S’OFFRIR à l’Amour Miséricordieux

avec sainte Thérèse de Lisieux

Editions Sainte -Madeleine

 

 

Avertissement

 

Le premier contact avec sainte Thérèse de Lisieux peut dérouter : une iconographie sulpicienne plutôt fade, le langage un peu mièvre de la fin du XIXe siècle…

Mais qui sait surmonter cette première impression découvre vite l’âme extraordinaire de "la plus grande sainte des temps modernes" 1 : une âme virile, qui va droit au but et au fond des choses, une âme d’une lucidité pénétrante et sans faille, et en même temps la foi limpide et pure d’un petit enfant, ainsi qu’une tendre compassion pour les pauvres et les pécheurs.

Les théologiens sont subjugués par la profondeur de ses intuitions théologiques… et les plus grands pécheurs sont remués jusqu’aux entrailles de se voir si bien compris et aimés jusque dans leur misère même, et encouragés à reprendre sans cesse leur marche vers la perfection de l’Amour.

La spiritualité de cette "authentique maîtresse de la Foi et de la vie chrétienne" 2 culmine dans l’Offrande à l’Amour Miséricordieux, par laquelle elle s’est livrée totalement à l’Amour Rédempteur de Jésus. A tel point que sa sœur lui dira un jour : "Voulez-vous que je vous dise? Eh bien, vous êtes possédée par le bon Dieu, mais possédée ce qui s’appelle… absolument comme les méchants le sont du vilain. Je voudrais bien être possédée moi aussi par Jésus…" 3

Sainte Thérèse est Docteur de l’Eglise. Et un Docteur, c’est fait pour enseigner! On trouvera donc dans ces quelques pages la doctrine de sainte Thérèse sur l’Offrande à l’Amour Miséricordieux. Il n’est sans doute pas inutile de préciser que l’Amour dont parle sainte Thérèse n’est pas un sentiment subjectif éprouvé dans la sensibilité, mais la vertu théologale de charité, disposition surnaturelle stable, mise en notre âme au baptême, par laquelle nous aimons Dieu et notre prochain. Le siècle écoulé compte par millions les âmes qui, à la suite de sainte Thérèse, se sont ainsi offertes à l’Amour Miséricordieux. Elles sont nombreuses à avoir témoigné de la vérité de cette doctrine, pour avoir expérimenté en elles la puissance infinie de l’Amour divin. Que ces quelques pages encouragent de nombreux fidèles à marcher sur leurs traces.

 

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1. Saint Pie X, en 1907.

2. Jean-Paul II, Divini Amoris scientia, n. 8, 16 octobre 1997.

3. Sœur Marie du Sacré-Cœur, lettre du 17 septembre 1896.

 

 

 

 

Ce qu’en pensent les papes

 

"… là est le secret de la sainteté…

pour tous les fidèles répartis dans le

monde entier."

(Benoît XV, 1921)

 

"Nous souhaitons que tous les

fidèles la contemplent attentivement en

vue de l’imiter."

(Pie XI, 1923)

"Elle fascine le monde sous la magie

de son exemple, exemple que tout le

monde peut et doit suivre."

(Pie XI, 1925)

"C’est l’Evangile même, le cœur de

l’Evangile qu’elle a retrouvé, mais avec

combien de charme, et de fraîcheur."

(Pie XII, 1954)

"Que tous puissent prendre le

nouveau Docteur de l’Eglise comme

modèle de vie spirituelle…"

(Jean-Paul II, 1997)

 

 

 

 

Sigles des références

à la Nouvelle Edition du Centenaire 1

 

 

A, B, C : Manuscrits autobiographiques

(suivi du numéro du folio, avec la

mention v pour verso si

nécessaire).

CJ : "Carnet jaune" de Mère Agnès

(Derniers entretiens), avec le jour,

le mois, et le numéro de la citation.

LT : Lettres de Thérèse (numérotées

de 1 à 266).

PN : Poésies de Thérèse (numérotées

de 1 à 54).

 

 

Autres textes

 

CSG : Conseils et Souvenirs publiés par

Sœur Geneviève, "Foi vivante"

Cerf, 1973.

CSM : Conseils et souvenirs de Sr Marie

de la Trinité (Vie Thérésienne, n o

73).

CRM : "Carnet rouge" de Sr Marie de la

Trinité (Vie Thérésienne, n o 77).

PA : Procès Apostolique de

Béatification.

