Origine : " Ictus ", http ://perso.magic.fr/adic/

 

PROCES APOSTOLIQUE

de Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus

B

Procès Apostolique " Continuatif "

DOCUMENTS JURIDIQUES DU DÉBUT DU PROCES APOSTOLIQUE " CONTINUATIF "

La partie strictement juridique qui ouvre le Procès " continuatif " se compose de six documents de nature et d’extension diverses. Comme il s’agit surtout de documents qui répètent la teneur de ceux qui ont été présentés au début du Procès Apostolique inchoatif nous n’en dirons que quelques mots, en insistant seulement sur les éléments vraiment nouveaux que chacun d’eux apporte en vue d’une connaissance plus exacte de la Cause et de son iter.

I - Le " Supplex Libellus " du vice-postulateur.

Alors que le Procès inchoatif se déroulait encore, monseigneur Roger de Tell, le très zélé vice-postulateur, pensait déjà à la continuation du Procès Apostolique, s’adressant à cet effet - sans aucun doute par l’entremise du P. Rodrigue de St François de Paule, postulateur -, à la S. Congrégation des Rites. Il est vrai que normalement aurait dû avoir lieu auparavant le Procès sur la renommée de sainteté. Le 22 mars 1916, comme on va le voir, ce Procès avait été l’objet d’une dispense de la part du Souverain Pontife, à cause de l’ " ouragan de gloire " qui, avec la guerre spécialement, s’était " abattu " sur la petite soeur de Lisieux. On pouvait donc passer directement au Procès " continuatif ". Les lettres " rémissoriales ayant été officiellement octroyées - voir plus loin, n. V de cette documentation -, le vice-postulateur pouvait présenter une demande officielle à l’évêque de Lisieux pour la constitution du Tribunal pour l’ouverture des " rémissoriales " de Rome. C’est ce que demande le " Supplex Libellus " de monseigneur de Tell, signé à Poitiers le 12 septembre 1916, à moins d’un mois donc de la clôture du Procès inchoatif.

II - Le Rescrit de Mgr Thomas Lemonnier.

En réponse à cette demande de monseigneur de Tell, le 20 septembre 1916, monseigneur Thomas Paul Henri Lemonnier, évoque de Bayeux-Lisieux, en vertu des facultés qui lui avaient été octroyées, constituait le Tribunal en vue du Procès.

Furent nommés juges les chanoines titulaires de la cathédrale de Bayeux : Pierre Fauvel, Alexandre Lebourgeois, Emile Delaware, ainsi que trois prêtres : Victor Pitrou, chanoine honoraire, Ernest Bisson, aumônier épiscopal, Charles Durel, aumônier épiscopal.

Comme on le voit, il s’agit des mêmes prêtres qui constituaient le Tribunal pour le Procès " inchoatif " ; il n’y avait du reste pas de raison de changer des personnes qui, précédemment, avaient travaillé aussi efficacement.

L’évêque ordonnait également à Alexandre Maupas, notaire, de convoquer pour le 22 septembre en sa présence et celle de son vicaire général, dans la chapelle du monastère des carmélites déchaussées de Lisieux, les juges susdits ainsi que le chanoine Théophile Dubosq, sous-promoteur de la foi, pour l’ouverture des documents romains et le commencement du Procès.

III - Dispense du Procès sur la renommée de sainteté.

Le bref document par lequel Sa Sainteté le Pape Benoît XV dispense du Procès spécial sur la renommée de sainteté qui aurait dû être fait après avoir prouvé qu’aucun culte n’avait été rendu à la Servante de Dieu, est un témoignage éloquent du rayonnement du nom de Thérèse de l’Enfant-Jésus et de sa puissance surnaturelle.

Le " Summarium " pour l’Introduction de la Cause (Rome 1914) avait présenté 380 pages de " Litterae Postulatoriae ", signe d’une renommée qui s’était déjà répandue dans le monde entier. Et ce n’était qu’une petite partie des demandes parvenues à Rome et à Lisieux. En outre, pour beaucoup d’entre elles, n’apparaît dans le Summarium que le nom du prélat ou du groupe qui les envoyait, sans le texte de la pétition. N’y sont pas mentionnés non plus les dizaines de gros volumes, contenant des milliers et des milliers de signatures d’ecclésiastiques, de religieux et de simples fidèles, envoyés à Rome dans le même but. A signaler aussi le volumineux dossier de lettres présenté au cours du Procès Ordinaire (ff. 652r-1064r) par la mère Isabelle du Sacré-Coeur (cfr. I, pp. 447-448) et la relation très complète de la mère Agnès de Jésus au Procès Apostolique.

C’est à juste titre que la " Commissio " incluse dans les " Litterae remissoriales " pour le Procès inchoatif, parle de façon - tout à fait explicite de cette renommée de sainteté qui se répandait de plus en plus. Il est donc normal que devant ce fait, le postulateur ait demandé comme il avait été fait pour d’autres cas-la dispense de la discussion de la renommée de sainteté à la Congrégation. Cette dispense fut accordée le 22 mars 1916. Nous pensons que la dispense a été également demandée dans le but de réduire au maximum les formalités qui n’étaient pas absolument nécessaires, car il était urgent de conclure au plus tôt le Procès en cours, qui avait eu des débuts si heureux. Cette hâte s’explique aussi par le déchaînement en Europe d’une guerre dont on ne pouvait pas prévoir la fin. Cette demande souligne aussi l’empressement du postulateur, le P. Rodrigue de S. François de Paule, O.C.D., qui avait eu comme principe dès le début de la Cause, de " conduire le Procès presto ".

IV - Mandat de procuration reçu par le vice-postulateur.

Il s’agit du même document qui se trouve au n. 3 des textes de l’introduction du Procès inchoatif, et n’a donc pas besoin d’autre présentation.

V - Les " Litterae remissoriales ".

Il s’agit du document officiel de la S. Congrégation des Rites pour l’ouverture du Procès Apostolique " continuatif ". Signé par le Card. Sébastien Martinelli, préfet de la S. Congrégation, le 29 avril 1916, il correspond, au point de vue littéraire, aux schémas ordinaires de ce genre de documents, et ressemble beaucoup aux " Litterae remissoriales " expédiées le 9 août 1914. Seuls les documents rapportés dans les " Litterae " diffèrent de ceux présentés dans les premières " Remissoriales ".

Dans ce document, après avoir fait allusion aux Lettres précédentes, qui préparaient le Procès inchoatif, traite de l’Introduction de la Cause (9 juin 1914), de la discussion du " dubium " sur le non-culte rendu à la Servante de Dieu (4 mars 1916) - on trouvera ici le texte authentique de cet acte, approuvé par le Pape Benoît XV le 22 mars suivant - ; suit le décret dont nous avons déjà parlé au n. 111, au sujet de la dispense de la discussion de la renommée de sainteté. Vient ensuite le texte authentique des " Lettres remissoriales " proprement dites (du 1 avril 1916), que le Card. Martinelli explique jusque dans les moindres détails. A signaler, à cause de leur importance, ce que le document dit de l’ouverture du tombeau de la Servante de Dieu et de la reconnaissance de ses ossements - qui eurent lieu les 9 et 10 août 1917 - et la déclaration de la validité des Articles et des Interrogatoires au Procès inchoatif. A la fin viennent, selon les prescriptions juridiques habituelles, les formules du serment soit pour les membres du Tribunal, soit pour les témoins.

Comme ce long document parle à plusieurs reprises de deux Cardinaux, comme ponents ou relateurs des différents actes de la Cause de béatification de Thérèse, rappelons qu’après la mort du Card. Jérôme-Marie Gotti, O.C.D., Préfet de la S. Congrégation de la Propagande, décédé le 19 mars 1916, fut nommé comme successeur, le 1er avril suivant, le Card. Antoine Vico, Préfet de la Congrégation des Rites, qui devait conduire la Cause à son heureuse conclusion, jusqu’à la canonisation de Thérèse 2.

En outre, étant donné la difficulté de composer le Tribunal - selon les exigences du droit et les prescriptions réitérées des Rémissoriales - avec des prêtres dignitaires, chanoines ou possédant des titres académiques " ob praesentem temporum bellique tristitiam et acerbitatem ", le P. Rodrigue de S. François de Paule, postulateur général, obtenait de la Congrégation des Rites, le 29 avril 1916, que l’évoque de Bayeux-Lisieux puisse en cas de nécessité nommer des juges, avec la simple clause qu’ils soient experts et capables et n’appartiennent pas à l’Ordre des Carmes Déchaux 3.

Le Procès " continuatif " s’ouvrit en réalité à Lisieux le 22 septembre 1916 dans la chapelle du Carmel. Il faut remarquer que, pour cet acte, par mandat spécial de la S. Congrégation des Rites, avait été nommé un second sous-promoteur de la foi en la personne d’Auguste Bazire, recteur du Grand Séminaire de Bayeux. C’était la 59ème session du Procès Apostolique complet qui devait, en moins d’un an, arriver à son heureuse conclusion.

VI - Liste des Témoins.

La liste des témoins présentée de Paris par monseigneur R. de Teil le 21 septembre 1916, comprend 19 témoins, dont la plupart devaient déposer sur des miracles attribués à l’intercession de Thérèse. Certains nous sont déjà connus par le premier Procès ; d’autres apparaissent ici seulement ; on ne les retrouvera plus dans le Procès proprement dit ; on y trouvera au contraire des personnes qui ne figurent pas dans cette liste.

Personnes qui apparaissent ici, mais qui ensuite ne déposèrent pas :

1. Thomas Nimmo Taylor, curé de Saint François Xavier à Carlin, Ecosse ; il ne put venir à Lisieux à cause de la guerre (cfr. p. 1538).

2. Soeur Marie-Madeleine du Saint-Sacrement, O.C.D., du monastère de Lisieux, pieusement décédée le 11 janvier 1916 (cfr. pp. 1536-1537).

3. Soeur Saint-Jean l’Evangéliste, O.S.B., de l’Abbaye de Notre-Dame du Pré de Lisieux, qui ne put paraître devant le tribunal pour cause de santé (cfr. pp. 1539-1540).

4. Monseigneur Nicolas Giannattusio di Francesco, évêque de Nardo, que la guerre empêcha de venir en France (cfr. pp. 1538-1539).

Témoins qui comparurent réellement au Procès Apostolique " continuatif " suivant l’ordre des dépositions :

A - Témoins sur les vertus et sur la renommée de sainteté de Thérèse :

1. Soeur Marie de la Trinité, O.C.D., du monastère de Lisieux, sessions 61 -65, 23-28 septembre 1916 (au Carmel de Lisieux).

(1 d’office) Soeur Jeanne-Marie de l’Enfant-lésus, O.C.D., du monastère de Lisieux, sess. 66, 29 septembre 1916 (au Carmel de Lisieux).

(2 d’office) Pierre Marie Derrien, sacristain du Carmel de Lisieux, sess. 66-67, 29-30 septembre 1916 (au Carmel de Lisieux).

Soeur Marie-Joseph de la Croix (Marcelline Husé), O.S.B., du monastère de Bayeux, sess. 68, 26 février 1917 (parloir du monastère O.S.B. de Bayeux).

5. Marie Elisa Guérin La Néele, sess. 69, 12 mars 1917 (sacristie du Carmel de Lisieux).

6. Soeur Marie du Saint Rosaire (Marg. Léonie August. Leroy), O.S.B., du monastère de Lisieux, sess. 70, 13 mars 1917 (parloir monast. O.S.B. Lisieux).

7. P. Adolphe-Jean Roulland, M.E.P., sess. 71, 12 avril 1917 (sacristie de la cathédrale de Bayeux).

B - Témoins sur les miracles attribués à Thérèse (interrogés dans la sacristie du Carmel de Lisieux) :

8. Docteur Paul Loisnel, sess. 72, 2 août 1917.

9. Prosper Anne, sess. 72,2 août 1917.

10. Joséphine Reine Hare Anne, sess. 72, 2 août 1917.

11. Soeur Marie de Saint-lgnace (Clémentine Eug. François), des Soeurs de l’immaculée Conception de Nogent-le-Rotrou, sess. 73, 3 août 1917.

12. Charles Anne, sess. 73, 3 août 1917.

13. (3 d’office) Polydore Morel, prêtre, curé-doyen de Pont-l’Évêque, sess. 74, 3 août 1917.

14. Soeur Saint-Charles Borromée (Marie Jacq. Cario), supérieure des Petites Soeurs des Pauvres de Lisieux, sess. 77, 6 août 1917.

15. Soeur Laurentine-Thérèse (Marie Héloise Pinçon), des Petites Soeurs des Pauvres, sess. 77, 6 août 1917.

16. Soeur Domitille de Saint-Laurent (Marie Clémentine Belpeer), des Petites Soeurs des Pauvres, sess. 78, 7 août 1917.

17. Soeur Sainte-Martine (Marie Madeleine Lalargue), des Petites Soeurs des Pauvres, sess. 78, 7 août 1917.

18. Docteur Victor-Eugène-Albert Viel, sess. 78, 7 août 1917.

Il convient aussi de rappeler que dans la sess. 76, le 4 août 1917, le Tribunal député deux experts pour examiner l’état de santé de Charles Anne, les docteurs Adolphe-Jean Leprévost et Alexandre-Damase de Cornière (médecin du Carmel et de Thérèse), qui furent interrogés ce même jour dans la sacristie du Carmel.

Enfin, sont à signaler d’autres témoins qui comparurent à la fin du Procès dans les interrogatoires relatifs à la sépulture de Thérèse, à son exhumation, à ses reliques, à l’état des ossements de la Servante de Dieu. On a ainsi une dernière liste :

A - Pour la sépulture et l’exhumation (1910) de Thérèse :

1. Alexandre-Charles Maupas, curé de Saint-Jacques de Lisieux et supérieur du Carmel, sess. 80, 9 août 1917, chapelle du Carmel de Lisieux.

2. Soeur Marie-Elisabeth (Marie Hamard), tourière du Carmel, sess. 80, 9 août 1917, chapelle du Carmel.

B - Pour les reliques conservées dans le monastère :

1. Mère Agnès de Jésus (Pauline Martin), prieure du Carmel, sess. 81, 10 août 1917.

C - Pour l’état du corps de Thérèse :

1. Docteur Alexandre-Damase de Cornière, sess. 82, 11 août 1917.

2. Docteur Paul Loisnel, sess. 82, 11 août 1917.

[1146] [Session 59 : - 22 septembre 1916, vendredi, à 9h]

[Demande officielle du vice-postulateur]

 

[1153]

[Dispense du Procès sur la renommée de sainteté]

Début du Procès continuatif

[Mandat de procuration reçu par le vice-postulateur]

[Lettres Rémissoriales]

[Session 60 : - 22 septembre 1916, à 2h de l’après-midi]

[1210] [Liste de témoins présentés par le vice-postulateur] :

 

[Session 65 : - 28 septembre 1916, à 9h. et à 2h. de l’après-midi]

[1302]

[Liste des co-témoins appelés par le vice-promoteur] :

[Attestations justifiant l’absence des témoins ayant déjà comparu au Procès informatif (décès ou autres motifs)] :

[Nous n’en donnerons qu’un résumé]

[Session 79 : - 9 août 1917, à 9h.]

[pp. 1532-1540]

1. Hélène Knight (veuve Dorans) : PO, témoin 28.

Décédée le 6 juillet 1913. Extrait du " Register of Death " de l’église Sainte Marguerite de Glasgow, daté du 9 mars 1917, signé Jasbameron.

2. Etienne Frapereau : PO, témoin 21.

Inhumé le 29 décembre 1913 au cimetière paroissial de Juigné (diocèse d’Angers). Attestation de l’évêché d’Angers, datée du 20 mars 1917, signée L. Thibault, vicaire général délégué.

3. Jean-Jules Pierre Gaignet : PO, témoin 22.

Décédé le 7 février 1914. Attestation de la mairie d’Issy-les-Moulineaux, datée du 30 avril 1915.

4. Marie-Thérèse Isabelle du Sacré-Coeur (Daurelle) : PO, témoin 16.

Décédée le 31 juillet et inhumée le 3 août 1914. Attestation datée du 23 avril 1917, signée A. Maupas, curé de Saint-Jacques de Lisieux.

5. Jean-Auguste Valadier : PO, témoin

Décédé le 21 octobre 1915. Extrait du Nécrologe du diocèse de Paris pour l’an 1915, daté du 16 mars 1917, signé Paul Jacquet, archiviste du diocèse.

6. Claude-Marcel Weber : PO, témoin 19.

Inhumé le 22 octobre 1915. Attestation datée du 11 juillet 1917, signée M. Lethorre, vicaire de la paroisse de Saint Jean-de-Luz (diocèse de Bayonne).

7. Marie-Madeleine du Saint-Sacrement (Le Bon) : PO, témoin 18.

Décédée le 11 et inhumée le 13 janvier 1916. Attestation datée du 23 avril 1917, signée A. Maupas, curé de Saint-Jacques de Lisieux.

8. Francis la Néele : PO, témoin 39.

Inhumé le 3 mars 1916. Attestation datée du 8 août 1917, signée V. Hardy, vicaire de la paroisse Saint-Pierre de Lisieux.

9. Thomas Nimmo Taylor : PO, témoin 2.

Excuse et motif d’absence :

" St Francis Havierts Carfin. - Motherwell (Ecosse).

Ce 20 juillet 1917.

Cher monseigneur,

C’est avec un bien vif regret que je viens demander d’être exempté de me présenter au tribunal de la béatification de soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus, pour y parler de sa renommée toujours croissante et de son pouvoir. J’ai appris du consulat français à Glasgow que les gouvernements anglais et français se sont combinés pour rendre aussi difficile que possible le passage à l’étranger des individus n’ayant rien à faire avec la guerre ou " le service national ". Il y a aussi la question des sous-marins. Ils ne m’effraient point, mais ils causent quelquefois un délai considérable dans le voyage. Vous priant humblement de m’excuser aux membres du tribunal et dans l’espoir que le document ci-inclus rendra quelque service, j’ai l’honneur d’être, cher monseigneur, votre très dévoué serviteur en Notre Seigneur.

Signatum : THOMAS NIMMO TAYLOR

10. Nicolas Giannattusio, évêque de Nardd (Italie) : PO, témoin 33.

Excuse et motif d’absence en italien.

Signatum : NICOLA, vescovo di Nardo.

11. Soeur Saint-Jean-l’Evangéliste (Dupont) : PO, témoin 31.

Excuse et motif d’absence.

A monseigneur de Teil, vice-postulateur de la Cause de béatification de la Servante de Dieu, soeur Thérèse de l’Enfant Jésus :

Madame la prieure de l’abbaye bénédictine de Notre-Dame du Pré soussignée déclare que Madame Marie Dupont, soeur Saint-Jean-l’Evangéliste, religieuse de ladite abbaye, n’est pas en état de répondre aux questions du tribunal ecclésiastique pour le procès de béatification de la Servante de Dieu, soeur Thérèse de l’Enfant Jésus, ni de lui fournir un témoignage utile : sa santé réclame des soins particuliers et un complet repos d’esprit.

Lisieux, ce premier août 1917.

Signatum : SOEUR SAINT-ANDRÉ E. BARBÉ, prieure.

 

TÉMOIN 21

MARIE DE LA TRINITÉ ET DE LA SAINTE FACE, O.C.D.

Le 17ème témoin du Procès Ordinaire réapparaît ici comme premier témoin du Procès " Continuatif ", 21ème de la série de ceux qui durent déposer au Procès Apostolique. Nous avons déjà dit à plusieurs reprises qu’il s’agit du témoin le plus qualifié, le seul vraiment important du Procès " Continuatif ", qui a donné un des témoignages les plus valides de tout le Procès.

Il s’agit de la novice de prédilection, bien connue, de Thérèse. Elle s’appelait dans le monde Marie-Louise-Joséphine Castel. Née à Saint-Pierre-sur-Dives (diocèse de Bayeux) le 12 août 1874, après un essai au Carmel de l’avenue de Messine à Paris, elle entrait au Carmel de Lisieux en 1894 et y fit profession le 30 avril 1896. Elle y mourut au cours de la tragédie de la dernière guerre, le 16 janvier 1944.

Sa déposition, une des plus longues de tout le Procès Apostolique, est sérieuse et détaillée. Même si elle répète des données, des paroles, des faits déjà déposés au premier Procès, elle s’efforce de le faire d’une façon nouvelle, et son témoignage est si frais qu’il donne l’impression de révéler de l’inédit.

Marie de la Trinité, comme elle le dépose elle-même en commençant, vécut " dans une grande intimité " avec Thérèse pendant trois ans et quelques mois (cfr. p. 1216). C’est ainsi qu’elle peut témoigner l’avoir vue " toujours fidèle en toutes choses " (p. 1218), " avec un air si recueilli qu’on pouvait juger qu’elle ne perdait pas la présence de Dieu " (ib.). La vue de cette union si intime avec Dieu était le fondement et le secret de l’efficacité de la formation spirituelle que Thérèse donnait à sa novice, ce qui faisait la valeur et la force de sa pédagogie. On peut considérer le témoignage de Marie de la Trinité comme un véritable exposé de cette pédagogie, surnaturelle au cent pour cent, mais basée sur des principes et des expériences qui démontraient " une prudence et une maturité de jugement bien au-dessus de son âge " (p. 1248).

On retrouve ci et là dans la déposition du témoin des faits et des expressions sympathiques, déjà connues par les Conseils et Souvenirs de l’ancienne édition de l’Histoire d’une âme. Marie de la Trinité les avait notés aussitôt après la mort de Thérèse, " bien avant qu’il fut question du Procès même informatif " (p. 1235), et cela donne une valeur spéciale aux paroles de la religieuse qui sait bien que Thérèse, quand elle lui parlait, révélait son âme, son expérience religieuse, ce qu’elle-même pratiquait avant de le conseiller aux autres (cfr. pp. 1221, 1230, 1255).

Nous constatons avec plaisir que le témoin souligne la vie toute ordinaire de Thérèse, exempte de ces faits charismatiques que la vie des saints offre habituellement à notre admiration : " sa vie, ici-bas, ne sortit pas de l’ordinaire ; c’est là son cachet particulier qui la rend imitable et accessible à tous " (cfr. pp. 1273-1274). Mais cet " ordinaire " est vertu héroïque. Marie de la Trinité relève de façon excellente les caractères de l’héroïsme de cette vie ordinaire, en deux pages qui sont parmi les meilleures du Procès (cfr. pp. 1272-1273). Elle y souligne avec exactitude à quel point une fidélité continuelle était difficile à une époque où, au Carmel de Lisieux, tout semblait propre à l’anéantir. La division, le caractère de mère Marie de Gonzague, un certain relâchement qui s’était introduit, ne favorisaient certainement pas le maintien d’une ferveur toujours en éveil. Thérèse avait marché à contre-courant avec humilité, charité et force, pratiquant moment par moment ce qu’elle avait recommandé au témoin : " Quand toutes manqueraient à la Règle, ce n’est pas une raison pour nous justifier. Chacune devrait agir comme si la perfection de l’Ordre dépendait de sa conduite personnelle " ( p. 1219).

Le témoignage de Marie de la Trinité présente, avec réalisme, une sainteté faite de simplicité et de force dans la ligne de l’Évangile. Une sainteté parfaitement accessible aux personnes de n’importe quel état ou condition. C’est pourquoi son contenu est un des plus valides et des plus actuels du Procès de Thérèse de l’Enfant-Jésus.

Les dernières pages ont trait à la renommée de sainteté toujours croissante de Thérèse, qui " faisait elle-même sa propagande " (p. 1290).

Le témoin a déposé du 23 au 28 septembre 1916, au cours des sessions 61-65 et sa déposition se trouve aux pages 1215-1300 de notre Copie publique.

[Session 61 : - 22 septembre 1916, à 2h. de l’après-midi]

[1215] [Le témoin répond correctement à la première demande].

[Réponse à la seconde demande]

Je m’appelle Marie-Louise Castel, en religion [1216] soeur Marie de la Trinité. Je suis née à Saint-Pierre-sur-Dives le 12 août 1874, de Victor Castel instituteur et de Léontine Lecomte. Je suis religieuse professe au Carmel de Lisieux, sous le nom de soeur Marie de la Trinité.

[Le témoin répond correctement de la troisième à la cinquième demande].

[Réponse à la sixième demande] :

Mon témoignage est parfaitement libre, et je ne crois subir l’influence ni d’aucun sentiment intérieur ni d’aucune pression extérieure qui puisse m’empêcher de dire la vérité.

[Réponse à la septième demande] :

Lorsque j’entrai au Carmel comme novice, le 16 juin 1894, la Servante de Dieu, soeur Thérèse de l’Enfant Jésus, y était déjà depuis six ans. Mère Agnès de Jésus qui était alors prieure, me la donna comme " ange " selon la coutume de notre Ordre, pour qu’elle m’initiât aux pratiques extérieures de la Règle. En même temps elle me recommanda de prendre ses conseils pour ma formation, comme si elle eût été maîtresse de noviciat. Je suivis ce conseil et vécus dans une grande intimité avec la Servante de Dieu jusqu’à sa mort, c’est-à-dire pendant trois ans et quelques mois.

[Réponse à la huitième demande] :

J’ai pour la Servante de Dieu une grande affection, une grande reconnaissance et une grande dévotion.

Ma reconnaissance et mon affection sont motivées [1217] par tout le bien qu’elle m’a fait ; j’ai pour elle de la dévotion parce que je l’ai vue pratiquer les vertus comme une sainte. Je désire beaucoup sa béatification pour qu’elle devienne, d’une façon autorisée par l’Église, le modèle des âmes qui sont appelées à servir Dieu dans la simplicité des voies ordinaires

[Réponse de la neuvième à la onzième demande inclusivement] :

Je n’ai pas été témoin direct de la vie de la Servante de Dieu avant l’année 1894, date de mon entrée au Carmel. Cependant durant les trois ans que nous vécûmes ensemble, la Servante de Dieu m’entretint souvent, sur mes instances, des particularités de son enfance, de sa jeunesse dans le monde, et de ses premières années au Carmel. Ce qu’elle m’en a dit se trouve relaté par elle avec une entière conformité dans l’ " Histoire d’une âme ".

[Réponse à la douzième demande] :

Quand j’entrai au Carmel en 1894, soeur Thérèse de l’Enfant Jésus était déjà professe depuis quatre ans ; elle aurait donc dû, d’après nos règles, sortir du noviciat l’année précédente, car nous restons au noviciat trois ans après la profession. Néanmoins je la trouvai encore parmi les novices. Mère Marie de Gonzague, qui était alors maîtresse des novices, m’expliqua que soeur Thérèse de l’Enfant Jésus avait demandé, par humilité, à rester au noviciat. D’autre part, mère Agnès de Jésus, alors prieure, accéda volontiers à cette demande parce qu’elle pensait que soeur Thérèse pourrait avoir ainsi une très heureuse influence sur les novices. En 1896, mère Marie de Gonzague redevint prieure, [1218] mais conserva en même temps la charge de maîtresse des novices ; elle conserva soeur Thérèse de l’Enfant Jésus au noviciat, de sorte que soeur Thérèse y demeura dans cette situation un peu spéciale jusqu’à sa mort en 1897.

Je lui ai vu exercer les emplois de portière, puis de sacristine, fonction dont on la déchargea quelques mois avant sa mort. Elle était aussi, comme je viens de l’expliquer, équivalemment maîtresse des novices. Sans entrer dans le détail de ses vertus, je puis dire ici qu’elle m’édifia beaucoup par la perfection attentive avec laquelle elle s’acquitta de ces différentes fonctions.

[Réponse à la treizième demande] :

Je puis répondre en un mot à cette question : je n’ai jamais saisi la moindre défaillance dans la Servante de Dieu sur quelque point que ce soit.

[Réponse à la quatorzième demande] :

Sur cette question d’ensemble, je ne puis que renouveler ce que je viens de dire : c’est que je l’ai toujours vue fidèle en toutes choses.

[Réponse à la quinzième demande] :

Soeur Thérèse de l’Enfant Jésus agissait en toutes choses avec tant de perfection et avec un air si recueilli qu’on pouvait juger qu’elle ne perdait pas la présence de Dieu. Ce qui rendait héroïque cet esprit de foi, c’était le désarroi dans lequel vivait la communauté en ce temps-là. N’ayant d’autre stimulant que sa foi et son amour pour Dieu, vivant dans un milieu plutôt relâché, elle [1219] mérita vraiment la louange adressée au Juste dans l’Ecclésiastique : " Qui a pu violer la loi et ne l’a pas violée, faire le mal et ne l’a pas fait " (Eccli. 31,10).

Elle me disait : " Quand toutes manqueraient à la Règle, ce n’est pas une raison pour nous justifier. Chacune devrait agir comme si la perfection de l’ordre dépendait de sa conduite personnelle " 1.

J’admirais sa foi en ses supérieurs. Quels qu’ils fussent, elle traitait avec eux comme avec Dieu même. Quand mère Marie de Gonzague était prieure, soeur Thérèse me reprenait quand il m’arrivait de critiquer sa conduite et de l’appeler " le loup " (surnom que nous lui avions donné entre novices) : " C’était bon quand elle n’était pas prieure-me disait-elle-, mais à présent qu’elle a le sacrement de l’autorité, nous devons la respecter. Si nous agissons envers elle avec esprit de foi, le bon Dieu ne permettra jamais que nous soyons trompées. Même à son insu elle nous donnera toujours la réponse divine " 2.

Un jour elle me rencontra allant en direction chez mère Marie de Gonzague. Elle me dit : " Avez-vous pensé à prier pour recommander votre direction au bon Dieu ? C’est très important pour obtenir que les paroles de la mère prieure soient pour vous l’organe de la volonté de Dieu ".

Soeur Thérèse de l’Enfant Jésus eut à subir de terribles tentations contre la foi. Un jour qu’elle me parlait des ténèbres dans lesquelles était son âme, je lui dis toute étonnée : " Mais ces cantiques si lumineux que vous composez démentent ce que vous me dites ! " Elle me répondit : " Je chante ce que je veux croire, mais c’est sans aucun sentiment. Je ne voudrais même pas vous dire jusqu’à quel point la nuit est noire dans mon âme, de crainte de vous faire partager mes tentations ". Elle ne m’aurait pas fait cette confidence que jamais je ne m’en serais douté, la voyant parler et agir comme si elle avait été gratifiée de consolations spirituelles.

[Réponse à la seizième demande] :

La Servante de Dieu s’efforçait de former ses novices à l’esprit de foi qui l’animait elle-même. Sur ce point, elle ne voulait supporter aucune négligence de ma part. Un jour, elle me reprit sévèrement de ce que mon lit était mal fait : " Vous donnez là une preuve que vous n’êtes guère unie au bon Dieu. Si vous aviez fait le lit de l’Enfant Jésus, est-ce ainsi que vous l’auriez fait ? Qu’êtes-vous donc venue faire au Carmel, si vous n’agissez pas avec esprit intérieur ? Mieux aurait valu pour vous rester dans le monde pour vous rendre au moins utile par quelques oeuvres extérieures ". Mais aussitôt qu’elle me voyait reconnaître mes torts son ton s’adoucissait, et elle me parlait comme une sainte des mérites de la foi, des âmes que nous sauvons par notre fidélité, des marques d’amour que nous pouvons donner au bon Dieu.

Je retirais toujours un grand profit spirituel de mes épanchements d’âme avec elle : " La principale cause de vos souffrances - me disait-elle - vient de ce que vous regardez trop les choses du côté de la terre et pas assez avec esprit de foi : vous recherchez trop vos satisfactions. Savez-vous quand vous trouverez le bonheur ? C’est quand [1221] vous ne le chercherez plus. Croyez-moi, j’en ai fait l’expérience ".

[Session 62 : - 25 septembre 1916, à 9h. et 2h. de l’après-midi]

[1227] [Réponse à la dix-septième demande] :

Soeur Thérèse de l’Enfant Jésus avait pour la Face adorable de Jésus un culte tout spécial ; elle voyait en elle le miroir des humiliations et des souffrances de Jésus durant sa passion. La vue de cette divine Face allumait dans son âme un désir passionné de lui ressembler, ainsi qu’elle me l’exprimait. Très heureuse de voir ses deux novices, soeur Geneviève et moi, partager cette dévotion, elle composa pour nous trois une consécration à la Sainte Face. Elle me composa aussi un cantique sur le même sujet. Ces deux pièces ont été imprimées dans l’édition complète de l’ " Histoire d’une âme " page 308 et 381 (édition in 8 de 1914) 8. Le Chemin de la Croix avait aussi beaucoup d’attrait pour son âme ; elle aimait à le faire le plus souvent possible " autant - me disait-elle - pour le bien personnel qu’elle en retirait que pour délivrer par ce moyen les âmes du purgatoire ".

Son esprit de foi se révéla surtout dans son emploi de sacristine. Je me suis trouvée quelquefois avec elle pendant qu’elle préparait les ornements et les vases sacrés pour la messe du lendemain, et j’étais vivement édifiée de voir avec quelle foi, quel respect, quel soin elle s’en acquittait. Elle m’exprimait son bonheur d’avoir, comme les prêtres, le privilège de toucher les vases sacrés, de préparer, comme Marie, les langes de l’Enfant Jésus. Elle les baisait avec amour, ainsi que la grande hostie qui allait être consacrée.

 

[1228] [Réponse à la dix-huitième demande] :

Son désir de la sainte communion était intense. Elle enviait le sort de ceux qui communient tous les jours, car, en ce temps-là, la communauté n’avait pas ce privilège. Pour se consoler de cette privation, elle demandait avec foi au bon Dieu de rester dans son coeur d’une communion à l’autre : " Ah !-lui disait-elle- je ne puis recevoir la sainte communion aussi souvent que je le désire, mais, Seigneur, n’êtes-vous pas tout puissant ? restez en moi comme au tabernacle, ne vous éloignez jamais de votre petite hostie " 7.

[Comment avez-vous connaissance de cette demandez-le la Servante de Dieu ? Pensez-vous que la Servante de Dieu ait eu la ferme conviction de la continuation de cette présence ? La Servante de Dieu a-t-elle jamais expliqué le mode de cette présence ? - Réponse] :

C’est dans son acte de consécration à l’Amour miséricordieux que la Servante de Dieu a formulé cette prière explicitement. Elle le composa en juin 1895 ; elle m’en fit part à la fin de novembre de la même année. Elle me dit à ce sujet que rien n’est impossible à la toute puissance de Dieu et qu’il ne lui aurait pas inspiré cette demande s’il n’avait voulu la réaliser. Dans le cantique " ,J’ai soif d’amour " qu’elle me composa pour ma profession (30 avril 1896), elle exprime la même pensée dans ces vers :

" Toi, le grand Dieu que tout le ciel adore,

Tu vis en moi, prisonnier nuit et jour " ,

Elle m’expliqua à ce sujet que c’était à dessein qu’elle avait mis : " tu vis en moi prisonnier " et non pas : " tu vis pour moi prisonnier ", ce qui aurait pu s’entendre [1229] de la présence du divin prisonnier au saint tabernacle, et qu’elle avait voulu exprimer sa confiance dans la réalisation de la prière dont il s’agite. Elle me disait aussi, à la même occasion : " Pour ses petites victimes d’amour, le bon Dieu fera des prodiges ; mais habituellement ils s’opéreront dans la foi, autrement elles ne pourraient pas vivre " 10.

Elle ne m’a jamais expliqué le mode de cette présence, et je ne crois pas qu’elle-même se soit jamais préoccupée de re chercher quel était ce mode de présence.

[Suite de la réponse à la dix-huitième demande] :

Un jour de communion, comme la Servante de Dieu était très fatiguée, mère Marie de Gonzague, prieure, voulut lui faire prendre un remède avant la messe. Dans sa douleur de perdre la sainte communion, soeur Thérèse la conjura avec larmes de lui permettre de retarder jusqu’après la messe l’absorption de ce remède. Elle plaida si bien sa cause qu’elle obtint ce qu’elle demandait, et même, depuis ce jour, fut aboli l’antique usage de perdre la communion en pareil cas.

Un jour je rencontrai la Servante de Dieu sous le cloître : son recueillement me frappa ; elle semblait porter quelque chose de précieux qu’elle abritait soigneusement avec son scapulaire. Au moment où je la croisai, elle me dit, à voix basse, d’un ton ému : " Suivez-moi, je porte Jésus ! " Elle venait de retirer de la table de communion la petite plaque dorée sur laquelle elle avait découvert une parcelle assez notable de la sainte hostie. Je la suivis jusqu’à la sacristie où, après qu’elle eut déposé son trésor, elle me fit mettre à genoux près d’elle pour prier jusqu’à ce qu’elle [1230] pût le remettre au prêtre qu’elle avait fait avertir.

[Le témoin répond qu’il n’a rien de particulier sur ce point-là].

[Réponse à la vingtième demande] :

Les livres de la Sainte Écriture, et particulièrement les Saints Évangiles faisaient ses délices. Leur sens caché devenait lumineux pour elle, et elle les interprétait admirablement. Dans ses conversations, dans mes directions avec elle, toujours quelque passage de ces livres divins venaient comme de source à l’appui de ce qu’elle me disait : c’était à croire qu’elle les savait par coeur.

La Servante de Dieu avait une grande dévotion à l’office divin. Elle y était si recueillie, qu’elle me disait y faire quelquefois plus facilement oraison qu’à l’oraison même. Sa tenue était irréprochable. Elle me faisait souvent des recommandations à ce sujet en y attachant une grande importance. Je dois remarquer que, sur ce point comme sur tous les autres, ce qu’elle me recommandait n’était que la description de sa propre conduite. Elle me disait donc : " Si vous aviez audience à la cour d’un roi terrestre, tous vos mouvements seraient étudiés ; combien plus devez-vous être réservée en présence du Roi des rois ! Se priver, à cause de cette divine présence, de remuer, de toucher soit à son visage, soit à ses vêtements, fait extrêmement plaisir au bon Dieu, parce qu’il voit qu’on fait cas de lui et qu’on l’aime ".

[Réponse à la vingt-et-unième demande] :

[1231] La dévotion de la Servante de Dieu envers la Sainte Vierge était touchante. Ses rapports avec elle étaient ceux d’une enfant avec la mère la plus chérie. Elle disait agréablement : " J’aime à cacher mes peines au bon Dieu, car, avec lui, je veux toujours avoir l’air heureuse de tout ce qu’il fait. Mais à la Sainte Vierge, je ne cache rien, je dis tout ".

Pendant sa dernière maladie, elle souffrait un véritable martyre. Comme elle était restée plus calme pendant une heure, mère Agnès de Jésus lui dit : " Vous avez moins souffert, n’est-ce pas ? " - " Oh non tout autant - répondit-elle - mais c’est à la Sainte Vierge que je me suis plainte ".

Quand j’étais en direction avec elle et que j’avais des choses coûteuses à lui dire, elle me conduisait devant la statue miraculeuse qui lui a souri dans son enfance, et me disait : " Ce n’est pas à moi que vous allez dire ce qui vous coûte, mais à la Sainte Vierge " 13. Je m’exécutais et elle écoutait près de moi ma confidence. Ensuite elle me faisait baiser la main de Marie, me donnait ses conseils, et la paix renaissait dans mon âme.

La Servante de Dieu avait un culte pour les saints anges et particulièrement pour son ange gardien qu’elle aimait à invoquer souvent. Elle me disait que c’était par respect pour lui qu’elle s’efforçait d’avoir une tenue toujours digne, qu’elle évitait de plisser le front ou de contracter son visage. Elle me reprenait si je ne l’imitais pas en cela : " Le visage est le reflet de l’âme - me disait-elle - ; il doit toujours être calme, comme celui d’un petit enfant, toujours content, même lorsque [1232] vous êtes seule, parce que vous êtes constamment en spectacle à Dieu et aux anges ".

Elle avait une affection filiale pour notre Mère Sainte Thérèse et notre Père Saint Jean de la Croix. Les oeuvres de ce dernier l’avaient particulièrement ravie ; elle méditait de mémoire de longs passages du Cantique Spirituel et de la Vive Flamme et me disait, qu’au moment de ses grandes épreuves, ces ouvrages l’avaient réconfortée et lui avaient fait un bien immense.

Elle m’a dit avoir demandé à tous les saints de l’adopter pour enfant et de lui obtenir leur double amour pour le bon Dieu ; en retour, elle leur avait abandonné la gloire qu’ils lui feraient acquérir. Parmi ses privilégiés, elle me citait Saint Joseph, les Saints Innocents, sainte Agnès, sainte Cécile, le bienheureux Théophane Vénard et la bienheureuse Jeanne d’Arc. Elle aimait à m’entretenir des vertus caractéristiques de chacun pour m’exciter, comme elle, à les imiter.

[Réponse à la vingt-deuxième demande] :

Jamais la Servante de Dieu, pour s’encourager à souffrir ou à travailler, n’envisageait les consolations ou les intérêts terrestres. Jamais non plus elle ne nous proposait de pareils motifs pour nous soutenir dans nos efforts. Les intentions qui lui étaient les plus ordinaires et qui l’excitaient davantage à la générosité étaient de gagner des âmes au bon Dieu, de faire plaisir au bon Dieu ; elle aspirait aussi à la vie du ciel, mais elle aimait à répéter souvent qu’elle n’envisageait pas le ciel comme un lieu de repos et de jouissance, mais plutôt comme un état où il lui serait donné d’aimer Dieu, plus parfaitement [1233] et faire plus de bien sur la terre : " Je ne me reposerai - disait-elle - qu’après que le dernier des élus sera sauvé " 15.

Il me paraît impossible de pousser plus loin qu’elle ne le faisait la confiance en Dieu. Elle aimait à répéter qu’on obtient de Dieu autant qu’on en espère. Elle me disait aussi qu’elle sentait en elle des désirs infinis d’aimer le bon Dieu, de le glorifier et de le faire aimer, et qu’elle espérait fermement qu’ils seraient tous réalisés et au-delà ; que c’était méconnaître la bonté infinie de Dieu que de restreindre ses désirs et ses espérances. " Mes désirs infinis - disait-elle - sont ma richesse, et pour moi se réalisera la parole de Jésus : ‘A celui qui a on donnera et il abondera’ (Mt. 13,12) " 16.

