Homélie de saint Jean Chrysostome (+ 407)

Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle (Jn 3,16).

Vous voyez la cause de l’avènement du Fils de Dieu : il est venu pour que tous ceux qui devaient périr trouvent, par la foi en lui, l’accès au salut. Qui aurait pu imaginer une générosité pareille, au-delà de tout éloge ? Par le don du baptême, Dieu accorde à notre nature le pardon de tous nos péchés ! Non seulement ici la pensée est impuissante, mais la parole est incapable de dénombrer les autres bienfaits de Dieu. Si nombreux qu’ils soient, je suis obligé d’en omettre encore davantage. Que serait-ce donc, si l’on songeait encore à ce chemin de la conversion que Dieu, dans son indicible amour des hommes, a donné au genre humain, ainsi qu’à ses prescriptions merveilleuses grâce auxquelles, si nous le voulons, même après le bienfait du baptême, nous pourrons attirer la grâce d’en haut !

Vous voyez, mes enfants, l’abîme des bienfaits de Dieu ! Vous voyez combien leur énumération est longue, bien que nous n’en ayons encore rappelé qu’une faible partie ! Comment, en effet, le langage humain pourrait-il dénombrer tout ce que Dieu a fait pour nous ? Mais si grands et si nombreux que soient ces bienfaits, ils sont plus ineffables et plus grands encore, ceux qu’il a promis pour la vie future à ceux qui marchent sur le chemin de la vertu. Et, pour nous montrer en peu de mots l’excès de leur grandeur, saint Paul nous dit : Ce que personne n’avait vu de ses yeux ni entendu de ses oreilles, ce que le coeur de l’homme n’avait pas imaginé, ce qui avait été préparé pour ceux qui aiment Dieu (1 Co 2,9).

Voyez-vous l’excellence de ces bienfaits ? Voyez-vous comme ils sont au-dessus de toutes les idées de l’homme ? Ce que le coeur de l’homme n’avait pas imaginé, c’est l’expression de saint Paul. Si nous voulons récapituler toutes ces merveilles, si nous voulons en rendre grâce selon nos forces, nous pourrons attirer sur nous encore plus de grâces divines et grandir en venu. Le souvenir des bienfaits de Dieu nous aide à affronter les labeurs de la vertu, à mépriser les biens terrestres, pour nous ouvrir à l’auteur de tous ces dons et augmenter, de jour en jour, l’amour que nous lui témoignons.

 

Sermon de saint Irénée de Lyon, évêque

Voici la règle de notre foi, le fondement de l’édifice et ce qui donne fermeté à notre conduite :

Dieu Père, incréé, qui n’est pas contenu, invisible, Dieu un, créateur de l’univers. Tel est le premier article de notre foi.

Comme deuxième article : le Verbe de Dieu, le Fils de Dieu, le Christ Jésus notre Seigneur, qui est apparu aux Prophètes selon le genre de leur prophétie et selon l’état des économies du Père, par qui tout a été fait, qui, en outre, à la fin des temps, pour récapituler toutes choses, s’est fait homme parmi les hommes, visible, palpable, pour détruire la mort, faire apparaître la vie et opérer une communion de Dieu et d’homme. Le troisième article, le voici : le Saint-Esprit par lequel les Prophètes ont prophétisé, les Pères ont appris ce qui concerne Dieu, les justes ont été guidés dans la voie de la justice et qui, à la fin des temps a été répandu d’une manière nouvelle sur notre humanité pour renouveler l’homme sur toute la terre en vue de Dieu.

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C’est pourquoi, à notre nouvelle naissance, le baptême a lieu par ces trois articles, lui qui nous accorde la grâce de la nouvelle naissance en Dieu le Père par son Fils dans l’Esprit Saint. Car ceux qui portent l’Esprit de Dieu sont conduits au Verbe, c’est-à-dire au Fils, mais le Fils les présente au Père et le Père leur donne l’incorruptibilité. Donc, sans l’Esprit il n’est pas possible de voir le Fils de Dieu et sans le Fils personne ne peut approcher le Père, car la connaissance du Père, c’est le Fils et la connaissance du Fils se fait par l’Esprit Saint. Quant à l’Esprit, c’est selon qu’il plaît au Père que le Fils le dispense à titre de ministre, à qui veut et comme le veut le Père. La présence intérieure de l’Esprit de Dieu est multiple et est énumérée par le prophète Isaïe en sept formes de ministères qui se sont reposées sur le Fils de Dieu, c’est-à-dire le Verbe à sa venue en tant qu’homme. Il dit en effet : " Sur lui reposera l’Esprit de Dieu, Esprit de sagesse et d’intelligence, Esprit de conseil et de force, de science et de piété, et l’Esprit de crainte de Dieu le remplira. "

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Voilà donc comment se fait l’exposé de notre foi : un seul Dieu Père non créé, invisible, Créateur de l’univers, au-dessus duquel il n’y a pas d’autre Dieu et après lequel

il n’y a pas d’autre Dieu. Dieu est intelligent : aussi la création des êtres fut oeuvre d’intelligence. Dieu est Esprit, aussi est-ce par l’Esprit qu’il a ordonné tout l’univers comme dit le Prophète : " Par la Parole du Seigneur les cieux ont été faits et par son Esprit toute leur puissance. " Paul, son Apôtre a bien raison de dire : Un seul Dieu Père qui est au-dessus de tous, avec tous et en tous. Au-dessus de tous, en effet, est le Père, avec tous est le Verbe car c’est par son intermédiaire que tout a été créé par le Père, en nous tous l’Esprit qui crie : " Abba, Père " et façonne l’homme à la ressemblance avec Dieu. Donc, l’Esprit montre le Verbe, et c’est pourquoi les Prophètes annonçaient le Fils de Dieu, mais le Verbe articule l’Esprit et c’est pourquoi c’est lui-même qui parle aux Prophètes et élève l’homme auprès du Père.

 

vv. 15.16 : III, 46, ARTICLE 1 : Était-il nécessaire que le Christ souffrît pour délivrer les hommes ?

En sens contraire, il y a cette parole de S. Jean (Jn 3,16) : " De même que Moïse à élevé le serpent dans le déserts il faut que le Fils de l’homme soit élevé, afin que tout homme qui croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle. " Ce qui s’entend de l’élévation du Christ en croix. Il apparaît donc que le Christ devait souffrir.

Réponse : Selon l’enseignement d’Aristote, " nécessaire " se dit en plusieurs sens.

I. Au sens de ce qui, par sa nature, ne peut pas être autrement. En ce sens, il est évident que la souffrance du Christ n’était pas nécessaire, ni de la part de Dieu, ni de la part de l’homme.

II. Au sens ou quelque chose est nécessaire du fait d’une cause extérieure. Si c’est une cause extérieure ou motrice, elle produit une nécessité de contrainte, par exemple si quelqu’un ne peut marcher à cause de la violence de celui qui le retient. Mais si la cause extérieure qui introduit la nécessité est une cause finale, l’acte sera dit nécessaire en raison de la fin, par exemple dans le cas ou une fin ne peut être aucunement réalisée, ou ne peut l’être de façon appropriée, si telle autre fin n’est pas présupposée.

Donc la souffrance du Christ n’a pas été nécessaire d’une nécessité de contrainte, ni de la part de Dieu qui a décidé cette souffrance, ni de la part du Christ qui a souffert volontairement. Mais elle a été nécessaire en raison de la fin, ce qu’on peut comprendre à trois points de vue.

1 Par rapport à nous, qui avons été délivrés par la passion, selon la parole de S. Jean (Jn 3,15) : " Il faut que le Fils de l’homme soit élevé, afin que tout homme qui croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle. " 

2 Par rapport au Christ lui-même : par l’abaissement de sa passion, il a mérité la gloire de l’exaltation, comme il le dit en S. Luc (Lc 24,26) : " Ne fallait-il pas que le Christ souffrît tout cela pour entrer dans la gloire ? " 

3 Par rapport à Dieu : il fallait accomplir ce qu’il avait décidé touchant la passion du Christ prophétisée dans l’Écriture et préfigurée dans l’ancienne loi : " Le Fils de l’homme s’en va selon ce qui a été décidé " , dit-il en S. Luc (Lc 22,22) ; et encore (Lc 24,44 ; Lc 24,46) : " C’est là ce que je vous disais étant encore avec vous : il fallait que s’accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, les prophètes et les psaumes. . . Car il était écrit que le Christ devait souffrir, et ressusciter d’entre les morts le troisième jour. " 

vv. 16-17 : Dominum et vivificantem 8 - 2. Le Père, le Fils et l’Esprit Saint

8 Il est caractéristique du texte johannique que le Père, le Fils et l’Esprit Saint soient désignés clairement comme des Personnes, la première étant distincte de la deuxième et de la troisième, et aussi les trois entre elles. Jésus parle de l’Esprit-Paraclet utilisant à plusieurs reprises le pronom personnel " Il ", et en même temps, dans tout le discours d’adieu, il dévoile les liens qui unissent dans la réciprocité le Père, le Fils et le Paraclet. Ainsi donc " L’Esprit ... vient du Père " (28) et le Père " donne " l’Esprit(29). Le Père " envoie " l’Esprit au nom du Fils(30), l’Esprit " rend témoignage " au Fils(31). Le Fils demande au Père d’envoyer l’Esprit-Paraclet(32), mais, par ailleurs, il déclare et promet, en rapport à son " départ " par la Croix : " Si je pars, je vous l’enverrai "(33). Ainsi, le Père, par la puissance de sa paternité, envoie l’Esprit Saint comme il a envoyé le Fils (34 Cf. Jn 3,16-17 ; Jn 3,34 ; Jn 6,57 ; Jn 17,3 ; Jn 17,17 ; Jn 17,18 ; Jn 17,23) ; mais en même temps il l’envoie en vertu de la puissance de la rédemption accomplie par le Christ - et, en ce sens, l’Esprit Saint est envoyé aussi par le Fils : " Je vous l’enverrai ".

Il faut noter ici que, si toutes les autres promesses faites au Cénacle annonçaient la venue de l’Esprit Saint après le départ du Christ, celle du texte de Jean 16, 7-8 implique aussi et souligne clairement le rapport d’interdépendance, on pourrait dire de causalité, entre la manifestation de l’un et de l’autre : " Si je pars, je vous l’enverrai ". L’Esprit Saint viendra en fonction du départ du Christ par la Croix : il viendra non seulement à la suite, mais à cause de la rédemption accomplie par le Christ, selon la volonté et l’oeuvre du Père.

28 Jn 15,26

29 Jn 14,16

30 Jn 14,26

31 Jn 15,26

32 Jn 14,16

33 Jn 16,7

v. 16 : Dominum et vivificantem 23

Nous nous trouvons au seuil de l’événement pascal. La révélation nouvelle et définitive de l’Esprit Saint comme Personne qui est le Don s’accomplit précisément à ce moment. Les événements de Paques- la passion, la mort et la résurrection du Christ - sont aussi le temps de la nouvelle venue de l’Esprit Saint comme Paraclet et Esprit de vérité. C’est le temps du " nouveau commencement " du don que le Dieu un et trine fait de lui-même à l’humanité dans l’Esprit Saint par l’action du Christ Rédempteur. Ce nouveau commencement est la rédemption du monde : " Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique " (81 Jn 3,16). Déjà, dans le fait de " donner " le Fils, dans le don du Fils, s’exprime l’essence la plus profonde de Dieu qui, comme Amour, est une source inépuisable de libéralité. Dans le don fait par le Fils s’achèvent la révélation et la libéralité de l’Amour éternel : l’Esprit Saint, qui dans les profondeurs insondables de la divinité est une Personne-Don, par l’oeuvre du Fils, c’est-à-dire par le mystère pascal, est donné d’une manière nouvelle aux Apôtres et à l’Eglise et, à travers eux, à l’humanité et au monde entier.

v. 16 : Dominum et vivificantem 49

49 C’est vers l’Esprit Saint que se tournent la pensée et le coeur de l’Eglise en cette fin du vingtième siècle et dans la perspective du troisième millénaire depuis la venue au monde de Jésus Christ, tandis que nous portons notre regard vers le grand Jubilé par lequel l’Eglise célébrera l’événement. Cette venue prend place en effet, dans l’ordre du temps humain, comme un événement qui appartient à l’histoire de l’homme sur la terre. La mesure du temps habituellement adoptée situe les années, les siècles, les millénaires selon qu’ils s’écoulent avant ou après la naissance du Christ. Mais il faut aussi avoir conscience que cet événement signifie pour nous chrétiens, selon l’Apôtre, la " plénitude du temps "(193), car, par lui, c’est la " mesure " de Dieu lui-même qui a totalement marqué l’histoire de l’homme : une présence transcendante dans le " nunc ", l’Aujourd’hui éternel. " Celui qui est, qui était et qui vient " ; celui qui est " L’Alpha et l’Oméga, le Premier et le Dernier, le Principe et la Fin " (194). " Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle " (195 Jn 3,16). " Quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme ... afin de nous conférer l’adoption filiale "(196). Et cette Incarnation du Fils-Verbe est advenue par l’Esprit Saint.

Les deux évangélistes auxquels nous devons le récit de la naissance et de l’enfance de Jésus de Nazareth s’expriment sur cette question de la même manière. Selon Luc, lors de l’annonciation de la naissance de Jésus, Marie demande : " Comment cela sera-t-il, puisque je ne connais pas d’homme ? ", et elle reçoit cette réponse : " L’Esprit Saint viendra sur toi et la puissance du Tres-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi l’être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu "(197).

Matthieu raconte directement : " Telle fut la genèse de Jésus Christ. Marie, sa mère, était Sancée à Joseph : or, avant qu’ils eussent mené vie commune, elle se trouva enceinte par le fait de l’Esprit Saint "(198). Troublé par cet état de choses, Joseph reçut, durant son sommeil, l’explication suivante : " Ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme : car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; elle enfantera un fils, et tu l’appelleras du nom de Jésus : car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés "(199).

Aussi l’Eglise, depuis les origines, professe-t-elle le mystère de l’Incarnation, ce mystère central de la foi, en se référant à l’Esprit Saint. Ainsi s’exprime le Symbole des Apôtres : " Il a été conçu du Saint-Esprit, est né de la Vierge Marie ". Ce n’est pas autrement que le Symbole de Nicée-Constantinople atteste : " Par l’Esprit Saint, il a pris chair de la Vierge Marie, et s’est fait homme ".

" Par l’Esprit Saint " s’est fait homme celui dont l’Eglise proclame, selon les termes du même Symbole, qu’il est le Fils de même nature que le Père : " Dieu, né de Dieu, lumière née de la lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu, engendré, non pas créé ". Il s’est fait homme " en prenant chair de la Vierge Marie ". Voilà ce qui s’accomplit " quand vint la plénitude du temps ".

193 Cf. Ga 4,4

194 Ap 1,8 ; Ap 22,13

196 Ga 4,4-5

v. 16 : Dives in misericordia 7

7 Le message messianique du Christ et son activité parmi les hommes s’achèvent avec la croix et la résurrection. Nous devons pénétrer profondément dans cet événement final qui, spécialement dans le langage conciliaire, est défini comme mysterium paschale, si nous voulons exprimer totalement la vérité sur la miséricorde, telle qu’elle a été totalement révélée dans l’histoire de notre salut. A ce point de nos réflexions, il faudra nous rapprocher encore plus du contenu de l’encyclique Redemptor Hominis. En effet, si la réalité de la rédemption, dans sa dimension humaine, dévoile la grandeur inouïe de l’homme, qui talem ac tantum meruit habere Redemptorem (70- Cf. liturgie de la veillée pascale, Exultet : " qui a mérité d’avoir un si grand Rédempteur "), en même temps, la dimension divine de la rédemption nous dévoile de manière, dirais-je, plus concrète et " historique ", la profondeur de l’amour qui ne recule pas devant l’extraordinaire sacrifice du Fils pour satisfaire la fidélité du Créateur et Père à l’égard des hommes créés à son image et choisis dès le " commencement " en ce Fils, en vue de la grâce et de la gloire.

Les événements du Vendredi Saint, et auparavant encore la prière à Gethsémani, introduisent dans tout le déroulement de la révélation de l’amour et de la miséricorde, dans la mission messianique du Christ, un changement fondamental. Celui qui " est passé en faisant le bien et en rendant la santé " (71- Ac 10,38), " en guérissant toute maladie et toute langueur " (72 - Mt 9,35), semble maintenant être lui-même digne de la plus grande miséricorde, et faire appel à la miséricorde, quand il est arrêté, outragé, condamné, flagellé, couronné d’épines, quand il est cloué à la croix et expire dans d’atroces tourments (73 - Mc 15,37 ; Jn 19,30). C’est alors qu’il est particulièrement digne de la miséricorde des hommes qu’il a comblés de bienfaits, et il ne la reçoit pas. Même ceux qui lui sont les plus proches ne savent pas le protéger et l’arracher aux mains des oppresseurs. Dans cette étape finale de la fonction messianique, s’accomplissent dans le Christ les paroles des prophètes, et surtout celles d’Isaïe, au sujet du serviteur de Yahvé : " Dans ses blessures, nous trouvons la guérison " (74- Is 53,5).

