Bernard sermons 6030

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PREMIER SERMON POUR LA MORT DE L'ÉVÊQUE SAINT MALACHIE

(a).

a Saint Malachie mourut le deux novembre de l'année 1148. Voir sa vie Tome II de cette édition.


1. Mes biens aimés, le ciel nous destine aujourd'hui une bénédiction abondante; ce serait une grande perte pour vous et un grand péril pour moi qui suis chargé de vous en faire part, si je ne m'acquittais fidèlement de ce devoir. Je redoute eh même temps le détriment que vous auriez à subir et la condamnation qui m'attendrait, si on pouvait dire: «Les petits ont demandé du pain, et il ne s'est trouvé personne pour leur en donner (Lm 4,4).» Je sais combien il est nécessaire que le ciel lui-même prenne soin de vous consoler, vous qui avez virilement renoncé à tous les plaisirs de la chair et aux délices du siècle. Certainement, personne ici ne révoque en doute que ce soit par un dessein particulier de la Providence, et par une grâce toute spéciale du ciel, que l'évêque Malachie s'est endormi aujourd'hui au milieu de nous, et a vu ses voeux d'être enterré parmi nous accomplis. Quand on sait qu'il ne tombe pas même une feuille d'arbre à terré, sans que Dieu le permette, quel homme serait assez peu clairvoyant pour ne point voir que ce saint prélat n'est point venu ici, et n'a point passé par chez nous, sans quelque grand dessein de la grâce d'en-haut? Il est venu des extrémités de la terre déposer ici la terre de son corps; c'était du moins le secret désir de son coeur, quand il entreprit, en toute hâte, ce dernier voyage, sinon le motif qui l'a amené parmi nous; car tout le monde sait quelle affection il avait pour nous; il rencontra d'abord bien des obstacles dans ce voyage, et il ne lui fut permis de passer la mer que lorsque le temps de sa fin, le terme qui ne pouvait plus être ajourné, approchait. A son arrivée au milieu de nous, harassé des fatigues sans nombre du voyage, nous l'avons accueilli comme un ange envoyé de Dieu, tant sa sainteté nous inspirait de vénération. Et lui avec sa grande douceur, sa profonde humilité nous témoigna à son arrivée une affection et un dévouement beaucoup plus grands que nous ne le méritions. Il passa ensuite plusieurs jours au milieu de nous en très-bonne santé, attendre ses compagnons de voyage, qui s'étaient dispersés en Angleterre, à la vue des empêchements qu'un roi soupçonneux mettait au départ de l'homme de Dieu. Quand ils l'eurent tous rejoints, il se mit à faire ses préparatifs de départ pour aller à Rome, qui était le but de son voyage; mais étant tombé tout à coup malade, il comprit qu'il lui fallait, partir pour le ciel, que c'était là que Dieu l'appelait, car le Seigneur, dans sa bonté pour nous, ne voulait point qu'il quittât la terre ailleurs que chez nous.

2. Toutefois, les médecins ne voyaient dans son malaise, non-seulement aucun indice d'une mort prochaine, mais ils n'y apercevaient pas même d'apparence d'une maladie grave; mais lui, la joie dans l'âme, nous disait que cette année devait être la dernière, de sa vie. Nous fîmes tout ce qu'il nous fut possible de notre côté auprès de Dieu, par nos prières, pour qu'il n'en fût rien, mais ses vertus l'emportèrent sur nos instances, le désir de son coeur fut exaucé, et il ne se vit point frustré de la volonté que ses lèvres avaient formulée (Ps 21,3). En effet, tout s'est parfaitement trouvé d'accord avec les voeux de son coeur, car c'est cet endroit qu'il avait préféré entre tous, par une secrète inspiration d'en haut, et depuis bien longtemps, le jour où on célèbre la commémoration des morts était celui qu'il avait désiré être le jour de sa sépulture. Mais ce qui a mis pour nous le comble à notre joie, c'est que Dieu a permis que nous eussions choisi ce jour là-même, pour opérer le transport des ossements (a) de nos frères de l'ancien cimetière en cet endroit où je vous parle. Ce saint homme nous disait combien il était charmé par les chants que nous faisions entendre pendant la cérémonie où nous accomplissions ce transport en chantant des psaumes: peu de temps après, il suivit ces ossements, après avoir lui-même doucement fermé les yeux par un très-heureux et très-paisible sommeil. Aussi, rendons-nous grâces à Dieu pour toutes les dispositions de sa Providence, par lesquelles il lui a plu d'honorer notre indignité du spectacle de cette sainte mort, d'enrichir ses pauvres serviteurs du trésor infiniment précieux de sa dépouille mortelle, et de nous donner pour appui une des plus solides colonnes de son Église. Car nous ne saurions ne point voir dans le bien que Dieu nous fait une preuve, ou que cet endroit lui est agréable, ou qu'il a voulu qu'il le lui devint, puisqu'il y a amené de si loin, pour y finir ses jours, un homme d'une pareille sainteté.


