ALFONS MARIA CARDINAL STICKLER

LE CELIBAT DES CLERCS

Histoire de son évolution et fondements théologiques

Traduit de l’allemand par Simone Wallon et Joël Pottier

Edition Pierre Téqui, Paris 1998

 

 

Préface

 

Dans la discussion qui renaît sans cesse et, justement ces temps derniers, s’intensifie autour du célibat des clercs de l’Église catholique, on peut entendre nombre d’opinions divergentes, surtout quant à son origine et à l’évolution suivie dans l’Église d’Occident et l’Église d’Orient. Ces opinions vont, dans leur variété, de l’idée d’une origine divine jusqu’à celle d’une institution purement ecclésiastique, en particulier pour la discipline sévère de l’Église latine. Dans ce dernier cas, on entend souvent dire que l’obligation ne pourrait être prouvée qu’à partir du IVe siècle ; pour d’autres, elle n’a été introduite que vers le début du deuxième millénaire, principalement par le deuxième concile du Latran en 1139. Ces opinions assurément très différentes, mais, plus encore, les raisons et les preuves respectivement invoquées à leur appui permettent de conclure à un remarquable manque d’assurance dans la connaissance des faits et des dispositions ecclésiastiques en question, mais davantage encore dans l’explication que l’on donne du célibat des clercs. Ce manque d’assurance, ainsi que le montrent des déclarations correspondantes, s’étend fort loin et monte fort haut dans les milieux de l’Église.

C’est pourquoi il apparaît en premier lieu nécessaire d’exposer ce fait et les dispositions de l’Église depuis les origines jusqu’à nos jours et d’en vérifier les justifications théologiques pour parvenir à une juste compréhension de cette institution controversée. Cela ne peut évidemment se faire qu’en se référant à l’état le plus récent de la connaissance des sources et des travaux en cette matière, si l’exposé veut prétendre à une valeur scientifiquement fondée. A cet égard, il faut constater que, sur l’histoire du célibat en Occident et en Orient, ont été enregistrés, justement ces temps derniers, d’importants acquis de la connaissance qui ou bien n’ont pas encore progressé dans la conscience générale, ou bien sont passés sous silence lorsqu’ils pourraient influencer celle-ci d’une manière indésirable (1).

Le présent exposé synthétique s’accompagnera d’un appareil scientifique réduit à l’essentiel, afin de permettre, d’une part, de vérifier et, d’autre part, d’élargir et d’approfondir ce qui aura été dit.

L’évolution historique dans l’Église d’Occident, puis dans l’Église d’Orient sera précédée d’une section introductive dans laquelle, d’abord, l’on éclaircira le concept de célibat des clercs qui est à la base des obligations respectives du célibat, pour ensuite indiquer la méthode exigée pour traiter correctement de ce sujet, en vue de parvenir à des résultats sûrs. La dernière partie sera consacrée, en réponse à une demande toujours plus pressante, aux fondements théologiques du célibat des clercs.*

Les textes grecs et latins anciens cités par l’auteur ont été traduits d’après la version allemande.

 

1 Concept et méthode

 

1. La première et la plus importante des conditions pour reconnaître l’évolution historique d’une institution de quelque nature que ce soit, c’est une juste perception du concept qui en est la base. Pour le célibat des clercs, ce concept se trouve défini avec une inégalable concision par l’un des plus grands décrétistes, c’est-à-dire commentateurs du Décret de Gratien - décret qui, rédigé vers l’an 1140, a recueilli et expliqué l’ensemble des matériaux de la tradition juridique du premier millénaire chrétien. Ce décrétiste est Huguccio de Pise (t 1210), qui dans sa Summa in Decretum Gratiani, rédigée vers 1190, introduit en ces termes le passage de Gratien traitant du célibat : " In hac Distinctione incipit (Gratianus) tractare specialiter de continentia clericorum, scilicet quam debent observare in non contrahendo matrimonio et in non utendo contracto " (2).

Ici apparaît clairement une double obligation du célibat, à savoir ne pas se marier et ne plus faire usage d’un mariage contracté antérieurement. Il en résulte qu’à l’époque - donc au XIIe siècle après Jésus-Christ -, il y a des clercs majeurs qui, avant leur ordination, étaient déjà mariés. Effectivement, nous savons aussi par la Sainte Écriture que l’ordination d’hommes mariés était tout à fait courante, par exemple lorsque saint Paul dit à ses disciples Tite et Timothée que de tels candidats à l’ordination ne doivent avoir été mariés qu’une fois (3). De saint Pierre au moins nous savons avec certitude qu’il était marié, car Pierre dit au Maître : " Voici que nous, nous avons tout laissé et nous Vous avons suivi, quelle sera donc notre part ? " A quoi le christ répond (chez Luc) : " En vérité, je vous le dis : nul n’aura laissé maison, parents, frères, femmes ou enfants à cause du Royaume de Dieu, qui ne reçoive en retour bien davantage en ce temps-ci et, dans le monde à venir, la vie éternelle " (4).

Ici apparaît déjà la première obligation du célibat des clercs : la continence, l’obligation, à partir de l’ordination, de s’abstenir de tout usage du mariage. Tel est bien, en effet, le sens du célibat - sens aujourd’hui presque entièrement oublié, mais qui était encore présent à l’esprit de tous durant tout le premier millénaire et encore longtemps après : s’abstenir complètement de toute procréation, même de celle qui est permise, voire obligatoire dans le mariage. Effectivement, les premières lois écrites sur le célibat parlent de cette interdiction de continuer à procréer, et l’on en donnera des preuves convaincantes dans la deuxième partie. Cela montre que ce fut précisément à cause du grand nombre de clercs antérieurement mariés qu’il fallut insister sur cette interdiction ; mais que l’interdiction de se marier, quant à elle, reste d’abord à l’arrière-plan et ne prend du relief que dès l’instant et dans la mesure croissante où l’Église encourage et réclame des candidats antérieurement non mariés, jusqu’à ce que ce soient eux qui fournissent presque exclusivement les candidats aux ordres majeurs.

Pour compléter ce premier concept du célibat - qui dès le départ est appelé correctement " continence " -, il faut tout de suite faire remarquer que les candidats à l’ordination qui

étaient mariés ne pouvaient renoncer au mariage que si l’épouse était d’accord, puisqu’en raison du sacrement reçu, celle-ci avait un droit inaliénable à l’usage du mariage contracté (et consommé), lequel était indissoluble. On traitera dans la deuxième partie de l’ensemble des obligations liées à cela.

2. La deuxième condition pour bien reconnaître comment est né et s’est développé le célibat des clercs - qu’il faudra désormais, d’après sa définition, appeler " continence " - est d’autant plus importante que la multiplicité des opinions concernant justement l’origine et les premiers développements de l’obligation de continence peut s’expliquer par une non-observation de la bonne méthode dans la recherche et l’exposé de cette question.

Pour cela, il faut d’abord faire la remarque générale que tout domaine scientifique tient son autonomie par rapport aux autres domaines de son propre objet et de la méthode exigée par celui-ci. Certes, il y a pour les grandes sciences apparentées les unes aux autres, comme par exemple les lettres, des règles de la recherche scientifique qui leur sont communes à toutes et doivent donc être universellement observées. C’est ainsi qu’aucun travail scientifique dans tous les domaines de l’histoire ne peut se passer des règles d’une critique préalable des sources, laquelle doit d’abord constater si les sources sont authentiques et intactes ou non falsifiées, pour ensuite seulement aborder leur évaluation interne, à savoir leur crédibilité et leur valeur de preuve. Relèvent de cela avant tout la volonté et la capacité de saisir et d’exploiter comme il faut les témoignages eux-mêmes et ce qu’ils veulent dire. Ce n’est que sur cette base une fois assurée que peut se faire l’herméneutique ou l’interprétation correcte de ces sources dont on se sera déjà assuré de l’authenticité, de la non-falsification, de la valeur documentaire et de la crédibilité.

Mais, outre ces conditions méthodologiques générales, doit ensuite intervenir la méthode exigée par telle science particulière. Pour être compétente, une histoire de la philosophie suppose la connaissance de la philosophie elle-même l’histoire de la théologie, celle de la théologie l’histoire de la médecine et des mathématiques, celle de ces deux sciences ; l’histoire du droit, celle du droit et de ses exigences méthodologiques spécifiques.

Or l’histoire du célibat, pour ce qui est du fond et de l’évolution, s’occupe de droit ecclésiastique et de théologie catholique. Quiconque prétend à une herméneutique correcte des témoignages correspondants ne peut se passer de la méthode propre au droit et à la théologie. je voudrais tout de suite illustrer le sens et la nécessité de ces remarques qui paraissent abstraites à première vue, en en faisant une application très concrète à notre propos.

Vers la fin du siècle passé, il y eut une âpre discussion - qui, aujourd’hui encore, reste connue et poursuit ses effets - au sujet de l’origine du célibat ecclésiastique. Gustav Bickell, fils de juriste et lui-même orientaliste, faisait remonter, en se référant à des témoignages essentiellement orientaux, l’origine du célibat à une ordonnance apostolique. Franz X. Funk, le célèbre historien de l’Église antique, lui répondit qu’il ne pouvait en être question, étant donné que ce n’est qu’au début du IVe siècle que nous pouvons constater une loi sur le célibat. Après une double passe d’armes, Bickell se tut, tandis que Funk répétait une fois de plus, en les récapitulant, ses résultats, sans recevoir de réponse de son adversaire. Par contre, il reçut une approbation significative de la part d’autres érudits estimés, comme E.T. Vacandard et H. Leclercq, dont l’influence et l’autorité, jointes au fait qu’ils avaient exprimé leur sympathie dans des moyens de communication largement répandus, aidèrent la thèse de Funk à connaître un accueil positif quasi général, et ce jusqu’à nos jours (5).

Si l’on se réfère à ce qui a été dit plus haut de la condition méthodologique à remplir, force est de constater que F.X. Funk avec sa thèse n’a déjà pas satisfait aux règles générales de la critique des sources, ce qui, de là part de l’érudit par ailleurs hautement qualifié qu’il était sans aucun doute, apparaît singulier. Il a en effet accepté comme une preuve capitale contre l’opinion de Bickell l’histoire de l’évêque-moine égyptien Paphnuce au concile de Nicée (325), sans tenir compte de la critique externe des sources, qui est fondamentale ; celle-ci avait pourtant, dès avant Funk, affirmé à plusieurs reprises l’inauthenticité de ce récit. Cette inauthenticité est aujourd’hui prouvée, et nous y reviendrons quand nous traiterons de Nicée en relation avec notre sujet. Mais ce fut de la part de Funk une erreur encore plus grave, - même si elle peut moins lui être imputée à faute -, que de ne vouloir admettre une obligation officielle du célibat qu’à partir d’une loi écrite. Il faut en dire autant de l’historien de la théologie Vacandard et de l’historien des conciles Leclercq.

Tout historien du droit sait (et l’un des théoriciens du droit les plus importants de ce siècle, Hans Kelsen, l’a souligné expressément) qu’il est faux d’identifier le droit et la loi (" jus " et " lex "). Le " jus ", c’est toute norme juridique obligatoire, qu’elle ne soit transmise qu’oralement ou par le droit coutumier, ou qu’elle soit déjà fixée par écrit ; tandis que la loi est l’ordonnance écrite et légitimement publiée.

C’est précisément une particularité typique du droit - et toute histoire du droit nous l’expose - qu’il y a au début de tout ordre juridique la transmission orale et la tradition par le droit coutumier, lesquelles ne prennent que lentement une forme fixée par écrit. C’est ainsi que le droit romain ne fut consigné qu’au bout de plusieurs siècles, pour des raisons sociologiques, dans la Loi des XII Tables. Tous les peuples germaniques n’ont mis par écrit qu’après plusieurs siècles d’existence les ordonnances de leur droit populaire. Auparavant, leur droit était non écrit et se transmettait oralement. Personne n’ira pour autant affirmer que ce droit n’avait pas force d’obligation et qu’il était laissé au libre arbitre de l’individu de le suivre ou non.

Tout comme l’ordre juridique de toute communauté de quelque ampleur, celui de la jeune Église était constitué, lui aussi, d’ordonnances et d’obligations qui souvent n’étaient transmises qu’oralement et qui, d’ailleurs, à cause de trois siècles de persécutions, ne pouvaient guère se traduire dans l’écrit. Cet ordre pouvait cependant, davantage que bien d’autres ordres juridiques récents, faire état d’éléments déjà écrits. L’Église elle-même avait bien conscience de cette forme de son ancien droit, et nous en avons même une preuve dans la Sainte Écriture. Saint Paul écrit en effet dans sa deuxième Épître aux Thessaloniciens (2, 15) : " Ainsi donc, frères, tenez ferme et gardez les traditions que vous avez apprises de nous, soit de vive voix, soit par lettre. " Il s’agit ici sans aucun doute d’ordonnances à caractère obligatoire, qui n’avaient pas été données par écrit, mais, comme cela est bien dit expressément, uniquement de vive voix, et ne se transmettaient d’ailleurs que de cette façon. Donc, celui qui n’admet pour obligatoires que les seules ordonnances pour lesquelles on peut prouver l’existence de lois écrites, ne satisfait pas à la méthode de la connaissance dans le domaine de l’histoire du droit.

En ce qui concerne maintenant la bonne méthode pour connaître les fondements théologiques de la continence des clercs, il faut rappeler expressément qu’elle doit tenir compte non seulement du domaine disciplinaire propre, mais aussi de la théologie, dans la mesure où il s’agit d’un charisme lié de la manière la plus intime à l’Église et au Christ et qui, pour cette raison, ne peut être compris et traité à fond qu’à partir de la Révélation et des développements qu’en tire la théologie.

Or il est établi aujourd’hui que la théologie médiévale traite de façon peu autonome les domaines spécifiques liés au droit et à la discipline ; elle a repris, au contraire, de la canonistique classique alors florissante, elle a repris des Glossateurs certaines discussions, ainsi que les résultats de celles-ci. Cela, les historiens de la théologie médiévale l’ont déjà expressément établi (6), et un regard jeté sur l’oeuvre du prince de la scolastique médiévale, saint Thomas d’Aquin, en apporte une confirmation suffisante. Telle est sûrement la raison principale pour laquelle la continence des clercs n’a pas reçu de traitement satisfaisant de. la part de la théologie elle-même, c’est-à-dire par la méthode qui lui est propre de justifier les choses par la Révélation et par les sources de celle-ci. Certes, la lacune a déjà été partiellement comblée, mais on réclame toujours davantage - et ce, précisément pour le sujet qui nous occupe - que soient approfondis les fondements théologiques. C’est dans la dernière section que l’on tiendra compte de cette demande, laquelle n’est que trop justifiée.

 

II L’évolution dans l’Eglise latine

 

Après ces réflexions nécessaires concernant le concept et la méthode, nous allons tout d’abord suivre l’évolution de la continence cléricale dans l’Église latine. Parmi les différents témoins de la tradition, on peut à bon droit évoquer en premier lieu le concile d’Elvire. Au cours de la première décennie du IVe siècle, des évêques et des prêtres de l’Église d’Espagne se réunirent dans la ville épiscopale d’Elvire, près de Grenade, afin de soumettre à une réglementation commune la situation ecclésiale de l’Espagne, qui appartenait à la moitié occidentale de l’Empire et jouissait sous César Constance d’une paix relativement grande.

Durant la période précédente de persécutions contre la religion chrétienne dans l’Empire romain, des abus étaient apparus en maints domaines et l’observance de la discipline ecclésiastique avait souffert de graves dommages. Des ordonnances relatives à tous les domaines importants de la vie ecclésiale nécessitant une clarification ou un renouvellement furent prises sous forme de 81 canons conciliaires mettant à nouveau l’accent sur l’ancienne discipline et promulguant de nouvelles prescriptions devenues nécessaires.

C’est le 33e canon qui fournit la première loi connue du célibat. Sous le titre " Concernant les évêques et ministres (de l’autel), pour qu’ils s’abstiennent de commercer avec leurs épouses ", on trouve le texte suivant :

" On est tombé d’accord sur l’interdiction totale faite aux évêques, prêtres et diacres, c’est-à-dire à tous les clercs au service de l’autel, de commercer avec leurs épouses et de procréer des enfants ; cependant, celui qui l’aura fait devra être exclu de l’état clérical. "

Le canon 27 avait déjà mis l’accent sur l’interdiction pour les femmes étrangères de cohabiter avec des évêques ou autres clercs. Ils n’avaient le droit d’avoir chez eux qu’une soeur ou une fille consacrée à la virginité, mais en aucun cas une femme de l’extérieur (7).

De ces premiers textes de loi découle ceci : beaucoup de clercs majeurs de l’Église espagnole de l’époque, si ce n’est la plupart d’entre eux, étaient des viri probati, c’est-à-dire des hommes mariés avant d’avoir été ordonnés. Mais ils étaient alors dans l’obligation de renoncer à tout commerce conjugal, après avoir été ordonnés diacres, prêtres et évêques, et donc de respecter une stricte continence. A la lumière des fins poursuivies par le concile d’Elvire, du droit et de l’histoire du droit dans la culture juridique romaine qui dominait alors aussi en Espagne, il est impossible de considérer le canon 33 (de même que le canon 27) comme étant une loi nouvelle. Il se révèle bien plutôt être à l’évidence une disposition édictée contre une inobservation largement répandue de l’engagement pris et bien connu auquel on a désormais associé la sanction radicale suivante : ou bien observer l’engagement pris ou bien renoncer à l’état clérical. S’il s’était agi d’une réelle nouveauté avec, par rapport à des droits déjà acquis, des effets rétroactifs décrétés de façon aussi générale, elle aurait certainement suscité une tempête d’indignation contre une rupture du droit aussi évidente. Pie XI l’a déjà clairement reconnu lorsqu’il a constaté dans son encyclique sur les prêtres que cette loi écrite supposait l’existence d’une pratique antérieure (8).

