Bernard sermons 30102

QUINZIÈME SERMON. « Parce qu'il a espéré en moi, je le délivrerai : je le protégerai, parce qu'il a connu mon nom. »

(Ps 90,15)

1. «Venez à moi vous tous qui travaillez et qui êtes chargés, et je vous, soulagerai, dit Notre Seigneur. Mettez mon joug sur vous : et vouas trouverez le repos de vos âmes; parce que mon joug est doux; et mon fardeau léger. (Mt 11,28) » Il invite ceux qui sont accablés de travail à venir chercher du soulagement, et ceux qui:, sont chargés fa: venir prendre du repos. Toutefois, il ne décharge pas pour cela ceux qui vont à lui, de toute sorte de fardeau, et de travail. Il change plutôt leur fardeau et leur travail en un autre, une charge pesante en une légère, un joug insupportable en un joug infiniment doux, dans lesquels on ne trouve que rafraîchissement et repos? Et si d'abord cela ne vous paraît pas, on reconnaît pourtant bientôt qu'il en est ainsi. Sans doute l'iniquité est un fardeau plus, pesant que le plomb dont il est parlé dans un prophète. C'était sous cette charge pesante que gémissait le pécheur qui disait : « Mes iniquités s'élèvent au dessus de ma tête : (Za 5,7) et elles se sont appesanties sur moi comme un fardeau pesant. (Ps 37,5). »

Quel est donc ce fardeau de Jésus-Christ, si léger et si doux? Selon moi, ce n'est autre chose que le fardeau de ses bienfaits et de ses grâces? O qu'il est doux et aimable ! Mais pour ceux qui le sentent, pour ceux qui l'éprouvent. Car si vous ne le trouvez pas tel; si vous ne vous apercevez pas qu'il est ainsi, il vous est pesant alors et périlleux. L'homme, pendant sa vie mortelle, est comme un animal destiné à porter toujours une charge. S'il porte encore ses péchés, il est surchargé et s'il est soulagé, de ce fardeau sa charge est moins lourde. Mais si cet homme est éclairé de la véritable sagesse, et s'il sait estimer les choses comme elles sont; la grâce, par, laquelle Notre Seigneur l'a déchargé de ses péchés, lui paraîtra une charge aussi grande que l'autre. Dieu donc nous charge en diminuant notre fardeau. Il nous charge de ses grâces, en nous déchargeant de nos péchés. Ecoutez le cri d'un homme chargé des bienfaits de Dieu : « Que rendrai-je au Seigneur pour toutes les choses qu'il m'ai. données. (Ps 115,12)., » Ecoutez encore un homme qui se voyait comblé de grâces : « Eloignez-vous de moi, Seigneur, parce que je suis un pécheur (Lc 5,8). » Entendez enfin le langage d'un serviteur de Dieu chargé de ses, dons : « J'ai toujours craint Dieu, et j'ai toujours, appréhendé sa colère, comme on craindrait, d'être submergé par les flots de la mer lorsqu'elle est agitée (Jb 31,23). » J'ai toujours craint, dit-il, j'ai craint avant que d'avoir reçu le pardon de mes péchés ; j'ai continué de craindre après l'avoir obtenu. Heureux l'homme qui est ainsi toujours dans la crainte et n'est pas moins soucieux de ne se point laisser accabler par les bienfaits de Dieu que par ses propres péchés.

30103 2. Quand on nous représente la libéralité de Dieu si continuelle et si abondante envers nous, c'est principalement pour nous porter à la reconnaissance, et pour nous exciter à l’aimer. Il a commandé à ses anges de vous garder en toutes vos voies. Qu'a-t-il pu faire de plus qu'il n'aie pas fait? Mais je vois bien à quoi vous , pensez, âme généreuse, vous êtes heureuse d'avoir les anges du Seigneur près de vous. Mais vous aspirez à posséder le Seigneur même des anges. Vous demandez, et vous désirez de atout votre coeur, que celui qui vous encourage par ces paroles ne se contente pas de vous envoyer ses ministres, mais veuille lui-même, sans cesser d'être présent, vous donner un baiser de sa bouche. Vous avez appris que vous' marcherez sur l'aspic et sur le basilic, sur le lion et, sur le dragon, et vous êtes sûre de, la victoire que l'archange Michel, et que tous les anges doivent remporter sur le dragon, Cependant ce n'est pas vers cet archange, mais c'est vers le! Seigneur même que vos désirs vous font soupirer encrier : «Délivrez-moi et mettez-moi près de vous, et après cela que la main de qui que ce soit s'arme contre moi (Jb 17,3). » Se trouver dans ces dispositions, ce n'est pas chercher un refuge plus, haut que les autres refuges ; mais c'est s'en assurer un plus haut que les plus hauts, et mériter de pouvoir dire : « Seigneur, vous êtes mon espérance» : et d'entendre au fond de sou coeur cette réponse : « Vous avez pris un refuge extrêmement élevé. »

