Bernard sermons 6023

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PREMIER SERMON POUR LA FÊTE DE SAINT MICHEL.

Des devoirs des anges envers nous, et du respect que nous leur devons.


1. Nous faisons aujourd'hui la fête des saints anges, et vous réclamez de moi le sermon qui vous est dû, en pareille solennité. Mais que dirai-je des esprits angéliques, moi qui ne suis qu'un chétif ver de terre? Je crois, et je tiens de foi certaine qu'ils ont le bonheur de jouir de la présence et de la vision de Dieu, et qu'ils sont comblés d'une félicité sans fin dans les biens du Seigneur que l'exil n'a point vus, dont l'oreille n'a point entendu parler, et dont le coeur de l'homme n'a pu même concevoir le désir. Qu'est-ce donc qu'eu simple mortel peut dire sur ce sujet à des hommes mortels comme lui? Il ne saurait se former lui-même une idée de ces choses-là, et, pour eux, ils ne sauraient les entendre, Assurément, si la bouche parle de l'abondance du coeur; il faut que la langue se taise faute de pensées qui l'inspirent. Mais si c'est trop pour nous parler de l'éclat et de la gloire dont les saints anges jouissent en eux-mêmes, ou plutôt dont ils dépassent nos coeurs en Dieu, nous pouvons vous entretenir du moins de la grâce et de la charité que nous trouvons en eux. Car dans les esprits célestes, on rencontre non-seulement une dignité admirable, mais encore une condescendance pleine d'amabilité. Il est juste, en effet, mes frères, que, ne pouvant nous élever jusqu'à la compréhension de leur gloire, nous nous: attachions d'autant plus étroitement à la miséricorde, dont nous savons, de science certaine, que les familiers de Dieu, les citoyens du Ciel, les princes du Paradis, sont remplis. D'ailleurs, l'Apôtre lui-même qui fut ravi jusqu'au troisième ciel, et qui vit, de ses yeux, la cour des bienheureux, et en connut les secrets, nous assure «que tous les anges sont des esprits qui tiennent lieu de serviteurs, et de ministres, et qui sont envoyés pour exercer leur ministère, en faveur de ceux qui doivent être les héritiers du salut (He 1,14).»

2. Il ne faut pas qu'on le trouve incroyable, d'autant plus que le créateur, le roi même des anges est venu, non point pour être servi, mais pour servir, et pour donner son âme pour une foule d'hommes. Pourquoi donc se trouverait-il quelqu'un parmi les anges qui dédaignât un semblable ministère, quand ils s'y voient précédés par celui qu'ils servent eux-mêmes dans les cieux, avec une extrême ardeur et une félicité entière? Ne doutez pas du moins qu'il en soit ainsi, car le Prophète vous dit: «Un million le servaient, et un autre million se tenaient debout devant lui (Da 7,10).» Un autre Prophète, en parlant du Fils au Père, a dit: «Vous l'avez abaissé un peu au dessous des anges (Ps 8,6).» Il convenait, en effet, que celui qui l'emporte sur eux par la grandeur, l'emportât aussi par l'humilité; qu'il fût d'autant inférieur aux anges qu'il s'est dévoué à un ministère inférieur au leur, et qui fût d'autant plus excellent qu'il a reçu un nom plus différent du leur. Mais peut-être me demanderez-vous en quoi il a été abaissé un peu au dessous des anges, puisque, après tout, il n'est pas venu pour servir, car, ainsi que je l'ai rappelé plus haut, ce sont eux qui nous sont envoyés comme ministres de Dieu? Pour ce qui est de ce que, non-seulement il servit, mais encore qu'il fût servi, celui qui servait était le même que celui qui était servi. Aussi, est-ce avec raison que l'Épouse des Cantiques a dit: «Le voici qui vient, sautant sur les montagnes, passant par dessus les collines (Ct 2,8);» quand il sert, il saute au milieu des anges, mais quand il est servi, alors il passe par dessus eux. Si les anges servent, ce n'est point de leur propre fond, ils offrent à Dieu de bonnes couvres, non les leurs, mais les nôtres, et nous rapportent sa grâce. Voilà pourquoi, quand l'Écriture dit: Et la fumée des parfums composée des prières des saints, s'élevant de la main de l'ange, monte devant Dieu (Ap 8,4),» elle a soin d'ajouter: «Et on lui donna une grande quantité de parfums.» Or ces parfums ce sont nos sueurs, non les leurs; les larmes qu'ils offrent à Dieu, ce ne sont pas leurs larmes, mais les nôtres, et les présents qu'ils nous rapportent, ne sont point leurs présents, mais ceux de Dieu.

3. Il n'en est pas ainsi de ce serviteur plus sublime, et en même temps plus humble que tous les autres; il s'est offert lui-même en sacrifice de louange, en donnant à son Père son âme, et à nous, tous les jours de la vie, sa propre chair. Grâce à cet illustre serviteur, il ne faut pas nous étonner si les saints anges se montrent pleins de bienveillance, d'empressement même à nous servir. Ils nous aiment, en effet, parce que Jésus-Christ nous a aimés. Il y a un dicton populaire qui dit: quiconque m'aime, aime aussi mon chien. Or, anges bienheureux, nous sommes les petits chiens de ce Seigneur que vous aimez tous, oui, de petits chiens qui désirons nous nourrir des miettes qui tombent de la table de nos maîtres qui ne sont autres que vous. Ce que je dis là, mes frères, c'est pour vous donner une plus grande confiance encore, dans les bienheureux anges, et pour que, dans vos besoins, vous invoquiez leurs secours avec plus d'amour; c'est aussi pour que vous ayez plus fort à coeur de vivre convenablement en leur présence, de vous concilier tous les jours davantage leur faveur et leur bienveillance, et de vous assurer leur clémence. C'est dans la même pensée que je crois bon d'indiquer encore à votre charité les autres motifs que les saints anges ont de s'occuper de nous avec sollicitude; sans anxiété pour eux, il est vrai, mais noir point sans utilité pour irons; sans rien perdre de leur propre bonheur, j'en conviens, mais non pas sans augmenter nos moyens de salut.

4. Il est hors de doute que les âmes humaines, qui sont des âmes raisonnables et capables de la béatitude, sont un lien de parenté, s'il m'est permis de parler ainsi, avec la nature des anges; et il ne vous conviendrait pas, ô esprits bienheureux, de dédaigner au mépris du précepte de la charité, votre espèce que vous devez visites, lors même qu'elle se trouve comme vous le voyez vous-mêmes, tombée dans un extrême abaissement. D'ailleurs, je ne puis croire non plus que vous voyiez avec plaisir, citoyens. du ciel, les brèches faites à votre cité, et la ruine de vos murs patente à vos regards. Si vous désirez les voir relever, comme il n'est que trop juste, faites entendre fréquemment, je vous en supplie, au pied de trône de gloire, ce cri de prière: «Seigneur, traitez favorablement Sion, faites-lui sentir les effets de votre bonté, afin que les murs de Jérusalem soient rebâtis (Ps 50,20).» Si vous aimez, ou plutôt puisque vous aimez la beauté de la maison de Dieu, manifestez votre zèle pour les pierres vivantes et raisonnables qui seules peuvent être employées avec vous, à la construction de cette maison. Voilà, mes chers frères, le triple bien qui attire vers nous du haut des cieux, pour nous consoler, nous visiter et nous aider, la suréminente charité des anges, pour Dieu, pour nous et pour eux-mêmes. Pour Dieu d'abord, dont ils imitent, comme il n'est que trop juste, les entrailles de miséricorde à notre égard; pour nous, en qui ils reconnaissent, avec un sentiment de commisération, leur propre ressemblance; pour eux enfin, car leur plus grand désir est de parvenir à recruter, parmi nous, assez d'hommes pour combler les vides de leurs rangs. Car c'est de la bouche des enfants qui ne se nourrissent encore que de lait, non d'aliments solides, que doit être complétée la louange qui appartient à sa majesté, cette louange dont les esprits angéliques ont les prémices qui les couvrent d'un bonheur extrême. Mais plus ils nous attendent pour cela avec impatience, plus ils sont pressés du désir et du besoin d'en voir la consommation.

