LUCIEN HOUDRY

PHILIPPE ROLLAND

 

 

 

 

 

 

LA NAISSSANCE

DU NOUVEAU TESTAMENT

 

 

PRÉFACE ET INÉDITS DE PHILIPPE ROLLAND

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

VERSION ÉLECTRONIQUE 2001

SITE DE LA CONGRÉGATION DU CLERGÉ

 

 

 

 

 

LUCIEN HOUDRY - PHILIPPE ROLLAND

LA NAISSANCE DU NOUVEAU TESTAMENT

PRÉFACE ET INÉDITS DE PHILIPPE ROLLAND

Nihil Obstat

Fr. Gilles Berceville, o.p. Fr. Philippe Henne, o.p.

docteur en Théologie docteur en Théologie

Lille, le 9 juin 1999 Lille, le 9 juin 1999

Imprimi Potest

Fr. Éric de Clermont-Tonnerre, o.p.

Supérieur provincial

Paris, le 11 juin 1999

© Lucien Houdry, 1999, pour le texte courant.

© Philippe Rolland, 1999 et 2001, pour les inédits.

© Éditions de Paris, 1998, pour l’évangile de Jérusalem.

EN VENTE CHEZ LUCIEN HOUDRY : 7, Avenue Salomon F-59800 LILLE

Prix du volume : 80 F. + Frais de port selon les tarifs en vigueur.

AVERTISSEMENT

Pour des raisons de typographie, certains inédits ne sont pas publiés dans cette version.

On ne peut les consulter qu’en achetant le livre à l’adresse indiquée.

LA NAISSANCE DU NOUVEAU TESTAMENT

Comment les évangiles se sont-ils formés ? Quels en sont les auteurs ? Quand ont-ils été publiés ? Dans quel ordre les lettres apostoliques ont-elles été écrites ? Leurs auteurs se connaissaient-ils mutuellement, ont-ils dialogué entre eux pour manifester l’unité de la foi dont ils étaient les messagers ?

Ces questions, qui doivent faire l’objet de toute Introduction au Nouveau Testament digne de ce nom, sont traitées dans cet ouvrage par Lucien Houdry, à partir des articles et des livres de Philippe Rolland, publiés ou inédits, anciens ou très récents.

L’intérêt œcuménique du travail accompli est considérable. On voit comment les Apôtres ont précisé de mieux en mieux leur accord profond sur la question des rapports entre la foi et les œuvres et sur l’organisation hiérarchique de l’Église, pommes de discorde entre les chrétiens depuis Luther.

L’ouvrage, qui comporte des démonstrations inédites concernant l’épître aux Éphésiens, la seconde épître de Pierre et l’évangile de Jean, est écrit dans un langage simple. Il est accessible au lecteur profane, mais doit faire réfléchir les exégètes et les théologiens les plus savants.

Lucien Houdry, Dominicain, a enseigné la Bible au Séminaire syro-chaldéen de Mossoul (Irak) en 1951-1956. Il donne des cours bibliques à des laïcs et à des communautés religieuses depuis 1976.

Philippe Rolland, prêtre diocésain et exégète, est un spécialiste reconnu de l’épître aux Romains et de l’origine des évangiles. Son dernier ouvrage est intitulé " Jésus et les historiens " (Éditions de Paris).

NB : Une recension du présent livre de Lucien HOUDRY, " La Naissance du Nouveau Testament " a été publiée dans la Nouvelle Revue Théologique, Janvier-Mars 2001, pages 101-102. En voici la conclusion : " Aussi recommandons-nous vivement ce petit livre aux étudiants en théologie et aux chrétiens soucieux de fonder leur foi sur les écrits canoniques, espérant que la concision et la clarté de l’Auteur convaincront ceux que rebutent les démonstrations plus techniques de Ph. Rolland. Nous les remercions tous les deux ! " Jean Radermakers, S.J.

 

TABLE DE L’OUVRAGE

SIGLES *

ADRESSE *

PUBLICATIONS DE PHILIPPE ROLLAND *

AUTRES TRAVAUX CITÉS DANS CET OUVRAGE *

PRÉFACE *

INTRODUCTION *

Ch. I : L’UNITÉ DES APÔTRES *

ANNEXE : RÉSUMÉS DES DIFFÉRENTS CHAPITRES *

Ch. II : L’ÉVANGILE DE JÉRUSALEM *

PAUL S’INFORME AUPRÈS DE PIERRE ET DE JACQUES L’ÉGLISE DE JÉRUSALEM DEPUIS L’AN 30 *

1 - CE QUE L’ON AVAIT PROCLAMÉ À JÉRUSALEM DÈS LA PREMIÈRE HEURE *

2 - LES TÉMOINS DU RESSUSCITÉ (1 Corinthiens 15,1-11) LA VISITE AU TOMBEAU VIDE *

3 - L’ENSEIGNEMENT DES NOUVEAUX CONVERTIS L’ÉVANGILE DE JÉRUSALEM *

4 - LA MÉTHODE DE RECONSTITUTION DE CET ÉVANGILE PRIMITIF *

SCHÉMA PARTIEL DE LA GÉNÉALOGIE DES ÉVANGILES SYNOPTIQUES *

ANNEXE : L’ÉVANGILE DE JÉRUSALEM *

Ch. III : LA PREMIÈRE ÉVANGÉLISATION DES PAÏENS *

1 - L’AUDACE À ANTIOCHE DE SYRIE (Ac 11,19-26) *

2 - LA CONVERSION DE CORNEILLE ET DES CRAIGNANT-DIEU À CÉSARÉE (Ac 10) *

3 - LA CATÉCHÈSE DES CRAIGNANT-DIEU *

4 - LE PREMIER VOYAGE MISSIONNAIRE DE PAUL ET BARNABÉ (Ac 13,1 - 14,28) L’ASSEMBLÉE DE JÉRUSALEM (Ac 15 ; Ga 2,1-10) *

GÉNÉALOGIE PLUS PRÉCISE DES ÉVANGILES SYNOPTIQUES *

COMPLÉMENT Distinction entre la triple tradition et la double tradition *

Ch. IV : PAUL DEVIENT ÉCRIVAIN : LES DEUX LETTRES AUX THESSALONICIENS *

1 - LE DEUXIÈME VOYAGE MISSIONNAIRE DE PAUL (Ac 15,36 - 18,22) *

2 - LES LETTRES AUX THESSALONICIENS CONCORDANCE AVEC LE RÉCIT DES ACTES *

3 - L’ENSEIGNEMENT DES DEUX LETTRES AUX THESSALONICIENS *

PREMIÈRE LETTRE AUX THESSALONICIENS *

DEUXIÈME LETTRE AUX THESSALONICIENS *

Ch. V : UN DIALOGUE S’INSTAURE EN 56-57 ENTRE JACQUES ET PAUL *

1 - LE TROISIÈME VOYAGE MISSIONNAIRE DE PAUL : ANNÉES 54-58 (Ac 18,22 - 20,3a) *

2 - LA PREMIÈRE LETTRE AUX CORINTHIENS (PRINTEMPS 56) *

3 - LA LETTRE DE JACQUES (ÉTÉ 56) *

4 - LA LETTRE DE PAUL AUX PHILIPPIENS (AUTOMNE 56) *

5 - LA LETTRE DE PAUL AUX GALATES (HIVER 56-57) *

6 - LA DEUXIÈME LETTRE DE PAUL AUX CORINTHIENS (HIVER 56-57 ET PRINTEMPS OU ÉTÉ 57) *

CONCLUSION *

Ch. VI : LE DIALOGUE SE POURSUIT ENTRE PAUL ET JACQUES : L’ÉPÎTRE AUX ROMAINS (HIVER 57/58) *

1 - CIRCONSTANCES DE LA COMPOSITION DE L’ÉPÎTRE AUX ROMAINS *

2 - SES RAPPORTS AVEC L’ÉPÎTRE DE JACQUES *

3 - LA CONSTRUCTION DE L’ÉPÎTRE *

PLAN DE L’ÉPÎTRE AUX ROMAINS *

Ch. VII : PAUL QUITTE SES COMMUNAUTÉS (ROMAINS 15,23) IL LEUR LAISSE UN ÉVANGILE *

1 - PAUL A TERMINÉ SON TRAVAIL EN ASIE MINEURE ET EN GRÈCE (ROMAINS 15,23 ; ACTES 20,3b-16) *

2 - IL FAUT LAISSER UNE FORME ÉCRITE DE L’ÉVANGILE : LE PRÉ-LUC OU " ÉVANGILE PAULINIEN " *

3 - UNE AUTRE FORME D’ÉVANGILE S’EST CONSTITUÉE À ANTIOCHE : LE PRÉ-MATTHIEU OU " ÉVANGILE PÉTRINIEN " *

GÉNÉALOGIE COMPLÈTE DES ÉVANGILES SYNOPTIQUES *

Ch. VIII : DES RESPONSABLES POUR LES COMMUNAUTÉS LES LETTRES À TITE ET TIMOTHÉE. LE DISCOURS DE MILET PAUL ARRÊTÉ À JÉRUSALEM ET DÉTENU À CÉSARÉE *

1 - L’EXISTENCE DE RESPONSABLES DANS TOUTES LES COMMUNAUTÉS, D’APRÈS LES LETTRES DÉJÀ ÉTUDIÉES *

2 - LETTRE À TITE ET PREMIÈRE LETTRE À TIMOTHÉE MACÉDOINE, PRINTEMPS 58 *

3 - LE VOYAGE VERS JÉRUSALEM (ACTES 20) LE DISCOURS DE MILET (ACTES 20,17-35) *

4 - L’ARRESTATION DE PAUL À JÉRUSALEM PENTECÔTE 58 (ACTES 21,17 - 23,35) *

5 - LA DÉTENTION DE PAUL À CÉSARÉE (ACTES 24,1 - 26,32) LA DEUXIÈME LETTRE À TIMOTHÉE *

ANNEXE : LES CITATIONS DES LETTRES PASTORALES CHEZ LES PÈRES APOSTOLIQUES (CLÉMENT DE ROME, IGNACE D’ANTIOCHE, POLYCARPE DE SMYRNE) *

Ch. IX : PIERRE CONCLUT LE DIALOGUE ENTRE PAUL ET JACQUES LA PREMIÈRE LETTRE DE PIERRE *

1 - L’AUTHENTICITÉ DE 1 PIERRE *

2 - PIERRE APPROUVE JACQUES ET PAUL *

3 - LA DATE PRÉCISE DE 1 PIERRE *

4 - LE CONTENU DE 1 PIERRE *

Ch. X : LES ÉCRITS DE PLÉNITUDE ÉPHÉSIENS, COLOSSIENS, PHILÉMON (CÉSARÉE, EN L’AN 60) *

1 - TROIS LETTRES ÉCRITES EN MÊME TEMPS *

2 - SYNOPSE DE COLOSSIENS ET D’ÉPHÉSIENS *

3 - L’AUTHENTICITÉ DES TROIS LETTRES *

4 - LA DATE DE LEUR RÉDACTION *

5 - L’INFLUENCE DE 1 PIERRE SUR ÉPHÉSIENS *

6 - L’ESSENTIEL DU CONTENU DES DEUX LETTRES *

Ch. XI : L’ÉPÎTRE AUX HÉBREUX *

1 - LA VENUE DE PAUL, CAPTIF, À ROME (ACTES 27,1 - 28,16) *

2 - L’EXÉCUTION DE JACQUES ET L’ÉPÎTRE AUX HÉBREUX *

3 - L’AUTEUR DE L’ÉPÎTRE AUX HÉBREUX *

Ch. XII : LA LUTTE CONTRE LES HÉRÉSIES LA DEUXIÈME ÉPÎTRE DE PIERRE DISPARITION DE PIERRE ET DE PAUL LA LETTRE DE JUDE *

1 - LA RÉDACTION FINALE DES ÉVANGILES SYNOPTIQUES *

2 - LA DEUXIÈME ÉPÎTRE DE PIERRE (VERS 63) *

3 - SYNOPSE DE 2 PIERRE ET DE JUDE *

4 - LE CONTENU DE 2 PIERRE *

5 - LA MORT DE PIERRE (PRINTEMPS 65) LA LETTRE DE JUDE (VERS 68/69) *

Ch. XIII : LA RÉDACTION DES ÉVANGILES SYNOPTIQUES L’ÉVANGILE GREC DE MATTHIEU L’ÉVANGILE DE LUC ET LES ACTES L’ÉVANGILE DE MARC *

1 - L’ÉVANGILE DE MATTHIEU (62-63) *

2 - L’ŒUVRE DE LUC EN 62-64 LE TROISIÈME ÉVANGILE ET LES ACTES *

3 - LA MORT DE PIERRE ET DE PAUL VERS 64/65 MARC ACHÈVE SON ÉVANGILE VERS 66/67 *

4 - TONALITÉ DE CHACUN DES TROIS SYNOPTIQUES *

Ch. XIV : AUTOUR DE LA RUINE DE JÉRUSALEM (70) *

1 - LA GUERRE JUIVE ET LA RUINE DE JÉRUSALEM (70) *

2 - LA RESTAURATION DU JUDAÏSME ET LA POLÉMIQUE CONTRE LES CHRÉTIENS *

3 - LES CHRÉTIENS APRÈS LA RUINE DE JÉRUSALEM *

Ch. XV : LES ÉCRITS JOHANNIQUES *

1 - LA PERSÉCUTION DE DOMITIEN ET L’APOCALYPSE (VERS 95) *

2 - LES HÉRÉSIES NAISSANTES ET LE DOCÉTISME *

3 - LES ÉPÎTRES DE JEAN (VERS 98) *

4 - L’ÉVANGILE DE JEAN (VERS 99-100) *

CONCLUSION *

APPENDICE À LA SUITE DES APÔTRES, LES GRANDS TÉMOINS DE 95 À 180 *

A - LES PÈRES APOSTOLIQUES *

B - IRÉNÉE DE LYON *

CHRONOLOGIE DU NOUVEAU TESTAMENT *

JUSTIFICATION DE QUELQUES DATES *

ORDRE TRADITIONNEL DES LIVRES DU NOUVEAU TESTAMENT *

ORDRE CHRONOLOGIQUE SELON CET OUVRAGE DES LIVRES DU NOUVEAU TESTAMENT ET DES SOURCES PRÉSUPPOSÉES AUX ÉVANGILES *

 

 

SIGLES

Ac

Actes des Apôtres

 

Lc

Évangile de Luc

Ap

Apocalypse

 

Mc

Évangile de Marc

1 Co

Première épître aux Corinthiens

 

Mt

Évangile de Matthieu

2 Co

Deuxième épître aux Corinthiens

 

1 P

Première épître de Pierre

Col

Épître aux Colossiens

 

2 P

Deuxième épître de Pierre

Ep

Épître aux Éphésiens

 

Ph

Épître aux Philippiens

Ga

Épître aux Galates

 

Phm

Épître à Philémon

Hb

Épître aux Hébreux

 

Rm

Épître aux Romains

Jc

Épître de Jacques

 

1 Th

Première épître aux Thessaloniciens

Jn

Évangile de Jean

 

2 Th

Deuxième épître aux Thessaloniciens

1 Jn

Première épître de Jean

 

1 Tm

Première épître à Timothée

2 Jn

Deuxième épître de Jean

 

2 Tm

Deuxième épître à Timothée

3 Jn

Troisième épître de Jean

 

Tt

Épître à Tite

Jude

Épître de Jude

 

 

 

POUR DÉSIGNER LES ÉDITIONS :

B.J. : Bible de Jérusalem ;

TOB : Traduction Œcuménique de la Bible

ADRESSE

Ce livre s’adresse à tous ceux qui sont des familiers de Jésus Christ, et à ceux qui voudraient le devenir. Il est une initiation à son histoire.

Des soldats, envoyés pour arrêter Jésus, disaient de lui : " Jamais homme n’a parlé comme cet homme " (Jean 7,46). Interpellé par le Christ, Pierre affirmait : " À qui irions-nous, Seigneur ? Tu as les paroles de la vie éternelle " (Jn 6,68). Jésus, lui, n’a rien écrit ; il a inscrit son message dans les coeurs.

Après sa mort et sa résurrection, les témoins de sa vie, transformés par une telle rencontre, animés par l’Esprit-Saint, sont devenus les hérauts de la " Bonne Nouvelle ", ses Apôtres.

Ils ont enseigné ce qu’Il leur avait dit d’enseigner. Ils ont fait ce qu’Il leur avait dit de faire en mémoire de Lui. Ainsi s’est constitué le premier " évangile " oral, dont la proclamation a suscité tant et tant de disciples du Christ dans le monde juif.

Cette proclamation orale a été prolongée par l’écrit. Des textes apparurent. Des lettres circulèrent. Parmi un grand nombre de documents, les communautés chrétiennes en ont retenu vingt-sept, qui constituent le Nouveau Testament. Celui-ci fait suite au recueil des Saintes Écritures du peuple d’Israël, l’Ancien Testament, que Jésus a souvent citées. Il est bien le Messie, c’est-à-dire le Christ annoncé par les prophètes ; il est bien le Maître attendu par l’univers.

Bienheureux sommes-nous de pouvoir, après vingt siècles de Christianisme, ancrer notre Foi à ce rocher inébranlable du Nouveau Testament.

Mais l’accès à ce recueil, d’une époque et d’un monde qui nous sont fort étrangers, n’est pas des plus faciles. Une introduction s’impose. Celle-ci s’avère d’autant plus nécessaire que des spécialistes mettent parfois en cause la paternité de certains écrits. Leurs travaux risquent d’engendrer chez tel ou tel lecteur des questionnements souvent inutiles.

Il est néanmoins fort émouvant de retrouver, sur les pas des exégètes (spécialistes des textes sacrés), comment l’histoire de Jésus-Christ est parvenue jusqu’à nous, comment s’est opérée...

" LA NAISSANCE DU NOUVEAU TESTAMENT ".

Depuis des années, je présente la Bible à des groupes divers. Je cherchais un fil conducteur pour parcourir le Nouveau Testament. Il m’a été donné de connaître les ouvrages et les articles d’un exégète qui est devenu un véritable ami, Philippe Rolland. Ainsi est née l’envie de rédiger ce livre d’initiation.

Je tiens à dire clairement que l’apport des pages que j’offre ici consiste d’abord en une vue d’ensemble du Nouveau Testament, et dans le suivi du cheminement proposé. Je ne cherche pas à donner les preuves et les arguments dans le détail. Je me contente d’exposer les conclusions de cet exégète ; c’est leur cohérence qui me paraît fort éclairante. Je me permettrai de renvoyer aux argumentations de ce spécialiste en donnant les références de ses œuvres. Il y présente des solutions aux problèmes qui restaient dans l’indécision. Jusqu’à présent, ses démonstrations n’ont pas été réfutées.

C’est un guide de lecture que je propose au lecteur, une manière de parcourir les livres du Nouveau Testament. Puissent les pages que voici répondre à une attente, à la soif de connaître et au désir de rejoindre le Christ et son message.

Lucien HOUDRY, Dominicain

Pour permettre au lecteur de se référer aux positions exégétiques de Philippe Rolland, je donne tout de suite une liste (non exhaustive) des ouvrages et des principaux articles qu’il a publiés. Viendra ensuite la préface qu’il a rédigée et dont je tiens à le remercier chaleureusement.

PUBLICATIONS DE PHILIPPE ROLLAND

Mentionnons les livres et les articles de revue auxquels ce présent ouvrage est redevable. Nous les énumérons selon l’ordre chronologique de leur parution. C’est à ces publications que renverront différents encadrés.

1 - " De la Genèse à la fin du monde. Le plan de l’évangile de Matthieu ",

dans Bulletin de Théologie Biblique, 1972, pp. 157-178.

2 - " Il est notre justice, notre vie, notre salut. L’ordonnance des thèmes majeurs de l’épître aux Romains ",

dans Biblica, 1975, pp. 394-404.

3 - " Les prédécesseurs de Marc. Les sources présynoptiques de Mc 2,18-22 et parallèles ",

dans Revue Biblique, 1982, pp. 370-405.

4 - " Marc, première harmonie évangélique ? ",

dans Revue Biblique, 1983, pp. 23-79.

5 - " Les évangiles des premières communautés chrétiennes ",

dans Revue Biblique, 1983, pp. 161-201.

6 - LIVRE : Les Premiers évangiles. Un nouveau regard sur le problème synoptique,

Le Cerf, Paris, 1984 (Lectio Divina n° 116, épuisé).

7 - " L’organisation du Livre des Actes et de l’ensemble de l’œuvre de Luc ",

dans Biblica, 1984, pp. 370-405.

8 - " L’arrière-fond sémitique des évangiles synoptiques ",

dans Ephemerides Theologicae Lovanienses, 1984, pp. 358-362.

9 - " Jésus connaissait leurs pensées ",

dans Ephemerides Theologicae Lovanienses, 1986, pp. 118-121.

10 - " Synoptique (Question) ",

dans Dictionnaire Encyclopédique de la Bible, Maredsous, 1987.

11 - " L’antithèse de Rm 5-8 ",

dans Biblica, 1988, pp. 396-400.

12 - " La question synoptique demande-t-elle une réponse compliquée ? ",

dans Biblica, 1989, pp. 217-223.

13 - " La structure littéraire de la Deuxième épître aux Corinthiens ",

dans Biblica, 1990, pp. 73-84.

14 - " La structure littéraire et l’unité de l’épître aux Philippiens ",

dans Revue des Sciences Religieuses de Strasbourg, 1990, pp. 213-216.

15 - LIVRE : À l’écoute de l’épître aux Romains,

Le Cerf, Paris, 1991 (Lire la Bible hors série, presque épuisé).

16 - LIVRE : Les Ambassadeurs du Christ. Ministère pastoral et Nouveau Testament,

Le Cerf, Paris, 1991 (Lire la Bible n° 92, presque épuisé).

17 - " Discussions sur la chronologie paulinienne ",

dans Nouvelle Revue Théologique, 1992, pp. 870-888.

18 - " Marc, lecteur de Pierre et de Paul ",

dans BETL C, Louvain, 1992, pp. 775-778.

19 - " Lecture par couches rédactionnelles de l’épisode de l’épileptique ",

dans BETL CX, Louvain, 1993, pp. 451-458.

20 - LIVRE : L’Origine et la date des évangiles. Les témoins oculaires de Jésus,

Éditions Saint Paul, Paris, 1994 (épuisé).

21 - LIVRE : Présentation du Nouveau Testament

selon l’ordre chronologique et la structure littéraire des écrits apostoliques,

Éditions de Paris, 1995.

22 - " La véritable préhistoire de Marc (Mc 6,30-34 et parallèles) ",

dans Revue Biblique, Avril 1996, pp. 244-256.

23 - " La date de l’épître de Jacques ",

dans Nouvelle Revue Théologique 118, 1996, pp. 839-851

24 - LIVRE : La succession apostolique dans le Nouveau Testament,

Éditions de Paris, 1997.

25 - LIVRE : Jésus et les historiens,

Éditions de Paris, 1998.

DEMANDEZ VOTRE CADEAU  ET COMMUNIQUEZ AVEC PHILIPPE ROLLAND

Un petit ouvrage publié par Philippe ROLLAND aux Éditions Saint-Paul en 1993 présente à l’intention des jeunes et de tous les croyants " la mission du prêtre dans le monde ". Il s’inspire de la Lettre Apostolique de Jean-Paul II : " Je vous donnerai des Pasteurs (Pastores dabo vobis) ". Il fournit aussi les témoignages de quatre jeunes prêtres venus de trois continents. Son titre est   Sois le berger de mes brebis "   (144 pages).

Maintenant hors commerce, il sera envoyé gratuitement à tous ceux et celles qui en feront la demande (il est seulement demandé une participation spontanée aux frais d’envoi). Écrire, téléphoner ou faxer à :

P. Philippe Rolland, 7, rue Trévez-Brigot, F-77840 CROUY SUR OURCQ (Tel./Fax. 01-64-35-63-02).

 

 

AUTRES TRAVAUX CITÉS DANS CET OUVRAGE

Dès 1986, avant que Ph. Rolland n’ait publié en 1991 ses positions sur les épîtres pastorales de saint Paul, j’ai tiré profit pour dater la lettre à Tite et la première lettre à Timothée de l’ouvrage suivant :

S. de LESTAPIS, L’énigme des Pastorales de saint Paul, Gabalda, Paris, 1976.

Dans ce livre, ces deux lettres avaient été situées au printemps de l’an 58, date que Ph. Rolland a confirmée ensuite (en 1997) par de nouveaux arguments.

Par contre, on ne peut plus suivre S. de Lestapis pour la datation de la deuxième lettre à Timothée, après les études de M. Bernard Gineste, connues oralement de Ph. Rolland avant 1994 (cf. L’Origine et la date des évangiles, 1994, p. 165, et Présentation du Nouveau Testament, 1995, p. 108, note 1, et p. 276, note 4). Ces études ont ensuite fait l’objet de deux publications :

Bernard GINESTE,

Èsan gar proeôrakotes (Actes 21,29) : Trophime a-t-il été "vu" à Jérusalem ? ",

dans Revue Thomiste, 1995, pp. 251-272 ;

Genomenos en rhômè (2 Tm 1,17) : Onésiphore a-t-il "été à Rome" ? ",

dans Revue Thomiste, 1996, pp. 67-106).

Ph. Rolland se réfère à ces articles dans La Succession apostolique (1997), p. 93.

PRÉFACE

Depuis de nombreuses années, le Père Lucien Houdry présente les écrits bibliques à des groupes divers. Ayant pris connaissance de mes premiers ouvrages, il a eu le sentiment d’y trouver un éclairage précieux, répondant de manière limpide aux questions de ses auditeurs et établissant de manière rigoureuse la solidité de tout ce dont les témoins oculaires de Jésus nous ont instruits. Ainsi est née en lui l’envie de faire connaître de manière synthétique les positions que je défends dans mes articles et dans mes livres.

Pour l’aider dans cette tâche, je lui ai communiqué, non seulement les articles que je publiais, mais aussi certains inédits, ainsi que des notes polycopiées que je remets à mes étudiants. Il a pu ainsi prendre connaissance des derniers développements de ma pensée. Le fait de publier des livres et des articles est une aide précieuse pour la recherche. On est encouragé, on est critiqué aussi. Des amis vous font part des découvertes qu’ils ont faites eux-mêmes. D’autres demandent des précisions, ce qui force à réfléchir. C’est pourquoi on ne trouvera pas nécessairement dans ce livre des positions identiques à celles qui se lisent dans mes propres publications. Cela ne porte que sur des détails, car dans l’ensemble elles restent fondamentalement les mêmes.

L’ouvrage de Lucien Houdry a été composé en plusieurs étapes, corrigé chaque fois que c’était nécessaire. Il s’agit ici d’un travail mûri. Je l’ai entièrement relu, et j’y ai trouvé une expression juste de ma pensée actuelle.

Je me dois de donner aux lecteurs, surtout à ceux qui ne sont pas habitués à la lecture de livres exégétiques, un conseil qui leur sera utile. Les ouvrages sur l’Écriture Sainte contiennent généralement de nombreuses références, qui sont nécessaires pour justifier tout ce qui est dit. Dans un premier temps, il convient de lire le texte courant, en faisant abstraction de ces références, pour suivre uniquement le cheminement de la pensée. Ensuite, on peut revenir à loisir sur chacun des chapitres, en vérifiant soigneusement dans les textes qu’on ne leur a pas fait dire autre chose que ce qu’ils disent.

Nous pouvons penser à un épisode de la vie de Paul. Il venait d’être chassé de Thessalonique et il était à Bérée. Il expliquait dans la synagogue, à partir des Écritures, que Jésus était le Messie. Luc nous dit alors que ces gens de bonne volonté, sans doute une fois rentrés chez eux, " examinaient chaque jour les Écritures pour voir s’il en était bien ainsi " (Actes des Apôtres, ch. 17, v. 11). C’est ainsi, conclut Luc, que beaucoup d’entre eux devinrent croyants. Imitons ces gens de bonne volonté : lisons d’abord le discours, le cheminement de la pensée, et vérifions ensuite que tout est exact. Nous pourrons alors nous forger une conviction.

Les positions que je défends sur l’authenticité des écrits du Nouveau Testament ne sont pas partagées par tout le monde, tant s’en faut. Mais j’ai de nombreux amis, notamment parmi les chrétiens " évangéliques ", de confession protestante, qui aiment ce que j’écris et en discutent, révisant parfois leurs jugements antérieurs. Beaucoup d’autres exégètes sont un peu agacés de me voir faire cavalier seul, mais ils reconnaissent que mes ouvrages portent à réfléchir.

Que le Père Houdry soit remercié d’avoir consacré un temps considérable à dépouiller tous mes ouvrages techniques et mes inédits, et d’en présenter les conclusions dans un langage accessible à tous. Son entreprise prolonge l’intention de Jean, le dernier des témoins du Ressuscité : " Jésus a fait sous les yeux de ses disciples encore beaucoup d’autres signes, qui ne sont pas écrits dans ce livre. Ceux-là ont été mis par écrit pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant vous ayez la vie en son nom " (Jean, 20,30-31).

Philippe Rolland, le 30 Mai 1999, en la fête de la Sainte Trinité.

INTRODUCTION

Au moment de prendre en mains le Nouveau Testament, soyons bien conscients qu’il s’agit là pour les chrétiens d’un recueil d’écrits sacrés, les seuls qui parlent de Jésus d’une manière autorisée. C’est le patrimoine d’une famille. Le chrétien d’aujourd’hui l’aborde avec respect et avec foi. Pour autant, le croyant se doit de tenir compte des requêtes de la raison et donc de faire appel aux ressources de son intelligence. De plus, il est accordé par le cœur à cette famille de Dieu qui raconte son histoire.

Dans les éditions habituelles du Nouveau Testament, cette histoire s’ouvre avec les quatre récits évangéliques de Matthieu, Marc, Luc et Jean. Ils sont à la place d’honneur, car ce sont les paroles et les actes du Christ lui-même qui y sont rapportés. Parvenus à leur achèvement quelque peu tardivement (dans les années 60 pour les trois premiers, vers 98-100 pour Jean), ils ont été élaborés (en différentes étapes) à partir d’une tradition orale (une " Bonne Nouvelle ", un " Évangile ", se propage d’abord de bouche à oreille) et de plusieurs écrits primitifs dont nous retrouverons des éléments dans la rédaction définitive.

Dans les " Actes des Apôtres ", c’est d’abord le ministère évangélique de Pierre, puis celui de Paul, qui nous sont relatés. Depuis la Pentecôte de l’an 30, Pierre proclame à Jérusalem cet évangile oral qui sera le cœur du message apostolique. L’auteur des Actes, théologien autant qu’historien, se préoccupe davantage du sens des événements que de leur exact déroulement dans le temps.

Dans la succession des pages du Nouveau Testament viennent alors les lettres (les " épîtres ") adressées par les dirigeants de l’Église aux premières communautés chrétiennes : lettres de Paul, les plus nombreuses, lettre anonyme aux Hébreux, lettres de Jacques, de Pierre, de Jean et de Jude.

Et le Livre se referme sur un ouvrage prophétique, qui utilise le langage énigmatique des rêves, des visions : l’Apocalypse, c’est-à-dire la Révélation, le dévoilement du sens de l’histoire humaine, de l’histoire de Dieu parmi les hommes. Le visionnaire précise lui-même qu’il se nomme Jean.

Le classement de ces textes, par auteur et selon la dimension, de la plus longue à la plus courte épître, tel qu’on le trouve dans le Nouveau Testament, ne rend pas compte de leurs relations avec les événements de l’époque, de l’évolution de la pensée de leurs auteurs, des influences réciproques et de l’élaboration d’une doctrine commune. Il serait étrange que chacun des dirigeants se soit cantonné à son microcosme sans se soucier de ce qui avait été dit par les autres.

Nous nous efforcerons d’établir une chronologie des écrits et nous reposerons la question de leurs véritables auteurs. Sur ces derniers points, nous n’ignorons pas qu’il existe encore des divergences entre les spécialistes.

Mais un consensus existe heureusement sur bon nombre de textes, et le parcours que nous proposons tient d’abord compte des données reconnues par tous. Toutefois, nous suivrons de préférence les découvertes et mises au point de Philippe Rolland.

En particulier, nous avons choisi d’ouvrir le Nouveau Testament à la première page de l’épître aux Galates, un écrit dont personne ne conteste qu’il ait été rédigé par Paul, et dans lequel celui-ci fait le récit d’épisodes décisifs, qui ont orienté toute sa vie d’Apôtre. L’originalité du témoignage de Paul, fait sous la foi du serment (" Je l’affirme devant Dieu ", Ga 1,20), me paraît être un fondement sûr, irrécusable même, à partir duquel nous pouvons entreprendre notre parcours.

Je vous propose donc d’utiliser ce premier texte comme clef pour ouvrir maintenant le Nouveau Testament.

 

Ch. I : L’UNITÉ DES APÔTRES

PAUL AFFIRME AVOIR RENCONTRÉ PIERRE ET JACQUES À JÉRUSALEM.
SON TÉMOIGNAGE EST IRRÉCUSABLE

Résumé

Dans une page autobiographique, l’Apôtre Paul relate sa " conversion " : Dieu lui a révélé son Fils pour qu’il l’annonce parmi les païens. Après avoir passé un temps en Arabie, il se décide à monter à Jérusalem pour y rencontrer Pierre. Il y voit aussi Jacques. La rencontre de ces trois hommes date probablement de l’an 39, soit neuf années après la mort et la résurrection de Jésus. Le récit de Paul nous plonge dans le milieu des pionniers de l’évangélisation.

 

La mort de Jésus sur la Croix eut lieu, selon toute probabilité, le vendredi 7 avril 30. Vingt siècles plus tard, un milliard d’hommes se réclament de lui. Ils sont redevables de leur foi aux pionniers de la première évangélisation.

Ceux-ci étaient unis entre eux et reconnaissaient une mission particulière à celui que Jésus avait surnommé Kèphas, ce qui veut dire " pierre " ou " rocher " dans la langue de Jésus, l’araméen. Nous pouvons être sûrs que cette mission de Roc inébranlable lui était reconnue dès les origines, d’après un texte dont aucun historien ne conteste l’authenticité paulinienne, l’épître aux Galates.

Voici en effet ce que Paul écrit dans cette lettre :

" Vous avez entendu dire, en effet, quelle était autrefois ma conduite dans le judaïsme, avec quel emportement je persécutais l’Église de Dieu et les ravages que je lui causais ; et j’allais plus loin dans le judaïsme que beaucoup de ceux de mon âge et de ma nation, en partisan acharné des traditions de mes pères. Mais quand il plut à Celui qui m’a mis à part dès le sein de ma mère, et qui m’a appelé par sa grâce, de révéler son Fils en moi, en me chargeant de l’annoncer parmi les païens, aussitôt je ne consultai ni la chair ni le sang. Je ne montai pas non plus à Jérusalem auprès de ceux qui avaient été apôtres avant moi, mais je m’en allai en Arabie ; puis je revins encore à Damas.

Ensuite, après trois ans (c’est-à-dire : au cours de la troisième année suivant ma conversion), je montai à Jérusalem, pour faire connaissance avec Céphas, et je demeurai auprès de lui quinze jours ; mais je ne vis aucun des autres apôtres, sinon Jacques, le frère du Seigneur. Or, je l’affirme devant Dieu, ce que je vous écris n’est pas un mensonge.

J’allai ensuite dans les contrées de la Syrie et de la Cilicie. "          (Galates 1,13-21)

Paul reconnaît donc que d’autres ont été apôtres avant lui, et qu’il doit s’inscrire dans leur lignée. S’il ne monte pas aussitôt à Jérusalem, c’est parce qu’il lui faut déjà accomplir, en Arabie, sa mission d’évangélisateur des païens. Mais il n’attendra pas longtemps pour effectuer ce voyage, dans le but, dit-il, de " faire connaissance avec Céphas ", le Roc.

Un peu plus loin dans la même épître, il reconnaît que la mission de Pierre lui vient de Dieu, comme la sienne, et qu’elle est antérieure : " Celui qui avait agi en Pierre pour l’apostolat des circoncis avait agi pareillement en moi en faveur des païens " (Ga 2,8). Pierre lui aussi avait reçu une " révélation ", et celle-ci ne venait pas " de la chair et du sang ", mais " du Père " (Mt 16,17). Paul sait qu’il doit être en communion avec Pierre.

Paul eut sa vision près de Damas au plus tard en 36 ou 37, et la troisième année, celle de la montée à Jérusalem, ne peut se situer après l’an 39, moins de dix ans après la résurrection de Jésus. C’est à cette date reculée qu’il demeura auprès de Pierre pendant quinze jours. Le premier des Douze lui fit part de ce qu’il avait vécu en accompagnant quotidiennement Jésus durant un peu plus de deux ans. Paul rencontra aussi Jacques, " frère du Seigneur " (c’est-à-dire cousin de Jésus). Ce dernier pouvait lui faire part de la connaissance que donnent les liens de la parenté charnelle. Paul s’est enraciné dans la Tradition apostolique.

Voici trois hommes fort différents l’un de l’autre. Leurs connaissances de Jésus se complètent. Tous trois éprouvent pour le Christ un amour extrêmement fort. Leurs échanges au cours de cette première rencontre créent entre eux des liens qui serviront la cause de l’évangélisation. Plus tard, " au bout de quatorze ans " (sans doute en 49-50, Ga 2,1), ils " se tendront la main en signe de communion " (Ga 2,9).

Ces trois hommes sont des juifs. Ils sont devenus disciples de Jésus. Ils savent que l’Évangile doit être porté aux païens. Nous avons là les trois pôles (l’autorité de Jésus, l’héritage du judaïsme, l’ouverture aux païens) autour desquels s’accomplira l’œuvre de l’évangélisation. Celle-ci traversera des crises, finalement surmontées, que nous révéleront les écrits du Nouveau Testament.

Celui-ci est composé, entre autres, de lettres écrites par Paul, par Jacques et par Pierre. Ces hommes se connaissent et communiquent entre eux, plus qu’on ne l’imagine couramment. Leurs différences témoignent de l’insondable richesse de l’Évangile.

Moins de dix ans après la mort et la résurrection de Jésus, Paul est venu à Jérusalem. Il s’est informé auprès de Pierre et de Jacques de ce qui était alors annoncé sur Jésus dans cette église-mère. Le contenu de cette prédication fera l’objet du deuxième chapitre.

 

AVERTISSEMENT

Pour faciliter à l’internaute la lecture de ce livre, nous reproduisons tout de suite, avant le deuxième chapitre, l’ensemble des résumés qui précèdent chacune des démonstrations. On en verra ainsi la cohérence.

Celui qui le désire peut tout de suite passer au chapitre II, p. 13.

 

ANNEXE : RÉSUMÉS DES DIFFÉRENTS CHAPITRES

Ch. I : L’UNITÉ DES APÔTRES

PAUL AFFIRME AVOIR RENCONTRÉ PIERRE ET JACQUES À JÉRUSALEM.

SON TÉMOIGNAGE EST IRRÉCUSABLE

Dans une page autobiographique, l’Apôtre Paul relate sa " conversion " : Dieu lui a révélé son Fils pour qu’il l’annonce parmi les païens. Après avoir passé un temps en Arabie, il se décide à monter à Jérusalem pour y rencontrer Pierre. Il y voit aussi Jacques. La rencontre de ces trois hommes date probablement de l’an 39, soit neuf années après la mort et la résurrection de Jésus. Le récit de Paul nous plonge dans le milieu des pionniers de l’évangélisation.

Ch. II : L’ÉVANGILE DE JÉRUSALEM

PAUL S’INFORME AUPRÈS DE PIERRE ET DE JACQUES

L’ÉGLISE DE JÉRUSALEM DEPUIS L’AN 30

Présent à Jérusalem auprès de Pierre et de Jacques, Paul enrichit sa connaissance de Jésus. On lui transmet les souvenirs que l’on a gardés du Seigneur : ceux-ci ont fait l’objet des premières proclamations orales, puis d’exposés organisés autour de différents thèmes. Sans doute la communauté des disciples disposa-t-elle rapidement d’une première mise par écrit de cet enseignement. Ce recueil devait être lu dans les assemblées liturgiques à côté des textes de l’Ancien Testament. Nous évoquerons une reconstitution possible de ce premier " lectionnaire " chrétien.

Ch. III : LA PREMIÈRE ÉVANGÉLISATION DES PAÏENS

Une persécution fait fuir hors de Jérusalem les disciples de langue grecque. Ils s’en vont jusqu’à Antioche et y fondent une église ; là, de nombreux païens deviennent chrétiens.

Pierre s’en vient à Césarée, et des païens qu’on appelle " Craignant Dieu " (à leur tête : Corneille) se font baptiser. Pour ces derniers, une catéchèse écrite s’avère indispensable. C’est très probablement dans les passages absents de Marc, mais présents en Matthieu et en Luc (ce que les savants appellent la " Quelle ") que réside cette catéchèse : l’évangile des Craignant Dieu, remarquable par ses caractéristiques nettement universalistes.

Paul et Barnabé partent d’Antioche pour l’Asie Mineure ; ils y fondent des communautés ; au retour, ils se réjouissent de ce que " Dieu avait ouvert aux païens la porte de la foi " (Ac 14,27). Afin de ne pas courir en vain, ils se rendent à Jérusalem (vers 49-50) pour y rencontrer les " colonnes ", Pierre, Jacques et Jean, qui leur tendent la main en signe de communion (Galates 2).

Ch. IV : PAUL DEVIENT ÉCRIVAIN :

LES DEUX LETTRES AUX THESSALONICIENS

Lors d’un deuxième voyage missionnaire, Paul passe en Macédoine. Il y fonde des églises (notamment à Philippes et à Thessalonique). Puis il les quitte pour aller jusque en Grèce. Ayant été chassé de Thessalonique et n’ayant pas pu y instruire longuement les croyants, il complète ses enseignements oraux dans des lettres par lesquelles il se rend présent de façon plus durable.

Dans les deux plus anciennes lettres de Paul, les épîtres aux Thessaloniciens, nous trouvons des aperçus sur la fondation et la vie d’une communauté, et des propos sur l’Avènement du Seigneur.

Ch. V : UN DIALOGUE S’INSTAURE EN 56-57

ENTRE JACQUES ET PAUL

Lors d’un troisième voyage missionnaire en 54-58 (Actes 18,23 - 20,3a), Paul séjourne à Éphèse deux ans et trois mois. Il se rend ensuite en Macédoine. Il passe enfin l’hiver 57-58 à Corinthe.

De 56 à 57, Paul envoie des lettres aux communautés de Corinthe, de Philippes et de Galatie ; ces diverses épîtres sont unanimement reconnues comme authentiques. Nous pouvons affirmer que Jacques (nous l’identifierons comme le responsable de la communauté de Jérusalem, Ac 12,17 ; 21,18) a rédigé sa lettre en ayant connaissance de la première lettre de Paul aux Corinthiens ; il vient en aide à Paul dans le redressement de la communauté de Corinthe. En retour, Paul tient compte de la lettre de Jacques en rédigeant certaines de ses lettres. Un dialogue s’instaure ainsi entre ces deux " apôtres " aux tendances différentes.

Ch. VI : LE DIALOGUE SE POURSUIT ENTRE PAUL ET JACQUES :

L’ÉPÎTRE AUX ROMAINS (HIVER 57/58)

Du printemps 56 au printemps 57, Jacques de Jérusalem et Paul, l’Apôtre des Nations, ont dialogué au travers de leurs lettres. Après plusieurs mois qui lui ont permis d’approfondir sa pensée, Paul porte le débat à son plus haut niveau, en rédigeant l’épître aux Romains, durant l’hiver 57/58.

Il prend en compte plusieurs aspects de l’épître de Jacques et cisèle ses phrases pour exprimer au mieux l’un des points fondamentaux de l’Évangile de Jésus-Christ : la justification par la foi.

L’Apôtre en expose les heureuses conséquences : le baptisé est uni au Christ mort et ressuscité. Dans le combat, il remporte la victoire au plus intime de lui-même. L’Esprit fait de lui un fils dans le Fils, capable de s’approcher de Dieu et de lui dire : " Abba, Père ".

Enfin, Paul exprime son amour pour Israël et décrit la situation de ce peuple dans l’histoire du salut.

 

Ch. VII : PAUL QUITTE SES COMMUNAUTÉS

(ROMAINS 15,23)

IL LEUR LAISSE UN ÉVANGILE

Dans nos chapitres II et III, nous avions supposé l’existence de quatre récits primitifs antérieurs aux trois évangiles synoptiques. Nous avions déjà pu présenter deux d’entre eux sous les appellations : " Évangile de Jérusalem " (ou, peut-être, " Matthieu hébreu ") et " Évangile des Craignant Dieu. "

Prenant appui sur une affirmation de Paul dans l’épître aux Romains (Rm 15,23), nous pensons pouvoir caractériser maintenant les deux autres sources plus tardives des évangiles synoptiques.

Ch. VIII : DES RESPONSABLES POUR LES COMMUNAUTÉS

LES LETTRES À TITE ET TIMOTHÉE. LE DISCOURS DE MILET

PAUL ARRÊTÉ À JÉRUSALEM ET DÉTENU À CÉSARÉE

D’après les lettres de Paul et de Jacques déjà étudiées, il a déjà été question de responsables dans les diverses églises. Ils étaient désignés de façon différente à Jérusalem et dans les communautés pauliniennes. Dans leurs épîtres, Jacques et Paul ont donné aux termes employés ici et là une sorte d’équivalence.

C’est au printemps 58 que se situent la lettre de Paul à Tite et sa première lettre à Timothée. L’Apôtre y reprend bien des points déjà abordés et insiste sur les qualités nécessaires aux responsables.

Il rencontre à Milet les prêtres (presbytres) d’Éphèse (Ac 20,17-37). Il poursuit sa route et rencontre Jacques et les presbytres à Jérusalem. Il y est arrêté à la Pentecôte 58, et se trouve en détention à Césarée pour deux ans.

Nous montrerons que c’est au cours de l’été 58, en captivité, qu’il a rédigé la deuxième lettre à Timothée.

Ch. IX : PIERRE CONCLUT LE DIALOGUE

ENTRE PAUL ET JACQUES

LA PREMIÈRE LETTRE DE PIERRE

Pierre rédige probablement sa première lettre en 59. Il y reprend des éléments de la lettre de Jacques et de celles de Paul aux Romains, à Tite et à Timothée. Il couvre ainsi de son autorité les autres apôtres.

Pierre, Paul et Jacques, qui se sont rencontrés en 39, puis en 49, ont échangé par écrit en 56-59. Ainsi ont-ils exercé solidairement leur responsabilité au nom du Seigneur Jésus. Ils sont demeurés dans une communion particulièrement féconde pour l’essor de la Bonne Nouvelle du Christ.

Ch. X : LES ÉCRITS DE PLÉNITUDE

ÉPHÉSIENS, COLOSSIENS, PHILÉMON

(CÉSARÉE, EN L’AN 60)

On peut montrer que Paul a rédigé les épîtres aux Éphésiens, aux Colossiens et à Philémon vers la fin de sa captivité à Césarée (60). Affinée par une longue méditation, sa pensée est parvenue à sa pleine maturité. Capable désormais d’exprimer sa vision du mystère de façon synthétique (Ep 3,3-4), il utilise un vocabulaire et un style quelque peu nouveaux.

Les épîtres aux Éphésiens et aux Colossiens sont jumelles, et ont été dictées simultanément par Paul. La première d’entre elles devrait sans doute être appelée plutôt épître aux Laodicéens (Col 4,15-16).

Ch. XI : L’ÉPÎTRE AUX HÉBREUX

Ayant fait appel à l’empereur (Ac 25, 11-12), Paul est transféré à Rome (Ac 27-28). Là, le récit des Actes s’interrompt subitement.

C’est après la mise à mort de Jacques (62) qu’un anonyme rédige l’Épître aux Hébreux. Cet écrit, destiné à des gens possédant parfaitement l’Ancien Testament, est indéniablement nourri de la pensée des Apôtres Pierre et Paul. On a par conséquent des raisons de l’attribuer à Silvain (Silas). Délégué de la communauté de Jérusalem en 49 (Ac 15,22), ce Silvain était devenu collaborateur de Paul, puis secrétaire de Pierre. Comme les écrits de ces deux apôtres (1 Pierre, Colossiens, Éphésiens), la lettre aux Hébreux est d’une rare densité. Elle présente Jésus comme le Grand-Prêtre de la Nouvelle et Éternelle Alliance.

Ch. XII : LA LUTTE CONTRE LES HÉRÉSIES

LA DEUXIÈME ÉPÎTRE DE PIERRE

DISPARITION DE PIERRE ET DE PAUL

LA LETTRE DE JUDE

À la même époque que l’épître aux Hébreux, les évangiles de Matthieu et de Luc ont été rédigés. L’évangile de Marc a été achevé un peu plus tard, vers 66-67. Nous parlerons en détail, dans le chapitre suivant, de cette rédaction finale des évangiles synoptiques.

Pierre, sachant que sa mort est proche, envoie une deuxième lettre aux mêmes destinataires, pour les mettre en garde contre des faux docteurs issus du monde chrétien, et pour les rassurer sur la venue du Christ, qui se fait attendre. Il laisse entendre qu’après son départ ses enseignements seront mis par écrit (2 P 1,15).

Il peut s’agir du début de la rédaction de l’évangile de Marc, qui ne sera achevée que plus tard, après la mort de Pierre et de Paul. La persécution de Néron (64-65) atteint durement les chrétiens de Rome, et entraîne la mort de Pierre et de Paul.

Jude, en écho à la deuxième lettre de Pierre, renouvelle les mises en garde contre les hérétiques et appelle à combattre pour la foi transmise aux saints une fois pour toutes. Sa lettre est écrite vers 68 ou 69.

Ch. XIII : LA RÉDACTION DES ÉVANGILES SYNOPTIQUES

L’ÉVANGILE GREC DE MATTHIEU

L’ÉVANGILE DE LUC ET LES ACTES

L’ÉVANGILE DE MARC

Vers 62, les chrétiens ont été exclus du monde juif et n’ont plus bénéficié de la protection des lois romaines. L’évangile grec de Matthieu implique cette rupture et peut être daté de 63.

L’évangile de Luc, qui fait corps avec les Actes des Apôtres, date de la même époque que ceux-ci. Or, l’auteur des Actes ignore manifestement l’issue du procès de Paul et sa mort. L’œuvre de Luc en deux tomes fut terminée avant la persécution de 64-65.

Les évangiles de Matthieu et de Luc se révèlent indépendants l’un de l’autre. Ils ont donc été composés à la même époque (62-63).

Matthieu a probablement publié son livre à Antioche, et Luc a sans doute terminé le sien en Achaïe.

Pierre peut avoir prévu que ses enseignements seraient mis par écrit (2 P 1,15). Mais c’est après sa mort, survenue sans doute lors de la persécution de Néron en 64-65, que l’évangile de Marc sera terminé, en 66 ou en 67, avant la ruine de Jérusalem en 70.

Ch. XIV : AUTOUR DE LA RUINE DE JÉRUSALEM (70)

Les péripéties de la " guerre juive ", menée par les Romains contre les Juifs révoltés, sont narrées par Flavius Josèphe. Ces épisodes de l’histoire d’Israël ne sont pas relatés par la Bible.

Après la destruction du Temple en 70 cessa le culte sacrificiel d’Israël prescrit par l’Ancien Testament. Mais le judaïsme se redressa rapidement autour de l’institution synagogale et devint " la Synagogue. " L’interprétation des Écritures par les chrétiens fut combattue et ceux-ci furent maudits officiellement dans la liturgie nouvelle.

Ch. XV : LES ÉCRITS JOHANNIQUES

Nous sommes environ vingt-cinq ans après la ruine de Jérusalem. Sous le règne de Domitien, les persécutions reprennent. De plus, des hérétiques dénaturent le christianisme en prétendant que le Fils de Dieu n’a souffert qu’en apparence (docétisme).

Le dernier survivant des Apôtres réconforte les persécutés et combat l’hérésie. Il s’agit de Jean, fils de Zébédée, le disciple que Jésus aimait.

L’Apocalypse dénonce vivement le culte impérial et exhorte à la résistance en dévoilant le sens de l’histoire du monde et en annonçant la victoire définitive de l’Agneau immolé.

Trois lettres sont envoyées aux chrétiens par le même Apôtre Jean pour leur rappeler ce qu’est la vraie foi que détruisent les hérétiques.

L’hérésie ayant fait des progrès, Jean lui oppose son témoignage oculaire dans un nouveau récit évangélique, historiquement plus précis que ceux de Matthieu, Marc et Luc. Il décrit la rencontre entre Dieu et l’homme, la lutte entre la vie et la mort et la victoire de l’amour. Le bien-aimé qui a reposé sur la poitrine du Maître révèle le mystère qu’il a contemplé.

 

 

AVERTISSEMENT

Après avoir ainsi parcouru l’ensemble du livre, nous pouvons maintenant revenir au début du chapitre II. Nous en étions restés à la première rencontre de Paul, Pierre et Jacques, à Jérusalem, sans doute en l’an 39.

 

 

Ch. II : L’ÉVANGILE DE JÉRUSALEM

 

PAUL S’INFORME AUPRÈS DE PIERRE ET DE JACQUES
L’ÉGLISE DE JÉRUSALEM DEPUIS L’AN 30

Résumé

Présent à Jérusalem auprès de Pierre et de Jacques, Paul enrichit sa connaissance de Jésus. On lui transmet les souvenirs que l’on a gardés du Seigneur : ceux-ci ont fait l’objet des premières proclamations orales, puis d’exposés organisés autour de différents thèmes. Sans doute la communauté des disciples disposa-t-elle rapidement d’une première mise par écrit de cet enseignement. Ce recueil devait être lu dans les assemblées liturgiques à côté des textes de l’Ancien Testament. Nous évoquerons une reconstitution possible de ce premier " lectionnaire " chrétien.

