Origine : " Ictus ", http ://perso.magic.fr/adic/

 

PROCES APOSTOLIQUE

de Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus

 

A

Procès Apostolique " Inchoatif "

 

 

LISTE DES TÉMOINS

 

Au cours du Procès " inchoatif " comparaissent aussi, comme au cours du Procès ordinaire, soit des témoins " ordinaires ", présentés par le vice-postulateur Mgr Roger de Teil pour répondre directement aux Interrogatoires et aux Articles, soit des témoins " d’office ", cités par le sous-promoteur, le chanoine Théophile Dubosq, pour confirmer ou infirmer les témoignages des témoins " ordinaires ".

Ceux-ci notes sont tous déjà connus pour avoir déposé au premier Procès. Ils sont âgés d’au moins cinquante ans à une exception près, celle à savoir de Soeur Geneviève de Sainte Thérèse (Céline) qui, pour raison de santé, a été " présentée " par le vice-postulateur, le 23 juillet 1915, au cours de la 25e session, durant la déposition de Soeur Marie du Sacré-Coeur. Céline déposera comme huitième témoin de la 27e à la 39e session (27 juillet 2 septembre 1915).

Il est à noter que le Père Abbé Godefroy Madelaine, de l’Ordre des Prémontrés, " parrain de l’Histoire d’une âme ",

DOCUMENTS - Liste des témoins 75

ne figure pas sur notre liste, alors que son nom figure en la Notula Testi uni primitive du vice-postulateur. Agé de 73 ans, il se trouvait en résidence à Leffe-Dinant, diocèse de Namur (Belgique), et il lui était impossible de se rendre à Lisieux à cause de la guerre qui sévissait alors cruellement (cfr. pp. 1109-1110). Sur la demande du P. Rodrigue de Saint François de Paule, Postulateur général, la S. Congrégation des Rites prit le 10 janvier 1917 un décret autorisant la, constitution d’un Tribunal chargé d’entendre le P. Madelaine à Namur, ce qui put être fait au cours de cette même année (13 août - 29 octobre 1917).

Voici maintenant, selon l’ordre de leurs dépositions, les noms des témoins effectivement entendues au cours du Procès " inchoatif " :

(16 témoins)

Six témoins du Procès ordinaire n’ont pas comparu : le premier parce qu’empêché à cause de la guerre, les cinq autres parce que décédés. En voici les noms ;

1. Le P. Elie de la Mère de la Miséricorde, O.C.D., né en 1845, résidant au Mont-Carmel ;

2. J. A. Valadier, né en 1851, mort en 1915 ;

3. C.M. Weber, né en 1835, mort en 1915,

4. E. Frappereau, né en 1831, mort en 1913 ;

5. H. Knight, née en 1855, morte en 1913 ;

6. J.J.P. Gaignet, né en 1839, mort en 1914.

Voici la liste des témoins " d’office " :

1. Aimée de Jésus (Féron), O.C.D., Lisieux ;

2. Marthe de Jésus et du bienheureux Perboyre (Cauvin), O.C.D., Lisieux ;

3. Pierre-Alexandre Faucon, chanoine honoraire de Bayeux, aumônier des religieuses de Notre- Dame de la Charité, Lisieux ;

4. Anatole-Armand-Marie Flamérion, S. J., Clamart, Paris.

Ils furent présentés par le chanoine Théophile Dubosq, sous-promoteur, les trois premiers le 7 février 1916, au cours de la 54e session et le dernier le 9 février, au cours de la 57e session. A l’exception du chanoine Faucon, ils nous sont déjà connus par les dépositions des années 1910-1911.

(ici texte latin...)

[Session 57 : - 9 février 1916, à 9h.]

[Attestations justifiant l’absence des témoins ayant déjà comparu au Procès Informatif (décès ou autres motifs).

[Nous n’en donnerons qu’un résumé]

[Session 58 : - 25 août 1916, à 8h.30] [pp. 1116-1119]

1. Elie de la Mère de la Miséricorde O.C.D. : PO, témoin 5.

Se trouve présentement à Haïfa (Syrie), dans l’impossibilité de venir en Europe. L’attestation en a été envoyée de Rome le 23 avril 1915, sous la signature de fr. Clément des SS. Faustin et Giovite, alors Préposé Général O.C.D.

2. Jean-Auguste Valadier : PO, témoin 11.

Décédé le 21 octobre 1915. Attestation datée du 20 août 1916, signée L. Bréant, premier vicaire de la paroisse de Notre-Dame à Paris.

3. Etienne Frapereau : PO, témoin 21.

Décédé le 27 décembre 1913. Attestation datée du 2 mai 1915, signée C. de Montlaur, maire de Juigné-Béné.

4. Claude-Marcel Weber : PO, témoin 19.

Inhumé le 22 octobre 1915. Extrait du Registre des Décès de la paroisse de Saint-Jean-de-Luz (diocèse de Bayonne), signé M. Lethorre, prêtre délégué.

DOCUMENTS - Interrogatoire 79

INTERROGATOIRE DU PROMOTEUR GÉNÉRAL DE LA FOI

Officiellement présenté, à norme du droit, par Mgr Alexandre Verde. Promoteur Général de la Foi, ce document est assez semblable à celui qui avait été remis aux mêmes fins par le chanoine Théophile Dubosq lors du Procès ordinaire,

C’est la première fois que le nom de Mgr Verde, tertiaire O.C.D., apparaît en ce Procès auquel le prélat avait cependant collaboré dès le début, ayant commencé à travailler pour la S. Congrégation des Rites du vivant de Thérèse. Il devait suivre cette Cause jusqu’à son glorieux couronnement. Sa mémoire mérite donc d’être ici particulièrement évoquée.

Né à S. Antimo, diocèse d’Ars versa (Campania) le 27 mars 1865, ordonné prêtre le 31 mars 1888, il fut envoyé à Rome pour y poursuivre des études fort brillantes qui lui obtinrent sans tarder la chaire de droit civil à l’Apollinaire. Entré à la S. Congrégation des Rites en 1896 il y devint sous-promoteur de la Foi en 1897, puis Promoteur en 1902, avant d’en être promu Secrétaire en 1915. Créé Cardinal le 14 décembre 1925, il travailla longtemps à la Curie romaine et mourut le 29 mars 1958.

Il aimait à le rappeler jusqu’au soir de sa longue vie : il avait formulé les premières Animadversiones (remarques) officielles lors de l’introduction de la Cause (8 avril 1914), il avait préparé et signé le

décret sur l’héroïcité des vertus de la Vénérable (AAS 13 [1921] 449- 452)9 il avait rédigé tous les décrets relatifs aux différentes étapes de la glorification de Thérèse. Le Cardinal Verde l’a dit avec joie à Lisieux le 31 août 1929 en y parlant de sainte Thérèse : " J’ai eu le privilège de travailler pour sa Cause dès le principe jusqu’à la fin ; en qualité de Promoteur de la Foi, puis de Secrétaire de la Sacrée Congrégation des Rites, j’ai signé. successivement, tous les actes de son procès " (Annales de Sainte Thérèse de Lisieux 5 [1929] 306).

Aussi bien la Mère Agnès ne manquait-elle pas de lui en témoigner sa profonde reconnaissance. Elle le fit notamment le 20 décembre 1914 à l’occasion de l’introduction de la Cause et elle lui écrivait le 18 décembre 1921, à l’occasion du Décret sur l’héroïcité des vertus : " Nous n’oublions pas... que vous avez travaillé depuis longtemps avec un bienveillant intérêt pour atteindre ce résultat de si bon augure. Dans le glorieux Décret promulgué le 14 août, et rédigé par vous, vous vous êtes plu à exalter la mission providentielle de notre ‘Vénérable’ et le vouloir divin de l’exalter elle-même dans l’univers entier ". Après 1925 mère Agnès continua d’être en relation avec le Cardinal Verde qui appréciait la fidélité de sa reconnaissance et demeura toujours un grand dévot de celle qu’il appelait " ma Sainte " et restait pour lui avec le Carmel de Lisieux, une source ses plus grandes joies.

Ce fut le 19 août 1914 qu’il signa les Interrogatoires du Procès Apostolique s’articulant en 66 numéros.

Le texte original de notre Copie publique ne comportant aucune division, nous pensons rendre service en en proposant l’index que voici :

I. Questions générales (1-8)

II. Vie de la Servante de Dieu jusqu’au début de sa dernière maladie (int. 9-12).

III. - Fidélité continue à l’observance des préceptes de Dieu et de l’Église comme à l’accomplissement de ses propres devoirs (int. 13).

IV. - Héroïcité des vertus.

A) Héroïcité des vertus en général (int. 14).

B) Vertus théologales :

1. - Foi (15-21).

2 - Espérance (int. 22,26). -

3- Amour de Dieu (int. 27

4.- Amour du prochain (int. 32-36

C) Vertus cardinales :

1. - Prudence (int. 37-38).

2. - Justice (int. 39-40).

3.- Tempérance (int. 41).

4. - Force (int. 42).

D) Vertus religieuses :

1. - Chasteté (int. 43).

2. - Pauvreté (int. 44).

3.- Obéissance (int. 45).

E) Humilité chrétienne (int. 46).

F) Héroïcité des vertus - fond et forme

V. Dons charismatiques (int. 49).

VI. Don des miracles (int, 50).

VII. Écrits de la Servante de Dieu (int. 5 1).

VIII. Dernière maladie, mort et sépulture (int. 52-56).

IX. - Renommée de sainteté durant la vie et sitôt la mort (int. 57-58).

X. Miracles et guérisons après la mort (int. 59-66).

XI. Additions éventuelles (int. 66).

Cet interrogatoire est donc comme la structure du Procès.

 

 

TÉMOIN 1

ARMAND-CONSTANT LEMONNIER

Le Procès inchoatif " ne pereant probationes " s’ouvre avec le témoignage du P. Armand-Constant Lemonnier (1841-1917), qui fut d’abord missionnaire de la Congrégation de Notre-Dame de la Délivrande de Bayeux, puis, après la dissolution de cette Congrégation, lors de la séparation de l’Église et de l’État en 1904, aumônier des religieuses de la Sainte Famille de la Délivrande.

Il avait déposé comme premier témoin d’office au Procès ordinaire, le 7 avril 1911 (cfr. vol. I, pp. 580-584).

Il n’a rencontré Thérèse qu’à l’occasion des retraites qu’il donna au Carmel de Lisieux en 1893, 1894 et 1895 et ses souvenirs sont donc nécessairement limités, mais, dans sa sobriété, cette déposition suffit à nous révéler son zèle apostolique et sa valeur comme directeur spirituel. Le témoin ne manque pas de mettre en lumière les dons de Thérèse comme éducatrice. " Les novices qui étaient sous sa direction, affirme-t-il, et que j’entendais aussi alors, me témoignèrent qu’elles avaient une confiance toute particulière dans la sagesse de sa direction " (p. 219), - " les pensées surnaturelles lui étaient habituelles et constituaient, je crois, le motif ordinaire, soit de ses actes personnels, soit de la direction qu’elle donnait aux novices " (p. 221). Il a su des Supérieurs que " lorsque des âmes étaient éprouvées par quelques souffrances, on les adressait à soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus, assuré qu’on était qu’elle leur donnerait conseil et consolation " (pp. 223-224).

Le P. Lemonnier est encore un précieux témoin pour d’autres motifs : il a examiné l’Acte d’offrande à l’amour miséricordieux au cours de la retraite donnée en octobre 1895 (pp. 217, 225), - il rapporte le jugement positif souvent porté sur Thérèse par l’abbé Youf, alors que celui-ci était toujours fort discret et réservé dans ses louanges (pp. 217, 224, 233), - il affirme que mère Marie de Gonzague " qui avait certainement quelque opposition à l’égard de mère Agnès, ne professait au contraire que des sentiments de profonde estime pour la vertu religieuse de Thérèse " (p. 236), - il souligne le sens apostolique que Thérèse donnait à sa vocation carmélitaine (p. 223) et tout l’intérêt qu’elle portait à l’activité des prêtres et des missionnaires (p. 221).

Le P. Lemonnier déposa le 9 avril 1915 au cours de la troisième session (pp. 215-237 de notre Copie publique).

[Session 3 : - 9 avril 1915, à 8h.30 et à 2h. de l’après-midi] [215] [Le témoin répond correctement à la première demande.

[Réponse à la seconde demande] :

Je m’appelle Armand Constant Lemonnier, né à Vassy le premier novembre 1841 ; je suis prêtre, membre de la Congrégation des Missionnaires [216] diocésains de Notre-Dame de la Délivrande, aujourd’hui dispersés par la loi civile. Je réside actuellement à la Délivrande où j’exerce les fonctions d’aumônier-chapelain des religieuses de la Sainte Famille.

[Le témoin répond correctement de la troisième à la cinquième demande].

[Réponse à la sixième demande] :

Je ne suis mû par aucun sentiment de crainte, d’affection, d’intérêt ou autre motif humain. Je n’ai en vue que la gloire de Dieu et la béatification de soeur Thérèse si cela doit servir à la gloire de Dieu. Je n’ai été influencé par personne au sujet de ma déposition.

[Réponse à la septième demande] :

1 J’ai connu personnellement la Servante de Dieu dans trois retraites annuelles que j’ai données au Carmel de Lisieux, en 1893, 1894 et 1895 ; à cette occasion je l’ai entendue en confession et aussi en direction.

2 A ces différentes époques, j’ai entendu parler de la Servante de Dieu par plusieurs religieuses du Carmel de Lisieux qui venaient elles aussi en direction et m’entretenaient de leurs pensées personnelles ou de l’état de la communauté. J’ai entendu très particulièrement deux de ses soeurs carmélites [217] (soeur Marie du Sacré-Coeur et mère Agnès de Jésus). J’ai entendu aussi ses deux autres soeurs (Céline et Léonie), alors dans le monde. A cette même occasion l’aumônier-chapelain du Carmel, monsieur l’abbé Youf, avec lequel j’étais en relations quotidiennes et très intimes, me paria spécialement de soeur Thérèse de l’Enfant Jésus.

Depuis, à l’occasion d’une retraite que j’ai donnée à l’abbaye des bénédictines de Lisieux, vers 1898, monsieur l’abbé Domin, aumônier de cette communauté, m’a aussi parlé de la Servante de Dieu qui avait fait ses études dans cette maison.

Enfin, à la Sainte Famille de la Délivrande, une religieuse professe de cette congrégation, appelée Alice Dumoulin, m’a dit qu’elle avait été écolière aux bénédictines de Lisieux en même temps que la Servante de Dieu et m’a dit à son sujet des paroles d’éloges que je rapporterai plus loin.

3 Au sujet des écrits, je fus consulté vers 1895 sur son " Acte d’abandon à l’Amour miséricordieux " pour savoir si cette formule pouvait être admise.

J’ai lu au moins en partie l’ " Histoire d’une âme " et quelques-unes des poésies qui suivent, mais je ne fais nullement état de ces lectures dans la déposition.

[Réponse à la huitième demande] :

J’ai confiance et dévotion à la Servante de Dieu, parce que je crois qu’elle s’intéresse auprès [218] de Dieu à la gloire de l’Église et aux intérêts des âmes.

Mais ces sentiments n’influent aucunement sur la vérité des faits que je rapporterai.

[Réponse à la neuvième demande] :

Je ne sais rien sur ce point, sinon ce que tout le monde sait par la lecture de sa vie.

[Réponse à la dixième demande] :

Je sais par la soeur Alice Dumoulin, religieuse de la Sainte Famille de la Délivrande, que la Servante de Dieu a fait une partie de son éducation chez les religieuses bénédictines de l’abbaye de Lisieux. Elle avait douze ou treize ails lorsque Alice Dumoulin, âgée de cinq ans, fut elle-même confiée à ces religieuses. A cause de son âge, Alice fut particulièrement confiée à la Servante de Dieu. Alice Dumoulin a gardé de sa compagne plus âgée ce souvenir qu’elle m’a rapporté : " Elle était très intelligente, surtout très charitable dans les soins dont elle entourait sa jeune protégée. De plus, comme Alice est restée à l’abbaye/c comme pensionnaire jusque vers sa dix-septième année, elle a souvent entendu ses maîtresses exprimer leur estime singulière pour la Servante de Dieu, leur ancienne élève.

[Réponse à la onzième demande] :

Je tiens de la Servante de Dieu elle-même que lorsqu’elle voulut entrer au Carmel à 15 ans, les supérieurs [219] firent obstacle, à cause 1 de son jeune âge et 2 de la présence dans ce Carmel de Lisieux de deux de ses soeurs, déjà religieuses. Elle m’a dit comment elle s’était adressée alors, pour obtenir cette permission, à monseigneur l’évêque de Bayeux et enfin au Souverain Pontife Léon XIII, dans un voyage qu’elle fit à Rome ; elle m’a dit comment alors elle exposa sa demande au Souverain Pontife, malgré l’intervention de monsieur Révérony, vicaire général, qui ne jugeait pas opportun qu’elle exposât cette affaire au Souverain Pontife.

Tout ce que je viens de dire est rapporté dans l’"Histoire d’une âme ", mais je l’ai entendu de la bouche de la Servante de Dieu.

[Réponse à la douzième demande] :

Lorsque je prêchais les retraites que j’ai dites ci-dessus au Carmel, la Servante de. Dieu qui avait 20 ans environ, en 1893, était religieuse professe du monastère. De mes entretiens, soit avec elle, soit avec les autres religieuses, j’eus la conviction qu’elle était pleinement dans la vocation qui lui convenait. J’appris d’elle qu’elle était maîtresse des novices, à titre auxiliaire. Les novices qui étaient sous sa direction et que j’entendis aussi alors, me témoignèrent qu’elles avaient une confiance toute particulière dans la sagesse de sa direction.

[220] [Savez-vous pourquoi la Servante Dieu n’était pas pleinement maîtresse des novices mais seulement pour ainsi dire quasi maîtresse ? - Réponse] :

Je crois que c’était à cause de son jeune âge.

[Réponse à la treizième demande] :

Je sais par mes entretiens avec la Servante de Dieu et les autres membres de la communauté qu’aux époques ci-dessus indiquées, soeur Thérèse de l’Enfant Jésus avait une conscience particulièrement droite, simple, sans scrupule et soucieuse de toutes ses obligations.

[Réponse à la quatorzième demande] :

Mon impression personnelle à la suite de mes entretiens avec la Servante de Dieu est que soeur Thérèse se distinguait dans la pratique des vertus, même en comparaison des religieuses les plus ferventes. La même appréciation m’a été alors exprimée, soit par le chapelain, monsieur Youf, soit par les religieuses que j’ai entendues.

[Pouvez-vous donner les noms des moniales qui partageaient cette opinion ? - Réponse] :

Je ne pourrais pas préciser ces noms, parce que pendant les retraites, j’entendais successivement les religieuses sans leur demander leur nom.

[Le vicaire général lui demande s’il lui est arrivé d’entendre quelques moniales faire des réserves sur les vertus de la Servante de Dieu. - Réponse] :

Je n’ai pas souvenir d’avoir jamais entendu [221] émettre aucune appréciation défavorable à son sujet.

[Le témoin poursuit ainsi] :

Quant à dire si la Servante de Dieu a persévéré jusqu’à la mort dans la pratique fidèle des vertus, je ne le sais pas directement, puisque je n’ai eu de relation avec soeur Thérèse qu’à l’occasion des retraites 1893, 1894, 1895 ; je l’ai su par l’opinion publique qui affirme de toutes parts la sainteté de sa vie et de sa mort.

[Réponse à la quinzième demande] :

Ma conviction est que la Servante de Dieu avait une foi profonde et très ardente. Les pensées surnaturelles lui étaient habituelles et constituaient, je crois, le motif ordinaire, soit de ses actes personnels, soit de la direction qu’elle donnait aux novices. Je m’en suis assuré par mes entretiens avec elle et avec les religieuses, particulièrement les novices.

[Réponse à la seizième demande]

La Servante de Dieu était certainement préoccupée de l’extension de la foi. C’est pour cela qu’elle aurait voulu avoir un frère prêtre, qu’elle s’intéressait beaucoup dans ses prières aux travaux des prêtres et spécialement des missionnaires dans les pays infidèles. Je tiens ces détails soit des confidences de la Servante de Dieu, soit des autres religieuses, ses compagnes.

 

[222] [Réponse de la dix-septième à la vingt-et-unième demande] :

Je ne sais rien de particulier sur ces points.

[Réponse de la vingt-deuxième à la vingt-septième demande exclusivement] :

J’ai souvenir que sa disposition dominante et habituelle était une grande confiance en Dieu et un abandon tout filial à la Providence et qu’elle s’efforçait d’inspirer ces mêmes sentiments aux autres.

[Réponse à la vingt-septième demande] :

Ayant été son confesseur, je ne crois pas qu’on me demande sur ce point un témoignage détaillé et précis. Je crois pouvoir dire cependant qu’elle professait une grande délicatesse de conscience et qu’elle avait horreur des moindres fautes.

[223] [Réponse à la vingt-huitième demande] :

Je ne sais rien.

[Réponse à la vingt-neuvième demande] :

Je sais par les communications des religieuses de la communauté que la Servante de Dieu était considérée comme un modèle de régularité et piété.

[Réponse de la trentième à la trente-deuxième demande] :

Je ne sais rien de spécial.

[Réponse à la trente-troisième demande] :

La conversion des pécheurs et le salut des âmes étaient une de ses intentions habituelles dans ses exercices de piété et ses pénitences. Elle me disait d’ailleurs que c’était là une des raisons d’être de l’Ordre du Carmel.

[Réponse à la trente-quatrième demande] :

Je n’ai rien à dire.

[Réponse à la trente-cinquième demande] :

Je sais par les déclarations que m’a faites la Servante de Dieu elle-même lors des retraites susdites, comme aussi par les communications des supérieures et d’autres religieuses, que, lorsque des âmes étaient éprouvées par quelques souffrances, on les adressait à soeur Thérèse de l’Enfant Jésus, assuré qu’on était [224] qu’elle leur donnerait conseil et consolation. J’ai même entendu ces détails de la bouche de religieuses qui avaient elles-mêmes bénéficié de cette charité.

[Réponse de la trente-sixième à la quarante-sixième demande] :

Je ne sais rien de spécial.

[Réponse à la quarante-septième demande] :

J’ai entendu dire soit aux religieuses de la communauté, soit à monsieur Youf, le chapelain et le confesseur ordinaire, que soeur Thérèse faisait beaucoup de bien dans le monastère par l’élévation de ses vertus jointe à une disposition habituelle d’entrain et de bonne humeur.

[Réponse à la quarante-huitième demande] :

Je ne connais rien.

[Réponse à la quarante-neuvième demande] :

Je ne sais pas.

[Réponse à la cinquantième demande] :

Il n’est pas venu à ma connaissance qu’elle ait fait aucun miracle pendant sa vie.

[Réponse à la cinquante-huitième demande] :

J’ai été amené à examiner d’une manière particulière [225] la formule de consécration composée par la Servante de Dieu et intitulée " Acte d’abandon à l’Amour miséricordieux ". C’était à la retraite de 1895. La mère prieure me communiqua cette formule et me demanda si on pouvait la répandre dans la communauté. Je l’examine moi-même et la communiquai aussi au révérend père supérieur de notre Congrégation de la Délivrande. Son avis, comme le mien, fut que cette forme de consécration ne pouvait qu’être salutaire soit à la Servante de Dieu, soit aux autres membres de la communauté.

Quant aux autres écrits de la Servante de Dieu : " Histoire d’une âme ", poésies, lettres, etc., elles sont connues de tout le monde.

[Réponse de la cinquante-deuxième à la cinquante-cinquième demande] :

Je n’ai pas été en mesure d’examiner ces faits.

[Réponse à la cinquante-sixième demande] :

Oui, j’ai été moi-même prier sur la tombe de soeur Thérèse de l’Enfant Jésus, cinq ou six fois à des époques différentes. La première fois, c’était vers 1902 bien avant l’ouverture du Procès Informatif ; la dernière fois en septembre 1913. J’ai fait ces pèlerinages par dévotion et par confiance dans les prières de la Servante de Dieu. Surtout dans les deux ou trois dernières visites j’ai été frappé du concours nombreux et continu des pèlerins. [226] Dans l’espace d’une demi-heure, je vis venir environ vingt personnes. Il n’y avait pas seulement des gens du peuple, mais des prêtres, des religieuses et des soldats. Je crois que ce mouvement de pèlerinage a commencé quelques années après la mort de la Servante de Dieu ; depuis ce temps (soit environ depuis l’année 1900 ou 1902) ce mouvement s’est accentué progressivement, et au su de tout le monde il est aujourd’hui de plus en plus considérable.

Aucun fait, à ma connaissance, ne dénote une propagande intéressée en vue d’accroître ce concours de pèlerins ; les personnes qui croient avoir obtenu des grâces le disent et provoquent ainsi le développement chaque jour plus grand de ce pèlerinage. La lecture des " Pluies de roses " où l’on a rapporté des témoignages de grâces obtenues a sans doute contribué aussi à propager ce mouvement.

[Session 4 : - 12 avril 1915, à 9h.]

 

[233] [Réponse à la cinquante-septième demande] :

Pendant sa vie, elle était regardée, soit par les religieuses de son monastère, soit par les personnes pieuses qui fréquentent habituellement le Carmel, comme une âme particulièrement privilégiée de Dieu à cause des grâces exceptionnelles qu’elle reçut soit pendant son enfance, soit pendant sa vie religieuse. On disait aussi qu’elle était favorisée de lumières surnaturelles particulières, soit pour l’intelligence de la réfection chrétienne, soit pour la direction des âmes. J’ai entendu monsieur Youf, aumônier de la communauté, dire qu’il considérait la lucidité, la profondeur et la sûreté théologique des enseignements de la Servante de Dieu comme extraordinaires et humainement inexplicables dans une jeune religieuse qui n’avait fait aucune étude spéciale de spiritualité. Ce témoignage était d’ailleurs conforme au sentiment de la communauté qui m’a été exprimé par plusieurs religieuses. On la considérait aussi comme une religieuse [234] particulièrement fervente, comme un vrai modèle, dont la fidélité tranchait même sur la conduite des plus régulières. Mais quant à dire qu’on la considérait alors comme " une sainte " au sens strict du mot, c’est-à-dire, comme digne d’être placée sur les autels, je n’oserais l’affirmer.

[Interrogé sur la renommée des vertus et des miracles de la Servante de Dieu après sa mort, le témoin répond] :

Ma conviction très nette est qu’aujourd’hui la Servante de Dieu est regardée dans le monde entier comme une sainte, soit pour l’héroïcité de ses vertus, soit pour l’efficacité de son intercession. On attend avec impatience le jugement de l’Église sur sa béatification et on ne doute pas que cette sentence ne soit favorable. Cette opinion est notoirement répandue partout, je l’ai entendue émettre, non seulement par des personnes du peuple, mais par des prêtres très éclairés sur les choses de la vie spirituelle.

[Savez-vous comment a pris naissance, après la mort de la Servante de Dieu, l’opinion de l’héroïcité de ses vertus ?] - Réponse] :

Pour ce qui est de la réputation de miracles et d’intercession puissante, ceux qui en ont bénéficié ont constaté par eux-mêmes l’efficacité de sa protection et en ont répandu autour d’eux la renommée. Quant à l’appréciation favorable sur l’héroïcité de ses vertus, je crois qu’on a puisé les éléments de ce jugement un peu dans des conversations avec les carmélites ou les personnes qui sont en rapport avec [235] le Carmel ; mais surtout cette réputation est basée sur la connaissance qu’à donné de cette âme la lecture de ses écrits, spécialement " l’Histoire d’une âme ".

[Pensez-vous que cette"Autobiographie " soit un document exprimant sincèrement la vérité ? - Réponse] :

Je crois que ce document exprime véritablement les états d’âme de la Servante de Dieu. Je sais qu’elle ne l’a écrit que par obéissance ; de plus, c’était une âme si simple, si droite que je la crois tout à fait incapable d’avoir pu tromper.

[Quelque zèle industrieux est-il intervenu en faveur de la renommée de la sainteté de la Servante de Dieu, ou pour cacher ses défauts ? - Réponse :]

Pour ce qui est d’avoir travaillé à cacher ce qui serait défavorable à la Servante de Dieu, je suis bien sûr qu’on ne l’a pas fait. Je connais les religieuses du Carmel et leur pureté d’intention dans toute cette affaire. Elles sont incapables d’une pareille conduite. Quant à la diffusion de la réputation positive de vertus ou de miracles, les publications qui ont été faites ont certainement beaucoup contribué à faire connaître la Servante de Dieu. Mais le fond de vérité de ces publications étant, à mon avis, certain, il en résulte qu’on a ainsi divulgué ce qui est vrai et aurait pu rester inconnu, mais on n’a pas par ce moyen " créé une réputation factice " de sainteté. C’est ainsi, par exemple, que Henri Laserre a beaucoup contribué par la diffusion de ses ouvrages [236] à faire connaître les miracles de Lourdes.

[Réponse à la cinquante-huitième demande] :

1 Je n’ai pas eu connaissance qu’il y ait eu dans la communauté du Carmel, au temps où vivait la Servante de Dieu, aucune divergence d’appréciation sur ses mérites. Il est vrai que je n’étais en rapport avec le Carmel qu’accidentellement à l’époque des retraites. Je ne puis donc savoir tout le détail de ce qu’on y disait, comme le saurait, par exemple, le chapelain vivant quotidiennement en relation avec la communauté. Cependant, de mes conversations avec mère Marie de Gonzague, ancienne prieure, je puis conclure que cette religieuse, qui avait certainement quelque opposition à la " famille Martin " en général et spécialement à l’égard de mère Agnès (Pauline Martin), ne professait au contraire que des sentiments de profonde estime pour la vertu religieuse de soeur Thérèse.

2 Je n’ai rien entendu de défavorable à la réputation de sainteté de la Servante de Dieu depuis sa mort.

[Réponse de la cinquante-neuvième à la soixante-cinquième demande] :

J’ai bien entendu relater de divers côtés de nombreuses grâces obtenues et même des faveurs miraculeuses, mais je n’ai pas eu occasion d’en étudier aucune directement ; le témoignage que j’en pourrais rendre serait trop vague et trop indirect.

 

[237] [Réponse à la soixante-sixième demande]-.

Je n’ai rien à ajouter.

[Au sujet des Articles, le témoin dit ne savoir que ce qu’il a déjà déposé en répondant aux demandes précédentes. - Est ainsi terminé l’interrogatoire de ce témoin. Lecture des Actes est donnée. Le témoin n’y apporte aucune modification et signe comme suit] :

Ita pro veritate deposui. ratum habeo et confirmo.

Signatum : A. LEMONNIER.

 

TÉMOIN 2

LUCIEN-VICTOR DUMAINE

 

 

Lucien-Victor Dumaine baptisa Thérèse Martin le 4 janvier 1873, à Notre- Dame d’Alençon.

Né à Tinchebray (Orne) le 8 septembre 1842, il fut ordonné prêtre à Séez le 15 juin 1867. Nommé d’abord vicaire à Lande-Patry en 1868, puis à Notre- Dame d’Alençon, ce fut là qu’il baptisa Thérèse Martin le 4 janvier 1873. Il avait une estime toute particulière de monsieur Martin et son amitié pour sa famille ne cessa pas lors de son départ pour Lisieux. Successivement curé de Tourouvre et de Montsort, puis archiprêtre de la cathédrale de Séez, il devint en outre vicaire général de 1899 à 1910, puis vicaire général honoraire et chanoine de la cathédrale.

Docte et pieux, adonné à des recherches historiques religieuses au plan régional, il s’occupa avec prédilection des soldats avec lesquels il avait été en contact durant la guerre de 1870 et dont il devint l’aumônier. Il mourut à Séez le 25 septembre 1926, après donc la canonisation de sainte Thérèse de l’Enfant- Jésus.

D’une grande sobriété, sa déposition n’ajoute rien d’important à celle qu’il avait faite au Procès informatif le 25 novembre 1910 (vol. I, pp. 332-338).

Ami intime du père de Thérèse le témoin rappelle surtout, mais de manière plus résumée qu’en 1910, les souvenirs qu’il a conservés de la famille Martin lorsqu’elle habitait rue Saint-Blaise à Alençon, famille qualifiée par lui de " milieu profondément chrétien " (p. 247).

M. Dumaine déposa le 20 avril 1915, au cours de la 5ème session (pp. 244 - 252 de notre Copie publique).

[Session 5 : - 20 avril 1915, à 8h.30]

[244] [Le témoin répond correctement à la première demande].

[Réponse à la seconde demande] :

Je m’appelle Lucien-Victor Dumaine, né à Tinchebray, diocèse de Séez, le 8 septembre 1842. Je suis chanoine de la cathédrale de Séez et vicaire général honoraire de monseigneur l’évêque de Séez.

[Le témoin répond correctement de la troisième à la cinquième demande].

[245] [Le témoin répond correctement à, la sixième demande].

[Réponse à la septième demande] :

Etant vicaire de Notre-Dame d’Alençon, j’ai moi-même baptisé la Servante de Dieu, Thérèse Martin, un samedi soir, 4 janvier 1873. Toutes ses petites soeurs étaient là et ont signé l’acte de baptême, dont un extrait authentique a été versé au dossier du Procès Informatif.

Je connaissais particulièrement la famille Martin ; j’ai même exercé, à l’occasion, sur des membres de cette famille les actes du ministère pastoral. Ces relations ont pris fin par le départ de la famille Martin pour Lisieux en 1877.

[Réponse à la huitième demande] :

Je l’invoque tous les jours. Depuis que j’ai lu l’ " Histoire d’une âme ", je n’ai eu aucun doute sur sa sainteté. Je désire ardemment le succès de cette Cause pour la gloire de Dieu et pour l’exaltation de sa Servante qui déjà fait sentir la puissance de sa protection d’une manière si merveilleuse.

[Réponse à la neuvième demande] :

Elle est née sur la paroisse de Notre-Dame d’Alençon, rue Saint-Blaise, en face de la préfecture, le 2 janvier 1873.

Le père s’appelait Louis Martin, fils d’un ancien officier qui était à Bordeaux, si j’ai [246] bon souvenir. Il avait exercé la profession d’horloger-bijoutier, sur la paroisse Saint-Pierre de Montsort, d’Alençon. Il s’était retiré du commerce depuis quelques années et jouissait d’une réelle aisance.

La mère s’appelait Zélie Guérin, originaire, je crois, de Lisieux. Après que monsieur Martin se fut retiré de son commerce de bijoutier, madame Martin s’occupa de la fabrication de la dentelle appelée " Point d’Alençon ".

Le père était d’une piété profonde ; il faisait partie de l’association pour l’adoration nocturne du Très Saint Sacrement. Il s’approchait fréquemment de la sainte communion, je crois qu’il assistait tous les jours à la sainte messe. il occupait volontiers ses loisirs au plaisir de la pêche et en envoyait souvent le produit aux religieuses clarisses d’Alençon. La mère était également très pieuse et fréquentait pareillement l’église, mais je la connaissais moins que monsieur Martin et je ne pourrais pas entrer à son sujet dans beaucoup de détails.

La Servante de Dieu fut baptisée à la demande de ses parents le samedi 4 janvier 1873. J’eus le bonheur, comme je l’ai dit ci-dessus (Interrogatoire n VII), d’être le ministre de ce baptême. Dans ces derniers temps une plaque commémorative de cet événement a été apposée dans la chapelle des fonts baptismaux de Notre-Dame d’Alençon.

Thérèse Martin fut la dernière des enfants de ce mariage, mais avant elle étaient nés de nombreux enfants. Trois de ses soeurs [247] sont encore carmélites à Lisieux ; une autre visitandine à Caen ; je me souviens d’avoir inhumé un petit frère, je crois que d’autres enfants étaient précédemment décédés.

Cette famille constituait un milieu profondément chrétien, les enfants étaient admirablement élevés ; leur vie était peu répandue à l’extérieur ; ils avaient tous es mêmes goûts et les mêmes habitudes chrétiennes et aimaient à rester ensemble.

Je relate tous ces détails comme témoin oculaire, ayant, comme je l’ai dit, bien connu la famille quand j’étais vicaire à Alençon, où j’ai demeuré pendant dix ans (1868-1878).

[Réponse à la dixième demande] :

Je sais quelques détails des toutes premières années de la Servante de Dieu, jusqu’à la mort de sa mère et le départ de la famille pour Lisieux. La santé de l’enfant périclitant par le séjour à la ville, elle fut mise en nourrice à Semallé. Le révérend père Roger, oblat de Marie Immaculée, originaire lui-même de Semallé, m’a raconté qu’étant jeune homme à cette époque et demeurant dans s famille, il avait vu la petite Thérèse Martin chez sa nourrice et qu’il avait été frappé de l’expression de douceur et d’aménité de cette enfant. Madame Martin mourut en 1887 ; peu après la famille quitta Alençon et je l’ai perdue de vue à ce moment-là..

 

[248] [Réponse de la onzième à la cinquante-cinquième demande] :

Je ne sais rien sur tous ces points sinon ce que j’ai lu dans l’"Histoire d’une âme " et ce que j’ai appris dans quelques conversations assez récentes avec la révérende mère prieure du Carmel de Lisieux.

[Réponse à la cinquante sixième demande] :

J’ai visité le tombeau de la Servante de Dieu une fois, vers 1911 ; je le faisais pour satisfaire ma piété et une pieuse curiosité. Pendant une demi-heure que j’y passai, je vis trois personnes venir prier sur la tombe de soeur Thérèse. Je sais par ailleurs qu’il y a un important concours de pèlerins, et je connais personnellement dans le diocèse de Séez bon nombre de personnes qui ont fait ce pèlerinage, Monseigneur l’évêque de Séez lui-même y est allé. Ce concours de peuple persiste et tend à s’accroître de jour en jour.

[Réponse à la cinquante-septième demande] :

Je ne sais rien directement de la réputation de sainteté de la Servante de Dieu avant sa mort ; mais depuis sa mort, j’ai constaté dans tout le diocèse de Séez, que j’ai parcouru en tous sens, comme vicaire général, que tout le monde, clergé et fidèles, est persuadé de la sainteté héroïque de soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus. On l’appelle communément " la petite sainte de Lisieux ". Par ailleurs, de nombreuses personnes, étrangères au diocèse, avec qui je me suis [249] trouvé en relations, soit de vive voix, soit par lettres m’ont exprimé la même conviction. Plusieurs personnes se recommandent spécialement à mes prières par ce seul fait que j’ai baptisé moi-même la Servante de Dieu.

Le 8 juillet 1912, dans une audience, le Souverain Pontife Pie X, sollicité de faire une prière pour ma guérison, consigna cette prière au bas d’une image de la Servante de Dieu, sachant que je l’avais moi-même baptisée.

Je suis actuellement aumônier d’un ambulance de blessés militaires, à Séez ; parmi ces soldats plusieurs portaient ostensiblement une image ou un souvenir de la Servante de Dieu. Depuis que j’ai constaté cette réputation de sainteté, il est certain qu’elle ne s’atténue pas, mais qu’elle tend au contraire à s’accroître.

Peut-être a-t-on mis un zèle un peu grand à répandre des images, des livres et autres objets concernant soeur Thérèse de l’Enfant Jésus. Mais je ne crois pas qu’on ait travaillé à créer en sa faveur une renommée de sainteté. Elle s’est répandue très normalement dans le peuple ; à plus forte raison suis-je convaincu qu’on n’a jamais rien fait pour dissimuler ce qui pourrait nuire à la Cause. Ses soeurs du Carmel ne restent pas certainement indifférentes au succès de sa Cause, mais elles agissent avec une grande droiture d’intention ,j’en suis convaincu.

 

[250] [Réponse à la cinquante-huitième demande] :

Il n’est pas à ma connaissance que personne se soit opposé à cette réputation de sainteté, et je serais bien étonné qu’il se trouve quelqu’un pour exprimer une opinion contraire.

[Réponse à la cinquante-neuvième demande] :

Je sais à ce sujet par mes relations personnelles :

1 Que c’est une opinion très répandue que soeur Thérèse réalise sa devise : " Je veux passer mon ciel à faire du bien sur la terre "1.

2 Un grand nombre de personnes m’ont dit l’avoir invoquée pour obtenir des faveurs soit spirituelles, soit temporelles, et avoir reconnu l’efficacité de son intercession. Moi-même je l’invoque journellement et j’attribue à sa protection l’amélioration de mon état de santé.

3 Je n’ai point constaté par moi-même, autant qu’il m’en souvient, aucun des faits relatés dans les " Pluies de roses " et dans les " Articles ". Mais plusieurs de ces faits qui paraissent bien établis par les témoignages qui les garantissent, me semblent constituer de vrais miracles.

4 Je puis relater plus particulièrement deux faits :

A) Le soldat Cholet, des environs de Lyon, Claude Prosper Arthur Cholet, 60, rue Vivy, Cours (Rhône), était soigné dans l’ambulance [251] dont je suis aumônier, à Séez, pour une blessure très grave, reçue au combat de la Marne. Une balle pénétrant par le dos, ressortit par le haut de la poitrine, après avoir perforé le poumon ; d’où symptômes très alarmants de fièvre, suffocation, suppuration ; une nuit en particulier, on le crut en danger prochain et je lui fis donner la communion en viatique ; le médecin major lui-même avait dit que le danger était très sérieux. Je conseillai au blessé de faire une neuvaine à la Servante de Dieu. Il la fit ; à la suite de cette neuvaine le mieux se déclara ; il s’est accentué depuis régulièrement ; le sujet est aujourd’hui en convalescence dans sa famille et a envoyé un témoignage de reconnaissance au Carmel de Lisieux.

B) L’adjudant Cholet d’Angers, Ernest Gabriel Maxime Cholet de Saint Georges-sur-Loire près d’Angers, soigné de même dans ladite ambulance, avait reçu une balle qui avait traversé la cuisse en intéressant le fémur. La blessure était de mauvaise nature, très douloureuse et le chirurgien croyait qu’on devrait en venir à une amputation, ce que le jeune homme redoutait beaucoup. Je lui conseillai une neuvaine à la Servante de Dieu. Après cette neuvaine, la blessure s’améliora et est en bonne voie de guérison.

[Réponse de la soixantième à la soixante-cinquième demande] :

Je n’ai rien de spécial à dire.

[252] [Réponse à la soixante-sixième demande] :

Je ne vois rien à ajouter.

[Au sujet des Articles, le témoin dit ne savoir que ce qu’il a déjà déposé en répondant aux demandes précédentes. - Est ainsi terminé l’interrogatoire de ce témoin. Lecture des Actes est donnée. Le témoin n’y apporte aucune modification et signe comme suit] :

Signatum : Lucien DUMAINE

 

 

TÉMOIN 3

ALMIRE PICHON, S. J.

On peut se rapporter à sa notice biographique donnée au volume I de, ce Procès (pp. 378-379).

En bref, le P. Pichon (1843-1919) fut un prêtre de grande valeur : directeur spirituel, prédicateur de retraite et conquérant d’âmes, en Europe et au Canada, (là durant une dizaine d’années). Très doué au double point de vue humain et surnaturel, il pouvait s’adresser- avec succès aux personnes de tous les milieux : aux ouvriers, aux domestiques, aux religieux et aux prêtres. Il prêchait une confiance illimitée au Coeur de Jésus dont il avait un culte ardent.

Entré en contact avec les Martin à Lisieux, en 1882 (par Marie, la soeur aînée) il devint peu à peu le père spirituel de toute la famille et continua de l’être même au cours de ses absences au Canada (1885-1886 ; 1888-1907). Thérèse fut aussi en rapport avec lui et en reçut un vrai bienfait. Comme déjà dit (vol. I, p. 379), le P. Pichon n’a conservé aucune des lettres qu’il reçut d’elle et c’est une perte irrémédiable.. Le témoin déclarera ci-dessous qu’il " regrette de n’avoir pas gardé les lettres de Thérèse " (p. 266), précisant qu’il ne s’agissait que de " quelques lettres " (p. 272). Cette affirmation ne cadre pas avec le texte du Manuscrit A, f 71 r : " Réduite à recevoir de lui une lettre par an, sur 12 que je lui écrivais (... ) ". On peut se reporter à ce sujet au vol. I. p. 379.

Le P. Pichon dépose en 1915, d’une manière certainement beaucoup plus riche que lors du Procès informatif ordinaire, en 1911.

Ainsi dit-il de Soeur Thérèse : " Elle ne se répandait pas en un flux de paroles. Elle exposait ses questions très nettement, mais avec une grande sobriété, sans insister aucunement pour faire prévaloir son sentiment. C’était d’ailleurs facile de diriger cette enfant-là : le Saint-Esprit la conduisait ; je ne crois pas avoir eu jamais ... à la prémunir contre une illusion " (pp. 265-266). Ceci encore : " Ce qui m’a particulièrement frappé c’est son esprit de foi constant, toujours en éveil, qui l’amenait à penser à Dieu sans cesse et à le voir en tout. Il n’y avait rien d’humain dans ses pensées " (p. 267) ; " Son regard, l’expression de sa physionomie montraient qu’elle se conduisait ainsi par des vues surnaturelles : c’était ‘une voyante’ qui regardait toujours Dieu " (p. 269). L’on ne peut pas négliger non plus ce précieux témoignage : " Quelques mois après son entrée au Carmel, lorsque j’y prêchai la retraite, la révérende Marie de Gonzague, alors prieure, me dit qu’elle était émerveillée de découvrir tant de perfection dans cette enfant ; elle ajoutait : c’est un trésor pour le Carmel. " (p. 273).

Le P. Pichon déposa le 23 avril 1916, au cours de la 6ème session du Procès (pp. 262-275 de notre Copie publique).

[Session 6 : - 23 avril 1915, à 8h.30 et à 2h.30 de l’après-midi]

[262] [Le témoin répond correctement à la première demande].

[Réponse à la deuxième demande] :

Je m’appelle Almire Théophile Augustin Pichon, né à Carrouges, diocèse de Séez, le 3 février 1843. Je suis religieux profès de la Compagnie de Jésus résidant actuellement à Versailles.

[Le témoin répond correctement de la troisième à la cinquième demande].

[Le témoin répond correctement à la sixième demande].

[Réponse à la septième demande] :

Vers 1880, j’allai prêcher une retraite d’ouvriers dans une usine à Lisieux. A cette occasion, je fus mis en relations avec la famille Martin.

La Servante de Dieu avait alors 7 ans. Les relations intimes qui commencèrent alors avec cette famille se sont poursuivies depuis [263] sans interruption. Je devins le conseiller spirituel des cinq soeurs. Soit par lettres, soit dans des entrevues selon l’occasion, nos communications sont restées régulières.

J’ai lu l’autobiographie de soeur Thérèse, mais je n’ai pas besoin de me servir de ce document, je relaterai ce que je sais par moi-même.

[Réponse à la huitième demande] :

Oui, j’ai une grande dévotion à la Servante de Dieu, parce que je l’ai toujours considérée comme une âme extraordinaire, très privilégiée de Dieu. Je désire sa béatification de tout mon coeur et je prie à cette intention. J’ai la conviction d’avoir obtenu deux fois ma guérison par son intercession.

[Réponse à la neuvième demande] :

Des parents de soeur Thérèse je n’ai connu que le père à partir de 1880. Il était déjà retiré à Lisieux. C’était un vénérable patriarche, toujours surnaturel ; un chrétien des anciens jours : l’esprit " moderne " n’avait pas déteint sur lui. A cette époque, je trouvai dans cette famille autour de monsieur Martin cinq enfants : Marie, Pauline, Léonie, Céline et Thérèse.

[Réponse à la dixième demande] :

Dans la famille Martin, c’est Marie et Pauline qui ont présidé à l’éducation des plus jeunes soeurs, et notamment de Thérèse. Monsieur Martin avait [264] une grande confiance dans le jugement et le sens pratique de ses filles aînées, et il ne se trompait pas en leur confiant la direction de la maison. Madame Guérin, leur tante, était souvent consultée : c’était une personne très sage et très chrétienne. Monsieur Martin avait une affection particulièrement tendre pour Thérèse qu’il appelait sa"petite reine ". Une enfant moins bien douée qu’elle eût pu concevoir quelque amour-propre et en souffrir dans sa formation morale ; mais je n’ai jamais vu la Servante de Dieu s’en prévaloir ; et ses soeurs aînées y acquiesçaient pleinement.

Ce qui m’a beaucoup frappé à cette époque dans la Servante de Dieu, c’est premièrement son esprit de foi : elle voyait le bon Dieu en tout ; et sa modestie : elle était recueillie et plutôt silencieuse, n’attirant jamais l’attention sur elle, d’ailleurs souriante et aimable ; je n’ai jamais vu un nuage sur le visage de cette enfant.

Je ne sais rien de particulier sur son éducation aux bénédictines.

Lors d’une maladie étrange qu’elle éprouva vers l’âge de dix ans, je fus tenu au courant de ce qui se passait par les lettres de ses soeurs. Elles me relatèrent à cette époque même les détails de sa guérison y compris le miracle du sourire de la Sainte Vierge tel qu’il est rapporté dans l’"Histoire d’une âme ". Cette maladie me parut être une affection nerveuse d’ailleurs bien singulière. Je revis l’enfant peu de temps après sa guérison et plusieurs fois jusqu’à son entrée au Carmel ; ce mal, qui aurait pu altérer son équilibre [265] mental, n’avait laissé absolument aucune trace, ce qui me confirma dans la foi à la guérison miraculeuse.

Je n’étais pas présent à l’époque de la première communion de la Servante de Dieu.

[Réponse à la onzième demande] :

Dès que je l’ai connue, c’est-à-dire dès l’âge de sept ans, la Servante de Dieu me fit part de ses désirs de se consacrer à Dieu. Quant à la forme particulière de sa consécration dans l’Ordre du Carmel, je ne saurais dire si elle m’en parla avant l’entrée de sa soeur Pauline en religion ou après. A quinze ans, lorsqu’elle eut l’espoir de pouvoir être admise, elle commença des démarches pour obtenir son entrée au Carmel.

[Pour la direction de sa vie spirituelle et spécialement au sujet de son intention d’entrer en religion, la Servante de Dieu prenait-elle prudemment conseil ou se conduisait-elle plutôt par sa propre prudence ? Réponse] :

Je puis affirmer qu’elle prenait conseil. Elle m’a consulté moi-même et sur sa conduite spirituelle et notamment sur sa vocation. Elle ne se répandait pas en un flux de paroles. Elle exposait ses questions très nettement, mais avec une grande sobriété, sans insister aucunement pour faire prévaloir son sentiment. C’était d’ailleurs facile de diriger cette enfant-là : le Saint Esprit la conduisait ; [266] je ne crois pas avoir eu jamais, ni alors ni plus tard, à la prémunir contre une illusion.

Pour revenir à l’affaire de son entrée au Carmel, je crois qu’on y faisait obstacle à cause de son jeune âge et de la délicatesse de sa santé. Je fus alors tenu au courant, par des lettres de Thérèse et de Céline, des démarches faites à Bayeux et à Rome pour obtenir la permission d’entrer au Carmel. Elle finit par triompher, mais ce ne fut pas sans difficulté. Ce qui est remarquable, c’est que son père insistait de son côté avec une générosité admirable pour la donner au bon Dieu.

[Réponse à la douzième demande] :

Elle entra au Carmel en 1888. Je donnai une retraite à l’automne de la même année, elle était alors postulante. Après cette retraite, je fus envoyé au Canada et je n’ai plus revu la Servante de Dieu, avec qui je restai pourtant en communication de lettres. Ce qui me frappa dans cette retraite, ce furent les épreuves spirituelles par lesquelles Dieu la faisait passer ; j’eus alors l’impression très vive que le bon Dieu en voulait faire une grande sainte.

Je regrette bien de n’avoir pas gardé ses lettres et je n’ai qu’une connaissance indirecte du reste de sa vie au Carmel.

Ce que j’en sais je l’ai pris dans l’"Histoire d’une âme " et dans des conversations avec ses soeurs.

 

[267] [Réponse de la treizième à la quatorzième demande] :

Ce que j’ai pu observer me persuade que cette enfant était d’une perfection qui ne se démentait jamais.

[Réponse à la quinzième demande] :

Son adhésion aux vérités révélées et aux directions de l’Église était d’une foi naïve très droite et très simple. Mais ce qui m’a particulièrement frappé c’est son esprit de foi constant, toujours en éveil, qui l’amenait à penser à Dieu sans cesse et à le voir en tout. Il n’y avait rien d’humain dans ses pensées et dans ses actes.

[Réponse à la seizième demande] :

Je ne sais rien de particulier sur ce point.

[Le témoin répond de même à la dix-septième demande].

[Réponse à la dix-huitième demande] :

Je sais qu’elle était très ardente dans son désir de communier tous les jours. Elle me l’a manifesté dans des conversations avant même son entrée au Carmel.

[Réponse à la dix-neuvième demande] :

Je ne sais rien de particulier.

[Réponse à la vingtième demande] :

Elle m’a exprimé plusieurs fois des sentiments très ardents de respect pour les prêtres et de zèle pour leur sanctification. C’était un des objets les plus habituels [268] de sa prière.

[Réponse à la vingt-et-unième demande] :

Je n’ai rien de spécial à dire.

[Réponse de la vingt-deuxième à la vingt-sixième demande] :

Cette enfant était admirablement dégagée des choses de la terre qui n’effleuraient même pas sa pensée ; elle vivait constamment dans des régions supérieures et dans la pensée de Dieu. Son abandon à Dieu dans les peines et les difficultés était complet. Dans les circonstances les plus pénibles, comme la maladie cérébrale de son père, elle ne perdait rien de sa sérénité habituelle. Elle disait avec un sourire céleste : " Il faut que le bon Dieu nous aime bien pour nous traiter ainsi " 1. Cependant elle n’était pas indifférente, mais très sensible au contraire aux affections de la famille. Sa tranquillité d’âme était donc toute surnaturelle.

[Réponse de la vingt-septième à la trente-et-unième demande] :

L’amour de Dieu chez elle avait ce cachet très accusé qu’il n’était mêlé d’aucune crainte. Sa conscience était très droite et très délicate. Elle se montrait très attentive à éviter jusqu’aux imperfections et toujours par un principe d’amour.

[Réponse de la trente-deuxième à la trente-sixième demande] :

Je n’ai guère pu observer directement que ses rapports avec les membres de sa famille. Elle était d’une con- [269]descendance parfaite à l’égard de ses soeurs, se prêtant à tout, même à leurs caprices ; quant à elle, elle n’avait point de caprices, elle n’exprimait aucun désir et faisait tout ce que l’on voulait. Son regard, l’expression de sa physionomie montraient qu’elle se conduisait ainsi par des vues surnaturelles, c’était " une voyante " qui regardait toujours Dieu. Elle n’était pourtant pas d’une nature apathique, mais très vivante, et si elle s’était écoutée, elle aurait eu des désirs et des caprices.

