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SCIVIAS

OU LES TROIS LIVRES DES VISIONS ET RÉVÉLATIONS


DE SAINTE HILDEGARDE






A MONSIEUR LE COMTE CHARLES-DIEUDONNE DEJEAN

1
  Nous n'avons plus de saints ! dit-on, de toutes parts. C'est vrai, si l'on veut parler de ces êtres supérieurs à leur temps, qui en imposent aux autres par l'éminence de leur vertu et la beauté de leur vie toute pleine de Dieu, comme Sainte Hildegarde, l'une de ces thaumaturges qui imprimèrent à leur siècle le sceau divin, pour indiquer aux âges futurs les desseins de Dieu sur les âmes, et dévoiler aux yeux des croyants émerveillés, quelques coins des mystères qui encerclent l'humanité de toutes parts ; parce que tout étant plein de Dieu, (in ipso vivimus, movemur et sumus) et rien ne pouvant échapper à l'action divine : découvrir le mystère, par la révélation ou dans les manifestations de la créature, c'est pénétrer plus avant en Dieu même.

  Il semble, en effet, qu'il n'y ait plus de ces grandes figures auréolées de sainteté ; et que Dieu ne se montre plus, comme au temps passé, à travers un rayon de sa gloire, aux yeux de quelques élus de l'Eglise militante, pour leur faire entrevoir les profondeurs de l'infini, leur entrouvrir les portes du ciel ou celles de l'abîme, et les forcer de révéler les splendeurs de leur vision béatifique.

  Leur rôle est peut-être fini dans le monde, où leur nombre était grand jadis ; et comme ils ont suffisamment montré aux humains les volontés de l'Eternel, le doute n'étant plus permis, il ne leur reste plus désormais qu'à se conformer à ses lois.

  Mais il y a encore au milieu de nous des âmes privilégiées dont l'existence, pour être moins éclatante, n'en est pas moins empreinte de l'action de Dieu, qui les réserve pour accomplir dans le silence l'oeuvre tracée par les grands saints, dont la vie est écrite dans les fastes de l'histoire.

  Malgré votre humilité, et sans doute à cause d'elle, vous êtes de ce nombre, Monsieur le Comte... Bien rares ceux qui peuvent connaître l'étendue de votre piété et de votre dévouement à toutes les nobles causes! Mais n'est-il pas dit de Dieu, qu'il donne sa grâce aux humbles et qu'il la retire aux superbes ? Superbis resistit, humilibus autem dat gratiam.

  C'est pourquoi, malgré mon insuffisance, ayant à découvrir aux yeux des croyants, les régions encore inexplorées des mystères divins manifestés à Ste Hildegarde, dans une langue plus accessible et plus familière que celle employée par la sainte, dont j'ai entrepris de traduire les visions un peu semblables au livre scellé des Ecritures, où seuls peuvent lire ceux qui ont reçu de Dieu la clef du mystère : il m'a semblé que je devais dédier mon labeur à un de ces hommes d'élite qui, vivant au milieu d'un siècle corrompu, ont conservé au coeur la foi des anciens temps, et s'efforcent d'en répandre le germe fécond et vivifiant. Seule votre modestie pourra m'en vouloir ; mais ceux qui vous connaissent diront que je ne pouvais faire meilleur choix.

  D'ailleurs, la dédicace d'une oeuvre ne pourrait vous être honorable, que si elle était vraiment digne de vous et de la grandeur du sujet. Mais je n'ose espérer que celui qui a déjà parcouru, d'un oeil expérimenté dans la science des saints, tant d'oeuvres mystiques écrites par des plumes autrement autorisées que la mienne, pourra prendre goût à cette traduction un peu ingrate et diffuse, à cause de l'inexpérience du traducteur et de la basse latinité employée par la Sainte qui ignorait, dit-elle, le beau langage des hommes, et s'exprimait naïvement dans une langue inconnue d'elle, sur des sujets dépassant souvent la portée de l'intelligence humaine. J'eusse pu, toutefois, polir la phrase, mais la pensée n'y aurait sans doute rien gagné, et j'ai cru me rapprocher davantage de l'original, en dégageant fidèlement le sens littéral, comme on me l'avait demandé, sans me soucier de la forme.

  Votre exquise urbanité, Monsieur le Comte, vous fera accueillir mon oeuvre avec quelque indulgence, vous souvenant que sous la rude écorce se trouve souvent un fruit savoureux et doux. Et, la grâce de Dieu aidant, vous pourrez assister à ce spectacle inouï d'un Dieu qui se manifeste, comme aux anciens prophètes, à une humble femme, dans des visions mystiques d'une étrange beauté, dans les horreurs du Sinaï ou les splendeurs du Thabor ; en attendant que vous puissiez jouir, non plus au figuré, per speculum et in enigmate, mais réellement, de la vision béatifique que Dieu prépare à ses saints, dans toute l'étendue de la gloire.

R. CHAMONAL.




PRÉFACE DU TRADUCTEUR

2
  Nous voudrions voir des miracles ! s'exclament en ricanant les athées, lorsque nous les invitons à examiner attentivement avec nous, les fondements de notre croyance et la splendeur du dogme catholique, avant de nier effrontément ce qu'ils ignorent. Mais s'ils voyaient le miracle, ils nieraient encore, attribuant à des sortilèges, à la magie, à une vaine science, ce qu'ils ne pourraient expliquer ; car, l'essentiel n'est pas de voir le miracle, mais d'avoir une âme susceptible de le reconnaître et de le contempler lorsqu'il se présente à nos yeux : Or, il y a des âmes rebelles au miracle, qui est comme le rayonnement de la puissance et de la gloire de Dieu sur le monde ; de même qu'il y a des yeux incapables de voir la lumière du jour. Mais les aveugles de l'âme sont plus gravement atteints et mille fois plus nombreux que les autres: Oculos habent et non vident.

  Nous voulons voir des miracles!

  Et moi qui ne suis ni un illuminé, ni un visionnaire, mais un homme comme les autres, ayant, par la grâce de Dieu, conservé toutes mes facultés visuelles, malgré le contagieux aveuglement de tant d'hommes de mon pays et de ma génération, qui se complaisent dans l'erreur, je vais vous parler d'un miracle qui s'est perpétué, pendant près d'un demi-siècle, aux yeux des peuples étonnés, mais convaincus.

  Et ce miracle avait pour sujet une humble femme, devenue l'habitacle de l'Esprit de lumière, qui répandait par elle, à travers le monde, les ondes fécondantes de la sagesse et de la charité divine ; une humble femme ignorante de la science des hommes, devenue soudain, comme malgré elle, un autre Moïse, pour convertir son peuple, gravir la montagne de Sion, converser avec les anges et Dieu lui-même ; et toujours sous l'inspiration divine, sonder le mystère, lire dans le livre scellé des Ecritures, parler une langue inconnue, écrire, sans lettres, des pages sublimes, s'entretenir, au nom de Dieu, avec les princes et les rois ; chasser le démon qui ne fuyait que devant elle, en frémissant, comme devant le chérubin de flammes ; guérir les malades qui, ayant foi en sa sainteté, l'invoquaient déjà comme une sainte, et éprouvaient, de près ou de loin, les merveilleux effets de sa protection et de leur confiance (1).

  Voilà ce qu'il fut donné de voir aux hommes, en un temps où le ciel communiquait avec la terre couverte des asiles de la prière et de la vertu : Deliciae meae esse cum filiis hominum : Dieu faisant ses délices d'habiter parmi les enfants des hommes.

  Voulez-vous savoir le secret de ce miracle perpétuel et vivant, (car on ne peut appeler d'un autre nom ce colloque incessant d'une âme, fille de Dieu, avec Dieu lui-même, dans le sommeil comme dans la veille, ces relations habituelles de la vierge Hildegarde avec les esprits de lumière, cette intuition constante des sphères infinies, malgré les secousses de la chair et du sang et les effrois d'une nature débile, qui ne pouvait supporter les contrecoups de cette vision, que par une intervention toute divine) ?

  Le secret de ce miracle perpétuel était dans la pureté de cette âme, dans l'ardeur de sa foi, dans les extases de sa prière, dans les transports de son amour ; car Dieu se montre à ceux qui l'aiment : C'est Lui qui fait leur éducation, qui leur infuse sa science, qui les pénètre de sa grâce, et les transfigure à tel point, qu'il ne leur reste plus rien d'humain, que cette enveloppe fragile et périssable, qu'ils ont hâte de dépouiller pour se réfugier en Dieu.

  Vous voudriez voir le miracle ! Mais le miracle est partout, il vous enserre de toutes parts, et vous ne le voyez pas ; car votre âme enfouie dans la matière dont elle se préoccupe exclusivement, ne voit rien de Dieu, dans le grand livre ouvert de la nature, où toutes les lettres sont gravées par lui, où il a écrit son nom à toutes les pages, où tout est plein de lui.

  Vous voudriez voir le miracle ! Et vous ne connaissez pas un mot de la science des saints, vous n'avez jamais entr'ouvert le livre des Ecritures, vous ignorez la loi et vous méprisez le précepte, vous ne priez jamais, vous vous moquez de la vertu, vous ne pensez pas aux choses essentielles ; et, vous souciant fort peu de votre âme, vous suivez l'instinct de la bête.

  On le vit jadis le miracle, dans cette belle et douce France où tout parle de Dieu. Et le grand peuple des Francs qui, à l'époque de Ste Hildegarde, accomplissait déjà les gestes de la divinité, (2) n'était pas seulement le témoin convaincu des miracles, mais dans l'élan de sa foi, il les multipliait lui-même autour de lui : Gesta Dei per Francos.


Et qu'est-ce donc que les gestes de Dieu, sinon des miracles ... à tel point que l'on aurait pu appeler ce pays aimé du ciel : La terre des miracles !

Questionnez l'univers : Il sait bien qui nous sommes !

Si, vanter leurs aïeux, est l'orgueil des Français,
L'histoire est la matrice où se coulent les hommes :
Quand un nom est sans tache, on le garde à jamais !


  Mais on ne voit plus le miracle, dans ce même pays déshabitué des choses de Dieu : Un vent de malédiction a passé sur ce peuple ! L'honneur et le courage ont fait place à la veulerie et à la lâcheté !
  Aujourd'hui tout s'affaisse, on n'ose plus marcher !
Les prophètes s'en vont, dédaigneux de prêcher
A cette foule abjecte et toujours implorante
De chimériques biens... pauvre bête ignorante
Qui va tête baissée où le veut son bourreau,
Comme vers l'abattoir le stupide troupeau !


  « Ce qui frappe (s'écrie un des plus grands écrivains de notre temps... prophète, hélas ! méconnu, comme tous les prophètes) c'est le détachement de toutes les classes de ce Christ dont l'amour résuma, pendant tant de siècles, la vie Française. »
  « Aujourd'hui, l'indifférence existe même chez beaucoup de ceux qui sont demeurés fidèles, en apparence, aux traditions des ancêtres, aux pratiques extérieures du culte.»
(Drumont).