5. Puisque les choses sont ainsi, songez, mes bien chers frères, avec quel soin nous devons travailler à nous rendre dignes de leur commerce, et quelle vie nous devons mener en présence des anges, de peur de blesser la sainteté de leurs regards. Malheur, en effet à nous, si nos péchés nous rendent indignes à leurs yeux de recevoir leurs visites et de jouir de leur présence, car il ne nous restera plus qu'à pleurer et à nous écrier avec le Prophète: «Mes amis et mes proches se sont levés et déclarés contre moi; ceux qui étaient proches de moi, s'en sont tenus éloignés, et ceux qui cherchaient à m'ôter la vie, usaient de violence pour me la ravir (Ps 38,12).» Oui, ceux qui, par leur présence, pouvaient nous protéger et tenir notre ennemi à l'écart, se sont bien éloignés de nous. Si nous avons un tel besoin que les anges nous honorent de leur amicale assistance, nous devons éviter avec le plus grand soin de les offenser, et nous exercer particulièrement à la pratique des vertus que nous savons leur plaire. Il y a bien des choses qu'ils ont pour agréable et qu'ils sont charriés de trouver en nous, telles sont, par exemple, la sobriété, la chasteté, la pauvreté volontaire, de fréquents gémissements poussés vers-le ciel, des larmes mêlées aux prières dans un coeur attentif; ce que les anges de la paix aiment trouver en nous par dessus tout, c'est la paix et l'union. Comment n'aimeraient-ils pas avec délices, en nous, les choses mimés qui sont comme la forme de leur cité sainte et leur font admirer une Jérusalem nouvelle sur la terre? Je vous dirai donc que, dé même que toutes les parties de cette cité saints: ont une parfaite union entre elles (Ps 121,3), ainsi doit-il en être de nos pensées et de nos discours, il ne faut point qu'il y ait de schismes entre nous, mais, au contraire, nous ne devons faire qu'un seul corps en Jésus-Christ, et nous montrer comme étant les membres les uns des autres.

6. Aussi n'est-il rien qui offense plus les anges et excite davantage leur courroux que les discussions et les scandales qu'ils peuvent remarquer parmi nous. Écoutez, à ce sujet, les paroles de saint Paul aux Corinthiens: «Puisqu'il y a parmi vous des jalousies, des disputes et des divisions, n'est-il pas visible que vous êtes charnels, et que vous vous conduisez selon le vieil homme (1Co 3,3)?» Dans l'épître de l'apôtre saint Jude, nous lisons également: Ce sont des gens qui se séparent eux-mêmes des hommes sensuels qui n'ont point l'esprit de Dieu (Jg 1,19).» Vous savez comment l'âme de l'homme vivifie tous les membres du corps, tant qu'ils demeurent unis les uns aux autres; séparez-les, et vous verrez si elle continue à entretenir la vie en eux. Ainsi en est-il de quiconque dit anathème à Jésus, ce qu'on ne peut faire en parlant dans le Saint-Esprit, attendu que tout anathème est une séparation (1Co 2,4). Oui, il en est ainsi, je le répète, de tous ceux qui se séparent de l'unité, on ne peut douter que l'esprit de vie ne se retire d'eux. C'est donc avec vérité que les apôtres appellent ceux qui se séparent eux-mêmes et sèment la division, des hommes charnels et animaux, et disent qu'ils n'ont point l'esprit de Dieu. Ces saints anges, ces esprits bienheureux disent donc, quand ils trouvent quelque part des dissensions et des scandales: que peut-il y avoir de, commun entre nous et cette génération dépourvue de l'esprit de Dies? Si cet esprit se trouvait là présent, il y répandrait la charité et empêcherait le lien de l'unité de se rompre; nous ne saurions, au grand jamais, demeurer parmi de tels hommes, ils sont tout charnels. Quel rapport peut-il y avoir entre la lumière et les ténèbres? Nous sommes habitants d'un royaume de paix et d'union, et nous espérions que ces hommes entreraient dans notre paix et notre union, mais comment pourraient-ils ne faire qu'un avec nous quand ils sont divis s entre eux? Vous voyez comme l'Évangile de ce jour a été bien choisi pour une telle solennité, il nous détourne, en effet, du scandale des petits (Mt 18,6), comme étant odieux aux anges. Si quelqu'un, dit l'Écrivain sacré, est un sujet de scandale pour un de ces petits... combien dures à entendre sont les paroles qui suivent! Mais l'heure est passée, il faut maintenant que nous allions célébrer nos messes. Pardonnez-moi donc de remettre la suite de mon discours à un autre jour; peut-être cet ajournement ne vous sera-t-il point inutile, si je continue ce sujet du mieux qu'il me sera possible une autre fois.


DEUXIÈME SERMON POUR LA FÊTE DE SAINT MICHEL.

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Sur ces paroles: «Si quelqu'un est un sujet de scandale pour l'un de ces petits qui croient en moi, etc.»

(
Mt 18,6)

1. Mes frères, vous avez entendu en quels termes terribles l'Évangile tonne contre ceux qui scandalisent les faibles. La Vérité ne flatte personne, ne trompe personne, elle dit ouvertement: «Malheur à celui par qui le scandale arrive (Mt 18,7); il vaudrait mieux pour lui qu'il ne fût pas né (Mt 26,24);» sans doute il veut dire né une seconde fois, né à la vie, né au Saint-Esprit, pour être ensuite absorbé par la chair. Il vaudrait mieux pour lui, s'il en est un qui se trouve dans ce cas, qui suscite des scandales dans cette maison, dans cette communauté sainte, agréable à Dieu et aux anges, qui est heureuse et qui s'aime, qu'une meule, comme celle que les aines font mouvoir, soit attachée à son cou, qu'il échangent le joug si doux et le fardeau si léger du Sauveur, contre le poids accablant, pour ses épaules, des cupidités terrestres, et qu'il soit précipité de nos mains au fond de cette mer grande et spacieuse qui n'est autre que ce siècle pervers, car il serait moins funeste pour lui de périr dans le inonde que dans le monastère. Or, quiconque n'a point la charité ne peut que périr, quand même il aurait le courage de livrer son corps aux flammes (1Co 13,3). Si je m'exprime ainsi, mes frères, ce n'est pas que je n'ai point bonne opinion de vous, ou que je vois ce vice détestable régner parmi vous, mais c'est afin que vous soyez plus attentifs encore à persévérer et à croître dans cette charité, dans cette union et cette, paix où vous vous trouvez maintenant dans le Seigneur. Quelle est notre espérance, quelle est notre joie et notre couronne de gloire? N'est-ce point votre union, l'unanimité de vos sentiments, où je suis heureux de vous trouver remplis d'amour pour vos frères, et de vous voir appliquer, avant terri, à conserver les uns pour les autres, les dispositions d'une charité réciproque, qui fait le vrai bien de la perfection? C'est en cela que tout le monde reconnaît, avec les saints anges eux-mêmes, que vous êtes les disciples du Christ, puisque vous vous aimez les uns les autres.

