LA PRIMAUTÉ DE L'ESPRIT SAINT

L'apostolat a pour but l'édification du Corps mystique du Christ, du Christ total, c'est-à-dire de l'Église ; dans ce travail, il trouve l'opposition radicale du démon, du royaume de Satan. Dans la lutte ainsi engagée pour l'édification du Corps mystique, Satan qui a été reconnu et proclamé par le Christ Jésus comme le prince de ce monde, remporte des victoires apparentes.

I. — PRÉSENCE VIVANTE DE L'ESPRIT SAINT

Or, Jésus a promis : " Je vous enverrai le Paraclet, l'Esprit qui sera votre consolateur, votre force ; lui vous éclairera, vous redira l'enseignement que je vous ai donné et vous dira même autre chose "1. L'Esprit Saint, en effet, prolonge et complète ici-bas la mission du Christ Jésus, du Verbe incarné.

Nous trouvons l'Esprit Saint déjà dans l'Ancien Testament, où la distinction des Personnes, la sainte Trinité n'apparaît pas cependant d'une façon très nette. Mais elle apparaît très clairement dans le Nouveau Testament.

Jésus conduit par l'Esprit

Dès que l'Incarnation se réalise, au jour de l'Annonciation, l'archange Gabriel annonce à la Vierge Marie que l'Esprit Saint surviendra en elle et la couvrira de son ombre2. C'est l'Esprit Saint qui l'enveloppe et réalise en elle le mystère de l'Incarnation.

Quand Jésus lui-même entre dans sa vie publique, il se présente à Jean-Baptiste pour être baptisé. L'Esprit Saint descend sur le Christ sous la forme d'une colombe et c'est à ce signe que Jean-Baptiste le reconnaît. Il le dit lui-même : " Celui sur lequel tu verras descendre l'Esprit Saint, c'est celui-là, le Messie, celui que j'ai envoyé "3. Puis l'Évangile nous dit que Jésus est conduit au désert par l'Esprit4.

Lui-même, alors qu'il a commencé sa vie publique, se présente à Nazareth et prend la

parole à la synagogue ; il ouvre la Sainte Ecriture et tombe providentiellement sur le passage d'Isaïe qui annonce que le Messie sera rempli de l'Esprit Saint : " Spiritus Domini super me, l'Esprit de Dieu sera sur moi ". A ses compatriotes de Nazareth, qui le connaissent bien et le prennent simplement pour le fils du charpentier Joseph, Jésus dit : " Cette parole se réalise aujourd'hui5, je suis celui sur lequel il est dit que l'Esprit Saint reposera ". Et au cours de sa vie, Jésus est conduit par l'Esprit Saint.

A la naissance de l'Église

L'Esprit Saint commence sa mission. Je le disais tout à l'heure, Jésus avant de monter au ciel, dit à ses Apôtres : " Ne quittez pas Jérusalem car je vais vous envoyer l'Esprit Saint6. Ne partez pas, ne commencez pas votre mission avant que l'Esprit Saint soit venu sur vous ".

Et, au jour de la Pentecôte en effet, l'Esprit Saint descend sur les Apôtres, il y a une manifestation, une théophanie extérieure, dans le feu et dans le bruit. L'Esprit Saint descend sur eux et les transforme complètement : c'est une prise de possession. L'Église est déjà fondée mais l'Esprit Saint, d'une façon visible

et sensible, en prend possession et commence son travail extérieur en descendant sur les Apôtres. En effet, Pierre prend aussitôt la parole et sa prédication opère immédiatement des conversions7.

Cet Esprit Saint se manifestera, comme nous le lisons dans les Actes des Apôtres, d'une façon visible dans la première ère de l'Église. Il se donne de nouveau aux fidèles un peu comme au jour de la Pentecôte : on est baptisé et on reçoit l'Esprit Saint8. C'est l'Esprit Saint qui fait le parfait chrétien.