3. Le Seigneur plein de miséricorde et de compassion ne dédaigne pas d'être lui-même l'espérance des misérables. Il ne refuse pas de se faire lui-même le libérateur, et le protecteur de ceux qui espèrent en lui. «Parce qu'il a espéré en moi, dit-il, je le délivrerai; je le protégerai, lui. parce qu'il a connu mon nom (Ps 126,3) » Il est certain que si le Seigneur ne garde pas la forteresse, en vain celui qui la garde, qu'il soit homme ou ange, se tient l'oeil au guet. Il y a des montagnes autour de Jérusalem; mais c'est peu de chose ; ce ne serait même rien, si le Seigneur lui-même ne demeurait autour de son peuple. C'est pourquoi l'Épouse représentée avec raison comme ayant trouvé les gardes qui veillaient à la défense de la ville (Ct 3,3), ou plutôt comme ayant été rencontrée elle-même par eux, puisqu'elle ne les cherchait pas, n'est point, encore contente d'être ainsi gardée : mais s'informe promptement de son Époux, et va le trouver avec une vitesse incroyable. Son coeur n'était point à ces gardes, et toute sa confiance était en son Seigneur : si on veut l’en détourner, elle répond : « Je me confie en Dieu ; comment pouvez-vous dire à mon âme : Transportez-vous comme un oiseau sur la. montagne (Ps 10,2) ? » Les Corinthiens n'observèrent pas combien est importante et nécessaire cette confiance qui n'a que Jésus-Christ pour objet, lorsqu'ayant rencontré, comme l'Épouse du Cantique, des gardes et des sentinelles établies pour le salut de leurs âmes, ils s'arrêtèrent à eux. « Je suis à Céphas, je suis à Paul,. je suis à Apollo, disaient-ils (1Co 1,12). » Mais que firent les ministres de Jésus-Christ, si modérés, si vigilants et si circonspects ? Car, ils ne pouvaient pas garder pour eux l’Épouse pour laquelle ils n'avaient entre eux quine émulation toute sainte, et qu'ils voulaient conduire et présenter à Jésus-Christ, comme une vierge toute chaste et toute pure, L'Épouse des Cantiques continue : « Ils m'ont frappée et m'ont fait des blessures (Ct 10,7). » Pourquoi la frappaient-ils? Sans doute pourra presser de passer outre et d'aller chercher son époux plus loin. Ces gardes, dit-elle, m'ont ôté mon manteau. C'était, sans doute; afin qu'elle courût plus vite vers l’objet de son amour. Remarquez, avec moi, combien l'Apôtre frappe de même avec force les chrétiens de Corinthe, de quelles flèches il les blesse, parce qu'ils semblaient vouloir s'arrêter et se complaire avec les gardes: « Est-ce Paul, dit-il qui a été crucifié pour vous, ou bien avez-vous été baptisés au nom de Paul? Lorsque quelqu'un d'entre-vous dit : Je suis de Paul; l'autre : je suis d'Apollo, n'êtes-vous pas des hommes? Que pensez-vous donc que soit Apollo ? que soit Paul? Ce ne sont que les serviteurs de celui en qui vous croyez. Je le délivrerai, dit le Seigneur, parce qu'il a espéré! en moi. Ce n'est point en ceux qui veillaient sur son salut, ni en mi, homme, ni en un ange, mais en moi seulement qu'il a espéré, dit le Seigneur, il n'attendait rien de bon que de moi; non pas même du ministère de ceux qui me représentent. Car tout don parfait, et tout bien excellent vient du ciel, et nous est donné par le Père des lumières (Jc 1,17). C'est par moi que toute la vigilance et tous les soins des hommes sont utiles, et qu'ils peuvent tirer quelque fruit de leurs travaux. Car c'est par moi qu'ils veillent comme ils doivent sur les âmes . C'est par moi que les anges sont si vigilants dans leur ministère, ont l'oeil ouvert sur les plus secrets mouvements des âmes qu'ils portent à de saints mouvements, et qu'ils éloignent les suggestions malignes de l'ennemi. Mais il est toujours nécessaire que je garde moi-même le coeur de l'homme, dont les yeux, ni même ceux des anges ne sauraient pénétrer le secret.