a On voyait encore à Clairvaux, du temps de Mabillon, dans une chapelle souterraine les ossements réunis de ces anciens religieux.


3. D'ailleurs, la charité même de ce saint père pour nous me force à compatir avec une grande affection à la douleur de tout ce peuple, et de gémir avec force, sur la cruauté de la mort, qui a porté un coup si cruel à l'Église dont les malheurs sont d'ailleurs déjà si grands. Oh oui, c'est une mort cruelle, inexorable que celle qui a atteint tant d'hommes d'un seul coup; c'est une mort aveugle et inconsidérée que celle qui a glacé la langue de Malachie, paralysé ses pieds, fait tomber ses mains et fermé ses yeux; ses yeux, dis-je, si pleins de piété, qui prouvaient la grâce de la réconciliation aux pécheurs par l'abondance de leurs pieuses larmes: ces mains si pures qui savaient se livrer avec amour aux travaux corporels les plus humbles, en même temps qu'elles offraient si souvent pour les pécheurs l'hostie salutaire du corps de notre Seigneur, et qu'elles se levaient sans aigreur et sans colère vers les cieux dans la prière; qui répandirent tant de bienfaits sur les infirmes et servirent d'instruments à tant de miracles éclatants; ces pieds si beaux qui le portaient quand il allait annoncer l'évangile de la paix; ces pieds qui se sont si souvent fatigués dans les sentiers de la piété, et qui ont laissé des traces à jamais dignes de nos pieux baisers; ces saintes lèvres, enfin, ces lèvres de prêtre qui gardaient la science, cette bouche du juste qui méditait la sagesse, cette langue qui ne parlait que de jugement et de miséricorde, et qui avait coutume de répandre le baume sur tant de blessures. Mais faut-il s'étonner après tout que la mort qui est fille de l'iniquité et de la séduction soit inique et inconsidérée? Non, il n'y a pas lieu à le faire, si on la voit frapper sans discernement aucun, elle, la fille de la prévarication, si elle se montre cruelle et insensée, quand elle a pour berceau la fourberie de l'antique serpent et la folie de la première femme. Mais pourquoi lui faire nu crime d'avoir osé s'attaquer à Malachie qui n'est, après tout, qu'un membre, tout fidèle qu'il soit, de Jésus-Christ, quand on la voit, dans sa fureur, diriger ses coups contre celui qui est le chef, non-seulement de Malachie, mais de tous les élus? Elle s'en prit en cette occasion à un innocent, mais elle ne sortit point saine et sauve de son entreprise. Elle, la mort, elle s'est attaquée à la vie, mais la vie a dévoré la mort et l'a ensevelie dans ses flancs. Elle s'est prise elle-même à l'amorce qu'elle a engloutie, et elle s'est trouvée prise là même où elle croyait elle-même avoir pris.

