Homélies des Pères et quelques emplois faits par la tradition de Jn 10, 1-10

 

Sermon de saint Basile de Séleucie, évêque

Abel, le premier pasteur, fit l’admiration du Seigneur qui accueillit volontiers son sacrifice et préféra encore le donateur au don qu’il lui faisait. L’Ecriture vante aussi Jacob, paissant les troupeaux de Laban, notant les peines qu’il prit pour ses brebis : " J’ai été dévoré par la chaleur pendant le jour et par le froid durant la nuit. " Et Jacob se tenait vigilant, prêt à se battre pour la sécurité de son troupeau. Et Dieu récompensa cet homme de son labeur. Berger, Moïse le fut lui aussi, sur les montagnes de Madian où il gardait les troupeaux de Jéthro, après son séjour en Egypte, aimant mieux être maltraité avec le peuple de Dieu que de connaître la jouissance éphémère du péché. Dieu, admirant ce choix, se laissa voir de lui en récompense. Et après la vision, Moïse n’abandonne pas son office de pasteur, mais de son bâton commande aux éléments et fait paître le peuple d’Israël, son compagnon de servitude. David, la lyre de l’Esprit, fut lui aussi pasteur... mais son bâton de berger fut changé en sceptre royal et il reçut le diadème : après l’onction de Samuel, la grâce l’investit et l’Esprit de grâce se répandit sur lui avec l’huile. Ne t’étonne pas si tous ces bons bergers sont près de Dieu. Le Seigneur lui-même ne rougit pas d’être appelé " pasteur " : " Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien ", Pasteur d’Israël, écoute, toi qui conduis Joseph comme un troupeau. " Dieu ne rougit pas de paître les hommes, pas plus qu’il ne rougit de les avoir créés.

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Mais regardons maintenant notre berger, le Christ voyons son amour pour les hommes et sa douceur pour les conduire au pâturage. Il se réjouit des brebis qui l’entourent comme il cherche celles qui s’égarent. Monts ni forêts ne lui font un obstacle ; il court dans la vallée de l’ombre pour parvenir jusqu’à l’endroit où se trouve la brebis perdue. L’ayant trouvée malade, il ne la méprise pas, mais la soigne, et, la prenant sur ses épaules, il guérit par sa propre fatigue la brebis fatiguée. Sa fatigue le remplit de joie, car il a retrouvé la brebis perdue, et cela le guérit de sa peine : " Lequel d’entre vous, dit-il, s’il a cent brebis et vient à en perdre une, n’abandonne les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour s’en aller auprès de celle qui est perdue, jusqu’à ce qu’il l’ait retrouvée ? " La perte d’une seule brebis trouble la joie du troupeau rassemblé, mais la joie des retrouvailles chasse cette tristesse : " Quand il l’a retrouvée, il assemble amis et voisins et il leur dit : Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé ma brebis qui était perdue. " C’est pourquoi le Christ, qui est ce berger, disait : " Je suis le bon pasteur. " " Je cherche la brebis perdue, je ramène celle qui est égarée, je panse celle qui est blessée, je guéris celle qui est malade. "

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Sermon de St. Antoine de Padoue (2° dimanche après Pâques)

" Je suis le bon pasteur. Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. " Pilate a vu ce pasteur, les juifs l’ont vu, conduit à la croix pour son troupeau, comme le choeur des Prophètes qui, bien avant la Passion, annonçaient clairement : " Comme un agneau il est conduit à la boucherie, comme devant les tondeurs une brebis muette. " Il ne refuse pas la mort, il ne fuit pas le jugement, il ne repousse pas ceux qui le crucifient. Il n’a pas subi la Passion, il l’a voulue pour ses brebis : " J’ai le pouvoir de déposer ma vie, dit-il, et le pouvoir de la reprendre. " Il détruit la passion par sa Passion, la mort par sa mort ; par son tombeau, il ouvre les tombeaux, il ébranle les enfers, il en fait sauter les verrous. Les tombeaux sont scellés et la prison fermée tant que le Berger ne descend dans la mort pour y annoncer la libération à celles de ses brebis qui sont endormies. On le voit aux enfers ; il donne l’ordre d’en sortir. On le voit renouveler là l’appel à la vie. " Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis " : c’est ainsi qu’il cherche l’amour de ses brebis. Aime le Christ celui qui sait entendre sa voix.

J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de cet enclos ; celles-là aussi, il faut que je les mène ; elles écouteront ma voix ; et il y aura un seul troupeau, un seul pasteur " (Jn 10, 16).

La brebis, animal délicat dans son corps et dans sa laine, désigne l’offrande, parce que tout au début (de l’humanité), c’était elle qu’on offrait et non des taureaux. Elle symbolise les fidèles de l’Eglise du Christ qui, chaque jour, s’offrent eux-mêmes en hostie pure, sainte et agréable à Dieu (cf. Rm 12, 1), sur l’autel de la passion du Seigneur et dans le sacrifice spirituel d’un coeur repenti.

Le Bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis " (ibid., 11). La caractéristique du Bon Pasteur est de donner sa vie pour ses brebis. C’est cela qu’a fait le Christ. " Il a souffert pour vous, vous laissant un modèle afin que vous suiviez ses traces " (1 P 2, 21). Réjouis-toi, parce que le Christ est mort pour toi. Lis cependant ce qui suit : " Il vous a laissé un exemple " d’outrages, de souffrances, de croix et de mort. Le Bon Pasteur donne donc sa vie pour ses brebis... Quelle immense miséricorde ! " De cette miséricorde, dit le psaume, la terre est pleine " (Ps 32, 5). " De la parole du Seigneur les cieux ont reçu stabilité. " Du Fils de Dieu, ont reçu stabilité les apôtres et tous les hommes apostoliques, pour ne pas être comme des brebis égarées, mais pour pouvoir se maintenir sous la houlette du pasteur et du gardien des âmes (cf. 1 P 2, 25).

"Je donne ma vie pour mes brebis " (Jn 10, 15). C’est la preuve de l’amour que (le Christ) porte à son Père et à ses brebis. C’est après qu’il eut confessé trois fois son amour que Pierre reçut la mission de paître les brebis et de se tenir prêt à mourir pour elles...

Nous te prions, Seigneur Jésus, qui es béni dans les siècles, de daigner nous compter parmi les brebis appelées à se tenir à ta droite.

 

Usage des versets

 

vv. 1-10 : CEC 754 Les symboles de l’Eglise

753 Dans l’Ecriture Sainte, nous trouvons une foule d’images et de figures liées entre elles, par lesquelles la révélation parle du Mystère inépuisable de l’Eglise. Les images prises de l’Ancien Testament constituent des variations d’une idée de fond, celle du " Peuple de Dieu ". Dans le Nouveau Testament (cf. Ep 1,22 ; Col 1,18), toutes ces images trouvent un nouveau centre par le fait que le Christ devient " la Tête " de ce peuple (cf. LG 9) qui est dès lors son Corps. Autour de ce centre se sont groupés des images " tirées soit de la vie pastorale ou de la vie des champs, soit du travail de construction ou de la famille et des épousailles " (LG 6).

754 " L’Eglise, en effet, est le bercail dont le Christ est l’entrée unique et nécessaire (Jn 10,1-10). Elle est aussi le troupeau dont Dieu a proclamé lui-même à l’avance qu’il serait le pasteur (cf. Is 40,11 ; Ez 34,11-31), et dont les brebis, quoiqu’elles aient à leur tête des pasteurs humains, sont cependant continuellement conduites et nourries par le Christ même, Bon Pasteur et Prince des pasteurs (cf. Jn 10,11 ; 1P 5,4), qui a donné sa vie pour ses brebis (cf. Jn 10,11-15) ".

755 " L’Eglise est le terrain de culture, le champ de Dieu (1Co 3,9). Dans ce champ croît l’antique olivier dont les patriarches furent la racine sainte et en lequel s’opère et s’opérera la réconciliation entre Juifs et Gentils (Rm 11,13-26). Elle fut plantée par le Vigneron céleste comme une vigne choisie (Mt 21,33-43 par. cf. Is 5,1-7). La Vigne véritable, c’est le Christ : c’est lui qui donne vie et fécondité aux rameaux que nous sommes : par l’Eglise nous demeurons en lui, sans qui nous ne pouvons rien faire (Jn 15,1-5) ".

756 " Bien souvent aussi, l’Eglise est dite la construction de Dieu (1Co 3,9). Le Seigneur lui-même s’est comparé à la pierre rejetée par les bâtisseurs et devenue pierre angulaire (Mt 21,42 par. cf. Ac 4,11 ; 1P 2,7 ; Ps 118,22). Sur ce fondement, l’Eglise est construite par les apôtres (1Co 3,11), et de ce fondement elle reçoit fermeté et cohésion. Cette construction est décorée d’appelations diverses : la maison de Dieu (1Tm 3,15), dans laquelle habite sa famille, l’habitation de Dieu dans l’Esprit (Ep 2,19-22), la demeure de Dieu chez les hommes (Ap 21,3), et surtout le temple saint, lequel, représenté par les sanctuaires de pierres, est l’objet de la louange des saints Pères et comparé à juste titre dans la liturgie à la Cité sainte, la nouvelle Jérusalem. En effet, nous sommes en elle sur la terre comme les pierres vivantes qui entrent dans la construction (1P 2,5). Cette Cité sainte, Jean la contemple descendant du ciel d’auprès de Dieu à l’heure où se renouvellera le monde, prête comme une fiancée parée pour son époux (Ap 21,1-2) ".

757 " L’Eglise s’appelle encore " la Jérusalem d’en haut " et " notre mère " (Ga 4,26 cf. Ap 12,17) ; elle est décrite comme l’épouse immaculée de l’Agneau immaculé (Ap 19,7 ; Ap 21,2 ; Ap 21,9 ; Ap 22,17) que le Christ ‘a aimée, pour laquelle il s’est livré afin de la sanctifier’ (Ep 5,26), qu’il s’est associée par un pacte indissoluble, qu’il ne cesse de ‘nourrir et d’entourer de soins’ (Ep 5,29) " (LG 6).

 

vv. 1-21 : CEC 764 L’Eglise - instituée par le Christ Jésus

763 Il appartient au Fils de réaliser, dans la plénitude des temps, le plan de salut de son Père ; c’est là le motif de sa " mission " (cf. LG 3 ; AGD 3). " Le Seigneur Jésus posa le commencement de son Eglise en prêchant l’heureuse nouvelle, l’avènement du Règne de Dieu promis dans les Ecritures depuis des siècles " (LG 5). Pour accomplir la volonté du Père, le Christ inaugura le Royaume des cieux sur la terre. L’Eglise " est le Règne du Christ déjà mystérieusement présent " (LG 3).

764 " Ce Royaume brille aux yeux des hommes dans la parole, les oeuvres et la présence du Christ " (LG 5). Accueillir la parole de Jésus, c’est " accueillir le Royaume lui-même " (ibid.). Le germe et le commencement du Royaume sont le " petit troupeau " (Lc 12,32) de ceux que Jésus est venu convoquer autour de lui et dont il est lui-même le pasteur (cf. Mt 10,16 ; Mt 26,31 ; Jn 10,1-21). Ils constituent la vraie famille de Jésus (cf. Mt 12,49). A ceux qu’il a ainsi rassemblés autour de lui, il a enseigné une " manière d’agir " nouvelle, mais aussi une prière propre (cf. Mt 5-6).

765 Le Seigneur Jésus a doté sa communauté d’une structure qui demeurera jusqu’au plein achèvement du Royaume. Il y a avant tout le choix des Douze avec Pierre comme leur chef (cf. Mc 3,14-15). Représentant les douze tribus d’Israël (cf. Mt 19,28 ; Lc 22,30) ils sont les pierres d’assise de la nouvelle Jérusalem (cf. Ap 21,12-14). Les Douze (cf. Mc 6,7) et les autres disciples (cf. Lc 10,1-2) participent à la mission du Christ, à son pouvoir, mais aussi à son sort (cf. Mt 10,25 ; Jn 15,20). Par tous ces actes, le Christ prépare et bâtit son Eglise.

766 Mais l’Eglise est née principalement du don total du Christ pour notre salut, anticipé dans l’institution de l’Eucharistie et réalisé sur la Croix. " Le commencement et la croissance de l’Eglise sont signifiés par le sang et l’eau sortant du côté ouvert de Jésus crucifié " (LG 3). " Car c’est du côté du Christ endormi sur la Croix qu’est né l’admirable sacrement de l’Eglise toute entière " (SC 5). De même qu’Eve a été formée du côté d’Adam endormi, ainsi l’Eglise est née du coeur transpercé du Christ mort sur la Croix (cf. S. Ambroise, Lc 2,85-89 ).

 

vv. 1-16 : Laborem exercens 26 - Le Christ, l’homme du travail

Cette vérité d’après laquelle l’homme participe par son travail à l’oeuvre de Dieu lui-même, son Créateur, a été particulièrement mise en relief par Jésus-Christ, ce Jésus dont beaucoup de ses premiers auditeurs à Nazareth " demeuraient frappés de stupéfaction et disaient : " D’ou lui vient tout cela ? Et quelle est la sagesse qui lui a été donnée ? ... N’est-ce pas là le charpentier ? "" (40). En effet, Jésus proclamait et surtout mettait d’abord en pratique l’" Evangile " qui lui avait été confié, les paroles de la Sagesse éternelle. Pour cette raison, il s’agissait vraiment de l’" évangile du travail " parce que celui qui le proclamait était lui-même un travailleur, un artisan comme Joseph de Nazareth (41). Même si nous ne trouvons pas dans les paroles du Christ l’ordre particulier de travailler mais bien plutôt, une fois, l’interdiction de se préoccuper de manière excessive du travail et des moyens de vivre (42), sa vie n’en a pas moins une éloquence sans équivoque : il appartient au "monde du travail" ; il apprécie et il respecte le travail de l’homme ; on peut même dire davantage : il regarde avec amour ce travail ainsi que ses diverses expressions, voyant en chacune une manière particulière de manifester la ressemblance de l’homme avec Dieu Créateur et Père. N’est-ce pas lui qui dit : " Mon Père est le vigneron... " (43), transposant de diverses manières dans son enseignement la vérité fondamentale sur le travail exprimée déjà dans toute la tradition de l’Ancien Testament, depuis le Livre de la Genèse ?