[Réponse de la trente-septième à la trente-huitième demande] :

Je n’ai jamais rien remarqué en elle d’imprudent et d’inconsidéré ; rien qui

sentît l’exagération ou l’élan de la nature. Dans toutes ses paroles et même

dans l’expression de son visage, il y avait une pondération merveilleuse.

[Réponse de la trente-neuvième à la quarantième demande] :

Je ne sais rien.

[Réponse à la quarante-et-unième demande] :

Je n’ai jamais vu cette enfant manifester une contrariété ni le désir qu’on lui procure une satisfaction.

 

[270] [Réponse à la quarante-deuxième demande] :

Ce que je puis noter de particulier par rapport à la vertu de force pendant la période de mes rapports directs avec la Servante de Dieu, c’est ce qu’elle a fait pour obtenir son entrée au Carmel, allant frapper à toutes les portes sans se décourager jamais, malgré les refus des supérieurs, ce qui, pour une enfant de quinze ans, dénote une énergie et une force de caractère peu communes.

[Réponse aux quarante-troisième et quarante-quatrième demandes] :

Je ne sais rien de spécial.

[Réponse à la quarante-cinquième demande] :

Pour l’obéissance, j’ai été témoin de la souplesse et de la promptitude avec lesquelles elle se soumettait sans répliquer jamais aux moindres volontés de son père et de ses soeurs plus âgées qu’elle.

[Réponse à la quarante-sixième demande] :

J’ai été frappé de son humilité plus que de tout le reste. Elle était attentive à laisser paraître ses soeurs, ne se mettant jamais en avant. Il fallait vraiment l’étudier pour s’apercevoir qu’elle était très [271] intelligente. Ainsi j’ai ignoré longtemps qu’elle avait un véritable talent pour la poésie.

[Réponse à la quarante-septième demande] :

D’abord l’ensemble de ses vertus me paraît héroïque, à cause de la continuité avec laquelle elle en a pratiqué les actes sans se démentir jamais. Parmi les vertus qu’elle a pratiquées pendant le temps que je l’ai connue, c’est-à-dire, surtout pendant qu’elle était dans sa famille, c’est son humilité qui m’a paru particulièrement héroïque. Alors que son père et ses soeurs ne demandaient qu’à la mettre en avant, elle était très attentive à s’effacer toujours. J’ai encore remarqué son héroïcité dans l’acceptation de ses peines si cuisantes qu’elles fussent et dans la sérénité inaltérable qu’elle conservait aux heures les plus critiques.

[Réponse à la quarante-huitième demande] :

Je ne sache pas qu’elle ait en rien manqué de mesure.

[Réponse à la quarante-neuvième demande] :

En dehors de l’apparition de la Sainte Vierge, à la fin de sa maladie, je n’ai pas eu connaissance qu’elle ait été affectée d’états mystiques extraordinaires. En a-t-elle éprouvé quelqu’un à titre exceptionnel, je l’ignore ; en tous cas, ce n’est pas le caractère prédominant de sa sainteté si simple et que Dieu voulait donner en exemple aux " petites âmes ".

 

[272] [Réponse à la cinquantième demande] :

Je ne sais pas.

[Réponse à la cinquante-et-unième demande] :

1 Ses écrits, tout le monde les connaît : l’ " Histoire d’une âme ", ses Lettres, ses Poésies. Je ne les ai connus qu’après sa mort par la publication qu’on en a faite. J’ai dit que malheureusement je n’avais pas conservé les quelques lettres qu’elle m’avait adressées personnellement.

2 Quant à l’appréciation de la doctrine renfermée dans ces écrits, je puis rapporter le jugement très autorisé du révérend père de Causans, préfet de la Compagnie de Jésus, qui était regardé parmi nous comme très versé dans les choses spirituelles. Ayant lu l’ " Histoire d’une âme ", il me dit : " Après sainte Thérèse d’Avila et saint Jean de la Croix, je ne connais rien de plus beau ". J’ajoute que c’est aussi mon avis. En particulier, plusieurs, à ma connaissance, avant d’avoir lu ses oeuvres, craignaient que dans sa " petite voie d’abandon " dont ils avaient entendu vaguement parler, il n’y eût une teinte de quiétisme, mais tous, après lecture, m’ont avoué qu’ils n’y trouvaient rien de semblable.

[Réponse de la cinquante-deuxième à la cinquante-sixième demande exclusivement] :

Je ne sais rien personnellement.

[Réponse à la cinquante-sixième demande] :

[273] J’ai visité le tombeau de la Servante de Dieu à peu près une fois chaque année, depuis que je suis revenu en France (1907). Jamais je n’y ai été sans y trouver des pèlerins. Avant hier, j’y ai passé environ un quart d’heure, pendant ce temps les pèlerins se succédaient sans interruption ; il y avait des soldats, des religieuses, etc., et tous priaient avec une grande ferveur. Ce mouvement de pèlerins loin de se ralentir s’accentue de jour en jour. Je ne sache pas qu’on ait usé d’aucun moyen pour créer ce mouvement.

[Réponse à la cinquante-septième demande] :

Avant que la Servante de Dieu n’entrât au Carmel, ceux qui la voyaient et la connaissaient disaient d’elle : " cette enfant est un ange ". Ils n’entendaient pas par là décerner un éloge banal comme on le fait pour un enfant aimable, mais attachaient à cette expression une sorte de vénération.

Quelques mois après son entrée au Carmel, lorsque j’y prêchai la retraite, la révérende Marie de Gonzague, alors prieure, me dit qu’elle était émerveillée de découvrir tant de perfection dans cette enfant ; elle ajoutait : " c’est un trésor pour le Carmel ".

A la fin de 1888, j’ai quitté la France et je ne puis être témoin direct pour le reste de sa vie religieuse.

Depuis sa mort, j’ai constaté dans mes nombreuses missions, au Canada, aux États-Unis, en Angleterre, en Belgique, en Hollande, en Pologne, en Bohème, en Hongrie, en Autriche, en Suisse, en Italie, [274] que partout cette réputation de sainteté et de puissance sur le coeur de Dieu est parfaitement établie. Dans toutes ces contrées, j’ai remarqué les fruits de vertus que produit la lecture de sa vie, et j’ai rencontré bon nombre de religieuses qui doivent leur vocation à la lecture de ce livre.

[Les effets de cette lecture procèdent-ils, selon vous, de quelque excès de sensibilité ou d’imagination ? - Réponse] :

Je connais des personnes en grand nombre qui ont relu cette vie jusqu’à cinq, six, et sept fois, et qui m’ont affirmé que la dernière lecture leur faisait plus de bien, ce qui ne s’expliquerait pas par un mouvement de sensibilité et d’enthousiasme.

[Le témoin reprend sa déposition] :

La publication de l’ " Histoire d’une âme " a contribué sans doute à faire connaître soeur Thérèse, mais cela me paraît tout à fait insuffisant sans une intervention du bon Dieu pour expliquer ce courant universel et si puissant de vénération et de confiance. J’ai vu souvent des hommes du premier mérite pleinement convaincus de la sainteté de la Servante de Dieu.

[Réponse à la, cinquante-huitième demande] :

Je ne connais aucune opposition.

[Réponse de la cinquante-neuvième à la soixante-cinquième demande] :

[275] En dehors des cas d’intercession miraculeuse relatée dans la " Pluie de roses " et que je n’ai pas contrôlés moi-même, je dois rapporter que je suis convaincu d’avoir été moi-même guéri prodigieusement d’un mal qui, d’après les médecins, devait me conduire en quelques heures au tombeau. Il s’agissait d’une broncho-pneumonie purulente très avancée. C’était à Paris, en 1909, au mois d’août, à la clinique des Augustines, rue de la Santé, n 29.

Les trois médecins de la maison prononcèrent qu’il fallait vite m’administrer l’Extrême-Onction parce que j’allais mourir. J’invoquai alors soeur Thérèse, ma température qui dépassait 400 revint le jour même à l’état normal et s’y maintint au grand étonnement des médecins. Quatre jours après je pouvais dire la sainte messe, et c’est précisément la grâce que j’avais demandée.

[Réponse à la soixante-sixième demande] :

Je ne vois rien à ajouter.

[Au sujet des Articles, le témoin dit ne savoir que ce qu’il a déjà déposé en répondant aux demandes précédentes. - Est ainsi terminé l’interrogatoire de ce témoin. Lecture des Actes est donnée. Le témoin n’y apporte aucune modification et signe comme suit] :

Signatum : A. PICHON, S. J.

 

TÉMOIN 4

JEAN-JULES AURIAULT, S.J.

Comme déjà dit (vol. 1, p. 390). le P. Auriault n’a pas connu Thérèse et son témoignage concerne directement sa réputation de sainteté et la valeur doctrinale de son enseignement.

Longtemps professeur très apprécié à l’Institut Catholique de Paris, puis prédicateur très recherché pour les exercices spirituels, le P. Auriault alla au Carmel de Lisieux pour une retraite vers 1908-1909. Il devint dès lors un fervent admirateur de Thérèse et de sa doctrine.

Le P. Auriault dont le témoignage porte avant tout sur l’efficacité du message de Thérèse, ne manque cependant pas non plus, bien sûr, de juger de l’héroïcité des vertus de la jeune carmélite, héroïcité qu’il retient certaine et bien prouvée : " 1) par l’intensité d’amour qu’elle mettait dans tous ses actes ; 2) par la continuité dans la fidélité, soit aux règles de l’observance, soit aux inspirations de la grâce ; 3) par une patience vraiment extraordinaire à se maintenir égale et douce dans les épreuves ; 4) par le grand courage qu’elle avait à se vaincre elle- même dans les combats d’une nature spécialement sensible " (p. 291).

Mérite encore d’être souligné le jugement que voici : " Sa prudence se manifeste d’une manière remarquable dans ses lettres et ses conseils de direction qui reflètent avec clarté efforce la doctrine des maîtres les plus autorisés de la vie spirituelle ... Dans sa direction, il faut noter aussi la dépendance parfaite dans laquelle elle se tient à l’égard de l’Esprit Saint. Elle est comme tin instrument dans la main de l’ouvrier " (p. 291).

Le P. Auriault déposa le 3 mai 1915, au cours de la 7ème session (pp. 285- 296 de notre Copie publique).

[Session 7 : - 3 mai 1915, à 8h.30 et à 2h.30 de l’après-midi]

 

[285] [Le témoin répond correctement à la première demande].

[Réponse à la deuxième demande] :

Je m’appelle Jean-Jules-Raoul Auriault, né à Bric, diocèse de Poitiers, le 19 février 1855 ; je suis prêtre profès de la Compagnie de Jésus, professeur honoraire de dogme à l’Institut Catholique de Paris, actuellement résidant à Paris, n5 rue du Regard.

[Le témoin répond correctement à la troisième demande].

 

[286] [Réponse à la quatrième demande] :

J’ai comparu deux fois devant le juge d’instruction au tribunal correctionnel de Paris, sous l’inculpation d’avoir exercé le ministère, étant membre d’une Congrégation non autorisée et légalement dissoute. Les deux instructions ont abouti à un non-lieu.

[Le témoin répond correctement à la cinquième demande, et pareillement à la sixième].

[Réponse à la septième demande] :

Je n’ai pas connu personnellement la Servante de Dieu. Ce que j’en sais provient des sources suivantes :

1 La lecture attentive de son autobiographie et aussi des lettres et autres écrits annexés à cet ouvrage.

2 J’ai prêché deux retraites au Carmel de Lisieux, la première il y a environ six ou sept ans (en 1908 ou 1909) ; la seconde deux ans plus tard.

Dans ces deux circonstances, je me suis entretenu de la Servante de Dieu, non seulement avec ses soeurs carmélites, mais encore avec toutes les religieuses de la communauté.

3 Dans l’exercice de mon ministère (directions spirituelles, confessions, prédications, etc.) à Paris et en province,, beaucoup de personnes m , ont communiqué leurs sentiments sur la Servante de Dieu.

4 Dans la Compagnie de Jésus, plusieurs pères ou frères m’ont aussi fait part de leur jugement sur soeur Thérèse de l’Enfant Jésus.

[Réponse à la huitième demande] :

[287] Depuis sept ou huit ans, j’ai pour la Servante de Dieu une véritable dévotion et une grande confiance. Ces dispositions se sont établies en moi par l’étude de sa vie et par mes conversations avec les carmélites de Lisieux. Je désire vivement le succès de sa Cause parce que je la crois fondée et que son succès me paraît avoir un grand intérêt pour l’Église.

[Réponse de la neuvième à la douzième demande] :

Sur les détails historiques de la biographie de soeur Thérèse, je ne sais rien que par la lecture de I’"Histoire d’une âme ", ouvrage connu de tout le monde.

[Réponse aux treizième et quatorzième demandes] :

Je ne sais rien de spécial.

[Réponse de la quinzième à la vingt-et-unième (demande] :

J’ai été frappé de la promptitude avec laquelle elle adhérait aux moindres directions de l’Église. Quand on lit ses écrits avec attention, on saisit dans le détail cette préoccupation de se conformer à la pensée de l’Église. Je me rappelle en particulier ce trait qui me semble significatif. Comme une religieuse, dans un mouvement d’enthousiasme, lui disait qu’elle suivrait sa voie spirituelle quand même l’Église ne l’approuverait pas, elle s’indigna lui disant : " Malheureuse ! il faut toujours et avant tout obéir à l’Église ", ou une parole analogue’.

[288] Ce qu’il y a en elle de remarquable aussi au point de vue de la foi, c’est la continuité des vues surnaturelles. C’est l’esprit de foi aussi qui lui faisait professer un respect inné, profond et surnaturel pour le Souverain Pontife, les évêques et les prêtres.

Elle avait un goût très accentué et particulièrement remarquable pour la Sainte Écriture dont elle se sert constamment dans ses écrits avec un rare bonheur.

Tout ce que je viens de dire, résulte de l’étude que j’ai faite de ses écrits.

[-Réponse de la vingt-deuxième à la vingt-sixième demande] :

Il me semble que l’abandon total à Dieu est comme le trait saillant de sa physionomie surnaturelle. Cela apparaît dans l’idée qu’elle a de Dieu qu’elle regarde comme un père. On pourrait citer toute son autobiographie comme preuve de cette disposition.

En particulier, il est remarquable comment elle professe à toute occasion que le péché n’est pas une raison de s’éloigner de Dieu, mais un motif de se rapprocher de sa miséricorde. Elle dit quelque part que si elle a confiance en Dieu, ce n’est pas précisément parce qu’elle n’a pas commis de péchés ; si elle avait commis tous les péchés les plus graves, elle aurait le même appui dans sa confiance en la bonté divine. Cet abandon à Dieu se manifeste aussi dans sa soumission sans réserve à toutes les directions de ses supérieurs ; on pourrait dire qu’elle obéit à tort et à travers, parce qu’elle voit toujours derrière les créatures la volonté [289] paternelle de Dieu.

Bien plus, cet abandon absolu à Dieu, elle s’en fait le prédicateur infatigable. Toute sa direction spirituelle revient à cette voie d’abandon.

[Réponse de la vingt-septième à la trente-et-unième demande] :

L’amour de Dieu la possède tellement qu’elle ne peut pas s’en distraire, même un instant ; on peut dire qu’elle aime comme elle respire. Elle me rappelle saint Louis de Gonzague, souffrant le martyre parce que son supérieur lui demandait de moins penser à Dieu pour penser davantage aux choses pratiques de la terre.

[Réponse de la trente-deuxième à la trente-sixième demande] :

Ce qu’elle a écrit sur la charité envers le prochain est remarquable par la profondeur et le sens pratique. C’est comme un commentaire des paroles de Notre Seigneur après la Cène.

Ce qui me frappe aussi, c’est l’exercice effectif de cette charité délicate à l’infini. On pourrait l’exprimer dans ces deux mots : " Nemini obesse, omnibus prouesse ".

Ce qui montre le surnaturel de cette charité, c’est qu’étant dans le couvent avec ses trois soeurs, elle n’a pas incliné son coeur et ses affections vers elles plutôt que vers les autres religieuses ; elle s’en détournait plutôt.

Le zèle pour le salut des âmes a atteint chez elle un degré qui me paraît hors de pair. Cette disposition apparaît dans cette page sublime où elle [290] exprime le regret de ne pouvoir être à la fois prêtre, missionnaire, martyre, etc., mais pour y suppléer, recourant à sa petitesse, elle se loge dans le coeur même de l’Église par sa prière et son amour afin de rayonner de là à travers le monde entier pour aider le Pape, les évêques, les prêtres, les missionnaires et tous ceux qui s’appliquent au salut des âmes. Ce zèle se manifeste spécialement dans son union avec les missionnaires, et dans cette formule d’un apostolat pour ainsi dire éternel : " Je veux passer mon ciel à faire du bien sur la terre " 2.

[Réponse aux trente-septième et trente-huitième demandes] :

Sa prudence se manifeste d’une manière remarquable dans ses lettres et ses conseils de direction qui reflètent avec clarté et force la doctrine des maîtres les plus autorisés de la vie spirituelle.

Spécialement, chez soeur Thérèse, l’abandon à Dieu n’est pas une doctrine exclusive des autres sentiments de la vie spirituelle, comme sont la crainte de Dieu, l’horreur du péché, etc. ; ils en sont plutôt partie intégrante, seulement ils y prennent la forme qui les rend plus efficaces et plus accessibles.

Dans sa direction, il faut noter aussi la dépendance parfaite dans laquelle elle se tient à l’égard de l’Esprit-Saint. Elle est comme un instrument dans la main de l’ouvrier.

Sa prudence se montre aussi dans sa conduite personnelle, notamment dans ses rapports avec la communauté, où il lui fallut concilier dans des passes [291] difficiles l’obéissance et la charité.

[De la trente-neuvième à la quarantième demande, le témoin n’eut rien de particulier à répondre.]

[Réponse aux quarante-et-unième et quarante-deuxième demandes] :

L’amour de la souffrance avait pris chez elle une telle intensité qu’elle était devenue comme une passion dominante, à tel point qu’elle jubilait devant la souffrance : les jours où elle souffrait, c’étaient les jours où elle paraissait plus joyeuse, en sorte que plusieurs s’y sont trompés et ont cru qu’elle avait peu souffert.

[De la quarante-troisième à la quarante-sixième demande, le témoin n’eut rien de particulier à répondre].

[Réponse aux quarante-septième et quarante-huitième demandes] :

D’une façon générale, il me semble qu’elle a pratiqué à un degré héroïque toutes ces vertus ; ce qui paraît : 1 par l’intensité d’amour qu’elle mettait dans tous ses actes ; 2 par la continuité dans la fidélité, soit aux règles de l’observance, soit aux inspirations de la grâce ; 3 par une patience vraiment extraordinaire à se maintenir égale et douce dans les épreuves ; 4 par le grand courage qu’elle mit à se vaincre elle-même dans les combats d’une nature spécialement sensible. On peut dire d’elle ce qu’on dit de saint Jean Berchmans [292] : elle a extraordinairement bien fait toutes les choses ordinaires.

[Réponse aux quarante-neuvième et cinquantième demandes] :

Je n’ai pas connaissance d’aucun fait de ce genre.

[Réponse à la cinquante-et-unième demande] :

1 Je ne connais d’autres écrits que ceux qui ont été édités. Je n’ai pas fait la critique spéciale de l’authenticité de ces publications ; mais elle a été faite par d’autres, et je ne doute pas de la véracité de leur témoignage. J’ai même eu en main le manuscrit original de l’autobiographie.

2 J’estime que ces écrits peuvent faire foi et appuyer un jugement certain sur la réalité des vertus de la Servante de Dieu, car I/ ayant déjà connaissance, par le renom public, de ses vertus héroïques, de sa sainte mort et des grâces obtenues par son intercession, ses écrits ne m’arrivaient pas sans une autorité acquise ; 2/ en les étudiant, j’y trouve des caractères intrinsèques qui en garantissent l’autorité. La vérité, l’onction jaillissent de chaque phrase, et on ne peut penser, même un instant, que l’auteur n’ait pas exprimé ce qu’il éprouvait. De cette façon, les témoignages extrinsèques et la critique interne se corroborent pour donner une valeur incontestable à ces documents.

 

[293] [Réponse de la cinquante-deuxième à la cinquante-cinquième demande,] :

Je ne sais rien de particulier sur ces points.

[Réponse à la cinquante-sixième demande] :

Depuis huit ans que je suis en relations avec le Carmel de Lisieux je n’ai pas manqué de visiter par dévotion le tombeau de la Servante de Dieu toutes les fois que les circonstances m’ont amené à Lisieux, c’est-à-dire à cinq ou six reprises différentes, en tout une vingtaine de visites. Dans ces pèlerinages j’ai remarqué un concours régulier de pèlerins, quelquefois malgré les intempéries ; de plus, ce concours va croissant. Hier notamment, qui était un dimanche, pendant les trois quarts d’heure que j’y ai passés, j’ai remarqué une assistance se renouvelant sans cesse d’une vingtaine de personnes, hommes, femmes, soldats, etc. ; ces pèlerins étaient recueillis et priant. Je n’ai jamais entendu dire qu’on ait exercé une action quelconque pour déterminer ou entretenir ce pèlerinage.

[Réponse à la cinquante-septième demande] :

Je ne sais pas si la Servante de Dieu jouissait [294] d’une réputation de sainteté pendant sa vie.

Depuis sa mort, sa réputation de sainteté., c’est-à-dire de vertus héroïques, m’est évidente, non seulement par ],a lecture des témoignages qu’on en a publiés, mais encore par la relation directe qui m’en a été faite par plusieurs pères de la Compagnie de Jésus, graves et particulièrement instruits ; je citerai en particulier le révérend père Longhaye, âgé de près de 80 ans, professeur au juvénat de Cantorbéry.

De plus, j’ai vérité l’extension de ce renom de sainteté par la dévotion que j’ai constaté, d’abord dans le Carmel de Lisieux, puis dans d’autres Carmels avec lesquels je suis en rapport, dans un bon nombre de communautés religieuses ; quant aux simples fidèles, l’expérience en est continue et universelle. Or le fait de cette dévotion permet de conclure à la conviction de sa sainteté.

Quant à la réputation de miracles ou de faveurs surnaturelles obtenus par son intercession, je la connais non seulement par la lecture des"Pluies de roses ", où on relate les plus remarquables, mais encore par les relations personnelles qui m’en ont été faites, notamment par la demande fréquente de messes, à l’occasion de neuvaines faites pour obtenir des miracles, des guérisons, des faveurs, etc. Je connais un très grand nombre de personnes qui l’invoquent assidûment.

Je ne sache pas qu’on ait rien fait pour créer ce renom de sainteté. Le développement qu’il a pris ne peut s’expliquer, à mon avis, que par la réalité de la [295] sainteté héroïque et du pouvoir thaumaturgique. Les moyens de publicité employés par le Carmel de Lisieux ont plutôt par rapport à cette réputation une relation d’effet à cause que de cause à effet ; si la base avait manqué, toute cette publicité eût plutôt nui que profité à l’extension de la dévotion à soeur Thérèse de l’Enfant Jésus.

[Réponse à la cinquante-huitième demande :

Je n’ai jamais entendu formuler une opinion contraire à la vertu ou à la réputation de sainteté de la Servante de Dieu.

[Réponse de la cinquante-neuvième à la soixante-cinquième demande] :

D’une façon générale, j’ai souvent entendu des personnes attribuer à l’intercession de la Servante de Dieu des faveurs spirituelles ou corporelles ; je ne serais pas au-dessus de la vérité en disant que personnellement j’ai reçu une cinquantaine de témoignages de ce genre. Je vais préciser quelques cas : la conversion subite d’un jeune homme, traversant une crise religieuse et niant l’existence de Dieu, a été obtenue au cours d’une neuvaine faite par sa mère à la Servante de Dieu. Un autre jeune homme, menacé d’une opération par suite de tumeur tuberculeuse, s’est trouvé, dans le cours d’une neuvaine à soeur Thérèse, hors de danger, à l’étonnement du médecin. Je pourrais indiquer d’autres faveurs ; mais comme les témoignages directs ne manqueront pas sur des faits plus saillants, je ne [296] crois pas utile d’y insister.

[Réponse à la soixante-sixième demande] :

Non, je crois avoir dit tout ce que je savais d’utile.

[Au sujet des articles, le témoin dit ne savoir que ce qu’il a déposé en répondant aux demandes précédentes. Est ainsi terminé l’interrogatoire de ce témoin. Lecture des actes est donnée. Le témoin d’y apporte aucune modification et signe comme suit] :

Signatum :J. Auriault

 

 

TÉMOIN 5

ALEXANDER-JAMES GRANT

Nous avons déjà présenté le Pasteur ,Alexander-James Grant. Né en 1854 et mort en 1917, il abjura en 1911 (vol. 1, pp. 535-540).

Au cours de cette seconde déposition, le témoin revient sur l’intervention de Thérèse dans sa conversion et nous entretient de sa réputation de sainteté. Gardien de la maison natale de la Servante de Dieu à Alençon depuis le 3 juin 1912, il était bien placé pour enregistrer les témoignages de vénération qui étaient allés se multipliant progressivement de manière impressionnante à l’égard de Thérèse. Des milliers de fidèles se rendaient pieusement en pèlerinage à l’humble maison de la rue Saint-Blaise.

Le témoin demeure reconnaissant à soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus pour tous ses bienfaits et en témoigne humblement. Il expérimente de manière mystérieuse sa " présence " particulière et, dit-il, " soeur Thérèse ne se contente pas de simples paroles d’amitié, ni de sentiments généreux, elle veut des actes, elle réclame des sacrifices " (p. 322).

Avant de mourir (ce fut à Alençon, le 19 juillet 1917), il murmura : " Petite Thérèse, venez me chercher, si c’est la volonté de Dieu et prenez moi avec vous ".

Le témoin déposa le 31 mai et le 1er juin 1915, au cours des 8ème et 9ème sessions (pp. 305-314 et 320-323 de notre Copie publique).

[305] [Le témoin répond correctement à la première demande].

[Réponse à la deuxième demande] :

Je m’appelle Alexandre-James Grant, né à Latheron-Caithness, Ecosse, le 14 avril 1854. J’étais ministre protestant pendant environ 25 ans, en Écosse. Je me suis converti à la religion catholique à Edimburg [306], en 1911. En avril 1912, je suis venu établir mon domicile en France, à Alençon, dans la maison natale de soeur Thérèse de l’Enfant Jésus, rue Saint- Blaise n. 42. Je donne des leçons de langue anglaise soit dans une école, soit à des particuliers dans la ville. Je suis marié, ma femme, convertie elle-même plusieurs années avant moi, est gardienne de la maison natale de soeur Thérèse.

[Réponse à la troisième demande] :

J’ai le bonheur de communier presque tous les jours. Je me confesse tous les quinze jours.

[Réponse à la quatrième demande] :

Jamais.

[Réponse à la cinquième demande] :

Depuis ma conversion, j’ai été fidèle aux préceptes de l’Église et je n’ai encouru aucune peine ecclésiastique.

[Réponse à la sixième demande] :

J’aime soeur Thérèse au-delà de ce qu’on peut dire ; j’ai eu peur autrefois que ce ne fut de sentiment, mais maintenant je suis bien sûr que cette disposition est surnaturelle et qu’elle ne m’empêche pas de dire la vérité. Mon témoignage est très spontané, il part de mon coeur et personne ne me l’a imposé.

[Réponse à la septième demande] :

[307] Je ne connais la vie de soeur Thérèse que par la lecture de son " Histoire " et par ce que j’en ai entendu dire depuis que je suis en France. Mon témoignage ne portera que sur deux choses : 111 l’influence de soeur Thérèse sur l’état de mon âme - 211 le développement de sa réputation de sainteté dans la région d’Alençon depuis que j’y ai fixé mon domicile.

[Réponse à la huitième demande] :

Je désire beaucoup que l’Église prononce la béatification de soeur Thérèse, à cause de ses mérites et parce que je crois qu’il en résultera un grand bien pour les âmes.

[Réponse de la neuvième à la cinquante-cinquième demande] :

Je n’ai point de témoignage direct à donner sur tous ces points.

[Réponse à la cinquante-sixième demande] :

Depuis que je suis en France, j’ai visité le tombeau de soeur Thérèse une vingtaine de fois environ ; j’y venais par dévotion pour témoigner ma reconnaissance et pour prier. J’ai remarqué qu’il y avait un courant de pèlerins à peu près continuel. Ces personnes ne venaient pas par curiosité, mais leur tenue exprimait

des sentiments de grande piété.

[Réponse à la cinquante-septième demande] :

A l’occasion de ma première visite à Lisieux, à l’époque [308] du premier procès, en 1911, on me demanda de devenir le gardien de la maison natale de soeur Thérèse à Alençon. Je m’y suis établi avec ma femme. Voici ce que nous avons constaté l’un et l’autre, au sujet du concours des pèlerins vers cette maison :

La chambre où est née la Servante de Dieu est visitée par l’élite du pays. Ce ne sont pas simplement les pauvres et les illettrés qui viennent invoquer son appui, mais les riches, les savants et ceux qui sont les meilleurs du pays au point de vue intellectuel, moral et religieux.

Princes et princesses, ducs et duchesses, comtes et comtesses, évêques, prêtres, hommes de loi, officiers et simples soldats, gens de toutes classes et de toutes conditions viennent et inscrivent leurs noms au livre des visiteurs.

Ces visiteurs sont très nombreux. La semaine de la Pentecôte, qui est, il est vrai, une semaine exceptionnelle, il en est venu mille soixante-treize (1073). Les semaines ordinaires, il vient environ soixante personnes par jour, et le jeudi, jour de congé pour les enfants, il vient bien deux cents personnes.

Ces pèlerins se proposent, non de satisfaire leur curiosité, mais de prier. Les feuilles de papier, déposées dans une petite corbeille, témoignent de leur confiance en la petite " Fleur de Jésus " et de leur reconnaissance pour les faveurs accordées. On y trouve des requêtes pour la conversion d’un mari, d’un fiancé, d’une famille protestante, d’une mère. Mais, depuis le commencement de la guerre, ce sont, pour la plupart, des faveurs [309] demandées par des soldats allant au front, ou pour des soldats déjà partis, ou prisonniers. Des femmes demandent que leur mari ne soit pas blessé, etc., etc. Il y a des prières très désintéressées, par exemple, un soldat ne demande rien pour lui-même, il prie simplement pour la France, pour les alliés et pour ses parents. J’ai apporté des spécimens de ces requêtes et de ces remerciements. Ce ne sont que de petits morceaux de papier, mais ils montrent d’une manière convaincante la confiance et la gratitude parfaites que soeur Thérèse inspire.

La plupart de ces visiteurs apportent des bougies que l’on fait brûler devant la Sainte Face ou devant la statue de la Sainte Vierge. Quelques-uns donnent des fleurs, les plus belles de leur jardin ; quelquefois des fleurs sauvages cueillies dans les champs, sachant que soeur Thérèse les aimait. Il nous arrive souvent de recevoir trente bougies par jour, et des fleurs en si grande quantité que nous sommes obligés de les envoyer à l’église Notre-Dame, où fut baptisée soeur Thérèse. Les visiteurs demandent souvent des messes d’action de grâces pour les faveurs reçues ; d’autres offrent de l’argent, des vases de fleurs, des nappes d’autel ; une des plus belles a été donnée par la femme du général qui commande à Alençon.

[R épouse à la cinquante-huitième demande] :

Je n’ai jamais entendu rien de contraire.

[Réponse de la cinquante-neuvième à la soixante-cinquième demande] :

Je puis relater d’abord un certain nombre de grâces [310] accordées à diverses personnes, à ma connaissance. Je dirai ensuite les grâces qui me sont personnelles.

Je citerai donc :

1 La guérison d’un oeil chez une petite fille de quatre ans et demi. A sa première visite, elle avait l’oeil fermé et bandé ; elle revint tous les jours pendant quelques neuvaines, à la fin desquelles elle fut guérie. Dans la suite, elle vint souvent remercier soeur Thérèse. Sa mère a donné en reconnaissance des vases pour la chambre ; cela se passait en 1912.

[Savez-vous quelle était la nature de ce mal, ou, à tout le moins, s’il était grave ou non ? - Réponse] :

J’ai vu l’oeil de cette enfant, il me paraissait gravement atteint, mais je ne saurais dire le nom de cette affection. Je sais encore que le médecin l’avait traitée depuis plusieurs mois sans résultat. La mère de l’enfant est morte et son père est à la guerre.

2 Madame Boulay, qui habite la petite maison voisine de la nôtre, avait à la lèvre un gros kyste qui avait été en grossissant pendant trois mois. Alors le médecin lui dit qu’il faudrait une opération au bout de dix jours. Nous avons fait avec elle quatre neuvaines à soeur Thérèse. Elle a été complètement guérie, on ne voit plus traces du mal. Au moment de faire les neuvaines, elle avait cessé tout traitement du médecin.

[Connaissez-vous la nature de cette tumeur ? - Réponse] :

Je ne sais pas quel était l’avis du médecin, mais [311] mon impression est qu’il s’agissait d’un kyste cancéreux, parce que j’ai connu plusieurs personnes atteintes de cancer certain et dont le mal présentait le même aspect.

3 Un employé du bureau de poste d’Alençon qui ne s’était pas confessé depuis huit ans, était malade, et le docteur disait qu’il faudrait une opération. Sa femme vint me voir et me dit que si soeur Thérèse le préservait de l’opération, il promettait d’accomplir son devoir pascal. Elle trouva beaucoup de personnes qui firent une neuvaine avec elle. L’opération ne fut pas nécessaire, et l’homme a fait son devoir, et est venu depuis visiter la chambre de la petite soeur Thérèse.

Si on me permettait de dégager l’impression générale que l’oeuvre de soeur Thérèse a faite sur moi-même, je dirais qu’elle a voulu attirer les hommes plus près de Dieu, les conduire à son bercail, ennoblir et purifier leur vie, remplissant ainsi sa promesse de faire du bien sur la terre.

 

[312] [Suite de la réponse] :

2 En ce qui concerne les grâces qui me sont personnelles, la principale est ma conversion à la religion catholique, qui s’est faite sous l’influence de soeur Thérèse. En voici l’histoire : pendant que j’étais à la tête d’une paroisse, à Loch- Ranza, comme ministre de l’Église unie écossaise, ma femme, sous des influences étrangères, se convertit au catholicisme ; j’y fis d’abord opposition, mais finalement j’acceptai le fait accompli, par respect pour sa liberté de conscience. Je n’avais alors pour mon compte aucune idée de me faire catholique, bien au contraire. Cette conversion de ma femme me créa une situation intolérable dans ma paroisse ; je fus obligé de quitter ce poste et je me retirai à Edimbourg où j’exerçai un ministère de prédicateur libre. Ma femme faisait beaucoup prier pour ma conversion, mais tout cela à mon insu. Un jour, je lus, par hasard, dans un journal catholique, un article de quelques lignes sur soeur Thérèse appelée " la petite Fleur ", et annonçant la prochaine apparition d’une édition anglaise de sa vie. Je fus dès lors poursuivi par le désir de lire cette vie et je demandai fréquemment à ma femme si on pouvait se la procurer. Un an après, étant malade, à défaut de cette édition attendue qui ne parut que beaucoup plus tard, je pus lire une vie abrégée en anglais. Je la lus d’un trait dans une nuit, et j’eus [313] pendant tout ce temps comme une impression de la présence de soeur Thérèse dans ma chambre. Sa pensée ne me quitta presque plus dans la suite. Vers cette époque, la lecture de livres rationalistes très avancés fit naître en moi des doutes graves sur la foi, et un jour que je me posais cette question " ne pourrait-on pas tout expliquer par les seules forces de la nature sans un Dieu personnel ? ", la vie de soeur Thérèse se présenta très vivement à mon esprit, et aussitôt cette pensée s’imposa à moi : " est-il possible que cette vie soit un mensonge et que le rationalisme soit la vérité ? ", car je voyais qu’il était impossible d’expliquer cette vie sans admettre un Dieu personnel. C’était au mois d’août de l’année 1910 ; et je ne me convertis pourtant qu’en avril de l’année suivante. Cette évolution se fit peu à peu au cours de l’hiver, sous l’influence de soeur Thérèse. Je m’étais procuré sa vie en français ; son souvenir ne me quittait presque plus ; je sentais que sans cesse elle agissait sur mon esprit pour me pousser à la conversion ; mais de mon côté, je résistais de toutes mes forces à cette impulsion. Il en fut ainsi jusqu’au commencement d’avril 1911. Je souffrais de grandes angoisses et j’étais très malheureux dans ce combat intérieur, continuant d’un côté de prêcher la doctrine protestante, et de l’autre me sentant attiré vers la vérité catholique. L’influence de soeur Thérèse me suggérait surtout deux pensées, la première que l’Église catholique par son autorité infaillible supprime toutes les autres difficultés particulières, [314] la seconde qu’il faut invoquer la Sainte Vierge. Un jour que je priais soeur Thérèse, cette question s’imposa à mon esprit : " pourquoi me prier, moi, et ne pas prier la Sainte Vierge ? " Je répondis : " eh ! bien, je la prierai ", et aussitôt mon âme fut pénétrée d’une grande joie.

Un père jésuite que je consultai à cette époque, me conseillait de ne pas me presser et de continuer mon ministère en attendant que la lumière se fasse plus complète pour moi. D’un autre côté une religieuse qui me donnait des leçons de français et qui connaissait mon état d’âme, me pressait d’en finir. Mais ce furent surtout mes souffrances morales et l’influence attractive de soeur Thérèse qui me déterminèrent à l’abjuration que je fis au mois d’avril 1911.

[Session 9 : - 1 juin 1915, à 8h.30]

[320] [Suite de la réponse de la cinquante-neuvième à la soixante-cinquième demande inclusivement] :

Par suite de ma conversion, je me trouvai privé de tous mes moyens d’existence, et comme je n’ai pas [321] de fortune personnelle, je pouvais craindre la gêne matérielle. Cette crainte me fit impression quelque temps, mais je la surmontai. J’eus alors de nouveau à deux reprises l’impression spirituelle de la présence de soeur Thérèse auprès de moi et la conviction impérieuse qu’elle s’occupait de nous à ce point de vue. En effet, quoique nous eussions pris grand soin de cacher notre situation embarrassée, un prêtre catholique de Glascow, lui-même ancien ministre protestant converti, m’apporta de lui-même le lendemain un chèque de deux cents livres anglaises.

Je voudrais parler maintenant de ma dette personnelle à la petite Thérèse depuis que j’ai paru pour la première fois devant ce tribunal (1911). A cette époque je n’étais qu’un enfant de trois mois dans l’Église Catholique, et c’est pourquoi je craignais, une fois passée la vague d’émotion qui m’avait poussé dans l’Église, de me trouver victime d’illusions auxquelles rien ne correspondrait dans la réalité. Le temps, et des réflexions approfondies ont cependant apaisé mes craintes et m’ont convaincu que j’étais en possession de convictions et d’aspirations de la plus précieuse qualité, et que je puis seulement faire remonter à l’influence exercée sur moi et en ma faveur par ma chère petite protectrice céleste.

Depuis mon entrée dans l’Église, les liens qui nous unissent se sont fortifiés, et on ne croira pas, je l’espère, que je dépasse les limites de la modestie, si j’ajoute que je pense avoir fait quelques progrès sous son inspiration. Je me crois autorisé à le dire, j’ai conscience [322] que ma vie a été élevée plus haut, que mes convictions sont devenues plus profondes, mon désir plus exclusif de parvenir à une vie de sainteté ; j’ai conscience aussi que je suis dans un état d’âme plus profondément pénitent pour mes péchés passés et que je vis dans une atmosphère de pureté de pensées et de sentiment que je m’efforçai vainement d’atteindre quand j’étais protestant. Et si j’ai fait si peu de progrès dans " la voie sûre ", ce n’est pas que j’aie manqué de secours de la part de mon céleste guide.

Une des choses qui m’ont le plus frappé, c’est le sens du surnaturel qu’elle fait descendre sur l’âme. Oh ! cela est merveilleux ! En un instant, quand je m’y attendais le moins et quand le train naturel de mes pensées me conduisait au pôle opposé, je trouvais soudain mon âme envahie d’un sens du surnaturel qui ne saurait mieux s’exprimer que par les paroles du patriarche : " Certainement le Seigneur était ici, et je ne le savais pas ". Et en de telles occasions, une pensée brillait à travers mon esprit, laquelle m’en imposait, comme le surnaturel lui- même ; ces mots m’arrivaient avec une grande puissance : " Thérèse prie pour vous ". J’ai eu de ses visites à maintes reprises, et j’ai appris qu’elles présageaient un temps de tentations.

Soeur Thérèse ne se contente pas de simples paroles d’amitié, ni de sentiments généreux ; elle veut des actes, elle réclame des sacrifices. Une des premières choses qu’elle me demanda, à mon entrée dans l’Église, [323] ce fut de me séparer de livres qu’elle n’approuvait pas. Ils étaient pour la plupart nettement rationalistes : je les lui sacrifiai immédiatement. Mais il y avait certains ouvrages d’un autre genre qui m’intéressaient vivement et que je conservai, n’y voyant pas de mal. Plus tard cependant soeur Thérèse revint et, regardant attentivement à travers les rayons de ma bibliothèque, se mit à soulever des objections " celui-ci doit s’en aller - dit-elle - et celui-là aussi ", etc. Je m’excusai beaucoup de les avoir retenus, mais elle revint maintes fois à la charge, en me disant : " Que voulez-vous en faire maintenant ? " Et voyant que j’y étais toujours attaché, elle termina enfin la discussion en m’en donnant une réelle aversion.

Ce que j’ai dit ici n’est qu’un des nombreux bienfaits dont je lui suis redevable.

C’est merveille de voir comment la chère petite soeur a ses moyens propres, comment elle fait connaître ses désirs et en obtient la réalisation. J’ai la conviction que si l’abandon était complet de ma part, il n’y a rien qu’elle ne m’apprît. Mais je crains qu’elle ne trouve en moi un élève difficile à conduire et lent à suivre. En tout cas, je crois qu’il est impossible d’exagérer son influence sur moi et mon amour pour elle. Ce que j’ai dit n’est qu’un essai bien faible pour exprimer l’inexprimable.

[Réponse à la soixante-sixième demande] :

Je n’ai rien à ajouter.

 

[324] [Au sujet des Articles, le témoin dit ne savoir que ce qu’il a déjà déposé en répondant aux demandes précédentes. Est ainsi terminé l’interrogatoire de ce témoin. Lecture des Actes est donnée. Le témoin n’y apporte aucune modification et signe comme suit] :

Signatum : A. J. GRANT

 

TÉMOIN 6

AGNÈS DE JÉSUS, O.C.D.

Le témoignage de Mère Agnès de Jésus (1861-1951) est le plus étendu de tous ceux du Procès Apostolique. Clair, logique, très documenté, il révèle une longue et minutieuse préparation ainsi qu’une sage mise en valeur de faits et de paroles qui, en 1910, ou n’avaient pas retenu l’attention du témoin, ou, du moins, ne l’avaient pas retenue de manière aussi marquée.

Nous n’avons pas à retracer ici les grandes lignes de la biographie de Pauline Martin. On peut se reporter au vol. 1, pp. 131-133 et au livre intitulé La petite mère de Sainte Thérèse de Lisieux, Mère Agnès de Jésus, Lisieux 1953..

Comme nul n’en ignore, Mère Agnès a contribué à former Thérèse, elle a publié et diffusé le message de l’Histoire d’une âme, un des plus grands dons faits par Dieu à l’Église de notre temps et de tous les temps et elle fut l’artisan le plus important et le plus convaincu de la glorification de l’humble moniale. Ce n’est pas peu dire.

La déposition de Mère Agnès au Procès apostolique se déroule de manière impeccable sur le tracé de l’Interrogatoire du Promoteur général de la Foi. Ce ne fut pas sans travail préalable, ainsi que le révèlent les Notes préparatoires au Procès Apostolique, conservées aux Archives du Carmel de Lisieux.

Par un choix méthodique des faits et des textes, le témoin a su éviter que sa nouvelle déposition ne fût comme un double de celle du premier Procès. On ne peut que l’en louer. Cette réussite est le fruit d’une application hors pair à recueillir, inventorier, classer et distribuer une documentation extrêmement riche.

Signalons d’entrée de jeu les trois " dossiers " présentés au Procès par Mère Agnès comme témoignages d’une valeur particulière soit pour l’intelligence de la vie de Thérèse, soit pour une synthèse de son message doctrinal, soit enfin, pour une vue d’ensemble concernant les grâces et les faveurs qui lui ont été attribuées. Tels qu’ils ont été présentés par Mère Agnès au cours de sa déposition, ces trois documents se trouvent au 1er volume de la copie originale des Procès déposée aux Archives de l’Évêché de Bayeux. Ils sont écrits tous les trois de la main même de la Mère, excellente calligraphe. Ils comportent titres et parfois sous-titres, toujours de la même écriture.

Voici les titres :

1. Dans quel milieu Soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus s’est sanctifiée au Carmel de Lisieux (pp. 357-370 ; originaux de Bayeux, I, f. 197r-204v) ;

2. Voie d’enfance spirituelle (pp. 409420 ; originaux de Bayeux, I, f 233r-238v) ;

3. Extraits de dossiers de miracles dûs à l’intercession de la Servante de Dieu Soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus (pp. 532-551 ; originaux de Bayeux, I, f 318r-329v).

Ces titres parlent d’eux-mêmes.

Le troisième document n’intéresse directement ni les vertus de soeur Thérèse au Carmel, ni son message doctrinal, mais il la montre bien déjà " (passant) son ciel à faire du bien sur la terre ".

Le second veut être une présentation " officielle " de la Voie d’enfance spirituelle en ses diverses composantes. Cette voie est présentée à propos " de la méthode d’oraison de Thérèse et de son genre de piété ", où, selon Mère Agnès, " tout se ramène à ce qu’elle appelait sa voie d’enfance spirituelle’. " C’est là un point si important, souligne le témoin, que j’ai cru devoir en préparer un exposé par écrit et à tête reposée : je le présente au tribunal " (p. 409).

Même s’il peut donner l’impression d’une systématisation doctrinale unilatérale ou trop marquée d’accents portant sur certains aspects particulièrement chers à Mère Agnès, cet ensemble est certainement riche de données et d’expressions que nul ne pouvait mieux qu’elle pénétrer et présenter. Il est à rappeler que cette synthèse de la " petite Mère " a fourni plus d’un élément au fort beau discours prononcé par le Pape Benoît XV sur l’enfance spirituelle à l’occasion du décret sur l’héroïcité des vertus de Thérèse, le 14 août 1921.

Le premier des trois documents qui vont suivre se réfère essentiellement à Mère Marie de Gonzague. Il n’a jusqu’ici été donné en son intégralité que dans le volume de 1038 pages dit Positio super virtutibus, publié en 1920 par la S. Congrégation des Rites. On l’y trouve pp. 164-175, pp. 375-376.

Qui pouvait y avoir accès directement ou par un tiers, se devait d’observer à son sujet une grande discrétion, se rappelant que Mère Marie de Gonzague avait de la famille et n’était retournée à Dieu qu’en 1904. C’est à ce devoir de discrétion que manqua gravement le P. Ubald d’Alençon en publiant en langue française dans la revue de Barcelone Estudis Franciscans de Janvier 1926 (pp. 14-28) un article intitulé Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus comme je la connais. Nous n’avons pas à nous étendre ici sur les conséquences de cette utilisation prématurée, conséquences dont Mère Agnès souffrit beaucoup.

Nous retranscrivons donc le document de Mère Agnès tel qu’il fait partie des actes du Procès, laissant aux historiens et aux psychologues le soin et la liberté de le commenter. Mère Agnès de Jésus déposa dit 5 au 19 juillet 1915, au cours des Ilème - 21e session.y (pp. 340-552 de notre Copie publique).

 

[Session Il : - 5 juillet 1915, à 10h. et à 2h. de l’après-midi]

 

[340] [Le témoin répond correctement à la première demande].

[Réponse à la deuxième demande] :

Je m’appelle Marie Pauline Martin, née à Alençon, le 7 septembre 1861, de Louis-Joseph-Stanislas Martin et de Zélie Marie Guérin. Je suis religieuse professe du Carmel de Lisieux, prieure de ce monastère et la propre soeur de la Servante de Dieu.

[Le témoin répond correctement à la troisième demande].

[De même à la quatrième et à la cinquième demandes].

[Réponse à la sixième demande] :

J’apporte mon témoignage uniquement pour la gloire de Dieu, je dirai ce que je sais personnellement, [341] et personne ne m’a imposé ce que j’avais à dire.

[Réponse à la septième demande] :

La Servante de Dieu était ma plus jeune soeur. Depuis la mort de notre mère, alors que la Servante de Dieu avait quatre ans et demi (1877) jusqu’à mon entrée au Carmel (2 octobre 1882), je me suis occupée très particulièrement de l’éducation de cette jeune soeur à qui je servais de mère. En 1888, elle vint me rejoindre au Carmel, et jusqu’à sa mort nous avons vécu dans la même communauté ; de 1893 à 1896 j’ai été prieure du monastère. Ma déposition portera sur mes souvenirs personnels. La lecture de l’" Histoire d’une âme " et des autres écrits de la Servante de Dieu ne m’a servi que pour rappeler à ma mémoire quelques particularités dont j’ai par ailleurs été témoin direct.

[Réponse à la huitième demande] :

J’ai pour la Servante de Dieu d’abord une grande affection selon la nature puisqu’elle est ma soeur très aimée ; cependant, je crois que si elle n’était pas ma soeur, je l’aimerais autant à cause de sa sainteté et j’aurais en elle une égale confiance. Je désire la béatification de soeur Thérèse de l’Enfant Jésus, parce que je suis de plus en plus persuadée qu’elle est choisie par le bon Dieu pour faire connaître sur la terre l’amour qu’il a pour ses pauvres petites créatures et son désir d’être payé de retour par un amour [342] tendre et filial de leur part. La plupart des saints canonisés par l’Église sont de grandes lumières que les grandes âmes seules peuvent imiter. Mais les grandes âmes sont très rares, tandis que le nombre des petites âmes, c’est-à-dire, de celles qui doivent cheminer dans une voie commune et toute de foi est immense : elles attendent, on dirait, la " petite Thérèse ", ce guide tout à fait à leur portée, ce nouvel effort de la bonté de Dieu pour les entraîner à l’amour par l’humilité et le plus confiant abandon. Les pécheurs aussi profiteront de sa bienfaisante influence et y trouveront leur salut.

[Réponse à la neuvième demande] :

La Servante de Dieu naquit à Alençon, rue Saint Blaise, le 2 janvier 1873 ; elle ne fut baptisée que le 4 janvier dans l’après-midi, parce qu’on attendait le parrain. Ma mère était très contrariée de ce retard, et, dans l’intervalle, suppliait le bon Dieu de ne pas faire mourir sa petite fille sans baptême.

Mon père (Louis-Joseph-Stanislas Martin) naquit à Bordeaux le 22 août 1823, ma mère (Zélie Marie Guérin) naquit à Saint-Denys-sur-Sarthon,, dans l’Orne, le 23 décembre 1831.

A 20 ans, mon père fit des démarches pour entrer comme religieux au Mont Saint Bernard ; mais ses études étant incomplètes, le supérieur lui conseilla de retourner dans sa famille pour les achever et revenir ensuite au monastère. En temps voulu, on lui [343] donna d’autres conseils pour orienter sa vie.

Toute jeune aussi, ma mère s’était présentée à l’Hôtel-Dieu d’Alençon pour être religieuse de Saint Vincent de Paul, et la supérieure lui avait dit que ce n’était pas sa vocation.

Le mariage de mes parents eut lieu le 12 juillet 1858, dans l’église Notre- Dame d’Alençon. De ce mariage naquirent neuf enfants :

1 Marie Louise, 22 février 1860, aujourd’hui religieuse de ce Carmel.

2 Marie Pauline, 7 septembre 1861 ; c’est moi.

3 Marie Léonie, 3 juin 1863, aujourd’hui religieuse de la Visitation de Caen.

4 Marie Hélène, 13 octobre 1864, morte à l’âge de cinq ans et demi.

5 Marie Joseph Louis, 20 septembre 1866, mort à l’âge de cinq mois.

6 Marie Joseph Jean-Baptiste, 19 décembre 1867, mort à l’âge de huit mois.

7 Marie Céline, 28 avril 1869, aujourd’hui religieuse carmélite dans ce monastère.

8 Marie Mélanie Thérèse, 16 août 1870, morte à l’âge de deux mois.

9 Marie Françoise Thérèse, 2 janvier 1873 ; c’est la Servante de Dieu.

Mes parents m’ont toujours semblé des saints. Nous étions remplies de respect et d’admiration à leur égard. Je me demandais parfois s’il pouvait y en avoir de semblables sur la terre. [344] Autour de moi, je ne voyais point cela. Ils faisaient leurs délassements de pieux entretiens et de saintes lectures. Chaque matin, ils allaient à. la messe, et faisaient souvent la sainte communion. Ma mère était faible de complexion et cependant faisait, comme mon père, tous les jeûnes et abstinences de précepte. Le repos du dimanche était observé par eux jusqu’à la plus grande délicatesse. Les amis de mon père le taxaient parfois d’exagération, parce qu’il fermait, le dimanche., son magasin de bijouterie. Or les gens de la campagne venaient surtout le dimanche à la ville et s’en allaient acheter ailleurs des bijoux quand c’était pour un mariage. " Si vous laissiez seulement une porte de côté ouverte - lui répétaient ses amis - vous ne feriez aucun mal et ne perdriez pas de belles ventes ". Mais mon père leur répondait qu’il préférait s’attirer les bénédictions du bon Dieu.

Mon père et ma mère étaient très charitables envers les pauvres ; mais, parmi les oeuvres pieuses, celle de la Propagation de la Foi avait leur préférence.

Ma mère était l’abnégation personnifiée ; elle était douée d’une extraordinaire énergie. La fabrique de dentelles qu’elle fonda seule, et dont elle s’occupa sans trêve pour assurer l’avenir de ses enfants, rendit sa vie bien méritoire. A la mort de mes petits frères et soeurs, sa soumission à la volonté de Dieu était si grande, malgré son chagrin profond, qu’elle scandalisait presque des personnes moins chrétiennes, [345] jusqu’à dire qu’elle n’aimait pas ses enfants.

Mes parents souhaitaient que toutes nous soyons consacrées au bon Dieu ; ils auraient voulu lui donner des prêtres et des missionnaires. Ma mère avait été frappée de la vie de madame Acarie, et je l’ai entendu dire bien des fois : " Toutes ses filles carmélites ! Est-il possible qu’une mère ait tant d’honneur ? ". Elle me confia que si mon père venait à mourir avant elle, une fois que nous serions toutes dans notre vie, elle irait finir ses jours dans un monastère de la Visitation.