Le chrétien habité par l'Esprit

Que produit cette descente de l'Esprit Saint ? Premièrement, l'Esprit Saint descend dans les âmes. L'apôtre saint Paul a fort bien expliqué cette action de l'Esprit Saint dans les âmes. La grâce de Dieu, la vie divine qui nous unit au Christ, cette vie du Christ qui nous est donnée, est " diffusée dans nos âmes par l'Esprit Saint " et, ajoute l'apôtre saint Paul, par l'Esprit Saint " qui nous est donné "9. C'est donc lui qui opère l'œuvre de sanctification.

Chaque fois que nous recevons cette grâce, même dans la communion lorsque nous

recevons Notre Seigneur, c'est par l'Esprit Saint, Esprit du Père et du Fils, que la grâce nous est donnée. Grâce de la confession, grâces qui nous sont données dans le cours de la journée chaque fois que nous faisons un acte de foi surnaturel, un acte de charité : c'est l'Esprit Saint qui opère et nous donne cette grâce. Toute l'œuvre de sanctification est donc réalisée par lui et lui est attribuée.

Et de plus, cet Esprit Saint réside personnellement dans l'âme : nous sommes les temples de l'Esprit Saint. Qu'est-elle, notre âme ? Sainte Thérèse nous dit : L'âme n'est qu'un écrin, une demeure ; l'hôte de cette demeure, l'hôte pour lequel elle est faite, c'est l'Esprit Saint10. Il y a en nous une présence réelle et vivante de l'Esprit Saint. L'âme est peu de chose, semble-t-il, elle n'est qu'un écrin en comparaison de cet Esprit Saint qui est comme l'âme de notre âme, la vie, la source jaillissante et le soleil de notre âme.

Ce sont des vérités que nous connaissons bien, mais dont nous n'avons pas une connaissance aussi vivante et vécue que les premiers chrétiens. Quand nous lisons les épîtres de l'apôtre saint Paul, et que nous y cherchons la distinction qui sépare le chrétien du païen, c'est très net pour lui. Ce qui distingue le chrétien du païen, c'est cette habitation de l'Esprit Saint.

Le chrétien est habité par l'Esprit Saint. Nous serions tentés actuellement de distinguer les chrétiens par d'autres aspects : un chrétien, dirions-nous, se distingue par les vertus extérieures, ou par la joie qui rayonne sur son visage, ou autre chose ; ici l'apôtre saint Paul n'établit cette distinction que sur l'habitation de l'Esprit Saint.

Et chaque fois qu'il veut moraliser, c'est-à-dire donner un précepte de morale, que ce soit à propos du respect que nous devons à notre corps, ou des rapports que nous devons avoir avec le prochain, il revient toujours à cette vérité fondamentale : respectez votre corps parce que il est le temple de l'Esprit Saint11 ; respectez le prochain, parce que le prochain, le chrétien est un saint12 : saint de sa sainteté personnelle peut-être, de la mesure de grâce qui en lui est complète, mais saint surtout parce qu'il est habité par Dieu, habité par l'Esprit Saint.

Cet Esprit Saint habite dans notre âme, je n'ai pas à détailler son action, il faudrait parler de son rôle dans l'exercice des vertus, et surtout dans l'exercice des dons du Saint-Esprit13. Qu'il nous suffise de dire que cette présence de l'Esprit Saint dans notre âme est une présence

active. L'Esprit Saint est un foyer, il est un soleil qui envoie continuellement ses rayons, il est une source jaillissante, il est la vie de notre âme, l'âme de notre âme, la grande réalité de notre âme.

Principe vital de l'Église

Cette habitation réelle, cette présence vivante de l'Esprit Saint dans nos âmes, est aussi accompagnée d'une présence vivante de l'Esprit Saint dans l'Église. Dans son encyclique Mystici Corporis, le pape Pie xii disait que l'Esprit Saint est l'âme de l'Église : qu'est-ce à dire ?

L'Esprit Saint est la vie de l'Église, il est son principe vital, non seulement pour lui donner la vie mais comme son principal vital agissant. Nous serions tentés de limiter cette action de l'Esprit Saint à quelques interventions tout à fait extraordinaires : il n'en est rien. L'Esprit Saint vit dans l'Église et l'anime continuellement, si bien que les premiers Apôtres prenant des décisions au Concile de Jérusalem, disaient — et cela avec une expérience vécue — : " Il nous a paru bon à nous-mêmes et à l'Esprit Saint "14, cet Esprit Saint qui est dans l'Église et qui nous guide.

