Bernard sermons 3083

3083 3. Examinons donc mes frères, quelles sont nos voies, et quelles sont celles des démons, voyons aussi quelles sont les voies des esprits bienheureux, et quelles sont celles du Seigneur. J'entreprends, je le confesse, quelque chose qui est au dessus de mes forces; mais vous m'aiderez par vos,prières, à obtenir de Dieu, qu'il daigne m'ouvrir le trésor de son indulgence, et qu'il fasse que le discours que je me propose de vous faire sur un si important sujet lui soit entièrement agréable. Considérons donc, premièrement, quelles sont les voies des enfants d'Adam. Elles sont toutes dans la nécessité ou dans la cupidité. C'est par ces deux choses, en effet, que nous sommes conduits, comme emportés, avec cette différence pourtant que la nécessité semble plutôt nous pousser, tandis que la cupidité nous attire et nous emporte. La première tient plus particulièrement au corps; sa voie n'est pas unique; elle a comme plusieurs sentiers ut plusieurs détours qui nous conduisent diversement à de nombreux malheurs; mais bien rarement à quelques avantages, si toutefois elle est capable de nous en procurer. Quel homme ignore combien nombreuses sont les nécessités de cette vie ?Qui pourrait les énumérer ? Mais notre expérience nous en instruit assez, et les peines qui en résultent pour nous, nous le font assez comprendre. Chacun apprend par lui-même combien il a souvent besoin de crier à Dieu : « Seigneur, délivrez-moi, non pas de la nécessité , niais de toutes mes nécessités (Ps 24,17). » Mais tout homme qui prête une oreille attentive aux avertissements du sage ne se contente pas de désirer et de demander d'être délivré de toutes ces différentes nécessités ; mais il demande encore que Dieu le retire de la voie de ses cupidités. En effet, que dit le sage ? « Détournez-vous de vos propres désirs, et ne suivez point vos convoitises (Qo 18,30). » Il est évident que de ces deux maux, le préférable est de vivre clans la nécessité plutôt que clans la cupidité. A la vérité, nous avons un grand nombre de nécessités; mais le nombre de nos cupidités est encore plus grand, en toutes manières, il dépasse même toute mesure et toute borne. Elles viennent toutes du coeur, aussi sont-elles d'autant plus considérables que l'âme est plus grande que le corps. Enfin ces deux voies de la nécessité et de la cupidité sont celles qui paraissent bonnes aux hommes; irais qui ne finissent et n'arrivent à leur terme que lorsqu'elles les précipitent dans l'abîme des enfers. En vous représentant ces voies, soyez persuadés que c'est d'elles sans doute qu'il a été dit : « Il n'y a que de l'affliction et du malheur dans leurs voies (Ps 13,7); » et rapportez l'affliction à la nécessité, et le malheur à la cupidité. Comment le malheur se rencontre-t-il dans la cupidité, ou comment les hommes n'y trouvent-ils pas le bonheur qu'ils s'imaginent? Qu'arrive-t-il donc lorsqu'un homme pense avoir trouvé, dans l'abondance des biens et des délices de la terre, la félicité qu'il a désirée ? II est d'autant plus misérable qu'il embrasse, avec plus d'ardeur, la misère même, comme si c'était une véritable félicité, , et qu'il s'y plonge davantage en pensant avoir trouvé le bonheur parfait. Que les enfants des hommes sont à plaindre, de se laisser prendre à cette fausse et trompeuse félicité ! Malheur à celui qui dit : Je suis dans l'abondance, et je n'ai besoin de quoi que ce soit; tandis qu'il est pauvre et dénué de tout, malheureux et tout à fait misérable. Les nécessités procèdent des infirmités de l'a chair, et les cupidités de!fa disette et de l'oubli de l'âme. Elle ne mendie en effet, que parce qu'elle a oublié de manger le pain qui lui est propre et elle ne désire si ardemment les choses de la terre, que parce qu'elle ne s'entretient jamais de celles du Ciel.

4. Voyons maintenant quelles sont les voies des démons. Observons-les pour nous en garantir. Considérons-les, afin de nous en éloigner. Or, les voies des démons ne sont autre chose que la présomption et l'obstination. Voulez-vous savoir où j'ai appris cela ? Considérez quel est leur chef, tel maître, tels serviteurs. Considérez les commencements de ses voies, et vous verrez manifestement qu'il s'est jeté d'abord dans une présomption exorbitante en disant : « Je serai assis sur la montagne du testament, aux flancs de l'Aquilon : je serai semblable au Très-Haut (Is 14,13). » Que cette présomption est téméraire; qu'elle est horrible! Aussi, tous ces esprits, qui sont des ouvriers d'iniquité, sont-ils tombés, ont-ils été renversés, se sont-ils vus honteusement, chassés! Leur présomption les a empêchés de se maintenir dans l'état où Dieu les avait créés, et leur obstination de se relever de leur chute. Leur orgueil les a éloignés et leur obstination les a empêchés de revenir. La présomption des démons est, bien étonnante; mais leur obstination l'est au moins autant. Leur orgueil en effet, croit et monte toujours, aussi n'y a-t-il point de changement possible pour eux. N'ayant point voulu quitter la voie de la présomption, ils sont tombés dans celle de l'obstination. Que le coeur des enfants des hommes est perverti de suivre les dénions, de marcher sur leurs pas, et d'entrer dans leurs voies ! Tous les efforts de ces esprits d'iniquité ne tendent qu'à nous séduire; à nous engager dans leurs voies, à nous faire toujours marcher en avant, afin de nous conduire avec eux au but. qui les attend de toute éternité. Fuyez la présomption si vous voulez que votre ennemi ne triomphe de vous; car c'est principalement dans ces vices, qu'il se plait de nous faire tomber, ayant éprouvé, par lui-même, combien il doit vous être difficile de vous retirer d'un si profond abîme.