4. Mais peut-être, en voyant la mort sévir encore avec tant de liberté contre les membres, se demande-t-on en quoi elle peut sembler vaincue par le chef. Si la mort est morte, comment se fait-il que Malachie ait ressenti ses coups? Si elle a été vaincue, pourquoi triomphe-t-elle encore partout? Pourquoi n'est-il pas un homme qui vive et qui échappe à ses atteintes? Oui, la mort, en tant qu'elle est l'oeuvre du diable et la peine du péché, a été vaincue, parce que le péché qui est la cause de la mort a été vaincu lui-même, et que le Malin, qui est l'auteur du péché et de la mort, s'est aussi vu vaincu; non-seulement ils ont tous été vaincus, mais même ils sont jugés et condamnés, leur sentence est prononcée, bien qu'elle ne soit pas encore promulguée. Déjà, en effet, le feu est prêt pour recevoir ce diable, bien qu'il ne soit pas encore précipité dans les flammes, et qu'il lui soit encore loisible d'exercer sa méchanceté pendant quelque temps. Il est comme le marteau du céleste artisan, le fléau de la terre entière; il broie les élus pour leur bien, et les méchants pour leur perte. Il en est du péché et de la mort qui sont les enfants du démon comme de leur Père. En effet, de même que nous savons que le péché a été attaché avec le Christ sur la croix, cependant il n'en avait pas moins la permission d'habiter, sinon de régner dans l'Apôtre lui-même, lorsqu'il vivait. Me trompé-je? N'est-ce pas lui qui a dit: «Ce n'est pas moi qui fais ce mal, mais c'est le péché qui habite en moi (Rm 7,17).» Il en est de même pour la mort, elle n'est point contrainte de se tenir à l'écart, mais elle ne peut plus nous faire de mal. Il viendra un temps où on dira: «Où est ta victoire, d mort?» attendu que cette ennemie sera enfin elle-même détruite. Quant à présent, par la volonté de celui qui a le pouvoir de la vie et de la mort, et qui contient les flots mêmes de l'Océan vans des bornes infranchissables, la mort même est un sommeil et un repos pour les amis du Seigneur. Si nous en croyons le témoignage du Prophète qui nous dit: «Après le sommeil qu'il aura donné à ses bien aimés; ils verront naître des enfants qui seront leur héritage (Ps 127,3).» La mort des méchants est la pire des morts, parce que, après une naissance; mauvaise, ils ont eu une vie pire que leur naissance; mais «la mort des bons est précieuse (Ps 116,15).» Oui, elle est précieuse parce qu'elle est le terme de leurs maux, la consommation de la victoire, si je puis le dire, comme la porte de la vie et l'entrée d'une sécurité parfaite.

5. Félicitons donc, mes frères, oui, félicitons comme il convient, notre Père; s'il est conforme à la piété de pleurer la mort de Malachie, il n'est pas moins conforme au même sentiment de nous réjouir avec lui de sa nouvelle vie. N'est-il pas vivant en effet? Oui il l'est, et sa vie c'est une vie heureuse. Aux yeux des insensés, il a semblé mourir, mais il est en paix, et maintenant, devenu le concitoyen des saints, le familier de Dieu, il mêle ses chants aux actions de grâces et répète: «J'ai passé par le feu et par l'eau, et vous m'avez conduit, Seigneur, dans un lieu de rafraîchissement (Ps 66,12).» Il est vrai, il a passé par ces épreuves en homme de coeur, et il l'a fait avec bonheur. Il a célébré en esprit sa pâque, en véritable israélite, et, en passant, il nous a parlé, il nous a dit: J'ai désiré, d'un désir bien grand, manger cette pâque chez vous. Il a passé par l'eau et le feu, mais les épreuves n'ont pu le briser ni les douceurs, le captiver. Il y a au dessous de nous un endroit réservé tout entier aux flammes, et dans lequel ce malheureux ne peut obtenir une goutte d'eau du doigt de Lazare. Au dessus est la cité de Dieu, que réjouit un fleuve entier, un cours impétueux, un torrent de délices, un calice enivrant de toute beauté. Sans doute, c'est dans ces deux extrêmes que se trouve la science du bien et du mal, et qu'on peut faire l'expérience du bonheur et de la tribulation. Voilà dans quelle triste alternative la malheureuse Ève nous a placés; c'est le jour où la nuit; dans les enfers, rien que la nuit, rien que le jour dans les cieux. Heureuse donc l'âme qui a passé par les deux épreuves, et qui n'a été ni captivée par le plaisir, ni abattue par les peines.