40- Mc 6,2-3

41- Mt 13,55

42- Mt 6,25-34

43- Jn 15,1

Dans les livres de l’Ancien Testament, les références au travail ne manquent pas, pas plus qu’aux diverses professions que l’homme exerce : le médecin (44), l’apothicaire (45), l’artisan ou l’artiste (46), le forgeron (47) on pourrait appliquer ces paroles au travail des sidérurgistes modernes _, le potier (48), l’agriculteur (49), le sage qui scrute les Ecritures (50), le marin (51), le maçon (52), le musicien (53), le berger (54) le pêcheur (55). On sait les belles paroles consacrées au travail des femmes (56). Dans ses paraboles sur le Royaume de Dieu, Jésus-Christ se réfère constamment au travail : celui du berger (57), du paysan (58), du médecin (59), du semeur (60), du maître de maison (61), du serviteur (62), de l’intendant (63), du pêcheur (64), du marchand (65), de l’ouvrier (66). Il parle aussi des divers travaux des femmes (67). Il présente l’apostolat à l’image du travail manuel des moissonneurs (68) ou des pêcheurs (69). Il se réfère aussi au travail des scribes (70).

44- Si 38,1-3 45- Si 38,4-8 46- Ex 31,1-5 ; Si 38,27 47- Gn 4,22 ; Is 44,12 48- Jr 18,3-4 ; Si 38,29-30 49- Gn 9,20 ; Is 5,1-2 50- Qo 12,9-12 Si 39,1-8 Is 51-0 ; Is 107,23-30 (Ps 108) Sg 14,2-3 52- Gn 11,3 ; 2R 12,12-13 ; 2R 22,5-6 53- Gn 4,21 54- Gn 4,2 ; Gn 37,3 ; Ex 3,1 ; 1S 16,11 55- Ez 47,10 56- Pr 31,15-27 57- Jn 10,1-16 58- Mc 12,1-12 59- Lc 4,23 60- Mc 4,1-9 61- Mt 13,52 62- Mt 24,45 ; Lc 12,41-48 63- Lc 16,1-8 64- Mt 13,47-50 65- Mt 13,45-46 66- Mt 20,1-16 67- Mt 13,33 ; Lc 15,8-9 68- Mt 9,37 ; Jn 4,35-38 69- Mt 4,19 70- Mt 13,52

Cet enseignement du Christ sur le travail, fondé sur l’exemple de sa vie durant les années de Nazareth, trouve un écho très vif dans l’enseignement de l’Apôtre Paul. Paul, qui fabriquait probablement des tentes, se vantait de pratiquer son métier (71) grâce auquel il pouvait, tout en étant apôtre, gagner seul son pain (72). " Au labeur et à la peine nuit et jour, nous avons travaillé pour n’être à charge à aucun d’entre vous " (73). De là découlent ses instructions au sujet du travail, qui ont un caractère d’exhortation et de commandement : " A ces gens-là ... nous prescrivons, et nous les y exhortons dans le Seigneur Jésus-Christ : qu’ils travaillent dans le calme, pour manger un pain qui soit à eux ", écrit-il aux Thessaloniciens (74). Notant en effet que certains " vivent dans le désordre ... sans rien faire " (75), l’Apôtre, dans ce contexte, n’hésite pas à dire : " Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus " (76). Au contraire, dans un autre passage, il encourage : " Quoi que vous fassiez, travaillez de toute votre âme, comme pour le Seigneur et non pour les hommes, sachant que vous recevrez du Seigneur l’héritage en récompense " (77).

71- Ac 18,3 72- Ac 20,34-35 73- 2Th 3,8 Saint Paul reconnaît le droit qu’ont les missionnaires aux moyens de subsistance : 1Co 9,6-14 ; Ga 6,6 ; 2Th 3,9 ; Lc 10,7 74- 2Th 3,12 75- 2Th 3,11 76- 2Th 3,10 77- Col 3,23-24

Les enseignements de l’Apôtre des nations ont, comme on le voit, une importance capitale pour la morale et la spiritualité du travail. Ils sont un complément important au grand, bien que discret, évangile du travail que nous trouvons dans la vie du Christ et dans ses paraboles, dans ce que Jésus " a fait et a enseigné " (78- Ac 1,1).

A cette lumière émanant de la Source même, l’Eglise a toujours proclamé ce dont nous trouvons l’expression contemporaine dans l’enseignement de Vatican II : " De même qu’elle procède de l’homme, l’activité humaine lui est ordonnée. De fait, par son action, l’homme ne transforme pas seulement les choses et la société, il se parfait lui-même. Il apprend bien des choses, il développe ses facultés, il sort de lui-même et se dépasse. Cette croissance, si elle est bien comprise, est d’un tout autre prix que l’accumulation de richesses extérieures... Voici donc la règle de l’activité humaine : qu’elle serve au bien authentique de l’humanité, conformément au dessein et à la volonté de Dieu, et qu’elle permette à l’homme, considéré comme individu ou comme membre de la société, de développer et de réaliser sa vocation dans toute sa plénitude " (79- GS 35).

Dans une telle vision des valeurs du travail humain, c’est-à-dire dans une telle spiritualité du travail, on s’explique pleinement ce qu’on peut lire au même endroit de la constitution pastorale du Concile sur la juste signification du progrès : " L’homme vaut plus par ce qu’il est que par ce qu’il a. De même, tout ce que font les hommes pour faire régner plus de justice, une fraternité plus étendue, un ordre plus humain dans les rapports sociaux, dépasse en valeur les progrès techniques. Car ceux-ci peuvent bien fournir la base matérielle de la promotion humaine, mais ils sont tout à fait impuissants, par eux seuls, à la réaliser " (80 - GS 35).

Cette doctrine sur le problème du progrès et du développement thème si dominant dans la mentalité contemporaine peut être comprise seulement comme fruit d’une spiritualité du travail éprouvée, et c’est seulement sur la base d’une telle spiritualité qu’elle peut être réalisée et mise en pratique. C’est la doctrine et en même temps le programme qui plongent leurs racines dans l’"évangile du travail".

 

vv. 1-10 : Lumen gentium 6 Les images de l’Eglise

6 Tout comme dans l’ancien Testament la révélation du royaume est souvent présentée sous des figures, de même maintenant c’est sous des images variées que la nature intime de l’Eglise nous est montrée, images tirées soit de la vie pastorale ou de la vie des champs, soit du travail de construction ou encore de la famille et des épousailles, et qui se trouvent ébauchées déjà dans les livres des prophètes.

L’Eglise, en effet, est le bercail dont le Christ est l’entrée unique et nécessaire (Jn 10,1-10).Elle est aussi le troupeau dont Dieu a proclamé lui-même à l’avance qu’il serait le pasteur (cf. Is 40,11 ; Ez 34,11 s.), et dont les brebis, quoiqu’elles aient à leur tête des pasteurs humains, sont cependant continuellement conduites et nourries par le Christ même, Bon Pasteur et Prince des pasteurs (cf. Jn 10,11 ; 1P 5,4), qui a donné sa vie pour ses brebis (cf. Jn 10,11-15).

L’Eglise est le terrain de culture, le champ de Dieu (1Co 33,9). Dans ce champ croît l’antique olivier dont les patriarches furent la racine sainte et en lequel s’opère et s’opérera la réconciliation entre Juifs et Gentils (Rm 11,13-26). Elle fut plantée par le Vigneron céleste comme une vigne choisie (Mt 21,33-43 par. ; cf. Is 5,1 ss.). La Vigne véritable c’est le Christ : c’est lui qui donne vie et fécondité aux rameaux que nous sommes : par l’Eglise nous demeurons en lui, sans qui nous ne pouvons rien faire (Jn 15,1-5).

Bien souvent aussi, l’Eglise est dite la construction de Dieu (1Co 3,9). Le Seigneur lui-même s’est comparé à la pierre rejetée par les bâtisseurs et devenue pierre angulaire (Mt 21,42 par. ; cf. Ac 4,11 ; 1P 2,7 ; Ps 117,22).Sur ce fondement, l’Eglise est construite par les apôtres (cf. 1Co 3,11), et de ce fondement elle reçoit fermeté et cohésion. Cette construction est décorée d’appellations diverses : la maison de Dieu (1Tm 3,15), dans laquelle habite la famille, l’habitation de Dieu dans l’Esprit (Ep 2,19-22), la demeure de Dieu chez les hommes (Ap 21,3), et surtout le temple saint, lequel, représenté par les sanctuaires de pierres, est l’objet de la louange des saints Pères et comparé à juste titre dans la liturgie à la Cité sainte, la nouvelle Jérusalem(6). En effet, nous sommes en elle sur la terre comme les pierres vivantes qui entrent dans la construction (1P 2,5). Cette Cité sainte, Jean la contemple descendant du ciel d’auprès de Dieu à l’here où se renouvellera le monde, prête comme une fiancée parée pour son époux (Ap 21,1 s.).

L’Eglise s’appelle encore " la Jérusalem d’en haut " et " notre mère " (Ga 4,26 cf. Ap 12,17) ; elle est décrite comme l’épouse immaculée de l’Agneau immaculé (Ap 19,7 ; Ap 21,2 cf. Ap 21,9 ; Ap 22,17) que le Christ " a aimée, pour laquelle il s’est livré afin de la sanctifier " (Ep 5,26), qu’il s’est associée par un pacte indissoluble, qu’il ne cesse de " nourrir et d’entourer de soins " (Ep 5,29) ; l’ayant purifiée, il a voulu qu’elle lui soit unie dans l’amour et la fidélité (cf. Ep 5,24), la comblant enfin et pour l’éternité des biens célestes, pour que nous puissions comprendre l’amour envers nous de Dieu et du Christ, amour qui défie toute connaissance (cf. 2Co 5,66), l’Eglise se considère comme exilée, en sorte qu’elle est en quête des choses d’en haut dont elle garde le goût, tournée là où le Christ se trouve, assis à la droite de Dieu, là où la vie de l’Eglise est cachée avec le Christ en Dieu, attendant l’heure où, avec son époux, elle apparaîtra dans la gloire (cf. Col 3,1-4).

Notes : (5) Cf. Origenes, In Mt 16,21 : PG 13, 1443 c. Tertullianus, Adv. Marc 3,7 : PL 2, 357 C ; CSEL 47, 3 p. p. 386. Pro documentis liturgicis : cf. Sacramentarium Gregorianum : PL 78, 160 B. Vel C. Mohlberg, Liber Sacramentorum romanae ecclesiae, Romae, ecclesiae Romae, 1960, p. 111, XC : " Dieu qui par le rassemblement des saints construis pour toi une demeure éternelle " - Hymnus Urbs Ierusalem beata in Breviario monzastico, et Coelestis urbs Ierusalem in Breviario Romano.

 

v. 3 : CEC 2158 - III Le nom chrétien

2156 Le sacrement de Baptême est conféré " au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit " (Mt 28,19). Dans le baptême, le nom du Seigneur sanctifie l’homme, et le chrétien reçoit son nom dans l’Eglise. Ce peut être celui d’un saint, c’est-à-dire d’un disciple qui a vécu une vie de fidélité exemplaire à son Seigneur. Le patronage du saint offre un modèle de charité et assure de son intercession. Le " nom de baptême " peut encore exprimer un mystère chrétien ou une vertu chrétienne. " Les parents, les parrains et le curé veilleront à ce que ne soit pas donné de prénom étranger au sens chrétien " (CIC 855).

2157 Le chrétien commence sa journée, ses prières et ses actions par le signe de la croix, " au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit. Amen ". Le baptisé voue la journée à la gloire de Dieu et fait appel à la grâce du Sauveur qui lui permet d’agir dans l’Esprit comme enfant du Père. Le signe de la croix nous fortifie dans les tentations et dans les difficultés.

2158 Dieu appelle chacun par son nom (cf. Is 43,1 ; Jn 10,3). Le nom de tout homme est sacré. Le nom est l’icône de la personne. Il exige le respect, en signe de la dignité de celui qui le porte.

2159 Le nom reçu est un nom d’éternité. Dans le royaume, le caractère mystérieux et unique de chaque personne marquée du nom de Dieu resplendira en pleine lumière. " Au vainqueur, ... je donnerai un caillou blanc, portant gravé un nom nouveau que nul ne connaît, hormis celui qui le reçoit " (Ap 2,17). " Voici que l’Agneau apparut à mes yeux ; il se tenait sur le mont Sion, avec cent quarante-quatre milliers de gens portant, inscrits sur le front, son nom et le nom de son Père " (Ap 14,1).

 

v. 3 : Christifideles Laici 58 - Découvrir et vivre sa vocation et sa mission personnelles

La formation des fidèles laïcs a comme objectif fondamental la découverte toujours plus claire de leur vocation personnelle et la disponibilité toujours plus grande à la vivre dans l’accomplissement de leur propre mission.

Dieu m’appelle et Il m’envoie comme ouvrier à sa vigne ; Il m’appelle et Il m’envoie travailler à l’avènement de son Règne dans l’histoire : cette vocation et cette mission personnelles définissent la dignité et la responsabilité de chaque fidèle laïc, et elles constituent la ligne de force de toute l’oeuvre de formation. Celle-ci a pour but d’aider à reconnaître avec joie et gratitude cette dignité et à faire face fidèlement et généreusement à cette responsabilité.

Dieu, en effet, a pensé à nous de toute éternité et Il nous a aimés comme des personnes uniques et irremplacables, appelant chacun de nous par son nom propre, comme le Bon Pasteur, qui "appelle ses brebis par leur nom" (Jn 10,3). Mais le plan éternel de Dieu ne se révèle à chacun de nous que dans le développement historique de sa vie et de ses vicissitudes, et de ce fait, graduellement : en un certain sens, jour après iour.

Or, pour pouvoir découvrir la volonté concrète du Seigneur sur notre vie, les conditions indispensables sont : l’écoute prompte et docile de la parole de Dieu, la prière fidèle et constante, la relation avec un guide spirituel sage et aimant, la lecture, dans la foi, des dons et des talents reçus et, en même temps, des diverses situations sociales et historiques ou l’on est place.

Dans la vie de chaque fidèle laïc, il y a, en outre, des moments particulièrement significatifs et décisifs pour discerner l’appel de Dieu et pour recevoir la mission qu’Il confie : parmi ces moments, il y a le temps de l’adolescence et de la jeunesse. Que personne cependant n’oublie que le Seigneur, comme le maître du domaine dans la parabole, appelle dans le sens qu’Il fait connaître sa sainte volonté de façon concrète et précise à toutes les heures de la vie ; voilà pourquoi la vigilance, dans le sens d’attention empressée à la voix de Dieu, est une attitude fondamentale et constante du disciple.