Le Christ, en tant qu’homme qui souffre réellement et terriblement au jardin des Oliviers et sur le Calvaire, s’adresse au Père, à ce Père dont il a annoncé l’amour aux hommes, dont il a fait connaître la miséricorde par toutes ses actions. Mais la terrible souffrance de la mort en croix ne lui est pas épargnée, pas même à lui : " Celui qui n’avait pas connu le péché, Dieu l’a fait péché pour nous " (75 - 2Co 5,21), écrira saint Paul, résumant en peu de mots toute la profondeur du mystère de la croix et en même temps la dimension divine de la réalité de la rédemption. Or cette rédemption est la révélation ultime et définitive de la sainteté de Dieu, qui est la plénitude absolue de la perfection : plénitude de la justice et de l’amour, puisque la justice se fonde sur l’amour, provient de lui et tend vers lui. Dans la passion et la mort du Christ - dans le fait que le Père n’a pas épargné son Fils, mais " l’a fait péché pour nous " (76 - Ibid.) -, s’exprime la justice absolue, car le Christ subit la passion et la croix à cause des péchés de l’humanité. Il y a vraiment là une " surabondance " de justice, puisque les péchés de l’homme se trouvent " compensés " par le sacrifice de l’Homme-Dieu. Toutefois cette justice, qui est au sens propre justice " à la mesure " de Dieu, naît tout entière de l’amour, de l’amour du Père et du Fils, et elle s’épanouit tout entière dans l’amour. C’est précisément pour cela que la justice divine révélée dans la croix du Christ est " à la mesure " de Dieu, parce qu’elle naît de l’amour et s’accomplit dans l’amour, en portant des fruits de salut. La dimension divine de la rédemption ne se réalise pas seulement dans le fait de faire justice du péché, mais dans celui de rendre à l’amour la force créatrice grâce à laquelle l’homme a de nouveau accès à la plénitude de vie et de sainteté qui vient de Dieu. De la sorte, la rédemption porte en soi la révélation de la miséricorde en sa plénitude.

Le mystère pascal constitue le sommet de cette révélation et de cette mise en oeuvre de la miséricorde, qui est capable de justifier l’homme, de rétablir la justice comme réalisation de l’ordre salvifique que Dieu avait voulu dès le commencement dans l’homme, et, par l’homme, dans le monde. Le Christ souffrant s’adresse d’une manière particulière à l’homme, et pas seulement au croyant. Même l’homme incroyant saura découvrir en lui la solidarité éloquente avec la destinée humaine, comme aussi la plénitude harmonieuse du don désintéressé à la cause de l’homme, à la vérité et à l’amour. La dimension divine du mystère pascal va toutefois encore plus loin. La croix plantée sur le calvaire, et sur laquelle le Christ tient son ultime dialogue avec le Père, émerge du centre même de l’amour dont l’homme, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, a été gratifié selon l’éternel dessein de Dieu. Dieu, tel que le Christ l’a révélé, n’est pas seulement en rapport étroit avec le monde en tant que Créateur et source ultime de l’existence. Il est aussi Père : il est uni à l’homme, qu’il a appelé à l’existence dans le monde visible, par un lien encore plus profond que celui de la création. C’est l’amour qui non seulement crée le bien, mais qui fait participer à la vie même de Dieu Père, Fils et Esprit Saint. En effet, celui qui aime désire se donner lui-même.

La croix du Christ au Calvaire se dresse sur le chemin de l’admirabile commercium, de cette admirable communication de Dieu à l’homme qui contient en même temps l’appel qui lui est adressé à participer, en s’offrant lui-même à Dieu et en offrant avec lui le monde visible, à la vie divine ; à participer en tant que fils adoptif à la vérité et à l’amour qui sont en Dieu et proviennent de Dieu. Sur le chemin de l’élection éternelle de l’homme à la dignité de fils adoptif de Dieu, surgit précisément dans l’histoire la croix du Christ, Fils unique, qui, " lumière née de la lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu " (77- Credo de Nicée-Constantinople), est venu donner l’ultime témoignage de l’admirable alliance de Dieu avec l’humanité, de Dieu avec l’homme - avec chaque homme. Ancienne comme l’homme, puisqu’elle remonte au mystère même de la création, puis rétablie bien des fois avec un seul peuple élu, cette alliance est également l’alliance nouvelle et définitive ; établie là, sur le Calvaire, elle n’est plus limitée à un seul peuple, à Israël, mais elle est ouverte à tous et à chacun.

Que nous dit la croix du Christ, qui est le dernier mot pour ainsi dire de son message et de sa mission messianiques ? Certes, elle n’est pas encore la parole ultime du Dieu de l’Alliance, qui ne sera prononcée qu’aux lueurs de cette aube ou les femmes d’abord puis les Apôtres, venus au tombeau du Christ crucifié, le trouveront vide et entendront pour la première fois cette annonce : " Il est ressuscité ". Ils la rediront à leur tour, et ils seront les témoins du Christ ressuscité. Toutefois, même dans la glorification du Fils de Dieu, la croix ne cesse d’être présente, cette croix qui - à travers tout le témoignage messianique de l’Homme-Fils qui a subi la mort sur elle - parle et ne cesse jamais de parler de Dieu-Père, qui est toujours fidèle à son amour éternel envers l’homme, car " Il a tellement aimé le monde - donc l’homme dans le monde - qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais ait la vie éternelle " (78- Jn 3,16). Croire dans le Fils crucifié signifie " voir le Père " (79- Jn 14,9), signifie croire que l’amour est présent dans le monde, et que cet amour est plus puissant que les maux de toutes sortes dans lesquels l’homme, l’humanité et le monde sont plongés. Croire en un tel amour signifie croire dans la miséricorde. Celle-ci en effet est la dimension indispensable de l’amour ; elle est comme son deuxième nom, et elle est en même temps la manière propre dont il se révèle et se réalise pour s’opposer au mal qui est dans le monde, qui tente et assiège l’homme, s’insinue jusque dans son coeur et peut " le faire périr dans la géhenne " (80- Mt 10,28).

v. 16 : Dives in misericordia 13 - L’Eglise professe et proclame la miséricorde de Dieu

13 L’Eglise doit professer et proclamer la miséricorde divine dans toute sa vérité, telle qu’elle nous est attestée par la révélation. Dans les pages qui précèdent, nous avons cherché à dessiner au moins les grandes lignes de cette vérité, qui s’exprime avec tant de richesse dans toute la Sainte Ecriture et la Tradition. Dans la vie quotidienne de l’Eglise, la vérité sur la miséricorde de Dieu, exposée dans la Bible, trouve constamment un écho dans de nombreuses lectures de la sainte liturgie. Et le peuple, dans son sens authentique de la foi, le perçoit bien, comme l’attestent de nombreuses expressions de la piété personnelle et communautaire. Il serait certainement difficile de les énumérer et de les résumer toutes, car la majeure partie d’entre elles est fortement gravée au plus profond des coeurs et des consciences. Des théologiens affirment que la miséricorde est le plus grand des attributs de Dieu, la plus grande de ses perfections ; la Bible, la Tradition et toute la vie de foi du peuple de Dieu en fournissent des témoignages inépuisables. Il ne s’agit pas ici de la perfection de l’inscrutable essence de Dieu dans le mystère même de sa divinité, mais de la perfection et de l’attribut grâce auxquels l’homme, dans la vérité intérieure de son existence, entre en relation le plus intimement et le plus souvent avec le Dieu vivant. Conformément aux paroles que le Christ adressa à Philippe (112- Jn 14,9-10), la " vision du Père " - vision de Dieu par la foi - trouve dans la rencontre avec sa miséricorde un degré de simplicité et de vérité intérieure semblable à celui que nous trouvons dans la parabole de l’enfant prodigue.

" Qui m’a vu a vu le Père " (113- Jn 14,9-10). L’Eglise professe la miséricorde de Dieu, l’Eglise en vit, dans sa vaste expérience de foi, et aussi dans son enseignement, en contemplant constamment le Christ, en se concentrant en lui, sur sa vie et son Evangile, sur sa croix et sa résurrection, sur son mystère tout entier. Tout ce qui forme la " vision " du Christ dans la foi vive et dans l’enseignement de l’Eglise nous rapproche de la " vision du Père " dans la sainteté de sa miséricorde. L’Eglise semble professer et vénérer d’une manière particulière la miséricorde de Dieu quand elle s’adresse au coeur du Christ. En effet, nous approcher du Christ dans le mystère de son coeur nous permet de nous arrêter sur ce point - point central en un certain sens, et en même temps le plus accessible au plan humain - de la révélation de l’amour miséricordieux du Père, qui a constitué le contenu central de la mission messianique du Fils de l’homme.

L’Eglise vit d’une vie authentique lorsqu’elle professe et proclame la miséricorde, attribut le plus admirable du Créateur et du Rédempteur, et lorsqu’elle conduit les hommes aux sources de la miséricorde du Sauveur, dont elle est la dépositaire et la dispensatrice. Dans ce cadre, la méditation constante de la parole de Dieu, et surtout la participation consciente et réfléchie à l’Eucharistie et au sacrement de pénitence ou de réconciliation, ont une grande signification. L’Eucharistie nous rapproche toujours de cet amour plus fort que la mort : " Chaque fois en eflet que nous mangeons ce pain et que nous buvons cette coupe ", non seulement nous annonçons la mort du Rédempteur, mais nous proclamons aussi sa résurrection, " dans l’attente de sa venue " dans la gloire (114- 1Co 11,26 ; acclamation dans le " Missel romain "). La liturgie eucharistique, célébrée en mémoire de celui qui dans sa mission messianique nous a révélé le Père par sa parole et par sa croix, atteste l’inépuisable amour en vertu duquel il désire toujours s’unir à nous et ne faire qu’un avec nous, allant à la rencontre de tous les coeurs humains. C’est le sacrement de la pénitence ou de la réconciliation qui aplanit la route de chacun, même quand il est accablé par de lourdes fautes. Dans ce sacrement, tout homme peut expérimenter de manière unique la miséricorde, c’est-à-dire l’amour qui est plus fort que le péché. L’encyclique Redemptor Hominis a déjà abordé ce point ; il conviendrait pourtant de revenir encore une fois sur ce thème fondamental.

Parce que le péché existe dans ce monde queDieu a tant aimé qu’il a donné son Fils unique " (115 - Jn 3,16), Dieu qui " est amour " (116 - 1Jn 4,8) ne peut se révéler autrement que comme miséricorde. Cela correspond non seulement à la vérité la plus profonde de cet amour qu’est Dieu, mais aussi à la vérité intérieure de l’homme et du monde qui est sa patrie temporaire.

La miséricorde, en tant que perfection du Dieu infini, est elle-même infinie. Infinie donc, et inépuisable, est la promptitude du Père à accueillir les fils prodigues qui reviennent à sa maison. Infinies sont aussi la promptitude et l’intensité du pardon qui jaillit continuellement de l’admirable valeur du sacrifice du Fils. Aucun péché de l’homme ne peut prévaloir sur cette force ni la limiter. Du côté de l’homme, seul peut la limiter le manque de bonne volonté, le manque de promptitude dans la conversion et la pénitence, c’est-à-dire l’obstination continuelle qui s’oppose à la grâce et à la vérité, spécialement face au témoignage de la croix et de la résurrection du Christ.

C’est pourquoi l’Eglise annonce la conversion et y appelle. La conversion à Dieu consiste toujours dans la découverte de sa miséricorde, c’est-à-dire de cet amour patient et doux (117) comme l’est Dieu Créateur et Père : l’amour, auquel " le Dieu et Père de Notre Seigneur Jésus-Christ " (118) est fidèle jusqu’à ses conséquences extrêmes dans l’histoire de l’alliance avec l’homme, jusqu’à la croix, à la mort et à la résurrection de son Fils. La conversion à Dieu est toujours le fruit du retour au Père riche en miséricorde.

117- 1Co 13,4

118- 2Co 1,3

La connaissance authentique du Dieu de la miséricorde, Dieu de l’amour bienveillant, est une force de conversion constante et inépuisable, non seulement comme acte intérieur d’un instant, mais aussi comme disposition permanente, comme état d’âme. Ceux qui arrivent à connaître Dieu ainsi, ceux qui le " voient " ainsi, ne peuvent pas vivre autrement qu’en se convertissant à lui continuellement. Ils vivent donc in statu conversionis, en état de conversion ; et c’est cet état qui constitue la composante la plus profonde du pèlerinage de tout homme sur la terre in statu viatoris, en état de cheminement. Il est évident que l’Eglise professe la miséricorde de Dieu révélée dans le Christ crucifié et ressuscité non seulement par les paroles de son enseignement, mais surtout par la pulsation la plus intense de la vie de tout le peuple de Dieu. Grâce à ce témoignage de vie, l’Eglise accomplit sa mission propre de peuple de Dieu, mission qui participe à la mission messianique du Christ lui-même et qui, en un certain sens, la continue.

L’Eglise contemporaine est vivement consciente que c’est seulement sur la base de la miséricorde de Dieu qu’elle pourra réaliser les tâches qui découlent de l’enseignement du Concile Vatican II, et en premier lieu la tâche oecuménique consistant à unir tous ceux qui croient au Christ. En engageant de multiples efforts dans cette direction, l’Eglise reconnaît avec humilité que seul cet amour, plus puissant que la faiblesse des divisions humaines, peut réaliser définitivement cette unité que le Christ implorait de son Père, et que l’Esprit ne cesse d’implorer pour nous " avec des gémissements inexprimables " (119 - Rm 8,26).

v. 16 : Evangelium vitae 2

La valeur incomparable de la personne humaine

L’homme est appelé à une plénitude de vie qui va bien au-delà des dimensions de son existence sur terre, puisqu’elle est la participation à la vie même de Dieu. La profondeur de cette vocation surnaturelle révèle la grandeur et le prix de la vie humaine, même dans sa phase temporelle. En effet, la vie dans le temps est une condition fondamentale, un moment initial et une partie intégrante du développement entier et unitaire de l’existence humaine. Ce développement de la vie, de manière inattendue et imméritée, est éclairé par la promesse de la vie divine et renouvelé par le don de cette vie divine ; il atteindra son plein accomplissement dans l’éternité 1Jn 3,1-2 . En même temps, cette vocation surnaturelle souligne le caractère relatif de la vie terrestre de l’homme et de la femme.

En vérité, celle-ci est une réalité qui n’est pas " dernière ", mais " avant-dernière " ; c’est de toute façon une réalité sacrée qui nous est confiée pour que nous la gardions de manière responsable et que nous la portions à sa perfection dans l’amour et dans le don de nous-mêmes à Dieu et à nos frères. L’Église sait que cet Évangile de la vie, qui lui a été remis par son Seigneur (1), trouve un écho profond et convaincant dans le coeur de chaque personne, croyante et même non croyante, parce que, tout en dépassant infiniment ses attentes, il y correspond de manière surprenante Malgré les difficultés et les incertitudes, tout homme sincèrement ouvert à la vérité et au bien peut, avec la lumière de la raison et sans oublier le travail secret de la grâce, arriver à reconnaître, dans la loi naturelle inscrite dans les coeurs Rm 2,14-15 , la valeur sacrée de la vie humaine depuis son commencement jusqu’à son terme ; et il peut affirmer le droit de tout être humain à voir intégralement respecter ce bien qui est pour lui primordial La convivialité humaine et la communauté politique elle-même se fondent sur la reconnaissance de ce droit. La défense et la mise en valeur de ce droit doivent être, de manière particulière, l’oeuvre de ceux qui croient au Christ, conscients de la merveilleuse vérité rappelée par le Concile Vatican II : " Par son Incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme " (2). Dans cet événement de salut, en effet, l’humanité reçoit non seulement la révélation de l’amour infini de Dieu qui " a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique " Jn 3,16 , mais aussi celle de la valeur incomparable de toute personne humaine. Et, scrutant assidûment le mystère de la Rédemption, l’Église reçoit cette valeur avec un étonnement toujours renouvelé (3) et elle se sent appelée à annoncer aux hommes de tous les temps cet " évangile ", source d’une espérance invincible et d’une joie véritable pour chaque époque de l’histoire. L’Évangile de l’amour de Dieu pour l’homme, l’Évangile de la dignité de la personne et l’Évangile de la vie sont un Évangile unique et indivisible. C’est pourquoi l’homme, l’homme vivant, constitue la route première et fondamentale de l’Église (4).

