www.30giorni.it " 30jours " décembre 1996

 

Des successeurs concurrents
par Lorenzo Cappelletti

Le Pape est mort, un nouveau pape est appelé à régner. Formule qu’il faut entendre en un sens accéléré pour certaines successions au Siège Apostolique: celles des papes qui furent élus pour mourir, plus ou moins naturellement, dans de très brefs délais, afin d’ouvrir la voie à quelqu’un d’autre. Pour les commodités de l’analyse, nous fixerons ces "très brefs délais" à un mois et nous verrons qu’un fil rouge relie, au cours des siècles, douze papes dont le pontificat fut très bref. La liste de ces papes n’est d’ailleurs pas facile à établir. Déjà, pour ce qui concerne le premier d’entre eux, on ne sait pas très bien où le classer. En effet l’Annuaire pontifical lui-même, qui le met au rang des anti-papes, note pourtant qu’ "on peut peut-être soutenir la légitimité de Dioscure qui mourut 22 jours après son élection".
Et pourtant le cas de Dioscure est "trop évident", aurait dit Monsieur Dupin, le personnage d’Edgar Allan Poe qui fut l’ancêtre de tant de célèbres détectives. Tout pourrait être là, sous nos yeux, si nous voulions bien regarder. Sans même aller imaginer des mystères. Les faits: alors que l’archidiacre Boniface était formellement désigné comme le successeur du pape précédent, du vivant de ce dernier (procédure peut-être utilisée dans les meilleures intentions du monde, mais procédure illégitime, hier comme aujourd’hui), ce fut sur Dioscure que se portèrent, par opposition, la très grande majorité des voix du clergé romain, le 22 septembre 530. Celui-ci eut pourtant la politesse de s’en aller, au bout de 22 (ou 28?) jours et le clergé donna son adhésion à Boniface, entre autre très riche, qui devient ainsi le pape légitime.

Selon une hypothèse qui reste à vérifier, Dioscure serait le précurseur d’autres papes qui, toute qualification d’anti-pape mise à part, auraient comme lui, par leur mort rapide, eu pour rôle de préparer la voie à des successeurs qui étaient en réalité des concurrents. Déjà à cette époque, en effet, règnait cette loi non écrite, que nous appellerons loi de l’alternance, selon laquelle ceux qu’un pape a élevés (d’abord comme diacres puis, plus tard, comme cardinaux) ne doivent pas lui succéder immédiatement mais attendre pour être élus que soit passé l’intervalle d’un pontificat au moins.

Pape faible, pape fort

Du second de la liste, le syrien Sisinnius, qui régna du 15 janvier au 4 février 708, on sait seulement qu’il était "tellement affligé des humeurs de la goutte qu’il ne parvenait pas à porter la nourriture à sa bouche". Un pape élu, donc, même si l’on ne sait rien d’autre, pour durer peu de temps. Si l’on regarde les antécédents de son pontificat, on comprend aussi les raisons de ce choix. Une élection de cette espèce (c’est-à-dire d’un oriental dont le pontificat a été bref pour des raisons naturelles ou non) n’était pas une exception, mais bien plutôt la norme pour que l’empereur pût contrôler Rome et l’Italie byzantine depuis Constantinople. Mais ce système était dans le même état de décrépitude que le Pape Sisinnius lui-même qui en fut, en effet, le dernier représentant. Il ne faut pas tenir compte du fait que son successeur, Constantin (708-715), ait lui aussi été syrien, ni qu’il soit allé jusqu’à Constantinople. Fait est qu’il a été le dernier pape à y aller, jusqu’à Paul VI. Le pontificat de Constantin est un pontificat qui fait époque, préparé par un intervalle infinitésimal: Sisinnius. À un pape faible succède un pape fort, ou si l’on veut: on passe d’un pape de transition à un pape qui fait époque.