L'Esprit Saint construit l'Église, il la fait, il dirige tout ; à tout instant il donne la vie aux âmes et la développe. Il donne la lumière à ceux qui sont chargés de diriger l'Église, et, en même temps, à ceux qui doivent obéir.

Cet Esprit Saint est une Personne divine et, par conséquent, il a une intelligence infinie. L'Esprit Saint sait ce qu'il veut, il a une pensée, un plan, il veut le réaliser et ses interventions descendent jusque dans les moindres détails de la construction et de l'édification de l'Église. Évidemment, nous voyons cette action dans certains événements extraordinaires ; nous la découvrons dans l'ensemble de la vie de l'Église à travers les siècles. Nous ne la voyons pas dans les détails, mais la foi nous apprend que l'Esprit Saint est vraiment l'intendant, l'architecte, l'ouvrier qui sanctifie les âmes, il est vraiment le constructeur de l'Église.

C'est une vérité sur laquelle je n'ai pas à insister davantage mais que nous devons cependant admettre comme une vérité bien vivante. Il ne s'agit pas de croire à l'Esprit Saint d'une façon vague ; il faut que nous croyions en lui comme à une réalité vivante, à une Personne vivante, intelligente, toute-puissante, comme à une personne qui sait ce qu'elle veut, qui fait ce qu'elle veut, et qui sait où elle va.

Par conséquent le chrétien, non pas seulement ceux qui ont une charge et des responsabilités, mais tout chrétien doit vivre en contact

avec l'Esprit Saint. Ne pas vivre en contact avec l'Esprit Saint, c'est méconnaître la puissance agissante, c'est méconnaître véritablement l'architecte, le maître, — excusez l'expression — le " patron " dans l'Église, dans cet édifice en construction.

II. — COLLABORATION AVEC L'ESPRIT SAINT

Notre apostolat devra évidemment s'inspirer de cette vérité fondamentale. Que sera notre apostolat qui a pour but l'édification, la construction de l'Église ? Cet apostolat personnel que nous devons réaliser ne peut être qu'un apostolat de collaboration.

L'Esprit Saint n'est pas seulement quelqu'un que nous servons, ce n'est pas seulement une statue à laquelle nous allons rendre nos hommages, un grand maître que nous saluons de loin, dont nous ne sentons pas l'influence, et qui d'ailleurs se désintéresserait de nous et du travail que nous avons à faire. Non, c'est lui qui est l'architecte, le constructeur et l'ouvrier : le travail qui nous est demandé n'est qu'un travail de collaboration.

Essayons d'analyser un peu cette collaboration qu'est l'apostolat pour découvrir ses caractéristiques.

Collaboration indispensable

Premièrement, cette collaboration est une collaboration nécessaire. Dieu le Père a envoyé son Fils, nous a dit Notre Seigneur : " Comme mon Père m'a envoyé, dit-il à ses Apôtres, ainsi je vous envoie "15. Jésus monte au Ciel, il laisse ses Apôtres pour la construction de l'Église. Il leur demande de travailler, et ce travail des Apôtres d'abord, puis de tout apôtre, de tout chrétien dans la construction de l'Église, est une collaboration nécessaire et indispensable.

Ne disons pas : l'Esprit Saint est assez grand, assez puissant pour s'arranger tout seul. Il a besoin de nous. C'est une des lois en effet de l'action de Dieu, même dans le plan surnaturel, de ne rien faire seul, de n'agir qu'avec la collaboration humaine.

Prenons un exemple, le plus important, celui de l'Incarnation. Le Verbe doit s'incarner, prendre une humanité pour vivre parmi nous. C'est un prodige tout à fait étonnant que le Verbe, une Personne de la sainte Trinité, s'incarne, prenne une humanité. Oui, Dieu s'est incarné, une Personne divine, la deuxième Personne, a pris une humanité. Pour réaliser cette chose prodigieuse, que va faire Dieu ? Il demande la collaboration humaine.