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  1. Cerf/DDB, 1992. L’Acte d’Offrande y porte la référence : Pri 6 (pour "prière n°6"). Nous signalons par le signe "~" toute partie de citation omise.

 

 

 

1

Pourquoi s’offrir

à l’Amour Miséricordieux?

 

Sainte Thérèse nous raconte

comment cette idée lui est venue :

"Cette année [1895] le 9 juin fête de la Sainte Trinité, j’ai reçu la grâce de comprendre plus que jamais combien Jésus désire être aimé. Je pensais aux âmes qui s’offrent comme victimes à la Justice de Dieu afin de détourner et d’attirer sur elles les châtiments réservés aux coupables, cette offrande me semblait grande et généreuse, mais j’étais loin de me sentir portée à la faire. "O mon Dieu! m'écrirai-je au fond de mon cœur, n’y aura-t-il que votre Justice qui recevra des âmes s’immolant en victimes?…

Votre Amour Miséricordieux n’en a-t-il pas besoin lui aussi?… De toutes parts il est méconnu, rejeté; les coeurs dans lesquels vous désirez le prodiguer se tournent vers les créatures leur demandant le bonheur avec leur misérable affection, au lieu de se jeter dans vos bras et d’accepter votre Amour infini… O mon Dieu! votre Amour méprisé va-t-il rester en votre Cœur? Il me semble que si vous trouviez des âmes s’offrant en victimes d’holocaustes à votre Amour, vous les consumeriez rapidement, il me semble que vous seriez heureux de ne point comprimer les flots d’infinie tendresse qui sont en vous… Si votre Justice aime à se décharger, elle qui ne s’étend que sur la terre, combien plus votre Amour Miséricordieux désire-t-il embraser les âmes, puisque votre Miséricorde s’élève jusqu’aux Cieux… O Mon Jésus! que ce soit moi cette heureuse victime, consumez votre holocauste par le feu de votre Divin Amour!…"" (a 84)

S’offrir à l’Amour Miséricordieux, c’est donc ouvrir son cœur pour recevoir, à la place des créatures — et en leur nom — , l’Amour que Dieu voudrait leur prodiguer, et qu’elles refusent. Est-ce réservé aux âmes déjà avancées dans la perfection?

Au contraire! C’est même tout à fait adapté aux âmes qui se sentent faibles : "Autrefois les hosties pures et sans taches étaient seules agréées par le Dieu Fort et Puissant. Pour satisfaire à la Justice Divine il fallait des victimes parfaites, mais à la loi de crainte a succédé la loi d’Amour, et l’Amour m’a choisie pour holocauste, moi, faible et imparfaite créature… Ce choix n’est-il pas digne de l’Amour?… Oui, pour que l’Amour soit pleinement satisfait, il faut qu'il s’abaisse jusqu’au néant et qu’il transforme en feu ce néant…" (b 3v)

"… ce qui lui plaît c’est de me voir aimer ma petitesse et ma pauvreté, c’est l’espérance aveugle que j’ai en sa Miséricorde… Voilà mon seul trésor. ~ Pour aimer Jésus, être sa victime d’amour, plus on est faible, sans désirs, ni vertus, plus on est propre aux opérations de cet Amour consumant et transformant… Le seul désir d’être victime suffit, mais il faut consentir à rester pauvre et sans force ~, alors ~ Jésus viendra nous chercher, si loin que nous soyons il nous transformera en flammes d’amour…" (lt 197)

Quels sont les effets de l’Offrande? Thérèse les énumère : "Ah! depuis cet heureux jour, il me semble que l’Amour me pénètre et m’environne, il me semble qu’à chaque instant cet Amour Miséricordieux me renouvelle, purifie mon âme et n’y laisse aucune trace de péché, aussi je ne puis craindre le purgatoire…" (a 84)

  1. "me renouvelle" : Etre à chaque instant renouvelé par l’Amour, c’est progresser dans la sainteté: "… je désire être Sainte, mais je sens mon impuissance et je vous demande, ô mon Dieu! d’être vous-même ma Sainteté." (Acte,11)
  2. Lire aussi La découverte de la "Petite voie", pp. 35-36.

