F. de Sales, Lettres 847

LETTRE DCCLXXIII, A MADAME DE TRAVERNAY.

847
Sur la mort de son fils en bas âge.

3 janvier 1615.

1. Je vous assure, ma très-chère fille, que votre affliction m'a touché vivement, ne doutant point qu'elle ne vous ait été fort rude, d'autant que votre esprit, comme celui du reste des hommes, ne voyant pas la fin et l'intention pour laquelle les choses arrivent, ne les reçoit pas en la façon qu'elles sont mais en la façon qu'il les sent.

Voilà, ma chère fille, que votre fils est en assurance ; il possède le salut éternel ! le voilà échappé et garanti du hasard de se perdre, auquel nous voyons tant de personnes. Dites-moi, je vous supplie, ne pouvait-il pas devenir avec l'âge fort débauché ? Ne pouviez-vous pas recevoir beaucoup de déplaisir de lui à l'avenir, comme tant d'autres mères en reçoivent des leurs? Car, ma chère fille, on en reçoit souvent de ceux desquels on en attend le moins ; et voilà que Dieu l'a retiré de tous ces périls, et lui a fait recueillir le triomphe sans bataille, et moissonner les fruits de la gloire sans labeur.

A votre avis, ma chère fille, et vos voeux et vos dévotions ne sont-ils pas bien récompensés ? vous les faisiez pour lui, mais afin qu'il demeurât ici avec vous en cette vallée de misère. Notre Seigneur, qui entend mieux ce qui est bon pour nous, que nous-mêmes, a exaucé vos prières en faveur de l'enfant pour lequel vous les faisiez, mais aux dépens des contentements temporels que vous en prétendiez.

2. En vérité, j'approuve bien la confession que vous faites, que c'est pour vos péchés que cet enfant s'en est allé, parce qu'elle procède d'humilité ; mais je ne crois pas pourtant qu'elle soit fondée en la vérité. Non, ma chère fille, ce n'est pas pour vous châtier, c'est pour favoriser cet enfant, que Dieu l'a sauvé de bonne heure. Vous avez de la douleur de cette mort ; mais l'enfant en a un grand profit : vous en avez reçu du déplaisir temporel, et l'enfant a un plaisir éternel. A la fin de nos jours, lorsque nos yeux seront dessillés, nous verrons que cette vie est si peu de chose, qu'il ne fallait pas regretter ceux qui la perdaient bientôt : la plus courte est la meilleure, pourvu qu'elle nous conduise à l'éternelle.

3. Or sus, voilà donc votre petit enfant au ciel avec les anges et les saints Innocents. Il vous sait gré du soin, que vous avez eu de lui, ce peu de temps qu'il a été en votre charge, et surtout des dévotions faites pour lui ; en contre échange, il prie Dieu pour vous, et répand mille souhaits sur votre vie, afin qu'elle soit de plus en plus conforme à la volonté céleste, et que par icelle vous puissiez gagner celle dont il jouit. Demeurez en paix, ma très-chère fille, et tenez bien votre coeur au ciel, où vous avez ce brave petit saint. Persévérez à vouloir toujours plus fidèlement aimer la bonté souveraine du Sauveur ; et je le prie qu'il soit à jamais votre consolation. Je suis sans fin, votre, etc.



LETTRE DCCLXXIV, A UNE JEUNE DAME, MME DE LA CROIX D'AUTHERIN.

862
Le Saint la félicite sur son mariage.

12 mars 1613.

1. Dieu soit béni et glorifié de ce changement de condition, que vous avez fait pour son nom, ma très-chère fille ; et je dis toujours ma très-chère fille ; car ce changement ne change rien en cette affection vraiment paternelle que je vous ai dédiée. Vous verrez bien que si vous avez une parfaite résignation de votre âme en la providence et volonté de notre Seigneur, vous marcherez en cette vocation, vous y aurez bien de la consolation, et deviendrez fort sainte à la fin. C'était ce qu'il fallait à votre esprit, puisque vous avez rencontré ce gentilhomme si plein de bonne inclination. Vous avez tort de faire scrupule de rompre le jeune, puisque l'avis du médecin le porte.

