CHAPITRE XI.

v. 1-4.

Bède. Après avoir raconté l’histoire des deux soeurs, qui ont comme personnifié en elles les deux vies de l’Église, l’Évangéliste nous représente, en suivant un ordre admirable, Notre-Seigneur en prière et enseignant à ses disciples à prier, parce qu’en effet la prière dont il donne les précieux enseignements, renferme le mystère de ces deux vies, et que la perfection de chacune d’elles s’obtient, non par nos propres forces, mais par la prière : " Un jour que Jésus était en prière en un certain lieu, " etc. — S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Mais pourquoi prier, puisqu’il est la source de tout bien qu’il possède dans sa plénitude, et qu’il n’a besoin de rien ? Nous répondons qu’une des conséquences de l’incarnation pour le Sauveur était de se conformer aux actions de la vie humaine, alors qu’il le jugeait convenable ; si, en effet, il se soumet à la nécessité du boire et du manger, quel inconvénient qu’il se livre à la prière, pour nous apprendre à ne pas négliger ce devoir, et à persévérer avec ferveur dans l’exercice de la prière ?

Tite de Bostr. (sur S. Matth.) Les disciples à qui Notre-Seigneur avait donné les règles d’une vie toute nouvelle, lui demandent aussi une nouvelle formule de prière, bien que l’Ancien Testament en contint un grand nombre : " Et dès qu’il eut cessé de prier, un de ses disciples lui dit : Seigneur, apprenez-nous à prier, de peur que nous n’offensions Dieu en lui demandant une chose pour une autre, ou en ne le priant pas avec les dispositions convenables. "

Orig. (Ch. des Pèr. gr.) Pour déterminer le Sauveur à leur tracer les règles de la prière, le disciple de Jésus ajoute : " Comme Jean l’a appris à ses disciples, " Jean, dont vous nous avez dit, " qu’il était le plus grand de tous les enfants des femmes. " Vous nous faites un précepte de vous demander les biens éternels et ineffables, mais qui nous donnera de les connaître, si ce n’est vous notre Dieu et notre Sauveur ?

S. Grég. de Nyss. (Serm. 1, sur la prière.) Le Sauveur expose à ses disciples la divine doctrine de la prière, parce qu’ils la lui demandent avec instance, et il leur enseigne comment ils doivent prier Dieu pour être exaucés. — S. Bas. (Const. mon., chap. 1.) Il y a deux sortes de prières, la prière de louange, jointe à un grand sentiment d’humilité, et la prière de demande, qui est moins parfaite. Lors donc que vous vous mettez en prière, ne vous hâtez pas de passer à la demande, autrement vous accusez vos dispositions intérieures, et vous témoignez que c’est la nécessité qui vous amène aux pieds de Dieu. Mais lorsque vous commencez à prier, séparez-vous de toute créature visible et invisible, et donnez pour exorde à votre prière la louange du Créateur de toutes choses : " Et il leur répondit : Lorsque vous priez, dites : Père, " etc. — S. Aug. (Serm. 27, sur les parol. du Seig.) Comme cette première parole est pleine de grâce et de miséricorde ! Vous n’osiez pas lever votre front vers le ciel, vous recevez tout d’un coup la grâce de Jésus-Christ ; de mauvais serviteur vous êtes devenu fils bien aimé, ayez donc espérance, non dans vos oeuvres, mais dans la grâce du Sauveur. Ce n’est point de la présomption, mais de la confiance ; proclamer la grâce que vous avez reçue, ce n’est point un acte d’orgueil, mais de dévotion. Levez-donc les yeux au ciel, vers votre Père, qui vous a donné une nouvelle vie dans le baptême, qui vous a racheté par son Fils. Dites lui comme un bon Fils : " Mon Père, " mais ne vous attribuez rien de trop particulier dans ce titre, car Dieu n’est, dans la rigueur du mot, le Père que de Jésus-Christ seul, parce qu’il est le seul qu’il ait engendré, tandis qu’il est notre Père commun à tous, parce qu’il nous à créés. C’est pour cela que dans saint Matthieu, nous lisons : " Notre Père ; " et qu’il ajoute : " Qui êtes dans les cieux ; " c’est-à-dire dans les cieux dont il est écrit : " Les cieux racontent la gloire de Dieu " dans les cieux où le péché n’existe plus, où la mort n’a plus de blessure. — Théophyl. Ces paroles : " Qui êtes dans les cieux, " ne signifient pas que Dieu se trouve circonscrit par les limites des cieux, mais Notre-Seigneur les emploie pour relever notre âme vers le ciel, et nous séparer des choses de la terre.

S. Grég. de Nyss. (Serm. 2, sur l’orais. domin.) Voyez quelle préparation est nécessaire pour que vous puissiez dire avec confiance : " Père ; " car si vous arrêtez vos regards sur les choses de la terre, si vous ambitionnez la gloire qui vient des hommes, si vous êtes l’esclave des passions de la chair, et que vous osiez faire cette prière, il me semble entendre Dieu vous dire : Comment, votre vie n’est que corruption, et vous invoquez comme votre Père l’auteur de l’incorruptibilité, et vous ne voyez pas que votre voix criminelle profane ce nom incorruptible ! En effet, celui qui vous a commandé de l’appeler votre Père, ne vous a pas autorisé à ouvrir votre bouche au mensonge. (Serm., 3.) Or, le principe de tout bien c’est de glorifier le nom de Dieu dans notre vie. Aussi le Sauveur ajoute : " Que votre nom soit sanctifié. " Qui pourrait être assez dépourvu de raison, que d’être témoin de la vie pure et sainte des vrais chrétiens, et de ne pas glorifier le nom qu’ils invoquent ? Celui donc qui dit à Dieu : " Que votre nom que j’invoque soit sanctifié en moi, " fait à Dieu cette prière : Que je devienne à l’aide de votre grâce juste, et éloigné de tout mal. — S. Chrys. (hom. 18, sur l’Ep. 1, aux Cor.) A la vue de la beauté et de la magnificence des cieux, on ne peut s’empêcher de s’écrier : Gloire à vous, ô mon Dieu, et on éprouve le même sentiment au spectacle de la vertu, car la vertu de l’homme donne plus de gloire à Dieu que la magnificence des cieux. — S. Arc. (Serm. 28, sur les parol. du Seig.) Ou bien ces paroles veulent dire : " Que votre nom soit sanctifié " en nous, de manière que la sainteté de Dieu puisse s’étendre jusqu’à nous. — Tite de Bostr. (sur S. Matth.) Ou bien encore, " que votre nom soit sanctifié, " c’est-à-dire, que votre sainteté soit connue de tous les hommes, et qu’elle soit l’objet de leurs louanges, car c’est aux justes qu’il appartient de publier les louanges de Dieu. (Ps 32.) Il nous commande donc de prier pour la sanctification du monde entier. — S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) En effet, ceux qui n’ont pas encore reçu la foi, n’ont que du mépris pour le nom de Dieu, mais aussitôt que la lumière de la vérité aura lui à leurs yeux, ils confesseront qu’il est le saint des saints. (Dn 9, 24.) — Tite de Bostr. (comme précéd.) Et comme la gloire de Dieu le Père est dans le nom de Jésus, le nom du Père sera vraiment sanctifié, lorsque Jésus-Christ sera connu.

Orig. (Ch. des Pèr. gr.) Ou bien encore, comme les idolâtres et les pécheurs attribuent le nom de Dieu aux plantes et aux créatures, ce nom n’est pas encore sanctifié ; c’est-à-dire, qu’il demeure confondu avec des choses dont il doit être nécessairement séparé. Le Sauveur nous enseigne donc à demander que le nom de Dieu soit réservé au seul vrai Dieu, auquel seul peuvent s’appliquer les paroles suivantes Que votre règne arrive ; " de manière que tout empire, toute domination, toute puissance, et le règne du monde soient anéantis, aussi bien que le péché qui règne dans nos corps mortels (1 Co 15, 24 ; Rm 6, 2). — S. Grég. de Nyss. Nous demandons encore à Dieu d’être délivrés de la corruption, et affranchis de la mort. Ou bien encore, selon quelques interprètes : " Que votre règne arrive, " c’est-à-dire, que votre Esprit saint descende sur nous, pour nous purifier. — S. Aug. (Serm. 24, sur les parol. du Seig.) Le royaume de Dieu arrive pour nous, quand nous avons eu le bonheur d’obtenir sa grâce ; car Jésus lui-même nous a dit : " Le royaume de Dieu est au milieu de vous. " — S. Cyr. Ou bien ceux qui font cette prière, expriment le désir de voir le second avènement du Sauveur de tous les hommes paraissant à leurs yeux dans toute sa gloire. Or, il nous fait un commandement de demander dans la prière l’arrivée de ce temps vraiment redoutable, pour nous apprendre à fuir la négligence et la tiédeur, si nous ne voulons que cet avènement nous amène les flammes vengeresses de l’éternité. Il veut au contraire que notre vie s’écoule dans une sainte conformité à sa volonté, pour que ces jours ne nous apportent que des couronnes d’immortalité. Voilà pourquoi dans saint Matthieu la demande suivante est celle ci : Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. " — S. Cyr. (hom. 20, sur S. Matth.) C’est-à-dire : Accordez-nous d’imiter la vie des habitants des cieux, de sorte que nous ne voulions que ce que vous voulez vous-même. — S. Grég. de Nyss. (Serm. 4, sur l’orais. dom.) Notre-Seigneur nous déclare que la vie de l’homme après la résurrection sera semblable à la vie des anges ; il faut donc que la vie présente soit une préparation à cette vie que nous espérons après la mort, et que tout en vivant dans la chair, nous ne vivions pas selon les inspirations de la chair (Rm 7, 12 ; 2 Co 10, 3). C’est ainsi que le véritable médecin de nos âmes guérit les maladies de notre nature ; le principe de nos infirmités c’est de nous être mis en opposition avec la volonté divine ; ce n’est donc que par une conformité entière à cette divine volonté que nous serons délivrés de ces infirmités, car la santé de l’âme consiste dans l’accomplissement légitime de la volonté divine.

S. Aug. (Enchirid., chap. 116.) Dans l’Évangile selon saint Matthieu, l’oraison dominicale contient sept demandes ; l’évangéliste saint Luc, n’en donne que cinq, et cependant il n’est pas en opposition avec saint Matthieu, mais dans l’abrégé qu’il nous donne de cette prière, il nous fait comprendre comment les sept demandes doivent être entendues. En effet, le nom de Dieu est sanctifié dans l’Esprit saint, et le royaume de Dieu doit venir à la résurrection. Saint Luc veut donc nous apprendre que la troisième demande n’est pour ainsi dire que la répétition des deux premières, et, son intention est de nous la faire mieux comprendre en l’omettant. Viennent ensuite les trois autres demandes, et d’abord celle du pain quotidien : " Donnez-nous aujourd’hui notre pain de chaque jour. " — S. Aug. (Serm. 28, sur les parol. du Seig.) Le texte grec porte επιουσιον, qui est au-dessus de toute substance. Ce qui ne peut s’appliquer au pain qui entre dans le corps et le nourrit, mais au pain de la vie éternelle qui fortifie la substance de notre âme. La version latine l’appelle pain de chaque jour, et les Grecs, pain qui arrive (chaque jour). Or, si ce pain est le pain de chaque jour, pourquoi ne le prenez-vous qu’une fois chaque année, comme les Grecs dans l’Orient ont coutume de le faire ? Recevez chaque jour ce qui doit vous être utile chaque jour, et vivez de manière à mériter de le recevoir chaque jour. Ce pain est le symbole de la mort du Seigneur, et de la rémission des péchés. Celui qui est blessé cherche un remède à ses blessures ; or, nous sommes blessés, puisque nous sommes esclaves du péché, et le véritable remède à nos blessures est ce sacrement descendu du ciel, et digne de toute notre vénération. Si vous le recevez tous les jours, chaque jour devient pour vous aujourd’hui, et chaque jour Jésus-Christ ressuscite pour vous ; car le jour où Jésus-Christ ressuscite, doit être appelé véritablement aujourd’hui. — Tite de Bostr. (sur S. Matth.) Ou bien encore, le pain des âmes, c’est la vertu de Dieu qui devient pour nous le principe de la vie future et éternelle, comme le pain qui provient de la terre, sert à la conservation de la vie temporelle. Ainsi le pain quotidien, dans l’intention du Sauveur, figure le pain divin qui approche et qui doit venir. Nous prions Dieu de nous l’accorder aujourd’hui, c’est-à-dire comme un commencement et un avant-goût de ce pain ; ce qui se fait lorsque l’Esprit saint qui habite en nous y produit ces vertus qui surpassent toutes les vertus humaines, comme la chasteté, l’humilité, etc.

S. Cyr. (comme précéd.) Il en est qui pensent qu’il n’est pas digne des âmes saintes de demander à Dieu les biens du corps, et qui, par conséquent, appliquent ces paroles à la vie spirituelle. J’admets que les biens spirituels doivent être l’objet principal et premier de la prière des saints, mais il faut cependant convenir qu’ils peuvent demander sans se rendre coupables, le pain ordinaire, puisque le Sauveur lui-même leur en fait un devoir. En effet, en leur enseignant à demander à Dieu du pain, c’est-à-dire la nourriture de chaque jour, il semble leur défendre de posséder autre chose, et leur commander de pratiquer une pauvreté honorable ; car ce ne sont point les miches qui demandent du pain, mais ceux que l’indigence opprime. — S. Bas. (Régl. abrég. quest. 252.) Le Sauveur semble nous dire : Ne vous en rapportez pas à vous-même, pour le pain quotidien qui vous est nécessaire pour soutenir votre vie de chaque jour ; mais recourez à Dieu pour l’obtenir, en lui exposant les besoins de votre nature. — S. Chrys. (hom. XIX, sur S. Matth.) Nous devons donc demander à Dieu, non pas la multiplicité des mets, les vins délicats et parfumés, et tout ce qui plait au goût, charge l’estomac, et trouble l’esprit ; mais les choses nécessaires à la vie, le pain destiné à soutenir notre existence, c’est-à-dire celui qui nous suffit aujourd’hui, sans nous inquiéter du lendemain. Ainsi nous ne faisons qu’une seule demande pour les choses temporelles, celle de ne point être exposés à la privation et à la souffrance dans le présent.

S. Grég. de Nysse. (Serm. 5 sur l’Orais. dominic.) Le Sauveur, après nous avoir inspiré la confiance qui vient de la pratique des bonnes oeuvres, nous enseigne à implorer la rémission de nos fautes : " Et pardonnez-nous nos offenses. " — Tite de Bostr. Aucun homme n’est sans péché, et Notre-Seigneur, ajoute cette demande nécessaire, pour lever les obstacles que nos péchés apporteraient à la participation des saints mystères. En effet, nous sommes obligés d’offrir une sainteté parfaite à Jésus-Christ, qui choisit notre coeur pour être la demeure de l’Esprit saint, et nous sommes gravement coupables, si nous ne conservons pas la pureté de ce temple intérieur. Or, si ce malheur nous arrive, la bonté de Dieu vient au secours de notre fragilité, en nous remettant la peine que nos péchés ont méritée. Le Dieu juste agit alors en toute justice avec nous, quand nous remettons nous-mêmes ce qui nous est dû, c’est-à-dire, à ceux qui nous ont fait tort, et se sont rendus nos débiteurs. C’est pour cela qu’il ajoute : " Comme nous remettons nous-mêmes à ceux qui nous doivent. " — S. Cyr. (comme précéd.) Le Sauveur veut, pour ainsi parler, que Dieu soit l’imitateur de la patience, dont les hommes lui donnent l’exemple, et qu’ils demandent à Dieu d’exercer à leur égard, dans la même mesure, la bonté dont ils font preuve à l’égard de leurs semblables, parce que Dieu sait rendre à chacun ce qui lui est dû, et être plein de miséricorde pour tous les hommes. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Une fois pénétrés de ces pensées, nous devons rendre grâces à nos débiteurs, car si nous savons bien l’apprécier, ils sont la cause de l’indulgence excessive de Dieu à notre égard ; en effet, nous donnons peu pour recevoir beaucoup, car nous avons contracté envers Dieu des dettes nombreuses et considérables, et s’il en voulait exiger la moindre partie, nous serions perdus.

S. Aug. (serm. 28 sur les par. du Seigneur.) Or, quelle est cette dette, si ce n’est le péché ? Si donc vous n’aviez rien reçu, vous n’auriez pas contracté de dettes, et c’est ce qui vous rend coupable. En effet, vous avez reçu un trésor qui vous a rendu riche en naissant, lorsque vous avez été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu ; mais vous avez perdu ce trésor qui vous a été confié. Ainsi, quand vous avez cherché à soutenir votre orgueil, vous avez perdu le trésor de l’humilité ; vous avez contracté à l’égard du démon une dette qui n’était pas nécessaire, et l’ennemi avait entre les mains votre engagement, mais Notre-Seigneur l’a attaché à la croix et l’a effacé de son sang. Or, de même qu’il a effacé votre péché et qu’il vous a remis toutes vos dettes, il est encore assez puissant pour nous défendre contre les embûches du démon, qui est en nous l’auteur du péché ; c’est pour cela qu’il nous fait ajouter dans cette prière : " Et ne nous induisez pas en tentation, " c’est-à-dire, dans mine tentation supérieure à nos forces, car nous sommes comme l’athlète qui désire une lutte proportionnée à ses forces. — Tite de Bostr. (sur S. Matth.) Il est impossible que nous soyons complètement à l’abri des tentations du démon, mais nous demandons à Dieu qu’il ne nous abandonne pas au milieu des tentations. L’Ecriture attribue ordinairement à l’action de Dieu, ce qui n’est l’effet que d’une simple permission (cf. Ez 14, 9), et c’est dans ce sens que Dieu nous induirait en tentation, s’il ne s’opposait au progrès d’une tentation au-dessus de nos forces. — S. Maxime. (Ch. des Pèr. gr.) Ou bien, le Sauveur nous ordonne de demander à Dieu de ne point nous induire en tentation, c’est-à-dire, de ne point permettre que nous soyons victimes des tentations volontaires de volupté. Quant aux tentations involontaires qui sont la suite des combats que nous soutenons pour la vérité, et qui nous entraînent dans de rudes épreuves, saint Jacques nous enseigne à ne point nous y laisser abattre : " Mes frères, nous dit-il, regardez comme la source de toute joie les diverses afflictions qui vous arrivent. " (Jc 1, 2.)— S. Bas. (Régl. abrég., quest. 221.) Cependant il ne convient pas que nous demandions à Dieu des afflictions corporelles. Jésus-Christ nous commande en général de prier Dieu, d’écarter de nous la tentation, mais dès qu’elle se présente, nous devons demander à Dieu la force nécessaire pour y résister, afin que nous puissions voir en nous l’accomplissement de cette parole : " Celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé. " (Mt 10.)

S. Aug. (Enchyrid., chap. 116.) Saint Luc n’a point rapporté la dernière demande que saint Matthieu ajoute à la précédente, pour nous faire comprendre qu’elle fait partie de la prière que nous faisons à Dieu d’être délivrés des tentations. Aussi saint Matthieu s’exprime de la sorte : " Mais délivrez-nous, " pour montrer que c’est une seule et même demande ; il ne dit pas : " Et délivrez-nous ; " il dit, ne nous exposez pas à ceci, mais accordez-nous cela, de sorte que chacun sache qu’il est délivré du mal, par là même qu’il n’est pas exposé à la tentation. — S. Aug. (serm. 28 sur les par. du Seign.) Nous demandons tous d’être délivrés du mal, c’est-à-dire, de notre ennemi et du péché, mais celui qui met en Dieu sa confiance, ne craint pas le démon, car si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ?

 

vv. 5-9.

S. Cyr. (Chaîne des Pères grecs.) Notre-Seigneur, sur la demande des Apôtres, leur avait enseigné comment il faut prier ; mais ceux qui avaient reçu ces salutaires enseignements, tout en priant selon la forme qu’il avait prescrite, pouvaient le faire avec négligence et avec tiédeur ; ou bien en voyant leur première ou leur seconde demande sans effet, abandonner complètement l’exercice de la prière. C’est pour les préserver de ce malheur qu’il leur montre, au moyen d’une parabole, que le découragement dans la prière est dangereux, et qu’il est on ne peut plus utile d’y persévérer avec patience : " Il leur dit encore : Si l’un de vous a un ami, " etc. — Théophyl. Cet ami, c’est Dieu, qui aime tous les hommes, et qui veut sincèrement que tous soient sauvés (1 Tm 2, 4 ; 2 P 3, 9). — S. Ambr. Qui d’ailleurs est plus notre ami que celui qui a livré son corps pour notre salut ? Le Seigneur nous donne encore ici un autre précepte, c’est que notre prière doit être continuelle, et que nous devons prier le jour comme la nuit : " Si l’un de vous a un ami, et qu’il aille le trouver au milieu de la nuit. " C’est ce que faisait David, quand il disait : " Je me levais au milieu de la nuit pour chanter vos louanges, " (Ps 118) car il ne craignait pas de réveiller de son sommeil celui qu’il savait avoir toujours les yeux ouverts sur son peuple. Or, si ce saint roi, tout occupé de l’administration de son royaume, redisait sept fois le jour les louanges du Seigneur (Ps 118), que ne devons-nous pas faire nous-mêmes ? Notre prière ne doit-elle pas être d’autant plus fréquente, que la fragilité de notre chair et de notre esprit nous entraîne dans un plus grand nombre de fautes ? Et si vous avez un véritable amour pour le Seigneur votre Dieu, vous pouvez obtenir, non seulement pour vous-mêmes, mais pour les autres. Voyez, en effet, la suite " Et que cet ami lui dise : Mon ami, prêtez-moi trois pains, " etc. — S. Aug. (serm. 29 sur les par. du Seign.) Quels sont ces trois pains, sinon l’aliment céleste que nous offrent les divins mystères ? Or, il peut se faire qu’on ne puisse satisfaire à la demande d’un ami, et on reconnaît alors qu’on n’a pas ce qu’on devrait lui donner. Ainsi, un ami vous arrive de voyage, c’est-à-dire, de la vie du monde, où tous les hommes passent comme des voyageurs, où ils n’ont ni véritable propriété ni demeure permanente, mais où tout homme s’entend dire : Passez, faites place à celui qui doit vous succéder. Ou encore, cet ami vous arrive fatigué d’un mauvais voyage, c’est-à-dire, d’une vie coupable, il n’a pas trouvé la vérité qu’il eût été si heureux d’entendre et de recevoir ; il vient donc à vous, qui êtes chrétien, et il vous dit : Veuillez m’instruire. Or, peut-être vous demande-t-il ce que vous ignorez dans la simplicité de votre foi, vous ne pouvez donc apaiser la faim qui le tourmente, et vous êtes obligé de recourir aux livres du Seigneur, car, peut-être, ce qu’il vous demande se trouve dans les saints Livres, mais enveloppé d’obscurité. Vous ne pouvez interroger Paul, ni Pierre, ni aucun prophète, car toute cette famille repose avec son maître. Cependant l’ignorance du monde est profonde, c’est le milieu de la nuit ; votre ami, pressé par la faim, insiste auprès de vous, la foi dans sa simplicité ne lui suffit pas, faudra-t-il l’abandonner ? Allez donc trouver le Seigneur lui-même, avec lequel toute sa famille se repose, et frappez à la porte par vos prières : " De l’intérieur de la maison il vous répondra : Ne m’importunez pas. " Mais s’il tarde à vous donner, c’est pour vous faire désirer plus vivement ce qu’il diffère de vous accorder, et vous rendre ses dons plus précieux. — S. Bas. (Constit. monast., chap. 1.) Il diffère encore pour redoubler votre assiduité et vos instances près de lui, pour vous faire connaître ce que c’est que le don de Dieu, et comment il faut le conserver avec crainte, car on garde avec beaucoup plus de soin ce qui a coûté beaucoup à acquérir, de peur qu’en le perdant, on ne perde en même temps tout le fruit de son travail.

La Glose. Loin donc de nous ôter l’espérance et le pouvoir d’être exaucés, Notre-Seigneur nous excite à prier avec plus d’ardeur, en nous montrant la difficulté d’obtenir : " Déjà la porte est fermée. " — S. Ambr. C’est cette porte que saint Paul demandait de voir s’ouvrir pour lui, non seulement par ses prières, mais à l’aide des prières des fidèles, " afin, disait-il, que Dieu nous ouvre une porte à la prédication de sa parole, afin d’annoncer le mystère de Jésus-Christ. " (Col 4.) Peut-être est-ce cette porte que saint Jean vit ouverte dans le ciel, lorsqu’il lui fut dit " Monte ici, et je te ferai voir les choses qui doivent arriver désormais. " — S. Aug. (Quest. évang., liv. 2.) Nous voyons donc figurer ici ce temps où les hommes devaient éprouver la faim de la parole de Dieu (Am 8, 11), lorsque l’intelligence est fermée et que ceux qui ont distribué le pain de la sagesse évangélique, en prêchant par tout l’univers, sont entrés dans leur repos mystérieux avec le Seigneur, c’est ce que signifient les paroles suivantes : " Et mes enfants sont au lit comme moi. " — S. Grég. de Nysse. Il appelle ses enfants ceux qui ont conquis l’impassibilité avec les armes de la justice, et il nous enseigne que le bien que nous ne pouvons acquérir qu’au prix de grands efforts, avait été déposé dès le commencement dans notre nature. En effet, lorsqu’un homme a renoncé à la vie de la chair, et qu’à l’aide de la raison il triomphe de ses passions par la pratique d’une vie vertueuse et sainte, il devient alors insensible comme un enfant, vis-à-vis de ses passions. Par le lit, il faut entendre le repos du Sauveur. — La Glose. Pour les causes qu’il vient d’énoncer, il ajoute : " Je ne puis me lever et vous rien donner, " ce qui se rapporte à la difficulté d’obtenir. — S. Aug. (Quest. évanq., 2, 21.) Ou bien encore, cet ami qui vient au milieu de la nuit prier son ami de lui prêter trois pains, est la figure de celui qui, du milieu de la tribulation, prie Dieu de lui accorder l’intelligence de la Trinité, pour le consoler des travaux et des peines de la vie présente, car l’angoisse de la tribulation c’est le milieu de la nuit, qui lui fait demander avec instance les trois pains dont il a besoin. Ces trois pains sont aussi la figure de l’unité de substance tians la Trinité. Cet ami qui arrive de voyage représente l’appétit sensuel de l’homme, qui doit être assujetti à la raison, mais qui était devenu l’esclave des habitudes du monde, qu’il appelle la voie, parce que dans le monde tout est fugitif. Or, lorsque l’homme se convertit à Dieu, l’appétit sensuel est arraché à ses anciennes habitudes. Mais si en même temps la doctrine spirituelle qui proclame la Trinité du Dieu créateur, ne répand pas dans l’âme la consolation et la joie, l’homme est en proie à de grandes angoisses, et il est comme accablé par les chagrins de cette vie. En effet, d’un côté on lui interdit la joie qui vient des objets extérieurs, et il ne jouit pas dans son âme de la consolation que produit la doctrine spirituelle. Cependant, qu’il ne cesse de prier, et Dieu se rendant à ses désirs lui donnera l’intelligence, quand même il n’aurait aucun maître pour lui enseigner la sagesse : " Si cependant l’autre continue de frapper, je vous le dis, quand celui-ci ne se lèverait pas pour lui en donner, parce qu’il est son ami ; cependant, à cause de son importunité, il se lèvera, " etc. C’est une comparaison du moins au plus ; car si un ami se lève de son lit et donne ce qu’on lui demande, pour se débarrasser d’un importun plutôt que par amitié, à combien plus forte raison Dieu donnera-t-il, avec abondance, lui qui accorde avec tant de liberté tout ce qu’on lui demande.

S. Aug. (serm. 29 sur les par. du Seign.) Lors donc que vous aurez obtenu ces trois pains (c’est-à-dire la nourriture de votre âme dans l’intelligence de la Trinité), vous aurez l’aliment nécessaire à l’entretien de votre vie et de la vie des autres. Soyez sans inquiétude, donnez largement ; car ce pain ne s’épuisera jamais, mais fera cesser votre indigence. Instruisez-vous et enseignez. Nourrissez votre âme, et donnez la nourriture à l’âme des autres.

Théophyl. Ou bien dans un autre sens, le milieu de la nuit est la fin de la vie qui amène à Dieu un si grand nombre d’hommes, et cet ami est l’ange qui est chargé de recevoir notre âme. Ou bien encore, le milieu de la nuit représente l’abîme profond des tentations, du sein duquel on demande à Dieu les trois pains qui nous sauvent dans les tentations en venant au secours de notre corps, de notre âme et de notre esprit. Cet ami qui arrive de voyage, c’est Dieu lui-même, qui nous éprouve par les tentations, et celui que la tentation accable n’a rien à lui donner. La porte est fermée, c’est-à-dire que c’est avant les tentations qu’il faut nous préparer, mais lorsque nous y sommes tombés, la porte de la préparation est fermée, nous sommes surpris dans notre imprévoyance, et si Dieu ne nous vient en aide, nous sommes en danger de périr.

vv. 9—13.

S. Aug. (serm. 29 sur les par. du Seig.) A cette parabole, Notre-Seigneur ajoute une nouvelle exhortation pour nous exciter plus vivement à chercher, à demander, à frapper : " Et moi, je vous dis de même, demandez, et il vous sera donné, " etc. — S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Cette manière de s’exprimer : " Et moi, je vous dis, " équivaut à un serment ; car Dieu ne peut mentir. Or, toutes les fois qu’il affirme quelque chose avec serment, il ôte toute excuse à la faiblesse de notre foi.

S. Chrys. (hom. 34 sur S. Matth.) En nous disant : " Demandez, " c’est la prière qu’il nous recommande : " Cherchez, " c’est le zèle et la sollicitude dans la prière. En effet, ce qui est l’objet de nos recherches, exige de grands soins, surtout dans les choses de Dieu, où notre intelligence rencontre tant d’obstacles. Cherchons donc Dieu avec la même sollicitude que nous cherchons l’or que nous avons perdu. Le Sauveur nous apprend encore à persévérer dans la prière, bien qu’il n’ouvre pas aussitôt la porte : " Frappez, et l’on vous ouvrira ; " si vous ne vous lassez pas de chercher, vous trouverez infailliblement, la porte n’est fermée que pour vous obliger de frapper, et s’il tarde à se rendre à vos désirs, c’est pour que vous demandiez avec plus d’instances. — Sévère d’Ant. On bien encore, en nous disant : " Frappez, " peut-être nous enseigne-t-il à joindre les oeuvres à la prière ; car c’est avec la main qu’on frappe, et la main est comme l’instrument des bonnes oeuvres. Ces trois choses peuvent encore s’entendre d’une autre manière ; le premier degré de la vertu est de demander la connaissance de la voie qui conduit à la vérité ; le second degré est de chercher à savoir comment on doit marcher dans cette voie ; le troisième degré consiste lorsqu’on est arrivé à la pratique des vertus, à frapper à la porte, pour entrer dans une connaissance plus étendue de la vérité, toutes choses qui s’obtiennent par la prière. Ou bien encore, demander, c’est prier ; chercher, c’est joindre à la prière des oeuvres qui la rendent digne d’être exaucée ; frapper, c’est persévérer dans la prière sans se décourager. — S. Aug. (serm. 29 sur les par. du Seig.) Assurément, Dieu ne nous presserait pas si fortement de le prier, s’il n’avait l’intention de nous exaucer. Honte donc à la tiédeur de l’homme, Dieu est bien plus disposé à donner, que nous ne le sommes à recevoir.

S. Ambr. Celui qui fait une promesse, doit donner l’espérance des choses qu’il promet, pour rendre plus faciles l’obéissance à ses commandements, et la confiance dans ses promesses. C’est pourquoi Notre-Seigneur ajoute : " Quiconque demande, reçoit, " etc. — Orig. (Ch. des Pèr. gr.) On demandera peut-être pourquoi la prière n’est pas toujours exaucée, nous répondons que celui qui s’adresse à Dieu en toute droiture, et n’omet rien de ce qui peut assurer le succès de ses prières, obtiendra certainement ce qu’il a demandé. S’il s’écarte, au contraire, des règles prescrites à celui qui prie, sa prière, dépourvue des conditions voulues, n’est plus une prière. Si donc il ne reçoit rien, les paroles du Sauveur n’en sont pas moins véritables ; car Dieu ayant dit : " Celui qui vient à moi, obtiendra la science de la sagesse, nous recevons en réalité la grâce de nous approcher du divin Maître, pour nous appliquer avec ferveur et avec zèle à l’accomplissement de ses préceptes. Saint Jacques dit de son côté : " Vous demandez, et vous ne recevez pas, " parce que vous demandez mal, c’est-à-dire dans l’intérêt de vos passions frivoles. On m’objectera qu’il en est qui prient pour obtenir la connaissance de Dieu, ou leur retour à la vertu, sans rien obtenir ; je réponds que la raison eu est qu’ils ont demandé ces biens, non pour eux-mêmes, mais pour l’estime et la considération qui pouvaient leur en revenir.

S. Bas. (Constit., 1.) Qu’un homme encore s’abandonne par lâcheté à ses désirs, et se livre lui-même entre les mains de ses ennemis, il ne peut espérer que Dieu ni le secoure, ni ne l’exauce, puisqu’il s’est volontairement éloigné de lui. Offrons donc à Dieu, dans la prière, toutes les dispositions qui dépendent de nous, et crions vers lui pour qu’il vienne à notre secours. Or, ce n’est pas avec tiédeur qu’il faut implorer le secours divin, ni avec un esprit distrait et égaré ; une semblable prière, loin d’obtenir ce qu’elle demande, ne fait qu’irriter Dieu davantage. En effet, si lorsqu’on paraît devant un prince de la terre, on retient, par crainte du châtiment, dans l’attention la plus sévère, les yeux de l’âme et du corps, quelle ne doit pas être notre attention et notre tremblement, quand nous nous présentons devant Dieu pour prier ? Si la faiblesse, produite en vous par le péché, vous empêche de fixer votre attention dans la prière, faites-vous cependant violence dans la mesure du possible, afin qu’en paraissant devant Dieu, vous dirigiez vers lui tous les efforts de votre esprit ; et Dieu vous pardonnera, parce que si vous ne vous présentez pas devant lui avec les dispositions convenables, ce n’est point tiédeur, mais fragilité. Si vous luttez ainsi contre vous-même, ne vous retirez pas que vous n’ayez été exaucé. Si, au contraire, votre prière reste quelquefois sans effet, c’est qu’elle n’avait pas les conditions voulues. Vous avez prié, ou sans foi, ou sans attention, ou sans discernement dans l’objet de votre prière, ou sans persévérance. Il en est souvent qui font cette difficulté, qu’avons-nous besoin de prier ? Est-ce que Dieu ne sait pas ce dont nous avons besoin ? Oui, Dieu le sait, et il nous donne avec abondance ses faveurs spirituelles, avant même que nous les demandions ; mais pour les oeuvres de la vertu, et pour le royaume des cieux, il veut que nous en ayons d’abord le désir, que le désir nous porte à les chercher, en faisant avec foi et patience tout ce qui dépend de nous, et en prenant soin que notre conscience ne nous reproche aucune faute.

S. Ambr. C’est ainsi que le précepte qui nous est donné de prier souvent, nous donne l’espérance certaine d’être exaucés. Le Sauveur cherche à nous convaincre d’abord par ce commandement qu’il nous donne, et ensuite par les exemples qu’il nous apporte : " Si quelqu’un demande du pain à son père, lui donnera-t-il une pierre ? " etc. — S. Cyr. Le Sauveur nous donne ici une leçon bien nécessaire ; car souvent nous nous jetons imprudemment, et par l’entraînement des passions, dans des désirs pernicieux. Or, lorsque nous portons-devant Dieu l’expression de ces désirs, jamais nous ne serons exaucés ; c’est pour nous convaincre de cette vérité, que Notre-Seigneur emprunte une comparaison aux usages ordinaires de la vie. Que votre fils, en effet, vous demande du pain, vous vous hâtez de lui en donner, parce que sa demande est raisonnable et légitime. Mais si par défaut de discernement, il vous demande une pierre en guise de pain, loin de vous rendre à ce désir mauvais, vous le combattez avec raison. Voici donc le sens de ce passage : Si quelqu’un demande à son père du pain que son père est disposé à lui donner ; lui donnera-t-il une pierre, s’il venait à l’en prier ? Le sens est le même pour le serpent et pour le poisson, pour l’oeuf et pour le scorpion. Or, s’il lui demande un poisson, lui donnera-t-il un serpent ? Ou s’il lui demande un oeuf, lui donnera-t-il un scorpion ?

Orig. (Ch. des Pèr. gr.) Si l’on peut entendre ce pain de l’aliment intérieur de l’âme, sans lequel on ne peut être sauvé, c’est-à-dire de l’intelligence claire de la vie qu’on doit mener, le poisson représentera l’amour de la science qui consiste à connaître la création du monde, les propriétés des éléments, et tout ce qui fait l’objet de l’enseignement de la philosophie. Ainsi Dieu, au lieu de pain, ne nous donne pas une pierre, que le démon pressait Jésus-Christ de manger (Mt 4, 3) ; au lieu de poisson, il ne nous donne pas un serpent tel qu’en mangent les Ethiopiens, qui sont indignes de se nourrir de poissons ; en un mot, au lieu d’une nourriture bienfaisante et salutaire, il ne nous donne pas d’aliments dangereux et nuisibles, c’est ce que représente l’oeuf et le scorpion.

S. Aug. (Quest. évang., 2, 22.) Ou bien encore, ce pain représente la charité, parce qu’elle est le bien le plus désirable, et si nécessaire, que tout le reste n’est rien sans elle, de même qu’une table sans pain est une table où manque le nécessaire. Le vice opposé à la charité, est la dureté du coeur, qui est comparée à une pierre. Le poisson représente la foi aux choses invisibles, ou à cause de l’eau du baptême, ou parce que le poisson est tiré des profondeurs invisibles des eaux. Le poisson peut aussi figurer la foi qui est assaillie et ballottée par les flots de ce monde, sans en être ébranlée. Au poisson, Notre-Seigneur oppose le serpent, à cause de son venin de mensonge qu’il a jeté dans le coeur du premier homme en le portant au mal. L’oeuf est la figure de l’espérance ; car l’oeuf n’est pas encore le petit être dans sa perfection, mais il en donne l’espérance aussitôt qu’il aura été couvé. Le Sauveur lui oppose le scorpion qui porte derrière lui le venin de son redoutable aiguillon ; ainsi le défaut opposé à l’espérance, est de regarder en arrière, parce que l’espérance des biens futurs se porte toujours en avant.

S. Aug. (serm. 29 sur les par. du Seig.) Que de sollicitations le monde vous adresse, que de bruit il fait après vous, pour vous faire regarder en arrière ! O monde impur, pourquoi ce bruit ? Pourquoi veux-tu nous détourner de la voie ? Tu veux nous retenir, tout périssable que tu es, que ne ferais-tu pas, sites joies étaient durables ? Qui serait à l’abri des séductions de ta douceur, puisque tu sais nous tromper en ne nous donnant qu’un pain d’amertume ?

S. Cyr. Notre-Seigneur tire cette conclusion de l’exemple qu’il vient de citer : Si donc vous, tout méchants que vous êtes, " c’est-à-dire dont l’âme est portée au mal, et n’est point constante et immuable dans le bien, comme Dieu. — Bède. On bien, il appelle ici mauvais les amateurs du monde, qui donnent des choses que dans leur appréciation ils croient bonnes, qui sont bonnes en effet par leur nature, et servent aux usages de cette misérable vie : " Si donc vous, tout méchants que vous êtes, vous savez donner à vos enfants de bonnes choses. " Les Apôtres eux-mêmes qui, par la grâce de leur vocation, s’étaient élevés au-dessus de la bonté ordinaire des hommes, peuvent être cependant appelés mauvais, en comparaison de la bonté suprême, parce que rien n’est bon par soi-même, que Dieu seul. Les paroles qui suivent : " Combien plus votre Père céleste donnera-t-il l’esprit bon, " et dans saint Matthieu : " Combien plus donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui demandent, " nous enseignent que l’Esprit saint est la plénitude des dons de Dieu ; car tous les avantages que nous apporte la grâce des faveurs célestes, émanent de cette source.

S. Athan. (I Dial. sur la Trin.) Or, si le Saint-Esprit n’avait pas une seule et même substance avec Dieu qui est seul bon, on ne lui donnerait pas ici la qualification de bon, puisque le Seigneur lui-même ne voulut point être appelé bon, en tant qu’il s’était fait homme.

S. Aug. (Serm. 29, sur les parol. du Seig.) O avare, que demandez-vous donc ? ou si vous demandez autre chose, qu’est-ce qui pourra vous suffire, alors que Dieu même ne vous suffit pas ?

vv. 14-16.

La Glose. Notre-Seigneur venait de promettre que l’Esprit de bonté serait donné à ceux qui prient, et il donne des preuves de cette bonté dans le miracle suivant : " Un jour Jésus chassait un démon et ce démon était muet. " — Théophyl. On appelle ordinairement muet (xωφóς), celui qui ne parle pas, et aussi celui qui n’entend pas, mais la signification propre de ce mot, est qui n’entend et ne parle pas. Celui qui est sourd de naissance, est nécessairement muet, car nous ne parlons que parce que nous avons entendu parler. Au contraire, rien n’empêche que celui qui est venu sourd par accident, ne puisse parler. Or, celui qui fut présenté au Seigneur était tout à la fois sourd et muet. — Tite de Bostr. (sur S. Matth.) L’Évangéliste dit que ce démon était muet ou sourd, parce qu’il produit en nous cette infirmité pour nous empêcher d’entendre la parole de Dieu. En effet, les démons détruisent les bonnes dispositions du coeur de l’homme, pour fermer plus facilement les oreilles de son âme : Or, Jésus-Christ est venu sur la terre pour chasser le démon, et nous faire entendre la parole de vérité, et dans ce seul homme il nous a donné comme un avant goût du salut de tous les hommes.

Bède. D’après saint Matthieu, cet homme non seulement était muet, mais encore aveugle. Notre-Seigneur fait donc trois miracles dans la guérison de cet homme, il rend la vue à un aveugle, la parole à un muet, et il délivre un possédé du démon. Ce triple miracle se renouvelle encore tous les jours dans la conversion des infidèles ; ils sont d’abord délivrés du démon, puis ils voient la lumière de la foi, et enfin leur bouche qui était muette, s’ouvre pour publier les louanges de Dieu.

S. Cyr. A la vue de ce miracle, la multitude proclame les louanges et la gloire de Jésus à l’égal de celle de Dieu : Et la foule était dans l’admiration. " — Bède. Or, tandis que la foule, qui paraissait avoir moins d’instruction, ne pouvait voir sans admiration les œuvres du Sauveur, les scribes et les pharisiens cherchaient à les nier, ou à en donner une fausse interprétation, comme si elles avaient pour auteur non pas Dieu mais l’esprit immonde : " Quelques-uns dirent : c’est par Béelzébub, prince des démons, qu’il chasse les démons. " Béelzébub était le Dieu d’Accaron (1 R 1, 2.3.6.16), Béel est la même chose que Baal, et Zébub signifie mouche. On appelle donc cette fausse divinité Béelzébub, ou l’homme des mouches, à cause du culte impur qui était rendu au prince des démons.

S. Cyr. D’autres excités par les mêmes aiguillons de l’envie, lui demandaient de faire un prodige du ciel : " D’autres, pour le tenter, lui demandaient un signe du ciel, " et semblaient lui dire : Vous avez, il est vrai, chassé le démon de cet homme, mais ce n’est pas là une preuve de divinité, car nous n’avons encore rien vu de pareil aux anciens miracles, tels que ceux de Moïse, ouvrant au peuple de Dieu un passage au milieu de la mer (Ex 11) ; et de Josué, son successeur, qui arrêta le soleil à Gabaon. Or, vous n’avez jusqu’ici rien fait de semblable. La demande qu’ils font au Sauveur d’opérer un prodige dans le ciel, indique que telles étaient leurs pensées à son égard.

vv. 17-20.

S. Chrys. (hom. 48, sur S. Matth.) Comme les pensées des pharisiens étaient déraisonnables, ils n’osaient les produire au dehors par crainte de la multitude, et se contentaient de les agiter dans leur esprit ; ce qui fait dire à l’Évangéliste : " Mais Jésus connaissant leurs pensées, leur dit : " Tout royaume divisé contre lui-même sera détruit. " — Bède. Il ne répond pas à leurs paroles, mais à leurs pensées, pour les forcer ainsi de croire à la puissance de celui qui pénétrait le secret des coeurs.

S. Chrys. (comme précéd.) Jésus ne tire pas sa réponse des Écritures, parce que leur témoignage eût été de nul poids pour les pharisiens qui en donnaient de fausses interprétations, il leur apporte donc un exemple emprunté à ce qui se passe ordinairement. En effet, une maison ou une ville divisée, ne tarderont pas à être détruites ; il en sera de même d’un royaume, qui est ce qu’il y a de plus fortement constitué ; car c’est l’union des sujets qui fait la force des royaumes, comme des maisons particulières : Si donc, dit le Sauveur, je chasse les démons par le prince des démons, la division règne parmi eux, et leur puissance est détruite. C’est le sens de ces paroles : " Si Satan est divisé contre lui-même, comment son règne pourra-t-il subsister ? " Car loin que Satan soit contraire à lui-même, et se déclare contre ses suppôts, il cherche bien plutôt à consolider son empire. La seule conclusion possible, c’est donc que je triomphe du démon par une puissance toute divine. — S. Ambr. Notre-Seigneur nous enseigne encore par ces paroles, que son royaume est indivisible et perpétuel, et nous apprend que ceux qui ne placent point leur espérance en Jésus-Christ, mais qui osent dire que c’est par le prince des démons qu’il chasse les démons, n’auront aucune part à son royaume éternel. Ces paroles s’appliquent aussi au peuple juif. En effet, comment le royaume des Juifs pourrait-il être éternel, alors que le peuple de la loi ne veut pas reconnaître Jésus, dont la loi annonçait la venue. C’est ainsi que la foi du peuple juif se met en opposition avec elle-même, qu’en se contredisant elle se divise, et que cette division entraîne sa ruine, tandis que le royaume de l’Église durera éternellement, parce qu’elle ne forme qu’un seul et même corps, grâce à sa foi une et indivisible. — Bède. Le royaume du Père, du Fils et de l’Esprit saint, ne souffre pas non plus de division, parce qu’il est fondé sur une immutabilité éternelle. Que les Ariens cessent donc de dire que le Fils est inférieur au Père, et l’Esprit saint au Fils, car ceux qui ne forment qu’un seul et même royaume, ont aussi une seule et même nature divine.

S. Chrys. (hom. 42.) A cette première réponse, Jésus en ajoute une seconde : " Or, si c’est par Béelzébub que je chasse les démons, par qui vos enfants les chassent-ils ? " Il ne dit pas : Mes disciples, mais : " Vos enfants, " pour adoucir leur fureur. — S. Cyr. En effet, les disciples de Jésus-Christ étaient Juifs, et descendaient des Juifs selon la chair, ils avaient reçu de leur divin Maître le pouvoir de chasser les esprits immondes, et de délivrer au nom de Jésus-Christ ceux qui en étaient possédés. Quelle folie donc, alors que vos enfants écrasent Satan en mon nom, d’oser dire que c’est de Béelzébub que je tiens cette puissance ! La foi de vos enfants sera donc votre condamnation : " C’est pourquoi, leur dit-il, ils seront eux-mêmes vos juges. " — S. Chrys. (hom. 42.) Car puisqu’ils sont de votre nation, et qu’ils me rendent hommage, il est manifeste qu’ils condamneront ceux qui tiennent une conduite contraire.

Bède. Ou bien encore, par ces enfants des Juifs, Notre-Seigneur entend les exorcistes de cette nation, qui chassaient les démons par l’invocation du nom de Dieu ; et tel est le sens du raisonnement du Sauveur : Si c’est de Dieu et non du démon que vos enfants tiennent le pouvoir de chasser les démons, pourquoi donc les chasserais-je en vertu d’un autre pouvoir ? Aussi vos enfants seront-ils vos juges, non par la puissance qu’ils exerceront sur vous, mais par l’opposition de leur conduite avec la vôtre, puisqu’ils reconnaissent que je chasse les démons par un pouvoir divin, et que vous attribuez ce pouvoir au prince des démons.

S. Cyr. Si donc ce que vous me reprochez est marqué au coin de la calomnie, il est manifeste que c’est par l’Esprit de Dieu que je chasse les démons. " Or, si c’est par le doigt de Dieu que je chasse les démons, il est donc certain que le royaume de Dieu est arrivé jusqu’à vous. " — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 36.) Saint Luc dit : " Par le doigt de Dieu, " et saint Matthieu : " Par l’Esprit de Dieu, " mais ces deux expressions ont le même sens, et nous enseignent comment nous devons entendre cette locution : " le doigt de Dieu, " partout où nous la rencontrons dans l’Écriture. — S. Aug. (quest. Evang., 2, 17.) Or, l’Esprit saint est appelé le doigt de Dieu, à cause de la distribution des dons dont il est l’auteur, et qui est propre à chacun des hommes et des anges ; car la division n’est dans aucun de nos membres aussi apparente que dans les doigts. — S. Cyr. (Trés., XIII, 2.) Ou bien encore, l’Esprit saint est appelé le doigt de Dieu, comme le Fils est appelé la main et le bras du Père, parce que c’est par le Fils que le père fait toutes choses. De même donc que le doigt n’est pas étranger à la main, mais lui est naturellement uni, ainsi l’Esprit saint est consubstantiellement uni au Fils, et c’est par lui que le Fils opère toutes choses (Ps 11 ; 97, 2). — S. Ambr. Il ne faut pas cependant que cette comparaison tirée de l’union de nos membres vous porte à établir une espèce de division dans la puissance de chacune des personnes divines, car ce qui est un et indivisible ne peut admettre de division. Ainsi cette expression, " le doigt de Dieu " doit être entendue comme exprimant l’unité de nature et non la distinction de puissance.

S. Athan. (2 disc. cont. les Ar.) Toutefois, pour le moment Notre-Seigneur ne refuse pas à raison de son humanité de se déclarer inférieur à l’Esprit saint, en reconnaissant que c’est par lui qu’il chasse les démons, comme si la nature humaine ne pouvait opérer ce miracle sans le secours de ce divin Esprit. — S. Cyr. C’est en suivant la même idée qu’il ajoute : " Le royaume de Dieu est venu jusqu’à vous, " c’est-à-dire : Si tout homme que je suis, je chasse les démons par l’Esprit de Dieu, la nature humaine à donc été enrichie en moi, de grâces toutes particulières, et le royaume de Dieu est venu jusqu’à vous. — S. Chrys. (hom. 42.) Il emploie cette expression : " Jusqu’à vous, " pour les attirer davantage, comme s’il leur disait : Puisque Dieu vous comble de bienfaits, pourquoi cet orgueilleux dédain pour les grâces qu’il vous fait ? — S. Ambr. Le Sauveur nous représente ici le Saint-Esprit, comme ayant une puissance souveraine, puisque c’est en lui que se personnifie le royaume de Dieu, et nous-mêmes comme étant une demeure royale, puisque ce divin Esprit daigne habiter en nous. — Tite de Bostr. Ou bien encore ces paroles : " Le royaume de Dieu est venu jusqu’à vous, " veulent dire : Est venu pour votre ruine, non pour votre bonheur ; car le second avènement de Jésus-Christ sera terrible pour les chrétiens perfides.

vv. 21-23.

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Notre-Seigneur voulant confondre ses accusateurs par le nombre et l’évidence des raisons, emploie une comparaison des plus claires, pour prouver à ceux qui ne veulent pas fermer obstinément les yeux, qu’il a triomphé du prince de ce siècle par la puissance qui lui est naturelle : " Lorsque le fort armé garde sa maison, " etc. — S. Chrys. (hom. 42, sur S. Matth.) Il appelle le démon le fort armé, non qu’il tienne cette force de sa nature, mais pour exprimer la tyrannie qu’il exerçait depuis si longtemps par suite de notre faiblesse. — S. Cyr. (Jn 12.) En effet, avant l’avènement du Sauveur, il se jetait avec une violence inouïe sur les troupeaux qui n’étaient pas à lui, mais à Dieu, comme pour les emmener dans sa propre bergerie.

Théophyl. Les armes du démon sont les différentes espèces de péchés dans lesquelles il mettait toute sa confiance pour asservir les hommes à son empire. — Bède. Sa maison, c’est le monde entier qui est fondé sur le mal, (1 Jn 5, 19), et sur lequel le démon régnait en maître, jusqu’à l’avènement du Sauveur, parce qu’il habitait sans opposition dans le coeur des infidèles, mais il a été vaincu par la puissance bien supérieure de Jésus-Christ, qui a délivré les hommes de son esclavage, et l’a honteusement chassé : " Mais il en survient un plus fort que lui, " etc. — S. Cyr. C’est en effet lorsque le Verbe du Dieu très-haut, source de toute puissance, et le Seigneur des vertus (cf. Ps 23, 10 ; 47, 9 ; 58, 6 ; 79, 19. 20 ; 83, 2, 4, 9, 13 ; 88, 9), a daigné se faire homme, qu’il s’est emparé du démon, et lui a enlevé ses armes. — Bède. Ses armes sont la ruse, les fourberies, le mensonge, que met en oeuvre sa méchanceté ; ses dépouilles sont les hommes qu’il trompe et séduit. — S. Cyr. En effet, ceux qu’il retenait depuis longtemps dans les liens de l’ignorance de Dieu et de l’erreur, ont été appelés par les saints Apôtres à la connaissance de la vérité, et offerts à Dieu le Père, par la foi qu’ils avaient en son Fils. — S. Bas. (Comment. sur Is 18.) On peut aussi entendre par ces dépouilles qu’il a distribuées, les anges fidèles, qu’il a préposés à la garde des hommes. — Bède. Jésus-Christ vainqueur a distribué les dépouilles, (ce qui est le propre des triomphateurs), lorsqu’il a mené captive la captivité elle-même, et répandu ses dons sur les hommes, en établissant les uns apôtres, les autres évangélistes, ceux-ci prophètes, ceux-là pasteurs et docteurs. (Ep 4.)

S. Chrys. (hom. 42.) Le Sauveur donne enfin une quatrième réponse, en ajoutant : " Celui qui n’est pas avec moi, est contre moi, " paroles dont voici le sens : Je veux donner les hommes à Dieu, Satan veut le contraire ; comment donc celui qui, loin de se joindre à moi, dissipe ce qui m’appartient, pourrait-il s’entendre avec moi au point de joindre ses efforts aux miens pour chasser les démons ? " Et celui qui n’amasse point avec moi, dissipe au lieu d’amasser. " — S. Cyr. C’est-à-dire : Je suis venu pour réunir les enfants de Dieu que le démon avait dispersés, et Satan qui n’est pas avec moi, s’efforce de disperser de nouveau ceux que j’ai cherché à recueillir et à sauver. Comment donc. celui qui s’oppose à tous mes desseins, pourrait-il me communiquer son pouvoir ? — S. Chrys. (hom. 42.) Si donc on est ennemi quand on refuse de joindre ses efforts à ceux d’un autre, à plus forte raison quand on y met obstacle. Le Sauveur semble aussi avoir en vue les Juifs dans cette allégorie, et il les range avec le démon, parce qu’eux aussi se déclaraient contre lui, et dispersaient ceux qu’il rassemblait.

vv. 24-27.

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Notre-Seigneur fait voir ensuite comment le peuple juif en est venu à se faire de semblables idées sur le Christ : " Lorsque l’esprit impur est sorti d’un homme, " etc. Dans saint Matthieu, le Sauveur applique aux Juifs cette comparaison en termes exprès " C’est ce qui arrivera à cette génération criminelle, " (Mt 12, 45.) En effet, lorsqu’ils vivaient en Égypte, en se conformant aux usages des Egyptiens, ils étaient la demeure de l’esprit mauvais, il en fut chassé lorsqu’ils immolèrent l’agneau qui était la figure du Christ, et qu’ils marquèrent leurs portes de son sang pour échapper à l’ange exterminateur. (Ex 12)

S. Ambr. Dans ce seul homme, se trouve donc figuré tout le peuple juif qui avait été délivré de l’esprit mauvais par la loi. Cependant comme les coeurs des Gentils, arides d’abord, mais pénétrés ensuite de la rosée de l’Esprit saint par le baptême, ne pouvaient offrir au démon un lieu de repos, parce qu’ils croyaient en Jésus-Christ, et que Jésus-Christ est une flamme dévorante pour les esprits impurs, il revint vers le peuple juif : " Et comme il n’en trouve point, il dit : Je retournerai dans ma maison d’où je suis sorti. " — Orig. (Ch. des Pèr. gr.) C’est-à-dire : Je retournerai vers les enfants d’Israël qui n’ont en eux rien de divin, qui sont comme déserts, et m’offrent un endroit où je puis habiter. " Et lorsqu’il y est rentré, il la trouve nettoyée et parée. " — S. Ambr. Mais sous cette pureté extérieure et apparente, l’intérieur n’en demeurait que plus souillé ; car elle ne pouvait ni se purifier de ces souillures, ni éteindre le feu des passions dans les eaux de la fontaine sacrée ; aussi l’esprit impur s’empressait-il de rentrer dans cette maison, avec sept esprits plus mauvais que lui : " Alors il s’en va prendre sept esprits plus méchants que lui, et entrant dans cette maison, ils en font leur demeure. " Juste punition du crime que ce peuple sacrilège avait commis en violant la semaine de la loi, et le mystère du huitième jour. Ainsi de même que la grâce se répand avec abondance sur nous par les sept dons de l’Esprit saint, toute la malice des démons s’empare aussi de ce peuple par ces sept esprits impurs ; car le nombre sept, dans l’Écriture, exprime ordinairement l’universalité.

S. Chrys. (hom. 44 sur S. Matth.) Les démons qui habitent les âmes des Juifs sont pires que les premiers. Autrefois, ils traitaient avec cruauté les prophètes ; aujourd’hui, c’est au Seigneur lui-même que s’adressent leurs outrages, aussi en ont-ils été punis bien plus sévèrement par Vespasien et par Tite, qu’ils ne l’avaient été en Égypte et lors de la captivité de Babylone : " Et le dernier état de cet homme devient pire que le premier. " Autrefois encore, ils étaient gouvernés par la divine Providence et par la grâce de l’Esprit saint, mais aujourd’hui cette protection toute paternelle leur fait défaut, et par suite, ils sont dans un dénuement complet de vertu, et en proie à des peines plus déchirantes et à toute la violence des démons.

S. Cyr. Le dernier état devient pire que le premier, selon cette parole de l’apôtre saint Pierre : " Il eût mieux valu pour eux ne jamais connaître la voie de la vérité, que de s’en écarter après l’avoir connue.

Bède. On peut encore entendre ces paroles de tous les hérétiques, de tous les schismatiques, et même des mauvais catholiques qui, à l’époque de leur baptême, avaient été délivrés de l’esprit immonde. Ce mauvais esprit parcourt alors les lieux arides, c’est-à-dire, qu’en tentateur habile et rusé, il examine les coeurs des fidèles qui ont été purifiés de toutes les pensées impures et dangereuses, pour voir s’il peut y imprimer la trace de ses pas maudits. Il dit : " Je retournerai dans ma maison d’où je suis sorti. " Ces paroles doivent nous faire craindre que les fautes, que nous regardions comme à jamais effacées, ne profitent de notre négligence pour reprendre sur nous leur funeste empire. Il trouve cette maison nettoyée, c’est-à-dire purifiée par la grâce du baptême des souillures du péché ; mais complètement dénuée de l’ornement des bonnes oeuvres. Les sept mauvais esprits qu’il prend avec lui, représentent l’universalité des vices. Ces esprits sont plus mauvais que lui, parce que cette maison non seulement aura les sept vices directement opposés aux sept vertus spirituelles, mais elle voudra encore, par un sentiment d’hypocrisie, paraître avoir ces vertus.

S. Chrys. (hom. 44.) Ce n’est pas seulement aux Juifs, mais à nous-mêmes, que s’appliquent les paroles suivantes : " Le dernier état de cet homme devient pire que le premier. " En effet, si après avoir été éclairés et délivrés de nos fautes passées, nous retournons à nos habitudes vicieuses, le châtiment qui attend ces nouvelles fautes sera bien plus terrible.

Bède. On peut encore dire que Notre-Seigneur n’a dans ces paroles d’autre but, que d’établir la distinction qui sépare ses oeuvres de celles du démon, c’est-à-dire que le caractère du Sauveur est de purifier tout ce qui est souillé, tandis que celui du démon est de s’empresser de souiller encore davantage ce que Jésus a purifié.

vv. 27, 28.

Bède. Tandis que les scribes et les pharisiens tentent le Seigneur, et blasphèment contre ses oeuvres, une simple femme proclame avec une foi vraiment admirable le mystère de son incarnation : " Lorsqu’il parlait ainsi, une femme, élevant la voix du milieu du peuple, lui dit : " Heureuses les entrailles qui vous ont porté, " etc. C’est ainsi qu’elle confond tout ensemble, les calomnies des princes des Juifs et la perfidie des hérétiques futurs. En effet, de même que les Juifs, par leurs blasphèmes contre les oeuvres de l’Esprit saint, niaient que le Sauveur fût le vrai Fils de Dieu, ainsi les hérétiques, en niant par la suite que par la coopération de l’Esprit saint, Marie, toujours vierge, ait contribué à former la chair du Fils de Dieu, n’ont pas voulu reconnaître que le Fils de l’homme fût le Fils véritable du Père, de même nature que lui. Mais si la chair du Verbe de Dieu fait homme, est étrangère à la chair de la Vierge mère, pourquoi proclamer bienheureuses les entrailles qui l’ont porté, et les mamelles qui l’ont allaité. Quelle raison de croire qu’il ait été nourri de son lait, si l’on ne veut admettre qu’il ait été conçu de son sang, puisque selon les médecins, le lait et le sang ont une seule et même source. Or, ce bonheur n’est pas le partage exclusif de celle qui a mérité d’enfanter corporellement le Verbe de Dieu, mais encore de tous ceux qui s’appliquent à concevoir spirituellement par la foi ce même Verbe, à l’enfanter et à le nourrir dans leur coeur, et dans celui du prochain, par la pratique des bonnes oeuvres : " Mais Jésus lui répondit : Bien plus heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la mettent en pratique. "

S. Chrys. (hom. 45 sur S. Matth.) En parlant de la sorte, le Sauveur ne reniait pas sa mère, mais il montrait qu’il n’eût servi de rien à Marie de l’avoir mis au monde, si elle n’eût d’ailleurs été le modèle de toutes les vertus. Or, s’il n’y avait aucun avantage pour Marie d’avoir donné le jour à Jésus-Christ, sans les vertus qui ornaient d’ailleurs son âme, n’espérons rien absolument des vertus d’un père, d’un frère ou d’un fils, si nous ne faisons aucun effort pour les imiter.

Bède. La Mère de Dieu est heureuse pour avoir été dans le temps l’instrument de l’incarnation du Verbe, mais elle est bien plus heureuse pour avoir gardé inviolablement et éternellement son saint amour. Ces paroles sont une condamnation des sages d’entre les Juifs qui, au lieu d’écouter la parole de Dieu et de la mettre en pratique, en faisaient un objet de négations et de blasphèmes.

 

vv. 29-32.

Bède. Les ennemis du Sauveur lui avaient fait deux questions insidieuses, les uns l’accusaient de chasser les démons par Béelzébub, et nous l’avons vu confondre cette accusation calomnieuse ; les autres, pour le tenter, demandaient un signe du ciel, et c’est à eux qu’il va répondre : " Et comme le peuple s’assemblait en foule, Jésus commença à dire : " Cette génération est une génération méchante, " etc. — S. Ambr. Paroles qui indiquent que la synagogue perd toute sa beauté au moment où l’Église doit briller de tout son éclat. Or, le Fils de l’homme sera un signe pour les Juifs, comme Jonas l’a été pour les Ninivites : " Elle demande un signe, et il ne lui en sera pas donné d’autre que le signe du prophète Jonas. " — S. Bas. (Ch. des Pèr. gr.) Un signe est une chose sensible, placée sous les yeux de tous, et qui a pour objet de faire connaître une chose cachée, et c’est ainsi que les faits miraculeux de la vie de Jonas représentent la descente de Jésus aux enfers, sa sortie et sa résurrection d’entre les morts : " Car, comme Jonas fut un signe pour les Ninivites, le Fils de l’homme le sera pour cette génération. " — Bède. Il ne leur donne pas un signe du ciel, parce qu’ils étaient indignes de le voir, mais des profondeurs de la terre, c’est-à-dire le signe de son incarnation, non de sa divinité ; le signe de sa passion, et non celui de sa gloire.