  Et l'on voit des patriciens et des patriciennes qui portent les plus beaux noms de France, illustrés jadis au service de Dieu et de la Patrie, se livrer à des oeuvres indignes, couvrir ces mêmes noms d'opprobre, étaler sans vergogne leur infamie, incapables qu'ils sont d'un mouvement d'indignation devant les attentats à la religion des ancêtres et au culte de la Patrie ! Ils préfèrent jouir de leur fortune, afficher un luxe inouï, organiser des fêtes mondaines ridicules ou scandaleuses, courir les théâtres où l'immoralité s'étale impudente, pendant que les couvents se vident, que les temples se ferment, que les asiles de la vertu font place toujours à d'autres palais, à d'autres temples de la luxure et du lucre.


Mais pensez-vous que Dieu fasse en vain des miracles ?


  Ceux qui firent jadis notre France si belle, étaient des hommes comme vous, portés au plaisir comme vous, avec des passions plus indomptables que les vôtres, puisqu'ils étaient plus grands que vous. Mais ils se dominaient quand même, parce que la foi animait tous leurs actes ; et ils accomplissaient des exploits si prodigieux, que nous vivons encore de leur gloire.
  C'est nous les héritiers de toutes les victoires,
Dont les noms triomphants illustrent nos cités !
Mais sans répudier aucune de nos gloires,
A nous grandir encor nous sommes invités.


  D'où vient donc qu'aujourd'hui vous n'éprouviez que des émotions factices pour les gestes de Dieu ; et que vous ne sachiez plus vous élever, par la grandeur morale, jusqu'à ces hauteurs incomparables où resplendirent d'une beauté sereine ces héros, ces héroïnes, dont on nous apprit à bégayer les noms avec amour, sur les genoux de nos mères, et que vous êtes incapables d'imiter aujourd'hui, parce qu'un souffle de folie et d'erreur a passé sur notre France, pour déraciner de vos coeurs les nobles vertus, les sentiments chevaleresques, l'amour de Dieu et l'esprit de sacrifice, qui firent le fond de notre race et l'imposèrent à l'admiration du monde ? - Il est temps de secouer notre torpeur, de renoncer à notre égoïsme, de renouer nos traditions héroïques, de revenir au culte de nos autels, de remettre à sa place (la première toujours et partout) ce Dieu qui fit la France grande et prospère, pour ressaisir le sens des miracles, voir de nouveau briller dans le ciel le signe rédempteur, écouter la parole des oracles, déchiffrer dans le livre de vie l'énigme du monde, converser avec nos saints et nos saintes, les donner comme modèles à nos fils, à nos filles ; si nous voulons redevenir la race forte et toute puissante qui nous valut la première place jadis.

  C'est pourquoi il est bon de remonter dans le passé glorieux, d'étudier les belles figures extatiques que nous offrent les vies des saints, d'écouter les voix de l'au-delà, de lire dans notre langue si lumineuse, ces sublimes révélations qui nous montrent que Dieu, malgré notre petitesse, ne dédaigne pas de converser avec les âmes croyantes, et de leur communiquer son esprit et sa sagesse. Mais pour entendre ces voix et comprendre ce langage, il faut ne pas être rebelles à la grâce et se retirer du tumulte du monde.

  Plaise à Dieu que je n'aie pas été trop inférieur à ma tâche ! Si j'ai pu saisir le sens véritable de l'oracle divin, ce n'est pas à moi qu'en revient le mérite, mais à Celui d'où vient tout don parfait, à Sainte Hildegarde dont je suis le pâle interprète, et qui ne voulant pas que ses écrits soient défigurés par un profane, m'aura sans doute obtenu de Dieu la grâce de faire une traduction naïve de son oeuvre plus divine qu'humaine.

  D'ailleurs, en fils dévoué de la Sainte Eglise catholique, apostolique et romaine, je me soumets à toutes ses décisions, en protestant de ma bonne foi, bien loin de vouloir affirmer quoi que ce soit de contraire à son dogme et à ses croyances.

  En ce temps où l'erreur domine, je ne viens pas ajouter ma pierre à l'édifice de Satan, mais contribuer, pour ma faible part, à ruiner ses assises qui reposent sur le sable mouvant, jusqu'à ce que le souffle du Tout-Puissant le renverse, de fond en comble, pour la confusion de Satan et de ses légions, et la victoire définitive de l'église de Dieu, basée sur la pierre angulaire, qui est le Christ Jésus, à qui soient honneur et gloire, dans les siècles des siècles.


R. CHAMONAL.

(1) Voir la vie traduite par le même auteur (Edit. Chamonal).
(2) Gesta Dei per Francos. -Nous sommes en effet à l'époque des Croisades.




SAINTE HILDEGARDE

SCIVIAS

ou


LES TROIS LIVRES

DES

VISIONS ET RÉVÉLATIONS




LIVRE PREMIER


PRÉFACE

1000

  Voici qu'en la quarante-troisième année de ma course temporelle, comme toute saisie de crainte, esclave de ma volonté hésitante, je tenais (mes regards) attachés à une céleste vision, je vis une grande splendeur ; et, dans cette splendeur, une voix qui venait du ciel me dit : O homme (femme) fragile, cendre de cendre, corruption (issue) de la corruption, dis et écris ce que tu vois et entends.

  Mais, parce que tu es timide dans le langage, inhabile dans l'exposition, ignorante de la manière d'écrire ces choses, dis-les, écris-les, non d'après les règles de l'élocution humaine, l'intelligence de son invention et de la disposition qu'elle exige (1), mais, d'après ce que tu vois et entends dans les splendeurs célestes, dans les merveilles de Dieu, en le proférant, pour le faire entendre, comme l'auditeur qui perçoit les paroles de son maître les répète, selon l'accent de son langage, parce que lui-même le veut, le montre et l'enseigne.

  Ainsi, toi-même, ô femme, dis ce que tu vois et entends ; et, écris-le, non selon toi, mais d'après la volonté de Celui qui sait, voit et dispose toutes choses dans le secret de ses mystères.

  Et de nouveau, j'entendis une voix du ciel qui me disait :
  Raconte-donc ces merveilles, écris ces choses ainsi apprises, et dis :
  En l'année mille cent quarante-et-une de l'Incarnation du Fils de Dieu, Jésus-Christ, à l'âge de quarante-deux ans sept mois, une lumière de flammes d'un merveilleux éclat, venant du ciel entr'ouvert, pénétra mon cerveau, mon coeur et ma poitrine, comme une flamme qui ne brûle pas, mais échauffe, à la manière du soleil qui darde ses rayons sur la terre.

  Et soudain, je savourais l'intelligence de l'exposition des livres des Psaumes, des Evangiles et des autres livres catholiques, de l'Ancien et du Nouveau Testament, sans entendre toutefois l'interprétation du texte, des paroles de ces livres, ni la division des syllabes, ni la connaissance des cas et des temps (2). Mais, dès mon enfance, de l'âge de cinq ans à l'époque où j'écris ces choses, d'une manière admirable, je sentais en moi, comme maintenant, la vertu des mystères, des secrètes et merveilleuses visions ; et cependant, je ne le manifestai à aucun homme, excepté à quelques rares religieux qui vivaient assujettis à la même règle que moi ; car, jusqu'au temps où Dieu voulut, par sa grâce, que ces visions fussent découvertes, je me cachai dans le silence. Mais les visions que je vis, ce ne fut pas en songe, ni dans le sommeil, ni dans (une espèce) de frénésie ; je ne les vis pas des yeux charnels, je ne les entendis pas des oreilles extérieures de l'homme, et dans des lieux cachés ; mais je les contemplai, selon la volonté de Dieu, en pleine veille, à découvert, les considérant dans toute la clarté de l'esprit, des yeux et des oreilles de l'homme intérieur. Comment cela se fit ? Il est difficile à l'homme charnel de le découvrir. Mais, ayant passé le terme de la jeunesse, et étant arrivée à l'âge de la maturité, j'entendis une voix du ciel qui disait: « Je suis la lumière vivante qui éclaire les ténèbres : J'ai établi qui j'ai voulu, et je l'ai élevé merveilleusement, comme il m'a plu, dans les prodiges, au-dessus des anciens personnages qui apprirent de moi beaucoup de choses mystérieuses ; mais je l'ai terrassé, pour qu'il ne s'élevât pas dans l'exaltation de son esprit. Le monde aussi n'éprouva en lui, ni joie, ni délectation, ni souplesse dans les choses qui lui sont propres, parce que je le privai de l'audace nécessaire, et qu'il était timide et craintif dans ses oeuvres. Il souffrit dans les moelles et dans les veines de sa chair : son âme et ses sens, brisés par la douleur, il eut à supporter de grands tourments corporels, au point qu'il ne pût goûter aucune paix, mais qu'en toutes choses il dût s'estimer coupable. Car j'ai enclos les ruines de son coeur, de peur que son esprit ne s'élevât par la superbe et la vaine gloire, et pour qu'il éprouvât plus de crainte et de douleur en toutes ces choses, que de joie et d'orgueil. C'est pourquoi, dans mon amour, il considéra en son âme, qui pourrait lui découvrir la voie du salut. Il en trouva un, et l'aima, reconnaissant qu'il était fidèle, et lui ressemblait dans la part de l'oeuvre qui me regarde ; et, se l'attachant, il s'efforça avec lui, aidé en toutes choses par le secours d'en-haut, de révéler mes merveilles cachées. Et lui-même ne s'enfla pas d'orgueil, mais s'humilia devant lui avec des soupirs, dans la conviction de sa bassesse et dans l'effort de sa bonne volonté. Toi donc qui reçois ces choses, non dans l'inquiétude de la déception, mais dans la pureté d'intention, parce qu'elles sont dirigées vers la manifestation de choses mystérieuses, écris ce que tu vois et entends. »

   Mais bien que je visse et j'entendisse ces choses, cependant, à cause de mon irrésolution, de la mauvaise opinion que j'avais (de moi-même), et de la diversité des paroles humaines, je refusai d'écrire, non par obstination, mais pour rester dans mon rôle d'humilité, jusqu'à ce que, par un châtiment divin, terrassée par la maladie, je gardai le lit. Alors, contrainte par de nombreuses infirmités, sur les engagements d'une noble fille de bonnes moeurs, et de l'homme que j'avais secrètement cherché et trouvé, je mis la main à la plume. Comme j'écrivais, comprenant, ainsi que je l'ai dit, la profondeur sublime de l'exposition des livres, je sentis renaître mes forces et je me relevai de maladie. Mais, c'est à peine si, en dix ans, je pus terminer cet ouvrage.