[Suite de la réponse aux demandes vingt-troisième, vingt-quatrième et vingt-cinquième] :

Son espérance en Dieu ne connut aucune défaillance, même quand son âme fut plongée dans les plus épaisses ténèbres, quand ses prières n’étaient pas exaucées, quand tout allait à l’encontre de ce qu’elle aurait voulu. [1234] " Le bon Dieu se lassera plutôt de m’éprouver que moi de ne pas douter de lui - me dit-elle un jour - ; quand même il me tuerait, j’espérerais Encore en lui " 17.

Jamais elle n’aurait dit qu’elle souffrait si on ne l’y avait pas obligée. " Le bon Dieu voit tout - me disait-elle -, je m’abandonne à lui ; il saura bien inspirer notre mère de me faire soigner si la chose est nécessaire ".

Dans sa dernière maladie, un jour qu’elle était consumée par la fièvre, l’infirmière se méprit et crut la soulager en lui mettant aux pieds une bouteille d’eau chaude. Elle me raconta ensuite qu’elle avait subi ce remède sans rien dire, mais qu’elle n’avait pu s’empêcher de s’en plaindre à Notre Seigneur : " Mon Jésus- lui dit-elle-, je brûle et l’on m’apporte encore de la chaleur... Je suis heureuse pourtant de trouver l’occasion de manquer du nécessaire afin de mieux vous ressembler pour sauver les âmes ". L’infirmière, qui l’avait quittée, revint peu après rapportant une boisson rafraîchissante. " Oh ! - disait-elle à cette occasion - que notre Jésus est bon ! qu’il est doux de se confier à lui ! " 18.

[Réponse à la vingt-sixième demande] :

La Servante de Dieu ne manquait pas d’apprendre à ses novices cette pratique de la confiance en Dieu et de l’espérance parfaite.

Dans ma première année de noviciat je rencontrais beaucoup d’oppositions pour réussir dans ma vocation. Au moment où tout semblait désespéré, soeur Thérèse de l’Enfant Jésus me demanda : " Avez-vous confiance de réussir quand même ? " - " Oui - lui répondis-je -, je suis si convaincue que [1235] le bon Dieu me fera cette grâce que rien ne peut m’en faire douter ". " Gardez bien votre confiance - me dit-elle résolument -, il est impossible que le bon Dieu n’y réponde pas, car il mesure toujours ses dons à notre confiance. Cependant, je vous avoue que si je vous avais vue faiblir dans votre espérance, j’aurais douté moi-même, tellement tout espoir est perdu du côté humain ".

" Quand vous êtes malade - me disait-elle aussi - dites-le tout simplement à la mère prieure, puis abandonnez-vous au bon Dieu sans trouble, soit que l’on vous soigne ou que l’on ne vous soigne pas. Vous avez fait votre devoir en le disant, et cela suffit : le reste ne vous regarde plus, c’est l’affaire du bon Dieu. S’il vous laisse manquer de quelque chose, c’est une grâce, c’est qu’il a confiance que vous êtes assez forte pour souffrir quelque chose pour lui " 19.

[Comment se fait-il que vous citiez ces souvenirs mot à mot comme vous les avez énoncés au Procès Informatif ?- Réponse] :

Bien avant qu’il fût question du Procès même Informatif, aussitôt après la mort de la Servante de Dieu, j’avait mis par écrit, pour mon édification personnelle, les conseils que j’avais reçus de la Servante de Dieu. De fait, je les sais par coeur et ne saurais les exprimer autrement.

[Suite de la réponse] :

Quand j’avais des peines de famille, elle me disait : " Confiez-les au bon Dieu et ne vous en inquiétez pas davantage : tout tournera à bien pour eux. Si vous vous en inquiétez vous-même, le bon Dieu ne s’en inquiétera pas, et vous priverez vos parents des grâces que vous [1236] leur auriez obtenues par votre abandon " 20.

Elle disait aussi, lorsque je lui manifestais ma crainte que le bon Dieu soit fâché contre moi, à cause de mes imperfections sans cesse renaissantes : " Celui que vous avez pris pour Époux a, si j’ose dire, une grande infirmité : c’est d’être aveugle, et il ne sait pas le calcul. S’il voyait clair et savait calculer, croyez-vous qu’en présence de tous nos péchés il ne nous ferait pas rentrer dans le néant ? Mais son amour le rend positivement aveugle. Voyez plutôt : si le plus grand pécheur de la terre, se repentant de ses offenses au moment de la mort, expire dans un acte d’amour, aussitôt, sans calculer d’une part les nombreuses grâces dont ce malheureux a abusé, de l’autre tous ses crimes, il ne compte plus que sa dernière prière et le reçoit sans tarder dans les bras de sa miséricorde " 21.

[Réponse à la vingt-septième demande] :

La vie de soeur Thérèse de l’Enfant Jésus n’a été qu’un acte d’amour pour Dieu. Elle a réalisé à la lettre le conseil de Saint Paul : " Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, quoique vous fassiez, faites-le pour l’amour de Dieu ".

Le 29 juillet 1894, la communauté tira au sort quelques pieuses sentences. Le billet qui lui échut fut celui-ci : " Si à chaque instant il vous était demandé que faites-vous ? votre réponse devrait

être : J’aime ! Au réfectoire ? : J’aime ! Au travail ? : J’aime ! etc. " Ce billet qu’elle garda jusqu’à sa mort, lui fit un extrême plaisir. Elle me dit : " Il est l’écho de mon âme, depuis longtemps c’est ainsi que j’entends l’amour et que je m’exerce à le pratiquer ".

 

[1237] Je disais un jour à la Servante de Dieu : " Si j’étais infidèle à la grâce, je n’irais pas au ciel tout droit ! " Oh ! ce n’est pas cela - me répondit-elle -, mais c’est le bon Dieu qui perdrait de l’amour ".

[Réponse à la vingt-huitième demande] :

Je racontai un jour à la Servante de Dieu certains faits de magnétisme dont j’avais été témoin. Le lendemain elle me dit : " Que votre conversation d’hier m’a fait de bien, oh ! que je voudrais me faire magnétiser par Jésus ! avec quelle douceur je lui ai remis ma volonté ! Oui, je veux qu’il s’empare de mes facultés de telle sorte que je ne fasse plus des actions humaines et personnelles, mais des actions toutes divines et dirigées par l’esprit d’amour ".

Elle me dit une autre fois : " A l’office de Sexte, il y a un verset que je prononce toujours à contrecoeur : c’est celui-ci : ‘Inclinavi cor meum ad faciendas justificationes tuas in aeternum propter retributionem’ ; intérieurement je m’empresse de dire : ‘O mon Jésus, vous savez bien que ce n’est pas pour la récompense que je vous sers, mais uniquement parce que je vous aime, et pour sauver des âmes. "

[Réponse à la vingt-neuvième demande] :

La Servante de Dieu me citait souvent cette phrase de Saint Jean de la Croix : " Il est de la plus haute importance que l’âme s’exerce beaucoup à l’amour, afin que se consumant rapidement, elle ne s’arrête guère ici-bas et arrive promptement à voir Dieu face à face " .

Elle a avoué elle-même, à la fin de sa vie, [1238] qu’elle ne perdait pas de vue la présence de Dieu, et il était facile de voir à son maintien toujours recueilli et au soin avec lequel elle faisait toutes ses actions, que réellement elle pensait toujours à Dieu. D’ailleurs, elle ne parlait jamais d’autre chose que de l’amour de Dieu ou de la perfection de nos oeuvres qui doit en être la conséquence.

[Réponse à la trentième demande] :

La Servante de Dieu avait à coeur de nous communiquer ses dispositions touchant l’amour de Dieu. Quand elle m’y exhortait, elle le faisait avec une telle onction que souvent elle en répandait des larmes. Elle me répétait souvent cette parole de Saint Jean de la Croix : " Au soir de cette vie, vous serez jugé sur l’amour. Apprenez donc à aimer Dieu comme il doit être aimé, et laissez-vous vous-même ".

Toute sa doctrine spirituelle qu’elle appelait sa " petite voie " se ramène à l’amour, à la confiance et à l’humilité.

On connaît son Acte d’offrande en holocauste à l’Amour miséricordieux. Elle me suggéra de m’offrir comme elle en victime à l’amour et me prépara à faire cette offrande.

[Réponse à la trente-et-unième demande] :

De son amour pour Dieu naissait un zèle ardent pour le salut des âmes, particulièrement pour les âmes des prêtres. C’est pour eux spécialement qu’elle avait embrassé sa vie de carmélite. Elle me disait qu’en priant [1239] et en se sacrifiant pour leur sanctification, on travaillait en même temps au salut des âmes dont ils étaient chargés.

Elle avait un amour de mère pour les âmes et les appelait " ses enfants ". Elle pensait à eux continuellement et travaillait sans relâche pour " gagner leur vie éternelle ", ainsi qu’elle disait ".

Un jour de lessive, je me rendais à la buanderie sans me presser, examinant en passant les fleurs du jardin. Soeur Thérèse de l’Enfant Jésus s’y rendait de même, mais d’un pas alerte ; elle m’eut bientôt rejointe et me dit en m’entraînant : " Est-ce ainsi qu’on se dépêche quand on a des enfants à nourrir et qu’on est obligé de travailler pour les faire vivre ? Dépêchons-nous, car, si nous nous amusons, nos enfants mourront de faim " .

Une autre fois, je dis à soeur Thérèse de l’Enfant Jésus en regardant le ciel : " Que nous serons heureuses quand nous serons là-haut ! " " C’est vrai - reprit-elle -, mais pour moi, si j’ai le désir d’aller bientôt dans le ciel, ne croyez pas que ce soit pour me reposer ! Je veux passer mon ciel à faire du bien sur la terre jusqu’à la fin du monde. Après cela seulement je jouirai et me reposerai. Si je ne croyais fermement que mon désir pût se réaliser, j’aimerais mieux ne pas mourir et vivre jusqu’à la fin des temps afin de sauver plus d’âmes " 28.

[Réponse à la trente-deuxième demande] :

La grande charité de soeur Thérèse de l’Enfant Jésus pour le prochain m’avait toujours beaucoup frappée [1240]. Elle la manifestait en toute occasion. Cette disposition était en elle toute surnaturelle et dérivait de l’amour de Dieu. Ainsi en était-il en particulier de l’affection très tendre qu’elle me témoignait ; nos rapports étaient très spirituels ; elle était attentive à me reprendre de tous mes manquements : " Je vous dois la vérité - me disait-elle -, détestez-moi, si vous le voulez, mais je vous la dirai jusqu’à ma mort ".

Réciproquement, l’affection que j’avais pour elle était aussi toute surnaturelle. Je constatais avec étonnement que plus je l’aimais, plus aussi j’aimais le bon Dieu, et quand mon amour pour elle se refroidissait, j’étais forcée de reconnaître que j’étais dans de mauvaises dispositions. Un jour elle me donna une image au verso de laquelle elle avait écrit cette sentence de notre Père Saint Jean de la Croix : " Quand l’amour que l’on porte à la créature est une affection toute spirituelle et fondée sur Dieu seul, à mesure qu’elle croît, l’amour de Dieu croît aussi dans notre âme " 29.

Elle m’apprenait à surnaturaliser mes affections. S’apercevant que je me recherchais auprès de notre révérende mère Agnès de Jésus, elle me dit un jour : " Vous croyez aimer beaucoup notre mère ? Eh ! bien, je vais vous prouver que vous vous trompez absolument : ce n’est pas notre mère que vous aimez, c’est vous- même. Lorsqu’on aime réellement, on fait tous les sacrifices pour procurer le bonheur de la personne aimée. Donc si vous aviez cet amour désintéressé, vous vous

réjouiriez de voir notre mère trouver du plaisir à vos dépens ; et, puisque vous pensez qu’elle a moins de satisfaction à parler avec vous qu’avec une autre, vous ne devriez pas avoir de peine lorsqu’il vous semble qu’elle vous [1241] délaisse pour cette autre " 30.

Le 13 juin 1897, elle m’écrivait au verso d’une image représentant la naissance de l’Enfant Jésus : " Que le divin petit Jésus trouve en votre âme une demeure toute parfumée des roses de l’amour ; qu’il y trouve encore la lampe ardente de la charité fraternelle qui réjouira son petit coeur en lui faisant oublier l’ingratitude des âmes qui ne l’aiment pas assez " 31.

[Session 63 : - 26 septembre 1916, à 9h. et à 2h. de l’après-midi]

[Réponse de la trente-troisième à la trente-cinquième demande] :

Mieux que personne, à cause de l’intimité de nos âmes, il m’était facile de découvrir ses actes cachés de charité. C’est ainsi que dans les travaux communs je la voyais toujours prendre de préférence la part la plus difficile et la moins attrayante. Un jour je lui demandais ce qui était le mieux ou d’aller rincer le linge à l’eau froide ou de rester à laver à l’eau chaude dans la buanderie ; elle me répondit : " Oh ! ce n’est pas difficile à savoir ! Quand cela vous coûte d’aller à l’eau froide, c’est signe que cela coûte aussi aux autres, alors allez-y. Si au contraire il fait chaud, restez de préférence à la buanderie. En prenant les plus mauvaises places, on pratique et la mortification pour soi et la charité pour les autres " 32.

Elle me disait d’aller à la récréation, non pas dans le but de me récréer, mais pour récréer les autres : " Là, plus qu’ailleurs peut-être - disait-elle - nous trouvons des occasions de nous renoncer pour pratiquer la charité. Par exemple, si quelqu’une vous raconte une histoire ennuyeuse, écoutez-la avec intérêt pour lui faire plaisir ; [1245] rendez-vous agréable à toutes, vous n’y réussirez, il est vrai, qu’en vous renonçant vous-même " .

J’ai remarqué que tout ce qu’elle conseillait, elle le pratiquait elle-même avec une perfection qui ne se démentait jamais : elle était toujours prête à se déranger pour rendre service, et elle le faisait avec un sourire si aimable qu’on aurait pu croire que c’était l’obliger que de la mettre à contribution. Elle ne disait pas qu’on la dérangeait quand on venait à contretemps et même sans raison la troubler dans son travail. C’était immédiatement qu’elle rendait le service qu’on lui demandait. Elle avait une si grande complaisance que je remarquais bien des

soeurs en abuser et lui demander son aide comme une chose due. C’était au point que j’en étais parfois révoltée, mais elle, elle trouvait la chose toute naturelle et sa charité la rendait ingénieuse pour faire plaisir à tout le monde.

Aux approches de la fête de mère prieure, presque toutes les soeurs apportaient leurs cadeaux de fête à soeur Thérèse de l’Enfant Jésus, pour qu’elle les embellisse par quelque peinture. Chacune voulait être servie la première, et, au lieu de reconnaissance, la Servante de Dieu recevait souvent des reproches : " Vous avez mieux soigné l’ouvrage de ma soeur une telle..., vous avez commencé par elle, etc... ". Il y en avait d’assez peu délicates pour exiger des peintures très compliquées : elle se surmenait et se fatiguait beaucoup pour les contenter, mais elle y arrivait rarement. Cependant, tous ces insuccès et ces reproches si pénibles à la nature semblaient ne pas l’effleurer : " Quand on travaille pour le bon Dieu - disait-elle-on n’attend aucune reconnaissance de la créature, et ces reproches ne peuvent pas nous [1246] enlever la paix ". A la récréation ou aux travaux communs, elle recherchait de préférence la compagnie des soeurs qu’elle voyait un peu tristes et s’efforçait de les épanouir par son entrain et par les services qu’elle leur rendait. Quand elle ne pouvait y parvenir, elle priait pour elles ainsi qu’elle me le dit un jour.

Pendant deux ou trois ans, elle eut comme première d’emploi la soeur la plus exerçante qu’on puisse rencontrer : par ses nombreuses manies elle ferait perdre la patience à un ange, il faut une vertu héroïque pour se plier à toutes ses exigences ; c’est l’appréciation de toutes celles qui la connaissent. Toute la journée, elle étourdissait de ses sermons et de ses discours qui étaient de vraies charades. Un jour qu’elle me parlait de la sorte, je lui répliquai avec quelque impatience. " Oh ! ma petite soeur-me dit-elle-, jamais soeur Thérèse de l’Enfant Jésus ne m’a parlé comme vous le faites ! ". Je rendis compte de la chose à la Servante de Dieu qui me dit : " Oh ! soyez bien douce avec elle, elle est malade, puis c’est de la charité de lui laisser croire qu’elle nous fait du bien, et cela nous donne l’occasion de pratiquer la patience. Si déjà vous vous plaignez, vu le peu de rapports que vous avez avec elle, que diriez-vous si vous étiez à ma place obligée de l’écouter toute la journée ? Eh ! bien, ce que je fais, vous pouvez le faire, ce n’est pas bien difficile : il faut veiller à ne pas s’agacer intérieurement, à adoucir son âme par des pensées charitables ; après cela on pratique la patience comme naturellement ".

J’avoue que j’ai été si souvent édifiée de la patience et de la charité toujours égale de soeur [1247] Thérèse de l’Enfant Jésus envers cette soeur que j’estime que, pour cela seulement, elle aurait bien gagné d’être canonisée, car une pareille constance dans la douceur me parait impossible sans une vertu héroïque.

La Servante de Dieu demanda et obtint d’être placée comme aide d’une soeur avec laquelle aucune n’avait pu tenir. Cette soeur, qui est maintenant retournée dans le monde, était affligée d’une noire mélancolie et d’un caractère violent. Elle fit subir bien des peines à la Servante de Dieu par ses injustices et ses paroles dures et méchantes. Soeur Thérèse de l’Enfant Jésus supportait tout sans se plaindre jamais, et par sa douceur apaisait sa compagne au point que celle-ci finissait par reconnaître ses torts et s’en humiliait près d’elle. La Servante de Dieu profitait de ces bons moments pour lui remonter le moral, si bien que cette soeur avouait que personne au monde ne lui avait fait autant de bien que soeur Thérèse de l’Enfant Jésus.

Il me reste à parler de la charité qu’elle exerça envers moi-même, c’est bien grâce à elle que j’ai réussi à être carmélite. Mon manque de vertu, de santé, et aussi le peu de sympathie que je rencontrais dans la communauté, parce que je venais d’un autre Carmel, me créa mille difficultés presque insurmontables. Dans ces moments pénibles, seule la Servante de Dieu me consolait, m’encourageait et saisissait adroitement les occasions de plaider ma cause auprès des soeurs qui étaient contre moi : " Que de bon coeur je donnerais ma vie - me répétait-elle - pour que vous réussissiez dans votre vocation ! ". Elle m’avoua qu’elle [1248] comptait le jour de ma profession parmi les plus beaux jours de sa vie. C’est en souvenir de ce jour qu’elle composa les poésies " Glose sur le divin " et " J’ai soif d’amour " qui ont été imprimées dans l’ " Histoire d’une âme ".

[Réponse à la trente-sixième demande] :

La Servante de Dieu me disait qu’il fallait, par nos prières et nos sacrifices, obtenir aux âmes tant d’amour de Dieu qu’elles puissent aller en paradis sans passer par le purgatoire. Toutefois elle n’oubliait pas les défunts qui souffrent dans ce lieu d’expiation. C’est à leur intention qu’elle faisait, le plus souvent qu’elle le pouvait, le Chemin de la Croix. Elle eût voulu le faire tous les jours, mais elle en était quelquefois empêchée par les travaux que l’obéissance lui imposait. Elle tâchait de ne manquer aucune occasion de gagner des indulgences à leur profit ; elle me recommandait d’être attentive à faire de même.

[Réponse de la trente-septième à la trente-huitième demande inclusivement] :

Soeur Thérèse de l’Enfant Jésus fit toujours paraître une prudence et une maturité de jugement bien au-dessus de son âge. Bien souvent, dans ce temps-là, à cause de la mentalité de mère Marie de Gonzague et de certains esprits dans la communauté, il y avait des différends, parfois très orageux ; alors, quand les choses étaient trop envenimées, c’était toujours soeur Thérèse de l’Enfant Jésus qui, avec un tact et une habileté peu ordinaires, remettait la paix dans la communauté.

A cause de sa sagesse étonnante, je la consultais [1249] comme un oracle ; elle éclairait tous mes doutes sans hésitation et avec précision ; elle me disait ce que je devais faire ou éviter. J’ai eu toujours à me féliciter d’avoir suivi ses conseils, et quand je voulais aller à l’encontre, j’avais à le regretter.

Un jour, je lui écrivis que pour me punir d’une infidélité j’avais résolu de me priver de la communion du lendemain. Elle me répondit par ce billet : " Petite fleur chérie de Jésus, il suffit bien que par l’humiliation de votre âme vos racines mangent de la terre... il faut élever bien haut votre corolle afin que le pain des anges vienne comme une rosée divine vous fortifier et vous donner tout ce qui vous manque " 36.

Un jour, je voulais me priver de l’oraison pour me dévouer à un travail pressé, elle me dit : " A moins d’une grande nécessité, ne demandez jamais permission de manquer les exercices de piété pour un travail quelconque : c’est là un dévouement qui ne peut pas faire plaisir à Jésus ! Le vrai dévouement, c’est de ne pas perdre une minute pendant les heures destinées au travail " 37.

Ma trop grande sensibilité me faisait pleurer souvent et pour des riens. Soeur Thérèse de l’Enfant Jésus, constatant que cette faiblesse mettait obstacle à mon avancement spirituel, eut l’idée ingénieuse, pour me guérir, de me faire recueillir chaque fois mes larmes dans une coquille. Ce moyen original me réussit parfaitement.

Je remarquais surtout sa prudence dans les directions que j’avais avec elle. Aucune question curieuse ni embarrassante même sous prétexte de faire du bien. Elle écoutait mes confidences avec intérêt, mais ne les [1250] provoquait pas. J’ai constaté alors par moi-même qu’elle pratiquait ce qu’elle écrivit plus tard dans sa vie : " Quand je parle avec une novice, j’évite de lui adresser des questions qui satisferaient ma curiosité... car il me semble qu’on ne peut faire aucun bien en se recherchant soi-même ".

Pour me consoler dans une tentation, elle me dit : " Remarquez la méthode employée pour faire briller les cuivres : on les enduit de boue, de matières qui les salissent et les rendent ternes ; après cette opération, ils resplendissent comme de l’or. Eh ! bien, les tentations sont comme cette boue pour l’âme ; elles ne servent qu’à faire briller en nous les vertus opposées à ces mêmes tentations ".

La Servante de Dieu suivait l’attrait de mon âme pour la conduire à Jésus. Elle me disait qu’elle ne voudrait jamais contraindre une âme à suivre sa voie à elle à moins que celle-ci n’y soit inclinée et ne le veuille, parce que le bon Dieu conduit les âmes par des voies différentes, dans lesquelles chacune doit marcher selon la volonté divine. C’est ainsi qu’à cette époque, étant très enfant de caractère, je me servais d’une méthode assez originale et peut-être puérile pour pratiquer la vertu : celle de réjouir l’Enfant Jésus en jouant avec lui toute espèce de jeux spirituels. Cette méthode me faisant faire de sérieux progrès, soeur Thérèse de l’Enfant Jésus m’y encouragea par condescendance, et, entrant dans mon état d’âme, m’écrivit, la nuit de Noël 1896, la lettre qui a été publiée dans l’ " Histoire d’une âme " (Edition in 8, 1914, page 292), et qui commence ainsi : " A ma petite épouse chérie, joueuse de quilles, sur la montagne du Carmel... " 33. Faute d’avoir assez remarqué que cette lettre n’avait été [1251] écrite que par condescendance pour l’état particulier d’une âme, certaines personnes y ont vu à tort l’enseignement général et absolu d’une spiritualité puérile.

[Suite de la réponse aux demandes trente-septième et trente-huitième] :

J’eus l’occasion d’entendre de sa bouche une explication importante sur ce qu’elle appelait " sa petite voie " d’amour et de confiance. Je lui avais fait part de mon intention d’exposer cette doctrine spirituelle à mes parents et amis. " Oh ! - me dit-elle - faites bien attention en vous expliquant, car notre " petite voie " mal comprise pourrait être prise pour du quiétisme ou de l’illuminisme ". Elle m’expliqua alors ces fausses doctrines, inconnues pour moi. Je me rappelle qu’elle me cita Madame Guyon comme hérétique. " Ne croyez pas - me dit-elle - que suivre [1252] la voie de l’amour, c’est suivre une voie de repos, toute de douceur et de consolations. Ah ! c’est tout le contraire. S’offrir en victime à l’amour, c’est se livrer sans réserve au bon plaisir divin, c’est s’attendre à partager avec Jésus ses humiliations et son calice d’amertume ".

Je lui dis une autre fois : " Qui donc vous a enseigné votre ‘petite voie d’amour’ qui dilate tant le coeur ? ". Elle me répondit : " C’est Jésus tout seul qui m’a instruit, aucun livre, aucun théologien ne m’a enseignée, et pourtant je sens dans le fond de mon coeur que je suis dans la vérité. Je n’ai reçu d’encouragement de personne, sauf de mère Agnès de Jésus. Quand l’occasion s’est présentée d’ouvrir mon âme, j’étais si peu comprise que je disais au bon Dieu comme Saint Jean de la Croix : ‘Ne m’envoyez plus désormais de messager qui ne sache pas me dire ce que je veux’ " .

Elle me demanda un jour si j’abandonnerais après sa mort sa " petite voie de confiance et d’amour ? ". " Sûrement non - lui dis-je -, j’y crois si fermement qu’il me semble que si le Pape me disait que vous vous êtes trompée, je ne pourrais pas le croire ". " Oh ! -reprit-elle vivement - il faudrait croire le Pape avant tout ; mais n’ayez pas la crainte qu’il vienne vous dire de changer de voie, je ne lui en laisserai pas le temps, car, si en arrivant au ciel, j’apprends que je vous ai induite en erreur, j’obtiendrai du bon Dieu la permission de venir vous en avertir immédiatement. Jusque-là, croyez que ma voie est sûre et suivez-la fidèlement " 42.

[Réponse aux demandes trente-neuvième et quarantième] :

[1253] La justice brilla particulièrement en soeur Thérèse de l’Enfant Jésus. Ses novices recouraient à elle en toute confiance parce qu’elle agissait à leur égard sans aucune recherche d’elle-même et sans aucune acception de personnes, bien qu’elle comptât parmi ses novices sa propre soeur et une cousine germaine.

Elle était fidèle à son devoir et rien n’aurait pu l’en détourner. Quand je voulais me rappeler le texte de nos règlements, je n’avais qu’à la regarder agir.

Elle aimait la vérité et ne subissait qu’avec peine la nécessité de certaines dissimulations imposées par le caractère tristement jaloux de mère Marie de Gonzague. Un jour elle ne put se retenir de protester ouvertement devant une partie notable de la communauté (environ quinze religieuses) contre une injustice criante de mère Marie de Gonzague, alors maîtresse des novices.

[Pourriez-vous citer les termes exacts de cette protestation ?- Réponse] :

Elle dit : " Mère Marie de Gonzague est absolument dans son tort. C’est scandaleux d’agir ainsi envers sa mère prieure et ce qui me fait le plus de peine, c’est de voir en cela le bon Dieu offensé ". Une religieuse répliqua : " Mère Marie de Gonzague est maîtresse des novices, elle a bien le droit d’humilier ses novices ! ". " Non - répliqua la Servante de Dieu -, cela n’entre pas dans l’ordre des humiliations qu’on puisse imposer ".

[1254] [En quoi consistait cette injustice criante ?- Réponse] :

Mère Agnès de Jésus était alors prieure et devait prochainement sortir de charge. Comme le temps de noviciat de soeur Geneviève et de moi était expiré, mère Agnès se proposait, comme c’était dans l’ordre, de recevoir notre profession avant la fin de son priorat. Le supérieur ecclésiastique avait aussi de son côté manifesté le désir qu’il en fût ainsi. Mère Marie de Gonzague, maîtresse des novices, prévoyant sa prochaine réélection au priorat et jalouse de se réserver la réception des nouvelles professes, s’opposa violemment, devant toute la communauté, au projet de la prieure et du supérieur, et cela en des termes très blessants pour mère Agnès de Jésus ; c’est ce qui amena la protestation de la Servante de Dieu.

[Le témoin poursuit] :

Soeur Thérèse souffrait de voir mère Marie de Gonzague vivre dans l’illusion sur ses défauts, et tenta tous les moyens pour lui ouvrir les yeux sur la vérité. Elle s’exposa ainsi bien souvent à la malveillance de cette pauvre mère aveuglée par sa triste passion de jalousie ; mais peu lui importait, elle ne visait qu’à faire du bien à cette âme malheureuse qu’elle aimait malgré tout.

[Réponse à la quarante-et-unième demande] :

Soeur Thérèse de l’Enfant Jésus était très mortifiée, mais d’une mortification aimable et qui ne se faisait pas remarquer. Elle n’usait des créatures que par nécessité pour l’accomplissement de son devoir ou par charité, sans jamais y rechercher son plaisir.

J’admirais en particulier son détachement à l’égard [1255] de ses soeurs selon la nature : elle ne leur donnait pas plus de témoignages d’affection qu’aux autres religieuses. Dernièrement j’exprimais mon étonnement à sa soeur aînée (soeur Marie du Sacré-Coeur) de ce que, durant la vie de la Servante de Dieu, elle ne recherchait presque pas sa compagnie : " Bien sûr ! - me répondit-elle -, mais comment vouliez-vous que j’aille de son côté ? J’en avais pourtant bien envie, mais, par fidélité, elle ne voulait pas me parler ".

Au réfectoire, j’étais sa voisine de table, et malgré toute mon attention, je n’ai jamais pu remarquer ce qu’elle aimait ou n’aimait pas ; elle mangeait de tout indifféremment. Quand elle fut bien malade, et que l’infirmière l’obligea de dire son goût, elle avoua que certains mets lui avaient toujours fait mal ; or je l’avais vue les manger avec la même indifférence que les autres aliments.

Les conseils de mortification qu’elle me donnait me faisaient plus facilement remarquer la sienne, car elle ne me donnait jamais un conseil sans l’accomplir elle-même parfaitement. C’est ainsi qu’elle me recommandait de ne pas faire de mélange dans ma nourriture pour la rendre plus agréable ; de ne pas appuyer le dos contre le mur (ceci demande une grande attention, parce que les bancs, assez étroits, sont attenants au mur) ; de terminer mon repas par quelque chose qui ne flatte pas le goût, comme une bouchée de pain sec. " Tous ces petits riens - me disait-elle - ne nuisent pas à la santé, ils ne nous font pas remarquer, et ils entretiennent notre âme dans un état surnaturel de ferveur " 43. Elle me recommandait aussi, quand j’étais assise dans notre cellule, d’éloigner [1256] notre petit banc du mur, pour ne pas m’y appuyer. Bref, elle me rappelait à la mortification dans tous mes actes, ce qui me donnait une preuve de l’attention qu’elle y apportait elle-même.

De son propre aveu, la souffrance du froid fut la plus pénible mortification corporelle qu’elle endura au Carmel ; elle la supporta héroïquement sans se plaindre ni rechercher de soulagement. Elle me reprenait quand je laissais paraître que j’avais froid, soit en marchant courbée ou en grelottant. J’avais mis un jour nos alpargates à sécher sur une chaufferette et les avais mises chaudes à mes pieds pour me réchauffer. Soeur Thérèse de l’Enfant Jésus s’en étant aperçue, me dit : " Si j’avais fait ce que vous venez de faire, je croirais avoir commis une grande immortification ; à quoi nous servirait d’avoir embrassé une vie austère si nous cherchons à nous soulager dans tout ce qui peut nous faire souffrir ? Sans un ordre de l’obéissance, nous ne devons pas nous soustraire même à la plus petite pratique de mortification " 44.

Nos familles et nos monastères avaient offert de nombreux cadeaux à notre doyenne, soeur Stanislas, pour ses noces d’or. Un entre autres avait excité l’admiration générale, et on l’avait offert ensuite à notre aumônier, monsieur l’abbé Youf. Celui-ci eut occasion de parler de cet objet à soeur Thérèse et il lui demanda ce qu’elle en pensait. La Servante de Dieu parut embarrassée et dut avouer qu’ayant grande envie de voir cet objet, elle s’était privée par mortification de le regarder. Monsieur l’abbé Youf fut si édifié de ce fait qu’il en exprima toute son admiration à la prieure, mère [1257] Marie de Gonzague, en lui disant qu’elle possédait une vraie sainte dans cette jeune religieuse.

[Réponse à la quarante-deuxième demande] :

Soeur Thérèse de l’Enfant Jésus poussa la vertu de force jusqu’à l’héroïsme.

Quand j’entrai au Carmel, sa soeur, notre révérende mère Agnès de Jésus était prieure et je fus bien édifiée de la force d’âme que la Servante de Dieu faisait paraître quand elle assistait aux scènes scandaleuses de jalousie que faisait journellement la mère Marie de Gonzague à sa " petite mère " tant aimée. Son coeur était extrêmement sensible et affectueux, particulièrement à l’égard de cette soeur qui lui avait servi de mère ; et pourtant sa sérénité d’âme ne fut jamais troublée au milieu de ces orages : elle restait toujours gracieuse et aimable. Elle me disait : " Le bon Dieu qui permet le mal en tirera le bien : notre ‘petite mère’ est une sainte, c’est pourquoi le bon Dieu ne l’épargne pas " 45. Elle me disait aussi que c’était pour nous un devoir de prier pour la conversion de mère Marie de Gonzague, et qu’elle avait plus de chagrin de voir le bon Dieu offensé par elle que de voir souffrir sa " petite mère ".

Dans la communauté j’ai souvent entendu les anciennes vanter l’égalité d’âme de soeur Thérèse de l’Enfant Jésus au moment des pénibles épreuves de son père, que des congestions cérébrales progressives obligèrent d’interner dans une maison de santé. Elle-même, en me parlant de ces tristesses de famille, me disait : [1258] " Ces épreuves sont pour moi des sujets d’actions de grâces perpétuelles ".

Un jour elle me dit : " Je m’exerce à souffrir joyeusement ; par exemple, lorsqu’on prend la discipline, je m’imagine être sous les coups des bourreaux pour la confession de la foi ; plus je me fais de mal, plus je prends un air joyeux. J’agis de même pour toute autre souffrance corporelle : au lieu de laisser mon visage se contracter par la douleur, je fais un sourire ! " 46.

Une autre fois, elle vint toute rayonnante me dire : " Notre mère vient de me raconter la persécution qui sévit contre les communautés religieuses. Quelle joie ! Le bon Dieu va réaliser le plus beau rêve de ma vie ! Quand je pense que nous vivons dans l’ère des martyrs. Ah ! ne nous faisons plus de peine des petites misères de la vie ; appliquons-nous à les porter généreusement pour mériter une si grande grâce " 47.

Un jour que je pleurais, soeur Thérèse de l’Enfant Jésus me dit de D’habituer à ne pas laisser paraître mes petites souffrances : " C’est vrai - lui dis-je -, je ne pleurerai plus qu’avec le bon Dieu ". Elle reprit vivement : " Gardez-vous bien d’agir ainsi, ce bon Maître n’a pour réjouir son coeur que nos monastères ; il vient chez nous pour oublier les plaintes continuelles de ses amis du monde... et vous feriez comme le commun des mortels !... Jésus aime les coeurs joyeux ; quand donc saurez-vous lui cacher vos peines, ou lui dire en chantant que vous êtes heureuse de souffrir pour lui ? " 48.

Elle me disait encore : " Autrefois, dans le [1259] monde, en m’éveillant le matin, je pensais à ce qui probablement devait m’arriver dans la journée, et, si je prévoyais des ennuis, je me levais triste. Maintenant, c’est tout le contraire... Je me lève d’autant plus joyeuse et pleine de courage que je prévois plus d’occasions de témoigner mon amour à Jésus et de sauver des âmes. Ensuite, je baise mon Crucifix et je lui dis : ‘Mon Jésus, vous avez assez travaillé pendant les 33 années de votre vie sur cette pauvre terre. Aujourd’hui, reposez-vous... c’est à mon tour de combattre et de souffrir’ " 49.

La Servante de Dieu était d’un courage incomparable ; elle a suivi sa Règle sans adoucissement jusqu’à complet épuisement de ses forces. Elle commença à souffrir sérieusement de la gorge trois ans avant sa mort, mais on n’y prit pas garde. A la fin du carême 1896, qu’elle avait accompli dans toute la rigueur de notre Ordre, elle fut prise du crachement de sang dont elle parle dans sa vie. En ma qualité d’aide-infirmière, elle m’en fit part dans la matinée du lendemain (Vendredi Saint) ; son visage était rayonnant de bonheur. Elle m’exprima aussi sa joie de ce que mère Marie de Gonzague lui avait facilement permis, malgré cet accident, de pratiquer tous les exercices de pénitence de ces deux derniers jours saints. Elle me fit promettre de garder le secret pour ne pas affliger mère Agnès de Jésus. Ce Vendredi Saint elle jeûna donc, comme nous, toute la journée, ne mangeant qu’un peu de pain sec et buvant de l’eau à midi et à six heures du soir. De plus, en dehors des Offices, elle ne cessa de faire des nettoyages très fatigants ; le soir, elle prit encore la discipline pendant trois Miserere. [1260] Aussi, en rentrant épuisée dans sa cellule, elle fut reprise du même crachement de sang que la veille.

Depuis lors, sa santé déclina avec des alternatives de mieux et de pire, ce qui ne l’empêchait pas de suivre tous les exercices de communauté et de paraître toujours souriante. Elle me confia que souvent, pendant l’office divin, le coeur lui manquait par la violence qu’elle se faisait pour psalmodier et se tenir debout ; mais elle secouait sa fatigue par ces paroles : " Si je meurs, on le verra bien ".

Quand je m’apercevais qu’elle était à bout de forces, j’allais demander à mère Marie de Gonzague de la dispenser au moins de l’Office des Matines, mais mes démarches n’avaient aucun succès. La Servante de Dieu me suppliait de ne pas intervenir, m’assurant que notre mère était au courant de ses fatigues, et que, si elle n’y prenait pas garde, c’est qu’elle était inspirée par le bon Dieu qui voulait exaucer son désir d’aller sans soulagement jusqu’au bout de ses forces. Elle y alla, en effet, car la veille du jour où elle ne devait plus se relever, elle vint encore à la récréation du soir. Là, elle m’avoua que la veille elle avait mis plus d’une demi- heure pour monter dans sa cellule ; elle était obligée de s’asseoir presque à chaque marche de l’escalier ; il lui avait fallu des efforts inouïs pour se déshabiller seule. Malgré sa défense, j’avertis mère Marie de Gonzague et aussi mère Agnès de Jésus, et depuis lors, on s’occupa sérieusement de la soigner.

[Session 64 : - 27 septembre 1916, à 9h. et à 2h. de l’après-midi]

 

[1264] [Réponse à la quarante-troisième demande] :

Tout dans la Servante de Dieu respirait la pureté. Je ne saurais dire le bien qu’elle fit à mon âme au sujet de cette vertu. Elle m’apprit à voir toutes choses avec pureté : " Tout est pur pour les purs -aimait-elle à me répéter-, le mal ne se trouve que dans une volonté perverse ". Elle m’avoua humblement qu’elle n’avait jamais été tentée contre la pureté. Elle me dit un jour : " Je fais toujours une extrême attention quand je suis seule, soit en me levant, soit en me couchant, à avoir la réserve que j’aurais si j’étais devant d’autres personnes. Et d’ailleurs, ne suis-je pas toujours en présence de Dieu et de ses anges ! Cette modestie m’est devenue tellement habituelle que je ne saurais agir autrement ".

[Réponse à la quarante-quatrième demande] :

Soeur Thérèse de l’Enfant Jésus pratiqua la pauvreté dans toute sa perfection. Je remarquais son attention à ne rien perdre et à tirer parti de tout pour éviter la moindre dépense. Elle baissait très bas la mèche de sa petite lampe, de façon à n’en recevoir que la lumière indispensable. [1265] Elle raccommodait jusqu’au bout ses vêtements, et tout ce qui était à son usage pour éviter de les renouveler. Par ce même esprit de pauvreté, elle écrivait toujours à lignes très rapprochées pour user moins de papier. Quand, au réfectoire, il lui arrivait de prendre quelques grains de sel de plus qu’elle n’avait besoin, au lieu de les jeter, elle les gardait en réserve pour une autre fois. Elle me recommandait souvent cette vertu de pauvreté, m’assurant qu’il était très désirable de manquer même du nécessaire parce qu’alors on pouvait se dire vraiment pauvre. Elle me disait que lorsque je ne pouvais éviter de faire acheter et qu’on m’apportait un choix, je devais, sans hésiter, prendre ce qu’il y avait de moins cher, ainsi que font les pauvres.

Par amour pour la pauvreté, soeur Thérèse de l’Enfant Jésus avait un goût particulier pour les vêtements les plus usés. Notre soeur lingère raccommodait un jour près d’elle à la récréation de vieilles guimpes très usées de mauvaise forme. Elle dit à la Servante de Dieu qu’elle les réservait pour les donner à nos soeurs converses en plus de celles de la semaine, parce qu’elles n’étaient pas présentables ; c’est pourquoi elle ne les donnait qu’à ses intimes amies qu’elle savait être peu difficiles : " Oh ! alors-lui dit d’un ton suppliant soeur Thérèse de l’Enfant Jésus- considérez-moi, je vous en prie, comme du nombre de vos intimes amies ". La soeur lingère accéda à sa demande, et dès lors jusqu’à sa mort elle fut [1266] gratifiée de guimpes les plus pauvres et les plus incommodes.

[Réponse à la quarante-cinquième demande] :

La Servante de Dieu fut héroïque dans son obéissance. Bien qu’elle avouait qu’elle ne se sentait pas toujours comprise dans ses directions avec ses confesseurs ordinaires ou extraordinaires, elle ne leur soumettait pas moins toutes ses pensées et suivait leurs conseils sans restriction. C’est ainsi qu’ayant composé son " Acte d’offrande à l’Amour miséricordieux ", elle ne voulut pas me le communiquer avant qu’il eût reçu l’approbation d’un prêtre éclairé. Celui-ci lui ayant fait changer un mot, d’ailleurs assez insignifiant dans la formule, elle s’empressa de corriger ce mot dans les quelques copies qui en avaient été faites.

