Sermon de saint Augustin (+ 430) Sermon 272 ; éd. des Mauristes 5, 1103-1104.

Ce que vous voyez sur l’autel de Dieu, c’est le pain et la coupe : c’est cela que vos yeux vous signalent. Mais ce dont votre foi veut être instruite, c’est que ce pain est le corps du Christ, que cette coupe est son sang. Cela tient à une brève formule, qui peut suffire à la foi. Mais la foi cherche à s’instruire. Car vous pourriez me dire un jour : "Vous nous avez ordonné de croire. Donnez-nous une explication qui nous fasse comprendre."

En effet, chacun de nous peut avoir cette pensée : Notre Seigneur Jésus Christ, nous savons d’où il tient sa chair, de la Vierge Marie. Enfant, il a été allaité, nourri, il a grandi, il est parvenu à l’état d’homme jeune. <> Il est mort sur la croix, puis il en a été détaché pour être enseveli. Il est ressuscité le troisième jour, et Il est monté au ciel le jour qu’il a voulu. C’est au ciel qu’il a élevé son corps, c’est de là qu’il viendra juger les vivants et les morts, c’est là qu’il réside présentement à la droite du Père. Alors, comment ce pain est-il son corps, et cette coupe, ou plutôt son contenu, peut-il être son sang ?

Mes frères, c’est cela que l’on appelle des sacrements : ils montrent une réalité, et en font comprendre une autre. Ce que nous voyons est une apparence corporelle, tandis que ce que nous comprenons est un fruit spirituel.

Si vous voulez comprendre ce qu’est le corps du Christ, écoutez l’Apôtre, qui dit aux fidèles : Vous êtes le corps du Christ, et chacun pour votre part, vous êtes les membres de ce corps (1 Co 12,17). Donc, si c’est vous qui êtes le corps du Christ et ses membres, c’est votre mystère qui se trouve sur la table du Seigneur, et c’est votre mystère que vous recevez. A cela, que vous êtes, vous répondez : "Amen", et par cette réponse, vous y souscrivez. On vous dit : "Le corps du Christ", et vous répondez "Amen". Soyez donc membres du corps du Christ, pour que cet Amen soit véridique.

Pourquoi donc le corps est-il dans le pain ? Ici encore, ne disons rien de nous-mêmes, écoutons encore l’Apôtre qui, en parlant de ce sacrement, nous dit : Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps (1 Co 10,17). Comprenez cela et soyez dans la joie : unité, vérité, piété, charité ! Un seul pain : qui est ce pain unique ? Un seul corps, nous qui sommes multitude. Rappelez-vous qu’on ne fait pas du pain avec un seul grain, mais avec beaucoup. Soyez ce que vous voyez, et recevez ce que vous êtes. Voilà ce que l’Apôtre dit du pain.

Au sujet de la coupe, bien qu’il n’en ait pas parlé autant que du pain, il nous fait comprendre ce qui la concerne. Car, pour avoir l’apparence visible du pain, beaucoup de grains ne forment qu’une seule pâte, afin de réaliser ce que l’Ecriture Sainte nous dit au sujet des fidèles : ils avaient un seul coeur et une seule âme (Ac 4,32) devant Dieu. Il en est de même pour le vin. Rappelez-vous, mes frères, comment on fait le vin. De nombreux grains sont attachés à la grappe, mais le liquide contenu dans tous ces grains se rassemble en une boisson unique.

C’est ainsi que le Seigneur Christ nous a représentés, il a voulu que nous lui appartenions, et il a consacré sur sa table le mystère de notre paix et de notre unité. Celui qui reçoit ce mystère d’unité, mais ne garde pas le lien de la paix, reçoit un témoignage qui le condamne, au lieu de recevoir ce mystère pour son bien.