3084 5. Mais je ne veux pas vous laisser i'norer, mes fières, comment on descend, ou plutôt, comment on tombe dans ces deux vices. Le premier degré de cette descente, qui se présente à ma pensée, c'est de se dissimuler à soi-même, sa propre faiblesse, sa propre méchanceté, et sa propre inutilité. Quand l'homme s'excuse, quand il se flatte, quand il se persuade être quelque chose, quoiqu'il ne soit rien, alors il se fait son propre séducteur. Le second degré, c'est de s'ignorer soi-même. Car, lorsque arrivé au premier degré de sa chute, l'homme vent se cacher à lui-même sa honte et sa nudité, avec d'inutiles feuilles de figuier, il ne lui reste plus que de ne voir pas les blessures qu'il tient cachées, et qu'il n'a cachées qu'à desseih de ne les pas voir. D'où il suit que, si on lui montre ses blessures, il soutient que ce ne sont pas des blessures, et recourt à des paroles pleines d'injustice et d'iniquité pour excuser ses péchés;,or' ces excuses mêmes font le troisième degré dé' la descente, qui approche fort de la présomption. Car de quel mal peut-on rougir, quand on a la hardiesse d'entreprendre de justifier celui que ton a commis ? Mais d'ailleurs, le pêcheur qui en est arrivé là, ne saurait demeurer dans ces ténèbres et sur cette pente; car l'ange mauvais, ministre de la justice de Dieu, ne manque pas alors de poursuivre et de pousser l'homme, pour le faire tomber encore plus bas. Il y a donc encore un quatrième degré, (lisons, mieux, un quatrième abîme, c'est le mépris, dont parle' le Sage en ces ternies : « Lorsque l'impie est tombé dans l'abîme du péché, il méprise tout (Pr 18,3). » Ensuite le puits de l'abîme se ferme sur lui de plus en plus, car ce mépris jette l'âme dans l'impénitence, et l'impénitence s'affermit, dans le coeur, par l'obstination. Voilà 1e péché qui ne doit être remis ni dans ce siècle, ni dans l'autre, parce que le coeur endurci, n'a plus la crainte de Dieu, ni aucun respect pour les hommes. Celui qui s'attache ainsi au démon dans toutes les voies, est évidemment devenu un même esprit avec lui. Les voies des hommes que nous avons expliquées plus haut, sont celles dont il est dit : « Je souhaite due vous ne soyez éprouvés que par des tentations humaines (1Co 10,13). » Or, il est certain que pécher est bien le fait de l'homme, mais qui ne sait que les voies des démons sont fort, éloignées de la nature de l'homme, si ce n'est qu'en quelques-uns, les mauvaises habitudes semblent leur avoir fait prendre la nature de ces esprits diaboliques? liais enfin, si on voit persévérer quelques hommes dans le péché, cette persévérance n'est pourtant pas une chose humaine, c'en est une diabolique.

6. Voyons maintenant quelles sont les voies des anges. Evidemment ce sont celles dont le fils unique du Père a voulu parler quand il a dit : « Vous verrez les anges monter et descendre sur le Fils de l'homme (Jn 1,51). » Leurs voies c'est donc. de monter et de descendre. Ils montent pour eux : ils descendent pour nous, ou plutôt ils descendent avec nous. Ces bienheureux esprits, montent donc par la contemplation de Dieu, et ils descendent pour avoir soin de nous et pour nous garder dans toutes nos voies. Ils montent vers Dieu, pour jouir de sa présence; ils descendent vers nous, pour obéir à ses ordres, car il leur a commandé de prendre soin de nous. Toutefois en descendant vers nous, ils ne sont point privés de la gloire qui les rend heureux, ils voient toujours le visage du Père éternel.

3085 7. Vous désirez maintenant je pense, que je vous entretienne des voies du Seigneur. II me semble que c'est beaucoup présumer de moi-même que de me promettre de vous les montrer; en effet, l'Ecriture-Sainte, nous dit qu'il nous les enseignera lui-même (Ps 24,9). Car, à qui pourrait-on s'en rapporter avec confiance sur ce sujet, sinon à lui? Il nous a donc enseigné ses voies, lorsqu'il a fait dire à son prophète : «Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité (Ps 24,10). » C'est par la miséricorde et- par la vérité qu'il vient à chacun de nous en particulier, et qu'il vient à tous les hommes en général. Lorsque nous présumons beaucoup de sas miséricorde, et que nous oublions la vérité, Dieu n'est pas encore en nous. Et il n'y est pas davantage, lorsque la considération de sa vérité nous remplit de crainte, et que le souvenir de sa miséricorde, ne nous apporte aucune consolation. Car, celui qui ne reconnaît pas la miséricorde où elle est véritablement, s'éloigne de la vérité, et la miséricorde ne saurait être véritable sacs la vérité. Aussi, ceux en qui la miséricorde et la vérité se rencontrent, voient la justice et la paix se donner en eux le baiser d'alliance, et par conséquent Dieu, qui, selon le Prophète, a établi su demeure dans la paix, ne saurait être absent de leur coeur. Combien l'Écriture-Sainte nous donne-t-elle de lumières et de connaissances, sur cette heureuse union de la miséricorde et de la vérité ? « Votre miséricorde et votre vérité ont été tiroir asile; » dit le Prophète (Ps 39,12). Et d'ailleurs : « Votre miséricorde est toujours devant mes yeux et je nie plais à contempler votre vérité (Ps 25,3). » Or, Dieu a voulu donner lui-même ce témoignage de ce Prophète : « Ma vérité et ma miséricorde sont avec lui (Ps 38,15). »

