La primauté du successeur de Pierre
Lettre au cardinal Joseph Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi
(*) Texte original italien dans
l’Osservatore Romano des 2-3 décembre 1996. Traduction, titre et note de la DC.
Du 2 au 4 décembre 1996, un Symposium patronné par la Congrégation pour la Doctrine de la foi s’est tenu au Vatican sur le thème : " La Primauté du successeur de Pierre ". Trois aspects ont été particulièrement étudiés : le sens dogmatique de la Primauté du successeur de Pierre et de sa transmission ; le lien entre Primauté et collégialité ; la nature et le but des interventions primatiales de l’évêque de Rome concernant les Églises particulières. Des chrétiens non catholiques ont participé à ce Symposium, parmi lesquels les professeurs Pannenberg (luthérien) et Chadwick (anglican). Le Pape avait adressé la Lettre suivante au cardinal Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi (*) :
À NOTRE VÉNÉRÉ FRÈRE LE CARDINAL JOSEPH RATZINGER, PRÉFET DE LA CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI,
Je souhaite vivement, Monsieur le cardinal, vous exprimer mes sincères remerciements pour l’initiative que la Congrégation pour la Doctrine de la foi, que vous dirigez, a prise en promouvant un symposium sur le thème :
La Primauté du successeur de Pierre, sollicitant en cette occasion la collaboration de nombreux et insignes savants et experts. Je vous prie de bien vouloir assurer tous les illustres participants de mes sentiments de profonde gratitude pour leur disponibilité et leur travail.Dans mon Encyclique
Ut unum sint, j’ai reconnu qu’il est " significatif et encourageant que la question de la primauté de l’Évêque de Rome soit actuellement devenue un objet d’études, en cours ou en projet, et il est également significatif et encourageant que cette question soit présentée comme un thème essentiel non seulement dans les dialogues théologiques que l’Église catholique poursuit avec les autres Églises et Communautés ecclésiales, mais aussi plus généralement dans l’ensemble du mouvement œcuménique " (n. 89).L’Église catholique est consciente qu’elle a conservé, dans la fidélité à la Tradition apostolique et à la foi des Pères, le ministère du successeur de Pierre que Dieu a constitué " principe perpétuel et visible, et fondement de l’unité " (
Lumen gentium, 23). Ce service de l’unité, enraciné dans l’œuvre de la miséricorde divine, est un don confié, à l’intérieur même du Collège des évêques, à celui qui succède à l’apôtre Pierre comme évêque de Rome. Le pouvoir même et l’autorité qui sont propres à ce ministère, sans lesquels cette fonction serait illusoire, doivent toujours être vus dans la perspective du service du dessein miséricordieux de Dieu, qui veut que tous soient " un " dans le Christ Jésus.À ce titre, la primauté s’exerce à divers niveaux, qui concernent le service de l’unité de la foi, la vigilance sur la célébration sacramentelle et liturgique, la mission, la discipline et la vie chrétienne, en étant conscient toutefois que tout cela doit toujours s’accomplir dans la communion.
En même temps, on doit aussi souligner que le service de l’unité de la foi et de l’Église de la part du ministère " pétrinien " est un chemin et un instrument d’évangélisation : le sort même de la nouvelle évangélisation est lié au témoignage d’unité de l’Église, dont le successeur de Pierre est le garant et le signe visible.
Par ailleurs, comme je l’ai affirmé à l’occasion de ma rencontre avec le Conseil œcuménique des Églises, à Genève, en juin 1984, cette conviction de l’Église catholique " constitue une difficulté pour la majeure partie des autres chrétiens, dont la mémoire est marquée par certains souvenirs douloureux " (
Insegnamenti, VII, 1 [1984], 1686).À cause donc de cette préoccupation pour l’unité, qui rentre essentiellement dans le cadre des fonctions de la primauté, j’ai manifesté dans l’Encyclique
Ut unum sint ma conviction " d’avoir à cet égard une responsabilité particulière, surtout lorsque je vois l’aspiration œcuménique de la majeure partie des Communautés chrétiennes et que j’écoute la requête qui m’est adressée de trouver une forme d’exercice de la primauté ouverte à une situation nouvelle, mais sans renoncement aucun à l’essentiel de sa mission " (n. 95).Cette exigence se retrouve également dans la Lettre de la Congrégation pour la Doctrine de la foi
Communionis notio, sur certains aspects de l’Église comprise comme communion, là où l’on souhaite " qu’il soit possible à tous de reconnaître la permanence du Primat de Pierre dans ses successeurs, les évêques de Rome, et de voir réaliser le ministère de Pierre, tel qu’il est voulu par le Seigneur, comme un service apostolique universel, présent à l’intérieur de toutes les Églises et qui, restant sauve sa substance d’institution divine, peut s’exprimer de manières diverses, selon les temps et les lieux, comme l’histoire le prouve " (n. 18) (1).Dans le déroulement de votre Symposium, le travail des savants et experts dans les divers secteurs des disciplines théologiques – bibliques, historico-théologiques, systématiques – témoigne de la rigueur et du caractère exhaustif de la recherche dans les divers domaines du savoir théologique qui, selon la problématique doctrinale donnée à cette rencontre d’étude, veut apporter une importante contribution au service de la poursuite du dialogue théologique. Ceci en indiquant les éléments essentiels de la doctrine de la foi catholique sur cet aspect de l’ecclésiologie, en les distinguant des questions que l’on peut légitimement discuter ou qui, de toute façon, ne lient pas d’une manière définitive.
Cette caractéristique particulière, loin de constituer une difficulté pour le dialogue œcuménique lui-même, représente au contraire une de ses conditions nécessaires pour qu’il soit un instrument de la reconnaissance de la vérité divine.
C’est donc avec une profond intérêt que je suivrai vos travaux, alors que je vous adresse dès maintenant, à vous, vénéré Frère, ainsi qu’à tous ceux qui participent et collaborent au Symposium, mes souhaits fervents d’heureux résultat, grâce à la recherche commune, sincère et désintéressée de la vérité.
J’accompagne ces vœux d’une spéciale Bénédiction apostolique.
Du Vatican, le 30 novembre 1996
JEAN-PAUL II
(1) Cf.
DC 1992, n° 2055, p. 733.