6. Il me semble que je dois parmi les nombreuses et belles actions de cet homme, en rapporter quelques unes, en peu de mots, pour vous montrer avec quel courage il sut passer par l'eau et par le feu. Une engeance de tyrans était en possession de donner des archevêques au siège métropolitain du grand sains; Patrie, apôtre des Irlandais, par voie de succession, et, qui possédait le sanctuaire de Dieu à titre d'héritage. Notre Malachie fut prié par les fidèles de mettre enfin un ternie à tant de. maux. Prenant alors son âme dans ses mains, il s'avance avec intrépidité, accepte le titre d'archevêque, et s'expose ainsi à un péril manifeste, pour mettre fin à lui crime si patent. Il gouverne cette église au milieu des dangers, mais une fois le danger passé, il eut hâte de se donner un successeur sur ce siège, en se conformant aux règles canoniques. Car il n'avait, accepté le titre d'archevêque qu'à une condition, c'est que la rage des persécuteurs une fois apaisée, il pourrait se démettre de ce siège en faveur d'un autre évêque, et retourner à sa première église, où il continua jusqu'à son dernier jour à vivre sans propriété aucune, sans aucun revenu ni ecclésiastique ni laïc, dans les communautés religieuses que lui-même avait fondées. Voilà comment cet homme de Dieu a passé comme l'or par le feu de la tribulation, pour s'y purifier, non point pour y être consumé, mais aussi, c'était de l'or qu'un tel homme. Voilà comment il sut ne céder ni se fondre au souffle des douceurs; et on ne le vit point, oublieux de sa course, s'arrêter, spectateur curieux, au milieu du chemin.

7. Qui de vous, mes frères, ne désirerait pas vivement imiter sa sainteté, si toutefois il est permis d'espérer y atteindre? Mais je crois que vous me prêterez plus volontiers votre attention, si je puis trouver quelque chose à vous dire sur ce qui a fait un saint de Malachie. Mais de peur que mon témoignage ne paraisse point assez impartial, entendez l'Écriture vous dire: «Ce qui le fit saint, c'est sa foi et sa douceur (Si 45,4).» C'est par la foi, en effet, qu'il foulait le monde aux pieds, selon ce témoignage de saint Jean: «Notre foi, telle est la victoire qui nous fait vaincre le monde (Jn 5,4). Et, pour ce qui est de l'esprit de douceur, c'est par là qu'il sut supporter toutes les adversités et les choses les plus pénibles avec une âme égale. Oui, voilà comment, par la foi, il sut fouler, après Jésus-Christ, les flots de la mer aux pieds, et éviter le piège du plaisir, et comment aussi, par sa patience, il sut posséder son âme sans la laisser abattre par les épreuves. Ce sont deux écueils que le Psalmiste avait en vue quand il disait: mille tomberont à votre droite, et dix mille à votre gauche (Ps 91,7). Les enchantements de la prospérité perdent plus de gens que les coups de l'adversité. Que personne donc parmi nous, mes très-chers frères, charmé par l'aspect d'une route plus douce, parce qu'elle est plus unie, ne se figure que la voie de la mer lui sera plus commode; cette plaine a ses montagnes qui sont grandes, et qui n'en sont que plus dangereuses, pour être moins visibles. Peut-être la route frayée sur les flancs ardus des collines, et sur la crête des rochers, semble plus pénible, mais ceux qui en ont essayé l'ont trouvée beaucoup plus sûre et bien préférable. Mais, des deux côtés, il y avait de la fatigue et des périls aux yeux de celui qui disait: «Par les armes de la justice, combattre, à droite et à gauche (2Co 6,7),» et nous pouvons féliciter ceux qui sont passé par l'eau et le feu, et sont enfin arrivés au lieu du rafraîchissement. Vous voulez entendre parler de ce lieu-là? Plût au ciel qu'un autre que moi vous en parlât! Pour moi, je ne saurais vous en dire un mot, car je n'ai point encore goûté ce rafraîchissement.