30104 4. Reconnaissons donc, mes frères, que nous avons autour de nous trois sortes de gardiens et ayons son de nous acquitter de nos différents devoirs à l'égard de chacun d'eux, et faisons le bien, en même temps, sous les yeux des hommes, des anges et de Dieu. Appliquons-nous à les contenter en toutes choses; mais mettons principalement tout notre coeur à plaire à celui qui est plus que tout pour nous. Chantons ses louanges en présence des anges et que cette parole du Prophète s'accomplisse en eux : « Ceux qui vous craignent me regarderont, et seront dans la joie ; parce que j'ai mis toute mon espérance dans votre parole (Ps 18,74). » Obéissons à nos supérieurs qui veillent de tout leur pouvoir, parce qu'ils auront à rendre compte de nos âmes, afin qu'ils ne s'acquittent pas, de, ce devoir avec mécontentement et tristesse (He 13,17). Mais, grâce à Dieu, je n'ai pas besoin de vous faire de grandes recommandations, ni d'avoir de crainte pour vous au sujet des supérieurs. Votre obéissance est prompts et fidèle comme votre vie est irrépréhensible; et c'est ce qui fait ma joie et ma gloire. Et combien ces joies seraient-elles. encore plus grandes ., si j'avais la certitude que les anges même ne peuvent voir en vous rien d'indigne de votre état, rien d'échappé à l'anathème, de Jéricho, ni personne parmi vous qui murmure et qui médise en secret; personne qui agisse avec hypocrisie, ou avec relâchement; personne enfin qui entretienne , dans son esprit de ces pensées honteuses et lamentables qui mettent, quelquefois le trouble jusque dans les sens? Sans doute, cette certitude augmenterait beaucoup ma joie, mais elle ne la rendrait, pas encore pleine et entière.

A la vérité, nous ne sommes pas tels que nous puissions nous mettre peu en peine de ne pouvoir être repris par les hommes, et de ne nous sentir coupables de rien. Mais si les plus grands serviteurs de Dieu craignent ses jugements, combien avons-nous sujet de trembler eu songeant que nous devons être examinés par ce juge ! Ah ! quelle serait ma joie si j'étais entièrement assuré qu'il n'y a rien dans aucun de nous qui puisse offenser cet oeil divin qui seul connaît parfaitement tout ce qu'il y a dans l'homme, et qui voit en lui ce qu'il n'est pas capable d'y voir lui-même. Je vous en conjure, mes frères, que, le souvenir des jugements de Dieu soit désormais toujours présent à nos pensées; qu'il nous remplisse d'autant plus de. crainte et de tremblement, que nous pouvons moins comprendre l'abîme impénétrable et l'irrévocable portée de ses jugements. C'est avec cette crainte que notre espérance acquiert des mérites, elle seule. lui fait produire tous ses fruits.

30105 5. Et même si l'on observe, avec les lumières de la sagesse chrétienne, quelle est la nature, de cette crainte, on trouvera qu'elle est un motif très-sûr et très-efficace de notre espérance. Car cette crainte est une des plus grandes grâces que nous recevons maintenant de sa bonté, et le fondement assuré des promesses de l'avenir. Enfin, Dieu se plait, comme dit le Prophète, en ceux qui le craignent, et notre vie est en sa volonté, et, notre salut éternel dépend de son bon plaisir. « Parce qu'il a espéré en moi, je le délivrerai. (Ps 146,11). » Avec quelle douce libéralité, Dieu ne manque jamais à ceux qui espèrent en. lui! Tout le mérite de l'homme consiste principalement à mettre toute son espérance en celui qui sauve tout l'homme ; «vos pères ont espéré en vous; ils ont espéré, et vous les avez délivrés. Ils ont crié vers vous, et nous les avez sauvés. Ils ont espéré en vous, et ils n'ont pas été confondus. (Ps 20,5). » Car où est celui qui a espéré en lui, et a été confondu? Espérez en lui, peuple fidèle : Vous posséderez tous les lieux où vous poserez le pied. Oui, si loin que vous alliez dans votre espérance, vous posséderez tout le bien qu'elle aura embrassé si votre espérance est fondée solidement en Dieu, si elle est ferme et inébranlable. Pourquoi le fidèle, en espérant en Dieu de cette manière, craindrait-il l'aspic ou le basilic; pourquoi serait-il épouvanté par le rugissement du lion, ou par le sifflement du dragon?