8. Considérons aussi les voies que Notre-Seigneur Jésus-Christ a suivies pour venir à irons, elles sont manifestes, et nous trouverons que si nous possédons maintenant, en sa personne, un Sauveur plein de miséricorde, nous aurons en lui, à la fin du monde, un juge plein de justice et de vérité, selon ce que dit l'Écriture-Sainte : «.Dieu aime la miséricorde et la vérité , le Seigneur donnera la grâce et la gloire (Ps 83,12).» Si donc, Notre-Seigneur, dans son premier avènement, s'est souvenu de sa miséricorde et de sa vérité, en faveur de la nation d'Israël, dans son dernier avènement, quoiqu'il doive juger la terre dans son équité, et tous les peuples dans sa vérité, néanmoins, son jugement ne sera point sans miséricorde, si ce n'est à l'égard de celui qui n'aura point fait de miséricorde. Car telles sont ses voies éternelles, dont un prophète a dit : «Les collines du monde se sont abaissées sous ses voies éternelles (Ha 3,6). » Il m'est facile de le prouver, puisque l'Écriture-Sainte. nous assure « que la miséricorde du Seigneur est de toute éternité, et doit s'étendre jusques dans l'éternité (Ps 102,17) : et que la vérité du Seigneur, doit aussi durer éternellement (Ps 126,2). » Les collines du monde, c'est-à-dire les démons superbes qui sont les princes des ténèbres de ce, siècle, se sont abaissées sous ces voies; mais ils ont ignoré ses voies, ils ne se sont point souvenus de ses sentiers. Quel rap port peut-il y avoir entre la vérité et celui qui est par excellence, le menteur et le père du mensonge? Aussi Notre-Seigneur rend-il ce témoignage de lui : « Il n'est point demeuré dans la vérité (Jn 8,23). » Et pour ce qui est de la miséricorde, la malice cruelle avec laquelle il nous a fait tomber dans la misère où nous sommes, témoigne assez combien il s'en est éloigné. Quand a-t-on pu le voir exercer un acte de miséricorde; lui, qui a été homicide dès lé commencement du monde ? Celui qui n'est pas bon pour lui-même, peut-il avoir de la compassion pour les autres ? Or, combien n'est-il pas méchant et injuste pour lui-même, celui qui ne s'afflige jamais de ses propres iniquités, et à qui sa propre damnation ne donne jamais aucun sentiment de pénitence! Sa présomption en le trompant, l'a tenu éloigné de la voie de la vérité, et sort obstination cruelle lui a fermé la voire de la miséricorde; en sorte, qu'il ne peut jamais trouver en soi la miséricorde, et ne peut jamais l'obtenir de Dieu. Voici donc de quelle manière ces collines si élevées ont été contraintes de s'abaisser, sous les voies éternelles du Seigneur. Ces esprits superbes se sont éloignés des voies droites du Seigneur par des détours et des chemins obliques et tortueux, qui ont été des précipices dans lesquels ils sont tombés, plutôt que des chemins. Mais combien les autres collines se sont-elles abaissées et humiliées pour leur salut; avec plus de prudence et d'avantages, sous les voies de Notre-Seigneur ? Car elles n'ont point été abaissées par force; et comme si elles se fussent trouvées opposées à ces voies saintes et divines. Mais elles se sont pliées à ces voies de l'éternité. Ne voit-on pas maintenant les collines du monde abaissées, puisque les grands et les puissances du siècle s'abaissent devant Notre-Seigneur, par une pieuse soumission, en adorant la trace de ses pas ? Ne sont-elles pas abaissées et aplanies, lorsque ces grands abandonnent les pernicieuses hauteurs de leur vanité et de leur cruauté, pour suivre les humbles sentier de la vérité ?

3086 9. Non-seulement les saints anges , mais aussi les hommes prédestinés confirment et règlent toutes leurs voies sur ces voies de Notre-Seigneur. Le premier degré par lequel l'homme misérable sort de l'abîme des vices est cette miséricorde par laquelle il a compassion du fils de sa mère, compassion de son âme, et travaille à plaire à Dieu. Car, il imite alors le grand ouvrage de la divine miséricorde. Il est brisé de componction avec celui qui l'a été de douleur pour lui, et meurt aussi en quelque sorte pour son salut, et ne l'épargne pas par cette compassion qu'il a de lui-même lorsqu'il retourne à son coeur, comme parle l'Écriture-Sainte, et qu'il rentre dans le plus intime de son âme. Il ne lui reste plus qu'à s'engager dans la voie royale qui mène à la vérité, et à joindre la confession de la bouche à la contrition du coeur, comme je vous ai souvent recommandé de le faire ; car nous croyons du coeur pour la justice, et nous confessons de la bouche pour le salut. Il est nécessaire, que celui qui retourne à son coeur en se convertissant, devienne petit à ses yeux, selon cette parole de la Vérité même : « Si vous ne vous convertissez, et ne devenez comme un petit enfant, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux (Mt 18,3). » Il faut qu'il n'essaie pas de dissimuler ce qu'il ne peut ignorer; mais qu'il reconnaisse que son péché a fait de lui un néant. Il nec faut pas qu'il ait' honte de produire au dehors, dans la lumière de la vérité, les défauts, qu'il voit, avec des sentiments de compassion, clans le fond: de son coeur. Par ce moyen, l'homme entre dans les voies de la miséricorde et de la vérité, qui sont les voies du Seigneur, les voies de la vie. Or, le terme assuré où elles aboutissent, est le salut de ceux qui les suivent jusqu'au bout.