Après cet important texte de loi d’Elvire, il nous faut tout de suite recourir à un texte encore plus important relatif à ce point et que nous retrouverons plus tard par deux fois encore. Il s’agit d’une déclaration ayant force d’obligation promulguée pour la première fois par le canon 2 du concile africain de 390 et reprise lors des conciles africains suivants pour, finalement, être incorporée au Codex canonum Ecclesiae africanae. Voici ce texte :

" Afin que la chasteté soit gardée par les lévites et les prêtres.

L’évêque Epigonius dit ceci : "Comme lors du précédent concile, on a parlé de continence et de chasteté, les trois degrés - soit l’évêque, le prêtre et le diacre - liés du fait de leur ordination à un certain devoir de chasteté, devront recevoir un enseignement plus complet regardant la manière de garder la pureté."

(Sur quoi) l’évêque Genetlius dit : "Comme on l’a dit plus haut, il convient que les saints évêques et les prêtres de Dieu, ainsi que les lévites ou tous ceux qui sont au service des divins sacrements, observent en tout la continence, afin de pouvoir obtenir ce qu’ils implorent en toute simplicité du Seigneur ; afin qu’ainsi nous aussi nous gardions ce que les Apôtres ont enseigné et ce qu’a conservé une coutume ancienne".

A l’unanimité, les évêques déclarèrent alors : "Nous sommes tous d’accord sur le fait qu’évêque, prêtre et diacre, gardiens de la chasteté, doivent s’abstenir eux-mêmes du commerce de leurs épouses pour qu’en tout, et par tous ceux qui servent à l’autel, la chasteté soit observée." (9) "

Il ressort de cette déclaration du concile de Carthage que, dans l’Église d’Afrique également, une grande partie, si ce n’est la majorité du clergé était mariée avant d’être ordonnée. Mais tous devaient rester continents après leur ordination. Ce commandement est basé expressément, ici, sur la relation entre le service de l’autel et le sacrement de l’ordre. En outre, il s’appuie expressément sur l’enseignement des Apôtres, sur l’observance des traditions du passé (antiquitas) et sur sa ratification unanime par l’Église d’Afrique toute entière.

Or on sait, par une controverse avec Rome, dans laquelle s’insèrent ces prescriptions, combien était conscient et vivant dans cette Église l’ensemble de la tradition de l’ancienne Église. Le prêtre Apiarius avait alors été excommunié par son évêque (de Sicca). Il fit appel à Rome où l’on accepta sa demande en se référant à un canon de Nicée qui aurait autorisé ces appels. Mais les évêques africains se déclarèrent solidaires de leur collègue et nièrent l’existence de ce canon nicéen. Ce cas fut traité lors de plusieurs rencontres des évêques africains auxquelles participèrent aussi les envoyés de Rome, et dont on a conservé les Canones in causa Apiarii (10). Les Africains affirmèrent qu’aucun canon de cette sorte ne figurait dans leur liste des décisions de Nicée. Ils envoyèrent des ambassades à Alexandrie, Antioche et Constantinople, mais dans ces centres aussi on n’avait pas connaissance de ce canon. L’erreur romaine fut clarifiée lorsqu’on s’aperçut qu’on avait ajouté aux canons de Nicée ceux du concile de Sardique, qui avait discuté une fois de plus, également sous la direction de Hosius de Cordoue, de la question arienne. C’est probablement pour cette raison qu’à Rome on avait joint les décisions disciplinaires de Sardique à celles de Nicée, et considéré le tout comme nicéen. A Sardique, on avait effectivement défini la possibilité d’en appeler à Rome (canon 3). L’Eglise africaine n’eut alors aucune difficulté à démontrer son erreur au pape Zosime qui avait attribué à tort à Nicée l’origine de cette possibilité.

Lors de la séance principale consacrée à cette affaire, qui se déroula le 25 mai 419, c’est l’évêque Aurelius de Carthage qui présidait. Y participaient d’une part le légat du pape, Faustin de Fermo, ainsi que les deux prêtres romains Philippe et Asellus, d’autre part environ 240 évêques africains parmi lesquels Augustin d’Hippone et Alypius de Tagaste. Le président ouvrit les débats par ces mots :

" Nous avons ici les exemplaires des dispositions rapportés par nos Pères du concile de Nicée ; nous conservons intacte sa forme et nous garderons également les décisions que nous allons parapher ".

Suivit alors la profession de foi en la Trinité prononcée par tous les Pères conciliaires.

En troisième lieu, le président Aurelius reprit alors le texte, cité plus haut, du concile de 390 relatif à la continence des clercs, et qui avait été lu par Epigonius et Genetlius. Là-dessus le légat du pape, Faustin, s’exprima ainsi (sous la rubrique : " Sur les différents degrés d’ordination nécessitant l’abstention de tout commerce avec les épouses ") :

" Nous sommes d’accord sur le fait que l’évêque, le prêtre et le diacre, c’est-à-dire tous ceux qui sont en contact avec les sacrements, doivent s’abstenir du commerce de leurs épouses, en tant que gardiens de la chasteté ".

 

Là-dessus, tous les évêques répondirent :

" Nous sommes d’accord sur le fait que la chasteté doit être gardée en tout et par tous ceux qui servent à l’autel " (11).

 

Parmi les normes suivantes issues de l’ensemble des traditions de l’Église africaine, qui furent à nouveau lues et à nouveau arrêtées, on trouve en 25e place le texte lu par le président Aurelius :

" Nous ajoutons encore ceci, chers frères lorsque l’on apprit que quelques clercs, bien que simples lecteurs, n’observaient pas la continence vis-à-vis de leur propre femme, on décida ce qui fut aussi confirmé par divers conciles, que les sous-diacres qui touchent les saints mystères et que les diacres, les prêtres, également les évêques doivent observer la continence vis-à-vis de leurs propres épouses, étant donné les prescriptions valables pour eux, de telle manière qu’ils passent pour n’en point avoir. S’ils ne peuvent s’y tenir, ils devront être éloignés de leur service d’Eglise. Mais les autres clercs n’y seront pas obligés, sauf en leur âge mûr ".

A cela le concile tout entier répondit :

" Ce que Votre Sainteté ajustement exposé et ce qui est sacré et plait à Dieu, nous le confirmons " (12).

Ces témoignages de l’Église d’Afrique de la fin du IV et du début du Ve siècle sont à citer en détail à cause de leur importance fondamentale. Il s’agit ici d’une conscience tout à fait claire de la tradition, qui s’appuie non seulement sur une conviction générale que personne ne met en doute, mais aussi sur des documents bien conservés. Il y avait, alors encore dans les archives de l’Église africaine les actes originaux apportés par les Pères du concile de Nicée. Des prescriptions contraires concernant le célibat des prêtres auraient sauté aux yeux des Africains, de la même manière que l’erreur de l’Église romaine attribuant les canons de Sardique à Nicée, et ils l’auraient également fait valoir auprès de l’Église de Rome.

On voit par là quelle conscience de la tradition avait l’Eglise dans son ensemble, dont les parties étaient en relation vivante les unes avec les autres : Rome et l’Italie, l’Espagne, l’Afrique, Alexandrie, Antioche, Constantinople. Précisément, ce qui était si expressément dit et répété par l’Église africaine de l’origine apostolique et de l’observance transmise de la continence des clercs - et ce, y compris les sanctions visant les contrevenants - n’aurait sûrement pas été accepté sans contestation et de façon aussi générale si cela n’avait pas correspondu à un fait connu de tous. Et il y a même a ce sujet des témoignages formels de l’Église orientale sur lesquels nous reviendrons.

A propos de ce témoignage africain sur la continence des clercs, nous avons déjà entendu une voix romaine faisant autorité : le légat du pape, Faustin, exprima à Carthage l’accord complet de Rome sur cette question. Rome avait déjà envoyé aux évêques d’Afrique, sous le pape Sirice, une lettre où étaient portées à leur connaissance les décisions du synode romain de 386, où l’on insistait à nouveau sur des prescriptions apostoliques importantes tombées en désuétude. Cette lettre fut lue au concile de Thélepte de 418 (Concilium Thelense ?). Sa dernière partie (c. 9) concerne la continence des clercs (13).

Nous arrivons ainsi à un deuxième groupe de témoignages relatifs à notre question, témoignages du plus grand poids, non pas seulement en raison de la conscience qu’avait de sa tradition l’Église prise dans son ensemble, mais aussi en raison de l’évolution ultérieure et de la préservation du célibat des clercs : les témoignages et prescriptions des papes. Un témoignage général de l’importance qu’avait la position de Rome dans tous les domaines, et donc aussi dans le nôtre, nous vient d’Irénée qui, disciple de saint Polycarpe, était en relation avec la tradition johannique qu’il transmit à l’Église d’Europe, en tant qu’évêque de Lyon depuis 178.

Quand il dit dans son ouvrage principal Contre les hérésies, que la tradition apostolique était conservée dans l’Église romaine fondée par les apôtres Pierre et Paul, raison pour laquelle toutes les autres Églises avaient à se conformer à elle (14), cela vaut évidemment aussi pour la tradition de la continence cléricale.

Nous possédons à ce sujet les premiers témoignages exprès des deux papes Sirice et Innocent Ier.

L’évêque Himère de Tarragone avait posé au prédécesseur du premier, le pape Damase, des questions auxquelles ne répondit que son successeur, Sirice précisément. En ce qui concerne le devoir de continence des clercs majeurs, le pape fait savoir dans sa lettre de 385 (Directa) (15) que les nombreux prêtres et diacres qui continuent à procréer des enfants après leur ordination, agissent à l’encontre d’une loi qui lie les clercs majeurs depuis le début de l’Église, et qui ne peut être remise en question. Leur référence à l’Ancien Testament, où les prêtres et les lévites avaient le droit d’user du mariage en dehors de leur service au Temple, est remise en cause par le Nouveau Testament où les clercs majeurs doivent assurer quotidiennement le ministère sacré, raison pour laquelle ils sont dans l’obligation de vivre toujours continents dès le jour de leur ordination.

Une deuxième lettre du même pape sur la continence des clercs est la lettre de 386 aux évêques africains, citée plus haut, où leur sont communiquées les décisions d’un synode épiscopal romain. Cette lettre est pour la question qui nous occupe particulièrement instructive. Il y est dit tout d’abord que, pour ce qui est des obligations évoquées, il ne s’agit pas de prescriptions nouvelles, mais bien d’obligations qui, par laisser-aller et inertie de certains, ont été négligées. On devra les observer de nouveau, étant donné qu’il s’agit là de décisions des Pères apostoliques prises conformément aux paroles de l’Écriture : " C’est pourquoi demeurez fermes et retenez les enseignements que vous avez reçus de nous, soit oralement, soit par lettre " (2 Th 2, 15).

Le concile épiscopal romain était donc conscient que même des traditions orales avaient elles aussi valeur d’obligation. Eu égard au tribunal divin, tous les évêques catholiques devaient respecter les neuf prescriptions qui y avaient été énumérées.

La neuvième prescription y est exposée avec minutie : les prêtres et les lévites ne devront pas entretenir de commerce avec leur épouse, du fait qu’ils sont pris quotidiennement par leur ministère sacerdotal. Saint Paul a écrit aux Corinthiens qu’ils devaient rester continents pour se consacrer à la prière. S’il est conseillé même aux laïcs d’être continents afin que soient exaucées leurs prières, combien plus le prêtre devra-t-il être prêt à tout instant à offrir le sacrifice ou à administrer le baptême avec une pureté assurée. Après quelques autres considérations d’ordre ascétique, l’objection, encore vivante aujourd’hui, qui voulait justifier la poursuite de la vie conjugale par la parole de l’Apôtre concernant l’aptitude à recevoir l’ordination, selon laquelle il fallait n’avoir été l’époux que d’une seule femme, cette objection est repoussée ici, pour la première fois, par les 80 évêques réunis. Elle ne signifie pas, en effet, que l’on pouvait continuer à vivre en procréant dans la concupiscence, mais elle n’était exprimée qu’en vue de la future continence. Nous apprenons ainsi pour la première fois officiellement ce qui sera par la suite constamment répété : que le besoin de se remarier ou un mariage antérieur avec une veuve ne garantissaient pas la possibilité d’une continence effective après l’ordination d’un homme précédemment marié.

La fin de la lettre est une invitation pressante à obéir à ces prescriptions issues de la tradition (16).

Le pape suivant qui s’occupa de manière approfondie de la continence ecclésiastique fut Innocent Ier (401-417). Une lettre traitant de ce sujet et qu’on avait attribuée à Damase, puis à Sirice, est cependant très probablement d’Innocent Ier. A la demande des évêques de Gaule, on discuta, lors d’un synode, d’une série de questions pratiques dont les résultats furent communiqués dans la lettre Dominus inter du début du siècle. La troisième des 16 questions concernait la " chasteté et la pureté des prêtres ". Dans l’introduction, le pape prend acte de ce que " beaucoup d’évêques s’étaient hâtés, dans plusieurs Églises locales, de modifier les traditions des Pères avec une outrecuidance toute humaine, et étaient de ce fait entrés dans l’obscurité de l’hérésie, préférant ainsi être honorés des hommes plutôt que de mériter de Dieu ". Comme (lit-on plus loin) celui qui a posé la question cherche à apprendre de l’autorité du Siège apostolique à connaître ou bien les lois, ou bien les traditions, non pas par curiosité mais pour assurer sa foi, on lui fera connaître en un langage simple, mais au contenu sûr, ce qu’il doit savoir pour corriger toutes les divergences nées de l’outrecuidance des hommes.

Puis, à propos, du troisième point en question, on lit :

" En premier lieu, il a été arrêté, concernant les évêques, prêtres et diacres tenus aux sacrifices divins, dont les mains transmettent la grâce du baptême et offrent le corps du Christ, que ce n’était pas seulement nous qui les obligions à la chasteté, mais la Divine Écriture, et que les Pères eux aussi leur ont commandé de garder la continence corporelle. "

Suivent les raisons détaillées de ce commandement, tirées principalement de la Sainte Écriture qui, aujourd’hui encore, méritent d’être prises en considération. A la fin, il est dit que, ne serait-ce que par respect de la religion, on n’avait pas le droit de confier les mystères divins aux contrevenants (17).

Trois autres lettres du même pape reprennent l’ensemble des raisonnements de son prédécesseur qu’il approuve totalement : la lettre à Victrice de Rouen du 15 février 404 ; celle à Exupère de Toulouse, du 20 février 405, et celle aux évêques Maxime et Sévère de Calabre, dont la date est incertaine(18).

Ce qui est important, c’est la sanction réclamée partout contre les contrevenants invétérés : ils doivent être écartés du service clérical.

Les papes suivants s’employèrent eux aussi à faire observer strictement la continence cléricale traditionnelle, Qu’il suffise de citer les témoignages des deux principaux papes des siècles suivants :

 

En 456, Léon le Grand écrit à ce sujet à l’évêque Rustique de Narbonne :

" La loi de continence est la même pour les ministres de l’autel (les diacres) que pour les évêques et les prêtres. Lorsqu’ils étaient encore des laïcs ou des lecteurs, ils pouvaient être autorisés à se marier et à procréer des enfants. Mais dès qu’ils atteignaient les degrés nommés ci-dessus, ce qui autrefois leur était permis cessait désormais de l’être. Pour que du mariage selon la chair naisse ainsi un mariage spirituel, il est nécessaire non pas qu’ils répudient leurs épouses, mais qu’ils les aient comme n’en ayant pas, afin que soit gardé l’amour conjugal mais que cesse en même temps l’usage du mariage " (19).

Mais en cela il confirme un point connexe, toujours spécialement mentionné dans la législation précédente : que les épouses des clercs majeurs devront, une fois que ceux-ci auront été ordonnés, être prises en charge par l’Église, qu’elles entrent soit dans un couvent de religieuses, soit dans une communauté de femmes créée à cet effet par l’Église. On s’oppose habituellement à ce que continue la cohabitation avec les maris d’antan désormais obligés à la continence, étant donné le risque aisément concevable de transgresser l’engagement pris. Elle n’est permise que dans des conditions excluant ce risque.

Il faut dire en outre que le pape Léon étend l’interdiction aux sous-diacres, après leur ordination, ce qui n’était pas le cas jusqu’alors, car on se demandait si ce degré appartenait lui aussi aux degrés supérieurs (20).

Grégoire le Grand (590-604) atteste indirectement dans ses lettres que, pour l’essentiel, la continence cléricale était observée dans l’Église d’Occident. Il décréta que l’ordination au sous-diaconat était définitive et entraînait pour tous le devoir de continence. De plus, il s’employa à plusieurs reprises à interdire en toutes circonstances la cohabitation des clercs majeurs avec des femmes non autorisées à le faire, cette cohabitation devant donc être empêchée. Comme les anciennes épouses n’appartenaient pas, normalement, aux femmes autorisées, on a ici une interprétation remarquable du canon 3 correspondant de Nicée (21).