Amoureux du Christ, Paul va se faire tout ouïe pour en écouter les tout premiers témoins.

 

1 - CE QUE L’ON AVAIT PROCLAMÉ À JÉRUSALEM DÈS LA PREMIÈRE HEURE

Dès la Pentecôte (c’est-à-dire cinquante jours après la fête juive de la Pâque), Pierre a " crié " comme une Bonne Nouvelle ce qui concernait Jésus. Nous pouvons prendre connaissance du contenu de cette première proclamation dans les discours de Pierre que nous lisons aux chapitres 1 à 5 du livre des Actes.

Jésus est entré et sorti à notre tête, depuis le baptême donné par Jean jusqu’au jour où il nous a été enlevé (Ac 1,21-22).

Jésus le Nazôréen, cet homme auquel Dieu avait rendu témoignage à votre intention en opérant par lui au milieu de vous des miracles, des prodiges et des signes, comme vous le savez (Ac 2,22), vous l’avez fait mourir en le clouant à la croix par la main des impies (Ac 2,23).

Selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu (Ac 2,23), vous l’avez pris, renié devant Pilate, alors qu’il était décidé à le relâcher (Ac 3,13). Vous avez réclamé la grâce d’un assassin et vous avez fait mourir l’auteur de la vie (Ac 3,14-15).

Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus (Ac 2,24.32 ; 3,15 ; 4,10 ; 5,30). Il a glorifié son Serviteur (Ac 3,13). Maintenant, il l’a exalté par sa droite (Ac 2,33 ; 5,31). Car " le Seigneur a dit à mon seigneur : Siège à ma droite, jusqu’à ce que j’aie fait de tes ennemis un escabeau pour tes pieds " (Ac 2,34 : citation du psaume 110,1).

Ce Jésus a reçu du Père l’Esprit Saint, objet de la promesse, et l’a répandu (Ac 2,33). Par la foi dans le nom de Jésus, cet homme (boiteux) a été rétabli en pleine santé (Ac 3,16 ; 4,10).

Que toute la maison d’Israël le sache donc avec certitude : Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous avez crucifié (Ac 2,36). Dieu l’a fait Chef et Sauveur, afin d’accorder par lui à Israël le repentir et la rémission des péchés (Ac 5,31).

Nous en sommes témoins (Ac 2,32 ; 3,15 ; 5,32), nous et l’Esprit Saint que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent (Ac 5,32).

Tel fut, en résumé, " l’évangile oral " proclamé à Jérusalem dès l’année 30.

 

2 - LES TÉMOINS DU RESSUSCITÉ (1 Corinthiens 15,1-11)
LA VISITE AU TOMBEAU VIDE

C’est à cet évangile oral que Paul fera allusion dans une page de sa première lettre aux Corinthiens, autobiographique comme celle de Galates : " Je vous ai transmis ce que j’ai moi-même reçu, à savoir que le Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures, qu’il a été mis au tombeau, qu’il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures " (1 Corinthiens 15,3-4).

Ce texte de Paul est écrit en l’an 56, mais il se réfère à ce qu’il avait reçu beaucoup plus tôt, lorsqu’il est devenu chrétien. Il a peut-être entendu cette confession de foi à Damas, au plus tard en l’an 37, ou peut-être à Jérusalem, au plus tard en l’an 39.

Paul poursuit en donnant la liste des témoins à qui Jésus vivant est apparu : " Il s’est fait voir à Céphas, puis aux Douze. Ensuite, il s’est fait voir à plus de cinq cent frères à la fois, dont la plupart sont encore vivants aujourd’hui, et dont quelques-uns se sont endormis. Ensuite, il s’est fait voir à Jacques, puis à tous les apôtres. Enfin, après eux tous, il s’est aussi fait voir à moi, comme à celui qu’on a accouché aux fers " (1 Co 15,5-8).

Trois groupes sont mentionnés : les Douze, cinq cent frères, tous les apôtres (un groupe plus large que les Douze). Paul cite nommément trois personnes : Céphas (Pierre), Jacques, et lui-même, Paul. Nous retrouvons ainsi comme bénéficiaires d’une apparition personnelle les trois hommes qui se rencontrèrent à Jérusalem (notre chapitre I). Ils sont les trois principaux témoins de la résurrection.

Puisque, dès les premiers jours, il avait été annoncé que le tombeau de Jésus était vide, comment les habitants de Jérusalem et les pèlerins venus d’autres régions ne seraient-ils pas allés vérifier ce fait ? C’est ainsi, semble-t-il, que fut constitué, dès l’an 30, un récit oral de la crucifixion sur le Golgotha, et de la découverte du tombeau vide, en un endroit tout proche.

 

3 - L’ENSEIGNEMENT DES NOUVEAUX CONVERTIS
L’ÉVANGILE DE JÉRUSALEM

Dans l’église de Jérusalem, Paul entendit relater des souvenirs sur Jésus. En effet, ceux qui étaient devenus croyants dès les premiers jours s’étaient montrés " assidus à l’enseignement des apôtres " (Ac 2,42 ; cf. 6,2). Ils étaient en majorité de langue hébraïque (Ac 6,1). Au début, cet enseignement oral était mémorisé, mais il est très vraisemblable qu’il fut bien vite mis par écrit à l’intention des communautés plus lointaines (Lydda, Ac 9,32 ; Joppé, Ac 9,36 ; la Galilée et la Samarie, Ac 9,31 ; Damas, Ac 9,10). Ces communautés, qui ne bénéficiaient pas de la présence permanente des Douze, avaient besoin d’un recueil des gestes accomplis par Jésus. À côté des Saintes Écritures, les diverses communautés des disciples de Jésus s’en servaient comme d’un lectionnaire liturgique dans les assemblées où l’on partageait le pain (c’est-à-dire l’eucharistie, cf. Ac 2,42).

Les écrivains chrétiens des premiers siècles (les " Pères de l’Église ") parlent d’un " Matthieu hébreu ", un évangile rédigé en langue sémitique, " alors que Pierre et Paul évangélisaient Rome et y fondaient l’église. ". Avec quelle joie découvririons-nous un tel ouvrage ! Avec lui, n’aurions-nous pas rejoint nos premiers frères dans la foi ?

Le Matthieu hébreu dont parlent Papias (vers 120), Irénée (vers 180), Origène (vers 250), et encore Jérôme (vers 400), est maintenant perdu. Mais ce que nous pouvons reconstituer aujourd’hui, c’est un ouvrage peut-être encore plus ancien, un " évangile primitif " rédigé en langue sémitique, qui est à la base de nos évangiles actuels de Matthieu, Marc et Luc. Son existence peut être prouvée par le raisonnement. Prenons l’exemple d’une guérison opérée par Jésus :

Mt 9,20 Mc 5,27 Lc 8,44

(Une femme), (Une femme), (Une femme),

s’approchant venant dans la foule s’approchant

par derrière par derrière par derrière

toucha toucha toucha

la frange ----- la frange

de son vêtement. son vêtement. de son vêtement.

Matthieu et Luc ont en commun le détail très juif de " la frange " du vêtement, détail que Marc a éliminé pour ne pas étonner ses lecteurs romains. Ils dépendent donc d’une tradition primitive qui contenait ce mot, supprimé par Marc.

Quand on observe les passages communs aux évangiles de Matthieu et de Luc qui ont un parallèle en Marc, on trouve un ensemble profondément enraciné dans le milieu juif. On y retrouve bien des traits juifs, comme le titre " Fils de David ", pour désigner Jésus lui-même. La résonance nationaliste et messianique de ces passages est de mise à Jérusalem ; elle sera estompée dans la prédication auprès des païens.

Dans ces passages, les Douze tiennent une place privilégiée. Cela se comprend, puisqu’ils étaient les responsables de la communauté naissante de Jérusalem, comme nous l’apprennent les six premiers chapitres du livre des Actes des Apôtres. Sans errer dans l’arbitraire et l’hypothétique, il est possible de reconstituer ce recueil utilisé par les premiers disciples du Christ issus du judaïsme.

 

Ph. Rolland a longuement étudié l’existence et le contenu de cet évangile primitif ; on pourra consulter :

- Les articles de la Revue Biblique des années 1982 et 1983.

- Les Premiers évangiles (1984), pp. 141-148.

- L’article " Synoptique (Question) ", dans le Dictionnaire Encyclopédique de la Bible (1987), pp. 1227-1231.

- L’article de Biblica (1989), pp. 217-223.

- L’Origine et la date des évangiles (1994), pp. 69-73.

- L’article de la Revue Biblique (1996), pp. 244-256.

La reconstitution du texte de cet évangile primitif (appelé maintenant, par prudence, " Évangile de Jérusalem " et non plus " Matthieu hébreu "), a été faite dans :

- Jésus et les historiens (1998), pp. 59-78.

 

4 - LA MÉTHODE DE RECONSTITUTION DE CET ÉVANGILE PRIMITIF

Si le tout premier " recueil évangélique " a disparu, c’est que – selon les manières de faire à cette époque – il a été intégré dans des œuvres plus tardives et plus riches. Il a servi de base à des traductions diverses en langue grecque, et celles-ci ont ensuite été utilisées dans nos évangiles actuels. C’est ce que nous explique saint Luc dans la préface du Troisième évangile, où il fait état de plusieurs écrits antérieurs à son propre texte :

"Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements accomplis parmi nous, tels que nous les ont transmis ceux qui en ont été dès le commencement les témoins oculaires et qui sont devenus serviteurs de la Parole, j’ai cru aussi, très excellent Théophile, que je devais te les écrire en bon ordre, après m’être exactement informé de tout depuis le début, afin que tu reconnaisses la certitude des enseignements que tu as reçus " (Luc 1,1-4).

Matthieu et Marc ont agi de même. Ces trois évangélistes, gardant chacun leur originalité, ont puisé à des sources antérieures, dont certaines leur étaient communes, à tous trois, ou à deux seulement. Ce qui explique que les trois récits aient en commun environ 330 versets. Matthieu et Marc ont en commun 178 versets absents de Luc. Marc et Luc ont en commun 100 versets absents de Matthieu. Matthieu et Luc ont en commun 230 versets absents de Marc. Et Matthieu a en propre 330 versets, Marc 53 et Luc 500.

Ainsi, nos trois évangiles de Matthieu, de Marc et de Luc présentent entre eux suffisamment de ressemblances pour qu’on puisse les disposer en colonnes parallèles, d’où l’appellation " évangiles synoptiques. " Cependant, ils comportent aussi entre eux bien des différences.

Ce sont les 330 versets communs à Matthieu, Marc et Luc qui nous permettent de reconstituer la forme de l’évangile primitif en usage à Jérusalem. Nous pouvons partir d’un exemple très simple, celui des guérisons multiples à Capharnaüm.

Mt 8,16 Mc 1,32 Lc 4,40

Or, le soir arrivé, Or, le soir arrivé,

lorsque le soleil Or, le soleil

fut couché, se couchant,

(on lui apporta...) (on lui portait...) (ils lui amenèrent...)

À propos de cet exemple, le Père Benoît (de l’École Biblique de Jérusalem) écrivait dans l’introduction à l’évangile selon saint Matthieu (Bible de Jérusalem, 4ème édition revue, Paris, Cerf, 1972, p. 18) : " Il se rencontre des cas où l’on voit Marc emprunter à Matthieu, comme d’ailleurs aussi à Luc. Ainsi en Mc 1,32, où "le soir venu" est pris de Mt 8,16, et "lorsque fut couché le soleil" est pris de Lc 4,40, ou d’un récit dont Luc s’est servi. Maintenir qu’ici Marc est primitif, et que les deux autres évangiles ont emprunté chacun une de ses deux notations de temps, est vraiment paradoxal ; une leçon "confluente" au niveau de la rédaction finale de Marc est bien plus vraisemblable. "

Mais il faut être plus précis. L’expression de Luc " le soleil se couchant " est très courante dans l’Ancien Testament grec, où elle traduit une formule hébraïque bien connue. Au contraire, l’expression de Matthieu " le soir arrivé " (littéralement : " une heure tardive étant arrivée ") est de très bon grec, mais ne peut pas être retraduite littéralement en hébreu ou en araméen, car aucun mot sémitique n’existe pour l’idée d’une " heure tardive. "

On en déduit que l’évangile primitif contenait l’expression " le soleil se couchant ", attestée ensuite chez Luc. Dans la version grecque dont dépend Matthieu, la traduction a été faite dans un meilleur grec : " une heure tardive étant arrivée. " Marc a fusionné la version grecque dont dépend Matthieu et la version grecque dont dépend Luc.

Un autre exemple de fusion par Marc de deux versions indépendantes d’un même texte sémitique attesté, d’une part chez Mt, d’autre part chez Lc, se trouve dans l’agonie de Jésus à Gethsémani.

Mt 26,39 Lc 22,41-42

Il tomba sur sa face, Ayant fléchi les genoux,

priant et disant : il priait, disant :

Mon Père, s’il est possible, Père, si tu veux,

que passe loin de moi cette coupe. emporte cette coupe loin de moi.

Mc 14,35-36

Il tombait à terre

1) et il priait pour que,

s’il est possible,

l’heure passât loin de lui. (= Mt)

2) Et il disait :

Abba, Père, tout t’est possible ;

emporte cette coupe loin de moi. (= Lc)

La généalogie des passages communs à Matthieu, Marc et Luc, qui vient d’être esquissée, a été reconnue comme la plus convaincante par la nouvelle Bible de Jérusalem (1998), qui écrit (p. 1667) : " Il faudrait considérer les relations entre les Synoptiques, non plus au niveau des évangiles tels que nous les connaissons, mais au niveau de rédactions plus anciennes, que l’on pourrait appeler pré-Mt, pré-Lc. " L’origine de ces deux documents " ne serait autre que le Mt écrit en araméen, puis traduit en grec de différentes façons, dont parlait Papias. "

Nous résumons l’ensemble de ces réflexions et découvertes en un tableau qui se trouve ci-dessous, représentant la généalogie des sources de Matthieu, Marc et Luc, en ce qui concerne les épisodes qui sont parallèles avec Marc chez les deux autres.

 

SCHÉMA PARTIEL
DE LA GÉNÉALOGIE DES ÉVANGILES SYNOPTIQUES

ÉVANGILE SÉMITIQUE

(environ 330 versets)

* *

* *

* *

* *

* *

PRÉ-MATTHIEU PRÉ-LUC

(330 versets (330 versets

+ 178 versets) + 100 versets)

* * * *

* * * *

* * * *

* * * *

* * * *

MATTHIEU GREC MARC LUC 

Nous donnons ci-dessous un modèle de reconstitution des différentes étapes de la formation de Matthieu, Marc et Luc, à partir de l’exemple de la Question sur le jeûne, qui a fait l’objet d’une démonstration détaillée dans :

- " Les prédécesseurs de Marc. Les sources présynoptiques de Mc 2,18-22 et parallèles ",

dans Revue Biblique, 1982, pp. 370-405.

Évangile primitif (sémitique)

Est-ce que peuvent

les fils de la chambre nuptiale

jeûner,

pendant que l’époux (est) avec eux ?

Version grecque du Pré-Mt Version grecque du Pré-Lc

Est-ce que peuvent Est-ce que peuvent

les fils de la chambre nuptiale les fils de la chambre nuptiale,

jeûner,

durant qu’est avec eux l’époux ? tandis que l’époux est avec eux,

jeûner ?

Mc 2,19

Est-ce que peuvent

les fils de la chambre nuptiale,

(= Pré-Lc) tandis que l’époux est avec eux,

jeûner ?

(= Pré-Mt) Durant le temps où ils ont l’époux avec eux,

ils ne peuvent pas jeûner.

Mt 9,15 Lc 5,34

Est-ce que peuvent Est-ce que vous pouvez,

les fils de la chambre nuptiale les fils de la chambre nuptiale,

mener le deuil,

durant qu’est avec eux l’époux ? tandis que l’époux est avec eux,

(les) faire jeûner ?

 

ANNEXE : L’ÉVANGILE DE JÉRUSALEM

 

AVERTISSEMENT

Nous venons de montrer que les évangiles de Matthieu et de Luc ne pouvaient pas s’être inspirés de l’évangile de Marc sous sa forme actuelle, mais que leur accord ne pouvait s’expliquer que par l’utilisation de deux versions grecques d’un texte très ancien écrit en langue sémitique, l’hébreu ou l’araméen.

Ce texte ancien était probablement utilisé à Jérusalem dans les débuts de la vie de l’Église primitive. Il était très schématique. Il ne doit pas être considéré comme supérieur du point de vue historique à nos évangiles actuels, car les précisions supplémentaires que ceux-ci donnent sont de grande valeur. Mais il est important d’avoir une idée de ce qui était dit sur Jésus à une époque très reculée.

Parce que nos trois premiers évangiles en dépendent, il est possible de le reconstituer, d’une manière qui reste évidemment conjecturale. C’est cette reconstitution inédite que nous mettons à la disposition des lecteurs et des spécialistes de la critique littéraire, qui pourront éventuellement l’améliorer.

Ce texte a d’abord été publié dans Jésus et les historiens (Éditions de Paris, 1998, 93 pages, 59 F.

Il y est accompagné de précisions très faciles à comprendre sur la manière dont les évangiles ont été rédigés, ainsi que d’une réflexion sur les conditions nécessaires pour faire de l’histoire avec objectivité. L’acquisition de l’ouvrage est donc vivement recommandée, en librairie ou chez l’éditeur :

Éditions de Paris, BP 301 07 F-75327 PARIS CEDEX 07

Avec l’aimable autorisation de l’éditeur, nous mettons le texte de l’Évangile de Jérusalem à la disposition des internautes. Dans le livre du P. Lucien Houdry, publié en 1999, ce texte n’avait pas pu être reproduit. Mais c’est dans le présent ouvrage qu’on trouve de nombreux exemples d’une reconstitution logique du texte. Exercés à la méthode de Philippe Rolland, les internautes pourront vérifier, en s’aidant d’une synopse en français (ou mieux, en grec), que ce texte explique bien l’état actuel de nos évangiles. S’ils pensent devoir faire des propositions différentes, ils peuvent les communiquer à l’auteur, en s’abstenant d’utiliser le fax, mais en écrivant à l’adresse suivante :

P. Philippe Rolland, 7, rue Trévez Brigot, F-77840 CROUY SUR OURCQ

 

 

L’Évangile de Jérusalem

En ces jours-là, il y eut dans le désert Jean le baptiseur, proclamant la conversion pour le pardon des péchés, comme il est écrit en Isaïe le prophète : " Voix de celui qui proclame dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur et rendez droits ses sentiers. " Et s’en allaient vers lui Jérusalem et toute la Judée et toute la région autour du Jourdain, et ils étaient baptisés par lui dans le fleuve du Jourdain, et ils confessaient leurs péchés.

Et il leur dit : " Moi, je vous baptise dans l’eau ; mais il vient le plus puissant que moi, lui dont je ne suis pas digne d'enlever ses sandales ; et lui vous baptisera dans l'Esprit Saint. "

Et il arriva que Jésus vint de Galilée, et il fut baptisé par Jean ; et il remonta de l’eau, et voici : le ciel s’ouvrit, et il vit l'Esprit de Dieu, comme une colombe, descendre sur lui ; et voici : une voix du haut du ciel, disant : " Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je me suis complu. "

Et Jésus fut conduit par l'Esprit au désert, pour être tenté quarante jours par l’Adversaire.

Et après que Jean eut été livré, Jésus revint en Galilée ; et il quitta Nazara et vint habiter à Capharnaüm. Et il proclamait et disait : " Convertissez-vous, car le royaume de Dieu est proche. "

Et il passa au bord de la mer de Galilée, et il vit Simon et André son frère qui jetaient l’épervier dans la mer, car c’étaient des pêcheurs. Et il leur dit : " Venez derrière moi et je vous ferai pêcheurs d'hommes. " Et ils laissèrent aussitôt leurs filets et ils le suivirent.

Et avançant un peu, il vit Jacques, celui de Zébédée, et Jean son frère, avec Zébédée leur père, raccommodant leurs filets ; et il les appela. Et ils laissèrent aussitôt la barque et leur père, et ils le suivirent.

Et il entra dans la synagogue le sabbat, et il enseignait ; et ils étaient frappés de son enseignement, parce qu’il parlait avec autorité.

Et sa renommée se répandit dans toute la région d’alentour.

Et il vint dans la maison de Simon, et la belle-mère de Simon était couchée et fiévreuse, et on lui parla à son sujet. Et il la toucha et la fièvre la quitta, et elle se leva et elle les servait.

Et comme le soleil se couchait, ils lui portèrent tous les malades de diverses infirmités, et il les guérit ; et il expulsa beaucoup de démons.

Et le matin il sortit et s’en alla dans un lieu désert. Et les foules le recherchèrent et vinrent jusqu’à lui. Et il leur dit : " Allons dans les villages voisins, afin que j’y proclame aussi, car c’est pour cela que je suis sorti. "

Et il vint, proclamant dans les synagogues de la Galilée.

Et voici : un lépreux se prosterna devant lui en disant : " Seigneur, si tu veux, tu peux me purifier. " Et il étendit la main et le toucha, en disant : " Je veux, sois purifié. " Et aussitôt sa lèpre fut purifiée. Et il lui dit : " Vois, ne le dis à personne; mais va, montre-toi au prêtre, et offre l'offrande qu'a ordonnée Moïse en attestation pour eux. "

Et voici : on lui porta un paralytique étendu sur une civière. Et comme ils ne pouvaient pas le faire entrer à cause de la foule, ils montèrent sur la terrasse et creusèrent un trou, et ils le descendirent avec la civière. Et Jésus, voyant leur foi, dit au paralytique : " Enfant, tes péchés te sont remis. " Et voici : quelques-uns des scribes dirent en eux-mêmes : " Celui-ci blasphème. " Et Jésus connut leurs pensées, et il dit : " Pourquoi raisonnez-vous dans vos cœurs ? Quel est le plus facile, de dire : "Tes péchés te sont remis", ou de dire : "Lève-toi et marche" ? Et pour que vous sachiez que le Fils de l'Homme a pouvoir sur la terre de remettre les péchés ", il dit au paralytique : " Lève-toi, prends ta civière, et va dans ta maison. " Et, s’étant levé, il s'en alla dans sa maison. Et tous furent dans la crainte, et ils glorifièrent Dieu.

Et il sortit, et il vit un homme appelé Lévi assis au péage, et il lui dit : " Suis-moi. " Et il se leva et il le suivit.

Et il arriva qu’il était à table dans la maison, et voici : de nombreux publicains et pécheurs étaient à table avec Jésus et ses disciples. Et les pharisiens le virent, et ils dirent à ses disciples : " Pourquoi mange-t-il avec les publicains et les pécheurs ? " Mais lui répondit et dit : " Les bien-portants n'ont pas besoin de médecin, mais les mal-portants. Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. "

Et il lui dirent : " Les disciples de Jean et les pharisiens jeûnent beaucoup, mais tes disciples ne jeûnent pas. " Et Jésus leur dit : " Est-ce que les compagnons de l'époux peuvent jeûner tandis que l'époux est avec eux ? Mais viendront des jours, quand l'époux leur sera enlevé, et alors ils jeûneront.

Personne ne rajoute un rajout de drap non foulé à un vêtement vieux ; car le complément tire sur le vêtement et la déchirure devient pire.

On ne met pas non plus du vin nouveau dans de vieilles outres ; car autrement, les outres éclatent et le vin se répand et les outres sont perdues. Mais on met du vin nouveau dans des outres neuves. "

Et il arriva que, le sabbat, il passa à travers des moissons, et ses disciples arrachèrent des épis et les mangèrent. Et les pharisiens lui dirent : " Voici que tes disciples font ce qui n'est pas autorisé le sabbat. " Et il leur dit : " N'avez-vous pas lu ce que fit David, lorsqu'il eut faim, lui et ses compagnons ? Comment il entra dans la maison de Dieu et mangea les pains de proposition qu'il ne lui était pas permis de manger ni à ses compagnons, sinon aux prêtres seuls. Car il est seigneur du sabbat, le Fils de l'Homme. "

Et il alla dans la synagogue. Et voici un homme, et sa main était sèche. Et ils lui demandèrent s’il est permis, le sabbat, de guérir, afin de l'accuser. Et il leur dit : " Je vous demande s'il est permis, le sabbat, de faire le bien ou de faire le mal, de sauver une âme ou de la perdre. " Et il dit à l'homme : " Étends ta main. " Et il l'étendit, et sa main fut remise en état. Et les pharisiens sortirent et tinrent conseil contre lui, en vue de le perdre.

Et Jésus se retira avec ses disciples, et des foules nombreuses le suivirent, de la Galilée et de Jérusalem et de la Judée, et il en guérit beaucoup. Et des démons sortaient de beaucoup, criant et disant : " Tu es le Fils de Dieu. " Et il les réprimandait, pour qu’ils ne le rendent pas célèbre.

Et il monta dans la montage et il appela ses disciples, et il les enseignait.

Et il en choisit Douze, qu'il nomma aussi Envoyés : Simon qu'il nomma Pierre, et André son frère, et Jacques, celui de Zébédée, et Jean son frère, et Philippe, et Barthélémy, et Matthieu, et Thomas, et Jacques, celui d'Alphée, et Thaddée, et Simon le zélé, et Judas Iscarioth, qui, même, l'a trahi.

Et il vint dans la maison, et une foule nombreuse se réunit, et il les enseignait.

Et il dit en parabole :

" Voici que le semeur sortit pour semer sa semence. Et comme il semait, de l’une tomba le long du chemin, et les oiseaux la mangèrent. Et de l'autre tomba sur la pierre, et elle leva et sécha, parce qu’elle n’avait pas de racines. Et de l'autre tomba dans les épines, et les épines ont monté et l'ont étouffée. Et de l'autre tomba dans la bonne terre, et elle donna du fruit au centuple. " Et il criait : " Qui a des oreilles pour entendre, qu'il entende. "

Et ses disciples l'interrogèrent sur la parabole. Et il dit : " A vous il a été donné de connaître les mystères du royaume de Dieu, mais à ceux-là c’est en paraboles, afin que, regardant, ils ne regardent pas et qu'entendant, ils ne comprennent pas. "

Et telle est la parabole du semeur. Ceux qui sont le long du chemin sont ceux qui ont entendu, puis vient l’Adversaire, et il enlève ce qui a été semé dans leur coeur. Ceux sur la pierre sont ceux qui entendent la parole et la reçoivent avec joie, mais ils n’ont pas de racine et ils sont d'un moment, et quand arrive l’épreuve ils succombent. Ce qui est tombé dans les épines, ce sont ceux qui ont entendu, mais ils sont étouffés par les soucis et la richesse, et ils ne donnent pas de fruit. Ce qui est tombé dans la bonne terre, ce sont ceux qui ont entendu la parole et l’ont reçue, et ils portent du fruit au centuple.

Prenez donc garde comment vous entendez. Car celui qui a, il lui sera donné, et celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera enlevé.

Et voici : sa mère et ses frères se tenaient dehors, cherchant à lui parler. Et on lui dit : " Voici : ta mère et tes frères se tiennent dehors et cherchent à te parler. " Lui, répondant, leur dit : " Qui est ma mère et qui sont mes frères ? " Et il tendit la main vers ses disciples et dit : " Voici ma mère et mes frères : car celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là m’est un frère et une soeur et une mère. "

Et il arriva, ce jour-là, qu’il monta dans une barque, lui et ses disciples. Et il leur dit : " Passons de l'autre côté. " Et voici : un grand tourbillon survint dans la mer, et la barque était couverte par les vagues. Et lui dormait. Et, s'étant approchés, ils l'éveillèrent, disant : " Maître, nous périssons. " Et, s’étant réveillé, il réprimanda les vents et la mer. Et il survint un grand calme. Et il leur dit : " Où est votre foi ? " Et ils furent dans la crainte, et ils s’étonnèrent, disant : " Quel est celui-ci, que même les vents et la mer lui obéissent ? "

Et ils vinrent de l'autre côté , au pays des Gergéséniens. Et vint à sa rencontre, sortant des tombeaux, un démoniaque très redoutable, au point que personne ne pouvait le lier. Et voici, il cria : " Que me veux-tu, fils de Dieu ? Je t'en conjure, ne me tourmente pas. " Or il y avait loin d'eux un troupeau de porcs en train de paître. Les†démons le suppliaient, disant : " Si tu nous chasses, envoie-nous dans les porcs. " Et il leur dit : " Allez. " Et†les démons, étant sortis, s'en allèrent dans les porcs, et voici : le troupeau bondit du haut de la falaise dans la mer, et ils périrent dans les eaux. Et ceux qui faisaient paître s'enfuirent, et, s'en étant allés à la ville, ils annoncèrent tout, et l’histoire du démoniaque. Et voici : toute la ville sortit à la rencontre de Jésus et, le voyant, ils le supplièrent de s'en aller de leur territoire. Et il monta en barque et il fit la traversée.

Et voici que vint un chef ; et il se prosterna devant lui et le supplia, disant : " Ma fille est tout juste morte ; mais viens, et qu'elle vive. " Et il le suivait.

Et voici : une femme atteinte d’un flux de sang depuis douze ans, s'approchant par derrière, toucha la frange de son vêtement. Et Jésus se retourna et dit : " Ma fille, ta foi t'a sauvée. "

Et il vint à la maison du chef, et il vit des pleureurs et du tumulte. Et il dit : " Ne faites pas de bruit, car la fillette n'est pas morte, mais elle dort. " Et ils se moquaient de lui. Et il entra, il saisit sa main, et la fillette s'éveilla. Et il ordonna que personne ne le sache.

Et il vint dans sa patrie, et il les enseigna dans la synagogue. Et ils étaient frappés et disaient : " D’où lui viennent cette sagesse et ces miracles ? N'est-il pas le fils du charpentier ? Sa mère ne s’appelle-t-elle pas Marie, et ses frères Jacques et José et Simon et Jude? " Et ils étaient choqués à son sujet. Et Jésus leur dit : " Un prophète n'est mésestimé que dans sa patrie. " Et il ne fit pas là beaucoup de miracles, à cause de leur incrédulité.

Et il parcourait les villes et les villages, enseignant et proclamant l'Évangile du Royaume.

Et, ayant appelé les Douze, il leur donna pouvoir sur les démons , et de guérir les maladies. Et il les envoya proclamer le Royaume de Dieu et guérir.

Et il leur dit : " Ne prenez rien pour la route, ni bâton, ni besace, ni argent, ni deux tuniques. Et en quelque maison que vous soyez entrés, demeurez là jusqu'à ce que vous sortiez. Et si l'on ne vous accueille pas, sortez de cette ville-là, et secouez la poussière de vos pieds, en attestation contre eux. "

Et Hérode le tétrarque entendit le renom de Jésus, et il était dit  " Celui-ci est Jean le Baptiste, et il a été réveillé des mort. "

Et les Envoyés revinrent et ils racontèrent à Jésus ce qu'ils avaient fait. Et il les prit et se replia vers un lieu désert à l'écart. Et les foules le surent et elles le suivirent. Et il les accueillit et leur annonça le royaume de Dieu, et il  guérit leurs malades.

Et le jour commença à décliner, et les disciples s'approchèrent et lui dirent : " Renvoie les foules, pour que, étant allés dans les villages, ils s'achètent de la nourriture, car nous sommes ici dans un lieu désert. Mais il leur dit : " Donnez-leur vous-mêmes à manger . " Mais ils dirent : " Il n'y a pas pour nous plus de cinq pains et deux poissons. " Car ils étaient environ cinq mille hommes. Et il leur dit : " Faites-les s'étendre. " Et il prit les cinq pains et les deux poissons, et il leva les yeux au ciel, et il dit la bénédiction et il les rompit et les donna aux disciples pour les présenter à la foule. Et ils mangèrent tous, et ils furent rassasiés, et ils ramassèrent ce qui restait des morceaux, douze couffins.

Et il s’en alla à l’écart pour prier.

Et il interrogea ses disciples, disant : " Qui disent les foules qu'est le Fils de l'Homme ? " Et ils dirent : " Jean le Baptiste, d'autres Elie, d'autres l’un des prophètes. " Et il leur dit : " Mais vous, qui dites-vous que je†suis ? " Et répondant, Pierre dit : " Tu es le Messie de Dieu. " Et il les réprimanda pour qu'ils ne disent cela à personne.

Et il leur dit : " Il faut au Fils de l’Homme beaucoup souffrir des anciens et des grands prêtres et des scribes, et être mis à mort, et le troisième jour se réveiller. "

Et il dit à ses disciples : " Si quelqu'un veut venir derrière moi, qu'il se renie et qu'il prenne sa croix et qu'il me suive. Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la sauvera. En quoi en effet un homme tire-t-il profit s'il gagne le monde entier mais ruine sa vie ? Car celui qui aura rougi de moi et de mes paroles, le Fils de l'Homme rougira de lui quand il viendra dans la gloire de son Père avec ses anges. En vérité je vous le dis : il en est d'ici présents qui ne goûteront pas la mort qu'ils n’aient vu le Fils de l'Homme venant en son royaume. "

Et après six jours, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et il monta sur la montage, à l’écart. Et son visage devint autre et ses vêtements blancs comme la lumière. Et voici : Moïse et Elie leur apparurent, s'entretenant avec lui. Et, prenant la parole, Pierre dit à Jésus : " Maître, il est bon que nous soyons ici ; et faisons trois tentes, une pour toi et une pour Moïse et une pour Elie. " Comme il parlait encore, voici : une nuée les mit sous son ombre ; et voici une voix, de la nuée, disant : " Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le. " Et, levant les yeux, ils ne virent personne, sinon lui, Jésus, seul.

Et comme ils descendaient de la montagne, une foule nombreuse vint à lui. Et voici : un homme le supplia, disant : " Maître, aie pitié de mon fils, parce qu'il est démoniaque et se porte mal. Et je l'ai apporté à tes disciples, et†ils n'ont pas pu le guérir. " Répondant, Jésus dit : " Ô génération incrédule et pervertie, jusques à quand serai-je avec vous ? jusques à quand vous supporterai-je ? Portez-le moi ici. " Et Jésus le réprimanda, et le démon sortit de lui, et l'enfant fut guéri.

Et comme les disciples étaient réunis en Galilée, il leur dit : " Le Fils de l'Homme va être livré aux mains des hommes. "

Et ils firent cette réflexion : " Qui d’entre eux est le plus grand ? " Et ayant appelé un petit enfant, il le plaça près de lui et leur dit : " Qui accueille ce petit enfant en mon nom m'accueille ; et qui m'accueille, accueille celui qui m'a envoyé. Car le petit parmi vous, celui-là est grand. "

Et s'étant levé de là, il vint dans le territoire de la Judée.

Et ils lui apportèrent des petits enfants pour qu'il les touche ; et les disciples les rabrouèrent. Mais Jésus dit : " Laissez les petits enfants venir à moi et ne les empêchez pas ; car c'est à de tels qu'est le royaume des cieux. En†vérité, je vous le dis, qui n'accueillera pas le royaume de Dieu comme un petit enfant n'y entrera pas. "

Et un homme l'interrogea, disant : " Bon maître, que ferai-je pour que j'hérite de la vie éternelle ? " Et Jésus lui dit : " Pourquoi m’appelles-tu bon ? Nul n’est bon sinon Dieu seul. Tu connais les commandements : tu ne tueras pas, tu ne commettras pas d'adultère, tu ne voleras pas, tu ne porteras pas de faux témoignage, honore ton père et ta mère. " Et il lui dit : " Tout cela, je l'ai gardé dès la jeunesse. " Et Jésus lui dit : " Une chose encore te manque : va,†vends ce que tu as et donne-le à des pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux ; et viens, suis moi. " Mais lui, ayant entendu cela, s’en alla attristé, car il possédait de grands biens.

Et Jésus dit : " Un riche entrera difficilement dans le royaume des cieux. Car il est plus facile à un chameau d'entrer par un trou d'aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu. " Et, ayant entendu, ils dirent : " Et†qui peut être sauvé ? " Et Jésus dit : " Les choses impossibles pour les hommes sont possibles pour Dieu. "

Et Pierre lui dit : " Voici que nous, nous avons tout quitté et nous t’avons suivi. " Et Jésus leur dit : " Amen, je vous dis qu’il n’est personne qui aura quitté maison ou frères ou sœurs ou père ou mère ou enfants à cause du royaume de Dieu qui ne reçoive de nombreuses fois autant, et il héritera de la vie éternelle. "

Et il prit avec lui les Douze et il leur dit : " Voici que nous montons à Jérusalem et le Fils de l'Homme sera livré aux païens, et ils le bafoueront et ils le flagelleront et ils le tueront, et le troisième jour il se réveillera. "

Et comme ils passaient par Jéricho, une foule nombreuse le suivit. Et voici qu’un aveugle était assis au bord de la route. Ayant entendu que Jésus le Nazaréen passait, il cria, disant : " Jésus, Fils de David, aie pitié de moi. " Et†beaucoup le réprimandaient pour qu’il se taise, mais il criait plus fort, disant : " Fils de David, aie pitié de moi. " Et Jésus s’arrêta, l'appela et dit : " Que veux-tu que je fasse pour toi ? " Et il lui dit : " Seigneur, que je voie. " Et†Jésus lui dit : " Vois. " Et aussitôt il vit, et il le suivit.

Et quand ils approchèrent de Bethphagé, au mont des Oliviers, il envoya deux de ses disciples, disant : " Allez au village d'en face, et aussitôt vous trouverez un ânon attaché. Et l'ayant détaché, amenez-le moi. Et si l'on vous dit quelque chose, vous direz que le Seigneur en a besoin. " Et s'en étant allés, les envoyés trouvèrent comme il avait dit, et ils amenèrent l'ânon, et ils mirent sur lui leurs manteaux, et Jésus s'assit sur lui. Et ceux de la foule étendirent leurs manteaux sur la route. Et les foules criaient, disant : " Hosanna au Fils de David. Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. Hosanna dans les hauteurs. " Et quelques scribes furent indignés et lui dirent : " Rabbi, réprimande tes disciples. " Mais Jésus leur dit : " Je vous le dis, si ceux-là se taisent, les pierres crieront. "

Et il entra dans le Temple et il chassa ceux qui vendaient, leur disant : " Il est écrit : "Ma maison sera appelée maison de prière", mais vous, vous en faites un repaire de brigands. " Et pendant les jours il enseignait dans le Temple. Et les grands prêtres et les scribes cherchaient à le perdre. Mais ils ne trouvaient pas comment faire, car toute la foule était saisie en l'écoutant. Et pendant les nuits, il sortait vers le Mont des Oliviers, et là il bivouaquait.

Et comme il enseignait dans le Temple, les grands prêtres et les anciens s'approchèrent et lui dirent : " Par†quelle autorité fais-tu cela, et qui t'a donné cette autorité ? " Et, répondant, Jésus leur dit : " Je vous demanderai moi aussi une seule chose, et dites-la-moi : le baptême de Jean, était-il du ciel ou des hommes ? " Mais eux raisonnaient en eux-mêmes, disant : " Si nous disons : du ciel, il dira : pourquoi n'avez-vous pas cru en lui ? Mais si nous disons : des hommes, nous craignons la foule, car tous tiennent Jean pour un prophète. " Et, répondant à Jésus, ils dirent : " Nous ne savons pas. " Et Jésus leur dit : " Moi non plus je ne vous dis pas par quelle autorité je†fais cela. "

Et il leur dit une parabole : " Un homme planta une vigne et il la loua à des vignerons et il partit pour l'étranger. Et, à la saison, il envoya vers les vignerons un serviteur afin de recevoir ses fruits. Et les vignerons le battirent et le renvoyèrent à vide. Et de nouveau, il envoya vers eux un autre serviteur ; celui-ci aussi, ils le frappèrent à la tête et le couvrirent d'outrages. Et il en envoya un autre ; celui-là aussi, ils le blessèrent et ils le jetèrent dehors. Et il envoya son fils, disant : "Ils auront des égards pour mon fils." Mais, en le voyant, les vignerons se dirent entre eux : "C'est l'héritier, tuons-le, et l'héritage sera à nous." Et ils le jetèrent hors de la vigne et ils le tuèrent. Que leur fera donc le seigneur de la vigne ? " Ils lui dirent : " Il fera périr ces vignerons et louera la vigne à†d’autres. " Et il leur dit : " N'avez-vous pas lu ce qui est écrit : La pierre qu'avaient rejetée les bâtisseurs est devenue pierre de faite ? " Et les grands prêtres et les scribes entendirent la parabole, et ils comprirent qu'il parlait d'eux, et ils cherchèrent à l'arrêter, et ils craignirent la foule.

Et, lui tendant un piège, ils envoyèrent leurs disciples, avec les Hérodiens, disant : " Rabbi, nous savons que tu parles avec franchise et que tu enseignes avec vérité la voie de Dieu, et que tu n'exaltes pas le visage des hommes. Est-il permis ou non de donner l'impôt à César ? " Mais Jésus, connaissant leur fourberie, dit : " Montrez-moi la monnaie de l'impôt. De qui est cette effigie et l'inscription ? " Et ils disent : " De César. " Et il leur dit : " Rendez donc ce qui est à César, à César, et ce qui est à Dieu, à Dieu. " Et, entendant, ils furent étonnés, et, le laissant, ils s’en allèrent.

Et, s'étant approchés de lui, des sadducéens, qui disent qu'il n'y a pas de résurrection, l'interrogèrent, disant : " Rabbi, Moïse a dit : si quelqu'un meurt, n'ayant pas d'enfant, son frère prendra sa femme et suscitera une postérité à son frère. Il y avait donc sept frères. Et le premier, ayant pris femme, mourut sans enfant. Pareillement, et†le deuxième, et le troisième, jusqu'aux sept. Et finalement, la femme aussi mourut. La femme donc, à la résurrection, duquel des sept sera-t-elle femme ? Tous, en effet, l'ont eue. " Et Jésus leur dit : " Lors de la résurrection, ni ils ne se marient ni elles ne sont épousées, mais ils sont comme des anges dans le ciel. Et quant aux morts, qu’ils se réveillent, n'avez-vous pas lu ce qui fut dit par Moïse, au Buisson, quand il appelle le Seigneur "le†Dieu d'Abraham, et le Dieu d'Isaac, et le Dieu de Jacob". Il n'est pas un Dieu de morts, mais de vivants. "

Et un scribe l'interrogea pour le mettre à l'épreuve, disant : " Rabbi, quel commandement est grand dans la Loi ? " Et il lui dit : " Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme et de tout ton esprit, et ton prochain comme toi-même. " Et certains des scribes dirent : " Rabbi, tu as bien dit. " Et ils n’osaient plus l’interroger sur rien.

Et il leur dit : " Comment dit-on que le Messie est fils de David ? Car David lui-même, dans l’Esprit, a dit : "Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Siège à ma droite, jusqu'à ce que j'aie mis tes ennemis dessous tes pieds." David†donc l'appelle Seigneur, et comment est-il son fils ? "

Et les foules l'écoutant, il dit aux disciples : " Méfiez-vous de ceux des scribes qui se plaisent à circuler en toge, et qui aiment les salutations sur les places publiques et les premiers sièges dans les synagogues et les premiers divans dans les festins. "

Et certains lui faisaient voir les constructions du temple, et il dit : " Ce que vous voyez, des jours viendront où il ne sera pas laissé pierre sur pierre qui ne sera détruite. " Et ils l’interrogeaient, disant : " Dis-nous quand cela sera, et quel est le signe lorsque cela va arriver ? "

Et Jésus dit : " Prenez garde que vous ne soyez abusés. Car beaucoup viendront en mon nom, disant : "C’est†moi." Et ils en abuseront beaucoup. Et quand vous entendrez parler de guerres et d’émeutes, ne soyez pas effrayés; car il faut que cela arrive, mais ce n'est pas encore la fin. Car se dressera nation contre nation et royaume contre royaume, et il y aura des tremblements de terre selon les lieux et des famines. "

" Et ils mettront la main sur vous et vous livreront aux synagogues, et vous serez menés devant des gouverneurs et des rois à cause de mon nom, en témoignage pour eux. Mais quand ils vous livreront, ne vous inquiétez pas de savoir comment ou quoi dire, car il vous sera donné à ce moment quoi dire. Car ce n’est pas vous qui parlerez, mais l’Esprit saint. Et le frère livrera son frère à la mort, et le père son enfant, et des enfants se lèveront contre leurs parents. Et ils mettront à mort certains d’entre vous ; et vous serez haïs de tous à cause de mon nom. Mais celui qui aura tenu ferme jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé. "

" Et quand vous verrez Jérusalem entourée de campements, alors sachez que sa désolation est proche. Alors,†que ceux de Judée fuient dans les montagnes ; et que celui qui sera sur la terrasse ne descende pas prendre ses affaires dans la maison ; et que celui qui sera aux champs ne retourne pas en arrière. Mais malheur à celles qui sont enceintes et à celles qui allaitent en ces jours-là. Car il y aura une grande détresse sur la terre et une colère contre ce peuple. "

" Et il y aura des signes dans le soleil et la lune et les étoiles, car les puissances des cieux seront ébranlées. Et alors ils verront le Fils de l'Homme venant dans une nuée avec puissance et grande gloire. "

" Or du figuier apprenez la parabole : quand déjà son branchage devient tendre et que ses feuilles poussent, vous savez que l'été est proche. De même, vous aussi, quand vous verrez tout cela, sachez qu’est proche le royaume de Dieu. "

" En vérité je vous le dis : cette génération ne passera pas avant que tout soit arrivé. Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas. "

" Prenez garde, restez en état de veille à tout moment. "

Or la Pâque approchait, et les grands prêtres et les scribes cherchaient par quel moyen ils le feraient mourir, car ils craignaient le peuple.

Et le nommé Judas Iscarioth s'en alla auprès des grands prêtres et il parla du moyen de le leur livrer. Ceux-ci convinrent de lui donner de l’argent. Et il cherchait une occasion pour le livrer.

Et arriva le premier (jour) des azymes, et ses disciples lui dirent : " Où veux-tu que nous préparions pour toi de quoi manger la Pâque ? " Et il dit : " Allez dans la ville, chez Un Tel, et dites-lui : " Le Maître dit : Chez toi je fais la Pâque avec mes disciples. " Et ils allèrent à la ville comme il leur avait dit, et ils préparèrent la Pâque.

Et lorsque l’heure fut arrivée il se mit à table, et les Douze avec lui.

Et pendant qu’ils mangeaient, ayant pris du pain et ayant prononcé la bénédiction, il le rompit et le leur donna, disant : " Ceci est mon corps. " Et ayant pris une coupe et ayant rendu grâces, il dit : " Ceci est mon sang de†l'Alliance qui est répandu pour beaucoup. Or je vous le dis, je ne boirai désormais de ce produit de la vigne jusqu'à ce jour-là où je le boirai, nouveau, dans le Royaume de Dieu. "

" Mais voici, la main de celui qui me livre est avec moi sur la table. Parce que le Fils de l’Homme part selon ce qui a été écrit, mais malheur à cet homme-là par qui le Fils de l’Homme est livré. " Et eux commencèrent à discuter entre eux lequel donc d’entre eux allait faire cela.

Pierre lui dit : " Seigneur, je suis prêt à aller avec toi et en prison et à la mort. " Et Jésus lui dit : " Je te le dis, le coq ne chantera pas aujourd’hui que trois fois tu ne m’aies renié. "

Et ayant chanté des psaumes, ils sortirent vers le mont des Oliviers.

Arrivé en ce lieu, il leur dit : " Asseyez-vous ici tandis que je prierai. " Et étant allé un peu en avant, il†tomba sur la face, priant et disant : " Père, si tu veux, emporte cette coupe loin de moi. Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux. " Et il vint vers ses disciples et les trouva assoupis et il dit : " Vous dormez ? Levez-vous et priez pour ne pas entrer en tentation. "

Comme il parlait encore, voici que vint Judas, l’un des Douze, et avec lui une foule, de la part des grands prêtres et des anciens ; et il s'approcha de Jésus et lui donna un baiser. Mais Jésus lui dit : " Pourquoi es-tu là ? " Et voici qu’un de ceux qui étaient avec Jésus frappa le serviteur du Grand Prêtre et lui arracha l'oreille. Et Jésus dit : " Cela suffit. " Et prenant la parole, il dit aux foules : " Comme contre un brigand vous êtes sortis avec glaives et bâtons. Et chaque jour j'étais avec vous dans le Temple et vous ne vous êtes pas emparés de moi. "

Mais eux, s'étant emparés de Jésus, l'emmenèrent chez le Grand Prêtre. Et Pierre le suivait de loin. Il entra dans la cour et il était assis avec les valets.

Et une servante s’approcha et dit : " Toi aussi tu étais avec Jésus le Galiléen. " Mais il nia, disant : " Femme, je ne le connais pas. " Et un autre le vit et dit : " Toi aussi tu es d'entre eux. " Mais Pierre déclara : " Homme, je n’en suis pas. " Et un peu après un autre disait : " Amen, celui-ci était aussi avec lui, et en effet il est Galiléen. " Mais Pierre dit : " Homme, je ne connais pas ce que tu dis". Et aussitôt un coq chanta. Et Pierre se souvint de la parole que Jésus lui avait dite : " Avant qu'un coq chante aujourd’hui, tu m'auras renié trois fois. " Et il sortit dehors et il pleura amèrement.

Et les hommes qui le gardaient se jouèrent de lui et le frappèrent, et l'ayant couvert d'un voile, ils l’interrogeaient, disant : " Fais-nous le prophète. Quel est celui qui t'a frappé ? "

Et quand le jour fut arrivé, se réunit l'assemblée des anciens du peuple, des grands prêtres et des scribes, et ils l'emmenèrent au Sanhédrin. Et ils cherchaient un témoignage contre lui, pour le livrer au gouverneur. Et ils l’interrogèrent, disant : " Si tu es le Messie, le Fils de Dieu, dis-le nous. " Et il leur dit : " Vous dites que je le suis. Mais dorénavant le Fils de l'Homme sera siégeant à la droite de la puissance de Dieu. " Mais ils dirent : " Qu'avons-nous encore besoin de témoignage ? Car nous-mêmes avons entendu de sa bouche. " Et, s'étant levés, ils le menèrent devant Pilate.

Et Pilate l’interrogea, disant : " Tu es le roi des Juifs ? " Mais lui, lui répondant, déclara : " Tu le dis. " Et les grands prêtres et les anciens l’accusaient. Et Pilate l'interrogea de nouveau, mais il ne lui répondit rien.

Et à chaque fête il leur relâchait un prisonnier. Pilate leur dit : " Voulez-vous que je vous relâche le roi des Juifs ? " Or les foules s'écrièrent : " Relâche-nous Barabbas. " Et Pilate leur dit : " Que ferai-je de celui que vous appelez Messie ? " Et tous crièrent : " Qu'il soit crucifié ! " Et il déclara : " Qu'a-t-il donc fait de mal ? " Mais eux, plus fort, criaient : " Qu'il soit crucifié ! " Et Pilate leur relâcha Barabbas. Quant à Jésus, il le livra pour qu'il fût crucifié.

En sortant, ils trouvèrent un certain Simon, de Cyrène, et ils lui imposèrent la croix à porter.

Et ils parvinrent à un lieu dit Golgotha. Et ils le crucifièrent. Et ils partagèrent ses vêtements en tirant au sort. Et il y avait une inscription sur lui : " Celui-ci est le roi des Juifs. " Et ils crucifièrent avec lui deux brigands, l'un à droite et l'autre à gauche. Et les passants l'injuriaient. Et se jouaient aussi les chefs, disant : " Il en a sauvé d'autres, qu'il se sauve lui-même, s'il est le Messie de Dieu. " Les brigands aussi qui étaient crucifiés avec lui l'insultaient.

Et quand ce fut la sixième heure, l'obscurité se fit sur le pays tout entier jusqu'à la neuvième heure. Mais†Jésus, ayant jeté un grand cri, expira. Et le rideau du Temple se déchira en deux, du haut en bas. Mais le chef de cent, ayant vu ce qui était arrivé, dit : " Vraiment cet homme était juste. " Et il y avait là, regardant de loin, des femmes qui avaient suivi Jésus depuis la Galilée, parmi lesquelles Marie de Magdala, et Marie, mère de Jacques et†José.

Et voici un homme d’Arimathie, dont le nom était Joseph, qui attendait le royaume de Dieu. Celui-ci s’approcha de Pilate et réclama le corps de Jésus. Et il le descendit et le roula dans un linceul et le posa dans un tombeau neuf taillé dans le roc. Et Marie de Magdala et l’autre Marie regardèrent le tombeau où il avait été mis.

Et, après le sabbat, le premier jour de la semaine, à l’aurore, Marie de Magdala et Marie de Jacques vinrent à la tombe. Et voilà : la pierre avait été roulée hors du tombeau. Et elles entrèrent, et elles virent un homme assis en vêtement blanc. Et elles eurent peur. Mais il leur dit : " N'ayez pas peur. Vous cherchez Jésus le crucifié. Il n'est pas ici, mais il s'est éveillé, comme il l'avait dit étant en Galilée. " Et elles s'en allèrent du tombeau, avec peur, et elles annoncèrent cela aux disciples.

