CHAPITRE XIV. *

vv. 1-5. *

vv. 6-12. *

vv. 13-14. *

vv. 15-21. *

vv. 22-33. *

vv. 34-36. *

CHAPITRE XV. *

vv. 1-6. *

vv. 7-11. *

vv. 12-14. *

vv. 15-20. *

vv. 22-28. *

vv. 29-31. *

vv. 32-38. *

v. 39. *

CHAPITRE XVI *

vv. 1-4. *

vv. 5-11. *

vv. 13-19. *

vv. 20-21 *

vv. 22-23. *

vv. 24-25. *

vv. 26-28. *

CHAPITRE XVII *

vv. 1-4. *

vv. 5-9. *

vv. 10-13. *

vv. 14-17. *

vv. 18-20. *

vv. 21-22. *

vv. 23-26. *

CHAPITRE XVIII. *

vv. 1-6. *

vv. 7-9. *

vv. 10-14. *

vv. 15-17. *

vv. 18-20. *

vv. 21-22. *

vv. 23-35. *

CHAPITRE XIX *

vv. 1-8. *

v. 9. *

vv. 10-12. *

vv. 13-15. *

vv. 16-22. *

vv. 23-26. *

vv. 27-30. *

CHAPITRE XX *

vv. 1-16. *

vv. 17-19. *

vv. 22-23. *

vv. 24-28. *

vv. 29-34. *

 

CHAPITRE XIV.

vv. 1-5.

La Glose. L’Évangéliste, après nous avoir raconté l’interprétation calomnieuse que les pharisiens donnaient des miracles de Jésus-Christ et comment ses concitoyens, tout en les admirant, n’avaient cependant que du mépris pour lui, rapporte l’opinion qu’Hérode avait conçue du Christ au récit des prodiges qu’il opérait : " En ce temps-là, Hérode apprit, " etc. — S. Chrys. (hom. 49.) Ce n’est pas sans raison que l’Évangéliste désigne ici le temps d’une manière précise ; il veut vous apprendre tout à la fois l’orgueil du tyran et son indifférence. En effet, ce n’est point tout d’abord et un des premiers, mais beaucoup plus tard, qu’il apprend les prodiges opérés par le Christ ; c’est ainsi que la plupart des puissants du monde, séduits par le faste qui les environne, négligent de s’instruire des vérités du salut, parce qu’ils n’y attachent pas grande importance.

S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 43.) Saint Matthieu dit : " En ce temps-là, " et non pas : " Dans ce jour-là, " ou " A cette heure " ; c’est qu’en effet saint Marc, qui raconte le même fait de la même manière (Mc 6), ne suit pas le même ordre. Il le place après que Notre-Seigneur a envoyé ses disciples prêcher l’Évangile et sans faire supposer qu’il y ait une liaison rigoureuses entre ces deux faits. Saint Luc (Lc 9) suit le même ordre que saint Marc, mais sans nous forcer d’admettre que c’est l’ordre dans lequel les faits se sont passés.

S. Chrys. (hom. 49.) Voyez quelle est la puissance de la vertu : Hérode redoute Jean-Baptiste, bien qu’il soit mort, et s’entretient de sa résurrection : " Et il dit à ses courtisans : C’est Jean-Baptiste. " — Rab. Nous pouvons juger ici combien grande était la jalousie des Juifs. Hérode, qui n’est qu’un étranger, déclare que Jean-Baptiste est peut-être ressuscité d’entre les morts, et cela sans que personne le lui ait attesté, et les Juifs ont mieux aimé croire que le Christ, dont les prophètes avaient annoncé la résurrection, avait été enlevé frauduleusement de son tombeau, plutôt que d’admettre sa résurrection, preuve que les Gentils étaient bien mieux disposés à embrasser la foi que les Juifs. — S. Jér. Un interprète ecclésiastique demande ici comment Hérode a pu soupçonner que Jean était ressuscité d’entre les morts. Ce n’est point à nous de rendre raison d’une erreur qui nous est étrangère, et l’hérésie de la métempsycose ne peut s’appuyer sur ce passage pour soutenir qu’après bien des années révolues les âmes viennent animer des corps différents, puisque Notre-Seigneur avait trente ans lorsque Jean fut décapité.

Rab. Tous ceux qui croient à la résurrection des morts ont admis en même temps avec raison que les saints jouiront alors d’une puissance plus grande que celle qu’ils avaient lorsqu’ils étaient appesantis par l’infirmité de la chair. C’est pour cela qu’Hérode dit : " Et il se fait des miracles par lui. " — S. Aug. (de l’accord des Evang.) Dans saint Luc, au contraire, nous lisons : " Et Hérode dit : J’ai fait mourir Jean ; quel est donc celui-ci dont j’apprends de telles choses ? " Puisque saint Luc nous représente Hérode étant encore dans le doute, il faut admettre que ce doute fit place à la conviction dans son esprit sur ce qu’on lui avait rapporté, lorsqu’il dit à ses courtisans, d’après saint Matthieu : " Celui-ci est Jean-Baptiste ; " ou bien il faut voir dans ces paroles l’expression d’un esprit qui doute encore, car elles sont susceptibles de ces deux sens et peuvent signifier ou bien qu’Hérode était convaincu par le rapport des autres, ou qu’il doutait encore, comme saint Luc paraît l’indiquer. — Remi. Peut-être nous demandera-t-on ici pourquoi saint Matthieu s’exprime de la sorte : " En ce temps-là Hérode apprit, " etc., tandis qu’il raconte bien auparavant que ce n’est qu’après la mort d’Hérode que le Sauveur revint d’Egypte, Cette difficulté n’existe plus dès qu’on admet qu’il y eut deux Hérodes. Le premier Hérode étant mort, eut pour successeur Archélaüs, son fils, qui dix ans après fut exilé à Vienne, dans les Gaules. César-Auguste divisa alors ce royaume en quatre principautés ou tétrarchies, et en donna trois parties aux enfants d’Hérode. Cet Hérode qui fit décapiter Jean-Baptiste est donc le fils du grand Hérode sous le règne duquel naquit Notre-Seigneur, et c’est pour bien marquer cette différence que l’Évangéliste lui donne le nom de tétrarque.

La Glose. L’Évangéliste ayant rapporté ce que pensait Hérode de la résurrection de Jean, sans rien dire de sa mort, revient sur ses pas pour raconter la manière dont mourut le saint précurseur. — S. Chrys. (hom. 49.) Il n’a point donné à ce récit une très grande importance, car tout son dessein était de nous transmettre ce qui avait rapport à Jésus-Christ et rien autre chose, si ce n’est ce qui pouvait concourir au même but. Il le commence donc en ces termes : " Hérode ayant fait arrêter Jean, l’avait fait charger de chaînes. " — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 44.) Saint Luc ne rapporte pas ce fait dans le même ordre, mais il le joint au récit qu’il fait du baptême de Notre-Seigneur. C’est donc la narration anticipée d’un événement qui n’arriva que longtemps après, puisqu’il le place immédiatement après les paroles de Jean-Baptiste qui nous montrent le Seigneur le van à la main. Or, d’après l’Évangéliste saint Jean, cet événement n’arriva pas aussitôt le baptême de Jésus, puisqu’il nous raconte qu’aussitôt son baptême, Jésus alla dans la Galilée, puis revint dans la Judée, y baptisa sur les bords du Jourdain, et tout cela avant que Jean fût mis en prison. Ni saint Matthieu, ni saint Marc n’ont raconté dans cet ordre la captivité de Jean-Baptiste, comme le prouvent leurs écrits, car ils rapportent que lorsque le saint précurseur fut arrêté, le Seigneur se trouvait dans la Galilée, et après avoir raconté les nombreux miracles qu’il y opéra, à l’occasion de la renommée du Christ qui parvint jusqu’aux oreilles d’Hérode, ils racontent tout ce qui a rapport à la prison et à la mort de Jean-Baptiste : Quant à la cause pour laquelle il fut jeté en prison, saint Matthieu nous la fait connaître, par ce qu’il ajoute : " A cause d’Hérodiade, épouse de son frère ; car Jean lui disait : Il ne vous est pas permis d’avoir cette femme. "

S. Jér. Une ancienne histoire nous apprend que Philippe, fils du premier Hérode, et frère de celui-ci, épousa Hérodiade, fille d’Aretas, roi d’Arabie. Plus tard son beau-père, par suite de certains débats qu’il eut avec son gendre, reprit sa fille, et pour punir son premier mari la donna pour femme à Hérode, ennemi de Philippe. Or, Jean-Baptiste qui était venu dans l’esprit et la vertu d’Elie, reprit Hérode et Hérodiade de cette union criminelle avec la même autorité dont Elie avait fait preuve à l’égard d’Achab et de Jézabel (3 R 21, 14. 15. 16. 19). Il lui déclara que du vivant de son frère, il ne pouvait épouser sa femme ; et il aima mieux encourir la haine implacable du roi que de sacrifier par une basse flatterie les commandements de Dieu. — S. Chrys. (hom. 49.) Cependant ce n’est pas à cette femme qu’il s’adresse, mais à celui qui l’a épousée, parce qu’il était le chef et le maître ; d’ailleurs il professait probablement la loi judaïque, et c’est au nom de cette loi que Jean lui défend l’adultère.

Et il voulait le faire mourir, mais il craignait le peuple. " — S. Jér. Il craignait que la réputation de Jean qui avait baptisé un grand nombre de juifs n’excitât une sédition populaire ; mais il était esclave de sa passion pour cette femme, et cette passion lui faisait perdre de vue les préceptes de la loi divine. — La Glose. La crainte de Dieu réforme la volonté coupable ; la crainte des hommes l’arrête pour un instant, mais ne la change pas ; elle rend plus ardents pour le crime ceux dont elle a enchaîné quelque temps les violents désirs.

 

vv. 6-12.

La Glose. Après avoir raconté l’emprisonnement de Jean-Baptiste, l’Évangéliste nous fait le récit de sa mort : " Or, le jour de la naissance d’Hérode, " etc. — S. Jér. Nous ne voyons dans 1’Écriture que Pharaon et Hérode qui aient célébré l’anniversaire de leur naissance ; il était juste qu’ils fussent unis pour la célébration de cette fête comme ils l’étaient par leur impiété.

Remi. Il faut se rappeler que non-seulement les femmes riches, mais encore les plus pauvres ont coutume d’élever leurs filles dans de si grands sentiments de pudeur, qu’elles demeurent presque invisibles pour les étrangers. Mais cette femme impudique apprit à sa fille à braver toute pudeur, et loin de lui donner des leçons de modestie, lui enseigna des danses lascives. Hérode ne fut pas moins coupable d’avoir oublié que sa maison était une maison royale et d’avoir permis à cette femme d’en faire une salle de spectacle. " Et elle plut à Hérode, " etc.

S. Jér. Je ne puis excuser Hérode, d’avoir commis cet homicide malgré lui et contre sa volonté, et par respect pour son serment ; car peut-être ne l’avait-il fait que pour préparer les voies à ce meurtre affreux. Mais puisqu’il veut se justifier en alléguant son serment, l’aurait-il exécuté si on lui eût demandé la mort de son père ou de sa mère ? Il n’aurait fait aucun cas de ce serment s’il se fût agi de personnes qui le touchassent de si près ; ne devait-il pas le respecter davantage quand on lui demandait la tête d’un prophète ? — Isid. Lorsque vos promesses sont mauvaises, gardez-vous de les mettre à exécution ; la promesse qui ne peut s’accomplir que par un crime est une impiété, et on ne doit pas observer un serment par lequel on s’est imprudemment engagé à commettre le mal.

Celle-ci ayant été instruite auparavant par sa mère dit : Donnez-moi présentement dans un bassin la tête de Jean-Baptiste. " — S. Jér. Hérodiade, craignant qu’Hérode ne vint à se repentir ou ne se réconciliât avec son frère Philippe, et que les liens criminels qui l’unissaient à Hérode ne fussent rompus par une répudiation, commande à sa fille de demander immédiatement et au milieu du repas la tête de Jean. Le sang était le digne prix des pas d’une infâme danseuse.

S. Chrys. (hom. 49). Cette fille est doublement coupable, par sa danse lascive, et pour avoir séduit Hérode à ce point qu’elle pût demander un meurtre pour récompense. Voyez quelle cruauté dans cette danseuse impudique, et quelle faiblesse dans Hérode : il se lie par un serment, et il la rend maîtresse de la demande qu’elle voudra lui faire. Lorsqu’il vit le crime qui allait résulter de cette demande, il s’attriste, dit l’Évangéliste : " Et le roi fut contristé. " Car la vertu force les méchants eux-mêmes à lui payer le tribut de leur admiration et de leurs louanges. — S. hért. Ou bien dans un autre sens, c’est la coutume des Écritures que l’écrivain sacré rapporte comme la vérité l’opinion la plus commune parmi les contemporains. Ainsi, de même que Marie elle-même appelle Joseph le père de Jésus (Lc 2, 48), ainsi l’Évangéliste nous dit qu’Hérode fut contristé, parce que telle fut l’opinion des convives. Car ce fourbe, habile à dissimuler les sentiments de son âme, cet artisan d’homicide affectait un air triste pendant que son cœur était dans la joie. " A cause du serment, " etc. Il fait servir son serment d’excuse à son crime et devient impie en se couvrant du manteau de la religion. L’Évangéliste ajoute : " Et à cause de ceux qui étaient à table avec lui. " C’est-à-dire qu’Hérode veut les rendre tous complices de son crime, et, dans un festin où préside l’impureté, leur servir des mets ensanglantés.

S. Chrys. (hom. 49.) Mais s’il craignait d’avoir des témoins de son parjure, ne devait-il pas craindre beaucoup plus d’avoir tant de témoins de ce meurtre impie ? — Remi. C’est ainsi qu’un premier crime l’a entraîné dans un crime plus grand encore, il n’a point étouffé un désir impudique, il est tombé dans la débauche, et pour n’avoir pas mis de frein à sa passion voluptueuse, il s’est précipité dans le crime affreux de l’homicide. " Et il envoya couper la tête à Jean, " etc. — S. Jér. Nous lisons dans l’histoire romaine que Flaminius, général romain, ayant près de lui, dans un festin, une courtisane qui lui disait qu’elle n’avait jamais vu d’homme décapité, commanda qu’un criminel condamné à mort fût exécuté sous ses yeux, au milieu même du banquet. Les censeurs le chassèrent du sénat pour avoir osé associer l’horreur du sang répandu aux joies d’un festin, et donné comme un spectacle agréable la mort d’un homme, bien que coupable, joignant ainsi le libertinage à l’homicide. Mais combien plus grand fut le crime d’Hérode, d’Hérodiade et de cette jeune fille qui, comme prix d’une danse lascive, demande la tête d’un prophète, pour avoir en sa puissance cette langue qui avait condamné un commerce criminel.

Et la tête de Jean fut donnée à cette fille " — S. Grég. (Moral. 3, 5). Ce n’est pas sans un étonnement profond que je considère cet homme, rempli de l’esprit de prophétie dès le sein de sa mère (Lc 1), et qui n’en eut point de plus grand que lui parmi ceux qui sont nés des femmes, jeté en prison par les méchants, décapité pour récompenser la danse lascive d’une jeune fille, et mourant, lui d’une sainteté si éminente, pour l’amusement de gens infâmes ! Pourrions-nous penser, en effet, que cette mort ignominieuse a été la peine de quelques fautes de sa vie ? Non, Dieu n’abaisse et n’humilie ainsi ses élus sur la terre, que parce qu’il sait comment il les récompensera dans les cieux ; concluons de là ce que souffriront un jour ceux qu’il réprouve, s’il tourmente ainsi ceux qu’il aime. — S. Grég. (Moral. 29, 16). Jean-Baptiste n’a pas été mis à mort pour avoir confessé le nom du Christ, mais comme victime de la vérité et de la justice. Or, comme le Christ est la vérité, c’est pour le Christ qu’il a combattu jusqu’à la mort.

Ses disciples vinrent ensuite, " etc. — S. Jér. Nous pouvons entendre ici les disciples de Jean aussi bien que ceux du Sauveur. — Rab. Josèphe raconte que Jean fut amené chargé de chaînes au château de Machéronte, et que ce fut là qu’il fut décapité. L’histoire nous apprend d’ailleurs qu’il fut enseveli dans Sébaste, ville de Palestine, appelée autrefois Samarie.

S. Chrys. (hom. 50.) Remarquez comment les disciples de Jean sont entrés dans une plus grande intimité avec Jésus ; ce sont eux qui viennent le trouver pour lui annoncer la mort du saint précurseur : " Et ils vinrent l’annoncer à Jésus. " Ils abandonnent tous les autres pour se réfugier auprès de Jésus-Christ, après avoir été amenés à lui peu à peu, et par la réponse qu’il leur avait faite, et par le malheur qu’ils venaient d’éprouver.

S. Hil. (can. 12.) Dans le sens mystique, Jean est la figure de la loi, parce que c’est la loi qui a prédit le Christ, et c’est en prenant son point de départ dans la loi qu’il annonçait lui-même le Christ. Hérode est le roi du peuple, et en cette qualité, il représente seul la personne et la cause de tout le peuple qui lui est soumis. Jean-Baptiste rappelait à Hérode qu’il lui était défendu d’épouser la femme de son frère ; car le peuple de la circoncision et les Gentils forment deux peuples distincts. Ces peuples sont frères et descendent de la souche commune du genre humain. Mais la loi défendait au peuple d’Israël de se mêler aux oeuvres des Gentils et d’imiter leur incrédulité, qui leur était étroitement unie comme par les liens intimes du mariage. Or, le jour de sa naissance, c’est-à-dire au milieu des joies profanes de la terre, la fille d’Hérodiade dansa ; car la volupté qui est comme la fille de l’infidélité, se mêlait à toutes les joies d’Israël avec tous les mouvements désordonnés de ses charmes séducteurs, et le peuple lui était vendu comme par un serment. En effet, les Israélites vendirent honteusement les biens ineffables de la vie éternelle en se livrant aux péchés et aux voluptés du siècle. Cette volupté, sous l’inspiration de sa mère, c’est-à-dire de l’incrédulité, a demandé qu’on lui apportât la tête de Jean-Baptiste, c’est-à-dire la gloire de la loi ; mais le peuple, convaincu du bien que renfermait la loi, ne consent pas aux exigences de la volupté sans ressentir une vive douleur du danger auquel il s’expose ; il sait qu’il n’aurait pas dû sacrifier la gloire des commandements qui lui ont été donnés, mais enchaîné par ses péchés comme par un serment, dépravé et vaincu par la crainte et par l’exemple des princes qui l’entourent, il obéit avec tristesse aux séductions de la volupté. La tête de Jean est donc apportée dans un plat à la fin des joies dissolues de ce peuple impudique. C’est toujours au détriment de la loi qu’on voit se développer et s’accroître la volupté des sens et le luxe des mondains. Cette tête passe des mains de la mère dans celles de la fille ; c’est ainsi que le peuple d’Israël, par un trait de honteuse lâcheté, livre la gloire de la loi à la débauche et à l’incrédulité. Les temps que devait durer la loi étant expirés et ensevelis avec Jean-Baptiste, ses disciples viennent annoncer au Sauveur ce qui vient d’avoir lieu, et passent ainsi de la loi à l’Évangile.

S. Jér. Ou bien encore, nous voyons jusqu’à ce jour dans cette tête de Jean-Baptiste, qui était prophète, les Juifs qui ont perdu Jésus-Christ, la tête et le chef des prophètes. — Rab. C’est parmi eux que le prophète a perdu la langue et la voix. — Remi. Ou bien la décollation de Jean-Baptiste signifie la diminution, l’amoindrissement que subit sa réputation dans l’opinion des Juifs, qui s’étaient imaginés qu’il était le Christ (Lc 3, 15) ; de même que l’élévation du Seigneur sur la croix représente le progrès de la foi, et c’est dans ce sens que Jean avait dit (Jn 1) : " Il faut qu’il croisse, et moi que je diminue. "

 

vv. 13-14.

La Glose. Le Sauveur ayant appris la mort de celui qui l’avait baptisé, se retira dans la solitude : " Jésus l’ayant appris, il monta dans une barque et se retira dans un lieu désert. " S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 45.) L’Évangéliste place cette retraite du Sauveur immédiatement après le martyre de Jean-Baptiste : donc ce n’est qu’après la mort du précurseur qu’est arrivé ce fait qu’il a raconté d’abord : " Hérode, troublé de ce qu’on lui apprenait de Jésus, dit : C’est Jean-Baptiste ! " On doit donc regarder comme arrivés postérieurement les faits racontés par saint Luc, que le bruit public porte jusqu’aux oreilles d’Hérode, et qui lui font demander avec inquiétude quel est celui dont il apprend de telles choses, après qu’il a fait lui-même mourir Jean-Baptiste. — S. Jér. S’il se retire dans un lieu désert, ce n’est point par crainte de la mort, comme se l’imaginent quelques-uns, mais pour épargner à ses ennemis d’ajouter un second homicide au premier. Peut-être aussi voulait-il différer sa mort jusqu’à la fête de Pâques, jour où l’agneau figuratif devait être immolé, et où les portes des croyants devaient être marquées de son sang. Peut-être encore se retira-t-il pour nous donner l’exemple de ne point nous exposer avec témérité à la persécution ; car tous ne supportent pas les tourments avec la même constance qu’ils mettent à les affronter. C’est pour cela qu’il nous dit dans un autre endroit : " Lorsqu’ils vous persécuteront dans une ville, fuyez dans une autre. " (Mt 10) L’expression dont se sert l’Évangéliste est d’ailleurs parfaitement choisie ; car il ne dit pas : Il s’enfuit dans un lieu désert, mais : Il se retira, de manière qu’il se dérobe plutôt à ses persécuteurs qu’il ne les craint. Il a pu aussi, en apprenant la mort de Jean-Baptiste, se retirer dans le désert pour un autre motif, c’est-à-dire pour éprouver la foi de ceux qui croyaient en lui. — S. Chrys. (hom. 50.) Ou bien encore, c’est qu’il voulait agir comme homme dans beaucoup de choses, le temps n’étant pas encore arrivé de dévoiler sa divinité ; c’est pour cela qu’il défend ailleurs à ses disciples de dire à personne qu’il est le Christ, tandis qu’après sa résurrection il veut qu’on le publie hautement. C’est pour le même motif qu’il ne voulut pas se retirer avant qu’on lui eût appris ce qui venait d’arriver, bien qu’il le sût parfaitement de lui-même, pour établir en toute circonstance la vérité de son incarnation, et la faire croire non-seulement par le témoignage des yeux, mais par celui des oeuvres. Or, il se retire, non pas dans une ville, mais dans le désert, et en montant dans une barque, afin que personne ne pût le suivre. Mais le peuple ne l’abandonne pas, et ne laisse pas de le suivre, sans être effrayé de ce qui est arrivé à Jean-Baptiste. " Et le peuple l’ayant su, le suivit à pied, " etc.

S. Jér. Le peuple suit le Sauveur non sur des chars ou sur des bêtes de somme, mais en se soumettant aux fatigues d’un long voyage à pied, pour montrer le désir qu’il avait de s’attacher à Jésus. — S. Chrys. (hom. 50.) Cette sainte ardeur fut aussitôt récompensée. " Lorsqu’il sortait, dit l’Évangéliste, il vit une grande multitude et il en eut compassion, et il guérit leurs malades. " L’affection de ce peuple, qui abandonnait ses demeures pour le chercher avec tant d’empressement, était bien grande ; mais ce qu’il faisait en leur faveur était bien supérieur aux efforts de leur zèle : aussi l’Évangéliste donne-t-il comme cause de ces guérisons la miséricorde. Quelle plus grande miséricorde, en effet, que celle qui guérit tous les malades qu’on lui présente, sans exiger d’eux la foi !

S. Hil. (can. 14.) Dans le sens mystique, le Verbe de Dieu, lorsque la loi a cessé d’exister, monte dans une barque pour se réunir à l’Église et se dirige vers le désert ; il rompt tout commerce avec le peuple d’Israël et passe dans les cœurs qui étaient vides de la connaissance de Dieu. Le peuple, l’ayant appris, sort de la ville pour le suivre au désert, et quitte ainsi la synagogue pour entrer dans l’Église. A cette vue, le Sauveur a pitié d’eux et guérit toutes leurs langueurs et toutes leurs infirmités, c’est-à-dire qu’il purifie les âmes et les corps plongés dans la léthargie de l’incrédulité, pour les rendre capables de comprendre la doctrine de la loi nouvelle. — Rab. Remarquons encore que c’est après qu’il s’est retiré dans le désert que la foule le suit, car il n’était adoré que par un seul peuple avant qu’il se rendît dans la solitude des nations. — S. Jér. Ils abandonnent leurs villes, c’est-à-dire leurs anciennes habitudes et leurs diverses croyances. Jésus va à leur rencontre et nous apprend par là que si ce peuple avait la volonté de venir le trouver il n’en avait pas la force, et c’est pour cela qu’il sort lui-même et le prévient.

 

vv. 15-21.

S. Chrys. (hom. 50.) Ce qui montre la foi de ce peuple, c’est que malgré la faim qu’il éprouve, il persévère avec le Sauveur jusqu’au soir. " Le soir étant venu, ses disciples s’approchèrent de lui et lui dirent : Ce lieu-ci est désert. " Notre-Seigneur, qui a le dessein de donner à manger à cette multitude, attend cependant qu’il en soit prié. C’est ainsi que jamais Il ne s’empresse de faire des miracles, mais qu’il attend toujours qu’on lui en fasse la demande. Mais pourquoi donc n’en est-il pas un seul dans toute cette multitude pour s’approcher de lui ? C’est par un profond sentiment de respect, et le désir ardent d’être toujours avec lui leur fait oublier le besoin de la faim. Les disciples eux-mêmes ne viennent pas lui dire : Donnez-leur à manger, car leurs dispositions étaient encore trop imparfaites ; mais ils lui représentent que le lieu est désert. Ce que les Juifs avaient regardé comme un miracle impossible dans le désert, lorsqu’ils disaient : " Est-ce qu’il pourra nous dresser une table dans le désert ? " (Ps 77) c’est ce que Jésus se propose de faire. Il conduit ce peuple dans le désert, afin que ce miracle ne laisse aucune place au doute et que personne ne puisse penser que c’est un des bourgs voisins qui a fourni le pain qu’il distribue à ce peuple. Ce lieu est désert, il est vrai, mais celui qui nourrit tout ce qui respire le remplit de sa présence, et quoique l’heure soit passée, comme le font remarquer les Apôtres, celui qui parle ici n’est pas soumis aux heures dont se composent nos journées. Bien que pour préparer ses disciples à ce miracle il eût commencé par guérir un grand nombre de malades, ils étaient encore si imparfaits qu’ils ne pouvaient soupçonner le miracle qu’il devait opérer en multipliant les pains, et c’est pour cela qu’ils lui disent : " Renvoyez le peuple, " etc. Remarquez la sagesse du divin Maître : il ne leur dit pas immédiatement : " Je les nourrirai, " car ils ne l’auraient pas cru facilement, mais il leur répond : " Il n’est pas nécessaire qu’ils s’en aillent, donnez-leur vous-mêmes à manger. " — S. Jér. Il les presse ainsi de distribuer du pain à la multitude, pour que la grandeur du miracle devînt plus éclatante par l’aveu qu’ils feraient eux-mêmes qu’ils n’avaient pas de pain à lui donner.

S. Aug. (De l’accord des Evang., 2, 46.) On peut être embarrassé pour concilier la narration de saint Jean, d’après laquelle Notre-Seigneur, à la vue de toute cette multitude, demande à Philippe comment on pourrait donner à manger à tout ce peuple, avec ce que raconte ici saint Matthieu, que les disciples prièrent Notre-Seigneur de renvoyer le peuple pour qu’il pût acheter des aliments dans les villages voisins. Pour résoudre cette difficulté, il suffit de dire que c’est après ces paroles que le Seigneur, ayant vu cette grande multitude, adresse à Philippe les paroles que saint Jean rapporte et qu’ont omises saint Matthieu et les autres évangélistes. Et en général, disons qu’un évangéliste peut raconter ce qu’un autre a passé sous silence, sans qu’on doive se laisser arrêter par de semblables difficultés.

S. Chrys. (hom. 50.) Cette réponse du Sauveur ne suffit pas pour donner aux disciples de plus hautes idées ; ils continuent de lui parler comme s’il n’était qu’un homme : " Et ils lui répondirent : Nous n’avons ici que cinq pains, " etc. Cependant les disciples nous donnent ici une preuve de leur sagesse dans le peu de souci qu’ils prennent de la nourriture. Ils étaient douze et n’avaient que cinq pains et deux poissons. Ils méprisaient les besoins du corps, et ils étaient tout entiers aux choses spirituelles. Mais comme leurs pensées se tramaient encore sur la terre, le Sauveur les amène insensiblement au miracle qu’il veut opérer : " Et il leur dit : Apportez-moi ces pains. " Pourquoi donc n’a-t-il pas tiré du néant ces pains avec lesquels il doit nourrir la foule ? C’est pour fermer la bouche à Marcion et aux Manichéens, qui soutiennent que les créatures sont complètement étrangères à Dieu, et pour montrer par ses oeuvres que toutes les choses visibles sont sorties de sa main et ont été créées par lui. C’est ainsi qu’il prouve quel est celui qui produisit les fruits et qui a dit au commencement : " Que la terre produise les plantes verdoyantes. " (Gn 1.) Le miracle qu’il va faire n’est pas moins grand, car il ne faut pas une moindre puissance pour nourrir une grande multitude avec cinq pains et quelques poissons que pour faire sortir les fruits de la terre, et du sein des eaux les reptiles et les animaux qui ont la vie et le mouvement, double création qui le proclame le Seigneur de la terre et de la mer. L’exemple des disciples nous apprend que le peu même que nous possédons nous devons aimer à le verser dans le sein des pauvres. En effet, aussitôt que le Seigneur leur ordonne d’apporter leurs cinq pains, ils obéissent sans songer à répondre : " Comment pourrons-nous apaiser notre faim ? " " Et après avoir commandé au peuple de s’asseoir sur l’herbe, il prit les cinq pains et, levant les yeux au ciel, il les bénit, " etc. Pourquoi lever les yeux au ciel et bénir ces pains ? C’était pour déclarer qu’il venait du Père et qu’il était son égal. Il prouvait qu’il était égal à son Père en agissant en tout avec puissance, et il montrait qu’il venait du Père en lui rapportant tout ce qu’il faisait et en l’invoquant avant toutes ses oeuvres. C’est comme preuve de cette double vérité que tantôt il opérait ses miracles avec puissance, tantôt il priait avant de les faire. Il faut de plus remarquer que pour les miracles moins importants il lève les yeux vers le ciel, et que pour les plus éclatants, il agit avec une puissance absolue. Ainsi, lorsqu’il ressuscite les morts, quand il met un frein à la fureur des flots, quand il juge les pensées secrètes des cœurs, quand il ouvre les yeux de l’aveugle-né, oeuvres qui ne peuvent avoir que Dieu pour auteur, nous ne le voyons pas recourir à la prière ; mais lorsqu’il multiplie les pains (miracle inférieur à ceux qui précèdent), il lève les yeux au ciel pour vous apprendre que même dans les prodiges moins importants il n’agit point par une puissance différente de celle de son Père. Il nous apprend en même temps à ne jamais prendre nos repas avant d’avoir rendu grâces à Celui qui nous donne la nourriture. Notre-Seigneur veut en outre opérer un miracle avec ces cinq pains pour amener ses disciples à croire en lui, car ils étaient encore bien faibles dans la foi. C’est pourquoi il lève les yeux vers le ciel. Car s’ils avaient déjà été témoins d’un grand nombre de miracles, ils n’en avaient pas encore vu de semblable.

S. Jér. Le Sauveur rompt le pain, et le pain se multiplie. Si ces pains étaient restés entiers et qu’ils n’eussent pas été partagés par morceaux, ni multipliés en si grande quantité, jamais ils n’auraient pu rassasier une si grande multitude. Or, remarquons que c’est par l’intermédiaire des Apôtres que le peuple reçoit du Seigneur cette nourriture. " Et il les donne à ses disciples. " — S. Chrys. (hom. 50.) Il veut en cela non-seulement leur faire honneur, mais rendre impossible et l’incrédulité, et l’oubli à l’égard d’un miracle auquel leurs mains elles-mêmes rendaient témoignage. Il permet que la multitude éprouve d’abord le besoin de la faim, que les disciples s’approchent de lui, l’interrogent et lui remettent les pains entre les mains pour multiplier les preuves de ce miracle et les circonstances qui devaient en conserver le souvenir. En ne donnant aux peuples que des pains et des poissons, et en les leur distribuant d’une manière égale, il leur enseigne l’humilité, la tempérance et la charité qui devait leur faire regarder toutes les choses comme communes entre eux. Le lieu même où il les nourrit, l’herbe sur laquelle il les fait asseoir, contiennent un enseignement, car il ne veut pas seulement apaiser leur faim, mais aussi nourrir leur âme. Or, les pains et les poissons se multipliaient entre les mains des disciples, comme l’indique la suite du récit : " Et tous en mangèrent, " etc. Le miracle ne s’arrêta pas là et la multiplication s’étendit au delà du nécessaire, de manière qu’après avoir multiplié les pains entiers, il permit qu’il restât une grande quantité de morceaux. Le Seigneur veut prouver ainsi que ce sont vraiment les restes des pains qu’il a multipliés, convaincre les absents de la vérité du miracle et montrer à tous que ce n’est pas un prodige imaginaire : " Et ils emportèrent douze paniers pleins des morceaux qui étaient restés. " — S. Jér. Chacun des apôtres remplit son panier avec les restes des pains multipliés miraculeusement par le Sauveur, et ces restes prouvent que ce sont de vrais pains qu’il a multipliés. — S. Chrys. (hom. 50.) Il voulut qu’il restât douze corbeilles pleines, afin que Judas pût aussi porter la sienne. Il fait aussi emporter ces restes par ses disciples, et non par la foule, dont les dispositions étaient moins parfaites. — S. Jér. Le nombre de ceux qui furent rassasiés était de cinq mille et correspondait aux cinq pains qui furent distribués : " Or, le nombre de ceux qui mangèrent était de cinq mille hommes. " — S. Chrys. (hom. 50.) Un trait à la louange de ce peuple, c’est que les femmes comme les hommes suivaient Jésus-Christ quand le miracle fut opéré. — S. Hil. Les pains ne se multiplient pas en d’autres pains entiers, mais aux premiers morceaux en succèdent d’autres, et le pain se multiplie soit dans l’endroit qui sert de table, soit dans les mains de ceux qui s’en nourrissent.

Rab. Saint Jean, avant de raconter ce miracle (Jn 6), nous fait observer que la Pâque était proche. Saint Matthieu et saint Marc le placent immédiatement après le martyre de Jean-Baptiste, d’où nous devons conclure que le saint Précurseur fut décapité aux approches de la fête de Pâques et que c’est l’année suivante, au retour de la même fête, que s’accomplit le mystère de la passion du Sauveur.

S. Jér. Toutes les circonstances de ce miracle sont pleines de mystères. Notre-Seigneur l’opère non le matin, ni au milieu de la journée, mais le soir, lorsque le soleil de justice est couché. — Remi. Le soir signifie la mort du Sauveur, car c’est lorsque le soleil de vérité se coucha sur l’autel de la croix qu’il rassasia ceux qui étaient tourmentés par la faim. Ou bien le soir est la figure du dernier âge du monde, cet âge où le Fils de Dieu vint nourrir la multitude de ceux qui croyaient en lui. — Rab. Les disciples prient le Sauveur de renvoyer le peuple pour qu’il achète de quoi manger dans les villages voisins ; c’est le dégoût que les Juifs ont pour les Gentils, qu’ils regardent comme plus propres à chercher leur nourriture dans les écoles de philosophes que dans les divins pâturages des livres sacrés.

S. Hil. (can. 14.) Mais le Seigneur répond : " Il n’est point nécessaire qu’ils y aillent ; " il nous apprend ainsi que ceux qu’il a guéris n’ont pas besoin de se nourrir d’une doctrine vénale et qu’il n’est pas nécessaire de retourner dans la Judée pour s’y procurer des aliments. Il commande donc à ses disciples de leur donner eux-mêmes à manger. Est-ce donc qu’il ignorait qu’ils n’avaient rien à leur donner ? Mais toutes les circonstances de ce miracle demandent à être expliquées dans un sens figuré. Les Apôtres n’avaient pas encore reçu le pouvoir de consacrer et de distribuer le pain du ciel qui devait être la nourriture de la vie éternelle. Leur réponse doit être entendue dans le sens spirituel ; ils étaient réduits à n’avoir que cinq pains, c’est-à-dire les cinq livres de la loi, et deux poissons, c’est-à-dire qu’ils n’avaient d’autre nourriture que la prédication de Jean-Baptiste et des prophètes. — Rab. Ou bien par ces deux poissons il faut entendre les psaumes et les prophéties ; car l’Ancien Testament comprend ces trois choses la loi, les prophètes et les psaumes.

S. Hil. (can. 14.) Les Apôtres ne purent d’abord donner au peuple que ces trois choses qui étaient en leur possession ; mais la prédication de l’Évangile, en venant s’y ajouter, y puisa le principe de cette force divine dont les développements vont toujours croissants. Le Sauveur fait ensuite asseoir le peuple sur le gazon, ce n’est plus sur la terre qu’il se repose, mais sur le lit que lui présente la loi, et comme l’herbe repose sur la terre, chacun s’assied et se repose sur les fruits de ses oeuvres. — S. Jér. Ou bien il les fait asseoir sur le gazon, et d’après un autre Évangéliste (Mc 6), par groupe, de cinquante et de cent, afin qu’après avoir foulé aux pieds les inclinations de la chair, et placé au-dessous d’eux les voluptés du siècle comme un gazon desséché, ils s’élèvent par la pénitence, représentée par le nombre cinquante, à la perfection du nombre cent. Il lève les yeux vers le ciel, pour leur apprendre à diriger leurs regards de ce côté ; il leur rompt le pain de la loi avec celui des prophètes, et leur en expose les mystères, afin que ce qui ne pouvait servir de nourriture en demeurant dans son entier, pût rassasier la multitude des nations, lorsqu’il serait divisé en plusieurs parties.

S. Hil. (can. 14.) Les pains sont remis entre les mains des Apôtres, car c’était par eux que les dons de la grâce divine devaient être distribués. Le nombre de ceux qui mangèrent fut le même que le nombre de ceux qui devaient embrasser la foi ; car nous lisons dans le livre des Actes (Ac 4), que sur la multitude presque innombrable du peuple juif, cinq mille se convertirent à la foi. — S. Jér. Parmi ceux qui mangèrent de ces pains, il y eut cinq mille hommes parvenus à la plénitude de l’âge ; les femmes et les enfants, (c’est-à-dire la faiblesse du sexe et celle de l’âge), ne sont pas dignes d’être compris dans ce nombre. Aussi dans le livre des Nombres (Nb 1), les esclaves, les femmes, les enfants et le bas peuple ne sont pas compris dans le dénombrement. — Rab. Pour nourrir cette multitude affamée, le Sauveur ne créé pas de nouveaux aliments, mais il prend ceux qui étaient entre les mains de ses disciples, et il les bénit ; il nous apprenait ainsi qu’en venant dans une chair mortelle, il n’annonçait pas d’autres vérités que celles qui avaient été prédites, et il montrait que la loi et les prophètes renfermaient dans leur sein les plus grands mystères. Les disciples emportent les morceaux qui restent ; ce sont les mystères les plus secrets, qui ne peuvent être compris des esprits grossiers ; ils ne doivent pas être reçus avec négligence, mais devenir l’objet de l’étude la plus sérieuse de la part des douze Apôtres et de leurs successeurs, figurés ici par les douze paniers. Les paniers ou corbeilles servent à des usages communs, et Dieu a choisi ce qui est vil et bas aux yeux du monde, pour confondre ce qui est fort (1 Co 1). On peut voir dans ces cinq mille hommes les cinq sens du corps humain, et une figure de ceux qui, sous la livrée du monde, font un bon usage des choses extérieures.

 

vv. 22-33.

S. Chrys. (hom. 50.) Notre-Seigneur, voulant livrer à un examen sérieux le miracle qu’il vient d’opérer, ordonne à ceux qui en ont été les témoins de se séparer de lui ; car en supposant que lui présent, on pût croire qu’il n’avait fait ce miracle qu’en apparence, on ne pourrait en porter le même jugement lorsqu’il aurait disparu. C’est pour cela que l’Évangéliste ajoute : " Et aussitôt Jésus obligea ses disciples d’entrer dans une barque et de le précéder. " — S. Jér. Nous avons ici une preuve que c’était malgré eux que les disciples se séparaient du Sauveur, et que dans l’affection qu’ils avaient pour ce divin Maître, ils ne voulaient même pas le quitter un seul instant.

S. Chrys. (hom. 50 et 51). Remarquons que toutes les fois que le Seigneur a opéré de grandes choses, il renvoie le peuple, et nous engeigne ainsi à ne pas rechercher la gloire qui vient des hommes, et à ne pas attirer le peuple après nous. Il nous apprend aussi à ne pas nous mêler continuellement à la multitude et à ne pas la fuir non plus toujours, mais à fréquenter tour à tour le monde et la solitude. " Après avoir renvoyé la foule, il monta seul sur la montagne, " etc. Il nous enseigne ici les avantages de la solitude, lorsque nous voulons nous entretenir avec Dieu. Jésus se rend dans le désert, et il y passe la nuit en prières, pour nous apprendre à choisir les temps et les lieux où nous pourrons nous livrer dans le calme à la prière. — S. Jér. Ces paroles : " Il monta seul pour prier, " ne doivent pas être rapportées à la nature divine qui vient de rassasier cinq mille tommes avec cinq pains, mais à la nature humaine qui se retire dans la solitude en apprenant la mort de Jean-Baptiste. Ce n’est pas que nous divisions la personne du Seigneur, mais il faut admettre une distinction entre les oeuvres qui viennent de Dieu, et celles qui ne viennent que de l’homme.

S. Aug. (De l’acc. des Evang., liv. 2, chap. 47.) Il semble qu’il y ait ici contradiction entre saint Matthieu, d’après lequel Jésus, après avoir renvoyé le peuple, monte seul sur la montagne pour y prier, et saint Jean, qui rapporte qu’il était sur la montagne lorsqu’il nourrit la multitude. Mais comme saint Jean raconte qu’après ce miracle il s’enfuit sur la montagne pour ne pas être retenu par le peuple qui voulait le faire roi, il est évident qu’il était descendu de la montagne dans la plaine lorsqu’il fit distribuer les pains à la foule. Ce que dit saint Matthieu : " il monta sur la montagne pour prier, " n’est pas contraire à ce que dit saint Jean : " Lorsqu’il sut qu’ils allaient venir pour le faire roi, il s’enfuit tout seul sur la montagne. " Le désir de prier n’exclut pas l’intention qu’il avait de fuir ; au contraire, le Seigneur nous apprend ici que nous avons une raison pressante de prier lorsque nous sommes obligés de fuir. Il n’y a pas plus de contradiction entre le récit de saint Matthieu, où Notre-Seigneur ordonne d’abord à ses disciples de monter dans la barque, et congédie ensuite le peuple avant de monter seul sur la montagne pour y prier, et le récit de saint Jean, où nous lisons : Il s’enfuit seul sur la montagne. Et lorsque le soir fut venu, ses disciples descendirent au bord de la mer, et lorsqu’ils furent montés dans la barque, " etc. Car qui ne voit que saint Matthieu raconte sommairement et par récapitulation, tandis que saint Jean ne rapporte qu’ensuite ce que firent les disciples, c’est-à-dire ce que Notre-Seigneur leur avait ordonné avant de s’enfuit sur la montagne.

S. Jér. C’est avec bien de la raison que les disciples ne se séparent du Seigneur que malgré eux, et contre leur volonté, dans la crainte d’être exposés à un naufrage en son absence, car, ajoute l’Évangéliste : Le soir étant venu, la barque était battue par les flots. " — S. Chrys. (hom. 51.) Les disciples essuient de nouveau une tempête, mais la première fois ils avaient le Sauveur avec eux dans leur barque ; et maintenant ils sont seuls ; c’est ainsi qu’il les conduit par degrés à de plus grandes épreuves, et qu’il leur apprend à tout supporter avec courage. — S. Jér. Pendant que le Seigneur est sur le sommet de la montagne, soudain un vent contraire s’élève, agite la profondeur de la mer, et met les disciples en danger, et ils sont menacés du naufrage jusqu’au moment où Jésus arrive.

S. Chrys. (hom. 51.) Pendant toute la nuit il les laisse ballottés par les flots, il veut, par là, relever leur âme abattue par la crainte, leur inspirer un vif désir de sa personne qui le rende continuellement présent à leur souvenir. C’est pour cela qu’il ne vient pas immédiatement à leur secours ; car l’Évangéliste ajoute : " Or, à la quatrième veille de la nuit. " — S. Jér. Les heures de la nuit sont divisées en trois parties d’après les veilles où l’on relevait les postes militaires établis lour la nuit, et en rapportant que le Seigneur ne vint à eux qu’à la quatrième veille, c’est nous indiquer qu’ils furent en danger toute la nuit. S. Chrys. (hom. 51.) Il leur apprend ainsi à ne pas chercher avec trop d’empressement à échapper aux maux qui les menacent, mais supporter avec courage les épreuves qui leur arrivaient. Or, c’est justement au moment où ils espéraient être délivrés, que leur crainte est à son comble. " Et lorsqu’ils le virent marcher sur les flots, ils lurent troublés, " etc. Telle est la conduite du Seigneur lorsqu’il est sur le point de mettre fin à une épreuve. C’est alors qu’il fait naître de nouveaux dangers, et inspire de plus grandes appréhensions ; car le temps de l’épreuve ne devant pas être bien long, lorsque les combats des justes touchent à leur fin, il augmente leurs dangers pour augmenter leurs mérites ; c’est ce qu’il fit pour Abraham, dont la dernière épreuve fut l’immolation de son fils.

S. Jér. Ces cris confus, ces voix sans expression sont l’indice d’une crainte excessive. Or, s’il est vrai, comme le prétendent Marcion et les Manichéens, que le Seigneur ne soit pas né d’une vierge, et qu’il n’ait qu’une apparence fantastique, comment les Apôtres craignent-ils de voir un fantôme. — S. Chrys. (hom. 51.) Ce n’est qu’après qu’ils ont jeté ces cris que le Seigneur se révèle à ses disciples ; car plus leur frayeur avait été grande, plus aussi leur joie fut vive en le voyant au milieu d’eux. Aussitôt Jésus leur parla et leur dit : " Rassurez-vous, c’est moi ; ne craignez pas. " Cette parole dissipe leurs craintes, et ouvre leur âme à la confiance. — S. Jér. Il dit : " C’est moi, " et il n’explique pas qui il est ; mais comme sa voix leur était connue, ils pouvaient le reconnaître malgré la profonde obscurité de la nuit. Ou bien encore, ils reconnurent en lui celui qu’ils savaient avoir ainsi parlé à Moïse (Ex 3) : " Voilà ce que vous direz aux enfants d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous. " Partout on retrouve la foi vive de Pierre ; c’est cette foi vive, qui dans cette circonstance comme dans toutes les autres, lui fait espérer, alors que tous les autres gardent le silence, qu’il pourra faire par la puissance du Maître ce qui lui était naturellement impossible. " Or, Pierre, prenant la parole, lui dit : " Seigneur, si c’est vous, commandez-moi d’aller à vous, " etc. Commandez-moi, et soudain les flots s’affermiront, et mon corps pesant par sa nature, deviendra léger. — S. Aug. (serm. 13 sur les par. du Seig.) Je ne le puis de moi-même, mais par votre puissance. Pierre reconnut ainsi ce qu’il avait de lui-même, et la puissance supérieure à toute faiblesse humaine que le Sauveur pouvait lui communiquer et dont il lui donnait l’assurance. — S. Chrys. (hom. 51.) Voyez combien grande est sa ferveur, combien grande est sa foi, il ne dit pas : Demandez, priez, mais : " Ordonnez. " Il ne s’est pas borné à croire que le Christ pouvait marcher sur les flots, mais il a cru qu’il pouvait communiquer cette puissance aux autres, et il désire vivement aller le rejoindre, non point par ostentation, mais par amour pour son divin Maître. En effet, il ne dit pas : Commandez que je marche sur les eaux, mais : " Commandez que je vienne à vous. " Il est évident qu’après avoir montré par le premier miracle qu’il vient d’opérer que la mer lui est soumise, il en fait maintenant un plus grand et plus admirable encore : " Et Jésus lui dit : Venez. " Et Pierre, descendant de la barque, marchait sur l’eau pour aller à Jésus. — Que ceux qui prétendent que le corps dit Seigneur n’est pas véritable, parce qu’il a marché comme une substance aérienne et légère sur les eaux qui cèdent si facilement, expliquent comment Pierre a pu marcher sur ces mêmes eaux, bien qu’ils soient obligés de reconnaître en lui un homme véritable. — Rab. Théodore a soutenu aussi que le corps du Seigneur était sans pesanteur, et qu’il avait marché sur la mer sans peser sur elle ; mais cette opinion est contraire à la foi catholique ; car saint Denis a écrit que Notre-Seigneur marchait sur l’eau sans que ses pieds fussent mouillés, bien qu’ils fussent pesants et matériels comme tous les corps (liv. des Noms divins, chap. 1.)

S. Chrys. (hom. 51.) Pierre, qui vient de triompher de la plus grande difficulté en marchant sur les eaux de la mer, se laisse troubler par un obstacle beaucoup moindre, par le souffle du vent. " Mais, voyant la violence du vent, " etc. Telle est la nature humaine, elle déploie souvent un courage admirable au milieu des grandes épreuves, et elle faiblit dans les circonstances ordinaires. Cette crainte qu’éprouve Pierre, montre la différence qui séparait le maître du disciple, et en même temps elle calmait la jalousie des autres Apôtres. Car s’ils furent contrariés de la demande faite par les deux frères de s’asseoir à la droite du Sauveur (Mt 20), ils l’eussent été bien davantage de la fermeté avec laquelle saint Pierre eût marché sur les eaux. Ils n’étaient pas encore remplis de l’Esprit saint, ce n’est que plus tard que devenus tout spirituels, ils accordent en toute circonstance la primauté à Pierre, et lui donnent la première place dans toutes leurs assemblées. — S. Jér. Dieu laisse un peu d’action à la tentation, pour augmenter la foi de Pierre, et lui faire comprendre que ce qui l’a sauvé du danger, ce n’est point la prière qu’il lui adresse si facilement, mais la puissance divine. Sa foi était vive, mais la fragilité humaine l’entraînait dans l’abîme.

S. Aug. (serm. 13 sur les paroles du Seig.) Pierre mit donc sa confiance dans le Seigneur, et le Seigneur lui rendit le pouvoir qu’il lui avait accordé, il chancela par suite de la faiblesse de l’homme, mais il revint aussitôt au Seigneur. " Et lorsqu’il commençait à enfoncer, il s’écria, " etc. Est-ce que le Seigneur laisserait chanceler celui dont il a entendu la prière ? " Et aussitôt Jésus étendant la main, " etc.