2. Si vous n'avez point oublié les trois causes que les anges ont de nous aimer et de prendre soin de nous, dont je vous ai entretenus dans ma précédente instruction, vous pouvez concevoir aisément tous les avantages qu'on recueille de la charité fraternelle; car il est bien facile de voir qu'aucune de ces causes ne favorise quiconque n'aime pas son prochain. En effet, quel motif les anges auront-ils de nous aimer pour Notre Seigneur Jésus-Christ, s'ils voient, au peu d'amour que nous avons les uns pour les autres, qu'il s'en faut bien que nous soyons ses disciples? Serons-nous aimés d'eux à cause de nous, c'est-à-dire à cause de la ressemblance de notre nature avec leur nature spirituelle, s'ils voient que nous n'aimons pas nous-mêmes ceux qui sont de la même nature que nous, que dis-je? s'il est évident pour eux, aux divisions qui subsistant entre nous, que bien loin d'être spirituels, nous ne sommes que charnels? Enfin, nous aimeront-ils pour eux, et dans l'espoir qu'un jour nous servirons à réparer les brèches de leur cité sainte, s'ils voient, ce qu'à Dieu ne plaise, que le ciment de la charité, qui peut seul nous unir et nous faire faire corps avec eux, nous manque? Comment pourront-ils espérer de voir les murs éternels de leur cité réédifiés avec nous pour pierres, s'ils savent, s'ils voient que nous ne sommes point des pierres vivantes qui puissent s'attacher les unes aux autres, mais plutôt que nous sommes comme des grains de sable que le vent enlève de la face de la terre, qu'un mot soulève comme un tourbillon, et que le souffle du plus léger soupçon emporte? Mais en voilà assez sur ces mots du Seigneur: «Si, quelqu'un scandalise un de ces petits (Mt 18,6).» Je suis convaincu que, désormais, vous, vous garderez de cette peste redoutable avec tous les soins possibles.

3. Mais, après cela, qui pourrait entendre, sans émotion, l'Évangile continuer: «Si votre oeil vous scandalise arrachez-le (Mt 18,6)?» Est-ce qu'il nous est ordonné de nous, arracher cet oeil corporel, de nous couper cette main ou ce pied matériels? Loin de nous, mes frères, une pensée aussi ridicule, un sens aussi charnel. En effet, après nous avoir mis en garde contre les scandales extérieurs, en termes assez durs, comme vous avez pu l'entendre, le Seigneur nous dit la conduite que nous devons avoir par rapport au scandale que nous souffrons au dedans de nous, dans celle loi de révolte que nous trouvons dans nos membres. Il connaît en effet, le limon dont il nous a formés, et sait bien qu'il ne nous est pas aussi facile d'éviter ce scandale. Or, une expérience quotidienne nous a appris que cette sorte de scandale peut se produire de trois manières. Il arrive quelquefois que l'oeil intérieur de notre intention est simple et pur et serait mieux appelé, dans ce cas, l'oeil de la grâce que notre oeil à nous; mais c'est le nôtre, à proprement parler, qui nous scandalise, quand notre volonté nous suggère une intention moins pure qu'elle ne devrait; c'est de cet oeil-là que le Seigneur nous donne le conseil «de l'arracher et de le jeter loin de nous (Mt 18,9).» C'est ce qu'on fait en ne consentant point, en rejetant cette intention, en y résistant. C'est de la même manière qu'il faut entendre ce qui est dit de la main et du pied; car lorsque nous sommes appliqués à de bonnes oeuvres et que notre volonté propre s'efforce de nous attirer à d'autres oeuvres, c'est proprement notre main qui nous scandalise, il faut la couper, la rejeter loin de nous, ne point lui céder.

4. De même, quand nous désirons faire des progrès dans la sainteté, gravir les échelons de l'échelle qui apparut à Jacob, et, suivant le mot du Psalmiste, avancer de vertu eu vertu (Ps 88,8), souvent nous sommes scandalisés par notre pied, je veux dire par le pied de notre mollesse et de notre négligence, qui tend de préférence à reculer plutôt, et à descendre. Il faut le couper, afin que le pied de la grâce, qui demeure ferme dans le droit chemin, puisse courir sans obstacle, sans scandale, sans pierre d'achoppement. Pour ce qui est de ce que le Seigneur ajoute en disant: «Mieux vaut pour vous que vous entriez dans la vie n'ayant qu'un oeil, qu'une main, qu'un pied, que d'en avoir deux et d'être précipités. dans le feu de l'enfer (Mt 18,9),» cela s'adresse à ceux. qui suivent indistinctement leur volonté, bonne ou mauvaise, et s'engagent dans deux voies en même temps, suivent tantôt la bonne, tantôt la mauvaise, selon les désirs changeants de leur coeur. Il vaudrait certainement mieux pour eut s'attacher en toutes choses à la grâce, et toutes les fois qu'ils rencontrent leur volonté propre, la couper et la rejeter loin d'eux. Mais après avoir passé bien du temps pour arriver à vaincre enfin notre volonté propre, et à la couper ensuite comme un membre, il faut que notre âme apprenne non-seulement à ne point se laisser aller à l'orgueil, mais encore à demeurer soumise à Dieu, loin de tout scandale, et de toute contradiction. Alors il ne sera plus nécessaire de nous arracher un oeil, car, en s'attachant à l'oeil simple, il est devenu simple et pur lui-même; bien glus, au lieu d'être un oeil différent, il ne forme plus qu'un seul et même oeil avec le simple, selon ces paroles de l'Apôtre: «Quiconque s'attache au Seigneur ne fait plus qu'un seul et même esprit avec lui (1Co 6,17).» Ce que j'ai dit de l'oeil, je le dis de la main et du pied de la même manière. Quiconque a une volonté si bien unie d'affection et de désir avec la grâce, qu'il ne désire plus faire rien de mal, ni même rien de moins bon, ou moins bien que la grâce ne le lui inspire, est un homme parfait. Mais cette paix est le propre de la félicité; le retranchement des scandales, la victoire des tentations, est le propre de la force; l'une est le partage de la gloire, l'autre, le lot de la vertu.





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PREMIER SERMON POUR LA FÊTE DE LA TOUSSAINT.

Sur ce passage de l'Évangile: «Jésus voyant la foule, etc. (Mt 5,1).»