10. Ce n'est pas tout; mais il est évident que les anges aussi tendent aux mêmes voies; car, lorsqu'ils montent à la contemplation de Dieu, ils cherchent la vérité dont ils se remplissent incessamment en la désirant, et qu'ils désirent toujours en la possédant. Lorsqu'ils descendent, ils exercent envers nous la miséricorde, puisqu'ils nous gardent dans toutes nos voies. Car ces bienheureux esprits sont les ministres de Dieu qui nous sont envoyés pour nous venir en, aide (He 14); et, dans cette fonction, ce n'est pas à Dieu qu'ils rendent service, mais à nous. Or ils imitent en cela, l'humilité du Fils de Dieu, qui n'est point venu pour être servi, mais pour servir, et qui a vécu parmi ses disciples, comme s'il avait été leur serviteur (Mt 20,28). L'utilité que les anges retirent pour eux en suivant ces voies, c'est leur propre bonheur et la perfection de l'obéissance dans la charité ; et celle que nous en recueillons nous-mêmes, c'est la communication qui nous est faite des grâces de Dieu; et l'avantage d'être gardés par eux dans nos voies, puisque Dieu a commandé à ses anges de nous garder dans tous nos besoins, et dans tous nos désirs. Si nous manquions de, ce secours, nous, pourrions entrer facilement dans la voie de 1a mort, et passer de la nécessité dans l'obstination, et de la cupidité dans la présomption, qui sont les voies non des hommes, ,mais des démons. Car en quoi les hommes sont-ils ordinairement le plus opiniâtres, sinon dans les choses qu'ils feignent ou s'imaginent appartenir à la nécessité ? Si on les avertit, ils vous répondent, je puis ce que je puis, et rien au-delà (Térence). Mais vous, si vous en êtes là, montrez d'autres sentiments. Quant à la, présomption, nous n'y tombons que lorsque nous y sommes poussés par l'ardeur et la violence de nos désirs.

3087 11. Les anges ont donc reçu l'ordre de Dieu, non pas de nous retirer de nos voies, mais de nous y garder soigneusement, et de nous conduire dans les voies de Dieu, par celles qu'ils suivent eux-mêmes. Or, comment pouvons-nous les suivre dans leurs voies? Car les anges agissent par la seule charité, et d'une manière beaucoup plus pure et plus parfaite que nous ne faisons. Mais au moins étant excités et pressés par la nécessité de l'état où nous sommes, de nous secourir les uns les autres, pour imiter l'exemple des esprits bienheureux, autant qu'il nous est possible, descendons vers notre prochain, et condescendons à ses besoins, en exerçant envers lui la miséricorde et la charité. Puis d'un autre côté, élevant nos désirs vers Dieu,, à l'imitation de ses anges, efforçons-nous de toute notre âme de monter jusqu'à la souveraine et éternelle vérité. Voilà pourquoi Dieu nous exhorte par un de ses prophètes à élever nos coeurs avec, nos mains, pourquoi nous entendons dire tous les jours: «Élevons nos coeurs, » (Lm 3,41) pourquoi Dieu nous reproche notre négligence; et nous dit : «Enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le coeur appesanti, aimerez-vous la vanité, et chercherez-vous, le mensonge (Ps 3,4)? » Quand notre coeur est déchargé dit poids qui le retient sur la terre, nous l'élevons plus facilement à la recherche et à l'amour de la vérité. Il ne faut pas nous étonner que ces esprits si élevés daignent nous garder dans nos voies, que dis-je? ne dédaignent même point de nous admettra et de nous faire entrer avec eux dans les voies du Seigneur. Combien toutefois y marchent-ils plus heureusement, et avec plus de sécurité que nous mais aussi combien la manière dont ils suivent les sentiers de la miséricorde et de la vérité est-elle inférieure à celle dont la vérité et la miséricorde même suit, en toute occasion, les voies de la miséricorde et de la vérité?

12. Combien Dieu a-t-il placé tous les êtres au degré qui leur convient! Ainsi Lui, qui est l’Être souverain, au, dessus et au delà de qui il n'y a rien, il occupe le premier rang. S'il n'a pas établi ses anges à cette suprême élévation, il les a placés dans un degré plein de sécurité; car, se trouvant tout près de cet être souverain, qui tient le plus haut degré, ils sont affermis dans leur état par la vertu de celui qui est au dessus d'eux. Quant aux hommes ils ne sont ni au plus haut degré ni dans, un état sur, mais dans un état où ils sont obligés de veiller sur eux, mis ils sont en lieu stable et solide, sur la terre, veux-je dire et s'ils sont placés bien bas, du moins ne sont-ils point au fond de l'abîme, aussi peuvent-ils et doivent-ils être contraints de se tenir sur leurs gardes. Quant aux démons, ils habitent la région de l'air, d'où ils vont de tous côtés, sans avoir de repos, comme s'ils étaient agités parle vent. Ils sont indignes de Monter dans le ciel, et ils dédaignent de descendre sur la terre! Mais il suffit pour aujourd'hui. Et je prie, de tout mon coeur celui de qui vient tout ce qui nous suffit, et tout ce que nous pouvons de nous donner de quoi lui rendre grâce suffisamment car nous ne saurions avoir de nous-mêmes seulement une bonne pensée.