S. Chrys. (hom. 51.) Jésus ne commande pas aux vents de s’apaiser, mais il étend la main pour le soutenir, parce qu’il fallait que pierre fit preuve de foi. Lorsque tous nos moyens humains font défaut, c’est alors que Dieu fait paraître sa puissance. Et pour le convaincre que ce n’est pas la violence du vent, mais son peu de foi qui l’a mis en danger, il lui dit : " Homme de peu de foi, pourquoi avez-vous douté ? " Preuve que le vent n’aurait pu rien contre lui, si sa foi avait été plus ferme. Notre-Seigneur Jésus-Christ fait ici ce que fait la mère qui voit le petit oiseau sortir du nid avant d’être assez fort, et sur le point de tomber, elle le prend sur ses ailes, et le reporte dans son nid. " Et lorsqu’il fut monté dans la barque, ceux qui étaient là se jetèrent à ses pieds, en disant : Vous êtes vraiment le Fils de Dieu. " — Rab. Paroles qu’on peut entendre des matelots ou des Apôtres. — S. Chrys. (hom. 51.) Voyez comme il les conduisait tous par degrés vers ce qui est plus élevé. Il a commandé précédemment à la mort, mais sa puissance paraît bien plus grande lorsqu’il marche sur la mer, qu’il commande à un autre d’en faire autant, et qu’il le sauve du danger qui le menace. Aussi s’empressent-ils de reconnaître sa divinité : " Vous êtes vraiment le Fils de Dieu, " ce qu’ils n’avaient pas fait auparavant. — S. Jér. En voyant Jésus rendre à la mer par un seul signe le calme qu’elle ne recouvre ordinairement qu’après de violentes secousses, les matelots et les passagers le proclament le vrai I"ils de Dieu. Pourquoi donc Anus ose-t-il enseigner dans l’Église qu’il n’est qu’une créature ? —

S. Aug. (serm. 14 sur les par. du Seig.) Dans le sens mystique, la montagne, c’est l’élévation ; mais qu’y a-t-il dans l’univers de plus élevé que le ciel ? Or, notre foi connaît celui qui monte au ciel. Mais pourquoi y monte-t-il seul ? Parce que personne ne monte au ciel que celui qui est descendu du ciel (Jn 3). Lors même qu’à la fin des temps il viendra pour nous faire monter avec lui jusqu’au ciel, il y montera seul encore, car la tête avec le corps ne forment qu’un seul Christ. Maintenant le chef seul y est monté, et pour prier, parce qu’il y est monté afin d’intercéder pour nous. — S. Hil. (can. 14.) Il est seul vers le soir, figure de l’abandon où il doit être au temps de sa passion lorsque la crainte aura dispersé tous ses disciples. — S. Jér. Il monta encore seul sur la montagne, parce que la foule ne peut s’élever avec lui vers les choses sublimes, avant qu’il ne l’ait enseigné près de la mer, sur le rivage. — S. Aug. (serm. 14 sur les par. du Seig.) Cependant dans le temps où le Christ prie sur la montagne, la barque est agitée sur la mer par une violente tempête, et les vagues qui la couvrent peuvent la submerger. Dans cette barque, vous devez voir l’Église, et dans cette mer agitée, le monde présent. — S. Hil. (can. 14.) Il ordonne à ses Apôtres de monter dans la barque, et de traverser le détroit pendant qu’il congédie la foule, et, après l’avoir renvoyée, il monte sur la montagne ; c’est-à-dire au sens figuré, qu’il nous commande de rester dans le sein de l’Église et de voguer sur la mer du monde jusqu’au temps où il reviendra dans la gloire pour sauver les restes d’Israël et leur pardonner leurs péchés. Après avoir renvoyé le peuple d’Israël, ou plutôt après l’avoir admis dans le royaume céleste, il s’assiera dans sa gloire et dans sa majesté en rendant à Dieu le Père d’éternelles actions de grâces. Mais en attendant, les disciples sont le jouet des vents et de la mer, et livrés à ces agitations du monde que soulève contre eux l’esprit du mal. — S. Aug. (serm. 14 sur les par. du Seig.) Lorsqu’un homme qui joint à une volonté impie une grande puissance, cherche à persécuter l’Église, c’est la mer en furie qui se soulève contre la barque du Christ. — Rab. Aussi est-ce avec raison que l’Évangéliste nous représente la barque au milieu de la mer, tandis que Jésus est seul sur la terre, car souvent l’Église gémit sous le poids de telles afflictions, que le Seigneur paraît l’avoir abandonnée pour un moment.

S. Aug. (serm. 14 sur les paroles du Seigneur.) Le Seigneur vint trouver ses disciples battus par les flots, à la quatrième veille, c’est-à-dire vers la fin de la nuit, car la veille est de trois heures et la nuit est divisée en quatre veilles. — S. Hil. La première veille fut celle de la loi ; la seconde, celle des prophètes ; la troisième, celle de l’avènement corporel du Sauveur ; la quatrième sera celle de son retour dans la gloire. — S. Aug. (serm. 14 sur les paroles du Seigneur.) Il vient à la quatrième veille de la nuit, lorsque la nuit touche à sa fin, et c’est aussi à la fin du monde, lorsque la nuit de l’iniquité aura disparu, qu’il viendra juger les vivants et les morts. Il vient les trouver d’une manière merveilleuse ; les flots se soulevaient, mais il les foulait aux pieds ; ainsi, quel que soit le soulèvement des puissances de ce monde, leur tête orgueilleuse se trouve foulée aux pieds de celui qui est notre tête. — S. Hil. (can. 14.) Lorsque le Christ reviendra à la fin des temps, il trouvera l’Église fatiguée et comme assiégée de tous côtés, et par l’esprit de l’Antéchrist, et par les agitations du monde entier. Et comme les fourberies de l’Antéchrist inspireront aux fidèles une juste défiance contre toute nouveauté, ils seront effrayés même de l’avènement du Seigneur, craignant d’être le jouet de fausses représentations et de fantômes destinés à tromper les yeux. Mais le bon Maître dissipera toutes leurs craintes en leur disant : " C’est moi, " et par la foi qu’ils auront en son avènement, il les délivrera du naufrage qui les menace. — S. Aug. (Quest. évang., liv. 1, quest. 14.) Ou bien les disciples, en croyant que c’est un fantôme, sont la figure de ceux qui se sont laissé vaincre par le démon et qui douteront de l’avènement du Christ. Pierre, au contraire, qui implore le secours du Seigneur pour ne pas être submergé, représente l’Église qui, après la dernière persécution, aura encore besoin d’être purifiée par quelques tribulations, vérité qu’exprime l’apôtre saint Paul, lorsqu’il dit : " Il ne laissera pas d’être sauvé, mais comme par le feu. " (1 Co 3.) — S. Hil. Ou bien encore Pierre qui, de tous ceux qui sont dans la barque, est le seul pour oser adresser la parole au Seigneur et lui demander l’ordre d’aller à lui sur les eaux, semble prédire les dispositions de son âme au temps de la passion, alors que s’attachant aux pas du Sauveur, il voulut le suivre jusqu’à la mort. Mais la crainte qui s’empare de lui annonce aussi la faiblesse qu’il a montrée dans cette épreuve, lorsque la crainte de la mort le porta jusqu’à renier son divin Maître. Le cri qu’il jette exprime les gémissements de sa pénitence. — Rab. Le Seigneur jeta sur lui un regard et le convertit ; il étendit la main et lui accorda le pardon de sa faute ; et c’est ainsi que ce disciple trouva le salut qui ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. — S. Hil. Jésus n’accorda pas à Pierre le pouvoir de venir jusqu’à lui ; il se contenta de le soutenir en lui tendant la main, et en voici la raison : c’est que lui seul devait souffrir pour tous les hommes et pouvait les délivrer de leurs péchés, et il ne veut partager avec personne l’oeuvre du salut qu’il accomplit seul pour l’universalité du genre humain. — S. Aug. (serm. 13 et 14 sur les paroles du Seigneur.) Dans ce seul apôtre (c’est-à-dire dans pierre, le premier, le chef du collège apostolique et qui figure l’Église), nous sont représentées les deux classes d’hommes : les forts, lorsqu’il marche sur les eaux ; les faibles, lorsque le doute s’empare de son âme. La tempête, c’est la passion qui domine chacun de nous. Vous aimez Dieu ? Vous marchez sur la mer et vous foulez aux pieds la crainte du monde. Vous aimez le monde ? Il vous submerge. Mais lorsque votre cœur est agité par les flots des passions, si vous voulez en triompher, invoquez la divinité du Sauveur.

Remi. Le Seigneur viendra certainement à votre secours, lorsqu’après avoir apaisé les flots des tentations, il vous donnera l’espoir d’échapper au danger par la protection dont il vous couvre ; c’est ce qu’il fera aux approches de l’aurore, car, lorsque la fragilité humaine, comme assiégée par les épreuves, considère son peu de force, elle ne voit que ténèbres autour d’elle, mais si alors elle élève sa pensée vers le secours qui vient d’en haut, elle aperçoit aussitôt le lever du jour qui éclaire toute la veille du matin. — Rab. Il n’est point étonnant que le vent cesse au moment où le Seigneur monte dans la barque, car toutes les guerres s’apaisent bientôt dans tout cœur où le Seigneur est présent par sa grâce. — S. Hil. (can. 14.) Le calme que Jésus rend aux vents et à la mer est une figure de cette paix et de cette tranquillité éternelles qu’il doit rendre à 1’Église en revenant dans sa gloire. Et comme cet avènement sera beaucoup plus éclatant que le premier, tous s’écrient pleins d’admiration : " Vous êtes vraiment le Fils de Dieu, " car tous proclameront alors d’une manière absolue et publique que le Fils de Dieu descendu sur la terre non plus dans l’humilité de la chair, mais au milieu de là gloire dont il est environné dans les cieux, a rendu la paix à son Église. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 14.) Nous voyons encore ici une figure de la manifestation éclatante qu’il fera de lui-même à ceux qui marchent ici-bas dans la foi et qui le verront alors tel qu’il est.

 

vv. 34-36.

Remi. L’Évangéliste nous a fait connaître précédemment l’ordre donné par le Seigneur à ses disciples de monter dans la barque et de le devancer au delà du détroit. Il continue son récit et nous apprend où ils abordèrent après cette traversée : " Et ayant traversé le lac, ils vinrent dans la terre de Génézareth.

Rab. La terre de Genezar, qui s’étend sur les bords du lac de Génézareth, tire son nom de la nature même du lieu. Ce nom vient d’un mot grec qui signifie s’engendrant à elle-même le vent, parce que la surface du lac, toujours ridée, produit une brise continuelle.

S. Chrys. L’Évangéliste nous apprend que ce fut après une longue absence que Jésus vint dans ce pays, en ajoutant : " Et lorsqu’ils le connurent, " etc. Ils apprirent son arrivée par la renommée et non en le voyant de leurs yeux, quoique certainement par suite des grands miracles qu’il opérait dans ces contrées, un grand nombre de personnes le connaissaient de vue. Et voyez quelle est la foi de ces habitants de la terre de Génézareth : ils ne se contentent pas de la guérison de ceux qui vivent au milieu d’eux ; mais ils envoient aux villes d’alentour pour les presser d’accourir toutes au souverain médecin. — S. Chrys. Ils ne l’entraînent plus dans leurs maisons comme auparavant et ne lui demandent plus d’imposer les mains, mais ils méritent ses faveurs par une foi plus grande : " Et ils lui présentèrent tous les malades, le priant qu’il leur permît seulement de toucher le bord de son vêtement. " Cette femme qui souffrait d’une perte de sang leur avait enseigné cette haute sagesse, qu’en touchant seulement la frange des vêtements du Christ ils seraient sauvés. On voit d’après cela que l’absence du Sauveur non-seulement ne leur fit point perdre la foi, mais au contraire la rendit plus vive, et c’est par la vertu de cette foi qu’ils furent tous sauvés : " Et tous ceux qui le touchaient étaient guéris. " — S. Jér. Si nous connaissions la signification du mot Génézareth dans notre langue, nous comprendrions comment, sous cette figure des Apôtres et de leur barque, Jésus veut nous représenter l’Église qu’il fait aborder au rivage après l’avoir sauvée du naufrage et qu’il fait reposer dans le port, à l’abri de toute agitation. — Rab. Genezar signifie le principe de la naissance ; or, nous jouirons d’une tranquillité entière et parfaite quand Jésus-Christ nous rendra l’héritage du ciel et le vêtement de joie que nous avions porté autrefois. — S. Hil. Ou bien, dans un autre sens, les temps de la loi étant expirés et cinq mille hommes d’Israël entrés dans l’Église, le peuple des croyants sauvé par la foi, quoique sorti de la loi, présente au Seigneur ce qui lui reste d’infirmes et de malades, qui tous désirent toucher les franges de ses vêtements, et doivent être sauvés par la foi. Mais de même que les franges pendent du vêtement tout entier, ainsi la vertu de l’Esprit saint sortait de Jésus-Christ, et cette vertu communiquée aux Apôtres, comme sortis eux-mêmes du même corps, guérit tous ceux qui désirent s’en approcher. — S. Jér. ou bien encore, par cette frange de la robe, vous pouvez entendre les plus petits commandements ; celui qui les transgresse sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux ; ou bien encore le corps qu’il a revêtu pour nous faire parvenir jusqu’au Verbe de Dieu. — S. Chrys. Pour nous, non-seulement nous pouvons toucher le vêtement ou la frange de Jésus-Christ, mais même son corps qu’il nous donne à manger. Or, si ceux qui touchèrent seulement la frange de son vête. ment en ressentirent une influence si salutaire, que n’éprouverons. nous pas, nous qui le recevons tout entier ?

 

CHAPITRE XV.

vv. 1-6.

Rab. Les habitants de Génézareth et les esprits les plus simples croient en Jésus-Christ, tandis que ceux qui paraissent sages à leurs propres yeux viennent pour lui livrer combat, selon ces paroles : Vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, et vous les avez révélées aux petits. " C’est ce que 1’Évangéliste veut exprimer lorsqu’il dit : " Alors des scribes et des pharisiens, qui étaient venus de Jérusalem s’approchèrent de Jésus. " S. Aug. (De l’accord des Evang., 2, 49.) Saint Matthieu a disposé l’ordre de son récit de manière que ces paroles : " Alors des scribes et des pharisiens s’approchèrent, " etc., servent à la fois de transition et indiquent la suite chronologique des événements.

S. Chrys. (hom. 52.) L’Évangéliste nous marque ici le temps pour dévoiler l’excès de leur méchanceté sans égale, car ils choisissent pour l’attaquer le moment où il vient de faire une multitude de miracles et de guérir les malades par le seul contact de la frange de sa robe. Ces scribes, ces pharisiens viennent de Jérusalem ; ce n’est pas qu’ils ne fussent disséminés dans toutes les tribus, mais ceux qui habitaient la métropole étaient pires que les autres à cause des grands honneurs qui leur étaient rendus et de l’orgueil excessif qui en était la suite. — Remi. Ils sont doublement coupables, parce qu’ils venaient de Jérusalem, la ville sainte, et parce qu’ils étaient les anciens du peuple et les docteurs de la loi et que leur intention n’était pas de consulter le Sauveur, mais de trouver à le reprendre : " Et ils lui dirent : Pourquoi vos disciples violent-ils la tradition des anciens ? " — S. Jér. Étonnante folie des pharisiens et des scribes ! Ils reprochent au Fils de Dieu de ne point garder les traditions et les préceptes des hommes. — S. Chrys. (hom. 54.) Voyez comme ils sont pris dans leurs propres paroles : ils ne demandent point pourquoi transgressent-ils la loi de Moïse, mais pourquoi violent-ils les traditions des anciens ? preuve évidente que les prêtres introduisaient un grand nombre de nouveautés, malgré cette défense de Moïse : " Vous n’ajouterez rien aux paroles que je vous dis aujourd’hui et vous n’en retrancherez rien. " C’est alors qu’ils devaient s’affranchir de ces pratiques, qu’ils se liaient par un plus grand nombre de vaines observances, parce qu’ils craignaient qu’on ne vînt leur enlever l’autorité souveraine, et qu’ils voulaient se rendre redoutables en leur qualité de législateurs.

Remi. — Quelles étaient ces traditions ? Saint Marc nous l’apprend : Les pharisiens et tous les Juifs ne mangent point qu’ils ne se lavent fréquemment les mains. " (Mc 7.) Voilà pourquoi ils adressent ce reproche aux disciples de Jésus : " Ils ne lavent pas leurs mains. " — Bède (sur S. Matth.) Comme ils entendaient les paroles des prophètes dans un sens charnel, ils n’observaient ce précepte que Dieu donne par Isaïe : " Lavez-vous et soyez purs " qu’en lavant leurs corps, et ils avaient donc établi qu’on ne pouvait manger qu’après s’être lavé les mains. — S. Jér. On doit se laver les mains, c’est-à-dire purifier les oeuvres non du corps, mais de l’âme, pour qu’elles puissent accomplir la parole de Dieu. — S. Chrys. (hom. 52.) Les disciples mangeaient sans s’être lavé les mains, parce qu’ils rejetaient les observances superflues pour ne s’attacher qu’au nécessaire ; ils ne se croyaient obligés ni à se laver, ni à ne se pas laver les mains, et ils pratiquaient l’un et l’autre suivant les occasions. Car, comment auraient-ils pu attacher de l’importance à une semblable tradition, eux qui n’avaient même aucun souci de la nourriture qui leur était nécessaire ? — Remi. Ou bien ce que les pharisiens reprochent aux disciples du Seigneur n’est pas de manquer à l’usage reçu de se laver les mains lorsqu’il eu est besoin, mais de ne pas observer ici les coutumes inutiles, introduites par les traditions des anciens (cf. Mc 7).

S. Chrys. (hom. 52.) Jésus-Christ n’excuse pas directement ses disciples ; mais, prenant le rôle d’accusateur, il fait voir aux scribes et aux pharisiens que ce n’est pas à ceux qui se rendent coupables de fautes énormes qu’il appartient de reprendre les fautes légères que peuvent commettre les autres. Mais il leur répondit : Pourquoi vous-mêmes violez-vous le commandement de Dieu ? " etc. Il ne dit pas que ses disciples font bien pour ne pas donner aux. Juifs occasion de les calomnier ; mais il ne les blâme pas non plus, pour ne point paraître approuver leurs traditions Il n’accuse pas non plus les anciens, ce qu’ils auraient repoussé comme un outrage, mais il reprend ceux qui sont venus le trouver, tout en blâmant indirectement les anciens qui avaient établi cette tradition. " Et vous, pourquoi violez-vous les commandements de Dieu pour votre tradition ? " — S. Jér. C’est-à-dire : Comment, vous violez les Commandements de Dieu pour une tradition tout humaine, et vous reprochez à mes disciples d’attacher peu d’importance aux prescriptions des anciens pour observer les commandements de Dieu ? car Dieu a fait ce commandement : " Honore ton père et ta mère. " Cet honneur dont parle l’Écriture consiste moins en marques de déférence, de respect, que dans l’assistance et dans les secours effectifs qu’on leur donne : " Honorez les veuves qui sont vraiment veuves, " dit saint Paul (1 Tm 5), honneur qu’il faut entendre des secours qui leur sont donnés. Dieu, en faisant ce commandement, avait eu en vue les Infirmités, l’âge ou l’indigence des parents, et voulait que les enfants honorassent leurs parents en leur procurant les choses nécessaires à la vie (cf. Ex 20 ; Dt 5 ; Qo 3). — S. Chrys. (hom. 52.) Dieu a voulu montrer combien les parents devaient être honorés par leurs enfants, en sanctionnant ce précepte par la récompense et par le châtiment. Mais Notre-Seigneur, passant sous silence la récompense promise à ceux qui honorent leurs parents, c’est-à-dire une longue vie sur la terre, s’arrête de préférence à ce qui est de nature à les effrayer, c’est-à-dire au châtiment, pour inspirer une vive crainte aux uns et convertir les autres. C’est pour cela qu’il ajoute : " Que celui qui aura outragé son père ou sa mère soit puni de mort. " Il leur prouve par là qu’ils sont vraiment dignes de mort ; car si celui qui outrage de paroles son père ou sa mère est puni de mort, combien plus méritez-vous ce châtiment, vous qui les outragez par vos actions. Et non-seulement vous manquez à l’honneur qui est dû à vos parents, mais encore vous enseignez aux autres à le leur refuser. Comment donc osez-vous accuser mes disciples, vous qui ne méritez pas même de vivre ?

Notre-Seigneur leur fait connaître la manière dont ils violent ce commandement de Dieu, en ajoutant : " Mais vous, vous dites : Quiconque aura dit à son père ou à sa mère : Tout don que j’offre de mon bien, tourne à votre profit. " — S. Jér. Les scribes et les pharisiens, voulant détruire cette loi divine et providentielle, pour couvrir leur impiété sous l’apparence de la religion, enseignèrent aux enfants dénaturés que s’ils avaient l’intention de consacrer à Dieu, qui est le Père véritable, ce qui était destiné à leurs parents, ils devaient préférer ce sacrifice aux secours que leur père et leur mère avaient droit d’attendre d’eux. — La Glose. Voici donc le sens de ces paroles : Ce que j’offre à Dieu vous servira aussi bien qu’à moi ; vous ne devez donc pas prendre pour votre usage ce qui m’appartient, mais permet que je l’offre à Dieu. — S. Jér. Ou bien il est probable que les parents, dans la crainte d’encourir le crime de sacrilège, n’osaient prendre ce qu’ils voyaient consacré à Dieu, et qu’ils étaient réduits à la dernière pauvreté ; il arrivait ainsi que l’offrande faite par les enfants sous le prétexte du temple et de Dieu, tournait au profit des prêtres. La Glose. Le sens serait donc celui-ci : Quiconque, c’est-à-dire dire vous, jeunes gens, qui aura dit (ou qui aura pu dire, ou qui dira) à son père ou à sa mère : Mon père, le don que j’offre à Dieu de mon bien, tournera à votre profit, servira à votre usage ; c’est-à-dire vous ne devez pas le prendre, pour ne pas vous rendre coupable de sacrilège. Ou bien encore, on peut dire, en suppléant à ce qui manque : Quiconque dira à son père, etc., sous-entendez, accomplira le commandement de Dieu, ou accomplira la loi, ou sera digne de la vie éternelle. — S. Jér. On peut encore donner cette explication abrégée : Vous forcez les enfants de dire à leurs parents : Le don que j’allais offrir à Dieu, je l’emploie par là même à votre entretien, et il tourne à votre profit, mon père et ma mère ; mais non, il n’en est pas ainsi. — La Glose. Et c’est ainsi que par suite des conseils que lui aura donnés votre avarice, ce fils n’aura aucun respect pour son père et sa mère, comme il le dit en propres termes : Et il n’honorera ni son père ni sa mère, " comme s’il disait : Voila les mauvais conseils que vous donnez aux enfants, et vous êtes cause que ce fils, plus tard, ne rendra ni à son père ni à sa mère l’honneur qu’il leur doit. C’est ainsi que ce commandement de Dieu qui fait un devoir aux enfants d’assister leurs parents, vous l’avez rendu inutile à cause de votre tradition en servant les intérêts de votre avarice. — S. Aug. (contre l’ennemi de la loi et des prophètes, 2, 1) Jésus-Christ nous montre ainsi avec évidence, que c’est la loi de Dieu même dont l’hérétique fait l’objet de ses blasphèmes, et que les Juifs ont des traditions étrangères aux livres prophétiques, et que l’Apôtre appelle des fables profanes et des contes de vieilles femmes (1 Tm 4.) — S. Aug. (cont. Faust., 16, 24.) Notre-Seigneur nous enseigne ici plusieurs choses, d’abord qu’il ne détournait pas les Juifs du Dieu qu’ils adoraient ; et que bien loin de violer lui-même ses commandements, il condamnait ceux qui se rendaient coupables de cette transgression, et qu’enfin ce n’était que par Moïse qu’il avait donné ces préceptes. — S. Aug. (Quest. évang., 1, 15.) Ou bien dans un autre sens : " Le présent que j’offre de mon bien tournera à votre profit, " c’est-à-dire : Le présent que vous offrez pour moi, vous appartiendra désormais ; paroles qui signifient que les enfants n’avaient plus besoin des sacrifices que leurs parents offraient pour eux, lorsqu’ils étaient arrivés à l’âge où ils pouvaient les offrir eux-mêmes. Parvenus à cet âge, où ils pouvaient tenir ce langage à leurs parents, les pharisiens niaient qu’ils fussent coupables de manquer à l’honneur qu’ils leur devaient.

 

vv. 7-11.

S. Chrys. (hom. 52.) Le Seigneur vient de prouver aux pharisiens qu’ils n’avaient pas droit d’accuser ceux qui transgressaient la tradition des anciens, alors qu’ils violaient eux-mêmes la loi de Dieu. Il établit encore la même vérité par le témoignage du prophète : " Hypocrites, leur dit-il, Isaïe a bien prophétisé de vous. " — Rem. Un hypocrite est un homme qui feint, qui simule, et qui affecte de paraître au dehors tout autre qu’il n’est au fond du cœur. C’est avec raison qu’il les appelle hypocrites, eux, qui sous prétexte d’honorer Dieu, ne cherchaient qu’à amasser les biens de la terre. — Rab. Isaïe a prévu cette hypocrisie des Juifs qui les porterait à combattre artificieusement l’Évangile ; et c’est pour cela qu’il a dit au nom du Seigneur : " Ce peuple m’honore des lèvres, " etc. — Remi. Le peuple juif paraissait s’approcher de Dieu, et l’honorer des lèvres et de la bouche ; car il se faisait gloire de n’adorer qu’un seul Dieu ; mais son cœur s’éloigna de lui, parce qu’après avoir vu tant de prodiges et de miracles, il ne voulut ni reconnaître sa divinité, ni le recevoir. — Rab. Ils l’honoraient des lèvres, lorsqu’ils disaient : " Maître, nous savons que vous êtes vrai ; " mais leur cœur était bien loin de lui, lorsqu’ils envoyèrent des hommes pour lui tendre des pièges et le surprendre dans ses discours. — La Glose. Ou bien ils l’honoraient en recommandant les purifications extérieures et légales, mais comme ils n’avaient point la pureté intérieure, leur cœur était loin de Dieu, et l’honneur qu’ils lui rendaient était sans fruit pour eux, comme l’ajoute le Sauveur : " Et c’est en vain qu’ils m’honorent, enseignant des maximes et des ordonnances humaines. " — Rab. Ils n’auront point de part à la récompense des vrais adorateurs, eux qui enseignent des doctrines et des préceptes purement humains, au mépris des commandements qui viennent de Dieu.

S. Chrys. (hom. 52.) Après avoir donné un nouveau poids à l’accusation dirigée contre les pharisiens, en l’appuyant de l’autorité du prophètes sans qu’il ait pu les amener à de meilleurs sentiments, il cesse de leur parler, et il s’adresse au peuple : " Puis, ayant appelé le peuple, il leur dit : Écoutez, et comprenez bien ceci. " Comme il doit exposer à la foule une vérité élevée et pleine de sagesse, avant de l’énoncer, il prépare les esprits à la recevoir, en témoignant d’abord des égards et de la sollicitude pour ce peuple ; ce que l’Évangéliste nous indique par ces paroles : " Puis, ayant appelé le peuple. " Les circonstances sont d’ailleurs on ne peut plus favorables pour ce qu’il valeur dire ; car ce n’est qu’après avoir ressuscité des morts et triomphé des pharisiens qu’il propose sa loi pour la faire plus facilement accepter. Il ne se contente pas d’appeler la foule, mais il la rend plus attentive par ces paroles : " Entendez, et comprenez, " c’est-à-dire prêtez votre attention, et élevez votre esprit pour comprendre mes paroles. Il ne leur dit pas : Il ne faut pas faire de distinction entre les aliments, ou c’est à tort que Moïse a prescrit cette distinction ; mais, puisant ses preuves dans la nature même des choses, il parle sous forme d’avertissement et de conseil, et il dit : " Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme, " etc. La traduction de saint Jérôme porte : Qui rend commun (cf. Mc 7, 15). — S. Jér. Le mot communicat est une expression particulière aux Écritures, et qui n’est point employé dans le langage ordinaire. Le peuple juif qui se vantait d’être l’héritage de Dieu, donnait le nom de nourriture commune ou impure aux viandes dont se nourrissent tous les hommes, comme la viande de porc, de lièvre, et d’autres animaux qui n’ont pas le sabot fendu, qui ne ruminent pas, et parmi les poissons, ceux qui n’ont point d’écailles. C’est dans ce sens que nous lisons dans les Actes des Apôtres (Ac 10) : " Ne regardez pas comme commun ce que Dieu a sanctifié. " Ainsi le mot commun, qui exprime ce qui est permis aux autres hommes, comme ne faisant point partie de l’héritage de Dieu, est pris ici dans le sens d’impur.

S. Aug. (cont. Faust., 6, 7.) L’Ancien Testament, qui défend certains aliments, n’est nullement en opposition avec ce que le Seigneur dit ici : " Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille, " ni avec ces autres paroles de l’Apôtre : " Tout est pur pour ceux qui sont purs " (Tt 1), et encore : " Toute créature de Dieu est bonne. " (1 Tm 4.) Que les Manichéens, s’ils le peuvent, comprennent que l’Apôtre a voulu parler ici des substances considérées en elles-mêmes, tandis que la sainte Écriture, pour établir certaines figures qui étaient en rapport avec le temps, considère certains animaux comme impurs, non pas de leur nature, mais par la signification qui s’y trouve attachée. Ainsi, par exemple, que l’on demande si le porc et l’agneau sont purs de leur nature, il faudra répondre affirmativement, parce que " toute créature de Dieu est bonne. " Mais si on les considère sous un certain rapport significatif, l’agneau est pur, le porc ne l’est pas. Il en est de même pour les mots fou et sage : l’un et l’autre sont purs, si on les considère dans le son de la voix qui les prononce, aussi bien que dans les lettres et les syllabes qui les composent ; mais considérés dans leur signification, le nom de fou, peut recevoir la qualification d’impur, non pas dans sa nature, mais parce qu’il signifie quelque chose d’impur. Peut-être aussi que le fou est dans l’ordre des réalités ce que le porc est dans l’ordre des figures. Ainsi cet animal et ce mot latin de deux syllabes (stultus), que nous traduisons par fou, auraient une seule et même signification ; car la loi répute le porc immonde, parce qu’il ne rumine pas, ce qui tient à sa nature, et n’est point un vice en lui. Il est des hommes qui sont figurés par cet animal, et qui sont impurs par leur propre faute et non par nature, parce qu’après avoir écouté volontiers les leçons de la sagesse, ils n’y pensent plus en aucune façon. Car si après avoir reçu des enseignements utiles, vous les rappelez comme des entrailles de votre mémoire, et que vous reportiez la douceur de ce souvenir comme dans la bouche de la pensée, que faites-vous en cela, que ruminer spirituellement ? Ceux qui agissent différemment sont figurés par les animaux impurs. Or, cette multitude de choses qui nous sont proposées ou dans des expressions allégoriques, ou dans des observances figuratives, font sur les esprits raisonnables une douce et salutaire impression. Mais un grand nombre de ces choses étaient pour le peuple juif autant de préceptes qu’il devait non seulement écouter, mais encore mettre en pratique. C’était le temps où les mystères, dont Dieu réservait la révélation aux siècles qui suivirent, devaient être prophétisés non-seulement par des paroles, mais encore par des faits. Lorsque plus tard ces mystères ont été révélés par le Christ, et dans le Christ, ces observances n’ont pas été imposées comme un joug aux nations qui embrassèrent la foi, mais l’autorité de la prophétie qu’elles contenaient a conservé toute sa force. Or, je demanderai aux Manichéens si cette maxime du Seigneur : Ce qui entre dans la bouche ne souille pas, " est vraie ou fausse ; s’ils prétendent qu’elle est fausse, pourquoi leur docteur Adimantus, qui reconnaît qu’elle vient de Jésus-Christ, s’en fait une arme pour battre en brèche l’Ancien Testament ? Si elle est vraie, comment peuvent-ils admettre contre sa déclaration que la nourriture souille l’homme ?

S. Jér. Un lecteur attentif pourra nous faire cette difficulté : " Si ce qui entre dans la bouche de l’homme ne le souille pas, pourquoi ne pas manger des viandes offertes aux idoles ? Nous répondons que les aliments et toute créature de Dieu sont purs par eux-mêmes ; mais que l’invocation des idoles et des démons rend impures ces viandes immolées aux idoles pour ceux qui les mangent avec la conviction qu’ils font un acte idolâtrique, et ainsi leur conscience qui est faible, en est souillée, suivant la parole de l’Apôtre (1 Co 8). — Remi. Mais celui qui est doué d’une foi assez grande pour comprendre que ce que Dieu a créé ne peut être souillé en aucune manière, sanctifie sa nourriture par la prière et par la parole de Dieu, et il peut manger ce qu’il voudra, à moins, toutefois, que cette liberté ne devienne un scandale pour les personnes faibles, comme le fait remarquer le même Apôtre.

 

vv. 12-14.

S. Jér. Une seule parole du Sauveur vient de détruire toute cette superstition des observances légales auxquelles tenaient tant les Juifs, persuadés que toute leur religion consistait à prendre telle nourriture ou à rejeter telle autre. — S. Chrys. (hom. 52.) Les pharisiens, ayant entendu la doctrine que Jésus vient d’enseigner, n’osent plus le contredire, car il les avait fortement convaincus non-seulement en repoussant leurs accusations, mais encore en dévoilant leurs fourberies, mais ils furent scandalisés (les pharisiens et non le peuple). " Alors les disciples s’approchant lui dirent : Savez-vous bien que les pharisiens, ayant entendu ce que vous venez de dire, s’en sont scandalisés ? — S. Jér. Comme le mot scandale est souvent employé dans la sainte Écriture, il nous faut expliquer en peu de mots ce qu’il signifie. Nous croyons pouvoir le définir, une pierre d’achoppement, une cause de chute ou un choc des pieds. Lors donc que nous lisons : " Quiconque aura scandalisé, " nous devons l’entendre dans ce sens : Celui qui en paroles ou en action aura été pour son frère une occasion de chute ou de ruine.

S. Chrys. (hom. 52.) Notre-Seigneur Jésus-Christ ne cherche pas à faire disparaître le scandale des pharisiens ; au contraire, il donne un nouveau cours à ses reproches : " Toute plante que n’a pas plantée mon Père céleste sera arrachée. " Les Manichéens prétendent qu’il veut parler ici de la Loi, mais cette opinion se trouve réfutée par ce qu’il a dit plus haut ; car, s’il avait ici la Loi en vue, comment aurait-il pris plus haut la défense de la Loi en leur disant : " Pourquoi transgressez-vous la loi de Dieu, à cause de votre tradition ? Comment aurait-il pu citer à l’appui l’autorité du prophète ? Si c’est Dieu qui a fait ce commandement : " Honorez votre père et votre mère, " comment ce précepte, qui fait partie de la Loi, ne serait-il pas la plantation de Dieu ? — S. Hil. (can. 14.) Donc ces paroles : " Toute plante qui n’a pas été plantée par mon Père céleste sera arrachée, " signifient que toute tradition humaine qui sert de prétexte à la violation de la loi doit être arrachée et rejetée. — Remi. Toute fausse doctrine, toute observance superstitieuse ne peuvent avoir de durée non plus que leurs auteurs, et comme elles ne viennent pas du Père, elles seront déracinées avec eux ; celle-là seule demeurera qui a été plantée par Dieu le Père. — S. Jér. Est-ce que cette plantation dont l’Apôtre a dit : " J’ai planté, Apollon a arrosé " serait aussi déracinée ? La réponse à cette question se trouve dans les paroles suivantes : " C’est Dieu qui a donné l’accroissement ". L’Apôtre ajoute encore : " Vous êtes le champ que Dieu cultive, vous êtes l’édifice que Dieu bâtit, " et dans le même verset : " Nous sommes les coopérateurs de Dieu ; " or, si nous sommes ses coopérateurs, donc lorsque Paul plante et qu’Apollon arrose, c’est Dieu qui plante et arrose avec ses coopérateurs. Ceux qui soutiennent le système de plusieurs natures différentes abusent de ce passage en disant : " Si la plantation que n’a pas faite le Père doit être arrachée, donc celle qu’il a faite ne sera jamais déracinée. " Jérémie leur répond : " Je vous ai planté comme une vigne choisie, comment êtes-vous devenus pour moi une vigne étrangère et pleine d’amertume ? " Dieu a planté, il est vrai, et personne ne peut déraciner ce qu’il a plante ; mais, comme cette plantation a ses racines dans le libre arbitre, aucun autre ne pourra la déraciner si elle ne donne son consentement. — La Glose. Ou bien cette plantation signifie les docteurs de la loi et leurs disciples, qui n’avaient pas Jésus-Christ pour fondement. Le Sauveur donne la raison pour laquelle ils seront déracinés : " Laissez-le ; ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles. " — Ils sont aveugles, c’est-à-dire privés de la lumière des commandements de Dieu, et ils sont conducteurs d’aveugles parce qu’ils entraînent les autres dans le précipice ; ils suivent eux-mêmes les sentiers de l’erreur et ils y égarent les autres. (1 Tm 3.) C’est pour cela qu’il ajoute : " Si un aveugle conduit un autre aveugle, ils tombent tous deux dans la fosse. " — S. Jér. C’est le commandement que l’Apôtre avait fait à son disciple : " Fuyez celui qui est hérétique après le premier ou le second avertissement, en vous rappelant qu’un tel homme est perverti. " (Tt 3.) C’est dans le même sens que le Sauveur nous ordonne d’abandonner les docteurs de mensonge à leur volonté dépravée, convaincu qu’il était qu’on ne pouvait que difficilement les ramener à la vérité.

 

vv. 15-20.

Remi. Notre-Seigneur avait l’habitude de parler en paraboles. Pierre, ayant donc entendu ces paroles : " Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme, " crut que c’était une expression parabolique ou figurée, et il fit au Sauveur la question suivante : " Expliquez-nous cette parabole. " Il parlait ainsi au nom de tous ; aussi le Seigneur fait tomber le reproche à la fois sur lui et sur les autres : " Et vous aussi, vous êtes encore sans intelligence ? — S. Jér. Le Sauveur fait un reproche à Pierre de regarder comme une parabole une vérité exprimée clairement, sans la moindre figure. Apprenons de là qu’on n’est pas un bon disciple lorsqu’on veut entendre avec clarté ce qui est obscur, ou regarder comme obscur ce qui est d’une clarté évidente. — S. Chrys. (hom. 52.) Ou bien le Seigneur le reprend, parce que ce n’était pas pour dissiper ses doutes que Pierre l’interrogeait, mais parce qu’il se scandalisait comme les pharisiens. Le peuple, en effet, n’avait pas compris ce qu’avait dit le Sauveur ; mais pour les disciples, ils en avaient été scandalisés. Aussi avaient-ils voulu d’abord l’interroger comme au nom des pharisiens ; mais ils en furent empêchés par cette grande vérité qu’ils entendent sortir de la bouche de Jésus : " Toute plante que mon Père n’a pas plantée sera arrachée, " etc. Mais Pierre, dont l’ardeur éclate partout, ne peut garder le silence. Aussi Jésus le reprend vivement et motive ainsi ses reproches : " Vous ne comprenez donc pas que ce qui entre dans la bouche descend dans le ventre et est jeté ensuite au lieu secret ? "

S. Jér. Il en est qui ont pris occasion de ces paroles pour reprocher au Seigneur d’avoir ignoré les lois physiques de la nutrition en pensant que tous les aliments descendent dans le ventre et sont jetés ensuite dans un lieu secret, tandis que la nourriture, soumise immédiatement à une espèce de dissolution, est distribuée dans les membres, dans les veines, dans les nerfs et jusque dans la moëlle des os. Mais ils doivent savoir aussi que lorsque les aliments ont subi, sous l’action d’un fluide délié, une opération qui les rend liquides et qu’ils ont été comme cuits et digérés dans les membres, ils descendent vers les parties inférieures du corps, que les Grecs appellent pores, et sont jetés ensuite dans un lieu secret. — S. Aug., (De la vraie relig., chap. 40.) Les aliments, après qu’ils ont été soumis à la dissolution et qu’ils ont perdu leur forme, sont distribués dans toutes les parties du corps et y deviennent des éléments réparateurs. Le mouvement vital les sépare en deux parties distinctes : l’une, parfaitement préparée, sert à développer l’admirable organisation de notre corps ; l’autre, dépouillée de tout principe nutritif, est rejetée par les canaux destinés à cet usage. Ainsi une partie, la plus grossière, est rendue à la terre pour y prendre de nouvelles formes ; une autre se sécrète et s’exhale par tous les pores du corps ; une autre enfin se répand dans toute l’économie intérieure du corps humain et devient un des principes de la génération.

S. Chrys. En parlant de la sorte à ses disciples, Notre-Seigneur se conforme encore aux idées imparfaites du judaïsme, il dit : La nourriture ne reste pas, mais elle s’en va, bien qu’elle ne pût souiller, même en restant dans le corps. Mais ils ne pouvaient encore comprendre cette doctrine, car Moïse leur avait ordonné de se considérer comme impurs tant que la nourriture était dans leurs entrailles, et de se laver et de se purifier le soir, qui est comme le temps où la digestion est faite et où le corps se débarrasse du reste des aliments. — S. Aug. (De la Trinité, 15, 18.) Le Seigneur, sous une même dénomination, a compris deux sortes de bouches dans l’homme : la bouche du corps et la bouche de l’âme. Dans ces paroles : " Tout ce qui entre dans la bouche, " etc., il ne peut être question que de la bouche du corps, tandis que c’est de la bouche du cœur que Notre-Seigneur veut parler dans le passage suivant : " Ce qui sort de la bouche part du cœur, et c’est ce qui souille l’homme. " — S. Chrys. (hom. 52.) Les choses qui sont au fond du cœur restent dans l’homme et le souillent non-seulement lorsqu’elles y restent, mais surtout lorsqu’elles en sortent ; c’est pour cela qu’il ajoute : " C’est du cœur que sortent les mauvaises pensées. " Il met les mauvaises pensées en première ligne, parce que c’était le vice particulier des Juifs qui lui tendaient des embûches. — S. Jér. La faculté principale de l’âme n’est donc pas, comme le veut Platon, dans le cerveau, mais dans le cœur, d’après Jésus-Christ, et cette doctrine condamne l’opinion de ceux qui prétendent que les pensées nous sont suggérées par le démon et ne sont pas le fruit de notre propre volonté. Le démon peut devenir l’auxiliaire et le fauteur des mauvaises pensées, mais non pas en être l’auteur. Car bien que cet ennemi, qui se tient toujours en embuscade, puisse développer par son souffle l’étincelle de nos pensées et en produire un grand incendie, nous devons en conclure non pas qu’il scrute les secrets cachés de notre cœur, mais que sur l’apparence extérieure et d’après nos actions, il conjecture ce qui se passe au fond de notre âme. Ainsi, par exemple, s’il nous voit jeter souvent les yeux sur une femme d’un extérieur agréable, il comprend que notre cœur a été blessé par ces regards de la flèche d’un amour coupable.

La Glose. Les pensées mauvaises produisent aussi les mauvaises actions et les paroles coupables défendues par la loi. C’est pour cela que Notre-Seigneur ajoute les homicides que la loi proscrit par ce commandement : " Vous ne tuerez pas ; " les adultères et les fornicateurs par cet autre : " Vous ne commettrez pas d’adultère ; " les vols, par celui-ci : Vous ne déroberez pas ; " les faux témoignages, par cet autre : Vous ne ferez pas de faux témoignage contre votre prochain ; " les blasphèmes enfin, par ce précepte : " Vous ne prendrez pas le nom de Dieu en vain. "

Remi. Après avoir énuméré les vices que défend la loi divine, le Seigneur ajoute avec raison : " Voilà ce qui souille l’homme, " c’est-à-dire qui le rend immonde et impur. — La Glose. Et, comme pour développer cette doctrine, il a pris occasion de la méchanceté des pharisiens qui préféraient leurs traditions aux préceptes divins, il conclut en insistant sur le peu de raison de cette tradition : " Mais manger sans avoir lavé ses mains ne souille pas l’homme. " — S. Chrys. (homélie 52.) Il ne dit pas : Manger les viandes défendues par la loi ne souille pas l’homme, pour ne point soulever de nouvelles contradictions ; il ne comprend dans sa conclusion que ce qui avait été l’objet de la discussion.

 

vv. 22-28.

S. Jér. Notre-Seigneur laisse là les Juifs, les pharisiens et les calomniateurs et il se rend dans le pays de Tyr et dans celui de Sidon pour étendre ses bienfaits jusqu’aux habitants de cette contrée : " Et Jésus, étant parti de là, se retira dans le pays de Tyr et de Sidon. "

Remi. Tyr et Sidon étaient des villes habitées par des Gentils ; Tyr était la métropole des Chananéens, Sidon était situé sur les frontières de leur pays, du côté du nord. — S. Chrys. (hom. 53.) Remarquons que c’est au moment qu’il affranchit les Juifs des observances qui leur interdisaient certaines nourritures, qu’il ouvre aux Gentils la porte de l’Évangile. C’est ainsi que Pierre reçut dans une vision l’ordre de s’affranchir de cette loi, et qu’il fut envoyé immédiatement vers le centurion Corneille (Ac 10.) Si l’on demande pourquoi le Sauveur, qui avait dit à ses disciples : Vous n’irez pas vers les nations, " y a été lui-même, nous répondrons d’abord qu’il n’était pas soumis aux préceptes qu’il donnait à ses disciples, et, en second lieu, qu’il n’y alla point pour prêcher 1’Évangile, mais pour y chercher une retraite, puisque saint Marc nous apprend (Mc 7) qu’il désirait que personne ne le sût.

Remi. Il y alla aussi pour faire sentir les effets de sa bonté aux habitants de Tyr et de Sidon, c’est-à-dire pour délivrer du démon la fille de cette pauvre femme et confondre, par l’exemple de sa foi, la méchanceté des scribes et des pharisiens. C’est cette femme, dont l’Évangéliste dit : " Voici qu’une femme chananéenne, qui était sortie de ce pays, " etc. — S. Chrys. (hom. 53.) Il nous fait remarquer qu’elle était Chananéenne pour nous faire voir l’efficacité de la présence de Jésus-Christ dans cette contrée. Les Chananéens, en effet, qui avaient été chassés de la Judée dans la crainte qu’ils ne vinssent à pervertir les Juifs, font ici preuve d’une plus grande sagesse en sortant de leur pays et en venant trouver Jésus-Christ. Or, cette femme, en s’approchant de Jésus, n’implore que sa miséricorde. Elle se met à crier à haute voix : " Ayez pitié de moi, Seigneur, fils de David. "

La Glose. Nous voyons ici la grande foi de la Chananéenne ; elle reconnaît un Dieu dans celui qu’elle appelle son Seigneur, elle confesse en même temps son humanité en l’appelant fils de David. Elle avoue qu’elle n’a aucun droit, aucun mérite, c’est la seule miséricorde de Dieu qu’elle implore en disant : " Ayez pitié de moi, " car la douleur de la fille est la douleur de la mère. Pour toucher davantage le cœur du Seigneur, elle lui fait le tableau du malheur qui l’afflige : " Ma fille est misérablement tourmentée par le démon " paroles qui découvrent au médecin les plaies qu’il doit guérir et qui lui font connaître la grandeur et la nature du mal : sa grandeur, lorsqu’elle dit : " Elle est tourmentée misérablement ; " sa nature, lorsqu’elle ajoute : " Par le démon. "

S. Chrys. (hom. 17 sur divers textes de S. Matth.) Voyez la sagesse de cette femme : elle n’a pas été trouver les hommes qui auraient pu la tromper ; elle n’a point eu recours à de vaines amulettes ; mais, abjurant toutes les pratiques du culte des démons, elle vient trouver le Seigneur. Elle ne s’adresse pas à Jacques, elle ne choisit pas Jean pour médiateur, elle ne vient pas trouver Pierre ; elle se couvre de la protection du repentir et accourt seule se jeter aux pieds du Sauveur. Mais quel résultat inattendu ! elle prie, elle fait retentir l’air de ses lamentations et de ses cris, et ce Dieu si bon, si tendre pour les hommes, ne lui répond pas un mot, comme le rapporte l’Évangéliste : " Et il ne lui répondit pas un mot. " — S. Jér. Ce n’est point sans doute par orgueil, comme les pharisiens ; ce n’est point par arrogance, comme les scribes, mais pour ne point paraître contredire cet ordre qu’il avait donné : " Vous n’irez point vers les nations. " Il ne voulait pas donner lieu à la calomnie et il réservait aux temps qui devaient suivre sa passion et sa résurrection la parfaite conversion des Gentils. — La Glose. S’il diffère de l’exaucer, s’il ne lui répond pas, c’est pour faire éclater la patience et la persévérance de cette femme. Disons encore que c’est pour donner lieu à la médiation des Apôtres et nous apprendre ainsi la nécessité de l’intercession des saints pour obtenir les grâces que nous demandons : " Et ses disciples s’approchant de lui, le priaient, " etc. — S. Jér. Les disciples, qui ne connaissaient pas encore la conduite mystérieuse du Sauveur, le priaient pour cette Chananéenne, soit par un sentiment de compassion soit par le désir de se débarrasser de ses importunités.

S. Aug. (De l’acc. des Evang., 2, 49.) Il semblerait qu’il y a ici une certaine contradiction entre le récit de saint Matthieu et celui de saint Marc, qui raconte que cette femme vint trouver Notre-Seigneur dans une maison où il se trouvait alors. Or, on peut dire que saint Matthieu n’a point parlé de cette circonstance, tout en racontant le même fait ; mais comme il rapporte que les Apôtres ont dit au Seigneur : " Renvoyez-la, parce qu’elle crie après nous, " il paraît indiquer clairement que cette femme adressait ses supplications au Seigneur en marchant à sa suite. Saint Marc, de son côté, raconte que cette femme entra dans la maison où était Jésus, parce qu’il avait dit précédemment que le Sauveur était dans cette maison, tandis que saint Matthieu, en disant : " Il ne lui répondit pas, " donne à entendre ce que ni l’un ni l’autre n’ont rapporté, que Jésus sortit de la maison en gardant le silence, et ainsi tout le reste se lie parfaitement sans l’ombre même de contradiction.

S. Chrys. (hom. 53.) Je présume que les disciples furent attristés du malheur de cette femme, cependant ils n’osèrent dire au Seigneur : " Accordez-lui cette grâce, " ils se contentent de lui dire : " Renvoyez-la. " C’est ainsi que souvent, lorsque nous voulons amener quelqu’un à notre sentiment, nous lui disons le contraire de ce que nous désirons. " Jésus leur répondit : Je ne suis envoyé qu’aux brebis de la maison d’Israël. " — S. Jér. Il ne dit pas d’une manière absolue qu’il n’est pas envoyé aux Gentils, mais il déclare qu’il a été envoyé premièrement au peuple d’Israël, et, ce peuple rejetant l’Évangile qui lui était offert, c’était avec justice que Dieu en faisait part aux Gentils. Remi. Il est aussi envoyé particulièrement pour le salut des Juifs, en ce sens qu’il devait les enseigner lui-même visiblement et en personne. — S. Jér. C’est avec intention qu’il dit : " Aux brebis perdues de la maison d’Israël, " pour nous faire comprendre qu’il est ici question de cette brebis égarée dont il parle dans une autre parabole. (Lc 15.) — S. Chrys. (hom. 53.) Mais lorsque cette femme vit que les Apôtres ne pouvaient rien pour elle, elle devînt impudente de la bonne sorte et saintement hardie ; car elle n’avait osé d’abord se présenter devant lui, comme l’indiquent ces paroles des disciples : " Elle crie après nous, " et c’est au moment où il semble qu’elle va se retirer dans de mortelles angoisses, qu’elle s’approche de plus près : " Mais elle s’approcha de lui et l’adora. " — S. Jér. Remarquez que cette Chananéenne commence par appeler à plusieurs reprises le Sauveur, Fils de David, puis ensuite, Seigneur, et qu’elle finit par l’adorer comme Dieu. — S. Chrys. (hom. 53.) Aussi ne lui dit-elle pas : " Priez ou intercédez auprès de Dieu, " mais " Seigneur, secourez-moi. " Mais plus cette femme multiplie ses supplications, plus aussi Jésus multiplie ses refus. Ce n’est plus le nom de brebis, mais celui d’enfants, qu’il donne aux Juifs ; tandis qu’il ne donne à cette femme que le nom de chienne. " Et il lui répondit : Il n’est pas bon, " etc. — La Glose. Les enfants, ce sont tes Juifs engendrés et nourris par la loi dans le culte d’un seul Dieu ; le pain, c’est l’Evangile, les miracles, et tout ce qui concourt à notre salut. Or, il n’est pas convenable que toutes ces grâces soient enlevées aux enfants et données aux Gentils qui sont ici désignés par les chiens, jusqu’à ce que les Juifs aient rejeté les biens qui leur sont offerts. — Rab. Les Gentils sont appelés chiens à cause de leur idolâtrie, parce que semblables aux chiens qui se nourrissent de sang et qui dévorent les cadavres, ils sont atteints d’une espèce de rage.