C’est pour rester plus dépendante qu’elle demanda d’être maintenue au noviciat après le temps ordinaire et qu’elle y demeura jusqu’à la fin de sa vie. Cette demande est d’autant plus remarquable, qu’au moment où elle la formula, mère Marie de Gonzague était maîtresse des novices, et c’est d’elle en particulier qu’elle se rendait dépendante, ce à quoi, assurément, elle ne pouvait avoir aucun attrait naturel.

Pour rien au monde, elle n’aurait voulu faire quoi que ce soit sans permission. Un jour qu’elle avait oublié de demander une permission, je lui dis qu’elle pouvait faire la chose et qu’ensuite elle en rendrait compte. Elle me répondit vivement : " Non, bien sûr ! à moins [1267] d’un cas tout extraordinaire, je ne permettrai jamais d’agir ainsi. Ces petits assujettissements nous font pratiquer notre voeu d’obéissance dans la perfection. Si nous nous y soustrayons, à quoi bon avoir fait ce voeu ? ".

Elle prouva surtout l’héroïcité de son obéissance dans sa fidélité exemplaire à accomplir à la lettre et sans raisonnement la multitude de petits règlements que mère Marie de Gonzague établissait ou détruisait au gré de ses caprices, règlements instables dont la communauté tenait peu de compte.

Non seulement elle obéissait ainsi aux ordres de sa mère prieure, mais elle obéissait avec la même promptitude à n’importe quelle soeur de la communauté. J’en ai fait moi-même l’expérience plus d’une fois, à ma grande édification et confusion. Un jour entre autres, je lui dis : " Allez faire telle chose " ; immédiatement elle quitta son occupation qui certainement avait plus d’attrait pour elle, et se rendit où je l’envoyais ; et pourtant, elle était ma maîtresse et nullement obligée de faire ce que je lui disais.

Il est recommandé dans nos règlements de ramasser les plus petits morceaux de bois qu’on peut rencontrer par la maison, parce qu’ils peuvent servir à allumer le feu. Soeur Thérèse de l’Enfant Jésus poussait la fidélité à cette pratique jusqu’à recueillir soigneusement les petits bois provenant de la taille de ses crayons.

Après sa prise d’habit, notre révérende mère Agnès de Jésus lui apprenant à s’asseoir sur ses talons, comme il est d’usage au Carmel, lui avait dit de s’asseoir du côté droit. Elle considéra ce conseil comme un [1268] ordre, et, jusqu’à sa mort elle s’y assujettit, ne voulant jamais se permettre de changer de côté même pour se délasser.

Pour me donner une leçon, elle me confia un jour l’acte héroïque qu’elle avait fait étant postulante et novice : " Notre maîtresse, soeur Marie des Anges-me dit-elle-me commanda de lui dire chaque fois que j’aurais mal à l’estomac. Or, cela m’arrivait tous les jours et ce commandement fut pour moi un véritable supplice. Quand le mal d’estomac me prenait, j’aurais préféré cent coups de bâton plutôt que d’aller le dire, mais je le disais chaque fois par obéissance. Notre maîtresse, qui ne se souvenait plus de l’ordre qu’elle m’avait donné, disait : ‘Ma pauvre enfant, jamais vous n’aurez la santé de faire la Règle, c’est trop fort pour vous !’. Ou bien elle demandait pour moi quelque remède à mère Marie de Gonzague, qui répondait mécontente : ‘Mais enfin cette enfant-là se plaint toujours ! on vient au Carmel pour souffrir, si elle ne peut pas porter ses maux qu’elle s’en aille !’ J’ai pourtant continué bien longtemps par obéissance à confesser mes maux d’estomac au risque d’être renvoyée, jusqu’à ce qu’enfin le bon Dieu prenant en pitié ma faiblesse, permit qu’on me déchargeât de l’obligation de faire cet aveu ".

Pendant sa dernière maladie, comme on semblait s’étonner qu’elle se munisse de permissions pour des détails insignifiants qu’elle aurait pu accomplir d’elle-même sans scrupule, elle dit à mère Agnès de Jésus : " Ma mère, je veux tout faire par obéissance " 52.

 

[1269] [Réponse à la quarante-sixième demande] :

L’humilité de soeur Thérèse de l’Enfant Jésus fut vraiment héroïque. Elle recherchait l’humiliation comme un trésor. Souvent elle me suppliait de lui rapporter toutes les paroles désagréables que j’entendais, non seulement sur elle, mais ce qui devait lui être plus pénible, sur sa chère " petite mère " et ses autres soeurs. Elle exprime elle-même la joie qu’elle éprouvait en ces occasions, dans l’ " Histoire d’une âme ", chapitre X : " Ah ! vraiment, c’est un festin délicieux qui comble mon âme de joie. Comment une chose qui déplaît tant à la nature peut-elle donner un pareil bonheur ? " 53.

Non seulement la Servante de Dieu laissait paraître cette joie surnaturelle quand je lui rapportais des appréciations malveillantes sur elle, mais je remarquais en elle la même sérénité quand des soeurs lui jetaient, à l’improviste, des paroles dures et désagréables. Une religieuse ancienne ne pouvait pas comprendre que soeur Thérèse de l’Enfant Jésus, si jeune, s’occupât des novices. Elle lui dit, un jour, qu’elle aurait plus besoin de savoir se diriger elle-même que de diriger les autres. J’étais témoin de cette conversation. La Servante de Dieu lui répondit avec une douceur angélique : " Ah ! ma soeur, vous avez bien raison, je suis encore bien plus imparfaite que vous ne le croyez " 54.

Elle me confia un jour que si elle n’avait pas été acceptée au Carmel, elle serait entrée dans un Refuge pour y vivre inconnue et méprisée au milieu des pauvres repenties. " Mon bonheur - me dit-elle - aurait [1270] été de passer pour telle ; je me serais faite l’apôtre de mes compagnes, leur disant ce que je pense de la miséricorde du bon Dieu ". " Comment-lui dis-je- auriez-vous pu cacher votre innocence à votre confesseur ? " " Je lui aurais dit que j’avais fait une confession générale dans le monde et qu’il m’était défendu de la recommencer ".

Sans cesse elle m’enseignait la pratique de l’humilité. Ce qu’elle appelait sa " petite voie d’enfance spirituelle " était le sujet continuel de nos entretiens.

Un jour, elle m’aborda par ces paroles : " Une table abondante et choisie vient d’être servie en votre honneur. Comme une mère pour son enfant, j’ai recueilli avidement ces mets substantiels ; je vous les apporte parce que je pense qu’ils vous feront le bien et le plaisir qu’ils me feraient à moi-même ". Ces mets étaient des paroles humiliantes, des mauvais jugements contre moi. " Promettez-moi - me dit-elle en finissant - que vous agirez pour moi comme j’agis pour vous. Voyez comme je vous donne des preuves d’un véritable amour ; puisque vous m’aimez, donnez-moi ces mêmes preuves ".

Je me décourageais à la vue de mes imperfections. Soeur Thérèse de l’Enfant Jésus me dit : " Vous me faites penser au tout petit enfant qui ne sait pas encore marcher. Voulant joindre sa mère au haut d’un escalier, il lève son petit pied pour monter la première marche : peine inutile ! il retombe toujours sans pouvoir avancer. Ah ! bien, consentez à être ce petit enfant. Par la pratique de toutes les vertus, levez toujours votre petit pied pour gravir l’escalier de la sainteté. Vous n’arriverez même [1271] pas à monter la première marche ; mais le bon Dieu ne demande de vous que la bonne volonté. Bientôt, vaincu par vos efforts inutiles, il descendra lui-même et, vous prenant dans ses bras, vous emportera pour toujours dans son royaume ".

Une autre fois, je m’attristais encore de mes défaillances, elle me dit : " Vous voilà encore sortie de la ‘petite voie’ ! la peine qui abat vient de l’amour propre, la peine qui est surnaturelle relève le courage. On est heureux de se sentir faible et misérable parce que plus on le reconnais humblement, attendant tout gratuitement du bon Dieu, sans aucun mérite de notre part, plus le bon Dieu s’abaisse vers nous pour nous combler de ses dons avec magnificence ".

[Réponse à la quarante-septième demande] :

On me demande si je sais ce qu’est la vertu héroïque. Elle consiste, ce me semble, en un degré de perfection qui dépasse ce que l’on peut rencontrer dans le [1272] commun des âmes, même ferventes, et spécialement, pour le cas qui nous occupe, dans la vie d’une religieuse édifiante.

Je n’ai pas le moindre doute sur le caractère d’héroïcité des vertus de soeur Thérèse de l’Enfant Jésus. Ce que je lui ai vu faire dépasse ce que l’on peut observer, même chez les meilleures. Entre autres caractères d’héroïcité j’ai remarqué :

1 que chez les meilleures religieuses on observe fatalement des moments d’oubli, des échappées de nature, quelque ralentissement dans la ferveur. Chez soeur Thérèse rien de semblable. Quoique j’aie vécu avec elle dans une intimité constante, jamais je n’ai pu saisir le moindre fléchissement dans sa fidélité et dans la générosité de sa conduite.

2 Ce qui me parait accentuer encore l’héroïcité de sa vertu, c’est qu’elle vécut au Carmel dans un temps où tout était en désarroi dans la communauté. Il s’y était formé des partis sous l’influence de mère Marie de Gonzague ; on y manquait donc beaucoup à la charité. La régularité et le silence y étaient mal observés. Dans un pareil milieu, pour se maintenir dans une fidélité parfaite, comme le fit toujours soeur Thérèse de l’Enfant Jésus, il fallait remonter un courant, résister à l’entraînement général, ce qui exigeait une vertu vraiment extraordinaire.

3 Ayant trois de ses soeurs et une cousine germaine dans la communauté, et la plus aimée de ces soeurs se trouvant même comme prieure à la tête de la communauté, il lui eût été très facile et comme naturel de s’accorder, sans manquer à la Règle, bien des satisfactions. Or, elle ne le [1273] fit jamais à ma connaissance ; bien au contraire, elle semblait aller de préférence avec les autres religieuses. Or, tout l’ensemble de sa vie montre l’extrême délicatesse de son affection pour ses propres soeurs et notamment pour mère Agnès de Jésus, sa " petite mère ". Ce n’est donc pas par indifférence de caractère qu’elle agissait ainsi, mais par un détachement surnaturel et vraiment héroïque dans les circonstances.

4 On me demande en quelles vertus cette héroïcité me semble plus marquée, je réponds que l’héroïcité de sa vertu me parait particulièrement remarquable :

1 Dans la continuité et l’intensité de son recueillement et de son union affectueuse avec Dieu. Je crois très vrai, ce qu’elle a avoué d’ailleurs, que la pensée de Dieu était en elle ininterrompue.

II Dans la fidélité généreuse avec laquelle, pour faire plaisir au bon Dieu et lui gagner des âmes, elle mettait à profit toutes les occasions providentielles de faire des sacrifices.

III Dans la pratique de la charité envers les soeurs, comme je l’ai expliqué dans les réponses précédentes.

IV Enfin dans son humilité.

[Réponse à la quarante-huitième demande] :

Le calme et la pondération étaient des qualités saillantes de la Servante de Dieu.

[Réponse à la quarante-neuvième demande] :

Les dons surnaturels, miracles, extases, etc., que l’on admire ordinairement dans la vie des saints, ne furent pas [1274] le partage de la Servante de Dieu : sa vie, ici-bas, ne sortit pas de l’ordinaire ; c’est là son cachet particulier qui la rend imitable et accessible à tous. Le bon Dieu lui faisait sentir qu’il le voulait ainsi pour la donner comme modèle aux nombreuses âmes qui marchent par la voie commune dans la nuit de la foi. Elle m’en parlait quelquefois avec sa simplicité habituelle. Je me souviens qu’un jour je lui exprimai le désir que sa mort eût lieu pendant son action de grâces après la sainte communion : " Oh ! non-répondit-elle vivement -, ce n’est pas ainsi que je désire mourir, ce serait une grâce extraordinaire qui découragerait les ‘petites âmes’ parce qu’elles ne pourraient pas imiter cela ! Il faut qu’elles puissent tout imiter en moi ".

Son haut degré de perfection, d’union à Dieu, et aussi sa grande intelligence naturelle la rendaient très perspicace, de sorte que bien souvent je crus qu’elle avait le don de lire dans mon âme. Je lui en fis la remarque et elle me répondit : " Je n’ai pas du tout ce don, mais voici mon secret : je ne vous fais jamais d’observations sans invoquer la Sainte Vierge, je lui demande de m’inspirer ce qui doit vous faire le plus de bien ; après cela, je vous avoue que souvent je suis moi-même étonnée de certaines choses que je vous dis sans réflexion de ma part. Je sens seulement que je ne me trompe pas, et que c’est la volonté du bon Dieu que je vous les dise ".

J’ai souvent reçu des grâces de force bien nécessaires pour résister à de violentes tentations, au moment précis où la Servante de Dieu priait pour moi.

Il m’arriva un jour un fait assez extraordinaire : je n’étais pas contente de ce qu’elle n’avait pas [1275] voulu me recevoir alors que j’avais été la trouver en temps inopportun. Je voulus lui faire sentir ma mauvaise humeur, en ne lui parlant pas de la journée. Le soir, elle vint me trouver, et comme je me disposais à lui faire des reproches, je fus soudainement saisie d’un sentiment surnaturel qui changea complètement mes dispositions ; j’étais comme sous l’action d’une force supérieure qui me contraignait Lavement à lui faire des excuses et me faisait comprendre que je ne traitais pas avec une personne quelconque, mais avec une sainte particulièrement aimée de Dieu. Depuis lors, dans mes rapports avec elle, je ne pus me détendre d’un certain respect mêlé d’une admiration chaque jour grandissante pour cet ange de vertu.

[Réponse à la cinquantième demande] :

A ma connaissance, la Servante de Dieu n’a fait aucun miracle pendant sa vie.

[Réponse à la cinquante-et-unième demande] :

La Servante de Dieu a composé, par obéissance, le manuscrit de sa vie ; elle a aussi écrit diverses poésies, surtout à l’occasion des fêtes du monastère ; elle a enfin écrit un certain nombre de lettres de spiritualité adressées surtout à ses soeurs. Ces écrits ont été imprimés et sont répandus dans le public. Personne, à ma connaissance, n’y a rien relevé, jusqu’à présent, qui soit contraire à la saine doctrine ou à la perfection. Bien loin de là, la lecture de ces écrits exerce sur les âmes une très bonne influence pour les porter à la vertu et à la perfection.

 

[1276] [Réponse à la cinquante-deuxième demande] :

Depuis son double crachement de sang, fin du carême 1896, la santé de la Servante de Dieu déclina rapidement. Les médecins, messieurs La Néele et de Cornière déclarèrent qu’il n’y avait rien de grave, du moins pour le moment. Ils conseillèrent des frictions et des pointes de feu. Ce traitement des frictions fut particulièrement pénible à la Servante de Dieu. Chaque matin, au réveil, soeur Geneviève allait lui frictionner tout le corps avec sa ceinture de crin ; mais loin de lui faire du bien, cette opération achevait de l’épuiser, et la laissait courbaturée pour toute la journée. Les pointes de feu la firent aussi beaucoup souffrir ; le docteur lui en fit jusqu’à 500 en une fois. La Servante de Dieu pourtant ne se plaignait pas et se laissait traiter comme on voulait ; elle suivait même tous les exercices de la communauté, et, comme je l’ai dit en répondant sur la vertu de force, elle ne s’arrêta que lorsqu’elle fut tout à fait à bout, en juin 1897.

A ce moment mes rapports cessèrent presque complètement avec soeur Thérèse de l’Enfant Jésus, parce qu’on m’enleva ma charge d’aide-infirmière et qu’il fut interdit aux novices d’aller lui parler pour ne pas la fatiguer. Je n’eus donc plus d’épanchement seule à seule avec elle. Cette privation me fut très pénible. Je lui écrivis ma peine à ce sujet, et voici le billet qu’elle m’envoya :

6 juin 1897,

ma chère petite soeur, votre lettre me réjouit l’âme, je vois bien que je ne me suis pas trompée en pensant que le bon Dieu vous appelle à être une grande [1277] sainte tout en restant petite, et le devenant chaque jour davantage. Je comprends très bien votre peine de ne plus pouvoir me parler, mais soyez sûre que je souffre aussi de mon impuissance et que jamais je n’ai si bien senti que vous tenez une place immense dans mon coeur. Vous voulez savoir si j’ai de la joie d’aller en paradis ? j’en aurais beaucoup si j’y allais (si le moment était vraiment venu pour moi de mourir), mais la maladie est une trop lente conductrice ; je ne compte plus que sur l’amour (pour me procurer le bienfait de la mort). Demandez au bon Dieu que toutes les prières qui sont faites pour moi servent à augmenter le feu qui doit me consumer " 68.

Les deux parenthèses que j’ai fait ajouter, sont de moi, témoin, pour préciser la pensée de la Servante de Dieu.

Un jour, n’en pouvant plus de ce qu’on me tenait éloignée d’elle, j’allai à l’infirmerie et j’exhalai mes plaintes tout haut devant une de ses soeurs. Cette plainte fit de la peine à la Servante de Dieu, et elle me renvoya en me reprochant sévèrement mon manque de vertu. Le soir, elle me fit remettre ce billet : " Ma chère petite soeur, je ne veux pas que vous soyez triste ; vous savez quelle perfection je rêve pour votre âme, voilà pourquoi je vous ai parlé sévèrement... Je vous aurais consolée doucement si vous n’aviez pas dit tout haut votre peine, et si vous l’aviez gardée dans votre coeur tout [1278] le temps que Dieu l’aurait permis... " 69.

Une autre fois, sentant l’immense besoin d’aller me consoler près d’elle, je me rendis à l’infirmerie, mais une soeur m’empêcha assez durement d’y pénétrer. Alors j’allai devant le Saint Sacrement, et là ma peine s’évanouit complètement pour faire place à une joie toute céleste : j’étais heureuse de voir tous les appuis de la terre me faire défaut. Quelques jours après cette grâce, j’eus occasion de dire à soeur Thérèse de l’Enfant Jésus : " Ne vous inquiétez plus de moi, je n’ai plus de peine... ". " Que Jésus est bon - me dit-elle - d’exaucer ainsi mes prières pour vous ".

Le 12 août, jour de mes 23 ans, elle m’écrivait sur une image d’une main tremblante : " Que votre vie soit toute d’humilité et d’amour, que bientôt vous veniez où je vais... dans les bras de Jésus ".

Ayant trouvé un livre illustré rempli d’histoires récréatives, je le lui portai à l’infirmerie pour la distraire, mais elle le refusa, en disant : " Comment pouvez-vous penser que ce livre puisse m’intéresser : je suis trop près de mon éternité pour vouloir m’en distraire ".

Monsieur le docteur de Cornières venait très souvent la voir ; il assurait qu’elle souffrait un vrai martyre, et disait qu’il n’y avait rien à faire.

Trois jours avant sa mort, je la trouvai en proie à de telles angoisses que j’en étais douloureusement impressionnée. Elle me dit péniblement : " Ah ! si je n’avais pas la foi, jamais je ne pourrais supporter tant de souffrances ! Je suis étonnée qu’il n’y en ait pas davantage parmi les athées qui se donnent la mort ". [1279] Témoin de son héroïque patience, je me laissai aller à lui dire, un jour, qu’elle était un ange : " Oh ! - reprit-elle - les anges ne sont pas si heureux que moi ! ". Elle voulait dire que les anges n’avaient pas comme elle le bonheur de souffrir pour le bon Dieu.

Le jour de sa mort, vers trois heures de l’après-midi, j’allai voir la Servante de Dieu. A ce moment son agonie était terrible. Elle s’écriait d’une voix que la douleur rendait claire et forte : " O mon Dieu ! que je souffre ! le calice est plein jusqu’au bord... jamais je ne vais savoir mourir ! " - Courage-lui dit notre mère -, vous touchez au terme ". - " Non, ma mère, ce n’est pas encore fini... Je vais encore souffrir ainsi pendant des mois peut-être... ". - " Et si c’était la volonté du bon Dieu de vous laisser ainsi longtemps sur la croix - reprit notre mère-, l’accepteriez-vous ? ". Alors avec un accent sublime elle répondit : " Je le veux bien ". Je quittai à ce moment l’infirmerie et n’y revins que le soir quand on rappela la communauté. Je fus alors témoin de sa dernière extase au moment où elle mourut. Tout se passa comme il est rapporté au douzième chapitre de sa vie. C’était le 30 septembre 1897, à sept heures du soir.

[Session 65 : - 28 septembre 1916, à 9h. et à 2h. de l’après-midi]

[1282] [Réponse à la cinquante-troisième demande] :

Aussitôt après sa mort, le visage de la Servante de Dieu devint remarquablement beau, un sourire céleste l’animait, je ne l’avais vue jamais si belle pendant [1283] sa vie : ses traits exprimaient la paix et la béatitude.

Elle nous avait dit qu’il ferait beau temps le jour de sa mort ; or, toute la journée du 30 septembre, le temps fut froid et pluvieux ; mais aussitôt qu’elle eut rendu le dernier soupir, tous les nuages se dissipèrent immédiatement et des myriades d’étoiles apparurent ; on aurait dit que tout le ciel était en fête.

Quand soeur Thérèse de l’Enfant Jésus fut exposée à la grille du choeur (selon l’usage), bien des personnes vinrent la voir et lui faire toucher par dévotion des objets de piété. A ce moment il m’arriva un fait assez singulier. Contrairement à ce que m’avait demandé la Servante de Dieu, je ne cessais de pleurer et ne pouvais me consoler de sa mort. Or, m’approchant d’elle pour lui faire toucher un chapelet qu’une personne venait de me donner, elle le retint entre ses doigts. Bien délicatement, je les soulevai pour le reprendre ; mais à mesure que je le dégageais d’un doigt, il était immédiatement repris par un autre doigt. Je recommençai ainsi cinq ou six fois sans résultat. Ma petite soeur Thérèse me disait intérieurement : " Tant que vous ne me ferez pas un sourire, je ne vous le rendrai pas ". Et moi, je lui répondais : " Non, j’ai trop de chagrin, j’aime mieux pleurer ". Cependant les personnes qui étaient à la grille se demandaient ce que je pouvais bien faire si longtemps (il y avait peut-être cinq minutes que cela durait), j’en étais très ennuyée et je suppliais ma petite Thérèse de me laisser emporter le chapelet ; je tirai même dessus pour l’avoir par force. Ce fut inutile, c’est comme si elle avait eu des doigts de fer pour le retenir, et pourtant ses [1284] doigts étaient demeurés très souples. A la fin, n’en pouvant plus, je me mis à sourire... C’est ce qu’elle voulait, car aussitôt elle lâcha le chapelet d’elle-même, et il se trouva dans mes mains sans que j’eusse besoin de tirer dessus.

[Cette interprétation du fait, vous est-elle venue à l’esprit au moment même ou bien lorsque vous vous en êtes souvenu ? - Réponse] :

C’est au moment même que je fis cette constatation et l’interprétai de cette sorte.

[Pourquoi n’avez-vous pas déclaré ce fait dans votre première déposition ? - Réponse] :

J’étais alors un peu intimidée, et surtout je pensais qu’il n’y avait pas lieu d’insister sur un fait minime et tout à fait personnel au milieu de tant d’autres faits beaucoup plus importants.

[Réponse à la cinquante-quatrième demande] :

L’inhumation s’est faite en dehors de la clôture, au cimetière de la ville, je n’y ai donc pas assisté, et je n’ai pas entendu dire que rien de particulier s’y soit produit.

[Réponse à la cinquante-cinquième demande] :

Je n’ai rien remarqué de particulier.

[Réponse à la cinquante-sixième demande] :

Il se fait de nombreux pèlerinages au tombeau de la Servante de Dieu, surtout depuis l’ouverture des Procès pour la béatification. Je le sais par les [1285] lettres que nous recevons au Carmel ou par les relations qu’on nous en fait au parloir. Ce mouvement au lieu de se ralentir devient de plus en plus important. Il y a dans ces pèlerinages, non seulement des gens du peuple, mais beaucoup de personnes graves et instruites, des officiers, des prêtres, des évêques, etc. Monseigneur l’archevêque d’Aix y est venu ces jours derniers pour la seconde fois, etc., etc. Je ne sache pas qu’on ait jamais rien fait pour exciter ce mouvement.

[Réponse à la cinquante-septième demande] :

Pour moi, dès mon entrée au Carmel, j’ai toujours considéré comme héroïque la sainteté de soeur Thérèse de l’Enfant Jésus. Je la regardais agir avec admiration, et je me rappelle qu’écrivant à mes parents et amis du monde, je leur faisais part de mes impressions à son sujet, ajoutant que je m’étonnais qu’une telle perfection puisse exister sur la terre, et qu’à cause de cela j’étais persuadée que ma sainte petite compagne s’envolerait bientôt au ciel.

Dans cette persuasion, je gardais soigneusement comme des reliques tout ce qu’elle me donnait. Ayant obtenu la permission de lui couper les cheveux, je les conservais au lieu de les brûler, dans la conviction qu’ils serviraient à opérer des miracles après sa mort.

Les trois soeurs de la Servante de Dieu qui la connaissaient, elles aussi, intimement, partageaient ma vénération. Pour le reste de la communauté, soeur Thérèse passait plutôt inaperçue à cause de sa grande simplicité et de son humilité. Quand pourtant on attirait [1286] l’attention des religieuses sur la conduite de la Servante de Dieu, toutes, ou à peu près, reconnaissaient la perfection exceptionnelle de ses vertus.

Ce qui nuisait aussi à la juste appréciation des vertus héroïques de soeur Thérèse de l’Enfant Jésus, c’est que plusieurs religieuses étendaient jusqu’à elle l’animosité qu’elles ressentaient contre ce groupe des quatre soeurs Martin, comme elles appelaient dédaigneusement soeur Thérèse de l’Enfant Jésus et ses soeurs. Ce mouvement d’antipathie avait été éveillé et était entretenu par mère Marie de Gonzague. C’était pourtant elle qui avait tout fait pour favoriser l’entrée des quatre soeurs dans la communauté ; mais son caractère jaloux lui fit regretter amèrement cette démarche. Les qualités supérieures de ces sujets d’élite lui portèrent Ombrage et elle mit tout en oeuvre pour empêcher la communauté de les apprécier. Sa conduite, pour y arriver, fut souvent inique, et notre révérende mère Agnès de Jésus fut en particulier, pendant son priorat, la victime de sa triste passion. Elle l’avait pourtant elle-même fait nommer prieure, parce qu’elle était persuadée que mère Agnès, d’un caractère très doux, se laisserait entièrement dominer par elle. Quand elle vit que sous cette douceur se cachait une fermeté de caractère qui s’imposait à la communauté, elle changea entièrement de dispositions vis-à-vis de mère Agnès.

La Servante de Dieu lui portait moins ombrage, parce qu’elle était toute jeune, et restait dans sa dépendance en qualité de novice ; c’est pourquoi, bien que la traitant sévèrement, elle savait reconnaître ses [1287] vertus et disait avec admiration qu’elle n’avait jamais rencontré tant de maturité et de sainteté réunies dans une si jeune religieuse. Au fond, c’était la pensée intime de toute la communauté, à part deux ou trois mauvais esprits qui ne sont plus dans la communauté, et qui d’ailleurs ont changé d’avis après la mort de la Servante de Dieu. Mère Marie de Gonzague a exprimé devant moi ces appréciations favorables ; elle m’a même dit plusieurs fois : " S’il y avait à choisir une prieure dans toute la communauté, sans hésiter je choisirais soeur Thérèse de l’Enfant Jésus, malgré son jeune âge. Elle est parfaite en tout ; son seul défaut est d’avoir ses trois soeurs avec elle ".

La vie de la Servante de Dieu fut publiée quelques mois seulement après sa mort, en 1898. L’effet produit dans les âmes par cette lecture fut merveilleux. Les lettres que nous avons conservées en font foi. La confiance en cette nouvelle petite sainte (comme on l’appelait), gagna vite les coeurs ; on nous demandait de ses reliques (vêtements, étoffes, etc.), des neuvaines de prières pour solliciter son intercession ; d’autres témoignaient déjà de son crédit auprès de Dieu, en nous faisant le récit des grâces qu’ils en avaient reçues.

A mesure que sa vie fut plus connue, la dévotion envers elle progressa. En 1910, la moyenne des lettres reçues au Carmel atteignait cent par jour. En juillet 1914, le nombre atteignait trois cent cinquante à quatre cents lettres par jour. Depuis la guerre ce nombre s’est à peu près maintenu, bien [1288] que la correspondance soit arrêtée avec les pays envahis. Le contenu d’une partie de ces lettres jusqu’en 1913 inclusivement a été publié dans quatre brochures intitulées : " Pluie de roses ". Ces quatre volumes in 8 forment un total de 1365 pages, contenant 1488 des principales grâces obtenues par l’intercession de la Servante de Dieu. Depuis la fin de 1913, nous n’avons plus rien publié de ce genre à cause du Procès Apostolique, et néanmoins ce silence n’a pas ralenti la dévotion des fidèles envers soeur Thérèse de l’Enfant Jésus.

Depuis que le Souverain Pontife a approuvé une médaille de la Servante de Dieu, il y a eu dans l’espace de 13 mois un écoulement de 1.002.300 médailles. De juillet 1915 à juillet 1916, nous avons dû faire tirer 4.118.500 images.

[Suite de la réponse à la cinquante-septième demande] :

Nous avons reçu 460 plaques votives de marbre, que [1289] nous tenons en réserve dans l’intérieur du monastère.

On nous a envoyé de l’armée, comme témoignage de reconnaissance envers la Servante de Dieu, 14 croix de la Légion d’honneur, 33 croix de guerre, etc.

L’oeuvre de la " Bonne Presse ", ayant ouvert une souscription pour fournir des autels portatifs aux prêtres militaires, 240 de ces autels ont été offerts avec mention de reconnaissance ou d’invocation envers soeur Thérèse de l’Enfant Jésus, bien que l’appel à cette souscription ne portât aucune mention de la Servante de Dieu.

On envoyait jusqu’à ces derniers temps des offrandes pour faire brûler des cierges devant la statue de la Sainte Vierge qui sourit miraculeusement à soeur Thérèse ; nous avons dû faire imprimer un avis pour arrêter ces demandes qui devenaient trop nombreuses et auxquelles nous ne pouvions plus satisfaire. En un seul mois, nous avions reçu jusqu’à 780 francs à cette intention.

Les messes qu’on nous demande de faire dire pour obtenir la béatification augmentent chaque jour en nombre, bien que nous ne fassions rien pour les solliciter. Depuis janvier de cette année jusqu’à ce jour (28 septembre) il nous a été demandé 87.500 messes.

Le vice-postulateur, qui s’est abonné par nécessité, à l’ " Argus de la Presse ", nous a communiqué récemment 600 coupures de revues et journaux parlant de soeur Thérèse de l’Enfant Jésus.

[Avait-on l’intention, par cette profusion d’images et de médailles, de se servir des libraires pour répandre la renommée de sainteté de la Servante de Dieu ? - Réponse] :

[1290] Je suis précisément chargée des relations avec les éditeurs de ces images et de ces médailles. Je puis affirmer en toute vérité qu’on ne les édite que pour répondre à des demandes spontanées déjà faites, et qu’il nous est même impossible d’y satisfaire.

A maintes reprises, des éditeurs ou des particuliers nous ont sollicitées de les autoriser à se faire propagandistes de ces images ou de ces médailles et de leur en fournir les moyens, par exemple en leur remettant des prospectus à distribuer, etc. J’ai dû répondre que soeur Thérèse faisant elle-même sa propagande, et ne pouvant suffire nous-mêmes aux demandes spontanées qui nous sont faites, nous n’avons pas besoin de recourir à d’autres moyens.

[Pourquoi à la fin de chaque exemplaire de la Vie de la Servante de Dieu a-t-on joint un catalogue de ces images et médailles avec le prix correspondant ?- Réponse] :

Ce n’est pas pour faire de ces catalogues un moyen de propagande, mais c’est pour nous dispenser de répondre individuellement à une foule de demandes touchant les articles édités sur la Servante de Dieu.

[Suite de la réponse] :

Ce n’est pas seulement au loin que notre chère petite soeur accomplit sa promesse de passer son ciel à faire du bien sur la terre. La communauté est en premier lieu l’objet de sa protection sensible. On peut dire qu’elle a vraiment transformé la communauté. Chacune de nous s’exerce à l’imiter, à marcher dans sa " petite voie d’enfance spirituelle ", de " confiance " et d’ " abandon [1291] ". Non seulement on ne trouverait plus, dans notre Carmel, aucune trace de ces irrégularités, de cet esprit de parti dont il souffrait autrefois, mais au contraire, la régularité, la charité et la ferveur y règnent de la manière la plus édifiante, et cela précisément par l’influence de notre dévotion à soeur Thérèse de l’Enfant Jésus.

[Réponse à la cinquante-huitième demande] :

Je ne connais aucun cas particulier d’opposition à cette réputation de sainteté et de miracles.

[Réponse de la cinquante-neuvième à la soixante-cinquième demande inclusivement] :

Je me reconnais personnellement redevable à la Servante de Dieu d’un certain nombre de faveurs tendant toutes à ma perfection et qui paraissent supposer une intervention merveilleuse de sa part. En voici un exemple : J’avais fait à notre robe un gros pli solidement cousu pour m’éviter de le former chaque matin. Je n’en avais pas la permission, et néanmoins ne pouvais me décider à le défaire. Je demandai à soeur Thérèse de venir elle-même défaire ce pli s’il lui déplaisait. A ma grande stupéfaction, je m’aperçus le lendemain matin que ce pli était entièrement décousu et qu’il ne restait pas trace de fil.

Soeur Thérèse de l’Enfant Jésus me fit sentir plusieurs fois des parfums mystérieux, presque toujours accompagnés de grâces intimes et spirituelles. Le fait le plus notable de ce genre que je puisse relater est celui du parfum d’encens qu’exhala une planche pourrie dont j’ignorais la provenance et que l’on reconnut [1292] ensuite pour un fragment détaché du cercueil de la Servante de Dieu, lors de l’exhumation de 1910.

Mais c’est surtout mon âme que soeur Thérèse de l’Enfant Jésus continue de protéger. Dans ma vie spirituelle, je sens son assistance à chaque instant. Son souvenir ne me quitte pas et je m’applique à l’imiter en tout, persuadée qu’elle est vraiment l’idéal de perfection.

La Servante de Dieu m’avait promis quelques jours avant sa mort, qu’elle s’occuperait de ma famille. Mes parents ont en effet senti visiblement son assistance en diverses épreuves très pénibles qu’ils eurent à supporter. J’ai la certitude qu’elle a assisté mon père et ma mère au moment de leur mort. Mon père mourut le 30 octobre 1912. Quelques jours auparavant j’avais confié à soeur Thérèse de l’Enfant Jésus le soin de me remplacer auprès de lui. Or il m’a été rapporté qu’il fut subitement soulagé deux ou trois fois dans ses grandes crises de souffrances par la seule invocation de la Servante de Dieu. La nuit qui précéda sa mort, ma soeur aînée venant s’informer s’il avait besoin de quelque chose, il la remercia par ces paroles : " Je n’ai besoin de rien, je suis en la compagnie de la petite soeur Thérèse ". Ma mère mourut le 23 juin 1915 ; pour elle aussi j’avais chargé ma petite Thérèse de me remplacer près d’elle, et de lui obtenir la grâce de mourir dans un acte d’amour parfait. Or, le 23 juin, vers 2 ou 3 heures du matin, je fus réveillée comme par un soupir très douloureux. J’eus l’impression que maman souffrait beaucoup et avait besoin de prières. Alors, je me mis à prier avec beaucoup [1293] de ferveur jusque vers 5 heures. J’étais parfaitement éveillée et demandais à soeur Thérèse de l’Enfant Jésus de faire faire à ma mère cet acte d’amour parfait que je demandais. Vers 5 heures, j’entendis distinctement un Magnificat splendide et triomphal où je reconnus au milieu de voix d’enfants la voix de mon père. J’eus la persuasion que c’était l’heure de la mort de maman et de son entrée au ciel. Or, quelques heures plus tard, vers 8 heures du matin, on vint m’annoncer que ma mère était morte précisément quelques minutes avant cinq heures.

Dans notre communauté, ma soeur Jeanne Marie de l’Enfant Jésus a été l’objet d’une intervention merveilleuse de la Servante de Dieu qui, pour récompenser un acte de charité que pratiquait cette soeur, acheva miraculeusement le travail pénible qu’elle s’était imposé. Il s’agissait de remplir d’eau le réservoir de la cuisine. Je n’ai pas vu moi-même le fait, mais j’en ai entendu faire l’exposé quelques heures après par les deux témoins directs du prodige.

Je sais aussi, pour avoir lu une relation qu’il en a faite à notre mère prieure, que notre sacristain, Pierre Derrien, a reçu des grâces très signalées de la Servante de Dieu. On peut ajouter foi à son témoignage, car c’est un homme vertueux et très édifiant ; tous ceux qui le connaissent sont unanimes à le dire.

Il serait impossible de mentionner tous les faits prodigieux dont nous recevons journellement le récit. Pendant cette guerre, en particulier, soeur Thérèse de l’Enfant Jésus multiplie les preuves de sa [1294] puissante intercession. Je me bornerai à proposer au Tribunal deux traits parmi les autres.

Monseigneur Bonnefoy, archevêque d’Aix (France), est venu il y a trois ans en pèlerinage sur la tombe de soeur Thérèse de l’Enfant Jésus, poussé par une de ses connaissances ; mais il n’avait pas pour elle de dévotion marquée. Or, en visitant la cellule de la Servante de Dieu, il sentit nettement sa présence réelle, et depuis, soeur Thérèse est devenue son amie, sa sainte de prédilection.

Ces jours derniers, il est venu à Lisieux faire un nouveau pèlerinage. Au cours de sa visite, il a dit à notre révérende mère, qui me l’a rapporté : " Ma mère, je ne puis mieux traduire mes impressions personnelles sur soeur Thérèse, qu’en affirmant que depuis trois ans je vis intimement avec elle : c’est une présence réelle que j’éprouve, elle ne me quitte jamais ".

En janvier 1916, ce même monseigneur Bonnefoy, archevêque d’Aix, a adressé à notre révérende mère la relation d’une protection miraculeuse dont il avait été l’objet. Je communique au Tribunal l’autographe même de cette relation.

[Le témoin présente au juge et au sous-promoteur l’autographe même de ce document, à savoir : la lettre de l’archevêque, écrite et signée de sa main, ainsi que l’enveloppe adressée à la mère prieure du Carmel de Lisieux, dont le timbre est frappé du cachet de la poste. Après avoir reconnu l’authenticité du document, le juge et le sous-promoteur m’ont ordonné de le transcrire aussitôt, comme suit, en omettant certains passages sans rapport avec la question] :

" Archevêché d’Aix.

Aix, le 16 janvier 1916.

Ma révérende mère,

Vous désirez un mot de moi sur cette protection que j’ai instinctivement attribuée à la soeur Thérèse de l’Enfant Jésus, le voici :

Ayant acheté un ancien pensionnat religieux pour le sauver d’une affectation laïque, et en faire la résidence épiscopale, je surveillais les travaux d’appropriation. La cage de l’escalier est étroite, la montée est raide, surtout entre le premier et le second étage. Cette montée est divisée, non en contour mais en paliers carrés ; il n’y avait pas encore de rampe entre le premier et le second étage. Je descendais entre le second et le premier étage, regardant au plafond, songeant à la peinture, persuadé qu’au premier palier j’avais à tourner à droite et non à gauche. Mon pied était à moitié dans le vide, devant une profondeur de 12 à 15 mètres, lorsque l’impression d’un doigt sur mon épaule m’a fait regarder à côté de moi, et m’a fait voir que, pour éviter le vide, il fallait tourner à gauche et non à droite ; une voix intérieure [1296] mais bien distincte m’a dit : " C’est elle ". Je l’invoque chaque jour après mon action de grâces, après le Sacrosanctae qui achève Complies, et à la prière du soir ; je n’ai donc que suivi la pensée en lui attribuant ce geste, qui m’a paru sensible et caractérisé : l’impression d’un doigt s’appuyant sur mon épaule gauche, et attirant mon regard sur le sol que j’allais abandonner. Assurément rien de cela ne peut toucher à la gloire extérieure de soeur Thérèse, mais ma conviction demeure avec ma gratitude. - Signatum : + FRANÇOIS, archevêque d’Aix ".

L’autre fait nous a été rapporté, dans une série de lettres adressées soit à sa famille, soit au Carmel, par monsieur le commandant Édouard de la Tour. Il s’agit de la canonnière de guerre " La Suzanne Céline " qui fut sauvée du naufrage par soeur Thérèse, le 17 mars 1916.

[Le témoin présente ces lettres au tribunal ; avec l’approbation du juge et du sous-promoteur en sont extraits les passages suivants] :

" Le commandant Édouard de la Tour avait consacré son navire La Suzanne Céline à soeur Thérèse de l’Enfant Jésus, ayant soin d’y mettre son portrait en place d’honneur. [1297] Sur la côte Nord-Ouest de l’Espagne, près du cap Ortégal, La Suzanne Céline, prise à l’improviste par une tempête épouvantable, faillit être engloutie sous les vagues ‘hautes comme la maison’, prenant l’eau de toutes parts, sans feux, les obus à la mélinite sortis de leurs cases, s’entrechoquant au roulis, rendant comme inévitable une explosion, etc. Son commandant promit alors une neuvaine à soeur Thérèse, si elle sauvait son bateau de ce péril imminent. Or, écrivait à sa tante et à sa mère le commandant de la Tour, en date du 17 mars 1916, elle nous a tous sauvés, et m’a guidé, comme du bout du doigt, dans cette passe difficile que j’ai dû faire ".

Il dut le lendemain 18 quitter d’urgence le petit port espagnol de La Corogne, où il s’était réfugié, et poursuivant son récit : " J’ai fait appareiller de suite, et je me suis lancé seul sans pilote, dans la passe. Il est vrai que j’avais à bord le meilleur pilote possible, en la personne de la petite soeur Thérèse. Jamais sans elle nous ne serions arrivés à cela, il faut qu’on l’ait bien priée avec moi, car sans elle nous serions tous au fond de l’eau ". - Signatum : Commandant EDOUARD DE LA TOUR.