(1) Il est vrai que l’expression " Évangile de la vie " ne se trouve pas telle quelle dans l’Écriture sainte. Cependant, elle correspond bien à un aspect essentiel du message biblique. (2) GS 22 . (3) Cf. RH 10 : AAS 71 (1979), p. 275. (4) Cf. RH 14 : l.c., p. 285.

v. 16 : Evangelium vitae 25

" Écoute le sang de ton frère crier vers moi du sol ! " Gn 4,10 . Il n’y a pas que le sang d’Abel, le premier innocent mis à mort, qui crie vers Dieu, source et défenseur de la vie. Le sang de tout autre homme mis à mort depuis Abel est aussi une voix qui s’élève vers le Seigneur. D’une manière absolument unique, crie vers Dieu la voix du sang du Christ, dont Abel est dans son innocence une figure prophétique, ainsi que nous le rappelle l’auteur de la Lettre aux Hébreux : " Mais vous vous êtes approchés de la montagne de Sion et de la cité du Dieu vivant, du Médiateur d’une Alliance nouvelle, et d’un sang purificateur plus éloquent que celui d’Abel " He 12,22-24 . C’est le sang purificateur. Le sang des sacrifices de l’Ancienne Alliance en avait été le signe symbolique et l’anticipation : le sang des sacrifices par lesquels Dieu montrait sa volonté de communiquer sa vie aux hommes, en les purifiant et en les consacrant Ex 24,8 ; Lv 17,11 . Tout cela s’accomplit et se manifeste désormais dans le Christ : son sang est celui de l’aspersion qui rachète, purifie et sauve ; c’est le sang du Médiateur de la Nouvelle Alliance, " répandu pour une multitude en rémission des péchés " Mt 26,28 . Ce sang, qui coule du côté transpercé du Christ en croix Jn 19,34 , est " plus éloquent " que celui d’Abel ; celui-ci, en effet, exprime et demande une " justice " plus profonde, mais il implore surtout la miséricorde (19), il devient intercesseur auprès du Père pour les frères He 7,25 , il est source de rédemption parfaite et don de vie nouvelle. Le sang du Christ, qui révèle la grandeur de l’amour du Père, manifeste que l’homme est précieux aux yeux de Dieu et que la valeur de sa vie est inestimable. L’Apôtre Pierre nous le rappelle : " Sachez que ce n’est par rien de corruptible, argent ou or, que vous avez été affranchis de la vaine conduite héritée de vos pères, mais par un sang précieux, comme d’un agneau sans reproche et sans tache, le Christ " 1P 1,18-19 . C’est en contemplant le sang précieux du Christ, signe du don qu’il fait par amour Jn 13,1 , que le croyant apprend à reconnaître et à apprécier la dignité quasi divine de tout homme ; il peut s’écrier, dans une admiration et une gratitude toujours nouvelles : " Quelle valeur doit avoir l’homme aux yeux du Créateur s’il " a mérité d’avoir un tel et un si grand Rédempteur " (Exultet de la nuit pascale), si " Dieu a donné son Fils " afin que lui, l’homme, " ne se perde pas, mais qu’il ait la vie éternelle " Jn 3,16 ! " (20). De plus, le sang du Christ révèle à l’homme que sa grandeur, et donc sa vocation, est le don total de lui- même. Parce qu’il est versé comme don de vie, le sang de Jésus n’est plus un signe de mort, de séparation définitive d’avec les frères, mais le moyen d’une communion qui est richesse de vie pour tous. Dans le sacrement de l’Eucharistie, celui qui boit ce sang et demeure en Jésus Jn 6,56 est entraîné dans le dynamisme de son amour et du don de sa vie, afin de porter à sa plénitude la vocation première à l’amour qui est celle de tout homme Gn 1,27 ; Gn 2,18-24 . Dans le sang du Christ, tous les hommes puisent aussi la force de s’engager en faveur de la vie. Ce sang est justement la raison la plus forte d’espérer et même le fondement de la certitude absolue que, selon le plan de Dieu, la vie remportera la victoire. " De mort, il n’y en aura plus ", s’écrie la voix puissante qui vient du trône de Dieu dans la Jérusalem céleste Ap 21,4 . Et saint Paul nous assure que la victoire présente sur le péché est le signe et l’anticipation de la victoire définitive sur la mort, quand " s’accomplira la parole qui est écrite : " La mort a été engloutie dans la victoire. Où est-elle, ô mort, ta victoire ? Où est-il, ô mort, ton aiguillon ? " 1Co 15,54-55 .

v. 16 : GS 38 L’activité humaine et son achèvement dans le mystère pascal

38 Le Verbe de Dieu, par qui tout a été fait, s’est lui-même fait chair et est venu habiter la terre des hommes (10 Cf. Jn 1,3 ; Jn 1,14). Homme parfait, il est entré dans l’histoire du monde, l’assumant et la récapitulant en lui (11 Cf. Ep 1,10). C’est lui qui nous révèle que " Dieu est charité " (1Jn 4,8) et qui nous enseigne en même temps que la loi fondamentale de la perfection humaine, et donc de la transformation du monde, est le commandement nouveau de l’amour. A ceux qui croient à la divine charité, il apporte ainsi la certitude que la voie de l’amour est ouverte à tous les hommes et que l’effort qui tend à instaurer une fraternité universelle n’est pas vain. Il nous avertit aussi que cette charité ne doit pas seulement s’exercer dans des actions d’éclat, mais, et avant tout, dans le quotidien de la vie. En acceptant de mourir pour nous tous, pécheurs (12 Cf. Jn 3,16 ; Rm 5,8-10), il nous apprend, par son exemple, que nous devons aussi porter cette croix que la chair et le monde font peser sur les épaules de ceux qui poursuivent la justice et la paix. Constitué Seigneur par sa résurrection, le Christ à qui tout pouvoir a été donné, au ciel et sur la terre (13 Cf. Ac 2,36 ; Mt 28,18) agit désormais dans le coeur des hommes par la puissance de son Esprit ; il anime aussi, purifie et fortifie ces aspirations généreuses qui poussent la famille humaine à améliorer ses conditions de vie et à soumettre à cette fin la terre entière. Assurément les dons de l’Esprit sont divers : tandis qu’il appelle certains à témoigner ouvertement du désir de la demeure céleste et à garder vivant ce témoignage dans la famille humaine, il appelle les autres à se vouer au service terrestre des hommes, préparant par ce ministère la matière du royaume des cieux. Mais de tous il fait des hommes libres pour que, renonçant à l’amour-propre et rassemblant toutes les énergies terrestres pour la vie humaine, ils s’élancent vers l’avenir, vers ce temps où l’humanité elle-même deviendra une offrande agréable à Dieu (14 Cf. Rm 15,16).

Le Seigneur a laissé aux siens les arrhes de cette espérance et un aliment pour la route : le sacrement de la foi, dans lequel des éléments de la nature, cultivés par l’homme, sont changés en son Corps et en son Sang glorieux. C’est le repas de la communion fraternelle, une anticipation du banquet céleste.

v. 16 : I, II, 102, 3 : Quelle est la raison d’être des sacrifices ?

En sens contraire , nous lisons dans le Lévitique (Lv 2,13) : " Le prêtre fera fumer toutes les offrandes sur l’autel et ce sera un holocauste d’une odeur très agréable au Seigneur. " Et nous lisons aussi au livre de la Sagesse (Sg 7,28) : " Dieu n’aime que celui qui habite avec la Sagesse. " On peut en inférer que tout ce qui est agréé par Dieu est accompagné de sagesse et donc que ces rites sacrificiels étaient sages, autrement dit fondés en raison.

Réponse : On vient de le dire, les cérémonies de la loi ancienne comportaient une double raison d’être : littérale, en tant qu’elles réglaient le culte de Dieu, et figurative, ou mystique, en tant qu’elles étaient destinées à figurer le Christ. Des deux points de vue, il est possible de dégager une explication satisfaisante des cérémonies relatives aux sacrifices. En tant que les sacrifices contribuaient au culte divin, on peut les expliquer de deux façons :

1 Comme expression d’une juste attitude de l’esprit envers Dieu, attitude à laquelle était incité celui qui offrait le sacrifice. Mais cette juste attitude de l’âme envers Dieu requiert de l’homme qu’il reconnaisse tenir de Dieu tout ce qu’il possède, comme du principe premier, et qu’il le rapporte à Dieu comme à sa fin ultime. Telle était la signification des offrandes et des sacrifices, lorsque l’homme prenant de ses biens et reconnaissant par là qu’il les tenait de Dieu, les offrait à l’honneur de Dieu. C’est la prière de David au premier livre des Chroniques (1Ch 29,14) : " Toutes choses t’appartiennent, et ce que nous te donnons nous l’avons reçu de ta main. " De cette façon, en offrant un sacrifice, l’homme attestait que Dieu est le premier principe créateur de toutes choses et la fin principe créateur de toutes choses et la fin dernière à quoi tout doit être rapporté.

2 Mais la juste attitude de l’âme envers Dieu exige en outre que l’âme humaine ne reconnaisse en dehors de Dieu aucun autre auteur premier des choses et ne place en nul autre que lui sa fin dernière. Voilà pourquoi la loi interdisait d’offrir un sacrifice à personne d’autre qu’à Dieu, selon les termes de l’Exode (Ex 22,20) : " Celui qui sacrifie aux dieux, et non au seul Seigneur, périra. " Ce qui permet de dégager cette seconde raison pour expliquer le cérémonial des sacrifices, qui est de détourner les hommes des sacrifices idolâtriques. C’est même pour cela que les préceptes concernant les sacrifices ne furent pas donnés au peuple juif avant qu’il eût versé dans l’idolâtrie en adorant le veau d’or, comme si ces sacrifices n’avaient été institués que pour engager ce peuple, d’ailleurs enclin aux sacrifices, à en offrir à Dieu plutôt qu’aux idoles. " je n’ai rien dit à vos pères, lisons-nous en jérémie (Jr 7,22), et je ne leur ai rien prescrit, le jour ou je les ai tirés du pays d’Égypte, en matière d’holocaustes et de sacrifices. "

D’autre part, de tous les dons que Dieu a faits au genre humain après sa chute dans le péché, le tout premier en dignité est celui qu’il fit de son Fils : " Dieu a tant aimé le monde, écrit S. Jean (Jn 3,16), qu’il lui a donné son Fils unique, afin que tous ceux qui croient en lui ne périssent pas, mais obtiennent la vie éternelle. " C’est pourquoi le sacrifice le plus excellent est celui ou le Christ en personne " s’est offert lui-même à Dieu en victime d’agréable odeur ", selon l’expression de S. Paul aux Éphésiens (Ep 5,2) . Et tous les sacrifices de l’ancienne loi étaient offerts en figure de ce sacrifice unique et excellent, comme l’imparfait figure le parfait. Dans cette perspective, l’épître aux Hébreux (He 10,11) enseigne que le prêtre de la loi ancienne " offrait plusieurs fois les mêmes victimes qui ne parvenaient jamais à ôter les péchés ; tandis que le Christ, pour les péchés, n’en offrit qu’une et pour toujours ". Et parce que l’explication de la figure se trouve dans la réalité qu’elle représente, c’est à la lumière du vrai sacrifice du Christ qu’il faut interpréter le sens des sacrifices figuratifs de l’ancienne loi.

v. 16 : III, 4, 5 : Aurait-il été convenable que le Fils de Dieu assume la nature humaine dans tous ses individus ?

Objections : 2. L’Incarnation procède de la charité divine ; de là cette parole de S. Jean (Jn 3,16) : " Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique. " Mais l’amour fait que l’on se donne à ses amis dans toute la mesure du possible. Or, nous l’avons vu, il était possible au Fils de Dieu d’assumer plusieurs natures humaines, et toutes au même titre. Il convenait donc que le Fils de Dieu assume la nature humaine dans tous ses individus.

En sens contraire , le Damascène écrit : " Le Fils de Dieu n’a pas pris la nature humaine dans son universalité spécifique ; il ne l’a pas davantage assumée dans tous ses suppôts. "

Réponse : Il ne convient pas que la nature humaine soit assumée par le Verbe dans tous ses suppôts. - 1 Cela aurait enlevé à la nature humaine la pluralité de suppôts qui lui est naturelle. En effet, il n’y a pas dans la nature assumée d’autre suppôt que la personne qui assume ; donc, si la nature humaine entière était assumée, il n’y aurait plus qu’un seul suppôt en elle, à savoir la personne qui assume. - 2 Cela dérogerait à la dignité du Fils de Dieu incarné qui, selon la nature humaine, est " le premier-né parmi beaucoup de frères ", comme il est, selon la nature divine " le premier-né de toute créature ". Tous les hommes en effet posséderaient la même dignité. - 3 Il convient que, si une seule personne divine s’incarne, une seule nature humaine aussi soit assumée, afin que l’unité se trouve des deux côtés.

Solutions : 2. L’amour de Dieu envers les hommes ne se manifeste pas seulement par l’assomption de la nature humaine, mais surtout par les souffrances qu’il a endurées dans sa nature humaine pour les autres hommes, selon S. Paul (Rm 5,8) : " La preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions des ennemis. " Or cela n’aurait pas eu lieu si le Fils de Dieu avait assumé la nature humaine dans tous les hommes.

v. 16 : III, 32, 1 : Le Saint-Esprit a-t-il été le principe actif de la conception du Christ ?

En sens contraire , S. Luc a cette affirmation (Lc 1,35) : " L’Esprit Saint viendra sur toi. "

Réponse : La conception du corps du Christ est l’oeuvre de toute la Trinité. Cependant on l’attribue au Saint-Esprit pour trois raisons.

1 Cela convient au motif de l’Incarnation envisagé du côté de Dieu. En effet, l’Esprit Saint est l’amour du Père et du Fils, comme nous l’avons établi dans la première Partie. Or, que le Fils de Dieu ait assumé la chair dans un sein virginal, cela vient d’un très grand amour de Dieu : " Dieu a tellement aimé le monde, qu’il a donné son Fils unique " (Jn 3,16) .

v. 16 : III, 49, ARTICLE 4 : Par la passion du Christ sommes-nous réconciliés avec Dieu ?

Objections : 2. La même réalité ne peut être à la fois principe et effet ; c’est pourquoi la grâce, qui est principe de mérite n’est pas méritoire. Or l’amour de Dieu est le principe de la passion du Christ, comme le montre S. Jean (Jn 3,16) : " Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique. " Il ne semble donc pas que par la passion du Christ nous avons été réconciliés avec Dieu de telle sorte qu’il ait commencé de nous aimer à nouveau.

En sens contraire , il y a cette parole de S. Paul (Rm 5,10) : " Nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils. "

Réponse : La passion du Christ est la cause de notre réconciliation avec Dieu sous deux rapports :

1 En tant qu’elle écarte le péché, par lequel les hommes sont constitués ennemis de Dieu, selon le livre de la Sagesse (Sg 14,9) : " Dieu déteste également l’impie et son impiété ", et selon le Psaume (Ps 5,7) : " Tu hais tous les malfaisants. "

2 En tant qu’elle est un sacrifice souverainement agréable à Dieu. Car l’effet propre du sacrifice, c’est de nous rendre Dieu favorable. Ainsi un homme pardonne une offense commise contre lui, à cause d’un service agréable qu’on lui rend. Aussi est-il écrit (1S 26,19) : " Si c’est le Seigneur qui t’excite contre moi, qu’il soit apaisé par l’odeur d’un sacrifice. " Et pareillement, que le Christ ait souffert volontairement, ce fut un si grand bien que Dieu, à cause de ce si grand bien trouvé dans la nature humaine, s’est apaisé au sujet de toute offense du genre humain, pour tous ceux qui s’unissent de la manière qu’on a indiquée au Christ qui a souffert.

Solutions : 2. On ne dit pas que le Christ nous a réconciliés avec Dieu en ce sens qu’il aurait commencé de nous aimer à nouveau, puisqu’il est écrit dans Jérémie (Jr 31,3) : " je t’ai aimé d’un amour éternel. " C’est parce que la passion du Christ a supprimé toute cause de haine, aussi bien en enlevant le péché qu’en le compensant par un bien plus agréable.

v. 16 : Lettre aux familles 2 La famille, route de l’Église

Parmi ces nombreuses routes, la famille est la première et la plus importante : c’est une route commune, tout en étant particulière, absolument unique, comme tout homme est unique ; une route dont l’être humain ne peut s’écarter. En effet, il vient au monde normalement à l’intérieur d’une famille ; on peut donc dire qu’il doit à cette famille le fait même d’exister comme homme. Quand la famille manque, il se crée dans la personne qui vient au monde une carence préoccupante et douloureuse, qui pèsera par la suite sur toute sa vie. L’Église se penche avec une affectueuse sollicitude vers ceux qui vivent une telle situation, car elle connaît bien le rôle fondamental que la famille est appelée à remplir. Elle sait, en outre, que normalement l’homme quitte sa famille pour réaliser à son tour, dans un nouveau noyau familial, sa vocation propre. Même s’il choisit de rester seul, la famille demeure pour ainsi dire son horizon existentiel, la communauté fondamentale dans laquelle s’enracine tout le réseau de ses relations sociales, depuis les plus immédiates, les plus proches, jusqu’aux plus lointaines. Ne parlons-nous pas de " famille humaine " à propos de l’ensemble des hommes qui vivent dans le monde ?

La famille a son origine dans l’amour même du Créateur pour le monde créé, comme il est déjà dit " au commencement ", dans le Livre de la Genèse (Gn 1,1). Dans l’Évangile, Jésus le confirme pleinement : " Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique " (Jn 3,16). Le Fils unique, consubstantiel au Père, " Dieu, né de Dieu, Lumière née de la Lumière ", est entré dans l’histoire des hommes par la famille : " Par son Incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme. Il a travaillé avec des mains d’homme (..), il a aimé avec un coeur d’homme. Né de la Vierge Marie, il est vraiment devenu l’un de nous, en tout semblable à nous, hormis le péché (3) ". Si donc le Christ " manifeste pleinement l’homme à lui-même " (4), c’est d’abord par la famille dans laquelle il a choisi de naître et de grandir qu’il le fait. On sait que le Rédempteur est resté caché à Nazareth pendant une grande partie de sa vie, " soumis " (Lc 2,51), en tant que " Fils de l’homme ", à Marie sa mère, et à Joseph le charpentier. Cette " obéissance " filiale n’est-elle pas la première expression de l’obéissance à son Père " jusqu’à la mort "(Ph 2,8) par laquelle il a racheté le monde ?

3- GS 22

4- Ibid.

Le mystère divin de l’Incarnation du Verbe a donc un rapport étroit avec la famille humaine. Et cela, non seulement avec une famille, celle de Nazareth, mais en quelque sorte avec toute famille, d’une manière analogue à ce que dit le Concile Vatican II à propos du II à propos du Fils de Dieu qui, par l’Incarnation, " s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme " (5- GS 22). À la suite du Christ " venu " dans le monde " pour servir " (Mt 20,28), l’Église considère que servir la famille est l’une de ses tâches essentielles. En ce sens, l’homme et la famille également constituent " la route de l’Église ".

v. 16 : Lettre aux familles 4 La prière

Par la présente Lettre je voudrais m’adresser, non à la famille " dans l’abstrait " , mais à chaque famille concrète de toutes les régions de la terre, sous quelque longitude et latitude qu’elle se trouve, et quelles que soient la diversité et la complexité de sa culture et de son histoire. L’amour dont " Dieu a aimé le monde " (Jn 3,16), l’amour dont le Christ " aima jusqu’à la fin " tous et chacun (Jn 13,1), donne la possibilité d’adresser ce message à chaque famille, " cellule " vitale de la grande et universelle " famille " humaine. Le Père, Créateur de l’univers, et le Verbe incarné, Rédempteur de l’humanité, constituent la source de cette ouverture universelle aux hommes comme à des frères et des soeurs, et ils invitent à les prendre tous dans la prière qui commence par les mots émouvants " Notre Père ".

La prière fait que le Fils de Dieu demeure au milieu de nous : " Que deux ou trois soient réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux " (Mt 18,20). Cette Lettre aux Familles veut être avant tout une prière adressée au Christ pour qu’il demeure en chacune des familles humaines ;un appel qui lui est adressé, à travers la petite famille constituée par les parents et les enfants, à habiter dans la grande famille des nations, afin qu’avec lui nous puissions tous dire en vérité : " Notre Père ! ". Il faut que la prière devienne l’élément dominant de l’Année de la famille dans l’Église : prière de la famille, prière pour la famille, prière avec la famille.