2. Conduisez-vous en la communion au gré de votre confesseur; car il lui faut donner cette satisfaction, et vous ne perdrez rien pour cela ; car ce que vous n'aurez pas pour la réception du sacrement, vous le rencontrerez en la soumission et obéissance. De règle pour votre vie, je ne vous en donnerai que celle qui est dans le livre (1): mais si Dieu dispose que je vous puisse voir, et s'il y a quelque sorte de difficulté, je vous répondrai.

Il n'est nul besoin que vous m'écriviez votre confession : que si vous avez quelque point particulier duquel vous désiriez conférer avec mon coeur, qui est tout vôtre, vous le pourrez.

Soyez bien douce ; ne vivez point selon vos humeurs et selon vos inclinations, mais selon la raison et la dévotion. Aimez votre mari tendrement, comme vous ayant été donné de la propre main de notre Seigneur.

Soyez bien humble envers tous : vous devez avoir un grand soin de ranger votre esprit à la paix et tranquillité, et d'étouffer ces mauvaises inclinations que vous avez, par une attention à la pratique des vertus contraires, en vous résolvant d'être plus diligente, attentive et active à la pratique des vertus; et marquez ces quatre paroles que je vais vous dire : votre mal vient de quoi vous craignez plus les vices que vous n'aimez les vertus.

Si vous pouviez, provoquer un peu profondément votre âme à l'amour de la pratique de la douceur et de la vraie humilité, ma chère fille, vous seriez brave ; mais il faut y penser souvent. Faites la préparation du matin, et en somme prenez à prix fait cette besogne, que Dieu vous paiera de mille consolations ; et pour cela n'oubliez de souvent élever votre coeur en Dieu, et vos pensées à l'éternité. Lisez, au nom de Dieu, tous les jours un peu, je vous en prie ; faites cela pour moi, qui tous les jours vous recommande à Dieu, et je prie son infinie bonté qu'à jamais elle vous bénisse. Votre, etc.

(1) L'Introduction à la Vie dévote, p. 2 c. 10.



LETTRE DCCLXXV, AU DUC DE BELLEGARDE.

907
Le Saint lui expose ce qu'est la vie éternelle, et qu'il faut pratiquer l'amour de Dieu pour y aspirer.

Annecy, 24 août 1613.

Monsieur,

1. parmi les lassitudes et autres ressentiments que la maladie m'a laissés, j'ai dressé le mémorial qu'il vous avait plu désirer de moi, et ai voulu y ajouter un abrégé, afin qu'il vous fût plus commode en vos confessions de le porter et voir ; le grand vous demeurant comme en réserve, pour y avoir recours en vos difficultés, et en tirer l'éclaircissement de ce qui se trouverait obscur en l'abrégé. Le tout est à la bonne foi, sans art ni couleur : car ces matières n'en veulent point, la simplicité leur servant de beauté, comme à à Dieu qui en est l'auteur. Vous y. trouverez, monsieur, des marques de ma maladie : car si j'eusse fait ce petit ouvrage en pleine santé, j'eusse sans doute employé un soin plus exact de le rendre moins indigne de votre réception. Je n'ai su non plus l'écrire moi-même; mais ceux qui l'ont écrit n'ont point de connaissance de l'usage auquel je l'ai dédié.

2. Béni soit Dieu éternellement de la bonté qu'il exerce envers votre âme, monsieur, l'inspirant si puissamment à la résolution de consacrer le reste de votre vie mortelle au service de l'éternelle : vie éternelle, qui n'est autre chose que la divinité même, en tant qu'elle vivifiera nos esprits de sa gloire et félicité : vie seule vraie vie, et pour laquelle seule nous devons vivre en ce monde, puisque toute vie qui n'aboutit pas à la vitale éternité est plutôt une mort qu'une vie-Mais, monsieur, si Dieu vous a si amiablement inspire d'aspirer à l'éternité de gloire, il vous a quant et quant obligé à recueillir humblement, et pratiquer soigneusement son inspiration, sous peine d'être privé de cette grâce et gloire : privation, laquelle, à l'ouïr nommer seulement, remplit le coeur d'effroi, pour peu qu'il ait de courage. C'est pourquoi, en la simplicité de mon âme, je vous conjure, monsieur, d'être fort attentif pour bien conserver ce que vous avez, afin que vous ne perdiez point votre couronne (
Ap 3,11). Vous êtes indubitablement appelé à une dévotion mâle, courageuse, vaillante, invariable, pour servir de miroir à plusieurs en faveur de la vérité de l'amour céleste, digne réparation des fautes passées, si jamais vous l'aviez été de la vanité des amours terrestres.