  3. "purifie mon âme" : "Sans doute, on peut bien tomber, on peut commettre des infidélités, mais, l’amour sachant tirer profit de tout, a bien vite consumé tout ce qui peut déplaire à Jésus, ne laissant qu’une humble et profonde paix au fond du cœur…"(a 83) "… dans un acte d’amour même pas senti, tout est réparé et au-delà…" (lt 65)
  4. "je ne puis craindre le purgatoire" : Thérèse a constamment enseigné que les âmes fidèles à l’Offrande à l’Amour ne connaîtront pas le purgatoire : "Pour les Victimes d’Amour, il n’y aura pas de jugement, mais le bon Dieu se hâtera de récompenser, par des délices éternelles, son propre Amour qu’il verra brûler dans leur cœur…" (crm 52-53) A une Sœur qui lui dit craindre le purgatoire, elle affirme : "Dès lors que vous cherchez à plaire au bon Dieu en tout, si vous avez la confiance inébranlable qu’il vous purifie à chaque instant dans son amour et ne laisse en vous aucune trace de péché, soyez bien sûre que vous n’irez pas en purgatoire." Elle en donne la raison : "Le Feu de l’Amour est plus sanctifiant que celui du purgatoire." (a 84v)
  5. On peut aussi ajouter : perfectionne la charité fraternelle : "Oui je le sens lorsque je suis charitable, c’est Jésus seul qui agit en moi; plus je suis unie à Lui, plus aussi j’aime toutes mes sœurs." (c 12v) L’Offrande a-t-elle une dimension missionnaire? Sans aucun doute. Cette perspective est fondamentale dans l’Offrande de Thérèse : "Je veux ~ sauver des âmes qui vous aimeront éternellement." (Acte,48) On pourra lire plus loin, pp. 36-40, le texte dans lequel Thérèse explique que l’Amour est au cœur de l’Eglise, et que, de ce fait, il est à la source de toutes les œuvres et de toutes les vocations.

 

2

Comment être fidèle à l’Offrande ?

 

Par l’"abandon" : Pour être possédé par l’Amour, il faut consentir à se laisser totalement faire par Dieu : "… je sens que si par impossible tu trouvais une âme plus faible, plus petite que la mienne, tu te plairais à la combler de faveurs plus grandes encore, si elle s’abandonnait avec une entière confiance à ta miséricorde infinie." (b 5v)

"… je n’aime pas mieux une chose que l’autre ~ Ce que le bon Dieu aime mieux et choisit pour moi, voilà ce qui me plaît davantage." "C’est ce qu’il fait que j’aime!" (cj 4.9.7 & 27.5.4)

Par la générosité :

Être consumé d’amour autant que Thérèse est à la portée de chacun… à condition de se livrer totalement au feu de l’Amour : "On n’est consumé par l’Amour, qu’autant qu’on se livre à l’Amour." Thérèse ne manquait pas d’exhorter ses novices à une grande générosité : "C’est le propre de l’amour de sacrifier tout, de donner à tort et à travers, de gaspiller, de ne jamais calculer, d’anéantir l’espérance des fruits en cueillant les fleurs. L’amour donne tout, mais nous, hélas! nous ne donnons qu’après délibération, nous hésitons à sacrifier nos intérêts; ce n’est pas l’amour cela, car l’amour est aveugle, c’est un torrent qui ne laisse rien sur son passage!" (pa 280)

Par l’humilité :

Le manque d’humilité, bien plus que les chutes, est un obstacle certain à la vie d’Amour. Si une âme est pleine d’elle-même, pleine de confiance en ses propres vertus et en ses propres mérites, l’Amour ne peut y entrer : la place est prise. "Ah! mon frère, que la bonté, l’amour miséricordieux de Jésus sont peu connus! … Il est vrai que pour jouir de ces trésors, il faut s’humilier, reconnaître son néant, et voilà ce que beaucoup d’âmes ne veulent pas faire…" (lt 261)

A une novice qui s’attriste de ses défaillances, Thérèse réplique : "On est heureux de se sentir faible et misérable parce que, plus on le reconnaît humblement, attendant tout gratuitement du bon Dieu sans aucun mérite de notre part, plus le bon Dieu s’abaisse vers nous pour nous combler de ses dons avec magnificence." (crm 84-86)

Par la confiance :

"C’est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l’Amour…" (lt 197) Deux mois avant sa mort, Thérèse confiait : "On pourrait croire que c’est parce que je n’ai pas péché que j’ai une confiance si grande dans le bon Dieu. Dites bien, ma Mère, que, si j’avais commis tous les crimes possibles, j’aurais toujours la même confiance, je sens que cette multitude d’offenses serait comme une goutte d’eau jetée dans un brasier ardent…" (cj 11.7.6)

Thérèse parle de s’offrir en "Victime d’holocauste". Est-ce que cela veut dire que l’on va beaucoup souffrir?