  J'eus ces visions et j'entendis ces paroles, à l'époque d'Henri, archevêque de Mayence, de Conrad (3), roi des Romains, et de Cunon, Abbé du Mont, du Bienheureux Pontife Disibode, sous le pape Eugène (4).

  Je dis et j'écrivis ces choses, non selon l'invention de mon coeur ou (sous l'inspiration) d'un autre homme, mais comme je les vis dans les sphères célestes, et comme je les entendis et perçus en vertu des secrets mystères divins. - Et de nouveau, j'entendis une voix du ciel qui me disait : Crie donc et écris ainsi.

(1) La voix céleste l'incite à raconter malgré son insuffisance, ce qu'elle voit et entend en faisant fi des règles du discours établies par l'homme. N. du Trad.
(2) Elle ne sait rien à la façon des hommes, d'ap les règles des règles des grammairiens et des rhéteurs, mais sa science est toute divine. N. du Trad.
(3) Conrad III (empereur). Croisade en Terre-Sainte. Mort en 1152.
(4) Eugène III (Pape), 1145-1153. Conciles de Reims et de Trèves.





  VISION PREMIÈRE: Dieu, le Créateur de lumière et l'Humanité (6)

1100

  SOMMAIRE : De la force et de la stabilité de l'Eternité du royaume de Dieu, - De la crainte du Seigneur. - De ceux qui sont pauvres d'esprit. - Que ceux qui craignent Dieu, et les pauvres d'esprit, gardent les vertus qui viennent de Dieu. - Que les inclinations des actes humains ne peuvent être cachées à la connaissance de Dieu. - Salomon sur le même sujet.



  Je vis comme une grande montagne couleur de fer, et sur elle quelqu'un était assis, resplendissant d'un tel éclat, que sa lumière offusquait ma vue ; et de chaque côté, le voilant d'une ombre douce, une aile, merveilleuse de largeur et de longueur, s'étendait. Et devant lui, au pied de la montagne, une figure toute pleine d'yeux se tenait, de laquelle je ne pouvais distinguer nulle forme humaine, à cause de la multitude d'yeux ; et devant elle, était une autre figure d'enfant, sombrement vêtue, mais chaussée de blanc, sur la tête de laquelle descendit une telle clarté, rayonnant de celui qui était assis sur la montagne, que je ne pouvais plus regarder sa face. Mais de celui-là même qui était assis sur la montagne, une infinité d'étincelles vivantes s'échappaient, qui enveloppaient ces figures, d'une grande suavité. Dans la même montagne, on distinguait, comme de nombreuses lucarnes, dans lesquelles apparurent comme des têtes d'hommes, les unes sombres, les autres blanches. Et voici que celui qui était assis sur la montagne, s'écriait d'une voix forte et pénétrante, disant : O homme, poussière insaisissable de la poussière de la terre, et cendre de la cendre, crie et parle sur l'origine de l'incorruptible salut, jusqu'à ce que soient édifiés ceux qui connaissant la moelle des Ecritures, ne veulent ni l'annoncer, ni la prêcher, parce qu'ils sont tièdes et languissants, pour la conservation de la justice de Dieu ; à ceux-là découvre-leur la clef des mystères, que, dans leur timidité, ils cèlent sans fruit dans le secret. Dilate-toi dans la fontaine d'abondance, et coule dans une mystique érudition ; afin que ceux qui te méprisent, à cause de la prévarication de la (première) Eve, soient ébranlés par le débordement de ta source. Car, ce n'est pas de l'homme que tu tiens la pénétration de ces mystères, mais tu reçois (ce don) d'en haut, du juge redoutable et suprême, par qui cette clarté brillera d'un éclat incomparable parmi les autres lumières. Lève-toi donc, fais entendre ta voix, et dis les choses qui se sont manifestées par la puissante vertu du secours divin ; parce que celui qui commande avec bonté et puissance à toutes ses créatures, pénètre ceux qui le craignent et qui le servent avec dilection, en esprit d'humilité, de la clarté de sa divine lumière ; et il conduit ceux qui persévèrent dans les voies de la justice, vers les joies de l'éternelle vision.

  Cette grande montagne couleur de fer que tu vois, désigne la force et la stabilité de l'éternité du royaume de Dieu, laquelle ne peut être ébranlée par nul effort d'une mutabilité branlante ; et celui qui est assis sur la montagne, et dont la splendeur est si grande qu'elle offusque ton regard, t'indique dans le royaume de la béatitude, celui-là même qui, dans l'éclat de son indéfectible beauté, commande, comme suprême divinité, à tout l'univers, et est incompréhensible à l'esprit humain. Mais de chaque côté, cette ombre douce qui s'étend comme une aile merveilleuse de largeur et de longueur, signifie, dans l'admonition et le châtiment, la suave et douce protection de la bienheureuse défense, et démontre justement et pieusement l'ineffable justice, dans la persévérance de l'équité véritable.

  Et devant lui, au pied de la montagne, une figure pleine d'yeux se tient, qui, devant Dieu, en toute humilité, considère le royaume divin, et, fortifiée par la crainte du Seigneur, exerce sur les hommes avec la perspicacité d'une intention droite et juste, son zèle et son appui ; c'est pourquoi tu ne peux discerner en elle, à cause de la multitude de ses yeux, aucune forme humaine ; parce que, par l'acuité de son regard, elle déjoue à ce point tout oubli de la justice de Dieu, qu'éprouvent trop souvent les hommes dans l'hébétude de leur esprit, que l'inquisition des mortels, dans sa débilité, n'ébranle pas sa vigilance.

  Avant cette image, une autre figure d'enfant sombrement voilée, mais chaussée de blanc apparaît, parce que, précédés de la crainte du Seigneur, suivent les pauvres d'esprit ; car la crainte du Seigneur (1) par le voeu d'humilité, possède pleinement la béatitude de la pauvreté de l'esprit (2), qui n'aime pas la jactance et l'exaltation du coeur, mais la simplicité et la modestie, ne s'attribuant rien à soi, mais à Dieu, dans l'abandon de la soumission en toutes ses oeuvres ; (ce que signifie le peu d'éclat de sa tunique), pour suivre fidèlement les vestiges éclatants du fils de Dieu. Sur sa tête, une si grande clarté rayonne de celui qui est assis sur la montagne, que tu ne peux voir sa face ; parce que la sérénité de la visite de celui qui commande avec louange à toute créature, infuse une telle puissance et une telle force de béatitude, que tu ne peux en concevoir l'abondance dans tes mortelles et infirmes considérations ; car, celui qui possède toutes les richesses célestes se soumit humblement à la pauvreté.

  Mais que, de celui-là même qui est assis sur cette montagne, une multitude d'étincelles vivantes sortent, qui voltigent autour de ces mêmes images avec un charme infini, cela signifie que de la toute puissance de Dieu proviennent les diverses et fortes vertus, qui resplendissent dans la divine clarté, embrassent et flattent avec amour, (les entourant de leur aide et de leur protection), ceux qui craignent Dieu en vérité, et qui aiment fidèlement la pauvreté de l'esprit.

  Dans la même montagne, apparaissent de nombreuses lucarnes, à travers lesquelles se montrent comme des têtes d'hommes, les unes sans éclat, les autres rayonnantes de blancheur ; parce que, dans la suprême hauteur de la très profonde et très pénétrante connaissance de Dieu, ne peuvent être cachées les intentions des actes humains, qui démontrent souvent par eux-mêmes leur zèle ou leur tiédeur ; car les hommes que fatigue l'action et que lassent les désirs du coeur, tantôt s'endorment dans l'infamie, tantôt s'éveillent, revenus à eux-mêmes, pour leur honneur, comme en témoigne Salomon, lorsqu'il dit, selon ma volonté : La main molle aboutit à l'indigence, mais la main des forts prépare les richesses (3). Ce qui veut dire : que l'homme se rend pauvre et misérable, qui ne veut pas accomplir les oeuvres de justice, effacer l'iniquité, remettre sa dette, et qui reste oisif dans les merveilles des oeuvres de la béatitude. Mais celui qui accomplit les très puissantes oeuvres du salut, courant dans la voie de la vérité, capte la source jaillissante de la gloire, et se prépare sur la terre et dans le ciel, les trésors les plus précieux. Et quiconque possède la science par le St-Esprit, et les ailes de la foi, ne transgresse pas mes avis, mais les reçoit avec amour pour en faire les délices de son âme.

(1) Initium sapientiae timor Domini. E. S.
(2) Beati pauperes spiritu quoniam ipsi Deum videbunt. E. S.
(3) Egestatem operata est manus remissa, manus autem fortium divitias parat. (
Pr 10,4)



VISION SECONDE: La Chute(33)

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  SOMMAIRE : - Que les anges bienheureux, nullement incités par aucune excitation d'injustice, ne se séparèrent pas de l'amour et de la louange de Dieu. - Que Lucifer considérant la beauté et l'éclat de sa force s'enorgueillit ; et c'est pourquoi avec ceux qui l'imitèrent, il fut précipité de la gloire céleste. - Que Dieu eût été injuste s'il ne l'avait abattu - Les paroles de Job sur le même sujet. - De l'enfer qui dans sa voracité, veut la perte des âmes. Que dans la chute de Satan, l'enfer a été créé - Que la géhenne est ouverte aux impénitents ; les autres tourments sont établis pour se purifier. - Des Paroles d'Ezéchiel sur le même sujet. - Du mensonge diabolique qui trompa le premier homme par le serpent. - Que le démon ne sut que l'arbre (de la science du bien et du mal) était interdit, que par la réponse d'Eve. - Que faut il observer, que faut-il éviter dans le mariage ? - Les paroles de l'apôtre sur le même sujet. Pourquoi avant l'incarnation du Seigneur quelques-uns eurent-ils plusieurs épouses ? - Pourquoi ni l'homme ni l'ange ne purent-ils délivrer l'homme, mais seul le Fils de Dieu (le put ?) - Les paroles de la Sagesse sur le même sujet. - Que les consanguins ne s'unissent pas par les liens du mariage ! - Exemple tiré du lait. - Pourquoi dans l'ancien Testament le mariage entre consanguins fut il permis, et défendu dans le Nouveau. - Que l'homme ne doit épouser que dans l'âge viril, et une femme nubile - Que la pollution illicite et libidineuse doit être évitée. - Pourquoi la femme après l'enfantement ou après la souillure de l'homme, reste dans la retraite et ne pénètre pas dans le temple. - Ceux qui ont des rapports charnels avec une femme enceinte sont homicides. - Osée sur le même sujet. - De la recommandation de la chasteté. - St-Jean sur le même sujet. - Qu'Adam expulsé, Dieu interdit l'entrée du Paradis. - Que parce que l'homme fut rebelle à Dieu, la créature qui lui était soumise, lui devint hostile. - De la beauté du Paradis qui donne la sève et la vigueur à la terre, comme l'âme au corps - Pourquoi Dieu fît il l'homme tel qu'il pouvait pécher. - Que l'homme ne doit pas scruter l'infiniment grand, puisqu'il ne peut connaître l'infiniment petit. Que l'homme brille maintenant d'un éclat plus grand, que primitivement dans le Paradis. Comparaison du jardin, de la brebis, de la perle, avec l'homme. De la recommandation de de l'humilité et de la charité, qui sont les plus belles des vertus.