Il semblait plus digne peut-être que Dieu s'incarnât en faisant lui-même une humanité, cela ne lui était pas difficile, il n'avait qu'à dire : " Que cela soit ", et cela se serait fait. Non, il demande par l'archange Gabriel la collaboration de la Vierge Marie, collaboration effective, maternelle dans le sens plein du mot.

En effet les Pères de l'Église nous disent que le Ciel, la Trinité sainte est suspendue aux lèvres de la Vierge Marie et attend le fiat16. Que se serait-il passé si elle n'avait pas prononcé le fiat de l'Incarnation ? C'est inconcevable qu'il en soit ainsi, mais enfin l'Incarnation ne se serait pas produite de la même façon. Dieu aurait pris d'autres moyens, mais elle aurait pu arrêter la réalisation du plan divin.

Cette collaboration est donc nécessaire, c'est une des lois de l'action de Dieu. Et si l'instrument n'agit pas, s'il se dérobe, l'œuvre ne se réalise pas. Que le prêtre refuse d'entendre une confession, et il est possible que cette âme garde son péché sur elle. Que le prêtre ne dise pas la messe et des âmes ne communieront pas, n'assisteront pas à la messe, ne recevront pas la grâce qui y est attachée. Que tel apôtre, que telle vocation se dérobe à l'appel de Dieu, et des âmes probablement ne seront pas sauvées.

Il y a là un mystère qui est déroutant. Comment Dieu, lui dont la puissance est infinie, peut-il lier ainsi sa puissance, non pas seulement dans l'ordre naturel mais dans l'ordre surnaturel pour produire des effets de salut pour les âmes, à la volonté et au consentement d'un apôtre ou d'un instrument qui se dérobe ? Il en est ainsi. Peut-être, direz-vous, Dieu fera d'autres appels ? Oui peut-être..., pas nécessairement. Ce que nous savons, c'est que Dieu construira son Église, mais il prendra d'autres moyens.

Cette coopération nécessaire nous met en face de nos responsabilités. Si nous nous dérobons à l'appel de Dieu, ou même au bien qu'il nous demande, à l'apostolat qu'il peut nous demander d'une façon générale ou dans un cas particulier, le bien ne se fera pas, cette âme peut être perdue.

C'est pour cela d'ailleurs que Dieu a mis en nous la charité, cet amour qui nous est donné, cette vie qui est répandue par l'Esprit Saint dans nos âmes. Cette vie du Christ nous unit à lui par des liens vivants et nous fait entrer dans sa pensée, dans sa vie, dans ses aspirations. Par conséquent, la grâce elle-même nous fait apôtres, et cela indépendamment de l'appel qui nous a été adressé, de la mission qui nous a été donnée. Nous retrouvons encore ici pour nous, dans la grâce elle-même, une exigence d'apostolat.

Collaboration instrumentale

Cet apostolat qui nous est demandé, cette collaboration, que sera-t-elle ? Elle sera évidemment instrumentale. Il convient de se rappeler cela et d'en bien prendre conscience. Le seul architecte, le seul ouvrier, c'est l'Esprit Saint.

En effet, l'Église se construit avec la vie du Christ, avec la grâce. La grâce, participation de la vie de Dieu, est de " fabrication " divine, un homme ne peut pas la créer. Le prêtre lui-même peut faire des sacrements mais, par sa puissance vicariale, sacerdotale, par le caractère sacerdotal qui lui est donné, il peut seulement mettre en action les causes surnaturelles : ce n'est pas lui qui fait la grâce, c'est le sacrement institué par le Christ. Notre collaboration ne sera donc qu'instrumentale.

Nous ne devons pas entrer dans l'apostolat et le concevoir comme une œuvre personnelle. Même lorsque nous sommes chargés d'une œuvre, que nous en avons la responsabilité, même alors notre collaboration reste instrumentale : le constructeur, l'agent, l'ouvrier, c'est l'Esprit Saint.