8. Mais il me semble entendre aujourd'hui Malachie même qui nous en parle en disant: «O mon âme, rentre dans ton repos, puisque le Seigneur t'a comblée de biens. Le Seigneur a délivré mon âme de la mort (Ps 56,14).» Laissez-moi vous dire ce que, pour moi, signifient ces paroles, je serai bref, car le jour baisse, et ce sermon s'est déjà prolongé plus que je ne le pensais; j'ai tant de mal à cesser de prononcer le doux nom de notre Père, ma languie a tellement peur de ne plus parler de Malachie, que je ne puis me résoudre à mettre fin à mes paroles. Mes frères, la mort de l'âme est le péché, si vous n'avez point oublié ces paroles du Prophète: «Toute âme, qui pèche mourra (Ez 18,4).» Il s'en suit que quiconque est hors de tout péché, de tout travail et de tout péril, a un triple droit à être félicité. Puisque, dès lors, le péché n'habite plus en lui, le deuil de la pénitence n'est plus une nécessité pour lui, et il n'a plus désormais à prendre garde de faire le moindre faux pas. Élie a déposé son manteau, il n'a plus à craindre que la femme adultère le touche ou le retienne, il est monté dans son char; il n'a plus à redouter de faire quelque chuté; il s'élève doucement dans les airs, sans fatigue, car ce n'est pas lui qui se soutient comme avec des ailes, mais il est assis dans un char à la marche agile. Voilà le lien de rafraîchissement où nous devons courir de toute l'ardeur de notre âme, à l'odeur des parfums de notre saint Père, qui semble, aujourd'hui même, exciter notre torpeur et la changer en un fervent désir Courons donc, vous dis-je, courons après lui, et crions-lui à chaque pas: Attirez-nous à votre suite. Rendons grâce de tout notre coeur à la miséricorde du Tout-Puissant, et témoignons-lui notre reconnaissance, avec piété, par nos progrès dans la vertu, de ce qu'il a voulu que, si nos propres mérites font défaut, nous pussions du moins compter sur les suffrages des autres.





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DEUXIÈME SERMON SUR LE SAINT ÉVÊQUE MALACHIE.


1. Il est certain que pendant que nous habitons dans ce corps, nous sommes éloignés du Seigneur (2Co 5,6); aussi, la pensée de ce triste exil et la conscience de nos péchés sont-elles bien propres à nous inviter à la tristesse bien plutôt qu'à la joie. Mais comme l'Apôtre nous engage à nous réjouir avec ceux qui sont dans la joie (Rm 12,15), c'est pour nous le jour. de nous laisser aller à tous les sentiments de la joie, nous avons, d'ailleurs, un motif de le faire. En effet, s'il est vrai, comme l'a senti le Prophète, que les justes se réjouissent en présence de Dieu (Ps 64,11), on ne peut révoquer en doute que Malachie qui, pendant le cours de sa vie mortelle, a su plaire à Dieu et s'est trouvé juste, ne soit au comble de la joie. Il a exercé devant lui son ministère (Qo 24,14) dans la justice et la sainteté; ministre et ministère furent agréables à Dieu. Pourquoi n'en aurait-il point été ainsi? Il a prêché l'Évangile avec désintéressement, il l'a répandu dans toute sa patrie, et il a fini par triompher des moeurs barbares et farouches des habitants de l'Irlande; il a soumis, parle glaive de l'esprit, les nations étrangères au joug d'ailleurs léger du Christ; il a reculé les bornes de son héritage jusques aux confins du monde. O ministère fécond en résultats! ô ministre fidèle! N'a-t-il point été l'instrument dont le Père s'est servi pour accomplir les promesses qu'il avait faites à son fils? N'est-ce pas lui que le Père avait en vue quand il disait à son fils: «Je vous donnerai les nations pour héritage, et j'étendrai votre empire jusqu'aux extrémités de la terre (Ps 2,8)?» Combien volontiers le Sauveur reçut ce qu'il avait acheté, mais acheté au prix de son sang, des ignominies de la croix et des horreurs de sa passion! Mais surtout avec quel plaisir il le reçut des mains de Malachie qui le servait pour rien! Ce qui lui plaisait dans son ministre, c'était le don gratuit, et dans son ministère, la conversion des pécheurs. Oui, ce qui le charmait dans son ministre, c'était, je le répète, un oeil simple, et ce qui lui plaisait dans son ministère, c'était le salut du peuple.