Au IXe siècle, comme on le sait, ce ne sont plus les empereurs byzantins mais les empereurs carolingiens qui dominent le monde occidental. Sur le siège de Pierre, en août 827, succède à Eugène (824-827) l’archidiacre de l’Église de Rome Valentin, qui, selon la tradition, avait accompli son cursus honorum en servant fidèlement le prédécesseur d’Eugène, Pascal (817-824). Tandis que Pascal s’était heurté aux Carolingiens, Eugène avait été plus accommodant et avait laissé l’empereur Lothaire dicter de nouvelles règles pour l’élection pontificale. Nouvelles règles qui, en substance, concédaient à l’empereur le droit de ratifier l’élection avant la consécration de l’élu. Valentin est le premier qui aurait dû être élu selon ces nouvelles règles avant d’être consacré. Nous ne savons pas si elles ont été appliquées. Mais ce que nous savons avec certitude, en revanche, c’est qu’il s’en alla très rapidement, affligé de douleurs abdominales (corporis oppressus molestia). Et nous savons aussi avec certitude que son successeur, Grégoire IV (827-844), ne fut pas ordonné avant que le légat impérial n’eût donné son placet. Valentin lui servit de tremplin. Qu’on nous permette de l’insérer dans notre liste, même si son pontificat (40 jours) excède les limites que nous nous sommes fixées. Pape faible, pape fort. Il faudra attendre plus de trois siècles pour avoir un pontificat plus long que celui de Grégoire IV.

À la fin du siècle, le pouvoir des Carolingiens allait à son tour vers son déclin. Sic transit gloria mundi. Et le vide du pouvoir qui se produit alors crée autant de difficultés à la papauté que lui en avait créé le pouvoir lorsqu’il ne connaissait pas de rivaux. Au point qu’une lutte sans merci se déchaîne autour du trône pontifical. Mais les troubles de cette fin de siècle d’il y a 1100 ans n’auraient pas eu le même poids ni la même durée si des facteurs politiques étaient seuls entrés en jeu.

En avril 896, Boniface VI, un romain, resta à peine quinze jours sur le siège de saint Pierre. Tout ce qu’on sait de lui, c’est qu’il succédait à un pape, Formose (891-896) qui, tout jugement mis à part, avait si intensément désiré la papauté qu’il transgressa les règles interdisant alors aux évêques de passer d’un siège à l’autre. Or il était déjà évêque de Porto (est-on vraiment sûr que cette règle ne vaille plus aujourd’hui?). Comme un pot de terre entre des pots de fer, Boniface fut suivi par un pape encore plus fort que Formose, Étienne VI. En ce sens qu’Étienne VI se permit, dans un concile de goût nécrophile (le cadavre de Formose fut exhumé et condamné), de casser tous les actes de Formose, y compris ses ordinations in sacris. Il mit ainsi en discussion l’unique chose qui reste à l’Église dans les périodes difficiles: la validité des sacrements. Celui qui remit les choses en place sur ce plan, pour lui le seul possible et nécessaire, fut un pape faible, Théodore II, qui régna vingt jours en décembre 897. C’est peut-être pour cela qu’il ne lui fut pas accordé plus de temps.

Les répétitions de l’histoire

Dans la première moitié du XIe siècle, trois papes de la même famille gouvernent le Siège Apostolique presque comme un siège dynastique, de 1012 au début de 1045. Malgré l’entorse à la loi de l’alternance, ce système avait permis de réaliser un équilibre difficile, la haute souveraineté de l’empereur ayant accepté d’être représentée et de se faire sentir à travers un pouvoir local. Il en était dérivé une certaine stabilité. Mais comme toute réalisation humaine, ce système d’équilibre avait, lui aussi, fait son temps. Intérêts locaux pour intérêts locaux, plusieurs prétendants luttent à partir de janvier 1045 pour le trône papal. L’un d’eux, si l’on en croit l’Annuaire pontifical, aurait régné moins d’un mois. Mais il s’agit d’une erreur qu’il faudra corriger. Sylvestre III n’a pas régné du 20 janvier au 10 février, mais du 20 janvier au 10 mars de 1045. Il ne fait donc pas partie de notre enquête. En revanche, peu de temps après Damas II, l’allemand Poppon, régna seulement 23 jours. Il avait été choisi par l’empereur Henri III qui avait déposé d’un seul coup les trois papes locaux: Sylvestre III précisément, Grégoire VI et Benoît IX. Damas II sera intronisé, à Rome, en juillet 1048 manu militari c’est-à-dire grâce à l’escorte armée qui lui avait été fournie par le puissant seigneur de Toscane qui servit de tampon (et pas seulement à cette époque là) entre Rome et le monde. Mais le 9 août, à peine 23 jours après son intronisation, il meurt. On soupçonna un empoisonnement ou, de toute façon, une mort peu naturelle. Il faut dire pourtant qu’à Rome, en été, on mourait facilement de fièvres paludéennes et qu’il était recommandé de changer d’air. Le pauvre Poppon eut beau remplacer l’air de Rome par celui de Palestrina, le changement ne fut pas suffisant.