S. Ambr. Le signe de Jonas n’est pas seulement la figure de la passion du Sauveur, mais encore un témoignage des crimes énormes commis par les Juifs, et nous y voyons une prophétie qui porte tout à la fois le caractère de la justice divine et celui de la miséricorde. En effet, l’exemple des Ninivites nous présente et la menace du supplice, et l’indication des moyens propres à l’éviter ; et ainsi les Juifs eux-mêmes, ne doivent pas désespérer du pardon, s’ils veulent faire pénitence. — Théophyl. Mais les Ninivites se convertirent à la prédication de Jonas, lorsqu’il fut sorti du ventre de la baleine, tandis que les Juifs ont refusé de croire à Jésus-Christ ressuscité des morts, c’est ce qui a été la cause de leur condamnation, et le Sauveur en donne successivement deux preuves par comparaison : " La reine du Midi s’élèvera au jour du jugement contre les hommes de cette génération, et les condamnera. " — Bède. Elle les condamnera, non par la puissance qui lui sera donnée de juger, mais par la simple opposition de sa conduite sage avec celle des Juifs : " Parce qu’elle est venue des extrémités de la terre pour entendre la sagesse de Salomon, " et cependant il y a ici plus que Salomon. Le mot hic (ici), en cet endroit, n’est pas un pronom, mais un adverbe de lieu, qui veut dire : Vous avez ici, et parmi vous, celui qui est incomparablement plus grand que Salomon. — S. Cyr. Il ne dit pas : Je suis plus grand que Salomon, pour nous apprendre à nous humilier, alors même que nous sommes comblés de grâces spirituelles. Voici le sens de ces paroles : Cette femme barbare, sans tenir compté de la longueur du voyage, s’est empressée de venir entendre Salomon pour apprendre de lui la science des êtres visibles, et les propriétés des plantes ; et vous qui, sans sortir de votre pays, entendez là sagesse elle-même vous enseigner les choses invisibles et célestes, et la voyez confirmer sa doctrine par des oeuvres et par des prodiges, vous vous révoltez contre sa parole, et ses miracles vous laissent insensibles.

Bède. Or, si la reine du Midi, qui est sans nul doute du nombre des élus, doit s’élever au jour du jugement avec les réprouvés, il est évident qu’il n’y aura pour tous les hommes, bons et mauvais, qu’une seule résurrection, et qu’elle n’aura pas lieu, conformément aux fables des Juifs, mille ans avant le jugement, mais au temps même fixé pour le jugement. — S. Ambr. En même temps que le Sauveur condamne le peuple juif, il nous donne une figure éclatante de l’Église qui, semblable à la reine du Midi, et avide d’apprendre la sagesse, se rassemble des extrémités de la terre, pour entendre les paroles du Salomon pacifique ; reine véritable, dont le royaume, un et indivisible, se compose des peuples les plus divers et les plus éloignés, réunis en même corps. — S. Grég. de Nysse. (hom. 7 sur les Cant.) A l’exemple de cette reine d’Ethiopie qui venait d’un pays éloigné, l’Église, composée de ces différents peuples, était noire aussi au commencement, et très-éloignée de la connaissance du vrai Dieu ; mais aussitôt que le Christ pacifique apparut, tandis que les Juifs restent dans l’aveuglement, les Gentils viennent le trouver, pour lui offrir les parfums de la piété, l’or de la connaissance de Dieu, et les pierres précieuses de l’obéissance aux commandements. — Théophyl. Ou bien encore, de même que le vent du midi, au témoignage de l’Écriture, répand la chaleur et la vie, ainsi l’âme qui règne dans le Midi, c’est-à-dire dans une vie toute spirituelle, vient entendre la sagesse du roi pacifique Salomon, qui est le Seigneur notre Dieu, c’est-à-dire qu’elle s’élève jusqu’à la contemplation, dont on ne peut s’approcher, qu’autant qu’on règne véritablement sur soi-même par une vie vertueuse. Notre-Seigneur apporte ensuite l’exemple des Ninivites : " Les Ninivites s’élèveront an jour du jugement contre ce peuple, et le condamneront. "

S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Le jugement de condamnation est prononcé par des personnes de même condition ou de condition différente ; de même condition, comme dans la parabole des dix vierges ; de condition différente, lorsque les ministres condamnèrent ceux qui vivaient au temps de Jésus-Christ. En effet, les uns étaient des barbares, et les autres des Juifs ; ceux-ci étaient nourris des enseignements prophétiques, ceux-là n’avaient jamais entendu la parole divine ; Dieu n’envoya qu’un de ses serviteurs aux Ninivites, et lui-même vint trouver les Juifs ; Jonas annonçait la destruction de Ninive, Jésus annonçait le royaume des cieux. Il est donc évident que les Juifs avaient beaucoup plus de motifs pour croire, mais c’est le contraire qui arriva : " Ils ont fait pénitence à la voix de Jonas, et il y a ici plus que Jonas. "

S. Ambr. Dans le sens allégorique, l’Église se trouve dans deux états ou elle est exempte de fautes, ce que figure la reine du Midi, ou elle cesse d’en commettre, ce que représente la pénitence des Ninivites, car la pénitence efface le péché, et la sagesse l’évite.

S. Amb. (de l’acc. des Evang., 2, 39.) Saint Luc place ces paroles du Sauveur au même endroit que saint Matthieu, tout en suivant un ordre tant soit peu différent. Mais qui ne voit qu’il est superflu de chercher dans quel ordre précis Notre-Seigneur les a dites, puisque l’autorité si imposante des Évangélistes nous apprend que l’inversion dans le récit des actions ou des paroles ne détruit pas la vérité du fait qui reste toujours le même, quel que soit l’ordre dans lequel il est présenté ?

vv. 33-36.

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Les Juifs accusaient le Seigneur de faire ses miracles, non pour établir la foi, et afin que l’on crût en lui, mais pour obtenir les applaudissements de la foule et pour se faire des sectateurs. Il repousse cette calomnie par la comparaison de la lampe : " Il n’y a personne qui, ayant allumé une lampe, la mette en un lieu caché ou sous un boisseau, mais on la met sur un chandelier, " etc. — Bède. Le Sauveur veut parler ici de lui-même, et comme il avait dit précédemment qu’il ne serait donné à cette génération que le signe de Jonas, il montre cependant que l’éclat de la lumière ne devait pas rester caché pour les fidèles. En effet, il a lui-même allumé cette lampe, lorsqu’il a rempli le vase de la nature humaine de la flamme de la divinité ; or, il n’a voulu ni dérober aux fidèles la lumière de cette lampe, ni la mettre sous le boisseau, c’est-à-dire, la renfermer sous la mesure de la loi, ni la restreindre dans les limites étroites du peuple juif, mais il. l’a placée sur le chandelier, c’est-à-dire, sur l’Église, parce qu’il a gravé sur nos fronts la foi à son incarnation, afin que ceux qui veulent entrer dans l’Église conduits par la foi, puissent voir clairement la lumière de la vérité. Enfin, il nous prescrit aussi de purifier avec un soin tout particulier, non seulement nos actions, mais nos pensées et les plus secrètes intentions de notre coeur : La lampe de votre corps, c’est votre oeil. " — S. Ambr. Ou bien encore, cette lampe c’est la foi, selon ces paroles du Psalmiste : " Votre parole, Seigneur, est comme une lampe devant mes pas. " En effet, la parole de Dieu est notre foi, mais une lampe ne peut donner de lumière qu’autant qu’elle la reçoit d’ailleurs ; c’est ainsi que les facultés de notre esprit et de notre intelligence sont éclairées pour nous aider à retrouver la drachme perdue (Lc 15, 8). Que personne donc ne place la foi sous la loi, car la loi est contenue dans une certaine mesure, mais la grâce ne connaît pas de mesure ; la loi répand des ombres, tandis que la grâce projette de vives clartés. — Théophyl. Ou bien, dans un autre sens, comme les Juifs, témoins des miracles de Jésus, en faisaient un sujet d’accusation contre lui, à cause de la malice de leur esprit, Notre-Seigneur leur reproche, que tout en ayant reçu de Dieu une lampe allumée, c’es,t-à-dire l’intelligence, l’envie les aveuglait, au point de méconnaître ses miracles et ses bienfaits. Nous avons donc reçu de Dieu l’intelligence pour la placer sur le chandelier, afin que tous ceux qui entrent voient la lumière. Celui qui est sage est déjà entré, mais celui qui est à l’école de la sagesse, est encore en chemin. Le Sauveur semble donc dire aux pharisiens : Votre intelligence doit vous servir à reconnaître la véritable cause de mes miracles, et à apprendre aux autres que les oeuvres dont vous êtes témoins, ne sont point les oeuvres de Béelzébub, mais les oeuvres du Fils de Dieu. C’est en suivant cette même pensée qu’il ajoute : Votre oeil est la lumière de votre corps. " — Orig. Il appelle oeil notre intelligence, et dans un sens métaphorique, il donne le nom de corps à toute notre âme, bien qu’elle soit immatérielle, car c’est par l’intelligence que l’âme tout entière est éclairée.

Théophyl. Si l’oeil du corps est lumineux, le corps sera aussi dans la lumière, mais s’il est ténébreux, le corps également sera dans les ténèbres. Ainsi en est-il de l’intelligence par rapport à l’âme, et c’est pour quoi Notre-Seigneur ajoute : " Si votre oeil est simple et pur, tout votre corps sera lumineux, si au contraire votre oeil est mauvais, tout votre corps sera dans les ténèbres. " — Orig. Car l’intelligence, tant qu’elle l’este fidèle à son principe, ne recherche que la simplicité et ne contient en elle-même ni duplicité, ni ruse, ni division. — S. Chrys. (hom. 21 sur S. Matth.) Si donc nous laissons corrompre en nous l’intelligence qui devait nous affranchir de nos passions, nous avons fait à toute notre âme une profonde blessure, et l’aveugle perversité de notre intelligence nous plonge dans d’épaisses ténèbres : " Prenez donc garde, ajoute Notre-Seigneur, que la lumière qui est en vous ne soit elle-même de vraies ténèbres. " Il semble parler de ténèbres sensibles, mais ces ténèbres ont une origine extérieure, et nous les portons partout avec nous, dès que l’oeil de notre âme vient à s’éteindre. C’est de la puissance de cet oeil, lorsqu’il est simple et lumineux que Notre-Seigneur veut parler, quand il ajoute : Si donc votre corps est tout éclairé, n’ayant aucune partie ténébreuse, " etc. — Orig. C’est-à-dire, si votre corps matériel, lorsqu’il est éclairé par la lumière, devient tout lumineux, de telle sorte qu’il n’y ait plus en vous aucun membre dans les ténèbres, à plus forte raison si vous fuyez le péché, tout votre corps spirituel deviendra si lumineux, que son éclat sera semblable à une lampe qui répand partout sa lumière, alors que la lumière du corps qui, auparavant, était ténébreuse, se trouve dirigée au gré de l’intelligence.

S. Grég. de Naz. (Lettre 22.) Ou bien encore, la lumière et l’oeil de l’Église, c’est le Pontife ; de même donc qu’un oeil pur et lumineux dirige sûrement tous les pas du corps, tandis qu’un oeil ténébreux l’égare infailliblement ; ainsi le salut ou la ruine de l’Église sont attachés à la conduite bonne ou mauvaise de l’Église.

S. Grég. (Mor., 28, 6.) Ou bien enfin, dans un autre sens, le corps figure ici chacune de nos actions qui suit l’intention, comme un oeil qui l’éclaire. Dans ce sens, l’oeil est la lumière de notre corps, parce que la bonne intention rayonnant sur notre action, lui donne tout son éclat. Si donc votre oeil est simple, tout votre corps sera lumineux, parce que si une pensée simple rend votre intention droite, votre action deviendra bonne, quand même l’apparence extérieure serait défavorable. Mais si au contraire votre oeil est mauvais, tout votre corps sera dans les ténèbres, parce qu’une action, même bonne, faite avec une intention mauvaise, est toujours une oeuvre ténébreuse pour celui qui voit et juge l’intérieur, quand même cette action aurait un certain éclat aux yeux des hommes. C’est donc avec raison que Notre-Seigneur ajoute : " Prenez donc garde que la lumière qui est en vous, ne se change en ténèbres, car si même les oeuvres que nous croyons bonnes, se trouvent obscurcies par une intention mauvaise, dans quelles ténèbres seront plongées les oeuvres que nous savons être mauvaises, quand nous les faisons. — Bède. Lorsque Notre-Seigneur ajoute : " Si donc votre corps est tout éclairé, " etc., par le corps il entend toutes nos oeuvres. Si donc vous faites le bien avec une bonne intention, sans avoir dans votre conscience aucune pensée ténébreuse, alors même que votre bonne action pourrait nuire au prochain ; cependant la droiture de votre coeur vous obtiendra la grâce de Dieu ici-bas, et dans la vie future les splendeurs de la gloire, auxquelles le Sauveur fait allusion dans les paroles suivantes : " Et il vous éclairera comme une lampe éclatante. " C’est surtout contre l’hypocrisie des pharisiens qui venaient astucieusement demander des signes, que ces paroles sont dirigées.

vv. 37-44.

S. Cyr. Un pharisien, malgré son opiniâtreté, invite cependant le Sauveur à venir dans sa maison : " Pendant qu’il parlait, un pharisien le pria de venir manger chez lui. " C’est à dessein que saint Luc ne dit pas : Pendant qu’il disait ces choses, pour montrer que ce ne fut pas immédiatement après les enseignements qui précèdent, mais quelque temps après qu’il fut invité à dîner par le pharisien. — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 26.) En effet, pour en venir à ce récit, saint Luc s’est sépara de saint Matthieu à cet endroit, où tous deux racontent les enseignements du Seigneur sur le signe de Jonas, la reine du Midi et l’esprit immonde, car saint Matthieu ajoute immédiatement : " Comme il parlait encore à la foule, sa mère et ses frères étaient dehors, cherchant à lui parler. " Saint Luc, au contraire, après avoir rapporté quelques autres paroles du Sauveur, omises par saint Matthieu, s’écarte de l’ordre suivi par cet Évangéliste. — Bède. Ainsi nous pouvons supposer que lorsque Jésus répond à ceux qui viennent lui annoncer que sa mère et ses frères sont dehors : Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, et ma soeur, et ma mère, " il était déjà entré sur l’invitation du pharisien dans la salie du festin.

S. Cyr. Mais Jésus, qui connaissait la malice des pharisiens, s’applique à les ramener avec une miséricordieuse condescendance, à l’exemple des bons médecins, qui déploient toutes les ressources de leur art pour ceux de leurs malades, dont l’état est plus grave : " Or, Jésus étant entré, se mit à table. " Ce qui donna lieu aux sévères leçons qui suivent sur l’étrange disposition d’esprit de ce pharisien, qui se scandalisait de ce que Jésus, qu’il regardait comme un juste et un prophète, ne se conformait point à leurs coutumes déraisonnables : " Le pharisien commença à dire en lui-même : Pourquoi ne s’est-il pas purifié avant le repas ? "

S. Aug. (serm. 30 sur les par. du Seign.) En effet, les pharisiens se purifiaient chaque jour avant leurs repas par des, ablutions, comme si ces ablutions répétées pouvaient purifier leur coeur. Ce pharisien avait eu cette pensée en lui-même, sans la manifester extérieurement ; mais il ne laissa pas d’être entendu par celui qui pénétrait le fond de son coeur ; Et le Seigneur lui dit : Vous autres pharisiens, vous purifiez le dehors de la coupe et du plat, mais votre intérieur est plein de rapines et d’iniquité. "

S. Cyr. Le Seigneur aurait pu sans doute prendre une autre forme pour instruire ce pharisien insensé ; cependant il saisit l’occasion favorable, et tire ses enseignements de ce qu’il avait sous les yeux. Il était à table à l’heure du repas, et il prend pour objet de comparaison les coupes et les plats, afin de nous apprendre que ceux qui veulent servir Dieu en toute sincérité, doivent être purs, non seulement de toute souillure extérieure, mais de celles qui se cachent dans l’intérieur de l’âme ; de même qu’on doit tenir nets de toute souillure les vases qui servent à l’usage de la table.

S. Ambr. Considérons l’image fidèle de nos corps dans ces objets de terre si fragiles, qu’il suffit de les laisser tomber pour qu’ils se brisent. De même encore que ce qui est dans une coupe paraît au dehors, ainsi toutes les pensées qui s’agitent dans l’intérieur de notre âme se révèlent facilement par les sens et par les actes de notre corps. Aussi n’est-il pas douteux que dans ces paroles qu’il adresse à Pierre dans le jardin des Olives, la coupe ne soit l’emblème de sa passion. Vous voyez donc que ce n’est pas l’extérieur de cette coupe ou de ce plat qui nous souille, mais l’intérieur, suivant ces paroles du Sauveur : " Votre intérieur est plein de rapine et d’iniquité. "

S. Aug. (serm. 30 sur les par. du Seig.) Mais pourquoi Jésus traite-t-il avec si peu d’indulgence un homme qui l’avait invité ? Il se montre bien plus indulgent en lui faisant ce reproche, parce que cette indulgence est appliquée avec prudence et discernement. Il nous enseigne ensuite que le baptême, qu’on ne donne qu’une seule fois, purifie l’âme par la foi ; or, la foi est à l’intérieur et non au dehors, et c’est cette foi que méprisaient les pharisiens, en se purifiant des taches extérieures, tandis que leur intérieur restait plein de souillures ; contradiction que le Sauveur leur reproche par ces paroles : Insensés, est-ce que celui qui a fait le dehors, n’a pas fait aussi le dedans ? " — Bède. C’est-à-dire : Celui qui est l’auteur des deux natures de l’homme, veut qu’elles soient toutes deux également pures, paroles qui condamnent les manichéens, qui prétendent que l’âme seule a Dieu pour auteur, et que le corps a été créé par le démon. Elles sont aussi la condamnation de ceux qui détestent comme les plus grands crimes les péchés extérieurs (la fornication, le vol et d’autres péchés semblables), et qui ne tiennent nul cas des péchés spirituels qu’ils regardent comme légers, et que saint Paul n’a pas moins condamnés. (Ga 5.)

S. Ambr. Cependant, Notre-Seigneur, comme un bon maître, nous enseigne comment nous devons nous purifier de ce qui peut souiller notre corps ; " Néanmoins, faites l’aumône de votre superflu, et toutes choses seront pures pour vous. " Vous voyez quels remèdes puissants il met à votre disposition. Il nous donne pour nous purifier la miséricorde, il nous donne la parole de Dieu, comme il le dit lui-même dans saint Jean : " Vous êtes déjà purs à cause de la parole que je vous ai dite. " — S. Aug. (de l’aumône.) Il est miséricordieux lui-même, et c’est pour cela qu’il nous commande de pratiquer la miséricorde ; et comme il veut conserver à jamais ceux qu’il a rachetés à un si grand prix., il enseigne à ceux qui ont perdu la grâce du baptême, comment ils pourront se purifier de leurs souillures. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) " Donnez l’aumône, " dit-il, et non pas : Donnez le fruit de l’injustice, parce qu’en effet, il y a une aumône qui est pure de toute injustice. Cette aumône purifie toutes choses, et l’emporte sur le jeûne ; car bien que le jeûne soit plus pénible, l’aumône est plus riche en avantages. Elle donne à l’âme de la lumière, de la force, de la bonté, de l’éclat. Celui qui pense à secourir l’indigent, s’éloignera promptement du péché ; car de même qu’un médecin qui prodigue ses soins à un grand nombre de blessés, compatit plus facilement aux souffrances des autres, de même aussi si nous faisons notre occupation de secourir les pauvres, nous mépriserons plus facilement les choses présentes, et nos pensées s’élèveront vers le ciel. L’aumône est donc un remède bien efficace, puisqu’elle peut s’appliquer à toutes les blessures.

Bède. Notre-Seigneur dit : " Donnez ce qui vous reste, " c’est-à-dire ce qui vous reste de votre nourriture et de votre vêtement ; carie précepte de l’aumône vous impose, non pas l’obligation de vous réduire à la mendicité, mais d’assister le pauvre dans la mesure du possible, après avoir donné à votre corps ce qu’il réclame. Ou bien, il faut entendre ces paroles : " Ce qui reste, " dans ce sens : Le seul remède qui reste à ceux qui sont coupables de tant de crimes, c’est de donner l’aumône. Or, ce précepte embrasse toutes les oeuvres de miséricorde ; car donner l’aumône, ce n’est pas seulement donner du pain à celui qui a faim, ou d’autres secours de ce genre, mais pardonner à celui qui vous offense, prier pour lui, remplir le devoir de la correction, et infliger au besoin une punition salutaire. — Théophyl. On peut encore traduire cette parole : Quod superest, par ce qui domine, parce qu’en effet, les richesses dominent les coeurs avides.

S. Ambr. Tout ce magnifique passage a donc pour but de nous inspirer l’amour de la simplicité, et tout ensemble de condamner les jouissances terrestres et les superfluités des Juifs. Et cependant il leur promet aussi la rémission de leurs péchés, s’ils veulent être miséricordieux.

S. Aug. (serm. 30 sur les par. du Seig.) Mais si l’on ne peut être purifié de ses péchés, qu’en croyant en celui qui purifie le coeur par la foi, pourquoi nous dit-il : Faites l’aumône, et tout sera pur pour vous ? " Examinons attentivement l’explication qu’il nous donne lui-même de cette difficulté. Les pharisiens prélevaient la dixième partie de tous leurs fruits, pour en faire l’aumône, ce que ne font pas ordinairement les chrétiens ; et ils se riaient des reproches que leur adressait le Sauveur, comme s’ils négligeaient le devoir de l’aumône. Jésus, connaissant leurs dispositions, ajoute : " Malheur à vous, pharisiens, qui payez la dîme de la menthe, de la rue, et de toutes les herbes, et qui négligez la justice et l’amour de Dieu ! Il fallait faire ces choses, et ne pas omettre les autres. " En agissant de la sorte, vous ne faites pas l’aumône ; car faire l’aumône, c’est pratiquer la miséricorde, si donc vous comprenez bien cette vérité, commencez par vous-même ; car comment serez-vous miséricordieux pour les autres, si vous êtes cruel pour vous-même ? Écoutez la sainte Écriture qui vous dit : " Ayez pitié de votre âme, en cherchant à plaire à Dieu. " (Si 30, 24.) Rentrez dans votre conscience, vous qui vivez dans le vice ou dans l’infidélité, et vous y trouverez votre âme réduite à la mendicité, ou peut-être réduite au silence par son indigence même. Donnez donc l’aumône à votre âme en toute justice et en toute charité. Qu’est-ce que vous commande la justice ? De vous déplaire à vous-même. Comment remplir le devoir de la charité ? Aimez Dieu, aimez le prochain. Si vous négligez de faire cette aumône, quel que soit d’ailleurs votre amour, vous ne faites rien, puisque vous ne faites rien pour vous-même.

S. Cyr. Ou bien encore, ces paroles sont une censure de la conduite des pharisiens, qui ne recommandaient à ceux qu’ils dirigeaient que l’observation stricte des préceptes qui étaient pour eux une source de revenus abondants, c’est ainsi qu’ils n’oubliaient aucune des plus petites herbes, tandis qu’ils négligeaient d’exciter au devoir de la charité envers Dieu, et de la justice exacte à l’égard des autres. — Théophyl. Par là même qu’ils méprisaient Dieu, ils traitaient avec négligence les choses sacrées ; il leur recommande donc l’amour de Dieu, en y ajoutant le devoir de la justice, il leur enseigne indirectement l’amour du prochain ; car le juste jugement que l’on porte du prochain, ne peut venir que d’un véritable amour pour lui. — S. Ambr. Ou bien encore, il leur recommande le jugement, parce que toutes leurs actions n’étaient pas conformes aux règles de la justice ; et la charité, parce qu’ils n’aimaient pas Dieu d’un véritable amour. Cependant comme il ne veut pas que nous n’ayions de zèle que pour la foi, sans nous occuper des oeuvres, il résume en une courte maxime la perfection de l’homme fidèle, perfection qui exige le concours de la foi et des oeuvres : " Il fallait, dit-il, faire ces choses, et ne pas omettre les autres. " — S. Chrys. (Hom. 74 sur S. Matth.) Lorsqu’il a parlé des purifications en usage chez les Juifs, il s’est bien gardé de dire rien de semblable ; mais comme la dîme était une espèce d’aumône, et que le temps de l’abolition définitive des pratiques légales n’était pas encore venu, il leur dit : " Il fallait faire ces choses. "

S. Ambr. Le Sauveur combat ensuite les orgueilleuses prétentions des Juifs qui recherchaient les premières places : " Malheur à vous, pharisiens, qui aimez les premières places, " etc. — S. Cyr. En leur adressant ce reproche, Notre-Seigneur veut nous rendre meilleurs. Il veut détruire en nous tout germe d’ambition, et nous apprendre à ne pas poursuivre l’apparence au lieu de la réalité, ce que faisaient alors les pharisiens. En effet, que nous soyons salués par les hommes, que nous soyions même à leur tête, ce n’est pas une preuve que nous en soyons dignes ; car combien en est-il qui obtiennent ces avantages, tout mauvais qu’ils sont ? Aussi, Notre-Seigneur s’empresse-t-il d’ajouter : Malheur à vous qui êtes comme des sépulcres qui ne paraissent pas. " Car en désirant être salués par les hommes, et être mis à leur tête pour obtenir une vaine réputation de grandeur, ils ressemblent à des sépulcres, au dehors, ils brillent par les ornements, dont ils sont couverts ; au dedans, ils sont pleins de corruption. — S. Ambr. Semblables encore à des sépulcres qui ne paraissent pas ce qu’ils sont en réalité, ils séduisent par leurs apparences, et trompent les regards des passants : " Et les hommes marchent dessus sans le savoir, " c’est-à-dire qu’au dehors ils ne font paraître que magnificence, tandis qu’au dedans, ils sont pleins de pourriture. — S. Chrys. (hom. 74.) Que les pharisiens fussent semblables à des sépulcres, rien de surprenant ; mais que nous-mêmes, qui avons été jugés dignes de devenir les temples de Dieu, nous devenions tout d’un coup des sépulcres remplis de corruption, c’est le comble de la misère.

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr., et contre Jul.) Julien l’Apostat conclut de ces paroles, que nous devons fuir les sépulcres que Jésus-Christ lui-même a déclarés immondes, mais il n’a point compris le sens et la portée des paroles du Sauveur, qui n’a point commandé de fuir toute communication avec les sépulcres, mais qui a comparé à des sépulcres le peuple hypocrite des pharisiens.

vv. 45-54.

S. Cyr. Les reproches qui rendent meilleurs les esprits humbles et doux, sont ordinairement insupportables aux hommes superbes, c’est ainsi que pour avoir repris les pharisiens de s’écarter du droit chemin, le Sauveur indispose contre lui tout le corps des docteurs de la loi : " Alors un des docteurs de la loi, prenant la parole, lui dit : Maître, en parlant de la sorte, vous nous outragez aussi. " — Bède. Qu’elle est misérable la conscience qui se croit offensée de la parole de Dieu qu’elle entend, et qui voit toujours sa condamnation dans les châtiments dont les méchants sont menacés !

Théophyl. Les docteurs de la loi étaient différents des pharisiens, car les pharisiens étaient des hommes qui se séparaient des autres pour affecter une apparence de religion plus sévère ; les docteurs de la loi étaient chargés d’en expliquer les difficultés. — S. Cyr. Or, c’est contre les docteurs de la loi que Jésus dirige ces sévères reproches, pour abaisser leurs vaines et orgueilleuses prétentions : " Et il leur dit : Malheur à vous aussi, docteurs de la loi, qui chargez les hommes, " etc. Il se sert pour les accuser d’une comparaison frappante. La loi était très-onéreuse pour les Juifs, comme l’avouent les disciples de Jésus-Christ. Or, ces docteurs de la loi, réunissant comme en un faisceau tous les préceptes de la loi, en chargeaient ceux qui leur étaient soumis, tandis qu’ils n’en tenaient eux-mêmes aucun compte. — Théophyl. Or, chaque fois qu’un docteur pratique ce qu’il enseigne, il allége le fardeau pour ses disciples, en se donnant lui-même pour exemple, mais quand il ne fait rien de ce qu’il enseigne, le fardeau leur parait lourd et insupportable, puisque le docteur lui-même refuse de le porter.

Bède. Ils méritaient bien de s’entendre reprocher qu’ils ne voulaient pas même toucher du bout du doigt le fardeau de la loi, c’est-à-dire qu’ils n’en observaient pas même les moindres prescriptions, puisque contrairement aux exemples de leurs pères, ils prétendaient observer et faire observer la loi sans la foi et la grâce de Jésus-Christ.

S. Grég. de Nysse. Nous en voyons ainsi beaucoup qui, juges sévères pour les pécheurs, et faibles athlètes pour les combats de la vertu ; tout à la fois législateurs impitoyables, et observateurs négligents, ils refusent même de s’approcher de la vertu pour essayer de la pratiquer, tandis qu’ils l’exigent sans pitié de ceux qui leur sont soumis.

S. Cyr. Après avoir condamné les dures pratiques imposées par les docteurs de la loi, le Sauveur étend ses reproches à tous les principaux d’entre les Juifs : " Malheur à vous, qui bâtissez des tombeaux aux prophètes, et vos pères les ont tués ! " — S. Ambr. Rien de plus fort que ce passage contre la vaine superstition des Juifs qui, en élevant des tombeaux aux prophètes, condamnaient la conduite de leurs pères, tandis qu’ils se rendaient dignes des mêmes châtiments en imitant leurs crimes, car ce qu’il leur reproche, ce n’est pas d’élever des tombeaux, mais d’imiter les crimes de leurs pères. C’est pour cela qu’il ajoute : " Vous témoignez bien que vous consentez aux oeuvres de vos pères. " — Bède. En effet, pour capter la faveur du peuple, ils feignaient d’avoir en horreur l’impiété de leurs pères, en décorant avec magnificence les tombeaux des prophètes qu’ils avaient mis à mort ; mais ils prouvaient assez par leurs oeuvres qu’ils étaient complices de l’iniquité de leurs pères, en poursuivant de leurs outrages le Seigneur prédit par les prophètes : C’est pourquoi, ajoute-t-il, la sagesse de Dieu a dit : Je leur enverrai des prophètes et des apôtres, et ils tueront les uns et poursuivront les autres. " — S. Ambr. La sagesse de Dieu, c’est Jésus-Christ. Nous lisons d’ailleurs dans saint Matthieu : " Voici que je vous envoie des prophètes et des sages. " — Bède. Si donc c’est la sagesse de Dieu qui a envoyé les prophètes et les Apôtres, que les hérétiques cessent donc de prétendre que le Christ ne tire son origine et son existence que de la Vierge ; qu’ils ne disent plus que le Dieu de la loi et des prophètes est différent du Dieu du Nouveau Testament. Les Apôtres, dans leurs écrits, donnent, il est vrai, le nom de prophètes, non seulement à ceux qui ont prédit longtemps d’avance l’incarnation de Jésus-Christ, mais à ceux qui annoncent les joies futures du royaume des cieux. Cependant je ne pense pas que ces prophètes doivent être placés à un rang supérieur à celui des Apôtres.

S. Athan. (Apolog. 1, sur sa fuite.) S’ils font mourir ceux qui leur sont envoyés, la mort des victimes criera plus haut contre eux ; s’ils les persécutent, ils donneront plus d’éclat et d’étendue aux témoignages de leur iniquité. En effet, la fuite de ceux qui souffrent persécution, augmente et atteste le crime de leurs persécuteurs ; car on ne fuit pas celui qui est ami de la piété et de la douceur, mais bien plutôt celui dont l’âme est cruelle et les instincts mauvais. Notre-Seigneur ajoute : " Afin qu’on redemande à cette génération le sang de tous les prophètes qui a été répandu depuis la création du monde. " — Bède. Mais comment le sang de tous les prophètes et de tous les justes est-il redemandé à une seule génération des Juifs, alors qu’un grand nombre de saints, soit avant soit après l’incarnation, ont été mis à mort par d’autres peuples ? Nous répondons que l’Écriture a coutume de diviser les hommes en deux générations, la génération des bons, et la génération des méchants. — S. Cyr. Ainsi, bien que le Sauveur dise d’une manière indicative : " On redemandera à cette génération, " il embrasse dans sa pensée, non seulement ceux qui étaient présents et qui l’entendaient, mais tous les homicides, car ceux qui se ressemblent méritent d’être tous confondus. — S. Chrys. (hom. 75, sur S. Matth.) D’ailleurs s’il prédit aux Juifs des châtiments plus sévères, c’est en toute justice, car ils ont surpassé les crimes des autres peuples, et n’ont été convertis par aucun des exemples des siècles passés ; mais la vue des crimes et des châtiments de leurs pères, loin de les rendre meilleurs, ne les a pas empêchés de se livrer aux mêmes crimes. Le Sauveur ne veut donc pas dire ici qu’ils seront châtiés pour les crimes des autres.

Théophyl. Le Seigneur montre ensuite que les Juifs étaient héritiers de la malice de Caïn, en ajoutant : " Depuis le sang d’Abel jusqu’au sang de Zacharie, " etc. Abel, en effet, fut tué par Caïn, " et Zacharie que les Juifs firent périr entre l’autel et le temple, " est, suivant quelques-uns, le patriarche Zacharie fils du grand prêtre Joïadas (2 Par 24). — Bède. Il n’y a rien d’étonnant que le Sauveur dise : " Depuis le sang d’Abel, " qui a été le premier martyr, mais pourquoi : Jusqu’au sang de Zacharie, " bien qu’un grand nombre après lui aient été mis à mort, avant la naissance de Jésus-Christ, et que peu de temps après ait eu lieu le massacre des Innocents. N’est-ce point peut-être parce qu’Abel était pasteur de brebis, et Zacharie grand prêtre, et que l’un fut mis à mort au milieu des champs, et l’autre dans le temple, et que les deux classes de martyrs, les laïques et les prêtres voués au service des autels nous sont représentés par ces deux noms ?

S. Grég. de Nyss. (Disc. sur la naiss. de J.-C.) Suivant quelques auteurs, Zacharie, père de Jean, ayant connu par l’esprit de prophétie le mystère de la virginité inaltérable de la Mère de Dieu, ne l’exclut point de la partie du temple réservée aux vierges, afin de montrer que la puissance du Créateur pouvait manifester une naissance nouvelle, qui ne ferait point perdre à celle qui enfanterait l’éclat de sa virginité. Or, cet endroit se trouvait entre l’autel et la partie du temple où était placé l’autel d’airain, et c’est pour cela qu’il fut mis à mort en cet endroit. On dit encore, que les Juifs ayant appris l’avènement prochain du Roi du monde, et craignant qu’il ne les soumît à son empire, se jetèrent sur celui qui annonçait sa naissance, et massacrèrent le grand prêtre dans le temple. — S. Grég. ou Géomet. On donne encore une autre cause de la mort de Zacharie, lorsqu’eut lieu le massacre des innocents ; Jean-Baptiste devait être mis à mort avec les enfants de son âge, mais Elisabeth s’enfuit dans le désert pour arracher son fils à une mort certaine, et alors les satellites d’Hérode ne trouvant ni Elisabeth ni l’enfant, tournèrent leur rage contre Zacharie, et le massacrèrent pendant qu’il remplissait dans le temple les fonctions de son ministère.

Malheur à vous, docteurs de la loi, parce que vous avez pris la clef de la science ! " — S. Bas. (sur Is dis. 1.) Cette parole Malheur, " qui annonce d’intolérables douleurs, s’applique bien à ceux qui devaient être bientôt livrés mi plus redoutable supplice. — S. Cyr. Or, la clef de la science, c’est la loi elle-même qui était une ombre et une figure de la justice du Christ. C’était donc un devoir pour les docteurs de la loi, de scruter avec soin la loi de Moïse et les oracles des prophètes, et d’ouvrir pour ainsi dire, au peuple Juif, les portes de la connaissance du Christ. Mais bien loin de le faire, ils contestaient la divinité de ses miracles, et s’élevaient contre son enseignement en disant au peuple : " Pourquoi l’écoutez-vous ? " C’est ainsi qu’ils ont pris ou enlevé la clef de la science : Notre-Seigneur ajoute : " Vous n’êtes pas entrés vous-mêmes, et ceux qui entraient, vous les en avez empêchés. " La foi est aussi la clef de la science, car c’est par la foi qu’on arrive à la connaissance de la vérité, selon ces paroles du prophète Isaïe : " Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez point. " Les docteurs de la loi prirent donc la clef de la science, en ne permettant pas aux hommes de croire en Jésus-Christ. — S. August. (quest. évang., 2, 23.) La clef de la science est encore l’humilité de Jésus-Christ, que les docteurs de la loi ne voulurent ni comprendre par eux-mêmes, ni laisser comprendre aux autres. — S. Ambr. Sous le nom des Juifs, le Sauveur condamne encore et menace des supplices éternels ceux qui s’arrogeant injustement l’enseignement de la connaissance de Dieu, empêchent les autres d’y parvenir, et ne connaissent point eux-mêmes ce qu’ils enseignent.

S. Aug. (De l’accord. des Evang., 2, 75.) Saint Matthieu place ce discours de Notre-Seigneur lorsqu’il fut entré dans la ville de Jérusalem, tandis que d’après saint Luc, Notre-Seigneur se dirigeait alors vers Jérusalem. Je pense donc que Notre-Seigneur fit deux discours semblables, dont l’un a été rapporté par saint Matthieu, et l’autre par saint Luc.

Bède. Les pharisiens et les docteurs de la loi attestent eux-mêmes combien étaient fondés ces reproches d’incrédulité, de dissimulation et d’impiété, puisque loin de revenir à de meilleurs sentiments, ils dressent des embûches au divin Docteur de la vérité : Comme il leur disait ces choses, les pharisiens et les docteurs de la loi commencèrent à le presser vivement, " etc. — S. Cyr. Le mot presser, insister veut dire faire des instances, ou menacer, ou faire violence. Ils se mirent aussi à l’interrompre en lui adressant une multitude de questions : " Et ils commencèrent à l’accabler d’une multitude de questions. " — Théophyl. En effet, lorsque plusieurs hommes se réunissent pour accabler un seul homme d’un grand nombre de questions de différente nature, il ne peut répondre à tous à la fois, et les insensés l’accusent d’hésitation ou d’ignorance. Tel était le piége qu’ils lui tendaient dans leur malice, mais ils cherchaient en outre à l’accabler, c’est-à-dire, à l’exciter à dire quelque chose qui leur donnât lieu de le condamner. Lui tendant des pièges, et cherchant à surprendre quelque parole de sa bouche pour l’accuser. " Après avoir dit qu’ils voulaient l’accabler, l’Évangéliste ajoute qu’ils voulaient surprendre ou arracher quelque parole de sa bouche. En effet, ils l’interrogeaient, tantôt sur la loi, pour l’accuser de blasphème contre Moïse ; tantôt sur César, pour l’accuser d’être un conspirateur et un ennemi de la majesté de César.

CHAPITRE XII

vv. 1-3.

Théophyl. Les pharisiens s’efforçaient de surprendre Jésus dans ses paroles, pour détourner le peuple de le suivre, mais leurs efforts aboutissaient à un résultat contraire, car le peuple se pressait autour de lui par milliers, et dans le vif désir qu’ils avaient de s’approcher de sa personne, ils se foulaient les uns les autres, tant la vérité a de puissance, tant au contraire la fourberie est toujours faible : " Cependant une grande multitude s’étant assemblée autour de Jésus, " de sorte qu’ils se foulaient les uns les autres, il commença à dire à ses disciples : " Gardez-vous du levain des pharisiens, qui est l’hypocrisie. " — S. Cyr. Notre-Seigneur recommande à ses disciples de se garder des pharisiens, parce que c’étaient des fourbes qui se moquaient de tout. — S. Grég. de Naz. Le levain est tantôt pris en bonne part, comme produisant le pain, qui alimente la vie, et tantôt en mauvaise part, comme étant le symbole d’une méchanceté aigre et invétérée. — Théophyl. Le Sauveur donne le nom de levain à l’hypocrisie, parce qu’elle altère et corrompt les intentions des hommes dans le coeur desquels elle pénètre, car rien ne corrompt les moeurs comme l’hypocrisie. — Bède. De même qu’un peu de levain aigrit toute la pâte (1 Cor 5), de même la dissimulation ôte à l’âme toute sincérité et toute vérité dans la pratique des vertus.

S. Ambr. Pour nous détourner d’imiter la conduite perfide des Juifs en agissant d’une manière et en parlant d’une autre, Notre-Seigneur place ici une magnifique leçon de simplicité et de foi, et nous rappelle qu’à la fin des temps, nos pensées cachées nous accuseront ou nous défendront, et dévoileront ainsi le secret de notre âme : " Rien de secret qui ne soit révélé, " etc. — Orig. Il veut donc parler de ce temps où Dieu jugera les actions les plus cachées des hommes ; ou il veut dire que quelques efforts qu’on fasse pour étouffer le bien que font les autres sous le poids de la calomnie, le bien de sa nature ne peut rester caché. — S. Chrys. (hom. 35, sur S. Matth.) Il semble dire à ses disciples : On vous traite maintenant de séducteurs et de magiciens, mais le temps dévoilera toutes choses, il mettra au grand jour leurs calomnies et fera éclater votre vertu. Prêchez donc hardiment, le front découvert, et sans crainte aucune à tout l’univers, ce que je vous ai enseigné dans ce petit coin de la Palestine : " Ainsi ce que vous avez dit dans les ténèbres, on le dira au grand jour, " etc. — Bède. Ou bien encore, il parle de la sorte, parce que tout ce que les apôtres ont dit et souffert autrefois dans les ténèbres, des persécutions, et dans les noirs cachots où on les enfermait, est maintenant annoncé publiquement par la lecture qui se fait de leurs actes, dans l’Église répandue par tout l’univers. Ces paroles : " Sera prêché sur les toits, " se rapportent à l’usage de la Palestine, où les habitants se tiennent sur les toits, car les toits ne sont point surmontés de combles comme les nôtres, mais nivelés en plate-forme, c’est-à-dire en surface plane. Ainsi ces paroles : " Sera publié sur les toits, " signifie : sera annoncé de manière à être entendu de tous. — Théophyl. Ou bien encore, Notre-Seigneur s’adresse aux pharisiens, et leur dit : O pharisiens, ce que vous avez dit dans les ténèbres, c’est-à-dire, les embûches que vous méditez contre moi dans les épaisses ténèbres de vos coeurs, seront dévoilées au grand jour : car je suis la lumière, et je révélerai dans cette lumière tout ce que vous tramez ténébreusement contre moi. Et ce que vous dites à l’oreille et dans l’intérieur de vos maisons (c’est-à-dire, tout ce que vous murmurez à voix basse à l’oreille), sera prêché sur les toits, c’est-à-dire sera entendu de moi, comme si on le prêchait sur les toits. On peut dire encore que la lumière, c’est l’Évangile, que les toits sont les âmes élevées des Apôtres, car toutes les âmes insidieuses des pharisiens furent dévoilées, et mises au grand jour dans la lumière de l’Évangile, par l’oracle divin de l’Esprit saint qui se reposait sur les âmes des Apôtres.

vv 4-7.

S. Ambr. Deux causes produisent ordinairement la perfidie de la trahison, une méchanceté naturelle et invétérée, ou une crainte accidentelle. Notre-Seigneur prémunit donc ses disciples contre la crainte qui les porterait à renier le Dieu qu’ils reconnaissent dans leur coeur : " Or, je vous dis à vous qui êtes mes amis : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, " etc. — S. Cyr. Ces paroles ne peuvent s’appliquer indifféremment à tous, mais à ceux-là seulement qui aiment Dieu de tout leur coeur, et qui peuvent dire en toute assurance : " Qui nous séparera de la charité de Jésus-Christ ? " (Rm 8, 35-38) Ceux qui ne sont point dans cette disposition, sont faibles et bien près de tomber, c’est le Seigneur lui-même qui a dit : " Personne ne peut témoigner un plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. " Or, ne serait-il pas souverainement injuste de ne pas rendre à Jésus-Christ ce que nous avons reçu de lui ? — S. Ambr. Il leur apprend aussi que la mort n’a plus rien de redoutable, puisque l’immortalité la rachète par une si riche compensation.

S. Cyr. Souvenons-nous donc que Dieu prépare des couronnes et des honneurs pour récompenser les travaux de ceux sur lesquels les hommes exercent ici-bas leur colère, et que la mort du corps met un terme à leurs persécutions, comme l’ajoute Notre-Seigneur : " Et après cela ils ne peuvent rien faire de plus. " — Bède. C’est donc en vain que les persécuteurs exercent leur fureur insensée sur les membres déchirés des martyrs, qu’ils jettent en pâture aux bêtes féroces, ou aux oiseaux du ciel, puisqu’ils ne peuvent empêcher la toute-puissance de Dieu de leur rendre la vie en les ressuscitant.

S. Chrys. (hom. 23, sur S. Matth.) Considérez comment le Seigneur rend ses disciples supérieurs à tous les événements, puisqu’il les exhorte à mépriser même la mort si redoutable à tous les hommes. Mais voyez en même temps comme il multiplie les preuves de l’immortalité de l’âme : " Mais je vous montrerai qui vous devez craindre, craignez celui qui, après avoir ôté la vie, a le pouvoir de jeter dans la géhenne. — S. Ambr. C’est qu’en effet la mort est la fin de la nature et non du châtiment ; aussi la conclusion de Notre-Seigneur est-elle, que la mort met fin au supplice du corps, tandis que le châtiment de l’âme est éternel, et que nous ne devons craindre que Dieu seul, à la puissance duquel la nature ne peut prescrire des bornes, mais qui lui-même commande à la nature : " Oui je vous le dis, ajoute-t-il, craignez celui-là. " — Théophyl. Remarquez que les pécheurs ont à subir le double châtiment et de la mort temporelle, et du supplice de l’enfer où ils sont jetés. Si vous approfondissez ces paroles, vous y trouverez encore un autre enseignement. En effet, Notre-Seigneur ne dit pas : " Qui envoie dans la géhenne, " mais : " Qui a le pouvoir d’envoyer. " Car tous ceux qui meurent dans le péché ne sont pas immédiatement livrés au supplice, mais ils éprouvent quelques moments de repos et d’adoucissement par suite des sacrifices et des prières qui sont offertes pour les âmes des défunts.

S. Ambr. Notre-Seigneur venait d’inspirer à ses Apôtres l’amour de la simplicité, et d’affermir leur courage ; leur foi seule était chancelante, il la fortifie donc merveilleusement par les exemples empruntés aux choses les plus simples : " Est-ce que cinq passereaux ne se vendent pas deux as (un diponde) ? et pas un d’eux n’est en oubli devant Dieu, " c’est-à-dire, si Dieu n’oublie point les passereaux, comment pourrait-il oublier les hommes ? — Bède. Le diponde est un des poids les plus légers, et il est composé de deux as. — La Glose. Or, l’as est dans le poids ce que un est dans les nombres, et le diponde équivaut à deux as. — S. Ambr. Mais, comment, objectera-t-on, l’Apôtre a-t-il pu dire : " Est-ce que Dieu prend soin des boeufs ? " Et cependant un boeuf est d’un plus grand poids qu’un passereau. Nous répondons qu’autre chose est le souci, autre chose la connaissance que Dieu a des plus petites créatures.

Orig. (Ch. des Pèr. gr.) Ces paroles signifient donc littéralement que l’action pénétrante de la Providence s’étend aux plus petites choses. Dans le sens mystique, les cinq passereaux sont le symbole des sens spirituels de l’âme, qui perçoivent les choses célestes et supérieures à l’homme, qui voient Dieu, entendent sa voix, savourent le pain de vie, respirent l’odeur des parfums de Jésus-Christ, et touchent le Verbe divin. Ils sont vendus deux as, c’est-à-dire, qu’ils sont mis à vil prix par ceux qui regardent les choses de l’Esprit comme une folie, mais cependant ils ne sont pas en oubli devant Dieu. Néanmoins, l’Écriture dit quelquefois que Dieu oublie certains hommes à cause de leurs crimes. — Théophyl. Ou bien encore, ces cinq sens sont vendus pour deux as, c’est-à-dire, pour le Nouveau et l’Ancien Testament, et ainsi ils ne sont pas en oubli devant Dieu, car Dieu se souvient toujours de ceux qui appliquent leurs sens à la parole de vie, et se rendent dignes de cet aliment spirituel. — S. Ambr. Ou bien encore, le bon passereau est celui qui a reçu de la nature la faculté de voler, car nous avons reçu nous-mêmes de la nature la puissance de voler, et la volupté nous l’a ravie, en appesantissant l’âme par ses jouissances grossières et en s’inclinant vers la terre comme une masse de chair. Si donc les sens du corps cherchent à se nourrir des souillures de la terre, ils deviennent incapables de s’élever jusqu’aux fruits des oeuvres surnaturelles. Celui-là donc ressemble au mauvais passereau, à qui les jouissances corrompues de la terre ont retranché les ailes ; tels sont ces passereaux qui se vendent deux as, c’est-à-dire, pour les plaisirs impurs du monde ; car notre ennemi nous met à vil prix comme un troupeau d’esclaves, tandis que le Seigneur, juste appréciateur de son oeuvre, nous a rachetés à un grand prix comme de nobles serviteurs qu’il avait faits à son image.

S. Cyr. Il cherche donc avec le plus grand soin à connaître la vie des saints, comme l’indiquent les paroles suivantes : " Les cheveux même de votre tête sont tous comptés, " c’est-à-dire, qu’elle connaît exactement tout ce qui les concerne, car l’action de compter manifeste une sollicitude des plus attentives. — S. Ambr. Cette manière de parler ne veut pas dire que Dieu ait compté tous nos cheveux, mais exprime la science naturelle qu’il a de tout ce qui existe ; Notre-Seigneur dit cependant qu’ils sont comptés, parce que nous comptons ce que nous voulons conserver.

S. Cyr. Dans le sens mystique, la tête est l’intelligence de l’homme, et les cheveux sont les pensées qui sont toutes à découvert aux yeux de Dieu. — Théophyl. Ou bien encore, par la tête on peut entendre la vie du fidèle, qui s’applique à imiter Jésus-Christ, et par les cheveux les oeuvres de mortification extérieure que Dieu compte et qui sont dignes de fixer son attention. — S. Ambr. Si donc la puissance de Dieu est si grande, qu’un seul passereau, qu’aucun de nos cheveux ne lui soit inconnu, ne serait-ce pas une indignité de penser que le Seigneur ne connaît point les coeurs des fidèles, ou qu’il les dédaigne, lui dont la science s’étend aux plus petites choses : " Ne craignez donc point, conclut-il, vous valez plus que beaucoup de passereaux. " — Bède. On ne doit point lire, vous êtes plus (plures), comme s’il était question du nombre, mais vous êtes plus (pluris), c’est-à-dire, vous êtes d’un plus grand prix aux yeux de Dieu. — S. Athan. (Disc. 3 cont. les ar.) Or, je demanderai aux ariens : si Dieu dédaignant de créer les autres êtres, n’a fait que son Fils, et lui a abandonné toutes les autres créatures, comment sa providence s’étend-elle jusqu’aux moindres choses, jusqu’à un cheveu, un passereau ? Car tous les êtres que Dieu embrasse par sa providence, il les a créés par sa parole.

vv. 8—12.

Bède. Après avoir déclaré que toutes nos oeuvres, que toutes nos pensées les plus secrètes seront révélées ; Notre-Seigneur ajoute que cette révélation aura lieu, non pas au milieu d’une assemblée ordinaire, mais en présence de la cité céleste, devant le Juge et le Roi éternel des siècles : " Or, je vous le dis, quiconque m’aura confessé devant les hommes, " etc. — S. Ambr. Le Sauveur insère ici admirablement tout ce qui petit rendre la foi plus vive, eu lui donnant la force pour fondement et pour base ; car de même que la foi est le stimulant du courage, la force est le plus ferme appui de la foi. — S. Chrys. (hom. 35, sur S. Matth.) Dieu ne se contente donc pas de la foi intérieure, il en demande la confession extérieure et publique, et nous excite ainsi à une plus grande confiance et à un plus grand amour. Et comme cet enseignement est utile à tous, il parle en général : " Quiconque m’aura confessé devant les hommes, " etc. — S. Cyr. Saint Paul dit dans son Épître aux Romains : " Si vous confessez de bouche que Jésus est. le Seigneur, et si vous croyez de coeur que Dieu l’a ressuscité après la mort, vous serez sauvé. " Tous les mystères du Christ sont compris dans ces paroles. En effet, il faut d’abord reconnaître que le Verbe qui est sorti du Père, c’est-à-dire, son Fils unique, né de sa substance, est le Seigneur de toutes choses, et que son souverain domaine n’est point un domaine usurpé, ni qui vienne d’un principe extérieur, mais qu’il lui vient, comme à son Père, de sa nature même et de son existence. Il faut ensuite confesser que Dieu a ressuscité des morts ce même Seigneur, qui s’est fait homme, et qui a souffert la mort pour nous ; car c’est ainsi qu’il est ressuscité des morts. Quiconque confessera ainsi devant les hommes la divinité et le souverain domaine de Jésus-Christ, le Sauveur, à son tour, le confessera devant les auges de Dieu, lorsqu’il descendra avec les saints anges dans la gloire du Père, à la consommation des siècles.

Eusèbe. Or, qu’y aura-t-il de plus glorieux que de voir le Fils unique, le Verbe de Dieu, rendant témoignage au jour du jugement, et donnant dans son amour une récompense sensible du témoignage qui lui a été rendu sur la terre, à l’âme qu’il aura jugée digne de cette récompense ? Car il ne restera pas en dehors de cette âme, mais il lui rendra témoignage en habitant au milieu d’elle et en l’inondant de sa lumière. Après avoir fortifié ses Apôtres par la douce espérance d’aussi magnifiques promesses, il les affermit encore par des menaces non moins effrayantes : " Mais celui qui m’aura renié devant les hommes, sera renié devant les anges de Dieu. " — S. Chrys. (hom. 35 sur S. Matth.) C’est-à-dire, que le châtiment sera plus sévère et la récompense plus abondante, comme s’il disait : Ici-bas, c’est vous qui me confessez, ou qui me niez, mais au jour du jugement, ce sera moi-même, et ainsi la récompense du bien que vous aurez fait, ou le châtiment du mal que vous aurez commis, vous seront rendus avec usure dans l’autre vie. — Eusèbe. Le Sauveur fait ici cette menace, pour leur faire comprendre combien il est important qu’ils confessent son nom, par la perspective du châtiment qui les attend, châtiment qui consiste à être renié par le Fils de Dieu, c’est-à-dire, par la sagesse de Dieu ; à perdre la vie, à être privé de la lumière, et dépouillé de tous les biens, à souffrir ce châtiment devant le Père, qui est dans les cieux et les anges de Dieu.

S. Cyr. Or ceux qui nient Jésus-Christ sont d’abord ceux qui abjurent la foi aux approches de la persécution, il faut y joindre encore les docteurs hérétiques et leurs disciples. — S. Chrys. (comme préc.) Il est encore d’autres manières de renier Jésus-Christ, que saint Paul énumère, lorsqu’il dit : " Ils font profession du connaître Dieu, mais ils le renoncent par leurs actions, " (Tt 1, 16) et encore : " Si quelqu’un n’a pas soin des siens, et particulièrement de ceux de sa maison, il a renoncé à la foi, et il est pire qu’un infidèle, " (1 Tm 5, 8) et enfin : " Fuyez l’avarice, qui est une espèce d’idolâtrie. " (1 Co 2, 5.) Puisqu’il y a plusieurs manières de renier Jésus-Christ, il est évident qu’il y a autant de manières de le confesser, et celui qui aura confessé le Sauveur de ces différentes manières, entendra cette voix si consolante de Jésus-Christ, rendant un glorieux témoignage à tous ceux qui l’auront confessé. Considérez ici la propriété des expressions, dans le texte grec, on lit : " Quiconque aura confessé en moi, " ce qui veut dire que ce n’est point par les forces naturelles, mais à l’aide de la grâce de Dieu, qu’on peut confesser Jésus-Christ. Mais pour celui qui nie, il ne dit point : Celui qui aura nié en moi ; mais : " Celui qui m’aura renié, " car celui qui le nie est privé de la grâce ; il ne laisse pas toutefois d’être coupable, parce qu’il est cause de cette privation de la grâce, et que c’est par sa propre faute qu’elle lui fait défaut. — Bède. De ce que le Sauveur doit un jour renier tous ceux qui l’ont nié sur la terre, il ne s’ensuit pas que le même sort soit réservé à tous indifféremment, à ceux qui l’ont nié de dessein prémédité, et à ceux qui ne l’ont fait que par faiblesse et par ignorance, aussi Notre-Seigneur ajoute : " Et quiconque parle contre le Fils de l’homme, il lui sera remis, " etc. — S. Cyr. Ces paroles du Sauveur signifient-elles que toute parole injurieuse que nous aurons dites contre un de nos semblables, nous sera pardonnée, si nous nous en repentons, elles n’offrent alors aucune difficulté, puisque Dieu étant naturellement bon, pardonne à ceux qui veulent se repentir, mais si elles doivent s’entendre de Jésus-Christ lui-même, comment celui qui parle contre lui ne sera-t-il pas condamné ? — S. Ambr. Par le Fils de l’homme, nous entendons le Christ, qui a été engendré par l’opération du Saint-Esprit, de la Vierge, qui est seule sur la terre la cause de sa naissance temporelle. Or, dirons-nous que l’Esprit saint est plus grand que le Christ, de manière que ceux qui pèchent contre le Christ, puissent obtenir leur pardon, tandis que ceux qui pèchent contre l’Esprit, n’ont aucune miséricorde à attendre ? Mais où il y a unité de puissance, on ne peut établir aucune comparaison.

S. Athan. (Traité sur ces par. : Quiconque, etc.) D’anciens auteurs, le savant Origène et l’admirable Théognoste, enseignent qu’on se rend coupable du blasphème contre l’Esprit saint, quand après avoir reçu ce divin Esprit par le baptême, on retourne à ses anciens péchés, et c’est la cause, disent-ils, qui les rend indignes de pardon, suivant ces paroles de saint Paul : " Il est impossible que ceux qui ont été une fois éclairés, qui ont goûté le don du ciel, qui ont été faits participants du Saint-Esprit, soient renouvelés par la pénitence. " (He 6.) Chacun de ces deux docteurs motive ainsi son sentiment : Dieu le Père, dit Origène, pénètre et embrasse toutes choses ; la puissance du Fils ne s’étend qu’aux créatures raisonnables, et l’Esprit saint n’habite que les âmes qui l’ont reçu dans le baptême. Lors donc que les catéchumènes ou les gentils se rendent coupables, ils pèchent contre le Fils, qui demeure au milieu d’eux ; ils peuvent cependant obtenir leur pardon, quand ils deviennent dignes du sacrement de la régénération. Au contraire, quand ils retombent dans le péché, après le baptême, leur crime atteint l’Esprit saint, contre lequel ils pèchent après l’avoir reçu ; aussi leur condamnation est-elle irrévocable. Théognoste, de son côté, enseigne que celui qui a franchi le premier et le second degré de culpabilité, mérite un moindre châtiment, mais celui qui franchit le troisième n’a plus de pardon à espérer. Or, suivant lui, le premier et le second degré, c’est la doctrine du Père et du Fils ; le troisième, c’est la participation à l’Esprit saint, conformément à ces paroles du Sauveur : " Lorsque l’Esprit de vérité sera venu, il vous enseignera toute vérité. " (Jn 16.) Ce n’est pas sans doute, que la doctrine de l’Esprit saint surpasse la doctrine du Fils ; mais le Fils est plein de condescendance pour les âmes imparfaites, tandis que le Saint-Esprit est comme le sceau des âmes arrivées à la perfection. Si donc le blasphème contre l’Esprit saint ne mérite aucun pardon, ce n’est pas que l’Esprit saint soit supérieur au Fils, mais parce que les âmes imparfaites ont droit au pardon, tandis que celles qui sont arrivées à la perfection, ne peuvent apporter aucune excuse. Car il faut reconnaître que le Fils étant dans le Père, il est dans ceux en qui le Père habite, et que l’Esprit saint y est aussi, car la sainte Trinité est indivisible. Ajoutons que si toutes choses ont été faites par le Fils, et ne subsistent que par lui (Jn 1, 3 ; Col 1, 16.17), il est donc lui-même en toutes choses, et ainsi celui qui pèche contre le Fils, pèche nécessairement contre le Père et le Saint-Esprit. Enfin le sacrement de baptême s’administre au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ; ceux donc qui retombent dans le péché après le baptême, blasphèment contre la sainte Trinité. Mais, puisque les pharisiens n’avaient pas reçu le baptême, pourquoi les accuse-t-il de blasphème contre le Saint-Esprit, qu’ils n’avaient pas encore reçu, alors surtout qu’il ne les accuse pas de simples péchés, mais de blasphème ? car le péché n’est que la transgression de la loi, tandis que le blasphème est un outrage direct à Dieu lui-même. Et encore, s’il n’y a plus de pardon à espérer pour ceux qui pèchent après le baptême, pourquoi l’Apôtre pardonne-t-il à l’incestueux pénitent de Corinthe. (2 Co 2.) Pourquoi écrit-il aux Galates, qui étaient retournés en arrière, qu’il les enfante de nouveau, jusqu’à ce que Jésus-Christ soit formé en eux ? (Ga 3.) Pourquoi reprochons-nous à Novatien de ne pas admettre la pénitence après le baptême ? Disons donc que l’Apôtre, dans son Épître aux Hébreux, ne détruit pas la pénitence après le baptême, mais il combat la fausse idée des Juifs devenus chrétiens, qu’il pût y avoir des baptêmes multipliés tous les jours pour la rémission des péchés, selon les prescriptions de la loi. Il exhorte donc à la pénitence, mais il déclare qu’il n’y a qu’une seule régénération par le baptême. En méditant ces diverses considérations, je me reporte à l’admirable économie de l’incarnation du Christ qui, étant Dieu s’est fait homme ; qui comme Dieu ressuscitait les morts, et en tant qu’homme, revêtu de notre chair, était soumis à la soif, à la fatigue, à la souffrance. Ceux donc qui, ne considérant en lui que l’homme, le voient sujet à la soif et à la douleur, et tiennent des discours injurieux à son humanité, sont coupables, il est vrai, mais ils peuvent par le repentir obtenir promptement le pardon de leur péché, en s’excusant sur les faiblesses de la nature humaine. Ceux qui au contraire considèrent les oeuvres divines de Jésus-Christ, et doutent qu’il ait un corps véritable, pèchent gravement eux-mêmes, cependant le repentir peut encore leur mériter le pardon, parce qu’ils peuvent donner pour excuse la grandeur des oeuvres opérées par Jésus-Christ. Mais quand ils attribuent aux démons les oeuvres de la divinité, ils prononcent contre eux une sentence de condamnation irrévocable, en donnant an démon un pouvoir divin, et en n’accordant pas au vrai Dieu plus de puissance qu’au démon. C’est à ce degré d’aveuglement et de perfidie, que les pharisiens en étaient arrivés. Le Sauveur opérait sous leurs yeux les oeuvres de son Père, il rendait la vie aux morts, la vue aux aveugles, il faisait mille autres prodiges semblables, et ils attribuaient ces oeuvres à Béelzébub. Ils auraient pu dire avec autant de raison, en voyant l’ordre du monde, et la Providence qui le gouverne, qu’il a été créé par Béelzébub. Aussi tant qu’ils se sont bornés à ne voir en Jésus-Christ qu’un homme, et à dire d’un esprit incertain et douteux : " N’est-ce pas là le fils du charpentier ? (cf. Mt 13, 55) Et comment sait-il les Écritures, puisqu’il ne les a pas apprises ? " il a supporté leur incrédulité qui était un péché contre le Fils de l’homme. Mais dès qu’ils ont poussé le délire jusqu’à dire que les oeuvres de Dieu avaient pour auteur Béelzébub, il ne put les souffrir davantage. C’est ainsi qu’autrefois il avait supporté l’incrédulité de leurs pères, tant qu’ils ne murmuraient que de manquer de pain et d’eau, mais lorsqu’ils eurent fondu le veau d’or et qu’ils lui attribuèrent les bienfaits qu’ils avaient reçus du ciel, Dieu les punit, et par la mort d’un grand nombre d’entre eux, et par la prédiction des châtiments à venir : " Je les punirai, dit-il, au jour de la vengeance, du crime qu’ils ont commis. " (Ex 32, 34.) Le Sauveur prédit le même châtiment aux pharisiens condamnés à brûler éternellement avec le démon, dans le feu qui a été préparé pour lui. Notre-Seigneur ne veut donc point ici établir une comparaison entre le blasphème proféré contre lui et le blasphème contre le Saint-Esprit, comme si le Saint-Esprit était plus grand que lui ; mais des deux blasphèmes qu’ils proféraient contre lui, il veut montrer que l’un est plus grave que l’autre, car ils l’outrageaient en ne voyant en lui qu’un homme, et en attribuant à Béelzébub les oeuvres toutes divines qu’il faisait.