 

***

Mais revenons au temps de la première rencontre de Paul avec Pierre et Jacques, à Jérusalem, en l’an 39. Lorsqu’ils se séparent, Paul connaît certainement " l’évangile oral ", mais probablement aussi " l’évangile (écrit) de Jérusalem. "

 

Ch. III : LA PREMIÈRE ÉVANGÉLISATION DES PAÏENS

Résumé

Une persécution fait fuir hors de Jérusalem les disciples de langue grecque. Ils s’en vont jusqu’à Antioche et y fondent une église ; là, de nombreux païens deviennent chrétiens.

Pierre s’en vient à Césarée, et des païens qu’on appelle " Craignant Dieu " (à leur tête : Corneille) se font baptiser. Pour ces derniers, une catéchèse écrite s’avère indispensable. C’est très probablement dans les passages absents de Marc, mais présents en Matthieu et en Luc (ce que les savants appellent la " Quelle ") que réside cette catéchèse : l’évangile des Craignant Dieu, remarquable par ses caractéristiques nettement universalistes.

Paul et Barnabé partent d’Antioche pour l’Asie Mineure ; ils y fondent des communautés ; au retour, ils se réjouissent de ce que " Dieu avait ouvert aux païens la porte de la foi " (Ac 14,27). Afin de ne pas courir en vain, ils se rendent à Jérusalem (vers 49-50) pour y rencontrer les " colonnes ", Pierre, Jacques et Jean, qui leur tendent la main en signe de communion (Galates 2).

 

1 - L’AUDACE À ANTIOCHE DE SYRIE (Ac 11,19-26)

Quand Paul, après sa rencontre avec Pierre et Jacques, quitte Jérusalem, il songe encore au persécuteur qu’il y avait été quelques années auparavant (Ga 1,13 ; 1 Co 15,9 ; Ac 8,1 ; 9,1). À cause même de la persécution, des disciples ont fui (Ac 8,1-4) ; certains arrivent à Antioche de Syrie et annoncent aussi à des Grecs, à des non-juifs, la Bonne Nouvelle de Jésus (Ac 11,19-20). Ainsi commence l’évangélisation du monde païen, et Paul est très tôt associé à cette œuvre (Ac 11,25-26) ; il l’est par Barnabé, envoyé de l’église de Jérusalem ; celle-ci a donc conscience d’avoir un droit de regard sur une communauté nouvelle (Ac 11,22).

À ces nouveaux croyants attachés à la personne du Christ fut donné, probablement comme sobriquet par ceux qui restèrent païens, le nom de " chrétiens " (adeptes du Christ, Ac 11,26).

 

2 - LA CONVERSION DE CORNEILLE
ET DES CRAIGNANT-DIEU À CÉSARÉE (Ac 10)

Après la persécution, l’Église vit en paix (Ac 9,31), et Pierre parvient à Césarée où l’accueillent Corneille, centurion romain, et sa maisonnée (Ac 10,24). Ces gens sont des païens qui, sans se faire circoncire, adoptent la foi et la morale juives. On les appelle les " Craignant Dieu " (Ac 10,2). Pierre leur expose la Bonne Nouvelle de la paix par Jésus-Christ, lui qui est le Seigneur de tous les hommes (Ac 10,34-43). Son discours est semblable à ce qu’il a proclamé dès la Pentecôte devant les juifs de Jérusalem, alors que l’Esprit Saint a rempli les cœurs des Apôtres (Ac 2,4) et bouleversé ceux des auditeurs (Ac 2,37). Il en est de même à Césarée (Ac 10,44) et Pierre ordonne de baptiser ceux sur qui tombe l’Esprit Saint (Ac 10,48).

Lorsqu’il revient à Jérusalem, Pierre se voit reprocher par les disciples issus du judaïsme d’avoir mangé avec des incirconcis. Ces chrétiens de Jérusalem croient encore que toutes les observances de la Loi mosaïque, que Jésus n’avait pas explicitement abolies, restent nécessaires pour entrer dans la communauté du salut. Pierre se justifie en relatant les faits et en soulignant leur origine divine (Ac 11,1-18). Dans son apologie, Pierre affirme que la foi en Jésus-Christ a suffi pour que le don de l’Esprit Saint leur soit accordé et qu’ils trouvent ainsi le chemin de la vie (Ac 11,17-18). Plus tard, il dira : " Dieu a purifié leurs coeurs par la foi " (Ac 15,9).

Le salut par grâce, moyennant la foi (Ep 2,8), telle est la donnée essentielle que mettent en relief les expériences déjà vécues. Nous la retrouverons tout au long de l’évangélisation accomplie par les apôtres avant l’an 70.

 

3 - LA CATÉCHÈSE DES CRAIGNANT-DIEU

Les Craignant Dieu de Césarée ont soif de vérité ; mais ils n’appartiennent pas à la nation juive. " L’évangile de Jérusalem " est trop lié à l’espérance nationale d’Israël, réalisée en Jésus, " fils de David " ; il ne peut répondre pleinement à leurs aspirations. Il leur faut une catéchèse appropriée. Dans quel ouvrage évangélique peut-on en retrouver les éléments ?

Tout donne à penser que cet ouvrage est constitué de l’ensemble des passages qui se lisent à la fois chez Matthieu et chez Luc et qui sont absents chez Marc. Nous relevons bien des similitudes entre le récit de la conversion de Corneille (Ac 10,1-48) et celui de la guérison accordée au centurion de Capharnaüm, récit absent de Marc, mais qu’on lit précisément en Luc 7,1-10 et Matthieu 8,5-13.

Nous constatons que bon nombre d’épisodes relatés à la fois et exclusivement par Matthieu et par Luc dévoilent l’universalisme du message de Jésus. Cette catéchèse rassemblait, entre autres, des paroles de Jésus où des non-juifs étaient présentés en modèle : les Ninivites ou la reine de Saba (Mt 12,41-42 = Lc 11,31-32), le juste Noé (Mt 24,37-39 = Lc 17,26-27), et même les villes de Tyr et de Sidon (Mt 11,21 = Lc 10,13).

Dieu y était présenté, non pas d’abord comme le Dieu d’Israël, mais comme le Créateur de la nature (Mt 10,29-30 = Lc 12,6-7 ; Mt 6,26-30 = Lc 12,24-28). On insistait sur le commandement d’aimer même ses ennemis (Mt 5,44 = Lc 6,27), on résumait la loi morale par la " règle d’or ", accessible à tout homme : " Comme vous voulez que vous fassent les hommes, faites de même pour eux " (Mt 7,12 = Lc 6,31). On rappelait que Jésus avait prédit l’entrée dans le royaume de gens " venus du Levant et du Couchant " (Mt 8,11 = Lc 13,29). Et on donnait en modèle le centurion de Capharnaüm, dont la foi était si grande (Mt 8,5-13 = Lc 7,1-10).

Enfin, cette catéchèse est empreinte d’un idéal moral et spirituel que recherchaient les Craignant Dieu et qui les avait rapprochés de la religion juive. Il leur est proposé de vivre sous le regard du Père, d’aimer leurs ennemis, de rechercher la pureté intérieure, de fuir l’idolâtrie de l’argent, de pratiquer le pardon des offenses, de préférer l’amour du Christ à toute affection humaine, d’être même prêts à prendre leur croix et à perdre leur vie, d’attendre sans défaillance l’avènement du Fils de l’Homme, Seigneur et Juge de tous.

L’étude de cette catéchèse a été menée notamment dans les ouvrages suivants :

- Les Premiers évangiles (1984), pp. 170-183.

- L’Origine et la date des évangiles (1994), pp. 41-43.

L’existence de ce document est reconnue par la grande majorité des chercheurs, depuis le dix-neuvième siècle. Les savants allemands lui ont donné le nom de " Quelle ", ce qui veut dire " Source " en allemand. On la désigne par le sigle Q. Les critiques les plus radicaux reconnaissent que cette source fut rédigée avant l’année 50. Peut-être existait-elle déjà vers l’an 40. Alors que " l’évangile de Jérusalem " est un récit suivi de ce que Jésus a fait et enseigné, la " Quelle " en est un heureux complément catéchétique.

On en parle généralement sous le nom de " double tradition ", pour la distinguer de la " triple tradition " (ce qui est attesté chez Matthieu, Marc et Luc). Nous lui donnerons plutôt le nom suivant : " évangile des Craignant Dieu ". Différents indices linguistiques permettent d’y reconnaître la marque de Pierre, qui a fondé la communauté de Césarée. Cette source a probablement été confiée à l’helléniste Philippe (Ac 6,5 ; 8,5), dont la présence est signalée deux fois à Césarée (Ac 8,40 ; 21,8), avec le titre d’Évangéliste.

 

4 - LE PREMIER VOYAGE MISSIONNAIRE DE PAUL ET BARNABÉ (Ac 13,1 - 14,28)
L’ASSEMBLÉE DE JÉRUSALEM (Ac 15 ; Ga 2,1-10)

Revenons à Paul. Dans le témoignage autobiographique que nous avons lu (notre chapitre I), l’Apôtre affirme être allé dans les contrées de Syrie et de Cilicie (Galates 1,21). Dans la suite du texte (Ga 2,1), il atteste être monté à Jérusalem " au bout de quatorze ans " (c’est-à-dire, très probablement, la quatorzième année suivant sa conversion). Ces données de lieu et de temps permettent de situer les événements relatés par le livre des Actes aux chapitres 13 à 15.

À Antioche de Syrie, la communauté était dirigée par un groupe de responsables désignés sous le nom de " prophètes et didascales (= enseignants) ", dont faisaient partie Barnabé et Paul (encore appelé Saoul). Alors que ceux-ci célébraient le culte du Seigneur, l’Esprit Saint leur adresse une prophétie : Barnabé et Saoul doivent partir en mission (Ac 13,1-3). Ceux-ci naviguent d’abord vers Chypre, puis se rendent en Pisidie, dans le sud de l’actuelle Turquie, s’adressant d’abord aux juifs (discours de Paul en Ac 13,16-43). Certains d’entre eux rejettent les apôtres ; ceux-ci se tournent alors vers les païens. À ces derniers, " Dieu ouvrit la porte de la foi " (Ac 14,27). C’est par ces mots que Paul et Barnabé rapportent à l’église d’Antioche ce que Dieu avait fait avec eux au cours de ce premier voyage missionnaire (Ac 13,4 - 14,28). Paul se vit confirmé dans sa vocation : révéler le Fils de Dieu aux païens (Ga 1,16).

Dans son témoignage autobiographique (Galates 2,1-10), Paul nous fait part de ce qui est alors advenu :

Ensuite, au bout de quatorze ans, je montai de nouveau à Jérusalem avec Barnabé, et je pris aussi Tite avec moi. J’y montai à la suite d’une révélation ; et je leur exposai l’Évangile que je prêche parmi les païens ; je l’exposai en particulier à ceux qui sont les plus considérés, de peur de courir ou d’avoir couru en vain.

Eh bien ! de Tite lui-même, mon compagnon qui était grec, on n’exigea pas qu’il se fît circoncire ; ç’aurait été à cause des faux frères, intrus qui se sont glissés pour épier la liberté que nous avons en Jésus Christ, afin de nous réduire en servitude. Nous ne leur avons pas cédé un instant, refusant de nous placer sous leur dépendance, afin que la vérité de l’Évangile fût maintenue à votre intention. Quant à ceux que l’on tient pour notables – ce qu’ils étaient alors, peu importe, Dieu ne fait point acception de personnes – à mon Évangile, en tout cas, ces hommes si estimés n’imposèrent rien de plus.

Au contraire, voyant que l’évangélisation des incirconcis m’était confiée, comme à Pierre celle des circoncis – car Celui qui avait agi en Pierre pour l’apostolat des circoncis, avait pareillement agi en moi en faveur des païens – et, reconnaissant la grâce qui m’avait été accordée, Jacques, Céphas et Jean, considérés comme des colonnes, nous tendirent la main, à moi et à Barnabé, en signe de communion, afin que nous allions vers les païens et eux vers les circoncis. Nous devions seulement continuer de nous souvenir des pauvres, ce que j’ai eu bien soin de faire. "

C’est ainsi que vers les années 49-50, Pierre, Paul et Jacques (avec Jean) se rencontrent à nouveau, dix ans environ après le premier contact de l’an 39 (notre chapitre I). Leur " communion " consiste en leur accord sur une question épineuse : le salut est obtenu moyennant la foi en Jésus Christ, sans qu’il soit nécessaire d’observer les coutumes nationales données à Israël par Moïse, en particulier la circoncision (Ga 2,3 ; Ac 15,1). Cela ne veut pas dire, bien sûr, que les croyants venus du paganisme n’ont pas à observer le Décalogue et les autres lois morales de l’Ancien Testament. Paul est très clair sur ce point : " La circoncision n’est rien, et l’incirconcision n’est rien ; ce qui compte, c’est de garder les commandements de Dieu " (1 Co 7,19).

***

Il nous est maintenant possible de compléter, en y intégrant la " Quelle ", le schéma généalogique des évangiles de Matthieu, Marc et Luc.

 

GÉNÉALOGIE PLUS PRÉCISE DES ÉVANGILES SYNOPTIQUES

ÉVANGILE SÉMITIQUE

(Jérusalem)

* *

* *

* *

* *

* QUELLE *

* SOURCE DES *

* CRAIGNANT-DIEU *

* (Césarée) *

PRÉ-MATTHIEU ° ° PRÉ-LUC

(Antioche) ° ° (évangile de Paul)

* * ° ° * *

* * ° ° * *

* ° * * ° *

* ° * * ° *

MATTHIEU GREC MARC LUC 

Comme les Craignant Dieu de Césarée, les païens d’Antioche avaient besoin d’une catéchèse rédigée en grec. C’est à leur intention que l’évangile primitif de Jérusalem fut traduit et complété, en puisant dans la tradition orale. C’est le Pré-Matthieu.

Les territoires que Paul évangélisait étaient eux aussi de langue grecque. Paul disposait de l’évangile hébreu de Jérusalem, et il le fit peu à peu traduire et compléter, sans doute avec l’aide du nouveau compagnon qui remplaça Barnabé à ses côtés après l’Assemblée de Jérusalem : Silas, appelé aussi Silvain, qui était un membre éminent de l’église de Jérusalem (Ac 15,22.27.32.40). C’est le Pré-Luc.

 

COMPLÉMENT
Distinction entre la triple tradition et la double tradition

(les doublets de Matthieu et de Luc)

Il est facile de montrer que Matthieu et Luc ont connu par deux voies différentes la triple tradition (ce qu’ils ont en commun avec Marc) et la double tradition (ce qu’ils sont seuls à attester ensemble).

On trouve en effet chez Matthieu et chez Luc deux fois la même parole de Jésus (doublets) : une première fois sous la même forme et dans le même ordre que Marc (A, B, C, D), une seconde fois sous une autre forme ignorée de Marc (a, b, c, d), comme le montre le tableau suivant :

A) À QUI A, ON DONNERA Mc 4,25 Mt 13,12 Lc 8,18

B) PORTER SA CROIX Mc 8,34 Mt 16,24 Lc 9,23

C) PERDRE SA VIE Mc 8,35 Mt 16,25 Lc 9,24

D) TRÉSOR DANS LE CIEL Mc 10,21 Mt 19,21 Lc 18,22

d) Trésor dans le ciel Mt 6,20 Lc 12,33

b) Porter sa croix Mt 10,38 Lc 14,27

c) Perdre sa vie Mt 10,39 Lc 17,33

a) À qui a, on donnera Mt 25,29 Lc 19,26

Matthieu et Luc n’insèrent pas les éléments de leur deuxième source (la Quelle) au même endroit par rapport à l’ordre qu’ils ont en commun avec Marc, ce qui montre l’existence de deux sources distinctes.

d) Trésor dans le ciel Mt 6,20

b) Porter sa croix Mt 10,38

c) Perdre sa vie Mt 10,39

A) À QUI A, ON DONNERA Mc 4,25 Mt 13,12 Lc 8,18

B) PORTER SA CROIX Mc 8,34 Mt 16,24 Lc 9,23

C) PERDRE SA VIE Mc 8,35 Mt 16,25 Lc 9,24

d) Trésor dans le ciel Lc 12,33

b) Porter sa croix Lc 14,27

c) Perdre sa vie Lc 17,33

D) TRÉSOR DANS LE CIEL Mc 10,21 Mt 19,21 Lc 18,22

a) À qui a, on donnera Lc 19,26

a) À qui a, on donnera Mt 25,29

Nous en resterons là, pour l’instant, en ce qui concerne la généalogie de Mt, Mc, Lc.

Nous reviendrons plus tard sur la date de la rédaction de ces trois premiers évangiles.

 

Ch. IV : PAUL DEVIENT ÉCRIVAIN :

LES DEUX LETTRES AUX THESSALONICIENS

Résumé

Lors d’un deuxième voyage missionnaire, Paul passe en Macédoine. Il y fonde des églises (notamment à Philippes et à Thessalonique). Puis il les quitte pour aller jusque en Grèce. Ayant été chassé de Thessalonique et n’ayant pas pu y instruire longuement les croyants, il complète ses enseignements oraux dans des lettres par lesquelles il se rend présent de façon plus durable.

Dans les deux plus anciennes lettres de Paul, les épîtres aux Thessaloniciens, nous trouvons des aperçus sur la fondation et la vie d’une communauté, et des propos sur l’Avènement du Seigneur.

 

1 - LE DEUXIÈME VOYAGE MISSIONNAIRE DE PAUL (Ac 15,36 - 18,22)

Après un temps passé à Antioche de Syrie, Paul décide de visiter les frères dans les communautés qu’il a fondées. Se séparant de Barnabé, il s’adjoint Silas, venu de Jérusalem selon Ac 15,22, et nommé aussi Silvain. L’Apôtre entreprend son deuxième voyage missionnaire (Ac 15,36 - 18,22). Il s’associe en chemin le jeune Timothée (Ac 16,3) et, sur un signe du Ciel, passe en Macédoine (l’auteur des Actes fait alors partie du groupe qui accompagne l’Apôtre, Ac 16,10) ; il fonde la communauté de Philippes (Ac 16,11-40) et celle de Thessalonique (Ac 17,1-9). Des juifs lui font opposition et il s’enfuit vers Bérée (Ac 17,10-14). Une nouvelle persécution l’oblige à partir pour Athènes (Ac 17,15).

Pour la première fois, Paul s’adresse à Athènes à l’élite intellectuelle du monde grec. Mais cette tentative de gagner des sages par leurs propres armes se solde par un échec (Ac 17,16-34).

L’Apôtre se rend à Corinthe (Ac 18,1), où il demeurera dix-huit mois (Ac 18,11). Il se lie avec un couple juif, Aquila et sa femme Priscille, qui venaient de quitter l’Italie à la suite d’un décret de l’empereur Claude (Ac 18,2). D’après l’historien latin Suétone, ce décret d’expulsion faisait suite à des troubles provoqués à Rome par un certain " Chrestus. " En réalité, c’est sans doute la division des juifs de Rome au sujet de l’identification de Jésus comme Christ qui avait dû provoquer des attroupements gênants pour la sécurité publique.

En l’an 41, selon le témoignage de l’historien Dion Cassius (mort vers 235), Claude avait interdit aux juifs de s’attrouper, mais il leur avait permis de garder leur mode de vie traditionnel et ne les avait pas expulsés. L’historien Orose, en l’an 418, parle de l’expulsion des juifs de Rome " en la neuvième année de Claude ", c’est-à-dire en 49. Les historiens discutent ce renseignement, car Orose dit s’appuyer sur un texte de Flavius Josèphe (37-100) dont nous n’avons pas gardé la trace. Mais la date de 49 est cohérente avec le reste du récit des Actes et doit être retenue.

En effet, au cours des 18 mois passés à Corinthe, Paul a comparu devant Gallion, frère de Sénèque le philosophe, qui fut proconsul de la Grèce (appelée alors Achaïe) pendant un peu moins d’un an (Ac 18,12-17). Une inscription, retrouvée à Delphes au début de notre siècle, permet de fixer au commencement de l’été 51 l’entrée en fonctions de Gallion. C’est donc entre l’été 51 et le printemps 52 que Paul a comparu devant lui. Cette date indiquée par l’histoire profane est bien précieuse pour la chronologie du Nouveau Testament.

C’est au début de son séjour à Corinthe, donc en 50 ou, plus probablement, en 51, que Paul a rédigé ses deux lettres aux Thessaloniciens.

 

2 - LES LETTRES AUX THESSALONICIENS
CONCORDANCE AVEC LE RÉCIT DES ACTES

Dans l’adresse de chacune de ces lettres, Paul joint à son nom ceux de Silvain et de Timothée ; en 2 Co 1,19 également, il rappelle aux Corinthiens qu’ils ont été évangélisés par Silvain, Timothée et lui-même. Ceci concorde avec le récit des Actes, selon lequel Silas et Timothée devaient rejoindre Paul au plus vite (Ac 17,15), et sont de fait arrivés à Corinthe peu de temps après l’installation de celui-ci dans la ville (Ac 18,5). En 1 Th 3,6, Paul fait mention de l’arrivée récente de Timothée auprès de lui.

Conformément au récit des Actes, Paul évoque dans sa première lettre les souffrances subies à Philippes (1 Th 2,2) avant son arrivée à Thessalonique, ainsi que l’opposition des juifs à sa prédication dans leur ville (1 Th 2,14-16). Dans les Actes (Ac 18,3) et dans les deux lettres (1 Th 2,9 ; 2 Th 3,8), il est question du travail manuel que Paul accomplissait pour gagner sa vie. Les deux lettres concordent donc parfaitement avec le début du séjour de Paul à Corinthe, tel que les Actes le décrivent.

Dans l’une et l’autre lettres, Paul exprime son souhait de revoir les Thessaloniciens. L’Apôtre laisse déborder son affection, celle d’une mère (1 Th 2,7), celle d’un père (1 Th 2,11).

Ainsi l’écrit prolonge l’entretien oral. Paul souligne que les Thessaloniciens ont accueilli l’enseignement des missionnaires " non comme une parole d’hommes, mais comme ce qu’elle est réellement, la Parole de Dieu " (1 Th 2,13). De même, les lettres de l’Apôtre doivent être reçues comme une Parole de Dieu : il faut s’attacher à leur enseignement comme on s’est attaché à la prédication orale (2 Th 2,15). Paul avait conscience de parler et d’écrire au nom de Dieu.

 

3 - L’ENSEIGNEMENT DES DEUX LETTRES AUX THESSALONICIENS

Paul ouvre sa première lettre par la mention de la foi, de l’espérance et de la charité (1 Th 1,3). Ces dispositions qui viennent de Dieu sont l’armure du chrétien (1 Th 5,8). Dans la deuxième lettre (2 Th 1,3-4), c’est la " persévérance " qui prend la place de l’espérance, car elle en est la manifestation.

Paul se plaît à nommer le Père, le Fils et l’Esprit Saint (1 Th 1,3-5 ; 2 Th 2,13-14). Il centre par ailleurs la vie nouvelle de ceux qu’il appelle " frères " sur le Christ Jésus, mort et ressuscité, et qui doit revenir en gloire.

C’est l’attente du retour du Christ qui constitue la motivation principale de l’appel à vivre de manière à plaire à Dieu et à se laisser sanctifier. La sainteté s’exprime avant tout par le respect du corps dans le mariage, par l’honnêteté, l’application au travail et l’amour fraternel (1 Th 4,1-12 ; 2 Th 3,6-12).

Dans la première lettre, Paul invite à l’attente du Jour du Seigneur. Il espère être encore présent sur terre lors de la venue glorieuse du Fils de Dieu (1 Th 4,15-17). Cependant, il précise que les temps et les moments nous demeurent inconnus (1 Th 5,1-3).

La première lettre n’a pas été bien comprise de certains de ses destinataires. Paul reviendra sur cette question de la venue du Seigneur dans sa deuxième lettre, en soulignant la présence des forces du mal, maintenant et dans l’avenir (2 Th 2,1-12).

Enfin, il est déjà question dans la première lettre de Paul des dirigeants de la communauté. Ils sont désignés par le titre de " présidents " (littéralement : " ceux qui sont devant vous dans le Seigneur ", 1 Th 5,12). Ils se donnent de la peine, comme lui s’est donné de la peine (1 Th 2,9 ; 3,5 ; 2 Th 3,8) pour que les membres de la communauté demeurent fidèles à l’engagement premier. Paul confirme ainsi l’autorité qu’ils exercent au nom du Seigneur.

Paul enjoint " que cette lettre soit lue à tous les frères " (1 Th 5,27). Les écrits apostoliques commencent ainsi à prendre place à côté des Écritures de l’Ancien Testament, lues dans l’Assemblée chrétienne.

À la fin de sa deuxième lettre, l’Apôtre écrit : " Je signe ainsi chaque lettre ; c’est mon écriture " (2 Th 3,17). On peut en déduire qu’il en a déjà écrit au moins une (1 Thessaloniciens), peut-être d’autres sans importance dogmatique qui ne nous auraient pas été conservées. Les communautés gardaient celles où elles trouvaient de quoi éclairer leur foi et leur vie.

La coutume de dicter les lettres et d’ajouter quelques mots de sa propre écriture, pour les authentifier, est bien connue dans l’Antiquité profane. Chez Paul, elle est explicitement attestée en 1 Co 16,21, en Ga 6,11, en Col 4,18 et en Phm 19. On comprend le souci de Paul : en 2 Th 2,2, il fait état de fausses lettres qu’on présentait comme venant de lui et qui déformaient son enseignement ; il fallait que ses destinataires puissent faire le tri entre le bon grain et l’ivraie. On voit ainsi que, dès le début, les chrétiens ont été habitués à distinguer les vraies lettres apostoliques des fabrications frauduleuses. Les lettres qui portent dans le texte les noms de Paul, de Jacques, de Pierre et de Jude n’ont été conservées, et recopiées pour les générations suivantes, que parce que leurs premiers destinataires étaient sûrs de leur authenticité.

Les deux lettres aux Thessaloniciens sont organisées selon un plan d’ensemble analogue. C’est un indice de leur rédaction par un même auteur, et donc de l’authenticité, contestée par certains, de 2 Thessaloniciens.

La structure littéraire des deux lettres est indiquée ci-dessous.

 

PREMIÈRE LETTRE AUX THESSALONICIENS

Préambule : Adresse et salutation (1,1)

Première partie : Action de grâce et prière (1,2 - 3,13)

1) L’efficacité de la Parole de Dieu (1,2 - 2,16)

2) Prière pour revoir la communauté (2,17 - 3,13)

Deuxième partie : Exhortations (4,1 - 5,24)

1) Une sainteté sans reproche (4,1-12)

2) L’attente de la venue du Seigneur (4,13 - 5,11)

3) Rechercher la paix avec tous (5,12-24)

Épilogue : Consignes et salutations (5,25-28)

 

DEUXIÈME LETTRE AUX THESSALONICIENS

Préambule : Adresse et salutation (1,1-2)

Première partie : Action de grâce et instruction (1,3 - 2,17)

1) Vos épreuves vous rendent dignes du Royaume (1,3-12)

2) Les signes avant-coureurs de la Parousie (2,1-12)

3) Dieu, par amour, vous appelle à sa gloire (2,13-17)

Deuxième partie : Exhortations (3,1-16a)

1) Communion dans la prière (3,1-5)

2) Que personne ne vive dans l’oisiveté (3,6-12)

3) Ne cessez pas de faire le bien (3,13-16a)

Épilogue : Salutations et signature de Paul (3,16b-18)

 

Tout texte doit être lu en tenant compte du plan selon lequel il a été rédigé.

Tous les écrits du Nouveau Testament ont été disposés selon leurs divisions naturelles dans l’ouvrage suivant :

- Présentation du Nouveau Testament

selon l’ordre chronologique et la structure littéraire des écrits apostoliques

(Éditions de Paris, 1995).

 

 

Ch. V : UN DIALOGUE S’INSTAURE EN 56-57
ENTRE JACQUES ET PAUL

Résumé

Lors d’un troisième voyage missionnaire en 54-58 (Actes 18,23 - 20,3a), Paul séjourne à Éphèse deux ans et trois mois. Il se rend ensuite en Macédoine. Il passe enfin l’hiver 57-58 à Corinthe.

De 56 à 57, Paul envoie des lettres aux communautés de Corinthe, de Philippes et de Galatie ; ces diverses épîtres sont unanimement reconnues comme authentiques. Nous pouvons affirmer que Jacques (nous l’identifierons comme le responsable de la communauté de Jérusalem, Ac 12,17 ; 21,18) a rédigé sa lettre en ayant connaissance de la première lettre de Paul aux Corinthiens ; il vient en aide à Paul dans le redressement de la communauté de Corinthe. En retour, Paul tient compte de la lettre de Jacques en rédigeant certaines de ses lettres. Un dialogue s’instaure ainsi entre ces deux " apôtres " aux tendances différentes.

 

1 - LE TROISIÈME VOYAGE MISSIONNAIRE
DE PAUL : ANNÉES 54-58 (Ac 18,22 - 20,3a)

Paul a quitté Corinthe en 52, ou peut-être en 53. Retourné à Antioche de Syrie, il en repart début 54, et demeure deux ans et trois mois à Éphèse (Ac 19,8-10), où il subit sans doute une captivité (ceci se déduit de 2 Co 1,8 et de Rm 16,3-7). Il forme alors des projets de voyage pour recueillir des fonds dans les églises qu’il a fondées et les porter à Jérusalem (décision exprimée en Ga 2,10). Il se rend ensuite en Macédoine, d’où il évangélise probablement l’Illyrie (Rm 15,19). Il passe ensuite l’hiver 57-58 à Corinthe.

En lisant les lettres de Paul selon l’ordre de leur succession dans le temps, nous les comprendrons mieux. Nous découvrirons aussi comment l’écrit d’un autre responsable, Jacques, s’insère dans cet ensemble. Le repérage des interdépendances entre Jacques et Paul permettra d’éclairer la pensée de l’un et de l’autre.

 

2 - LA PREMIÈRE LETTRE AUX CORINTHIENS (PRINTEMPS 56)

La première lettre aux Corinthiens est rédigée au printemps (1 Co 5,7 évoque la fête de la Pâque ; 1 Co 16,8 précise qu’on est avant la fête de la Pentecôte). Elle marque le début de la collecte en faveur de Jérusalem (1 Co 16,1). Environ un an plus tard, Paul se trouve en Macédoine (2 Co 2,13 ; 8,1 ; 9,2 ; cf. Ac 20,1) et rappelle que la collecte a été commencée " depuis l’an dernier " (2 Co 8,10). Paul se rendra ensuite en Grèce (Ac 20,2), où, pendant l’hiver, il écrira l’épître aux Romains. Enfin, il reviendra en Macédoine, précisément à Philippes (Ac 20,6), et il sera arrêté à Jérusalem vers la Pentecôte de l’an 58 (cf. Ac 20,16).

La date précise de l’arrestation de Paul a été démontrée dans les ouvrages suivants :

- Présentation du Nouveau Testament (1995), p. 136.

- La Succession apostolique (1997), pp. 51-53.

On peut donc établir ainsi la chronologie des lettres adressées aux Corinthiens et aux Romains :

- 1 Corinthiens (1 Co 16,1, démarrage de la collecte) : Printemps 56.

- 2 Corinthiens (2 Co 8,10, environ un an plus tard) : Printemps ou été 57.

- Lettre aux Romains (hiver suivant, d’après Ac 20,1-3) : Hiver 57-58.

- Arrestation de Paul (vers la Pentecôte, d’après Ac 20,16) : Printemps 58.

La première épître aux Corinthiens a été précédée d’échanges épistolaires dont nous n’avons rien conservé entre l’Apôtre et la communauté (cf. 1 Co 5,9 ; 7,1).

Cette communauté, composée en majorité de gens pauvres et d’origine modeste (1 Co 1,26), vit dans une ville carrefour où les courants de pensée philosophiques et religieux sont nombreux, ce qui explique que les chrétiens de Corinthe forment facilement des clans (1 Co 1,10-13), chacun de ceux-ci se réclamant d’un maître, Paul, Apollos ou Céphas (1 Co 1,12). Par ailleurs, cette cité est réputée pour la dissolution de ses mœurs (1 Co 5,1.9). Enfin, la mentalité grecque, très intellectualiste, ne prédispose pas à la réception de ce qui fait le cœur de l’Évangile : la résurrection du Christ, donc de l’homme total, y compris de son corps (1 Co 15). Que de similitudes entre le monde grec d’il y a deux mille ans et le monde d’aujourd’hui !

L’Apôtre qui, cinq ans plus tôt, a fondé l’église de Corinthe, sait que l’on y vit des situations contraires à l’Évangile. Ses destinataires lui posent des questions concrètes sur la manière de vivre en chrétien. Les solutions préconisées par Paul sont conçues à la lumière de quelques convictions fondamentales : Dieu est Fin de tout ; le Christ est " Sagesse, Justice, Sanctification et Rédemption " (1 Co 1,30) ; le Christ crucifié révèle l’amour fou de Dieu ; le Christ ressuscité est le gage de la résurrection de nos corps et nous entraîne dès maintenant dans une vie nouvelle ; l’Esprit Saint (uni aux autres Personnes divines) est à l’œuvre au plus profond de chacun. Tout baptisé le fut au nom du Christ ; le disciple du Christ est un être libre ; il le sera d’autant plus qu’il respectera son prochain ; donc, " si tout est permis, tout ne convient pas " (1 Co 6,12 ; 10,23) ; " l’amour seul édifie " (1 Co 8,1) ; en un mot, " Christ est ma loi " (1 Co 9,21).

À plusieurs reprises au cours de la lettre, toute centrée sur la " communion " (1 Co 1,9), Paul nomme ensemble juifs et païens : bien que leur mentalité d’antan les porte à différer dans leurs aspirations (1 Co 1,22-24), ils ne forment désormais qu’un seul corps (1 Co 12,13) et se réunissent pour prendre le " repas du Seigneur " (1 Co 10,16-17 ; 11,17-34). L’Apôtre préconise le bon ordre parmi les membres de ce corps abondamment enrichi de nombreux dons spirituels. Parmi ceux-ci, il y a le don d’enseigner. Ceux qui l’exercent, appelés " docteurs " (en grec : " didascales "), ont sur les autres un certain pouvoir. Les Corinthiens étaient épris d’une telle fonction et cela entraînait des désordres. Paul les met en garde contre tout esprit de prétention (1 Co 12,28-30 ; 14,26-33). La voie qui surpasse toutes les autres est de vivre selon l’amour de charité : " Si je n’ai pas la charité, je ne suis rien " (1 Co 12,31 - 13,13).

Comme dans la première épître aux Thessaloniciens, l’Apôtre pense être encore présent sur terre lors de l’Avènement glorieux du Christ (1 Co 15,51). Mais il ne s’attarde plus sur ce point, soucieux qu’il est de résoudre les problèmes concrets qui se posent à Corinthe. Bientôt, ayant subi en Asie un péril de mort (2 Co 1,8-9), il va comprendre qu’il lui faut " s’en aller pour être avec le Christ " (Ph 1,23). Jésus avait laissé ses disciples dans l’ignorance " des temps et des moments " de son retour (1 Th 5,1-2). La proximité de l’Avènement du Christ, de sa " Parousie ", n’a jamais été pour Paul une certitude, mais seulement l’objet d’un vif désir.

Paul termine sa lettre en précisant comment doit être organisée la collecte pour les pauvres de Jérusalem (1 Co 16,1-4). Il recommande ceux qui sont devenus responsables de la communauté (1 Co 16,15). Il nomme le couple Priscille et Aquila (1 Co 16,19), avec lequel il s’était lié à Corinthe (Ac 18,2 ; 18,18 ; 18,26). Ces disciples, de même que Lydie de Philippes (Ac 16,14) et Chloé de Corinthe (1 Co 1,11) ont (par leurs relations professionnelles pour ces deux dernières) largement contribué à l’évangélisation du Bassin Méditerranéen. Les laïcs de l’Église de Vatican II peuvent se reconnaître en de tels pionniers.

 

3 - LA LETTRE DE JACQUES (ÉTÉ 56)

La lettre de Jacques est à lire maintenant. Grâce à une étude comparée du vocabulaire, des expressions rares et des sujets traités, il est possible d’affirmer qu’elle est antérieure à la lettre de Paul aux Romains et même à trois écrits plus précoces : les lettres aux Philippiens et aux Galates, la deuxième lettre aux Corinthiens.

Mais la première épître aux Corinthiens a été rédigée avant l’épître de Jacques. Il y a des similitudes nombreuses entre ces deux écrits. Bien des raisons plaident en faveur de l’antériorité de la lettre de Paul. L’écrit de Jacques est donc à situer quelques mois après la première lettre aux Corinthiens, durant l’été 56.

Les rapports d’interdépendance entre 1 Corinthiens, Jacques, Philippiens, Galates, 2 Corinthiens et Romains ont été mis en lumière dans deux publications récentes :

- " La date de l’épître de Jacques ",

dans Nouvelle Revue Théologique (1996), pp. 839-851.

- La Succession apostolique (1997), pp. 23-48 et 54.

Ces interdépendances sont extrêmement importantes du point de vue théologique et œcuménique. Au seizième siècle, Luther pensait que Paul et Jacques se contredisaient dans leur analyse des rapports entre la foi et les œuvres. Par des méthodes purement littéraires, nous constatons à l’inverse que ces deux " apôtres " dialoguaient à travers leurs lettres, au bénéfice de leurs communautés. La chronologie relative de ces divers écrits permet de les bien comprendre et de ne pas leur faire dire ce qu’ils ne disent pas.

L’auteur de notre lettre se présente sous le nom de Jacques. Il s’agit de celui que l’épître aux Galates appelle " Jacques, le frère du Seigneur " (Ga 1,19), personnage marquant de l’église de Jérusalem. Ce Jacques est mentionné en Mt 13,55 et 27,56. Sa mère, évidemment distincte de celle de Jésus, s’appelait Marie (Marie, femme de Clopas, selon Jn 19,25), d’où l’on déduit que, selon l’usage des langues sémitiques, le mot " frère " veut dire " cousin. " Paul l’a rencontré autour de 39 et 49 (nos chapitres I et III) et l’a nommé parmi les " colonnes " de l’Église (Ga 2,9). Chef de la communauté de Jérusalem (Ac 12,17 ; 15,13 ; 21,18), Jacques sera mis à mort par les autorités juives en 62, comme nous le rapporte l’historien juif Flavius Josèphe, qui souligne sa réputation de grande fidélité à la Loi.

Nous comprenons d’autant mieux l’adresse : " Jacques, serviteur de Dieu et du Seigneur Jésus Christ, aux douze tribus vivant dans la dispersion, salut " (Jc 1,1). Cette manière de parler est juive, mais christianisée. Les destinataires sont bien en effet des chrétiens : " Mes frères, que votre foi en Jésus Christ, notre Seigneur de gloire… " (Jc 2,1). Rien dans la lettre ne laisse entendre que ces chrétiens soient tous d’origine juive. Mais le peuple chrétien, unissant en un seul corps les croyants venus du judaïsme et ceux venus du paganisme, est maintenant l’Israël de la Nouvelle Alliance, " l’Israël de Dieu " (Ga 6,16), par opposition à " l’Israël selon la chair " (1 Co 10,18).

Soulignons que Jacques se présente comme " serviteur ", tandis que Paul, dans deux des lettres dont nous avons déjà pris connaissance, s’affirme comme " apôtre " (1 Th 2,7 ; 1 Co 1,1). Dans les lettres postérieures, Paul se désignera à son tour comme " serviteur " (Ph 1,1 ; Ga 1,10 ; 2 Co 4,5 ; Rm 1,1).

Dans sa première lettre aux Corinthiens, Paul avait évoqué le découragement de ses fidèles devant les épreuves qui les assaillaient, et il leur avait dit : " Dieu est fidèle, et il ne permettra pas que vous soyez éprouvés au-delà de vos forces, mais, avec l’épreuve, il vous donnera aussi le moyen d’en sortir et la force de la supporter " (1 Co 10,13). Jacques commence donc sa lettre en expliquant combien l’épreuve est bénéfique pour mener à la perfection, à condition que nous demandions à Dieu la sagesse pour nous le faire comprendre et pour accepter l’abandon des richesses terrestres auquel nous conduit la foi (Jc 1,2-12).

Il poursuit en précisant que l’épreuve se distingue de la tentation au sens péjoratif : si Dieu met à l’épreuve ses amis, il ne nous tente pas, il ne cherche pas à nous faire tomber ; au contraire, il est la source de " tout don excellent " (Jc 1,13-18).

Les Corinthiens étaient très avides du " don des langues ", et Paul avait dû en régler sévèrement l’exercice (1 Co 14). Jacques invite à " être prompt à écouter, lent à parler " (Jc 1,19), et il insiste sur ce qu’est la véritable religion : " écouter la Parole et la mettre en pratique ", " visiter les orphelins et les veuves dans leur détresse " (Jc 1,19-27).

Les Corinthiens avaient été repris par Paul parce que, dans leurs assemblées, les plus pauvres étaient méprisés (1 Co 11,17-22). Jacques leur montre combien il est étranger à la vraie foi de faire des distinctions entre riches et pauvres dans l’assemblée chrétienne (Jc 2,1-13). Jacques se situe au delà d’un légalisme étroit et donne à la loi toute sa grandeur : loi parfaite, celle de la liberté, loi royale de l’amour (Jc 1,25 ; 2,8 ; 2,12) ; on y trouve un écho du mot de Paul : " Christ est ma loi " (1 Co 9,21).

Jacques a le souci de défendre les pauvres et d’avertir les riches. Paul avait écrit : " Si j’ai toute la foi, jusqu’à transporter des montagnes, et si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien " (1 Co 13,2). Jacques reprend cet enseignement : " À quoi est-ce utile, mes frères, si quelqu’un dit qu’il a la foi, et s’il n’a pas d’œuvres ? La foi peut-elle sauver dans ce cas ? " (Jc 2,14). Pour Jacques, les œuvres dont il s’agit sont les œuvres de l’amour, celles que produit en nous la foi. C’est pourquoi il donne l’exemple d’Abraham, tel que le comprenait la tradition juive. Nous lisons en effet cet éloge du père des croyants dans le premier livre des Maccabées : " Abraham n’a-t-il pas été trouvé fidèle dans l’épreuve, et cela ne lui a-t-il pas été compté comme justice ? " (1 M 2,52). L’épreuve dont il s’agit est l’offrande d’Isaac (Genèse 22,1-18). De la même façon, Jacques montre que la foi d’Abraham fut rendue parfaite quand elle s’exprima dans une parfaite obéissance à Dieu, et il cite alors Genèse 15,6 : " Abraham eut foi en Dieu et cela lui fut compté comme justice. " (Jc 2,23).

Il n’y a pas d’opposition entre Jacques et Paul sur la nécessité des œuvres de l’amour. Bientôt, Paul exprimera son accord avec Jacques : " Dans le Christ Jésus, ni circoncision ni incirconcision ne comptent, mais seulement la foi opérant par la charité " (Ga 5,6). Ce qui fera ensuite l’objet d’un débat, c’est la distinction opérée par Paul entre " les œuvres de la Loi ", celles dont le juif se glorifie pour exiger de Dieu qu’il le récompense (voir Lc 18,11), et " les œuvres de la foi ", celles " que Dieu a préparées d’avance pour que nous les pratiquions " (Ep 2,10). Nos mérites humains ne peuvent nous justifier, car " tous, Juifs et Grecs, sont soumis au péché " (Rm 3,9). Mais Dieu nous justifie gratuitement (Rm 3,24), il nous réconcilie avec lui (Rm 5,9-10), afin que nous devenions " esclaves de la justice " (Rm 6,17-23).

Jacques revient ensuite sur la démangeaison de paroles qui affecte la communauté de Corinthe. Il invite à ne pas aspirer inconsidérément à la charge de " docteur " (Jc 3,1 ; cf. 1 Co 12,28), et il dénonce les méfaits d’une langue mal maîtrisée (Jc 3,1-12).

Il oppose la " sagesse terrestre ", que Paul avait dénoncée en 1 Co 1,19-21, et la " sagesse d’en-haut ", celle de l’homme spirituel qui se laisse conduire par Dieu (1 Co 2,6). Cette sagesse implique la douceur et l’humilité (Jc 3,13 - 4,10).

Enfin, Jacques invite " les forts " à ne pas juger " les faibles ", en se faisant juges à la place du seul Juge (Jc 4,11-12). Cela ne veut pas dire que Dieu ne jugera pas les matérialistes (Jc 4,13-17) et les riches oppresseurs (Jc 5,1-6). Mais l’attitude du fidèle doit être la patience (Jc 5,7-11), l’attachement à la vérité (Jc 5,12), la prière et le recours aux sacrements confiés par le Seigneur aux " presbytres " de la communauté (Jc 5,13-18). C’est ainsi que Dieu nous apporte le salut (Jc 5,19-20).

La première épître aux Corinthiens et l’épître de Jacques s’éclairent l’une par l’autre. Jacques conforte Paul dans le rééquilibrage de la vie de ses communautés.

 

4 - LA LETTRE DE PAUL AUX PHILIPPIENS (AUTOMNE 56)

Jacques a eu connaissance de la première lettre de Paul aux Corinthiens. De son côté, Paul a bien vite sous les yeux l’écrit de Jacques. En voici un indice. Jacques avait écrit : " Abaissez-vous devant le Seigneur, et il vous élèvera " (Jc 4,10). Le thème de l’abaissement et de l’élévation, absent des lettres précédentes de Paul, apparaît en Ph 2,8-9 et 2 Co 11,7. En Ph 2,3, Paul invente le substantif " humilité " (en grec : tapeinophrôsunè), jusque-là inconnu de toute la littérature grecque, religieuse ou profane.

La dépendance de Philippiens, de Galates et de 2 Corinthiens par rapport à l’épître de Jacques est démontrée dans :

- La Succession apostolique (1997), pp. 43-48.

Paul a rédigé la lettre aux Philippiens alors qu’il était en captivité (Ph 1,13). Avec la grande majorité des exégètes contemporains, s’appuyant sur l’analogie de cette lettre avec Galates, 2 Corinthiens et Romains, et sur les indications de 2 Co 1,8-9 et 11,23, ainsi que sur celles de Rm 16,3-7, nous reconnaissons que Paul a subi à Éphèse une captivité que les Actes ne mentionnent pas. Les Actes ne racontent pas tout. Par exemple, probablement par respect pour les Apôtres, ils ne parlent pas de " l’incident d’Antioche " (Ga 2,11-14). Ou encore, probablement par respect pour les Corinthiens, ils ne nous informent pas au sujet de la division qu’avait suscitée la venue d’Apollos à Corinthe (1 Co 1,11-12), bien que Luc en soit certainement informé (Ac 18,24-28). De même, l’épisode de la captivité d’Éphèse a dû être passé sous silence, parce que des prédicateurs mal intentionnés avaient alors annoncé le Christ dans des intentions qui n’étaient pas pures, " s’imaginant aggraver ainsi le poids des chaînes (de Paul) " (Ph 1,17).

Dans cette lettre, l’Apôtre reprend à Jacques, outre le thème de l’humilité, celui de la joie (Jc 1,2) : on y trouve 11 fois le verbe " se réjouir " et 5 fois le mot " joie " ; ce sont les deux seuls textes du Nouveau Testament où se lit l’expression caractéristique " fruit de justice " (Jc 3,18 ; Ph 1,11), qui sera ensuite développée en Hb 12,11 (" un fruit pacifique de justice "). Bien d’autres similitudes rapprochent la lettre de Jacques et celle de Paul aux Philippiens.

Paul témoigne d’une grande affection envers les Philippiens (Ph 1,4.7.8.25 ; 2,2 ; 4,10) ; d’eux seuls, il consent à recevoir des dons (Ph 1,5 ; 4,14-16). Il les exhorte à vivre dans l’unité, leur offrant en exemple, comme le suggérait encore la Bible de Jérusalem de 1972, la communion des trois Personnes divines entre elles (voir la note g sur Ph 2,1).

L’épreuve que l’Apôtre a connue à Éphèse l’a fait évoluer. Désormais, il ne compte plus être sur cette terre lors de la venue du Seigneur Jésus (ce qu’il espérait au temps des lettres aux Thessaloniciens et de la première lettre aux Corinthiens). Maintenant, il désire s’en aller pour être avec le Christ (Ph 1,20-26). Toute une vie mystique s’est développée en lui, du moins il en parle plus expressément.

Paul dénonce ses adversaires (Ph 1,15-17 ; 3,2 ; 3,18-19 ; cf. 1 Co 16,9). Ceux-ci sont des judéo-chrétiens qui n’ont pas accepté les décisions du Concile de Jérusalem, qui veulent imposer aux croyants venus du paganisme les prescriptions rituelles de la loi de Moïse, qui épient la " liberté " de l’Apôtre dans la foi au Christ, et qui le dénoncent auprès de Jacques. Mais ce dernier s’est démarqué de ces " judaïsants ", qui ne sont qu’une partie du judéo-christianisme.

En un passage autobiographique, l’Apôtre décrit son passé de juif zélé (Ph 3,4-6) ; il porte un jugement sur ce qu’il vivait dans le judaïsme : " Toutes ces choses qui étaient pour moi des gains, je les ai considérées comme une perte à cause du Christ " (Ph 3,7). Il livre alors ses réflexions sur la foi qui donne la justification. Il s’agit de ne pas avoir " sa justice à soi, celle qui vient de la Loi ", mais " celle qui vient de Dieu et s’appuie sur la foi " (Ph 3,9 ; comparer Rm 10,3). Tel sera le sujet central de Galates et de Romains.

Mais Paul manifeste son accord avec Jacques sur l’importance des œuvres du croyant, de sa coopération à la grâce de Dieu. Il s’exprime d’une manière assez surprenante : " Travaillez avec crainte et tremblement à réaliser votre salut, car c’est Dieu qui opère en vous le vouloir et le faire, pour l’accomplissement de son bienveillant dessein " (Ph 2,12-13). Notre salut exige un engagement de toute notre personne, mais nous savons que tout est grâce, et que notre désir même de faire le bien est l’œuvre de Dieu en nous. Comme le dit l’Église romaine dans la première préface des saints : " Lorsque tu couronnes leurs mérites, tu couronnes tes propres dons. "

Jacques et Paul se rejoignent en profondeur, mais Paul va beaucoup plus loin dans l’analyse théologique. Paul a été stimulé par l’offensive des judaïsants. Ceux-ci ne cessent à cette époque de contrer l’Évangile selon Paul, comme nous le constaterons dans la lettre aux Galates et dans la deuxième lettre aux Corinthiens, que nous abordons maintenant.

 

5 - LA LETTRE DE PAUL AUX GALATES (HIVER 56-57)

Très proche de la lettre aux Philippiens apparaît l’épître aux Galates.

Deux indices parmi d’autres montrent que Philippiens et Galates ont été rédigées à peu près au même moment.

Ce sont les seuls écrits du Nouveau Testament où soit employée la notion très rare de " vaine gloire " (kenodoxia) :

- " Ne faites rien par rivalité, ni par vaine gloire " (Ph 2,3).

- " Ne recherchons pas la vaine gloire " (Ga 5,26).

Ce sont les seuls où soit évoqué le " commencement " de l’œuvre du Christ (enarchesthai, jamais ailleurs), en même temps que son " terme " (epitelein) :

- " Celui qui a commencé en vous une œuvre excellente la conduira à son terme jusqu’au jour du Christ " (Ph 1,6).

- " Ayant commencé par l’Esprit, allez-vous terminer par la chair ? " (Ga 3,3).

Du point de vue du combat que Paul doit soutenir, la situation est la même. L’église de Galatie est en crise, car les judaïsants y jettent le trouble (Ga 1,7) : ils veulent imposer aux chrétiens venus du paganisme les observances du judaïsme et en particulier la circoncision. C’est dire que les adversaires de Paul ne désarment pas. Or, l’Apôtre reçoit de telles nouvelles alors que lui-même approfondit la question de la justification par la foi, en tenant compte de l’écrit de Jacques.

Sans s’opposer à Jacques, il est probable que Paul a cependant été agacé par son intervention dans les territoires missionnaires de la dispersion, ceux qu’il évangélisait lui-même. Lors du Concile de Jérusalem, le partage des tâches avait été bien défini : " Nous irions, nous, vers les païens, eux vers les circoncis " (Ga 2,9). Dans l’épître aux Romains, il rappellera qu’il n’a jamais voulu lui-même " bâtir sur les fondations qu’un autre avait posées " (Rm 15,20). C’est ce qui explique que dans Galates il se plaint que Jacques ait des gens peu recommandables dans son entourage (Ga 2,12).

L’Apôtre manifeste clairement son accord avec Jacques sur la nécessité des œuvres de la foi, dans une formulation fort bien équilibrée : " En Jésus Christ, ce qui a de la force, ce n’est ni la circoncision, ni l’incirconcision, mais la foi agissant par l’amour " (Ga 5,6). Une telle formule, il l’a ciselée en ayant en mémoire une parole de Jacques (5,15-16) : " La prière de la foi sauvera le malade... Elle a beaucoup de force, la prière agissante du juste " (ce sont les deux seuls passages du Nouveau Testament où " foi ", " avoir de la force " et " agir " se trouvent associés). Paul précise de quel " agir " il convient de parler : celui de l’amour évoqué au chapitre 13 de sa première lettre aux Corinthiens.

Mais ce n’est pas la nécessité des œuvres de la foi qui préoccupe Paul. C’est l’idée que se font les " judaïsants " des moyens d’accéder au salut. Pour eux, il n’y a jamais eu qu’une seule voie pour être reconnu juste par Dieu : c’est de pratiquer intégralement la Loi de Moïse. C’est le " donnant donnant " : je fais ce que Dieu a commandé, et il doit me récompenser en échange. La foi au Christ devient alors pour eux secondaire, car ils n’ont pas conscience d’avoir besoin d’être pardonnés par l’offrande de la Croix. Comme le dit Paul, " si c’est par la Loi qu’on atteint la justice, c’est donc pour rien que le Christ est mort " (Ga 2,21).