Sermon de saint Augustin, évêque

La charge de la Parole et le souci avec lequel nous vous avons engendrés pour que le Christ soit formé en vous nous poussent à vous dire ce que signifie ce sacrement si grand et si divin, ce remède si célèbre et si noble, ce sacrifice si pur et si facile : ce n’est plus dans une seule cité terrestre, Jérusalem, ni dans le tabernacle qui a été fait par Moïse, ni dans le Temple qui a été construit par Salomon — tout cela n’était que l’ombre des réalités à venir — mais c’est du lever du soleil jusqu’au couchant, comme l’ont prédit les Prophètes, qu on immole et qu’on offre à Dieu cette victime de louanges selon la grâce du Nouveau Testament. On ne va plus chercher dans les troupeaux une victime sanglante, on n’approche plus de l’autel de Dieu une brebis ou un bouc, mais, désormais, le sacrifice de notre temps, c’est le corps et le sang du prêtre lui-même. C’est de ce prêtre qu’il a été prédit dans le psaume : " Tu es prêtre à jamais selon l’ordre de Melchisédech. " Or, nous lisons dans la Genèse et nous tenons que Melchisédech, prêtre du Très-Haut présenta du pain et du vin quand il bénit notre père Abraham.

* *

Le Christ, donc, notre Seigneur, qui a offert en souffrant pour nous ce qu’il avait reçu en naissant de nous, établi grand prêtre pour l’éternité, a institué le sacrifice de son corps et de son sang. Car son corps percé par la lance a laissé couler l’eau et le sang par lesquels il a remis nos péchés. Vous souvenant de cette grâce, opérant votre salut avec crainte et tremblement, car c’est Dieu qui opère en vous, vous vous approchez pour participer à cet autel. Reconnaissez dans le pain ce qui a été pendu à la croix, dans le calice ce qui a coulé du côté ouvert. Les anciens sacrifices du peuple de Dieu dans leurs multiples variétés signifiaient l’unique sacrifice à venir. Et tout ce qui a été annoncé de façon multiple et diverse dans les sacrifices de l’Ancien Testament a rapport à cet unique sacrifice qui a été révélé dans le nouveau.

* *

Recevez donc et mangez le corps du Christ, puisque dans le corps du Christ vous êtes devenus maintenant les membres du Christ. Recevez et buvez le sang du Christ. Pour ne pas vous laisser disperser, mangez celui qui est votre lien ; pour ne pas paraître sans valeur à vos yeux, buvez celui qui est le prix dont vous avez été payé. Quand vous mangez cette nourriture et buvez cette boisson, elles se changent en vous ; ainsi vous aussi vous êtes changés au corps du Christ si vous vivez dans l’obéissance et la ferveur. Si vous avez la vie en lui, vous serez une chair avec lui. Car ce sacrement ne vous présente pas le corps du Christ pour vous séparer de lui. L’Apôtre nous rappelle que ceci a été prédit dans la Sainte Ecriture : " Ils seront deux en une seule chair. "

Ailleurs, il dit à propos de l’eucharistie elle-même : " Nous sommes un seul pain, un seul corps, si nombreux que nous soyons. " Vous commencez donc à recevoir ce que vous avez commencé d’être.

 

v. 51 : III, 33, 3 ad 3 : Le mode et l’ordre de la conception du Christ - Le corps du Christ a-t-il été assumé par le Verbe dès le premier instant de sa conception ?

Objection 3. Chez tout être engendré, ce qui est imparfait précède dans le temps ce qui est parfait, comme le montre Aristote ". Mais le corps du Christ est engendré. Donc, il n’est pas parvenu à l’ultime perfection, qui consiste dans l’union du Verbe de Dieu dès le premier instant de la conception ; la chair fut conçue d’abord, et assumée ensuite.

En sens contraire, S. Augustin nous dit : " Tiens avec la plus grande fermeté et ne doute aucunement que la chair du Christ n’a pas été conçue dans le sein de la Vierge avant d’être prise par le Verbe. "

Réponse : Comme nous l’avons déjà dit, c’est au sens propre que Dieu s’est fait homme, mais nous ne disons pas au sens propre que l’homme est devenu Dieu. Parce que Dieu a assumé ce qui appartient à l’homme sans que cela ait d’abord existé comme subsistant par soi avant d’être pris par le Verbe. Or, si la chair du Christ avait été conçue avant d’être unie au Verbe, elle aurait eu à ce moment une hypostase autre que celle du Verbe de Dieu. Ce qui est contraire à la notion d’Incarnation, selon laquelle le Verbe de Dieu s’est uni à la nature humaine et à tous ses éléments dans l’unité de son hypostase ; et il ne convenait pas que le Verbe de Dieu détruise par son union l’hypostase préexistante de la nature humaine ou de l’un de ses éléments. C’est pourquoi il est contraire à la foi de soutenir que la chair du Christ a d’abord été conçue, et ensuite assumée par le Verbe de Dieu.