De ce qui vient d’être dit découle une première constatation générale très importante. Dans l’Église d’Occident, c’est-à-dire en Europe et dans les régions d’Afrique du Nord appartenant au patriarcat romain, l’unité de la foi, mais aussi celle de la discipline de l’Église fut et resta toujours vivante, ce qui s’exprimait par un va-et-vient plus ou moins intensif, mais jamais interrompu, entre les Églises régionales. C’est ainsi qu’est attestée au cours des conciles régionaux la présence de représentants d’autres régions. A Elvire était présent, parmi d’autres, le prêtre Eutychès comme représentant de Carthage, de même qu’étaient présents des évêques d’Espagne au concile de Carthage de 418 consacré à l’affaire des Pélagiens (22).

Cette conscience d’une unité et d’une homogénéité essentielle s’exprime tout à fait clairement dans les actes conciliaires de l’époque (23). Mais elle fut entretenue avant tout, et transposée dans la pratique, par ce principe d’unité que constituait le primat romain devenu de plus en plus efficace, surtout depuis la fin de l’ère des persécutions du fait des empereurs romains. On s’en aperçoit dans le domaine des questions de foi essentielles pour l’Église universelle, dans celui de la pratique de la foi et, surtout, pour les questions de discipline, en particulier au sein du patriarcat romain.

On en possède une preuve de premier ordre fournie précisément par l’importante question de la continence des clercs majeurs. Parallèlement à la pratique conciliaire, si efficace dès le début, pour imposer cette continence et la maintenir, nous avons mis particulièrement en lumière l’action indicatrice des papes et leur souci universel d’en perpétuer l’usage, à commencer par Sirice. Si le célibat ecclésiastique bien compris a conservé si sûrement et si effectivement, malgré toutes les difficultés, la conscience de son origine et de sa tradition, nous le devons sans aucun doute à la sollicitude ininterrompue des papes. L’histoire de l’Église d’Orient nous en fournira une deuxième preuve.

Mais avant de l’aborder, il nous faut encore suivre, au moins sommairement, l’évolution du phénomène dans l’Église d’Occident.

Les Pères de l’Église et les écrivains ecclésiastiques de l’Église universelle sont parmi les témoins les plus importants de la foi et de la tradition aux premiers siècles de l’Église. Écoutons en premier lieu saint Ambroise nous parler de la continence des clercs. Élevé au rang d’évêque alors qu’il était gouverneur de Ligurie et d’Émilie dans son siège administratif de Milan, il devint bientôt l’un des hommes les plus importants de l’Église d’Occident. En ce qui concerne notre question, ce pasteur si sensible aux obligations juridiques du fait de sa profession antérieure, a des conceptions bien précises. C’est ainsi qu’il déclare explicitement que les ministres de l’autel qui avaient été mariés avant leur ordination n’avaient plus le droit de continuer à vivre dans le mariage, même si cette obligation n’était pas toujours respectée dans certaines régions éloignées. Par rapport à l’Ancien Testament, il y avait là un commandement nouveau de la Nouvelle Alliance étant donné que les prêtres du Nouveau Testament étaient tenus de façon constante d’assurer la prière et le service divin (24).

Saint Jérôme, qui connaissait la tradition occidentale aussi bien que la tradition orientale - et pour ce qui est de l’Orient, de par sa propre expérience - rappelle dans sa réfutation de Jovinien, en 393, sans faire aucune différence entre l’Orient et l’Occident, que l’apôtre Paul avait dit, dans le passage bien connu de sa lettre à Tite, qu’un candidat à l’ordination ayant précédemment été marié, ne devait l’avoir été qu , une seule fois, avoir bien élevé ses enfants, mais ne devait plus procréer d’autres enfants. Comme il était constamment soumis à l’obligation de la prière et du service divin, et pas seulement temporairement comme dans l’Ancien Testament, " si semper orandum et ergo semper carendum matrimonio " s’appliquait à son cas (25). Dans son ouvrage Adversus Vigilantium (406), il revient sur l’obligation de continence perpétuelle pour les ministres de l’autel et dit à cette occasion que telle est la pratique de l’Église d’Orient, d’Égypte et du Siège apostolique : tous ne prennent que des clercs vierges et continents ou, s’ils avaient précédemment été mariés, qui avaient renoncé à la vie conjugale (26). Déjà dans son Apologeticum ad Pammachium, saint Jérôme avait déclaré que les Apôtres, eux aussi, étaient " vel virgines vel post nuptias continentes " (27), et : " presbyteri, episcopi, diaconi aut virgines eliguntur, aut vidui aut certo post sacerdotium in aeternum pudici "(28).

Saint Augustin, évêque d’Hippone depuis 396, connaissait non seulement l’obligation générale de continence du clergé supérieur, mais il avait participé, en les approuvant totalement, aux conciles de Carthage où il avait été précisé à plusieurs reprises que cette obligation remontait aux Apôtres et à une tradition constante du passé. Dans son traité De coniugiis adulterinis, il déclare que même des hommes précédemment mariés, s’ils ont été appelés de façon imprévue et donc, en quelque sorte, contre leur gré, à s’agréger au clergé supérieur et ont été ordonnés, sont liés à la continence, devenant ainsi un exemple pour les laïcs vivant séparés de leur femme et exposés, de ce fait, à la tentation de l’adultère (29).

Nous avons déjà mentionné plus haut les déclarations du quatrième des Pères éminents de l’Église d’Occident, le pape saint Grégoire le Grand.

On peut sans difficulté déduire de la pratique constatée jusqu’alors que la continence des trois derniers degrés du service clérical apparaît dans l’Église comme une obligation remontant aux commencements de l’Eglise, obligation reçue et transmise oralement comme un bien appartenant à la tradition ecclésiale. Après l’ère des persécutions, du fait surtout des conversions toujours plus nombreuses, et donc aussi des ordinations devenues nécessaires, on en vint à des transgressions toujours plus généralisées de cette dure obligation, contre lesquelles luttèrent avec une insistance accrue, par des lois ou des réglementations écrites, les conciles et les efforts des papes. Étant donné que ces prescriptions ne sont nulle part attestées comme des nouveautés, mais toujours bien comme remontant aux commencements de l’Église, nous avons non seulement le droit, mais aussi le devoir - en raison de la méthode utilisée pour l’étude de l’évolution du droit applicable également à l’Église - de considérer ce qui apparaît maintenant comme une loi écrite, comme étant une tradition orale de l’Église ayant valeur d’obligation. Quiconque voudrait maintenir le contraire, non seulement contreviendrait aux impératifs de la méthode scientifique, mais encore accuserait de mensonge tous les témoins unanimes que nous avons entendus, vu qu’on ne peut pas les taxer d’ignorance.

Les bases de la pratique en usage dans l’Église ancienne étant ainsi assurées, nous pouvons maintenant continuer à étudier - et d’abord en Occident - l’évolution au cours des siècles suivants.

Il n’y a pas de doute que tout au long de ces siècles également, beaucoup de ministres de l’autel furent recrutés parmi des hommes précédemment mariés. Les nombreux conciles d’Espagne et de Gaule en témoignent, du fait que ces clercs s’y voient sans cesse rappeler avec insistance le devoir de continence(30).Les sanctions, certes, y sont souvent adoucies, comme, par exemple, au concile de Tours, en 461, où ce n’est plus l’excommunication à vie qui est prescrite pour les contrevenants récalcitrants, mais seulement l’exclusion du ministère d’Église (31).

Mais d’un autre côté, l’Église tend de plus en plus à former, en vue des ordres majeurs, des candidats non mariés et à repousser les candidats mariés, l’expérience ayant fait apparaître le risque permanent de ne pas voir respecté l’engagement initialement accepté.

Une autre disposition, toujours renouvelée avec insistance, concerne l’interdiction, pour toute espèce de clercs supérieurs, de cohabiter avec des femmes n’offrant pas la garantie que la continence serait respectée.

Dans ce domaine, les dispositions de l’Église insulaire sont particulièrement caractéristiques pour l’appréciation générale de la discipline du célibat dans l’Europe du Moyen Âge. Les pénitentiels qui reflètent par bien des aspects la vie et la discipline de cette Église singulière à plus d’un titre, contiennent les mêmes obligations concernant le clergé supérieur insulaire précédemment marié. Ceux qui continuaient à commercer avec leur épouse étaient en général considérés comme coupables d’adultère et punis en conséquence (32). Si l’on exigeait, et supportait, ces dures obligations, même dans l’Église insulaire, dont les pénitentiels fournissent un témoignage vivant de ses rudes moeurs, on a là la meilleure preuve que la chose n’était possible qu’en raison d’une ancienne et vénérable tradition que personne ne mettait en doute.

A côté de ces risques ordinaires menaçant toujours et partout la continence des clercs, il y eut au cours de l’histoire de l’Église des époques et des régions où surgirent des risques extraordinaires, défiant les autorités ecclésiales d’une manière toute particulière. De semblables difficultés ne cessèrent d’être suscitées par les hérésies qui se répandaient toujours davantage. L’arianisme des Wisigoths en est un exemple, même après leur conversion, au sein du royaume wisigoth espagnol. Les conciles de Tolède III (569) et de Saragosse II (592) contiennent des normes explicites à ce sujet, relatives aux clercs venant de l’arianisme(33).

La continence des clercs eut à supporter l’une de ses crises les plus graves dans les régions de l’Église catholique d’Occident touchées par les abus défiant, aux XIe et XIIe siècles, la célèbre réforme grégorienne. C’étaient les régions d’Europe où avait plus ou moins pénétré le système ecclésial des bénéfices, système qui dominait largement la vie publique, mais aussi la vie privée, dans l’Église et dans la société ecclésiale.

Les biens des bénéfices liés à toutes les charges - aux élevées, mais aussi aux inférieures - rendaient largement indépendant économiquement, et donc aussi professionnellement, le détenteur de cette charge, c’est-à-dire également d’un bénéfice, la charge afférente au bénéfice ne pouvant que très difficilement - ou même pas du tout - être retirée. L’attribution de charges dotées d’un bénéfice - souvent effectuée par des laïcs habilités à le faire (institution d’églises " propres ", au sens étroit ou large) - fournit très souvent au service de l’Église des candidats ayant charge d’évêques, d’abbés ou de prêtres paroissiaux, non préparés ou indignes. L’attribution des charges par des laïcs puissants, ayant davantage en vue leurs intérêts profanes que ceux de l’Église, entraîna les deux autres abus fondamentaux de la vie ecclésiale de l’époque : l’achat des charges ou simonie, et le nicolaïsme ou violation généralisée du célibat des clercs.

Après des réformes régionales infructueuses, les papes s’occupèrent, pour toute l’Europe, de cette situation de détresse de l’Église et réussirent - avant tout grâce à l’intervention décisive de Grégoire VII - à maîtriser ce grave danger qui avait touché tous les degrés supérieurs du clergé (34).

C’est ainsi que ce danger précisément devint l’occasion non seulement de rétablir l’antique discipline de la continence, mais aussi de la maîtriser, pour l’essentiel, par un choix et une formation meilleurs, surtout en renonçant de plus en plus à admettre des candidats mariés, afin de revenir à l’observation de cette obligation par tous.

Une autre conséquence importante de cette réforme fut de décider solennellement, lors du deuxième concile du Latran (1139), que les mariages de clercs majeurs, tout comme celui des religieux (prononçant des voeux solennels) étaient non seulement non autorisés comme par-devant, mais également invalides (35). Ce qui a conduit au malentendu encore largement répandu de nos jours, selon lequel ce serait seulement le deuxième concile du Latran qui aurait introduit le célibat des clercs majeurs. En réalité, seul fut alors déclaré invalide le mariage conclu en violation de l’interdiction qui, elle, existait depuis déjà longtemps.

Presque à la même époque, la science du droit canon fit son apparition et commença ses activités. Le moine camaldule Gratien composa à Bologne, vers 1141, sa Concordia discordantium canonum, appelée par la suite simplement Decretum Gratiani, dans laquelle il réunit l’ensemble des matériaux juridiques du premier millénaire de l’Église et accorda - ou au moins tenta d’accorder - les différentes normes entre elles. On lui doit la naissance de l’école de droit canon des Glossateurs, c’est-à-dire des commentateurs des collections de droit canon et de leurs textes législatifs, fonctionnant parallèlement à l’école du droit romain (36).

Le Décret de Gratien traite aussi, bien entendu, du devoir de continence pour les clercs, et ce dans les distinctions 26-34, puis dans les distinctions 81-84. La même chose se retrouve dans les dispositions légales apparaissant dans les autres parties du Corpus iuris canonici. Pour bien comprendre les commentaires de ces lois par les canonistes, il faut tenir compte du fait que, pas plus que leurs collègues de droit romain, ils ne développèrent des considérations d’histoire du droit, chose qui n’apparaîtra qu’à la suite de l’École des Culti, c’est-à-dire de l’école de droit humaniste du XVIe siècle. On ne s’étonnera donc pas si les Glossateurs, c’est-à-dire l’école de droit classique de la canonistique elle-même, ne connaissaient pas la critique des sources et des textes proprement dite.

Cette constatation est importante pour notre sujet dans la mesure où nous nous heurtons immédiatement chez Gratien au fait que, dans la question du célibat, il considère la fable historique de Paphnuce au concile de Nicée comme étant un fait avéré, et qu’il l’accepte sans esprit critique, en l’associant au canon 13 du concile in Trullo II, comme si elle était la principale raison d’une différence de pratique du célibat entre l’Église d’Occident et l’Église d’Orient. Tandis qu’elle ne constitue pas une raison justificative pour l’Église latine, elle devient pour Gratien et pour l’école classique de droit canon la raison principale de l’obligation différente de continence du clergé supérieur dans l’Église orientale. Nous reviendrons sur cette différence quand nous traiterons de l’histoire du célibat dans l’Église d’Orient. C’est précisément à cause de cet esprit critique insuffisant que les doutes qui déjà apparaissaient aussi en Occident, et même la falsification reconnue par Grégoire VII et d’autres réformateurs qui le suivirent - en particulier par Bernold de Constance (+ 1100) - n’exercèrent aucune impression décisive sur l’École. S’y ajoute le fait que le droit canon classique reconnaît l’entière validité pour l’Église d’Orient des décisions du concile in Trullo, à Constantinople, qui fixa en 691 la discipline de la continence - différente de celle d’Occident - de l’Église byzantine et des obédiences qui devaient par la suite dépendre d’elle.

Mais comme les documents anciens - c’est-à-dire les textes conciliaires de l’Église universelle d’Orient et d’Occident (et surtout les décisions africaines, mais pas celles d’Elvire), les lettres des papes et les écrits des Pères, surtout d’Occident - étaient bien connus, les canonistes du Moyen Âge ne doutèrent aucunement de la portée obligatoire de la discipline de l’Église occidentale. Ils étaient en général d’accord pour admettre que l’interdiction du mariage pour les clercs ayant reçu les ordres majeurs remontait aux Apôtres, à leur exemple, mais aussi aux dispositions qu’ils avaient prises. Certains firent remonter aux Apôtres l’interdiction d’user du mariage contracté avant l’ordination, d’autres à des dispositions légales prises par la suite, avant tout par les papes, Sirice en tête. Quant aux fondements de cette interdiction, ils essayèrent certes de les expliquer très en détail, mais en partie à l’aide d’arguments contradictoires. Quelques-uns s’appuyèrent sur un votum, soit expressum, soit tacitum ou ordini adnexum, solemnizatum. Pour pallier la difficulté issue du fait qu’on ne peut imposer un votum à une personne, on trouva la solution suivante : ce votum n’était pas imposé à la personne elle-même, mais était une condition nécessaire pour accéder à la fonction, ce que l’Église peut faire, sans aucun doute.

L’enseignement qui peut le plus facilement emporter la conviction est que cette disposition peut être associée - surtout par les papes - par une loi à l’ordo sacer - ce qui fut fait effectivement : pour les évêques, prêtres et diacres, dès les premiers conciles et les premiers papes ; pour les sous-diacres, définitivement seulement par le pape Grégoire le Grand. Mais aucun canoniste ne remit en cause que, depuis son introduction, cette obligation ait jamais pu faire l’objet de restrictions. Signalons en particulier que quelques Glossateurs ont attiré expressément l’attention sur le fait que même les normes du droit purement coutumier constituaient une source d’obligation pour la continence des clercs, normes qui existaient déjà avant leur fixation légale, et sur le fait que même le pape ne pouvait dispenser d’une obligation découlant du votum. C’est pourquoi beaucoup ont préconisé la théorie de la loi, le pape pouvant dispenser d’une loi générale. Mais beaucoup de Glossateurs pensent qu’une telle dispense ne pourrait être accordée que dans des cas isolés, et non pas dans tous, car cela équivaudrait à supprimer une obligation du status ecclesiae, ce que même le pape ne saurait faire (37).

Nous citerons cependant ici quelques textes importants pour notre sujet, car ils peuvent être considérés en quelque sorte comme une récapitulation des enseignements des Glossateurs. Ils proviennent de saint Raymond de Penafort, qui a également composé le Liber Extra du pape Grégoire IX. Il peut donc être considéré non seulement comme un homme de confiance du pape, mais aussi comme un représentant de la science canonique de l’époque.