S. Ambr. Il en est qui pensent que par le Fils et le Saint-Esprit, il faut entendre le Christ, tout en gardant la distinction des personnes et l’unité de substance, parce que le même Jésus-Christ, Dieu et homme tout ensemble, est appelé l’Esprit dans la sainte Écriture : " L’Esprit de notre bouche, le Christ, le Seigneur. " Il est également saint, puisque le Père est saint, que le Fils est saint, et que l’Esprit est saint. Si donc le Christ est l’un et l’autre, pourquoi cette différence, si ce n’est pour nous apprendre quel crime c’est pour nous que de nier la divinité de Jésus-Christ ? — Bède. On peut encore donner cette explication : Celui qui attribue au démon les oeuvres de l’Esprit saint, ne peut espérer de pardon ni en ce monde ni en l’autre, non pas que nous refusions à Dieu de lui pardonner s’il pouvait se repentir, mais parce qu’il est presque impossible à celui qui se rend coupable d’un tel blasphème, non seulement d’obtenir son pardon, mais de faire de dignes fruits de pénitence, selon ces paroles d’Isaïe : " Il les a frappés d’aveuglement, à ce point qu’ils ne pourront se convertir, et obtenir leur guérison " (Is 5). Or, si l’Esprit saint n’était qu’une simple créature et qu’il ne fût pas consubstantiel au Père et au Fils, comment les outrages proférés contre lui entraîneraient-ils un châtiment aussi terrible que celui qui est réservé aux blasphèmes contre Dieu ? (Lm 15, 20.)

Bède. Cependant tous ceux qui nient l’existence de la divinité de l’Esprit saint, ne sont point pour cela coupables de ce crime irrémissible de blasphème, parce qu’ils agissent par ignorance naturelle plutôt que par le principe d’envie diabolique qui animait les principaux d’entre les Juifs. — S. Aug. (serm. 2 sur les par. du Seign.) Donnons encore cette autre explication : si le Sauveur s’était exprimé de la sorte : Celui qui se sera rendu coupable de n’importe quel blasphème contre l’Esprit saint, nous devrions entendre toute espèce de blasphème sans exception, mais il se borne à dire : Celui qui blasphémera contre l’Esprit saint, " c’est-à-dire, celui qui profère, non pas un blasphème quelconque, mais un blasphème de telle gravité, qu’il ne puisse jamais être pardonné. C’est dans le même sens qu’il est dit : " Dieu ne tente personne, " (Jc 1) ce qui doit s’entendre, non pas de toute tentation en général, mais d’un certain genre de tentation. Mais quel est ce blasphème irrémissible contre l’Esprit saint ? Le voici : Le premier bienfait dont les fidèles sont redevables à l’Esprit saint, c’est la rémission des péchés, c’est contre ce don purement gratuit que blasphème le coeur impénitent ; l’impénitence est donc le blasphème contre l’Esprit saint, qui ne sera remis ni en ce monde ni en l’autre, parce que c’est la pénitence seule qui obtient en cette vie la rémission des péchés dont nous devons recueillir les fruits en l’autre. — S. Cyr. Après avoir inspiré à ses disciples une crainte salutaire et les avoir préparés. à résister généreusement à ceux qui s’écartent de la vraie foi, il leur recommande de ne point s’inquiéter d’ailleurs de la réponse qu’ils devront faire, parce que l’Esprit saint qui habite dans les âmes bien disposées pour les instruire, leur suggérera ce qu’il convient de répondre : " Lorsqu’on vous conduira dans les synagogues et devant les magistrats, ne vous mettez point en peine comment vous répondrez ni de ce que vous direz. " — La Glose. interl. Le Sauveur dit : " Comment vous répondrez, " quant à la forme de la réponse que vous ferez à ceux qui vous questionneront : " Ni de ce que vous direz, " pour le fond même des choses, que vous exposerez à ceux qui désireront s’instruire. — Bède. En effet, lorsque nous sommes conduits devant les tribunaux pour la cause de Jésus-Christ, nous devons nous contenter d’offrir pour lui notre bonne volonté, pour le reste, la grâce du Saint-Esprit nous assistera dans nos réponses : " Car l’Esprit saint vous enseignera à l’heure même ce qu’il vous faudra dire. " — S. Chrys. (hom. 34 sur S. Matth.) Il est dit ailleurs, il est vrai : Soyez toujours prêts à répondre pour votre défense à tous ceux qui vous demanderont raison de l’espérance qui est en vous. " (1 P 3, 13) C’est-à-dire, que lorsqu’il s’élève une discussion, une controverse entre amis, nous devons alors réfléchir à ce qu’il nous faut répondre ; mais quand nous sommes traduits devant ces tribunaux, où tout inspire la terreur, il nous entoure comme d’un rempart de sa propre force, et nous donne le courage de parler sans crainte. — Théophyl. Or, comme notre faiblesse vient de deux causes, ou parce. que nous voulons éviter le martyre. par la crainte du supplice, ou parce que notre ignorance nous empêche de rendre compte de notre foi, le Sauveur combat ces deux causes : la crainte de la douleur, lorsqu’il dit : " Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, " la crainte de l’ignorance, par ces dernières paroles : " Ne soyez point en peine comment vous répondrez ni de ce que vous direz. "

vv. 13-15.

S. Ambr. Tous les enseignements qui précèdent, ont pour but de nous encourager à souffrir pour le nom du Seigneur, ou par le mépris de la mort, ou par l’espérance de la récompense, ou par la menace des supplices éternels, qu’aucune miséricorde ne viendra jamais adoucir. Or, comme l’avarice est une source fréquente de tentations pour la vertu, Notre-Seigneur veut en détruire jusqu’au germe dans notre âme, et à l’appui du précepte qu’il donne, il apporte cet exemple : " Alors, du milieu de la foule, quelqu’un lui dit : Maître, dites à mon frère de partager avec moi notre héritage. " — Théophyl. Ces deux frères se disputaient pour diviser l’héritage paternel, il fallait donc que l’un cherchât à frauder l’autre. Or, le Sauveur, voulant nous appendre à ne point abaisser notre esprit jusqu’aux choses de la terre, rejette la demande de celui qui l’appelait à diviser cet héritage : " Mais Jésus lui répondit : Homme, qui m’a établi pour vous juger ou pour faire vos partages ? " — Bède. Cet homme veut préoccuper du souci de diviser la terre le Maître qui est venu nous inspirer le goût des joies et de la paix du ciel ; aussi est-ce avec raison que Notre-Seigneur lui donne le nom d’homme ; dans le même sens que ces autres paroles : " Puisqu’il y a parmi vous des jalousies et des contentions, n’est-il pas visible que vous êtes charnels, et que vous vous conduisez comme des hommes. "

S. Cyr. Lorsque le Fils de Dieu a daigné se rendre semblable à nous, Dieu son Père l’a établi roi et prince sur la sainte montagne de Sion, pour annoncer ses divins commandements (cf. Ph 2, 7 ; Ps 2). — S. Ambr. C’est donc avec raison qu’il refuse de s’occuper des intérêts de la terre, lui qui n’est descendu sur la terre que pour nous enseigner les choses du ciel ; il dédaigne d’être le juge des différends et l’arbitre des biens de la terre, lui à qui Dieu a donné le pouvoir de juger les vivants et les morts, et l’appréciation décisive des mérites des hommes. Il faut donc considérer ici, non pas ce que vous demandez, mais à qui vous faites cette demande, et ne pas chercher à détourner à des choses de médiocre importance, celui dont l’esprit est appliqué à des objets d’un intérêt supérieur. Ce frère méritait donc la réponse que lui fit le Sauveur, lui qui voulait que le dispensateur des biens célestes, s’occupât des intérêts périssables de la terre. Ajoutons d’ailleurs que ce n’est point par l’intervention d’un juge, mais par l’affection, qu’un bien patrimonial doit être partagé entre des frères. Enfin les hommes doivent attendre et espérer le patrimoine de l’immortalité plutôt que celui des richesses.

Bède. Notre-Seigneur profite de l’occasion de cette demande inconsidérée pour prémunir par des préceptes et des exemples, la foule et ses disciples, contre le fléau contagieux de l’avarice : " Et s’adressant à tous ceux qui étaient présents, il leur dit : Gardez-vous avec soin de toute avarice. " Remarquez ces paroles : De toute avarice, " parce que bien des actions ont une apparence de droiture, mais leur intention vicieuse n’échappe pas à l’oeil pénétrant du juge intérieur. — S. Cyr. Ou bien encore : Gardez-vous de toute avarice, grande ou petite, " car l’avarice est tout à fait inutile au témoignage du Seigneur lui-même : " Vous bâtirez des maisons magnifiques, et vous ne les habiterez pas. " (Am 5, 11.) Et ailleurs : " Dix arpents de vigne ne rapporteront qu’une mesure, la terre ne rendra plus que la dixième partie de la semence. " (Is 5, 10.) Le Sauveur donne une autre raison de l’inutilité de l’avarice : " Dans l’abondance même, la vie d’un homme ne dépend pas des biens qu’il possède. " — Théophyl. Il condamne ici les vains prétextes des avares, qu’on voit entasser des richesses, comme s’ils devaient toujours vivre. Mais l’opulence peut-elle prolonger votre vie ? Pourquoi donc vous dévouer à des inquiétudes certaines pour un repos qui n’est rien moins que certain ? Car il est bien douteux que vous atteigniez la vieillesse pour laquelle vous amassez des trésors.

vv. 16-21.

Théophyl. Notre-Seigneur confirme la vérité qu’il vient d’enseigner, que l’abondance des richesses ne peut prolonger la vie humaine, par la parole suivante Il y avait un homme riche, dont les terres avaient rapporté beaucoup de fruits. " — S. Basil. (hom. 6 de l’avar.) Notre-Seigneur ne dit pas que cet homme voulut faire aucun bien avec ses grandes richesses, et il rend plus éclatante la longanimité de Dieu, qui étend sa bonté même aux méchants, et fait tomber sa pluie sur les justes et sur les coupables. Or, comment cet homme témoigne-t-il sa reconnaissance à son bienfaiteur ? Il oublie la nature qui lui est commune avec tous les hommes, il ne pense pas qu’il y a obligation pour lui à distribuer aux indigents son superflu ; ses greniers étaient surchargés par l’abondance de ses récoltes, mais son coeur insatiable n’était pas rempli. Il ne voulait rien donner des fruits anciens, tant était grande son avarice ; il ne savait ni recueillir les nouveaux, tant ils étaient abondants, aussi sa prudence est aux abois et ses soucis frappés de stérilité : " Et il s’entretenait lui-même de ces pensées : Que ferai-je ? car je n’ai point où serrer ma récolte. " Il s’inquiète à l’égard des pauvres ; n’est-ce pas là, en effet, ce que dit l’indigent : Que ferai-je ? Comment me procurer la nourriture et le vêtement ? Tel est aussi le langage de ce riche, il est comme accablé sous le poids de ses richesses, dont ses greniers regorgent et dont il ne veut point les laisser sortir pour le soulagement des misérables, semblables à ces gens avides et affamés, qui aimeraient mieux être victimes de leur voracité, que de laisser les restes de leur table aux indigents.

S. Grég. (Moral., xv, 13.) O inquiétudes, qui êtes le fruit de l’abondance et de la satiété ! En disant : " Que ferai-je ? " ne montre-t-il pas clairement qu’il est comme accablé par l’accomplissement de ses désirs, et qu’il gémit, pour ainsi dire, sous le fardeau de ses liens ? — S. Bas. (comme précéd.) Quoi de plus facile que de dire : J’ouvrirai mes greniers, je réunirai tous les pauvres ; mais non, une seule pensée le préoccupe, ce n’est point de distribuer le trop plein de ses greniers, c’est d’entasser sa nouvelle récolte : " Voici, dit-il, ce que je ferai : Je détruirai mes greniers. " Vous faites là une bonne action, ces greniers d’iniquité méritent d’être détruits ; abattez donc ces greniers d’où la consolation n’est jamais sortie pour personne. Il ajoute : " Et j’en ferai de plus grands. " Et si vous parvenez encore à les remplir, les détruirez-vous de nouveau ? Mais quelle folie que ce travail sans fin ? Vos greniers (si vous voulez), doivent être les maisons des pauvres. Vous me direz : A qui fais-je tort, en gardant ce qui m’appartient ? Car ce riche ajoute : " Et j’y amasserai le produit de mes terres et tous mes biens. " Dites-moi quels sont les biens que vous avez en propre ? De quelle source les avez-vous tirés pour les apporter dans cette vie ? Semblables à un homme qui, arrivant avant l’heure du spectacle, empêcherait les autres d’y venir, et prétendrait avoir la jouissance exclusive de ce qui est destiné au public, les riches regardent comme leur appartenant en propre des biens dont ils se sont emparé, lorsqu’ils étaient la propriété commune de tous les hommes. Si chacun ne prenait que ce qui suffit à ses besoins, et abandonnait tout le superflu aux indigents, il n’y aurait plus ni riche ni pauvre.

S. Cyr. Écoutez une autre parole inconsidérée de ce riche : " J’y amasserai tout le produit de mes terres et tous mes biens. " Ne semble-t-il pas qu’il n’est pas redevable à Dieu de ses richesses, et qu’elles sont le fruit de ses travaux ? — S. Bas. (comme précéd.) Mais si vous reconnaissez que vous les tenez de Dieu, est-ce que Dieu serait injuste en nous distribuant inégalement les biens de la fortune ? Pourquoi êtes-vous dans l’abondance, celui-ci dans la pauvreté, si ce n’est pour vous donner occasion d’exercer une générosité méritoire, à ce pauvre de recevoir un jour le prix glorieux de sa patience ? Or, n’êtes-vous pas un véritable spoliateur, en regardant comme votre propriété ces biens que vous n’avez reçus que pour en faire part aux autres ? Ce pain que vous conservez, appartient à cet homme qui meurt de faim ; cette tunique que vous serrez dans votre garde-robe, appartient à cet autre qui est sans vêtement ; cette chaussure qui dépérit chez vous, est à celui qui marche pieds nus ; cet argent que vous avez enfoui dans la terre, appartient aux indigents ; vous commettez donc autant d’injustices que vous pourriez répandre de bienfaits. — S. Chrys. Mais il se trompe encore en regardant comme des biens véritables, des choses tout à fait indifférentes. Il y a, en effet, des choses qui sont essentiellement bonnes, d’autres essentiellement mauvaises, d’autres enfin qui tiennent le milieu. La chasteté et l’humilité, et les autres vertus sont de véritables biens, et rendent bon celui qui les pratique. Les vices opposés à ces vertus sont essentiellement mauvais, et rendent également mauvais celui qui s’y livre. D’autres choses tiennent le milieu, comme les richesses, tantôt elles servent à faire le bien, l’aumône, par exemple, tantôt elles sont un instrument pour le mal, c’est-à-dire pour l’avarice. Il en est de même de la pauvreté, elle conduit tantôt au blasphème, tantôt à la véritable sagesse, selon les dispositions intérieures des personnes.

S. Cyr. Ce ne sont point des greniers permanents, mais de passagère durée, que ce riche construit, et ce qui est une folie plus insigne, il se promet une longue vie : " Et je dirai à mon âme : Mon âme, tu as beaucoup de biens en réserve pour plusieurs années. " O riche, tes greniers, il est vrai, regorgent de fruits, mais qui peut te garantir plusieurs années de vie ? — S. Athan. (contre Antig.) Celui qui vit comme s’il devait mourir chaque jour, à cause de l’incertitude naturelle de la vie, ne commettra point ce péché ; car cette crainte de la mort prémunit contre l’attrait séduisant des voluptés ; mais au contraire, celui qui se promet une longue vie, aspire après les plaisirs de la chair. Écoutez en effet ce riche : " Mon âme, repose-toi, mange, bois, fais bonne chair, " c’est-à-dire fais des repas somptueux. — S. Bas. (comme précéd.) O riche, tu es si oublieux des biens de l’âme, que tu lui donnes en nourriture les aliments du corps ! Si cette âme est vertueuse, si elle est féconde en bonnes oeuvres, si elle s’attache à Dieu, elle possède alors de grands biens, et jouit d’une véritable joie ; mais comme tu es tout charnel et esclave de tes passions, tes désirs et tes cris viennent tout entiers du corps et non de l’âme. — S. Chrys. (hom. 39 sur la Ière Epît. aux Cor.) Il ne convient nullement de se plonger dans les délices, d’engraisser le corps et d’affaiblir l’âme, de lui imposer un lourd fardeau, de l’envelopper dans les ténèbres et de la couvrir d’un voile épais. Lorsque l’homme vit dans les délices, l’âme qui devait être reine, devient esclave, et le corps qui devait obéir, domine et commande. Les aliments sont nécessaires au corps, mais non pas les délices, il faut le nourrir, mais non pas le débiliter et l’amollir. Or, les délices sont nuisibles au corps autant qu’à l’âme ; de fort qu’il était, elles le rendent faible ; à la santé, elles font succéder la maladie ; à l’agilité, la pesanteur ; à la beauté, la laideur ; à la jeunesse, une vieillesse prématurée.

S. Bas. (comme précéd.) Cet homme a été laissé libre de délibérer sur toutes ces choses, et de faire connaître ses intentions, afin que son avarice insatiable reçût le juste châtiment qu’elle méritait. Tandis, en effet, qu’il parle ainsi dans le secret de son âme, ses pensées et ses paroles sont jugées dans le ciel, d’où lui vient cette réponse : " Insensé ! cette nuit même, on te redemandera ton âme. " Entendez-vous ce nom d’insensé que votre folie vous a mérité, ce ne sont pas les hommes, c’est Dieu lui-même qui vous l’a donné. — S. Grég. (Moral., XXII, 2. sur ces par. de Jb 26 : " Si j’ai regardé l’or, " etc.) Il fut enlevé cette nuit-là même, lui qui s’était promis de longues années, et tandis qu’il avait amassé des biens considérables pour un grand nombre d’années, il ne voit même pas le jour du lendemain. — S. Chrys. (disc. 2 sur Lazare.) " On te redemandera ton âme, " etc. Peut-être quelques puissances terribles étaient envoyées pour lui redemander son âme ; car si nous ne pouvons sans guide passer d’une ville à une autre, combien plus l’âme, séparée du corps, a-t-elle besoin d’être conduite vers les régions inconnues de l’autre vie. C’est pour cela que l’âme, sur le point de quitter le corps, résiste fortement, et rentre dans les profondeurs du corps ; car toujours la conscience de nos péchés nous fait sentir son aiguillon ; mais c’est surtout lorsque nous devons être traduits devant le tribunal redoutable du juste Juge, que toute la multitude de nos crimes vient se placer sous nos yeux et glacer notre âme d’effroi. Comme des prisonniers sont toujours dans les angoisses, surtout lorsqu’arrive pour eux le moment de paraître devant leur juge ; ainsi l’âme est alors attristée et torturée par le souvenir de ses péchés, mais bien plus encore lorsqu’elle est sortie du corps. — S. Grég. (Moral., xxv, 2.) Cette âme a été enlevée pendant la nuit, c’est-à-dire dans l’obscurité du coeur ; elle est séparée du corps pendant la nuit, parce qu’elle a fermé les yeux à la lumière de la raison qui aurait pu lui faire prévoir les supplices qu’elle s’exposait à souffrir.

Dieu ajoute : " Et ce que tu as amassé, pour qui sera-t-il ? " — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr. et hom. 23 sur la Gen.) Car vous laisserez tous ces biens, et non seulement vous n’en retirerez aucun avantage, mais vous serez accablé sous le poids de vos péchés. Toutes ces richesses que vous avez amassées, passeront le plus souvent aux mains de vos ennemis, mais c’est vous qui aurez à en rendre compte.

" Il en est ainsi de celui qui thésaurise pour soi, et qui n’est pas riche selon Dieu. " — Bède. C’est un insensé qui doit être enlevé dans la nuit. Que celui donc qui veut être riche selon Dieu, n’amasse pas de trésors pour lui ; mais qu’il distribue aux pauvres ceux qu’il possède. — S. Ambr. Pourquoi, en effet, amasser des richesses dont on ne sait faire aucun emploi ? Pouvons-nous regarder comme nous appartenant des choses que nous ne pouvons emporter avec nous ? La vertu seule nous accompagne au sortir de cette vie, la miséricorde seule nous suit, et nous conduit après la mort dans les tabernacles éternels (Lc 16, 9).

vv. 22, 23.

Théophyl. Notre-Seigneur élève peu à peu ses disciples à une doctrine plus parfaite. Il leur a enseigné à se mettre en garde contre l’avarice, et leur a cité à l’appui la parabole du riche, pour leur démontrer plus clairement la folie de celui qui désire des choses superflues ; il va maintenant plus loin, il ne nous permet pas même la sollicitude pour le nécessaire, et arrache ainsi de nos coeurs, jusqu’à la racine de l’avarice : " C’est pourquoi je vous dis Ne vous mettez pas en peine, " etc. C’est-à-dire puisque vous avez compris la folie de celui qui se promettait une longue vie, et que cette espérance rendait encore plus avare ; ne vous mettez pas en peine pour votre âme de ce que vous mangerez. Notre-Seigneur s’exprime de la sorte, non que l’âme spirituelle et intelligente se nourrisse d’aliments corporels, mais parce que la nourriture de notre corps est une condition essentielle de l’union de l’âme et du corps ; ou bien encore, comme c’est le propre du corps animé de prendre de la nourriture, le Sauveur attribue à l’âme le soin de la nourriture ; car l’âme est appelée la vertu nutritive du corps, et ses paroles peuvent recevoir ce sens : " Ne vous mettez pas en peine pour la partie nutritive de votre âme, de ce que vous mangerez. " Le corps, au contraire, même privé de la vie, peut être couvert de vêtements ; aussi Notre-Seigneur ajoute : Ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. " — S. Chrys. (hom. 22 sur S. Matth.) " Ne vous inquiétez pas, " ne veut pas dire : Ne travaillez pas ; mais : " Ne vous laissez pas absorber par les choses de la terre ; " en effet, on peut très-bien se livrer au travail, mais sans préoccupation, sans agitation d’esprit. — S. Cyr. La vie est supérieure à la nourriture, et le corps au vêtement, au témoignage du Sauveur : " La vie est plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement, " c’est-à-dire : Dieu qui a fait le plus, ne dédaignera pas de faire le moins. Que des choses si peu importantes ne soient donc point l’objet unique de nos pensées, que notre esprit ne soit pas l’esclave du vêtement et de la nourriture, mais qu’il se préoccupe surtout des moyens de sauver l’âme et de l’élever jusqu’au royaume des cieux. — S. Ambr. Rien de plus propre à établir cette vérité, que Dieu accorde tout à ceux qui se confient en lui, que de voir ce souffle céleste qui, sans effort de notre part, perpétue l’union intime du corps et de l’âme, dans une communauté de vie à qui l’aliment nécessaire ne fait défaut, que lorsqu’arrive le jour de la séparation et de la mort. Puisque donc l’âme est enveloppée du corps comme d’un vêtement, et que le corps, à son tour, puise sa vie dans la vigueur de l’âme, n’est-ce pas une absurdité de craindre que la nourriture puisse nous faire défaut, alors que Dieu nous a donné et nous continue le bienfait précieux de la vie ?

vv. 24-26.

S. Cyr. De même que dans ce qui précède, Notre-Seigneur a voulu produire dans l’esprit de ses disciples une foi vive et ferme à la Providence par l’exemple des oiseaux qui sont de peu de valeur, il se sert encore de la même comparaison, pour nous inspirer une ferme et inébranlable confiance en Dieu : " Considérez les corbeaux, ils ne sèment ni ne moissonnent (pour se procurer la nourriture), ils n’ont ni cellier ni grenier (pour mettre leur récolte), et Dieu les nourrit. " Combien ne valez-vous pas mieux qu’eux. " — Bède. C’est-à-dire, vous êtes d’un plus grand prix, car un être raisonnable tel que l’homme, occupe dans la nature un rang plus élevé que les êtres dépourvus de raison, comme sont les oiseaux.

S. Ambr. C’est là un grand exemple offert à notre foi. En effet, les oiseaux qui n’ont ni les travaux de la culture, ni de riches moissons, trouvent cependant leur nourriture dans le fond inépuisable de la providence divine. il est donc vrai que la cause de notre indigence, c’est notre avarice ; car pourquoi les oiseaux reçoivent-ils sans travail aucun une abondante pâture ? c’est parce qu’ils ne cherchent pas à s’approprier la possession des biens destinés à la nourriture commune de tous les êtres. Pour nous, au contraire, nous perdons nos droits à ces biens communs, en voulant les posséder en propre. Et d’ailleurs quelle propriété véritable pouvons-nous avoir, là où il n’y a rien de durable, quelles richesses assurées, là où tous les événements sont incertains ?

S. Chrys. (hom. 22 sur S. Matth.) Notre-Seigneur pouvait donner en exemple ces hommes qui ont professé une souveraine indifférence pour les choses de la terre, comme Élie, Moïse, Jean-Baptiste, et d’autres semblables, mais il préfère emprunter ses comparaisons aux oiseaux, suivant en cela l’exemple de l’Ancien Testament, qui renvoie l’homme à l’abeille et à la fourmi (Pv 6, 6.8), et à d’autres animaux qui ont reçu du Créateur des instincts qui leur sont propres. — Théophyl. Or, il cite l’exemple des corbeaux, de préférence aux autres oiseaux, parce que la providence de Dieu nourrit les petits des corbeaux avec un soin tout particulier. En effet, les corbeaux, après que leurs petits sont éclos, les abandonnent sans se mettre en peine de les nourrir, et c’est le vent qui, d’une manière vraiment merveilleuse, leur porte à travers les airs leur pâture qu’ils reçoivent dans leur bec entr’ouvert. Peut-être encore parle-t-il ainsi par synecdoche, en prenant la partie pour le tout. En effet, dans saint Matthieu (Mt 6), il nous renvoie aux oiseaux du ciel en général, ici, au contraire, il nous donne pour exemple les corbeaux, comme plus avides et plus voraces. — Eusébe. Peut-être aussi, l’exemple des corbeaux a-t-il une signification particulière ; car les oiseaux qui se nourrissent de graines et de plantes, trouvent plus facilement leur pâture ; tandis que les corbeaux qui sont carnivores, la trouvent avec plus de difficulté, et cependant ces derniers eux-mêmes ne manquent jamais de nourriture, grâce à cette providence de Dieu qui s’étend à tout. Il prouve ensuite la même vérité par un troisième raisonnement : " Qui de vous, pourrait avec tous ses soins, ajouter une coudée à sa taille ? "

S. Chrys. (hom. 22 sur S. Matth.) Remarquez que l’âme que Dieu nous a donnée, demeure toujours la même, tandis que le corps prend tous les jours de nouveaux accroissements, voilà pourquoi Notre-Seigneur passe sous silence l’âme qui n’est point susceptible d’accroissement, et ne parle que du corps ; et il nous donne à entendre que ce n’est point aux aliments seuls qu’il doit son accroissement, mais à la providence divine, par cette raison, que personne ne peut à l’aide de la nourriture ajouter quelque chose à sa taille : " Donc, conclut-il, si vous ne pouvez pas même les moindres choses, pourquoi vous inquiéter des autres ? " — Eusèbe. (Ch. des Pèr. gr.) Comme s’il disait : Si aucun homme n’a pu par tous ses soins se donner sa teille, s’il ne peut, avec toute son industrie, ajouter un seul instant à la durée que Dieu a fixée à son existence, pourquoi s’inquiéter outre mesure des choses nécessaires à l’entretien de sa vie ? — Bède. Laissez donc le soin de gouverner votre corps à celui qui a pris soin de le créer, et de lui donner la taille qui lui convenait.

S. Aug. (quest. Evang., 2, 28.) Notre-Seigneur dit de l’accroissement du corps que c’est une chose moindre, parce qu’en effet, c’est pour Dieu une de ses moindres oeuvres que de créer des corps.

vv. 27-31.

S. Chrys. (hom. 23, sur S. Matth.) Notre-Seigneur donne ici pour le vêtement, la même leçon qu’il vient de donner pour la nourriture : " Considérez les lis, comment ils croissent ; ils ne travaillent ni ne filent, " pour se faire des vêtements. En nous proposant dans ce qui précède l’exemple des oiseaux qui ne sèment, ni ne moissonnent, le Sauveur n’a point condamné l’ensemencement des champs, mais les soins superflus ; de même ici en nous proposant celui des lis qui ne travaillent point, et ne filent point, il ne condamne pas le travail, mais les vaines sollicitudes.

Eusèbe. Que celui qui désire se parer de vêtements précieux considère que Dieu étendant sa providence jusqu’aux fleurs qui naissent sur la terre, les a ornées de couleurs variées en donnant à leurs membranes délicates, des teintes plus vives que celles de la pourpre et de l’or, à ce point que les plus grands rois, et Salomon lui-même qui fut si célèbre parmi les anciens par ses richesses, sa sagesse et sa magnificence, n’eurent jamais une si riche parure, au témoignage de Notre-Seigneur : " Je vous déclare que Salomon même, dans toute sa gloire, n’était pas vêtu comme l’un deux. "

S. Chrys. (comme précéd.) Pourquoi Notre-Seigneur n’apporte pas ici l’exemple des oiseaux, tels que le cygne et le paon, mais celui des lis ? C’est pour faire ressortir davantage ces deux extrêmes, la fragilité des choses qui brillent d’un si vif éclat, et la richesse de la parure qu’il a donnée aux lis. Aussi dans la suite de son discours, il ne les appelle plus les lis ; mais l’herbe des champs : " Or, si l’herbe qui est aujourd’hui dans les champs. " Il ne dit pas non plus : Et qui ne sera plus demain, mais : " Qui demain sera jetée au feu. " Remarquez encore qu’au lieu de dire simplement : Si Dieu la revêt, il emploie cette locution plus expressive : " Si Dieu la revêt ainsi, " et qu’il ajoute : " Combien plus le fera-t-il pour vous, " paroles qui expriment à la fois l’excellence du genre humain, et la providence dont il est l’objet. Enfin, au lieu des reproches que méritaient ses disciples, il leur parle avec douceur, et les accuse, non pas de leur manque absolu de foi, mais de leur peu de foi : " Combien plus le ferait-il pour vous hommes de peu de foi ? " Langage persuasif qui a pour objet de nous ôter la préoccupation des vêtements et de l’éclat des vaines parures. — S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Il suffit aux sages en effet d’avoir, pour satisfaire à la nécessité, des vêtements convenables et simples, et la nourriture dont ils ont besoin. Et quant aux saints ils se contentent de ces délices spirituelles que donne l’union avec Jésus-Christ, et de la gloire qui doit les suivre. — S. Ambr. Notre-Seigneur met une simple fleur en comparaison avec l’homme, il lui donne même la préférence sur l’homme dans la personne de Salomon, pour nous faire voir dans l’éclat de ses vives couleurs une image de la grâce des anges du ciel, qui sont véritablement les fleurs de ce monde, parce qu’ils en sont l’ornement par l’éclat de leur perfection, qu’ils répandent partout le parfum de leur sainteté, et que sans être préoccupés d’aucun souci, ni fatigués d’aucun travail, ils conservent en eux les dons de la libéralité divine et de leur nature toute céleste. Aussi est-ce avec raison qu’il est dit ici que Salomon était revêtu, et dans saint Matthieu (Mt 6, 9), qu’il était couvert de sa gloire, parce qu’en effet il revêtait de la gloire de ses oeuvres la faiblesse de sa nature corporelle, qui était comme couverte et enveloppée par les vertus de son âme. Quant aux anges dont la nature plus parfaite est exempte des infirmités du corps, ils sont justement mis au-dessus du plus grand des hommes. Cependant nous ne devons pas pour cela désespérer de la miséricorde de Dieu, nous à qui Dieu promet par la grâce de la résurrection, des qualités aussi éclatantes que celles des anges.

S. Cyr. Il eût été contraire à la raison que les Apôtres, qui devaient donner aux autres la règle et l’exemple d’une vie parfaite, se rendissent coupables des défauts dont ils devaient préserver les autres. Aussi écoutez la recommandation du Sauveur : " Ne vous mettez donc pas en peine de ce que vous mangerez, ou de ce que vous boirez. " En détachant ainsi ses disciples des préoccupations de la terre, il les applique tout entiers aux intérêts de la prédication. Remarquez cependant qu’il ne dit pas : Ne vous occupez pas, ne vous inquiétez point de la nourriture, ou de la boisson, ou du vêtement ; mais : " Ne vous mettez pas en peine de ce que vous mangerez, ou de ce que vous boirez. " Paroles qui condamnent ceux qui, dédaignant la manière de vivre, ou de se vêtir du commun des hommes, recherchent un genre de nourriture, ou de vêtement plus somptueux, ou plus austère que ne l’adoptent ceux au milieu desquels ils vivent.

S. Grég. de Nyss. (1 Disc. sur l’orais. dom.) Il en est qui ont demandé et obtenu en priant la puissance, les honneurs, les richesses, pourquoi donc nous défend-on d’en faire l’objet de nos prières ? Que tous ces biens dépendent de la volonté divine, il n’est personne qui n’en soit convaincu ; cependant Dieu les accorde à ceux qui les demandent, afin que nous nous élevions au désir de biens plus parfaits, en voyant que Dieu nous accorde des grâces bien moins importantes ; c’est ainsi que nous voyons les enfants, aussitôt qu’ils sont nés, s’attacher de toutes leurs forces au sein maternel, mais lorsque l’enfant grandit, il laisse le sein de sa mère, et demande des parures ou quelqu’autre chose qui charme ses yeux ; lorsqu’enfin son esprit s’est développé avec le corps, il rompt avec tous les désirs de l’enfance, et demande à ses parents ce qui est en rapport avec son âge plus parfait.

S. Aug. (quest. évang., 2, 29.) Après avoir défendu toute sollicitude de la nourriture et du vêtement, Notre-Seigneur nous recommande conséquemment d’éviter l’orgueil : " Ne vous élevez pas si haut. " Car l’homme recherche d’abord ces choses pour satisfaire à ses besoins, mais lorsqu’il les a en abondance, il en conçoit de l’orgueil, semblable à un homme qui, s’étant blessé, se vanterait d’avoir quantité de remèdes dans sa maison, alors qu’il lui serait mille fois plus avantageux d’être sans blessure, et de n’avoir point besoin de remèdes. — Théophyl. Ou bien cette élévation de l’esprit que le Sauveur défend, c’est un mouvement inconstant de l’âme qui embrasse une foule de pensées, et passe de l’une à l’autre pour nourrir son orgueil. — S. Bas. (Ch. des Pèr. gr.) Voulez-vous bien comprendre en quoi consiste cette élévation, rappelez-vous la vanité de vos jeunes années, alors qu’étant seul, vous pensiez à la vie et à ses honneurs, promenant vos désirs de dignité en dignité, amassant des richesses, bâtissant des palais, comblant de bienfaits vos amis, et vous vengeant de vos ennemis. Or, de telles pensées sont coupables, parce qu’en mettant son plaisir dans les choses superflues, l’âme s’éloigne de la vérité ; aussi Notre-Seigneur ajoute : " Car ce sont ces choses que les nations du monde recherchent. " — S. Grég. de Nyss. Car c’est le propre de ceux qui n’ont ni l’espérance de la vie future, ni la crainte du jugement, de s’inquiéter de tous ces biens extérieurs. — S. Bas. Quant aux choses nécessaires : " Votre Père sait que vous en avez besoin. " — S. Chrys. (hom. 23, sur S. Matth.) Il ne dit pas : Votre Dieu, mais : " Votre Père, " pour leur inspirer une plus grande confiance, car quel est le Père qui laisserait manquer ses enfants du nécessaire ? Et vous ne pouvez pas objecter qu’il est Père, il est vrai, mais qu’il ne connaît pas vos besoins ; car celui qui a créé notre nature, sait bien ce qui lui est nécessaire.

S. Ambr. Notre-Seigneur montre ensuite que la providence et la grâce de Dieu ne feront jamais défaut aux fidèles, ni pour le temps présent, ni pour l’avenir, à la condition toutefois qu’en désirant les biens du ciel, ils ne chercheront pas avec inquiétude les biens de la terre, car il serait honteux à des hommes qui combattent pour un royaume de s’inquiéter de la nourriture. Est-ce que le roi ne sait pas comment il doit entretenir, nourrir et vêtir sa maison ? " Cherchez donc premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par surcroît. " — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Ce n’est pas seulement son royaume, mais des richesses que Jésus-Christ nous promet ; car si nous-mêmes nous nous faisons un devoir de délivrer de tout souci, ceux qui sacrifient leurs intérêts pour s’occuper des nôtres, à plus forte raison Dieu agira-t-il de la sorte. — Bède. Il distingue dans les dons de Dieu, ce qui est essentiel de ce qui n’est que de Surcroît, parce qu’en effet nous devons nous proposer les biens éternels comme la fin de notre vie, et faire simplement usage des biens du temps présent.

vv. 32-34.

La Glose. Après avoir banni du coeur de ses disciples la sollicitude des choses de la terre, Notre-Seigneur en exclut la crainte, qui est le principe des vaines inquiétudes : " Ne craignez point, petit troupeau, " etc. — Théophyl. Notre-Seigneur appelle petit troupeau ceux qui veulent devenir ses disciples, ou bien à cause de la pauvreté volontaire qu’ils ont embrassée, ou parce qu’ils sont au-dessous de la multitude des anges, dont la nature est incomparablement supérieure à la nôtre. — Bède. Notre-Seigneur appelle encore petit le troupeau des élus, soit par comparaison avec le grand nombre des réprouvés, soit plutôt à cause de l’amour des élus pour l’humilité.

S. Cyr. Il leur donne ensuite la raison qui doit bannir de leur coeur tonte crainte : Parce qu’il a plu à votre Père de vous donner son royaume. " Comme s’il leur disait : Comment celui qui vous destine un si précieux héritage pourrait-il refuser de vous traiter avec bonté ? Car bien que ce troupeau soit petit (par la nature, le nombre, et l’éclat), cependant c’est à ce petit troupeau que la bonté du Père a donné l’héritage des esprits célestes, c’est-à-dire, le royaume des cieux. Si vous voulez donc posséder le royaume des cieux, méprisez les richesses de la terre : Vendez ce que vous avez, " etc. — Bède. Notre-Seigneur veut leur dire : Ne craignez pas qu’en combattant pour le royaume de Dieu, vous manquiez jamais du nécessaire ; loin de là, vendez même ce que vous avez, conseil qui est noblement pratiqué par celui qui, non content d’avoir fait pour Dieu le sacrifice de tous ses biens, travaille ensuite de ses mains pour suffire à ses besoins et pouvoir encore donner l’aumône. — S. Chrys. (hom. 25, sur les Actes.) Il n’est point de péché que l’aumône ne puisse effacer, c’est un remède efficace pour toutes les blessures. Or, on ne fait pas seulement l’aumône en donnant de l’argent, mais en faisant des oeuvres de charité, en défendant le faible, en guérissant les malades, en donnant un sage conseil.

S. Grég. de Nazianze. (Disc. sur l’am. des pauv.) Je crains que vous ne regardiez la pratique de la miséricorde non comme obligatoire, mais comme facultative ; c’était d’abord aussi mon avis, mais je suis épouvanté par la vue des boucs placés à la gauche du Sauveur, non pour avoir ravi le bien d’autrui, mais pour avoir négligé d’assister Jésus-Christ dans la personne des pauvres. — S. Chrys. (hom. sur S. Matth.) Sans l’aumône en effet, il est impossible de posséder le royaume ; une source qui retient ses eaux, se corrompt, il en est de même de ceux qui conservent leurs richesses pour eux-mêmes.

S. Bas. (Régl. abrég., 92.) On me demandera peut-être pour quel motif il faut vendre ce que l’on possède ? Est-ce parce que les biens de la terre sont naturellement mauvais, ou à cause des tentations dont ils peuvent-être la source ? Je réponds premièrement, que si une seule des choses qui existent dans le monde, était essentiellement mauvaise, elle cesserait par là même d’être créature de Dieu, car toute chose créée de Dieu est bonne (2 Tm 4) ; secondement que le sauveur en nous disant : " Faites l’aumône, " ne nous commande pas de nous dépouiller de nos richesses comme si elles étaient mauvaises, mais de les distribuer aux pauvres.

S. Cyr. Peut-être ce commandement paraîtra-t-il dur aux riches ; cependant quels avantages il offre à des esprits raisonnables, puisqu’ils peuvent ainsi gagner le royaume des cieux : " Faites-vous des bourses que le temps n’use point ? " etc. — Bède. En faisant des aumônes dont la récompense durera éternellement, il ne faut pas croire cependant qu’il soit défendu ici aux chrétiens de rien avoir en réserve, soit pour leur usage, soit pour celui des pauvres, puisque le Seigneur lui-même, qui était servi par les anges (Mt 4), avait cependant une bourse (Jn 12), pour conserver les offrandes des âmes fidèles. Notre-Seigneur veut simplement dire qu’on ne doit ni servir Dieu en vue de ces biens, ni abandonner la pratique de la justice dans la crainte de les perdre. — S. Grég. de Nyss. (ch. des Pèr. gr.) Il leur recommande de placer leurs biens et leurs richesses terrestres dans le ciel où la corruption ne pourra les atteindre : " Faites-vous un trésor qui subsiste dans les cieux. " — Théophyl. C’est-à-dire : Ici bas les vers peuvent ronger ces biens, mais ils ne les rongent pas dans le ciel, et comme il y a des biens qui sont à l’épreuve des vers, il ajoute : " Et où les voleurs n’ont point d’accès, " car l’or ne peut-être rongé par les voleurs, mais il peut être enlevé par les voleurs.

Bède. Il faut donc entendre simplement ce passage, dans ce sens que l’argent mis en réserve se perd, tandis que s’il est donné au prochain, il produit des fruits éternels pour le ciel ; ou encore, que le trésor des bonnes oeuvres, s’il est amassé en vue d’un avantage terrestre, se corrompt facilement et se perd, tandis que s’il est acquis en vue du ciel, il ne peut être atteint ni extérieurement par la vaine estime des hommes (semblable au voleur qui ravit au dehors), ni intérieurement par la vaine gloire (qui, comme le ver, ronge et déchire au dedans.) — La Glose. Ou bien les voleurs sont les hérétiques et les démons, qui ne cherchent qu’à nous dépouiller des biens spirituels : le ver qui ronge secrètement les vêtements, c’est l’envie qui ronge et déchire le zèle où le fruit des bonnes oeuvres et réduit le lien de l’unité (Ep 4, 46.)

Théophyl. Mais comme il est des biens qui ne peuvent être enlevés par les voleurs, Notre-Seigneur donne une raison plus décisive et qui ne souffre aucune réplique : " Là où est votre trésor, là est votre coeur ; " comme s’il leur disait : Soit, que vos biens ne soient ni rongés par les vers, ni enlevés par les voleurs, mais quel supplice ne mérite pas celui qui attache son coeur à un trésor qu’il a enfoui, et qui ensevelit ainsi dans la terre son âme, oeuvre de Dieu par excellence ? — Eusèbe. (Ch. des Pèr. gr.) En effet, tout homme devient naturellement l’esclave de ce qui fait l’objet de ses affections ; il applique toute son âme aux choses dont il espère retirer de plus grands avantages. Si donc il met dans les biens de la vie présente toute son âme, et toutes ses intentions, il est tout entier plongé dans les choses de la terre. Si, au contraire, il dirige toutes les facultés de son âme vers les choses du ciel, il y aura aussi son coeur, il paraîtra vivre avec les hommes par le corps seul, tandis que par son âme, il sera déjà en possession des demeures célestes. — Bède. Cette vérité ne s’applique pas seulement aux richesses, mais à toutes les passions ; les festins sont les trésors de l’homme sensuel ; les vains amusements, les trésors de l’homme dissolu ; la volupté, le trésor de l’impudique.

 

vv. 35-40.

Théophyl. Après avoir établi ses disciples dans une sage modération, en les délivrant de tous les soins et de toutes les sollicitudes de la vie, le Seigneur les prépare aux oeuvres du ministère en leur disant : " Ceignez vos reins, " c’est-à-dire, soyez toujours prêts à accomplir les oeuvres de votre Maître, " et ayez dans vos mains des lampes allumées, " c’est-à-dire ne passez pas votre vie dans les ténèbres, mais ayez toujours la lumière de la raison pour vous montrer ce qu’il faut faire et ce qu’il faut éviter. Le monde, en effet, est une nuit profonde ; avoir aux reins la ceinture, c’est être prêts pour la vie active et pratique. Telle est en effet la tenue des serviteurs, ils doivent avoir aussi des lampes allumées, c’est-à-dire le don de la discrétion, pour pouvoir distinguer dans la pratique, non seulement ce qu’il faut faire, mais comment il faut le faire ; autrement on s’expose à tomber dans le précipice de l’orgueil. Remarquez encore que Notre-Seigneur commande premièrement de ceindre les reins ; en second lieu, d’avoir des lampes allumées, parce que la contemplation qui est la lumière de l’âme, ne vient qu’après l’action. Appliquons-nous donc à pratiquer la vertu, de manière à ce que nous ayons toujours deux lampes allumées ; l’intelligence qui éclaire toujours notre âme, et la doctrine qui répand la lumière dans l’âme des autres. — S. Max. (Ch. des Pèr. gr.) Ou bien encore, il nous enseigne à porter toujours des lampes allumées, par notre application à la prière, à la contemplation, et par la charité. — S. Cyr. (du liv. de l’ador. en esprit.) Ou bien, l’action de ceindre ses reins est un symbole de l’empressement et de la résolution avec lesquelles nous devons supporter les maux de la vie par un motif d’amour de Dieu ; les lampes figurent la vive lumière que nous devons projeter, de manière à ne laisser personne vivre dans les ténèbres de l’ignorance. — S. Grég. (hom. 43 sur les Evang.) Ou bien dans un autre sens, nous ceignons nos reins, lorsque nous comprimons par la continence les passions de la chair, car la source de la luxure pour les hommes est dans les reins, et pour les femmes dans l’ombilic (cf. Jb 40, 11) ; c’est donc à cause du sexe le plus noble, que la luxure se trouve figurée par les reins. Mais comme il ne suffit pas de ne pas faire le mal, et qu’il faut encore s’appliquer de toutes ses forces à la pratique des bonnes oeuvres, le Sauveur ajoute : " Ayez dans vos mains des lampes allumées, " car nous tenons dans nos mains des lampes allumées, lorsque par nos bonnes oeuvres nous donnons au prochain des exemples éclatants de lumière. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 25.) Ou bien encore, il nous commande de ceindre nos reins, en ne nous laissant point aller à l’amour des choses du monde ; et d’avoir des lampes allumées, c’est-à-dire d’agir en cela pour une fin louable, et avec une intention droite.

S. Grég. (hom. 43 sur les Evang.) Si quelqu’un accomplit fidèlement ces deux commandements, il ne lui reste plus qu’à placer toute son espérance dans la venue du Rédempteur : " Soyez semblables, leur dit-il, à des hommes qui attendent que leur maître revienne des noces, " etc. Notre-Seigneur est parti pour des noces, parce qu’en montant aux cieux, son humanité renouvelée s’est uni la multitude des esprits célestes. — Théophyl. Tous les jours encore, il épouse les âmes des saints, que lui présente comme des vierges chastes saint Paul (2 Co 11, 2), ou tout autre de ses ministres. Il revient des noces qu’il a célébrées dans le ciel, soit quand à la fin du monde, il reviendra pour tous les hommes dans la gloire de son Père ; soit lorsqu’à chaque heure du temps présent, il revient inopinément pour la mort de chacun de nous. — S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Remarquez encore qu’il revient des noces comme d’une fête qui est l’état permanent de la divinité ; car rien ne peut attrister cette nature incorruptible. — S. Grég. de Nysse. (hom. 11 sur le Cant.) Ou bien encore, après qu’il eut terminé ses noces, épousé l’Église, et qu’il l’eut admise dans son lit mystérieux, les anges attendaient le retour de leur roi dans le séjour de sa béatitude naturelle. Or, nous devons rendre notre vie semblable à celle des anges ; et comme en vivant dans l’innocence ils sont toujours prêts à recevoir leur Maître à son retour, ainsi nous devons veiller nous-mêmes à l’entrée de sa maison, et nous préparer à lui obéir promptement lorsqu’il viendra frapper à la porte : " Afin, dit-il, que dès qu’il arrivera et frappera à la porte, ils lui ouvrent aussitôt. "

S. Grég. (hom. 13 sur les Evang.) Notre-Seigneur est de retour, lorsqu’il vient pour nous juger ; il frappe lorsque la gravité de la maladie nous avertit que la mort est proche ; nous lui ouvrons aussitôt, si nous le recevons avec amour ; car l’âme qui craint de sortir du corps, ne veut pas ouvrir au juge qui frappe à la porte, et elle redoute de paraître devant ce juge qu’elle se souvient d’avoir méprisé pendant sa vie ; mais celui à qui son espérance et ses oeuvres inspirent une humble confiance, ouvre à son juge aussitôt qu’il frappe, parce qu’en voyant le temps de sa mort approcher, il se réjouit de voir aussi approcher la gloire de la récompense. Aussi le Sauveur ajoute-t-il : " Heureux ces serviteurs, que le maître, à son retour, trouvera veillants. " Celui-là veille qui tient les yeux de son âme ouverts pour contempler la lumière véritable, qui conforme sa conduite à sa croyance, et repousse loin de lui les ténèbres de la tiédeur et de la négligence. — S. Grég. de Nysse. C’est pour nous faciliter la pratique de cette vigilance, que Notre-Seigneur nous avertit précédemment de ceindre nos reins, et d’avoir des lampes allumées ; car la lumière qui brille devant nos yeux en éloigne le sommeil, et la ceinture que nous mettons autour de nos reins, empêche le corps de dormir. Ainsi celui qui a la chasteté pour ceinture, et une conscience pure pour flambeau, ne se laisse jamais aller au sommeil.

S. Cyr. Si donc le Seigneur trouve à son retour ses serviteurs éveillés, la ceinture aux reins, et la lumière dans le coeur, il les proclamera bienheureux : " Je vous le dis en vérité, il se ceindra lui-même, " c’est-à-dire qu’il agira envers nous, comme nous aurons agi à son égard, en se ceignant les reins pour ceux qui se seront ainsi disposés à le recevoir. — Orig. (Ch. des Pèr. gr.) En effet, il aura pour ceinture autour de ses reins la justice, selon la prophétie d’Isaïe (Is 11.) — S. Grég. Il prend pour ceinture la justice, c’est-à-dire qu’il se prépare à rendre à chacun ce qui lui est dû. — Théophyl. Ou bien il se ceindra, dans ce sens qu’il ne versera pas toute l’abondance de ses biens, mais qu’il la retiendra dans une certaine mesure ; car qui pourrait contenir Dieu dans toute sa grandeur ? Aussi voyons-nous les séraphins se voiler la face devant l’éclat des splendeurs divines. (Is 6.) " Et il les fera mettre à table, " etc. De même qu’en s’asseyant, on fait reposer tout le corps ; ainsi lors du second avènement les saints jouiront d’un repos complet. Ici-bas, en effet, leur corps n’a pas eu de repos, mais alors leurs corps devenus spirituels et revêtus d’incorruptibilité, jouiront avec leurs âmes d’un repos parfait. S. Cyr. Il les fera mettre à table, pour réparer leurs forces épuisées, pour servir dés délices spirituelles, et dresser devant eux la table somptueuse et richement servie de ses grâces et de ses dons. — S. Denis (sur l’Epît. à Tit.) Cette action de se mettre à table, figure le repos après tous les travaux, une existence sans douleur, une vie divine dans la lumière et la région des vivants, avec toutes les saintes affections, et l’abondance de tous les dons, source d’une joie parfaite. Voilà ce que fera Jésus en les faisant asseoir à table, il les mettra en possession d’un repos éternel, et leur distribuera la multitude de ses dons : " Et passant de l’un à l’autre, il les servira. " Théophyl. Il leur rendra pour ainsi dire la pareille ; ils l’ont servi sur la terre, il les servira lui-même dans le ciel. — S. Grég. (hom. 13.) Il passe lorsqu’après le jugement, il retourne dans son royaume ; ou bien le Seigneur passe pour nous après le jugement, lorsqu’il nous élève de la vue de son. humanité jusqu’à la contemplation de sa divinité.

S. Cyr. Notre-Seigneur connaît le penchant de la fragilité humaine pour le péché ; mais comme il est bon, loin de nous laisser tomber dans le désespoir., il a pitié de notre faiblesse, et il nous donne la pénitence comme remède salutaire, c’est pour cela qu’il ajoute : " Et s’il vient à la seconde veille, et s’il vient à la troisième, " etc. Ceux qui font sentinelle la nuit sur les murailles des villes, pour observer les attaques des ennemis, partagent la nuit en trois ou quatre veilles. — S. Grég. (hom. 13.) La première veille est donc le premier âge de notre vie, c’est-à-dire l’enfance ; la seconde veille, c’est l’adolescence ou la jeunesse ; la troisième est la vieillesse. Que celui donc qui n’a pas été vigilant pendant la première veille, soit attentif à veiller pendant la seconde, et que celui qui a laissé passer la seconde veille, ne perde pas les ressources que lui offre la troisième ; et s’il a négligé de se convertir à Dieu dans son enfance, qu’il revienne à lui au moins dans sa jeunesse ou dans ses dernières années. — S. Cyr. Le Sauveur ne parle cependant pas de la première veille, parce que l’enfance est plutôt digne de pardon que de châtiment, mais pour le second et le troisième âge de la vie, ils doivent obéir à Dieu, et par la pratique des vertus, conformer leur vie à sa divine volonté. — Sévère d’Ant. On peut dire encore qu’à la première veille appartiennent ceux dont la vie est plus parfaite et qui occupent le premier rang, à la seconde, ceux dont la vertu est ordinaire ; à la troisième, ceux qui leur sont inférieurs, et ainsi de la quatrième et de la cinquième (si toutefois elle existe) ; car il y a divers degrés dans la vertu, et le juste rémunérateur rend à chacun suivant son mérite. — Théophyl. Ou bien encore, comme les veilles sont les heures de la nuit qui portent les hommes au sommeil, on peut dire qu’il y a dans notre vie certaines circonstances qui nous rendent heureux, si nous sommes vigilants et attentifs à en profiter. Ainsi on vous a dérobé vos biens, la mort vous a enlevé vos enfants, vous êtes injustement accusé ; si au milieu de ces épreuves vous ne faites rien qui soit contraire aux commandements de Dieu, il vous trouve attentifs à veiller dans la seconde et la troisième veille, c’est-à-dire dans ce temps plein de dangers où les âmes négligentes se laissent aller à un sommeil pernicieux,

S. Grég. (hom. 13 sur les Evang.) Or, pour secouer la tiédeur de notre âme, le Sauveur nous en fait voir les funestes effets par une comparaison prise des pertes extérieures que nous pouvons faire " Sachez que si le père de famille savait à quelle heure le voleur doit venir, il veillerait, " etc. — Théophyl. Il en est qui veulent que le voleur dont il est ici question, soit le démon ; la maison, notre âme, et le père de famille, l’homme ; mais cette explication ne paraît pas s’accorder avec la suite ; car l’avènement du Seigneur est comparé dans les Écritures à un voleur qui vient à l’improviste, comme dans ces paroles de l’Apôtre : " Le jour du Seigneur viendra comme un voleur pendant la nuit. " Aussi Notre-Seigneur ajoute : " Et vous aussi soyez donc prêts, parce qu’à l’heure que vous ne pensez pas, le Fils de l’homme viendra. " — S. Grég. (comme précéd.) Ou encore, le voleur force la maison à l’insu du père de famille, parce qu’en effet, tandis que l’âme endormie néglige de veiller sur elle-même, la mort vient à l’improviste forcer la maison de notre corps. Elle aurait pu résister à l’attaque du voleur, si elle eût été vigilante ; car en se mettant en garde contre l’arrivée du juge qui vient prendre en secret les âmes, elle eût été au devant de lui par le repentir, et ne serait point morte dans l’impénitence. Or, le Seigneur a voulu que notre dernière heure nous fût inconnue, afin que cette incertitude même fût pour nous un motif de nous y préparer sans cesse.

vv. 41-46.

Théophyl. Pierre à qui le Sauveur avait déjà confié le soin de l’Église (cf. Mt 16), agit comme s’il en avait déjà la responsabilité, et demande à son divin Maître si cette parabole s’adressait à tous : " Alors Pierre lui dit : Seigneur est-ce pour nous que vous dites cette parabole, ou pour tout le monde ? " — Bède. Dans ce qui précède, Notre-Seigneur avait donné deux avertissements distincts, qu’il viendrait à l’improviste et qu’ils devaient être toujours prêts à le recevoir. Or, il est difficile de dire, si Pierre a en vue ces deux vérités ou l’une des deux seulement, quand il fait cette question, et quels sont ceux qu’il met en opposition avec lui et avec ses compagnons quand il dit : " Est-ce pour nous que vous dites cette parabole, ou pour tout le monde ? " Les expressions nous et tous ne peuvent guère désigner que les Apôtres et les continuateurs de leur ministère, et le reste des fidèles, ou les chrétiens et les infidèles, ou ceux qui meurent successivement et un à un, et qui acceptent volontiers ou à contre coeur l’avènement de leur juge, et ceux qui seront encore vivants, lors du jugement universel. Or, il serait étrange que Pierre ait pu douter que nous devions tous vivre avec tempérance, piété et justice (Tt 2, 12), en attendant la félicité que nous espérons, ou que l’heure du jugement viendrait pour tous à l’improviste. Donc puisque ces deux choses lui étaient parfaitement connues, il faut nécessairement admettre que sa question a pour objet les choses qu’il ne savait pas, c’est-à-dire, si les préceptes sublimes d’une vie plus parfaite, comme de vendre ce qu’on possède, se faire des bourses qui ne s’usent pas, avoir les reins ceints et porter des lampes allumées, s’adressent aux Apôtres et à ceux qui remplissent le même ministère, ou à tous les chrétiens en général.

S. Cyr. Les âmes fortes sont faites pour ce qu’il y a de plus difficile et de plus élevé dans les commandements de Dieu, mais pour ceux qui n’ont point encore atteint ce haut degré de vertu, ils ne peuvent accomplir que des préceptes plus faciles. Aussi le Seigneur se sert d’une comparaison des plus claires, pour bien établir que les commandements qui précèdent s’adressent à ceux qu’il a élevés à la dignité de ses disciples : " Le Seigneur lui répondit Quel est à votre avis le dispensateur fidèle et prudent ? " etc. — S. Ambr. Ou bien dans un autre sens, les préceptes qu’il vient de donner, s’adressent à tous, mais celui qu’il donne par la comparaison suivante s’adresse spécialement aux dispensateurs, c’est-à-dire aux prêtres : " Et le Seigneur lui répondit : Quel est à votre avis le dispensateur fidèle et prudent que le maître a établi sur tous ses serviteurs, pour leur distribuer, dans le temps, leur mesure de froment ? " — Théophyl. La parabole précédente s’adressait à tous les fidèles, mais écoutez ce qui vous regarde particulièrement, vous qui êtes apôtres ou docteurs. Je demande donc où l’on pourra trouver un dispensateur qui réunisse tout à la fois la fidélité et la prudence. Dans l’administration des biens de la terre, l’imprudence même avec la fidélité, ou la prudence avec l’infidélité, amènent également la ruine de la fortune du maître ; il en est de même dans les choses divines qui demandent tout à la fois de la fidélité et de la prudence. J’ai connu un grand nombre de bons et fidèles serviteurs de Dieu, mais qui, incapables de traiter avec prudence les affaires ecclésiastiques, non seulement perdaient les biens de l’Église, mais encore les âmes elles-mêmes, en exerçant à l’égard des pécheurs un zèle indiscret, soit en leur imposant des pénitences exagérées, soit en ayant pour eux une douceur inopportune.

S. Chrys. (hom. 78, sur S. Matth.) Le Sauveur fait cette question, non pas qu’il ignore quel est le dispensateur fidèle et prudent, mais il veut nous faire entendre la rareté de la chose, et l’importance de cet emploi. — Théophyl. Tout dispensateur fidèle et prudent doit donc se mettre à la tête des serviteurs de son maître, pour leur donner dans le temps convenable la mesure de froment, c’est-à-dire l’enseignement de la doctrine qui est la nourriture des âmes, ou l’exemple des bonnes oeuvres pour être la règle de la vie. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 26.) Il dit : " La mesure de froment, " parce que la capacité varie suivant les auditeurs. — S. Isidor. (liv. 3, lett. 70 ; liv. 4, lett. 145.) Il ajoute : " Dans le temps, " parce qu’un bienfait qui ne vient pas en son temps, est rendu inutile, et perd le nom de bienfait ; de même que le pain est désirable pour celui qui a faim, tandis qu’il l’est très-peu pour celui qui est rassasié.

Quant à la récompense de ce dispensateur fidèle et prudent, la voici : " Heureux ce serviteur que le maître, lorsqu’il viendra, trouvera agissant ainsi. " — S. Bas. (Ch. des Pèr. gr.) Il ne dit pas qu’il trouvera agissant par hasard, mais " agissant ainsi ; " car il ne suffit pas de vaincre, il faut encore combattre suivant les règles : c’est-à-dire faire chacune de ses actions, comme Dieu nous l’ordonne. — S. Cyr. Si donc le serviteur fidèle et prudent distribue en son temps avec prudence aux serviteurs leur nourriture, c’est-à-dire les aliments spirituels, il sera heureux suivant la promesse du Sauveur, c’est-à-dire qu’il obtiendra un emploi supérieur, et recevra la récompense réservée aux amis. " Je vous le dis en vérité ; qu’il l’établira sur tous les biens qu’il possède. " — Bède. Il y a une grande différence de mérites entre les bons auditeurs et les bons docteurs, cette différence existera également dans les récompenses. Pour les premiers, s’il les trouve attentifs à veiller, il les fera mettre à table, mais pour les dispensateurs fidèles et prudents, il les établira sur tout ce qu’il possède, c’est-à-dire sur toutes les joies du royaume des cieux, non pas pour qu’ils en aient la possession exclusive, mais pour qu’ils en jouissent plus pleinement pendant l’éternité que les autres saints. — Théophyl. Ou bien, " il l’établira sur tous ses biens, " non seulement sur sa maison, mais il soumettra à son commandement les créatures du ciel et de la terre. Tel fut Josué fils de Nave (Si 46, 1 ; Jos 10, 12 ; 3 R 17, 2 ; 18, 24 ; Jc 5, 17.18), tel fut encore Élie, l’un commandant au soleil, l’autre aux nuées du ciel ; de même tous les saints usent des créatures comme des amis de Dieu. Tel est encore tout homme dont la vie est vertueuse, et qui gouverne sagement ses serviteurs, c’est-à-dire la colère et la concupiscence, et qui donne à chacun dans son temps la mesure de froment, à la colère, en tournant ses efforts contre les ennemis de Dieu ; à la concupiscence, en réglant sur la nécessité l’usage des choses extérieures, et en le rapportant à Dieu. Celui qui agira de la sorte, sera établi sur tous les biens que possède le Seigneur, et méritera de contempler toute vérité par l’oeil éclairé de son intelligence.