  Ensuite, je vis comme une grande multitude de lampes vivantes qui projetaient une grande clarté, et qui, recevant une lumière embrasée, acquéraient une splendeur sereine. Et voici qu'un lac très large et très profond apparut, dont l'orifice ressemblait à celui d'un puits qui vomissait une fumée de flamme puante, de laquelle aussi une nuée ténébreuse s'exhalant, atteignit à des hauteurs presque imperceptibles à la vue ; et, dans une région lumineuse souffla une nuée blanche qui était sortie d'une belle forme humaine, renfermant en soi de nombreuses étoiles ; et elle la chassa elle et la forme humaine de cette région. Alors une splendeur lumineuse environna cette région ; et ainsi, tous les éléments du monde qui auparavant étaient restés dans une paix profonde, plongés dans un grand trouble, manifestèrent des terreurs horribles. Et de nouveau j'entendis celui qui m'avait parlé auparavant, qui disait : Ceux qui suivent Dieu dans la fidélité de leur voeu, et qui dans leur dilection conservent pour lui un amour ardent, n'étant troublés par aucune sollicitation d'injustice, ne seront pas écartés de la gloire de la suprême béatitude ; tandis que ceux qui feignent de chercher Dieu, non seulement ne seront pas élevés plus haut, mais ils seront même renversés, par un juste jugement, (des grandeurs) qu'ils s'imaginent faussement posséder.

  Ce que montre cette multitude de lampes vivantes et d'un si grand éclat, qui figurent la grande armée des esprits célestes, resplendissant (de gloire) dans la vie bienheureuse, et qui sont ornés de toutes les grâces ; parce que, créés par Dieu, ils ne se sont pas élevés dans leur orgueil superbe, mais ils se sont fortifiés dans l'amour divin. Car, recevant un redoublement de flamme (amoureuse), ils sont parvenus à la splendeur sereine ; et lorsque Lucifer avec les siens voulut se révolter contre le créateur suprême, (les bons anges) mettant tout leur zèle divin à la chute (de Lucifer) et de ceux qui s'étaient unis à lui, manifestèrent la vigilance de la dilection divine, tandis que les (légions de Satan) encoururent l'aveuglement de l'ignorance par laquelle ils avaient refusé de connaître Dieu. Comment ? Dans la chute du démon, un concert de louanges retentit parmi les esprits angéliques qui étaient restés dans la voie droite avec Dieu ; car, dans une illumination soudaine, ils reconnurent clairement, que Dieu immuable, persévère dans sa puissance, sans aucun changement de son essence, de telle sorte qu'il ne peut être vaincu par aucun ennemi. Et ainsi, brûlants de son amour et persévérant dans la droiture, ils méprisèrent tout repaire d'injustice.

  Mais Lucifer qui fut précipité de la gloire du ciel à cause de son orgueil, au commencement de sa création, était si beau et si grand, qu'il ne découvrit aucun défaut dans sa beauté et dans sa force. C'est pourquoi, en contemplant sa grâce, et en considérant en lui-même la vertu de sa force, il rencontra la superbe qui lui promit d'entreprendre ce qu'il voudrait, parce qu'il pourrait accomplir ce qu'il entreprendrait. Et voyant le lieu où il pensait trouver sa place, pour y montrer sa beauté et sa force, il se disait en lui-même : Je veux briller là, comme celui-ci (1) resplendit ici. Ce que ses légions approuvèrent en disant : Ce que tu veux, nous le voulons aussi. Et comme, exalté dans son orgueil, il voulait accomplir ce qu'il avait médité, le zèle du Seigneur se montrant dans tout son éclat, précipita Satan avec toute son armée dans les ténèbres de flammes ; de telle sorte qu'ils changèrent leur splendeur sereine, en la plus épouvantable noirceur. Pourquoi cela ? Parce que si Dieu n'eût pas repoussé leur présomption, il se fût montré injuste ; car il eût favorisé ceux qui voulaient diviser l'intégrité de la divinité ; mais il abattit leur orgueil, et réduisit à néant leur impiété ; comme il bannit de la présence de sa clarté, tous ceux qui veulent s'opposer à lui ; ainsi que le montre mon serviteur Job, lorsqu'il dit : La lumière des impies s'éteindra, (l'enfer) les couvrira de ses ondes, ils auront en partage les tourments de sa colère. Ils seront comme le brin de paille sous la rage du vent, et comme la cendre que le tourbillon disperse (2).

(1) Dieu créateur dont la beauté est incomparable et la gloire inaccessible. - Ce sentiment d'orgueil de Satan est la cause initiale de sa chute. Note du Trad.
(2) Lucerna impiorum extinguetur, et superveniet eis inundatio, et dolores dividet furoris sui. Erunt sicut paleae ante faciem venti, et sicut favilla quam turbo dispergit. (
Jb 21,17)


  Ce qui veut dire que la gloire de la méchanceté superbe, procédant d'une fausse prospérité, comme l'illustration de l'honneur, dans la volonté de la chair de ceux qui ne craignent pas Dieu, (mais qui le méprisent dans leur impiété perverse, dédaignant de savoir que nul ne peut lutter contre Lui, et voulant consumer dans le brasier de leur férocité tout ce qui s'oppose) (à leur perversité) : celle-là, à l'heure de la vengeance de Dieu, sera foulée aux pieds comme la terre, et, en vertu du jugement suprême, s'appesantira sur les impies eux-mêmes, l'abjection de l'indignation de tous ceux qui habitent sous le ciel, de telle sorte qu'ils seront en horreur et à Dieu et aux hommes. Mais parce que Dieu ne leur permet pas d'avoir ce qu'ils veulent, crispés par la douleur, ils se démènent parmi les hommes, dans le délire de leur insanité, parce qu'ils brûlent de posséder ce que Dieu ne veut pas qu'ils engloutissent (dans leurs désirs insatiables). Et comme, de cette manière, ils s'éloignent de Dieu, ils sont comparés aux choses inutiles, puisqu'ils n'accomplissent aucune oeuvre bonne, ni pour Dieu, ni pour les hommes, retranchés qu'ils sont de la tige de vie, par l'oeil prévoyant de la circonspection divine. C'est pourquoi, seront condamnés au même sort, ceux qui se laissent emporter par le goût fade des rumeurs iniques, et ainsi ne reçoivent pas la rosée fécondante du St-Esprit.

  Mais ce lac si large et si profond qui t'apparaît est l'enfer qui se mesure à l'énormité (l'étendue) des vices et à la grandeur des pertes (des réprouvés) ; son orifice est comme celui d'un puits, et il exhale, avec une odeur fétide une fumée de flamme ; parce que dans sa voracité, voulant engloutir les âmes, il leur montre des délices et des jouissances, mais il les conduit par une déception perverse, à la perversité des tourments, dans un brasier ardent d'où sortent des nuages de fumée noire, exhalant des vapeurs fétides ; parce que ces cruels tourments, sont destinés au démon et à ceux qui le suivent (en s'écartant du souverain bien, sans vouloir le connaître et le comprendre) ; c'est pourquoi ils ont été rejetés de tout bien, non parce qu'ils l'ignorèrent, mais parce que, dans leur orgueil démesuré, ils le méprisèrent. Que signifie cela ? Dans la chute de Satan, ces ténèbres extérieures, qui concentrent toutes les peines, furent créées ; parce que ces esprits malins, au lieu de la gloire qui leur fut préparée, préférèrent la misère des diverses peines ; et à la place de la lumière dont ils jouirent, ils se couvrirent d'épaisses ténèbres. Comment? Lorsque l'ange superbe se dressa sur lui-même, comme la couleuvre, la prison infernale s'ouvrit ; parce qu'il ne put se faire, que quelqu'un prévalût contre Dieu. Et comme il ne conviendrait pas qu'il y eût deux coeurs dans une poitrine, ainsi dans le ciel, il ne put y avoir deux dieux. Et parce que le démon, avec les siens, satisfit sa présomption superbe, il trouva le lac de perdition préparé pour lui.

  Ainsi les hommes qui les imitent dans leurs actes, deviennent participants de leurs peines selon leur mérite. Mais il y a des âmes qui, étant parvenues au comble de la damnation, sont rejetées de la science de Dieu ; et elles subiront les peines infernales, sans la consolation d'en voir la fin ; d'autres, au contraire, n'étant pas dans l'oubli de Dieu, mais en vertu d'un examen suprême, accomplissant la purgation des péchés dans lesquels elles sont tombées, verront enfin briser leurs liens, et parviendront au lieu du repos. Que signifie cela ? La géhenne est ouverte à ceux qui restent sans repentir dans l'oubli de Dieu, au fond de leur coeur ; les autres tourments sont destinés à ceux qui, bien qu'ils fassent des oeuvres mauvaises, n'y persévèrent pas cependant jusqu'à la fin, mais regardent enfin vers Dieu dans les larmes du repentir.

  C'est pourquoi, que les fidèles fuient le démon et aiment Dieu, en renonçant aux oeuvres mauvaises ; et qu'ils accomplissent le bien, avec les attributs de la pénitence, comme mon serviteur Ezéchiel, inspiré par moi, les y exhorte lorsqu'il dit : Convertissez-vous et faites pénitence de toutes vos iniquités, et l'iniquité ne sera pas pour vous une cause de ruine (3). Ce qui signifie : O vous, hommes qui jusqu'ici gisez dans le péché, souvenez-vous de votre nom de chrétien, en vous convertissant à la voie du salut ; et accomplissez d'autres oeuvres dans la fontaine de la pénitence. Vous qui d'abord avez commis beaucoup de crimes dans la multitude de vos vices, relevez-vous de vos mauvais penchants, afin que l'iniquité dans laquelle vous croupissez, ne vous accable pas dans la ruine de la mort ; parce que vous y avez renoncé au jour de votre rédemption.

(3) Convertimini et agite paenitententiam ab omnibus iniquitatibus vestris, et non erit vobis in ruinam iniquitas. (Ez 18,30).


  Et de cette manière la gloire des anges vous suivra, parce que vous vous séparerez du démon pour courir vers Dieu, le connaissant mieux dans les bonnes actions, que vous ne pouviez le connaître auparavant, lorsque vous étiez assujetti à la moquerie de l'antique séducteur. Mais que du même lac, une nuée noire s'exhalant atteigne une hauteur presque imperceptible à la vue : cela signifie que de la profondeur de sa perte, la tromperie diabolique faisant sortir le serpent venimeux, qui renfermait en soi le crime d'une intention frauduleuse, (Satan) envahit le domaine de l'homme, pour le tromper. Comment ?