Le 26 septembre 1916, le commandant de la Tour, retour du Maroc en congé de convalescence, envoyait au Carmel la lettre ci-jointe, avec la flamme de guerre qui flottait au grand mât de La Suzanne Céline quand il la commandait, rappelant la tempête du 17 mars.

 

[1298] " Château de la Hamerie, Saint Pavace, près le Mans.

(26 septembre 1917, timbre de la poste).

Ma révérende mère,

Je viens d’arriver du Maroc, en congé de convalescence, et j’en profite pour vous adresser par ce même courrier, en témoignage de reconnaissance à la bonne petite soeur Thérèse de l’Enfant Jésus, la flamme de guerre qui flottait au grand mât du chalutier de guerre La Suzanne, quand je la commandais. J’avais, à mon départ en campagne, mis mon navire sous la protection de la bonne petite soeur, en laquelle j’ai la plus grande dévotion ; sa protection s’est manifestée de façon évidente en maintes occasions, mais plus particulièrement pendant la tempête subie dans la nuit du 17 mars. Je sais que mes parents auxquels j’avais adressé le récit de cette tempête et de nos angoisses, au cours de cette lutte contre une mer démontée, vous ont communiqué ma lettre qui n’est qu’une copie des faits rigoureusement exacts, mentionnés à mon journal de bord.

Je considère que sans la bienheureuse intervention de notre petite protectrice, nous étions perdus, car les pompes ne fonctionnant plus, mon navire s’emplissait à chaque coup de mer, et l’eau gagnait peu à peu les fourneaux ; j’attendais à chaque minute la lame qui allait nous engloutir, et c’est miracle que nous ayons pu dans ces conditions prolonger la lutte et atteindre le [1299] port de relâche. A dater de ce jour, j’ai distribué à tous mes hommes des médailles de la bonne petite soeur, et j’en ai placé une autre sur ma passerelle de commandement.

Je serais heureux que ce faible témoignage de reconnaissance, joint à ceux de tant d’autres, comblés eux aussi de bienfaits, puisse servir la cause de la sainte petite soeur Thérèse. Veuillez agréer, etc.

Signatum : E. DE LA TOUR, lieutenant au long cours "

[Réponse à la soixante-sixième demande] :

Il me semble que j’ai dit tout ce que je pouvais me rappeler, et je ne vois rien à ajouter ni à changer.

[1300] [Au sujet des Articles, le témoin dit ne savoir que ce qu’il a déjà déposé en répondant aux demandes précédentes. - Est ainsi terminé l’interrogatoire de ce témoin. Lecture des Actes est donnée. Le témoin n’y apporte aucune modification et signe comme suit] :

Signatum : SOEUR MARIE DE LA TRINITÉ, religieuse carmélite indigne, témoin,

j’ai déposé comme ci-dessus selon la vérité, je le ratifie et je le confirme.

 

 

CO-TEMOIN I D’OFFICE

JEANNE-MARIE DE L’ENFANT-JESUS, O.C.D.

Le premier témoin d’office est une humble soeur converse du Carmel de Lisieux, une conquête de Thérèse, qu’elle n’a pas connue pendant sa vie.

Il s’agit de Jeanne-Marie Halgand, née à Crossac (diocèse de Nantes) le 17 octobre 1886. Guérie de ses scrupules par Thérèse, elle entra sous son inspiration au Carmel de Lisieux le 11 novembre 1905 ; elle y prit l’habit en la fête de Sainte Thérèse, le 15 octobre 1906, et reçut le nom de Jeanne-Marie de l’Enfant-Jésus ; sa profession eut lieu le 17 octobre de l’année suivante. Son entrée au Carmel coïncidait donc avec le moment où le rayonnement de Thérèse commençait à se faire plus fortement sentir dans le monde.

Le témoignage de l’humble soeur révèle un aspect mystérieux de cette influence : une aide spirituelle dans les voies de Dieu. Il s’agit - comme l’affirme cette soeur - d’une expérience de la présence de Thérèse qui stimule à aller à Dieu par la pratique généreuse de l’abandon et de la charité théologale.

Les interventions de la sainte, éducatrice et formatrice de ses soeurs même après sa mort, rappellent la célèbre " voie sûre " du prodige bien connu de Gallipoli (cfr. I, p. 56t). Soeur Jeanne-Marie, elle aussi, nous donne véritablement l’indication concrète d’une voie, elle nous répète le conseil de fidélité et de générosité, et nous invite à un don de nous-mêmes paisible et constant au Seigneur toujours présent.

C’est pourquoi nous pensons que les paroles de soeur Jeanne-Marie, bien qu’elle n’ait pas connu la sainte de son vivant, ont une valeur spéciale car elles nous montrent que Thérèse était réellement dans son Carmel pour stimuler à la sainteté, et que son souvenir, loin de conduire au sentimentalisme, éduquait à la force, qui était la note caractéristique le son magistère ici-bas.

Le témoin a déposé le 29 septembre 1916, au cours de la session 66, et sa déposition se trouve aux pages 1307-1313 le notre Copie publique.

[Session 66 : - 29 septembre 1916, à 9h.]

 

[1307] [Le témoin répond correctement à la première demande].

[Réponse à la deuxième demande] :

Je m’appelle Jeanne-Marie Halgand, née à Crossac, diocèse de Nantes, le 17 octobre 1886, de Denis Halgand, pêcheur, et de Marie Modeste Poulo. Je suis religieuse du Carmel de Lisieux, où j’ai fait profession le 17 octobre 1907.

[Le témoin répond correctement de la troisièmes la cinquième demande].

[Réponse à la sixième demande] :

Je suis disposée à dire la vérité telle que je la connais.

 

[1308] [Réponse à la septième demande] :

Je n’ai jamais connu personnellement la Servante de Dieu, soeur Thérèse de l’Enfant Jésus. Je ne sais d’elle que ce qu’en rapportent nos soeurs de la communauté. Mais j’ai été de sa part l’objet d’une faveur dont je puis rendre témoignage.

[Réponse à la huitième demande] :

J’ai de l’affection et de la dévotion pour la Servante de Dieu, parce que je constate qu’en m’attachant à elle j’aime davantage le bon Dieu. Je désire de tout mon coeur sa béatification, parce que je crois que le bon Dieu en sera glorifié.

[Après omission de la neuvième à la cinquante-huitième demande inclusivement, le co-témoin est interrogé sur la question pour laquelle il est convoqué, que concernent les demandes cinquante-neuf à soixante-cinq. - Réponse] :

Etant jeune fille dans le monde, sans connaître encore ma bien aimée petite Thérèse de l’Enfant Jésus, j’obtins d’elle, par un seul regard sur son image qu’on m’avait donnée, une grâce de force et de résignation pour supporter l’épreuve des scrupules et tentations contre la foi qui me faisaient souffrir au point que je me croyais damnée. Je ne lui demandais pas d’enlever ma souffrance, mais de m’obtenir la grâce de souffrir avec résignation et amour. Elle a exaucé ma prière et m’a donné ce jour-là même l’assurance intime que bientôt je serais religieuse dans son cher Carmel, ce qui s’est réalisé le 11 novembre de la même année.

 

[1309] C’est aussi la vérité que l’année suivante, en 1906, je l’ai priée de m’obtenir du bon Dieu (s’il devait être autant glorifié) de n’être plus éprouvée de ces tentations, et elle a exaucé pleinement encore ma prière le soir de ma prise d’habit, 15 octobre 1906.

Au cours de l’année 1909, j’ai de nouveau souffert de cette épreuve pendant quelques mois, et la pensée que je ne devais pas en conscience faire la sainte communion, me devenait un vrai martyre. Je priai soeur Thérèse de m’obtenir d’être délivrée, non pas de souffrir, mais de ce danger de perdre mes communions. Cette fois encore, elle a exaucé mes ardentes prières.

Au mois d’octobre 1907, mes deux compagnes étant malades, je fus chargée toute seule du travail de la cuisine, pendant une quinzaine de jours. Quand nous étions toutes les trois appliquées à ce travail, je pouvais à peine sans perdre de temps suffire à ma tâche ; or c’est la vérité que soeur Thérèse de l’Enfant Jésus m’a si bien aidée d’une façon si extraordinaire, que j’ai pu aisément sans aucune fatigue faire à la fois mon travail et celui de mes deux compagnes.

Tous les matins, en allant ranger notre cellule, je la trouvais parfumée d’une odeur très suave d’encens, et me sentais comme revêtue d’un courage nouveau et accompagnée sensiblement de ma petite Thérèse qui me donnait le désir toujours plus grand de faire davantage encore pour le bon Dieu.

Un soir de 1909, je prenais un quart d’heure sur le temps de l’oraison pour faire un acte de charité. En chemin je me sens arrêtée subitement par une force [1310] invisible, et une douce voix intérieure me dit ces paroles entendues clairement : " Oh ! n’attends pas l’heure de l’oraison pour t’unir à Jésus : il est là, dans ton âme, pense à lui toujours... Il t’aime ! ".

Avant l’oraison de ce même jour, j’avais prié soeur Thérèse de m’obtenir la lumière pour bien connaître la volonté du bon Dieu. Le lendemain, pendant l’oraison, j’entendis sa réponse sous forme de paroles intérieures distinctes : " Il te suffit d’exposer ton âme à ses rayons divins, cela veut dire de marcher en sa présence toujours. C’est si simple et si facile aux petites âmes, qui veulent bien reconnaître leur néant et leur faiblesse, s’humilier toujours et se perdre en lui ".

Un jour de la semaine de Noël 1910, j’étais occupée à préparer de petits sachets en papier contenant des souvenirs de la Servante de Dieu (c’était le cadeau que je préparais pour la fête de notre révérende mère). Il me fallait pour cela 900 à 1000 authentiques, et je n’en avais qu’une centaine à peu près. Tout en travaillant, je causais simplement avec ma petite Thérèse ; je lui parlais de mon âme et lui disais aussi qu’il fallait absolument qu’elle m’aide et fasse même un petit miracle pour que je puisse achever mon pauvre petit cadeau. Il était 9 heures du matin. À 10 heures, je quitte notre travail, et à 3 heures de l’après-midi, en rentrant dans notre cellule, je trouve notre boîte que j’avais laissée presque vide toute pleine de ces authentiques, juste ce qu’il me fallait pour finir mon travail. Je me sens pressée de m’agenouiller et remercie avec joie soeur Thérèse. Mais après quelques [1311] instants, la peur d’une illusion me gagne, et je vais trouver notre mère pour savoir si quelqu’une des soeurs ne m’a point fait cette surprise de remplir notre boîte. Mais aucune n’a eu le temps de travailler pour moi, et notre mère croit au petit miracle de soeur Thérèse qui m’en donne elle-même la conviction intime en me faisant sentir jusqu’à trois fois une odeur de violette embaumée, pendant que je rapportais à notre révérende mère ce petit événement.

Le 23 février 1910, j’étais occupée à nettoyer les fenêtres de la cuisine, lorsque la pensée me vint de remplir, par charité pour ma compagne, la bouilloire du fourneau que je savais presque vide. Ma petite soeur Thérèse, que j’ai pris l’habitude d’appeler à mon secours, m’inspirait de rendre ce service. Ma compagne entra alors et me dit : " Enlevez d’abord toute l’eau chaude qui reste encore dans la bouilloire, je vais la nettoyer et ensuite nous la remplirons ". Je vidai donc entièrement la bouilloire, et après l’avoir nettoyée moi-même, j’y verse une première cruche d’eau, pendant que ma compagne s’était rendue à la pompe pour remplir d’autres cruches que nous devions ensuite verser dans la bouilloire. Mais au moment où j’allais y verser la seconde cruche d’eau, je m’aperçus que la bouilloire était entièrement pleine. J’eus le pressentiment d’un fait surnaturel. J’appelle ma compagne, soeur Marie Madeleine : " Venez donc voir-lui dis-je, la bouilloire contient quatre cruches d’eau, je n’y en ai mis qu’une et elle est toute pleine ! l’avez-vous donc remplie ? " Soeur Marie Madeleine était restée près de la pompe et n’avait pas [1312] versé d’eau dans le réservoir du fourneau. D’autre part nous étions seules dans la cuisine. Alors nous nous disons l’une à l’autre : " Nous savons bien qui l’a remplie : c’est notre bien aimée petite Thérèse qui aimait tant la charité ; nous n’avons plus qu’à la remercier ".

Le 9 mai 1912, j’avais à accepter un gros sacrifice que je croyais au-dessus de mes forces, au point que je craignais de manquer gravement à l’obéissance en n’acceptant pas généreusement ce qui m’était demandé. Je priai avec ferveur soeur Thérèse de l’Enfant Jésus et lui demandai de m’aider surtout à ne pas laisser ma peine paraître extérieurement. J’affirme que le lendemain matin, 10 mai 1912, je fus réveillée par la voix douce et forte de soeur Thérèse qui me dit : " Le temps est venu pour toi d’aimer Jésus avec tendresse ! voudrais-tu lui refuser ce sacrifice ?. . . Et les âmes !... Et sa gloire !... Sois plus généreuse ! ".

Ma dévotion et ma confiance envers soeur Thérèse de l’Enfant Jésus grandissent chaque jour, car je sens que plus je l’aime, plus aussi j’aime le bon Dieu. Depuis que je me suis spécialement encore mise sous sa protection et livrée à elle le 9 juin 1915, mon âme n’a plus qu’un ardent désir : glorifier le bon Dieu en tout par l’immolation entière de tout moi-même. Souvent je sens la présence réelle de ma céleste protectrice : sa pensée ranime ma ferveur dans la pratique de la vertu.

- [1313] [Au sujet des Articles, le co-témoin dit ne savoir que ce qu’il a déjà déposé en répondant aux demandes précédentes. - Est ainsi terminé l’interrogatoire de ce co-témoin. Lecture des Actes est donnée. Le co-témoin n’y apporte aucune modification et signe comme suit] :

Signatum : SOEUR JEANNE MARIE DE L’ENFANT JÉSUS, témoin, j’ai déposé comme ci-dessus selon la vérité, je le ratifie et je le confirme.

 

CO-TÉMOIN II D’OFFICE

PIERRE-MARIE DERRIEN

La déposition suivante est une des plus modestes et des plus simples de tout le Procès. Il s’agit du simple témoignage de gratitude envers Thérèse de I’Enfant-Jésus d’un humble laïc qui reconnaissait devoir beaucoup à son intercession.

Le témoin, né à Senven Lehart (diocèse de Saint-Brieuc) le 15 novembre 1880, fils d’humbles travailleurs, était, depuis 1913, sacristain du Carmel de Lisieux. Il raconte les nombreuses interventions de Thérèse dans sa vie. Dans sa brièveté, s’il prouve la puissance d’intercession de la sainte carmélite, il démontre également sa simplicité et son esprit surnaturel.

Il a déposé les 29 et 30 septembre 1916, au cours des sessions 66 et 67 du Procès, et sa déposition se trouve aux pages 1313-1316 et 1323-1325 de notre Copie publique.

[Session 66 : - 29 septembre 1916, à 9h.]

[Le témoin répond correctement à la première demande] :

[Réponse à la deuxième demande] :

Je m’appelle Pierre Marie Derrien, né à Senven Lehart, diocèse de Saint Brieuc, le 5 novembre 1880, de Jean François Derrien, laboureur, et de Marie Josèphe Raoult. Je suis sacristain de la chapelle du Carmel de Lisieux.

[1314] [Le témoin répond correctement de la troisième à la cinquième demande].

[Réponse à la sixième demande] :

Je suis entièrement libre dans ma déposition.

[Réponse à la septième demande] :

Je n’ai pas connu la Servante de Dieu de son vivant, mais depuis qu’on m’a appris à l’invoquer, j’ai été de sa part l’objet d’une protection toute particulière dont j’ai fait part à la révérende mère prieure du Carmel.

[Réponse à la huitième demande] :

Depuis qu’on m’a fait connaître soeur Thérèse de l’Enfant Jésus, j’ai pour elle une dévotion très fidèle, parce que j’ai constaté qu’elle me faisait aimer le bon Dieu beaucoup mieux qu’auparavant. Je désire sa béatification, parce que je crois qu’une fois qu’elle sera béatifiée, tout le monde aura en elle une confiance plus grande encore et qu’il en résultera beaucoup de bien pour les âmes.

[Après omission de la neuvième à la cinquante-huitième demande inclusivement, le co-témoin est interrogé sur la question pour laquelle il est convoqué, que concernent les demandes cinquante-neuf à soixante-cinq. - Réponse] :

En 1911, je souffrais depuis trois ans de graves maladies, bronchite aiguë avec fièvre intense, fièvre typhoïde suivie d’entérite muco-menbraneuse. On regardait ma guérison comme impossible. Madame [1315] de Lehen, chez qui je travaillais, me donna une image de soeur Thérèse de l’Enfant Jésus et me conseilla de demander ma guérison à cette petite sainte. Un jour que je priais devant cette image, j’entendis intérieurement et nettement ces paroles : " Pierre, je cherche des âmes pour Jésus, veux-tu être de mes amis ? " Je répondis en faisant cette promesse : " Soeur Thérèse, si vous voulez me guérir, je vais mettre 100 francs de côté pour aider à votre béatification ". Je fis alors jusqu’à quatre neuvaines successives, mais sans obtenir d’amélioration. J’éprouvais un vrai découragement, lorsque le 21 mars 1911, à 10 heures du matin, priant seul dans ma chambre devant l’image de soeur Thérèse, j’entendis une toute petite voix me dire intérieurement : " Pierre, si le bon Dieu te guérit complètement, tu ne seras pas de mes amis, tu reviendras à l’offenser comme par le passé !... " Mes sentiments sur la souffrance changèrent alors, et je m’écriai : " Oh ! qu’il fait bon souffrir pour vous, mon Dieu ! " Je continuai donc de souffrir pendant plusieurs mois, mais je n’aurais pas voulu être délivré de mes souffrances, tant j’y trouvais de consolations intérieures.

Quand je fus bien établi dans cette résignation parfaite, soeur Thérèse me guérit progressivement, bien que j’eusse abandonné l’usage de tous les remèdes prescrits par les médecins, et je promis de faire un pèlerinage sur la tombe de soeur Thérèse. Je fis ce pèlerinage l’année suivante, le 11 avril 1912, et y recueillis de grandes grâces spirituelles. [1316] En mars 1913, je pus renouveler mon pèlerinage. Pendant que je priais sur la tombe, la même petite voix se fit entendre intérieurement ; elle me dit : " Pierre, demande à venir à mon service ". Ne sachant trop ce que cela signifiait, je me mis à nettoyer et à arranger sa tombe et celles de ses soeurs. Puis je vins au Carmel et je demandai aux tourières si la révérende mère n’avait pas besoin d’un sacristain. Elles me répondirent que pour le moment elles n’en avaient pas besoin. Je retournai donc en Bretagne, et, en attendant la réalisation de la parole qui m’avait été dite, je m’efforçai de faire connaître autour de moi la Servante de Dieu. Je cherchai surtout à l’imiter et à répondre à toutes ses inspirations. Elle avait une grande influence sur mon âme ; elle m’inspirait de ne pas m’excuser, d’accepter joyeusement tous les reproches, toutes les moqueries, de travailler uniquement pour le bon Dieu, de ne jamais me plaindre. Je lui fis la promesse de donner mon argent aux pauvres, à mesure que je le gagnerais. Plusieurs fois, comme je lui demandais de m’aider à consoler des malheureux, elle me fit trouver, par terre, sur le chemin, tantôt une pièce de cinq francs, une autre fois une pièce de deux francs.

[Session 67 : - 30 septembre 1916, à 9h.]

 

[1323] [Suite de la réponse de la cinquante-neuvième à la soixante-cinquième demande] :

En juin 1913, je fis un pèlerinage à Rome, où j’eus le bonheur d’offrir au Saint Père le fruit de mon travail, et surtout d’offrir ma vie pour lui. Je fus pris alors de violents crachements de sang pendant deux jours et deux nuits, et je crus que j’allais mourir. Je demandai seulement à soeur Thérèse de l’Enfant Jésus de m’aider à revenir dans mon pays. Quand j’y fus arrivé, le médecin me jugea perdu ; mais le dernier jour d’une neuvaine que l’on fit au Sacré-Coeur par l’intercession de Thérèse de l’Enfant-Jésus, je me sentis revenir à la vie. A partir de ce moment, je fus délivré de tous mes maux ; à part une légère souffrance que je lui ai demandé de me laisser, je me [1324] porte très bien.

Au mois d’août 1913, je désirais quitter ma position de courrier des postes, mais j’hésitais beaucoup sur la direction que je devais donner à ma vie. Je ne savais ni si je devais entrer en religion, ou bien retourner à Rome pour être concierge d’un couvent comme on me le proposait, ou bien aller à Lisieux pour être au service de soeur Thérèse de l’Enfant Jésus, comme elle me l’avait indiqué. Je m’adressai à Notre Dame de Lourdes et lui promis de réciter chaque jour mon chapelet, jusqu’au 30 septembre, si elle m’accordait, par l’intercession de soeur Thérèse, de connaître d’une manière précise la volonté de Dieu sur mon âme. Le 29 septembre, à 4 heures du soir, je reçus un télégramme de Lisieux où la révérende mère prieure du Carmel me demandait si je voulais devenir le serviteur de la petite Thérèse. Je n’hésitai pas à reconnaître la volonté de Dieu dans cette demande inattendue, et c’est avec une joie parfaite que je travaille pour celle qui a transformé mon âme et m’a fait part de son propre amour, de sa confiance et de son abandon pour m’élever jusqu’à Dieu.

 

[1325] [Au sujet des Articles, le co-témoin dit ne savoir que ce qu’il a déjà déposé en répondant aux demandes précédentes. - Est ainsi terminé l’interrogatoire de ce co-témoin. Lecture des Actes est donnée. Le co-témoin n’y apporte aucune modification et signe comme suit] :

Signatum : PIERRE DERRIEN, témoin, j ai déposé comme ci-dessus selon la vérité, je le ratifie et je le confirme,

 

TÉMOIN 22

SOEUR MARIE-JOSEPH DE LA CROIX, O.S.B.

Nous retrouvons ici une connaissance du premier Procès : Marcelline Husé, qui avait été domestique de la famille Guérin à Lisieux, et ensuite, depuis 1889, religieuse chez les bénédictines du Saint-Sacrement de la rue Saint-Loup de Bayeux, où elle mourut à la suite d’une longue maladie, le 26 décembre 1935. Elle était née à Saint-Samson (Mayenne), au diocèse de Laval, le 19 juillet 1866 et avait été au service de la famille Guérin de 1880 à 1889.

Ce nouveau témoignage n’ajoute rien à la première déposition, dont il diffère par sa brièveté et sa concision. Le témoin s’attarde encore, mais de façon plus discrète, sur certains détails de l’enfance de Thérèse, spécialement sur sa maladie mystérieuse et sur sa guérison attribuée au " sourire de Marie ". A la fin il fait allusion à des interventions de Thérèse dans sa vie, après la mort de la Servante de Dieu.

Soeur Marie-Joseph a déposé dans le parloir de son monastère de Bayeux le 26 février 1917, au cours de la session 68, et sa déposition se trouve aux pages 1332-1341 de notre Copie publique.

[Session ? 68 : - 26 février 1917, à 9h.]

[1332] [Le témoin répond correctement à la première demande].

[1333] [Réponse à la deuxième demande] :

Je m’appelle Marcelline-Anne Husé, née à Saint-Samson, diocèse de Laval, le 19 juillet 1866, de Norbert Husé, cultivateur, et de Françoise Barbier. Je suis religieuse professe des bénédictines du Saint Sacrement de Bayeux, où j’ai fait profession le 10 août 1892.

[Le témoin répond correctement de la troisième à la cinquième demande],

[Réponse à la sixième demande] :

Je dépose très librement et ne suis influencée ni par aucun sentiment de crainte, etc., ni par qui que ce soit.

[Réponse à la septième demande] :

Le 15 mars 1880, j’entrai comme femme de chambre à Lisieux, chez monsieur Guérin, oncle de la Servante de Dieu. Thérèse Martin avait alors sept ans. Elle venait très souvent chez son oncle, et je la conduisais soit à la pension, soit en promenade en même temps que ses cousines, les filles de monsieur Guérin. J’ai demeuré dans cette fonction pendant neuf ans, c’est-à-dire jusqu’après l’entrée de soeur Thérèse au Carmel. Je parlerai d’après mes souvenirs personnels, qui se rapportent donc à la vie de la Servante de Dieu entre sept et quinze ans. J’ai lu l’ " Histoire d’une âme ", mais ce livre, pour la période indiquée, a seulement réveillé et confirmé mes souvenirs. A partir de l’année 1889, je n’ai plus eu de relations avec la Servante de Dieu sinon l’échange de quelques lettres.

 

[1334] [Réponse à la huitième demande] :

J’ai une très grande dévotion à la Servante de Dieu et je désire le succès de ce Procès parce que j’ai été témoin, dès ses plus jeunes années, de son angélique piété et de ses vertus et parce que j’ai confiance d’avoir obtenu par son intercession des grâces précieuses.

[Réponse à la neuvième demande] :

Je sais par la famille que la Servante de Dieu est née à Alençon le 2 janvier 1873, que sa famille vint à Lisieux en 1877, après la mort de madame Martin, précisément pour se rapprocher de monsieur et madame Guérin. C’est trois ans après leur arrivée à Lisieux que j’entrai moi-même comme petite domestique dans la maison de monsieur Guérin.

La Servante de Dieu avait eu plusieurs frères morts en bas âge. Elle avait quatre soeurs aînées qui fréquentaient, comme elle, la maison de leur oncle et que par conséquent j’ai également connues. Elles s’appelaient Marie, Pauline, Léonie et Céline.

[Réponse à la dixième demande] :

Quand j’arrivai à Lisieux en 1880, c’était Pauline, sa seconde soeur, qui prenait particulièrement soin de l’instruction et de l’éducation de la petite Thérèse. Pauline était elle-même très pieuse et intelligente. Elle avait été elle-même formée par sa tante visitandine, et par les exemples de ses parents, monsieur et madame Martin, qui étaient des chrétiens exemplaires. Elle était donc très capable de faire cette éducation. Et j’ai été témoin [1335] qu’en effet elle la formait très sérieusement à tout point de vue de la science et de la vertu.

En octobre 1881, Thérèse Martin fréquenta comme élève demi-pensionnaire le couvent des bénédictines de Lisieux. Et il en fut ainsi jusque vers l’âge de treize ans. Elle venait chaque jour se joindre à ses cousines et je les conduisais ensemble à la pension. Le soir, je la ramenais chez monsieur Guérin, où son père ou ses soeurs venaient la chercher.

A cette époque, son caractère se manifestait très doux et docile. Elle avait alors une grande sensibilité et pleurait facilement. Elle avait des succès dans ses études, mais ce qui dominait dès cette époque c’était sa grande piété. Elle se montrait envers les autres charitable et affectueuse. Ayant eu moi-même quelque chagrin d’avoir quitté très jeune ma mère, j’éprouvai la bonté de son coeur : elle s’appliquait à me consoler et à me faire oublier cette peine. Elle s’intéressait aux jeux sérieux, mais elle n’aimait pas les jeux bruyants.

J’ai été témoin du début de cette maladie étrange dont elle fut atteinte à l’âge de 10 ans. Son père était en voyage, et à cause de cette circonstance Thérèse demeurait chez monsieur Guérin. Elle avait comprimé un chagrin intense que lui avait causé le départ de Pauline " sa petite mère " pour le Carmel, et on pensa chez monsieur Guérin que cet effort chez une enfant jeune et de santé délicate pouvait être la cause de cette crise. Elle se manifesta subitement par un état fiévreux et surtout par une grande nervosité qui déterminait des crises de frayeur au moindre bruit ou à la moindre surprise. Elle n’était pas dans [1336] cette période en état de délire, mais dans une habituelle surexcitation. Au bout de huit jours, cet état cessa subitement, et elle assista dans une parfaite tranquillité à la prise d’habit de sa soeur Pauline au Carmel. Après cette cérémonie, on la croyait guérie et elle rentra chez son père aux Buissonnets. Mais le lendemain ou le surlendemain le mal reprit beaucoup plus violent. Comme dans cette seconde période de la maladie elle n’était plus chez monsieur Guérin, je n’eus pas l’occasion de l’observer comme précédemment. Je lui fis seulement quelques visites où je la trouvai dans un état de profonde prostration : elle ne me reconnaissait même pas ; mais je ne la vis pas dans ses crises aiguës. Le médecin, monsieur Notta, traita ce mal comme un état nerveux, par les douches, drap mouillé, mais sans obtenir aucune amélioration. Je n’ai pas été témoin direct de la scène de sa guérison. Mais ses soeurs arrivèrent chez monsieur Guérin et dirent : " La petite Thérèse est guérie, c’est la Sainte Vierge qui l’a guérie " Dès le lendemain, Thérèse vint chez son oncle, et je constatai qu’elle était en effet parfaitement bien, et depuis ce temps-là, rien n’a plus jamais reparu de son mal.

Pour sa préparation à la première communion, elle se renferma complètement au couvent des bénédictines. C’est le jour seulement de la cérémonie que je pus la voir, et je fus alors touchée de sa grande piété.

Au commencement de 1886, monsieur Martin jugea que cette vie du pensionnat éprouvait trop la santé de Thérèse, et la reprit chez lui, pour achever son éducation plus librement au moyen de leçons particulières. Je continuai de la voir à cette époque, parce qu’elle venait sou [1337] vent chez son oncle. Ce qui me frappait particulièrement dans ses dispositions, c’était un sérieux et une gravité au-dessus de son âge et sa piété qui se développait de plus en plus.

[Réponse à la onzième demande] :

Personne dans l’entourage de la famille ne fut surpris qu’elle entrât en religion. Tout le monde s’y attendait et disait qu’une si belle âme n’était pas faite pour le monde. Mais on fut surpris cependant qu’elle entrât au Carmel dès l’âge de 15 ans. J’ai su par les conversations de la famille qu’elle allait à Bayeux et ensuite à Rome pour obtenir la permission de se faire carmélite à 15 ans. Mais, comme j’étais une simple domestique, je n’ai pas été mise au courant des détails intimes de cette vocation.

[Réponse à la douzième demande] :

Etant moi-même entrée en religion, com me je l’ai dit, je n’ai plus eu de relations avec la Servante de Dieu. J’ai bien reçu d’elle deux ou trois lettres. J’ai conservé seulement la dernière écrite au moment de sa profession, et je l’ai versée au procès des Écrits.

[Réponse de la treizième à la cinquante-sixième demande inclusivement] :

Ne sachant par moi-même que ce que j’ai dit de la vie de la Servante de Dieu, je ne puis donner aucun témoignage précis sur le détail de ces questions.

[Réponse à la cinquante-septième demande] :

[1338] Pendant la vie de la Servante de Dieu, je n’ai pas entendu formuler d’appréciation sur sa sainteté. Il est vrai que je n’étais pas non plus en situation de savoir ce que l’on pouvait dire ou penser d’elle soit au Carmel soit dans le monde. Lorsque sa tante, madame Guérin, me parlait d’elle dans ses lettres, elle l’appelait toujours " l’ange de la famille ". Depuis la mort de la Servante de Dieu, j’ai maintes fois entendu exprimer que la Servante de Dieu était une sainte, que ses vertus étaient admirables, que l’on obtenait par son intercession des grâces très précieuses et qu’elle serait canonisée. Non seulement j’ai entendu des soeurs de notre couvent émettre cette opinion, mais, étant appliquée par mon office au service des dames pensionnaires anglaises et françaises qui sont reçues chez nous, j’ai entendu de la plupart de ces dames les mêmes témoignages. Je n’ai jamais entendu dire qu’on ait intrigué en quoi que ce soit pour créer ce courant d’opinion.

[Réponse à la cinquante-huitième demande] :

Jamais je n’ai entendu formuler une opinion défavorable à cette Cause de béatification.

[Réponse de la cinquante-neuvième à la soixante-cinquième demande inclusivement] :

J’ai confiance d’avoir moi-même obtenu par l’intercession de soeur Thérèse plusieurs grâces précieuses. D’abord, au temps de mon entrée en religion (1889) je me trouvais arrêtée par de grandes difficultés extérieures et surtout par de pénibles perplexités de conscience [1339]. Je me recommandai aux prières de la Servante de Dieu qui venait de prendre l’habit. Aussitôt, en très peu de temps, toutes les difficultés se sont aplanies.

A diverses reprises j’ai été arrêtée et immobilisée par des plaies variqueuses de la jambe. Au mois de décembre dernier, à la suite de fatigues exceptionnelles, il s’était produit une inflammation violente, et, d’après mes expériences antérieures, il devait se former un ulcère qui m’eût empêché de travailler. Comme personne ne pouvait me remplacer dans mon office, vu l’état de la communauté, j’invoquai soeur Thérèse, en plaçant sur ma jambe une relique de la Servante de Dieu, et, sans faire aucun remède naturel, sans prendre de repos, l’inflammation disparut et je pus continuer mon travail.

J’ai, à diverses reprises, entendu soit nos soeurs, soit des dames pensionnaires affirmer qu’elles avaient elles-mêmes obtenu des grâces signalées par l’intercession de soeur Thérèse de l’Enfant Jésus ; mais je n’ai pas été témoin d’un miracle proprement dit.

[Réponse à la soixante-sixième demande] :

Je n’ai rien à ajouter.

 

[1340] [Au sujet des Articles, le témoin dit ne savoir que ce qu’il a déjà déposé en répondant aux demandes précédentes. - Est ainsi terminé l’interrogatoire de ce témoin. Lecture des Actes est donnée. Le témoin n’y apporte aucune modification et signe comme suit] :

Signatum : Soeur MARIE JOSEPH DE LA CROIX, religieuse indigne, témoin, j’ai déposé comme ci-dessus selon la vérité, je le ratifie et je le confirme.

 

TÉMOIN 23

MARIE-ELISA-JEANNE GUERIN (LA NEELE)

Le témoin appartient au groupe des membres de la famille de Thérèse de l’Enfant-Jésus. A ce point de vue, sa déclaration, malgré sa brièveté, revêt une valeur particulière.

Il s’agit de " Jeanne ", la cousine campagne d’enfance à Lisieux, dont parlent plusieurs passages du Manuscrit " A " de l’Histoire d’une âme, et certaines lettres de la Servante de Dieu. Née à Lisieux le 24 février 1868, fille d’Isidore Guérin, frère de Zélie, la maman de Thérèse, et de Céline Fournet, elle épousa le 1er octobre 1890 le docteur Francis La Néele, qui soigna, en quelques rares occasions, Thérèse pendant sa dernière maladie. Tous ceux qui connaissent les écrits de Thérèse se souviennent du " faire-part " de son mariage avec Jésus qui lui avait été suggéré par le faire-part du mariage de Jeanne avec Francis, ainsi que de l’espoir avec lequel Thérèse soutenait continuellement sa cousine, désireuse d’avoir un enfant ; cet espoir ne se réalisa jamais malgré la promesse de la Sainte de lui obtenir cette grâce quand elle serait au ciel. A en croire le témoin, il semble que Thérèse ait eu la mission de lui obtenir des grâces non pas de douceur, mais de souffrance. C’est donc avec le sourire aux lèvres qu’on l’entend déclarer : " Je remercie Dieu des grâces dont elle a été comblée, et pour cela je récite le Magnificat quand je vais sur sa tombe... Quant à lui demander de m’obtenir des grâces, comme elle ne m’a envoyé que des croix, cela me rend hésitante " (p. 1350). Elle y revient un peu plus loin, mais sous forme de conclusion fort intéressante : " J’ai souvent invoqué la Servante de Dieu dans mes peines temporelles, et je n’ai constaté qu’une recrudescence de croix et d’épreuves. Je lui demande de m’obtenir la grâce de les supporter chrétiennement " (p. 1360).

Son témoignage se déroule avec une extrême simplicité sur la base des souvenirs d’enfance. Tous les détails se trouvent déjà dans le Procès de 1911, au cours duquel le témoin avait parlé avec un peu plus d’étendue.

Elle déposa le 12 mars 1917, dans la sacristie du Carmel de Lisieux, au cours de la session 69 du Procès, et sa déposition se trouve aux pages 1349-1360 de notre Copie publique.

[Session 69 : - 12 mars 1917, à 9h. et à 2h. de l’après-midi]

[1349][Le témoin répond correctement à la première demande].

[Réponse à la deuxième demande] :

Je m’appelle Marie-Elisa-Jeanne Guérin, veuve de monsieur le docteur Francis La Néele, née à Lisieux, le 24 février 1868, de Marie-Isidore-Victor Guérin, pharmacien et de Céline Fournet. Mon père était le frère de madame Martin, mère de la Servante de Dieu ; je suis donc la cousine germaine de soeur Thérèse de l’Enfant Jésus.

[Le témoin répond correctement de la troisième à la cinquième demande].

[Réponse à la sixième demande] :

Je vais faire ma déposition en conscience et en toute vérité, personne n’a exercé sur moi aucune influence ; d’ailleurs c’eût été inutile.

[Réponse à la septième demande] :

Depuis l’arrivée de la famille Martin à Lisieux, en 1877, jusqu’à l’entrée de la Servante de Dieu au Carmel, en 1888, les relations entre nos deux familles furent quotidiennes et très intimes. Nous nous réunissions tous les jeudis et tous les dimanches. Les autres jours, Thérèse Martin et moi allions à la même pension ainsi que ma soeur Marie et Céline Martin. Après l’entrée au [1350] Carmel de la Servante de Dieu, je venais au parloir, environ tous les 15 jours.

[Réponse à la huitième demande] :

J’ai confiance que soeur Thérèse de l’Enfant Jésus est en très belle place au ciel. Je remercie Dieu des grâces dont elle a été comblée, et pour cela je récite le Magnificat quand je vais sur sa tombe. Je désire de tout mon coeur sa canonisation. Quant à lui demander de m’obtenir des grâces, comme elle ne m’a envoyé que des croix, cela me rend hésitante.

[Réponse à la neuvième demande] :

Je sais que la Servante de Dieu est née à Alençon le 2 janvier 1873. Elle avait quatre soeurs aînées survivantes : Marie, Pauline, Léonie et Céline. Plusieurs autres enfants, quatre je crois, étaient morts en bas âge ; je ne les ai pas connus. Madame Martin est morte à Alençon, lorsque la Servante de Dieu avait environ quatre ans. Etant moi-même de cinq ans plus âgée que soeur Thérèse, je suis allée plusieurs fois chez ses parents à Alençon avant la mort de sa mère. Je me rappelle que madame Martin était une chrétienne très fervente et très courageuse dans la pratique de ses devoirs. Tous les matins elle assistait à la messe de six heures et elle a été fidèle à cette pratique jusqu’à peu de jours avant sa mort, bien qu’elle fût atteinte d’une maladie très douloureuse, un cancer. Monsieur Martin était lui-même un chrétien très ardent et exemplaire.

 

[1351] [Réponse à la dixième demande] :

Après la mort de madame Martin, en août 1877, monsieur Martin vint à Lisieux avec ses enfants pour rapprocher nos deux familles et pour que ma mère s’occupât des jeunes filles. Il habita une petite villa, appelée les " Buissonnets ", à un kilomètre de distance de la maison de mes parents. J’avais une soeur, Marie, plus jeune que moi de deux ans, et qui est morte au Carmel de Lisieux, en 1905. L’éducation de la petite Thérèse fut faite par son père, mais surtout par ma cousine Pauline, aujourd’hui mère Agnès de Jésus. Monsieur Martin aimait d’un amour de prédilection Thérèse, sa plus jeune enfant. Ses soeurs aînées partageaient aussi cette affection spéciale pour leur petite soeur. Mais j’affirme que cette préférence n’a pas nui à son éducation et ne suscitait aucune jalousie dans sa famille.

Vers huit ans, la Servante de Dieu commença à fréquenter chaque jour l’école des bénédictines de Lisieux. Céline y allait aussi, ainsi que Léonie Martin, ma soeur Marie et moi. Comme j’étais de cinq ans plus âgée que Thérèse, j’étais plutôt intime avec Céline qui était de mon âge, et Thérèse était plus liée avec ma jeune soeur Marie. A cette époque, j’ai souvenir que la Servante de Dieu se montrait très douce, très aimable pour tous, notablement sensible, mais n’aimant pas les jeux bruyants et le mouvement. Elle était sérieuse, réfléchie, et, en dehors de la famille très intime, ne se livrait pas. Je me souviens que quand Pauline la quitta pour le Carmel, elle ne dit rien de son chagrin à personne, pas même, je crois, à Céline. [1352] Cependant son chagrin était bien grand puisqu’il détermina, croyons-nous, la maladie grave dont elle fut atteinte à cette époque. Je me souviens aussi qu’alors elle était très pieuse, aimait beaucoup les exercices religieux et priait avec une grande ferveur. Je ne lui connaissais pas de défauts que sa sensibilité extrême, mais ça n’était pas sa faute.

[Est-ce que cette piété de la Servante de Dieu excédait la mesure commune ? - Réponse] :

Il n’y a pas de comparaison possible entre sa piété à cette époque et celle des autres enfants de son âge. Sa ferveur était extraordinaire et nous dépassait toutes dans la famille, sauf peut-être Pauline qui, elle aussi, était très pieuse.

La Servante de Dieu, en l’absence de son père, était chez mes parents, quand se déclara la maladie dont elle fut atteinte à l’âge de dix ans (1883). Ce mal débuta par un tremblement violent qui fit croire d’abord à une fièvre. Puis se manifesta avec de la dépression, un état de demi-hallucination qui lui faisait voir les différents objets ou les attitudes de ceux qui l’entouraient, sous des formes effrayantes. A la période la plus intense, il y eut aussi plusieurs crises motrices pendant lesquelles elle réalisait des mouvements rotatoires de tout le corps, dont elle eût été absolument incapable en état de santé. Le médecin, monsieur le docteur Notta, ne se prononçait pas nettement sur la nature de la maladie. Mon père qui, par sa profession et ses études, était très expérimenté dans la connaissance des malades, ne pouvait se résoudre à n’y voir qu’une [1353] maladie naturelle, il y voyait une action du démon. Dès cette époque, et toujours d’ailleurs, il reconnaissait en Thérèse une sainteté extraordinaire, et répétait : " Cette enfant fera de grandes choses ". Au plus fort des crises, ce mal cessa subitement. Je crois me rappeler qu’à ce moment même on affirma, ce qui m’a été bien souvent redit depuis, qu’elle avait été guérie par la Sainte Vierge.

