritablement me nommer votre plus humble compère, comme je suis sincèrement, monsieur, votre très-affectionné, etc. :




LETTRE DCLVIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME.

Exhortation à la pratique des vertus. Garnier lettre 216



Ma très-chère mère, si faut-il que je vous salue le plus souvent que je pourrai. Je suis en peine de vous, à cause de ces maladies qui courent, qui sont populaires. Mon-Dieu! ma bonne mère, que cette vie est trompeuse, et que l'éternité est-désirable ! Que bienheureux sont ceux qui la désirent.

Tenons-nous bien à la main miséricordieuse de, notre bon Dieu, car il nous veut tirer après soi.-Soyons bien débonnaires et humbles de coeur envers tous, mais surtout envers les nôtres. Ne nous empressons point, allons tout doucement, nous supportant les uns les autres ; gardons bien que notre coeur ne nous échappe. « Hélas! dit «David, mon coeur m'a laissé (Ps 31,11). » Mais jamais notre coeur ne nous abandonne, si nous ne l’abandonnons point : tenons-le toujours en nos mains comme sainte Catherine de Sienne, et saint Denys sa tête. Jésus-Christ soit à jamais en vôtre coeur, ma chère mère. Je "suis; en lui votre, etc.




LETTRE BCLÏX..

S. FRANÇOIS DE SALES, AUNE VEUVE.

Il ne faut pas pousser la curiosité jusqu'à vouloir savoir quel est le sort d'une personne que l'on a beaucoup aimée, après sa mort; cela est inutile et contraire à l'amour de Dieu. - Garnier lettre 217



Ma très-chère mère, ayant reçu votre lettre et le message que l'on m'a fait de votre part, je vous dirai que je connais fort distinctement les qualités de votre coeur, et entre toutes, "son ardeur et force à aimer et chérir ce qu'il aime : c'est cela qui vous fait tant parler à notre Seigneur de ce cher trépassé, qui vous porte à ces désirs de savoir où il est.

 Or, ma chère mère, il faut réprimer ces élancements, qui procèdent de l'excès de cette passion amoureuse : et quand vous surprendrez votre esprit en cet amusement, il faut soudain, et même avec des paroles vocales, retourner du côté de notre Seigneur, et lut dire ou ceci même ou chose-semblable : O Seigneur, que votre providence est douce ! que votre miséricorde est bonne! Hé! que cet enfant est heureux d'être tombé entre vos bras paternels, entre lesquels il ne peut avoir que bien, où qu'il soit!

Oui, ma chère mère: car il se faut bien garder de penser ailleurs qu'au paradis ou au purgatoire, puisque; grâces à Dieu, il n'y a point de sujet de penser autrement. Retirez donc ainsi votre esprit, et après cela divertissez-le à des actions d'amour envers-nôtre Seigneur crucifié.

Quand vous recommandez cet enfant à la divine majesté, dites-lui simplement : Seigneur, je vous recommande l'enfant de mes entrailles ; mais bien plus l'enfant des entrailles de votre miséricorde, engendré de mon sang, mais réengendré du vôtre. Et passez outre ; car.si vous permettez à votre âme de s'amuser à cet objet proportionné et agréable à ses sens et à ses passions inférieures et naturelles, jamais, elle ne s'en voudra ôter; et, sous prétexté de prières de piété, elle s'étendra à. certaines complaisances et satisfactions naturelles, qui vous ôteront le loisir de vous employer autour de l'objet surnaturel et souverain de votre amour. Il se faut sans doute modérer en ces ardeurs des affections naturelles, qui ne servent qu'à troubler notre esprit et à divertir notre coeur.

- Or sus donc, ma très-chère mère, que j'aime d'un amour: vraiment filial, ramassons bien notre esprit dans notre coeur, et rangeonsr le au devoir qu'il a d'aimer très-uniquement Dieu; et ne lui permettons aucun amusement frivole, ni pour ce qui se passe en-ce monde, ni pour ce qui se passe en l'autre; mais ayant départi, aux créatures ce que nous leur devons d'amour et de charité, rapportons tout à ce premier amour magistral que nous devons au Créateur, et conformons-nous à sa divine volonté. Je suis très-affectionnément, ma chère mère, votre plus fidèle, etc.


LETTRE DCLX.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE VEUVE.

Qu'il faut toujours tenir son âme en repos devant Dieu. - Garnier lettre 218



Ma très-chère mère, puisque vous m'avez dit que mes lettres vous consolaient toujours beaucoup, je ne veux perdre nulle occasion de vous en faire avoir, pour vous témoigner en quelque sorte l'affection que j'aurais de me rendre utile à votre âme, à votre âme, dis-je, que je chéris extrêmement.