[Le témoin poursuit sa réponse à la neuvième demande] :

Ma mère essaya de nourrir elle-même Il la petite Thérèse comme elle avait essayé . de le faire, mais sans succès, pour ses autres enfants ; son chagrin fut grand de ne pouvoir encore y réussir. Cette impuissance venait, je le suppose, d’un coup qu’elle [346] s’était donnée au sein dans sa jeunesse et qui lui causa la cruelle maladie dont elle mourut. La petite Thérèse fut mise en nourrice chez des braves gens du nom de Tailler, à Semallé, aux environs d’Alençon. La femme était déjà connue de ma mère : c’était le dévouement en personne que cette brave " petite Rose ", comme on l’appelait.

Thérèse revint à la maison, florissante de santé, le 11 avril 1874.

Ma mère alla à Lourdes pour demander sa propre guérison miraculeuse ; elle en revint plus malade en juin 1877. Sa foi et sa confiance envers la Sainte Vierge n’avaient pas diminué. On l’entendait prier pendant ses nuits de terribles souffrances. Enfin, elle mourut comme une sainte, le 28 août 1877.

[Réponse à la dixième demande] :

Après la mort de ma mère, mon père vint habiter Lisieux, en novembre de cette même année 1877, pour nous rapprocher de mon oncle Guérin, frère de ma mère ; il comptait sur le dévouement de madame Guérin, pour initier ses filles aînées à leurs nouveaux devoirs.

Vers la fin de sa vie, mon père demanda de souffrir pour Dieu, et il fut exaucé par la maladie cérébrale très humiliante qui le conduisit à sa fin. Il mourut le 29 juillet 1894.

Ma soeur aînée Marie et moi nous nous occupâmes aux Buissonnets (c’est le nom de la maison que [347] nous habitions) de l’éducation de nos jeunes soeurs, Céline et Thérèse. J’instruisis la petite Thérèse jusqu’en octobre 1881, époque où elle entra comme demi-pensionnaire à l’Abbaye des bénédictines de Lisieux.

Depuis la mort de ma mère, elle était devenue très timide avec les étrangers, et si sensible qu’un rien la faisait pleurer ; mais j’ai remarqué que le sujet de ses larmes était ordinairement la crainte d’avoir fait de la peine à son père ou à ses soeurs ou au bon Dieu surtout.

Elle réussit parfaitement dans ses études, soit à l’Abbaye, soit à la maison ; les religieuses la regardaient comme une élève très intelligente, mais l’instruction religieuse surtout la captivait.

En 1882, alors que Thérèse avait à peine dix ans, j’entrai au Carmel, et Thérèse resta aux soins de ma soeur aînée. Après mon entrée en religion, Thérèse tomba malade d’une maladie étrange. Des symptômes extraordinaires ont fait croire que cette maladie venait du démon. Thérèse fut guérie par la Sainte Vierge d’une façon merveilleuse pendant une neuvaine à Notre-Dame des Victoires. Elle m’a dit elle-même avoir vu la Sainte Vierge s’avancer vers elle et lui sourire.

[Pourriez-vous caractériser les symptômes et l’évolution de ce mal ? - Réponse] :

J’étais alors au Carmel, ma soeur Marie (Marie du Sacré-Coeur) et aussi Céline, qui ont été témoins directs de ce qui s’est passé aux Buissonnets, pourront en rendre un témoignage plus détaillé. Je me souviens, qu’à cette [348] époque, j’interrogeais, au parloir, ma soeur Marie sur la nature de ce mal et sur ce qu’en disait le médecin, monsieur le docteur Notta ; elle m’a répondu à plusieurs reprises que le médecin avouait ne rien comprendre aux symptômes de ce mal. Messieurs les membres du Tribunal qui ont connu monsieur le docteur Notta, savent qu’il était un praticien d’une très haute valeur. Je puis aussi témoigner que dans toute la suite de sa vie, au Carmel, jamais la moindre trace de ces troubles n’est réapparue. Elle s’est montrée toujours très calme, très judicieuse et maîtresse d’elle-même.

[Le témoin poursuit sa réponse] :

Elle fit sa première communion le 8 mai 1884, après une préparation de plusieurs mois, et avec les sentiments de la piété la plus tendre et la plus vraie. " Depuis longtemps - dit-elle dans sa vie -Jésus et la petite Thérèse s’étaient regardés et compris, mais ce jour-là, c’était plus qu’une rencontre, c’était une fusion " 1. Les sentiments qu’elle exprime dans cette phrase, écrite sur sa première communion, elle me les a exprimés bien souvent de vive voix.

A 12 ans, pendant la retraite préparatoire à sa seconde communion solennelle, elle commença à devenir très scrupuleuse. Je ne l’avais pas connue ainsi, mais au contraire dilatée et très confiante, sans aucun trouble exagéré de ses petites fautes. Sur ces entrefaites, Marie, qui l’avait guidée et consolée jusque là, entra à son tour au Carmel, le 15 octobre 1886. N’ayant plus [349] de secours, et souffrant de plus en plus, Thérèse invoqua ses petits frères et soeurs du paradis et en obtint une paix parfaite. Cette épreuve dura environ fin an et demi.

A l’âge de 13 ans, elle sortit du pensionnat et finit son instruction aux Buissonnets en prenant des leçons particulières.

[Savez-vous pourquoi la Servante de Dieu quitta le pensionnat des bénédictines ? - Réponse] :

Je ne le sais pas précisément, je crois que c’était par suite de l’état général de sa santé, ma soeur Marie du Sacré-Coeur, qui était alors à la maison, le saura mieux que moi.

[Réponse à la onzième demande] :

Dès l’âge de deux ans, la petite Thérèse pensait qu’elle serait religieuse. " C’est là - écrit-elle - un de mes premiers souvenirs et depuis je n’ai jamais changé de résolution " 2. Je sais que dans sa petite enfance, elle le disait à ma mère et à nous.

A l’âge de neuf ans, m’entendant faire la description de la vie solitaire du Carmel, elle y fut attirée fortement. Elle écrit : " Je sentis que le Carmel était le désert où le bon Dieu voulait me cacher. Je le sentis avec tant de force qu’il n y eut pas le moindre doute dans mon esprit. Je voulais aller au Carmel, pour trouver Jésus seul "".

[Aurait-elle peut-être désiré la solitude du Carmel pour y retrouver la compagnie de sa soeur bien-aimée ? - Réponse] :

[350] J’avoue que de mon côté j’ai fait tout ce que j’ai pu, étant donné qu’elle voulût être carmélite, pour l’attirer dans notre maison, parce que je voyais que c’était une petite sainte qui attirerait sur nous de grandes bénédictions ; mais je suis convaincue que de son côté elle ne recherchait pas ma présence et serait allée volontiers dans un autre Carmel si l’obéissance seulement le lui avait indiqué.

[Suite de la réponse] :

A 14 ans, elle me reparla sérieusement de son projet d’entrer au Carmel, mais j’étais seule à l’encourager. Ma soeur Marie lui disait qu’elle était trop jeune. Moi-même quelquefois, impressionnée par ce que me disait ma soeur aînée, j’opposais quelques objections à son projet. Le jour de la Pentecôte 1887, elle sollicita et obtint la permission de mon père ; mais elle eut à subir ensuite le refus de mon oncle et l’opposition invincible du supérieur, monsieur l’abbé Delatroëtte. Celui-ci la trouvait trop jeune et refusait absolument de l’admettre malgré les instances de la prieure, mère Marie de Gonzague, qui désirait grandement son admission. Un jour de grande fête, monsieur le supérieur entra dans la clôture pour visiter mère Geneviève, notre fondatrice qui était à l’infirmerie. Celle-ci, qui en avait été priée par mère Marie de Gonzague, demanda, devant toute la communauté, l’entrée de Thérèse pour Noël ; alors le supérieur répondit avec émotion : " Encore me parler de cette entrée ! Ne croirait-on pas, à toutes ces instances, que le salut de la communauté [351] dépende cette enfant ? Il n’y a pas de péril en la demeure. Qu’elle reste chez son père jusqu’à sa majorité. Croyez-vous d’ailleurs que j’oppose un tel refus sans avoir consulté Dieu ? Je demande qu’on ne me reparle plus de cette affaire ".

Monseigneur Hugonin, évêque de Bayeux, à qui l’affaire avait été renvoyée, ne voulut rien décider. Dans un voyage, fait à Rome, en compagnie de mon père et de ma soeur Céline, au mois de novembre 1887, Thérèse exposa au Souverain Pontife, Léon XIII, son désir d’obtenir la permission d’entrer immédiatement au Carmel, mais le Pape ne lui donna point de réponse décisive. Enfin, après avoir éprouvé sa constance, le bon Dieu bénit ses démarches courageuses, et le 28 décembre 1887, monseigneur de Bayeux autorisa son entrée immédiate. Mais la mère prieure, Marie de Gonzague, influencée par le mécontentement persistant du supérieur, sollicitée aussi par moi, qui redoutais pour les débuts de ‘Thérèse l’austérité du Carême, lui imposa encore trois mois d’attente. Les portes du Carmel lui furent enfin ouvertes le 9 avril de l’année suivante 1888, elle avait 15 ans et trois mois.

En présentant Thérèse à la communauté, le jour de son entrée, monsieur le supérieur dit devant mon père, la porte de la clôture étant grande ouverte : " Eh ! bien, mes révérendes mères, vous pouvez chanter un Te Deum ! Comme délégué de monseigneur l’évêque, je vous présente cette enfant de 15 ans dont vous avez voulu l’entrée. Je souhaite qu’elle ne trompe pas vos [352] espérances, mais je vous rappelle que s’il en est autrement, vous en porterez seules la responsabilité ". toute la communauté fut glacée de ces paroles.

Il fallut plusieurs années à ce saint prêtre pour changer de sentiment ; mais enfin il apprécia tellement plus tard la Servante de Dieu, que je l’ai vu ému jusqu’aux larmes, en parlant de soeur Thérèse qu’il appelait un ange.

Au moment de se séparer de mon père, elle ne versa pas de larmes, mais elle sentit son coeur battre si violemment qu’elle se demandait si elle n’allait pas mourir. En pénétrant dans sa petite cellule, elle me dit avec une expression de paix et de bonheur que je n’ai jamais oubliée : " Maintenant, je suis ici pour toujours "

[Session 12 : - 6 juillet 1915, à 9h. et à 2h. de l’après-midi]

[355] [Réponse à la douzième (demande :

Le 10 janvier 1889, après neuf mois de postulat, elle prit l’habit de l’Ordre, et le 8 septembre 1890, elle prononça ses voeux perpétuels dans les sentiments [356] de la plus admirable ferveur, et reçut le voile noir le 24 du même mois.

Il me paraît nécessaire pour l’intelligence de la vie de soeur Thérèse au Carmel de faire connaître au tribunal l’état de la communauté pendant le temps qu’elle y a vécu, et tout spécialement le rôle et le caractère de mère Marie de Gonzague qui fut prieure, à diverses reprises, pendant de longues années. Comme c’est un sujet délicat et difficile, j’ai préparé là-dessus un mémoire que je demande la permission de lire au tribunal. Pour plus de sûreté, j’ai, préalablement à ma déposition, soumis ce rapport au contrôle de cinq de nos soeurs qui ont bien connu les particularités dont il s’agit ; elles m’ont suggéré plusieurs corrections que j’ai faites, et elles ont signé la rédaction définitive. C’est donc comme un document de communauté que je communique au tribunal.

[Ordre est donné au témoin de lire ce document. La lecture en ayant été faite, le vicaire général Auguste Quirié, juge délégué, demande s’il y a encore au monastère des soeurs qui ont connu la vie de Mère Marie de Gonzague et si toutes celles-ci reconnaîtraient l’exactitude de ce document, ou si peut-être on aurait des critiques à y adresser ? - Réponse] :

Outre les cinq religieuses qui ont revu et signé le mémoire, il y en a huit autres qui ont connu mère Marie de Gonzague. Je ne leur ai pas montré le mémoire parce que j’ai pensé qu’il était pénible et troublant de réveiller ces souvenirs, mais j’ai la conviction que [357] toutes reconnaîtraient l’exactitude de cet exposé.

 

[Le document sera déposé aux actes du Procès] :

DANS QUEL MILIEU SOEUR THÉRÈSE DE L’ENFANT JÉSUS S’EST SANCTIFIÉE AU CARMEL DE LISIEUX

Le Carmel de Lisieux fut fondé en 1838, par la révérende mère Geneviève de Sainte Thérèse (dans le monde, mademoiselle Claire Bertrand). Elle était douée d’un rare esprit de foi, d’une grande piété et pratiqua pendant plus de 60 ans d’héroïques vertus. Pour ceux qui l’ont connue ou qui liront sa vie, elle restera un modèle achevé de douceur et d’humilité.

Soutenue par une grâce toute particulière, la sainte fondatrice traversa avec le calme et la confiance qui ne la quittèrent jamais, les épreuves les plus douloureuses qui atteignirent la communauté naissante, et Dieu montra bientôt qu’il bénissait son oeuvre en groupant autour d’elle de parfaites religieuses.

Les difficultés des débuts, surmontées avec tant de générosité, les vertus cachées mais bien grandes de nos premières mères et soeurs, devaient attirer sur notre Carmel de nombreuses grâces, et ce furent leurs mérites, sans doute, qui le préservèrent de la ruine durant la longue [358] crise qu’il traversa.

Un voile épais que nous n’aurions jamais voulu soulever cacha, pendant près de 40 ans, bien des tristesses dans le nouveau monastère.

La révérende mère Marie de Gonzague

Le 29 septembre 1860, entrait au Carmel de Lisieux, comme postulante et dans les meilleures dispositions, mademoiselle Marie de X.... *[Marie Davy de Virville] âgée de 26 ans. On la nomma soeur Marie de Gonzague.

Par ses charmes extérieurs : taille avantageuse, distinction, timbre de voix des plus sympathiques, par sa piété, une simplicité qui allait parfois jusqu’à la candeur, elle eut vite gagné toutes les sympathies. Mais c’était une nature mal équilibrée. Tantôt gaie à l’excès, tantôt plongée dans de noires mélancolies à propos d’un rien, elle avait, malgré sa robuste santé, des anomalies de caractère inexplicables.

Elle fit des pénitences extraordinaires et aurait eu une âme élevée, très généreuse, avec un coeur d’or, sans ces malheureux contrastes et une passion de jalousie bien souvent inconsciente, mais qui, se développant avec les années, occasionna des heurts fréquents, des susceptibilités et même des scènes terribles.

Cependant, dès sa sortie du noviciat, le supérieur, monsieur l’abbé Cagniard, la laissa mettre dans les charges, espérant par ce moyen développer ses réelles capacités et [359] remédier en même temps à son humeur bizarre. Ce fut une fatale erreur. On la nomma sous-prieure le 8 juillet 1866, puis prieure le 22 octobre 1874, charge qu’elle devait occuper pendant 21 ans.

Voici des détails et des exemples de ce qui se passa au monastère sous son gouvernement ou par son influence :

Il lui arriva plusieurs coups de tête déplorables. Le 16 juillet 1867, étant sous-prieure, elle disparut jusqu’à la nuit, après une crise de jalousie, et plusieurs soeurs envoyées à sa recherche la découvrirent blottie dans un coin du jardin, derrière une échelle. Mécontente et affolée, elle se laissa conduire à la cellule de la prieure et allait se précipiter par la fenêtre (au premier étage) quand une soeur converse la rattrapa. A la suite de ce fait dont fut prévenu le supérieur, le bruit couru au dehors, on ne sait comment, que la sous-prieure du Carmel était folle. Sa famille même en apprit vaguement quelque chose ; mais à force de prudence de la part de mère Geneviève, ce bruit fut étouffé peu à peu.

Lorsqu’elle remplissait la charge de prieure et qu’il s’agissait de passer un sujet aux voix, elle imposait presque sa volonté. Elle se laissait séduire par les avantages extérieurs, la distinction, le charme d’une belle voix et surtout par l’affection qu’on lui témoignait, se réservant ainsi d’amers regrets pour sa vieillesse. Une religieuse hystérique, admise par le chapitre grâce à ses instances, lui fit en particulier verser bien des larmes. Une autre, [360] atteinte du même mal, indiscrète, ayant la manie de mentir et de voler sans s’en apercevoir, fut également reçue par elle.

On devine quelle pouvait être la formation des sujets. Elle donnait de très bons conseils, mais avec de mauvais exemples. Pour obtenir d’être " en cour " auprès d’elle, il fallait la flatter ou agir en diplomate. Ce qui faisait dire à monsieur l’abbé Youf, notre aumônier pendant 25 ans : " N’est-ce pas bien triste que des âmes croyant trouver au Carmel la simplicité soient obligées d’y faire de la politique ? ". Il disait cela parce que, en certains cas, pour éviter du scandale il fallait absolument agir avec mystère et finesse.

Combien plus navrante fut parfois la manière dont on dispensait la sainte Eucharistie ! Il est arrivé à mère Marie de Gonzague de promettre une communion comme récompense à une soeur qui attraperait un rat ! On l’enlevait aussi pour un rien. Que c’est honteux à révéler !

Quand les décrets de 1891 retirèrent aux supérieures le droit de régler les communions de leurs communautés, mère Marie de Gonzague les reçut d’abord avec respect et soumission à l’Église ; mais bientôt, le confesseur ayant trouvé bon de permettre à quelques unes des soeurs la communion quotidienne et à d’autres moins souvent, sa jalousie reparut. Monsieur l’abbé Youf eut peur et le nombre des communions redevint le même pour toutes les religieuses.

D’autres abus moins graves, mais bien honteux aussi se produisaient : par exemple la pauvre mère [361] avait un chat qu’elle nourrissait de foie de veau et de lait sucré. S’il prenait un oiseau, on le lui faisait rôtir avec une sauce exquise. Jusque là ce n’était que ridicule, bien qu’il y ait une faute contre la pauvreté. Mais quelques fois le chat était perdu, et le soir, pendant l’heure du grand silence, la prieure partait à sa recherche avec les soeurs du voile blanc, l’appelant de tous côtés, jusque par dessus le mur qui sépare le monastère d’un jardin voisin, manquant ainsi à la régularité et mettant toute la communauté en émoi.

Les malades souffrirent aussi du caractère de mère Marie de Gonzague, bien qu’elle leur fût très bonne et très dévouée à certaines heures.

Une jeune soeur, atteinte d’une maladie délicate et obligée de se soigner par la prieure en charge, dut le faire en cachette, tremblant toujours d’être découverte par son ancienne prieure. " On a - disait celle-ci - des maladies qu’on ne connaissait pas autrefois, et c’est un péché de les soigner ".

Chaque année, à l’époque de la retraite, c’était une vraie surveillance au confessionnal du prédicateur. Mère Marie de Gonzague ne pouvait supporter de voir les religieuses y rester un peu longtemps.

Pendant les trois années où elle n’était plus prieure, son caractère se montrait plus ombrageux que jamais. Elle voyait avec peine l’autorité lui échapper et les affections se concentrer sur une autre que sur elle-même. C’est ainsi qu’à la profession de soeur Agnès de Jésus, qui eut lieu pendant un priorat de mère Geneviève, elle refusa, [362] la veille, d’aller voir l’oratoire paré pour la circonstance et, le jour de la fête, elle attrista tout le monde par sa mauvaise humeur. Il en était toujours de même aux prises d’habit et professions lorsqu’elle n’était plus prieure.

A l’approche des élections, c’était une vraie et honteuse campagne. Pour le bien de la paix, mère Geneviève se retirait humblement à l’issue de ses trois années et en laissait faire six à mère Marie de Gonzague.

Plus tard, après la mort de mère Geneviève, voyant qu’il lui était impossible de rester toujours prieure, elle orienta les voix du chapitre sur soeur Agnès de Jésus, dont elle connaissait bien le caractère conciliant. Elle croyait ainsi rester maîtresse et faire agir la nouvelle prieure selon ses vues. Quand elle vit celle-ci prendre son autorité, elle lui fit subir mille persécutions. Un jour, témoin d’une scène terrible, une soeur (la plus ardente, pourtant, de son parti) ne put contenir son indignation : " O mère Marie de Gonzague - dit-elle -, c’est bien mal de faire souffrir ainsi votre mère prieure ! ". Une autre soeur ancienne, également révoltée de sa conduite, résolut d’en écrire à monseigneur Hugonin, notre évêque, et confia dans la nuit son dessein à sa mère prieure ; mais le lendemain, redoutant le courroux de mère Marie de Gonzague, elle abandonna son projet.

Voyant déjouée sa ruse inconsciente et qu’on pouvait se passer d’elle, l’ancienne prieure travailla à empêcher une réélection. Elle y réussit, mais cette [363] fois ne fut nommée qu’au 7ème tour de scrutin. Dure leçon dont elle souffrit tout le reste de sa vie. Après l’élection, quelques soeurs imaginèrent d’égarer quelques billets de vote, portant son nom, afin que ces billets trouvés par la prieure écartent d’elles ses soupçons.

C’est peu de temps auparavant qu’eurent lieu des scènes de jalousie navrantes au sujet de la profession de soeur Geneviève de Sainte Thérèse et de soeur Marie de la Trinité. Mère Marie de Gonzague espérant prendre bientôt la place de mère Agnès de Jésus, entreprit de retarder les novices pour se réserver à elle-même l’honneur et la joie de ces professions.

Cependant le supérieur monsieur Maupas étant venu voir la communauté, dit tout haut que la mère prieure devait proposer les deux novices au chapitre. Mère Marie de Gonzague devint blême, mais se contint jusqu’au sortir du parloir où elle se concerta avec les religieuses qu’elle avait gagnées à son parti.

" Qu’elle fasse faire profession à sa soeur, puisqu’on ne peut l’empêcher - dit-elle -, mais je m’oppose formellement à celle de soeur Marie de la Trinité ". Or, soeur Marie de la Trinité avait deux mois de plus de noviciat que soeur Geneviève. Mais la pauvre mère voulait, coûte que coûte, se réserver au moins l’une des deux, et il fallut céder.

On s’occupa donc seulement de passer soeur Geneviève aux voix. Sous prétexte qu’il est défendu à une soeur de voter pour sa soeur, elle trouva bon de mettre la mère prieure à la porte du chapitre. Elle présida [364] elle-même les trois séances, recueillit les votes et fit les exhortations d’usage à la novice.

Le dernier jour seulement, quand soeur Geneviève fut reçue, elle envoya chercher la mère prieure, ne l’invitant pas toutefois à reprendre sa place, mais la laissant debout au bas de la salle avec le noviciat et les soeurs converses appelées également pour embrasser la novice, selon l’usage du Carmel.

On pourra dire : mais ce n’est pas contre soeur Thérèse de l’Enfant Jésus que portait sa jalousie. A elle, au contraire, elle a marqué beaucoup de confiance, lui donnant une part de son autorité près des novices, et la choisissant même pour sa confidente à la fin de sa vie. La preuve qu’elle appréciait beaucoup la Servante de Dieu, c’est qu’elle en disait et écrivait toute sorte de bien à sa famille, aux prédicateurs de retraite, à ses frères missionnaires, à tous. Sa lettre écrite au père Roulland, datée du 11 novembre 1897, en fait foi. Et j’ajoute qu’elle était sincère.

Cependant il reste vrai que la mère Marie de Gonzague ne voulut partager avec personne son autorité, même celle de maîtresse des novices, que soeur Thérèse de l’Enfant Jésus a excité sa jalousie bien des fois, que celle-ci a dû se cacher constamment pour accomplir son humble office d’aide au noviciat, enfin qu’il ne fallait jamais se baser avec cette mère sur une permission, une confiance donnée dans un moment de bon sens (car elle avait des moments de parfait bon sens où même elle parlait et agissait en sainte prieure). [365] Malheureusement ces moments étaient bien transitoires et, tout d’un coup, d’un instant à l’autre, il fallait s’attendre à voir absolument le contraire. Au visage le plus aimable, animé d’un bon et franc sourire, succédait à l’heure même, pour le moindre motif qui avait excité sa jalousie, un air sombre dévoilant l’orage intérieur qui ne manquait pas d’éclater.

Le tableau des injustices et des tristesses qu’on a vues au monastère manquerait encore de vérité si l’on ne disait quelque chose des abus causés par les faiblesses de mère Marie de Gonzague à l’égard de sa famille et des parloirs.

D’abord pour les parloirs, elle y allait longtemps, chaque jour, à une dame de la ville, son amie, qui lui racontait les nouvelles dont elle alimentait ensuite les récréations.

Pour sa famille, ce fut beaucoup plus grave. Une de ses soeurs, la comtesse de X. avait mal élevé sa fille unique qui, mariée, en imposait à sa mère. Celle-ci, par une correspondance incessante, racontait à mère Marie de Gonzague toutes ses peines dans les moindres détails, et l’humeur de la pauvre mère dépendait des nouvelles reçues dans la journée. C’était d’ailleurs le thème de toutes les directions, même de l’heure du noviciat.

Madame de X. avait de la fortune et tout le confortable possible ; seulement, par crainte de sa fille, elle vivait en secret comme une pauvre. Elle emprunta à la communauté 20.000 francs. Peu à [366] peu elle cessa d’en payer fidèlement la rente et, de temps en temps, quand on recevait un billet de banque, il fallait en remercier comme d’un don. Après sa mort, la communauté rentra en possession des 20.000 francs, plus 2.000 francs d’intérêts arriérés, demandés au hasard, * car mère Marie de Gonzague n’avait tenu compte exact de rien ! A défaut de ces preuves, on ne put réclamer.

La comtesse de X. considérait le Carmel comme sa maison, et les soeurs qu’elle appelait ses amies ne furent souvent que ses servantes. Quand elle venait à Lisieux, il fallait la servir comme une reine. Elle n’entrait pas au monastère, mais le parloir du supérieur et une chambre du tour étaient son domaine et celui de ses petits-enfants. Toute la communauté soupirait quand on disait : " Madame de X. est ici ! ".

Aux fêtes de la mère prieure, tous les ouvrages de fantaisie offerts étaient pour elle. Dans le courant de l’année, on lui brodait pour rien ses armoiries sur nappes, mouchoirs, tapis de piano, etc. On eût dit qu’elle nous faisait un honneur en nous demandant quelque chose. A la première communion de son petit fils, elle fit faire par douzaines des images sur parchemin, et c’étaient de véritables miniatures, des images de prix qu’elle voulait ! Elle découvrit dans les combles de son château de vieilles toiles, portraits de famille, qu’il fallut réparer et même faire deux copies de l’un d’eux.

Madame de X. fut atteinte d’une maladie longue et pénible. C’est le Carmel qui payait le spécialiste et fournissait les remèdes, même les linges pour ses [367] pansements, et c’était une soeur converse qui lavait ensuite ces linges remplis d’un pus d’autant plus infect que leur voyage avait duré quelques jours. On en vint à raccommoder et à laver tout son linge, ses bas, etc.

Un jour, mère Agnès de Jésus trouva la pauvre mère Marie de Gonzague, une lettre à la main, qui sanglotait. C’était que madame X. allait, dit-elle être obligée de vendre son argenterie et ses dentelles pour vivre ! !

Mère Agnès de Jésus profita de l’occasion et osa dire : " Ma mère, madame de X. ne devrait pas tant craindre sa fille. Si elle vendait une de ses terres, elle pourrait vivre en paix. Du moins, à votre place, je l’encouragerais à vendre un peu de son argenterie et de ses dentelles que sa fille ne mérite pas d’avoir plus tard ".

Ces paroles à peine achevées, une scène éclate, et bientôt on entend mère Marie de Gonzague confier ainsi sa peine à l’une des religieuses, de famille noble, comme elle : " Cette mère Agnès de Jésus ne peut savoir ce que c’est que le malheur dans nos familles ! Puis-je imposer à ma soeur la peine et l’humiliation de vendre ses objets précieux ? ! ".

On peut se demander comment les supérieurs n’intervinrent pas dans une situation semblable. Mais la communauté aimant et redoutant à la fois la malheureuse mère, ne s’apercevait pas de l’étendue du mal. Quelques soeurs, âmes droites et plus clairvoyantes, après avoir souffert en silence, avaient pourtant essayé de se plaindre. Alors, confesseurs et supérieurs, effrayés d’un ascendant qui leur semblait impossible [368] à détruire sans grand danger, conseillaient la patience " pour garder la paix pour que rien ne soit connu au dehors ". " On brûlerait votre couvent ", dit un jour monsieur Delatroëtte.

D’ailleurs, la mère prieure en cause écartait le plus possible des affaires de la maison l’évêque lui-même, son supérieur direct.

Après avoir tenté secrètement de secouer le joug, les religieuses étaient prises de remords. " Mieux vaut - disaient-elles - souffrir jusqu’au bout que de pécher par ingratitude. Mère Marie de Gonzague a bâti par ses quêtes la moitié du monastère, elle nous a presque toutes reçues, nous ne pouvons pas l’oublier ". Et les choses en restaient là, devenant de plus en plus inextricables avec les années.

Mère Geneviève elle-même ne put rien pour les enrayer. Trop bonne et trop conciliante, elle se contentait de pleurer et de prier en silence.

" La communauté semble marcher sur une corde - disait soeur Thérèse de l’Enfant Jésus -. C’est un vrai miracle que le bon Dieu opère à chaque instant en permettant qu’elle garde l’équilibre ". Ce mal que des saintes avaient constaté et déploré, transpira très peu à l’extérieur du monastère.

Au dehors, mère Marie de Gonzague avait subjugué ceux qui la connurent peu et ne la virent pas à l’oeuvre dans les occasions où se manifestaient les bizarreries de son humeur changeante et les scènes de sa redoutable jalousie.

 

[369] Cependant soeur Thérèse de l’Enfant Jésus qui aimait, malgré tout, l’âme de sa prieure, priait un jour pour elle avec grande anxiété pour son salut. C’est alors que, dans un songe, elle la vit, toute en flammes, traverser l’ermitage qu’elle avait dédié au Sacré-Coeur (c’est une petite chapelle qui se trouve au milieu d’un cloître). La Servante de Dieu crut voir là un indice de la miséricorde qui lui serait faite à cause de sa dévotion au Sacré-Coeur. Elle passerait seulement par le feu, et ne brûlerait pas éternellement.

Mère Marie de Gonzague mourut d’un cancer à la langue, le 17 décembre 1904, âgée de 71 ans.

Elle dit avec humilité, la veille de sa mort, à mère Agnès de Jésus, sa prieure : " Ma mère, j’ai beaucoup offensé le bon Dieu. Je suis la plus coupable de toute la communauté ; je n’espérerais pas être sauvée si je n’avais pour intercéder pour moi ma petite Thérèse ; je sens que je lui devrai mon salut ".

Signatum : SOEUR AGNÈS DE Jésus, r.c.i. prieure.

Soeur Marie des Anges et du Sacré-Coeur, r.c. ind. :

" J’ai lu attentivement ces pages qui ne sont malheureusement que trop vraies. J’ai été témoin de bien d’autres choses. J’ai été présente au triste incident du 16 juillet 1867 ".

Je certifie que ce qui est raconté dans ces pages est loin d’être exagéré. Signatum : Soeur Thérèse de Saint Augustin, r.c.i.

Lu et trouvé très exact. Signatum : Soeur Marie du Sacré-Coeur, r.c.i.

Lu et trouvé très exact. Signatum : Soeur Geneviève de Sainte Thérèse, r.c.i.

[370] Lu et trouvé très exact. Signatum : Soeur Marie de la Trinité. r.c.i.

[Suite de la réponse à la douzième demande] :

A mon élection de prieure, en février 1893, je nommai mère Marie de Gonzague, qui était prieure sortante, maîtresse des novices. Je crus ne pouvoir faire autrement, pour éviter un plus grand mal. Mais, pour atténuer le mal autant que possible, je dis à soeur Thérèse de l’Enfant Jésus, alors âgée de 20 ans et la première du noviciat, de veiller sur ses deux compagnes, soeur Marthe et soeur Marie Madeleine, novices converses. En réalité, c’est sur soeur Thérèse que je comptais pour conduire le noviciat. Par ailleurs, j’arrivais à faire comprendre à mère Marie de Gonzague, maîtresse titulaire des novices, que soeur Thérèse pourrait peut-être lui être utile dans l’accomplissement de sa tâche auprès des novices. Elle se servit en effet de soeur Thérèse qu’elle appelait " son petit chien de chasse ". Mais quand elle remarquait que l’influence de la Servante de Dieu devenait trop effective, ou encore quand son humeur changeante la troublait, elle en prenait ombrage, et la traitait durement.

La Servante de Dieu aurait dû sortir du noviciat à la fin de cette année 1893, mais elle demanda à [371] y rester, d’abord par humilité, et aussi par zèle pour le bien des novices. L’année suivante, 1894, soeur Marie de la Trinité et soeur Geneviève de Sainte Thérèse entrèrent au monastère. Enfin, en 1895, entra soeur Marie de l’Eucharistie ; ce qui porta à cinq le nombre des novices.

Le 21 mars 1896, mère Marie de Gonzague fut élue prieure à ma place, mais elle ne nomma pas de maîtresse des novices, elle se réserva cette charge, en se faisant aider, comme auparavant, par soeur Thérèse de l’Enfant Jésus. Mais, comme auparavant aussi, dès qu’elle paraissait être et faire quelque chose, la mère prieure se froissait, l’humiliait et se fâchait contre elle.

La Servante de Dieu continua, jusqu’à sa mort, ce rôle mal défini près des novices.

Entre temps, elle exerça aussi plusieurs autres emplois. Dès son entrée, elle fut affectée à la lingerie pendant neuf mois, après sa prise d’habit, au réfectoire pendant deux ans, ensuite à la sacristie jusqu’au mois de juin 1892. A partir de cette époque, jusqu’en février 1893, elle s’occupa de plusieurs travaux de peinture : fresque de l’oratoire, divers ornements d’autel, images que l’on vendait au dehors. Pendant ce temps, elle fut nommée tierce de la dépositaire, et l’assistait chaque fois que les ouvriers entraient dans le couvent.

Aux élections de 1893, elle fut nommée portière, sans cesser de s’occuper de peinture. En mars 1896, [372] elle fut remise à la sacristie. Elle venait d’avoir son premier crachement de sang, et c’est parce qu’elle tomba tout à fait malade qu’on la retira de cet emploi. Elle obtint alors d’aider à la lingerie une pauvre soeur malade d’esprit, ce qu’elle fit jusqu’à l’épuisement de ses forces. Elle avait beaucoup désiré être infirmière à cause des nombreuses occasions qu’elle aurait eu d’y pratiquer la charité, mais son désir ne fut jamais réalisé. Le 8 juillet 1897, elle s’alita à l’infirmerie et mourut le 30 septembre 1897.

[Réponse à la treizième et à la quatorzième demandes] :

Le Servante de Dieu observa toute sa vie non seulement les commandements de Dieu et de l’Église, mais aussi les conseils qui furent des préceptes pour elle. C’est le témoignage de tous ceux qui l’ont connue intimement. Elle y fut fidèle jusqu’à ne pouvoir se reprocher même une faute vénielle de propos délibéré. Au jour de sa profession, elle avait demandé de mourir plutôt que de ternir la blancheur de sa robe baptismale ; elle avait demandé aussi de remplir ses voeux avec toute la perfection possible : elle obtint cette grâce.

S’appliquant à vaincre sa nature très sensible et très vive, elle montra, dès son enfance, et dans toutes les occasions pénibles de sa vie, une grande force et une grande douceur.

L’esprit de ténèbres, jaloux de cette âme si fidèle, essaya, sur la fin de sa vie, par une tentation terrible contre la foi, d’affaiblir sa confiance filiale [373] en Dieu, mais il fut vaincu par son héroïque prudence et son constant recours à Dieu.

Sa charité pour Dieu prima toutes ses vertus. Son coeur en fut blessé par un trait de feu ; cependant cette manifestation sensible de l’amour dura seulement le temps d’un éclair, et toute sa vie, la Servante de Dieu fut conduite par une voie de pure foi.

Sa charité pour le prochain fut bien remarquable aussi, et découlait comme naturellement de sa charité pour Dieu. Elle pratiqua fidèlement le commandement divin d’aimer le prochain comme soi-même, et le commandement nouveau de Jésus, de l’aimer comme il l’aime lui-même.

[Suite de la réponse à la quatorzième demande] :

L’humilité brilla particulièrement en elle. Son rêve était de se faire si petite qu’elle atteignit l’idéal de cette enfance évangélique préconisée par [374] Notre Seigneur. " Pour atteindre les sommets de la montagne de l’amour - disait-elle - il ne faut pas que je grandisse ". Elle s’abaissa si bas qu’elle put atteindre son but. C’est avec l’humilité la plus vraie, basée sur la connaissance de son néant, qu’à la fin de sa vie elle se rendait compte de l’ascension de son âme, et n’attendait plus qu’un léger déchirement de l’enveloppe - ainsi appelait-elle la prison de son corps - pour s’envoler vers Dieu, l’aimer à son gré et revenir sur la terre pour le faire aimer de tant d’âmes qui ne connaissent pas encore sa bonté paternelle et son coeur miséricordieux.

[Réponse à la quinzième demande] :

Thérèse, enfant, était très réfléchie et voulait toujours s’instruire davantage des choses de la foi. Lorsque je préparais Céline, plus âgée qu’elle, à sa première communion, je disais à Thérèse de ne pas rester avec nous. Alors elle s’en allait bien triste, elle disait que ce n’était pas trop que quatre ans pour se préparer à recevoir le bon Dieu. Elle apprenait le catéchisme et l’histoire sainte avec beaucoup d’attrait. Tout ce qui se rapportait au bon Dieu trouvait son coeur ouvert et son intelligence s’y appliquait naturellement. Plus tard, elle lut avec délices plusieurs livres pieux, mais surtout l’Imitation qu’elle savait de mémoire à force de l’avoir lue et méditée, au point qu’on pouvait lui demander de réciter un chapitre au hasard. Elle s’attachait aussi (pendant sa vie au Carmel) à [375] étudier la Bible, les oeuvres de sainte Thérèse et surtout de saint Jean de la Croix.

Au milieu des occupations les plus distrayantes, on sentait que la Servante de Dieu ne s’y livrait pas entièrement, mais restait constamment occupée de la pensée de Dieu dans le fond de son âme. Jamais je n’ai surpris en elle aucune dissipation. Quand je l’approchais, elle me communiquait ce recueillement, même lorsqu’elle ne disait que des choses indifférentes. Sa façon d’agir, son regard, son sourire, tout exprimait son union à Dieu et son esprit de foi.

A partir de Pâques 1896, soeur Thérèse de l’Enfant Jésus commença à souffrir de grandes tentations contre la foi ; ses tentations portaient principalement sur l’existence du ciel, elle les endura jusqu’à sa mort. Une voix maudite lui insinuait qu’après la mort, c’était le néant. Elle me dit un jour : " Personne ne peut comprendre les ténèbres dans lesquelles je vis ; mon âme est plongée dans la nuit la plus obscure, mais j’y suis dans la paix ". Elle nous montra bien en effet qu’elle était dans la paix. Jamais elle ne fut plus céleste qu’en ce temps où le ciel lui était caché : c’est à cette époque qu’elle composa ses plus belles poésies, où l’on dirait que le voile de la foi s’est déchiré pour elle.

Un jour, à l’infirmerie, elle se trouva entraînée à me confier ses peines plus que de coutume : " Si vous saviez - me dit-elle - quelles affreuses pensées m’obsèdent ! Priez bien pour moi afin que je n’écoute pas le démon qui veut me persuader tant de mensonges. [376] C’est le raisonnement des pires matérialistes qui s’impose à mon esprit ; oh ! ma petite mère, faut-il avoir des pensées comme cela, quand on aime tant le bon Dieu " 1. Elle ajouta que jamais elle ne raisonnait avec ces pensées ténébreuses : " Je les subis forcément - dit-elle -, mais tout en les subissant, je ne cesse de faire des actes de foi " Il.

Obéissant aux conseils de l’un des confesseurs extraordinaires, elle avait écrit le Credo avec son sang à la fin du petit livre des saints évangiles qu’elle portait constamment sur son coeur.

[Réponse à la seizième demande] :

Je ne puis mieux exprimer ses sentiments de zèle pour la propagation de la foi qu’en rappelant un passage de sa vie écrite par elle-même ; je l’ai d’ailleurs souvent entendu de sa propre bouche : " Je voudrais éclairer les âmes comme les prophètes, les docteurs. Je voudrais parcourir la terre, prêcher votre nom et planter sur le sol infidèle votre croix glorieuse, ô mon Bien-Aimé ! Mais une seule mission ne me suffirait pas, je voudrais en même temps annoncer l’évangile dans toutes les parties du monde et jusque dans les îles les plus reculées. Je voudrais être missionnaire, non seulement pendant quelques années, mais je voudrais l’avoir été depuis la création du monde et continuer de l’être jusqu’à la consommation des siècles " [Histoire d’une âme, in 80, 1914, page 214] 10.

Au plus fort de ses tentations contre la foi, elle [377] me dit : " J’offre ces peines bien grandes pour obtenir la lumière de la foi aux pauvres incrédules et pour tous ceux qui s’éloignent des croyances de l’Église ".

[Réponse à la dix-septième demande] :

La dévotion de la Servante de Dieu à la sainte enfance de Notre Seigneur était très grande. Elle dit, dans sa vie, qu’elle désirait porter, au Carmel, le nom de soeur Thérèse de l’Enfant Jésus et qu’elle s’était offerte à l’Enfant Jésus pour être son petit jouet. Elle lui consacra une de ses plus belles poésies, " La rose effeuillée " 11, qui exprime toute la tendresse et la générosité de son amour.

Parlant de sa dévotion à la sainte humanité de Jésus, elle me dit un jour : " Pour notre nature humaine qui a tant besoin de comprendre ce qu’elle aime, la pensée que Dieu n’est qu’un esprit donnerait le vertige. Oh ! comme il a bien fait de se faire homme ! ".

La dévotion à la Sainte Face fut l’attrait spécial de la Servante de Dieu. Quelque tendre que fût sa dévotion à l’Enfant Jésus, elle ne peut être comparée à celle qu’elle eut pour la Sainte Face. C’est au Carmel, au moment de nos si grandes épreuves relatives à la maladie cérébrale de notre père, qu’elle s’attacha davantage au mystère de la Passion, c’est alors qu’elle obtint d’ajouter à son nom celui de la Sainte Face. Elle dit elle-même où elle a puisé l’idée de cette dévotion. Elle écrit : " Ces paroles d’Isaïe : Il est sans éclat, sans beauté, son visage était comme caché, et [378] personne ne l’a reconnu, ont fait tout le fond de ma dévotion à la Sainte Face, ou, pour mieux dire, le fond de toute ma piété. Moi aussi je désirais être sans éclat, sans beauté, seule à fouler le vin dans le pressoir, inconnue de toute créature " 12.

On peut voir dans ses principales poésies la part qu’elle donne à sa dévotion préférée. Elle lui dédie un cantique spécial. Elle peint la Sainte Face sur des chasubles, sur des images. Elle compose pour ses novices une consécration à la Sainte Face, une prière pour elle-même. Enfin, après sa mort, il me semble que c’est elle qui a inspiré à soeur Geneviève ce chef-d’oeuvre de la Sainte Face d’après le Saint Suaire de Turin, reproduction si connue maintenant que bien des fois on l’appelle la Sainte Face du Carmel de Lisieux. Au sujet des images de la Sainte Face, elle me dit : " Que Notre Seigneur a bien fait de baisser les yeux pour nous donner son portrait, car, puisque les yeux sont le miroir de l’âme, si nous avions deviné son âme, nous serions mortes de joie "

A la sacristie, dans la période où elle en fut chargée, elle touchait aux vases sacrés avec un grand respect et préparait, avec un soin plein d’amour, les linges et les ornements d’autel. Cet office, disait-elle, la pressait d’être bien fervente, et elle se rappelait cette parole de l’Écriture : " Soyez saints vous qui touchez les vases du Seigneur ".

[Réponse à la dix-huitième demande] :

[379] La communion avait fait le bonheur et le désir de sa vie, bien qu’elle m’avouât n’en avoir pour ainsi dire jamais éprouvé de consolations sensibles. Elle se réjouit beaucoup des décrets de 1891, espérant que le confesseur serait libre enfin de permettre la communion quotidienne, car elle sentait depuis longtemps que " ce n’est pas pour rester dans le ciboire d’or que Jésus descend chaque jour du ciel, mais pour trouver chaque jour aussi dans nos coeurs un autre ciel où il veut prendre ses délices " 16. Quelle déception, quand elle vit la mère Marie de Gonzague, tout en admettant en théorie que le confesseur était libre, manifester son mécontentement de ce que certaines soeurs communiaient souvent, d’autres moins souvent. D’où il résulte que la communion quotidienne, d’abord accordée à plusieurs, fut bientôt retirée par monsieur l’abbé Youf, pour éviter un plus grand mal.

Lorsque, petite enfant, elle jetait des fleurs devant le Saint Sacrement, elle avait un regard céleste ; on sentait que l’amour divin embrasait son coeur. Son attention et son regard restaient fixés sur la sainte Hostie, et elle jetait bien haut ses pétales de roses pour leur faire toucher, dit-elle, l’ostensoir sacré.

Elle eut toujours pour l’assistance à la sainte messe un attrait particulier. Lorsqu’il s’en disait plusieurs dans la chapelle du monastère et qu’elle était libre, son bonheur était de les entendre toutes.

Pendant sa dernière maladie, on lui montra le calice d’un jeune prêtre qui venait de dire sa [380] première messe, elle regarda l’intérieur du vase sacré, et nous dit : " J’aimais à me refléter ainsi dans les calices quand j’étais sacristine. Je pensais qu’ensuite le sang de Jésus tomberait là où mon visage s’était reproduit et purifierait mois âme " ".

Si elle trouvait dans le corporal quelque petite parcelle de la sainte Hostie, elle manifestait une sainte allégresse. Ayant découvert un jour une assez grosse parcelle, elle courut à la buanderie où était la communauté et fit signe à ses novices de venir. Elle s’agenouilla la première pour adorer Notre Seigneur, remit le corporal dans la bourse, et la leur fit baiser ensuite avec une piété touchante.

Une autre fois, le prêtre, en lui donnant la communion, laissa tomber une hostie en dehors de la grille, et soeur Thérèse de l’Enfant Jésus la reçut dans son scapulaire. Elle me dit ensuite avec émotion : " J’ai porté l’Enfant Jésus dans mes bras, comme la Sainte Vierge "

[Réponse à la dix-neuvième demande] :

J’ai peu de choses à dire sur ce point. Sa condition de carmélite ne lui fournissait pas l’occasion d’un zèle spécial à cet égard. Dans sa petite enfance, elle avait à peine 5 ans, nous l’emmenions déjà à la grand-messe et aux vêpres, le dimanche. Elle s’y tenait comme un ange et écoutait attentivement les sermons qui y étaient donnés. Elle manifestait beaucoup de peine quand nous ne voulions pas [381] l’emmener aux exercices, soit du mois de Marie, soit du carême. Elle s’en dédommageait en priant à la maison, et disposant de petits autels.

[Réponse à la vingtième demande] :

Dans les dernières années de sa vie, l’évangile occupait seul son esprit et nourrissait suffisamment son âme. Tous les autres livres spirituels la laissaient dans l’aridité : " Je ne trouve plus rien dans les livres - me disait-elle -, l’évangile me suffit, est-ce que, par exemple, cette parole de Notre Seigneur ne comprend pas tout : Apprenez de moi, que je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos de vos âmes ? Quelle douceur de n’apprendre plus rien que de la bouche de Jésus ""‘.

" Que j’étais heureuse et fière - disait-elle - d’être semainière à l’office, de dire les oraisons tout haut, au milieu du choeur. Je pensais alors que le prêtre disait les mêmes oraisons à la messe, et que j’avais l’honneur, comme lui, de parler tout haut devant le Saint Sacrement de donner les bénédictions, les absolutions : de dire l’évangile quand j’étais première chantre. Je puis dire que l’office divin a été à la fois mon bonheur et mon martyre, parce que j’avais un grand désir de le réciter sans faute, et que, malgré toute mon application, il m’arrivait d’en faire quelquefois " .

[Session 13 : - 7 juillet 1915, à 9h. et à 2h. de l’après-midi]

[385] [Suite de la réponse à la vingtième demande] :

Au Carmel, elle témoignait beaucoup de respect envers les supérieurs ecclésiastiques, se soumettant à leur conduite, sans se permettre de la juger. Ainsi je ne l’ai jamais entendue dire une parole amère à l’adresse de monsieur l’abbé Delatroëtte, notre supérieur, qui avait fait tant d’opposition à son entrée. Quelque médiocres que fussent les sermons qu’elle entendait, elle se gardait d’en faire la moindre critique. Elle avait une très haute idée de la dignité et des fonctions sacerdotales, c’est pourquoi elle voulut toute sa vie se sacrifier spécialement pour les prêtres.

Soeur Thérèse de l’Enfant Jésus n’avait pas pris part à l’élection si difficile de 1896. Quand elle apprit que la prieure élue était mère Marie de Gonzague, elle en fut, un instant, comme frappée de stupeur, mais son esprit de foi domina bientôt cette première impression, et les sentiments de soumission filiale qu’elle montrait au dehors, elle les avait au fond du coeur. Elle ne se départit jamais de son esprit de foi envers l’autorité. Elle m’affirma même qu’elle aimait vraiment mère Marie de Gonzague et que les appellations de " mère bien aimée, mère chérie ", que je trouverais dans le cahier de sa vie, exprimaient les vrais sentiments de son coeur. En [386] pensant que mère Marie de Gonzague l’assisterait à la mort comme prieure et non pas moi, elle me dit un des derniers jours de sa vie : " Avec vous, il y aurait eu un côté humain, j’aime mieux qu’il n’y ait que du divin. Oui, je le dis du fond du coeur, je suis heureuse de mourir entre les bras de mère Marie de Gonzague, il suffit qu’elle me représente le bon Dieu " ‘,’.

[Réponse à la vingt-et-unième demande] :

La Servante de Dieu eut toujours une tendre et filiale dévotion envers la très Sainte Vierge. Toute enfant, pendant le mois de mai, elle faisait seule ses petites prières, en allumant des bougies devant une statue de la Sainte Vierge dans sa chambre. A sa première confession, le prêtre l’exhorta à la dévotion envers la très Sainte Vierge ; en le relatant dans sa vie, elle ajoute : " Je me promis de redoubler de tendresse pour celle qui tenait déjà une bien grande place dans mon coeur ".

Pendant sa maladie, à l’âge de dix ans, son bonheur était de tresser des couronnes de fleurs champêtres pour orner la statue de la très Sainte Vierge qui était près d’elle. C’est en priant Marie avec ardeur, en regardant cette statue qu’elle la vit s’avancer vers elle et lui sourire, et que tout à coup elle se trouva guérie. Plus tard, elle eut à coeur de se faire recevoir dans l’Association des Enfants de Marie.

En s’arrêtant à Paris, au moment de son voyage de Rome, elle ne s’intéressa à aucune des merveilles de la capitale. Seul le sanctuaire de Notre-Dame des Victoires la retint, elle y pria avec ferveur la Reine des cieux et en reçut [387] de très grandes grâces.

Au Carmel, elle fut heureuse de faire sa profession le 8 septembre. Elle écrit à ce sujet : " La Nativité de Marie, quelle belle fête pour devenir l’épouse de Jésus ! "21. Elle aimait à méditer la vie de la Sainte Vierge. Un jour que nous avions reçu la lettre d’un prêtre disant que la Sainte Vierge ne connaissait pas les souffrances physiques, elle me dit : " En regardant ce soir la statue de Marie, j’ai compris que ce n’était pas vrai. Elle a souffert beaucoup dans les voyages, du froid, de la chaleur, de la fatigue, elle a jeûné bien des fois. Oui, elle sait ce que c’est que souffrir physiquement. Ce qui me fait du bien quand je pense à la Sainte Famille, c’est de m’imaginer une vie toute ordinaire, et non pas toutes les merveilles que l’on raconte et que l’on suppose " Il. Elle me confiait à l’infirmerie que la plupart des prédications qu’elle avait entendues sur la très Sainte Vierge ne la touchaient pas. " C’est bien de parler de ses prérogatives - me dit-elle -, mais il faut qu’on nous montre surtout la possibilité d’imiter ses vertus. Elle aime mieux l’imitation que l’admiration. Quelque beau que soit un sermon sur la Sainte Vierge, si l’on est obligé tout le temps de s’exclamer : Ah ! Ah !, on en a bientôt assez. Que j’aime à lui chanter tout simplement :

L’étroit chemin du ciel tu l’as rendu visible

En pratiquant toujours les plus humbles vertus " 16.

Un soir, pendant sa maladie, elle me dit avec ardeur : " Que j’aime la Vierge Marie ! Si j’avais été prêtre, que j’aurais bien parlé d’elle ! On la montre inabordable, il faudrait la montrer imitable. Elle est plus mère [388] que reine. J’ai entendu dire bien des fois que son éclat éclipse tous les saints. Mon Dieu, que cela est étrange, une mère qui fait disparaître la gloire de ses enfants ! Moi, je pense tout le contraire, je crois quelle augmentera de beaucoup la splendeur des élus " 27.

Elle voulut dédier sa dernière poésie à la Sainte Vierge sous ce titre : " Pourquoi je t’aime, ô Marie ! " 28. C’est là en effet que sont exprimées toutes ses raisons de l’aimer et de l’imiter. Dans la formule de son offrande à l’Amour miséricordieux, elle dit : " C’est à la Sainte Vierge, ma mère chérie, que j’abandonne mon offrande, la priant de vous la présenter " 29. Elle appelait souvent la Sainte Vierge du nom de " Maman ", parce qu’il est plus tendre, disait- elle, que celui de " Mère ". 30 Un jour qu’elle me confiait son délaissement intérieur et à quel point Jésus était caché pour elle, je lui dis : " La Sainte Vierge est-elle cachée aussi ? ". " Non me répondit-elle vivement -, la Sainte Vierge n’est jamais cachée pour moi. Et quand je ne vois plus le bon Dieu, c’est elle qui lui fait toutes mes commissions. Je l’envoie surtout lui dire de ne pas craindre de m’éprouver " 31. Les dernières lignes qu’elle ait écrites sur la terre expriment, sous une forme très délicate, son amour envers la très Sainte Vierge. Elle écrivit donc péniblement au revers d’une image, le 8 septembre 1897 : " O Marie, si j’étais la reine du ciel et que vous soyez Thérèse, je voudrais être Thérèse afin que vous soyez la reine du ciel ! ! ! ". Le matin de sa mort, elle me dit en regardant la statue de [389] la Sainte Vierge : " Oh ! je l’ai priée cette nuit avec une ferveur ! "-’-’. Et dans l’après-midi, regardant une image de Notre-Dame du Mont-Carmel, elle disait à la mère prieure : " Ma mère, présentez-moi bien vite à la Sainte Vierge " 31.

Soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus écrit dans sa vie en parlant de son voyage à Rome : " Je n’ignorais pas que pendant mon voyage, il se rencontrerait bien des choses capables de me troubler. Je priai saint Joseph de veiller sur moi. Depuis mon enfance, ma dévotion pour lui se confondait avec mon amour pour la très Sainte Vierge. Chaque jour je récitais la prière : ‘O saint Joseph, père et protecteur des vierges, etc.’ " -1-5. C’est à saint Joseph qu’elle s’adressa au Carmel pour obtenir la grâce de la communion quotidienne et la liberté du confesseur sur ce point. Les décrets de 1891 "‘,, en exauçant sa prière, augmentèrent beaucoup sa confiance en saint Joseph. Dans ses méditations sur la vie cachée de Notre Seigneur, elle n’oubliait pas saint Joseph. Elle me dit un jour ces paroles que je transcrivis immédiatement. " Et le bon saint Joseph, oh ! que je l’aime ! Je le vois raboter, se fatiguer... De temps en temps, il essuie la sueur qui inonde son visage, mais comme à la dérobée, pour ne pas faire de la peine à la Sainte Vierge. Il était si délicat... et combien il a dû souffrir de privations, de déceptions, car il ne recevait pas toujours le prix de son travail, on lui adressait même des reproches, sans doute. Oh ! combien on serait étonné si on savait tout ce qu’il a souffert pour nourrir [390] et protéger Jésus et Marie ! " 31. Pendant sa dernière maladie, je vis la Servante de Dieu jeter des fleurs avec amour à la statue de saint Joseph.

Dès son enfance, elle aimait et priait son ange gardien. Je l’ai vue garder et conserver avec respect une petite image de l’ange gardien, lisant et relisant le conseil qui y était imprimé : " Prenez garde de respecter la présence de votre ange et d’écouler sa voix ". Elle composa une poésie à son ange gardien où elle l’appelle " son frère, son ami, son consolateur ", et où elle termine en disant :

" Avec la croix, avec l’hostie, avec ton céleste secours,

j’attends en paix de l’autre vie, le bonheur qui dure toujours " 31.

Elle se regardait comme la petite enfant de tous les saints et leur avait demandé dans une prière sublime leur"double amour " (Vie, page 217) "1. Pendant sa maladie, elle nous demandait souvent de prier les saints pour elle, et le faisait elle-même avec ferveur. Elle nous dit un jour : " Je vous demande de faire un acte d’amour et une invocation pour moi à tous les saints. Ils sont tous mes parents là-haut " 10. Elle aimait d’une tendresse fraternelle sainte Cécile, sainte Agnès, la bienheureuse Jeanne d’Arc, le bienheureux Théophane Vénard et conservait avec piété leurs images dans son bréviaire.

 

[391] [Réponse à la vingt-deuxième demande] :

La Servante de Dieu avait sept ou huit ans. Un soir, au bord de la mer, à Trouville, nous étions seules, elle et moi, près des Roches noires. Elle regardait le soleil couchant. " Je contemplai longtemps écrit-elle - ce sillon lumineux, image de la grâce. et je pris la résolution de ne jamais éloigner mon âme du regard de Jésus, afin qu’elle vogue en paix vers la patrie des cieux " "1.

Au sujet de la récompense du ciel, voici ce que me dit un jour la Servante de Dieu : " Je me fais une si haute idée du ciel que parfois je me dis : Comment [392] Dieu fera-t-il pour me surprendre ? Mon espérance est si grande, elle m’est un tel sujet de joie qu’il me faudra une réalité au-dessus de toute pensée pour me satisfaire pleinement. Plutôt que d’être déçue j’aimerais mieux garder un espoir éternel "

[Demande du vice-promoteur : avez-vous entendu la Servante de Dieu expliciter davantage sa pensée à ce sujet ? - Réponse] :

C’est la même pensée qu’elle exprime dans sa vie (édition in 80, 1914,, page 219) : " Je l’avoue, si je n’atteins pas un jour ces régions les, plus élevées vers lesquelles mon âme aspire, j’aurai goûté plus de douceur dans mon martyre, dans ma folie que je n’en goûterai au sein des joies éternelles, à moins que par un miracle vous ne m’enleviez le souvenir de mes espérances terrestres. Jésus ! Jésus ! ; s’il est si délicieux le désir de l’amour, qu’est-ce donc de le posséder, d’en jouir à jamais " 43.

Elle ne veut pas mettre réellement en doute que le bonheur du ciel surpasse les espérances de la terre. La dernière phrase citée le montre bien : " S’il est si délicieux le désir de l’amour, qu’est-ce donc de le posséder, d’en jouir à jamais ? ". D’ailleurs quelques mois plus tard, elle m’écrit : " Ah ! dès à présent, je le reconnais, oui, toutes mes espérances seront comblées... Oui, le Seigneur fera pour moi des merveilles qui surpasseront infiniment mes immenses désirs " 44. Il me semble que dans la première phrase [393] obscure rapportée ci-dessus, elle veut exprimer par une fiction l’immensité de ses espérances et de ses désirs d’amour.

[Le témoin poursuit] :

Elle m’écrivait en 1889 : " Rien de trop à souffrir pour conquérir la palme " 5. Et encore : " A tout prix je veux cueillir la palme d’Agnès ; si ce n’est pas par le sang, il faut que ce soit par l’amour "".

Pendant sa dernière maladie, malgré sa terrible tentation contre la foi en la vie future, elle me dit : " Si je n’avais pas cette tentation contre la foi, qui m’enlève toute jouissance à la pensée du ciel, je crois bien que je mourrais de joie, en voyant que je vais bientôt quitter cette terre " "1. Elle exprimait sans cesse son désir du ciel : " Ah ! quand est-ce que je m’en irai avec le bon Dieu ? Que je voudrais bien aller au ciel ! Oh ! oui, je désire le ciel ! " Il. Le ciel, pour elle, c’était Dieu vu et possédé pleinement ; elle n’aspirait pas à d’autre récompense que Dieu même. Elle disait : " Une seule attente fait battre mon coeur, c’est l’amour que je recevrai et celui que je pourrai donner " .

En 1889, à 16 ans, elle m’écrit : " Oh ! ma mère, si vous saviez à quel point je veux être indifférente aux choses de la terre ! Que m’importent toutes les beautés créées ? Je serais bien malheureuse si je les possédais ! Ah ! que mon coeur me paraît grand quand je le considère par rapport aux biens de ce monde, puisque tous réunis ne pourraient le contenter... Je ne [394] veux pas que les créatures aient un seul atome de mon amour, je veux tout donner à Jésus " 111. Et encore, en 1891 : " Il n’y a aucun appui à chercher hors de Jésus. Lui seul est immuable, quel bonheur de penser qu’il ne peut changer ! " Il.

Elle était détachée non seulement des personnes, mais des choses de la terre. On lui avait donné, au Carmel, une robe neuve qui lui allait très mal, parce que la coupe en était manquée, on ne cessait de lui répéter qu’elle était mal habillée, et je lui dis : " Cela doit vous taquiner à la fin de savoir votre robe manquée ! ". Elle me répondit en riant : " Ah ! pas du tout ! cela m’est aussi indifférent que si ma robe était portée par une chinoise, là-bas, à deux mille lieux de nous " -11.

Enfin les séductions des créatures glissaient sur son âme, sans aucunement l’affecter : " Mon coeur est plein de la volonté du bon Dieu - me dit-elle - ; quand on verse quelque chose par dessus, cela ne pénètre pas à l’intérieur, c’est un rien qui glisse facilement, comme l’eau qui ne peut se mêler avec l’huile " Il.

[Réponse à la vingt-troisième demande] :

La Servante de Dieu aspirait à une haute sainteté, ses pensées sur cela ne furent pas toujours comprises, plusieurs confesseurs ou prédicateurs de retraites en arrivaient à l’effrayer ou à paralyser ses élans : " Mon père, je veux devenir une sainte - dit-elle à un prédicateur -, je veux aimer le bon Dieu autant que sainte Thérèse ". Il lui répondit : " Quel orgueil [395] et quelle présomption ; bornez-vous à corriger vos défauts, à ne plus offenser le bon Dieu, à faire chaque jour de petits progrès, et modérez vos désirs téméraires ". - " Mais, mon père, je ne trouve pas que ce sont des désirs téméraires puisque Notre Seigneur a dit : ‘Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait’ ". Le religieux ne fut pas convaincu ; et la Servante de Dieu cherchait toujours quelqu’un d’autorisé qui lui dise : " Avancez en pleine mer, et jetez vos filets ". -51 Elle trouva cet envoyé de Dieu dans la personne du révérend père Alexis, des récollets de Caen, pendant la retraite de 1892. * D’ailleurs elle convient que, livrée à ses propres forces, elle ne pourra jamais gravir le rude escalier de la perfection. Elle espère uniquement, pour aller au ciel, sur la miséricorde du bon Dieu qu’elle appelle " son doux Ascenseur "

[Réponse à la vingt-quatrième demande] :

La fidélité de son espérance ne se démentait jamais dans les plus grandes é. preuves. Le 7 juillet 1897, trois mois à peine avant sa mort, à l’époque de ses grandes tentations et de ses grandes souffrances, elle me dit : " Dès mon enfance, cette parole de Job me ravissait : ‘Quand même Dieu me tuerait, j’espérerais encore en lui’ ". Cependant elle ajouta : " J’ai été longtemps à m’établir à ce degré d’abandon. Maintenant j’y suis, le bon Dieu m’a prise et m’a posée là " ". Elle m’a dit aussi : " Je n’ai nullement peur des derniers combats ni des souffrances si grandes soient-elles [396] de la maladie. Le bon Dieu m’a aidée et conduite par la main dès ma plus tendre enfance, je compte sur lui. Je suis assurée qu’il me continuera son secours jusqu’à la fin. Je pourrai bien souffrir extrêmement, mais je n’en aurai jamais trop, j’en suis sûre " 17.

Je rappelle, au sujet de ce témoignage, que, dans les derniers mois de la vie de la Servante de Dieu, c’est-à-dire depuis juin 1897, je notai par écrit et immédiatement toutes les paroles qu’elle me disait, c’est d’après ces notes que je rapporte aujourd’hui ces diverses paroles.

[Réponse à la vingt cinquième demande] :

Elle comptait uniquement sur le secours du bon Dieu pour tout. Elle m’a raconté que lorsque après avoir essayé d’encourager et de consoler sa soeur Céline au parloir, elle n’avait pu y réussir, elle demandait au bon Dieu avec une grande confiance de la consoler lui-même et de lui faire comprendre telle et telle chose, après cela elle ne s’en préoccupait plus, et sa confiance, me dit-elle, ne fut jamais trompée. A chaque fois, Céline recevait les lumières et les consolations que la Servante de Dieu avait demandées pour elle. Elle s’en rendait compte par les confidences qui lui étaient faites au parloir suivant.

Comme je lui disais un jour que je trouvais bien triste de ne recevoir aucun témoignage de reconnaissance pour un bienfait, elle, me répondit : " Moi, je n’attends sur là terre aucune rétribution, je fais tout pour le bon Dieu, comme cela, je, suis toujours payée [397] du mal que je me donne "

A propos des novices elle me dit : " Je jette, à droite et à gauche, à mes petits oiseaux, les bonnes graines que le bon Dieu dépose dans ma main pour eux, et puis ça fait comme ça veut, je ne m’en occupe plus " Il.

Elle agissait toujours en conformité avec ces sentiments intimes de détachement. On la voyait toujours absolument étrangère aux choses de ce monde et à l’opinion des créatures. Elle répétait avec une sainte fierté la parole de saint Paul : " Celui qui me juge, c’est le Seigneur " 111.

Elle me dit une autre fois - " Je me sens très misérable, mais ma confiance n’en est pas diminuée, au contraire. D’ailleurs le mot misérable n’est pas juste, car je suis riche de tous les trésors divins, c’est justement pour cela que je m’humilie davantage " 61.

Elle attendait tout du bon Dieu, son espérance était en lui seul. Au sujet de ses novices, elle écrit dans l’" Histoire de son âme " - " En comprenant qu’il m’était impossible de rien faire par moi-même, la tâche me parut simplifiée. Je m’occupais intérieurement et uniquement de m’unir de plus en plus à Dieu, sachant que le reste me serait donné par surcroît. En effet, jamais mon espérance n’a été trompée, ma main s’est trouvée pleine autant de fois qu’il a été nécessaire pour nourrir l’âme de mes soeurs " 61.

En conséquence, elle persuadait à ses novices que cette nourriture spirituelle qu’elle leur donnait venait de Dieu [398] seul. Lorsqu’elles ne s’en contentaient pas, sa paix n’en était pas troublée. Elle chantait à Notre Seigneur :

" Daigne m’unir à Toi, vigne sainte et sacrée, et mon faible rameau te donnera son fruit ". 61

La Servante de Dieu s’appuyait sur la communion des saints pour espérer sa part de gloire au ciel. Elle lui attribuait les grâces et les lumières reçues d’en-haut pendant son exil. Un jour, soeur Marie de l’Eucharistie avait allumé à une veilleuse presque éteinte son cierge d’abord, et ensuite, par ce cierge, tous ceux de la communauté : ce fut pour soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus une image de la communion des saints dont elle m’expliqua le symbole dans une conversation à l’infirmerie : " Souvent - me dit-elle - les grâces et les lumières que nous recevons sont dues, sans que nous le sachions, à une âme cachée, parce que le bon Dieu

veut que les saints se communiquent les uns aux autres les grâces par la prière, afin qu’au ciel ils s’aiment d’un grand amour, d’un amour bien plus grand que celui de la famille, même de la famille la plus idéale de la terre... Oui, une toute petite étincelle peut faire naître de grandes lumières dans toute l’Église ... " 6.

Elle me dit encore à ce sujet : " Au ciel, on ne rencontre pas de regards indifférents, parce que tous les élus reconnaîtront qu’ils se doivent les uns aux autres toutes les grâces qui leur ont mérité la couronne " 65.

Elle disait encore dans le même sens : " Tous les saints sont nos parents " 611.

[Session 14 : - 8 juillet 1915, à 9h. et à 2h. de l’après-midi]

 

[402] [Réponse à la vingt-sixième demande] :

Toutes ses exhortations aux novices, les conseils qu’elle leur donnait dans leurs peines, les lettres qu’elle écrivait aux missionnaires sont une constante prédication de la confiance en Dieu.

Voici encore quelques traits particuliers dans lesquels se révèle le caractère de son espérance chrétienne : " On pourrait croire - écrit-elle - que c’est parce que je n’ai pas péché que j’ai confiance dans le bon Dieu ; mais, je le sens, quand même j’aurais sur la conscience tous les péchés qui se peuvent commettre, je ne perdrais rien de ma confiance " Il. Ce qu’elle écrit là, dans sa vie, elle me l’a dit bien des fois.

Il est à remarquer qu’en s’offrant en victime à l’Amour miséricordieux, soeur Thérèse de l’Enfant Jésus demande deux faveurs bien extraordinaires : celle de conserver dans son coeur la présence réelle de Notre Seigneur d’une communion à l’autre, et celle de voir briller sur son corps glorifié les sacrés stigmates de la passion de Jésus. Elle avait exprimé déjà bien des fois au bon Dieu ces deux grands désirs avec une absolue confiance en leur réalisation.

[403] [Demande du vice-promoteur : la Servante de Dieu vous a-t-elle exposé de vive voix comment elle entendait cette présence de Notre Seigneur Jésus-Christ en dehors du temps de la sainte communion ?] :

Elle m’en a parlé plusieurs fois, pas très souvent néanmoins. Je suis sûre toutefois que, dans cette prière, elle avait en vue la permanence miraculeuse des saintes espèces et non pas uniquement la permanence de l’influence divine qui se produit, sans miracle, dans les âmes fidèles. D’ailleurs, dans son " Acte d’offrande ", elle fait appel à ce sujet à la toute puissance de Jésus-Christ. Si elle désirait les stigmates au ciel, c’était uniquement par amour, pour être plus semblable à son Jésus, et par là lui rendre plus de gloire ; et si elle désirait sur la terre le privilège de la présence réelle et permanente de Jésus dans son coeur, c’était encore pour lui être plus unie et par là devenir plus capable de l’aimer.

Elle était persuadée que ses désirs plaisaient beaucoup au bon Dieu ; elle ne s’étonnait pas de ses merveilles, trouvant que la puissance de Dieu est toujours pour nous au service de son amour infini. Elle avait été frappée de ces paroles de Notre Seigneur à sainte Mechtilde : " Je te le dis en vérité, c’est un grand plaisir pour moi que les hommes attendent de moi de grandes choses. Si grande soit leur foi ou leur présomption, autant et plus encore je les rémunérerai au-delà de leurs mérites. Il est impossible en effet que l’homme ne reçoive pas ce qu’il a cru et espéré de ma puissance et de [404] ma miséricorde ".

[Le témoin poursuit] :

C’était encore la miséricorde du bon Dieu que soeur Thérèse de l’Enfant- Jésus admirait dans sa justice au regard de ceux qu’il aime. Elle pensait avec le prophète Isaïe " que Dieu jugera les petits avec justice ", c’est-à-dire, " qu’il fera droit aux humbles de la terre " 61. En effet, la justice était à ses yeux la même chose que le droit. Aussi la jugeait-elle, par contre, terrible pour le pécheur impénitent.

Si la Servante de Dieu avait une confiance illimitée dans la bonté de Dieu, cette confiance ne diminuait pas chez elle la crainte salutaire de ses jugements. Elle me disait pendant sa dernière maladie : " Ma mère, si je commettais seulement la plus petite infidélité, je sens que je le paierais aussitôt par des troubles épouvantables, et je ne pourrais plus accepter la mort ; aussi, je ne cesse de dire au bon Dieu : ‘O mon Dieu, je vous en supplie, préservez-moi du malheur d’être infidèle’ ". Étonnée de ce langage, je lui demandai de quelle infidélité elle voulait parler. Elle me répondit : " D’une pensée d’orgueil entretenue volontairement. Si je me disais par exemple. J’ai acquis telle vertu, je suis certaine de pouvoir la pratiquer ; car, alors, ce serait s’appuyer sur ses propres forces, et quand on en est là, on risque de tomber dans l’abîme " 19.

[Réponse à la vingt-septième demande] -

[405] Elle avait une très grande crainte d’offenser Dieu. Si elle commettait, même involontairement, la faute la plus légère, elle versait des torrents de larmes. Dès sa plus petite enfance, quand je lui disais : " telle chose n’est pas bien " 10, elle apportait une grande attention à l’éviter. " J’aimais - dit-elle - le bon Dieu de tout mon coeur, et je faisais grande attention à ne l’offenser jamais " Il. Elle finit par exagérer cette crainte salutaire d’offenser Dieu et tomba dans le scrupule. Lorsqu’elle fut délivrée, après un an et demi, de cette épreuve, son âme s’établit pour toujours dans la crainte filiale de faire de la peine au bon Dieu.

En 1890, elle m’écrivait : " Demandez à Jésus de me prendre le jour de ma profession, si je dois encore l’offenser, car je voudrais emporter au ciel la robe blanche de mon second baptême, sans aucune souillure ; mais Jésus peut m’accorder la grâce de ne plus l’offenser ou bien de ne faire que des fautes qui ne l’offensent pas, qui ne lui fassent pas de peine, mais ne servent qu’à m’humilier et à rendre mon amour plus fort "".

Avec ses directeurs spirituels, elle traitait toujours ce sujet. Elle raconte dans sa vie comment elle confia au père Pichon sa crainte d’avoir perdu son innocence et la oie qu’elle éprouva de sa réponse. Elle parle plus tard de la consolation que lui apporta le père Alexis, en lui affirmant que ses fautes ne faisaient pas de peine au bon Dieu : " Cela m’aida - dit-elle - à supporter l’exil de la vie " Il.

Elle souffrait beaucoup * lorsque, dans les instructions, on parlait de la facilité [406] avec laquelle on peut tomber dans un péché mortel, même par simple pensée. Il lui semblait si difficile, à elle, d’offenser le bon Dieu quand on l’aime ! - Pendant tout le cours de ces exercices, je la voyais pâle et défaite, elle ne pouvait plus manger ni dormir, et serait tombée malade si cela avait duré. A partir de la retraite du père Alexis elle fut délivrée de ses peines, mais jusqu’à sa mort, elle veilla beaucoup sur elle pour éviter la moindre faute.

Pour moi, je suis convaincue qu’elle n’a jamais fait aucune faute volontaire ; je base ce jugement sur l’observation continuelle que j’ai faite de sa manière de vivre. Si elle me dit, par écrit, en 1890 : " Demandez à Jésus de me prendre si je dois encore l’offenser " 11, je crois qu’elle parle ainsi par humilité ou plutôt parce que sa conscience, encore mal éclairée à cette époque, s’inquiétait de faiblesses involontaires.

[Réponse à la vingt-huitième demande] :

Sa conformité à la volonté de Dieu dépassait même ses désirs du martyre et du ciel. Elle me dit un jour, vers la fin de sa vie : " On ne pourra pas dire de moi comme de notre mère sainte Thérèse : ‘Elle se meurt de ne point mourir ; pour ma nature, c’est vrai, j’aime mieux aller vite au ciel, mais la grâce a pris beaucoup d’empire sur ma nature, et maintenant je ne puis que répéter au bon Dieu :

Longtemps encore je veux bien vivre, [407] Seigneur, si c’est là ton désir.

Dans le ciel, je voudrais te suivre, si cela te faisait plaisir.

L’amour, ce feu de la patrie, ne cesse de me consumer.

Que me fait la mort ou la vie, mon seul bonheur, c’est de t’aimer "".

Elle traduisit son amour par un très grand dégagement des créatures et d’elle-même, par le désir de souffrir pour être plus semblable au bien-aimé de son coeur, par une union constante avec lui, une tendre délicatesse qui lui était spéciale, enfin, par une conformité entière à ses divins vouloirs et un désintéressement touchant.

[408] [Suite de la réponse à la même demande] :

Elle désirait la souffrance, parce que Notre Seigneur l’a choisie pour lui- même, et parce qu’elle est une occasion de prouver l’amour qu’on a pour Dieu, mais au-dessus de ses désirs de souffrance, elle mettait la conformité entière à la volonté divine. Je lui demandais si elle ne serait pas plus contente de mourir que de rester malade pendant des années ; elle me répondit : " Oh ! non, je ne serais pas plus contente. Ce qui me contente uniquement, c’est la volonté du bon Dieu "

Elle exprime, dans sa vie, le désir extrême qu’elle avait du martyre. Mais, vers la fin, lorsqu’elle fut arrivée au sommet de la perfection, elle éprouva un apaisement qui lui fait écrire : " Je ne désire plus ni la souffrance, ni la mort, cependant, je les aime toutes les deux, mais c’est l’abandon seul qui me guide maintenant. Je ne puis plus rien demander avec ardeur, excepté l’accomplissement parfait de la volonté de Dieu sur mon âme " .

 

[409] [Réponse à la vingt-neuvième demande] :

Son union à Dieu était si grande qu’elle disait : " Je ne vois pas bien ce que j’aurai de plus au ciel que maintenant. Je verrai le bon Dieu, c’est vrai ; mais pour être avec lui, j’y suis déjà tout à fait sur la terre ".

En effet, son union à Dieu ne consistait pas à faire uniquement les deux heures d’oraison que prescrit la Règle, à laquelle d’ailleurs elle était très fidèle, mais il faut dire que son oraison était continuelle. J’ai déjà, en répondant à une question précédente, parlé de son recueillement, et c’est en toute vérité qu’elle disait à la fin de sa vie : " Je ne crois pas avoir passé trois minutes sans penser au bon Dieu ".

Quant à sa méthode d’oraison et à son genre de piété, tout se ramène à ce qu’elle appelait sa " Voie d’enfance spirituelle "

C’est là un point si important que j’ai cru devoir en préparer un exposé par écrit et à tête reposée : je le présente au tribunal.

[Le témoin donne alors lecture de l’exposé que voici] :

Voie d’enfance spirituelle

La Servante de Dieu fut très particulièrement attirée [410] par l’Esprit Saint à suivre ce qu’elle a appelé " sa petite voie ", désirant qu’elle soit connue de tous, parce que c’était"le précepte du Maître ", parce que, pour elle, la vérité était là tout entière.

Cette petite voie est simplement une voie d’humilité, revêtant un caractère spécial d’abandon et de confiance en Dieu, rappelant ce que l’on voit chez les tout petits enfants qui sont d’eux-mêmes dépendants, pauvres et simples en tout.

Elle appuyait"sa petite doctrine ", comme elle disait, sur la doctrine même de Notre Seigneur, et faisait sa méditation préférée et ses délices de ces paroles de l’Evangile qu’elle approfondissait sans cesse : " Je vous le dis en vérité, si vous ne vous convertissez et ne devenez comme les petits enfants, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux ". - " Celui donc qui se fera humble comme ce petit enfant est le plus grand dans le royaume des cieux ". - " Laissez les petits enfants venir à moi et ne les empêchez pas, car le royaume des cieux est à ceux qui leur ressemblent ". -"Je vous le dis en vérité, quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme fin petit enfant n’y entrera pas ". - " Celui d’entre vous tous qui est le plus petit, c’est celui-là qui est le plus grand ". - " Je vous bénis, ô Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents et les avez révélées aux petits enfants. [411] Oui, je vous bénis, ô Père, de ce qu’il vous a plu ainsi ". " En vérité, en vérité, je te le dis, nul s’il ne naît de nouveau ne peut voir le royaume des cieux ".

Instruite et fortifiée par ces divins enseignements, comment pourrait-on croire que soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus avait une piété mièvre et puérile, une piété enfantine, comme on l’a dit quelquefois ?

Elle n’entendait pas le terme " enfant " dans le sens strict du mot. A propos des saints Innocents, elle-même révèle sa pensée à ce sujet : " Les saints Innocents - dit-elle - ne sont pas des enfants au ciel ; ils ont seulement les charmes indéfinissables de l’enfance. On se les représente enfants, parce que nous avons besoin d’images pour comprendre les choses invisibles ".

Ainsi lorsqu’elle se sert pour parler de sa vie spirituelle de termes propres à définir ce qui est de l’enfance, c’est seulement comme comparaison et pour mieux exprimer sa pensée.

Voici maintenant ce qu’elle entendait par " rester petit enfant " devant Dieu. Je cite ses propres paroles-

" C’est reconnaître son néant, attendre tout du bon Dieu comme un petit enfant attend tout de son père. C’est ne s’inquiéter de rien, ne point gagner de fortune.

" Même chez les pauvres, on donne au petit enfant ce qui lui est nécessaire ; mais aussitôt qu’il a grandi, son père ne veut plus le nourrir [412] et lui dit :Travaille maintenant, tu peux te suffire à toi-même ‘. Eh bien, c’est pour ne pas entendre cela que je n’ai pas voulu grandir, me sentant incapable de gagner ma vie, la vie éternelle du ciel. Je suis donc restée toujours petite, n’ayant d’autre occupation que celle de cueillir les fleurs de l’amour et du sacrifice et de les offrir au bon Dieu pour son plaisir.

" Etre petit, c’est encore ne point s’attribuer à soi-même les vertus qu’on pratique, se croyant capable de quelque chose, mais reconnaître que le bon Dieu pose ce trésor de la vertu dans la main de son petit enfant, pour qu’il s’en serve quand il en a besoin ; mais c’est toujours le trésor du bon Dieu.

" Enfin, c’est ne point se décourager de ses fautes, car les enfants tombent souvent, mais ils sont trop petits pour se faire beaucoup de mal ".

L’abandon

" Attendre tout du bon Dieu. comme un petit enfant attend tout de son père " fut pratiqué à la lettre par soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus qui resta toujours dépendante de la volonté de son Dieu et même de son bon plaisir en toutes choses ; elle " regardait dans ses yeux ", Il suivant son expression, pour deviner ce qui lui plairait davantage et l’accomplir aussitôt.

Physionomie de son abandon en général

Elle donne cette " physionomie " dans les lignes suivantes qu’elle m’écrivit pendant sa retraite de profession passée tout entière dans les ténèbres intérieures :

" Au début de mon voyage, je dis à mon divin Guide : Vous savez que je veux gravir la montagne de l’amour, vous connaissez Celui que j’aime et que je veux contenter uniquement. C’est pour Lui seul que j’entreprends ce voyage, menez-moi donc par le sentier de son choix ; pourvu qu’il soit content, je serai au comble du bonheur " (septembre 1890).

Son abandon dans les tentations

Elle le révèle en parlant ainsi des délaissements divins dont elle souffre :

" Si mon Jésus semble m’oublier, eh ! bien, il en est libre ! puisque je ne suis plus à moi, mais à Lui. Il se lassera plus vite de me faire attendre que moi de l’attendre " (1892)".

Elle chante encore :

" Ma joie est la volonté sainte de Jésus mon unique amour.

Aussi, je vis sans nulle crainte, j’aime autant la nuit que le jour "

Son abandon dans sa charge auprès des novices

[414] Chargée des novices, c’est de plus en plus qu’elle attend tout du bon Dieu. Elle dit comment " en face d’une tâche qui dépasse ses forces ", elle se met"comme un petit enfant dans les bras de son père ", le regardant lui seul et croyant bien que ce simple regard d’amour et de confiance va faire " que sa main se trouve pleine pour nourrir ses enfants ". " Alors - ajoute-t-elle - sans détourner la tête, je leur distribue cette nourriture qui vient de Dieu seul ".

Et cet abandon d’enfant était loin d’être de l’insouciance, car elle dit encore : " Depuis que j’ai pris place dans les bras du bon Dieu, je suis comme le veilleur observant l’ennemi de la plus haute tourelle d’un château fort, rien n’échappe à mes regards ".

C’est après avoir pratiqué cet abandon qu’elle me dit par expérience : " On peut très bien rester petit même en accomplissant les charges les plus redoutables, même en atteignant une extrême vieillesse. Si je vivais jusqu’à 80 ans, après avoir rempli toutes les charges possibles, je sens très bien que je mourrais tout aussi petite qu’aujourd’hui " .

Son abandon dans la maladie

Aux prises avec la maladie, elle me dit : " Je n’ai nullement peur des derniers combats, ni des souffrances, si grandes soient-elles, de la maladie. Le bon Dieu m’a aidée et conduite par [415] la main dès ma plus tendre enfance, je compte sur lui. Je suis assurée qu’il me continuera son secours jusqu’à la fin. Je pourrai bien souffrir extrêmement, mais je n’en aurai jamais trop, j’en suis sûre ".

C’était le même abandon dans son désir du ciel : " Je ne désire pas plus de mourir que de vivre - dit-elle -, c’est-à-dire que, si j’avais à choisir, j’aimerais mieux mourir ; mais puisque le bon Dieu choisit pour moi, j’aime mieux ce qu’il veut. C’est ce qu’il fait que j’aime ".

Elle me dit encore : " Autrefois, l’espoir de la mort m’était bien nécessaire et bien profitable, mais aujourd’hui, c’est tout le contraire ; le bon Dieu veut que je m’abandonne comme un tout petit enfant qui ne s’inquiète pas de ce qu’on fera de lui ".

Elle aurait cru sortir de sa voie d’enfance, toute faite d’abandon et d’humble défiance de soi-même, en demandant à Dieu des souffrances plus grandes, malgré ses désirs d’immolation. " Je craindrais - me dit-elle - d’être présomptueuse et que ces souffrances ne deviennent alors mes souffrances à moi, que je sois obligée de les supporter seule ; jamais je n’ai rien pu faire toute seule ".

Déjà en 1889, elle m’écrivait : " C’est ma faiblesse qui fait toute ma force " .

[416] Simplicité

Pour la pratique de la simplicité qui est, il me semble, le fruit de l’humilité, c’était toujours l’enfant qu’elle prenait pour modèle. Elle disait dans son humble confiance lorsque, par exemple, il lui arrivait, malgré ses efforts, d’être vaincue par le sommeil à l’oraison : " Les petits enfants plaisent autant à leurs parents lorsqu’ils dorment que lorsqu’ils sont éveillés ".

On a critiqué ce passage de sa vie, et pourtant le Saint Esprit tient le même langage quand il fait dire au roi prophète : " Le Seigneur donne autant à ses bien- aimés pendant leur sommeil ".

" En restant bien petite - disait-elle encore - c’est-à-dire bien humble, je n’offenserai jamais le bon Dieu, même en faisant de petites sottises jusqu’à ma mort, car les petits enfants ne cessent de casser, de déchirer, de tomber, tout en aimant beaucoup leurs parents et ne restant aimés d’eux comme s’ils ne faisaient rien de mal ".

Dieu qui la voulait maintenir dans cette voie de simplicité si grande, lui montra, dans une circonstance, qu’il ne fallait pas en sortir. A une époque de sa vie religieuse, elle aurait voulu imiter les macérations de quelques saints. Mais il lui arriva d’être malade pour avoir porté seulement quelques heures une petite croix de fer, et pendant le repos qu’elle dut prendre [417] ensuite, le bon Dieu lui fit comprendre que, si elle avait été malade pour avoir fait le petit excès d’enfoncer trop cette croix durant si peu de temps, c’était signe que là n’était pas sa voie, ni celle des " petites âmes " qui devaient marcher à sa suite dans la même voie d’enfance où rien ne sort de l’ordinaire.

Elle se trouvait alors, sans le savoir, dans cet " état parfait " que décrit ainsi monseigneur Gay : " La sainte enfance spirituelle est un état plus parfait que l’amour des souffrances, car rien n’immole tant l’homme que d’être sincèrement et paisiblement petit. L’esprit d’enfance tue l’orgueil bien plus sûrement que l’esprit de pénitence ".

Pauvreté spirituelle

Comme un petit enfant, dénué de tout, qui n’a rien à lui, " qui ne gagne pas de fortune " et ne peut compter que sur les richesses de son père, elle disait : " Je suis bien contente de m’en aller au ciel, mais quand je pense à cette parole du Seigneur : Je viendrai bientôt et je porte ma récompense avec moi pour rendre à chacun selon ses oeuvres, je me dis qu’il sera bien embarrassé avec moi, car je n’ai pas d’oeuvres ... Il ne pourra donc me rendre selon mes oeuvres. Eh bien ! j’ai confiance qu’il me rendra selon ses oeuvres à lui ! " .

Elle était humblement heureuse de ce dénuement, de ne pouvoir, selon son expression, [418] " s’appuyer sur aucune de ses oeuvres pour avoir confiance ". " J’ai pensé avec une grande douceur - me dit-elle pendant sa maladie - que jamais je n’avais pu, dans ma vie spirituelle, acquitter une seule de mes dettes envers le bon Dieu, mais que c’était pour moi comme une véritable richesse et une force. Alors je me suis souvenue de ce que dit saint Jean de la Croix et j’ai répété, avec quelle paix !, la même prière : O mon Dieu, je vous en supplie, acquittez pour moi toutes mes dettes ! " .

Ce qu’elle espérait au terme de sa voie

Elle sentait profondément ce que ces dispositions avaient de sanctifiant et de purifiant pour l’âme et combien elles attiraient sur elle les miséricordes divines. Aussi se plaisait-elle à répéter cette parole de nos saints livres : " Les petits seront jugés avec une extrême douceur ".

C’est toujours parce qu’elle se sentait petite et faible, incapable par elle- même de gravir " le rude escalier de la perfection ", qu’elle chercha le moyen d’aller au ciel par une petite voie appropriée à sa faiblesse, et qu’elle la trouva dans les bras de Jésus qu’elle appelle son divin " ascenseur " : " L’ascenseur qui doit m’élever jusqu’au ciel, ce sont vos bras, ô Jésus ! ".

[419] Son désir de faire suivre " sa voie " à d’autres âmes

Ayant reconnu par expérience tous les bienfaits et les privilèges de cette voie de simplicité confiante qu’elle avait suivie et qui fut chez elle bien plus remarquable que l’amour des souffrances, la Servante de Dieu l’enseigna à ses novices.

Elle désirait avoir près d’elle, au Carmel, sa soeur, Céline, uniquement pour lui communiquer les lumières quelle recevait du ciel à ce sujet.

Et ce n’était pas assez pour son zèle. Sentant bien qu’elle avait découvert un trésor sans prix, elle voulait le montrer à tous.

" Le nombre des petits est bien grand sur la terre ", écrivait-elle. Et c’est à cette multitude " des petits ", c’est-à-dire des âmes fidèles non appelées à des voies extraordinaires, qu’elle souhaitait de faire partager ses richesses.

Lorsqu’elle sut mon intention de publier son manuscrit, elle ne reconnut son utilité que sous le rapport de faire connaître " sa voie ".

Vue prophétique sur l’avenir

" Je sens - me dit-elle - que ma mission va commencer, ma mission de faire aimer le bon Dieu comme je l’aime, de donner ma petite voie aux âmes ".

Et comme je lui demandais qu’elle était cette voie : [420] " C’est la voie de l’enfance spirituelle, c’est le chemin de la confiance et du total abandon. Je veux enseigner aux âmes les petits moyens qui m’ont si parfaitement réussi, leur dire qu’il n’y a qu’une seule chose à faire ici-bas : jeter à Jésus les fleurs des petits sacrifices, le prendre par des caresses ; c’est comme cela que je J’ai pris, et c’est pour cela que je serai si bien reçue """.

Si elle ne désirait pas les grâces extraordinaires, si elle aimait sa vie toute simple, toute de foi, c’était surtout, disait-elle, " pour que les petites âmes n’aient rien à lui envier ".

On lui disait le 15 juillet : " Vous mourrez peut-être demain, fête de Notre Dame du Mont-Carmel, après avoir fait la sainte communion ? ".

" Ah ! - reprit-elle - il n’en sera rien, cela n’irait pas avec ma petite voie ‘. J’en sortirais donc pour mourir ? Mourir d’amour après la communion, c’est trop beau pour moi, les petites âmes ne pourraient pas imiter cela. Il faut que tout ce que je fais, les petites âmes puissent le faire ".

 

[421] [Réponse la trentième demande] :

C’est l’amour de Dieu le plus pur et le plus ardent qui a été pour ainsi dire toute la vie de soeur Thérèse, et je crois qu’après en avoir vécu, elle en est morte selon son désir.

Si elle vint au Carmel, ce fut, dit-elle, pour y trouver Jésus seul. Plus tard, son but se précisa davantage, et j’ai su par ses confidences que si elle acceptait avec héroïsme tous les sacrifices de la vie religieuse, c’était uniquement pour prouver au bon Dieu son amour, lui attirer tous les coeurs si elle l’avait pu, enfin pour obtenir la sanctification des prêtres. Aucun sacrifice ne l’étonna parce qu’elle avait tout prévu et tout accepté d’avance dans le but unique d’aimer et de faire aimer le bon Dieu.

Pendant que je préparais Céline à sa première communion, elle voulut m’écouter pour se préparer aussi. Elle soupirait vers sa première communion, à elle, la trouvant bien éloignée encore. Trois mois avant sa première communion, je lui donnai un petit livre où ses sacrifices préparatoires et ses aspirations d’amour vers Jésus devaient être marqués chaque soir. Ce moyen lui plut beaucoup. Elle fit 818 sacrifices et 2773 actes ou aspirations d’amour. Ce nombre est le total des chiffres marqués par elle. Elle m’a écrit, elle-même, ses sentiments le jour de sa première communion ; ils ont été relatés dans l’ " Histoire de sa vie " (page 59, in-8, 1914). Elle ne soupirait plus ensuite qu’après les jours de ses communions [422] et les trouvait trop espacés. Mais elle croyait mieux faire, en attendant, sans la solliciter, la permission de son confesseur. Elle s’en repentit plus tard, elle disait alors : " Ce n’est pas pour rester dans le ciboire que Jésus descend chaque jour du ciel, c’est pour trouver un autre ciel, le ciel de notre âme, où il prend ses délices ". Au Carmel, elle appelait de ses voeux et de ses prières ardentes une parole du Pape qui libère les âmes de tous les règlements et usages des communautés empêchant la communion quotidienne.

Voyant à quel point l’amour de Dieu est mal connu sur la terre, elle fut inspirée de s’offrir en victime à cet amour miséricordieux. Elle entendait par là offrir son coeur à Dieu, comme un abîme qu’elle eût voulu rendre infini, pour contenir toutes les flammes de la charité divine repoussée de la plupart des hommes, et en être consumée jusqu’à en mourir. Avant de faire cet acte d’offrande, elle vint m’en demander la permission, car j’étais prieure. En me faisant cette demande, son visage était animé, elle me paraissait comme embrasée d’amour. J’accédai à son désir, mais sans enthousiasme, sans avoir l’air d’en faire grand cas. C’est alors qu’elle composa la formule de son acte, me la soumit et me demanda de la faire réviser par un théologien. Le révérend père Lemonnier, supérieur des Missionnaires de la Délivrande, l’examina et me répondit qu’il n’y trouvait rien de contraire à la foi, cependant qu’il ne fallait pas dire : " Je [423] sens en moi des désirs infinis ", mais " je sens en moi des désirs immenses ", parce que la créature n’a rien d’infini. Soeur Thérèse de l’Enfant Jésus s’offrit en victime à l’amour miséricordieux, le 9 juin 1895. Cet acte d’offrande a été publié dans sa vie (page 305, in-8, 1914).

Deux novices seulement connurent l’acte d’offrande : soeur Geneviève d’abord, et soeur Marie de la Trinité plus tard. La Servante de Dieu leur en montra les avantages et la gloire qu’il peut donner à Dieu. Elles le firent toutes deux et en retirèrent de grands avantages spirituels. Soeur Thérèse affirme que toutes les " petites âmes ", les âmes faibles et imparfaites, peuvent aspirer à devenir victimes d’amour. Cette facilité est à son avis la conséquence de la " petite voie d’enfance spirituelle ".

[Réponse à la trente-et-unième demande] :

La Servante de Dieu éprouvait beaucoup de peine de savoir le bon Dieu si offensé sur la terre. C’est à ce sujet que je l’ai entendue dire avec une sainte indignation, pendant sa dernière maladie : " Oh ! que je voudrais bien m’en aller de ce triste monde ! ""‘. Ce qu’elle m’a dit bien des fois de ses sentiments de tristesse, unis au désir de réparer l’injure faite à Dieu, elle l’exprime très bien dans ses cantiques. Par exemple, dans son cantique " Vivre d’amour ", elle dit :

" Jusqu’à mon coeur retentit le blasphème, [424] pour l’effacer, je redis chaque jour :

Ton nom sacré, je l’adore et je l’aime, je vis d’amour ".

Et dans le cantique " Jésus, rappelle-toi ", elle chante :

" Rappelle-toi que je veux sur la terre te consoler de l’oubli des pécheurs.

Mon seul amour, exauce ma prière, ah ! pour t’aimer donne-moi mille coeurs ".

D’ailleurs, je l’ai dit, si elle fut inspirée de s’offrir en victime à l’amour miséricordieux du bon Dieu, c’est par la profonde douleur qu’elle ressentait à la pensée que ce miséricordieux amour était rejeté de tant de pauvres pécheurs.

Je puis ajouter encore quelques traits pour caractériser sa charité envers Dieu. Elle aimait le délaissement, l’oubli des créatures afin d’être plus uniquement à Dieu : " Quand je suis trop bien soignée - me disait-elle -, je ne jouis plus ". Je lui disais, un jour qu’elle souffrait plus que de coutume, pendant sa maladie : " Comme il doit vous être dur de ne plus pouvoir vous appliquer à penser à Dieu, car c’est impossible au milieu de ces souffrances ". Elle me répondit aussitôt : " Je puis encore dire au bon Dieu que je l’aime, cela suffit ".

Elle aimait à exprimer à Dieu son amour, en souffrant pour lui. Comme on lui parlait devant moi du bonheur des anges, elle dit : " lis ne peuvent pas souffrir, ils ne sont pas si heu- [425]reux que moi ".

En regardant son crucifix, qui avait la tête penchée, elle me dit : " C’est comme cela que j’aime les crucifix, parce que Jésus y est représenté mort et je pense qu’il ne souffre plus ". Voici une autre parole : " Ce qui fait battre mon coeur, en pensant au ciel, c’est l’amour que je recevrai et celui que je pourrai donner ".

Elle disait à la fin de sa vie : " Je n’aurais pas voulu ramasser une paille pour éviter le purgatoire. Tout ce que j’ai fait, c’est par amour, pour faire plaisir au bon Dieu et lui sauver des âmes ".

Pendant sa retraite de profession, comme elle souffrait d’aridité spirituelle, elle m’écrivit : " Mon fiancé ne me dit rien, et moi, je ne lui dis rien non plus, sinon que je l’aime plus que moi-même... Je suis heureuse de n’avoir aucune consolation ; j’aurais honte que mon amour ressemblât à celui des fiancées de la terre, qui regardant toujours aux mains de leur fiancé, pour voir s’il ne leur apporte pas quelque présent, ou bien, à leur visage, pour y surprendre un sourire d’amour qui les ravit ". " L’amour peut suppléer à une longue vie - m’écrivait-elle l’aimée suivante -. Jésus ne regarde .pas au temps puisqu’il est éternel ; il ne regarde qu’à l’amour. Oh ! ma petite mère, demandez-lui de m’en donner beaucoup. Je ne désire pas l’amour sensible ; pourvu qu’il soit sensible pour Jésus, cela suffit ". " Si par im- [426]possible - me disait-elle plus tard - le bon Dieu lui-même ne voyait pas mes bonnes actions, je n’en serais pas affligée. Je l’aime tant que je voudrais pouvoir lui faire plaisir par mon amour et mes petits sacrifices, sans même qu’il sache que c’est de moi. Le sachant et le voyant, il est comme obligé de m’en rendre ‘... Je ne voudrais pas lui donner cette peine-là ". Un jour où je la voyais jeter des fleurs au calvaire, je lui dis : " Est-ce pour obtenir quelques grâces ? ". Elle me répondit : " Non, c’est pour lui faire plaisir, je ne veux pas donner pour recevoir. Je ne suis pas égoïste, c’est le bon Dieu que j’aime, ce n’est pas moi ".

Je n’ai pas besoin de redire que toutes ces paroles, dites ou écrites, sortaient de l’abondance de son coeur, et exprimaient parfaitement sa manière de vivre : elle n’a jamais travaillé et agi que pour le bon Dieu, afin de lui prouver son amour et de mériter le sien.

[Session 15 : 9 juillet 1915, à 9h. et à 2h. de l’après-midi]

[430] [Réponse à la trente-deuxième demande] :

Quand on m’a questionnée sur les vertus en général, j’ai dit un mot de la charité pour le prochain pratiquée par soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus. Elle a en effet compris et pratiqué ce précepte d’une façon tout à fait remarquable.

Lorsque mère Marie de Gonzague lui demanda de compléter le manuscrit de sa vie, elle me dit : " Je vais parler de la charité fraternelle, oh ! j’y tiens, car j’ai reçu de trop grandes lumières à ce sujet, je ne veux pas les garder pour moi seule ; je vous assure que la charité n’est pas comprise sur la terre, et pourtant’, c’est la principale des vertus ". Elle se mit donc à l’oeuvre, mais elle fut constamment dérangée : " Je n’ai pas écrit ce que je voulais - me dit-elle tristement -, il m’aurait fallu plus de solitude. Cependant, ma pensée y est, vous n’aurez plus qu’à classer ".

Elle basait sa charité envers le prochain sur cette parole de Notre Seigneur. " Je vous donne un commandement nouveau, c’est que vous vous aimiez comme je vous ai aimés ". - " Mais si c’était déjà difficile d’aimer le prochain comme soi- même - dit-elle à ce propos -, c’est comme impossible de l’aimer comme Dieu l’aime lui-même, à moins que notre union avec lui devienne si grande que ce soit lui qui aime en nous tous ceux qu’il nous commande d’aimer. Plus je suis unie à Dieu, plus aussi j’aime toutes mes soeurs ".

La Servante de Dieu a étudié jusque dans leurs [431] profondeurs les différentes paroles de Jésus au sujet de la charité envers le prochain, et elle m’en a entretenue bien des fois avec un désir véhément de mettre en pratique ce qu’elle comprenait si bien. Je l’ai vue appliquer constamment et dans tous les détails de sa conduite envers le prochain ces divines instructions, mais avec tant de simplicité qu’on n’aurait jamais soupçonné les sacrifices qu’elle imposait à sa vive et ardente nature pour vaincre ses répugnances. Le bon Dieu récompensa ses efforts soutenus, car, à la fin de sa vie, elle m’a dit ne plus avoir à combattre et se porter à la charité fraternelle avec un véritable attrait. Mais si la Servante de Dieu m’a confié plusieurs traits de sa charité, et si j’en ai vu bien d’autres dont je citerai quelques-uns, je reste tout à fait persuadée que la plupart de ses actes sont connus seulement de celui qui voit dans le secret.

Dès son enfance, la petits Thérèse était si douce, si aimable envers tout le monde, qu’elle était, non seulement la joie de la famille, mais que les domestiques aussi l’aimaient. En grandissant et croissant en vertu, son amabilité fut plus attrayante encore : il y avait ans son sourire, ans toute sa personne, un charme incomparable. Au Carmel, rien que de l’approcher mettait la joie dans l’âme et faisait trouver doux le joug du Seigneur. En récréation, sa douce et franche gaieté, fruit de son abnégation, mettait le bonheur autour d’elle. [432] C’était son habitude de ne jamais paraître pressée pour laisser toute liberté aux soeurs de lui demander des services, et avoir ainsi l’occasion de suivre le conseil de Notre Seigneur, dont elle parle dans son manuscrit : " N’évitez pas celui qui veut emprunter de vous " 128. Elle prenait une part active, la plus pénible qu’elle pouvait, aux travaux communs, choisissant pour elle la place la moins commode afin de l’éviter aux autres. C’est ainsi que, pendant l’été, à la buanderie, elle se mettait à la place où il y avait moins d’air. On s’en souvient si bien, qu’on l’appelle aujourd’hui " la place de soeur Thérèse ", et les jeunes soeurs s’y mettent par dévotion pour imiter sa mortification et sa charité.

Soeur Marie Philomène, qui fit quelques mois de noviciat avec soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus, est une religieuse très sainte, mais aussi très bornée et qui a l’humilité bien rare d’en convenir. Elle m’a communiqué ce témoignage écrit en faveur de la charité de la Servante de Dieu : " Malgré notre grande différence d’âge (je suis entrée à 45 ans), malgré notre différence en tout, car j’étais une de ces âmes, dont elle parle dans sa vie, moins bien douée de la nature sous tous les rapports, tant pour l’intelligence que pour l’instruction, et pour tout ce qui attire ordinairement, soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus, loin de me le faire sentir, me montra tant de bonté, un si grand dévouement caché sous une aimable délicatesse, une charité si pure et si grande, que ses petites attentions me [433] faisaient un véritable bien à l’âme ".

Une bonne religieuse de la communauté lui devint le sujet de violentes tentations. Extérieurement, en effet, cette soeur se montrait égoïste, raide et cassante. Soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus, après plusieurs années de luttes héroïques, triompha à tel point de l’antipathie naturelle que lui inspirait cette soeur, qu’on aurait pu croire et qu’on a cru réellement à une sympathie toute particulière. Au jour où il est permis de se parler, elle voyait cette soeur une des premières et plus souvent que les autres. En récréation, elle paraissait heureuse de se trouver près d’elle et l’entretenait avec beaucoup d’entrain, semblant y prendre un vrai plaisir.

A la fin de sa vie, alors que très malade, elle écrivait son manuscrit dans le jardin, je m’aperçus un jour qu’elle était dérangée à chaque instant par les soeurs, et qu’au lieu de s’impatienter ou même de prier humblement qu’on la laissât tranquille, elle posait chaque fois sa plume et fermait son cahier avec un doux sourire. Je lui demandai comment, dans ces conditions, elle pouvait mettre deux idées de suite. Elle me répondit : " J’écris sur la charité fraternelle, c’est le cas de la pratiquer... Oh ! ma mère, la charité fraternelle, c’est tout sur la terre : on aime le bon Dieu dans la mesure où on la pratique ".

On la veilla seulement la dernière nuit de sa vie, jusque-là elle avait refusé que l’on restât près d’elle, de peur de fatiguer l’infirmière.

Cette bonté de [434] coeur s’étendait jusqu’aux animaux. On voulait tuer les mouches qui ne cessaient de l’importuner, mais elle suppliait toujours de leur faire grâce : " Ce sont mes seules ennemies - disait-elle -, le bon Dieu a dit de pardonner à ses ennemis, je suis contente d’avoir cette occasion de le faire " 130.

Elle me confia tous les grands désirs qu’elle exprimait si souvent au bon Dieu de faire du bien à toutes les âmes. " Après ma mort-me dit-elle le 17 juillet 1897- je passerai mon ciel à faire du bien sur la terre... Je ne me fais pas une fête de jouir, ce n’est pas cela qui m’attire : je pense à tout le bien que je désire faire après ma mort, comme d’obtenir le baptême pour les petits enfants, convertir les pécheurs, aider les prêtres, les missionnaires, toute l’Église ".

Ad XXXIII respondit [Réponse à la trente-troisième demande] :

Elle eut le zèle des âmes dès son enfance, faisant pour les sauver des prières et des sacrifices. Un soir d’été, en revenant d’une promenade, elle me dit qu’elle avait bien soif ; sur mon conseil d’offrir cela au bon Dieu pour la conversion d’un pécheur, elle accepta avec joie la mortification que je lui proposais. Lorsqu’elle fut couchée, je lui portai à boire. " Tu as fait le sacrifice - lui dis-je -, le pécheur est sauvé bien sûr, bois maintenant ". Mais elle hésitait, craignant de perdre son pécheur et me regardant dans les yeux pour voir si je disais bien la vérité. Elle avait alors de cinq à six ans. Plus tard, à la fête [435] de Noël, elle dit que " le zèle des âmes entra dans son coeur avec le besoin de s’oublier toujours " 132,

Elle pria beaucoup et fit des sacrifices pour la conversion de l’assassin Pranzini, qui se convertit, en effet, au dernier moment. Elle l’appelle " son premier enfant " 133 et ce succès de ses prières augmenta son ardeur pour courir à la conquête des âmes. Elle me parlait encore, deux mois avant sa mort, le 1er août 1897, de l’impression de grâces ressenties autrefois à la vue d’une image de Notre Seigneur crucifié dont il est question dans sa vie, à l’époque de son adolescence (Vie, page 75, in 8, 1914) 134, " Si VOUS saviez, ma mère- me dit-elle-, de quelle ferveur je fus embrasée en regardant cette image ! Je me disais en voyant le sang de Jésus se répandre inutilement sur la terre : Non, je ne veux pas laisser perdre ce sang précieux, je passerai ma vie à le recueillir pour les âmes " 135.