6. « Parce qu'il a espéré en moi, je le délivrerai. » Et afin que celui qui a été délivré n'ait pas besoin d'être délivré une seconde fois, je le protégerai et je le conserverai ! Si toute fois il reconnaît mon nom et ma puissance, ne s'attribue point sa délivrance et en rapporte toute la gloire à mon nom. « Je le protégerai, parce qu'il a connu mon nom. (He 11,1). » Quand nous verrons Dieu face à face, ce sera pour nous la gloire : connaître maintenant son nom, est pour nous, en cette vie, la protection dont nous avons besoin. En effet, on n'espère plus quand on voit et quand on possède. La foi nous vient par l'ouïe, (Rm 8,24), elle fait subsister dans notre esprit l'objet de notre espérance, ainsi que nous l’apprend saint Paul. « Je le protégerai, parce qu'il a connu mon nom. » Or, ce n'est point connaître véritablement le nom de Dieu que de le prendre en vain, que de lui dire seulement, Seigneur, Seigneur, sans observer ce qu'il nous commande. Ce n'est pas connaître le nom de Dieu, que de ne point l'honorer comme notre: Père et comme notre Seigneur. Ce m'est point connaître le nom de Dieu que de tourner nos affections vers les vanités et les folies du monde. Et il est dit : « L'homme est heureux lorsque le nom du Seigneur est toute son espérance et toute sa joie, et qu'il ne regarde point ces vanités et ces folies où il n'y a que de la fausseté et que de l'illusion. (Ps 39,5). » Mais celui qui disait : « Il n'y a point d'autre nom donné: aux hommes par lequel ils puissent être sauvés, (Rm 8,24) », connaissait bien ce grand nom de Dieu. Et si nous connaissons ce saint nom qui a été invoqué sur nous, nous devons désirer qu'il soit: toujours sanctifié en nous. Nous devons toujours demander cette sanctification dans nos prières, selon que Notre-Seigneur nous a appris à le faire dans ces paroles « Notre père qui êtes dans les cieux, que votre nom soit sanctifié. » Mais remarquez encore ces paroles du verset que je vous explique. « Il a crié vers moi et je l'ai exaucé. (Mt 6,9). » Voilà quel est le fruit de la connaissance du nom de Dieu, c'est le cri de la prière que nous poussons vers lui. Or l'effet de cette clameur de l'âme qui prie, c'est d'être exaucée par le Sauveur. Car comment pourrait-elle être exaucée si elle n'invoquait pas? Ou ; comment pourrait-elle invoquer, le nom du Seigneur, si elle ne le connaissait pas? Rendons grâce à celui qui a, manifesté aux hommes le nom du Père éternel; et qui a établi le salut dans l'invocation de ce nom tout puissant, selon cette,: parole d'un prophète : « Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. (Jl 2,32).



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SEIZIÈME SERMON. « Il a crié vers moi, et je l'exaucerai. Je suis avec lui dans l'affliction. »

(Ps 90,15)