Il est significatif que, précisément dans la prière et par la prière, l’homme découvre, d’une manière on ne peut plus simple et profonde à la fois, sa véritable personnalité : dans la prière, le " je " humain saisit plus facilement la profondeur de sa qualité de personne. Cela vaut également pour la famille, qui n’est pas seulement la " cellule " fondamentale de la société mais qui possède aussi une physionomie particulière. Celle-ci trouve une confirmation première et fondamentale, et se raffermit, lorsque les membres de la famille se rencontrent dans l’invocation commune : " Notre Père ! " La prière renforce la solidité et la cohésion spirituelle de la famille, contribuant à faire participer celle-ci à la " force " de Dieu. Dans la " bénédiction nuptiale " solennelle au cours de la cérémonie du mariage, le célébrant invoque ainsi le Seigneur pour les nouveaux époux : " Fais descendre sur eux la grâce de l’Esprit-Saint afin que, par ton amour répandu dans leurs coeurs, ils restent toujours fidèles à l’alliance conjugale " (8). C’est de cette " effusion de l’Esprit-Saint " que naît la force intérieure des familles, comme aussi la puissance capable de les unifier dans l’amour et dans la vérité.

8- Rituale Romanu , Ordo celebrandi matriomonium, n 74, 2è édition typique, 1991, p. 26.

vv. 16-17 : Lettre aux familles 22 " Vous m’avez accueilli "

Époux et familles du monde entier, l’Époux est avec vous ! C’est la première chose que veut vous dire le Pape, en l’année que les Nations Unies et l’Église consacrent à la famille. " Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle. Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui " (Jn 3,16-17) ; " ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l’Esprit est Esprit. Il vous faut naître d’en haut " (Jn 3,6-7). Vous devez " naître d’eau et d’Esprit " (Jn 3,5). C’est précisément vous, chers pères et mères, qui êtes les premiers témoins et ministres de cette nouvelle naissance de l’Esprit Saint. Vous, qui engendrez vos enfants pour la patrie terrestre, n’oubliez pas qu’en même temps vous les engendrez pour Dieu. Dieu désire qu’ils naissent de l’Esprit Saint ; il veut qu’ils soient ses fils adoptifs dans le Fils unique, qui nous donne le " pouvoir de devenir enfants de Dieu " (Jn 1,12). L’oeuvre du salut perdure dans le monde et se réalise grâce à l’Église. Tout cela est l’oeuvre du Fils de Dieu, de l’Époux divin, qui nous a transmis le Règne du Père et qui nous rappelle à nous, ses disciples : " Le Royaume de Dieu est au milieu de vous " (Lc 17,21).

Notre foi nous dit que Jésus-Christ, qui " est assis à la droite du Père " , viendra juger les vivants et les morts. D’autre part, l’évangéliste Jean nous assure qu’Il a été envoyé dans le monde " non pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui " (Jn 3,17). En quoi consiste donc le jugement ? Le Christ lui-même donne la réponse : " Tel est le jugement : la lumière est venue dans le monde_ Celui qui fait la vérité vient à la lumière, afin que soit manifesté que ses oeuvres sont faites en Dieu " (Jn 3,19 ; Jn 3,21). C’est ce qu’a récemment rappelé l’Encyclique Veritatis splendor (52- VS 84). Le Christ est-il donc juge ? Tes actes te jugeront à la lumière de la vérité que tu connais.

Ce sont leurs oeuvres qui jugeront les pères et les mères, les fils et les filles. Chacun de nous sera jugé à partir des commandements, y compris ceux que nous avons rappelés dans cette Lettre : le quatrième, le cinquième, le sixième et le neuvième. Mais chacun sera jugé surtout sur l’amour, qui donne leur sens aux commandements et qui en est la synthèse. " Au soir de la vie, nous serons jugés sur l’amour " , a écrit saint Jean de la Croix (53). Le Christ, Rédempteur et Époux de l’humanité, n’ " est né et n’est venu dans le monde que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute sa voix " (cf. Jn 18,37). C’est lui qui sera le juge, mais de la manière qu’il a lui-même indiquée en parlant du jugement dernier (cf. Mt 25,31-46). Son jugement sera un jugement sur l’amour, un jugement qui confirmera définitivement la vérité que l’Époux était avec nous, sans que, peut-être, nous l’ayons su.

53- La vive Flamme d’amour, 59.

Le juge est l’Époux de l’Église et de l’humanité. C’est pourquoi il juge en disant : " Venez, les bénis de mon Père, car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais un étranger et vous m’avez accueilli, nu et vous m’avez vêtu " (Mt 25,34-36). Cette liste pourrait naturellement s’allonger et en elle apparaîtrait un nombre infini de problèmes qui concernent aussi la vie conjugale et familiale. On pourrait y trouver également des expressions comme celles-ci : " J’étais un enfant encore à naître et vous m’avez reçu, me permettant de naître ; j’étais un enfant abandonné et vous avez été pour moi une famille ; j’étais un enfant orphelin et vous m’avez adopté et élevé comme votre enfant " . Et encore : " Les mères qui hésitaient et qui subissaient des pressions indues, vous les avez aidées à accepter leur enfant à naître et à le mettre au monde ; vous avez aidé des familles nombreuses, des familles en difficulté, à garder et à élever les enfants que Dieu leur avait donnés " . Nous pourrions continuer, avec une liste longue et variée qui comprendrait toute sorte de vrai bien moral et humain, où s’exprime l’amour. Telle est la grande moisson que le Rédempteur du monde, auquel le Père a remis le jugement, viendra récolter : c’est la moisson de grâce et d’oeuvres bonnes, mûrie au souffle de l’Époux dans l’Esprit Saint, qui ne cesse d’agir dans le monde et dans l’Église. Rendons-en grâce à Celui qui est l’Auteur de tout bien.

Nous savons pourtant que, dans la sentence finale rapportée par l’évangéliste Matthieu, il y a une autre liste, grave et terrifiante : " Loin de moi, car j’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger, j’ai eu soif et vous ne m’avez pas donné à boire, j’étais un étranger et vous ne m’avez pas accueilli, nu et vous ne m’avez pas vêtu " (Mt 25,41-43). Et, dans cette liste également, il se trouvera peut-être d’autres comportements, dans lesquels Jésus, là aussi, se présente toujours comme l’homme méprisé. Ainsi, il s’identifie avec la femme ou le mari abandonné, avec l’enfant conçu et refusé : " Vous ne m’avez pas accueilli ! " . Ce jugement lui aussi fait son chemin à travers l’histoire de nos familles ; il fait son chemin à travers l’histoire des nations et de l’humanité. Les paroles du Christ " vous ne m’avez pas accueilli " concernent aussi des institutions sociales, des gouvernements et des organisations internationales.

Pascal a écrit que " Jésus sera en agonie jusqu’à la fin du monde " (54). L’agonie de Gethsémani et l’agonie du Golgotha sont le point culminant de la manifestation de l’amour. Dans l’une et l’autre se manifeste l’Époux qui est avec nous, qui aime toujours de aime toujours de manière nouvelle, qui " aime jusqu’à la fin " (cf. Jn 13,1). L’amour qui est en lui et qui va de lui jusqu’aux frontières des histoires personnelles ou familiales, dépasse les frontières de l’histoire de l’humanité.

54- B. Pascal, Pensées, n.553 (éd. Br.).

Au terme de ces réflexions, chers Frères et Soeurs, en pensant à tout ce qui sera proclamé pendant l’Année de la Famille à partir de diverses tribunes, je voudrais renouveler avec vous la confession adressée par Pierre au Christ : " Tu as les paroles de la vie éternelle " (Jn 6,68). En même temps nous disons : Tes paroles, Seigneur, ne passeront pas (cf. Mc 13,31) ! Quel souhait le Pape peut-il former pour vous au terme de cette longue méditation sur l’Année de la Famille ? Il vous souhaite de vous retrouver tous dans ces paroles, qui sont " esprit et vie " (cf. Jn 6,63).

v. 16 : PO 22 CONCLUSION ET EXHORTATION

Conscient des joies de la vie sacerdotale, ce saint Concile ne peut cependant ignorer les difficultés dont souffrent les prêtres dans les conditions de la vie actuelle. Il se rend compte de la transformation de la situation économique et sociale, et même des moeurs ; il se rend compte du bouleversement de la hiérarchie des valeurs dans le jugement des hommes. Dans ces conditions les ministres de l’Eglise et même parfois les chrétiens, se sentent comme étrangers, à ce monde ; avec anxiété, ils se demandent quels moyens, quels mots trouver pour entrer en communication avec lui. Obstacles nouveau à la vie de foi, stérilité apparente du labeur accompli, dure épreuve de la solitude, tout cela peut risquer de les conduire au découragement.

Mais ce monde, tel qu’il est aujourd’hui, ce monde confié à l’amour et au ministère des pasteurs de l’Eglise, Dieu l’a tant aimé qu’il a donné pour lui son Fils unique (1 cf. Jn 3,16). En vérité, avec tout le poids de son péché, mais aussi avec la richesse de ses possibilités, ce monde offre à l’Eglise les pierres vivantes (2 cf. 1P 2,5) qui s’intègrent à la construction pour être une demeure de Dieu dans l’Esprit (3 cf. Ep 2,22). Et c’est encore l’Esprit Saint qui pousse l’Eglise à ouvrir des chemins nouveaux pour aller au devant du monde d’aujourd’hui ; c’est lui qui, de ce fait, suggère et encourage les adaptations qui s’imposent pour le ministère sacerdotal.

Que les prêtres ne l’oublient pas : ils ne sont jamais seuls dans leur action, ils s’appuient sur la force du Dieu tout-puissant ; que leur foi au Christ, qui les a appelés à participer à son sacerdoce, les aide à se donner en toute confiance à leur ministère, car ils savent que Dieu est assez puissant pour augmenter en eux la charité (4 cf. Pont.Rom., de ordinatione presbyteri). Qu’ils ne l’oublient pas non plus : ils ont pour compagnons leurs frères dans le sacerdoce, bien plus, les chrétiens du monde entier. Car tous les prêtres travaillent ensemble pour accomplir le dessein divin du salut, le Magistère du Christ caché depuis les siècles en Dieu (5 cf. Ep 3,9), qui ne se réalise que peu à peu, par l’effort coordonné de ministères différents, en vue de l’édification du Corps du Christ jusqu’à ce qu’il atteigne toute sa taille. Tout cela, certes est caché avec le Christ en Dieu (6 cf. Col 3,3) et c’est surtout la foi qui peut s’en rendre compte. C’est dans la foi que doivent marcher les guides du peuple de Dieu, suivant l’exemple d’Abraham le fidèle, qui, " par la loi obéit à l’appel de partir vers un pays qu’il devait recevoir en héritage, et il partit ne sachant où il allait ". Ep 11,8 . En vérité, l’intendant des mystères de Dieu ressemble au semeur dont le Seigneur a dit : " Qu’il dorme ou qu’il se lève, la nuit ou le jour, la semence germe et pousse, il ne sait comment " Mc 4,27 . D’ailleurs, si le Seigneur Jésus a dit " Gardez courage ! j’ai vaincu le monde " Jn 16,33 il n’a pas pour autant, promis à l’Eglise la victoire totale ici-bas. Ce qui fait la joie de ce saint Concile, c’est que la terre, ensemencée par la graine de l’Evangile, donne aujourd’hui du fruit en bien des endroits, sou la conduite de l’Esprit du Seigneur qui remplit l’univers et qui a fait naître au coeur de tant de prêtres et de tant de chrétiens un esprit vraiment missionnaire. Pour tout cela, avec toute son affection, le saint Concile Concile remercie les prêtres du monde entier. Et " à celui qui peut tout faire, et bien au-delà de nos demandes et de nos pensées, en vertu de la puissance qui agit en nous, à lui la gloire dans l’Eglise et le Christ Jésus " Ep 3,20-21 .

Tout l’ensemble et chacun des points qui ont été édictés dans ce décret ont plu aux Pères du Concile. Et Nous, en vertu du pouvoir apostolique que Nous tenons du Christ, en union avec les vénérables Pères, Nous les approuvons, arrêtons et décrétons dans le Saint- Esprit, et Nous ordonnons que ce qui a été ainsi établi en Concile soit promulgué pour la gloire de Dieu.

Rome à Saint-Pierre, le 7 décembre 1965 Moi, PAUL, évêque de l’Eglise catholique

Suivent les signatures des Pères

v. 16 : Prière 6 Acte d’Offrande

J.M.J.T.

Offrande de moi-même

comme Victime d’Holocauste (Sg 3,6)

à l’Amour Miséricordieux du Bon Dieu

O mon Dieu ! Trinité Bienheureuse, je désire vous Aimer et vous faire Aimer, travailler à la glorification de la Sainte Eglise en sauvant les âmes qui sont sur la terre et (en) délivrant celles qui souffrent dans le purgatoire. Je désire accomplir parfaitement votre volonté et arriver au degré de gloire que vous m’avez préparé dans votre royaume, (Jn 14,2) en un mot, je désire être Sainte, mais je sens mon impuissance et je vous demande, ô mon Dieu ! d’être vous-même ma Sainteté . (Jn 3,16)

Puisque vous m’avez aimée jusqu’à me donner votre Fils unique pour être mon Sauveur et mon Epoux, les trésors infinis de ses mérites sont à moi, je vous les offre avec bonheur, vous suppliant de ne me regarder qu’à travers la Face de Jésus et dans son Coeur brûlant d’Amour .

Je vous offre encore tous les mérites des Saints (qui sont au Ciel et sur la terre) leurs actes d’Amour et ceux des Saints Anges ; enfin je vous offre, ô Bienheureuse Trinité ! L’Amour et les mérites de la Sainte Vierge, ma Mère chérie, c’est à elle que j’abandonne mon offrande la priant de vous la présenter. Son divin Fils, mon Epoux Bien-Aimé, aux jours de sa vie mortelle, nous a dit : " Tout ce que vous demanderez à mon Père, en mon nom, il vous le donnera ! " (He 5,7 ; Jn 16,23) Je suis donc certaine que vous exaucerez mes désirs ; je le sais, ô mon Dieu ! (plus vous voulez donner, plus vous faites désirer). Je sens en mon coeur des désirs immenses et c’est avec confiance que je vous demande de venir prendre possession de mon âme. Ah ! je ne puis recevoir la Sainte Communion aussi souvent que je le désire, mais, Seigneur, n’êtes-vous pas Tout-Puissant ?... Restez en moi, comme au tabernacle, ne vous éloignez jamais de votre petite hostie......

Je voudrais vous consoler de l’ingratitude des méchants et je vous supplie de m’ôter la liberté de vous déplaire, si par faiblesse je tombe quelquefois qu’aussitôt votre Divin Regard purifie mon âme consumant toutes mes imperfections, comme le feu qui transforme toute chose en lui-même....

Je vous remercie, ô mon Dieu ! de toutes les grâces que vous m’avez accordées, en particulier de m’avoir fait passer par le creuset de la souffrance. C’est avec joie que je vous contemplerai (Sg 3,5-6 ; Mt 24,30) au dernier jour portant le sceptre de la Croix ; puisque vous (avez) daigné me donner en partage cette Croix si précieuse, j’espère au Ciel vous ressembler et voir briller sur mon corps glorifié les sacrés stigmates de votre Passion... (Jn 20,27 ; Ga 6,17)

Après l’exil de la terre, j’espère aller jouir de vous dans la Patrie, mais je ne veux pas amasser de mérites pour le Ciel, je veux travailler pour votre seul Amour, dans l’unique but de vous faire plaisir, de consoler votre Coeur Sacré et de sauver des âmes qui vous aimeront éternellement.

Au soir de cette vie je paraîtrai devant vous les mains vides car je ne vous demande pas, Seigneur, de compter mes oeuvres. Toutes nos justices ont des taches à vos yeux. (Is 64,6) Je veux donc me revêtir de votre propre Justice et recevoir de votre Amour la possession éternelle de Vous-même. Je ne veux point d’autre Trône et d’autre Couronne que Vous, ô mon Bien-Aimé !......

A vos yeux le temps n’est rien, un seul jour est comme mille ans, vous pouvez donc en un instant me préparer à paraître devant vous... (Ps 90,4)

Afin de vivre dans un acte de parfait Amour je m’offre comme victime d’holocauste à votre Amour miséricordieux, vous suppliant de me consumer (2v) sans cesse, (Jn 7,38) laissant déborder en mon âme les flots de tendresse infinie qui sont renfermés en vous et qu’ainsi je devienne Martyre de votre Amour, ô mon Dieu !...

Que ce martyre après m’avoir préparée à paraître devant vous me fasse enfin mourir et que mon âme s’élance sans retard dans l’éternel embrassement de Votre Miséricordieux Amour...

Je veux, ô mon Bien-Aimé, à chaque battement de mon coeur vous renouveler cette offrande un nombre infini de fois, jusqu’à ce que les ombres s’étant évanouies je puisse vous redire mon Amour dans un Face à Face Eternel !... (Ct 4,6 ; 1Co 3,12)

Marie, Françoise, Thérèse de l’Enfant Jésus

et de la Sainte Face

rel. carm. ind.

Fête de la Très Sainte Trinité

Le 9 juin de l’an de grâce 1895.

v. 16 : Prière 13 " Père Eternel, votre Fils unique "

" Père Eternel, votre Fils unique "

Tout ce que vous demanderez à mon Père, en mon Nom, Il vous le donnera.... (Jn 16,23)

Père Eternel, votre Fils unique, le doux Enfant Jésus est à moi puisque vous me l’avez donné (Jn 3,16) Je vous offre les mérites infinis de sa divine Enfance et je vous demande en son Nom d’appeler aux joies du Ciel d’innombrables phalanges de petits enfants qui suivront éternellement Le Divin Agneau. (Ap 14,4)

v. 16 : Redemptor Hominis 1

LE RÉDEMPTEUR DE L’HOMME, Jésus-Christ, est le centre du cosmos et de l’histoire. Vers Lui se tournent ma pensée et mon coeur en cette heure solennelle que l’Eglise et toute la famille de l’humanité contemporaine sont en train de vivre. En effet, le moment ou, après mon très cher prédécesseur Jean-Paul Ier, Dieu m’a confié, dans son dessein mystérieux, le service universel lié au Siège de Pierre à Rome, est déjà bien proche de l’an 2000. Il est difficile de dire dès maintenant comment cette année-là marquera le déroulement de l’histoire humaine, et ce qu’elle sera pour chaque peuple, nation, pays et continent, bien que l’on essaie dès maintenant de prévoir certains événements. Pour l’Eglise, pour le peuple de Dieu qui s’est étendu, de façon inégale il est vrai, jusqu’aux extrémités de la terre, cette année-là sera une année de grand jubilé. Nous sommes désormais assez proches de cette date qui même en respectant toutes les corrections que requiert l’exactitude chronologique nous remettra en mémoire et renouvellera d’une manière particulière la conscience de la vérité centrale de la foi, exprimée par saint Jean au début de son Evangile : " Le Verbe s’est fait chair et il a demeuré parmi nous " (1), et ailleurs encore : " Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle " (2).