Probablement exaspéré par le harcèlement des " faux-frères ", Paul se montre quelque peu excessif, sans pour autant trahir la vérité. De même que Jacques avait dit : " Observer toute la Loi mais trébucher sur un seul point, c’est se rendre coupable de tout " (Jc 2,10), Paul cite Deutéronome 27,26 : " Maudit soit quiconque ne persévère pas dans tout ce qui est écrit dans le livre de la Loi pour le pratiquer " (Ga 3,10). Il présente ainsi la loi comme source de malédiction, puisque personne ne l’observe tout entière. Il avertit ceux qui veulent recevoir leur justice de la Loi, en se faisant circoncire, qu’ils seront alors " tenus à l’observation intégrale de la Loi " (Ga 5,3).

Mais il existe un moyen de justification antérieur à la pratique de la Loi de Moïse, c’est la foi. Jacques l’a lui-même indiqué, en citant Genèse 15,6 : " Abraham crut en Dieu, et cela lui fut compté comme justice " (Jc 2,23, repris par Paul en Ga 3,6). L’Apôtre souligne alors qu’Abraham le croyant a reçu cette promesse : " Toutes les nations seront bénies en toi " (Genèse 12,3, cité en Ga 3,8). Ainsi, c’est la bénédiction qui est première. Elle fut faite sous serment, et elle ne peut être annulée par la malédiction de la Loi, car celle-ci n’est venue que " 430 ans plus tard " (Ga 3,17).

Paul établit une distinction capitale entre " les œuvres de la Loi ", qui obéissent à la logique du " donnant donnant ", et " les œuvres de la foi ", qui sont en nous le fruit de l’Esprit. S’appuyer sur ses mérites humains, c’est " se confier dans la chair " (Ph 3,3-4). S’appuyer sur la grâce, que nous accueillons par la foi, c’est " se confier dans l’Esprit. " De même que Jacques avait opposé " la sagesse terrestre " et " la sagesse d’en-haut " (Jc 3,13-18), Paul oppose, dans des termes très proches de ceux de Jacques, " les œuvres de la chair " et " les fruits de l’Esprit " (Ga 5,19-23).

Prolongeant sa lettre aux Philippiens (Ph 1,20-21 ; 3,10-14), l’Apôtre évoque de manière plus impressionnante encore sa vie mystique, qui est une participation à la mort et à la résurrection du Christ (Ga 2,19-20 ; 6,14-15).

Concrètement, Paul est conformé aux souffrances du Christ par les mauvais traitements qu’on lui a fait subir, notamment dans la captivité qui est évoquée en Philippiens. Maintenant libéré, il termine sa lettre dans une plainte éloquente : " Que désormais plus personne ne me cause de tourments, car je porte en mon corps les marques de Jésus " (Ga 6,17).

Cette épître aux Galates est composée vingt-six ans après l’ascension du Christ, période durant laquelle on a proclamé avec force que sa résurrection était une preuve de sa divinité. Il convenait cependant de maintenir sa pleine humanité. C’est sous la plume de Paul que, pour la première fois dans les écrits qui nous ont été conservés, on en lit l’affirmation explicite : " Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme " (Ga 4,4). Ainsi, la première mention dans le Nouveau Testament, selon l’ordre chronologique, de Marie, mère de Jésus, est de l’Apôtre Paul.

Celui qui a revêtu notre condition humaine, par l’intermédiaire de Marie, nous a permis d’être adoptés, dans l’Esprit, comme fils de Dieu. C’est en lui que nous crions : " Abba, Père " (Ga 4,4-7).

 

6 - LA DEUXIÈME LETTRE DE PAUL AUX CORINTHIENS
(HIVER 56-57 ET PRINTEMPS OU ÉTÉ 57)

Nous savons qu’entre Paul et la communauté de Corinthe, il y eut plusieurs échanges épistolaires. L’analyse la plus convaincante nous semble celle qui a été publiée en 1972 dans le Nouveau Testament de la TOB (p. 523). Elle a été adoptée par Ph. Rolland dans sa Présentation du Nouveau Testament (1995), pp. 189-190. Voici la succession des lettres adressées par Paul aux Corinthiens :

Lettre A (perdue) : Il en est fait mention en 1 Co 5,9.

Lettre B : La Première épître aux Corinthiens.

Lettre C : La " lettre dans les larmes " (cf. 2 Co 2,4).

De solides raisons conduisent à l’identifier avec les chapitres 10-13 de 2 Corinthiens.

Lettre D : 2 Corinthiens 1-9 (lettre de réconciliation).

L’appartenance de 2 Co 10-13 et de 2 Co 1-9 à deux lettres différentes a été montrée par Ph. Rolland, à partir de l’analyse des structures littéraires, dans l’article suivant :

- " La structure littéraire de la Deuxième épître aux Corinthiens ",

dans Biblica (1990), pp. 73-84.

En 2 Corinthiens 10-13, Paul dénonce des prédicateurs d’origine juive (2 Co 11,22), ceux-là mêmes sans doute qui jetaient le trouble parmi les Galates (Ga 1,7 ; 4,17 ; 5,10). Il apostrophe ensuite ses destinataires tout comme il a interpellé les Galates (2 Co 11,4 et Ga 1,6-9). On retrouve le même catalogue de désordres en 2 Co 12,20-21 et en Ga 5,19-20 : " Impudicité, impureté, débauches, querelles, jalousies, animosités, rivalités, etc. " Dans les deux lettres, il est question des " faux-frères " (2 Co 11,26 ; Ga 2,4).

Un tableau plus complet des relations entre 2 Co 10-13 et Galates est dressé par Michel A. HUBAUT, dans :

- Paul de Tarse, Desclée, Paris, 1989, p. 34,

sous le titre : " Les mêmes mots au même moment. "

Tout laisse à penser que 2 Co 10-13 et Galates sont des lettres contemporaines. Paul vient d’être libéré et s’apprête à se rendre à Corinthe (2 Co 12,14 ; 13,1). La lettre est destinée à préparer sa venue.

Paul nous apprend qu’entre le séjour de fondation de l’église de Corinthe et le voyage qu’il projette maintenant, il a fait dans cette ville une deuxième visite, dont les Actes ne parlent pas (2 Co 13,2). Il y avait été bafoué (cf. 2 Co 2,5). Il écrit donc une lettre sévère (2 Co 10-13). Composée dans les larmes, elle nous offre une description poignante des diverses épreuves endurées par Paul dans l’accomplissement de son ministère (2 Co 11,23-33). Il fait aussi état de révélations et de visions paradisiaques. Il évoque enfin une faiblesse (l’énigmatique " écharde dans la chair ") et confie ce que lui a dit le Seigneur à ce sujet : " Ma grâce te suffit : car la puissance (de Dieu) donne toute sa mesure dans la faiblesse (de l’homme) " (2 Co 12,7-10).

Paul doit cependant différer son projet de troisième voyage. Il ne veut pas " retourner chez eux dans la tristesse " (2 Co 2,1). Il attend que Tite, qu’il a envoyé à Corinthe, revienne à lui avec de bonnes nouvelles. Il va le chercher à Troas, mais ne l’y trouve pas. Ils ne se rejoindront qu’en Macédoine (2 Co 2,12-13 ; 7,6-7).

Les Corinthiens, revenus à de meilleurs sentiments, se sont cependant étonnés que Paul ne soit pas venu chez eux comme il l’avait promis dans sa lettre. Pratiquerait-il le double langage ? Serait-il " Oui et Non ", en violation du précepte du Seigneur (cf. Mt 5,37) que Jacques a rappelé dans sa lettre : " Que votre Oui soit Oui, et que votre Non soit Non " (Jc 5,12) ? Paul prend donc soin de s’expliquer en long et en large sur les raisons de son changement d’itinéraire, qui ne l’empêchera pas de réaliser sa promesse (2 Co 1,12 - 2,13).

Dans l’action de grâces par laquelle débute la lettre, Paul fait connaître à ses destinataires l’épreuve vécue à Éphèse (son emprisonnement : " Nous avions reçu notre arrêt de mort ", 2 Co 1,9). Mais il a expérimenté les " consolations " de Dieu (2 Co 1,3-8 ; 7,4-13). Il se livre ensuite à une apologie paisible de son ministère (2 Co 2,14 - 3,6 ; 6,4-13). Il en établit une comparaison antithétique avec celui de Moïse, dont la gloire était inférieure à celle des messagers de l’Évangile (2 Co 3,6-18). Reprenant les termes de Jérémie 31,31, il se proclame ministre de " la Nouvelle Alliance ", bien supérieure à " l’Ancienne Alliance " du Sinaï, gravée en lettres dans la pierre, qui ne pouvait que prononcer la malédiction des coupables. C’est ainsi qu’il peut proclamer : " La lettre tue, mais l’Esprit vivifie " (2 Co 3,6).

Après avoir évoqué " le trésor qu’il porte dans un vase d’argile " (2 Co 4,7), Paul présente le ministère des apôtres comme celui de la réconciliation (2 Co 5,17-21). Il ose écrire : " Celui qui n’avait pas connu le péché (c’est-à-dire le Christ), Dieu l’a fait péché pour nous, afin qu’en lui nous devenions justice de Dieu ". La Tête de l’humanité nouvelle a pris sur elle les faiblesses de son Corps, afin que le Corps participe à la sainteté de sa Tête.

L’Apôtre exprime son amour pour les Corinthiens aussi chaleureusement (2 Co 6,11-13 ; 7,2-3) qu’il le fit à l’égard des Thessaloniciens et des Philippiens.

Dans le billet (2 Co 8-9) consacré à la collecte de fonds en faveur des pauvres de Jérusalem (1 Co 16,1-4 ; Ga 2,10), Paul remonte au mystère de l’Incarnation par ces mots : " Vous connaissez la générosité de notre Seigneur Jésus Christ, qui pour vous s’est fait pauvre, de riche qu’il était, afin de vous enrichir par sa pauvreté " (2 Co 8,9) ; c’est le même mouvement que dans l’hymne de Philippiens 2,6-11, qui évoque le dépouillement du Fils de Dieu dans sa condition d’homme et de Serviteur, puis l’exaltation de son humanité, qui reçoit " le Nom qui est au-dessus de tout nom. "

Ce Nom est celui de Jésus glorifié (Yèhshouah), le Nom par lequel les Apôtres accomplissent leurs guérisons (Ac 4,10), le Nom par lequel tout homme est sauvé (Ac 4,12 ; voir encore 3 Jn 7).

 

CONCLUSION

Nous avons compris que la lettre de Jacques peut et doit être située chronologiquement entre la première épître aux Corinthiens et les lettres suivantes de Paul, Philippiens, Galates et 2 Corinthiens. Nous avons suivi l’évolution de la pensée de l’Apôtre sur le problème posé par la justification des païens. Contrairement aux idées arrêtées et erronées des judaïsants, le salut n’est pas l’œuvre de l’homme, mais celle de Dieu qui nous donne son pardon et sa grâce, moyennant la foi en Jésus Christ. Mais la foi se prouve par les œuvres de l’amour.

Parce qu’il voulait montrer que la bénédiction d’Abraham s’est répandue sur toutes les nations païennes, Paul a insisté énergiquement sur la primauté de la foi. Jacques ne se posait pas ce problème, et s’est contenté de coordonner la foi et les œuvres de la foi. Paul a manifesté son accord, puisque telle était la pensée de Jésus. Le dialogue entre Paul et Jacques se présente à nous comme un modèle de débat œcuménique.

Paul va poursuivre ce dialogue avec Jacques tout au long de l’épître aux Romains, qui est de toute évidence un des sommets de la théologie paulinienne. Nous allons étudier cette lettre dans le chapitre suivant.

 

Ch. VI : LE DIALOGUE SE POURSUIT ENTRE PAUL ET JACQUES :
L’ÉPÎTRE AUX ROMAINS (HIVER 57/58)

Résumé

Du printemps 56 au printemps 57, Jacques de Jérusalem et Paul, l’Apôtre des Nations, ont dialogué au travers de leurs lettres. Après plusieurs mois qui lui ont permis d’approfondir sa pensée, Paul porte le débat à son plus haut niveau, en rédigeant l’épître aux Romains, durant l’hiver 57/58.

Il prend en compte plusieurs aspects de l’épître de Jacques et cisèle ses phrases pour exprimer au mieux l’un des points fondamentaux de l’Évangile de Jésus-Christ : la justification par la foi.

L’Apôtre en expose les heureuses conséquences : le baptisé est uni au Christ mort et ressuscité. Dans le combat, il remporte la victoire au plus intime de lui-même. L’Esprit fait de lui un fils dans le Fils, capable de s’approcher de Dieu et de lui dire : " Abba, Père ".

Enfin, Paul exprime son amour pour Israël et décrit la situation de ce peuple dans l’histoire du salut.

 

1 - CIRCONSTANCES DE LA COMPOSITION DE L’ÉPÎTRE AUX ROMAINS

Dix-huit mois se sont écoulés depuis que Jacques a rédigé sa lettre. Durant cette période, Paul a longuement réfléchi au problème dont Jacques n’avait pas traité : la justification et donc le salut par grâce, moyennant la foi, que l’on soit juif ou païen. Nous avons pu suivre l’évolution de sa pensée à travers les lettres aux Philippiens, aux Galates, et la deuxième lettre aux Corinthiens (dans ses chapitres 10-13, puis 1-9).

Mais il a reçu de mauvaises nouvelles. En écrivant 2 Co 9,12-14, il ne doutait pas que la collecte en faveur de Jérusalem serait source " de nombreuses actions de grâce envers Dieu ", et que les fidèles de la Ville Sainte " manifesteraient leur tendresse " à l’égard des croyants venus du paganisme. Voici que maintenant il se rend compte qu’il risque fort de ne pas " échapper aux incrédules de Judée ", et que même, peut-être, les secours qu’il apporte à Jérusalem ne seront pas " accueillis par les saints " (Rm 15,31). Que s’est-il passé à Jérusalem ?

Nous l’apprenons par les Actes des Apôtres. Des calomnies sont chuchotées au sujet de Paul, comme Jacques le lui confirme à son arrivée dans la Ville : " Des ragots courent sur ton compte : ton enseignement pousserait tous les juifs qui vivent parmi les païens à abandonner Moïse ; tu leur dirais de ne plus circoncire leurs enfants et de ne plus suivre les coutumes " (Ac 21,21). En réalité, dans la lettre aux Galates, Paul avait interdit aux croyants n’appartenant pas à la nation juive de se laisser obliger à la circoncision. Il n’avait pas parlé des chrétiens d’origine juive. On prétendait même que Paul enseignait qu’il fallait " faire le mal pour qu’en sorte le bien " (Rm 3,8). Ce n’étaient plus seulement les judaïsants qui étaient hostiles à Paul, c’étaient les judéo-chrétiens orthodoxes, abusés par des gens malveillants. Jacques ne savait plus comment faire pour protéger son ami Paul.

Paul a donc, au cours de l’été 57, été mis au courant de ces bruits. Il lui fallait montrer aux croyants de Jérusalem que son enseignement était bien celui de toute l’Église, et qu’il aimait profondément le peuple d’Israël. Mais ce n’est pas à Jérusalem qu’il va adresser sa lettre. C’est à l’église de Rome. En effet, celle-ci est déjà considérée comme la gardienne de la vraie foi, évidemment parce que Pierre l’a déjà enseignée. Pierre n’avait-il pas dit, au Concile de Jérusalem : " C’est par la grâce du Seigneur Jésus, nous le croyons, que nous avons été sauvés (nous les juifs), exactement comme eux (eux les païens) " (Ac 15,11) ?

Séjournant à Corinthe durant l’hiver 57/58, Paul envoie aux Romains un exposé serein de sa théologie, attendant de Pierre qu’il le confirme. Sa pensée a maintenant atteint sa pleine maturité et l’Apôtre trouve, pour la traduire, des expressions d’une très grande justesse.

Sur l’épître aux Romains, on peut lire :

- " Il est notre justice, notre vie, notre salut. L’ordonnance des thèmes majeurs de l’Épître aux Romains ",

dans Biblica (1975), pp. 394-404.

- " Romains, Épître ",

dans Dictionnaire Encyclopédique de la Bible (1987), pp. 1128-1130.

- À l’écoute de l’épître aux Romains (1991).

- La succession apostolique (1997), pp. 25-33.

Sur la présence de Pierre à Rome, il existe un ouvrage très suggestif du regretté Professeur André MÉHAT :

- Simon dit Kèphas. La vie clandestine de l’Apôtre Pierre,

Lethielleux, Paris, 1989.

 

2 - SES RAPPORTS AVEC L’ÉPÎTRE DE JACQUES

Il nous faut, dans un premier temps, faire état de liens indéniables de cette épître aux Romains avec la lettre de Jacques.

En lisant ces deux écrits, de préférence dans le texte grec, nous constatons d’extraordinaires similitudes de vocabulaire entre Jacques 1,22 - 2,13 et Romains 2,9-29. Leurs auteurs respectifs y emploient, en de brefs passages, des termes communs. Des groupements de mots y sont semblables. De même, ils se servent d’expressions identiques et qui ne paraissent nulle part ailleurs, ou très rarement, dans les lettres du Nouveau Testament. Le fait que ces mots et ces expressions se lisent en quelques lignes dans l’un et l’autre textes rend incontestable leur parenté littéraire. Si nous devons exclure l’utilisation d’une source commune, nous serons sûrs que l’un des auteurs a eu connaissance de l’écrit de l’autre.

Voici, parmi ces ressemblances de vocabulaire entre les deux passages, les plus significatives :

Auditeur/Observateur de la Loi Jc 1,25  Rm 2,13

Acception de personnes Jc 2,1  Rm 2,11

Déshonorer Jc 2,6  Rm 2,23

Blasphémer le Nom Jc 2,7 Rm 2,24

Accomplir la Loi Jc 2,8  Rm 2,27

Transgresseur de la Loi Jc 2,9  Rm 2,27

Tu ne commettras pas d’adultère Jc 2,11  Rm 2,22

Être jugé par une loi Jc 2,12  Rm 2,12

Il ne peut être question d’une source commune, puisque les termes sélectionnés n’ont aucun rapport logique entre eux. Ils n’ont de signification que dans les contextes très différents où ils sont employés par Jacques et par Paul. Il y a dans un texte des réminiscences de l’autre.

La question se pose alors de l’antériorité. Qui a lu l’autre ? On ne peut que répondre " Paul ", en tenant compte de quelques critères. En voici deux parmi d’autres :

1 - Jacques s’inspire de la vie et des situations concrètes, alors que Paul développe un raisonnement purement intellectuel.

2 - Jacques ne manifeste aucune connaissance de la problématique de Paul (distinction entre juifs et païens, circoncision charnelle ou spirituelle), alors que Paul se montre bien au courant des questions abordées par Jacques (la nécessaire observation intégrale de la loi, la religion du coeur).

D’autres critères sont mis en évidence dans :

- La succession apostolique (1997), pp. 28-29.

Juste après que nos deux auteurs ont traité de la nécessité d’une observation intégrale de la Loi, ils abordent tous deux le problème de la foi et des œuvres (Jc 2,14-26 ; Rm 3,21 - 4,24), en utilisant les mêmes expressions, par exemple :

Il y a un seul Dieu Jc 2,19  Rm 3,30

Notre père Abraham Jc 2,21  Rm 4,1.12

Citation de Genèse 15,6 Jc 2,23  Rm 4,3.9

Comme nous l’avons vu précédemment, Jacques se référait à la tradition juive : " Abraham n’a-t-il pas été trouvé fidèle dans l’épreuve, et cela ne lui a-t-il pas été compté comme justice ? " (1 M 2,52). Paul l’invite à faire une exégèse serrée du texte de la Genèse, selon son sens littéral. Abraham n’avait encore accompli aucune œuvre quand il a été reconnu juste par Dieu (Rm 4,4). Il n’était pas encore circoncis (Rm 4,10). Ce n’est donc pas en vertu de son observation de la Loi qu’il a été justifié, mais uniquement en vertu de sa foi. De même nous tous, juifs ou païens, nous sommes justifiés en vertu de notre foi dans le pardon que Dieu nous accorde gratuitement.

Il faut bien comprendre la différence de vocabulaire entre Jacques et Paul dans ces deux passages. Pour Jacques, le " juste " est le saint, " l’Ami de Dieu " (Jc 2,23). Pour Paul, le pécheur pardonné peut déjà être appelé " juste ", parce que Dieu l’a acquitté de ses fautes et ne les lui reproche plus (Rm 4,6-8). Avant même d’avoir accompli " les œuvres de la foi ", nous sommes " en paix avec Dieu " (Rm 5,1), nous sommes " réconciliés avec Lui " (Rm 5,10).

Mais cette réconciliation n’est pas encore le salut définitif. Il nous faut encore " devenir esclaves de la justice " (Rm 6,18), " porter des fruits de sanctification ", dont " l’aboutissement est la vie éternelle " (Rm 6,23).

Il faut bien remarquer que Paul ne contredit pas Jacques. Il ne dit pas qu’on est justifié " sans les œuvres ", mais qu’on est justifié " sans les œuvres de la loi ", c’est-à-dire indépendamment des œuvres bonnes ou mauvaises que nous avons pu accomplir avant d’être pardonnés. Tout le discours de l’Apôtre s’attache à démontrer que ce n’est pas l’observance de la loi mosaïque qui justifie. Paul pouvait craindre que l’une ou l’autre expression de Jacques soit mal comprise. Il souligne alors la gratuité du salut, ajoutant seulement que, dans l’imitation du Christ, tout croyant se doit d’accomplir les actes de l’amour de charité.

Paul ne se contente pas de dire que sa mission est " de conduire les païens à la foi " ; par deux fois, en des endroits stratégiques, c’est-à-dire au début et à la fin de sa lettre, il se déclare chargé " de conduire les païens à l’obéissance de la foi " (Rm 1,5 ; 16,26). Paul le reconnaît : une foi qui ne serait qu’une simple adhésion intellectuelle, qui ne conduirait pas à " l’observation des commandements de Dieu " (1 Co 7,19), serait, comme le dit Jacques, " une foi morte " (Jc 2,26).

Outre ces reprises de l’écrit de Jacques, l’Apôtre fait aussi des emprunts à sa deuxième lettre aux Corinthiens et surtout à son épître aux Galates.

Sur ce point, on pourra lire :

- " L’antithèse de Rm 5-8 ",

dans Biblica (1988), pp. 396-400.

- À l’écoute de l’épître aux Romains (1991), pp. 12-16.

 

3 - LA CONSTRUCTION DE L’ÉPÎTRE

Faisons maintenant apparaître une autre richesse de l’épître aux Romains, celle de sa construction. Les écrivains antiques n’utilisaient pas, comme nous, des titres et des sous-titres, mais ils prenaient soin, par la répétition parallèle ou inversée de certaines formules, d’indiquer les divisions des textes qu’ils produisaient, afin qu’on puisse y suivre le déroulement de la pensée.

Selon ce procédé fréquemment employé par Paul et d’autres écrivains contemporains, l’exposé offre des symétries fort éclairantes. On peut y repérer un schéma ABC/C’B’A’, où les trois derniers points reprennent en sens inverse les trois premiers. Cela permet de délimiter de façon précise les parties, sections et paragraphes.

Des symétries inversées sont manifestes tout au long de l’épître et permettent de faire ressortir les vraies délimitations, donc de distinguer les parties successives et l’organisation interne de chacune d’entre elles. Cela est évidemment plus clair en suivant le texte dans la langue grecque. Toutefois les traductions françaises permettent quelque peu de vérifier le bien fondé de ces affirmations.

Une disposition symétrique tout à fait remarquable se révèle entre les textes de l’exorde (1,1-15) et de l’épilogue (15,19 - 16,27), en omettant le passage des salutations et admonitions de 16,1-23, comme le montre le tableau que voici :

1,1

Christ Jésus

 

16,27

Jésus Christ

1,1

l’Évangile de Dieu

 

16,25

mon Évangile

1,2

prophètes, Écritures

 

16,26

les Écrits prophétiques

1,5

l’obéissance de la foi

 

16,26

l’obéissance de la foi

1,5

tous les pays

 

16,26

tous les païens

1,7

à vous grâce et paix

 

15,33

le Dieu de la paix

1,10

mes prières

 

15,30

vos prières

1,10

venir chez vous

 

15,32

venant chez vous

 

selon la volonté de Dieu

 

 

par la volonté de Dieu

1,11

je désire ardemment

 

15,23

ayant l’ardent désir

1,11

pour que vous soyez affermis

 

16,25

la force de vous affermir

1,13

venir chez vous,

 

15,22

je fus empêché

 

mais j’en fus empêché

 

 

de venir chez vous

1,13

recueillir quelque fruit

 

15,28

remettre ce fruit

1,13

parmi les païens

 

15,18

conduire les païens

1,14

je me dois

 

15,27

ils sont leurs débiteurs

1,15

l’Évangile

 

15,19

l’Évangile

1,16

une force de Dieu

 

15,19

par la force de l’Esprit

 

On peut, de la même manière, relever des symétries plus proches entre Rm 1,18 - 3,20 et, en sens inverse, Rm 3,21 - 4,24 ; entre Rm 5-7 et, en sens inverse, Rm 8 ; entre Rm 9-10 et, en sens inverse, Rm 11. Trois parties sont ainsi délimitées, qui sont annoncées en Rm 1,16-17 :

1) Une justice de Dieu par la foi (Rm 1,18 - 4,24).

2) La vie accordée aux croyants (Rm 5,1 - 8,39).

3) Le salut pour quiconque croit (Rm 9,1 - 11,36).

Des exhortations découlant de cet exposé dogmatique sont ensuite disposées, de manière symétrique, jusqu’à l’épilogue. Elles constituent la quatrième partie de l’épître :

4) La vie nouvelle des croyants (Rm 12,1 - 15,13).

 

Quand on examine les inversions encore plus proches, on peut déterminer les divisions précises de chaque section. C’est ainsi que, pour le début de la première partie, on peut repérer où commencent et où finissent les démonstrations de " l’inexcusabilité " des païens, puis de celle des juifs :

Les païens

1,18 la colère

1,18 l’injustice

1,18 la vérité

1,20 ils sont inexcusables

2,1 tu es inexcusable

2,8 la vérité

2,8 l’injustice

2,8 la colère

Dans ce premier passage sur les païens (1,18 - 2,8), Paul s’inspire surtout du livre de la Sagesse (Sag 13-14 notamment).

Les juifs

2,11 devant Dieu

2,15 écrite

2,15 dans leurs coeurs

2,16 les secrets des hommes

2,28 dans le secret

2,29 celle du coeur

2,29 non dans l’écrit

2,29 louange de Dieu

Dans ce deuxième développement sur les juifs (2,9-29), Paul s’inspire surtout du livre du Deutéronome (Dt 28,53 et 10,16-17).

Des inversions ou des parallélismes encore plus proches permettent de délimiter chacun des paragraphes.

Il nous faut dire quelques mots de l’épilogue (Rm 15,14 - 16,27). Celui-ci a de quoi nous étonner. Paul n’a pas fondé l’église de Rome, et il s’excuse auprès d’elle de lui avoir écrit " avec une certaine hardiesse " (Rm 15,15). On comprend mal qu’il emploie en 16,19 des termes qui expriment une grande autorité : " votre obéissance ", " je veux que... "

En fait, les manuscrits de l’épître ne placent pas tous au même endroit l’ensemble Rm 16,1-23. L’un d’eux le situe après le ch. 14. Le plus ancien manuscrit (P46), datant du 3ème siècle, place Rm 16,25-27 après Rm 15,33, et reproduit ensuite tout le ch. 16. Comme les salutations du ch. 16 s’adressent à des gens d’Asie (certainement Épénète, Priscille et Aquila), beaucoup de critiques voient dans Rm 16,1-23 un billet ajouté à une copie de la lettre aux Romains adressée aux Éphésiens.

Il est fort probable que des copies de cette épître aux Romains furent envoyées par Paul à d’autres communautés, notamment à l’église de Jérusalem. C’est avant tout pour celle-ci qu’elle avait été rédigée : l’Apôtre n’a-t-il pas exprimé (chapitres 9-11) toute son angoisse pour le peuple élu, son attachement à ceux de sa race et la reconnaissance des privilèges d’Israël ?

Dans cette lettre aux Romains qu’il n’a pas évangélisés, Paul écrivait : " Vous avez obéi de tout votre cœur à l’enseignement commun qui vous a été donné " (Rm 6,17) ; comme le note la TOB en cet endroit, " il s’agit de la première prédication chrétienne dont le contenu fondamental reste identique, quel que soit le prédicateur (1 Co 15,11). Paul reconnaît ainsi l’authenticité de l’enseignement que les Romains ont reçu, bien qu’il ne vienne pas de lui (Rm 5,15 ; 16,17). Il a le souci de manifester son accord avec les autres messagers de l’Évangile (Ga 2,2). " On ne saurait mieux dire la préoccupation œcuménique et collégiale de l’Apôtre, qui tient à demeurer en communion de pensée et de doctrine avec les premiers envoyés de Jésus.

La doxologie (Rm 16,25-27), qui est symétrique de l’adresse (Rm 1,1-7), inscrit " le mystère éternel " dans " l’aujourd’hui " : le salut est désormais pour tous.

 

PLAN DE L’ÉPÎTRE AUX ROMAINS

EXORDE (1,1-15) :

Adresse (1,1-7) ; Action de grâces et projets (1,8-15).

EXPOSÉ DOGMATIQUE (1,16 - 11,36)

Annonce du sujet (1,16-17) : Justification, Vie, Salut de tous

 

Première partie (1,18 - 4,25) : Nous sommes justifiés, non par nos œuvres,

mais par notre foi en Jésus Christ mort et ressuscité

I Volet négatif de l’antithèse : l’inexcusabilité des hommes (1,18 - 3,20)

A - Inexcusabilité des païens (1,18-23 ; 1,24-32 ; 2,1-8)

B - Inexcusabilité des juifs (2,9-16 ; 2,17-24 ; 2,25-29)

C - Inexcusabilité de tous (3,1-4 ; 3,5-8 ; 3,9-20)

II Volet positif : justification par la foi (3,21 - 4,25)

C’- Justification de tous (3,21-26 ; 3,27-30)

B’- Le juste Abraham, père des juifs (3,31 - 4,8 ; 4,9-12)

A’- Le juste Abraham, père des païens (4,13-16d ; 4,16e-22)

A"- Application aux chrétiens (4,23-25)

Deuxième partie (5,1 - 8,39) : Nous sommes engagés dans une lutte victorieuse

entre la mort et la vie

I Volet négatif : le chrétien est arraché au pouvoir du Péché (5,1 - 7,25)

A - Universalité du péché et de la réconciliation (5,1-11 ; 5,12-17 ; 5,18-21)

B - Arrachement à la crainte de la mort (6,1-14), à l’esclavage de l’immoralité (6,15-23), à l’esclavage de la Loi (7,1-6)

C - Déchirement du moi, soumis à la convoitise, mais qui veut faire le bien (7,7-11 ; 7,12-20 ; 7,21-25)

II Volet positif : le chrétien se livre à l’action de l’Esprit (8,1-39)

C’- Vous n’êtes pas dans la chair, mais dans l’Esprit (8,1-4 ; 8,5-11)

B’- Nous goûtons la liberté des enfants de Dieu (8,12-17 ; 8,18-21)

A’- L’Esprit intercède pour la multitude des frères du Christ (8,22-27 ; 8,28-30)

A"- Hymne à l’amour du Père (8,31-34 ; 8,35-39)

Troisième partie (9,1 - 11,36) : L’endurcissement partiel d’Israël n’empêchera pas le salut de toute l’humanité

I Volet négatif : l’endurcissement d’Israël (9,1 - 10,21)

A - Gratuité des dons faits aux Pères (9,1-5 ; 9,6-9 ; 9,10-13)

B - Dieu se choisit des instruments pour montrer sa force et sa miséricorde (9,14-18 ; 9,19-24 ; 9,25-29)

C - Israël a méconnu la justice de la foi, et Dieu va le rendre jaloux des païens (9,30 - 10,4 ; 10,5-17 ; 10,18-21)

II Volet positif : Dieu fera miséricorde à Israël (11,1-36)

C’- Paul, lui-même fils d’Israël, veut rendre jaloux ses frères de race (11,1-10 ; 11,11-15)

B’- Israël reste à jamais l’instrument de Dieu, la racine qui porte les autres branches (11,16-21 ; 11,22-24)

A’- Les dons de Dieu sont définitifs, et Israël à son tour obtiendra miséricorde (11,25-29 ; 11,30-32)

A"- Hymne à la sagesse de Dieu (11,33-36)

EXPOSÉ PARÉNÉTIQUE

Quatrième partie (12,1 - 15,13) : Les exigences de l’offrande spirituelle et de l’amour fraternel

Introduction : l’offrande spirituelle (12,1-2)

I La métamorphose chrétienne (12,1 - 13,14)

A - Renouvellement de la pensée (12,3-8 ; 12,9-16b)

B - Renouvellement de l’action (12,16c-21 ; 13,1-7 ; 13,8-10 ; 13,11-14)

II L’accueil mutuel dans la communauté (14,1 - 15,13)

B’- L’action : les observances alimentaires (14,1-12 ; 14,13-23)

A’- La pensée : avoir les sentiments du Christ (15,1-6 ; 15,7-13)

ÉPILOGUE (15,14 - 16,27)

Conclusion-transition (15,14-21)

- Conclusion de l’exposé parénétique (15,14-16)

- Conclusion générale : la force de l’Esprit (15,17-21)

Paul prend congé des destinataires (15,22 - 16,27)

- Nouvelles (15,22-32) ; Bénédiction (15,33)

(Appendice) : salutations (16,1-16), admonitions (16,17-20), mention des collaborateurs (16,21-23)

- Louange finale (16,25-27)

 

Ch. VII : PAUL QUITTE SES COMMUNAUTÉS
(ROMAINS 15,23)

IL LEUR LAISSE UN ÉVANGILE

Résumé

Dans nos chapitres II et III, nous avions supposé l’existence de quatre récits primitifs antérieurs aux trois évangiles synoptiques. Nous avions déjà pu présenter deux d’entre eux sous les appellations : " Évangile de Jérusalem " (ou, peut-être, " Matthieu hébreu ") et " Évangile des Craignant Dieu. "

Prenant appui sur une affirmation de Paul dans l’épître aux Romains (Rm 15,23), nous pensons pouvoir caractériser maintenant les deux autres sources plus tardives des évangiles synoptiques.

 

1 - PAUL A TERMINÉ SON TRAVAIL EN ASIE MINEURE ET EN GRÈCE
(ROMAINS 15,23 ; ACTES 20,3b-16)

Dans la lettre aux Romains (Rm 15,23), Paul écrit : " Maintenant, comme je n’ai plus de champ d’action dans ces contrées et que, depuis bien des années, j’ai un vif désir d’aller chez vous… ".

L’Apôtre compte quitter les communautés qu’il a fondées, mais il ne peut les abandonner à elles-mêmes et il veut leur assurer ce qui leur permettra de vivre :

- Elles doivent disposer d’un écrit développé de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ ; c’est l’objet de ce chapitre.

- Elles doivent avoir à leur tête des responsables qui seront chargés de la transmission du dépôt de la foi ; ce sera l’objet du chapitre suivant (ch. VIII).

 

2 - IL FAUT LAISSER UNE FORME ÉCRITE DE L’ÉVANGILE :
LE PRÉ-LUC OU " ÉVANGILE PAULINIEN "

Au moment de quitter les communautés qu’il a fondées, comment Paul n’aurait-il pas cru bon de leur laisser une trace de son enseignement sous la forme d’un évangile écrit ?

Paul avait le souci de transmettre ce qu’il avait reçu (1 Co 11,23 ; 15,3), de reprendre sous une forme identique les traditions qui étaient communiquées aux diverses églises (1 Th 4,2 ; 4,15 ; 2 Th 2,15 ; 3,6 ; 1 Co 11,2 ; Rm 6,17). On peut affirmer que l’Apôtre n’a jamais travaillé pour son compte, sans souci de ce que prêchaient les autres évangélisateurs.

Paul reste néanmoins, cela va de soi, un témoin privilégié et exceptionnel. Sa forte personnalité et sa propre expérience du Christ donnent à sa proclamation de l’évangile un accent personnel (Ga 1,6-8 ; 1,11-12 ; 2 Co 11,4). N’aurait-il pas marqué de son empreinte une version du texte évangélique ?

De fait, quand on observe les passages que nous avons attribués au Pré-Luc, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas présents chez Matthieu, mais qui sont attestés de manière parallèle par Marc et par Luc (voir notre premier schéma au ch. II), on y constate des résonances avec plusieurs des préoccupations de Paul, et quelques-unes des expressions caractéristiques qu’on lit dans ses lettres s’y retrouvent.

Sur ce point, on pourra consulter :

- Les Premiers évangiles (1984), pp. 86-108 et 153-156.

- L’Origine et la date des évangiles (1994), pp. 58-65.

 

Deux des caractéristiques communes aux paroles et actes de Paul d’une part, aux passages qu’on trouve aussi bien en Marc et Luc et non en Matthieu d’autre part, tournent :

1 - autour des guérisons de démoniaques et d’exorcismes :

voir Mc 1,23-27 = Lc 4,33-36 ; Mc 5,18-20 = Lc 8,38-39,

qu’il faut comparer à Ac 16,16-18 ; 19,11-12 ; 19,13-17,

et à 1 Co 2,4-5 ; 2 Co 12,12 ; Rm 15,19.

2 - autour de préoccupations missionnaires :

voir Mc 1, 35-38 = Lc 4, 42-43 ; Mc 5, 18-20 = Lc 8, 38-39,

qu’il faut comparer avec la pratique de Paul,

qui choisissait comme collaborateurs des païens convertis (Ga 2,3 et Col 4,12-14).

Il n’y a pas lieu de s’étonner de la présence de traces de la pensée de Paul dans le Pré-Luc, puisque Luc s’est joint à Paul lors de la fondation des églises de Macédoine (Ac 16,10 ; 20,5). Cette source très imprégnée de l’enseignement de Paul pourrait donc être appelée " l’évangile paulinien ", et on comprend fort bien qu’elle ait été utilisée à la fois par Luc et par Marc, puisque tous deux ont vécu dans l’entourage de Paul (Col 4,10 et 4,14). Ce recueil peut s’être constitué progressivement, mais il était certainement achevé en 58, quand Paul s’est dirigé vers Jérusalem (Actes 20).

 

3 - UNE AUTRE FORME D’ÉVANGILE S’EST CONSTITUÉE À ANTIOCHE :
LE PRÉ-MATTHIEU OU " ÉVANGILE PÉTRINIEN "

Nous pouvons enfin situer en son temps et en son espace géographique la quatrième et dernière source. Nous l’avions désignée du nom de " Pré-Matthieu " (dans notre schéma du chapitre II). Il s’agit de l’ensemble des passages qui figurent en parallèle chez Matthieu et chez Marc, mais non chez Luc.

Sur ce point, on pourra consulter :

- Les Premiers évangiles (1984), pp. 59-85 et 148-153.

- L’Origine et la date des évangiles (1994), pp. 65-69.

 

Nombre de ces passages trahissent l’influence des hellénistes qui, de Jérusalem, fuyant la persécution, " arrivèrent à Antioche et adressèrent aussi aux Grecs la Bonne Nouvelle de Jésus Seigneur " (Ac 6,1-6 ; 8,1-4 ; 11,19-20).

En outre, l’un de ces passages, commun à Mt 20,20-23 et à Mc 10,35-40, relate la prédiction de Jésus concernant la mort de Jacques et de son frère Jean. Or le récit de la mise à mort de l’Apôtre Jacques (sans doute au printemps de 43) se trouve en Actes 12,1-2, situé entre deux récits concernant la communauté d’Antioche (Ac 11,19-26 et 13,1-3). C’est nous suggérer que ce " Pré-Matthieu " aurait été composé pour la communauté d’Antioche.

Celle-ci ne peut se contenter de " l’évangile de Jérusalem ". Elle est constituée de chrétiens venus du judaïsme et de chrétiens venus du paganisme. La coexistence des uns et des autres pose des problèmes : les interdits alimentaires de la loi mosaïque ne peuvent être respectés lors des repas pris en commun autour de l’eucharistie ; on ne peut se rendre au Temple, non seulement parce qu’il est loin, mais aussi parce qu’il est exclusivement réservé aux circoncis. Une catéchèse appropriée s’impose donc, mieux adaptée aux convertis du paganisme que " l’évangile de Jérusalem. "

Toujours dans ces passages communs à Matthieu et Marc, on relève des textes qui traitent de la direction d’une communauté chrétienne et, aussitôt, du thème de Jésus Serviteur (Mt 20,24-28 = Mc 10,41-44). Dans cet ensemble, on lit un vocabulaire identique à celui de Pierre dans sa première lettre, " faire le seigneur " (1 P 5,3) et " délivrer moyennant rançon " (1 P 1,18). En d’autres épisodes, le thème de Jésus Pasteur est deux fois évoqué (Mt 9,36 = Mc 6,34 ; Mt 26,31 = Mc 14,27). Or Jésus est présenté comme " le pasteur de nos âmes " en 1 P 2,25, et c’est bien à Pierre que Jésus avait dit : " Sois le pasteur de mes brebis " (Jn 21,15-17).

On en conclura que Pierre, qui a certainement séjourné à Antioche (cf. Ga 2,11), a inspiré cette mise par écrit primitive de l’évangile. D’ailleurs, qui d’autre que lui aurait pu dénoncer ses propres faiblesses (Mt 16,22-23 = Mc 8,32b-33) ? On appellera donc cette source : " l’évangile pétrinien ", rédigé après 43 (mort de Jacques), sans doute après l’Assemblée de Jérusalem en 49-50.

Nous sommes en mesure de préciser encore

notre schéma

de la naissance des évangiles synoptiques :

 

GÉNÉALOGIE COMPLÈTE DES ÉVANGILES SYNOPTIQUES

ÉVANGILE SÉMITIQUE

(Jérusalem,

vers 34-36)

* *

Compléments * (Quelle) * Compléments

* * ÉVANGILE DES * *

* * CRAIGNANT DIEU * *

Évangile (Césarée, Évangile

pétrinien vers 40) paulinien

PRÉ-MATTHIEU ° ° PRÉ-LUC

(Antioche, * ° ° * (Macédoine,

après 43) * ° ° * avant 58)

* ° * * ° *

* ° * * ° *

MATTHIEU GREC MARC LUC

 

Les compléments de l’évangile pétrinien et de l’évangile paulinien

On peut se rendre compte que les éléments attestés ensemble par Matthieu et par Marc, mais absents de Luc, ont été insérés plus tardivement dans la trame de l’évangile primitif. Un exemple probant est celui de l’Onction de Béthanie (Mt 26,6-13 = Mc 14,3-9).

Mt 26,1-5, Mc 14,1-2 et Lc 22,1-2 décrivent l’embarras des grands-prêtres et des scribes, deux jours avant la Pâque, pour s’emparer de Jésus par ruse. La suite de ce récit se trouve dans la trahison de Judas, en Mt 26,14-16, Mc 14,10-11 et Lc 22,3-6.

Entre ces deux épisodes, Matthieu et Marc situent l’Onction de Béthanie, pour des raisons symboliques (elle préfigure l’ensevelissement de Jésus). Mais Jean précise que ce geste d’honneur fut accompli par Marie six jours avant la Pâque (Jn 12,1).

De même, les éléments attestés ensemble par Marc et par Luc, mais absents de Matthieu, ont été insérés plus tardivement dans la trame de l’évangile primitif. L’exemple le plus facile à comprendre est celui de l’envoi du démoniaque païen, maintenant sauvé, vers ses compatriotes (Mc 5,18-20 = Lc 8,37b-39).

Matthieu et Luc concluent l’épisode du démoniaque guéri en écrivant : " Et, étant monté en barque, il fit la traversée " (Mt 9,1) ; " Or lui, étant monté en barque, s’en retourna " (Lc 8,37b). Mais Luc ajoute alors, sous forme de parenthèse, le récit de l’envoi en mission du démoniaque, et il termine la parenthèse en reprenant le fil de son récit : " Or, alors que Jésus s’en retournait... " (Lc 8,40).

Marc a atténué l’effet de parenthèse d’une manière fort intelligente, en écrivant : " Et, alors qu’il montait dans la barque, le démoniaque le suppliait... " (Mc 5,18). Mais il a répété la mention de la barque dans l’introduction au récit suivant (Mc 5,21), parallèle à Mt 9,1.

La théologie de ce passage est remarquable. Le démoniaque est invité à raconter " ce que Dieu a fait pour lui " (Lc 8,39a). Mais, en fait, il proclame " ce que Jésus a fait pour lui " (Lc 8,39b). Comme en Rm 9,5, Jésus est appelé " Dieu ", et pas seulement " Fils de Dieu. "

 

Ch. VIII : DES RESPONSABLES POUR LES COMMUNAUTÉS
LES LETTRES À TITE ET TIMOTHÉE. LE DISCOURS DE MILET

PAUL ARRÊTÉ À JÉRUSALEM ET DÉTENU À CÉSARÉE

Résumé

D’après les lettres de Paul et de Jacques déjà étudiées, il a déjà été question de responsables dans les diverses églises. Ils étaient désignés de façon différente à Jérusalem et dans les communautés pauliniennes. Dans leurs épîtres, Jacques et Paul ont donné aux termes employés ici et là une sorte d’équivalence.

C’est au printemps 58 que se situent la lettre de Paul à Tite et sa première lettre à Timothée. L’Apôtre y reprend bien des points déjà abordés et insiste sur les qualités nécessaires aux responsables.

Il rencontre à Milet les prêtres (presbytres) d’Éphèse (Ac 20,17-37). Il poursuit sa route et rencontre Jacques et les presbytres à Jérusalem. Il y est arrêté à la Pentecôte 58, et se trouve en détention à Césarée pour deux ans.

Nous montrerons que c’est au cours de l’été 58, en captivité, qu’il a rédigé la deuxième lettre à Timothée.

 

1 - L’EXISTENCE DE RESPONSABLES DANS TOUTES LES COMMUNAUTÉS,
D’APRÈS LES LETTRES DÉJÀ ÉTUDIÉES

Paul ne se contente pas de laisser une forme écrite de l’évangile aux communautés qu’il a fondées (notre chapitre VII). Il est également nécessaire que certains y assurent une responsabilité.

Dès la première lettre aux Thessaloniciens, il est question de dirigeants. Selon les termes de Paul, " ils sont à votre tête dans le Seigneur et ils vous admonestent (ou : reprennent) " (1 Th 5,12). Ce verbe " admonester " (nouthetein), ainsi que le substantif correspondant " admonestation " (nouthesia), ne sont utilisés que par Paul dans le Nouveau Testament. On les rencontre notamment en 1 Co 4,14 ; Col 1,28 ; Tt 3,10 ; Ac 20,31, pour exprimer la mission de l’Apôtre ou de ses représentants à l’égard des fidèles. Leur autre caractéristique est de " se donner de la peine " (1 Th 5,12), comme " lui, Paul, s’en est donné " (1 Th 2,9 ; 3,5 ; 2 Th 3,8).

Ces dirigeants sont donc les " lieutenants " de l’Apôtre. Selon le témoignage d’Ac 14,23, Paul et Barnabé, lors de leur premier voyage missionnaire, avaient " désigné des anciens (littéralement : des presbytres) dans chacune des églises " qu’ils avaient fondées.

On pourra lire sur cette question :

- " Le ministère pastoral, ambassade au nom du Christ ",

dans Nouvelle Revue Théologique (1983), pp. 161-178.

- Les Ambassadeurs du Christ (1991).

Dans sa première lettre aux Corinthiens, Paul mentionne Stéphanas et les siens comme des dirigeants (1 Co 16,16). L’Apôtre y énumère aussi, selon une stricte hiérarchie, " premièrement les apôtres, deuxièmement les prophètes, troisièmement les docteurs ", dont il déclare qu’ils ont été " établis par Dieu dans l’Église " (1 Co 12,28), ce qui suppose qu’ils ont été l’objet d’une institution liturgique. Les titres employés correspondent à ceux qui étaient en usage dans l’église d’Antioche (Ac 13,1 ; 14,4.14).

Paul, à Corinthe, s’était efforcé de mettre de l’ordre dans l’usage de la langue dans les assemblées chrétiennes (1 Co 14,26-33). Jacques vient épauler Paul sur ce dernier point (Jc 3,1-13). Il utilise le titre de " didascales " (docteurs, enseignants), en usage à Antioche et à Corinthe, mais il emploie à la fin de sa lettre le titre de " presbytres " (anciens), en usage dans l’église de Jérusalem (cf. Ac 11,30 ; 15,2.4.6). En somme, il emploie d’une façon équivalente les termes utilisés ici et là pour désigner les responsables.

En Philippiens (Ph 1,1) Paul a salué les " épiscopes " (surveillants) et les " diacres " (serviteurs). S’il mentionne aussi nettement les gardiens de la communauté, c’est qu’il s’attend peut-être à perdre la vie (Ph 1,20-21 ; 2,17 ; cf. 2 Co 1,8-9). Il lui faut donc conforter l’autorité de ceux qui continueront sa mission de vigilance. En Galates 6,6, il fait allusion aux " didascales " de l’église (ceux qui instruisent les catéchumènes).

Avec la deuxième lettre aux Corinthiens, un certain tournant s’opère : Tite semble avoir reçu une autorité de plénipotentiaire de Paul, et l’obéissance lui est due (2 Co 7,15). Enfin, en Romains, dans une communauté qu’il n’a pas fondée, Paul cite les différentes fonctions : " prophétie, service, enseignement, exhortation " (Rm 12,6-8). Ceux qui remplissent de telles charges ont reçu une grâce semblable à celle de Paul (Rm 12,3).

Il nous fallait relever, dans ces lettres de Paul reconnues par tous les spécialistes comme authentiques, les témoignages d’une véritable responsabilité hiérarchique.

 

2 - LETTRE À TITE ET PREMIÈRE LETTRE À TIMOTHÉE
MACÉDOINE, PRINTEMPS 58

Au moment où Paul achève de dicter sa lettre aux Romains (" maintenant, comme je n’ai plus de champ d’action dans ces contrées ", Rm 15,23), il compte quitter Corinthe pour se rendre à Jérusalem. Afin de déjouer un complot, il passe par la Macédoine au printemps 58 et célèbre à Philippes la fête de la Pâque (Ac 20,3-6).

En partant à pied pour la Macédoine (Ac 20,3), Paul a renoncé à emmener Tite à Jérusalem, le laissant en Crète, où une communauté venait d’être fondée (Tt 1,5), et il a prescrit à Timothée de le devancer par bateau à Éphèse et d’y séjourner (1 Tm 1,3). Telle est l’interprétation fort ingénieuse de ces textes qu’a proposée en 1976 le P. S. de Lestapis, résolvant ainsi une énigme qui avait intrigué tous les spécialistes de l’histoire chrétienne depuis deux siècles.

L’ouvrage fondamental sur cette question est le suivant :

- S. de LESTAPIS,

L’énigme des Pastorales de Saint Paul, Gabalda, 1976.

Ses conclusions sont confirmées par Ph. Rolland dans :

- La succession apostolique (1997), pp. 77-87 et 100-105.

Au moment où S. de Lestapis a publié son livre, plusieurs exégètes catholiques, le plus célèbre étant N. Brox, avaient pensé devoir se rallier aux conclusions des critiques non catholiques qui niaient l’authenticité paulinienne de la lettre à Tite et de la première à Timothée. Outre le fait que Lestapis était exégète amateur, c’est ce qui explique que ses travaux soient restés dans l’ombre, malgré l’appui de C. Spicq et d’A. Feuillet et les jugements assez favorables de J. Murphy O’Connor (1978), de P. Dornier et du Pasteur M. Carrez (1983).

Il est vrai que le vocabulaire des épîtres pastorales renferme des expressions inhabituelles chez Paul, notamment des termes médicaux. Mais le médecin Luc était présent à Philippes au moment où Lestapis situe la lettre à Tite et la première lettre à Timothée (Ac 20,5-6), et il était certainement aux côtés de Paul quand fut rédigée la deuxième lettre à Timothée (2 Tm 4,11).

Le vocabulaire des Pastorales a été minutieusement étudié dans l’article suivant :

- A. FEUILLET, " La doctrine des Épîtres Pastorales et leurs affinités avec l’œuvre lucanienne ",

dans Revue Thomiste (1978), pp. 181-225.

 

Ce qui semble absolument déterminant, c’est que l’adresse de l’épître à Tite (Tt 1,1-4) fusionne des thèmes et des expressions qui ne se lisent ailleurs que dans l’épître aux Romains, d’une part dans son adresse (Rm 1,1-7 + 1,12), d’autre part dans sa doxologie finale (Rm 16,25-27). Une telle prouesse dépasse les possibilités d’un imitateur, et ne peut s’expliquer, semble-t-il, que d’une seule manière : quand il écrivait l’épître à Tite, Paul était habité par le message central de l’épître aux Romains qu’il venait de terminer.

On lit en Tt 3,3-7 un résumé très concis de l’exposé théologique de Rm 1-8, mais en utilisant plusieurs expressions tirées de Rm 11 : " autrefois " (Tt 3,3 ; Rm 11,30), " bonté " (Tt 3,4 ; Rm 11,22), " miséricorde " (Tt 3,5 ; Rm 11,31). Ce résumé est encadré par deux exhortations morales (Tt 3,1-2 et 3,8), qui reprennent presque mot pour mot Rm 13,1 et 12,17-18.