S. Chrys. (hom. 78 sur S. Matth.) Ce n’est pas seulement par la promesse de la récompense réservée aux bons, mais par la menace du châtiment qui attend les mauvais, que Notre-Seigneur excite à la vigilance ceux qui l’écoutent : " Que si ce serviteur dit en lui-même : Mon maître n’est pas près de venir, " etc. — Bède. Remarquez qu’au nombre des vices de ce mauvais serviteur, le Sauveur met la pensée où il était que son maître tarderait à venir, tandis qu’il ne met point au nombre des vertus du bon serviteur qu’il espérait le prompt retour de son maître, mais simplement qu’il a rempli fidèlement son devoir. Le mieux pour nous est donc de supporter patiemment l’ignorance où nous sommes de ce que nous ne pouvons savoir, et de nous appliquer seulement à être trouvés dignes de la récompense qui nous est préparée.

Théophyl. On se laisse aller à une multitude de fautes, parce qu’on ne pense pas à sa dernière heure ; car si nous avions toujours présent à l’esprit que le Seigneur doit venir, et que le terme de notre vie approche, nous commettrions moins facilement le péché. Voyez, en effet, la suite : " Et qu’il se mette à battre les serviteurs et les servantes, à manger, à boire et à s’enivrer. " — Bède. Dans la condamnation de ce mauvais serviteur, il faut voir celle de tous les mauvais supérieurs qui, sans crainte aucune de Dieu, non seulement mènent une vie criminelle, mais accablent de mauvais traitements ceux qui leur sont soumis. Dans le sens figuré, " frapper les serviteurs et les servantes, " peut signifier corrompre les âmes faibles par de mauvais exemples ; comme " manger, boire et s’enivrer, " signifie être esclave des séductions et des plaisirs coupables du monde, qui font perdre la raison à l’homme. Or, voici quelle sera la peine de ce mauvais serviteur : " Le maître de ce serviteur viendra au jour où il ne l’attend pas, et à l’heure qu’il ne sait point (c’est-à-dire à l’heure de la mort et du jugement), et il le divisera. " — S. Bas. (liv. sur l’Esprit saint, 16.) Le corps n’est pas divisé, en ce sens qu’une partie soit soumise au châtiment, tandis que l’autre partie en serait exempte ; car c’est une opinion fausse et contraire à toute justice, qu’une partie seulement du corps soit punie, quand le corps a péché tout entier. L’âme non plus ne sera pas divisée ; car elle est unie tout entière à la conscience coupable, et partage avec le corps la complicité du mal ; cette division n’est donc autre chose que l’éternelle séparation de l’âme avec l’Esprit saint. En effet, dans la vie présente, bien que la grâce de ce divin Esprit ne réside pas dans les âmes, qui en sont indignes, elle paraît cependant être près d’elles en quelque sorte, attendant la conversion qui doit les conduire au salut, mais alors cette grâce sera complètement retranchée de l’âme coupable. Le Saint-Esprit est donc tout à la fois la récompense des justes et la première condamnation des pécheurs, parce que les indignes en seront dépouillés à jamais. — Bède. Ou bien encore, il le divisera en le retranchant de la société des fidèles, et en le rangeant parmi ceux qui n’ont jamais eu la foi : " Et il lui donnera son lot parmi les serviteurs infidèles. " Car, dit l’Apôtre : " Si quelqu’un n’a pas soin des siens, et particulièrement de ceux de sa maison, il a renoncé à la foi, et il est pire qu’un infidèle. " (1 Tm 5, 8.) — Théophyl. Le dispensateur infidèle mérite en effet le sort des infidèles, puisqu’il n’a pas eu la véritable foi.

vv. 47-48.

Théophyl. Notre-Seigneur nous enseigne ici une vérité plus importante et plus terrible, non seulement le dispensateur infidèle sera dépouillé de la grâce qu’il avait reçue, et qui ne pourra lui faire éviter le supplice, mais la grandeur et l’élévation de sa dignité seront pour lui la cause d’une condamnation plus sévère : " Le serviteur qui a connu la volonté de son maître, et ne lui a point obéi, recevra un grand nombre de coups. " — S. Chrys. (hom. 27 sur S. Matth.) En effet, les mêmes actions ne seront pas soumises pour tous les hommes au même jugement, mais une connaissance plus parfaite deviendra la cause d’une punition plus, grande. — S. Cyr. (sur S. Jn liv. 6, chap. 10.) Ainsi l’homme qui a reçu une intelligence plus pénétrante, et a dégradé ses affections jusqu’à les traîner dans de honteux excès, n’aura aucun titre pour implorer la miséricorde divine, parce qu’il a commis un crime sans excuse en s’écartant par une malice réfléchie de la volonté de son maître, mais l’homme grossier et ignorant sera plus fondé à implorer le pardon de son juge ; car " celui qui n’a pas connu la volonté de son maître, et qui aura fait des choses dignes de châtiment, recevra moins de coups. " — Théophyl. A cette objection, que font quelques-uns : On punit justement celui qui, connaissant la volonté de son maître, ne l’a pas suivie ; mais pourquoi punir celui qui ne l’a pas connue ? nous répondons, parce qu’il aurait pu la connaître, s’il avait voulu, et que sa négligence a été l’unique cause de son ignorance.

S. Bas. (Rég. abrég., Quest. 267.) Mais s’il est vrai que l’un reçoive un plus grand nombre de coups, et l’autre un plus petit nombre, comment peut-on dire que les supplices de l’autre vie n’auront point tic fin ? Il faut donc entendre que ces paroles ont pour objet d’exprimer, non la durée ou la fin des supplices, mais leurs différents degrés. Un homme peut avoir mérité d’être condamné au feu qui ne s’éteint pas, mais qui est plus ou moins intense ; et au ver qui ne meurt pas, mais qui ronge et déchire avec plus ou moins de force. Théophyl. Il explique ensuite pourquoi le châtiment des docteurs et de ceux qui sont plus instruits sera plus sévère : " Car on demandera beaucoup à celui à qui l’on a beaucoup donné, et on exigera davantage de celui à qui on a confié beaucoup. " Dieu donne aux docteurs la grâce de faire des miracles, il leur confie le ministère de la parole et le pouvoir d’enseigner ; il ne dit pas qu’il demandera davantage, pour ce qu’il a donné, mais pour ce qu’il a confié comme un dépôt ; car la grâce du ministère de la parole demande un accroissement continuel, et on demandera au docteur plus qu’il n’a reçu, il ne doit donc jamais rester oisif, mais développer de jour en jour le talent de la parole qui lui a été confié. — Bède. Ou bien encore, souvent Dieu donne de plus grandes grâces à de simples fidèles, qui reçoivent la connaissance de sa volonté, et la grâce de mettre en pratique ce qu’ils connaissent. Mais il confie beaucoup à celui qui, avec le soin de son âme, est revêtu de la charge de paître le troupeau du Seigneur. Ceux donc qui ont reçu de plus grandes grâces, seront punis plus sévèrement s’ils viennent à pécher (Sg 6, 8.9). Pour ceux qui ne sont coupables d’autre péché que du péché originel, le châtiment sera des plus doux, et pour les autres qui ont ajouté à ce péché des fautes volontaires, leur punition sera d’autant moins sévère, que leurs fautes seront moins grandes.

vv. 49—53.

S. Ambr. C’est aux dispensateurs, c’est-à-dire aux prêtres, que Notre-Seigneur adresse les enseignements qui précèdent, et il leur apprend qu’un châtiment sévère les attend dans l’autre vie, si l’amour des plaisirs du monde les détourne de veiller sur la maison du Seigneur et de gouverner le peuple qui leur est confié. Cependant comme on fait peu de progrès quand on ne revient de ses égarements que par la crainte du châtiment, et qu’il vaut mieux devoir ce retour à la charité cl à l’amour de Dieu, le Sauveur cherche à enflammer ses disciples de cet amour de Dieu en leur disant : " Je suis venu jeter le feu sur la terre, " non pas ce feu qui dévore les bons, mais ce feu qui produit la bonne volonté, qui purifie et transforme les vases d’or de la maison du Seigneur, tandis qu’il consume l’herbe et la paille.

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr., ou comment. sur S. Luc.) Les saintes Écritures ont coutume de désigner par le feu les discours inspirés et divins. En effet, de même que ceux qui travaillent à l’épuration de l’or, le purifient par le feu de toutes ses souillures ; ainsi le Sauveur purifie par les enseignements de l’Évangile, par la vertu de l’Esprit saint l’intelligence de ceux qui croient en lui. C’est donc là le feu salutaire et utile qui embrase d’ardeur pour la vie de la piété les habitants de la terre froids, et comme éteints sous les glaces du péché. — S. Chrys. Cette terre dont parle le Sauveur, n’est pas celle que nous foulons aux pieds, mais celle que Dieu a formée de ses mains, c’est-à-dire l’homme à qui Dieu inspire un feu tout divin pour détruire ses péchés et renouveler son âme. — Tite de Bostr. Or, c’est du ciel que descend ce feu ; car s’il venait de la terre sur la terre, Notre-Seigneur ne dirait pas : " Je suis venu jeter le feu sur la terre. " — S. Cyr. Le Seigneur hâtait l’embrasement de ce feu, comme il le déclare : " Et que désire-je, sinon qu’il s’allume. " Quelques israélites avaient embrassé la foi, et les premiers avaient été ses fidèles disciples, mais ce feu une fois allumé dans la Judée, devait embraser tout l’univers, lorsque le mystère de sa passion serait consommé. C’est pour cela qu’il ajoute : " Je dois être baptisé d’un baptême, et combien je me sens pressé jusqu’à ce qu’il s’accomplisse. " En effet, avant l’auguste mystère de la croix, et la résurrection du Sauveur d’entré les morts, la Judée seule était témoin de ses prédications et de ses miracles ; mais après que dans l’excès de leur fureur, ils eurent mis à mort l’auteur de la vie, c’est alors qu’il ordonna à ses disciples d’aller enseigner toutes les nations. (Mt 28) — S. Grég. (hom. 12 sur les Evang.) Ou bien encore, le feu est jeté sur la terre, quand les ardeurs de l’Esprit saint embrasent une âme terrestre, consument en elle tous les désirs charnels, et l’enflamment d’un amour spirituel, qui lui fait déplorer le mal qu’elle a commis, c’est ainsi que la terre est embrasée lorsque ta conscience s’accuse elle-même, et que le coeur est comme consumé dans les douleurs de la pénitence. — Bède. Notre-Seigneur ajoute : " Je dois être baptisé d’un baptême, " c’est-à-dire je dois être d’abord comme inondé de mon propre sang avant d’embraser les coeurs des fidèles du feu de l’Esprit saint.

S. Ambr. La bonté du Sauveur pour nous est si grande, qu’il éprouve le besoin de nous attester le désir qu’il a de nous inspirer son divin amour, de nous conduire à la perfection, et de hâter le moment où il doit souffrir et verser son sang pour notre salut : " Et comme je me sens pressé jusqu’à ce qu’il s’accomplisse. " — Bède. Quelques manuscrits portent : Combien je suis dans l’angoisse, c’est-à-dire dans la tristesse. Notre-Seigneur n’avait rien en lui qui pût l’attrister, mais il s’attristait de nos misères, et cette tristesse qu’il montrait aux approches de sa mort, ne venait point de la crainte qu’il avait de mourir, mais du retard même de l’oeuvre de notre rédemption. En effet, puisqu’il était dans l’angoisse jusqu’à l’accomplissement de sa passion, il devait l’envisager sans inquiétude et sans trouble, et s’il manifeste quelque frayeur, elle ne vient point de la crainte de la. mort, mais d’un sentiment naturel à la faiblesse humaine, car dès lors qu’il s’est revêtu d’un corps semblable au nôtre, il a dû prendre sur lui toutes les infirmités du corps, la faim, l’anxiété, la tristesse ; mais la divinité reste immuable au milieu de ces affections. Il nous montre encore par ces paroles, que dans le combat qu’il eut à soutenir au temps de sa passion, la mort du corps mit un terme à ses angoisses, et ne fut point pour lui la cause d’un redoublement de douleur.

Bède. Il nous enseigne ensuite comment la terre doit s’embraser après le baptême de sa passion, après la venue de ce feu tout spirituel : " Pensez-vous que je sois venu apporter la paix sur la terre ? " etc. — S. Cyr. Que dites-vous, Seigneur ? Est-ce que vous n’êtes pas venu apporter la paix, vous qui êtes devenu notre paix (Ep 2), pacifiant par le sang que vous avez répandu sur la croix, tant ce qui est sur la terre, que ce qui est dans le ciel (Col 1), vous qui avez dit : " Je vous donne ma paix ? " Il est évident que la paix a ses avantages, mais elle devient quelquefois funeste, et nous sépare de l’amour de Dieu, lorsque, par exemple, elle nous fait vivre en intelligence avec ceux qui sont éloignés de Dieu ; et ce sont ces liaisons de la terre que le Sauveur nous enseigne à éviter. C’est pour cela qu’il ajoute : Car désormais cinq personnes dans une maison seront divisées, trois contre deux et deux contre trois, " etc. — S. Ambr. Quoique l’énumération qui suit, comprenne six personnes, le père et le fils, la mère et la fille, la belle-mère et la belle-fille, il n’y en a réellement que cinq, parce que la mère et la belle-mère peuvent être prises pour une seule et même personne ; car la mère du fils est naturellement la belle-mère de son épouse. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) C’est ici une prédiction de ce qui devait arriver. On vit, en effet, dans la même maison, des chrétiens que leur père voulait entraîner à l’apostasie, mais telle fut la puissance de la doctrine de Jésus-Christ, que les fils se séparaient de leurs pères, les filles de leurs mères, et les parents de leurs enfants. Les disciples fidèles de Jésus-Christ consentirent non seulement à sacrifier tous leurs biens, mais à endurer tous les genres de souffrance, pour conserver la foi qu’ils avaient embrassée. Si Jésus-Christ n’avait été qu’un homme, comment aurait-il pu entrer dans son esprit que les pères l’aimeraient plus qu’ils n’aimaient leurs enfants, que les enfants l’aimeraient plus que leurs pères, les époux plus que leurs épouses ? et cela non seulement dans une seule maison, dans cent familles, mais par toute la terre. Or, non seulement il a fait cette prédiction, mais il l’a réellement accomplie.

S. Ambr. Dans le sens mystique, cette maison c’est l’homme, nous lisons souvent que l’homme est composé de deux parties, de l’âme et du corps ; si ces deux parties sont d’accord entre elles, elles ne font plus qu’un. On distingue aussi trois parties dans l’âme, l’une raisonnable, l’autre concupiscible, et la troisième irascible ; c’est ainsi que deux sont divisés contre trois, et trois contre deux ; car à l’avènement de Jésus-Christ, l’homme qui, dans sa conduite, était dépourvu de raison, est devenu raisonnable nous étions charnels terrestres, Dieu a envoyé son Esprit dans nos coeurs (Ga 4), et nous sommes devenus des enfants spirituels. On peut encore dire qu’il y a dans cette maison cinq autres choses, l’odorat, le toucher, le goût, la vue et l’ouïe. Si donc, nous rendant dociles à ce que nous lisons ou à ce que nous entendons par les sens de la vue et de l’orne, nous renonçons aux plaisirs superflus du corps, dont les trois sens du goût, du tact et de l’odorat sont pour nous les instruments, nous en opposons deux à trois, en préservant notre âme de tomber dans les piéges de la volupté. Ou, si nous admettons que les cinq sens sont corporels, la division sera entre les vices et les péchés du corps. On peut encore voir ici le corps et l’âme qui est séparée de l’odorat, du tact et du goût des plaisirs sensuels ; car la raison, comme représentant le sexe le plus fort, aspire aussi à des sentiments plus nobles, tandis que le corps cherche à amollir la raison. Telle est donc la source des diverses passions ; mais dès que l’âme rentre en elle-même, elle renie ces enfants dégénérés, la chair elle-même gémit d’être ainsi enlacée dans les liassions auxquelles elle a donné naissance, comme dans les buissons du monde ; mais la volupté, comme la bru du corps et de l’âme, a épousé ces mouvements des passions mauvaises. Tant que la paix régnait dans cette maison par l’accord et la complicité des vices entre eux, on n’y voyait point de division ; mais dès que Jésus-Christ eut jeta sur la terre le feu qui devait consumer les péchés du coeur, ou qu’il eut apporté ce glaive qui pénètre au plus intime de l’âme, alors le corps et l’âme, renouvelés dans le mystère de la régénération, se séparent de leur malheureuse postérité ; et les pères sont ainsi divisés contre leurs fils, lorsque la passion de l’intempérance renonce à se satisfaire, et que l’âme refuse la complicité du consentement coupable. Les enfants sont aussi divisés contre leurs parents, alors que les hommes renouvelés rompent avec leurs anciennes habitudes criminelles, tandis que la volupté, avec la fougue du jeune âge, refuse de se soumettre aux règles de la piété, et semble se révolter contre le régime d’une maison trop sévère. — Bède. Ou bien encore, les trois représentent ceux qui croient à la Trinité ; les deux, ceux qui se sont séparés de l’unité de la foi. Le père, c’est le démon, dont nous étions les enfants en marchant sur ses traces ; mais lorsque ce feu du ciel fut descendu sur la terre, il nous sépara du démon, et nous montra un autre père qui est dans les cieux. La mère, c’est la synagogue ; la fille, c’est la primitive Église, qui a été persécutée dans sa foi par la synagogue qui lui avait donné le jour, et qui, forte de la vérité de sa foi, lutta elle-même contre la synagogue. La belle-mère, c’est encore la synagogue ; la bru, c’est l’Église qui vient des nations ; car Jésus-Christ, qui est l’époux de l’Église, est le Fils de la synagogue selon la chair. La synagogue se trouve donc divisée contre sa bru et contre sa fille, en persécutant les fidèles qui viennent de l’un et de l’autre peuple ; et celles-ci sont à leur tour divisées contre leur mère et leur belle-mère, en refusant de se soumettre à la circoncision de la chair.

vv. 54-57.

Théophyl. Ce que le Sauveur venait de dire de la prédication qu’il avait comparée à un glaive, pouvait jeter le trouble dans l’esprit dé ses auditeurs qui ne savaient pas le but de ces paroles. Aussi, ajoute-t-il, qu’ils devraient connaître son avènement, de même qu’ils connaissent les variations de l’atmosphère à certains signes particuliers : " Lorsque vous voyez un nuage se former au couchant, vous dites aussitôt : La pluie vient, et cela arrive ainsi. Et quand vous voyez que souffle le vent du midi, vous dites : Il fera chaud, et cela arrive ainsi. " Comme s’il leur disait : Mes paroles et mes oeuvres indiquent clairement que je suis en contradiction avec vous. Vous pouvez donc conjecturer que je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’orage et la tempête : car je suis la nuée, et je viens de l’occident, c’est-à-dire de la nature humaine qui depuis longtemps est enveloppée des ténèbres épaisses du péché. Je suis venu aussi apporter le feu, c’est-à-dire inspirer une grande chaleur ; car je suis le vent du midi, vent brûlant qui est opposé au froid glacial du nord. — Bède. Ou bien encore, ceux qui par les variations des éléments peuvent facilement conjecturer l’état de l’atmosphère pourraient aussi, s’ils le voulaient, connaître par les oracles des prophètes le temps de l’avènement du Seigneur. — S. Cyr. Car les mystères de Jésus-Christ se trouvent annoncés en mille endroits des prophètes. Ils devraient donc, s’ils étaient prudents, porter leurs regards vers les choses futures et ne pas ignorer les tempêtes qui doivent suivre la vie présente, car ce sera le temps du vent, de la pluie et du supplice du feu ; c’est le sens de ces paroles : " La pluie vient. " Ils auraient dû également connaître les jours de salut, c’est-à-dire l’avènement du Sauveur, qui a introduit dans le monde la religion parfaite ; ce que signifient ces paroles : " Vous dites : Il fera chaud. " Aussi leur fait-il ce reproche : " Hypocrites, vous savez reconnaître l’aspect du ciel et de la terre, comment donc ne reconnaissez-vous pas les temps où nous sommes ? "

S. Bas. (homél. 6 sur l’hexamer.) Remarquons que les pronostics que l’on tire des astres sont nécessaires aux hommes pourvu qu’ils ne soient pas exagérés. Il est utile en effet de connaître par avance les signes qui annoncent la pluie, les signes précurseurs des grandes chaleurs et des tempêtes soit particulières soit universelles, et de savoir si elles seront violentes ou modérées. Il n’est personne qui ne sache quelle utilité on peut retirer dans la vie de ces divers pronostics. Il importe eu effet au navigateur de prévoir les dangers des tempêtes, au voyageur les changements de temps, au laboureur les signes qui lui promettent une grande abondance de fruits.

Bède. Il pouvait s’en trouver dans la foule qui allégueraient leur ignorance des oracles prophétiques et s’excuseraient ainsi de ne pouvoir connaître les temps marqués ; le Sauveur leur ôte cette excuse en ajoutant : " Comment ne discernez-vous point par vous-même ce qui est juste ? " et il leur apprend ainsi que sans savoir les lettres humaines, leur sens naturel seul pouvait leur faire reconnaître que celui qui avait opéré des oeuvres que nul autre n’eût pu faire était au-dessus de l’homme et qu’il était Dieu, et qu’aux injustices du monde présent, succéderait un jour le juste jugement du Créateur. — Orig. (homél. 35 sur S. Luc.) Or si nous n’avions en nous-mêmes la faculté de discerner ce qui est juste, jamais le Sauveur n’eût parlé de la sorte.

 

vv. 58-59.

Théophyl. Notre-Seigneur vient de parler d’une guerre bonne et louable, il nous apprend maintenant qu’il y a une paix qui ne l’est pas moins : " Lorsque vous allez avec votre adversaire devant le magistrat, tâchez de vous dégager de lui en chemin, " etc. C’est-à-dire, lorsque votre adversaire vous traîne devant les tribunaux, tâchez, c’est-à-dire, faites tous vos efforts pour vous libérer envers lui. Ou bien encore, tâchez, c’est-à-dire si vous n’avez rien, empruntez pour vous acquitter envers lui, de peur qu’il ne vous fasse comparaître devant le juge. " De peur, ajoute-t-il, qu’il ne vous traîne devant le juge, et que le juge ne vous livre à l’exécuteur, et que l’exécuteur ne vous jette en prison. " — S. Cyr. Où vous aurez à souffrir jusqu’à ce que vous ayez payé la dernière obole : " Je vous le dis, vous ne sortirez pas de là que vous n’ayez payé jusqu’à la dernière obole. "

S. Chrys. (homél. 16 sur S. Matth.) Notre-Seigneur me paraît vouloir parler ici des juges de la terre, de la comparution devant leurs tribunaux, et des prisons de ce monde, car souvent ce sont ces comparaisons tirées des choses qui se passent sous leurs yeux qui ramènent au bien les hommes sans raison qui s’en sont écartés. Aussi ce n’est pas seulement par la perspective des biens et des maux à venir, mais par le spectacle des choses présentes que le Sauveur cherche à convertir, à cause de la grossièreté de ses auditeurs. — S. Ambr. On bien, notre adversaire est le démon qui sème sous nos pas les séductions du vice, afin de faire partager son supplice à ceux qui auront été les complices de son crime. Nôtre adversaire c’est encore notre mauvaise conscience, qui fait ici-bas notre tourment, et qui sera notre accusateur et notre condamnation dans l’autre : Faisons donc tout au monde pendant le voyage de cette vie pour nous délivrer de toute action coupable, comme d’un adversaire dangereux ; de peur qu’en allant avec cet adversaire devant le magistrat, il ne condamne en chemin nos égarements. Or, quel est ce magistrat, si ce n’est celui qui possède toute puissance ? Il livre le coupable au juge, à celui qui a reçu le pouvoir de juger les vivants et les morts, c’est-à-dire à Jésus-Christ qui mettra au grand jour tous les crimes secrets, et qui infligera le châtiment à toutes les oeuvres mauvaises. C’est lui-même qui livre le coupable à l’exécuteur, et le jette en prison : " Saisissez-vous de lui, dit-il, et jetez-le dans les ténèbres extérieurs. " (Mt 22.) Ses exécuteurs ce sont les anges, dont il est dit : " Les anges viendront et sépareront les mauvais du milieu des justes, et ils les jetteront dans la fournaise de feu. " Et il ajoute : " Je vous le dis, vous ne sortirez pas de là, que vous n’ayez payé jusqu’à la dernière obole. " De même que ceux qui acquittent une dette, ne cessent d’être débiteurs jusqu’à ce qu’ils aient payé intégralement toute la somme par quelque moyen que ce soit, de même la peine que au péché ne peut-être acquittée que par la charité, par les bonnes oeuvres et par la satisfaction.

Orig. (homél. 33.) On peut encore donner cette explication : Nous voyons ici quatre personnes, l’adversaire, le prince ou le magistrat, le juge et l’exécuteur ; saint Matthieu ne parle pas du prince, et remplace l’exécuteur par ce qu’il appelle ministre. Les deux évangélistes diffèrent encore en ce que saint Matthieu se sert du mot de denier, et saint Luc de celui d’obole ; tous deux disent " jusqu’au damier. " Or, nous lisons que tous les hommes ont deux anges près d’eux, un mauvais qui les excite au mal, un bon qui leur conseille le bien ; toutes les fois que nous succombons au péché, notre adversaire triomphe, parce qu’il sait qu’il a le droit de se glorifier devant le prince de ce monde qui l’a envoyé. Dans le texte grec, nous lisons l’adversaire avec l’article, ce qui désigne un adversaire spécial entre tous ; car chacun est sous la domination du prince qui commande à sa nation. Efforcez-vous donc de vous délivrer de votre adversaire, ou du prince devant lequel votre adversaire veut vous traîner, en cherchant à acquérir la sagesse, la justice, la force et la tempérance. Mais en faisant tous vos efforts, soyez uni à celui qui a dit : " Je suis la vie ; " (Jn 14), autrement votre adversaire vous traînera devant le juge. Il se sert de cette expression : " il vous traînera, " pour montrer qu’il force les coupables de venir entendre leur condamnation malgré toutes leurs résistances. Quant au juge qui doit livrer à l’exécuteur, je n’en connais pas d’autre que Notre-Seigneur Jésus-Christ. Nous avons tous nos exécuteurs, et ils ont pouvoir sur nous, lorsque nous sommes leurs débiteurs ; mais si je paie à tous mes créanciers ce que je leur dois, je me présente devant l’exécuteur et je lui réponds avec fermeté : " Je ne vous dois rien. " Mais si au contraire je suis débiteur, l’exécuteur me jettera en prison et ne m’en laissera sortir que lorsque j’aurai payé toute ma dette, car l’exécuteur n’a pas le droit de me faire grâce de la moindre obole. Celui que nous voyons remettre à l’un de ses débiteurs cinq cents deniers, à l’autre cinquante, (Lc 6) était le maître ; l’exécuteur au contraire n’est pas le maître, il est chargé par le maître d’exiger tout ce qui lui est dû. Il dit " Jusqu’à la dernière obole " pour signifier ce qu’il y a de moindre et de plus léger. Car les fautes que nous commettons sont graves ou légères ; bienheureux donc celui qui ne pèche point, heureux ensuite celui qui ne commet que des fautes légères. Mais dans les fautes même légères, il y a des degrés, autrement le Sauveur ne dirait pas : " Jusqu’à ce que vous ayez payé la dernière obole. " Ainsi celui dont les dettes sont minimes ne sortira pas qu’il n’ait payé jusqu’au dernier denier ; mais pour celui qui est chargé de dettes énormes, il lui faudra un nombre infini de siècles pour s’acquitter.

Bède. Ou bien encore, notre adversaire dans le chemin, c’est la parole de Dieu qui est en opposition avec nos désirs charnels dans la vie présente. Nous nous délivrons de cet adversaire en obéissant à ses préceptes : autrement il nous livrera au juge, car le mépris qu’on aura fait de la parole du Seigneur est un crime dont le pécheur rendra compte au tribunal du juge. Le juge le livrera à l’exécuteur, c’est-à-dire à l’esprit mauvais ; pour le punir, celui-ci le jettera en prison, c’est-à-dire dans l’enfer, c’est là que le pécheur souffrira éternellement sans pouvoir jamais acquitter ses dettes et obtenir son pardon ; il n’en sortira donc jamais, mais il sera condamné à des peines éternelles, avec le serpent redoutable, avec le démon.

CHAPITRE XIII

vv. 1-5

La Glose. (En termes équival.) Notre-Seigneur venait de parler du supplice qui est réservé aux pécheurs, lorsqu’on vient lui annoncer le châtiment infligé à des rebelles, exemple dont il se sert pour menacer les pécheurs d’une peine semblable : " En ce même temps, quelques-uns vinrent raconter à Jésus ce qui était arrivé aux Galiléens, dont Pilate avait mêlé le sang avec celui de leurs sacrifices. " — S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) C’étaient les sectateurs de Judas le Galiléen dont saint Luc fait mention dans les Actes des Apôtres (Ac 5), qui prétendaient qu’on ne devait donner à personne le nom de maître. Aussi plusieurs d’entre eux qui ne voulaient pas reconnaître l’autorité de César, furent punis par Pilate. Ils enseignaient encore qu’on ne devait offrir à Dieu d’autres victimes que celles qui avaient été prescrites par Moïse ; ils défendaient donc d’offrir les victimes présentées par le peuple pour le salut de l’empereur, et du peuple romain. Pilate indigné contre les Galiléens, ordonna de les mettre à mort au milieu même des sacrifices qu’ils offraient suivant les prescriptions de la loi, et mêla ainsi le sang des sacrificateurs au sang des victimes qu’ils immolaient. Or, comme la foule pensait qu’ils n’avaient souffert que ce qu’ils méritaient, parce qu’ils semaient la division dans le peuple, et indisposaient les princes contre leurs sujets, quelques-uns vinrent raconter ces faits au Sauveur pour savoir ce qu’il en pensait. Notre-Seigneur déclare que c’étaient des rebelles et des pécheurs, mais sans affirmer qu’ils étaient plus coupables que ceux qui avaient échappé à ce châtiment : " Il leur répondit : Pensez-vous que les Galiléens fussent plus pécheurs que tous les autres Galiléens, pour avoir été traités ainsi ? " etc.

S. Chrys. (Disc. 3, sur Lazare.) Dieu punit certains pécheurs, en mettant un terme à leur iniquité, en leur infligeant des peines légères, en les séparant complètement des autres, et en instruisant par l’exemple de leur châtiment ceux qui vivent dans le péché. Il ne punit pas tous les pécheurs ici-bas, il veut ainsi leur donner le moyen d’éviter par la pénitence les peines de cette vie, et les supplices de l’éternité ; mais s’ils persévèrent dans le mal, ils doivent s’attendre à un châtiment plus sévère. — Tite de Bostr. Le Sauveur nous apprend encore ici que toutes les sentences qui condamnent les coupables aux dernier supplice, ne sont pas seulement édictées par l’autorité des juges mais par la volonté de Dieu. Que le juge condamne suivant les règles de l’équité, ou pour tout autre motif, il faut voir dans le jugement qu’il prononce une permission de la divine justice.

S. Cyr. Notre-Seigneur veut donc détourner le peuple de toutes ces séditions intestines dont la religion était le prétexte, et il ajoute : " Si vous ne faites pénitence, (et si vous ne cessez de conspirer contre vos princes, ce qui est contraire à la volonté divine), vous périrez tous de la même manière, et votre sang sera mêlé au sang de vos victimes. " — S. Chrys. Il leur montre aussi par ces paroles que s’il a permis ce châtiment pour quelques-uns, c’est afin que la frayeur salutaire qu’il inspirerait à ceux qui survivraient, les rendît héritiers du royaume. Quoi donc, me direz-vous, Dieu en punit un autre pour me rendre meilleur ? Non pas précisément, il est puni pour ses propres crimes, mais son châtiment devient une occasion de salut pour ceux qui en sont témoins. — Bède. Mais comme les Juifs n’ont pas voulu faire pénitence, quarante ans après la passion du Sauveur, les Romains (figurés ici par Pilate qui était de leur nation), envahirent la Judée, et, commençant par la Galilée (où le Sauveur avait commencé le cours de ses divines prédications), ils détruisirent entièrement cette nation impie, et souillèrent de sang humain, non seulement les parvis du temple où on offrait les sacrifices, mais l’intérieur même des maisons.

S. Chrys. Dix-huit autres encore avaient été écrasés par la chute d’une tour, Notre-Seigneur en parle en ces termes : " De même ces dix-huit sur qui tomba la tour de Siloé, et qu’elle tua, pensez-vous qu’ils fussent plus redevables que tous les autres habitants de Jérusalem ? Non, je vous le dis. " En effet, Dieu ne punit pas ici-bas tous les pécheurs pour leur laisser le temps de se repentir, mais il ne les réserve pas non plus tous aux châtiments de l’autre vie, pour ne pas donner lieu de nier sa providence. — Tite de Bostr. Il oppose cette tour à toute la ville, afin que le malheureux sort de quelques-uns épouvante tous les autres, et c’est pour cela qu’il ajoute : " Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous de la même manière, " c’est-à-dire, toute la ville sera bientôt envahie, si ses habitants persévèrent dans l’infidélité.

S. Ambr. Dans le sens figuré, ceux dont Pilate mêla le sang avec leurs sacrifices, représentent ceux qui sous l’impulsion du démon offrent des sacrifices impurs, et dont la prière devient un nouveau péché, (comme il est écrit de Juda), qui au milieu même du sacrifice eucharistique songeait à vendre le sang du Seigneur. — Bède. Pilate (qui signifie la bouche du forgeron) est la figure du démon, toujours prêt à frapper et à répandre le sang ; le sang figure le péché, et les sacrifices représentent les bonnes oeuvres. Pilate mêle donc le sang des Galiléens avec leurs sacrifices, quand le démon cherche à souiller et à corrompre les aumônes et les autres bonnes oeuvres des fidèles, par les plaisirs sensuels, par le désir des louanges, ou par tout autre vice. Ces habitants de Jérusalem qui furent écrasés par la chute de cette tour, représentent les Juifs qui, pour n’avoir pas voulu faire pénitence, furent écrasés sous les ruines de leurs murailles. Et le nombre de dix-huit a ici une signification particulière, (ce nombre s’écrit en grec par les deux lettres I, et H, qui sont les premières du nom de Jésus. Ce nombre signifie donc que la cause première de la ruine des Juifs, c’est qu’ils n’ont pas voulu recevoir le nom de Jésus. Cette tour est la figure de celui qui est la tour de la force ; elle est située à Siloé qui veut dire envoyé, parce qu’elle représente celui qui a été envoyé par son père, qui est venu dans le monde, et qui écrasera tous ceux sur lesquels il tombera.

vv. 6-9.

Tite de Bostr. Les Juifs tiraient vanité de ce que dix-huit d’entre eux ayant péri, tous avaient été préservés, c’est pour cela que Notre-seigneur leur propose cette parabole du figuier : " Il leur dit encore cette parabole : Un homme avait un figuier planté dans sa vigne. " — S. Ambr. La vigne du Dieu des armées est celle qu’il a livrée au prise aux nations. La comparaison de la synagogue avec le figuier est on ne peut plus juste ; de même, en effet, que cet arbre se couvre de larges feuilles en abondance, et trompe l’espérance de son maître qui en attend inutilement beaucoup de fruits ; ainsi la synagogue avec ses docteurs stériles en oeuvres, et fiers de leurs paroles pompeuses qui ressemblent aux feuilles du figuier est toute couverte des ombres d’une loi infructueuse. Le figuier est encore le seul arbre qui tout d’abord produit des fruits au lieu des fleurs, dont les premiers fruits tombent pour faire place à d’autres, et qui conserve cependant une partie des premiers fruits. C’est ainsi que le premier peuple qui était sous l’autorité de la synagogue est tombé comme un fruit inutile, afin que le nouveau peuple qui a formé l’Église sortit de la sève abondante de l’ancienne religion. Cependant les premiers d’entre les Israélites qui avaient été produits par un rameau d’une nature plus vigoureuse, à l’ombre de la loi et de la croix, dans le sein de l’une et de l’autre, nourris et colorés par cette double sève, et semblables aux premières figues qui arrivent à la maturité, l’ont emporté sur les autres par la richesse des plus beaux fruits ; et c’est à eux qu’il est dit : " Vous serez assis sur douze trônes. " Il en est cependant qui voient dans ce figuier la figure non de la synagogue, mais de la malice et de la perversité ; leur interprétation ne diffère de la précédente qu’en ce qu’ils prennent le genre pour l’espèce.

Bède. Or, le Seigneur qui avait daigné naître et se manifester dans une chair sensible, avait par ses fréquents enseignements dans la synagogue cherché le fruit de la foi et ne l’avait pas trouvé dans le coeur des pharisiens : " Il vint pour y chercher du fruit, et il n’en trouva point. " — S. Ambr. Le Maître cherchait du fruit, non pas qu’il ignorât que le figuier n’en portait pas, mais pour montrer par cette figure, que la synagogue aurait dû produire des fruits. D’ailleurs la suite fait bien voir qu’il n’est pas venu avant le temps, lui qui est venu pendant trois années consécutives : " Et il dit au vigneron : Voici trois ans que je viens chercher du fruit à ce figuier, et je n’en trouve point. Il est venu aux jours d’Abraham, sous Moïse et au temps de Marie ; c’est-à-dire dans le signe de la circoncision (Gn 17, 11 ; Rm 4, 11), dans la loi, et dans la chair qu’il a prise du sein de Marie, et nous reconnaissons son avènement à ses bienfaits, d’un côté la purification, de l’autre la sanctification, de l’autre enfin la justification. La circoncision purifiait, la loi sanctifiait, la grâce a justifié. Le peuple juif n’a donc pu ni être purifié, parce qu’il n’avait que la circoncision extérieure sans avoir la circoncision de l’esprit ; ni être sanctifié, parce qu’il ignorait la vertu de la loi, et qu’il était bien plus fidèle aux formalités extérieures qu’aux prescriptions spirituelles ; ni être justifié, parce que ne faisant aucune pénitence de ses péchés, il ne connaissait pas la grâce de Dieu. Il était donc impossible de trouver des fruits dans la synagogue, aussi commande-t-il, qu’elle soit retranchée : " Coupez-le donc, pourquoi occupe-t-il encore la terre ? " Cependant le bon vigneron, (peut-être celui sur lequel a été bâtie l’Église), présageant qu’un autre irait évangéliser les Gentils, tandis que lui-même serait envoyé au peuple de la circoncision, intervient dans un sentiment de charité chrétienne pour prier qu’il ne soit point coupé, parce qu’il puise dans sa vocation la confiance que le peuple juif pourra aussi être sauvé par l’Eglise : " Le vigneron lui répondit : Seigneur, laissez-le encore cette année. " Il reconnut aussitôt que c’était la dureté et l’orgueil des Juifs qui étaient la cause de leur stérilité. Il sait donc comment il faut les cultiver, parce qu’il sait les reprendre de leurs vices : " Je creuserai tout autour. " Il promet de labourer profondément leurs coeurs si durs avec la bêche apostolique, afin que la racine de la sagesse ne soit ni étouffée ni cachée sous un amas de terre : " Et je mettrai du fumier, " c’est-à-dire le sentiment de l’humilité qui peut faire produire aux Juifs eux-mêmes des fruits dignes de l’Évangile de Jésus-Christ. Aussi ajoute-t-il : " Alors s’il porte du fruit, à la bonne heure, (c’est-à-dire ce sera bien), sinon vous le couperez. " — Bède. C’est ce qui s’accomplit, lorsque les Romains détruisirent la nation juive, et la chassèrent de la terre promise.

S. Aug. (serm. 23, sur les par. du Seig.) Ou bien encore, ce figuier c’est le genre humain ; car lorsque le premier homme eut péché, il prit des feuilles de figuier pour couvrir sa nudité, c’est-à-dire les membres dont nous sommes nés. — Théophyl. Chacun de nous est encore ce figuier planté dans la vigne de Dieu, c’est-à-dire dans l’Église de Dieu ou dans ce monde. — S. Grég. (hom. 31, sur les Evang.) Le Seigneur est venu trois fois à ce figuier, parce qu’il a cherché le fruit que produirait le genre humain avant la loi, sous la loi, et sous la grâce, (en l’attendant, en l’avertissant, en le visitant). Et cependant il se plaint de ce que pendant trois années consécutives, il n’a point trouvé de fruit, parce que certains esprits dépravés n’ont pu être corrigés par la loi naturelle gravée dans leurs coeurs, ni instruits par les préceptes de la loi, ni convertis par les miracles de l’incarnation. — Théophyl. Par trois fois notre nature a refusé de donner le fruit qui lui est demandé ; dans le paradis lorsque dans la personne de nos premiers parents nous avons désobéi au commandement de Dieu, en second lieu, lorsque les Israélites adorèrent le veau d’or qu’ils avaient fabriqué (Ex 32), troisièmement, lorsqu’ils renièrent le Sauveur. Ces trois ans peuvent encore figurer les trois âges de la vie ; l’enfance, la virilité et la vieillesse.

S. Grég. (hom. 31 sur les Evang.) C’est avec un grand sentiment de crainte qu’il faut entendre ces paroles : " Coupez-le, pourquoi occupe-t-il inutilement la terre ? " Tout homme, en effet, à sa manière, et en tant qu’il tient une place dans cette vie, occupe inutilement la terre comme un arbre infructueux, s’il ne peut présenter les fruits de ses bonnes oeuvres ; parce qu’en effet, dans la place qu’il occupe, il est un obstacle au bien que d’autres pourraient produire.

S. Bas. (serm. 8 sur la pénit.) C’est le propre de la divine miséricorde, de ne pas infliger de punitions sans avertir, mais de faire toujours précéder les menaces, pour rappeler à la pénitence. C’est ainsi qu’il avait fait pour les Ninivites, et qu’il fait encore ici en disant au vigneron : " Coupez-le ; " il le presse par là d’en prendre soin, et il excite cette âme stérile à produire les fruits qu’il a droit d’exiger d’elle. — S. Grég. de Nazianze. (disc. 26 sur la modération qu’il faut garder dans les discussions.) Ne soyons donc pas nous-mêmes trop prompts à frapper, faisons prévaloir la miséricorde ; ne coupons pas le figuier qui peut encore faire du fruit, et qui peut être guéri de sa stérilité par les soins d’un habile jardinier : " Le vigneron lui répondit : Seigneur, laissez-le encore cette année, " etc.

S. Grég. (hom. 31 sur les Evang.) Le cultivateur de la vigne représente l’ordre des supérieurs qui sont placés à la tête de l’Église, pour prendre soin de la vigne du Seigneur. — Théophyl. Ou bien le père de famille, c’est Dieu le Père ; le cultivateur, c’est Jésus-Christ qui ne permet pas que l’on coupe le figuier stérile, et qui semble dire à son Père : Ni la loi, ni les prophètes n’ont pu leur faire produire des fruits de pénitence, cependant je les arroserai de mes souffrances et de mes enseignements, peut-être alors ils produiront des fruits d’obéissance.

S. Aug. (serm. 31 sur les par. du Seig.) Ou bien encore, le cultivateur qui intercède, c’est toute âme sainte qui, dans le sein de l’Église, prie pour ceux qui sont hors de l’Église en disant à Dieu : " Seigneur, laissez-le encore cette année (c’est-à-dire dans ce temps de grâce), jusqu’à ce que je creuse tout autour. " Creuser autour, c’est enseigner l’humilité et la patience, car une terre creusée est déprimée ; le fumier (il faut l’entendre dans un bon sens), c’est de l’ordure, mais il aide à produire des fruits. Le fumier du cultivateur, c’est la douleur du pécheur. Ceux qui font pénitence, paraissent sous des dehors négligés, et agissent en cela selon la vérité. — S. Grég. (hom. 31.) Ou bien encore, ce sont les péchés de la chair qui sont appelés du fumier, ainsi c’est du fumier qu’il tire sa vie et sa fécondité, parce que c’est la considération du péché qui ressuscite l’âme à la vie des bonnes oeuvres. Mais la plupart entendent ces menaces, et refusent cependant de faire pénitence, c’est pour cela que le cultivateur ajoute : " S’il porte du fruit, à la bonne heure. " — S. Aug. (comme précéd.) " Sinon, vous le couperez, " c’est-à-dire lorsque vous viendrez au jour du jugement pour juger les vivants et les morts, jusque-là, le figuier est épargné. — S. Grég. (hom. 31.) Celui donc qui ne veut pas écouter ces menaces pour revenir à la vie et à la fécondité, tombe dans un état dont il lui est impossible de se relever par la pénitence.

vv. 10-17.

S. Ambr. Notre-Seigneur ne tarde pas à prouver ce qu’il vient de dire de la synagogue, et il fait voir qu’il est venu jusqu’à elle, en la choisissant pour lui faire entendre ses divins enseignements : " Or, Jésus enseignait dans leurs synagogues les jours de sabbat. " — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Ce n’est pas en secret qu’il enseigne, mais en public dans les synagogues avec fermeté, sans hésitation et sans rien dire contre la loi de Moïse. Il choisit le jour du sabbat, parce que les Juifs s’appliquaient ce jour-là à l’étude de la loi.

S. Cyr. C’est pour triompher de la corruption de la mort et de l’envie du démon, que le Verbe s’est incarné, les faits évangéliques nous en donnent la preuve : " Et voici qu’une femme, qui avait un esprit d’infirmité depuis dix-huit ans, " etc. L’Évangéliste dit : " Un esprit d’infirmité, " parce que les souffrances de cette femme venaient de la cruauté du démon ; abandonnée qu’elle était de Dieu pour ses propres fautes, ou à cause de la transgression d’Adam qui a soumis le corps de l’homme aux infirmités et à la mort. Or, Dieu donne au démon ce pouvoir, afin que les hommes, accablés sous le poids de l’adversité, éprouvent le désir de s’élever à une condition meilleure. Saint Luc nous fait ensuite connaître quelle était l’infirmité de cette femme : " Elle était courbée et ne pouvait aucunement regarder en haut. " — S. Bas. (hom. 9 sur l’hexam.) Les animaux ont la tête inclinée vers la terre et ne regardent que les choses de la terre, tandis que la tête de l’homme est tournée vers le firmament, et ses yeux contemplent le ciel ; car il est appelé à chercher les choses du ciel et à porter ses regards au-dessus de la terre.

S. Cyr. Le Sauveur, pour montrer que sa venue dans le monde était le remède de toutes les infirmités humaines, guérit cette femme : " Jésus la voyant, l’appela et lui dit : Femme, vous êtes délivrée de votre infirmité, " paroles dignes de Dieu, pleines d’une majesté toute puissante, qui met en fuite la maladie par un seul acte de sa volonté souveraine. Il lui impose aussi les mains : " Et il lui imposa les mains, et aussitôt elle se redressa, et elle glorifiait Dieu. " Il faut se rappeler ici que la chair sacrée du Sauveur était revêtue d’une puissance toute divine ; car c’était la chair de Dieu lui-même, et non d’une autre personne, par exemple, du Fils de l’homme qui aurait existé séparément du Fils de Dieu, comme quelques-uns ont osé le soutenir. Mais le chef de cette ingrate synagogue, à la vue de cette femme qui était courbée jusqu’à terre, et que le Sauveur venait de redresser en lui imposant seulement les mains, est comme enflammé d’envie contre la gloire du Seigneur, et condamne hautement cette guérison miraculeuse en se couvrant d’un zèle apparent pour le sabbat : " Mais le chef de la synagogue, s’indignant que Jésus eût guéri un jour de sabbat, dit au peuple : Il y a six jours pendant lesquels on doit travailler, venez donc ces jours-là pour vous faire guérir, et non le jour du sabbat. " Il les engage à choisir les autres jours où ils sont tous dispersés et occupés chacun de leurs travaux, et non le jour du sabbat, pour voir et admirer les miracles du Seigneur, dans la crainte qu’ils ne croient en lui. Mais dites-moi : La loi défend toute oeuvre manuelle le jour du sabbat, défend-elle aussi celles qui se font par une simple parole, et par la bouche ? Cessez donc alors de manger, de boire, de parler et de chanter les psaumes le jour du sabbat. Et si vous ne lisez même pas la loi ce jour-là, à quoi vous sert le sabbat ? Admettons que la loi a défendu toute oeuvre manuelle, est-ce donc une oeuvre manuelle que de redresser d’une seule parole cette femme courbée jusqu’à terre ?

S. Ambr. D’ailleurs, Dieu s’est reposé des oeuvres de la création du monde, mais non pas de ces oeuvres saintes et divines qu’il ne cesse d’opérer, selon cette parole de son Fils : " Mon Père ne cesse point d’agir jusqu’à présent, et j’agis aussi, " nous enseignant ainsi à imiter Dieu, en nous abstenant des oeuvres terrestres, mais non des oeuvres de religion. Aussi, Notre-Seigneur répond-il directement au chef de la synagogue : " Hypocrites, chacun de vous ne délie-t-il pas son boeuf ou son âne de la crèche le jour du sabbat pour les mener boire ? "

S. Bas. (Homél 1 sur le jeûne.) On appelle hypocrite celui qui joue sur un théâtre le rôle d’une personne étrangère, c’est ainsi que dans cette vie, quelques-uns ont dans le coeur des sentiments tout différents de ceux qu’ils affichent à l’extérieur devant les hommes. — S. Chrys. C’est donc, à juste titre, qu’il traite d’hypocrite le chef de la synagogue, qui sous l’apparence d’un zélé défenseur de la loi, cachait le coeur d’un homme fourbe et envieux, car ce qui l’émeut ce n’est point la violation du sabbat, mais la gloire que tous rendent à Jésus-Christ. Remarquez cependant que lorsqu’il s’agit d’un travail quelconque (comme lorsqu’il commanda au paralytique d’emporter son lit), il puise ses raisons plus haut, et fait appel à la dignité de son Père par ces paroles : " Mon Père ne cesse point d’agir jusqu’à présent, et j’agis aussi. " (Jn 5.) Ici, au contraire, où il fait tout par sa seule parole, il se contente d’invoquer leur propre conduite pour répondre à leur accusation.

S. Cyr. Le chef de la synagogue est traité d’hypocrite, parce qu’il délie ses animaux le jour du sabbat pour les faire boire, tandis que pour cette femme, fille d’Abraham, autant par la foi que par le sang, il ne croit pas qu’on doive briser les liens de son infirmité : " Et cette fille d’Abraham, lui dit le Sauveur, que Satan a tenue liée pendant dix-huit ans, il ne fallait pas rompre son lien le jour du sabbat ? " Peu leur importe que cette femme reste toujours courbée vers la terre comme les animaux, plutôt que de reprendre la posture qui convient à la créature raisonnable, pourvu qu’il ne revienne aucune gloire à Jésus-Christ ; ils ne pouvaient d’ailleurs rien lui répondre, et ils étaient à eux-mêmes leur inévitable condamnation. Aussi, ajoute l’Évangéliste : " Pendant qu’il parlait ainsi, tous ses adversaires étaient couverts de confusion ; le peuple, au contraire, qui recueillait les avantages de ces miracles, faisait publiquement éclater sa joie : " Et tout le peuple était ravi des choses merveilleuses qu’il faisait. " L’éclat de ces prodiges tranchait toute difficulté pour des esprits qui cherchaient la vérité avec une intention droite.

S. Grég. (hom. 31 sur les Evang.) Dans le sens figuré, le figuier stérile et cette femme courbée vers la terre, ont la même signification. En effet, la nature humaine, précipitée dans le péché par sa volonté, a perdu son premier état de droiture en refusant de produire les fruits de l’obéissance ; et le figuier qu’on réserve, signifie également la même chose que cette femme qui est redressée par le Sauveur. — S. Ambr. Ou bien encore, le figuier représente la synagogue ; enfin, cette femme infirme est comme le figuier de l’Église, qui, après avoir épuisé le temps de la loi et de la résurrection, sera élevée au faite des grandeurs dans un repos éternel, et ne pourra plus être courbée sous le poids de nos misères. Cette femme ne pouvait être guérie que par l’accomplissement des préceptes de la loi et de la grâce, car la perfection résulte de l’observation des dix commandements de la loi, et le nombre huit exprime le plein accomplissement des préceptes du temps de la résurrection. — S. Grég. (hom. 31.) Ou bien dans un autre sens : l’homme a été fait le sixième jour, et ce sixième jour, toutes les oeuvres de Dieu étaient achevées : or, le nombre six multiplié par trois, fait dix-huit ; cette femme qui fut courbée pendant dix-huit ans, représente donc l’homme qui créé le sixième jour, n’a pas voulu produire des oeuvres parfaites, et qui est resté dans un état d’infirmité avant la loi, sous la loi et au commencement du règne de la grâce.

S. Aug. (serm. 31 sur les par. du Seign.) Les trois années, pendant lesquelles le figuier est resté stérile, ont donc la même signification que les dix-huit ans d’infirmité de cette femme, car trois fois six font dix-huit. Elle était courbée et ne pouvait regarder en haut, parce qu’elle était incapable d’entendre ces paroles : " Élevez vos coeurs en haut. " — S. Grég. (hom. 31.) En effet, tout pécheur qui ne pense qu’aux choses de la terre et oublie les choses du ciel, est incapable de regarder en haut, parce qu’en suivant les désirs de la nature dégradée, il perd la droiture première de son âme, et ne voit plus que ce qui fait l’objet habituel de ses pensées. Notre-Seigneur appelle cette femme et la redresse, c’est-à-dire, qu’il l’éclaire de sa lumière et l’aide de sa grâce. Il appelle quelquefois, mais sans redresser. En effet, il arrive quelquefois que la grâce nous éclaire suffisamment pour nous montrer ce que nous devons faire, et cependant par notre faute, nous négligeons de le faire, car une faute qui devient habituelle est comme un lien pour l’âme qui l’empêche de reprendre sa droiture première, elle s’efforce et retombe toujours comme malgré elle dans l’état où elle a longtemps vécu volontairement.

S. Ambr. Cette oeuvre miraculeuse est donc le symbole du sabbat éternel, lorsqu’après avoir tous passé sous le régime de ta loi et de la grâce, nous serons délivrés par la miséricorde de Dieu de toutes les misères de la fragilité corporelle. Mais pourquoi le Sauveur ne parle-t-il pas d’autre animal que du boeuf et de l’âne, si ce n’est pour montrer que le peuple juif et celui des gentils seraient un jour délivrés de la soif du corps et des ardeurs de ce monde, qu’ils éteindraient dans les sources abondantes du Seigneur, et que la vocation de ces deux peuples assurerait le salut de l’Église ? — Bède. Toute âme fidèle est cette fille d’Abraham, ou l’Église formée des deux peuples et réunie par une seule et même foi. Dans le sens figuré, délier son boeuf ou son âne de leur crèche pour les mener boire, c’est rompre les liens de nos inclinations qui retenaient captive cette fille d’Abraham.

vv. 18-21.

La Glose. (en termes équivalents.) Après avoir couvert ses ennemis de confusion et comblé le peuple de joie par, les oeuvres glorieuses qu’il opérait, Jésus leur découvre le progrès de l’Évangile sous le voile de plusieurs paraboles : " Il disait encore : A quoi est semblable le royaume de Dieu, et à quoi le comparerai-je ? Il est semblable à un grain de sénevé, " etc. — S. Ambr. Dans un autre endroit, le grain de sénevé est comparé à la foi (Mt 17, 19). Si donc le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé, et que la foi elle-même soit figurée par ce grain de sénevé, la foi est donc le royaume des cieux qui est au dedans de nous (Lc 17). Le grain de sénevé est très-commun et sans beaucoup de valeur, mais aussitôt qu’il est broyé il répand sa force ; ainsi la foi elle-même paraît au premier abord sans valeur, mais si elle est aussi broyée par les souffrances, elle répand la grâce de sa force. Les martyrs sont des grains de sénevé, ils avaient en eux-mêmes le parfum odoriférant de la foi, mais elle était cachée. La persécution est venue, ils ont été brisés par le glaive et ont répandu jusqu’aux extrémités du monde la semence de leur martyre. Notre-Seigneur lui-même est un grain de sénevé. Il a voulu être broyé, afin que nous puissions dire : " Nous sommes la bonne odeur de Jésus-Christ. " (2 Co 2.) Il a voulu être semé comme le grain de sénevé, qu’un homme prend et sème dans son jardin, car c’est dans un jardin que Jésus-Christ a été fait prisonnier et qu’il a été enseveli ; c’est là aussi qu’il est ressuscité et qu’il est devenu un grand arbre, comme il le dit lui-même : " Il crût et devint un grand arbre. " Notre-Seigneur, en effet, est le grain de sénevé lorsqu’il est enseveli dans la terre, mais il devient un grand arbre lorsqu’il s’élève dans les cieux. Il est aussi cet arbre qui couvre le monde de son ombrage : " Et les oiseaux du ciel se reposèrent dans ses rameaux, " c’est-à-dire, les puissances des cieux, et tous ceux qui, par leurs oeuvres spirituelles, ont le privilège de prendre leur essor au-dessus de la terre, Pierre et Paul sont les rameaux de cet arbre, et nous qui étions loin (Ep 2, 13), nous nous envolons sur les ailes des vertus dans les retraites cachées de ces branches à travers les profondeurs des controverses. Semez donc Jésus-Christ dans votre jardin, un jardin est un lieu parsemé de fleurs ; que vos oeuvres soient donc les fleurs de ce jardin, et qu’elles y exhalent les parfums variés des vertus chrétiennes. Jésus-Christ se trouve là où la semence produit des fruits.

S. Cyr. Ou bien encore, le royaume de Dieu, c’est l’Évangile qui nous donne le droit d’aspirer à régner un jour avec Jésus-Christ. Le grain de sénevé est plus petit que toutes les autres semences, mais il prend ensuite de si grands développements qu’il reçoit sous ses ombrages une multitude d’oiseaux ; ainsi la doctrine du salut peu répandue dans le commencement, a pris ensuite les plus grands accroissements.

Bède. Cet homme, dont il est ici parlé, c’est Jésus-Christ, le jardin, c’est l’Église, qui doit être cultivée par ses enseignements. Cet homme a reçu cette semence, dit le Sauveur, parce qu’il a reçu avec nous comme homme les dons dont il est avec son Père la source en tant que Dieu. La prédication de l’Évangile, répandue par tout l’univers, a pris successivement des développements prodigieux, elle se développe aussi progressivement dans l’âme de chaque fidèle, car personne n’arrive tout d’un coup à la perfection, mais il croit et s’élève, non pas comme les plantes qui se dessèchent si vite, mais à la manière des arbres. Les rameaux de cet arbre sont les divers dogmes dans lesquels les âmes chastes, prenant leur essor sur les ailes des vertus, viennent faire leur nid et trouver un doux lieu de repos.

Théophyl. Ou bien encore, tout homme qui prend ce grain de sénevé, c’est-à-dire, la doctrine de l’Évangile, et la sème dans le jardin de son âme, produit un grand arbre qui étend ses rameaux, et les oiseaux du ciel, c’est-à-dire, ceux qui s’élèvent au-dessus des choses de la terre, viennent se reposer dans ses branches, c’est-à-dire, dans les magnifiques développements des vérités chrétiennes. C’est ainsi que Paul reçut les premières leçons d’Ananie comme un grain de senevé (Ac 9), mais il le sema dans le jardin de son âme, et lui fit produire de nombreux et utiles enseignements où viennent habiter ceux qui ont l’intelligence élevée, comme Denis, Hiérothée, et beaucoup d’autres.

Notre-Seigneur compare ensuite le royaume de Dieu au levain : " Et il dit encore : A quoi comparerai-je le royaume de Dieu ? il est semblable à du levain qu’une femme prend, " etc. — S. Ambr. D’après le plus grand nombre des interprètes, ce levain est la figure de Jésus-Christ, parce que de même que le levain qui est un composé de farine, est supérieur à cette matière première, non par sa nature, mais par la force dont il est doué ; ainsi Jésus-Christ, par sa nature corporelle, était égal à ses ancêtres, mais leur était incomparablement supérieur par la dignité. Nous avons donc une figure de l’Église dans cette femme, dont il est dit " Qu’une femme prend, et mêle dans trois setiers de farine, jusqu’à ce que le tout soit fermenté. " — Bède. Le setier est une mesure en usage dans la Palestine et qui contient un boisseau et demi. — S. Ambr. C’est nous qui sommes la farine de cette femme, qui dépose Notre-Seigneur Jésus-Christ dans l’intérieur de notre âme, jusqu’à ce que la chaleur de la sagesse céleste anime et soulève les sentiments les plus intimes de notre coeur. Comme ce levain se trouve ici mêlé dans trois mesures de farine, on a été conduit à y voir le Fils de Dieu caché dans la loi, voilé dans les prophètes et accompli dans la prédication évangélique ; cependant j’aime mieux suivre le sentiment indiqué par Notre-Seigneur lui-même, que ce levain est la doctrine spirituelle de l’Eglise. Lorsque l’homme a pris une nouvelle naissance dans son corps, dans son âme et dans son esprit, l’Église le sanctifie par le levain spirituel, quand ces trois facultés sont unies ensemble par une certaine égalité de désirs, et qu’elles aspirent ensemble aux mêmes jouissances. Si donc ces trois mesures demeurent unies au levain en cette vie, jusqu’à ce qu’elles fermentent et ne fassent plus qu’un, cette union sera un jour suivie par ceux qui aiment Jésus-Christ d’une communion éternelle et incorruptible. — Théophyl. Dans cette femme, on peut encore voir l’âme humaine, et dans les trois mesures les trois parties, la partie raisonnable, la partie irascible et la partie concupiscible. Si donc un chrétien dépose et cache le Verbe de Dieu dans ces trois mesures, elles ne formeront plus qu’un seul tout spirituel, de manière que la raison ne soit plus en opposition avec les divins enseignements) que la colère et la concupiscence ne s’emportent plus à aucun excès, mais se conforment à la parole du Verbe. — S. Aug. (serm. 32 sur les par. du Seign.) Ou bien encore, ces trois mesures de farine figurent le genre humain, qui a été reproduit par les trois enfants de Noé, et la femme qui mêle et cache le levain, c’est la sagesse de Dieu. — Eusèbe. (Ch. des Pèr. gr.) Ou bien dans un autre sens, le levain c’est l’Esprit saint, qui est comme la vertu qui procède de son principe, c’est-à-dire du Verbe de Dieu ; les trois mesures de farine signifient la connaissance du Père, du Fils et du Saint-Esprit, que donne cette femme, c’est-à-dire, la divine sagesse et l’Esprit saint. — Bède. Ou bien encore, ce levain c’est l’amour de Dieu, qui fait fermenter et soulève l’âme. Cette femme, c’est-à-dire, l’Église, mêle donc le levain de l’amour de Dieu dans trois mesures, parce qu’elle nous ordonne d’aimer Dieu de tout notre coeur, de toute notre âme, de toutes nos forces, et cela jusqu’à ce que le tout ait fermenté, c’est-à-dire, jusqu’à ce que la charité ait opéré dans l’âme une parfaite transformation d’amour, ce qu’elle commence ici-bas, mais qui ne s’achève que dans la vie future.

vv. 22-30.