1- Jn 1,14

2- Jn 3,16

Nous sommes nous aussi, d’une certaine façon, dans le temps d’un nouvel Avent, dans un temps d’attente. " Après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis aux Pères par les prophètes, Dieu, en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils... " (3), par le Fils-Verbe, qui s’est fait homme et est né de la Vierge Marie. Dans l’acte même de cette Rédemption, l’histoire de l’homme a atteint son sommet dans le dessein d’amour de Dieu. Dieu est entré dans l’histoire de l’humanité et, comme homme, il est devenu son sujet, l’un des milliards tout en étant Unique. Par l’Incarnation,Dieu a donné à la vie humaine la dimension qu’il voulait donner à l’homme dès son premier instant, et il l’a donnée d’une manière définitive, de la façon dont Lui seul est capable, selon son amour éternel et sa miséricorde, avec toute la liberté divine ; il l’a donnée aussi avec cette munificence qui, devant le péché originel et toute l’histoire des péchés de l’humanité, devant les erreurs de l’intelligence, de la volonté et du coeur de l’homme, nous permet de répéter avec admiration les paroles de la liturgie : " Heureuse faute qui nous valut un tel et un si grand Rédempteur ! " (4).

3- He 1,1-2

4- Exultet de la nuit pascale

v. 16 : Redemptor hominis 8 Rédemption : création renouvelée

Le Rédempteur du monde ! En Lui s’est révélée, d’une manière nouvelle et plus admirable, la vérité fondamentale sur la création que le livre de la Genèse atteste quand il répète à plusieurs reprises : " Dieu vit que cela était bon " (38). Le bien prend sa source dans la sagesse et dans l’amour. En Jésus-Christ, le monde visible, créé par Dieu pour l’homme (39) ce monde qui, lorsque le péché y est entré, a été soumis à la caducité (40), retrouve de nouveau son lien originaire avec la source divine de la sagesse et de l’amour. En effet, " Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique " (41). De même que dans l’homme-Adam ce lien avait été brisé, dans l’Homme-Christ il a été de nouveau renoué (42). Peut-être ne sommes-nous pas convaincus, nous, hommes du vingtième siècle, par les paroles de l’Apôtre des nations, prononcées avec une éloquence entraînante, sur " la création (qui) gémit dans les douleurs de l’enfantement jusqu’à maintenant " (43) et qui " attend avec impatience la révélation des fils de Dieu " (44), sur la création qui " a été soumise à la caducité " ? Le progrès immense, jusqu’ici inconnu, qui s’est manifesté particulièrement au cours de notre siècle, dans le domaine de la mainmise de l’homme sur le monde, ne révèle-t-il pas lui-même, et à un degré jamais connu, cette soumission multiforme " à la caducité " ? Il suffit de rappeler ici quelques faits, tels que la menace de la pollution de l’environnement naturel dans les lieux d’industrialisation rapide, ou les conflits armés qui éclatent et se répètent continuellement, ou encore la perspective de l’autodestruction par l’usage des armes atomiques à l’hydrogène, aux neutrons et d’autres semblables, le manque de respect pour les enfants dans le sein de leur mère. Le monde de l’époque nouvelle, le monde des vols cosmiques, le monde des conquêtes scientifiques et techniques jamais atteintes jusqu’ici n’est-il pas en même temps le monde qui " gémit dans les douleurs de l’enfantement " (45) et qui " attend avec impatience la révélation des fils de Dieu " (46) ?

38- Gn 1,4 ; Gn 1,10 ; Gn 1,12 ; Gn 1,18 ; Gn 1,21 ; Gn 1,31 39- Gn 1,26-30 40- Rm 8,20 ; Rm 8,19-22 ; GS 2 ; GS 13 41- Jn 3,16 42- Rm 5,12-21 43- Rm 8,22 44- Rm 8,19 45- Rm 8,22 46- Rm 8,19

Le Concile Vatican II, dans son analyse pénétrante du " monde contemporain ", a atteint ce point qui est le plus important du monde visible, à savoir l’homme, en descendant, comme le Christ, au plus profond des consciences humaines, en parvenant jusqu’au mystère intérieur de l’homme qui s’exprime, dans le langage biblique et même non biblique, par le mot " coeur ". Le Christ, Rédempteur du monde, est celui qui a pénétré, d’une manière unique et absolument singulière, dans le mystère de l’homme, et qui est entré dans son " coeur ". C’est donc à juste titre que le Concile Vatican II enseigne ceci : " En réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné. Adam, en effet, le premier homme, était la figure de celui qui devait venir celui qui devait venir (cf. Rm 5,14), le Christ Seigneur. Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation ". Et encore : "" Image du Dieu invisible " (Col 1,15) il est l’Homme parfait qui a restauré dans la descendance d’Adam la ressemblance divine, altérée dès le premier péché. Parce qu’en lui la nature humaine a été assumée, non absorbée, par le fait même cette nature a été élevée en nous aussi à une dignité sans égale. Car, par son Incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme. Il a travaillé avec des mains d’homme, il a pensé avec une intelligence d’homme, il a agi avec une volonté d’homme, il a aimé avec un coeur d’homme. Né de la Vierge Marie, il est vraiment devenu l’un de nous, en tout semblable à nous, hormis le péché " (47). Il est le Rédempteur de l’homme !

47- GS 22

v. 16 : Redemptor hominis 10

Dimension humaine du mystère de la rédemption

L’homme ne peut vivre sans amour. Il demeure pour lui-même un être incompréhensible, sa vie est privée de sens s’il ne reçoit pas la révélation de l’amour, s’il ne rencontre pas l’amour, s’il n’en fait pas l’expérience et s’il ne le fait pas sien, s’il n’y participe pas fortement. C’est pourquoi, comme on l’a déjà dit, le Christ Rédempteur révèle pleinement l’homme à lui-même. Telle est, si l’on peut s’exprimer ainsi, la dimension humaine du mystère de la Rédemption. Dans cette dimension, l’homme retrouve la grandeur, la dignité et la valeur propre de son humanité. Dans le mystère de la Rédemption, l’homme se trouve de nouveau " confirmé " et il est en quelque sorte créé de nouveau. Il est créé de nouveau ! " Il n’y a plus ni Juif ni Grec ; il n’y a plus ni esclave ni homme libre ; il n’y a plus ni homme ni femme, car vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus " (64). L’homme qui veut se comprendre lui-même jusqu’au fond ne doit pas se contenter pour son être propre de critères et de mesures qui seraient immédiats, partiaux, souvent superficiels et même seulement apparents ; mais il doit, avec ses inquiétudes, ses incertitudes et même avec sa faiblesse et son péché, avec sa vie et sa mort, s’approcher du Christ. Il doit, pour ainsi dire, entrer dans le Christ avec tout son être, il doit " s’approprier " et assimiler toute la réalité de l’Incarnation et de la Rédemption pour se retrouver soi-même. S’il laisse ce processus se réaliser profondément en lui, il produit alors des fruits non seulement d’adoration envers Dieu, mais aussi de profond émerveillement pour soi-même. Quelle valeur doit avoir l’homme aux yeux du Créateur s’il " a mérité d’avoir un tel et un si grand Rédempteur " (65), si " Dieu a donné son Fils " afin que lui, l’homme, " ne se perde pas, mais qu’il ait la vie éternelle " (66) !

64- Ga 3,28

65- Exultet de la nuit pascale.

66- Jn 3,16

En réalité, cette profonde admiration devant la valeur et la dignité de l’homme s’exprime dans le mot Evangile, qui veut dire Bonne Nouvelle. Elle est liée aussi au christianisme. Cette admiration justifie la mission de l’Eglise dans le monde, et même, peut-être plus encore, " dans le monde contemporain ". Cette admiration, qui est en même temps persuasion et certitude et celle-ci, dans ses racines fondamentales, est certitude de la foi, sans cesser de vivifier d’une manière cachée et mystérieuse tous les aspects de l’humanisme authentique, est étroitement liée au Christ. C’est elle qui détermine aussi la place du Christ et pour ainsi dire son droit de cité dans l’histoire de l’homme et de l’humanité. L’Eglise, qui ne cesse de contempler l’ensemble du mystère du Christ, sait, avec toute la certitude de la foi, que la Rédemption réalisée au moyen de la croix a définitivement redonné à l’homme sa dignité et le sens redonné à l’homme sa dignité et le sens de son existence dans le monde, alors qu’il avait en grande partie perdu ce sens à cause du péché. C’est pourquoi la Rédemption s’est accomplie dans le mystère pascal qui conduit, à travers la croix et la mort, à la résurrection.

A toutes les époques, et plus particulièrement à la nôtre, le devoir fondamental de l’Eglise est de diriger le regard de l’homme, d’orienter la conscience et l’expérience de toute l’humanité vers le mystère du Christ, d’aider tous les hommes à se familiariser avec la profondeur de la Rédemption qui se réalise dans le Christ Jésus. En même temps, on atteint aussi la sphère la plus profonde de l’homme, nous voulons dire la sphère du coeur de l’homme, de sa conscience et de sa vie.

v. 16 : Redemptor Hominis 22 La Mère de notre espérance

Lorsque, au commencement de ce nouveau pontificat, je tourne vers le Rédempteur du monde mes pensées et mon coeur, je désire par là entrer et pénétrer dans le rythme le plus profond de la vie de l’Eglise. En effet, si l’Eglise vit de sa propre vie, ceci vient de ce qu’elle la puise dans le Christ qui n’a toujours qu’un désir : que nous ayons la vie, et que nous l’ayons en abondance (188). Cette plénitude de vie qui est en Lui est aussi pour l’homme. C’est pourquoi l’Eglise, en participant à toute la richesse du mystère de la Rédemption, devient une Eglise d’hommes vivants, vivants parce que vivifiés intérieurement par l’action de " l’Esprit de vérité " (189), parce que visités par l’amour que l’Esprit Saint répand dans nos coeurs (190). Le but de tout service dans l’Eglise, qu’il s’agisse du service apostolique, pastoral, sacerdotal, épiscopal, est de maintenir ce lien dynamique du mystère de la Rédemption avec tout homme.

188- Jn 10,10 189- Jn 16,13 190- Rm 5,5

Si nous sommes conscients de cette tâche, alors nous pouvons mieux comprendre en quel sens l’Eglise est mère (191), et aussi en quel sens l’Eglise a toujours, et particulièrement en notre temps, besoin d’une Mère. Nous devons une gratitude spéciale aux Pères du Concile Vatican II qui ont exprimé cette vérité dans la constitution Lumen gentium et sa riche doctrine mariale (192). Puisque le Pape Paul VI, s’inspirant de cette doctrine, a proclamé la Mère du Christ " Mère de l’Eglise " (193), et que ce titre a trouvé une large résonance, qu’il soit permis aussi à son indigne successeur, au terme de ces considérations qu’il était bon de développer à l’aube de son service pontifical, de s’adresser à Marie, comme Mère de l’Eglise. Marie est Mère de l’Eglise parce que, en vertu de l’élection ineffable du Père éternel lui-même (194) et sous l’action particulière de l’Esprit d’Amour (195), elle a donné la vie humaine au Fils de Dieu, " pour qui et par qui existent toutes choses " (196), et dont le peuple de Dieu tout entier reçoit la grâce et la dignité de son élection. Son propre Fils a voulu explicitement étendre la maternité de sa Mère et l’étendre d’une manière facilement accessible à toutes les âmes et à tous les coeurs en lui donnant du haut de la croix son disciple bien-aimé pour fils (197). L’Esprit Saint lui suggéra de demeurer elle aussi au Cénacle après l’Ascension de Notre-Seigneur, recueillie dans la prière et dans l’attente avec les Apôtres jusqu’au jour de la Pentecôte, jour ou l’Eglise, sortant de l’obscurité, devait naître visiblement (198). Et depuis, toutes les générations des disciples et de tous ceux qui rendent témoignage au Christ et qui l’aiment, comme l’apôtre Jean, accueillirent spirituellement dans leurs maisons (199) cette Mère qui se trouve ainsi depuis le commencement, c’est-à-dire depuis le moment de l’Annonciation, insérée dans l’histoire du salut et dans la mission de l’Eglise. C’est pourquoi nous tous qui formons la génération

C’est pourquoi nous tous qui formons la génération actuelle des disciples du Christ, nous désirons nous unir à Elle d’une manière particulière. Nous le faisons avec tout notre attachement à la tradition ancienne et, en même temps, avec beaucoup de respect et d’amour pour les membres de toutes les communautés chrétiennes.

191- LG 63-64 192- LG 52-69 193- Paul VI, Allocution pour la clôture de la troisième session du Concile oecuménique Vatican II (21/11/1964) : AAS 56 (1964) 1015. 194- LG 56 195- ibid. 196- He 2,10 197- Jn 19,26 198- Ac 1,14 199- Jn 19,27

Nous le faisons poussés par la nécessité profonde de la foi, de l’espérance et de la charité. Si en effet, dans cette période difficile et capitale de l’histoire de l’Eglise et de l’humanité, nous ressentons un besoin particulier de nous tourner vers le Christ, qui est le Seigneur de son Eglise et le Seigneur de l’histoire humaine en vertu du mystère de la Rédemption, nous croyons que personne d’autre ne peut nous introduire comme le fait Marie dans la dimension divine et humaine de ce mystère. Personne n’y a été introduit comme Marie par Dieu lui-même. C’est en cela que consiste le caractère exceptionnel de la grâce de la maternité divine. Ce n’est pas seulement la dignité de cette maternité qui est unique et absolument singulière dans l’histoire du genre humain, mais ce qui est unique aussi par sa profondeur et l’amplitude de son action, c’est la participation de Marie, en raison de cette même maternité, au dessein divin du salut de l’homme, à travers le mystère de la Rédemption.

Ce mystère s’est formé pour ainsi dire, dans le coeur de la Vierge de Nazareth lorsqu’elle a prononcé son " fiat ". A partir de ce moment, ce coeur à la fois virginal et maternel, soumis à l’action particulière de l’Esprit Saint, suit continuellement l’oeuvre de son Fils et va vers tous ceux que le Christ a embrassés et embrasse continuellement dans son amour inépuisable. Et c’est pourquoi ce coeur doit être lui aussi maternellement inépuisable. La caractéristique de cet amour maternel que la Mère de Dieu fait passer dans le mystère de la Rédemption et dans la vie de l’Eglise, s’exprime dans le fait qu’elle est singulièrement proche de l’homme et de toute sa vie. C’est en ceci que consiste le mystère de la Mère. L’Eglise, qui la considère avec une affection et une espérance toutes particulières, désire s’approprier ce mystère d’une manière toujours plus profonde. Là encore, l’Eglise reconnaît le chemin de sa vie quotidienne, que constitue tout homme.

L’amour éternel du Père, qui s’est manifesté dans l’histoire de l’humanité par le Fils que le Père a donné " afin que celui qui croit en lui ne meure pas, mais qu’il ait la vie éternelle " (200), cet amour se fait proche de chacun d’entre nous grâce à cette Mère, et il se manifeste ainsi de manière plus compréhensible et plus accessible à chaque homme. En conséquence, Marie doit se trouver sur tous les chemins de la vie quotidienne de l’Eglise. Grâce à sa présence maternelle, l’Eglise acquiert la certitude qu’elle vit vraiment de la vie de son Maître et Seigneur, qu’elle vit le mystère de la Rédemption dans toute sa profondeur et sa plénitude vivifiante. C’est également la même Eglise qui, enracinée dans des secteurs nombreux et variés de la vie de toute l’humanité contemporaine, acquiert aussi la certitude et on dirait même l’expérience qu’elle est proche de l’homme, de chaque homme, qu’elle est son Eglise, l’Eglise du peuple de Dieu.

200- Jn 3,16

En face de ces tâches qui se présentent le long des chemins de l’Eglise, le long de ces chemins que le Pape Paul VI nous a clairement indiqués dans la première encyclique de son pontificat, nous-mêmes, conscients de l’absolue nécessité de toutes ces voies et en même temps des difficultés qui s’y amoncellent, nous sentons d’autant plus le besoin d’un lien profond avec le Christ. Ses paroles résonnent en nous comme un écho sonore : " Sans moi, vous ne pouvez rien faire " (201). Nous sentons non seulement le besoin mais davantage encore l’obligation impérieuse d’une prière plus large, intense et croissante de toute l’Eglise. La prière seule peut faire que toutes ces grandes tâches et les difficultés qui s’ensuivent ne deviennent pas des sources de crises, mais soient l’occasion et comme le point de départ de conquêtes toujours plus profondes sur le chemin du peuple de Dieu vers la Terre Promise, en cette étape de l’histoire qui nous achemine vers la fin du second millénaire. Cependant, en achevant cette méditation par un appel humble et chaleureux à la prière, je voudrais que l’on persévère dans cette prière en union avec Marie, Mère de Jésus (202), comme persévéraient autrefois les Apôtres et les disciples du Seigneur, après son Ascension, au Cénacle de Jérusalem (203). Je supplie surtout Marie, Mère céleste de l’Eglise, qu’elle daigne persévérer avec nous dans cette prière du nouvel Avent de l’humanité, afin que nous formions l’Eglise, le Corps mystique de son Fils unique. J’espère que, grâce à cette prière, nous serons capables de recevoir l’Esprit Saint qui descend sur nous (204) et de devenir ainsi témoins du Christ " jusqu’aux extrémités de la terre " (205), comme ceux qui sortirent du Cénacle de Jérusalem au jour de la Pentecôte.