3. Voyez, je vous supplie, monsieur, comme je laisse aller mon esprit en liberté autour du vôtre ; comme ce nom de père, dont il vous a plu m'honorer, m'emporte. C'est qu'il est entré dans mon coeur, et mes affections se sont rangées aux lois de l'amour, qu'il signifie le plus grand, le plus vif, et le plus fort de tous les amours. Ensuite duquel il faut que je vous supplie derechef, monsieur, de pratiquer diligemment les exercices que je marque es chapitres X, XI, XII et XIII de la seconde partie de l'Introduction, pour le matin et le soir, pour la retraite spirituelle, et pour l'es aspirations en Dieu. La bonté de votre esprit, le courage noble que Dieu vous a donné, vous serviront grandement à cette pratique là, laquelle vous sera d'autant plus aisée, qu'il n'est besoin d'y employer que des moments dérobés, ains retirés justement en diverses occasions ça et là sur les autres affaires. La dixième partie d'une heure, voire encore moins, suffira pour le matin, et autant pour le soir.

4. Oh ! si vous pouviez doucement décevoir votre chère âme, monsieur, et en lieu que vous avez entrepris de communier tous-les mois un an durant, mais un an de douze mots, quand vous auriez achevé le douzième, vous y ajoutassiez le treizième, puis le quatorzième, puis le quinzième, et que vous allassiez ainsi ppursuivant.de mois en mois : quel bonheur à votre coeur, qui à mesure qu'il recevrait plus souvent son Sauveur, se convertirait aussi plus parfaitement en lui! Et cela, monsieur, se pourrait bravement; faire sans bruit, sans intérêts des affaires, et sans que le monde eût rien à dire. L'expérience m'a fait toucher, en vingt-cinq ans qu'il y a que je sers les âmes, la toute-puissante vertu de ce divin Sacrement, pour fortifier les coeurs au bien, les exempter du mal, les consoler, et en un mot les diviniser en ce monde, pourvu qu'il soit hanté avec la foi, la pureté, et la dévotion convenables.

Mais c'est assez dit, monsieur : l'influence céleste, votre bon ange, et vo.tre générosité suppléeront à ce que mon insuffisance ne permet pas de vous proposer. Ainsi priai-je notre Seigneur qu'il vous fasse de plus en pins abonder en ses faveurs, et suis sans fin, etc.



LETTRE DCCLXXVI, A MADAME D'ESCRILLES.

952
S'abandonner à la providence dans toutes ses peines. Le souverain remède aux injures est de les dissimuler.

7 janvier 1614.

Ma soeur très-chère, et toujours de plus en plus très-chère soeur,

1. je viens tout maintenant de recevoir les deux lettres que vous aviez confiées à monsieur de Trevernay ; et une autre, par laquelle vous me spécifiez la qualité de votre déplaisir, que je vois être grandement fâcheux pour la multitude des accidents qui semblent attachés aux sujets dont il vous est arrivé. Ma très-chère soeur, ces brouillards ne sont pas si épais que le soleil ne les dissipe. Enfin Dieu, qui vous a conduite jusqu'à présent, vous tiendra de sa très-sainte main ; mais il faut que vous vous jetiez avec un total abandonnement de vous-même entre les bras de sa providence ; car c'est le temps désirable pour cela.

Se confier en Dieu emmi la douleur et la paix des prospérités, chacun presque le sait faire : mais de se remettre à lui en les orages et tempêtes, c'est le propre de ses enfants ; je dis se remettre à lui avec un entier abandonnement. Si vous le faites, croyez-moi, ma chère soeur, vous serez toute étonnée de la merveille, qu'un jour vous verrez évanouir devant vos yeux tous ces épouvantails qui maintenant vous, troublent. Sa divine majesté attend cela de vous, puisqu'il vous a tirée à soi, pour vous rendre extraordinairement sienne.