Une Sœur, à qui Thérèse proposait de s’offrir à l’Amour, répondit : "Bien sûr que non, je ne vais pas m’offrir en victime, le bon Dieu me prendrait au mot et la souffrance me fait bien trop peur…" "Alors Thérèse me répondit que je ne souffrirais pas davantage, que c’était pour pouvoir mieux aimer le bon Dieu pour ceux qui ne veulent pas l’aimer." (csg 68)

De la souffrance à la joie : Ceci dit, c’est un fait que la souffrance fait partie de la vie. L’âme offerte à l’Amour ne fait pas exception. Mais, sous l’influence de l’Amour, la souffrance s’accompagne d’une joie profonde, non dans la sensibilité, mais au plus profond de l’âme : "Oui, souffrir en aimant, c’est le plus pur bonheur." "Ma joie, c’est d’aimer la souffrance." (pn 54 & 45)

C’est cette joie parfaite, Thérèse la promet aux âmes fidèles à l’Offrande : "Vous aurez peut-être de grandes épreuves, mais je vous enverrai des lumières qui vous les feront apprécier et aimer. Vous serez obligées de dire comme moi : "Seigneur, vous nous comblez de joie par tout ce que vous faites."" (cj 13.7.16)

Plus parfait que le désir de la souffrance : l’"abandon" :

"Je ne désire pas non plus la souffrance ni la mort et cependant je les aime toutes les deux, mais c’est l’amour seul qui m’attire… Longtemps je les ai désirées; j’ai possédé la souffrance et j’ai cru toucher au rivage du Ciel, ~ maintenant c’est l’abandon seul qui me guide, je n’ai point d’autre boussole!… Je ne puis plus rien demander avec ardeur excepté l’accomplissement parfait de la volonté du Bon Dieu sur mon âme…" (a 83)

Quand on s’est offert à l’Amour, faut-il par la suite renouveler son Offrande? Sainte Thérèse le faisait. Par exemple, au cours de sa dernière maladie : "Bien souvent quand je le puis je répète mon offrande à l’Amour." (cj 29.7.9)

Plus encore, tous les actes de notre vie sont autant d’actes d’amour : "… tout ce que je fais, les mouvements, les regards, tout, depuis mon offrande, c’est par amour." (cj 8.8.2)

Elle le dit d’ailleurs dans le texte de l’Offrande : "Je veux, ô mon Bien-Aimé, à chaque battement de mon cœur vous renouveler cette offrande un nombre infini de fois, jusqu’à ce que les ombres s’étant évanouies je puisse vous redire mon Amour dans un Face à Face Eternel! …" (Acte,66)

 

3

La "Mort d’Amour"

 

De quoi s’agit-il? C’est l’impétuosité de l’Amour divin brisant, à notre dernière heure, les liens de notre âme : ""Rompez la toile de cette douce rencontre." J’ai toujours appliqué cette parole [de saint Jean de la Croix] à la mort d’amour que je désire. L’amour n’usera pas la toile de ma vie, il la rompra tout à coup." (cj 27.7.5)

Cette mort d’Amour, Thérèse la demande dans le texte de l’Offrande : "… [laissez] déborder en mon âme les flots de tendresse infinie qui sont renfermés en vous et qu’ainsi je devienne Martyre de votre Amour, ô mon Dieu! … Que ce martyre après m’avoir préparée à paraître devant vous me fasse enfin mourir et que mon âme s’élance sans retard dans l’éternel embrassement de Votre Miséricordieux Amour…" (Acte,57).

Est-ce mourir dans les consolations sensibles?

Non. Et Thérèse le dit : "Notre-Seigneur est mort sur la Croix, dans les angoisses, et voilà pourtant la plus belle mort d’amour. ~ Mourir d’amour, ce n’est pas mourir dans les transports." (cj 4.7.2)

Cependant, il n’y a pas lieu d’avoir peur : "Le bon Dieu me donne du courage en proportion de mes souffrances ~ je n’ai pas peur, puisque si elles augmentent, il augmentera mon courage en même temps." (cj 15.8.6)

Peut-on espérer, comme Thérèse, mourir d’Amour?