201- Jn 15,5 202- Ac 1,14 203- Ac 1,13 204- Ac 1,8 205- ibid.

Avec ma Bénédiction Apostolique.

v. 17 : II Pour juger les vivants et les morts

678 A la suite des prophètes (cf. Da 7,10 ; Jl 3-4 ; Ml 3,19) et de Jean-Baptiste (cf. Mt 3,7-12), Jésus a annoncé dans sa prédication le Jugement du dernier Jour. Alors seront mis en lumière la conduite de chacun (cf. Mc 12,38-40) et le secret des coeurs (cf. Lc 12,1-3 ; Jn 3,20-21 ; Rm 2,16 ; 1Co 4,5). Alors sera condamnée l’incrédulité coupable qui a tenu pour rien la grâce offerte par Dieu (cf. Mt 11,20-24 ; Mt 12,41-42). L’attitude par rapport au prochain révèlera l’accueil ou le refus de la grâce et de l’amour divin (cf. Mt 5,22 ; Mt 7,1-5). Jésus dira au dernier jour : " Tout ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait " (Mt 25,40).

679 Le Christ est Seigneur de la vie éternelle. Le plein droit de juger définitivement les oeuvres et les coeurs des hommes appartient à Lui en tant que Rédempteur du monde. Il a " acquis " ce droit par sa Croix. Aussi le Père a-t-il remis " le jugement tout entier au Fils " (Jn 5,22 cf. Jn 5,27 ; Mt 25,31 ; Ac 10,42 ; Ac 17,31 ; 2Tm 4,1). Or, le Fils n’est pas venu pour juger, mais pour sauver (cf. Jn 3,17) et pour donner la vie qui est en lui (cf. Jn 5,26). C’est par le refus de la grâce en cette vie que chacun se juge déjà lui-même (cf. Jn 3,18 ; Jn 12,48), reçoit selon ses oeuvres (cf. 1Co 3,12-15) et peut même se damner pour l’éternité en refusant l’Esprit d’amour (cf. Mt 12,32 ; He 6,4-6 ; He 10,26-31).

v. 17 : Dominum et vivificantem 2

2 Cette foi, professée sans interruption par l’Eglise, doit être sans cesse ravivée et approfondie dans la conscience du Peuple de Dieu. Depuis un siècle, cela a été proposé plusieurs fois : de Léon XIII , qui publia l’Encyclique Divinum illud munus (1897) entièrement consacrée à l’Esprit Saint, jusqu’à Pie XII qui, dans l’Encyclique Mystici Corporis (1943), présentait l’Esprit Saint comme le principe vital de l’Eglise ou il est à l’oeuvre en union avec le Chef du Corps Mystique, le Christ(5) ; et jusqu’au Concile cuménique Vatican II qui a fait comprendre qu’une attention renouvelée à la doctrine sur l’Esprit Saint était nécessaire, comme le soulignait Paul VI : " A la christologie et spécialement à l’ecclésiologie du Concile, doivent succéder une étude nouvelle et un culte nouveau de l’Esprit Saint, précisément comme complément indispensable de l’enseignement du Concile "(6).

Ainsi, à notre époque, la foi de l’Eglise, la foi ancienne qui demeure et qui est toujours neuve, nous appelle à renouveler notre approche de l’Esprit Saint comme celui qui donne la vie. En cela, nous sommes aidés et encouragés par notre héritage commun avec les Eglises orientales, qui ont conservé jalousement les richesses extraordinaires de l’enseignement des Pères sur l’Esprit Saint. C’est pourquoi on peut dire aussi que l’un des événements ecclésiaux les plus importants de ces dernières années a été le XVIe centenaire du Premier Concile de Constantinople, célébré simultanément à Constantinople et à Rome en la solennité de la Pentecôte de l’année 1981. Dans la méditation sur le mystère de l’Eglise, l’Esprit Saint est alors mieux apparu comme celui qui ouvre les voies conduisant à l’unité des chrétiens, comme la source suprême de l’unité qui vient de Dieu lui-même et que saint Paul a exprimée particulièrement par les paroles prononcées fréquemment au début de la liturgie eucharistique : " La grâce de Jésus notre Seigneur, l’amour de Dieu le Père et la communion de l’Esprit Saint soient toujours avec vous "(7).

C’est dans une telle orientation que les précédentes Encycliques Redemptor hominis et Dives in misericordia ont trouvé en quelque sorte un point de départ et une inspiration : elles célèbrent l’événement de notre salut accompli dans le Fils envoyé par le Père dans le monde " pour que le monde soit sauvé par lui "(8) et " que toute langue proclame, de Jésus Christ, qu’il est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père "(9). A cette même orientation répond aujourd’hui la présente Encyclique sur l’Esprit Saint qui procède du Père et du Fils ; avec le Père et le Fils, il reçoit même adoration et même gloire : Personne divine, il est au coeur de la foi chrétienne et il est la source et la force dynamique du renouveau de l’Eglise(10). Cette Encyclique découle du plus profond de l’héritage du Concile. En effet, les textes conciliaires, par leur enseignement sur l’Eglise elle-même et sur l’Eglise dans le monde, nous invitent à pénétrer toujours mieux le mystère trinitaire de Dieu, en suivant la voie évangélique, patristique, liturgique : au Père, par le Christ, dans l’Esprit Saint.

De cette manière, l’Eglise répond aussi à certains désirs profonds qu’elle pense lire dans le coeur des hommes d’aujourd’hui : une découverte nouvelle de Dieu dans sa réalité transcendante d’Esprit infini, tel que Jésus le présente à la Samaritaine ; le besoin de l’adorer " en esprit et en vérité "(11) ; l’espoir de trouver en lui le secret de l’amour et la puissance d’une " création nouvelle "(12) : oui, vraiment celui qui donne la vie.

L’Eglise se sent appelée à cette mission d’annoncer l’Esprit alors qu’avec la famille humaine, elle arrive au terme du second millénaire après le Christ. Devant un ciel et une terre qui " passent ", elle sait bien que " les paroles qui ne passeront point "(13) revêtent une éloquence particulière. Ce sont les paroles du Christ sur l’Esprit Saint, source inépuisable de l’ "eau jaillissant en vie éternelle "(14), vérité et grâce du salut. Elle veut réfléchir sur ces paroles, elle veut rappeler ces paroles aux croyants et à tous les hommes, tandis qu’elle se prépare à célébrer - comme on le dira en son temps - le grand Jubilé qui marquera le passage du deuxième au troisième millénaire chrétien.

Naturellement, les réflexions qui suivent n’ont pas pour but d’examiner de manière exhaustive la très riche doctrine sur l’Esprit Saint, ni de privilégier telle ou telle solution des questions encore ouvertes. Elles ont comme objectif principal de développer dans l’Eglise la conscience que " l’Esprit Saint la pousse à coopérer à la réalisation totale du dessein de Dieu qui a fait du Christ le principe du salut pour le monde tout entier "(15).

5 Cf. LÉON XIII, Encycl. Divinium illud munus (9 mai 1897) : Acta Leonis, 17 (1898), PP. 125-148 ; PIE XII, Encycl. Mystici Corporis (29 juin 1943) : AAS 35 (1943), PP. 193-248.

6 Audience générale du 6 juin 1973 : Insegnamenti di Paolo VI, XI (1973), P. 477.

7 Missel romain ; cf. 2Co 13,13

8 Jn 3,17

9 Ph 2,11

10 Cf. CONC. OECUM VAT. II, Const. dogm. sur l’Eglise Lumen gentium, LG 4 JEAN-PAUL II, Discours aux participants du Congrès international de pneumatologie (26 mars 1982), n. 1 : Insegnamenti V/1 (1982), p. 1004.

11 Cf. Jn 4,24

12 Cf. Rm 8,22 ; Ga 6,15

13 Cf. Mt 24,35 , s Jn 4,14

15 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur l’Eglise Lumen gentium, LG 17

v. 17 : Dominum et vificantem 27 1. Péché, justice et jugement

27 Jésus, pendant son discours au Cénacle, annonce la venue de l’Esprit Saint " au prix " de son propre départ, et il promet : " Si je pars, je vous l’enverrai ". Mais, dans ce même contexte, il ajoute : " Et lui, une fois venu, il établira la culpabilité du monde en fait de péché, en fait de justice et en fait de jugement "(102). Le Paraclet lui-même, l’Esprit de vérité, promis comme celui qui " enseignera " et " rappellera ", comme celui qui " rendra témoignage ", comme celui qui " introduira dans la vérité tout entière ", est maintenant annoncé, par les paroles que nous venons de citer, comme celui qui " établira la culpabilité du monde en fait de péché, en fait de justice et en fait de jugement ".

Le contexte semble déjà significatif. Jésus relie cette annonce de la venue de l’Esprit Saint aux paroles qui indiquent son " départ " par la Croix et qui en soulignent même la nécessité : " C’est votre intérêt que je parte ; car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous "(103).

Mais ce qui compte le plus, c’est l’explication que Jésus ajoute lui-même à ces trois mots : péché, justice, jugement. Il dit en effet : " Il établira la culpabilité du monde en fait de péché, en fait de justice et en fait de jugement : de péché, parce qu’ils ne croient pas en moi ; de justice, parce que je vais vers le Père et que vous ne me verrez plus ; de jugement, parce que le Prince de ce monde est jugé "(104). Dans la pensée de Jésus, le péché, la justice, le jugement ont un sens bien précis, différent de celui que l’on aurait peut-être tendance à attribuer à ces mots indépendamment de l’explication donnée par celui qui parle. Cette explication indique aussi comment il faut comprendre l’expression " établir la culpabilité du monde ", qui est propre à l’action de l’Esprit Saint. Et ici, le sens de chaque mot importe, et aussi le fait que Jésus les a unis entre eux dans la même phrase.

" Le péché ", dans ce texte, signifie l’incrédulité que Jésus rencontre parmi les " siens ", à commencer par ses concitoyens de Nazareth. Il signifie le refus de sa mission, qui amènera les hommes à le condamner à mort. Lorsque, ensuite, il parle de " la justice ", Jésus semble envisager la justice définitive que lui rendra le Père en l’entourant de la gloire de la résurrection et de l’ascension au ciel : " Je m’en vais vers le Père ". A son tour, dans le contexte du " péché " et de la " justice " ainsi entendus, " le jugement " signifie que l’Esprit de vérité montrera, dans la condamnation de Jésus à la mort en Croix, le péché du " monde ". Toutefois, le Christ n’est pas venu dans le monde uniquement pour le juger et le condamner : il est venu pour le sauver(105). La mise en lumière du péché et de la justice a pour but le salut du monde, le salut des hommes. C’est bien cette vérité qui semble soulignée par l’affirmation que " le jugement " concerne seulement le " Prince de ce monde ", à savoir Satan, celui qui, depuis le commencement, exploite l’oeuvre de la création contre le salut, contre l’alliance et l’union de l’homme avec Dieu : il est " déjà jugé " depuis le commencement. Si l’Esprit-Paraclet doit confondre le monde en fait de jugement, c’est pour continuer en lui l’oeuvre salvatrice du Christ.

102 Jn 16,7-8

103 Jn 16,7

104 Jn 16,8-11

105 Cf. Jn 3,17 ; Jn 12,47

v. 17 : GS 3 Le service de l’homme

3 De nos jours, saisi d’admiration devant ses propres découvertes et son propre pouvoir, le genre humain s’interroge cependant, souvent avec angoisse, sur l’évolution présente du monde, sur la place et le rôle de l’homme dans l’univers, sur le sens de ses efforts individuels et collectifs, enfin sur la destinée ultime de choses et de l’humanité. Aussi le Concile, témoin et guide de la foi de tout le peuple de Dieu rassemblé par le Christ, ne saurait donner une preuve plus parlante de solidarité, de respect et d’amour à l’ensemble de la famille humaine, à laquelle ce peuple appartient, qu’en dialoguant avec elle sur ces différents problèmes, en les éclairant à la lumière de l’Evangile, et en mettant à la disposition du genre humain la puissance salvatrice que l’Eglise, conduite par l’Esprit-Saint, reçoit de son Fondateur. C’est en effet qu’il s’agit de sauver, la société humaine qu’il faut renouveler. C’est donc l’homme, l’homme considéré dans son unité et sa totalité, l’homme, corps et âme, coeur et conscience, pensée et volonté, qui constituera l’axe de tout notre exposé.

Voilà pourquoi, en proclamant la très noble vocation de l’homme et en affirmant qu’un germe divin est déposé en lui, ce saint Synode offre au genre humain la collaboration sincère de l’Eglise pour l’instauration d’une fraternité universelle qui réponde à cette vocation. Aucune ambition terrestre ne pousse l’Eglise ; elle ne vise qu’un seul but : continuer, sous l’impulsion de l’Esprit consolateur, l’oeuvre même du Christ, venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité, pour sauver, non pour condamner, pour servir, non pour être servi (2).

(2) Cf. Jn 3,17 ; Jn 18,37 ; Mt 20,28 ; Mc 10,45

v. 17 : I, II, 105, ARTICLE 2 : Les préceptes judiciaires qui concernent les rapports entre citoyens

Objections : 1. La paix sociale est impossible si l’on s’empare du bien d’autrui. Or la loi à l’air d’admettre cet abus, si l’on en juge d’après le Deutéronome (Dt 23,24) : " Entre dans la vigne de ton prochain, mange du raisin autant qu’il te plaira. " Ainsi la loi n’assurait pas convenablement la paix sociale.

En sens contraire , c’est le souvenir d’un bienfait signalé qu’évoque ce verset du Psaume (Ps 147) : " Il n’a pas agi de la sorte avec le reste des nations, il ne leur a pas manifesté ses ordonnances.

Réponse : S. Augustin cite cette définition du peuple par Cicéron : " C’est la multitude rassemblée par les liens de l’unité de droit et de la communauté d’intérêts. " Cela suppose essentiellement entre les citoyens des rapports réglés par de justes lois. Mais entre les citoyens il y a deux sortes de rapports : les uns sont fondés sur l’autorité publique, les autres sur la volonté individuelle des particuliers. Et nulle volonté ne peut s’exercer que dans les limites de son pouvoir, il faut réserver à l’autorité publique, qui a pouvoir sur les personnes, la connaissance des litiges entre particuliers et le châtiment des malfaiteurs. Au contraire, les particuliers ont pouvoir sur leurs biens ; ils peuvent donc, à cet égard, traiter librement entre eux, par exemple acheter, vendre, faire donation, etc.

Ces deux sortes de rapports ont été convenablement réglés par la loi. Elle a établi des juges (Dt 16,18) : " Tu établiras des juges et des greffiers dans toutes les villes, et ils jugeront le peuple avec justice. " Elle a établi une procédure équitable : " Jugez selon la justice : qu’il s’agisse d’un compatriote ou d’un étranger, qu’il n’y ait pas de différence entre les personnes " (Dt 1,16-17) . En interdisant aux juges de recevoir des présents, elle a coupé court à une occasion d’injustice (Ex 23,8 ; Dt 16,19) . Elle a fixé à deux ou trois le nombre des témoins (Dt 17,6 ; Dt 19,15) . Enfin, on le verra plus loin, elle a prévu des peines déterminées selon la diversité des délits.

Quant aux biens, l’idéal, selon Aristote, est que les propriétés soient distinctes, mais que l’usage en soit partiellement commun et partiellement distribué par la volonté des propriétaires. Or ces trois principes se firent jour dans la loi. En premier lieu, les terres furent partagées entre les particuliers (Nb 33,53) : " J’ai mis cette terre en votre possession ; vous vous la partagerez au sort. " Mais comme, au témoignage d’Aristote, l’inégalité des biens a conduit maints États à la ruine, la loi a préparé un triple remède à cet égard. Le premier consistait dans une répartition des terres exactement proportionnée au nombre de têtes : " Vous donnerez un héritage plus grand aux familles plus nombreuses, un héritage moindre aux moins nombreuses " (Nb 33,54) . Autre remède : les fonds n’étaient pas aliénables à perpétuité, mais revenaient au temps marqué à leur propriétaire, sans fusion des parts. Un troisième remède pour éviter ces accroissements, c’était la dévolution de l’héritage aux parents du défunt : au fils en premier lieu, puis à la fille, troisièmement aux frères, ensuite aux oncles paternels, enfin, en dernier lieu, à la parenté (Nb 27,8 . En outre, pour maintenir la répartition des patrimoines, la loi a établi que les filles héritières se marieraient dans leur tribu (Nb 36,8) .

En second lieu, la loi a établi dans une certaine mesure l’usage commun. Et tout d’abord, en ce qui concerne la gestion, le Deutéronome prescrit (Dt 22,1-4) : " Si tu vois s’égarer le boeuf ou la brebis de ton frère, tu ne t’en détourneras pas, mais tu les ramèneras à ton frère. " On pourrait citer d’autres exemples. - Puis, en ce qui concerne la jouissance : tous en effet, sans exception, étaient autorisés à entrer dans la vigne d’un ami et à y manger du raisin, sans toutefois en emporter. A propos des pauvres en particulier, on devait leur abandonner les gerbes oubliées ainsi que les grappes et les fruits restants ((Lv 19,9-10 ; Dt 24,19-21) . De même les produits de l’année sabbatique étaient mis en commun (Ex 23,11 ; Lv 25,4-7) .

En troisième lieu, la loi a organisé une distribution effectuée par les propriétaires eux-mêmes : tantôt à titre purement gratuit (Dt 14,28-29) : " Tous les trois ans, tu mettras à part une autre dîme, et le lévite, l’étranger, l’orphelin et la veuve viendront s’en nourrir et s’en rassasier " ; tantôt contre un avantage équivalent, dans le cas d’une vente, d’une location, d’un prêt ou d’un dépôt ; de tous ces actes, les conditions sont précisées par la loi. D’ou il ressort clairement que la loi ancienne a convenablement réglé la vie sociale de ce peuple.