Nous restons des instruments, ceci est très net même pour le prêtre, qui est un autre Christ c'est vrai, qui a le caractère sacerdotal ; mais ce caractère lui donne seulement une puissance vicariale, c'est-à-dire celle de faire les gestes du Christ auxquels le Christ lui-même a attaché

une fécondité, une efficacité. Mais ce n'est pas par sa puissance propre que le prêtre réalise.

L'Église n'est pas notre œuvre ; l'œuvre spirituelle dont nous sommes chargés ou que nous voulons nous-mêmes réaliser n'est pas notre œuvre : elle est l'œuvre de l'Esprit Saint. Nous la réalisons comme des instruments, entre les mains d'un agent principal qui est l'Esprit Saint.

Nous tirerons tout à l'heure et dans les conférences suivantes les conclusions de cette vérité qui est essentielle et fondamentale.

Collaboration humaine, intelligente et libre

Notre collaboration est instrumentale, mais elle reste cependant une collaboration humaine. Nous entrons ici dans une question beaucoup plus difficile, dans un mystère.

Entre les mains de Dieu, nous ne sommes pas simplement des instruments, de simples outils dont un ouvrier use pour faire telle ou telle chose. Nous n'abdiquons pas notre qualité, notre puissance d'homme, en devenant des apôtres. Notre coopération instrumentale demeure humaine, c'est-à-dire qu'elle comporte l'exercice de notre intelligence, de notre liberté et de toutes nos qualités humaines.

Comment donc pourrait-il se faire qu'il y ait ici deux libertés, deux intelligences coopérant à la même œuvre, au même travail d'organisation, de réalisation pratique ? Le mystère est là ! Cependant, nous devons affirmer que Dieu ne nous demande pas une collaboration purement instrumentale. Certaines âmes pieuses, dont la mystique frise le quiétisme, diraient bien volontiers : mon Dieu, je suis tout à vous, faites de moi ce que vous voudrez, moi je ne veux rien savoir. Voilà du quiétisme, j'allais presque dire de la bêtise.

Il faut agir avec son intelligence et sa volonté, et Dieu demande que nous en usions. Il ne veut pas avoir entre les mains un instrument mort. Si la technique moderne standardise tout et arrive à faire de l'homme une machine, Dieu ne le fait jamais.

Il nous a créés homme, il nous a donné une liberté, une intelligence, et il veut qu'à son service, dans les œuvres les plus délicates et les plus hautes qu'il peut nous demander, nous usions de notre intelligence, de notre volonté et de notre liberté pour agir librement et intelligemment avec lui. Il veut une collaboration intelligente et libre.

L'apostolat est donc cela : une coopération intelligente et libre qui comportera évidemment tout le développement et l'exercice de nos facultés. Affirmer ces vérités, est-ce de la pure philosophie ? Non, c'est l'Évangile encore.

Rappelez-vous la parabole des talents17 : le maître qui part en voyage fait appeler ses serviteurs et, voyant leurs qualités, selon ce qu'il sait d'eux, donne cinq talents au premier, deux au second, un au troisième, puis il part. Quand il revient, nous dit Notre Seigneur, il fait appeler ses serviteurs et dit : Qu'avez-vous fait de vos talents ?

Le premier, un homme intelligent, lui dit : " Voilà, tu m'en avais donné cinq, en voilà dix. — C'est très bien, lui dit le maître, puisque tu as été fidèle en de petites choses, je vais t'en confier d'autres, tu as bien agi ". Celui qui en avait reçu deux lui dit : " J'en ai gagné encore deux autres ". Le maître le félicite.

Le troisième qui n'en avait reçu qu'un, peut-être parce qu'il n'était pas très intelligent ou pour une autre raison, dit : " Maître, voilà ton talent, je l'ai bien gardé, je t'assure ". Nous savons ce que lui dit le maître : " Mais je ne t'avais pas confié un talent pour que tu le gardes ainsi, tu devais le faire fructifier ". Alors le serviteur dit : " Mais je sais que tu es très sévère, j'avais peur justement de le perdre. Je me suis dit : il me l'a confié ; le voilà, je te le rends ".