C’est ainsi que saint Raymond déclare, à propos du contenu et de l’origine de l’obligation de continence pour les hommes précédemment mariés : " Les évêques, les prêtres et les diacres sont tenus de respecter la continence, même avec leur épouse. C’est ce que les Apôtres ont enseigné par leur exemple, mais aussi par leurs prescriptions, comme disent certains, selon qui le : ‘ont enseigné’ (dist. 84, c. 3) peut être interprété de diverses manières. Cela fut par la suite renouvelé au concile de Carthage, comme dans la prescription cum in praeterito citée plus haut, ainsi que par le pape Sirice " (38). Après toutes les autres récapitulations, il en vient aux raisons de l’introduction de cette obligation : " La raison était double : d’une part la pureté sacerdotale, afin qu’ils (les prêtres) puissent obtenir en toute sincérité ce qu’ils demandent à Dieu dans la prière : dist. 84, c. 3 et dict. p. c. 1, dist. 31. L’autre raison est qu’ils puissent ainsi prier plus librement (1 Cor 7, 5) et accomplir leur fonction. Ils ne peuvent pas, en effet, faire les deux à la fois, servir leur épouse et servir l’Église " (39).

La vie de sacrifice continuel résultant d’une obligation aussi lourde ne peut être vécue qu’à partir d’une foi vivante, la faiblesse humaine continuant toujours à se manifester. Sa justification surnaturelle ne peut rester compréhensible que grâce à une telle foi sans cesse consciemment vécue. Là où la foi se relâche, la force de résistance, elle aussi, se relâche ; là où la foi meurt, la continence meurt elle aussi.

Une preuve toujours nouvelle en est fournie par tous les mouvements hérétiques et schismatiques apparus dans l’Église. Un des premiers symptômes de ces mouvements est toujours l’abandon de la continence des clercs. C’est pourquoi on ne sera pas étonné que, lors des grands mouvements d’apostasie et d’hérésie du XVIe siècle, le célibat ait tout de suite été abandonné chez les protestants, calvinistes, disciples de Zwingli et anglicans. Aussi les efforts de réforme du concile de Trente en faveur de la vraie foi et de la bonne discipline dans l’Église catholique durent-ils tout à fait logiquement s’occuper également des attaques dirigées contre la continence des clercs.

On sait avec précision, par l’histoire de ce concile, que surtout les empereurs, les rois et les princes, mais même aussi certains milieux d’Eglise, s’employèrent à demander un assouplissement général ou la dispense de cette obligation, dans la bonne intention de regagner à l’Église des clercs apostats et, même, d’aller au-devant d’une réconciliation avec les mouvements apostats. Mais une commission instituée par les papes décida, en raison de la tradition toute entière, que l’on conserverait sans compromis l’obligation de la continence : l’Église ne saurait renoncer à une obligation remontant à ses origines et continuellement renouvelée depuis (40).

Pour des raisons pastorales, il y eut en Allemagne et en Angleterre une autorisation spéciale d’absoudre les prêtres ayant renoncé à toute cohabitation conjugale, et de les réintégrer dans leur charge ecclésiale. Dans le cas où ils refuseraient, on pourrait assainir leur situation matrimoniale. Mais les prêtres restaient alors exclus pour toujours de tout ministère sacerdotal (41).

Il est remarquable en outre que, non seulement les Pères du concile confirmèrent toutes ces obligations, mais aussi qu’ils se refusèrent à déclarer que la loi du célibat de l’Église latine était une loi purement ecclésiastique (42) tout comme ils s’étaient déjà refusés à étendre à la Vierge Marie la loi générale du péché originel.

Mais la disposition fondamentale du concile de Trente en faveur de la conservation et de la promotion du célibat des clercs, fut la création des séminaires, décidée par le canon 18, bien connu, de la XXIIIe session, et imposée à tous les diocèses. Ils devaient servir à choisir, instruire et affermir de jeunes hommes en vue du sacerdoce (43). Cette décision providentielle, peu à peu mise en application, a offert à l’Église tant de candidats aux ordres majeurs non mariés, qu’à partir de ce moment-là, on put renoncer définitivement à ceux qui avaient été mariés, ce qui, d’ailleurs, avait été un voeu du concile de Trente ou de beaucoup de Pères (44).

Depuis, la notion de célibat telle qu’elle existait jusqu’ici, comprenant pour celui qui était ordonné et le devoir de continence dans le cas d’un mariage précédemment conclu, et l’interdiction de tout mariage futur, se limita dans l’esprit des fidèles à la dernière interdiction, si bien qu’aujourd’hui on ne comprend généralement par célibat des prêtres que l’interdiction d’un futur mariage.

Au cours des temps difficiles qui suivirent, l’Église a toujours continué à tenir fermement à la tradition du célibat. Même dans la grave situation de crise suscitée dans le clergé de l’Église de France par la Révolution du XVIIIe siècle et du début du XIXe. Là aussi, la pratique du XVIe siècle fut confirmée : les prêtres qui s’étaient mariés pendant la Révolution eurent le choix ou bien de renoncer à ce mariage invalide, après quoi ils pouvaient reprendre leur fonction dans l’Église, ou bien d’assainir leur situation matrimoniale à la suite d’une dispense, après quoi toutefois ils devaient abandonner à jamais tout ministère d’Église, ce qu’avait déjà exigé la première loi écrite d’Elvire.

L’Église s’opposa aussi à toutes les autres tentatives de ce genre, qui proposaient de supprimer le célibat des clercs comme, par exemple, les essais de Bade-Wurtemberg sous Grégoire XVI (45), ou bien le mouvement de Jednota en Bohême sous Benoît XV (46).

Caractéristique est également l’abolition immédiate du célibat chez les Vieux-Catholiques après le premier concile du Vatican. Et n’est pas moins claire la résistance de l’Église aux tentatives toujours renouvelées après le deuxième concile du Vatican d’ordonner des hommes mariés sans qu’ils aient à renoncer au commerce conjugal, ou d’autoriser le mariage des prêtres.

 

III La pratique dans l’Eglise d’Orient

 

On a souvent reproché à l’Église latine son étroitesse et sa sévérité accrues face à une application dès le départ plus libérale de la continence des clercs et on donne pour preuve de cette affirmation la pratique de l’Église d’Orient qui aurait, elle, conservé l’attitude générale originelle de l’Église primitive. C’est pourquoi l’Église latine pourrait et devrait, elle aussi, étant donné le lourd poids que représente le célibat pour la situation pastorale dans l’ensemble de l’Église d’aujourd’hui, revenir à la pratique primitive.

La réponse à cette affirmation et à la proposition qui s’y rattache dépendra de l’exactitude ou de la fausseté, dans l’Église primitive, des faits avancés. Les observations faites plus haut à propos de l’histoire de la pratique du célibat dans l’Église occidentale peuvent faire légitimement douter de cette prétendue exactitude. Aussi nous faut-il préciser ce que fut l’évolution du célibat dans l’Église d’Orient, ce que nous allons tenter de faire dans cette troisième partie.

Gustav Bickell, dans sa défense des origines apostoliques du célibat, s’est appuyé principalement sur des témoignages orientaux. Nous n’entrerons pas, pour écrire l’histoire du célibat en Orient, dans le détail de tous ces témoignages. Avec ce que nous avons déjà dit et avec ce qui va encore être dit, on devrait aboutir à un tableau acceptable de la situation véritable.

L’évêque Épiphane de Salamine (plus tard Constantia, dans l’île de Chypre) est un témoin important (315 - 403). On le sait connaisseur et défenseur de l’orthodoxie et de la tradition de l’Église dont il avait sans doute pu acquérir une bonne connaissance durant une vie de 88 ans qui couvrit presque entièrement le IVe siècle. Si par certains côtés - principalement lors de ses luttes d’idées, comme par exemple sur la question d’Origène -, il manifesta parfois une ardeur aveugle, son témoignage sur les faits et circonstances de son époque, surtout pour ce qui est de la discipline de l’Église, ne peut facilement être mis en doute.

Or, en ce qui concerne la continence des clercs majeurs, l’évêque Épiphane nous fournit un rapport typique des faits : dans son ouvrage principal Panarion, de la deuxième moitié du IVe siècle, il dit que Dieu a fait connaître à l’univers le nouveau charisme du sacerdoce à travers des hommes qui avaient renoncé au mariage conclu avant leur ordination, ou qui avaient déjà auparavant vécu toujours vierges. C’était là la norme fixée en toute sagesse et sainteté par les Apôtres (48). Mais plus importante encore est sa constatation faite dans l’Expositio fidei annexée à son oeuvre principale, à savoir que l’Église n’admet aux fonctions d’évêque, de prêtre, ainsi que de diacre que ceux qui renoncent à leur épouse au nom de la continence, ou ceux qui sont devenus veufs. C’est ainsi, au moins, qu’on agit, poursuit-il, là où les prescriptions de l’Église ont été observées avec exactitude.

Cependant, on peut constater qu’en divers endroits, des prêtres, des diacres et des sous-diacres continuent à procréer des enfants. Cela ne se fait toutefois pas en accord avec la norme, mais c’est une conséquence de la faiblesse humaine qui suit toujours la pente la plus facile. Et, plus loin, il explique de nouveau qu’on choisit les prêtres principalement parmi ceux qui ne sont pas encore mariés ou qui sont moines. Si l’on ne trouve pas suffisamment de candidats parmi eux, on en prendra aussi parmi les hommes mariés, mais qui auraient renoncé au commerce de leur femme, ou qui, après un seul mariage, seraient devenus veufs (49).

Ces déclarations d’une personnalité qui, au premier siècle de la liberté de l’Église, connaissant nombre de langues, voyageait beaucoup à travers le Proche-Orient déchiré par quantité d’opinions diverses, constituent un témoignage sûr tant en ce qui concerne la norme générale qu’en ce qui concerne la situation effective de la pratique du célibat dans l’Église d’Orient.

Un deuxième témoin nous est déjà connu : saint Jérôme, qui avait été ordonné prêtre en Asie Mineure vers 379 et s’était ensuite familiarisé pendant six ans avec les hommes d’Église, les communautés monastiques, les enseignements et avec la discipline de l’Orient. Après avoir séjourné trois ans à Rome, il repartit, en passant par l’Égypte, pour la Palestine où il demeura jusqu’à sa mort vers 420. Il participa toujours activement à la vie ecclésiale en général, étant qualifié pour cette tâche d’une manière extraordinaire, du fait de ses relations avec de nombreux contemporains importants, en Orient comme en Occident, et du fait de sa profonde connaissance des langues.

Nous avons déjà cité plus haut ses déclarations concernant la continence des clercs. Signalons à nouveau ici son ouvrage contre des prêtres du Midi de la France et leur mépris du célibat, Adversus Vigilantium, où il renvoyait à la pratique de l’Église d’Orient, d’Égypte et du Siège apostolique qui, tous, n’admettent parmi les clercs que ceux qui sont vierges, continents et qui, s’ils avaient été mariés, vivaient en renonçant au commerce conjugal (cf. note 26). C’est donc la position officielle, y compris de l’Église d’Orient, qui est attestée ici en faveur de la continence des clercs.

Pour la législation synodale de l’Église d’Orient, les conciles régionaux anténicéens d’Ancyre et de Néocésarée et le concile postnicéen de Gangra nous fournissent bien quelques témoignages sur des clercs majeurs mariés, mais aucune information sûre concernant l’autorisation, au-delà de quelques exceptions, d’une vie non continente après l’ordination (50). Les synodes particuliers des diverses Églises schismatiques d’Orient - nées au cours des discussions christologiques d’alors, et où il est attesté qu’on s’est écarté, dans la discipline cléricale, de la continence - sont plutôt des témoignages de l’attitude officielle opposée de l’Orthodoxie.

Mais le concile qui doit, en notre affaire, principalement nous occuper, est le 1er concile oecuménique de Nicée, de 325.

La seule disposition de ce premier synode général de l’Église universelle se rapportant au célibat des clercs est le canon 3 qui interdit aux évêques, prêtres et diacres et, en général, à tous les clercs, d’avoir auprès d’eux, dans leur maison, des femmes introduites à la dérobée. Ne font exception que la mère, la soeur et la tante, ainsi que des personnes au-dessus de tout soupçon (51). Aucune ancienne épouse ne figure parmi les femmes autorisées. Cela signifie-t-il que, chez les Pères du concile, le devoir de continence restait une conviction vivante, du fait aussi que l’évêque figure à la première place des clercs touchés par l’interdiction, lui pour qui la continence par rapport à un mariage antérieur était et est encore aujourd’hui en vigueur dans l’Église d’Orient ?

Une position contraire, au moins pour les prêtres, diacres et sous-diacres, est fournie par une relation concernant un ermite et évêque du désert égyptien nommé Paphnuce qui, lors du concile, se serait levé pour déconseiller aux Pères de décréter une obligation générale de continence. On devrait laisser les Églises locales en décider de leur plein. gré. Ce conseil aurait été accepté et approuvé par le concile.

Alors que l’historien de l’Église bien connu Eusèbe de Césarée, qui assistait au concile et était en outre proche des Ariens, n’avait pas eu connaissance de ce fait, on en entend parler pour la première fois plus de 100 ans après le concile par les deux auteurs ecclésiastiques byzantins Socrate et Sozomène. Socrate donne pour source de son information un très vieil homme qui aurait assisté au concile et lui aurait rapporté ce fait. Si l’on songe que Socrate, né vers 380, était enfant lorsqu’il recueillit le récit de quelqu’un qui, en 325, ne pouvait avoir été lui-même guère plus qu’un enfant et n’était sûrement pas susceptible d’être tenu pour un témoin compétent du concile - la plus élémentaire critique des sources ne peut qu’émettre des doutes quant à l’authenticité de ce récit.

Ces doutes ont d’ailleurs été exprimés dès l’origine et n’ont cessé ensuite de l’être. En Occident déjà par Grégoire VII et Bernold de Constance, comme on l’a dit plus haut. A une époque plus récente, le commentaire de ce récit par l’éditeur des oeuvres de Socrate et de Sozomène, Valesius (1668), que Migne a reproduit dans sa Patrologia graeca (t. LXVII), mérite toute notre attention. Il dit en effet expressément que l’histoire de Paphnuce est suspecte, du fait qu’aucun Paphnuce n’apparaît parmi les Pères égyptiens du concile. Commentant le passage correspondant chez Sozomène, il dit à nouveau que l’histoire de Paphnuce est une fable inventée, surtout parce que, parmi les Pères ayant signé les actes du concile de Nicée, aucun porteur de cenom n’apparaît (52). Dans la traduction latine de Cassiodore Épiphane (Historia tripartita), seul est cité de l’épisode un extrait de 16 lignes tiré de Sozomène (53).

Tout récemment, un savant allemand, Friedhelm Winkelmann, voulant aller au fond de la question, aboutit à la conclusion sans doute définitive qu’il s’agissait là d’un événement inventé, parce que le personnage de Paphnuce n’était apparu que plus tard, que son nom ne figurait que dans des manuscrits tardifs des actes, que des manuscrits du IVe siècle ne le citaient que comme confesseur de la foi et que ce n’étaient que des légendes hagiographiques tardives qui en faisaient un thaumaturge et un participant au concile de Nicée (54).

Mais l’argument le plus convaincant contre l’authenticité du récit semble être le fait que, dans l’Église d’Orient elle-même, qui y aurait pourtant eu tout intérêt, ou bien on l’ignora, ou bien on ne l’utilisa nulle part, précisément parce qu’on était persuadé de son inauthenticité. L’histoire de Paphnuce n’est mentionnée et utilisée ni dans les écrits polémiques relatifs au célibat des clercs, ni dans les grands commentaires, au XIIe siècle, du Syntagma canonum adauctum, c’est-à-dire du grand code de l’Église d’Orient (Aristenus, Zonarus, Balsamon) remontant au concile in Trullo, bien que cela eût été beaucoup plus simple que de se réfugier dans une falsification, comme nous allons le voir sans tarder. Ce n’est qu’au XIIe siècle que cette histoire apparaît dans le Syntagma alphabeticum de Matthieu Blastarès qui, ne la découvrant probablement que grâce au Décret de Gratien, l’aura trouvée intéressante pour l’Orient. En Occident, on avait adopté le fait sans aucun esprit critique, du moins de la part des canonistes qui s’en servirent pour étayer la reconnaissance de la discipline particulière de l’Église d’Orient . Malgré tout, le concile in Trullo ne s’est pas référé à Paphnuce lorsqu’il a officiellement établi la règle du célibat désormais applicable dans l’Église d’Orient.

Ces précisions nous conduisent déjà au point central de l’histoire du célibat clérical dans l’Église byzantine et dans les Églises locales de rite oriental dépendant d’elle.

Quelques remarques préliminaires nous aideront à mieux comprendre ce point central. Dans toute l’histoire du célibat, nous n’avons cessé de constater qu’une obligation aussi lourde avait constamment dû payer son tribut à la faiblesse humaine. Saint Ambroise de Milan en est déjà le témoin lorsqu’il dit que la pratique ne correspondait pas toujours au commandement, surtout dans les régions éloignées - il faisait allusion à l’Occident. Épiphane de Salamine a, lui aussi, dit la même chose pour l’orient. Les conciles régionaux et les papes sont toujours intervenus en Occident pour ramener à l’observance, pour l’encourager de toutes les manières possibles et pour veiller à ce qu’on respecte l’engagement pris.

Ce souci constant semble, selon toute apparence, avoir largement manqué en Orient. L’histoire des synodes de ces régions nous en fournit un témoignage éloquent. Une mobilisation générale de l’Église universelle avait montré son efficacité lors des conciles oecuméniques, qui, durant le premier millénaire, se déroulèrent surtout en Orient. Mais elle concernait principalement les questions de doctrine. Pour la discipline, les questions concrètes de pratique pastorale étaient confiées aux réunions tenues par les Églises locales qui ne parvinrent pas à unir leurs efforts, principalement à cause de l’organisation des patriarcats (de Constantinople, Antioche, Alexandrie, Jérusalem) et de la relative autonomie de ceux-ci, et également de l’autonomie des Églises locales hérétiques ou schismatiques, quand ces Églises ne décrétaient pas dès le départ des normes divergentes en raison de leurs conceptions différentes.