Solutions : 1. L’Apôtre enseigne aux Romains (Rm 13,8) qu’en aimant le prochain on accomplit la loi. C’est que tous les préceptes de la loi, et notamment ceux qui regardent le prochain, apparaissent orientés vers ce but : que les hommes se portent une affection mutuelle. Or la direction incite les hommes à se communiquer leurs biens car, lisons-nous dans la première épître de S. Jean (Jn 3,17) , " si quelqu’un voit son frère dans le besoin et lui ferme son coeur, comment l’amour de Dieu demeure-t-il en lui ? " Voilà pourquoi la loi tâchait d’accoutumer les gens à se faire part volontiers de leurs biens. L’Apôtre, (1Tm 6,18) , enjoint lui aussi aux riches de distribuer et de partager libéralement. Or, interdire au prochain ces menus prélèvements qui ne lèsent guère le propriétaire, c’est manquer de libéralité. Aussi la loi a-t-elle ordonné qu’il serait loisible d’entrer dans la vigne du voisin et d’y manger des grappes ; toutefois, elle interdit d’en emporter, ne voulant pas donner par là prétexte à un dommage sérieux qui troublerait la paix sociale. Mais, entre gens raisonnables, ces légers grappillages, loin d’avoir un tel effet, mettent le sceau à l’amitié et entretiennent une atmosphère de libéralité.

v. 17 : II, II, 32, 1 : Faire l’aumône est-il un acte de la charité ?

En sens contraire , il est dit dans la 1ère épître de S. Jean (Jn 3,17) : " Si quelqu’un, jouissant des richesses du monde, voit son frère dans la nécessité sans se laisser attendrir, comment l’amour de Dieu pourrait-il demeurer en lui ? " 

Réponse : Les actes extérieurs se rapportent à la même vertu que le motif qui pousse à les accomplir. Or le motif pour donner l’aumône est de secourir celui qui est dans le besoin ; de là vient que certains définissent l’aumône : " L’acte de donner à l’indigent, par compassion et pour l’amour de Dieu. " Or ce motif appartient à la miséricorde, comme on l’a dit plus haut. Aussi est-il évident que faire l’aumône est proprement un acte de miséricorde. Son nom d’ailleurs l’indique : en grec, en effet, il est dérivé d’un mot qui signifie " miséricorde " , comme en latin miseratio (compassion). Et parce que la miséricorde est un effet de la charité, comme nous l’avons montré, on doit conclure que faire l’aumône est un acte de la charité, par l’intermédiaire de la miséricorde.

v. 17 : III, 1, 6 : L’Incarnation aurait-elle dû être retardée jusqu’à la fin du monde ?

Objections : 3. Il ne convient pas de réaliser par deux moyens ce qui peut l’être par un seul. Mais un seul avènement du Christ pouvait suffire à sauver la nature humaine, celui qui se produira à la fin du monde. Il ne fallait donc pas qu’il viennent auparavant par l’Incarnation, qui aurait donc dû être retardée jusqu’à la fin du monde.

En sens contraire , il est écrit dans Habacuc (Ha 3,2 Vg) : " Tu te révéleras au milieu des années. " Le mystère de l’Incarnation, qui devait révéler le Christ au monde ne devait donc pas être retardé jusqu’à la fin du monde.

Réponse : Comme il ne convenait pas que l’Incarnation se produise dès le commencement du monde, de même ne convenait-il pas qu’elle soit retardée jusqu’à la fin du monde.

1 Cela se voit quand on considère l’union de la nature divine et de la nature humaine. Nous avons déjà dit qu’en un sens l’imparfait précède temporellement le parfait, et en autre sens le suit : dans une réalité qui progresse, l’imparfait précède le parfait ; dans une réalité qui est cause de progrès, le parfait au contraire précède l’imparfait. En effet, dans l’Incarnation la nature humaine est portée au degré suprême d’excellence ; c’est pourquoi il ne convenait pas que l’Incarnation se produise dès le commencement du genre humain. Mais d’autre part, le Verbe incarné est cause efficiente de perfection humaine, puisque " nous avons tous reçu de sa plénitude " (Jn 1,16) . Et c’est pourquoi l’Incarnation ne devait pas être retardée jusqu’à la fin du monde. Ce qui se produira alors, ce sera la consommation de la gloire à laquelle le Verbe incarné doit conduire la nature humaines.

2 Cela se déduit aussi de l’effet produit par le salut de l’homme. Selon un Père de l’Église : " Il est au pouvoir du donateur de faire miséricorde à l’époque et dans la mesure ou il lui plaît. Donc le Christ est venu quand il a su qu’il devait nous secourir et que son bienfait serait bien accueilli. En effet, lorsque, par une certaine langueur du genre humain, la connaissance de Dieu commençait à s’effacer et les moeurs à se dégrader, Dieu daigna élire Abraham pour rénover en lui la connaissance de Dieu et la conscience connaissance de Dieu et la conscience morale. Puis, comme le respect avait encore diminué, Dieu donna par Moïse le texte de la loi. Parce que les païens le méprisèrent et refusèrent de s’y soumettre, et parce que ceux qui l’avaient reçu ne l’observèrent pas, le Seigneur, mû par sa miséricorde, envoya son Fils pour que celui-ci, après avoir donné à tous la rémission de leurs péchés, puisse offrir à Dieu le Père les hommes justifiés. " Mais si ce remède avait été retardé jusqu’à la fin du monde, la connaissance et le culte de Dieu, comme l’honnêteté des moeurs, auraient totalement disparu sur la terre.

3 Ce retard n’était pas compatible avec la manifestation de la puissance divine, qui sauve l’homme de multiples façons : non seulement par la foi au Christ à venir, mais encore par la foi au Christ présent, et au Christ déjà venu.

Solutions : 3. Sur la parole de Jean (Jn 3,17) : " Dieu n’a pas envoyé son Fils pour qu’il juge le monde " , Chrysostome déclare. " Il y a deux avènements du Christ : le premier pour qu’il remette les péchés, le second pour qu’il juge le monde. S’il n’avait pas fait cela, tous les hommes auraient été perdus ensemble, car tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu. " Il est donc évident que l’avènement de la miséricorde ne devait pas être retardé jusqu’à la fin du monde.

I1 faut étudier maintenant la manière dont le Verbe s’est incarné : l La nature de cette union (Q. 2). - 2 Cette union quant à la personne qui assume (Q. 3). - 3 Quant à la nature assumée (Q. 4).

v. 17 : III, 7, 13 : Quel rapport la grâce habituelle du Christ a-t-elle avec l’union hypostatique ?

En sens contraire , il est écrit dans Isaïe (Is 42,1) : " Voici mon serviteur, je le soutiendrai " ; et ensuite : " je lui ai donné mon Esprit " , parole qui se réfère à la grâce habituelle. Il apparaît donc que chez le Christ l’assomption de la nature humaine dans l’unité de personne précède la grâce habituelle.

Réponse : L’union de la nature humaine à la personne divine, que nous avons appelée grâce d’union précède la grâce habituelle dans le Christ, non selon l’ordre chronologique, mais selon l’ordre de la nature et de l’intellect. Et cela pour un triple motif :

1 Selon l’ordre des principes de ces deux grâces. En effet, le principe de l’union est la personne du Fils qui assume la nature humaine, et qui, pour cette raison, est dite " envoyée en ce monde " (Jn 3,17) . Le principe de la grâce habituelle, laquelle est donnée avec la charité, est le Saint-Esprit, et celui-ci est dit envoyé, parce qu’il habite dans l’âme par la charité. Or, la mission du Fils est, selon l’ordre de nature, antérieure à la mission du Saint-Esprit ; de même que, dans cet ordre, l’Esprit Saint procède du Fils, et l’amour procède de la sagesse. Par conséquent l’union personnelle, considérée comme découlant de la mission du Fils, est antérieure à la grâce habituelle, considérée comme découlant de la mission du Saint-Esprit.

2Le motif de ce tord retient au rapport de la grâce avec sa cause. La grâce, en effet, est causée dans l’homme par la présence de la divinité, de même que la lumière est produite dans l’air par la présence du soleil. C’est pourquoi il est dit dans Ézéchiel (Ez 43,2) : " La gloire du Dieu d’Israël venait du côté de l’orient. . . et la terre resplendissait de sa gloire. " Mais la présence de Dieu dans le Christ s’entend de l’union de la nature humaine avec la personne divine. On comprend donc que, a grâce habituelle du Christ résulte grâce habituelle du Christ résulte de cette union, comme l’éclat de la lumière résulte de la présence du soleil.

3 La raison de cet ordre peut se prendre de la fin de la grâce. Celle-ci est ordonnée à nous permettre de bien agir ; mais les actions appartiennent aux suppôts et aux individus. Aussi l’action, et donc la grâce qui ordonne à l’action, présupposent-elles l’hypostase ou le suppôt. Mais, ainsi que nous l’avons montré, l’hypostase, dans la nature humaine du Christ, n’est pas présupposée à l’union. La grâce d’union précède donc logiquement la grâce habituelle.

v. 17 : III, 44, 3 : Les miracles accomplis par le Christ sur les hommes

En sens contraire , on lit (Mc 7,37) " Il a bien fait toutes choses : il a rendu l’ouïe aux sourds, et la parole aux muets. "

Réponse : Les moyens ordonnés à une fin doivent lui être proportionnés. Or, si le Christ était venu dans le monde et enseignait, c’était pour sauver les hommes, selon ce texte de S. Jean (Jn 3,17) : " Car le Fils de l’homme n’est pas venu dans le monde pour le juger, mais afin que par lui le monde soit sauvé. " Et c’est pourquoi il était bon que le Christ guérisse miraculeusement certains hommes en particulier, afin de montrer qu’il est le Sauveur universel et spirituels.

v. 17 : Reconciliatio et paenitentia 29 " Ceux à qui vous les remettrez "

29 La première donnée fondamentale nous vient des Livres saints de l’Ancien et du Nouveau Testament à propos de la miséricorde du Seigneur et de son pardon. Dans les psaumes et la prédication des prophètes, le terme miséricordieux est peut-être le terme le plus souvent attribué au Seigneur, contrairement au cliché persistant qui présente le Dieu de l’Ancien Testament surtout comme un Dieu sévère et punisseur. Ainsi, parmi les psaumes, un long exposé sapientiel, se rapportant à la tradition de l’Exode, rappelle l’action bienveillante de Dieu au milieu de son peuple. Cette action, même dans sa représentation anthropomorphique, est peut-être l’une des proclamations les plus éloquentes de la miséricorde divine dans l’Ancien Testament. Il suffit de rappeler ici les versets : " Et lui, miséricordieux, au lieu de détruire, il pardonnait ; maintes fois, il retint sa colère au lieu de réveiller sa violence. Il se rappelait : ils ne sont que chair, un souffle qui s’en va sans retour " (157).

A la plénitude des temps, le Fils de Dieu, venant comme l’Agneau qui enlève et porte sur lui le péché du monde(158), apparaît comme celui qui possède le pouvoir aussi bien de juger(159) que de pardonner les péchés(160) ; et il est venu non pour condamner mais pour pardonner et sauver(161).

Or, ce pouvoir de remettre les péchés, Jésus l’a conféré, par l’Esprit Saint, à de simples hommes, eux-mêmes sujets aux assauts du péché, à savoir à ses Apôtres : " Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus " (162). C’est là une des nouveautés évangéliques les plus formidables ! En conférant ce pouvoir aux Apôtres, Jésus leur donne la faculté de le transmettre, comme l’Eglise l’a compris dès l’aube de son existence, à leurs successeurs, investis par les Apôtres eux-mêmes de la mission et de la responsabilité de continuer leur oeuvre d’annonciateurs de l’Evangile et de ministres de la Rédemption du Christ.

Ici apparaît dans toute sa grandeur la figure du ministre du sacrement de Pénitence, appelé confesseur selon une coutume très ancienne.

Comme à l’autel ou il célèbre l’Eucharistie, et comme en chacun des sacrements, le prêtre, ministre de la Pénitence, agit " in persona Christi ". Le Christ, qui est rendu présent par le prêtre et qui accomplit par lui le mystère de la rémission des péchés, apparaît bien comme frère de l’homme(163), pontife miséricordieux, fidèle et compatissant(164), pasteur toujours à la recherche de la brebis perdue(165), médecin qui guérit et réconforte(166), maître unique qui enseigne la vérité et montre les chemins de Dieu(167), juge des vivants et des morts(168), qui juge selon la vérité et non d’après les apparences(169).

157 Ps 78,38-39

158 Cf. Jn 1,29 ; Is 53,7 ; Is 12

159 Cf. Jn 5,27

160 Cf. Mt 9,2-7 ; Lc 5,18-25 ; Lc 7,47-49 ; Mc 2,3-12

161 Cf. Jn 3,17

162 Jn 20,22 ; Mt 18,18 cf. aussi, en ce qui concerne Pierre, Mt 16,19 Le bienheureux Isaac de l’Etoile souligne, dans un de ses discours, la pleine communion du Christ avec l’Eglise dans la rémission des péchés : " L’Eglise ne peut rien pardonner sans le Christ ; et le Christ ne veut rien pardonner sans l’Eglise. L’Eglise ne peut rien pardonner sinon à celui qui se convertit, c’est-à-dire à celui que le Christ a d’abord touché. Le Christ ne veut pas accorder son pardon à celui qui méprise l’Eglise " : Sermo 11 (In dominica III post Epiphaniam, I) : PL 194, 1729.

163 Cf. Mt 12,49-50 ; Mc 3,33-34 ; Lc 8,20-21 ; Rm 8,29 : " ... I’ainé d’une multitude de frères ".

164 Cf He 2,17 ; He 4,15

165 Cf. Mt 18,12-13 ; Lc 15,4-6

166 Cf. Lc 5,31-32

167 Cf. Mt 22,16

168 Cf. Ac 10,42

169 Cf Jn 8,16

Ce ministère du prêtre est sans aucun doute le plus difficile et le plus délicat, le plus fatigant et le plus exigeant, mais aussi l’un des plus beaux et des plus consolants ; c’est précisément pour cela que, attentif au rappel très fort du Synode, je ne me lasserai jamais de rappeler à mes frères évêques et prêtres l’accomplissement fidèle et assidu de ce ministère (170). Face à la conscience du fidèle, qui s’ouvre à lui avec un mélange de crainte et de confiance, le confesseur est appelé à une tâche élevée qui consiste à servir la pénitence et la réconciliation humaine, à savoir connaître les faiblesses et les chutes de ce fidèle, évaluer son désir de se reprendre et les efforts nécessaires pour y parvenir, discerner l’action de l’Esprit sanctificateur dans son coeur, lui transmettre un pardon que Dieu seul peut accorder, " célébrer " sa réconciliation avec le Père, telle que la présente la parabole du fils prodigue, réinsérer ce pécheur libéré dans la communion ecclésiale avec ses frères, admonester paternellement ce pénitent en l’encourageant fermement et amicalement : " Va, désormais ne pèche plus ! "(171).

Pour l’accomplissement efficace de ce ministère, le confesseur doit nécessairement posséder des qualités humaines de prudence, de discrétion, de discernement, de fermeté tempérée par la douceur et la bonté. Il doit avoir aussi une préparation sérieuse, non point fragmentaire mais complète et cohérente dans les divers secteurs de la théologie, dans les domaines de la pédagogie et de la psychologie, de la méthodologie du dialogue, et surtout en matière de connaissance profonde et communicative de la Parole de Dieu. Mais il est encore plus nécessaire que le confesseur soit animé d’une vie spirituelle intense et sincère. Pour conduire les autres sur la voie de la perfection chrétienne, le ministre de la Pénitence doit le premier parcourir lui-même ce chemin et donner - plus par des actes que par d’abondants discours - des preuves d’expérience réelle de l’oraison vécue, de pratique des vertus évangéliques théologales et morales, d’obéissance fidèle à la volonté de Dieu, d’amour de l’Eglise et de docilité à son Magistère.

Tout cet ensemble de qualités humaines, de vertus chrétiennes et de compétences pastorales ne s’improvise pas et ne s’acquiert pas sans effort. Pour le ministère de la Pénitence sacramentelle, tout prêtre doit être préparé dès ses années de séminaire, non seulement par l’étude de la théologie dogmatique, morale, spirituelle et pastorale (ce qui ne forme qu’une seule théologie), mais aussi par les sciences de l’homme, la méthodologie du dialogue, et spécialement de l’entretien pastoral. Il faudra ensuite qu’il se lance et qu’il soit soutenu dans ses premières expériences. Lui-même devra veiller à son propre perfectionnement, à la mise à jour de sa formation par l’étude permanente. Quel trésor de grâce, de vie véritable et de rayonnement spirituel ne retomberait-il pas sur l’Eglise, si chaque prêtre veillait à ne jamais manquer, par négligence ou sous divers prétextes, le rendez-vous avec les fidèles au confessionnal, et veillait avec encore plus de soin à ne jamais s’y rendre sans préparation, ou démuni des qualités humaines indispensables et des conditions spirituelles et pastorales.

A ce propos, je ne puis manquer d’évoquer, avec une respectueuse admiration, les figures de certains apôtres extraordinaires du confessionnal, tels que saint Jean Népomucène, saint Jean-Marie Vianney, saint Joseph Cafasso et saint Léopold de Castelnuovo, pour ne parler que des plus connus, inscrits par l’Eglise au nombre des saints. Mais je désire rendre hommage également à l’innombrable foule de saints confesseurs, presque toujours anonymes, auxquels est dû le salut de tant d’âmes qu’ils ont aidées à se convertir, à lutter contre le péché et les tentations, à progresser spirituellement et, en définitive, à se sanctifier. Je n’hésite pas à dire que les grands saints canonisés sont généralement eux aussi issus de cette pratique de la confession, et, avec eux, le patrimoine spirituel de l’Eglise et l’épanouissement d’une civilisation imprégnée d’esprit chrétien. Honneur soit donc rendu à cette cohorte silencieuse de nos confrères qui ont bien servi et servent chaque jour la cause de la réconciliation par le ministère de la Pénitence sacramentelle !

170 Cf. mon discours aux pénitenciers des basiliques patriarcales de Rome et aux prêtres confesseurs, en conclusion du jubilé de la Rédemption (9 juillet 1984) : L’Osservatore Romano, 9-10 juillet 1984.