2. De cet homme, sur lequel vous pensez devoir être jetée une partie de la faute, parlez-en peu et consciencieusement; c'est-à-dire ne vous étendez guère en vos plaintes, et n'en faites pas souvent, et quand vous en ferez, n'assurez rien qu'à mesure que vous en aurez la connaissance ; ou conjecturez de la faute, parlant douteusement des choses douteuses, plus ou moins selon qu'elles le seront.

Je vous écris du tout sans loisir, en un jour le plus embarrassé que j'aie eu il y a longtemps. Je suppléerai de plus en plus, s'il plaît à Dieu, priant pour votre repos et consolation. Apaisez, tant que vous pourrez, doucement et sagement, les esprits de messieurs vos parents. Hélas! en telles occasions la dissimulât on guérit plus le mal eu une heure, que les ressentiments en un an. Dieu doit faire le tout : c'est pourquoi il l'en faut supplier. Dieu soit à jamais au milieu de votre coeur, ma très-chère soeur. Je suis très-parfaitement votre, etc.



LETTRE DCCLXXVII, AU BARON PROSPERT DE ROCHEFORT.

957
Consolations sur la mort de son fils.


20 janvier 1674.

Monsieur,

1. me sentant le sentiment que vous avez eu de monsieur votre fils, par le ressentiment que j'en ai eu, je m'imagine qu'il a été extrême ; car c'est la vérité, que me ressouvenant du contentement que vous preniez à me parler l'autre jour de cet enfant, j'entrai en une grande compassion, quand je me représentai combien votre regret serait douloureux à la nouvelle de son décès; mais je n'osai pourtant vous témoigner ma condoléance, ne sachant pas ni que la perte fût certaine, ni qu'elle vous eût été annoncée,

2. et maintenant, monsieur, je viens trop tard pour contribuer de la consolation à votre coeur, lequel aura, je m'assure, déjà beaucoup reçu de soulagement, pour ne plus demeurer au regret qu'une si sensible affliction lui avait donné.

Car vous aurez bien su considérer que ce cher enfant était à Dieu plus qu'à vous, qui ne l'aviez qu'en prêt de cette souveraine libéralité. Que si sa providence a jugé qu'il était temps de le retirer à soi, il faut croire qu'elle l'a fait en faveur de son bien, auquel un père bien chérissant comme vous doit acquiescer doucement. Notre siècle n'est pas si agréable, que ceux qui en échappent doivent être beaucoup lamentés. Ce fils, pour lui, a, ce me semble, beaucoup gagné d'en sortir avant presque d'y être bonnement arrivé.

3. Le mot de mort est épouvantable, ainsi qu'on nous le propose : car on vous vient dire : Votre cher père est mort, et votre fils est mort : et ce n'est pas bien parler entre nous autres chrétiens, car il faudrait dire : Votre fils, pu votre père s'est retiré en son pays et au vôtre ; et, parce qu'il le fallait, il est passé par la mort, en laquelle il n'a point arrêté., Je ne sais pas, certes, comme nous pouvons en bon jugement estimer notre patrie ce monde auquel nous ne sommes que pour si peu, en comparaison du ciel auquel nous devons être éternellement. Nous nous en allons, et sommes plus assurés de la présence de nos chers amis qui sont là haut, que de ceux qui sont ici bas : car ceux-là nous attendent, et nous allons vers eux ; ceux-ci nous laissent aller, et retarderont le plus qu'ils pourront après nous ; et s'ils vont comme nous, c'est contre leur gré.

4. Que si quelque reste de tristesse pousse encore votre esprit pour le départ de cette douce âme, jetez-vous le coeur devant notre Seigneur crucifié, et demandez-lui secours ; il vous le donnera, et vous inspirera la pensée et le ferme propos de vous bien préparer pour faire à votre tour, à l'heure qu'il a marquée, cet épouvantable passage, en sorte que vous arriviez heureusement au lieu où nous devons espérer être déjà logé notre pauvre, ains bienheureux défunt. Monsieur, si je suis exaucé en mes continuels souhaits, vous serez comblé de toute sainte prospérité ; car c'est de tout mon coeur que je chéris et honore le vôtre, et qu'en cette occasion et en toute autre, je me nomme et dédie, monsieur, votre, etc.



LETTRE DCCLXXVIII, A MADAME DE LA CROIX D'AUTHERIN.

1095
Avis sur la communion et la perfection chrétienne.


Annecy, (avant le 25 juin 1614), 23 juin 1615.