Mais il faut qu'elle nous vienne de celui qui donne à tous abondamment, de Dieu qui est béni dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



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DOUZIÈME SERMON. « Parce qu'il a commandé à ses anges de vous garder en toutes vos voies. Ils vous porteront entre leurs mains, de peur que votre pied ne heurte contre quelque pierre. »

(Ps 90,11)

1. Je vous ai dit hier, si vous vous en souvenez, que les voies des. démons étaient la présomption et l'obstination; et je vous ai expliqué pourquoi je parlais ainsi. Je puis néanmoins encore, si vous le jugez nécessaire, vous faire connaître par une autre voie les sentiers de ces esprits, de ténèbres. Car, bien qu'ils tâchent de nous les cacher par tous les moyens qu'il leur est possible, le Saint-Esprit nous montre en beaucoup de manières, en divers endroits de l'Écriture sainte, quels sont les sentiers des méchants. Nous y lisons que « les méchants ; marchent autour de nous (Ps 11,9).» Nous y voyons que leur:, prince « tourne de tous côtés cherchant quelqu'un qu'il dévore (1P 5,8) : » et nous trouvons dans le livre de Job, due Satan, paraissant devant la majesté divine avec les enfants de Dieu, et étant interrogé d'où il venait, fut contraint de répondre : « J'ai fait le tour de la terre, et je l'ai parcourue en tous sens (Jb 1,17). » Disons donc que les voies du démon sont cette activité par laquelle il est comme dans un mouvement circulaire, dans une vraie circonvagation. C'est par haine contre nous qu'il erre autour de nous, et c'est par la malignité de son coeur qu'il est réduit à cette espèce de mouvement circulaire. Il s'élève toujours, et retombe toujours. Son orgueil monte toujours, et Dieu l'humilie toujours. Ne fait-il pas là véritablement un mouvement circulaire? Celui qui marche ainsi en tournant sur lui-même, marche à la vérité, mais il n'avance pas, et ne fait aucun progrès. Malheur à l'homme qui imite ce mouvement circulaire, et ne renonce jamais à sa propre volonté. Si vous faites quelques efforts pour l'arracher à cette volonté propre, il vous semblera d'abord qu'il vous fuit; mais ce ne sera de sa part que déguisement et que tromperie, et il tendra toujours à retourner au point d'où il est parti. Il tient toujours à cette propre volonté, il fait comme s'il fuyait le vice, et cependant il demeure toujours attaché à sa propre volonté.

2. Si ce mouvement circulaire,qui les caractérise est mauvais, l'autre est bien pire encore. Car si le! premier mouvement est principalement ce qui fait qu'ils sont démons, dans, quelles dispositions pensez-vous, mes frères, que ces ennemis superbes descendent vers les misérables hommes et rôdent autour d'eux? Considérez de quelle manière ces auteurs de toute impiété tournent autour de nous. Leurs regards orgueilleux se portent sur tout ce qui est élevé. Néanmoins leur curiosité! maligne va chercher aussi les choses les plus basses, mais ce n'est qu'afin de s'élever davantage, ce n'est que pour contenter leur orgueil et s'élever en avilissant les hommes, et en les tenant comme sous leurs pieds par le péché, selon ce qui est écrit: « Pendant que l'impie s'enorgueillit, le pauvre tombe dans la désolation (Ps 9,2). » Avec quelle émulation détestable et pernicieuse, les mauvais anges imitent-ils donc les voies des bons anges qui montent et qui descendent aussi? Ils montent pour contenter leur horrible vanité : ils descendent pour satisfaire leur ardente jalousie. Ils ne descendent vers nous que par une insatiable cruauté, et ils ne s'élèvent au-dessus de nous que par une vanité mensongère, parce qu’ils sont incapables de miséricorde et de vérité, comme je vous l'ai dit hier. Mais si d'un côté nous devons craindre ces esprits malins qui descendent vers nous pour nous perdre, de l'autre côté nous avons un grand sujet de rendre grâces à Dieu, de ce que, par son ordre, les bons anges descendent aussi vers nous pour nous secourir et pour nous garder dans toutes nos voies. C'est peu, non seulement pour nous garder et nous, secourir, mais encore, comme dit le Prophète, « pour nous porter entre leurs mains, de peur que nous ne heurtions nos pieds contre quelque pierre. »

