Sermon de saint Grégoire de Nazianze, évêque

Dieu n’a pas voulu que ses bienfaits nous fussent imposés de force, mais qu’ils fussent reçus volontairement. Aussi a-t-il agi comme un pédagogue ou un médecin, supprimant quelques traditions ancestrales, en tolérant d’autres... Ainsi, par des changements partiels, les hommes se sont trouvés comme furtivement entraînés vers l’Evangile. L’Ancien Testament a clairement manifesté le Père, obscurément le Fils. Le Nouveau a révélé le Fils et fait entendre la divinité de l’Esprit. Aujourd’hui, l’Esprit vit parmi nous et se fait plus clairement connaître. Il eût été périlleux, en effet, alors que la divinité du Père n’était point reconnue, de prêcher ouvertement le Fils ; et tant que la divinité du Fils n’était point admise, d’imposer, si j’ose dire, en surcharge, le Saint-Esprit, On eût pu craindre que, comme des gens chargés de trop d’aliments ou comme ceux qui fixent sur le soleil des yeux encore débiles, les fidèles ne perdissent cela même qu’ils avaient déjà acquis. Il fallait, au contraire, par des additions partielles et, comme dit David, par des ascensions de gloire en gloire, que la splendeur de la Trinité rayonnât progressivement.

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C’est pour cette raison que l’Esprit se communique progressivement aux Apôtres selon leurs forces. Suivant qu’on est aux premiers temps de l’Évangile, après la Passion ou après l’Ascension, il perfectionne leurs aptitudes, il leur est insufflé, il leur apparaît enfin sous forme de langues de feu. D’ailleurs Jésus ne révèle l’Esprit que peu à peu : il dit d’abord : " Je prierai le Père et il vous enverra un autre Paraclet, l’Esprit de Vérité. " Il s’exprime de la sorte pour que les Apôtres ne le croient pas en désaccord avec Dieu le Père ou sous l’influence d’une puissance étrangère. Il dit ensuite : " Le Père l’enverra, mais en mon nom. " Il laisse ainsi de côté la demande pour retenir seulement que le Père enverra l’Esprit. Puis : " je l’enverrai ", montrant ainsi sa propre autorité. Et "il viendra ", montrant ainsi la puissance de l’Esprit.

Voici maintenant une foule de témoignages qui prouveront, au moins à ceux qui ne sont pas fous ou trop étrangers à l’Esprit, que sa divinité se trouve fréquemment dans l’Ecriture. Regarde : le Christ naît, l’Esprit le précède. Il est baptisé, l’Esprit rend témoignage. Il est tenté, l’Esprit le fait revenir en Gaulée. Il accomplit des miracles, l’Esprit l’accompagne. Il est élevé au ciel, l’Esprit lui succède.

Il est l’Esprit qui crée, recrée par le baptême et la résurrection, il est l’Esprit qui connaît toutes choses, qui enseigne, qui souffle où il veut et comme il veut, qui conduit, qui parle, qui envoie, qui met à part certains Apôtres, qui s’irrite, qui est tenté, qui révèle, qui illumine, qui donne la vie ou plutôt qui est lui-même lumière et vie. Il fait de nous ses temples, il nous divinise, il est notre perfection, si bien qu’il précède le baptême et qu’on a besoin de lui aussi après le baptême. Il fait tout ce que fait Dieu, il est manifesté sous forme de langues de feu, il distribue ses dons, il fait les Apôtres, les Prophètes et les Évangélistes, il est intelligent, multiple, clair, pénétrant et pur, il ne connaît pas d’obstacle, il est la Sagesse Très Haute, il manifeste son action sous mille formes, il explique tout, il révèle tout... Je ne puis me contenter des comparaisons et des images d’un aussi grand mystère ; je ne trouve aucune image qui me satisfasse pleinement... Il faudrait avoir la sagesse de n’emprunter à ces images que certains traits en rejetant le reste. Aussi, ai-je fini par me dire qu’il valait mieux abandonner mes images et les ombres qui sont trompeuses et demeurent trop loin de la vérité. Je préfère m’attacher aux pensées plus conformes à la foi, me contenter de peu de mots et prendre pour guide l’Esprit, pour garder jusqu’à la fin la lumière que j’ai reçue de lui. Il est mon ami, mon intime et je passe dans la vie présente en invitant les autres, autant que je le puis, à adorer le Père, le Fils et l’Esprit Saint.

 

Homélie de saint Jean Chrysostome (+ 407)

Homélie sur : "Père, si c’est possible", PG 51, 34-35.

