Physionomie de la spiritualité diaconale

(Mc 10, 42-45)

Audience générale du 20 octobre 1993

1. Parmi les thèmes de la catéchèse sur le diaconat, celui qui concerne l’esprit du diaconat est particulièrement important et attirant : il touche et concerne tous ceux qui reçoivent ce sacrement pour en exercer les fonctions selon une dimension évangélique. C’est là la voie qui mène ses ministres à la perfection chrétienne et leur permet de rendre un service (diaconia) vraiment efficace dans l’Église, " afin de construire le Corps du Christ " (Ep 4, 12).

C’est de là que découle la spiritualité diaconale : elle a sa source dans ce que le Concile Vatican II appelle " grâce sacramentelle du diaconat " (AG 16). Non seulement elle est une aide précieuse dans l’accomplissement des diverses fonctions, mais elle exerce une influence profonde dans l’âme du diacre, l’incitant à l’offrande, au don de toute sa personne, pour le service du Royaume de Dieu dans l’Église. Comme l’indique le mot lui-même de diaconat, ce qui caractérise les sentiments et la volonté de celui qui reçoit ce sacrement, c’est l’esprit de service. Par le diaconat, on tend à réaliser ce que Jésus a déclaré au sujet de sa mission : " Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude " (Mc 10, 45 ; Mt 20, 28).

Certes, Jésus adressait ces paroles aux Douze, qu’il destinait au sacerdoce, pour leur faire comprendre que, même s’ils étaient munis de l’autorité qu’il leur conférait, ils devaient se comporter comme lui, en serviteurs. L’avertissement vaut donc pour tous les ministres du Christ, mais il a cependant une signification particulière pour les diacres pour lesquels, en vertu de l’ordination, l’accent est mis expressément sur ce service. Eux, qui ne disposent pas de l’autorité pastorale des prêtres, sont particulièrement destinés à manifester, dans l’exercice de toutes leurs fonctions, l’intention de servir. Si leur ministère est cohérent avec cet esprit, ils mettent davantage en lumière ce trait spécifique du visage du Christ : le service. Être non seulement " serviteurs de Dieu ", mais aussi de leurs frères.

2. C’est un enseignement de vie spirituelle d’origine évangélique, qui est passé dans la première tradition chrétienne, comme le confirme le texte ancien qui porte le nom de " Didascalie des Apôtres " (IIIe siècle). Les diacres y sont encouragés à s’inspirer de l’épisode évangélique du lavement des pieds : " Si le Seigneur a fait cela – est-il écrit –, vous, les diacres, n’hésitez pas à le faire à ceux qui sont malades et infirmes, parce que vous êtes ouvriers de la vérité, revêtus de l’exemple du Christ " (XVI, 36 : éd. Connolly, 1904, p. 151). Le diaconat engage à suivre le Christ dans son attitude d’humble serviteur, qui ne s’exprime pas seulement dans les œuvres de charité mais investit et modèle toute la manière de penser et d’agir.

Dans cette perspective, on comprend la condition qu’énonce le document " Sacrum diaconatus ordinem " pour l’admission des jeunes à la formation diaconale : " Ne seront admis à la formation diaconale que les jeunes qui auront manifesté une propension naturelle au service de la hiérarchie et de la communauté chrétienne " (n. 8 : DC 1967, n° 1498, col. 1282. NDLR). On ne doit pas comprendre cette " propension naturelle " au sens d’une simple spontanéité des dispositions naturelles, encore que ce soit une condition dont il faut tenir compte. Il s’agit d’une propension de la nature animée par la grâce, avec un esprit de service qui conforme le comportement humain à celui du Christ. Le sacrement du diaconat développe cette propension : il rend le sujet plus intimement participant à l’esprit de service du Christ, il pénètre sa volonté par une grâce spéciale, il fait en sorte que le diacre, dans tout son comportement, soit animé d’une propension nouvelle au service de ses frères.

Il s’agit d’un service à rendre avant tout sous forme d’une aide apportée à l’évêque et au prêtre, tant dans le culte liturgique que dans l’apostolat. Il est à peine nécessaire d’observer que celui qui serait dominé par une mentalité de contestation, ou d’opposition à l’autorité, ne pourrait pas remplir de façon adéquate les fonctions diaconales. Le diaconat ne peut être conféré qu’à ceux qui croient en la valeur de la mission pastorale de l’évêque et du prêtre, et à l’assistance de l’Esprit Saint qui les guide dans leur activité et leurs décisions. En particulier, il faut redire que le diacre doit " professer respect et obéissance à l’évêque " (ibid., 30).

Mais le service du diacre s’adresse ensuite à sa communauté chrétienne et à toute l’Église : il ne peut pas ne pas nourrir pour elle un profond attachement, étant donné sa mission et son institution divine.