3089 3. Combien, mes frères, Dieu nous donne-t-il d'instructions, d'avertissements, de consolations dans ces quelques mots de l'Écriture? Quelles autres paroles pouvons-nous trouver, dans tous les psaumes, qui consolent mieux ceux que l'affliction abat, avertissent plus fortement ceux qui se négligent , instruisent davantage les ignorants? C'est pour cela que la divine providence a voulu que les fidèles répétassent les versets de ce psaume, principalement dans ce saint temps de carême. Et la raison qui a porté l'église à nous faire ainsi redire ce psaume, semble n'être venue que de ce que Satan a eu l'audace d'en employer les paroles pour tenter Notre Seigneur. Ainsi cet esprit méchant se trouve être utile aux enfants de Dieu,. contre son intention. Car qu'y a-t-il qui lui puisse déplaire davantage, et nous donner plus de joie que de voir sa propre malice tourner à notre bien. « Dieu a commandé à ses anges de vous garder en toutes vos voies. » Que les miséricordes infinies de Dieu nous obligent à chanter ses louanges et à annoncer ses merveilles aux enfants des hommes! Que l'on dise dans toutes les nations que le Seigneur a fait de grandes choses pour témoigner son amour à ses serviteurs. Seigneur, qu'est-ce que l'homme, pour que vous vous soyez fait connaître à lui : et comment daignez-vous en faire l'objet de votre amour? Vous ouvrez votre coeur, vous songez en père à tous ses besoins, et vous avez soin de lui. Et pour comble de bienfaits, vous lui envoyez votre Fils unique, vous lui envoyez votre esprit et vous lui promettez de lui faire voir votre face. Et afin de ne rien omettre dans les cieux de tout ce qui peut nous intéresser, vous envoyez pour nous, sur la terre, les esprits bienheureux pour, nous servir en toutes rencontres, pour nous garder de votre part, pour nous conduire et nous éclairer dans toutes nos voies. De sorte que vous ne vous êtes pas contenté que ces esprits fussent vos anges, vous avez encore voulu qu'ils fussent les anges même des plus petits d'entre les hommes. En effet, il est dit : « leurs anges contemplent toujours le visage de mon Père (Mt 18,10). » Ainsi ces créatures excellentes et heureuses font l'office de médiateurs entre vous et nous, en sorte que, comme ils nous sont envoyés de votre part, nous pouvons aussi dire qu'ils vous sont envoyés de la nôtre.

4. « Il a commandé à ses anges de vous garder. » C'est véritablement un merveilleux effet de sa bonté, et un des plus grands témoignages de sou amour que nous puissions recevoir. Considérez, en effet, attentivement avec moi quel est celui qui donne cet ordre, à qui et pour qui;il le donne, et ce qu'il ordonne. Représentons-nous l'importance de ce commandement que reçoivent les anges de Dieu. Ayons soin de ne l'oublier jamais. Qui est donc celui qui l'a fait? A qui les anges appartiennent-ils ? A qui, obéissent-ils ? De qui exécutent-ils la volonté? le Prophète nous l'apprend : c’est à celui qui a commandé à ses anges de nous garder dans toutes nos voies. Ils sont si prompts à obéir à ce commandement, que! même ils nous portent entre leurs mains. C'est donc la souveraine Majesté de Dieu qui commande aux anges et à ses anges; à ces esprits si élevés, si heureux, si proches de lui, si unis à lui, si attachés à lui, ses vrais amis et ses familiers : et cependant c'est pour nous qu'il leur commande de descendre sur la terre. Ah! qui sommes-nous? Seigneur, qu'est-ce que l'homme pour que vous vous souveniez de lui? Qu'est-ce que le Fils de l'homme, pour que vous en teniez quelque compte? Comme si l'homme depuis le péché était autre chose que corruption et que pourriture, comme s'il n'était pas semblable à un ver de terre.

Mais quel est le commandement que Dieu a fait pour nous à ses anges? Leur a-t-il ordonné contre nous des choses fâcheuses? Leur a-t-il commandé de montrer leur puissance contre une feuille que le vent emporte, et de poursuivre une feuille desséchée? d'empêcher les méchants de voir la gloire de Dieu? Cela doit être infailliblement commandé quelque jour, mais ce ne l'est point encore. Ne vous éloignez point du secours du Très-Haut. Demeurez dans la protection du Dieu du ciel, pour ne donner jamais sujet à sa justice de faire ce terrible commandement contre vous. Il est hors de douté que le Dieu, du ciel ne fera point de commandements à ses anges qui soient à craindre, et qui ne soient plutôt favorables à ceux qu'il aura protégés. Et s'il est quelque chose dont l'exécution ne serait pas avantageuse à ses élus, il diffère de l'ordonner, afin que tout leur soit favorable. Et nous voyons dans l'Evangile, gùé,comme les serviteurs du père de famille étaient prêts à aller arracher le mauvais grain qui avait été semé sur le bon, cet homme plein de prévoyance, leur dit : «Laissez croître les mauvaises plantes avec les bonnes jusqu'au temps de la moisson, de crainte qu'en arrachant les mauvaises herbes, vous n'arrachiez aussi le froment. (Mt 13,30). » Mais,comment le bon grain pourra-t-il se conserver jusqu'à la récolte? C'est précisément l'objet. du commandement que Dieu fait à ses anges pour le temps où nous sommes.

3090 5. «Il a donc commandé à ses anges de vous garder. » O vous qui êtes véritablement le froment qui croit au milieu de l'ivraie, le bon grain mêle avec la paille, et le lis entre les épines. Rendons grâces, mes chers frères, rendons grâces de tout coeur à la bonté de Dieu, et pour vous et pour moi. Il nous a mis entre les mains un dépôt infiniment précieux, le fruit de sa croix, le prix de son sang. Voilà pourquoi, peu content de cette garde si peu utile, si faible, si insuffisante dont seulement nous étions capables, il a voulu établir sur les murailles de Jérusalem des sentinelles plus sûres que nous. Ceux-là mêmes qui semblent être comme des murailles, ou même comme des colonnes et des piliers au milieu des murailles, sont ceux qui ; ont le plus besoin que Dieu prenne soin de les faire garder par ses anges.

6. « Il a commandé à ses anges de vous garder en toutes vos voies. » Combien cette parole doit-elle vous porter au respect, vous donner de dévotion; vous inspirer de confiance? vous porter au respect pour la présence de votre bon ange : donner de la dévotion à cause de sa bienveillance pour vous;!et volis inspirer de la confiance, puisqu'il prend soin de vous garder. Faites une attention particulière à toutes vos actions, puisque les anges, comme il leur a été commandé, vous sont présents dans toutes vos voies.