Il leur manquait avant tout d’avoir au-dessus d’elles une autorité universelle reconnue, et de ce fait efficace, capable d’unifier la discipline et de prendre des mesures de contrôle et d’exécution efficaces. Cela se reflète au maximum dans les recueils de lois de l’Église d’Orient. Ils contiennent les prescriptions des conciles généraux et, en outre, celles des Églises particulières des premiers siècles. La législation particulière des siècles suivants ne trouva plus place dans le recueil commun, le Syntagma canonum. A la place des prescriptions pontificales (décrétales), qui faisaient ici presque complètement défaut, on y incorpora des extraits des écrits des Pères orientaux et des lois impériales concernant des matières ecclésiastiques. De la discipline particulière des Églises d’Occident, l’Église d’Orient, dans son recueil de lois ecclésiastiques, n’a tenu compte que de l’Église d’Afrique, appartenant au patriarcat romain, Église qui lui était la plus proche et la plus connue et dont elle incorpora à son Syntagma le recueil le plus important, le Codex canonum Ecclesiae africanae, ou le Codex Apiarii causae, auquel elle avait été aussi intéressée.

En raison de la position et de l’influence des empereurs byzantins (césaropapisme), il y avait ce qu’on appelait des nomocanons, c’est-à-dire des recueils où se trouvaient réunies des lois ecclésiastiques et des lois profanes concernant des matières ecclésiastiques, l’empereur veillant à ce qu’on les observe, dans la mesure où les territoires de l’Église d’Orient dépendaient encore de lui.

La situation de l’Église d’Orient brièvement décrite ici explique l’absence d’une action efficace contre l’inévitable relâchement dans l’observation de l’obligation du célibat pour les clercs majeurs. Alors qu’on réussit à maintenir la tradition de la continence pour les évêques, même pour ceux qui avaient été mariés auparavant (on les recrutait, il est vrai, souvent parmi les moines), on ne put plus empêcher que le commerce conjugal ne se répande toujours davantage, même après leur ordination, chez les prêtres, les diacres et les sous-diacres ayant été mariés auparavant, et on put encore moins rétablir l’obligation de continence ; autrement dit, on s’inclina devant le fait accompli.

Alors que le Codex Theodosianus (438) laisse encore entendre que la continence peut être sauvegardée même si l’on permet à l’ancienne épouse d’habiter chez l’ancien époux après l’ordination de celui-ci, l’amour de la pureté n’autorisant pas à la mettre à la rue, et son comportement avant l’ordination de son mari ayant montré qu’elle était digne de lui (56), la législation ecclésiale de l’empereur Justinien atteste déjà, dans le Codex de 534 et dans les Nouvelles (535-565) une nouvelle manière de voir. D’une part l’interdiction d’admettre à l’ordination ceux qui ont été mariés plus d’une seule fois et de se remarier après l’ordination y est maintenue pour tous les degrés, à partir du sous-diacre ; mais d’autre part, la cohabitation avec l’ancienne épouse est autorisée pour les prêtres, diacres et sous-diacres, puisqu’ils peuvent continuer à vivre en état de mariage, pourvu que celui-ci n’ait été conclu qu’une seule fois et avec une vierge (57).

Qu’en dit la législation de l’Église ? Comme nous l’avons déjà rappelé, on ne parvint plus jamais, en Orient, à une législation disciplinaire commune. Comme le premier concile in Trullo, à Constantinople, en 680-681, n’avait pas édicté de prescriptions disciplinaires, on convoqua un deuxième concile in Trullo (automne 691) ou l’on voulut enfin récapituler la législation disciplinaire et décider des compléments nécessaires. Ce qui fut fait par la promulgation de 102 canons qu’on ajouta à l’ancien Syntagma, qui devint ainsi le dernier codex général de l’Eglise byzantine, le Syntagma adauctum (58).

L’ensemble de la discipline du célibat fut fixé de façon obligatoire en 7 canons (les canons 3, 6, 12, 13, 26, 30, 48).

Ce concile in Trullo II (ou Quinisexte) fut un concile de l’Église byzantine, convoqué et organisé par elle et s’appuyant sur son autorité. Il n’a jamais été reconnu en tant que concile par l’Église catholique d’Occident, malgré les efforts répétés déployés pour y parvenir. Le pape Serge Ier (originaire lui-même de Syrie, 687-701) refusa de le reconnaître comme tel. Ce n’est que le pape Jean VIII (un Romain, 872-882) qui en reconnut les décisions dans la mesure où elles ne contredisaient pas la pratique romaine existante. Toute autre référence de la part des papes aux décisions du concile in Trullo, ne peut prétendre être autre chose qu’une " prise de connaissance " d’un document dont les dispositions pouvaient être plus ou moins retenues, en tant que droit particulier des Églises d’Orient.

Quelles sont les sources sur lesquelles s appuient les décisions du concile in Trullo fixant jusqu’ici définitivement les règles byzantines du célibat ?

Pour pouvoir répondre à cette question, il nous faut d’abord examiner les diverses décisions prises.

Le canon 3 arrête que tous ceux qui, après leur baptême, ont été mariés une deuxième fois ou vivaient en concubinage, tout comme ceux qui avaient épousé une veuve, une divorcée, une prostituée, une esclave ou une actrice, ne pouvaient devenir évêques, prêtres ou diacres.

Le canon 6 dispose qu’il n’est pas permis aux prêtres et aux diacres de contracter mariage après leur ordination.

Le canon 12 arrête que les évêques n’ont plus le droit, après leur ordination, de cohabiter avec leurs épouses, et donc qu’ils ne peuvent plus user du mariage.

Le canon 13 décrète que les prêtres, les diacres et les sous-diacres - contrairement à la pratique romaine qui leur interdit le commerce conjugal - peuvent, dans l’Église d’Orient, en raison d’anciennes prescriptions apostoliques de perfection et d’ordre, vivre avec leurs épouses et faire usage du mariage sauf pendant le temps où ils assurent le service de l’autel et célèbrent les saints mystères ; ils doivent alors en conséquence observer la continence. Cela a été dit par les Pères réunis à Carthage : " Les prêtres, les diacres et les sous-diacres doivent rester continents durant leur service à l’autel, afin que ce qui a été transmis par les Apôtres et observé de tout temps, le soit aussi par nous qui fixerons le bon moment en toute chose, surtout pour ce qui est de la prière et du jeûne. Ceux qui serviront à l’autel divin devront donc, pendant le temps du saint service, rester continents en tout, afin de pouvoir recevoir ce qu’ils implorent de Dieu en toute simplicité ". Celui donc qui ose priver un clerc in sacris, c’est-à-dire un prêtre, diacre ou sous-diacre, du commerce et de la communauté avec sa femme légitime - outrepassant ainsi les canons apostoliques -, devra être destitué, tout comme celui qui, sous prétexte de piété, renverra sa femme et persistera en cela.

Le canon 26 dispose qu’un prêtre qui, par ignorance, aura contracté un mariage non autorisé, devra s’accommoder de sa première situation, mais s’abstenir de toutes fonctions en tant que prêtre. Ce mariage non autorisé devra être dissout, et tout commerce avec cette femme sera interdit.

Le canon 30 autorise ceux qui, d’un commun accord, veulent vivre dans la continence, ce qui est aussi le cas des prêtres dans les pays des Barbares (sont ainsi désignés les prêtres vivant dans l’Église d’Occident), à ne pas vivre ensemble. Mais cette obligation qu’ils désirent assumer relève d’une dispense qui ne peut être accordée aux dits prêtres qu’en raison de leur pusillanimité et des moeurs qui les entourent.

Le canon 48 arrête que l’épouse d’un évêque, séparée de lui d’un commun accord après son sacre, devra entrer dans un couvent et être entretenue par l’évêque. Cependant, elle pourra aussi être promue diaconesse.

De ces dispositions conciliaires découle ceci : l’Orient connaît la pratique du célibat de l’Occident. Tout comme l’Occident, il se réclame de la tradition remontant aux Apôtres pour justifier sa propre pratique du célibat. Effectivement, il s’accorde avec l’Occident et se réclame exactement comme celui-ci de passages de l’Écriture sainte concernant les points suivants : le mariage contracté avant l’ordination doit avoir été unique et ne pas avoir été contracté avec une veuve ou avec d’autres femmes exclues par les lois. Un premier ou second mariage n’est pas autorisé après l’ordination. Les évêques ne doivent plus avoir de commerce avec leur ancienne épouse, après leur consécration. Il leur faut toujours vivre continents. C’est pourquoi les femmes n’ont plus le droit d’habiter chez eux, mais doivent être entretenues par l’Église. L’Orient demande même que toutes entrent au couvent.

La différence avec la pratique de l’Église d’Occident ne concerne que les degrés inférieurs à celui d’évêque. La continence n’est exigée de ceux-ci que pour le temps de service effectif à l’autel, qui, à l’époque, n’était pas quotidien pour les prêtres dans l’Église d’Orient, mais d’ordinaire réduit au seul dimanche, ou en outre parfois à l’un ou l’autre jour de la semaine. On a donc ici un retour à la pratique vétérotestamentaire. La cohabitation et le commerce avec les épouses des mariages contractés avant l’ordination sont non seulement soutenus avec une grande détermination, mais toute position contraire est frappée de graves sanctions. L’exception compréhensible destinée aux prêtres vivant dans l’Église d’Occident, constitue une dispense qui n’est accordée qu’en raison de la pusillanimité des prêtres eux-mêmes et des difficultés engendrées par les circonstances extérieures, dont la cause principale est, à l’évidence, la pratique générale de la continence dans l’Église d’Occident.

Les Pères du concile in Trullo II ne pouvaient trouver dans leurs propres documents une justification à ce qui différenciait leur pratique de celle de l’Église d’Occident. Ils ne tenaient sans doute pas non plus à se référer à l’Ancien Testament, d’autant que, dans les raisons fournies par l’Église d’Occident, et surtout par les prescriptions pontificales concernant le célibat, cette référence à l’Ancien Testament était expressément rejetée comme ne convenant plus au sacerdoce du Nouveau Testament. Naturellement, on ne voulait pas non plus se référer à la législation impériale qui, comme nous l’avons déjà vu, avait déjà pris les devants étant donné la dégradation générale de la pratique.

Comme, à Constantinople, on était manifestement conscient de l’inauthenticité de la fable de Paphnuce, on n’eut d’autre solution que de remonter à des témoignages de l’Antiquité chrétienne qui n’étaient pas issus de l’Église d’Orient, mais provenaient cependant d’une Église proche, et dont les documents disciplinaires avaient même trouvé place dans le codex général des Églises d’Orient. C’étaient en l’occurrence les canons de l’Église africaine qui traitaient expressément de la continence des clercs et, qui plus est, se référaient directement aux Apôtres et à l’ancienne tradition de l’Église.

Comme ces documents contenaient pour les évêques les mêmes prescriptions [que celles de l’Église d’Orient] mais, pour les prêtres, les diacres ainsi que les sous-diacres, des prescriptions exactement contraires, il fallut modifier le texte authentique des canons africains, ce qui fut d’autant moins dangereux à réaliser que très peu nombreux étaient, en Orient, ceux qui comprenaient encore le latin du texte original. Alors donc que ce dernier exigeait la continence complète pour tous les degrés des ordres majeurs, on limita, pour la réglementation de l’Église d’Orient, cette continence aux moments où les clercs accomplissaient le service à l’autel proprement dit, comme cela avait été le cas dans l’Ancien Testament. Mais on conserva, même pour le texte manipulé, la référence aux Apôtres et à l’Église ancienne, afin de garder au célibat une base que l’Orient, lui aussi, connaissait.

Que dire de tout cela ? Les Pères du deuxième concile in Trullo se croyaient à l’évidence en droit d’édicter pour l’Église byzantine des normes particulières. Ils avaient toujours persévéré dans leur volonté d’autonomie, surtout dans le domaine administratif et disciplinaire, et ne se sentaient liés que pour les questions doctrinales, ainsi que pour des décisions prises par l’Église universelle dans les conciles oecuméniques, et donc aussi avec leur participation. Par conséquent, on peut sans aucun doute concéder à ces Pères, qui avaient à coeur de fixer les normes générales propres à leur Église, le droit d’avoir tenu compte de la situation, également dans le domaine de la continence des clercs, pour laquelle ils ne voyaient aucune possibilité de réforme susceptible de réussir. Savoir si cette manière de procéder était possible et justifiée dans un domaine tel que celui du célibat des clercs qui concernait l’Église universelle, et où les Pères orientaux se trouvaient en contradiction avec la pratique de l’Église d’Occident placée sous la direction des papes romains, est une autre question.

Mais nous pouvons sans aucun doute nier qu’ait été justifiée la falsification d’un texte, transformant la vérité en son contraire (59).

Cependant, pour l’Église catholique d’Occident, tout cela est une preuve supplémentaire que sa tradition du célibat remonte effectivement aux Apôtres et qu’elle s’est édifiée à partir de la conscience qu’avait d’elle-même l’ancienne Église universelle, et donc que sa tradition est véritable et bonne.

Il nous reste à nous demander ce que l’histoire dit de cette modification textuelle, devenue le fondement, pour les Églises d’Orient, de la nouvelle et définitive obligation. Les propres déclarations des canonistes de l’Église byzantine concernant la lecture des canons africains depuis le XlVe siècle, comme par exemple celle de Matthieu Blastarès, laissent penser qu’ils doutaient eux-mêmes de la justesse de la référence des Pères du concile in Trullo aux textes africains, et qu’ils connaissaient le texte original. Les interprètes modernes des prescriptions relatives au célibat du concile in Trullo le concèdent d’ailleurs, mais disent que le concile avait l’autorité nécessaire pour modifier toutes lois disciplinaires et les adapter aux nécessités de l’époque. Du fait de cette autorité, il pouvait aussi modifier le sens originel des textes de Carthage de telle manière qu’ils concordent avec ses intentions et ses volontés propres (60).

A partir du XVIe siècle, la science historique d’Occident signala la modification de texte opérée au concile in Trullo. je citerai ici simplement César Baronius (61) et, surtout, les éditeurs des diverses collections conciliaires et, en premier lieu, Giovanni Domenico Mansi (62).

Signalons encore brièvement les traces de la pratique du célibat de l’Église ancienne qu’on peut encore nettement percevoir dans la législation ultérieure différente, issue du concile in Trullo.

Le grand et constant souci de l’Église concernant les risques de la cohabitation des clercs avec des femmes qui ne seraient pas au-dessus de tout soupçon quant à d’éventuelles relations sexuelles avec ces clercs, ce souci qu’exprime non seulement toute la législation occidentale, mais aussi le 3e canon de Nicée - et jusqu’aux prescriptions du concile in Trullo -, peut être facilement ramené au seul souci général de pureté et de continence pour les clercs. Le fait d’avoir, dans la nouvelle discipline du Concile in Trullo, conservé pour les évêques la même discipline sévère de continence qui avait toujours été en vigueur dans l’Eglise universelle, est comme un résidu d’une vieille tradition ayant toujours associé dans cette discipline de continence les trois ou quatre degrés d’ordination supérieurs.

On ne comprend pas, en fait, pourquoi, dans l’Église d’Orient, on continue à tenir à la condition selon laquelle le candidat à l’ordination ne devrait avoir été marié qu’une seule fois auparavant. Comme nous l’avons vu et nous le verrons encore plus en détail, cette condition n’a de sens qu’eu égard à la continence après l’ordination. En outre, il est difficilement compréhensible de voir interdit tout premier mariage (ou mariage supplémentaire) après une ordination majeure, si l’on autorise le commerce conjugal à ceux qui ont été ordonnés, du prêtre aux degrés inférieurs.

Pour ce qui est des nouveautés du concile in Trullo concernant la continence des clercs, nouveautés consistant à redescendre de la conception du prêtre à celle du lévite de l’Ancien Testament, on se demande comment on a pu s’en tenir à cette conception, à partir du moment où, dans les rites orientaux aussi, le service de l’autel effectif de tous les clercs majeurs avait été étendu à tous les jours de la semaine. Il aurait alors fallu, conformément aux décisions du concile in Trullo concernant les prêtres, les diacres et les sous-diacres, revenir à la continence totale et permanente, telle qu’elle était pratiquée en Occident.

Mais cela ne se produisit nulle part, si bien que le couple " service de l’autel et du Saint-Sacrifice - précepte de la continence " fut effectivement dissocié, bien qu’en Orient aussi la règle de la continence ait toujours été considérée comme associée au service de l’autel et comme constituant son fondement le plus intime.

Depuis le concile in Trullo II, rien dans la discipline et la pratique du célibat n’a changé dans les Églises locales dépendant de l’obédience byzantine. Rome autorisa même les communautés orientales unies à elle au cours des ans, à conserver leur tradition du célibat, bien que différente de la sienne. Mais non seulement on n’opposa aucun obstacle à celles de ces communautés qui désiraient revenir à la pratique latine de la continence complète, mais ce désir fut accueilli positivement et encouragé. Jusqu’à maintenant, la reconnaissance de cette discipline différente a été l’objet, de la part des autorités centrales romaines, d’une considération courtoise qui, cependant, ne peut guère être considérée comme une approbation officielle de la modification apportée à l’ancienne discipline de la continence (63).