Quoiqu’il en soit, il ne s’agit pas simplement de savoirce que Dieu veut de nous, de chacun de nous, dans les différentes situations de la vie. Il faut faire ce que Dieu veut ; c’est ce que nous rappelle la parole de Marie, la Mère de Dieu, s’adressant aux serviteurs à Cana : "Faites tout ce qu’il vous dira" (Jn 2,5).

Et pour agir en toute fidélité à la volonté de Dieu, il faut en être capables, et s’en rendre toujours plus capables. Avec la grâce du Seigneur, assurément : Elle ne manque jamais, comme le dit Saint Léon le Grand : "Celui qui vous a donné la dignité, vous donnera la force !"(210). Mais aussi avec la coopération libre et responsable de chacun de nous.

210- " Dabit virtutem, qui contulit dignitatem " (S. Léon le Grand, Serm. II,1 : S. Ch. 200,248).

Telle est la tâche merveilleuse et absorbante qui attend tous les fidèles laïcs, tous les chrétiens, sans aucun répit : connaître toujours plus les richesses de la foi et du Baptême et les vivre en une plénitude sans cesse croissante, comme nous y exhorte l’apôtre Pierre, qui parle de naissance et de croissance comme de deux étapes de la vie chrétienne : " Soyez semblables à des enfants nouveau-nés, soyez avides de la Parole, comme d’un lait pur qui vous fera grandir pour arriver au salut " (1P 2,2).

 

v. 3 : II, II, 184, art. 5 : Les prélats et les religieux sont-ils spécialement dans l’état de perfection ?

En sens contraire , Denys attribue la perfection aux évêques comme à des " agents de perfection ". Et ailleurs il l’attribue aux religieux, qu’il appelle " moines " ou " thérapeutes ", ce qui veut dire serviteurs de Dieu, comme à des " perfectionnés ".

Réponse : L’état de perfection requiert, on l’a dit, la perpétuelle obligation, accompagnée de solennité, à une vie de perfection. Or l’une et l’autre condition se vérifie dans le cas des religieux et des évêques. Les religieux s’engagent par voeu à s’abstenir des biens du siècle, dont il leur était loisible d’user, en vue de vaquer à Dieu plus librement, et c’est en cela que consiste la perfection de la vie présente. D’ou ces paroles de Denys, sur les religieux : " certains les appellent " thérapeutes ", c’est-à-dire serviteurs, parce qu’ils sont voués au culte et service de Dieu ; d’autres les appellent " moines ", parce que leur vie, loin d’être divisée, demeure parfaitement une, parce qu’ils s’unifient eux-mêmes par un saint recueillement qui exclut toute division, de façon à tendre vers la perfection de l’amour divin ". D’autre part, l’engagement qu’ils prennent s’accompagne de la solennité de la profession et de la bénédiction. Aussi Denys ajoute-t-il : " C’est pourquoi la législation sacrée, leur octroyant une grâce parfaite, les honore d’une prière consécratoire. "

Les évêques pareillement s’obligent à une vie de perfection lorsqu’ils assument l’office pastoral qui les oblige à donner leur vie pour leurs brebis (Jn 10,3) . C’est ce qui fait dire à S. Paul (1Tm 6,12) : " Tu as fait une belle profession devant un grand nombre de témoins ", c’est-à-dire, explique la Glose, " lors de ton ordination ". Et cette profession s’accompagne d’une consécration solennelle, d’après S. Paul (2Tm 1,6) : " Ravive la grâce de Dieu que tu as reçue par l’imposition de mes mains ", ce que la Glose entend de la grâce épiscopale. Denys écrit : " Le souverain prêtre, c’est-à-dire l’évêque, se voit imposer sur la tête, dans son ordination, la sainte Parole, pour signifier qu’il reçoit la plénitude du pouvoir hiérarchique et qu’il lui appartient non seulement d’interpréter toutes les formules et les actions saintes mais encore de les communiquer aux autres. "

 

v. 3 : Pastores dabo vobis 22

L’image de Jésus Christ Pasteur de l’Eglise, son troupeau, reprend et présente, avec des nuances nouvelles et plus suggestives, les mêmes sens que celle de Jésus Christ Tête et Serviteur. Réalisant l’annonce prophétique du Messie Sauveur, chantée joyeusement par le psalmiste en prière et par le Prophète Ezéchiel (cf. Ps 23 ; Ez 34,11-16) , Jésus se présente lui-même comme " le Bon Pasteur " (Jn 10,11 ; Jn 10,14) non seulement d’Israël mais de tous les hommes (cf. Jn 10,16). Et sa vie est une manifestation ininterrompue, et même une réalisation quotidienne de sa " charité pastorale " : il éprouve de la compassion pour les foules parce qu’elles sont fatiguées et épuisées, comme des brebis sans pasteur (cf. Mt 9,35-36) ; il cherche celles qui sont perdues et dispersées (cf. Mt 18,12-14) , et il éclate de joie quand il les a retrouvées ; il les rassemble et les défend ; il les connaît et les appelle une à une (cf. Jn 10,3) ; il les conduit sur des prés d’herbe fraîche et vers des eaux tranquilles (cf. Ps 23) ; pour elles, il prépare la table, les nourrissant de sa propre vie. Le Bon Pasteur offre sa vie, dans sa mort et sa résurrection, comme le chante la liturgie romaine de l’Eglise : " Il est ressuscité, Jésus, le vrai Pasteur, lui qui a donné sa vie pour son troupeau, lui qui a choisi de mourir pour nous sauver, Alleluia ".(48)

48- Missel romain, Antienne de la communion du quatrième dimanche de Pâques.

Pierre appelle Jésus le " Chef des pasteurs " (1P 5,4) parce que son oeuvre et sa mission se poursuivent dans l’Eglise, par les Apôtres (cf. Jn 21,15-17) et leurs successeurs (cf. 1P 5,1-4), par les prêtres. En vertu de leur consécration, les prêtres sont configurés à Jésus le Bon Pasteur et sont appelés à imiter et à revivre sa propre charité pastorale.

Le don que le Christ fait de lui-même à son Eglise, fruit de son amour, prend le sens original du don propre de l’époux envers son épouse, comme le suggèrent plus d’une fois les textes sacrés. Jésus est l’époux véritable, qui offre le vin du salut à l’Eglise (cf. Jn 2,11). Lui, qui est " la Tête de l’Eglise, lui le Sauveur du Corps " (Ep 5,23), " a aimé l’Eglise et s’est livré pour elle, afin de la sanctifier en la purifiant par le bain d’eau qu’une parole accompagne ; car il voulait se la présenter à lui-même toute resplendissante, sans tache ni ride ni rien de tel, mais sainte et immaculée " (Ep 5,25-27). L’Eglise est certes le corps dans lequel le Christ Tête est présent et opérant, mais elle est aussi l’Epouse, qui sort comme une nouvelle Eve du côté ouvert du Rédempteur sur la Croix : c’est pourquoi le Christ se tient " devant " l’Eglise, " la nourrit et en prend soin " (cf. Ep 5,29) par le don de sa vie pour elle. Le prêtre est appelé à être l’image vivante de Jésus Christ, Epoux de l’Eglise(49) : assurément, il reste toujours dans la communauté dont il fait partie, comme croyant, uni à tous ses frères et ses soeurs rassemblés par l’Esprit ; mais, en vertu de sa configuration au Christ Tête et Pasteur, il se trouve en cette situation sponsale, qui le place en face de la communauté. " En tant qu’il représente le Christ Tête, Pasteur et Epoux de l’Eglise, le prêtre a sa place non seulement dans l’Eglise, mais aussi en face de l’Eglise "(50). C’est pourquoi il est appelé, dans sa vie spirituelle, à revivre l’amour du Christ époux envers l’Eglise épouse. Sa vie doit donc être illuminée et orientée par ce caractère sponsal qui lui demande d’être témoin de l’amour sponsal du Christ ; ainsi sera-t-il capable d’aimer les gens avec un coeur nouveau, grand et pur, avec un authentique détachement de lui-même, dans un don de soi total, continu et fidèle. Et il en éprouvera comme une " jalousie " divine (cf. 2Co 11,2) , avec une tendresse qui se pare même des nuances de l’affection maternelle, capable de supporter les " douleurs de l’enfantement " jusqu’à ce que " le Christ soit formé " dans les fidèles (cf. Ga 4,19).

49- MD 26 .

50- Propositio 7.

 

v. 9 : Montée du Carmel l. II Chapitre 7

OÙ IL EST DÉCLARÉ COMBIEN EST ÉTROIT LE SENTIER QUI CONDUIT À LA VIE ÉTERNELLE, ET COMBIEN CEUX QUI Y VEULENT CHEMINER DOIVENT ÊTRE DÉNUÉS ET DÉSEMBARRASSÉS. - ON COMMENCE À PARLER DE LA NUDITÉ DE L’ENTENDEMENT

1 Pour traiter maintenant de la nudité et de la pureté des trois puissances de l’âme, il faudrait un autre plus grand savoir et un autre esprit que le mien, afin qu’on pût bien faire entendre aux spirituels combien est étroit ce chemin, lequel - selon ce qu’a dit Notre Sauveur - conduit à la vie ; afin qu’étant bien persuadés de cette vérité, ils ne s’étonnassent pas du vide et de la nudité où nous devons laisser en cette nuit les puissances de l’âme.

2 C’est pourquoi on doit bien remarquer les paroles que Notre Sauveur dit de ce chemin, en saint Matthieu, au chapitre 7, c’est savoir : Combien la porte est étroite et combien est resserré le chemin qui conduit à la vie, et combien il y en a peu qui le trouvent ! (Mt 7,14). Où l’on doit beaucoup remarquer l’exagération et le renchérissement que contient cette parole : Combien, car c’est comme s’il disait : En vérité, elle est fort étroite, et plus que vous ne pensez !

L’on doit aussi peser qu’il dit premièrement que la porte est étroite, pour nous faire entendre qu’afin que l’âme entre par cette porte du Christ qui est le commencement du chemin, il faut auparavant qu’elle se resserre et qu’elle dépouille sa volonté de toutes choses sensibles et temporelles, aimant Dieu par-dessus toutes - ce qui appartient à la nuit du sens, dont nous avons parlé.

3 Et aussitôt il ajoute que le chemin est resserré, à savoir : de la perfection, donnant à entendre que pour aller par le chemin de perfection, non seulement il faut entrer par la porte étroite, s’évacuant du sensible, mais il se faut aussi étrécir, se désappropriant et se désembarrassant purement en ce qui est de la part de l’esprit. Si bien que nous pouvons rapporter ce qu’il dit de la porte étroite à la partie sensible de l’homme, et ce qu’il dit du chemin resserré, nous le pouvons entendre de la partie spirituelle et raisonnable. Et en ce qu’il dit que fort peu le trouvent, on doit remarquer la cause, à savoir, parce qu’il n’y en a guère qui sachent et qui veuillent entrer en cette extrême nudité et vide de l’esprit. Parce que ce sentier du haut mont de perfection - attendu qu’il tire en haut et qu’il est étroit - demande de tels voyageurs qu’ils n’aient aucune charge qui les appesantisse quant aux choses qui regardent la partie inférieure, ni chose qui les embarrasse quant à celles qui regardent la supérieure. Car, puisque c’est un trafic où seulement Dieu est cherché et gagné, aussi Dieu seul est celui qu’on doit chercher et gagner.

4 D’où l’on voit clairement que non seulement l’âme doit être dépêtrée de tout ce qui est de la part des créatures, mais aussi elle doit cheminer désappropriée et anéantie de tout ce qui est de la part de l’esprit. Aussi Notre Seigneur, nous instruisant et nous introduisant en ce chemin, propose en saint Marc cette doctrine si admirable - d’autant moins pratiquée par les spirituels, si je l’ose dire, qu’elle leur est plus nécessaire - laquelle, pour être tant à notre propos, je rapporterai ici tout entière et la déclarerai selon son sens véritable et spirituel. Il dit donc ceci : Quiconque veut suivre mon chemin, qu’il se nie soi-même, et qu’il porte sa croix et me suive. Car celui qui veut sauver son âme la perdra, et celui qui la perdra pour moi la gagnera (Mc 8,34-35).

5 Oh ! qui pourrait faire entendre, pratiquer et goûter ce qu’est ce conseil que nous donne ici Notre Sauveur de renoncer à nous-mêmes, pour montrer aux spirituels combien le moyen qu’ils doivent tenir en ce chemin est diffèrent de celui que beaucoup d’entre eux pensent - se persuadant que n’importe quelle sorte de retraite et de réformation dans les choses est suffisante ! Et d’autres se contentent de pratiquer vaille que vaille les vertus, continuent l’oraison et suivent la mortification, mais ils n’arrivent pas à la nudité et pauvreté ou aliénation ou pureté spirituelle (car c’est tout un) que le Seigneur nous conseille ici ; parce que, malgré cela, ils vont repaissant et revêtant leur naturel de consolations et sentiments spirituels, plutôt que de le dénuer et de le nier en ceci et en cela pour Dieu. Ils pensent qu’il suffit de le nier en ce qui est du monde, et non pas de l’anéantir et purifier en la propriété spirituelle. D’où vient que, se présentant quelque chose de cette solidité et perfection qui est l’anéantissement de toute suavité en Dieu, en aridité, en dégoût et en travail - ce qui est la pure croix spirituelle et la nudité de l’esprit pauvre du Christ - ils fuient cela comme la mort et seulement vont recherchant des douceurs et communications savoureuses en Dieu - ce qui n’est pas renoncer à soi-même, ni nudité d’esprit, mais gourmandise spirituelle. En quoi ils se rendent spirituellement ennemis de la croix du Christ ; parce que le vrai esprit recherche plutôt ce qu’il y a d’insipide en Dieu que le savoureux, et s’incline plutôt à pâtir qu’à être consolé, et plutôt à être privé de tout bien pour Dieu qu’à le posséder, et plutôt aux aridités et aux afflictions qu’aux douces communications, sachant que cela est suivre le Christ et renoncer soi-même ; et il se peut que de faire autrement soit se rechercher soi-même en Dieu, ce qui est fort contraire à l’amour. Parce que se chercher soi-même en Dieu, c’est chercher les caresses et récréations de Dieu ; mais chercher Dieu en soi, c’est non seulement vouloir être privé de l’un et de l’autre pour Dieu, mais aussi avoir inclination à choisir pour le Christ ce qu’il y a de plus insipide, soit de Dieu, soit du monde - et cela est amour de Dieu !

6 Oh ! qui pourrait donner à entendre jusqu’où Notre Seigneur veut porter cette abnégation ! Sans doute elle doit être comme une mort et un anéantissement temporel, naturel et spirituel en tout, quant à l’estime de la volonté, dans laquelle se trouve toute abnégation.