[Est-ce qu’au moment même on crut à une apparition de la Sainte Vierge ? - Réponse] :

Je ne me rappelle pas si on l’a dit précisément à ce moment-là.

[Suite de la réponse] :

Jamais depuis aucune manifestation quelconque de ce mal ne s’est produite, et mon père disait que si c’eût été une affection nerveuse, laissée à son cours naturel, on en aurait retrouvé des traces ultérieurement dans le tempérament de la jeune fille.

La Servante de Dieu fit sa première communion à l’Abbaye, après une retraite fermée. La grande piété, dont j’ai parlé, se manifesta en cette circonstance sans que j’aie pourtant rien remarqué de bien particulier. Pendant son séjour à l’Abbaye, la Servante de Dieu était une bonne élève, réussissait bien dans ses études, elle était très obéissante à ses maîtresses. Elle était bonne avec ses compagnes, mais ne partageait pas volontiers leurs jeux ; elle ne se familiarisait pas, et se tenait habituellement dans une certaine réserve. En somme, la vie de pension contrastant avec sa vie de famille, lui était plutôt pénible. Je crois que sa formation [1354] intérieure est restée surtout l’oeuvre de Pauline, et que la pension, où elle avait pourtant de bonnes maîtresses, a eu peu d’influence sur elle.

[Réponse à la onzième demande] :

A l’âge de 13 ans, la Servante de Dieu quitta la pension des bénédictines et acheva son éducation dans sa famille. Je crois que des maux de tête continuels furent la raison de son départ. Je n’ai pas gardé un souvenir bien précis des deux années qui ont précédé son entrée au Carmel. Je puis cependant caractériser d’une manière générale cette période : il n’y avait, dans nos deux familles, aucune mondanité ; c’était une vie d’intérieur bien chrétien.

J’appris par mon père, qu’elle était venue consulter, sa décision d’entrer prochainement au Carmel. Je ne fus pas surprise qu’elle se fit carmélite, tout le monde le prévoyait, mais je ne m’attendais pas à ce qu’elle entrât si tôt.

 

[1355] [Suite de la réponse].

[Réponse à la douzième demande] :

A compter du jour où soeur Thérèse est entrée au Carmel, je ne l’ai plus suivie de bien près : je venais au parloir où elle me recevait avec ses soeurs, je ne sais donc rien de précis sur les détails de sa vie au Carmel, et cela d’autant plus que, par humilité sans doute, elle parlait peu même quand elle venait au parloir et laissait la parole à ses soeurs.

[Réponse aux demandes treizième et quatorzième] :

Touchant ses vertus au Carmel, je puis citer de nouveau quelques témoignages écrits que j’ai déjà communiqués, soit au Procès des écrits, soit au Procès Informatif de l’ordinaire Ce sont des extraits de lettres écrites par la Servante de Dieu à mes parents, ou bien encore écrites par ma soeur Marie, carmélite, ou d’autres lettres encore.

Ainsi :

1 La supérieure du Carmel écrivait à mes parents au sujet de Thérèse : " Jamais je n’aurais pu croire à un jugement aussi avancé dans une enfant de 15 ans ; pas un mot à lui dire : tout est parfait A. La supérieure qui écrivait ainsi était mère de Marie de Gonzague.

2 Voici quelques passages des lettres de soeur Thérèse à ma mère :

" Bientôt neuf ans que je suis dans la maison du Seigneur, je devrais donc être déjà avancée dans les voies de la perfection, mais je suis encore au bas de l’échelle ; cela ne me décourage pas... espérant à la fin de ma vie [1356] participer aux richesses de mes soeurs qui sont bien plus généreuses. J’espère aussi, ma chère tante, avoir une belle place au banquet céleste... Lorsque les anges sauront que j’ai l’honneur d’être votre petite fille, ils ne voudront pas me faire le chagrin de me placer loin de vous... aussi je jouirai à cause de vos vertus des biens éternels... Mon coeur se fond de reconnaissance envers le bon Dieu qui m’a donné des parents comme on n’en trouve plus sur la terre " 2.

Une autre fois elle écrit encore à sa tante : " Pour votre fête, je voudrais vous enlever tout chagrin, prendre pour moi toutes vos peines. C’est ce que je demandais tout à l’heure... mais je sentais que tout ce que Jésus pouvait nous donner de meilleur était la souffrance, qu’il ne la donnait qu’à ses amis de choix... je voyais que Jésus aimait trop ma tante chérie pour lui enlever la croix ". Elle écrivait à son oncle, mon père : " Oh ! qu’il me semble que la couronne qui vous est réservée est belle ! Il ne peut en être autrement puisque toute votre vie n’est qu’une croix perpétuelle et que Dieu n’agit ainsi qu’avec les grands saints " 4. Si mon père avait vécu, il aurait été heureux de rendre témoignage pour sa chère petite Thérèse, et il aurait certainement rapporté bien des détails édifiants, ainsi que ma bien aimée mère.

[Réponse de la quinzième à la quarante-sixième demande] :

Comme je l’ai dit, je ne suis pas en état de fournir un témoignage personnel et détaillé sur ces points.

 

[1357] [Réponse à la quarante-septième demande] :

Je ne l’ai connue personnellement que jusqu’à son entrée au Carmel, et après seulement par ce que m’en disaient mes parents et ses soeurs. J’étais bien loin de penser alors qu’elle ferait des miracles comme elle en fait aujourd’hui et qu’on parlerait d’elle comme on en parle dans le monde entier ; mais pour ce qui est des vertus, je croyais dès le temps que nous vivions ensemble que sa perfection était tout à fait extraordinaire et dépassait ce qu’on observe communément dans les personnes vertueuses. C’était aussi l’avis de mes parents et de tous ceux qui la connaissaient.

[Pouvez-vous dire en quoi spécialement les vertus de la Servante de Dieu apparaissaient héroïques ? - Réponse] :

Je ne lui ai jamais rien vu faire d’extraordinaire, mais, ce qui me paraissait héroïque dans sa conduite, c’est que jamais ses vertus ne souffraient aucune défaillance, même dans son enfance, c’est-à-dire, dans les années où je l’ai fréquentée. C’était remarquable surtout pour sa piété, son humilité, son obéissance, et sa douceur et sa charité envers le prochain.

[Réponse de la quarante-huitième à la cinquantième demande] :

Je n’ai rien entendu de particulier sur ces points.

[Réponse à la cinquante-et-unième demande] :

Tout le monde connaît l’histoire de sa vie écrite par elle-même. J’ai gardé aussi les lettres qu’elle a écrites à mes parents ou à moi.

 

[1358] [Réponse à la cinquante-deuxième demande] :

Lors de la dernière maladie de la Servante de Dieu, nous recevions, par ses soeurs carmélites, des nouvelles fréquentes, et je venais au parloir prendre de ses nouvelles. J’ai su ainsi qu’elle avait beaucoup souffert, plus qu’on ne souffre ordinairement de cette maladie (tuberculose pulmonaire) et qu’elle avait supporté ses souffrances avec une admirable patience.

Mon mari, monsieur le docteur La Néele fut appelé deux fois auprès d’elle en l’absence de monsieur le docteur de Cornières, médecin de la communauté. Il me dit, à cette occasion, qu’il avait été extrêmement frappé de sa sainteté et de la douceur angélique avec laquelle elle supportait ses souffrances.

[Réponse à la cinquante-troisième demande] :

La Servante de Dieu mourut le 30 septembre 1897. Je vins prier auprès de son corps exposé à la grille du choeur. Je n’ai rien remarqué d’extraordinaire dans cette circonstance. Beaucoup de fidèles vinrent pareillement ; mais ce concours peut s’expliquer par le fait que notre famille était très connue dans la ville.

[Réponse à la cinquante-quatrième demande] :

Tout le monde sait qu’elle a été inhumée au cimetière public de la ville de Lisieux, et que, en septembre 1910, je crois, elle fut transférée, par ordre de monseigneur l’évêque de Bayeux, dans un tombeau voisin où tout le monde va prier.

[Réponse à la cinquante-cinquième demande] :

[1359] Je n’ai rien remarqué dans ces circonstances qui ressemblât à un culte.

[Réponse à la cinquante-sixième demande] :

Je vais souvent prier sur la tombe de la Servante de Dieu. Depuis le commencement du Procès en 1910, il s’est établi un concours de pèlerins qui se maintient et ne fait qu’augmenter. Il me semble que les pèlerins de toute condition qui viennent sur la tombe prient avec ferveur et recueillement. Je n’ai rien remarqué dans ces manifestations qui ne fût sérieux et grave.

[Réponse à la cinquante-septième demande] :

Je constate dans tout mon entourage que l’on a une très grande confiance dans l’invocation de la Servante de Dieu. On la prie beaucoup de toutes parts et on rapporte de tous côtés des faveurs obtenues par son intercession. Il est notoire aujourd’hui que cette réputation de sainteté est répandue pour ainsi dire dans le monde entier.

Je ne crois pas qu’on ait jamais cherché à cacher ou à dissimuler ce qui aurait pu nuire à la Cause ; on n’a pas non plus, à mon avis, exagéré ses vertus, mais le Carmel en particulier n’a rien épargné pour la faire connaître telle qu’elle est.

[Réponse à la cinquante-huitième demande] :

Je n’ai jamais entendu de critique qui eût pour objet les vertus ou la sainteté de la Servante de Dieu.

[Réponse de la cinquante-neuvième à la soixante-cinquième demande] :

[1360] En ce qui me concerne personnellement, j’ai souvent invoqué la Servante de Dieu dans mes peines temporelles, et je n’ai constaté qu’une recrudescence de croix et d’épreuves. Je lui demande de m’obtenir la grâce de les supporter chrétiennement.

Pour ce qui est d’autres personnes, j’ai entendu rapporter une foule de grâces obtenues par l’intercession de soeur Thérèse. Mon mari m’a rapporté qu’il avait lui-même reconnu, comme médecin, la guérison miraculeuse de monsieur l’abbé Anne, vicaire de Pont-l’Évêque, et d’un vieillard des Petites Soeurs des Pauvres, atteint d’un cancer à la langue.

[Réponse à la soixante-sixième demande] :

Je n’ai rien à ajouter.

[Au sujet des Articles, le témoin dit ne savoir que ce qu’il a déjà déposé en répondant aux demandes précédentes. - Est ainsi terminé l’interrogatoire de ce témoin. Lecture des Actes est donnée. Le témoin n’y apporte aucune modification et signe comme suit] :

Signatum : JEANNE LA NÉELE, [1361] témoin, j’ai déposé comme ci-dessus selon la vérité, je le ratifie et je le confirme.

 

TEMOIN 24

SOEUR MARIE DU SAINT-ROSAIRE, O.S.B.

Le témoin, comme nous le savons par le Procès Informatif Ordinaire, avant d’entrer chez les bénédictines fut, pendant trois ans, compagne de Thérèse au pensionnat de Notre-Dame du Pré à Lisieux. Elle s’appelait dans le monde Marguerite-Léonie-Augustine Leroy ; elle était née à Lisieux le 27 juin 1867. Elle fit profession chez les bénédictines de Lisieux le 2 juillet 1900 et y mourut le 19 mars 1935.

Le témoignage de cette religieuse ne nous apporte rien de spécial. Elle fait allusion à quelques faits de l’adolescence de Thérèse, du reste déjà bien connus per l’Histoire d’une âme, mais ne dit rien de ce que pouvait être pour elle l’âme de la sainte en ces années.

Nous attribuons une valeur spéciale à ce qu’elle nous dévoile relativement à deux religieuses anciennes de la communauté des bénédictines de Lisieux qui étaient opposées à Thérèse. La première, qui la définissait par sa " susceptibilité ", avait bien saisi cette note typique du caractère de Thérèse, ce point sur lequel la sainte eut beaucoup à lutter ; l’autre, qui avait l’esprit de contradiction, disait ne pas croire " à toutes ces saintetés mystiques " : elle n’avait donc rien compris à Thérèse et à son esprit.

Le témoin a déposé dans le parloir de son monastère le 13 mars 1917, au cours de la session 70, et sa déposition va de la page 1470 à la page 1374 de notre Copie publique.

[Session 70 : - 13 mars 1917, à 9h.]

 

[1370] [Le témoin répond correctement à la première demande].

Réponse à la deuxième demande] :

Je m’appelle Marguerite-Léonie-Augustine Leroy, née à Lisieux le 27 juin 1867 de Ferdinand Leroy, employé de commerce, et de Clémentine-Malvina Rivière. Je suis religieuse professe des bénédictines de Lisieux où j’ai fait profession le 2 juillet 1900.

[Le témoin répond correctement de la troisième à la cinquième demande].

[Réponse à la sixième demande] :

Je n’ai aucun sentiment qui puisse m’empêcher de dire la vérité. Personne non plus n’a cherché à m’influencer dans mon témoignage.

[Réponse à la septième demande] :

J’ai connu la Servante de Dieu, surtout dans les années 1881, 1882, 1883. J’étais alors, comme elle, élève demi-pensionnaire des dames bénédictines de Lisieux. En 1883, je quittai le pensionnat, et par conséquent je vis moins souvent la Servante de Dieu. Cependant, jusqu’à son entrée au Carmel, en 1888, comme j’avais des relations assez fréquentes avec la famille Guérin, j’eus occasion de la rencontrer quelquefois.

[1371] Après son entrée au Carmel, je n’eus plus avec elle de relations aucunes.

[Réponse à la huitième demande] :

J’ai une grande dévotion à la Servante de Dieu, et je l’invoque avec confiance. Je désire sa béatification parce que je crois qu’elle sera pour la gloire de Dieu et le bien des âmes.

[Réponse à la neuvième demande] :

Je ne sais rien de particulier sur ce point.

[Réponse à la dixième demande]

Lorsque Thérèse Martin vint aux bénédictines, à l’âge de 8 ans et demi, en 1881, j’y étais moi-même élève depuis plusieurs années. J’avais alors 14 ans. Quoique, à cause de cette différence d’âge, je ne fusse pas dans la même section, j’avais pourtant quelques occasions de l’observer. J’ai remarqué en particulier qu’elle paraissait timide et extrêmement sensible. Elle avait cependant une gaieté douce et aimable. Je ne crois pas avoir remarqué à cette époque qu’elle eût à souffrir de ses compagnes. Mais elle le laisse entendre dans l’histoire de sa vie, et je me rends compte après coup qu’il en devait être ainsi : il y avait en effet un contraste frappant d’éducation, de caractère et de piété entre elle et plusieurs de ses compagnes précisément de son âge.

Je me rappelle plus particulièrement trois traits de sa vie à cette époque : 1 Pour les moindres [1372] détails, elle était en peine de ne pas contrister sa soeur Pauline. 2 Comme j’étais présidente d’une association de piété dans la maison, elle vint me demander conseil pendant la récréation, suivant la coutume de la maison. Elle avait environ 10 ans, et je fus très surprise de sa question : elle me demanda en effet de lui expliquer comment on faisait la méditation. 3 Je crois me souvenir aussi qu’elle m’expliqua alors comment elle-même faisait oraison près de son lit : elle se cachait dans la ruelle, me disait-elle, et là " je pense " 1. Mais comme plusieurs de nos soeurs m’ont rapporté qu’elle leur avait dit cette même parole, et qu’on s’en est souvent entretenu dans la communauté, même avant la publication de l’ " Histoire d’une âme ", je me suis prise à douter si vraiment elle-même me l’avait dit ou si je l’avais seulement entendu rapporter par nos soeurs ; en tous cas, il n’est pas douteux qu’elle ait dit à quelqu’une de nous cette parole. Je n’ai pas d’autres souvenirs précis ni sur sa maladie ni sur sa première communion.

Après qu’elle fut sortie de la pension, je la rencontrais quelquefois dans sa famille ou à l’église. Elle avait gardé son attitude réservée, manifestait une piété très profonde, mais à la fois très simple et nullement guindée. Il me semble qu’elle communiait plus fréquemment que ne le faisaient à cette époque les jeunes de son âge.

[Réponse de la onzième à la cinquante-sixième demande] :

Je n’ai aucune information personnelle sur ces questions.

 

[1373] [Réponse à la cinquante-septième demande] :

D’une manière générale, dans notre communauté on croit à la sainteté de la Servante de Dieu, on l’invoque et on a confiance en son intercession. On croit que l’"Histoire de sa vie " exprime la vérité à son sujet. J’en suis moi-même d’autant plus persuadée, que l’ayant connue elle-même ainsi que sa famille, je retrouve dans ce livre la vérité de ce que j’ai observé.

[Réponse à la cinquante-huitième demande] :

J’ai connu dans notre communauté deux de nos soeurs, anciennes maîtresses, qui émettaient sur la sainteté de la Servante de Dieu une opinion moins favorable. Elles n’articulaient cependant aucune accusation précise. L’une insistait sur la grande sensibilité de Thérèse enfant, qu’elle appelait " de la susceptibilité " ; quant à l’autre, il est notoire dans la communauté qu’elle a un esprit de contradiction très accentué et un jugement peu sûr. Du reste, elle ne dit rien de précis, sinon " qu’elle ne croit pas à toutes ces saintetés mystiques ".

[Réponse de la cinquante-neuvième à la soixante-cinquième demande inclusivement] :

J’entends dire dans la communauté qu’on a obtenu des grâces personnelles par son intercession, mais je ne connais personnellement aucun fait qu’on puisse qualifier miracle.

[Réponse à la soixante-sixième demande] :

Je ne vois pas autre chose à dire.

 

[1374] [Au sujet des Articles, le témoin dit ne savoir que ce qu’il a déjà déposé en répondant aux demandes précédentes. - Est ainsi terminé l’interrogatoire de ce témoin. Lecture des Actes est donnée. Le témoin n’y apporte aucune modification et signe comme suit] :

Signatum : SOEUR MAR ;E DU SAINT ROSAIRE, témoin, j’ai déposé comme cidessus selon la vérité, je le ratifie et je le confirme.

 

TÉMOIN 25

ADOLPHE ROULLAND, M.E.P.

Le dernier témoin qui déposa au Procès Apostolique de Bayeux-Lisieux est le célèbre et sympathique " frère spirituel " de Thérèse, Adolphe-Jean Roulland, des Missions Étrangères de Paris.

L’Histoire d’une âme a fait connaître les relations spirituelles de Thérèse avec ce jeune missionnaire, son second frère, à qui sont également adressées six lettres de l’Épistolaire. La nouvelle édition " du centenaire " de la " Correspondance Générale " a récemment porté à la connaissance du public les lettres du P. Roulland à mère Marie de Gonzague et à Thérèse, dans lesquelles se révèle son âme ardente et souriante. Né à Cahagnolles (Calvados) le 13 octobre 1870, il entra très jeune aux Missions Étrangères de Paris et fut ordonné prêtre le 28 juin 1896. Peu auparavant mère Marie de Gonzague lui avait donné comme soeur, Thérèse, " la meilleure entre les bonnes " du Carmel de Lisieux. Le 3 juillet suivant le P. Roulland célébrait une de ses premières messes au Carmel et s’y entretint avec Thérèse. Après quelques années en Chine (1896-1909), il rentra en France pour y travailler au service de son Institut. Il mourut à Dormans (Marne) le 12 juin 1934.

Son témoignage répète des données et des faits déjà déposés au Procès de 1912’. Il se réfère avant tout à sa correspondance avec Thérèse, et ajoute quelques brèves informations sur la diffusion en Orient de la dévotion envers la sainte carmélite parmi ses confrères des Missions Étrangères et les Trappistines.

Le témoin a déposé dans la sacristie de la cathédrale de Bayeux le 14 avril 1917, au cours de la session 71, et son témoignage se trouve aux pages 1384-1391 de notre Copie publique.

[Session 71 : - 12 avril 1917, à 9h.]

 

[1384] [Le témoin répond correctement à la première demande].

[Réponse à la deuxième demande] :

Je m’appelle Adolphe-Jean Roulland, né à Cahagnolles, le 13 octobre 1870, de Eugène Roulland, maréchal ferrant, et de Marie Ledresseur. Je suis prêtre de la Société des Missions Étrangères de Paris et actuellement directeur au Séminaire des Missions Étrangères à Paris.

[Le témoin répond correctement de la troisième à la cinquième demande].

[Réponse à la sixième demande] :

Je n’ai d’autre souci que de dire la vérité.

[Réponse à la septième demande] :

Je n’ai pas connu la Servante de Dieu ni sa famille avant 1896. A cette époque, je venais de recevoir le sacerdoce, et j’allais partir en mission. Le révérend père Norbert, prémontré de Mondaye, diocèse de Bayeux, mon compatriote, intervint sur ma demande au Carmel de Lisieux, pour obtenir de la prieure qu’une religieuse du monastère fût désignée pour prier spécialement pour moi et ma mission. Soeur Thérèse, que je ne connaissais pas jusque-là, fut désignée. J’allai dire ma messe au Carmel au commencement de juillet. Ce jour-]à, j’entretins soeur Thérèse de l’Enfant Jésus, au parloir, avant et après ma messe. Parti en mission, au Sut-Chuen, je restai en relation épistolaire avec la Servante de Dieu pendant [1385] cette dernière année de sa vie. Je reçus d’elle environ six lettres.

[Réponse à la huitième demande] :

Oui, j’ai une grande dévotion à la Servante de Dieu et je désire sa béatification, 1 parce que je crois qu’elle a eu les vertus d’une sainte, 2 parce que je crois que sa béatification sera utile à la gloire de Dieu et au salut de beaucoup d’âmes.

[Réponse de la neuvième à la treizième demande inclusivement] :

Etant donné ce que je viens de dire sur les circonstances de mes relations avec la Servante de Dieu, il est évident que je ne sais rien personnellement sur les détails de ces questions.

[Réponse de la quatorzième à la quarante-sixième demande inclusivement] :

Ne connaissant la Servante de Dieu que par deux entretiens au parloir et l’échange d’une demi-douzaine de lettres, je ne pourrai rien dire de précis sur le détail de chaque vertu ; mais je puis dire, en répondant à votre question, ce que j’ai observé à l’occasion de ces quelques relations.

La correspondance de soeur Thérèse (que j’ai versée au Procès des écrits), est toujours très édifiante, même dans les passages qui montrent sa gaieté. Elle révèle chez elle un amour tout confiant en Dieu. Je suis porté à croire que sa " voie d’enfance spirituelle " se ramène à un abandon complet à la volonté de Dieu [1386] qu’elle aime pour lui-même. Cet amour de Dieu est le mobile qui lui fait accepter de s’unir aux oeuvres d’un missionnaire. Elle veut que cette union ne soit connue que de Dieu seul. Comme je lui avais promis de prier aussi pour elle, elle me donne dans une lettre la formule que je dois employer pour cela : " Demandez-lui de m’embraser du feu de son amour, afin de le faire aimer des âmes " 1. Et peu de temps avant sa mort elle m’écrit : " Je ne désire pas que vous demandiez au bon Dieu de me délivrer du purgatoire ; mais faites à Dieu cette prière : ‘Permettez à ma soeur de vous faire encore aimer’ (après sa mort) " 2,

La volonté de Dieu est tout pour elle. Elle me dit : " En dehors de cette aimable volonté, nous ne pourrions rien ni pour Jésus, ni pour les âmes " 3.

Elle m’avait parlé dans une lettre de " sa conversion ". Je lui demandai l’explication de cette parole, et elle m’avoua que " sa conversion " signifiait une action intense de Dieu sur son intelligence et sur son coeur 4.

Elle envisage la justice de Dieu d’un point de vue qui en fait un argument de plus pour exciter sa confiance. " C’est parce qu’il est juste - dit-elle - qu’il est compatissant. Il connaît notre fragilité, et se souvient que nous ne sommes que poussière... Je ne comprends pas les âmes qui ont peur d’un si tendre ami... Lorsque je lis certains traités spirituels, où la perfection est montrée à travers mille entraves, mon pauvre petit esprit se fatigue bien vite ; je ferme le savant livre qui me casse la tête et me dessèche le coeur. Je prends l’Écriture Sainte, et alors la perfection me semble facile. Je vois qu’il suffit de [1387] reconnaître son néant et de s’abandonner comme un enfant dans les bras du bon Dieu " s.

[Réponse aux demandes quarante-septième et quarante-huitième] :

Oui, je suis convaincu que soeur Thérèse a pratiqué les vertus comme font les saints. Je vois dans sa vie une unité de direction assumée par la prééminence de l’abandon parfait par amour pur. Cette idée, elle l’a, pour ainsi dire, dès le berceau ; puis elle se développe, se purifie, tantôt par une intervention spéciale de la Providence, comme en ce qu’elle appelle " sa conversion ", tantôt insensiblement par l’exercice même des vertus religieuses. Je vois dans ses lettres que vraiment elle ne voyait que Dieu et ne voulait que Dieu, par amour pur et absolument désintéressé.

Tout à fait à la fin de sa vie elle m’écrit : " Je ne m’inquiète pas de l’avenir ; je suis sûre que le bon Dieu fera sa volonté : c’est la seule grâce que je désire. Je lui demande de se contenter en moi, c’est-à-dire, de ne faire aucune attention à mes désirs, soit de l’aimer en souffrant, soit d’aller jouir de lui au ciel... C’est avec bonheur que je vous annonce ma prochaine entrée dans la bienheureuse cité. Ce qui m’attire dans la patrie des cieux, c’est l’espoir d’aimer enfin Dieu comme je l’ai tant désiré, et la pensée que je pourrai le faire aimer d’une multitude d’âmes qui le loueront éternellement ".

Sa prière (qu’elle me fait connaître dans ses lettres) indique que c’est pour accomplir parfaitement la volonté de Dieu qu’elle veut arriver " au degré de gloire " que Dieu lui a préparé : " Que je devienne martyre [1388] de votre amour, ô mon Dieu ! " 7.

C’est précisément parce qu’elle ne perd jamais de vue cet amour pur que sa vertu me semble héroïque. Beaucoup de prêtres et de religieux donnent à l’amour des souffrances la palme sur tout le reste : c’est une manière d’entendre la perfection. L’abandon et la confiance parfaite qui acceptent indifféremment " la mort ou la vie " en est une autre. Monseigneur Gay appelle cette voie " le ciel des cieux " et c’est, à son avis, le plus haut degré de la sainteté.

[Réponse aux demandes quarante-neuvième et cinquantième] :

Je ne sais pas.

[Réponse à la cinquante-et-unième demande] :

On connaît ses écrits qui ont été publiés. Personnellement, j’ai reçu d’elle, comme je l’ai dit, un certain nombre de lettres, et c’est surtout par ces lettres que je la connais et que je la juge. Mais je n’ai pas la moindre hésitation à reconnaître dans ces lettres l’expression absolument vraie et certaine de l’état de son âme : la simplicité et le naturel de ces lettres en rendent la vérité évidente.

J’ai lu attentivement ses autres écrits et je ne crois pas qu’il y ait rien dans sa doctrine qui soit en opposition avec la vérité catholique. Sa " petite voie " en particulier, si elle est bien comprise, ne porte pas du tout les âmes à l’oubli des combats et des luttes qu’exige la perfection. Elle n’exclut rien de ce qui crucifie la nature, mais elle a le secret de le faire aimer. L’amour qu’elle [1389] prêche n’est pas un amour inactif. J’ai d’ailleurs constaté par expérience que les âmes qui étudient ses écrits, y trouvent un stimulant à la générosité et à la ferveur pratique.

[Réponse de la cinquante-deuxième à la cinquante-cinquième demande inclusivement] :

J’étais en Chine, lors de ces événements.

[Réponse à la cinquante-sixième demande]

J’ai été prier sur le tombeau de la Servante de Dieu, quand j’ai eu l’occasion de venir à Lisieux, c’est-à-dire, deux fois. Je sais aussi que mes confrères de la Société des Missions Étrangères y viennent volontiers. Par eux et par moi-même, je sais que l’on trouve habituellement plusieurs personnes priant sur la tombe, et nous avons été frappés particulièrement du recueillement et de la confiance que témoignent ces pèlerins.

[Réponse à la cinquante-septième demande] :

Personnellement, j’ai des raisons de croire absolument à la sainteté de soeur Thérèse et à la puissance de son intercession. Le 8 septembre 1890, j’avais des hésitations sur ma vocation et sur mon entrée au grand séminaire. Pendant que je priais à la chapelle de Notre-Dame de la Délivrande, je fus subitement et définitivement fixé. Or, je sus plus tard que ce même jour, 8 septembre 1890, qui était le jour de la profession de la Servante de Dieu, elle avait demandé à Notre Seigneur de lui donner une âme de prêtre, et elle-même me signala le lien de ces deux événements. J’attribue sans hésitation à son intercession [1390] un grand nombre de grâces spirituelles.

Je puis témoigner que spécialement dans nos missions du Japon, de la Chine et des Indes, non seulement la confiance en la sainteté et le pouvoir d’intercession de soeur Thérèse est très répandue, mais qu’elle exerce vraiment une influence très remarquable dans la conversion des âmes et leur avancement dans la vertu. Au Japon en particulier, beaucoup de religieuses trappistines disent qu’elles doivent leur vocation à l’influence de soeur Thérèse de l’Enfant Jésus, dont elles ont lu la vie.

Je ne crois pas qu’on ait rien fait pour créer à soeur Thérèse une réputation de sainteté et de miracles, ou pour cacher quoi que ce soit qui serait contraire à sa Cause.

[Réponse à la cinquante-huitième demande] :

Je ne connais aucune opposition faite à cette Cause, bien au contraire, j’entends de tous côtés qu’on désire sa béatification.

[Réponse de la cinquante-neuvième à la soixante-cinquième demande inclusivement] :

Je n’ai été personnellement témoin d’aucun miracle proprement dit.

[Réponse à la soixante-sixième demande] :

Je n’ai rien à modifier à mon témoignage.

 

[1391] [Au sujet des Articles, le témoin dit ne savoir que ce qu’il a déjà déposé en répondant aux demandes précédentes. - Est ainsi terminé l’interrogatoire de ce témoin. Lecture des Actes est donnée. Le témoin n’y apporte aucune modification et signe comme suit] :

Signatum : ADOLPHE ROULLAND, testis, ita pro veritate deposui, ratum habeo et confirmo.

 

 

 

DOCUMENTS RELATIFS À DEUX MIRACLES ATTRIBUÉS

A L’INTERCESSION DE SOEUR THÉRÈSE DE L’ENFANT-JÉSUS

Sur la liste des témoins au Procès Continuatif, au n. 8, nous avons indiqué les " Témoins sur les miracles attribués à Thérèse ". En réalité il s’agit des témoignages relatifs aux guérisons suivantes :

- en 1906, au terme d’une neuvaine, Charles Anne, séminariste de Lisieux, guéri d’une tuberculose pulmonaire déclarée incurable ;

- en 1910, un vieillard, Ferdinand Aubry, hospitalisé chez les Petites Soeurs des Pauvres de Lisieux, guéri d’un cancer à la langue.

Les deux guérisons, on s’en souvient, furent l’objet d’un examen attentif dès le premier Procès, en 1911 (cfr. Vol. I, Articles, nn. 126, 149 ; Copia Publica Proc. Ordin., sess. 88-93, ff. 1332r1403r), sur la déposition des mêmes témoins qu’au Procès Apostolique.

Pour le cas de l’abbé Charles Anne, nous trouvons l’abbé lui-même, vicaire à Pont-l’Evêque (pp. 1431-1440) ; ses parents, Prosper-Alexandre Anne (pp. 1406-1411) et Joséphine-Reine Hare (pp. 1412-1417) ; son médecin, le docteur Paul Loisnel (pp. 1403-1406) ; la Soeur Avarie Saint-Ignace (Clémence François), des religieuses de l’Immaculée-Conception de Nogent-le-Rotrou, à qui est due l’initiative de la neuvaine de prières à Thérèse pour obtenir la guérison (pp. 1422-1430). Enfin, comme cotémoin ex officia, nous avons l’abbé Polydore Morel, curé-doyen de Pont-l’Evêque où l’abbé Anne était vicaire (pp. 1445-1448).

Sur la demande du sous-promoteur Mgr T. Dubosq dans la session 74, le 3 août 1917 (p. 1449), deux médecins experts, les docteurs Adolphe-Jean Leprévost et Alexandre-Damase de Cornière -médecin du Carmel qui soigna Thérèse pendant sa maladie - firent une visite de contrôle à l’abbé Anne, attestant ensuite - session 76, du 4 août suivant (pp. 1462-1466) - que le bon état de santé du prêtre se maintenait.

Pour le cas de Ferdinand Aubry, ont déposé les Petites Soeurs des Pauvres de Lisieux, chez qui le vieillard était hospitalisé : Soeur Saint-Charles Borromée Cario, supérieure (pp. 1477-1486) ; Soeur Laurentine-Thérèse Pinçon (pp. 1486-1492) ; Soeur Domitille de Saint-Laurent Belpecr (pp. 1499-1506) ; Soeur Sainte-Martine Laffargue (pp. 1507-1514). Autre témoin, le médecin ordinaire des Petites Soeurs des Pauvres de l’asile de Lisieux, le docteur Victor Eugène-Albert Viel, qui avait soigné F. Aubry (pp. 515-1521). Comme on le sait, des deux guérisons une seule fut retenue pour la Cause, celle de l’abbé Anne ; elle sera un des miracles approuvés pour la béatification de Thérèse (cfr. A.A.S. 15 [1923] 169).

[Vérification de la tombe et reconnaissance des restes de la Servante de Dieu]

Selon les normes du droit, avant de conclure le Procès Apostolique on dut procéder à la vérification de la tombe de la Servante de Dieu, à l’exhumation de sa dépouille mortelle et à la reconnaissance des reliques conservées au Carmel de Lisieux.

En ce qui concerne la vérification de la tombe, l’abbé Alexandre-Charles Maupas, curé de Saint-Jacques de Lisieux et supérieur du Carmel, qui avait été déjà quinzième témoin au Procès Apostolique inchoatif (p. 1543) et soeur Marie-Elisabeth Hamard de Sainte Thérèse (1860-1935), tourière du Carmel, furent appelés à déposer dans la chapelle du Carmel, au cours de la session 80, le 9 août 1917. Ils avaient assisté en 1897 à la sépulture de Thérèse et en 1910 à la première exhumation : c’est pourquoi ils étaient en mesure de parler avec certitude de la tombe de la Servante de Dieu.

Après ces dépositions de pure formalité, le Tribunal dut s’occuper de l’exhumation. C’est pourquoi l’on a, dans notre Copie publique, toute la documentation relative, précédée d’une description très soignée du cimetière de Lisieux et de la partie réservée aux carmélites déchaussées, lieu de la tombe de Thérèse. Le texte comporte aussi un graphique (plan de la concession des carmélites dans le cimetière), avec une photographie originale et deux cartes relatives à cette concession, et spécialement à la tombe de la Servante de Dieu (pp. 1546-1550). Dans l’après-midi du 9 août, en présence du Tribunal et devant une véritable foule accourue sans avoir été avertie ni invitée, la sépulture de Thérèse fut ouverte : le cercueil de 1910 en fut retiré, puis transporté, avec les formalités juridiques requises, dans la chapelle centrale du cimetière, dont la porte fut ensuite fermée et scellée. Pendant toute la nuit quatre gardes et quelques hommes qui s’étaient offerts spontanément gardèrent l’entrée (pp. 1551-1582).

Le 10 août - anniversaire de l’ouverture du Procès Ordinaire (1910) - eut lieu la 81ème session, consacrée à l’ouverture du cercueil, à la reconnaissance des ossements et des autres restes, à la redéposition de ces restes, enveloppés dans de la soie et du lin fin, dans un nouveau cercueil de chêne, enfermé à son tour dans deux autres cercueils de plomb et de palissandre. Dans le Procès il y a plusieurs photographies de ces cercueils, tandis que la narration des actes de la session descend jusqu’aux plus petits détails. Il faut noter qu’à la reconnaissance étaient présentes deux religieuses du Carmel, autorisées par monseigneur l’évoque à sortir de la clôture pour disposer elles-mêmes les ossements précieux, une fois reconnus. Les deux moniales étaient soeur Geneviève de Sainte Thérèse (Céline) et soeur Madeleine de Jésus (1875-1940), qui était entrée au Carmel en 1898 et n’avait donc pas connu la Servante de Dieu (pp. 1555-1563).

Après le transport triomphal de la chapelle du cimetière au premier sépulcre, en partie rénové et mieux protégé contre l’humidité, le Tribunal se transférait au Carmel de Lisieux (à qui f ut remis le cercueil qui avait contenu les ossements de Thérèse depuis l’exhumation de 1910) pour l’examen des différentes reliques de la Servante de Dieu conservées au monastère. Fut appelée à déposer, comme unique témoin, la prieure Agnès de Jésus, avec, pour confirmer son serment de vérité, soeur Geneviève de Sainte Thérèse et soeur Madeleine de Jésus. Huit reliquaires furent présentés au Tribunal - parmi ceux-ci, d’une importance et d’une valeur particulières, le reliquaire contenant la chevelure complète de Thérèse, coupée à la Vêture - qui les scella.

Le 11 août le Tribunal se réunissait -à nouveau dans la sacristie du Carmel pour les relations que devaient faire les deux médecins experts sur l’état du corps de Thérèse, comme résultat de la reconnaissance du jour précédent. Les docteurs Alexandre Damase de Cornière (pp. 1567-1571) et Paul Boisnel (pp. 157t-1584) déjà bien connus, déposèrent longuement.

Avec ceci, le Procès Apostolique de Bayeux-Lisieux était pratiquement terminé. Les sessions successives (83-90), qui eurent lieu les 10, 19, 20, 22, 24, 29 septembre et le 6 octobre 1917, furent consacrées aux dernières formalités juridiques complémentaires et à la collation des deux exemplaires du Procès destinés à Rome (pp. 1586-1694).

La dernière session, la 91ème, célébrée publiquement d’une façon très solennelle dans la merveilleuse cathédrale gothique de Bayeux le 30 octobre, fut la session de clôture du Procès (pp. 1694-1705).

[Session 80 : - 9 août 1917, à 3h. de l’après-midi]

[1542] [Du lieu de la tombe de la Servante de Dieu] :

Témoin 1 : ALEXANDRE MAUPAS

[1543] [Réponse du premier témoin] : Je m’appelle Alexandre Charles Maupas, ne le 27 août 1850, à Mesnil-Ozouf. Je suis prêtre, curé de Saint-Jacques de Lisieux et supérieur du Carmel. J’assistai à l’inhumation de soeur Thérèse de l’Enfant Jésus en 1897. Elle fut inhumée au cimetière de la ville, dans la partie réservée aux carmélites, au fond, à droite.

J’ai aussi assisté à l’exhumation qui fut faite par ordre de monseigneur de Bayeux, le 6 septembre 1910. Le corps de soeur Thérèse fut alors transféré dans une autre tombe, située à gauche en entrant, dans le même terrain des carmélites. C’est là que son corps repose maintenant.

Signatum : ALEXANDRE MAUPAS, supérieur, j’ai juré comme ci-dessus.

Témoin 2 : SOEUR MARIE-ELISABETH

[Réponse du deuxième témoin] :

[1545] Je m’appelle Marie Hamard , née à Couternes, diocèse de Séez, le 13 octobre 1860. Je suis religieuse tourière au Carmel de Lisieux depuis 27 ans.

J’étais présente à l’inhumation de soeur Thérèse de l’Enfant Jésus, au commencement d’octobre 1897. On l’a enterrée dans notre cimetière, c’est-à-dire dans la partie qui nous est réservée au cimetière de la [1544] ville. Sa tombe était à droite en entrant, au fond, dans l’angle contre la grille.

On l’a exhumée le 6 septembre 1910, pour la mettre dans le caveau où elle est ;actuellement. J’assistai à cette translation. La nouvelle tombe se trouve à l’entrée du cimetière des religieuses à gauche. Je viens souvent en pèlerinage au cimetière. Le pèlerinage est d’ailleurs très fréquenté, et il est notoire que le corps n’a plus été sorti de cette tombe.

Signatum : Soeur MARIE-ELISABETH.

[Les juges, sous-promoteurs et témoins se rendent au cimetière].

[Jeanne Bonnelle, gardienne du cimetière de Lisieux, est price d’indiquer l’endroit de la sépulture].

Témoignage de JEANNE BONNELLE

[Interrogé sur son état-civil, le témoin répond] :

Je m’appelle Jeanne Bonnelle, femme Bonhoure, née à Lisieux, le 26 juillet 1877. Je suis gardienne du cimetière public de la ville de Lisieux depuis l’année 1912.

[Où la Servante de Dieu, Thérèse de l’Enfant-Jésus a-t-elle été ensevelie ?] :

Je n’ai assisté ni à la première inhumation de soeur Thérèse, ni à la translation. Les gardiens qui ont fait le service avant moi m’ont dit qu’ils avaient assisté à ces cérémonies, que la première tombe était dans la partie de droite, au fond de la concession des carmélites. Je suis témoin qu’il y a un pèlerinage ininterrompu au second caveau qui se trouve à gauche en entrant.

[Prié de le faire par qui de droit, le notaire a rédigé la relation que voici] :

[1546] Le grand cimetière, commun aux diverses paroisses de Lisieux, se trouve en dehors de la ville, à une distance d’environ un kilomètre des dernières maisons, du côté du sud, sur le territoire de la paroisse de Saint-Jacques. Il s’étend en forme de rectangle allongé de l’ouest à l’est sur une longueur d’environ 300 mètres et une largeur de 100 à 150 mètres.

Vers l’extrémité est, et dans l’angle sud-est, se trouve un espace rectangulaire limité par un petit mur de briques surmonté d’une grille en fer. Cet espace est affecté à la sépulture des carmélites : il mesure environ 10 mètres en longueur (ouest-est) et 5 mètres 50 en largeur (nord-sud). L’entrée de l’enclos est formée par une marche ascendante et une petite porte dans la grille de fer, au milieu du côté sud.

Dans ce terrain il y a d’abord, le long du côté nord, une rangée de sept tombes. La dernière à droite, de ces sept tombes, dans l’angle nord-est de la concession, ne porte plus de croix : c’est un simple monticule irrégulier de terre remuée. C’est l’emplacement de la première sépulture de la Servante de Dieu.