Thérèse répétait à satiété la maxime de saint Jean de la Croix : "On obtient de Dieu autant qu’on en espère." L’âme offerte à l’Amour peut donc être assurée de bénéficier, à la suite de Thérèse, de cette grâce. Mais cette mort d’Amour n’est pas, en soi, spectaculaire. Il s’agira généralement d’une mort dont la cause sera très naturelle (maladie, vieillesse…), mais l’âme, tout envahie par l’Amour divin, "s’élancera sans retard dans l’éternel embrassement de Votre Miséricordieux Amour…" (Acte,64)

L’Offrande expose-t-elle à une mort précoce? Sainte Thérèse n’a rien dit de tel. Il est vrai qu’elle-même est morte à 24 ans, mais ses propres sœurs, toutes offertes à l’Amour Miséricordieux, sont décédées respectivement à 80, 90, 78 et 90 ans! On peut donc s’offrir à l’Amour sans crainte d’exposer ses proches à un deuil précoce.

La mort de sainte Thérèse : Depuis l’hiver 1893-1894, Thérèse est minée par la tuberculose. En juillet 1897, elle descend à l’infirmerie; à partir du 28 commencent les "grandes souffrances".

Le 30 septembre, après Vêpres, la fin est proche :

"Elle dit :."… je ne me repens pas de m’être livrée à l’Amour."

Avec insistance :

"Oh! non, je ne m’en repens pas, au contraire…"

A 6 heures, quand l’Angelus sonna, elle regarda longuement la statue de la Sainte Vierge.

Enfin, à 7 heures et quelques minutes, elle soupira :

"Ma Mère! N’est-ce pas encore l’agonie? … Ne vais-je pas mourir? …"

— "Oui, ma pauvre petite, c’est l’agonie, mais le bon Dieu veut peut-être la prolonger de quelques heures."

Elle reprit avec courage :

"Eh bien! … allons ! … Allons…Oh! je ne voudrais pas moins

longtemps souffrir…"

Et regardant son Crucifix :

"Oh! je l’aime! … Mon Dieu … je vous aime!"

Tout à coup, après avoir prononcé ces paroles, elle tomba doucement en arrière, la tête penchée à droite. Notre Mère fit sonner bien vite la cloche de l’infirmerie pour rappeler la Communauté…

Les sœurs eurent le temps de s’agenouiller autour du lit et furent témoin de l’extase de la sainte petite mourante : elle s’était redressée, son visage avait repris le teint de lys qu’il avait en pleine santé, ses yeux étaient fixés en haut brillants de paix et de joie…

Sœur Marie de l’Eucharistie s’approcha avec un flambeau pour voir de plus près son sublime regard. A la lumière de ce flambeau, il ne parut aucun mouvement de ses paupières. Cette extase dura à peu près l’espace d’un Credo, et elle rendit le dernier soupir. Après sa mort, son visage conserva un sourire céleste."

——

"Ce n’est pas "la mort" qui viendra me

chercher, c’est le bon Dieu." (cj 1.1.1)

 

 

 

4

Témoignage

 

 

"Père de famille du nord de la France, je suis âgé d’une quarantaine d’années et suis resté veuf avec deux fillettes, ayant perdu ma femme à la suite d’une opération chirurgicale trop tardive.

Faire connaître mon calvaire serait fastidieux et interminable. J’habitais alors Paris, et c’est particulièrement dans cette ville que je subis une série d’épreuves de toutes sortes, dont l’amertume altéra très profondément ma santé. C’est à ce moment que Thérèse de Lisieux vint à mon secours. Dès les premières manifestations de sa bienfaisance, je sentis naître en moi un désir immense de paix, une soif ardente de vivre en totale intimité avec Dieu. Ceci se passait dans les premiers mois de l’année. C’est précisément à cette époque que s’accomplit, si j’ose dire, "ma conversion".

J’entrai résolument dans la "petite voie" du renoncement et du sacrifice, et, depuis lors, je me laisse mener par la confiance et l’amour. Certes, la route est quelquefois pénible, les écueils rudes, mais ils ne lassent pas ma bonne volonté. Vers le milieu de l’année, devant le Saint-Sacrement exposé, je fis mon Offrande à l’Amour miséricordieux, celle de Thérèse.