Léon IX (1049-1054), le pape suivant, lui succédera en tirant la leçon de l’expérience dramatique de son prédécesseur. Il se présente, en effet, à Rome, sous les traits d’un pèlerin et se soumet au jugement des Romains. Mais c’est juste une manière de s’installer. Car il n’a rien d’un pape faible, c’est un pape qui fait époque, il fait époque grégorienne. C’est lui qui inaugure la réforme qui prendra ensuite dans l’historiographie ce nom de grégorienne. À l’intérieur et au-delà de la réforme ecclésiastique, deux événements de son pontificat acquerront avec le temps une valeur symbolique: le début de la lutte que la papauté engage pour soumettre l’Italie méridionale et l’excommunication solennelle du patriarche de Constantinople lancée par ses légats et supprimée seulement par Paul VI.

Au milieu du XIIIe siècle, alors qu’on assistait aux conséquences exorbitantes de cette réforme, le vieux milanais Goffredo Castiglioni monte sur le trône pontifical, sous le nom de Céleste IV. Un pontificat de transition: du 28 octobre au 10 novembre de 1241. Et c’est pourtant une pierre milliaire, même si, comme toute pierre milliaire, elle servit seulement à marquer un passage.

Le 22 août 1241, à la mort de Grégoire VII, un pape extraordinairement fort, les dix cardinaux (sur les douze qui composaient alors le sacré collège, deux étaient prisonniers de Frédéric II) sont enfermés de force dans le Septizonium, un vieux palais de la Rome impériale. L’état de dégradation des lieux, la forte chaleur, les mauvais traitements, toutes ces circonstances qui avaient déjà provoqué la mort de l’un des cardinaux, portent atteinte également à la santé de Goffredo Castiglioni. Il paiera de sa personne la mise à l’épreuve de la discipline du conclave qui sera depuis lors considérée comme obligatoire pour l’élection du pontife. L’élection, par ailleurs, s’avère plutôt laborieuse et on peut se demander quand elle aurait pris fin s’il n’y avait eu la clôture. Car l’Église avait engagé contre l’Empire une lutte sans merci pour l’hégémonie qui entraînera, dans les cinquante années suivantes, les plus longues périodes de vacance du siège que l’Église ait jamais connues. Sinibaldo Fieschi, qui succèdera à Célestin IV sous le nom d’Innocent IV, le 25 juin 1243, après plus d’un an et demi de vacance, sera peut-être le représentant le plus important de cette tendance à l’hégémonie. Pape faible, pape fort. Ce sera Innocent qui déposera solennellement Frédéric II, le 17 juillet 1245. Exactement deux siècles après qu’Henri III a déposé les trois papes (Sutri, décembre 1046). Répétitions de l’histoire. Répétitions que l’on peut effacer seulement dans l’univers hypothétique de l’irréalité, quand on rêve, quand on ne tient pas compte du fait que la cité de Dieu et celle des hommes échangent souvent leur siège. Aujourd’hui, dans l’Église, il est permis, il est même conseillé de rêver. Que l’on nous concède au moins un droit égal, celui de nous en tenir à la seule réalité, quand nous ne dormons pas.

Dans la faiblesse, la force

Au cours du XVIe siècle, ce sont trois pontificats qui se terminent en moins d’un mois. Le successeur d’Alexandre VI (mort durant l’un de ces terribles étés romains), Pio III Piccolomini, siennois, élu le 22 septembre 1503, meurt dès le 18 octobre suivant. Pour Pie III, âgé de soixante-quatre ans, il faut mettre en compte son âge déjà avancé (pour l’époque) et quelques ennuis de santé, mais aussi l’hostilité des Espagnols; et surtout les aspirations du cardinal Giuliano della Rovere qui, lui, sut traiter avec les cardinaux espagnols... en les payant. Il succéda ainsi à Pie III, sous le nom de Jules II, après un seul jour de conclave. D’une façon si rapide que le soupçon vint à plus d’un qu’il avait été calculé à l’avance que le pontificat précédent durerait très peu de temps. Jules II promettait de devenir un pape si fort, tout jugement mis à part, que, du point de vue iconographique, sa physionomie reste liée à son portrait à cheval, vêtu d’une cuirasse. Et son souvenir, à cette idée grandiose mais inquiétante de faire de la basilique de Saint-Pierre son mausolée.