1. « Il a crié vers moi et je l'exaucerai. » Voilà des paroles de paix, une alliance digne de la bonté de Dieu; un vrai traité de miséricorde et de compassion. « Il a espéré en moi et je le délivrerai. » Il a connu mon nom et je le protégerai. Il m'a invoqué, et je l'exaucerai. Dieu ne dit pas : a il était digne de ma grâce, il était juste et droit, ses mains étaient innocentes et son coeur était pur, voilà pourquoi je le délivrerai, je le protégerai et je l'exaucerai. S'il s'était exprimé ainsi, qui ne tomberait dans le désespoir? Qui peut se flatter d'avoir le coeur pur? Mais, Seigneur, puisque, vous avez tant de clémence et tant de miséricorde, je mets en vous toute ma confiance; la loi que vous vous êtes donnée fait tout mon soutien en votre présence. Quelle loi pleine de douceur que celle qui n'exige point d'autre mérite, pour être exaucé, que le cri et l'ardent désir de celui qui demande. « Il est bien juste que Dieu n'exauce pas celui qui ne crie point vers lui, ne lui adresse aucune prière; ou ne le prie qu'avec tiédeur et négligence. Or pour Dieu, le grand cri de l'âme qui se fait entendre de lui, c'est un ardent désir; au contraire l'intention froide et languissante est, pour lui, comme une parole si faible, qu'il ne saurait l'entendre. Comment pourra-t-elle pénétrer les nuées et se faire écouter dans le ciel? L'homme est averti dès les premières paroles de la prière qu'il fait tous les jours, que: le père auquel il adresse ses demandes est dans le ciel, afin qu'il sache qu'il doit crier de toutes ses forces pour faire monter sa prière vers le ciel par l'effort puissant de son esprit, comme une flèche qu'il décoche. Dieu est un esprit, et il est nécessaire que ceux qui désirent que leurs cris, parviennent jusqu'à lui, crient en esprit et en vérité (a). Car, de même que Dieu ne regarde point le visage de l'homme, comme font les hommes, mais considère seulement le coeur, ainsi il écoute plutôt la voix intérieure du coeur que la voix sensible du corps. Voilà pourquoi le Prophète lui dit: « Vous êtes le Dieu de mon coeur. (Ps 72,26). » C'est après cela aussi que Moïse, sans prononcer aucune parole, est néanmoins intérieurement entendu de Dieu, selon le témoignage qu'il lui en donne en lui disant : « Pourquoi criez-vous vers moi. (Ex 14,15)? »

30107 2. « Il a crié vers moi, et je l'exaucerai. » Ce n'est pas sans sujets que le fidèle crie ainsi vers Dieu. Il pousse un grand cri parce que

a Il se rencontrait ici une grave solution de continuité, car depuis? ces mots : « il ne dit pas, etc. », jusqu'à ceux-ci. « S'il s'était exprimé ainsi, etc. » la plupart des éditions précédentes avaient omis les phrases que nous avons rétablies d'après les manuscrits de Corbie, de Cîteaux,et d'autres encore.

ses besoins sont grands. Mais en criant de toutes les forces de son âme, que demande-t-il, sinon d'être consolé, délivré, établi dans la gloire? C'est pour ses propres besoins qu'il crie; comment, en effet, serait-il exaucé dans ces voeux-là, s'il en avait fait d'autres? « Je l'exaucerai, dit le Seigneur. » De quelle manière, Seigneur, et en quoi l'exaucerez-vous? « Je serai avec lui lorsqu'il sera dans l'affliction je l'en tirerai et le remplirai de gloire. »

Il me semble que je puis avec raison rapporter ces trois cris de la prière aux trois grands et saints jours que nous devons bientôt célébrer, car il s'est soumis pour nous à l'affliction et à la douleur, lorsqu'il a souffert le supplice de la croix, malgré son ignominie, en vue de la joie éternelle qui lui était proposée (
Lc 22). Ce fut alors que les choses qu'il devait accomplir sur la terre furent terminées, comme il l'avait prédit avant sa mort. Et lorsqu'il eût dit en mourant : Tout est consommé, il entra dans son repos; mais la gloire de la résurrection ne se fit point attendre; le troisième jour, le Soleil de justice se leva pour nous dès le matin, et sortit du tombeau. En sorte que le fruit de l'affliction qu'il avait soufferte, et la vérité de sa délivrance parurent dans la gloire de sa résurrection. Ces trois choses qui sont arrivées en Jésus-Christ dans l'espace de trois jours doivent aussi nous arriver. « Je suis avec lui dans la tribulation, » dit le Seigneur. Quand se trouve-t-il ainsi avec nous! sinon le jour de nos tribulations? le jour où nous portons notre croix? alors que s'accomplit cette parole du Seigneur à ses disciples : « Vous aurez des traverses et des angoisses dans le monde (Jn 16,33); » et celle de son Apôtre; « tous ceux qui veulent vivre avec piété en Jésus-Christ souffriront des persécutions. (2Tm 3,12). » Car notre délivrance pleine et parfaite ne pourra pas arriver avant le jour de notre mort, parce que les enfants d'Adam sont réduits à porter un joug pesant et fâcheux depuis le jour qu'ils sortent du ventre de leur mère, jusqu'au jour où ils rentreront dans le sein de la terre, la mère commune de tous les hommes. C'est alors seulement, dit le Seigneur, que je le délivrerai, et le monde ne pourra plus faire souffrir quoi que ce soit à son corps ni à son âme. Pour ce qui est de la gloire qui l'attend encore, elle ne lui sera donnée qu'à la fan des temps, le jour de la résurrection, alors que ce corps, maintenant dans l'ignominie, comme un grain qui se pourrit dans la terre, renaîtra dans la gloire.

a Voir le sermon IX n° 2, sur la bonne intention.