Et, chaque jour, je renouvelle ma donation, avec une joie profonde. Je vis positivement dans l’intimité de la chère Sainte ; elle est ma conseillère et je dois renoncer à relater les grâces constantes qu’elle m’obtient. Tout ce que j’ai entrepris depuis cette secousse réussit parfaitement. Je pourrais croire que notre chère sainte ne s’occupe que de moi. Quelle est donc sa puissance, puisque chacun de ses protégés peut penser la même chose!"

 

 

5

Concrètement, comment faire ?

 

Faut-il une préparation?

"Réfléchissant à mon indignité, raconte Marie de la Trinité, je conclus qu’il me fallait une plus grande préparation pour un acte d’une telle importance."

"La seule préparation que le bon Dieu demande de nous, répondit Thérèse, c’est de reconnaître humblement notre indignité et puisqu’il vous a fait cette grâce, livrez-vous à Lui sans crainte." (csg 69) Pour s’offrir à l’Amour, le mieux est de lire (on peut aussi l’écrire) le texte de l’Offrande de sainte Thérèse. On peut choisir pour cela une date symbolique, recevoir à cette occasion les sacrements de Pénitence et d’Eucharistie. Enfin, par prudence, il sera bon de consulter un prêtre avant de faire cet acte important.

L’Offrande m’attire, mais… j’ai peur. "On n’a rien à craindre de l’Offrande à l’Amour miséricordieux, disait Thérèse avec force, car, de cet Amour, on ne peut attendre que de la miséricorde!" (csg 69)

 

 

6

Offrande de moi-même comme Victime d’Holocauste

à l’Amour Miséricordieux du Bon Dieu

 

 

Ô mon Dieu! Trinité Bienheureuse, je désire vous Aimer et vous faire Aimer, travailler à la glorification de la Sainte Eglise en sauvant les âmes qui sont sur la terre et [en] délivrant celles qui souffrent dans le purgatoire. Je désire accomplir parfaitement votre volonté et arriver au degré de gloire que vous m’avez préparé dans votre royaume, en un mot, je désire être Sainte, mais je sens mon impuissance et je vous demande, ô mon Dieu! d’être vous-même ma Sainteté.

Puisque vous m’avez aimée jusqu’à me donner votre Fils unique pour être mon Sauveur et mon Epoux, les trésors infinis de ses mérites sont à moi, je vous les offre avec bonheur, vous suppliant de ne me regarder qu’à travers la Face de Jésus et dans son Cœur brûlant d’Amour.

Je vous offre encore tous les mérites des Saints (qui sont au Ciel et sur la terre) leurs actes d’Amour et ceux des Saints Anges; enfin je vous offre, ô Bienheureuse Trinité! L’Amour et les mérites de la Sainte Vierge, ma Mère chérie, c’est à elle que j’abandonne mon offrande la priant de vous la présenter. Son divin Fils, mon Epoux Bien-Aimé, aux jours de sa vie mortelle, nous a dit : "Tout ce que vous demanderez à mon Père, en mon nom, il vous le donnera!" Je suis donc certaine que vous exaucerez mes désirs; je le sais, ô mon Dieu! (plus vous voulez donner, plus vous faites désirer). Je sens en mon cœur des désirs immenses et c’est avec confiance que je vous demande de venir prendre possession de mon âme. Ah! je ne puis recevoir la Sainte Communion aussi souvent que je le désire, mais, Seigneur, n’êtes-vous pas Tout-Puissant?… Restez en moi, comme au tabernacle, ne vous éloignez jamais de votre petite hostie……

Je voudrais vous consoler de l’ingratitude des méchants et je vous supplie de m’ôter la liberté de vous déplaire, si par faiblesse je tombe quelquefois qu’aussitôt votre Divin Regard purifie mon âme consumant toutes mes imperfections, comme le feu qui transforme toute chose en lui-même…… Je vous remercie, ô mon Dieu! de toutes les grâces que vous m’avez accordées, en particulier de m’avoir fait passer par le creuset de la souffrance. C’est avec joie que je vous contemplerai au dernier jour portant le sceptre de la Croix; puisque vous [avez] daigné me donner en partage cette Croix si précieuse, j’espère au Ciel vous ressembler et voir briller sur mon corps glorifié les sacrés stigmates de votre Passion…

Après l’exil de la terre, j’espère aller jouir de vous dans la Patrie, mais je ne veux pas amasser de mérites pour le Ciel, je veux travailler pour votre seul Amour, dans l’unique but de vous faire plaisir, de consoler votre Cœur Sacré et de sauver des âmes qui vous aimeront éternellement.