Tenez-la toujours assise et en repos devant Dieu pendant les exercices extérieurs, et levée et mouvante pendant les intérieurs, comme font les abeilles, qui ne volent point dans leurs ruches et faisant leur ménage, mais seulement à la sortie. Pendant que nous sommes parmi les affaires, il se faut étudier à la tranquillité de coeur, et à tenir notre âme douce en l'oraison : si elle veut voler, qu'elle vole; si elle se veut remuer, qu'elle se remue, bien qu'encore là la tranquillité et simple repos de l'âme à voir Dieu, à vouloir Dieu, et à savourer Dieu, est extrêmement excellent.

Quand je commence à vous écrire, je ne pense pas à ce que je vous écrirai; mais ayant commencé, j'écris tout ce qui me vient, pourvu que ce soit quelque chose de Dieu : car je sais que tout vous est agréable, ayant de beaucoup fortifié l'entière confiance que mon coeur avait au vôtre en ce dernier voyage, où je vois bien, ce me semble, que vous aviez toute assurance en moi.

J'écris à cette bonne D. N., laquelle m'écrit que je la conseille sur sa vie future ; en quoi j'ai delà peine, pour n'avoir guère vu son esprit, et le mien étant trop commun et trivial pour considérer une vie si singulière comme est la sienne : toutefois je lui dis simplement ce que je pense. Dieu vous tienne en sa sainte protection, et vous comble de ses grâces.




LETTRE DCLXI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE VEUVE.

Les vertus qui naissent au milieu des afflictions sont les plus solides. - Garnier lettre 224

Ma très-chère mère, je participe par compassion à tant d'aigres douleurs que vous souffrez, et ne laisse pas de recevoir beaucoup de consolation de quoi vous les souffrez en esprit de résignation. Ma chère mère, les vertus qui croissent entre les prospérités sont ordinairement flouettes et imbéciles ; et celles qui naissent entre les afflictions sont fortes et fermes, ainsi qu'on dit que les meilleurs vins croissent entre les pierres.

Je prie Dieu qu'il soit toujours au milieu de votre coeur, afin qu'il ne soit point ébranlé parmi tant de secousses, et que, vous faisant part de sa croix, il vous communique sa sainte tolérance, et ce divin amour qui rend si précieuses les tribulations.

Je ne cesserai jamais de réclamer le secours de ce Père éternel sur une fille que j'honore et chéris comme ma mère.

. Je suis, ma chère mère, vôtre en notre Seigneur, etc.




LETTRE DCLXII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UN AMI.

(Tirée de la vie du Saint, par M. Maupas du Tour.) - Garnier lettre 225

Moyens de vivre dans une perpétuelle paix au milieu des tribulations.

Voulez-vous que rien ne traverse votre vie, ne souhaitez point de réputation ni de gloire du monde.

Ne vous attachez point aux consolations et amitiés humaines.

N'aimez point votre vie, et méprisez tout ce qui sera sensible à vos inclinations naturelles.

Supportez généreusement les douleurs du corps et les plus violentes maladies, avec acquiescement à la volonté de Dieu.,

Ne vous souciez point des jugements humains.

Taisez-vous de toutes choses, et vous aurez la paix intérieure ; car pour vous et pour moi il n'y a point d'autre secret pour acquérir cette paix que de souffrir à la rigueur les jugements des hommes.

Ne vous inquiétez point de ce que le monde dira de vous ; attendez le jugement de Dieu, et votre patience jugera alors-ceux qui vous auront jugé. Ceux qui courent la bague ne pensent pas à la compagnie qui les regarde, mais à bien courre pour l'emporter. Considérez pour qui vous travaillez ; et ceux qui vous voudront donner de la peine ne vous travailleront guère. Votre très-humble, etc.




LETTRE DCLXIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME.

Le Saint l'instruit des exercices de dévotion qu'elle doit pratiquer pendant la journée.

Madame, j'ai été bien consolé par les lettres que vous m'avez écrites, voyant que notre Seigneur vous a fait goûter les commencements de la tranquillité avec laquelle, moyennant sa grâce, il nous faut désormais continuer de le servir parmi la presse et la multiplicité des affaires auxquelles notre vocation nous oblige. J'ai une extrêmement bonne espérance pour vous, parce que j'ai vu, ce me semble, en votre coeur une profonde résolution de vouloir servir sa divine Majesté, qui me fait espérer que vous userez de fidélité es exercices de la sainte dévotion. Que si bien il y entrevient beaucoup de manquement par infirmité, il ne faut nullement s'étonner : mais en détestant d'un côté l'offense que Dieu en reçoit, il faut de l'autre avoir une certaine humilité joyeuse, qui ait à plaisir de voir et connaître notre misère.

Je vous dirai brièvement les exercices que je vous conseillerai. Vous les verrez plus clairement en cet écrit que je fais. La préparation de toute la journée, qui se fait brièvement le matin; l'oraison mentale avant dîner, selon votre loisir, pour une heure ou environ ; le soir, avant souper, une petite retraite, en laquelle, comme en manière de répétition, vous fassiez une douzaine de vives aspirations en Dieu, selon la méditation du matin, ou sur quelque autre objet.