La Glose. Après que Notre-Seigneur a exposé sous le voile des paraboles qui précèdent les progrès de la doctrine évangélique, il s’applique lui-même à la répandre par ses prédications : " Et il allait par les villes et par les villages, enseignant, " etc. — Théophyl. Il ne visitait pas seulement les petites localités, comme font ceux qui veulent tromper les esprits simples, ni seulement les villes, comme ceux qui veulent se faire valoir et cherchent la gloire qui vient des hommes ; mais il allait partout, comme le maître de tous les hommes, comme un père dont la providence s’étend à tous ses enfants. En visitant les villes, il n’évite point la ville de Jérusalem, par crainte des accusations des docteurs, ou de la mort qui pouvait en résulter, car l’Évangéliste fait remarquer : " Qu’il se dirigeait vers Jérusalem ; " le médecin, en effet, doit surtout sa présence et ses soins aux endroits qui contiennent un plus grand nombre de malades. " Or, quelqu’un lui demanda : Seigneur, n’y aura-t-il qu’un petit nombre qui soient sauvés ? " — La Glose. Cette question paraît se rapporter à ce dont il avait parlé plus haut. En effet, dans la parabole précédente, le Sauveur avait dit que les oiseaux étaient venus se reposer sur les branches de l’arbre, ce qui donnait à entendre qu’il y en aurait un grand nombre qui parviendraient au repos du salut. Comme cet homme faisait cette question au nom de tous, le Seigneur ne lui répond pas en particulier : " Il leur répondit : Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite. " — S. Bas. (règle abrég. quest. 240.) De même que dans cette vie, quand on sort du droit chemin, on trouve de larges issues, ainsi quand on sort du sentier qui conduit au royaume des cieux, on tombe dans les voies larges de l’erreur. (Quest. 241.) Le droit chemin est toujours étroit, on ne peut sans danger s’en écarter soit à droite soit à gauche, il est semblable à un pont qu’on ne peut quitter d’un côté ou de l’autre sans être englouti dans le fleuve.

S. Cyr. (Ch. des Pères gr.) La porte étroite est aussi la figure des souffrances et de la patience des saints. De même en effet, que la victoire qui suit le combat atteste la bravoure du soldat, de même les travaux et les tribulations courageusement supportés donnent de l’éclat et de la gloire. — S. Chrys. (hom. 24 et 40, sur S. Matth.) Mais pourquoi donc le Sauveur dit-il ailleurs : " Mon joug est doux, et mon fardeau léger ? " (Mt 11.) Il n’y a point ici de contradiction, d’un côté Notre-Seigneur a en vue la violence des tentations, de l’autre l’amour de ceux qui les éprouvent. En effet, que de choses accablantes pour la nature, et qui nous deviennent faciles quand nous les embrassons avec amour ? D’ailleurs, si la voie du salut est étroite à son entrée, elle conduit cependant dans des régions vastes et spacieuses ; au contraire la voie large mène directement à la mort. — S. Grég. (Moral., 11, 26.) Avant de parler de l’entrée de la porte étroite, il dit : " Efforcez-vous, " parce qu’en effet, si l’âme ne déploie toute son ardeur elle ne pourra triompher des flots du monde qui toujours l’entraînent dans les abîmes.

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Il semble que Notre-Seigneur ne répond pas directement à cette question : " Y en a-t-il peu qui soient sauvés ? " en faisant connaître la voie qui peut conduire à la justice. Mais il faut se rappeler qu’il avait coutume de ne pas répondre en entrant dans les pensées et les désirs de ceux qui l’interrogeaient, toutes les fois qu’ils demandaient des choses inutiles, mais en ayant pour but l’utilité de ceux qui l’entendaient. Or, quel avantage pouvait résulter pour eux de savoir si le nombre de ceux qui seraient sauvés serait petit ou grand ? Il était bien plus nécessaire de connaître les moyens d’arriver au salut. C’est donc dans un dessein plein de miséricorde, que sans répondre à cette question inutile, il traite un sujet beaucoup plus nécessaire.

S. Aug. (serm. 32, sur les par. du Seig.) Ou bien encore, le Sauveur répond affirmativement à la question qui lui est faite : " Y en a-t-il peu qui soient sauvés ? " parce qu’il y en a peu qui entrent par la porte étroite. C’est ce qu’il déclare lui-même dans un autre endroit : " Le chemin qui conduit à la vie est étroit, et il en est peu qui le trouvent. " (Mt 7.) — Bède. C’est pour cela qu’il ajoute ici : " Car beaucoup, je vous le dis, chercheront à entrer, (excités par le désir de sauver leur âme), et ils ne le pourront pas, " effrayés qu’ils seront des difficultés de la route. — S. Bas. (sur le Ps 1.) L’âme, en effet, hésite et chancelle quand, d’un côté, la considération de l’éternité lui fait choisir le chemin de la vertu, et quand en même temps la vue des choses de la terre lui fait donner la préférence aux séductions du monde. D’un côté elle voit le repos et les plaisirs de la chair, de l’autre l’assujettissement, l’esclavage de soi-même ; d’un côté l’intempérance, de l’autre la sobriété ; d’un côté les rires dissolus, de l’autre des ruisseaux de larmes, d’un côté les danses, de l’autre les prières ; ici le son des instruments, là les pleurs ; d’un côté la volupté, de l’autre la chasteté. S. Aug. (serm., 32.) Notre-Seigneur ne se contredit pas en disant ici qu’il en est peu qui entrent par la porte étroite, et en déclarant dans un autre endroit " qu’un grand nombre viendront de l’Orient et de l’Occident, " etc. (Mt 8.) Ils seront peu en comparaison de ceux qui se perdent, mais ils seront beaucoup dans la société des anges. Quand le grain est battu dans l’aire, à peine si on le voit, mais cependant il sortira de cette aire une si grande quantité de grains qu’elle remplira le grenier du ciel.

S. Cyr. Notre-Seigneur nous montre ensuite par un exemple manifeste combien sont coupables ceux qui ne peuvent entrer : " Lorsque le père de famille sera entré et aura fermé la porte, " etc. ; c’est-à-dire, supposez un père de famille qui a invité beaucoup de monde à son festin, lorsqu’il est entré avec ses convives et que la porte est fermée, d’autres arrivent et frappent à la porte. — Bède. Ce père de famille, c’est Jésus-Christ qui est présent partout par sa divinité, mais qui nous est représenté dans l’intérieur du ciel avec ceux qu’il réjouit de la vue de sa présence, tandis qu’il est comme dehors avec ceux qu’il soutient invisiblement dans le combat de cette vie. Il entrera définitivement, lorsqu’il admettra toute l’Église à le contempler, il fermera la porte lorsqu’il refusera aux réprouvés la grâce de la pénitence. Ceux qui se tiendront au dehors et frapperont à la porte, c’est-à-dire ceux qui seront séparés des justes, imploreront en vain la miséricorde qu’ils auront méprisée : " Et il leur répondra : Je ne sais d’où vous êtes. " — S. Grég. (Moral., 8.) Ne point savoir, pour Dieu, c’est l’éprouver, comme on dit d’un homme vrai dans ses paroles, qu’il ne sait pas mentir, parce qu’il a horreur du mensonge ; ce n’eut pas qu’il ne saurait mentir, s’il le voulait, mais l’amour de la vérité lui inspire un profond mépris pour te mensonge. La lumière de la vérité ne connaît donc point les ténèbres qu’elle réprouve.

" Alors vous commencerez à dire : Nous avons mangé et bu devant vous, " etc. — S. Cyr. Ceci s’applique aux Israélites qui offraient à Dieu des sacrifices selon les prescriptions de la loi, et se livraient à la. joie en mangeant la chair des victimes. Ils entendaient aussi dans leurs synagogues la lecture des livres de Moïse qui, dans ses écrits, ne parlait point en son nom, mais au nom même de Dieu. — Théophyl. Ou bien encore, on peut sans doute appliquer ces paroles aux Israélites, parce que Jésus-Christ est né d’eux selon la chair, qu’ils ont mangé et bu avec lui, et ont entendu ses prédications. Mais elles s’appliquent aussi aux chrétiens ; car nous mangeons le corps de Jésus-Christ, et nous buvons son sang, lorsque tous les jours nous nous asseyons à la table mystique, et il enseigne sur les places de nos âmes.

Bède. Ou bien dans un sens figuré, manger et boire devant le Seigneur, c’est recevoir la nourriture de la divine parole, et le Seigneur semble confirmer cette explication en ajoutant : " Vous avez enseigné dans nos places publiques. " En effet, la sainte Écriture, dans les choses obscures, est une nourriture, parce qu’on la rompt pour ainsi dire en morceaux en l’expliquant, et qu’on la broie avant de l’avaler. Elle est comme un breuvage dans les vérités plus claires, parce qu’on les prend comme elles se présentent. Mais les joies de ce festin spirituel ne servent de rien à celui qui ne se recommande pas par une piété appuyée sur la foi ; la science des Écritures ne fait pas connaître à Dieu ceux que l’iniquité de leurs oeuvres rendent indignes de cet honneur. Aussi que leur dit Notre-Seigneur : " Et il lui dira : Je ne sais d’où vous êtes, retirez-vous de moi, " etc. — S. Bas. (règl. abr., quest. 282.) Peut-être s’adresse-t-il à ceux que l’Apôtre semble personnifier lui-même, quand il dit : " Quand je parlerais toutes les langues des hommes et des anges… quand j’aurais toute la science..., quand je distribuerais toutes mes richesses pour nourrir les pauvres, si je n’ai point la charité, je ne suis rien " (1 Co 13) ; car ce qui ne se fait point par un motif d’amour de Dieu, mais pour obtenir les louanges des hommes, ne mérite point les éloges de Dieu. — Théophyl. Remarquez combien sont détestés de Dieu ceux qu’il est forcé d’enseigner sur les places publiques. Il nous faut donc écouter ses divins enseignements, non dans les places publiques, mais dans un coeur que l’humilité a rendu petit, si nous voulons éviter ce malheur.

Bède. Or, nous voyons ici la double peine de l’enfer, celle du froid et celle de la chaleur : " Là sera le pleur et le grincement de dents. " L’excessive chaleur, en effet, fait verser des larmes, et le grand froid produit le grincement de dents. Ou bien ce grincement de dents est un signe d’indignation, indignation tardive de celui qui attend trop tard pour faire pénitence. — La Glose. Ou bien encore, le grincement de dents sera pour ceux qui, sur la terre, mettaient, toute leur joie dans les plaisirs de la table ; et les pleurs, pour ces yeux qui s’égaraient ici-bas dans les désirs de la concupiscence. Ces deux tourments sont du reste une preuve de la résurrection des impies.

Théophyl. Ces tristes prédictions s’appliquent encore aux Israélites auxquels il s’adressait, et dont le plus grand supplice sera de voir les Gentils entrer avec leurs pères dans le repos éternel, tandis qu’ils en seront exclus : " Quand vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, et tous les prophètes dans le royaume de Dieu, " etc. — Eusèbe. Les patriarches, en effet, avant la promulgation de la loi, abandonnaient l’erreur de la pluralité des Dieux, comme s’ils avaient été instruits par l’Évangile, et se sont élevés à la connaissance du Dieu très-haut. Un grand nombre de Gentils ont été associés à leur bonheur, parce qu’ils ont suivi leurs exemples, tandis que leurs enfants ont repoussé les enseignements de la doctrine évangélique : " Et ce sont les derniers qui seront les premiers, et ce sont les premiers qui seront les derniers. " — S. Cyr. En effet, les Gentils ont été préférés aux Juifs qui tenaient le premier rang. — Théophyl. Nous-mêmes, qui avons reçu dès notre enfance les enseignements de la foi, nous sommes, ce semble aussi, les premiers, et peut-être serons-nous les derniers en comparaison des Gentils qui n’ont embrassé la foi qu’à la fin de leur vie. — Bède. Il en est beaucoup, en effet, dont la ferveur dégénère en tiédeur, beaucoup qui, de froids qu’ils étaient, s’enflamment d’amour pour Dieu ; beaucoup qui, méprisés dans ce monde, seront couverts de gloire dans l’autre ; d’autres, au contraire qui, honorés des hommes sur la terre, seront à la fin de leur vie condamnés pour l’éternité.

vv. 31-35.

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Les paroles que le Sauveur venait de prononcer avaient profondément irrité les pharisiens ; car ils voyaient déjà le peuple, touché de repentir, croire en lui, Désolés donc de perdre leur autorité sur les peuples, et de voir diminuer le profit qu’ils en retiraient, ils simulent pour lui une affection hypocrite, et lui conseillent de se retirer : " Le même jour, quelques-uns des pharisiens vinrent lui dire : Allez-vous en, retirez-vous d’ici ; car Hérode veut vous faire mourir. " Mais Jésus, qui sonde les coeurs et les reins, leur répond avec douceur et dans un langage figuré : " Et il leur dit : Allez, et dites à ce renard. " — Bède. Il appelle Hérode un renard à cause de son esprit rusé et insidieux ; car le renard est un animal rempli d’astuce, qui se cache dans sa tanière pour mieux tendre ses piéges, exhale une odeur fétide, et ne suit jamais les droits chemins. Tous ces traits conviennent aux hérétiques, dont Hérode est la figure, et qui cherchent à faire mourir Jésus-Christ, c’est-à-dire l’humilité de la foi chrétienne dans le coeur des fidèles.

S. Cyr. Ou bien encore, les paroles du Sauveur ont un autre objet, et ne se rapportent pas à la personne d’Hérode (comme quelques-uns l’ont pensé), mais plutôt à l’hypocrisie des pharisiens. En effet, Notre-Seigneur paraît indiquer ce pharisien qui n’est pas loin, en disant : " Allez, et dites à ce renard, " selon le sens du texte grec. Il leur commande de dire ce qui était de nature à exciter contre lui la multitude des pharisiens : " Voilà que je chasse les démons et guéris les malades aujourd’hui et demain, et c’est le troisième jour que je dois, être consommé, Il leur annonce donc qu’il fera ce qui leur déplaisait souverainement, c’est-à-dire qu’il commandera aux esprits immondes, et guérira les malades jusqu’à ce qu’il subisse volontairement le supplice de la croix. Mais comme les pharisiens s !imaginaient qu’il redoutait la puissance d’Hérode, lui qui était le Dieu des vertus, il éloigne cette pensée en ajoutant : " Cependant il faut que je marche aujourd’hui et demain, et c’est le troisième jour que je dois être consommé. " Cette expression : " Il faut, " n’indique nullement une nécessité qui serait imposée au Sauveur, mais bien plutôt qu’il se rendait librement et volontairement vers le but qu’il se proposait, jusqu’à ce. qu’il terminât sa vie par le supplice de sa croix adorable, dont il annonce que le temps approche en disant : " Aujourd’hui et demain. " — Théophyl. Comme s’il leur disait : Pourquoi vous préoccuper de ma mort ? Le temps n’en est pas éloigné. Cependant ces expressions : " Aujourd’hui et demain, " signifient un espace de plusieurs jours. C’est ainsi que dans le langage ordinaire nous disons : " Je ferai ceci aujourd’hui et demain ; " bien que nous ne puissions le faire dans un si court espace de temps. Et pour donner une explication plus claire de ces paroles, ne les entendez pas dans ce sens : " Il faut que je marche aujourd’hui et demain, " non, arrêtez-vous après ces mots : " Aujourd’hui et demain, " puis ajoutez : " Le jour suivant je dois marcher. " De même que souvent pour compter, nous disons : Dimanche, lundi, mardi, je sortirai ; nous comptons deux jours pour indiquer le troisième, Notre-Seigneur dit aussi : " Aujourd’hui et demain, et le troisième jour, je dois aller à Jérusalem. "

S. Aug. (Quest. évang.) Ou bien encore, Notre-Seigneur parle ici dans un sens figuré et ces paroles ont pour objet son corps mystique qui est l’Église. En effet, il chasse les démons, lorsque les nations idolâtres abandonnent leurs superstitions pour croire en lui, et il opère des guérisons, lorsqu’après qu’elles ont renoncé au démon et au monde, il conduit l’Église à la perfection angélique par l’immortalité du corps qui aura lieu à la résurrection, figurée ici par le troisième jour comme la consommation de toutes choses.

Théophyl. Mais comme ceux qui lui disaient : " Retirez-vous d’ici, parce que Hérode veut vous faire mourir, " lui parlaient ainsi dans la Galilée où régnait Hérode ; Notre-Seigneur leur déclare que ce n’est pas en Galilée, mais à Jérusalem, qu’il a été réglé d’avance qu’il devait souffrir. " Car il ne peut se faire qu’un prophète périsse hors de Jérusalem. " En entendant ces paroles : " Il ne faut pas, " c’est-à-dire, il ne convient pas qu’un prophète meure hors de Jérusalem, n’allez pas croire que les Juifs aient été forcés de le faire mourir ; le Sauveur parle ainsi, parce que les habitants de Jérusalem avaient comme soif du sang. Quand on entend parler d’un atroce scélérat, on dit, il faut que le chemin où il dresse ses embûches soit arrosé du sang des voyageurs ; de même, il fallait pour ainsi dire que le Seigneur des prophètes ne pérît pas ailleurs que dans la ville où demeuraient les meurtriers. Accoutumés à verser le sang des prophètes, ils feront aussi mourir le Seigneur des prophètes ; c’est ce qu’il déclare dans les paroles suivantes : " Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes, " etc.

Bède. Ce n’est ni aux pierres ni aux édifices de cette ville que Notre-Seigneur s’adresse dans cette apostrophe, mais aux habitants de Jérusalem sur lesquels il pleure avec une affection de père. — S. Cyr. (hom. 75 sur S. Matth.) Cette répétition : Jérusalem, Jérusalem, indique un profond sentiment de compassion ou d’amour, le Sauveur parle à cette ville infortunée comme à une personne qui oublie celui qui l’aime, et il lui prédit le châtiment dont sera punie son ingratitude. — Sévère d’Ant. Cette répétition est aussi l’indice d’un violent reproche, comment, en effet, cette ville qui a reçu la connaissance de Dieu, peut-elle persécuter les ministres de Dieu ? — S. Cyr. Il fait bien voir, du reste, dans quel oubli des bienfaits de Dieu ils étaient tombés, en ajoutant : " Combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme un oiseau rassemble sa couvée sous ses ailes, et tu ne l’as pas voulu ! " Sa main les a conduits par Moïse, un de ses plus fidèles et de ses plus sages serviteurs, il les a mille fois avertis par les prophètes ; il a voulu les voir réunir sous ses ailes, c’est-à-dire sous sa protection toute puissante, mais ils ont rendu inutiles toutes ces faveurs par leur ingratitude. — S. Aug. (Enchirid., chap. 17.) " J’ai voulu, " dit Notre-Seigneur, " et tu n’as pas voulu, " c’est-à-dire : Tous ceux que j’ai rassemblés par ma volonté toujours efficace, je les ai rassemblés malgré toi, parce que tu n’as cessé d’être ingrate. — Bède. Après avoir appelé renard le roi Hérode qui en voulait insidieusement à sa vie, il se présente lui-même sous la comparaison pleine de justesse d’un oiseau, parce que les renards tendent toujours astucieusement des piéges aux oiseaux.

S. Bas. (sur Is 16.) Il compare aussi les enfants de Jérusalem à des petits qui ne peuvent sortir de leur nid, comme s’il disait : Les oiseaux qui prennent leur essor dans les airs, échappent aux atteintes de ceux qui leur dressent des embûches ; mais pour vous, vous serez comme un poussin qui a besoin de protection et de secours, et une fois privé de votre mère qui s’envolera, vous serez arraché de votre nid, incapable de vous défendre, et trop faible pour prendre la fuite. C’est ce qu’il lui prédit en ces termes : " Voilà que votre maison va demeurer déserte. " — Bède. Cette ville qu’il avait comparée à un nid, il l’appelle maintenant la maison des Juifs ; car après qu’ils eurent mis le Seigneur à mort, les Romains vinrent et ravagèrent cette maison comme un nid vide, et détruisirent leur ville, leur nation et leur royaume — Théophyl. Ou bien encore, votre maison, c’est-à-dire votre temple, et tel est le sens de ces paroles : Tant que la vertu a été en honneur parmi vous, ce temple était le mien ; mais depuis que vous en avez fait une caverne de voleurs, ce n’est plus ma maison, c’est la vôtre. Ou bien enfin, cette maison, c’est toute la nation des juifs, selon ces paroles du Psalmiste : " Maison de Jacob, bénissez le seigneur, et il leur prouve ainsi que c’était lui qui les gouvernait, et qui les délivrait des mains de leurs ennemis.

" Je vous le dis, vous ne me verrez plus jusqu’à ce que vienne le jour où vous direz : " Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. " — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 75.) Ce récit de saint Luc n’est pas en opposition avec ce que nous lisons dans saint Matthieu, que la foule accueillit le Sauveur à son entrée dans Jérusalem en lui disant : " Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, " parce qu’il n’y était pas encore venu, et que ces paroles n’avaient pas encore été dites. — S. Cyr. Il s’était éloigné de Jérusalem, et avait abandonné ses habitants comme indignes de jouir de sa présence ; puis après avoir opéré un grand nombre de miracles, il revient de nouveau à Jérusalem, et la foule se porte à sa rencontre en disant : " Salut au Fils de David ! Beni soit celui qui vient au nom du Seigneur. " — S. Aug. (de l’acc. des Evang.) Mais comme saint Luc ne dit pas où le Seigneur s’est retiré, pour ne venir dans cette ville qu’au temps où il serait accueilli par ces paroles (il continue, en effet, de marcher jusqu’à ce qu’il vienne à Jérusalem), cet Évangéliste veut ici parler de l’avènement glorieux du Sauveur. — Théophyl. Alors ils seront forcés de reconnaître pour leur Sauveur et pour leur Dieu, alors que cette profession de foi ne leur servira de rien. Ces paroles : " Vous ne me verrez plus, " etc., ne doivent pas s’entendre du moment même où il leur parlait, mais du temps de sa mort sur la croix, et tel en est le sens : Après que vous m’aurez crucifié, vous ne me verrez plus jusqu’à ce que je revienne de nouveau. — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 75.) Il faut donc entendre que saint Luc a voulu raconter ceci par anticipation, avant que son récit conduisît le Seigneur à Jérusalem, ou bien que lorsque le Sauveur approchait de Jérusalem, il a tenu à ceux qui l’engageaient à se mettre en garde contre Hérode, le même langage que lui prête saint Matthieu lorsqu’il entre dans cette ville. — Bède. Ou bien encore, ces paroles : " Vous ne me verrez plus, " signifient : Si vous ne faites pénitence, et si vous ne confessez que je suis le Fils du Dieu tout-puissant, vous ne serez point admis à contempler ma face adorable, lors de mon second avènement.

 

CHAPITRE XIV

vv. 1-6.

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Bien que le Seigneur connût à fond la malice des pharisiens, il consent à s’asseoir à leur table pour l’utilité de ceux qui seraient témoins de ses paroles et de ses miracles : " Un jour de sabbat, Jésus étant entré dans la maison d’un chef des pharisiens pour y prendre son repas, ceux-ci l’observaient, " c’est-à-dire, qu’ils regardaient s’il manquerait au respect dû à la loi, et s’il ferait quelque action défendue le jour du sabbat. Un hydropique s’étant donc présenté, Notre-Seigneur confond par la question suivante la témérité des pharisiens qui voulaient le prendre en défaut : " Et voici qu’un homme hydropique se trouvait devant lui : et Jésus prenant la parole, dit aux docteurs de la loi et aux pharisiens : Est-il permit de guérir le jour du sabbat ? " — Bède. Nous lisons dans le texte sacré " Et Jésus répondant, " parce qu’il répond, en effet, aux pensées de ceux dont il dit plus haut : " Et ils l’observaient, " (cf. Mc 12, 35 ; Ap 7, 13) car le Seigneur pénètre les plus secrètes pensées des hommes. — Théophylacte. Dans la question qu’il leur adresse, il se rit de leur folie, qui leur fait proscrire les bonnes oeuvres le jour du sabbat, que Dieu lui-même a béni ; en effet, un jour où l’on ne fait point de bonnes oeuvres, est un jour maudit. — Bède. Ils n’osent, et avec raison, répondre à cette question ; quelle que soit leur réponse, ils voient qu’elle tournera contre eux, car s’il est permis de guérir le jour du sabbat, pourquoi épier le Sauveur pour voir s’il guérira ? Et si ce n’est pas permis, pourquoi prennent-ils soin de leurs animaux même le jour du sabbat : " Et ils gardèrent le silence. "

S. Cyr. Sans donc se préoccuper des embûches que lui tendent les Juifs, Notre-Seigneur guérit cet hydropique qui, par crainte des pharisiens, n’osait lui demander sa guérison le jour du sabbat ; il se tenait seulement devant lui, afin que le Sauveur, touché de compassion à la vue de son triste état, lui rendit la santé. Aussi Jésus, connaissant ses dispositions, ne lui demande pas s’il veut être guéri, mais il le guérit sans tarder : " Et prenant cet homme par la main, il le guérit et le renvoya. " — Théophyl. Notre-Seigneur ne s’inquiète pas du scandale que vont prendre les pharisiens, il ne songe qu’à faire du bien à celui dont l’état réclame son secours ; ainsi quand il s’agit d’un grand bien, nous ne devons pas nous préoccuper si les insensés en seront scandalisés. — S. Cyr. Comme les pharisiens continuent à garder un silence ridicule, Jésus confond leur impudence obstinée par de sérieuses raisons : " Puis il leur dit : Qui de vous, si son fils ou son boeuf tombe dans un puits, ne l’en retire aussitôt le jour du sabbat ? " — Théophyl. C’est-à-dire, si la loi défend les oeuvres de miséricorde le jour du sabbat, ne prenez ce jour-là aucun soin de votre fils, qui est en danger ; mais pourquoi parler de votre fils ; quand votre boeuf en péril a droit le jour du sabbat à toute sollicitude ? — Bède. Notre-Seigneur confond ainsi les pharisiens qui épiaient sa conduite, et condamne à la fois leur avarice, car c’était par un sentiment d’avarice qu’ils délivraient leurs animaux en péril le jour du sabbat. À combien plus juste titre, le Christ devait-il délivrer l’homme, mille fois supérieur à l’animal sans raison ? — S. Aug. (Quest. évang., 2, 29.) Le Sauveur compare justement l’hydropique à l’animal qui est tombé dans un puits (car c’est un excès d’humeur liquide qui le rendait malade), comme il a comparé plus haut à l’animal qu’on délie pour le mener boire, la femme qui était comme liée depuis plusieurs années. — Bède. Il tranche donc la question par un exemple des plus propres à les convaincre qu’ils violaient le sabbat par un motif de cupidité, eux qui l’accusaient de le violer par une oeuvre de charité. Aussi l’Évangéliste ajoute-t-il : " Et ils ne pouvaient rien lui répondre. "

Dans le sens mystique, l’hydropique est la figure de celui qui est comme accablé sous le poids du cours déréglé des voluptés charnelles, car l’hydropisie tire son nom d’un épanchement de sérosité aqueuse. — S. Aug. (Quest. évang.) Ou bien encore, l’hydropique figure le riche avare, car plus le liquide épanché abonde chez l’hydropique, plus il est dévoré par la soif ; ainsi plus le riche avare voit augmenter les richesses dont il fait un mauvais usage, plus aussi ses désirs s’enflamment. — S. Grég. (Moral., 14, 6.) C’est à dessein que Notre-Seigneur guérit cet hydropique en présence des pharisiens, parce que l’infirmité corporelle de l’un était la figure de la maladie intérieure des autres. — Bède. Il choisit le boeuf et l’âne comme objet de sa comparaison, pour signifier les sages et les insensés, ou les deux peuples, c’est-à-dire, le peuple juif, accablé sous le joug de la loi, et le peuple des Gentils, qui n’avait pu être dompté par aucun moyen ; car Notre-Seigneur les a tous retirés du puits de la concupiscence où ils étaient tombés.

vv. 7-11.

S. Ambr. Notre-Seigneur a commencé par guérir l’hydropique, en qui la surabondance de l’humeur appesantissait l’activité de l’âme et éteignait l’ardeur de l’esprit ; il enseigne maintenant l’humilité en défendant de choisir les premières places dans les repas de noces : " Il leur dit : Quand vous serez invité à des noces, " etc. — S. Cyr. En effet, aller au-devant des honneurs qui ne vous sont pas dus, c’est une preuve de témérité qui rend notre conduite digne de blâme. Aussi le Sauveur ajoute : " De peur qu’il ne se trouve quelqu’un plus considéré que vous, " etc. — S. Chrys. C’est ainsi que l’ambitieux n’obtient pas les distinctions qu’il désire, mais subit un honteux affront et qu’en cherchant de trop grands honneurs il n’en reçoit aucuns. Mais comme rien n’est comparable à l’humilité, le Sauveur, engage ceux qui l’écoutent à faire le contraire, non seulement il leur défend d’ambitionner les premières places, il leur commande de rechercher les dernières : " Mais lorsque vous serez invité, allez vous asseoir à la dernière place, " etc. — S. Cyr. Car celui qui ne désire point d’être placé au-dessus des autres, l’obtient justement de la divine Providence : " Afin que quand viendra celui qui vous a invité, il vous dise : Mon ami, montez plus haut. " Ce n’est pas ici une réprimande sévère, mais une observation pleine de douceur, car un simple avertissement suffit aux sages, et c’est ainsi que l’humilité est couronnée de gloire et d’honneur : " Alors ce sera une gloire pour vous devant ceux qui seront à table avec vous. "

S. Bas. (Règl. développ., quest. 21.) Prendre la dernière place dans les repas, est chose louable pour tous, mais vouloir s’en emparer avec obstination est une action digne de blâme, parce qu’elle trouble l’ordre et devient une cause de tumulte, et une contestation soulevée à ce sujet, vous rend semblables à ceux qui se disputent la première place. Nous devons donc laisser au maître du festin, comme l’observe Notre-Seigneur, le soin de placer ses convives, C’est ainsi que nous nous supporterons mutuellement en toute patience et en toute charité, nous traitant les uns les autres avec déférence selon l’ordre, et fuyant toute vaine gloire et toute ostentation. Nous ne chercherons pas non plus à pratiquer une humilité affectée au prix de vives contestations, mais nous paraîtrons humbles surtout par la condescendance mutuelle et par la patience. Car l’amour de la contestation et de la dispute est un plus grand signe d’orgueil, que de s’asseoir à la première place, quand on ne la prend que par obéissance.

Théophyl. Que personne ne pense que ces enseignements de Jésus-Christ soient peu importants et indignes de la grandeur et de la magnificence du Verbe de Dieu, car vous ne regarderiez pas comme un médecin dévoué celui qui vous promettrait de vous guérir de la goutte, mais qui refuserait de guérir une plaie survenue à votre doigt ou un simple mal de dents. D’ailleurs est-elle donc si peu importante cette passion de la vaine gloire qui agitait et troublait ceux qui recherchaient les premières places ? Il était donc souverainement utile que le Maître de l’humilité retranchât toutes les branches de cette racine pernicieuse. Remarquez enfin l’opportunité de cet enseignement, alors qu’on allait se mettre à table, et que le Sauveur était témoin du violent désir d’occuper les premières places qui tourmentait ces infortunés.

S. Cyr. Après avoir montré par ce fait si simple comment les orgueilleux étaient abaissés, et comment les humbles sont exaltés ; il fait suivre cet exemple d’une leçon plus importante, et proclame cette maxime générale : " Car quiconque s’élèvera sera humilié, et quiconque s’humilie sera exalté, " paroles qui doivent s’entendre de la règle suivie par la justice de Dieu et non de la conduite ordinaire des hommes, qui accordent souvent les honneurs à ceux qui les désirent, et qui laissent les humbles dans l’obscurité. — Théophyl. Cependant celui qui se pousse lui-même aux honneurs, ne jouit pas d’une estime durable et universelle ; tandis que les uns semblent l’honorer, les autres le déchirent, et souvent ceux qui affectent de le traiter avec plus de distinction.

Bède. Mais puisque l’Évangéliste appelle cet enseignement une parabole, examinons brièvement quel en est le sens figuré. Que celui qui est invité aux noces de Jésus-Christ et de son Église, et qui se trouve par la foi en union avec les membres de l’Église, ne s’enorgueillisse pas de ses mérites, comme s’il était plus élevé que les autres, car il sera obligé de céder la place à un plus honorable que lui, bien qu’invité après lui, lorsqu’il se verra précédé par l’ardeur de ceux qui l’ont suivi dans les voies ouvertes par Jésus-Christ, Et il descendra couvert de confusion à la dernière place, quand il reconnaîtra la supériorité des autres sur lui, et qu’il se verra obligé de rabattre de la haute estime qu’il avait de sa vertu. On s’assoie à la dernière place quand on met en pratique la recommandation de l’Esprit saint : " Plus vous êtes grand, plus vous devez vous humilier en toutes choses. " (Si 3, 20.) Alors le Seigneur donnant le nom d’ami à celui qu’il trouvera dans ces sentiments d’humilité, lui commandera de monter plus haut, car quiconque s’humilie comme un enfant, est le plus grand dans le royaume des cieux. (Mt 18, 4.) Remarquez ces paroles : " Alors ce sera une gloire pour vous ; " ne cherchez donc pas maintenant ce qui vous est réservé pour la fin. On peut aussi cependant l’entendre de cette vie, car Notre-Seigneur entre tous les jours dans la salle du festin nuptial, tous les jours il abaisse les orgueilleux, et répand en si grande abondance dans le coeur des humbles les dons de son esprit, que tous les convives, c’est-à-dire l’assemblée des fidèles les admire et les honore. La conclusion générale qui termine cette parabole, prouve qu’il faut entendre dans un sens plus élevé les paroles de Notre-Seigneur, car il n’est pas vrai de dire que tous ceux qui s’élèvent devant les hommes, soient abaissés, ou que ceux qui s’humilient devant les hommes soient exaltés par eux, mais celui qui s’enorgueillit de ses mérites sera certainement humilié par le Seigneur, et celui qui s’humilie des bienfaits qu’il en a reçus sera élevé par sa main puissante.

vv. 12-14.

Théophyl. Un festin se compose de deux sortes de personnes (ceux qui invitent et ceux qui sont invités), Notre-Seigneur ayant donc exhorté ceux qui sont invités à la pratique de l’humilité, s’acquitte envers celui qui l’avait invité, en lui recommandant de ne point inviter par un motif d’intérêt et dans l’intention de recevoir de ses convives une invitation semblable : " Il dit aussi à celui qui l’avait invité : Lorsque vous donnerez à dîner ou à souper, n’appelez ni vos amis, ni vos frères, " etc. — S. Chrys. (hom. sur la I Epit. aux Cor.) Il est plusieurs causes qui peuvent donner lieu aux relations d’amitié ; nous passons sous silence les causes qui sont criminelles pour ne parler que des causes naturelles et morales ; les causes naturelles produisent les rapports d’amitié entre le père et le fils, entre les frères et les autres parents, et c’est d’eux que Notre-Seigneur dit : " Ni vos frères, ni Vos parents. " Les causes morales sont les invitations réciproques ou le voisinage, et le Sauveur y fait allusion en ajoutant : " Ni vos voisins. "

Bède. Notre-Seigneur ne défend pas comme un crime aux frères, aux amis et aux riches, de se donner mutuellement des repas, mais il veut montrer que ces rapports comme toutes les autres relations sociales, sont de nul prix pour obtenir les récompenses de la vie céleste. C’est pour cela qu’il ajoute : " De peur qu’ils ne vous invitent à leur tour, et ne vous rendent ce qu’ils auront reçu de vous. " Il ne dit pas : De peur que vous ne deveniez coupable. Ces paroles ont la même signification que ces autres : " Et si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quel est votre mérite ? " (Lc 6.) Il est cependant de ces festins mutuels entre frères et voisins, qui non seulement reçoivent leur récompense ici-bas, mais aussi leur condamnation dans l’autre vie. Ce sont ces festins qu’on se donne à frais communs, ou bien tour à tour, et où on ne se réunit que dans un but criminel et pour exciter, par l’excès du vin, toutes les passions de la chair.

S. Chrys. (comme précéd.) Ne faisons donc jamais du bien aux autres, dans l’espérance qu’ils nous le rendent, c’est là une intention misérable ; aussi une amitié de ce genre perd-elle bientôt toute sa force ; si au contraire vous invitez les pauvres, vous aurez pour débiteur Dieu, qui ne vous oubliera jamais : " Mais lorsque vous faites un festin, appelez-y les pauvres, les estropiés, les boiteux et les aveugles. " (hom. 45 sur les Actes.) Plus votre frère est obscur et pauvre, plus vous êtes certain que Jésus-Christ se présente à vous et vous visite dans sa personne. Celui qui reçoit un homme de condition, le fait souvent pour un motif de vaine gloire ou pour un motif semblable, souvent encore dans un but d’intérêt personnel pour arriver plus aisément aux honneurs. Je pourrais en citer un grand nombre qui courtisent les plus illustres sénateurs, afin d’avoir par leur crédit une plus grande part aux faveurs des princes. Ne recherchons donc point ceux qui peuvent nous rendre le bien que nous leur faisons " Et vous serez heureux de ce qu’ils n’ont rien à vous rendre. " Soyons donc sans inquiétude, lorsque nous ne recevons pas la récompense de nos bienfaits ; soyons bien plutôt inquiets, quand nous la recevons, car alors nous n’avons plus rien à attendre ; mais si les hommes ne nous rendent rien, alors c’est Dieu lui-même qui nous le rendra : " Car vous en recevrez la récompense à la résurrection des justes. " — Bède. Bien que la résurrection doive être générale, il est fait cependant une mention spéciale de la résurrection des justes, parce que dans cette résurrection, ils ne pourront douter de leur bonheur. Ceux donc qui invitent les pauvres à leurs repas, en recevront la récompense dans l’autre vie ; ceux au contraire qui invitent leurs amis, leurs frères et les riches, reçoivent ici-bas leur récompense. Si cependant ils le font pour Dieu, à l’exemple des enfants de Job (Jb 1, 4), de même qu’ils remplissent les autres devoirs de la charité fraternelle, ils en seront récompensés par celui qui est l’auteur de ces devoirs.

S. Chrys. (hom. 1 sur l’Epit. aux Coloss.) Vous me direz : Ce pauvre est d’une malpropreté repoussante : Lavez-le, et faites-le ensuite asseoir à votre table. Ses vêtements sont misérables ? donnez-lui en de plus convenables ? Comment, Jésus-Christ vous visite dans la personne de ce pauvre, et vous apportez d’aussi frivoles prétextes ? — S. Grég. de Nysse. (Ch. des Pèr. gr.) Gardez-vous donc de mépriser les pauvres, comme s’ils n’avaient droit à rien. Réfléchissez à ce qu’ils sont, et vous reconnaîtrez bientôt leur dignité et leur valeur. Ils sont revêtus de l’image de Jésus-Christ, ils sont les héritiers des biens futurs, les portiers du ciel, de puissants accusateurs et d’éloquents défenseurs, sans avoir besoin de prendre la parole, mais par leur seule présence devant le Juge suprême. — S. Chrys. (hom. 45 sur les Actes.) Vous devriez les recevoir sur la terrasse de votre maison exposée aux rayons du soleil (Jos 2, 6 ; Jg 16, 27 ; 1 R 9, 15 ; 2 R 11, 2 ; 16, 11). Si cela vous répugne, recevez au moins Jésus-Christ dans les places inférieures où sont vos animaux et vos serviteurs, que le pauvre soit au moins le portier de vos demeures ; car le démon n’ose entrer là où on fait l’aumône ; et si vous ne consentez à les faire asseoir près de vous, envoyez-leur au moins les miettes de votre table.

Orig. (ou Géom., Ch. des Pèr. gr.) Dans le sens figuré, celui qui s’eut éviter la vaine gloire, invite à son banquet spirituel les pauvres, c’est-à-dire les ignorants pour les enrichir ; les infirmes, c’est-à-dire ceux dont la conscience est malade, pour les guérir ; les boiteux, c’est-à-dire ceux qui s’écartent des sentiers de la raison, pour les guérir ; les aveugles, c’est-à-dire ceux qui ne peuvent contempler la vérité, pour faire briller à leurs yeux la vraie lumière. Quant aux paroles qui suivent : " Ils ne peuvent vous le rendre, " c’est-à-dire ils sont incapables de vous répondre.

vv. 15-24.

Eusèbe. Notre-Seigneur venait de recommander d’inviter au repas ceux qui ne peuvent le rendre, afin d’en recevoir la récompense à la résurrection des justes. Un des convives qui confondait la résurrection des justes avec le royaume de Dieu, exalte cette récompense qui est promise : " Un de ceux qui étaient à table avec lui, ayant entendu ces paroles, lui dit ; Heureux celui qui mangera le pain dans le royaume de Dieu. " — S. Cyr. Cet homme avait des idées toute charnelles, et ne comprenait pas le sens exact des paroles du Sauveur ; car il s’imaginait que les récompenses des saints seraient matérielles. — S. Aug. (serm. 33 sur les par. du Seig.) Peut-être encore était-ce qu’il soupirait après un bonheur qui lui paraissait éloigné, tandis qu’il avait sous les yeux le pain qui faisait l’objet de ses désirs. Car quel est le pain du royaume de Dieu, si ce n’est celui qui a dit : Je suis le pain vivant qui suis descendu du ciel ? " (Jn 6.) Ce n’est donc pas la bouche qu’il faut ouvrir, c’est le coeur.

Bède. Mais comme il en est plusieurs qui se contentent de sentir par la foi l’odeur de ce pain céleste, mais qui dédaignent d’en savourer les douceurs en le mangeant réellement, Notre-Seigneur se sert de la parabole suivante pour déclarer que ce dédain les rend indignes du festin des cieux : " Et il leur dit : Un homme fit un grand festin et y convia beaucoup de monde. " — S. Cyr. Cet homme, c’est Dieu le père, d’après la signification de ces paraboles, qui sont les images de la vérité. Toutes les fois que Dieu veut exprimer sa puissance vindicative, il se sert des comparaisons de l’ours, du léopard, du lion, et d’autres du même genre, mais quand il veut nous parler de sa miséricorde, il se présente à nous sous la figure d’un homme.

S. Cyr. Le Créateur de toutes choses, et le Père de gloire, le Seigneur en un mot a préparé un grand festin, qui a eu lieu dans la personne du Christ. Dans les derniers temps, et comme vers le déclin du monde, le Fils de Dieu a fait briller sa lumière à nos yeux, et en mourant pour nous, il nous a donné son corps à manger ; c’est pour cela qu’on immolait chaque jour, au soir, un agneau selon les prescriptions de la loi de Moïse, et c’est pour cela que le festin qui nous est préparé dans la personne de Jésus-Christ, porte le nom de cène. — S. Grég. (hom. 36 sur les Evang.) Ou bien, il a fait un grand festin, en nous préparant le banquet des douceurs éternelles, où tous nos désirs seront satisfaits. Il y convie beaucoup de monde, et peu se rendent à son invitation, parce que souvent ceux qui font profession de lui être soumis par la foi, se rendent indignes par la dépravation de leur vie de son banquet éternel. Or, il y a cette différence entre les plaisirs du corps et ceux du coeur, que les plaisirs du corps excitent de violents désirs avant qu’on les ait goûter, mais dès qu’on en est en possession, ils se changent en satiété et en dégoût pour celui qui s’y est livré ; au contraire, les délices spirituelles inspirent le dégoût à ceux qui ne les connaissent pas, tandis qu’elles excitent de vifs désirs dans le coeur de celui qui les a une fois goûtées. C’est pour cela que la miséricorde divine place sous les yeux de notre âme ces délices spirituelles que nous dédaignons, et pour combattre cet éloignement, nous invite à venir les goûter : " Et il envoya son serviteur, " etc. — S. Cyr. Ce serviteur qui est envoyé, c’est Jésus-Christ lui-même (cf. Mt 12, 18) qui étant Dieu par essence, et vrai Fils de Dieu, s’est anéanti lui-même en prenant la forme d’esclave. Il a été envoyé à l’heure de la Cène ; car ce n’est pas dès l’origine que le Verbe du Père s’est revêtu de notre nature, mais dans les derniers temps. Il ajoute : " Parce que tout est prêt. " Dieu le Père, en effet, nous a préparé dans la personne de Jésus-Christ, tous les biens qu’il a répandus par lui sur le monde, la rémission des péchés, la participation à l’Esprit saint, l’honneur de l’adoption divine ; c’est à toutes ces grâces que Jésus-Christ est venu nous appeler par les enseignements de l’Évangile.

S. Aug. (serm. 33 sur les par. du Seig.) Ou bien encore cet homme, c’est le médiateur de Dieu et des hommes, Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il envoie presser de venir les invités, c’est-à-dire ceux qui avaient été invités par les prophètes qu’il avait envoyés. Ils étaient chargés, en effet, d’inviter à la Cène du Christ ; ils ont été souvent envoyés aux enfants d’Israël, souvent ils leur ont renouvelé l’invitation de venir à l’heure de la Cène ; ceux-ci ont accepté l’invitation, et ont refusé de venir au festin ; et c’est ainsi que sans le savoir, ils nous ont préparé ce grand festin. Lorsque tout fut prêt pour ce festin, c’est-à-dire lorsque Jésus-Christ fut immolé, les Apôtres furent envoyés à leur tour vers ceux à qui Dieu avait autrefois envoyé les prophètes.

S. Grég. (comme précéd.) Ce serviteur, que le père de famille envoie vers les invités, figure l’ordre des prédicateurs. Or, il arrive souvent qu’un personnage puissant ait un serviteur qui parait mériter peu de considération ; cependant lorsque le maître transmet ses ordres par ce serviteur, on se garde de mépriser sa personne, parce qu’on respecte intérieurement l’autorité du Maître qui l’a envoyé. Dieu offre donc ce qu’on aurait dû le supplier de donner, et qu’il prie lui-même de recevoir ; il veut donner ce qu’on pouvait à peine espérer, et tous s’excusent comme de concert. " Et ils commencèrent à s’excuser tous ensemble. " Un homme riche invite à son festin, et tous les pauvres s’empressent de se rendre à son invitation ; Dieu nous invite à son banquet, et nous apportons des excuses.

S. Aug. (comme précéd.) Nous voyons ici trois excuses différentes : " Le premier dit : J’ai acheté une maison de campagne, et il faut que j’aille la voir. " Cette maison de campagne, cette propriété figure l’esprit de domination, aussi l’orgueil est le premier des vices qui aient été châtiés ; car le premier homme a voulu dominer, en cherchant à se soustraire à l’autorité de Dieu qu’il avait pour Maître. — S. Grég. Ou encore, cette maison de campagne représente les biens de la terre, cet homme va donc la voir, parce qu’il ne pense qu’aux biens extérieurs destinés à l’entretien de cette vie. — S. Ambr. Il est donc ordonné au fidèle qui s’est engagé dans la milice sainte, de mépriser tous les biens de la terre, parce que celui qui, tout occupé d’intérêts secondaires, achète des propriétés ici-bas, ne peut acquérir le royaume des cieux, au témoignage du Sauveur qui a dit : " Vendez tout ce que vous avez, et suivez-moi (cf. Mt 19, 21 ; Mc 10, 21 ; Lc 18, 22). "

" Un second dit : J’ai acheté cinq paires de boeufs, et je vais les essayer. " — S. Aug. (serm. 33 sur les par. du Seig.) Ces cinq paires de boeufs figurent les cinq sens de notre corps, la vue dans les yeux ; l’ouïe dans les oreilles ; l’odorat dans les narines, le goût dans la bouche ; le toucher répandu dans tous les membres. Mais l’analogie parait plus frappante dans les trois premiers sens, parce qu’ils sont doubles ; nous avons deux yeux, deux oreilles, deux narines, voilà trois paires. Nous trouvons aussi dans le goût comme un double sens parce que nous ne pouvons rien sentir par le goût que par le contact de la langue et du palais. Quant à la volupté de la chair qui se rapporte au sens du toucher, elle cache aussi une double sensation extérieure et intérieure. Ces cinq sens sont comparés à des paires de boeufs, parce que les boeufs labourent la terre, et que c’est par les sens du corps que nous sommes en rapport avec les choses de la terre. Ainsi les hommes éloignés de la foi, et livrés tout entiers aux intérêts de la terre, ne veulent rien croire que ce qu’ils peuvent percevoir par un des cinq sens du corps : " Je ne crois que ce que je vois, " telle est leur maxime. Si telles étaient nos pensées, les cinq paires de boeufs nous empêcheraient de nous rendre au festin. Et pour vous faire comprendre que l’obstacle qui vient de ces cinq sens n’est pas le plaisir qui charme, la volupté qui entraîne, mais un simple mouvement de curiosité, cet homme ne dit pas : J’ai acheté cinq paires de boeufs, et je vais les faire paître, mais : " Je vais les essayer. " — S. Grég. (hom. 36 sur les Evang.) Comme les sens du corps ne peuvent comprendre les choses intérieures et ne connaissent que ce qui paraît au dehors, ils représentent à juste titre la curiosité qui, en cherchant à discuter la vie d’autrui, ignore toujours son état intérieur, et se répand tout entière dans les choses extérieures. Remarquez encore que ceux qui s’excusent de venir au festin où ils sont invités, l’un, parce qu’il va voir sa maison de campagne ; l’autre, parce qu’il veut essayer les boeufs qu’il a achetés, s’excusent avec une espèce de respect et d’humilité : " Je vous prie, " disent-ils, et ils refusent de venir, c’est-à-dire que l’humilité est dans leurs paroles, et l’orgueil dans leur manière d’agir.

" Un autre dit : J’ai pris une femme, et c’est pourquoi je ne puis venir. " — S. Aug. (serm. 33 sur les par. du Seig.) Ce sont les plaisirs de la chair qui sont un obstacle pour le plus grand nombre, et plût à Dieu que cet obstacle ne fût qu’extérieur ! Car celui qui prend une femme, qui se livre aux joies de la chair, et s’excuse de venir au festin, doit prendre bien garde de ne pas s’exposer à mourir de faim intérieure. — S. Bas. (Chaîne des Pèr. gr.) Il dit : " Je ne puis venir, " parce que l’esprit de l’homme qui se laisse entraîner par les charmes du monde, n’a plus de force pour pratiquer les commandements divins. — S. Grég. (hom. 36 sur les Evang.) Bien que le mariage soit bon et établi par la divine Providence pour la propagation du genre humain, il en est plusieurs néanmoins qui s’y proposent, non d’avoir une nombreuse famille, mais la satisfaction de leurs désirs voluptueux ; et voilà pourquoi une chose juste et licite, peut très bien être la figure d’une chose injuste et criminelle. — S. Ambr. On peut dire encore que le Sauveur ne blâme pas ici le mariage, mais qu’il lui préfère la chasteté qu’il appelle à de plus grands honneurs ; car une femme qui n’est point mariée, pense aux choses qui sont du Seigneur, afin d’être sainte de corps et d’esprit ; mais celle qui est mariée, pense aux choses du monde. (1 Co 7, 34.)

S. Aug. (serm. 33 sur les par. du Seig.) Or, saint Jean, en disant : " Tout ce qui est dans le monde est concupiscence de la chair, concupiscence des yeux et ambition du monde (1 Jn 2, 16), " commence par où l’Évangile termine : " J’ai pris une femme, " voilà la concupiscence de la chair : " J’ai acheté cinq paires de boeufs, " c’est la concupiscence des yeux ; " J’ai acheté une maison de campagne, " voilà l’ambition du siècle. C’est en prenant la partie pour le tout, que les cinq sens sont représentés par les yeux seuls qui tiennent le premier rang parmi les sens ; aussi, bien que les yeux soient l’organe spécial de la vue, cependant dans le langage habituel, nous étendons aux cinq sens la faculté de voir.

S. Cyr. Or, quels sont ceux qui, pour ces différents motifs, ont refusé de se rendre à l’invitation qui leur était faite, si ce n’est les principaux d’entre les Juifs dont la sainte Écriture condamne à chaque page la coupable indifférence ? — Orig. (et Géom. Ch. des Pèr. gr.) Ou bien encore, ceux qui ont acheté la maison de campagne, sont ceux qui ont reçu tous les autres enseignements divins, mais qui ne les ont point mis en pratique, et n’ont eu que de l’indifférence et du mépris pour la divine parole qu’ils possédaient. Celui qui avait acheté cinq paires de boeufs, est la figure de ceux qui négligent leur nature spirituelle pour s’attacher aux choses sensibles, et qui se rendent incapables de comprendre ce qui est immatériel. Celui qui a pris une femme, représente ceux qui sont étroitement liés à la chair, et qui ont plus d’amour pour la volupté que pour Dieu. (2 Tm 3, 4.) — S. Ambr. On peut voir encore ici trois sortes d’hommes qui sont exclus de ce festin ; les Gentils, les Juifs et les hérétiques. Les Juifs, esclaves d’une religion tout extérieure, portent le joug de la loi ; les cinq paires de boeufs, sont les dix commandements dont il est dit (Dt 4, 13) : " Dieu vous a fait connaître son alliance qu’il vous a commandé d’observer, et les dix paroles. qu’il écrivit sur deux tailles de pierre, " etc. (c’est-à-dire, les commandements du Décalogue) ; ou bien les cinq paires de boeufs sont les cinq livres de la loi ancienne ; en second lieu, l’hérésie, comme Ève autrefois, tente le sentiment de la foi par ses entraînantes séductions. Enfin l’Apôtre nous recommande en plusieurs endroits (Ep 5 ; Col 3 ; He 13 ; 2 Tm 2) de fuir l’avarice, qui nous empêcherait, comme les Gentils, de parvenir au royaume de Jésus-Christ. Ainsi celui qui a acheté une maison de campagne, celui qui a mieux aimé porter le joug de la loi que celui de la grâce, et celui qui s’excuse, parce qu’il vient de se marier, sont tous exclus du royaume de Dieu.

" Le serviteur étant revenu, rapporta tout ceci à son maître. " — S. Aug. (sur la Genès. expliq. littér., V, 19.) Dieu n’a pas besoin d’envoyés pour connaître ce qui se passe dans le monde qui lui est inférieur, et ils ne peuvent ajouter rien à sa science, car elle embrasse toutes choses dans sa durée comme dans son immutabilité ; si donc il se sert d’envoyés, c’est tout à la fois dans leur intérêt et dans le nôtre, car c’est un avantage en rapport avec leur nature, que de se tenir ainsi sous les yeux et en présence de Dieu, pour le servir vis-à-vis des créatures inférieures et exécuter ses ordres suprêmes.

S. Cyr. Ce refus des premiers d’entre les Juifs de se rendre à l’appel de Dieu, refus qu’ils constatent par leurs propres paroles : " Y a-t-il quelqu’un des sénateurs ou des pharisiens qui ait cru en lui ? " (Jn 7, 48) remplit d’une juste indignation le père de famille : " Alors le père de famille, irrité, " etc. — S. Bas. (cf. Ps 37 ; Is 5, 25) La divinité ne peut être accessible à la passion de la colère, mais nous appelons en Dieu colère et indignation, ce qui ressemble aux sentiments que nous éprouvons sous l’impression de ces passions. — S. Cyr. Le père de famille fut donc irrité contre les principaux des Juifs, et à leur place il appela ceux qui, parmi eux, composaient le peuple et qui avaient un esprit faible et plus borné. Ainsi à la parole de Pierre, trois mille d’abord (Ac 2), cinq mille ensuite (Ac 4), embrassèrent la foi, et une grande multitude après eux. Écoutez, en effet, ce que le maître dit au serviteur : " Allez vite dans les places et les rues de la ville, et amenez ici les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux. " — S. Ambr Il invite les pauvres, les infirmes et les aveugles, pour montrer qu’aucune infirmité corporelle n’exclut du royaume ; que celui qui n’est point exposé aux séductions du péché, tombe aussi plus rarement dans le péché, et aussi peut-être que l’infirmité que produit le péché est guérie par la miséricorde de Dieu ; c’est pour cela qu’il les envoie chercher sur les places publiques, afin de leur faire quitter les voies larges et spacieuses pour suivre le sentier étroit.

S. Grég. (hom. 36 sur les Evang.) Au défaut des orgueilleux qui refusent de venir, les pauvres sont choisis ; le texte sacré dit les infirmes et les pauvres qui sont infirmes à leurs yeux, car il y a des pauvres que l’on peut regarder comme forts, ce sont ceux qui sont orgueilleux jusqu’au sein de la pauvreté ; les aveugles sont ceux qui n’ont aucune lumière dans l’esprit ; les boiteux, ceux qui manquent de droiture dans leurs actions. Or, comme les infirmités corporelles de ces derniers sont la figure de leurs vices intérieurs, il s’ensuit que ceux qui ont été invités et ont refusé de venir, et ceux qui ont répondu à l’invitation étaient pécheurs les uns comme les autres ; mais les premiers ont été rejetés comme des pécheurs orgueilleux, tandis que les seconds ont été choisis, parce qu’ils étaient humbles : Dieu choisit donc ceux que le monde méprise, car la plupart du temps, le mépris des hommes fait rentrer en soi-même, et on écoute avec d’autant plus de docilité la voix de Dieu, que le monde offre moins d’attraits. Dieu appelle donc à son festin ceux qui sont dans les rues et les places publiques, ils sont la figure de ce peuple qui tenait à honneur d’être fidèle à l’observation de la loi, mais la multitude du peuple d’Israël, qui a embrassé la foi, n’a pu remplir la salle du festin des cieux. Aussi écoutez la suite : " Et le serviteur dit à son maître : Il a été fait comme vous avez commandé ; et il y a encore de la place, " etc. Les Juifs sont en effet entrés en grand nombre, mais il y a encore de la place dans le royaume pour recevoir la multitude innombrable des Gentils. C’est pourquoi " le maître dit au serviteur : Allez dans les chemins et le long des haies, et contraignez-les d’entrer. " Ces convives qu’il envoie chercher dans les chemins et le long des haies, c’est un peuple encore barbare et grossier, c’est-à-dire, le peuple des Gentils.

S. Ambr. Ou bien il envoie dans les chemins et le long des haies, pour figurer que ceux-là sont propres au royaume des cieux qui, dégagés de toutes les passions de la vie présente, se hâtent d’arriver à la possession des biens futurs, en suivant le sentier que leur bonne volonté leur a ouvert ; et aussi ceux qui, semblables aux haies qui séparent la terre cultivée de celle qui ne l’est pas, et la défend coutre le ravage des animaux, savent discerner le bien du mal et opposer le rempart de la foi aux attaques de l’esprit du mal (Ep 6, 12 ). — S. Aug. (serm. 33 sur les par. du Seign.) Les Gentils sont venus des chemins et des places publiques, les hérétiques viennent comme du milieu des haies. Ceux, en effet, qui plantent des haies, cherchent à établir des divisions ; qu’ils soient donc retirés d’entre ces haies, qu’ils soient arrachés du milieu de ces épines. Mais ils ne veulent pas qu’on les contraigne : " Nous entrerons, dit-il, de notre propre volonté. " Ce n’est pas ce que le Seigneur a commandé : " Contraignez-les d’entrer, " nous dit-il, usez de contrainte au dehors, de là naîtra la bonne volonté.

S. Grég. (hom. 36 sur les Evang.) Ceux qui reviennent à l’amour de Dieu, après avoir été brisés par les tribulations du monde, entrent comme par violence. Mais la sentence est de nature à nous faire trembler : " Or, je vous le dis, aucun de ces hommes qui avaient été invités, ne goûtera de mon festin. " Gardons-nous donc de mépriser l’invitation qui nous est faite, de peur qu’après nous être excusés d’y répondre, nous ne puissions plus entrer dans la salle du festin, lorsque nous en aurons la volonté.

vv. 25-28.

S. Grég. (hom. 37 sur les Evang.) L’âme s’enflamme en entendant parler des récompenses célestes, et elle désirerait déjà être transportée dans ce séjour d’éternelle félicité ; mais on ne peut parvenir à ces grandes récompenses sans de grands efforts. C’est ce que Notre-Seigneur va nous apprendre : " Or, comme une grande foule de peuple allait avec lui, il se retourna vers eux et leur dit. " — Théophyl. Parmi ceux qui l’accompagnaient, il en était beaucoup qui ne le suivaient pas de tout coeur, mais avec une certaine tiédeur ; il leur apprend donc les qualités que doit avoir son disciple.

S. Grég. (hom. 37.) On peut demander comment Notre-Seigneur nous fait un devoir de haïr nos parents et ceux qui nous sont unis par les liens du sang, tandis qu’il nous est commandé d’ailleurs d’aimer jusqu’à nos ennemis ? Mais si nous comprenons bien toute la force de ce précepte, nous pourrons pratiquer l’un et l’autre par un sage discernement ; d’un côté, aimer ceux qui nous sont unis par les liens du sang et que nous reconnaissons pour nos proches ; de l’autre, haïr et éviter ceux qui se déclarent contre nous dans la voie de Dieu, car en refusant d’écouter les mauvaises suggestions des hommes charnels, nous les aimons jusque dans notre haine. — S. Ambr. Le Seigneur, dans votre intérêt, a renoncé sa mère : " Quelle est ma mère, et quels sont mes frères ? " (Mt 12, Mc 3.) Et vous oseriez-vous préférer à votre Dieu ? Le Seigneur ne veut, ni que nous méconnaissions les droits de la nature, ni que nous en soyons esclaves ; nous devons leur accorder assez pour honorer l’auteur de la nature, mais ne jamais nous séparer de Dieu par amour pour nos parents.

S. Grég. (hom. 37.) Pour démontrer plus clairement que cette haine pour nos parents prenait son principe, non d’un mauvais sentiment ou de la passion, mais de la charité, Notre-Seigneur ajoute : " Et même sa propre vie. " Il est donc évident que celui qui hait son prochain comme soi-même, doit l’aimer tout en le haïssant, car nous avons pour notre âme une haine vraiment louable, lorsque nous ne consentons pas à ses désirs charnels, lorsque nous brisons ses inclinations, lorsque nous luttons contre ses penchants voluptueux. Puisque nous la rendons meilleure en la traitant avec mépris, nous l’aimons donc jusque dans la haine que nous avons pour elle. — S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr. et liv. V sur Isaie.) Nous ne devons pas chercher à quitter la v-le que saint Paul lui-même a conservée dans son corps et dans son âme, pour l’employer tout entière à la prédication de Jésus-Christ, mais il nous déclare lui-même que lorsqu’il fallait exposer sa vie pour achever sa course, elle ne lui était plus alors d’aucun prix. (Ac 20, 24.)

S. Grég. (hom. 37.) Mais comment cette haine pour notre propre vie doit-elle se manifester ? Le voici : " Et celui qui ne porte pas sa croix, " etc. Il ne veut pas dire que nous devions porter sur nos épaules une croix de bois, mais que nous devons avoir la mort toujours présente à nos yeux, comme saint Paul qui mourait tous les jours (1 Co 15), et qui méprisait la mort. — S. Bas. (Régl. abrég., quest. 234.) En portant ainsi sa croix, il annonçait la mort du Seigneur et disait : " Le monde est crucifié pour moi, et je suis crucifié pour lui. " (Ga 6.) Et c’est ce que nous commençons nous-mêmes à faire au baptême dans lequel " notre vieil homme a été crucifié avec lui, afin que le corps du péché soit détruit. " (Rm 6.) — S. Grég. (hom. 37.) Comme le mot croix vient de souffrance cruelle, nous portons la croix du Seigneur de deux manières ; ou lorsque nous mortifions notre chair par la pénitence, ou lorsque la compassion pour le prochain nous identifie avec ses propres souffrances. Mais il en est quelques-uns qui pratiquent la mortification, non pour plaire à Dieu, mais par un motif de vaine gloire, et qui témoignent au prochain une compassion toute charnelle, Notre-Seigneur ajoute : " Et ne me suit pas. " Car porter sa croix et suivre le Sauveur, c’est pratiquer la mortification de la chair, ou compâtir aux souffrances du prochain en vue de la récompense éternelle.

vv. 28-33.

S. Grég. (hom. 37 sur les Evang.) Notre-Seigneur vient de donner de sublimes préceptes, il les appuie par la comparaison d’un grand édifice qu’il s’agit de construire : " Quel est celui d’entre vous qui, voulant bâtir une tour, ne s’assied pas auparavant, pour supputer les dépenses, " etc. Toutes nos actions, en effet, doivent être précédées d’une sérieuse réflexion. Voulons-nous donc construire la tour de l’humilité ? préparons-nous tout d’abord aux contradictions du monde. —. S. Bas. (Comment. sur Is 2.) Ou bien cette tour est un observatoire élevé, d’où l’on peut facilement veiller à la garde de la ville et découvrir les approches de l’ennemi ; de même Dieu nous a donné l’intelligence pour veiller avec soin sur nos richesses spirituelles et prévoir tout ce qui pourrait nous en dépouiller. Avant de construire cette tour, Dieu nous commande de nous asseoir pour calculer si nous avons des ressources suffisantes pour l’achever. — S. Grég. de Nyss. (Liv. sur la Virg., chap. 18.) Il faut, en effet, de grands efforts pour mener à bonne fin toute grande entreprise spirituelle qui s’élève sur la pratique successive de tous les commandements de Dieu, et accomplir l’oeuvre de Dieu, car une seule pierre ne suffit pas pour construire une tour, et la pratique d’un seul commandement ne peut nous conduire à la perfection ; mais il faut d’abord poser le fondement, et selon la recommandation de l’Apôtre placer dessus des assises d’or, d’argent et de pierres précieuses, " de peur, ajoute Notre-Seigneur, qu’après avoir posé les fondements, et n’avoir pu l’achever, " etc.