 

[436] Et juxta idem XXXlll Interrogatorium sic prosecuta est testis [Suite de la réponse à la même demande] :

Tous ses mérites étaient offerts pour les âmes. Un jour qu’elle me témoignait le regret de m’avoir dévoilé un de ses sacrifices, de peur, disait-elle, que son mérite ne fût perdu, je lui demandai : " Vous voulez donc acquérir des mérites ? ". - " Oui- me répondit-elle - mais pas pour moi, c’est pour les pauvres pécheurs, et pour les besoins de la sainte Église " 136. Elle disait encore : " Rien ne me tient aux mains, tout ce que j’ai, tout ce que je gagne, c’est pour l’Église et les âmes. Que je vive jusqu’à 80 ans, je serai toujours aussi pauvre... A mesure que je gagne quelques trésors spirituels, sentant qu’au même instant des âmes sont en danger de tomber en enfer, je leur donne tout ce que je possède, et je n’ai pas encore trouvé un moment [437] pour me dire : Je vais travailler maintenant pour moi " 137. Elle me dit un jour à l’infirmerie : " J’ai éprouvé du plaisir à penser qu’on priait pour moi, alors j’ai dit au bon Dieu que je voulais que ce fût appliqué aux pécheurs ". - " Vous ne voulez donc pas que ce soit pour votre soulagement ? "- " Non ! "

Depuis son voyage de Rome, les âmes des prêtres l’attirèrent davantage que celle des pécheurs, parce qu’elle les savait plus chères à Notre Seigneur, et que la sanctification des âmes dépend d’eux en grande partie. A l’examen canonique qui précéda sa profession, elle répondit qu’elle était venue au Carmel pour sauver des âmes, mais surtout afin de prier pour les prêtres. Elle voulait conserver, dit-elle, ce sel de la terre en étant l’apôtre des apôtres, en priant pour eux pendant qu’ils évangélisent par leur parole et surtout par leurs exemples. C’est pour cela qu’elle fut si heureuse de s’associer spécialement aux oeuvres de deux missionnaires. C’est pour cela qu’elle ne cessa de prier pour la conversion du malheureux père Hyacinthe, offrant pour lui sa dernière communion.

Elle avait vu qu’on avait offert des couronnes mortuaires pour l’inhumation de mère Geneviève. Craignant qu’on en fît autant pour elle, elle me dit : " N’acceptez pas de couronnes pour mon cercueil, mais demandez l’argent que l’on aurait dépensé afin de l’employer à racheter deux petits enfants nègres que je protégerai. Je voudrais un petit Théophane et une petite Marie Thérèse " 13

 

[438] [Réponse à la trente-quatrième demande] :

Elle était très compatissante envers ses novices, et ne se rebutait pas de leurs défauts. Il y en avait plusieurs qui, au commencement, ne lui témoignaient que de la défiance, et l’une même, soeur Marie Madeleine, se cachait à l’heure qui lui avait été marquée pour recevoir ses conseils. Je l’ai vue alors plusieurs fois chercher la rebelle avec un visage calme et souriant, quand elle l’avait trouvée lui parler avec une douceur et une affection touchantes. En récréation, au lieu de rechercher la compagnie de ses soeurs selon la nature, elle s’approchait plutôt des religieuses qui lui étaient le moins sympathiques, ou qui avaient quelques peines, afin d’essayer de dissiper leur chagrin, en leur témoignant de l’affection. Elle me disait : " Je veux pratiquer la recommandation de Jésus : ‘Quand vous faites un festin, n’invitez pas vos parents et vos amis, de peur qu’ils ne vous invitent à leur tour, et qu’ainsi vous ayez reçu votre récompense, mais invitez les pauvres... et vous serez heureux de ce qu’ils ne pourront vous rendre, et votre Père céleste qui voit dans le secret, vous en récompensera’ " 140.

Pendant ses grandes retraites annuelles, où nous aimons tant à rester dans une entière solitude, elle laissait soeur Marthe, sa novice, demander à la mère prieure de faire sa retraite avec elle. Elle acceptait volontiers ce véritable sacrifice, et passait une heure entière chaque jour avec cette pauvre petite soeur inintelligente. De plus, pour l’encourager à [439] faire certaines mortifications humiliantes au réfectoire, elle les faisait avec elle.

Elle ne se plaignait jamais de mère Marie de Gonzague, malgré son injustice et parfois sa dureté à son égard. Au contraire, elle la consola dans ses peines. Après les élections de 1896, mère Marie de Gonzague resta blessée au vif de l’affront qu’elle avait subi, n’ayant été élue qu’après sept tours de scrutin ; elle qualifiait cela d’ingratitude épouvantable. Elle allait confier son chagrin à soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus qui, bien doucement, avec beaucoup de respect, essayait de l’éclairer et lui insinuait qu’elle pouvait tirer de cette humiliation un grand profit pour son âme.

Jamais la Servante de Dieu ne repoussait personne. Elle agit ainsi jusqu’au dernier jour de sa vie. Le 30 juillet, après qu’elle avait reçu le saint viatique et l’extrême-onction, plusieurs soeurs voulurent lui parler, sans lui laisser achever son action de grâces. Elle me dit ensuite : " Je n’ai pas repoussé les soeurs, parce que j’ai voulu imiter Notre Seigneur. Il est dit dans l’Évangile que lorsqu’il se retirait au désert, le peuple l’y suivait et qu’il ne le renvoyait pas ".

Une soeur qui était très jalouse d’elle et ne manquait pas une occasion de la mortifier, mettait sa charité à contribution en lui demandant d’orner de peintures les ouvrages qu’elle confectionnait pour la fête de la mère prieure. Comme cette pauvre [440] soeur était très originale, elle demandait des sujets tout à fait bizarres ; jamais soeur Thérèse ne lui refusait son concours ; elle se donnait la peine de chercher des modèles de tout ce que désirait cette soeur, et travaillait selon ses indications singulières et de mauvais goût. (Cette religieuse a aujourd’hui quitté l’Ordre et est rentrée dans le monde). En 1897, la dernière année de sa vie, soeur Thérèse peignit encore de petits ouvrages pour cette soeur. C’est la dernière fois qu’elle se servit de ses pinceaux. Il semblerait qu’il suffisait de faire souffrir soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus pour en obtenir tout ce qu’on voulait.

Ad XXXV [Réponse à la trente-cinquième demande] :

Dès sa petite enfance, Thérèse faisait l’aumône aux pauvres avec la plus grande joie. Aux Buissonnets, elle était chargée d’aller recevoir les mendiants à la porte, elle plaidait leur cause auprès de nous pour obtenir le plus possible en leur faveur.

Au Carmel, elle aurait désiré d’être infirmière pour se dévouer auprès des soeurs malades et pour entendre, disait-elle, au jour du jugement, cette parole de Notre Seigneur : " J’étais malade et vous m’avez visité ".

Elle demanda comme une grande faveur et obtint la permission de conduire chaque soir au réfectoire une pauvre soeur converse infirme, soeur Saint-Pierre, et je l’ai vue accomplir longtemps cet acte de charité avec un soin et une délicatesse touchants, et d’autant [441] plus méritoires que la soeur était très difficile à satisfaire et lui faisait souvent des reproches.

Elle aurait voulu encore soulager et guérir les missionnaires malades. " Je suis convaincue - me disait-elle - de l’inutilité des remèdes pour me guérir, aussi je me suis arrangée avec le bon Dieu pour qu’il en fasse profiter de pauvres missionnaires qui n’ont ni le temps ni les moyens de se soigner. Je lui demande que tout ce qu’on me donne serve à leur guérison ".

[Réponse à la trente-sixième demande] :

Même quand elle souffrait le plus à l’infirmerie, elle ne manquait pas de réciter chaque soir les six Pater et Ave pour les âmes du purgatoire. " Ça ne plaît pas au démon - disait-elle - car il fait tout ce qu’il peut pour me les faire oublier, mais c’est bien rare qu’il y arrive " tel. Elle avait conjuré qu’on lui laissât la permission de réciter, jusqu’au complet épuisement de ses forces, l’office des morts prescrit pour les soeurs défuntes de nos monastères.

Je sais, par soeur Geneviève de sainte Thérèse, que la Servante de Dieu avait fait le " voeu héroïque " en faveur des âmes du purgatoire. Peut-être soeur Thérèse me l’a-t-elle dit elle-même, mais je ne me le rappelle pas assez sûrement.

Elle me disait aussi : " Je veux bien aller en purgatoire, je serais même heureuse d’y aller, si par là je pouvais délivrer d’autres âmes, car alors je ferais du bien, je délivrerais les captifs ".

 

[442] Ad XXXVII [Réponse à la trente-septième demande] :

Dès son plus bas âge, la Servante de Dieu eut une idée vraie de la solide vertu. Nous la voyions s’exercer à faire des sacrifices, et nous l’entendions dire des paroles qui prouvaient combien elle était sérieuse et réfléchie.

A la mort de ma mère elle n’avait que quatre ans et demi, et cependant ses impressions furent aussi profondes que les nôtres. Cette épreuve mûrit beaucoup son âme.

Elle eut dès son enfance le pressentiment que son existence serait courte. Elle me l’a dit, et j’en ai pris note dans mes petits cahiers. En conséquence, elle s’appliquait à éviter le mal et à saisir toutes les occasions de faire des actes de vertu pour se rapprocher davantage du bon Dieu et du ciel. Elle avait un goût tout particulier pour les sciences religieuses ; l’aumônier du pensionnat l’appelait son " petit docteur " 146.

Elle aimait peu les jeux, et écoutait plus volontiers les conversations sérieuses. Dès l’âge de six ans, environ, elle recherchait déjà la solitude, celle de la campagne surtout, se tenant à l’écart dans les prairies, quand mon père l’emmenait avec lui à la pêche, et laissant pénétrer son âme pendant des heures entières de la douce présence de Dieu.

Elle me raconta, au Carmel, l’impression que lui fit, tout enfant, un livre pour la jeunesse que ma tante, madame Guérin, lui avait mis entre les mains. Dans le cours de l’histoire on louait beaucoup une maîtresse [443] de pension, parce qu’elle savait adroitement se tirer d’affaire. Elle disait à une élève : " vous n’avez pas tort ", à une autre : " vous avez raison ". - " Mais, c’est très mal, cela -se dit la Servante de Dieu-, il ne faut dire que ce qu’on pense ". Elle me disait en rapportant ce trait : " Je n’ai pas changé de sentiment, et c’est toujours ainsi que je fais avec les novices. J’ai plus de difficultés, c’est certain, car rien n’est plus facile que de mettre les torts sur les absents. Je fais tout le contraire, mon devoir est de dire la vérité aux âmes qui me sont confiées, et je la dis ".

[Session 16 : - 12 juillet 1915, à 9h. et à 2h. de l’après-midi]

 

[446] [Suite de la réponse à la même demande] :

" Quand j’étais en pension à l’Abbaye -me dit-elle-, en voyant les petites habiletés de certaines pensionnaires pour gagner les bonnes grâces et l’affection de leurs maîtresses, j’aimais à me rappeler ces paroles de l’imitation : ‘Laissez ceux qui s’agitent, s’agiter tant qu’ils voudront, pour vous, demeurez en paix’, et je sentais que le bon Dieu voulait m’éloigner, non seulement des séductions du [447] monde, mais de toute vaine attache à la créature, qui trouble le coeur, même si elle est innocente, parce qu’il est impossible de ne pas tomber dans l’excès " 148.

A propos des difficultés nombreuses et si grandes qu’elle rencontra pour entrer au Carmel à 15 ans, elle m’écrivit de Rome, après l’audience du pape, alors que le but de son voyage semblait manqué :

" Ma nacelle a bien de la peine à atteindre le port ! Depuis longtemps je l’aperçois, et toujours je m’en trouve éloignée ; mais Jésus la guide, cette petite nacelle, et je suis sûre qu’au jour choisi par lui, elle abordera heureusement au rivage béni du Carmel " 149.

Au retour de son voyage de Rome, elle fut d’abord tentée de mener une vie moins mortifiée que de coutume, mais elle reconnut que c’était une tentation et se livra plus que jamais à une vie sérieuse et sainte, s’appliquant à briser sa volonté, à retenir une parole de réplique, à rendre de petits services sans les faire valoir.

Au sujet des pensées de tristesse et de découragement qu’on peut avoir après une faute, elle me dit : " Pour moi, je me garde bien de me décourager. Je dis au bon Dieu : ‘Mon Dieu, je sais que ce sentiment de tristesse que j’éprouve, je l’ai mérité, mais laissez-moi vous l’offrir tout de même, comme une épreuve que vous m’envoyez par amour. Je regrette mon péché, mais je suis contente d’avoir cette souffrance à vous offrir’ " 150.

 

[448] Elle me dit, un autre jour : " Je suis toujours contente ; je m’arrange, même au milieu de la tempête, de façon à rester bien calme au dedans. Si l’on me raconte des combats, je tâche de ne pas m’animer pour ou contre celles-ci ou celles là " 151

Dans une circonstance où personne ne l’avait comprise, elle était demeurée en silence, et nous lui en demandâmes la raison. Elle répondit d’un air profond : " La Sainte Vierge a bien gardé toutes choses dans son coeur, on ne peut pas m’en vouloir de faire comme elle " 162,

Vers la fin de sa vie, un jour où je la ramenais dans sa petite voiture du jardin à l’infirmerie, elle me dit : " Cette après-midi, ces paroles de Notre Seigneur à sainte Thérèse me sont revenues en mémoire : ‘Ma fille, sais-tu ceux qui m’aiment véritablement ? Ce sont ceux-là qui se conduisent en cette vie d’après la persuasion intime que tout ce qui ne se rapporte pas à moi, n’est que mensonge’ ". " Oh ! ma mère, ajouta-t-elle, comme c’est vrai ! oui, tout en dehors de Dieu n’est que pure vanité " 163.

Une autre fois, croyant la distraire, je lui parlai du voyage en France de l’empereur et de l’impératrice de Russie. Elle soupira et me dit : " Ça ne m’intéresse pas tout ça ! Qu’on me parle seulement du bon Dieu, des exemples des saints, de ce qui est vrai enfin ".

[449] [En ce qui concernait sa propre vie spirituelle, la Servante de Dieu demandait-elle conseil et cela notamment à des directeurs spirituels ?]

Quand soeur Thérèse de l’Enfant Jésus dit, dans sa vie, que " sa voie était si lumineuse qu’elle ne sentait pas le besoin de recourir à d’autres guides que Jésus ", quand elle ajoute que " les directeurs sont des miroirs qui reflètent Dieu dans les âmes, mais que pour elle, Dieu l’éclairait directement " 166, elle ne pose pas en principe que toujours elle est directement éclairée de Dieu et n’a pas besoin du conseil des directeurs. Elle parle d’un moment déterminé de sa vie où effectivement aucune obscurité ne rendait sa voie incertaine ; il s’agit des deux ans qui ont précédé son entrée au Carmel. Mais au Carmel le soleil se voila pour la Servante de Dieu, et elle chercha avidement à être éclairée, se défiant d’ailleurs de ses propres lumières. Je l’ai vue consulter, non seulement les prêtres, mais dans le monastère, celles qui avaient autorité sur elle, et même d’autres mères anciennes, comme mère Geneviève, notre fondatrice, mère Coeur de Jésus, ancienne prieure du Carmel de Coutances, et suivre aussi mes conseils personnels.

Je sais qu’elle confiait tout aux prêtres : ses craintes d’offenser Dieu, ses désirs de devenir une sainte, les grâces qu’elle recevait du ciel ; elle pria le père Alexis de sanctionner sa voie d’abandon et de confiance ; elle soumit aux prêtres son acte d’offrande à l’amour miséricordieux ; enfin elle demanda à plusieurs aide et consolation pour se conduire avec prudence dans sa grande épreuve [450] contre la foi. Elle disait, sur son lit de mort : " Il n’y a personne de moins sûre d’elle-même que je ne le suis " 156. Bien qu’elle se sentît très attirée vers la voie de l’amour et de l’abandon, elle ne s’y livra avec pleine confiance qu’après que le père Alexis lui eût dit qu’elle était dans le bon chemin, ce que ne disaient pas plusieurs directeurs avant lui. " Jusque là, écrit-elle, je n’osais avancer sur les flots de la confiance qui pourtant m’attiraient si fort " 167.

[Réponse à la trente-huitième demande] :

Soeur Thérèse de l’Enfant Jésus était, à la fois, d’une grande simplicité et d’une grande prudence dans les conseils qu’elle donnait aux âmes. D’ailleurs, elle réfléchissait et priait avant d’agir. C’est surtout dans la méditation du saint Évangile qu’elle trouvait sa ligne de conduite. Elle me répéta un jour avec beaucoup d’onction ces paroles de Notre Seigneur : " Le Père céleste donnera le bon esprit à ceux qui le lui demandent " ; et elle ajouta avec une

" Ma mère, il n’y a qu’à le demander " 158. Lorsqu’elle était encore novice, elle avait pour compagne de noviciat soeur Marthe de Jésus, qui se laissait tromper par une affection naturelle pour mère Marie de Gonzague, et obtenait ses faveurs par des flatteries. Soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus résolut, un jour, de l’éclairer pour la faire sortir de cette mauvaise voie. Elle se prépara par la prière à une entrevue bien dangereuse pour elle, car soeur Marthe [451] pouvait la trahir auprès de mère Marie de Gonzague qui était prieure, et l’heure de l’entretien venue, elle parla avec une telle autorité et prudence célestes que la coupable fut terrassée par la grâce et prit de bonnes résolutions pour l’avenir.

Mais je vais rapporter plus particulièrement des conseils qu’elle m’a donnés à moi-même, conseils qui manifestent sa grande prudence et la sûreté de ses directions spirituelles.

Un jour, je lui demandai conseil, étant prieure. " Une mère prieure, me dit- elle, devrait toujours laisser croire qu’elle n’a aucune peine. Cela donne tant de force de ne point confier ses peines ! Par exemple, il faut éviter de dire : Vous avez de la peine, moi, j’en ai bien aussi avec telle soeur, etc. ".

A propos des pénitences extraordinaires, elle me dit : " Le bon Dieu m’a fait comprendre que les satisfactions naturelles peuvent très bien se mêler à la pénitence la plus austère, il faut s’en défier " .

Elle me dit, un autre jour : " Quand une soeur nous confie quelque chose, même de peu d’importance, qu’elle nous demande de tenir secrète, c’est sacré, il ne faut jamais en parler à personne " .

Elle une autre fois, à moi et à mes deux soeurs, alors que nous sortions du parloir : " Faites bien attention à la régularité. Après un parloir, ne vous arrêtez pas pour parler entre vous ; car alors, c’est comme chez soi, on ne se prive de rien... Quand je ne serai plus là, faites bien attention à ne pas mener [452] entre vous la vie de famille " 162.

N’étant plus prieure, j’avais reçu plusieurs fois, par compassion, la confidence de soeur Marie de Saint-Joseph. Je demandai à soeur Thérèse de l’Enfant Jésus ce qu’elle en pensait : " Ma mère, me répondit-elle sans aucune hésitation, à votre place, je ne la recevrais pas : vous n’êtes plus prieure, c’est une illusion de penser qu’on peut faire du bien en dehors de l’obéissance ; non seulement vous ne pouvez pas faire du bien à cette pauvre âme en l’écoutant, mais vous pouvez lui faire du mal et vous exposer vous-même à offenser le bon Dieu ".

Enfin, au sujet des fraternités spirituelles, par lesquelles une union de prières et de sacrifices s’établissait entre un prêtre et une religieuse, elle me prévint pendant sa dernière maladie que, plus tard, un grand nombre de jeunes prêtres, sachant qu’elle a été donnée comme soeur spirituelle à deux missionnaires,

demanderont la même faveur. Elle m’avertit que ce pourrait être un vrai danger : " N’importe laquelle des soeurs pourrait écrire ce que j’écris, et recevrait les mêmes compliments, la même confiance. C’est par la prière seulement et par le sacrifice que nous pouvons être utiles à l’Église. La correspondance doit être rare et il ne faut pas la permettre du tout à certaines religieuses qui en seraient préoccupées, croiraient faire des merveilles, et, en réalité, ne feraient que blesser leur âme, et tomber peut-être dans les pièges subtils du démon ".

 

[453] [Réponse à la trente-neuvième demande] :

En tout, soeur Thérèse avait le sentiment de la justice. Elle avait voué à Dieu l’obéissance la plus entière et toute la reconnaissance et l’amour de son coeur. Elle avait une juste idée des droits de Dieu qu’elle servait d’ailleurs sans compter, suivant plutôt les impulsions de son amour généreux qui la portaient bien au delà des exigences du devoir. Elle détestait les petites dévotions de bonne femme qui parfois s’introduisent dans les communautés. Les recueils de prières lui faisaient mal à la tête ; elle disait qu’en dehors du saint office, le Pater et l’Ave lui suffisaient pour embraser son coeur.

Quand elle était toute petite, elle se préoccupait, chaque soir, de savoir si elle avait rempli ses devoirs envers Dieu.

Elle me demandait dans son langage d’enfant : " Pauline, est-ce que j’ai été mignonne aujourd’hui ? Est-ce que le bon Dieu est content [454] de moi ? ".

Elle m’a exprimé bien des fois sa tendre reconnaissance envers Dieu. L’ " Histoire de la Servante de Dieu " n’est tout entière qu’un hymne de reconnaissance. On y lit dès les premières lignes : " Je vais commencer à chanter ce que je dois redire éternellement : les miséricordes du Seigneur " 166. Elle y bénit le bon Dieu de tout, particulièrement de ses épreuves au point de faire croire à plusieurs qu’elle n’a eu que des joies. " C’est une vie à l’eau de rose ", ont osé dire certains lecteurs !

Ce sentiment de la reconnaissance était si profond dans son coeur qu’il allait jusqu’à lui faire répandre des larmes, parfois à l’occasion de faits insignifiants, comme fut la rencontre, au jardin, d’une petite poule blanche abritant ses poussins sous ses ailes : " Parce que, dit-elle- cette vue est comme l’image des bontés de Dieu à mon égard " 167.

Enfin, je l’ai entendue dire pendant sa maladie : " Quand je pense à toutes les grâces que le bon Dieu m’a faites, je me retiens pour ne pas verser continuellement des larmes de reconnaissance " 168

Je me sentais comme pressée de recueillir ces larmes précieuses. Chaque fois que je le pouvais, je les essuyais avec un linge fin qui en était entièrement imbibé, et la Servante de Dieu, par condescendance et affection pour moi, me laissait faire avec une touchante simplicité.

 

[455] [Réponse à la quarantième demande] :

J’ai peu de chose à dire sur cette question.

La Servante de Dieu m’a dit, le 8 août 1897, à propos de ce qu’elle pensait, étant enfant, sur l’inégalité des conditions, ici-bas : " J’avais grand pitié des personnes qui servaient. En constatant la différence qui existe entre les maîtres et les serviteurs, je me disais : Comme cela prouve bien qu’il y a un ciel où chacun sera placé selon son mérite intérieur ! Comme les pauvres et les petits seront bien récompensés des humiliations qu’ils ont subies sur la terre ! ".

Sa reconnaissance s’étendait à tous ceux qui lui faisaient du bien.

Aux âmes dont elle était chargée, elle distribuait justement bonté et sévérité. Après une forte réprimande, adressée à une novice, celle-ci, d’abord révoltée, lui dit bientôt après : " Vous m’avez fait du bien, je reconnais que tout ce que vous m’avez dit est très juste " 170.

Elle recommandait aux novices de maintenir la paix entre elles en se faisant de justes concessions, et surtout de prendre garde à la jalousie. Pour sa part, elle me disait : " Jamais je n’ai désiré ce que j’ai cru voir aux autres de mieux que ce que j’avais. Toujours ce que le bon Dieu m’a donné m’a plu " 171.

C’est peut-être ici le moment de rapporter ce qui a trait à son amour de la vérité.

Dans son enfance, elle manifestait beaucoup de franchise et s’accusait spontanément de ses [456] moindres fautes.

A la fin de sa vie, je lui demandai de dire quelques paroles d’édification au docteur qui la soignait. Elle me répondit : " Ah ! ma mère, ce n’est pas ma manière à moi ; que le docteur pense ce qu’il voudra, je n’aime que la simplicité, j’ai horreur du contraire. Je vous assure que de faire comme vous désirez, ce serait mal de ma part " 172.

Le 9 juillet, notre père supérieur était venu la visiter pour voir s’il était à propos de lui donner l’extrême-onction, mais il ne la trouva pas assez malade, tellement elle avait réussi à se montrer aimable et souriante. Je lui fis ensuite la réflexion qu’elle ne savait pas s’y prendre pour obtenir ce qu’elle voulait du supérieur, qu’elle n’avait pas l’air du tout malade quand elle recevait sa visite. Elle me répondit gentiment : " Je ne connais pas le métier ! " 173 (de prendre de petits moyens pour obtenir ce que l’on veut).

[Réponse à la quarante-et-unième demande] :

Dès sa première jeunesse, dans le but de vaincre les attraits des sens, je l’ai vue appliquée à la mortification, mais toujours avec plus de simplicité et de modération à mesure qu’elle approchait de la fin de son exil. Elle ne voulait pas d’une mortification préoccupante, capable d’empêcher son esprit de s’appliquer à Dieu. Elle me disait que le démon trompait souvent certaines âmes généreuses mais imprudentes, les poussant à des excès qui nuisent à leur santé et les [457] empêchent de remplir leur devoir. Elle y voyait aussi le danger de se complaire en soi-même. Elle m’avoua que dans le commencement de sa vie religieuse, elle avait cru bien faire, pour imiter les saints, de s’ingénier à rendre les aliments insipides, " mais j’ai laissé cette manière-là depuis longtemps - me dit-elle -. Quand la nourriture est à mon goût, j’en bénis Dieu ; quand elle est mauvaise, c’est alors que j’accepte la mortification. Cette mortification non cherchée me paraît la plus sûre et la plus sanctifiante " 174.

Elle aurait cru pécher contre la tempérance, en ne jouissant pas, quand elle y était attirée par une pensée d’amour et de reconnaissance envers Dieu, des charmes de la nature, de la musique, etc. Elle me disait que l’amour étant l’unique but à atteindre, l’action dans laquelle nous mettons plus d’amour, serait-elle en soi indifférente, doit être préférée à une autre, peut-être meilleure en elle-même, mais dans laquelle nous mettrions moins d’amour.

Le 8 août 1897 (mois qui précéda sa mort), parlant de ses souvenirs d’enfance, soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus me dit : " Si Notre Seigneur et la Sainte Vierge n’avaient eux-mêmes pris part à des festins, jamais je n’aurais compris l’usage d’inviter à sa table parents et amis. Je me disais : ‘Pour manger, je trouve qu’on devrait se cacher ou du moins rester en famille " 175

Elle était très mortifiée dès son jeune âge, je ne l’ai jamais vue faire le plus petit acte de gourmandise. Aux repas, elle mangeait ce qu’on lui présentait sans [458] témoigner ni répugnance ni empressement.

Soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus n’eut jamais, au Carmel, de préférence marquée pour ses trois soeurs ; même en récréation, elle ne recherchait jamais leur compagnie, sans cependant affecter de les fuir ; elle allait indistinctement avec n’importe quelle soeur ; et très souvent, la soeur avec laquelle elle s’entretenait plus volontiers était celle qui était seule, délaissée.

Durant les priorats de mère Marie de Gonzague, soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus se priva toujours de me faire confidence de ses luttes, de ses répugnances, quoiqu’il lui eût été facile d’en obtenir la permission.

Elle veillait, avec moi comme avec les autres, à ne point s’excuser, à ne me dire aucune parole inutile ; elle se laissait juger, même par moi, selon des apparences souvent trompeuses et défavorables.

Mère Marie de Gonzague étant prieure, avait établi l’usage de voir, tous les huit jours, les soeurs qui le voulaient, au lieu d’une fois le mois comme il est écrit dans les Constitutions. Lorsque je devins prieure en 1893, les soeurs continuèrent à venir chez moi tous les huit jours, mais soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus aurait cru se rechercher elle-même en les imitant, et ce fut elle que je vis le moins souvent.

Elle supportait avec joie, sans chercher à s’en délivrer, les souffrances qui s’imposaient à elle. Elle me raconta qu’étant réfectorière, une soeur voulut rattacher son scapulaire et lui traversa en même temps l’épaule avec la grande épingle qui sert à l’attacher. Je lui [459] demandais combien de temps elle avait souffert cela : " Plusieurs heures, me répondit-elle ; je suis allée à la cave remplir les bouteilles, je les ai rapportées dans les paniers, j’étais si contente ! Mais à la fin, j’ai eu peur de ne plus être dans l’obéissance, puisque notre mère n’en savait rien " 176.

Dans sa dernière maladie, elle ne voulut jamais prier pour obtenir la diminution de ses maux, et se contentait de dire, même au milieu de ses crises les plus douloureuses : " Mon Dieu, ayez pitié de moi, vous qui êtes si bon ! " 177.

Le 19 juillet 1897 (elle était alors très malade), monsieur l’aumônier étant venu la voir, elle me dit quelques heures après : " J’avais bien envie tantôt de demander à soeur Marie du Sacré-Coeur, ce que monsieur l’aumônier lui avait dit de mon état après sa visite. Je pensais en moi-même que je trouverais du profit et de la consolation à le savoir. Mais en réfléchissant, je me suis dit : Non, c’est de la curiosité, cela, et, puisque le bon Dieu ne permet pas qu’on me le dise, c’est signe qu’il ne veut pas que je le sache’. Alors j’ai évité de mettre la conversation sur ce sujet, de peur qu’à la fin soeur Marie du Sacré-Coeur ne se trouve comme amenée naturellement à me satisfaire " 178.

A propos du manuscrit de sa vie, je le reçus de sa main le 20 janvier 1896,

et le posai près de moi sans l’ouvrir. La Servante de Dieu n’en entendit plus parler. Deux mois après, je me décidai enfin à le lire. Dans cet intervalle, je ne me rappelle pas qu’elle m’en [460] ait parlé une seule fois.

[Session 17 : - 13 juillet 1915, à 9h. et à 2h. de l’après-midi]

 

[463] [Réponse à la quarante-deuxième demande] :

Soeur Thérèse de l’Enfant Jésus était une âme extrêmement active et énergique, sous des dehors doux et gracieux ; elle révélait à tout instant dans ses actes un caractère fortement trempé et une âme virile. Son abandon paisible entre les mains de Dieu venait de son amour pour lui. Mais ce n’était pas un repos sans travail : son amour cherchait un aliment dans le sacrifice. Si la Servante de Dieu était contemplative, sa contemplation la poussait à l’action pour le salut des âmes. Elle disait : " C’est par la prière et le sacrifice que nous pouvons être utiles à l’Église " 179. A 14 ans, elle m’écrivait : " Je veux me donner toute entière à Jésus, toujours souffrir pour lui... Que je serais heureuse, si au moment de ma mort je pouvais seulement offrir à Jésus une âme que j’aurais sauvée par mes sacrifices ".

A 16 ans, pendant sa retraite de prise d’habit, elle m’écrivait, à propos

de petites persécutions très sensibles qu’elle endurait de la part de plusieurs soeurs : " Oui, je les désire, ces blessures de coeur, ces coups d’épingle qui font tant souffrir ; à toutes les extases, je préfère les sacrifices " 181,

Tout, dans sa vie religieuse, m’a révélé un très [464] grand attrait pour le don généreux d’elle-même. Elle exprime ses vrais sentiments quand elle dit : " Souffrir, c’est ce qui me plaît de la vie,... il n’y a qu’une seule chose à faire ici-bas, jeter à Jésus les fleurs des petits sacrifices " 182.

Vers la fin de sa vie, elle me dit : " Je voudrais bien être envoyée au Carmel de Hanoi pour souffrir beaucoup pour le bon Dieu ; je voudrais y aller, si je guéris, pour être toute seule, pour n’avoir aucune consolation, aucune joie sur la terre " 183.

Les médecins ne lui donnaient plus que quelques jours de vie ; elle souffrait atrocement, quand elle me dit : " Si je guérissais, les médecins seraient bien étonnés ; mais ils le seraient peut-être davantage, eux qui savent mon désir de mourir, quand je leur dirais : Messieurs, je suis très contente d’être guérie pour servir encore le bon Dieu... J’ai souffert comme si je devais mourir, mais je recommencerai volontiers une autre fois " 184.

Dans un moment de crise, elle gémissait doucement. S’en apercevant elle dit : " Oh ! comme je me plains ! Et pourtant, je ne voudrais pas moins souffrir " 185,

Quelques jours avant sa mort, elle me dit textuellement : " Ce que j’ai dit et écrit est vrai sur tout... C’est vrai que je voulais beaucoup souffrir pour le bon Dieu, et c’est vrai que je le désire encore ",

Je pourrais citer beaucoup d’exemples de la force surnaturelle que soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus déployait dans le service du bon Dieu. Je l’ai vue [465] constamment appliquée à se vaincre, car, malgré les apparences, elle a beaucoup souffert ici-bas, moralement et physiquement ; et je trouve qu’elle a été d’autant plus forte devant Dieu, qu’elle a su cacher aux créatures, sous les dehors du calme et d’une joyeuse amabilité, ses souffrances réelles. Elle y réussissait si bien que plusieurs dans la communauté croyaient qu’elle n’avait rien à souffrir. Jamais, dans ses plus grandes épreuves intérieures ou extérieures, elle ne se relâcha de sa fidélité dans l’accomplissement de tous ses devoirs ; jamais elle ne faisait paraître de lâcheté et de paresse.

Je vais citer quelques traits particuliers.

Dès sa petite enfance, elle avait pris l’habitude de ne jamais se plaindre et de ne pas s’excuser.

Au Carmel, surtout au temps de la petite soeur Thérèse, à cause des conditions de milieu que j’ai déjà exposées, les occasions de heurts, de froissements, par conséquent de souffrances, étaient continuels. Des âmes, même excellentes et très vertueuses, laissaient voir des marques d’impatience et de mécontentement. Je puis témoigner que, jamais, soeur Thérèse, même à l’occasion de ce qui lui arrivait de plus humiliant et de plus pénible, ne se départit de son calme, de sa douceur, de sa charité toujours aimable. J’estime que, pour qui connaît l’âme humaine et la vie de communauté, ce n’est pas là une preuve négligeable de force surnaturelle. Elle fut portière deux ans à peu près avec soeur Saint Raphaël, qui était très lente, excessive [466]ment maniaque et sans intelligence. On disait qu’elle ferait impatienter un ange. Le bon Dieu seul peut compter les victoires d’humilité et de patience que remporta alors la Servante de Dieu.

La pauvre soeur Marie de Saint-Joseph, maintenant rentrée dans le monde, obtint de moi la permission de lui demander des conseils. La soeur, dont je parle, n’avait que de bonnes intentions, mais avec son pauvre esprit malade elle fit endurer un vrai martyre à son héroïque conseillère, laquelle ne se lassa jamais de lui consacrer son temps et ses forces. Bien plus, en 1896, étant déjà bien malade, soeur Thérèse demanda, comme une grâce, d’être affectée à la lingerie comme aide de la même soeur, Marie de Saint-Joseph. Or, jamais cette religieuse n’avait eu d’auxiliaire dans SA charge, car la mère prieure jugeait avec raison qu’on ne pouvait imposer à qui ce soit un si lourd fardeau. Elle accorda pourtant à la Servante de Dieu, sur sa demande, de se joindre ainsi à soeur Marie de Saint-Joseph, et, jusqu’à ce que la maladie l’eût complètement terrassée, elle resta avec un dévouement parfait et sans la moindre impatience au service de cette singulière maîtresse.

Une autre fois, la Servante de Dieu me confia la lutte intime et très vive qu’elle eut à soutenir au sujet d’une lampe veilleuse qu’on lui avait demandé de préparer pour la soeur et le petit neveu de mère Marie de Gonzague, car les parents de cette mère prieure, contrairement à nos usages, venaient [467] assez souvent, les uns ou les autres, loger dans le bâtiment extérieur des tourières.

[Suite de la réponse à la quarante-deuxième demande] :

" Le diable, me dit-elle, me tentait violemment de révolte, non seulement contre la lampe qui me faisait perdre un temps précieux, mais contre les agissements de notre mère, qui mettait une partie de la communauté au service de sa famille, et tolérait pour les siens ce qu’elle n’aurait jamais voulu permettre. pour les familles des autres soeurs. Mais je vis bien que j’allais offenser le bon Dieu et je lui demandai la grâce d’apaiser la tempête qui s’était élevée en moi. Je fis un grand effort sur moi-même, et me mis à préparer la veilleuse, comme si elle était destinée à éclairer la Sainte Vierge et l’Enfant Jésus. J’y pris un soin incroyable, n’y laissant pas le moindre grain de poussière. Alors mon coeur s’apaisa, et je me trouvai dans la disposition sincère de rendre [468] toute la nuit des services aux parents de notre mère, si on me les avait demandés ".

[La Servante de Dieu manqua-t-elle parfois à son égalité d’humeur à l’égard de mère Marie de Gonzague ?] :

Je reconnais que, dans une seule circonstance, la Servante de Dieu blâma ouvertement, sans cesser d’être juste, la conduite de mère Marie de Gonzague dans la circonstance que je vais expliquer :

C’était au mois de janvier 1896. J’étais prieure, et je devais rester dans cette charge jusqu’au 20 février. Mère Marie de Gonzague était maîtresse des novices. Soeur Geneviève arrivait à la fin de son année de noviciat, et, d’après les usages de notre saint Ordre, pouvait être admise à la profession à la date du 6 février. Il était donc question de la présenter au chapitre, et, au cas probable où elle serait acceptée, de lui faire faire profession entre mes mains avant les élections qui n’eurent lieu que le 21 mars. Mère Marie de Gonzague qui espérait être élue prieure, voulut ajourner jusqu’après les élections l’admission de soeur Geneviève à la profession. Notre père supérieur en jugea autrement. Mère Marie de Gonzague en fut très mécontente et dit qu’elle ne donnerait pas sa voix en faveur de la novice, et commença une campagne auprès des soeurs capitulantes pour faire envoyer soeur Geneviève au Carmel de Saigon qui demandait des sujets. Sur ces entrefaites, pendant une récréation, mère Marie de Gonzague étant absente, les soeurs mirent la conversation sur la situation faite à soeur Geneviève, quelques [469] unes d’entre elles laissant percer assez clairement la malveillance qui les animait envers les " quatre soeurs ", comme on avait coutume dans des circonstances analogues de nous désigner avec dédain, il y eut une invective particulièrement blessante pour soeur Geneviève à peu près en ces termes : " Après tout, la maîtresse a bien le droit d’éprouver cette novice comme une autre ". C’est alors que soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus dit avec une certaine émotion : " Il y a des formes d’épreuves qu’on ne doit pas employer " ls. C’est cette épreuve de retarder, pour un motif de jalousie, une profession religieuse et même de risquer de la perdre en déclarant publiquement qu’elle ne lui donnerait pas sa voix, que soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus appelle " une épreuve qu’on ne doit pas imposer ".

[Suite de la réponse] :

Une des plus grandes épreuves de la Servante de Dieu, comme de nous toutes, fut la maladie cérébrale de notre père. Quelque temps avant la prise d’habit de soeur Thérèse, les attaques de paralysie que mon père avait eues l’année précédente prirent une tournure des plus graves et des plus attristantes : on fut bientôt dans l’impossibilité de le soigner à la maison, et il entra dans une maison de santé spéciale pour aliénation mentale, le 12 février 1889. La Servante de Dieu ressentit cette épreuve d’une façon toute particulière, car mon père avait été tout pour elle. Notre chagrin était souvent avivé d’une façon cruelle par l’indiscrétion des conversations qu’on tenait devant nous. Un jour, [470] au parloir, nous entendîmes les choses les plus dures sur notre pauvre père ; on employait, en parlant de lui, des termes méprisants. D’autres fois, en récréation, la mère prieure appréciait ouvertement en notre présence la maladie de mon père, parlait du régime de la maison de santé, de ce que les fous font ou peuvent faire, des camisoles de force, etc. Or, à cette époque terrible de nos peines, soeur Thérèse, bien qu’elle n’eût que 16 ans, ne recherchait jamais de consolations ni auprès de soeur Marie du Sacré-Coeur, ni auprès de moi. C’est nous qui, au contraire, allions à elle pour être consolées. Elle avoue seulement dans son Histoire que " son désir de souffrances était comblé " 199. A maintes reprises, elle nous disait, avec un calme parfait, qu’il fallait considérer cette épreuve comme une des plus grand des grâces de notre vie.

Voici encore quelques traits relatifs à son courage dans les souffrances corporelles.

Elle avait toujours eu la gorge très délicate. Deux ans avant ses hémorragies pulmonaires, elle en souffrit bien davantage, surtout lorsqu’elle aidait à la lessive, qu’elle lavait la vaisselle et balayait, à cause de la buée et de la poussière. Cependant elle ne se dispensait point de ces travaux.

En septembre 1896, on lui mit un grand vésicatoire ; très peu de temps après, elle vint à la messe et communia. Après l’action de grâces je montai à sa cellule ; je la trouvai exténuée, assise sur son pauvre petit banc, le dos appuyé contre la cloison de planches qui sépare sa cellule de l’oratoire de la Sainte Vierge. Je ne [471] pus m’empêcher de lui faire des reproches. Elle me répondit : " Je ne trouve pas que c’est trop souffrir pour gagner une communion " .

Elle toussait beaucoup, à cette époque, septembre 1896, surtout la nuit. Alors elle était obligée de s’asseoir sur sa paillasse pour diminuer l’oppression. Elle était alors si amaigrie qu’il lui était très pénible de rester assise des heures entières sur une couche aussi dure. J’aurais bien voulu qu’elle descendît à l’infirmerie ; mais elle disait qu’elle se plaisait mieux dans sa cellule. " Ici, disait-elle, on ne m’entend pas tousser et je ne dérange personne, et puis quand je suis trop bien soignée, je ne jouis plus ".

A l’infirmerie, nous finîmes par deviner qu’elle souffrait extrêmement d’une épaule, et nous voulûmes la soulager : " Laissez-moi ma petite douleur d’épaule - dit-elle, elle me fait penser au Portement de croix " 192.

[Réponse à la quarante-troisième demande] :

Il faut avoir vu la Servante de Dieu pour juger de sa pureté. Elle était comme enveloppée d’innocence, mais ce n’était pas d’une innocence enfantine, ignorante du mal, c’était une innocence éclairée qui a deviné la boue de ce monde et a résolu, avec le secours de la grâce, de ne pas en souiller son âme.

Dans une de ses poésies elle chantait :

" La chasteté me rend la soeur des anges je dois bientôt voler en leurs phalanges,

[472] mais dans l’exil, je dois lutter comme eux " 193

Elle pensait donc qu’il était nécessaire de lutter, et bien qu’elle m’ait révélé que jamais elle n’avait été tentée contre la sainte vertu, elle observait une grande vigilance pour garder jusqu’au dernier soupir l’intégrité de son trésor.

La petite Thérèse, enfant, portait sur elle, dans ses manières, dans son regard et son sourire, comme un reflet de pureté angélique.

Elle était très simple et dans une grande ignorance du mal, craignant de le découvrir, comme elle l’avoue dans sa vie, et confiant la garde de sa pureté à la Sainte Vierge et à saint Joseph.

Plus tard, elle comprit que tout est pur pour les purs. Voyant qu’elle était instruite des choses de la vie, je lui demandai qui lui avait donné cette connaissance. Elle me répondit qu’elle l’avait trouvée sans la chercher, dans la nature, en observant les fleurs et les oiseaux, et elle ajouta : " Mais la Sainte Vierge savait bien tout. Ne dit-elle pas à l’ange, au jour de l’Annonciation : Comment cela se fera-t-il, car je ne connais point d’homme ?...’. Ce n’est pas la connaissance des choses qui est mal. Le bon Dieu n’a rien fait que de très bien et de très noble. Le mariage est beau, pour ceux que Dieu appelle à cet état ; c’est le péché qui le défigure et le souille "’94.

Cependant je l’ai vue pleurer beaucoup, en sachant sa soeur Céline, avant son entrée en religion, exposée dans le monde à des dangers qui lui avaient été [473] inconnus.

Elle me dit vers la fin de sa vie : " Toujours mon corps m’a gênée, jamais je ne me suis trouvée à l’aise dedans ; toute petite je me faisais du chagrin d’avoir un corps " 195.

[Réponse à la quarante-quatrième demande] :

La Servante de Dieu m’a dit qu’elle s’était appliquée spécialement, au début de sa vie religieuse, à comprendre les obligations du voeu de pauvreté, parce qu’elle sentait qu’il lui faudrait faire de nombreux sacrifices pour y être fidèle, surtout à propos des objets à son usage, car elle aimait naturellement le beau, et que rien ne lui manque.

Je l’ai toujours vue parfaitement détachée des biens de ce monde qu’elle avait abandonnés joyeusement par amour pour Notre Seigneur.

Elle se laissait prendre, sans les redemander, les objets mêmes nécessaires dont elle se servait dans ses emplois.

Elle me disait ne pas tenir davantage aux biens de l’intelligence ou du coeur qu’à ceux de la terre ; elle laissait Dieu libre de disposer à son gré des uns et des autres pour sa gloire et au profit des âmes.

Elle se laissait donner, et choisissait même de préférence pour son usage les objets les plus laids et les moins commodes.

Elle avait grand soin de conserver les objets à son usage, et raccommodait ses vêtements jusqu’à [474] l’extrême usure.

Elle ne perdait jamais un instant. Lorsqu’on lui disait de ne pas se fatiguer, elle répondait que son voeu de pauvreté l’obligeait au travail.

Quand mère Marie de Gonzague lui demanda d’écrire la troisième partie de sa vie, elle trouvait trop beau le cahier, pourtant bien ordinaire, que j’avais choisi, et craignait de faire une faute contre la pauvreté en s’en servant. Elle me demanda s’il fallait, au moins, serrer les lignes pour économiser le papier. Il fallut lui prouver qu’elle était trop malade pour se fatiguer à écrire ainsi et l’obliger à espacer les lignes. La première partie du manuscrit est sur le papier le plus mince et le plus pauvre qu’on puisse trouver.

 

[Session 18 : - 14 juillet 1915, à 9h. et à 2h. de l’après-midi]

[477] [Réponse à la quarante-cinquième demande] :

A la lin de sa vie, j’ai entendu la Servante de Dieu convenir qu’elle n’avait jamais fait sa volonté sur la terre, que c’était pour cela que le bon Dieu ferait toutes ses volontés au ciel.

Je l’ai vue, en effet, dès son enfance, appliquée à obéir. Je ne me rappelle pas qu’elle m’ait une seule fois désobéi, même dans les moindres choses. Mes conseils mêmes étaient des ordres pour elle. Elle demandait des permissions pour tout. Lorsque, dans [478] l’après-midi, ses leçons étant apprises et ses devoirs terminés, mon père l’invitait à sortir avec lui, elle répondait toujours : " Je vais en demander la permission à Pauline " 196. Mon père l’engageait lui-même à cette soumission. Et si je refusais, elle ne raisonnait pas et ne manifestait aucune impatience malgré son vif désir d’obtenir.

Je me souviens que le soir, pour dompter sa frayeur des ténèbres, je l’envoyais seule, n’importe où, dans la maison et même dans le jardin. Elle m’obéissait sans réplique, malgré sa peur qu’elle finit par vaincre entièrement.

Elle aimait beaucoup la lecture, mais lorsque l’heure de cette récréation était terminée, elle fermait aussitôt le livre, sans jamais se permettre de lire un mot de plus.

Dans un des livres mis à sa disposition, se trouvait une image que je lui avais défendu de regarder. Si par hasard le livre s’ouvrait à cette page, elle se hâtait de le refermer.

Elle manifestait une sainte frayeur de se conduire seule : " Ma liberté me faisait peur ", écrit-elle en rappelant le souvenir de ce qu’elle demanda à Notre Seigneur le jour de sa première communion.

Au Carmel, son voeu d’obéissance ne fut pas une vaine promesse. Elle se soumettait, non seulement de fait, mais de jugement, et enseignait à ses novices cette parfaite manière d’obéir.

Son obéissance était toute surnaturelle. [479] C’était au bon Dieu qu’elle entendait obéir en la personne de ses supérieurs et même de ses inférieurs qui, de loin, lui révélaient aussi quelque chose de la volonté de Dieu.

Elle appelait l’obéissance sa boussole infaillible : " Qu’il m’est doux, écrivait- elle à mère Marie de Gonzague - de fixer sur vous mes regards, pour savoir et voler où Dieu m’appelle " 198.

Elle en était venue à obéir, non seulement aux commandements formels, mais aux désirs devinés de ses supérieurs, toujours parce qu’elle voyait Dieu en eux.

A propos de l’histoire de la lampe veilleuse, dont j’ai parlé hier, elle me dit : " Depuis ce jour-là, je pris la résolution de ne jamais considérer si les choses commandées étaient utiles ou non " 199.

La Servante de Dieu disait à ses novices : " Ça fait toujours un tout petit peu de peine au bon Dieu, quand on raisonne un tout petit peu sur ce que dit la mère prieure ; et ça lui en fait beaucoup, lorsqu’on raisonne beaucoup, même en son coeur " .

Si elle écrivit sa vie, ce fut uniquement par obéissance. Elle n’aurait pas été sans cela détachée de son oeuvre au point de dire que si on la brûlait devant ses yeux, elle n’en éprouverait pas la moindre peine.

Elle avait la plus haute estime de la régularité religieuse, et souffrait beaucoup quand elle constatait des infractions dans la communauté. J’entends [480] encore cette plainte sortir de ses lèvres, l’année de sa mort : " Oh ! qu’il y a peu de régularité ici ! Qu’il y a peu de parfaites religieuses qui ne font rien par à peu près, disant : Je ne suis pas tenue à ceci, à cela... après tout, il n’y a pas grand mal à parler ici, à faire cela, etc. ‘. Qu’elles sont rares celles qui font tout le mieux possible ! " 201.

Lorsque le révérend père Roulland, des Missions Étrangères, lui fut donné pour frère spirituel par mère Marie de Gonzague, elle reçut la défense expresse de me le dire. Elle fut chargée de peindre une image sur parchemin, toujours à mon insu, pour ce frère spirituel ; mais elle avait besoin pour cela de mes pinceaux, de mes couleurs, de mon brunissoir. Elle poussa la délicatesse de son obéissance jusqu’à se cacher à la bibliothèque pour peindre cette image ; et, pour garder le secret commandé, elle s’astreignait à venir en mon absence chercher et rapporter les instruments dont elle avait besoin.

Quand la mère prieure avait fait une recommandation générale, soeur Thérèse y restait fidèle après même plusieurs années, alors que les autres oubliaient facilement ces détails.

On l’avait demandée au Carmel de Hanoï. C’est à ce propos qu’elle a écrit dans sa vie : " Un ordre ne me serait pas nécessaire pour quitter le Carmel de Lisieux que j’aime tant, mais un simple regard, un simple signe du bon Dieu " 202.

Elle a chanté aussi son attrait pour l’obéissance [481]. Je me rappelle ces vers :

" O mon Jésus, je ne veux d’autre gloire que de soumettre en tout ma volonté, puisque l’obéissant redira ses victoires toute l’éternité " 203.

[Réponse à la quarante-sixième demande] :

Soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus a pratiqué l’humilité, toujours et en toutes choses. A la suite de ses lectures de jeune fille, sur les exploits des héroïnes françaises, elle avait ressenti d’abord de l’enthousiasme pour la gloire ; mais en étudiant la vie de Jésus, elle résolut bien vite de mettre la gloire uniquement dans le mépris d’elle-même. Vivre inconnue et compter pour rien fut le programme de sa perfection. Elle rapportait à Dieu seul le bien qu’elle pouvait faire. Non seulement elle se complaisait à la vue de sa bassesse, mais elle se réjouissait quand les autres l’humiliaient, même sans raison.

La Servante de Dieu a résumé ses sentiments d’humilité profonde dans sa poésie " J’ai soif d’amour ", quand elle dit :

" Mon bien-aimé, ton exemple m’invite à m’abaisser, à mépriser l’honneur :

pour te ravir, je veux rester petite, en m’oubliant je charmerai ton coeur. Pour moi, sur la rive étrangère, quels mépris n’as tu pas reçus ! Je veux me cacher sur la terre, être en tout la dernière, pour toi, Jésus ! " 204

Soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus n’était pas du tout vaniteuse dans son enfance et paraissait indifférente sous le rapport de la toilette. Si on disait devant elle qu’elle était jolie, je lui disais le contraire, et elle me croyait sincèrement.

Le bon Dieu lui-même lui faisait comprendre la vanité des louanges. Elle avait 9 ans, lorsqu’étant venue me voir au parloir du Carmel, une soeur ne se lassait pas de dire qu’elle était gentille. Soeur Thérèse écrit à ce sujet : " Je ne comptais pas venir plus tard au Carmel pour recevoir des louanges, aussi, après le parloir, je ne cessai de répéter au bon Dieu que c’était pour lui tout seul que je voulais être carmélite ".

Le jour de sa profession, elle portait sur son coeur une prière qui résumait tous ses désirs d’humilité : " Que personne ne s’occupe de moi, que je sois foulée aux pieds comme un petit grain de sable ! " 206,

Elle m’écrivit pendant sa retraite de 1892 : " Oh ! ma mère, comme je désire être inconnue de toutes les créatures ! Je n’ai jamais désiré la gloire humaine ; le mépris avait eu de l’attrait pour mon coeur, mais, ayant reconnu que c’était encore trop glorieux pour moi, je me suis passionnée pour l’oubli " 206.

Au Carmel, les occasions ne lui manquèrent pas de pratiquer l’humilité. La mère prieure s’appliquait en conscience à la mortifier sur ce point. Un jour que je confiais à cette mère prieure ma tristesse de [483] voir ma jeune soeur mal soignée et toujours humiliée sans raison, elle me répondit avec vivacité : " Voilà bien l’inconvénient d’avoir des soeurs ! Vous désirez, sans doute, que soeur Thérèse soit mise en avant, mais c’est tout le contraire que je dois faire. Elle est beaucoup plus orgueilleuse que vous ne pensez, elle a besoin d’être constamment humiliée, et si c’est pour sa santé que vous venez m’implorer, laissez-nous faire, ca ne vous regarde pas ".