Au soir de cette vie, je paraîtrai devant vous les mains vides, car je ne vous demande pas, Seigneur, de compter mes œuvres. Toutes nos justices ont des taches à vos yeux. Je veux donc me revêtir de votre propre Justice et recevoir de votre Amour la possession éternelle de Vous-même. Je ne veux point d’autre Trône et d’autre Couronne que Vous, ô mon Bien-Aimé! ……

A vos yeux le temps n’est rien, un seul jour est comme mille ans, vous pouvez donc en un instant me préparer à paraître devant vous… Afin de vivre dans un acte de parfait Amour, je m’offre comme victime d’holocauste à votre Amour miséricordieux, vous suppliant de me consumer sans cesse, laissant déborder en mon âme les flots de tendresse infinie qui sont renfermés en vous et qu’ainsi je devienne Martyre de votre Amour, ô mon Dieu! …

Que ce martyre après m’avoir préparée à paraître devant vous me fasse enfin mourir et que mon âme s’élance sans retard dans l’éternel embrassement de Votre Miséricordieux Amour…

Je veux, ô mon Bien-Aimé, à chaque battement de mon cœur vous renouveler cette offrande un nombre infini de fois, jusqu’à ce que les ombres s’étant évanouies je puisse vous redire mon Amour dans un Face à Face Eternel! … Marie, Françoise, Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face

rel. carm. ind.

Fête de la Très Sainte Trinité

Le 9 juin de l’an de grâce 1895.

 

7

Textes thérésiens

 

La découverte de la "Petite voie" "Vous le savez, ma Mère, j’ai toujours désiré d’être une sainte, mais hélas! j’ai toujours constaté, lorsque je me suis comparée aux saints qu’il y a entre eux et moi la même différence qui existe entre une montagne dont le sommet se perd dans les cieux et le grain de sable obscur foulé sous les pieds des passants; au lieu de me décourager, je me suis dit : le Bon Dieu ne saurait inspirer des désirs irréalisables, je puis donc malgré ma petitesse aspirer à la sainteté; me grandir, c’est impossible, je dois me supporter telle que je suis avec toutes mes imperfections, mais je veux chercher le moyen d’aller au Ciel par une petite voie bien droite, bien courte, une petite voie toute nouvelle. Nous sommes dans un siècle d’inventions, maintenant ce n’est plus la peine de gravir les marches d’un escalier, chez les riches un ascenseur le remplace avantageusement.

Moi je voudrais aussi trouver un ascenseur pour m’élever jusqu’à Jésus, car je suis trop petite pour monter le rude escalier de la perfection. Alors j’ai recherché dans les livres saints l’indication de l’ascenseur objet de mon désir et j’ai lu ces mots sortis de la bouche de La Sagesse Eternelle : Si quelqu’un est tout petit, qu’il vienne à moi. [Pr 9 4] Alors je suis venue devinant que j’avais trouvé ce que je cherchais et voulant savoir, ô mon Dieu! ce que vous feriez au tout petit qui répondrait à votre appel j’ai continué mes recherches et voici ce que j’ai trouvé : — Comme une mère caresse son enfant, ainsi je vous consolerai, je vous porterai sur mon sein et je vous balancerai sur mes genoux! [Is 66 13,12] Ah! jamais paroles plus tendres, plus mélodieuses, ne sont venues réjouir mon âme, l’ascenseur qui doit m’élever jusqu’au Ciel, ce sont vos bras, ô Jésus! Pour cela je n’ai pas besoin de grandir, au contraire il faut que je reste petite, que je le devienne de plus en plus." (c 2v-3r).

"Ma vocation, c’est l’Amour"

"Etre ton épouse, ô Jésus, être carmélite, être par mon union avec toi, la mère des âmes, devrait me suffire… il n’en est pas ainsi… je sens en moi d’autres vocations, je me sens la vocation de Guerrier, de Prêtre, d’Apôtre, de Docteur, de Martyr, enfin, je sens le besoin, le désir d’accomplir pour toi Jésus, toutes les œuvres les plus héroïques… Je sens en mon âme le courage d’un Croisé, d’un Zouave Pontifical, je voudrais mourir sur un champ de bataille pour la défense de l’Eglise…