1. Je réponds à vos deux lettres, ma très-chère fille, vous conjurant avant toutes choses de ne plus appeler importunité pour moi la réception de vos lettres, laquelle en vraie vérité m'est toujours extrêmement agréable. Je vois bien en la première votre coeur toujours plein de bons et vertueux désirs : car il est de naturel fort bon. Mais, ce me dites-vous, vous ne vous corrigez pas assez puissamment de vos imperfections.

Vous savez que je vous ai souvent dit que vous devriez être affectionnée également à la pratique de la fidélité envers Dieu, et à celle de l'humilité : de la fidélité, pour renouveler vos résolutions de servir la divine bonté aussi souvent que vous les romprez, et vous tenant sur vos gardes pour ne point les rompre : de l'humilité, quand il vous arrivera de les violer, pour reconnaitre votre chétiveté et abjection.

Mais certes, il faut tout de bon avoir soin de votre coeur, pour le purifier et fortifier selon la multitude et grandeur des inspirations que vous, en avez.

2. Et je ne trouve pas mauvais que vous soyez un peu privée de la très-sainte communion, puisque c'est l'avis de votre confesseur, pour voir si le désir de retournera la fréquentation d'icelle ne vous fera point un peu prendre plus garde à votre amendement. Et toujours ferez-vous bien de vous humilier fort aux avis de votre confesseur, qui voit l'état présent de votre âme, lequel quoique je m'imagine assez, sur ce que vous m'en dites par vos lettres, si est-ce qu'il ne me peut pas être connu si particulièrement, comme à celui à qui vous en rendez compte.

Or j'entends, qu'encore que vous éloignerez un peu vos communions, vous ne laisserez pas pour cela de bien suivre la fréquence des confessions; car de celles-ci il n'y peut avoir aucune raison de les éloigner; au contraire, elles vous seront utiles pour assujettir votre esprit, qui de soi-même n'aime pas la sujétion, et pour l'humilier, et lui faire mieux discerner ses fautes.

3. Je vais à Lyon, pour contenter monseigneur l'archevêque (1) de ce lieu là qui voulait venir vers moi en toute façon, si je ne me fusse résolu d'aller auprès de lui, puisque c'était bien la raison que je le prévinsse en cet endroit. Ce sera un voyage de quinze jours ou environ, après lequel j'en veux faire un autre en Chablais, pour être de retour de tous deux en septembre : mais je repasserai par ici, et serai toujours bien aise de vous écrire, si je puis.

Relevez bien votre esprit en Dieu : lisez le plus souvent que vous pourrez, mais peu à la fois, et avec dévotion. Aimez toujours mon âme, qui chérit très-parfaitement la vôtre. Ïte saluez monsieur votre mari de ma part, et l'assurez que je suis son serviteur.

(...) Pièce jointe:
1096

(1) Le cardinal de Marquemont.



LETTRE DCCLXXIX, A UN SEIGNEUR DE LA COUR, LE DUC DE BELLEGARDE.

1004
Le Saint se réjouit de ce que ce seigneur conserve la piété au milieu de la cour.

Annecy, 12 septembre 1614.

Je n'ai point de plus grande gloire en ce monde, monsieur mon fils, que d'être nommé père d'un tel fils, ni point de plus douce consolation que de voir la complaisance que vous en avez; mais je ne veux plus rien dire sur ce sujet, qui aussi m'est indicible : il me suffit que Dieu m'a fait cette grâce, laquelle m'est tous les jours plus délicieuse, quand on me dit de toutes parts que vous vivez en Dieu, quoique emmi ce monde.

O Jésus, mon Dieu ! quel bonheur d'avoir un fils qui sache par merveille si bien chanter les chansons de Sion emmi la terre de Babylone ! Les Israélites s'en excusèrent jadis, parce que non-seulement ils étaient entre les Babyloniens, ains encore captifs et esclaves des Babyloniens (
Ps 136,1-4) ; mais qui n'est point en l'esclavage de la cour, il peut emmi la cour adorer le Seigneur, et le servir saintement.