Parmi le jour, et entre les affaires, le plus souvent que vous pourrez, examinez si votre amour n'est point engagé trop avant, s'il n'est point détraqué, et si vous ne vous tenez pas toujours par l'une des mains de notre Seigneur. Si vous vous trouvez embarrassée outre mesure, accoisez votre âme, remettez-la en repos. Imaginez-vous comme Notre-Dame employait doucement l'une de ses mains, tandis qu'elle tenait notre Seigneur de l'autre, ou sur son autre bras, en son enfance : car c'était avec un grand égard.

Au temps de paix et de tranquillité, multipliez les actes de douceur; car, par ce moyen, vous apprivoiserez votre coeur à la mansuétude.

Ne vous amusez pas à combattre les menues tentations qui vous arrivent, par des contestes ou disputes avec elles, mais par de simples retours de votre coeur à Jésus-Christ crucifié, comme si vous alliez baiser son côté ou ses pieds par amour.

Ne vous mettez point en peine de faire beaucoup d'oraisons vocales, et toujours quand vous prierez et que vous sentirez votre coeur porté à l'oraison mentale, laissez-l'y aller hardiment ; et quand vous ne feriez que l'oraison mentale avec l'oraison dominicale, et la salutation angélique, et la créance, vous pouvez vous contenter. Je me dédie de grand courage au service de votre âme, qui me sera dorénavant chère comme la mienne propre. Notre Seigneur soit à jamais maître de nos coeurs, comme je suis en lui votre, etc.




LETTRE DCLXIV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME MARIÉE.

Avis sur le choix dès confesseurs. La vertu d'une femme mariée a besoin d'être d'une bonne trempe ; bonheur des veuves. Pratique pour conserver la paix et la douceur dans le ménage. - Garnier lettre 228



Ma chère soeur ma fille, je ne réponds qu'aux deux lettres que ce porteur m'a rendues de votre part ; car la troisième, envoyée par la voie de madame de Chantal, ne m'est pas encore arrivée. Ce m'est beaucoup de contentement que vous viviez sans scrupule, et que la sainte communion vous soit profitable; sur quoi je vous dis qu'il faut donc continuer : et pour cela, ma chère fille, puisque monsieur votre mari s'inquiète de quoi vous allez à N., ne vous opiniâtrez nullement ; car puisque aussi bien vous n'avez pas de grands conseils à prendre, tous confesseurs vous seront presque bons, mème celui de votre paroisse, c'est-à-dire monsieur N., et, quand il s'offrira encore des occasions, celui des bonnes mères carmélites. Vous savez ce qu'il faut pour se bien conduire avec toutes sortes de confesseurs : c'est pourquoi vous pouvez aller en liberté pour ce regard. Ma chère fille, demeurez bien douce, et bien humble à votre mari.

Vous avez raison de ne vous point inquiéter pour les mauvaises pensées, tandis que vous avez de bonnes intentions et volontés; car ce sont celles-ci que Dieu regarde. Oui, ma fille, faites bien comme je vous ai dit ; car quoique mille petites tricheries de raisons apparentes s'élèvent au contraire, si est-ce que mes résolutions sont fondées sur des raisons fondamentales et conformes aux docteurs et à l'Église: mais je vous dis qu'elles sont tellement véritables, que le contraire est une grande faute. Servez donc bien Dieu selon cela, et il vous bénira : mais n'écoutez jamais rien au contraire, et croyez qu'il faut que je sois bien assuré, quand je parle si hardiment.

Je rends grâces à la bonne mère prieure, et la porte avec toutes ses soeurs en mon âme, avec grand honneur et amour. Mais, ma fille, il y a bien d'autres choses à vous demander pour cette môme dévotion de là révérende mère Thérèse ; c'est que je voudrais que vous me fissiez extraire son image au vif jusqu'à la ceinture seulement, sur celle qu'on dit que ces bonnes soeurs ont; et allant par-delà, un de nos curés, qui doit y aller dans sept ou huit jours, la prendrait à son retour pour me l'apporter. Je ne traiterais pas comme cela avec toutes sortes de filles, mais avec vous je fais selon mon coeur.

Je recommanderai au Saint-Esprit la chère soeur veuve, afin qu'il l'inspire au choix d'un mari qui lui soit à jamais à consolation; c'est le sacré mari de l'âme que j'entends : néanmoins si Dieu dispose de se servir d'elle encore, une fois au tracas du ménage complet, et qu'il la veuille exercer à la sujétion, il en faudra louer sa Majesté, laquelle sans doute fait toute chose pour le bien des siens.

Ah ! ma fille, que les vertus d'une femme mariée sont agréables à Dieu! car il faut qu'elles soient fortes et excellentes, pour durer en cette vocation : mais aussi, ô mon Dieu ! que c'est une chose douce à une veuve de n'avoir qu'un coeur à contenter ! Mais bien, cette bonté souveraine sera le soleil qui éclairera cette bonne chère soeur, afin qu'elle sache où prendre son chemin. C'est une âme que j'aime tendrement, etc. Où qu'elle aille, j'espère qu'elle servira bien Dieu, et je la suivrai par les continuelles prières" que je ferai pour elle. Je me recommande à celles de notre petite fille N. et de N. Il est vrai que N. est ma fille un peu plus que les autres ; et me semble que tout est mien, ma très-chère fille, en celui qui, pour nous rendre siens, s'est rendu tout nôtre. Je suis en lui, ma très-chère fille, votre, etc.