Je sens en moi la vocation de Prêtre, avec quel amour, ô Jésus, je te porterais dans mes mains lorsque, à ma voix, tu descendrais du Ciel… Avec quel amour je te donnerais aux âmes! … Mais hélas! tout en désirant d’être Prêtre, j’admire et j’envie l’humilité de S t François d’Assise et je me sens la vocation de l’imiter en refusant la sublime dignité du Sacerdoce. O Jésus! mon amour, ma vie… comment allier ces contrastes? Comment réaliser les désirs de ma pauvre petite âme?…

Ah! malgré ma petitesse, je voudrais éclairer les âmes comme les Prophètes, les Docteurs, j’ai la vocation d’être Apôtre… je voudrais parcourir la terre, prêcher ton nom et planter sur le sol infidèle ta Croix glorieuse, mais, ô mon Bien-Aimé, une seule mission ne me suffirait pas, je voudrais en même temps annoncer l’Evangile dans les cinq parties du monde et jusque dans les îles les plus reculées… Je voudrais être missionnaire non seulement pendant quelques années mais je voudrais l’avoir été depuis la création du monde et l’être jusqu’à la consommation des siècles… Mais je voudrais par-dessus tout, ô mon Bien-Aimé Sauveur, je voudrais verser mon sang pour toi jusqu’à la dernière goutte… Le Martyre, voilà le rêve de ma jeunesse, ce rêve il a grandi avec moi sous les cloîtres du Carmel… Mais là encore je sens que mon rêve est une folie, car je ne saurais me borner à désirer un genre de martyre… Pour me satisfaire il me les faudrait tous…

Comme toi mon Epoux Adoré, je voudrais être flagellée et crucifiée… Je voudrais mourir dépouillée comme St. Barthélémy… Comme St. Jean, je voudrais être plongée dans l’huile bouillante, je voudrais subir tous les supplices infligés aux martyrs… Avec Se Agnès et Se Cécile je voudrais présenter mon cou au glaive et comme Jeanne d’Arc ma sœur chérie, je voudrais sur le bûcher murmurer ton nom, ô Jésus… En songeant aux tourments qui seront le partage des chrétiens au temps de l’Antéchrist, je sens mon cœur tressaillir et je voudrais que ces tourments me soient réservés…

A l’oraison mes désirs me faisant souffrir un véritable martyre j’ouvris les épîtres de S t Paul afin de chercher quelque réponse. Les chap. XII et XIII de la première épître aux Corinthiens me tombèrent sous les yeux… J’y lus, dans le premier, que tous ne peuvent être apôtres, prophètes, docteurs, etc…, que l’Eglise est composée de différents membres et que l'œil ne saurait être en même temps la main.

… La réponse était claire mais ne comblait pas mes désirs, elle ne me donnait pas la paix…~ Sans me décourager je continuai ma lecture et cette phrase me soulagea : "Recherchez avec ardeur les dons les plus parfaits, mais je vais encore vous montrer une voie plus excellente." Et l’Apôtre explique comment tous les dons les plus parfaits ne sont rien sans l’Amour… Que la Charité est la voie excellente qui conduit sûrement à Dieu. Enfin j’avais trouvé le repos… Considérant le corps mystique de l’Eglise, je ne m’étais reconnue dans aucun des membres décrits par S t Paul, ou plutôt je voulais me reconnaître en tous… La Charité me donna la clef de ma vocation. Je compris que si l’Eglise avait un corps, composé de différents membres, le plus nécessaire, le plus noble de tous ne lui manquait pas, je compris que l’Eglise avait un Cœur, et que ce Cœur était brûlant d’Amour. Je compris que l’Amour seul faisait agir les membres de l’Eglise, que si l’Amour venait à s’éteindre, les Apôtres n’annonceraient plus l’Evangile, les Martyrs refuseraient de verser leur sang… Je compris que l’Amour renfermait toutes les Vocations, que l’Amour était tout, qu’il embrassait tous les temps et tous les lieux… en un mot qu’il est Eternel! … Alors dans l’excès de ma joie délirante je me suis écriée : O Jésus mon Amour… ma vocation enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour! …

Oui j’ai trouvé ma place, dans l’Eglise et cette place, ô mon Dieu, c’est vous qui me l’avez donnée… dans le Cœur de l’Eglise, ma Mère, je serai l’Amour… ainsi je serai tout… ainsi mon rêve sera réalisé!!!…" (b 2v-3v)