Et c’est ce que Notre Sauveur a voulu dire ici que celui qui voudra sauver son âme la perdra - c’est à savoir, que celui qui voudra posséder quelque chose ou la chercher pour soi, la perdra ; et celui qui perdra son âme pour moi la gagnera - c’est-à-dire que celui qui renoncera pour le Christ à tout ce que sa volonté peut désirer et goûter, faisant choix de ce qui ressemble plus à la croix (ce que le même Seigneur appelle en saint Jean abhorrer son âme ; Jn 12,25), celui-là la gagnera.

Et c’est aussi ce que Sa Majesté enseigne aux deux de ses disciples qui lui demandaient la droite et la gauche, lorsque, tranchant le fil de leur ambition, il leur offrit le calice qu’il devait boire comme une chose plus précieuse et plus assurée en cette vie que la jouissance (cf. Mt 20,20-23).

7 Ce calice est de mourir à son naturel en le dénuant et anéantissant, afin qu’il puisse cheminer par ce sentier étroit en tout ce qui lui peut appartenir selon le sens (comme nous avons dit) et selon l’âme (comme nous dirons ci-après), ce qui est le dénuer en son entendre, en son jouir et en son sentir. De manière que non seulement il demeure désapproprié en l’un et en l’autre, mais, de plus, qu’en ce qui est de l’esprit, il ne demeure embarrassé pour marcher en ce chemin étroit ; puisque, comme donne à entendre le Sauveur, il n’y peut tenir autre chose que l’abnégation et la croix, qui est le bâton pour y monter, lequel allège et facilite beaucoup ce chemin. D’où vient que Notre Seigneur dit en saint Matthieu : Mon joug est suave et ma charge légère, qui est la croix (Mt 11,30). Parce que, si l’homme se détermine à s’assujettir à porter cette croix, ce qui est une vraie résolution à vouloir trouver et supporter des travaux en toutes choses pour Dieu, il trouvera en elles un grand allégement et beaucoup de suavité pour cheminer par ce chemin, ainsi dénué de tout, sans rien vouloir. Mais, s’il prétend d’avoir quelque chose avec propriété quelconque, soit de Dieu, soit d’autre chose, il n’est pas dénué ni renoncé en tout, et ainsi il ne pourra tenir en ce chemin, ni monter par ce sentier étroit vers le haut.

8 Je voudrais bien persuader aux spirituels comme ce chemin de Dieu ne consiste pas en multiplicité de considérations, ni de moyens, ni de manières, ni de goûts, encore que cela soit à sa manière nécessaire aux commençants, mais en une seule chose nécessaire, qui est de savoir se renoncer vraiment selon l’extérieur et l’intérieur, s’exerçant à pâtir pour le Christ et à s’anéantir en tout. Car en pratiquant ceci, tout ce qui a été dit et autres choses encore se font et se trouvent ici. Que si l’on manque à cet exercice - qui est le sommaire de tout et la racine des vertus - toutes les autres manières ne sont rien, sinon battre les buissons et ne pas profiter, encore qu’on ait d’aussi hautes considérations et communications que les anges. Car on ne peut profiter qu’en imitant le Christ, qui est la voie, la vérité et la vie ; et personne ne vient au Père que par lui, lui-même le dit en saint Jean (Jn 14,6). Et ailleurs il dit : Je suis la porte ; si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé (Jn 10,9). De sorte que je ne tiendrais pas pour bon esprit celui qui recherche les douceurs et la facilité et qui fuit d’imiter le Christ.

9 Or, parce que j’ai dit que le Christ est le chemin, et que ce chemin c’est mourir à notre nature en ce qui est du sens et en ce qui appartient à l’esprit, je veux donner à entendre comment cela se peut faire à l’exemple du Christ. Car il est notre exemple et notre lumière.

10 Quant au premier, il est certain qu’il mourut spirituellement à ce qui est du sensuel en sa vie, et naturellement en sa mort, attendu, comme il dit, qu’il n’eut pas en sa vie où reposer sa tête (Mt 8,20), et encore moins en mourant.

11 Quant au second, il est tout manifeste qu’à l’instant de sa mort il fut aussi anéanti en l’âme, sans aucune consolation ni soulagement, son Père le laissant ainsi en une intime aridité, selon la partie inférieure. Cc qui le fit écrier en la croix : Mon Dieu ! Mon Dieu ! pourquoi m’avez-vous délaissé ? (Mt 27,46). Lequel délaissement fut le plus grand qu’il souffrît en la partie sensitive durant sa en la partie sensitive durant sa vie. Aussi fit-il en ce délaissement le plus grand oeuvre qu’il eût opéré en toute sa vie par ses miracles et ses merveilles, ni sur la terre ni dans le ciel, qui fut de réconcilier et unir le genre humain par grâce avec Dieu. Ce qui fut au moment et à l’instant que ce Seigneur se trouva le plus anéanti en tout ; à savoir : quant à l’estime des hommes, car, le voyant mourir, ils s’en moquaient plutôt que d’en faire aucun cas ; et quant à la nature, puisque, mourant, il s’anéantissait en elle ; et quant à la protection et consolation spirituelle du Père, puisqu’en ce temps Il l’abandonna afin qu’étant ainsi anéanti et réduit ainsi comme à rien, il payât purement la dette et unît l’homme à Dieu. D’où vient que David dit de lui : J’ai été réduit a néant et je ne m’en suis aperçu (Ps 72,22). Afin que l’homme vraiment spirituel entende le mystère de la porte et du chemin du Christ pour s’unir à Dieu ; et qu’il sache que tant plus il s’anéantira pour Dieu selon ces deux parties - la sensible et la spirituelle - tant plus il s’unit à Dieu et fait une oeuvre meilleure. Et lorsqu’il sera réduit à rien - ce qui sera dans l’extrême humilité - alors l’union spirituelle sera faite entre l’âme et Dieu, ce qui est le plus grand et plus haut état où l’on puisse parvenir en cette vie.

Il ne consiste donc pas en récréations, ni en goûts, ni en sentiments spirituels, mais en une vive mort de croix sensible et spirituelle, c’est-à-dire intérieure et extérieure.

12 Je ne veux point m’étendre davantage sur cela, encore que d’autre part je voudrais bien ne pas trancher si court, voyant le Christ si peu connu de ceux qui s’estiment ses amis ; puisque nous les voyons chercher leurs goûts et consolations en lui, s’aimant par trop eux-mêmes - et non pas ses amertumes et ses morts, l’aimant beaucoup, lui. Je parle de ceux qui (comme j’ai dit) se tiennent pour ses amis. Car, quant à ceux qui vivent si éloignés de lui, séparés de lui - quoique grands docteurs et hommes puissants et tous les autres qui vivent au monde, plongés dans les soins de leurs prétentions et de leurs grandeurs - desquels nous pouvons dire qu’ils ne connaissent pas le Christ et dont la fin, tant bonne soit-elle, ne sera que trop amère - on ne fait pas ici mention d’eux ; mais il en sera fait au jour du jugement. Parce que c’est eux qu’il appartenait principalement d’annoncer cette parole de Dieu, comme gens qu’il a mis en évidence pour leur doctrine et pour leur dignité.

13 Mais parlons à présent à l’entendement de l’homme spirituel, particulièrement de celui à qui Dieu a fait la grâce de le mettre en état de contemplation - car, comme j’ai dit, je m’adresse particulièrement à ceux-là - et disons comment on doit se dresser à Dieu en foi et se purifier des choses contraires, en se resserrant pour entrer par ce sentier étroit de la contemplation obscure.

 

v. 10 : Encyclique Evangelium vitae

1. INTRODUCTION

L’Évangile de la vie se trouve au coeur du message de Jésus. Reçu chaque jour par l’Église avec amour, il doit être annoncé avec courage et fidélité comme une bonne nouvelle pour les hommes de toute époque et de toute culture. À l’aube du salut, il y a la naissance d’un enfant, proclamée comme une joyeuse nouvelle : " Je vous annonce une grande joie, qui sera celle de tout le peuple : aujourd’hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la cité de David " Lc 2,10-11 . Assurément, la naissance du Sauveur a libéré cette " grande joie ", mais, à Noël, le sens plénier de toute naissance humaine se trouve également révélé, et la joie messianique apparaît ainsi comme le fondement et l’accomplissement de la joie qui accompagne la naissance de tout enfant Jn 16,21 . Exprimant ce qui est au coeur de sa mission rédemptrice, Jésus dit : " Je suis venu pour qu’ils aient la vie et qu’ils l’aient en abondance "  Jn 10,10 . En vérité, il veut parler de la vie " nouvelle "  et " éternelle "  qui est la communion avec le Père, à laquelle tout homme est appelé par grâce dans le Fils, par l’action de l’Esprit sanctificateur. C’est précisément dans cette " vie " que les aspects et les moments de la vie de l’homme acquièrent tous leur pleine signification.

28 Ce panorama fait d’ombres et de lumières doit nous rendre tous pleinement conscients que nous nous trouvons en face d’un affrontement rude et dramatique entre le mal et le bien, entre la mort et la vie, entre la " culture de mort " et la " culture de vie ". Nous nous trouvons non seulement " en face ", mais inévitablement " au milieu " de ce conflit : nous sommes tous activement impliqués, et nous ne pouvons éluder notre responsabilité de faire un choix inconditionnel en faveur de la vie. L’injonction claire et forte de Moïse s’adresse à nous aussi : " Vois, je te propose aujourd’hui vie et bonheur, mort et malheur. Je te propose la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie, pour que toi et ta postérité vous viviez " Dt 30,15-19 . Cette injonction convient tout autant à nous qui devons choisir tous les jours entre la " culture de vie " et la " culture de mort ". Mais l’appel du Deutéronome est encore plus profond, parce qu’il nous demande un choix à proprement parler religieux et moral. Il s’agit de donner à son existence une orientation fondamentale et de vivre fidèlement en accord avec la loi du Seigneur : " Écoute les commandements que je te donne aujourd’hui : aimer le Seigneur ton Dieu, marcher dans ses chemins, garder ses ordres, ses commandements et ses décrets_ Choisis donc la vie, pour que toi et ta postérité vous viviez, aimant le Seigneur ton Dieu, écoutant sa voix, t’attachant à lui ; car là est ta vie, ainsi que la longue durée de ton séjour sur la terre " Dt 30,16 ; Dt 30,19-20 . Le choix inconditionnel pour la vie arrive à la plénitude de son sens religieux et moral lorsqu’il vient de la foi au Christ, qu’il est formé et nourri par elle. Rien n’aide autant à aborder positivement le conflit entre la mort et la vie dans lequel nous sommes plongés que la foi au Fils de Dieu qui s’est fait homme et qui est venu parmi les hommes " pour qu’ils aient la vie et qu’ils l’aient en abondance " Jn 10,10 : c’est la foi au Ressuscité qui a vaincu la mort ; c’est la foi au sang du Christ " plus éloquent que celui d’Abel " He 12,24 . Devant les défis de la situation actuelle, à la lumière et par la force de cette foi, l’Église prend plus vivement conscience de la grâce et de la responsabilité qui lui viennent du Seigneur pour annoncer, pour célébrer et pour servir l’Évangile de la vie.

II- Je suis venu pour qu’ils aient la vie

Le message chrétien sur la vie

" La vie s’est manifestée, nous l’avons vue " (1 Jn 1, 2) :

Le regard tourné vers le Christ, " le Verbe de vie "

29 Face aux menaces innombrables et graves qui pèsent sur la vie dans le monde d’aujourd’hui, on pourrait demeurer comme accablé par le sentiment d’une impuissance insurmontable : le bien ne sera jamais assez fort pour vaincre le mal ! C’est alors que le peuple de Dieu, et en lui tout croyant, est appelé à professer, avec humilité et courage, sa foi en Jésus Christ, " le Verbe de vie " 1Jn 1,1 . L’Évangile de la vie n’est pas une simple réflexion, même originale et profonde, sur la vie humaine ; ce n’est pas non plus seulement un commandement destiné à alerter la conscience et à susciter d’importants changements dans la société ; c’est encore moins la promesse illusoire d’un avenir meilleur. L’Évangile de la vie est une réalité concrète et personnelle, car il consiste à annoncer la personne même de Jésus. À l’apôtre Thomas et, en lui, à tout homme, Jésus se présente par ces paroles : " Je suis le chemin, la vérité et la vie " Jn 14,6 . C’est la même identité qu’il affirme devant Marthe, soeur de Lazare : " Je suis la résurrection et la vie. Qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais " Jn 11,25-26 . Jésus est le Fils qui, de toute éternité, reçoit la vie du Père Jn 5,26 et qui est venu parmi les hommes pour les faire participer à ce don : " Je suis venu pour qu’ils aient la vie et qu’ils l’aient en abondance " Jn 10,10 . C’est donc à partir de la parole, de l’action, de la personne même de Jésus que la possibilité est donnée à l’homme de connaître " la vérité tout entière sur la valeur de la vie humaine ; c’est de cette " source " qu’il reçoit notamment la capacité de " faire " parfaitement la vérité Jn 3,21 , ou d’assumer et d’exercer pleinement la responsabilité d’aimer et de servir la vie humaine, de la défendre et de la promouvoir. Dans le Christ, en effet, est définitivement annoncé et pleinement donné cet Évangile de la vie qui, déjà présent dans la Révélation de l’Ancien Testament, et même inscrit en quelque sorte dans le coeur de tout homme et de toute femme, retentit dans chaque conscience " dès le commencement ", c’est-à-dire depuis la création elle-même, en sorte que, malgré les conditionnements négatifs du péché, il peut aussi être connu dans ses traits essentiels par la raison humaine. Comme l’écrit le Concile Vatican II, le Christ " par toute sa présence et par la manifestation qu’il fait de lui-même par des paroles et par des oeuvres, par des signes et des miracles, et plus particulièrement par sa mort et par sa résurrection glorieuse d’entre les morts, par l’envoi enfin de l’Esprit de vérité, achève la révélation en l’accomplissant, et la confirme encore en attestant divinement que Dieu lui-même est avec nous pour nous arracher aux ténèbres du péché et de la mort et nous ressusciter pour la vie éternelle " (22 DV 4).