2. Après tout, si le ministère de Malachie avait été moins fructueux, le Seigneur n'en aurait pas moins abaissé des regards de complaisance sur son ministre et sur ses oeuvres, car ce qu'il aime c'est la simplicité, et sa justice consiste surtout à juger les oeuvres sur les intentions, et à apprécier l'état du corps entier, d'après celui de l'oeil. Mais les oeuvres du Seigneur sont grandes et proportionnées à toutes les volontés et à tous les désirs de Malachie (Ps 90,2): Oui, elles ont été grandes, et nombreuses, et bonnes, mais elles étaient encore d'un bien plus grand prix, à cause de la pureté d'intention qui les inspirait. Quelle est l'oeuvre de piété que Malachie n'est pas faite? S'il était pauvre pour lui, il était riche pour les pauvres. C'était le père des opprimés. Il donnait avec bonheur, demandait rarement, et ne recevait qu'avec embarras. Un de ses plus grands soins fut de rétablir la paix là où elle était troublée, et il y réussit bien souvent. Vit-on jamais homme aussi tendre à la compassion, aussi prompt au secours, aussi indépendant dans la réprimande? S'il avait un grand zèle, le zèle chez lui n'allait point sans la science qui en est la modératrice. On le voyait faible avec les faibles, mais il savait se montrer puissant parmi les puissants, résister aux superbes, frapper lés tyrans, et donner des leçons aux princes et aux rois. N'a-t-il pas, d'un mot de prière, privé de la vue un roi injuste, et ne la lui a-t-il pas rendue quand ce roi se fut humilié. C'est lui aussi qui livra à un esprit d'erreur, et les empêcha de faire le mal, des hommes qui avaient violé la paix, et qui leur fit conclure un nouveau traité de paix, après les avoir confondus et stupéfaits, par ce qui leur était arrivé. C'est encore lui qui, dans l'autre camp, violateur à son tour des conventions mutuelles, fit servir, bien à propos à ses desseins un petit ruisseau sur les bords duquel vinrent échouer les projets des impies. Il n'était point tombé d'eau, il n'y avait eu aucune inondation, le temps ne s'était pas montré nuageux, nulle fonte de neiges ne s'était produite, et néanmoins un tout petit ruisseau se changea tout à coup en un fleuve immense; on le voyait rouler ses eaux, grossir et déborder, et ceux qui voulaient pousser outre pour accomplir leurs mauvais desseins ne purent trouver un passage.

3. Que n'avons-nous pas appris, que n'avons-nous point vu du zèle de cet homme et de la vengeance qu'il sut tirer de son ennemi, quelque doux et pacifique qu'il fût, et quelque riche en miséricordes qu'il se montrât avec tous ceux qui se trouvaient dans le malheur? On Pelât pris pour le hère de toutes ses ouailles, tant il ne vivait que pour elles toutes; comme la poule qui rassemble ses poussins, il rassemblait tous ses peuples et les protégeait à l'ombre de ses ailes. Il ne s'inquiétait ni du sexe, ni de l'âge, n'avait égard ni au rang, ni à la condition; il ne faisait défaut à personne, et il ouvrait à tout le monde le sein de sa charité. Du fond de quelque affliction qu'on criât vers lui, cette affliction devenait la sienne, avec cette différence pourtant, qu'on le voyait aussi compatissant aux maux d'autrui, souvent même aussi impatient pour le prochain qu'il était patient pour lui-même. En effet, on le vit plusieurs fois, rempli d'un zèle ardent, s'élever avec force pour le prochain, contre ceux qui l'opprimaient, arracher les faibles à leurs ennemis, réprimer les forts pour les sauver également les uns et les autres. On le vit donc entrer en colère, mais ce ne fut jamais que dans la crainte de pécher, s'il ne le faisait point, selon le conseil du Psalmiste: «Mettez vous en colère, et ne péchez point (Ps 4,5).» La colère n'était point maîtresse de lui, mais lui se possédait toujours, était constamment maître de soi. Vainqueur de lui-même, il ne pouvait être vaincu par la colère. Il avait sa colère dans la main: l'appelait-il à lui, elle se présentait, mais ne lui échappait jamais, elle obéissait au premier signe, mais ne cédait pas à sa fougue naturelle. Enfin, il s'en servait, mais n'était jamais lui-même à son service. Il était d'une circonspection extrême et d'un soin très-grand à régler et à réprimer, non-seulement les mouvements de la colère, mais encore tous les mouvements de notre double nature; car il n'avait pas tellement l'oeil sur les autres, qu'il ne veillât point sur lui et s'exceptât seul de sa vigilance générale; il avait souci de lui, comme des autres, et veillait sur lui. Tout entier à lui-même et tout entier au prochain, on ne vit jamais la charité l'empêcher d'avoir l'oeil ouvert sur lui, ni le soin de son propre salut l'arrêter, ou seulement le retarder en quoi que ce soit, dans ce qui intéressait les autres. Si vous l'aviez vu au milieu des agitations de toutes sortes et des mille soins dont il était occupé, vous auriez cru qu'il n'existait que pour sa patrie, non pour lui; mais si vous l'aviez vu ensuite seul et dans la retraite, il vous aurait semblé qu'il ne vivait que pour Dieu et pour lui-même.