Théophyl. Nous ne devons donc pas nous contenter de poser le fondement de cet édifice (c’est-à-dire, de pratiquer les premiers éléments de la doctrine de Jésus-Christ), et de le laisser inachevé, comme ceux dont parle l’évangéliste, saint Jean : " Dès ce moment-là plusieurs de ses disciples s’éloignèrent et ne marchèrent plus avec lui. " (Jn 6.)

On bien, on peut entendre par ce fondement la doctrine que Notre-seigneur vient d’exposer sur la mortification. Or, il faut ajouter à ce fondement l’édifice des oeuvres, pour achever la tour forte qui doit nous défendre contre nos ennemis. (Ps 60.) Autrement cet homme deviendra un objet de moquerie pour tous ceux qui le verront, aussi bien pour les hommes que pour les démons. — S. Grég. (hom. 37.) Car lorsque nous nous livrons à la pratique des bonnes oeuvres, si nous ne nous mettons soigneusement en garde contre les esprits de malice, nous serons en butte aux railleries de ceux-là mêmes qui nous ont entraînés dans le mal. Notre-Seigneur ajoute à ce premier exemple une comparaison plus importante, pour montrer comment les plus petites choses élèvent notre esprit aux plus grandes. "  Ou quel est le roi qui, se disposant à aller faire la guerre à un autre roi, ne s’assied d’abord pour se demander s’il peut, avec dix mille hommes, faire face à un ennemi qui vient contre lui avec vingt mille ? " — S. Cyr. " Nous avons, en effet, à combattre contre les esprits de malice répandus dans, l’air. " (Ep 6.) Nous sommes assiégés d’ailleurs par mille autres ennemis : l’aiguillon de la chair, la loi de péché qui tyrannise nos membres, et toutes les passions réunies, telle est la multitude redoutable de nos ennemis. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 31.) Ou bien les dix mille hommes de ce roi qui se prépare à combattre contre celui qui en a vingt mille, signifient la simplicité du chrétien qui doit combattre contre la duplicité du démon. — Théophyl. Ces deux rois, c’est encore d’un côté le péché qui règne dans notre corps mortel (Rm 6), de l’autre notre âme, à qui Dieu a donné en la créant, un pouvoir vraiment royal. Si donc elle veut résister victorieusement au péché, qu’elle réfléchisse sérieusement en elle-même, car les démons sont comme les soldats du péché qui paraissent être vingt mille contre les dix mille que nous avons, parce que leur nature incorporelle leur donne sur nous qui avons un corps une force beaucoup plus grande.

S. Aug. (Quest. évang., 2, 31.) Notre-Seigneur combat l’idée de construire une tour qu’on ne pourrait achever par la crainte des railleries auxquelles on s’exposerait : " Cet homme a commencé à bâtir, et il n’a pu achever ; " ainsi dans la parabole du roi, contre lequel il faut combattre, il désapprouve et condamne la paix qu’on est obligé de faire : " Autrement, tandis que celui-ci est encore loin, il envoie des ambassadeurs demander la paix. " Il nous enseigne par là que ceux qui ne renoncent pas à tout ce qu’ils possèdent, sont incapables de soutenir les assauts des tentations du démon, et qu’ils sont obligés de faire la paix avec lui, en consentant au péché qu’il les engage à commettre.

S. Grég. (hom. 37.) Ou bien encore, dans le jugement redoutable qui nous attend, nous ne pouvons nous présenter à forces égales devant notre juge ; nous sommes dix mille contre vingt mille, un seul contre deux. Dieu marche donc avec deux armées contre une seule, parce que nous ne nous sommes préparés que sur les oeuvres, tandis qu’il s’apprête à discuter à la fois nos actions et nos pensées. Pendant qu’il est encore éloigné, et qu’il ne nous fait pas sentir sa présence comme juge, envoyons-lui des ambassadeurs, nos larmes, nos oeuvres de miséricorde, des victimes de propitiation, telle est l’ambassade qui peut apaiser ce roi qui s’avance contre nous.

S. Aug. (Lettre à Laet., 38.) Le Sauveur nous fait voir clairement le but qu’il s’est proposé dans ces paraboles en ajoutant : " Ainsi donc, quiconque d’entre vous ne renonce pas à ce qu’il possède, ne peut être mon disciple. " Ainsi les ressources nécessaires pour construire cette tour, la force et le courage des dix mille qui marchent contre le roi qui en a vingt mille, ne signifient qu’une chose, c’est que chacun doit renoncer à tout ce qu’il possède. Le commencement de ce discours s’accorde parfaitement avec la conclusion ; car le précepte de renoncer à tout ce qu’on possède, renferme celui de haïr son père, sa mère, son épouse, ses enfants, ses frères, ses soeurs, et même sa propre vie. Toutes ces choses, en effet, sont la propriété d’un chacun, et la plupart du temps, elles sont pour lui un obstacle qui l’empêche d’obtenir non les biens particuliers du temps, qui passent si vite, mais ces biens communs à tous qui doivent durer éternellement.

S. Bas. (régl. abrég., quest. 263.) L’intention de Notre-Seigneur dans les deux comparaisons précédentes, n’est pas de laisser croire à chacun qu’il a le droit ou la permission d’être ou de n’être pas son disciple, de même qu’on est libre de ne pas poser les fondements de la tour ou de ne pas faire la paix ; mais de montrer l’impossibilité de plaire à Dieu au milieu de toutes ces affections qui divisent l’âme et la mettent en péril, parce qu’elle est ainsi plus exposée à tomber dans les embûches et dans les piéges que lui tend le démon.

Bède. Il y a une différence entre renoncer à tout, et abandonner tout ce qu’on possède. C’est le partage d’un petit nombre de quitter tout absolument, c’est-à-dire de sacrifier entièrement toutes les sollicitudes de ce monde ; mais c’est une obligation pour tous les fidèles de renoncer à tout, c’est-à-dire d’user des choses du monde, sans en devenir jamais l’esclave dans le monde.

vv. 34-35.

Bède. Notre-Seigneur venait de nous recommander non seulement de commencer, mais d’achever la tour des vertus ; les paroles suivantes : " Le sel est bon, " se rapportent encore à cette recommandation ; c’est-à-dire il est bon d’assaisonner les parties intimes de notre coeur avec le sel de la sagesse spirituelle, et même de devenir comme les Apôtres le sel de la terre. (Mt 5.) — Eusèbe. (Ch. des Pèr. gr.) Le sel est naturellement composé d’eau et d’air mêlés d’un peu de terre ; il absorbe la partie liquide des corps corruptibles, et les conserve ainsi après leur mort. C’est donc avec raison qu’il compare les Apôtres au sel, parce qu’ils ont été régénérés par l’eau et par l’esprit ; et que par leur vie toute spirituelle et séparée des inclinations de la chair, ils étaient comme le sel qui changeait la vie corrompue des hommes qui vivaient sur la terre, et répandait sur leurs disciples l’assaisonnement agréable d’une vie vertueuse. (cf. Lv 2, 13).

Théophyl. Ce ne sont pas seulement ceux qui ont reçu le pouvoir d’enseigner les autres, mais les simples fidèles qui sont obligés d’être utiles à leur prochain à la manière du sel. Mais si celui qui devait être utile aux autres, devient mauvais lui-même, comment pourra-t-on venir à son secours ? Si le sel s’affadit, comment lui rendra-t-on sa saveur ? — Bède. C’est-à-dire, si quelqu’un après avoir été éclairé par le sel divin de la vérité, devient apostat, quel docteur pourra le ramener à la vérité, alors qu’effrayé des persécutions du monde, ou séduit par ses charmes trompeurs, il a renoncé à cette sagesse dont il avait goûté la douceur ? " Il n’est plus propre ni pour la terre, ni pour le fumier, " etc. Le sel, en effet, lorsqu’il a perdu sa force pour assaisonner les aliments ou pour dessécher les viandes, ne peut plus servir à aucun usage. Il n’est plus propre ni pour la terre qu’il rendrait inféconde, ni pour le fumier qui sert d’engrais à la terre. Ainsi celui qui, après avoir connu la vérité, retourne en arrière (He 10, 26.27 ; 2 P 2, 21), devient incapable et de produire aucun fruit de bonnes oeuvres, et d’en faire produire aux autres ; il doit être jeté dehors, c’est-à-dire séparé de l’unité de l’Église.

Théophyl. Comme ces enseignements paraboliques pouvaient avoir quelque obscurité, Notre-Seigneur exhorte ses auditeurs à bien entendre ce qu’il a dit du sel : Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende, " c’est-à-dire qu’il comprenne selon la mesure de la sagesse qui lui est donnée. Car les oreilles figurent ici la force intellectuelle de l’âme, et son aptitude à saisir la vérité. — Bède. Qu’il entende aussi sans mépriser la parole qu’il entend, et en mettant en pratique ce qu’il a appris.

 

CHAPITRE XV

vv. 1-7.

S. Ambr. Les enseignements qui précèdent vous avaient appris à ne vous point laisser absorber par les préoccupations du siècle, et à ne point préférer les choses passagères aux biens éternels. Mais comme la fragilité humaine ne peut tenir pied dans les voies si glissantes du monde, ce médecin plein de bonté vous a indiqué les remèdes contre vos erreurs, et ce juge miséricordieux ne vous a pas refusé l’espérance du pardon : " Or, les publicains et les pécheurs s’approchaient de Jésus pour l’entendre. " La Glose. (interlin.) C’est-à-dire ceux qui exigeaient les impôts publics ou qui les affermaient, et ceux qui cherchent à acquérir les richesses de ce monde par les opérations du commerce.

Théophyl. Notre-Seigneur remplissait ici la fin pour laquelle il s’était incarné, en accueillant avec bonté les pécheurs, comme un médecin accueille les malades. Mais les pharisiens, véritables accusateurs de leur nature, ne répondent que par des murmures à cette conduite pleine de miséricorde : " Et les pharisiens et les scribes murmuraient en disant : Cet homme accueille les pécheurs et mange avec eux. "

S. Grég. (hom. 34 sur les Evang.) Nous pouvons conclure de là que la vraie justice est compatissante, tandis que la fausse est pleine d’une hauteur dédaigneuse. Les justes, il est vrai, traitent et justement les pécheurs avec une certaine dureté, mais il faut bien distinguer ce qui est inspiré par l’orgueil et ce qui est dicté par le zèle pour la discipline. Car bien que les justes, par amour pour la règle, paraissent excéder dans les reproches qu’ils adressent, ils conservent cependant toujours la douceur intérieure sous l’inspiration de la charité ; ils se mettent dans leur coeur bien au-dessous de ceux qu’ils reprennent, et en agissant de la sorte, ils maintiennent dans la vertu ceux qui leur sont soumis, et se conservent eux-mêmes dans la grâce de Dieu par l’humilité. Au contraire, ceux qui s’enorgueillissent de leur fausse justice, affectent un grand mépris pour les autres, n’ont aucune condescendance pour les faibles, et deviennent d’autant plus grands pécheurs, qu’ils s’imaginent être exempts de péché. De ce nombre étaient les pharisiens qui, reprochant au Seigneur d’accueillir favorablement les pécheurs, accusaient avec un coeur desséché la source même de la miséricorde. Mais comme ils étaient malades, au point de ne point connaître leur maladie, le céleste médecin leur prodigue les soins les plus dévoués pour les amener à ouvrir les yeux sur leur triste état : " Et il leur proposa cette parabole : Quel est celui d’entre vous qui, ayant cent brebis, s’il en perd une, ne laisse les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert ? etc. " Il choisit une comparaison dont l’homme pouvait reconnaître la vérité en lui-même, mais qui s’appliquait surtout au Créateur des hommes ; car le nombre cent étant un nombre parfait, Dieu a été le pasteur de cent brebis, lorsqu’il est devenu le Maître dés anges et des hommes. C’est pour cela qu’il ajoute : " Qui a cent brebis. "

S. Cyr. Jugez de là quelle est l’étendue du royaume de notre Sauveur. Il fait remarquer que cet homme avait cent brebis pour exprimer par un chiffre déterminé, et par un nombre complet, la multitude des créatures raisonnables qui lui est soumise, car le nombre cent, composé de dix décades est un nombre parfait. Une de ces brebis s’est égarée, c’est-à-dire le genre humain qui habite la terre. — S. Ambr. Qu’il est riche ce pasteur, puisque nous ne sommes que la centième partie de son troupeau ! " Et s’il en perd une, ne laisse-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres, " etc. — S. Grég. (hom. 34, sur les Evang.) Une brebis s’est égarée, lorsque l’homme par son péché à quitté les pâturages de la vie. Les quatre-vingt-dix-neuf autres étaient restées dans le désert, parce que le nombre des créatures raisonnables, (c’est-à-dire des anges et des hommes), qui avaient été créées pour jouir de la vue de Dieu, se trouvait diminué par la perte de l’homme. C’est pourquoi il s’exprime de la sorte : " Ne laisse-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert ? " parce qu’en effet il a laissé dans le ciel les choeurs des anges. L’homme a quitté le ciel lorsqu’il a commis le péché, et c’est pour que le nombre des brebis fût ramené dans le ciel à son intégrité primitive, que Dieu condescend à chercher sur la terre l’homme qui s’était égaré : " Et il va après celle qui est perdue, " etc. — S. Cyr. Est-il donc cruel pour toutes les autres, en se montrant si tendre pour celle qui s’est égarée ? Non sans doute. Car les autres sont en sûreté, entourées comme d’un rempart de la protection de la main du Tout-Puissant ; mais il fallait avant tout avoir pitié de celle qui allait périr, afin que le troupeau ne restât pas incomplet, car le retour de cette brebis rétablit le nombre cent dans sa perfection première. — S. Aug. ( Quest. Ev., 2, 32.) Ou bien les quatre-vingt-dix-neuf qu’il laisse dans le désert, figurent les orgueilleux, qui portent pour ainsi dire la solitude dans leur âme, en cherchant à concentrer l’attention Sur eux seuls. L’unité leur manque pour qu’ils soient parfaits, car quand on se sépare de l’unité véritable, c’est toujours par un sentiment d’orgueil ; on veut être son maître, et jouir de soi-même, et on ne veut plus suivre l’unité qui n’est autre que Dieu. Or, c’est à cette unité qu’il ramène tous ceux qui sont réconciliés par la grâce de la pénitence qui ne peut s’obtenir que par l’humilité.

S. Grég. de Nyss. Lorsque le pasteur eut retrouvé sa brebis, il ne la châtia point, il ne la ramena pas au bercail avec violence, mais il la chargea sur ses épaules, et la porta avec tendresse pour la réunir au troupeau : " Et lorsqu’il l’a trouvée, il la met avec joie sur ses épaules. " Il met sa brebis sur ses épaules, c’est-à-dire qu’en se revêtant de notre nature, il a porté sur lui nos péchés. (1 P 2, 24 ; Is 53, 4.) Après avoir retrouvé sa brebis, il retourne à sa maison, c’est-à-dire, que notre pasteur, après l’oeuvre de la réparation du genre humain, est rentré dans son céleste royaume : " Et venant à sa maison, il appelle ses amis, et ses voisins, leur disant : Réjouissez-vous avec moi, parce que j’ai trouvé ma brebis qui était perdue. " Ses amis et ses voisins ce sont les choeurs des anges qui sont vraiment ses amis, parce qu’ils accomplissent sa volonté d’une manière constante et immuable ; ils sont aussi ses voisins, parce qu’étant toujours en sa présence, ils jouissent de la claire vision de Dieu.

Théophyl. Les esprits célestes reçoivent ici le nom de brebis, parce que toute nature créée, en comparaison de Dieu, est comme un animal dépourvu de raison, mais cependant il les appelle ses amis et ses voisins, parce que ce sont des créatures raisonnables.

S. Grég. (hom. 34, sur les Evang.) Remarquez qu’il ne dit pas : Réjouissez-vous avec ma brebis, mais : " Réjouissez-vous avec moi, " parce que notre vie fait sa joie, et lorsque nous sommes ramenés dans le ciel, nous mettons le comble à son allégresse et à son bonheur.

S. Ambr. Les anges étant des créatures raisonnables, il est juste qu’ils se réjouissent de la rédemption des hommes : " Ainsi, je vous le dis, il y aura plus de joie dans le ciel pour un pécheur qui fait pénitence, que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de pénitence. " Quel puissant encouragement au bien, pour chacun de nous à qui il est permis de croire que sa conversion sera un sujet de joie pour les anges dont il doit rechercher la protection, autant qu’il doit craindre de la perdre ! — S. Grég. (hom. 34.) Le Sauveur nous déclare que la conversion des pécheurs donnera plus de joie dans le ciel que la persévérance des justes ; souvent en effet, ceux qui ne se sentent point chargés du poids de fautes énormes, persévèrent, à la vérité, dans les voies de la justice, mais ne soupirent point avec ardeur après la céleste patrie, et demeurent presque toujours indifférents à la pratique des oeuvres de perfection, parce qu’ils ont la conscience de ne pas s’être rendus coupables de fautes bien graves. Au contraire, ceux qui se rappellent la gravité des fautes qu’ils ont commises, puisent dans ce souvenir le principe d’une douleur plus vive, et d’un amour de Dieu plus ardent, et la considération de leurs longs égarements les excite à compenser leurs pertes passées en acquérant de nouveaux mérites. Ils sont donc pour le ciel le sujet d’une plus grande joie, parce qu’un général aime mieux un soldat qui, après avoir fui honteusement devant l’ennemi, revient sur ses pas, et le charge avec intrépidité, que celui qui n’a jamais pris la fuite, mais qui aussi n’a jamais fait aucune action d’éclat. C’est ainsi que le laboureur préfère de beaucoup la terre qui, après avoir porté des épines, produit des fruits en abondance, à celle qui n’a jamais produit d’épines, mais qui aussi ne s’est jamais couverte d’une riche moisson. Et cependant, il faut le reconnaître, il est un grand nombre de justes, dont la vie est pour le ciel un si grand sujet de joie, qu’aucune pénitence des pécheurs convertis ne peut lui être préférée. Comprenons par là quelle joie donnent à Dieu les larmes du juste qui gémit dans l’humilité de son âme, puisque le pécheur produit dans le ciel une si grande joie lorsqu’il désavoue et pleure par la pénitence le mal qu’il a commis.

vv. 8-10.

S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) La parabole précédente où le genre humain était comparé à une brebis égarée, nous apprenait que nous sommes les créatures du Dieu très-haut, qui nous a faits, car nous ne nous sommes pas faits nous-mêmes, et nous sommes les brebis de sa bergerie. (Ps 94.) Le Sauveur à cette première parabole en ajoute une seconde, qui nous rappelle que nous avons été faits a l’image et à la ressemblance d’un roi, c’est-à-dire à l’image et à la ressemblance du Dieu tout-puissant, car la drachme est une pièce de monnaie qui porte l’empreinte de la figure du roi : " Ou quelle est la femme qui ayant dix drachmes, si elle en perd une, " etc. — S. Grég. (hom. 34, sur les Evang.) Celui dont le pasteur était la figure nous est encore représenté par cette femme ; c’est Dieu lui-même, c’est la sagesse de Dieu. Il a créé les anges et les hommes pour qu’ils puissent le connaître, et il les a faits à sa ressemblance. Il avait dix drachmes, parce qu’il y a neuf choeurs des anges, et que pour rendre complet le nombres des élus, l’homme a été créé le dixième. — S. Aug. (quest. Evang., si, 33.) Ou bien ces neuf drachmes comme les quatre-vingt-dix-neuf brebis représentent ceux qui par un sentiment de présomption se préfèrent aux pécheurs repentants, car il manque une unité au nombre neuf pour faire dix, et au nombre quatre-vingt-dix-neuf pour faire cent, et c’est à cette unité qu’il compare tous ceux qui obtiennent la réconciliation par la pénitence. — S. Grég. (hom. 34.) Comme la drachme porte l’empreinte d’une figure royale, cette femme a perdu sa drachme, lorsque l’homme qui avait été créé à l’image de Dieu, a perdu par le péché sa ressemblance avec son Créateur. Le Sauveur ajoute : " Si elle en perd une, n’allume-t-elle pas sa lampe ? " etc. Cette femme qui allume sa lampe, c’est la sagesse de Dieu qui s’est manifestée sous une forme humaine, car une lampe est une lumière dans un vase de terre, et cette lumière dans un vase de terre c’est la divinité dans une chair mortelle. Après qu’elle a allumé sa lampe, " elle bouleverse sa maison, " c’est-à-dire qu’aussitôt que la divinité a brillé à nos yeux dans l’humanité dont elle s’était revêtue, notre conscience a été tonte bouleversée. Cette expression, " elle bouleverse toute sa maison, " ne diffère point de cette autre qu’on lit dans certains manuscrits : " elle balaye sa maison ; " car l’âme du pécheur ne peut être purifiée de ses habitudes vicieuses qu’après avoir été profondément remuée par la crainte de Dieu. La maison ainsi mise sens dessus dessous, la drachme se retrouve : " Et elle cherche soigneusement jusqu’à ce qu’elle la trouve, " car c’est grâce à ce trouble salutaire de la conscience, que l’homme répare en lui l’image de son Créateur.

S. Greg. de Naz. (Disc. 42, 2° sur la fête de Pâques.) Aussitôt qu’il a retrouvé la drachme qu’il avait perdue, il veut faire partager sa joie aux esprits célestes qu’il a établis les ministres de sa miséricorde : " Et lorsqu’elle l’a retrouvée, elle assemble ses amies et ses voisines, " etc. — S. Grég. (hom. 34.) En effet les vertus des cieux sont d’autant plus voisines de la divine sagesse qu’elles en sont plus rapprochées par la grâce de la claire vision de Dieu. — Théophyl. Ou encore : elles sont ses amies, parce qu’elles exécutent ses volontés ; elles sont ses voisines, parce qu’elles ont une nature incorporelle. Ou encore, toutes les vertus célestes sont les amis de Dieu ; ses voisines sont celles qui sont plus rapprochées, c’est-à-dire : les trônes, les chérubins et les séraphins.

S. Grég. de Nyss. (De la virginité, chap. 12.) Ou bien dans un autre sens, voici la vérité que Notre-Seigneur a voulu nous enseigner sous la comparaison de cette drachme qui est perdue et que l’on cherche ; c’est que nous ne pouvons retirer aucune utilité des vertus purement extérieures, figurées ici par les drachmes, (les eussions-nous toutes réunies), si notre âme est dépourvue et comme veuve de celle qui seule peut lui donner l’éclat de la ressemblance divine. La première chose qu’il nous ordonne de faire, c’est d’avoir une lampe allumée ; c’est-à-dire la parole divine qui découvre les choses cachées : ou bien encore la lampe de la pénitence. Or, c’est dans sa propre maison, (c’est-à-dire en soi-même et dans sa conscience), qu’il faut chercher cette drachme qu’on a perdue, c’est-à-dire cette image de notre roi qui n’est pas entièrement effacée et perdue, mais qui est cachée sous le fumier, qui figure les souillures de la chair. Il faut enlever ces souillures avec soin, et lorsqu’on les a fait disparaître de la drachme, la sainteté de la vie est alors dans tout son jour ce que l’on cherchait. Il faut donc se réjouir de l’avoir retrouvée et appeler à partager sa joie ses voisines, c’est-à-dire les puissances de notre âme, la partie raisonnable, et la partie irascible ou sensible et toutes les autres puissances de notre âme qui doivent se réjouir dans le Seigneur. Le Sauveur conclut ensuite cette parabole par ces paroles : " Ainsi, je vous le dis, sera la joie parmi les anges de Dieu pour un pécheur qui fait pénitence. Faire pénitence, c’est pleurer les fautes passées, et cesser de commettre celles qu’on déplore ; car celui qui déplore ses fautes anciennes, sans cesser d’en commettre de nouvelles, ne sait pas encore ce que c’est de faire pénitence, ou fait l’hypocrite. Il faut encore bien réfléchir qu’une des satisfactions à offrir au Créateur, c’est de s’interdire même les choses permises, parce qu’on s’est permis des choses défendues, c’est d’être sévère pour soi dans les plus petites circonstances, parce qu’on se rappelle d’avoir été infidèle dans les plus grandes.

vv. 11-16.

S. Ambr. Saint Luc raconte successivement trois paraboles de Notre-Seigneur, celle de la brebis égarée et ramenée au bercail, celle de la drachme qui était perdue et qui fut retrouvée, et celle du fils qui était mort et qui fut ressuscité, pour que la vue de ces trois remèdes différents nous engage à guérir nos propres blessures. Jésus-Christ, comme un bon pasteur, vous porte sur ses épaules ; l’Église vous cherche comme cette femme qui avait perdu sa drachme ; Dieu vous reçoit comme un tendre père ; dans la première parabole, nous voyons la miséricorde de Dieu ; dans la seconde, les suffrages de l’Église ; dans la troisième, la réconciliation. — S. Chrys. (hom. sur le père et ses deux fils.) Il y a encore entre ces trois paraboles une différence fondée sur les personnes ou les dispositions des pécheurs ; ainsi le père accueille son fils repentant, qu’il a laissé user de sa liberté pour lui faire connaître d’où il était tombé, tandis que le pasteur cherche sa brebis égarée et la rapporte sur ses épaules, parce qu’elle était incapable de revenir ; cette brebis, animal dépourvu de raison, est donc la figure de l’homme imprudent qui, victime de ruses étrangères, s’est égaré comme une brebis. Or Notre-Seigneur commence ainsi cette parabole : Un homme avait deux fils. " Il en est qui prétendent que le plus âgé de ces deux fils figure les anges, et que le plus jeune représente l’homme qui s’en alla dans une région lointaine, lorsqu’il tomba des cieux et du paradis sur la terre, et ils appliquent la suite de la parabole à la chute d’Adam et à son état après qu’il eut péché. Cette interprétation me parait pieuse, mais je ne sais si elle est aussi fondée en vérité. En effet, le plus jeune fils revint de lui-même à la pénitence, au souvenir de l’abondance dont il avait joui dans la maison de son père, tandis que le Seigneur est venu appeler lui-même à la pénitence le genre humain, qui ne songeait même pas à retourner au ciel d’où il était tombé. Ajoutez que l’aîné des deux fils s’attriste du retour et du salut de son frère, tandis que Notre-Seigneur nous déclare que la conversion d’un pécheur est un sujet de joie pour tous les anges. — S. Cyr. Suivant d’autres, le fils aîné représente le peuple d’Israël, selon la chair (Rm 9, 6), et celui qui quitte la maison paternelle, la multitude des Gentils.

S. Aug. (Quest. év., 2, 33.) Cet homme qui a deux fils représente donc Dieu, père aussi de deux peuples, qui sont comme les deux souches du genre humain, l’une composée de ceux qui sont restés fidèles au culte d’un seul Dieu, et l’autre de ceux qui ont oublié le vrai Dieu, jusqu’à adorer des idoles. Ainsi, c’est dès l’origine du monde et immédiatement après la création des hommes, que l’aîné des fils embrasse le culte du seul et vrai Dieu, et que le plus jeune demande à son père la portion du bien qui devait lui revenir : " Et le plus jeune des deux dit à son père : Mon père, donnez-moi la portion de bien qui doit me revenir. " Ainsi l’âme, séduite par la puissance qu’elle croit avoir, demande à être maîtresse de sa vie, de son intelligence, de sa mémoire, et à dominer par la supériorité de son génie ; ce sont là des dons de Dieu, mais elle les a reçus pour en disposer selon sa volonté. Aussi le père accède à ce désir : " Et il leur partagea leurs biens. " — Théophyl. Le bien de l’homme, c’est la raison accompagnée du libre arbitre ; tout ce que nous tenons de la main libérale de Dieu, peut aussi être regardé comme notre bien, le ciel, la terre, toutes les créatures, la loi et les prophètes.

S. Ambr. Vous voyez que le patrimoine que nous tenons de Dieu est donné à tous ceux qui le demandent, et ne pensez pas que le père ait commis une imprudence en le donnant au plus jeune de ses fils. Pour le royaume de Dieu, nul âge n’est trop faible, et les années ne sont jamais un poids trop lourd pour la foi. D’ailleurs ce jeune homme s’est jugé capable d’administrer ce patrimoine, puisqu’il en demande le libre usage. Et plût à Dieu qu’il ne se fût pas éloigné de son père, il n’eût pas connu l’impuissance de l’âge : " Peu de jours après, le plus jeune fils, ayant rassemblé tout ce qu’il avait, partit pour une région lointaine, " etc. — S. Chrys. (comme précéd.) Le plus jeune fils part pour un pays lointain, ce n’est pont par le changement et la distance des lieux qu’il s’éloigne de Dieu, qui remplit tout de son immensité, mais par les affections du coeur, car le pécheur fuit Dieu pour s’en tenir éloigné. — S. Aug. (serm. 34 sur les paroles du Seigneur.) Celui qui veut se rendre semblable à Dieu en conservant toute sa force en lui (Ps 58, 8), ne doit point s’éloigner de Dieu, mais s’attacher étroitement à lui pour conserver l’image et la ressemblance à laquelle il a été fait. Mais s’il veut imiter Dieu d’une manière coupable, et à l’exemple de Dieu, qui ne reconnaît point de maître, vivre indépendant et affranchi de toute autorité, que doit-il arriver ? C’est qu’en s’éloignant de la chaleur il tombera dans l’engourdissement, c’est qu’en s’éloignant de la vérité, il se dissipera dans la vanité. — S. Aug. (quest. évang., 2, 33.) C’est peu de jours après, qu’ayant rassemblé tout ce qu’il avait, il part pour une région lointaine, qui est l’oubli de Dieu, c’est-à-dire, que ce fut peu de temps après la création du genre humain, que l’âme voulut à l’aide de son libre arbitre, se rendre maîtresse de sa nature et s’éloigner de son Créateur dans un sentiment exagéré de ses forces, qu’elle perdit d’autant plus vite, qu’elle se sépara de celui qui en était la source. Aussi quelle fut la suite : " Et il y dissipa son bien en vivant dans la débauche. " Il appelle une vie d’excès ou de débauche, une vie de prodigalité, qui aime à se répandre, à errer en liberté et qui se dissipe au milieu des pompes extérieures du monde, cette vie qui fait qu’on poursuit toujours de nouvelles choses, tandis qu’on s’éloigne davantage de celui qui est au-dedans de nous-mêmes : " Et après qu’il eut tout consumé, il survint une grande famine dans ce pays. " Cette famine, c’est l’indigence de la parole de vérité.

" Et il commença à sentir le besoin. " — S. Ambr. C’est par une juste punition qu’il tombe dans l’indigence, lui qui a volontairement abandonné les trésors de la sagesse et de la science de Dieu, et la source inépuisable des richesses célestes : " Il alla donc, et s’attacha à un habitant de ce pays-là. " — S. Aug. (Quest. évang.) Cet habitant de cette région, c’est quelque puissance de l’air, faisant partie de la milice du démon. (Ep 6, 42.) Cette maison des champs, c’est une des manières dont il exerce sa puissance, comme nous le voyons par la suite : " Il l’envoya dans sa maison des champs pour garder les pourceaux. " Les pourceaux sont les esprits immondes dont le démon est le chef. — Bède. Mener paître les pourceaux, c’est commettre ces actions infâmes qui font la joie des esprits immondes : " Et il désirait se rassasier des caroubes que les pourceaux mangeaient. " — S. Ambr. La silique (ou ce que la Vulgate a traduit par ce mot), est une espèce de légume vide au-dedans et assez tendre à l’extérieur, qui remplit le corps sans le fortifier, et qui, par conséquent, est plus nuisible qu’utile. — S. Aug. (Quest. évang.) Ces siliques, dont les pourceaux se nourrissaient, sont donc les doctrines du siècle, aussi vaines qu’elles sont sonores, dont retentissent les discours et les poèmes consacrés à la louange des idoles et les fables des dieux qu’adorent les nations et qui font la joie des démons. Ainsi ce jeune homme qui voulait se rassasier, cherchait dans cette nourriture un élément solide et réel de bonheur, et cela lui était impossible : " Et personne ne lui en donnait. "

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Les Juifs sont souvent accusés dans la sainte Écriture, de crimes multipliés (Is 29, 13 ; Jr 2, 5) ; comment donc peut-on appliquer à ce peuple ces paroles du fils aîné : " Voici tant d’années que je vous sers, et je n’ai jamais manqué à vos commandements ? " Voici donc le sens de cette parabole. Les pharisiens et les scribes ayant accusé le Sauveur d’accueillir avec bonté les pécheurs, il leur proposa cette parabole, dans laquelle il compare Dieu à un homme qui est le père de ces deux frères (c’est-à-dire des justes et des pécheurs) ; le premier degré est celui des justes qui ne se sont jamais écartés des sentiers de la justice ; le second degré comprend les hommes qui ont été ramenés par la pénitence dans les sentiers de la vertu. — S. Bas. (sur Is 3.) Ce qui donne à l’aîné plus de constance dans le bien, c’est moins son âge avancé et ses cheveux blancs que sa maturité et la gravité du caractère ; et celui qui est ici condamné n’est pas le plus jeune par l’âge, mais celui qui, jeune par sa conduite, suit les inspirations de ses passions. — Tite de Bostra. Le plus jeune de ces deux fils, dont l’esprit n’était pas encore arrivé à la maturité, s’en va donc et demande à son père la portion de l’héritage qui doit lui revenir, afin de n’être plus dans la nécessité de lui être soumis, car nous sommes des êtres raisonnables doués de la faculté du libre arbitre.

S. Chrys. (comme précéd.) Le père, dit l’Évangile, leur partagea donc également son bien, c’est-à-dire la science du bien et du mal, source de richesses vraies et durables pour l’âme qui sait en faire un bon usage. En effet, la faculté de la raison que l’homme reçoit de Dieu en naissant est donnée également à tous ceux qui viennent au monde ; mais dans la suite, chacun se trouve avoir plus ou moins de cette faculté de la raison suivant le genre de vie qu’il adopte : l’un, en effet, regarde et conserve comme appartenant à son père, le patrimoine qu’il en a reçu, l’autre en use comme d’un bien qui lui appartient en propre et le dissipe dans tous les excès. Nous avons du reste dans la conduite de ce père une preuve démonstrative du libre arbitre, il ne retient pas le fils qui veut se séparer de lui pour ne point blesser son libre arbitre, il ne force point non plus l’aîné de quitter la maison paternelle, pour ne point paraître le premier auteur des malheurs qui suivraient cette séparation. Or, ce fils s’en va, non point en changeant de lieu, mais par l’éloignement de son coeur : " Il partit, dit l’Évangile, pour une région étrangère et lointaine. " — S. Ambr. Quel éloignement plus grand, en effet, que de s’éloigner de soi-même et d’être séparé, non par la distance des contrées, mais par la différence des moeurs ? Celui, en effet, qui se sépare de Jésus-Christ, est un exilé de sa patrie et un habitant du monde. Et il n’est pas surprenant qu’en s’éloignant de l’Église, il ait dissipé son patrimoine. — Tite de Bostr. Aussi donne-t-on le nom de prodigue à celui qui dissipe tout son bien, c’est-à-dire, la droiture de son intelligence, les leçons de la chasteté, la connaissance de la vérité, le souvenir de son père, la pensée de son origine.

S. Ambr. Il survint dans cette région une grande disette, non d’aliments, mais de bonnes oeuvres et de vertus, privation des plus déplorables. En effet, celui qui s’éloigne de la parole de Dieu, ressent, bientôt l’aiguillon de la faim ; car l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole de Dieu (Mt 4) ; et celui qui s’éloigne d’un trésor, tombe dans l’indigence. Il commença donc à se trouver dans l’indigence et à souffrir de la faim, parce que rien ne peut suffire à une volonté prodigue. " Il s’en alla donc, et s’attacha à un habitant do ce pays ; " car celui qui s’attache est comme pris au piège ; cet habitant paraît être le prince de ce monde. L’infortuné est envoyé dans cette maison des champs achetée par celui qui s’est excusé de venir au festin royal. (Lc 14.) — Bède. Etre envoyé dans une maison des champs, c’est devenir l’esclave des désirs des jouissances de ce monde. — S. Ambr. Il garde les pourceaux dans lesquels le démon a prié qu’on le laissât entrer (Mt 8 ; Mc 2 ; Lc 8), et qui vivent dans l’ordure et le fumier. — Théophyl. Garder les pourceaux, c’est être supérieur aux autres dans le vice, tels sont les corrupteurs, les chefs de brigands, les chefs des publicains, et tous ceux qui tiennent école d’obscénités.

S. Chrys. (comme précéd.) Celui qui garde les pourceaux est encore celui qui est dépouillé de toute richesse spirituelle (de la prudence et de l’intelligence), et qui nourrit dans son âme des pensées impures et immondes. Il mange aussi les aliments grossiers d’une vie corrompue, aliments doux à celui qui est dans l’indigence de tout bien ; car les âmes perverties trouvent une certaine douceur dans les plaisirs voluptueux qui énervent et anéantissent les puissances de l’âme ; l’Écriture désigne sous le nom de siliques ces aliments destinés aux pourceaux, et dont la douceur est si pernicieuse (c’est-à-dire les attraits des plaisirs charnels.) — S. Ambr. Il désirait remplir son ventre de ces siliques ; parce que ceux qui mènent une vie dissolue, n’ont d’autre souci que de satisfaire pleinement leurs instincts grossiers. — Théophyl. Mais personne ne peut lui donner cette satiété dans le mal ; car celui qui a ce désir est éloigné de Dieu, et les démons s’appliquent à ce qu’on ne trouve jamais la satiété dans le vice. — La Glose. Ou bien encore, personne ne lui en donnait, car le démon ne donne jamais satisfaction pleine aux désirs de celui dont il s’est emparé, parce qu’il sait qu’il est mort.

vv. 17—24.

S. Grég. de Nysse. (comme précéd.) Le plus jeune fils avait traité son père avec mépris en quittant la maison paternelle, et en dissipant tout son patrimoine ; mais lorsque dans la suite il fut brisé par les travaux, réduit à la condition de mercenaire, et à manger la même nourriture que les pourceaux ; instruit par une aussi grande infortune, il revint dans la maison de son père : " Rentrant alors en lui-même, il dit : Combien de mercenaires, dans la maison de mon père, ont du vain en abondance, et moi ici je meurs de faim. " — S. Ambr. Il a bien raison de rentrer en lui-même, lui qui s’en est tant éloigné ; car eu retournant à Dieu, on se rend à soi-même, et on s’en sépare quand on se sépare de Jésus-Christ. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 33.) Il rentra en lui-même, lorsqu’il ramena dans l’intérieur de sa conscience ses affections qu’il avait laissé s’égarer sur toutes ces vanités extérieures qui nous séduisent et nous entraînent.

S. Bas. (de la préface des régl. dévelop.) On peut distinguer trois degrés d’obéissance d’après leurs différents motifs. Ou bien nous nous éloignons du mal par la crainte des supplices, et nous sommes dans une disposition servile ; ou nous faisons ce qui nous est commandé exclusivement par le désir de la récompense, et nous ressemblons à des mercenaires ; ou enfin nous obéissons par amour pour le bien et pour celui qui nous a donné la loi, et nos dispositions sont celles d’un véritable fils. — S. Ambr. Car le fils qui a dans son coeur le gage de l’Esprit saint, ne cherche pas les avantages passagers de la terre, mais il conserve ses droits d’héritier. Il y a aussi de bons mercenaires, tels que ceux que le père de famille envoie travailler à sa vigne. (Mt 20.) Ils ne se nourrissent pas de siliques, mais ont le pain en abondance. — S. Aug. (Quest. évang.) Mais comment pouvait-il le savoir, lui qui, comme tous les idolâtres, était tombé dans un si grand oubli de Dieu ? Cette pensée de retour ne lui vint donc qu’à la prédication de l’Évangile. C’est alors que cette âme put déjà s’apercevoir que dans le grand nombre de ceux qui prêchaient la vérité, il en était plusieurs qui n’étaient pas conduits par l’amour de la vérité, mais par le désir d’obtenir les avantages de la terre, quoique cependant ils n’annonçaient pas une autre doctrine, comme font les hérétiques. On les appelle justement mercenaires, parce qu’ils demeurent dans la même maison, et rompent le même pain de la parole ; toutefois, ils ne sont pas appelés à l’héritage éternel, mais ils travaillent pour une récompense purement temporelle.

S. Chrys. (comme précéd.) Après que cet enfant prodigue a souffert dans une terre étrangère le digne châtiment de ses égarements, vaincu par l’extrémité de ses malheurs, c’est-à-dire par la famine et la pauvreté, il commence à réfléchir sur la cause de sa détresse, lui qui, sous l’impulsion d’une volonté vicieuse a quitté son père pour des étrangers, sa maison pour l’exil, les richesses pour la pauvreté, l’abondance de tous les biens pour l’extrême indigence. Aussi écoutez cet aveu si expressif : " Et moi ici, je meurs de faim, " c’est-à-dire, moi qui ne suis pas un étranger, mais le fils d’un si bon père, et le frère d’un fils si soumis, moi qui étais libre et de condition noble, je suis devenu plus misérable que les mercenaires en tombant du comble de ma grandeur première dans l’abîme de l’humiliation. — S. Grég. de Nysse. Il n’y eut pour lui de retour à sa félicité première, qu’après qu’il fut rentré en lui-même, pour sentir tout le poids de sa misère, et qu’il eut réfléchi sur les paroles de repentir qui suivent : " Je me lèverai, " etc. — S. Aug. (Quest. évang.) " Je me lèverai, " parce qu’en effet, il était comme étendu à terre ; " à mon père, " parce qu’il était au service du maître de ces pourceaux. Les autres paroles sont celles du pécheur qui songe à faire pénitence en confessant son péché, mais qui n’en vient pas encore à l’action ; car il ne fait pas encore cet aveu à son père ; il se propose de le faire lorsqu’il se présentera devant lui, Il faut donc bien comprendre le sens de ces paroles : " Venir à son père ; " elles veulent dire être établi par la foi dans l’Église, où la confession peut être légitime et avantageuse. Il prend donc la résolution de dire à son père : " Mon père. " — S. Ambr. Qu’il est miséricordieux ce Dieu qui, tout offensé qu’il est, ne dédaigne pas ce nom de père que le pécheur lui donne ! " J’ai péché, " c’est le premier aveu que nous devons faire devant l’auteur de notre nature, le roi de la miséricorde, le confident et le juge de nos fautes. Mais bien que Dieu connaisse toutes choses, il attend néanmoins votre confession extérieure, car la confession de bouche (Rm 10, 10) est nécessaire pour le salut. Celui qui se charge lui-même, allége le poids de l’erreur qui pèse sur lui, et ôte à l’accusateur le désir de l’accuser, en le prévenant par une confession volontaire. C’est en vain, d’ailleurs, que vous voudriez en dérober la connaissance à celui pour qui rien n’est caché, tandis que vous pouvez sans danger avouer ce que vous savez lui être déjà connu. Confessez-vous donc, pour que le Christ intercède en votre faveur, pour que l’Église prie pour vous, pour que le peuple fidèle verse des larmes sur vous. Ne craignez pas de n’être pas exaucé, votre avocat vous assure du pardon ; votre protecteur s’engage à vous donner la grâce ; le témoin de la tendresse de votre père vous promet la réconciliation qu’il vous réserve. Il ajoute : " Contre le ciel et devant vous. " — S. Chrys. (comme précéd.) Ces paroles : " Devant vous, " nous apprennent que ce père c’est Dieu, qui seul voit toutes choses, et pour qui les péchés même dont la pensée est comme ensevelie dans le coeur, ne peuvent demeurer cachés.

S. Aug. (Quest. évang.) Mais ce péché contre le ciel est-il le même que le péché commis sous les yeux de Dieu, dans ce sens que le ciel serait la majesté sublime du Père ? Ou bien faut-il entendre : J’ai péché contre le ciel en présence des âmes saintes qui l’habitent, et devant vous dans le secret de ma conscience ? — S. Chrys. (comme précéd.) Ou bien encore faut il entendre par le ciel Jésus-Christ ? car celui qui pèche contre le ciel, qui malgré son élévation est cependant un élément visible, pèche contre l’homme, dont le Fils de Dieu s’est revêtu pour notre salut. — S. Ambr. Ou encore ces paroles veulent dire que le péché diminue dans l’âme les dons célestes de l’Esprit saint ; ou que nous n’aurions pas dû nous séparer du sein de la Jérusalem céleste qui est notre mère. Or, après être tombé si bas, il doit se garder de s’élever, aussi ajoute-t-il : " Je ne suis plus digne d’être appelé votre fils, " mais afin que cette humiliation volontaire lui obtienne la grâce dont il déclare n’être point digne, il ajoute : " Traitez-moi comme un de vos mercenaires. " — Bède. Il n’ose aspirer à l’affection dont jouit un fils qui ne peut douter que tout ce qui est à son père ne soit à lui, il se contente de demander la condition d’un mercenaire prêt à servir pour son salaire, et encore déclare-t-il qu’il ne peut obtenir cette condition que par l’indulgence de son père.

S. Grég. de Nysse. Le Saint-Esprit, nous décrit les égarements et le retour de cet enfant prodigue, pour nous apprendre comment nous devons déplorer les égarements de notre coeur. — S. Chrys. (hom. 14 sur l’Epît. aux Rom.) Aussitôt qu’il a pris cette résolution, source pour lui de tous les biens : " J’irai vers mon Père, " il franchit sans tarder la distance qui le sépare de lui : " Et se levant, il vint vers son pore. " Imitons son exemple, ne soyons pas effrayés de la longueur du chemin ; car pourvu, que nous le voulions, le retour sera prompt et facile ; il suffit que nous nous détachions du péché qui nous a éloignés de la maison paternelle. Mais voyez la tendresse de ce bon père pour ceux qui reviennent à lui : " Comme il était encore loin, son père le vit, " etc. — S. Aug. (Quest. évang.) Avant même qu’il comprit ce qu’était Dieu, dont il était si éloigné, mais qu’il commençait à chercher avec amour, son père le vit. L’Écriture nous dit avec raison que Dieu ne voit point les impies et les superbes, comme s’ils n’étaient pas présents à ses yeux ; car il n’y a que ceux qu’on aime dont on puisse dire qu’on les a toujours devant les yeux.

S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Le père comprit le repentir de son fils, il n’attendit point qu’il eût fait l’aveu de ses fautes, et il prévint ses désirs par les effets de sa miséricorde : " Et il fut touché de compassion. " — S. Grég. de Nysse. La volonté de confesser ses égarements suffit pour apaiser son père, le déterminer à aller à sa rencontre et à couvrir son cou de ses baisers : " Il accourut, se jeta à son cou, et le baisa. " C’est la figure du joug spirituel imposé aux lèvres de l’homme par la tradition évangélique qui a mis fin aux observances légales. — S. Chrys. (hom. sur le pèr. et ses deux enfants.) Or, que signifie cette condescendance du père qui va à la rencontre de son fils ? c’est que nos péchés étaient un obstacle insurmontable qui nous empêchait d’arriver jusqu’à Dieu par nos propres forces. Mais pour lui qui pouvait parvenir jusqu’à notre infirmité, il est descendu jusqu’à nous ; et il baise cette bouche d’où était sortie la confession dictée par un coeur repentant, et que ce bon père a reçue avec tant de joie.

S. Ambr. Il vient donc à votre rencontre, parce qu’il entend le langage des secrètes pensées de votre coeur ; et alors que vous êtes encore bien loin, il accourt au-devant de vous pour lever tous les obstacles : il embrasse son fils avec effusion, (car il vient à sa rencontre dans sa prescience, et l’embrasse dans sa tendresse), et se jette à son cou par un élan d’amour paternel, pour relever ce fils si abattu, et redresser vers le ciel celui qui était accablé sous le poids de ses péchés, et courbé vers les choses de la terre. Aussi j’aime mieux être le fils égaré que la brebis perdue, car si la brebis est retrouvée par le pasteur, le fils est comblé d’honneur par son père. — S. Aug. (quest. Evang.) Ou bien encore, il accourt et se jette à son cou : parce que ce père n’a pas quitté son Fils unique dans lequel il est accouru jusque dans notre lointain pèlerinage ; car Dieu était dans Jésus-Christ se réconciliant le monde. (2 Co 5.) Il tombe sur son cou, c’est-à-dire, qu’il. abaisse pour l’étreindre son bras, qui est Notre-Seigneur Jésus-Christ (1 Co 1, 24 ; Is 53, 1 ; Lc 1). Il le console par la parole de la grâce qui lui donne l’espérance de la rémission de ses péchés ; c’est ainsi qu’au retour de ses longs égarements, il lui donne le baiser d’amour paternel. Une fois entré dans l’Église, il commence la confession de ses péchés ; mais sans la faire aussi complète qu’il se l’était proposé : " Et le Fils lui dit : Mon Père, j’ai péché contre le ciel et à vos yeux, je ne suis plus digne d’être appelé votre fils. " Il veut obtenir de la grâce de Dieu ce dont il avoue que ses fautes le rendent indigne, car il n’ajoute pas ce qu’il s’était proposé de dire : Traitez-moi comme un de vos mercenaires. " Lorsqu’il était sans pain, il désirait la condition des mercenaires, mais il la dédaigne avec une noble fierté après qu’il a reçu le baiser de son père.

S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Le père n’adresse point la parole à son fils, mais à ses serviteurs, parce que le pécheur repentant est tout entier à la prière, et ne reçoit pas une réponse verbale, mais prouve intérieurement les effets puissants de la miséricorde divine : " Et le père dit à ses serviteurs : Apportez vite sa robe première et l’en revêtez. " — Théophyl. Ces serviteurs, ce sont ou les anges qui servent à Dieu de ministres, ou les prêtres qui par le baptême et la parole sainte revêtent l’âme en Jésus-Christ Car nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, nous avons revêtu Jésus-Christ. " (Ga 3, 27.) — S. Aug. (quest. Evang.) Ou bien cette robe première, c’est la dignité qu’Adam a perdue par son péché : les serviteurs qui l’apportent, sont les prédicateurs de la réconciliation. — S. Ambr. Ou bien cette robe, c’est le vêtement de la sagesse dont les apôtres couvrent la nudité de notre corps ; cette robe première, c’est le premier degré de la sagesse, parce qu’il en est une autre pour laquelle il n’y a point de mystère. L’anneau est le signe d’une foi sincère et l’emblème de la vérité : Et mettez-lui un anneau au doigt. " — Bède. C’est-à-dire, dans l’action, afin que ses oeuvres fassent éclater sa foi, et que la foi à son tour confirme les oeuvres. — S. Aug. (quest. Evang.) Ou bien l’anneau au doigt c’est le. gage de l’Esprit saint, à cause de la participation à la grâce dont le doigt est comme la figure. — S. Chrys. (hom. sur le Père et ses deux enf.) On bien il commande de lui mettre au doigt un anneau, comme le symbole du signe du salut, ou plutôt comme un signe d’alliance, et un gage de l’union que Jésus-Christ contracte avec l’Église son épouse, et aussi avec l’âme repentante qui s’unit avec Jésus-Christ par l’anneau de la foi,

S. Aug. (quest. Evang.) La chaussure qu’on lui met aux pieds figure la préparation à la prédication de l’Évangile qui consiste à ne point s’approcher de trop près des choses de la terre : Et mettez-lui une chaussure aux pieds. " — S. Chrys. (comme précéd.) Ou bien il commande de lui mettre une chaussure aux pieds, soit pour protéger ses pas, et donner à sa marche plus de fermeté dans les sentiers gus. sauts de ce monde, soit comme symbole de la mortification des membres, car tout le cours de notre vie est comparé au pied dans les Écritures (Jb 23, 11 ; Ps 25, 12 ; Pv 3, 23 ; Si 6, 25 ; Si 1, 20), et les chaussures sont comme un symbole de mortification, puisqu’elles sont faites avec des peaux d’animaux qui sont morts. Le père commande ensuite d’amener le veau gras et de le tuer pour le festin qu’il fait préparer : " Et amenez le veau gras, " c’est-à-dire Notre-Seigneur Jésus-Christ, ainsi appelé à cause du sacrifice de son corps immaculé ; et parce qu’il est une victime si riche et si excellente, qu’elle suffit à la rédemption du monde entier. Ce n’est pas le père lui-même qui met à mort le veau gras, mais il le laisse immoler à d’autres, car c’est par la permission du Père, et le consentement du Fils que ce dernier a été crucifié par les hommes. — S. Aug. (quest. Evang.) Ou bien le veau gras est le Seigneur qui dans son incarnation a été rassasié d’opprobres. Il commande qu’on l’amène, c’est-à-dire qu’on l’annonce, et qu’en l’annonçant on rende la vie aux entrailles épuisées de ce fils mourant de faim ? Il ordonne aussi de le mettre à mort, c’est-à-dire de prêcher sa mort, car il est vraiment immolé pour celui qui croit à son immolation et à sa mort.

" Mangeons et réjouissons-nous. " — S. Ambr. Mangeons la chair du veau gras, parce que c’était la victime que le prêtre offrait pour ses péchés. Notre-Seigneur nous représente son Père se livrant à la joie d’un festin, pour nous montrer que le salut de notre âme est la nourriture de son Père, et que la rémission de nos péchés est sa joie. — S. Chrys. (comme précéd.) Le père se réjouit du retour de son fils, et en signe de joie fait un festin avec le veau gras ; ainsi le Créateur se réjouit des fruits de miséricorde produits par l’immolation de son fils, et l’acquisition du peuple fidèle est pour lui comme un festin de joie : " Car mon fils que voici était mort, et il revit, il était perdu, et il est retrouvé. " — S. Athan. Celui-là seul meurt qui a existé : ainsi les Gentils n’existent plus, le chrétien seul est vivant. On peut encore entendre ces paroles du genre humain : Adam a existé, et nous avons tous existé en lui, il est mort, et tous sont morts en lui, l’homme est donc réparé dans cet homme qui était mort. On peut aussi les appliquer à celui qui fait pénitence, car il ne peut mourir sans avoir auparavant vécu, quant aux gentils ils ont reçu la vie par la grâce aussitôt qu’ils eurent embrassé la foi, tandis que celui qui tombe dans le péché, revient à la vie par la pénitence. — Théophyl. Si l’on n’a égard qu’à l’excès de ses vices, il était mort sans espoir de retour ; mais si l’on considère la nature humaine, qui est sujette à la mutabilité, et peut se convertir du vice à la vertu, il était simplement perdu, car c’est un moindre mal de se perdre que de mourir. Tout homme ainsi rappelé à la vie et purifié de ses crimes participe au veau gras et devient une cause de joie pour son père et pour ses serviteurs, c’est-à-dire pour les anges et pour les prêtres : " Et ils commencèrent à faire grande chère. " — S. Aug. (quest. Evang.) Ces festins de joie et cette fête se célèbrent aujourd’hui par toute l’Église répandue dans tout l’univers, car ce veau gras qui est le corps et le sang du Seigneur, est offert à Dieu le Père, et nourrit toute la maison.

vv. 25-32.

Bède. Aux murmures des scribes et des pharisiens, qui reprochaient au Sauveur d’accueillir favorablement les pécheurs ; il répond par trois paraboles, qu’il leur expose successivement. Dans les deux premières, il montre combien la conversion des pécheurs est un sujet de joie pour lui et pour les anges ; le but de cette troisième parabole n’est plus seulement de faire ressortir cette grande joie, mais de condamner les murmures de ces esprits envieux : " Cependant, poursuit-il, son fils aîné était dans les champs. " — S. Aug. (Quest. évang.) Ce fils aîné, c’est le peuple d’Israël ; il n’est point allé dans une région lointaine, cependant il n’est pas dans la maison, il est dans les champs, c’est-à-dire, qu’il travaille pour acquérir les biens de la terre dans le riche héritage de la loi et des prophètes. Il revient des champs et approche de la maison, c’est-à-dire, qu’il désapprouve les travaux de son oeuvre servile, en considérant d’après les mêmes Écritures la liberté de l’Église : " Et comme il revenait et approchait de la maison, il entendit une symphonie et des danses, " c’est-à-dire, ceux qui, remplis de l’Esprit saint, prêchaient l’Évangile dans une parfaite harmonie de doctrine : " Et il appela un des serviteurs, " etc., c’est-à-dire, qu’il se met à lire un des prophètes et cherche à savoir en l’interrogeant la cause de ces fêtes qu’on célèbre dans l’Église, dont il voit qu’il ne fait pas encore partie. Le prophète, serviteur de son père, lui répond : " Votre frère est revenu, " etc. Comme s’il lui disait : Votre frère s’en était allé jusqu’aux extrémités de la terre, de là cette joie. plus vive de ceux qui font entendre des chants nouveaux, car " ses louanges retentissent d’un bout de la terre à l’autre. " (Is 42, 10.) Et pour fêter le retour de celui qui était égaré, on a immolé l’homme qui sait ce que c’est de souffrir, " parce que ceux auxquels il n’avait point été annoncé l’ont vu. " (Is 53, 3 ; Is 52, 45.)

S. Ambr. Le peuple d’Israël représenté par le frère aîné, envie à son plus jeune frère, c’est-à-dire, au peuple des Gentils, le bienfait de la bénédiction paternelle ; ce que faisaient les Juifs, en voyant Jésus-Christ manger avec les païens : " Il s’indigna et ne voulait pas entrer. " — S. Aug. (Quest. évang.) Cette indignation dure encore aujourd’hui, et ce peuple persiste à ne vouloir pas entrer. Mais lorsque la plénitude des nations sera entrée dans l’Église, le père sortira dans le temps favorable, afin que tout Israël soit sauvé. (Rm 11, 23.26) :

" Son père donc étant sorti, se mit à le prier. " Les Juifs, en effet, seront un jour ouvertement appelés au salut apporté par l’Évangile, et cette vocation manifeste nous est ici représentée par la sortie du père, qui vient prier son fils aîné d’entrer. La réponse du fils aîné soulève deux questions : " Il répondit à son père : Voilà tant d’années que je vous sers, et je n’ai jamais manqué à un de vos commandements, " etc. Il est évident d’abord que cette fidélité à ne transgresser aucun commandement, ne doit pas s’entendre de tous les commandements, mais de celui qui est le premier et le plus nécessaire, c’est-à-dire, qu’on ne l’a jamais vu adorer d’autre Dieu que le Dieu, seul créateur de toutes choses (Ex 20, 3). Il n’est pas moins certain que ce fils aîné ne représente pas tous les Israélites, mais ceux qui n’ont jamais quitté le culte du vrai Dieu pour adorer les idoles ; car bien que ses désirs eussent pour objet les biens de la terre, il n’attendait cependant que du seul vrai Dieu ces biens communs ici-bas aux justes et aux pécheurs, selon ces paroles du Psalmiste : " Je suis devenu semblable devant vous à l’animal stupide, cependant j’ai toujours été avec vous. " (Ps 72, 22.23.) Mais quel est le chevreau qu’il n’a jamais reçu pour faire un festin ? " Et vous ne m’avez jamais donné un chevreau pour faire bonne chère avec mes amis. " Le pécheur est ordinairement figuré sous l’emblème du bouc ou de chevreau. — S. Ambr. Les Juifs demandent un chevreau, et les chrétiens un agneau ; aussi on leur délivre Barabbas, tandis que l’agneau est immolé pour nous. Le fils aîné se plaint qu’on ne lui ait point donné un chevreau, parce que les Juifs ont perdu les rites de leurs anciens sacrifices ; ou bien ceux qui désirent un chevreau sont ceux qui attendent l’Antéchrist. — S. Aug. (Quest. évang.) Cependant, je ne vois pas comment on peut appliquer les conséquences de cette interprétation, car il est souverainement absurde que ce fils, à qui son père dira bientôt : " Vous êtes toujours avec moi, " ait demandé à son père de croire à l’Antéchrist. On ne peut pas davantage voir dans ce fils ceux des Juifs qui devaient embrasser le parti de l’Antéchrist. Or, si ce chevreau est la figure de l’Antéchrist, comment pourrait-il en faire un festin, lui qui ne croit pas à l’Antéchrist ? Mais si le festin de joie qui est fait avec ce chevreau signifie la joie produite par la ruine de l’Antéchrist, comment ce fils aîné du père peut-il dire que cette faveur ne lui ait jamais été accordée, puisque tous ses enfants doivent se réjouir de sa ruine ? Il se plaint donc que le Seigneur ne lui ait pas été donné en festin, parce qu’il le prend pour un pécheur, car comme cette nation considère le Sauveur comme un chevreau ou comme un bouc, en le regardant comme un violateur et un profanateur du sabbat, elle n’a pu mériter la faveur d’être admise à son festin. Ces paroles : " Avec mes amis, " doivent s’entendre, ou des principaux des Juifs avec le peuple, on des habitants de Jérusalem avec les autres peuples de Juda. — S. Jér. (lett. 446, parab. du prod. au pape Damase), ou bien encore : " Vous ne m’avez jamais donné un chevreau, " c’est-à-dire, le sang d’aucun prophète ni d’aucun prêtre ne nous a délivrés de la domination romaine.

S. Ambr. Ce fils sans pudeur est semblable au pharisien qui cherchait à se justifier, parce qu’il observait la lettre de la loi, et qu’il accusait son frère d’avoir dévoré son bien avec des femmes perdues : " Et à peine votre autre fils qui a dévoré son bien avec des courtisanes, est-il revenu, " etc. — S. Aug. (Quest. évang.) Ces femmes perdues sont les superstitions des Gentils, et on dissipe son bien avec elles, quand au mépris de la légitime alliance qu’on a contractée avec le vrai Dieu, on se livre à une honteuse fornication avec le démon. — S. Jér. Il ajoute : " Vous avez tué pour lui le veau gras. " Le peuple juif confesse donc que le Christ est venu, mais par un sentiment d’envie, il refuse le salut qui lui est offert. — S. Aug. (comme précéd.) Son père ne l’accuse pas de mensonge, il le loue même d’avoir toujours persévéré avec lui, et il l’invite à se livrer aux sentiments plus parfaits d’une joie meilleure et plus douce : " Alors le père lui dit : Vous, mon fils, vous êtes toujours avec moi. " — S. Jér. On peut dire encore que les paroles du fils ne sont point l’expression de la vérité, mais d’une vaniteuse présomption ; aussi le père ne s’y laisse point tromper, et il cherche à calmer son fils par une autre raison, en lui disant : " Vous êtes avec moi, " par la loi qui vous enchaîne, non qu’il n’ait jamais été coupable, mais parce que son père l’a toujours retiré des occasions de péché par ses châtiments ? Rien d’étonnant d’ailleurs de voir mentir à son père celui qui porte envie à son frère. — S. Ambr. Cependant ce bon père ne laisse point de vouloir le sauver en lui disant : " Vous êtes toujours avec moi, " ou comme juif, par l’observation de la loi, ou comme juste par l’union plus intime avec Dieu.

S. Aug. (Quest. évang.) Mais que veulent dire ces paroles : " Et tout ce que j’ai est à vous ? " Est-ce que ce n’est pas aussi à son frère ? Sans doute, mais les fils arrivés à la perfection, et comme entrés déjà dans l’immortalité, possèdent toutes choses, comme si chacune d’elles était à tous, et comme si toutes étaient à chacun d’eux. La cupidité rend le coeur étroit et ne peut rien posséder qu’avec égoïsme ; la charité, au contraire, agrandit et dilate le coeur. Mais comment, tout ce qui est au père peut-il être au fils ? Est-ce que Dieu a aussi donné à ce fils la possession des anges ? Si par possession vous entendez que le possesseur soit le propriétaire et le maître, il ne lui a pas tout donné, car nous ne serons pas un jour les maîtres des anges, mais nous partagerons leur bonheur. Mais si vous entendez le mot possession dans le sens que nous disons, que les âmes possèdent la vérité, je ne vois pas pourquoi nous ne prendrions pas cette expression à la lettre, car en parlant ainsi, nous ne voulons pas dire que les âmes soient maîtresses de la vérité ; si enfin le sens propre du mot possession ne se prête pas à cette interprétation, nous y renonçons volontiers, car le père ne dit pas : Vous possédez touts mais : " Tout ce qui est à moi est à vous, " mais non pas comme si vous en étiez le maître. En effet, ce que nous avons d’argent peut être destiné, soit à l’entretien, soit à l’ornement de notre famille ou à quelque autre usage semblable. Car puisque ce fils peut dire, dans un sens vrai, que son père est à lui, pour. quoi ne pourrait-il pas le dire de ce que possède son père ? Il faut seulement l’entendre de différentes manières ; ainsi lorsque nous serons parvenus à la béatitude des cieux, les choses supérieures seront à nous pour les contempler, les êtres qui nous sont égaux pour partager leur sort, les créatures inférieures pour les dominer. Le frère aîné peut donc se livrer à la joie en toute sécurité. — S. Ambr. Car s’il veut renoncer à tout sentiment d’envie, il verra bientôt que tout est réellement à lui, les sacrements de l’Ancien Testament, s’il est juif, et ceux de la nouvelle loi, s’il est baptisé.