171 Jn 8,11

v. 17 : Veritatis splendor 95 Les normes morales universelles et immuables au service de la personne et de la société

La doctrine de l’Église et, en particulier, sa fermeté à défendre la validité universelle et permanente des préceptes qui interdisent les actes intrinsèquement mauvais est maintes fois comprise comme le signe d’une intolérable intransigeance, surtout dans les situations extrêmement complexes et conflictuelles de la vie morale de l’homme et de la société aujourd’hui, intransigeance qui contrasterait avec le caractère maternel de l’Église. Cette dernière, dit-on, manque de compréhension et de compassion. Mais, en réalité, le caractère maternel de l’Église ne peut jamais être séparé de la mission d’enseignement qu’elle doit toujours remplir en Épouse fidèle du Christ qui est la Vérité en personne : " Éducatrice, elle ne se lasse pas de proclamer la norme morale L’Église n’est ni l’auteur ni l’arbitre d’une telle norme. Par obéissance à la Vérité qui est le Christ, dont l’image se reflète dans la nature et dans la dignité de la personne humaine, l’Église interprète la norme morale et la propose à tous les hommes de bonne volonté, sans en cacher les exigences de radicalisme et de perfection " (149 - FC 33).

En réalité, la vraie compréhension et la compassion naturelle doivent signifier l’amour de la personne, de son bien véritable et de sa liberté authentique. Et l’on ne peut certes pas vivre un tel amour en dissimulant ou en affaiblissant la vérité morale, mais en la proposant avec son sens profond de rayonnement de la Sagesse éternelle de Dieu, venue à nous dans le Christ, et avec sa portée de service de l’homme, de la croissance de sa liberté et de la recherche de son bonheur (150 Cf. FC 34).

En même temps, la présentation claire et vigoureuse de la vérité morale ne peut jamais faire abstraction du respect profond et sincère, inspiré par un amour patient et confiant, dont l’homme a toujours besoin au long de son cheminement moral rendu souvent pénible par des difficultés, des faiblesses et des situations douloureuses. L’Église, qui ne peut jamais renoncer au principe " de la vérité et de la cohérence, en vertu duquel (elle) n’accepte pas d’appeler bien ce qui est mal et mal ce qui est bien " (151), doit toujours être attentive à ne pas briser le roseau froissé et à ne pas éteindre la mèche qui fume encore Is 42,3 . Paul VI a écrit : " Ne diminuer en rien la salutaire doctrine du Christ est une forme éminente de charité envers les âmes. Mais cela doit toujours être âmes. Mais cela doit toujours être accompagné de la patience et de la bonté dont le Seigneur lui- même a donné l’exemple en traitant avec les hommes. Venu non pour juger, mais pour sauver Jn 3,17 , il fut certes intransigeant avec le mal, mais miséricordieux envers les personnes " (152).

(151) RP 34 . (152) HV 29 .

vv. 16-18 : Veritatis splendor 118 Marie, Mère de Miséricorde

Au terme de ces considérations, c’est à Marie, Mère de Dieu et Mère de Miséricorde, que nous confions nos personnes, les épreuves et les joies de notre existence, la vie morale des croyants et des hommes de bonne volonté, ainsi que les recherches des moralistes.

Marie est Mère de Miséricorde parce que Jésus Christ, son Fils, est envoyé par le Père pour être la révélation de la Miséricorde de Dieu Jn 3,16-18 . Il est venu non pour condamner, mais pour pardonner, pour faire usage de la miséricorde Mt 9,13 . Et la plus grande miséricorde, c’est, pour lui, d’être au milieu de nous et de nous adresser son appel à venir à Lui et à Le reconnaître, en union avec Pierre, comme " le Fils du Dieu vivant " Mt 16,16 . Il n’est aucun péché de l’homme qui puisse annuler la Miséricorde de Dieu, l’empêcher d’exercer toute sa puissance victorieuse aussitôt que nous y avons recours. Au contraire, la faute elle-même fait resplendir encore davantage l’amour du Père qui, pour racheter l’esclave, a sacrifié son Fils (181) : sa miséricorde envers nous, c’est la Rédemption. Cette miséricorde atteint sa plénitude par le don de l’Esprit, qui engendre la vie nouvelle et l’appelle. Si nombreux et si grands que soient les obstacles semés par la faiblesse et le péché de l’homme, l’Esprit, qui renouvelle la face de la terre Ps 104,30 , rend possible le miracle du parfait accomplissement du bien. Un tel renouvellement, qui donne la capacité de faire ce qui est bon, noble, beau, agréable à Dieu et conforme à sa volonté, est en quelque sorte l’épanouissement du don de miséricorde, qui délivre de l’esclavage du mal et donne la force de ne plus pécher. Par le don de la vie nouvelle, Jésus nous rend participants de son amour et nous conduit au Père dans l’Esprit.

(181) " O inaestimabilis dilectio caritatis : ut servum redimeres, Filium tradidisti ! " : Missale Romanum, In Resurrectione Domini, Praeconium paschale.

v. 16 : 219 Dieu est Amour

218 Au cours de son histoire, Israël a pu découvrir que Dieu n’avait qu’une raison de s’être révélé à Lui et de l’avoir choisi parmi tous les peuples pour être à Lui : son amour gratuit (cf. Dt 4, 37 ; 7, 8 ; 10, 15). Et Israël de comprendre, grâce à ses prophètes, que c’est encore par amour que Dieu n’a cessé de le sauver (cf. Is 43, 1-7) et de lui pardonner son infidélité et ses péchés (cf. Os 2).

219 L’amour de Dieu pour Israël est comparé à l’amour d’un père pour son fils (Os 11, 1). Cet amour est plus fort que l’amour d’une mère pour ses enfants (cf. Is 49, 14-15). Dieu aime son Peuple plus qu’un époux sa bien-aimée (cf. Is 62, 4-5) ; cet amour sera vainqueur même des pires infidélités (cf. Ez 16 ; Os 11) ; il ira jusqu’au don le plus précieux : " Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique " (Jn 3, 16).

220 L’amour de Dieu est " éternel " (Is 54, 8) : " Car les montagnes peuvent s’en aller et les collines s’ébranler, mais mon amour pour toi ne s’en ira pas " (Is 54, 10). " D’un amour éternel, je t’ai aimé ; c’est pourquoi je t’ai conservé ma faveur " (Jr 31, 3).

221 Mais S. Jean ira encore plus loin en affirmant : " Dieu est Amour " (1 Jn 4, 8. 16) : l’Etre même de Dieu est Amour. En envoyant dans la plénitude des temps son Fils unique et l’Esprit d’Amour, Dieu révèle son secret le plus intime (cf. 1 Co 2, 7-16 ; Ep 3, 9-12) : Il est Lui-même éternellement échange d’amour : Père, Fils et Esprit-Saint, et Il nous a destinés à y avoir part.

vv. 16.18 : 444, 454* : III Fils Unique de Dieu

441 Fils de Dieu, dans l’Ancien Testament, est un titre donné aux anges (cf. Dt 32, 8 ; Jb 1, 6), au peuple de l’Election (cf. Ex 4, 22 ; Os 11, 1 ; Jr 3, 19 ; Si 36, 11 ; Sg 18, 13), aux enfants d’Israël (cf. Dt 14, 1 ; Os 2, 1) et à leurs rois (cf. 2 S 7, 14 ; Ps 82, 6). Il signifie alors une filiation adoptive qui établit entre Dieu et sa créature des relations d’une intimité particulière. Quand le Roi-Messie promis est dit " fils de Dieu " (cf. 1 Ch 17, 13 ; Ps 2, 7), cela n’implique pas nécessairement, selon le sens littéral de ces textes, qu’il soit plus qu’humain. Ceux qui ont désigné ainsi Jésus en tant que Messie d’Israël (cf. Mt 27, 54) n’ont peut-être pas voulu dire davantage (cf. Lc 23, 47).

442 Il n’en va pas de même pour Pierre quand il confesse Jésus comme " le Christ, le Fils du Dieu vivant " (Mt 16, 16) car celui-ci lui répond avec solennité : " Cette révélation ne t’est pas venue de la chair et du sang mais de mon Père qui est dans les cieux " (Mt 16, 17). Parallèlement Paul dira à propos de sa conversion sur le chemin de Damas : " Quand Celui qui dès le sein maternel m’a mis à part et appelé par sa grâce daigna révéler en moi son Fils pour que je l’annonce parmi les païens ... " (Ga 1, 15-16). " Aussitôt il se mit à prêcher Jésus dans les synagogues, proclamant qu’il est le Fils de Dieu " (Ac 9, 20). Ce sera dès le début (cf. 1 Th 1, 10) le centre de la foi apostolique (cf. Jn 20, 31) professée d’abord par Pierre comme fondement de l’Eglise (cf. Mt 16, 18).

443 Si Pierre a pu reconnaître le caractère transcendant de la filiation divine de Jésus Messie, c’est que celui-ci l’a nettement laissé entendre. Devant le Sanhédrin, à la demande de ses accusateurs : " Tu es donc le Fils de Dieu ", Jésus a répondu : " Vous le dites bien, je le suis " (Lc 22, 70 ; cf. Mt 26, 64 ; Mc 14, 61). Bien avant déjà, Il s’est désigné comme " le Fils " qui connaît le Père (cf. Mt 11, 27 ; 21, 37-38), qui est distinct des " serviteurs " que Dieu a auparavant envoyés à son peuple (cf. Mt 21, 34-36), supérieur aux anges eux-mêmes (cf. Mt 24, 36). Il a distingué sa filiation de celle de ses disciples en ne disant jamais " notre Père " (cf. Mt 5, 48 ; 6, 8 ; 7, 21 ; Lc 11, 13) sauf pour leur ordonner " vous donc priez ainsi : Notre Père " (Mt 6, 9) ; et il a souligné cette distinction : " Mon Père et votre Père " (Jn 20, 17).

444 Les Evangiles rapportent en deux moments solennels, le baptême et la transfiguration du Christ, la voix du Père qui le désigne comme son " Fils bien-aimé " (cf. Mt 3, 17 ; cf. Mt 17, 5). Jésus se désigne lui-même comme " le Fils Unique de Dieu " (Jn 3, 16) et affirme par ce titre sa préexistence éternelle (cf. Jn 10, 36). Il demande la foi " au Nom du Fils Unique de Dieu " (Jn 3, 18). Cette confession chrétienne apparaît déjà dans l’exclamation du centurion face à Jésus en croix : " Vraiment cet homme était Fils de Dieu " (Mc 15, 39), car c’est seulement dans le .mystère pascal que le croyant peut donner sa portée ultime au titre de " Fils de Dieu ".

445 C’est après sa Résurrection que sa filiation divine apparaît dans la puissance de son humanité glorifiée : " Selon l’Esprit qui sanctifie, par sa Résurrection d’entre les morts, il a été établi comme Fils de Dieu dans sa puissance " (Rm 1, 4 ; cf. Ac 13, 33). Les apôtres pourront confesser : " Nous avons vu sa gloire, gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité " (Jn 1, 14).

En bref

454 Le nom de Fils de Dieu signifie la relation unique et éternelle de Jésus-Christ à Dieu son Père : Il est le Fils Unique du Père (cf. Jn 1, 14. 18 ; 3, 16. 18) et Dieu lui-même (cf. Jn 1, 1). Croire que Jésus-Christ est le Fils de Dieu est nécessaire pour être chrétien (cf. Ac 8, 37 ; 1 Jn 2, 23).

v. 16 : 458 Article 3 " Jésus-Christ a été conçu du Saint-Esprit, Il est né de la Vierge Marie "

Paragraphe 1 Le Fils de Dieu s’est fait homme

I Pourquoi le Verbe s’est-il fait chair

456 Avec le Credo de Nicée-Constantinople, nous répondons en confessant : " Pour nous les hommes et pour notre salut Il descendit du ciel ; par l’Esprit Saint, Il a pris chair de la Vierge Marie et s’est fait homme ".

457 Le Verbe s’est fait chair pour nous sauver en nous réconciliant avec Dieu : " C’est Dieu qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en victime de propitiation pour nos péchés " (1 Jn 4, 10). " Le Père a envoyé son Fils, le sauveur du monde " (1 Jn 4, 14). " Celui-là a paru pour ôter les péchés " (1 Jn 3, 5) :

Malade, notre nature demandait à être guérie ; déchue, à être relevée ; morte, à être ressuscitée. Nous avions perdu la possession du bien, il fallait nous la rendre. Enfermés dans les ténèbres, il fallait nous porter la lumière ; captifs, nous attendions un sauveur ; prisonniers, un secours ; esclaves, un libérateur. Ces raisons-là étaient-elles sans importance ? Ne méritaient-elles pas d’émouvoir Dieu au point de le faire descendre jusqu’à notre nature humaine pour la visiter, puisque l’humanité se trouvait dans un état si misérable et si malheureux ? (S. Grégoire de Nysse, or. catech. 15 : PG 45, 48B).

458 Le Verbe s’est fait chair pour que nous connaissions ainsi l’amour de Dieu : " En ceci s’est manifesté l’amour de Dieu pour nous : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde afin que nous vivions par lui " (1 Jn 4, 9). " Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle " (Jn 3, 16).

459 Le Verbe s’est fait chair pour être notre modèle de sainteté : " Prenez sur vous mon joug et apprenez de moi ... " (Mt 11, 29). " Je suis la voie, la vérité et la vie ; nul ne vient au Père sans passer par moi " (Jn 14, 6). Et le Père, sur la montagne de la Transfiguration, ordonne : " Ecoutez-le " (Mc 9, 7 ; cf. Dt 6, 4-5). Il est en effet le modèle des Béatitudes et la norme de la Loi nouvelle : " Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés " (Jn 15, 12). Cet amour implique l’offrande effective de soi-même à sa suite (cf. Mc 8, 34).

460 Le Verbe s’est fait chair pour nous rendre " participants de la nature divine " (2 P 1, 4) : " Car telle est la raison pour laquelle le Verbe s’est fait homme, et le Fils de Dieu, Fils de l’homme : c’est pour que l’homme, en entrant en communion avec le Verbe et en recevant ainsi la filiation divine, devienne fils de Dieu " (S. Irénée, hær. 3, 19, 1). " Car le Fils de Dieu s’est fait homme pour nous faire Dieu " (S. Athanase, inc. 54, 3 : PG 25, 192B). " Unigenitus Dei Filius, suæ divinitatis volens nos esse participes, naturam nostram assumpsit, ut homines deos faceret factus homo " (S. Thomas d’A., opusc. 57 in festo Corp. Chr. 1).

 

v. 16 : 706 * L’Esprit de la promesse

705 Défiguré par le péché et par la mort, l’homme demeure " à l’image de Dieu ", à l’image du Fils, mais il est " privé de la Gloire de Dieu " (Rm 3, 23), privé de la " ressemblance ". La Promesse faite à Abraham inaugure l’Economie du salut au terme de laquelle le Fils lui-même assumera " l’image " (cf. Jn 1, 14 ; Ph 2, 7) et la restaurera dans " la ressemblance " avec le Père en lui redonnant la Gloire, l’Esprit " qui donne la Vie ".

706 Contre toute espérance humaine, Dieu promet à Abraham une descendance, comme fruit de la foi et de la puissance de l’Esprit Saint (cf. Gn 18, 1-15 ; Lc 1, 26-38. 54-55 ; Jn 1, 12-13 ; Rm 4, 16-21). En elle seront bénies toutes les nations de la terre (cf. Gn 12, 3). Cette descendance sera le Christ (cf. Ga 3, 16) en qui l’effusion de l’Esprit Saint fera " l’unité des enfants de Dieu dispersés " (cf. Jn 11, 52). En s’engageant par serment (cf. Lc 1, 73), Dieu s’engage déjà au don de son Fils Bien-aimé (cf. Gn 22, 17-19 ; Rm 8, 32 ; Jn 3, 16) et au don de " l’Esprit de la Promesse ...qui prépare la rédemption du Peuple que Dieu s’est acquis " (Ep 1, 13-14 ; cf. Ga 3, 14).

v. 17.18.20-21 : 678*. 679* II Pour juger les vivants et les morts

678 A la suite des prophètes (cf. Dn 7, 10 ; Jl 3-4 ; Ml 3, 19) et de Jean-Baptiste (cf. Mt 3, 7-12), Jésus a annoncé dans sa prédication le Jugement du dernier Jour. Alors seront mis en lumière la conduite de chacun (cf. Mc 12, 38-40) et le secret des cœurs (cf. Lc 12, 1-3 ; Jn 3, 20-21 ; Rm 2, 16 ; 1 Co 4, 5). Alors sera condamnée l’incrédulité coupable qui a tenu pour rien la grâce offerte par Dieu (cf. Mt 11, 20-24 ; 12, 41-42). L’attitude par rapport au prochain révélera l’accueil ou le refus de la grâce et de l’amour divin (cf. Mt 5, 22 ; 7, 1-5). Jésus dira au dernier jour : " Tout ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait " (Mt 25, 40).

679 Le Christ est Seigneur de la vie éternelle. Le plein droit de juger définitivement les œuvres et les cœurs des hommes appartient à Lui en tant que Rédempteur du monde. Il a " acquis " ce droit par sa Croix. Aussi le Père a-t-il remis " le jugement tout entier au Fils " (Jn 5, 22 ; cf. Jn 5, 27 ; Mt 25, 31 ; Ac 10, 42 ; 17, 31 ; 2 Tm 4, 1). Or, le Fils n’est pas venu pour juger, mais pour sauver (cf. Jn 3, 17) et pour donner la vie qui est en lui (cf. Jn 5, 26). C’est par le refus de la grâce en cette vie que chacun se juge déjà lui-même (cf. Jn 3, 18 ; 12, 48), reçoit selon ses œuvres (cf. 1 Co 3, 12-15) et peut même se damner pour l’éternité en refusant l’Esprit d’amour (cf. Mt 12, 32 ; He 6, 4-6 ; 10, 26-31).

En bref

682 En venant à la fin des temps juger les vivants et les morts, le Christ glorieux révélera la disposition secrète des cœurs et rendra à chaque homme selon ses œuvres et selon son accueil ou son refus de la grâce.