A l’approche de sa mort, le Sauveur s’écriait : Père, l’heure est venue, glorifie ton Fils (Jn 17,1). Or, sa gloire, c’est la croix. Comment donc pourrait-il avoir cherché à éviter ce qu’il sollicite à un autre moment ? Que sa gloire soit la croix, l’Évangile nous l’enseigne en disant : L’Esprit Saint n’avait pas encore été donné, parce que Jésus n ‘avait pas encore été glorifié (Jn 7,39). Voici le sens de cette parole : la grâce n’avait pas encore été donnée, parce que le Christ n’était pas encore monté sur la croix pour mettre fin à l’hostilité entre Dieu et les hommes. En effet, c’est la croix qui a réconcilié les hommes avec Dieu, qui a fait de la terre un ciel, qui a réuni les hommes aux anges. Elle a renversé la citadelle de la mort, détruit la puissance du démon, délivré la terre de l’erreur, posé les fondements de l’Église. La croix, c’est la volonté du Père, la gloire du Fils, la jubilation de l’Esprit Saint. Elle est l’orgueil de saint Paul : Que la croix de notre Seigneur Jésus Christ reste mon seul orgueil (Ga 6,14) !

La croix est plus éclatante que le soleil, plus brillante que ses rayons. Car, lorsque le soleil s’obscurcit, c’est alors que la croix étincelle ; et le soleil s’obscurcit non en ce sens qu’il serait anéanti, mais qu’il est vaincu par la splendeur de la croix. La croix a déchiré l’acte de notre condamnation, elle a brisé les chaînes de la mort. La croix est la manifestation de l’amour de Dieu : Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique afin que tout homme qui croit en lui ne périsse pas (Jn 3,16).

La croix a ouvert le paradis, elle y a introduit le malfaiteur et elle a ramené au Royaume des cieux le genre humain voué à la mort, devenu indigne de la terre elle-même.

Puisque tous ces biens nous sont venus et nous viennent encore par la croix, comment le Sauveur aurait-il pu la refuser ? Et s’il ne l’avait pas voulue, qui aurait pu l’y forcer ? Pourquoi aurait-il envoyé des prophètes annoncer qu’il serait crucifié, si cela ne devait pas se faire, et qu’il ne l’eût pas voulu ? Pour quel motif désignait-il la croix par le mot de "coupe", s’il ne voulait pas être crucifié ? C’est ainsi qu’il montre combien il la désirait. De même que boire une coupe est doux aux assoiffés, de même pour lui être mis en croix. C’est pourquoi il a déclaré : J’ai ardemment désiré manger cette Pâque avec vous (Lc 22,15), quand il savait qu’il serait crucifié le lendemain.

Lui qui appelle ce sacrifice "sa gloire", qui réprimande le disciple qui veut l’en détourner, qui se fait reconnaître pour le Bon Pasteur à ce qu’il donne sa vie pour ses brebis, lui qui affirme désirer ardemment l’heure de sa Passion et qui s’y présente de son plein gré, comment demanderait-il qu’elle n’ait pas lieu ?

 

Homélie de saint Cyrille d’Alexandrie (+ 444)

Commentaire sur l’évangile de Jean, II, 7 ; PG 74, 497-499.

Notre Sauveur affirme avoir glorifié le nom de Dieu son Père, ce qui veut dire qu’il a rendu sa gloire illustre et éclatante par toute la terre. Comment cela ? En se montrant lui-même son témoin et son annonciateur par des oeuvres extraordinaires. En effet, le Père est glorifié dans le Fils, comme dans une image et une empreinte de sa forme et de sa figure. Car les empreintes reflètent toujours la beauté de leurs archétypes.

Donc, le Fils unique a été glorifié, lui qui est substantiellement la sagesse et la vie, le créateur et l’architecte de l’univers, plus fort que la mort et la corruption, pur, immaculé, miséricordieux, saint, plein de bonté. Que son Père soit tout cela, c’est évident, car il ne peut pas différer en sa nature de celui qui procède de lui par nature. Le Père a donc rayonné dans la gloire du Fils comme dans l’image et l’empreinte de sa forme. <>

Le Fils a fait connaître le nom du Père non seulement en le révélant et en nous donnant un enseignement exact sur sa divinité. Car tout cela était proclamé avant la venue du Fils, par l’Ecriture inspirée. Mais aussi en nous enseignant non seulement qu’il est vraiment Dieu, mais qu’il est aussi vraiment Père, et vraiment qualifié ainsi, ayant en lui-même et produisant hors de lui-même son Fils, co-éternel à sa nature.

Le nom de Père convient à Dieu plus proprement que le nom de Dieu : celui-ci est un nom de dignité, celui-là signifie une propriété substantielle. Car qui dit Dieu dit le Seigneur de l’univers. Mais celui qui nomme le Père précise la propriété de la personne : il montre que c’est lui qui engendre. Que ce nom de Père soit plus vrai et plus propre que celui de Dieu, le Fils lui-même nous le montre par l’emploi qu’il en fait. Il disait parfois, non pas "Moi et Dieu" mais : Moi et le Père, nous sommes un (Jn 10,30). Et il disait aussi : C’est lui, le Fils, que Dieu le Père a marqué de son empreinte (Jn 6,27).

Mais quand il a prescrit à ses disciples de baptiser toutes les nations, il a expressément ordonné que cela se ferait non pas au nom de Dieu, mais au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.