Non certes, mon très-cher fils, quoique vous changiez de lieu, d'affaires et de conversations, vous ne changerez jamais, comme j'espère, de coeur, ni votre coeur d'amour, ni votre amour d'objet ; puisque vous ne sauriez choisir ni un plus digne amour pour votre coeur, ni un plus digne objet de votre amour que celui qui doit rendre éternellement bienheureux. Ainsi la variété des visages de la cour et du monde ne donnera point de changement au vôtre, duquel les yeux regarderont toujours le ciel, auquel vous aspirez, et la bouche réclamera, toujours le souverain bien que vous y espérez.

Mais pensez, je vous supplie, mon cher fils, si ce ne m'eût pis été une aise incomparable de pouvoir aller moi-même auprès de vous en l'occasion de ces États (1), p Dur vous parler avec cette nouvelle confiance que ces noms de père et de fils m'eussent donnée. Dieu néanmoins ne le voulant pas, puisqu'il permet que je sois attaché ici, ni vous, ni moi non plus ne le devons pas vouloir. Vous serez donc là mon Josué, qui combattrez pour la cause de Dieu en présence ; et moi je serai ici comme un Moïse, qui tiendrai mes mains au ciel, implorant sur vous la miséricorde divine, afin que vous surmontiez les difficultés que votre bonne intention rencontrera.

De vous supplier meshui de m'aimer, je ne le veux plus faire, puisque je puis plus courtement et expressément vous le dire : soyez donc mon vrai fils de tout votre coeur, monsieur, puisque je suis de tout le mien, non-seulement, etc.


(1) Aux États de Bourgogne, où le Saint avait des affaires pour les intérêts des églises du pays de Gcx qui étaient du diocèse de Genève. Cet ami du Saint était, on pense, le baron de Lui, commandant pour Henri IV en Bourgogne, et qui s'occupait à faire entrer en la possession des églises du pays de Gex les biens ecclésiastiques dont s'étaient emparés les protestants.



LETTRE DCCLXXX, AU DUC DE BELLEGARDE.

999
Sur le même sujet.

Annecy, (Après le 12 septembre) Aout 1614.

Monsieur,

1. il ne se peut dire de quelle ardeur mon âme souhaite la perfection de l'amour de Dieu à la vôtre ; les meilleurs moyens pour exprimer cette passion sont ceux dont vous me gratifiez, pourvu que l'on entende une merveille que j'appelerois miracle, si je n'en étais l'ouvrier après Dieu et votre commandement; car ordinairement l'amour paternel est puissant, parce qu'il descend comme un fleuve qui prend sa source de la pente; mais en notre sujet, si le mien qui sort de ma petitesse, en remontant à votre grandeur, prend vigueur à la montée, et accroît sa vitesse en s'élevant, c'est parce que si les autres se contentent de ressembler à l'eau, celui-ci est comparable au feu.

Certes, monsieur, j'écris sans réflexion, et je vois que j'abuse de votre bienveillance à lui dire ainsi mes saillies.

2. Dieu vous tienne de sa sainte main, et établisse de plus en plus ce généreux et céleste dessein qu'il vous a donné de lui consacrer toute votre vie. Il est juste et équitable que ceux qui vivent ne vivent pas pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort pour eux (
2Co 5,15). Une grande âme, monsieur, pousse toutes ses meilleures pensées, affections et prétentions jusque dans l'infini de l'éternité ; et puisqu'elle est éternelle, elle estime trop bas ce qui n'est pas étemel, trop petit ce qui n'est pas infini ; et surnageant à toutes ces menues délices, ou plutôt à ces vils amusements, que cette chétive vie nous peut représenter, elle tient les yeux fichés dans l'immensité des biens et des ans éternels.

3. Monsieur, à mesure que vous connaissez que l'air de la cour est pestilent, usez soigneusement des préservatifs. Ne sortez pas le matin, que vous ne portiez sur le coeur un épithème du renouvellement de vos résolutions fait en présence de Dieu. Oh ! si le soir vous lisiez douze lignes dans quelque livret de dévotion, après avoir fait votre petite oraison, car cela dissiperait les qualités contagieuses que les rencontres du jour pourraient avoir jetées autour de votre coeur; et vous purgeant souvent par le doux et gracieux sirop magistral de la confession, monsieur, j'espérerais que vous demeureriez comme vin célèbre Pirauste entre les flammes, sans endommager vos ailes (2). Que bienheureuse est la peine (pour grande qu'elle soit) qui nous délivre de la peine éternelle! Qu'aimable est le travail, duquel la récompense est infinie ! Monsieur, je suis d'un coeur plus que paternel, votre, etc.