En quelque lieu que vous alliez, en quelque recoin que vous soyez, ayez toujours un grand respect pour votre bon ange. N'ayez pas la hardiesse de faire en sa présence ce que vous ne voudriez pas faire, si je vous voyais. Doutez-vous que cet esprit que vous ne voyez pas soit présent à ce que, vous faites? Combien auriez-vous de retenue si vous l'entendiez, si vous dei touchiez) si vous le sentiez autour de vous? Or, remarquez que ce n'est pas seulement par les yeux qu'on est assuré de la présence des choses. Toutes choses ne, peuvent pas être vues quoique présentes et corporelles. Combien donc les choses spirituelles sont-elles plus éloignées de la portée de nos sens, et combien est-il plus nécessaire d'employer les moi cils spirituels pour les chercher et pour les trouver? Si vous consultez la foi, ne vous prouve-t-elle pas que vos bons anges vous sont toujours présents? Oui, je le soutiens, la foi vous le prouve, puisque l'Apôtre nous enseigne que cette foi est une preuve et une conviction des choses qui ne nous paraissent pas. (
He 11,1) Il est donc indubitable que nos bons anges nous sont toujours présents; et que non-seulement ils sont avec nous, mais qu'ils n'y sont que pour nous. Ils sont prés de nous, pour nous protéger et pour nous rendre service. Que rendrez-vous au Seigneur, pour toutes les choses qu'il vous a données? Car à lui: seul nous devons rapporter la gloire de notre conservation, attendu que c'est lui qui a commandé à ses anges de nous garder. C'est lui qui nous les a donnés. Tout don parfait ne peut venir que de lui. (Jc 1,17)

3091 7. Mais s'il a commandé à ses anges de nous garder, nous n'en sommes pas moins obligés de leur témoigner notre reconnaissance pour l'empressement avec lequel ils obéissent à l'ordre qu'ils ont reçu, et prennent soin de nous, dans le besoin si grand et si continuel que nous avons de leur assistance. Ayons donc une dévotion et une reconnaissance particulière envers de pareils gardiens . ne manquons pas à les aimer, à les honorer, autant que nous le pouvons; autant que nous le devons. Rapportons néanmoins et témoignons toujours tout l'amour devons. tout le respect que nous leur portons, à celui dont ils tiennent tout ce qui peut nous donner sujet de les aimer et de les honorer, et de qui nous tenons nous-mêmes tout ce qui peut nous faire mériter quelque amour et quelque estime. Sans doute lorsque l'Apôtre a écrit, qu'il faut rendre à Dieu seul l'honneur et la gloire (1Tm 17), » nous ne devons pas croire qu'il ait voulu contredire le Prophète qui nous ;dit qu'on doit honorer tout particulièrement les amis de Dieu.. Il s'est exprimé en cette circonstance; comme il l'a fait quand il, nous a dit : « Ne soyez redevables de rien à personne sinon de l'amour que nous nous devons toujours les uns aux autres (Rm 3,8). » Il n'a pas eu l'intention de nous porter par ces paroles à renier nos autres devoirs envers le prochain, puisqu'il dit ailleurs : « Il,1faut rendre l'honneur à qui l'honneur appartient (Rm 3,8). » Ainsi pour les autres devoirs de la vie. Servons-nous d'une comparaison pour entendre plus parfaitement quel a été le sentiment de cet Apôtre; et quel avertissement il a voulu nous donner. Par exemple, voyez les étoiles, elles disparaissent au milieu des rayons du soleil. Pensons-nous que, pour cela; ces astres aient disparu, et que leur lumière soit éteinte? Nullement. Mais nous savons qu'elles sont comme cachées par une plus grande lumière que la leur. Ainsi l'amour que nous devons à Dieu, surmontant tous nos, autres devoirs, doit régner en nous, comme s'il était seul, en sorte que tout ce que nous devons aux créatures soit tout à fait dépendant de cet amour souverain, et que nous fassions toutes choses par cet amour.

Il faut pareillement que l'honneur que nous devons à Dieu prévale sur tous les autres honneurs, en sorte que Dieu seul, soit honoré non-seulement par dessus, mais encore dans toutes les créatures qui sont l'objet de notre vénération. Il en est de même de l'amour que nous devons à Dieu; quelle place en effet a-t-il laissée aux autres amours, puisqu'il veut que nous l'aimions de tout notre coeur, de toute notre âme et de toutes nos forces? Il faut donc, mes frères, que ce soit en Dieu que nous aimions ses anges, avec une dévotion particulière, comme devant être un jour nos cohéritiers et se trouvant, des maintenant, placés auprès de nous par le Père éternel, en qualité de guides et de gardiens; car dès maintenant nous sommes les enfants de Dieu, bien qu'on ne puisse pas juger encore de ce que nous serons un jour, avec lui dans la gloire, attendu que nous sommes à présent comme des mineurs qui sont sorts la conduite de leurs tuteurs et de leurs gouverneurs, et que, en cet état, comme dit l'Apôtre, nous ne différions point des serviteurs.