En avant de cette rangée de sept tombes, il y a une deuxième rangée en formation, donc plus au sud et vers l’entrée. A droite de l’entrée, il y a trois tombes. A gauche de l’entrée, une seule tombe qui occupe à peu près le milieu de l’espace entre la porte d’entrée et le [1547] mur de l’ouest. Cette tombe est la sépulture actuelle de la Servante de Dieu ; elle y repose depuis le 6 septembre 1910. On a consolidé par un dallage en briques l’espace qui environne cette tombe, à la distance d’environ 0,80 m. tout autour. Sur la tombe est fixée une croix de fer, peinte en blanc, sans ornements mais un peu plus grande que les croix de bois qui sont sur les autres tombes contenues dans l’enclos. Seulement, au nom de la religieuse défunte, que comportent seul les autres croix, on a ajouté ici une parole dite par la Servante de Dieu. On lit donc : " 1873-1897. - Soeur Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face. - ‘Je veux passer mon ciel à faire du bien sur la terre’ ". Cette croix est littéralement couverte de " graffiti ". Le tertre est tout couvert de fleurs.

Près de l’entrée de l’enceinte, à gauche de la porte d’entrée une plaque de tôle est suspendue à la grille, portant cette inscription : " Par prudence et pour obéir aux prescriptions de l’Église, il est expressément défendu d’allumer des cierges sur le tombeau de soeur Thérèse de l’Enfant Jésus ".

Enfin, il est bon de noter qu’il existe, dans le cimetière de Lisieux, un autre terrain également limité par une grille et un petit mur, et affecté autrefois à la sépulture des carmélites, mais cette concession plus ancienne se trouve vers le centre du cimetière, tandis que celle qui renferme le tombeau de la Servante de Dieu est à l’extrémité est.

[1551]

Tombe et restes de Soeur Thérèse

[Session 81 : - 10 août 1917, à 9h. et à 2h. de l’après-midi]

[1555]

[1556]

Lecture est donnée de l’excommunication à encourir " ipso facto " par quiconque présumerait de prendre ou déposer quoi que ce soit au cours de l’ouverture de la tombe.

L’évêque donne alors l’ordre d’ouvrir la tombe. On trouve le ‘loculus’ à deux mètres de profondeur. Il est parfaitement ferré et mesure deux mètres vingt sur un mètre.

Le cercueil de chêne en est retiré et porté dans la chapelle funèbre du cimetière. Il mesure deux mètres 08 de longueur 60 centimètres de hauteur du côté de la tête et 52 du côté des pieds. 86 centimètres de largeur du côté de la tête. et 66 du côté des pieds.

On lit l’inscription suivante sur une plaque métallique que porte le cercueil : "Soeur Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face, Marie-Françoise-Thérèse Martin, 1873-1897."

Tout est reconnu conforme aux actes de la précédente reconnaissance et déposition du corps de la Servante de Dieu. [1557]

Sur l’ordre de l’évêque. le cercueil de chêne est ouvert, et un cercueil de plomb en est retiré. Il mesure environ deux mètres 02 de longueur, 80 centimètres de largeur du côté de la tête et 60 du côté des pieds, 64 centimètres de hauteur du côté de la tête et 46 du côté des pieds. Les quatre sceaux de Thomas-Paul-Henri Lemonnier, évoque de Bayeux et Lisieux, et Roger de Teil, vice-postulateur, étaient intacts aux quatre angles du cercueil. Description en est donnée.

Le cercueil de plomb portait la même inscription que le cercueil de chêne.

Sur l’ordre de l’évêque. on ouvre le cercueil de plomb. On trouve alors un autre cercueil de bois. mais sans couverture et pour une part, endommagé.

Ce cercueil contenait : 1) des ossements de la Servante de Dieu ; 2) des vêtements de la même, les uns plus anciens, les autres plus récents 3) beaucoup de poussière et de sciure 4) un tube de plomb scellé du sceau de l’évêque. Ce tube fut ouvert. Il contenait un Parchemin dont voici la teneur :

L’an du Seigneur 1910, le 6 septembre, en présence de sa grandeur monseigneur Lemonnier, évêque de Bayeux et Lisieux, de monsieur A. Quirié, vicaire général, de monsieur le chanoine Dubosq, supérieur du grand séminaire, de monsieur le chanoine Deslandes, archiviste du diocèse, de messieurs les curés des trois paroisses de Lisieux, de monseigneur R. de Teil, de plusieurs chanoines et de prêtres, de messieurs les docteurs de Cornière et La Néele, de quelques autres personnes et de monsieur le commissaire de police de Lisieux, les restes de la Servante de Dieu soeur Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face, Marie-Francoise-Thérèse Martin, ont été exhumés, sur l’ordre de monseigneur l’évêque de Bayeux, désireux de mieux assurer leur conservation. Le corps, revêtu du [1558] costume des carmélites et placé dans un cercueil de sapin avait été inhumé le 4 octobre 1897, devant plusieurs des personnes ci-dessus désignées, à 3 mètres de profondeur.

La fosse, qui n’a pas été fouillée depuis lors, était située en première place à l’angle sud-est d’un terrain rectangulaire, clos de murs, affecté à la sépulture des carmélites, dans le cimetière de la ville de Lisieux, section J.A.3.

Le cercueil reposait à la place et à la profondeur indiquées ; il a été remonté, avec grandes précautions, par les fossoyeurs attitrés du cimetière, dans un état d’altération presque complète à la partie inférieure. Retiré avec un religieux respect, avant d’être déposé dans une bière de plomb, il est reçu à la psalmodie du psaume " Laudate pueri Dominum ". A l’ouverture du cercueil, on ne trouve que les ossements enveloppés dans la bure du Carmel. Alors les témoins présents ont signé le présent procès-verbal pour être déposé dans le cercueil de plomb, enfermé dans un tube de métal.

Fait à Lisieux les jour et an que dessus.

+ THOMAS, évêque de Bayeux et Lisieux. Quirié - Dubosq - Deslandes - Docteur de Cornière - Docteur La Néele - Pour le commissaire de police Fourquemin - Ducellier- Chachelou - Pitrou - Maupas - R. de Teil - Bisson - Durel.

 

[1561]

Les docteurs Alexandre de Cornière, chirurgien, et Paul Loisnel, médecin, procèdent à un examen minutieux des ossements de la Servante de Dieu.

Dans l’après-midi ces ossements sont placés dans un nouveau cercueil de chêne. soigneusement préparé à cet effet : longueur, un mètre 24 ; largeur. 40 centimètres ; hauteur, 30 centimètres. Sont présentes comme aides et témoins appelées Par l’évêque, soeur Geneviève de la Sainte-Face et soeur Madeleine de Jésus. Les ossements nommément reconnus sont enveloppés de lin et de soie par les médecins-experts et replacés ainsi par ordre dans le cercueil. Les petits morceaux d’ossements sont recueillis dans trois petits vases de verre, placés de même dans le cercueil et portant respectivement les inscriptions suivantes : " 1 Nombreux ossements des Pieds ; 2 des ossements des mains ; 3 fragments de la peau de la tête et cheveux ".

Est, en outre. déposée au bas de ce cercueil une petite plaque de plomb qui avait déjà été mise dans le cercueil du premier ensevelissement en 1897.

Moi, notaire, j’ai alors écrit sur parchemin une épigraphe témoignant brièvement de ce qui venait d’être effectué ce 10 août 1917 par l’autorité apostolique. Cette épigraphe dûment signée. je l’ai mise et fermée dans un cylindre d’étain, alors déposé dans le cercueil. Ce cercueil fut alors fermé et puis placé sous scellés, puis déposé à son tour dans un cercueil de plomb un Peu plus grand.

Des fragments de vêtements sont alors mis dans de petits sacs de soie munis des inscriptions suivantes : " 1 Fragments des vêtements avec lesquels la Servante de Dieu fut d’abord inhumée (en 1897) ". " 2 Fragments des vêtements apportés à l’occasion de l’exhumation du 6 septembre 1910 ".

Ces petits sacs furent placés dans le cercueil de plomb au pied du cercueil de bois, avec aussi l’inscription sur plombs de la précédente exhumation (1910).

Dûment fermé et mis sous scellés, le cercueil de plomb contenant le cercueil de chêne fut placé à son tour dans un cercueil de Palissandre d’un mètre 56 de longueur, de 65 centimètres et demi de largeur, et de 55 centimètres de hauteur, orné d’une croix du même bois sur la partie supérieure et portant, sur une plaque métallique, l’inscription suivante : Hic ossa..., etc.

Le cercueil fut reporté dans la tombe où avait jusque-là reposé le corps de la Servante de Dieu, des précautions Y ayant été prises contre l’humidité. La croix de fer fut replacée là où elle se trouvait précédemment avec la même inscription, à savoir :

1873-1897 - Soeur Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face. " Je veux passer mon ciel à faire du bien sur la terre ".

Enveloppés de drap de lin blanc et placés sous scellés. les cercueils précédents furent remis à la soeur sacristine du Carmel de Lisieux pour être conservés avec les reliques des vêtements de la Servante de Dieu.

D Furent alors apportés, sur l’ordre de l’évoque, les huit reliquaires contenant respectivement : 1) la chevelure complète ; 2) des fleurs composées avec cheveux ; 3) une petite dent, et, dans les cinq autres, des cheveux. Chacun des reliquaires fut muni du sceau de l’évêque.

[Déposition de la révérende mère prieure, Agnès de Jésus, au sujet des reliques de la Servante de Dieu conservées dans le monastère].

 

[1563] [Y a-t-il en clôture quelque chose du corps de la Servante de Dieu, outre les reliques qui sont dans la tombe du cimetière ; et, si oui, qu’y a-t-il ? -- Réponse] :

Nous conservons au Carmel :

1 Une chevelure complète de la Servante de Dieu.

2 Des réserves de cheveux coupés à différentes reprises.

3 Un reliquaire ouvragé avec des cheveux de la Servante de Dieu.

4 Une dent conservée depuis l’année 1884.

[1564] 5 Avant la reconnaissance des restes faite à cette présente date, un grand nombre de petits sachets, contenant quelques fragments de cheveux ont été distribués par manière de souvenir un peu partout.

Signatum. SOEUR AGNÈS DE JÉSUS, j’ai déposé comme ci-dessus.

[Session 82 : - 11 août 1917, à 9h.]

[Examen des médecins].

[Examen du docteur A lexandre de Cornière].

[1567] [Nom et situation] :

Je m’appelle Alexandre Damase de Cornière, médecin chirurgien en chef honoraire de l’hôpital de Lisieux, né à Bonnebosq, le 26 octobre 1841.

II. [Interrogé sur le constat de l’exhumation, le docteur donne lecture de la relation suivante qu’il remettra au tribunal] :

Nous soussigné de Cornière Alexandre, docteur en médecine, ex provisoire des Hôpitaux de Paris, chirurgien en chef honoraire de l’hôpital de Lisieux, sur la réquisition du tribunal ecclésiastique avons procédé à l’examen du cercueil de soeur Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face.

A l’ouverture du cercueil, le contenu se présente sous la forme d’une poussière brune, couleur de tan de laquelle émerge l’extrémité de quelques ossements importants. En explorant avec la main cette espèce de terreau, nous avons trouvé dans la partie supérieure du cercueil une certaine quantité d’os complètement isolés les uns des autres ; les plus importants se trouvent à l’autre extrémité du cercueil. Nous avons trouvé beaucoup de débris d’étoffe dont quelques-uns étaient à peine reconnaissables : il n’y avait aucune apparence de robe ou de tunique. Toutefois un ruban de soie avec inscription était assez bien conservé. Une grande partie de la poussière était formée par de la sciure.

[1568] Voici maintenant en détail la description des os tels que nous les avons trouvés.

Crane

Le crâne est complètement dénudé ; quelques cheveux sont encore trouvés dans son voisinage. Les sutures sont complètes. Le temporal commence à se désunir.

Le maxillaire supérieur porte dix dents ; la dent de sagesse gauche y sort de l’alvéole. Les deux os unguis se détachent. Le frontal et le pariétal sont intacts. L’ethmoïde est en place : son extrémité inférieure ainsi que le cornet supérieur du nez sont intacts. Le sphénoïde et l’occipital sont normaux : ce dernier est lisse. A gauche de l’atlas on trouve une petite cavité, commencement de destruction. Le temporal droit est normal et l’apophyse styloïde n’existe plus. Le temporal gauche est normal et les pariétaux sont intacts tous les deux : structure et rapports.

Le maxillaire supérieur droit est détaché en deux fragments ; le maxillaire supérieur gauche adhérent est intact, Les deux incisives supérieures manquent. L’os malaire gauche est intact ainsi que l’arcade zygomatique. Les os propres du nez sont, le droit fracturé au milieu, et le gauche intact. Les os palatins sont très friables, le droit surtout. On ne retrouve pas le vomer. Pas d’os hyoïde. Le maxillaire inférieur est bien conservé. L’avant dernière molaire droite manque et l’avant dernière gauche est carrée. Il existe une inclinaison des deux canines sur les incisives. En général les dents sont bien implantées dans les alvéoles.

Colonne vertébrale

La colonne cervicale est complète. L’atlas et l’axis [1569] ne présentent rien de particulier. A part quelques apophyses transversales, les autres sont intactes. Il n’y a que onze vertèbres dorsales. Il y a cinq vertèbres lombaires ; une partie de l’apophyse transverse de la dernière manque.

Le sacrum est intact et les deux parties supérieures sont soudées. Le coccyx n’est représenté que par une seule pièce ; on ne trouve pas les autres.

Il n’y a que vingt-trois côtes. Le sternum est soudé dans ses trois pièces supérieures : l’appendice xiphoïde n’a pas été retrouvé. Les deux clavicules sont intactes. L’omoplate droite a sa cavité glénoïde en bon état, L’omoplate gauche est fracturée.

Membres supérieurs

L’humérus droit porte 0,30 cm. de longueur. Les sutures et les ossifications sont normales et les surfaces articulaires sont intactes. Une petite partie de l’épicondyle manque.

Le cubitus droit est normal sauf une petite partie vers la surface articulaire inférieure.

Le cubitus gauche donne comme le droit 0,23 cm. de longueur. Les ossifications et les sutures sont complètes.

Le radius droit n’a pas sa tête ; il existe une fracture au niveau du col.

Le radius gauche présente une longueur de 0,21 cm. : ossification et sutures complètes. Il est normal.

Bassin

Le diamètre transverse porte 0,13 cm. 1/2 Le diamètre antéro-postérieur porte 0,13 cm. Le diamètre oblique 0 m. 14 cm. l/2

Les os iliaques sont bien conservés et les cavités cotyloïdes normales. Les trous sont triangulaires. Les épines iliaques [1570] sont normales. Pubis : lignes de suture et ossification normales.

Membres inférieurs

Le fémur droit porte 0,46 cm. de longueur : son ossification est complète et l’on voit très distinctement la ligne âpre.

Pour le fémur gauche même longueur et même ossification.

Rotules normales complètement ossifiées. Le tibia droit porte 0,34 cm. de longueur ; il est normal.

Le péroné droit porte 0,34 cm. l/2 de longueur ; état normal.

Le tibia gauche porte 0,34 cm. l/2 de longueur ; il est normal.

Il existe une petite érosion au niveau de la tête du péroné gauche qui est normal d’ailleurs et présente la même longueur que le péroné droit.

Le calcaneum droit est normal ainsi que l’astragale.

On ne trouve qu’un scaphoïde et un cuboïde qui ont un peu perdu de leur forme.

Nous ne voyons que quatre os cunéiformes en tout. Tous les métatarsiens sont intacts.

Pour les deux pieds, le gros orteil droit présente une phalange intacte ; le gros orteil gauche, deux.

Mains

Cinq métacarpiens gauches et droits sont intacts. Pour le carpe droit on ne trouve que le scaphoïde et le similunaire ; le reste manque. Pour le carpe gauche nous ne trouvons que l’os crochu, le scaphoïde et le pyramidal ; le reste manque.

Quatorze phalanges, phalangines ou phalangettes [1571] sont conservées.

Côtes

Il n’y a que onze côtes à gauche dont sept sont fracturées vers la partie externe.

Il y a douze côtes à droite dont deux sont fracturées.

En résumé, d’après les données du squelette et principalement d’après la forme du bassin nous pouvons déduire qu’il s’agit en l’espèce d’un squelette de femme dans l’âge peut-être de vingt-trois à vingt-cinq ans et dont la taille devait être environ de un mètre soixante centimètres.

En foi de quoi nous avons signé le présent rapport que nous déclarons exact et conforme à la vérité.

Lisieux, le 11 août 1917.

Signatum : DE CORNIÈRE.

[Examen du docteur Paul Loisnel].

I. [Nom et situation] : [1572] Je m’appelle Paul Loisnel, né à Lisieux le 23 mai 1862, de Alexandre Loisnel et de Justine Ménard. Je suis docteur en médecine, résidant à Lisieux, Il boulevard Duchesne-Fournet ; je suis chirurgien adjoint de l’hôpital de la ville.

II. [Interrogé sur le constat de l’exhumation, le docteur donne lecture de la relation suivante qu’il remettra au tribunal] :

Je soussigné Loisnel Paul, docteur en médecine de la Faculté de Paris, chirurgien adjoint de l’hôpital de Lisieux, médecin-légiste, serinent préalablement prêté sur les saints évangiles, en présence de monseigneur l’évoque de Bayeux et de messieurs les membres du tribunal ecclésiastique aux fins d’examiner les restes mortels de la soeur Thérèse de l’Enfant Jésus, me suis acquitté de la mission qui m’était confiée le 10 août 1917.

Le cercueil déposé dans la chapelle du cimetière, est ouvert. Il contient des os n’ayant conservé aucun rapport anatomique, mélangés à de la sciure de bois, des débris de planches, des morceaux d’étoffe noire (vestige du voile), d’une étoffe en drap brun et d’une autre en drap blanc. Avec soin et après examen minutieux de tout le contenu du cercueil, nous déposons les os sur une table spéciale, les nettoyons à l’alcool, puis procédons à la reconstitution du squelette en constituant des groupes anatomiques. Il est impossible de retrouver trace des parties molles du cadavre (peau, tissu cellulo-graisseux, [1573] aponévroses, muscles, nerfs, tendons, viscères et organes intra thoraciques et intra abdominaux). Les cheveux entourés de l’étoffe noire du voile sont agglutinés autour du crâne. De couleur châtain clair, presque blonds, ils mesurent de 8 à 10 centimètres de longueur Au milieu d’eux se trouvent un insecte coléoptère vivant, et le débris d’un autre insecte, puis une petite masse verte, brisée en plusieurs fragments auxquels adhèrent les cheveux, et qui est constituée par une épingle en cuivre oxydé.

Examen des os du squelette

A. - Tous les os du crâne ont conservé leurs rapports anatomiques. Les sutures sont intactes, ne sont pas disjointes.

1 L’os frontal n’a subi aucune déformation, n’est le siège d’aucun trait de fracture ; l’arcade orbitaire est particulièrement mince et presque tranchante. Le front est peu élevé.

2 L’ethmoïde, très friable, est relativement bien conservé. On observe intactes la partie antérieure de sa lame perpendiculaire, la lame criblée, les cellules ethmoïdales ; les masses latérales seules ont subi la désagrégation de leur partie antérieure.

3 Le sphénoïde adhère bien aux os voisins. Les grandes ailes sont intactes, la face antérieure ou orbitaire de la grande aile très friable, présente à son centre une solution de continuité, avec perte d’un petit fragment de substance osseuse ; l’extrémité inférieure de l’apophyse ptérygoïde, fracturée est absente.

4 L’occipital, en connexion parfaite avec les os voisins [1574] n’est le siège d’aucune fracture ; sa table externe sur une étendue d’un centimètre carré environ, près de l’articulation occipito-atloïdienne, a disparu. La bosse occipitale externe est peu saillante, les crêtes osseuses servant aux insertions musculaires sont peu accentuées.

5 Les deux temporaux sont intacts. Le gauche a la partie supérieure de sa portion écailleuse, détachée du pariétal sur une étendue de 5 à 6 centimètres. L’apophyse mastoïde est peu volumineuse. L’apophyse styloïde droite n’existe plus ; le tiers inférieur de l’apophyse gauche a disparu, ses deux tiers supérieurs sont remarquables par leur faible épaisseur. L’intégrité des autres portions des temporaux est complète.

6 Les deux pariétaux sont intacts, en connexions parfaites avec les autres os.

B. - Os de la face.

1 Le maxillaire supérieur gauche est intact. Le maxillaire supérieur droit est détaché, fracturé en son milieu, le sinus maxillaire séparé en deux parties, deux molaires sont sorties de leurs alvéoles mais retrouvées intactes ; deux incisives supérieures sont détachées.

2 L’os malaire gauche est intact, adhérent à l’arcade zygomatique et à l’orbite. Le droit présente un trait de disjonction près de l’arcade zygomatique.

3 Les deux unguis, très minces, très friables, s’effritent sous la pression, de petites esquilles leur appartenant sont tombées dans l’orbite.

4 Os propres du nez : le gauche est intact. Le droit, perforé en son milieu, se détache facilement des os voisins.

5 Les os palatins, très amincis, ne résistent pas à une faible pression ; ils sont disjoints sur la ligne médiane, [1575] leur bord postérieur a perdu de petits fragments.

6 Le vomer a été brisé en son milieu ; ses deux tiers supérieurs ont disparu.

7 Dans les fosses nasales quelques lamelles osseuses, très minces, ramollies, mélangées à de la sciure bois, sont les vestiges des cornets.

8 Le maxillaire inférieur est bien conservé. Son ossification est complète et la ligne mentonnière solide. Les condyles articulaires sont intacts ; les branches montantes sont normales ; les saillies osseuses d’insertion musculaire sont peu développées. L’avant dernière molaire droite est absente : je n’ai pu la retrouver. Les deux canines s’inclinent en dedans et chevauchent légèrement sur les incisives. L’avant-dernière molaire gauche a sa couronne cariée. Toutes les dents ont conservé leur fixité dans les alvéoles et n’ont aucune mobilité.

C. - Région du cou.

Le seul os de la région, I’hyoïde, a disparu et n’a pu être retrouvé.

D. - Thorax.

1 Le sternum a ses trois pièces ossifiées et en parfaite connexion. Au niveau de la poignée je constate l’intégrité des articulations sterno-claviculaires droite et gauche, et des articulations costo-sternales. L’appendice xiphoïde détaché du sternum n’a pu être retrouvé.

2 23 côtes sur 24 ont été reconnues : 12 pour le côté droit et 11 pour le côté gauche. A droite deux d’entre elles sont fracturées au niveau de leur tiers antérieur ; à gauche 7 côtes sont fracturées, 3 d’entre elles ne possèdent plus leur extrémité [1576] antérieure.

Tous les cartilages costaux ont disparu.

E. - Colonne vertébrale.

1 Région cervicale. Les 7 vertèbres composant la colonne cervicale s’offrent à notre examen. L’atlas, I’axis, sont absolument intacts, de même les 5e, 6e et 7e ; les apophyses épineuses et transverses, les facettes articulaires ne sont le siège d’aucune fracture ou perte de substance osseuse ; seule la 3e cervicale présente un trait de fracture, au niveau de son apophyse transverse gauche.

2 Région dorsale. Onze vertèbres, sur douze, composant la colonne dorsale, sont sous nos yeux. Ces onze os sont remarquables par leur état de conservation. Les corps vertébraux, les apophyses transverses épineuses, les facettes articulaires ne présentent aucune déformation ou solution de continuité. La vertèbre absente est la deuxième dorsale.

3 Région lombaire. La colonne lombaire qui se compose de cinq pièces est complète. A part la disparition de l’extrémité de l’apophyse transverse gauche de la 4é, je ne constate aucune perte de substance ou fracture des corps vertébraux ou apophyses. Caractère commun à toutes les vertèbres : l’ossification est complète.

F. - 1 Sacrum. - Cet os se compose de cinq fausses vertèbres soudées entre elles. Ces cinq pièces sont intactes. Leur ossification est complète. Sur sa face antérieure je constate que la ligne de suture de la l et de la 2 pièce n’est pas complète, un sillon peu profond d’ailleurs les sépare. Les quatre trous sacrés antérieurs sont normaux. Aucune solution [1577] de continuité résultant soit d’une fracture soit d’une perte de substance, n’existe à la surface de cet os. La crète sacrée postérieure est intacte, mais la saillie formée par la réunion des apophyses épineuses est peu développée. Les apophyses articulaires du sacrum sont bien conservées, même constatation relative aux facettes articulaires sacro-iliaques.

2 Coccyx. - Un fragment de la première pièce adhère seule au sacrum ; les 3 autres pièces n’ont pu être retrouvées ; la première pièce se détache facilement.

3 Os iliaques. - Chaque os iliaque se compose de la réunion du pubis, de l’ilion, de l’ischion, leur point de jonction centrale est le fond de la cavité cotyloïde. Les deux os iliaques que nous examinons sont intacts et leurs lignes de suture, bien apparentes, se réunissent en Y au fond de la cavité ci-dessus nommée. L’ossification est complète. Je ne constate aucune perte de substance ou fracture de ces os. Pour reconstituer le bassin osseux, nous réunissons le sacrum aux os iliaques, et nous remarquons que les fosses iliaques sont larges, plus étalées, moins concaves que celles présentées par les pièces d’un sujet masculin, que le trou obturateur a une forme triangulaire, enfin la mensuration des différents diamètres du bassin nous donne les chiffres suivants :

Diamètre antéropostérieur 12 cm. 8. Diamètre transverse 13 cm. 5. Diamètre oblique 14 cm. 5.

Cette mensuration, jointe à la conformation générale du grand et du petit bassin, constitue un élément précieux de diagnostic pour la détermination du sexe.

G. - Membres supérieurs.

[1578] 1 Les deux clavicules dont l’ossification est complète sont grêles, et ne présentent aucune déformation ou solution de continuité.

2 Omoplates. - Ces deux os ont un caractère commun : leur très faible épaisseur au niveau des fosses sur et sous-épineuses.

L’épine - l’acromion - l’apophyse coracoïde - la cavité glénoïde sont normales, de même leurs bords interne et externe sont intacts.

Au niveau du tiers inférieur de la fosse sous-épineuse, existe sur l’omoplate droite une solution de continuité, une perte de substance complète formant un trou à bords irréguliers mesurant deux centimètres de hauteur, et 1 cm. à 1 cm. 1/2 de largeur. A gauche, la même perte de substance se présente à 1 centimètre et demi au-dessus de la pointe de l’os, mais est de dimensions un peu plus restreintes

3 Humérus. - Les humérus droit et gauche ont leur ossification complète. Les lignes de suture des épiphyses sont apparentes, mais l’union est solide ; il est impossible d’obtenir de force la disjonction éphiphysaire. Si ces os sont peu volumineux (ils mesurent à la partie médiane de la diaphyse 18 millimètres), ils ont une structure normale et ne présentent aucune malformation, déformation, fracture, à part une petite perte de substance osseuse au niveau de la face postérieure de l’épicondyle (humérus droit). Au niveau du col anatomique, partie supérieure, la ligne de suture de la tête de l’os gauche, présente un petit sillon ; en ce point (I cm. )/2) la suture est incomplète. La longueur des deux humérus est de 30 centimètres, 5 mm.

[1579] 4 Cubitus. - Cubitus droit : ossification complète, lignes épiphysaires apparentes, sutures solides ; l’olécrane, l’apophyse coronoïde, la diaphyse sont intactes. L’extrémité inférieure de l’os s’est détachée à 1 cm. t/2 environ de l’extrémité de l’apophyse styloïde et n’a pu être retrouvée ; la surface de section est inégale et siège au dessous de la ligne épiphysaire ; la perte de substance est due à la mortification du tissu osseux.

Le cubitus gauche, bien conformé, est intact ; il mesure 22 centimètres et demi de longueur.

Caractère commun aux deux cubitus : ces os sont grêles.

5 Radius. - Ossification complète, et soudures épiphysaires complètes sur les deux os. Ils mesurent 21 centimètres de longueur. Le radius droit, au niveau de son col présente une section irrégulière, la tête a disparu ; sa diaphyse et son extrémité inférieure (apophyse styloïde) sont normales et intactes. Le radius gauche ne présente aucune déformation ou perte de substance.

6 Os du carpe. - Deux rangées de petits os, au nombre de 8, constituent le carpe. Pour le poignet droit nous ne pouvons retrouver et reconnaître que quatre os : le scaphoïde, le semilunaire, le grand os, I’os crochu. Deux os carpiens (le scaphoïde et le pyramidal) sont seuls retrouvés et reconnus comme appartenant au poignet gauche.

7 Métacarpiens. - Cinq métacarpiens constituent la première partie du squelette de la main. Nous retrouvons intacts les cinq métacarpiens de la main droite et de la main gauche.

8 Le squelette des doigts est constitué par 5 phalanges, [1580] 4 phalangines et 5 phalangettes (le pouce n’a qu’une phalange et une phalangette).

Nous n’avons pu trouver et reconnaître que 7 premières phalanges, 4 pour la main droite, et 3 pour la main gauche. Quatorze autres petits os plus ou moins altérés ont été classés comme appartenant au squelette des doigts, mais n’ont pu être identifiés séparément.

H. - Membres inférieurs.

1 Les deux fémurs mesurent 44 centimètres de longueur ; le diamètre de leur dyaphyse à la partie moyenne est de 26 millimètres. Normalement conformés, ces os présentent les caractères communs suivants : tête fémorale intacte avec la fossette d’insertion du ligament rond, col intact, oblique, ossification complète, lignes épiphysaires apparentes, soudure complète, grand et petit trochanter peu volumineux ; la ligne âpre de la face postérieure est bien apparente, mais peu saillante et non rugueuse.

2 Les deux rotules sont intactes, leur ossification est complète.

3 Tibias. - Le tibia droit mesure 35 centimètres de longueur ; le gauche 34 cm., 8. Ces deux os, bien ossifiés, à soudures épiphysaires apparentes mais solides, se présentent avec une conformation des surfaces articulaires normales ; ils ne sont le siège d’aucune fracture, mais leur face antérieure et externe est rugueuse, inégale par suite de la destruction de couches de lamelles osseuses, superficielles.

4 Péroné. - Le péroné droit mesure 34 cm., 5 ; le gauche 34 cm., 3. Ces deux os sont complets, bien ossifiés, sans déformation, sans solution de continuité ; leur caractères [1581] anatomiques sont conservés. Ils sont grêles, mais la faiblesse de leur épaisseur est due à la destruction, sur toutes leurs faces, de lamelles osseuses superficielles

5 Os du tarse. - Sept os constituent le massif osseux du tarse.

Nous retrouvons intacts, sans solution de continuité, bien conformés et ossifiés, exempts de fracture, de perte de substance, pour le pied droit : le calcaneum, l’astragale, le scaphoïde, le cuboïde ; pour le pied gauche : le calcaneum, I’astragale, le scaphoïde, le cuboïde. Pour les deux pieds il nous faudrait être en présence de six os cunéiformes, nous n’avons pu retrouver que quatre de ces os ; les légères déformations de leurs parties saillantes, quelques pertes de substance au niveau des surfaces articulaires ont fait perdre à ces os leur aspect normal ; nous n’avons pu les classer et en désigner la situation topographique précise.

6 Les cinq métartasiens du pied droit et du pied gauche sont trouvés et reconnus. A part une légère perte de substance au niveau de leur surface articulaire métatarso-phalangienne, ces os sont intacts.

7 Les phalanges et les phalangines n’ont pu être déterminées.

En résumé, les pièces anatomiques du squelette qui font défaut sont en petit nombre, et la conservation des os est presque intégrale.

Les constatations faites vont nous permettre de déterminer : le sexe, l’âge, la taille approximative du sujet examiné.

A. - Détermination du sexe

[1582]

Sur le sujet entier, squelette et parties molles intacts, la détermination est facile ; lorsqu’il n’existe plus qu’un squelette dénudé, la solution présente des difficultés, et ses éléments doivent être tirés de l’examen du bassin, du crâne, du thorax.

L’examen des os du bassin nous a montré des os osiliaques étalés, larges, un petit bassin dont la mensuration nous a donné les diamètres et démontré l’amplitude, des trous obturateurs triangulaires, des os bien conformés sans doute, mais peu volumineux, peu épais. Le bassin est la partie du squelette qui nous fournit le signe le plus précieux du diagnostic, et celui que nous avons sous les yeux présente les caractères du bassin féminin. Au cours de la rédaction de ce rapport, j’ai signalé : l’apparence plus grêle des os, les crètes d’insertion musculaire peu accentuées, les apophyses mastoïdes peu développées, la minceur extrême de l’apophyse styloïde gauche, les arcades orbitaires minces et presque tranchantes, etc., etc. Sans doute, chaque constatation ne constitue qu’une nuance, mais l’union de ces caractères constitue des signes de présomption encore favorables au diagnostic.

La conformation du thorax, lorsque les côtes adhèrent aux vertèbres, constituent encore un signe précieux ; chez l’homme le thorax a une forme conoïde, chez la femme la forme est plutôt ovoïde ; dans sa partie supérieure le thorax est plus large chez les femmes. Nos constatations anatomiques ne nous autorisent pas, dans le cas présent, à poser des conclusions s’appuyant sur les caractères de la cage thoracique.

B. - Détermination de l’âge

[1583] Nous devons encore emprunter au squelette les éléments d’évaluation approximative. Nous avons parlé de l’ossification de chaque os, de ses lignes épiphysaires, de ses sutures. Sans rappeler les caractères propres à chacun d’eux, nous disons qu’en général le développement du squelette est celui de la période qui s’écoule de la 20e à la 25e année.

C. - Détermination de la taille

Le squelette doit encore seul nous fournir les éléments de la solution du problème.

Nous savons que pour avoir la taille approximative d’un sujet, il faut multiplier la longueur des os longs du membre supérieur par un des coefficients indiqués par Rollet et Manouvrier ; on obtient la taille moyenne. On cherche ensuite la taille moyenne par les os du membre inférieur ; on additionne ces deux résultats et on prend la moyenne.. Nous dressons donc le tableau suivant 44 35 34,5 30,5 21 22,5

Longueur de os Coëfficients de Rollet

Fémur, Tibia, Péroné, Humerons, Radius, Cubitus

et Manouvrier 3,71 4,61 4,66 5,22 7,16 6,66

 

Après avoir fait les opérations relatives à chaque os des membres supérieurs et inférieurs, pris les moyennes de chaque résultat, et pris la moyenne de ces derniers, nous trouvons : 1 m., 59 à 1 m., 60. Cette moyenne générale de 1 m., 59 que nous trouvons comme étant la taille du sujet examiné, ne constitue pas une mesure rigoureusement exacte, elle n’indique qu’une moyenne approximative.

Conclusions

[1584]

1 Le squelette examiné est celui d’un être humain, du sexe féminin.

2 L’âge exact du sujet ne peut être très exactement déterminé : les caractères anatomiques des pièces observées sont ceux d’un être dont l’âge est compris entre la 20e et la 25e année.

3 La taille approximative est de 1 m., 59 à 1 m., 60.

En foi de quoi j’ai rédigé le présent rapport dont j’affirme le contenu sincère et véritable.

Signatum : Docteur PAUL Loisnel

Lisieux, le 10 août mil neuf cent dix sept.

 

PETIT PROCÈS APOSTOLIQUE DE NAMUR

Témoin unique : Godefroy Madelaine Ord. Praem.

PETIT PROCÈS APOSTOLIQUE DE NAMUR

pour l’interrogatoire

du Père Godetroy Madelaine, Ord. Praem.

LE " PROCESSICULUS " DE NAMUR

(1917)

Nous avons déjà eu l’occasion de relever que parmi les témoins du Procès Apostolique " inchoatif " aurait dû également être interrogé l’abbé des Prémontrés, P. Godefroy Madelaine. En 1915-1916 il avait plus de 70 ans : son témoignage était certainement un des plus intéressants pour ce Procès fait justement " ne pereant probationes ". Malheureusement, comme nous l’avons remarqué, il était en Belgique depuis I’époque des expulsions de 1903 ; il se trouvait alors en zone occupée et il était impossible de communiquer avec lui, même par correspondance. C’est ainsi que le Tribunal de Bayeux-Lisieux, session 58, le 25 août 1916, après avoir reconnu l’impossibilité de communication avec le révérend abbé, accepta à ce sujet les excuses de Mgr de Tell, vice-postulateur, suggérant que peut-être le père Madelaine pourrait déposer au Procès " continuatif " (cfr. pp. 1109-1110).

Toutefois l’année 1917 s’ouvrait encore aux lueurs d’une guerre dont on ne pouvait entrevoir la fin. C’est pourquoi le père Rodrigue de S. François de Paule, postulateur général, demandait à Benoît XV la faculté de permettre au P. Madelaine d’être examiné à Namur, diocèse où celui-ci résidait alors ; ce que la Congrégation des Rites autorisa par le décret 329/1917 du 10 janvier 1917 et communiqua à l’évêque de Namur par la lettre du 5 février suivant ; elle envoyait en même temps l’instruction relative du 30 janvier précédent et l’interrogatoire. Celui-ci, pratiquement, est le même que celui qui avait été proposé pour le Procès Apostolique " inchoatif " et " continuatif ", à part quelques légères retouches grâce auxquelles les questions étaient posées à un seul témoin. Signés par monseigneur Angelo Mariani, sous-promoteur général de la foi, ces documents formaient le schéma sur lequel le témoin devait être interrogé.

Conformément aux directives du Saint Siège, au cours de l’été de cette même année, fut constitué à Namur le tribunal pour le " Processiculus ", c’est-à-dire le " petit procès ", pour l’examen du père Madelaine. L’évêque, Mgr Thomas-Louis Heylen, voulut le présider en personne, en qualité de juge, tandis qu’il nommait le chancelier Mathias Lecler, promoteur fiscal de la Curie, sous-promoteur de la foi et l’abbé Joseph Bouchat, chancelier épiscopal, notaire.

Le " petit Procès " n’eut que 4 sessions, tenues à l’évêché, les 31 août, 6 septembre (matin et soir) et le 29 octobre. Dès la première session, après les actes juridiques habituels, le témoin commença sa déposition, qui se termina à la troisième session. La session du 29 octobre f ut exclusivement consacrée aux actes juridiques conclusifs.

Godefroy Madelaine, témoin XXIV au Procès Ordinaire, nous est bien connu.

Né à Le Torneur (diocèse de Bayeux) le 14 novembre 1842, il fit profession en 1864 au monastère des prémontrés de Mondaye (Calvados) dont il devait être le prieur de 1879 à 1899. C’est à cette époque qu’il fut appelé à plusieurs reprises à prêcher et à confesser au Carmel de Lisieux où il était apprécié et vénéré, y rencontrant Thérèse de l’Enfant-Jésus, dont il avait entendu parler dès avant son entrée au Carmel. Il jouissait également de l’amitié de Louis-Stanislas Martin, père de Thérèse, qui l’estimait beaucoup. Elu abbé de Saint-Michel de Frigolet Bouches-du-Rhône) en 1899, en 1903 il subissait le sort des religieux français : l’expulsion. Il trouva un refuge à Leffe-Dinant, près de Namur, en Belgique, et ne revint en France qu’après la guerre. Il mourut à Mondaye le 22 septembre 1931, invoquant Thérèse. Il s’était fait l’apôtre convaincu de sa doctrine.

Nous lisons avec émotion dans sa déposition : " Je mourrais content si je pouvais la (Thérèse) voir béatifiée, et je demande à Dieu pour elle cette glorification " (f. 24r). Dieu lui accorda bien plus. Quand il était appelé au Carmel pour ministère, Thérèse se présentait par ces mots : " Mon père, c’est la petite âme " 2 : et la petite âme voulut lui faire voir pleinement réalisé ce qu’il avait dit d’elle à Namur : " Dieu a voulu surtout glorifier en elle l’humilité (f. 38v). Le P. Madelaine eut la joie de vénérer Thérèse bienheureuse et sainte ; de la voir déclarée patronne de toutes les missions et de voir la fête de sa sainte étendue à l’Église universelle.

Le témoignage du P.Madelaine n’ajoute aucun détail d’un intérêt spécial à sa déposition de 1911. Cependant la déclaration de 1917 apparaît moins étudiée, plus fraîche et plus immédiate. Bien que le père abbé ne cache pas sa dépendance de l’Histoire d’une âme comme source d’information-il fut, comme il aime à le relever (cfr. f. 23v), un des artisans principaux de la première publication-, en général cependant il tient à souligner sa " science personnelle ".

C’est grâce à elle que le P.Madelaine rappelle avec une insistance remarquable, comme déjà au premier Procès (cfr. vol. I, pp. 518 et 521), la grande épreuve de la foi de Thérèse (cfr. If. 27v, 29r, 32v, 33v). L’abbé fait allusion à ce " martyre " à différents points de vue ; ce qui prouve la compréhension théologique et " moderne " qu’il avait de la " petite âme " et de son exemple de grâce.

Rappelons également l’attitude et les paroles de la Servante de Dieu en cette période si pénible : " je la vis à cette époque de sa vie : extérieurement, personne ne pouvait se douter de ses peines intérieures. Et comme je lui demandais comment elle pouvait ainsi cacher ses peines, elle me répondit : ‘je tâche que personne ne souffre de mes peines’. Seuls la prieure et le confesseur étaient à les connaître " (f. 27v). Nous notons aussi avec plaisir que le P. Madelaine relève comme unique critique qu’il ait entendue de Thérèse âgée de 15 ans, celle d’un prêtre très estimable qui disait l’avoir trouvée trop joviale lors de son voyage à Rome (cfr. f. 38v). Le bon vieillard remarque que ce jugement était par trop sévère, puisqu’il s’agissait d’une adolescente, et en plus, " d’un caractère aimable et gai ". C’était ce caractère que l’union à Dieu dans la charité et la foi contribua à rendre toujours plus doux et rayonnant de sérénité. " En communauté, on disait couramment qu’il suffisait de voir soeur Thérèse, pour sentir la paix du bon Dieu". (ff. 30v-31r).

Nous reproduisons la déposition du P. Madelaine d’après la Copie publique des Archives Générales des Carmes déchaux de Rome 3. C’est un fascicule manuscrit, qui certainement a été copié à Rome ; il avait été relié, mais les feuilles sont maintenant sans reliure. Il mesure 26,5 X 19,5 cm. et la numérotation des pages - contrairement à celle de la Copie publique du Procès - est in-foglio, et au nombre de 43.