Il serait vraiment invraisemblable qu’un imitateur, écrivant après la mort de Paul, ait osé traiter les Crétois de " menteurs " (Tt 1,12-13), sans que ceux-ci réagissent. Seul Paul lui-même pouvait prendre une telle liberté. Il serait également étrange qu’après le martyre de Paul un disciple ait pu juger nécessaire de qualifier l’Apôtre vénéré de " premier des pécheurs " (1 Tm 1,15). La thèse de l’inauthenticité des Pastorales se heurte à ces évidences. Elle pose plus de problèmes que celle de l’authenticité.

Comme en Galates 4,4 et Romains 1,3, Paul souligne dans sa deuxième lettre à Timothée (2 Tm 2,8) l’humanité de Jésus, le " descendant de David. " Cette humanité est exprimée explicitement en 1 Tm 2,5, tandis que la divinité du Christ est clairement affirmée (comme en Rm 9,5) en Tt 2,13 (" notre grand Dieu et Sauveur Jésus Christ "), si bien que Paul peut écrire cette parole, à bon droit si chère aux Chrétiens Réformés : " Il n’y a qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même " (1 Tm 2,5).

L’objet principal de l’épître à Tite et de la première épître à Timothée est de préciser ce qui est requis des responsables placés à la tête des communautés. En Tite 1,5 et en 1 Timothée 5,17.19, il emploie le titre de " presbytres ", terme en usage à Jérusalem. Cela confirme le souci de collégialité qui rapproche Jacques et Paul. Mais il reste aussi attaché au terme " épiscope " (Tt 1,7 ; 1 Tm 3,2), qui était en usage à Philippes (Ph 1,1 ; voir aussi Ac 20,28).

Timothée se voit rappeler qu’il a reçu l’imposition des mains du collège des anciens (le presbytérium, 1 Tm 4,14), ainsi que de Paul (2 Tm 1,6). Il devra à son tour accomplir ce rite d’ordination avec discernement (1 Tm 5,22). Il est donc placé au-dessus des simples presbytres, il est héritier de la charge apostolique de Paul. Il aura enfin à " garder le dépôt " (1 Tm 6,20).

 

3 - LE VOYAGE VERS JÉRUSALEM (ACTES 20)
LE DISCOURS DE MILET (ACTES 20,17-35)

Paul et les siens se dirigent vers Jérusalem, " en se hâtant afin d’y être, si possible, le jour de la Pentecôte " (Ac 20,6-16). Luc affirme à plusieurs reprises qu’il était aux côtés de Paul, notamment pour le voyage de Philippes à Jérusalem (Ac 20,5 ; 21,17) et deux ans après, depuis son embarquement pour l’Italie jusqu’à son arrivée à Rome (Ac 27,1 ; 28,14). Pour ces périodes, son récit est d’une précision minutieuse : il va jusqu’à indiquer que le départ de Philippes a eu lieu après la fin de la fête des pains sans levain (octave de la Pâque), que le voyage de Philippes à Troas a duré cinq jours et que le séjour de sept jours à Troas s’est achevé dans la nuit du samedi au dimanche (Ac 20,6-11). Puisque la Pâque est célébrée le quatorzième jour d’un mois lunaire et que nous connaissons par l’astronomie les dates de toutes les nouvelles lunes, ceci permet de préciser que le départ de Philippes a eu lieu un mercredi matin, que la Pâque tombait cette année-là un mardi soir, ce qui correspond à l’an 58 et conduit à exclure les années 56, 57 et 59. Nous avons là le repère le plus sûr de la chronologie paulinienne.

À Milet, Paul convoque les " anciens " d’Éphèse, leur adresse un discours où il les invite à imiter le modèle pastoral qu’il leur a donné (Ac 20,17-35). Il exprime son intention de ne plus revenir en Asie et leur fait ses adieux (Ac 20,25.29.32.38 ; cf. Rm 15,23). Aux " anciens ", l’Apôtre rappelle que l’Esprit Saint lui-même les a établis " gardiens " (épiscopes, Ac 20,28). Nous avons là une nouvelle preuve de l’équivalence des termes, l’un en usage à Jérusalem, l’autre relevant des communautés pauliniennes. D’autre part, l’origine divine des ministère ordonnés est soulignée par Paul.

 

4 - L’ARRESTATION DE PAUL À JÉRUSALEM
PENTECÔTE 58 (ACTES 21,17 - 23,35)

Après être passé à Césarée (Ac 21,8-16), Paul parvient à Jérusalem (Ac 21,17). Il y rencontre Jacques et les anciens. Il leur fait connaître l’impact de son apostolat parmi les païens. Les responsables de la communauté en rendent grâce à Dieu, mais tout de suite ils rappellent l’attachement d’une bonne partie de leurs fidèles aux pratiques juives. Ils pressent Paul de faire au Temple une démarche de fidélité aux coutumes nationales.

Ce qui va se passer nous est relaté en Actes 21,27-30. Paul accepte la proposition de Jacques. Mais des juifs d’Asie, venus en pèlerinage à Jérusalem, se rappellent avoir vu chez eux le païen Trophime d’Éphèse en compagnie de Paul (Ac 20,4). Ils accusent Paul de l’avoir introduit dans le Temple, geste sacrilège qui était puni de mort. Ils déclenchent une émeute, et Paul n’échappe au lynchage que grâce à l’intervention des Romains.

Pour bien comprendre la deuxième épître à Timothée, où il est dit au contraire que Paul a " laissé Trophime malade à Milet " (2 Tm 4,20), il faut remettre en cause la traduction habituelle d’Ac 21,29 : " Ils avaient déjà vu en effet Trophime d’Éphèse avec lui dans la ville et ils pensaient que Paul l’avait introduit dans le Temple " (TOB). Comment l’auraient-ils vu à Jérusalem, s’il était resté à Milet ?

Cette question a été étudiée par un professeur de Lettres classiques, qui a porté un regard neuf sur ce texte :

Bernard GINESTE,

Èsan gar proeôrakotes (Actes 21,29) : Trophime a-t-il été "vu" à Jérusalem ? ",

dans Revue Thomiste, 1995, pp. 251-272.

Le verbe qu’on traduit habituellement par " voir auparavant " (" Ils avaient déjà vu ", dit la TOB ; " Précédemment ils avaient vu ", dit la B.J.) signifie normalement " voir d’avance, prévoir " (cf. le Dictionnaire grec-français de Bailly, au verbe pro-oraô, et l’emploi de ce même verbe en Ac 2,31 et Ga 3,8). Dans son article de la Revue Thomiste (pp. 253-254), B. Gineste a proposé les deux traductions suivantes, la première très littérale : " (Les Juifs d’Asie) étaient se-trouvant-avoir-prévu Trophime d’Éphèse – en ville avec lui ils le pensaient – que dans le Temple l’avait introduit Paul. " Ou, dans un meilleur français : " Ils pensaient, pour l’avoir prévu, que Trophime d’Éphèse (qu’ils croyaient en ville avec lui), Paul l’avait introduit dans le Temple. " En fait, Trophime n’était pas à Jérusalem avec Paul, et les juifs d’Asie renonceront quelques jours plus tard à se présenter devant le gouverneur Félix, étant dans l’incapacité de prouver leurs accusations (Ac 24,19).

Au moment de son arrestation, Paul relate devant le peuple (Ac 22,1-21) sa jeunesse juive, son zèle à persécuter ceux qui suivaient la Voie de Jésus, sa vocation et la mission qu’il reçut d’aller vers les païens. Nous n’avons pas de trace d’une aide de Jacques à Paul au cours de ces événements. N’en cherchons pas les raisons, puisque Luc a préféré se taire (mais voir la plainte et le pardon de 2 Tm 4,16).

L’auteur des Actes n’a pas fait mention de la remise de la collecte. Il sait pourtant que Paul était venu à Jérusalem " porter des aumônes à son peuple " (Ac 24,17). Les craintes que Paul exprimait en Rm 15,31 n’étaient sans doute pas chimériques.

Très rapidement, dans des conditions épiques (Ac 23,12-35), Paul est transféré à Césarée auprès du gouverneur Félix. Commence alors pour lui un temps de captivité qui durera un peu plus de deux ans (Ac 24,27) : de la Pentecôte 58 à la fin de l’été 60.

 

5 - LA DÉTENTION DE PAUL À CÉSARÉE (ACTES 24,1 - 26,32)
LA DEUXIÈME LETTRE À TIMOTHÉE

Nous avons pour notre part reconnu Paul comme auteur de la lettre à Tite et de la première lettre à Timothée. Des savants de grande renommée, qui ne partagent pas ce point de vue, traitent cependant à part la deuxième épître à Timothée et reconnaissent depuis peu son authenticité (cf. P. Grelot, La Tradition apostolique, Cerf, 1995, p. 298). Mais la dissociation du sort de ces trois lettres est critiquement peu acceptable. Comme l’écrit judicieusement le Nouveau Testament de la TOB (p. 631), " (les trois épîtres) forment un groupe homogène, tant sur le plan littéraire que sur le plan doctrinal. " Elles doivent donc être sensiblement de la même époque.

Il est vrai qu’en 2 Tm 4,6-8 Paul emploie des expressions qui semblent annoncer sa fin prochaine. Mais on trouve des formules semblables en Ph 2,16-17 lors de la captivité d’Éphèse. On ne peut donc pas conclure de ce passage de 2 Timothée que cette lettre précéderait de peu sa mort. D’ailleurs, Paul forme dans cette lettre des projets missionnaires : il demande à Timothée de le rejoindre au plus vite (2 Tm 4,9), avant l’hiver (4,21), car il a besoin du manteau qu’il a laissé à Troas chez Carpos (4,13) ; il faut aussi que Marc le rejoigne (4,11), et Paul veut pouvoir utiliser les parchemins qu’il n’avait pas emportés à Jérusalem, pensant les reprendre quand il se rendrait à Rome après avoir remis la collecte (Rm 15,28). L’auteur de 2 Timothée n’est pas un condamné à mort à la veille de son exécution, c’est un prisonnier qui se bat pour sa défense (2 Tm 4,16-18), mais qui est prêt à donner sa vie quand le Seigneur le voudra.

Les spécialistes qui admettent l’authenticité de 2 Timothée placent sa rédaction à Rome, puisque cette ville semble être mentionnée en 2 Tm 1,16-17, selon la traduction habituelle : " Que le Seigneur fasse miséricorde à la famille d’Onésiphore, car souvent il m’a réconforté et il n’a pas rougi de mes chaînes ; au contraire, à son arrivée à Rome, il m’a recherché activement et m’a découvert. ". Mais on se trouve alors devant des problèmes insolubles. Il ne peut être question de la captivité de Paul à Rome en 61-63. La résidence de Paul était alors bien connue, les juifs s’y rendaient sans réticence, malgré ses chaînes (Ac 28,17). Comment Paul, ayant laissé son manteau à Troas au printemps de 58, aurait-il attendu l’an 61 pour demander qu’on le lui apporte ?

On a donc imaginé que Paul, après sa détention à Rome en 61-63, a été libéré (ce qui est possible) et que, au lieu de se rendre en Espagne comme il en avait l’intention (Rm 15,28), il est revenu en Asie, là où il avait dit qu’on " ne reverrait plus son visage " (Ac 20,25 ; 20,38). Il aurait alors évangélisé la Crète (épître à Tite) et laissé son manteau à Troas (2 Tm 4,13). Arrêté et conduit à Rome, il aurait alors écrit 2 Timothée juste avant sa mort. Recommandée par la Commission Biblique Pontificale au début du siècle, cette solution met gravement en cause la véracité du récit des Actes, et elle n’est plus soutenue aujourd’hui par aucun spécialiste.

La difficulté vient simplement d’une très vieille erreur de traduction, qui avait été suggérée par quelques exégètes au début de ce siècle (notamment Duncan, 1929), mais n’avait pas été prise au sérieux. Dans les manuscrits anciens, tous les mots étaient écrits en lettres capitales, on ne distinguait donc pas les noms propres et les noms communs. Or, en grec, le mot RHÔMÈ, s’il est un nom propre, signifie " Rome " ; mais, s’il s’agit d’un nom commun, il signifie " vigueur, courage. "

 

Cette observation élémentaire a été faite par :

- Bernard GINESTE,

Genomenos en rhômè (2 Tm 1,17) : Onésiphore a-t-il été "été à Rome" ? ",

dans Revue Thomiste, 1996, pp. 67-106.

En grec, les verbes " chercher " et " trouver " signifient plutôt " réclamer " et " obtenir. " On le voit bien dans les évangiles, où il ne faut pas traduire : " Cherchez, et vous trouverez " (on n’est jamais sûr de trouver une aiguille dans une botte de foin, mais on est sûr de l’efficacité de la prière). Il faut traduire : " Demandez, et il vous sera donné ; réclamez, et vous obtiendrez ; frappez, et il vous sera ouvert " (Mt 7,7 ; Lc 11,9).

D’autre part, avec le datif, l’expression grecque " genomenos en Rhômè " peut signifier " se trouvant à Rome ", mais non " arrivant à Rome " (il faudrait l’accusatif : " genomenos eis Rhômèn "). Si on lit le mot " rhômè " avec une minuscule, on trouve une construction grecque classique, qu’il faut traduire : " entrant en état de vigueur. "

En tenant compte de ce véritable sens des mots grecs et du contexte, où Timothée est invité au courage, Bernard Gineste a pu proposer une traduction bien vraisemblable de 2 Tm 1,16-17 : " Que le Seigneur fasse miséricorde à la famille d’Onésiphore, car il m’a souvent réconforté et il n’a pas rougi de mes chaînes ; mais au contraire, dans un élan de vigueur, il m’a réclamé énergiquement, et il m’a obtenu. "

Quand Paul était captif à Éphèse (cf. notre chapitre V), Onésiphore l’a réconforté, et il a réclamé sa libération, conjointement avec Priscille et Aquila (cf. Rm 16,3-4). Maintenant qu’il est mort, Paul demande que Dieu fasse miséricorde à sa famille, et qu’il obtienne lui-même miséricorde au dernier jour (2 Tm 1,18). Tout cela est fort cohérent, et rien n’empêche plus que la deuxième épître à Timothée ait été écrite à Césarée, et non à Rome, ce qui explique fort bien, par exemple, la demande du manteau et l’allusion à la maladie qui a contraint Trophime à rester à Milet.

Cette nouvelle traduction est tellement étrangère à nos habitudes qu’elle mettra sans doute longtemps à s’imposer. Mais la localisation de 2 Timothée à Césarée et sa datation au cours de l’été 58 est confirmée par d’autres arguments. En particulier, il y a une étrange ressemblance entre 2 Tm 1,3 et trois déclarations de Paul dans les Actes. Dans sa lettre, Paul écrit : " Je suis plein de reconnaissance envers Dieu, que je sers à la suite de mes ancêtres avec une conscience pure, lorsque sans cesse, nuit et jour, je fais mention de toi dans mes prières. " On retrouve certains de ces mots en Ac 23,1 : " Je me suis conduit jusqu’à ce jour en toute bonne conscience devant Dieu " ; en Ac 24,14 : " Je sers le Dieu de mes pères " ; en Ac 26,7 : " Nos douze tribus servent Dieu nuit et jour avec ferveur. " Selon la formule de M. A. Hubaut, que nous avons reproduite à propos des rapports entre Galates et 2 Co 10-13, nous trouvons " les mêmes mots au même moment. "

Une autre vérification de cette datation se trouve dans le fait que la première épître de Pierre semble bien comporter des réminiscences, non seulement de l’épître à Tite et de la première épître à Timothée, mais également de la deuxième épître à Timothée. Or 1 Pierre a dû être rédigée en l’an 59, comme nous le montrerons dans les chapitres suivants. 2 Timothée est donc antérieure.

On trouvera cette démonstration dans :

- La succession apostolique (1997), pp. 96-99.

Quand Paul écrit cette lettre, Timothée est encore jeune : on l’exhorte à " fuir les passions de la jeunesse " (2 Tm 2,22). Timothée est né environ en l’an 30, il était déjà compagnon de Paul lors de l’évangélisation de Corinthe en 51. Il avait entre 25 et 30 ans au début de la captivité de Paul à Césarée, en 58. Paul rappelle qu’il lui a imposé les mains (2 Tm 1,6). C’est ainsi qu’il a consacré son enfant (2 Tm 1,2 ; 2,1) pour le ministère.

Un passage de 2 Timothée est particulièrement important. Paul écrit à son plénipotentiaire : " Ce que tu as reçu de moi en présence de nombreux témoins, confie-le à des hommes fidèles, qui seront eux-mêmes capables de l’enseigner encore à d’autres " (2 Tm 2,2). Tel est le principe de la succession apostolique en matière doctrinale. Paul est bien à l’origine de ce point capital de la doctrine commune aux catholiques et aux orthodoxes.

En outre, Paul rappelle à Timothée qu’il connaît les Saintes Écritures depuis son enfance (2 Tm 3,14-15). Il les a apprises de sa mère et de sa grand-mère (2 Tm 1,5). Cela donne à l’Apôtre l’occasion de proclamer les bienfaits que donne la connaissance de ces Écritures et d’affirmer fortement leur origine divine (2 Tm 3,16-17). Ici, c’est la sensibilité des protestants qui se trouve encouragée par Paul. L’unité des chrétiens se fera autour de l’écoute commune de l’enseignement des Écritures.

 

La captivité de Paul est assez longue pour permettre un changement de gouverneur (Ac 24,27). Devant Porcius Festus, l’Apôtre en appelle à César (Ac 25,11). Ainsi pourra-t-il témoigner à Rome, comme le Christ le lui avait annoncé lors de son arrestation à Jérusalem (Ac 23,11).

 

ANNEXE : LES CITATIONS DES LETTRES PASTORALES
CHEZ LES PÈRES APOSTOLIQUES
(CLÉMENT DE ROME, IGNACE D’ANTIOCHE, POLYCARPE DE SMYRNE)

AVERTISSEMENT

Cette annexe ne figure pas dans la première édition de " La Naissance du Nouveau Testament ".

Il s’agit d’un inédit, réalisé en février 2001 par Philippe Rolland.

Nous sommes heureux d’en donner la primeur aux internautes.

Dans le chapitre qui s’achève, il a été montré à quel moment ont été vraisemblablement écrites les lettres à Tite et à Timothée. Ces propositions sont nouvelles et résolvent bien des problèmes. Mais, à cause précisément de leur nouveauté, surtout pour la deuxième lettre à Timothée, elles n’ont encore guère été discutées par les exégètes.

Cependant, même si la discussion devait aboutir à d’autres résultats, il n’en resterait pas moins que ces lettres ont véritablement été écrites par saint Paul, vraisemblablement avec l’aide de saint Luc (à cause du vocabulaire).

Ce qui prouve leur authenticité, c’est qu’elles sont citées par Clément de Rome dans la lettre qu’il a écrite aux Corinthiens en l’an 95 environ (date communément admise par les spécialistes). Des explications plus complètes sur cette lettre sont données dans la dernière partie de cet ouvrage.

Clément avait connu personnellement les apôtres Pierre et Paul. Parmi les Corinthiens auxquels il s’adressait, plusieurs étaient suffisamment âgés en 95 pour se souvenir de la fondation de leur église en 50 ou 51. Ce que dit Clément dans sa lettre sur la désignation par les apôtres de pasteurs qui leur succéderaient après leur mort ne peut être une invention, car les témoins des temps apostoliques étaient encore très nombreux à la fin du premier siècle, et Clément ne pouvait pas risquer d’être contredit.

Il est donc important de voir quelles sont les allusions aux lettres à Tite et à Timothée qu’on peut trouver dans la lettre de Clément. Nous les accompagnons de commentaires montrant l’antériorité des Pastorales par rapport au texte de Clément.

Réminiscences des Pastorales dans l’épître de Clément de Rome aux Corinthiens

Tite 2,4-6 : " ainsi elles apprendront aux jeunes femmes à aimer leur mari (philandrous) et leurs enfants, à être pondérées (sôphronas), chastes (hagnas), bonnes dirigeantes de maison (oikourgous), soumises (hupotassomenas) à leur mari, (...). Exhorte également les jeunes gens à garder en tout la pondération "

Cor. I,3 : " Aux jeunes gens vous demandiez une attitude pondérée et digne. Aux femmes vous recommandiez d’accomplir tous leurs devoirs avec une conscience irréprochable, sainte et chaste (hagnè), chérissant leurs maris (stergousas tous andras) comme il convient ; vous leur enseigniez, en demeurant dans la règle (kanôn) de la soumission (hupotagès), à diriger saintement leur maison (oikourgein), en toute pondération (sôphronousas) "

Commentaire : Les deux textes concernent à la fois les femmes et les jeunes gens. De nombreux mots grecs sont identiques ou synonymes. Paul s’exprime au présent, alors que Clément évoque le passé des temps apostoliques. La soumission des femmes est devenue une " règle. "

Tite 3,1 : " Il faut être (...) prêts (hetoimous) à toute bonne oeuvre "

Cor II,7 : " Vous étiez sans repentir dans toutes vos bonnes actions, "prêts (hetoimoi) à toute bonne oeuvre" "

Cor XXXIII,1 : " Hâtons-nous plutôt de mettre notre zèle et notre ardeur à accomplir toute bonne oeuvre "

Commentaire : Là encore, Paul s’exprime au présent, Clément au passé. La forme même de Cor II,7 montre que Clément fait une citation : il s’exprime d’abord dans son propre langage, puis il redouble sa recommandation avec une parole proverbiale. De plus, le fait qu’il reprenne en Cor XXXIII,1 les mots " toute bonne oeuvre " suggère aussi qu’il s’agit d’une citation.

Tite 3,5 : " (Il ne s’est pas occupé) des oeuvres que nous aurions accomplies nous-mêmes dans la justice, mais c’est selon sa seule miséricorde qu’il nous a sauvés... "

Cor XXXII,3 : " Tous ont reçu gloire et grandeur, non à cause d’eux, non à cause de leurs oeuvres ou de la justice qu’ils auraient réalisées, mais par le bon plaisir de Dieu "

Cor XXXII,4 : " Ce n’est pas par nous-mêmes que nous sommes justifiés, ni par notre sagesse, ni par notre intelligence, ni par notre piété, ni par les oeuvres que nous aurions réalisées en toute sainteté de coeur, mais par la foi "

Commentaire : L’idée de la justification par la foi et non par les oeuvres est présente en de nombreux passages pauliniens, mais c’est de ce passage de Tite que Clément est le plus proche.

1 Tm 1,17 : " Au Roi des siècles, Dieu incorruptible, invisible, unique, honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen "

Cor LXI,2 : " C’est toi, Maître céleste, Roi des siècles, qui donnes aux fils des hommes gloire et honneur... "

Cor LXI,3 : " Jésus Christ, par qui gloire et magnificence soient à Toi, maintenant, de génération en génération, et dans les siècles des siècles. Amen "

Cor XXXII,4 : " Dieu, à qui soit la gloire dans les siècles des siècles. Amen "

Commentaire : L’appellation " Roi des siècles " (basileus tôn aiônôn) se trouve également en Apoc 15,3, mais seulement dans quelques manuscrits et sans la conclusion " gloire dans les siècles des siècles. Amen. " Il y a une analogie très forte entre 1 Tm 1,17 et Cor LXI,2-3, qui forme une unité de pensée. La doxologie de 1 Tm est courte, alors que celle de Clément est plus développée (" maintenant, de génération en génération "). Quant à la doxologie de Cor XXXII,4, elle est précédée par une longue description de la justification par la foi et non par les oeuvres, qui rappelle beaucoup Tite 3,5, mais qu’on doit comparer aussi au témoignage que Paul rend à la miséricorde de Dieu envers lui en 1 Tm 1,12-16. C’est ce qui explique que Clément termine son texte sur la justification par la foi (XXXII,3-4) par une doxologie semblable à celle de 1 Tm 1,17.

1 Tm 2,2 : " (des supplications) pour les rois et tous les dépositaires de l’autorité, afin que nous puissions mener une vie calme et paisible... "

1 Tm 2,4 : " Dieu veut que tous les hommes soient sauvés "

1 Tm 2,7 : " docteur des païens dans la foi et la vérité "

1 Tm 2,8 : " Ainsi donc je veux que les hommes prient en tout lieu... "

Cor LX,4 : " Donne-nous la concorde et la paix, à nous et à tous les habitants de la terre, comme tu les as donnés à nos pères lorsqu’ils invoquaient ton nom dans la foi et la vérité. Et pour cela rends-nous soumis (...) à ceux qui nous gouvernent et nous dirigent sur la terre "

Commentaire : 1 Tm 2,1-8 forme une unité consacrée à la prière pour les autorités et pour tous les hommes. L’expression " dans la foi et la vérité " est plus naturelle chez Paul (en relation avec son enseignement), alors qu’elle étonne un peu dans le contexte de Clément. Ici comme ailleurs, Paul donne des consignes pour le présent, Clément rappelle le passé (" nos pères ").

1 Tm 2,8 : " que les hommes prient en tout lieu, élevant vers le ciel des mains saintes "

Cor XXIX,1 : " Approchons-nous de lui avec une âme sainte, "levant vers lui des mains pures et sans tache" "

Commentaire : La forme de la phrase de Clément suggère qu’il s’agit d’une citation.

1 Tm 2,9-10 : " que leur parure ne soit pas faite de (...), mais plutôt de bonnes oeuvres "

Cor XXXIII,7 : " tous les justes se sont parés de bonnes oeuvres "

Commentaire : L’idée de parure (des femmes) est naturelle chez Paul, et non chez Clément.

2 Tm 1,3 : " Je rends grâces à Dieu que je sers (latreuô) avec une conscience pure "

Cor XLV,7 : " ceux qui avec une conscience pure servent (latreuontôn) ton saint nom "

Commentaire : Seul parallèle dans le Nouveau Testament. Mais on peut rapprocher Ac 23,1 et Ac 24,14.

 

2 Tm 2,1 : " fortifie-toi (endunamou) dans la grâce du Christ Jésus "

Cor LV,3 : " plus d’une femme, fortifiée (endunamôtheisai) par la grâce de Dieu "

Commentaire : Le verbe endunamoun n’est employé dans le NT que par Paul ou à propos de Paul (Ac 9,22 ; Rm 4,20 ; Ep 6,10 ; Ph 4,13 ; 1 Tm 1,12 ; 2 Tm 2,1 et 4,17). Il est inconnu en grec profane avant le NT. La LXX ne l’emploie qu’en Jug 6,34 ; 1 Chr 12,18 ; Ps 51(52),7. 2 Tm 2,1 est le seul endroit où il est joint au mot " grâce. "

2 Tm 2,2 : " Ce que tu as appris de moi sur l’attestation de nombreux témoins, confie-le à des hommes sûrs, capables à leur tour d’en instruire d’autres "

Cor XLIV,2-3 : " (nos apôtres) instituèrent les ministres que nous avons dit et posèrent ensuite la règle qu’à leur mort d’autres hommes éprouvés succéderaient à leurs fonctions. Ceux qui ont ainsi leur charge des apôtres, ou, plus tard, d’autres personnages éminents... "

Commentaire : Clément parle d’après ses souvenirs. Mais étant donné qu’il utilise 2 Tm 2,1 et 2 Tm 2,3-4, le parallèle avec 2 Tm 2,2 est très frappant. C’est ce texte qui contient " la règle. "

2 Tm 2,3-4 : " Prends ta part de souffrances, en bon soldat du Christ Jésus. Personne faisant campagne (strateuomenos) ne s’encombre des affaires de la vie civile, s’il veut plaire (aresè) à celui qui l’a engagé " (cf. 1 Tm 1,18)

Cor XXXVII,1-2 : " Faisons campagne de tout notre zèle, sous les ordres de ce chef irréprochable. Considérons les soldats en campagne, comme ils se montrent disciplinés, dociles, soumis aux ordres de leurs chefs "

Commentaire : Paul emploie d’autres fois la comparaison du métier des armes, mais c’est le seul endroit où il parle d’être soldat (sous les ordres) du Christ. On remarquera que le texte de 2 Tm 2,3-4 est aussi utilisé, de manière plus étroite, par Ignace d’Antioche dans sa lettre à Polycarpe (VI,1-2) : " ... combattez, luttez, souffrez... Cherchez à plaire (areskete) à celui sous les ordres de qui vous faites campagne (strateuesthe), de qui aussi vous recevez votre solde... " Ignace semble bien dépendre à la fois de 2 Timothée et de Clément (" sous les ordres de... ").

Réminiscences des Pastorales dans les lettres d’Ignace d’Antioche

Peu de temps après la lettre de Clément de Rome aux Corinthiens (95), Ignace d’Antioche fut emmené enchaîné à Rome pour y être jeté aux bêtes. Pendant son voyage, il écrivit de nombreuses lettres aux communautés qu’il allait rencontrer, et notamment à celle de Rome. Il écrivit aussi une lettre à Polycarpe de Smyrne. On s’accorde à dater ces lettres, écrites sous l’empereur Trajan (98-117), de l’an 110 environ.

Nous donnons les textes à rapprocher, sans commentaire.

 

Tite 2,7 : " offrant en ta personne un modèle de bonne conduite : pureté de doctrine... "

" unissez-vous à l’évêque et aux présidents pour un modèle et un enseignement d’incorruptibilité " (Magnésiens, VI,2)

Tite 3,9 : " Mais les folles recherches (...) évite-les. Elles sont sans utilité et sans profit "

1 Tm 1,3-4 : " cesser d’enseigner des doctrines étrangères et de s’attacher à des fables "

1 Tm 4,7 : " Quant aux fables profanes, racontars de vieilles femmes, rejette-les "

" Ne vous laissez pas séduire par les doctrines étrangères ni par ces vieilles fables qui sont sans utilité " (Magnésiens, VIII,1 ; voir aussi Polycarpe, III,1)

1 Tm 1,1 : " apôtre (...) du Christ Jésus, notre espérance "

" Jésus Christ, notre espérance " (Magnésiens, XI)

" comme aux apôtres de Jésus Christ, notre espérance " (Tralliens, II,2)

1 Tm 1,2 : " grâce, miséricorde, paix "

2 Tm 1,2 : " grâce, miséricorde, paix "

" à vous grâce, miséricorde, paix et patience pour toujours " (Smyrniotes, XII,2)

1 Tm 1,5 : " La fin (telos) de cette injonction est la charité qui procède d’un coeur pur, d’une bonne conscience et d’une foi sans détours "

" Rien de tout cela ne vous est caché, si vous avez parfaitement pour Jésus Christ la foi et la charité, qui sont le commencement et la fin de la vie : le commencement, c’est la foi, et la fin (telos), la charité " (Éphésiens, XIV,1)

2 Tm 1,6 : " Je t’invite à ranimer (anazôpurein) le don spirituel que Dieu a déposé en toi "

" (vous avez été) ranimés (anazôpurein) dans le sang de Dieu " (Éphésiens, 1,1)

2 Tm 2,4 : " Prends ta part de souffrances, en bon soldat du Christ Jésus "

" ... combattez, luttez, souffrez... Cherchez à plaire à celui sous les ordres de qui vous faites campagne, de qui aussi vous recevez votre solde, qu’on ne trouve parmi vous aucun déserteur " (Polycarpe, VI,1-2)

2 Tm 2,26 : " (Dieu leur donnera peut-être) de retrouver le bon sens (ananèpsai) "

" Il est raisonnable de retrouver notre bon sens (ananèpsai) " (Smyrniotes, IX,1)

2 Tm 3,6 : " ils captivent (aichmalôtizein) des femmelettes chargées de péchés "

" Car beaucoup de loups apparemment dignes de foi captivent (aichmalôtizein) ceux qui courent la course de Dieu " (Philadelphiens, II,2)

" que le prince de ce monde ne vous emmène pas en captivité (aichmalôtizein) loin de la vie qui vous attend " (Éphésiens, XVII,1)

Réminiscences des Pastorales dans la lettre de Polycarpe de Smyrne aux Philippiens

Une des lettres d’Ignace d’Antioche a été adressée à Polycarpe de Smyrne, son contemporain. Il est pratiquement sûr que Polycarpe a été baptisé en l’an 69, et qu’il est mort sur le bûcher le 23 février 155 (voir la démonstration qui en sera faite dans la chronologie finale). Polycarpe a écrit une lettre aux Philippiens. Il connaît, lui aussi, les épîtres pastorales. Ici encore, nous donnons les textes à comparer, sans commentaire.

Tite 2,3-5 : " Que les femmes âgées (ne soient pas) médisantes (...), qu’elles apprennent aux jeunes femmes à aimer leur mari et leurs enfants, à être réservées, chastes "

" Apprenez à vos femmes (...) à chérir leurs maris (...) en toute chasteté, à donner à leurs enfants l’éducation dans la crainte de Dieu. Que les veuves (...) soient éloignées de toute médisance " (Philippiens, IV,2-3)

1 Tm 2,1-2 : " (Priez) pour les rois et tous les dépositaires de l’autorité "

" Priez aussi pour les rois, pour les autorités et les princes " (Phil. XXII,3)

1 Tm 3,8 : " Les diacres... n’ayant qu’une parole... fuyant les profits déshonnêtes "

" Les diacres... ni duplicité, ni amour de l’argent " (Phil. V,2)

1 Tm 6,7 : " Nous n’avons rien apporté dans le monde, et de même nous n’en pouvons rien emporter "

1 Tm 6,10 : " Car la racine de tous les maux, c’est l’amour de l’argent "

" Le principe de tous les maux, c’est l’amour de l’argent. Sachant donc que nous n’avons rien apporté dans le monde, et que nous n’en pouvons non plus rien emporter... " (Phil. IV,1)

2 Tm 2,12 : " Si nous tenons ferme, avec lui nous régnerons "

" Si notre conduite est digne de lui, nous régnerons aussi avec lui " (Phil. V,2)

2 Tm 2,25 : " Dieu, peut-être, leur donnera de se repentir "

" Veuille le Seigneur leur donner un vrai repentir " (Phil. XI,4)

2 Tm 4,10 : " Dèmas m’a abandonné par amour du siècle présent "

" Ils n’ont pas aimé le siècle présent " (Phil. IX,2)

Une étude systématique des rapports de l’épitre de Clément de Rome et des lettres d’Ignace d’Antioche avec les Pastorales a été faite par P.N. HARRISON, The problem of the Pastoral Epistles, Oxford, 1921. On n’a ici qu’une petite partie des ressemblances qu’il a relevées.

 

Ch. IX : PIERRE CONCLUT LE DIALOGUE
ENTRE PAUL ET JACQUES

LA PREMIÈRE LETTRE DE PIERRE

Résumé

Pierre rédige probablement sa première lettre en 59. Il y reprend des éléments de la lettre de Jacques et de celles de Paul aux Romains, à Tite et à Timothée. Il couvre ainsi de son autorité les autres apôtres.

Pierre, Paul et Jacques, qui se sont rencontrés en 39, puis en 49, ont échangé par écrit en 56-59. Ainsi ont-ils exercé solidairement leur responsabilité au nom du Seigneur Jésus. Ils sont demeurés dans une communion particulièrement féconde pour l’essor de la Bonne Nouvelle du Christ.

 

1 - L’AUTHENTICITÉ DE 1 PIERRE

La première lettre qui porte pour nom d’auteur celui de Pierre (Kèphas, cf. Ga 1,18 ; Jn 1,42 ; Mt 16,18) était, jusque 1980, reconnue authentique par tous les spécialistes catholiques. Ceux-ci notaient bien des rapprochements entre cette lettre et les discours prononcés par Pierre dans les Actes des Apôtres. Outre le témoignage extérieur unanime des Pères de l’Église, ils faisaient appel à la critique interne : l’amour personnel de l’auteur pour Jésus (1 P 1,8 ; 2,3) ; l’évocation constante des souffrances du Christ, que Pierre avait eu tant de mal à accepter (Mc 8,32-33) ; l’importance du titre de " pasteur " donné au Christ (1 P 2,25 ; 5,4) par celui qui avait été désigné comme le " pasteur " de ses brebis (Jn 21,15-17) ; la théologie de l’Église comme formée de " pierres vivantes " (1 P 2,5) et la christologie présentant Jésus comme une " pierre " ou un " rocher " (1 P 2,4 ; 2,6-8).

On peut se reporter aux pages savoureuses de :

- Ceslas SPICQ, Les Épîtres de saint Pierre,

Gabalda, Paris, 1966, pp. 17-26.

Comme dans l’épître de Paul aux Romains (Rm 13,1-7), Pierre parle encore des autorités civiles de manière favorable (1 P 2,13-14). Nous sommes très loin de l’atmosphère de résistance intrépide au culte impérial dans laquelle baigne l’Apocalypse (Ap 13,1-18). Nous sommes même avant 62, date à partir de laquelle les chrétiens ne seront plus protégés par les lois romaines (cf. notre chapitre XII). En ce qui concerne les persécutions dont ils sont l’objet (1 P 2,12.15 ; 3,14 ; 4,4 ; 4,12-16), " il s’agit de ces vexations, critiques, railleries, mauvais procédés, délations, ostracisme, dont les chrétiens furent victimes dès l’origine de la part de leurs concitoyens païens ou de leurs anciens coreligionnaires " (Spicq, p. 19 ; cf. 1 Th 2,14 ; Hb 10,32-34).

 

2 - PIERRE APPROUVE JACQUES ET PAUL

Avant son arrestation à Jérusalem (Pentecôte 58), Paul s’était rendu chez Jacques (Ac 21,18). Les deux hommes s’étaient déjà rencontrés en 39 et en 49 en présence de Pierre (cf. nos chapitres I et III). Jacques et Paul ont dialogué par écrit en 56-58 (cf. nos chapitres V et VI). On peut se demander si Pierre a pris place dans les échanges écrits.

La question est étudiée dans :

- La succession apostolique (1997), pp. 61-77 et 96-105.

 

Pierre mentionne Silvain (le secrétaire) et Marc (" son fils ") (1 P 5,12-13). Ces deux hommes ont été en relation étroite avec Paul (pour le premier : Ac 15,40 ; 1 Th 1,1 ; 2 Th 1,1 ; pour le second : Ac 12,25 ; 13,13 ; 15,37-39, et ensuite 2 Tm 4,11). Ils furent aussi très liés à l’église de Jérusalem et donc à Jacques. En Ac 15,22, on présente Silvain comme un " personnage considéré " de la communauté de Jérusalem. En Ac 12,12, à Jérusalem, probablement en 43, on voit Pierre libéré se rendre chez Marie, la mère de Marc. Ainsi Pierre, Paul et Jacques furent en lien également par leurs collaborateurs immédiats.

Nous ne sommes pas étonnés que Pierre connaisse la lettre de Jacques, comme l’indiquent les rapprochements que voici :

Jacques

 

 

 

1 Pierre

1,1

 

Dispersion

 

1,1

1,27

 

Sans souillure

 

1,4

1,2-3

 

Joie

 

1,6-7

1,2-3

 

Épreuves diverses, examen de la foi

 

1,6-7

1,27

 

Se pencher sur

 

1,12

2,1

 

Acception de personnes

 

1,17

1,27

 

Sans tache

 

1,19

4,8

 

Purifier

 

1,22

3,17

 

Sans hypocrisie

 

1,22

1,18

 

Engendrés par la Parole

 

1,23

1,10-11

 

Fleur d’herbe fanée (Is 40,6 et s.)

 

1,24

1,21

 

Rejeter la méchanceté

 

2,1

1,21

 

Recevoir le salut

 

2,2

2,21

 

Offrir en sacrifice

 

2,5

4,1.2

 

Combattre, convoiter

 

2,12

4,11

 

Dire du mal

 

2,12

1,25; 2,12

 

Liberté

 

2,16

5,10-11

 

Patience dans les souffrances

 

2,19-20

3,13

 

Conduite

 

3,1.2

3,17

 

Pure

 

3,2

3,13

 

Douceur

 

3,4

1,21

 

Rejet d’une saleté

 

3,21

5,20

 

Couvrir une multitude de péchés

 

4,8

5,14

 

Rôle des Anciens dans l’Église

 

5,1

4,6

 

Dieu résiste aux orgueilleux (Pr 3,34)

 

5,5

4,10

 

S’humilier, Dieu élèvera

 

5,6

4,7

 

Le diable

 

5,8

De même, tous les exégètes reconnaissent la parenté entre la première épître de Pierre et l’épître aux Romains. Voici quelques-uns des passages où Pierre s’inspire de la lettre de Paul et l’approuve :

Romains

 

 

1 Pierre

2,5.7

Révélation... gloire, honneur

 

1,7

2,6

Dieu juge selon les œuvres

 

1,17

2,11

Sans acception de personnes

 

1,17

16,25-26

Préparé depuis toujours, manifesté ensuite

 

1,20

4,24

Croire en Celui qui a ressuscité Jésus

 

1,21

12,9-10

Charité, sincérité, amitié fraternelle

 

1,22

12,1

Sacrifices spirituels agréables à Dieu

 

2,5

9,33

Citation d’Isaïe 28,16

 

2,6

9,33

Citation d’Isaïe 8,14

 

2,8

9,25

Citation d’Osée 2,25

 

2,10

13,1-4

Soumission aux autorités, qui punissent ceux qui

 

 

 

font le mal et félicitent les gens de bien

 

2,13-14

12,10.17

Amour fraternel, humilité

 

3,8

12,14.17

Bénissez, sans rendre le mal pour le mal

 

3,9

1,3-4

Jésus... selon la chair... selon l’Esprit

 

3,18

12,6-7

Selon le charisme reçu, enseigner, servir

 

4,10-11

8,17

Participer aux souffrances et à la gloire

 

4,13

Écrivant aux chrétiens de Galatie, d’Asie (territoires que Paul avait évangélisés), du Pont, de la Cappadoce, de la Bithynie (régions limitrophes), Pierre reprend l’enseignement de Jacques et de Paul, et dit à ces chrétiens : " Telle est la véritable grâce de Dieu ! Demeurez en elle ! " (1 P 5,12). Il confirme en particulier que le chrétien a été appelé à la liberté (cf. Jc 1,25 ; 2,12 ; Ga 5,13), mais que celle-ci ne doit pas être utilisée " comme un voile pour couvrir la méchanceté " (1 P 2,16). Il confirme aussi que les croyants sont devenus " le Peuple de Dieu " (1 P 2,9-10), comme l’avait suggéré Jacques (Jc 1,1) et comme l’avait enseigné explicitement Paul (Rm 9,25-26), à partir de l’Écriture.

Mais Pierre avait reçu aussi une copie des épîtres pastorales de Paul à Tite et à Timothée, et il confirme également la mission des Anciens des églises pauliniennes, en se présentant lui-même comme " Ancien avec eux " (1 P 5,1). De même que Paul avait exhorté Tite et Timothée à être des " modèles " pour tous les fidèles (Tt 2,7 ; 1 Tm 4,12), de même Pierre exhorte les " presbytres " à devenir " les modèles du troupeau " (1 P 5,3). De même que Paul avait prescrit d’écarter du ministère presbytéral et du diaconat les gens " avides de gains honteux " (Tt 1,7 ; 1 Tm 3,8), de même Pierre exhorte les presbytres à ne pas exercer leur charge " d’une manière honteusement avide " (1 P 5,2). Il forge cet adverbe absolument ignoré de toute la littérature grecque antérieure, à partir de l’adjectif très rare que Paul avait employé. Jacques avait demandé que ne soient admis comme " didascales " que des gens emplis de douceur (Jc 3,1 ; 3,13), Paul avait donné des règles strictes pour le choix des candidats, et Pierre confirme les sages dispositions de Paul.

Que Pierre ait lu l’épître à Tite, c’est une certitude, quand on veut bien comparer le résumé de l’épître aux Romains qu’on lit dans cette lettre (Tt 3,3-7) et le début de la bénédiction par laquelle Pierre ouvre sa propre lettre (1 P 1,3-5). Un nombre exceptionnel de notions communes se lisent dans les deux textes :

 

Tite 3,5-7

1 P 1,3-5

 

miséricorde

miséricorde

 

régénération

faire renaître

 

espérance

espérance

 

Jésus Christ

Jésus Christ

 

héritiers

héritage

 

sauveur

salut

Il est impossible d’attribuer au hasard ces coïncidences et, puisque Paul résume Romains en Tite, ce n’est pas lui qui dépend de Pierre, c’est Pierre qui dépend de Paul.

La dépendance de 1 Pierre par rapport à 1 Timothée se montre principalement dans leurs descriptions respectives des devoirs de chaque catégorie de fidèles, particulièrement ceux des hommes, qui doivent principalement " prier " (1 Tm 2,8 ; 1 P 3,7), et des femmes, qui doivent " se parer " avant tout de bonnes œuvres, et non de vêtements de grand prix (1 Tm 2,9-10 ; 1 P 3,3-4).

L’utilisation de 2 Timothée par 1 Pierre peut être établie par une comparaison minutieuse de la description par Paul de ses propres souffrances (2 Tm 1,8-12 ; 2,8-13 ; 4,6-8) et par Pierre des souffrances des chrétiens (1 P 4,12 - 5,4). Elle est confirmée par une grande abondance de mots communs entre les deux lettres.

Ces démonstrations ont été faites dans :

- La succession apostolique (1997), pp. 96-105.

Cette découverte est très éclairante pour comprendre une parole énigmatique de Pierre : " C’est le moment où le jugement commence par la maison de Dieu ; or, s’il débute par nous, quelle sera la fin de ceux qui refusent de croire à l’Évangile de Dieu ? " (1 P 4,17). Pierre a appris l’emprisonnement de Paul et les menaces de mort qui pèsent sur lui, et il constate que le temps de la grande épreuve est commencé. Il le dit d’une autre manière : " La fin de toutes choses est proche " (1 P 4,7). Pierre ne distingue pas encore de la fin des temps la ruine de Jérusalem, annoncée par Jésus pour sa propre génération : " Cette génération ne passera pas jusqu’à ce que tout cela n’arrive " (Mc 13,30, correspondant à Mc 13,4). En fait, Jésus avait annoncé de deux manières différentes " le Jour du Fils de l’homme " (Lc 17,26-37) et son triomphe historique, inaugurant " le temps des Nations " (Lc 21,24 ; comparer Rm 11,25), triomphe réalisé par la ruine de Jérusalem (Lc 21,5-33).

 

3 - LA DATE PRÉCISE DE 1 PIERRE

Pierre écrit sa lettre après avoir reçu une copie des lettres pastorales, qui ont été rédigées en 58. Mais, comme nous le verrons au chapitre suivant, Paul a rédigé ses épîtres aux Colossiens et aux Éphésiens en tenant compte de la première épître de Pierre. Or nous savons par la littérature profane que la ville de Colosses a été détruite par un tremblement de terre en l’an 60, et n’a pas été reconstruite. La lettre aux Colossiens ne peut donc avoir été écrite après cette date.

C’est donc en 59, depuis Rome (appelée énigmatiquement " Babylone ", pour que seuls les initiés sachent où Pierre se trouve, 1 P 5,13), que Pierre a confirmé l’enseignement de Jacques et de Paul. Il exerçait ainsi l’autorité que Jésus lui avait confiée : " J’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas ; toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères " (Lc 22,32).

 

4 - LE CONTENU DE 1 PIERRE

Le plan de l’épître est très simple. Dans l’adresse (1,1-2), Pierre précise le rôle des trois Personnes divines dans notre salut : le Père nous a élus, l’Esprit nous sanctifie, ceci grâce à notre obéissance à Jésus Christ, qui nous a purifiés par son offrande sacrificielle.

La bénédiction qui suit est une louange au Père qui a fait de nous ses enfants (1,3-5), à Jésus que nous aimons sans l’avoir vu, à l’inverse de Pierre (1,6-9), à l’Esprit qui a annoncé par les prophètes, et qui annonce toujours par les messagers de l’Évangile, les souffrances du Christ et sa gloire, sources de notre salut (1,10-12).

Pierre poursuit en décrivant les dimensions essentielles de la vie chrétienne : l’espérance (1,13-21), l’amour (1,22 - 2,3), la foi (2,4-10).

Vient alors une première exhortation (2,11 - 4,11), où Pierre définit les devoirs de chacune des catégories des fidèles, celles des citoyens face aux pouvoirs civils (2,13-17), celles des serviteurs en face de leurs employeurs (2,18-25), celles des époux (3,1-7), et enfin celles de tous (3,8 - 4,11). Une louange à Dieu termine cette première exhortation (4,11).

Une deuxième exhortation tient particulièrement compte des épreuves que subissent les chrétiens. Ils ne doivent pas s’en étonner (4,12-17), ils sont soutenus par leurs pasteurs et leurs auxiliaires, les " cadets " (5,1-5a), ils doivent vivre dans l’humilité et la confiance en Dieu, face aux attaques du diable (5,5b-11). Une seconde louange à Dieu termine cette deuxième exhortation (5,11).

La lettre s’achève par les salutations d’usage (5,12-14).

Reprenant des thèmes de l’épître de Jacques, Pierre les organise sous la forme d’une catéchèse baptismale (1,22 ; 2,10 ; voir aussi 3,21-22). Il développe le thème du sacerdoce royal des baptisés qui, par les mains du Christ, peuvent " offrir des sacrifices spirituels ", c’est-à-dire toutes leurs actions quotidiennes pénétrées par l’amour (2,5.9), selon l’enseignement de Rm 12,1-2. Il demande à tous de " rendre compte de leur espérance " auprès des incroyants (3,15-16 ; cf. 2,11-12). Son regard se fixe sur " l’Agneau sans défaut et sans tache, le Christ prédestiné avant la création du monde et manifesté à la fin des temps à cause de vous " (1,19-20), sur le Christ souffrant et rédempteur (2,22-24).

Au service du sacerdoce des baptisés, de leur offrande spirituelle, se trouvent les responsables de l’Église, leurs pasteurs. Ceux-ci sont chargés de l’enseignement et doivent transmettre " les oracles de Dieu " (4,11a). Ils ont à leurs côtés des ministres chargés du service (4,11b), qui sont appelés aussi les " cadets " (5,5a), dont le ministère s’exerce dans la soumission aux " anciens " (5,1-4). Ceux-ci sont les instruments du " Souverain Pasteur ", le Christ invisible (5,4). S’ils remplissent bien leur mission, " ils recevront la couronne de gloire qui ne se flétrit pas " (5,4). Ainsi le premier des Apôtres tourne-t-il notre regard vers le Christ, pasteur de toutes les églises.

 

 

Ch. X : LES ÉCRITS DE PLÉNITUDE

ÉPHÉSIENS, COLOSSIENS, PHILÉMON
(CÉSARÉE, EN L’AN 60)

Résumé

On peut montrer que Paul a rédigé les épîtres aux Éphésiens, aux Colossiens et à Philémon vers la fin de sa captivité à Césarée (60). Affinée par une longue méditation, sa pensée est parvenue à sa pleine maturité. Capable désormais d’exprimer sa vision du mystère de façon synthétique (Ep 3,3-4), il utilise un vocabulaire et un style quelque peu nouveaux.

Les épîtres aux Éphésiens et aux Colossiens sont jumelles, et ont été dictées simultanément par Paul. La première d’entre elles devrait sans doute être appelée plutôt épître aux Laodicéens (Col 4,15-16).

 

1 - TROIS LETTRES ÉCRITES EN MÊME TEMPS

Paul se trouve en captivité à Césarée alors que s’achève l’été 58 (cf. notre chapitre VIII). Il a demandé à Timothée de le rejoindre avant l’hiver (2 Tm 4,9 ; 4,21) et de lui apporter, en prévision des rigueurs de cette saison, le manteau qu’il a laissé à Troas, ainsi que ses livres, " surtout les parchemins " (2 Tm 4,13). L’Apôtre compte donc bien poursuivre sa mission.

Il le fera avec l’aide des ses collaborateurs. Les Actes des Apôtres précisent que le gouverneur Félix avait ordonné de " garder Paul avec un régime libéral, sans empêcher aucun des siens de s’occuper de lui " (Ac 24,23). Mais Paul compte aussi exercer son apostolat par l’écrit, et c’est pourquoi il demande qu’on lui apporte ses livres et les parchemins qu’il possède.

Il en aura l’occasion par suite d’un événement inattendu. Un esclave de la ville de Colosses, Onésime, a volé son maître Philémon et s’est enfui. Paul, on ne sait comment, l’a rencontré dans sa prison et l’a évangélisé. L’Apôtre a sans doute connu Philémon quand il enseignait à Éphèse dans l’école de Tyrannos (Ac 19,9-10). Il écrit à cet ami, en lui demandant de bien accueillir son serviteur indélicat, qui est devenu son frère dans le Seigneur. Si nécessaire, Paul remboursera les sommes volées : il s’y engage de sa propre main.

C’est l’occasion pour Paul d’écrire aux chrétiens de Colosses, qu’il n’a pas évangélisés personnellement. Ceux-ci ont connu le Christ par l’intermédiaire d’Epaphras, maintenant emprisonné aux côtés de Paul (Phm 23 ; Col 1,7 ; 4,12). Dans le régime libéral que Félix a accordé à Paul, celui-ci bénéficie de la collaboration de plusieurs amis : Aristarque et Marc (Phm 24 ; Col 4,10), Jésus surnommé Justus (Col 4,11), Démas et Luc (Phm 24 ; Col 4,14). Timothée a rejoint Paul et contribue à la rédaction de la lettre (Col 1,1) ; celle-ci sera apportée à Colosses par Tychique, accompagné par Onésime (Col 4,7-9).