  Parce que lorsque le démon vit l'homme dans le paradis, il s'écria avec une grande indignation - Oh ! qui m'égalera dans le séjour de la véritable béatitude ? Ainsi il savait en lui-même, qu'il n'avait pas encore satisfait la malice qu'il avait en lui, sur une autre créature ; mais voyant Adam et Eve passer (leur vie) dans une innocence candide, au milieu du jardin de délices, il se porta, dans sa fourberie, vers eux, sous la forme du serpent, pour les tromper.

  Pourquoi ? Parce qu'il sut qu'il pourrait plus aisément jouer son rôle par le serpent, que par un autre animal ; et il s'efforça de mener à bonne fin, par son artifice, ce qu'il n'aurait pu accomplir sous sa forme réelle. Aussi, lorsqu'il vit qu'Adam et Eve s'éloignaient, d'esprit et de corps, de l'arbre défendu, il comprit en lui-même qu'il y avait là pour eux un précepte divin, et que dans la première oeuvre qu'ils entreprendraient, il les détournerait facilement.

  Il ne savait pas en effet que cet arbre était défendu, mais il l'apprit selon l'épreuve de son artificieuse interrogation, et d'après leur réponse. C'est pourquoi, dans cette région lumineuse, s'exhala par le moyen d'une nuée ténébreuse, la nuée blanche (et lumineuse) qui était sortie de la belle forme humaine, contenant en elle de nombreuses étoiles ; puisque Satan envahit, pour sa perte, par la séduction du serpent, dans le même lieu de délices, Eve qui avait une âme innocente, Eve qui avait été tirée d'Adam dans son innocence, portant dans son corps toute la multitude de la race humaine, déjà vivante dans la pré-ordination divine.

  Pourquoi cela ? Parce qu'il savait que la faiblesse de la femme serait plus facile à vaincre que la force de l'homme ; il voyait aussi qu'Adam était pénétré d'un amour (4) si violent pour Eve, que s'il réussissait à la vaincre, tout ce qu'elle dirait à Adam, celui-ci le ferait. Et ainsi, le démon la bannit de cette région, elle et la forme de l'homme ; bien plus, le même antique séducteur, en chassant par sa fourberie Adam et Eve du siège de leur béatitude, les plongea dans les ténèbres de la discorde. Comment ? Il séduisit d'abord Eve, afin que celle ci, par ses flatteries, obtînt l'assentiment d'Adam ; parce qu'elle pouvait entraîner plus rapidement Adam à la désobéissance, que les autres créatures ; car elle avait été tirée d'une côte d'Adam. C'est pourquoi la femme fit tomber si aisément l'homme, car, comme il ne la détestait pas, il agréa facilement ses paroles.

(4) Amour de charité et non de concupiscence qui ne pouvait exister avant le péché. N. du T.


  Mais ce ne fut pas à Adam enfant, mais à Adam homme parfait, qu'une femme parfaite fut donnée ; car, lorsque l'homme ayant atteint l'âge de son complet développement, peut engendrer (puberté), il faut l'unir à une femme (nubile) ; de même, lorsque l'arbre commence à donner des fleurs, il faut le cultiver avec plus de soins. Car Eve fut formée d'une côte d'Adam et de sa chair, vivifiée de son sang ; et c'est pourquoi maintenant, la femme, après avoir reçu la semence provenant de la force et de l'ardeur virile, est destinée à multiplier la race dans le monde ; l'homme est en effet le semeur, et la femme reçoit la semence ; d'où vient que la femme reste sous la puissance de l'homme ; car la force de l'homme est à la faiblesse de la femme, comme la pierre dure est à la terre molle. Mais que la première femme ait été formée de l'homme, cela indique l'union matrimoniale de l'homme avec la femme. Et il faut le comprendre ainsi : cette union ne doit pas être contractée à la légère et dans l'oubli de Dieu, parce que Celui qui forma la femme d'une côte de l'homme, institua cette union pour le bien et pour l'honneur, en formant la chair de la femme de la chair de l'homme. C'est pourquoi, de même qu'Adam et Eve ne firent qu'une seule et même chair, ainsi maintenant l'homme et la femme ne forment qu'une chair, dans l'union de charité, pour multiplier le genre humain.

  Par conséquent, la parfaite charité doit exister dans ces derniers, comme elle exista dans les premiers. (5)

(5) Pour que l'accord soit parfait, par le secours de la grâce d'en haut, l'union doit se faire totale de deux corps et de deux âmes, en un seul corps et une seule, âme. Caro una et anima una. N. d. T.


  Adam, en effet, pouvait incriminer son épouse, de ce que, par son conseil, elle lui avait apporté la mort ; mais il ne la quitta pas, tant qu'elle vécut dans ce siècle, parce qu'il connut qu'elle lui avait été donnée par Dieu. Aussi, en vertu de la charité parfaite, que l'homme n'abandonne pas sa femme ; si ce n'est, pour le motif raisonnable que lui propose l'Église fidèle. Et que nulle division ne s'accomplisse, si ce n'est lorsque les deux conjoints, dans un même esprit, veulent regarder vers mon Fils, et se dire, dans l'ardeur de leur amour pour lui : Nous voulons quitter le monde, et suivre celui qui a souffert pour nous. Que si les deux ne sont pas d'accord, sur le même voeu de quitter le monde, alors qu'ils ne se séparent nullement l'un de l'autre ; parce que, de même que le sang ne peut être séparé de la chair, tant que la vie réside en elle ; ainsi, le mari et l'épouse ne se séparent pas l'un de l'autre, mais ils vont ensemble, n'ayant qu'une même volonté. Mais si la prévarication de la loi dans la fornication, se trouve dans le mari ou dans la femme, alors (leur crime) étant divulgué, par eux-mêmes ou par leurs prêtres, ils devront subir, selon ce qui est juste, la censure de leur maître spirituel. Le mari s'enquerra selon la justice de Dieu, devant l'Eglise et les prélats, de la transgression conjugale de la femme, et la femme, de celle de son mari ; non cependant, de telle sorte que, le mari ou l'épouse puisse contracter une autre union ; mais eux-mêmes, ou bien ils resteront ensemble, selon la règle du mariage, ou ils s'abstiendront ensemble du rapport conjugal, selon ce qui leur sera indiqué, d'après la discipline de la règle ecclésiastique ; et ils ne se déchireront pas par des morsures de vipère, mais ils s'aimeront d'une affection pure, parce qu'il ne peut y avoir mari et femme, s'ils ne sont unis par ce lien ; comme mon ami Paul en rend témoignage lorsqu'il dit : Comme la femme est sortie de l'homme, ainsi l'homme (naît) par la femme, mais toutes choses viennent de Dieu. (6) Ce qui veut dire : La femme a été créée pour l'homme, et l'homme a été fait pour la femme ; parce que ce que celle-ci est, touchant le mari, le mari doit l'être, touchant la femme ; de peur que l'un ne se sépare de l'autre, dans l'unité de leur progéniture, car ils accomplissent ensemble la même oeuvre, comme l'air et le vent mêlent leurs efforts dans un but commun. Comment ? L'air est agité par le vent, et le vent tourbillonne dans l'air, de telle sorte que dans leur évolution toutes les plantes verdoyantes leur sont soumises. Que signifie cela ? La femme coopère avec le mari à la procréation des enfants, d'où résultent de grands crimes, quand la fornication, aux jours de la procréation des enfants, engendre la division ; parce que l'homme et la femme retranchent leur propre sang du lieu où il a pris sa source, pour le rejeter dans un autre.

(6) Sicut mulier de viro, ita et vir per mulierem : omnia autem ex Deo. (1Co 11,12).


  Il leur reste les fraudes de Satan et la colère de Dieu, parce qu'ils ont rompu le pacte établi par Dieu. C'est pourquoi, malheur à eux, quand leurs péchés ne leur sont pas remis ! Mais bien que l'homme et la femme coopèrent, comme il a été dit, s'il s'agit de leur progéniture ; cependant toutes choses, l'homme, la femme et les autres créatures dépendent de la disposition et de l'ordre divin ; parce que Dieu les fait selon sa volonté.

  Mais avant l'incarnation de mon Fils, quelques-uns, dans le peuple ancien, avaient, selon sa volonté, plusieurs épouses ; parce qu'ils n'avaient pas encore entendu la prohibition facile à démontrer, que mon Fils venant en ce monde, donna pour la juste réglementation de cette union entre le mari et l'épouse, union qui doit ressembler pendant toute leur vie, à celle d'Adam et d'Eve ; parce que ce lien doit être contracté, non selon la volonté de l'homme, mais selon la crainte de Dieu ; car il vaut mieux le contracter d'après les dispositions de la règle de l'église, que de désirer la fornication ; quoique cependant, vous autres hommes, négligeant ces règles, vous assouvissiez votre luxure, non comme des hommes mais comme des bêtes. - Mais que la foi droite et le pur amour de la connaissance de Dieu soient chez le mari et l'épouse, de peur que leur semence étant souillée par un art diabolique, la vengeance divine ne les frappe, lorsqu'ils se déchirent (par la haine) l'un l'autre, et qu'ils répandent leur semence inhumainement, selon la manière lascive des animaux.