3. Le Concile Vatican II parle aussi des devoirs et des obligations que les diacres assument en vertu d’une participation propre à la mission et à la grâce du sacerdoce suprême : " Servant les mystères du Christ et de l’Église, les diacres doivent se garder purs de tout vice, plaire à Dieu et s’efforcer de faire toutes sortes de bonnes œuvres devant les hommes (cf. 1 Tm 3, 8-10, et 12-13) " (LG 41). Leur devoir est donc de témoigner, et cela n’investit pas seulement leur service et leur apostolat, mais toute leur vie.

Dans son document déjà cité, " Sacrum diaconatus ordinem ", Paul VI attire l’attention sur cette responsabilité et sur les obligations qu’elle comporte : " Les diacres, comme tous ceux qui se mettent au service des mystères du Christ et de l’Église, s’abstiendront de toute mauvaise habitude et s’efforceront d’être toujours agréables à Dieu, "prêts à toute œuvre bonne" pour le salut des hommes. Ils doivent donc, en raison de l’Ordre qu’ils ont reçu, l’emporter de loin sur tous les autres pour ce qui est de la pratique de la vie liturgique, de l’amour de la prière, du service divin, de l’exercice de l’obéissance, de la charité et de la chasteté " (n. 25).

En particulier, en ce qui concerne la chasteté, les jeunes qui sont ordonnés diacres s’engagent à conserver le célibat et à mener une vie de plus intense union au Christ. Dans ce domaine, même ceux qui sont plus âgés, " une fois reçue l’ordination…, ne sont plus habilités à contracter mariage, en vertu de la discipline ecclésiastique traditionnelle " (ibid., 16).

4. Pour satisfaire à ces obligations et, plus profondément encore, répondre aux exigences de l’esprit du diaconat avec l’aide de la grâce sacramentelle, une pratique des exercices de vie spirituelle est requise, que la Lettre apostolique de Paul VI énonce ainsi : 1) Qu’ils se consacrent assidûment à la lecture et à la méditation intime de la Parole de Dieu ; 2) Que souvent, ou même tous les jours, ils participent activement au sacrifice de la messe, qu’ils se restaurent spirituellement grâce au sacrement de la très sainte Eucharistie, et qu’ils lui rendent visite avec dévotion ; 3) Qu’ils purifient fréquemment leur âme par le sacrement de la pénitence et, afin de le recevoir plus dignement, qu’ils examinent chaque jour leur conscience ; 4) Qu’ils vénèrent et aiment la Vierge Marie, Mère de Dieu, avec un exercice intense de la piété filiale (cf. ibid., 26).

De plus, le Pape Paul VI ajoute : " Il convient au plus haut point que les diacres permanents récitent chaque jour au moins une partie de l’Office divin, qui devra être précisée par la Conférence épiscopale " (ibid., 27). Les Conférences épiscopales doivent aussi établir des normes plus particulières pour la vie des diacres, selon les conditions de lieux et de temps.

Enfin, pour celui qui reçoit le diaconat, il existe une obligation de formation doctrinale permanente, qui perfectionnera et actualisera toujours plus celle qui est requise avant l’ordination : " Que les diacres n’interrompent pas les études, surtout les études sacrées ; qu’ils lisent assidûment les livres divins de l’Écriture ; qu’ils s’adonnent à l’apprentissage des disciplines ecclésiastiques de façon à pouvoir exposer convenablement la doctrine catholique aux autres et à devenir toujours plus à même d’instruire et d’affermir les âmes des fidèles. À cette fin, les diacres seront invités à participer à des sessions périodiques où seront étudiés les problèmes relatifs à leur vie et au ministère sacré " (ibid., 29).

5. Cette catéchèse sur le diaconat, que j’ai voulu faire pour dessiner un cadre complet de la hiérarchie ecclésiastique, met donc en relief ce qui, dans cet Ordre comme dans ceux du presbytérat et de l’épiscopat, est d’une souveraine importance : une participation spirituelle spécifique au sacerdoce du Christ et l’engagement de la vie à se conformer à lui, sous l’action de l’Esprit Saint. Je ne peux pas conclure sans rappeler que les diacres, eux aussi, comme les prêtres et les évêques, engagés dans la voie du service à la suite du Christ, sont plus spécialement associés au sacrifice rédempteur, selon la formule que Jésus emploie quand il parle aux Douze du Fils de l’homme venu pour " servir et donner sa vie en rançon pour la multitude " (Mc 10, 45). Les diacres sont donc appelés à participer au mystère de la Croix, à partager la souffrance de l’Église, à souffrir de l’hostilité dont elle est l’objet, en union avec le Christ Rédempteur. Et cet aspect douloureux du service diaconal est ce qui le rend le plus fécond.

(*) Texte italien dans l’Osservatore Romano du 21 octobre.