30108 3. Comment savons-nous que Dieu est avec nous dans l'affliction? C'est précisément parce que nous y sommes maintenant. Car qui pourrait soutenir les maux de cette vie ; qui pourrait durer et subsister avec eux sans son assistance particulière? Nous devons estimer, mes chers frères, que nous avons toute sorte de sujet de nous réjouir, lorsque nous éprouvons des calamités nombreuses : non-seulement, parce que nous ne devons entrer dans le royaume de Dieu que par beaucoup de souffrances, mais, encore parce que le Seigneur est proche de ceux dont le coemur est dans l'affliction. (Ac 22,4). « Si je marche au milieu des ombres de la mort, dit le Prophète (Ps 33,19), je ne craindrai point les maux qui m'arriveront, parce que vous êtes avec moi. (Ps 22,4). » Voilà donc comment il est avec nous tous, les jours de notre vie jusques à la consommation des siècles. Mais quand serons-nous avec lui? Ce sera quand nous serons transportés en l'air pour aller, comme dit l'Apôtre, au devant de Jésus-Christ, et que nous demeurerons toujours avec lui. Quand sera-ce que nous nous verrons dans la gloire avec ce Sauveur? Ce sera lorsqu'il viendra se montrer, lui qui est notre vie. Mais en attendant il faut que nous demeurions cachés, que l'affliction précède notre délivrance, et que notre délivrance précède notre glorification. Ecoutez le langage de celui qui est délivré : « Mon âme, tournez-vous vers votre repos, puisque le Seigneur vous a comblée de ses bienfaits : il a retiré mon âme de la mort, mes yeux des larmes et mes pieds de la chute. Je l'arracherai et le glorifierai. (Ps 114,7). » Seigneur, heureux l'homme que vous daignez consoler et soutenir en cette vie, vous qui êtes son soutien dans la bonne comme dans la mauvaise fortune. Mais combien est-il plus heureux lorsque vous l'avez effectivement délivré et que vous l'avez exempté de tant de maux auxquels il s'est exposé. Combien est-il plus heureux lorsque vous l'avez dégagé du filet des chasseurs; lorsque vous l'avez retiré du monde, afin que la malice ne changeât pas son esprit, et que les déguisements et les artifices ne pussent surprendre et tromper son âme ? Il sera néanmoins encore infiniment plus heureux lorsque vous l'aurez tout à fait élevé et uni à vous; rempli des biens de votre sainte maison, et mis dans un état conforme et semblable à celui de votre gloire.