D’après ces paroles de la mère prieure, on voit que les occasions ne lui manquèrent pas de pratiquer l’humilité. Elle les accepta toutes, non seulement avec générosité, mais avec joie. Elle me dit, sur son lit de mort, en parlant du passé : " Je m’en allais fortifiée par les humiliations, oui, j’ai été heureuse à chaque fois que j’ai été humiliée " 207

A la mort de mère Geneviève, on envoya beaucoup de fleurs et de couronnes. Soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus les disposait de son mieux autour du cercueil, quand soeur Saint Vincent de Paul, qui l’observait, lui dit : " Vous savez bien mettre au premier rang les couronnes envoyées par votre famille, et vous mettez en arrière les bouquets des pauvres ". Alors, j’entendis cette réponse, sur un ton naturel et plein de douceur : " Je vous remercie, ma soeur, vous avez raison, je vais mettre en avant la croix de mousse envoyée par les ouvriers, c’est là qu’elle va bien faire, je n’y pensais pas " 20s. [484] lSuite de la réponse à la même demande] :

Elle était toujours prête à réparer ses faiblesses. Je l’ai vue demander pardon, avec une humilité touchante, aux soeurs qu’elle croyait avoir contristées. Avec l’une surtout (le 29 juillet, à l’infirmerie) elle s’exprima avec une sorte de véhémence toute sainte : " Oh ! je vous demande bien pardon, priez pour moi ! ", dit-elle avec larmes. Bientôt après, l’expression de son visage redevenait toute paisible, et elle me disait : " J’éprouve une joie bien vive, non seulement de savoir que l’on me trouve imparfaite, mais surtout de m’y sentir moi-même, et d’avoir tant besoin de la miséricorde de Dieu au moment de ma mort " 209.

Un jour, elle était déjà malade, une soeur vint lui demander son concours immédiat pour un travail de peinture. J’étais présente, et j’eus beau objecter sa fièvre et sa fatigue extrêmes, la soeur insistait ; alors une émotion parut sur le visage de soeur Thérèse [485] de l’Enfant-Jésus. Le soir elle m’écrivit ces lignes : " Tout à l’heure, votre enfant a versé de douces larmes, des larmes de repentir, mais plus encore de reconnaissance et d’amour. Aujourd’hui je vous ai montré ma vertu ! Mes trésors de patience ! Et moi qui prêche si bien les autres ! Je suis contente que vous ayez vu mon imperfection... O ma mère bien-aimée, je vous l’avoue, je suis bien plus heureuse d’avoir été imparfaite que si, soutenue par la grâce, j’avais été un modèle de patience ! Cela me fait tant de bien de voir que Jésus est toujours aussi doux, aussi tendre pour moi. Vraiment il y a de quoi mourir de reconnaissance et d’amour " 210. " On m’a répété plusieurs fois, me dit-elle à l’infirmerie, que je serai comme les autres, que j’aurai peur au moment de la mort. Cela se peut bien. Si l’on savait comme je suis peu assurée de moi-même ! Je ne m’appuie jamais sur mes propres pensées, je sais trop combien je suis faible. Non, je n’oserais pas dire au bon Dieu, comme saint Pierre : Je ne vous renierai jamais.

Un matin qu’on lui portait la sainte communion, elle eut un sentiment d’humilité extraordinaire au moment du Confiteor. Elle me le confia en ces termes : " Je voyais là Jésus tout prêt de se donner à moi, et je trouvais cette confession si nécessaire !... Je me sentais comme le publicain une grande pécheresse. Je trouvais le bon Dieu si miséricordieux ! Quand j’ai senti la sainte Hostie sur mes lèvres, j’ai pleuré ! Je crois que les larmes que j’ai versées étaient des larmes de contrition parfaite. Ah ! comme il est bien impossible de [486] se donner soi-même de tels sentiments ! C’est le Saint Esprit tout seul qui peut les produire dans l’âme " 212.

On lui disait un jour, à la fin de sa vie, qu’elle était une sainte. Elle répondit : " Non, je ne suis pas une sainte, je n’ai jamais fait les actions des saints, je suis une toute petite âme que le bon Dieu a comblée de grâces. Ce que je dis, c’est la vérité : vous le verrez au ciel ".

Une autre fois, on lui disait qu’elle était bien privilégiée du bon Dieu d’avoir été choisie pour faire connaître la " voie d’enfance ". Elle répondit : " Qu’est-ce que cela me fait que ce soit moi ou une autre qui indique cette voie aux âmes ? Pourvu qu’elle soit connue qu’importe l’instrument.

Le 10 août 1897, nous disions que les âmes arrivées comme elle à l’amour parfait, pouvaient voir sans danger leur beauté surnaturelle. Elle reprit : " Quelle beauté ? Je ne vois pas du tout ma beauté, je ne vois que les grâces que j’ai reçues de Dieu ". Puis, se tournant vers soeur Marie du Sacré-Coeur et vers moi, elle dit, très émue : " Oh ! mes petites soeurs, quelle reconnaissance je vous dois ! Si vous ne m’aviez pas bien élevée, au lieu de voir ce que vous voyez aujourd’hui en moi, quelle triste chose vous auriez vue !

On parlait d’un souvenir à donner après sa mort au docteur de Cornière, qui l’avait soignée, et comme on lui demandait conseil, elle me dit : " Si vous voulez témoigner au docteur ma reconnaissance, vous lui peindrez une image avec ces paroles de Notre Seigneur : " Ce que vous avez fait au plus [487] petit des miens, c’est à moi que vous l’avez fait ".

Ces actes et ces paroles montrent assez, je crois, comment il faut interpréter, dans le sens d’une simplicité très humble, certaines paroles dans lesquelles la Servante de Dieu proclame les grandes grâces qu’elle a déjà reçues ou qu’elle espère de Dieu.

[Réponse à la quarante-septième demande] :

La manière dont soeur Thérèse a pratiqué les vertus me semble toute différente de ce que l’on observe chez les religieuses, même ferventes. Il faut noter d’abord une constance ininterrompue dans l’application à Dieu et à l’exercice des vertus. Jamais une lacune, un moment de dissipation ou de relâchement. Au contraire, un progrès régulièrement croissant. Je noterai, en second lieu, la perfection de ses dispositions intérieures, parmi lesquelles je signalerai son dégagement absolu de toute créature. La pensée et l’amour de Dieu l’absorbaient toute entière. Ce que Dieu faisait lui paraissait toujours aimable et nulle consolation créée ne l’attirait. Je remarque encore son extrême délicatesse dans la fidélité aux plus petits détails. Enfin, une amabilité souriante, un calme, une douceur, une expression de bonheur qui grandissait avec les difficultés et les sacrifices.

Cet ensemble de dispositions, s’appliquant à toutes les vertus, est incomparable et constitue, je crois, un caractère d’héroïcité incontestable.

 

[488] [Réponse à la quarante-huitième demande] :

J’ai dit, en répondant à la question sur la vertu de tempérance, que la pondération et la discrétion étaient des qualités éminentes dans la Servante de Dieu et l’ont préservée de tout excès.

[Réponse à la quarante-neuvième demande] :

Soeur Thérèse de l’Enfant Jésus ne ressemble pas, quant aux dons surnaturels, ou du moins, quant à leur manifestation, à la plupart des saints canonisés par l’Église. Excepté sa vision de la Sainte Vierge, celle encore qui lui dévoila, par avance, la maladie de mon père, excepté aussi la flamme d’amour dont elle dit avoir été une fois blessée, et enfin l’extase de sa mort, je ne vois rien dans toute sa vie qui sorte de l’ordinaire, sauf encore, peut-être, certaines prédictions qu’elle a faites de ce qui arriverait après sa mort.

Sans doute elle a joui bien des fois d’un très profond recueillement, mais cet état d’oraison était enveloppé de simplicité sans manifestations extraordinaires. Il faut donc dire que les phénomènes mystiques extraordinaires ont été dans sa vie tout à fait à l’état d’exception ; la simplicité était la règle. Penser autrement, serait changer la physionomie si encourageante que le bon Dieu s’est plu à donner à sa petite servante tout exprès pour appeler à son divin amour " les petites âmes " qui voudraient la suivre. Comme on avait dit à la Servante de [489] Dieu que peut-être elle mourrait le jour de Notre-Dame du Mont Carmel, après la communion, elle se récria : " Moi, mourir un jour de grande fête, après la communion ! Oh ! ce serait trop beau ! Les petites âmes ne pourraient pas imiter cela. Il faut qu’elles n’aient rien à m’envier " 217.

Elle me dit un jour : " Dans l’Histoire de ma vie, il y en aura pour tous les goûts, pour toutes les âmes, excepté pour celles qui sont conduites par des voies extraordinaires " 218. N’est-ce pas une preuve qu’elle n’y était pas conduite elle-même ?

On lui demandait ce que pouvait être, surnaturellement, l’état de son âme pendant sa maladie. Elle répondit : " Ma vie de malade, c’est de souffrir tout simplement pour le bon Dieu, et puis ça y est " 219

Voici maintenant ce que je sais des cinq ou six cas de grâces extraordinaires que j’ai mentionnées il y a un instant :

1 Vue prophétique de la maladie de mon père.

Elle pouvait avoir sept ans environ. Mon père était à Alençon depuis plusieurs jours, et nous étions, ma soeur Marie et moi, dans une des deux mansardes, dont les fenêtres ouvrent sur le jardin, derrière la maison des Buissonnets. La petite Thérèse regardait joyeusement le jardin par la fenêtre de la chambre voisine. C’était en été, il faisait beau temps, le soleil brillait, il pouvait être deux ou trois heures après midi. Tout à coup, nous entendîmes notre petite soeur appeler d’une voix angoissée : " Papa, papa ! ". Marie, saisie de frayeur, lui dit : " Pourquoi donc appelles-tu [490] ainsi papa, tu sais bien qu’il est à Alençon ". Elle nous raconta alors qu’elle avait vu dans l’allée, au fond du jardin, un homme vêtu absolument comme papa, de la même taille et de la même démarche, mais il avait la tête couverte et marchait tout courbé comme un vieillard. Elle ajouta que cet homme avait disparu derrière le bouquet d’arbres qui se trouvait non loin de là. Aussitôt nous descendîmes au jardin, mais n’ayant pas trouvé le mystérieux personnage nous essayâmes vainement de persuader à Thérèse qu’elle n’avait rien vu.

Plus tard, au Carmel, quelques années après la mort de notre père, soeur Marie du Sacré-Coeur et soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus, se trouvant ensemble un jour de licence, se rappelèrent cette vision et comprirent tout à coup ce qu’elle signifiait. Soeur Thérèse de l’Enfant Jésus l’explique dans sa vie (page 33, in 8, 1914) 220

[Session 19 : - 15 juillet 1915, à 9h. et à 2h. de l’après-midi] [493] [Suite de la réponse à la quarante-neuvième demande] :

2 Vision de la très Sainte Vierge et guérison miraculeuse à l’âge de 10 ans.

 

[494] Elle vint après sa guérison miraculeuse me raconter la vision qu’elle avait eue de la Sainte Vierge. Elle le fit avec une très grande simplicité, et seulement quand je lui demandai de m’en faire le récit. Le tout est rapporté dans sa vie (Vie, page 50, in 8, 1914) 221 ; d’ailleurs, je n’ai pas été témoin oculaire de ce fait, et mes trois soeurs qui y ont assisté pourront fournir beaucoup plus de détails.

3 États exceptionnels et transitoires d’oraison sublime.

Elle m’a dit bien souvent avoir compris par expérience ce que c’était qu’un " vol d’esprit ". M’expliquant ce qu’elle entendait par là, elle me dit : " Oui, dans le jardin, plusieurs fois, à l’heure du grand silence du soir, en été, je me suis sentie dans un si grand recueillement, et mon coeur était si uni au bon Dieu, je formais avec tant d’ardeur, et pourtant sans aucun effort, de telles aspirations d’amour qu’il me semble bien que ces grâces étaient ce que notre Mère sainte Thérèse appelle des vols d’esprit " 222

Un soir, à l’infirmerie, elle me parla d’une autre grâce, reçue dans la grotte de sainte Madeleine, au temps de son noviciat, grâce qui fut suivie de plusieurs jours de quiétude, pendant lesquels elle se trouvait dans un état qu’elle décrit ainsi : " Il y avait - me dit-elle comme un voile jeté entre moi et les choses de la terre. J’étais entièrement cachée sous le voile de la Sainte Vierge. Je n’étais plus sur la terre ; je faisais tout ce que j’avais à faire, tout mon ouvrage au [495] réfectoire, comme si l’on m’avait prêté un corps... C’est bien difficile à expliquer : c’est un état surnaturel que le bon Dieu seul peut donner et qui suffit pour détacher à tout jamais une âme de la terre " 223.

Enfin, je lui fis répéter à l’infirmerie, ce qu’elle m’avait dit pendant mon priorat, en 189S, de sa " blessure d’amour ". Voici ses expressions, ou à peu près (je les ai notées de mon mieux aussitôt après notre entretien) : " C’était peu de jours après mon offrande à l’amour miséricordieux, je commençais au choeur l’exercice du chemin de la croix, lorsque je me sentis tout à coup blessée d’un trait de feu si ardent que je pensai mourir. Je ne sais comment expliquer ce transport : il n’y a pas de comparaison qui puisse faire comprendre l’intensité de cette flamme du ciel. Il me semblait qu’une force invincible me jetait tout entière dans le feu. Oh ! quel feu ! quelle douceur ! Une seconde de plus, je serais morte certainement. Enfin, ma petite mère, ajouta-t-elle avec simplicité, c’est ce que les saints ont éprouvé tant de fois " 224.

4 Prédictions ou vues prophétiques sur l’avenir.

La Servante de Dieu, voyant l’opposition que mère Marie de Gonzague mettait à la communion quotidienne, promit que, peu de temps après sa mort (après la mort de la Servante de Dieu), cette faveur serait accordée à la communauté, ce qui arriva en effet.

A la fin de sa vie, elle pressentait le bien qu’elle ferait après sa mort. Il semble même qu’elle ait prévu sa glorification par l’Église. Je vais rapporter [496] naïvement et sans commentaire ses paroles et ses actes. L’Église appréciera.

Lorsqu’elle versait des larmes d’amour, elle me laissait les recueillir dans un linge fin, sachant bien que ce n’était pas pour essuyer son visage, mais pour les conserver comme un souvenir vénéré.

Quand je lui coupais les ongles, elle recueillait les rognures et me les donnait elle-même en m’invitant à les garder.

Lorsque nous lui apportions des roses à effeuiller sur son crucifix, s’il tombait des pétales à terre, après qu’elle les avait touchés, elle nous disait : " Ne perdez pas cela, mes petites soeurs, vous ferez des plaisirs, plus tard, avec ces roses " 22s.

Soeur Geneviève lui disait, dans les premiers jours de septembre 1897, la voyant mourante sur son lit : " Quand on pense qu’on vous attend encore en IndoChine ! . . . ". - " J’irai, j’irai prochainement. . . Si vous saviez comme j’aurai vite fait mon tour ! " 226.

Le 9 juin 1897, soeur Marie du Sacré-Coeur lui disait que nous aurions beaucoup peine après sa mort. Elle répondit : " Oh ! non, vous verrez . . . ce sera comme une pluie de roses ". Elle ajouta : " Après ma mort, vous irez du côté de la boîte aux lettres, vous y trouverez des consolations " 227.

Le 23 juin elle me montra un passage d’une Annale de la Propagation de la foi, où il était parlé de l’apparition d’une belle dame vêtue de blanc auprès d’un petit enfant baptisé. Elle me [497] dit d’un air inspiré : " Plus tard, j’irai comme cela auprès des petits enfants baptisés " 228.

Le 1er août de la même année, elle me dit : " Tout passe en ce monde mortel, même la petite Thérèse... mais elle reviendra " 229,

Le 17 juillet, toujours sur son lit de mort, elle me dit ces paroles mémorables que je transcrivis immédiatement au fur et à mesure qu’elle les prononçait : " Je sens que je vais entrer dans le repos. Mais je sens surtout que ma mission va commencer, ma mission de faire aimer le bon Dieu comme je l’aime, de donner ma ‘petite voie’ aux âmes. Si le bon Dieu exauce mon désir, mon ciel se passera à faire du bien sur la terre jusqu’à la fin du monde. Oui, oui, je veux passer mon ciel à faire du bien sur la terre. Ce n’est pas impossible, puisqu’au sein même de la vision béatifique, les anges veillent sur nous. Je ne pourrai jouir de mon repos tant qu’il y aura des âmes à sauver ; mais lorsque l’ange aura dit : ‘Le temps n’est plus !’, alors je me reposerai, parce que le nombre des élus sera complet, et que tous seront entrés dans la joie et le repos... Mon coeur tressaille à cette pensée ".

" Quelle voie voulez-vous donc enseigner aux âmes ? ", lui dis-je. - " Ma mère,

c’est la voie de l’enfance spirituelle, c’est le chemin de la confiance et du total abandon. Je veux leur enseigner les petits moyens qui m’ont si parfaitement réussi, leur dire qu’il n’y a qu’une seule chose à faire ici-bas : jeter à Jésus les fleurs des petits sacrifices, le prendre par [498] des caresses ; c’est comme cela que je l’ai pris, et c’est pour cela que je serai si bien reçue " 230,

[Suite de la réponse] :

Je me souviens que je ne pus transcrire qu’incomplètement ce qu’elle me disait de la voie d’enfance, son explication était plus développée, mais je ne m’en souviens pas assez pour la reconstituer.

Encore en juillet 1897, nous lui disions : " On vous mettra après la mort une palme dans la main ". -- " Oui - répondit-elle, mais je serai obligée de la lâcher pour répandre à pleines mains des grâces sur la terre " 231,

On lui avait apporté à l’infirmerie quelques épis de blé. Prenant alors un des plus beaux, elle me dit : " Ma mère, cet épi est l’image de mon âme... Le bon Dieu m’a chargée de grâces pour moi et pour bien d’autres ""32,

Et parlant de l’humilité qui n’empêche pas de reconnaître les grâces de Dieu, elle ajouta : " Le bon Dieu me montre la vérité, je sens si bien que tous ces dons viennent de lui ! Oui, il me semble que je suis humble en proclamant ces miséricordes " 233,

[La Servante de Dieu parlait-elle ainsi, toujours et sérieusement, de son état après la mort ?] :

J’ai la conviction que tout ce qu’elle nous disait ainsi était réfléchi et voulu : c’était vraiment sa pensée. D’ailleurs elle ne plaisantait jamais sur des sujets aussi graves.

[499] [Etes-vous la seule à avoir reçu ces confidences de la Servante de Dieu, ou bien celle-ci s’en était-elle ouverte à d’autres ] :

Elle ne s’épanchait ainsi que dans la stricte intimité avec mes soeurs et surtout avec moi. Je ne crois pas qu’elle ait confié ces choses à aucun autre, sinon peut-être dans une mesure très restreinte, pour l’un ou l’autre détail, à soeur Marie de la Trinité.

[Réponse à la cinquantième demande] :

Je ne sache pas qu’elle ait fait de miracles pendant sa vie

[Réponse à la cinquante-et-unième demande] :

La Servante de Dieu a écrit un certain nombre de lettres, des poésies sur des sujets de piété ou par manière de pièces récréatives pour nos jours de fêtes. Surtout elle a écrit l’ " Histoire d’une âme " qui est sa propre biographie spirituelle. Tous ces écrits ont été recueillis avec témoignages spéciaux et soumis au jugement [500] de la Congrégation des Rites.

Voici en particulier l’histoire de son manuscrit autobiographique, qui est la pièce principale de ses écrits.

Au commencement de 1895, un soir d’hiver, soeur Thérèse de l’Enfant Jésus nous rapporta plusieurs traits charmants de son enfance. A l’instigation de soeur Marie du Sacré-Coeur, j’ordonnai à la Servante de Dieu d’écrire pour nous seules (ses soeurs) tous ses souvenirs d’enfance.

Comme j’étais sa mère prieure, elle dut obéir. Elle écrivit uniquement pendant ses temps libres et me donna son cahier le 20 janvier 1896. Ce récit était incomplet. La Servante de Dieu y insistait particulièrement sur son enfance et sa première jeunesse ; sa vie religieuse y était à peine esquissée. Ce premier manuscrit a fourni les huit premiers chapitres de l’"Histoire d’une âme " (page 1 à 149 de l’édition in 8 de 1914) 33

Mère Marie de Gonzague étant redevenue prieure, je lui persuadai de commander à la Servante de Dieu la continuation de son récit : c’était le 2 juin 1897. La Servante de Dieu adressa donc à mère Marie de Gonzague la suite de son récit ; elle forme les chapitres 9 et 10 de l’" Histoire d’une âme " (page 151 à 205) 236.

Cette partie a été écrite d’un premier jet et sans ratures au courant de ce mois de juin 1897. La Servante de Dieu était constamment dérangée par les allées et venues des infirmières et des novices qui voulaient profiter de ses derniers jours. Elle me disait : " Je ne sais pas ce que j’écris, [501] rien ne se suit... il faudra que vous retouchiez à tout cela " .

Une autre fois encore elle me dit : " Ma mère, ce que vous trouverez bon de retrancher ou d’ajouter au cahier de ma vie, c’est moi qui le retranche et qui l’ajoute. Rappelez-vous cela plus tard, et n’ayez aucun scrupule à ce sujet " 237.

Elle cessa d’écrire au commencement de juillet 1897. Ce qui suit dans le volume imprimé (chapitre XI, pages 207 à 222) 23S, a été écrit par la Servante de Dieu pendant sa retraite de 1896, à la demande soeur Marie du Sacré-Coeur.

Après la mort de soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus, mère Marie de Gonzague consentit à publier en un volume ces trois manuscrits divers, mais à condition qu’on les modifierait, pour laisser entendre qu’ils lui avaient été tous adressés à elle-même. Ces modifications ne changèrent pas le fond du récit. D’ailleurs, au mois d’avril 1910, soeur Marie du Sacré-Coeur reconstitua dans son état premier le manuscrit original, et copie authentique en a été envoyée à Rome. De plus, dans la dernière édition in 8, 1914, on a rétabli la distinction des trois manuscrits 39.

[Lorsqu’elle s’appliquait à rédiger son texte, la Servante de Dieu en prévoyait-elle une édition publique ?] :

Certainement elle n’en avait aucun soupçon quand elle écrivit la première partie uniquement destinée à rappeler à ses soeurs ses souvenirs d’enfance. Elle ne pensait pas non plus, je crois, que dut être publié le manuscrit adressé à soeur Marie du Sacré-Coeur [502] et composé en 1896. Mais lorsque en 1897, au mois de juin, elle écrivit à mère Marie de Gonzague ce qui fait la matière des chapitres IX et X, elle savait que je me proposais de le faire connaître après sa mort. Elle savait alors (dans les derniers mois de sa vie) que j’utiliserais pour cette publication une partie au moins de ce qu’elle m’avait écrit sur son enfance et sa jeunesse. C’est pourquoi elle me disait : " Vous pouvez ajouter ou retrancher, etc.... au manuscrit de ma vie " .

Sur son lit de mort, elle attachait une grande importance à cette publication et y voyait un moyen d’apostolat. Elle me dit un jour avec assurance : " Il faudra publier le manuscrit sans aucun retard après ma mort. Si vous tardez, si vous commettez l’imprudence d’en parler à qui que ce soit, sauf à notre mère, le démon vous tendra mille embûches pour empêcher cette publication pourtant bien importante. Mais si vous faites tout ce qui est en votre pouvoir pour ne pas la laisser entraver, ne craignez rien des difficultés que vous rencontrerez. Pour ma mission, comme pour celle de Jeanne d’Arc, la volonté de Dieu s’accomplira malgré la jalousie des hommes ". - " Vous pensez donc que c’est par ce manuscrit que vous ferez du bien aux âmes ? "- " Oui, c’est un moyen dont le bon Dieu se servira pour m’exaucer. Il fera du bien à toutes sortes d’âmes, excepté à celles qui sont dans les voies extraordinaires ". - " Mais si notre mère le jetait au feu ? ". - " Eh ! bien, je n’en aurais pas la moindre peine, ni le moindre doute sur ma mission. Je penserais tout simplement que [503] le bon Dieu exaucera mes désirs par un autre moyen " 24b

D’ailleurs, même dans la partie composée pour mère Marie de Gonzague, la pensée que son manuscrit pourrait être publié, n’a modifié en rien la spontanéité de sa rédaction. Dans cette partie, comme dans les deux autres, elle nous livre son âme tout entière.

[Réponse à la cinquante-deuxième demande] :

Vers 1894, soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus fut prise d’un mal de gorge persistant, qu’on soigna par des cautérisations au nitrate d’argent. Elle en souffrit beaucoup.

Le vendredi saint, 4 avril 1896, se déclara une hémoptysie. Les remèdes qu’elle prit alors furent de la créosote et pour la gorge des pulvérisations.

Dans le courant de cette même année, en juin ou juillet 1896, elle fut prise d’une petite toux sèche. Le docteur de Cornière, médecin de la communauté, l’examina et conclut qu’il n’y avait, pour le moment, rien de grave. Il prescrivit seulement des fortifiants.

Avant la fin du carême de 1897, elle tomba gravement malade. On lui mit plusieurs vésicatoires, et on lui fit des frictions avec un gant de crin, mais sans résultat utile. Elle perdit l’appétit et bientôt ne put rien digérer. Elle eut chaque jour, à partir de 3 heures après midi, une fièvre très forte. On lui fit, à plusieurs reprises, des pointes de feu sur le côté ; on lui mit aussi de la teinture d’iode.

Le 6 juillet 1897, elle fut prise de nouvelles [504] hémorragies ; le docteur constata une congestion pulmonaire très grave ; il défendit tout mouvement, prescrivit de la glace, des cataplasmes sinapisés, des ventouses, etc. Elle passa une très mauvaise nuit sur sa dure paillasse, avec une fièvre intense. Elle était très oppressée, et souffrait d’un grand abattement. Des sueurs abondantes l’affaiblissaient encore.

Deux jours après, le 8 juillet, on la descendit à l’infirmerie.

Jusqu’au premier jour d’août, les hémorragies se reproduisirent deux ou trois fois par jour, et les étouffements furent terribles. Elle aspirait de l’éther, mais l’oppression était si forte, que ce remède ne produisait plus d’effet.

Tous les jours une fièvre ardente la consumait ; elle répétait qu’elle se croyait en purgatoire.

Le 30 juillet, elle reçut l’extrême-onction et le saint viatique avec une foi et une piété admirables. Elle demanda pardon à la communauté en termes si touchants que les soeurs ne purent retenir leurs larmes.

Il lui restait encore à passer deux mois de martyre sur la terre ; elle les subit avec une patience héroïque.

Elle était si amaigrie, qu’en plusieurs endroits les os percèrent la peau, et il se forma deux plaies très douloureuses.

Pendant les cinq semaines de vacances du docteur de Cornière, la mère prieure ne fit entrer que [505] trois fois le docteur La Néele, bien que celui-ci déclarât avait besoin de voir un médecin tous les jours.

Elle souffrit beaucoup du côté, de l’épaule et d’une soif ardente que rien ne désaltérait. " Quand je bois - disait-elle -, c’est comme si je versais du feu sur du feu " 242.

Le 17 août, le docteur La Néele constata que les deux poumons étaient pris, et ne lui donna que quelques jours de vie.

Du 17 au 30 août, elle resta sans voir de médecin, malgré de graves complications. En effet, le 22 août, elle fut prise d’atroces douleurs dans les intestins, elle les endurait surtout lorsqu’on cherchait à l’asseoir, pour diminuer l’oppression, au moment des quintes de toux qui duraient des heures. Elle se disait alors " assise sur des fers pointus " 23, et conjurait que l’on priât pour elle.

" O ma petite mère, en vint-elle à me dire, si je n’avais pas la foi, je me désespérerais. Je comprends très bien que ceux qui n’ont pas la foi, se donnent la mort quand ils souffrent tant. Veillez bien, lorsque vous aurez des malades en proie à de si violentes douleurs, à ne pas laisser près d’elles des remèdes qui soient poison. Je vous assure qu’il ne faut qu’un moment, lorsqu’on souffre à ce point, pour perdre la raison ".

Le docteur de Cornière étant toujours absent, on télégraphia au docteur La Néele, à Caen, le 30 août. Il dit que ce qu’elle endurait était [506] horrible : il admira sa patience.

Le docteur de Cornière revint dans les premiers jours de septembre ; il lui fit de fréquentes visites, parla de piqûres de morphine, mais la mère prieure ne le permit pas ; on lui donna seulement par petites doses, et rarement, du sirop de morphine, car la mère prieure avait encore des préventions contre ce calmant.

Les derniers jours, les crachats étaient purulents, avec de la matière caséeuse. Il s’en dégageait une odeur qui accusait fortement la décomposition de l’organe.

Le docteur de la communauté loua beaucoup sa patience : " Ne désirez pas la conserver en cet état -- dit-il--, c’est affreux ce qu’elle endure ! Mais quel ange ! et quel sourire je lui vois toujours ! " 2

Elle arriva à ne plus pouvoir respirer du tout qu’en jetant de petits cris de temps en temps. Pendant les trois dernières heures de son agonie, son visage et ses mains devinrent d’un rouge violacé, elle tremblait de tous ses membres, et émettait des sueurs si abondantes que son matelas, son oreiller et tous ses vêtements en furent traversés.

Pendant toute cette maladie, la Servante de Dieu nous édifia constamment par sa douceur, sa patience, son acceptation entière de toutes les souffrances voulues par Dieu. Elle n’en demandait pas davantage, comme on le rapporte de quelques saints, mais elle n’en voulait pas moins non plus, et toujours son abandon et sa confiance grandirent en proportion de [507] ses souffrances. Elle répétait ce verset du psaume : " Je suis descendue dans la vallée des ombres de la mort, cependant, je ne crains aucun mal, parce que vous êtes avec moi, Seigneur ".

Elle fit sa dernière communion le 19 août, fête de saint Hyacinthe, et elle offrit cette communion pour le pauvre père Hyacinthe, le malheureux égaré de notre Ordre.

Jusqu’à sa mort, à cause des vomissements, elle n’eut plus la grâce de communier. Quelle souffrance pour elle ! La nuit du 5 ou 6 août, fête de la Transfiguration de Notre Seigneur, on avait laissé tout près de son lit une grande image de la Sainte Face, entourée de fleurs et éclairée par une veilleuse. Jamais elle ne souffrit plus que cette nuit-là de l’épreuve de sa tentation contre la foi : " O ma mère, me dit-elle -, que j’ai été tentée cette nuit ! Mais je n’ai pas cessé de regarder la Sainte Face et de faire des actes de foi " 2i6.

En plus de cet état d’âme, les souffrances de sa maladie augmentèrent et devinrent atroces. Un jour, elle me dit : " Ma mère, priez pour moi ! Si vous saviez ce que je souffre ! Demandez que je ne perde pas patience... J’ai besoin du secours de Dieu. Et moi qui ai tant désiré tous les genres de martyre ! Ah ! il faut y être pour savoir ! " 2

Cependant les ténèbres de son âme ne lui enlevaient pas son sourire et son aimable simplicité. Elle restait gracieuse comme un petit enfant. La partie supérieure de son âme restait paisible et sereine sous [508] l’action la grâce. C’est alors qu’elle me confiait ses immenses désirs et son espoir de les voir bientôt réalisés. " A présent, comme Jeanne d’Arc dans sa prison, je suis dans les fers - , mais bientôt viendra ma délivrance, et ce sera le temps de mes conquêtes " 248.

Le 29 septembre, veille de sa mort, monsieur l’abbé Faucon vint la confesser (le confesseur ordinaire, monsieur l’abbé Youf, étant malade) et je me souviens de ces paroles qu’il dit en sortant de I’infirmerie : " Quelle belle âme ! elle semble confirmée en grâce ".

Elle passa cette journée et la nuit suivante dans de grandes souffrances. C’est la seule nuit où elle consentit à être veillée.

Le matin du 30, je restai près d’elle pendant la messe ; elle était haletante et me dit ces seules paroles en regardant la statue de la Sainte Vierge qui lui avait souri dans son enfance : " Oh ! je l’ai priée avec une ferveur !... mais c’est l’agonie sans aucun mélange de consolation ". Cette plainte n’avait rien d’amer et je sentais bien que Dieu la fortifiait.

Dans l’après-midi, elle se ranima, et ne cessait de conjurer que l’on priât pour elle. " Mon Dieu, disait-elle-, ayez pitié de moi, vous qui êtes si bon ! Mon Dieu, je veux bien tout ! Souffrir ainsi pendant des mois, des années si c’est cela que vous voulez pour moi ".

A 3 heures elle mit les bras en croix : " Le calice est plein jusqu’au bord - nous dit-elle --, je ne puis m’expliquer ce que j’endure que par mon désir extrême de [509] sauver les âmes . . . Mais je ne me repens pas de m’être livrée à l’amour ".

Vers 4 heures et demie, je devinai à sa pâleur subite que le dernier moment approchait. Toute la communauté se réunit autour de sa couche. Elle tenait son crucifix si serré entre ses doigts qu’on eut de la peine à le lui enlever après son dernier soupir. Son visage et ses mains, d’abord d’une pâleur mortelle, devinrent bientôt d’un rouge violacé. Soeur Geneviève s’avança pour essuyer la sueur qui ruisselait de son front. Son merci fut un tel sourire, un tel regard qu’on ne peut rien voir de plus beau sur la terre.

Comme l’agonie se prolongeait, la mère prieure congédia, vers 7 heures, la communauté : " Je ne vais donc pas mourir ? . . . ce n’est donc pas encore l’agonie ? ", soupira la Servante de Dieu. Sur la réponse de la mère prieure qu’il lui restait peut-être quelques heures à vivre, elle gémit comme un petit agneau plein de douceur : " Eh ! bien . . . allons . . . allons... Oh ! je ne voudrais pas moins souffrir ! ".

Sa respiration devint tout à coup plus faible et plus précipitée, elle retomba sur l’oreiller, la tête penchée à droite. C’était l’instant suprême.

La cloche de l’infirmerie retentit. A peine les soeurs étaient-elles agenouillées autour de son lit qu’elle prononça distinctement son dernier acte d’amour : Oh ! je l’aime ! " . . . dit-elle en regardant son crucifix. Et un instant après : " Mon Dieu. . . je. . . vous aime ! "249.

 

[510] Nous croyions tout fini, quand, subitement, elle leva les yeux, des yeux pleins de vie et de flammes où se peignait un bonheur " surpassant toutes ses espérances... ".

Soeur Marie de l’Eucharistie, voulant voir de plus près ce regard, qui dura l’espace d’un Credo, passa et repassa un flambeau devant ses paupières sans les faire aucunement vaciller.

C’était donc une extase, une vision du ciel, mais une vision qui mettait dans son coeur trop d’amour, trop de reconnaissance, elle n’en put supporter les " assauts délicieux " et lui dut le brisement de sa chaîne. Il était sept heures 20 minutes.

Alors elle ferma les yeux et la blancheur de son visage que j’avais remarquée pendant l’extase s’accentua et devint plus mate. Elle était d’une beauté ravissante avec un sourire parlant qui semblait dire : " Le bon Dieu n’est qu’amour et miséricorde ".

[Session 20 : - 16 juillet 1915, à 9h. et à 2h. de l’après-midi]

 

[513] Ad [Réponse à la cinquante-troisième demande] :

Il ne fut pas nécessaire de lui fermer les yeux, car elle les ferma d’elle-même après son extase. La mère [514] prieure fit retirer la communauté. Soeur Aimée de Jésus, soeur Marie du Sacré-Coeur et moi, nous nous mimes en devoir d’ensevelir la Servante de Dieu. Son visage avait une expression enfantine ; elle paraissait avoir 12 ans. Lorsqu’elle fut habillée et couchée sur sa paillasse, comme c’est l’usage au Carmel, avant la levée du corps, on lui mit avec son crucifix et son chapelet une palme à la main, et tout près d’elle, sur une petite table, la statue de la Vierge miraculeuse.

La Servante de Dieu gardait l’attitude du moment de sa mort, la tête penchée à droite, et elle avait un sourire si accentué qu’elle paraissait dormir seulement.

Le lendemain vendredi, dans l’après-midi, on la transporta au choeur, où elle fut exposée devant la grille jusqu’au dimanche soir. Pendant ces deux jours, samedi et dimanche, il vint beaucoup de monde prier devant sa dépouille mortelle, lui faire toucher des objets pieux et jusqu’à des bijoux. Je dois dire pourtant que pareils faits se passent à la mort de nos soeurs carmélites : c’est une coutume populaire.

Le lundi matin, des marques de décomposition apparurent. La Servante de Dieu, toujours belle pourtant, avait les veines du front gonflées, et l’extrémité des doigts noirâtres. Nous n’en fûmes pas étonnées, car, à plusieurs reprises, pendant sa maladie, quand les novices lui disaient qu’elle serait préservée de la corruption, elle affirmait le contraire et désirait la dissolution de son corps, " afin - disait-elle - que les ‘petites âmes’ n’aient rien à lui envier " 250.

 

[515] Avant de fermer le cercueil, la mère prieure remplaça le crucifix que la Servante de Dieu avait entre les mains, par une petite croix de bois ; on lui laissa la palme, le papier contenant la formule de ses voeux et une copie de son acte d’offrande.

[Réponse à la cinquante-quatrième demande] :

L’inhumation eut lieu le lundi 4 octobre, sans aucune manifestation extraordinaire. La Servante de Dieu fut inhumée au cimetière de la ville, dans un terrain que monsieur Guérin, notre oncle, venait d’acheter pour les carmélites. La première tombe, qui se trouvait être celle de soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus, était creusée au fond de l’enclos, dans l’angle à droite en entrant ; elle avait une profondeur de 3m 50, parce qu’on se proposait d’y placer plus tard deux autres cercueils superposés, ce qui d’ailleurs n’a pas été fait.

Le 6 septembre 1910, monseigneur Lemonnier, évêque de Bayeux et Lisieux, fit faire l’exhumation des restes de la Servante de Dieu, dans le but d’assurer leur conservation, et non de les exposer à la vénération des fidèles. On plaça le corps dans une autre tombe, maçonnée de briques et placée à quelques pas de la première.

Évidemment, cloîtrée au Carmel, je n’ai pas assisté à cette exhumation : j’en parle par ouï-dire. D’ailleurs, le procès verbal authentique a dû être versé aux documents du premier Procès, et un récit exact en a été inséré dans l’édition in 8, 1914, [516] de l’ " Histoire d’une âme ", page 555 251.

Quelques planches seulement du premier cercueil furent enlevées et apportées au monastère. Un morceau de planche tombé sans qu’on s’en aperçut de la tête du cercueil, fut retrouvé quelques jours après dans le cimetière et rapporté aussi au monastère. Plusieurs religieuses, qui ignoraient tout à fait la présence de ce fragment de bois, en furent averties par une odeur d’encens. Parmi elles se trouvaient soeur Marie de la Trinité et soeur Thérèse de l’Eucharistie, aujourd’hui sous-prieure.

La terre recueillie sous le premier cercueil, dans l’ancienne tombe, répandit plusieurs fois des odeurs suaves de racine d’iris. Ces émanations ont été perçues en particulier par soeur Geneviève, soeur Aimée de Jésus, soeur Saint-Jean-Baptiste et par moi, alors même que nous ne pensions aucunement à la présence de cette terre.

[Réponse à la cinquante-cinquième demande] :

Je ne sache pas que rien se soit produit qui ressemble à un culte. Du reste, je n’ai pas assisté à ces cérémonies.

[Réponse à la cinquante sixième demande] :

Ces dernières années, surtout depuis 1911, et plus que jamais pendant la guerre, les pèlerinages se multiplient au tombeau de la Servante de Dieu. Je n’en suis pas témoin directe, mais nos soeurs tourières et aussi des étrangers au parloir m’ont répété souvent qu’on prie [517] au tombeau de soeur Thérèse, comme à Lourdes, et qu’à certains jours on ne peut réussir à s’en approcher. Ce spectacle est si émouvant, paraît-il, que parfois des incrédules, venus là par curiosité, comme un soldat impie que l’on m’a cité, sont forcés de tomber à genoux. Parmi les pèlerins de ces dernières années, nous avons comptés plusieurs évêques, français et étrangers. Au nombre de ceux-ci fut monseigneur Bonnefoy, archevêque d’Aix. Le vénérable prélat m’écrivait en 1913 : " Ma visite au Carmel de Lisieux a laissé une impression de paix inexprimable. Ma pensée ne quitte plus votre petite ‘reine’, maintenant il me semble que mon âme lui est étroitement unie, et je sens le bienfait qui s’en dégage sur moi ".

En 1913, il y eut au Carmel et à la tombe de la Servante de Dieu, un pèlerinage militaire qui devait se renouveler en 1914, mais a été empêché par la mobilisation.

 

[518] [Réponse à la cinquante-septième demande] :

Lorsque je sortais en ville, avec ma petite Thérèse, je remarquais qu’on la regardait d’une façon exceptionnelle. J’ai entendu dire bien des fois que ce n’était pas seulement pour sa beauté, mais pour je ne sais quoi d’extraordinairement pur et céleste qu’elle avait dans la physionomie.

Une de nos anciennes domestiques, Victoire, me disait un jour au parloir : " C’est vrai que mademoiselle Thérèse n’était pas ordinaire ; je vous aimais bien toutes, mais mademoiselle Thérèse avait quelque chose que vous n’aviez ni les unes ni les autres : c’était comme un ange ; ça m’a frappée ".

Mademoiselle Philippe, vénérable demoiselle et respectée de toute la paroisse, qui s’occupait de la sacristie à Saint Pierre de Lisieux, voyait souvent Thérèse à l’église. Elle dit un jour à son sujet : " Cette petite Thérèse Martin est un véritable ange. Je serais bien étonnée si elle vivait longtemps ; mais si elle vit, vous verrez qu’on en parlera plus tard, parce qu’elle deviendra une sainte ".

A son entrée au Carmel, les soeurs qui, averties de son jeune âge, croyaient voir une enfant, furent comme saisies de respect en sa présence, admirant son maintien si digne et si modeste, son air profond et résolu.

L’une d’elles, soeur Saint-Jean de la Croix, qui avait été très opposée à l’entrée d’une postulante si jeune, me dit quelque temps après : " Je pensais que vous vous repentiriez bientôt d’avoir tant travaillé à nous [519] donner votre petite soeur. Je me disais : Elles en auront des déceptions, toutes les deux ! . . . Comme je me suis trompée ! Soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus est extraordinaire, elle nous en remontre à toutes ".

La mère prieure, pour donner raison de sa sévérité, disait à la maîtresse des novices : " Ce n’est pas une âme de cette trempe-là qu’il faut traiter comme une enfant, et craindre d’humilier toujours ".

Le sacristain l’avait en grande vénération et disait que cette soeur-là n’était pas comme les autres soeurs ; que lorsqu’il venait travailler à l’intérieur du monastère, il la reconnaissait, malgré son voile baissé, à sa démarche toujours si digne.

Monsieur Delatroëtte, notre supérieur, qui avait été si défavorable à son entrée, changea d’opinion quelques années plus tard. Un jour qu’il était venu au monastère, et qu’il avait eu l’occasion de la voir et de l’entendre parler des choses de Dieu, il ne put retenir ses larmes et dit ensuite à la mère prieure que cette jeune religieuse était un ange.

Monsieur l’abbé Youf, notre aumônier, me parla d’elle bien souvent avec admiration. " Quand je pense - me dit-il un jour, que je n’ai pas la liberté de permettre la communion quotidienne à cette religieuse si parfaite ".

Il me dit aussi : " Quand je vois votre soeur si près de moi, sous le cloître, lorsque je porte la communion aux religieuses malades, elle me fait toujours penser à ces cierges bénits qui brûlent dans [520] les églises devant le Saint Sacrement et dont la seule vue porte à la prière et au recueillement ".

Malgré la vérité de ces témoignages, il est juste de dire que si les religieuses qui vivaient avec elle avaient pour elle une estime et une vénération qu’elles n’avaient pour aucun autre, elles ne considéraient pas néanmoins, pendant sa vie, que la question se poserait un jour de sa béatification. Moi-même qui dès lors la regardais vraiment comme une sainte, surtout après l’avoir vue dans sa dernière maladie, je ne songeais pas alors qu’on s’occuperait jamais de sa canonisation, persuadée que pour cela il fallait pendant sa vie avoir fait des miracles et des choses éclatantes.

Les religieuses qui ont été ses contemporaines et qui survivent aujourd’hui, comprennent parfaitement maintenant, à la lumière des événements, tout ce qu’il y avait d’héroïsme caché dans la vie dont elles ont été les témoins.

Voici quelques appréciations de ces religieuses anciennes, compagnes de la Servante de Dieu.

Au mois de mai de l’année dernière, après la mort de notre chère doyenne, soeur Saint-Stanislas (90 ans), je trouvai, dans la cellule de cette bonne ancienne, une enveloppe contenant la note suivante : " J’affirme que ayant été plusieurs années dans les mêmes emplois que soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus, je l’ai vue pratiquer la vertu d’une manière héroïque, et que je n’ai pu découvrir en elle d’imperfection. Jamais elle ne me fit aucune réflexion sur ce que je lui demandais de faire, et sa parfaite régularité m’a constamment édifiée. A propos [521] de monsieur son père elle a beaucoup souffert, mais en silence ; et dans toutes les circonstances pénibles où je l’ai vue, j’ai admiré en elle une grande force d’âme. Dans la maladie qui l’a conduite au tombeau, malgré ses grandes souffrances, je n’apercevais rien sur son visage qui pût les faire deviner, et jamais je ne l’ai entendue proférer une seule plainte. J’ai écrit cela dans le cas où je viendrais à mourir, afin de le faire connaître pour la plus grande gloire de Dieu et la glorification de sa Servante, la veille de la fête du Sacré-Coeur de Jésus de l’année 1906 ".

Ce document est donc antérieur de quatre ans à l’ouverture du Procès de l’ordinaire.

[Le témoin produit l’autographe de ce texte dont les juges et le vice-promoteur constatent qu’il est en parfait accord avec la déposition faite précédemment].

Soeur Marie de Jésus s’exprime ainsi : " Malgré son jeune âge, soeur Thérèse se montra, dès le début de sa vie au Carmel, une parfaite religieuse. Jamais je ne l’ai vue commettre la plus petite infidélité. Ce qui m’a le plus frappée, c’est son humilité : elle s’effaçait toujours... Ce qui la caractérisait surtout, c’était sa parfaite égalité d’humeur ; n’importe à quel moment, elle vous recevait toujours avec cet aimable sourire qui lui était habituel. Aussi, aux jours de licence, chacune s’efforçait d’avoir quelques instants d’entretien avec cette âme qui reflétait tant de pureté et laissait entrevoir déjà une si grande sainteté ".

Une de nos bonnes anciennes, soeur Marie Philomène (74 ans) écrit ce témoignage : " Je ne crois pas qu’avec notre nature il soit possible d’avoir moins de recherche [522] de soi-même et plus d’égalité d’humeur que je n’en ai remarqué chez la Servante de Dieu... C’était une âme embrasée de l’amour du bon Dieu, comme je n’en ai jamais vu... Je me dis souvent que sa ‘petite voie’ est vraiment le contre- pied de l’orgueil d’aujourd’hui. Elle voulait en effet rapporter tout à Dieu, ne voir que lui en toutes choses et tout espérer de sa bonté infinie avec la plus filiale confiance ".

[Session 21 : - 19 juillet 1915, à 9h. et à 2h. de l’après-midi]

 

[525] [Suite de la réponse à la cinquante-septième demande] :

Un an après la mort de la Servante de Dieu, fut publié le manuscrit de soeur Thérèse, sous le titre de " Histoire d’une âme ", octobre 1898. Cette publication fit connaître au dehors l’âme même de cette religieuse qui avait vécu cachée dans le cloître. Aussitôt après cette publication, commencèrent à nous arriver des lettres, exprimant l’admiration pour les vertus parfaites de la Servante de Dieu, et la reconnaissance pour des grâces obtenues par son intercession. [526] On nous demandait aussi dans ces lettres des neuvaines de prières et des reliques ou souvenirs. Chaque année le nombre de ces lettres alla progressant. Vers 1911, nous en recevions une moyenne de 50 par jour. Les années suivantes nous en avons reçu successivement 200, 300 et 400 par jour de toutes les parties du monde. Depuis la guerre (août 1914), bien que les communications avec divers pays soient devenues impossibles, nous avons compté en certains jours 500 lettres et plus.

Il est important de noter que les diverses publications que nous avons faites, n’ont pas été de notre part une initiative de propagande : nous ne les avons faites qu’au fur et à mesure des demandes ; nous sommes toujours en retard par rapport aux sollicitations des fidèles.

Voici quelques chiffres qui donneront une idée de l’empressement que mettent les fidèles à entrer en rapport avec la Servante de Dieu qu’ils regardent comme une sainte. Les lettres qu’ils écrivent montrent à l’évidence que tel est bien leur sentiment. Donc, de 1898 à 1915, ont paru :

211.515 " Histoire d’une âme " édition complète.

710.000 Vie abrégée.

111.000 " Pluie de roses " ou choix de quelques lettres relatant des grâces obtenues.

8.046.000 Images - portraits.

1.124.200 Sachets - souvenirs.

Dans ces différents chiffres ne sont pas comptés les livres et images édités à l’étranger. Or, la vie de soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus a été traduite en 35 lan [527]gues ou dialectes. Ces traductions, non plus, n’ont pas été faites par notre initiative ; on nous a sollicitées de les autoriser.

Quelques chiffres aussi suffiront à montrer la progression singulièrement croissante de la réputation de sainteté de la Servante de Dieu dans le monde entier.

Dans les douze premières années, à partir de 1898, nous avons dû publier 47.000 exemplaires de l’ " Histoire complète d’une âme ", et 24.000 de la Vie abrégée.

Dans les cinq années qui ont suivi (1910 à 1915) 164.000 " Histoire " complète et 686.000 Vie abrégée.

En la seule année (juillet 1914 - juillet 1915) nous avons dû donner 472.000 sachets-souvenirs, sans pouvoir arriver à satisfaire toutes les demandes.

En quatre ans (1911-1915) nous avons dû acheter pour la confection des sachets-souvenirs (où l’on renferme quelques parcelles d’étoffes ayant touché la Servante de Dieu) 146.724 mètres de ruban pour la confection de 1.760.000 sachets qui ont coûté fournitures et façon 88.000 francs.

En moins d’un an, nous avons dû faire faire le tirage de 2.291.000 portraits de la Servante de Dieu.

Le journal " La Croix " ayant ouvert une souscription pour obtenir des autels portatifs aux prêtres soldats, avait recueilli, entre autres souscriptions, plus de cent autels donnés au nom de soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus.

 

[528] Depuis la guerre, les témoignages de la confiance des soldats abondent. Des officiers supérieurs ont confié à la Servante de Dieu leurs régiments, et nous envoient ou nous promettent leurs décorations en ex-voto.

Dans plusieurs batteries, le nom de " Soeur Thérèse " est tracé en grandes lettres sur l’affût des canons. Un colonel de notre connaissance a suspendu une relique (sachet-souvenir) à son drapeau, etc. Nous enregistrons chaque jour des lettres relatant des conversions, protections ou guérisons en faveur des soldats.

On nous a parfois reproché d’avoir fait imprimer des catalogues ou des feuilles donnant l’énoncé et le prix des diverses publications concernant la Servante de Dieu ; ces prix courants, dit-on, ont un aspect de réclame commerciale. Mais ces feuilles sont indispensables pour répondre aux questions qui nous sont faites en nombre infini : nous ne pourrions jamais donner, à chaque fois, ces renseignements par écrit.

Certains objets de fantaisie, vendus dans différents magasins, et portant l’image de la Servante de Dieu, ont d’abord été faits à notre insu et contre notre gré, surtout en Angleterre et en Autriche. Nous avons toujours protesté tant que nous avons pu, contre l’édition de médailles et de statues, mais il ne dépend pas de nous d’arrêter efficacement ces entreprises de certains commerçants. Souvent nous avons dû nous contenter de protester auprès de l’autorité ecclésiastique.

Je suis persuadée que la grande diffusion de l’ " Histoire d’une âme " ne s’explique pas par la [529] perfection littéraire de cette oeuvre. Ce n’est pas, comme on l’a dit parfois, " un succès de librairie ". En lisant ce livre, on a la certitude de connaître l’âme toute entière de la Servante de Dieu ; cette âme apparaît comme un très beau modèle d’héroïque sainteté ; et le bon Dieu y met sa grâce : voilà pour moi tout le secret de cette diffusion. Il y a encore les faveurs obtenues : les bénéficiaires, je le sais, les disent autour d’eux, et communiquent ainsi leur confiance à d’autres, augmentant toujours davantage le nombre des clients de la Servante de Dieu.

[Réponse à la cinquante-huitième demandel :

Je ne connais aucune opposition sérieuse à la réputation de sainteté de la Servante de Dieu. J’ai dit que, pendant sa vie, la sublimité de sa vie avait pu échapper à la plupart des religieuses du monastère, à cause de sa simplicité et de son humilité. Mais ce n’est pas là une opposition proprement dite. De plus, elle a pu souffrir quelquefois d’un certain esprit de parti ou de jalousie, suscité dans la communauté par la présence simultanée " des quatre soeurs " ; mais ces animosités ne visaient que le " bloc ", elles n’avaient point pour objet la personne de la Servante de Dieu, et encore moins sa vertu.

A l’apparition de l’ " Histoire d’une âme " (1898), trois prieures de Carmel, sur la totalité de nos maisons, firent quelques observations. La prieure du Carmel de la rue d’Enfer, à Paris, releva, dans la spiritualité de soeur Thérèse, certaines assertions " que, disait-elle, l’âge [530] et l’expérience auraient sans doute modifiées ". Mais peu de temps après cette déclaration, elle avait complètement changé d’avis. La prieure de l’avenue de Messine, à Paris, pensait que cette " Vie " était enfantine et contrastait avec l’austérité du Carmel. Je crois que la prieure du Carmel de l’avenue de Saxe était du même sentiment. Ces prieures sont toutes décédées aujourd’hui, et leurs communautés partagent l’admiration générale pour la Servante de Dieu.

[Réponse de la cinquante-neuvième à la soixante-cinquième demande] :

Après la mort de la Servante de Dieu, il se produisit dans le couvent, en faveur de quelques religieuses, certains faits extraordinaires, mais d’ordre secondaire et assez difficiles à prouver, comme impressions de parfums, etc. Mais ce à quoi j’attache une importance bien plus grande, c’est le progrès évident, général et constant de la communauté dans la perfection sous l’influence [531] de la Servante de Dieu. Toutes les religieuses, les anciennes comme les plus jeunes, puisent dans le souvenir et les exemples de soeur Thérèse un stimulant très efficace à la générosité dans le service de Dieu. La communauté est devenue toute entière fervente et régulière, c’est une véritable transformation.

La lecture de la vie de soeur Thérèse a attiré vers notre monastère des sujets d’élite, et les demandes d’admission devenant trop nombreuses, nous les dirigeons vers d’autres Carmels. Parmi ces sujets, dont nous considérons l’entrée comme un effet de la protection de la Servante de Dieu, je veux citer particulièrement deux religieuses, aujourd’hui décédées : mère Marie-Ange, morte en 1909 à l’âge de 28 ans et mère Isabelle du Sacré-Coeur, décédée l’an dernier à l’âge de 32 ans. La première, étant prieure en 1908, sollicita et obtint de monseigneur Lemonnier, évêque de Bayeux et Lisieux, de soumettre la Cause de soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus à la sainte Église. La seconde, étant sous-prieure, continua l’oeuvre de mère Marie-Ange et s’y dévoua de toutes manières. Toutes les deux moururent comme des saintes.