S. Chrys. (hom. 53.) Admirez ici la prudence de cette femme : ni elle n’ose contredire le Sauveur, ni elle ne s’attriste des louanges qu’il donne aux autres, ni elle ne se laisse abattre par cette parole, outrageante. Mais elle répliqua : " Il est vrai, Seigneur ; mais les petits chiens mangent au moins des miettes qui tombent de la table de leur maître. " Jésus lui avait dit : Il n’est pas juste ; " elle répond : " Il est vrai, Seigneur. " Il appelle les Juifs les enfants, elle enchérit et les appelle maîtres. Il lui a donné le nom de chienne, elle ajoute à cette qualification en rappelant ce que font les chiens, et semble dire au Sauveur : Si je suis un chien, je ne suis point étrangère. Vous me donnez le nom de chien, nourrissez-moi donc comme un chien, je ne puis m’éloigner de la table de mon Maître. — S. Jér. Quel exemple de foi, de patience, d’humilité dans cette femme ; de foi, elle croit fermement que sa fille peut obtenir sa guérison ; de patience, si souvent rebutée, elle continue de prier ; d’humilité, elle se compare, non pas aux chiens, mais aux petits des chiens : " Je sais, dit-elle, que je ne suis pas digne de manger le pain des enfants, ni de recevoir une portion entière, ni de m’asseoir à table avec le père de famille ; mais je me contente des restes que l’on donne aux petits chiens, afin de m’élever par l’humilité de ces miettes jusqu’à l’honneur de m’asseoir à la table où on sert le pain tout entier. — S. Chrys. (hom. 53.) Voici la raison du retard que Jésus mettait à l’exaucer : il savait qu’elle lui tiendrait ce langage, et il ne voulait pas qu’une si grande vertu demeurât cachée, " Alors Jésus, lui répondant, lui dit : O femme, votre foi est grande, qu'il vous soit fait comme vous le désirez. " Ne semble-t-il pas lui dire : " Votre foi mériterait d'obtenir bien davantage, mais en attendant, qu'il vous soit fait comme vous le désirez. " Remarquez ici la part considérable qui revient à cette femme dans la guérison de sa fille. Aussi Jésus ne lui dit pas : " Que votre fille soit guérie, " mais : " Votre foi est grande, qu'il vous soit fait comme vous le désirez, " pour vous apprendre qu'elle parlait avec simplicité, sans flatterie, et que sa prière était animée par la foi la plus vive. Or, cette parole du Sauveur est semblable à cette autre que Dieu prononça au commencement du monde : Que le firmament soit fait, et il fut fait ; " car l'Évangéliste ajoute : " Et sa fille fut guérie. " Remarquez encore qu'elle obtient elle-même ce que les Apôtres n'ont pu obtenir, tant la prière persévérante a de puissance ! Dieu, en effet, aime mieux que nous le prions beaucoup nous-mêmes pour nos péchés, que d'avoir recours aux prières des autres.

Remi. Nous avons encore ici un exemple de la nécessité d'instruire et de baptiser les enfants. Cette femme, en effet, ne dit pas : " Sauvez ma fille, ou secourez-la, " mais : " Ayez pitié de moi, et secourez-moi. " De là est venue, dans l'Église, la coutume que les fidèles engagent leur foi pour leurs enfants, alors que ceux-ci n'ont ni l'âge ni la raison pour l'engager eux-mêmes à Dieu ; et de même que c'est par la foi de cette femme que sa fille fut guérie, de même aussi c'est par la foi des parents catholiques que les péchés sont remis à leurs enfants.

Dans le sens allégorique, cette femme est la figure de la sainte Église, formée et rassemblée de toutes les nations. Le Seigneur, en abandonnant les scribes et les pharisiens pour venir dans le pays de Tyr et de Sidon, figurait l'abandon où il devait laisser les Juifs pour porter l'Évangile aux Gentils. Cette femme a passé les frontières de son pays, de même la sainte Église a quitté ses anciennes erreurs et ses vices d'autrefois. — S. Jér. Cette fille de la Chananéenne, ce sont les âmes des fidèles cruellement tourmentées par le démon, alors qu'elles étaient privées de la connaissance de leur Créateur et qu'elles adoraient des idoles de pierre. — Remi. Les enfants, ce sont les patriarches et les prophètes de ce temps-là ; la table figure la sainte Écriture ; les miettes, les préceptes secondaires, ou les mystères intérieurs dont se nourrit la sainte Église ; les croûtes de pain, les préceptes extérieurs et charnels qu'observaient les Juifs. Les miettes sont mangées sous la table, parce que l'Église se soumet avec humilité à l'accomplissement des préceptes divins. — Rab. Les petits chiens ne mangent pas les croûtes, mais les miettes du pain des enfants. Ainsi lorsque ceux qui étaient l'objet du mépris parmi les nations se convertissent à la foi, ils ne cherchent pas l'écorce de la lettre dans les saintes Écritures, mais le sens spirituel qui peut hâter leur progrès dans les bonnes œuvres.

S. Jér. Quel étonnant changement s'est opéré ! Autrefois les Israélites étaient les enfants et nous étions les chiens ; mais la foi si différente dans les uns et dans les autres a changé cette dénomination. Plus tard, alors que s'accomplissait ce mystère au temps de la passion, il est dit des Juifs : " Un grand nombre de chiens dévorants m'ont entouré. " Pour nous, au contraire, nous avons entendu avec la Chananéenne cette parole : " Votre foi vous a sauvée. " — Rab. C'est à juste titre que le Sauveur déclare que cette foi est grande ; car sans avoir été ni pénétrés des enseignements de la loi, ni instruits par les oracles des prophètes, les Gentils ont obéi à la prédication des Apôtres aussitôt qu'ils ont entendu leur voix, et ont ainsi mérité la grâce du salut. Mais si le Seigneur diffère d'accorder le salut d'une âme aux premières larmes de l'Église suppliante, il ne faut ni désespérer, ni cesser de demander, mais redoubler de persévérance dans la prière.

S. Aug. (Quest. évang., 1, 16 ou 17.) Le serviteur du centurion et la fille de la Chananéenne ont été guéris sans que le Seigneur soit entré dans leurs maisons, et figurent les nations, qui, sans être visitées extérieurement par Jésus-Christ, seront sauvées par sa parole. C'est à la prière du centurion et de la Chananéenne que leurs enfants sont guéris, et ils sont en cela la figure de l'Église, qui est tout à la fois pour elle-même et la mère, et les enfants ; car la réunion de tous ceux qui composent l'Église, porte le nom de mère, et chacun des membres reçoit le nom d'enfant. — S. Hil. Ou bien encore, cette femme, qui franchit les frontières de son pays, est la figure des prosélytes ; elle sort du milieu des nations, pour venir au milieu d'un peuple qui lui est étranger ; elle prie pour sa fille, c'est-à-dire pour le peuple des Gentils, soumis à la domination des esprits immondes, et comme la loi lui a fait connaître le Seigneur, elle l'appelle fils de David. — Rab. Disons encore que celui dont la conscience est souillée de la tache du péché a sa fille tourmentée cruellement par le démon ; de même celui qui empoisonne ses bonnes œuvres par le venin du péché, a également sa fille agitée par les fureurs de l'esprit impur, et ils doivent tous deux avoir recours aux prières et aux larmes, et réclamer le recours et l'intercession des saints.

 

vv. 29-31.

La Glose. Après avoir guéri la fille de la Chananéenne, Notre-Seigneur retourne dans la Judée : " Jésus, étant sorti de là, vint le long de la mer de Galilée. " — Remi. Cette mer porte différents noms ; elle s'appelle mer de Galilée, parce qu'elle est proche de la Galilée, et mer de Tibériade, parce que la ville de Tibériade est bâtie sur ses bords.

" Et, étant monté sur la montagne, il s'y assit. " — S. Chrys. (hom. 83.) Remarquons que tantôt le Sauveur parcourt le pays pour guérir les malades, tantôt il s'assied pour les attendre. C'est donc avec raison que l'Évangéliste ajoute : " Et de grandes troupes de peuple vinrent le trouver. " — S. Jér. Le mot grec κυλλους, que le traducteur latin a rendu par infirmes, ne signifie pas infirmitι en général, mais une infirmité particulière ; et de même qu'on appelle boiteux celui qui boite d'un pied, ainsi on appelle κυλλίς ou manchot celui qui est privι de l'usage d'une main. — S. Chrys. Or, ces infirmes manifestaient leur foi de deux manières et en gravissant la montagne, et en étant convaincus qu'il leur suffisait pour être guéris d'être jetés aux. pieds de Jésus. Ils ne cherchent pas encore à toucher la frange de ses vêtements, mais ils font preuve d'une foi plus grande, comme le remarque l'Évangéliste : " Et ils les mirent à ses pieds. " Il a guéri la fille de la Chananéenne après l'avoir fait longtemps attendre, pour faire éclater la vertu de cette femme, tandis qu'il guérit immédiatement tous ces infirmes, non pas qu'ils fussent meilleurs, mais afin de fermer la bouche aux Juifs incrédules : " Et il les guérit tous. " Le grand nombre de ceux qui étaient guéris, et la promptitude avec laquelle il les guérissait les jetaient dans l'étonnement, " de telle sorte, " dit le texte sacré, " que ces peuples étaient dans l'admiration en voyant les muets qui parlaient, " etc.

S. Jér. Il ne dit rien de ceux qui étaient estropiés, parce qu'il ne pouvait exprimer leur guérison en un seul mot.

Rab. Dans le sens mystique, Notre-Seigneur, après avoir donné une figure de la conversion des Gentils dans la guérison de la fille de la Chananéenne, vient dans la Judée, parce qu'en effet, après que la plénitude des nations sera entrée dans l'Église, tout Israël sera sauvé. " (Rm 11.) — La Glose. La mer, sur les bords de laquelle arrive Jésus, est la figure du trouble et de l'agitation de cette vie ; c'est la mer de Galilée, parce que les hommes passent de la pratique des vices a celle des vertus. — S. Jér. Il monte sur le sommet de la montagne comme l'oiseau qui provoque ses petits encore faibles à prendre leur essor. — Rab. C'est afin d'élever l'esprit de ses auditeurs jusqu'à la méditation des vérités sublimes et célestes. Il s'assied sur le sommet, pour nous montrer qu'on ne doit chercher le repos que dans les choses du ciel. Pendant qu'il est assis sur la montagne, c'est-à-dire dans la cité des cieux, une multitude de fidèles s'approchent de lui avec un saint empressement, conduisant avec eux les muets et les aveugles, " etc., et ils les mettent aux pieds de Jésus, parce que c'est à lui seul qu'ils présentent pour être guéris ceux qui confessent leurs péchés. La manière dont il les guérit excite l'admiration de la foule, et ils rendent gloire au Dieu d'Israël ; c'est ainsi que les fidèles chantent les louanges de Dieu, lorsqu'ils voient ceux dont l'âme était languissante et malade, s'enrichir des œuvres des vertus chrétiennes. — La Glose. Les muets sont ceux qui ne louent jamais Dieu ; les aveugles, ceux qui ne comprennent pas les voies de la véritable vie ; les sourds, ceux qui n'obéissent pas à sa parole ; les boiteux, ceux qui ne marchent pas droit dans le chemin du devoir ; les infirmes et les estropiés, ceux qui sont comme frappés d'impuissance par les bonnes œuvres.

 

vv. 32-38.

S. Jer. Notre Seigneur Jésus-Christ a commencé par rendre la santé aux infirmes, il nourrit maintenant ceux qu’il vient de guérir : Il réunit ses disciples et leur apprend ce qu’il va faire : " Et Jésus, " etc. Il agit ainsi pour enseigner aux maîtres, par son exemple, a communiquer leurs desseins à leurs inférieurs et à leurs disciples, et aussi pour que cet entretien rende plus éclatant le miracle qu’il va faire. — S. Chrys. (hom. 54.) Cette multitude, qui n’était venue que pour obtenir sa guérison, n’osait demander du pain ; mais Jésus, qui est l’ami des hommes et qui prend soin de tous, leur en donne sans attendre qu’ils en demandent : " J’ai compassion de ce peuple, leur dit-il. Et pour qu’on ne puisse pas dire qu’ils avaient apporté leur nourriture avec eux, il ajoute : " Car voilà trois jours qu’ils demeurent continuellement avec moi et ils n’ont rien à manger. " Quand même ils auraient eu des vivres avec eux lorsqu’ils arrivèrent, ils étaient déjà consommés ; aussi ne fait-il pas ce miracle le premier ou le second jour, mais le troisième, alors que toutes les provisions étaient épuisées, afin que le sentiment du besoin leur fit recevoir avec un désir plus ardent le prodige qu’il allait opérer. Il fait voir qu’ils étaient venus de loin et qu’il ne leur restait plus rien en disant : " Je ne veux pas les renvoyer qu’ils n’aient mangé. " Son intention est bien de les nourrir par un nouveau miracle ; cependant il en diffère l’exécution, car il veut, par cette question et par la réponse qui doit la suivre, rendre ses disciples plus attentifs et les forcer à manifester leur foi, en lui demandant de faire une nouvelle multiplication des pains. Mais quoique Jésus-Christ eût réuni dans le premier miracle les circonstances qui devaient en rendre toujours présent le souvenir à leur esprit, comme de distribuer eux-mêmes le pain, de recueillir les restes dans les corbeilles, cependant leurs dispositions étaient encore bien imparfaites, ainsi que le prouve la réponse qu’ils font à Jésus : " Comment pourrons-nous trouver, " etc. Cette réponse, qui indique une foi faible, met cependant à l’abri de tout soupçon le miracle qui va s’opérer. Car, afin qu’on ne puisse supposer que les provisions ont été apportées de quelque bourg voisin ; le miracle se fait dans la solitude, à une grande distance de tout endroit habité. Cependant, le Sauveur, pour élever leur âme, leur adresse une question dont la nature seule doit leur rappeler le premier miracle : " Et Jésus leur dit : Combien avez-vous de pains ? — Sept, lui dirent-ils. " Mais ils n’ajoutent pas comme la première fois : " Qu’est-ce que cela pour un si grand nombre ? " Ils avaient fait quelques progrès, quoiqu’il y eût encore bien des choses qu’ils ne pussent comprendre. Admirez toutefois leur amour pour la vérité ils ne songent pas, dans un récit dont ils sont les auteurs, à cacher leurs plus grands défauts ; car ce n’est pas une accusation ordinaire, ce n’est pas une faute légère que l’oubli si rapide d’un aussi grand prodige. Admirez encore un autre trait de leur sagesse : comme ils savent dompter le besoin de la faim, et ne se préoccupent guère des soins de la nourriture. Ils sont dans le désert et ils y restent trois jours, n’ayant seulement avec eux que sept pains. Notre-Seigneur suit la même marche que pour le premier miracle : il fait asseoir la foule sur la terre et multiplie les pains dans les mains de ses disciples : " Et il ordonna à la foule de s'asseoir, " etc. — S. Jér. Il est inutile de rappeler ici ce que nous avons dit plus haut ; arrêtons-nous seulement aux circonstances qui nous offrent quelque différence.

S. Chrys. (hom. 54.) Ces deux miracles ne se terminent pas de la même manière. Ils emportent ici sept corbeilles pleines des morceaux qui étaient restés. Or, ceux qui en mangèrent étaient au nombre de quatre mille hommes, " etc. Pourquoi les restes furent-ils moins considérables dans ce miracle que dans le premier, alors que ceux qui mangèrent étaient en plus petit nombre ? C'est peut-être que les corbeilles étaient plus grandes que les paniers, ou bien le Sauveur voulut-il que la différence de ces deux miracles en rendît le souvenir plus facile. Voilà pourquoi dans le premier il y avait autant de paniers que de disciples, tandis que dans celui-ci il y a autant de corbeilles qu'il y avait de pains.

Remi. Dans ce récit de l'Évangile, nous devons considérer la double opération de la divinité et de l'humanité dans Jésus-Christ. La compassion qu'il ressent pour ce peuple est une preuve qu'il a pris les sentiments de notre faible nature, et le miracle qu'il fait en multipliant les pains et en nourrissant cette multitude fait éclater en lui la toute-puissance divine. Ainsi se trouve renversée l'erreur d'Eutychès, qui ne voulait reconnaître en Jésus-Christ qu'une seule nature.

S. Aug. (De l’acc. des Evang., 2, 50.) Il n'est pas inutile de remarquer ici que si l'un des Évangélistes avait raconté ce miracle sans avoir rapporté, celui de la multiplication des cinq pains, on pourrait le supposer en contradiction avec les autres. Mais comme ce sont les mêmes qui ont raconté à la fois le miracle des cinq et celui des sept pains, il n'y a plus de difficulté et il faut admettre la vérité de ces deux miracles. Nous faisons cette remarque afin que lorsque l'on trouve dans un Évangéliste un fait de la vie de Notre-Seigneur qui paraît contredire dans une de ses circonstances un fait semblable raconté par un autre Évangéliste, sans qu'on puisse les concilier, on en conclue que ces deux faits distincts ont eu lieu et que l'un a été raconté par un Évangéliste et l'autre par un autre.

La Glose. Remarquons encore que Notre-Seigneur commence par guérir les infirmités et qu'il donne ensuite à manger à ceux qu'il a guéris, parce qu'en effet il faut d'abord faire disparaître les péchés de l'âme avant de la nourrir de la parole de vie. — S. Hil. (can. 13.) Ce peuple qu'il a nourri en premier lieu représentait les Juifs qui embrassèrent la foi ; ainsi cette nouvelle multitude est une figure du peuple des Gentils, et dans ces quatre mille personnes rassemblées nous voyons représentée cette multitude innombrable réunie des quatre parties du monde. — S. Jér. Nous ne comptons pas ici cinq mille personnes, mais quatre mille seulement. Le nombre quatre a toujours une signification heureuse : la pierre qui est carrée ne vacille pas, elle n'est point sujette à chanceler, et c'est pourquoi les Évangiles se trouvent consacrés par ce nombre quatre. Dans le miracle précédent, comme le chiffre de la multitude se rapproche du nombre des cinq sens, ce n'est pas le Seigneur qui paraît y faire attention, mais ses disciples ; ici, au contraire, c'est le Sauveur lui-même qui déclare qu'il a compassion de ce peuple qui depuis trois jours persévère avec lui, parce qu'en effet ils croyaient au Père, au Fils et au Saint-Esprit. — S. Hil. (can. 3.) Ou bien ils passent avec le Seigneur un temps égal à celui de sa passion ; ou bien encore, avant de recevoir le baptême, ils confessent qu'ils croient à sa passion et à sa résurrection ; ou bien enfin, par un mouvement de sympathique compassion, ils veulent jeûner tout le temps qu'a duré la passion du Seigneur. — Rab. Ou bien, dans un autre sens, cette circonstance nous rappelle les trois époques où, pendant toute la durée des siècles, la grâce nous est donnée ; la première avant la loi, la seconde sous la loi, la troisième sous la grâce, la quatrième s'accomplira dans le ciel dont la perspective ranime celui qui en fait le terme de tous ses efforts. — remi. Ou bien enfin, c'est qu'en faisant pénitence des péchés qu'on a commis, on se convertit au Seigneur dans les pensées, dans les paroles et dans les actions. Le Seigneur ne voulut pas renvoyer ce peuple sans qu'il eut mangé, de peur qu'il ne tombât en défaillance dans le chemin, car c'est ainsi que les pécheurs convertis par la pénitence sont exposés a périr dans le cours de cette vie qui passe, si on les renvoie privés de la nourriture de la sainte doctrine.

La Glose. Les sept pains sont les écrits du Nouveau Testament qui nous révèle et nous donne à la fois la grâce de l'Esprit saint. Ce ne sont point des pains d'orge, comme précédemment, parce que, dans le Nouveau Testament, l'aliment qui donne la vie n'est pas de même que sous la loi, enveloppé de figures, comme d'une paille qui adhère fortement. Nous n'avons point ici deux poissons, figure des deux seules personnes qui, sous la loi, recevaient l'onction sainte, le grand-prêtre et le roi, mais quelques poissons, figure des saints du Nouveau Testament, qui, arrachés aux flots du siècle, supportent les agitations de la mer et, nous ranimant par leur exemple, nous empêchent de défaillir dans le chemin.

S. Hil. Or, la multitude s'asseoit sur la terre, car elle n'avait pu se reposer sur aucune des œuvres de la loi, et elle tenait encore fortement à l'origine de son corps et à la source de ses péchés. — La Glose. Ou bien on peut dire que dans le premier miracle elle s'asseoit sur le gazon pour comprimer les désirs de la chair : ici elle est assise sur la terre, car il lui est ordonné d'abandonner le monde. La montagne sur laquelle le Seigneur nourrit ce peuple, c'est la hauteur du Christ. D'un côté, la terre est recouverte de gazon, parce que la hauteur du Christ s'y trouve recouverte, pour les hommes charnels, d'espérance et de désirs terrestres ; ici, au contraire, tout désir charnel est éloigné, et la fermeté d'une espérance permanente soutient les convives du Nouveau Testament. Là il y a cinq mille hommes, parce que les hommes charnels sont esclaves de leurs sens ; ici, quatre mille, figure des quatre vertus qui donnent à l'âme la vie spirituelle, c'est-à-dire la tempérance, la prudence, la force, la justice. De ces quatre vertus, la première donne la connaissance de ce qu'il faut rechercher et de ce qu'il faut éviter ; la deuxième met un frein à la cupidité des plaisirs des sens ; la troisième nous donne la fermeté pour supporter toutes les épreuves de la vie ; la quatrième, qui se répand dans toutes les autres, est l'amour de Dieu et du prochain. De part et d'autre, les femmes et les enfants ne sont point comptés, car, dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament, ceux qui ne peuvent atteindre l'état de l'homme parfait, soit par faiblesse, soit par légèreté d'esprit, ne peuvent être admis près du Seigneur. Ces deux collations ont eu lieu sur la montagne, car les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament nous rappellent à la fois la sublimité des préceptes divins et des récompenses célestes et proclament la grandeur et l'élévation du Christ. Quant aux mystères plus sublimes que la multitude ne peut comprendre, les Apôtres les soulèvent et les accomplissent, et ils sont en cela la figure des cœurs parfaits que la grâce de l'Esprit aux sept dons a remplis d'intelligence. Les corbeilles sont ordinairement faites avec des joncs et des feuilles de palmier ; elles représentent les saints qui enfoncent la racine de leur cœur dans la source même de la vie ; semblables au jonc dans l'eau, ils ne sont point exposés à se dessécher et ils portent dans leur cœur la palme de la récompense éternelle.

 

v. 39.

S. Chrys. (hom. 54.) Le Seigneur renvoie maintenant le peuple, comme il a fait après le miracle des cinq pains, et il ne prend pas pour se retirer le chemin de terre, mais il monte dans une barque pour que la foule ne puisse le suivre. " Après cela, Jésus ayant renvoyé la foule, monta dans une barque et vint sur les confins de Mageddan. — S. Aug. (De l'acc. des Evang., 2, 51.) Saint Marc (Mc 8) dit : " dans le pays de Dalmanutha ; " mais il est évident qu'il s'agit du même lieu, car, même dans plusieurs exemplaires de saint Marc, on ne trouve que le mot Mageddan. — Rab. Mageddan est un pays situé en face de Gerasam ; il signifie fruits ou nouvelles et il est une figure de ce jardin dont il est dit : " Jardin fermé, fontaine scellée, " (Ct 4) jardin qui produit les fruits des vertus et où le nom du Seigneur est annoncé. Cette interprétation apprend aux prédicateurs qu'après avoir distribué au peuple le pain de la parole sainte, ils doivent, dans le secret de leurs cœurs, reprendre de nouvelles forces en se nourrissant des fruits des vertus.

 

CHAPITRE XVI

vv. 1-4.

Remi. " Les pharisiens et les sadducéens s'approchèrent de lui, " etc. Etonnant aveuglement des pharisiens et des sadducéens ! Ils demandent un prodige dans le ciel, comme si les faits dont ils étaient témoins n'étaient pas de véritables prodiges. Saint Jean nous apprend (Jn 6) quelle espèce de miracle ils lui demandaient, en rapportant qu'après que Jésus eut nourri le peuple avec cinq pains, le peuple s'approcha de lui, et lui dit : " Quel miracle faites-vous, afin que nous le voyions et que nous croyions en vous ? " Nos pères ont mangé la manne dans le désert, ainsi qu'il est écrit : Il leur a donné à manger le pain du ciel. (Ps. 77.) C'est dans ce même sens que les pharisiens lui disent ici : " Faites-nous voir un prodige dans le ciel, " c'est-à-dire faites tomber la manne un ou deux jours de suite, afin que tout le peuple soit rassasié, comme cela s'est fait si longtemps dans le désert. Mais le Sauveur qui, comme Dieu, pénétrait leurs pensées, et savait bien qu'alors même qu'il ferait paraître à leurs yeux un prodige dans le ciel " ils ne croiraient pas davantage, ne voulut pas leur donner le signe qu'ils demandaient. " Il leur répondit : Le soir vous dites : Il fera beau, " etc. — S. Jér. Cette phrase manque dans plusieurs des exemplaires grecs. Le sens, d'ailleurs, en est clair, c'est-à-dire que d'après les phénomènes réguliers des éléments, on peut prédire d'avance le beau temps et les jours de pluie. Mais les scribes et les pharisiens qui paraissaient être les docteurs de la loi, ne pouvaient reconnaître dans les oracles des prophètes le temps de la venue du Christ. — S. Aug. (Quest. évang., 1, 20.) Ces paroles du Seigneur : " Le soir vous dites : Il fera beau, car le ciel est rouge, " peuvent signifier que la rémission des péchés est accordée dans le premier avènement par le sang que Jésus-Christ a versé dans sa passion ; et les autres : " Le matin vous dites : il y aura de l'orage aujourd'hui, car le ciel est d'un rouge sombre, " que dans le second avènement le Christ sera précédé par le feu. — La Glose. Ou bien dans un autre sens, le ciel est sombre et rougeâtre, c'est-à-dire les Apôtres auront à souffrir après ma résurrection, et vous pouvez savoir qu'après eux, je dois exercer mon jugement ; car si je n'épargne pas les souffrances à mes serviteurs, à plus forte raison ne les épargnerai-je pas aux autres un jour à venir.

" Vous savez donc discerner les différentes apparences du ciel, et vous ne savez pas reconnaître les signes des temps ? " — Rab. Ces signes des temps sont dans la pensée, du Seigneur, son avènement ou sa passion qui nous sont représentés par un ciel qui est rouge le soir ; et la tribulation qui précédera son second avènement, figurée par un ciel qui, le matin, est sombre et rougeâtre.

S. Chrys. (hom. 54.) De même que dans le ciel les signes qui annoncent le beau temps sont différents de ceux qui présagent la pluie, ainsi en est-il de ce qui me concerne. Maintenant, dans mon premier avènement, il est nécessaire que j'opère ces prodiges qui éclatent sur la terre, ceux qui auront le ciel pour théâtre sont réservés pour mon second avènement. Je suis venu actuellement comme un médecin alors je viendrai comme un juge. C'est pour cela qu'aujourd'hui je suis venu en voilant ma divinité ; alors je viendrai avec un grand éclat, et toutes les puissances du ciel seront ébranlées. Mais le temps de ces prodiges n'est pas encore arrivé ; car je suis venu pour mourir, et souffrir auparavant toutes les ignominies. Cette génération corrompue et adultère demande un prodige, et il ne lui sera pas donné. — S. Aug. (de l'accord des Evang.) Saint Matthieu a déjà rapporté ces mêmes paroles (Mt 12), ce qui doit nous convaincre que le Seigneur a souvent dit plusieurs fois la même chose ; et lorsque nous ne pouvons faire disparaître la contradiction qui existe entre deux récits, nous devons en conclure que ces paroles ont été dites dans deux circonstances différentes. — La Glose. Il les appelle génération corrompue et adultère, c'est-à-dire, n'ayant qu'une intelligence charnelle, incapable de comprendre les choses spirituelles. — Rab. Le Seigneur ne donnera donc point à cette génération qui le tente de prodige dans le ciel, comme ils le demandent, eux qu'il a rendus témoins de tant de prodiges sur la terre ; mais il réserve ces prodiges pour la génération de ceux qui cherchent le Seigneur (Ps 23, 6 ; Ps 99, 9.10), c'est-à-dire pour les Apôtres qui le virent monter au ciel, et auxquels il envoya l'Esprit saint.

S. Jér. Nous avons dit plus haut ce que signifie ce prodige de Jonas (Mt 12.) — S. Chrys. (hom. 54.) Or, les pharisiens qui entendaient cette réponse pour la seconde fois auraient dû interroger le Sauveur, et lui demander quel était le sens de ces paroles ? Mais ils se sont gardés de faire cette demande au Seigneur dans le désir de s'instruire. C'est pourquoi Notre-Seigneur se sépare d'eux. " Et, les laissant là, il s'en alla. " — Rab. C'est-à-dire ayant quitté cette mauvaise génération des Juifs, il passa au delà du lac, et le peuple des Gentils le suivit. Et remarquez qu'il n'est point dit qu'il se retira après avoir renvoyé le peuple comme dans les autres circonstances, mais qu'il les abandonna, parce que l'erreur de l'incrédulité s'était emparée de leurs esprits orgueilleux.

 

vv. 5-11.

La Glose. Notre-Seigneur avait abandonné les pharisiens en punition de leur incrédulité ; par une conséquence naturelle, il enseigne à ses disciples qu'ils doivent éviter leur doctrine. " Or, ses disciples étant passés au delà du lac, avaient oublié de prendre des pains. — Remi. Ils étaient si étroitement attachés à leur Maître, qu'ils ne pouvaient s'en séparer, même un instant. Remarquons encore combien les disciples de Jésus étaient loin de rechercher les délices de la vie, eux qui se préoccupaient si peu du nécessaire, qu'ils oubliaient même de prendre du pain, nourriture indispensable de notre faible nature.

" Il leur dit : Ayez soin de vous garder du levain des pharisiens, " etc. — S. Hil. Le Sauveur avertit ici les Apôtres de n'avoir aucun commerce avec la doctrine des Juifs ; car les œuvres de la loi n'avaient été ordonnées que pour recevoir leur accomplissement par la foi, et comme figure de ce qui devait se réaliser dans l'avenir. Ceux donc qui avaient le bonheur de vivre dans le temps où la vérité se manifestait sur la terre, devaient regarder comme désormais inutiles les figures de la vérité, de peur que la doctrine des pharisiens, qui ne connaissaient pas le Christ, ne vînt à corrompre les effets de la vérité de l'Évangile. — S. Jér. Celui qui se garde du levain des pharisiens cl des sadducéens, ne s'attache pas aux préceptes de la loi et de la lettre, et ne se met pas en peine des traditions humaines ; son unique souci c'est d'accomplir les commandements de Dieu. C'est là ce levain dont l'Apôtre a dit : " Un peu de levain corrompt toute la masse. " (1 Co 5 ; Ga 5.) Il faut à tout prix se garder d'un tel levain, qui est celui de Marcion, de Valentin, et de tous les hérétiques. Le levain a une force telle, que si on le mêle à la farine en petite quantité, il se développe bientôt, et communique la saveur qui lui est propre à toute la pâte à laquelle il se trouve mêlé ; il en est de même de la doctrine des hérétiques : quelque faible que soit l'étincelle qu'elle aura jetée dans votre cœur, vous la verrez bientôt produire un grand incendie qui envahit l'homme tout entier. — S. Chrys. (hom. 54.) Mais pourquoi le Sauveur ne leur dit-il pas ouvertement : " Gardez-vous de la doctrine des pharisiens ? " parce qu'il veut leur rappeler le miracle de la multiplication des pains qui vient d'avoir lieu. Il savait qu'ils l'avaient oublié, et comme il ne jugeait pas à propos de leur reprocher directement cet oubli, il profite de l'occasion qu'ils lui présentent pour leur rendre ce reproche plus supportable. C'est pour cela que l'Évangéliste nous dévoile ce qui se passait dans leur âme : " Et ils pensaient entre eux, et disaient : Nous n'avons pas pris de pains. " — S. Jér. Comment se fait-il qu'ils étaient sans pain, eux qui, après en avoir rempli sept corbeilles, montent dans la barque, viennent sur les frontières de Magedan et entendent Jésus leur dire pendant la traversée, qu'ils doivent se garder du levain des pharisiens et des sadducéens ? Nous répondons à cette question que l'Écriture affirme qu'ils avaient oublié de prendre des pains avec eux.

S. Chrys. (hom. 54.) Comme les Apôtres se traînaient encore dans l'attachement aux observances judaïques, Notre-Seigneur leur en fait un vif reproche dans la pensée d'être utile à tous les autres. " Ce que Jésus connaissant, il leur dit : Pourquoi vous entretenez-vous ensemble que vous n'avez point de pain, " hommes de peu de foi ? — La Glose. C'est-à-dire pourquoi pensez-vous que j'ai voulu parler de ces pains matériels, au sujet desquels vous ne devez avoir aucun doute après qu'un si petit nombre de pains a produit des restes si considérables ? — S. Chrys. (hom. 54.) Son dessein, ici, est de les affranchir de toute inquiétude pour la nourriture. Mais pourquoi ne leur a-t-il pas adressé ce reproche lorsqu'ils lui exprimèrent cette pensée de défiance : " Comment pourrons-nous trouver un si grand nombre de pains dans le désert ? " Il semble qu'il eût été mieux placé dans cette circonstance. Cependant Notre-Seigneur ne les reprend pas alors, pour ne point paraître prendre l'initiative des miracles qu'il opère, et aussi pour que le peuple ne fût pas témoin des reproches qu'il leur adressait. Ces reproches, d'ailleurs, furent bien plus motivés lorsque après le double miracle de la multiplication des pains, il les voit encore inquiets de leur nourriture. Mais voyez quelle douceur dans ce reproche. Il répond lui-même comme pour excuser ceux qu'il vient de reprendre, en ajoutant : " Ne comprenez-vous point encore, et ne vous souvient-il point que cinq pains ont suffi pour cinq mille hommes, et combien vous avez remporté de paniers ? et que sept pains ont suffi pour quatre mille hommes ? " etc. — La Glose. C'est-à-dire : " Est-ce que vous ne comprenez pas ce mystère ? Est-ce que vous n'avez pas conservé le souvenir de ma puissance ? " — S. Chrys. Il leur remet ainsi en mémoire les miracles qui avaient eu lieu, et les rend plus attentifs à ceux qui doivent suivre.

S. Jér. En leur adressant ce reproche ; " Pourquoi ne comprenez-vous pas ? " il veut leur apprendre en même temps ce que signifient les cinq pains, et ensuite les sept autres qui furent multipliés ; et encore les cinq mille hommes, et après les quatre mille qu'il nourrit dans le désert. Car si le levain des pharisiens et des sadducéens ne signifie pas le pain matériel, mais les traditions corrompues et les dogmes des hérétiques, pourquoi les pains qui servirent à nourrir le peuple de Dieu ne figureraient-ils pas la doctrine pure et véritable ? — S. Chrys. (hom. 54.) Si vous voulez connaître l'efficacité du reproche de Jésus sur ses disciples, et comment il réveilla leur âme endormie, écoutez ce que dit l'Évangéliste : " Ils comprirent alors qu'il ne leur avait pas dit de se garder du levain qu'on met dans le pain, mais de la doctrine des pharisiens et des sadducéens, " bien que Jésus ne leur ait pas donné cette explication. Le reproche du Seigneur les sépare des observances judaïques, leur fait secouer leur indifférence, les rend plus attentifs, et fortifie leur foi encore si faible. Et s'il leur arrive maintenant d'être presque sans pain, ils seront sans crainte, et apprendront à mépriser jusqu'aux nécessités de la vie.

 

vv. 13-19.

La Glose. Après avoir inspiré à ses disciples un profond éloignement pour la doctrine des pharisiens, Notre-Seigneur choisit ce moment favorable pour jeter dans leurs âmes les fondements profonds de la doctrine évangélique, et pour donner à son enseignement plus de solennité, l'Évangéliste nous désigne l'endroit où elle se passa : " Or, Jésus vint dans les environs de Césarée de Philippe. " Il ne dit pas simplement Césarée, mais Césarée de Philippe ; car il y a une autre ville de Césarée, celle de Straton. Ce n'est point dans celle-là, mais dans la première, que Jésus fait cette question à ses disciples ; il les emmène loin des Juifs, afin que, sans crainte aucune, ils disent librement ce qu'ils ont dans le cœur. — Rab. Ce Philippe était frère d'Hérode, il était tétrarque de l'Iturée et de la Trachonitide. Il avait appelé Césarée, en l'honneur de Tibère, la ville qui est maintenant connue sous le nom de Panéas.

La Glose. Le Sauveur veut confirmer ses disciples dans la foi, il commence donc par éloigner de leur esprit les opinions et les erreurs que d'autres pouvaient y avoir jetées. " Et il interrogea ses disciples en leur demandant : Que disent les hommes qu'est le Fils de l'homme ? " — Orig. En interrogeant ainsi ses disciples, il veut nous apprendre par leurs réponses qu'il y avait alors sur le Christ diverses opinions parmi les Juifs, et aussi nous faire rechercher nous-mêmes l'opinion que les hommes peuvent avoir de nous. S'ils en disent du mal, nous devons cesser d'y donner occasion, et s'ils en disent du bien, nous devons redoubler nos efforts pour mériter leur approbation. Les disciples des évêques doivent apprendre aussi, à l'exemple des Apôtres, à informer leurs supérieurs de ce qu'ils entendent dire au dehors sur leur personne.

S. Jér. L'expression dont il se sert : " Que disent les hommes qu'est le Fils de l'homme, " est parfaitement choisie, car ceux qui parlent du Fils de l'homme sont des hommes ; mais ceux qui comprennent sa divinité sont appelés, non pas des hommes, mais des dieux. — S. Chrys. (hom. 54.) Il ne leur demande pas : Que disent de moi les pharisiens et les scribes ? mais : " Que disent les hommes ? " Car il cherche à connaître la pensée du peuple, qui n'était pas tourné au mal. L'idée que le peuple avait du Christ était sans doute bien au-dessous de la réalité, mais au moins elle était pure de toute malice, tandis que l'opinion que les pharisiens se formaient de sa personne était pleine de méchanceté.

S. Hil. (can. 16 sur S. Matth.) " Que disent les hommes qu'est le Fils de l'homme ? " Il nous apprend par ces paroles que l'on doit voir en lui autre chose que ce qui paraît au dehors, car il était vraiment le Fils de l'homme. Quelle idée voulait-il donc qu'on eût de lui ? Non pas, sans doute, celle qu'il avait fait connaître lui-même ; la vérité qui faisait l'objet de cet examen était cachée, et c'est cette vérité que la foi des chrétiens doit embrasser. Or, telle doit être notre profession de foi : nous devons croire qu'il est le Fils de Dieu comme il est le Fils de l'homme ; car l'une de ces deux croyances, sans l'autre, ne peut en rien nous donner l'espérance du salut ; aussi est-ce avec intention qu'il dit : " Que disent les hommes du Fils de l'homme ? " — S. jér. Il ne dit pas : Que disent-ils que je suis, mais : " Que disent-ils qu'est le Fils de l'homme ? " pour éviter dans cette question toute apparence de recherche personnelle. Remarquons encore que partout où nous lisons dans l'Ancien Testament : Fils de l'homme, le texte hébreu porte : Fils d'Adam.

Orig. Les disciples rapportent les différentes opinions qu'on se formait du Christ, " Et ils lui répondirent : Les uns disent Jean-Baptiste, c'est-à-dire ceux qui partageaient l'opinion d'Hérode ; les autres, Élie, et ceux-là pensaient ou bien qu'Élie avait reçu une seconde naissance, ou que n'ayant point été autrefois soumis à la mort du corps, il se manifestait dans le temps présent ; les autres, Jérémie, que le Seigneur avait établi prophète parmi les nations, et ils ne comprenaient pas que Jérémie était la figure du Christ ; ou l'un des prophètes, pour une raison semblable, à cause des choses que Dieu avait révélées aux prophètes, bien qu'elles n'aient pas reçu leur accomplissement en eux, mais seulement dans Jésus-Christ. — S. Jér. Cependant le peuple a bien pu se tromper en prenant le Christ pour Élie et pour Jérémie, de même qu'Hérode qui le prenait pour Jean-Baptiste ; aussi suis-je étonné de voir quelques interprètes rechercher les causes de toutes ces erreurs.

S. Chrys. (hom. 54.) Après que les disciples lui ont fait connaître l'opinion du peuple, il les presse par une seconde question de se former une plus haute idée de lui ; " Et Jésus leur dit : Et vous, qui dites-vous que je suis ? " Vous, dis-je, quiètes toujours avec moi, qui avez été témoins de plus grands miracles que le peuple, vous ne devez point partager sa manière de voir. Aussi ne leur fît-il pas cette question au début, de sa prédication, mais après avoir fait un grand nombre de miracles, et leur avoir souvent parlé de sa divinité. — S. Jér. Remarquez que d'après ce langage du Sauveur, les Apôtres ne sont pas appelés des hommes, mais des dieux, car après avoir dit : " Les hommes, que disent-ils qu'est le Fils de l'homme ? " il ajoute : " Et vous, que dites-vous que je suis ? " c'est-à-dire les hommes qui ne sont que des hommes ont de moi une opinion tout humaine ; mais vous qui êtes des dieux, que pensez-vous que je suis ?

Rab. Ce n'est point sans doute par ignorance que le Sauveur s'informe de l'opinion que ses disciples et le peuple peuvent avoir de sa personne ; s'il demande à ses disciples ce qu'ils pensent de lui, c'est pour récompenser dignement leur confession de foi, conforme à la vérité. Aussi s'informe-t-il d'abord de l'opinion du peuple, afin qu'après avoir rapporté les jugements de ceux qui se trompent, on soit obligé de reconnaître que les disciples ont puisé la vérité de leur profession de foi, non pas dans les idées du peuple, mais dans une révélation particulière du Sauveur.

S. Chrys. (hom. 54.) Lorsque Notre-Seigneur demande quelle opinion le peuple a de lui, tous répondent ; mais lorsqu'il demande à ses disciples quelle est leur opinion personnelle, Pierre répond au nom de tous comme étant la bouche et la tête du collège apostolique : " Simon Pierre, prenant la parole, lui dit : Vous êtes le Christ Fils du Dieu vivant. " — Orig. Pierre rejette toutes les fausses idées que les Juifs se faisaient de Jésus, et il confesse hautement cette vérité qu'ignoraient les Juifs : " Vous êtes le Christ, " et ce qui est bien plus grand : " Le Fils du Dieu vivant, " qui avait dit par les prophètes : " Moi je vis, dit le Seigneur (Is 49, 18 ; Jr 22, 24 ; Ez 5, 11 ; 14, 16.18.20 ; 17, 19 ; 18, 3 ; 33, 11.27 ; 34, 8). " On l'appelait vivant, mais d'une manière éminente, parce qu'il est supérieur à tous les êtres qui ont la vie ; car seul il possède l'immortalité, et il est la source de la vie. C'est lui que nous appelons dans un sens véritable Dieu le Père. Or, celui qui dit : " Je suis la vie " (Jn 11), est lui-même la vie qui sort comme de la source. — S. Jér. Pierre dit : " Du Dieu vivant, " par opposition avec ces dieux qu'on regarde comme des dieux, et qui ne sont que des morts : je veux parler de Saturne, de Jupiter, de Vénus, d'Hercule, et des autres divinités. — S. Hil. Au contraire, la foi vraie et inviolable, c'est que le Fils est sorti Dieu de Dieu, et que de toute éternité il a possédé l'éternité du Père. Croire et confesser qu'il a pris un corps semblable au nôtre, et qu'il s'est fait homme, c'est la perfection de la foi. Aussi la déclaration de l'Apôtre embrasse tout, en formulant aussi clairement la nature et le nom du Christ, et résume toutes les vertus. — Rab. Par un admirable contraste, c'est Notre-Seigneur lui-même qui confesse les humiliations de la nature humaine dont il s'est revêtu, tandis que le disciple proclame les grandeurs de son éternelle divinité.

S. Hil. La confession de Pierre mérita une récompense digne d'elle, parce qu'il avait reconnu le Fils de Dieu sous les dehors de l'homme : " Jésus lui répondit : Vous êtes heureux, Simon, fils de Jean, parce que ce n'est ni le sang ni la chair qui vous ont révélé ceci. " — S. Jér. Le Sauveur paie d'un juste retour le témoignage que lui a rendu son apôtre. Pierre lui avait dit : " Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant ; " Jésus-Christ lui répond : " Vous êtes heureux, Simon, fils de Jean. " Pourquoi ? parce que ce n'est ni la chair ni le sang, mais mon Père qui vous a révélé cette vérité. Ce que la chair ni le sang n'ont pu révéler, l'a été par la grâce de l'Esprit saint. Cette confession lui a donc mérité le nom qui lui est donné de fils de l'Esprit saint, à qui il devait cette révélation ; car dans notre langue, Barjona veut dire fils de la colombe. Quelques-uns l'entendent simplement en ce sens que Simon (c'est-à-dire Pierre), était fils de Jean, d'après cette question que le Sauveur lui adressa dans un autre endroit : " Simon, fils de Jean, m'aimez-vous ? " Ils prétendent que c'est par une erreur des copistes qu'au lieu de Bar-joanna, c'est-à-dire : fils de Jean, nous lisons Barjona, avec une syllabe de moins. Or, Joanna signifie grâce de Dieu, et ces deux noms peuvent recevoir une interprétation spirituelle, c'est-à-dire que la colombe représente le Saint-Esprit, et la grâce de Dieu, les dons spirituels.

S. Chrys. (hom. 54.) Il eût été inutile de dire : Vous êtes le fils de Jona, ou de Joanna, si le Sauveur n'avait eu l'intention de montrer que le Christ est aussi naturellement le Fils de Dieu que Pierre est fils de Jona, c'est-à-dire de la même substance que celui qui l'a engendré.

S. Jér. Comparez ces paroles : " Ce n'est point la chair ni le sang qui vous l'ont révélé, " à ces autres de l'Apôtre : " Aussitôt j'ai cessé de prendre conseil de la chair et du sang (Ga 1) ; ce sont les Juifs qu'il veut désigner sous le nom de la chair et du sang, et nous y trouvons une preuve que dans cet endroit, ce n'est point par la doctrine des pharisiens, mais par la grâce de Dieu, que le Christ, Fils de Dieu, a été révélé à Pierre. — S. Hil. Ou bien dans un autre sens, Pierre est heureux parce qu'il a eu le mérite d'étendre ses regards au delà de ce qui est humain, et que sans s'arrêter à ce qui venait de la chair et du sang, il a contemplé le Fils de Dieu par un effet de la révélation divine, et a été jugé digne de reconnaître le premier que la divinité était dans le Christ.

Orig. (traité 1 sur S. Matth., 16.) C'est ici le lieu de demander si, lorsque le Sauveur envoya ses disciples prêcher l'Évangile, ils savaient déjà qu'il était le Christ, car d'après ce passage, Pierre confesse ici pour la première fois que le Sauveur était le Christ, le Fils du Dieu vivant. Comprenez donc, si vous le pouvez, que c'est une grâce bien moindre de croire que de connaître que Jésus est le Christ, et nous dirons alors que lorsqu'il envoyait ses disciples prêcher l'Évangile, ils croyaient qu'il était le Christ, mais qu'ensuite ils arrivèrent jusqu'à le connaître. Ou bien nous répondrons que les Apôtres n'avaient alors que le commencement de la connaissance du Christ et que cette connaissance était très restreinte, mais qu'ensuite ils firent tant de progrès dans cette connaissance, qu'ils comprirent ce que le Père avait révélé du Christ, comme Pierre, que Jésus proclame bienheureux, non-seulement pour avoir dit : " Vous êtes le Christ, " mais surtout pour avoir ajouté : " Le Fils du Dieu vivant. "

S. Chrys. (hom. 54.) Or, si Pierre n'avait pas confessé que le Christ est réellement né du Père, il n'aurait pas eu besoin de révélation, et il n'aurait pas été proclamé bienheureux pour avoir cru que le Christ était un des nombreux enfants adoptifs de Dieu. En effet, bien auparavant, ceux qui étaient dans la barque lui avaient dit : " Vous êtes vraiment le Fils de Dieu " (Mt 14) ; Nathanaël lui-même lui avait dit : " Maître, vous êtes le Fils de Dieu. " (Jn 1.) Cependant ils n'ont pas été déclarés bienheureux, parce qu'ils n'ont pas confessé la même filiation que Pierre. Ils croyaient que le Christ était semblable à beaucoup d'autres, mais non pas qu'il fût le Fils de Dieu ; ou bien s'ils lui reconnaissaient une supériorité réelle sur tous les autres, ils ne le regardaient cependant pas comme étant né de la substance même du Père. Vous voyez donc comme le Père révèle le Fils, et comment le Fils révèle le Père ; car on ne peut connaître le Fils que par le Père, comme on ne peut connaître le Père que par le Fils, ce qui établit clairement que le Fils est consubstantiel au Père, et doit recevoir les mêmes adorations. Or, Jésus prend occasion de cela pour enseigner à ses Apôtres que plusieurs croiront un jour ce que Pierre vient de confesser : " Et moi, je vous dis que vous êtes Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église. " — S. jér. C'est-à-dire parce que vous avez fait cette confession de foi : " Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant, " moi je vous dis non point par un discours vain et sans objet, mais je vous dis (car pour moi, dire c'est faire) : " Vous êtes Pierre. " De même que précédemment lui qui est la véritable lumière avait donné à ses Apôtres le nom de lumière du monde et d'autres noms figuratifs ; ainsi il a donné le nom de Pierre à Simon, qui croyait que Jésus-Christ était la pierre par excellence. — S. Aug. (de l'accord des Evang., 2, 53.) Il ne faut pas croire cependant que ce fut dans cette circonstance que Pierre reçut son nom ; ce nom lui fut donné dans une autre circonstance rapportée par saint Jean, alors que Jésus-Christ lui dit : " Vous vous appellerez Céphas, " ce qui veut dire Pierre.

S. Jér. C'est en suivant cette métaphore de la pierre que le Sauveur lui dit : C'est sur vous que je bâtirai mon Église, comme il l'ajoute en effet : " Sur cette pierre, je bâtirai mon Église. " — S. Chrys. (hom. 54.) C'est-à-dire, sur cette foi et sur cette confession, je bâtirai mon Église. Nous apprenons de là qu'un grand nombre croiront ce que Pierre vient de confesser, et il élève en même temps son intelligence et lui donne la charge de suprême pasteur. — S. Aug. (Liv. de Retract., 1, 21.) J'ai dit dans un certain endroit, de l'apôtre saint Pierre, que l'Église avait été bâtie sur lui comme sur la pierre ; mais je me rappelle avoir plus tard expliqué cette parole : " Vous êtes Pierre, et sur cette pierre je bâtirai, " etc., en ce sens que d'après ces paroles du Sauveur, l'Église est bâtie sur celui que Pierre a confessé en ces terme ? : " Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant. " De cette manière, l'Apôtre aurait reçu son nom de cette pierre et il représenterait l'Église qui est bâtie sur cette pierre. En effet, le Sauveur ne lui dit pas : Vous êtes la pierre (petra), mais " Vous êtes Pierre " (Petrus) ; la pierre, c'était le Christ (1 Co 10) dont Simon a confessé la divinité, comme toute l'Église le confesse, et c'est pour cela qu'il a reçu le nom de Pierre. Le lecteur peut choisir entre ces deux opinions celle qui lui paraîtra la plus probable.