  Aussi, quand l'envie les mord comme la vipère, et qu'il y a en eux une vicieuse superfluité de semence, sans nulle crainte de Dieu, ni règle de vie humaine, il arrive souvent, pour le châtiment de leur perversité que, par un juste jugement de Dieu, ceux qui naissent d'eux sont disgraciés de la nature, et ne peuvent jouir d'une vie prospère ; à moins que, acceptant la pénitence qu'ils font de leur crime, je me montre miséricordieux envers eux. Car de ceux qui m'invoqueront pour l'expiation de leurs péchés, j'accepterai la pénitence, par amour de mon Fils ; par ce que de celui qui lèvera son doigt vers moi, en se repentant, c'est-à-dire de celui qui me fera entendre les gémissements de son coeur, dans la pénitence, en disant : Seigneur, j'ai péché devant vous (7); mon Fils (qui est le prêtre des prêtres), me fera agréer la pénitence ; car la pénitence qui est offerte aux prêtres, par amour de mon fils, obtient le pardon des péchés pour ceux qui la font. C'est pourquoi, les hommes qui produisent de dignes fruits de pénitence, sortent de la mâchoire de Satan, qui voulant engloutir le hameçon de la toute puissance, blesse fortement la sienne ; ce qui fait qu'alors, les âmes fidèles s'écartant de la perdition, parviennent au salut. Comment ? Parce que les prêtres qui invoquent mon nom auprès des autels, reçoivent la confession des peuples et leur administrent le remède du salut. C'est pourquoi, quiconque veut se rendre Dieu favorable, ne souillera pas sa semence dans la diversité des vices, car ceux qui prodiguent leur semence dans la fornication ou dans l'adultère, rendent plus vicieux les fils qui naissent d'eux, de cette manière. Comment ? Celui qui met dans un vase purifié de la boue ou des ordures, rend-il le vase intact ? De même, celui qui corrompt sa semence par la fornication ou l'adultère, peut-il engendrer des fils valeureux ? Mais un grand nombre travaillent, selon la diversité de leurs moeurs et de leur tempérament ; d'autres deviennent prudents pour le siècle et pour Dieu. Et c'est avec eux que la céleste Jérusalem se remplit ; parce qu'ils abandonnent le vice, aiment la vertu ; et que dans la chasteté et les oeuvres méritoires ils imitent mon Fils, accomplissant son martyre, chacun dans son corps, suivant sa passibilité. - Quand je ne veux pas que des enfants naissent d'un homme, j'enlève les germes virils de la semence, pour qu'elle ne se coagule pas dans le ventre de la mère ; comme je refuse les germes fertilisants à la terre, quand je le juge nécessaire à la manifestation de ma justice. Mais pourquoi t'étonnes-tu, ô homme, que je permette que des enfants naissent dans l'adultère et les autres crimes de cette sorte ? mon jugement est juste. Car à partir de la faute d'Adam, je n'ai pas trouvé dans l'humaine semence la justice qu'elle devait avoir, dès que Satan l'eut mise en fuite par le goût de la pomme, c'est pourquoi j'envoyai mon Fils, né dans le monde d'une vierge sans aucun péché ; afin que, en vertu de son sang, dans lequel il n'y avait aucune souillure de la chair, il enlevât au démon les dépouilles qu'il avait ravies à l'homme.

(7) Peccavi, Domine, coram te.


  Car ni l'homme conçu dans le péché, ni l'ange non revêtu de la chair, ne pouvait soustraire à la puissance de Satan l'homme gisant dans le péché et infirme dans son corps ; seul, celui qui vint (dans le monde) avec un corps sans péché, put le délivrer par sa passion. C'est pourquoi, bien que les hommes soient nés dans le péché, cependant je les réunis pour la vie éternelle et le royaume céleste, lorsqu'ils le recherchent avec fidélité. Car nulle perversité ne peut m'enlever mes élus, comme la Sagesse en rend témoignage lorsqu'elle dit : Les âmes des justes sont entre les mains de Dieu, et le tourment de la mort ne les atteindra pas (8). Ce qui veut dire : Les âmes de ceux qui suivent le chemin de la justice, sont, avec un tendre dévouement, dans le plan de l'assistance divine ; de telle sorte que, à cause des bonnes oeuvres par lesquelles ils tendent vers le ciel, dans les hauteurs de la justice, les tourments de la damnation ne les briseront pas ; parce que la vraie lumière les garde dans la crainte et l'amour de Dieu.

(8) Justorum animae in manu Dei sunt, et non tanget illos tormentum mortis. (Sg 3,1)


  Mais après qu'Adam et Eve eurent été chassés du lieu de délices, ils connurent en eux l'oeuvre de la conception et de la parturition ; et ainsi, par leur désobéissance, tombant dans la mort, ils conçurent la douceur du péché, lorsqu'ils connurent qu'ils pouvaient pécher. Mais de cette manière, détournant la droiture de mon institution vers la convoitise du péché, lorsqu'ils devaient savoir que le trouble de leurs sens n'était pas en vue de la douceur du péché, mais de l'amour des enfants ; par la suggestion du démon, ils la rapportèrent à la volupté et ainsi, perdant l'innocence de leur progéniture, ils la tournèrent vers le péché. Aussi, comme cela ne s'est pas fait sans la persuasion satanique, le démon employa toutes ses flèches à l'accomplissement de cette oeuvre ; afin qu'elle ne fût pas achevée sans lui ; c'est pourquoi il dit : Ma force est dans la conception de l'homme, par là, l'homme m'appartient. Et voyant que l'homme devait être participant de ses peines, parce qu'il lui avait obéi, il disait de nouveau en lui-même : Toutes les iniquités sont contraires au Dieu très puissant, parce qu'il n'est nullement injuste. Et le trompeur mit dans son coeur, comme un signe certain, que l'homme qui lui avait obéi spontanément, ne pourrait lui être enlevé. C'est pourquoi il y eut en moi un conseil secret, pour envoyer mon fils sur la terre en vue de la rédemption des hommes, afin qu'ils fussent rendus à la céleste Jérusalem.

  Et nulle iniquité ne peut résister à ce conseil, lorsque mon Fils venant en ce monde, attira à lui tous ceux qui voulaient l'entendre et l'imiter, en désertant le péché. Car je suis juste et droit et ne veux aucunement l'iniquité, que tu aimes, ô homme, lorsque tu reconnais que tu peux pécher.

  Lucifer et l'homme, au commencement de leur création, tentèrent de se révolter contre moi, et ils ne purent se maintenir, abandonnant le bien pour choisir le mal.

  Mais Lucifer comprit tout le mal, et fut rejeté de tout bien qu'il ne goûta nullement, et il tomba dans la mort. Adam, au contraire goûta le bien, lorsqu'il commença d'obéir ; puis il désira le mal et l'accomplit dans sa concupiscence, lorsqu'il désobéit à Dieu.

  Pourquoi cela s'est-il fait ? L'homme mortel ne doit pas le rechercher, parce qu'il ne peut le savoir, pas plus qu'il ne peut savoir ce qui a été avant que le monde fût, et ce qui sera après le dernier jour. Dieu seul le sait, et ses élus autant qu'il leur permet de le connaître.

  Mais la fornication qui est commune aux hommes, est abominable à mes yeux ; parce que, dès le commencement, j'ai établi l'homme et la femme pour l'honneur, et non pour l'ignominie.

  C'est pourquoi ces hypocrites qui disent, qu'il leur est licite de commettre la fornication avec qui bon leur semble, suivant l'instinct de la brute, sont indignes à mes yeux ; parce que, méprisant l'honneur et la sublimité de leur raison, ils imitent les animaux, et se rendent semblables à eux. Malheur à ceux qui vivent ainsi et persévèrent dans leur turpitude.

  Je ne veux pas aussi que le même sang se mêle dans le mariage, où l'ardeur de l'amour n'est pas atténué par la consanguinité ; de peur qu'il en résulte un amour impudent, au souvenir de la consanguinité ; mais le sang d'une lignée étrangère convient, dans lequel ne fermente aucun reste de consanguinité ; afin que la discipline humaine soit sauvegardée. Parce que le lait cuit, une fois ou deux, ne perd pas sa saveur ; tandis que, coagulé ou cuit pour la septième ou huitième fois, perdant ses vertus, il ne garde sa saveur délectable que dans la nécessité. Et de même que la marque de consanguinité doit être inconnue dans sa propre épouse, ainsi la marque de consanguinité de la première épouse, doit être abhorrée dans une autre union. Que l'homme ne contracte pas de liens semblables, comme le défend l'Eglise par ses docteurs, qui l'ont affermie par leur grande sollicitude et leur sainteté.

  Si dans l'Ancien Testament, les hommes se sont unis selon le précepte de la loi, malgré le lien de consanguinité, c'est à cause de leur (endurcissement) pour qu'ils eussent la paix ; et que les liens de charité fussent si forts entre eux, que les tribus divisées ne se mêlant pas par l'alliance des Gentils, ils ne rompissent pas mon pacte ; jusqu'à ce que le temps vint dans lequel mon Fils, apportant la plénitude de la charité, changea, pour la sauvegarde de la pudeur, le lien de consanguinité charnelle, pour former celui d'une autre lignée. Aussi, comme l'épouse de mon Fils a reçu maintenant, dans le saint baptême, le lien de ma crainte et la véritable justice, le lien de consanguinité lui répugne fort ; parce que la fornication, sans pudeur et sans modération de passion, s'embraserait plus aisément, pour une oeuvre infâme, dans l'union de l'homme et de la femme de même sang que d'un sang étranger. Et moi, je déclare ces choses par cette femme qui n'a jamais connu d'homme, et qui reçoit ce discours, non d'une vertu humaine, mais de la science de Dieu.

  - Sed quid nunc : Cum autem masculus in forti aetate est, ita quod venae illius sanguinae plenae sunt, tunc fertilis in semine suo est, tunc mulierem in desponsatione legitimae institutionis sibi accipiat, quae etiam in ferventi aetate existens, semen illius cum verecundia suscipiat, et illi prolem in via rectitudinis gignat. Sed vir ante annos fortitudinis suae semen suum in superfluitate libidinis non ejiciat, quia hoc probatio peccati suggerente diabolo est, si semen suum in concupiscentia libidinis seminare tentaverit, antequam ipsum semen rectam coagulationem in fervente calore habere possit.

  Et cum vir jam fortissimus in generationis opere est, tunc vires suas, secundum quod potest, in illo tempore non exerceat quoniam, si tunc ad diabolum respicit, opus diabolicum operatur, corpus etiam suum contemptibile faciens, quod omnino illicitum est. Vir autem secundum quod eum humana natura docet, in fortitudine caloris et in abundantia seminis sui rectum iter in uxore suo quoerat ; et hoc cum humana disciplina ob studium filiorum faciat. Sed nolo ut idem opus fiat in separatione mulieris, cum jam fluxum sanguinis sui patitur : quod est apertio occultorum membrorum uteri ejus, ne fluxtis sanguinis ejus susceptum semen maturum effundat, et ita semen effusum pereat ; se enim tunc mulier in dolore et in carcere positam videt : portionem scilitet doloris partus sui tangens.

  Mais je ne blâme pas ce temps de souffrance pour la femme, car je l'ai infligé à Eve, lorsqu'elle conçut le péché en goûtant le fruit défendu. Pendant ces jours, la femme doit être environnée de toutes sortes de soins charitables, et elle-même doit garder dans la retraite les règles de la discipline, non cependant qu'elle soit obligée de s'éloigner de mon temple, mais y pénétrer, avec permission, dans son rôle d'humilité, pour son salut.

  Comme l'épouse du fils de Dieu (l'Eglise) est toujours dans son intégrité : que l'homme blessé, dont l'intégrité des membres a été divisée par quelque coup reçu, n'entre pas dans mon temple, sinon dans le cas d'une extrême nécessité, de peur d'être vu ; ainsi qu'il est arrivé pour Abel qui fut le temple de Dieu, et dont les membres furent cruellement divisés dans leur intégrité par Caïn son frère.