Je n’ai pas été témoin directe de guérisons miraculeuses. Mais dans l’immense correspondance dont j’ai parlé, tantôt les relations abondent de faveurs plus ou moins miraculeuses. Un certain nombre ont été imprimées dans les " Pluies de roses ". Il serait impossible d’étudier ici dans le détail le contenu de chacun de ces innombrables dossiers. J’ai préparé [532] l’analyse sommaire de 54 de ces relations. Je soumets cette analyse au tribunal et je lui livre en môme temps les dossiers originaux de ces cas choisis parmi tant d’autres.

[Le témoin donne lecture du texte suivant, qui, dûment contrôlé, a été versé aux Actes du Procès] :

Extraits de dossiers de miracles dus à l’intercession de la Servante de Dieu soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus.

1. La soeur Joséphine (41 ans), converse du Carmel de Nîmes - exilé à Florence, Italie (villa Dolgorouky) - a été guérie subitement d’une pneumonie infectieuse, fin janvier 1907. Le dossier renferme deux attestations du docteur Maestro, de Florence ; l’une d’elles contient cette phrase : la soeur a été " guérie tout à coup, contre mes prévisions par un secours d’en-haut " (souligné par le docteur).

2. Reine Fauquet, à Lisieux (4 ans et demi), a été guérie subitement de kératite phlycténulaire, [533] le 26 mai 1908, après une apparition de soeur Thérèse. Le 6 juillet 1908, le docteur Decaux de Lisieux a attesté la guérison complète, confirmée le 7 décembre de la même année par le docteur La Néele, également de Lisieux.

(Voir Pluie de roses, extraits I et Il, page 7).

3. Mademoiselle Chabaud, d’Issy-les-Moulineaux (Seine) (24 ans), a été guérie subitement d’un ulcère rond de l’estomac, le 28 février 1905. Le docteur Tison, d’Issy-les-Moulineaux, en constatant la guérison écrivait : " Cette guérison subite d’un ulcère rond est d’autant plus étonnante que généralement l’amélioration se fait lentement et que la guérison se fait longtemps attendre ". Le 18 mai 1909, après un nouvel examen de la miraculée, il ratifia de nouveau la guérison subite.

(Voir Pluie de roses, extraits I et II, page 13).

Mademoiselle Chabaud est venue à Lisieux en pèlerinage d’action de grâces.

4. Madame Dorans, de Glascow (Ecosse), a été guérie subitement d’une tumeur cancéreuse, le 26 août 1909.

Cette guérison a été étudiée au premier Procès. En juin 1912, dans une réunion de la Jeunesse Catholique présidée par l’archevêque de Liverpool, le docteur Colvin a cité, dans une conférence, cette guérison comme type de miracle complet et indiscutable. [534]

(Voir Pluie de roses, extraits I et II, page 23).

5. Frère Marie Paul (42 ans), convers de la Trappe de Tarrega (Espagne), a été guéri subitement d’un ulcère à l’estomac à tendance cancéreuse, le 4 mai 1909.

Le docteur Ubach, de Tarrega, constata la guérison subite. Son attestation est datée du 15 juin 1909.

(Voir Pluie de roses, extraits I et II. page 18).

6. Frère Paul, trappiste de Rogersville (Canada), a été guéri subitement d’une grave blessure au genou en janvier 1910, après une apparition de la Servante de Dieu.

Le docteur Bourret, de Rogersville, a délivré, le 22 avril 1910, une attestation médicale se terminant ainsi :

" La guérison de cette blessure si souvent cause d’infirmités subséquentes a été si prompte que je crois devoir l’attribuer à une cause tout à fait surnaturelle ".

7. Ferdinand Aubry (60 ans) de l’asile des Petites Soeurs des Pauvres de Lisieux, a été guéri d’un cancer à la langue, le 28 septembre 1910. Le docteur Viel, de Lisieux, a donné une longue observation médicale constatant la guérison.

8. Mademoiselle de Leusse (36 ans), de Bourgoin [535] (Isère) a été guérie subitement de sciatique, eczéma et phlébites, le 29 avril 1911.

Suit le certificat médical du docteur Chaix, de Bourgoin, attestant simplement la guérison, le 6 mai 1911.

(Voir Pluie de roses, extraits I et II, page 51).

Mademoiselle de Leusse est venue à Lisieux en pèlerinage d’action de grâces.

9. Soeur Marie du Calvaire (66 ans), du Carmel de Mangalore (Indes Orientales), a été guérie subitement d’une pneumonie compliquée d’une maladie de foie et d’une affection des reins, le 29 mars 1909.

Suit le certificat médical du docteur Fernandez, de Mangalore, confirmant la guérison subite, le 31 juillet 1909.

(Voir Pluie de roses, extraits I et II, page 96).

10. Guérison subite d’un petit malgache mourant, avec apparition de soeur Thérèse selon le témoignage de la mère.

Autre guérison subite d’une petite malgache, atteinte de plaies par tout le corps.

Guérisons relatées par la révérende mère Saint-Jean Berchmans supérieure et fondatrice des religieuses de la Providence à Madagascar.

Ces guérisons ont été attestées par monseigneur Cazet, vicaire apostolique de Madagascar.

(Voir Pluie de roses, extraits I et II, page 99)

 

[536] 11. Monsieur l’abbé Weber, de Saint-Jean-de-Luz (Basses-Pyrénées), atteint de la cataracte nécessitant une opération au dire de l’oculiste, a été guéri en mai 1909.

(Voir Pluie de roses, extraits I et II, page 104).

Monsieur l’abbé Weber est venu à Lisieux en pèlerinage d’action de grâces.

Retentissement extraordinaire.

12. Mademoiselle Clémentine Derenne (17 ans), de Laval (Mayenne), a été guérie subitement d’albuminurie, méningite et phtisie pulmonaire, après apparition de la Servante de Dieu, le 2 février 1911.

Le docteur Pivert, de Laval, a constaté la guérison le jour même.

Une enquête faite par monseigneur de Tell a confirmé l’authenticité des faits.

(Voir Pluie de roses, extraits I et II, page 69).

13. Monsieur Charpentier (73 ans) de Saint-Jean-de-Boisseau (Loire-Inférieure) a été guéri d’un épithélium à la lèvre inférieure, en août 1912, ainsi que l’atteste le docteur Provost, du Pellerin (Loire-Inférieure).

(Voir Pluie de roses III, page 283, n 369).

14. Mademoiselle Marie Bidaux (12 ans), de Croix (territoire de Belfort), a été guérie subitement d’une péritonite aiguë, le 11 juin 1912.

Le certificat médical du 24 août 1912 [537] atteste la guérison complète.

(Voir Pluie de roses, page 468, n 544).

15. Mademoiselle Parent, de Montréal (Canada), a été guérie subitement d’un mal intérieur, le 6 juin 1911.

Le docteur Deslauries, de Montréal, " reconnaît dans la guérison une intervention surnaturelle " (certificat du 28 juin 1912).

(Voir Pluie de roses III, page 328, n 416).

16. La révérende mère Marie-Cécile, de la Congrégation des Servantes des Pauvres à Angers (Maine-et-Loire), 59 ans, a été guérie subitement, en janvier 1912, d’une maladie de foie et d’estomac compliquée d’entérite.

Dans le certificat médical, le docteur Quintard, d’Angers, a reconnu la guérison après avoir déclaré la maladie d’une gravité extrême.

(Voir Pluie de roses III, page 330, n 418).

17. Mademoiselle Blachère (20 ans), de La Prade (Hérault), a été guérie subitement d’appendicite chronique avec atrophie musculaire, en juin 1912.

Le docteur Lenail, de Largentière, a déclaré le 10 janvier 1913 que la malade a été guérie miraculeusement et soudainement à la suite d’une neuvaine à soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus.

(Voir Pluie de roses III, page 335, n 421).

 

[538] 18. Monsieur Chapuis (76 ans), de Paris, a été guéri subitement après manifestation surnaturelle, le 23 septembre 1912, d’ulcère variqueux à la jambe gauche, dont il souffrait depuis 37 ans.

Le docteur de l’hôpital Debrousse où était soigné le malade, a donné le jour même de la guérison une attestation qui se trouve entre les mains de monseigneur de Teil.

(Voir Pluie de roses Ill, page 92, n 450).

19. Madame Enguchard (29 ans) d’Equeurdreville (Manche) a été guérie de paraplégie, le 2 décembre 1912.

Le docteur Hussenstein, de Cherbourg, a reconnu, le 23 janvier 1913, " dans cette guérison rapide et presque instantanée un phénomène surnaturel qui ne I peut être attribué à l’intervention médicale inefficace jusqu’alors, mais bien à une intervention de la Providence ".

(Voir Pluie de roses III, page 337, | n 423).

Retentissement extraordinaire dans toute la région ; divers journaux ont donné un récit succinct de cette guérison.

20. Mademoiselle Catherine Macaluso (17 ans) de Palerme (Italie), a été guérie subitement d’un goitre exophtalmique, en janvier 1912.

Le docteur Monori Patti, de Palerme, a déclaré le 27 février 1912, que " seul un miracle a pu accomplir ce prodige ".

[539] (Voir Pluie de roses TII, page 351, n 431).

21. Madame Langlois (24 ans), de Levallois-Perret (Seine), a été guérie d’une mastoïdite en mai 1912.

La relation faite, le 21 novembre 1912, par le docteur Dumont, de LavalloisPerret, reconnaît que " le fait est certainement très extraordinaire et a causé une grande surprise aux spécialistes ; qu’une intervention chirurgicale seule pouvait sauver la vie de la malade ".

A la même date, un second spécialiste, le docteur Jacob, de Lavallois-Perret, a déclaré que " la guérison s’est faite spontanément de façon anormale sans qu’il ait été nécessaire d’intervenir ".

La relation est légalisée par monseigneur Odelin, de l’archevêché de Paris.

Madame Langlois est venue à Lisieux en pèlerinage d’action de grâces.

(Voir Pluie de roses III, page 354, n 433).

22. Monsieur Francisco Morfin, de Guadalajara (Mexique), a été guéri d’une brûlure aux yeux, en novembre 1911.

Le docteur Enrique Avalos, de Guadalajara, a, le 10 novembre 1911, déclaré la " guérison miraculeuse ".

(Voir Pluie de roses III, page 357, n 435).

23. Madame Poirson (57 ans), d’Anrosey (Haute-Marne), [540] a été guérie d’une affection incurable du foie le ler juillet 1912.

Le docteur Vauthrin, d’Anrosey, a certifié, le 20 juillet 1913, que " la guérison s’est produite brusquement, sans aucune intervention de l’art ".

Le docteur Malingre, de Chaumont, avait attesté le 6 août 1912 que pour lui " la guérison est absolument miraculeuse ".

(Voir Pluie de roses III, page 370, n 443).

Madame Poirson est venue à Lisieux en pèlerinage d’action de grâces, en juillet 1915.

Retentissement extraordinaire.

24. Mademoiselle Bigot (17 ans), de Domfront (Orne), a été guérie de la maladie d’Addison ou tuberculose des capsules surrénales, le 14 février 1912.

Le docteur Vézard, de Domfront, termine ainsi, le 18 mai 1913, son observation médicale :

" Je ne m’explique pas scientifiquement parlant cette guérison qui m’a semblé absolument extraordinaire et déconcertante ".

(Voir Pluie de roses III, page 375, n 444)

Mademoiselle Bigot est venue à Lisieux en pèlerinage d’action de grâces.

25. Agatina Arcese di Pannicia (3 ans), de Ceprano (Italie), a été guérie subitement d’une pneumonie double en novembre 1912, après apparition de soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus.

Le docteur Figoli, de Ceprano, a constaté la guérison complète.

 

[541] (Voir Pluie de roses IV, page 184, n 160).

26. Julienne Fouilloul (11 ans), de Hautes-Foletière (Orne), a été guérie le dernier jour d’une neuvaine, en novembre 1912, d’une péritonite tuberculeuse, guérison suivie d’une apparition de soeur Thérèse.

Le docteur Lebossé, de Fiers (Orne), a délivré, le 1= décembre 1912, une attestation confirmant " l’état désespéré " et la guérison.

(Voir Pluie de roses III, page 511, n 576).

27. Madame Rancoule (60 ans), de Carcassonne (Aude), a été guérie pour ainsi dire subitement d’une plaie variqueuse à tendance ulcéreuse, en octobre 1912.

Deux certificats médicaux des docteurs Combéléran et Paul Vidal, de Carcassonne, reconnaissent la maladie et la guérison.

28. Mademoiselle Germaine Roullot (17 ans), de Langres (Haute-Marne), a été guérie subitement de carie osseuse du pied, le 13 avril 1913.

Le certificat du docteur Brocard, de Langres, du 21 avril 1913, a attesté la guérison subite de la jeune fille.

(Voir Pluie de roses IV, page 8, n 4).

Très grand retentissement.

29. Madame Pailliés (68 ans), de Chalabre (Aude), a été guérie subitement d’un cancer à l’oesophage, [542] en juin 1911.

Le docteur Lemosy d’Orel, de Chalabre, a déclaré que le cancer " incurable " avait complètement disparu.

(Voir Pluie de roses IV, page 13, n 5).

30. Madame Muzard (29 ans), de Santenay-les-Bains (Côte-d’Or), a été guérie subitement d’un ulcère à l’estomac

après apparition de soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus, le 15 juillet 1913.

Le docteur Missery, de Chagny (Côted’Or), a attesté la complète le 11 décembre 1913.

(Voir Pluie de roses IV, page 185, n 161).

31. Madame Sirven de Haro (70 ans), de La Havane (Cuba), a été guérie d’un cancer à la face, en juillet 1913.

Le docteur José Manuel de Haro, de La Havane, a attesté le 27 août 1913 que " madame Sirven de Haro a été atteinte pendant près de 4 ans d’un cancer à la figure qui gagnait même un peu l’oeil droit et qu’elle en est complètement guérie après avoir invoqué soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus ".

(Voir Pluie de roses IV, page 31, n 17).

32. Madame Duval, du Havre (Seine Inférieure), a été guérie subitement d’une phlébite, le 30 septembre 1913.

Le docteur Louis Marlou,

du Havre, a certifié le 3 octobre 1913 ce qui suit : " Madame Duval s’est trouvée dans un état d’amélioration [543] si considérable qu’elle s’est mise à marcher sans douleur et sans difficultés le 30 septembre 1913, anniversaire de la mort de soeur Thérèse invoquée religieusement. Je considère donc la guérison de madame Duval comme définitive et miraculeuse ".

(Voir Pluie de roses IV, page 36, n 22).

33. Anne-Marie Henry (2 ans et demi), de Mesuil-sur-Belvitte (Vosges), sa mère l’ayant laissée seule, le 9 septembre 1913 au matin, mit le feu, en s’amusant, dans lé lit où elle était couchée. Sa mère la retrouva saine et sauve au milieu des flammes. Elle l’avait confiée à soeur

Thérèse de l’Enfant-Jésus, et la petite l’invoquait elle-même chaque jour.

Après une enquête, monseigneur de Teil a recueilli des témoignages convaincants.

(Voir Pluie de roses IV, page 118, n 104, et le complément).

34. Miss Carrigan (19 ans), de Dublin (Irlande), a été guérie subitement de tuberculose pulmonaire, après une apparition de soeur Thérèse, le 7 mai 1913.

Le docteur W.N. O’Donnell, de Dublin, déclare le 24 septembre 1913 : " J’ai une longue expérience des hôpitaux et surtout des sanatoriums ; mais je n’ai jamais vu un cas de guérison subite aussi merveilleux que celui-ci ".

(Voir Pluie de roses IV, page 163,

35. Louis Auguste (10 ans), de Paris, a été guéri [544] d’un eczéma impétigineux rebelle datant de plus de six ans, le 24 janvier 1913, après une manifestation , surnaturelle.

Le docteur de Backer, de Paris, a donné une longue observation médicale le 10 octobre 1913. Elle se termine ainsi :

" Je crois qu’il serait difficile ici d’invoquer une émotion thérapeutique provoquée par une foi aveugle de l’enfant et j’estime qu’il est plus simple d’admettre une intervention toute surnaturelle ayant déterminé une guérison qu’aucun traitement n’avait pu opérer depuis plus de 6 ans. Ce que nous, médecins, n’avions pu obtenir par les moyens ordinaires a été exécuté par une force extra et supranaturelle, et je n’hésite pas à signer cette observation comme une guérison miraculeusement accordée à la prière et à l’intercession de la soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus de Lisieux ".

(Voir Pluie de roses IV, page 166, 147).

36. Joseph Lhote(3 ans), de Sarzeau (Morbihan), a été guéri de broncho-pneumonie double avec symptômes méningitiques graves.

Le docteur Lahaye, de Sarzeau, a délivré, le 29 mai 1914, une attestation détaillée qui se termine ainsi :

" Médecin croyant, devant ces faits, j’accorde volontiers la déclaration ci- jointe, convaincu qu’une intervention plus haute a dû amener la guérison inespérée de l’enfant Lhote Joseph, et je le signe en toute [545] sincérité ".

Sarzeau, 29 mai 1914.

Signatum : docteur J. Lahaye.

37. Madame Faber (50 ans), de Prague (Bohême), a été guérie subitement d’ulcères à l’estomac. Cette guérison a été accompagnée d’une manifestation surnaturelle de la Servante de Dieu, et se produisit le 6 décembre 1913.

Le certificat du docteur Daneck (en langue bohémienne) atteste que madame Faber est parfaitement guérie.

38. Mademoiselle Marie Thédenat (10 ans), de Minié (Aveyron), a été guérie subitement de grippe infectieuse le 30 janvier 1914.

Le docteur Sinège de Saint-Geniez-d’Olt, a attesté ce qui suit, le 31 mai 1914 :

" Le pronostic s’annonçait comme grave, lorsque du cinquième au sixième jour la guérison se produisit brusquement. Dans une nuit la fièvre disparut. L’état général devint excellent, et depuis, cette jeune fille a joui d’une bonne santé ".

39. Soeur Dorothée Bertrand, religieuse de Saint-Joseph de l’Apparition à Beyrouth (Syrie), a été guérie subitement de tuberculose pulmonaire du second degré en septembre 1912.

Soumise à une nouvelle auscultation médicale d’un docteur égyptien, le docteur Essély, de [546] Beyrouth, le 30 mars 1914, celui-ci constata de nouveau la " complète " guérison.

40. Soeur Marie Madeleine de Pazzy (38 ans), carmélite de Vienne (Autriche), a été guérie subitement d’appendicite le 19 mars 1914.

Le certificat du 28 avril 1914, du docteur Vojesik, de Vienne, atteste qu’une opération était " urgente, indispensable " et que la malade " a été guérie sans opération ".

41. Mademoiselle Philomène Le Gouez (32 ans), demeurant à Lambezellec (Finistère) a été guérie d’une ulcération tuberculeuse de la cuisse droite, en mars 1914.

Le docteur Hérébel, de Lambezellec, en a délivré, le 28 mai 1914, une attestation détaillée qui se termine ainsi :

" Il y a lieu de retenir de cette observation la guérison complète et définitive (en un mois) d’une lésion grave, très lente à guérir dans les conditions habituelles, et la coïncidence de cette marche vers la guérison avec une lecture ayant grandement édifié la malade [la lecture de l’Histoire d’une âme].

J’ai personnellement été très surpris de la rapidité de cette guérison et j’en ai témoigné mon étonnement à mademoiselle Le Gouez sans avoir été préalablement averti d’une intervention surnaturelle possible. Je conclus que, si la guérison naturelle était possible, la rapidité de la guérison (en un mois) a été extra- [547]ordinaire et dépasse de beaucoup ce qu’on était en droit d’espérer d’un traitement normal ".

42. Madame Barthélemy (23 ans), de Laval (Isère), a été guérie subitement d’une broncho-pneumonie et péritonite le 23 décembre 1913.

Le pronostic du docteur Serrus, de Lancey (Isère), était très sombre, et il a déclaré, le 2 mars 1914, que l’état actuel était parfait.

43. Jean Hervy (7 ans et demi), du Pouliguen (Loire-Inférieure), a été guéri subitement d’une méningite tuberculeuse, le 22 février 1914, pendant que commençait une messe pour la béatification de soeur Thérèse en vue d’obtenir sa guérison.

Le certificat médical du docteur Légier, du Pouliguen, daté du 11 mars 1914, a attesté la guérison.

44. Madame Hardy (75 ans), d’Amiens (Somme), a été guérie d’un ulcère variqueux de la jambe gauche, datant de 15 ans.

Le certificat médical du docteur Quertant, d’Amiens, du 31 mars 1914, atteste la guérison.

45. Soeur Hélène de Jésus, carmélite de Saragosse (Espagne), a été guérie d’une arthrite rhumatismale localisée dans l’articulation du genou droit avec tuméfaction, en quatre jours, au commencement de 1913.

Le docteur Burbano, de Saragosse, termine son [548] observation médicale par cette phrase : " Il m’est très agréable d’avoir à consigner que scientifiquement je considère comme surprenante et prodigieuse une si rapide guérison.

Le 22 février 1914 ".

46. Madame Gestas (77 ans), de Anan (Haute-Garonne), a été guérie subitement de congestion cérébrale alors que l’on attendait son dernier soupir, le 30 avril 1914. La relation a été faite par le maire d’Anan.

Le certificat du docteur Ducasse, de I’Isle-en-Dodon (Haute-Garonne), du 22 juin 1914, a attesté la guérison subite.

47. Renée Mulsant (14 ans), de Bourg de-Thizy (Rhône), a été guérie subitement d’ostéo-arthrite du genou, le 11 septembre 1914.

Le docteur Irmann, de Thizy, a attesté la guérison, le 18 novembre 1914.

48. Le docteur Bernard, de Cormeilles (Eure), a déclaré, dans une observation médicale du 24 avril 1914, que Georgette Toutain (2 ans), de Pin (Eure), a été guérie de broncho-pneumonie fin février 1914. Le docteur ajoute :

" Les lésions pulmonaires extrêmement graves dans les deux poumons disparurent sans retour en 24 heures. Cette guérison est extraordinaire et rien ne pouvait la faire prévoir ; au contraire, il semblait que l’on [549] n’eût qu’à attendre la mort de l’enfant ".

49. Le révérend père Bergerot, lazariste (52 ans), de Monastire (Serbie), a été guéri subitement le 11 mars 1915 de typhus exanthématique contracté au chevet des prisonniers autrichiens ; cette guérison s’est produite le dernier jour d’une neuvaine.

Le docteur Michel Zamaoulil, de Monastère, de religion et de langue grecque, dans son certificat du 19 mai 1915, a déclaré la maladie mortelle et l’état actuel très bien.

50. Le soldat Paul Millet (31 ans), du 287ème d’infanterie de Lyon, soigné à l’hôpital de la Croix-Rouge à Lorient en septembre 1914, a été guéri du tétanos à l’état aigu à la suite d’une neuvaine, en octobre 1914.

La guérison a été attestée par l’infirmière-major, par trois autres infirmières et deux soeurs de Charité.

51. Le soldat Robert Labitte, de Paris, soigné à l’hôpital de l’institution Saint Jacques d’Hazebrouck pour une blessure à la jambe perforant le tibia et brisant le péroné, était atteint d’infection générale et d’hémorragies. On attendait son dernier soupir le 5 novembre 1914. Le docteur, les soldats, les infirmiers constatèrent l’amélioration " inouïe ", le magnifique aspect des plaies du jour au lendemain, la disparition imprévue de l’hémorragie.

[550] La relation est signée par la mère du soldat, par le supérieur de l’hôpital, par deux infirmiers, une infirmière, et la docteur ajoute ces lignes : " Actuellement, je suis encore tout surpris de la marche des événements chez le blessé Labitte Robert. Comment est-il encore en vie ? Je ne puis me l’expliquer, mais Dieu ayant aidé, tout s’arrange. En pareil cas, nous comptons pour si peu ! ".

Signatum : docteur Deneleau, médecin chef.

La relation est du 15 décembre 1914.

52. Le docteur Foucher, de BerckPlage (Pas-de-Calais) atteste, le 25 mai 1915, avoir soigné en décembre 1914 le soldat Duprieux, de Rochefort (Landes), atteint de fièvre typhoïde et d’endocardite (chez un soldat surmené par plusieurs mois de campagne).

Le pronostic était désespéré, dit le docteur, et une très grande amélioration est survenue brusquement du jour au lendemain au moment où l’on désespérait le plus. La guérison est complète.

53. Le soldat Julien Viquesnel, de Fontaine-la-Louvet (Eure), fut évacué en septembre 1914 à l’hôpital de Limoges. Une balle avait pénétré derrière la tête, fracassé la mâchoire, et était ressortie par le nez en rompant à demi l’artère carotide. Il était considéré comme perdu, mais priait avec foi soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus.

Le 3 novembre, au moment où sa femme accomplissait pour lui un pèlerinage sur la tombe, les nombreuses [551] pinces qui retenaient les chairs meurtries de sa mâchoire et de son oreille tombèrent sans qu’on les touchât. Dès lors, le soldat put se mouvoir et s’alimenter, et tout danger était écarté.

La relation est signée par l’infirmière, le soldat, deux prêtres infirmiers dont l’un appelle la guérison " véritablement extraordinaire ", et par deux religieuses hospitalières.

Le tout nous a été envoyé par le Carmel de Limoges.

Le certificat médical du docteur Rousseau est joint au dossier.

54. Oublié à son rang d’ordre chronologique.

Monsieur l’abbé Anne (23 ans), de Lisieux, a été guéri de phtisie galopante.

Le docteur La Néele, de Lisieux, dans une attestation du 7 mars 1909, termine ainsi sa déclaration :

" Cette guérison est absolument extraordinaire et inexplicable au point de vue scientifique. On a vu dans l’histoire médicale les formes les plus diverses de la tuberculose guéries naturellement, mais jamais quand elles présentent un caractère aussi grave que le cas précédent ".

Ce miracle a été étudié au premier Procès.

 

[552] [Réponse à la soixante-sixième demande] :

Je ne vois rien à ajouter à ma déposition.

[Au sujet des Articles, le témoin dit ne savoir que ce qu’il a déjà déposé en répondant aux demandes précédentes. - Est ainsi terminé l’interrogatoire de ce témoin. Lecture des Actes est donnée. Le témoin n’y apporte aucune modification et signe comme suit] :

Signatum : SOEUR AGNÈS DE JÉSUS, r.c.i., prieure, témoin, j’ai ainsi déposé selon la vérité : je ratifie et confirme cette déposition.

 

TÉMOIN 7

MARIE DU SACRÉ-COEUR

On peut se reporter au vol. 1, pp. 235236, pour la présentation de ce témoin, Marie, fille aînée de la famille Martin et marraine de Thérèse (1860-1940). La déposition est cette fois-ci encore, comme celle du Procès informatif ordinaire, placée sous le signe de la sobriété. Il ne s’agit explicitement ni d’une reconstruction biographique ni de la présentation d’une doctrine, mais de souvenirs qui viennent, avec finesse et simplicité, éclairer tant la vie que le message de soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus. On notera de précieux détails sur le foyer domestique des Martin, sur les vertus des parents, et sur l’enfance de Thérèse. Le tout est livré avec un grand naturel, sans aucune prétention. Le témoin reprend souvent, à peu de chose près, ce qu’il a dit en 1910, mais pas toujours. Il est sûr de ce qu’il affirme. Cette déposition a le grand intérêt de nous révéler ce que ressentait devant le message de sa sainte soeur celle à qui nous devons le Manuscrit B.

A titre d’exemples, soeur Marie du Sacré-Coeur garde un très vif souvenir de la maladie de Thérèse enfant et de sa guérison grâce à l’intervention de Marie Immaculée (pp. 562-565), - donne d’intéressants détails sur l’origine du Manuscrit A et sur la destinataire (c’est elle-même) du Manuscrit B. - note au sujet de la publication de l’Histoire d’une âme : " Ni elle [Thérèse] ni nous ne pensions que ces souvenirs seraient jamais publiés : s’étaient des notes de famille. Dans les derniers mois de la vie de soeur Thérèse seulement, mère Agnès de Jésus pensa que la publication de ces souvenirs pourrait être utile à la gloire de Dieu Elle le dit à soeur Thérèse de l’Enfant Jésus qui accepta cette idée avec sa simplicité et sa droiture ordinaire. Elle désirait que le manuscrit fût publié parce qu’elle y voyait un moyen de faire aimer le bon Dieu, ce qu’elle considérait comme sa mission " (p. 613), - le témoin évoque avec insistance, à plus d’une reprise, la foi et la confiance de Thérèse en la réversibilité des mérites, en la communion des saints (cf. p. 576). Notons encore ceci, sur la discrétion de Thérèse : soeur Marie du Sacré-Coeur n’a connu les grandes épreuves de sa jeune soeur contre la foi que par la lecture de l’Histoire d’une âme (p. 589).

Après avoir relaté certaines données : qui tiennent du merveilleux ou du préternaturel, le témoin précise : " Ces faits m’ont toujours paru nettement surnaturels, mais ils ne sont que de rares exceptions dans la vie de la Servante de Dieu, dont le caractère général était grande simplicité " (p. 606). Est là confirmé, comme ailleurs aussi, au cours de la déposition, ce que soeur Marie du Sacré-Coeur avait écrit le 13 mars 1915 à sa soeur Léonie (Françoise-Thérèse, clarisse à Caen), au sujet de la teneur des Articles du Procès Apostolique, jugés par elle en partie inadaptés au cas de Soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus : " L’avocat de Rome n’a pas su faire un portrait assez simple, tout en étant le portrait d’une sainte. Nous saurons bien le remettre au point, car chaque saint doit ressembler à lui-même et non pas aux autres " 1.

Âme simple et ardente, soeur Marie du Sacré-Coeur resta jusqu’à la fin souriante et remplie de sollicitudes et d’attentions pour les autres. Frappée de terribles rhumatismes, elle vécut ses dernières années presque complètement paralysée, en pleine dépendance de ses soeurs qu’elle appelait ses anges gardiens. En paraphrasant les paroles de la Vierge Marie aux noces de Cana, elle écrivait à Mère Agnès de Jésus au début de sa douloureuse épreuve : " Ma bonne mère, moi aussi je n’ai plus de vin ! Autrefois, dans ma jeunesse, j’avais toujours du vin, je ne connaissais ni l’infirmité, ni la maladie. Mais, aujourd’hui, je suis sans ressources, je n’ai plus de vin ! Demandez à votre divin Fils, qui est mon Époux, d’avoir pitié de ma détresse (...) Pourtant, est-ce bien vrai de dire qu’autrefois il n’a servi le meilleur vin ? Non ... C’est aujourd’hui, certainement, qu’il me sert le meilleur : le vin de l’épreuve. Ainsi, au banquet de ma vie qui s’achève, il ne s’est pas trompé, il a gardé le meilleur vin jusqu’à cette heure " 2.

Ce texte est de 1929. La soeur ne devait mourir que le 19 janvier 1940. Elle accepta ce long martyre en humble et simple enfant pleinement abandonnée à la volonté d’amour de son Père.

Le témoin a déposé dit 20 au 26 juillet 1915, au cours des sessions 21ème- 26ème (pp. 555-625 de notre Copie publique).

[Session 22 : - 20 juillet 1915, à 9h. et à 2h. de l’après-midi]

[555] [Le témoin répond correctement à la première demande].

[Réponse à la deuxième demande] :

Je m’appelle Marie Louise Martin, soeur de la [556] Servante de Dieu, née à Alençon (paroisse Saint-Pierre de Monsort), le 22 février 1860, de Louis-Joseph Aloys-Stanislas Martin et de Marie-Zélie Guérin. Je suis religieuse du Carmel de Lisieux où j’ai fait profession le 22 mai 1888, sous le nom de soeur Marie du Sacré-Coeur.

[Le témoin répond correctement de la troisième a la cinquième demande inclusivement].

[Réponse à la sixième demande] :

Malgré la grande affection que j’ai pour ma soeur, je dirai consciencieusement la vérité. Personne ne m’a influencée dans la préparation de mon témoignage.

[Réponse à la septième demande] :

Etant la soeur aînée de la Servante de Dieu, j’ai observé de très près tout ce qui la concerne. Je l’ai d’autant plus connue, qu’après la mort de notre mère, ma soeur Pauline et moi avons pris soin de son éducation. Je l’ai retrouvée au Carmel, où je l’avais précédée deux ans auparavant, et je ne l’ai plus quittée jusqu’à sa mort. Je connaissais déjà, par mon observation personnelle, ce que la Servante de Dieu a raconté de sa vie dans ses écrits, à l’exception de quelques détails de sa vie intérieure que j’ai appris par cette lecture, par exemple, ses épreuves contre la foi.

[Réponse à la huitième demande] :

Outre l’affection naturelle très vive que j’ai pour ma [557] petite soeur, j’ai pour la Servante de Dieu une grande dévotion, parce que je crois que c’est une sainte. Je désire et je demande au bon Dieu sa béatification, parce que je suis persuadée que le bon Dieu la veut et en sera glorifié. Soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus nous apprend à aller à Dieu par la confiance et l’amour. Lorsque l’Église aura sanctionné cette vie de confiance, qui fait tant de bien aux âmes, il me semble qu’elles viendront en grand nombre se ranger sous la bannière de soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus, apôtre de l’amour.

[Réponse à la neuvième demande] :

La Servante de Dieu est née le 2 janvier 1873, à Alençon, paroisse Notre-Dame ; elle fut baptisée le 4 janvier. Elle était la dernière d’une lignée de neuf enfants, à savoir :

Marie Louise, 1860.

Marie Pauline, 1861.

Marie Léonie, 1863.

Marie Hélène, 1864, décédée en 1870.

Marie Joseph Louis, 1866, décédé en

Marie Joseph Jean-Baptiste, 1867, décédé en 1868.

Marie Céline, 1869.

Marie Mélanie Thérèse, 1870, décédée en 1870.

Marie Françoise Thérèse, qui est la Servante de Dieu. Elle fut confirmée le 14 juin 1884.

Mon père était né à Bordeaux, en 1823 ; ma mère, Marie Zélie Guérin, était née à Saint-Denis (Orne), en 1831. C’est par erreur que, dans le Procès de l’ordinaire, nous avions [558] indiqué Gandelain, localité d’ailleurs voisine de Saint-Denis, comme lieu de naissance de notre mère. Nos parents donnaient l’exemple de toutes les vertus ; ils assistaient chaque jour à la sainte messe, se levant pour cela dès 5 heures du matin. Ils jeûnaient tout le carême sans adoucissement. Le repos du dimanche était observé avec une grande fidélité. Ils ne se seraient pas permis de fixer au dimanche un voyage, même utile. Mon père perdait de belles occasions de vente, parce qu’il ne voulait pas laisser son magasin ouvert le dimanche, bien que son confesseur lui laissât la liberté de le faire, comme le faisaient les autres bijoutiers de la ville.

Mon père avait un caractère généreux et ne cédait jamais quoique ce soit au respect humain. Il ne passait jamais devant une église sans saluer, en quelque société qu’il fût. Il était fidèle à se rendre chaque mois à l’adoration nocturne du Très Saint Sacrement, et lorsqu’il vint à Lisieux il obtint qu’on l’établit dans cette ville Mon père et ma mère avaient une foi profonde ; et en les entendant parler ensemble de l’éternité, nous nous sentions disposées, toutes jeunes que nous étions, à regarder les choses du monde, comme une pure vanité.

Ma mère veillait avec grand soin sur l’âme de ses enfants, et la plus petite faute ne restait jamais sans réprimande. Elle aurait bien désiré voir en nous des indices de sainteté future. Parlant de Thérèse elle ajoutait : " Pour Thérèse, on ne sait encore ce qu’elle sera... C’est si petit ! Je n’ai jamais vu cependant tant d’intelligence chez aucun de mes enfants, et puis elle a toujours un sourire [559] céleste " 1.

Mon père et ma mère avaient une grande dévotion à la Sainte Vierge ; c’est pourquoi ils donnèrent le nom de Marie à tous leurs enfants, garçons et filles. Mon père, dès avant son mariage, avait placé dans une allée de son jardin une statue de la Sainte Vierge qui plus tard devait être si chère à toute la famille, car c’est cette même statue qui se trouvait dans la chambre de Thérèse enfant lors de sa grande maladie, et qui s’anima pour lui sourire. Aux pieds de cette même statue, ma mère avait reçu de très grandes faveurs. Mes parents étaient très secourables aux malheureux. Une servante étant tombée malade de rhumatismes articulaires, ma mère la soigna elle-même, jour et nuit, pendant plusieurs semaines, ne voulant pas la renvoyer chez ses parents qui étaient pauvres.

[Réponse à la dixième demande] :

Ma mère mourut comme une sainte, le 28 août 1877. Mon père supporta cette épreuve avec une grande foi, et nous entoura plus que jamais de sollicitude. Par dévouement pour nous, il quitta Alençon et vint à Lisieux pour nous assurer une direction sage de notre tante, madame Guérin, et nous éloigner d’amis plutôt mondains que nous avions dans notre ville natale. Il prenait un très grand soin de nos âmes, nous recommandait d’éviter avec le plus grand soin ce qui aurait pu ternir la pureté de notre coeur. Je trouvais parfois austères ses sages conseils, et de peur qu’il ne de- [560]vienne plus austère encore, je l’empêchais de lire, par exemple, les Pères du désert, parce que j’avais remarqué qu’ensuite il voulait trop se mortifier.

Je puis rapporter, dès maintenant, comment l’épreuve couronna la vie si droite et si pure de mon père. Dans un élan de générosité, il s’était offert en victime et le Seigneur sembla accepter son holocauste. Il fut atteint de paralysie cérébrale, et les dernières années de sa vie ne furent qu’un long martyre.

Il mourut le 29 juillet 1894. Au moment de sa mort, il sembla jouir de nouveau de toute son intelligence, et fixa un regard profond et reconnaissant sur sa fille Céline qui avait été l’ange de sa douloureuse vieillesse.

Je vais revenir, après cette digression, à l’histoire de la Servante de Dieu. Il semble que, à l’âge de un an et demi, elle fut l’objet d’une protection extraordinaire de son ange gardien. Ma mère, en revenant de la messe matinale, fut effrayée de trouver vide le berceau où elle avait laissé la petite Thérèse. Mais elle aperçut bientôt l’enfant qui dormait assise sur une grande chaise. Elle était donc tombée de son berceau, et comme il semblait impossible qu’elle ait pu monter elle-même sur cette chaise élevée, ma mère ne douta pas d’une intervention extraordinaire de Dieu.

A l’âge de trois ans, Thérèse assistait aux leçons que je donnais à Céline, et avait déjà assez d’empire sur elle-même, pour ne pas dire un seul mot pendant les deux heures que durait la leçon.

 

[561] Elle était d’une franchise extraordinaire : elle avait besoin de s’accuser spontanément de ses moindres fautes, et courait aussitôt les exposer à ma mère. Elle n’aurait pas menti pour tout l’or du monde. Elle avait environ six ans, lorsqu’elle dit à la domestique qui faisait de petits mensonges joyeux : " Vous savez bien, Victoire, que cela offense le bon Dieu " 2. Vers l’âge de quatre ans, la petite Thérèse adopta la pratique de marquer sur une sorte de chapelet, à perles mobiles, les petits sacrifices qu’elle faisait pour le bon Dieu. Ma mère écrivait d’elle à cette époque : " Cette enfant n’aime à parler que du bon Dieu, elle ne manquerait pas pour tout à faire ses prières " 3. A la mort de ma mère, la cérémonie de l’extrême-onction s’imprima profondément dans son âme. Plus tard, au Carmel, elle me dit, en rappelant ce temps de sa plus petite enfance : " Il me semble que je jugeais des choses comme aujourd’hui " 4. Elle me sembla, en effet, extraordinairement sérieuse, mais je me gardai bien de lui demander ce qu’elle pensait, pour ne pas développer davantage les sentiments profonds dont elle parle, car je la trouvais trop avancée pour son âge.

Après la mort de notre mère, Thérèse fut élevée par sa soeur Pauline et par moi. Jusqu’à l’âge de huit ans et demi, elle reçut nos seules leçons. A huit ans et demi, elle fut mise comme demi-pensionnaire à l’abbaye des bénédictines où se trouvait déjà sa soeur Céline. Elle eut à souffrir dans cette maison. Sa nature extrêmement sensible, se trouvait douloureusement affectée par le contact de quelques élèves d’une nature [562] plus vulgaire. Elle était d’ailleurs très instruite pour son âge, on la mit dans une classe d’élèves plus âgées qu’elle, où pourtant elle conquit et conserva la première place ; de là certaines jalousies pénibles pour la petite Thérèse qui pourtant ne s’en plaignait jamais.

A 10 ans, Thérèse fut atteinte d’une étrange maladie, qui, selon moi, ne pouvait venir que du démon, à cause des phénomènes surnaturels qui se produisaient. Cette maladie se déclara quelques mois après l’entrée au Carmel de mère Agnès de Jésus, vers la fin de mars 1883.

A partir du 7 avril jusqu’au 10 mai, jour où la Sainte Vierge l’a guérie, elle resta dans un état navrant. Elle avait plusieurs fois la semaine, des crises de terreurs si extraordinaires, qu’un savant docteur, monsieur Motta, aujourd’hui décédé, disait n’avoir jamais rencontré pareil cas. Je l’ai entendu avouer à mon père son impuissance. Il prononça même ces paroles : " Qu’on appelle cela du nom que l’on voudra, mais pour moi, ce n’est pas de l’hystérie ".

 

[563] [Suite de la réponse à la dixième demande] :

Les objets les plus insignifiants prenaient à ses yeux la forme de monstres horribles et elle jetait des cris de terreur.

Fréquemment, elle était poussée par une force inconnue à se précipiter la tête en avant, de son lit sur le pavé. D’autres fois, elle se frappait la tête avec violence contre le bois du lit. Quelquefois, elle voulait me parler : aucun son ne se faisait entendre, elle articulait seulement les mots, sans pouvoir les prononcer.

Une particularité qui me frappa beaucoup, c’est que, à diverses reprises, sous cette influence que je crois diabolique, elle se mettait tout à coup à genoux, et, sans s’aider de ses mains, appuyant sa tête sur le lit, cherchait à faire revenir ses pieds en avant. Or, dans cette attitude qui devait infailliblement la découvrir, elle restait toujours modestement enveloppée, à mon grand étonnement : ne pouvant m’expliquer cela, je l’attribuais à une intervention céleste.

Dans l’intervalle des crises, elle restait dans un état d’épuisement.

La crise la plus terrible de toutes fut celle dont elle parle dans sa vie. Je crus qu’elle allait y succomber. La voyant épuisée dans cette lutte, je voulus lui donner à boire, mais elle s’écria avec terreur : " Ils veulent me tuer ; ils veulent m’empoisonner " 5.

C’est alors que je me jetai avec mes soeurs aux pieds [564] de la Sainte Vierge la conjurant d’avoir pitié de nous. Mais le ciel semblait sourd à nos supplications. Par trois fois je renouvelai la même prière. A la troisième fois, je vis Thérèse fixer la statue de la Sainte Vierge ; son regard était irradié, comme en extase. Je compris qu’elle voyait, non la statue, mais la Sainte Vierge elle-même. Cette vision me parut durer quatre ou cinq minutes, puis deux grosses larmes tombèrent de ses yeux, et son regard doux et limpide se fixa sur moi avec tendresse. Je ne m’étais pas trompée, Thérèse était guérie. Quand je fus seule avec elle, je lui demandai pourquoi elle avait pleuré. Elle hésita à me confier son secret, mais, s’apercevant que je l’avais deviné, elle me dit : " C’est parce que je ne la voyais plus " 6.

[Quelques symptômes de ce mal apparurent-ils encore au cours de la vie de la Servante de Dieu ? Réponse] :

Jamais aucune trace de ce mal ne réapparut, ni même rien d’analogue : elle n’était ni impressionnable ni nerveuse.

Mon oncle, monsieur Guérin, pharmacien, m’avait dit après la guérison de Thérèse, de prendre grand soin de ne pas la contrarier, or je ne me suis pas fait faute de la contrarier à l’occasion, et jamais rien de fâcheux ne s’en est suivi.

[Au cours de ses crises, la Servante de Dieu conservait-elle l’usage de la raison, ainsi par exemple lorsqu’elle criait : " Ils veulent me tuer, ils veulent m’empoisonner " ? - Réponse] :

J’ai la certitude que, même au plus fort de ses crises, la Servante de Dieu gardait l’usage sain [565] de ses facultés supérieures ; elle subissait une contrainte dans ses sens, mais ne perdait pas conscience d’elle-même. Je m’en rendais compte parfaitement en l’observant, et elle-même m’a assuré plus tard que, pendant les crises, elle entendait et comprenait tout ce qu’on disait autour d’elle, et qu’en particulier, dans la grande crise finale qui dura environ une heure, elle n’avait pas cessé un seul instant de prier intérieurement la très Sainte Vierge.

Thérèse fit sa première communion à l’abbaye des bénédictines de Lisieux, le 8 mai 1884, à l’âge de 11 ans et quatre mois. Les règlements de ce temps-là n’admettaient à la première communion que les enfants âgés de 10 ans révolus au ter janvier. Thérèse étant née le 2 janvier, se trouvait pour deux jours retardée d’une année : elle ne pouvait comprendre une loi si sévère.

Rencontrant dans une rue de Lisieux monseigneur Hugonin, évoque de Bayeux et Lisieux, elle voulut courir à lui pour lui demander la permission de faire sa première communion avant l’âge. Quand je lui racontais qu’aux premiers siècles du christianisme, les tout petits enfants recevaient la sainte Eucharistie : " Pourquoi donc - me disait-elle - n’est-ce plus comme cela maintenant ? " 7. A la première communion de Céline, plus âgée qu’elle de 4 ans, elle voulait entendre les exhortations qu’on lui faisait, disant que ce n’était pas trop de 4 ans pour se préparer à recevoir le bon Dieu.

Aussi mit-elle une grande ferveur dans sa [566] préparation prochaine. Elle multipliait pour cela les actes de vertus qu’elle considérait comme autant de fleurs à offrir à Jésus. Elle écoutait avidement mes conseils. Il y avait dans son regard un saint enthousiasme, et le jour de sa première communion, il me semblait plutôt voir un ange qu’une créature mortelle.

A cette époque, elle me demanda de faire tous les jours une demi-heure d’oraison. Je ne voulus pas le lui accorder ; alors elle me demanda un quart d’heure seulement ; je ne le lui permis pas davantage. Je la trouvais tellement pieuse que cela me faisait peur, pour ainsi dire. Je craignais que le bon Dieu ne la prît trop vite pour lui.

L’année suivante, pendant la retraite de sa seconde communion solennelle, à l’abbaye des bénédictines, Thérèse commença à être tourmentée par des scrupules. Je m’efforçais de la tranquilliser, car ses prétendues fautes qu’elle me confiait n’étaient que des bagatelles.

Lorsque j’entrai au Carmel (1886), n’ayant plus à qui se confier, elle s’adressa, par la prière, à ses frères et soeurs qui l’avaient précédée au ciel et peu après elle retrouva la paix.

Dans les années qui suivirent sa première communion jusqu’à son entrée au Carmel, elle communiait aussi souvent que son confesseur le lui permettait, trois ou quatre fois par semaine, je crois, et elle aurait voulu tous les jours.

 

[567] [Réponse à la onzième demande] :

Depuis longtemps, la grande piété de Thérèse me faisait pressentir qu’elle serait religieuse et même carmélite, mais, pour ma part, j’aurais voulu que ce fût beaucoup plus tard à cause de mon père, et à cause aussi de son jeune âge. C’est pourquoi lorsque à 14 ans elle nous dit au parloir son désir d’entrer l’année suivante, je laissai mère Agnès de Jésus l’encourager ; pour mon compte, j’aurais volontiers mis obstacle à son entrée ; mais comme ma conscience me l’aurait reproché, je me bornai à ne rien dire. Monsieur Guérin notre oncle et monsieur Delatroëtte, supérieur du Carmel, s’opposaient, eux, de toutes leurs forces, à la réalisation de ce projet. Mais rien ne la faisait changer de résolution, et elle mit un courage héroïque à surmonter tous les obstacles.

[Réponse à la douzième demande] :

La Servante de Dieu entra au Carmel le 9 avril 1888, et reçut le nom de soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus. Sa prise d’habit eut lieu le 10 janvier 1889. Enfin, elle fit profession le 8 septembre 1890. Elle est morte au Carmel le 30 septembre 1897. Au cours de sa vie religieuse, elle a exercé, un certain temps, les fonctions de sacristine, et a été aussi chargée, mais sans titre officiel, de la formation des novices.

La caractéristique de cette vie religieuse fut une très grande fidélité dans l’accomplissement de sa règle, une constante égalité d’âme, une charité toujours [568] aimable et souriante, malgré les épreuves cachées des sécheresses presque constantes qu’elle eut à supporter, et le manque d’appui et de consolation de la part de la mère prieure Marie de Gonzague. Cette dernière manifestait peu de sympathie pour la jeune postulante, la grondait souvent, ou bien n’y faisait pas attention. Cette mère prieure était habituée à être adulée de tout le monde, et, comme soeur Thérèse ne cherchait pas à gagner ses bonnes grâces par ce moyen, elle passait inaperçue, ou plutôt elle ne recueillait que de la froideur.

Au sujet de ces peines, soeur Thérèse encore postulante m’écrivait : " Le ‘pauvre agnelet’ ne peut rien dire à Jésus, et surtout Jésus ne lui dit absolument rien ; priez pour lui, afin que sa retraite plaise quand même au coeur de celui qui seul lit au plus profond de l’âme... Pourquoi chercher du bonheur sur la terre ? Je vous avoue que mon coeur en a une soif ardente, mais il voit bien, ce pauvre coeur, que nulle créature n’est capable d’étancher sa soif... Je connais une autre source, c’est celle où, après avoir bu, on a encore soif, mais d’une soif qui n’est pas haletante, qui est au contraire très douce, parce qu’elle a de quoi satisfaire. Cette source, c’est la souffrance connue de Jésus seul " 8.

 

[Session 23 : - 21 juillet 1915, à 2h. de l’après-midi]

 

[572] [Réponse à la treizième et à la quatorzième demande] :

Au sujet des vertus en général, je n’ai pas autre chose à dire, sinon que soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus m’a paru, dès sa plus petite enfance, comme un ange que le bon Dieu aurait envoyé sur la terre dans un corps mortel.

Ce qu’elle appelle ses imperfections ou ses fautes n’en étaient pas : je ne l’ai jamais vue faire la plus légère faute. Où elle a le plus excellé, c’est dans son amour pour Dieu, si confiant et si tendre, qu’à la fin de sa vie, de même que je l’ai entendue appeler la Sainte Vierge " maman ", je l’ai entendue aussi plusieurs fois appeler le bon Dieu avec une candeur idéale : " Papa le bon Dieu ". A propos de ses souffrances, elle disait : " Laissez faire ‘Papa le bon Dieu’, il sait bien ce qu’il faut à son tout petit bébé ". Je lui dis : " Vous êtes donc un bébé ? ". Elle prit alors un air plein de gravité, et me répondit : " Oui... mais un bébé qui en pense bien long ! Un bébé qui est un vieillard " 9. Je n’ai jamais mieux senti qu’à ce moment combien sa voie d’enfance cachait de virilité, et j’ai trouvé bien juste qu’elle s’approprie, dans son manuscrit, cette parole de David : " Je suis jeune, et cependant je suis devenu plus prudent que les vieillards " 10.

[Réponse à la quinzième demande] :

Soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus avait une foi [573] ardente. Son habitude de tout apprécier au point de vue de Dieu se manifestait principalement dans les épreuves, elle les considérait comme des grâces. Elle appelait l’épreuve si dure de la maladie de mon père : " Notre grande richesse " 11.

[Réponse à la seizième demande] :

Elle lisait avidement la vie des missionnaires, parce qu’elle y trouvait l’expression de ses propres désirs. Elle aurait voulu être missionnaire, pour faire connaître partout l’amour du bon Dieu.

[Réponse à la dix-septième demande] :

Soeur Thérèse pensait sans cesse à Dieu. Un jour, je lui dis : " Comment faites-vous pour penser toujours au bon Dieu ? ". Elle me répondit : " Ce n’est pas difficile, on pense naturellement à quelqu’un que l’on aime ". - " Alors, lui dis-je, vous ne perdez jamais sa présence ? ". - " Oh ! non, dit-elle, je crois que je n’ai jamais été trois minutes sans penser à lui " 12.

[Réponse à la dix-huitième demande] :

Après sa première communion, elle aurait voulu pouvoir communier tous les jours. Elle a tant souffert d’être privée de la communion quotidienne, que j’ai toujours pensé que c’est par son intercession que cette grâce de la communion fréquente a été accordée aux fidèles, et que c’est à elle que les petits enfants doivent la faveur de faire leur première communion [574] si jeunes. D’ailleurs, je crois me souvenir qu’elle nous a dit, pendant sa vie : " Vous verrez, quand je serai au ciel, il y aura, touchant la sainte communion, un changement dans la pratique de l’Église 13. Je me souviens parfaitement que, quelque temps avant sa mort, elle dit à mère Marie de Gonzague, qui était opposée à la pratique de la communion quotidienne : " Ma mère, quand je serai au ciel, je vous ferai changer d’avis " 14. Et c’est ce qui arriva.

[Réponse à la dix-neuvième demande] :

Je n’ai rien de spécial à dire sur ce point.

[Réponse à la vingtième demande] :

Elle avait un grand esprit de foi envers ses supérieurs. Un mois avant sa mort, elle passa par une crise très douloureuse. Le médecin de la communauté était absent. Notre mère prieure refusa de laisser entrer à sa place un autre docteur. Quand nous nous plaignions de cette manière d’agir, la Servante de Dieu nous disait : " Ne murmurez pas contre la volonté du bon Dieu : c’est lui qui permet que notre mère ne me donne pas de soulagement " 15.

Le seul fait qu’elle rencontrait, dans un livre, quelques lignes de critique contre le pape ou les évêques, la mettait en défiance et le lui faisait rejeter.

[Réponse à la vingt-et-unième demande] :

Soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus eut une très grande [575] dévotion à la Sainte Face de Notre Seigneur. La veille de sa profession elle m’écrivait : " Je serai l’épouse de celui dont le visage est caché, et que personne n’a reconnu " 16. Elle voulait consoler Jésus de l’ingratitude de ceux qui ne l’ont pas reconnu dans ses humiliations. C’est dans cet esprit qu’elle a écrit :

" Moi je te reconnais, même à travers tes [larmes, Face de l’Eternel, je découvre tes charmes. Que ton regard voilé mon coeur a consolé, rappelle-toi " 17.