30109 4. Et maintenant, mes chers enfants, élevons vers le ciel le cri de nos coeurs, et notre Dieu aura pitié de nous. C'est vers le ciel que nous devons faire monter nos cris, puisque c'est sous le ciel, comme observe le sage, qu'on ne trouvera que douleur et travail, vanité et affliction d'esprit. (Jr 17,9). D'ailleurs le coeur de l'homme est méchant et impénétrable : ses sens ne se portent qu'au mal. Il n'y a nul bien en moi, c'est-à-dire en ma chair. La loi du péché habite en elle, elle a toujours des désirs contraires à l'esprit. Enfin mon propre coeur me manque, et mon corps est dans la nécessité de mourir à cause du péché. Les peines qui se succèdent les unes aux autres suffisent à remplir chaque jour. Le monde n'est que méchanceté et corruption. Combien le siècle présent est-il injuste? Combien voyous-nous que l'âme est combattue par les désirs de la terre? Nous sommes attaqués de tous les côtés par les princes de ce monde qui règnent dans les ténèbres, par les esprits mauvais, les puissances de l'air et surtout par le serpent le plus rusé de tous nos ennemis. Voilà tous les finaux que nous avons à craindre sous le soleil. Voilà toutes les misères qui sont sous le ciel. Où trouvez-vous un refuge contre tous ces maux et contre toutes ces misères? Où espérez-vous du soulagement? Où prétendez-vous trouver du secours? Si vous le cherchez en vous, vous ne trouvez qu'un coeur détaché, et vous-même, vous vous trouvez livré à l'oubli, comme si votre coeur était mort. Si vous le cherchez plus bas que vous, vous ne trouverez que le corps qui est susceptible de se corrompre et qui appesantit votre âme. Enfin, si vous le cherchez dans toutes les choses de la terre qui vous environnent,, vous trouverez aussi qu'elles ne sont capables que d'accabler ceux qui s'occupent des soins multipliés de cette vie (Sg 9,15). Cherchez donc un refuge au dessus de vous. Mais prenez garde, en vous élevant, de passer au delà de la troupe des esprits vaniteux. Ils savent que tout; ce que nous avons de parfait et de bon, ne saurait venir que d'en haut : voilà pourquoi ils se tiennent entre le ciel et la terre comme des voleurs en embuscade. Faites donc en sorte de passer au delà dei ces esprits méchants qui travaillent, avec une malice infatigable, pour nous empêcher de nous élever jusque dans la sainte cité. S'ils vous blessent, s'ils vous outragent, imitez Joseph qui laissa son manteau, entre les mains de l'adultère Égyptienne (Gn 39,15). Abandonnez même votre dernier vêtement, comme le jeune homme dont il est parlé dans l’Evangile (Mc 14,52), qui s'échappa nu des mains de ceux qui le tenaient. Dieu n'abandonna-t-il pas au démon le dernier vêtement de Job, et après cela ne lui donna-t-il point le pouvoir de lui nuire dans ses biens et même de l'affliger en son corps, en se contentant de lui dire : conserve seulement sa vie? Élevez donc votre coeur vers Dieu; poussez vers lui, que vos cris et vos désirs ne tendent qu'à lui; que votre vie, que toutes vos espérances soient dans le ciel; criez vers le ciel pour être exaucé, et que votre père, qui est dans le ciel, vous envoie, de son sanctuaire, le secours dont vous avez besoin, et que vous receviez de la céleste Sion, aide et protection; que Dieu vous soutienne dans l'affliction ; vous arrache aux épreuves et vous glorifie, enfin, dans la nouvelle vie de la résurrection. Ces choses sont grandes à la vérité ; mais vous êtes grand aussi, vous qui nous les avez promises. Nous les espérons de vos promesses, et nous osons dire, avec l'Église : Si nous crions vers vous avec un coeur plein de confiance, vous nous devez ce que nous vous demandons à cause de vos promesses. Ainsi soit-il.


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DIX-SEPTIÈME SERMON. « Je le comblerai de jours et d'années; et je lui ferai part du salut que je destine à mes saints.»

(Ps 90,17)

1. Ce verset, mes frères; convient parfaitement au saint temps où nous sommes. Sur le point de célébrer la fête de la résurrection de, Notre-Seigneur, nous attendons là promesse qui nous est faite de participer à cette résurrection si glorieuse : il nous invite en qualité de. membres de Jésus-Christ, à célébrer avec solennité, la mémoire de ce qui est arrivé à notre chef, en considérant que nous devons un jour avoir part à la même gloire. Que ce psaume finit bien, puisqu'il promet à ceux qui le chantent une fin si heureuse ! Ce verset termine le psaume d'une manière qui doit nous remplir de joie, puisqu'il nous promet de nous combler de tous les biens. « Je le comblerai de jours et d'années : et je lui ferai part du salut que je destine à mes saints (1Tm 4,8). » Je vous ai dit bien souvent, nies frères, que la piété, selon la doctrine de Saint-Paul, a les promesses de la vie présente aussi bien que de la vie future. C'est pourquoi cet apôtre dit encore : « Vous verrez dès maintenant le fruit de votre fidélité, en obtenant la sanctification de vos âmes : et, pour l'avenir, vous obtiendrez la vie éternelle. » Voilà ce que signifient cette plénitude et cette longueur de jours et d'années qui nous sont promises dans ce verset. Qu'y a-t-il, en effet, de plus long que, ce qui est éternel? Qu'y a-t-il de plus long que ce qui ne doit jamais finir? C'est une heureuse fin que la vie éternelle? C'est une heureuse fin que celle qui ne doit jamais avoir de fin? Il n'y a que ce qui est bien qui soit une bonne fin. Travaillons donc de tout notre coeur à notre sanctification, puisque c'est en elle seulement que consiste le bien, et qu'elle doit être couronnée par une vie qui ne doit jamais finir. Ne pensons qu'à obtenir cette paix du coeur et cette sainteté, sans laquelle personne ne verra Dieu. Le Seigneur dit donc : « Je le comblerai de jours et d'années ; et je lui ferai part du salut que je destine à mes saints (He 12,14). » C'est une promesse de la droite de Dieu. C'est un don de cette droite qu'un saint souhaitait jadis que Dieu lui tendit, quand il disait : « Vous tendrez, Seigneur, votre droite à l'oeuvre de vos mains (Jb 14,15). » C'est cette droite qui nous doit combler d'éternelles délices. Voilà ce qu’il a désiré et obtenu celui dont le Psalmiste a dit : « Il vous a demandé la vie, et vous lui avez accordé une longueur de jours pour un siècle et pour les siècles des siècles (Ps 20,5). » Le Sage s'explique encore plus clairement lorsqu'il dit : « Les richesses et la gloire sont dans sa main gauche, et la longueur des jours est dans sa main adroite (Pr 3,16). » Qui est l'homme qui veut véritablement la vie et qui souhaite de voir d'heureux jours? Or, la vie présente est plutôt une mort qu'une vie, ou du moins ce n'est pas une vie simplement, mais une vie mortelle qu'on doit l'appeler. Lorsque nous voyons qu'un homme est sur le point de mourir, nous disons avec raison: Cet homme se meurt. Ne faisons-nous autre chose dès que nous commençons de vivre, que de nous approcher à chaque moment de la mort, et de mourir? Les jours de cette vie sont courts et mauvais, dit le Patriarche (Gn 47).» On ne vit véritablement que lorsqu'on a une vie vivante et vitale. Les jours dont on jouit ne sont heureux que lorsqu'on est assuré que leur durée est sans fin. Rendons grâces de tout notre coeur à celui dont la puissance et la bonté ont disposé toutes choses : les jours où nous n'avons que des peines à souffrir doivent finir en fort peu de temps; au lieu que les jours où nous ne devons trouver que du repos et de la félicité, doivent durer éternellement.