  Mais lorsque la femme est dans l'enfantement, comme elle est blessée dans ses membres cachés, qu'elle ne pénètre dans mon temple que suivant les prescriptions de la loi donnée par moi afin que les saints sacrements de mon temple restent inviolables, éloignés de toute pollution et de toute douleur de l'homme et de la femme ; parce que mon Fils a été engendré par une Vierge très pure, qui demeura dans son intégrité sans aucune souillure du péché (9). Le lieu qui est consacré à l'honneur de mon Fils doit être, en effet, préservé de toute souillure provenant des blessures et du sang ; parce que mon Fils unique connut en lui l'intégrité de l'enfantement virginal.

(9) Inviolata, integra et casta est Maria. Hymne d'Egl.


  Unde et mulier quae integritatem virginitatis suae cum viro corrupit, in livore plagae suae qua corrupta est ab ingressu templi mei se contineat, usque dum plaga vulneris ipsius sanetur, secundum quod ecclesiastica disciplina ipsi de eadem catisa certissime demonstrat.

  Car lorsque l'Epouse (l'Eglise) fut unie à mon Fils, Jésus-Christ, sur l'arbre de la croix, elle-même se renferma dans le silence, jusqu'à ce que mon Fils ordonna à ses disciples, d'annoncer la vérité de l'Evangile par le monde entier ; ensuite, elle ressuscita ouvertement (comme le Christ), et annonça manifestement la gloire de son époux, dans la génération de l'Esprit et de l'eau. Que la vierge qui est unie à un époux fasse ainsi, avec une pudeur modeste, pendant le temps, que la censure ecclésiastique lui propose : qu'elle demeure dans la retraite ; et ce temps écoulé, qu'elle sorte de sa solitude et s'adonne à l'affection de son mari.

  Je ne veux pas non plus que le dit acte de l'homme et de la femme s'accomplisse, lorsque déjà l'embryon de l'enfant est dans le sein de la mère, jusqu'à ses relevailles ; de peur que l'enfant embryonnaire soit souillé par la semence superflue et perdue ; et cela ne doit pas être empêché par violence mais en toute droiture, pour l'amour des enfants.

  Ainsi le genre humain est établi pour procéder à l'oeuvre de la procréation, en toute honnêteté, selon la discipline humaine ; et non comme le prétendent les hommes insensés et vains, qui disent qu'il leur est permis d'assouvir leur passion suivant leur volonté, et qui s'écrient : Comment pouvons-nous nous contenir, d'une manière si inhumaine ? O homme, si tu écoutes le démon, il t'entraîne vers toutes sortes d'oeuvres mauvaises ; et il te donne la mort, par son venin mortel ; mais si tu lèves tes yeux vers Dieu, lui-même t'accorde son secours, et il te rend chaste. Est-ce que, dans cet acte, tu ne préfères pas la volupté à la chasteté ?... La femme est soumise à l'homme, qui répand en elle sa semence ; et ainsi, il travaille la terre, pour qu'elle porte des fruits. Est-ce que l'homme cultive la terre, pour qu'elle produise des ronces et des épines ? Non certes, mais pour qu'elle donne un bon fruit. Ainsi doit se porter le zèle de l'homme vers l'amour de ses enfants, et non vers les entraînements de la passion. O hommes, pleurez et criez vers votre Dieu, que si souvent vous méprisez dans vos péchés, lorsque dans la plus honteuse fornication vous rejetez votre semence ; alors, vous n'êtes pas seulement des fornicateurs, mais aussi des homicides, parce que, dédaignant le respect dû à Dieu, vous assouvissez votre passion, selon votre volonté. Aussi, le démon vous poursuit-il sans cesse dans cet acte, sachant que vous préférez la satisfaction de votre concupiscence, à la joie de vos enfants.

  Ecoutez donc, vous qui êtes dans les tours de l'Eglise. Ne m'accusez pas dans votre fornication, mais considérez-vous vous-mêmes ; parce que, lorsque vous courez vers le démon, en me méprisant, vous accomplissez des actes illicites ; et c'est pourquoi vous ne voulez pas être chastes, comme parle mon serviteur Osée, au sujet du peuple impudique, lorsqu'il dit : Ils ne dirigeront pas leurs pensées vers le retour à Dieu, parce que l'esprit de fornication est au milieu d'eux, et ils n'ont pas connu Dieu (10). Ce qui veut dire : Les hommes mauvais, ne connaissant pas Dieu, cachent la face de leur coeur, et ne la retournent jamais vers lui, dans les diverses évolutions de leurs intrigues, pour revenir vers la vraie clarté. Ils ne peuvent distinguer d'un oeil clairvoyant les choses de Dieu ; mais ils nourrissent le mal en eux-mêmes, parce que le souffle impétueux de l'impureté, par la suggestion de Satan, amollit la force virile qu'ils devraient avoir en eux, et ne les laisse pas placer en Dieu leur conscience bonne, tandis que son adversaire (Satan) les éloigne de la vie bienheureuse.

(10) Non dabunt cogitationes suas ut revertantur ad Deum suum, quia spiritus fornicationis in medio eorum, et Deum non cognoverunt. (Os 5,4)


  Mais maintenant je veux me retourner vers mes brebis très aimantes que je garde au fond de mon coeur, et qui sont la semence de la chasteté ; (car la virginité a été plantée par moi, et mon Fils est né d'une Vierge). C'est pourquoi la virginité est le fruit le plus beau entre tous les fruits de la vallée, c'est un grand personnage entre tous les personnages, qui forment la cour du souverain roi ; parce qu'elle n'est pas soumise au précepte de la loi, puisqu'elle a donné mon Fils unique au monde. C'est pourquoi, qu'ils écoutent ceux qui veulent suivre le Fils de Dieu, dans l'innocence de la libre chasteté, et dans la séparation de la tristesse de la viduité ; parce que plus noble est la virginité, qui s'est toujours conservée intacte dès le commencement, que la viduité opprimée sous le joug de l'homme ; quoique cependant, après la douleur de la perte du mari, on suive la virginité.

  Mon Fils, en effet, a supporté dans son corps de multiples douleurs, et la mort de la croix ; aussi aurez-vous à supporter dans son amour de nombreuses angoisses, lorsque vous extirperez en vous, ce qui a été semé dans la volupté du péché, depuis le fruit de l'arbre défendu. Mais cependant, en retenant dans votre semence les ruisseaux débordant de l'embrasement de la passion, lorsque vous ne pouvez pas être assez chastes, pour que la fragilité de l'humaine faiblesse ne se montre secrètement en vous : dans ce labeur, vous devez imiter la passion de mon Fils, lorsque vous résistez à vous-mêmes, en éteignant en vous l'ardente flamme de la volupté, ou en réprimant les autres passions séculières qui sont du monde, comme la colère, l'orgueil, la luxure et les autres vices de même sorte ; et en rapportant, dans un grand combat, cette victoire. Aussi ces luttes m'apparaissent plus fécondes et plus resplendissantes que le soleil, et d'un parfum plus excellent que l'odeur suave des aromates ; parce que vous imitez mon fils unique dans ses souffrances, lorsque vous réprimez en vous, dans un si rude combat, les feux de la volupté. Et quand vous persévérez ainsi, vous méritez une gloire éclatante dans le royaume céleste.

  O fleurs admirables, mes anges admirent, dans votre combat, que vous évitiez la mort ; que dans la boue empoisonnée du monde vous ne soyez pas souillées, malgré que vous portiez un corps de chair, que vous foulez aux pieds par ce voeu (de chasteté) ; ce pourquoi vous serez glorifiées dans leur compagnie, puisque, à leur ressemblance, vous apparaissez pures et sans tache. Aussi réjouissez-vous dans votre persévérance, parce que je suis avec vous, puisque vous m'avez reçu fidèlement, et que vous avez observé ma parole avec la joie de votre coeur ; comme je le montre à mon bien aimé Jean, dans une vision secrète, en disant : Voici que je m'arrête à la porte et je frappe : si quelqu'un écoute ma parole, j'entrerai auprès de lui, je mangerai avec lui, et lui avec moi. (11) Ce qui veut dire : Vous qui m'aimez fidèlement, moi votre sauveur, voyez, que dans ma volonté de vous secourir, j'attends devant le tabernacle de votre coeur, en considérant ce que contient votre conscience dans la cassette de son coeur, et en rappelant le souvenir de votre esprit, j'ouvre votre âme, pour qu'elle reçoive la bonne volonté. Que si alors le coeur fidèle perçoit le son de mon amour, je m'unis à lui et je l'embrasse ; je prends avec lui une nourriture incorruptible, puisque lui-même il se donne à moi, comme un mets délicieux, dans les bonnes oeuvres ; et il goûte en moi le pain de vie, car il l'aime ; ce qui apporte la justice à ceux qui désirent la vie.

(11) Ecce sto ad ostium et pulso : si quis audicrit vocem meam intrabo ad illum, et caenabo cum illo, et ipse mecum. (Ap 3,20).


  Mais comme tu vois, Adam et Eve étant expulsés du paradis, une splendeur lumineuse environna cette région, parce que, après qu'ils eurent quitté le lieu de délices, à cause de leur transgression, la puissance de la divine majesté écarta de ce lieu toute souillure de contagion et l'environna de sa clarté, comme d'un rempart ; pour que désormais, il ne fût pas détourné de sa destination ; montrant aussi, que la transgression qui s'était produite dans ce lieu, devait être un jour abolie par sa clémence et sa miséricorde. Et ainsi tous les éléments du monde, qui d'abord étaient restés en paix, subirent une grande perturbation, et manifestèrent des troubles horribles ; parce que la créature, qui avait été faite pour le service de l'homme et n'avait subi en soi aucune adversité, (l'homme faisant sienne la désobéissance et devenant rebelle à son Créateur), perdit sa tranquillité et fût saisie d'inquiétude, causant à l'homme de grands et multiples tourments ; parce que s'étant lui-même détourné du devoir, il devait être châtié par elle. Pourquoi cela ? Parce que l'homme s'était révolté contre Dieu dans le lieu de délices, la créature, qui avait été soumise au service de l'homme, s'opposa désormais à sa volonté.

  Le paradis est un lieu de délices, qui resplendit dans l'épanouissement des fleurs et des plantes, au milieu des parfums de tous les aromates, lieu embelli pour la joie des âmes bienheureuses, où la terre aride devient riche et fertile, étant sans cesse vivifiée, comme le corps par l'âme ; parce que le paradis n'est pas obscurci, pour cacher les pécheurs et les perdre. C'est pourquoi écoutez-moi et comprenez-moi, vous qui dites dans vos coeurs : Quelles sont ces choses, et pourquoi sont-elles ? Oh ! comment êtes-vous si insensés dans vos coeurs, vous qui avez été faits à l'image de Dieu et à sa ressemblance ?

  Tant de gloire et d'honneur qui vous avaient été donnés, pouvaient-ils rester sans épreuve ? tandis que l'or qui n'est que néant doit être éprouvé par le feu, et que les pierres précieuses doivent être purifiées et polies, et que toutes les choses doivent être transformées ainsi : O hommes insensés ! comment ce qui a été fait à l'image et à la ressemblance de Dieu, pourrait-il rester sans épreuve ? L'homme, en effet, doit être examiné de préférence à toute créature, et éprouvé plus que tout le reste, et par toute créature.