Paul en profite pour écrire aussi à une église très proche de Colosses, Laodicée (Col 4,15-16). L’habitude de dicter simultanément plusieurs lettres est bien attestée dans l’Antiquité (Cicéron se vante d’en dicter jusqu’à sept à la fois). Cela entraîne, bien sûr, que de nombreux membres de phrase sont identiques dans les différents écrits.

Cette lettre aux Laodicéens doit très probablement être identifiée à celle que nous appelons aujourd’hui l’épître aux Éphésiens. En effet, la communauté destinataire de cette lettre n’est pas connue personnellement de Paul ; il a seulement " entendu parler de sa foi et de sa charité " (Ep 1,15). La lettre doit être portée par Tychique (Ep 6,21), comme celle que recevra l’église de Colosses. Au second siècle, Irénée citait cette lettre comme étant adressée aux Éphésiens. Mais Marcion, son contemporain, l’appelait " épître aux Laodicéens. " Dans de nombreux manuscrits très anciens, les mots " à Éphèse " sont absents.

 

2 - SYNOPSE DE COLOSSIENS ET D’ÉPHÉSIENS

Pour bien montrer que les lettres aux Colossiens et aux Éphésiens (en fait, aux Laodicéens) ont été dictées ensemble, Philippe Rolland a réalisé une synopse de ces épîtres. Il a cherché de quelle manière on pouvait mettre sur deux pages en vis-à-vis les mots communs, les membres de phrase qui sont identiques dans les deux lettres.

Il s’est aperçu qu’on était obligé de faire continuellement des inversions. Par exemple, Éphésiens commence par une bénédiction, suivie du rappel de la foi et de l’amour des destinataires ; Colossiens suit l’ordre inverse : d’abord le rappel de la foi et de la charité des Colossiens, ensuite la louange du Christ. Sur les pages en vis-à-vis, il faut disposer quatre paragraphes, deux d’Éphésiens, deux de Colossiens, et ainsi tout au long de l’épître.

Il n’y a aucun autre moyen de disposer les deux lettres pour en faire ressortir les analogies.

Cette synopse nous a été communiquée depuis assez longtemps. Elle n’a pas encore été publiée, mais Ph. Rolland nous a autorisé à la reproduire dans cet ouvrage, tout en gardant le copyright.

AVERTISSEMENT

Pour des raisons de typographie (le texte devant être disposé sur une double page), cette synopse ne peut être reproduite à l’intention des internautes. On ne peut se la procurer qu’en achetant l’ouvrage chez le P. Lucien HOUDRY (voir page 2).

Cependant, nous donnons ici un aperçu de la méthode.

ORDRE DE LA DICTÉE

(1) Ép 1,1-2 (2) Col 1,1-2

(3) Ép 1,3-14 (4) Col 1,3-8

(5) Ép 1,15-23 (6) Col 1,9-20

(7) Ép 2,1-10 (8) Col 1,21-23

(9) Ép 2,11-22

(10) Col 1,24-29 (11) Ép 3,1-13

(12) Col 2,1-5 (13) Ép 3,14-21

(14) Col 2,6-15 (15) Ép 4,1-16

(16) Col 2,16 - 3,4 (17) Ép 4,17-24

(18) Col 3,5-11 (19) Ép 4,25-32

(20) Col 3,12-17 (21) Ép 5,1-21

(22) Col 3,18-19 (23) Ép 5,22-33

(24) Col 3,20-21 (25) Ép 6,1-4

(26) Ép 6,5-9 (27) Col 3,22 - 4,1

(28) Ép 6,10-20 (29) Col 4,2-6

(30) Ép 6,21-22 (31) Col 4,7-17

(32) Ép 6,23-24 (33) Col 4,18

Dans une grande partie du texte, les paragraphes parallèles doivent être groupés deux par deux :

A A

B B’

Le parallélisme des mots est indiqué par leur mise en italiques.

Les mots communs qui se lisent en A et B’ (rapports extrêmes) sont imprimés en gras.

Les mots communs qui se lisent en A’ et B (rapports centraux) sont soulignés.

On doit donc lire dans l’ordre suivant, qui est celui dans lequel les textes ont été dictés :

(3) A à (4) A

å

(5) B à (6) B’

 

On donne ici un exemple de quelques parallélismes et de quelques inversions entre le début d’Éphésiens et le début de Colossiens.

ÉPHÉSIENS (3)

 

COLOSSIENS (4)

1 3 Béni soit

 

1 3 Nous rendons grâces

Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ,

 

à Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ,

qui nous a comblés en Christ de toutes sortes

 

(...) 4 Car nous avons été informés de votre foi

de bénédictions spirituelles dans les lieux célestes, (...)

 

en Jésus-Christ et de l’amour que vous avez

C'est en lui que nous avons la rédemption

 

pour tous les saints,

par son sang, la rémission des fautes, (...)

 

5 à cause de l'espérance

13 C'est en lui que vous aussi,

 

qui vous est réservée dans les cieux,

après avoir eu connaissance de la parole de vérité,

 

et dont vous avez eu auparavant connaissance

l'Évangile de votre salut, (...)

 

par la parole de vérité, l'Évangile. (...)

(5)

 

(6)

1 15 C'est pourquoi moi aussi,

 

1C'est pourquoi, nous aussi,

ayant été informé de votre foi au Seigneur Jésus

 

depuis le jour

et de votre amour envers tous les saints,

 

où nous avons reçu ces nouvelles,

16 je ne cesse de rendre grâces pour vous,

 

nous ne cessons de prier pour vous (...)

faisant mention de vous dans mes prières,

 

avec toute sorte de sagesse

17 afin que le Dieu de notre Seigneur Jésus-Christ, (...)

 

et d'intelligence spirituelle, (...)

18 et qu’il illumine les yeux de votre coeur,

 

14 C’est en lui que nous avons

afin que vous sachiez quelle est l'espérance (...)

 

la rédemption, la rémission des péchés.

 

Cet exemple de certains des parallélismes et inversions dans les débuts des deux lettres montre bien qu’elles ont été dictées ensemble.

Cette observation peut se faire dans tout le reste des deux textes.

L’ensemble de la synopse complète des deux lettres, avec leur texte intégral, est publié dans l’ouvrage de Lucien Houdry (1999), sur des pages en vis-à-vis.

Une telle synopse n’existait pas, sembe-t-il, jusqu’à cette publication.

C’est pourquoi l’acquisition du livre (voir page 2) est vivement recommandée.

 

3 - L’AUTHENTICITÉ DES TROIS LETTRES

Personne ne met en doute l’authenticité de la courte lettre à Philémon. Certains se contentent de la situer au cours de la captivité d’Éphèse, ce qui est illogique. En effet, Paul demande à Philémon de lui " préparer un logement " (Phm 22), alors que l’intention de Paul à la fin de sa captivité d’Éphèse était de se rendre à Corinthe (2 Co 12,14 ; 13,1). Il faut situer plus tard le billet à Philémon, comme nous le verrons plus loin.

Jusque vers 1980, personne également, du moins parmi les gens sérieux, ne mettait en doute l’authenticité de Colossiens, visiblement écrite en même temps que Philémon (mêmes collaborateurs auprès de Paul, mêmes personnes saluées dans les deux lettres). Ensuite, certains ont imaginé qu’un disciple de Paul, écrivant à une époque tardive, aurait introduit tous ces noms pour donner l’impression qu’il s’agissait d’une lettre authentique. Mais la ville de Colosses, en même temps que celle de Laodicée, a été détruite par un tremblement de terre en l’an 60, et la communauté chrétienne de cette ville n’existait plus. Aucune fausse lettre ne pouvait lui être adressée. C’est pourquoi, depuis 1993, date de la parution d’un grand commentaire sur Colossiens, rares sont les exégètes français qui osent soutenir que cette lettre n’a pas été dictée par Paul, qui avait Timothée à ses côtés.

On continue cependant à émettre des doutes sur l’authenticité de l’épître aux Éphésiens, en supposant que quelqu’un aurait imité Colossiens pour exprimer, d’une manière géniale, des idées sur l’Église qui n’étaient pas celles de Paul. Mais la synopse dont nous avons pu prendre connaissance montre que les deux lettres ont été dictées ensemble, qu’il ne s’agit pas de l’utilisation d’un des textes par l’autre. On ne peut se contenter d’émettre des idées générales, il faut examiner patiemment les textes dans leurs rapports réciproques.

 

4 - LA DATE DE LEUR RÉDACTION

Paul a certainement écrit aux Colossiens et aux Laodicéens avant que leurs villes ne soient détruites. Cela nous est confirmé par une observation très précieuse.

Il existe une ressemblance frappante (mots en italiques) entre Col 1,12-14 et le discours de Paul prononcé devant le roi Agrippa à Césarée, tel que Luc nous l’a transmis en Ac 26,18 :

 

 

Ac 26,18

Col 1,12-14

pour leur ouvrir les yeux,

Bénissez le Père,

afin qu’ils passent

qui nous a rendus capables

des ténèbres

d’avoir part à l’héritage

à la lumière

des saints dans la lumière ;

et de la puissance

il nous a délivrés

de Satan à Dieu,

de la puissance des ténèbres

et qu’ils obtiennent,

et nous a fait passer

par la foi en moi,

dans le royaume

la rémission des péchés

de son Fils bien-aimé,

et leur part d’héritage

en qui nous avons la rédemption,

avec les sanctifiés.

la rémission des péchés.

De même, il est remarquable que l’expression de Paul dans les Actes, " pour leur ouvrir les yeux ", trouve un écho en Ep 1,18 : " Qu’il illumine les yeux de votre coeur. " On relève également l’emploi en Ac 26,26 et en Ep 6,20 du verbe rare " être rempli d’assurance " (parrèsiazesthai) : (Le roi auquel) je parle en toute assurance " (Actes) ; (Priez pour que je puisse) parler en toute assurance " (Éphésiens). Nous voyons encore ici l’application de la règle précédemment observée : les mêmes mots au même moment.

Le discours de Paul se situe au début du mandat de Festus comme gouverneur de Judée. Les fonctionnaires prenaient leurs fonctions début juillet. C’est donc un peu auparavant, au premier semestre de l’an 60, que Paul a écrit ces lettres. N’ayant pas encore fait appel à l’empereur et espérant être bientôt libéré, car ses accusateurs n’avaient pas pu prouver leurs dires depuis deux ans (Ac 24,27), Paul compte se rendre enfin à Rome par voie de terre, et demande à Philémon de lui préparer un logement lorsqu’il passera à Colosses (Phm 22).

Quand il a rédigé l’épître aux Éphésiens (Laodicéens), Paul connaissait déjà la première épître de Pierre, comme nous allons maintenant en esquisser la démonstration.

 

5 - L’INFLUENCE DE 1 PIERRE SUR ÉPHÉSIENS

Dans sa première épître, Pierre cite, en l’appliquant au Christ, un texte d’Isaïe : " Voici que je pose en Sion une pierre maîtresse " (Isaïe 28,16, cité en 1 P 2,6). Pierre dépend ici, évidemment, de l’Ancien Testament. Le seul autre endroit du Nouveau Testament où se trouve le mot " pierre maîtresse " (akrogôniaios) est Ep 2,20 : " la pierre maîtresse (de la construction) étant le Christ Jésus. " Paul ne cite pas directement Isaïe, il se contente de reprendre la découverte de Pierre.

Des démonstrations plus développées se trouvent dans :

- La succession apostolique (1997), pp. 106-113.

 

6 - L’ESSENTIEL DU CONTENU DES DEUX LETTRES

La lettre aux Colossiens nous fait savoir que ceux-ci ont été sollicités de façon pressante par les judaïsants pour reprendre les prescriptions de la loi juive (Col 2,11-23), comme le furent avant eux les Galates (Ga 1,6-9 ; 3,1-5 ; 4,8-20 ; 5,1-12), et pratiquer un culte des anges semblable à celui dont le Christ est l’objet (Col 2,18). L’Apôtre combat de telles erreurs par des développements sur la suprématie du Christ comme créateur de tout ce qui existe au ciel et sur la terre (Col 1,16-17). De même que Pierre avait dit que " sont soumis au Christ les anges, les autorités et les puissances " (1 P 3,22), de même Paul souligne que le Christ est " la Tête de tout pouvoir et de toute autorité " (Col 2,10), et même qu’il les a " dépouillés " (Col 2,15).

Depuis la première lettre aux Corinthiens, Paul a approfondi sa vision du Christ et de l’Église. Il en célèbre désormais la dimension universelle et cosmique (cf. les deux strophes parallèles de Col 1,15-17, sur la Création, et de 1,18-20, sur la Rédemption, la Nouvelle Création).

L’épître aux Éphésiens se révèle encore plus riche, du point de vue de l’ecclésiologie. Dès 1 Corinthiens, Paul avait présenté l’Église comme Corps du Christ (1 Co 12,27) et comme l’édifice que Dieu construit (1 Co 3,9). Maintenant, sous l’influence de Pierre, il insiste sur l’image de l’édifice, au point d’utiliser cette image étrange : " Le corps tout entier... réalise sa propre croissance pour se construire lui-même dans l’amour " (Ep 4,16).

Paul insiste sur les ministères, qui sont un don du Christ à son Église, et qui nous permettent de ne pas être " ballottés à tout vent de doctrine " (Ep 4,11-14). Mais il met surtout en lumière le mystère de l’Église comme Épouse du Christ (Ep 5,25-27). Le Christ fait participer son Épouse à sa sainteté. Pierre avait désigné Jésus comme " un Agneau sans défaut et sans tache " (1 P 1,19) ; Paul présente maintenant l’Église comme une fiancée " splendide, sans tache, ni ride, ni aucun défaut " (Ep 5,27). De même que l’Agneau, selon Pierre, avait été " connu d’avance, dès avant la fondation du monde " (1 P 1,20), de même les croyants ont été " élus en lui avant la fondation du monde pour être saints et sans défaut en sa présence, dans l’amour " (Ep 1,4 ; comparer Col 1,22, qui est moins proche de 1 Pierre, mais s’en inspire aussi). Quelle sublime transposition ! Quelle vision du Christ total, Jésus et son Église, dans sa plénitude !

Dans l’une et l’autre épître, Paul parle souvent du Mystère (Col 1,26-27 ; 2,2 ; 4,3 ; Ep 1,9 ; 3,3.4.9 ; 5,32 ; 6,19). Ce thème était déjà présent en 1 Co 2,7 et Rm 16,25, mais Paul a maintenant conscience d’en avoir une intelligence de plus en plus approfondie (Ep 3,1-13). Il résume en ces termes le " dessein bienveillant de Dieu " (Ep 1,9) : " Les païens sont admis au même héritage, membres du même corps, bénéficiaires de la même promesse en Jésus Christ, par le moyen de l’Évangile " (Ep 3,6). Cette contemplation du Mystère fait jaillir du cœur de Paul une incomparable prière (Ep 3,14-21).

Dans la deuxième partie des deux lettres (Col 2,6 - 4,6 ; Ep 4,1 - 6,20), Paul exprime en termes chaleureux ce que doit être la vie du chrétien, toute pénétrée de douceur, d’humilité, de pardon mutuel et de reconnaissance envers Dieu.

En Colossiens 4,16, Paul écrit : " Quand vous aurez lu ma lettre, transmettez-la à l’église de Laodicée, qu’elle la lise à son tour. Lisez de votre côté celle qui viendra de Laodicée. " En cet endroit, la TOB fait une remarque fort judicieuse : " Ce verset constitue une attestation significative des échanges de lettres entre communautés ; ils furent au point de départ des collections d’épîtres ".

L’église de Jérusalem possédait très tôt une collection des premières lettres de Paul. L’épître de Jacques présente des signes de réminiscences de 1 Thessaloniciens (comparer 1 Th 3,13 et Jc 5,8). Elle utilise largement 1 Corinthiens. On ne peut guère douter que l’épître aux Galates ait été apportée à Jacques par les adversaires de Paul, pour qu’il la condamne (Ac 21,21). L’épître aux Romains est adressée aux judéo-chrétiens de Jérusalem encore plus qu’aux fidèles de Rome (Rm 9-11).

La première épître de Pierre contient de nombreux parallèles avec l’épître aux Romains et les lettres à Tite et à Timothée. Ces écrits étaient donc conservés à Rome, et on ne peut s’étonner qu’il y soit fait allusion dans l’autre écrit attribué à Pierre (2 P 3,15-16).

Les meilleurs spécialistes de la littérature épistolaire ancienne ont fait observer que des gens comme Cicéron ou Épictète gardaient copie des lettres qu’ils écrivaient, et les faisaient même éditer en recueils de leur vivant. On ne peut donc guère douter que Paul lui-même conservait un exemplaire de toutes les lettres qu’il avait écrites. D’ailleurs, il est fait mention en 2 Tm 4,13 des " livres " et des " parchemins " (ou " carnets ") que Paul possédait.

Cette question a été étudiée par J. MURPHY O’CONNOR :

- Paul et l’art épistolaire, Cerf, Paris, 1994.

C’est ainsi que les Écritures chrétiennes nous ont été transmises et qu’il nous est possible maintenant de suivre pas à pas " la Naissance du Nouveau Testament ".

 

Ch. XI : L’ÉPÎTRE AUX HÉBREUX

Résumé

Ayant fait appel à l’empereur (Ac 25, 11-12), Paul est transféré à Rome (Ac 27-28). Là, le récit des Actes s’interrompt subitement.

C’est après la mise à mort de Jacques (62) qu’un anonyme rédige l’Épître aux Hébreux. Cet écrit, destiné à des gens possédant parfaitement l’Ancien Testament, est indéniablement nourri de la pensée des Apôtres Pierre et Paul. On a par conséquent des raisons de l’attribuer à Silvain (Silas). Délégué de la communauté de Jérusalem en 49 (Ac 15,22), ce Silvain était devenu collaborateur de Paul, puis secrétaire de Pierre. Comme les écrits de ces deux apôtres (1 Pierre, Colossiens, Éphésiens), la lettre aux Hébreux est d’une rare densité. Elle présente Jésus comme le Grand-Prêtre de la Nouvelle et Éternelle Alliance.

 

1 - LA VENUE DE PAUL, CAPTIF, À ROME (ACTES 27,1 - 28,16)

Paul en avait appelé à l’empereur (Ac 25,11-12). De sa prison de Césarée, il est transféré à Rome (Ac 27,1 - 28,16) et Luc l’accompagne. Sa captivité, qui va durer deux ans (Ac 28,30), du printemps 61 au printemps 63, se vit dans des conditions assez légères, dans un logement loué par le prisonnier (Ac 28,16).

L’Apôtre prend d’abord contact avec les juifs de la ville (Ac 28,17) qui considèrent encore le christianisme comme un " choix ", un " parti " comme les autres partis, Pharisiens, Sadducéens, etc. (Ac 28,22). C’est dire qu’en 62 les partisans du Christ sont encore regardés par les juifs eux-mêmes comme appartenant au peuple juif. En conséquence, les lois romaines, qui reconnaissaient à la religion juive le droit d’exister, valent aussi et encore pour les chrétiens.

Ainsi, Paul rend témoignage à Rome comme le Christ le lui avait annoncé à Jérusalem (Ac 23,11).

Le récit des Actes s’interrompt brusquement. Nous en saurons la raison quand nous examinerons plus loin la date de rédaction de l’œuvre de Luc : l’auteur ignore encore ce qui se passera ensuite. Nous aurions été heureux de lire au moins une allusion aux contacts entre Pierre et Paul à Rome. Mais n’oublions pas que Pierre, menacé de mort par les autorités juives depuis l’exécution de Jacques, frère de Jean (Ac 12,1-3), doit vivre de manière clandestine. Il ne faut pas dire, dans un écrit qui peut tomber entre des mains malveillantes, qu’il se trouve à Rome.

 

2 - L’EXÉCUTION DE JACQUES ET L’ÉPÎTRE AUX HÉBREUX

En 62, Paul et Pierre se trouvent à Rome. En cette même année, le gouverneur Festus meurt dans sa province. Le grand-prêtre Ananus profite de cette vacance du pouvoir romain pour faire exécuter Jacques, " frère de Jésus surnommé Christ " (Flavius Josèphe) : responsable de la communauté de Jérusalem, jouissant auprès des juifs d’une grande réputation de fidélité à la Loi, celui-ci était pour les autorités juives un personnage gênant.

Cet événement ne pouvait qu’affecter profondément les chrétiens de Judée et provoquer chez eux un réel découragement. Ils participaient encore jusque-là au culte du Temple (cf. Ac 21,23-24), mais maintenant le judaïsme les rejetait. Il fallait donc leur faire comprendre que, dans la liturgie chrétienne, ils bénéficiaient d’un sacrifice céleste bien meilleur que les sacrifices terrestres de l’Ancienne Alliance (Hb 9,15-23).

Paul avait déjà préparé cette réflexion, quand il écrivait, dans son épître aux Colossiens, que les prescriptions de la Loi n’étaient que " l’ombre des réalités à venir ", la réalité se trouvant dans " le corps du Christ " (Col 2,16-17 ; comparer Hb 8,5 ; 10,1).

Cette atmosphère correspond parfaitement à celle de l’épître aux Hébreux. L’auteur y fait allusion à la mort récente des dirigeants de la communauté, ceux qui lui ont " annoncé la Parole de Dieu " (Hb 13,7). Il demande aux fidèles de " ne pas se laisser accabler par le découragement " (Hb 12,3). Il décrit les splendeurs de la liturgie du Temple (Hb 9,1-10), mais les merveilles plus grandes encore de la liturgie céleste accomplie par le Christ dans son sacrifice (Hb 9,11-28).

On ne peut douter que l’épître aux Hébreux ait été écrite avant la cessation complète de la liturgie du Temple en 70, et même avant le début de la guerre juive de libération en 66, date à laquelle les chrétiens de Jérusalem ont quitté la ville pour s’enfuir à Pella, en Transjordanie. L’auteur écrit textuellement ceci : " Ne possédant que l’ombre des biens à venir, et non la substance même des réalités, la Loi est à jamais incapable, avec les sacrifices, toujours les mêmes, offerts chaque année indéfiniment, de rendre parfaits ceux qui viennent y prendre part. Sinon, n’aurait-on pas cessé de les offrir, pour la simple raison que, purifiés une fois pour toutes, ceux qui rendent ainsi leur culte n’auraient plus eu conscience d’aucun péché. Au contraire, par ces sacrifices eux-mêmes, on remet en mémoire chaque année les péchés " (Hb 10,1-3). Ces paroles n’auraient plus aucune signification si elles avaient été écrites après 70. La lettre aux Hébreux a donc été rédigée entre 62 et 66, avant que les chrétiens de Jérusalem, réconfortés par elle, ne quittent la Ville Sainte. Voilà une date butoir avant laquelle nous devons placer tous les écrits dont elle comporte des réminiscences, notamment la première lettre de Pierre et celles de Paul aux Colossiens et aux Éphésiens.

L’existence de ces réminiscences a été démontrée dans :

- La succession apostolique (1997), pp. 66-77 et 113-122.

C’est ainsi qu’on découvre dans la lettre aux Hébreux l’idée du sacrifice spirituel des fidèles (Hb 13,15). Paul est le premier à avoir explicité cette notion (Rm 12,1), et Pierre l’avait développée dans sa première épître (1 P 2,5).

Mais Pierre avait précisé que c’est " par le Christ " que nous pouvons " offrir des sacrifices spirituels agréables à Dieu. " Le Christ est " le seul médiateur entre Dieu et les hommes " (1 Tm 2,5), c’est lui seul qui peut présenter à Dieu notre offrande. Il remplit le rôle sacerdotal qui, dans l’Ancienne Alliance, était celui du " grand-prêtre ", qui entrait une seule fois par an dans le sanctuaire pour y rencontrer Dieu et obtenir le pardon des péchés commis dans l’année (Lévitique 16,1-34). Pierre et Paul n’avaient cependant pas réfléchi sur cette mission sacerdotale de Jésus, c’est l’auteur de l’épître aux Hébreux qui l’a mise en lumière pour la première fois.

Ce disciple de Pierre et de Paul a conscience de ne pas répéter l’enseignement ordinaire donné aux catéchumènes, mais de faire de la haute théologie, réservée à ceux qui sont adultes dans la foi, les " parfaits " (Hb 5,11 - 6,3). Cette opposition entre les " petits enfants ", qui ont encore besoin de " lait ", et les " adultes " ou " parfaits ", qui peuvent prendre de la " nourriture solide ", avait été découverte par Paul dans sa première lettre aux Corinthiens (1 Co 3,1-2). Elle avait été reprise par Pierre (1 P 2,2). Ne nous étonnons donc pas si la lecture de l’épître aux Hébreux est un peu difficile et réclame un effort d’attention.

L’auteur de la lettre a puisé en Colossiens et Éphésiens les perspectives grandioses de Paul sur le mystère du Christ, " image du Dieu invisible " (Col 1,15 ; Hb 1,3), " assis à sa droite dans les cieux, au-dessus de toute Puissance " (Ep 1,20 ; Hb 1,3-4).

 

3 - L’AUTEUR DE L’ÉPÎTRE AUX HÉBREUX

Bien qu’elle soit très longue, l’épître aux Hébreux est placée après le plus court des écrits pauliniens, l’épître à Philémon. Ceci vient de l’opinion, soutenue par la plupart des Pères de l’Église, selon laquelle la lettre était garantie par l’autorité de Paul, mais qu’elle avait été rédigée par un de ses disciples, dont le nom n’a pas été conservé par la Tradition. Elle est donc placée en annexe des treize lettres de Paul. On voit bien que l’auteur ne se nomme pas lui-même, alors que Paul, dans ses épîtres, se nomme toujours plusieurs fois, non seulement dans l’adresse, mais dans le corps de la lettre elle-même. De plus, le style de l’épître aux Hébreux est excellent, bien meilleur que celui des lettres de Paul, avec un vocabulaire beaucoup plus riche.

Ce disciple de Paul connaît parfaitement la première épître de Pierre : une trentaine d’expressions rares ne se lisent que dans ces deux lettres. C’est pourquoi il est raisonnable de faire l’hypothèse (ce n’est qu’une hypothèse, pas une certitude) que l’auteur en est Silvain, qui a collaboré à la rédaction de 1 Pierre (1 P 5,12) et qui a longtemps accompagné Paul. Il a séjourné en Italie (cf. Hb 13,24), mais il était, sous le nom de Silas, un membre très considéré de l’église de Jérusalem (Ac 15,22), qu’on aurait bien pu présenter, comme Matthias, pour prendre la place de Judas (Ac 1,22). Paul lui donne le titre d’Apôtre dans sa première lettre (1 Th 2,7). Il avait toute l’autorité nécessaire pour exhorter avec énergie les judéo-chrétiens de Terre Sainte. Il écrivit sans doute vers 63-64.

Il donne une importance particulière aux " conducteurs " de l’Église (Hb 13,7.17.24) qui " veillent " sur les fidèles à l’image du " grand pasteur des brebis " (Hb 13,20). La question du ministère ordonné (notre chapitre VIII) reçoit ici un précieux complément. C’est en donnant sa vie pour ses brebis que le Christ est devenu notre Pasteur (1 P 2,21-25 ; Hb 13,20 ; cf. Jn 10,11). À son image, les " conducteurs " de l’Église doivent donner quotidiennement leur vie pour leurs frères. Par leur sacerdoce ministériel, ils représentent le Grand-Prêtre de l’Alliance Nouvelle et Éternelle qui, par son sang, nous a permis d’approcher du trône de Dieu (Hb 4,16).

Il est possible, comme certains exégètes le soutiennent, que le billet d’envoi (Hb 13,22-25) qui termine la lettre ait été écrit de la main de Paul. L’Apôtre aurait ainsi confirmé l’enseignement de son collaborateur.

 

Ch. XII : LA LUTTE CONTRE LES HÉRÉSIES

LA DEUXIÈME ÉPÎTRE DE PIERRE
DISPARITION DE PIERRE ET DE PAUL
LA LETTRE DE JUDE

Résumé

À la même époque que l’épître aux Hébreux, les évangiles de Matthieu et de Luc ont été rédigés. L’évangile de Marc a été achevé un peu plus tard, vers 66-67. Nous parlerons en détail, dans le chapitre suivant, de cette rédaction finale des évangiles synoptiques.

Pierre, sachant que sa mort est proche, envoie une deuxième lettre aux mêmes destinataires, pour les mettre en garde contre des faux docteurs issus du monde chrétien, et pour les rassurer sur la venue du Christ, qui se fait attendre. Il laisse entendre qu’après son départ ses enseignements seront mis par écrit (2 P 1,15). Il peut s’agir du début de la rédaction de l’évangile de Marc, qui ne sera achevée que plus tard, après la mort de Pierre et de Paul.

La persécution de Néron (64-65) atteint durement les chrétiens de Rome, et entraîne la mort de Pierre et de Paul.

Jude, en écho à la deuxième lettre de Pierre, renouvelle les mises en garde contre les hérétiques et appelle à combattre pour la foi transmise aux saints une fois pour toutes. Sa lettre est écrite vers 68 ou 69.

 

1 - LA RÉDACTION FINALE DES ÉVANGILES SYNOPTIQUES

En 62, Jacques avait été lapidé à Jérusalem ; en 62 également, un événement, survenu au sein de la famille impériale, a de graves conséquences pour les chrétiens.

Jusque-là, les juifs considéraient l’ensemble des chrétiens comme un parti, un choix de vie (Ac 21,20 ; 28,21). Les convertis du monde païen bénéficiaient donc des privilèges accordés aux juifs. Ils pouvaient pratiquer librement leur religion. Dans ce contexte, la soumission aux autorités civiles est exigée par Paul (Rm 13,1-7 ; Tt 3,1 ; 1 Tm 2,1-4) et par Pierre (1 P 2,13-14). De son côté, l’auteur des Actes, Luc, se plaît encore à souligner l’impartialité des fonctionnaires romains (Ac 13,7 ; 18,14-16 ; 23,24 ; 24,22-23 ; 25,4-5.16 ; 27,3 ; 27,43 ; 28,16).

Les débuts de Néron avaient été prometteurs, conseillé comme il l’était par le philosophe Sénèque. Mais l’empereur congédie Sénèque en 62, et il épouse Poppée, sa maîtresse. Celle-ci est appelée " vénératrice de Dieu " par l’historien juif Flavius Josèphe, et elle avait des juifs dans son entourage. Par son intermédiaire, les autorités suprêmes du judaïsme ont pu faire savoir à l’empereur, après la mort de Jacques, que la secte chrétienne n’était pas juive et ne devait pas bénéficier du privilège de " religion licite. " En 64, les chrétiens, soigneusement distingués des juifs, sont accusés d’avoir provoqué l’incendie de Rome et sont cruellement mis à mort.

Les évangiles synoptiques, surtout celui de Matthieu, ainsi que les Actes des Apôtres, soulignent l’opposition du judaïsme officiel à la prédication évangélique. Mais Matthieu semble bien garder l’espoir que le Peuple juif reconnaîtra son Messie.

Ce contexte de la rédaction des évangiles synoptiques sera rappelé au chapitre suivant. Mais, pour l’instant, il nous faut achever l’examen des lettres apostoliques qui ont été rédigées avant l’an 70, la deuxième épître de Pierre et l’épître de Jude.

 

2 - LA DEUXIÈME ÉPÎTRE DE PIERRE (VERS 63)

Sans chercher encore à le démontrer complètement, nous supposons pour l’instant que c’est bien Pierre qui a rédigé, peut-être avec l’aide d’un secrétaire, la deuxième lettre qui porte son nom (2 P 1,1). L’auteur se présente comme témoin oculaire de la Transfiguration (2 P 1,16-18) ; il fait allusion à une première lettre qu’il a écrite (2 P 3,1), dont il connaît bien le contenu (comparer, dans une traduction fidèle, 2 P 3,1 avec 1 P 1,13) ; il se désigne par le nom qu’il avait reçu lors de sa circoncision, " Syméon " (2 P 1,1 ; comparer Ac 15,14), alors qu’il était connu par les chrétiens sous son nom grec, " Simon ", qui lui est toujours attribué dans les évangiles. Un imitateur n’aurait pas pu penser à lui donner un autre nom que celui auquel les fidèles étaient habitués.

C’est dans la première moitié du dix-neuvième siècle qu’un auteur étrange, Ch.-F. Baur (1792-1860), a fait le raisonnement suivant : puisque Paul s’est opposé à Pierre à Antioche (Ga 2,11-14), c’est que Pierre et Paul étaient des ennemis farouches. Tout le système d’interprétation du Nouveau Testament par Baur et son école est dominé par cette prétendue opposition entre Pierre et Paul. Ce n’est donc pas le véritable Pierre qui aurait pu écrire : " Notre bien-aimé frère Paul " (2 P 3,15). Au contraire, nous avons montré (dans nos chapitres I et III) combien était forte l’unité des Apôtres. Tout ce qui précède dans notre livre l’a abondamment illustré.

Néanmoins, les partisans de Baur ont déployé des trésors d’ingéniosité pour tenter de prouver que Pierre n’était pas le véritable auteur de cette deuxième lettre. Ils ont accumulé des remarques de vocabulaire et de style, qui ont fini par impressionner les exégètes protestants, puis catholiques. Et surtout, ils ont prétendu que la deuxième épître de Pierre avait recopié l’épître de Jude, alors que tous les interprètes précédents (en particulier Luther) avaient reconnu la relation inverse : Pierre avait annoncé que viendraient des " faux docteurs " (2 P 2,1) et des " railleurs " ( 3,3-4) ; Jude constate que cette prévision a maintenant été réalisée : " Souvenez-vous des paroles que vous ont dites à l’avance les Apôtres de notre Seigneur Jésus Christ : Lors de la fin des temps il y aura des railleurs menés par leurs passions impies. Ce sont bien eux... " (Jude 17-19). Logiquement, 2 Pierre a été écrite d’abord, et Jude a été rédigée ensuite. Autrement, il faudrait imaginer que la deuxième épître de Pierre a été fabriquée pour inventer les fausses prophéties dont ferait état l’épître de Jude !

Nous avons été éclairé sur la véritable origine de la deuxième épître de Pierre par un article inédit de Ph. Rolland :

- " L’authenticité de la deuxième épître de Pierre " (1994).

Ce texte, trop technique pour être publié dans une revue théologique, a été soumis à plusieurs spécialistes de 2 P, qui ont été impressionnés par cette démonstration.

Il a été abondamment cité et approuvé dans l’ouvrage d’Alfred KUEN :

- Les Épîtres générales (Éditions Emmaüs, CH-1806 Saint LÉGIER, 1996)

L’article a été déposé à la Bibliothèque Nationale et dans d’autres bibliothèques spécialisées dans les études bibliques.

On en trouvera un résumé et des compléments dans :

- L’Origine et la date des évangiles (1994), pp. 81-103.

On voit bien, par exemple, que le souhait initial de 1 Pierre et celui de 2 Pierre sont identiques, alors que celui de Jude est différent. Ici, 2 P répète donc 1 P et ne dépend pas de Jude :

 

1 P 1,2

 

2 P 1,2

 

Jude 2

 

La grâce

 

La grâce

 

La miséricorde,

 

et la paix

 

et la paix

 

la paix

 

 

 

 

 

et l’amour

 

vous soient

 

vous soient

 

vous soient

 

multipliées.

 

multipliées.

 

multipliés.

Pour montrer que c’est Jude qui a recopié la deuxième épître de Pierre, et non l’inverse, Ph. Rolland a réalisé une synopse des deux lettres. Il nous a autorisé à publier ce précieux document, dont il conserve cependant le copyright.

AVERTISSEMENT

Pour des raisons de typographie (le texte devant être disposé sur une double page), cette synopse ne peut être reproduite à l’intention des internautes. On ne peut se la procurer qu’en achetant l’ouvrage du P. Lucien HOUDRY (voir page 2).

Cependant, nous donnons quelques exemples,

avec des explications complémentaires inédites.

 

Dans la synopse complète, sur papier, chacun pourra examiner les relations entre les deux lettres, en voyant ce que Jude a omis, parce que c’était inutile pour le sujet qu’il traitait (notamment l’appel à la sainteté et le témoignage personnel de Pierre sur la Transfiguration du ch. 1), et ce qu’il a ajouté selon ses propres idées et son propre style.

 

3 - SYNOPSE DE 2 PIERRE ET DE JUDE

 

Dans ce texte inédit composé à l’intention des internautes, nous faisons précéder les textes à comparer par un texte antérieur, où 2 Pierre a puisé son inspiration.

Dans les deux textes à comparer, les mots communs à 2 Pierre et à Jude ont été mis en gras.

 

 

Premier exemple : Galates 2,4 ; 2 Pierre 2,1-3 : Jude 4-5.

GALATES

2 4 Mais à cause des faux frères introduits furtivement, lesquels (hoitines) sont venus furtivement pour espionner la liberté que nous avons dans le Christ Jésus...

2 PIERRE

2 1 Cependant, il y eut aussi de faux prophètes parmi le peuple, et il y aura de même parmi vous de faux docteurs, lesquels (hoitines) introduiront furtivement des hérésies de perdition, et renieront le Maître qui les a rachetés, attirant sur eux-mêmes une rapide perdition. 2 Beaucoup adopteront leurs débauches et la voie de la vérité sera injuriée à cause d'eux.

3 Dans leur cupidité, ils vous exploiteront par des paroles artificieuses ;

pour eux le jugement depuis longtemps (en grec : ek-palai) ne chôme pas, et leur perdition ne sommeille pas.

JUDE

4 Car il s'est glissé furtivement parmi nous certains hommes, qui ont été dès autrefois (en grec: palai) inscrits pour ce jugement, des impies qui détournent la grâce de notre Dieu en débauche, et qui renient notre seul Maître et Seigneur, Jésus-Christ. 5 Je veux vous remémorer, à vous qui savez tout une fois pour toutes, que le Seigneur, ayant délivré son peuple du pays d'Égypte, fit périr ensuite ceux qui furent incrédules.

COMMENTAIRE : On voit bien qu’ici 2 Pierre contient une réminiscence de l’épître aux Galates.

En effet, l’idée d’une entrée furtive (exprimée en grec par le préfixe pareis-) ne se trouve dans le Nouveau Testament que chez saint Paul (Rm 5,20 : Ga 2,4, deux fois), puis en 2 Pierre 2,1 et en Jude 4. C’est une expression très rare.

1) En Ga 2,4 et en 2 P 2,1, il y a le même verbe pareisagein : " introduire (ou : s’introduire) furtivement. "

2) De plus, ce verbe est lié à l’intervention des " faux frères " chez Paul, des " faux docteurs " chez Pierre.

3) Enfin, en Galates et en 2 Pierre, on trouve le pronom relatif " lesquels ", au lieu d’un simple " qui ".

Aucune de ces caractéristiques communes à Galates et à 2 Pierre ne se trouve chez Jude.

C’est donc Galates et non Jude qui a fourni à Pierre son inspiration.

Il n’est pas étonnant que Pierre ait eu en mémoire ce texte de Galates, qui parle de la rencontre entre Paul, Pierre et Jacques à Jérusalem, au cours de laquelle les " colonnes " de l’Église se sont mises d’accord pour dispenser les païens de la circoncision, c’est-à-dire pour préserver leur liberté. Pierre a attaché une grande importance à cette rencontre, et il avait dans sa mémoire les termes mêmes qu’a employés Paul dans Galates pour la raconter.

D’ailleurs, Pierre parle aussi dans sa lettre de la vraie liberté, qui n’est pas l’esclavage du désir (2 P 2,19).

Si Jude parle dans sa lettre de " certains hommes qui se sont glissés furtivement ", c’est donc en dépendance de 2 Pierre. Il constate que les prédictions de Pierre se sont réalisées. Pierre parlait au futur, Jude parle au passé.

 

 

 

Deuxième exemple : Siracide 16,7-8 ; Sagesse 10,4-7 ; 2 Pierre 2,4-9 : Jude 5-7.

ECCLÉSIASTIQUE (SIRACIDE)

16 7 Dieu n’a pas pardonné aux géants antiques (archaiôn) qui s’étaient révoltés, fiers de leur puissance.

8 Il n’a point épargné (ouk epheisato) la ville où habitait Lot : leur orgueil lui faisait horreur.

LIVRE DE LA SAGESSE

10 4 Lorsque la terre fut submergée, c’est la Sagesse qui la sauva, en pilotant le juste sur un bois sans valeur. 5 ... c’est elle qui garda (ephulaxen) le juste (Abraham)... 6 C’est elle qui, lors de la destruction des impies, délivra (errusato) le juste qui fuyait le feu descendant sur la Pentapole. 7 En témoignage de sa perversité, une terre désolée continue de fumer.

2 PIERRE

2 4 Si Dieu, en effet, n'a point épargné (ouk epheisato) les anges qui avaient péché, mais s'il les a précipités dans le Tartare, où ils sont dans des cavernes d'obscurité, réservés pour le jugement ; 5 s'il n'a point épargné (ouk epheisato) le monde antique (archaiou), et n'a gardé (ephulaxen) que Noé, ce prédicateur de la justice, le huitième (des sauvés), lorsqu'il a fait venir le déluge sur ce monde d'impies ; 6 s'il a condamné et réduit en cendres les villes de Sodome et de Gomorrhe, pour les faire servir d'exemple aux impies de l'avenir ; 7 et s'il a délivré (errusato) le juste Lot, outré de la conduite débauchée de ces pervers....

JUDE

5 Je veux vous remémorer (...) 6 que les anges, qui n'ont pas gardé leur rang et qui ont abandonné leur propre demeure , il les a réservés, enchaînés éternellement dans l’obscurité, pour le jugement du grand jour; 7 que Sodome et Gomorrhe, et les villes voisines, qui se livrèrent aux mêmes impuretés et coururent derrière une chair différente, sont devant nous comme un exemple, subissant la peine d'un feu éternel.

COMMENTAIRE : Dans les écrits de sagesse de l’Ancien Testament, on trouve plusieurs fois des réflexions sur les exemples du Livre de la Genèse : la révolte des " fils de Dieu ", que la Bible grecque (LXX) appelle les " géants " (6,1-4) ; le déluge où Noé fut sauvé (6,5 - 9,17) ; la destruction de Sodome et la protection de Lot (19,1-29).

La deuxième épître de Pierre puise son inspiration directement dans ces livres de sagesse, auxquels elle emprunte des expressions caractéristiques : le monde " antique ", en grec archaios (Sir 16,7), " il n’a point épargné ", en grec ouk epheisato (Sir 16,8), " elle a gardé le juste ", en grec ephulaxen (Sag 10,5), " elle a délivré le juste ", en grec errusato (Sag 10,6). Rien de cela ne se trouve chez Jude. 2 Pierre dépend de l’Ancien Testament, Jude dépend de 2 Pierre.

On peut remarquer que Jude, qui supprime beaucoup de choses, en ajoute aussi beaucoup : son interprétation personnelle du péché des anges et de celui des Sodomites, l’idée deux fois exprimée d’une peine " éternelle. " Il n’y a aucun écho à ces particularités de Jude dans la deuxième épître de Pierre : 2 Pierre ne connaît pas l’écrit de Jude.

 

Troisième exemple : 1 Pierre 1,19 ; 2 Pierre 3,14 : Jude 20-24.

1 PIERRE

1 18 Sachez que ce n’est par rien de corruptible, argent ou or, que vous avez été affranchis de la vaine conduite héritée de vos pères, 19 mais par un sang précieux, comme d’un agneau sans défaut et sans tache, le Christ.

2 PIERRE

3 14 C'est pourquoi, bien-aimés, dans cette attente,

soyez zélés pour qu'il vous trouve sans tache et sans défaut, dans la paix.

JUDE

20 Pour vous, bien-aimés (...), 21 préservez-vous dans l'amour de Dieu, (...).

22 Reprenez les uns, ceux qui sont hésitants ; 23 sauvez-en d'autres, en les arrachant du feu ; et pour d'autres encore, ayez une pitié mêlée de crainte, haïssant jusqu'au vêtement taché par leur chair. 24 Or, à celui qui peut vous garder de toute chute et vous faire paraître sans défaut dans l’allégresse en sa glorieuse présence, (...)

COMMENTAIRE : Dans sa première lettre, Pierre avait décrit le Christ comme " un Agneau sans défaut et sans tache " (1 P 1,19). Dans sa deuxième lettre, sans doute sous l’influence de Paul en Ep 1,4 et 5,27, Pierre invite à leur tour les chrétiens à être " sans tache et sans défaut " (2 P 3,14). On ne lit cette expression que chez Pierre.

Jude reprend ces deux adjectifs, mais dans deux versets distincts. Il exhorte les chrétiens fidèles à fuir les hérétiques qui refusent de se convertir, en haïssant même la tunique " tachée " par leur chair (Jude 23) ; il reprend ensuite le qualificatif " sans défaut ", appliqué cette fois aux fidèles et non aux hérétiques (Jude 24).

Ici, on voit bien que 2 Pierre ne dépend pas de Jude, mais de 1 Pierre, et que c’est Jude qui s’inspire de 2 Pierre.

Il est donc bien clair que 2 Pierre ne dépend pas de Jude, mais que la dépendance inverse s’impose. 2 Pierre a été écrite en premier, et Jude a montré que les prédictions qu’elle contenait se sont bien vite réalisées.

Cette généalogie est très importante en ce qui concerne la question de l’authenticité de 2 Pierre. Puisque Jude l’a recopiée, son écrit lui est postérieur. Or Jude n’a certainement pas rédigé sa lettre après la destruction de Jérusalem en 70, comme nous le montrerons bientôt. 2 Pierre est écrite avant Jude, elle-même antérieure à 70. C’est donc bien du vivant de Pierre que sa deuxième épître a été publiée, fin 63 ou début 64, Jude datant de 68 ou 69.

 

4 - LE CONTENU DE 2 PIERRE

Pierre doit lutter contre des faux docteurs qui commencent à sévir dans les communautés. Ils essaient d’attirer à eux les fidèles, en leur expliquant que la débauche ne concerne que notre vie matérielle et ne nous empêche pas d’avoir de belles idées sur Dieu. Ils appâtent aussi les plus faibles en leur offrant de somptueux banquets (2 P 2,13). Pierre dénonce le faux usage de la " liberté chrétienne " que font ces hérétiques : " Avec leurs discours pompeux et vides, ils séduisent, par les convoitises de la chair et par des débauches, ceux qui viennent à peine d’échapper aux hommes qui vivent dans l’erreur. Ils leur promettent la liberté, alors qu’ils sont eux-mêmes esclaves de la corruption, car on est esclave de ce qui vous a vaincu " (2 P 2,18-19). Ici, Pierre poursuit sa réflexion sur la fausse liberté, qu’il avait commencée en 1 P 2,16 : " Ne faites pas de la liberté un voile pour la méchanceté. " La liberté chrétienne avait été l’objet des discussions entre Jacques, Pierre et Paul en l’an 49 ou 50, lors de l’Assemblée de Jérusalem (Ga 2,4). Jacques avait ensuite reconnu que le chrétien vit selon une " loi de liberté " (Jc 1,25 ; 2,12). Paul avait mis en garde contre une utilisation de la liberté comme " prétexte pour satisfaire la chair " (Ga 5,13). Dans ses deux lettres, Pierre conclut le débat, en distinguant la vraie liberté du libertinage. Les trois principaux responsables de l’Église s’accordent sur ce point capital.

Préoccupé par l’enseignement des faux docteurs et sachant, par suite d’une révélation du Seigneur, qu’il va bientôt mourir, Pierre écrit une dernière lettre, en laissant entendre qu’il prendra soin de laisser une autre trace écrite de sa prédication : " Je ne cesserai pas de vous remémorer ces choses, quoique vous les connaissiez bien et que vous soyez affermis dans la vérité présente. Je regarde néanmoins comme mon devoir, aussi longtemps que je suis dans cette tente, de vous tenir en éveil en faisant appel à votre mémoire ; car je sais que je dois bientôt déposer cette tente, comme notre Seigneur Jésus-Christ me l’a montré. Mais j’aurai soin qu’après mon départ, vous puissiez toujours conserver le souvenir de ce que je vous ai dit " (2 P 1,12-15).

Certains auteurs suggèrent que Pierre a déjà demandé à Marc de mettre en chantier son évangile, et il se pourrait bien qu’ils aient raison. Marc fournit de nombreux détails pittoresques qu’on ne trouve que chez lui, et que la plupart des exégètes considèrent comme un reflet de la prédication orale de Pierre.

Un autre danger menace la foi des chrétiens. Il existe des " moqueurs " (probablement issus du judaïsme) qui considèrent Jésus comme un faux prophète, puisqu’il a annoncé la ruine de Jérusalem pour le temps de " cette génération " (Mt 24,34 ; Mc 13,30 ; Lc 21,32), ainsi que son avènement (sa " parousie " ; cf. 1 Th 2,19 ; 3,13 ; 4,15 ; 5,23 ; 1 Co 15,23 ; Jc 5,7-8). Or voici que, en 63, les parents de ces moqueurs sont morts, leur génération est en train de disparaître, et rien ne s’est produit : " Depuis que les pères se sont endormis, disent-ils, tout demeure comme au début de la création " (2 P 3,4). En fait, Jésus n’avait pas annoncé la date de sa venue glorieuse aux derniers temps. Le texte de 1 Th 5,1, écrit par Paul en 51, est formel sur ce point, et il est confirmé par d’autres passages : " Quant aux temps et aux moments, frères, vous n’avez pas besoin qu’on vous en écrive. Vous savez parfaitement que le Jour du Seigneur vient comme un voleur dans la nuit " (voir aussi Ac 1,7 ; Mt 24,36 ; Mc 13,32 ; etc.). Mais Paul lui-même espérait bien, au début, que cet avènement se produirait de son vivant, et ce n’est qu’après sa captivité d’Éphèse qu’il a eu une vue plus juste des choses (voir notre chapitre V). La plupart des gens, croyants et non croyants, interprétaient les paroles de Jésus comme concernant des événements simultanés.

Pierre ne résout pas ce problème, mais il se contente d’affirmer tranquillement sa foi en la vérité des paroles de Jésus : " Il viendra, le Jour du Seigneur, comme un voleur " (2 P 3,10). Il trouve cependant dans les Écritures une lumière pour la foi. Dans le Psaume 89 (90), il était écrit dans le texte grec : " Mille ans à tes yeux sont comme ce jour ou hier " (Ps 89,4). Pierre demande donc qu’on n’oublie pas que " devant le Seigneur un jour est comme mille ans, et mille ans comme un jour " (2 P 3,10). Et il explique pourquoi le Christ semble tarder à venir juger le monde : " Le Seigneur use de patience envers vous, ne voulant pas qu’aucun périsse, mais que tous parviennent au repentir " (2 P 3,9).

Pierre reprend ici des thèmes chers à Paul : le " repentir " (Rm 2,4 ; Ac 20,21 ; 2 Tm 2,25), la volonté de Dieu que " tous les hommes soient sauvés " (1 Tm 2,4). Il est donc tout naturel qu’il renvoie les chrétiens aux textes de Paul qui parlent de la " patience " de Dieu, Rm 2,4 et surtout 1 Tm 1,15-16 (2 P 3,15).

Pierre recommande la lecture des écrits de Paul et fait ainsi preuve de collégialité, tout en reconnaissant que certains passages de ces lettres sont difficiles à comprendre et peuvent être détournés de leur vrai sens (2 P 3,16). Paul avouait lui-même que son langage pouvait être mal interprété. Après avoir dit : " Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé " (Rm 5,20), il s’empresse de dénoncer une fausse interprétation qu’on pourrait faire de cet enseignement : " Que dire ? Devons-nous demeurer dans le péché afin que la grâce abonde ? Bien sûr que non ! " (Rm 6,1). Certains allaient même jusqu’à prétendre que Paul recommandait de " faire le mal afin qu’en sorte le bien " (Rm 3,8). Comme les autres Écritures, les lettres de Paul " ne sont pas l’objet d’une interprétation personnelle ", car elles sont l’œuvre de l’Esprit Saint (2 P 1,20-21).

Bien des gens s’étonnent que, déjà du vivant de Pierre, les lettres que Paul avait écrites jusque-là puissent avoir été considérées comme des Écritures inspirées par Dieu (2 P 3,16). Cependant, il faut remarquer que Paul, dès sa première lettre, soulignait que sa parole orale n’était pas " une parole d’homme ", mais bien " la Parole de Dieu " (1 Th 2,13). Pourquoi n’aurait-il pas pensé la même chose de sa parole écrite, lui qui était conscient " d’avoir la pensée du Christ " (1 Co 2,16) ? D’ailleurs, dans sa première épître, Pierre écrivait lui-même aux communautés de Galatie et d’Asie : " Ce message, les prédicateurs de l’Évangile vous l’ont communiqué sous l’action de l’Esprit Saint envoyé du ciel " (1 P 1,12). Paul et ses collaborateurs étaient des inspirés, selon le jugement de Pierre dès l’an 59.

Achevons notre évocation de la deuxième lettre de Pierre, en relevant la formule très dense dans laquelle il synthétise tout l’enseignement de Paul sur la condition du chrétien : nous sommes " participants de la nature divine " (2 P 1,4). C’est bien la pensée de Paul, mais celui-ci n’avait pas eu l’idée d’une affirmation aussi audacieuse, qui nourrira la pensée des Pères de l’Église d’Orient.

 

5 - LA MORT DE PIERRE (PRINTEMPS 65)
LA LETTRE DE JUDE (VERS 68/69)

Pierre s’attendait à une mort prochaine. Il n’existe pas de données certaines sur les circonstances de cette mort, mais on admet généralement qu’elle eut lieu pendant la persécution des chrétiens de Rome par Néron. Celle-ci suivit de quelques mois l’incendie de plusieurs quartiers de Rome en juillet 64. Dans les dernières années, on a supposé que la persécution eut lieu au printemps de 65, et on est porté aujourd’hui à placer la mort de Pierre à cette époque. Sans certitude, nous avons adopté cette date, et c’est pourquoi nous avons situé la rédaction de 2 Pierre fin 63 ou début 64.