IV Les fondements théologiques

 

Au cours des discussions actuelles relatives au célibat, l’appel à un approfondissement de la théologie du sacerdoce se fait de plus en plus entendre. Cela afin de pouvoir en déduire aussi, et l’évaluer, l’aspect seul exact et complet de la théologie du célibat ecclésiastique de l’Église catholique (64).

C’est pourquoi il nous reste le devoir important et d’actualité de réfléchir aux éléments de la théologie tant du sacerdoce du Nouveau Testament que du célibat des clercs qui s’appuie sur elle. Toutes deux ont leurs racines dans l’Écriture Sainte, source principale de la théologie catholique, puis dans la Tradition de l’Église qui met au jour et interprète les témoignages de l’Écriture.

Le sacerdoce du Christ est un profond mystère de notre foi. Pour pouvoir le comprendre, l’homme doit s’ouvrir à une vision surnaturelle et soumettre la pensée humaine à une pensée surhumaine. A une époque de foi vivante, qui ne se contente pas de soutenir le fidèle individuellement, mais pénètre et forme aussi la vie de la communauté, le Christ-Prêtre est, dans la conscience de tous, le centre vivant de la vie de foi personnelle et communautaire.

Mais à une époque de perte de la foi, la conception du Christ-Prêtre s’estompe et disparaît toujours davantage de la conscience de l’homme et de l’univers, cessant ainsi d’être le centre d’une vie de foi vivante.

Cette image du Christ-Prêtre dans notre conscience est toujours accompagnée de celle du prêtre du Christ. A une époque où la foi est vivante, il n’est pas difficile au prêtre de se reconnaître dans le Christ, de s’identifier à lui, de voir et de vivre l’essence même de son propre sacerdoce dans une union intime avec lui, en lui, le Christ-Prêtre, et de voir en lui " l’unique origine " et " le modèle irremplaçable " de son propre sacerdoce.

Dans une atmosphère de rationalisme qui repousse toujours davantage le surnaturel de la pensée humaine, à l’époque d’un matérialisme où le spirituel s’estompe de plus en plus, il devient de plus en plus difficile pour le prêtre, avec la sécularisation de toute la vie humaine qui s’ensuit, d’échapper à cet univers intellectuel. L’identité surnaturelle et spirituelle de son sacerdoce disparaît de plus en plus, s’il ne s’efforce pas consciemment de la conserver, s’il ne l’approfondit pas et ne la conserve pas vivante en une communauté de vie intime avec le Christ.

En cette situation difficile, telle qu’elle existe à l’évidence aujourd’hui, le prêtre a besoin plus que jamais de l’aide d’un ascétisme et d’une mystique sacerdotale dévoilant les dangers qui menacent son sacerdoce, en montrant les besoins et mettant à sa disposition les moyens que nécessite son existence de prêtre.

La crise d’identité actuelle du sacerdoce catholique qui se manifeste, avec une évidence incontestable, par l’abandon par des milliers de prêtres de leurs fonctions ecclésiastiques, par une sécularisation parfois très profonde de beaucoup d’autres apparemment restés à leur poste, mais le plus gravement par l’absence ou le refus de nouvelles vocations, cette crise rend nécessaire une nouvelle pastorale sacerdotale tenant compte de la situation concrète d’aujourd’hui et correspondant au " contexte actuel ".

La nature du sacerdoce catholique devra être mise en lumière à partir de l’ensemble de la tradition théologique catholique. Lors d’une crise semblable du sacerdoce, le concile de Trente a créé les bases d’une mystique du prêtre associée à celle du Christ, en définissant les sacrements de l’ordre et de l’Eucharistie. Matthias Joseph Scheeben, face au rationalisme théologique du siècle passé, a montré en une vision profonde que l’ordination avait pour effet d’élever le bénéficiaire jusqu’à ne plus former qu’un tout organique surnaturel avec le Christ, et que le caractère que l’ordre imprime à tout jamais chez ce bénéficiaire, l’élève jusqu’à devenir un organe des fonctions sacerdotales du Christ (65).

A une époque récente, surtout depuis le IIe concile du Vatican, cette relation du prêtre avec le Christ s’est trouvée toujours davantage au centre des travaux sur la nature du sacerdoce, de sorte que purent être approfondis et amplifiés les textes bibliques servant de point de départ aux enseignements théologiques et canoniques des siècles passés concernant le lien et la conformité entre le Christ et le prêtre, de sorte aussi que l’axiome traditionnel, " sacerdos alter Christus " a pu ainsi recevoir un nouvel éclairage, théologiquement fondé.

Lorsque saint Paul écrit aux Corinthiens (1 Cor 4, 1) : " qu’on nous considère donc comme des serviteurs du Christ et comme intendants des mystères divins ", ou : " c’est donc au nom du Christ (pro Christo) que nous jouons le rôle d’ambassadeurs, et c’est Dieu lui-même qui exhorte par notre entremise. Au nom du Christ, nous vous en supplions, réconciliez-vous avec Dieu " (2 Cor 5, 20), il y a là une justification biblique de l’identification du prêtre au Christ.

Dans les textes de Vatican II, la même chose apparaît sans cesse : " Les évêques, d’une façon éminente et visible, jouent le rôle du Christ lui-même, Maître, Pasteur et Pontife, et agissent comme ses représentants (in Eius persona) (LG n. 21, avec la note 22 où l’enseignement de l’Église antique à ce sujet est étayé). Les prêtres en tant que coopérateurs des évêques participent aussi à leur sacerdoce (LG 28, CD 28). Ils agissent eux aussi in persona Christi (LG 28). Ils sont configurés au Christ et agissent en son nom par le sacrement de l’ordre et le caractère spécial qui lui est lié (PO 2, 6, 12 ; SC 7).

Après le concile, les déclarations à ce sujet se multiplient, également de la part de la Curie. La Congrégation pour l’éducation catholique a fait expressément mention dans les normes de base pour la formation des prêtres de 1970 du fait que, par son ordination, le prêtre devenait un alter Christus (66). Le Codex iuris canonici de 1983 déclare dans son canon 1008 :

" Par le sacrement de l’Ordre, d’institution divine, certains fidèles sont constitués ministres sacrés par le caractère indélébile dont ils sont marqués ; ils sont ainsi consacrés et députés pour être pasteurs du peuple de Dieu, chacun selon son degré, en remplissant en la personne du Christ Chef les fonctions d’enseignement, de sanctification et de gouvernement. "

Mais c’est le pape actuellement régnant, Jean Paul II, qui, depuis le début de son pontificat, s’est occupé avec le plus d’insistance du sacerdoce et de la mission sacerdotale. Depuis 1979, il adresse le jeudi saint de chaque année, un message pontifical aux prêtres. Il ne cesse d’user de ses audiences, de ses discours et surtout des fréquentes ordinations sacerdotales pour replacer - du point de vue théologique, pastoral et actuel - la nature du sacerdoce catholique sous son véritable jour, et pour approfondir le legs que constitue ce sacerdoce.

L’acte le plus important jusqu’ici en faveur du sacerdoce accompli dans l’exercice de ses fonctions par ce pape, fut la convocation et la tenue du 8e synode des évêques sur la formation des prêtres. Un point central des délibérations des Pères synodaux fut, sans aucun doute, d’avoir élaboré une compréhension véritable et conforme à notre époque de l’identité du prêtre dans le monde d’aujourd’hui et tenant compte de la grave crise où se trouve le prêtre de nos jours. La récapitulation et le couronnement de ce travail en profondeur est l’exhortation apostolique publiée le 25 mars 1992, Pastores dabo vobis, sur la formation des prêtres dans le contexte actuel.

Dans le deuxième chapitre de cette exhortation apostolique, le pape traite de la " nature et mission du sacerdoce ministériel ", y soulignant expressément que les interventions (des Pères synodaux) ont révélé notre conscience du lien ontologique spécifique qui unit le prêtre au Christ, Prêtre Suprême et Bon Pasteur " (n. 11). Et il conclut cet exposé par la constatation qu’on peut dire classique : " Le prêtre trouve la pleine vérité de son identité dans le fait d’être une participation spécifique et une continuation du Christ lui-même, souverain et unique prêtre de la Nouvelle Alliance : il est une image vivante et transparente du Christ prêtre. Le sacerdoce du Christ, expression de sa "nouveauté" absolue dans l’histoire du salut, constitue la source unique et le paradigme irremplaçable du sacerdoce du chrétien, et en particulier du prêtre. La référence au Christ est ainsi la clef absolument nécessaire pour la compréhension de la réalité du sacerdoce " (n. 12 fin)

A partir de cette parenté ontologique entre le Christ et son prêtre, il ne sera pas difficile maintenant de démontrer aussi le bien-fondé de la théologie du célibat de ce dernier. Jean Paul II en fournit lui-même à nouveau la clé :

" Il est particulièrement important que le prêtre comprenne la motivation théologique de la loi ecclésiastique sur le célibat. En tant que loi, elle exprime la volonté de l’Église, même avant que le sujet exprime sa volonté d’y être disponible. Mais la volonté de l’Église trouve sa dernière motivation dans le lien du célibat avec l’Ordination sacrée, qui configure le prêtre à Jésus-Christ, Tête et Époux de l’Église. L’Église, comme Épouse de Jésus-Christ, veut être aimée par le prêtre de la manière totale et exclusive avec laquelle Jésus-Christ, Tête et Époux, l’a aimée. Le célibat sacerdotal alors est don de soi dans et avec le Christ à son Église, et il exprime le service rendu par le prêtre à l’Église dans et avec le Seigneur " (n. 29).

Ici aussi, un regard rétrospectif en direction de la Tradition de l’Église peut mettre en évidence l’évolution de cette théorie. Ce qui en peut être résumé ici a déjà été en partie mentionné lors de notre analyse des témoignages du début de l’Église. Suivre, dans ces témoignages de l’histoire du célibat, la référence à l’Ecriture Sainte et à son interprétation quant à notre sujet, aura été sans aucun doute une base de la démonstration théologique des Pères du synode, ainsi que du Pape dans son exhortation - base à laquelle nous sommes sans cesse renvoyés. La conception biblique du célibat gagne d’ailleurs constamment en importance dans les travaux menés dans ce domaine (67).

Déjà dans la première loi écrite connue, le canon 33 d’Elvire, les clercs positi in ministerio, c’est-à-dire ceux qui servent à l’autel, sont astreints à la continence. De même, les ordonnances africaines parlent sans cesse de ceux qui, servant à l’autel, touchant aux sacrements et les administrant, sont astreints par la consécration qu’ils ont reçue à la chasteté qui, de son côté, assure auprès de Dieu l’efficacité de la prière de demande.

Importants et révélateurs sont surtout, à ce point de vue, les documents pontificaux concernant le devoir de continence. Deux objections tirées de la Sainte Écriture y reviennent sans cesse pour y être réfutées. La première est la règle de saint Paul adressée à Timothée (1 Tm 3, 2 et 3, 12), ainsi qu’à Tite (1, 6) : les candidats à l’ordination ne doivent avoir été que unius uxoris vir, c’est-à-dire qu’ils ne doivent avoir été mariés qu’une seule fois (et seulement à une vierge). Sirice et Innocent Ier soulignent tous deux expressément et constamment que cela ne signifiait pas que le candidat pouvait continuer à vivre dans la concupiscence et à procréer des enfants. Au contraire, c’était dit en vue de la continence future.

Cette interprétation officielle des paroles de l’Écriture par les papes, qui fut, par la suite, également adoptée par les conciles, signifie que celui qui se voyait obligé de se marier une seconde fois, montrait ainsi qu’il n’était pas capable de vivre continent, et n’était donc pas apte à accéder aux ordres majeurs où les clercs doivent vivre dans la continence. C’est ainsi que ce passage de l’Écriture devient une preuve en faveur de la continence déjà réclamée par les Apôtres, et non en faveur d’un droit au mariage et à sa consommation par les clercs. Cette interprétation est restée longtemps vivante. C’est ainsi que la Glossa ordinaria du Décret de Gratien, c’est-à-dire le commentaire accepté par tout le monde de ce passage (début de Dist. 26), dit ceci : il y a quatre raisons pour lesquelles un bigame n’a pas le droit d’être ordonné. Après trois raisons d’ordre plutôt spirituel, une quatrième apparaît, d’ordre pratique : que quelqu’un soit passé d’une femme à une autre est le signe d’une incapacité à rester continent. Et le grand décrétaliste Hostiensis (Henri de Susa) explique encore au XIIIe siècle, dans son commentaire des décrétales de Grégoire IX (X, 1, 21, 3 ad v. alienum) : la troisième des quatre raisons de l’interdiction était qu’on devait craindre l’incontinence.

Que cette interprétation de l’unius uxoris vir était également connue en Orient, est attesté par nul autre que l’historien de l’Église bien informé qu’était Eusèbe de Césarée qui, comme on l’a déjà mentionné, était présent au concile de Nicée et, en tant qu’ami des Ariens, aurait dû être plutôt favorable au commerce conjugal des prêtres précédemment mariés. Mais il dit expressément que si l’on compare le prêtre de l’Ancien Testament et celui du Nouveau, on voit s’opposer une procréation physique à une procréation spirituelle, d’où le sens de l’unius uxoris vir : ceux qui avaient été ordonnés et étaient pris par le service et le culte divins devaient à l’avenir s’abstenir, comme il convenait, de commercer avec leur épouse (68).

Cette interdiction de l’apôtre Paul, selon laquelle un bigame ne pouvait être admis aux ordres majeurs, fut strictement observée des siècles durant et figurait encore en tant qu’irrégularité dans le Codex iuris canonici de 1917, canon 984, 4. Le droit canon classique considérait que même une dispense accordée par le pape n’était pas possible, celui-ci ne pouvant accorder de dispense " contre l’Apôtre ", autrement dit contre la Sainte Écriture (69).

Il est remarquable que la législation du célibat du concile in Trullo ait également maintenu pour l’Église d’Orient la même interdiction dans son canon 3 pour les prêtres, diacres et sous-diacres : ils ne devaient pas avoir été mariés une deuxième fois et, de même, ils ne devaient pas avoir épousé une femme déjà mariée une première fois (veuve). Simplement, y lit-on, on voulait adoucir en ce domaine la sévérité de l’Église romaine en proposant à ceux qui auraient contrevenu à l’interdiction de bigamie, la possibilité de se convertir et de faire pénitence. S’ils avaient renoncé au mariage interdit jusqu’à une date déterminée après le synode, ils pouvaient rester en fonction. L’illogisme de cette décision du canon 3 par rapport au canon 13, qui permettait aux prêtres et aux diacres d’user d’un mariage contracté avant l’ordination, ne peut s’expliquer que parce que cette interdiction apostolique était profondément enracinée, même dans la tradition orientale, sans que pour autant, on se rendît encore compte de sa signification. Mais il en résulte une preuve tacite en faveur du sens originel : la garantie de la continence après l’ordination - telle était la tradition restée encore vivante dans l’Église d’Occident et dont Rome avait pris acte comme étant l’exacte observance.

Dans ce contexte, signalons encore deux autres passages de l’Écriture Sainte qui, il est vrai, n’apparaissent pas expressément dans les témoignages anciens, mais dont le second est invoqué aujourd’hui contre le célibat des Apôtres.

Parmi les qualités que saint Paul signale comme étant nécessaires à l’évêque, il est aussi question qu’il soit εγκςατης c’est-à-dire continens. Ce terme désigne la continence sexuelle, comme il résulte du passage parallèle concernant la continence des époux nécessaire à la prière (70).

Le deuxième passage de l’Écriture se trouve dans 1 Cor 9, 5, où saint Paul dit qu’on avait aussi le droit d’avoir auprès de soi des femmes pour aides, comme en avaient les autres Apôtres, les frères du Seigneur ainsi que Céphas. Certains appliquent ce texte aux épouses des Apôtres, ce qui pourrait d’ailleurs être exact pour saint Pierre. Mais il faut bien remarquer qu’ici Paul ne dit pas seulement γυναικα ce qui pourrait effectivement désigner aussi l’épouse. Ce n’est probablement pas sans intention qu’il ajoute a γυναικα le mot αδελφην c’est-à-dire : soeur, de sorte qu’une confusion avec l’épouse est ici exclue.

On peut facilement se convaincre de la véracité de ce fait en songeant que par la suite, précisément les témoins ecclésiastiques les plus notoires de la continence des clercs mentionnent constamment l’ancienne épouse sous le nom de soror, soeur, après l’ordination de son ancien époux ; de même qu’en général, la relation des époux entre eux après l’ordination de l’époux, est considérée comme étant celle qui existe entre frère et soeur. C’est ainsi que saint Grégoire le Grand dit :

" Le prêtre, après son ordination, aimera sa prêtresse (c’est-à-dire son ancienne épouse) comme une soeur " (71).

Le concile de Gérone (517) décidera ceci :

" Si des hommes anciennement mariés ont été ordonnés, ils ne doivent plus habiter avec l’ancienne épouse devenue leur soeur " (72).

Le deuxième concile d’Auvergne (535) arrêtera de son côté :

" Si un prêtre et diacre a été ordonné en vue du service divin, d’époux il devient aussitôt le frère de son ancienne femme " (73).

Cette manière de s’exprimer se retrouve dans nombre de textes des Pères et des conciles.