S. Hil. Dans ce nouveau nom donné au prince des Apôtres, nous trouvons un présage heureux de la solidité des fondements de l'Église et une pierre digne de cet édifice qui devait briser et réduire eu poudre les lois et les portes de l'enfer et tous les cachots de la mort, et c'est pour montrer la force de l'Église bâtie sur cette pierre que Jésus ajoute : " Et les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle. " — S. Jér. Les portes de l'enfer sont, à mon avis, les vices et les péchés des hommes, ou du moins les doctrines des hérétiques qui séduisent les hommes et les entraînent dans l'abîme.

Orig. Tous les esprits de malice répandus dans les airs sont aussi les portes de l'enfer auxquelles sont opposées les portes de la justice (Ps 97, 19). — Rab. Les portes de l'enfer sont encore les tourments et les séductions que mettent en usage les persécuteurs. Ce sont aussi les œuvres mauvaises des incrédules, et leurs discours absurdes, parce qu'ils font connaître le chemin de la perdition. — Orig. Notre-Seigneur ne précise pas si c'est contre la pierre sur laquelle le Christ a bâti son Église ou si c'est contre l'Église elle-même, bâtie sur la pierre, que ces portes de l'enfer ne prévaudront pas. Mais il est évident qu'elles ne prévaudront ni contre la pierre, ni contre l'Église. — S. Cyr. D'après cette promesse du Seigneur, l'Église apostolique, placée au-dessus de tous les évêques, de tous les pasteurs, de tous les chefs des Églises et des fidèles, demeure pure de toutes les séductions et de tous les artifices des hérétiques dans ses pontifes, dans sa foi toujours entière et dans l'autorité de Pierre. Tandis que les autres Églises sont déshonorées par les erreurs de certains hérétiques, seule elle règne, appuyée sur des fondements inébranlables, imposant silence et fermant la bouche à tous les hérétiques ; et nous, si nous ne sommes ni égarés par une téméraire présomption de notre salut, ni enivrés du vin de l'orgueil, nous confessons et nous prêchons en union avec elle la règle de la vérité et de la sainte tradition apostolique. — S. Jér. Qu'on ne s'imagine pas que ces paroles doivent s'entendre en ce sens que les Apôtres n'ont pas été soumis à la mort, quand on sait la gloire éclatante de leur martyre. — Orig. Et à nous aussi il sera dit : " Vous êtes Pierre. " Aussitôt que nous aurons confessé que Jésus-Christ est le Fils du Dieu vivant par un effet de la révélation du Père qui est dans les cieux, c’est-à-dire lorsque nous-mêmes nous vivrons déjà pour ainsi dire dans le ciel. Car la pierre, c’est tout fidèle imitateur du Christ ; mais celui contre lequel prévalent les portes de l’enfer n’est ni la pierre sur laquelle le Christ bâtit son Église, ni cette Église, ni aucune partie de cette Église, dont le Seigneur asseoit les fondements sur la pierre.

S. Chrys. (hom. 54.) Le Sauveur donne ensuite une autre prérogative à Pierre, en ajoutant : " Et je vous donnerai les clefs du royaume des cieux. " C’est-à-dire : De même que mon Père vous a fait la grâce de me connaître, je vous accorderai aussi une faveur particulière, c’est-à-dire les clefs du royaume des cieux. — Rab. Celui qui a reconnu et confessé le roi des cieux avec plus d’ardeur que tous les autres reçoit aussi d’une manière plus particulière que tous les autres les clefs du royaume des cieux, afin qu’il fût bien démontré pour tous que sans cette confession et sans cette foi, personne ne peut entrer dans le royaume des cieux. Les clefs du royaume des cieux sont la puissance et le droit de juger : la puissance, pour lier et délier, le pouvoir de juger, de discerner ceux qui sont dignes et ceux qui ne le pas. — La Glose. Et ce que vous lierez, " c’est-à-dire celui que vous aurez jugé indigne d’absolution pendant sa vie, en sera jugé indigne devant Dieu lui-même. " Et ce que vous aurez délié, " c’est-à-dire celui que vous aurez jugé digne d’être absous ici-bas, recevra de Dieu la rémission de ses péchés. — Orig. Voyez quelle grande puissance a été donnée à cette pierre sur laquelle l’Église est bâtie ; ses jugements sont irrévocables, comme si Dieu lui-même les avait prononcés par sa bouche. — S. Chrys. (Hom. 54.) Voyez aussi comme Jésus-Christ inspire à Pierre une haute idée de sa personne il promet de lui donner ce qui n’appartient qu’à Dieu seul, c’est-à-dire le pouvoir de remettre les péchés et de rendre l’Église immuable au milieu de toutes les tempêtes, des persécutions et des souffrances.

Rab. Quoique le Seigneur paraisse donner exclusivement à Pierre ce pouvoir de lier et de délier, il l’accorde également aux autres Apôtres (Mt 18, 18) et maintenant encore à toute l’Église dans la personne des évêques et des prêtres ; mais Pierre a reçu d’une manière plus particulière les clefs du royaume des cieux et la primauté du pouvoir judiciaire, afin que tous les fidèles répandus dans l’univers comprennent que du moment où, de quelque manière que ce soit, on se sépare de l’unité de la foi ou de la société de Pierre, on ne peut être délivré des liens du péché, ni voir ouvrir devant soi les portes du royaume du ciel.

La Glose. Notre-Seigneur a donné d’une manière particulière ce pouvoir à Pierre pour nous inviter à l’unité ; il l’a établi prince des Apôtres afin que l’Église eût au-dessus de tous les autres un seul vicaire de Jésus-Christ, auquel tous les membres de l’Église pussent recourir si la division venait à s’introduire parmi eux ; s’il y avait plusieurs chefs dans 1’Église, le lien de l’unité serait rompu. Quelques-uns prétendent que cette expression : " Sur la terre " signifie que ce pouvoir de lier et de délier ne lui a été donné que sur les vivants et non sur les morts, car celui qui exercerait ce pouvoir sur les morts ne l’exercerait pas sur la terre.

Conc. de Constant. Comment s’en trouve-t-il qui osent dire que ce pouvoir ne doit s’exercer que sur les vivants ? Ignorent-ils donc que la sentence d’anathème n’est autre chose qu’une sentence de séparation ? On doit toujours éviter tout commerce avec ceux qui sont esclaves de crimes énormes, qu’ils soient du nombre des vivants ou parmi les morts, car on doit toujours se séparer de ce qui est coupable et nuisible. D’ailleurs nous avons d’Augustin, de pieuse mémoire, et qui jeta un si vif éclat parmi les évêques d’Afrique, plusieurs lettres où il enseigne qu’il faut anathématiser les hérétiques même après leur mort. Les autres évêques d’Afrique ont conservé cette tradition ecclésiastique, et la sainte Église romaine elle-même a anathématisé aussi quelques évêques après leur mort, quoique leur foi n’eût pas été incriminée pendant leur vie.

S. Jér. Quelques évêques et quelques prêtres qui n’ont pas l’intelligence de ce passage, affectent en quelque sorte d’imiter la conduite orgueilleuse des pharisiens en condamnant les innocents et en s’imaginant qu’ils peuvent absoudre les coupables, lorsqu’ils devraient savoir que Dieu tient compte non tant de la sentence des prêtres que des dispositions des coupables. Nous lisons, dans le passage du Lévitique qui ordonne aux lépreux de se présenter devant les prêtres (chap. 13 et 14), que, s’ils sont atteints de la lèpre, ils soient alors déclarés impurs par le prêtre, non pas que ce soient les prêtres qui les rendent lépreux et impurs, mais parce qu’ils connaissent les caractères qui distinguent le lépreux de celui qui ne l’est pas, celui qui est pur de celui qui est impur. De même donc que dans l’ancienne loi le prêtre déclarait le lépreux impur, ainsi l’évêque ou le prêtre exercent le pouvoir de lier et de délier, non pas à l’égard de ceux qui sont innocents et purs, mais dans ce sens qu’après avoir entendu la confession des diverses espèces de péchés, ils savent quels sont ceux qu’ils doivent lier et ceux qui méritent d’être déliés.

Orig. Celui donc qui exerce le pouvoir de lier et de délier de manière à être jugé vraiment digne d’exercer ce pouvoir dans le ciel est irrépréhensible. Or, les clefs du royaume des cieux sont données aussi comme récompense à celui qui par ses vertus peut fermer les portes de l’enfer. " En effet, lorsqu’un homme commence à pratiquer toutes les vertus chrétiennes, il s’ouvre à lui-même la porte du royaume des cieux, c’est-à-dire que le Seigneur la lui ouvre par sa grâce, de manière que la même vertu est tout à la fois la porte et la clef de la porte. Peut-être même pourrait-on dire que chacune des vertus est le royaume des cieux.

 

vv. 20-21

La Glose. Après que Pierre a confessé que Jésus était le Christ, Fils du Dieu vivant, le Sauveur, ne voulant pas que ses disciples publient pour le moment cette vérité, leur commande de ne dire à personne qu’il était le Christ. — S. Jér. Lorsqu’il a envoyé précédemment ses disciples prêcher l’Évangile, il leur a commandé d’annoncer son avènement. Comment concilier cet ordre avec celui qu’il leur donne ici de ne pas publier qu’il est le Christ. Je crois donc qu’il y a une différence entre prêcher le Christ et prêcher Jésus-Christ ; le nom de Christ exprime en général la dignité, celui de Jésus est le nom propre du Sauveur. — Orig. Ou bien on peut dire que les Apôtres parlaient très peu de Jésus et seulement comme d’un homme étonnant et extraordinaire, mais sans annoncer qu’il était le Christ. Si l’on prétend que les Apôtres aient publié dès lors cette vérité, il faudra dire que le dessein du Sauveur était que les Apôtres ne donnassent d’abord de temps à autre qu’une légère idée de ce qu’il était, afin que dans l’intervalle ces premières notions du Christ eussent le temps de pénétrer dans l’esprit de leurs auditeurs. Ou bien il faut résoudre cette difficulté en disant que l’ordre qu’ils avaient reçu d’annoncer le Christ ne devait être accompli que dans les temps qui suivirent sa résurrection. La défense, au contraire, qu’il fait ici aux Apôtres est pour le temps actuel, car il était inutile de prêcher le Christ sans parler de sa croix. Il leur défend donc de dire à personne qu’il fut le Christ, et cependant il les préparait à prêcher plus tard qu’il était le Christ qui a été crucifié et qui est ressuscité d’entre les morts.

S. Jér. Que personne ne suppose que cette explication n’est que le fruit de notre invention, car le Sauveur lui-même nous indique dans ce qui suit les raisons de cette défense : " Dès lors Jésus commença à découvrir à ses disciples qu’il fallait qu’il souffrit, " etc. Voici le sens de ces paroles : Vous prêcherez mon nom lorsque j’aurai souffert ces tourments, car il ne servirait de rien d’annoncer publiquement le Christ et de faire connaître sa majesté au milieu des peuples qui seraient témoins quelque temps après de sa flagellation et de sa mort sur la croix.

S. Chrys. (hom. 54.) Si on arrache ce qui a déjà poussé des racines et qu’on veuille le planter de nouveau, il tiendra difficilement dans l’esprit d’un grand nombre ; mais, au contraire, si une vérité qui a jeté une fois ses racines n’est ébranlée, on lui voit prendre bientôt de grands accroissements. Or, le Sauveur s’étend longuement sur ces tristes prédictions pour ouvrir l’intelligence de ses disciples.

Orig. Remarquez que l’Évangéliste ne dit pas : Il commença à leur dire ou à leur enseigner, mais : " Il commença à leur découvrir, " car de même qu’on découvre et qu’on montre les choses extérieures, ainsi Notre-Seigneur rend sensibles les choses dont il parle. Or, je suis persuadé que le mystère de sa passion ne fut pas découvert aussi clairement à ceux qui virent de leurs yeux ses innombrables souffrances, qu’il le fut aux disciples dans le discours que Jésus leur adresse sur le mystère de sa passion et de sa résurrection. Et cependant il ne fit alors que commencer à leur découvrir ce mystère, et ce ne fut que plus tard, lorsqu’ils furent devenus capables, qu’il le leur développa tans sa plénitude, car tout ce que Jésus commence il le perfectionne. Il fallait qu’il allât à Jérusalem pour être immolé dans la Jérusalem d’ici-bas (dans la Jérusalem terrestre), mais il devait régner par sa résurrection dans la Jérusalem d’en haut, c’est-à-dire dans la Jérusalem céleste (Ga 4) ; car, après que Jésus-Christ fut ressuscité et beaucoup d’autres avec lui, ce n’est plus sur la terre, mais dans le ciel qu’il faut chercher Jérusalem, c’est-à-dire la maison de la prière. Il a beaucoup à souffrir de la part des anciens de la Jérusalem terrestre avant d’être glorifié par ceux qui jouissent de ses bienfaits, c’est-à-dire les anciens de la Jérusalem céleste (Ap 4, 40 ; 5, 8.19.14 ; 13, 16 ; 19, 4). Le troisième jour, il ressuscite d’entre les, morts et obtient à ceux qu’il a délivrés du démon la grâce d’être baptisés dans leur esprit, dans leur âme et dans leur corps, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, de manière que ces trois jours soient perpétuellement présents à la mémoire de ceux qu’ils ont rendu enfants de lumière.

 

vv. 22-23.

Orig. Jésus ne faisais encore que découvrir à ses Apôtres le commencement de ces mystères, que déjà Pierre les regardait comme indignes du Fils du Dieu vivant, et comme s’il oubliait que le Fils du Dieu vivant ne peut faire aucune action qui mérite le blâme, il ose le reprendre de ce qu’il vient de dire : " Et Pierre, le prenant à part, " etc. — S. Jér. Nous avons souvent rappelé que Pierre fait preuve d’une ardeur excessive et d’un amour extraordinaire pour le Sauveur. Or, comme il ne veut pas voir détruit l’effet de sa confession et de la récompense qu’il en a reçue du Sauveur, et qu’il ne croit point que le Fils de Dieu puisse être mis à mort, il le prend dans son affection et le conduit à l’écart pour ne point paraître blâmer son Maître en présence des autres disciples. Il commence donc à le reprendre par un sentiment d’amour, et à le contredire en lui disant : " A Dieu ne plaise, Seigneur. " Ou suivant le texte grec qui est préférable : " Soyez vous favorable, cela ne vous arrivera pas. " — Orig. Comme si le Sauveur avait besoin de cette disposition favorable à son égard. Jésus, tout en acceptant ce témoignage d’affection, lui reproche son ignorance. " Mais Jésus, se retournant, dit à Pierre Retirez-vous derrière moi, Satan. " — S. Hil. Le Seigneur, qui connaît la nature des artifices du démon, dit à Pierre : " Retirez-vous derrière moi, " c’est-à-dire suivez l’exemple de ma passion. Il se retourne vers celui qui avait suggéré à Pierre les paroles qu’il venait de prononcer, et il ajoute : " Satan, vous m’êtes un sujet de scandale, " car il n’est pas convenable de rapporter à Pierre ce nom de Satan, et de faire tomber sur lui ce reproche de scandale après les promesses magnifiques de bonheur et de puissance qui lui ont été faites. — S. Jér. Pour moi, je ne verrai jamais une suggestion du démon dans l’erreur de l’Apôtre, erreur qui a pour cause un sentiment d’affection. Que le lecteur prudent veuille bien remarquer que cette béatitude et cette puissance ne lui sont pas données en ce moment, mais seulement promises pour l’avenir ; car si Jésus lui eût accordé immédiatement cette faveur, jamais cette grossière erreur n’eût trouvé accès dans son esprit.

S. Chrys. (hom. 54.) Qu’y a-t-il de surprenant que Pierre soit dans ces dispositions, puisque ce mystère ne lui avait pas été révélé. Voulez-vous être convaincu que la profession de foi qu’il vient de faire à l’égard du Christ n’est pas le fruit de ses propres pensées ? Voyez quel trouble lui inspire la perspective des choses qui ne lui ont pas été révélées. Il ne considère tout ce qui a rapport au Christ qu’à un point de vue tout terrestre et tout humain, et il lui semble que c’est une honte et une indignité pour le Sauveur d’être soumis aux souffrances et à la mort, et c’est pour cela que le Sauveur ajoute : " Vous ne goûtez pas les choses de Dieu, mais celles des hommes. " — S. Jér. C’est-à-dire c’est la volonté de mon Père et la mienne, que je meure pour le salut des hommes. Pour vous, vous ne considérez que votre volonté, vous ne voulez pas que le grain de froment tombe dans la terre pour produire beaucoup de fruits (Jn 12, 24), et puisque votre langage est opposé à ma volonté, vous méritez d’être appelé mon ennemi. En effet, le mot Satan signifie adversaire ou ennemi. Ce n’est pas cependant, comme plusieurs le pensent, que Pierre soit frappé de la même condamnation que Satan. Jésus dit à Pierre : " Retirez-vous derrière moi, Satan, " c’est-à-dire : Suivez-moi, vous qui êtes opposé à ma volonté, Il dit au contraire à Satan : " Retire-toi, Satan, " sans qu’il ajoute : derrière, de manière que l’on puisse sous-entendre : va dans le feu éternel. — Orig. (traité 1 sur S. Matth.) Jésus dit donc à Pierre : " Retirez-vous derrière moi, " parce qu’il avait cessé, par son ignorance, de marcher à la suite du Christ. Il l’appelle Satan à cause de cette même ignorance qui l’a mis en opposition avec Dieu. Cependant, heureux celui vers lequel se tourne le Christ, quand même ce serait pour le réprimander ! Mais pourquoi dit-il à Pierre : " Vous m’êtes un sujet de scandale, " alors que nous lisons dans le Psaume 118 : " Une paix abondante est le partage de ceux qui aiment votre loi, et il n’y a point de scandale pour eux. " Nous répondons que Jésus n’est pas le seul qui ne puisse être scandalisé, mais encore tout homme qui a dans le cœur la charité parfaite ; et cependant on peut être par ses actions ou par ses paroles un sujet de scandale pour cet homme, bien qu’il ne puisse en être victime.

Ou bien on peut dire qu’il appelle un sujet de scandale pour lui, tout fidèle qui pèche ; dans le sens de saint Paul, qui disait (2 Co 11) : " Qui est scandalisé sans que je sois brûlé de douleur ? "

 

vv. 24-25.

S. Chrys. (hom. 56.) Après que Pierre eut dit au Sauveur : " Soyez-vous favorable, cela ne vous arrivera pas, " et qu’il en a reçu cette réponse : " Retirez-vous derrière moi, Satan, " Notre-Seigneur, non content de lui avoir fait ce reproche, veut lui démontrer pleinement toute l’inconvenance de son langage et les fruits de sa passion : " Alors Jésus dit à ses disciples " Si quelqu’un veut venir après moi, " paroles dont voici le sens : Vous me dites : Épargnez-vous, Seigneur, et moi je vous dis que non-seulement c’est une chose funeste pour vous de me dissuader de souffrir, mais que vous-mêmes vous ne pourrez être sauvés sans souffrir et mourir, et sans un renoncement continuel à votre vie. Remarquez, du reste, qu’il n’impose pas ici de nécessité. Il ne dit pas : Quand même vous ne voudriez pas, il vous faut souffrir, mais : " Si quelqu’un veut, " paroles qui étaient pour ses disciples un attrait bien plus puissant, car en laissant toute liberté à celui qui vous écoute, vous l’attirez plus sûrement, tandis que vous l’éloignez davantage si vous lui faites violence. Ce n’est pas, du reste, à ses disciples seuls qu’il propose ces conditions, c’est en général à tout l’univers : " Si quelqu’un veut, " c’est-à-dire si une femme, si un homme, si un roi, si un esclave, etc. Or, ces conditions sont au nombre de trois : Qu’il se renonce lui-même, qu’il porte sa croix, et qu’il me suive.

S. Grég. (hom. 32 sur les Evang.) Si nous ne commençons, en effet, par nous détacher de nous-mêmes, nous ne pouvons nous approcher de celui qui est au-dessus de nous ; mais si nous nous laissons nous-mêmes, où pourrons-nous aller en dehors de nous ? Ou bien, que devient celui qui s’en va, s’il s’abandonne lui-même ? Rappelons-nous ici que le péché nous a fait déchoir de l’état où Dieu nous avait créés dans l’origine ; nous nous laissons donc nous-mêmes, nous nous renonçons nous-mêmes lorsque nous évitons ce que nous suggérait le vieil homme, et que nous tendons vers cette sainte nouveauté à laquelle Dieu nous appelle. — S. Grég. (hom. 40 sur Ezéch.) On se renonce encore soi-même quand on réforme sa conduite, et que l’on commence d’être ce qu’on n’était pas en cessant d’être ce qu’on était. — S. Grég. (Moral., 33, 6.) C’est encore se renoncer soi-même que de fouler aux pieds l’enflure de l’orgueil et de se montrer aux yeux de Dieu tout à fait dépouillé de soi-même.

Orig. (traité 11 sur S. Matth.) Mais quand même nous nous abstiendrions de tout péché, si nous n’embrassons par la foi la croix de Jésus-Christ, on ne peut pas dire que nous sommes crucifiés avec lui. — S. Chrys. (hom. 55.) Ou bien encore, celui qui renonce son frère, ou son serviteur, ou n’importe quel autre homme, c’est celui qui ne lui porte aucun secours lorsqu’il le voit déchiré sous les coups de fouets, ou soumis à d’autres tourments. Ainsi le Sauveur veut-il que nous ne ménagions pas davantage notre corps, soit qu’on nous frappe de verges, soit qu’on nous accable d’autres mauvais traitements ; car c’est l’épargner en réalité, de même que les pères épargnent véritablement leurs enfants, lorsque les confiant aux soins de leurs maîtres, ils leur recommandent de n’avoir pour eux aucun ménagement. Et ne croyez pas que ce renoncement à soi-même ne doive s’étendre qu’aux paroles injurieuses et aux outrages. Notre-Seigneur nous découvre clairement jusqu’où il faut porter ce renoncement, jusqu’à la mort la plus honteuse, jusqu’à la mort de la croix, comme il nous l’exprime par ces paroles : " Qu’il porte sa croix, et qu’il me suive. " — S. Jér. Il faut suivre le Seigneur en prenant suit nous la croix de sa passion, et l’accompagner, sinon en réalité, du moins par l’intention et le désir du cœur.

S. Chrys. (hom. 55.) Mais comme les voleurs eux-mêmes sont exposés à de nombreuses et à de rudes épreuves, Notre-Seigneur, ne voulant pas vous laisser croire qu’il suffit de souffrir en général, vous fait connaître la cause pour laquelle vous devez souffrir, en ajoutant : " Et qu’il me suive. " C’est-à-dire qu’il vous faut tout supporter pour l’amour de lui, et pratiquer à son exemple toutes les vertus ; car la seule manière légitime de suivre Jésus-Christ, c’est d’être plein de zèle pour les vertus, et de tout supporter pour l’amour de lui. — S. Grég. (hom. 32.) Il y a aussi deux manières de porter sa croix, lorsqu’on mortifie son corps par l’abstinence, ou lorsqu’on afflige son âme en compatissant aux misères du prochain. Mais comme les vertus sont toujours entremêlées de quelques vices, il faut nous avouer à nous-mêmes que la vaine gloire vient quelquefois attaquer la mortification de la chair ; car la maigreur extérieure du corps, la pâleur du visage, découvrent la vertu et l’exposent aux louanges des hommes. D’un autre côté, la compassion dégénère presque toujours secrètement en une fausse tendresse, qui l’entraîne quelquefois jusqu’à la condescendance pour les vices ; et c’est pour nous faire éviter ce danger qu’il ajoute : " Et qu’il me suive. " — S. Jér. Ou bien encore, celui qui est crucifié au monde porte sa croix, et celui pour lequel le monde est crucifié marche à la suite du Seigneur attaché sur la croix.

S. Chrys. (hom. 55.) Notre-Seigneur adoucit par les paroles qui suivent ce que ce langage pouvait avoir de trop sévère pour ceux qui l’entendaient ; il promet des récompenses supérieures aux peines endurées pour son nom, en même temps qu’il prédit les châtiments réservés à la méchanceté et à la négligence. " Celui qui voudra sauver sa vie la perdra. "

Orig. Ces paroles peuvent s’entendre de deux manières : premièrement, si quelqu’un, par affection pour la vie présente, épargne son âme dans la crainte de la mort, et parce qu’il croit que cette mort est la perte de son âme, en voulant sauver son âme, de cette manière, il la perdra, et lui fera perdre tous ses droits à la vie éternelle. Mais celui, au contraire, qui méprise la vie présente et qui aura combattu jusqu’à la mort pour la vérité (cf. Si 4, 23), celui-là perdra son âme pour cette vie, mais comme il la perd pour Jésus-Christ, il la sauve infailliblement pour la vie éternelle. Ou bien encore, dans un autre sens Si quelqu’un comprend en quoi consiste le salut véritable, et veut procurer ce salut à son âme, en se renonçant lui-même, il perd son âme pour Jésus-Christ, quant à la jouissance des plaisirs charnels ; et en perdant son âme de cette manière, il la sauve par les oeuvres de piété. Cette expression : " Celui qui voudra, " indique que cette proposition et celle qui précède n’ont qu’un seul et même sens. Si donc ce que Jésus a dit plus haut : " Qu’il se renonce lui-même, " doit s’entendre de la mort du corps, nous devons conclure que tout doit s’entendre de cette mort seule. Si, au contraire, se renoncer soi-même c’est se dépouiller de toute habitude de vie sensuelle, perdre son âme, c’est Vivre entièrement séparé des plaisirs de la chair.

 

vv. 26-28.

S. Chrys. (hom. 55.) Notre-Seigneur avait dit : " Celui qui veut sauver, perdra ; et celui qui perdra, sauvera, " mettant ainsi des deux côtés le salut et la perdition ; mais afin qu’on ne puisse supposer que le salut et la perdition sont les mêmes dans les deux cas, il ajoute : " Et que servirait-il à l’homme de gagner le monde entier, et de perdre son âme. " C’est-à-dire : Ne m’alléguez pas que celui qui a échappé aux dangers qui le menacent pour la cause du Christ, sauve son âme, mettez même avec son âme l’univers tout entier, que lui en reviendra-t-il si son âme vient à périr pour l’éternité ? Si vos serviteurs étaient dans la joie, sous vos yeux, tandis que vous, au contraire, vous seriez plongé dans des maux extrêmes, quel avantage vous reviendrait-il d’être leur maître ? Appliquez cette considération à votre âme, puisqu’elle est destinée avec la chair coupable à une perte éternelle.

Orig. Je pense que c’est gagner le monde que de ne pas se renoncer soi-même, et de ne pas perdre son âme en la privant des plaisirs de la chair, et on perd alors véritablement son âme. Aussi entre ces deux partis qui nous sont proposés, ne devons-nous pas hésiter à perdre plutôt le monde entier pour gagner nos âmes.

S. Chrys. (hom. 55.) Mais quand bien même vous régneriez sur l’univers entier, vous ne pourriez pas racheter votre âme, et c’est pour cela que le Sauveur ajoute " Et qu’est-ce que l’homme donnera en échange de son âme ? " c’est-à-dire si vous perdiez vos richesses, vous pourriez donner d’autres richesses pour rentrer en possession des premières ; mais si vous perdez votre âme, vous ne pouvez donner ni une autre âme, ni quoi que ce soit pour la racheter. Qu’y a-t-il d’étonnant qu’il eu soit ainsi pour votre âme ? Est-ce qu’il n’en est pas de même pour votre corps ? Car vous auriez beau placer dix mille diadèmes sur un corps atteint d’une maladie incurable, ils seraient impuissants pour le guérit. — Orne. Au premier abord, il semble que l’homme pourrait donner, en échange de son âme, ses richesses en les distribuant aux pauvres pour la sauver ; mais l’homme n’a rien qu’il puisse donner en échange pour délivrer sort âme de la mort. Dieu, au contraire, a donné comme prix d’échange pour les âmes des hommes, le sang précieux de son Fils. — S. Grég. (hom. 32 sur les Evang.) Ou bien encore, on peut établir de la sorte la liaison dans le discours du Sauveur. La sainte Église traverse des temps de paix et des temps de persécution, et pour ces temps si divers, le Rédempteur nous donne des préceptes différents. Dans les temps der persécution, nous devons sacrifier notre vie, et dans les temps de paix, dompter et réduire les désirs terrestres qui peuvent nous tyranniser davantage ; c’est pour cela qu’il dit : " Que sert à l’homme ? " etc. — S. Jér. L’exhortation qu’il vient de faire à ses disciples de se renoncer eux-mêmes, et de porter leur croix, les a remplis d’effroi. A cette doctrine sévère il fait donc succéder des prédictions plus agréables : " Le Fils de l’homme viendra, dit-il, dans la gloire de son Père avec ses anges, " etc. Vous craignez la mort ? écoutez quelle sera la gloire du triomphateur ; vous redoutez la croix ? entendez quel sera le ministère des anges. — Orig. C’est-à-dire : Maintenant le Fils de l’homme est venu sur la terre, mais ce n’est pas dans la gloire ; car il ne convenait pas qu’il se chargeât de nos péchés, étant environné d’honneur et de gloire. Mais alors il viendra dans toute sa gloire, lorsqu’il aura préparé ses disciples, et après qu’il s’est fait semblable à eux, pour les rendre semblables à lui, c’est-à-dire participants de sa propre gloire. — S. Chrys. Il ne dit pas : Le Fils de l’homme viendra dans une gloire semblable à celle de son Père, pour ne pas laisser supposer que ce sont deux gloires différentes, mais : " Dans la gloire du Père, " montrant ainsi qu’il s’agit absolument de la même gloire. Or, si la gloire est une, il est évident qu’il n’y a également qu’une substance. Que craignez-vous donc, Pierre, en entendant parler de mort ? Vous me verrez alors dans la gloire ; et si je suis dans la gloire, vous y serez aussi vous-même. Mais cependant à ces prédictions de gloire il entremêle une pensée effrayante, c’est celle du jugement. " Et alors il rendra à chacun selon ses oeuvres. " — S. Jér. Il n’y a point de distinction entre les Juifs et les Gentils, entre les hommes et les femmes, entre les pauvres et les riches, là où l’on tient compte non des personnes, mais des oeuvres. — S. Chrys. (hom. 55.) Notre-Seigneur s’exprime de la sorte, pour rappeler aux pécheurs les supplices qui les attendent, et aussi aux justes les récompenses et les couronnes qui leur sont réservées.

S. Jér. Les Apôtres pouvaient se scandaliser intérieurement de ces paroles et se dire en eux-mêmes : Vous nous annoncez une mort éternelle dans un avenir prochain, mais la promesse que vous nous faites de venir dans votre gloire, ne doit s’accomplir que dans des temps bien éloignés. Celui qui pénètre les secrets des cœurs, prévoyant cette objection, oppose à la crainte des maux présents la perspective d’une récompense prochaine : " Je vous le dis en vérité, il y en a de ceux qui sont ici présents, qui n’éprouveront pas la mort avant qu’ils aient vu le Fils de l’homme venant en son règne, " — S. Chrys. (hom. 55.) Il veut leur apprendre quelle était cette gloire dans laquelle il doit venir plus tard, et il la leur révèle en cette vie, autant qu’ils en étaient capables, afin que la pensée de sa mort ne fût pas pour eux un sujet de tristesse. — Remi. Cette prédiction du Sauveur eut son accomplissement pour les trois disciples, devant lesquels il fut transfiguré sut la montagne où il leur découvrit les joies des récompenses éternelles. Ils le virent venant dans son règne, c’est-à-dire resplendissant de cette gloire dans laquelle, après le jugement, il apparaîtra aux yeux de tous les saints. — S. Chrys. (hom. 55.) Il ne leur fait pas connaître les noms de ceux qui doivent le suivre sur la montagne, car les autres auraient vivement désiré l’accompagner pour être témoins de cette manifestation de sa gloire, et auraient souffert de la préférence donnée sur eux aux autres disciples. — S. Grég. (hom. 32.) Ou bien encore, il appelle le royaume de Dieu l’Église actuelle ; et comme plusieurs de ses disciples devaient vivre assez longtemps pour voir établie cette Église que Dieu opposait à la gloire du monde, il leur fait cette promesse consolante : " Plusieurs de ceux qui sont ici présents, " etc.

Orig. Dans le sens moral, on peut dire que le Verbe de Dieu a pour ceux qui sont nouveaux dans la foi l’apparence d’un esclave, tandis que pour ceux qui sont parfaits, il paraît dans la gloire de son Père. Les anges sont les discours des prophètes qu’il est impossible de comprendre dans le sens spirituel avant d’avoir l’intelligence spirituelle du Verbe du Christ, de manière qu’on les voit apparaître en même temps dans la majesté. C’est alors qu’il donnera de la gloire à chacun suivant ses actes, car plus on est vertueux, plus aussi on a l’intelligence spirituelle de Jésus-Christ et de ses prophètes. Ceux qui se tiennent où est Jésus sont ceux qui ont jeté près de lui les fondements de leur âme et de leurs affections. Ceux qui sont plus solidement assis ne goûtent pas la mort avant qu’ils aient vu le Verbe de Dieu dans son règne. Ils verront la grandeur sublime de Dieu qui reste invisible pour ceux qui sont enveloppés dans les épais nuages de leurs péchés, ce sont ces derniers qui goûtent la mort ; car l’âme pécheresse est frappée de mort. De même, en effet, que le Christ est la vie et le pain vivant qui est descendu du ciel, ainsi son ennemi, c’est-à-dire la mort, est le pain de mort. Il en est qui mangent très peu de ces pains, qui ne l’ont que les goûter ; d’autres au contraire, s’en nourrissent abondamment. Ceux qui ne commettent que des fautes rares et peu nombreuses, ne font que goûter la mort ; ceux, au contraire, qui pratiquent dans leur perfection les vertus spirituelles, ne goûtent pas la mort, mais se nourrissent continuellement du pain de vie. Ces paroles : " Jusqu’à ce qu’ils voient, ne précisent pas l’époque après laquelle doit arriver ce qui n’avait pas encore reçu son accomplissement ; elles expriment simplement une chose qui se fera nécessairement. Celui, en effet, qui aura une fois vu Jésus dans sa gloire, ne goûtera jamais la mort.

Rab. Au témoignage du Sauveur, les saints ne font que goûter et comme effleurer la mort du corps ; mais la vie de l’âme demeure toujours en leur possession.

 

CHAPITRE XVII

 

vv. 1-4.

Remi. Six jours après cette prédiction, Notre-Seigneur accomplit dans sa transfiguration sur la montagne, la promesse de cette apparition glorieuse qu’il avait faite à ses disciples. " Et six jours après, dit l’Évangéliste, Jésus prit Pierre, Jacques et Jean, " etc. — S. Jér. On se demande comment, d’après saint Matthieu, ce fut six jours après que Jésus prit avec lui ses disciples, tandis que saint Luc compte huit jours d’intervalle. La réponse est facile : saint Matthieu ne compte que les jours pleins qui séparent ces deux événements, tandis que S. Luc compte de plus le premier et le dernier jour. — S. Chrys. (hom. 57 sur S. Matth., dans les nouvelles éditions, 56.) Ce n’est point immédiatement après cette promesse, mais six jours après, qu’il les conduit sur la montagne ; il veut, par ce retard de quelques jours, étouffer tout sentiment humain d’envie dans les autres disciples, et exciter dans l’âme de ceux qu’il doit prendre avec lui un plus vif désir et le soin d’une préparation plus parfaite. — Rab. Le nombre six n’est point mis ici sans raison ; c’est après six jours écoulés que le Sauveur manifeste sa gloire, figure de la résurrection qui doit avoir lieu à la fin des six âges de l’homme. — Orig. Ou bien encore, comme ce monde visible a été créé après le nombre complet de six jours, celui qui s’élève au-dessus de toutes les choses du monde, peut monter sur cette montagne élevée pour y contempler la gloire du Verbe de Dieu.

S. Chrys. Notre-Seigneur prend avec lui ces trois disciples, parce qu’ils étaient supérieurs aux autres Apôtres. Remarquez ici que saint Matthieu ne cherche point à taire le nom de ceux qui lui furent préférés ; c’est ce que fait également saint Jean, en rapportant les magnifiques prérogatives accordées à saint Pierre, car le collège des Apôtres était pur de tout sentiment d’envie et de vaine gloire. — S. Hil. (can. 17.) Ces trois disciples que Jésus prend avec lui figurent l’élection future de tous les peuples qui descendent de la triple souche de Sem, de Cham et de Japhet. — Rab. Ou bien, il ne prend avec lui que trois disciples, parce qu’il y en a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus. Ou bien encore, parce que ceux-là seuls qui conservent dans une âme pure la foi en la sainte Trinité, jouiront alors de l’éternelle vision des cieux.

Remi. Notre-Seigneur, sur le point de découvrir à ses disciples la splendeur de sa gloire, les conduit sur une montagne : " Et il les conduisit sur une haute montagne. " Ainsi enseigne-t-il à tous ceux qui désirent arriver à la contemplation de Dieu, qu’ils ne doivent point rester plongés dans les vils plaisirs des sens, mais s’élever toujours par les affections de leur cœur jusqu’aux biens invisibles des cieux. Il veut apprendre aussi à ses disciples à ne point chercher la gloire de la divine clarté dans les basses régions de ce monde, mais dans le royaume de la félicité céleste. Il les conduit à l’écart, parce que les saints sont ici-bas séparés des méchants par les dispositions de leur âme et l’intention de leur foi, et qu’ils en seront complètement séparés dans le siècle futur. Ou bien encore, parce qu’il y en a beaucoup d’appelés et peu d’élus. (Mt 20.)

Et il fut transfiguré, " etc. Il apparut aux yeux des Apôtres tel qu’il apparaîtra au jour du jugement. Ne nous imaginons pas, toutefois, qu’il ait quitté sa première forme et sa figure ordinaire, et qu’il ait laissé le corps véritable dont il était revêtu, pour prendre un corps spirituel ou aérien. L’Évangéliste nous apprend la manière dont s’opéra cette transfiguration : " Son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements blancs comme la neige. " Puisque l’Évangéliste nous décrit l’éclat de son visage et la blancheur de ses vêtements, la substance n’en fut donc pas détruite, l’éclat seul en fut changé. Sans doute le Seigneur fut transformé en cette gloire dont il sera revêtu lorsqu’il viendra pour établir son règne ; mais cette transformation lui donna un nouvel éclat, sans changer ni les traits ni la nature de son visage. Supposons que son corps soit devenu un corps spirituel, est-ce que la nature de ses vêtements fut également changée ? Ils devinrent si blancs, dit un autre Évangéliste (Mc 9), que nul foulon sur la terre ne pourrait leur donner une pareille blancheur. Or des objets de ce genre ont une forme corporelle, on peut les toucher, et ce n’est pas quelque chose de spirituel et d’aérien qui fait illusion aux regards et n’a qu’une apparence fantastique. — Remi. Si le visage du Sauveur est devenu brillant comme le soleil, et que le visage des saints doive aussi briller un jour comme cet astre, faut-il en conclure que la gloire du Seigneur et celle des serviteurs auront le même éclat ? Non, sans doute, mais comme rien dans la création n’approche de l’éclat du soleil, les saintes Écritures, pour nous donner une idée de la résurrection future, nous disent que le visage du Seigneur resplendit comme le soleil, et que les justes brilleront eux-mêmes un jour comme cet astre.

Orig. Dans le sens mystique, celui qui, comme nous l’avons dit, s’est élevé au-dessus des six jours, voit Jésus transfiguré devant les yeux de son cœur ; car le Verbe de Dieu a diverses formes, et il se découvre à chacun de la manière qu’il sait lui être la plus utile, sans jamais se dévoiler au delà des dispositions de son âme. Aussi l’Évangéliste ne dit-il pas simplement : " il fut transfiguré, mais il fut transfiguré devant eux. " En effet, dans l’Évangile, Jésus est compris d’une manière simple et ordinaire par ceux qui ne peuvent monter sur la montagne élevée de la sagesse par les saints exercices des entretiens spirituels. Ceux, au contraire, qui sont assez heureux pour gravir cette montagne, ne le connaissent plus selon la chair, mais voient en lui le Verbe de Dieu. C’est devant eux que Jésus se transfigure et non pas devant ceux qui vivent ici-bas d’une vie toute terrestre. Ceux devant lesquels Jésus se transfigure, deviennent les enfants de Dieu ; il se découvre à leurs yeux comme le soleil de justice, et ses vêtements deviennent brillants comme la lumière. Ces vêtements sont les discours et les récits de l’Évangile, dont Jésus est comme revêtu, et que les Apôtres nous ont conservés dans leurs écrits. — La Glose. Ou bien les vêtements du Christ figurent les saints dont Isaïe a dit : " Ils seront pour vous comme un habillement d’honneur dont vous serez revêtu. " (Is 49) Ils sont comparés à la neige, parce qu’ils auront l’éclat pur de la vertu, et que le feu des passions ne pourra plus les atteindre.

S. Chrys. (hom. 56.) " En même temps, ils virent paraître Moïse, " etc. On peut donner plusieurs raisons de cette apparition ; premièrement, comme le peuple disait que Jésus était Élie ou Jérémie, ou un des prophètes, il paraît entouré des premiers des prophètes, pour montrer la différence qui existe entre le maître et les serviteurs. Deuxièmement, les Juifs accusèrent continuellement Jésus d’être un blasphémateur, un transgresseur de la loi, un usurpateur de la gloire de son Père ; pour établir son innocence sur ces deux points, il fait paraître deux hommes qui ont brillé surtout par leur zèle pour la loi, comme pour la gloire de Dieu ; car c’est Moïse qui donna la loi, et Élie fut un des plus zélés défenseurs de la gloire de Dieu. Troisièmement, il veut leur apprendre qu’il est le maître de la vie et de la mort, et c’est dans ce dessein qu’il fait paraître Moïse, qui avait payé le tribut à la mort, et Élie, qui n’y avait pas encore été soumis. Une quatrième raison que nous fait connaître l’Évangéliste, c’était pour dévoiler la gloire de la croix et calmer les inquiétudes et les craintes de Pierre et des autres disciples à l’égard de la passion ; car, comme le remarque un autre Évangéliste : " Ils s’entretenaient avec lui de sa mort qui devait s’accomplir dans Jérusalem " (Lc 9). Il se montre donc au milieu de ceux qui se sont exposés à la mort pour être agréables à Dieu, et pour le peuple fidèle ; car tous deux se présentèrent avec fermeté devant deux tyrans, Moise devant Pharaon (Ex 5), et Élie devant Achab (3 R 10). Il les fait encore paraître dans cette circonstance, pour exciter ses disciples à imiter leurs vertus, c’est-à-dire la douceur de Moïse et le zèle d’Élie. — S. Hil. Moïse et Élie sont choisis de préférence parmi tous les saints, pour nous montrer le règne de Jésus-Christ établi au milieu de la loi et des prophètes ; car il doit juger Israël, assisté des mêmes témoins qui ont annoncé sa venue. — Orig. Celui qui comprend le rapport qui existe entre l’esprit de la loi et les paroles de Jésus, et qui sait trouver dans les prophéties la sagesse cachée du Christ, celui-là voit Moïse et Élie dans la même gloire que Jésus. — S. Jér. Remarquons encore que tandis qu’il refusa de faire voir aux scribes et aux pharisiens un prodige dans le ciel, il en fait éclater un de cette nature devant les Apôtres, pour augmenter leur foi, puisqu’il fait descendre Élie du ciel où il était monté, et ressusciter Moïse des enfers. C’est ce double prodige qu’Isaïe conseillait à Achab de demander au plus profond de l’abîme ou au plus haut des cieux (Is 7).

Orig. Mais que dit ici Pierre, toujours plein d’ardeur ? " Or, Pierre, prenant la parole, dit à Jésus : Seigneur, nous sommes bien ici, " etc. Comme il avait appris de Jésus lui-même qu’il lui fallait aller à Jérusalem, il craint encore pour son Maître ; mais après le reproche qu’il en a reçu, il n’ose plus lui dire : " Gardez-vous en bien, Seigneur ; " mais il exprime la même pensée sous une autre forme. Il voyait sur la montagne un grand calme et une solitude profonde, et d’après la disposition des lieux, il pense y pouvoir trouver une demeure convenable, comme il le dit au Sauveur : " Nous sommes bien ici, " Il voudrait même y rester toujours, et il parle d’y élever des tentes : " Faisons, s’il vous plaît, trois tentes. " Il espérait que s’il pouvait s’établir sur la montagne, Jésus n’irait pas à Jérusalem, et qu’en évitant d’aller dans cette ville, il éviterait en même temps la mort ; car il savait que les scribes tramaient sa perte. Il se confiait encore sur la présence d’Élie, qui avait fait descendre le feu sur la montagne (4 R 1), et sur celle de Moïse (Ex 24, 23), qui était entré dans la nuée pour parler à Dieu. Ils auraient pu ainsi se dérober à tous les regards et à toutes les recherches des persécuteurs. Remi. Ou bien, dans un autre sens, à la vue de la gloire du Seigneur et de ses deux fidèles serviteurs, Pierre fut tellement ravi de joie, qu’il oublie toutes les choses de la terre, et qu’il voudrait rester toujours dans cet endroit. Or, si tel fut l’enivrement et le transport de cet Apôtre, quelle douceur et quelle suavité de voir un jour le Roi de gloire dans toute sa beauté (cf. Is 33 17), et de se trouver mêlé aux choeurs des anges et de tous les saints ? Cette parole de Pierre : " Seigneur, si vous le voulez, " est une preuve tout à la fois de son dévouement et de son obéissance.

S. Jér. Vous êtes cependant dans l’erreur, Pierre, et comme le remarque un autre Évangéliste (Lc 9) : " Vous ne savez ce que vous dites. " Ne cherchez pas à élever trois tentes, lorsqu’il ne doit y avoir qu’une seule tente, celle de l’Évangile, qui contient le mystérieux abrégé de la loi et des prophètes. Si cependant vous voulez trois tentes, n’égalez pas les serviteurs au maître, mais établissez trois tentes (ou plutôt une seule), pour le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Que ces trois personnes qui n’ont qu’une seule et même divinité, n’aient aussi dans votre cœur qu’une seule et même demeure. — Remi. L’erreur de Pierre fut encore de vouloir établir sur la terre le royaume des élus, que Jésus avait promis d’établir un jour dans les cieux ; il se trompa encore en oubliant qu’il était mortel, lui et les deux autres disciples, et en voulant entrer dans l’éternelle félicité sans avoir passé par la mort. — Rab. Il se trompa enfin, en croyant qu’il fallait des tentes pour la vie du ciel, où il n’est nul besoin d’habitation, alors qu’il est écrit : " Je n’ai pas vu de temple dans la céleste Jérusalem. " (Ap 21)

 

vv. 5-9.

S. Jér. Ceux qui désiraient une tente matérielle faite avec des branches ou des tentures, sont enveloppés et couverts d’un nuage brillant. " Lorsqu’il parlait encore, une nuée lumineuse les couvrit, " etc. — S. Chrys. (hom. 56.) Quand le Seigneur menace, il fait apparaître une nuée ténébreuse, comme sur le mont Sinaï ; mais ici il fait briller une nuée lumineuse, parce qu’il veut, non pas épouvanter, mais instruire. — Orig. Cette nuée qui couvre et protège les saints, c’est la vertu du Père, ou bien l’Esprit saint ; je dirai même que notre Sauveur est la nuée lumineuse qui couvre l’Évangile, la loi et les prophètes, comme le comprennent bien ceux qui peuvent y contempler sa lumière. — S. Jér. La demande de Pierre était imprudente : aussi le Seigneur ne lui fait pas de réponse, mais c’est le Père lui-même qui répond pour le Fils, afin d’accomplir cette parole du Seigneur : " Celui qui m’a envoyé, c’est lui-même qui me rend témoignage. " (Jn 8.)

S. Chrys. (hom. 56.) Ce n’est ni Moïse ni Élie qui prennent la parole, mais c’est le Père, qui est au-dessus d’eux tous, qui fait entendre sa voix du sein de la nuée, afin que les disciples ne puissent douter que cette voix vient de Dieu, car Dieu apparaît ordinairement dans une nuée, comme il est écrit dans le livre des Psaumes (Ps 97) : " Une nuée est autour de lui, et l’obscurité l’environne, " c’est ce que nous voyons ici : " Et une voix vint de la nuée, " etc. — S. Jér. Le Père fait entendre sa voix du haut du ciel, pour rendre témoignage à son Fils, pour dissiper l’erreur de Pierre, et lui enseigner la vérité, ainsi qu’aux autres Apôtres par son intermédiaire ; c’est pour cela qu’il dit : " Celui-ci est mon Fils bien-aimé. " C’est pour lui qu’il faut dresser une tente, c’est à lui qu’il faut obéir, c’est lui qui est le Fils, les autres ne sont que les serviteurs ; ils doivent, à votre exemple, préparer au Seigneur une tente dans le secret de leur cœur. — S. Chrys. (hom. 56.) Soyez donc sans crainte, Pierre : si Dieu est puissant, il est évident que son Fils a une puissance égale à la sienne ; s’il en est aimé, n’ayez aucune crainte ; personne ne trahit et n’abandonne celui qu’il aime. Or, vous ne l’aimez pas autant que l’aime son Père ; car il n’aime pas seulement son Fils parce qu’il l’a engendré, mais parce qu’il n’a qu’une seule et même volonté avec lui. " Dans lequel j’ai mis toute mon affection. " C’est-à-dire dans lequel je repose et que j’ai pour agréable, parce qu’il remplit avec zèle toutes les volontés de son Père. Sa volonté est la même que celle de son Père ; si donc il veut souffrir la mort de la croix, ne vous y opposez pas. — S. Hil. La voix qui sort de la nuée proclame non-seulement qu’il est le Fils, qu’il est le bien-aimé, celui en qui le Père met son affection, mais encore celui qu’il faut écouter, afin qu’il fût regardé comme le Maître de tels docteurs, lui qui, après sa mort, devait confirmer par un exemple éclatant la gloire du royaume céleste. — Remi. Il dit donc : " Écoutez-le, " c’est-à-dire en d’autres termes : Que les ombres de la loi disparaissent, ainsi que les figures des prophètes, et ne suivez plus que la lumière brillante de l’Évangile. — Ou bien encore, ces paroles : " Écoutez-le, " signifient qu’il est celui que Moïse avait prédit en ces termes : " Dieu vous suscitera un prophète du milieu de vos frères : vous l’écouterez comme moi. " (Dt 18.) C’est ainsi que le Seigneur se procure des témoins de tous côtés, la voix du Père du haut du ciel, Élie qui vient du paradis, Moïse sortant des limbes, les Apôtres choisis parmi les hommes : " Afin qu’au nom de Jésus, tout genou fléchisse, sur la terre, dans le ciel et dans les enfers. " (Ph 2.) — Orig. La voix qui sort de la nuée s’adressait à Moïse et à Élie qui désiraient voir et entendre le Fils de Dieu, ou bien aux Apôtres pour les instruire.