C’est après la mort de Pierre qu’est rédigée la lettre de Jude, qui parle des " Apôtres de notre Seigneur Jésus Christ " comme de personnages du passé (Jude 17). La prédiction des apôtres que Jude rappelle (Jude 17) emploie le mot " moqueurs ", qui ne se lit ailleurs qu’en 2 P 3,3. C’est donc avant tout au testament de Pierre que Jude pense, même si on peut évoquer aussi les avertissements de Paul en 1 Tm 4,1-3 et 2 Tm 3,1-5, dans un autre langage.

En quelques années, la situation s’est dégradée : les faux docteurs annoncés en 2 P 2,1 exercent leurs ravages, ils " changent en débauche la grâce de notre Dieu " (Jude 4). Jude invite à " combattre pour la foi " (Jude 3 ; comparer 1 Tm 6,12).

Jude est surtout préoccupé de montrer que les incrédules sont toujours jugés par Dieu (Jude 5-7 et 14-15). Dans ce contexte, il aurait certainement évoqué la ruine de Jérusalem en 70, si celle-ci s’était déjà produite. Sa lettre est donc écrite avant la fin de la guerre juive et les massacres et déportations qui l’accompagnèrent. D’ailleurs, Jude se présente lui-même comme le " frère de Jacques " (Jude 1), il appartient donc à la même génération que Jésus et Pierre, il aura en l’an 70 entre 70 et 80 ans.

Sa lettre est précieuse pour nous instruire sur l’attitude à adopter en face des " faux frères " qui dénaturent le christianisme : essayer de convaincre les hésitants, de les sauver en les arrachant au feu ; mais rompre totalement avec ceux qui persévèrent dans leur enseignement de l’erreur (Jude 22-23).

Elle est précieuse surtout pour nous assurer que la foi prêchée par les Apôtres contient tout ce qui est nécessaire pour notre salut. Cette foi a été " transmise aux saints une fois pour toutes " (Jude 3). On ne peut rien y retrancher, rien y ajouter. Les siècles suivants ne feront que l’expliciter. Jésus, Parole de Dieu faite chair, est " la plénitude de la Révélation " (Concile Vatican II).

 

Ch. XIII : LA RÉDACTION DES ÉVANGILES SYNOPTIQUES

L’ÉVANGILE GREC DE MATTHIEU
L’ÉVANGILE DE LUC ET LES ACTES
L’ÉVANGILE DE MARC

Résumé

Vers 62, les chrétiens ont été exclus du monde juif et n’ont plus bénéficié de la protection des lois romaines. L’évangile grec de Matthieu implique cette rupture et peut être daté de 63.

L’évangile de Luc, qui fait corps avec les Actes des Apôtres, date de la même époque que ceux-ci. Or, l’auteur des Actes ignore manifestement l’issue du procès de Paul et sa mort. L’œuvre de Luc en deux tomes fut terminée avant la persécution de 64-65.

Les évangiles de Matthieu et de Luc se révèlent indépendants l’un de l’autre. Ils ont donc été composés à la même époque (62-63). Matthieu a probablement publié son livre à Antioche, et Luc a sans doute terminé le sien en Achaïe.

Pierre peut avoir prévu que ses enseignements seraient mis par écrit (2 P 1,15). Mais c’est après sa mort, survenue sans doute lors de la persécution de Néron en 64-65, que l’évangile de Marc sera terminé, en 66 ou en 67, avant la ruine de Jérusalem en 70.

Nous avons fait état, dans le chapitre précédent, des graves événements survenus en l’an 62. Jacques de Jérusalem a été lapidé, tandis qu’à Rome l’empereur prenait pour femme son ancienne maîtresse Poppée, liée aux milieux juifs. Puisqu’en 64-65 les chrétiens ont été recherchés et mis à mort en tant que chrétiens, comme adeptes d’une " superstition néfaste " (Tacite), on est autorisé à conclure que la séparation entre juifs et chrétiens s’était déjà produite : les autorités du judaïsme avaient fait savoir à Néron, par l’intermédiaire de Poppée, que les chrétiens n’étaient pas des juifs et ne bénéficiaient pas, comme ceux-ci, du privilège de " religion licite. " C’est ce qu’a montré le grand exégète Henri Cazelles, dans son ouvrage La naissance de l’Église, secte juive rejetée ? (Le Cerf, Paris, 1983). L’excommunication des chrétiens a dû être prononcée fin 62 ou début 63.

 

1 - L’ÉVANGILE DE MATTHIEU (62-63)

C’est dans ce contexte qu’il nous faut situer la rédaction de l’évangile de Matthieu. L’évangéliste, racontant comment les gardes du tombeau ont expliqué la disparition du corps de Jésus en prétendant que ses disciples étaient venus le dérober pendant qu’ils dormaient, commente l’événement en disant : " Ce récit (cette fable) s’est propagé parmi les juifs jusqu’à ce jour " (Mt 28,15). On voit ainsi que, pour lui, juifs et chrétiens sont deux communautés distinctes, le christianisme n’est plus une " voie " à l’intérieur du judaïsme. Cependant, la rupture est récente, car l’œuvre tout entière de Matthieu est destinée à montrer que toutes les prophéties annonçaient Jésus : l’auteur ne désespère donc pas encore de convaincre Israël de reconnaître son Messie.

Tous les écrivains anciens, à partir de l’an 130 environ (Papias, Irénée, Origène), affirment que Matthieu a rédigé son évangile en langue hébraïque. Le rapport de notre Matthieu grec avec ce Matthieu hébreu n’est pas clair. Peut-être les deux versions ont-elles été rédigées en même temps. Ph. Rolland avait fait l’hypothèse que le Matthieu hébreu pourrait être identifié avec " l’évangile de Jérusalem " dont nous avons parlé dans les précédents chapitres, ce texte qu’il avait primitivement dénommé " l’évangile des Douze. " Dans son dernier ouvrage, il a renoncé à être aussi précis, car le Matthieu hébreu dont parlent les Pères devait être un évangile complet, contenant des récits de l’enfance de Jésus et des récits d’apparitions du Ressuscité. C’est ainsi que saint Jérôme le décrit. Il nous faut renoncer, semble-t-il, dans l’état actuel des connaissances exégétiques, à reconstituer le contenu exact du Matthieu hébreu que les Pères ont eu entre les mains.

On consultera sur ce point les ouvrages suivants :

- Les Premiers évangiles (1984), pp. 203-208.

- L’Origine et la date des évangiles (1994), pp. 30-31.

- Jésus et les historiens (1998), pp. 43 et 59.

Clément d’Alexandrie (né vers 150, mort en 211) s’appuyait sur une tradition des anciens presbytres pour affirmer que " les évangiles qui contiennent des généalogies " ont été rédigés en premier, avant Marc. Il parle ici visiblement du Matthieu actuel et de Luc. De son côté, Irénée dit que Matthieu a composé son évangile " alors que Pierre et Paul évangélisaient Rome et y fondaient l’église. " Comme Paul n’est venu à Rome pour la première fois qu’en 61, c’est entre cette date et la mort de Pierre qu’Irénée semble bien situer la rédaction du Premier évangile.

Beaucoup d’exégètes pensent que Matthieu s’est appliqué à lui-même la parabole du scribe avisé, qui " tire de son trésor du neuf et du vieux " (Mt 13,52). On lirait ici comme la " signature " de cet évangéliste. C’est plausible, et cette remarque est éclairante sur l’une des intentions de Matthieu : montrer en Jésus celui qui accomplit pleinement la Loi ancienne (le vieux), mais la mène à sa perfection (le neuf). Mais ce n’est qu’un des aspects de sa théologie.

L’important est surtout de bien comprendre l’organisation littéraire du Premier évangile. Les paroles de Jésus sont regroupées par thèmes en cinq grands discours, qui sont liés logiquement aux récits qui les suivent par une formule de transition : " Et il arriva, quand Jésus eut achevé ces instructions... " (Mt 7,28 ; 11,1 ; 13,53 ; 19,1 ; 26,1). Ce qui précède le premier discours (le Sermon sur la Montagne) est un prologue en deux volets, où Matthieu montre en Jésus le nouvel Israël qui revit l’histoire de son Peuple, son exil en Égypte, ses épreuves au désert, son entrée dans la Terre promise. Jésus est d’abord introduit dans le monde par Joseph, qui lui transmet sa dignité de Fils de David (Mt 1-2), puis par Jean-Baptiste, qui le désigne comme le purificateur des derniers temps (Mt 3-4). On arrive ainsi à l’organisation suivante :

Prologue : De l’Ancien au Nouveau Testament (1-4)

A) Joseph et Jésus (1,1 - 2,23)

B) Jean-Baptiste et Jésus (3,1 - 4,16)

Livret 1 : L’annonce de la Bonne Nouvelle (5-9)

A) La loi nouvelle des enfants de Dieu (4,17 - 7,29)

B) La guérison de toute maladie (8,1 - 9,34)

Livret 2 : Le rejet de Jésus et de ses envoyés (10-12)

A) Le rejet des envoyés (9,35 - 10,42)

B) Le rejet du Maître (11,1 - 12,50)

Livret 3 : La victoire de la foi pascale (13-17)

A) Aveuglement des foules, illumination des Douze (13,1-52)

B) Fondation de l’Église sur la foi de Pierre (13,53 - 17-27)

Livret 4 : La loi nouvelle de l’Église (18-23)

A) La Loi fondamentale du pardon (18,1-35)

B) Instructions sur la vie en Église (19,1 - 23,39)

Livret 5 : Dans l’attente de la Fin du monde (24-28)

A) Jésus se révèle Roi de l’univers (24,1 - 25,46)

B) La Pâque de Jésus inaugure les derniers temps (26,1 - 28,20)

Cette structure littéraire a été mise en évidence, de manière indépendante, dans deux travaux publiés simultanément :

- J. RADERMAKERS, Au fil de l’évangile selon saint Matthieu,

I.E.T., Louvain, 1972.

- Ph. ROLLAND, " De la Genèse à la fin du monde. Le plan de l’évangile de Matthieu ",

dans Bulletin de Théologie Biblique (1972), pp. 157-178.

 

Le dessein de Matthieu est de montrer en Jésus celui qui est " Dieu-avec-nous ", l’Emmanuel, depuis l’origine de l’humanité jusqu’à la fin du monde. En effet, les premiers mots de l’évangile sont " Livre de la Genèse (de Jésus) " (Mt 1,1), et les derniers mots sont " jusqu’à la fin du monde " (Mt 28,20). Le premier titre donné à Jésus est " Dieu-avec-nous " (Mt 1,23), et il se désigne lui-même à la fin de l’évangile par ces mots : " Je-suis-avec-vous (jusqu’à la fin du monde) " (Mt 28,20). Jésus est présenté ainsi comme le Maître de l’Histoire, celui qui donne sens à tout ce qui précède sa venue, qui annonce la Bonne Nouvelle à la " plénitude des temps ", qui est rejeté par Israël et fonde une nouvelle Nation (Mt 21,43), l’Église formée de juifs et de païens, à laquelle il donne la loi de la fraternité et qu’il accompagne jusqu’à la fin des temps.

 

2 - L’ŒUVRE DE LUC EN 62-64
LE TROISIÈME ÉVANGILE ET LES ACTES

Selon les Pères de l’Église, le Matthieu hébreu a été composé " chez les Hébreux, dans leur propre langue. " Son origine géographique semble donc être la Palestine. Pour le Matthieu grec que nous connaissons, les exégètes pensent généralement qu’il a plutôt été composé en Syrie, à Antioche.

Des témoignages anciens situent en Achaïe (en Grèce) la réalisation finale de l’œuvre de Luc en deux tomes (son évangile et les Actes des Apôtres). On est donc dans une aire géographique différente.

Dans leur immense majorité, les spécialistes sont d’accord entre eux pour affirmer que les évangiles de Matthieu et de Luc sont indépendants l’un de l’autre : Matthieu a écrit sans connaître l’œuvre de Luc, Luc a écrit sans connaître l’œuvre de Matthieu. Autrement, on ne comprendrait pas que leurs évangiles de l’enfance soient aussi différents, au point qu’il est difficile de faire concorder les renseignements qu’ils nous donnent. Les récits des apparitions de Jésus ressuscité sont également très différents : chez Matthieu, tout se passe en Galilée, alors que tout se passe à Jérusalem chez Luc. On doit en conclure que ces deux évangiles ont été composés à peu près à la même époque, car les écrits chrétiens circulaient très vite, comme nous l’avons vérifié à propos des lettres apostoliques.

Puisque l’évangile de Matthieu semble bien avoir été composé autour de 62-63, celui de Luc devrait dater de la même époque. Si ceci peut être prouvé par une autre voie, il en résultera que le Matthieu grec a effectivement été rédigé avant la mort de Pierre et de Paul. C’est donc en nous fondant sur d’autres arguments que nous devons rechercher à quelle date l’œuvre de Luc a été achevée.

En fait, nous sommes ici sur un terrain très solide, car l’évangile de Luc est nécessairement antérieur aux Actes des Apôtres, qui sont le deuxième tome de " l’histoire des origines chrétiennes " composée par Luc, le " cher médecin " (Col 4,14 ; cf. Phm 24 et 2 Tm 4,11). Ceci est dit explicitement en Ac 1,1 (" Dans mon premier livre, ô Théophile... "). Il s’agit donc de préciser à quelle date les Actes des Apôtres ont été publiés.

Les Actes se terminent à la fin d’une captivité de Paul à Rome qui a duré deux ans, du printemps 61 au printemps 63 (Ac 28,30-31). Dans tout le récit précédent, Luc nous fait espérer une comparution de Paul devant l’empereur (Ac 23,11 ; 25,11-12 ; 25,25-27 ; 27,23-25 ; 28,19). Pourquoi donc ne la raconte-t-il pas, sinon parce qu’elle n’a pas encore eu lieu ?

Ceci est confirmé par un fait extrêmement significatif. De même que Luc avait fait un parallèle entre la mort de Jésus et la mort d’Étienne (comparer Lc 23,34 et Ac 7,60 ; Lc 23,46 et Ac 7,59), de même il montre longuement l’analogie entre le procès de Jésus, sa mort et sa résurrection et, d’autre part, le procès de Paul, le naufrage qu’il a subi et la glorification dont il a ensuite été bénéficiaire.

Ce parallèle a récemment été mis en évidence dans un article composé par un célèbre exégète :

- J.-N. ALETTI, " Le naufrage d’Actes 27 : mort symbolique de Paul ? ",

dans L’évangile exploré, Mélanges offerts à S. Légasse, Cerf, Paris, 1996, pp. 375-392.

Le récit du naufrage de Paul ressemble par bien des traits au récit de la tempête dont fut victime Jonas et qui entraîna pour lui une mort et une résurrection symboliques (Jonas 1-2). Mais surtout, il se lit à l’intérieur d’un récit où Paul refait le même itinéraire que Jésus dans les ch. 22-24 de Luc. Résumons ce parallélisme.

 

 

Luc

 

 

Actes

 

 

 

 

Préparation

 

 

 

22,14-23

 

Repas de la Cène

 

20,7-11

 

Fraction du pain à Troas

22,24-38

 

Instruction aux apôtres

 

20,17-35

 

Instruction aux presbytres

22,41

 

Prière à genoux

 

20,36

 

Prière à genoux

22,42

 

Que ta volonté se fasse

 

21,14

 

Que sa volonté se fasse

 

 

 

Procès

 

 

 

22,63

 

Jésus est frappé

 

22,24

 

Paul est frappé

22,66-71

 

Devant le Sanhédrin

 

22,30 et ss.

 

Devant le Sanhédrin

23,1-5

 

Devant le gouverneur

 

24,1-23

 

Devant le gouverneur

23,2

 

Accusation de sédition

 

24,2-9

 

Accusation de sédition

23,9-12

 

Devant un Hérodien

 

25,23 et ss.

 

Devant un Hérodien

23,15

 

Jésus est innocent

 

26,32

 

Paul est innocent

 

 

 

Exécution

 

 

 

23,25

 

Jésus est livré

 

27,1

 

Paul est livré

23,26

 

Un ami près de Jésus

 

27,2

 

Un ami près de Paul

23,32

 

D’autres condamnés

 

27,1

 

D’autres condamnés

23,35-37

 

Pas de salut possible

 

27,20.30-31

 

Pas de salut possible

23,44-45

 

Disparition du soleil

 

27,20

 

Disparition du soleil

23,46

 

Jésus meurt

 

27,21.33

 

On ne se nourrit plus

 

 

 

Glorification

 

 

 

23,48

 

Confiance en Jésus

 

27,36

 

Confiance en Paul

24,30

 

Geste eucharistique

 

27,35-38

 

Geste eucharistique

24,34-52

 

Jésus est adoré

 

28,6

 

Paul est pris pour un dieu

24,27

 

Moïse et les prophètes

 

28,23

 

Moïse et les prophètes

24,45

 

Lenteur à croire

 

28,23-27

 

Lenteur à croire

24,44-45

 

Ce qui concerne Jésus

 

28,31

 

Ce qui concerne Jésus

24,47

 

Le salut pour les païens

 

28,28

 

Le salut pour les païens

Bien d’autres ressemblances existent. On n’a signalé ici que les plus importantes. Luc a soigneusement sélectionné dans les gestes de Paul et les épreuves qu’il a subies ce qui le faisait ressembler à Jésus. Ce qui correspond à la mort de Jésus, c’est la mort symbolique de Paul dans la tempête où tout espoir de salut était perdu (Ac 27,20). Ce qui correspond à la résurrection de Jésus, c’est l’épisode de la vipère inoffensive (Ac 28,2-5), qui entraîne la glorification de Paul (Ac 28,6). C’est aussi la liberté avec laquelle il peut " enseigner ce qui concerne Jésus avec une entière assurance et sans obstacle " (Ac 28,31).

On ne peut donc éviter la conclusion suivante. Si Luc a mis en parallèle avec la mort de Jésus une mort symbolique de Paul, semblable à celle de Jonas, et non sa mort effective, c’est que cette mort ne s’était pas encore produite. Quand Luc a achevé son œuvre et l’a publiée, Paul n’avait pas encore eu à comparaître devant l’empereur, et il n’avait pas encore subi son martyre.

Luc ne sait pas encore que Néron a fait périr les chrétiens de Rome dans d’affreux tourments. Il a encore beaucoup de respect pour les autorités romaines, pour les différents gouverneurs qu’il met en scène, et dont il souligne l’impartialité en matière religieuse. On se trouve donc fin 63 ou début 64, avant l’incendie de Rome et la persécution des chrétiens par Néron. Les Actes des Apôtres n’ont pas été rédigés plus tard, et l’évangile de Luc est encore antérieur.

Comme on l’a depuis longtemps remarqué, Luc ne parle ni des martyrs de Rome, ni de la mort de Pierre et de Paul, ni de la destruction de Jérusalem en 70. Pour affirmer que les Actes ont été rédigés après 70, les exégètes modernes n’avancent plus qu’un seul argument. Ils disent que les épîtres pastorales ne sont pas de Paul, que les presbytres n’existaient pas encore de son vivant, qu’ils n’ont été inventés que vers 80-85. En parlant en Ac 20,17 de la convocation à Milet des presbytres de l’église d’Éphèse, Luc aurait projeté sur le passé des institutions tardives. Mais il est déjà question des presbytres dans l’épître de Jacques, dont nous avons montré qu’elle a été écrite avant l’épître aux Romains (notre chapitre V). L’argument n’a donc aucune valeur.

L’exactitude historique des Actes ne peut être mise en doute. Même si les Actes avaient été rédigés tardivement, ils n’auraient pas pu raconter de manière fantaisiste l’histoire de l’évangélisation des différentes églises du monde grec. Celles-ci ont été fondées entre 45 et 60. Un chrétien âgé de 20 ans en l’an 50 n’avait pas plus de 60 ans en l’an 90. Si les Actes avaient rapporté de manière inexacte les actions de Paul à Philippes, à Thessalonique, à Corinthe, à Éphèse, à Troas, le livre n’aurait été accepté par personne, et il n’aurait pas été recopié. L’historien se doit de lui faire globalement confiance.

Cependant, la manière de faire l’histoire n’est pas exactement la même au premier siècle que de nos jours. L’historien antique veut montrer le sens des événements plus que leur chronologie précise. Quand il dit au début de son œuvre qu’il a voulu faire " un récit ordonné " (Lc 1,3), Luc ne veut pas dire qu’il placera tout dans un ordre chronologique rigoureux. Son dessein sera de montrer la dynamique de la vie de Jésus et la dynamique de l’action de ses témoins. Jésus monte de Galilée à Jérusalem, où il accomplit son sacrifice en vue de la rémission des péchés. Partant de Jérusalem, ses témoins annoncent la rémission des péchés jusqu’aux extrémités de la terre. Telle est l’organisation d’ensemble de l’œuvre de Luc.

Des précisions sur cette structure sont données dans :

- " L’organisation du livre des Actes et de l’ensemble de l’œuvre de Luc ",

dans Biblica, 1984, pp. 81-86.

- L’Origine et la date des évangiles (1994), pp. 114-116.

Il est important de remarquer la correspondance entre le centre de l’évangile de Luc (le fils prodigue, Lc 15) et le centre des Actes (l’assemblée de Jérusalem, Ac 15). Dans la parabole des deux fils, on se demande si le fils aîné, qui se flatte d’avoir toujours accompli la volonté de son père, acceptera de s’asseoir à la même table que ce pécheur converti qu’est son frère cadet. Au Concile de Jérusalem, les chrétiens d’origine juive, fidèles à la Loi, acceptent de partager le même pain eucharistique que les convertis du monde païen. L’unité des deux mondes autrefois hostiles est réalisée en Jésus, car il est à la fois " la lumière des Nations " et " la gloire d’Israël ", selon la prophétie prononcée jadis par le vieillard Syméon (Lc 2,29-32).

Il ne faut pas s’étonner si Luc, pour montrer la dynamique de la vie de Jésus, déplace volontairement certains événements. Par exemple, il relate l’emprisonnement de Jean-Baptiste (Lc 3,19-20) avant le baptême de Jésus par celui-ci (Lc 3,21-22). Ou bien encore, il fait allusion aux guérisons accomplies par Jésus à Capharnaüm (Lc 4,23) avant que celui-ci ne soit entré pour la première fois dans cette ville (Lc 4,31). De même, dans les Actes, il raconte l’envoi par les chrétiens d’Antioche de secours en faveur des pauvres de Jérusalem, à l’occasion d’une famine qui eut lieu vers 48, selon Flavius Josèphe (Ac 11,27-30), avant le martyre de Jacques, frère de Jean, tué sur l’ordre d’Hérode-Agrippa, lui-même mort au printemps de l’an 44 (Ac 12,1-2). Cela ne veut pas dire que Luc n’ait aucun souci chronologique, mais ce sont surtout des préoccupations théologiques qui commandent l’organisation de son œuvre.

Son dessein théologique principal est de montrer en Jésus l’ami des pauvres et des pécheurs, celui qui apporte le salut à tous, et notamment aux païens (Lc 24,47), et de raconter ensuite comment ce salut a effectivement été accueilli avec joie par les païens (Ac 28,28). Lui-même était d’origine païenne, et son œuvre est, au moins en partie, une action de grâces personnelle pour le salut dont il a été le bénéficiaire.

 

3 - LA MORT DE PIERRE ET DE PAUL VERS 64/65
MARC ACHÈVE SON ÉVANGILE VERS 66/67

En 64, les chrétiens sont accusés d’avoir provoqué l’incendie de Rome. Il est probable que Pierre et Paul disparaissent dans la persécution qui s’ensuit.

Dans le chapitre précédent, nous faisions remarquer que Pierre laissait entendre dans sa deuxième lettre (2 P 1,15) qu’il veillerait à la mise par écrit de ses enseignements. Ceci correspond au témoignage de Clément d’Alexandrie, tel que nous le rapporte Eusèbe de Césarée : " Clément cite une tradition des anciens presbytres relativement à l’ordre des évangiles ; la voici. Il disait que les évangiles qui comprennent les généalogies ont été écrits d’abord, et que celui selon Marc le fut dans les circonstances suivantes. Pierre ayant prêché la doctrine publiquement à Rome et ayant exposé l’Évangile par l’Esprit, ses auditeurs qui étaient nombreux exhortèrent Marc, en tant qu’il l’avait accompagné depuis longtemps et qu’il se souvenait de ses paroles, à transcrire ce qu’il avait dit. Il le fit et transcrivit l’Évangile à ceux qui le lui avaient demandé. L’ayant appris, Pierre ne fit rien par ses conseils pour l’en empêcher ou pour l’y pousser " (Eusèbe, Histoire Ecclésiastique, VI,14,5-7).

Cependant, à la même époque que Clément d’Alexandrie (mort en 211), Irénée de Lyon (mort en 202) fait état d’une tradition différente : " Ainsi Matthieu publia-t-il chez les Hébreux, dans leur propre langue, une forme écrite d’Évangile, alors que Pierre et Paul évangélisaient Rome et y fondaient l’église. Après l’exode (la mort) de ces derniers, Marc, le disciple et l’interprète de Pierre, nous transmit lui aussi par écrit ce que prêchait Pierre. De son côté, Luc, le compagnon de Paul, consigna en un livre l’Évangile que prêchait celui-ci " (Irénée, Contre les hérésies, III,1,1).

La discordance pourrait s’expliquer par une rédaction de l’évangile de Marc en deux étapes : l’une du vivant de Pierre, l’autre après la mort de Pierre et de Paul. Mais ce n’est qu’une hypothèse.

Ce qui paraît certain, c’est que notre Marc actuel a été composé en un moment où les chrétiens savaient que la persécution les guettait à chaque instant. On le voit bien en examinant l’épisode où Jésus promet leur récompense à ceux qui ont tout quitté :

Mt 19,29 Lc 18,29-30

Et quiconque aura quitté Il n’est personne qui n’aura quitté

maisons, ou frères, ou sœurs maison, ou femme, ou frères,

ou champs ou parents, ou enfants

à cause de mon nom, à cause du Royaume de Dieu,

recevra le centuple qui ne reçoive pas le multiple

en ce temps-ci,

et dans le siècle qui vient

et héritera d’une vie éternelle. une vie éternelle.

Mc 10,29-30

Il n’est personne qui n’aura quitté

maison, ou frères, ou sœurs,

ou mère ou père, ou enfants ou champs,

à cause de moi et à cause de l’Évangile,

qui ne reçoive le centuple,

maintenant, en ce temps-ci,

en maisons, et frères et sœurs

et mères, et enfants, et champs,

avec des persécutions,

et dans le siècle qui vient

une vie éternelle.

C’est pourquoi il est raisonnable de dater l’évangile de Marc, comme le font presque tous les spécialistes, de l’époque qui a suivi de près la persécution des chrétiens par Néron et la mort de Pierre et de Paul, c’est-à-dire les années 66-67. C’est le moment où débute la révolte des Juifs contre Rome (66), et Marc prend bien soin de montrer que Jésus n’est pas un homme politique révolté contre l’Empire, tel que l’imaginaient ses contemporains (voir Jn 6,15), mais un Messie spirituel, dont la royauté n’est proclamée qu’au moment de sa mort (Mc 15,26 ; 15,39).

Donnons un nouvel exemple de la fusion par Marc de la tradition sous-jacente à Matthieu et de la tradition sous-jacente à Luc. Nous le tirons du même épisode de l’homme riche.

Mt 19,26 Lc 18,27

Pour des hommes Ce qui (est) impossible

cela est impossible, pour des hommes

mais pour (un) Dieu est possible

tout (est) possible pour (le) Dieu.

Mc 10,27

(cf. Mt) Pour des hommes,

impossible !

Non, par contre, pour (un) Dieu. (Dieu sans article)

(cf. Lc) En effet, tout (est) possible

pour (le) Dieu. (Dieu avec l’article)

On voit bien que Matthieu et Luc utilisent deux traductions différentes d’une même sentence exprimée oralement en langue sémitique selon un strict parallélisme :

" L’impossible pour des hommes

(est) possible pour Dieu. "

Marc fusionne ces deux versions grecques, en reproduisant deux fois les mots " pour Dieu ", d’abord sous la forme attestée par Matthieu, ensuite sous la forme attestée par Luc.

On comprend bien la préoccupation de Marc. L’église de Rome, attachée à la mémoire de Pierre et de Paul, vénérait d’un respect égal la prédication de Pierre, dont Matthieu a hérité à Antioche (cf. Ga 2,11), et la prédication de Paul, dont Luc s’est servi. Il fallait harmoniser ces deux héritages.

Ayant vécu aux côtés de Pierre (1 P 5,13), Marc a recueilli de nombreux détails pittoresques que l’ancien pêcheur du lac de Tibériade ajoutait dans sa prédication orale. Il est très plausible que Marc se désigne lui-même dans la personne du jeune homme nu qui s’enfuit lors de l’arrestation de Jésus (Mc 14,51). En effet, la maison de Marie, mère de Marc, hébergeait la première communauté de Jérusalem (Ac 12,12), et il est fort possible qu’il s’agisse de l’endroit où Jésus a célébré son dernier repas, la veille de son arrestation.

L’organisation littéraire de l’évangile de Marc est indiquée dans son titre : " Commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus, Christ, Fils de Dieu " (Mc 1,1). La Bonne Nouvelle du salut consiste à reconnaître en Jésus le Messie, le Christ, comme l’a fait Pierre au moment de la confession de Césarée (Mc 8,29), et le Fils de Dieu, comme l’a fait le centurion romain au pied de la croix (Mc 15,39).

Pour plus de précisions sur Marc, on pourra lire :

- L’Origine et la date des évangiles (1994), pp. 129-141.

- Jésus et les historiens (1998), pp. 49-58.

 

4 - TONALITÉ DE CHACUN DES TROIS SYNOPTIQUES

Assez semblables pour être disposés en colonnes parallèles (d’où le nom de " synoptiques "), les récits de Matthieu, de Marc et de Luc apparaissent cependant très différents par ailleurs.

Matthieu est l’évangile de l’Emmanuel, Dieu-avec-nous. Il met toujours en évidence la majesté du Christ, celui qui enseigne la Parole venue d’en-haut. C’est aussi l’évangile de l’Église, rassemblant dans l’unité juifs et païens convertis, rassemblant aussi dans la salle du festin " les mauvais comme les bons " (Mt 22,10). L’Église est un signe du Royaume, elle n’est pas encore le Royaume dans sa plénitude.

Luc est surtout sensible à l’humanité de Jésus, l’ami des pécheurs et des publicains, celui qui annonce la Bonne Nouvelle aux pauvres (Lc 4,18) et qui manifeste l’amour de Dieu envers les païens (Lc 4,25-27). Luc se plaît à mentionner les femmes qui se trouvent dans l’entourage de Jésus (Lc 8,1-3). Il insiste sur la prière de Jésus, notamment lors du choix des Douze (Lc 6,12-16) et au moment du dernier repas, quand Jésus a prié pour Simon-Pierre, " afin que sa foi ne défaille pas " (Lc 22,31-32).

Marc est l’évangile du mystère du Christ, qui n’est révélé que moyennant la foi (Mc 4,11-12). Deux attitudes vont de pair : " se convertir " et " croire à la Bonne Nouvelle " (Mc 1,15). Seul Jésus peut vaincre notre incrédulité (Mc 9,23-24). Même les Douze doivent être guéris de " l’endurcissement de leur coeur " (Mc 8,17-18). Mais Dieu a pouvoir de guérir même les païens, puisque c’est un centurion romain qui dira le premier, avec foi : " Vraiment, cet homme était fils de Dieu " (Mc 15,39).

Tout en ayant chacun sa tonalité particulière, les trois évangiles synoptiques convergent sur l’essentiel : Jésus est vraiment homme et vraiment Dieu. Il a conscience de posséder le pouvoir divin de pardonner les péchés. Quand les scribes raisonnent en eux-mêmes en disant : " Qui peut pardonner les péchés sinon Dieu seul ? " (Mc 2,7 et parallèles), Jésus leur donne le signe d’une guérison : " Afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a autorité pour pardonner les péchés sur la terre, – il dit au paralysé : Je te le dis, lève-toi, prends ton grabat et va dans ta maison " (Mc 2,10-11 et parallèles). La foi de l’Église en la divinité du Christ s’enracine dans la conscience même de Jésus.

 

Ch. XIV : AUTOUR DE LA RUINE DE JÉRUSALEM (70)

Résumé

Les péripéties de la " guerre juive ", menée par les Romains contre les Juifs révoltés, sont narrées par Flavius Josèphe. Ces épisodes de l’histoire d’Israël ne sont pas relatés par la Bible.

Après la destruction du Temple en 70 cessa le culte sacrificiel d’Israël prescrit par l’Ancien Testament. Mais le judaïsme se redressa rapidement autour de l’institution synagogale et devint " la Synagogue. " L’interprétation des Écritures par les chrétiens fut combattue et ceux-ci furent maudits officiellement dans la liturgie nouvelle.

 

1 - LA GUERRE JUIVE ET LA RUINE DE JÉRUSALEM (70)

En l’an 66 (douzième année de Néron), un pillage ordonné par le gouverneur Gessius Florus à Jérusalem entraîne une émeute. Les Juifs brisent la galerie qui relie la forteresse Antonia au Temple et le gouverneur retourne à Césarée. Il demande au gouverneur de Syrie, Cestius Gallus, de venir s’emparer de Jérusalem. L’opération commence en septembre, mais l’insurrection gagne la Galilée.

La guerre qui commence alors nous est racontée par l’historien juif Flavius Josèphe, qui en fut l’un des acteurs. Étant l’un des chefs des troupes de Galilée, il fut fait prisonnier par le général Vespasien, chargé par Néron de mâter la révolte. Pour se tirer d’affaire, Josèphe se retourna contre son camp et aida l’armée romaine dans le siège de Jérusalem. Vespasien, puis Titus, en firent leur historiographe officiel et lui permirent de porter leur nom de famille, Flavius.

Eusèbe de Césarée déclare (Histoire Ecclésiastique, III,5,3) que les chrétiens de Jérusalem reçurent dans une vision l’ordre de quitter la ville et de se rendre en Transjordanie, dans une localité nommée Pella.

Les révoltés de Jérusalem sont assiégés par Titus, en même temps que de nombreux pèlerins, à partir de la Pâque de l’an 70. Des rivalités les opposent les uns aux autres. La famine fait des ravages. Finalement, en août 70, les Romains réussissent à s’emparer du Temple. Titus voulait, semble-t-il, que le Sanctuaire central soit respecté, mais un soldat y jeta une torche et le feu le détruisit. Une partie du mobilier fut cependant sauvée, et Titus l’emporta à Rome pour son triomphe, qui est représenté dans cette ville sur l’Arc de Titus, qui fut édifié après la mort de cet empereur.

 

2 - LA RESTAURATION DU JUDAÏSME
ET LA POLÉMIQUE CONTRE LES CHRÉTIENS

 

Avant la fin du siège de Jérusalem, un rabbin de l’école de Hillel, Yohanan ben Zakkaï, s’enfuit de la ville et se réfugia dans un lieu retiré nommé Jamnia (Yabnéh en hébreu). Il obtint ensuite l’autorisation d’y fonder une Académie de rabbins pharisiens, qui se substitua au Sanhédrin. Le parti des Sadducéens disparut.

Puisque le Temple était détruit, les sacrifices pour les péchés ne pouvaient plus être offerts. Yohanan ben Zakkaï eut une idée de génie. On rapporte dans la tradition juive qu’un de ses disciples se lamentait à la vue du Temple en ruines, parce que " les iniquités d’Israël ne pouvaient plus être expiées. " Yohanan lui répondit : " Ne sois pas dans l’affliction, mon fils, car nous avons une expiation qui a autant de valeur ; ce sont les actes de miséricorde, selon la parole de l’Écriture : C’est la miséricorde que je veux et non les sacrifices (Osée 6,6). "

- On observera que cette citation d’Osée 6,6 se trouve deux fois sur la bouche de Jésus dans l’évangile de Matthieu (Mt 9,13 ; 12,7). Certains spécialistes y ont vu la preuve que l’évangile de Matthieu s’inspirait de Yohanan ben Zakkaï et était rédigé après la ruine du Temple en l’an 70 (Davies).

- Mais il n’y a dans le texte évangélique aucun écho de l’idée d’un pardon des péchés obtenu par la miséricorde, ce qui est le thème central de cette sentence de Yohanan ben Zakkaï. Au contraire, Mt 9,13 et 12,7 citent Osée 6,6 pour démontrer que le comportement très libre de Jésus et de ses disciples est irréprochable au regard de Dieu.

- Le contexte de Mt 12,7 n’a rien à voir avec la destruction du Temple. Il suppose au contraire que le culte du Temple se déroule normalement : " N’avez-vous pas lu dans la Loi que le jour du sabbat les prêtres qui sont dans le Temple violent le sabbat et ne sont pas coupables ? " (Mt 12,5).

- S’il y eut un emprunt, ce fut donc dans l’autre sens : le texte évangélique aurait permis à Yohanan ben Zakkaï de prêter attention à l’oracle d’Osée 6,6, et de surmonter ainsi la catastrophe que fut la ruine du Temple.

Cependant, le monde chrétien constituait pour le judaïsme une menace. Les Écritures y étaient utilisées, surtout dans leur version grecque (qu’on appelle " les LXX ", " les Septante "), pour attester que Jésus était bien le Messie. L’Académie de Jamnia décida que cette version des Septante ne devait plus être reconnue, et que de nouvelles traductions grecques des Écritures devaient être réalisées. C’est ainsi que la traduction d’Isaïe 7,14 (" Voici que la vierge concevra et enfantera un fils ", voir Mt 1,23) fut remplacée par une version moins explicite (" Voici que l’adolescente concevra et enfantera un fils "). Les livres directement écrits en grec furent considérés comme des œuvres purement humaines et disparurent du patrimoine juif. Le nombre des écrits hébraïques reconnus fut définitivement fixé (le " canon " des Écritures).

De plus, pour empêcher que les chrétiens ne viennent participer au culte synagogal et n’y fassent leur propagande, on décida que la prière principale du culte quotidien, appelée " les dix-huit bénédictions ", ou Tephilla (la Prière), serait complétée de la manière suivante : " Les Nazaréens et autres hérétiques, qu’en un instant ils périssent, qu’ils soient effacés du livre des vivants et qu’avec les justes ils ne soient pas écrits. " Ceci fut fait à la fin du premier siècle, lorsque l’Académie de Jamnia était dirigée par Rabban Gamaliel II, petit-fils du Gamaliel dont parlent les Actes des Apôtres (Ac 5,34 ; 22,3).

Les chrétiens donnèrent aux juifs une appellation nouvelle : " la Synagogue " (distinguée de " l’Église "). Ce terme est employé deux fois dans l’Apocalypse (Ap 2,9 et 3,9). L’hostilité entre juifs et chrétiens devint de plus en plus grande. Néanmoins, à la fin du premier siècle, Jean reproduira encore cette parole définitive de Jésus : " Le salut vient des Juifs " (Jn 4,22).

 

 

3 - LES CHRÉTIENS APRÈS LA RUINE DE JÉRUSALEM

Après la mort de Néron, les chrétiens n’ont pas été persécutés. Galba, Othon et Vitellius n’ont eu qu’un règne éphémère. Vespasien refusait d’être considéré comme un dieu et n’exigeait pas le culte impérial. Son fils Titus adopta la même attitude. C’est seulement au temps de Domitien (81-96) que les persécutions reprendront. Alors sera rédigée l’Apocalypse.

Les " colonnes " de l’Église, sauf Jean, ont disparu. Jacques a été lapidé en 62. Pierre et Paul sont morts sous le règne de Néron. Jude a demandé de " combattre pour la foi transmise aux saints une fois pour toutes " (Jude 3). Les chrétiens vivent de l’enseignement qu’ils ont reçu. On comprend que les dernières décennies du premier siècle soient enveloppées d’un certain silence.

Cependant, les " faux docteurs " annoncés en 2 P 2,1 exercent de plus en plus leurs ravages. C’est contre eux que devra témoigner Jean, le dernier survivant de l’âge apostolique.

 

Ch. XV : LES ÉCRITS JOHANNIQUES

Résumé

Nous sommes environ vingt-cinq ans après la ruine de Jérusalem. Sous le règne de Domitien, les persécutions reprennent. De plus, des hérétiques dénaturent le christianisme en prétendant que le Fils de Dieu n’a souffert qu’en apparence (docétisme).

Le dernier survivant des Apôtres réconforte les persécutés et combat l’hérésie. Il s’agit de Jean, fils de Zébédée, le disciple que Jésus aimait.

L’Apocalypse dénonce vivement le culte impérial et exhorte à la résistance en dévoilant le sens de l’histoire du monde et en annonçant la victoire définitive de l’Agneau immolé.

Trois lettres sont envoyées aux chrétiens par le même Apôtre Jean pour leur rappeler ce qu’est la vraie foi que détruisent les hérétiques.

L’hérésie ayant fait des progrès, Jean lui oppose son témoignage oculaire dans un nouveau récit évangélique, historiquement plus précis que ceux de Matthieu, Marc et Luc. Il décrit la rencontre entre Dieu et l’homme, la lutte entre la vie et la mort et la victoire de l’amour. Le bien-aimé qui a reposé sur la poitrine du Maître révèle le mystère qu’il a contemplé.

 

1 - LA PERSÉCUTION DE DOMITIEN ET L’APOCALYPSE (VERS 95)

Sous Vespasien et son fils Titus, les chrétiens n’ont pas été obligés au culte de l’empereur. Mais Domitien, frère de Titus, exige qu’on l’appelle " notre Seigneur et notre Dieu. " Vers la fin de son règne (81-96), il exile ou fait exécuter tous ceux qui refusent d’offrir des sacrifices devant ses statues, notamment les philosophes et les chrétiens.

Parmi eux se trouve l’auteur de l’Apocalypse, qui se nomme lui-même Jean (Ap 1,1.4.9 ; 22,8), et qui se trouve alors exilé dans l’île de Patmos (Ap 1,9). Irénée de Lyon, qui fut dans son enfance auditeur de Polycarpe, disciple de Jean, date avec une grande précision les visions de l’Apocalypse : " Il n’y a pas très longtemps que celle-ci a été vue, mais cela s’est passé presque au temps de notre génération, vers la fin du règne de Domitien " (Irénée, Contre les hérésies, V,30,3). Domitien a été assassiné en 96.

Il est certain qu’Irénée identifie le visionnaire avec le disciple bien-aimé qui a rédigé le Quatrième évangile, dans lequel il reconnaît Jean l’Apôtre, celui qui dans les débuts de l’Église était constamment aux côtés de Pierre (Ac 3,1 ; 4,13 ; 8,14), celui que Paul appelle une " colonne " (Ga 2,9). Avant lui, Justin de Naplouse (mort martyr en 165), affirme que l’Apocalypse a été vue par " un homme du nom de Jean, l’un des Apôtres du Christ " (Justin, Dialogue avec Tryphon, 81). En Égypte, à la même époque qu’Irénée, Clément d’Alexandrie parle ainsi de " Jean l’Apôtre " : " Après que le tyran fut mort, Jean passa de l’île de Patmos à Éphèse " (voir Eusèbe de Césarée, Histoire Ecclésiastique, III,23,6). Dans trois régions différentes, au deuxième siècle, on affirmait clairement que l’auteur de l’Apocalypse était Jean l’Apôtre.

Le mot " Apocalypse " signifie " Révélation. " Le genre littéraire " apocalyptique " est bien représenté dans le livre de Daniel, rédigé au deuxième siècle avant J.-C. Au ch. 10 de ce livre, le visionnaire décrit l’apparition de Dieu et de son ange. Au ch. 11, il raconte en langage symbolique l’histoire qui a précédé l’époque où il vit (Daniel 11,2-20). Dans le même langage, il évoque les épreuves présentes (Daniel 11,21-39). Enfin, toujours dans le même langage, il prophétise la victoire finale de Dieu et de son peuple (Daniel 11,40 - 12,4).

L’organisation de l’Apocalypse de Jean est la même, du ch. 4 au ch. 22. Précisons le plan de ces chapitres.

1) La vision préparatoire et le septénaire des sceaux (4,1 - 8,1)

(de la création à l’Exode)

2) La seconde vision et le septénaire des trompettes (8,2 - 11,18)

(de l’Exode à la venue du Christ)

3) La troisième vision et le septénaire des signes (11,19 - 14,20)

(la venue du Christ et la persécution des chrétiens)

4) La quatrième vision et le septénaire des coupes (15,1 - 16,17)

(la continuation de l’histoire humaine)

5) La cinquième vision et le septénaire des anges (16,18 - 22,5)

(l’achèvement de l’histoire humaine)

Le livre se termine par un épilogue (Ap 22,6-21). Quant aux ch. 1-3, ils sont une préface, où Jean se fait le porte-parole du Christ pour juger l’état présent de l’Église, représentée par les sept églises d’Asie. Certaines communautés sont totalement fidèles, d’autres sont menacées par la tiédeur, l’une d’elles (Laodicée) s’est enfoncée dans le culte de l’Argent.

C’est dans les lettres aux sept églises (ch. 2-3) et dans le septénaire central des signes (11,19 - 14,20) que nous nous trouvons à l’époque où Jean reçoit sa vision. Le Dragon, qui parodie la royauté du Père, a été " rejeté sur la terre " (12,13), où il vient guerroyer contre les enfants de la Femme (12,17), la mère du Messie. Il transmet son pouvoir à la Bête de la mer (Rome), qui parodie la mort et la résurrection du Fils de Dieu (13,3) pour se faire adorer. Celle-ci reçoit l’appui de la Bête de la terre (les religions non chrétiennes), qui parodient l’Esprit Saint en accomplissant des prodiges (13,12-14). La " blessure guérie " de la Bête de la terre est une allusion à une légende qui se développa après le suicide de Néron (en 68), légende selon laquelle celui-ci n’était pas mort et reviendrait se venger de ses ennemis. L’empereur qui se fait adorer ne peut être autre que Domitien, car le culte impérial ne fut exigé ni sous les règnes éphémères de Galba, Othon, Vitellius, ni sous Vespasien et Titus, qui le refusèrent fermement.

Dans les lettres aux sept églises, les chrétiens sont affrontés au culte impérial (2,13), mais aussi aux " diffamations des juifs " (2,9 ; 3,9) et surtout aux ennemis de l’intérieur : les Nicolaïtes (2,6 ; 2,15), qui invitent ceux qui les écoutent à " manger des viandes immolées aux idoles " (2,14 ; 2,20), en signe d’acceptation de l’idolâtrie. Ces faux chrétiens enseignaient probablement (on ne sait rien d’autre sur leurs doctrines, même Irénée ne les connaît que par l’Apocalypse) que ce qui concerne le corps n’a aucune importance religieuse, qu’on peut manger ce que l’on veut, car l’important est l’intellect qui nous donne sur Dieu des idées élevées. On est loin des sages prescriptions de Paul en 1 Co 10,14-30.

Jean exhorte à tenir bon, et promet aux vainqueurs les plus belles récompenses. Celles-ci sont annoncées dans les Écritures, " manger de l’arbre de vie " (Ap 2,7 ; cf. Genèse 2,9), " manger de la manne cachée " (Ap 2,17 ; cf. Exode 16,15, lu selon la tradition juive), " recevoir un nom nouveau " (Ap 2,17 ; cf. Isaïe 62,2), " recevoir pouvoir sur les nations " (Ap 2,26 ; cf. Psaume 2,8), " recevoir le nom de la Cité de Dieu " (Ap 3,12 ; cf. Ezéchiel 48,35). En somme, il s’agit d’entrer dans la Jérusalem d’en-haut, dont les splendeurs sont décrites, toujours à partir des Écritures, à la fin de l’Apocalypse (Ap 21,1 - 22,5). Il s’agit de " voir le visage de Dieu " (Ap 22,4).

 

2 - LES HÉRÉSIES NAISSANTES ET LE DOCÉTISME

Dans l’Apocalypse, Jean combat les Nicolaïtes. Parmi eux, un personnage est connu par son nom. Il s’appelait Cérinthe et il vivait à Éphèse. C’est contre lui, selon Irénée, que Jean a écrit ses épîtres et son évangile : " Jean, le disciple du Seigneur, voulait, par l’annonce de l’Évangile, extirper l’erreur semée parmi les hommes par Cérinthe et, bien avant lui, par ceux qu’on appelle les Nicolaïtes " (Contre les hérésies, III,11,1). La doctrine de Cérinthe est décrite avec précision par le même Irénée (Contre les hérésies, I,26,1). Voulant évacuer le mystère d’un Dieu qui éprouve la souffrance, il avait imaginé que Jésus n’était qu’un homme ordinaire, sur lequel le Christ d’en-haut était descendu au moment de son baptême, avant de s’envoler de lui au moment de son procès. Ainsi, c’est l’homme Jésus qui avait souffert, mais le Christ lui-même n’avait souffert qu’en apparence. On nomme cette hérésie le " docétisme ", à partir d’un verbe grec qui signifie " sembler, paraître " (dokein).

Les conséquences de cette doctrine étaient désastreuses. Si le Christ d’en-haut n’a souffert qu’en apparence, il ne nous a pas aimés, et son Père non plus ne nous a pas aimés. Nous ne pouvons plus reconnaître que " Dieu est amour " (1 Jn 4,8). Il est inutile de pratiquer les œuvres de l’amour, de " donner notre vie pour nos frères " (1 Jn 3,16), plus inutile encore d’affronter le martyre. Cette doctrine sévissait encore un peu plus tard, vers 107, lorsque l’évêque Ignace d’Antioche, sous le règne de Trajan (98-117), était emmené à Rome pour y être livré aux bêtes. Il écrivait ceci : " Si, comme le disent certains athées, c’est-à-dire des infidèles, il n’a souffert qu’en apparence, moi, pourquoi suis-je enchaîné ? Pourquoi donc souhaiter combattre contre les bêtes ? C’est donc pour rien que je me livre à la mort ! " (Ignace, Aux Tralliens, X). Il écrivait encore : " Considérez ceux qui ont une autre opinion sur la grâce de Jésus Christ qui est venue sur nous : comme ils sont opposés à la pensée de Dieu ! De la charité, ils n’ont aucun souci, ni de la veuve, ni de l’orphelin, ni de l’opprimé, ni des prisonniers ou des sortis de prison, ni de l’affamé ou de l’assoiffé " (Ignace, Aux Smyrniotes, VI). C’est parce que Dieu nous a aimés que nous pouvons vivre dans l’amour.

 

3 - LES ÉPÎTRES DE JEAN (VERS 98)

Pour combattre l’hérésie, Jean écrit d’abord deux courtes lettres : 2 Jean et 3 Jean. Il s’y désigne comme " l’Ancien. " Ce titre avait déjà été utilisé par Pierre dans sa première épître : " Les Anciens qui sont parmi vous, je les exhorte, moi, Ancien avec eux, et témoin des souffrances du Christ " (1 P 5,1).

La deuxième épître de Jean, première en date, combat " beaucoup de séducteurs qui se sont répandus dans le monde et qui ne confessent pas Jésus Christ venu dans la chair " (2 Jn 7). Elle rappelle le commandement reçu au baptême : " Que vous viviez dans l’amour " (2 Jn 6). La troisième épître de Jean, seconde en date, se réfère à une lettre (2 Jn) écrite " à l’église " (3 Jn 9), mais qui n’a pas été acceptée par le dirigeant de cette communauté, Diotréphès, qui ne reconnaît pas l’autorité de l’Ancien (3 Jn 9). Celui-ci écrit donc à un véritable fidèle, Gaïus.

La première épître de Jean, troisième en date, reprend et développe longuement le thème fondamental des deux autres : on ne peut connaître Dieu qu’en vivant dans l’amour. Face aux séducteurs qui inventent des idées nouvelles, l’auteur rappelle simplement qu’il est témoin oculaire de ce qu’il annonce : " Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché de la Parole de vie " (1 Jn 1,1). Si cette lettre n’avait pas été reconnue comme venant d’un témoin oculaire de Jésus, elle n’aurait eu aucune efficacité dans la lutte contre l’hérésie et n’aurait jamais été recopiée par ses destinataires.

La première épître se développe en trois parties.

1) Dès leur baptême, les croyants ont accueilli trois certitudes : les péchés leur sont pardonnés, ils doivent vivre dans l’amour, ils reconnaissent en Jésus le Fils de Dieu (1 Jn 1,5 - 2,28).

2) Ces trois certitudes sont reprises dans la deuxième partie sous l’angle de la filiation divine (2,29 - 4,6). Les croyants doivent inscrire ces certitudes dans leur vie, et c’est cela " faire la vérité ".

3) Enfin, dans un troisième développement, Jean remonte à la source de la vie chrétienne : " Dieu est Amour " (4,7 - 5,12). Nous éprouverons une telle certitude en croyant fermement que le Crucifié est vraiment le Fils de Dieu.

 

4 - L’ÉVANGILE DE JEAN (VERS 99-100)

Dans sa première lettre, Jean se présente comme témoin oculaire. Mais qu’a-t-il vu, qu’a-t-il contemplé ? Il lui faut montrer que ce Jésus que ses mains ont touché a donné tous les signes de son origine divine. Il fait un récit de sa propre expérience, un quatrième évangile, dont il indique lui-même le but : " Jésus a fait sous les yeux de ses disciples encore beaucoup d’autres signes, qui ne sont pas écrits dans ce livre. Ceux-là ont été mis par écrit, pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant vous ayez la vie en son nom " (Jn 20,30-31).