Alors le maître se fâche, lui enlevé ce talent et le donne à celui qui avait fait fructifier

les autres. Puis il ordonne qu'il soit jeté dans les ténèbres extérieures parce qu'il n'a pas fait fructifier le talent qui lui a été donné : " Puisque tu savais que j'étais sévère, tu devais le faire fructifier, tu devais t'arranger pour le faire fructifier ".

Le Royaume de Dieu est semblable à ce maître qui donne des talents ; nous devons les faire fructifier, c'est-à-dire user de notre intelligence, de tous nos moyens dans le travail d'apostolat qui nous est demandé par le maître.

Enfin cette collaboration qui nous est demandée va s'étendre à l'usage non seulement de nos facultés personnelles, mais même de la technique et des moyens extérieurs à notre disposition. Dans les reproches adressés à ce serviteur qui n'a pas fait fructifier le talent, le maître lui dit : tu aurais dû le porter à un banquier. Il faut que nous usions de la technique pour l'apostolat. Nous devons user, pour le Royaume de Dieu, des inventions modernes, de tous les moyens que nous avons à notre disposition.

III. — UNION COMPLÈTE A L'ESPRIT SAINT

Nous voyons immédiatement le mystère, la difficulté devant laquelle nous nous trouvons.

Respecter les droits de Dieu

Cette difficulté consiste à rester uni à l'Esprit Saint, à respecter les droits de l'artisan, de l'architecte, de l'ouvrier qu'est l'Esprit Saint. L'Eglise est le champ de Dieu, nous sommes le champ de Dieu ; mon Père est un laboureur18, dit Notre Seigneur. C'est lui qui travaille, c'est lui qui féconde, qui agit, qui fait pleuvoir sur le juste et l'injuste19, c'est lui qui fait tout, c'est lui le constructeur.

Comment respecter ces droits de Dieu, droits d'architecte qui a pensé, élaboré le plan de l'œuvre à réaliser et non seulement en a fixé tous les détails mais veut les réaliser ? Et comment en même temps faire œuvre intelligente ? C'est un problème qui apparaît très difficile quand nous le considérons uniquement sur le plan intellectuel mais qui, sur le plan spirituel, se résout, je crois, assez facilement.

Vivre uni à l'Esprit Saint

Cette collaboration que nous devons à l'Esprit Saint, cet apostolat que nous devons réaliser puisqu'il est nécessaire et qu'il nous est imposé, comportera avant tout l’union complète à Dieu.

Puisque c'est Dieu, l'Esprit Saint, qui fait l'Église et connaît la mesure, la taille de ce Christ que nous construisons et qui est en train de grandir ; puisque c'est lui qui en connaît toutes les proportions, toutes les dimensions, tous les détails, nous devons nous soumettre à ce plan. Comment nous soumettre ? En le respectant, en nous unissant à lui. Puisque c'est lui qui fait tout, que nous ne sommes que des instruments, l'apostolat exige en tout premier lieu, l'union à l'Esprit Saint.

Est-ce que, bien souvent, on ne sépare pas vie intérieure, vie spirituelle, union à Dieu, et apostolat ? On nous dira : l'union à Dieu, c'est bon pour les mystiques, ceux qui sont dans des cloîtres ; moi, il faut que je travaille.

Si vous travaillez sans union à Dieu, vous ne respectez pas l'Esprit Saint, vous ne respectez pas les droits de Dieu et vous faites une œuvre inutile. Dieu peut-il féconder l'œuvre que vous réalisez ? Oui, il est libre de tout faire, il se sert même du démon, il peut bien par conséquent se servir de vous pour faire une œuvre utile, même pour faire du bien. Mais vous ne vous sanctifiez pas en faisant cette œuvre surnaturelle d'apostolat, parce que vous ne respectez pas les droits de Dieu.

Au point de vue même de l'efficacité, Dieu, puisqu'il se sert de tout, même du démon, pour la construction de son Église, peut se servir de vous mais vous n'êtes pas un

véritable instrument de Dieu. Vous l'êtes comme malgré vous, pas complètement puisque vous l'aimez, mais enfin vous n'êtes pas un véritable apôtre.