La Glose. Remarquons le rapport admirable qui existe entre le mystère de cette seconde régénération, qui doit avoir lieu à la résurrection, lorsque notre corps ressuscitera, et le mystère de la première qui a lieu dans le baptême, où l’âme renaît à une vie nouvelle. Dans le baptême de Jésus-Christ, nous voyons concourir les trois personnes de la Trinité : le Fils s’y montre revêtu d’une chair comme la nôtre, l’Esprit saint y apparaît sous la forme d’une colombe, et le Père s’y déclare dans la voix qui se fait entendre. De même dans la transfiguration, qui est un symbole mystérieux de la seconde régénération, toute la Trinité apparaît, le Père dans la voix, le Fils sous la forme de l’homme, l’Esprit saint dans la nuée. On se demande pourquoi l’Esprit saint apparut d’un côté dans une nuée, et de l’autre sous la forme d’une colombe ; la raison en est que l’Esprit saint manifeste ses dons sous des formes sensibles ; c’est ainsi que dans le baptême il donne l’innocence figurée par l’oiseau, symbole de la simplicité ; dans la résurrection, il nous donnera l’éclat et le rafraîchissement ; le rafraîchissement, figuré par la nuée ; l’éclat des corps ressuscités, figuré par ce nuage de lumière.

Et ses disciples, entendant ces paroles, tombèrent le visage contre terre, et furent saisis de crainte. " — S. Jér. Ils sont saisis d’effroi pour trois raisons : ou bien parce qu’ils ont reconnu leur erreur, ou bien parce que cette nuée lumineuse les avait enveloppés, ou bien enfin parce qu’ils avaient entendu la voix de Dieu le Père ; car la fragilité humaine ne peut supporter la vue d’une gloire bien au-dessus d’elle ; l’épouvante s’empare de tout son être, et elle tombe la face contre terre ; en effet plus l’homme veut étendre et agrandir ses recherches, plus il fait de lourdes chutes, quand il méconnaît ses forces. — Remi. Les saints Apôtres tombent la face contre terre (Gn 17, 3.17 ; Nb 16, 4 ; 16, 52 ; Tb 12, 16 ; Gn 49, 17 ; Is 28, 13 ; Jn 18, 26), circonstance qui est une preuve de leur sainteté ; car dans les saintes Écritures, nous voyons les saints tomber le visage contre terre, tandis que les impies sont renversés en arrière. — S. Chrys. (hom. 56.) Mais comment se fait-il que les disciples tombent ainsi sur la montagne, alors qu’au baptême de Jésus-Christ, quand une voix semblable se fit entendre, personne, dans la multitude qui était présente, n’éprouva cette impression extraordinaire de crainte ? C’est que la solitude, l’élévation de la montagne, le silence profond qui s’étendait au loin, la transfiguration elle-même, si propre à saisir l’imagination, et cette lumière si pure, et cette nuée lumineuse, toutes ces circonstances réunies impressionnaient vivement les disciples.

S. Jér. Comme ils étaient étendus à terre et ne pouvaient se relever, il s’approcha avec bonté et les toucha, pour dissiper ainsi leur crainte, et fortifier leurs membres affaiblis : " Mais Jésus s’étant approché, les toucha. " Il les avait guéris en les touchant, il complète leur guérison par cette parole de commandement : " Levez-vous, et ne craignez point. " Il chasse d’abord la crainte, afin de pouvoir ensuite les instruire. " Alors, levant les yeux, ils ne virent plus que Jésus seul. " Effet d’une conduite pleine de sagesse ; car si Moïse et Élie étaient restés avec le Seigneur, on n’aurait pas su d’une manière certaine à qui la voix du Père rendait témoignage. Ils voient Jésus debout, alors que la nuée est dissipée, et que Moïse et Élie ont disparu ; car après que l’ombre de la loi et des prophètes s’est retirée, on les retrouve tous deux dans l’Évangile. — Suite. " Et lorsqu’ils descendaient de la montagne, Jésus leur fit ce commandement et leur dit : Vous ne direz à personne ce que vous avez vu. " Il ne veut pas que cet événement soit prêché au peuple, dans la crainte que la grandeur même du prodige ne le rendît incroyable, et que la croix qui devait suivre la manifestation d’une si grande gloire ne fut un scandale pour les esprits grossiers. — Remi. Ou bien encore, si ce mystère de sa gloire avait été publié parmi le peuple, il se serait opposé à l’économie de sa passion, et la rédemption du genre humain aurait pu être ainsi retardée. — S. Hil. Il leur ordonne encore de garder le silence sur les choses qui viennent de s’accomplir, il veut qu’ils soient remplis de l’Esprit saint avant de rendre témoignage aux faits spirituels qui se sont passés sous leurs yeux.

 

vv. 10-13.

S. Jér. Suivant une tradition des pharisiens, fondée sur un passage du prophète Malachie (Ml 4, 5), la venue d’Élie doit précéder l’avènement du Sauveur pour ramener le cœur des pères à leurs enfants, et le cœur des enfants à leurs pères, et pour tout rétablir dans le premier état. Les disciples pensèrent donc que cette transformation glorieuse était celle dont ils venaient d’être témoins sur la montagne ; comme nous le voyons par la question qu’ils lui adressent : " Les disciples l’interrogèrent alors et lui dirent : Pourquoi donc les scribes disent-ils qu’il faut qu’Élie vienne auparavant ? " C’est-à-dire : Vous êtes déjà venu dans votre gloire, pourquoi votre précurseur ne paraît-il point ? Et ce qui les porte à parler ainsi, c’est la disparition d’Élie.

S. Chrys. (hom. 57.) Ce n’est point d’après les Écritures que les disciples savaient qu’Élie devait venir, mais parce que les scribes le leur avaient appris, et cette opinion sur Élie et sur le Christ était répandue dans la classe ignorante, du peuple. Or, les scribes n’expliquaient point d’une manière conforme à la vérité l’avènement du Christ et d’Élie. En effet, les Saintes Écritures annoncent deux avènements du Christ, celui qui a déjà eu lieu et celui qui doit s’accomplir plus tard. Mais les scribes, pour tromper le peuple, ne lui parlaient que d’un seul avènement, et lui disaient que si Jésus était le Christ promis, il devait être précédé par Élie. Le Sauveur donne ici à ses disciples la solution de cette difficulté : " Mais Jésus leur répondit Il est vrai qu’Élie doit venir et rétablir toutes choses. Or, je vous déclare qu’Élie est déjà venu, " etc. Ne croyez pas que Notre-Seigneur commette une erreur en disant d’une part qu’Élie doit venir, et de l’autre qu’il est déjà venu. En effet, lorsqu’il prédit qu’Élie doit venir et rétablir toutes choses, il parle d’Élie lui-même en personne. Élie rétablira toutes choses en guérissant l’infidélité des Juifs qui existeront alors, c’est-à-dire, suivant l’Écriture, en réunissant les cœurs des pères avec leurs enfants, ce qui doit s’entendre du cœur des Juifs avec les Apôtres. — S. Aug. (Quest. évang., 1, 21.) Ou bien, il rétablira toutes choses, c’est-à-dire ceux que la persécution de l’Antéchrist aura ébranlés ; ou bien, il rétablira toutes choses, c’est-à-dire il acquittera sa dette eu mourant. — S. Chrys. (hom. 57.) Si la présence d’Élie doit produire de si grands biens, pourquoi Dieu ne l’a-t-il pas envoyé alors ? Nous répondons que les Juifs ont pris le Christ pour Élie et qu’ils n’ont pas cru en lui. Mais alors ils croiront en lui, car lorsqu’après une si longue attente, il viendra leur annoncer Jésus, ils seront plus disposés à recevoir sa parole. Mais lorsque le Sauveur dit qu’Élie est déjà venu, il donne le nom d’Élie à Jean-Baptiste à cause du ministère qui lui était confié ; car de même qu’Élie sera le précurseur du second avènement, Jean-Baptiste a été le précurseur du premier. Il appelle Jean-Baptiste Élie, pour montrer le rapport de son premier avènement avec l’Ancien Testament et avec les prophéties.

S. Jér. Celui donc qui doit venir en personne lors du second avènement du Sauveur est déjà venu en esprit et en vertu dans la personne de Jean-Baptiste. " Et ils ne l’ont pas connu, " etc. C’est-à-dire qu'ils l’ont méprisé et mis à mort. — S. Hil. Ainsi, celui qui était le précurseur de l’avènement du Sauveur le fut aussi de sa passion, dans les outrages et les persécutions qu’il endura ; ce que Notre-Seigneur indique par les paroles suivantes : " C’est ainsi qu’ils feront souffrir le Fils de l’homme. " — S. Chrys. (hom. 57.) Le Sauveur choisit l’occasion favorable pour leur parler de sa passion, en leur faisant trouver une puissante consolation dans le rapprochement qu’il en fait avec celle de Jean-Baptiste. — S. Jér. Comment peut-on dire qu’Hérode et Hérodias qui ont fait décapiter Jean-Baptiste, ont aussi crucifié Jésus-Christ, alors que nous lisons dans l’Évangile que ce furent les scribes et les pharisiens qui le mirent à mort ? Nous répondrons en peu de mots que la faction des pharisiens fut complice de la mort de Jean, et qu’Hérode joignit sa volonté à celle des Juifs qui crucifièrent le Sauveur en le renvoyant à Pilate pour qu’il fût crucifié, après s’en être moqué et l’avoir couvert de son mépris.

Rab. En rapprochant la pensée de la passion du Seigneur, qu’il leur avait souvent prédite, de la mort du précurseur, qui était un fait accompli, les disciples comprirent que c’était de Jean-Baptiste qu’il leur avait parié sous le nom d’Élie. " Alors les disciples comprirent, " etc. — Orig. Quant à ce que Notre-Seigneur dit de Jean : " Élie est déjà venu, " etc, il ne faut pas l’entendre de l’âme d’Élie, pour ne pas tomber dans la croyance à la métempsycose, qui est contraire à la doctrine de l’Église, mais comme l’ange l’a expliqué à Zacharie, c’est-à-dire qu’il est venu dans l’esprit et la vertu d’Élie.

 

vv. 14-17.

Orig. Pierre, qui désirait cette vie glorieuse qui venait de lui être révélée, et préférait ses intérêts aux intérêts du grand nombre, disait : " Nous sommes bien ici. " Mais la charité ne cherche pas ses intérêts personnels (1 Co 13) ; aussi Jésus n’accéda point au désir de son disciple, il descendit vers le peuple comme de la montagne élevée de sa divinité, afin de secourir ceux qui ne pouvaient monter jusqu’à lui, par suite des infirmités de leur âme. C’est ce que signifient ces paroles : " Et lorsqu’il fut venu vers le peuple. " Car s’il n’était pas venu le premier vers ce peuple avec les disciples qu’il avait choisis, il n’eût pas vu s’approcher de lui cet homme dont il est dit : " Un homme s’approcha de lui, et se jetant à ses pieds, il lui dit : Seigneur, ayez pitié de mon fils. " Remarquons ici que tantôt ce sont les malades eux-mêmes dont la foi sollicite la guérison ; tantôt ce sont d’autres personnes qui la demandent pour eux, comme cet homme prosterné aux genoux de Jésus le prie pour son fils ; tantôt, enfin, le Sauveur guérit de lui-même sans en avoir été prié. Or, examinons d’abord ce que signifient ces paroles : " Il est lunatique, et il souffre beaucoup. " Les médecins interprètent cette maladie à leur manière, ils ne veulent point y voir l’action de l’esprit impur, mais l’effet d’une douleur matérielle ; ils prétendent que les humeurs sont mises en mouvement dans la tête d’après certain rapport d’influence exercé par la lune. Pour nous, qui croyons à l’Évangile, nous disons que c’est l’esprit impur qui est l’auteur de cette maladie dans les hommes. Il observe certaines phases de la lune, et il agit de manière à faire adopter aux hommes cette erreur que leurs maladies sont la suite des influences lunaires, et à leur faire conclure que les créatures de Dieu sont mauvaises. C’est ainsi que d’autres démons observent d’autres signes dans les étoiles pour tendre des pièges aux hommes, et proférer contre le ciel des paroles d’iniquité, c’est-à-dire qu’il existe des étoiles malfaisantes, et d’autres douées de qualités contraires, quand il est vrai de dire que Dieu n’a créé aucune étoile qui puisse faire du mal aux hommes.

" Car souvent il tombe dans le feu, " etc. — S. Chrys. (hom. 57.) Remarquons que si cet homme n’avait pas été protégé par la Providence, il fût mort depuis longtemps ; car le démon qui le précipitait dans le feu et dans l’eau l’aurait fait périr, si Dieu n'eût mis frein à sa fureur. — S. Jér. " Je l’ai présenté à vos disciples, et ils n’ont pu le guérir. " Il accuse indirectement les Apôtres, bien que cependant le défaut de guérison ne vienne pas toujours de l’impuissance de ceux qui essaient de guérir, mais du peu de foi de ceux. qui veulent être guéris. — S. Chrys. (hom. 57.) Voyez, d’ailleurs, comme cet homme est imprudent ; c’est en présence de la foule qu’il cherche à indisposer Jésus contre ses disciples ; mais Jésus les justifie aussitôt en rejetant sur lui seul le défaut de guérison. Nous avons, en effet, plusieurs preuves de son peu de foi. Cependant le Sauveur, pour ne pas le décourager, ne fait pas tomber sur lui seul ses reproches, mais sur tous les Juifs ; car il est probable que plusieurs d’entre eux avaient mauvaise opinion de ses disciples. Or, Jésus répondit : " Jusques à quand serai-je avec vous ? " etc., paroles qui nous montrent le désir qu’il avait de sortir de la vie et de souffrir la mort.

Remi. Il faut se rappeler que ce n’est pas seulement de ce jour, mais de longtemps auparavant, que le Seigneur avait à souffrir de la méchanceté des Juifs ; c’est pour cela qu’il dit : " Jusques à quand serai-je avec vous ? " C’est-à-dire j’ai souffert depuis trop longtemps de vos injustices, et vous êtes indignes de ma présence. — Orig. Ou bien, ses disciples n’ayant pu guérir cet homme par suite de leur peu de foi, c’est à eux qu’il adresse ce reproche : " O génération incrédule ! " Il ajoute : " Et dépravée, " pour nous apprendre que le mal a pour cause sur la terre la perversité des hommes, et non leur nature, et c’est, je pense, cette perversité de tout le genre humain qui le fait s’écrier comme accablé sous le poids de tant de malice : " Jusques à quand serai-je avec vous ? " — S. Jér. N’allons pas croire que le Sauveur se soit laissé abattre par l’ennui, et que lui, si doux et si pacifique, ait éclaté en paroles de colère ; non, il agit ici comme un médecin qui, voyant un malade aller contre ses ordonnances, dirait : Jusques à quand viendrai-je ici ? jusques à quand perdrai-je mes soins et mes peines, puisque vous faites le contraire de ce que je vous ordonne ? Une preuve qu’il n’est pas irrité contre cet homme, mais seulement contre sa mauvaise disposition, et que dans sa personne il veut reprendre l’incrédulité de tous les Juifs, c’est qu’il ajoute : " Amenez-moi ici cet enfant. " — S. Chrys. (hom. 57.) Après avoir excusé, ses disciples, il inspire au père de cet enfant l’espérance douce et certaine de la guérison de son fils, et pour amener le père à croire à ce miracle, il menace le démon qu’il voit s’agiter et trembler au seul son de sa voix. " Et Jésus le menaça, " non pas celui qui souffrait, mais le démon. — Remi. Il laisse en cela un exemple aux prédicateurs, c’est de reprendre et de poursuivre les vices, mais de soulager les hommes. — S. Jér. Ou bien il réprimande cet enfant, parce que ses péchés étaient cause qu’il était tourmenté par le démon.

" Et le démon sortit de lui. " — Rab. Car aucune infirmité ne résiste à l’action du Tout-Puissant qui donne la guérison.

S. Jér. Pour moi, je crois que dans le sens figuré le lunatique est celui qui, par moment, retourne au vice, et qui tantôt se précipite dans le feu, parce que le cœur des adultères est comme une fournaise embrasée (Os 7, 4 ; 7, 6) ; tantôt se jette dans les eaux des voluptés et des désirs charnels qui ne peuvent éteindre la charité. — S. Aug. (Quest. évang., 1, 22.) Ou bien, le feu signifie la colère, parce qu’il tend à s’élever en haut ; et l’eau les voluptés de la chair. — Orig. L’Esprit saint, parlant de l’inconstance du pécheur, dit : " L’insensé est changeant comme la lune. " (Si 27.) On voit, en effet, ces hommes se livrer avec une espèce d’impétuosité à la pratique des bonnes oeuvres, et puis soudain, comme emportés par un mauvais esprit, devenir les esclaves de leurs passions, et déchoir du haut degré de vertu où on les croyait inébranlables. Peut-être est-ce l’ange à qui Dieu a confié la garde de ce lunatique, qui est appelé ici son père, et c’est lui qui prie le médecin des âmes comme pour son fils, et lui demande de délivrer celui que n’a pu guérir la parole impuissante des disciples du Christ, parole qu’il n’a point voulu entendre, comme s’il était atteint de surdité ; il faut la parole du Christ pour qu’il agisse désormais suivant les inspirations de la raison.

 

vv. 18-20.

S. Chrys. (hom. 57.) Les Apôtres avaient reçu le pouvoir de chasser les esprits immondes, et comme cependant ils n’avaient pu délivrer le démoniaque qui leur avait été présenté, on peut supposer qu’ils doutaient s’ils avaient encore le pouvoir qui leur avait été donné. C’est ce que 1’Évangéliste nous exprime en disant : " Alors les disciples vinrent trouver Jésus, " etc. Ils l’interrogent en particulier, non par un sentiment de crainte ou de honte, mais parce qu’ils avaient à lui demander l’explication d’une chose extraordinaire et mystérieuse.

" Jésus leur répondit : A cause de votre incrédulité. " — S. Hil. Les Apôtres avaient la foi, sans doute ; mais elle était loin d’être parfaite ; car pendant le séjour du Seigneur sur la montagne, elle s’était bien affaiblie au contact de la foule, au milieu de laquelle ils étaient restés. — S. Chrys. (hom. 57.) Il est donc évident, d’après ces paroles, que quelques-uns des disciples, mais non pas tous, avaient faibli dans la foi ; car ceux qui étaient comme les colonnes (Ga 2, 9), c’est-à-dire Pierre, Jacques et Jean, n’étaient pas alors avec eux. — S. Jér. C’est cette vérité que le Seigneur leur rappelle dans un autre endroit (Jn 15) : " Tout ce que vous demanderez en mon nom, vous le recevrez, si vous avez la foi. " Donc toutes les fois que nous ne recevons pas, ce n’est pas l’impuissance de celui qui accorde, mais la faute de ceux qui demandent qui en est cause.

S. Chrys. (hom. 57.) Il faut cependant se rappeler que souvent la foi de celui qui prie suffit pour obtenir le miracle qu’il demande, pie bien des fois aussi la puissance de celui qui opère le miracle suffit également, lors même que ceux qui demandent ce miracle n’ont pas la foi. Car si d’un côté ceux qui vinrent trouver Pierre en faveur du centurion Corneille attirèrent sur lui la grâce de l’Esprit saint par la foi personnelle ; d’un autre côté, le mort qui fut jeté dans le tombeau d’Elisée ressuscita par la vertu seule du corps du saint prophète. (4 R 13.) Or, il arriva que les disciples faiblirent ici dans la foi, parce que leurs dispositions étaient imparfaites avant la passion du Sauveur. C’est pour cela qu’il donne ici la foi comme la cause des miracles : " Je vous le dis en vérité, si vous aviez de la foi, " etc. — S. Jér. Il en est qui pensent que la foi qui est ici comparée au grain de senevé, est petite et faible ; mais qu’ils écoutent le grand Apôtre s’écriant : " Quand j’aurais une foi si grande, que je pourrais transporter les montagnes. " (1 Co 13.) C’est donc une grande chose que la foi que le Sauveur compare ici à un grain de senevé.

S. Grég. (Moral. 1, 2 ou 4, Pref.) Si le grain de sénevé n’est broyé, il ne fait point sentir sa vertu ; ainsi, c’est lorsque la persécution accable et broie pour ainsi dire l’homme juste, que tout ce qui paraissait en lui de méprisable et d’informe se change en vertu pleine de ferveur. — Orig. (Traité 4 sur S. Matth.) Ou bien encore, la foi est comparée au grain de sénevé, parce que les hommes n’ont pour elle que du dédain et la regardent comme une chose de peu d’importance et sans aucune valeur. Mais lorsque cette semence trouve une âme bonne, comme une terre bien disposée, elle devient un grand arbre. Or, la maladie de ce lunatique est si forte et si difficile à guérir parmi toutes les autres, qu’elle est comparée ici à une montagne et qu’elle ne peut être guérie que par toute la foi de celui qui entreprend cette guérison. — S. Chrys. (hom. 57.) C’est pour cela que le Sauveur la compare indirectement au transport d’une montagne, et qu’il va même au delà en ajoutant : " Et rien ne vous sera impossible. " — Rab. Ainsi la foi rend notre âme capable de recevoir tous les dons du Ciel et d’obtenir avec la plus grande facilité tout ce que nous pouvons demander au Seigneur, fidèle dans ses promesses.

S. Chrys. (hom. 57.) Si vous me demandez : Quand donc les Apôtres ont-ils transporté des montagnes ? je vous répondrai qu’ils ont opéré des prodiges bien plus grands en ressuscitant plusieurs fois des morts. Mais l’histoire nous apprend qu’après les Apôtres, des saints qui leur étaient inférieurs ont réellement transporté des montagnes dans des nécessités pressantes. Si les Apôtres eux-mêmes n’ont pas fait de miracles de ce genre, ce n’est point impuissance de leur part, mais parce qu’ils ne l’ont pas voulu, n’y voyant aucune nécessité. Le Seigneur ne dit pas d’ailleurs qu’ils feraient ce miracle, mais qu’ils pourraient le faire. Il est probable cependant qu’ils ont opéré ce prodige, mais les Évangélistes ne nous en ont point conservé le souvenir, car ils n’ont pas rapporté tous les miracles faits par les Apôtres. — S. Jér. Ou bien encore, la montagne qu’il s’agit ici de transporter n’est point une de ces montagnes qui peut être aperçue des yeux du corps, mais cette montagne qui fut enlevée de l’âme du lunatique et dont Jérémie a dit qu’elle corrompait toute la terre. (Jr 51, 25.)

La Glose. Voici donc le sens de ces paroles : Vous direz à cette montagne, c’est-à-dire au démon plein d’orgueil : Transporte-toi d’ici, c’est-à-dire de ce corps que tu obsèdes, dans les profondeurs de la mer, c’est-à-dire dans les abîmes de l’enfer ; et il s’y transportera, et rien ne vous sera impossible, c’est-à-dire qu’il n’y aura point de maladie que vous ne puissiez guérir. — S. Aug. (De l’acc. des Ev., 1, 22.) Ou bien, dans un autre sens, de peur que les Apôtres ne vinssent à s’enorgueillir des miracles qu’ils opéraient, Notre-Seigneur les avertit de chercher plutôt à remplacer la vanité naturelle à l’homme, figurée ici par une montagne élevée, par l’humilité de la foi, qu’il compare à un grain de sénevé.

Rab. En enseignant aux Apôtres ce qu’ils doivent faire pour chasser les démons, il nous apprend à tous les règles de la vie spirituelle, c’est-à-dire que nous pouvons surmonter les plus fortes tentations, qu’elles viennent des esprits impurs ou des hommes, par la prière et par le jeûne, et que c’est encore un des moyens les plus efficaces d’apaiser la colère de Dieu ; c’est pour cela qu’il ajoute : " Cette sorte de démon ne se chasse que par la prière et par le jeûne. " — S. Chrys. (homélie 57.) Le Sauveur ne parle pas ici seulement de l’espèce des lunatiques, mais de tous les démons, quels qu’ils soient ; car le jeûne est une source abondante de sagesse ; il rend l’homme semblable à un ange descendu du ciel et le revêt d’une force toute divine pour combattre les puissances invisibles. Mais la prière lui est encore plus nécessaire, car celui qui joint le jeûne à une prière bien faite est affranchi de bien des nécessités ; il n’est plus esclave de l’avarice ; au contraire, sa main se répand facilement en aumônes. De même celui qui jeûne est beaucoup plus dégagé, sa prière est plus attentive et plus recueillie ; il éteint dans son cœur les mauvais désirs, se rend Dieu propice et humilie l’orgueil de son âme. Celui donc qui sait unir la prière au jeûne a, pour ainsi dire deux ailes plus rapides que les vents ; il ne se laisse atteindre dans la prière ni par l’ennui, ni par la tiédeur, défauts si communs dans un grand nombre ; mais il est plus ardent que le feu et plus élevé que la terre, et un tel homme est pardessus tout redoutable au démon. Rien n’est plus fort que l’homme qui sait bien prier. Si la faiblesse de votre tempérament ne vous permet pas de jeûner continuellement, au moins vous permet-elle de prier, et si vous ne pouvez jeûner, vous pouvez au moins ne pas vous livrer à la volupté. Or, c’est là un acte de haute importance et qui égale presque le mérite du jeûne. — Orig. Si donc nous devons, un jour entreprendre et poursuivre la guérison d’un mal semblable, n’adjurons pas l’esprit impur, ne l’interrogeons pas comme s’il nous entendait ; mais chassons ces esprits malins par nos jeûnes et par nos prières. — La Glose. Ou bien encore on ne peut vaincre cette espèce de démon, c’est-à-dire cette inconstance des voluptés charnelles, qu’en fortifiant son esprit par la prière et en macérant son corps par les jeûnes. — Remi. Ou bien enfin, le jeûne doit s’entendre ici dans un sens plus étendu, non-seulement de l’abstinence des aliments, mais du renoncement à toute volupté charnelle et à toutes les passions qui portent au péché ; il faut entendre également la prière dans un sens général en tant qu’elle comprend les oeuvres de la piété et de la charité, prière que l’Apôtre recommande quand il dit : " Ne cessez point de prier. "

 

vv. 21-22.

Remi. Notre-Seigneur prédit souvent à ses disciples les mystères de sa passion, afin que la connaissance plus grande qu’il leur en donne par avance les aide à supporter plus facilement cette épreuve lorsqu’elle sera arrivée ; c’est pour cela que nous lisons ici : " Comme ils étaient en Galilée, Jésus leur dit : Le Fils de l’homme doit être livré, " etc. — Orig. Au premier abord, ces paroles paraissent être les mêmes que celles qui ont été rapportées plus haut, et on pourrait dire qu’elles n’en sont qu’une répétition, mais il n’en est pas ainsi ; en effet, dans les paroles qui précèdent, il n’est pas dit que le Fils de l’homme sera livré ; ici, au contraire, nous voyons que non-seulement il sera livré, mais qu’il sera livré entre les mains des hommes. L’Apôtre déclare que le Fils a été livré par Dieu le Père (Rm 8) ; mais il est également vrai qu’il fut livré entre les mains des hommes par les puissances ennemies.

S. Jér. Notre-Seigneur entremêle toujours des pensées consolantes aux souvenirs affligeants ; en effet, si la prédiction de sa mort est de nature à les contrister, la pensée de sa résurrection doit les combler de joie. — S. Chrys. (hom. 57.) Il leur prédit qu’il ne restera pas longtemps dans le sein de la mort, mais qu’il ressuscitera le troisième jour. — Orig. Cependant cette prédiction du Seigneur les jette dans la tristesse, comme le remarque l’Évangéliste : " Et ils furent profondément affligés. " Ils ne firent point attention aux paroles suivantes : " Et il ressuscitera le troisième jour, " et ne réfléchirent point quel était celui qui n’avait besoin que de trois jours pour triompher de la mort. — S. Jér. Or, cette tristesse profonde qu’ils éprouvent ne vient pas de l’incrédulité, mais de l’amour qu’ils avaient pour leur Maître et qui ne leur permettait d’entendre rien qui lui fût contraire ou qui parût indigne de lui.

 

vv. 23-26.

La Glose. Comme les disciples avaient été attristés en entendant parler des souffrances du Sauveur, afin que personne n’attribuât sa passion à la nécessité plutôt qu’à son humilité, l’Évangéliste rapporte un fait qui démontre à la fois la liberté et l’humilité de Jésus-Christ : " Et étant venu à Capharnaüm, ceux qui recevaient le tribut de deux drachmes s’approchèrent, " etc. S. Hil. On vient demander au Seigneur de payer l’impôt de deux drachmes, c’est-à-dire de deux deniers. La loi commandait à tous les Israélites, pour le rachat de leur corps et de leur âme, cet impôt destiné à l’entretien des ministres du temple. — S. Chrys. (hom. 58.) Lorsque le Seigneur immola les premiers-nés des Égyptiens, il prit la tribu de Lévi en souvenir de cet événement. Mais comme le nombre des premiers-nés des Juifs était plus considérable que le nombre des membres de la tribu de Lévi, il ordonna de payer un sicle pour le prix de ceux qui dépassaient ce nombre ; et de là vint la coutume de payer cet impôt pour les premiers-nés. Or, comme Jésus-Christ était premier-né et que Pierre paraissait être le premier des disciples, ils s’adressent à lui. Je ne crois pas du reste qu’ils demandaient ce tribut dans toutes les villes, et s’ils viennent trouver Jésus à Capharnaüm, c’est qu’ils pensaient que c’était sa patrie.

S. Jér. Ou bien encore on peut dire qu’après César-Auguste, la Judée, étant devenue tributaire, l’impôt personnel atteignait tous les individus ; c’est pour cela que Joseph et Marie, qui étaient de la même tribu, partirent pour Bethléem, afin de s’y faire inscrire. Mais comme Notre-Seigneur avait été élevé à Nazareth, qui est un bourg de la Galilée, voisin de Capharnaüm, on lui demande de payer le tribut dans cet endroit ; ceux qui percevaient cet impôt, n’osant pas le demander à Jésus-Christ lui-même, intimidés qu’ils étaient par la grandeur de ses miracles, ils s’adressent à son disciple. — S. Chrys. (hom. 58.) Ils l’interrogent sans arrogance, mais avec douceur et sans formuler d’accusation. C’est une simple question qu’ils lui posent : " Votre maître ne paie-t-il pas le tribut des deux drachmes ? " — S. Jér. Ou bien ils l’interrogent avec malice pour savoir s’il paie les impôts et s’il n’est pas en opposition avec les ordres de César.

S. Chrys. (hom 58.) Or, quelle est la réponse de Pierre ? Et il leur répondit : Oui. " C’est à eux que s’adresse sa réponse et non pas à Jésus-Christ, car il rougissait d’avoir à lui parler de choses semblables. — La Glose. Ou bien dans un autre sens, Pierre répond oui, c’est-à-dire : il est vrai qu’il ne le paie pas. Pierre voulait faire connaître indirectement au Sauveur que les hérodiens exigeaient cet impôt ; mais le Seigneur va au devant : " Et lorsqu’il fut entré dans la maison, il le prévint. " — S. Jér. Avant même que Pierre lui ait fait part de cette question, Notre-Seigneur l’interroge, afin que ses disciples ne soient pas scandalisés de ce qu’on lui demande de payer l’impôt, en voyant qu’il sait parfaitement ce qui s’est passé en son absence.

" Et il répondit : Des étrangers ; Jésus lui dit : Donc les enfants en sont exempts. " — Orig. Cette réponse peut s’entendre de deux manières différentes. Dans le premier sens, les fils des rois de la terre sont libres et exempts chez les rois de la terre et les étrangers qui habitent au delà des frontières sont libres aussi ; mais ceux qui les oppriment comme les Égyptiens opprimaient les enfants d’Israël, les rendent esclaves. Dans le second sens, bien que quelques-uns soient étrangers aux fils des rois de la terre, par cela même qu’ils sont les enfants de Dieu, ils sont libres ; ce sont ceux qui persévèrent dans les enseignements de Jésus, qui ont connu la vérité et que la vérité a délivrés de la servitude du péché. Au contraire, dans ce sens, les fils des rois de la terre ne sont pas libres, car quiconque commet le péché est esclave du péché. (Jn 8.) — S. Jér. Quant à Notre-Seigneur, il était fils de roi et selon la chair et selon l’esprit, étant tout à la fois sorti de la souche de David, et le Verbe du Père tout-puissant ; donc, comme fils de roi, il ne devait pas les impôts. — S. Aug. (Quest. évang., 1, 23.) Le Sauveur dit que dans tout royaume les enfants sont libres, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas soumis à l’impôt ; donc à plus juste titre, les fils de ce roi de qui relèvent tous les royaumes doivent être libres de l’impôt dans tous les royaumes de la terre. — S. Chrys. (hom. 58.) Or, s’il n’était pas le fils, ce langage serait sans raison. On me dira peut-être : Il est le fils, mais non pas le propre fils ; il est donc étranger, et ainsi cet exemple n’a aucune force. Je réponds que le Sauveur parle ici des fils proprement dits, par opposition aux étrangers qui ne sont pas nés de la substance même des parents. Or, voyez comme Jésus-Christ confirme ici la vérité que le Père céleste avait révélée à Pierre et qui lui avait dicté ces paroles : " Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant. "

S. Jér. Cependant, quoiqu’il fût libre, comme il avait pris toutes les humiliations de notre nature, il dut accomplir toute justice. Il ajoute donc : " Mais, afin que nous ne les scandalisions pas, " etc. — Orig. Comme conséquence naturelle de ces paroles, nous devons comprendre que toutes les fois que des hommes se présentent pour nous prendre les biens de la terre au nom de la justice, ce sont les rois de la terre qui leur transmettent l’ordre d’exiger de nous ce qui leur appartient, et le Seigneur nous défend par son exemple de donner aucun scandale à ceux qui sont chargés de cette mission, ou pour ne pas les exposer à de plus grandes fautes, ou pour les amener au salut. C’est ainsi que le Fils de Dieu, qui ne fit jamais aucune oeuvre servile, paya cependant l’impôt et la capitation, parce qu’il avait revêtu la forme d’esclave par amour pour les hommes. — S. Jér. Je ne sais ce que je dois en premier lieu admirer ici, ou la prescience ou la puissance du Sauveur : la prescience, qui lui fit connaître qu’un poisson avait une pièce de monnaie dans la bouche et que ce poisson devait être le premier pris ; sa puissance, si une seule parole a suffi pour créer cette pièce de monnaie dans la bouche d’un poisson et s’il a été ainsi l’auteur de ce qui devait arriver. Jésus-Christ, dans son excessive charité, a donc souffert la mort de la croix et payé les impôts, et nous, malheureux que nous sommes, qui portons le nom du Christ et qui n’avons jamais rien fait de digne d’une si grande majesté, nous sommes affranchis du tribut par honneur pour lui, et exempts d’impôts comme les fils des rois. Ces paroles, comprises dans leur sens le plus simple, sont encore un sujet d’édification pour ceux qui les entendent et qui apprennent ainsi que Notre-Seigneur fut si pauvre, qu’il n’avait pas de quoi payer l’impôt pour lui et pour son disciple. On nous objectera peut-être : Mais alors comment Judas pouvait-il porter de l’argent dans une bourse ? Nous répondons que Jésus regarda comme un crime d’appliquer à son usage l’argent destiné aux pauvres et qu’il nous a donné cet exemple à imiter. — S. Chrys. Ou bien il ne veut pas qu’on prenne de l’argent qui est en réserve pour montrer que son empire s’étend sur la mer et sur les poissons qui l’habitent. — Orig. Ou bien, comme Jésus ne portait pas de pièce de monnaie à l’effigie de César, parce que le prince de ce monde n’avait aucun droit sur lui, il prit une pièce de monnaie à l’image de César non dans ce qui pouvait lui appartenir, mais dans le sein de la mer ; et encore il n’alla pas la chercher lui-même et n’en fit pas sa propriété, afin qu’on ne pût trouver l’effigie de César auprès de l’image du Dieu invisible. Voyez quelle prudence dans la conduite de Jésus-Christ : il ne refuse pas le tribut, il ne veut pas non plus qu’on le paie de la manière ordinaire ; mais il fait d’abord remarquer qu’il n’y est pas soumis, et c’est alors seulement qu’il le paie. Ainsi, d’un côté il commande de payer l’impôt pour ne pas scandaliser ceux qui sont chargés de le percevoir, et il montre, de l’autre, qu’il n’y est pas soumis pour ne pas scandaliser ses disciples. Dans une autre circonstance, nous le voyons mépriser le scandale que pouvaient prendre les pharisiens de sa doctrine sur les aliments, et il nous enseigne par là à discerner les circonstances où il faut ne faire aucune attention à ceux qui se scandalisent et celles où il faut en tenir compte. — S. Grég. (hom. 7 sur Ezech.) Remarquons, en effet, que nous devons, autant que nous le pouvons sans péché, éviter de scandaliser le prochain ; mais si c’est la vérité même qui donne lieu au scandale, il vaut mieux le permettre que de sacrifier la vérité — S. Chrys. (hom. 58.) La puissance du Christ vous paraît ici admirable ; mais admirez également la foi de Pierre, qui obéit dans une chose aussi difficile. Aussi Notre-Seigneur, voulant récompenser sa foi, daigne se l’associer dans le paiement de l’impôt, ce qui fut pour Pierre un témoignage insigne d’honneur. " Ouvrez la bouche de ce poisson, lui dit-il ; vous y trouverez une pièce d’argent de quatre drachmes ; donnez-la pour vous et pour moi. " — La Glose. C’était la coutume que chacun payât pour soi un didrachme, et le statère valait deux drachmes.

Orig. Dans le sens figuré, Notre-Seigneur, dans le champ de la consolation (car c’est ce que signifie le mot Capharnaüm), console tous ses disciples, les déclare des enfants libres et leur donne le pouvoir de pêcher ce premier poisson dans lequel Pierre trouve sa consolation, comme dans le fruit de sa pêche. — S. Hil. En commandant à Pierre d’aller pêcher le premier poisson, le Seigneur nous déclare que d’autres viendront à la suite. Le bienheureux Etienne, le premier des martyrs, est le premier tiré de l’eau, et il a dans la bouche le didrachme de la prédication nouvelle, de la valeur de deux deniers, car il prêchait en contemplant dans son martyre la gloire de Dieu et Notre-Seigneur Jésus-Christ. — S. Jér. Ou bien le premier poisson qui est tiré de l’eau, c’est le premier Adam qui est délivré par le second Adam ; et ce qui est trouvé dans sa bouche, c’est-à-dire dans sa confession, est donné à la fois pour Pierre et pour le Seigneur. — Orig. Lorsque vous verrez un avare corrigé par quelque nouveau Pierre qui lui aura retiré de la bouche le langage des intérêts de la terre ; vous pourrez dire qu’il a été tiré à l’aide du hameçon de la raison du sein de la mer, c’est-à-dire des flots des sollicitudes de l’avarice, et qu’il a été pris et sauvé par ce nouvel Apôtre qui lui a enseigné la vérité, et lui a donné à la place des deux drachmes l’image de Dieu, c’est-à-dire sa parole. — S. Jér. Il est à remarquer que c’est la même somme qui est payée, mais dans un sens différent ; car pour Pierre elle est payée comme pour un pécheur. Notre-Seigneur, au contraire, n’a commis aucun péché. Cependant, comme preuve qu’il avait une chair semblable à la nôtre, la même somme est payée pour le Seigneur et pour le serviteur.

 

CHAPITRE XVIII.

vv. 1-6.

S. Jér. Les disciples, voyant que le même impôt avait été payé également pour Pierre et pour le Sauveur, en conclurent que Pierre était placé au-dessus de tous les autres Apôtres. — S. Chrys. (homélie 58.) Cette pensée leur inspira un sentiment tout naturel et tout humain, que l’Évangéliste nous exprime en ces termes : " En ce même temps, les disciples s’approchèrent de Jésus et lui dirent : Qui pensez-vous qui soit le plus grand dans le royaume des cieux ? " Ils rougissent d’avouer le sentiment de jalousie qui les domine ; ils ne demandent pas ouvertement : Pourquoi avez-vous honoré Pierre plus que nous ? mais ils lui font cette question en général : " Quel est le plus grand ? " Lorsqu’ils avaient vu ces marques d’honneur accordées à trois d’entre eux dans la transfiguration, ils n’éprouvèrent rien de semblable ; mais ils furent péniblement affectés quand cet honneur sembla se concentrer sur un seul. Remarquez cependant qu’ils ne demandent rien des choses de la terre et qu’ils étouffèrent ensuite ce sentiment de jalousie, tandis que pour nous, nous ne pouvons même nous élever jusqu’à leurs défauts, car nous ne cherchons pas à savoir quel est le plus grand dans le royaume des cieux, mais quel est plus grand dans les royaumes de la terre.

Orig. (Traité 5 sur S. Matth.) Nous devons imiter la conduite des disciples toutes les fois qu’il s’élève en nous quelques doutes que nous ne pouvons résoudre. Il nous faut venir d’un commun accord trouver Jésus, qui a la puissance d’éclairer le cœur des hommes et de leur faire comprendre la solution de toutes les difficultés ; interrogeons aussi un des docteurs qui sont à la tête des églises. Les disciples, en faisant cette question, savaient bien que les saints ne sont pas égaux dans le royaume du ciel, mais ils désiraient savoir par quel moyen on parvenait à être le plus grand et comment on arrivait à être le plus petit. Ou bien encore, d’après ce que Notre-Seigneur leur avait dit précédemment, ils savaient quel était le plus petit et quel était le plus grand ; mais ils ignoraient quel était le premier dans le nombre de ceux qui passaient pour grands.

S. Jér. Jésus, voyant leurs pensées, voulut guérir ce désir de vaine gloire en leur proposant un combat tout d’humilité : " Et ayant appelé un petit enfant. " — S. Chrys. (hom. 58.) Rien de plus sage que la conduite de Notre-Seigneur plaçant au milieu d’eux un tout petit enfant, exempt de toute passion. — S. Jér. Il veut ainsi montrer réunis en lui l’âge et le symbole de l’innocence. Ou bien c’est lui-même qu’il place au milieu d’eux comme un petit enfant, lui qui n’était pas venu pour être servi, afin de leur donner un exemple frappant d’humilité. D’autres entendent par ce petit enfant l’Esprit saint, que Jésus plaça dans le cœur de ses disciples pour changer leur orgueil en humilité. " Et il leur dit : Je vous dis en vérité que si vous ne vous convertissez et si vous ne devenez comme de petits enfants, " etc. Il ne fait pas un précepte à ses disciples de reprendre l’âge des enfants, mais d’avoir leur innocence et d’atteindre par leurs efforts à ce que les enfants possèdent par le privilège de leur âge, c’est-à-dire d’être petits en malice et non en sagesse (1 Co 14). Voici le sens de ces paroles : Voyez cet enfant dont je vous propose l’exemple : il ne persévère pas dans sa colère, il oublie les injures, il ne met pas son plaisir dans la vue d’une belle femme, il ne parle pas autrement qu’il ne pense. Or, à moins d’avoir cette innocence et cette pureté d’âme, vous ne pourrez entrer dans le royaume des cieux. — S. Hil. (can. 14 sur S. Matth.) Ces enfants sont aussi tous les fidèles, à cause de leur obéissance à la foi, car ils se font gloire de suivre leur père, d’aimer leur mère ; ils ignorent ce que c’est que de vouloir le mal ; ils négligent les soucis des affaires, n’ont ni arrogance, ni haine, ni habitude du mensonge ; ils croient à ce qu’on leur dit et tiennent pour vrai ce qu’ils entendent. Tel est aussi le sens littéral de ces paroles.

La Glose. (interlin.). Si vous ne dépouillez ces sentiments d’orgueil et de secrète irritation qui vous dominent actuellement, pour devenir tous innocents et humbles par vertu, comme les enfants le sont par leur âge, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux, car on n’y entre pas à d’autres conditions. Quiconque donc s’humiliera comme cet enfant, celui-là sera le plus grand dans le royaume des cieux ; car plus on s’humiliera, plus aussi on deviendra grand dans le royaume des cieux. — Remi. C’est-à-dire dans la connaissance de la grâce, ou bien dans la hiérarchie ecclésiastique, ou certainement dans l’éternelle félicité. — S. Jn. Ou bien encore, quiconque s’humiliera comme cet enfant, c’est-à-dire celui qui s’humiliera à mon exemple, celui-là entrera dans le royaume des cieux.

" Et quiconque reçoit en mon nom un enfant tel que celui que je viens de dire, c’est moi qu’il reçoit. " Paroles dont voici le sens : Ce n’est pas seulement en devenant semblables à cet enfant, mais encore en honorant à cause de moi ceux qui leur ressemblent, que vous aurez droit à la récompense, et je vous assigne comme récompense de l’honneur que vous leur aurez témoigné, le royaume des cieux. Mais une récompense bien supérieure encore, c’est ce qui suit : " C’est moi qu’il reçoit. " — S. Jér. Car c’est Jésus-Christ que l’on reçoit en recevant celui qui reproduit dans toute sa vie l’humilité et l’innocence du Sauveur. Mais de peur que les Apôtres ne s’attribuent d’eux-mêmes cet honneur qu’on pourra leur rendre, le Sauveur ajoute avec sagesse que ce n’est pas à cause de leur mérite, mais en considération de leur Maître qu’ils recevront cet honneur.

S. Chrys. (hom. 58.) Pour leur faire recevoir et pratiquer plus facilement ces vérités, il leur donne ensuite la sanction des châtiments : " Si quelqu’un scandalise, " etc., c’est-à-dire : de même que ceux qui honorent ces petits à cause de moi seront jugés dignes de récompense, ainsi, ceux qui les méprisent seront punis des derniers châtiments. Ne soyez pas surpris de l’entendre appeler les outrages un scandale, car bien souvent les caractères faibles sont scandalisés par le mépris qu’on fait d’eux. — S. Jér. Remarquez que ce sont les petits qui sont scandalisés, car ceux qui sont plus forts ne se scandalisent pas si facilement. Or, bien que cette condamnation, prononcée par le Sauveur, atteigne en général tous ceux qui sont pour les autres une occasion de scandale, la suite du discours nous permet aussi de l’appliquer aux Apôtres eux-mêmes ; car cette question : Quel est le plus grand dans le royaume des cieux, paraissait être entre eux une question de prééminence, et s’ils avaient persévéré dans cette mauvaise disposition, ils auraient pu perdre, par ce scandale, ceux qu’ils appelaient à la foi et qui les auraient vus divisés par une question de préséance. — Orig. Mais comment expliquer que celui qui s’est converti et qui est devenu semblable à un enfant soit donné comme petit et susceptible d’être scandalisé ? Voici comment on peut résoudre cette difficulté. Celui qui croit au Fils de Dieu et vit d’une manière conforme à l’Évangile s’est transformé jusqu’à devenir semblable à un enfant. Celui au contraire qui n’a point subi cette bienheureuse transformation, ne peut entrer dans le royaume des cieux. Or, dans la multitude innombrable de ceux qui ont embrassé la foi, il en est qui sont nouvellement convertis et qui travaillent à devenir semblables à des enfants, mais qui ne le sont pas encore devenus ; ces derniers sont faibles en Jésus-Christ et peuvent être facilement scandalisés.

S. Jér. En ajoutant : " Il vaudrait mieux pour lui qu’on lui attachât une meule de moulin au cou, " etc., Notre-Seigneur parle d’après l’usage de ces contrées, car chez les anciens Juifs la peine infligée aux plus grands crimes était d’être précipité dans la mer après avoir été attaché à une pierre. Or, il lui serait avantageux qu’il en fût ainsi, car il vaut beaucoup mieux subir pour sa faute une peine de courte durée que d’être réservé à des châtiments éternels. — S. Chrys. (homélie 58.) Il était ce semble naturel et logique que le Sauveur terminât cette seconde partie en disant : " C’est moi qu’il ne reçoit pas, " ce qui était de tous les châtiments le plus sensible ; mais comme les disciples étaient encore peu avancés et qu’une peine semblable ne pouvait les impressionner, il leur fait connaître, par la comparaison d’un fait qui leur est connu, le supplice qui leur est préparé, et il leur déclare qu’il vaudrait mieux pour eux subir ce châtiment temporel, parce qu’un supplice bien plus terrible leur est réservé.

S. Hil. Dans le sens mystique, le supplice de la meule, c’est la peine de l’aveuglement spirituel ; car c’est après qu’on leur a couvert les yeux que l’on fait tourner la meule aux animaux. Nous voyons aussi souvent les Gentils désignés sous le symbole de l’âne, parce qu’ils sont renfermés dans l’ignorance d’un travail dont ils ne peuvent voir la fin. Pour les Juifs, au contraire, la loi leur a tracé le chemin de la science, et, s’ils viennent à scandaliser les Apôtres du Christ, il aurait mieux valu pour eux qu’on leur eût attaché une meule de moulin au cou et qu’on les eût précipités dans la mer ; c’est-à-dire qu’il leur eût été plus avantageux d’être condamnés aux durs travaux des Gentils et de rester ensevelis dans les ténèbres du siècle, car c’eût été pour eux un moindre crime de ne pas connaître Jésus-Christ que de refuser de recevoir le Seigneur et le Maître des prophètes.

S. Grég. (Moral., 6, 17.) Ou bien, dans un autre sens, que doit-on entendre par la mer, si ce n’est le siècle, et par cette meule de moulin, si ce n’est l’action des choses de la terre qui, en étreignant l’âme et en la prenant comme au cou par des désirs insensés, la condamne à tourner péniblement dans le même cercle ? Or, il en est plusieurs qui, en se séparant des actions terrestres et en voulant s’élever jusqu’à l’exercice de la contemplation, sans prendre conseil de l’humilité, non-seulement se précipitent dans l’erreur, mais encore détachent les faibles du sein de la vérité. Celui-là donc qui scandalise un de ces petits, il vaudrait mieux qu’il fût précipité dans la mer avec une meule au cou, car il eut été plus avantageux à cette âme dépravée de se livrer aux affaires du monde, que de faire servir les saints exercices de la contemplation à la perte d’un grand nombre. — S. Aug. (Quest. évang., 1, 24.) Ou bien encore, celui qui scandalisera un de ces petits, c’est-à-dire un des humbles, tels que doivent être ses disciples, en refusant d’obéir ou en résistant à l’autorité, comme l’Apôtre le dit d’Alexandre d’Ephèse (2 Tm 4, 14 ; 1 Tm 4) : " il vaudrait mieux qu’on lui attachât une meule de moulin au cou et qu’il fût précipité dans le fond de la mer ; " c’est-à-dire qu’il serait préférable pour lui que la passion pour les biens de la terre, passion qui est comme le poids auquel sont attachés les insensés et les aveugles, l’entraînât à la mort.

 

vv. 7-9.

La Glose. Notre-Seigneur venait de dire qu’il vaudrait mieux pour celui qui scandalise, qu’on lui attachât une meule de moulin au cou ; il en donne maintenant la raison. " Malheur au monde, à cause de ses scandales ! " — Orig. (Traité 3 sur S. Matth.) Ce que Notre-Seigneur appelle ici le monde, ce ne sont pas les éléments du monde extérieur, mais les hommes qui sont dans le monde. Or, les disciples de Jésus-Christ ne sont pas du monde ; par conséquent, cette malédiction, qui tombe sur les scandales, ne les atteint pas, car les scandales ont beau être multipliés, ils ne touchent point celui qui n’est pas du monde. S’il est encore du monde, parce qu’il aime le. monde et les choses qui sont dans le monde, les scandales n’auront de prise sur lui qu’en proportion de ce qu’il serait engagé dans les liens du monde,

" Il est nécessaire que les scandales arrivent. " — S. Chrys. (homélie 59.) En disant : Il est nécessaire, le Sauveur ne détruit pas le libre arbitre et ne le soumet à aucune fatalité ; il ne fait que prédire ce qui arrivera. Les scandales, c’est tout ce qui fait obstacle dans la voie droite. Or, ce n’est point la prédiction de Jésus-Christ qui est la cause des scandales, ce n’est point parce qu’il les a prédits que les scandales arrivent, mais c’est parce qu’ils devaient certainement arriver qu’ils les a prédits. On me dira peut-être : Si tous viennent à se corriger de leurs défauts et qu’il n’y ait plus personne pour donner de scandale, comment établir la vérité de cette parole de Jésus-Christ ? Rien de plus facile, car c’est justement parce qu’il a prévu qu’il y aurait des hommes qui ne se corrigeraient pas, qu’il a dit : " Il est nécessaire qu’il arrive des scandales, " c’est-à-dire : ils arriveront nécessairement. Or, si tous les hommes avaient dû réformer leur conduite, il n’aurait pas tenu ce langage. — La Glose. " Ou bien il faut qu’il arrive des scandales, parce qu’ils sont nécessaires ou du moins utiles pour faire connaître ceux qui sont d’une vertu éprouvée (1 Co 11, 19). — S. Chrys. (hom. 59.) En effet, les scandales réveillent les hommes, les rendent plus attentifs et plus sur leurs gardes et relèvent aussitôt celui qui tombe, en lui inspirant pour l’avenir une plus grande vigilance.