(2) Toutes les comparaisons que le Saint fait de histoire naturelle sont prises de Pline.




LETTRE DCCLXX5LI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DE SES PARENTES.

Il la console de la mort de son père, et répond à la recommandation qu'elle lui avait faite d'un ecclésiastique pour une cure. Sa pratique dans la collation des bénéfices.

1er novembre 1614.



Nous avons été ici, au moins moi, ma très-chère fille, entre la crainte et l'espérance pour le sujet duquel j'ai su depuis peu que le seul déplaisir vous était demeuré. Et je puis dire en vérité que la considération de votre ennui fut une des plus promptes appréhensions dont je fus touché à l'abord de l'assurance du mal qu'on nous avait présagé par les bruits incertains qui nous en arriveraient.

Mais, or sus, ma très-chère cousine, il faut pourtant accoiser votre coeur; et pour rendre juste votre douleur, il la faut borner par la raison. Nous avons dû savoir que nous ne savons l'heure eu laquelle quelque semblable événement nous arriverait par le trépas des autres, ou aux autres par le nôtre. Que si nous n'y avons pas pensé, nous devons avouer notre tort, et nous en repentir ; car le nom que nous portons tous de mortels nous rend inexcusables.

Ne nous fâchons pas, ma fille ; nous serons bientôt tous réunis. Nous allons incessamment et tirons pays du côté où sont nos trépassés, et en deux ou trois moments nous y arriverons ; pensons seulement à bien marcher, et à suivre tout le bien que nous aurons reconnu en eux. Béni soit Dieu, qui a fait la" grâce à celui duquel nous ressentons l'absence de lui donner le loisir et la commodité de se bien disposer pour faire le voyage heureusement. Mettez votre coeur, je vous prie, ma très-chère fille, au pied de la croix, et acceptez la mort et la vie de tout ce que vous aimez, pour l'amour de celui qui donna sa vie et reçut la mort pour vous.

 Au reste; rien ne me pourrait empêcher de vous rendre le contentement que vous désirez de moi, sinon le devoir que j'ai au service de notre Seigneur et de l'Eglise ; lequel s'étant trouvé favorable à votre souhait, j'ai été extrêmement consolé de vous pouvoir donner satisfaction, comme je ferai encore en tout ce qui me sera possible.

Mais en la distribution des cures, je suis attaché à une méthode (l),'de laquelle je ne peux me départir : si selon icelle je puis faire selon votre désir, ce sera mon contentement ; si je ne puis en l'occasion présente, ce porteur ne perdant point courage, s'avançant aux lettres et en la vertu, comme je pense qu'il a fort bien commencé, il ne manquera pas d'autres occurrences où il trouvera votre recommandation utile.

Au demeurant, je ne vous assurerai pas de mon service fidèle en cette occasion : il vous a été dédie une fois pour toutes, fort entièrement; et je vous supplie de n'en jamais douter, non plus que du soin que j'aurai d'assister des sacrifices que je présente à Dieu l'âme de ce digne chevalier, les mérites duquel je veux à jamais honorer avec tout ce qu'il a laissé de plus cher ici-bas. Dieu soit au milieu de votre coeur, ma très-chère cousine ma fille, et suis de tout le mien votre, etc.


(1) La pratique du Saint était, afin que tous les prêtres s'appliquassent à l'étude sérieusement, de ne donner les bénéfices, et surtout les cures, qu'au concours, où les plus habiles et les plus vertueux étaient les seuls favorisés et préférés, sans qu'aucune recommandation lui pût faire changer cet ordre. Monseigneur Denys-Simon de Marquemont, archevêque de Lyon, ayant une fois honoré ce concours de sa présence, vit refuser une cure à un candidat qui menaça le saint des princes temporels dont il avait apporté des lettres.





LETTRE DCCLXXXII, A MADAME (LA PRÉSIDENTE BRULART) de PEYZIEU.

1087
Consolation sur la mort de son fils, qui était mort aux Indes au service du roi.


Annecy, 21 mai 1615.