Il nous faut maintenant nous tourner encore vers un deuxième argument souvent formulé durant les premiers siècles contre la continence des clercs. Il se réfère à l’Ancien Testament où, on le sait, les prêtres et les lévites, pendant le temps où, libérés du ministère au Temple, ils restaient à la maison, pouvaient, et même devaient, vivre en commerçant avec leur femme. A cela, deux réponses sont toujours données : d’une part, dit-on, le sacerdoce de l’Ancien Testament était confié à une tribu qui devait pouvoir se perpétuer, d’où la nécessité du mariage. Alors que le sacerdoce du Nouveau Testament est sans descendance (familiale).

D’autre part s’y ajoute un argument encore plus important et souvent rappelé, celui de la différence : les prêtres de l’Ancien Testament avaient au Temple un ministère limité dans le temps, alors que les prêtres du Nouveau Testament ont un ministère ininterrompu, exigeant que le commandement de continence et de pureté de l’Ancienne Alliance, alors limité dans le temps, soit observé de façon illimitée et constante. On cite toujours en guise d’explication convaincante le passage de la 1e lettre aux Corinthiens dans laquelle saint Paul conseille aux époux de ne pas se soustraire l’un à l’autre, à moins que ce ne soit d’un commun accord, pour pouvoir vaquer à la prière, et ce temporairement (1 Cor 7, 5).

Or, les prêtres de la Nouvelle Alliance sont obligés de prier sans discontinuer et de se consacrer à un ministère quotidien ininterrompu, du fait que, par leurs mains, est dispensée la grâce du baptême et offert le corps du Christ. La Divine Écriture leur enseigne de rester, ce faisant, totalement purs, et les Pères ont ordonné de garder la continence corporelle.

Les mêmes documents, de plus, donnent à cela une raison pastorale : comment un prêtre pourrait-il prêcher à une vierge ou une veuve de rester intacte ou continente et les stimuler à garder pure leur couche, si lui-même attache plus de valeur à engendrer des enfants au monde plutôt qu’à Dieu ?

A partir de ces réflexions, on obtient déjà une image du prêtre de la Nouvelle Alliance orientée selon la volonté du Christ, et qui se distingue fondamentalement de celle du prêtre de l’Ancienne Alliance. L’image de celui-ci n’est centrée que sur la fonction - laquelle, de plus, est limitée dans le temps - , elle est purement extérieure. L’autre image, en revanche, s’attache à l’essentiel et est, de ce fait, globale, se référant à ce qu’est le prêtre lui-même en son for intérieur comme en son for extérieur, et au ministère qu’il assure. Le Christ veut avoir l’âme de son prêtre, son coeur et son corps, et il veut que dans toutes ses activités, la pureté et la continence attestent qu’il ne vit pas selon la chair mais selon l’esprit (Rm 8, 8). Le sacerdoce lévitique fonctionnel de l’Ancienne Alliance ne peut donc jamais être un modèle pour le sacerdoce ontologique de la Nouvelle Alliance qui est configuré au Christ ; ce sacerdoce dépasse le précédent de par sa nature toute entière.

De là provient que les hommes qui ont accueilli le message du Christ, ont aussi compris dès le début l’exigence imposée par le Christ à ses apôtres, celle qu’ils puissent et même doivent aussi renoncer au mariage pour l’amour du royaume des cieux (Mt 19,12), et qu’on doive en tant que disciple du Christ au sens strict, quitter père, mère, femme et enfants, frères et soeurs (Lc 18, 29 ; 14, 26). De même on reconnaît toujours davantage l’importance pour le célibat des clercs de la parole de saint Paul relevant la différence qui apparaît dans la relation à Dieu, selon qu’on est non marié ou marié (1 Cor 7, 32-33).

Ce sera l’affaire de l’École, c’est-à-dire des travaux de droit canonique du XIIe siècle, de comprendre les raisons du lien existant entre continence et sacerdoce de la Nouvelle Alliance, de les expliquer et de les justifier. Dans la brève étude de cette évolution scientifique que nous avons donnée dans notre deuxième partie, nous avons signalé les difficultés rencontrées à cette époque, lors de l’élaboration d’une théorie satisfaisante. Bien que les anciens Pères, déjà, aient reconnu que la continence faisait partie de la nature du nouveau sacerdoce - comme lorsqu’Épiphane dit que le charisme du nouveau sacerdoce consiste dans la continence, ou quand saint Ambroise dit que l’obligation d’une prière continuelle était le commandement nouveau du Nouveau Testament -, les Glossateurs, justement parce qu’ils étaient trop peu théologiens, n’ont pu mettre sur pied une théologie du célibat. En outre, en étudiant la discipline du célibat en Occident, ils étaient trop conditionnés par la discipline orientale dont ils acceptaient, comme un fait établi, la légitimité, à cause de la fable de Paphnuce et de la législation du concile in Trullo.

En s’appuyant sur les textes correspondants de l’Église catholique d’Occident, ils ont cependant tenté d’établir une théorie contenant des éléments essentiels d’une théologie qui était valable. Ils ont surtout reconnu que la continence avait un lien avec l’ordo sacer, l’ordre, que ce commandement de l’Église avait été donné propter ordinis reverentiam, en raison du respect dû au sacrement de l’ordre, que la continence avait été imposée davantage au sacrement de l’ordre qu’à l’homme. De même, il découle avec certitude du résumé de saint Raymond de Penafort cité plus haut, que la raison de la continence cléricale n’était pas, pour l’époque, une nécessaire pureté cultuelle du ministre de l’autel, mais l’efficacité de sa prière médiatrice, conséquence de son don total à Dieu, et, plus généralement, de sa possibilité de prier sans entraves et de pouvoir exercer en toute liberté sa fonction au service de l’Église.

Même si la théologie des siècles suivants et jusqu’à nos jours, n’a pas négligé le sacerdoce de la Nouvelle Alliance, c’est seulement la crise des prêtres et des vocations sacerdotales de la seconde moitié de notre siècle qui a exigé un approfondissement exceptionnel de ce sujet, comme nous l’avons déjà constaté plus haut.

Le deuxième concile du Vatican en a posé les fondements. Et c’est à partir d’eux que se sont exercés les efforts qui ont suivi, dont le Saint-Père actuellement régnant a fait, son pontificat aussitôt commencé, le centre principal de son programme doctrinal et pastoral. Il est significatif que, dans sa première lettre aux prêtres à l’occasion du jeudi saint, il ait dit, à propos du célibat des prêtres, que l’Église latine l’exigeait et continuait à l’exiger " en s’inspirant de l’exemple de Notre Seigneur lui-même, de la doctrine apostolique et de toute la Tradition qui était sienne " (74). Les années suivantes, il n’a cessé de revenir sur le thème du sacerdoce et de la continence qui lui était liée, s’efforçant en même temps de mettre un frein aux dispenses trop légèrement accordées.

Le sommet de ces efforts suscités par le plus vif souci pastoral, a été sans aucun doute la convocation du 8e synode des évêques pour le mois d’octobre 1990, où devait être discutée la formation des prêtres dans le contexte actuel. Cela se fit de façon pénétrante par la voix des représentants de l’épiscopat universel, qui trouva dans l’exhortation, apostolique Pastores dabo vobis une expression qui nous autorise à parler ici d’une magna charta de la théologie du sacerdoce dont l’importance restera déterminante pour l’avenir tout entier de l’Église.

Il n’est pas possible, et ce n’est pas le but de cet ouvrage, de procéder à un examen de cette exhortation apostolique dans toutes ses dimensions (75). Elle sera cependant la base de nos remarques finales sur la théologie de la continence des clercs liée à la théologie du sacerdoce.

La raison dernière de celle-ci et de la volonté correspondante de l’Église réside dans le, lien du célibat avec l’Ordination sacrée, qui configure le prêtre à Jésus-Christ, Tête et Époux de l’Église ". C’est probablement là la déclaration centrale de toute la théologie du célibat que développe cette exhortation apostolique, - théologie destinée à être méditée, approfondie et développée. Nous avons déjà tenté plus haut de montrer quels étaient les éléments d’une théologie du célibat qui apparaissaient déjà dans la Tradition et avaient été plus ou moins bien développés. Nous pouvons désormais constater qu’ils avaient non seulement tous été repris et systématiquement mis en valeur dans l’exposé de l’exhortation, mais que d’autres éléments qui n’avaient pas encore été pris en considération s’y trouvaient exploités à fond.

En fait principalement partie ce qui est exposé dans la section du 3e chapitre sur " La configuration à Jésus-Christ, Tête et Pasteur, et la charité pastorale ", en particulier aux numéros 22 et 23. Le Christ y apparaît, au sens d’Ephésiens 5, 23-32, comme époux de l’Église et l’Église comme seule épouse du Christ. La profonde mystique du Christ et de son Église se trouve ici - en relation avec d’autres passages de l’Écriture - mise en relief pour être directement reliée au prêtre : " Le prêtre est appelé à être l’image vivante de Jésus-Christ, Époux de l’Église... C’est pourquoi il est appelé, dans sa vie spirituelle, à revivre l’amour du Christ époux envers l’Église épouse " (le prêtre n’est donc pas privé d’amour conjugal, son épouse est l’Église !). " Sa vie doit donc être illuminée et orientée par ce caractère sponsal qui lui demande d’être témoin de l’amour sponsal du Christ ; ainsi sera-t-il capable d’aimer les gens avec un coeur nouveau, grand et pur, avec un authentique détachement de lui-même, dans un don de soi total, continu et fidèle. Et il en éprouvera comme une "jalousie" divine (cf. 2 Cor 11, 2), avec une tendresse qui se pare même des nuances de l’affection maternelle, capable de supporter les "douleurs de l’enfantement" jusqu’à ce que "le Christ soit formé" dans les fidèles (cf. Gal 4, 19).

Le principe intérieur, la vertu qui anime et guide la vie spirituelle du prêtre, en tant que configuré au Christ, Tête et Pasteur, est la charité pastorale, participation à la charité pastorale du Christ Jésus ". Son contenu essentiel est " le don de soi, le don total de soi-même à l’Église, à l’image du don du Christ et en partage avec lui... Avec la charité pastorale qui imprègne l’exercice du ministère sacerdotal, comme un " office d’amour ", le prêtre, qui accueille la vocation au ministère, est en mesure d’en faire un choix d’amour, par lequel l’Église et les âmes deviennent son intérêt principal. "

 

Conclusion

 

Le sacerdoce de l’Église catholique est un mystère en lui-même qui, de son côté, s’incorpore au mystère de l’Église du Christ. Tout problème suscité par ce sacerdoce - et avant tout le grand problème toujours actuel de la continence -ne peut et ne doit pas être résolu à l’aide de réflexions et de justifications anthropologiques, psychologiques, sociologiques ou, en général, profanes et propres au monde. On ne peut pas non plus satisfaire au problème de la continence à l’aide de catégories purement disciplinaires. Toute manifestation de la vie et de l’activité du prêtre, sa nature et son identité, exigent d’abord une justification théologique. Pour la continence des clercs, nous avons tenté d’apporter celle-ci à partir de l’histoire et d’une réflexion théologique s’appuyant sur la Révélation.

Il en résulte d’abord, d’un point de vue purement formel, qu’un langage profane demeure inapte à faire un tableau satisfaisant, à la hauteur du mystère abordé ; celui-ci nécessite même un langage qui, d’une manière bien comprise, soit en mesure de transfigurer les choses. Vu de l’essentiel, c’est aussi la raison pour laquelle il ne suffit pas de demander seulement ce qui peut rendre l’Eglise plus fonctionnelle : conserver la continence ou y renoncer. Le sacerdoce de la Nouvelle Alliance n’est pas en effet une notion relative à une fonction comme dans l’Ancienne Alliance, mais au contraire une notion relative à l’être, duquel seul peut dériver l’action qui convient, selon le principe : agere sequitur esse (l’agir suit l’être).

Étant donné la théologie du sacerdoce néotestamentaire, confirmée et approfondie aussi par l’enseignement officiel de l’Église, nous pouvons nous demander si les raisons du célibat correspondent en fait simplement à une " convenance ", ou bien si le célibat n’est pas nécessaire et impossible à abandonner, si les deux réalités ne constituent pas entre elles un groupe indissociable. Ce n’est qu’ensuite que nous pourrons répondre correctement à la question de savoir si l’Église pourra un jour se décider à modifier la loi du célibat ou même à l’abandonner totalement (76).

Mais il nous faudra partir du fait que le sacerdoce catholique n’a pas été édifié par le fondateur de l’Eglise sur l’homme changeant, mais sur le mystère du prêtre et de l’Église qui, lui, ne change pas, et de ce fait, sur le Christ lui-même.

 

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L’auteur

 

Le cardinal ALFONS MARIA STICKLER, né le 23 août 1910 à Neunkirchen (Basse-Autriche), entra en 1928 chez les Salésiens de Don Bosco, étudia la philosophie et la théologie aux écoles supérieures de son ordre à Helenenberg (près de Trèves), Benediktbeuern, Turin et Rome. Ordonné prêtre en 1937, il fit ensuite des études de droit à l’université du Latran, couronnées par l’obtention du doctorat utriusque iuris.

 

A partir de 1940, il enseigna à l’université salésienne de Turin, transférée à Rome en 1958 ; depuis 1948, il y était professeur titulaire de droit ecclésiastique et d’histoire du droit ecclésiastique et fut aussi, par la suite, doyen de la faculté de droit canonique et recteur de l’université. Il devint en 1971 préfet de la Bibliothèque Vaticane, en 1983 vice-bibliothécaire de la Sainte Église Romaine et archevêque titulaire de Bolsena, en 1984 vice-archiviste et en 1985 cardinal-diacre de San Giorgio al Velabro et cardinal-bibliothécaire et archiviste jusqu’en 1988).

Le cardinal Stickler est membre de plusieurs associations et académies scientifiques internationales, consulteur à la Curie Romaine de diverses congrégations ; il a été membre de la Commission préparatoire du concile Vatican II et expert de trois commissions conciliaires, membre de la Commission préparatoire du nouveau Codex iuris canonici (jusqu’en 1983) ; il est docteur honoris causa de plusieurs universités. Sa bibliographie des années 1940-1990 a été publiée, à l’occasion de son quatre-vingtième anniversaire, dans les Mélanges offerts par le cardinal Castillo Lara ; elle couvre huit pages imprimées. Il est avant tout éditeur des " Studia Gratiana ", coéditeur de la série " Studi Gregoriani "et éditeur de la série " Studia et Textus Historiae Iuris Canonici ".

 

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Notes

 

1 Il faut citer ici en premier trois publications fondamentales : Christian Cochini SJ, Origines apostoliques du célibat, Le Sycomore, Ed. Lethielleux, Paris 1981 ; traduction anglaise : Apostolic Origins of Priestly Celibacy, Ignatius Press, San Francisco 1990. - Roman Cholij, Clerical Celibacy in East and West (décrit surtout l’évolution du célibat dans les Églises d’Orient), Fowler Wright Books, Leominster 1988. - Filippo Liotta, La Continenza dei Chierici nel pensiero canonistico classico (da Graziano a Gregorio IX), Quaderni di Studi Senesi 24, Giuffrè, Milano 1971.

En outre quelques autres publications générales assez récentes : I. Coppens (dir.), Sacerdoce et célibat, Bibliotheca Ephemeridum Theol. Lovanien. XXVIII, 1971 (contient : Alfons M. Stickler, L’évolution de la discipline du célibat dans l’Église en Occident de la fin de l’âge patristique au concile de Trente, 373-442). De ce recueil existent une traduction anglaise (1972) et une traduction italienne (1975). - Roger Gryson, Les origines du célibat ecclésiastique, Duculot, Gembloux 1970. - Georg Denzler, Das Papsttum und der Amtszolibat, in : Pâpste und Papsttum V, 1 (Stuttgart 1973), V, 2 (1976). - Martin Boelens, Die Klerikerehe in der Gesetzgebung der Kirche unter besonderer Berücksichtigung der Strafe : Von den Anfângen der Kirche bis zum Jahre 1139, Paderborn 1968. - Du même, Die Klerikerehe in der kirchlichen Gesetzgebung vom II. Laterankonzil bis zum Konzil von Basel, in : Ius Sacrum (Festschrift f. Klaus Môrsdorf), Paderborn 1969, 593-614. - Du même, Die Klerikerehe in der kirchlichen Gesetzgebung zwischen den Konzilien Basel und Trient, in : Archiv für katholisches Kirchenrecht 138. 1969, 62-81. - A. Franzen, Zôlibat und Priesterehe in der katholischen Reform des 16. Jahrhunderts, Münster 1969 (2. Auflage 1970). - Alfons M. Stickler, La continenza dei Diaconi specialmente nel primo millennio della Chiesa, in : Salesianum 26, 1964, 275-302. - Du même, Tratti salienti nella storia del celibato, in : Sacra Doctrina 60, 1970, 585-620.

2 Dist. XXVII, dict. introd. ad v. Quod autem. - Cf. Studia Gratiana, éd. Par J. Forchielli et Alfons M. Stickler, I-III, Bologna 1953 sqq.

3 1 Tim 3,2 et 3,12 ; Tit 1,6.