 

LETTRE DE LA S. CONGRÉGATION DES RITES

À L’ÉVÊQUE DE NAMUR

INTERROGATOIRE DU PROMOTEUR GÉNÉRAL DE LA FOI

[Le " Processiculus " rapporte ici les 66 articles de l’interrogatoire, signé par le sous-promoteur de la foi, monseigneur Ange Mariani, dont le texte est le mme que celui du Procès Apostolique de Bayeux-Lisieux sauf de légères adaptations : voir le texte pages 81-95].

4

DÉPOSITION DU TÉMOIN

[Session 1 : 31 août 1917, à 9h.]

[22v] A [Le témoin répond correctement à la première demande] :

[Réponse à la deuxième demande] :

Je m’appelle Godefroid Madelaine, originaire de Le Tourneur, diocèse de Bayeux,

fils de Jean-Baptiste Madelaine et de Marie Hamel, né le 14 novembre 1842, chanoine régulier prémontré, abbé de Saint-Michel de Frigolet, transféré à Leffe, ayant fait voeu de pauvreté.

[Réponse à la troisième demande]

Je me confesse régulièrement [23r] et célèbre la sainte messe chaque jour.

[Réponse à la quatrième demande]. Je n’ai jamais été poursuivi pour aucun crime.

[Réponse à la cinquième demande] : Je n’ai jamais encouru de censure, pour autant que je sache.

[Réponse à la sixième demande] :

Je n’ai été amené à cet examen par aucun motif humain ; je viens par obéissance à la Sainte Église et pour rendre témoignage à la vérité, selon mes faibles moyens.

Je n’ai été instruit par personne comment je dois répondre ou me comporter dans cet examen.

Ad septimum [Réponse à la septième demande] :

Personnellement, j’ai très bien connu la Servante de Dieu. Je l’ai connue dans mon ministère, quand je prêchais de nombreuses retraites à la communauté du Carmel de Lisieux, pendant qu’elle y était religieuse. J’ai assisté à sa prise d’habit ; je l’ai vue maintes fois ; je l’ai entendue en confession ; j’ai connu parfaitement ses parents et toute sa famille ; je connais quatre soeurs survivantes, dont trois sont religieuses carmélites et la quatrième visitandine. J’ai entendu parler d’elle des milliers de fois, soit pendant sa vie, soit après sa mort ; particulièrement par ses parents, par ses soeurs, surtout sa soeur aînée, prieure du Carmel de Lisieux, par les religieuses du monastère de Lisieux qui ont vécu avec elle, également par monsieur l’abbé Youf, aumônier de ce Carmel, par les deux évêques de Bayeux, monseigneur Hugonin et monseigneur Lemonnier : [23v] le premier l’a connue, le second s’occupe beaucoup de son Procès.

Je l’ai connue de même par plusieurs manuscrits, écrits de sa propre main. Après sa mort en 1897, sa révérende mère prieure m’écrivit en disant : " Notre ange, avant de s’envoler au ciel, nous a laissé un trésor. C’est le manuscrit de sa biographie que je lui avais donné l’ordre d’écrire. Je désirerais vous le communiquer, pour que vous en preniez connaissance et que vous nous en disiez votre avis ". Dès que la poste me l’eut remis, je le lus et le relus, et à chaque lecture mon étonnement et mon admiration augmentaient. Bien que je l’eusse parfaitement connue, ce manuscrit me révélait beaucoup de détails que j’avais ignorés. Au bout de quelques semaines, je répondis à la mère prieure que j’estimais que cette biographie ferait un grand bien, si elle était imprimée. Elle me pria de solliciter l’autorisation et l’imprimatur de l’évêché. Monseigneur fit quelques objections et finalement me chargea de faire le rapport. Lorsqu’il en eut pris connaissance, il signa volontiers l’imprimatur, et c’est alors que parut la première édition de la Vie de soeur Thérèse écrite par elle-même, qui, depuis, a atteint de 150 à 160 éditions et a été traduite dans toutes les langues. Outre cette biographie, j’ai eu connaissance de tous ses écrits : poésies, lettres, qui du reste ont été publiés. Ces manuscrits doivent se trouver ou au [24r] Carmel de Lisieux ou à la Sacrée Congrégation.

[Réponse à la huitième demande]

Pendant qu’elle était vivante, j’avais d’elle la plus haute opinion, mais sans pressentir les merveilles de sainteté qui se sont révélées plus tard. Simple et modeste, elle savait cacher toutes ses vertus. Mais depuis sa mort, il a plu à Dieu d’exalter l’humilité de sa Servante : tant de merveilles, tant de grâces, tant de faveurs ont été accordées par son intercession, que je professe pour elle le culte le plus vif et le plus affectueux et que j’ai en elle la plus grande confiance. Je mourrais content, si je pouvais la voir béatifiée, et je demande à Dieu pour elle cette glorification. J’ai eu l’occasion de faire plusieurs conférences publiques sur ses vertus. Je la prie avec entière confiance.

[Réponse à la neuvième demande] :

La Servante de Dieu est née à Alençon, en 1873, fille de monsieur Martin et de madame Guérin, habitant à Alençon. Son père était bijoutier et avait une jolie situation ; ses parents étaient d’une piété exemplaire : c’était une famille modèle. La Servante de Dieu a été baptisée par le soin de ses parents, dès le lendemain de sa naissance, à l’église de Notre-Dame d’Alençon. Elle y reçut le nom de Thérèse-je le crois, du moins ; j’ai vu son extrait de baptême. Elle fut certainement confirmée, mais je n’ai pas de renseignement à ce sujet. Ses parents eurent huit enfants, dont trois garçons qui moururent en [24v] bas âge, et cinq filles qui sont devenues religieuses. Ils ont élevé leurs enfants dans la piété la plus grande. Je connais ces détails par la notoriété publique et aussi par son autobiographie et par les entretiens que j’ai eus à Lisieux.

[Réponse à la dixième demande] :

La Servante de Dieu a passé son enfance dans sa famille et au pensionnat des bénédictines de Lisieux, où le père était venu se fixer, avec ses enfants, après la mort de sa femme qui était originaire de Lisieux. Elle fut donc tout d’abord élevée par les soins de son père qui s’en occupait très activement. Elle fut ensuite placée, comme du reste ses soeurs, au pensionnat des bénédictines de Lisieux où ces jeunes filles reçurent une belle éducation. Elle fut une pensionnaire modèle, comme on le voit par sa biographie, en ce qui concerne ses rapports avec ses supérieures et ses compagnes. Elle était d’un caractère timide, craintif, ce qui la porta, à un moment donné, à devenir un peu scrupuleuse. Elle était très intelligente ; elle avait un caractère doux et serviable, très charitable envers les pauvres. Je ne connais point d’autres détails. Elle fut malade vers l’âge de dix ou onze ans ; la maladie fut très grave et dura plusieurs mois. J’ignore les détails de cette maladie : cause, avis du docteur, des personnes qui l’ont soignée. La Servante de Dieu raconte elle-même qu’elle pensait mourir, mais que la [25r] statue de la Sainte Vierge qui était dans la chambre lui parut animée et lui dit en souriant : " Aie confiance ; tu es guérie ". C’est tout ce que je sais et je le sais par sa biographie.

Elle a fait sa première communion, avec une grande piété, au couvent des bénédictines, où l’on a conservé de sa piété le souvenir le plus édifiant. Elle a toujours été très pieuse, mais je ne connais pas sa pratique en ce qui concerne la réception des sacrements. Je sais que son père communiait tous les jours.

[Réponse à la onzième demande] :

La Servante de Dieu a déclaré, toute jeune, qu’elle voulait être religieuse : ses soeurs aînées lui avaient donné l’exemple. C’est au Carmel qu’elle voulait entrer ; portant le nom de Thérèse, elle voulait être la fille de sainte Thérèse. Elle a eu cette idée, tout enfant. A peine arrivée à l’âge de 15 ans, elle désira entrer en religion. Le supérieur ecclésiastique l’accueillit avec bonté et lui dit : " Mais vous n’êtes qu’une enfant ; attendez un peu ". Elle ne se tint pas pour battue, fit le voyage de Bayeux et demanda à monseigneur l’évêque l’autorisation d’entrer au Carmel. Son père se prêtait à tout. Le prélat la reçut paternellement, mais lui dit d’attendre. Un pèlerinage partait de France pour Rome : la jeune fille demanda à son père la faveur d’en faire partie. A Rome, quand le pèlerinage fut présenté au Souverain Pontife [25v], elle se précipita aux genoux du Pape et présenta sa requête. Léon XIII allait dire " oui ", ce semble, lorsque le vicaire général observa que l’enfant avait à peine quinze ans et qu’il serait sans doute plus sage d’étudier sa vocation pendant quelques mois. C’est au bout de six à huit mois qu’elle put enfin voir les portes du Carmel s’ouvrir devant elle. Outre l’âge, il pouvait y avoir un autre obstacle à son entrée au Carmel de Lisieux, à cause de la présence de ses trois soeurs dans cette communauté : le supérieur ecclésiastique en avait été préoccupé et m’en avait parlé. Je connais ces détails par la notoriété publique, par le supérieur ecclésiastique.

[Réponse à la douzième demande] :

La Servante de Dieu est entrée au Carmel avant l’âge de seize ans ; après son postulat, elle commença son noviciat : j’assistai à sa prise d’habit ; le noviciat achevé, elle prononça ses voeux. Elle a été remarquable par son renoncement surtout à sa sensibilité : la prieure qui l’aimait beaucoup la traitait avec une sévérité qui paraissait extraordinaire. Elle a fait un noviciat très sérieux et tout à fait exemplaire. Elle fut d’abord sacristine et bientôt elle devint sous-maîtresse -en réalité maîtresse - des novices : elle n’avait que 21 ans ; mais la mère prieure avait pleine confiance en elle. Je n’ai aucun détail sur le fait de savoir si elle a désiré ces offices ; elle les a acceptés par obéissance [26r] ; elle s’occupait très sérieusement de ses novices et leur apprenait à se renoncer. Je n’ai jamais entendu dire qu’il y eut quelque chose de répréhensible dans sa conduite : malgré son jeune âge, elle se montra à la hauteur de ses fonctions. Je crois qu’elle a gardé son titre de maîtresse jusqu’à sa mort. Source : science personnelle.

[Réponse à la treizième demande] :

Avant son entrée en religion, la maison de monsieur Martin était regardée comme un petit couvent : aucun doute par conséquent que la Servante de Dieu ait gardé les commandements de Dieu et de l’Église. Au monastère, elle a parfaitement observé les commandements, les voeux qu’elle avait émis : elle était d’une délicatesse de conscience extraordinaire. En ce qui concerne la gloire de Dieu, elle eût voulu être missionnaire, et elle contribuait à la conversion des infidèles en offrant à cette intention ses prières et ses pénitences. Elle demanda d’entrer dans un Carmel de Cochinchine : cette autorisation lui fut refusée, à cause de sa santé. En ce qui concerne le bien spirituel du prochain, elle obtint la conversion d’un assassin condamné à mort qui ne voulait point entendre parler de réconciliation avec Dieu. Source : science personnelle.

[Réponse à la quatorzième demande] :

La Servante de Dieu a pratiqué les vertus chrétiennes, même avant son [26v] entrée en religion, à savoir les vertus théologales : foi, espérance et charité envers Dieu et envers le prochain ; les vertus cardinales : prudence, justice, force et tempérance, ainsi que les vertus connexes. Elle a persévéré dans l’exercice de ces vertus jusqu’à sa mort : plus elle approchait de la mort, plus elle fut héroïque dans la pratique de ces vertus. Source : science personnelle.

[Réponse à la quinzième demande] :

Foi. - La Servante de Dieu a pratiqué la vertu de foi : j’ai toujours remarqué que soeur Thérèse voyait les choses, les événements, les personnes dans la lumière de Dieu et par conséquent selon la foi théologique, et il suffit de lire quelques pages de sa biographie pour voir la hauteur de ses vues et des inspirations de sa conduite. Source : science personnelle.

[Réponse à la seizième demande] :

La Servante de Dieu avait un grand désir de propager la foi dans le monde entier : c’est une des caractéristiques de sa spiritualité. On peut s’en convaincre en lisant sa vie écrite par elle-même. Je ne connais aucun détail sur ce qu’elle aurait fait pour la conversion des hérétiques et des schismatiques ; mais la pensée de zèle revient constamment dans ses écrits. Source : science personnelle et écrits de la Servante de Dieu.

[Réponse à la dix-septième demande] :

La Servante de Dieu avait une dévotion toute spéciale pour la sainte enfance de Notre Seigneur ; elle y revenait souvent soit [27r] pour elle-même, soit pour la direction de ses novices. Elle y revient continuellement dans ses poésies. Comme sacristine, elle était d’une délicatesse admirable pour tout ce qui touche la sainte messe et les saints offices, d’une grande sollicitude pour la propreté du temple et l’ornementation des autels. On faisait au Carmel de beaux ornements d’église et elle y contribuait pour une large part. Source : la même.

[Réponse à la dix-huitième demande] :

Comme preuve de sa piété eucharistique, je puis indiquer l’une ou l’autre de ses poésies, en particulier une poésie sur les attributs eucharistiques. Pour elle, ce n’était pas seulement de l’imagination ; c’était vraiment sa piété. Je ne connais rien de spécial sur ses communions ni ses adorations. Sources : les mêmes.

[Réponse à la dix-neuvième demande] :

Pendant qu’elle était dans le monde, il est certain qu’elle évita, elle-même, les danses, les spectacles, les plaisirs mondains.

[Réponse à la vingtième demande] :

Elle avait, comme le montrent ses écrits, un sens profond de la Sainte Ecriture ; elle a dû l’étudier avec beaucoup d’ardeur, car elle la cite continuellement et toujours bien à propos : c’est un fait remarquable pour une personne qui n’a pas fait d’études théologiques. Toute sa conduite montre bien toute la vénération qu’elle avait pour son évêque et pour le Souverain Pontife. Elle était catholique dans l’âme. Les Heures étaient récitées suivant le bréviaire du Carmel. Source : [27v] science personnelle.

[Réponse à la vingt-et-unième demande] :

La Servante de Dieu raconte elle-même comment la Sainte Vierge l’aurait guérie dans sa maladie. Chaque fois qu’elle parle de la Sainte Vierge, elle y met tout son coeur. Il est certain qu’elle inculquait cette dévotion à ses novices. Elle avait une dévotion spéciale pour les saints anges et les saints, surtout ceux qui ont honoré la sainte enfance ; saint Jean l’Évangéliste ; de même pour les vierges : sainte Agnès, sainte Cécile, la bienheureuse Jeanne d’Arc. Source : les mêmes.

[Réponse à la vingt-deuxième demande] :

ESPÉRANCE. - La Servante de Dieu avait cette vertu très vive et très profonde ; mais Dieu l’a éprouvée pendant 18 mois. Son âme traversa une crise de ténèbres spirituelles où elle se croyait dam née et c’est alors qu’elle multipliait ses actes de confiance, d’abandon à Dieu. Elle dit, dans sa biographie, avoir alors fait plus d’actes de foi, de confiance et d’abandon, que pendant tout le reste de sa vie. Je la vis à cette époque de sa vie : extérieurement, personne ne pouvait se douter de ses peines intérieures. Et comme je lui demandais comment elle pouvait ainsi cacher ses peines, elle me répondit : " Je tâche que personne ne souffre de mes peines ". Seuls la prieure et le confesseur étaient à les connaître. Source : science personnelle.

[Session 2 : - 6 septembre 1917, à 8h.30]

[29r] [Réponse à la vingt-troisième demande] :

La Servante de Dieu a embrassé la vie religieuse par suite de l’appel de Dieu : son attrait pour la vie religieuse était vraiment irrésistible et l’on doit reconnaître qu’il venait de Dieu. Ses instances le montrent suffisamment. Comme je l’ai expliqué à l’interrogatoire onzième, elle s’est confiée à la divine Providence et elle a entrepris les voyages de Bayeux et de Rome pour pouvoir suivre sa vocation. Source : science personnelle ; c’était du reste de notoriété publique.

[Réponse à la vingt-quatrième demande] :

Je ne sais pas si la Servante de Dieu s’est jamais trouvée dans des difficultés pour les choses temporelles. En réponse au vingt-deuxième interrogatoire, j’ai rapporté ce qui concerne ses peines intérieures : j’en fus le confident à une époque de sa vie où elle les subissait et j’admirais la sérénité d’âme qu’elle gardait au milieu de ces angoisses vraiment terribles. Il est fort probable que le démon était pour quelque chose dans ces peines extraordinaires, mais je n’ai jamais entendu parler d’obsession extérieure, sensible. Sources : les mêmes.

[29v] [Réponse à la vingt-cinquième demande] :

Je n’ai entendu rien de particulier concernant les obstacles qu’elle aurait rencontrés en traitant les affaires. Sa vertu dominante, dans toute sa conduite, intérieure et extérieure, était l’abandon à Dieu. C’est ce qu’elle appelait " sa petite voie " et c’est ce qu’elle enseignait le plus à ses novices : s’appuyer sur le bon Dieu et non sur la créature. Sources : les mêmes.

[Réponse à la vingt-sixième demande] :

Comme je viens de le dire, c’est sur la confiance en Dieu qu’elle insistait le plus dans ses conférences du noviciat. On peut le voir dans ses écrits spirituels. Ce qui était aussi saillant dans sa vie, c’était son désir de la mort, pour aller au ciel, jouir de Dieu et l’aimer de tout son coeur.

[Réponse à la vingt-septième demande] :

CHARITÉ. - La Servante de Dieu avait un amour extraordinaire pour Dieu, même avant son entrée en religion : il ne fit que progresser pendant sa vie religieuse. Je crois pouvoir dire que jamais elle ne commit un péché mortel, ni non plus un péché véniel délibéré. Je remarquai toujours en elle une délicatesse de conscience qui dépassait les limites ordinaires d’une conscience de religieuse : j’ai eu souvent cette impression, en entendant ses confessions. Source : science personnelle.

[Réponse à la vingt-huitième demande] :

On peut dire que la Servante de Dieu n’a jamais eu besoin de conversion, c’est-à-dire de revenir à Dieu : toute enfant, elle était déjà pieuse plus qu’une enfant ordinaire ; [30r] au moment de sa première communion, elle devint plus unie à Dieu et plus délicate, au point de devenir scrupuleuse : on dut la rassurer et calmer ses craintes de conscience. Une fois en religion, elle devint, soit au noviciat, soit à la communauté, un modèle d’union à Dieu et de soumission à sa volonté. Je connais ceci, pour avoir vu et entendu la Servante de Dieu et l’avoir retrouvé dans sa biographie.

[Réponse à la vingt-neuvième demande] :

La Servante de Dieu embrassa la pratique de l’oraison avec une ferveur d’ange et elle y fit des progrès tellement évidents que sa prieure et la communauté étaient dans l’admiration, surtout étant donné sa jeunesse. Tout la portait à l’oraison : la vue d’une fleur, la beauté de la création.

Elle avait une facilité pour l’oraison vraiment remarquable. C’était un don surnaturel. Elle n’avait encore que cinq ans et déjà, au milieu des promenades, elle arrêtait son père pour lui faire remarquer la beauté du ciel et de toute la création. Au moment de son agonie, elle avait les yeux fixés sur le crucifix et elle dit à sa prieure : " Je regarde et j’aime ! ". Je ne connais rien de spécial en ce qui concerne sa manière de pratiquer la prière vocale. Elle avait la pensée habituelle de Dieu : ses pensées, ses entretiens respiraient l’amour de Dieu. Tout ce qu’elle disait à ses novices était rempli de la plus haute spiritualité. Elle était tant unie [30v] à Dieu qu’au couvent on l’appelait " notre petit ange ". Sources : les mêmes.

[Réponse à la trentième demande] :

La seule réflexion que je puisse faire à ce sujet, c’est que la Servante de Dieu évitait tout ce qui aurait été extraordinaire : elle s’étudiait à passer inaperçue et à rester dans la plus grande simplicité. Assurément, on devait remarquer son recueillement, mais c’était malgré elle. Elle a cherché à communiquer cet amour de Dieu à ceux qui l’entouraient : elle le fit surtout quand elle devint maîtresse des novices. Elle s’efforçait également de répandre cet amour chez les personnes de l’extérieur avec qui elle pouvait se trouver en relations. Sources : les mêmes.

[Réponse à la trente-et-unième demande] :

La Servante de Dieu se regardait comme appelée par Dieu à expier les péchés commis dans le monde : c’est ce qui la poussait à embrasser toutes les austérités de la vie de carmélite. J’ai déjà rapporté le fait de l’assassin dont elle obtint la conversion au moment de sa mort. Si l’on veut avoir une idée de l’amour qui embrasait son coeur, il suffit de lire quelques-unes de ses poésies sur la divine Eucharistie, le ciel, etc. Sources : les mêmes.

[Réponse à la trente-deuxième demande] :

Dans sa famille, la Servante de Dieu montrait une charité, une douceur de caractère qui la faisait aimer de tout le monde. En communauté, on disait couramment qu’il [31r] suffisait de voir soeur Thérèse, pour sentir la paix du bon Dieu. Mais sa charité surnaturelle se montrait surtout dans son zèle pour réparer les sacrilèges, les scandales, et pour obtenir la conversion des infidèles ; elle aurait voulu convertir beaucoup de païens et les amener à la connaissance de Dieu. Le motif qui la dirigeait dans cette charité, c’était l’amour de Dieu : elle voyait Dieu dans le prochain. Dans le monde, elle aimait à faire l’aumône ; son plaisir était de soulager les malheureux. Sources : les mêmes.

[Réponse à la trente-troisième demande] :

La Servante de Dieu a fait les oeuvres de miséricorde spirituelle toute sa vie, surtout au monastère : alors elle n’avait point d’autre pensée que celle-là. Elle avait à coeur le salut des âmes, et pour obtenir la conversion des pécheurs elle fut très fervente dans sa vie de carmélite, qui est une vie de mortification et d’immolation pour les pécheurs. Elle était des premières pour embrasser toutes les austérités du Carmel et elle ne cessait de recommander à ses jeunes soeurs de s’employer pour donner à Dieu des âmes en aussi grand nombre que possible. Sources : les mêmes.

[Réponse à la trente-quatrième demande] :

Appartenant à une communauté cloîtrée, elle n’a pas eu l’occasion d’enseigner les ignorants en dehors de la communauté. Comme je l’ai rapporté, elle s’intéressait à la prédication de l’Évangile parmi les infidèles. Je ne connais rien de [31v] particulier sur les conseils qu’elle aurait donnés ni sur les consolations qu’elle aurait accordées. Au monastère, une soeur converse s’était donné la mission de l’exercer à la patience : la Servante de Dieu s’étudiait à traiter cette soeur avec une bonté exceptionnelle. Elle n’a pas eu d’ennemis, que je sache. Sources : les mêmes.

[Réponse à la trente-cinquième demande] :

J’ai déjà dit que, dès son enfance, la Servante de Dieu montra une tendresse exceptionnelle pour les pauvres : son grand bonheur était de les soulager et de les aider. Je suis convaincu qu’elle agissait ainsi par un motif élevé, tant son éducation avait été chrétienne. Sources : les mêmes.

[Réponse à la trente-sixième demande] :

Je ne connais aucun fait particulier qui se rapporte à cette question : mais je ne doute aucunement de la dévotion de la Servante de Dieu pour les âmes du purgatoire.

[Réponse à la trente-septième demande] :

PRUDENCE. - On a toujours remarqué en la Servante de Dieu une prudence et une maturité au-dessus de son âge et c’est ce qui faisait dire au supérieur ecclésiastique du Carmel que, malgré son jeune âge, elle avait cependant la maturité voulue pour entrer au noviciat. Un témoignage en faveur de sa prudence extraordinaire, c’est que sa mère prieure la choisit pour remplir, à 20 ans, les fonctions de maîtresse des novices : ce qu’elle fit avec une sagesse admirable, et cela jusqu’à sa mort. C’est bien dans l’oraison et l’union à Dieu qu’elle puisait cette sagesse, cette prudence et [32r] ce discernement des âmes. Sources : les mêmes.

[Réponse à la trente-huitième demande] :

Non seulement elle ne fit rien, dans ses conseils et ses avis, contre la prudence, mais elle montra une telle prudence dans la conduite des jeunes soeurs que sa mère prieure lui abandonna complètement la direction du noviciat. Dans toutes ses actions elle se proposait pour unique fin la gloire de Dieu, le bien des âmes et sa propre sanctification, et toute sa conduite tendait à atteindre ce but. Je ne pense pas qu’elle ait outrepassé les limites de la prudence même dans ses austérités, car elle se laissait conduire en tout par l’obéissance religieuse. Sources : les mêmes.

[Réponse à la trente-neuvième demande] :

JUSTICE. - La Servante de Dieu a pratiqué la justice et a cherché en tout l’idéal de la justice chrétienne pour rendre à chacun ce qui lui revient. Envers Dieu, son objectif habituel était d’accomplir sa volonté et elle cherchait en tout ce qui pouvait lui plaire davantage. Sources : les mêmes.

[Réponse à la quarantième demande] :

La Servante de Dieu a pratiqué la justice envers les hommes : envers son père, elle était d’une obéissance parfaite. Elle n’a négligé aucun des emplois qui lui furent confiés. Elle était tellement délicate qu’elle était reconnaissante pour les bienfaits reçus : personnellement elle m’a témoigné plusieurs fois sa reconnaissance pour les services que j’étais appelé à rendre à la [32v] communauté. Elle avait un coeur d’or et par conséquent ses amitiés devaient être à toute épreuve. Je ne sache pas qu’elle ait été en rapports avec les autorités civiles ; elle avait une profonde vénération pour les autorités ecclésiastiques. Sources : les mêmes.

[Réponse à la quarante-et-unième demande] :

TEMPÉRANCE. - La Servante de Dieu a pratiqué la vertu de tempérance. Pendant la première partie de sa vie, elle n’a eu qu’un but : entrer au Carmel pour se mortifier. Une fois au couvent, elle n’a pas voulu de dispense, malgré sa jeunesse : elle suppliait sa mère prieure de lui laisser pratiquer toute la Règle. Elle embrassa avec ardeur toutes les austérités que comporte la vie de carmélite. Sources : les mêmes.

[Réponse à la quarante-deuxième demande] :

FORCE. - Je connais trois circonstances où il lui a fallu une force extraordinaire : d’abord pour suivre sa vocation et entrer en religion avant l’âge de seize ans ; ensuite quand elle eut cette crise qui fut sa grande épreuve : je me rappelle encore que, quand elle venait au confessionnal, on n’aurait jamais pu soupçonner qu’elle traversait une crise aussi terrible ; elle était calme et montrait encore une certaine gaieté ; enfin, dans sa dernière maladie : jusqu’au dernier moment, elle montra une énergie vraiment héroïque, si bien que toutes les soeurs en demeuraient interdites. Sources : les mêmes.

[Réponse à la quarante-troisième demande] :

CHASTETÉ. - De ce côté, on peut [33r] répondre que la Servante de Dieu avait reçu une éducation si délicate que jamais on n’a pu surprendre en elle le moindre oubli de la délicatesse de la pureté : elle était d’une réserve remarquée de tous. Au Carmel, à cette pureté déjà parfaite, elle ajouta la mortification des sens et tous les moyens propres à conserver et à augmenter cette vertu. Je puis dire qu’elle eut des tentations contre l’espérance, mais jamais contre la pureté. Sources : les mêmes.

[Réponse à la quarante-quatrième demande] :

PAUVRETÉ. - Au Carmel, la pratique de la pauvreté est très rigoureuse, et la Servante de Dieu se fit remarquer à Lisieux par sa fidélité à l’observer jusque dans les moindres détails. Elle aimait ce qui avait servi à d’autres ; les objets les plus simples et les plus usés étaient ceux qu’elle recherchait de préférence. Elle prêchait fort cette vertu à ses novices. Sources : les mêmes.

[Réponse à la quarante-cinquième demande] :

OBÉISSANCE. - La Servante de Dieu a pratiqué l’obéissance dans toute sa vie : en famille, elle était d’une obéissance parfaite à son père et à ses soeurs aînées ; en religion, elle pratiqua l’obéissance d’une façon toute particulière : la mère prieure l’éprouva beaucoup pour la former à une vertu virile, ce qui la fit beaucoup souffrir, mais à mesure qu’on l’éprouvait, la Servante de Dieu sentait son âme se dégager d’elle-même, et elle raconte comment la mère prieure lui rendit un [33v] grand service, en l’éprouvant ainsi, pendant son noviciat. Par après, elle obéissait sans plus sentir la difficulté. Sources : les mêmes.

[Réponse à la quarante-sixième demande] :

HUMILITE. - C’est la vertu propre de la Servante de Dieu ; ce qui la fait appeler " la petite soeur Thérèse ". Elle rechercha constamment à être dans l’ombre et à passer inaperçue, si bien qu’après sa mort quand on raconta tant de merveilles obtenues par son intercession, il put y avoir chez beaucoup une grande surprise. Néanmoins, au Carmel, on l’appréciait beaucoup. Jamais elle ne s’est préférée aux autres ; elle recommandait cette vertu par la parole, l’exemple et ses écrits ; elle en parle comme les meilleurs auteurs ascétiques. Sources : les mêmes.

[Réponse à la quarante-septième demande] :

J’ai la conviction que, dans la vie de la Servante de Dieu, toutes les vertus chrétiennes se trouvent à un degré héroïque : j’ai vu cette âme de près et l’impression qui m’en est restée, c’est qu’elle était une âme toute unie au bon Dieu, et, chez elle, la vertu était devenue comme naturelle. Mais je puis affirmer de science personnelle et toute spéciale qu’elle pratiqua, à un degré héroïque, les vertus d’espérance et de confiance en Dieu, parce que je reçus ses confidences, lors de sa grande épreuve intérieure, comme je l’ai déjà dit ; de même la vertu de force qui brilla surtout lors de son entrée en religion, à l’époque de cette terrible tentation et dans sa dernière [34r] maladie. Les détails que j’ai donnés sur son humilité, sa mortification et ses autres vertus font voir d’une façon très claire qu’elle les pratiqua dans un degré héroïque. Tout ce que m’a confié la mère prieure du Carmel, mère de Gonzague, et les autres religieuses, montre que toutes étaient convaincues de l’héroïcité des vertus de la Servante de Dieu. Quand elle mourut, demande] : toutes se plaisaient à redire qu’elle était morte en odeur de sainteté. Sources : les mêmes.

[Réponse à la quarante-huitième demande] :

La Servante de Dieu avait le jugement très droit et je n’ai jamais entendu dire qu’elle ait dépassé la mesure dans la pratique des vertus. Elle trouvait d’ailleurs dans son obéissance absolue une sauvegarde contre tout excès. Je n’ai jamais entendu dire qu’elle ait fait des excès dans la mortification corporelle : en cela, comme en tout le reste, elle s’est laissée guider par l’obéissance la plus entière. Si elle est morte jeune, ce n’est pas par excès de mortification, mais par faiblesse de constitution. Sources : les mêmes.

[Réponse à la quarante-neuvième demande] :

A ma connaissance, il n’y a rien d’extraordinaire dans la vie de la Servante de Dieu. Le seul fait surnaturel rapporté dans sa biographie, c’est l’apparition de la Sainte Vierge, au moment de sa guérison, comme je l’ai déjà dit. A part cela, je n’ai vu et je n’ai entendu raconter aucun fait surnaturel, comme ravissement, extase, vision, apparition [34v]. Le fait de l’apparition de la Sainte Vierge, elle l’a raconté dans son journal spirituel, par obéissance à sa mère prieure. Sources : les mêmes.

[Réponse à la cinquantième demande] :

A ma connaissance, on n’a pas signalé de miracle, pendant la vie de la Servante de Dieu.

[Réponse à la cinquante-et-unième

La Servante de Dieu écrivit, pour obéir à sa mère prieure, son Journal spirituel, qui a été publié sous le titre d’ " Histoire d’une âme ", en 1898 : elle était morte en 1897. Cette biographie a été traduite dans toutes les langues de l’Europe. Elle écrivit aussi des poésies spirituelles, en l’honneur de la Sainte Eucharistie, de la Sainte Vierge : elle les composa sans qu’on lui eût jamais appris les règles de la versification française et elle les applique cependant très bien. On peut regarder ceci comme un fruit de son intelligence très vive, et aussi, à ma conviction, comme une assistance particulière, surnaturelle, du Saint-Esprit. Elle écrivit quelques lettres qu’on a recueillies et qui sont remplies de pensées surnaturelles. On a recueilli les avis spirituels qu’elle avait adressés à ses novices. Tout cela est publié et les manuscrits doivent se trouver au Carmel de Lisieux. J’ai eu l’occasion de lire tous ces écrits : non seulement ils ne contiennent rien de contraire à la foi ni aux commandements de Dieu, mais il s’en exhale un parfum de l’amour de Dieu et de l’Église tout à fait remarquable et qui explique [35r] l’immense diffusion de tous ces écrits. Il n’a pas pu y avoir de vaine gloire dans la composition de ces écrits, car la Servante de Dieu n’écrivait que pour sa prieure. Sources : les mêmes.

[Réponse à la cinquante-deuxième demande] :

La Servante de Dieu est morte le 17 [sic !] septembre, d’une maladie de poitrine. Je crois que la maladie commença en mars par des crachements de sang ; elle alla trouver immédiatement sa prieure, en lui disant : " J’ai une grande joie ; j’ai senti le premier appel de mon divin Époux ". Évidemment, elle portait le germe de la maladie depuis plusieurs années. Le mal fit de rapides et continuels progrès ; à partir de là, elle se tint aux heures du bon Dieu et la pensée de la mort ne la chagrinait nullement, mais au contraire lui causait une grande joie. Elle se soumettait au traitement que lui prescrivait le médecin. Je crois avoir entendu dire, sans en avoir le souvenir précis, qu’elle avait prédit sa mort. La Servante de Dieu [sic ! au lieu de La mère prieure] m’écrivait à ce moment qu’on respirait un air vraiment céleste dans la cellule de la Servante de Dieu : j’ai donné cette lettre au Procès informatif. Elle a supporté avec une patience absolument héroïque toutes les souffrances de sa maladie ; à partir de l’Assomption, la Servante de Dieu fut à la dernière extrémité ; on croyait à tout instant qu’elle allait mourir. Elle est morte, en tenant en main son crucifix et en disant : [35v] " Mon Dieu, mon Dieu, oui, je vous aime ". Elle a reçu les derniers sacrements avant de mourir ; c’est le supérieur ecclésiastique qui les lui administra, et il me dit combien il avait été touché de voir pareille sérénité devant la mort. Tant que son état le permit, elle reçut la sainte communion chaque jour. Sources : mes rapports avec la communauté ; la révérende mère prieure me tenait spécialement au courant.

[Réponse à la cinquante-troisième demande] :

On remarqua, après sa mort, comme quelque chose d’angélique sur ses traits, dont tous étaient frappés. Son corps fut exposé, suivant l’usage du Carmel, dans le choeur des religieuses ; la grille était ouverte de façon que le public, sans pouvoir pénétrer dans ce choeur, pût cependant apercevoir le visage de la morte. Dès que la nouvelle de sa mort se fut répandue, un grand nombre de fidèles vint prier et eut la dévotion de faire toucher des objets de piété à la dépouille mortelle de la Servante de Dieu. Parmi ces fidèles il y en avait de toutes les classes de la société. Ce concours était spontané et produit par la réputation de soeur Thérèse. Les funérailles furent célébrées dans la chapelle du Carmel. Sources : les mêmes.

[Réponse à la cinquante-quatrième demande] :

La Servante de Dieu a été inhumée dans le cimetière de Saint-Jacques, à Lisieux. Le corps est resté dans ce cimetière, jusqu’à ce que, au moment du Procès informatif, on a ouvert le tombeau pour le placer dans un cercueil de zinc : il restait les ossements ; le corps avait subi la [36r] corruption ordinaire. Le cercueil fut remis à la même place, dans la concession du Carmel. Avant comme après, se trouvait sur la tombe une simple croix de bois, avec l’inscription : " Soeur Thérèse de l’Enfant Jésus, morte le 17 [sic !] septembre 1897 ". Sa croix ne diffère nullement de celle des autres religieuses. Source : science personnelle.

[Session 3 : - 6 septembre 1917, à 2h. de l’après-midi]

[37r] [Réponse à la cinquante-cinquième demande] :

Dans l’exposition, dans l’inhumation et dans l’exhumation du corps, il n’y eut absolument rien qui ressemblât à un culte public et ecclésiastique. Je sais en particulier qu’au moment de l’exhumation, monseigneur l’évêque de Bayeux avait pris toutes les précautions pour qu’il n’y eut rien qui ressemblât à un culte religieux. Source : notoriété publique.

[Réponse à la cinquante-sixième demande] :

J’ai visité le tombeau de la Servante de Dieu ; une fois, en passant par Lisieux, j’ai voulu aller prier sur la tombe de soeur Thérèse, en 1913, parce que j’éprouvais un sentiment de vénération pour la Servante de Dieu et je voulais demander [37v] son intercession pour diverses intentions. Je sais qu’il y a des centaines et des milliers de personnes qui vont prier sur la tombe de la Servante de Dieu ; on a confiance en elle ; ce sont des personnes de toutes les classes de la société ; on y a vu des évêques, des cardinaux, des hommes éminents. J’ai vu une photographie où l’on voit au premier rang le cardinal de Paris, l’évêque de Bayeux et une foule de pèlerins. Ce concours de pèlerins a commencé aussitôt après la mort de la Servante de Dieu ; il a augmenté extraordinairement depuis lors et il continue aujourd’hui : je l’ai entendu raconter, sans avoir été à même de le contrôler. De ma vie, je n’ai jamais entendu parler de pareil concours au tombeau d’un défunt, sinon peut-être au tombeau du bienheureux Curé d’Ars. Depuis le commencement de la guerre, il paraît que ce concours n’a fait qu’augmenter. Ce concours est tout à fait spontané : cependant je sais qu’à l’évêché de Bayeux on a parfois reproché à la prieure du Carmel, propre soeur de la Servante de Dieu, de faire un peu de zèle : mais ma conviction est que cela n’a pu avoir d’influence sur le concours au tombeau de la Servante de Dieu. Source : science personnelle.

[Réponse à la cinquante-septième demande] :

Pendant sa vie, on avait une haute opinion de la Servante de Dieu ; mais, à cause de sa modestie, de son humilité, on n’aurait pas pu croire que bientôt son nom serait connu du [38r] monde entier. Et ceci est un signe de sa véritable sainteté. Mais depuis sa mort, l’opinion répandue dans toutes les parties du monde concernant la sainteté de sa vie, et les grâces obtenues par elle, se manifeste toujours davantage : j’ai été moi-même étonné comment, même en Angleterre, son nom est connu et invoqué avec une pleine confiance. La cause de cette réputation de sainteté, c’est évidemment sa sainteté de vie, mais aussi son pouvoir d’intercession. On a une confiance spéciale en elle ; maintes fois, j’ai entendu redire une de ses paroles : " Je passerai mon ciel à faire du bien sur la terre ". Cette réputation de sainteté va toujours croissant et augmentant ; elle se retrouve dans toutes les parties du monde : partout la Servante de Dieu est connue, invoquée et regardée comme une sainte, chez les prêtres et laïques, riches et pauvres, catholiques et hérétiques. Je signalerai spécialement le cardinal de Paris, l’évêque de Bayeux. On n’a certainement rien fait pour produire cette réputation de sainteté, pour la maintenir, l’augmenter, ni pour cacher quoi que ce soit qui pût contrarier ou diminuer cette réputation. J’ai signalé une petite réserve qui n’a eu aucune influence à ce sujet. Je déclare que je suis convaincu de la sainteté héroïque de la Servante de Dieu et qu’il a plu au bon Dieu de la choisir pour être un modèle d’humilité, de [38v] simplicité et d’abandon à Dieu ; je suis convaincu qu’elle est une fleur choisie du jardin mystique du Carmel et que Dieu l’a choisie pour être une des preuves les plus vivantes du surnaturel, au milieu de notre siècle incroyant, et comme un instrument de ses grâces et de ses faveurs. Qui se humiliat, exaltabitur : Dieu a voulu surtout glorifier en elle l’humilité, l’abnégation, l’oubli d’elle-même, la mort à elle-même. Source : science personnelle.

[Réponse à la cinquante-huitième demande] :

Je n’ai jamais entendu ni lu quelque chose contre les vertus de la Servante de Dieu ni contre sa réputation de sainteté, soit pendant sa vie soit après sa mort. Je n’ai jamais entendu qui que ce soit qui ait douté de la sainteté de sa vie ; j’ajoute cependant qu’une seule fois, j’ai rencontré un prêtre très estimable qui disait l’avoir trouvée trop joviale, lors de son voyage à Rome, alors qu’elle n’avait que 15 ans. Je trouvais moi-même qu’il était trop sévère dans son appréciation envers une enfant de 15 ans qui, du reste, était d’un caractère aimable et gai. Ce prêtre était le révérend père Lemonier, supérieur général des missionnaires de la Délivrande, aujourd’hui défunt. Source : science personnelle.

[Réponse à la cinquante-neuvième demande] :

Je sais qu’après la mort de la Servante de Dieu, d’innombrables grâces et miracles ont été obtenus du ciel par l’intercession [39r] de la soeur Thérèse de l’Enfant Jésus. A l’imprimerie Saint-Paul, à Paris, ont paru trois volumes relatant les faveurs, grâces, protections, guérisons, conversions obtenues par l’intervention de la Servante de Dieu, avec toutes les attestations des témoins, et, quand il s’agit de guérisons, des docteurs. Personnellement, je puis relater ici plusieurs grâces obtenues par l’intercession de la Servante de Dieu.