1. La fête de tous les saints que nous faisons aujourd'hui mérite d'être célébrée avec toute sorte de dévotion. En effet, si la fête de saint Pierre, de saint Étienne, ou de tout autre saint nous paraît grande, et l'est, en effet, combien plus grande doit être pour nous celle que nous faisons aujourd'hui, puisque au lieu d'être la fête d'un seul saint, elle est la fête de tous les saints? Vous n'ignorez pas, nies frères, que les gens du monde célèbrent leurs fêtes par des festins mondains, et que plus la solennité est grande plus aussi ils font bonne chère. Eh quoi donc? ne faut-il pas aussi que ceux qui se sont convertis dans leur coeur, recherchent les délices du coeur; les gens spirituels ne doivent-ils pas aussi rechercher des joies spirituelles? Aussi, mes frères, notre festin est-il préparé, tout est-il cuit, et le temps de nous mettre à table est-il arrivé. Il est juste que nous commencions par les festins de l'âme puisque, sans l'ombre d'un doute, elle l'emporte sur le reste de notre être, et qu'elle est sans comparaison la meilleure partie de nous-mêmes. D'ailleurs, il est de toute évidence que la fête des saints se rapporte bien plus à l'âme qu'au corps. Or, les âmes doivent prendre beaucoup plus de part aux choses qui se rapportent à l'âme, attendu qu'il y a entre ces choses et elles un plus grand rapport. Voilà pourquoi aussi les saints compatissent beaucoup plus aux âmes, désirent davantage les biens des âmes et se complaisent plus dans leur réfection, ils ont, comme nous, été passibles, comme nous ils ont eu à déplorer les peines de notre voyage et de notre misérable exil, et à éprouver le poids accablant de ce corps, le tumulte du siècle, et les tentations de l'ennemi. On ne saurait donc révoquer en doute que cette solennité ne leur soit beaucoup plus agréable, parce qu'il y est pourvu au festin des âmes, que celle que les mondains célèbrent, en donnant plus de soins à la chair dans les désirs de la volupté.

2. Mais où trouverons-nous le pain des âmes dans cette terre déserte, dans ce séjour d'horreur, dans cette solitude? Où procurer le pain spirituel, sous le soleil où ne se trouve que travail, douleur et affliction d'esprit? Mais je sais quelqu'un qui a dit. «Demandez et vous recevrez (Mt 7,7),» et ailleurs: «Si donc vous autres, tout méchants que vous êtes, vous savez néanmoins donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison, votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il le bon esprit à ceux qui le lui demandent (Lc 11,13)?» Je n'ignore pas avec quelles instances vous avez, pendant toute la nuit et toute cette journée, demandé au ciel de vous donner le pain vivant qui fortifie non le corps, mais le coeur de l'homme. Car je n'oserai vous donner le nom de convives; nous ne sommes que des mendiants qui vivons de la prébende de Dieu, oui, des mendiants, étendus à la porte d'un roi excessivement riche, des pauvres couverts d'ulcères et désirant se nourrir, que dis-je, se soutenir au moins en mangeant les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres dont ils font aujourd'hui la fête, qui nagent en ce moment au sein des délices, et qui reçoivent une mesure bonne et foulée, une mesure qui déborde. Nous espérons bien qu'il se trouvera quelqu'un pour nous distribuer ces miettes, car il y a un chaos immense, une distance infinie entre la libéralité, la bonté de Dieu et la cruauté du mauvais riche. Aussi, notre Père nous a-t-il donné notre pain aujourd'hui; d'ailleurs, il faut bien que le Père des miséricordes se montre le Père des misérables, il nous a donné, dis-je, le pain du ciel, et nous a envoyé des vivres en abondance: je serai voire fidèle maître d'hôtel, puisse mon âme servir utilement à vous les préparer.

3. Mon coeur s'est échauffé pendant toute la nuit au-dedans de moi pour vous préparer les mets que je dois vous servir, et pendant que je méditais ces choses, un feu s'est embrasé dans mon âme (Ps 38,4), sans doute, celui que le Seigneur est venu apporter sur la terre, et qu'il n'a d'autre désir que de voir prendre comme un incendie. Pour une nourriture spirituelle, il faut nécessairement une cuisine spirituelle et un feu spirituel. Il ne me reste plus qu'à vous servir ce que j'ai préparé pour vous, ne voyez que le Seigneur qui vous traite, non le serviteur qui vous distribue ce qu'il vous donne. Cas pour moi, en ce qui me concerne, je ne suis pas autre chose que votre compagnon do service, qui s'unit à vous pour mendier pour lui en même temps que pour vous, comme le Seigneur le sait, le pain du ciel; mais c'est votre Père lui-même, c'est lui qui vous repaît d'oeuvres et de paroles, et même de la chair de son propre Fils, qui est une vraie nourriture. Quant aux oeuvres, je lis: «Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père (Jn 4,34),» pour ce qui est des paroles, je lis également: «L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu (Dt 8,3).» Nous avons donc à nous nourrir aujourd'hui de ses oeuvres et de ses paroles; ensuite nous recevrons, s'il nous en fait la grâce, le sacrement sans tache de son corps sur la très-sainte table de son autel.

4. Nous lisons dans l'Evangile, que «Jésus, en apercevant une grande foule, monta sur une montagne (Mt 5,1).» Les populations quittaient, en effet, les villes et les bourgades pour aller entendre les prédications du Seigneur qui sauvait les âmes des uns, guérissait les corps des autres, et se les attachait tous par les liens du coeur, autant que par le bonheur qu'ils avaient à le voir. Car, sa voix était douce et sa figure agréable, s'il faut en croire celui qui lui dit: «Vous surpassez en beauté les enfants des hommes et une grâce admirable est répandue sur vos lèvres (Ps 44,8).» Tel est celui que nous suivons et à qui nous nous sommes attachés. Il est tout désirable, et non-seulement les populations, mais les saints anges eux-mêmes brûlent de le considérer. Que pourrai-je donc vous offrir de plus doux? Il est les délices des anges. Goûtez donc et voyez combien le Seigneur est doux. Rien de ce qu'on peut désirer sur la terre ne saurait entrer en comparaison de cette douceur, de cette saveur, de cette sagesse qui est vraiment tirée des endroits les plus cachés. Et quoi! faut-il s'étonner de trouver l'éclat dans le soleil, la beauté dans la fleur, le goût dans le pain et la fécondité dans la terre? Mais toutes ces qualités-là sont autant de dons de Dieu, l'on ne saurait douter, quelque part qu'il en ait donnée aux créatures, qu'il ne s'en soit réservé une plus grande encore.