4 Mt 19, 27-30 ; Mc 10, 20-2 1 ; Lc 18, 28-30.

5 Gustav Bickell, Der Côlibat eine apostolische Anordnung, in : Zeitschrift für katholische Theologie 2, 1878, 26-64. - Du même, Der Côlibat dennoch eine apostolische Anordnung, in : Zeitschrift für katholische Theologie 3, 1879, 792-799. - Franz Xaver Funk, Der Côlibat keine apostolische Anordnung, in : Tübinger Theologische Quartalschrift 61, 1879, 208-247. - Du même, Der Côlibat noch lange keine apostolische Anordnung, in : Tübinger Theologische Quartalschrift 62, 1880, 202-221. - Du même, Côlibat und Priesterehe im christlichen Altertum, in : Kirchengeschichtliche Abhandlungen und Untersuchungen I, 1897, 121-155. - Elphège-Florent Vacandard, Les origines du célibat ecclésiastique, in : Etudes de critique et d’histoire religieuse, 1ère série, Paris 1905 (5e éd. Paris 1913), 71-120. - Du même, Art. Célibat, in : Dictionnaire de Théologie Catholique II, 2068-2088, Paris 1905. - Henri Leclercq, La législation conciliaire relative au célibat ecclésiastique (dans l’édition française élargie de la Conciliengeschichte de Carl Josef v. Hefele, vol. II, 2e part.), Paris 1908, Appendice VI, pp. 1321-1348. - Du même, Art. Célibat, in : Dictionnaire d’Archéologie chrétienne et de Liturgie II, 2802-2832, Paris 1908.

6 Cf. par exemple Arthur Michael Landgraf, Diritto canonico e teologia nel sec. XII, in : Studia Gratiana I, 371-413.

7 Hermann Theodor Bruns, Canones Apostolorum et Conciliorum saec. IV-VII, II, Berlin 1839, 5-6.

8 Acta Apostolicae Sedis (AAS) 28, Roma 1936, 25.

9 Concilia Africae a. 345-525 (éd. par C. Munier in Corpus Christianorum, Series Latina 149, Turnhout 1974), 13.

10 Corpus Christianorum 149, 98 sqq.

11 Corpus Christianorum 149, 133 sq.

12 Corpus Christianorum 149, 142.

13 Corpus Christianorum 149, 58-63.

14 S. Irenaeus, Adversus haereses, 3,3,2.

15 Décrétale " Directa ". - Ph. Jaffé, Regesta pontificum Romanorum.... Leipzig 1851 (2. Auflage 1881-1888 in 2 Bdn, photomech. Nachdruck Graz 1956), n. 255. - Patrologia Latina (PL), éd. Par J. P. Migne, 13, 1131-1147.

16 Décrétale " Cum in unum " (" Diversa quamvis ") a. 386. - Jaffé, op. cit., 258. - Bruns, Op. Cit., 1, 152-155 ; Corpus Christianorum 149, 59-63.

17 Bruns, Op. Cit., II, 274 : can. 3 = 276-277.

18 Jaffé, Op. cit., 286. - PL 20, 465-77 ; op. cit., 293. - PL 20, 495-8 et Conc. Agathense a. 506, n. 9 in : Corpus Christianorum 148, 196-199 ; Jaffé, op. cit., 315. - PL 20, 605.

19 Jaffé, op. cit., 544. - PL 54, 1199.

20 Lettre à Athanase de Thessalonique de l’an 446 : Jaffé, op. cit., 411. - PL 54, 666.

21 Sur les nombreux textes de Grégoire le Grand, cf. Cochini, op. cit., 404-416 ; par exemple : " subdiaconi... qui iam uxoribus fuerant copulati, unum ex duobus eligerent : id est a suis uxoribus abstinerent aut certe nulla ratione ministrare praesumerent " (Monumenta Germaniae Historica, Epistolae IV, 36 = PL 77, 7 10).

22 Bruns, Op. Cit., 11, 2. - Corpus Christianorum 149, 69.

23 Par exemple Conc. Tol. I (a. 398) : Bruns, Op. Cit., I, 203 ; Conc. Romanum a. 348 : Bruns, op. cit., 11, 278 (can. VI).

24 De officiis ministrorum 1, 50 : PL 16, 103-105. Cf. là-dessus aussi la lettre à l’Église de Verceil = 63,62 sq. = PL 16, 1257.

25 De officiis ministrorum 1, 34 = PL 23,257.

26 PL 23, 340-41 : " Aut virgines, aut continentes aut si uxores habuerint mariti esse desistunt ".

27 Ep. 49, 21 = Corpus scriptorum ecclesiasticorum latinorum (CSEL) 54, 386 sq.

28 PL 22, 510.

29 De officiis ministrorum II, 22 = CSEL 41, 409 et PL 40, 486.

30 Pour des renvois aux conciles correspondants, voir in : Cochini, Op. cit., 295-308 ; 355-379 ; 420-431 (Espagne et Gaule) - Stickler, Tratti salienti, op. cit., 592-593 ; Sacerdoce et Célibat, op. cit., 373-394 passim.

31 Stickler, Tratti salienti, op. cit., 593.

32 Stickler, Tratti salienti, op. cit., 594 avec n. 21. - Du même, Sacerdoce et célibat, op. cit., 379-383.

33 Stickler, Tratti salienti, op. cit., 592 sq.

34 Stickler, Sacerdoce et célibat, op. cit., 394-408 et du même, I presupposti storico-guiridici della riforma gregoriana e dell’azione personale di Gregorio VII, in : Studi Gregoniani XIII (Roma 1989), 1-15.

35 Cf. can. 7 Conc. Lateranen. II, in : Conciliorum Oecumenicorum Decreta, Herder, Freiburg i. Br. 1962, 174.

36 Cf. mon Historia Fontium luris Canonici, p. 197 sqq.

37 Cf. l’ouvrage, cité à la note 1, de Liotta, surtout pp. 373-.387. Je reviendrai dans la partie IV sur les raisons de leur évolution globale, tandis que la prise de position sur la discipline de l’Église d’Orient, son contenu et son évolution suivra dans la partie III.

38 Liotta, op. cit., 374.

39 Liotta, op. cit., 386 sq. - Je reviendrai dans la partie IV sur d’autres motifs des Glossateurs. - Cf. en outre là-dessus : Stickler, L’évolution…, op. cit., 408-427.

40 Les Pères renvoient ici expressément aux dispositions du concile de Carthage, dont il a été question en détail plus haut. Ce qui prouve combien cette antique tradition était à l’époque encore présente à la conscience des experts qui conseillaient les Pères. Cf. Concilium Tridentinum, in : Goerresiana, Tom. IX, pars 6, 425-70.

41 Cf. Stickler, L’évolution, op. cit., 427-439 et Franzen, op. cit., 64-88 ; en outre Boelens, Die Klerikerehe..., op. cit., in : Archiv für katholisches Kirchenrecht 138, 1969, 75-81.

42 Dans la commission de théologiens déjà évoquée, les avis sur l’origine apostolique ou ecclésiale étaient partagés. Vu la tradition, on n’a cependant pas voulu trancher cette question. Cf. là-dessus aussi Franzen, Op. cit., 84, n. 99. Toutefois la voix d’un des défenseurs de l’origine apostolique est digne de remarque : Franciscus Orantes dit en effet là-dessus : " Apostoli statuerunt atque praeceperunt, ut sacerdotes uxores non ducerent. Traditio autem apostolica universaliter i. e. consensu totius Ecclesiae recepta et perpetuo servata ius divinum dicitur " (Goerresiana, Tom. IX, pars 6, 440) cité déjà chez Roman Cholij, De lege coelibatus sacerdotalis nova investigationis elementa, in : Periodica de re morali, canonica, liturgica 78, 1989, 184.

43 Conciliorum Oecumenicorum Decreta, op. cit., 726-729.

44 Cf. là-dessus les déclarations du théologien conciliaire Desiderius de S. Martino : " Cum autera quaeritur, an, ubi est penuria sacerdotum, debeant admitti mariti ad sacerdotium, respondeo id non expedite ut fiat, cum id numquam in ecclesia catholica factura fuerit. Cum autem cum voluntate uxorum fieret [ce qui précisément s’était déjà largement produit par le passé] posset, sed tamen ut ipsi et uxores etiam manerent coelibes " (Goerresiana, Tom. IX, pars 6, 441). Cité aussi chez Cholij, De lege coelibatus... op. cit., 172 n. 33 et 185.

45 " Mirari vos " du 15 août 1832, in : Acta Gregorii XVI, I, 17l..

46 Allocuzione Concistoriale du 16 décembre 1920, in AAS XII, 1920, 587.

47 On peut en retrouver le texte chez Bickell, Op. Cit. et aussi chez Cholij, Clerical Celibacy..., op. cit., 69-105.

48 Patrologia Graeca (PG) 41, 868, 1024 ou Die griechischen christlichen Schriftsteller der ersten drei Jahrhunderte (GCS) 31 (1921), 219 sqq.

49 PG 42, 823 sqq. ou GCS 37 (1933), 522.

50 Cf. par ex. Cochini, op. cit., 194-203 et 227-229 et Cholij, Clerical Celibacy..., op. cit., 39-40, 75-78, 92-97.

51 Conciliorum Oecumenicorum Decreta, op. cit., 6. Dans le texte latin de cette édition manquent les diacres.

52 PG 67, 100-102 avec notes infrapaginales (Socrate) et 925 sq., en particulier note 74 (Sozomène).

53 PG 69, 933.

54 Friedhelm Winkelmann, Paphnutios, der Bekenner und Bischof. Probleme der koptischen Literatur, in : Wissenschaftliche Beitrâge der Martin Luther-Universitât Halle-Wittenberg, 1968/1, 145-153. Voir aussi, sur toute cette question : Cochini, op. cit., 223-227.

55 Cf. aussi là-dessus Cholij, Clerical Celibacy..., op. cit., 88-91.

56 Codex Theodosianus 16, 2, 44.

57 Stickler, Tratti salienti..., op. cit., n. 50.

58 Stickler, Historia Fontium Iuris Canonici, 69-70.

59 Les textes discutés ici se trouvent dans l’édition due aux soins de P. P. Joannou dans la série Pontificia Commissione per la Redazione del Codice di Diritto Canonico Orientale, Fonti, fasc. IX, t. 1/1, 98-241 (Concilium Trullanum 11) et t. 1/2, 190-436 (Synode de Carthage 419), Grottaferrata (Roma) 1962. - Le can. 13 du concile in Trullo se trouve aussi aux pages 140-143, les textes africains aux pp. 216-218 et 240-241. Le can. 70, qui traite aussi du célibat, est aux pp. 312-,313 ; mais il manque dans la Collection Byzantine du Pedalion.

Le can. 13 formulé par le concile in Trullo est, dans le passage qui nous concerne, composé de la manière suivante (nous suivons le texte grec, étant donné que nous ne connaissons pas celui de la traduction latine dont disposaient les Pères) : " Scimus autem quod et qui Carthagine convenerunt ministrorum gravitatis in vita curam gerentes dixerunt : "ut subdiaconi qui sacra contrectant et diaconi et presbyteri [ici est omis le "sed et episcopi" du texte africain] secundum propria statuta et a consortibus se abstineant." " Ce texte est emprunté au can. 25 de Carthage. Le texte du Trullanum continue avec cette deuxième citation : " "Ut quod apostoli docuerunt et ipsa servavit antiquitas nos quoque custodiamus." " Ce passage est emprunté à la fin du can. 3 de Carthage. Puis vient à nouveau le texte des Pères du Trullanum : " Tempus pro omni re decernentes et maxime in ieiunio et oratione ; oportet enim eos qui divino altari inserviunt, in sanctorum tractandorum tempore. " Ici le texte emprunté au can. 3 de Carthage poursuit : " Continentes esse in omnibus, ut possint id quod a deo simpliciter petunt, obtinere. " Puis le texte des Pères du Trullanum poursuit : " Si quis ergo praeter apostolicos canones incitatus sit aliquem eorum qui sunt in sacris, presbyterorum, inquimus, vel diaconorum vel subdiaconorum coniunctione cum legitima uxore et consuetudine privare, deponatur ... "

Nous nous trouvons donc ici devant une combinaison de textes africains et du texte des Pères du Trullanum. Ceux-ci omettent dans le can. 13 toute référence aux évêques du texte carthaginois, mais reprennent la référence qui apparaît ici à la tradition apostolique et à celle de l’Église antique - référence qu’ils veulent conserver eux aussi pour la discipline, qu’ils transforment en son contraire, concernant les prêtres et les diacres. Ainsi, ils invoquent faussement pour leur discipline modifiée le témoignage des Apôtres et de l’Église antique en faveur de l’ancienne discipline, laquelle chez les Pères africains s’applique pourtant à la continence des trois grades supérieurs des clercs.

60 C. Knetes, Ordination and matrimony in the Eastern Orthodox Church, in journal of theological studies 11, 1910, 354 sq. et Cholij, Clerical Celibacy..., op. cit., 126 sq.

61 Caesar Baronius, Annales Ecclesiastici (éd. par Giovanni Domenico Mansi en 38 vol., Lucca 1738-1759), à qui se référait déjà Severin Binius (Mansi XII, 50), dit que le can. 13 du Trullanum II est une falsification du texte africain. I, 499 : " Adsciscentes insuper iidem [les évêques orientaux du Trullanum II] ad suum ipsorum confirmandum conatum aperta mendacia, quasi in concilio quod citant carthaginensi statutum fuerit, ut clerici ab uxoribus abstineant tempore vicis suae quam insigniter mentiantur, ipsa de hac te saepius ab Africanis Episcopis sancta decreta testantur. Nam non tantum, quem superius citavimus canon secundus Concilii secundi Carthaginensis ut sacris ordinibus mancipati se abstineant ab uxoribus cavit : sed et tertius canon quintae synodi Carthiginensis hoc ipsum vehementer iniunxit absque aliqua temporis distinctione... ut ex his apertissime illorum appareat impostura, quam ut honesto titulo eadem illa seditiosorum factio validaret, ad convellenda statuta Patrum aucupari conata est ex Sextae Synodi nomine auctoritatem. " - Baronius annonce qu’il traitera encore de cette question et le fait effectivement pour l’année 692, num. 19 sqq.

Bien que Baronius ne soit pas le seul parmi les anciens historiens de l’Église à flétrir cette falsification, car le fait se trouve répété par d’autres historiens du célibat ecclésiastique, les travaux modernes, à l’exception de Cholij, n’y ont accordé aucune importance particulière.

62 Mansi 1, 58 sq. Ici, Severinus Binius dit à propos du can. apost. 5 que tous les canons du Trullanum II sont " bâtards " (" spurios esse "). - Mansi XI, 921 sqq., part. 930 : Ici ce concile est dit n’appartenir qu’à la seule Église orientale. - Mansi XII, 47 sqq. : Ici Binius prend à nouveau position et dit, col. 50, que le canon 13 est contraire aux dispositions apostoliques et que, par conséquent, " non immerito hunc canonem cum quibusdam aliis velut spurium et illegittimum partum catholica ecclesia hactenus semper est adversata ". À la col. 52, Fronton du Duc (Ducaeus) SJ dit expressément : " Vitiosa est igitur Graecorum schismaticorum expositio, quae vitiosa nititur Latini canonis lectione. "

63 Cf. en particulier Cholij, Clérical Celibacy..., op. cit., tout le ch. 4 (pp. 106-194).

64 Parmi les nombreux textes attestant cette préoccupation, je n’en choisis qu’un : dans une thèse, qui est parue dans le vol. 44 des Münsterische Beitrâge zur Theologie, sous le titre " Der Streit um den Zôlibat im 19. Jahrhundert ", Münster 1978 (un extrait est paru dans le Klerusblatt, Zeitschriftfür Kleriker in Bayern und der Pfalz 69, 1989, 254256), l’auteur, Winfried Leinweber, parle des raisons pour et contre le célibat et du fait de lier celui-ci au sacerdoce.

65 Die Mysterien des Christentums, Mainz 1931, 543-546.

66 AAS 62, 1970, n. 44.

67 Pour les points de vue correspondants, je citerai ici seulement l’historien B. Kôtting, Der Zôlibat in der alten Kirche, in : Schriften der Gesellschaft zur Fôrderung der westfâlischen Wilhelmsuniversitât zu Münster, Heft 41, Münster 1970, et le théologien J. Galot, Sacerdoce et célibat, in : Gregorianum 52, 1972, 731-757.

68 Demonstratio evangelica 1, 9 : PG 22, 82.

69 Cf. là-dessus le travail de Stephan Kuttner, Pope Lucius and the Bigamous Archbishop of Palermo, in : Variorum Reprints : St. Kuttner, The History of Ideas and Doctrines of Canon Law in the Middle Ages, London 1980, 409-454.

70 Cf. là-dessus Tit 1, 8 et 1 Cor 7, 9. - Selon le Theol. Wôrterbuch zum Neuen Testament (hrsg. von Gerhard Kittel, Bd. II, Stuttgart 1935, 338-340), le mot n’est pas employé avant Paul et, ensuite, il l’est pour la continence en tant que concept éthique et notion de vertu.

71 Dialoghi, l. IV, c. 11 ; PL 77, 336.

72 Can. 6 : Bruns Op. Cit. 11, 19.

73 C. 13 1 : Corpus Christianorum 148 A, 108.

74 AAS, 71, 1979, 406.

75 Des considérations toutes récentes, antérieures au texte pontifical, sur l’image du prêtre peuvent nous être utiles en raison de la compétence théologique de leurs auteurs. Je n’évoquerai que le livre du Cardinal Joseph Ratzinger, Zur Gemeinschaft gerufen, die Kirche heute verstehen. Y est traitée dans un chapitre particulier la question de l’essence du sacerdoce (Freiburg 1991, 98123).

76 Cf. là-dessus par exemple Leinweber, op. cit., 254 ou Josef Arquer, in : Pladoyer für die Kirche (mmVerlag, Aachen 1991) 292.