2. « Je le comblerai de jours et d'années. » Le Seigneur explique dans ce verset la promesse qu'il a faite dans le précédent en disant: « Je le glorifierai. » Qui est-ce qui ne se contentera pas d'être glorifié, par celui dont les oeuvres sont parfaites? Celui dont la grandeur est; sans limites, peut-il glorifier autrement que sans limites. La gloire qui procède de la gloire immense de Dieu, a quelque chose de la: grandeur et de l'immensité de son principe. Aussi est-ce avec raison que saint-Pierre dit due « la glorification de Notre-Seigneur sur le Thabor, procédait d'une gloire magnifique. (2P 1,17). » Elle est magnifique, en effet, et se communique à nous d'une manière magnifique, avec une durée éternelle, une variété infinie, et une plénitude sans mesure. La gloire de cette vie est trompeuse. Son éclat est vain, et les jours de l'homme sur la terre n'ont qu'une durée extrêmement courte ; aussi cette vie ne sera-t-elle jamais l'objet des désirs du sage, qui dira toujours du fond de son coeur à celui qui en sonde les replis «Seigneur, vous savez que je n'ai jamais désiré les jours de l'homme (Jr 18,16). » C'est peu ; non-seulement je ne désire pas ce que l'homme désire, mais je ne veux même point le recevoir; car je sais qui est celui qui a dit : « Je ne reçois point ma gloire des hommes (Jn 5, Jn 5,41). » Combien donc sommes-nous misérables de chercher la gloire que, les hommes se donnent les uns aux autres, et de ne point chercher celle,, qui ne vient que de Dieu? Car il n'y a que celle-ci qui soit longue et abondante. Les jours de l'homme sont courts ; et ces jours fleuriront et passeront ainsi que la fleur des champs, comme dit l'Ecriture : « La tige s'est séchée, et la fleur qu'elle soutenait s'est aussi fanée mais la parole du Seigneur demeure. éternellement  (Is 11,7). » C'est le vrai jour que celui qui lie doit point finir. C'est dans ce jour seulement que se rencontre l'éternelle vérité, l'éternité véritable; l'éternité,éternelle, qui seule est vraiment capable de remplir tous nos désirs. Comment, en effet, la gloire qui est trompeuse et vaine pourrait-elle y réussir? Elle est si complètement vide que nous sommes obligés de reconnaître qu'elle nous met dans l'indigence et nous vide plutôt; qu'elle ne nous remplit. Aussi en attendant, mieux vaut pour nous être abaissés que d'être élevés; d'être dans la peine plutôt que dans les plaisirs, puisque peines et plaisirs doivent bientôt passer, avec cette différence pourtant, que les unes ne doivent nous produire que des supplices, et les autres que des couronnes.


Bernard sermons 30102