L’auteur ne donne pas son nom, mais il se désigne comme " le disciple que Jésus aimait " (Jn 13,23 ; 19,26 ; 20,2 ; 21,7 ; 21,20-24). Ce disciple faisait partie des Douze, car les Douze sont " ceux que Jésus a choisis " (Jn 6,70) ; or, lors du dernier repas de Jésus, ses auditeurs sont " ceux qu’il a choisis " (Jn 13,18 ; 15,16).

Selon les évangiles synoptiques, les trois intimes de Jésus étaient Pierre, Jacques et Jean (Mc 9,2 et parallèles). Lorsque Jésus est apparu à ses disciples au bord du Lac de Tibériade, les fils de Zébédée, Jacques et Jean, faisaient partie du groupe (Jn 21,2). Dans les débuts de l’Église, Jean apparaît comme la deuxième autorité de la communauté, à côté de Pierre (Ac 1,13 ; 3,1 ; 8,14 ; Ga 2,9). Nous savons par Irénée de Lyon (Contre les hérésies, III,3,4) que " Jean demeura à Éphèse jusqu’à l’époque de Trajan " (98-117). Tous les témoignages anciens, en Égypte, en Asie Mineure, en Europe, désignent l’Apôtre Jean comme l’auteur du Quatrième évangile.

Cette conviction unanime a cependant été rejetée à la fin du dix-neuvième siècle, sur une base très fragile. On invoquait une lettre de l’évêque Polycrate d’Éphèse, adressée au Pape Victor (189-199), où il est dit que " Jean, celui qui a reposé sur la poitrine du Seigneur, a été sacrificateur portant le petalon " (Eusèbe de Césarée, Histoire Ecclésiastique, V,24,3). Le " petalon " est une lame d’or que seul portait le grand-prêtre juif. On en a conclu que l’auteur du Quatrième évangile s’appelait bien Jean, mais qu’il s’agissait d’un personnage inconnu par ailleurs, qui avait été grand-prêtre juif ou au moins membre du sacerdoce de Jérusalem. Un auteur récent a même voulu l’identifier à l’un des fils de Caïphe, le grand-prêtre Jonathan, qui exerça le sacerdoce suprême de la Pâque 36 à la Pâque 37, et qui est nommé dans les Actes comme l’un des persécuteurs des Apôtres (Ac 4,6). Une telle hypothèse défie le bon sens.

En fait, on a remarqué depuis longtemps que la même chose était dite de Jacques, frère de Jésus : " Il portait le petalon sur sa tête. " Cette information nous est donnée au quatrième siècle par Épiphane de Salamine (Panarion, XXIX,4), mais il est probable qu’il la tenait d’un auteur plus ancien, Hégésippe, contemporain de Polycrate et d’Irénée. Il est évident que Jacques, de la race de David, ne pouvait pas être grand-prêtre juif, et que cette information doit être interprétée en un sens symbolique : de même que Jésus est notre Grand-Prêtre (épître aux Hébreux), de même les hauts responsables de l’Église primitive étaient considérés symboliquement comme les grands-prêtres du peuple chrétien. L’Apocalypse ne dit-elle pas (Ap 1,6 ; 5,10 ; 20,6) que les fidèles eux-mêmes sont des " prêtres " (des sacrificateurs) ?

Un autre argument a été avancé. En Jn 18,15, il est dit que Pierre put entrer dans la cour du grand-prêtre parce qu’un " autre disciple " l’accompagnait, qui était " connu du grand-prêtre. " Il n’est pas dit qu’il s’agissait du " disciple que Jésus aimait ", mais on aime à le supposer, afin de conclure que ce disciple était de famille sacerdotale. En soi, il ne serait pas impossible que Jean l’Apôtre ait été de famille sacerdotale, car les prêtres juifs habitaient en Judée ou en Galilée et exerçaient un métier pour gagner leur vie ; ils ne venaient à Jérusalem que lorsqu’ils étaient choisis pour y exercer leur service cultuel. Mais il est très peu vraisemblable que l’autre disciple connu du grand-prêtre ait été un disciple déclaré de Jésus. Il y avait bien des notables, comme Nicodème et Joseph d’Arimathie, qui étaient " disciples de Jésus, mais en secret par peur des juifs " (Jn 19,38 ; voir Jn 12,42-43). De deux choses l’une : ou bien le grand-prêtre savait que cet homme connu de lui était disciple de Jésus, et il l’aurait menacé (Jn 11,16 ; 11,53-54 ; 11,57 ; 12,10) ; ou bien ce disciple n’avait pas dit ouvertement qu’il croyait en Jésus, et celui-ci ne pouvait considérer comme son disciple préféré quelqu’un qui " aimait la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu " (Jn 12,43). Celui que l’évangile de Jean appelle " un autre disciple " est un notable dont ni le grand-prêtre ni sa portière ne se méfiaient. Ce n’est pas le bien-aimé.

Jean, l’un des Douze, l’un de ceux que Jésus a choisis, est donc bien l’auteur responsable du Quatrième évangile. Comme la plupart des écrivains de ce temps, il a dicté son texte à un ou plusieurs secrétaires, qui écrivaient sur des petites feuilles ; celles-ci étaient ensuite regroupées dans l’ordre voulu avant d’être recopiées en un texte continu, et l’auteur pouvait à ce moment faire ajouter des compléments ou des parenthèses. C’est ainsi, par exemple que Jean a fort bien pu dire d’abord que " Jésus baptisait " (Jn 3,22 ; 4,1), et préciser ensuite qu’en fait il ne baptisait pas lui-même, mais qu’il en laissait le soin à ses disciples (Jn 4,2). Il n’y a là aucune contradiction qui permettrait de douter de l’unité d’auteur, comme certains exégètes se plaisent à le répéter. Quand Jean nous dit littéralement que " Pilate fit un écriteau et le plaça sur la croix " (Jn 19,19), on sait bien que ce n’est pas Pilate qui a confectionné l’objet et l’a placé lui-même sur le bois du supplice. De même, Jean précise que " Jésus faisait baptiser " et ne baptisait pas lui-même.

Jean donne des précisions historiques et géographiques très appréciées des connaisseurs de l’époque et des lieux. Il corrige parfois les données des évangiles synoptiques. Ces derniers faisaient, par exemple, monter Jésus à Jérusalem une seule fois. Ils plaçaient en conséquence l’expulsion des vendeurs du Temple à quelques jours de la Passion. Jean, lui, rapporte de nombreuses venues de Jésus dans la Ville Sainte, et il situe l’expulsion des vendeurs dès la première année de son ministère. Il ne mentionne ni la Tentation au désert, ni l’institution des Douze, ni la Transfiguration, ni l’institution de l’Eucharistie, ni l’Agonie à Gethsémani, parce que tous ces épisodes avaient été relatés dans les trois récits synoptiques et étaient bien connus de ses lecteurs. Il se concentre sur les signes.

En retour, bien des faits et des paroles de Jésus ne sont portés à notre connaissance que par Jean : les rencontres du Christ avec les premiers disciples, avec Nicodème, avec la Samaritaine ; certains épisodes où un miracle est l’occasion d’un discours des plus lumineux ; il mentionne enfin, comme jalons de son récit, les fêtes liturgiques d’Israël.

Cette insistance sur les fêtes ne peut s’expliquer par la seule volonté de définir le cadre historique des événements. Tout le récit évangélique de Jean a en effet une portée théologique : Jésus accomplit les fêtes d’Israël et les grandes figures messianiques de l’Ancien Testament. Les dons que Jésus apporte sont les mêmes que ceux dont parle sans cesse l’Apocalypse à partir des Écritures : les épousailles de Dieu avec l’humanité, l’eau vive, le pain de vie, la lumière, l’apaisement de toute faim et de toute soif, la reconnaissance par toutes les nations du vrai Dieu, la résurrection des morts et l’intimité avec le Père.

 

Le Prologue de l’œuvre s’apparente de manière saisissante aux lettres de Paul aux Colossiens et aux Éphésiens, qui enseignaient déjà la médiation du Christ dans la création du monde et l’habitation en lui de " toute la plénitude " (Col 1,19) ; de même, Jean écrit : " De sa plénitude nous avons tous reçu " (Jn 1,16). Le Prologue était également préparé par l’épître aux Hébreux (Hb 1,1-4). Il y a une grande analogie entre la confession de foi de Paul en Ep 2,4-10 et les paroles de Jésus en Jn 3,14-21 ; on retrouve dans les deux passages les mêmes thèmes et dans le même ordre : amour excessif de Dieu, le Christ origine du salut de tous, la foi, la nécessité pour l’homme d’accomplir ses œuvres en Dieu.

Toute la vie du Christ est tendue vers " l’heure " fixée par le Père. Ce sera pour lui le moment de donner le vin des noces et de faire de sa propre mère la mère des enfants de Dieu. Ce sera la glorification du Père et du Fils. Mais ce sera aussi le moment de l’élévation sur la croix et du côté transpercé. Ce sera le passage de ce monde au Père dans un acte d’amour total (Jn 13,1).

La construction de la première épître de Jean et celle du Quatrième évangile sont identiques, jusque dans les détails. C’est un indice très fort de l’unité de rédaction des deux écrits, et cela permet de vérifier que l’évangile de Jean a été organisé sous sa forme actuelle par celui qui insiste tant sur sa qualité de témoin oculaire dans l’épître principale que nous avons reçue de lui.

L’étude détaillée des deux plans a été faite dans :

- L’Origine et la date des évangiles (1994), pp. 152-156.

D’autres similitudes manifestes existent entre l’évangile et la première épître. De part et d’autre, on retrouve les mêmes thèmes : les ténèbres et la lumière, le commandement nouveau, l’amour, le témoignage de l’eau, du sang et de l’Esprit, l’hostilité du monde, " faire la vérité ", etc. Les deux écrits appliquent au Christ des titres inconnus par ailleurs : le " Fils unique " (Monogène), le " Sauveur du monde ", le " Paraclet " (Avocat), titre donné à Jésus seul en 1 Jn 2,1, à Jésus et à l’Esprit Saint en Jn 14,16.

De même, l’évangile comme l’Apocalypse respirent la même atmosphère de défense acharnée de la vérité face au mensonge. Le Temple est au premier plan dans l’un et l’autre textes. Ici et là, on révère Jésus comme l’Agneau immolé, comme l’Époux, comme la source d’eau vive, le vrai pasteur, la lumière des hommes, comme celui qui fait de nous des fils de Dieu (Jn 1,12 ; Ap 21,7).

 

L’ensemble des écrits johanniques réalise une synthèse de tout le Nouveau Testament. L’Apocalypse fait écho à la première épître de Pierre, notamment sur le thème du sacerdoce royal des fidèles (1 P 2,5.9 ; Ap 1,6 ; 5,10 ; 20,6). Elle reprend également certains thèmes de 2 Pierre : le Christ " étoile du matin " (2 P 1,19 ; Ap 22,16), la promesse " du ciel nouveau et de la terre nouvelle " (2 P 3,13 ; Ap 21,1). La première épître de Jean présente plusieurs ressemblances avec l’épître de Jacques (comparer Jc 2,15-16 et 1 Jn 3,17 ; Jc 4,16 et 1 Jn 2,16). Le Prologue de l’évangile explicite les vues de Paul et de l’épître aux Hébreux sur le Christ " image du Dieu invisible. " Le dialogue entre Pierre, Jacques, Paul et Jean sur la liberté chrétienne (Ga 2,4) s’achève sur cette parole de Jésus qui la fonde : " La vérité vous rendra libres " (Jn 8,32).

L’Apocalypse et le Quatrième évangile nous font parcourir tout l’Ancien Testament et nous en dévoilent le sens dans le Christ qui les accomplit. Se situant au carrefour des Écritures, celles de jadis comme celles de son temps, Jean nous montre dans ses œuvres, relevant de genres littéraires bien différents, que le Mystère ne cesse d’affleurer en tout ce qui fait l’existence humaine et terrestre de Jésus.

 

CONCLUSION

Notre parcours du Nouveau Testament prend fin.

Dans notre recherche de la vérité, et nous appuyant sur une étude minutieuse de l’identité des auteurs et de la date de leurs écrits, voici que nous avons vu paraître avant l’an 70 toutes les œuvres du Nouveau Testament, hormis les écrits de Jean. Nous leur avons reconnu pour auteurs ceux qui s’y donnent comme tels, ou ceux que la tradition du deuxième siècle a désignés. Telle est la constatation qu’il convient de souligner.

Notre livre peut apparaître à certains comme une contestation. De nombreux exégètes estiment nécessaire d’attribuer plusieurs écrits du Nouveau Testament à des auteurs inconnus écrivant sous un nom célèbre qui n’est pas le leur, mais qui leur fournit l’autorité dont ils manquent. C’est ainsi que l’exégèse dominante parvient à retarder après la mort des Apôtres la parution de certaines lettres apostoliques. En nous laissant guider par les ouvrages que nous avons cités, nous sommes arrivés à des conclusions différentes, qui nous ont paru satisfaisantes pour l’esprit et qui font pleinement droit à la vérité des Écritures.

Nous avons vu l’Église se constituer à l’époque des Apôtres, l’Église voulue par le Christ, bâtie par les Apôtres et fondée sur eux, une Église qui, déjà de leur temps, est pourvue de ses structures essentielles (hiérarchie, sacrements) tout en se présentant comme un Corps " mystique ", plénitude de celui qui en est la Tête, le Christ.

Au sein du groupe apostolique entendu au sens large, trois hommes ont émergé bien vite (dès 39) : Pierre, Paul, Jacques. Nous l’avons appris grâce au témoignage irrécusable de Paul en Galates (Ga 1 ; notre chapitre I). Et dans la suite de ce même témoignage (Ga 2 ; notre chapitre III), nous les avons retrouvés avec Jean en 49 : ils se donnent la main en signe de communion. Outre ces quatre et les autres apôtres, en particulier Matthieu l’évangéliste, nous avons évoqué leurs collaborateurs : Barnabé, Luc, Marc, Silvain, Timothée, Tite, Epaphras et tant d’autres.

Qu’ils nous soient connus ou restés anonymes, ces ancêtres dans la foi ont mené à bien l’œuvre de l’évangélisation. Sans eux nous ne serions pas chrétiens aujourd’hui. Il nous faut nous familiariser avec ces premiers témoins du Christ.

Après leurs rencontres de 39 et de 49, Jacques, Paul et Pierre ont échangé par leurs lettres, Pierre donnant son approbation aux deux autres. Ainsi, il nous semble que l’œcuménisme, la responsabilité collégiale et la primauté pétrinienne étaient déjà des réalités inscrites dans les faits au temps même des Apôtres.

Communier vitalement à la proclamation de ces hérauts de l’Évangile nous fait dépasser une lecture fragmentée du Nouveau Testament. Plutôt que d’aborder les livres de ce recueil les uns à côté des autres, – et qui plus est selon une chronologie désordonnée, – il est beaucoup plus lumineux d’en voir dans le temps la naissance, la formation progressive année après année.

Tel était notre but : VOIR NAÎTRE le Nouveau Testament.

Nous allons donner en appendice un bref exposé sur les Pères Apostoliques (Clément de Rome en 95, Ignace d’Antioche avant 107, Polycarpe de Smyrne en 150) et sur Irénée de Lyon en 180. Ils sont les premiers témoins, après les Apôtres et leurs disciples immédiats, de la " force dynamique de l’Évangile " (Romains 1,16). Avec eux les grandes données du Nouveau Testament concernant l’Église : œcuménisme, responsabilité collégiale, primauté " pétrinienne ", qui est alors à qualifier de " romaine ", s’inscrivent toujours plus dans les faits. Les enseignements de Clément, d’Ignace, de Polycarpe et d’Irénée font le lien entre les écrits du Nouveau Testament et l’enseignement postérieur des Papes, des Conciles et des théologiens.

À travers la diversité des documents, nous est apparue l’unité du message : la Bonne Nouvelle de Jésus Christ est pour tous, juifs et païens, afin de faire des uns et des autres un seul Corps, le Corps du Christ.

 

APPENDICE
À LA SUITE DES APÔTRES,
LES GRANDS TÉMOINS DE 95 À 180

Résumé

Nous donnons à notre ouvrage un prolongement. Nous présentons les grands témoins du premier âge chrétien. Ils reprennent les richesses ecclésiales déjà bien mises en place par les apôtres. Ainsi s’est progressivement constituée la Tradition qui traversera les siècles.

En premier lieu, nous verrons avec Clément de Rome la question de la succession apostolique, avec Ignace d’Antioche celle de l’unité autour de l’évêque et de l’Eucharistie, avec Polycarpe de Smyrne la tradition de Jean en Asie. Ces trois personnages sont appelés les " Pères apostoliques ".

En un deuxième temps, nous ferons connaissance d’Irénée, évêque de Lyon, et de sa prodigieuse synthèse théologique.

Ainsi aurons-nous retracé les premiers pas de l’Église, qui ne cessera de revenir à ces dépôts précieux que sont le Nouveau Testament et les grandes voix des années 95-180.

 

A - LES PÈRES APOSTOLIQUES

1 - CLÉMENT DE ROME (ÉVÊQUE DE ROME VERS 95)

ET LA SUCCESSION APOSTOLIQUE

Clément, troisième successeur de Pierre, envoie vers 95 une lettre à la Communauté de Corinthe, alors déchirée par des discordes qui ont abouti à la déposition de ses presbytres. On se rappelle les factions qui avaient existé au temps de l’Apôtre Paul (notre chapitre V) ; on se souvient que Jacques, par sa propre lettre, épaula Paul pour la remise en ordre au sein de l’église de Corinthe.

Nous remarquons que ce n’est pas l’Apôtre Jean, encore présent sur cette terre, qui intervient. C’est l’évêque de Rome. Son intervention spontanée prouve que Clément a conscience de son autorité et de la responsabilité qu’elle lui crée. Puisque la communauté de Corinthe se soumet, c’est qu’elle reconnaît la légitimité de cette intervention de l’église de Rome.

Le désordre auquel il faut remédier est exprimé dans la lettre : " Nous voyons que vous avez retiré à plus d’un bon presbytre un ministère qu’il exerçait d’une manière irréprochable et qui lui valait l’estime de tous " (XLIV,6). Clément estime que c’est contraire à la justice, et il explique comment la mission des presbytres vient de Dieu. C’est le premier exposé chrétien sur l’origine de la hiérarchie ecclésiastique.

" Les Apôtres nous ont annoncé la bonne nouvelle de la part de Jésus Christ. Jésus Christ a été envoyé par Dieu. Le Christ vient donc de Dieu et les Apôtres du Christ. Cette double mission elle-même, avec son ordre, vient donc de la volonté de Dieu " (XLII,1-2). Clément développe ici la parole de Jésus : " Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie " (Jn 20,21 ; cf. Mt 10,40).

Il poursuit en racontant comment les Apôtres ont fondé des communautés chrétiennes et mis à leur tête les premiers convertis, les " prémices " des croyants : " À travers les campagnes et les villes, ils proclamaient la parole, et c’est ainsi qu’ils prirent leurs prémices ; et après avoir éprouvé quel était leur esprit, ils les établirent évêques et diacres des futurs croyants " (XLII,4). On se souvient que Paul avait demandé aux Corinthiens d’obéir à Stéphanas et à sa famille, " les prémices de l’Achaïe " (1 Co 16,15).

Un peu plus loin, Clément rappelle comment les Apôtres ont pourvu à la succession de ces hommes qu’ils avaient choisis : " Nos Apôtres aussi ont su qu’il y aurait des contestations au sujet de la dignité de l’épiscopat ; c’est pourquoi, sachant très bien ce qui allait advenir, ils instituèrent les ministres que nous avons dit et posèrent ensuite la règle qu’à leur mort d’autres hommes éprouvés succéderaient à leurs fonctions " (XLIV,1-2).

Vient alors la conclusion : " Ceux qui ont ainsi reçu leur charge des Apôtres, ou, plus tard, d’autres personnages éminents, avec l’assentiment de toute l’Église, s’ils ont servi le troupeau du Christ d’une façon irréprochable, en toute humilité, sans trouble ni mesquinerie, si tous ont rendu un bon témoignage depuis longtemps, nous pensons que ce serait contraire à la justice de les rejeter de leur ministère. Et ce ne serait pas une petite faute de déposer de l’épiscopat des hommes qui présentent à Dieu les offrandes avec une piété irréprochable " (XLIV,3-4).

On s’accorde à dater cette lettre des environs de l’an 95. Saint Irénée, qui la connaissait, parle ainsi de Clément : " Il avait vu les apôtres eux-mêmes et avait été en relations avec eux : leur prédication résonnait encore à ses oreilles et leur Tradition était encore devant ses yeux. Il n’était d’ailleurs pas le seul, car il restait encore à cette époque beaucoup de gens qui avaient été instruits par les apôtres " (Contre les hérésies, III,3,3). On ne peut donc douter de l’exactitude de ce que dit Clément.

C’est donc à l’occasion des querelles qui perturbaient la communauté de Corinthe que parut ce document fort ancien qu’est la lettre de Clément de Rome. À cause du malaise vécu à Corinthe, nous avons un témoignage, bien situé dans le temps, sur la hiérarchie ecclésiastique héritant de la mission des apôtres et, indirectement, sur la primauté romaine.

2 - IGNACE (ÉVÊQUE D’ANTIOCHE VERS 100-107)

L’UNITÉ AUTOUR DE L’ÉVÊQUE ET DE L’EUCHARISTIE

Clément était évêque de Rome ; il donnait d’autorité des directives qui seront suivies. Ignace est évêque d’Antioche ; il s’impose une certaine réserve et fait plutôt des exhortations.

Lors de la persécution de Trajan, il est condamné aux bêtes, supplice qu’il devra subir à Rome. En chemin, il écrit sept lettres, cinq à des communautés d’Asie, une à Polycarpe, l’évêque de Smyrne, une à la communauté de Rome, lui demandant de ne pas lui éviter le martyre, par lequel il sera conformé au Christ.

Il mentionne le séjour de Pierre et de Paul à Rome. Il a des expressions qui sont autant d’affirmations de la place première de l’église de Rome, " celle qui préside à l’amour ". Sa lettre aux Romains est empreinte de vénération. Dans sa lettre à Smyrne, il désigne l’ensemble des chrétiens par ces mots : " l’Église catholique ".

Ignace est évêque ; puisqu’il est déporté, son église n’a provisoirement plus de pasteur. Il affirme la nécessité de l’évêque pour une communauté. Il décrit la fonction épiscopale : l’évêque préside en qualité de représentant de Dieu ; autour de lui les prêtres constituent une sorte de conseil apostolique, un sénat ; enfin les diacres assurent le service.

Il n’est pas permis de baptiser à l’insu de l’évêque. Le mariage doit être contracté avec son consentement. Mais surtout il est garant de la légitimité de l’eucharistie : " Que cette eucharistie seule soit regardée comme légitime, qui se fait sous la présidence de l’évêque ou de celui qu’il en aura chargé. "

L’eucharistie est le lien d’unité de l’Église. Elle nous unit au sacrifice du Christ, réellement présent : " L’eucharistie est la chair de notre sauveur Jésus Christ, chair qui a souffert pour nos péchés, et que dans sa bonté Dieu a ressuscitée. "

Ignace nous informe que certains hérétiques ne célébraient plus l’eucharistie, précisément parce qu’ils niaient la réalité du sacrifice du Christ, qui selon eux n’avait souffert qu’en apparence. Il s’agit des " docètes ", auxquels Jean s’était déjà affronté (notre chapitre XV). C’est surtout à Smyrne que le docétisme s’était développé, et c’est dans sa lettre aux Smyrniotes, ainsi que dans sa lettre aux Tralliens, envoyée depuis Smyrne, qu’Ignace s’attaque aux docètes. Il affirme avec force que Jésus est bien le Fils de Dieu venu dans la chair, qu’il a réellement souffert. C’est tellement vrai que lui, Ignace, est enchaîné et sera livré aux bêtes. De ceux qui affirment que le Christ n’a souffert qu’en apparence, il écrit : " Ils n’existent eux-mêmes qu’en apparence. "

3 - POLYCARPE DE SMYRNE (MORT EN 155)
LA TRADITION DE JEAN EN ASIE

Quand Ignace d’Antioche passa par Smyrne, il fut reçu avec grande vénération par Polycarpe, évêque de la ville, à qui il écrivit l’une de ses lettres. Ce Polycarpe avait connu l’apôtre saint Jean ; il mourut martyr, brûlé vif le samedi 23 février 155, deuxième jour du mois lunaire de Xanthique. Il avait été baptisé 86 ans plus tôt, en 69. Il avait connu Jean et d’autres apôtres, et c’est par eux qu’il avait été institué évêque de Smyrne. Irénée, qui était originaire de Smyrne, l’avait fréquenté dans son enfance, et il avait gardé un souvenir très vif de son évêque, notamment de ce qu’il disait de ses rapports avec l’apôtre Jean.

Voilà un homme dont Ignace et Irénée ont brossé le portrait moral et spirituel, un athlète accompli, solide et ferme comme un roc. Ayant rencontré l’hérétique Marcion, Polycarpe lui avait dit : " Je te reconnais, oui, je te reconnais pour le premier-né de Satan. "

Vers la fin de sa vie, Polycarpe est venu à Rome, sous le pontificat du pape Anicet. L’objet du voyage était le suivant. Dans la plupart des églises, on célébrait la fête de Pâques le dimanche suivant la Pâque juive ; mais en Asie, selon la tradition de l’Apôtre Jean, on l’observait le même jour que les juifs, le quatorzième jour du mois de Nisan. Anicet voulait obliger toutes les églises à suivre la coutume de l’église de Rome. Mais Polycarpe réussit à le persuader que chaque église devait suivre les coutumes qui lui avaient été transmises par l’Apôtre qui l’avait évangélisée. Anicet renonça à son projet et partagea l’eucharistie avec lui.

Cependant, la controverse n’était pas terminée. Plus tard, sous le pape Victor, l’évêque Polycrate d’Éphèse dut se soumettre à la discipline du plus grand nombre. C’est ainsi que la fête de Pâques fut désormais célébrée dans toute l’Église le même jour, un dimanche, en mémoire de la résurrection du Seigneur.

De nos jours, les églises d’Orient et les églises d’Occident ne s’accordent plus sur la date de Pâques, mais pour une autre raison. En 1582, le pape Grégoire XIII décida de réformer le calendrier en usage depuis Jules César (calendrier julien), qui était légèrement inexact. Il décida que les années séculaires (1700, 1800, 1900) ne seraient plus bissextiles, sauf tous les 400 ans (1600 et 2000, par exemple). Il supprima 10 jours dans l’année 1582 (le lendemain du jeudi 4 octobre fut appelé le vendredi 15 octobre). Les églises orthodoxes refusèrent d’accepter cette réforme et conservèrent le calendrier de Jules César. C’est pourquoi, certaines années, elles célèbrent Pâques un mois plus tard que les catholiques, longtemps après le début du printemps.

Le calendrier réformé de Grégoire XIII (calendrier grégorien) n’est pas encore tout à fait exact du point de vue astronomique. Une légère correction est à l’étude. Une commission œcuménique s’en préoccupe, afin que les chrétiens du monde entier célèbrent enfin Pâques le même jour.

Les données astronomiques à prendre en compte pour cette réforme sont précisées dans l’opuscule suivant :

- Jean-Marie VEILLEUR, Flos Florum,

Pour une date commune de la fête de Pâques conforme aux données astronomiques,

Éditions de Paris, 1997, 36 pages.

 

B - IRÉNÉE DE LYON

1 - L’UNIFICATION DE LA DATE DE PÂQUES

Irénée (son nom grec veut dire " Paix ") avait une âme de pacificateur. Il intervint dans la querelle sur la fête de Pâques, pour éviter que l’Église ne se déchire. Il ne put empêcher l’évêque de Rome, Victor, d’imposer son point de vue, mais il défendit les églises d’Asie et réussit à leur faire accepter leur défaite.

Nous résumons cette controverse, parce qu’elle est importante pour vérifier que le disciple bien-aimé qui rédigea le Quatrième évangile est bien l’apôtre Jean (notre chapitre XV).

Des assemblées d’évêques en Palestine, dans le Pont et en Gaule avaient demandé au pape Victor d’obliger les églises d’Asie à célébrer Pâques le même jour que le reste du monde chrétien. Victor menaça donc l’évêque d’Éphèse, Polycrate, d’excommunication, s’il ne se conformait pas à l’usage commun.

Irénée écrivit alors à Victor pour lui demander de respecter la diversité des coutumes anciennes. Il lui rappelait que son prédécesseur Anicet " n’avait pas pu persuader Polycarpe de ne pas observer ce que, avec Jean, le disciple de notre Seigneur, et les autres apôtres avec qui il avait vécu, il avait toujours observé. " On voit ainsi qu’à Rome on ne mettait pas en doute que Jean était l’un des apôtres, et que d’autres apôtres avaient été connus de Polycarpe.

De son côté, Polycrate d’Éphèse écrivait à Victor pour lui rappeler sur quelles grandes autorités s’appuyait la tradition des églises d’Asie. Voici le début du passage de sa lettre qui fut recopié par Eusèbe de Césarée : " Nous respectons scrupuleusement le jour, sans rien ajouter, sans rien retrancher. En effet, c’est en Asie que reposent de grands astres, qui ressusciteront au jour de la parousie du Seigneur, quand il viendra des cieux avec gloire et recherchera tous les saints : Philippe, un des douze apôtres, qui repose à Hiérapolis avec ses deux filles qui ont vieilli dans la virginité ; et son autre fille, qui a vécu dans le Saint Esprit, repose à Éphèse ; et encore Jean, qui a reposé sur la poitrine du Seigneur, qui devint sacrificateur portant le petalon et témoin et docteur : celui-ci repose à Éphèse ; et encore Polycarpe de Smyrne, évêque et témoin ; et Thraséas, évêque et témoin... "

Irénée, Polycrate et Victor s’accordent donc sur le fait que la coutume s’appuie sur l’autorité de plusieurs disciples de Jésus, dont Jean. Pour le pape Victor qui reçoit les deux lettres qui lui parlent de Jean, il s’agit évidemment du même personnage. Avec Irénée, il reconnaît que c’est un apôtre. Avec Polycrate, il reconnaît que ce Jean est celui qui a reposé sur la poitrine du Seigneur. Le bien-aimé est donc pour tous Jean, fils de Zébédée.

Polycrate parle aussi de Philippe, l’un des Douze, qui a sa tombe à Hiérapolis (ses reliques ont ensuite été transportées à Rome, dans la Basilique des Douze Apôtres). Cet apôtre avait trois filles, dont deux sont restées vierges, et dont la troisième s’est mariée et a vécu dans le Saint Esprit. Il ne faut pas confondre Philippe l’Apôtre avec Philippe l’Évangéliste, dont parlent les Actes des Apôtres : celui-ci avait quatre filles vierges (Ac 21,9), et il est mort à Césarée, comme le disent plusieurs martyrologes. Au temps de saint Jérôme, sa maison de Césarée était encore visitée par des pèlerins.

La controverse se termina dans la paix. L’autorité de l’évêque de Rome fut reconnue par les chrétiens d’Asie et la fête de Pâques fut désormais célébrée partout le même jour.

2 - L’OEUVRE D’IRÉNÉE (ÉVÊQUE DE LYON EN 177)

La chaîne qui relie Irénée à Jean est très directe : il a connu dans son enfance Polycarpe, qui était disciple de Jean. Son information sur la date de l’Apocalypse et l’origine du Quatrième évangile est donc très sûre.

Irénée vint en Gaule, à Lyon, et devint prêtre de cette église ; il fut envoyé par elle auprès du pape Éleuthère en 177. Revenu à Lyon, il succéda à l’évêque Pothin, mort martyr. Plus tard, il intervint dans la controverse sur la date de Pâques, comme nous l’avons dit, et favorisa ainsi la paix.

Il rédigea un certain nombre d’ouvrages, cités par Eusèbe de Césarée ; deux seulement nous sont parvenus : la Démonstration de la prédication apostolique et la Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur (appelée communément Contre les hérésies). Depuis l’époque de saint Jean, l’hérésie s’était développée. En particulier, ceux qui se proclamaient eux-mêmes les " gnostiques " (ceux qui possèdent la science, la " gnose ") en venaient à distinguer deux divinités : le Père, Dieu de l’Intellect, et le Démiurge, Dieu de la Matière. Irénée expose tous leurs systèmes divers pour les réfuter par le raisonnement et par le témoignage de l’Écriture et de la Tradition. Il dénonce aussi l’immoralité des gnostiques.

Irénée proclame l’unité de l’Église déjà répandue à travers le monde. Cette Église vit de l’Écriture et de la Tradition orale des Apôtres. Elle est confortée dans sa foi par l’église de Rome, fondée par Pierre et par Paul. Irénée écrit à son sujet : " Avec cette église, en raison de son origine plus excellente, doit nécessairement s’accorder toute église, c’est-à-dire les fidèles de partout, elle en qui toujours, au bénéfice de ces gens de partout, a été conservée la Tradition qui vient des apôtres " (Contre les hérésies, III,3,2).

Cette Tradition, comme les Écritures, enseigne que le Père est créateur de toutes choses, la Matière comme l’Intellect, le visible et l’invisible, le temporel comme l’éternel.

Les trois Personnes divines sont à l’œuvre, le Fils et l’Esprit étant les deux mains du Père. Irénée emprunte à saint Paul l’essentiel de son thème majeur : la récapitulation de tout par et dans le Christ. Ainsi est accomplie une nouvelle création par la restauration de la race humaine. Irénée a forgé cette affirmation : " La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant ".

Tout en citant saint Paul : " La science enfle, mais la charité édifie ", Irénée accorde une grande place à la réflexion. Notre auteur présente Ies sources de la révélation et de la foi chrétienne. Si les apôtres, dit-il, ne nous avaient laissé aucun écrit, nous devrions nous régler sur leur tradition orale, celle que conservent les presbytres dans une succession ininterrompue depuis les apôtres (cf. 2 Tm 2,2). Irénée déclare pouvoir énumérer les évêques qui ont succédé les uns aux autres en chaque église, mais il se contente de donner la liste de ceux de l’église romaine jusqu’à Éleuthère (175-190), au temps duquel il écrit. La Tradition de l’église romaine est suffisante pour garantir la pureté de la foi.

Mais les apôtres et leurs collaborateurs immédiats nous ont laissé des écrits, notamment les quatre évangiles, qui symbolisent la diffusion de la Parole aux quatre coins de l’horizon. Matthieu a été composé en hébreu, alors que Pierre et Paul évangélisaient Rome ; après leur mort, Marc a mis par écrit la prédication de Pierre ; Luc, de son côté, a consigné la prédication de Paul ; après eux, Jean a publié son évangile à Éphèse, en Asie.

Irénée s’attarde sur l’eucharistie. Il énonce l’essentiel : la présence du Corps et du Sang du Christ ; il ajoute que la résurrection du corps humain est certaine pour qui s’est nourri de ce Corps et de ce Sang. Il affirme que le pain et le vin sont consacrés par une épiclèse (invocation de l’Esprit Saint sur les offrandes). Il retient que l’eucharistie est un sacrifice nouveau et spirituel.

Irénée développe toute une conception de l’homme (anthropologie) : composé d’un corps, d’une âme et d’un esprit (qui l’accorde à l’Esprit de Dieu), cet homme a besoin d’être racheté, il est capable de recevoir les fruits de la Rédemption. Irénée reprend le thème – si cher aux Pères grecs – de l’image de Dieu qu’est l’homme, image que nous pouvons ternir, et c’est là que se situe le péché.

Comme tous les Pères de l’Église jusqu’à Eusèbe de Césarée, Irénée interprète de manière réaliste le règne de mille ans dont parle l’Apocalypse (Ap 20,1-5). Il écrit textuellement : " Autant de jours a comporté la création du monde, autant de millénaires comprendra sa durée totale " (Contre les hérésies, V,28,3). Il s’appuie sur 2 P 3,8 : " Un jour du Seigneur est comme mille ans " (ibidem). Le septième millénaire est celui du repos, " celui du royaume des justes, dans lequel ils s’exerceront à l’incorruptibilité, après qu’aura été renouvelée la création pour ceux qui auront été gardés dans ce but " (Contre les hérésies, V,36,3).

Cet évêque de Lyon en Gaule a construit à l’époque du pape Éleuthère (175-190) une synthèse merveilleuse, où ses apports théologiques et ecclésiaux font le lien entre les écrits du Nouveau Testament et ce que présenteront dans les siècles à venir les Papes, les Conciles et les théologiens.

 

 

 

CHRONOLOGIE DU NOUVEAU TESTAMENT

ÉVÉNEMENTS EXTÉRIEURS

ÉVÉNEMENTS INTERNES & ÉCRITS

 

 

63 av. JC

Vers 50 av. JC

Pompée prend Jérusalem.

À Alexandrie :

Début de l’influence romaine

Le livre de la Sagesse.

en Judée. Réaction nationaliste,

En Judée :

d’où l’écrit cité ci-contre :

" Les psaumes de Salomon. "

37 av. JC

Sous Hérode

Hérode-le-Grand

Les rabbins Hillel (plus ouvert)

devient roi à Jérusalem.

et Shammay (plus rigoriste).

27 av. JC

Hiver 20/19 av. JC

Auguste devient

Début de la reconstruction

empereur à Rome.

du Temple (cf. Jn 2,20).

4 av. JC

Vers 7/6 av. JC

Mort et testament d’Hérode.

Naissance de Jésus à Bethléem,

Archélaüs en Judée,

sous le règne d’Hérode-le-Grand

Antipas en Galilée,

(cf. Mt 1,21 - Lc 1,5).

Philippe au Nord.

 

6 ap. JC

Vers 10-15 ap. JC

La Judée devient

Naissance de Paul (Saoul) à Tarse.

province romaine.

Il sera l’élève de Gamaliel (Ac 22,3),

petit fils de Hillel.

14 ap. JC

 

Mort d’Auguste.

L’an 15 de Tibère (cf. Lc 3,1) est compté

Tibère empereur.

en Syrie d’octobre 27 à septembre 28.

26 ap. JC

Automne 27

Ponce Pilate devient

Prédication de Jean-Baptiste.

préfet de Judée (procurateur).

Peu après : Début du ministère de Jésus

dans le sillage de Jean.

Pâque 28 (1ère Pâque selon Jean)

Purification du Temple (Jn 2,20).

(Depuis sa reconstruction : 46 ans).

Début 29 (?)

Martyre de Jean Baptiste.

Pâque 29 (2ème Pâque selon Jean)

Multiplication des pains (Jn 6,4).

 

 

Pâque 30 (3ème Pâque selon Jean)

Vendredi 7 avril, veille de la Pâque

(Jn 18,28 / 19,31) :

mort de Jésus.

Pentecôte 30

Communauté chrétienne hébraïque

de Jérusalem

(liturgie célébrée en hébreu).

L’évangile oral (Ac 2.3.4.5).

Vers 33/34 (?)

Rédaction de

L’évangile hébreu de Jérusalem.

Communauté helléniste à Jérusalem.

Traduction en grec

de cet évangile hébreu.

Automne 36

Fin 36 (?)

Ponce Pilate

Persécution (mort d’Étienne).

est rappelé à Rome.

Dispersion des hellénistes.

Peu après

Conversion de Saoul à Damas.

Vers 39

Saoul se rend à Jérusalem

auprès de Pierre et de Jacques

(Ga 1,18-24).

37

Vers 39/40

Mort de Tibère.

Fondation de l’église d’Antioche

Caligula empereur.

qui accepte chez elle des Grecs

(Saoul y est présent, actif).

Pierre à Césarée : conversion

de Corneille et des Craignant Dieu.

Évangile des Craignant Dieu (Q)

(= paroles de Jésus adaptées aux païens).

41

Pâque 43

Mort de Caligula.

Martyre de Jacques, frère de Jean.

Claude empereur. Il nomme

Pierre s’enfuit (à Antioche ?)

son ami Hérode-Agrippa I

et devient hors-la-loi.

roi de Judée et de Samarie.

Église de Jérusalem

dirigée par Jacques, cousin de Jésus,

et par les Anciens.

44

Entre 44 et 48

Mort d’Hérode-Agrippa I

Premier voyage missionnaire

(Ac 12,20-23). La Judée

de Barnabé et Paul (Chypre,

redevient province romaine.

Antioche de Pisidie, Lystres…).

49

48 à 50

D’après Suétone, Claude

Famine en Judée (Ac 11,27-28).

chasse les juifs de Rome

Assemblée de Jérusalem

(cf. Ac 18,2),

(Ga 2 et Ac 15).

qui s’agitaient

 

à l’instigation

50 à 52/53

d’un certain "Chrestus"

Deuxième voyage missionnaire de Paul

(un témoignage païen

avec Silvain et Timothée

sur l’influence du Christ).

(Galatie, Troas, Macédoine, Achaïe).

La date de 49 est précisée

Séjour de dix-huit mois

par l’historien Orose.

à Corinthe (Ac 18,11).

À Antioche : L’évangile pétrinien (?).

51/52

51

Gallion préfet de l’Achaïe

Les deux Épîtres aux Thessaloniciens.

(inscription de Delphes),

Sans doute début 52 : comparution

de l’été 51 au printemps 52.

de Paul devant Gallion (Ac 18,12).

 

 

52-60

54-58

Félix Préfet de Judée.

Troisième voyage missionnaire de Paul.

Séjour à Éphèse durant trois mois (Ac 19,8)

et deux ans (Ac 19,10).

54

 

Mort de Claude.

 

Néron empereur, d’abord conseillé par le philosophe Sénèque.

Printemps 56

 

1ère épître aux Corinthiens,

à Éphèse (1 Co 16,8).

Propagande judaïsante

en Galatie et en Achaïe.

(Bref voyage de Paul à Corinthe ?)

Été 56

À Jérusalem, Lettre de Jacques.

Automne 56

Paul captif à Éphèse (2 Co 1,8-10) :

Épître aux Philippiens.

Hiver 56/57

Épître aux Galates.

2 Corinthiens 10-13.

Printemps/Automne 57

Paul en Macédoine (2 Co 2,12-13) :

2 Corinthiens 1-9.

Évangile paulinien (?).

Hiver 57/58

Paul à Corinthe (Ac 20,1-3) :

Épître aux Romains.

Printemps 58

Départ vers Jérusalem (Rm 15,25),

via la Macédoine. À Philippes :

Tite et 1 Timothée.

Pentecôte 58

Arrestation de Paul à Jérusalem.

Été/Automne 58 et ensuite

Paul captif à Césarée.

2 Timothée.

En 59

1ère Épître de Pierre.

Été 60

Début 60

Porcius Festus

Philémon,

procurateur de Judée.

Colossiens, Éphésiens.

Fin 60

Transfert de Paul à Rome.

61 à 63

Paul à Rome (sous garde militaire).

62

62

Néron épouse Poppée,

Lapidation de Jacques à Jérusalem.

dont l’entourage favorise

 

la rupture entre le Judaïsme

 

et les Chrétiens.

Vers 63

Évangile de Matthieu grec.

Évangile de Luc et Actes des Apôtres.

63 ou 64

2ème épître de Pierre.

Épître aux Hébreux.

Juillet 64

 

Incendie de Rome. Ensuite,

64 ou 65 (ou 67 ?)

persécution des chrétiens.

Mort de Pierre et de Paul

Vers 66 ou 67

Évangile de Marc.

66

66

Insurrection des Juifs

Les chrétiens de Jérusalem

en Galilée et en Judée.

fuient la ville et se réfugient à Pella,

Vespasien en fait la conquête.

en Transjordanie (Eusèbe).

Juin 68

Vers 68 ou 69

Suicide de Néron.

Épître de Jude (avant la ruine de Jérusalem).

69

 

Vespasien empereur.

 

Titus continue la guerre.

 

70

Fin de l’été 70

Siège de Jérusalem par Titus,

Prise de Jérusalem.

qui prend la ville.

Fin du culte au Temple.

Après 70 et jusque vers 90

Rabbi Yohanan ben Zakkaï

reconstitue le Judaïsme à Jamnia

79

sur les bases pharisiennes.

Mort de Vespasien.

Effacement du Sacerdoce

Titus empereur.

et des sadducéens.

81

 

Mort de Titus.

 

Domitien empereur.

Vers 90

Propagande gnostique

(les Nicolaïtes).

95

 

Persécution de Domitien

En 95 et 96

contre les chrétiens

Jean à Patmos : L’Apocalypse.

et les philosophes.

Lettre de Clément de Rome

aux Corinthiens.

96

 

Mort de Domitien.

Vers 97/98

Nerva empereur.

Les Lettres de Jean.

Ignace évêque d’Antioche.

98

Vers 99/100

Mort de Nerva.

Évangile de Jean.

Trajan empereur.

Polycarpe évêque de Smyrne.

Vers 107

Lettres d’Ignace d’Antioche.

 

 

135

Après 135

Transformation de Jérusalem

Construction de temples idolâtres

en colonie romaine

à Jérusalem.

(Ælia Capitolina).

Le Temple dédié à Zeus.

La Terre Sainte

Le Golgotha et la tombe de Jésus

est appelée Palestine.

recouverts par un temple dédié à Vénus.

 

 

Samedi 23 février 155

Martyre de Polycarpe à Smyrne.

 

 

Vers 185

Écrits d’Irénée, évêque de Lyon.

 

 

JUSTIFICATION DE QUELQUES DATES

 

1) La naissance de Jésus a eu lieu sous le règne d’Hérode-le-Grand (Mt 2,1 ; Lc 1,5). Hérode est mort à la Pâque de l’an 4 av. J.-C. (Flavius Josèphe). Il avait fait rechercher les enfants de Bethléem " âgés de deux ans et en-dessous " (Mt 2,16). Cela situe la naissance de Jésus au plus tard en 7-6 av. J.-C.

2) En Jn 2,20, les juifs disent à Jésus : " On reconstruit ce Temple depuis 46 ans. " La reconstruction avait commencé sous Hérode en 20/19 av. J.-C. Cela situe donc cette parole à la Pâque de l’an 28.

3) Une deuxième Pâque a lieu en 29 (Jn 6,4). Une troisième Pâque a lieu en 30 (Jn 11,55). Cette année-là, la Pâque (15ème jour d’un mois lunaire) tombait un samedi (Jn 18,28 ; 19,31), ce qui correspond à l’an 30 (et, trop tard, à l’an 33). De plus, en l’an 30, les Galiléens avaient pu observer le filet de la nouvelle lune un jour plus tôt qu’en Judée, ce qui explique que Jésus et ses disciples aient pu célébrer la Pâque la veille de la mort de Jésus (évangiles synoptiques), ce qui n’aurait pas pu se produire en l’an 33. C’est la solution que donnait Lagrange à la contradiction apparente entre les Synoptiques et Jean. C’est donc en l’an 30 que Jésus est mort et ressuscité.

4) La mort d’Étienne se situe bien à partir de l’automne 36. Pilate a été rappelé à Rome à cette date, et il y avait vacance du pouvoir romain. Cela explique qu’on ait pu exécuter Étienne, bien que le Sanhédrin n’ait plus le pouvoir de mettre quelqu’un à mort (Jn 18,31). D’ailleurs, le grand-prêtre Jonathan, nommé à la Pâque 36, a été déposé à la Pâque 37, sans doute pour un abus de pouvoir. C’est pourquoi la date de 36/37 est retenue par la B.J. de 1955 et par la TOB pour la mort d’Étienne (et la conversion de Saul).

5) La date de la parution de Paul devant Gallion à Corinthe (Ac 18,12-17) a été discutée à la p. 38 de ce livre.

6) La date de l’arrestation de Paul à Jérusalem a été mise en évidence à la p. 84 de ce livre. Paul a célébré le dernier jour de la fête des Azymes (octave de la Pâque) à Philippes le soir d’un mardi, il s’est embarqué pour Troas un mercredi matin (Ac 20,6), le voyage a duré cinq jours, du mercredi au dimanche (Ac 20,6), le séjour à Troas a duré sept jours, du dimanche soir au samedi soir compris (Ac 20,6-7), Paul a quitté Troas le dimanche matin (Ac 20,11). Ces données ne peuvent correspondre qu’à l’an 55 et à l’an 58, mais la date de 55 est trop précoce. C’est vers la Pentecôte de 58 que Paul a été arrêté à Jérusalem. Toutes les épîtres de Paul, à partir de 1 Corinthiens, doivent être situées d’après ce repère très sûr.

7) La date de la mort de Polycarpe est indiquée dans le récit de son martyre. Il a été brûlé vif un samedi, le septième jour avant les calendes de mars (23 février), le deuxième jour du mois lunaire de Xanthique. Ces trois données, au deuxième siècle, ne peuvent correspondre qu’à l’année 155. De plus, ceci s’est passé " sous le proconsulat de Statius Quadratus. " L’historien Waddington (1867) a montré que ce proconsulat devait probablement être daté de 155.

 

 

 

ORDRE TRADITIONNEL
DES LIVRES DU NOUVEAU TESTAMENT

 

 

Sigle

Page

 

Évangile selon Matthieu

 

Mt

67

 

Évangile selon Marc

 

Mc

70

 

Évangile selon Luc

 

Lc

68

 

Évangile selon Jean

 

Jn

76

 

Actes des Apôtres

 

Ac

68

 

Épître de Paul aux Romains

 

Rm

35

 

Première Épître de Paul aux Corinthiens

 

1 Co

29

 

Deuxième Épître de Paul aux Corinthiens

 

2 Co

34

 

Épître de Paul aux Galates

 

Ga

32

 

Épître de Paul aux Éphésiens

 

Ep

55

 

Épître de Paul aux Philippiens

 

Ph

31

 

Épître de Paul aux Colossiens

 

Col

55

 

Première Épître de Paul aux Thessaloniciens

 

1 Th

27

 

Deuxième Épître de Paul aux Thessaloniciens

 

2 Th

27

 

Première Épître de Paul à Timothée

 

1 Tm

44

 

Deuxième Épître de Paul à Timothée

 

2 Tm

46

 

Épître de Paul à Tite

 

Tt

44

 

Épître de Paul à Philémon

 

Phm

55

 

Épître aux Hébreux

 

Hb

59

 

Épître de Jacques

 

Jc

30

 

Première Épître de Pierre

 

1 P

51

 

Deuxième Épître de Pierre

 

2 P

62

 

Première Épître de Jean

 

1 Jn

76

 

Deuxième Épître de Jean

 

2 Jn

76

 

Troisième Épître de Jean

 

3 Jn

76

 

Épître de Jude

 

Jude

66

 

Apocalypse de Jean

 

Ap

74

 

 

 

 

ORDRE CHRONOLOGIQUE SELON CET OUVRAGE
DES LIVRES DU NOUVEAU TESTAMENT
ET DES SOURCES PRÉSUPPOSÉES AUX ÉVANGILES

 

 

Chapitre

Page

 

Évangile oral à Jérusalem, en 30-39

 

II, 1

13

 

" Évangile hébreu de Jérusalem ", avant 39

 

II, 3 et 4

14

 

" Évangile des Craignant Dieu ", avant 43

 

III, 3

24

 

Lettres de Paul aux Thessaloniciens, vers 51

 

IV, 2 et 3

27

 

Première lettre aux Corinthiens, printemps 56

 

V, 2

29

 

Lettre de Jacques, été 56

 

V, 3

30

 

Lettre de Paul aux Philippiens, automne 56

 

V, 4

31

 

Lettre de Paul aux Galates, hiver 56/57

 

V, 5

32

 

Deuxième lettre aux Corinthiens, débuts de 57

 

V, 6

34

 

Lettre de Paul aux Romains, hiver 57/58

 

VI

35

 

" Évangile paulinien ", vers 50-58 (?)

 

VII, 2

41

 

" Évangile pétrinien ", vers 50-58 (?)

 

VII, 3

42

 

Lettre de Paul à Tite, printemps 58

 

VIII, 2

44

 

Première lettre à Timothée, printemps 58

 

VIII, 2

44

 

Deuxième lettre à Timothée, Césarée, été 58

 

VIII, 5

46

 

Première lettre de Pierre, en 59

 

IX

51

 

Lettre de Paul aux Éphésiens, Césarée 59-60

 

X, 1

55

 

Lettre de Paul aux Colossiens, Césarée 59-60

 

X, 1

55

 

Billet de Paul à Philémon, Césarée 59-60

 

X, 1

55

 

Évangile grec selon saint Matthieu, vers 63

 

XIII, 1

67

 

Évangile selon saint Luc, vers 63

 

XIII, 2

68

 

Actes des Apôtres, vers 63-64

 

XIII, 2

68

 

Deuxième lettre de Pierre, vers 63-64

 

XII, 2

62

 

Lettre aux Hébreux, vers 63-64

 

XI

59

 

Évangile selon saint Marc, vers 66-67

 

XIII, 3

70

 

Lettre de Jude, vers 68-69

 

XII, 5

66

 

Apocalypse de Jean, vers 95-96

 

XV, 1

74

 

Deuxième lettre de Jean, vers 98

 

XV, 3

76

 

Troisième lettre de Jean, vers 98

 

XV, 3

76

 

Première lettre de Jean, vers 98

 

XV, 3

76

 

Évangile selon saint Jean, vers 100

 

XV, 4

76

 

 

 

Les livres publiés depuis 1995 par Philippe ROLLAND peuvent être commandés en librairie ou à l’adresse suivante :

Éditions de Paris, BP 30107 F-75327 PARIS CEDEX 07

Tél. 01-45-53-06-61 / Fax 01-45-53-06-79

Les livres précédents sont maintenant presque tous épuisés. On peut en demander la réédition aux éditeurs concernés.