4. On le voyait calme au milieu du tumulte des affaires, et occupé jusque dans les heures qu'il donnait au repos. Comment, en effet, aurait-il pu demeurer oisif quand il était tout entier aux justices du Seigneur. Les affaires du peuple lui laissaient quelquefois un moment de répit, jamais il ne se reposait des saintes méditations; jamais il n'interrompait les doux loisirs de la contemplation. A ses heures de répit, ou il gardait le silence, ou, s'il parlait, il parlait peu. S'il levait les yeux, c'était pour remplir un devoir, autrement il les tenait baissés ou les repliait en lui-même. Car, et ce n'est pas un mince éloge parmi les sages, ses yeux étaient dans sa tête et n'en sortaient que pour obéir à la voix de la vertu. Son rire était un témoignage de charité, ou un appel à cette vertu, mais il était rare, il s'épanouissait sur les lèvres, mais il n'y éclatait jamais avec fracas; aussi témoignait-il de la joie de son coeur sans rien ôter, que, dis-je, en ajoutant au contraire à la grâce de son visage. Ce rire était si modeste, qu'on ne pouvait le soupçonner de légèreté; mais, si peu bruyant qu'il fût, il suffisait à dissiper de son joyeux visage, tonte ombre, tout nuage de tristesse. O don parfait! ô gras holocauste! quels services- pleins de grâces que ceux de son esprit ou de sa main? Quelle bonne odeur il exhalait devant Dieu dans le calme de ses prières! et quels parfums délicieux aussi pour ses semblables dans les sueurs et les fatigues de ses nombreuses occupations!

5. Voilà ce qui a rendu avec raison Malachie cher à Dieu et aux hommes, et lui a valu d'être admis aujourd'hui même dans la société des anges, et d'être, en effet, l'un de ceux dont il n'avait fait jusqu'alors que mériter de recevoir le nom. Jusqu'à ce jour, sa pureté lui avait valu le nom d'ange, mais, plus heureux à présent, il en a plus que le nom, depuis qu'il partage la gloire et le bonheur de ces esprits bienheureux. Félicitons donc, mes frères, félicitons, comme il convient, notre Père, car s'il est conformé à la piété de pleurer la mort de Malachie, il n'est; pas moins conforme au même sentiment de nous réjouir avec lui de sa nouvelle vie. N'est-il-pas vivant en effet? Oui, oui, il l'est, et sa vie est une vie heureuse. Aux yeux des insensés, il a semblé mourir, mais il est en paix; et maintenant, devenu le concitoyen des saints, le familier de Dieu, il mêle ses chants aux actions de grâces, et répète: «J'ai passé par l'eau et par le feu, et vous m'avez conduit, Seigneur, dans un lieu de rafraîchissement (Ps 66,12).» Il est vrai, il a passé par ces épreuves, en homme de coeur, et il l'a fait avec bonheur. Il a célébré en esprit sa pâque en véritable Israélite, et, en passant, il nous a parlé, il nous a dit: J'ai désiré d'un désir bien grand, manger cette pâque chez vous. Il a passé par l'eau et le feu, mais les épreuves n'ont pu le briser, ni les douceurs le captiver. Réjouissons-nous donc de ce que notre ange est, monté vers ses concitoyens, pour s'acquitter d'une ambassade pour les enfants de la captivité, nous concilier le coeur des bienheureux, et leur faire connaître les voeux de nos coeurs malheureux. Oui, réjouissons-nous, vous dis-je, et, livrons-nous à l'allégresse, car le choeur céleste possède maintenant un des nôtres qui aura notre bien à coeur, qui nous protégera par ses vertus, après nous avoir formés par ses exemples, et fortifiés par ses miracles.