1. Que mon âme est en peine de votre coeur, ma très-chère mère! car je le vois, ce me semble, ce pauvre coeur maternel tout couvert d'un ennui excessif; ennui toutefois que l'on ne peut ni blâmer, ni trouver étrange, si l'on considère combien était aimable ce fils
1086 , duquel ce second éloignement de nous est le sujet de notre amertume.

Ma très-chère mère, il.est vrai, ce cher fils était un des plus désirables qui fût oncques : tous ceux qui le connurent le reconnurent, et le connussent ainsi. Mais n'est-ce pas une grande partie de la consolation que nous devons prendre maintenant, ma très-chère mère ? Car en vérité, il semble que ceux desquels la vie est si digne de mémoire et d'estime, vivent encore après le trépas, puisqu'on a tant de plaisir à les ramentevoir et représenter aux esprits de ceux qui demeurent.

2. Ce fils, ma très-chère mère, avait déjà fait un grand éloignement de nous, s'étant volontairement privé de l'air du monde auquel il était né, pour aller servir son Dieu et son roi, et sa patrie, en un autre nouveau monde. Sa générosité l'avait animé à cela; et la vôtre vous avait fait condescendre à une si honorable résolution, pour laquelle vous aviez renoncé au contentement de le revoir jamais en cette vie, et ne vous restait que l'espérance d'avoir de temps en temps de ses lettres. Et voilà, ma très-chère mère, que sous le bon plaisir de la Providence divine, il est parti de cet autre monde, pour aller en celui qui est le plus ancien et le plus désirable de tous, et auquel il nous faut tous aller, chacun en sa saison, et où vous le verrez plus tôt que vous n'eussiez fait, s'il fût demeuré en ce monde nouveau, parmi les travaux des conquêtes qu'il prétendait faire à son roi et à l'Église.

En somme, il a fini ses jours mortels en son devoir et dans l'obligation de son serment. Cette sorte de fin est excellente, et ne faut pas douter que le grand Dieu ne la lui ait rendue heureuse, selon que, dès le berceau, il l'avait continuellement favorisé de sa grâce, pour le faire vivre très-chrétiennement.

3. Consolez-vous donc, ma très-chère mère, et soulagez votre esprit, adorant la divine Providence, qui fait toute chose très-suavement (Sg 8,1): et bien que les motifs de ses décrets nous soient cachés, si est-ce que la vérité de sa débonnaireté nous est manifeste, et nous oblige à croire qu'elle fait toutes choses en parfaite bonté.

Vous êtes quasi sur le départ pour aller où est cet aimable enfant. Quand vous y serez, vous ne voudriez pas qu'il fût aux Indes, car vous verrez qu'il sera bien mieux avec les anges et les saints, qu'il ne serait avec les tigres et barbares. Mais en attendant l'heure de faire voile, apaisez votre coeur maternel par la considération de la très-sainte éternité, en laquelle il est, et de laquelle vous êtes toute proche. Et au lieu que vous lui écririez quelquefois, parlez à Dieu pour lui, et il saura promptement tout ce que vous voudrez qu'il sache, et recevra toute l'assistance que vous lui ferez par vos voeux et prières (1), soudain que vous l'aurez faite, et délivrée entre les mains de sa divine majesté.

Les chrétiens ont grand tort d’être si peu chrétiens, comme ils sont, et de violer si cruellement les lois de la charité, pour obéir à celles de la crainte : mais, ma très-chère, il faut prier Dieu pour ceux qui font ce grand mal, et appliquer cette prière-là (Lc 22,34) à l'âme de votre défunt. C'est l'oraison la plus agréable que nous puissions faire à celui qui en fit une pareille sur la croix, à laquelle sa très-sainte mère répondit de tout son coeur, l'aimant d'une très-ardente charité.

Vous ne sauriez croire combien ce coup a touché mon coeur : car enfin c'était mon cher frère, et qui m'avait aimé extrêmement. J'ai prié pour lui, et le ferai toujours, et pour vous, ma très-chère mère, à qui je veux rendre toute ma vie en particulier honneur et amour, de la part encore de ce frère trépassé, duquel l'amitié immortelle me vient solliciter d'être de plus en plus, votre, etc.

(l) Le Saint fait ici allusion aux voyages de long cours, et aux secours temporels que les parents envoient à leurs enfants qui sont dans les pays étrangers.




F. de Sales, Lettres 847