Lorsqu’elle se fit un blason mystique, elle y peignit une Sainte Face. Elle composa aussi en l’honneur de la Sainte Face une prière qui fut indulgenciée par Pie X.

Elle avait aussi une touchante dévotion pour l’Enfant Jésus et ornait son autel avec soin. On lui apportait, en été, d’énormes gerbes des fleurs des champs. Si fatiguée qu’elle fût, elle employait, à les bien disposer, l’heure de temps libre qui est donnée pour se reposer.

La Servante de Dieu avait un tendre amour pour la Sainte Vierge. Dans sa petite enfance, elle la priait devant un petit autel qu’elle avait arrangé. Elle aimait à orner de guirlandes et de couronnes de fleurs les images de la Sainte Vierge, et, jusque sur son lit de mort, elle tressa encore deux couronnes de bluets pour décorer la statue de la Sainte Vierge. Elle me dit un jour : saints, ils se font un peu attendre : on sent qu’ils doivent aller présenter leur requête, mais quand je demande une grâce à la Sainte Vierge, c’est un secours [576] immédiat que je reçois... Faites en l’expérience et vous verrez... " 18. A ma demande elle composa sa dernière poésie : " Pourquoi je t’aime, ô Marie " 19. Elle nous disait : " Mon petit cantique exprime tout ce que je pense et ce que je prêcherais sur la Sainte Vierge, si j’étais prêtre " 20.

Soeur Thérèse de l’Enfant Jésus avait une si grande confiance dans la réversibilité des mérites qu’elle croyait à la réversibilité même des bienfaits naturels par la prière ; c’est ainsi que, pendant sa maladie, elle offrait les remèdes qui lui étaient administrés et qu’elle jugeait pour elle sans efficacité, afin qu’ils profitassent à un missionnaire qui n’aurait ni le temps, ni les moyens de se soigner. Ayant considéré le corps mystique de la sainte Église, elle aurait voulu être prêtre, docteur, etc., mais son impuissance ne l’afflige pas : " Je ne puis, dit-elle, prêcher l’Évangile, verser mon sang ; qu’importe... mes frères travaillent à ma place, et moi j’aime pour ceux qui combattent " 21. Le ciel lui parait comme peuplé d’âmes qui la chérissent et la regardent comme leur enfant. Tel était le fondement de sa dévotion pour les saints.

[Réponse à la vingt-deuxième demande] :

Soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus s’est toujours signalée par un grand détachement de toutes les choses créées. A l’âge de 14 ans, elle m’écrivait au sujet d’un petit agneau que lui avait donné mon père : " Tu ne sais pas, ma chère marraine, combien la mort de ce [577] petit agneau m’a donné à réfléchir. Oh ! oui, sur la terre, il ne faut pas s’attacher à rien, pas même aux choses les plus innocentes, car elles nous manquent au moment même où nous y pensons le moins. Ce qui est éternel peut seul nous contenter " 22. Pendant sa retraite de prise d’habit, elle m’adressa ce billet : " Je vous avoue que mon coeur a une soif ardente de bonheur ; mais je vois bien que nulle créature n’est capable de l’étancher, etc. " 23. Un peu plus tard, pendant sa retraite de profession, elle m’écrit : " Y a-t-il encore des joies couleur de rose pour votre petite Thérèse ? Oh ! non, il n’y a plus pour elle que des joies célestes, des joies où tout le créé qui n’est rien, fait place à l’incréé qui est la réalité " 24.

[Réponse de la vingt-troisième à la vingt-cinquième demande inclusivement] :

Soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus attribuait à Dieu tout le bien qui était en elle, reconnaissant que c’était un don tout à fait gratuit. En m’expliquant sa " petite voie ", elle me dit : " Si imparfaites que nous soyons, Jésus nous transformera en flammes d’amour, pourvu que nous espérions tout de sa bonté " 25.

Pendant sa maladie, elle nous dit : " Cette parole : ‘Quand même Dieu me tuerait, j’espérerais encore en lui ‘, m’a ravie dès mon enfance. Mais j’ai été longtemps avant de m’établir à ce degré d’abandon ; maintenant, j’y suis... Le bon Dieu m’a prise et m’a posée là " 26. C’est sur ce sentiment de confiance absolue et non sur la pureté de son coeur qu’elle fondait [578] ses espérances. Elle m’écrit : " Si les âmes faibles et imparfaites comme la mienne, sentaient ce que je sens, aucune ne désespérerait d’atteindre le sommet de la montagne de l’amour, puisque Jésus ne demande pas de grandes actions, mais l’abandon et la reconnaissance " 27.

Toutefois, la confiance en Dieu de soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus s’alliait à une crainte pleine d’amour, la crainte de l’offenser. Etant toute petite, elle dit un jour à ma mère : " Maman, si j’étais méchante, j’irais donc en enfer ? Je veux être mignonne, comme un petit ange, pour aller au ciel " 28. Elle fut fidèle à sa résolution. Elle le dit elle-même dans sa dernière maladie : " Depuis l’âge de trois ans, je n’ai rien refusé au bon Dieu " 29.

La dernière partie de l’ " Histoire d’une âme ", qui n’est autre chose qu’une longue lettre qu’elle m’adressa en septembre 1896, est tout entière l’expression de sa confiance absolue dans la grâce de Dieu.

[Réponse à la vingt-sixième demande] :

Dans toutes les lettres et exhortations que j’ai citées, dans la question précédente, la Servante de Dieu s’efforça précisément de me faire partager ses sentiments de parfaite confiance en Dieu. Voici encore un trait qui montre combien elle désirait former en nous ces dispositions de détachement des consolations créées. Me voyant, chaque fois que ma patience était à bout, chercher consolation auprès de notre mère [579] prieure, elle me dit : " Vous blessez votre âme en agissant ainsi, vous lui enlevez sa force. Il faudrait s’élever au-dessus de ce que disent les soeurs, de ce qu’elles font. Il faudrait être dans notre monastère comme si nous ne devions y passer que deux jours : on se garderait bien de dire ce qui déplaît, sachant qu’on va le quitter " 30.

[Session 24 : - 22 juillet 1915, à 9h. et à 2h. de l’après-midi]

[582] [Réponse à la vingt-septième demande] :

Elle avait une grande horreur du péché ; la crainte d’avoir pu offenser Dieu la tenait dans une sorte d’angoisse, elle n’eut la paix que lorsqu’un prédicateur et confesseur de retraite lui eut assuré que ce qu’elle appelait ses fautes, ne contristait pas le bon Dieu. Elle ne commettait en effet que des fautes d’inadvertance.

[Réponse à la vingt-huitième demande] :

La charité pour Dieu fut la caractéristique de sa sainteté. Elle voulait aimer Dieu, comme il n’avait jamais été aimé, et se sentant impuissante à réaliser ses immenses désirs, elle se fait petite enfant, afin que le Seigneur, en ayant pitié, la prenne dans ses bras et l’élève lui-même jusqu’aux sommets. Elle raconte, dans [583] la partie de son manuscrit qu’elle N’adressa, comment, après avoir cherché sa place au sein de l’Église, ne se reconnaissant en aucun des membres qui l’illustrent par leurs glorieuses actions, elle trouva dans l’amour qu’elle voulait donner à Dieu, la clef de sa vocation : " Oui, dit-elle, j’ai trouvé ma place au sein de l’Église : dans le coeur de l’Église ma mère, je serai l’amour " 31. Son amour pour Dieu la rendait tellement conforme à toutes ses volontés qu’elle nous a dit : " On m’avait forcée de demander la guérison de papa le jour de ma profession ; mais je ne pus jamais dire autre chose que cela : Mon Dieu, je vous en supplie, que ce soit votre volonté que papa guérisse " 32.

L’amour de la souffrance fut toujours vif dans son coeur, par conformité avec Notre Seigneur qui a voulu souffrir pour expier nos péchés. Elle désirait même le martyre, afin de donner à Dieu des preuves de son amour. Pendant sa dernière retraite, elle m’écrivait ses sentiments intimes sous la forme d’une prière adressée à Jésus : " Je voudrais par dessus tout, ô mon bien-aimé Sauveur, verser mon sang pour toi, jusqu’à la dernière goutte. Je sens le besoin d’accomplir pour toi toutes les oeuvres les plus héroïques. Si je voulais écrire tous mes désirs, il me faudrait emprunter ton livre de vie ; là sont rapportées les actions de tous les saints, et ces actions je voudrais les avoir accomplies pour toi " 33.

Elle mettait ces sentiments en pratique et elle fit, en réalité, de sa vie religieuse un martyre par sa très grande fidélité. Elle ne veut laisser échapper au- [584]cun petit sacrifice, aucun regard, aucune parole ; elle veut faire les moindres actions par amour. Comparant ces actes de vertu à des fleurs, elle écrit : " Je n’en rencontrerai pas un sans l’effeuiller pour toi, Jésus. Et puis, je chanterai toujours, même s’il faut cueillir mes roses au milieu des épines, et mon chant sera d’autant plus mélodieux que ces épines seront plus longues et plus piquantes " 34.

Son amour pour Dieu était pur et désintéressé. Elle me dit peu de temps avant sa mort : " Si le bon Dieu me disait : ‘Si tu meurs tout de suite, tu auras une très grande gloire ; si tu meurs à 80 ans, ta gloire sera bien moins grande, mais cela me fera beaucoup plus de plaisir`, alors, je n’hésiterais pas à répondre : ‘Mon Dieu, je veux mourir à 80 ans, car je ne cherche pas ma gloire, mais seulement votre plaisir’... Je serais heureuse de supporter les plus grandes souffrances sans que Dieu le sache, si c’était possible... Non pas afin de lui donner une gloire passagère, mais si je savais seulement que, par ce témoignage de mon amour, un sourire pût effleurer ses lèvres ". 35 Elle écrit quelques mois avant sa mort : " Je veux bien être malade toute ma vie, si cela fait plaisir au bon Dieu, et je consens même à ce que ma vie soit très longue. La seule grâce que je désire, c’est qu’elle soit brisée par l’amour ". 36

[Réponse à la vingt-neuvième demande] :

J’ai dit, en répondant à la XVIIe question, que la vie de la Servante de Dieu a été une oraison continuelle [585], et qu’elle a pu m’affirmer qu’elle ne croyait pas avoir été trois minutes sans penser à Dieu.

[Réponse à la trentième demande] :

Tous les discours et les lettres que j’ai rapportés tendent évidemment à communiquer aux autres l’amour dont elle était embrasée.

[Réponse à la trente-et-unième demande] :

C’est en vue d’expier les péchés qu’elle aimait la souffrance. Elle la regardait comme un des moyens les plus efficaces pour sauver les âmes. Le jour de sa mort, étant dans une agonie inexprimable, elle nous dit : " Je ne m’explique les souffrances que j’endure que par le désir extrême que j’ai de sauver les âmes ". 37

[Réponse à la trente-deuxième demande] :

L’amour de Dieu conduisait soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus à l’amour du prochain. Je lui disais un jour : " On est bien heureux de mourir après avoir passé sa vie dans l’amour du bon Dieu ". - " Oui, me répondit-elle, mais pour passer sa vie dans l’amour du bon Dieu, il ne faut pas manquer à la charité envers le prochain ". 38

Ce qui prouve bien qu’elle n’aimait pas le prochain par des vues humaines, c’est qu’elle cherchait spécialement à faire du bien à ceux dont le caractère était moins attrayant. Ainsi, à la lingerie, elle demanda d’être l’aide d’une soeur d’un caractère tel qu’elle éloignait [586] tout le monde. Cette soeur avait en effet des idées noires et ne faisait presque rien. De même elle se dévoua au service d’une pauvre soeur converse, soeur Saint-Pierre, remarquable par son humeur acariâtre.

[Réponse de la trente-troisième à la trente-cinquième demande inclusivement] :

Sa charité envers le prochain la rendait industrieuse pour rendre service. Elle consolait les affligés et excusait, tant qu’elle pouvait, les défauts les plus insupportables du prochain. Ainsi, cette pauvre soeur, Marie de Saint Joseph, dont elle était l’aide à la lingerie, n’excitait en elle qu’une tendre compassion : " Si vous saviez, me disait-elle, comme il faut lui pardonner, comme elle est digne de pitié ! Ce n’est pas sa faute si elle est mal douée ... Ayez-en donc pitié. Oh ! comme il faut pratiquer la charité envers le prochain ! " 39.

Il y avait à l’infirmerie une religieuse neurasthénique dont l’ennui incurable était un supplice pour celle qui devait lui tenir compagnie. Comme j’en témoignais de la lassitude, soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus me dit : " Que j’aurais été heureuse si on m’avait demandé cela ! Cela m’aurait peut-être coûté selon la nature, mais il me semble que je l’aurais fait avec tant d’amour, parce que je pense à ce qu’a dit Notre Seigneur : ‘J’étais malade et vous m’avez soulagé’ " .

Elle se plaisait dans son enfance à secourir les pauvres, à distribuer les aumônes aux mendiants.

Sa charité la portait à s’oublier en toute circonstance. Pendant les longs mois de sa dernière maladie, [587] elle ne voulut pas consentir à ce qu’on la veillât pendant la nuit.

Un jour, que je la voyais très fatiguée se promener dans le jardin par obéissance, elle me rappela sa doctrine de la réversibilité des mérites et même des actes les plus simples : " Je marche - me dit-elle, pour un missionnaire. Je pense que là-bas, bien loin, l’un d’eux est épuisé de ses courses apostoliques, et pour diminuer ses fatigues j’offre les miennes au bon Dieu " .

Elle se préoccupait d’exercer la charité, même après sa mort. Elle me dit un jour, après avoir fait la neuvaine à saint François Xavier : " J’ai demandé la grâce de faire du bien après ma mort, et je suis sûre d’être exaucée " 42. Elle me dit aussi, faisant allusion à un trait de la vie de saint Louis de Gonzague, que nous lisions au réfectoire : " Moi aussi, après ma mort, je ferai tomber une pluie de roses " 43.

[588] [Suite de la réponse à la trente-sixième demande] :

Elle aimait à prier pour les défunts, afin d’acquitter leurs dettes à la justice divine. Elle priait constamment pour la conversion des pécheurs qu’elle appelait " ses enfants " 44 ; et quand ses protégés étaient morts, elle s’intéressait encore à eux et faisait dire des messes pour le repos de leurs âmes.

Quand notre bon père fut atteint de paralysie cérébrale, elle disait que " c’était le temps de son purgatoire " 45, bien qu’elle l’estimait comme un saint : elle ne laissait point de craindre pour les petites imperfections qui échappent même aux justes. C’est pourquoi elle demanda à notre mère de faire dire, dans ce temps-là, des messes à son intention

[Réponse à la trente-septième demande] :

Si on entend par prudence la sagesse surnaturelle, je puis dire que soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus avait une sagesse céleste Elle n’excédait en rien ; elle n’était ni présomptueuse, ni inconsidérée. Elle estimait pure vanité toutes les choses de la terre, et sa prudence brillait dans tous ses actes. Elle l’avait d’ailleurs demandée à Dieu, témoin ce vers de sa poésie

" Jésus, rappelle-toi " :

" Aux affaires du ciel, daigne me rendre habile " 46.

Bien qu’elle fût portée par attrait à la pratique de l’amour désintéressé, elle ne laissait pas de considérer la récompense du ciel pour s’encourager dans les souffrances de la vie. Lors de notre grande épreuve, [589] au sujet de la maladie de notre bon père, elle m’écrivait ce billet : " Le bon Dieu nous dit qu’au dernier jour il essuiera toutes les larmes de nos yeux, et, sans doute, plus il y aura de larmes essuyées, plus la consolation sera grande " 47.

J’ai remarqué aussi sa prudence avec mère Marie de Gonzague qui était tout à coup prise de jalousie, lorsqu’elle s’apercevait que les novices donnaient leur confiance à la Servante de Dieu. Dans une de ces occasions, en particulier, soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus montra tant de prudence qu’elle désarma la pauvre mère qui était alors dans les plus violentes tentations de jalousie.

[Réponse à la trente-huitième demande] :

La Servante de Dieu était très prudente aussi dans les conseils qu’elle donnait aux autres. Dans un entretien intime (à Pâques 1897), elle me demanda si j’avais eu quelquefois des tentations contre la foi. Je fus surprise de sa question, car j’ignorais ses épreuves contre la foi : je ne les connus que plus tard, surtout par la lecture de l’ " Histoire d’une âme ". Je lui demandai donc si elle en avait elle- même ; mais elle répondit d’une manière vague et détourna la conversation. Je compris alors qu’elle ne voulait rien me dire, par crainte de me faire partager ses tentations, et je fus très frappée de sa prudence en cette occasion.

Elle attachait un grand prix à la coopération personnelle dans l’affaire du salut. Lorsqu’elle m’écrivait, [590] le 17 décembre 1896 : " Jésus veut nous donner gratuitement son ciel " 48, c’est parce qu’elle considérait toutes nos actions comme un néant et n’attribuait la récompense qu’à la seule miséricorde divine, dans le même sens que saint Paul lorsqu’il dit que le salut n’est pas l’ouvrage de celui qui veut, ni de celui qui court mais de Dieu qui fait miséricorde. Cela toutefois ne l’empêchait pas d’insister dans les conseils qu’elle nous donnait, sur la nécessité des oeuvres. Ainsi, un jour où je lui disais : " Quand on s’offre à l’amour miséricordieux on peut donc espérer d’aller tout droit au ciel ? ", " Oui - me répondit-elle -, mais il faut aussi pratiquer la charité envers le prochain " 49.

Une autre fois, elle m’écrit : " Que j’ai soif du ciel, de ce séjour bienheureux, où l’on aimera Jésus sans réserve ! Mais il faut souffrir pour y arriver... Eh ! bien, je veux souffrir tout ce qu’il plaira à mon bien-aimé, je veux le laisser faire de moi tout ce qu’il désire " (7 septembre 1890).

[Réponse à la trente-neuvième et à la quarantième demande]

Il me semble que tout ce que j’ai dit sur sa charité envers Dieu et envers le prochain renferme implicitement la pratique fidèle de la vertu de justice.

[Réponse à la quarante-et-unième demande] :

Dès son enfance, malgré sa nature très sensible, elle dominait courageusement ses impressions et sa vivacité naturelle.

[591] J’ai déjà dit qu’à trois ans elle voulait assister aux leçons que je donnais à Céline, et avait déjà assez d’empire sur elle-même pour ne pas dire un seul mot pendant les deux heures que durait la leçon.

Elle ne s’excusait jamais. Mon père lui fit, un jour, une forte réprimande qu’elle ne méritait pas, elle l’accepta sans rien dire.

Vers l’âge de 10 ans, elle avait un grand désir d’apprendre le dessin, voyant sa soeur Céline prendre des leçons de cet art d’agrément ; elle n’aurait eu qu’un mot à dire pour l’obtenir de mon père qui le lui proposait. Sur mon observation que ce serait peu utile, elle garda le silence et laissa croire qu’elle ne le désirait pas. Elle nous raconta plus tard, au Carmel, que cela avait été pour elle un grand sacrifice. Je lui dis alors qu’elle aurait dû réclamer : " Oui, me répondit-elle, mais je ne voulais rien refuser au bon Dieu ".

A l’examen de profession de notre cousine, soeur Marie de l’Eucharistie, on nous permit de l’accompagner jusqu’à la porte de clôture où notre tante l’attendait. Soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus se priva de la joie de cette rare entrevue de famille. " Puisque notre mère nous laisse libres, je préfère ne pas y aller " 50.

Elle ne s’emportait point si on lui disait une parole amère. Un jour de cérémonie funèbre, elle arrangeait des gerbes de fleurs. Une soeur converse lui dit : " Pourquoi mettez-vous en évidence les bouquets qui viennent de votre famille, tandis que vous méprisez ceux des pauvres ? ". Sans rien répliquer et de la façon la plus aimable, [592] elle déféra au désir de cette soeur et plaça en avant des fleurs plus communes envoyées par les pauvres.

[Réponse à la quarante-deuxième demande] :

La Servante de Dieu avait une force d’âme remarquable. Elle supportait les plus dures épreuves, en conservant toujours une amabilité souriante qui dissimulait sa souffrance.

Pendant la maladie de mon père, elle supportait en silence son chagrin, sans rechercher jamais une consolation auprès de nous, et pourtant à son âge, un épanchement avec nous, en qui elle avait tant de confiance, lui aurait été précieux.

Au lendemain de l’hémorragie dont elle fut atteinte, le Jeudi Saint 1896, la voyant toute pâle, et travaillant pourtant comme à l’ordinaire, je lui demandai si elle était malade, et je lui proposai de l’aider dans son travail. Elle me remercia sans me rien dire du grave accident qui venait de lui arriver et que je ne connus que plus tard.

Elle fut forte dans les aridités spirituelles, comme le prouvent les lettres qu’elle m’écrivait à l’époque de sa prise d’habit et de sa profession : " Votre petite fille n’entend guère les harmonies célestes, son voyage de noces est bien aride. Ma seule consolation est une force et une paix très grandes, et puis j’espère être comme Jésus veut que je sois " 53.

Elle savait si bien dominer les antipathies naturelles que je m’imaginai un jour qu’elle aimait [593] plus que moi une religieuse dont le caractère était très opposé au sien. J’ai su plus tard que c’était par vertu qu’elle lui témoignait tant de prévenance.

En 1896, mère Agnès de Jésus et soeur Geneviève furent sur le point de partir pour Saigon ; soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus m’avoua que ce départ lui était bien pénible : " Parce que, me dit-elle - ce n’est pas la volonté du bon Dieu, j’en suis sûre " 54. Pourtant, elle ne dit pas un mot pour les détourner de ce projet. Elle écrit à cette occasion dans son manuscrit : " Parce que mon coeur est capable de souffrir beaucoup, je désire donner à Jésus tous les genres de souffrance " 55.

Sa force d’âme se manifesta surtout dans sa dernière maladie. Même au plus fort de la fièvre, elle ne demandait pas de rafraîchissements si on ne les lui présentait pas. Comme je m’en plaignais, lui rappelant que notre mère l’avait obligée de demander tout ce qui lui serait nécessaire, elle me répondit : " Je demande ce qui m’est nécessaire, mais non ce qui me fait plaisir " .

[Réponse à la quarante-troisième demande] :

Lors de sa maladie à l’âge de 10 ans, le docteur avait prescrit des douches. Au moment de les lui donner chaque jour, je vois encore ce petit ange me dire d’un air suppliant, quand je voulais la déshabiller : " Oh ! Marie !... ", et de grosses larmes tombaient de ses yeux, me conjurant de la laisser. C’était pour elle un martyre.

En grandissant, elle vit les choses de plus haut, et tout en restant pure comme un lis, elle était d’une [594] grande simplicité. Elle avait cependant deviné les choses de la vie, mais sentait bien, comme elle l’a écrit, " que tout est pur pour les purs " 57.

[Session 25 : - 23 juillet 1915, à 9h. et à 2h. de l’après-midi]

 

[597] Réponse à la quarante-quatrième demande] :

Soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus pratiqua la pauvreté avec une grande perfection, et ne se plaignit jamais des excès qu’elle rencontra en religion dans l’exercice de cette vertu.

Elle nous confia, à la fin de sa vie, qu’elle avait tellement souffert du froid au Carmel, que c’était à en mourir ; cependant, je ne l’ai jamais entendue, à ce sujet, se plaindre une seule fois.

La soeur cuisinière, connaissant bien sa vertu, lui servait ce qu’elle ne pouvait pas donner à d’autres, et même refusait de lui donner un oeuf à la coque, si les oeufs étaient chers. Mère Agnès de Jésus s’en aperçut et en eut de la peine, mais soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus lui dit : " Ne vous tourmentez pas pour moi, je vous en prie, je suis encore trop bien soignée " 58.

La soeur chargée des alpargates agissait de même. Pour soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus tout était [598] assez bien. Elle mettait morceau sur morceau, les semelles devenaient d’une telle pesanteur qu’aucune n’aurait voulu les porter. Mais soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus ne se contentait pas encore de cela : elle-même faisait tant de reprises sur les toiles qu’on ne voyait plus le premier tissu. Après sa mort, j’aperçus ces pauvres alpargates, et je voulus les ramasser comme des reliques. Mais la soeur converse, qui se trouvait par là, me dit : " Vous ne garderez pas ces saletés-là ! ", et me les arrachant des mains, elle les jeta au feu.

Elle m’a dit bien souvent depuis combien elle regrettait de les avoir brûlées, et qu’elle serait heureuse de les avoir aujourd’hui pour montrer jusqu’où allait sa pauvreté.

La Servante de Dieu disait que la pauvreté consiste à se voir privée, non seulement des choses agréables, mais des choses indispensables ; aussi, lorsqu’on lui prenait ce qui lui était nécessaire, elle ne s’en plaignait pas. Une soeur lui ayant enlevé par mégarde sa petite lampe, elle resta dans les ténèbres toute une soirée, ne pouvant travailler et supportant avec tranquillité d’âme cette fâcheuse aventure.

Elle ne voulait pas prendre des remèdes chers, même s’ils lui étaient envoyés par sa famille, parce qu’elle n’était plus, disait-elle, traitée comme une petite pauvre. Mais s’ils étaient donnés par charité d’autres personnes, elle les acceptait humblement.

[Réponse à la quarante-cinquième demande] :

Jamais la Servante de Dieu ne faisait la plus petite désobéissance. Après la mort de notre mère, elle obéissait [599] exactement à tout ce que sa soeur Pauline ou moi lui commandions. Bien qu’elle aimât beaucoup la lecture, elle ne la prolongeait jamais, même d’une ligne, au-delà du temps de la récréation.

Au temps de ses scrupules elle suivait exactement mes conseils.

Au Carmel, une soeur la voyant toujours observer fidèlement les moindres recommandations, jugea, par ce seul fait, qu’elle était une sainte. C’est cette soeur elle-même qui m’a fait part de son appréciation... Ainsi, on nous recommande de ne pas ouvrir les livres qui ne sont pas à notre usage, de ne regarder ni les gravures, ni les brochures, etc. La Servante de Dieu m’avoua qu’elle s’était accusée, en confession, d’avoir regardé une feuille d’un journal de modes. Je lui dis que ce n’était pas rigoureusement défendu. Elle me répondit : " C’est vrai, mais le père m’a dit que c’était plus parfait de s’en priver. Pourtant, ajouta-t-elle en voyant la vanité du monde, cela élevait plutôt mon âme vers le bon Dieu. Mais à présent, quand je trouve de ces gravures, je ne les regarde plus " 59.

J’essayais souvent de l’arrêter, pour lui dire un mot qui me semblait utile. Je lui donnais quelquefois pour motif qu’il fallait que je lui apprenne à chercher l’office du jour. Trois semaines seulement après son entrée au Carmel, elle me dit dans une de ces occasions : " Je vous remercie, je l’ai bien trouvé aujourd’hui ; je serais heureuse de rester avec vous, mais il faut que je m’en prive, car nous ne sommes plus chez nous " 60. [600] Au premier son de la cloche, elle interrompait même au milieu d’un mot son écriture. J’ai conservé d’elle un billet qui se termine ainsi : " Je suis obligée de vous quitter, 9 heures son... " (sonnent). 61. Un jour qu’elle me voyait au contraire achever d’écrire une ligne après l’heure, elle me dit : " Il vaudrait beaucoup mieux perdre cela et faire un acte de régularité. Si on savait ce que c’est ! " 62.

Sur son lit de mort, alors qu’elle était consumée par la fièvre, je voulus enlever le drap de sur ses pieds. Elle me dit : " Ce n’est peut-être pas permis " 63.

[Réponse à la quarante-sixième demande] :

Soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus aima toujours à rester inconnue. Comme la Sainte Vierge, " elle gardait tout dans son coeur ", et personne ne soupçonnait les trésors qui y étaient cachés.

Au Carmel, son humilité se développa merveilleusement, car elle eut de riches occasions de pratiquer cette vertu, et elle n’en laissa échapper aucune.

Dans son postulat, elle trouvait moyen de se placer, pendant les récréations, auprès d’une jeune soeur converse, sa compagne de noviciat, qui prenait plaisir à la molester par des taquineries de mauvais goût. La Servante de Dieu écoutait humblement toutes ses sottises, et au lieu de fuir sa compagnie, elle se mettait chaque jour auprès d’elle.

Je l’ai vue aussi écouter, avec humilité profonde et une grande douceur, une postulante qui l’accablait de reproches injustes.

 

[601] Le 29 juillet 1897, alors qu’elle était très malade à I’infirmerie, une soeur, croyant lui faire plaisir, lui apporta, pour la distraire, un petit jouet d’enfant. Mais elle, toute étonnée, l’accepta sans enthousiasme, en disant : " Que voulez-vous que je fasse de cela " ? La soeur, un peu froissée, lui fit sentir qu’elle ne la trouvait pas délicate d’agir ainsi. Alors avec une humilité profonde, la Servante de Dieu répondit : " Vous avez raison, oh ! comme je suis imparfaite !... mais je suis heureuse quand même de me sentir si misérable ! " 64. Et, malgré la fatigue et l’épuisement où elle se trouvait ce jour-là, elle accueillit un sourire toutes les soeurs qui venaient la voir.

Les lettres que la Servante de Dieu m’a écrites, sont toutes remplies de l’expression de ses sentiments d’humilité. En voici quelques passages :

" Mes désirs du martyre ne sont rien, à vrai dire, on peut les appeler ces richesses spirituelles qui rendent injustes lorsqu’on s’y repose avec complaisance... ces désirs sont une consolation que Jésus accorde parfois aux âmes faibles comme la mienne... Oh ! je le sens, ce n’est pas cela du tout qui plaît au bon Dieu dans ma petite âme. Ce qui lui plaît, c’est de me voir aimer ma misère et ma pauvreté " 65.

Suite de la réponse à la quarante-sixième demande] :

En 1888, elle m’écrit : " Priez pour le ‘petit roseau’ si faible qui est dans le fond de la vallée ; le moindre souffle le fait plier ! Demandez que votre petite fille reste toujours un petit grain de sable, bien obscur, bien caché, que Jésus seul puisse le voir, qu’il devienne de plus en plus petit " 66.

Et plus tard, en 1896 : " Jésus se plaît à me montrer l’unique chemin qui conduit à cette fournaise de l’amour : ‘Si quelqu’un est tout petit, qu’il vienne à moi’, a dit l’Esprit Saint. Il a dit encore : ‘La miséricorde est accordée aux petits’. Ah ! si les âmes faibles et imparfaites sentaient ce que sent la plus petite de toutes les âmes, l’âme de votre petite Thérèse, pas une seule ne désespérerait d’arriver au sommet de la montagne de l’amour " 67.

Son humilité ne l’empêchait pas de reconnaître les privilèges dont Dieu l’avait gratifiée, mais elle savait toujours tout rapporter à lui. En 1896, pendant sa dernière maladie, elle me dit : " En me penchant un peu, je voyais par la fenêtre le soleil couchant qui jetait ses derniers feux sur la nature, et le sommet des arbres paraissait tout doré. Je me disais alors : " Quelle différence quand on reste dans l’ombre ou qu’on s’expose [603] au soleil de l’amour, alors on paraît tout doré... c’est pour cela que je parais toute dorée, en réalité je ne le suis pas et je cesserais de l’être immédiatement si je m’éloignais de l’amour " 68.

[Réponse à la quarante-septième demande] :

J’ai déjà dit et prouvé, en parlant de ses vertus, qu’elle était toujours égale à elle-même dans la joie ou dans l’épreuve ; or, cette constance absolue dans la vertu sans jamais aucune défaillance, me paraît héroïque ; je n’ai jamais vu cela dans aucun autre.

[Réponse à la quarante-huitième demande] :

Soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus était si bien équilibrée en tout que la pondération me paraissait en elle comme naturelle. Elle n’excédait en rien ; je l’ai vue, par amour pour Dieu, se porter à la mortification, mais selon les règles d’une prudente sagesse dont elle était remplie. J’ai d’ailleurs déjà rendu témoignage de cette modération en répondant aux questions sur les vertus de prudence et de tempérance.

[Réponse à la quarante-neuvième demande] :

Dans plusieurs circonstances, il m’a semblé qu’elle avait la connaissance surnaturelle de ce qui se passait dans mon âme. Ainsi peu de temps avant sa mort, j’avais eu, à la pensée de la perdre, un sentiment secret de désespoir. Ce sentiment était tout à fait atténué lorsque j’entrai un peu plus tard à l’infirmerie aucune [604] marque de chagrin. Elle me dit pourtant aussitôt qu’elle me vit : " Il ne faut pas pleurer comme ceux qui n’ont pas d’espérance " 69.

Huit jours avant sa mort, je dis à mère Agnès de Jésus : " C’est vous qu’elle a choisie pour sa petite mère dès son enfance : je n’en suis pas jalouse, mais pourtant je l’ai élevée aussi, et je voudrais qu’elle ait pour moi la même affection qu’elle a pour vous ". Dans l’après-midi, nous étions toutes deux seules auprès de son lit. Elle nous regarda d’un air profond et dit : " Mes petites soeurs, c’est vous qui m’avez élevée... " 70. Ma surprise fut grande de voir qu’elle répondait à un désir que je ne lui avais pas manifesté.

On peut regarder aussi comme une faveur surnaturelle certaines particularités de l’étrange maladie dont elle fut atteinte à 10 ans et dont j’ai décrit les circonstances en répondant à la question dixième. Ainsi, elle ne s’est jamais blessée dans les chocs violents de la tête qu’elle se donnait sous l’empire de ce mal mystérieux. J’ai dit aussi comment sa pudeur se trouvait mystérieusement sauvegardée dans les attitudes que j’ai décrites. Mais surtout il faut rappeler ici l’apparition de la Sainte Vierge qui termina miraculeusement cette épreuve.

On peut noter dans la vie de la Servante de Dieu une vision et plusieurs paroles qui semblent prophétiques. La vision se rapporte aux années de son enfance. Vers l’âge de sept ans, elle entrevit dans une vision [605] la terrible maladie qui devait éprouver la vieillesse de notre père. Elle aperçut par une fenêtre, donnant sur le jardin, notre père qui pourtant était absent depuis plusieurs jours. Ma soeur Pauline et moi, nous entendîmes Thérèse qui appelait avec angoisse : " Papa, papa ". Nous essayâmes de la tranquilliser, en lui rappelant que notre père était absent, mais elle assura qu’elle l’avait vu marcher au fond du jardin, la tête couverte d’une étoffe sombre. Nous l’emmenâmes dans le jardin pour la convaincre qu’il n’y avait personne ; mais elle demeura assurée d’avoir vu notre père dans cette attitude mystérieuse. J’ai dit comment les dernières années de notre père avaient été pour lui un martyre.

En 1889, il fut atteint d’une paralysie cérébrale qui lui enleva toutes ses facultés, et chose remarquable, au début de cette maladie, on le voyait assez souvent se couvrir la tête. Beaucoup plus tard, au Carmel, je m’entretenais avec soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus, un jour de licence, quand rappelant ses souvenirs d’enfance, elle fut amenée à me redire cette vision extraordinaire dont nous comprîmes alors la signification. Vers la fin de sa vie, je lui dis que j’aurais bien de la peine à consoler mère Agnès de Jésus que sa mort allait tant affliger. " Ne vous inquiétez pas - dit-elle -- mère Agnès de Jésus n’aura pas le temps de penser à sa peine car, jusqu’à la fin de sa vie, elle sera si occupée de moi, qu’elle ne pourra même pas suffire à tout " 71.

Vers le mois d’août 1897, six semaines environ avant sa mort, j’étais auprès de son lit avec mère Agnès de Jésus et soeur Geneviève. Tout à coup, sans [606] qu’aucune conversation ait amené cette parole, elle nous regarda avec un air céleste et nous dit très distinctement : " Vous savez bien que vous soignez une petite sainte " 72.

[La Servante de Dieu expliqua-t-elle ou corrigea-t-elle cette expression ? - Réponse] :

Je fus très émue de cette parole comme si j’avais entendu un saint prédire ce qui arriverait après sa mort. Sous l’empire de cette émotion, je m’éloignai un peu dans l’infirmerie, et je ne me souviens pas d’avoir entendu autre chose.

Dans le cours de sa vie religieuse, soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus eut encore, en faisant son chemin de croix, une grâce extraordinaire, dont elle fit confidence à mère Agnès de Jésus. Je n’ai pas souvenir qu’elle m’en ait parlé à moi-même. Elle rappelle d’ailleurs ce fait dans sa vie.

Enfin elle mourut dans une extase d’amour.

[De tels faits merveilleux étaient-ils fréquents au cours de la vie de la Servante de Dieu et la caractérisaient-ils de manière habituelle ? - Réponse] :

Ces faits m’ont toujours paru nettement surnaturels, mais ils ne sont que de rares exceptions dans la vie de la Servante de Dieu, dont le caractère général était une grande simplicité.

[Réponse à la cinquantième demande] :

A ma connaissance, rien de semblable ne s’est produit pendant sa vie.

[Session 26 : - 26 juillet 1915, à 9h. et à 2h. de l’après-midi]

 

[613] [Réponse à la cinquante-et-unième demande] :

C’est sur ma demande que mère Agnès de Jésus, prieure, demanda à soeur Thérèse d’écrire, pour ses soeurs, ses souvenirs d’enfance ; elle le fit avec une grande simplicité vers la fin de l’année 1895. En 1897, mère Marie de Gonzague, devenue prieure, ordonna à la Servante de Dieu d’écrire ses souvenirs de vie religieuse qui forment la seconde partie de son Histoire. Enfin, au mois de septembre 1896, je la priai de me mettre par écrit sa " petite voie spirituelle ". Elle le fit et ces pages forment la fin de l’ " Histoire d’une âme ".

[En rédigeant son manuscrit, la Servante de Dieu en prévoyait-elle l’édition publique ? - Réponse] :

Ni elle, ni nous ne pensions que ces souvenirs seraient jamais publiés : c’étaient des notes de famille. Dans les derniers mois de la vie de soeur Thérèse seulement, mère Agnès de Jésus pensa que la publication de ces souvenirs pourrait être utile à la gloire de Dieu. Elle le dit à soeur Thérèse de l’Enfant Jésus qui accepta cette idée avec sa simplicité et sa droiture ordinaire. Elle désirait que le manuscrit fût publié parce qu’elle y voyait un moyen de faire aimer le bon Dieu, ce qu’elle considérait comme sa mission. Elle ajouta aussi : " Si notre mère prieure brûlait tous ces cahiers, cela ne me troublerait aucunement : le bon Dieu n’ayant plus ce moyen en emploierait un autre " 73.

 

[614] [Ces pages reflètent-elles de manière authentique la vraie vie de la Servante de Dieu, ou relèvent-elles plutôt d’une conception idéale et imaginaire ? - Réponse] :

Au lieu qu’il y ait rien d’imaginaire dans ces mémoires, je suis convaincue qu’ils sont bien au-dessous de la réalité.

Outre ce manuscrit principal, la Servante de Dieu a aussi écrit des poésies, à l’occasion de nos fêtes et pour faire plaisir aux soeurs qui lui en demandaient. Elle a aussi écrit un certain nombre de lettres ; mais ni les poésies ni les lettres n’ont été écrites en vue de la publicité.

[Réponse à la cinquante-deuxième demande] :

Pendant les trois derniers mois de sa vie, les souffrances de la Servante de Dieu furent très cruelles, mais elle les supporta avec une patience héroïque et un grand abandon à la volonté de Dieu. Cependant elle me disait : " On ne sait pas ce que c’est de souffrir comme cela, non ! il faut le sentir... ". Je lui répondis : " Et moi qui ai demandé au bon Dieu que vous ne souffriez pas beaucoup, voilà comment il m’exauce ! ". - " Je lui ai demandé, reprit-elle, que les prières qui pourraient mettre obstacle à l’accomplissement de ses desseins sur moi, il ne les écoute pas " 74.

Quand nous lui disions que nous priions en vain pour son soulagement, elle répondit : " Plus les saints semblent sourds à nos prières, plus je les aime. Cela m’a fait plaisir de penser qu’on priait pour moi ; alors j’ai dit au bon Dieu que je voulais que ce soit pour les pécheurs ". - " Vous ne voulez donc pas que ce soit pour vous soulager ? " [615] - " Non ! " 75. " Ce qui me fait de la peine, lui dis-je un jour, c’est la pensée que vous allez souffrir encore ". - " Moi, je n’ai pas de peine, reprit-elle, parce que le bon Dieu me donnera la force de le supporter " 76.

Je lui dis une autre fois : " Vous n’avez donc pas du tout peur de la mort ? ". Elle prit un air sérieux et me répondit : " Non, pas encore... mais je pourrais bien en avoir peur comme les autres, car c’est un fameux passage... mais je m’abandonne au bon Dieu " 77.

Le 8 juillet, jour où soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus entra à I’infirmerie, on y plaça la statue de la Sainte Vierge qui l’avait guérie miraculeusement dans son enfance. Elle me dit en la regardant : " Jamais, elle ne m’a paru si belle ! Mais aujourd’hui, c’est la statue, et autrefois, vous savez bien que ce n’était pas la statue " 78.

Le 22 août soeur Geneviève lui dit en ma présence : " Les anges viendront vous chercher, oh ! que nous voudrions bien les voir ! " - " Je ne crois pas que vous les voyez, dit elle, mais ça ne les empêchera pas d’être là... Je voudrais pourtant bien avoir une belle mort pour vous faire plaisir. Je l’ai demandé à la Sainte Vierge ; je ne l’ai pas demandé au bon Dieu, parce que je veux le laisser faire comme il voudra. Demander à la Sainte Vierge, ce n’est pas la même chose. Elle s’arrange de mes petits désirs ; elle les dit ou ne les dit pas, c’est à elle de voir, pour ne pas forcer le bon Dieu à m’exaucerais.

Elle nous dit un jour : " Si vous saviez comme je fais des projets, que de choses je ferai quand je serai au [616] ciel ! ". - " Quels projets faites-vous donc ? ". - " Je commencerai ma mission de faire aimer le bon Dieu, comme je l’aime ; j’aiderai les prêtres, toute l’Église. J’irai là-bas aider aux missionnaires et empêcher les petits enfants de mourir sans baptême " 80.

Une autre fois je l’ai entendue dire à mère Agnès de Jésus : " Je serai heureuse de mourir dans les bras de mère Marie de Gonzague, parce qu’elle représente le bon Dieu. Avec vous, ma petite mère, il y aurait eu un côté humain : j’aime mieux qu’il n’y ait que du divin " 81.

Deux jours avant sa mort, elle nous demanda de l’eau bénite en disant : " Oh ! que je souffre ! Je ne puis faire le plus petit mouvement ; il me semble qu’on me tient avec une main de fer ! Oh ! priez pour moi. Je crois que c’est le démon qui augmente mes maux pour me désespérer. Ce n’est pas pour moi que je souffre, c’est pour un autre... et il ne veut pas... " 82.

Nous la veillâmes la dernière nuit de sa vie ; elle se préoccupait constamment de notre fatigue et tâchait de se servir elle-même pour ne pas nous déranger.

Le matin, elle regarda la statue de la Sainte Vierge et dit : " Oh ! Je l’ai priée avec une ferveur ! !... Oh ! c’est bien la souffrance toute pure, parce qu’il n’y a pas de consolation, non : pas une " 83.

Elle avait la langue complètement desséchée et elle souffrait tant que notre mère nous permit de rester toutes les trois près d’elle. Elle semblait délaissée du ciel et de la terre. " Oui, mon Dieu, disait-elle, tant que vous voudrez... mais ayez pitié de moi ! Je suis [617] réduite ! Non, je n’aurais jamais cru qu’on pouvait tant souffrir... C’est à cause de mon désir de sauver les âmes " 84.

Elle ne parla plus à partir de cinq heures, mais au moment de sa mort, à sept heures 1/4 du soir, elle prononça d’une voix entrecoupée, son dernier acte d’amour. Ses souffrances étaient alors à leur paroxysme, et elle a dû faire un effort suprême pour prononcer non seulement de coeur, mais des lèvres, ces mots, en regardant son crucifix : " Mon Dieu, je vous aime... " 85, C’est aussitôt après qu’elle eut sa vision. Son regard fixé en haut me rappela celui que j’avais vu dans son enfance, alors que la Sainte Vierge lui était apparue et l’avait guérie. C’est quelque chose du ciel qu’il est impossible de décrire. Une soeur passa un flambeau devant ses yeux, mais elle ne parut pas s’en apercevoir, car déjà, j’en suis sûre, elle jouissait des divines clartés.

Elle redressa la tête qu’elle avait jusque-là inclinée ; son visage n’était plus congestionné ainsi qu’il l’avait été pendant sa longue agonie, mais d’une blancheur comme transparente et d’une admirable beauté. Elle resta en cette attitude pendant plusieurs minutes, puis elle pencha la tête et expira doucement dans son extase d’amour ; c’était le jeudi 30 septembre 1897. J’ai alors éprouvé l’assurance que Dieu avait exaucé sa prière et que c’était l’amour qui avait brisé ses liens comme elle l’avait désiré.

[Réponse à la cinquante-troisième demande].

Après sa mort, je demandai à rester avec mère Agnès [618] de Jésus et soeur Aimée de Jésus qui étaient chargées de l’ensevelir. Les traits de la Servante de Dieu reflétaient une grâce ineffable ; elle semblait avoir douze ou treize ans. Lorsque le lendemain, à la levée du corps, on la transporta de l’infirmerie au choeur, elle me parut d’une beauté si idéale que je ne pouvais en détacher les yeux. C’était comme un reflet de gloire céleste qui apparaissait sur son visage. Au choeur, devant la grille où elle fut exposée, son expression devint plus grave, elle n’avait plus l’apparence d’une enfant. Mais j’ai remarqué qu’au matin du 4 octobre, lorsqu’on ferma le cercueil, malgré certains indices de décomposition qui commençaient déjà à paraître, elle reprit cet air d’enfant que je lui avais vu à I’infirmerie.

[Suite de la réponse à la cinquante-troisième demande] :

Aux funérailles de la Servante de Dieu, le concours de peuple fut nombreux ; mais cela peut s’expliquer peut-être par le fait que notre famille habitait Lisieux [619] même et y était connue. On fit toucher des chapelets, médailles, etc., mais c’est une pratique qui se renouvelle, quoique dans une moindre proportion, aux funérailles des religieuses carmélites.

[Réponse à la cinquante-quatrième demande] :

Je n’ai assisté ni à l’inhumation ni à la translation ; mais il est notoire que la Servante de Dieu a été inhumée au cimetière public de la ville de Lisieux, dans un terrain réservé au Carmel, et que le 6 septembre 1910, ses restes ont été transférés, sous le contrôle de monseigneur l’évêque de Bayeux, dans une sépulture maçonnée de briques non loin de la première tombe.

[Réponse à la cinquante-cinquième demande] :

Je ne sache pas que l’on ait, dans ces circonstances, et dans aucune autre, rendu un culte liturgique à la Servante de Dieu.

[Réponse à la cinquante-sixième demande] :

Je n’ai certainement pas vu par moi-même ce qui se passe au cimetière, mais je sais surabondamment par le rapport de nos tourières, de notre sacristain et des personnes qui viennent au parloir que, depuis de longues années, un concours régulier de pèlerins s’est établi à la tombe de soeur Thérèse, et qu’il s’augmente de jour en jour. On dépose sur la tombe des objets de toute sorte en témoignage de confiance et de reconnaissance. Très souvent, plusieurs fois par semaine, notre sacristain [620] doit débarrasser la tombe de ces objets qui l’encombrent. Ces jours derniers il en a rapporté trois grands paniers de photographies, suppliques, images, bouquets de fleurs, etc.

[Réponse à la cinquante-septième demande] :

Pendant sa vie, soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus passa inaperçue. Sauf nous, ses soeurs, et quelques novices, peu la connaissaient. Elle avait demandé d’être " oubliée, foulée aux pieds comme un petit grain de sable ", c’est ce qui lui arriva au Carmel. Cependant sa mère prieure (mère Marie de Gonzague, tout en étant jalouse d’elle parfois, disait qu’il n’y en avait point de pareille dans la communauté. D’autres la remarquaient pour son obéissance aux moindres recommandations que notre mère avait faites. Une soeur converse qui l’avait humiliée injustement, la jugea une sainte, voyant de quelle vertu elle avait fait preuve dans cette circonstance.

Etant petite, on la remarquait par la grâce qui était répandue sur toute sa personne. Une dame de nos connaissances disait : " Cette enfant a du ciel dans les yeux ". Moi-même, habituée à la voir tous les jours, je me disais souvent : " Quelle est ravissante ! " et je me demandais ce que le bon Dieu en ferait un jour.

Plus tard, au Carmel, en voyant sa vertu si grande, si extraordinaire dans sa simplicité, je pensais en soupirant : " Et dire que personne ne la connaîtra jamais ! "

Depuis que l’ " Histoire d’une âme " a fait connaître la Servante de Dieu, des témoignages d’admiration nous viennent de toutes les parties du monde ; il serait infini [621] d’en vouloir faire le détail. Un très grand nombre de prêtres, même d’évêques, viennent à la chapelle du Carmel, poussés par leur dévotion pour la Servante de Dieu.

[Réponse à la cinquante-huitième demande] :

Je n’ai entendu personne, ni dans la communauté, ni du dehors, formuler une opinion contraire à la sainteté de la Servante de Dieu.

[Réponse à la cinquante-neuvième demande] :

Depuis la mort de la Servante de Dieu, presque toutes, dans la communauté, nous avons senti, en diverses circonstances, des parfums mystérieux. J’ai joui moi-même plusieurs fois de cette faveur. La première fois, c’était en hiver, il n’y avait pas une seule fleur dans le préau, et en me rendant à l’oratoire de la Sainte Vierge pour la neuvaine que l’on fait tous les soirs aux intentions des personnes qui se recommandent à soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus, je sentis une odeur de fleurs, très suave, en passant près de la statue de l’Enfant Jésus, pour laquelle elle avait tant de dévotion. Souvent, c’est comme un merci qu’elle nous donne pour quelque bonne action que nous avons faite. Un jour, travaillant avec notre mère Agnès de Jésus en compagnie d’une autre soeur, nous sentîmes tout à coup une odeur d’encens. Depuis plusieurs années, je n’ai plus senti de parfum mystérieux sauf en une circonstance il y a très peu de temps, où ayant pratiqué un acte d’obéissance et de charité qui me coûtait beaucoup, j’ai été tout à coup enveloppée d’un [622] parfum pénétrant de fleurs de toutes espèces qui m’a suivie jusqu’à notre cellule. J’ai eu le sentiment très vif de la présence de soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus qui me montrait par là combien ces vertus sont agréables à Dieu.

J’ai négligé de dire au dernier procès, parce que c’est une grâce trop intime, que le lendemain de sa mort, après un acte de charité, j’ai comme senti son âme s’approcher de la mienne dans un tel sentiment d’allégresse que je ne puis l’exprimer.

Soeur Jeanne-Marie, qui a pour soeur Thérèse une grande confiance, l’invoqua un jour qu’elle avait beaucoup d’ouvrage. Malgré cette surcharge, elle consentit à aider la soeur cuisinière à remplir d’eau le bassin du fourneau. Elle commence par jeter un broc d’eau dans ce récipient qui en contenait quatre. Elle allait chercher un second broc d’eau, lorsque, à sa grande surprise, elle trouva la bouilloire remplie.

Quant aux miracles qui se font à l’extérieur, la correspondance que nous recevons tous les jours, au Carmel, les relate en très grand nombre, et les plus intéressants ont été publiés dans les " Pluies de roses ".

Nous avons en particulier reçu des preuves nombreuses de sa protection auprès des missionnaires. En voici quelques extraits :

Le révérend père Irénée, missionnaire apostolique à Wei-Hsien (Chine) nous écrit : " Je dois vous dire que notre chère petite fleur est en honneur dans notre vicariat. Il y a ici un dispensaire qui a envoyé déjà [623] des milliers de petits chinois au ciel, grâce au baptême administré à ceux qui sont en danger de mort ; or, cette année, une épidémie de la région a permis d’en baptiser deux mille en deux mois ; pour cela je louais des chars aux baptiseuses qui parcouraient les villages. J’ajoute que, le long du voyage, les baptiseuses priaient soeur Thérèse et donnaient son nom à la plupart des petites filles ".

Monseigneur Wittner écrivait en novembre 1912 : " J’ai nommé petite Thérèse coadjutrice du vicariat apostolique du Chantong Oriental ".

Une supérieure de la mission de Mousso (Côte-d’Ivoire) écrit en avril 1912 : " Soeur Thérèse nous est d’un puissant secours : dans nos courses apostoliques, nous sentons une main invisible qui nous conduit dans des recoins de cases cachées, où nous trouvons des âmes souffrantes... nous leur parlons de Dieu... et peu de temps après, ces payons désirent recevoir le baptême ".

Le père A. Van Aken, des pères blancs d’Afrique, écrit de Tabora, en décembre 1910 : " Dans presque toutes les huttes de nos chrétiens j’ai fait placer son image (de soeur Thérèse) ; j’ai placé cette image dans toutes les salles de catéchisme. Tout le monde me demande qui est cette petite bikira (vierge) et je suis obligé de donner des renseignements sur sa vie. Il y a environ trois ou quatre mois, j’ai convoqué mes catéchistes et je leur ai expliqué, en quelques mots bien simples, qui était soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus, et qu’elle doit avoir un grand crédit auprès du bon Dieu. Je leur ai distribué ensuite [624] son image en leur recommandant de demander à soeur Thérèse la conversion du pays entier. Ils l’ont fait ; or depuis ce jour-là, les : païens viennent au catéchisme non par unité, mais par foules entières, de sorte que, le dimanche, la cour de cette mission est bondée de monde... Remarquez qu’un grand nombre de ces pauvres noirs viennent de villages que je n’ai jamais visités, et qui auparavant étaient sinon hostiles, au moins complètement indifférents envers le missionnaire. Des pessimistes voudraient me faire croire que ce merveilleux mouvement ne persistera pas. J’ai la ferme confiance que soeur Thérèse ne m’abandonnera pas et qu’elle poussera nos pauvres noirs par milliers dans le sein de l’Église ".

La Servante de Dieu avait promis avant de mourir d’aider les missionnaires et de procurer le baptême aux petits enfants. Les lettres que j’ai citées entre mille autres semblables, prouvent que sa prophétie s’est réalisée.

[Réponse de la soixantième à la soixante-cinquième demande inclusivement] :

Je n’ai été témoin direct d’aucune guérison.

[Réponse à la soixante-sixième demande] :

Je n’ai rien à ajouter ni à modifier.

[Au sujet des Articles, le témoin dit ne savoir que ce qu’il a déjà déposé en répondant aux demandes précédentes. Est ainsi terminé l’interrogatoire de ce témoin. Lecture des Actes est donnée. Le témoin n’y apporte aucune modification et signe comme suit].

Signatum : SOEUR MARIE DU SACRÉ COEUR, témoin, j’ai ainsi déposé selon la vérité : je ratifie et confirme ma déposition.