S. Hil. (can. 18 sur S. Matth.) Ou bien encore, c’est l’humilité de la passion qui a été un scandale pour le monde. En effet, ce qui retient le plus les hommes dans l’ignorance des mystères du salut, c’est qu’ils n’ont pas voulu reconnaître le Dieu de la gloire éternelle sous les dehors ignominieux de la croix. Or, qu’y a-t-il au monde de plus dangereux que de ne pas recevoir Jésus-Christ ? Il déclare donc qu’il est nécessaire qu’il arrive des scandales, parce qu’il fallait qu’il subît toutes les humiliations de sa passion pour accomplir le mystère qui devait nous rendre la bienheureuse éternité. — Orig. Ou bien ces scandales qui arrivent sont les anges de Satan. Gardez-vous de croire cependant que ces anges soient scandales par leur nature ou par leur substance ; c’est leur libre arbitre qui a produit le scandale dans quelques-uns qui n’ont pas voulu supporter l’épreuve à laquelle Dieu avait soumis leur vertu, il n’y a de bien véritable que celui qui est combattu par le mal. Il est donc nécessaire que les scandales arrivent, comme il est nécessaire que nous ayons à souffrir de la malice des esprits célestes dont la haine s’enflamme d’autant plus que le Verbe de Dieu le Christ établit plus solidement son empire parmi les hommes et chasse loin d’eux toutes les malignes influences. Aussi ces mauvais anges cherchent-ils des instruments pour produire des scandales, et c’est à eux surtout que le Sauveur dit : Malheur, car le jugement sera bien plus sévère pour celui qui scandalise que pour celui qui est scandalisé ; c’est pour cela qu’il ajoute : " Malheur à l’homme par qui arrive le scandale. " — S. Jér. C’est-à-dire : Malheur à l’homme qui, par sa propre faute, devient cause de ce qui doit arriver nécessairement dans le monde. Cette sentence, qui est générale, atteint en particulier Judas, qui avait déjà préparé son âme à la trahison. — S. Hil. Ou bien, sous cette dénomination générale, il veut désigner le peuple juif, auteur de ce scandale qui a eu pour objet la passion de Jésus-Christ et qui a exposé le monde au danger de renoncer, à cause même de sa passion, à Jésus-Christ, dont la loi et les prophètes avaient annoncé les souffrances.

S. Chrys. (hom. 59.) Pour vous faire comprendre que les scandales ne sont pas d’une absolue nécessité, écoutez ce qui suit : " Si votre pied ou votre main vous scandalise, " etc. Il ne veut point parler ici des membres du corps, mais des amis que nous regardons comme nous étant aussi nécessaires que nos membres, car rien n’est plus nuisible que de mauvaises fréquentations. — Rab. Le mot scandale est un mot grec qu’on peut traduire par pierre d’achoppement, ou par chute ou choc des pieds. Celui-là donc scandalise son frère qui, par une parole ou par une action contraire à la règle, devient pour lui une occasion de chute. — S. Jér. Notre-Seigneur retranche donc d’une manière absolue tout prétexte fondé sur les liens du sang ou de l’amitié, pour que les fidèles ne soient pas exposés aux scandales par suite d’un sentiment d’affection quelconque. Si quelqu’un, leur dit-il, vous est aussi étroitement uni que votre main, votre pied, votre oeil, s’il est pour vous d’une utilité incontestable, plein de vigilance et de sollicitude pour vos intérêts, mais qu’il vous soit une cause de scandale et vous entraîne dans l’abîme par le contraste de ses moeurs déréglées, il vous est beaucoup plus avantageux de rompre toute liaison avec lui et de renoncer aux avantages temporels que vous en retiriez, que de conserver près de vous une cause certaine de ruine en tenant aux avantages que vous procurent ces parents et ces amis. Chaque fidèle connaît ce qui peut lui nuire, ce qui est pour son âme une cause de séduction ou de tentation fréquente. Or, il vaut mieux qu’il vive dans la solitude que de perdre la vie éternelle pour les biens si fragiles de la vie présente. — Orig. Ou bien, dans un autre sens également raisonnable, on peut entendre par l’oeil les prêtres, qui sont comme l’oeil de l’Église, parce qu’ils en sont comme les sentinelles ; par la main, les diacres et les autres ministres par qui s’accomplissent les oeuvres spirituelles. Les fidèles, au contraire, sont comme les pieds du corps de l’Église. Et aucun d’eux ne doit être épargné s’il devient une cause de scandale pour l’Église. Ou bien encore, l’action de l’âme, c’est la main qui pêche ; la marche de l’âme, c’est le pied ; la vue de l’âme, c’est l’oeil coupable ; il faut les couper et les arracher s’ils nous sont un sujet de scandale, car souvent les actions des membres désignent dans la sainte Écriture les membres eux-mêmes.

 

vv. 10-14.

S. Jér. Notre-Seigneur venait de déclarer par la comparaison de la main, du pied et de l’oeil qu’il fallait couper tous les liens du sang et de l’amitié qui pouvaient être un sujet de scandale ; il adoucit maintenant ce que ce précepte pouvait avoir de sévère par les paroles suivantes : " Prenez garde de ne mépriser aucun de ces petits, " c’est-à-dire Gardez-vous en toute occasion de les mépriser, et, en faisant votre salut, cherchez à les sauver eux-mêmes ; mais s’ils persévèrent dans leurs péchés, il vaut mieux que vous vous sauviez seuls, que de périr avec la multitude. — S. Chrys. (hom. 59.) Ou bien, dans un autre sens, il est souverainement avantageux et de fuir les méchants, et d’honorer les bons. Aussi, après nous avoir enseigné à rompre tout commerce avec ceux qui nous scandalisent, il nous apprend ici à rendre à ceux qui sont saints l’honneur et les devoirs qui leur sont dus. — La Glose. Ou bien encore, puisque c’est un si grand mal que le scandale donné à nos frères, prenez garde de ne mépriser aucun de ces petits. — Orig. Ces petits sont ceux qui sont nouvellement nés en Jésus-Christ ou ceux qui ne font aucun progrès et qui sont toujours comme des enfants qui viennent de naître. Mais Jésus-Christ n’a pas cru nécessaire de défendre de mépriser les fidèles plus parfaits ; il ne parle que des petits, comme précédemment : " Si quelqu’un scandalise un de ces petits, " etc. ; Peut-être donne-t-il ici le nom de petits à ceux qui sont parfaits, d’après ce qu’il dit dans un autre endroit : " Celui qui aura été le plus petit parmi vous sera le plus grand. " (Lc 22.) — S. Chrys. Ou bien encore, est-ce parce que ceux qui sont parfaits sont regardés par un grand nombre comme petits, c’est-à-dire comme pauvres et méprisables. — Orig. Cependant cette interprétation ne s’accorde pas avec ces paroles : " Si quelqu’un scandalise un de ces petits, " etc., car l’homme parfait ne se laisse ni scandaliser, ni entraîner à sa perte. Toutefois si on veut admettre cette interprétation comme vraie, on peut dire que l’âme du juste est soumise à la mutabilité, et par là soumise, bien que difficilement, au scandale.

La Glose. La raison pour laquelle il ne faut pas mépriser ces petits, c’est qu’ils sont tellement chers à Dieu, qu’il a député des anges pour veiller sur eux. C’est pour cela que Notre-Seigneur ajoute : " Car je vous déclare, " etc. Quelques auteurs prétendent que Dieu donne aux hommes un ange gardien aussitôt qu’ils ont reçu dans le bain sacré de la régénération une nouvelle naissance en Jésus-Christ ; et ils ajoutent qu’il n’est pas croyable qu’un des saints anges soit préposé à la garde des incrédules et des pécheurs qui, dans le temps de leur infidélité et de leurs égarements, sont sous la puissance des anges de Satan. D’autres veulent que Dieu donne un ange gardien, aussitôt leur naissance, à tous ceux qui ont été l’objet de la prescience divine. — S. Jér. Qu’elle est grande la dignité des âmes, puisqu’à chacune d’elles, aussitôt son entrée dans la vie, Dieu donne un ange pour veiller à sa garde !

S. Chrys. (hom. 59.) Le Sauveur ne parle pas ici de tous les anges indistinctement, mais de ceux qui ont la prééminence sur les autres. Ces paroles : " Ils voient la face de Dieu, " signifient qu’ils jouissent d’un accès plus facile près de Dieu, et de plus grands honneurs dans la cour céleste. — S. Grég. (hom. 34 sur les Evang.) On dit que Denis l’Aréopagiste, un des Pères les plus anciens et les plus vénérables, prétend (comme il l’enseigne en effet, liv. des célestes hiér., chap. 42), que Dieu choisit dans les rangs inférieurs des anges pour les missions extérieures ou intérieures qu’il leur confie, mais qu’il n’en est point dans les hiérarchies supérieures qui soient employés dans des ministères extérieurs. — S. Grég. (Moral., 2, 2.) Les anges ne cessent jamais de voir la face du Père, même quand ils sont envoyés vers nous ; ils descendent jusqu’à nous pour nous protéger de leur présence toute spirituelle, et cependant ils demeurent par la contemplation intérieure dans le lieu qu’ils viennent de quitter, car ils conservent, en venant à nous, le don de la vision divine, et ne sont point privés, par conséquent, des joies de la contemplation intérieure. — S. Hil. Tous les jours les anges offrent à Dieu les prières de ceux qui doivent être sauvés par Jésus-Christ ; il est donc souverainement dangereux de mépriser celui dont les désirs et les prières montent jusqu’au trône du Dieu éternel et invisible, par l’entremise et par le ministère des anges. — S. Aug. (Cité de Dieu, 22, 29.) Ou bien, nous appelons nos anges ceux qui sont les anges de Dieu ; ils sont les anges de Dieu, parce qu’ils ne quittent pas sa présence, ils sont nos anges, parce que nous sommes déjà leurs concitoyens. De même donc qu’ils jouissent maintenant de la vue de Dieu, ainsi nous le verrons nous-mêmes un jour face à face, selon ces paroles de saint Jean : " Nous le verrons tel qu’il est. " (1 Jn 3.) La face de Dieu c’est la manifestation de son être, et non la partie du corps que nous appelons de ce nom.

S. Chrys. (hom. 59.) Le Sauveur nous donne une nouvelle raison de ne pas mépriser les petits, et cette raison est plus forte que celle qui précède : " Car le Fils de l’homme est venu, " etc. — Remi. C’est-à-dire ne méprisez pas les petits, car j’ai daigné me faire homme pour eux. En effet, après ces mots : " Ce qui était perdu, " nous devons sous-entendre le genre humain ; car tous les éléments gardent fidèlement l’ordre dans lequel ils ont été placés, mais l’homme s’est égaré, parce qu’il est sorti de l’ordre qui lui avait été tracé. — S. Chrys. (hom. 59.) Il ajoute à cette raison une parabole qui met dans tout son jour la volonté qu’a le Père céleste de sauver le genre humain : Si un homme a cent brebis, et qu’une seule vienne à s’égarer, que pensez-vous qu’il fasse alors ? " etc. — S. Grég. (hom. 24 sur les Evang.) Cet homme c’est le Créateur des hommes ; car le nombre cent étant un nombre parfait, il fut le pasteur de cent brebis lorsqu’il eut créé la nature des anges et celle des hommes. — S. Hil. Dans cette seule brebis qui s’égare, il faut voir l’homme, et dans ce seul homme se trouve compris le genre humain tout entier ; car tout le genre humain a péché dans la faute du seul Adam. Celui qui est à la recherche de cet homme, c’est Jésus-Christ, et les quatre-vingt-dix-neuf brebis qui sont laissées, c’est la multitude des esprits qui jouissent de la gloire des cieux. — S. Grég. (hom. 34 sur S. Matth.) L’Évangéliste dit que ces quatre-vingt-dix-neuf brebis sont laissées sur les montagnes, c’est-à-dire sur les lieux élevés, parce que les brebis qui ne se sont point égarées se tenaient sur les hauteurs spirituelles de la foi. — Bède. Le Seigneur a donc retrouvé la brebis perdue, quand il eut accompli l’oeuvre de la réparation de l’homme, et il y a dans le ciel une joie bien plus grande pour cette seule brebis qui est retrouvée, que pour les quatre-vingt dix-neuf autres. En effet, la réparation du genre humain donne beaucoup plus de gloire à Dieu que la création des anges ; car, si la création des anges est une oeuvre admirable de la puissance de Dieu, la rédemption des hommes est bien plus admirable encore. — Rab. Remarquez qu’il manque une unité au nombre neuf pour atteindre le nombre dix, et à quatre-vingt-dix-neuf, pour atteindre le nombre cent. Les nombres auxquels il manque une unité pour arriver à un nombre parfait, peuvent varier par leur quantité plus ou moins grande, mais l’unité invariable en elle-même perfectionne les autres nombres en venant s’y ajouter ; et c’est pour que le nombre des brebis fût complet dans le ciel que le Sauveur est venu chercher sur la terre l’homme qui s’était égaré. — S. Jér. D’autres pensent que les quatre-vingt-dix-neuf brebis représentent le nombre des justes, et cette brebis qui s’égare, le nombre des pécheurs, selon ce que le Sauveur dit ailleurs : " Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. " (Mt 9.)

S. Grég. (hom. 34.) Mais pourquoi Notre-Seigneur déclare-t-il que la conversion des pécheurs cause dans le ciel une plus grande joie que la persévérance des justes ? C’est que ceux qui ont une très grande confiance de n’avoir point commis de fautes graves sont presque toujours pleins de tiédeur pour la pratique des vertus élevées. Au contraire, il arrive souvent que ceux qui ont la conscience d’avoir commis quelque grande faute, sous l’impression de la douleur qu’ils en ressentent, s’embrasent du feu de l’amour divin. Comme ils ont toujours leurs égarements devant les yeux, ils réparent les pertes précédentes par les gains qu’ils réalisent ensuite. C’est ainsi que, dans une bataille, un général préfère le soldat qui, après s’être enfui, revient presser vigoureusement l’ennemi, à celui qui n’a jamais tourné le dos, mais qui aussi n’a jamais fait d’action d’éclat. Mais il est cependant des justes qui donnent à Dieu une si grande joie, qu’on ne pourrait leur préférer aucun pécheur repentant ; car bien qu’ils n’aient conscience d’aucune faute, on les voit renoncer à toutes les jouissances permises, et s’humilier en toutes choses. Combien grande sera donc la joie, lorsque le juste gémira dans l’humiliation, alors qu’il y a sujet de se réjouir, de ce que le pécheur condamne hautement le mal qu’il a commis.

Bède. Ou bien encore, les quatre-vingt-dix-neuf brebis qui sont laissées sur la montagne, sont les orgueilleux auxquels il manque l’unité pour arriver à la perfection désignée par le nombre cent. Lorsque le Sauveur aura retrouvé le pécheur qui s’égarait, il se réjouira donc davantage, c’est-à-dire qu’il fera éprouver aux siens plus de joie de cette conversion, que de la prétendue persévérance des faux justes.

S. Jér. Les paroles suivantes : " Ainsi votre Père qui est dans les cieux, ne veut pas qu’un seul de ces petits périsse, " etc., se rapportent à ce qu’il a dit plus haut : " Prenez garde de mépriser un seul de ces petits, " et le Sauveur nous enseigne par là que cette parabole a pour but de nous enseigner à ne pas mépriser les petits ; en ajoutant : " Votre Père ne veut pas, " il nous apprend que toutes les fois qu’il périt un de ces petits, ce n’est point par la volonté du Père qu’il périt.

 

vv. 15-17.

S. Chrys. (hom. 60.) Le Sauveur s’était exprimé avec force contre les auteurs du scandale, et avait rempli leur âme d’une vive crainte ; mais il veut empêcher aussi ceux à qui le scandale était donné, tout en évitant une faute, de tomber dans une autre, c’est-à-dire dans la négligence ; car en s’imaginant qu’on doit avoir pour eux toute sorte d’égards, ils pourraient se laisser facilement dominer par l’orgueil ; il étouffe donc ces sentiments dans leur âme, et leur fait un devoir de reprendre leur frère lorsqu’il est en faute : Si votre frère pèche contre vous, " etc. — S. Aug. (serm. 16 sur les par. du Seig.) Notre-Seigneur nous recommande de ne pas rester indifférents aux péchés les uns des autres, en cherchant non pas précisément à reprendre, mais à corriger ; car c’est l’amour qui doit inspirer la correction, et non pas le désir de faire de la peine. Mais si vous négligez ce devoir, vous devenez plus coupable que celui qui avait besoin de correction ; il vous avait offensé, et il s’était par là même profondément blessé ; mais vous méprisez cette blessure de votre frère, et vous êtes plus coupable par votre silence qu’il ne l’est par l’outrage qu’il vous a fait. — S. Aug. (Cité de Dieu, 1, 9.) Souvent, en effet, on dissimule d’une manière coupable la vérité, en négligeant d’instruire ou d’avertir, quelquefois de reprendre et de corriger ceux qui font mal, soit qu’on recule devant la difficulté, soit qu’on veuille éviter leur inimitié, dans la crainte qu’ils ne cherchent à nous traverser ou à nous nuire dans la jouissance de ces biens temporels que notre cupidité désire encore trop vivement acquérir, ou que notre faiblesse redoute de se voir enlever. Mais si nous nous abstenons du devoir de la réprimande et de la correction à l’égard de ceux qui font mal, soit parce que nous attendons une occasion plus favorable, soit parce que nous avons obtenu ainsi qu’ils ne deviennent plus mauvais, ou qu’ils ne nous empêchent de former les autres chrétiens faibles à une vie vertueuse et fervente, et ne les influencent pour les détourner de la foi, alors ce n’est plus par un motif de cupidité, mais par un principe de charité que nous agissons. Or, ceux qui sont placés à la tête des églises pour les diriger, ont une obligation bien plus rigoureuse de ne point négliger le devoir de la correction ; et, toutefois, lors même qu’on ne serait pas à la tête des autres, dès lors qu’on leur est uni par les relations ordinaires de la vie, et que l’on remarque en eux bien des choses qu’il faut reprendre ou corriger, on n’est pas entièrement exempt de faute lorsqu’on néglige de le faire, parce qu’on veut éviter de les offenser dans la crainte d’être troublé dans la jouissance des biens de cette vie qu’on possède légitimement, mais pour lesquels on éprouve un attachement beaucoup trop vif.

S. Chrys. (hom. 60.) Remarquons que quelquefois Notre-Seigneur amène celui qui a été l’auteur de l’offense à celui qu’il a offensé, par exemple, lorsqu’il dit : " Si vous vous rappelez que votre frère a quelque chose contre vous, allez vous réconcilier avec votre frère, " et que d’autres fois il ordonne à celui qui a été offensé de pardonner à son prochain, comme dans ces paroles : " Pardonnez-nous nos offenses, comme nous les pardonnons, " etc. Ici il nous propose un nouveau mode de réconciliation, il conduit celui qui a reçu l’offense à celui qui l’a faite ; il prévoit, en effet, que celui qui a commis l’injustice, ne viendrait pas facilement excuser sa conduite, retenu qu’il serait par la honte ; il lui amène donc celui qui a souffert l’offense, et ce n’est pas de sa part une simple démarche qu’il veut ici, mais il demande la réparation du mal qui a été fait : " Allez et reprenez-le. " — Ran, Il ne commande pas de pardonner indistinctement à tout homme qui pèche, mais à celui qui est disposé à écouter, c’est-à-dire à obéir et à faire pénitence, afin que le pardon ne soit pas trop difficile, ou que l’indulgence ne soit excessive. — S. Chrys. (hom. 60.) Il ne dit pas : Accusez, faites de vifs reproches, tirez vengeance ; mais : " Reprenez-le, " c’est-à-dire rappelez-lui sa faute, dites-lui ce qu’il vous a fait souffrir. Pour lui, il est plongé dans sa colère comme dans un profond sommeil causé par l’ivresse, il faut donc que vous qui êtes affranchi de cette infirmité, vous alliez trouver celui qui est malade.

S. Jér. Il faut vous rappeler cependant, que si votre frère a péché contre vous, et vous a offensé de quelque manière que ce soit, non-seulement vous avez le pouvoir, mais vous êtes dans l’obligation de lui pardonner ; car il nous est commandé de remettre leurs dettes à ceux qui nous doivent. C’est pourquoi Notre-Seigneur nous dit ici Si votre frère a péché contre vous. " S’il a péché contre Dieu (cf. 1 R 2, 25), il n’est pas en notre pouvoir de lui pardonner ; mais nous, au contraire, nous sommes pleins d’indulgence pour les offenses commises contre Dieu, et remplis d’animosité pour venger celles qui s’adressent à nous. — S. Chrys. (hom. 60.) C’est à celui qui a reçu l’injure, et non pas à un autre, que Notre-Seigneur impose le devoir de la correction, car celui qui a commis l’offense est disposé à recevoir plus facilement de sa part la réprimande, surtout lorsqu’elle se fait sans témoin ; et rien n’est plus propre à l’apaiser que de voir celui qui avait le droit d’exiger une réparation sévère, montrer tant de zèle pour son salut. — S. Aug. (serm. 16 sur les par. du Seig.) Lors donc qu’un de nos frères pèche contre nous, montrons-nous empressés, non pas de défendre nos droits (car rien n’est plus glorieux que d’oublier une offense), mais d’oublier l’injure qui nous est faite, sans oublier la blessure qu’elle a faite à notre frère. Reprenez-le donc entre vous et lui, en ne vous appliquant qu’à le corriger et en ménageant sa honte. Car il pourrait arriver que sous l’impression de ce sentiment, il entreprit de justifier la faute qu’il a commise, et ainsi en voulant le corriger, vous le rendriez plus coupable. — S. Jér. Il faut reprendre votre frère en secret, de peur que, s’il vient à perdre tout sentiment de honte et de crainte, il ne persévère dans son péché.

S. Aug. (serm. 16), etc. L’Apôtre nous fait cette recommandation : " Reprenez devant tout le monde le pécheur scandaleux, afin que les autres aient de la crainte. " Il faut donc que vous sachiez qu’il est des circonstances où il faut reprendre votre frère seul à seul, et d’autres où il faut le reprendre devant tout le monde. Mais que devons nous faire avant d’en arriver là ? Écoutez et retenez : " Si votre frère, dit-il, a péché contre vous, reprenez-le entre vous et lui seul. " Pourquoi ? Parce qu’il a péché contre vous. Que veulent dire ces paroles : " il a péché contre vous ? " Vous savez qu’il a péché, et puisque son offense contre vous a été secrète, que votre correction le soit également ; car si vous êtes le seul pour connaître qu’il a pêché contre vous, et que vous vouliez cependant le reprendre publiquement, ce n’est plus une correction, mais une accusation publique. Votre frère a donc pêché contre vous, mais si vous êtes le seul pour le savoir, c’est vraiment contre vous seul qu’il a péché ; s’il vous a offensé devant un grand nombre de personnes, il a péché contre tous ceux qu’il a rendu témoins de sa faute. Il faut donc reprendre publiquement les fautes publiques, et en secret les fautes secrètes, Apprenez à discerner les temps et les occasions, et vous concilierez les Écritures. Or, pourquoi reprenez-vous le prochain ? Est-ce parce que vous éprouvez de la peine d’en avoir été offensé ? A Dieu ne plaise, si vous le faites par amour pour vous, vous ne faites rien ; si, au contraire, vous le reprenez dans son intérêt, vous agissez dans la perfection. Or, apprenez des paroles elles-mêmes de Notre-Seigneur, dans qu’elle intention vous devez faire cette réprimande, si c’est dans votre intérêt, ou dans celui de votre frère : " S’il vous écoute, vous aurez gagné votre frère, " etc. Faites-le donc pour lui, afin de le gagner. Reconnaissez qu’en péchant contre votre frère, vous vous êtes perdu, car, autrement, comment vous aurait-il gagné ? Que personne donc ne regarde comme indifférente l’offense faite à un de ses frères. — S. Chrys. (hom. 60.) Ces paroles nous prouvent encore que l’inimitié porte dommage aux deux parties, aussi ne dit-il pas : il s’est gagné lui-même, mais vous l’avez gagné, preuve que tous deux, vous et lui vous avez souffert de ce désaccord. — S. Jér. En procurant le salut d’un autre, nous assurons ainsi notre propre salut.

S. Chrys. (hom. 60.) Mais que devez-vous faire si vous ne pouvez persuader votre frère ? Les paroles suivantes vous l’apprennent : " S’il ne vous écoute point, prenez encore avec vous une ou deux personnes ; " car plus il montrera d’impudence et d’opiniâtreté, plus il faut s’appliquer à le guérir sans se laisser aller à la colère ou à la haine. Ainsi, lorsqu’un médecin voit que la maladie s’aggrave, loin d’abandonner son malade, il redouble d’efforts pour triompher de l’extrémité du mal. Remarquez aussi que cette réprimande ne doit point se faire sous l’inspiration de la vengeance, mais dans le seul but de corriger notre frère. C’est pour cela que le Sauveur ne nous commande pas de prendre d’abord deux témoins, mais alors seulement que notre frère refuse d’écouter notre réprimande ; et encore n’est-ce pas un grand nombre de personnes, mais une ou deux qu’il faut prendre avec soi ; mesure qu’il appuie du témoignage de la loi : " Tout sera assuré par la déposition de deux ou de trois témoins (Dt 19, 15) ; " comme s’il disait : Vous pouvez alors vous rendre le témoignage que vous avez fait tout ce qui dépendait de vous. — S. Jér. Ou bien, on peut admettre cette autre interprétation : S’il ne veut pas vous écouter, prenez d’abord avec vous un seul témoin ; s’il refuse encore de l’écouter, prenez-en un troisième, afin que votre admonition ou du moins la honte, le force de reconnaître sa faute, ou qu’alors il soit convaincu devant témoins. — La Glose. Ou bien encore, pour lui prouver qu’il a péché, s’il venait à le nier.

S. Jér. Or, s’il refuse encore de les écouter, il faut alors déclarer sa faute à un plus grand nombre, afin de leur inspirer pour lui une vive horreur, et essayer de sauver par l’opprobre celui qui n’a pu être sauvé par la honte : " Que s’il ne les écoute pas non-plus, dites le à l’Église. " — S. Chrys. (hom. 60.) C’est-à-dire à ceux qui sont à la tête de l’Église. — La Glose. Ou bien, dites-le à toute l’Église, pour lui faire essuyer une plus grande honte. Tous ces moyens épuisés, il faut en venir à l’excommunication qui doit être prononcée par la bouche de l’Église, c’est-à-dire par le prêtre qui est l’organe de toute l’Église, lorsqu’il prononce la sentence d’excommunication : " S’il n’écoute pas l’Église, " etc. — S. Aug. (serm. 16 sur les par. du Seig.) Ne le comptez plus dès lors au nombre de vos frères ; cependant ne négligez pas son salut ; car si nous ne regardons pas comme nos frères les étrangers, c’est-à-dire les Gentils et les païens, nous ne laissons pas de chercher à les sauver. — S. Chrys. (hom. 60.) Toutefois le Seigneur, à l’égard de ceux qui sont hors de l’Église, ne nous a rien commandé de semblable à ce que nous devons faire pour reprendre et corriger nos frères. Voici ce qu’il nous ordonne de faire à l’égard de ceux qui sont en dehors de l’Église (Mt 5) : " Si quelqu’un vous frappe sur une joue, présentez-lui l’autre joue, " et saint Paul : " Pourquoi voudrais-je juger ceux qui sont hors de l’Église ? " Mais pour nos frères, il faut les reprendre et les retirer du mal, et, s’ils ne veulent point obéir, les séparer de l’Église pour les couvrir de confusion. — S. Jér. En nous disant : Qu’il soit à votre égard comme un païen et comme un publicain, " le Sauveur nous apprend à concevoir plus d’horreur pour celui qui, sous le nom de chrétien, se conduit en infidèle, que pour ceux qui sont ouvertement connus pour païens. Ou appelait publicains ceux qui étaient avides d’argent, et qui exigeaient les impôts en recourant au trafic, aux fraudes, au vol et à des parjures horribles.

Orig. (Traité 6 sur S. Matth.) Il faut remarquer ici que cette conduite que nous recommande le Sauveur, ne doit pas être appliquée à toute espèce de péché. Car si un de nos frères vient à commettre un de ces péchés qui conduisent à la mort, et qu’il soit, par exemple, abominable et infâme, adultère, homicide ou efféminé, est-ce qu’il serait raisonnable de le réprimander seul à seul, et s’il se montrait docile à vos observations, de dire aussitôt : Je l’ai gagné ? Ou bien s’il ne voulait pas vous écouter, serait-il convenable pour le chasser du sein de l’Église d’attendre que, malgré la réprimande faite devant les témoins et devant l’Église, il ait persévéré dans son crime ? Il en est qui, considérant l’immense miséricorde de Jésus-Christ, prétendent que c’est aller contre cette miséricorde que de restreindre ces paroles aux seuls péchés plus légers, parce que Notre-Seigneur ne fait aucune distinction de péchés. D’autres, examinant plus attentivement ces paroles, soutiennent qu’elles ne s’appliquent pas à toute sorte de péchés ; car, disent-ils, celui qui se rend coupable de crimes énormes n’est plus notre frère, il n’en a plus que le nom, et l’Apôtre nous défend même de manger avec lui. Or, de même que ceux qui n’appliquent pas ce passage à toute espèce de péchés, favorisent la négligence, et l’invitent, pour ainsi dire, au péché ; ainsi, celui qui enseigne que le fidèle qui n’est coupable que de fautes légères et vénielles, doit être regardé comme un païen et un publicain après avoir subi la réprimande devant témoins ou devant l’Église, me paraît introduire une doctrine par trop sévère. Car enfin nous ne pouvons pas prononcer que cet homme est tout à fait perdu, parce que d’abord, s’il a résisté à trois réprimandes, il peut se rendre à la quatrième ; en second lieu, parce que souvent on ne lui rend pas selon ses oeuvres, mais au delà de ce que méritent ses fautes, ce qui est souvent avantageux en ce monde ; enfin, Jésus-Christ n’a point dit absolument : Qu’il soit comme un païen et un publicain, mais : " Qu’il soit pour vous. " Si donc après l’avoir repris trois fois d’une faute légère, il ne s’en corrige pas, nous devons le considérer comme un païen et un publicain, afin de le couvrir de confusion eu nous abstenant de le voir ; mais que Dieu le juge aussi comme un païen et un publicain, ce n’est pas à nous de l’affirmer ; c’est au jugement de Dieu lui-même.

 

vv. 18-20.

S. Jér. Notre-Seigneur venait de dire : " S’il n’écoute pas l’Église, qu’il soit pour vous comme un païen et comme un publicain. " Celui qui se trouvait ainsi rejeté, aurait pu répondre ou du moins penser : Vous me méprisez, et moi aussi je vous méprise ; vous me condamnez, je vous condamne également ; il donne donc ici aux Apôtres un pouvoir vraiment extraordinaire, de manière à faire comprendre à ceux qui sont frappés par leur condamnation, que la sentence de la terre est confirmée par le jugement de Dieu ; c’est pour cela qu’il ajoute : " Je vous le dis en vérité, tout ce que vous lierez, " etc. — Orig. Il ne dit pas : " dans les cieux, " comme dans le pouvoir qu’il a donné à pierre, mais " dans le ciel " au singulier ; car les Apôtres n’étaient pas aussi parfaits que Pierre. — S. Hil. L’intention du Sauveur dans ces paroles est d’inspirer à tous les hommes la crainte la plus vive, pour les contenir ici-bas dans le devoir ; c’est pour cela qu’il déclare irrévocable le jugement prononcé par le tribunal sévère des Apôtres, jusque là que tous ceux qu’ils auront liés sur la terre, c’est-à-dire qu’ils auront laissés dans les liens du péché, et ceux qu’ils auront déliés en leur donnant dans la rémission des péchés le gage du salut, seront liés ou déliés dans les cieux. — S. Chrys. (hom. 60.) Et remarquez qu’il ne dit pas à celui qui est à la tête de l’Église : Liez un tel, mais : " Si vous liez, les liens ne pourront être rompus. " Il laisse ainsi à son propre jugement la conduite qu’il doit tenir. Voyez encore comme il a chargé d’une double chaîne le pécheur incorrigible, d’abord par une peine actuelle, c’est-à-dire sa séparation de l’Église, dont il a parlé plus haut en ces termes : " Qu’il soit pour vous comme un païen, " et par le supplice de l’autre vie, qui est d’être lié dans le ciel ; et c’est par cette multitude de jugements qu’il veut éteindre l’indignation du frère coupable. — S. Aug. (serm. 16 sur les par. du Seig.) Ou bien dans un autre sens : Vous avez commencé à regarder votre frère comme un publicain, vous le liez sur la terre, mais faites attention de le lier pour des motifs justes ; car l’éternelle justice brise les liens qui sont imposés injustement. Lorsqu’au contraire vous aurez corrigé votre frère, et rétabli l’accord entre vous et lui, vous l’avez délié, et lorsque vous l’aurez délié sur la terre, il sera également délié dans le ciel. Or, en cela, vous rendez un service signalé, non pas à vous, mais à votre frère, parce qu’il s’est fait à lui-même un tort immense plutôt qu’à vous. — La Glose. Ce n’est pas seulement l’efficacité de l’excommunication, mais encore la puissance de toute prière des fidèles priant de concert dans l’unité de l’Église, que Notre-Seigneur confirme en ajoutant : " Je vous dis encore que si deux d’entre vous s’unissent ensemble sur la terre (soit pour recevoir un pénitent, soit pour rejeter un orgueilleux ou pour toute autre chose qu’ils demanderont et qui ne sera pas contraire à l’unité de l’Église), ce qu’ils demandent leur sera accordé par mon Père qui est dans les cieux. " Par ces paroles : Qui est dans les cieux, " il nous montre que son Père est au-dessus de toutes choses, et qu’il peut ainsi exaucer les prières qui lui sont adressées. Ou bien : " Il est dans les cieux, " c’est-à-dire dans les saints, ce qui prouve qu’il leur accordera certainement l’objet de leurs prières, si toutefois cet objet est digne de Dieu, parce qu’ils ont en eux-mêmes celui à qui s’adressent leurs demandes ; et voilà pourquoi Dieu exauce et ratifie les désirs de ceux qui sont unis entre eux, parce qu’il habite au milieu d’eux, suivant ces paroles : " Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis moi-même au milieu d’eux. " — S. Chrys. (hom. 60.) Comme il avait dit : " Ce qu’ils demandent leur sera accordé par mon Père, " il veut leur apprendre que c’est également de lui-même comme de son Père que découlent ces faveurs, et il ajoute ; " Là où sont réunis deux ou trois, je suis moi-même au milieu d’eux. " — Orig. Il ne dit pas : " Je serai au milieu d’eux, " mais au présent : " Je suis ; " car aussitôt que quelques personnes s’unissent entre elles, Jésus-Christ se trouve au milieu d’elles. — S. Hil. Il est lui-même la paix et la charité, et il établira son trône et son habitation dans les volontés droites et pacifiques. — S. Jér. Ou bien encore, tout ce qui précède était une invitation à la charité et à la concorde ; le Sauveur sanctionne cet appel par la récompense qu’il promet, et pour nous faire embrasser plus promptement la paix fraternelle, il nous déclare qu’il sera au milieu de deux ou trois personnes dès lors qu’elles seront unies entre elles.

S. Chrys. (hom. 60.) Il ne dit pas simplement : " Là où seront réunis, " mais il ajoute : " En mon nom, " comme s’il disait : Si je suis le motif principal de l’affection qu’un chrétien a pour son frère, je serai avec lui, pourvu qu’il ait d’ailleurs toutes les autres vertus. Mais comment donc se fait-il que des personnes parfaitement unies entre elles n’obtiennent pas ce qu’elles demandent ? Premièrement, parce qu’elles demandent des choses qu’il ne leur est pas avantageux d’obtenir ; en second lieu, parce qu’elles sont personnellement indignes d’être exaucées, et qu’elles n’apportent pas à la prière les dispositions convenables ; aussi Notre-Seigneur prend-il soin de dire : " Si deux d’entre vous, " c’est-à-dire de ceux dont la vie est conforme à l’Évangile ; troisièmement, parce qu’elles prient contre ceux qui les ont offensés, ou quatrièmement, enfin parce qu’elles implorent la miséricorde divine pour des pécheurs sans repentir. — Orig. Voici encore une autre cause qui détruit l’effet de nos prières ; nous ne sommes parfaitement unis entre nous, ici-bas, ni par la foi, ni par la conformité de la vie. Car de même que la musique ne peut charmer les oreilles, s’il y a défaut d’accord dans les voix, de même si l’harmonie ne règne dans l’Église, Dieu ne peut ni s’y complaire ni écouter les voix de ses enfants. — S. Jér. Nous pouvons encore entendre ces paroles dans un sens spirituel) et dire que là où l’esprit, l’âme et le corps sont unis entre eux, et n’offrent pas le spectacle de volontés opposées, ils obtiendront tout ce qu’ils demanderont au Père céleste ; car nul ne doute que là ou le corps a la même volonté que l’esprit, la prière n’ait pour objet des choses agréables à Dieu. — Orig. Ou bien encore, celui en qui les deux Testaments s’accordent et s’unissent entre eux, peut être certain que sa prière, quel qu’en soit l’objet, devient agréable à Dieu.

 

vv. 21-22.

Notre-Seigneur avait fait plus haut cette recommandation : " Prenez garde de mépriser aucun de ces petits ; " il avait ajouté : " Si votre frère pèche contre vous, recevez-le, " etc., et il avait promis de récompenser cette conduite en leur disant : Si d’eux d’entre vous sont unis entre eux, tout ce qu’ils demanderont leur sera accordé " Pierre, excité par ces paroles, interroge le Sauveur comme l’Évangéliste le rapporte : " Alors Pierre s’approchant, lui dit : Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère, lorsqu’il péchera contre moi ? " Et, tout en faisant cette question, il donne son avis : " Est-ce jusqu’à sept fois ? " — S. Chrys. (hom. 61.) Pierre croit avoir fait un acte héroïque ; mais que lui répond Jésus, le tendre ami des hommes ? " Jésus lui dit : Je ne vous dis pas jusqu’à sept fois, " etc. — S. Aug. (serm. 16 sur les paroles du Seigneur.) J’ose le dire, quand même il aurait péché septante fois huit fois, pardonnez-lui ; eût-il péché cent fois, pardonnez-lui encore ; en un mot, toutes les fois qu’il pèche, ne cessez de lui pardonner. Car si Jésus-Christ, bien qu’il ait trouvé en nous des milliers de péchés, nous les a tous pardonnés, ne refusez donc pas de faire vous-mêmes miséricorde, ainsi que l’Apôtre vous le recommande en ces termes (Col 3) : " Vous pardonnant entre vous les sujets de plainte que vous pourriez avoir les uns contre les autres, comme Dieu vous a pardonné en Jésus-Christ (cf. 2 Co 5, 10). " — S. Chrys. (hom. 61.) En disant : " Jusqu’à septante fois sept fois, le Sauveur ne précise pas un nombre et ne circonscrit pas le pardon dans un chiffre quelconque, mais il veut dire qu’il ne faut mettre aucune restriction, aucune limite à ce pardon. — S. Aug. (serm. 16 sur les paroles du Seigneur.) Cependant ce n’est point au hasard que le Sauveur choisit le nombre de septante fois sept fois ; car la loi a été donnée en dix commandements. Si la loi est représentée par le nombre dix, le péché l’est par le nombre onze, car il va au delà du nombre dix. Le nombre sept se prend ordinairement pour un tout complet, car le temps fait sa révolution en sept jours. Or, onze fois sept font soixante-dix-sept ; le Sauveur, en choisissant ce nombre soixante-dix-sept, a donc voulu que tous les péchés que nos frères pourraient commettre fussent pardonnés. — Orig. (Traité 6 sur S. Matth.) Ou bien encore, comme le nombre six paraît désigner l’action et le travail, et le nombre sept le repos et la tranquillité, on peut dire que celui qui aime le monde et qui fait les oeuvres du monde, pèche sept fois en se livrant à ces actions toutes mondaines. Pierre croyait sans doute qu’il était question de ces oeuvres, quand il pensait qu’il fallait pardonner sept fois ; mais comme Jésus-Christ savait qu’il en est dont les péchés s’étendent bien au delà, il ajoute le nombre septante au nombre sept pour nous apprendre que nous devons pardonner à nos frères qui vivent dans le monde et qui pèchent dans l’usage qu’ils font des choses du monde. Mais si quelqu’un multiplie les transgressions au delà de ce nombre, il n’a point de pardon à espérer. — S. Jér. Ou bien il faut entendre ces septante fois sept fois dans le sens de. quatre cent quatre-vingt-dix fois, c’est-à-dire que vous devez pardonner à votre frère autant de fois qu’il pourra pécher. — Rab. Toutefois, il y a une différence entre le pardon que nous accordons à un frère qui le demande et avec lequel nous renouons les liens étroits qui nous unissaient (comme Joseph avec ses frères), et le pardon que nous accordons à un ennemi qui nous persécute, à qui nous voulons, et à qui même, s’il est possible, nous faisons du bien, comme David lorsqu’il fuyait devant Saül.

 

vv. 23-35.

S. Chrys. (hom. 61.) Notre-Seigneur ajoute une parabole à ce qu’il vient de dire pour montrer par un exemple que ce n’était point une chose héroïque de pardonner septante fois sept fois. — S. Jér. C’est l’usage en Syrie et en Palestine d’entremêler à tous les discours des paraboles, afin de graver plus facilement dans l’esprit des auditeurs, à l’aide de comparaisons et d’exemples, le précepte qu’ils ne pourraient retenir s’il était présenté dans sa simplicité. C’est pour cela que Notre-Seigneur dit ici : " Le royaume des cieux est semblable, " etc. — Orig. (Traité 7 sur S. Matth.) De même que le Fils de Dieu est la sagesse, la justice (1 Co 1, 30 ; 1 Jn 5, 6 ; Jn 8, 22 ; 14, 6) et la vérité, il est aussi le royaume, non pas de ceux dont les affections rampent sur la terre, mais de tous ceux qui tiennent leur cœur eu haut, qui font régner la justice et les autres vertus dans leurs âmes, et qui deviennent pour ainsi dire comme les cieux en portant l’image de l’homme céleste (1 Co 15, 49). Ce royaume des cieux, c’est-à-dire le Fils de Dieu, est devenu semblable à un homme roi, lorsqu’il s’est uni notre humanité et qu’il a été fait à la ressemblance de la chair du péché. — Remi. Ou bien encore, ce royaume des cieux, c’est la sainte Église dans laquelle Notre-Seigneur Jésus-Christ fait lui-même ce qu’il exprime dans cette parabole. Sous le nom d’un homme, c’est quelquefois le Père qui nous est désigné, comme dans cette parabole : " Le royaume des cieux est semblable à un homme roi qui fit les noces de son fils ; " quelquefois c’est le Fils : ici on peut l’entendre de l’un et de l’autre, du Père et du Fils qui sont un seul Dieu. Or, Dieu est appelé roi, parce qu’il dirige et gouverne tout ce qu’il a créé. — Orig. Les serviteurs, dans ces paraboles, sont exclusivement les dispensateurs de la parole et ceux à qui Dieu a confié la charge de négocier et de faire produire des intérêts pour le ciel. — Remi. Ou bien les serviteurs de ce roi représentent tous les hommes qu’il a créés pour le louer et à qui il a donné la loi naturelle. Il leur fait rendre compte à chacun, lorsqu’il examine leur vie, leurs moeurs, leurs actions, pour rendre à chacun suivant ses oeuvres. (Rm 2.) Et ayant commencé à faire rendre compte, " etc. — Orig. Nous devrons rendre compte au roi de toute notre vie, lorsqu’il nous faudra tous comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ. (2 Co 5). Si nous nous exprimons de la sorte, qu’on se garde de croire que ce jugement demandera beaucoup de temps, car lorsque Dieu voudra passer au crible les âmes de tous les hommes, par un effet admirable de sa puissance, il fera revivre en un seul instant dans le souvenir de chacun toutes les actions qui ont rempli le cours de sa vie. Notre-Seigneur ajoute : " Et lorsqu’il eut commencé à faire rendre compte, parce que le jugement doit commencer par la maison de Dieu. (1 P 4.) Lorsqu’il commençait donc à se faire rendre compte, on lui présenta un homme qui lui devait une somme incalculable de talents ; il avait fait des pertes énormes et, sous le poids de grandes obligations, il n’avait fait aucun profit. Peut-être cet homme nous est-il représenté comme ayant perdu autant de talents qu’il avait perdu d’hommes, et il est ainsi devenu débiteur de cette somme énorme de talents, parce qu’il avait suivi cette femme assise sur un talent de plomb dont le nom est l’iniquité (Za 5, 7).

S. Jér. Il en est, je le sais, qui prétendent que cet homme qui devait dix mille talents est la figure du démon ; ils entendent par cette femme et par ses enfants qui sont vendus, parce qu’il persévère dans sa méchanceté, l’extravagance de sa conduite et les mauvaises pensées. Car, de même que la femme de l’homme juste est l’image de la sagesse, la femme. de l’homme injuste et pécheur est la figure de la folie. Mais comment le Seigneur peut-il remettre au démon dix mille talents, et ne nous remet-il pas à nous, ses compagnons, cent deniers ? C’est une interprétation contraire à celle de l’Église et qu’aucun homme sage n’admettra jamais. — S. Aug. (serm. 16 sur les paroles du Seigneur.) Il faut donc dire que la loi ayant été donnée en dix préceptes, cette homme devait dix mille talents qui représentent tous les péchés que l’on peut commettre contre la loi.

Remi. L’homme qui peut bien pécher de lui-même et par sa propre volonté ne peut en aucune manière se relever par ses propres forces, et il n’a pas de quoi rendre ce qu’il doit, parce qu’il ne trouve rien en soi qui puisse l’affranchir de ses péchés ; c’est pour cela que Notre-Seigneur ajoute : " Mais comme il n’avait pas le moyen de les lui rendre, " etc. Or, la femme de l’insensé est la folie et la volupté ou la convoitise. — S. Aug. (Quest. Evang., 1, 25.) Cette circonstance nous apprend que celui qui transgresse les préceptes du décalogue doit subir des châtiments sévères pour ses passions et ses mauvaises actions représentées ici par la femme et par les enfants. Or, le prix de cet homme qui est vendu, c’est le supplice du damné. — S. Chrys. (hom. 61.) Si ce roi donne cet ordre, ce n’est point par cruauté, mais par un sentiment d’ineffable affection ; il veut simplement l’effrayer par ces menaces pour le porter à demander en grâce de ne pas être vendu ; c’est en effet ce qui arrive : Ce serviteur, se jetant à ses pieds, le conjurait, " etc. — Remi. Nous voyons dans ces paroles l’humiliation et la satisfaction du pécheur ; ces autres : " Ayez un peu de patience, " sont l’expression de la prière du pécheur qui demande à Dieu de le laisser vivre et de lui accorder le temps de faire pénitence. Or, la bonté et la clémence de Dieu §ont sans bornes à l’égard des pécheurs qui se convertissent, car il est toujours prêt à pardonner les péchés par le baptême ou par la pénitence. " Alors son maître, touché de compassion, " etc. — S. Chrys. (hom. 61.) Voyez l’excès de l’amour de Dieu : le serviteur demande un simple délai ; son maître lui accorde bien plus qu’il ne demande : il lui fait remise entière et absolue de tout ce qu’il lui devait. C’était ce qu’il désirait faire dès le commencement ; mais il ne voulait pas que tout dans ce don vînt de lui seul ; il voulait que ce serviteur y contribuât par sa prière pour ne point le laisser aller sans mérite. Il ne lui remit pas ce qu’il devait avant de lui avoir fait rendre compte, pour lui faire comprendre l’énormité des dettes dont il le déchargeait, et le disposer à user lui-même de douceur à l’égard de son compagnon. Jusque là, en effet, sa conduite fut digne d’éloges, car il avoua sa dette et promit de la payer ; il se jeta à genoux pour demander du temps et reconnut la grandeur des sommes qu’il devait ; mais ce qu’il fit ensuite fut indigne d’un si beau commencement : " Or, ce serviteur étant sorti, trouva un de ses compagnons qui lui devait cent deniers, et, le prenant à la gorge, il l’étouffait, " etc.

S. Aug. (serm. 16 sur les paroles du Seigneur.) Cette somme de cent deniers qu’il devait à son compagnon vient du même nombre dix, qui est le nombre des préceptes de la loi, car cent multiplié par cent fait dix mille et dix fois dix font cent ; ainsi ces dix mille talents et ces dix deniers ne s’éloignent pas du nombre des commandements qui sont la matière aux transgressions ; ces deux serviteurs sont donc tous deux débiteurs, tous deux dans la nécessité de demander pardon, car tout homme est débiteur de Dieu, et a son frère pour débiteur. — S. Chrys. Il y a autant de différence entre les péchés commis contre Dieu et ceux que l’on commet contre son frère, qu’il y en a entre dix mille talents et cent deniers, différence que rend encore plus sensible la distance qui sépare les personnes et l’a continuité des offenses. En effet, si nous avons l’oeil de l’homme pour témoin, nous nous abstenons et nous craignons même de pécher ; mais, placés que nous sommes sous les yeux de Dieu, nous ne laissons passer aucun jour sans l’offenser, nous parlons et nous agissons en tout contre lui sans la moindre crainte. Et ce n’est pas le seul caractère de gravité que présentent nos péchés contre Dieu, ils en ont un autre qui vient des bienfaits dont il nous a comblés. C’est lui, en effet, qui nous a donné l’être, et qui a créé pour nous tout cet univers ; il a répandu sur nous par son souffle divin une âme raisonnable ; il a envoyé son Fils sur la terre, il nous a ouvert le ciel et nous a fait ses enfants. Et quand même nous donnerions tous les jours notre vie pour lui, pourrions-nous reconnaître dignement ses bienfaits ? Non, sans doute, car ce sacrifice lui-même tournerait à notre avantage. Mais nous, bien au contraire, nous ne cessons de transgresser ses lois. — Remi. Ainsi donc le serviteur qui doit dix mille talents représente ceux qui tombent dans les grands crimes, et celui qui doit cent deniers ceux qui commettent des fautes moins graves. — S. Jér. Rendons cette vérité plus sensible par un exemple : si quelqu’un parmi vous a commis un adultère, un homicide, un sacrilège, crimes énormes, ces dix mille talents lui seront remis sur sa demande, s’il pardonne lui-même les légères offenses commises contre lui.