5. Il ne faut pas croire que ce soit sans raison qu'il soit monté sur une montagne, d'autant plus que cela avait été prédit bien longtemps d'avance, par un prophète qui avait dit: «montez sur une montagne, vous qui annoncez la bonne nouvelle à Sion; élevez la voix avec force, vous qui évangélisez Jérusalem (Is 40,9).» Dans cette ascension sur la montagne, je vous propose de voir, à moins que vous n'ayez trouvé quelque chose de mieux, ce que Saint Luc nous rappelle au commencement du livre des Actes des apôtres, quand il nous dit. «J'ai parlé dans mon premier livre, ô Théophile, de tout ce que Jésus a fait et enseigné (Ac 1,1).» Évidemment il n'a pas agi à la façon des Pharisiens qui liaient de lourds fardeaux qu'on ne pouvait porter, efforçaient les autres à les prendre sur leurs épaules, tandis que pour eux, ils n'y voulaient pas même toucher du bout du doigt (Mt 23,4). Est-ce que ce n'est pas là un pain délicieux pour l'âme, un pain qui fortifie le coeur de l'homme? Je vous suis avec confiance, Seigneur, et je m'avance en toute sécurité dans la voie de vos commandements, parce que je sais que vous m'y avez précédé. Oui, je cours en toute sûreté dans la voie de vos commandements, depuis que je sais que vous êtes parti des extrémités du Ciel, pour parcourir votre carrière, et que vous êtes allé jusqu'à l'autre extrémité (Ps 18,7) en suivant la même voie. Je ne saurais, mes frères, vous mâcher ainsi chaque mot en détail, mais montrez-vous des animaux purs, et qui sachent ruminer, afin d'accomplir cette parole: «Il y a toujours un trésor précieux dans la bouche du sage (Pr 21,20).» La brièveté du temps et l'abondance des matières, me forceront peut-être à borner mes paroles, et à passer un peu rapidement.

6. «Jésus, voyant la foule, monta sur une montagne:» il la voyait d'un regard de commisération, car elle était comme un troupeau de brebis errantes qui n'ont point de pasteur. Que veut-il nous apprendre lorsque, avant d'enseigner, il monte sur une montagne, si non qu'il faut que les prédicateurs de la parole de Dieu tendent en haut par les désirs de leur âme, et par la sainteté de leur vie, et gravissent la montagne des vertus? «Lorsqu'il se fut assis, ses disciples s'approchèrent de lui (Mt 5,1). Lorsqu'il se fut assis,» dit l'Évangéliste, autrement qui est-ce qui aurait pu s'approcher d'un pareil géant, s'il fût demeuré debout? Mais il s'est baissé avec sa bonté extrême, il est descendu jusqu'à s'asseoir, en sorte qu'il pût dire à son Père: «Vous m'avez connu lorsque j'étais assis, et vous me connûtes aussi quand je me fus levé (Ps 139,2).» Il s'est assis, en effet, pour permettre aux publicains même et aux pécheurs, à Marie Madeleine et au Larron sur sa croix, de s'approcher de sa personne à laquelle ne sauraient s'élever les anges eux-mêmes, si elle demeurait debout. «Et lorsqu'il se fut assis ses disciples s'approchèrent de lui,» beaucoup plus par un mouvement dit coeur et par l'imitation de ses vertus que par le déplacement des pieds. C'est bien que l'Évangéliste nous dise que ce n'est pas la troupe des premiers venus, ni une partie du peuple, mais ses disciples qui se sont approchés de lui. Il arrive par là que de même que l'Ancien Testament, au rapport des Livres saints, a été donné sur le mont Sinaï, où Moïse seul était monté, tandis que le peuple attendait au pied (Ex 24,14), ainsi aujourd'hui les montagnes reçoivent la paix pour le peuple, et les collines, la justice; ce que les apôtres devront un jour prêcher à la lumière, et annoncer sur les toits leur est dit dans une sorte de ténèbres, dans -le secret, et dans le tuyau de l'oreille. Après cela le récit de l'Évangéliste se poursuit ainsi

7. «Et, ouvrant la bouche, il les instruisait.» Aujourd'hui il ouvre sa propre bouche, comme il avait autrefois ouvert celle des prophètes. C'est pour cela que le Psalmiste a dit quelque part: «Seigneur vous m'ouvrirez la bouche, et mes lèvres annonceront vos louanges (Ps 51,17).» Après avoir parlé autrefois en diverses occasions et en diverses marnières dans les prophètes (He 1,1), il parle enfin lui-même à son tour, comme s'il avait dit: Je vous parlais autrefois, aujourd'hui me voici soirs vos yeux. Heureux ceux qui ont entendu parler la Sagesse même incarnée, qui ont recueilli des lèvres mêmes du Verbe de Dieu, les paroles qui en découlaient. Mais ce qu'ils ont entendu nous a été conservé, et nous pouvons l'entendre à notre tour, quoique ce ne soit plus de ses lèvres. «Ouvrant donc la bouche, il les instruisait en disant: Bienheureux les pauvres d'esprit (Mt 5,2).» Oui, on peut bien dire qu'il a ouvert sa bouche où se trouvent cachés des trésors de sagesse et de science, et sa doctrine est bien celle de Celui qui a dit dans l'Apocalypse, «Je m'en vais faire toutes choses nouvelles (Ap 22,5),» et qui auparavant avait dit par un prophète, «Je vais ouvrir ma bouche, et je vous révélerai des choses cachées depuis le commencement du monde (Ps 77,2).» Qu'y a-t-il de purs caché, eu effet, que le bonheur de la pauvreté? Et pourtant c'est la vérité même qui nous en parle, la vérité qui ne peut ni tomber ni induire en erreur, c'est elle, dis-je, qui nous apprend que «les pauvres d'esprit sont bienheureux (Mt 5,3).» Et vous insensés enfants d'Adam, vous recherchez encore les richesses, vous désirez toujours les richesses, quand le bonheur de la pauvreté a été annoncé, prêché par un Dieu au monde, et cru des hommes! que les païens les recherchent, ils vivront sans Dieu; qu'un juif soupire après elle, il n'a reçu que des promesses qui ont rapport à la terre; mais de quel front, disons mieux, avec quelle conscience un Chrétien recherchera-t-il les richesses, après que le Christ lui-même a proclamé que les pauvres sont bienheureux? Jusques à quand, enfants étrangers, jusques à quand votre bouche continuera-t-elle à ne parler que de vanité et à proclamer heureux les hommes qui possèdent ces choses, ces biens visibles, les biens de la vie présente, quand le Fils dé Dieu a ouvert la bouche pour nous faire entendre la vérité, pour dire heureux les pauvres, malheur aux riches?