Le 24 août 1914, tous les religieux de l’abbaye de Leffe, à Dinant, furent enlevés brutalement et emprisonnés à la caserne de l’école régimentaire de la ville, par les prussiens envahisseurs. Nous avions pris la précaution de cacher au fond d’une cave les quelques titres d’obligations que nous possédions ; dans chaque paquet nous avions mis une relique de la Servante de Dieu et nous avions confié ces valeurs à sa protection. Au moment de l’envahissement de l’abbaye, un officier prend le père Joseph et veut se faire conduire immédiatement dans cette cave. L’officier va et vient, touche de sa baïonnette tout ce qu’il peut rencontrer, remue les paquets, et passe outre. Lorsque nous fûmes emprisonnés, les prisonniers civils enfermés dans l’abbaye, au nombre de quinze à dix-huit cents, allaient partout dans la maison, même dans les caves ; personne ne toucha les quatre paquets protégés par les reliques de la soeur Thérèse : ils étaient pourtant très visibles et très apparents. Un [39v] mois après, quand nous reprîmes possession de l’abbaye, qui avait été pillée de fond en comble, nos valeurs étaient intactes.

Pendant notre captivité à la caserne, nous pensions à tout instant être fusillés. Nous fîmes un voeu à la Servante de Dieu et, malgré toutes les menaces qui semblaient devoir se réaliser, nous étions encore en vie, au bout de quatre jours. Le cinquième jour on nous enlève pour nous conduire prisonniers de guerre en Allemagne. Après une marche forcée qui dura toute la journée, nous arrivons à la ville de Marche (environ 30 kilomètres de Dinant). Là on nous annonça que nous serions internés, prisonniers sur parole, dans le couvent des carmes. Notre captivité durait depuis trois semaines. Tous les prisonniers, religieux, ecclésiastiques, frères des écoles chrétiennes, nous fîmes une neuvaine à la Servante de Dieu et le dernier jour de la neuvaine, grâce à l’intervention de monseigneur de Namur, le gouverneur de la province de Namur arrivait, avec son état-major, nous annoncer que nous étions libres. Tous nous attribuâmes cette délivrance à l’intercession de la Servante de Dieu.

Je puis encore ajouter : deux de nos frères scholastiques anglais furent emprisonnés à Dinant et à Namur pour être envoyés en Allemagne. Nous commençons vite une neuvaine à la Servante de Dieu, et elle n’était pas encore achevée qu’ils nous revinrent. Ils sont bien convaincus que c’est [40r] la Servante de Dieu qui les a délivrés.

Outre les grâces spéciales que je viens de signaler, je ne connais pas personnellement d’autres grâces et miracles : j’ai lu demande] et j’ai entendu raconter nombre de faveurs et de miracles obtenus par l’intercession de la Servante de Dieu, mais il me serait impossible de signaler d’une façon précise les détails, les circonstances de toutes ces faveurs et de tous ces miracles. Je suis cependant convaincu qu’ils sont bien réels et que parmi eux il y a des miracles tout à fait extraordinaires. Source : science personnelle.

[Réponse à la soixantième demande] :

J’ai déjà signalé que, dans les volumes cités, il y a de nombreuses attestations de docteurs médecins. Je ne puis rien signaler de spécial à ce sujet.

[Réponse à la soixante-et-unième demande] :

Je ne puis donner aucun renseignement précis au sujet des guérisons rapportées comme ayant été obtenues par l’intercession de la Servante de Dieu, bien que je sois convaincu de leur réalité.

[Réponse à la soixante-deuxième demande] :

Je n’ai rien de précis à dire ; je m’en réfère à ce que j’ai dit dans l’interrogatoire précédent.

[Réponse à la soixante-troisième demande] :

Je m’en réfère à ce que je viens de dire.

[Réponse à la soixante-quatrième demande] :

Je m’en réfère à ce que je viens de dire.

Réponse à la soixante-cinquième demande :

Même réponse.

[Réponse à la soixante-sixième demande] :

Il me semble que nous avons [40v] repassé tout ce que je puis dire sur la Servante de Dieu pour éclairer sa Cause et renseigner la Congrégation. Je ne me rappelle rien que je doive corriger dans ma déposition ; si à la lecture je reconnais quelque chose à corriger, j’en ferai mention.

[Est ainsi terminé l’interrogatoire du témoin. Lecture des Actes est donnée. Le témoin n’y apporte aucune modification et signe comme suit] :

Fr. G. MADELAINE, abbas.

 

APPENDICE

PETIT PROCÈS

RELATIF À LA RECHERCHE DES ÉCRITS

DE LA SERVANTE DE DIEU

THÉRÈSE DE L’ENFANT-JÉSUS ET DE LA SAINTE-FACE

(1910)

 

 

Cet Appendice est dû à l’intérêt des documents qu’il présente. Il s’agit d’un intérêt historique et d’une valeur intrinsèque que n’ont en rien diminué la publication des " Manuscrits autobiographiques " et de la " Correspondance générale " de Thérèse, comme aussi l’annonce de l’édition critique de ses " Poésies ", " Récréations pieuses ", " Prières " et autres écrits mineurs. Nous croyons au contraire que les témoignages et les descriptions que nous publions, peuvent être utiles pour éclairer davantage quelques questions critiques relatives aux écrits de la sainte carmélite déchaussée et aux critères qui ont guidé leur publication. Les témoignages d’Agnès de Jésus, de Geneviève de Sainte Thérèse - pour ne parler que des plus importants - révèlent des détails qu’il est bon de connaître intégralement, car ils sont révélateurs d’une mentalité qui ne peut être jugée avec rectitude s’ils ne sont pas insérés dans leur contexte réel.

Pour ce qui concerne les écrits eux-mêmes et la méthode suivie pour les réunir et les présenter au Procès - spécialement au sujet de l’Histoire d’une âme -, les faits sont bien connus, grâce à ce qu’a publié le P. François de Sainte-Marie dans le 1er de trois volumes complémentaires annexés à la reproduction phototypique des " Manuscrits autobiographiques " 1, et aux précieux renseignements donnés avec une extrême sincérité par l’édition " du Centenaire " des " Derniers entretiens " et de la " Correspondance générale " de Thérèse.

Il ne convient pas d’insister ici sur la manière que nous jugerions étrange, arbitraire et sans respect, dont ont été remaniés - fut-ce avec les meilleures intentions, et pas seulement en 1910 ! - les écrits de Thérèse. Ce qui nous intéresse ici est le " Procès " qui a été fait à ce propos, et que nous présentons.

Comme nous l’avons déjà remarqué en son lieu, au début de 1909 fut nommé Postulateur de la Cause de béatification le P. Rodrigue de S. François de Paule, O.C.D., qui, avec le souci d’agir rapidement, au début de 1910, recourut au Saint Siège pour que - " de Apostolica venia " - l’on recueillit tout de suite dans le diocèse de Bayeux-Lisieux et ailleurs les écrits de Thérèse. Il s’agit d’un acte extraordinaire, parce que c’est aux Ordinaires du lieu qu’il appartenait de droit de faire recueillir les écrits des Serviteurs de Dieu. Dans notre cas, sur la démarche du Postulateur, le S. Siège intervient directement. C’est pourquoi on remarque, d’après les documents, que le " Processiculus " est fait " Apostolica auctoritate " (f. 4r). On le dit explicitement au frontispice et au commencement de la documentation, ainsi que dans les actes ; Mgr T. Lemonnier, évoque de Bayeux-Lisieux, est appelé " Delegatus Apostolicus " (f. 25v) et sa signature est accompagnée de ce titre (f. 35r) ; le vicaire général Auguste Quirié, juge du Tribunal à la place de l’évoque, est appelé subdelagatus Apostolicus " (ff. 9r, 21r, 23r) et il signe de cette façon (ff. 15r, 20v, 22v, 25v, 35r). Le " Processiculus " sur les écrits est donc lui aussi " Apostolique ".

Le Postulateur, en demandant un indult spécial, avait déjà dû entrevoir que les écrits de Thérèse, en un certain sens, posaient déjà un " problème " ; ce qui explique aussi la sollicitude qui le poussa à cette démarche exceptionnelle, dans le but également qu’un long retard ne portât préjudice à la Cause ; " ne huiusmodi Causa ex diuturna mora detrimentum patiatur ". La S. Congrégation des Rites donnait la réponse attendue par le rescrit 194/X du 10 février 1910 ouvrant ainsi, de Rome même, et avec autorisation pontificale, la voie à la glorification de celle dont, à peine 15 ans plus tard, Pie Xl devait dire dans l’homélie de la canonisation : " Il a plu à la divine bonté de la douer et enrichir d’un don de sagesse tout à fait exceptionnel (panne singularis)... Elle acquit en effet... une telle science des choses surnaturelles, qu’elle a pu tracer aux autres une voie certaine de salut " 6, Et cela résultait surtout des humbles écrits qui devaient être recueillis en 1910.

La S. Congrégation prépara immédiatement l’instruction avec les normes et les questions à poser aux témoins (fer mars 1910), et remit le document à Mgr Lemonnier ainsi qu’une lettre du 5 mars suivant (cfr. ff. 3v-6v). Cela facilitait évidemment le processus du travail, en donnant déjà l’indication des différentes démarches à faire.

Vers la mi-mars les documents étaient déjà entre les mains de l’évêque de Bayeux-Lisieux, qui écrivit aussitôt 2 Mère Agnès de Jésus, en lui disant qu’il voulait se mettre immédiatement au travail. La Mère Agnès elle-même communiqua aussitôt la nouvelle au P. Rodrigue : " Votre Révérence doit deviner la reconnaissance de tous nos coeurs ! Cette démarche qu’elle a bien voulu faire près de Monseigneur de Bayeux nous touche au-delà de ce que nous pouvons exprimer (...) Monseigneur Lemonnier Évêque de Bayeux m’écrit ce matin pour me parler de son mandement qu’il va faire sans retard " 6.

Entre-temps, avant d’écrire le " mandement ", Mgr Lemonnier constituait le tribunal pour la recherche des écrits. Ayant passé, comme nous le savons déjà, ses pouvoirs de juge ou président, à titre de sous-délégué, à son vicaire général Auguste Quirié (t 1930) 7, il nommait le chanoine Pierre-Théophile Dubosq (1860-1932) promoteur fiscal, et Eucher Deslandes (1849-1922) notaire-actuaire. NOTE DE BAS DE PAGE : D’après les actes du " Processiculus ", il n’y a aucun doute que le président du Tribunal constitué pour la recherche des écrits de Thérèse, comme aussi celui du Procès Informatif Ordinaire et du Procès Apostolique, ait été Auguste Quirié, qui était également Vicaire Général (cfr. Annales de Ste Th. de Lis. 6, 1930, p. 78). C’est donc une erreur à corriger, quand, dans la " Correspondance générale (1, p. 34) on trouve " la Commission diocésaine, présidée par M. Dubosq, vicaire général, etc. ". Pierre-Théophile Dubosq, dans tous les Procès de Thérèse de l’Enfant-Jésus, remplit avec la plus grande compétence le rôle difficile de " Promoteur " et, respectivement (pour le Procès Apostolique), de" souspromoteur fiscal " ou " de la foi " (cf. Annales de Ste Th. de Lis. 8, 1932, pp. 161. 164-165, 196).

Ces personnes que nous connaissons déjà, ont particulièrement bien mérité de la Cause de Thérèse, qu’elles ont servie avec une sollicitude et un intérêt extraordinaires.

Le tribunal tint sa première session, de caractère strictement juridique, à l’évêché de Bayeux, en présence de l’évêque lui-même, le 24 mars 1910. Après l’ouverture et la lecture des documents romains, Mgr Lemonnier donnait l’ordre au chanoine Deslandes de préparer le mandement, signé par l’évoque le 4 avril et répandu dans tout le diocèse. Une copie se trouve parmi les actes de la première session, et les expressions sobres et discrètes démontrent l’estime qui existait envers celle dont le " nom (...) s’est trouvé connu dans plusieurs contrées d’Europe, d’Afrique, d’Asie et d’Amérique " (f. 7r), ainsi que l’espoir de mener " à bonne fin la cause d’une âme qui parait avoir été un modèle de simplicité et d’amour confiant en Dieu " (f. 8r).

Il y eut six autres sessions.

La II et la IIIè se tinrent au Carmel de Lisieux le 23 et le 24 mai 1910. Tous les témoins sont déjà connus par les différents Procès. Nous en donnons brièvement la liste.

[VOIR LIVRE POUR LA LISTE NON SCANNÉE]

La VIe session se déroula le 27 mai dans la sacristie de la cathédrale de Bayeux : ce fut une réunion juridique au cours de laquelle, constatant que tous les écrits connus avaient été réunis et que le promoteur n’avait rien à objecter, le président donnait l’ordre de préparer In copie de tous les actes du Procès (ff. 24v-25v).

La VIIe session fut la session conclusive. Elle se tint le 12 juin à l’évêché de Bayeux, en présence de Mgr T. Lemonnier, avec les membres du Tribunal. Le notaire ayant déclaré que les écrits authentiques ayant été rapidement recueillis et la copie ayant été collationnée avec les autographes - cela avait été fait le 9 mai et les jours suivants, et donc avant l’enquête juridique proprement dite du Procès, au Carmel de Lisieux par E. Deslandes et C. Marie (1849-1912) -, le Procès lui-même pouvait être déclaré conclu. L’évêque révisa le volume du " Transumptum " à transmettre à Rome ainsi que la copie des écrits, et apposa - c’est obligatoire-les scellés.

Le jour suivant Mgr Lemonnier écrivait une lettre de présentation du travail fait par le Tribunal, communiquant à la S. Congrégation que le " Transumptum " et la copie des écrits de Thérèse seraient portés à Rome par le chanoine E. Deslandes lui-même 9.

En effet, le 25 juin 1910, le chanoine Deslandes remettait les documents à Mgr Filippo di Fava, substitut de la Congrégation des Rites 10, Le " Processiculus ", après plus d’un an d’arrêt, était ouvert le 2 l août 1911. Les écrits de Thérèse furent ensuite donnés à examiner à un censeur théologien, qui rendit son jugement positif le 6 décembre 1912. Le 10 décembre, le card. 1 Gotti, O.C.D., Ponent ou Relateur de la Cause, sur instance du Postulateur, au cours de la Congrégation ordinaire des Rites proposait la question de la révision des écrits de la Servante de Dieu. La Congrégation décida : " Nihil obstat quominus procedi possit ad ulteriora ", ce que Pie X approuva le jour suivant, 11 décembre ll.

La Cause avait ainsi la voie ouverte.

Nous reproduisons ici le texte du " Transumptum " fait à Lisieux et conservé dans les Archives de la S. Congrégation pour les Causes des Saints (" Processiculi diligentiarum ", n. 527). C’est un volume manuscrit relié en parchemin, qui compte 36 If. et mesure 27 cm.

PETIT PROCÈS POUR LES ÉCRITS DE SOEUR THÉRÈSE

[1r à 7r entièrement en latin : voir livre]

[7r]

Mandement de monseigneur

l’évêque de Bayeux et Lisieux

ordonnant la recherche des écrits

de la Servante de Dieu

Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face

du Carmel de Lisieux.

Thomas-Paul-Henri Lemonnier, par la grâce de Dieu et l’autorité du Saint-Siège apostolique, évêque de Bayeux et Lisieux, au clergé et aux fidèles de notre diocèse salut et bénédiction en Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Nos très chers frères,

Le 30 septembre 1897, mourait pieusement au Carmel de Lisieux une religieuse professe âgée d’un peu plus de 24 ans. Treize ans se sont à peine écoulés depuis cet événement, et cependant le nom de cette carmélite s’est trouvé connu dans plusieurs contrées d’Europe, d’Afrique, d’Asie et d’Amérique ; sa vie a été traduite en plusieurs langues, et beaucoup d’âmes l’invoquent dans le secret de leur prière.

Il nous a paru que nous travaillerons à la gloire de Notre-Seigneur en sollicitant l’introduction en cour de Rome de la Cause de [7v] béatification de la Servante de Dieu soeur Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face.

Les règles de l’Église exigent qu’il soit procédé à la recherche et à l’examen des écrits de la Servante de Dieu.

A la date du 5 mars dernier, la Sacrée Congrégation des Rites nous a invité à faire cette recherche.

En conséquence, nous ordonnons, sous peine de censures ecclésiastiques, à tous ceux qui posséderaient quelques traités, opuscules, méditations, discours, lettres, suppliques, mémoires ou autres ouvrages émanant de la Servante de Dieu, écrits de sa main, sous sa dictée ou par son ordre, de nous les communiquer, ou, du moins, de nous en adresser des copies authentiques.

Les personnes qui, sans posséder elles-mêmes ces écrits, en connaîtraient l’existence, sont obligées de nous faire savoir entre les mains de qui ils se trouvent.

Ces écrits doivent être remis et ces communications faites, soit au secrétaire général de notre évêché, avant le 20 mai de cette présente année, soit à la commission constituée par nous à cet effet et qui se réunira au Carmel de Lisieux les 24 et 25 mai.

Les fidèles pourront effectuer ce dépôt, par l’intermédiaire de monsieur le curé de leur paroisse ou de leur confesseur.

[8r] Nous avons la confiance que prêtres et fidèles mettront le plus grand empressement à répondre à notre appel et nous aideront à mener à bonne fin la cause d’une âme qui parait avoir été un modèle de simplicité et d’amour confiant en Dieu.

La présente ordonnance sera publiée au prône dans toutes les églises paroissiales et chapelles publiques de notre diocèse, trois dimanches consécutifs, à partir du dimanche qui en suivra la réception.

Donné à Bayeux, sous notre seing, le sceau de nos armes et le contre-seing du secrétaire général de l’évêché, le 4 avril 1910, en la fête de l’Annonciation de la Sainte Vierge.

THOMAS, év. de Bayeux et Lisieux

Par mandement de monseigneur l’évêque :

A. HAMEL, chan. secrétaire général de l’évêché.

[Session 2 : - 23 mai 1910, à 2h.30 de 1’après-midi]

[9v] [Interrogatoire du docteur La Néele]

1. I [Présentation du témoin] :

Je m’appelle Francisque-Lucien-Sulpice La Néele, docteur en médecine à Lisieux, né à Paris le 18 octobre 1858, cousin germain par alliance de la Servante de Dieu.

II. [Nombre et description des écrits dont le témoin dispose] :

Je possède plusieurs écrits de la Servante de Dieu, I’un d’eux, une pièce de vers, me concerne personnellement (IVe vol., fol. 28vo), les autres se rapportent à madame La Néele qui pourra en rendre un témoignage plus précis.

Je possède en original la pièce qui me concerne, et je la garde dans mes papiers de famille ; j’ai remis cet original à madame la prieure du Carmel qui en a fait établir une copie, comprise dans le cahier - vol. IV, fol. 28vo ; copie et original ont été communiqués à monsieur le notaire délégué qui en a reconnu la conformité.

III. [Le témoin possède-t-il d’autres écrits ?] :

Aucun.

IV. [D’autres personnes possèdent-elles d’autres écrits ?] :

Il est notoire que la Servante de Dieu a composé d’autres écrits dont la plupart doivent être entre les mains des carmélites de Lisieux et surtout de ses soeurs : Marie, Pauline, Céline et aussi Léonie à la Visitation de Caen. Mais je ne connais pas le détail de ces documents.

V.[Certains écrits ont-ils disparu par fraude ou par hasard ?] :

Je ne le crois pas.

[Le témoin écoute la lecture de sa déposition, l’approuve et la signe] :

Docteur LA NÉELE, deposui ut supra.

 

2

[Interrogatoire de Madame Jeanne Guérin]

I. [Réponse à la première demande] :

Je m’appelle Marie-Elisa-Jeanne Guérin, épouse de monsieur le docteur La Néele, cousine germaine de la Servante de Dieu, née à Lisieux le 24 février 1868, demeurant à Lisieux.

II. [Réponse à la deuxième demande] :

Je possède divers écrits de la Servante de Dieu, à savoir :

1 1 lettre à son oncle, monsieur Guérin (vol. II, fol. 26v0).

2 lettres à sa tante, madame Guérin (vol. II, fol. 27v, 28v, 29, 30, 31, 31v, 32, 32v, 33, 34, 35, 36, 36v, 37, 38v, 39v, 43, 44). [10v]

3 Cinq lettres adressées en commun aux deux précédents (vol. II, fol. 27, 40v, 41, 41v, 42).

4 Quatre lettres adressées à moi, Jeanne Guérin, sa cousine (vol. II, fol. 4vo, 21v, 22vo, 23v).

5 Une poésie adressée à mon mari, monsieur le docteur La Néele (vol. IV, fol. 28).

6 Une poésie, intitulée " Les confidences de Jésus à Thérèse " (vol. II, fo. 25).

Je possède les originaux de ces pièces, les religieuses du Carmel en ont tiré une copie que monsieur le notaire a dû collationner avec l’original. Ces originaux sont complets.

III. [Réponse à la troisième demande] :

Je n’en possède aucun autre.

IV. [Réponse à la quatrième demande] :

Il y en a d’autres, mais on a dû les réunir au Carmel ; je n’en connais pas la liste exacte.

V. [Réponse à la cinquième demande] :

Je ne l’ai pas entendu dire.

[Le témoin écoute la lecture de sa déposition, l’approuve et la signe] :

J. LA NÉELE, née JEANNE GUÉRIN,

3

[Interrogatoire de la révérende mère prieure]

I. [Présentation du témoin] :

Je m’appelle Marie-Pauline Martin, en religion soeur Agnès de Jésus, prieure du Carmel de Lisieux, soeur de la Servante de Dieu, née à Alençon le 7 septembre 1861.

II. [Description des écrits conservés dans le monastère. Où sont-ils conservés ? Sont-ils autographes ou apographes ? Imprimés ou non, et si oui, lesquels ?] :

Le monastère possède de la Servante de Dieu les écrits suivants : VOIR LIVRE.

Les originaux de ces pièces sont respectivement aux mains des religieuses auxquelles elles ont été adressées, mais je connais l’existence et le lieu de chacun de ces originaux, et je détiens personnellement, avec ceux qui m’étaient adressés, tous ceux qui ne comportent pas une adresse particulière. L’immense majorité de ces originaux est absolument intacte ; j’expliquerai tout à l’heure les quelques accidents rares et sans importance qu’ils ont pu subir. J’ai fait établir une copie soignée de tous ces écrits et je l’ai communiquée avec les originaux à messieurs les notaires qui en ont vérifié l’exactitude.

[13r] Les accidents rares qui ont modifié les originaux appellent les explications suivantes :

1 En ce qui concerne le manuscrit de sa vie, il se composait de trois parties, dont la première et la troisième s’adressaient à soeur Agnès de Jésus et à soeur Marie du Sacré-Coeur, ses parentes. Ces deux parties comportaient des appellations et des détails d’ordre familial.

La seconde partie, au contraire, composée sous le priorat de mère Marie de Gonzague, qui ne lui était pas parente selon la chair, et s’adressant à elle, ne comporte pas ces appellations et ces détails.

Lorsque cette dite mère prieure, Marie de Gonzague, eut à s’occuper de la publication du manuscrit de la vie, elle estima opportun d’assurer au manuscrit une certaine unité en faisant supprimer par grattage les appellations et détails d’ordre familial disséminés dans les parties 1 et 3.

J’ai pu rétablir dans leur teneur primitive tous ces passages, ils n’ont d’ailleurs aucune importance et ne sauraient modifier en rien l’appréciation des juges sur le caractère et les vertus de la Servante de Dieu.

2 Dans l’établissement de la copie des Pièces originales et notamment du manuscrit de sa vie, j’ai fait ajouter des notes explicatives, mais elles sont soigneusement désignées comme [13v] telles, et écrites à l’encre rouge, en sorte qu’on ne peut aucunement les confondre avec le texte primitif.

3 La lettre (vol. II, fol. 13) n’est que fragmentaire, parce que la destinataire a détruit les parties qui n’avaient pas d’intérêt.

De même en est-il des lettres (vol. II, fol. 16, 17v).

4 L’original de la pièce " Jésus à Béthanie " (vol. III, fol. 56-60) a été perdu par cas fortuit.

5 La petite pièce, récréation pieuse, intitulée " Triomphe de l’humilité " (vol. III fol. 78-86) comporte des lacunes de quelques lignes qui ont été grattées. Ces lignes contenaient quelques allusions puériles à l’affaire Diana Vaugban ; la Servante de Dieu avait manifesté la volonté de retirer de ses compositions les passages en question.

III. [D’autres personnes possèdent-elles d’autres écrits ?] :

J’ai remis à monsieur et madame La Néele des originaux qu’ils m’avaient communiqués pour en faire des copies. Je sais aussi que ma soeur Léonie Martin, en religion soeur Françoise-Thérèse, du monastère de la Visitation de Caen, possède plusieurs lettres.

IV. [14r] [S’agit-il d’écrits autographes ou apographes ? Imprimés ou non et, si oui ? lesquels ?] :

Comme je l’ai dit ci-dessus, nous possédons au Carmel les autographes de la presque totalité des écrits. Nous en avons aussi établi une copie collationnée par le notaire que nous remettons à la commission. Enfin, l’ouvrage intitulé : " Soeur Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face, 1873-1897 Histoire d’une âme écrite par elle-même ", Bar-le-Duc, Imprimerie Saint Paul, 1910, reproduit en impression typographique le manuscrit de la vie et un choix de poésies et de lettres. Toutefois, comme cette publication n’est pas tout à fait conforme à l’original, bien qu’elle le reproduise dans ses parties essentielles, la commission a jugé préférable de faire établir une copie authentique des originaux.

V. [Quel soin a-t-on mis à rechercher les écrits de la Servante de Dieu et peut-on penser en trouver d’autres ?] :

On a mis le plus grand soin à rechercher et recueillir ces écrits auxquels nous attachons un grand prix. J’ai écrit à toutes les personnes que je croyais capables de nous fournir quelques renseignements à ce sujet ; je ne crois pas que l’on puisse trouver d’autres écrits de la Servante de Dieu.

VI 14v] [Certains écrits ont-ils été perdus et, si oui, en quelles circonstances ? Fraude ? Hasard ?] :

Je n’en ai pas connaissance pour l’extérieur, et dans le monastère, nous n’avons rien perdu des écrits de la Servante de Dieu, si ce n’est, 1 par cas fortuit, comme je l’ai dit plus haut, l’original de la récréation pieuse " Jésus à Béthanie ", et, par grattage, les quelques lignes signalées dans la récréation pieuse " Triomphe de l’humilité ".

[Le témoin écoute la lecture de sa déposition, l’approuve et la signe] :

Soeur AGNÈS DE JÉSUS, r.c.i., prieure, deposui ut supra.

Session 3 : - 24 mai 1910, à 8h.30]

[15r] SESSION III

4

[Interrogatoire de soeur Geneviève de Sainte Thérèse]

I. [Présentation du témoin] :

Je m’appelle Marie-Céline Martin, en religion soeur Geneviève de Sainte Thérèse, du Carmel de Lisieux, soeur selon la nature de la Servante de Dieu, né- à Alençon, le 28 avril 1869.

II. [Le témoin a-t-il des écrits de la Servante de Dieu en sa possession et, si oui, où les conserve-t-il ?] :

Je détiens 1 des pièces qui m’avaient été adressées personnellement par la Servante de Dieu, à savoir, 46 lettres, 8 billets et 7 poésies, en tout 61 pièces.

De plus, je conserve comme archiviste et au nom de notre révérende mère prieure les pièces suivantes, sans destinataire spécial ou dont les destinataires ne sont pas ici à savoir, 9 récréations pieuses ou saynètes, 16 poésies et 29 lettres, en tout 54 pièces.

III. [D’autres personnes possèdent-elles d’autres écrits ?] :

D’autres soeurs gardent des pièces qui leur ont été adressées personnellement, en particulier la révérende mère prieure, soeur Marie du Sacré-Coeur, soeur Marie de la Trinité et quelques autres connues de la révérende mère prieure. En dehors de ces pièces, je ne crois pas qu’il en existe d’autres [16v] dans le monastère.

IV. [S’agit-il d’écrits autographes ou apographes ? Imprimés ou non, et, si oui, lesquels ?] :

1 Je possède les originaux complets des 61 pièces qui me sont personnelles. Les pièces que je détiens, comme archiviste, sont aussi originales, sauf trois, à savoir une récréation pieuse (" Jésus à Béthanie ") dont l’original s’est perdu fortuitement, et 2 lettres au père Roulland, missionnaire, dont nous n’avons que des copies, mais certainement exactes.

2 Toutes ces pièces ont été soigneusement copiées par ordre de notre révérende mère prieure et cette copie a été remise avec les originaux au notaire de la commission.

3 Quelques-unes de ces pièces ont été imprimées dans l’ouvrage : " Soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte Face, morte en odeur de sainteté, au Carmel de Lisieux, 1873-1897. Histoire d’une âme écrite par elle-même. Lettres et poésies ".

V. [Quel soin a-t-on mis à rechercher les écrits de la Servante de Dieu et peut-on penser en trouver d’autres ?] :

Je me suis adressée à toutes les personnes qui pourraient nous renseigner et je tiens pour certain qu’on ne pourrait trouver d’autres écrits dans le monastère.

[17r] VI. [Certains écrits ont-ils été perdus, et, si oui, en quelles circonstances ? Fraude ? Hasard ?] :

Rien certainement n’a été détruit par fraude ; un original seulement a été perdu fortuitement (" Jésus à Béthanie "), mais nous en avions une copie exacte que nous avons reproduite dans la copie générale. Enfin, quelques lettres, comme je l’ai dit ci-dessus, ne sont que des fragments, parce qu’on a détruit ce qui paraissait insignifiant.

La récréation pieuse " Le triomphe de l’humilité " a été raturée en quelques passages suivant le désir clairement manifesté par la Servante de Dieu, reconnaissant la fausseté de l’histoire de Diana Vaughan, à laquelle elle avait emprunté quelques traits.

[Le témoin écoute la lecture de sa déposition, l’approuve et la signe] :

SOEUR GENEVIÈVE DE SAINTE THÉRÈSE, r.c.i., deposui ut supra.

5

[17v] [Interrogatoire de soeur Marie du Sacré-Coeur de Jésus]

I. [Présentation du témoin] :

Je m’appelle Louise-Marie Martin, en religion soeur Marie du Sacré-Coeur, soeur par le sang de la Servante de Dieu, née à Alençon, le 22 février 1860.

II. [Le témoin a-t-il des écrits de la Servante de Dieu en sa possession et, si oui, où les conserve-t-il ?] :

J’ai 15 pièces, 7 billets, 4 lettres et 4 poésies et la 3e partie du manuscrit de la Vie.

III. [D’autres personnes possèdent-elles d’autres écrits ?] :

Je n’ai pas d’autres écrits, il y en a d’autres dans la communauté, notre révérende mère prieure sait lesquels.

IV. [S’agit-il d’écrits autographes ou apographes ? Imprimés ou non, et, si oui, lesquels ?] :

J’ai les autographes de toutes ces pièces ; je les ai rendus à la révérende mère prieure pour faire la copie générale. La plupart de ces pièces sont imprimées dans l’ouvrage : " Soeur Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face... Histoire d’une âme écrite par elle-même... ".

V. [Quel soin a-t-on mis à rechercher les écrits de la Servante de Dieu et peut-on penser en trouver d’autres ?] :

J’ai un grand culte pour ces souvenirs de ma soeur, je n’ai rien omis pour conserver tout ce qui était d’elle.

VI. [Certains écrits ont-ils été perdus, et, si oui, en quelles circonstances ? Fraude ? Hasard ?] :

Deux ou trois originaux de [18r] poésies ont été perdus, mais nous en avions conservé le double.

[Le témoin écoute la lecture de sa déposition, l’approuve et la signe] :

SOEUR MARIE DU SACRÉ COEUR, r.c.i., deposui ut supra.

6

[Interrogatoire de soeur Marie de la Trinité]

I. [Présentation du témoin] :

Je m’appelle Marie-Louise Castel, en religion soeur Marie de la Trinité et de la Sainte Face, du Carmel de Lisieux, née à Saint Pierre-sur-Dives, le 12 août 1874.

II. [Le témoin a-t-il des écrits de la Servante de Dieu en sa possession et, si oui, où les conserve-t-il ?] :

J’ai 16 pièces dont 7 billets, 1 prière et 8 poésies.

III. [Le témoin possède-t-il d’autres écrits ?] :

Il y a d’autres écritures de la Servante de Dieu adressées différentes soeurs, je n’en sais pas le détail.

IV [S’agit-il d’écrits autographes ou apographes ? Imprimés ou non, et, si oui, lesquels ?] :

J’ai les autographes de ces pièces, on [18v] les a fait copier pour le procès ; elles ont été imprimées, mais pas toutes, dans l’histoire de sa vie.

V. [Quel soin a-t-on mis à rechercher les écrits de la Servante de Dieu et peut-on penser en trouver d’autres ?] :

Je garde avec amour tout ce que j’ai reçu d’elle.

VI. [Certains écrits ont-ils été perdus, et, si oui, en quelles circonstances ? Fraude ? Hasard ?] :

Je n’ai rien perdu, sinon un petit billet sans importance que j’ai coupé en morceaux pour donner des autographes à différentes personnes.

[Le témoin écoute la lecture de sa déposition, l’approuve et la signe] :

SOEUR MARIE DE LA TRINITÉ ET DE LA SAINTE FACE, r.c.ind., deposui ut supra.

7

[Interrogatoire de soeur Marthe de Jésus]

I. [Présentation du témoin] :

Je m’appelle Désirée-Florence Cauvin, en religion soeur Marthe de Jésus, converse du Carmel de Lisieux, née à Giverville, Eure, le 16 juillet 1865.

II. [19r] [Le témoin a-t-il des écrits de la Servante de Dieu en sa possession et, si oui, où les conserve-t-il ?] :

J’ai 4 prières, une sur l’humilité, une sur Jésus au tabernacle qu’elle me composa sur ma demande, une sur la Sainte Trinité, une intitulée " Regard d’amour vers Jésus " qu’elle me composa pour m’aider à pratiquer la vertu. J’ai aussi deux billets, l’un qu’elle m’écrivit pendant sa retraite, l’autre pour l’anniversaire de ma naissance ; enfin une poésie pour mon anniversaire.

III. [D’autres personnes possèdent-elles d’autres écrits ?] :

Je sais d’une manière générale qu’il y en a d’autres dans la maison.

IV. [S’agit-il d’écrits autographes ou apographes ? Imprimés ou non, et, si oui, lesquels ?] :

Les pièces que j’ai ont été écrites de la main de soeur Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face. Notre révérende mère les a fait copier. Plusieurs ont été imprimées dans l’histoire de sa vie, mais on n’a pas imprimé ceux qui n’avaient pas d’importance.

V. [Quel soin a-t-on mis à rechercher les écrits de la Serrante de Dieu et peut-on penser en trouver d’autres ?] :

Nous avons toutes cherché avec le plus grand soin dans la maison, il est bien impossible d’en trouver d’autres.

VI. [Certains écrits ont-ils été perdus, et, si oui, en quelles circonstances ? Fraude ? Hasard ?] :

Du vivant même de la Servante de Dieu, j’ai brûlé plusieurs petits billets de la Servante de Dieu, et je le regrette amèrement.

[19v][Le témoin écoute la lecture de sa déposition l’approuve et la signe] :

SOEUR MARTHE DE JÉsus, deposui ut supra.

8

[Interrogatoire de soeur Marie-Madeleine du Saint-Sacrement]

I. [Présentation du témoin] :

Je m’appelle Mélanie Lebon, en religion soeur Marie-Madeleine du Saint Sacrement, soeur converse du Carmel de Lisieux, née à Plouguenat, Côtes-du-Nord, le 7 septembre 1869.

II. [Le témoin a-t-il des écrits de la Servante de Dieu en sa possession et, si oui, où les conserve-t-il ?] :

J’ai reçu de la soeur Thérèse de l’Enfant Jésus une poésie intitulée : " L’histoire d’une bergère devenue reine ", pour le jour de ma profession. Elle m’a fait aussi un petit carnet d’aspirations pieuses pour chaque jour de ma retraite. Je garde le petit carnet dans notre cellule. La poésie doit être entre les mains de notre révérende mère prieure.

III. 20r] [D’autres personnes possèdent-elles d’autres écrits ?] :

Je n’en ai pas d’autres, mais il en existe dans la communauté, je ne sais pas lesquels ni qui les garde.

IV. [S’agit-il d’écrits autographes ou apographes ? Imprimés ou non, et, si oui, lesquels ?] :

Mes pièces ont été écrites par la Servante de Dieu elle-même. On les a copiées. On a imprimé l’ " Histoire d’une bergère, etc. ", dans le livre de sa vie, mais le petit carnet n’a pas été imprimé.

V. [Quel soin a-t-on mis à rechercher les écrits de la Servante de Dieu et peut-on penser en trouver d’autres ?] :

Je sais que nos soeurs ont bien cherché, ça c’est bien sûr, surtout notre révérende mère prieure et soeur Geneviève, bien sûr qu’on ne trouvera pas autre chose.

VI [Certains écrits ont-ils été perdus, et, si oui, en quelles circonstances ? Fraude ? Hasard ?] :

Je n’ai pas connaissance ni n’ai entendu dire qu’on en eût perdu ou détruit.

[Le témoin écoute la lecture de sa déposition, l’approuve et la signe] :

SOEUR MARIE MADELEINE, deposui ut supra.

 

SESSION IV [Session 4 : - 25 mai 1910, à 8h.30]

9

[Interrogatoire de Marie-Léonie Martin]

I. [Présentation du témoin] :Je m’appelle Marie-Léonie Martin, [21v] en religion soeur Françoise-Thérèse, du monastère de la Visitation de Caen, soeur, selon la nature, de la Servante de Dieu, née à Alençon, le 3 juin 1863.

II. [Le témoin a-t-il des écrits de la Servante de Dieu en sa possession et, si oui, où les conserve-t-il ?] :

Soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus m’a écrit des lettres. J’en possède 14 dont la première est datée du Carmel du 13 août 1893 et la dernière du 17 juillet 1897.

J’ai aussi un petit billet, sans date. Enfin, je possède d’elle une poésie intitulée " Ma joie ". Avec la permission de notre très honorée mère, je gardais ces pièces dans notre cellule

III. [D’autres personnes possèdent-elles d’autres écrits ?] :

Je n’en ai pas d’autres, mais il y en a beaucoup au Carmel de Lisieux et on relate dans sa vie qu’elle en a aussi écrit à ma cousine Jeanne Guérin.

IV. [S’agit-il d’écrits autographes ou apographes ? Imprimés ou non, et, si oui, lesquels ?] :

Les pièces que j’ai ont été écrites par soeur Thérèse elle-même ; notre très honorée mère les a communiquées à monsieur le chanoine Deslandes, notaire, avec une copie qu’elle en a fait faire. On m’a rendu les pièces authentiques [22r] après la vérification.

Quelques fragments de ces lettres ont été imprimés dans la plus récente édition de l’Histoire de sa vie.

[Certains écrits ont-ils été perdus, et, si oui, en quelles circonstances ? Fraude ? Hasard ?] :

J’ai reçu, soit dans le monde, soit depuis mon entrée à la Visitation, un certain nombre d’autres lettres que j’ai brûlées sans y attacher d’importance et je le regrette aujourd’hui.

Un certain nombre de lettres écrites, soit à son père, soit à des parents, soit à d’autres, ont dû disparaître aussi par ce même motif, qu’on n’y attachait pas d’importance, ou encore parce qu’elles renfermaient des détails intimes de la vie de famille, mais ces destructions sont antérieures à l’ordonnance de monseigneur l’évêque relative à la recherche des écrits de la Servante de Dieu, et ne supposent aucune mauvaise intention.

[Le témoin écoute la lecture de sa déposition l’approuve et la signe] :

SOEUR FRANÇOISE THÉRÈSE, deposui ut supra.

[Session 5 : - 26 mai 1910, à 10h.]

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[Interrogatoire de Marcelline Anne Husé]

[23V] I [Présentation du témoin] :

Je m’appelle Marcelline Anne Husé, en religion soeur Marie Joseph de la Croi x, religieuse converse du monastère des bénédictines du Saint Sacrement de Bayeux, née à Saint-Samson, diocèse de Laval, le 19 juillet 1866.

II. [Le témoin a-t-il des écrits de la Servante de Dieu en sa possession et, si oui, où les conserve-t-il ?] :

Ayant été servante chez monsieur Guérin, oncle de la Servante de Dieu, j’ai connu là la soeur Thérèse, alors enfant. A cause de ces relations, elle m’écrivit une lettre datée du Carmel de Lisieux le 28 septembre 1890, à l’occasion de sa profession. Je garde cette lettre dans notre cellule.

III. [Le témoin possède-t-il d’autres écrits ?] :

Je n’en ai pas d’autres.

IV. [S’agit-il d’écrits autographes ou apographes ? Imprimés ou non, et, si oui, lesquels ?] :

J’ai la lettre même écrite par Soeur Thérèse, je l’ai communiquée à monsieur le chanoine Deslandes (notaire délégué) qui en a fait faire une copie. Cette lettre n’a pas été imprimée.

V. [D’autres personnes possèdent-elles d’autres écrits ?] :

Je ne sais pas.

VI. [24r] [Des écrits ont-ils disparu par fraude ou par hasard ?] :

J’avais reçu de la Servante de Dieu une autre lettre, lors de ma vocation à la vie religieuse (1889) ; c’était un petit billet que je n’ai pas conservé.

[Le témoin écoute la lecture de sa déposition l’approuve et la signe] :

SOEUR MARIE JOSEPH DE LA CROIX rel. ind., deposui ut supra.

[Session 6 : - 27 mai 1910]

[Session 7 : - 12 juin 1910]

SESSIO VII

I VOLUMEN

[Ce volume compte 141 pages et contient l’exemplaire d’une oeuvre manuscrite de la Servante de Dieu intitulée] :

" Histoire printanière d’une petite Fleur blanche écrite par elle-même ".

La Servante de Dieu avait dédié la première [26v] partie de cette histoire à la révérende mère Agnès de Jésus, sa soeur, alors prieure (fol. 1 à 98 inclus).

La deuxième partie fut adressée à la révérende mère Marie de Gonzague, réélue prieure (fol. 99 à 131 inclus).

La troisième partie fut écrite pour sa soeur aînée Marie, au Carmel soeur Marie du Sacré-Coeur (fol. 132 à 141).

II VOLUMEN

[Ce volume compte 184 pages et contient les exemplaires authentiques de lettres et autres écrits de la Servante de Dieu] :

Suivent le détail de tous ces papiers : non scanné.