Théophyl. On peut encore donner à tout ce passage une explication différente : Ce fils qui se laisse aller aux murmures, figure tous ceux qui se scandalisent en voyant les progrès rapides et le salut des âmes parfaites, comme celui que David nous représente, se scandalisant de la paix dont jouissent les pécheurs. — Tit. de Bostr. Ce fils aîné, semblable à un laboureur, s’appliquait aux travaux de l’agriculture, en cultivant non un champ matériel, mais le champ de son âme, et en greffant les arbres du salut, c’est-à-dire, les vertus. — Théophyl. Ou bien il était dans les champs, c’est-à-dire dans le monde, cultivant sa propre chair pour lui donner du pain en abondance, et semant dans les larmes pour moissonner dans la joie. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) On demande si celui qui s’afflige du bonheur des autres est atteint de la passion de l’envie. Je réponds qu’aucune âme sainte ne s’attriste de la sorte ; loin de là, elle regarde le bien des autres comme le sien propre. Il ne faut pas du reste vouloir expliquer à la lettre tout ce que renferme une parabole, quand on a découvert le sens que s’est proposé l’auteur, il ne faut plus chercher autre chose. Or le but de cette parabole est d’exciter les pécheurs à revenir à Dieu avec confiance, par l’espérance des grands avantages qui leur sont promis. Aussi voyons-nous les grâces qui leur sont prodiguées devenir un sujet de trouble et de profonde jalousie pour les autres, bien qu’ils soient eux-mêmes environnés de tant d’honneurs, qu’ils puissent devenir à leur tour un sujet d’envie. — Théophyl. Ou bien encore, Notre-Seigneur, dans cette parabole, a dessein de reprendre les mauvaises dispositions de ceux qu’il appelle justes par supposition ; comme s’il leur disait : Vous êtes vraiment justes, je l’admets, vous n’avez transgressé aucun des commandements, est-ce donc une raison pour ne pas vouloir accueillir ceux qui reviennent de leur conduite coupable ? — S. Jér. (de l’enf. prod. à Damase.) Disons encore que toute justice en comparaison de celle de Dieu, n’est qu’injustice. De là ce cri de saint Paul : " Qui me délivrera de ce corps de mort ? " (Rm 8.) De là cette indignation des Apôtres, lorsqu’ils entendirent la demande de la mère des enfants de Zébédée (Mt 20). — S. Cyr. Nous éprouvons quelque fois nous-mêmes ce sentiment, nous en voyons, en effet, dont toute la vie se passe dans l’exercice des plus sublimes vertus, d’autres qui ne se convertissent à Dieu que dans l’extrême vieillesse, ou même qui, par une grâce particulière de la miséricorde divine, n’effacent leurs pêchés qu’au dernier jour de leur vie. Or il en est qui, par un sentiment de défiance inopportune, ne peuvent admettre cet excès de miséricorde, parce qu’ils ne considèrent pas la bonté du Sauveur, qui se réjouit du salut des pécheurs. — Théophyl. Le fils dit donc à son père : J’ai passé gratuitement dans les douleurs une vie toujours exposée aux persécutions des pécheurs, et vous n’avez jamais commandé qu’on mît à mort pour moi un chevreau (c’est-à-dire, le pécheur qui me persécutait), pour me donner quelques moments de soulagement et de repos. Dans ce sens, Achab était le chevreau d’Élie, qui disait à Dieu : " Seigneur, ils ont tué vos prophètes. " (3 R 19.)

S. Ambr. Ou bien dans un autre sens : l’Évangile nous dit que ce frère aîné revenait des champs, c’est-à-dire des occupations de la terre, et comme il ignore les choses de l’Esprit de Dieu, il se plaint qu’on n’a jamais tué pour lui un chevreau ; car ce n’est pas pour satisfaire l’envie, mais pour la rédemption du monde que l’agneau a été immolé. L’envieux demande un chevreau, celui qui est innocent demande qu’on immole pour lui un agneau. Ce frère est le plus âgé, parce que l’envie est la cause d’une vieillesse prématurée ; il se tient dehors, parce que la malveillance lui défend d’entrer, il ne peut souffrir ni le bruit de la symphonie et des danses, (il ne s’agit pas ici des joies du théâtre qui ne sont propres qu’à exciter les passions), c’est-à-dire les chants harmonieux du peuple qui fait éclater les sentiments d’une joie douce et suave lorsqu’un pécheur revient à Dieu. Ceux au contraire qui sont justes à leurs propres yeux, s’indignent du pardon accordé au pécheur qui avoue ses fautes. Qui êtes-vous pour vous opposer à Dieu qui veut pardonner, lorsque vous pardonnez vous-même à qui bon vous semble ? Applaudissons donc à la rémission des péchés qui suit la pénitence, de peur qu’en nous montrant ainsi jaloux du pardon qui est accordé aux autres, nous nous rendions indignes de l’obtenir nous-mêmes du Seigneur. Ne portons point envie à ceux qui reviennent de loin, car nous nous sommes égarés nous-mêmes dans ces régions lointaines.

 

CHAPITRE XVI

vv. 1-7.

Bède. Après avoir condamné par les trois paraboles qui précèdent la sévérité de ceux qui murmuraient de l’accueil qu’il faisait aux pécheurs repentants, le Sauveur ajoute deux autres paraboles, sur l’obligation de l’aumône et de la vie simple et modeste. Il était très naturel en effet, que le précepte de l’aumône suivit immédiatement celui de la pénitence : " Jésus disait encore à ses disciples : Un homme riche avait un économe, " etc. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Les hommes sont dominés par une fausse opinion qui ne sert qu’à augmenter leurs fautes et à diminuer leurs mérites ; elle consiste à croire que tous les biens que nous possédons pour l’usage de la vie, nous les possédons comme maîtres absolus, et de les rechercher en conséquence comme les biens les plus importants. Or, c’est le contraire qui est vrai ; car nous n’avons pas été placés dans cette vie comme des maîtres dans la maison qui leur appartient en propre, mais semblables à des hôtes et à des étrangers, nous sommes conduits là où nous ne voulons pas aller, et dans le temps ou nous y pensons le moins. Qui que vous soyez, rappelez-vous donc que vous n’êtes que le dispensateur de biens qui ne vous appartiennent pas, et que vous n’avez sur eux que les droits d’un usage transitoire et passager. Rejetez donc de votre âme l’orgueil qu’inspire la pensée qu’on est maître absolu pour prendre les sentiments de réserve et d’humilité qui conviennent à un simple fermier. — Bède. Le fermier est celui qui régit une ferme ; d’où lui vient le nom de fermier, l’économe est l’administrateur de l’argent, des fruits, et en général de tout ce que possède son maître. — S. Ambr. Nous apprenons de là que nous ne sommes pas les maîtres, mais bien plutôt les fermiers des biens d’autrui. — Théophyl. Une autre conséquence c’est qu’au lieu d’administrer ces biens suivant la volonté du Seigneur, nous en abusons pour satisfaire nos passions, nous devenons des fermiers coupables d’infidélité : " Et celui-ci fut accusé près de lui d’avoir dissipé ses biens. "

S. Chrys. (comme précéd.) On rappelle alors cet économe et on lui ôte son administration : " Il l’appela et lui dit : Qu’est-ce que j’entends dire de vous ? Rendez-moi compte de votre gestion, car désormais vous ne pourrez plus la conserver. " Le Seigneur nous tient tous les jours le même langage par les exemples qu’il nous met sous les yeux ; tel qui jouissait d’une parfaite santé à midi, meurt avant la fin du jour, tel autre expire au milieu d’un festin, et cette administration nous est ôtée de différentes manières. Mais l’économe fidèle qui s’occupe sérieusement de son administration, a comme saint Paul un ardent désir d’être dégagé des liens du corps et d’être avec Jésus-Christ. (Ph 1, 23.) Celui au contraire dont toutes les affections sont pour la terre, voit arriver avec anxiété la fin de sa vie. En effet : " Cet économe dit alors en lui-même : Que ferai-je, puisque mon maître m’ôte la gestion de ses biens ? Travailler à la terre, je n’en ai pas la force, et j’ai honte de mendier. " Cette impuissance pour le travail accuse toute une vie d’indolence, car il n’aurait pas ces craintes, s’il s’était habitué à supporter les fatigues d’une vie laborieuse. Le sens figuré de cette parabole est qu’après que nous sommes sortis de cette vie, il n’est plus temps de se livrer au travail. La vie présente doit être employée à l’accomplissement des commandements, la vie future en est la récompense. Si vous n’avez rien fait ici-bas, tous vos projets pour la vie future sont superflus, et il ne vous servira pas davantage de mendier. Vous en avez pour preuve les vierges folles, qui après avoir été si imprévoyantes allèrent mendier auprès des vierges prudentes, mais revinrent sans rien obtenir (Mt 25). Chacun de nous en effet se revêt de ses oeuvres comme d’une tunique ; on ne peut ni s’en dépouiller, ni la changer contre une autre. Mais cet économe infidèle forme alors le dessein de libérer les débiteurs de son maître, et de chercher en eux le remède à son infortune : " Je sais ce que je ferai, afin que lorsqu’on m’aura ôté mon emploi, je trouve des gens qui me reçoivent dans leurs maisons. " Celui qui en effet pense au jour de sa mort, et cherche en faisant le bien à rendre moins accablant le poids de ses péchés, (soit en remettant leurs dettes à ceux qui lui doivent, soit en donnant aux pauvres d’abondantes aumônes), celui-là distribue les biens du Seigneur pour se faire beaucoup d’amis qui rendront de lui devant son juge un bon témoignage non par leurs discours, mais en manifestant ses bonnes oeuvres ; et lui prépareront par leur témoignage un lieu de rafraîchissement et de repos. Or, rien de ce que nous avons, n’est à nous, mais tout appartient à Dieu. En effet, " cet économe ayant fait venir l’un après l’autre les débiteurs de son maître, dit au premier : Combien devez-vous à mon maître ? Il répondit : Cent barils d’huile. " — Bède. Un baril est la même mesure que l’amphore grecque qui contenait trois urnes : " L’économe lui dit : Prenez votre billet ; asseyez-vous vite, et écrivez cinquante. " Il lui remet ainsi la moitié de ce qu’il doit : " Ensuite, il dit à un autre : Et vous, combien devez-vous ? Il répondit : Cent mesures de froment. " Cette mesure équivalait à trente boisseaux. " L’économe lui dit : Prenez votre billet et écrivez quatre-vingts ; " il lui remet la cinquième partie de sa dette. Or, voici comment on peut entendre ce passage. Celui qui soulage la misère du pauvre pour moitié ou pour la cinquième partie sera récompensé pour sa miséricorde. — S. Aug. (quest. Evang., 2, 34.) Ou bien encore, l’action de cet économe qui au lieu de cent barils d’huile en fait souscrire cinquante au débiteur, au lieu de cent mesures de froment, quatre-vingts doit être entendue en ce sens que les dons offerts par les juifs aux prêtres et aux lévites doivent être plus abondants dans l’Église chrétienne. Ainsi, tandis qu’ils ne donnaient que la dîme, les chrétiens doivent donner la moitié, comme Zachée le fit pour ses biens (Lc 19) ; ou ils doivent au moins surpasser les offrandes des Juifs, en donnant au moins la double dîme, c’est-à-dire la cinquième partie de leurs biens,

vv. 8-13.

S. Aug. (quest. Evang., 2, 34.) Le maître ne laisse pas de louer cet économe, tout en le privant de son emploi, parce qu’il avait su se prémunir contre l’avenir : " Et le maître de l’économe infidèle le loua d’avoir agi prudemment. " Nous ne devons cependant pas tout imiter dans cet exemple, car il nous est défendu de faire tort à personne, aussi bien que de faire l’aumône avec le bien que nous avons dérobé. — S. Orig. (ou Géom. Ch. des Pèr. gr.) Mais comme les païens mettent la prudence au nombre des vertus, et la définissent la science du bien et du mal et de ce qui est indifférent, ou la connaissance de ce qu’il faut faire et de ce qu’il faut éviter, examinons si ce mot n’a qu’une signification ou s’il est susceptible de plusieurs sens. Nous lisons dans l’Écriture que Dieu a préparé (Pv 3, 19) les cieux par sa prudence. Il est donc certain que la prudence est bonne, puisque c’est par elle que Dieu a créé les cieux. Nous voyons encore dans la Genèse que le serpent était le plus prudent (Gn 3, 1) de tous les animaux ; la prudence ici n’est pas la vertu de prudence, mais un esprit de ruse qui est porté au mal. C’est dans ce dernier sens que le maître loue son économe d’avoir agi prudemment, c’est-à-dire avec ruse et finesse. Peut-être encore cette expression, " il le loua, " n’exprime pas un véritable éloge, mais a été dite dans un sens très étendu ; ainsi on dit d’un homme qu’il se distingue dans des choses indifférentes et de peu d’importance, et qu’il excite une espèce d’admiration par son talent de discussion et la vivacité qui mettent en relief la force de son esprit. — S. Aug. (quest. Evang.) Ces paraboles sont tirées d’objets. qu’on peut appeler contraires ; si en effet cet économe, tout en se rendant coupable de fraude, a mérité les éloges de son maître, combien plus ceux qui font les mêmes bonnes oeuvres en se conformant aux préceptes de Dieu seront-ils assurés de lui plaire ?

Orig. (comme précéd.) Remarquez encore que Notre-Seigneur dit que les enfants de ce siècle sont non pas plus sages, mais plus prudents que les enfants de lumière ; et encore n’est-ce pas absolument parlant, mais dans leurs relations entre eux : " Car les enfants du siècle sont plus prudents envers leurs parents que les enfants de lumière, " etc. Notre-Seigneur distingue ici entre les enfants de lumière et les enfants de ce siècle, comme il distingue ailleurs entre les enfants du royaume et les enfants de perdition, car on est fils de celui dont on fait les oeuvres. — Théophyl. Les enfants de ce siècle sont donc dans la pensée du Sauveur ceux qui sont tout entiers aux avantages de la terre ; et les enfants de lumière ceux qui recherchent les richesses spirituelles par un motif d’amour de Dieu. Or, il arrive que dans l’administration des choses humaines, nous prenons des dispositions prudentes à l’égard de nos biens, et nous avons un soin extrême de nous ménager un lieu de refuge et de repos dans le cas ou notre administration nous serait ôtée ; tandis que dans l’administration des choses divines nous ne savons pas prévoir ce qui pourra nous être utile pour l’avenir.

S. Grég. (Moral., XVIII, 14.) Si donc les hommes ne veulent pas se trouver les mains vides après leur mort, qu’ils placent avant leur dernier jour, leurs richesses dans les mains des pauvres : " Et moi je vous dis : Faites vous des amis avec les richesses d’iniquité, " etc.

S. Aug. (Serm. 23, sur les par. du Seig.) Le mot hébreu mammona, signifie en latin richesses ; Notre-Seigneur veut donc dire : " Faites vous des amis avec les richesses d’iniquité. " Il en est qui par une fausse interprétation de ces paroles dérobent le bien d’autrui, pour en distribuer une partie aux pauvres, et qui s’imaginent accomplir le précepte qui leur est imposé. C’est une erreur qu’il faut redresser. Faites l’aumône avec le juste fruit de votre travail (Pv 3, 9), car vous ne pourrez tromper ni corrompre Jésus-Christ votre juge. Si vous offriez à un juge une partie de la dépouille d’un indigent, pour le disposer à juger en votre faveur, et qu’il se laissât en effet corrompre, la force de la justice est si grande que vous n’auriez aucune sympathie pour ce juge. Ne vous figurez pas un Dieu de la sorte, il est la source même de la justice : ne faites donc pas l’aumône avec des gains injustes et avec le fruit de l’usure, dirai-je aux fidèles à qui nous distribuons le corps de Jésus-Christ, mais si vous avez de l’argent acquis par cette voie, vous le possédez injustement. Cessez de commettre le mal ; Zachée dit au Sauveur : " Je donne la moitié de mes biens aux pauvres. " (Lc 19.) C’est avec ce pieux empressement qu’agit celui qui désire se faire des amis avec les richesses d’iniquité ; et dans la crainte de s’être rendu coupable d’ailleurs, il ajoute : " Et si j’ai fait tort à quelqu’un en quelque chose, je lui rends le quadruple. " Voici une autre explication : Toutes les richesses de ce monde, quelle que soit leur source sont appelées des richesses d’iniquité. Si vous cherchez les véritables richesses, il en est d’autres que Job possédait en abondance dans son entier dénuement, alors que son coeur était rempli de Dieu. Les richesses du monde au contraire sont appelées richesses d’iniquité, parce qu’elles ne sont point véritables, car elles sont remplies de pauvreté, et sujettes à mille vicissitudes : si elles étaient de véritables richesses, elles vous donneraient de la sécurité. — S. Aug. (quest. Evang.) Ou bien encore on les appelle richesses d’iniquité, parce qu’elles ne sont qu’entre les mains des méchants qui placent en elles leur confiance et toute l’espérance de leur félicité. Au contraire lorsque les justes sont maîtres de ces richesses, ils ont entre les mains le même argent, mais leurs richesses à eux sont toute célestes et toutes spirituelles. — S. Ambr. Ou bien enfin il appelle ces richesses, des richesses d’iniquité, parce que l’avarice par les séductions variées qu’elles nous offrent, tente notre coeur, en cherchant à le réduire en esclavage.

S. Bas. Ou bien si vous héritez d’un patrimoine, peut-être est-il le fruit de l’injustice, car quel est celui qui parmi ses ancêtres, n’en trouvera nécessairement quelqu’un qui aura pris injustement le bien d’autrui ? Mais admettons que votre père n’a rien acquis par des voies injustes, d’où vient cet or que vous avez ? Si vous me répondez : Il vient de moi, vous ne connaissez pas Dieu, et n’avez aucune notion de votre Créateur ; si vous dites qu’il vient de Dieu, pour quelle raison l’avez vous reçu ? Est-ce que la terre et tout ce qu’elle contient n’appartient pas au Seigneur ? (Ps 23.) Si donc nos biens appartiennent à un commun maître, ils appartiennent aussi à vos semblables.

Théophyl. On appelle donc richesses d’iniquité toutes celles que le Seigneur nous a données pour soulager les besoins de nos frères et de nos semblables, et cependant nous les réservons pour nous. Nous devions dès le principe distribuer tous nos biens aux pauvres ; mais après avoir été des économes infidèles qui avons retenu injustement ce qui était destiné aux besoins d’autrui, cessons de persévérer dans ces sentiments de cruauté, et donnons largement aux pauvres, afin qu’ils nous reçoivent un jour dans la céleste demeure : " Afin, poursuit Notre-Seigneur, que lorsque vous viendrez à défaillir, ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels. " — S. Grég. (Moral., XXI, 44.) Si donc nous devons à leur affection reconnaissante d’entrer dans les tabernacles éternels, nous devons en leur donnant être pénétrés de cette pensée que c’est moins une aumône que nous faisons aux pauvres, que des présents que nous offrons à des protecteurs (cf. Lc 3, 37). — S. Aug. (Serm. 35, sur les par. du Seig.) Quels sont ceux, en effet, qui entreront dans les tabernacles éternels, si ce n’est les saints de Dieu, et quels sont ceux qu’ils recevront eux-mêmes dans ces tabernacles ? Ceux qui ont soulagé leur indigence, et leur ont donné avec joie ce qui leur était nécessaire. Ce sont là les humbles serviteurs du Christ qui ont tout quitté pour le suivre, et qui ont distribué tous leurs biens aux pauvres, pour servir Dieu avec un coeur dégagé de toutes les chaînes du siècle ; et s’élever vers le ciel comme sur des ailes, libres de tous les fardeaux accablants du monde.

S. Aug. (Quest. évang., 2, 33.) Il n’est pas permis de regarder comme les débiteurs de Dieu ceux par qui nous voulons être reçus dans les tabernacles éternels ; car ce passage désigne clairement les justes et les saints qui introduiront dans le ciel ceux qui ont soulagé leur indigence, en partageant avec eux les biens de la terre. — S. Ambr. Ou bien encore : " Faites-vous des amis avec les richesses d’iniquité, " afin que les aumônes que vous distribuerez aux pauvres, vous obtiennent les bonnes grâces des anges et des autres saints. — S. Chrys. Remarquez qu’il ne dit pas : " Afin qu’ils vous reçoivent dans leurs demeures, " car rigoureusement parlant, ce ne sont pas eux qui vous reçoivent. Aussi le Sauveur après avoir dit : " Faites-vous des amis, " ajoute : " avec les richesses d’iniquité, " pour montrer que l’amitié des saints ne sera pour nous un véritable appui, qu’autant que nous serons accompagnés de nos bonnes oeuvres, et que nous nous serons dépouillés, suivant la justice, de toutes les richesses acquises injustement. L’aumône est donc le premier et le plus savant des arts ; car elle ne nous bâtit pas des maisons de terre, mais nous procure la vie éternelle. Tous les autres arts ont besoin de leur mutuel appui ; mais pour l’exercice de la miséricorde, la volonté seule est nécessaire.

S. Cyr. C’est ainsi que Notre-Seigneur Jésus-Christ enseigne à ceux qui ont de grandes richesses en partage, à rechercher par dessus tout l’amitié des pauvres, et à se préparer des trésors dans le ciel. Mais il connaissait l’apathie du coeur humain qui, une fois dominé par la passion d’acquérir, n’exerce plus aucune oeuvre de charité envers les pauvres. il n’a plus à espérer par conséquent aucun fruit des dons spirituels, suivant la déclaration expresse du Sauveur : " Celui qui est fidèle dans les petites choses, est fidèle aussi dans les grandes, et celui qui est infidèle dans les petites choses, est infidèle aussi dans les grandes. " Notre-Seigneur nous ouvre ici les yeux du coeur, et nous donne le vrai sens de ces paroles en ajoutant : " Si vous n’avez pas été fidèles dans les richesses trompeuses, qui vous confiera les biens véritables ? " Les petites choses sont donc les richesses d’iniquité, c’est-à-dire les biens de la terre quine sont rien pour ceux qui ont le goût des choses du ciel. Or, je pense qu’on est fidèle dans les petites choses, lorsque l’on consacre ces richesses si peu importantes au soulagement de l’infortune. Si donc nous sommes infidèles dans ces petites choses, comment pourrons-nous obtenir le don véritable et fécond des grâces de Dieu, qui imprime à nos âmes le sceau de la ressemblance divine ? Et la suite fait voir que tel est le sens des paroles du Sauveur : " Et si vous n’avez pas été fidèles dans un bien étranger, qui vous donnera votre bien propre ? " — S. Ambr. Les richesses nous sont comme étrangères, parce qu’elles sont en dehors de notre nature, elles ne naissent pas avec nous, elles ne meurent pas avec nous ; Jésus-Christ, au contraire, est véritablement à nous, parce qu’il est la vie des hommes, et en venant parmi eux, il est venu dans son propre bien. (Jn 1, 4.11.)

Théophyl. Notre-Seigneur nous a donc enseigné jusqu’ici avec quelle fidélité nous devons administrer nos richesses ; mais comme nous ne pouvons en faire un usage conforme à la volonté de Dieu, sans que notre coeur soit complètement dégagé de l’affection aux richesses, il ajoute : " Personne ne peut servir deux maîtres. " — S. Ambr. Ce n’est pas, sans doute, qu’il existe deux maîtres, il n’y en a qu’un seul qui est Dieu. Il en est qui se rendent les esclaves des richesses, mais les richesses n’ont par elles-mêmes aucun droit, aucune autorité sur les hommes, ce sont eux qui se soumettent volontairement à ce honteux esclavage. Il n’y a qu’un seul Maître, parce qu’il n’y a qu’un seul Dieu, par conséquent le Père et le Fils ont une seule et même puissance. Le Sauveur donne la raison de ce qu’il vient de dire : Car ou il haïra l’un, et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. " — S. Aug. (Quest. évang., 2, 36.) Ne croyons pas que ces paroles aient été dites au hasard et sans dessein. Sans doute, il n’est pas un homme qui, à cette question : Aimez-vous le démon, ne réponde que loin de l’aimer, il l’a en horreur ; tandis que presque tous se font gloire de proclamer qu’ils aiment Dieu. Voici donc le sens de ces paroles : Il haïra l’un (c’est-à-dire le démon), et aimera l’autre (c’est-à-dire Dieu) ; ou il s’attachera à l’un (c’est-à-dire au démon, en recherchant ses faveurs temporelles) ; et méprisera l’autre (c’est-à-dire Dieu), comme font tant, de chrétiens qui mettent leurs passions au-dessus de ses menaces, et qui se flattent d’obtenir de sa bonté l’impunité de leurs crimes.

S. Cyr. La conclusion de tout ce discours est dans ces paroles : " Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent. " Renonçons donc aux richesses et mettons tous nos soins et tout notre zèle à servir Dieu seul. — Bède. (tiré de S. Jérôme.) Que l’avare entende ces paroles ; " On ne peut servir à la fois les richesses et Jésus-Christ. Et cependant remarquez que le Sauveur n’a pas dit : Celui qui possède des richesses, mais : " Celui qui est l’esclave des richesses ; " car celui qui est sous l’esclavage des richesses, les garde comme un esclave ; celui, au contraire, qui s’est affranchi de cette servitude, les distribue comme un maître. Or, celui qui est esclave des richesses, l’est aussi de celui qui a mérité, par sa perversité, d’être mis comme à la tête des. richesses de la terre, et qui est appelé pour cela le prince de ce siècle. (Jn 12 ; 2 Co 4.)

vv. 14-18.

Bède. Jésus-Christ avait enseigné aux scribes et aux pharisiens à ne pas présumer de leur justice, à recevoir les pécheurs repentants, et à racheter leurs péchés par l’aumône ; mais les insensés se moquaient de ce divin docteur qui leur enseignait la miséricorde, l’humilité et la modération dans l’usage des richesses : " Or, les pharisiens qui étaient avares, écoutaient toutes ces choses, et se moquaient de lui. " Ils se moquaient de lui pour deux raisons, parce que ses recommandations leur paraissaient peu utiles, ou parce qu’il leur prescrivait des choses utiles, mais qu’ils faisaient depuis longtemps. Or le Seigneur, qui découvrait leur malice secrète, leur montra que leur justice n’était qu’hypocrisie : " Et il leur dit : Pour vous, vous affectez de paraître justes devant les hommes. " — Bède. Ils affectent de paraître justes devant les hommes, ils méprisent les pécheurs comme des infirmes désespérés, et ils s’imaginent être assez parfaits pour n’avoir pas besoin du remède de l’aumône ; mais celui qui répandra un jour la lumière sur les ténèbres les plus épaisses, voit combien est condamnable la profondeur de cet orgueil coupable : " Mais Dieu connaît vos coeurs. " — Théophyl. Aussi votre arrogance et le désir effréné de l’estime des hommes vous rendent-ils un objet d’abomination à ses yeux : " Car ce qui est grand aux yeux des hommes est abominable devant Dieu. "

Bède. Les pharisiens se moquaient du Sauveur qui leur parlait contre l’avarice, comme si son enseignement était contraire à celui de la loi et des prophètes, où l’on voit un grand nombre de personnes riches qui ont été agréables à Dieu ; Moïse lui-même avait promis au peuple qu’il gouvernait, tous les biens de la terre en abondance, s’il était fidèle à suivre la loi. (Dt 28, 1-14.) Notre-Seigneur combat donc ces idées en leur montrant qu’il y a une grande différence entre les préceptes comme entre les promesses de la loi et de l’Évangile : " La loi et les prophètes ont duré jusqu’à Jean. " — S. Ambr. Ce n’est pas que la loi ait été immédiatement détruite, mais parce qu’alors a commencé la prédication de l’Évangile ; car les institutions moins importantes paraissent atteindre leur terme, lorsque de plus grandes leur succèdent. — S. Chrys. (hom. 38 sur S. Matth.) Par ces paroles, Notre-Seigneur les dispose à croire en lui ; si au temps de Jean, tout est arrivé à son terme, je suis donc celui qui doit venir ; car les prophètes n’auraient pas cessé de paraître, si je n’étais pas venu. (hom. 19 de l’ouvr. incomp.) Comment peut-on dire que les prophètes n’ont duré que jusqu’au temps de Jean, puisqu’il y a eu beaucoup plus de prophètes dans le Nouveau Testament que dans l’Ancien ? Notre-Seigneur ne veut donc parler ici que de ceux qui ont annoncé l’avènement de Jésus-Christ.

Eusèbe. (Ch. des pèr. gr.) Les anciens prophètes avaient eu aussi la connaissance du royaume des cieux, mais aucun d’eux ne l’avait enseigné en termes exprès au peuple juif, parce que cç peuple avait un esprit trop léger et trop faible pour comprendre l’étendue de cet enseignement. Jean-Baptiste fut le premier qui annonça ouvertement que le royaume des cieux était proche, et que les péchés seraient remis par le baptême de la régénération : " Depuis Jean, le royaume de Dieu est annoncé, et chacun fait effort pour y entrer. " — S. Ambr. La loi contenait beaucoup de préceptes conformes à notre nature, pour nous attirer à la pratique de la justice par cette condescendance pour nos inclinations naturelles ; Jésus-Christ, au contraire, vient détruire la nature en retranchant toutes les jouissances naturelles. Mais nous ne faisons violence à la nature que pour l’empêcher de se plonger dans les joies de la terre, et l’élever jusqu’à la pensée des choses du ciel. — Eusèbe. Ce n’est pas sans de grands combats, que de faibles mortels peuvent monter jusqu’au ciel. Comment, en effet, des hommes revêtus d’une chair mortelle, pourraient-ils, sans se faire violence, dompter la volupté et tout désir criminel, et imiter sur la terre la vie des anges ? En les voyant se livrer à des travaux si pénibles pour le service de Dieu, et réduire presque leur chair à une mort véritable (Rm 8, 13 ; Col 3, 5), qui n’avouera qu’ils font véritablement violence au royaume des cieux ? Peut-on encore, en considérant le courage admirable des saints martyrs, ne pas reconnaître qu’ils ont fait une véritable violence au royaume des cieux ? — S. Aug. (Quest. évang., 2, 37.) On fait encore violence au royaume des cieux, en méprisant non seulement les richesses de la terre, mais les discours de ceux qui se moquent de cette indifférence complète pour ces jouissances passagères. En effet l’Évangéliste rapporte ces paroles après avoir fait observer qu’ils se moquèrent de Jésus qui leur parlait du mépris des choses de la terre.

Bède. Ces paroles du Sauveur : " La loi et les prophètes ont duré jusqu’à Jean, " pouvaient donner à croire qu’il annonçait l’abolition de la loi et des prophètes, il combat cette pensée eu ajoutant : " Le ciel et la terre passeront plus facilement qu’un seul point de la loi périsse ; " car la figure de ce monde passe (1 Co 7), mais le moindre trait d’une seule lettre de la loi ne passera pas, c’est-à-dire que le plus petit article de la loi a une signification mystérieuse. Et cependant il était vrai de dire que la loi et les prophètes ont duré jusqu’à Jean, parce qu’il n’y avait plus lieu de prédire l’avènement de celui qui était arrivé, d’après le témoignage si manifeste de Jean-Baptiste. Notre-Seigneur confirme ensuite par un seul trait de la loi, ce qu’il vient de dire, qu’aucun de ses préceptes ne serait jamais abrogé : " Quiconque renvoie sa femme et en épouse une autre, commet un adultère, et quiconque épouse la femme renvoyée par son mari, commet un adultère. " Par ce seul trait, il leur apprend qu’il n’est pas venu détruire, mais accomplir les autres points de la loi. — Théophyl. La loi, sans doute, tenait aux imparfaits un langage encore imparfait, lorsque, prenant en considération la dureté de coeur des Juifs, elle leur disait : " Si un homme prend une femme, et qu’elle lui inspire ensuite du dégoût..., il la renverra de sa maison. " (Dt 24, 1.) Car ils avaient des instincts homicides et prenaient plaisir à verser le sang ; ils n’avaient même pas pitié de ceux qui leur étaient le plus étroitement unis, jusque-là qu’ils immolaient aux démons leurs fils et leurs fuies. Mais il faut maintenant une doctrine plus parfaite. Aussi, je vous le déclare, si quelqu’un répudie son épouse, hors le cas de fornication, il commet un adultère ; et celui qui en épouse une autre, commet également un adultère.

S. Ambr. Il nous faut d’abord traiter de la loi du mariage, avant d’en venir à la prohibition du divorce. Il en est qui pensent que tout mariage a Dieu pour auteur, parce qu’il est écrit : " Que l’homme ne sépare point ce que Dieu a uni. " (Mt 19 ; Mc 10.) Mais comment alors l’Apôtre a-t-il pu dire : " Si le mari infidèle se sépare d’avec sa femme, qu’elle le laisse aller ? " (1 Co 7, 15.) Ces paroles démontrent clairement que Dieu n’est pas l’auteur de tous les mariages ; car ce n’est point conformément à sa volonté, que les chrétiens s’unissent aux Gentils. Gardez-vous donc de renvoyer votre épouse, pour ne pas désavouer que Dieu est l’auteur de votre union. Vous devez supporter les défauts de vos semblables, à plus forte raison devez-vous supporter et corriger les défauts de votre épouse. Si vous la renvoyez après qu’elle vous a donné des enfants, n’est-ce pas une cruauté que de renvoyer la mère, et de retenir les gages de votre mutuelle union, et de la blesser ainsi dans son amour maternel, en même temps que dans son honneur ? Mais ne serait-il pas plus cruel encore de chasser les enfants à cause de la mère ? Souffrirez-vous que de votre vivant, vos enfants soient sous la dépendance d’un beau-père, ou que du vivant de leur mère ils soient assujettis à une marâtre ? Quoi de plus dangereux que d’exposer aux séductions de l’erreur l’âge si fragile d’une jeune femme ? Quoi de plus barbare, que d’abandonner dans sa vieillesse, celle qui a perdu auprès de vous les grâces de sa jeunesse ? Supposez qu’ainsi répudiée, elle ne se marie pas, est-ce qu’il ne vous est pas désagréable qu’elle reste fidèle à un adultère ? Admettez, au contraire, qu’elle contracte une autre union, la nécessité où elle se trouve fait votre crime, et ce que vous regardez comme un mariage, n’est qu’un adultère. Tel est le sens moral de ce passage. Cependant, comme Notre-Seigneur vient de dire précédemment que le royaume de Dieu était annoncé, et que le plus petit point de la loi ne serait point effacé, et qu’il ajoute ensuite : " Quiconque renvoie sa femme, " etc. ; on peut donner ici cette interprétation figurée : L’homme, c’est Jésus-Christ ; l’épouse, c’est l’Église, épouse par la charité, vierge par la chasteté. Que celui donc que Dieu a par sa grâce attiré à son Fils, ne s’en laisse ni séparer par la persécution, ni détourner par les plaisirs des sens ; qu’il ne se laisse point dépouiller par la philosophie, ni empoisonner par l’hérésie, ni entraîner par les Juifs. Tous ceux qui s’efforcent de corrompre la vérité de la foi et de la sagesse sont des adultères.

vv. 19-21

Bède. Le Sauveur venait d’exhorter à se faire des amis avec les richesses d’iniquité, et comme les pharisiens se moquaient de ses enseignements, il les confirme par l’exemple suivant : " Il y avait un homme riche, " etc. — S. Chrys. (hom. sur les riches.) " Il y avait, " et non : li y a, car il a passé comme une ombre fugitive. — S. Ambr. Toute pauvreté n’a pas le privilège de la sainteté, comme aussi toute richesse n’est pas nécessairement criminelle, mais de même que c’est la vie molle et sensuelle qui déshonore les richesses, c’est la sainteté qui rend la pauvreté recommandable.

" Il était vêtu de pourpre et de fin lin. " — Bède. La pourpre est la couleur des habits des rois, on la tire de coquillages marins par une incision faite avec le fer. Ce que la Vulgate traduit par byssus est une espèce de lin très-blanc et très-doux. — S. Grég. (hom. 40 sur les Evang.) Si la recherche des vêtements fins et précieux n’était pas coupable, le Sauveur n’aurait pas détaillé avec tant de soin ces diverses circonstances. En effet, on ne désire de luxe dans les vêtements, que par un motif de vaine gloire, pour obtenir plus de considération ; car quel est celui qui voudrait se revêtir d’habits somptueux, s’il ne devait être vu par personne ? — S. Chrys. (comme précéd.) Cet homme recouvrait de pourpre et de soie, la cendre, la poussière et la terre, ou bien la cendre, la poussière et la terre portaient la pourpre et la soie. Sa table répondait à ses vêtements. Il en est ainsi de nous, telle est notre table, tels sont nos vêtements : " Et il faisait tous les jours une chère splendide. " — S. Grég. (Moral., 1, 5.) Remarquons ici avec attention qu’il est presque impossible de faire fréquemment des festins sans se rendre coupable ; car presque toujours la volupté est la compagne inséparable de ces festins, lorsque le corps est amolli par les plaisirs de la terre, le coeur s’abandonne lui-même à une joie déréglée.

" Il y avait aussi un mendiant nommé Lazare. " — S. Ambr. Il semble que ce soit ici une histoire plutôt qu’une parabole, puisqu’il y a désignation précise du nom. — S. Chrys. (comme précéd.) Dans la parabole, au contraire, on propose un exemple et on passe les noms sous silence. Le mot Lazare signifie qui est secouru ; en effet, il était pauvre et il avait Dieu pour soutien. — S. Cyr. Ou encore ce récit du mauvais riche et de Lazare, est présenté sous forme de parabole, pour apprendre à ceux qui possèdent de grandes richesses, qu’ils encourront une sévère condamnation, s’ils refusent de secourir les nécessités des pauvres. Une tradition juive rapporte qu’il y avait alors à Jérusalem un homme nommé Lazare, accablé tout à la fois sous le poids de l’indigence et de la maladie, et c’est lui que Notre-Seigneur prend ici pour exemple pour donner plus de clarté à ses divins enseignements. — S. Grég. (hom. 40 sur les Evang.) Remarquez encore que dans le peuple on connaît bien mieux le nom des riches que celui des pauvres ; or Notre-Seigneur nous fait connaître ici le nom du pauvre et passe sous silence le nom du riche, pour nous apprendre que Dieu connaît et chérit les humbles, tandis qu’il ne connaît point les superbes. Une nouvelle épreuve venait s’ajouter à sa pauvreté, il était victime à la fois de la pauvreté et de ta souffrance : " Il était couché à sa porte, couvert d’ulcères. "

S. Chrys. (comme précéd.) Il était couché devant la porte, afin que le riche ne pût dire : Je ne l’ai pas vu, personne ne m’en a parlé. Il le voyait donc toutes les fois qu’il entrait et sortait. Le Sauveur ajoute que ce pauvre était couvert d’ulcères pour faire ressortir par ce trait toute la cruauté du riche. O le plus malheureux des hommes, vous voyez votre corps dans celui de votre semblable, mourant et étendu à votre porte, et vous n’en avez aucune pitié ! Si vous êtes peu sensible aux commandements de Dieu, souvenez-vous au moins de votre condition, et craignez d’être un jour réduit à ce triste état. Mais encore la maladie trouve-t-elle quelque soulagement dans les richesses, quand elle les possède ; qu’elle est donc grande la misère de ce pauvre, puisque couvert de tant de plaies, il oublie ses douloureuses souffrances pour ne se souvenir que de la faim qu’il éprouve : " Il désirait se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche, " et semblait lui dire : Faites-moi l’aumône de ce que vous rejetez de votre table, et faites-vous un gain avec ce que vous perdez.

S. Ambr. L’insolence et l’orgueil des riches se révèlent ici à des signes non équivoques : " Et personne ne lui en donnait. " Les riches, en effet, sont si oublieux de leur condition, qu’ils s’imaginent être d’une nature supérieure, et trouvent dans la misère même des pauvres un nouveau stimulant pour leurs voluptés, ils se moquent du pauvre, ils insultent aux malheureux, et ils vont jusqu’à dépouiller ceux dont ils auraient dû prendre pitié. — S. Aug. (serm. 25 sur les par. du Seign.) En effet, l’avarice des riches est insatiable, elle n’a ni crainte pour Dieu, ni égard pour les hommes, elle n’épargne pas son père, elle trahit les droits sacrés de l’amitié, elle opprime la veuve et s’empare des biens de l’orphelin.

S. Grég. (hom. 40.) Ajoutez que le pauvre voyait tous les jours le riche s’avancer, entouré d’un nombreux cortége de gens obséquieux, tandis qu’il était complètement délaissé dans son infirmité et dans son indigence, car une preuve évidente que personne ne venait le visiter, c’est que les chiens venaient paisiblement lécher ses ulcères : " Et les chiens venaient, ajoute le Sauveur, et léchaient ses ulcères. " — S. Chrys. (comme précéd.) Ces animaux compatissants viennent lécher ces plaies qu’aucun homme ne daignait laver et panser.

S. Grég. (hom. 40.) Dans un seul fait, Dieu exerce un double jugement. Il permet que le pauvre Lazare soit étendu devant la porte du riche, afin que ce riche impitoyable aggravât ainsi la sévérité de sa condamnation, et aussi pour que le pauvre augmentât ses droits à la récompense, car le premier voyait tous les jours celui dont il devait avoir pitié, et le second avait sans cesse sous les yeux ce qui faisait le sujet de son épreuve et de son mérite.

vv. 22-26.

S. Chrys. (hom. sur le mauv. riche.) Nous avons vu quel a été le sort de chacun d’eux sur la terre, voyons quel est maintenant leur sort dans les enfers. Tout ce qui était temporel est passé, les voici en face de l’éternité. Tous deux sont morts, l’un est reçu par les anges, l’autre ne rencontre que les supplices : " Or il arriva que le mendiant mourut, et il fut porté par les anges dans le sein d’Abraham, " etc. De si grandes douleurs sont tout à coup changées en délices ineffables. Il est porté, parce que ses souffrances l’avaient épuisé, et pour lui épargner les fatigues de la marche ; et il est porté par les anges. Ce n’est pas assez d’un seul ange pour porter ce pauvre, ils viennent en grand nombre, comme pour former un choeur d’allégresse et de joie, chacun d’eux est heureux de toucher un aussi précieux fardeau. Ils aiment à se charger de tels fardeaux pour conduire les hommes au ciel. Or, il fut porté dans le sein d’Abraham pour s’y reposer de ses longues souffrances. Le sein d’Abraham, c’est le paradis. Les anges devenus ses serviteurs, ont porté ce pauvre et l’ont déposé dans le sein d’Abraham, parce qu’au milieu du profond mépris dont il était l’objet sur la terre, il ne s’est laissé aller ni au désespoir ni au blasphème, en disant : ce riche, tout impie qu’il est, vit dans la joie et ne connaît pas la souffrance, tandis que je ne puis pas même obtenir la nourriture qui m’est nécessaire.

S. Aug. (de l’orig. de l’âme, 4, 46.) Si vous croyez que le sein d’Abraham soit quelque chose de corporel, je crains que vous n’apportiez pas dans la discussion d’une question aussi importante, toute la gravité et le sérieux qu’elle demande. En effet, vous ferez-vous illusion à ce point de croire que le sein d’un seul homme (pris dans le sens matériel), puisse contenir un si grand nombre d’âmes, bien plus (suivant votre opinion), autant de corps que les anges y portent comme celui de Lazare, à moins que vous ne disiez que son âme est la seule qui ait mérité de parvenir jusqu’au sein d’Abraham ? Si donc vous ne voulez point tomber dans une erreur puérile, entendez par le sein d’Abraham un lieu éloigné de ce monde, séjour tranquille et mystérieux, où se trouve Abraham, et qui porte le nom d’Abraham, non qu’il ne soit réservé qu’à lui seul, mais parce qu’il est le père d’un grand nombre de nations, et que Dieu l’a proposé à leur imitation comme le plus grand modèle de foi.

S. Grég. (hom. 40.) Tandis que ces deux coeurs (celui du pauvre et celui du riche étaient sur la terre), ils avaient dans les cieux un seul juge qui préparait le pauvre à la gloire par les souffrances, et qui supportait le riche en le réservant au supplice : " Le riche mourut aussi. " — S. Chrys. (hom. 6 sur la 2 Epit. aux Cor.) Il mourut de la mort du corps, car son âme était morte depuis longtemps, il ne faisait plus aucune des oeuvres auxquelles elle donne la vie, toute la chaleur que lui communique l’amour pour le prochain, était complètement éteinte, et cette âme était plus morte que le corps. (II disc. sur Lazare.) Nous ne voyons pas que personne soit venu rendre à ce mauvais riche les devoirs de la sépulture comme à Lazare. Tant qu’il était heureux au milieu des jouissances de la voie large, il comptait un grand nombre de flatteurs complaisants, à peine a-t-il expiré, que tous l’abandonnent, car le Sauveur nous dit simplement : " Et il fut enseveli dans les enfers. " Mais pendant sa vie même, son âme était comme ensevelie et écrasée dans son corps comme dans un tombeau. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 38.) Cette sépulture dans l’enfer signifie cet abîme de supplices qui dévore après cette vie les orgueilleux et ceux qui ont été sans miséricorde. — S. Bas. (sur Is 5.) L’enfer est un lieu immense situé dans les profondeurs de la terre, couvert de tous côtés d’épaisses ténèbres, dont l’ouverture donne dans un abîme profond, par où descendent les âmes condamnées aux supplices éternels. — S. Chrys. (hom. 53 de l’ouvr. incompl.) De même que les prisons des rois sont en dehors des villes, ainsi l’enfer est placé en dehors du monde, et c’est pour cela qu’il est appelé. " les ténèbres extérieures. " (Mt 8 ; 22 ; 25.) — Théophyl. Il en est qui prétendent que l’enfer est le passage du visible à l’invisible, et la complète déformation de l’âme, car tant que l’âme du pécheur est dans son corps, elle est comme visible par ses opérations, mais dès qu’elle est sortie du corps, elle perd pour ainsi dire toute sa forme.

S. Chrys. (2 disc. sur Lazare.) Le pauvre, pendant sa vie, trouvait un nouveau surcroît de souffrances dans son malheureux état, comparé aux jouissances et au bonheur dont il était témoin ; de même ce qui ajoutait aux tourments du riche après sa mort, c’était d’être plongé dans les enfers et d’être témoin du bonheur de Lazare, de sorte que son supplice lui était intolérable, et par sa nature, et par la comparaison qu’il en faisait avec la gloire de Lazare : " Or levant les yeux, lorsqu’il était dans les tourments, " etc. — S. Chrys. (hom. sur le mauv. riche.) Il élève les yeux pour le voir au-dessus et non au-dessous de lui ; car Lazare était en effet au-dessus et lui au-dessous. Lazare avait été porté par les anges, et lui était en proie à des tourments infinis. Aussi Notre-Seigneur ne dit pas : Lorsqu’il était dans le tourment, mais " dans les tourments, " car il était tout entier dans les tourments, il n’avait de libre que les yeux pour voir la joie de Lazare. Dieu lui laisse l’usage de ses yeux pour augmenter ses souffrances en le rendant témoin d’un bonheur dont il est privé, car les richesses des autres sont de véritables tourments pour les pauvres.

S. Grég. (Moral., IV, 27.) Or si Abraham n’était encore dans ces lieux inférieurs, le mauvais riche n’eût pu l’apercevoir du milieu des tourments ; c’est qu’en effet, ceux qui avaient suivi les voies de la patrie céleste, étaient, au sortir de cette vie, retenus dans les enfers, non pas pour y être punis comme coupables, mais pour se reposer dans ce séjour mystérieux, jusqu’à ce que la rédemption du Médiateur vînt leur ouvrir l’entrée du royaume qui était fermé depuis la faute de nos premiers parents.

S. Chrys. (Hom. 4, sur l’Epît. aux Philip.) Il y avait sans doute parmi les pauvres beaucoup de justes, mais c’est celui qu’il a vu étendu à sa porte qui se présente à ses regards pour augmenter sa tristesse : " Et Lazare dans son sein. " — S. Chrys. (II Disc. sur Lazare.) Apprenons de là que ceux à qui nous aurons fait quelque injure s’offriront alors à nos regards. Or, ce n’est point dans le sein d’un autre, mais dans le sein d’Abraham que le mauvais riche voit Lazare, parce qu’Abraham était plein de charité, et que le mauvais riche est condamné pour sa cruauté. Abraham assis à sa porte recherchait les voyageurs pour les forcer d’entrer dans sa maison ; le mauvais riche repoussait ceux-là même qui demeuraient à sa porte. — S. Grég. (hom. 40.) Voilà ce riche qui du milieu de ses tourments implore la protection de celui dont il n’a point daigné prendre pitié pendant sa vie. — Théophyl. Toutefois ce n’est point à Lazare, mais à Abraham qu’il adresse la parole, peut-être par un sentiment de honte, et dans la pensée que Lazare qu’il jugeait par lui-même se ressouvenait de ce qu’il avait souffert : " Et il lui cria. " — S. Chrys. (hom. sur le mauv. riche.) La grandeur de ses souffrances lui arrachait ce grand cri : " Père Abraham, " comme s’il lui disait : Je vous appelle mon père selon la nature, comme l’enfant prodigue qui a perdu tout son bien ; bien que par ma faute j’ai perdu le droit de vous appeler mon père : " Ayez pitié de moi. " C’est inutilement que vous exprimez ce repentir dans un lieu où la pénitence n’est plus possible ; ce sont les souffrances qui vous arrachent cet acte de repentir, ce ne sont point les sentiments du coeur. Je ne sais d’ailleurs si un seul de ceux qui sont dans le royaume des cieux peut avoir pitié de celui qui est dans les enfers. Le Créateur a compassion de ses créatures. Il est le seul médecin qui puisse guérir efficacement leurs maladies, nul autre ne peut les en délivrer. " Envoyez Lazare. " Infortuné, tu es dans l’erreur, Abraham ne peut envoyer personne, il ne peut que recevoir. " Afin qu’il trempe le bout de son doigt dans l’eau, " Autrefois tu ne daignais pas même jeter les yeux sur Lazare, et maintenant tu réclames le secours de son doigt ; tu devais au moins lorsque tu vivais lui rendre le service que tu demandes de lui ; tu désires une goutte d’eau, toi qui autrefois voyais avec dégoût les mets les plus délicats. Voyez le jugement que, la conscience du pécheur porte contre lui, il n’ose demander que Lazare trempe son doigt tout entier. Voilà donc le riche réduit à mendier le secours du pauvre, qui souffrait autrefois de la faim ; les rôles sont changés, et chacun peut voir maintenant quel était le vrai riche, quel était le vrai pauvre. Dans les théâtres, quand vient le soir, et que les acteurs se retirent et quittent leur costume, ceux qu’on avait vus figurer sur la scène comme des généraux et des préteurs, se montrent à tous tels qu’ils sont dans toute leur misère. C’est ainsi que lorsque la mort arrive, et que le spectacle de la vie s’achève, tous les masques de la pauvreté et des richesses tombent, et c’est exclusivement d’après les oeuvres qu’on juge quels sont les vrais riches, quels sont les vrais pauvres, et ceux qui sont dignes de gloire ou d’opprobre. — S. Grég. (hom. 40.) Ce riche qui a refusé à ce pauvre couvert d’ulcères jusqu’aux miettes de sa table, précipité maintenant dans l’enfer, est réduit à mendier le plus léger secours ; il mendie une goutte d’eau lui qui a refusé les miettes qui tombaient de sa table.

S. Bas. (Ch. des Pèr. gr.) Ce riche reçoit le juste châtiment qui lui est dû, le feu et le supplice de l’enfer, une langue desséchée ; les gémissements remplacent les sons harmonieux de la lyre ; une soif brûlante l’usage des plus délicieuses boissons ; d’épaisses ténèbres, les spectacles brillants et licencieux ; le ver qui ne dort point les empressements assidus des flatteurs : " Pour me rafraîchir la langue, car je souffre cruellement dans cette flamme " — S. Chrys. (hom. 2, sur l’Epît. aux Philipp.) S’il souffre de si cruels tourments, ce n’est point parce qu’il était riche, mais parce qu’il a été sans pitié. — S. Grég. (hom. 40.) Apprenons de là quel châtiment est réservé à celui qui prend le bien d’autrui, puisque ce riche est condamné au feu de l’enfer pour n’avoir pas donné de ses propres biens. — S. Ambr. Il souffre encore, parce que c’est un supplice pour l’homme sensuel d’être privé des jouissances de la vie ; l’eau qu’il demande est le soulagement de toute âme accablée de douleurs.

S. Grég. (hom. 40.) Pourquoi au milieu de ses tourments, demande-t-il une goutte d’eau pour rafraîchir sa langue ? parce que sa langue, par un juste châtiment, souffrait plus cruellement pour expier les excès de paroles qu’il avait commis au milieu de ses festins ; c’est en effet dans les festins que les intempérances de la langue sont plus fréquentes. — S. Chrys. (hom. sur le mauv. riche.) Que de paroles orgueilleuses avait aussi proférées cette langue ! il est donc juste que le châtiment tombe sur le péché ; et que la langue qui a été si coupable soit aussi plus sévèrement punie. — S. Aug. (quest. Evang., 2, 38.) Ou bien encore, cette demande qu’il fait d’une goutte d’eau pour rafraîchir sa langue, alors qu’il était tout entier au milieu des flammes, est l’accomplissement de ce qui est écrit : " La mort et la vie sont au pouvoir de la langue ; " (Pv 18) et encore : " Il faut confesser de bouche pour obtenir le salut, " (Rm 10) ce que son orgueil l’a empêché de faire. L’extrémité du doigt signifie la plus petite des oeuvres de miséricorde inspirée par l’Esprit saint.

S. Aug. (de l’ong. de l’âme, IV, 16.) Vous dites que tous les membres de l’âme se trouvent ici décrits, parce qu’il est dit que le mauvais riche levait les yeux ; ces yeux figurent la tête ; la langue, la bouche elle doigt, la main tout entière. Mais comment se fait-il que ces noms de membres appliqués à Dieu ne vous fassent pas conclure qu’il ait un corps, tandis que vous tirez cette conclusion pour l’âme ? Serait-ce parce qu’il faut les prendre à la lettre quand il s’agit de la créature, et dans un sens figuré et métaphorique, lorsqu’il est question du Créateur ? Ainsi vous nous donnerez des ailes corporelles parce que la créature, c’est-à-dire l’homme, et non pas le Créateur, dit par la bouche du Psalmiste : " Si je prends mon vol (mes ailes) dès l’aurore. " (Ps 138.) Or, si de ces paroles : " Pour rafraîchir ma langue, " vous concluez que l’âme du mauvais riche avait dans l’enfer une langue corporelle, notre langue doit avoir aussi dans cette vie des mains corporelles, puisqu’il est écrit : " La mort et la vie sont dans les mains de la langue. " (Pv 18.)

S. Grég. de Nyss. (Disc. 5, sur les Béatitudes.) De même que les miroirs les plus parfaits représentent fidèlement les formes des visages, tels qu’ils se placent devant eux, joyeux, s’ils sont dans la joie, tristes, s’ils sont dans la tristesse, ainsi le juste jugement de Dieu est la fidèle reproduction des dispositions de notre âme ; le riche n’a eu aucune compassion du pauvre étendu à sa porte, il ne trouve à son tour aucune compassion, lorsqu’il aurait tant besoin de miséricorde : " Et Abraham lui dit : Mon fils. " — S. Chrys. (Disc. 2 et 3, sur Lazare, et hom. sur le mauv riche.) Voyez la bonté du patriarche, il l’appelle son fils par un sentiment de tendresse et de douceur ; mais cependant il n’accorde aucun secours à celui qui s’en est rendu indigne. " Souvenez-vous, " lui dit-il, c’est-à-dire rappelez-vous le passé, n’oubliez pas que vous avez nagé au sein des délices, et que vous avez reçu les biens pendant votre vie, c’est-à-dire ce que vous regardiez comme les vrais biens ; il est impossible que vous régniez ici après avoir régné sur la terre, les richesses ne peuvent avoir de réalité à la fois sur la terre et dans l’enfer : " De même que Lazare à reçu les maux. " Ce n’est pas que Lazare les ait regardés comme des maux ; Abraham parle ici d’après les idées du riche qui regardait la pauvreté, la faim, les souffrances de la maladie comme des maux extrêmes. Lors donc que la violence de la maladie nous accable, que la pensée de Lazare nous fasse supporter avec joie les maux de cette vie.

S. Aug. (Quest. Evang., 2, 38.) Abraham fait donc cette réponse au mauvais riche, parce qu’il amis toutes ses affections dans les jouissances de la terre, et n’a aimé d’autre vie que celle où il étalait tout le faste de son orgueil. Il ajoute que Lazare a reçu les maux, c’est-à-dire qu’il a compris que la fragilité des choses de cette vie, les travaux, les douleurs, les souffrances étaient la peine du péché, parce que nous mourons tous en Adam qui est devenu sujet à la mort par sa désobéissance. — S. Chrys. (Disc. 3, sur Lazare.) Il dit encore au riche : " Vous avez reçu les biens dans cette vie, " comme une chose qui vous était que. C’est-à-dire : Si vous avez fait quelque bien qui fût digne de récompense, vous avez reçu dans le monde tout ce qui vous revenait, des festins, des richesses, la joie qui accompagne une vie toujours heureuse et les grandes prospérités. Si au contraire Lazare a commis quelque faute, il a tout réparé par la pauvreté, la faim et l’excès des misères sous le poids desquelles il a gémi. Tous deux vous êtes arrivés ici nus et dépouillés, l’un de ses péchés, et c’est pour cela qu’il reçoit la consolation, en partage, l’autre, de la justice, et c’est pourquoi vous subissez un châtiment qui ne pourra jamais être adouci : " Maintenant il est consolé ; et vous, vous souffrez. " — S. Grég. (hom. 40.) Si donc vous avez souvenir d’avoir fait quelque bien, et que ce bien ait été suivi de bonheur et de prospérité, craignez que ce bonheur ne soit la récompense du bien que vous avez fait ; comme aussi lorsque, vous voyez les pauvres tomber dans quelques fautes, pensez que le creuset de la pauvreté suffit pour purifier ceux qu’aurait pu souiller ce reste si léger de corruption. — S. Chrys. (Disc. 3, sur Lazare.) Vous me direz : N’y a-t-il donc personne qui puisse être heureux et tranquille dans cette vie et dans l’autre ? Non, c’est chose difficile et presque impossible ; car si la pauvreté n’accable, c’est l’ambition qui tourmente ; si la maladie ne déchire, c’est la colère qui enflamme ; si l’on n’est point en butte aux tentations, on est en proie aux pensées mauvaises. Or, ce n’est pas un médiocre travail que de mettre un frein à la colère, d’étouffer les désirs criminels, d’apaiser les mouvements violents de la vaine gloire, de réprimer le faste et l’orgueil, et de mener une vie pénitente et mortifiée. C’est là cependant une condition indispensable du salut.

S. Grég. (comme précéd.) Ou peut encore répondre que les méchants reçoivent les biens en cette vie, parce qu’ils mettent toute leur joie dans ce bonheur passager ; comme les justes peuvent avoir quelques biens, en partage, mais sans les recevoir comme récompense, car comme ils aspirent à des biens meilleurs, c’est-à-dire aux biens éternels, ils n’estiment pas que les biens qu’ils peuvent recevoir ici soient de véritables biens.

S. Chrys. (Disc. 4, sur Lazare.) Après la grâce de Dieu, c’est sur nos propres efforts que nous devons fonder l’espérance de notre salut, sans compter sur nos parents, sur nos proches, sur nos amis, car le frère même ne pourra racheter son frère (Ps 48, 8). C’est pour cela qu’Abraham ajoute : " De plus, entre nous et vous est creusé pour toujours un grand chaos. " — Théophyl. Ce grand chaos signifie la distance immense qui sépare les justes des pécheurs ; leurs affections sur la terre ont été bien différentes, leurs demeures après cette vie le sont également. — S. Chrys. (hom. sur le mauv. riche.) Il dit qu’un grand chaos a été comme affermi, parce qu’il ne peut être ni détruit, ni agité, ni ébranlé.

S. Ambr. Un grand abîme existe donc entre le riche et le pauvre, parce qu’après la mort les mérites de chacun sont immuables : " De sorte que ceux qui voudraient passer d’ici à vous, ou de là venir ici, ne le peuvent pas. " — S. Chrys. (hom. sur le mauv. riche) Il semble dire ? Nous pouvons vous voir, mais nous ne pouvons passer où vous êtes : nous voyons le danger que nous avons évité, et vous voyez le bonheur que vous avez perdu, notre joie est pour vous un surcroît de tourments, comme vos tourments, mettent le comble à notre joie. — S. Grég. (hom. 40.) De même que les réprouvés désirent passer du côté des élus, et quitter le séjour de leurs souffrances, ainsi les justes éprouvent intérieurement le désir d’aller vers ceux qui sont en proie à ces tourments indicibles et de les délivrer, Mais les âmes des justes, bien que la bonté de leur nature les rende accessibles à ce sentiment de la compassion, sont unies étroitement à la justice de leur auteur, et dominées par un tel sentiment de droiture et d’équité, qu’elles ne ressentent pour les réprouvés aucun sentiment de miséricorde. Ainsi donc, ni les méchants ne peuvent entrer dans le séjour des bons, retenus qu’ils sont par les chaînes d’une éternelle damnation, ni les justes ne peuvent passer du côté des réprouvés, parce que élevés à la hauteur de la justice des jugements de Dieu, ils ne peuvent éprouver pour eux aucun sentiment de compassion. — Théophyl. On peut tirer de ces paroles un des plus forts arguments contre les partisans d’Origène, qui prétendent que les supplices de l’enfer auront un terme, et qu’un temps arrivera où les pécheurs seront réunis aux justes et à Dieu. — S. Aug. (quest. Evang., 2, 38.) L’immutabilité de la sentence divine prouve jusqu’à l’évidence que les justes, quand ils le voudraient, ne pourront exercer aucun acte de miséricorde envers les pécheurs, et Dieu les avertit par là d’être utiles pendant cette vie à tous ceux qui pourront profiter de leurs bons offices, de peur que même après avoir été reçus dans les cieux, ils soient dans l’impuissance de porter secours à ceux qu’ils aiment ; car ces paroles : " Afin qu’ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels, " ne s’appliquent ni aux superbes, ni aux âmes sans miséricorde, mais à ceux qui se sont fait des amis avec les oeuvres de la charité ; et si les justes les reçoivent dans les tabernacles éternels, ce n’est point en vertu de leur propre pouvoir et comme s’ils les récompensaient d’eux-mêmes, mais en vertu d’une permission de Dieu.

vv. 27-31.

S. Grég. (hom. 40 sur les Evang.) Lorsque le riche, tourmenté au milieu des flammes, a perdu toute espérance pour lui-même, sa pensée se reporte vers les proches qu’il a laissés sur la terre : " Et il dit : Je vous prie donc, père Abraham, d’envoyer Lazare dans la maison de mon père. " — S. Aug. (quest. évang.) Il demande qu’on envoie Lazare, parce qu’il comprend qu’il est indigne de rendre témoignage à la vérité, et comme il n’a pu obtenir le moindre rafraîchissement à ses souffrances, il espère beaucoup moins sortir des enfers pour aller faire connaître la vérité. — S. Chrys. (hom. sur le mauv. riche.) Voyez la perversité de cet homme, jusqu’au milieu de ses châtiments il ne peut reconnaître la vérité ; si Abraham est vraiment ton père, comment dis-tu : " Envoyez-le dans la maison de mon père ? " Tu n’as donc pas oublié ton père, tu ne l’as pas oublié, quoiqu’il ait été la cause de ta perte.