De Marcel II Cervini, en revanche, un siennois lui aussi, élu le 9 avril 1555 et mort le 30 avril suivant, on ne peut pas dire qu’il était vieux, vu qu’il avait 54 ans; mais qu’il était détesté, oui: il avait des ennemis à la fois proches et lointains. Déjà dans le conclave précédant celui dans lequel il avait été élu, il avait reçu l’exclusive nominale de l’empereur Charles Quint; et puis, il était en butte à l’aversion des membres de la Curie qui, parfois, sont plus dangereux qu’un empereur. Quand il fut élu, "les membres de la Curie se trouvèrent bien vite pris d’accablement", écrit Ludwig vonPastor en paraphrasant les chroniques du temps. Déjà le jeudi saint 11 avril, des observateurs attentifs avaient noté combien il tremblait de froid et changeait de couleur... Le 30 avril il s’endort pour ne plus se réveiller. Il aurait pu être l’interprète authentique de ce Concile de Trente qu’il avait dirigé, inspirant et formulant lui-même les décrets sur la justification et sur la tradition (travail qui lui avait coûté dix ans de vie, disait-il; on pourrait donc considérer qu’il avait, lui aussi, 64 ans) et éventuellement le porter à son terme. Et, au contraire, ce Concile resta en suspens. C’est bien un réformateur qui lui succède et même "un ami des mouvements" qui avait lui-même confondu les Théatins. Mais la distance qui sépare Gian Pietro Carafa, élu sous le nom de Paul IV, le 23 mai 1555, de Marcel II est celle qui sépare un révolutionnaire rigide et têtu d’un innovateur flexible et rigoureux, un pompeux idéologue de la Réforme d’un humble administrateur de celle-ci. D’un pape faible on passe à un pape qui se sent assez fort, à 81 ans, pour faire la guerre à l’Espagne.

Mais c’est précisément la raison pour laquelle nous demandons maintenant si cette force, qui avait revêtu des aspects grandioses dans les siècles passés et avec Jules II encore, n’est pas en train de devenir progressivement une chimère. L’évolution de l’époque moderne semble de plus en plus confirmer, à la lettre, ce que dit saint Paul sur la force et la faiblesse.

Le plus faible des pontificats

À la mort de Sixte Quint (1585-1590), le 27 août 1590, presque la moitié du collège des cardinaux avait été renouvelée, 24 cardinaux étant morts et le pape en ayant lui-même nommé 25 nouveaux. Dans le conclave qui s’ouvre le 7 septembre en présence de 54 cardinaux, le parti espagnol et celui que formaient les cardinaux de Sixte Quint se trouvent en équilibre. On arrive à un accord sur la personne de Giovan Battista Castagna, un romain, qui prit le nom d’Urbain VII. Fait cardinal non par Sixte mais par Grégoire XIII (1572-1585), il ne déplaisait ni d’un côté ni de l’autre; pourtant il n’est élu que lorsque les partisans de Sixte ont obtenu l’assurance que le prochain pape serait un cardinal nommé par Sixte Quint. Ah! L’alternance!

Certes, la figure d’Urbain VII convenait parfaitement à celle d’un pape de transition. Mais on pourrait dire qu’elle convenait parfaitement à celle d’un pape, de n’importe quel pape, servus servorum Dei, c’est-à-dire le plus inutile des serviteurs si l’on en croit l’Évangile. "Ennemi des innovations et de toutes les choses inutiles", disait de lui l’ambassadeur vénitien, Federigo Cattaneo, "il ne se soucie pas de construire et les constructions en cours [ce Saint-Pierre commencé par Jules II], il se sent obligé de les achever voulant pour le reste, construire supra firmam petram [sur de la pierre solide, sous-entendu sur la foi de Pierre]". Il voulait plutôt que les trésors de l’Église fussent utilisés pour les indigents, au point qu’à peine élu, il demanda aux curés romains de lui dresser la liste des pauvres de leurs paroisses. Un programme minimal mais qui n’était pas dicté par la nécessité. Urbain VII était vieux, mais il avait toujours joui d’une bonne santé, il avait pris ses premiers médicaments à 40 ans. Personne probablement, pas même les bookmakers qui ouvraient tout grand les paris à chaque mort de pape, n’aurait pu parier que son pontificat serait, en absolu, le plus bref de tous, douze jours seulement. Selon les bruits rapportés par le maître des cérémonies, Giovanni Paolo Mucanzio, il aurait souffert des terribles moustiques romains dès la première nuit après l’élection, le 15 septembre. Une procession imposante de trente mille hommes, des jeûnes et des prières que les juifs de Rome avaient aussi ordonnées ne servirent à rien: le 27 septembre, il rendait son âme à Dieu. Fidèle à la tradition romaine selon laquelle les pauvres sont les vrais trésors de l’Église, il légua tout son héritage familial en dot aux jeunes filles pauvres.