P. S. Faites avec un soin particulier tout ce que vous pourrez pour acquérir la douceur entre les vôtres, je veux dire en votre ménage; je ne dis pas qu'il faille être molle ni remise, mais douce et suave. Il y faut penser entrant en la maison, sortant d'icelle, y étant le matin, à midi, à toute heure. Il faut faire un principal de ce soin pour un temps, et le reste l'oublier quasi un peu.






LETTRE DCLXV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME.

Dieu ne nous donne point de bons désirs sans nous donner les moyens de les accomplir. Il faut supporter avec courage les aridités spirituelles. Avantages de la confession, de l'oraison mentale et de la récollection. - Garnier lettre 229

Les marques que j'ai reconnues en votre âme d'une sincère confiance en la mienne, et d'une ardente affection à la piété, rendent mon coeur tout paternellement amoureux du vôtre, Or sus donc, ma bonne fille, vous verrez que nous ferons prou ; car ce cher et doux Sauveur de nos âmes ne nous a pas donné ces désirs enflammés de le servir, qu'il ne nous en donne les commodités ; sans doute il n'éloigne point l'heure de l'accomplissement de vos saints souhaits, que pour vous faire rencontrer plus heureuse ; car, voyez-vous, ma très-chère fille, cet amoureux coeur de notre Rédempteur mesure et ajuste tous les événements de ce monde A l'avantage des esprits qui, sans réserve, se veulent asservir à sou divin amour.

Elle viendra donc, cette bonne heure que vous désiriez, au jour que cette Providence souveraine a nommé dans le secret de sa miséricorde ; et alors, avec mille sortes de secrètes consolations, vous déploierez votre intérieur devant sa divine bonté, qui convertira vos rochers en eau, votre serpent en baguette, et toutes les épines de votre coeur en roses, et en roses abondantes, qui récréeront votre esprit et le mien de leur suavité.

Car il est vrai, ma fille, que nos fautes, lesquelles, tandis qu'elles sont dans nos âmes sont des épines, sortant dehors par la volontaire accusation, elles sont converties en roses et parfums; d'autant que comme notre malice lés tire dans nos coeurs, aussi c'est la bonté du Saint-Esprit qui les pousse dehors.

Puisque vous avez assez de force pour vous lever une heure avant matines et faire l'oraison mentale, je l'approuve bien fort. Quel bonheur d'être avec Dieu sans que personne sache ce qui se passe entre Dieu et le coeur, que Dieu même et le coeur qui l'adore ! J'approuve que vous vous exerciez es méditations de la vie et passion de notre Seigneur Jésus-Christ.

Le soir, entre vêpres et le souper, vous vous retirerez pour un quart d'heure ou une petite demi-heure, ou en l'église ou en votre chambre ; et là, pour rallumer le feu du matin, ou reprenant la même matière que vous aurez méditée, ou prenant pour sujet Jésus-Christ crucifié, vous ferez une douzaine de ferventes et amoureuses inspirations à votre bien-aimé, renouvelant toujours vos bons propos d'être toute sienne.

Ayez un bon courage, Dieu vous appelle indubitablement à beaucoup d'amour et de perfection. Il sera fidèle de son côté à vous aider, soyez fidèle du vôtre à le suivre et seconder. Et quant à moi, ma fille, assurez-vous bien que toutes mes affections sont dédiées à votre bien et au service de votre chère âme, que Dieu veuille à jamais bénir de ses grandes bénédictions. Je suis donc en lui tout vôtre, etc.




LETTRE DCLXVI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME.

On ne doit pas s'étonner de la froideur spirituelle, pourvu qu'on soit ferme dans ses résolutions. Ce que c'est qu'une servante de Dieu. - Garnier lettre 230



Vos froideurs, ma très-chère fille, ne vous doivent nullement étonner, pourvu que vous ne laissiez pas, pour le froid, de continuer au train de vos petits exercices.

Hélas, ma très-chère fille, dites-moi, le doux Jésus ne naquit-il pas au coeur du froid ? Et pourquoi ne demeura-t-il pas aussi au froid du coeur? J'entends ce froid duquel, comme je pense, vous parlez, qui ne consiste pas à aucun relâchement de nos bonnes résolutions, mais simplement en une certaine lassitude et pesanteur d'esprit qui nous fait cheminer avec peine en la voie en laquelle nous nous sommes mis, et de laquelle nous ne voulons jamais nous égarer, jusqu'à ce que nous soyons au port : n'est-ce pas cela, ma fille?