Solution 3. Dans le mystère de l’Incarnation on n’envisage pas une montée, comme si une réalité préexistante se haussait jusqu’à la dignité de l’union, selon la position de l’hérétique Photin. On doit plutôt considérer l’Incarnation comme une descente, en tant que le Verbe de Dieu a assumé l’imperfection de notre nature, selon sa parole en S. Jean (6, 38.51) : " Je suis descendu du ciel. "

v. 52 : III, 79, 1 sc : Les effets de l’eucharistie - Ce sacrement confère-t-il la grâce ?

En sens contraire, le Seigneur dit en S. Jean (6, 52) : " Le pain que je donnerai, c’est ma chair, pour la vie du monde. " Mais la vie spirituelle est donnée par la grâce. Donc la grâce est conférée par ce sacrement.

Réponse : L’effet de ce sacrement doit être considéré :

1° et à titre de principe à partir de ce qui est contenu dans ce sacrement, et qui est le Christ. Celui-ci, venant visiblement dans le monde, a apporté au monde la vie de la grâce (Jn 1, 17) : " La grâce et la vérité a été faite par Jésus Christ. " Et de même, venant sacramentellement dans l’homme, il produit la vie de la grâce, selon cette parole (Jn 6, 58) : " Celui qui me mange vivra par moi. " Ce qui fait dire à S. Cyrille : " Le Verbe de Dieu vivifiant, s’unissant à la chair qui lui est propre, la rend vivifiante à son tour. Il convenait donc qu’il s’unisse d’une certaine façon à nos corps par sa chair sacrée et son sang précieux, que nous recevons pour une bénédiction vivifiante, dans le pain et le vin. "

2° On considère l’effet de ce sacrement à partir de ce qui est représenté par ce sacrement, et c’est, comme on l’a vu, la passion du Christ. Et c’est pourquoi ce sacrement opère dans l’homme l’effet que la passion du Christ a opéré dans le monde. D’où cette parole de Chrysostome, commentant S. Jean (19, 34) : " Aussitôt il jaillit du sang et de l’eau " : " Puisque c’est de là que les saints mystères tirent leur principe, lorsque tu t’approches de la coupe redoutable, c’est comme si tu t’approchais du côté du Christ pour y boire. " D’où cette parole du Seigneur lui-même, en S. Matthieu (26, 28) : " Ceci est mon sang, qui sera répandu pour vous, en rémission des péchés. "

3° On considère l’effet de ce sacrement à partir du mode selon lequel ce sacrement nous est donné ; or il est donné par mode de nourriture et de boisson. Aussi tout l’effet que la nourriture et la boisson matérielle produisent à l’égard de la vie matérielle - sustenter, accroître, réparer et délecter - tout cela, ce sacrement le fait à l’égard de la vie spirituelle. Ainsi S. Ambroise : " Ceci est le pain de la vie éternelle, qui fortifie la substance de notre âme. " Et Chrysostome, commentant S. Jean : " Il se présente à nous, qui désirons le toucher, le manger et l’embrasser. " Si bien que le Seigneur dit lui-même (Jn 6, 56) : " Ma chair est vraiment nourriture et mon sang est vraiment boisson. "

4° On considère l’effet de ce sacrement à partir des espèces sous lesquelles ce sacrement est donné. D’où cette parole de S. Augustin : " Notre Seigneur a présenté son corps et son sang dans ces éléments qui, à partir d’une multitude, sont réduits à l’unité car l’un, le pain, est une seule masse faite de multiples grains ; l’autre, le vin, " est un seul liquide fait de multiples grappes ". Et il dit ailleurs : " O mystère de bonté, ô signe d’unité, ô lien de charité ! "

Et puisque le Christ et sa passion sont cause de la grâce, et que la réfection spirituelle et la charité ne peuvent exister sans la grâce : de tout ce qu’on vient de dire il apparaît avec évidence que ce sacrement confère la grâce.