Des années de "pontificat faible"

Le conclave qui suit est long et laborieux. Les cardinaux espagnols font pesamment sentir l’influence du roi très catholique. Le conclave qui ne prend fin que par "satiété d’intrigues", le 5 décembre 1590, élit finalement, sous le nom de Grégoire XIV, Niccolò Sfondrati, l’un des très rares (5 sur 22) qui ne déplût pas expressément à Philippe II. De nouveau un cardinal créé par Grégoire XIII. Par principe, donc, un pape de transition. Il s’agissait en effet d’un cardinal encore jeune mais de santé plutôt délicate. On prévoyait donc pour lui un pontificat bref et marqué par la soumission. Pour ce qui est de la brièveté on ne se trompait pas. Mais pour la "soumission", Grégoire eut au contraire le temps de faire entendre sa voix. Parfois avec sévérité, lorsqu’il interdit définitivement les paris sur les "papabili". Décision beaucoup plus sérieuse qu’il ne semble, si l’on se réfère au contenu de sa bulle du 21 mars 1591 adressée, attention!, "également aux ecclésiastiques et aux religieux": "Il y en a beaucoup en effet qui, par avidité ou par peur de perdre de l’argent, cherchent illicitement à empêcher ou à retarder les élections ou les promotions, directement ou indirectement, eux-mêmes ou à travers d’autres personnes. [...] Et, ce qui est pire, un certain nombre de misérables ont recours aux infâmes invocations des démons, à des sortilèges interdits et à l’art condamné de la divination". Parfois avec indulgence. Quand il modère la constitution plutôt dure de son prédécesseur contre l’avortement. Modération dont il vaut la peine de retenir les motifs: "L’expérience nous a appris que ce remède n’a pas porté son fruit ni n’a eu l’utilité que l’on en espérait; mais il a fait, plutôt, que, comme l’accès à la pénitence est rendu plus difficile par le fait que la faculté d’absolution est réservée au siège Apostolique, beaucoup de chrétiens, induits au péché par la malice du diable, non seulement n’ont pas renoncé à perpétrer ces crimes infâmes, mais ont trouvé là l’occasion de nombreux sacrilèges et de très graves péchés et délits. Nous, donc, sachant que l’épée de la discipline ecclésiastique, spécialement pour ce qui concerne les censures et peines spirituelles, doit être utilisée comme médecine et non au détriment des âmes, sachant aussi que le Pasteur éternel - que nous représentons sur cette terre en cherchant à l’imiter autant que nous le pouvons, avec l’aide de la grâce divine -, est venu sauver et non perdre les âmes des hommes et n’a exclu personne, quelque graves et énormes que fussent ses fautes, de la voie du salut, mais au contraire nous a offert et laissé tant de moyens pour la suivre, nous avons jugé bon, là où il ne s’agit ni d’homicide ni de foetus animé, de ne pas imposer de peines plus dures que celles qui sont infligées par les canons sacrés et par les lois civiles".

Grégoire XIV ne règne pas même un an. Le 29 octobre 1591, est élu Gian Antonio Facchinetti, un autre des 5 cardinaux trouvant grâce aux yeux du roi très catholique. Il a 72 ans et est d’une santé plus chancelante encore que celle de son prédécesseur. Et, en effet, il dure encore moins que lui: deux mois et un jour. Il meurt à l’aube du 30 décembre 1591, après avoir attrapé un mauvais rhume, la veille de Noël, dans un pèlerinage aux sept églises.