J'irai, si je peux, à votre fête, et vous donnerai la sainte confirmation. Que puissé-je participer à l'esprit de ce saint qui vous a nommée de son nom dès votre baptême, et qui le confirmera en votre faveur le jour même auquel toute l'Église le réclame. Je vous dirai ce jour-là quelqu'une de ces divines paroles qui plantèrent si avant le Sauveur dans le coeur de ses disciples. Cependant vivez toute à Dieu; et pour l'amour qu'il vous a porté, supportez-vous vous-même en toutes vos misères.

Enfin, être bonne servante de Dieu, ce n'est pas être toujours consolée, toujours en douceur, toujours sans aversion ni répugnance au bien ; car à ce compte-là, ni sainte Paule, ni sainte Angèle, ni sainte Catherine de Sienne, n'auraient pas bien servi Dieu. Etre servante de Dieu, c'est être charitable envers le prochain, avoir en la partie supérieure de l'esprit une inviolable résolution de suivre la volonté de Dieu, avoir une très-humble humilité et simplicité pour se confier en, Dieu et se relever autant de fois qu'on fait des chutes, s'endurer soi-même en ses abjections, et supporter tranquillement les autres et leurs imperfections.

Vous savez bien au reste de quelle sorte mon coeur vous chérit; c'est, ma très-chère fille, plus que vous ne saunez dire. Dieu soit à jamais notre tout.

Je suis en lui tout vôtre, etc:






LETTRE DCLXVII.

UNE DAME, A S. FRANÇOIS DE SALES.

(Tirée de la vie du Saint, par le père Talon.) :

Eloge du livre de l'Introduction à la vie dévote, et du Traité de l'Amour de Dieu. - Garnier lettre 231

Monsieur, j'ai lu six fois depuis un an votre Philothée ; je ne sais si sa conversation m'a rendue meilleure, mais au moins je "voudrais bien lui ressembler. J'ai lu aussi depuis un mois tout votre Théotime, où j'ai appris que l'amour de notre bon Dieu n'est pas de la nature de ceux du monde et de la cour. Je m'en vais, donc tâcher de mouler ma vie sur celle de votre Philothée, et de n'aimer, avec Théotime, rien que Dieu, ou pour lui, selon sa très-aimable volonté.

Je vous prie donc, monsieur, de m'assurer de vos prières, et de me donner quelques conseils particuliers. Au reste, je ne vous ferais pas cette demande, si je n'étais très-assurée que Dieu a ouvert le livre des consciences, et qu'en déclarant mon nom, je vous découvre qui je suis, et tout ce qui se passe dans mon intérieur.

De plus, je trouve vos pratiques et votre dévotion si ajustées à mon humeur et à la faiblesse de mon sexe, que je ne crois pas que vous puissiez me rien commander que je ne puisse très-facilement accomplir. Je connais plusieurs dames qui ont le bonheur de vivre sous votre sainte conduite, et qui m'ont assurée que Dieu vous avait fait naître en ce siècle pour nous apprendre la vertu, et qu'il ne tiendra qu'à nous d'être saintes, si nous voulons suivre les douces lois de votre sainteté.

Pour moi, je vous choisis pour mon bon père et mon directeur, et je vous jure que, voulant être toute à Dieu, je me résous à être votre très-chère fille selon Dieu. Adieu, monsieur et très-cher père; continuez de faire, comme vous commencez, autant de saintes qu'il y a de femmes dans le monde.




LETTRE DGLXVIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME (1).

Il faut faire communier de bonne heure les enfants. Avantages qu'on peut tirer d'une maladie. - Garnier lettre 234

N'attendez pas de moi maintenant que je vous, écrive à souhait ; car bien que ce soit par mon frère, si n'ai-je pas beaucoup de loisir, et si je ne sais s'il passera à Dijon ; mais je sais bien pourtant qu'il fera rendre sûrement ma lettre.

Oui, ma fille, sans doute il ne faut pas laisser passer ces Pâques sans faire communier votre fils. Mon Dieu, c'est un docteur déjà. C'est une grande erreur, ce me semble, de tant différer ce bien en cet âge, auquel les enfants ont plus de discours à dix ans que nous n'en avions à quinze. Vraiment j'eusse bien désiré de lui donner la première communion : ce lui eût été un sujet de se ressouvenir de moi, et de m'aimer toute sa vie ; mais bien il n'importe pas pour lui.

J'ai reçu l'image de la bienheureuse mère Thérèse (2), dont je suis consolé, et je vous en remercie.

Je suis bien aise de savoir- que cette fille soit en paix avec M. Chevrier. Vraiment je lui écrivis par M. de Moiron qu'elle fit ce qu'elle a fait de point en point, sur une lettre par laquelle elle me demandait conseil.