CONCLUSION

102 Au terme de cette Encyclique, le regard revient spontanément vers le Seigneur Jésus, vers " l’Enfant qui nous est né " Is 9,5 , pour contempler en lui " la Vie " qui " s’est manifestée " 1Jn 1,2 . Dans le mystère de cette naissance, s’accomplit la rencontre de Dieu avec l’homme et commence le chemin du Fils de Dieu sur la terre, chemin qui culminera dans le don de sa vie sur la Croix : par sa mort, Il vaincra la mort et deviendra pour l’humanité entière principe de vie nouvelle. Pour accueillir " la Vie " au nom de tous et pour le bien de tous, il y eut Marie, la Vierge Mère : elle a donc avec l’Évangile de la vie des liens personnels très étroits. Le consentement de Marie à l’Annonciation et sa maternité se trouvent à la source même du mystère de la vie que le Christ est venu donner aux hommes Jn 10,10 . Par son accueil, par sa sollicitude pour la vie du Verbe fait chair, la condamnation à la mort définitive et éternelle a été épargnée à la vie de l’homme. C’est pourquoi Marie, " comme l’Église dont elle est la figure, est la mère de tous ceux qui renaissent à la vie. Elle est vraiment la mère de la Vie qui fait vivre tous les hommes ; et en l’enfantant, elle a en quelque sorte régénéré tous ceux qui allaient en vivre " (138). En contemplant la maternité de Marie, l’Église découvre le sens de sa propre maternité et la manière dont elle est appelée à l’exprimer. En même temps, l’expérience maternelle de l’Église ouvre la perspective la plus profonde pour comprendre l’expérience de Marie, comme modèle incomparable d’accueil de la vie et de sollicitude pour la vie.

(138) B. Guerric d’Igny, Homélie pour l’Assomption, I, 2 : PL 185, 188.

 

v. 10 : Somme Théologique III, 50 ARTICLE 1 : Convenait-il au Christ de mourir ?

Objections : 3. Le Seigneur déclare (Jn 10,10) : " je suis venu pour qu’ils aient la vie et qu’ils l’aient avec surabondance. " Or, le contraire d’une qualité ne peut produire celle-ci. Il semble donc qu’il ne convenait pas au Christ de mourir.

En sens contraire , on lit en S. Jean (Jn 11,50) " Il est bon qu’un seul homme meure pour le peuple, et que toute la nation ne périsse pas. ".Cette sentence, Caïphe l’a prononcée de façon prophétique, l’Évangéliste l’atteste.

Réponse : Il convenait au Christ de mourir pour cinq raisons : 1 Satisfaire pour le genre humain qui était condamné à la mort à cause du péché, selon la Genèse (Gn 2,17) : " Le jour ou vous mangerez du fruit de l’arbre, vous mourrez de mort. ".Or, c’est bien satisfaire pour un autre, que de se soumettre à la peine qu’il a méritée. C’est pourquoi le Christ a voulu mourir, afin de satisfaire pour nous en mourant : " Le Christ est mort une seule fois pour nos péchés ".(1P 3,18) 2.

2 Prouver la réalité de la nature qu’il avait prise ; car, comme l’écrit Eusèbe,si, après avoir vécu avec les hommes, il s’était échappé subitement, en disparaissant et en évitant la mort, tous l’auraient pris pour un fantôme ".

3 Nous délivrer, en mourant, de la crainte de la mort ; aussi est-il écrit (He 2,14) : Il a participé avec nous " à la chair et au sang, afin de détruire par sa mort celui qui détenait l’empire de la mort, le démon, et de libérer ceux qui, par peur de la mort, étaient pour toute leur vie soumis à la servitude ".

4 Nous donner l’exemple, en mourant corporellement à la " similitude du péché ", c’est-à-dire à la pénalité, de mourir spirituellement au péché, comme dit S. Paul (Rm 6,10) : " S’il est mort au péché, il est mort une seule fois ; et s’il vit, il vit pour Dieu ; ainsi vous, estimez-vous morts au péché et vivants pour Dieu. ".

5 Montrer, en ressuscitant des morts, la vertu par laquelle il a triomphé de la mort, et nous inculquer l’espoir de ressusciter des morts. " Si l’on prêche que le Christ est ressuscité des morts, comment quelques-uns parmi vous disent-ils qu’il n’y a pas de résurrection des morts ? ".(1Co 15,12) .

Solutions : 3. De soi, le contraire d’une qualité ne saurait produire celle-ci, mais parfois on trouve la production accidentelle d’une qualité par son contraire ; le froid, par exemple, peut accidentellement réchauffer. C’est de cette manière que le Christ nous a conduits à la vie par sa mort, puisque par sa mort il a détruit notre mort ; pareillement, celui qui subit une peine pour un autre écarte la peine que celui-ci devait subir

idem, Q 55, article 5 : Le Christ devait-il manifester la réalité de sa résurrection par des preuves ?

Objections : 3. Le Christ est venu dans le monde pour procurer aux hommes le bonheur. Il dit lui-même en S. Jean (Jn 10,10) : " je suis venu pour qu’ils aient la vie, et qu’ils l’aient en surabondance. " Or, en offrant des preuves, il semble que l’on mette obstacle au bonheur des hommes : " Bienheureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru ", dit le Christ lui-même (Jn 20,19) . Selon toute apparence, le Christ n’aurait donc pas dû manifester sa résurrection par des preuves.

En sens contraire , il est écrit (Ac 1,3) : " Le Christ apparut à ses disciples durant quarante jours, leur donnant beaucoup de preuves et leur parlant du royaume de Dieu. "

Réponse : Il y a deux sortes de preuves : tout d’abord n’importe quelle " raison qui fait foi en matière douteuse " ; puis le signe sensible qui est donné pour manifester une vérité, et c’est ainsi qu’Aristote emploie parfois dans ses livres le mot de preuve. Si l’on entend le mot de preuve dans le premier sens, le Christ n’a pas démontré à ses disciples sa résurrection par des preuves. Car une telle argumentation aurait dû procéder de certains principes ; si ces principes n’avaient pas été connus des disciples, ils ne leur auraient rien manifesté ; de l’inconnu, en effet, on ne peut rien tirer de connu ; mais si ces principes leur étaient connus, c’est qu’ils ne dépassaient pas la vertu humaine et, en ce cas, ils n’avaient aucune efficacité pour établir la foi en la résurrection, car la résurrection dépasse la raison humaine. Or, il est nécessaire, dit Aristote que les principes soient toujours du même genre que la conclusion. - En revanche, le Christ a prouvé sa résurrection aux disciples par l’autorité de la Sainte Écriture qui, elle, est le fondement de la foi, lorsqu’il a dit, d’après S. Luc (Lc 24,44) " Il faut que s’accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi, les Psaumes et les Prophètes. "

Si l’on entend le mot de preuve dans le second sens, on peut dire que le Christ a manifesté sa résurrection par des preuves, car il a montré par des signes évidents qu’il était vraiment ressuscité. Aussi le grec, là ou nous avons : " beaucoup de preuves ", porte le mot tekmèrion, qui veut dire " signe manifeste pour prouver ".

Ces signes de la résurrection, le Christ les a montrés à ses disciples pour deux motifs : 1 Parce que leur coeur n’était pas disposé à accepter facilement la foi en la résurrection ; aussi leur dit-il lui-même (Lc 24,25) : " O insensés et lents à croire ! " Et encore (Mc 16,14) : " Il leur reprocha leur incrédulité et leur dureté de coeur. " - 2 Afin qu’à la suite de ces signes leur témoignage soit rendu plus efficace, selon cette parole de S. Jean (1Jn 1,1) : " Ce que nous avons vu, ce que nous avons entendu, ce que nous avons touché, voilà ce dont nous sommes témoins. "

Solutions : 3. On vient de le dire, le mérite de la béatitude, causé par la foi, n’est totalement exclu que si l’homme ne veut croire que ce qu’il voit ; mais si, à la vue de certains signes, on croit ce que l’on ne voit pas, la foi n’est pas rendue totalement vaine, ni son mérite non plus ; S. Thomas, par exemple, à qui il a été dit : " Parce que tu m’as vu, tu as cru ", a vu une chose et en a cru une autre : il a vu les blessures et il a cru Dieu. Mais la foi qui ne requiert pas de tels secours pour croire est plus parfaite. Aussi, pour blâmer le manque de foi chez certains, le Seigneur dit-il (Jn 4,48) : " Si vous ne voyez pas des signes et des prodiges, vous ne croyez pas. " Et, de ce point de vue, on peut comprendre que ceux qui ont le coeur assez docile pour croire en Dieu, même lorsqu’ils ne voient pas de signes, sont heureux en comparaison de ceux qui ne croient que s’ils en voient.

 

v. 10 : Jean-Paul II, Lettre aux familles :

9 La généalogie de la personne

Par la communion des personnes qui se réalise dans le mariage, l’homme et la femme fondent une famille. À la famille est liée la généalogie de tout homme : la généalogie de la personne. La paternité et la maternité humaines sont enracinées dans la biologie et en même temps elles la dépassent. L’Apôtre, qui fléchit " les genoux en présence du Père de qui toute paternité (et toute maternité), au ciel et sur la terre, tire son nom ", nous met en quelque sorte sous les yeux tout le monde des êtres vivants, depuis les êtres spirituels des cieux jusqu’aux êtres corporels de la terre. Toute génération trouve son modèle originel dans la paternité de Dieu. Toutefois, dans le cas de l’homme, cette dimension " cosmique " de ressemblance avec Dieu ne suffit pas à définir de manière adéquate le rapport de paternité et de maternité. Quand, de l’union conjugale des deux, naît un nouvel homme, il apporte avec lui au monde une image et une ressemblance particulières avec Dieu lui-même : dans la biologie de la génération est inscrite la généalogie de la personne.

En affirmant que les époux, en tant que parents, sont des coopérateurs de Dieu Créateur dans la conception et la génération d’un nouvel être humain (15), nous ne nous référons pas seulement aux lois de la biologie ; nous entendons plutôt souligner que, dans la paternité et la maternité humaines, Dieu lui-même est présent selon un mode différent de ce qui advient dans toute autre génération " sur la terre ". En effet, c’est de Dieu seul que peut provenir cette " image ", cette " ressemblance " qui est propre à l’être humain, comme cela s’est produit dans la Création. La génération est la continuation de la Création (16).

15- FC 28

16- Cf. Pie XII, Encycl. Humani generis (12 août 1950) ; AAS 42 (1950), p.574.

Ainsi donc, dans la conception comme dans la naissance d’un nouvel homme, les parents se trouvent devant un " grand mystère " (Ep 5,32). Le nouvel être humain, de la même façon que ses parents, est appelé, lui aussi, à l’existence en tant que personne ; il est appelé à la vie " dans la vérité et dans l’amour ". Cet appel ne concerne pas seulement ce qui est dans le temps, mais, en Dieu, c’est aussi un appel qui ouvre à l’éternité. Telle est la dimension de la généalogie de la personne que le Christ a définitivement révélée, en projetant la lumière de son Évangile sur la vie et sur la mort humaines, et donc sur la signification de la famille humaine.

Comme l’affirme le Concile, l’homme est la " seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même " (17- GS 24). La genèse de l’homme ne répond pas seulement aux lois de la biologie, elle répond directement à la volonté créatrice de Dieu, c’est-à-dire à la volonté qui concerne la généalogie des fils et des filles des familles humaines. Dieu " a voulu " l’homme dès le commencement et Dieu le " veut " dans toute conception et dans toute naissance humaines. Dieu " veut " l’homme comme être semblable à lui, comme personne. Cet homme, tout homme, est créé par Dieu " pour lui-même ". Cela concerne tous les êtres humains, y compris ceux qui naissent avec des maladies ou des infirmités. Dans la constitution personnelle de chacun est inscrite la volonté de Dieu, qui veut que la fin de l’homme soit en un sens lui-même. Dieu remet l’homme à lui-même, en le confiant en même temps à la responsabilité de la famille et de la société. Devant un nouvel être humain, les parents ont ou devraient avoir la pleine conscience du fait que Dieu " veut " cet être " pour lui-même ".

Cette expression synthétique est très riche et très profonde. Depuis l’instant de sa conception, puis de sa naissance, le nouvel être est destiné à exprimer en plénitude son humanité, à " se trouver " (18- GS 24) comme personne. Cela vaut absolument pour tous, même pour les malades chroniques et les personnes handicapées. " Être homme " est sa vocation fondamentale : " être homme " à la mesure du don reçu. À la mesure de ce " talent " qu’est l’humanité même et, ensuite seulement, à la mesure des autres talents. En ce sens, Dieu veut tout homme " pour lui-même ". Toutefois, dans le dessein de Dieu, la vocation de la personne va au-delà des limites du temps. Elle rejoint la volonté du Père, révélée dans le Verbe incarné : Dieu veut étendre à l’homme la participation à sa vie divine elle-même. Le Christ dit : " Je suis venu pour que les hommes aient la vie, pour qu’ils l’aient en abondance " (Jn 10,10).

Le destin ultime de l’homme n’est-il pas en désaccord avec l’affirmation que Dieu veut l’homme " pour lui-même " ? Si l’homme est créé pour la vie divine, existe-t-il vraiment " pour lui-même " ? Voilà une question clé, de grande importance au commencement comme à la fin de son existence terrestre : elle est importante pour tout le cours de la vie. En destinant l’homme à la vie divine, il pourrait sembler que Dieu le soustraie définitivement à son existence " pour lui-même " (19). Quel est le rapport qui existe entre la vie de la personne et la participation à la vie trinitaire ? Saint Augustin nous répond par les célèbres paroles : " Notre coeur est sans repos jusqu’à ce qu’il se repose en toi " (20). Ce " coeur sans repos " montre qu’il n’y a aucune contradiction entre l’une et l’autre finalités, qu’il y a au contraire un lien, une coordination, une unité profonde. Par sa généalogie même, la personne, créée à l’image et à la ressemblance de Dieu, en participant à sa Vie, existe " pour elle-même " et se réalise. Le contenu de cette réalisation est la plénitude de la Vie en Dieu, celle dont parle le Christ (cf. Jn 6,37-40), qui justement nous a rachetés pour nous introduire dans cette Vie (cf. Mc 10,45).

19- GS 24

20- Confessions, I, 1 : CCL, 27,1.