  Comment ? L'esprit doit être éprouvé par l'esprit, la chair par la chair, la terre par l'air, le feu par l'eau, la guerre par la paix, le bien par le mal, la beauté par la difformité, la pauvreté par la richesse, la douceur par l'amertume, la santé par l'infirmité, la longueur par la brièveté, la dureté par la mollesse, la hauteur par la profondeur, la lumière par les ténèbres, la vie par la mort, la joie par la peine, le ciel par la géhenne, les choses terrestres avec les choses terrestres, et les célestes avec les célestes. Ainsi l'homme est éprouvé en toute créature, dans le paradis, sur la terre, dans les enfers ; et il est ensuite placé dans le ciel.

  Vous voyez manifestement peu de choses, de tout ce qui est mystère devant vos yeux. Et pourquoi vous moquez-vous de tout ce qui est droit, juste, équitable et bon entre tous les biens, aux yeux de Dieu ? Pourquoi vous indignez-vous de ces choses ? Dieu est juste ; mais le genre humain dans la prévarication des préceptes divins est injuste, lorsqu'il veut paraître plus sage que Dieu. Dis-moi, ô homme, que penses-tu avoir été, lorsque tu n'étais pas dans l'âme et dans le corps ? Tu ne sais même pas comment tu as été créé ! Et maintenant, ô homme, tu veux scruter le ciel et la terre, et juger de leur justice dans la constitution divine ! connaître les choses les plus hautes (l'infiniment grand), lorsque tu ne peux apprécier les plus petites (l'infiniment petit) ! lorsque tu ne sais pas comment tu vis dans le corps, et comment tu en es dépouillé.

Celui qui t'a créé dans le premier homme, celui-là a prévu toutes ces choses. Mais le Père très bon envoya son Fils unique mourir pour le peuple, afin de délivrer l'homme de la puissance diabolique. Et l'homme ainsi délivré brille en Dieu, et Dieu en l'homme ; l'homme ayant une affinité avec Dieu, possède dans le ciel une splendeur plus grande que celle d'avant sa chute (12). Ce qui n'eût pas été, si le Fils de Dieu ne s'était pas revêtu de la chair ; parce que, si l'homme était resté dans le Paradis, le Fils de Dieu ne fût pas mort sur la croix. Mais lorsque l'homme fut trompé par le rusé serpent, Dieu touché d'une vraie miséricorde, voulut que son Fils unique s'incarnât dans une Vierge très pure ; et ainsi, après la ruine de l'homme, s'élevèrent pour resplendir dans le ciel, de nombreuses vertus, telle que l'humilité, la reine des vertus, qui fleurit dans l'enfantement virginal ; comme aussi les autres vertus, qui conduisent les élus de Dieu vers les régions célestes. Car lorsqu'un champ est bien cultivé, il produit beaucoup de fruits ; comme il a été montré, en ce qui concerne le genre humain ; puisqu'après la ruine de l'homme, de nombreuses vertus surgirent pour son relèvement. Mais ô hommes, appesantis par le corps, vous ne voyez pas cette gloire immense, qui vous est préparée, sans tache et sans mécompte, dans la pleine justice de Dieu, et que nul ne peut vous ravir ; car avant l'établissement du monde, Dieu avait prévu toutes ces choses dans la vraie justice. C'est pourquoi, ô homme, considère cette comparaison :

(12) Par l'Incarnation du Fils de Dieu et la rédemption de l'homme, le chrétien est frère du Christ et cohéritier de sa gloire. - Christianus alter Christus. C'est pourquoi il est devenu plus grand qu'avant sa chute


  Le Seigneur qui veut faire un jardin, choisit premièrement un lieu favorable ; et ensuite, disposant la place de chaque plantation, il examine l'utilité des fruits des bons arbres, leur saveur, le parfum de ceux qui portent des aromates, et la diversité des espèces. Et ainsi le Seigneur, grand et sublime jardinier, dispose chaque plantation, pour les bien discerner en vue de son utilité ; et ensuite il pense à la haie vive dont il l'environnera, afin que nul ennemi ne vienne ravager sa plantation. Alors, il établit aussi des jardiniers, qui sachent arroser le jardin, et en cueillir les fruits, pour des usages divers. C'est pourquoi, ô homme, considère diligemment que si le Seigneur prévoit que le jardin, qui ne porte aucun fruit et n'est d'aucune utilité, doit être ravagé : pourquoi un si grand et si sublime jardinier trace-t-il, plante-t-il, arrose-t-il et défend-il ce jardin, avec tant de soins et tant de labeurs ? Ecoute donc et comprends : Dieu qui est le soleil de justice, envoya sa splendeur sur la boue qu'est la prévarication de l'homme ; et cette splendeur l'illumina d'une grande clarté, car cette boue était bien horrible et épaisse. Le soleil en effet resplendit dans sa clarté ; et la boue dégage des odeurs fétides ; ce qui fait que le soleil serait admiré avec plus de délectation, si la boue ne lui était pas unie. Mais comme la boue paraît horrible à l'image du soleil, ainsi la transgression de l'homme est inique devant la justice de Dieu. Aussi, la justice doit être aimée, parce qu'elle est belle ; et l'iniquité doit être détestée, parce qu'elle est horrible. Son horreur fut cause de la perte de la brebis du Seigneur qui avait planté le jardin. Et cette brebis, par son propre consentement, non par la faute du Seigneur, fut soustraite à sa puissance ; mais dans la suite, le Seigneur la reconquit par son amour et sa justice. C'est pourquoi, les choeurs des anges furent transportés d'une grande joie, lorsqu'ils virent dans le ciel l'homme racheté. Que signifie cela ? Lorsque l'agneau innocent fut suspendu à la croix, les éléments s'agitèrent ; parce que le très noble fils de la Vierge fut mis à mort corporellement par des mains homicides. Par cette mort, la brebis perdue fut ramenée vers les pâturages de vie.

  En effet, lorsque l'antique persécuteur vit qu'il avait perdu cette brebis, à cause du sang que l'agneau sans tache avait versé, pour la rémission des péchés des hommes : alors il connut quel était cet agneau ; parce qu'il n'avait pu connaître auparavant, comment l'agneau céleste s'est incarné, sans la semence virile et sans aucune concupiscence du péché, dans le sein d'une Vierge, par l'opération du St-Esprit ; car le même persécuteur, au commencement de sa création, s'éleva au souffle de l'orgueil, se précipitant lui-même dans la mort, et éloignant l'homme de la gloire du paradis, sans que Dieu voulût lui résister par sa puissance, se réservant de l'emporter sur lui par l'humilité de son Fils. Et parce que Lucifer méprisa la justice de Dieu, par un juste jugement de Dieu, il ne put connaître l'incarnation du Fils unique de Dieu. Car dans ce conseil secret (des trois personnes de la sainte Trinité) la brebis perdue fut ramenée à la vie. Et d'où vient, ô hommes rebelles, que vous soyez si endurcis ? Dieu ne voulut pas abandonner l'homme, mais il envoya son Fils pour le sauver ; et ainsi Dieu écrasa la tête de l'orgueil superbe, dans l'antique serpent. Quand l'homme fut arraché à la mort, l'enfer dut ouvrir ses abîmes, malgré les hurlements de Satan qui s'écriait : Malédiction ! Malédiction ! Qui donc pourra me secourir ? Mais toutes les légions diaboliques se retirèrent dans un horrible frémissement, admirant quelle était cette puissance étrange, à laquelle elles-mêmes et Satan le prince du mal ne pouvaient résister, quand ils voyaient que les âmes fidèles leur étaient enlevées.

  Ainsi l'homme fut élevé au-dessus des cieux ; parce que Dieu apparut dans l'homme, et l'homme dans Dieu, par le Fils de Dieu.

  Le même Seigneur qui avait perdu la brebis, mais l'avait ramenée si glorieusement à la vie, fit pour elle ce que l'on fait pour la pierre précieuse qui est tombée dans la boue Il la rechercha lui-même, et l'ayant trouvée, il la retira avec joie, et la purifia de toute souillure ; comme l'or a coutume d'être expurgé dans la fournaise ; et il la rétablit dans sa dignité première, avec une gloire plus grande. Car Dieu créa l'homme, qui, de lui-même, par la persuasion de Satan, tomba dans la mort, de laquelle le Fils de Dieu le releva par la vertu de son sang ; et il le conduisit glorieusement vers les honneurs célestes. Comment ? Par l'humilité et la charité. L'humilité fit naître le Fils de Dieu de la Vierge, dans laquelle fut trouvée (encore) l'humilité ; et ce ne fut pas dans les embrassements de l'homme, ni dans les curiosités de la chair, ni dans les richesses terrestres, ni dans les ornements précieux qu'il naquit, mais le Fils de Dieu fut couché dans une crèche, à cause de la grande pauvreté de sa mère. - L'humilité dans les gémissements et les larmes tue le crime ; et c'est son ouvrage. Quiconque veut combattre Satan, qu'il se munisse et s'arme de l'humilité, parce que Lucifer la fuit ; et, comme une couleuvre, il se cache devant elle dans les abîmes ; car, partout où elle le saisit, elle le brise aussitôt comme un fil fragile. La charité aussi contient le Fils unique de Dieu, dans le sein du Père, dans le ciel ; et elle l'envoie dans le sein de la mère, sur la terre ; parce qu'elle ne méprise ni les pécheurs, ni les publicains, mais elle s'efforce de les sauver tous. C'est pourquoi, en faisant couler souvent la source des larmes des yeux des fidèles, elle amollit la dureté du coeur. En cela l'humilité et la charité sont plus belles que les autres vertus ; car l'humilité et la charité sont comme l'âme et le corps, qui ont des vertus plus grandes que les autres facultés de l'âme ou chaque membre du corps. Comment ? L'humilité est comme le corps, et la charité comme l'âme ; et elles ne peuvent être séparées l'une de l'autre, mais elles agissent ensemble ; de la même manière que l'âme et le corps qui sont inséparables, s'entraident l'un l'autre, tant que l'homme vit dans son corps. Et comme les divers membres du corps sont soumis à l'âme et au corps, suivant leur rôle, ainsi les autres vertus sont, comme il est juste, les humbles servantes de l'humilité et de la charité. Et c'est pourquoi, ô hommes, pour la gloire de Dieu et pour votre salut, suivez l'humilité et la charité ; et ainsi armés, vous ne craindrez pas les embûches du démon, et vous posséderez la vie éternelle. Quiconque a la science du St-Esprit et les ailes de la foi, ne transgressera pas mon conseil, mais il le recevra pour en faire les délices de son âme.






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