L'apostolat comporte, comme condition essentielle, l'union à Dieu. Un ouvrier qui veut se servir d'un marteau commence par le prendre en main ; et s'il n'y a pas de manche pour saisir cet outil, il ne s'en sert pas, du moins il ne peut pas lui faire rendre ce qu'il veut et, bien souvent, il ne l'utilise pas. Ne séparons donc pas union à Dieu et apostolat :

c'est une erreur, qui va contre les affirmations de l'Évangile et de la théologie.

Cette union à Dieu n'est pas seulement une union assez vague. Nous avons déjà touché le problème tout à l'heure, cette difficulté de collaborer avec Dieu, de réaliser sa pensée, de n'être qu'un instrument, non pas seulement pour les grandes choses mais même pour les détails : il faut que cette union soit profonde. Tout à l'heure, nous avons parlé de la collaboration de ces deux intelligences, l'intelligence de Dieu et la nôtre, de ces deux volontés, la volonté de Dieu et la nôtre. Comment rendre cette collaboration parfaite sinon par une fusion des deux intelligences, des deux volontés ?

Nous entrevoyons déjà l'exigence de l'apostolat : l'apôtre parfait, dont nous parlerons à la dernière conférence, ne peut être que

quelqu'un dont la volonté est complètement unie, d'une façon dirions-nous presque permanente et habituelle, par un degré de charité très élevé, à la volonté et à l'intelligence de Dieu. Ce degré de grâce est si élevé que Dieu est vivant dans cette âme, il en est le maître et peut la mouvoir comme s'il était la volonté, l'intelligence de cette âme. Par conséquent, il s'installe dans ces profondeurs, il tient les ressorts de l'âme, il tient en ses mains l'activité de ses facultés et peut les mouvoir comme il veut, dans tel ou tel sens.

L'apostolat comporte donc une union parfaite avec Dieu. Le premier devoir de l'apôtre n'est pas de travailler, d'apprendre des techniques, mais d'être un instrument de Dieu.

Perfectionner l'instrument pour Dieu

Le deuxième devoir de l'apôtre s'impose comme la conclusion de ce que nous avons dit : puisque cet instrument a cependant son activité propre, puisque le travail sera d'autant mieux fait que l'instrument est plus parfait, il faudra aussi, pour être apôtre, que nous perfectionnions les facultés que nous mettons à la disposition de Dieu. Lorsque nous voulons nous servir d'un outil, d'une scie ou d'un marteau, s'ils sont bien affûtés le travail se fait beaucoup mieux.

Il ne s'agit pas de nous dire : le bon Dieu est assez puissant, il peut tout arranger. Il arrange quand il veut, mais notre devoir est de nous arranger nous-mêmes, et par conséquent de présenter à Dieu un instrument aussi parfait que possible au point de vue surnaturel, intellectuel et même physique, pour que l'instrument soit vraiment digne de la main qui l'a saisi, de la puissance de Dieu qui veut l'utiliser.

De plus, il faudra que l'instrument lui-même utilise les techniques. Il n'a pas à faire du quiétisme, dont nous parlions tout à l'heure : le bon Dieu s'arrangera, il est assez puissant, je n'ai pas besoin d'utiliser tel moyen, telle technique, je n'ai pas besoin d'utiliser ces inventions modernes pour faire de l'apostolat, le bon Dieu est capable de remplacer cela. Oui, il en est capable mais il ne le fait pas. Il appartient à l'instrument, à l'apôtre de prendre tous les moyens naturels qui sont à sa disposition pour faire tout ce qui lui est possible pour la réalisation de cet apostolat.

IV. — LA GRANDE RICHESSE :

LA FOI EN L'ESPRIT SAINT

Nous voyons déjà quelques conclusions pratiques que nous imposent ces vérités.

Comme toujours, lorsque nous abordons le domaine surnaturel et que nous essayons de mettre en contact l'infini et le fini, le temporel et l'éternel. Dieu et sa créature, l'âme et Dieu, nous nous trouvons devant le mystère, devant des antinomies, des apparentes oppositions. Comment les résoudre ? En nous abandonnant. C'est là que l'abandon et la foi retrouvent leurs droits, cette foi en la présence de l'Esprit Saint qui est dans notre âme, en cet architecte qui est chez nous, en cet hôte divin qui est la vie de notre âme.