Eh bien, ma chère fille, Dieu soit loué! Pourvu que notre âme soit colorée du vermeil de la charité, il ne nous doit pas chaloir que nous ayons les pâles couleurs ; c'est un mal propre à mortifier et les sens et les sentiments, car il ne laisse point de mouvement qu'il n'alanguisse, hormis celui du coeur, lequel, pour l'ordinaire, il émeut et rend plus fréquent. Rendez-le bien utile à votre avancement spirituel par votre abnégation réelle des dégoûts des suavités qu'il vous ôte, non-seulement quant au corps, mais encore quant à l'esprit. Vous faites bien de pratiquer mes avis ; car ils sont selon la volonté de Dieu ; et si cette maladie vous y donne plus de répugnance, tant plus gagnerez-vous en leur exercice.

Je pensois vous envoyer plusieurs livres, mais l'imprimeur m'a manqué de parole de me les envoyer ; mais je crois que vous en aurez là plutôt que moi ici. Je vous envoie néanmoins celui-ci, que j'ai emprunté d'une dame qui l'avait, afin que, s'il est possible, vous ayez le premier de ma part. Il faudra corriger les autres avec icelui; car je l'ai corrigé partout tant que j'ai pu. Dieu soit à jamais notre amour, ma chère fille ! et croyez que je suis en lui tout particulièrement vôtre. Vive Jésus ! Ne dites pas que je vous ai envoyé ce livre jusqu'à ce que je puisse en envoyer davantage.

 (1) On croit que c'est madame de Chantal, encore alors à Dijon. (2) Sainte Thérèse.




LETTRE DCLXIX.

S. FRANÇOIS DE SALES; A UNE DAME MARIÉE.

Un bon directeur connaît les âmes qui s'adressent à lui, pour peu qu'elles lui ouvrent leur coeur. C'est un grand avantage d'en être bien connu. Il faut supporter ses propres imperfections avec patience. Dieu tient une conduite différente envers ses serviteurs. Instruction par rapport à l'âme. Avis touchant les sécheresses dans l'oraison. C'est une belle chose de dire qu'on s'abandonne à la volonté de Dieu, mais on le pratique rarement. Il se mêle souvent de l'amour-propre dans les désirs qui ne sont pas de l'essence de notre salut. - Garnier lettre 237


Madame, votre lettre du 20 janvier m'a donné un extrême contentement, parce qu'au milieu de vos misères, que vous me décrivez, je remarque (cerne semble) quelque avancement et profit que vous avez fait en la vie spirituelle. Je serai plus court à vous répondre que je ne désirerais, parce que j'ai moins de loisir, et plus d'empêchement que je ne pensais. Je dirai néanmoins bien assez pour ce coup, en attendant une autre commodité de vous écrire bien au long.

Vous me dites donc que vous êtes affligée de ce que vous ne vous découvrez pas assez parfaitement à moi, comme il vous semble ; et je vous dis qu'encore que je n'aie pas connaissance des actions que vous faites en mon absence, car je ne suis pas prophète, je pense toutefois que, pour le peu de temps que je vous ai vue et ouïe, il n'est pas possible de mieux connaitre vos inclinations et les ressorts d'icelles que je fais, et m'est avis qu'il y a peu de replis dans lesquels je ne pénètre bien aisément ; et pour peu que vous m'ouvriez la porte de votre esprit, il me semble que j'y vois tout à découvert : c'est un grand avantage pour vous, puisque vous voulez m'employer à votre salut.

Vous vous plaignez de quoi plusieurs imperfections et défauts se mêlent en votre vie, contre le désir que vous avez de la perfection et pureté de l'amour de notre Dieu. Je vous réponds qu'il n'est pas possible de nous abandonner du tout nous-mêmes, pendant que nous sommes ici-bas ; il faut que nous nous portions toujours nous-mêmes, jusqu'à ce que Dieu nous porte au ciel ; et pendant que nous nous porterons, nous ne porterons rien qui vaille. Il faut donc avoir patience, et ne penser pas de nous pouvoir guérir en un jour de tant de mauvaises habitudes que nous avons contractées par le peu de soin que nous avons eu de notre santé spirituelle.

Dieu en a bien guéri quelques-uns soudainement, sans leur laisser aucune marque de leurs maladies précédentes, comme il fit à l'endroit de Madeleine, laquelle en un instant, d'un égout d'eau de corruption, fut changée en une source d'eau de perfections, et ne fut jamais troublée depuis ce moment-là. Mais aussi ce même Dieu a laissé en plusieurs de ses chers disciples beaucoup de marques de leurs mauvaises inclinations, quelque temps après leur conversion, et le tout pour leur plus grand profit, témoin le bienheureux S. Pierre, qui depuis sa première vocation choppa plusieurs fois en des imperfections, et s'abattit tout-à-fait et fort misérablement une fois par la négation.

Salomon dit que c'est un animal bien insolent que la chambrière qui devient soudainement maîtresse (Pr 30,21-23). Il y aurait grand danger que l'âme, laquelle a servi longuement à ses propres passions, ne devint orgueilleuse et vaine, si en un moment elle en devenait parfaitement maîtresse. Il faut que petit à petit et pied à pied nous nous acquérions cette domination, pour la conquête de laquelle les saints et les saintes ont employé plusieurs dizaines d'années. Il faut, s'il vous plaît, avoir patience avec tout le monde, mais premièrement avec vous-même.