8. Mais remarquez bien qu'il ne parle pas des pauvres en général, des hommes du peuple qui ne sont pauvres que par le fait d'une misérable nécessité, non d'un acte louable de leur volonté. Je sais bien que leur misère, et leur affligeante détresse, peut leur être utile auprès de la miséricordieuse bonté de Dieu, mais je sais aussi que le Seigneur n'a point parlé d'eux en cet endroit; il n'a parlé que de ceux qui peuvent dire avec le Prophète: «mon sacrifice sera volontaire (Ps 53,8).» Il ne faut pas non plus conclure de là, que toute espèce de pauvreté volontaire soit ici l'objet des louanges de Dieu. En effet, il y eut des philosophes qui quittèrent tout, nous dit-on, afin, étant libres de tout souci des choses de ce monde, de pouvoir s'adonner plus librement à l'étude de la vanité; ils ne voulaient point être riches des biens de la terre, afin de l'être d'avantage des choses qu'ils goûtaient plus. C'est pour les exclure qu'il est dit «les pauvres d'esprit,» c'est-à-dire pauvres par le fait d'une volonté toute spirituelle. «Bienheureux donc les pauvres d'esprit,» c'est-à-dire ceux qui le sont par suite d'une intention, d'un désir spirituel, uniquement pour plaire à Dieu, et pour faire leur salut: «car le royaume des cieux est à eux.» Or, qui est-ce qui parle ainsi, qui déclare les pauvres bienheureux, et les enrichit de la sorte? Est-ce parce qu'il dit est vrai? Oui, n'en doutez point, car celui qui promet qu'il en sera ainsi, est capable de tenir à ses promesses. Si l'ennemi murmure, il lui répondra: ne m'est-il pas permis de faire ce que je veux? Et votre oeil est-il mauvais parce que je suis bon (Mt 20,15)? Si tu as été justement humilié pour avoir voulu t'élever contre moi, ne faut-il pas élever ceux qui s'humilient pour moi? En effet, mes frères, si ce misérable ennemi a été précipité du ciel, pour avoir aspiré à la grandeur, convoité l'élévation, et présumé de monter plus haut qu'il n'était, n'est-il pas logique que ceux qui sont descendus à l'humble rang des pauvres volontaires, soient heureux et «possèdent le royaume des cieux,» qu'il a perdu? Remarquez aussi avec quel à propos la Sagesse même a commencé par indiquer le remède au premier péché. C'est comme s'il avait, dit en termes plus clairs: Vous voulez obtenir le ciel que l'ange a perdu par son orgueil, l'ange, dis-je, qui a été confondu dans sa propre force, et au sein de ses innombrables richesses? Embrassez l'humble pauvreté, et il est à vous. Mais continuons.

9. «Bienheureux ceux qui sont doux.» Bien, très bien. Voilà, en effet, comment il convenait de louer la douceur, après avoir fait l'éloge de la Pauvreté, attendu que la première tentation qui éprouve ordinairement ceux qui ont tout quitté, c'est celle qui résulte des souffrances du corps et des afflictions auxquelles la chair n'est point encore habituée. A quoi bon la pauvreté, si, ce qu'à Dieu ne plaise, celui qui s'est fait pauvre, tombe dans le murmure, devient impatient, ne peut plus supporter le joug de la discipline? Il est très-bien aussi, qu'après la promesse du royaume des cieux, ils en reçoivent une autre de moindre importance, comme une sorte de gage, afin que, selon ce mot de l'Écriture, «nous ayons en même temps la promesse de la vie présente et celle de la vie future (1Tm 4,8),» et que, par ce que nous voyons en cette vie, nous concevions une ferme espérance des biens de l'autre. «Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu'ils posséderont la terre.» Or, par cette terre je comprends notre corps, attendu que si l'âme veut le posséder, si elle veut régner sur ses membres, il faut qu'elle soit elle-même pleine de douceur et soumise à son supérieur, car elle trouvera son inférieur tel qu'elle se sera montrée elle-même envers son supérieur. La créature, en effet, prend les armes pour venger l'injure de son Créateur. Ainsi toute âme qui trouve sa chair révoltée contre elle, doit reconnaître qu'elle est elle-même moins soumise qu'elle ne doit aux puissances supérieures. Qu'elle s'adoucisse donc et qu'elle s'humilie sous les mains puissantes du Très-Haut, qu'elle se soumette à Dieu, ainsi qu'aux prélats qui lui commandent de sa part, et aussitôt elle trouvera un corps obéissant et soumis aussi. En effet, c'est la Vérité même qui nous le dit: «Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu'ils posséderont la terre.» Or, voyez si ce second remède n'est pas celui que réclame notre seconde blessure. En effet, après la chute de l'ange, Ève est la première créature qui pèche; agitée par l'inquiétude de l'esprit, elle rejette en même temps le joug si doux et le fardeau bien léger de la défense du Seigneur, parce qu'elle De veut point attendre qu'elle mérite de recevoir la perfection de son bonheur de la main de Dieu qui lui avait déjà donné tout le reste, et préfère la cueillir elle-même, sûr le conseil du serpent. Voilà pourquoi elle perdit le paradis, la terre des délices, voilà pourquoi elle ressentit dans son corps même une loi de révolte. Mais peut-être, à ces mots du Seigneur, soupirez-vous déjà après la mansuétude, et vous plaignez-vous de la sauvagerie de votre propre crieur, de ses mouvements qui le font ressembler à une bête féroce, de son humeur farouche et indomptée. Remarquez donc ce qui suit.

10. «Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés.» Il faut user du fouet pour dompter le cheval; ce qui triomphe d'une âme qui n'est pas douce, c'est là contrition de l'esprit et les larmes continuelles. Aussi, dans toutes vos actions, rappelez-vous vos fins dernières, ayez sans cesse sous les yeux du coeur l'horreur de la mort, les séparations terribles du jugement dernier; les flammes redoutables de l'enfer. Songez aux misères de votre pèlerinage, repassez dans l'amertume de votre âme le souvenir de vos années; songez aux périls de la vie de l'homme, et pensez à votre propre fragilité. Si vous vous nourrissez constamment de ces pensées, je vous assure que vous ressentirez peu tous les maux du dehors, vous serez absorbé tout entiers par les peines intérieures. Mais le Seigneur ne souffrira point, mon frère, que vous soyez sans consolation aucune, car il est le père des miséricordes, et le Dieu de toute consolation. Les promesses de la Vérité. «Heureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés,» s'accompliront en entier pour vous. D'ailleurs, je trouve dans Salomon une pensée qui se rapporte à merveille à celle-là: «Mieux vaut, dit-il, aller à une maison de deuil, que dans une maison de festin. (Si 7,3).» Tu serais bienheureuse, toi aussi, ô Ève, si après ta faute, tu avais cherché la consolation des larmes; si ton coeur s'était tourné vers le regret, tu aurais promptement obtenu ton pardon. Mais voilà que tu as recherché une bien misérable consolation, en entraînant ton mari dans ta chute; tu as ainsi empoisonné toute ta race, en lui inoculant un poison terrible, un vice affreux, tel enfin, que de nos jours encore, on se console de son malheur par le malheur des autres. O Ève, quelle malheureuse consolation est la tienne, et combien malheureuse aussi est la consolation de ceux qui t'imitent! Mais «bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés.» Mais en quoi consiste cette consolation, sinon dans la grâce de la dévotion qui prend sa source dans l'espérance du pardon, qu'est-elle autre chose que l'infinie douceur du bien, le goût de la sagesse, si petit qu'il soit, dont le Seigneur, en attendant, commence dans sa bonté, par rafraîchir l'âme affligée! Mais ce goût même, qu'est-ce, sinon quelque chose qui éveille nos désirs, et excite notre amour, selon ce qui est dit: «Ceux qui me mangent, auront faim encore, et ceux qui me boivent, voudront encore boire (Si 24,29)?» Aussi le Seigneur continue-t-il aussitôt:

11. «Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu'ils seront rassasiés (Mt 5,6).» Que celui donc qui a faim ait une faim plus grande, que celui qui brûle de désir, soit consumé par des désirs encore plus ardents; car, plus vos désirs seront grands, plus vous devez recevoir: que dis-je, ce n'est pas l'imperfection et la mesure de vos désirs qui seront la règle, attendu que vous ne pouvez désirer avec perfection que dans l'état de perfection; or, on ne peut être dans cet état de perfection tant qu'on ne le désire point d'une manière parfaite; mais vous recevrez une bonne mesure, une mesuré foulée, pressée et enfaîtée. «Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu'ils seront rassasiés.» Le palais de notre coeur est trop faible encore, et notre âme trop languissante pour ne pas trouver la justice dure et insipide: mais quand on y a goûté, on sait ce qu'il en est, et combien sont heureux ceux qui en sont affamés, attendu «qu'ils seront rassasiés.» O satiété vraiment heureuse et glorieuse! O saint festin! O agapes désirables! Là il n'y a plus ni anxiété ni dégoût, parce que la satiété est complète, cependant le désir est toujours immense. «Bienheureux ceux qui out faim et, soif de la justice, parce qu'ils seront rassasiés.» Je crois que ces paroles sont dirigées contre Adam, qui peut-être bien a eu une partie de la justice, puisqu'il compatit à sa femme; mais s'il eût eu véritablement faim de la justice, il se serait mis en peine de rendre ce qu'il devait, non-seulement à sa femme, mais aussi et surtout à son Créateur. S'il devait compatir à sa femme, il devait la discipliner, puis qu'elle était son inférieure, car l'homme est le chef de la femme (Ep 5,13). Or il devait à Dieu obéissance et soumission. Mais que penser, mes frères, en voyant que de tous ceux qui jugent si sévèrement ce qu'il a fait, il y en a tant qui ont la folie de l'imiter? Il yen a tant, dis-je, qui s'indignent contre lui, parce qu'il a écouté la voix de sa femme plutôt que celle de Dieu, et qui eux-mêmes écoutent aussi leur Ève, je veux dire leur propre chair, dé préférence à Dieu! Mes frères, si en ce moment nous voyions Adam placé, par les pensées qui s'élèvent dans son coeur,, entre les prières de sa femme et le commandement de son Créateur, ne crierions-nous pas; Prends garde, malheureux, fais attention, ne cède point; ta femme a, été séduite, ne te range pas de son côté? Pourquoi donc, toutes les fois que nous sommes exposés à une tentation pareille, ne nous disons-nous point aussi la même chose avec la même conviction? «Car, bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu'ils seront rassasiés.» Mais qu'est-ce que toute notre justice, par rapport à Dieu? N'est-ce pas, pour me servir de l'expression même du Prophète, comme un linge souillé d'un sang impur? Bien plus, si on va au fond des choses, toute notre justice sera trouvée injuste, et moins que cela encore. Que sera ce donc de nos péchés, si nôtre justice ne peut guère répondre pour elle-même? Aussi, devons-nous nous écrier avec le Prophète: «Seigneur, n'entiez pas en jugement avec votre serviteur (Ps 143,2),» et recourir en toute humilité à la miséricorde, qui seule peut sauver nos, âmes, et méditer sérieusement les paroles suivantes:

12. «Bienheureux les miséricordieux, parce qu'ils obtiendront miséricorde.» Or, remarquez comment Zachée embrasse l'une et l'autre à la fois, quand il dit. «Seigneur, je vais donner la moitié de mon bien aux pauvres, et, si j'ai fait du, tort à quelqu'un, je lui rendrai quatre fois autant (Lc 19,8).» Voyez-vous quelle faim il a de la justice, celui-là, quand, non content de rendre ce qu'il doit à la rigueur, il le restitue au quadruple. Il se montre également d'une grande miséricorde quand il donne aux pauvres la moitié de son bien. Toutefois je ne puis passer sous silence ce qui me vient à la pensée; il faut que ma bouche dise les louanges du Seigneur, oui, les louanges du Seigneur, non les vôtres; car ce n'est point à vous, mais à son nom que je rapporte la gloire. Certainement Zachée, dont l'Évangile fait l'éloge, a donné la moitié de ses biens aux pauvres; mais moi, je vois ici bien des Zachées qui ne se sont rien réservé de tout ce qu'ils possédaient. Qui m'écrira l'histoire évangélique de tous ces Zachées, ou plutôt de tous ces Pierres qui peuvent dire aussi avec toute confiance ara Seigneur: «Nous avons tout quitté et nous sommes mis à votre suite (Mt 19,27)?» Mais elle est écrite déjà dans l'Évangile éternel et scellée dans le livre de vie. «Bienheureux les miséricordieux parce qu'ils obtiendront miséricorde.» Mais maintenant, mes frères, ce que je dis va droit à la cruauté d'Adam qui semblait d'abord n'avoir faibli que par amour pour sa femme. Nous savons, en effet, Adam, que cette femme est l'os de tes os, la chair de ta chair, et que c'est par amour pour elle que tu as péché. Eh bien, voyons donc jusqu'à quel point tu l'aimais. Voilà le Seigneur qui vient armé d'un glaive de feu pour punir votre prévarication, mets-toi entre ses coups et elle, et dis-lui: Seigneur, ma femme était bien faible, elle s'est laissé séduire; c'est moi qui ai péché, sa faute est la mienne, que votre vengeance ne retombe que sur moi. Mais bien loin de tenir ce langage: «La femme que vous m'avez donnée, dit-il, m'a présenté du fruit de cet arbre et j'en ai mangé (Gn 3,12).» O perversité! Tu ne veux point être puni pour-elle, et tu n'as pas refusé de partager sa faute! O douleur, comme tu as tout confondu dans ta malheureuse miséricorde, quand tu aurais dû té montrer sévère, et comme tu te montrés pernicieusement cruel quand tu aurais dû faire preuve de miséricorde? En effet, tu n'aurais dû, à aucun titre, pécher pour lui plaire, et tu devrais, au contraire, satisfaire pour elle de bon coeur. Car, mes frères, telle est la règle et la justice, c'est de ne jamais faire mal pour personne, la miséricorde consiste à se charger volontiers du péché d'autrui. «Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice parce qu'ils seront rassasiés. Bienheureux les miséricordieux, parce qu'ils obtiendront miséricorde.» Voyons la suite.