6. Notre saint Pontife, qui avait souvent, en esprit de piété, offert au ciel des hosties pacifiques, a pénétré aujourd'hui par lui-même, en qualité de prêtre et d'hostie, sur l'autel du Seigneur. Notre prêtre nous ayant quittés, le rite de son sacrifice s'est changé en s'améliorant, la fontaine de ses larmes s'est tarie, et son holocauste tout entier se consomme dans la joie et l'allégresse. Béni soit le Seigneur Dieu de Malachie, qui a visité son peuple par le ministère d'un si grand pontife, et qui maintenant, après l'avoir rappelé dans la cité sainte, ne cesse de consoler notre captivité par le souvenir d'une pareille douceur. Que l'esprit de Malachie tressaille dans le Seigneur de ce que soulagé du poids de son corps matériel, il n'est plus alourdi par aucune substance terrestre ou matérielle, ni empêché de s'élever au delà de tous les êtres corporels et même incorporels, avec toute sorte de rapidité et de légèreté, et d'aller tout entier en Dieu, s'attacher à lui, et faire avec lui à jamais un seul et même esprit.

7. La sainteté doit être l'ornement de votre maison, Seigneur, de ce séjour où se garde le souvenir d'un si grand saint. Saint Malachie, conservez-la dans la sainteté et dans la justice, ayez pitié de nous, au milieu des misères si grandes et si nombreuses où nous nous trouvons plongés, pendant que nous célébrons le souvenir de votre excessive douceur. Le ciel vous a comblés de bien grandes grâces quand il vous a fait si petit à vos yeux, et si grand à ceux de Dieu; quand il a fait de si grandes choses pour, vous et sauvé votre patrie; Dieu a fait de grandes choses pour vous, quand il vous a fait entrer dans sa gloire. Que votre fête, que vos vertus ont rendue bien légitime, nous devienne, par vos mérites et vos prières, une occasion de salut! La gloire de votre sainteté que nous nous plaisons à, célébrer, est continuée par les anges, sera pour nous un digne motif de joie, si elle nous fait produire quelques bons fruits. Puissiez-vous, en vous éloignant de nous, laisser quelques restes des fruits de votre esprit dont vous montez chargé vers les cieux, à nous qui sommes aujourd'hui assis à votre délicieux banquet.

8. Soyez donc pour nous, nous vous en prions, saint Malachie, un autre Moïse ou un second Elie, et laissez-nous quelque chose de votre esprit, puisque c'est dans leur esprit et dans leur vertu que vous êtes venus sur la terre. Votre vie est une règle de vie et de discipline, votre mort le port de la mort et la porte de la vie, votre mémoire la douceur même de l'onction et de la grâce, votre présence la couronne de gloire dans la main du Seigneur votre Dieu. O olivier fertile dans le champ du Seigneur! huile de joie qui oint et qui brille, qui oint par les bienfaits et brille par les miracles! faites-nous participer à votre onction et à votre lumière. O lis odoriférant qui pousse éternellement sous les yeux du Seigneur, qui fleurit et répand partout sa vivifiante et douée odeur; lis dont le souvenir est en bénédiction parmi nous et dont la présence est en honneur dans les cieux! faites que ceux qui chantent vos louanges ne soient point frustrés de leur part de votre plénitude. O bel astre, lumière qui brille dans les ténèbres et qui éclaire notre prison de l'éclat de ses miracles et des rayons de ses vertus, lumière, qui réjouit la cité sainte, dissipez dans nos coeurs, par la splendeur de vos vertus, les ténèbres de nos vices. O étoile du matin, qui l'emportez d'alitant plus en clarté sur les autres étoiles que vous êtes plus proche du jour et plus semblable au soleil, daignez précéder nos pas, afin que nous marchions à la lumière comme de vrais enfants de lumière, non de ténèbres. O aurore, qui n'est encore que le point du jour pour notre terre, mais qui déjà brille comme le plein midi aux célestes plages, reçois-nous au sein de la lumière, de cette lumière dont tu es inondée et qui te fait briller au loin, hors de toi, et brûler doucement au dedans, par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est Dieu et règne avec le Père et le Saint-Esprit pendant les siècles des siècles. Ainsi soit-il.






Bernard sermons 6030