Pour que cette foi soit vivante, continuelle, agissante, pour qu'elle soit vraiment une force, il faut que l'apôtre lui-même soit habitué aux contacts intimes et profonds avec Dieu. Quand nous lisons l'histoire de l'Église, nous voyons ceux que Dieu a placés aux grands tournants de l'histoire, pour donner aux peuples des mouvements, pour faire une grande œuvre dans l'Église : ce sont toujours des âmes qui étaient convaincues de la présence de l'Esprit Saint.

Quand les premiers Apôtres sont partis à la conquête du monde, quelle était leur richesse ? C'est d'avoir expérimenté l'Esprit Saint, c'est de l'avoir considéré comme une Personne vivante et de pouvoir dire en s'adressant au peuple chrétien : " Il nous a paru bon, à nous et

à l'Esprit Saint qui est en nous "20. Voilà leur grande richesse.

Ils avaient quelques moyens humains, et certes ils en ont usé ; l'apôtre saint Paul qui avait fait des études et était un homme absolument remarquable au point de vue de l'intelligence, a été le théologien du christianisme. Ceux qui avaient moins de talents ont fait une œuvre extérieure qui a paru moindre. Mais tous avaient également cette conviction que l'Esprit Saint vit dans notre âme.

Je vous invite à faire un acte de foi en cet Esprit Saint qui est dans nos âmes. L'Esprit Saint n'est pas une pensée, ou une réalité qui vit dans les régions supérieures ; c'est quelqu'un qui est en nous, qui est la vie de notre âme, le souffle vivant de notre âme, qui est l'hôte de notre âme et agit sans cesse en nous. C'est une Personne vivante, intelligente, aimante, qui habite en nous. Nous devons prendre par conséquent la résolution de vivre avec cet Esprit Saint, de le retrouver quelquefois, de le retrouver souvent.

Et quand nous allons en nous-mêmes, comme cela nous arrive certainement pour notre prière ou bien pour sonder nos sentiments et voir où nous en sommes, ce que nous devons chercher en premier lieu et presque

uniquement, c'est cet Esprit Saint qui est vivant en nous. Il est là, l'ami, il est là, l'hôte ; il est là, l'architecte de l'Eglise ; il est là, l'ouvrier de notre sanctification. Il est là, celui qui fait l'Église, ce grand œuvre auquel il nous associe.

Demandons à cet Esprit Saint, sinon de nous révéler sa présence par une Pentecôte, par des manifestations extérieures comme au jour de la Pentecôte, mais qu'il daigne nous révéler sa présence, nous donner au moins la foi en lui.

Car, comme le dit Notre Seigneur, celui qui a l'Esprit et qui croit en lui, des fleuves de vie jaillissent de son sein21, l'Esprit Saint se répand par cette âme. Des flots de vie et de lumière descendent sur les âmes, par l'Esprit Saint mais aussi par cette âme qui a ouvert pour ainsi dire ces écluses divines par la foi en l'Esprit Saint.

NOTES

 

 

1. Cf. Jn 14, 16 ; 15, 26-27.

2. Cf. Lc 1, 35.

3. Cf. Jn 1, 33.

4. Cf. Lc 4, 1.

5. Cf. Lc 4, 21.

6. Cf. Lc 24, 49.

7. Cf. Ac 1, 41.

8. Cf. Ac 8, 14-17.

9. Cf. Rm 5, 5.

10. Cf. Château de l'âme, p. 814 et s.

11. Cf. 1 Co 6, 19.

12. Cf. 1 Co 3, 16-17.

13. Cf. supra chap. 4, p. 122 et s.

14. Ac 15, 28.

15. Jn 20, 21.

16. Cf. S. BERNARD, homélie à la louange de la Vierge Marie, 4, 8-9, (Bréviaire, lecture du 20 décembre).

17. Cf. Mt 25, 14-30.

18. Cf. Jn 15, 1.

19. Cf. Mt 5, 45.

20. Cf. Ac 15, 28.

21. Cf. Jn 7, 38.