13. «Bienheureux les coeurs purs, parce qu'ils verront Dieu.» Oui, heureux et bienheureux sont-ils, puisqu'ils verront celui que les anges brûlent de considérer, celui dont la vision seule st toute la vie éternelle. Mon coeur vous a dit: Ma face a cherché la vôtre, Seigneur, je rechercherai votre face. En effet, qu'y a-t-il pour moi au ciel, et que désiré-je sur la terre? Ma chair et mon coeur sont tombés en défaillance dans mon désir de vous avoir, ô mon Dieu, vous qui êtes le Dieu de mon coeur, et mon partage pour toute l'éternité (Ps 73,24-25). Quand donc me comblerez-vous de joie par la vue de votre visage (Ps 16,11)? Malheur à moi à cause de l'impureté de mon coeur, c'est elle qui s'oppose à ce que je sois digne, dés à présent, d'être admis à cette bienheureuse vision. Quel soin, mes frères, quelle ardeur ne faut-il pas apporter à purifier l'oeil dont nous devons voir notre Dieu? Or, je sens que cet oeil est obscurci chez moi par trois sortes de souillures, par la concupiscence de la chair, par la concupiscence de la gloire temporelle et par la conscience de nos fautes passées; mon âme est, en effet, agitée par deux sortes de désirs que je ne puis éteindre ni par la raison, ni par rues propres forces, tant que je demeure dans ce siècle mauvais, et que je suis retenu par les liens de ce corps de mort. Toutefois contre ces souillures, j'ai recours à la prière; voilà pourquoi, de même que les yeux du serviteur sont attachés sur les mains de leurs maîtres, ainsi mes yeux sont, fixés sur le Seigneur, notre Dieu, en attendant qu'il ait pitié de nous (Ps 123,3), parce que seul, il est pur, et que seul il peut rendre pur celui qui est conçu d'un germe impur (Jb 14,4). De même, contre la conscience du péché, nous avons le remède de la confession; car la confession lave toutes les souillures; ce qui purifie l'oeil de toutes les souillures, c'est donc la prière et la confession. Or, «Bienheureux les coeurs purs, parce qu'ils verront Dieu.» Ils le verront à la fin du monde, face à face, ils le verront dès maintenant même, mais seulement comme en énigme et dans un miroir, car ils ne le connaissent qu'en partie, mais alors ils le connaîtront parfaitement. Tout homme, dans la conscience de qui le péché vit encore enfermé, pèche par excès d'espérance, et se figure que ses péchés déplaisent moins à Dieu qu'ils ne lui déplaisent, en effet, ou bien il pèche par défaut d'espérance, en pensant que Dieu est sans miséricorde. Dans les deux cas, il mérite également que Dieu lui dise: «Vous avez crié, ô homme d'iniquité, que je vous ressemblerais (Ps 50,22);» car, ni dans l'un ni dans l'autre cas, cet homme, ne voit Dieu, son iniquité se trompe elle-même, en se forgeant une idole à la place de ce qu'il ne saurait être. «Bienheureux les coeurs purs, parce qu'ils verront Dieu.» Par conséquent, malheureux Ève, et Adam, qui ont cherché une excuse à leur péché, dans des paroles de malice. En fuyant le remède de la confession, ils demeurent le coeur souillé et ils se trouvent rejetés de la. vue de Dieu. Poursuivons.

14. «Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés les enfants de Dieu.» Il est bien juste qu'ils soient appelés les enfants de Dieu, puisqu'ils auront accompli l’oeuvre de son Fils. En effet, c'est par Lui que nous sommes réconciliés avec Dieu, c'est lui qui a pacifié dans son sang tout ce qu'il y a dans lés cieux et sur la terre, Lui, le médiateur entre Dieu et l'homme; l'homme Jésus-Christ. Remarquez, en effet, comment, par ces trois béatitudes, l'âme se trouve réconciliée avec elle-même, par les deux suivantes avec le prochain, par la sixième avec Dieu, et comment par la septième il réconcilie aussi les autres entre eux, se trouvant lui-même reçu dans la grâce du Seigneur, et placé au sein de la félicité bienheureuse. En effet, la pauvreté, la douceur et les larmes reproduisent dans l'âme une sorte de ressemblance et d'image de l'éternité qui embrasse tous les temps; car, en même temps que la pauvreté s'assure l'avenir, la douceur possède le présent et les larmes de la pénitence récupèrent le passé, selon ce qui est écrit: «Je repasserai devant vous, Seigneur, toutes les années de ma vie dans l'amertume de mon âme (Is 38,15).» De leur côté, la justice et la miséricorde nous rapprochent du prochain, puisque, tandis que la première nous empêche de faire au prochain ce que nous ne voudrions pas qu'on nous fit à nous-mêmes, la miséricorde, ait contraire, nous porte à lui faire ce que nous désirerions qu'il nous fit. Alors, réconciliés avec nous-mêmes, réconciliés avec Dieu, il ne nous reste plus qu'à nous réconcilier aussi avec Dieu, avec une pleine confiance, par la pureté du coeur. Mais bienheureux ceux qui, dans un sentiment de reconnaissance de se voir réconciliés, se montrent pieusement inquiets pour les autres et travaillent de tout leur pouvoir à les réconcilier entre eux et avec Dieu. De quelles louanges ne trouvez-vous point digne, en effet, et avec quelle affection ne devez-vous point accueillir celui de vos frères qui, non content de vivre sans querelle au milieu de ses frères, veille sans cesse sur lui pour qu'il n'y ait rien en lui d'exerçant pour les autres; qui supporte avec la plus grande patience tout ce qu'il a de pénible dans les autres, fait siens les scandales de chacun et s'écrie avec l'Apôtre: «Qui est scandalisé sans que je brûle, qui est faible sans que je partage sa faiblesse (2Co 11,28)? Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés les enfants de Dieu (Mt 5,9).» Dieu n'est pas un Dieu de dissensions, mais un Dieu de paix, aussi est-il juste de donner le nom de ses enfants à ceux qui sont les enfants de la paix.

15. La huitième béatitude est la prérogative des martyrs; mais le martyre et la force de le souffrir ne semblent plus être de ce temps. De nos jours, ou honoré davantage la justice, du moins en apparence, mais il en est bien peu qui souffrent la persécution pour elle, si tant est qu'il y en ait, mais s'il s'en trouvé, je les déclare bienheureux, parce que le royaume dé Dieu est à eux, et personne ne pourra les y poursuivre. Si les tribulations se multiplient, que noire joie grandisse à proportion, ne regardons point aux maux qui se voient, mais à la récompense qui est invisible; ce qui ne se voit pas est pour l'éternité. Vous serez bienheureux, continue le Sauveur, lorsque les hommes vous chargeront d'injures, vous persécuteront, et, à cause de moi, diront foute sorte de mal contre vous. Réjouissez-vous alors et tressaillez d'allégresse, parce qu'une grande récompense vous est réservée dans le ciel (Mt 5,11-12),» bien plus abondante que ne l'aura été votre travail sur la terre. Mais d'oie vient que c'est la même promesse qui est faite aux pauvres et aux martyrs? Ne serait-ce point parce que la pauvreté volontaire est une sorte de martyre? Le Prophète a dit: «Heureux celui qui n'a point couru après l'or, et qui n'a point mis son espérance dans l'argent et dans les trésors. Quel est-il celui-là et nous le louerons? Car il a fait des merveilles durant sa vie (Qo 31,8-9)» Que se peut-il voir de plus merveilleux, en effet, ou quel martyre plus grand que de se condamner à la faim en face d'une table bien servie; au froid, quand on a des vêtements aussi nombreux que riches et précieux, de souffrir l'a pauvreté au sein des richesses que le monde lui-même nous offre, que le malin fait briller à nos yeux, et que notre appétit naturel convoite? Est-ce que celui qui aura combattu ainsi et rejeté les promesses du monde, qui se sera ri des tentations de l'ennemi et, ce qui est plus glorieux encore, qui aura triomphé de lui-même et crucifié sa propre concupiscence avec ses ardeurs, n'a pas bien mérité une couronne? Après tout, si le royaume des cieux est promis également aux pauvres et aux martyrs, c'est que la pauvreté acheté ce que le martyre souffert pour Jésus-Christ obtient sans délai.






Bernard sermons 6023