S. Grég. (hom. 40.) Le supplice des réprouvés leur inspire quelquefois une charité stérile, et fait qu’ils sont portés alors d’un amour tout particulier pour leurs parents, eux qui, dans l’affection qu’ils avaient pour leurs péchés ne s’aimaient pas eux-mêmes, c’est ce qui lui fait dire : " Car j’ai cinq frères, afin qu’il leur atteste qu’ils ne viennent pas aussi eux-mêmes dans ce lieu de tourments. "

S. Ambr. Ce mauvais riche s’y prend trop tard pour commencer à instruire les autres, alors qu’il n’y a plus de temps ni pour apprendre, ni pour enseigner. — S. Grég. (hom. 40.) Remarquons ici quel surcroît de souffrances pour ce riche, que les flammes tourmentent si cruellement. Dieu lui laisse pour son supplice la connaissance et la mémoire. Il reconnaît Lazare, qu’il ne daignait pas regarder pendant sa vie, il se souvient de ses frères qu’il a laissés sur la terre, car pour ajouter aux peines que souffrent les pécheurs, Dieu permet qu’ils voient la gloire de ceux qui ont été l’objet de leur mépris et qu’ils souffrent du châtiment de ceux qu’ils ont aimés d’une amitié stérile. A la demande que fait le riche que Lazare soit envoyé, Abraham répond : " Ils ont Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent. "

S. Chrys. (disc. 4 sur Lazare.) C’est-à-dire, votre sollicitude pour le salut de vos frères, n’est pas plus grande que celle de Dieu, qui les a créés et leur a donné des docteurs pour les instruire et les exciter au bien. Moïse et les prophètes, ce sont les écrits de Moïse et les oracles prophétiques. — S. Ambr. Paroles par lesquelles Dieu montre jusqu’à la dernière évidence, que l’Ancien Testament est le ferme appui de notre foi, réprimant ainsi l’incrédulité des Juifs, et repoussant toutes les interprétations perverses des hérétiques.

S. Grég. (hom. 40.) Mais ce mauvais riche qui, pendant toute sa vie avait méprisé la parole de Dieu, croyait que ses parents n’en feraient pas plus de cas : " Et il dit : Non, père Abraham, mais si quelqu’un des morts va vers eux, ils feront pénitence. " — S. Chrys. (comme préc.) Comme il n’avait que du mépris pour les Écritures, et qu’il les regardait comme des fables, il jugeait ses frères d’après ses propres sentiments. — S. Grég. de Nysse. (Liv. de l’âme et de la résur.) Ces paroles contiennent encore une autre leçon, c’est que l’âme de Lazare est dégagée de toute sollicitude pour les choses présentes, et n’a pas un regard pour ce qu’elle a quitté. Le riche, au contraire, même après la mort, est encore attaché à la vie charnelle comme avec de la glu, car celui dont l’âme se plonge dans les affections de la chair, reste esclave de ses passions, même lorsque son âme est séparée de son corps. — S. Grég. (hom. 40.) Abraham fait au mauvais riche cette réponse pleine de vérité : " S’ils n’écoutent point Moïse et les prophètes, quelqu’un des morts ressusciterait, qu’ils ne croiraient point ; " parce qu’en effet, ceux qui méprisent les paroles de la loi, pratiqueront d’autant plus difficilement les préceptes du Rédempteur, qui est ressuscité des morts, qu’ils sont beaucoup plus sublimes.

S. Chrys. (disc. 4 sur Lazare.) Les Juifs sont une preuve que celui qui n’est point docile aux enseignements de l’Écriture, n’écouterait pas davantage un mort ressuscité à la vie, eux qui ont voulu tuer Lazare après sa résurrection et persécuté les Apôtres, bien qu’ils aient vu plusieurs morts ressuscités à l’heure du crucifiement (cf. Mt 27, 52). Mais pour vous convaincre encore davantage que l’autorité des Écritures et des prophètes est d’un plus grand poids que le témoignage d’un mort ressuscité, remarquez qu’un mort quel qu’il soit est un serviteur, tandis que tout ce qu’enseignent les Écritures, c’est Dieu, même qui l’enseigne. Ainsi donc qu’un mort ressuscite, qu’un ange descende du ciel, les Écritures sont beaucoup plus dignes de foi, car c’est le Seigneur des anges, le maître des vivants et des morts qui en est l’auteur. D’ailleurs, si Dieu avait jugé que la résurrection des morts pourrait être utile aux vivants, il n’eût pas omis ce moyen, de salut, lui qui se propose en tout notre utilité. Mais supposons de fréquentes résurrections de morts, on n’y ferait bientôt plus attention. ; le démon se servirait de ce moyen pour introduire des doctrines perverses en cherchant à imiter ce miracle par ses suppôts. Il ne pourrait sans doute ressusciter réellement les morts, mais il ferait illusion aux yeux des spectateurs par certains artifices, ou en exciterait quelques-uns à simuler une mort véritable.

S. Aug. (Du soin qu’on doit avoir pour les morts, chap. XIV.) On me dira : Si les morts n’ont aucun souci des vivants, comment ce riche a-t-il pu prier Abraham d’envoyer Lazare vers ses cinq frères ? Mais cette prière du riche suppose-t-elle nécessairement qu’il connût alors ce que faisaient ces frères ou ce qu’ils pouvaient souffrir ? Il portait donc intérêt aux vivants, mais sans savoir aucunement ce qu’ils faisaient ; de même que notre sollicitude s’étend aux morts, bien que nous ignorions complètement leur état actuel. On demande encore : Comment Abraham connaissait-il Moïse et les prophètes, c’est-à-dire leurs livres ? comment avait-il pu savoir que le riche avait vécu dans les délices et Lazare dans les souffrances ? Nous répondons qu’il put le savoir, non pendant leur vie, mais après leur mort, lorsque Lazare le lui eut appris, explication qui ne détruit pas la vérité de ces paroles du prophète : " Abraham ne nous a pas connus. " (Is 63.) Les âmes des morts peuvent encore savoir quelque chose par le moyen des anges qui président aux choses d’ici-bas, L’esprit de Dieu peut enfin leur révéler, soit dans le passé, soit dans l’avenir, ce qu’il leur importe de connaître.

S. Aug. (Quest. évang., 2, 38.) Dans le sens allégorique, on peut voir dans ce riche la figure des Juifs orgueilleux, " qui ne connaissaient point la justice de Dieu, et s’efforçaient d’établir leur propre justice. " (Rm 10.) La pourpre et le lin sont le symbole du royaume : " Le royaume de Dieu vous sera enlevé, " (Mt 21.) Ces festins splendides, c’est l’ostentation de la loi dans laquelle ils se glorifiaient par orgueil et pour se faire valoir plutôt que de la faire servir à leur salut. Ce mendiant, du nom de Lazare, qui signifie celui qui est assisté, représente la pauvreté des Gentils ou des publicains, qui obtiennent d’autant plus facilement du secours, qu’ils présument moins de leurs propres ressources. — S. Grég. (hom. 40.) Lazare, couvert d’ulcères, est la figure du peuple des Gentils, qui se convertit à Dieu et ne rougit pas de confesser ses péchés ; sa peau est couverte de blessures, car qu’est-ce que la confession des péchés, qu’une rupture de nos blessures intérieures ? Lazare, tout couvert d’ulcères, " désirait se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche, et personne ne lui en donnait, " parce que ce peuple orgueilleux ne daignait admettre aucun Gentil à la connaissance de la loi, et qu’il laissait tomber les paroles de cette science comme les miettes de sa table. — S. Aug. (quest. évang.) Les chiens qui venaient lécher les ulcères du pauvre, figurent ces hommes profondément corrompus, dévoués au mal, qui ne cessent de louer à bouche ouverte les oeuvres d’iniquité qui sont l’objet des gémissements et des regrets publics de ceux qui les ont commises. — S. Grég. (hom. 40.) Quelquefois dans les saintes Écritures, les chiens représentent les prédicateurs, selon ces paroles du Psalmiste : " La langue de tes chiens s’abreuvera du sang de tes ennemis. " (Ps 67 ; cf. Is 56, 10.) En effet, la langue des chiens guérit les blessures qu’elle lèche, ainsi les saints docteurs, par les instructions qui suivent la confession de nos péchés, touchent pour ainsi dire avec leur langue les blessures de notre âme. Le riche a été enseveli dans les enfers, Lazare, au contraire, a été porté par les anges dans le sein d’Abraham, c’est-à-dire, dans ce séjour mystérieux de repos, dont la vérité a dit : " Beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident, et auront place avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux, tandis que les enfants du royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures. " C’est de loin que le riche lève les yeux pour voir Lazare, parce que c’est du fond de l’abîme où ils souffrent les peines dues à leurs péchés, que les infidèles aperçoivent au-dessus d’eux, jouissant d’un repos ineffable, les fidèles dont après le jugement dernier, ils ne pourront plus contempler le bonheur. C’est de loin qu’ils les aperçoivent, parce qu’ils ne peuvent y atteindre par leurs mérites. C’est surtout dans sa langue que le riche endure de plus vives souffrances, parce que ce peuple infidèle avait toujours à la bouche les paroles de la loi qu’il dédaignait de mettre en pratique. Il sera donc plus cruellement tourmenté dans sa langue qui manifestait à tous qu’il savait parfaitement ce qu’il refusait de pratiquer. Abraham l’appelle son fils, bien qu’il ne le délivre pas de ses tourments, parce que les ancêtres de ce peuple infidèle n’ont aucune compassion pour arracher au supplice ceux qu’ils reconnaissent bien comme étant leurs enfants, mais qui ont en si grand nombre abandonné les exemples de leur foi.

S. Aug. (Quest. évanq., 2, 39.) Les cinq frères que le riche dit avoir dans la maison de son père, figurent les Juifs qui sont au nombre de cinq, parce qu’ils étaient soumis à la loi qui a été donnée par Moïse (cf. Jn 1, 17 ; 7, 19), et renfermée dans les cinq livres qu’il a écrits. — S. Chrys. (hom. sur le mauv. riche.) Ou bien ce riche avait cinq frères, c’est-à-dire, les cinq sens dont il était l’esclave ; aussi ne pouvait-il aimer Lazare, parce que ses frères n’aiment pas la pauvreté. Ce sont ces frères qui t’ont précipité dans ces tourments, ils ne peuvent être sauvés s’ils ne meurent, autrement il est nécessaire que les frères habitent avec leur frère. Mais pourquoi demande-tu que j’envoie Lazare ? Ils ont Moïse et les prophètes. Moïse a été lui-même pauvre comme Lazare, lui qui a estimé que la pauvreté de Jésus-Christ était un plus grand trésor que toutes les richesses de l’Egypte (He 12), Jérémie, jeté dans un lac, y fut nourri du pain de la tribulation. (Jr 38.) Tous ces prophètes sont là pour enseigner tes frères, mais ils ne peuvent être sauvés qu’autant que quelqu’un ressuscite des morts, car ces frères, avant la résurrection de Jésus-Christ, me conduisaient à la mort ; il est mort, mais ces frères sont ressuscités, et maintenant mes yeux voient Jésus-Christ, mes oreilles l’entendent, mes mains peuvent le toucher. Ce que nous venons de dire est la condamnation des marcionites et des manichéens, qui ne veulent point admettre l’Ancien Testament. Voyez ce que dit Abraham : " S’ils n’écoutent pas Moïse et les prophètes, " etc., paroles qui signifient : Vous faites bien d’attendre celui qui doit ressusciter des morts, mais c’est Jésus-Christ lui-même qui vous parle par la bouche des prophètes, et si vous les écoutez, c’est lui-même que vous écoutez. — S. Grég. (hom. 40.) Mais comme le peuple juif a refusé d’entendre dans le sens spirituel les paroles de Moïse, il n’a pu parvenir à celui que Moïse avait prédit et annoncé.

S. Ambr. On peut encore donner à cette histoire cet autre sens : Lazare est pauvre dans ce monde, mais il est riche aux yeux de Dieu. En effet, toute pauvreté n’est pas sainte, comme toute possession des richesses n’est pas nécessairement criminelle, c’est la vie molle et sensuelle qui déshonore les richesses, comme c’est la sainteté qui rend la pauvreté honorable. Ou bien encore, Lazare, c’est tout homme apostolique qui est pauvre par la parole et riche par la foi, qui s’attache à la vraie foi et ne recherche pas les vains ornements de la parole. Je comparerai cet homme à celui qui, souvent frappé de verges par les Juifs, offrait pour ainsi dire, à lécher aux chiens les ulcères de son corps (2 Co 11, 24 ; cf. Dt 25, 2.3). Heureux ces chiens qui ont léché les gouttes de sang pli découlait de ces plaies et qui remplit ainsi la bouche et le coeur de ceux qui doivent garder la maison, veiller sur le troupeau et le défendre contre les loups. Et comme le pain est la figure de la parole, et que la foi vient de la parole, les miettes de pain représentent certaines vérités de la foi, c’est-à-dire les mystères des Écritures. Les Ariens, qui recherchent avec tant d’empressement l’appui de la puissance royale pour attaquer la vérité de l’Église, ne vous paraissent-ils pas comme revêtus de pourpre et de fin lin ? Comme ils prêchent l’erreur et le mensonge en place de la vérité, ils multiplient leurs pompeux discours. C’est ainsi que la riche hérésie a composé je ne sais combien d’évangiles, tandis que la foi pauvre s’en est tenu au seul Évangile qu’elle a reçu de Dieu. La riche philosophie s’est fait plusieurs dieux, et l’Église pauvre n’a reconnu et adoré qu’un seul Dieu. Ces richesses ne vous semblent-elles pas être une véritable indigence, et cette indigence une véritable richesse ?

S. Aug. (Quest. évang.) Ce récit peut encore recevoir une autre interprétation. Lazare serait la figure du Seigneur, étendu à la porte du riche, parce que les humiliations de son incarnation l’ont abaissé jusqu’aux oreilles superbes des Juifs. Il désirait se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche, c’est-à-dire, qu’il demandait aux Juifs les plus petites oeuvres de justice qui ne fussent pas enlevées par leur orgueil à sa table, c’est-à-dire à sa puissance, et qu’ils pussent au moins pratiquer, sinon sous l’influence d’une vie constamment vertueuse, au moins de temps en temps et par hasard, comme les miettes qui tombent de la table. Les ulcères, ce sont les blessures du Seigneur, les chiens qui venaient les lécher, ce sont les Gentils, que les Juifs regardaient comme immondes, et qui, cependant par tout l’univers, goûtent avec une pieuse suavité les plaies du Seigneur dans le sacrement de son corps et de son sang. Le sein d’Abraham, c’est le secret du Père, où Jésus-Christ est monté après sa résurrection ; il y a été porté par les anges, parce que ce sont les anges qui ont annoncé à ses disciples (Mt 28, 7 ; Mc 16, 7 ; Lc 24, 9), qu’il était remonté dans le sein du Père. L’interprétation que nous avons donnée plus haut peut s’appliquer au reste du récit, car le sein de Dieu peut très-bien s’entendre du lieu où (même avant la résurrection) les âmes des justes vivent dans la société de Dieu.

 

CHAPITRE XVII

vv. 1-2.

Théophyl. Notre-Seigneur répond aux pharisiens avares qui attaquaient ses enseignements sur la pauvreté, par la parabole du mauvais riche et de Lazare. Il s’entretient ensuite des pharisiens avec ses disciples, et les leur représente comme des schismatiques et comme des gens qui entravent par leurs obstacles les voies divines : " Et Jésus dit à ses disciples : Il est impossible qu’il n’arrive des scandales, " c’est-à-dire des obstacles à la vie sainte et agréable à Dieu. — S. Cyr. Il y a deux sortes de scandales, les uns sont opposés directement à la gloire de Dieu, les autres se bornent à créer des obstacles à nos frères dans la voie du bien ; c’est ainsi que les doctrines des hérétiques, et tout discours contraire à la vérité sont directement opposés à la gloire de Dieu. Or, Notre-Seigneur ne parait pas avoir ici en vue cette première espèce de scandale, mais plutôt ceux qui arrivent entre amis et entre frères, comme les querelles, les médisances, et autres différends semblables. Voilà pourquoi il ajoute plus bas : " Si votre frère pèche contre vous, reprenez-le, " etc. — Théophyl. Ou bien il veut dire que la prédication et la vérité doivent nécessairement rencontrer bien des difficultés, telles que celles que les pharisiens suscitaient à la prédication de Jésus-Christ. Mais s’il est nécessaire que les scandales arrivent, comment me dira-t-on, Notre-Seigneur peut-il en faire un crime à l’auteur du scandale en disant : " Malheur à celui par qui arrive le scandale ? " Car tout ce qui est le produit de la nécessité est digne d’indulgence. Nous répondons que cette nécessité tire son origine de notre libre arbitre. Notre-Seigneur, considérant comment les hommes se portent au mal et sont indifférents pour le bien, déclare que les scandales sont une conséquence nécessaire de cet état de choses ; comme un médecin qui voit un de ses malades faire usage d’un mauvais régime, dit de lui : Cet homme deviendra nécessairement malade. Aussi le Sauveur annonce malheur à celui par qui arrive le scandale, et lui en prédit le châtiment : " Il vaudrait mieux pour lui qu’on lui mît une meule de moulin au cou et qu’on le précipitât dans la mer. " — Bède. Notre-Seigneur fait ici allusion à un usage de la Palestine, où le châtiment des grands crimes, chez les anciens Juifs, consistait à précipiter les coupables au fond de la mer avec une grosse pierre au cou. Et en effet, il vaut mieux, même pour un innocent, perdre la vie du corps par un supplice atroce, mais passager, que de précipiter son frère innocent dans la mort éternelle. C’est à juste titre que le Sauveur donne le nom de " petit " à celui qui est scandalisé ; car celui dont l’âme est grande et élevée, quoi qu’il voie, quoi qu’il lui arrive, ne se laisse point détourner de la foi. Autant que nous le pouvons sans péché, évitons donc de donner du scandale à nos frères ; s’ils prennent scandale de la vérité, il est plus utile de permettre ce scandale, que d’abandonner les intérêts de la vérité. — S. Chrys. Par le supplice de celui qui scandalise les âmes, apprenez quelle sera la récompense de celui qui les sauve. Car s’il n’avait tant à coeur le salut d’une seule âme, il ne menacerait pas d’un si grand châtiment les auteurs du scandale.

vv. 3-4

S. Ambr. Après la parabole du mauvais riche souffrant cruellement dans les flammes éternelles, le Sauveur fait à ses disciples une obligation de pardonner à tous ceux qui reviennent de leurs erreurs ; de peur que le désespoir ne les fasse persévérer dans le mal : " Prenez garde à vous. " — Théophyl. Comme s’il leur disait : Il est nécessaire qu’il arrive des scandales, mais il n’est pas nécessaire que vous périssiez si vous êtes sur vos gardes, de même qu’il n’y a point nécessité que les brebis deviennent la proie du loup, si le berger veille sur elles, et comme il y a plusieurs espèces de personnes qui donnent le scandale, que les unes peuvent être guéries, que les autres sont incurables, il ajoute : " Si votre frère pèche contre vous, reprenez-le, " etc. — S. Ambr. Le pardon ne doit pas être trop difficile, ni l’indulgence trop grande, il faut éviter à la fois les reproches sévères qui découragent, et une connivence coupable qui autorise le mal ; aussi Notre-Seigneur nous dit-il ailleurs : " Reprenez-le entre vous et lui ; " car une réprimande amicale est toujours plus utile qu’une accusation trop vive ; l’une inspire une honte salutaire, l’autre excite l’indignation ; ayez plutôt des ménagements pour cette crainte qu’a le coupable que ses fautes soient révélées ; car il est bien plus avantageux qu’il voie en vous un ami qui le reprend, qu’un ennemi qui veut sa perte, et il se rendra toujours plus facilement à vos conseils, qu’il ne cédera à vos injures. La crainte est un faible gardien de la persévérance, la honte enseigne bien plus efficacement le devoir ; car si la crainte réprime le vice, elle ne peut le corriger. Notre-Seigneur dit avec dessein : " Si votre frère pèche contre vous, " car on ne peut raisonner des fautes commises contre Dieu, comme des offenses envers nos semblables.

Bède. Remarquez encore qu’il ne nous fait point une obligation de pardonner indifféremment à tout homme qui nous offense, mais seulement à celui qui témoigne du repentir ; car tel est l’ordre que nous devons suivre pour éviter les scandales : n’offenser personne, reprendre par zèle pour la justice ceux qui sont en faute, et recevoir avec des entrailles de miséricorde les pécheurs repentants. — Théophyl. Mais, me dira-t-on, si après avoir pardonné plusieurs fois à mon frère, il continue à m’offenser, quelle conduite tenir à son égard ? Notre-Seigneur a répondu à cette question : " S’il pèche contre vous sept fois le jour, et que sept fois le jour il revienne à vous, disant : Je me repens, pardonnez-lui. "

Bède. Le nombre sept n’exprime pas ici les limites que nous devons apporter au pardon, mais il signifie qu’il faut pardonner toutes les offenses, ou du moins qu’il faut toujours pardonner à celui qui se repent. Le nombre sept, en effet, exprime souvent dans l’Écriture l’universalité des choses ou des temps. — S. Ambr. Ou bien encore, de même que Dieu s’est reposé de ses oeuvres le septième jour, ainsi un repos éternel nous est promis après la semaine de ce monde ; Dieu veut donc que la sévérité de la vengeance s’apaise et se repose, à l’exemple de toutes les oeuvres mauvaises de ce monde, qui doivent un jour prendre fin.

vv. 5-6.

Théophyl. Les disciples ayant entendu les enseignements du Seigneur sur des devoirs difficiles, c’est-à-dire sur la pauvreté et la fuite des scandales, lui demandent d’augmenter en eux la foi, qui doit les aider à pratiquer la pauvreté (car rien de plus efficace pour inspirer l’amour de la pauvreté, comme la foi et l’espérance en Dieu), et à résister aux scandales : Alors les Apôtres dirent au Seigneur : Augmentez-nous la foi. " — S. Grég. (Moral., XXII, 14.) Afin que cette foi qu’ils avaient reçue dans son germe, parvînt à la perfection par des accroissements successifs. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 39.) Par cette foi, qu’ils prient le Sauveur d’augmenter en eux, on peut entendre celle qui nous fait croire ce que nous ne voyons pas ; cependant il y a aussi une foi qu’on peut appeler la foi des choses, qui nous porte à croire non seulement aux paroles, mais aux choses présentes, ce qui doit un jour s’accomplir, lorsque la sagesse de Dieu, par laquelle tout a été fait, s’offrira à la contemplation des saints dans tout l’éclat de sa gloire.

Théophyl. Notre-Seigneur approuve ouvertement leur demande, et les exhorte à croire fermement en leur découvrant toute la puissance de la foi : " Le Seigneur leur dit : Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, " etc. Il y a ici deux prodiges extraordinaires, transporter un arbre enraciné dans la terre, et le planter au milieu de la mer (car que peut-on planter au milieu des flots), et qui tous deux font voir la puissance de la foi. — S. Chrys. (hom. 58 sur S. Matth.) Le Sauveur prend pour exemple le grain de sénevé, parce que bien que son volume soit très-petit, il a cependant plus de force que toutes les autres graines, et il veut nous apprendre par là que le plus petit degré de foi, peut opérer de grandes choses. N’allez pas cependant accuser légèrement les Apôtres, de ce qu’ils n’ont point transporté de mûrier, car Notre-Seigneur ne leur a point dit : Vous transporterez, mais : " Vous pourrez transporter. " Mais ils ne l’ont point voulu, parce que cela était inutile, puisqu’ils ont opéré de plus grands prodiges. — S. Chrys. (hom. 32 sur la 1e Epit. aux Cor.) Mais comment concilier ces paroles de Jésus-Christ, que le plus petit degré de foi peut transporter un arbre ou une montagne, avec celles où saint Paul déclare que c’est la foi parfaite qui transporte les montagnes ? (1 Co 13, 2) Nous répondons que l’apôtre saint Paul attribue à la foi parfaite la vertu de transporter les montagnes, non que ce soit le privilège exclusif de la foi parfaite, mais parce qu’il s’adressait à des esprits encore grossiers qui trouvaient ce prodige extraordinaire à cause de la difficulté que présente la masse énorme d’une montagne.

Bède. Ou bien le Seigneur compare ici la foi parfaite à un grain de sénevé, parce qu’elle a peu d’apparence au dehors, et qu’elle déploie toute sa force dans l’intérieur de notre corps. Dans le sens allégorique, le mûrier (dont les fruits et les branches ont la couleur du sang), est la figure de l’Évangile de la croix que la foi des Apôtres a par la prédication arraché du peuple juif, dans lequel il était enraciné comme dans sa terre primitive, pour le transporter et le planter au milieu de la mer des nations. — S. Ambr. Ou bien encore, ces paroles signifient la puissance de la foi pour chasser l’esprit immonde, d’autant plus que la nature de cet arbre favorise cette opinion. En effet, le fruit du mûrier est blanc dans sa fleur, il parait rouge lorsqu’il a pris sa forme, et devient noir lorsqu’il est parvenu à sa maturité. C’est ainsi que le démon, déchu par sa prévarication de la fleur blanche de sa nature angélique, et de son éclatante dignité, est devenu un objet d’horreur par les noires vapeurs qu’exhale son iniquité. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Il y a encore une autre analogie entre le démon et le mûrier ; les vers se nourrissent des feuilles du mûrier, ainsi le démon se sert des pensées qu’il suggère pour nourrir le ver qui ne meurt point, mais la foi peut déraciner de nos âmes ce mûrier et le précipiter dans l’abîme.

vv. 7-10.

Théophyl. Comme la foi rend celui qui la possède fidèle observateur des commandements de Dieu, et lui fait opérer des oeuvres vraiment admirables, il semblait qu’elle pouvait exposer l’homme au vice de l’orgueil. Aussi Notre-Seigneur prémunit ses disciples contre ce sentiment d’orgueil qui pouvait naître de leurs vertus, par l’exemple suivant : " Qui de vous, ayant un serviteur attaché au labourage, " etc. — S. Aug. (quest. Evang., 2, 39.) Ou bien encore, comme la plupart ne comprenaient pas cette foi à la vérité qui devait un jour se découvrir sans nuage, on pourrait croire que Notre-Seigneur ne répond pas directement à la demande de ses disciples. En effet, la suite des paroles du Sauveur se rapporte difficilement à cette prière des Apôtres : " Augmentez en nous la foi, " à moins de les entendre dans ce sens, que nous passons d’une foi moins parfaite à une foi parfaite, c’est-à-dire de la foi qui nous fait servir Dieu, à la foi où nous jouissons pleinement de Dieu. La foi s’augmente en effet, lorsqu’après avoir eu pour objet les paroles de la prédication, elle s’étend même aux choses visibles. Mais cette foi contemplative est accompagnée de ce repos ineffable que Dieu nous prépare dans son royaume éternel, et ce repos est la récompense des travaux méritoires qui s’accomplissent dans l’Église. Ainsi, quel que soit le genre de travaux auxquels est appliqué le serviteur, qu’il laboure dans les champs, ou qu’il garde les troupeaux (c’est-à-dire qu’il s’occupe dans cette vie des choses de la terre, ou qu’il soit au service des hommes insensés figurés par les troupeaux), il faut qu’après ces travaux accomplis il rentre à la maison, c’est-à-dire qu’il soit réuni à l’Église.

Bède. Ou bien encore, ce serviteur qui revient des champs, c’est le docteur qui interrompt pour un temps l’oeuvre de la prédication, pour rentrer dans sa conscience et y repasser ses actions et ses paroles. Le Seigneur ne lui dit pas aussitôt ; Allez (de cette vie mortelle), et mettez-vous à table, c’est-à-dire, réjouissez-vous dans l’éternel repas de la vie bienheureuse. — S. Ambr. En effet, nul ne s’asseoit à ce banquet avant de passer de cette vie à l’autre. ; Moïse lui-même a dû passer de l’endroit où il était pour être témoin de la grande vision ou Dieu se révélait à lui. (Ex 3.) De même donc que vous ne dites pas aussitôt à votre serviteur : Mettez-vous à table, mais que vous exigez de lui auparavant d’autres services ; ainsi Dieu ne vous demande pas un seul genre d’oeuvres et de travaux, notre travail ne doit cesser qu’avec notre vie : Est-ce qu’il ne lui dit pas au contraire : " Préparez-moi à souper, " etc. — Bède. Dieu commande à ce serviteur de lui préparer à manger, c’est-à-dire qu’après le travail de la prédication publique, il doit se livrer à une humble considération de lui-même ; c’est la nourriture que Dieu désire. Se ceindre les reins, c’est, pour une âme humble, relever et resserrer toutes les pensées flottantes qui peuvent entraver notre marche dans la voie des bonnes oeuvres ; car on ne serre ses vêtements avec une ceinture que pour n’être point exposé à tomber en marchant. Servir le vrai Dieu, c’est confesser hautement que toute notre force vient du secours de sa grâce.

S. Aug. (quest. Evang.) C’est alors que ses ministres le servent, c’est-à-dire qu’ils se livrent à la prédication de l’Évangile, que Dieu boit et mange, pour ainsi dire, la confession et la foi des Gentils.

" Et après cela tu mangeras et tu boiras, " c’est-à-dire : Après que j’aurai goûté avec joie l’oeuvre de votre prédication, et que je me serai rassasié de votre componction comme d’un mets délicieux, alors vous passerez, et vous serez nourri vous-même à jamais de l’aliment éternel de ma sagesse.

S. Cyr. Notre-Seigneur nous enseigne ici qu’en vertu du droit de sa puissance souveraine, il exige de ses serviteurs l’obéissance comme une chose qui lui est que : Aura-t-il de l’obligation à ce serviteur, parce qu’il a fait ce qu’il lui a commandé ? Je ne le pense pas. R Quoi de plus propre à guérir la maladie de l’orgueil ? Pourquoi vous enorgueillir ? Ignorez-vous que si vous ne remplissez pas l’obligation qui vous est imposée, vous vous exposez au danger, et que si vous y êtes fidèle, vous ne faites rien de trop, d’après ces paroles de saint Paul : " Si je prêche l’Évangile, la gloire n’en est point à moi, car c’est pour moi une obligation de le faire, malheur à moi si je ne prêche pas l’Évangile ! " Considérez en effet, que ceux qui exercent l’autorité parmi nous, ne remercient pas leurs serviteurs lorsqu’ils exécutent les ordres qui leur ont été donnés, mais ils cherchent à gagner leur affection à force de bienveillance pour leur inspirer un plus grand zèle dans l’accomplissement de leurs devoirs. Ainsi Dieu nous demande de le servir en vertu de son droit souverain, mais comme il est plein de clémence et de bonté, il promet des honneurs infinis à ceux qui travaillent pour lui, et la grandeur de sa bienveillance est bien supérieure à toutes les fatigues que nous endurons à son service.

S. Ambr. Ne vantez donc pas votre mérite lorsque vous avez fidèlement servi, vous n’avez fait que ce que vous deviez faire. Le soleil obéit à Dieu, la lune lui est soumise, les anges exécutent ses ordres ; gardons-nous donc de nous louer nous-mêmes, c’est la conclusion que le Sauveur tire lui-même de ce qu’il vient de dire : " De même quand vous aurez fait ce qui vous est commandé, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles ; nous avons fait ce que nous devions faire. " — Bède. Nous sommes des serviteurs, parce que nous avons été rachetés d’un grand prix (1 Co 7) ; nous sommes des serviteurs inutiles, parce que le Seigneur n’a nul besoin de nos biens (Ps 15) ; ou parce que les souffrances de cette vie n’ont aucune proportion avec la gloire future. (Rm 8.) La perfection de la foi pour les chrétiens, consiste donc à reconnaître leur imperfection, alors même qu’ils ont accompli tout ce qui leur est commandé.

vv. 11-19

S. Ambr. A la suite de cette parabole, Notre-Seigneur reproche aux Juifs leur ingratitude : " Il arriva qu’en allant à Jérusalem, Jésus traversait le pays de Samarie, " etc. — Tite de Bostr. (Ch. des Pèr. gr.) Son dessein est de faire ressortir la reconnaissance des samaritains comparée à l’ingratitude des Juifs pour les bienfaits qu’ils ont reçus. L’inimitié la plus grande existait entre les Samaritains et les Juifs, Notre-Seigneur voulant les pacifier passe entre les deux pour les réunir en un seul homme (Ep 2, 14). — S. Cyr. Il manifeste ensuite sa gloire pour attirer les Israélites à la foi : " Et comme il entrait dans un village, il rencontra dix lépreux, " etc., expulsés des villes et des villages, et regardés comme immondes d’après la loi de Moïse.

Tite de Bostr. Ces dix lépreux vivaient ensemble, unis entre eux par la communauté de souffrances, et ils attendaient le passage de Jésus, pleins d’impatience de le voir venir : " Et ils se tenaient éloignés, " parce que la loi des Juifs regardait la lèpre comme une impureté, tandis que la loi de l’Évangile ne regarde comme impure que la lèpre intérieure, et non celle qui n’est qu’extérieure.

Théophyl. Ces lépreux se tiennent éloignés, honteux pour ainsi dire de cette maladie qui les faisait regarder comme impurs ; car ils pensaient que Jésus-Christ aurait pour eux la même horreur que les autres ; ils se tiennent donc éloignés extérieurement, mais ils s’approchent de lui par leurs prières : car le Seigneur est proche de tous ceux qui l’invoquent dans la vérité (Ps 114) : " Et ils élevèrent la voix en disant : Jésus, Maître, ayez pitié de nous. " — Tite de Bostr. Ils prononcent le nom de Jésus, et méritent d’en éprouver l’efficacité, car le nom de Jésus veut dire Sauveur. Ils lui disent : " Ayez pitié de nous ; " pour ressentir les effets de sa puissance, ils ne lui demandent ni or ni argent, mais qu’il guérisse et purifie leur corps. — Théophyl. Ils ne lui adressent pas leurs prières et leurs supplications comme à un simple mortel ; ils l’appellent Maître, c’est-à-dire Seigneur, et ils ne sont pas loin de le regarder comme Dieu. Jésus leur commande d’aller se montrer aux prêtres : " Dès qu’il les vit, il leur dit : Allez, montrez-vous aux prêtres, " car c’était à eux de vérifier si la guérison de la lèpre était véritable ou non.

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) La loi ordonnait aussi à ceux qui étaient purifiés de la lèpre d’offrir un sacrifice en reconnaissance de leur guérison. — Théophyl. En leur commandant d’aller se montrer aux prêtres, le Sauveur leur donnait à entendre qu’ils seraient guéris : " Et il arriva, pendant qu’ils y allaient, qu’ils furent purifiés. " — S. Cyr. Les prêtres des Juifs, jaloux de la gloire de Jésus, avaient une preuve certaine que Jésus les avait guéris soudainement et miraculeusement par un acte de sa toute-puissance.

Théophyl. Parmi ces dix lépreux, les neuf qui étaient Israélites se montrèrent ingrats, l’étranger seul qui était samaritain revint pour exprimer hautement sa reconnaissance : " Un d’eux se voyant guéri, revint sur ses pas, glorifiant Dieu à haute voix. " — Tite de Bostr. La guérison qui lui est rendue lui donne la confiance d’approcher du Sauveur : " Et il se prosterna la face contre terre aux pieds de Jésus, en lui rendant grâces, " et il manifeste ainsi doublement sa foi et sa reconnaissance.

" Et c’était un Samaritain. " — Théophyl. Nous pouvons conclure de là que rien n’empêche qu’on soit agréable à Dieu, fût-on descendu d’une race coupable, pourvu qu’on fasse preuve de bonne volonté. Que personne aussi ne s’enorgueillisse d’avoir des saints comme ancêtres, puisque ces neuf qui étaient Israélites, furent des ingrats " Alors Jésus dit : Est-ce que les dix n’ont pas été guéris, " etc. ? — Tite de Bostr. Nous voyons ici que les étrangers étaient bien plus empressés que les Israélites pour embrasser la foi : " Et Jésus lui dit : Levez-vous, allez, votre foi vous a sauvé. "

S. Aug. (quest. Evang., 2, 40.) Dans le sens figuré les lépreux représentent ceux qui, n’ayant point la science de la vraie foi, professent les doctrines si variées de l’erreur. Loin de cacher leur ignorance, fis la font paraître au grand jour comme une souveraine habileté, et la font valoir dans des discours pleins d’ostentation. La lèpre vicie et altère la couleur du corps ; or, ce mélange incohérent de vérités et d’erreurs qui se produit dans une seule discussion, dans un seul et même discours, comme dans la couleur extérieure d’un seul et même corps, figure la lèpre qui altère et flétrit le corps de l’homme par les nuances vraies et fausses de ses diverses couleurs. L’Église doit éviter la société de tels hommes, qui doivent être tenus au loin, et invoquer de là le Sauveur à grands cris. Le nom de Maître (cf. Mt 8 ; Mc 1 ; Lc 5), qu’ils lui donnent, me paraît indiquer que la lèpre est la figure des fausses doctrines qu’il n’appartient qu’au bon Maître de faire disparaître. Â l’exception de ces lépreux, nous ne voyons pas que Notre-Seigneur ait envoyé vers les prêtres aucun de ceux auxquels il avait rendu la santé du corps. Le sacerdoce des Juifs a été la figure du sacerdoce qui est dans l’Église ; le Seigneur guérit et corrige par lui-même toits les autres vices dans l’intérieur de la conscience : mais le pouvoir d’instruire et de sanctifier les âmes par l’administration des sacrements et d’enseigner par la prédication extérieure a été donné à l’Église. " Pendant qu’ils y allaient, ils furent guéris ; " en effet les Gentils que Pierre vint trouver, avant d’avoir reçu le sacrement de baptême, qui nous fait parvenir spirituellement jusqu’aux prêtres, furent manifestement purifiés par l’effusion de l’Esprit saint. Tout fidèle donc qui dans la société de l’Église possède la doctrine de la foi dans sa vérité, et dans son intégrité, et qui n’a pas été souillé par les taches si variées de l’erreur comme par une lèpre, et qui par un sentiment d’ingratitude pour le Dieu qui l’a purifié ne se prosterne pas humblement à ses pieds, est semblable à ceux dont parle l’apôtre saint Paul : " Qui ayant connu Dieu, ne l’ont point glorifié comme Dieu, et ne lui Ont point rendu grâces. " Ils sont au nombre de neuf, signe qu’ils resteront dans leur imperfection, car le nombre neuf a besoin d’un pour former une espèce d’unité qui est le nombre dix. Au contraire celui qui vient rendre grâces, reçoit des éloges parce qu’il est la figure de l’Église qui est une. Quant aux neuf qui étaient Juifs, Notre-Seigneur déclare qu’ils ont perdu par leur orgueil le royaume des cieux, où règne la plus parfaite unité ; tandis que ce Samaritain qui veut dire gardien, rendant grâces à Dieu de ce qu’il avait reçu selon ces paroles du Psalmiste : " C’est en vous que je conserverai ma force, " (Ps 58) a gardé l’unité du royaume par son humble reconnaissance. — Bède. Il se prosterne la face contre terre, parce qu’il est couvert de honte au souvenir des fautes qu’il a commises, Notre-Seigneur lui ordonne de se lever et d’aller trouver les prêtres parce que celui qui s’humilie profondément dans la connaissance qu’il a de sa faiblesse, reçoit avec la consolation de la parole divine l’ordre de se porter à des oeuvres plus parfaites. Or, si la foi a sauvé celui qui s’est ainsi prosterné pour rendre grâces, c’est donc l’infidélité qui a perdu ceux qui négligèrent de rendre gloire à Dieu pour les bienfaits qu’ils en avaient reçus. Le Sauveur démontre donc ici par les faits ce qu’il avait enseigné dans la parabole précédente que la foi s’augmente et s’accroît par la pratique de l’humilité.

vv. 20-21

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Comme le Sauveur, dans les discours qu’il adressait au peuple, parlait fréquemment du royaume de Dieu, les pharisiens prenaient occasion de là pour se moquer de lui : " Interrogé par les pharisiens, quand viendrait le royaume de Dieu. " Ils semblaient lui dire comme par dérision : Avant que vienne ce royaume dont vous parlez, vous finirez vos jours sur la croix. " Mais le Seigneur voulant nous montrer toute sa patience, au lieu de repousser cette injure par de violents reproches, ne. dédaigne pas de répondre directement aux méchants : " Il leur répondit : Le royaume de Dieu ne vient point d’une manière qui frappe les regards. " Paroles qui reviennent à celles-ci : " Ne cherchez pas à connaître le temps où viendra le royaume des cieux, " car il ne peut être connu ni par les anges ni par les hommes, comme l’a été le temps de l’incarnation, qui a été prédit et annoncé par les oracles des prophètes et par la voix des anges. Aussi le Sauveur ajoute : On ne dira point : Il est ici, ou il est là. " Ou bien encore, ils l’interrogent sur le temps où viendra le royaume de Dieu, parce qu’ils pensaient (comme il est dit plus bas), que le royaume de Dieu se manifesterait à l’entrée du Seigneur dans la ville de Jérusalem. C’est pour cela qu’il leur répond : " Le royaume de Dieu ne vient pas de manière à être remarqué. " — S. Cyr. Il fait seulement cette déclaration pour la consolation de chacun : " Le royaume de Dieu est au milieu de vous, " c’est-à-dire, il dépend de vos affections, il est en votre pouvoir de l’obtenir, car tout homme justifié par la foi et par la grâce de Jésus-Christ, et orné des vertus chrétiennes, peut établir en lui-même le royaume des cieux. — S. Grég. de Nysse. (du but que doit se propos. le chrét.) Peut-être aussi entend-il par ce royaume qui est au dedans de nous la joie que l’Esprit saint répand dans nos âmes, car cette joie est la figure et le gage de la joie éternelle qui est le partage des âmes saintes dans la vie future. — Bède. Ou bien encore, ce royaume de Dieu, c’est lui-même qui demeure au milieu d’eux, c’est-à-dire, qui règne dans leurs coeurs par la foi.

vv. 22-25.

S. Cyr. Le Seigneur qui venait de dire : Le royaume de Dieu est en vous-mêmes, " voulut préparer ses disciples à la patience, et les remplir de courage pour qu’ils pussent entrer dans le royaume de Dieu. Il leur prédit donc qu’avant qu’il descende des cieux, à la fin du monde, la persécution fondra sur eux : " Et il dit à ses disciples : Viendra un temps, " etc. C’est-à-dire, que la persécution sera si grande, qu’ils désireront voir un de ces jours où ils avaient le bonheur de vivre dans la société du Christ, Sans doute, les Juifs avaient accablé le Sauveur de mille outrages et de mille injures, ils avaient voulu le lapider et le précipiter du haut d’une montagne, mais ces épreuves étaient désirables en comparaison des persécutions bien plus grandes qui les attendaient. — Théophyl. Ils vivaient alors sans aucune sollicitude sous la providence, et la protection de Jésus-Christ, mais il devait venir un temps où, séparés de lui, ils seraient livrés à tous les dangers, conduits devant les rois et les princes, et alors ils regretteraient les premiers temps comme des jours de tranquillité. — Bède. Ou bien par ce jour du Christ, il veut parler de son règne dont nous attendons l’avènement, et il dit très-justement " Un jour, " parce que, dans ce bienheureux séjour de la gloire éternelle, il n’y aura plus d’alternative de jour et de nuit. Il est bon de désirer le jour du Christ, mais il ne faut pas que la vivacité de ce désir nous jette dans des illusions et des songes, comme si ce jour du Seigneur était proche. C’est contre ces illusions que le Sauveur ajoute : " Et on vous dira : Il est ici, il est là, gardez-vous d’y aller. " — Eusèbe. (Ch. des Pèr. gr.) C’est-à-dire, si à la venue de l’Antéchrist, le bruit se répand que c’est le Christ qui apparaît, ne sortez point, ne marchez pas à sa suite, car il est impossible que celui qui s’est manifesté une fois clairement aux hommes, puisse revenir se renfermer dans quelque lieu particulier de la terre. Ce sera donc celui dont on doit dire : Ce n’est pas le vrai Christ. Un signe évident du second avènement de notre Sauveur, c’est que l’éclat de son arrivée remplira tout à coup l’univers tout entier : " Comme l’éclair brille soudain d’une extrémité du ciel à l’autre, ainsi paraîtra le Fils de l’homme en son jour. " Car on ne le verra pas marchant sur la terre comme un homme ordinaire, mais il répandra sur nous tous les rayons de sa gloire et fera briller à tous les yeux les splendeurs de sa divinité.

Bède. Il dit avec raison : " Comme l’éclair qui brille sous un côté du ciel, " parce que le jugement dernier se fera sous le ciel (c’est-à-dire, au milieu des airs), D’après ces paroles de l’Apôtre : " Nous qui vivons, qui sommes restés, nous serons emportés avec eux dans les nuées au-devant du Christ dans les airs. " (1 Th 4.) Or, si le Seigneur apparaît alors comme l’éclair, personne donc ne pourra demeurer caché dans son intérieur, pénétré qu’il sera par cette lumière éclatante qui environnera le juge. On peut encore entendre ces paroles de cet avènement du Sauveur qui se fait tous les jours dans l’Église. En effet, en proclamant que leur doctrine seule conservait la foi de Jésus-Christ, les hérétiques ont souvent troublé l’Église à ce point, que les fidèles qui vivaient alors ont désiré que le Sauveur revint, s’il était possible, un seul jour sur la terre, pour déclarer lui-même quelle était la foi véritable : " Et vous ne le verrez pas, " ajoute-t-il, parce qu’il n’est pas nécessaire que le Seigneur revienne visiblement pour enseigner de nouveau la doctrine qu’il a répandue par tout l’univers par les divines clartés de l’Évangile.

S. Cyr. Les disciples de Jésus pensaient qu’aussitôt son arrivée à Jérusalem, il leur manifesterait le royaume de Dieu. Pour détruire cette opinion, il leur fait connaître qu’il doit d’abord souffrir pour notre salut, remonter vers son Père, et descendre du ciel dans tout l’éclat de sa gloire pour juger l’univers dans la justice : " Il faut auparavant que le Fils de l’homme souffre beaucoup, et qu’il soit rejeté par cette génération. " — Bède. Par cette génération, il entend non seulement les Juifs, mais tous les réprouvés qui, maintenant encore, rejettent et persécutent le Fils de l’homme dans son corps, c’est-à-dire dans l’Église. Il mêle à la prédiction de sa passion, celle de son glorieux avènement, afin d’adoucir pour eux la douleur qu’ils éprouveraient de sa passion par la promesse de la gloire qui devait la suivre, et les préparer en même temps à braver la mort la plus affreuse, s’ils voulaient jouir eux-mêmes un jour de la gloire du royaume.

vv. 26-30.

Bède. Notre-Seigneur avait comparé son avènement à l’éclair qui traverse rapidement les airs, il le compare maintenant à ce qui arriva aux jours de Noé et de Loth, lorsque les hommes furent surpris par une ruine soudaine : Et comme il est arrivé aux jours de Noé, " etc. — S. Chrys. (hom. 2 sur la I Epît. aux Thessal.) Ils n’ont point ajouté foi aux menaces qui leur étaient faites, et ils furent tout à coup frappés d’un châtiment trop véritable. (hom. 2 sur l’Epît. aux Coloss.) Leur incrédulité venait de leur vie oisive et dissolue, car l’homme n’attend ordinairement que ce qui fait l’objet habituel de ses pensées et de ses désirs : "  Ils mangeaient et ils buvaient, " dit Notre-Seigneur. — S. Ambr. Il a soin de faire remarquer que ce sont les péchés des hommes qui ont été la cause du déluge, car Dieu n’est pas l’auteur du mal, ce sont nos péchés qui nous l’ont attiré. Ce n’est pas non plus qu’il condamne ni le mariage qui est le moyen donné de Dieu pour la perpétuité du genre humain,, ni la nourriture nécessaire pour son existence, mais il veut qu’on observe en tout une juste mesure, et tout ce qui la dépasse vient d’un mauvais principe.

Bède. Dans le sens allégorique, Noé qui construit l’arche, est la figure du Seigneur qui bâtit l’Église avec les fidèles du Christ, unis ensemble comme des bois parfaitement travaillés. Quand cette arche est entièrement terminée, il y entre, lorsqu’au jour du jugement il vient y habiter pour l’éternité et y répandre les clartés de sa divine présence. Pendant qu’il construit cet arche, les méchants se livrent aux excès d’une vie dissolue, mais lorsqu’il y entre, ils sont frappés de mort, parce qu’en effet, ceux qui outragent les saints pendant leur vie de luttes et de combats, seront punis d’un éternel supplice, alors que les saints recevront leurs couronnes immortelles.

Eusèbe. (Ch. des Pèr. gr.) Le déluge que Notre-Seigneur vient d’apporter en exemple, pouvait donner la pensée que le déluge à venir serait un déluge d’eau ; il cite donc en second lieu l’exemple de Loth, pour nous apprendre quel sera le genre de supplice des méchants, c’est-à-dire que la colère de Dieu fera tomber sur eux un feu descendu du ciel : " Et comme il est arrivé encore aux jours de Loth, " etc. Il passe sous silence le crime infâme de Sodome, et ne parle que de ces fautes qu’on regarde ordinairement comme légères ou comme nulles, pour nous faire comprendre quel sera le châtiment des actions criminelles, puisque l’usage immodéré des choses permises sera puni par le feu et par le souffre : " Le jour où Loth sortit de Sodome, une pluie de feu et de souffre tomba du ciel, qui les fit périr tous. " Remarquez que le feu ne tomba du ciel sur les infâmes habitants de Sodome, que lorsque Loth en fut sorti, de même que le déluge ne fit périr les habitants de la terre que lorsque Noé fut entré dans l’arche ; car tant que Noé et Loth vivaient au milieu des impies, Dieu suspendait les effets de sa colère pour ne pas confondre dans un même supplice les justes et les pécheurs. Mais quand il voulut faire périr les pécheurs, il retira le juste du milieu d’eux ; de même à la consommation des siècles, le supplice des méchants ne commencera qu’après leur séparation d’avec les justes : " Ainsi en sera-t-il au jour où le Fils de l’homme sera révélé. " — Bède. Car celui qui voit tout maintenant sans être visible lui-même, apparaîtra alors pour juger tous les hommes, et il choisira pour cette manifestation le temps où les hommes oublieux de ses jugements seront asservis sous le joug des choses de ce monde. — Théophyl. En effet, lorsque l’Antéchrist sera venu, les hommes se jetteront dans les plus honteux excès de la débauche, et deviendront plus amateurs de la volupté que de Dieu. " (2 Tm 3.) Car si l’Antéchrist est comme le réceptacle de tous les vices, qu’inspirera-t-il aux hommes dans ces temps malheureux que l’amour du vice ? C’est ce que le Sauveur veut nous faire entendre par les exemples du déluge et du châtiment des habitants de Sodome.

Bède. Dans le sens allégorique, Loth, dont le nom veut dire qui s’écarte, représente le peuple des élus, qui vit comme un étranger dans Sodome, c’est-à-dire au milieu des réprouvés, et se détourne autant qu’il peut des crimes dont il est témoin. A peine Loth est-il sorti de Sodome, que le feu du ciel tombe sur cette ville ; c’est ainsi qu’à la consommation des siècles les anges viendront et sépareront les méchants du milieu des justes, et les jetteront dans la fournaise de feu. (Mt 3.) Cependant cette pluie de feu et de souffre qui tombe du ciel n’est pas la figure du feu éternel de l’enfer, mais représente l’arrivée soudaine et imprévue de ce jour terrible.

vv. 31-32.

S. Ambr. Comme les bons, par suite de leur mélange avec les méchants, doivent nécessairement souffrir en ce monde de grandes tribulations de coeur et d’esprit pour mériter dans l’autre vie une récompense plus abondante, Notre-Seigneur leur donne par avance quelques conseils utiles : " En ce jour-là, que celui qui se trouvera sur le toit, ne descende point, " etc. C’est-à-dire que celui qui sera déjà monté au faîte de sa maison et jusqu’au sommet des plus hautes vertus, ne se laisse pas retomber dans les occupations toutes terrestres de ce monde misérable. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 41.) Etre sur le toit, c’est s’élever au-dessus des jouissances charnelles, et vivre comme en liberté dans la sphère d’une vie toute spirituelle. Les meubles qui sont dans la maison, sont les sens de la chair qui ont souvent égaré le grand nombre de ceux qui les ont pris pour guide dans la recherche de la vérité qu’on ne peut découvrir que par l’intelligence. Que l’homme spirituel prenne donc garde de se laisser entraîner au jour de la tribulation par la vie de la chair qui se nourrit par les sens du corps, et de descendre pour goûter les jouissances de ce monde : " Et que celui qui est dans les champs ne retourne point non plus en arrière, " c’est-à-dire que celui qui travaille dans l’Église, à l’exemple de Paul qui plante et d’Apollo qui arrose (1 Co 3, 6), ne jette pas un oeil de regret sur les espérances du siècle auxquelles il a renoncé.

Théophyl. Saint Matthieu rapporte ces conseils du Sauveur au temps où Jérusalem devait être prise et détruite ; à l’approche des Romains ; ceux qui étaient dans leurs maisons devaient prendre aussitôt la fuite sans vouloir emporter aucune des choses même nécessaires ; et ceux qui étaient dans les champs, ne devaient point retourner dans leurs demeures. C’est ce qui eut lieu, en effet, lors de la ruine de Jérusalem, c’est ce qui doit arriver encore au temps de l’Antéchrist ; mais bien plus encore à la fin des temps, lorsque les tribulations seront parvenues à leur comble.

Eusèbe. Notre-Seigneur nous apprend par là que le fils de perdition soulèvera une violente persécution contre les fidèles disciples du Christ. Ce jour dont il parle, c’est le temps qui précédera la fin du monde ; temps où celui qui prendra la fuite ne devra ni revenir sur ses pas, ni s’inquiéter des biens qu’il perd, et ne point imiter la femme de Loth qui, s’étant retournée lorsqu’elle fuyait de la ville de Sodome, fut frappée de mort et changée en colonne de sel : " Souvenez-vous de la femme de Loth, " dit Notre-Seigneur. — S. Ambr. C’est pour avoir jeté un regard en arrière qu’elle a perdu le privilège de sa nature ; car Satan, comme Sodome, est en arrière : fuyez donc l’intempérance, évitez toute dissolution, souvenez-vous que Loth se sauva et parvint jusqu’à la montagne, parce qu’il n’a point jeté un regard en arrière sur les occupations de sa vie passée ; sa femme, au contraire, cédant au mouvement qui la fit regarder en arrière, ne put parvenir à cette montagne même avec le secours de son mari, et resta en chemin. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 43.)La femme de Loth signifie donc ceux qui, dans la tribulation, regardent en arrière, et détournent, les yeux de l’espérance des promesses divines ; elle fut changée en statue de sel pour avertir les hommes de ne point imiter son exemple, devenant pour ainsi dire le sel qui préserve leur coeur de l’affadissement et de la corruption.

Théophyl. Notre-Seigneur tire ensuite la conclusion de ce qu’il vient de dire, en ajoutant : " Quiconque cherchera à sauver sa vie la perdra, " comme s’il disait : Que personne ne cherche à sauver sa vie dans les persécutions de l’Antéchrist, car il la perdra ; celui, au contraire, qui bravera les persécutions et les dangers, la conservera : " Et quiconque l’aura perdue, la sauvera, " en ne cédant pas aux menaces du tyran, dans la crainte de perdre la vie. — S. Cyr. Saint Paul nous apprend comment on doit perdre sa vie pour la sauver, lorsqu’il, parle de ceux qui ont crucifié leur chair avec ses vices et ses concupiscences (Ga 5, 24), c’est-à-dire qui soutiennent avec courage et piété les combats de la vie chrétienne.

vv. 34-37.

Bède. Notre-Seigneur avait recommandé plus haut à celui qui serait dans les champs, de ne point revenir dans sa maison ; paroles qui ne s’adressaient pas seulement à ceux qui devaient revenir ouvertement des champs, c’est-à-dire à ceux qui devaient hautement nier le Seigneur, comme le Sauveur le démontre, en ajoutant qu’il en est dont le coeur regarde en arrière, bien qu’extérieurement ils semblent jeter les yeux en avant : " Je vous le dis : En cette nuit-là, deux personnes seront dans un lit ; l’une sera prise, et l’autre laissée. " — S. Ambr. C’est bien avec raison qu’il dit : " Dans cette nuit, " car l’heure de l’Antéchrist est l’heure des ténèbres, parce que l’Antéchrist répand d’épaisses ténèbres sur le coeur des hommes, en affirmant qu’il est le Christ. Le Christ, au contraire, brillera comme la foudre étincelante, afin que dans cette nuit nous puissions voir la gloire de la résurrection. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 44.) Ou bien : " dans cette nuit, " c’est-à-dire dans cette tribulation.

Théophyl. Ou bien par ces paroles : " Dans cette nuit, " le Sauveur veut nous apprendre qu’il viendra sans être attendu, et comme à l’improviste. Il avait dit aussi précédemment que les riches seraient difficilement sauvés, et il fait voir ici que cependant tous les riches ne seront pas tous réprouvés, de même que tous les pauvres ne seront pas indistinctement sauvés. — S. Cyr. Ces deux personnes qui se trouvent dans le même lit, semblent désigner ceux qui placent leur repos dans les plaisirs du monde ; car le lit est l’emblème du repos. Or, tous ceux qui ont de grandes richesses en partage, ne sont pas pour cela des impies (Ps 61), il en est qui sont vertueux et du nombre des élus dans la foi ; ceux-là donc seront choisis, et les autres dont les moeurs sont différentes, seront laissés. En effet, lorsque le Seigneur descendra pour juger les hommes, il enverra ses anges qui laisseront sur la terre tous ceux qui sont destinés aux supplices éternels, et amèneront les saints en sa présence, selon ces paroles de l’Apôtre : " Nous serons enlevés avec eux sur les nuées, pour aller dans les airs au-devant de Jésus-Christ. " (2 Th 4, 16.) — S. Ambr. Ou bien encore sur le même lit de l’infirmité humaine, l’un est laissé, c’est-à-dire réprouvé ; et l’autre est enlevé pour aller dans les airs au-devant de Jésus-Christ : " Deux femmes moudront ensemble, " etc. — S. Cyr. Ces deux femmes qui tournent la meule représentent ceux dont la vie s’écoule dans la pauvreté et les pénibles travaux, de même que les deux qui sont dans les champs. Il existe, en effet, une grande différence dans les pauvres ; les uns supportent courageusement le fardeau de la pauvreté, mènent une vie vertueuse et humble, et sont du nombre de ceux qui seront choisis ; les autres sont toujours prêts à se porter au crime, et seront laissés. — S. Ambr. Peut-être encore ces deux femmes qui tournent la meule, représentent ceux qui cherchent leur nourriture spirituelle dans les choses secrètes, et qui la produisent au dehors des substances où elle était cachée. En effet, on peut comparer ce monde à un moulin ; et notre âme est enfermée dans le corps comme dans une prison. Or, dans ce moulin, la synagogue, ou l’âme esclave de ses vices, semblable au blé mouillé et corrompu par une trop grande humidité, ne peut séparer l’intérieur de l’écorce extérieure, et elle est laissée, parce que sa farine est mauvaise. Au contraire, la sainte Église ou l’âme pure de toute faute, qui moud un froment séché aux rayons du soleil éternel, offrent à Dieu une bonne farine, qu’elles tirent du coeur des hommes. Il nous sera facile de comprendre ceux que représentent ceux qui sont dans les champs, si nous nous rappelons que nous avons comme deux hommes en nous (2 Co 4, 14), l’homme extérieur qui s’altère de jour en jour ; l’homme intérieur qui se renouvelle par les sacrements. Ce sont ces deux hommes qui travaillent dans notre champ, l’un produit de bons fruits par son zèle, J’autre le perd par sa négligence. Ou bien encore ces deux hommes qui sont dans les champs, représentent les deux peuples qui sont dans ce monde, l’un qui est fidèle est pris ; l’autre qui est infidèle est laissé.

S. Aug. (Quest. évang., 2, 44.) Ou bien Notre-Seigneur veut nous représenter ici trois classes différentes d’hommes. La première est composée de ceux qui préfèrent mener une vie de loisir et de repos, affranchie de toute occupation, soit séculière, soit ecclésiastique ; leur repos est figuré par le lit. La seconde comprend ceux qui, faisant partie du peuple, sont conduits par les docteurs et sont occupés des choses de ce monde. Ils sont ici figurés par des femmes, parce qu’il leur est avantageux de se laisser diriger par les conseils de leurs supérieurs ; et ces femmes tournent la meule, figure de ceux qui sont dans le cercle des affaires de ce monde. Notre-Seigneur les représente comme tournant la meule ensemble, c’est-à-dire qu’ils s’occupent de ces affaires du siècle, en faisant servir leurs biens à l’utilité de l’Église. La troisième classe est composée de ceux qui travaillent dans les divers ministères de l’Église, comme dans le champ de Dieu. Ces trois classes à leur tour en renferment deux autres, c’est-à-dire que les uns demeurent dans l’Église et sont pris et choisis ; les autres sont infidèles et sont laissés. — S. Ambr. Dieu, en effet, ne peut être injuste et refuser la même récompense à ceux qui sont unis par une entière conformité de sentiments et d’action. Cependant ce n’est pas la communauté de vie qui produit l’identité de mérites, car tous n’accomplissent pas entièrement ce qu’ils commencent, et celui-là seul qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé. (Mt 10, 22 ; 24, 43.)

S. Cyr. Notre-Seigneur ayant dit que les uns seraient choisis et les autres laissés, les disciples sont fondés à lui demander dans quel endroit ils seraient pris : Ils lui demandèrent : Où sera-ce Seigneur ? " — Bède. Cette demande comprenait ces deux questions : Dans quel endroit les bons devaient être pris et où les méchants devaient être laissés, le Sauveur répond à la première de ces questions, et laisse sous-entendue la réponse à la seconde : " Il leur répondit : Partout où sera le corps, les aigles s’y assembleront. " — S. Cyr. C’est-à-dire, de même que les oiseaux carnivores s’assemblent autour d’un cadavre abandonné ; ainsi lors de l’avènement du Fils de l’homme, tous les aigles, c’est-à-dire les saints, s’empresseront autour de lui. — S. Ambr. Les âmes des saints sont comparées à des aigles qui s’élèvent sur les hauteurs, s’éloignent de tout ce qui est sur la terre et passent pour vivre très-longtemps. Nous ne pouvons douter quel est ce corps, surtout si nous nous rappelons que Joseph obtint de Pilate le corps de Jésus. Est-ce que vous ne voyez pas les aigles autour du corps dans la personne des femmes et des Apôtres, qui se réunissent autour du tombeau du Sauveur ? Ne voyez-vous pas ces aigles autour de son corps, lorsqu’il viendra sur les nuées et que tout oeil le verra ? (Ap 5.) Or, le corps est celui dont il est écrit : " Ma chair est vraiment une nourriture. " (Jn 6.) Autour de ce corps sont les aigles qui volent avec les ailes spirituelles. Les aigles autour du corps sont encore ceux qui croient que Jésus-Christ est venu sur la terre dans une chair véritable. C’est aussi l’Église où nous sommes renouvelés dans l’Esprit par la grâce du baptême. — Eusèbe. Ou bien encore, les aigles qui se nourrissent de la chair des animaux morts, figurent les princes de ce monde, et ceux qui persécuteront alors les saints de Dieu, et il laisse en leur pouvoir ceux qui n’ont point mérité d’être pris et auxquels il donne le nom de corps ou de cadavres, ces aigles peuvent encore représenter ces puissances vengeresses qui voleront vers les impies. — S. Aug. (De l’ac. des Evang., 2, 7.) Les enseignements que place ici saint Luc (dans un discours différent de celui où saint Matthieu les fait entrer), sont rapportés par avance et n’ont été donnés que plus tard par le Seigneur, ou bien il faut dire qu’il les a donnés deux fois.