Les époux désirent des enfants pour eux-mêmes ; et ils voient en eux le couronnement de leur amour réciproque. Ils les désirent pour la famille, comme un don très précieux (21). C’est un désir qui se comprend dans une certaine mesure. Toutefois, dans l’amour conjugal ainsi que dans l’amour paternel et maternel doit s’inscrire la vérité sur l’homme, qui a été exprimée d’une manière synthétique et précise par le Concile, en affirmant que Dieu " veut l’homme pour lui-même ". Pour cela, il faut que la volonté des parents soit en harmonie avec celle de Dieu : en ce sens, ils doivent vouloir la nouvelle créature humaine comme le Créateur la veut : " pour elle-même ". La volonté humaine est toujours et inévitablement soumise à la loi du temps et de la caducité. La volonté divine, au contraire, est éternelle. " Avant même de te former au ventre maternel, je t’ai connu - lit-on dans le Livre du Prophète Jérémie - ; avant même que tu sois sorti du sein, je t’ai consacré " (Jr 1,5). La généalogie de la personne est donc liée avant tout à l’éternité de Dieu, ensuite seulement à la paternité et à la maternité humaines qui se réalisent dans le temps. À l’instant même de sa conception, l’homme est déjà ordonné à l’éternité en Dieu.

21- GS 50

11 Le don désintéressé de soi

Quand il affirme que l’homme est l’unique créature sur terre voulue de Dieu pour elle-même, le Concile ajoute aussitôt qu’il " ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même " (25- GS 24). Cela pourrait sembler contradictoire, mais ce ne l’est nullement. C’est plutôt le grand et merveilleux paradoxe de l’existence humaine : une existence appelée à servir la vérité dans l’amour. L’amour amène l’homme à se réaliser par le don désintéressé de lui-même. Aimer signifie donner et recevoir ce qu’on ne peut ni acquérir ni vendre, mais seulement accorder librement et mutuellement.

Le don de la personne requiert par nature d’être durable et irrévocable. L’indissolubilité du mariage découle en premier lieu de l’essence de ce don : don de la personne à la personne. Dans ce don réciproque est manifesté le caractère sponsal de l’amour. Dans le consentement matrimonial, les fiancés s’appellent par leur nom : " Moi je te prends pour épouse (pour époux) et je promets de te rester fidèle tous les jours de ma vie ". Un tel don lie beaucoup plus fortement et beaucoup plus profondément que tout ce qui peut être " acquis " de quelque manière et à quelque prix que ce soit. Fléchissant les genoux devant le Père, de qui vient toute paternité et toute maternité, les futurs parents deviennent conscients d’avoir été " rachetés ". En effet, ils ont été acquis à grand prix, au prix du don le plus désintéressé qui soit, le sang du Christ, auquel ils participent par le sacrement. Le couronnement liturgique du rite matrimonial est l’Eucharistie - sacrifice du " corps donné " et du " sang répandu " -, qui trouve en quelque sorte son expression dans le consentement des époux.

Quand, dans le mariage, l’homme et la femme se donnent et se reçoivent réciproquement dans l’unité d’ " une seule chair ", la logique du don désintéressé entre dans leur vie. Sans elle, le mariage serait vide, alors que la communion des personnes, édifiée suivant cette logique, devient la communion des parents. Quand les époux transmettent la vie à leur enfant, un nouveau " tu " humain s’inscrit sur l’orbite de leur " nous ", une personne qu’ils appelleront d’un nom nouveau : " Notre fils ; notre fille ". " J’ai acquis un homme de par le Seigneur " (Gn 4,1), dit Ève, la première femme de l’histoire : un être humain, d’abord attendu pendant neuf mois puis " manifesté " aux parents, aux frères et soeurs. Le processus de la conception et du développement dans le sein maternel, de l’accouchement, de la naissance, tout cela sert à créer comme un espace approprié pour que la nouvelle créature puisse se manifester comme " don ", car c’est ce qu’elle est dès le début. Cet être fragile et sans défense, dépendant de ses parents pour tout et entièrement remis à leurs soins, pourrait-il être désigné autrement ? Le nouveau-né se donne à ses parents par le fait même de venir au jour. Son existence est déjà un don, le premier don du Créateur à la créature.

Dans le nouveau-né se réalise le bien commun de la famille. De même que le bien commun des époux s’achève dans l’amour sponsal, prêt à donner et à accueillir la nouvelle vie, ainsi le bien commun de la famille se réalise par le même amour sponsal concrétisé dans le nouveau-né. Dans la généalogie de la personne est inscrite la généalogie de la famille, portée sur les registres des baptêmes en perpétuelle mémoire, même si cet enregistrement n’est que la conséquence sociale du fait " qu’un homme est venu au monde " (cf. Jn 16,21).

Mais est-il vrai que le nouvel être humain est un don pour les parents ? Que c’est un don pour la société ? Apparemment rien ne semble l’indiquer. La naissance d’un homme paraît être parfois une simple donnée statistique, enregistrée comme tant d’autres dans les bilans démographiques. Certes, la naissance d’un enfant signifie, pour les parents, des fatigues à venir, de nouvelles charges économiques, d’autres contraintes pratiques : autant de motifs qui peuvent susciter en eux la tentation de ne pas désirer une autre naissance (26). Dans certains milieux sociaux et culturels, cette tentation se fait plus forte. L’enfant n’est donc pas un don ? Vient-il seulement pour prendre et non pour donner ? Voilà quelques questions inquiétantes, dont l’homme d’aujourd’hui a du mal à se libérer. L’enfant vient prendre de la place, alors que dans le monde l’espace semble se faire toujours plus rare. Mais est-il vrai qu’il n’apporte rien à la famille et à la société ? Ne serait-il pas un " élément " du bien commun sans lequel les communautés humaines se désagrègent et risquent la mort ? Comment le nier ? L’enfant fait don de lui-même à ses frères, à ses soeurs, à ses parents, à toute sa famille. Sa vie devient un don pour les auteurs mêmes de la vie, qui ne pourront pas ne pas sentir la présence de leur enfant, sa participation à leur existence, son apport à leur bien commun et à celui de la communauté familiale. C’est là une vérité qui demeure évidente dans sa simplicité et sa profondeur, malgré la complexité, et aussi l’éventuelle pathologie, de la structure psychologique de certaines personnes. Le bien commun de la société entière réside dans l’homme, qui, comme on l’a rappelé, est " la route de l’Église " (27). Il est avant tout la " gloire de Dieu " : " Gloria Dei vivens homo ", " la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant ", selon la formule bien connue de saint Irénée (28), qui pourrait aussi se traduire : " La gloire de Dieu, c’est que l’homme vive ". Nous sommes ici, pourrait-on dire, en présence de la plus haute définition de l’homme : la gloire de Dieu est le bien commun de tout ce qui existe ; c’est le bien commun du genre humain.

26- SRS 25

27- RH 14

28 Adversus haereses, IV 20,7 : PG 7, 1057 ; SCh 100/2, pp. 648- 649.

Oui, l’homme est un bien commun : bien commun de la famille et de l’humanité, des divers groupes et des multiples structures sociales. Il faut faire toutefois une distinction significative de degré et de modalité : par exemple, l’homme est le bien commun de la nation à laquelle il appartient ou de l’État dont il est le citoyen ; mais il l’est d’une façon bien plus concrète, absolument unique, pour sa famille ; il l’est non seulement comme individu qui fait partie de la multitude humaine, mais comme " cet homme ". Dieu Créateur l’appelle à l’existence " pour lui-même ", et, lorsqu’il vient au monde, l’homme commence, dans la famille, sa " grande aventure ", l’aventure de la vie. " Cet homme ", en tout cas, a le droit de s’affirmer lui-même en raison de sa dignité humaine. C’est précisément cette dignité qui doit déterminer la place de la personne parmi les hommes, et avant tout dans la famille. Car, plus que toute autre réalité humaine, la famille est le milieu dans lequel l’homme peut exister " pour lui-même " par le don désintéressé de soi. C’est pourquoi elle reste une institution sociale qu’on ne peut pas et qu’on ne doit pas remplacer : elle est " le sanctuaire de la vie " (29- CA 39).

Le fait que naît un homme, qu’ " un être humain est venu au monde " (cf. Jn 16,21), constitue un signe pascal. Jésus lui-même en parle à ses disciples, selon l’évangéliste Jean, avant sa passion et sa mort, comparant la tristesse causée par son départ à la souffrance d’une femme qui enfante : " La femme, sur le point d’accoucher, s’attriste (c’est-à-dire souffre) parce que son heure est venue ; mais, lorsqu’elle a donné le jour à l’enfant, elle ne se souvient plus des douleurs, dans la joie qu’un homme soit venu au monde. " (Jn 16,21). L’ " heure " de la mort du Christ (cf. Jn 13,1) est ici comparée à l’ " heure " de la femme dans les douleurs de l’enfantement ; la naissance d’un nouvel homme se compare à la victoire de la vie sur la mort remportée par la résurrection du Seigneur. Ce rapprochement suscite diverses réflexions. De même que la résurrection du Christ est la manifestation de la Vie au-delà du seuil de la mort, de même la naissance d’un enfant est aussi manifestation de la vie, toujours destinée, par le Christ, à la " plénitude de la Vie " qui est en Dieu même : " Je suis venu pour qu’on ait la vie, et qu’on l’ait surabondante " (Jn 10,10). Voilà révélé dans sa valeur profonde le vrai sens de l’expression de saint Irénée : " Gloria Dei vivens homo ".

C’est la vérité évangélique du don de soi, sans lequel l’homme ne peut " pleinement se trouver ", qui permet de comprendre à quelle profondeur ce " don désintéressé " s’enracine dans le don du Dieu Créateur et Rédempteur, dans " la grâce de l’Esprit Saint " dont le célébrant demande l’effusion sur les époux au cours de la cérémonie du mariage. Sans cette " effusion ", il serait vraiment difficile de comprendre tout cela et de le réaliser comme la vocation de l’homme. Mais bien des personnes comprennent cela ! Beaucoup d’hommes et de femmes accueillent cette vérité et arrivent à entrevoir que c’est en elle seulement qu’ils trouvent " la Vérité et la Vie " (Jn 14,6). Sans cette vérité, la vie des époux et de la famille ne peut parvenir à son sens pleinement humain.

Voilà pourquoi l’Église ne se lasse jamais d’enseigner cette vérité et de lui rendre témoignage. Tout en faisant preuve de compréhension maternelle pour les nombreuses et complexes situations de crise dans lesquelles les familles se trouvent impliquées et pour la fragilité morale de tout être humain, l’Église est convaincue qu’elle doit absolument demeurer fidèle à la vérité sur l’amour humain ; autrement, elle se trahirait elle-même. S’éloigner de cette vérité salvifique serait en effet comme fermer " les yeux du coeur " (Ep 1,18), qui doivent au contraire rester toujours ouverts à la lumière que l’Évangile projette sur les vicissitudes de l’humanité (cf. 2Tm 1,10). La conscience de ce don de soi désintéressé par lequel l’homme " se trouve lui-même " est à renouveler sérieusement et à garantir constamment, face aux nombreuses oppositions que l’Église rencontre de la part des partisans d’une fausse civilisation du progrès (30- SRS 25). La famille exprime toujours une nouvelle dimension du bien pour les hommes, et c’est pourquoi elle crée une nouvelle responsabilité. Il s’agit de la responsabilité pour le bien commun particulier où réside le bien de l’homme, le bien de tout membre de la communauté familiale. Certes, c’est un bien " difficile ", (" bonum arduum "), mais c’est aussi un bien merveilleux.

15 Le quatrième commandement : " Honore ton père et ta mère

Le quatrième commandement du Décalogue concerne la famille, sa cohésion interne et, pourrions-nous dire, sa solidarité.

Dans la formulation, il n’est pas explicitement question de la famille. En fait, cependant, c’est justement de la famille qu’il s’agit. Pour exprimer la communion entre les générations, le Législateur divin n’a pas trouvé de terme plus adapté que celui-ci : " Honore " (Ex 20,12). Nous sommes devant une autre manière d’exprimer ce qu’est la famille. Cette formule n’exalte pas " artificiellement " la famille, mais elle met en lumière sa physionomie et les droits qui en résultent. La famille est une communauté de relations interpersonnelles particulièrement intenses entre époux, entre parents et enfants, entre les différentes générations. C’est une communauté qu’il faut particulièrement protéger. Et Dieu ne trouve pas de meilleure garantie que ceci : " Honore ".

" Honore ton père et ta mère, afin que se prolongent tes jours sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu " (Ex 20,12). Ce commandement fait suite aux trois préceptes fondamentaux portant sur le rapport de l’homme et du peuple d’Israël avec Dieu : " Shemá, Israel ", " Écoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est le seul Seigneur " (Dt 6,4). " Tu n’auras pas d’autres dieux devant moi " (Ex 20,3). Voilà le premier et le plus grand commandement, le commandement de l’amour pour Dieu " par-dessus toute chose " : il faut l’aimer " de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir " (Dt 6,5 cf. Mt 22,37). Il est significatif que le quatrième commandement se situe précisément dans ce contexte : " Honore ton père et ta mère ", parce qu’ils sont pour toi, en un sens, les représentants du Seigneur, ceux qui t’ont donné la vie, qui t’ont introduit dans l’existence humaine, dans une lignée, dans une nation, dans une culture. Après Dieu, ils sont tes premiers bienfaiteurs. Si Dieu seul est bon, s’il est le Bien même, les parents participent de manière unique de cette bonté suprême. Par conséquent : honore tes parents ! Il y a là une certaine analogie avec le culte dû à Dieu.

Le quatrième commandement est étroitement lié au commandement de l’amour. Entre " honore " et " aime ", le lien est profond. L’honneur, dans son essence, se rattache à la vertu de justice, mais celle-ci, à son tour, ne peut pleinement s’exercer sans faire appel à l’amour, l’amour pour Dieu et pour le prochain. Et qui est plus proche que les membres de la famille, que les parents et les enfants ?

Le type de relations interpersonnelles indiqué par le quatrième commandement est-il unilatéral ? N’engage-t-il à honorer que les parents ? Au sens littéral, oui. Mais indirectement, nous pouvons aussi parler de l’ " honneur " dû aux enfants de la part de leurs parents. " Honore " signifie : reconnais ! C’est-à-dire, laisse-toi guider par la reconnaissance sincère de la personne, de la personne de ton père et de ta mère avant tout, puis de celle des autres membres de la famille. L’honneur est une attitude essentiellement désintéressée. On pourrait dire qu’il est " un don désintéressé de la personne à la personne " et, dans ce sens, l’honneur rejoint l’amour. Si le quatrième commandement exige d’honorer son père et sa mère, c’est aussi pour le bien de la famille qu’il l’exige. Et, pour la même raison, il

impose des exigences aux parents eux-mêmes. Parents - semble leur rappeler le précepte divin -, agissez de telle manière que votre comportement mérite l’honneur (et l’amour) que vous portent vos enfants ! Ne laissez pas l’exigence de vous honorer tomber dans un " vide moral " ! En fin de compte, il s’agit donc d’un honneur mutuel. Le commandement " honore ton père et ta mère " dit indirectement aux parents : honorez vos fils et vos filles. Ils le méritent parce qu’ils existent, parce qu’ils sont ce qu’ils sont : cela vaut dès le premier moment de leur conception. Ce commandement, exprimant les liens intimes de la famille, met ainsi en évidence le fondement de sa cohésion interne.