Vous ne faites rien, ce me dites-vous, en l'oraison. Mais qu'est-ce que vous y voudriez faire, sinon ce que vous y faites, qui est de présenter et représenter à Dieu votre néant et votre misère? C'est la plus belle harangue que nous fassent les mendiants, que d'exposer à notre vue leurs ulcères et nécessités.

Mais quelquefois encore ne faites-vous rien de tout cela, comme vous me dites, ains vous demeurez là comme un fantôme et une statue. Eh bien ! ce n'est pas peu que cela. Es palais des princes et des rois on y met des statues qui ne servent qu'à récréer la vue du prince : contentez-vous donc de servir de cela en la présence de Dieu ; il animera cette statue quand il lui plaira.

Les arbres ne fructifient que par la présence du soleil, les uns plus tôt, les autres plus tard, les uns toutes les années, et les autres de trois en trois, et non pas toujours également. Nous sommes bienheureux de pouvoir demeurer en la présence de Dieu, et contentons-nous qu'elle nous fera porter notre fruit, ou tôt, ou tard, ou tous les jours, ou parfois, selon son bon plaisir, auquel nous devons pleinement nous résigner.

C'est un mot de merveilles que celui que vous me dites : Que Dieu me mette en telle sauce qu'il voudra, ce m'est tout un, pourvu que je le serve. Mais prenez garde de bien le mâcher et remâcher en votre esprit ; faites-le fondre en votre bouche, et ne l'avalez pas en gros. La mère Thérèse que vous aimez tant, dont je me réjouis, dit en quelque endroit que bien souvent nous disons de telles paroles par habitude et certaine légère appréhension, et nous est avis que nous les disons du fond de l'âme, bien qu'il n'en soit rien, comme nous découvrons par après en la pratique.

Eh bien ! vous me dites qu'en quelle sauce que Dieu vous mette, ce vous est tout un. Or sus vous savez bien en quelle sauce il vous a mise, en quel état et condition ; et dites-moi, vous est-il tout un? Vous n'ignorez pas.non plus qu'il veut que vous payiez cette dette journalière de laquelle vous m'écrivez, et néanmoins ce ne vous est pas tout un. Mon Dieu! que l'amour-propre se fourre subtilement parmi nos affections, pour dévotes qu'elles semblent et paraissent.

Voici le grand mot. Il faut regarder ce que Dieu veut, et, le reconnaissant, il faut s'essayer de le faire gaiement, ou au moins courageusement; et non-seulement cela, mais il faut aimer cette volonté de Dieu, et l'obligation qui s'en ensuit en nous, fût-ce de garder les pourceaux toute notre vie, et de faire les choses les plus abjectes du monde ; car en quelle sauce que Dieu nous mette, ce nous doit être tout un : c'est là le blanc de la perfection, auquel nous devons tous viser ; et qui plus en approche, c'est celui qui emporte le prix.

Mais courage, je vous supplie ; accoutumez petit à petit votre volonté à suivre celle de Dieu, où qu'elle vous mène. Faites qu'elle se sente fort piquée quand votre conscience lui dira, Dieu le veut ; et petit à petit ces répugnances que vous sentez si fortes s'affaibliront, et bientôt après cesseront du tout. Mais particulièrement vous devez combattre pour empêcher les démonstrations extérieures de la répugnance intérieure que vous avez, ou au moins les rendre plus douces. Entre ceux qui sont ou courroucés ou mécontents, il y en a qui témoignent leurs déplaisirs seulement en disant : Mon Dieu, que sera ceci? et les autres disent des paroles plus cuisantes, et qui ne témoignent pas seulement un simple mécontentement, mais une certaine fierté et dépit; je veux dire qu'il faut petit à petit amender ces démonstrations, les faisant moindres tous les jours.

Quant au désir que vous avez de voir les vôtres fort avancées au service de Dieu et désir de la perfection chrétienne, je le loue infiniment ; et, comme vous souhaitez, j'ajouterai mes faibles prières aux supplications que vous en faites à Dieu. Mais, madame, il faut que je confesse la vérité ; je crains perpétuellement en ces désirs qui ne sont pas de l'essence de notre salut et perfection, qu'il ne s'y mêle quelque sujétion de l'amour-propre et de notre propre volonté : comme, par exemple, que nous nous amusions tant à ces désirs qui ne nous sont pas nécessaires, que nous ne laissions pas assez de place en notre esprit pour les désirs qui nous sont plus requis et plus utiles, de notre propre humilité, résignation, douceur de coeur, et semblables ; ou bien que nous ayons tant d'ardeur en ces désirs, qu'ils apportent de l'inquiétude et de l'empressement,, et enfin que nous ne les soumettions pas si parfaitement au vouloir de Dieu qu'il serait expédient.