S. Aug. (serm. 16 sur les paroles du Seigneur.) Mais ce serviteur méchant, ingrat, inique, ne voulut pas accorder ce qu’on lui avait remis malgré son indignité : " Et le saisissant à la gorge, il l’étouffait, en disant : Rends ce que tu dois. " — Remi. C’est-à-dire qu’il le pressait avec violence pour en tirer vengeance. — Orig. Il l’étouffait, ce qui doit faire supposer qu’il était sorti de chez le roi, car il n’aurait pas osé, en la présence du roi, se porter à cette extrémité sur son compagnon. — S. Chrys. (hom. 60.) Ces paroles mêmes " Il ne fut pas plus tôt sorti " nous montrent que ce ne fut pas longtemps après, mais immédiatement, alors qu’il entendait encore retentir à son oreille le pardon bienfaisant de son maître, qu’il abuse indignement, pour se venger, de la liberté qui vient de lui être rendue ; or, que fit alors son compagnon ? " Et se jetant à ses pieds, il le conjurait en disant : Prenez patience, " etc. — Orig. Remarquez le choix admirable des expressions dans l’Écriture : le serviteur, qui devait une somme énorme de talents, se jette aux pieds du roi pour l’adorer, tandis que celui qui ne devait que cent deniers s’était bien jeté aux pieds de son compagnon, mais sans l’adorer, il le conjurait seulement en lui disant : " Prenez patience. " — S. Chrys. (hom. 60.) Mais cet ingrat serviteur n’eut même pas le moindre respect pour ces paroles auxquelles il devait son salut, comme nous l’indique la suite du récit : " Mais il ne voulut pas l’écouter. " — S. Aug. (Quest. évang., 1, 35.) C’est-à-dire qu’il persévéra dans la volonté de le livrer à la justice et au châtiment : " Et il s’en alla. " — Remi. Il poursuivit avec une colère plus violente le projet qu’il avait de se venger, et il le fit jeter en prison jusqu’à ce qu’il eût payé sa dette, c’est-à-dire que, s’étant saisi de son frère, il en tira une cruelle vengeance.

S. Chrys. (hom. 60.) Voyez la charité du maître et la cruauté de ce serviteur. Il a le premier demandé grâce pour dix mille talents, son compagnon pour cent deniers ; l’un priait son maître, l’autre son compagnon ; l’un obtint la remise totale de sa dette, l’autre ne demandait qu’un délai et ne put l’obtenir. Les autres serviteurs, voyant ce qui se passait, en furent vivement attristés, selon la remarque de l’auteur sacré. — S. Aug. (Quest. évang.) Par ces compagnons, il faut entendre l’Église qui exerce le pouvoir de lier l’un et de délier l’autre. — Remi. Ou bien les compagnons de ce serviteur représentent peut-être les anges ou les prédicateurs de la sainte Église, ou tous ceux des fidèles qui, en voyant un de leurs frères sans compassion pour son frère après qu’il a obtenu lui-même le pardon de ses péchés, s’affligent sensiblement de sa perte : " Et ils vinrent, et ils avertirent leur maître, " etc. Ils viennent non pas d’une manière sensible, mais par les sentiments de leur cœur. Raconter au Seigneur, c’est lui exposer par les mouvements de l’âme les douleurs et la tristesse du cœur. — Suite. " Alors son maître l’ayant fait venir. " — Il le fit venir en prononçant la sentence de mort et en lui ordonnant de sortir de ce monde, et il lui dit : " Méchant serviteur, je vous avais remis tout ce que vous me deviez, parce que vous m’en aviez prié. " — S. Chrys. (hom. 61.) Lorsque ce serviteur lui devait dix mille talents, il ne l’a point appelé de la sorte ; il ne lui a dit aucune parole outrageante, mais il a eu pitié de lui. Lorsqu’au contraire il voit son ingratitude à l’égard de son compagnon, il l’appelle : " Méchant serviteur, " et lui reproche l’indignité de sa conduite : " Ne fallait-il pas avoir pitié vous-même, " etc. — Remi. Remarquons qu’on ne voit pas que ce serviteur ait osé faire aucune réponse à son maître, ce qui nous apprend, qu’au joui du jugement et cette vie une fois terminée, tout moyen de justification nous sera ôté.

S. Chrys. (hom. 60.) Le bienfait ne l’a pas rendu meilleur ; c’est donc au châtiment de le corriger : " Et son maître irrité le livra entre les mains des bourreaux, " etc. Notre-Seigneur ne dit pas simplement : Il le livra, mais : il le livra tout en colère, " remarque qu’il n’a point faite lorsque le maître commanda de vendre ce serviteur, car il n’agissait pas alors par colère, mais plutôt par amour, et dans le dessein de le rendre meilleur. Ici, au contraire, c’est une sentence qui emporte condamnation au supplice et à la peine. — Remi. Dans le langage de l’Écriture, Dieu se met en colère, lorsqu’il exerce sa juste vengeance contre les pécheurs. Les bourreaux, ce sont les démons, qui sont toujours prêts à se saisir des âmes perdues et condamnées, et à les tourmenter dans les supplices de l’enfer. Mais une fois plongé dans cet abîme d’éternelle damnation, le pécheur pourra-t-il trouver le moyen de devenir meilleur et d’échapper à ces supplices ? Non ; le mot " jusqu’à ce que " exprime ici une durée infinie, et veut dire qu’il paiera toujours sans pouvoir jamais s’acquitter et que son supplice sera éternel. — S. Chrys. (hom. 60.) Ces paroles sont une preuve qu’il sera toujours, c’est-à-dire éternellement puni, sans qu’il puisse jamais acquitter sa dette. Quoique les dons et la vocation de Dieu soient irrévocables (Rm 11, 29), cependant l’excès de la malice a été si loin qu’elle a détruit jusqu’à cette loi de miséricorde. — S. Aug. (serm. 16 sur les paroles du Seigneur.) Dieu nous a dit : " Remettez, et il vous, sera remis. " Or, je vous ai remis le premier, remettez du moins à mon exemple, car si vous ne remettez pas, je vous rappellerai devant moi et je reviendrai sur le pardon que je vous ai accordé. En effet, Jésus-Christ ne peut ni se tromper, ni nous tromper, lorsqu’il ajoute : " C’est ainsi que mon Père céleste vous traitera, si vous ne pardonnez chacun à vos frères du fond de vos cœurs. Il vaut mieux que vous soyez sévère et emporté dans vos paroles, tout en pardonnant du fond du cœur, que d’avoir un langage caressant avec une âme implacable. C’est pourquoi Notre-Seigneur ajoute : " Du fond de vos cœurs ; il veut que, si la charité vous fait un devoir de punir, vous conserviez toujours la douceur au fond de votre âme. Qu’y a-t-il de plus compatissant que le médecin qui approche du malade le fer à la main ? Il sévit contre la plaie pour guérir le malade, car, s’il use de ménagements à l’égard de la blessure, l’homme est perdu. — S. Jér. Le Sauveur ajoute : " Du fond de vos cœurs " pour prévenir toute hypocrisie et tout faux semblant de réconciliation. Par cette comparaison du roi et du serviteur qui avait demandé et obtenu la remise des dix mille talents qu’il devait à son maître, le Seigneur fait une obligation à Pierre de remettre à ses frères les légères offenses dont ils se rendront coupables à son égard. — Orig. Il veut aussi nous enseigner à pardonner facilement à ceux qui nous ont fait du tort, surtout s’ils réparent leur faute et viennent implorer leur pardon.

Rab. Dans le sens allégorique, ce serviteur, qui devait dix mille talents, c’est le peuple juif soumis au décalogue de la Loi, et à qui Dieu a souvent remis ses dettes lorsque, réduit aux dernières extrémités, il faisait pénitence et implorait miséricorde ; mais une fois délivré de ces épreuves, il n’avait aucune commisération et exigeait avec une rigueur implacable tout ce qui pouvait lui être dû. Il ne cessait de tourmenter les Gentils, comme s’ils lui étaient soumis ; il exigeait d’eux l’observation de la circoncision et des prescriptions légales et massacrait impitoyablement les prophètes et les Apôtres qui lui apportaient la parole de réconciliation. C’est pour cela que Dieu les livra aux Romains qui détruisirent leur cité de fond en comble, ou plutôt aux esprits mauvais pour être tourmentés par eux dans les supplices éternels.

 

CHAPITRE XIX

 

vv. 1-8.

S. Chrys. (hom. 62.) Notre-Seigneur était précédemment sorti de la Judée à cause de la jalousie de ses ennemis ; il y revient maintenant fixer son séjour, parce que le temps de sa passion n’était plus éloigné. Cependant il ne s’avance pas au cœur de la Judée, mais il s’arrête sur ses frontières. " Et il arriva, dit l’auteur sacré, que lorsque Jésus eut achevé tous ces discours, " etc. — Rab. L’Évangéliste commence donc à raconter les actions, les enseignements de Jésus et aussi ce qu’il eut à souffrir, d’abord au delà du Jourdain, à l’Orient, ensuite en deçà du Jourdain, lorsqu’il vint à Jéricho, à Bethphagé et à Jérusalem : " Et il vint aux confins de la Judée. " — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il agit en cela avec justice, comme le Seigneur de tous les hommes, qui aime les uns sans délaisser les autres. — Remi. Il faut se rappeler que tout le pays habité par les Israélites portait le nom général de Judée, mais que ce nom était donné d’une manière spéciale à la partie méridionale habitée par la tribu de Juda et par celle de Benjamin, pour la distinguer des autres pays renfermés dans la même province, comme la Samarie, la Galilée, la Décapote et d’autres encore.

" Et de grandes troupes le suivirent. " — S. Chrys. (sur S. Matth.) ils l’accompagnaient, comme de jeunes enfants conduisent leur père partant pour un long voyage. Et le Sauveur, comme un père, qui est sur son départ, leur laissa pour gages de sa tendresse la guérison de leurs maladies, comme l’indique l’auteur sacré : " Et il les guérit. " — S. Chrys. (hom. 63.) Remarquons ici que le Seigneur ne s’applique continuellement ni à enseigner le peuple, ni à faire des miracles, mais il fait alternativement l’un et l’autre pour confirmer par les miracles l’autorité de ses paroles, et montrer, par la nature de ses enseignements, l’utilité des miracles.

Orig. (traité 7 sur S. Matth.) Notre-Seigneur guérissait tout ce peuple au delà du Jourdain où le baptême était donné, car c’est vraiment dans le baptême que tous les hommes sont délivrés de leurs infirmités spirituelles ; et s’il en est beaucoup qui suivent Jésus-Christ comme la multitude, tous cependant n’imitent pas la conduite de saint Matthieu, qui se leva aussitôt et quitta tout pour suivre le Christ. — Rab. Il guérit aussi les Galiléens sur les confins de la Judée, pour montrer qu’il comprend les Gentils dans le pardon qu’il préparait à la Judée. — S. Chrys. (hom. 62.) Jésus-Christ guérissait les hommes, et les bienfaits dont ils étaient l’objet se répandaient par eux sur une foule d’autres, car leur guérison était pour un grand nombre une occasion d’acquérir la connaissance de sa divinité. Ce n’était pas toutefois pour les pharisiens, que ses miracles ne faisaient qu’endurcir comme l’indiquent les paroles suivantes : " Et les pharisiens s’approchèrent de lui pour le tenter, et ils lui dirent : Est-il permis à un homme de renvoyer sa femme, " etc. — S. Jér. Ils veulent le prendre dans ce dilemme sans réplique, et le faire tomber dans le piège, quelle que soit sa réponse : S’il dit qu’on peut renvoyer sa femme pour toute sorte de raisons et eu prendre une autre, il se trouvera en contradiction avec sa doctrine sur la pureté des moeurs ; s’il répond, au contraire, qu’il est défendu de la renvoyer pour toute espèce de motifs, il sera convaincu de sacrilège et d’opposition à la doctrine de Moïse et de Dieu lui-même. — S. Chrys. (Hom. 62.) Voyez comme leur méchanceté paraît jusque dans la manière dont ils l’interrogent. Le Sauveur avait déjà eu occasion d’expliquer ce commandement, et ils viennent le questionner comme s’ils n’en avaient jamais parlé, s’imaginant sans doute qu’il avait oublié ce qu’il avait pu dire. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Lorsque vous voyez un homme cultiver avec soin l’amitié des médecins, vous en concluez qu’il est atteint de quelque infirmité ; de même, lorsque vous voyez un homme et une femme qui viennent questionner sur les moyens de renvoyer sa femme ou son mari, concluez sûrement que cet homme, que cette femme mènent une vie dissolue ; car la chasteté se plaît dans les liens du mariage, mais le libertinage regarde ces liens comme un esclavage et un supplice. Les pharisiens savaient bien qu’ils n’avaient aucune raison valable pour renvoyer leurs femmes, si ce n’est des motifs honteux, et ils ne laissaient pas de contracter avec l’une et avec l’autre de nouveaux engagements. Ils n’osèrent pas demander à Jésus pour quels motifs il était permis de renvoyer sa femme, afin de ne pas se trouver resserrés dans les limites étroites de raisons claires et précises ; mais ils lui demandent s’il est permis de la renvoyer pour toute espèce de raisons, car ils savaient bien que la passion ne sait ni s’arrêter ni se contenir dans les bornes d’un seul mariage, mais que plus on la satisfait, plus elle s’enflamme.

Orig. (Traité 7 sur S. Matth.) En voyant que Notre-Seigneur a voulu être ainsi tenté, qu’aucun de ses disciples, chargé d’enseigner les autres, ne s’attriste d’être éprouvé de la même manière, mais qu’il considère le Sauveur, faisant à ceux qui le tentent, une réponse pleine de religion et de piété. — S. Jér. Il pèse tous les termes de sa réponse, de manière à éviter le piége qu’ils lui tendent, et il produit tout à la fois le témoignage de l’Écriture et de la loi naturelle, pour mettre ainsi en comparaison la première déclaration de Dieu avec la seconde : " Et il leur répondit : N’avez-vous pas lu que Celui qui a créé l’homme dès le commencement créa un seul homme et une seule femme ? " C’est ce qui est écrit au commencement de la Genèse. Or, ces paroles : " Un seul homme et une seule femme, " prouvent qu’on doit éviter de s’engager dans les liens d’un second mariage. En effet, Notre-Seigneur n’a pas dit : mâle au singulier et femelle au pluriel, ce que les Juifs avaient en vue en répudiant leur première épouse, mais mâle et femelle, tous deux au singulier, afin qu’on ne s’engageât dans les liens que d’un seul mariage. — Rab. C’est par un dessein salutaire de Dieu qu’il a été établi que l’homme devrait aimer dans la femme une partie de son propre corps et ne pas regarder comme lui étant étrangère une chair qu’il reconnaîtrait avoir été tirée de lui. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Or, si Dieu a créé d’une seule et même chose l’homme et la femme pour établir entre eux une parfaite unité, pourquoi l’homme et la femme ne naissent-ils pas simultanément du même sein, comme il arrive pour certains oiseaux ? Parce que, bien que Dieu ait créé l’homme et la femme en vue de la génération des enfants, cependant il est toujours l’ami de la chasteté et l’auteur de la continence. C’est pourquoi Dieu n’a pas suivi la même règle dans la génération humaine. D’après cette règle, si l’homme veut se marier selon l’ordre établi dès la création, il doit comprendre parfaitement ce qu’est l’homme et la femme, et, s’il ne veut pas se marier, il n’y est point comme forcé par une union qui daterait de sa naissance, et il ne devient point ainsi, en gardant la continence, la perte d’un autre qui ne s’y croirait pas appelé. C’est ainsi que le Seigneur, le mariage une fois contracté, défend aux époux de se séparer l’un de l’autre, si ce n’est d’un consentement mutuel. — S. Chrys. (hom. 60.) Ce n’est pas seulement d’après la règle suivie dans la création, mais d’après une loi formelle qu’il établit, que le mariage est l’union indissoluble d’un seule avec une seule ; c’est pour cela qu’il ajoute : " L’homme abandonnera son père et sa mère et s’attachera à son épouse. " — S. Jér. Il dit encore ici " à son épouse, " et non " à ses épouses, " et il ajoute expressément : " ils seront deux dans une seule chair ; " car un des principaux avantages de l’union conjugale, c’est de réunir deux corps en une seule chair. — La Glose. Ou bien ces paroles : " dans une seule chair " signifient l’union elle-même des deux sexes. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Si donc parce que la femme vient de l’homme et qu’ils sont tous deux d’une même chair, l’homme doit abandonner son père et sa mère, on doit voir exister une plus grande affection entre les frères et soeurs qui sortent des mêmes parents, tandis que les époux viennent de familles différentes. Cependant l’affection des époux est de beaucoup supérieure, parce que l’institution divine est plus forte que la force même de la nature ; en effet, les préceptes divins ne sont point soumis à la nature, tandis que la nature obéit aux commandements de Dieu. D’ailleurs, les frères sortent d’une seule et même union pour suivre des routes différentes ; l’homme et la femme, au contraire, naissent de parents divers pour accomplir ensemble la même destinée. L’ordre que suit la nature vient ici confirmer l’ordre établi de Dieu ; car ce que la sève est dans les arbres, l’amour l’est dans les hommes. Or, la sève monte de la racine pour former le corps de la plante, et de là s’élève encore plus haut pour se transformer en semence. C’est ainsi que les parents aiment leurs enfants et n’en sont pas également aimés, car l’homme applique surtout son affection non pas à aimer ceux qui lui ont donné le jour, mais aux enfants qui naissent de son union, comme il est écrit : " L’homme abandonnera son père et sa mère et s’attachera à son épouse. "

S. Chrys. (hom. 62.) Admirez la sagesse de ce divin Maître. On lui demande : " Est-il permis ? " Il ne répond pas aussitôt : " Il n’est pas permis, " pour ne pas les troubler et les déconcerter, mais il appuie cette défense sur des preuves. Dieu, en effet, dès le commencement, fit l’homme et la femme, et il ne les unit pas d’une manière ordinaire, mais il leur ordonna d’abandonner leur père et leur mère. Il ne se contente pas non plus de commander à l’homme d’aller trouver la femme, il veut qu’il lui soit uni, et, par la manière dont il s’exprime, il établit l’indivisibilité du mariage. Mais il montre encore plus fortement combien cette union est étroite en ajoutant : " Et ils seront deux dans une seule chair. " S. Aug. (sur la Genèse dans le sens litter., 9.) Ces paroles, au témoignage de l’Écriture, ont été dites par le premier homme ; le Seigneur, cependant, les attribue à Dieu lui-même. Nous devons donc comprendre qu’Adam, par suite de l’extase qui avait précédé, a pu dire ces paroles par inspiration et comme prophète. — Remi. L’Apôtre saint Paul nous enseigne que c’est là un grand mystère en Jésus-Christ et en son Église. (Ep 5.) En effet, Notre-Seigneur Jésus-Christ abandonna en quelque sorte son Père, lorsqu’il descendit des cieux sur la terre ; il abandonna sa mère, c’est-à-dire la synagogue, en punition de son infidélité, et il s’attacha à son épouse, c’est-à-dire à la sainte Église, et ils sont deux dans une chair, c’est-à-dire Jésus-Christ et l’Église dans un seul corps.

S. Chrys. (hom. 62,) Après avoir rapporté les paroles et les faits de la loi ancienne, Jésus les interprète lui-même avec autorité, et il établit la loi en ces termes : " Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. " De même qu’on dit de ceux qui s’aiment d’un amour spirituel, qu’ils ne font qu’une seule âme, comme l’atteste l’Écriture : " Tous les croyants n’avaient qu’un cœur et qu’une âme " (Ac 4) ; ainsi on dit de l’homme et de la femme qui s’aiment d’un amour selon la chair, qu’ils ne sont qu’une même chair ; or, si c’est une chose horrible de couper ou de déchirer sa propre chair, il ne l’est pas moins de séparer la femme de son mari. — S. Aug. (Cité de Dieu, 14, 22.) Notre-Seigneur dit qu’ils ne font qu’un, ou bien à cause de leur union, ou à cause de l’origine de la femme, qui a été tirée du côté de l’homme. — S. Chrys. (hom. 62) Enfin, il fait intervenir l’autorité de Dieu lui-même en disant : " Que l’homme donc ne sépare pas ce que Dieu a uni ; paroles qui démontrent que renvoyer sa femme, c’est agir à la fois contre la nature et contre la loi : contre la nature, en divisant une seule et même chair ; contre la loi, parce que renvoyer sa femme, c’est rompre des liens que Dieu lui-même avait assemblés et déclarés indissolubles. — S. Jér. Dieu a formé cette union en ne faisant qu’une chair de l’homme et de la femme ; ce n’est donc pas à l’homme, mais à Dieu seul de la séparer ; or, l’homme sépare, lorsqu’il renvoie sa première femme par le désir d’en prendre une autre ; Dieu sépare, lui qui avait uni, lorsque, d’un mutuel consentement et en vue du service de Dieu, nous avons une femme ; mais que nous sommes comme n’en ayant pas. (1 Co 7.) — S. Aug. (contre Fauste, 19, 29.) Voilà donc les Juifs convaincus par les livres de Moïse qu’on ne doit pas renvoyer son épouse, eux qui croyaient agir conformément à la loi de Moïse, lorsqu’ils répudiaient leurs femmes. Nous apprenons en même temps par le témoignage de Jésus-Christ que Dieu a fait l’homme et la femme, et les a unis entre eux, doctrine qui condamne les Manichéens qui nient cette vérité et se mettent ainsi en opposition avec l’Évangile de Jésus-Christ.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Une déclaration aussi conforme à la chasteté est accablante pour des fornicateurs ; ils ne peuvent rien opposer à la raison, mais ils ne se rendent pas pour cela à la vérité. Ils s’appuient donc de l’autorité de Moïse, comme des hommes qui ayant une mauvaise cause à défendre ont recours à des personnages haut placés, pour remporter par leur influence un triomphe qu’ils ne peuvent espérer de la justice de leur cause. " Mais pourquoi donc, lui disent-ils, Moïse a-t-il commandé, " etc. — S. Jér. Ils découvrent l’accusation calomnieuse qu’ils avaient préparée, bien que le Sauveur n’ait point donné son propre sentiment, mais qu’il n’ait fait que rappeler un fait de l’histoire ancienne et les commandements de Dieu. — S. Chrys. (hom. 62.) Si Notre-Seigneur eût été en opposition avec l’Ancien Testament, il n’eût point pris la défense de Moïse ; il n’aurait pas non plus montré le rapport des faits anciens avec ce qui le concernait. Cependant l’ineffable sagesse du Sauveur va jusqu’à justifier ses accusateurs dans sa réponse : " Et il leur répondit : C’est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis, " etc. C’est ainsi qu’il justifie MoIse de l’accusation qu’ils semblaient vouloir lui intenter, tour la faire retomber tout entière sur leur tête. — S. Aug. (contre Fauste, 19, 29.) Quelle n’était pas en effet leur dureté, puisque l’acte de répudiation qui offrait un moyen de séparation aux hommes justes et prudents, ne pouvait ni les fléchir, ni ramener dans leurs cœurs l’affection qui doit régner entre les époux. Mais quelle est donc la fourberie des Manichéens, qui reprochent à Moïse d’avoir détruit le mariage en autorisant le billet de répudiation et qui louent Jésus-Christ d’avoir confirmé l’indissolubilité du lien conjugal ? Dans leur opinion sacrilège, ils devraient, au contraire, louer Moïse d’avoir séparé ce que le démon avait uni, et blâmer Jésus-Christ d’avoir resserré des liens formés par le démon.

S. Chrys. (hom. 62.) Comme cette réponse pouvait produire une impression fâcheuse, le Sauveur en revient aussitôt à la loi et ajoute : " Mais au commencement, il n’en a pas été ainsi. " — S. Jér. Paroles dont voici le sens : Est-ce que Dieu peut être en contradiction avec lui-même, à ce point d’établir une loi et de la détruire par un Commandement contraire ? c’est ce qu’on ne peut admettre. Mais Moïse, voyant que le désir d’épouser d’autres femmes, ou plus riches ou plus jeunes ou plus belles, était pour les premières épouses une cause de mauvais traitements et de mort, ou pour les maris de conduite licencieuse, aima mieux permettre le divorce, que de laisser persister les haines et les homicides. Remarquez encore qu’il ne dit pas : A cause de la dureté de votre cœur, Dieu vous a permis, mais : " Moïse vous a permis ; " car, selon la remarque de l’Apôtre (1 Co 7, 12), c’était un conseil de l’homme et non pas un commandement de Dieu. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Aussi est-ce avec dessein qu’il dit : " Moïse vous a permis, " et non : Moïse vous a commandé ; car ce que nous commandons est l’expression d’une volonté qui persévère, tandis que ce que nous permettons, nous l’accordons malgré nous, parce que nous ne pouvons pas arrêter entièrement la mauvaise volonté des hommes. Moïse vous a donc permis de faire mal, pour vous empêcher de faire plus mal encore ; donc, en nous accordant cette permission, il ne vous a pas fait connaître ce qu’exige la justice de Dieu ; il a simplement déchargé le péché de culpabilité, de manière qu’en paraissant agir d’après votre loi, ce qui était péché cessât de l’être pour vous.

 

v. 9.

S. Chrys. (hom. 62.) Après leur avoir ainsi fermé la bouche, Notre-Seigneur établit d’autorité la loi en ces termes : " Aussi je vous déclare que quiconque aura renvoyé son épouse, " etc. — Orig. On dira peut-être que Jésus, par ces paroles : " Quiconque aura renvoyé sa femme, si ce n’est en cas d’adultère, " a donc permis au mari de renvoyer son épouse, aussi bien que Moïse, qui, au témoignage du Sauveur, leur a donné cette permission à cause de la dureté de leur cœur. Nous répondons que l’adultère, crime pour lequel, selon la loi, on devait être lapidé (Jn 8, 5 ; Lv 20, 20 ; Dt 22, 22), n’est point ce défaut honteux, pour lequel Moïse permet de donner l’acte de répudiation ; car, dans le cas d’adultère, cet acte de répudiation n’était pas nécessaire. Peut-être Moïse a-t-il voulu désigner, par cette chose honteuse, toute faute commise par la femme qui autorise le mari à lui donner un acte de répudiation. Mais s’il n’est permis de renvoyer sa femme que pour le seul crime d’adultère, que doit-on faire si une femme, innocente de ce crime, est coupable d’un crime plus énorme, comme d’avoir empoisonné ou mis à mort ses enfants ? Le Seigneur a tranché cette difficulté dans un autre endroit en ces termes (Mt 5) : " Quiconque renverra sa femme, si ce n’est pour cause d’adultère, la fait tomber dans l’adultère en l’exposant à contracter un second mariage.

S. Jér. Il n’y a donc que l’adultère qui puisse triompher de l’affection qu’on doit à son épouse ; en effet, dès lors qu’elle a partagé son corps avec un autre, et que par le crime de la fornication elle s’est séparée de son mari, il ne doit point la garder, de peur de tomber lui-même sous cette malédiction de l’Écriture : " Celui qui retient une adultère est insensé et méchant. " (Pv 18, 22.) — S. Chrys. (sur S. Matth.) De même qu’un homme se rendrait coupable de cruauté et d’injustice en renvoyant une femme chaste, ainsi serait il insensé et inique s’il retenait une adultère, car c’est patronner l’infamie que de dissimuler le crime d’une épouse — S. Aug. (Des mariages adult. 2, 9) Cependant, après que le crime d’adultère a été commis et expié, la réconciliation des époux ne doit être ni difficile, ni regardée comme honteuse, alors que les clefs du royaume des cieux donnent la certitude de la rémission des péchés ; ce n’est pas sans doute que le mari doive rappeler sa femme adultère après la séparation, mais il ne doit plus la traiter d’adultère après qu’elle a été jugée digne de l’union de Jésus-Christ.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Toute chose se détruit par les mêmes causes qui l’ont fait naître ; or, ce n’est point l’acte du mariage, mais la volonté des époux qui constitue l’union conjugale ; donc ce n’est pas la séparation du corps qui la détruit, mais la séparation de volonté. Celui donc qui se sépare de son épouse, sans en prendre une autre, reste toujours l’époux de la première ; car, bien qu’il en soit séparé de corps, il lui reste uni par la volonté ; ce n’est que lorsqu’il en a pris une autre que la séparation est complète et absolue. Aussi Notre-Seigneur ne dit pas : Celui qui renvoie son épouse est adultère, mais : " Celui qui en prend une autre. " — Remi. Il n’y a qu’une seule raison matérielle qui puisse légitimer le renvoi d’une épouse : c’est l’adultère ; il n’y a qu’une seule raison spirituelle, et c’est la crainte de Dieu ; mais il n’en est aucune qui permette de prendre une autre épouse du vivant de celle qu’on a renvoyée. — S. Jér. Il pouvait facilement arriver qu’un homme calomniât une épouse innocente, et lui imputât un crime imaginaire, afin de pouvoir contracter un second mariage. En permettant donc de renvoyer la première femme, le Sauveur défend d’en prendre une autre du vivant de la première. Et encore, comme il pouvait également se faire qu’en vertu de la même loi, une femme donnât à son mari un acte de répudiation, la même défense lui est faite de prendre un second mari. Notre-Seigneur va plus loin : une femme de mauvaise vie et qui s’est rendue coupable d’adultère ne craint pas beaucoup l’opprobre ; il est défendu à celui qui voudrait devenir son second mari de la prendre, sous peine du crime d’adultère. " Et celui qui épouse celle qu’un autre a renvoyée commet aussi un adultère. " — La Glose. Notre-Seigneur veut effrayer celui qui prendrait cette femme, parce qu’une adultère ne redoute ni la honte, ni l’opprobre.

 

vv. 10-12.

S. Jér. C’est un lourd fardeau qu’une épouse, s’il n’est point permis de s’en séparer, sauf le cas d’adultère. Eh quoi ! si elle est sujette à l’ivrognerie, à la colère, si elle est de moeurs licencieuses, faudra-t-il donc la garder ? C’est en considérant ce joug pesant du mariage, que les Apôtres expriment leur sentiment : Ses disciples lui dirent : " Si la condition d’un homme est telle à l’égard de sa femme, il n’est pas avantageux de se marier. " — S. Chrys. (hom. 62.) Car il est plus facile de lutter contre la concupiscence et contre soi-même que contre une mauvaise femme. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Or, le Seigneur ne répond point que cela est avantageux, au contraire, il convient avec eux que ce n’est pas avantageux ; mais il tient compte en même temps de l’infirmité de la chair, et il ajoute : " Tous ne comprennent pas cette parole, " c’est-à-dire tous ne sont pas capables de cette résolution. — S. Jér. Gardons-nous de penser qu’en disant : " Ceux à qui il a été donné, " le Sauveur ait voulu parler du destin ou du hasard, en ce sens que ceux qui ont reçu le don de la virginité, n’en soient redevables qu’au hasard ; car ce don est accordé à ceux qui l’ont demandé à Dieu, qui l’ont voulu, et qui ont fait des efforts pour l’obtenir. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Si donc tous ne comprennent pas cette parole, c’est qu’ils ne veulent pas la comprendre. La palme est offerte à tous, que celui qui désire la gloire, ne pense pas à la fatigue, personne ne pourrait remporter la victoire, si tous craignaient le danger. De ce qu’il en est qui ne tiennent pas la résolution qu’ils ont prise d’être chastes, nous ne devons pas en être plus négligents dans la pratique de cette vertu ; ainsi ceux qui tombent sur le champ de bataille n’amortissent pas le courage des autres. En s’exprimant de la sorte : " Ceux à qui il a été donné, " le Sauveur nous apprend que sans le secours de la grâce, tous nos efforts seraient inutiles. Or, ce secours de la grâce n’est jamais refusé à ceux qui le demandent ; car le Seigneur a dit : " Demandez et vous recevrez. " S. Chrys. (hom. 62.) Il prouve ensuite la possibilité de cette vertu, en ajoutant : " Il y a des eunuques, " etc., paroles dont voici le sens : Pensez à ce que vous feriez si vous étiez devenu eunuque par la main des hommes. Vous seriez privé et de la volupté, et de la récompense de la chasteté. — S. Chrys. (sur S. Matth.) De même que l’action séparée de la volupté ne peut constituer le péché, ainsi l’acte, sans la volonté, ne peut être imputé à justice. La chasteté, vraiment méritoire et glorieuse, n’est donc pas celle qui vient de l’impuissance d’un corps incapable d’enfreindre cette vertu, mais celle qui résulte de la résolution libre et sainte de garder la continence.

S. Jér. Il établit donc trois genres d’eunuques, deux dans le sens matériel, et le troisième dans le sens spirituel : les uns sont nés ainsi dès le sein de leur mère ; les autres sont ceux que la captivité a rendu tels, ou qui ont été mutilés pour le plaisir des personnes de qualité ; les troisièmes sont ceux qui se sont faits eunuques eux-mêmes pour le royaume des cieux, et qui, pouvant être des hommes jouissant de la virilité, se sont faits eunuques par amour pour Jésus-Christ ; c’est à ces derniers qu’il promet la récompense ; mais les autres, pour qui la chasteté est une nécessité et non pas un sacrifice volontaire, n’ont rien à espérer. — S. Hil. D’un côté nous voyons la nature dans celui qui est eunuque de naissance, de l’autre, la nécessité dans celui qui l’est devenu de la main des hommes, de l’autre, enfin, la volonté dans celui qui a résolu de vivre tel, dans l’espérance du royaume des cieux. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Qu’il y en ait qui soit eunuques de naissance, on ne peut l’attribuer qu’à la création, de même que ceux qui naissent avec six ou quatre doigts ; car si Dieu laissait la nature de chacun des êtres créés suivre d’une manière immuable l’ordre qu’il a établi dès le commencement, les hommes finiraient par oublier l’opération de la toute-puissance divine. C’est pourquoi la nature des choses contrevient de temps en temps aux lois naturelles établies, pour rappeler sans cesse au souvenir des hommes, que Dieu est l’artisan souverain de la nature.

S. Jér. Nous pouvons donner une autre explication : Ceux qui sont eunuques dès le sein de leur mère sont ceux qui sont d’un tempérament froid et sans inclination pour le plaisir ; ceux qui le sont par le fait des hommes, sont ceux que les médecins ont faits eunuques ou à qui on fait prendre les moeurs efféminées des femmes pour servir au culte des idoles ; ou bien ceux qui, à la persuasion des hérétiques, simulent la chasteté pour se couvrir des dehors trompeurs de la vraie religion. Or, aucun d’eux n’obtiendra le royaume des cieux, à l’exception de ceux qui se sont rendus eunuques pour Jésus-Christ. C’est pour cela que le Sauveur ajoute : " Qui peut comprendre ceci le comprenne. " C’est-à-dire que chacun interroge ses forces pour voir s’il peut remplir les devoirs qu’impose la virginité et la pureté. La chasteté a des charmes naturels, elle attire à soi tout le monde, mais il faut que chacun examine ses forces, et que celui qui peut comprendre comprenne. " C’est la parole du Seigneur qui exhorte ses soldats, et les appelle à conquérir la palme de la chasteté, et il leur tient ce langage : " Que celui qui peut combattre, ne refuse pas le combat, qu’il remporte la victoire et qu’il triomphe. " — S. Chrys. (hom. 62.) Lorsque le Seigneur dit qu’il en est qui se sont faits eunuques, il ne veut point parler du retranchement d’aucun membre, mais de la mortification des pensées mauvaises ; car celui qui se mutile lui-même est soumis à la malédiction, parce qu’il se rend coupable du crime des homicides, donne occasion aux Manichéens de rabaisser la créature, et qu’il imite la conduite des païens qui se mutilent ainsi eux-mêmes ; la pensée de se retrancher un membre ne peut venir que d’une tentation du démon. D’ailleurs, en agissant ainsi, on n’éteint pas les feux de la concupiscence, on ne fait que les irriter, puisque le sperme qui est en nous a d’autres sources, et surtout dans les désirs impurs et dans la négligence de l’âme. Si l’âme est mortifiée, elle n’a rien à craindre des mouvements naturels de la concupiscence ; de même que cette mutilation d’un membre ne suffit pas pour réprimer les tentations, et pour donner la paix à l’âme, en mettant comme un frein aux pensées mauvaises.

 

vv. 13-15.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Notre-Seigneur venait de parler de la chasteté ; quelques-uns de ceux qui l’avaient écouté lui présentèrent des enfants d’une grande pureté, car ils pensaient que le Sauveur n’avait relevé le mérite que de la pureté du corps : " On lui présenta alors des enfants, " etc. — Orig. Ils savaient par l’expérience de ses miracles que l’imposition seule de ses mains, jointe à la prière, suffisait pour repousser tout accident funeste ; ils lui présentent donc des enfants, dans la pensée, qu’après que le Seigneur leur aurait communiqué, en les touchant, une vertu toute divine, ils seraient à l’abri de tout malheur, et des attaques du démon (cf. Ps 110, 6). — Remi. C’était une coutume chez les anciens de présenter les petits enfants aux vieillards, pour que ces derniers pussent les bénir de la main ou par leurs paroles, et c’est en vertu de cet usage que ces petits enfants sont présentés au Seigneur.

S. Chrys. (sur S. Matth.) L’homme charnel, qui ne peut se réjouir dans le bien, l’oublie facilement, tandis qu’il ne perd jamais le souvenir du mal qu’il a entendu. Jésus venait à peine de prendre un enfant et de dire : " Si vous ne devenez comme cet enfant, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux, " et voilà qu’aussitôt les disciples, oubliant l’innocence de cet âge, éloignaient les enfants du Sauveur comme indignes de s’approcher de lui. " Et comme ses disciples les repoussaient, " etc. — S. Jér. Ce n’est pas qu’ils voulussent s’opposer à ce que Jésus les bénît de la main et de la voix, mais n’ayant pas encore une foi très grande, ils s’imaginaient qu’en cela, semblable aux autres hommes, le Sauveur était fatigué de l’importunité de ceux qui lui présentaient ces enfants. — S. Chrys. (hom. 62.) Ou bien encore, les disciples repoussaient les enfants par égard pour la dignité de Jésus-Christ ; mais le Seigneur, voulant les former à l’humilité et leur apprendre à fouler aux pieds les prétentions de l’orgueil humain, prend ces petits enfants, les tient dans ses bras, et promet le royaume des cieux à ceux qui leur ressemblent. " Et Jésus leur dit : Laissez les enfants, et ne les empêchez pas, " etc. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Qui mériterait, en effet, d’approcher de Jésus si on éloigne de lui la simplicité de l’enfance ? Aussi ajoute-t-il : " Et ne les empêchez pas, " etc. ; car, s’ils doivent être un jour des saints, pourquoi défendre aux fils d’approcher de leur père ; et s’ils doivent devenir pécheurs, pourquoi prononcer la sentence de condamnation avant d’avoir vu leurs fautes. — S. Jér. C’est avec dessein qu’il dit : " C’est à ceux qui leur ressemblent qu’appartient le royaume des cieux, " et non pas " à ceux-ci ; " il veut montrer que ce n’est pas à l’âge, mais à la pureté des moeurs qu’appartient le royaume des cieux, et que c’est à ceux qui imitent leur innocence et leur simplicité que la récompense est promise.

" Et lorsqu’il leur eut imposé les mains, " etc. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ce passage de l’Évangile apprend à tous les parents qu’ils doivent présenter leurs enfants aux prêtres ; car ce n’est pas le prêtre qui leur impose alors les mains, c’est Jésus-Christ, au nom duquel se fait cette imposition. En effet, si celui qui offre à Dieu par la prière la nourriture qu’il va prendre, mange cette nourriture, sanctifiée par la parole de Dieu et la prière, selon la doctrine expresse de l’Apôtre (1 Tm 4, 5), combien plus est-il nécessaire d’offrir les enfants à Dieu pour qu’il les sanctifie. La raison pour laquelle nous bénissons notre nourriture avant de la prendre, c’est que le monde tout entier est sous l’empire de l’esprit malin (1 Jn 5, 19), et que, par conséquent, toutes les choses corporelles qui forment une grande partie du monde créé lui sont soumises ; les enfants eux-mêmes, lorsqu’ils viennent au monde, sont donc également sous son empire quant à leur corps.

Orig. Dans le sens mystique, nous appelons enfants ceux qui sont encore charnels en Jésus-Christ, et qui ont encore besoin de lait. (1 Co 3.) Ceux au contraire, qui professent la doctrine du Verbe, mais qui sont encore simples et nourris d’un enseignement approprié à la faiblesse du jeune âge, sont encore novices, ce sont eux qui présentent au Sauveur les enfants et les petits ; mais ceux qui sont plus parfaits, c’est-à-dire les disciples de Jésus, avant de connaître les dispositions de la justice divine à l’égard des enfants, s’élèvent contre ceux qui, à l’aide d’une doctrine élémentaire, présentent à Jésus-Christ les enfants et les petits, c’est-à-dire les moins instruits. Or, le Seigneur veut apprendre à ses disciples parvenus à la maturité de l’âge, à condescendre à la faiblesse des enfants et aux exigences de leur âge, et à devenir comme des enfants pour les enfants, afin de les gagner à Jésus-Christ, et il leur dit : " Le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent, car lui-même, qui avait la nature de Dieu, a daigné se faire enfant ". (1 Ph 2.) Voilà donc ce qu’il nous faut considérer attentivement afin que le désir d’une sagesse plus excellente et d’un progrès spirituel plus avancé ne nous porte à mépriser les petits enfants comme si nous étions au-dessus d’eux, et à les empêcher de s’approcher de Jésus. Et comme les enfants ne sont pas capables de suivre tous les enseignements de Jésus, il leur impose les mains, et après leur avoir communiqué une vertu particulière par ce divin attouchement, il les laisse comme étant encore incapables de le suivre, à l’exemple des autres disciples plus parfaits. — Remi. Il bénit les enfants en leur imposant les mains, pour signifier que les humbles d’esprit sont dignes de sa grâce et de sa bénédiction. — La Glose. Il leur imposa aussi les mains pour marquer que la grâce du secours divin serait départie à ceux dont la pureté égale l’humilité. — S. Hil. (can. 19 sur S. Matth.) Les enfants sont encore la figure des Gentils qui ont retrouvé le salut par la foi et par ce qu’ils ont entendu. Cependant les disciples, dans le désir qu’ils ont de sauver d’abord le peuple d’Israël, les empêchent d’approcher. Le Seigneur, alors, leur défend de les éloigner ; car le don du Saint-Esprit devait être accordé aux Gentils par l’imposition des mains et par la prière, après l’abolition des prescriptions légales.

 

vv. 16-22.

Rab. Ce jeune homme avait peut-être entendu dire à Notre-Seigneur que ceux-là seuls étaient dignes d’entrer dans le royaume des cieux, qui s’appliquent à devenir semblables aux petits enfants, mais il veut en être plus certain, il demande donc qu’on lui explique, non point en paraboles, mais en termes clairs, par quels moyens on peut mériter la vie éternelle : " Alors un jeune homme s’approcha, et lui dit : Bon maître, quel bien faut-il que je fasse, " etc. — S. Jér. Celui qui fait cette question est un jeune homme riche et plein de lui-même, il interroge, non par le désir d’apprendre, mais pour tenter le Seigneur, et la preuve, c’est qu’après que Jésus lui eut répondu : " Si vous voulez entrer dans la vie, gardez les commandements, " il demande de nouveau artificieusement, quels sont ces commandements, comme s’il ne les avait pas lus bien des fois, ou comme si le Sauveur pouvait lui commander des choses contraires aux préceptes divins. — S. Chrys. (hom. 63.) Je n’hésite pas à dire que ce jeune homme était esclave de l’avarice et de l’amour des richesses, puisque le Seigneur lui-même lui a reproché ce vice ; mais je ne puis le regarder en aucune façon comme un hypocrite, parce qu’il est dangereux de juger en matière incertaine, surtout lorsqu’il s’agit d’accuser. En effet, saint Marc détruit entièrement ce soupçon, car il rapporte que cet homme accourut, et se mit à genoux devant Jésus pour lui faire cette question, et que Jésus, l’ayant regardé, conçut pour lui de l’affection. Or, s’il était venu pour le tenter, l’Évangéliste nous l’aurait fait remarquer, comme il le fait ordinairement pour les autres, et en supposant qu’il eût gardé le silence sur ce point, le Sauveur n’aurait pas permis que son hypocrisie demeurât cachée, mais il lui en aurait fait des reproches publics, ou il l’en aurait repris en secret, ce qu’il ne fait en aucune façon, car voici la suite du récit : " Et il lui dit : Pourquoi m’appelez-vous bon ? "

S. Aug. (de l’accord des évang., 2, 63.) Il y a, ce semble, une différence assez grande entre ce que dit ici saint Matthieu : " Pourquoi me demandez-vous le bien que vous devez faire ? " et celles que rapportent saint Marc et saint Luc : Pourquoi m’appelez-vous bon ? " La première variante : Pourquoi me demandez-vous le bien que vous devez faire ? " se rapporte plus directement à cette question : " Quel bien faut-il que je fasse ? " Car ce jeune homme y parle expressément du bien, et en fait l’objet même de sa question, tandis qu’en disant : " Bon maître, " il n’interroge pas encore. On peut donc admettre parfaitement que Notre-Seigneur lui a répondu par ces deux questions : " Pourquoi m’appelez-vous bon, et pourquoi m’interrogez-vous sur le bien que vous devez faire ? " — S. Jér. Comme ce jeune homme l’avait appelé bon maître, mais sans reconnaître qu’il était Dieu ou le Fils de Dieu, Jésus lui répond qu’aucun homme, quelque saint qu’il soit, n’est bon en comparaison de Dieu, dont il est dit : " Louez le Seigneur, parce qu’il est bon (Ps 105, 1 ; 106, 1 ; 117, 1 ; 135, 1 ; 1 Parai., 16, 34 ; 5, 13 ; Dn 3, 89). " Et c’est pour cela qu’il ajoute : " Il n’y a que Dieu seul qui soit bon. " Mais que personne ne pense que ces paroles : " Il n’y a que Dieu seul qui soit bon, " ne comprennent pas le Fils de Dieu dans cette bonté qui est l’attribut de la divinité ; car nous lisons dans un autre passage : Le bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis. " — S. Aug. (de la Trinit., 1, 13.) Ou bien dans un autre sens, ce jeune homme cherchait la vie éternelle, qui consiste dans la contemplation de Dieu, dont la claire vision est une cause non de peine, mais de joie éternelle. Or, il ne comprenait pas quel était celui avec lequel il parlait, et le regardait seulement comme Fils de l’homme. Le Sauveur lui répond donc : " Pourquoi me demandez-vous le bien qu’il faut faire, et m’appelez-vous bon maître en ne consultant que ce qui frappe vos yeux ? " Cette forme du Fils de l’homme apparaîtra au jour du jugement, non-seulement aux yeux des justes, mais des impies, et cette vue sera pour eux un supplice, parce qu’elle leur sera imposée comme châtiment. Mais il est une autre vision de cette nature par laquelle je suis égal à Dieu, et c’est ce Dieu un dans sa nature, Père, Fils et Saint-Esprit qui est seul bon, parce que sa vue n’est pour personne un sujet de deuil et de gémissement, mais une source de salut et de joie véritable. — S. Jér. Le Sauveur ne refuse pas de recevoir ce témoignage rendu à sa bonté ; il repousse simplement l’erreur qu’il était maître sans être Dieu. — S. Chrys. (hom. 63.) Mais quelle utilité à lui répondre de la sorte ? C’était pour te ramener peu à peu, lui apprendre à se dépouiller de l’esprit de flatterie et de l’amour des biens de la terre, et lui persuader de s’attacher à Dieu, de chercher les biens futurs, et de s’appliquer à la connaissance de celui qui est véritablement bon, la racine et la source de tous les biens.

Orig. (traité 8 sur S. Matth.) Jésus-Christ, en s’exprimant de la sorte, répond encore à la question que lui faisait ce jeune homme : Quel bien faut-il que je fasse, " etc. En effet, lorsque nous nous éloignons du mal, et que nous faisons le bien, on appelle bien ce que nous faisons relativement à ce que font les autres hommes, mais considéré dans la vérité et d’après ces paroles : " Il n’y a que Dieu seul qui soit bon, " le bien que nous faisons ne peut être appelé bien. On peut encore dire que le Seigneur, sachant que l’intention de celui qui l’interrogeait n’était pas de pratiquer le bien même tout naturel, lui répond : " Pourquoi me demandez-vous quel bien vous devez faire ? " c’est-à-dire : " Pourquoi me questionner sur le bien, alors que vous n’êtes pas disposé à le pratiquer ? " il ajoute ensuite : " Si vous voulez entrer dans la vie, " etc. Remarquez qu’il parle à ce jeune homme comme s’il était hors de la vie : " Si vous voulez entrer dans la vie, " car dans un sens véritable l’homme, qui vit éloigné de celui qui a dit : " Je suis la vie " (Jn 11 et 14), est en dehors de la vie. D’ailleurs tout homme sur la terre, est seulement dans l’ombre de la vie, entouré qu’il est d’un corps périssable et mortel. Or, il entrera dans la vie en s’abstenant des oeuvres mortes, et en désirant les oeuvres de la vie. Il y a aussi des paroles de mort et des paroles de vie, des pensées de mort et des pensées de vie, etc. ; c’est pour cela que Notre-Seigneur Jésus-Christ dit à ce jeune homme : " Si vous voulez entrer dans la vie. " — S. Aug. (serm. 17 sur les par. du Seig.) Il ne lui dit pas : si vous voulez arriver à la vie éternelle, mais : " Si vous voulez entrer dans la vie, " établissant ainsi que la seule et véritable vie est la vie éternelle. Considérons ici combien cette vie éternelle est digne de nos affections, alors que nous aimons tant cette misérable vie qui doit sitôt finir.

Remi. Ces paroles sont une preuve que la loi promettait à ceux qui l’accomplissaient, non-seulement les biens temporels, mais encore la vie éternelle, et, comme ce jeune homme l’avait entendu dire, il devient attentif et demande : " Quels sont ces commandements ? " — S. Chrys. (hom. 63.) Il fait cette question sans intention de tenter le Seigneur, mais parce qu’il pensait qu’en dehors des préceptes de la loi, il en était d’autres qui seraient pour lui un principe de vie.

Remi. Jésus use à son égard d’une grande condescendance comme avec un malade, et lui expose avec douceur les préceptes de la loi Jésus lui dit : " Vous ne commettrez pas d’homicide, " etc. L’exposition abrégée de ces préceptes se trouve dans la proposition suivante : " Et vous aimerez votre prochain comme vous-même, " ainsi que le dit l’Apôtre : " Celui qui aime le prochain a accompli la loi. " (Rm 16.) Si l’on examine pourquoi Notre-Seigneur ne rappelle ici que les préceptes de la seconde table, on reconnaîtra que c’est, sans doute, parce que ce jeune homme s’appliquait à développer en lui l’amour de Dieu, ou bien, parce que l’amour du prochain est un degré pour s’élever à l’amour de Dieu. — Orig. Ou bien peut-être, ces préceptes suffisent pour qu’on puisse entrer dans ce que j’appellerai le commencement de la vie, mais ils ne suffisent pas, non plus que d’autres semblables pour nous introduire dans la partie la plus intime de la vie. Or, celui qui aura transgressé un de ces commandements, n’entrera même pas dans le commencement de la vie.

S. Chrys. (hom 63.) Après que le Sauveur eut rappelé les préceptes qui se trouvent dans la loi, ce jeune homme lui dit : " J’ai observé tous ces commandements dès ma jeunesse ; " et il ne s’arrête pas là, mais il interroge de nouveau le Sauveur : " Que me manque-t-il encore ? " question qui est une preuve du vif désir dont il était animé. — Remi. Notre-Seigneur enseigne à ceux qui veulent devenir parfaits dans la grâce, comment ils peuvent arriver à la perfection : Jésus lui dit : Si vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous avez. " Faites attention à ces paroles ; il ne dit pas " Allez, mangez tout ce que vous avez, " mais : " Allez et vendez. " Et il ne dit pas seulement : " Vendez une partie de vos biens, " comme firent Ananie et Saphire, mais : " Vendez tout, " et il ajoute avec dessein : " Tout ce que vous avez. " Or, nous avons les choses que nous possédons justement ; ce sont ces choses que nous devons vendre, quant à celles que nous possédons injustement, nous devons les rendre à ceux à qui nous les avons enlevées. Il ne dit pas enfin : " Donnez-en le prix à vos parents ou aux riches qui pourraient vous rendre en échange des biens semblables, " mais : " Donnez-en le prix aux pauvres. " — S. Aug. (du trav. des moines, chap. 25.) Il ne faut pas, d’ailleurs, se préoccuper dans quels monastères, ou dans quel endroit on distribuera ce qu’on possède à ses frères indigents, car tous les chrétiens ne forment qu’une seule société. Toutes les fois donc, qu’un chrétien distribue aux pauvres, n’importe dans quel endroit, les choses nécessaires à la vie, ou bien toutes les fois qu’il reçoit n’importe de quelles mains ce qui lui est nécessaire, il reçoit de ce qui appartient à Jésus-Christ.