Le commandement se poursuit : " afin que se prolongent tes jours sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu ". Ce " afin que " pourrait donner l’impression d’un calcul " utilitariste " : honorer en fonction d’une longévité à venir. Nous disons que cela ne diminue pas pour autant la portée essentielle de l’impératif " honore ", proche par sa nature d’une attitude désintéressée. Honorer ne veut jamais dire : " Prévoir les avantages ". Mais il est difficile de ne pas admettre que l’attitude d’honneur mutuel existant entre les membres de la communauté familiale a aussi divers avantages. L’ " honneur " est certainement utile, comme tout véritable bien est " utile ".

La famille réalise avant tout le bien de l’ " être ensemble ", le bien par excellence attaché au mariage (d’où son indissolubilité) et à la communauté familiale. On pourrait encore le définir comme le bien du sujet. La personne est en effet un sujet et c’est aussi le cas de la famille, parce qu’elle est formée de personnes qui, unies par un lien étroit de communion, forment un seul sujet communautaire. Et la famille est même sujet plus que toute autre institution sociale : elle l’est plus que la nation, plus que l’État, plus que la société et que les organisations internationales. Ces sociétés, les nations en particulier, possèdent la qualité de sujet à proprement parler dans la mesure où elles la reçoivent des personnes et de leurs familles. Ces observations sont-elles seulement " théoriques " et formulées dans le but d’ " exalter " la famille devant l’opinion publique ? Non, il s’agit plutôt d’une autre manière d’exprimer ce qu’est la famille. Cela résulte aussi du quatrième commandement.

C’est une vérité qui mérite d’être remarquée et approfondie ; elle souligne en effet l’importance de ce commandement également pour la conception moderne des droits de l’homme. Les dispositions institutionnelles recourent au langage juridique. Par contre, Dieu dit : " Honore ". Tous les " droits de l’homme " demeurent en fin de compte fragiles et inefficaces si ne figure pas au point de départ l’impératif : " Honore " ; si, en d’autres termes, manque la reconnaissance de l’homme pour le simple fait d’être homme, " cet " homme. À eux seuls, les droits ne suffisent pas.

Il n’est donc pas exagéré de répéter que la vie des nations, des États, des organisations internationales " passe " par la famille et qu’elle est " fondée " sur le quatrième commandement du Décalogue. L’époque où nous vivons, malgré les multiples déclarations de type juridique qui ont été élaborées, reste menacée dans une large mesure par l’ " aliénation ", résultant des prémisses " rationalistes " selon lesquelles l’homme est " plus " homme s’il est " seulement " homme. Il n’est pas difficile de constater que cette aliénation de tout ce qui,

de diverses manières, fait la riche plénitude de l’homme menace notre époque. C’est là que la famille intervient. En effet, l’affirmation de la personne se rattache dans une large mesure à la famille et, par conséquent, au quatrième commandement. Dans le dessein de Dieu, la famille est la première école de l’être homme dans ses différents aspects. Sois homme ! Telle est l’injonction qui est transmise dans la famille : homme comme fils de la patrie, comme citoyen de l’État et, dirait-on aujourd’hui, comme citoyen du monde. Celui qui a donné à l’humanité le quatrième commandement est un Dieu " bienveillant " envers l’homme (philanthropos, disaient les Grecs). Le Créateur de l’univers est le Dieu de l’amour et de la vie. Il veut que l’homme ait la vie et qu’il l’ait surabondante, comme le déclare le Christ (cf. Jn 10,10), qu’il ait la vie, avant tout grâce à la famille.

Il devient clair ici que la " civilisation de l’amour " est étroitement liée à la famille. Pour beaucoup de gens, la civilisation de l’amour constitue encore une totale utopie. On considère en effet que l’on ne peut prétendre à l’amour de personne et que l’on ne peut l’imposer à personne : il s’agirait là d’un choix libre que les hommes peuvent accepter ou refuser.

Dans tout cela, il y a du vrai. Mais reste le fait que Jésus-Christ nous a laissé le commandement de l’amour, de même que Dieu avait ordonné sur le mont Sinaï : " Honore ton père et ta mère. " L’amour n’est donc pas une utopie : il est donné à l’homme comme une action à accomplir avec l’aide de la grâce divine. Il est confié à l’homme et à la femme, dans le sacrement du mariage, comme principe premier de leur " devoir ", et il devient pour eux le fondement de leur engagement mutuel, d’abord conjugal, puis en tant que père et mère. Dans la célébration du sacrement, les époux se donnent et se reçoivent mutuellement, se déclarant prêts à accueillir et à éduquer leurs enfants. C’est là le pivot de la civilisation humaine qui ne peut être définie autrement que comme la " civilisation de l’amour ".

La famille est l’expression et la source de cet amour. Par elle, passe la principale ligne de force de la civilisation de l’amour qui trouve en elle ses " fondements sociaux ".

Les Pères de l’Église, au long de la tradition chrétienne, ont parlé de la famille comme d’une " Église domestique ", une " petite Église ". Ils pensaient ainsi que la civilisation de l’amour était la possibilité d’organiser la vie et la convivialité humaines. " Être ensemble " en tant que famille, exister les uns pour les autres, créer un espace communautaire pour que tout homme s’affirme comme tel, pour que " cet " homme concret s’affirme. Il s’agit parfois de personnes affectées de handicaps physiques ou psychiques, dont la société soi-disant " progressiste " préfère se libérer. La famille elle-même peut devenir semblable à ce type de société. Elle le devient de fait lorsqu’elle se débarrasse de manière expéditive de ceux qui sont âgés, affligés de malformations ou frappés par la maladie. On agit de la sorte parce que manque la foi en ce Dieu pour lequel " tous vivent " (Lc 20,38) et en qui tous sont appelés à la plénitude de la vie.

Oui, la civilisation de l’amour est possible, ce n’est pas une utopie. Mais elle n’est possible que si l’on se tourne constamment avec ardeur vers " Dieu, Père de notre Seigneur Jésus-Christ, de qui provient toute paternité dans le monde " (cf. Ep 3,14-15), de qui provient toute famille humaine.

18 À Cana de Galilée

Un jour, devant les disciples de Jean, Jésus parla d’une invitation à des noces et de la présence de l’époux parmi les invités : " L’époux est avec eux " (Mt 9,15). Il signifiait par là l’accomplissement en sa personne de l’image, déjà présente dans l’Ancien Testament, de Dieu-Époux, pour révéler pleinement le mystère de Dieu comme mystère d’Amour.

En se qualifiant comme " époux ", Jésus dévoile donc l’essence de Dieu et confirme son amour immense pour l’homme. Mais le choix de cette image met aussi indirectement en lumière la nature véritable de l’amour sponsal. En effet, en y recourant pour parler de Dieu, Jésus montre à quel point la paternité et l’amour de Dieu se reflètent dans l’amour d’un homme et d’une femme qui s’unissent dans le mariage. C’est pour cela que, au début de sa mission, Jésus se trouve à Cana de Galilée, afin de participer à un banquet de noces, avec Marie et avec ses premiers disciples (cf. Jn 2,1-11). Il entend ainsi montrer que la vérité sur la famille est inscrite dans la Révélation de Dieu et dans l’histoire du salut. Dans l’Ancien Testament, et spécialement chez les Prophètes, on trouve de très belles paroles sur l’amour de Dieu : un amour attentionné comme celui d’une mère pour son enfant, tendre comme celui de l’époux pour son épouse, mais aussi profondément jaloux ; ce n’est pas avant tout un amour qui punit, mais qui pardonne ; un amour qui se penche sur l’homme comme le père le fait sur son fils prodigue, qui le relève et le rend participant à la vie divine. Un amour qui émerveille : c’est une nouveauté inconnue jusqu’alors dans l’ensemble du monde païen.

À Cana de Galilée, Jésus est comme le héraut de la vérité divine sur le mariage, de la vérité sur laquelle peut s’appuyer la famille humaine, y trouvant la force nécessaire face à toutes les épreuves de la vie. Jésus annonce cette vérité par sa présence aux noces de Cana et par l’accomplissement de son premier " signe " : l’eau changée en vin.

Il annonce encore la vérité sur le mariage en parlant avec les pharisiens et en expliquant que l’amour qui est de Dieu, amour tendre et sponsal, est source d’exigences profondes et radicales. Moïse avait été moins exigeant ; il avait permis de remettre un acte de répudiation. Dans une vive controverse, lorsque les pharisiens font référence à Moïse, Jésus répond catégoriquement : " À l’origine, il n’en fut pas ainsi. " (Mt 19,8). Et il rappelle que Celui qui a créé l’homme l’a créé homme et femme, et qu’il a ordonné : " L’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair. " (Gn 2,24). Avec une cohérence logique, le Christ conclut : " Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Eh bien ! Ce que Dieu a uni, l’homme ne doit point le séparer " (Mt 19,6). Devant l’objection des pharisiens qui se réclament de la loi mosaïque, il répond : " C’est en raison de votre dureté de coeur que Moïse vous a permis de répudier vos femmes ; mais dès l’origine il n’en fut pas ainsi " (Mt 19,8).

Jésus fait référence " au commencement ", retrouvant aux origines même de la création le dessein de Dieu, sur lequel s’enracine la famille et, par son intermédiaire, l’histoire entière de l’humanité. La réalité naturelle du mariage devient, par la volonté du Christ, un véritable sacrement de la Nouvelle Alliance, marqué du sceau du sang du Christ rédempteur. Époux et familles, rappelez-vous à quel prix vous avez été " achetés " (cf. 1Co 6,20) !

Cette merveilleuse vérité est cependant humainement difficile à accueillir et à vivre. Comment s’étonner que Moïse ait cédé face aux requêtes de ses compatriotes, quand les Apôtres eux-mêmes, en écoutant les paroles du Maître, répliquent : " Si telle est la condition de l’homme envers la femme, il n’est pas expédient de se marier " (Mt 19,10) ! Cependant, pour le bien de l’homme et de la femme, de la famille et de la société tout entière, Jésus confirme l’exigence posée par Dieu dès l’origine. Mais, en même temps, il profite de l’occasion pour affirmer la valeur du choix de ne pas se marier, en vue du Règne de Dieu : ce choix permet aussi d’ " engendrer ", même si c’est de manière différente. Ce choix est le point de départ de la vie consacrée, des Ordres et des Congrégations religieuses en Orient et en Occident, comme aussi de la discipline du célibat sacerdotal, selon la tradition de l’Église latine. Il n’est donc pas vrai qu’ " il n’est pas expédient de se marier ", mais l’amour pour le Royaume des cieux peut aussi pousser à ne pas se marier (cf. Mt 19,12).

Se marier reste toutefois la vocation ordinaire de l’homme, qui est choisie par la plus grande partie du peuple de Dieu. C’est dans la famille que se forment les pierres vivantes de l’édifice spirituel dont parle l’apôtre Pierre (cf. 1P 2,5). Les corps des époux sont la demeure de l’Esprit Saint (cf. 1Co 6,19). Puisque la transmission de la vie divine suppose celle de la vie humaine, du mariage naissent non seulement les fils des hommes, mais aussi, en vertu du baptême, les fils adoptifs de Dieu, qui vivent de la vie nouvelle reçue du Christ par son Esprit.

De cette manière, chers frères et soeurs, époux et parents, l’Époux est avec vous. Vous savez qu’il est le bon Pasteur et vous connaissez sa voix. Vous savez où il vous conduit, vous savez qu’il lutte pour vous amener dans les pâturages où trouver la vie et la trouver en abondance, qu’il affronte les loups voraces, toujours prêt à arracher ses brebis de leurs gueules : tout mari et toute femme, tout fils et toute fille, tout membre de vos familles. Vous savez que, bon Pasteur, il est prêt à offrir sa vie pour son troupeau (cf. Jn 10,11). Il vous conduit par des chemins qui ne sont pas les chemins escarpés et pleins de pièges de nombreuses idéologies contemporaines ; il répète la vérité intégrale au monde d’aujourd’hui, comme lorsqu’il s’adressait aux pharisiens ou lorsqu’il l’annonçait aux Apôtres, qui l’ont ensuite annoncée dans le monde, la proclamant aux hommes de leur temps, Juifs et Grecs. Les disciples étaient bien conscients que le Christ avait tout renouvelé ; que l’homme était devenu " créature nouvelle " : ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme, mais " un " en lui (cf. Ga 3,28), revêtu de la dignité de fils adoptif de Dieu. Le jour de la Pentecôte, cet homme a reçu l’Esprit consolateur, l’Esprit de vérité ; ainsi a commencé le nouveau peuple de Dieu, l’Église, anticipation d’un ciel nouveau et d’une nouvelle terre (cf. Ap 21,1).

Les Apôtres, d’abord craintifs au sujet du mariage et de la famille, sont ensuite devenus courageux. Ils ont compris que le mariage et la famille constituent une vraie vocation venant de Dieu lui-même, un apostolat : l’apostolat des laïcs. Ils servent à la transformation de la terre et au renouvellement du monde, de la création et de toute l’humanité.

Chères familles, vous aussi vous devez être courageuses, toujours prêtes à rendre témoignage de cette espérance qui est en vous (cf. 1P 3,15), parce qu’elle est enracinée dans votre coeur par le bon Pasteur, au moyen de l’Évangile. Vous devez être prêtes à suivre le Christ vers les pâturages qui donnent la vie et que lui-même a préparés par le mystère pascal de sa mort et de sa résurrection.

N’ayez pas peur des risques ! Les forces divines sont beaucoup plus puissantes que vos difficultés ! L’efficacité du sacrement de la Réconciliation, appelé à juste titre par les Pères de l’Église " second Baptême ", est immensément plus grande que le mal agissant dans le monde. L’énergie divine du sacrement de la Confirmation, qui fait s’épanouir la grâce du Baptême, a beaucoup plus d’impact que la corruption présente dans le monde. Incomparablement plus grande est surtout la puissance de l’Eucharistie.