Pour comprendre ces années de "pontificat faible" durant lesquelles commencèrent à se répandre les inquiétantes prophéties de Malachie sur la papauté, il faut se rappeler que la dérive calviniste à laquelle la France semblait s’être laissé aller avec Henri IV permettait au roi d’Espagne de s’ériger en défenseur unique de la catholicité. Et, comme prix de cette défense, de s’approprier la France (quitte à la partager avec l’Angleterre ennemie). Mais la France redevient, avec Clément VIII, le florentin Ippolito Aldobrandini, élu le 30 janvier 1592, la fille aînée, et maintenant prodigue, de l’Église. Henri IV est absous et la France se remet à jouer son rôle, le Pape est plus libre. Et il peut résister aux pressions, pas seulement politiques, de Philippe II puis de Philippe III qui voudraient, en tant qu’Espagnols, exercer leur domination sur l’Église en manœuvrant les jésuites. Il s’agit d’une part d’inhiber ces derniers en leur dictant leur conduite jusqu’à l’intérieur même de leurs maisons religieuses. De l’autre, de les favoriser dans la controverse sur la grâce, alors que cette controverse aurait demandé une égale liberté pour être résolue en fonction, non de motifs politiques, mais du depositum fidei. C’est ce que la mort empêcha Clément VIII (1592-1605) de faire alors qu’il avait déjà, toute prête, une bulle de condamnation des "ennemis de la grâce".

Les 13 ans de pontificat de Clément auront semblé presque trop longs à certains. Le gouvernement espagnol, à 26 reprises, avait formulé son avis, dans l’éventualité d’une nouvelle élection pontificale! Si, à l’époque, cet avis était formulé en moyenne deux fois par an, il serait intéressant de savoir, vu l’intérêt croissant pour ces élections (et la multiplication des moyens de communication) à quel rythme et par quelles voies s’exprime aujourd’hui la "formulation d’avis". Mais revenons aux avis du passé. Les Espagnols auraient souhaité à nouveau un vieillard dans le plus mauvais état possible (au point que, trois de leurs six préférés étaient déjà morts dans les années immédiatement précédentes). Et les cardinaux qui leur étaient le plus odieux étaient Cesare Baronio et le florentin Alessandro de’ Medici, qui, durant son ambassade en France entre 1596 et 1598, avait achevé la réconciliation avec Henri IV. Liés dans le monde à la France et dans la Ville à saint Philippe Néri, ils étaient tous deux l’emblème, non de la contre-réforme, mais de la réforme catholique. C’est la raison pour laquelle Baronio avait été bloqué au bord de l’élection par l’opposition espagnole. Qui aurait jamais pu imaginer que, le 1er avril, ce serait à Alessandro de’ Medici de prendre le relais? On l’imaginait si peu que son exclusion n’avait pas été expressément prononcée. Le cardinal Avila l’exclura en jetant les hauts cris, mais trop tard. Il aurait d’ailleurs pu s’en passer. Le 17 avril, le jour où il prend possession de la Cathédrale du Latran, Léon XI tombe malade et il mourra le 27 de ce même mois de l’année du Seigneur 1605. Sur son monument funéraire on lit que "en vue de la plus haute félicité de l’Église de Dieu, il fut plus montré que donné". Quant à son successeur et à son long pontificat, il est impossible de ne pas se le rappeler. Masquant l’admirable coupole de la Basilique vaticane, son nom gravé en gros caractères sur la façade s’impose aux regards: PAULUS V BURGHESIUS. Gens perversa, selon ce qu’on appelle la prophétie de Malachie.

Les douze pontificats les plus brefs



 


Lorsque deux ou trois dates
figurent pour le début du
pontificat, la première se réfère à
l'élection, la seconde à
l'ordination épiscopale, la
troisième à l'intronisation.

La coutume était de compter les
jours de pontificat à partir du jour d'intronisation.

Dioscure
22 septembre 530 - 14 octobre 530

Sisinnius
15 janvier 708 - 4 février 708

Valentin
...août 827 - ...septembre 827 (au total 40 jours)

Boniface VI
...avril 896 - ...avril 896
(au total 15 jours)

Théodore II
...décembre 897 - ...décembre 897
(au total 20 jours)

Damas II
25 décembre 1047, 17 juillet 1048 - 9 août 1048

Célestin IV
25 octobre, 28 octobre 1241 - 10 novembre 1241

Pie III
22 septembre, 1er octobre, 8 octobre 1503 - 18 octobre 1503

Marcel II
9 avril, 10 avril 1555 - 30 avril 1555

Urbain VII
15 septembre 1590 - 27 septembre 1590

Léon XI
1er avril, 10 avril 1605 - 27 avril 1605

Jean Paul Ier
26 août, 3 septembre 1978 - 28 septembre 1978