Je crains semblables choses en tels désirs : c'est pourquoi je vous supplie de bien prendre garde à vous pour ne point tomber en ces inconvénients, comme aussi de poursuivre ce désir doucement et souévement, c'est-à-dire sans pour cela importuner ceux auquels vous désirez de persuader cette perfection, ni même découvrir votre désir ; car, croyez-moi, que cela reculerait l'affaire au lieu de l'avancer. Il faut donc, et par exemple et par paroles, semer parmi eux tout bellement des -choses qui les puissent induire à votre dessein ; et, sans faire semblant de les vouloir instruire ou gagner, jeter petit à petit des saintes inspirations et cogitations dedans leur esprit. En-cette sorte vous gagnerez beaucoup plus qu'en aucune autre façon, surtout y ajoutant la prière.




LETTRE DCLXX.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME MARIÉE.

Que la piété soit solide. Il faut y être fidèle partout et en tout sans se démentir. - Garnier lettre 240



Madame, je loue Dieu de tout mon coeur, de voir en votre lettre le grand courage que vous avez de vaincre toutes les difficultés pour être vraiment et saintement dévote en votre vocation. Faites-le, et attendez de Dieu de grandes bénédictions ; plus sans doute en une heure d'une telle dévotion bien et justement réglée, qu'en cent jours d'une dévotion bizarre, mélancolique, et dépendante de votre propre cervelle. Tenez ferme en ce train, et ne vous laissez nullement ébranler en cette résolution.

Vous avez, ce me dites-vous, un peu relâché de vos exercices aux champs. Eh bien, il faut retendre l'arc, et recommencer avec tant plus de soin : mais une autre fois il ne faut pas que les champs vous apportent cette incommodité ; non, car Dieu y est aussi bien qu'en la ville.

Vous avez maintenant le-petit écrit de la méditation J, pratiquez-le en paix et repos. Pardonnez-moi, ma chère dame, si je trousse un peu plus court ma lettre que vous ne désireriez; car ce bonhomme Rose me tient tellement au collet pour le faire dépêcher, qu'il ne me donne pas le loisir de pouvoir écrire.

Je prie notre Seigneur qu'il vous donne une singulière assistance en son Saint-Esprit, afin que vous le- serviez de coeur et d'esprit selon son bon plaisir; Priez-le pour moi, car j'en ai besoin, et jamais je ne vous oublie en mes foibles oraisons.

Si monsieur votre mari ne me tient pas pour son serviteur, il a bien tort; car je le suis très- assurément, et de tout ce qui vous appartient. Dieu soit à jamais avec vous et en votre coeur.

Amen.




LETTRE DCLXXI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UN GENTILHOMME.

Trop parler est la plus mauvaise façon de mal parler : la seule modération corrige cet excès. Mépriser l'injure est le remède à la calomnie - Garnier lettre 241

Monsieur, vous m'avez grandement obligé recevant en bonne part ma franchise, bien qu'à vrai dire vous ne pouviez bonnement lui refuser ce gracieux accueil, puisqu'elle allait vers vous avec le sauf-conduit de votre semonce, et sous la faveur d'une vraie amitié : aussi n'avais-je garde de lui donner le vol autrement. Je ne veux nullement répliquer sur la déclaration qu'il vous plaît de me faire de votre intention en l'édition du petit livre ; car je serois marri si j'avais jamais eu un seul petit soupçon au contraire : mais je dirai seulement ce mot qui part de la condition de mon esprit.

Si quelqu'un avait immodérément parlé ou écrit de l'autorité, il aurait grand tort ; car il n'y a pas de plus mauvaise façon de mal dire que de trop dire. Si on dit moins qu'il ne faut dire, il est aisé d'ajouter : mais après avoir trop dit, il est malaisé de retrancher ; et on ne peut jamais faire le retranchement sitôt qu'on puisse empêcher la nuisance de l'excès.

Or voici le haut point de la vertu, de corriger l'immodération modérément. Il est presque impossible d'atteindre à ce signe de perfection ; je dis, presque, à cause de celui qui dit (Ps 120,6-7) Cum his qui odorant pacem eram pacificus. Autrement je pense que je ne l'eusse pas dit ; car les chasseurs poussent partout dans les buissons, et retournent souvent plus gâtés que la bête qu'ils ont cuidé gâter. La plupart de ces propos mal mesurés qu'on dit ou qu'on écrit sont plus heureusement repoussés par le mépris que par l'opposition; mais n'en parlons donc plus. A César ce qui est à César, mais aussi à Dieu ce qui est à Dieu (Mt 22,21).

Je vous écris sans loisir, vous me supporterez, s'il vous plaît, selon votre bonté, et ayant égard à mon affection qui est toute inclinée à vous honorer et chérir très-spécialement : et sur cela, je prie notre Seigneur qu'il vous remplisse de la grâce, paix et suavité de son Saint-Esprit et donne sa sacrée bénédiction à toute votre famille; laissant au surplus pour ce porteur à vous dire comme notre fille se porte bien.

Je suis vôtre, etc.




LETTRE DCLXXII, A UNE DEMOISELLE.

2003
F. de Sales, Lettres 2019