L’Eucharistie est un sacrement vraiment admirable. Dans ce sacrement, c’est lui-même que le Christ nous a laissé comme nourriture et comme boisson, comme source de puissance salvifique. C’est lui-même qu’il nous a laissé afin que nous ayons la vie, que nous l’ayons en surabondance (cf. Jn 10,10) la vie qui est en lui et qu’il nous a communiquée par le don de son Esprit, en ressuscitant le troisième jour après sa mort. Elle est pour nous, en effet, la vie qui vient de lui. Elle est pour vous, chers époux, parents et familles ! N’a-t-il pas institué l’Eucharistie dans un contexte familial, au cours de la dernière Cène ? Quand vous vous rencontrez pour les repas et que vous êtes unis entre vous, le Christ est proche de vous. Et, plus encore, il est l’Emmanuel, Dieu avec nous, lorsque vous vous approchez de la Table eucharistique. Il peut se faire que, comme à Emmaüs, on ne le reconnaisse que dans la " fraction du pain " (cf. Lc 24,35). Il arrive aussi qu’il se tienne à la porte et qu’il frappe, attendant que la porte lui soit ouverte pour pouvoir entrer et prendre son repas avec nous (cf. Ap 3,20). Sa dernière Cène et les paroles prononcées alors gardent toute la puissance et toute la sagesse du sacrifice de la Croix. Il n’existe pas d’autre puissance ni d’autre sagesse par lesquelles nous puissions être sauvés et par lesquelles nous puissions contribuer à sauver les autres. Il n’y a pas d’autre puissance ni d’autre sagesse par lesquelles, vous parents, vous puissiez éduquer vos enfants et aussi vous-mêmes. La puissance éducative de l’Eucharistie s’est confirmée à travers les générations et les siècles.

Le bon Pasteur est partout avec nous. De même qu’il était à Cana de Galilée, Époux parmi ces époux qui se donnaient l’un à l’autre pour toute leur vie, de même le bon Pasteur est aujourd’hui avec vous comme raison d’espérer, force des coeurs, source d’un enthousiasme toujours nouveau et signe de la victoire de la " civilisation de l’amour. " Jésus, le bon Pasteur, nous répète : N’ayez pas peur. Je suis avec vous. " Je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde " (Mt 28,20). D’où vient une telle force ? D’où vient la certitude que tu es avec nous, même s’ils t’ont tué, ô Fils de Dieu, et que tu es mort comme tout autre être humain ? D’où vient cette certitude ? L’évangéliste dit : " Il les aima jusqu’à la fin " (Jn 13,1). Toi donc, Tu nous aimes, Toi qui es le Premier et le Dernier, le Vivant ; Toi qui étais mort et qui maintenant vis pour toujours (cf. Ap 1,17-18).

 

 

v. 10 : Ste Thérèse de l’Enfant Jésus : Manuscrit C Folio 23 Recto.

" ce qui me coûte par-dessus tout, c’est d’observer les fautes, les plus légères imperfections et de leur livrer une guerre à mort. J’allais dire : malheureusement pour moi ! (mais non, ce serait de la lâcheté) je dis donc : heureusement pour mes soeurs, depuis que j’ai pris place dans les bras de Jésus, je suis comme le veilleur observant l’ennemi de la plus haute tourelle d’un château fort. 113 Rien n’échappe à mes regards ; souvent je suis étonnée d’y voir si clair 114 et je trouve le prophète Jonas bien excusable de s’être enfui au lieu d’aller annoncer la ruine de Ninive. Jon 1,2-3 J’aimerais mille fois mieux recevoir des reproches que d’en faire aux autres, mais je sens qu’il est très nécessaire que cela me soit une souffrance car, lorsqu’on agit par nature, c’est impossible que l’âme à laquelle on veut découvrir ses fautes comprenne ses torts, elle ne voit qu’une chose : la soeur chargée de me diriger est fâchée et tout retombe sur moi qui suis pourtant remplie des meilleures intentions. Je sais bien que vos petits agneaux me trouvent sévère. 115 S’ils lisaient ces lignes, ils diraient que cela n’a pas l’air de me coûter le moins du monde de courir après eux, de leur parler d’un ton sévère en leur montrant leur belle toison salie, ou bien de leur apporter quelque léger flocon de laine qu’ils ont laissé déchirer par les épines du chemin. Les petits agneaux peuvent dire tout ce qu’ils voudront ; dans le fond, ils sentent que je les aime d’un véritable amour, que jamais je n’imiterai Le mercenaire qui voyant venir le loup laisse le troupeau et (Jn 10,10-15 ; Jn 11,1-4 ) s’enfuit. NHA 1111 Je suis prête à donner ma vie pour eux, mais mon affection est si pure que je ne désire pas qu’ils la connaissent. Jamais avec la grâce de Jésus, je n’ai essayé de m’attirer leurs coeurs, 116 j’ai compris que ma mission était de les conduire à Dieu et de leur faire comprendre qu’ici-bas, vous étiez, ma Mère, le Jésus visible qu’ils doivent aimer et respecter. Je vous ai dit, Mère chérie, qu’en instruisant les autres j’avais beaucoup appris. J’ai vu d’abord que toutes les âmes ont à peu près les mêmes combats, mais qu’elles sont si différentes d’un autre côté que je n’ai pas de peine à comprendre ce que disait le Père Pichon : " Il y a bien plus de différence entre les âmes qu’il n’y en a entre les visages. " Aussi est-il impossible d’agir avec toutes de la même manière. Avec certaines âmes, je sens qu’il faut se faire petite, ne point craindre de m’humilier en avouant mes combats, mes défaites ; voyant que j’ai les mêmes faiblesses qu’elles, mes petites soeurs m’avouent à leur tour les fautes qu’elles se reprochent et se réjouissent que je les comprenne par expérience. Avec d’autres j’ai vu qu’il faut au contraire pour leur faire du bien, avoir beaucoup de fermeté et ne jamais revenir sur une chose dite. S’abaisser ne ait point alors de l’humilité, mais de la faiblesse. Le bon Dieu m’a fait la grâce de ne pas craindre la guerre, 117 à tout prix il faut que je fasse mon devoir. Plus d’une fois j’ai entendu ceci : " Si vous voulez obtenir quelque chose de moi, il faut me prendre par la douceur ; par la force, vous n’aurez rien. ...

 

 

v. 10 : Redemptor Hominis 22 La Mère de notre espérance

Lorsque, au commencement de ce nouveau pontificat, je tourne vers le Rédempteur du monde mes pensées et mon coeur, je désire par là entrer et pénétrer dans le rythme le plus profond de la vie de l’Eglise. En effet, si l’Eglise vit de sa propre vie, ceci vient de ce qu’elle la puise dans le Christ qui n’a toujours qu’un désir : que nous ayons la vie, et que nous l’ayons en abondance (188). Cette plénitude de vie qui est en Lui est aussi pour l’homme. C’est pourquoi l’Eglise, en participant à toute la richesse du mystère de la Rédemption, devient une Eglise d’hommes vivants, vivants parce que vivifiés intérieurement par l’action de " l’Esprit de vérité " (189), parce que visités par l’amour que l’Esprit Saint répand dans nos coeurs (190). Le but de tout service dans l’Eglise, qu’il s’agisse du service apostolique, pastoral, sacerdotal, épiscopal, est de maintenir ce lien dynamique du mystère de la Rédemption avec tout homme.

188- Jn 10,10 189- Jn 16,13 190- Rm 5,5

Si nous sommes conscients de cette tâche, alors nous pouvons mieux comprendre en quel sens l’Eglise est mère (191), et aussi en quel sens l’Eglise a toujours, et particulièrement en notre temps, besoin d’une Mère. Nous devons une gratitude spéciale aux Pères du Concile Vatican II qui ont exprimé cette vérité dans la constitution Lumen gentium et sa riche doctrine mariale (192). Puisque le Pape Paul VI, s’inspirant de cette doctrine, a proclamé la Mère du Christ "Mère de l’Eglise" (193), et que ce titre a trouvé une large résonance, qu’il soit permis aussi à son indigne successeur, au terme de ces considérations qu’il était bon de développer à l’aube de son service pontifical, de s’adresser à Marie, comme Mère de l’Eglise. Marie est Mère de l’Eglise parce que, en vertu de l’élection ineffable du Père éternel lui-même (194) et sous l’action particulière de l’Esprit d’Amour (195), elle a donné la vie humaine au Fils de Dieu, "pour qui et par qui existent toutes choses" (196), et dont le peuple de Dieu tout entier reçoit la grâce et la dignité de son élection. Son propre Fils a voulu explicitement étendre la maternité de sa Mère et l’étendre d’une manière facilement accessible à toutes les âmes et à tous les coeurs en lui donnant du haut de la croix son disciple bien-aimé pour fils (197). L’Esprit Saint lui suggéra de demeurer elle aussi au Cénacle après l’Ascension de Notre-Seigneur, recueillie dans la prière et dans l’attente avec les Apôtres jusqu’au jour de la Pentecôte, jour ou l’Eglise, sortant de l’obscurité, devait naître visiblement (198). Et depuis, toutes les générations des disciples et de tous ceux qui rendent témoignage au Christ et qui l’aiment, comme l’apôtre Jean, accueillirent spirituellement dans leurs maisons (199) cette Mère qui se trouve ainsi depuis le commencement, c’est-à-dire depuis le moment de l’Annonciation, insérée dans l’histoire du salut et dans la mission de l’Eglise. C’est pourquoi nous tous qui formons la génération actuelle des disciples du Christ, nous désirons nous unir à Elle d’une manière particulière. Nous le faisons avec tout notre attachement à la tradition ancienne et, en même temps, avec beaucoup de respect et d’amour pour les membres de toutes les communautés chrétiennes.

191- LG 63-64 192- LG 52-69 193- Paul VI, Allocution pour la clôture de la troisième session du Concile oecuménique Vatican II (21/11/1964) : AAS 56 (1964) 1015. 194- LG 56 195- ibid. 196- He 2,10 197- Jn 19,26 198- Ac 1,14 199- Jn 19,27

Nous le faisons poussés par la nécessité profonde de la foi, de l’espérance et de la charité. Si en effet, dans cette période difficile et capitale de l’histoire de l’Eglise et de l’humanité, nous ressentons un besoin particulier de nous tourner vers le Christ, qui est le Seigneur de son Eglise et le Seigneur de l’histoire humaine en vertu du mystère de la Rédemption, nous croyons que personne d’autre ne peut nous introduire comme le fait Marie dans la dimension divine et humaine de ce mystère. Personne n’y a été introduit comme Marie par Dieu lui-même. C’est en cela que consiste le caractère exceptionnel de la grâce de la maternité divine. Ce n’est pas seulement la dignité de cette maternité qui est unique et absolument singulière dans l’histoire du genre humain, mais ce qui est unique aussi par sa profondeur et l’amplitude de son action, c’est la participation de Marie, en raison de cette même maternité, au dessein divin du salut de l’homme, à travers le mystère de la Rédemption.

Ce mystère s’est formé pour ainsi dire, dans le coeur de la Vierge de Nazareth lorsqu’elle a prononcé son "fiat". A partir de ce moment, ce coeur à la fois virginal et maternel, soumis à l’action particulière de l’Esprit Saint, suit continuellement l’oeuvre de son Fils et va vers tous ceux que le Christ a embrassés et embrasse continuellement dans son amour inépuisable. Et c’est pourquoi ce coeur doit être lui aussi maternellement inépuisable. La caractéristique de cet amour maternel que la Mère de Dieu fait passer dans le mystère de la Rédemption et dans la vie de l’Eglise, s’exprime dans le fait qu’elle est singulièrement proche de l’homme et de toute sa vie. C’est en ceci que consiste le mystère de la Mère. L’Eglise, qui la considère avec une affection et une espérance toutes particulières, désire s’approprier ce mystère d’une manière toujours plus profonde. Là encore, l’Eglise reconnaît le chemin de sa vie quotidienne, que constitue tout homme.

L’amour éternel du Père, qui s’est manifesté dans l’histoire de l’humanité par le Fils que le Père a donné " afin que celui qui croit en lui ne meure pas, mais qu’il ait la vie éternelle " (200- Jn 3,16), cet amour se fait proche de chacun d’entre nous grâce à cette Mère, et il se manifeste ainsi de manière plus compréhensible et plus accessible à chaque homme. En conséquence, Marie doit se trouver sur tous les chemins de la vie quotidienne de l’Eglise. Grâce à sa présence maternelle, l’Eglise acquiert la certitude qu’elle vit vraiment de la vie de son Maître et Seigneur, qu’elle vit le mystère de la Rédemption dans toute sa profondeur et sa plénitude vivifiante. C’est également la même Eglise qui, enracinée dans des secteurs nombreux et variés de la vie de toute l’humanité contemporaine, acquiert aussi la certitude et on dirait même l’expérience qu’elle est proche de l’homme, de chaque homme, qu’elle est son Eglise, l’Eglise du peuple de Dieu.

En face de ces tâches qui se présentent le long des chemins de l’Eglise, le long de ces chemins que le Pape Paul VI nous a clairement indiqués dans la première encyclique de son pontificat, nous-mêmes, conscients de l’absolue nécessité de toutes ces voies et en même temps des difficultés qui s’y amoncellent, nous sentons d’autant plus le besoin d’un lien profond avec le Christ. Ses paroles résonnent en nous comme un écho sonore : "Sans moi, vous ne pouvez rien faire" (201). Nous sentons non seulement le besoin mais davantage encore l’obligation impérieuse d’une prière plus large, intense et croissante de toute l’Eglise. La prière seule peut faire que toutes ces grandes tâches et les difficultés qui s’ensuivent ne deviennent pas des sources de crises, mais soient l’occasion et comme le point de départ de conquêtes toujours plus profondes sur le chemin du peuple de Dieu vers la Terre Promise, en cette étape de l’histoire qui nous achemine vers la fin du second millénaire. Cependant, en achevant cette méditation par un appel humble et chaleureux à la prière, je voudrais que l’on persévère dans cette prière en union avec Marie, Mère de Jésus (202), comme persévéraient autrefois les Apôtres et les disciples du Seigneur, après son Ascension, au Cénacle de Jérusalem (203). Je supplie surtout Marie, Mère céleste de l’Eglise, qu’elle daigne persévérer avec nous dans cette prière du nouvel Avent de l’humanité, afin que nous formions l’Eglise, le Corps mystique de son Fils unique. J’espère que, grâce à cette prière, nous serons capables de recevoir l’Esprit Saint qui descend sur nous (204) et de devenir ainsi témoins du Christ "jusqu’aux extrémités de la terre" (205), comme ceux qui sortirent du Cénacle de Jérusalem au jour de la Pentecôte.

201- Jn 15,5 202- Ac 1,14 203- Ac 1,13 204- Ac 1,8 205- ibid.

Avec ma Bénédiction Apostolique.

Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 4 mars 1979, premier dimanche du Carême, en la première année de mon pontificat.