3092 8. Cependant, quoique nous soyons encore faibles :comme des enfants à l'âge de leur minorité, nous avons un chemin très-grand, non-seulement très-grand, mais très-difficile et très-périlleux, à faire. Toutefois, que devons-nous craindre sous de tels gardiens? Ils ne peuvent être ni vaincus ni trompés par nos ennemis, et ils peuvent encore moins nous tromper, puisque leur ministère est de nous garder de toutes surprises dans tontes nos voies. Ils sont fidèles; ils sont prudents; ils sont puissants : que craignons-nous ? Suivons-les seulement. Attachons-nous à eux, et nous demeurerons sous la protection du Dieu du ciel. Considérez combien leur protection, combien leur vigilance à nous garder dans toutes nos voies nous est nécessaire: « Ils vous porteront, dit le Prophète, entre leurs mains, de peur que vous ne blessiez votre pied contre quelque- pierre. » Si vous trouvez que ce n'est pas encore beaucoup d'être protégés contre l'achoppement des pierres du chemin, remarquez la suite: « Vous marcherez sur l'aspic et le basilic, et vous foulerez aux pieds le lion et le dragon. » Combien est-il nécessaire à un enfant qui marche parmi tant de périls d'être conduit , d'être soutenu et porté ? Aussi le Prophète dit-il : « Ils vous porteront entre leurs mains.» Ils vous garderont donc dans toutes vos voies, et vous conduiront comme on conduit des enfants lorsqu'ils sont dans un chemin où ils peuvent marcher ; pour le reste, ils ne souffriront pas que vous soyez tentés au delà de vos forces; dans les rencontres trop difficiles et trop dangereuses, ils vous prendront dans leurs mains pour vous faire franchir les difficultés. Avec quelle facilité celui qui a le bonheur d'être porté par de telles mains, surmonte-t-il les obstacles ? Car, comme dit le proverbe, il est facile de nager quand on nous soutient sur l'eau.

9. Toutes les fois donc, que vous vous sentez pressés par quelque violente tentation, et menacés par quelque grande épreuve, invoquez l'ange qui vous garde, qui vous conduit, qui vous assiste dans vos besoins et dans vos peines. Ayez recours à lui, et dites-lui : Seigneur, sauvez-nous, nous périssons. Il ne dort ni ne sommeille. Si quelquefois il semble fermer les yeux, pour un temps, sur le danger où vous êtes, ce n'est qu'afin que vous ne soyez pas en état de vous retirer de ses mains, et de tomber plus dangereusement, en ignorant que c'est lui qui vous soutient. Lés mains des anges sont spirituelles, et les secours qu'ils donnent le sont aussi, et chaque élu reçoit différemment ces secours, selon les divers périls ou il se trouve , et les difficultés qui se présentent; périls et difficultés que je compare à des monceaux de, pierre qui se rencontreraient sur le passage des voyageurs et qui pourraient les accabler on les arrêter dans leur route. Je vais vous représenter les tentations que j'estime les plus communes , et je pense qu'il n'y en a guère parmi vous, qui ne les aient éprouvées. L'un est tourmenté, ou par une infirmité corporelle, par quelque affliction temporelle, ou se voit tomber dans la langueur, par la paresse et la lâcheté de son esprit, et par une sorte de défaillance de l'âme. En cet état, il commence à être tenté au dessus de ses forces et il ne tardera pas à se heurter et à se blesser contre la pierre (
Is 8,14), si personne ne le soutient. Quelle est cette pierre ? J'entends, par cette pierre d'achoppement et de scandale, celle contre laquelle se blessent tous ceux qui la heurtent du pied, et quai brise ceux sur lesquels elle tombe; c'est-à-dire, contre la pierre angulaire, choisie et précieuse, qui n'est autre que le Seigneur Jésus. Se heurter et se blesser à cette pierre, ce n'est autre chose que de murmurer contre lui, et de se scandaliser faute de courage, au sein des tempêtes et des agitations de cette vie. Celui donc qui a commencé de perdre ainsi courage, et qui est sur le point de se heurter contre la pierre, a besoin du secours, de la consolation et de la main protectrice des anges. Et celui qui murmure et qui blasphème, vient, se heurter contre cette pierre, et se blesser lui-même; mais ne blessé pas celui contre lequel il va se heurter avec furie.

3093 10. Je me figure qu'il y a des hommes qui sont quelquefois soutenus par les anges, comme s'ils étaient portés par eux dans leurs deux mains : en sorte, qu'ils passent par les dangers et par les tentations qu'ils craignaient le plus, sans presque s'en apercevoir, et s'étonnent beaucoup ensuite de la facilité avec laquelle ils ont triomphé de ce qui leur avait paru d'abord plein de difficulté. Voulez-vous savoir ce que j'entends par ces deux mains des anges ? J'entends par-là, deux connaissances et deux vues que ces esprits de lumière nous donnent pour nous fortifier, et nous encourager dans les épreuves, c'est-à-dire, d'un. côté la connaissance et la vue de la brièveté des afflictions de cette vie, et, de l'autre, la connaissance et la vue de l'éternité des récompenses, qui nous font comprendre et sentir profondément dans nos coeurs, que c'est un moment bien court et bien léger d'épreuves en cette vie, qui produit en nous le poids incomparable d'une éternité de gloire. Et qui serait assez incrédule pour douter que ces impressions si avantageuses et si saintes, soient produites en nous par les bons anges, puisqu'il est certain que les impressions malignes le sont par les mauvais. Prenez donc l'habitude, mes frères, de vous entretenir avec vos; bons anges dans une familiarité particulière. Pensez à eux; adressez-vous à eux, par des prières ferventes et continuelles, puisqu'ils sont toujours près de vous pour vous défendre et vous consoler.




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TREIZIÈME SERMON. « Ils vous porteront entre leurs mains, de crainte que vous ne heurtiez le pied contre quelque pierre. »


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