Rab. Voici deux sortes de vies que le Sauveur propose aux hommes : la vie active, à laquelle se rapporte ce précepte : " Vous ne tuerez pas, " et tous les autres préceptes de la loi ; et la vie contemplative que Notre-Seigneur a en vue dans ces paroles : " Si vous voulez être parfait, " etc. La vie active appartient à la loi ancienne, et la vie contemplative à l’Évangile ; car de même que l’Ancien Testament a précédé le Nouveau, ainsi la vie pleine de bonnes oeuvres doit précéder la contemplation. — S. Aug. (cont. Faust., 5, 9.) Cependant, il n’y a pas que ceux qui, pour être parfaits, vendent ou abandonnent tous leurs biens qui posséderont le royaume des cieux ; le divin commerce de la charité unit à cette partie de la milice chrétienne un grand nombre de fidèles qui se rendent volontairement tributaires des pauvres, et à qui le Sauveur dira au dernier jour : " J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger. " Loin de nous la pensée qu’ils doivent un jour être privés de la vie éternelle comme étant étrangers aux préceptes de l’Évangile.

S. Jér. (cont. Vigilance.) Quant à ce que prétend Vigilance, qu’il est mieux de jouir de ses biens et d’en distribuer successivement les fruits aux pauvres, plutôt que de vendre ces biens et de leur en donner immédiatement le prix, ce n’est pas moi, mais Dieu lui-même qui lui répondra : " Si vous voulez être parfait, allez et vendez. " Cet état que vous louez n’est que le deuxième ou le troisième degré, nous l’approuvons nous mêmes, à la condition de ne pas oublier que le premier état est préférable au second et au troisième. — Genn. (des dogmes de l’Église., chap. 71.). C’est une chose louable de distribuer ses biens aux pauvres avec une certaine mesure, mais il est mieux de les leur donner tous à la fois, pour accomplir le dessein de suivre le Sauveur, et s’affranchir de tout souci en partageant la pauvreté de Jésus-Christ. — S. Chrys. (hom. 63.) Comme il était ici question des richesses de la terre, et que Notre-Seigneur exhortait ce jeune homme à s’en dépouiller, il lui montre que la récompense qu’il accordera sera plus grande que ce sacrifice, et le surpassera de toute la distance qui sépare le ciel de la terre : " Et vous aurez, ajoute-t-il, un trésor dans le ciel ; " car un trésor annonce la richesse et la durée de la récompense.

Orig. Si tous les commandements sont renfermés dans cette parole : " Vous aimerez le prochain comme vous-même, " et si, d’ailleurs, celui qui les accomplit tous est parfait, comment le Seigneur, entendant ce jeune homme lui dire : " J’ai gardé tous ces commandements dès ma jeunesse, " lui dit comme s’il n’avait pas encore atteint la perfection : " Si vous voulez être parfait ? " Peut-être que ces paroles : " Vous aimerez le prochain, " n’ont pas été dites par le Seigneur, mais qu’elles ont été ajoutées par quelque copiste, chose d’autant plus probable, que saint Marc et saint Luc, qui rapportent ce même trait, ne font aucune mention de ces paroles. Voici une autre explication : Nous lisons dans l’Évangile selon les Hébreux, qu’après que le Seigneur eut dit ces paroles : " Allez et vendez tout ce que vous avez, " ce jeune homme qui était riche, se gratta la tête d’hésitation, et ne goûta point ce langage. Alors le Seigneur lui dit : " Comment dites-vous : J’ai accompli tout ce qui est écrit dans la loi et dans les prophètes ? Il est écrit dans la loi : Vous aimerez le prochain comme vous-même, et voilà qu’un grand nombre de vos frères sont couverts de haillons mal propres, mourants de faim, tandis que votre maison regorge de richesses, et qu’il n’en sort rien absolument pour subvenir à leur détresse. " Le Seigneur, voulant donc convaincre et éprouver ce riche, lui dit : " Si vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous avez, et donnez-le aux pauvres, c’est alors que l’on verra si vous aimez le prochain comme vous-même. Mais si la perfection consiste dans la réunion de toutes les vertus, comment suffit-il pour devenir parfait de vendre tout ce qu’on possède, et de le donner aux pauvres ? " Supposons un homme qui ait accompli ce généreux sacrifice, sera-t-il aussitôt sans colère, sans concupiscence, orné de toutes les vertus, exempt de tous les vices ? Quelque esprit sage pourra dire que celui qui a donné ses biens aux pauvres se trouve aidé de leurs prières, et qu’il reçoit de leur abondance spirituelle de quoi subvenir à son indigence spirituelle, et que c’est ainsi qu’il devient parfait, tout en conservant quelques passions qui tiennent à l’humanité. Ou bien encore, celui qui a pris la pauvreté en échange de la richesse afin de devenir parfait, en vertu de sa foi aux paroles de Jésus-Christ, recevra la grâce nécessaire pour devenir sage en Jésus-Christ, juste, chaste et sans aucune passion. Ce n’est pas, sans doute, qu’il atteindra le comble de la perfection du moment où il aura donné ses biens aux pauvres, mais, dès ce jour, la méditation des choses divines lui rendra peu à peu familières toutes les vertus. On peut encore donner une autre interprétation toute morale, en disant que les biens de chaque fidèle sont ses actes. Or, dans ce sens, Jésus-Christ ordonne de vendre tous les biens qui sont viciés pour quelque cause que ce soit, et de les donner à ceux qui pourront en tirer profit, et qui sont pauvres de tout bien ; car de même que la paix que souhaitent les Apôtres, revient à eux, lorsqu’elle ne rencontre pas un fils de la paix (Mt 10.) ; ainsi tous les péchés reviennent à ceux qui les ont commis lorsqu’il ne se trouve personne qui puisse en faire sortir quelque bien. Dans ce sens, on ne peut douter que celui qui a vendu de la sorte tous ses biens, ne soit réellement parfait. Or, il est évident que celui qui agit de la sorte, a un trésor dans le ciel, et qu’il est devenu lui-même un homme céleste. Il a, en effet, dans le ciel qui lui appartient, le trésor de la gloire de Dieu et les richesses inépuisables de la sagesse divine. Il pourra donc suivre Jésus-Christ, puisqu’il n’en sera détourné par aucun bien possédé injustement.

S. Jér. Il en est beaucoup qui abandonnent leurs richesses et qui ne suivent pas le Seigneur. Or, cela ne suffit pas pour parvenir à la perfection ; il faut, après avoir professé un généreux mépris pour les richesses, se mettre à la suite du Sauveur ; en d’autres termes, après qu’on s’est séparé du mal, il faut encore faire le bien, parce qu’il est plus facile de faire peu de cas de sa bourse que de sa volonté. C’est pourquoi Jésus ajoute : " Puis venez, et suivez-moi ; " car c’est suivre le Seigneur et marcher sur ses traces que de l’imiter. — Suite. " Ce jeune homme, ayant entendu ces paroles, s’en alla tout triste. " C’est cette tristesse qui conduit à la mort, et l’Évangéliste nous en fait connaître la cause : " Car il avait de grands biens, " c’est-à-dire des épines et des ronces qui étouffèrent la semence que le Seigneur avait jetée dans son cœur. — S. Chrys. (hom. 63.) Ceux qui ont peu de biens et ceux qui en possèdent en abondance n’en sont pas également esclaves, car l’accroissement des richesses, en rend le désir plus ardent et la cupidité plus vive. — S. Aug. (Lettre à Paulin et à Thérèse, 34.) Je ne sais pas comment il arrive, lorsqu’on aime les biens superflus de la terre, que ceux qu’on possède enchaînent plus étroitement que ceux qu’on désire ; car, pourquoi ce jeune homme s’en alla-t-il tout triste, si ce n’est parce qu’il avait de grands biens ? Il est bien différent, en effet, de vouloir s’incorporer, pour ainsi dire, les biens que l’on n’a pas, ou de se séparer de ces biens, lorsqu’ils font, pour ainsi dire, partie de notre corps ; car, d’un côté, on les rejette comme quelque chose d’étranger ; de l’autre, on ne s’en sépare que comme des membres qu’il faut retrancher. — Orig. D’après le récit évangélique, ce jeune homme est digne d’éloges pour n’avoir commis ni meurtre, ni adultère, mais il est blâmable de s’être attristé des paroles de Jésus-Christ, qui l’appelait à la perfection. Il était jeune encore dans son âme, et c’est pour cela qu’il abandonna le Sauveur et s’en alla.

 

vv. 23-26.

La Glose. Notre-Seigneur prend occasion de cet avare, dont il vient d’être question, pour parler de tous ceux qui sont esclaves de l’avarice : " Et Jésus dit à ses disciples : Je vous le dis en vérité, " etc. S. Chrys. (hom. 63.) Ce ne sont point les richesses qu’il accuse ici, mais ceux qui s’en rendent esclaves, et il enseigne en même temps à ses disciples, qui étaient pauvres, à ne pas rougir de leur pauvreté. — S. Hil. (can. 19.) Ce n’est point un crime d’avoir des richesses, mais il faut les posséder avec modération ; en effet, comment pourra-t-on soulager les nécessités des saints (Rm 12), si l’on ne garde pas de quoi venir à leur secours ? — Rab. Mais il y a une grande différence entre posséder les richesses et aimer les richesses ; or, le plus sûr est de ne pas les avoir et de ne pas les aimer. — Remi. Aussi le Seigneur, expliquant lui-même, dans saint Marc, le sens de ce passage déclare " qu’il est difficile à ceux qui mettent leur confiance dans les richesses, d’entrer dans le royaume des cieux. " Ils mettent leur confiance dans leurs richesses en y plaçant toutes leurs espérances. — S. Jér. Comme il est difficile de mépriser et de sacrifier les richesses qu’on possède, Notre-Seigneur ne dit pas qu’il est impossible, mais qu’il est difficile à un riche d’entrer dans le royaume des cieux, la difficulté n’emporte pas l’impossibilité, mais indique seulement la rareté du fait. — S. Hil. (can. 19.) C’est une chose pleine de dangers que de vouloir s’enrichir, et l’innocence qui cherche à accroître ses richesses, se charge d’un lourd fardeau. Dans le service de Dieu, on ne peut acquérir les biens du monde, sans s’exposer à contracter les vices du monde, et c’est ce qui rend difficile aux riches l’entrée du royaume des cieux.

S. Chrys. (hom. 63.) Après avoir déclaré qu’il était difficile à un riche d’entrer dans le royaume des cieux, Notre-Seigneur entreprend de prouver que cette difficulté va même jusqu’à l’impossibilité : Je vous le dis encore une fois, il est plus aisé à un chameau de passer par le trou d’une aiguille, qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux. " — S. Jér. D’après ces paroles, personne, ce semble, ne pourra être sauvé. Mais si nous lisons dans le prophète Isaïe (Is 25), comment les chameaux de Madian et d’Epha se rendent à Jérusalem chargés de dons et de présents, et comment ceux qui étaient courbés et contournés sous le poids des vices, entrent par la porte de cette cité, nous comprendrons comment ces chameaux, qui sont la figure des riches, pourront entrer par la voie étroite et resserrée qui conduit à la vie, après s’être déchargés du poids si lourd de leurs péchés et de toute la dépravation des sens. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Les âmes des païens sont comparées ici à des chameaux mal conformés, et qui sont courbés sous la bosse de l’idolâtrie, car c’est la connaissance de Dieu qui relève les âmes. L’aiguille, c’est le Fils de Dieu, dont la première partie, celle qui représente sa divinité, est d’une finesse extrême, tandis que l’autre partie, qui figure son humanité, est beaucoup moins aiguisée. Or, cette aiguille, dans toute sa longueur, est droite, et ne présente aucune déviation, et c’est par la blessure qu’elle a faite dans la passion, que les Gentils sont entrés dans la vie éternelle. C’est cette aiguille qui a cousu la tunique de l’immortalité ; c’est cette aiguille qui a cousu et uni la chair à l’esprit, c’est elle qui a uni le peuple juif au peuple des Gentils ; c’est elle, enfin, qui a établi des liens étroits entre les anges et les hommes. Il est donc plus facile aux Gentils de passer par le trou de l’aiguille, qu’aux Juifs qui se croient riches, d’entrer dans le royaume des cieux ; car si l’on ne peut arracher les Gentils qu’avec peine au culte insensé des idoles, combien sera-t-il plus difficile de détacher les Juifs des cérémonies du culte du vrai Dieu, cérémonies si conformes à la raison. — La Glose. On donne encore cette autre explication, qu’il y avait à Jérusalem une porte qu’on appelait le trou de l’aiguille, et par laquelle un chameau ne pouvait passer qu’après avoir déposé son fardeau et plié les genoux. C’était le symbole de cette vérité, que les riches ne peuvent entrer dans la voie étroite qui conduit à la vie, qu’après s’être déchargés des souillures de leurs péchés et de leurs richesses, en cessant, du moins, de les aimer. — S. Grég. (Moral., 35, 11.) Ou bien, sous le nom de riches, Notre-Seigneur veut que nous entendions tout homme orgueilleux, et sous celui de chameau, ses humiliations personnelles. Le chameau passe par le trou de l’aiguille, lorsque notre Rédempteur a pénétré jusqu’à la mort par la porte étroite et resserrée de ses souffrances, souffrances qui ont été pour lui comme une aiguille, parce qu’elles ont transpercé son corps de douleur. Or, le chameau passe par le trou d’une aiguille, plus facilement que le riche n’entre dans le royaume des cieux, parce que si Jésus n’avait commencé par nous donner l’exemple de l’humilité dans sa passion, jamais notre orgueilleuse raideur n’aurait voulu s’abaisser jusqu’à son humilité.

S. Chrys. (hom. 63.) Ces paroles jettent le trouble dans l’âme des Apôtres qui, cependant, menaient une vie pauvre ; mais ils sont inquiets pour le salut des autres, et ont déjà les entrailles paternelles qui conviennent aux docteurs et aux maîtres des nations. Ils lui disent donc : Qui pourra être sauvé ? " — S. Aug. (Quest. évang., 1, 26.) Comme le nombre des riches est peu considérable en comparaison de la multitude des pauvres, nous devons comprendre que les disciples mettaient au nombre des riches tous ceux qui désirent les richesses. — S. Chrys. (hom. 63.) Notre-Seigneur montre ensuite que c’est là l’oeuvre de Dieu, et qu’il faut à l’homme une grâce signalée pour se bien diriger au milieu des richesses. Aussi l’Évangéliste ajoute : " Or, Jésus, les regardant, leur dit : Cela est impossible aux hommes, mais tout est possible à Dieu. " Il nous fait remarquer que Jésus regarde ses disciples pour signifier que par ce regard plein de bonté, il veut enhardir leur timidité. — Remi. Il ne faut pas, toutefois, entendre les paroles du Sauveur, en ce sens qu’il soit possible à Dieu de faire entrer dans le royaume des cieux un riche cupide, avare et superbe, mais qu’il le convertira d’abord pour qu’il puisse y entrer. — S. Chrys. (hom. 64.) Et s’il s’exprime de la sorte, ce n’est pas pour que vous vous découragiez et que vous vous arrêtiez comme devant une impossibilité ; mais afin, qu’étant bien convaincu de la grandeur de l’entreprise, vous franchissiez cet obstacle en recourant à Dieu par la prière.

 

vv. 27-30.

Orig. (traité 9 sur S. Matth.) Pierre avait entendu ces paroles du Sauveur : " Si vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous avez, et donnez-en le prix aux pauvres. " Il vit ensuite ce jeune homme s’en aller tout triste, et combien il était difficile pour un riche d’entrer dans le royaume des cieux. Il interroge donc le Sauveur avec confiance, comme un homme qui a consommé une oeuvre difficile ; car si son frère et lui ont quitté des choses de peu d’importance, Dieu ne les a pas estimées de la sorte, mais il a considéré la perfection de l’amour qui a été le principe de leur détachement, et qui leur aurait fait sacrifier les plus grandes richesses, s’ils les avaient possédées. Aussi je pense que c’est en se fondant plutôt sur les sentiments de son cœur que sur la valeur des choses qu’il a quittées, que Pierre s’adresse au Sauveur avec tant de confiance : " Alors Pierre, prenant la parole, lui dit : Voilà que nous avons tout quitté. "

S. Chrys. (hom. 63.) Quelles sont donc toutes ces choses, ô bienheureux Pierre ! une ligne, un filet, une barque. Il dit : " Nous avons tout quitté, " en parlant de ces choses, non pas, sans doute, pour en rehausser le prix, mais pour inspirer de la confiance au pauvre peuple qui l’entend. Car le Seigneur ayant dit : " Si vous voulez être parfait, vendez tout ce que vous avez, " etc., les pauvres pouvaient répondre : Mais quoi, nous ne possédons rien, nous ne pouvons donc être parfaits ? Or, Pierre fait cette question, afin que vous qui êtes pauvre vous ne vous croyiez ici inférieur en rien à ceux qui sont riches ; car celui qui avait reçu les clefs du royaume des cieux, espère avec confiance les autres biens que le ciel renferme, et c’est au nom de l’univers tout entier qu’il interroge son divin Maître. Or, considérez comme il répond avec précision aux deux conditions exigées par Jésus-Christ. Le Sauveur a demandé deux choses à ce riche, de donner aux pauvres tout ce qu’il avait, et de le suivre ; c’est pourquoi Pierre ajoute : " Et nous vous avons suivi. " — Orig. C’est-à-dire, d’après la révélation que le Père a faite à Pierre, que Jésus était son Fils, nous vous avons suivi, vous qui êtes la justice, la sanctification et toute vertu semblable. Il demande donc comme un athlète qui est vainqueur, quel sera le prix du combat.

S. Jér. Comme en effet il ne suffit pas de tout abandonner, Pierre ajoute ce qui est le caractère propre de la perfection : " Et nous vous avons suivi. " Nous avons fait ce que vous avez ordonné ; quelle sera donc notre récompense ? C’est ce que signifient ces paroles : Que nous sera-t-il donc donné ? " Or, Jésus leur dit : Je vous le dis en vérité, que pour vous qui m’avez suivi, " etc. S. Jér. Il ne dit pas : " Pour vous qui avez quitté toutes choses, " car c’est ce qu’a fait le philosophe Cratès, et beaucoup d’autres qui ont méprisé les richesses ; mais : " Pour vous qui m’avez suivi, " ce qui est le caractère propre des Apôtres et des vrais fidèles. — S. Hil. (can. 20.) Les Apôtres ont suivi Jésus-Christ dans la régénération, c’est-à-dire dans les eaux du baptême et dans la sanctification que donne la foi ; c’est cette régénération que les Apôtres ont suivi et que la loi n’avait pu leur donner. — S. Jér. Ces paroles du Sauveur peuvent encore recevoir cet autre sens : " Vous qui m’avez suivi, vous serez assis au jour de la régénération, " c’est-à-dire lorsque les morts ressusciteront incorruptibles du sein de la corruption (1 Co 15), vous serez assis sur les trônes des juges pour condamner les douze tribus d’Israël, parce que, témoins de votre foi, elles ont refusé d’en être les imitateurs. — S. Aug. (Cité de Dieu, 20, 5.) Car votre corps sera régénéré par le don de l’incorruptibilité, comme votre âme sera régénérée par la foi. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Les Juifs auraient pu dire au jour du jugement : " Seigneur, en vous voyant revêtu d’une chair mortelle, nous n’avons pu vous reconnaître pour le Fils de Dieu. Et qui, parmi les hommes, pouvait voir ce trésor caché dans la terre, ce soleil couvert de nuages ? " Mais les disciples répondront : " Et nous-mêmes, nous étions des hommes du peuple, sans instruction ; vous, au contraire, vous étiez des prêtres et des scribes ; mais notre volonté droite a été comme une lampe qui a éclairé notre grossière ignorance, tandis que votre malice a été comme un nuage qui a couvert de ténèbres toute votre science.

S. Chrys. (hom. 64.) Il ne dit pas : Pour juger les nations de l’univers, mais : " Pour juger les tribus d’Israël, " parce que les Juifs et les Apôtres avaient été élevés suivant les mêmes lois et sous les mêmes institutions. Aussi lorsque les Juifs viendront dire : Nous avons refusé de croire au Christ, parce que la loi le défendait, on leur opposera les disciples de Jésus, qui ont reçu et observé la même loi. Mais on dira peut-être : Quelle si grande récompense leur a-t-il promise, s’ils ne doivent recevoir que ce que la reine du Midi et les Ninivites recevront eux-mêmes ? Il leur a déjà promis et il leur promettra encore d’autres récompenses bien plus magnifiques, mais ici-même il indique que ce qui leur est destiné est bien supérieur à ce que recevront les Ninivites. En parlant de ces derniers, il dit simplement qu’ils se lèveront contre cette génération pour la condamner, mais lorsqu’il s’agit des Apôtres, il s’exprime en ces termes : " Lorsque le Fils de l’homme siégera sur le trône de sa gloire, vous serez assis vous-mêmes sur douze trônes, " etc. Il est donc certain qu’ils partageront et sa royauté et sa gloire. C’est cet honneur et cette gloire qui sont figurés ici par les trônes. Or, comment s’est accomplie cette promesse ? Est-ce que Judas siégera aussi avec les autres Apôtres ? Non, assurément, car voici la loi que le Seigneur a établie par le prophète Jérémie : " Je me déclarerai en faveur d’une nation ou d’un royaume pour l’établir et pour l’affermir, mais si ce royaume ou cette nation pêche devant mes yeux, je me repentirai aussi du bien que j’avais résolu de lui faire ; " c’est-à-dire : S’ils se rendent indignes de mes promesses, je me garderai bien de les accomplir. Or, Judas s’est rendu indigne de l’honneur qui lui avait été promis. Aussi n’est-ce pas sans conditions que le Sauveur fait cette promesse à ses disciples ; car il ne dit pas d’une manière absolue : " Vous serez assis, " mais il fait précéder ces paroles de celles-ci : " Vous qui m’avez suivi, " paroles qui excluaient Judas, et qui attiraient à lui ceux qui devaient plus tard marcher à sa suite ; car ce n’était ni aux disciples seuls, ni à Judas, qui s’en était déjà rendu indigne, que Notre-Seigneur les adressait.

S. Hil. (can. 20.) Jésus-Christ, en plaçant ses Apôtres sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël, les associe à la gloire des douze patriarches, et nous devons conclure de ce passage que Jésus doit juger un jour, assisté de ses disciples. Aussi dit-il aux Juifs dans un autre endroit : " C’est pourquoi ils seront vos juges. " (Mt 12 ; Lc 11.) Nous ne devons pas croire, toutefois, que ces douze hommes seront les seuls qui jugeront avec lui, parce qu’il est question de douze trônes sur lesquels ils seront assis ; le nombre douze représente ici la multitude de tous ceux qui seront associés à ce jugement, parce qu’il est composé des deux parties du nombre sept, qui signifie souvent l’universalité des choses ; en effet, ses deux parties, trois et quatre, multipliées l’une par l’autre, donnent le nombre douze. D’ailleurs, l’apôtre saint Mathias ayant été élu pour remplacer le traître Judas, il s’ensuivrait donc que l’apôtre saint Paul, qui a travaillé plus que les autres, ne trouverait plus de siége pour juger, lui qui nous déclare qu’il doit un jour faire partie du nombre des juges avec les autres saints : Ignorez-vous que nous jugerons les anges ? " — S. Aug. (de la pénit.). Il faut donc placer au nombre de ceux qui jugeront alors avec Jésus-Christ, tous ceux qui ont abandonné leurs biens et suivi le Seigneur. — S. Grég. (Moral., 10, 37.) Tout homme, en effet, qui pressé par l’aiguillon de l’amour divin, aura sacrifié tout ce qu’il possédait, parviendra au faîte de la puissance judiciaire, et exercera les fonctions de juge avec le juge souverain, parce qu’il a embrassé ici-bas les rudes privations de la pauvreté volontaire.

S. Aug. (Cité de Dieu, 20, 5.) Il faut entendre de la même manière le nombre douze, appliqué à ceux qui doivent être jugés, car de ce que le Sauveur dit : " Pour juger les douze tribus d’Israël, " il ne s’ensuit pas que la tribu de Lévi ne sera pas soumise à ce jugement, ou que le peuple juif seul sera jugé à l’exclusion des autres peuples. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien encore, par ces paroles : " Au temps de la régénération, " Notre-Seigneur a voulu exprimer ces premiers temps du christianisme qui suivirent immédiatement son ascension ; car les hommes furent alors régénérés par le baptême, et c’était le temps où lui-même était assis sûr le trône de sa majesté. Et remarquez que ces paroles s’appliquent, non pas au jour du jugement dernier, mais à la vocation de tous les peuples, car le Sauveur ne dit pas : " Lorsque le Fils de l’homme viendra, assis sur le trône de sa majesté, mais au temps de la régénération, lorsqu’il s’assiera sur le trône de sa majesté. C’est ce qui arriva lorsque les mitions commencèrent à croire en Jésus-Christ, selon ces paroles du Roi-Prophète : " Le Seigneur régnera sur les nations, le Seigneur est assis sur son trône qui est saint. " (Ps 46.) Alors aussi les Apôtres furent assis sur leurs douze trônes, c’est-à-dire dans le cœur de tous les chrétiens ; car tout chrétien qui reçoit la parole de Pierre, devient le siége de Pierre, et il en est ainsi de tous les autres Apôtres. Or, les Apôtres sont assis sur douze trônes distincts, suivant la différence des dispositions des âmes et des cœurs que Dieu seul connaît. Car le peuple chrétien est divisé en douze tribus comme le peuple juif, de manière que certaines âmes appartiennent à la tribu de Ruben, d’autres âmes aux autres tribus, suivant la différence de leurs vertus. En effet, toutes les vertus ne sont pas au même degré dans tous les hommes, mais tel excelle dans celle-ci, et tel autre dans celle-là. Les Apôtres jugeront donc les douze tribus d’Israël, c’est-à-dire tout le peuple juif, sur ce chef que leur prédication a été reçue par toutes les nations. L’universalité des chrétiens forme les douze trônes des Apôtres, mais l’unique trône de Jésus-Christ. En effet, toutes les vertus sont comme le siége unique de Jésus-Christ ; car il est le seul qui soit également parfait dans toutes les vertus. Parmi les Apôtres, chacun d’eux excelle aussi dans une vertu spéciale : Pierre dans la foi, Jean dans l’innocence. Pierre se repose donc dans la foi comme sur un trône, Jean, dans l’innocence, et ainsi des autres Apôtres. Les paroles suivantes montrent que Jésus-Christ voulait aussi parler de la récompense que les Apôtres devaient recevoir en ce monde : " Et quiconque aura quitté pour mon nom sa maison ou ses frères, " etc. ; car s’ils reçoivent le centuple en ce monde ; il est certain que le Sauveur leur promettait une récompense même pour cette vie. — S. Chrys. (hom. 64.) Ou bien, il ne promet à ses disciples que les biens à venir, parce qu’ils étaient supérieurs aux promesses terrestres, et ne cherchaient rien des biens de la vie présente que le Seigneur promet aux autres hommes. — Orig. Ou bien dans un autre sens, celui qui aura abandonné tous ses biens, et qui aura suivi Jésus-Christ, recevra, lui aussi, tout ce qui a été promis à Pierre ; mais si son sacrifice n’a pas été entier, et qu’il n’ait abandonné que ce qui est ici mentionné d’une manière spéciale, il recevra dès ici-bas une récompense bien supérieure à ce qu’il a quitté, et aura pour héritage la vie éternelle.

S. Jér. Il en est quelques-uns qui ont pris occasion de ces paroles pour avancer qu’après la résurrection il y aurait une durée de mille ans, pendant laquelle nous recevrons le centuple de tout ce que nous avons sacrifié sur la terre, centuple qui sera suivi de la vie éternelle. Ils ne comprenaient pas qu’en supposant que cette promesse fût digne relativement à tout le reste, elle serait une honte en ce qui concerne les épouses, car celui qui en aurait sacrifié une, devrait, d’après cette opinion, en recevoir cent dans la vie future. Voici donc le sens de ces paroles : Celui qui aura abandonné pour Jésus-Christ les biens temporels, recevra les biens spirituels, qui seront aux premiers, en valeur et en mérite, ce qu’est le nombre cent comparé à un nombre de beaucoup inférieur. — Orig. Même dès cette vie pour les frères selon la chair qu’il a quittés, il trouvera un grand nombre de frères selon la foi, il aura pour pères tous les évêques et les prêtres, et pour enfants tous ceux qui sont dans l’âge de l’enfance. Il aura encore pour frères les anges, et pour soeurs toutes les vierges qui ont consacré leur virginité au Seigneur, aussi bien celles qui vivent encore sur la terre, que celles qui jouissent déjà dans le ciel de la vie éternelle. Les champs et les maisons, ce sont les demeures multipliées qui sont préparées dans le repos du paradis et dans la cité de Dieu ; et ce qui est au-dessus de toutes ces récompenses, ils recevront la vie éternelle. — S. Aug. (Cité de Dieu, 20, 8.) L’Apôtre saint Paul, expliquant en quelque manière ces paroles : " Il recevra le centuple, " dit : " Nous sommes comme n’ayant rien, et nous possédons toutes choses ; " car le nombre cent est employé quelquefois comme nombre universel et indéterminé. — S. Jér. Ces autres paroles : " Celui qui abandonnera, " etc. se rapportent à ces autres : " Je suis venu séparer l’homme d’avec son père, " etc. Ceux donc qui, pour la foi chrétienne, et pour la prédication de l’Évangile, auront méprisé toutes les richesses et les voluptés de la terre, ceux-là recevront le centuple, et posséderont la vie éternelle. — S. Chrys. (hom. 63.) Lorsque Notre-Seigneur dit : " Celui qui aura quitté sa femme, " il ne veut pas dissoudre d’une manière absolue le lien du mariage, mais il veut que nous sacrifiions toutes les affections au sentiment de la foi. Il fait ici, d’ailleurs, une allusion indirecte aux temps de persécution, où on devait voir des pères entraîner leurs enfants dans l’impiété. Or, s’ils en viennent à cet excès, il ne faut plus les considérer comme des pères.

Rab. Comme il en est beaucoup qui ne poursuivent pas la carrière de la vertu avec la même ferveur qu’ils avaient en y entrant, mais qui se laissent aller à la tiédeur, ou qui ne sont pas longtemps sans faire de lourdes chutes, le Sauveur ajoute : " Plusieurs qui étaient les premiers seront les derniers, et plusieurs qui avaient été les derniers seront les premiers. " — Orig. Il exhorte par là ceux qui ont fait tout récemment profession d’obéir à la parole de Dieu, à se hâter de s’élever jusqu’à la perfection, en n’imitant point ceux qui paraissent avoir vieilli et s’être affaiblis dans la foi. Ces paroles peuvent aussi servir à humilier ceux qui se glorifient uniquement d’avoir été élevés dans le sein de la religion par des parents chrétiens, et à inspirer de la confiance à ceux qui ont été tout nouvellement initiés aux vérités de la foi. D’après une autre signification, les premiers sont les Israélites qui par leur incrédulité sont devenus les derniers, tandis que les Gentils qui étaient les derniers sont devenus les premiers. C’est avec dessein que le Sauveur emploie l’expression " plusieurs, " et non pas tous. " Car tous les premiers ne seront pas les derniers, et réciproquement tous les derniers ne seront pas les premiers. Enfin, il est un grand nombre d’hommes qui, inférieurs aux anges, et comme les derniers par leur nature, sont devenus supérieurs à quelques-uns des anges par leur vie tout angélique, tandis que bien des anges, qui étaient les premiers par leur nature, sont devenus les derniers par leur faute. — Remi. On peut encore rapporter d’une manière toute spéciale ces paroles à la tristesse qu’éprouva ce jeune homme riche ; il paraissait être le premier par l’accomplissement fidèle des préceptes de la loi, mais il devint le dernier en préférant à Dieu les richesses de la terre. Les saints Apôtres paraissaient, au contraire, être les derniers, mais en abandonnant tout par l’effet de la grâce et de l’humilité, ils sont devenus les premiers. Enfin, il en est un grand nombre qui, après avoir fait preuve d’un grand zèle pour les bonnes oeuvres, en abandonnent tout à fait la pratique, et deviennent les derniers après avoir été les premiers.

 

CHAPITRE XX

vv. 1-16.

Remi. Notre-Seigneur venait de dire que plusieurs de ceux qui étaient les premiers seraient les derniers, et que plusieurs de ceux qui étaient les derniers deviendraient les premiers ; pour confirmer cette vérité, il propose la parabole suivante : " Le royaume des cieux est semblable, " etc. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Le père de famille c’est Jésus-Christ, le ciel et la terre sont comme sa maison ; sa famille, ce sont toutes les créatures qui habitent le ciel, la terre et les enfers ; la vigne c’est la justice en général qui renferme toutes les différentes espèces de justices comme autant de plants de vigne, la douceur, la patience, et les autres vertus qui sont toutes comprises sous le nom général de justice. Les ouvriers de cette vigne sont les hommes. Le texte ajoute : " Il sortit le matin pour louer des ouvriers, " etc. Dieu a comme répandu la justice dans nos facultés, non pas pour lui, mais pour notre utilité. Nous sommes donc, ne l’oublions pas, des mercenaires qui avons été loués. Or, personne ne loue un mercenaire uniquement pour qu’il travaille à gagner sa nourriture ; ainsi Jésus-Christ ne nous a pas appelés à son service pour nous occuper seulement de nos intérêts, mais encore pour travailler à la gloire de Dieu. Et de même que le mercenaire commence par remplir sa tâche avant de songer à la nourriture de chaque jour, ainsi nous devons d’abord nous appliquer à ce qui doit procurer la gloire de Dieu, avant de songer à nos propres intérêts. Le mercenaire, encore, consacre toute sa journée au service de son maître, et ne réserve qu’une heure seulement par jour pour prendre sa nourriture ; ainsi nous devons consacrer toute notre vie à la gloire de Dieu, et n’en donner qu’une faible partie à nos besoins temporels. Enfin si le mercenaire passe un jour sans travailler, il n’ose paraître devant son maître pour demander son pain, et comment ne rougissez-vous pas d’entrer dans l’église de Dieu et de paraître en sa présence le jour où vous n’avez fait aucune bonne action sous ses yeux. — S. Grég. (hom. 15.) Dans un autre sens, le père de famille, c’est-à-dire notre Créateur, a une vigne, qui est l’Eglise universelle, et qui, depuis le juste Abel jusqu’à la fin du monde, a poussé autant de ceps qu’elle a produit de saints. Or, dans aucun temps, Dieu n’a cessé d’envoyer des ouvriers pour instruire son peuple comme pour cultiver sa vigne ; car il l’a cultivée successivement, d’abord par les patriarches, puis par les docteurs de la loi, ensuite par les prophètes, et enfin par les Apôtres comme par autant d’ouvriers. On peut dire, toutefois, que tout homme qui fait le bien avec une intention droite est en quelque manière et dans une certaine mesure un des ouvriers de cette vigne.

Orig. (traité 10 sur S. Matth.) Nous pouvons bien dire que toute cette vie n’est qu’un seul jour, jour d’une grande étendue par rapport à nous, mais d’une courte durée si on le compare à la vie de Dieu. — S. Grég. (Hom. 19.) Le matin de ce jour du monde fut l’époque qui s’écoula depuis Adam jusqu’à Noé ; c’est pour cela que Notre-Seigneur dit : " Il sortit de grand matin, afin de louer des ouvriers pour sa vigne, " et il ajoute les conditions dont il est convenu avec eux : Et étant convenu avec, eux d’un denier, " etc. — Orig. Je pense que le denier figure ici le salut éternel. — Remi. Le denier était une pièce de monnaie qui valait dix as, et qui portait l’effigie du roi : le denier désigne donc parfaitement la récompense qui est accordée à l’observation du Décalogue. C’est aussi avec dessein qu’il est dit : " Etant convenu avec eux, " etc. ; car dans le champ de la sainte Église, chacun travaille dans l’espoir de la récompense future. — S. Grég. La troisième heure est le temps qui s’écoula de Noé à Abraham, et c’est de cette époque que le Sauveur veut parler ; quand il dit : " Etant sorti vers la troisième heure, il vit d’autres ouvriers qui se tenaient sans rien faire sur la place publique. " — Orig. La place publique, c’est tout ce qui est en dehors de la vigne, c’est-à-dire en dehors de l’Église de Jésus-Christ. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Dans ce monde, les hommes vivent d’un échange mutuel d’achats et de ventes, et pourvoient à leur subsistance par un commerce de fraudes réciproques. — S. Grég. C’est avec justice que l’on peut adresser le reproche d’oisiveté à celui qui ne vit que pour lui et se nourrit des plaisirs des sens, parce qu’il ne travaille pas à produire les fruits des oeuvres de Dieu. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ces ouvriers oisifs ne sont pas les pécheurs, qui sont bien plutôt morts, mais tous ceux qui n’accomplissent pas les oeuvres de Dieu. Voulez-vous donc ne pas rester oisif ? Ne prenez pas le bien d’autrui, et donnez de vos propres biens ; vous aurez travaillé dans la vigne du Seigneur, en cultivant le cep de la miséricorde. " Et il leur dit : Allez-vous en aussi dans ma vigne. " Remarquez que ce n’est qu’avec les premiers qu’il s’engage de donner un denier ; il loue les autres pour un prix indéterminé : " Je vous donnerai ce qui sera juste. " Le Seigneur, qui prévoyait la prévarication d’Adam, et qu’après lui tous les hommes devaient périr dans les eaux du déluge, fit avec lui un traité bien précis, afin qu’il ne pût prétexter qu’il avait abandonné la voie de la justice, parce qu’il ignorait quelle en serait la récompense ; mais il ne s’est point engagé de cette manière avec les derniers, parce que son intention était de les récompenser bien au delà de ce que pouvaient espérer des mercenaires. — Orig. Ou bien encore, comme il a loué les ouvriers de la troisième heure pour faire l’ouvrage tout entier, il se réserve d’apprécier leur travail avant de leur donner une juste récompense ; car ils pouvaient travailler autant que ceux qui avaient commencé le matin en s’appliquant à leur travail dans un court espace de temps avec une laborieuse activité qui compenserait l’inaction du matin. — S. Grég. La sixième heure est celle qui s’étend d’Abraham à Moïse, et la neuvième, celle qui s’est écoulée de Moïse jusqu’à l’avènement du Seigneur. " Et il sortit de nouveau, " etc.

S. Chrys. Notre-Seigneur réunit ensemble la sixième et la neuvième heure, parce que c’est alors qu’eut lieu la vocation du peuple juif, et que Dieu renouvela fréquemment ses alliances avec les hommes, comme pour leur annoncer que le temps marqué pour le salut du genre humain n’était pas éloigné. — S. Grég. La onzième heure c’est le temps qui s’écoulera depuis l’avènement du Seigneur jusqu’à la fin du monde. L’ouvrier du matin, de la troisième, de la sixième et de la neuvième heure, c’est donc cet ancien peuple hébreu qui, dans la personne de ses élus, n’a point cessé de travailler à la vigne du Seigneur depuis le commencement du monde, en s’efforçant d’adorer Dieu avec une foi droite et sincère. A la onzième heure, ce sont les Gentils qui sont appelés. " Vers la onzième heure, il sortit, " etc. Ils avaient négligé, dans le cours de tant de siècles, de travailler à la culture de leur âme, et ils passaient ainsi tout le jour sans rien faire. Mais remarquez ce qu’ils répondent à la question qui leur est faite : " Personne, lui dirent-ils, ne nous a loués. " Aucun patriarche, en effet, aucun prophète n’était venu vers eux, et que signifient ces paroles : " Personne ne nous a loués, " si ce n’est : " Personne ne nous a fait connaître le chemin de la vie. " — S. Chrys. (sur S. Matth.) Quelle est donc la nature de cette convention, et quelle récompense y est promise ? C’est la promesse de la vie éternelle ; car les Gentils étaient les seuls qui ne connaissaient ni Dieu ni les promesses éternelles de Dieu. — S. Hil. (can. 20.) Le Seigneur les envoie donc à sa vigne. " Et il leur dit : Allez, vous aussi, à ma vigne. "

Rab. Après avoir fait connaître les conditions du travail pour la journée, le Sauveur, continuant son récit, arrive à l’heure du salaire, et dit : " Le soir étant venu, " etc., c’est-à-dire lorsque le jour, qui comprend toute la durée du monde, était sur son déclin, et approchait de la consommation de toutes choses. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Remarquez que c’est le soir du même jour, et non le matin suivant, que le père de famille donne à chacun ce qui lui est dû. Ce sera donc pendant la durée du siècle présent qu’aura lieu le jugement après lequel chacun recevra sa récompense ; et cela pour deux raisons : la première, c’est que la bienheureuse éternité doit être la récompense de la justice, et qu’il faut par conséquent que le jugement la précède ; la seconde raison pour laquelle le jugement doit précéder le jour de l’éternité, c’est afin que les pécheurs ne soient pas témoins du bonheur de ce jour éternel.

" Et le maître dit à son intendant, " c’est-à-dire le Fils à l’Esprit saint. — La Glose. Ou bien, si vous aimez mieux, le Père dit au Fils, car le Père agit par le Fils, et le Fils par l’Esprit saint, sans qu’il y ait entre eux aucune différence de nature ou de dignité. — Orig. Ou bien encore, le maître dit à son intendant, c’est-à-dire à l’ange chargé de la distribution des récompenses, ou à l’un de ces nombreux intendants dont l’Apôtre a dit : " L’héritier est sous la puissance des tuteurs et des curateurs pendant tout le temps de son enfance. " (Ga 1.) — Remi. Ou bien enfin, c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même, qui est à la fois le père de famille et l’intendant du maître de la vigne, comme il est lui-même la porte et le portier ; car c’est lui qui doit venir juger les hommes, et rendre à chacun selon ses oeuvres. C’est donc au moment où les hommes seront réunis pour le jugement dernier, après lequel chacun recevra selon ses oeuvres, qu’il appellera les ouvriers pour leur donner une récompense.

Orig. Or, les premiers ouvriers, que leur foi avait rendus recommandables, n’ont pas reçu l’effet des promesses, le père de famille ayant voulu, par une faveur particulière pour nous, qu’ils ne reçoivent qu’avec nous l’accomplissement de leur félicité. (He 11.) Et comme nous avons été l’objet d’une miséricorde toute spéciale, nous espérons recevoir les premiers la récompense, tandis que ceux qui ont travaillé avant nous ne la recevront qu’après nous : " Appelez les ouvriers, et payez-les en commençant par les derniers. " — S. Chrys. (sur S. Matth.) En effet, nous donnons toujours plus volontiers à ceux qui n’ont aucun droit à notre libéralité ; car nous donnons alors en vue de l’honneur qui nous en revient. Dieu se montre donc juste en donnant aux saints la récompense qu’il leur a promise, et miséricordieux, en l’accordant aux Gentils selon ces paroles de saint Paul : " Or, les Gentils doivent glorifier Dieu de la miséricorde qu’il leur a faite ; " voilà pourquoi le maître ajoute : " En commençant par les derniers jusqu’aux premiers. " C’est aussi pour faire éclater son ineffable miséricorde que Dieu récompense ainsi les derniers et les moins dignes, avant de récompenser les premiers ; car une miséricorde infinie n’examine pas l’ordre et le rang des personnes. — S. Aug. (de l’esprit et de la lettre, chap. 24.) Ou bien, les moins dignes ou les derniers se trouvent les premiers, parce qu’ils ont attendu moins longtemps leur récompense.

" Ceux donc qui n’étaient venus qu’à la onzième heure s’étant approchés, " etc. — S. Grég. Les ouvriers qui n’avaient travaillé qu’à la onzième heure reçurent pour salaire, comme ceux qui avaient commencé à la première heure, le même denier qu’ils avaient ardemment désiré ; parce que, en effet, ceux qui se sont convertis à Dieu à la fin du monde ont reçu la même récompense, la même vie éternelle que ceux qui avaient été appelés dès le commencement du monde. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Or, il n’y a en cela aucune injustice, car que fait à celui qui a vécu dès les premiers jours du monde, et qui n’a pas dépassé le temps qui lui était marqué, que le monde ait continué à exister après lui ? Et quant à ceux qui naissent à la fin des temps, ils vivent nécessairement le nombre de jours qui leur a été assigné. En quoi donc leur travail serait-il allégé, si le monde venait à finir aussitôt, puisqu’ils doivent achever leur tâche avant la fin du monde ? D’ailleurs, il ne dépend pas de l’homme, mais de la puissance divine, de naître plus tôt ou plus tard ; celui qui est né en premier lieu ne doit pas revendiquer la première place ou l’honneur d’être te premier, et celui qui n’est venu qu’après ne doit pas être considéré comme étant d’un mérite inférieur. " Et en recevant ce denier, ils murmuraient contre le père de famille, et disaient, " etc. Mais s’il est vrai, comme nous venons de le dire, que les premiers et les derniers aient vécu chacun leur temps, ni plus ni moins, et que la mort ait été pour les uns comme pour les autres la consommation de leur destinée, pourquoi donc les premiers disent-ils : " Nous avons porté le poids du jour et de la chaleur ? " C’est que nous avons besoin d’une plus grande force pour pratiquer la justice, nous qui savons que la fin du monde approche. Aussi est-ce pour nous armer d’un nouveau courage que le Christ disait : " Le royaume des cieux est proche. " Au contraire, c’était pour ceux qui ont vécu les premiers une occasion de tiédeur, de savoir que le monde devait durer longtemps encore, et bien que leur vie n’ait pas égalé la durée du monde, ils paraissent cependant en avoir supporté toutes les incommodités. Ou bien, " le poids du jour, " ce sont les commandements de la loi ; " la chaleur, " c’est la tentation brûlante de l’erreur qu’allumaient en eux les esprit de malice en les excitant à la jalousie contre les Gentils. Les Gentils, au contraire, en embrassant la foi chrétienne, n’ont pas été soumis à ces difficultés, et ont été entièrement sauvés par la grâce qui résume tout dans son mystérieux travail. — S. Grég. Ou bien encore : " Porter le poids du jour et de la chaleur, " c’est pendant toute la durée d’une longue vie, supporter les fatigues d’une lutte continuelle contre les ardeurs de la concupiscence. Mais comment donc expliquer les murmures dans ceux qui sont appelés à entrer dans le royaume des cieux ? Car aucun murmurateur ne peut y entrer, comme aucun de ceux qui le reçoivent pour récompense, ne peut se laisser aller aux murmures.

S. Chrys. (hom. 64.) On ne doit point chercher à concilier exactement tous les détails d’une parabole avec l’ensemble du récit, mais bien comprendre la fin que l’auteur s’y est proposée, et ne pas aller au delà. L’intention du Sauveur n’est donc pas ici de nous montrer ceux qui étaient les premiers atteints d’une violente jalousie, mais de nous faire voir les derniers en possession d’une gloire si grande qu’elle était capable d’inspirer aux autres de l’envie. — S. Grég. Ou bien encore, les anciens patriarches, quelle que fût d’ailleurs leur justice, n’ayant pu entrer dans le royaume des cieux avant l’avènement du Sauveur, se laissent en quelque sorte aller aux murmures. Nous, au contraire, qui sommes venus à la onzième heure, nous ne murmurons pas après notre travail, parce qu’étant venus dans le monde après l’avènement du Médiateur, nous entrons dans le royaume des cieux aussitôt que nous sommes sortis de notre corps. — S. Jér. Ou bien tout homme qui n’est appelé qu’après les Gentils leur porte envie et se fait comme un supplice de la grâce de l’Évangile qu’ils ont reçue avant lui. — S. Hil. (can. 20.) Ce murmure des ouvriers avait déjà éclaté sous Moise par la bouche insolente de ce peuple opiniâtre.

" Mais il répondit à l’un d’eux : Mon ami, je ne vous fais point de tort. " — Remi. Dans ce seul homme auquel il s’adresse, on peut voir tous ceux d’entre les Juifs qui ont cru en Jésus-Christ et à qui le Sauveur donne le nom d’amis à cause de la foi qu’ils ont embrassée. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ils se plaignaient non pas d’avoir, été frustrés du salaire qui leur était dû, mais de ce que les autres recevaient, à leur avis, plus qu’ils ne méritaient. C’est ainsi que les envieux s’attristent du bien que l’on fait à un autre, comme si l’on diminuait par là celui qu’ils possèdent, preuve évidente que l’envie vient de la vaine gloire ; car on ne se plaint d’être le second que parce qu’on a désiré être le premier, et c’est ce mouvement d’envie que le Seigneur combat par ces paroles : " Est-ce que vous n’êtes pas convenu d’un denier avec moi ? " — S. Jér. Le denier porte l’effigie du roi ; vous avez donc reçu le salaire que je vous avais promis, c’est-à-dire mon image et ma ressemblance. Que demandez-vous de plus ? Ce que vous désirez, ce n’est pas de recevoir davantage, c’est que l’autre ne reçoive rien du tout : " Prenez ce qui vous appartient, et vous en allez. " — Remi. C’est-à-dire, recevez votre récompense et entrez dans la gloire : " Je veux donner à ce dernier venu, " au peuple gentil, " autant qu’à vous, " comme il le mérite. — Orig. Peut-être est-ce au premier homme que s’adressent ces paroles : " Mon ami, je ne vous fais pas tort : est-ce que vous n’êtes pas convenu d’un denier avec moi ? " Prenez ce qui vous appartient, et allez-vous-en ; le denier, c’est-à-dire le salut, vous est acquis. " Pour moi, je veux donner à ce dernier autant qu’à vous. " On peut, avec assez de vraisemblance, voir dans cet ouvrier, venu le dernier, l’apôtre saint Paul, qui n’a travaillé qu’une heure, et qui cependant a travaillé peut-être plus que tous ceux qui ont vécu avant lui (1 Co 15, 9 ?).

S. Aug. (De la Virgin., chap. 26.) La vie éternelle sera également accordée à tous les saints, ainsi que le figure ce denier donné à tous comme la récompense commune de leur travail. Mais comme dans la vie éternelle les mérites des saints brilleront d’un éclat différent, il y a aussi plusieurs demeures dans la maison du Père céleste. Si donc le denier, qui est le même pour tous, signifie que la vie éternelle sera égale en durée pour tous les saints dans le ciel, le grand nombre de demeures différentes prouve que la gloire sera plus éclatante pour les uns que pour les autres. — S. Grég. Comme nous n’entrons dans le royaume des cieux que par un effet du bon vouloir de Dieu, le Sauveur ajoute avec raison : " Ne m’est-il donc pas permis de faire ce que je veux ? " C’est un acte de folie de la part de l’homme, de murmurer contre la volonté de Dieu. Il aurait lieu de se plaindre si Dieu ne donnait point ce qu’il doit ; mais qui peut se plaindre de ce qu’il ne donne point ce qu’il ne doit pas ? C’est ce que le Maître exprime en termes clairs : " Est-ce que votre oeil est mauvais parce que je suis bon ? " — Remi. L’oeil signifie ici l’intention ; les Juifs avaient un oeil mauvais, c’est-à-dire une intention vicieuse, parce qu’ils s’attristaient du salut des Gentils.

Les paroles qui suivent : " Ainsi les premiers seront les derniers, et les derniers seront les premiers, " nous font connaître le but de cette parabole, qui est de nous apprendre que les Juifs ont passé de la tête, où ils étaient, à l’extrémité opposée, tandis que nous, placés à cette extrémité, nous sommes devenus la tête. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien Notre-Seigneur déclare que les premiers seront les derniers, et les derniers les premiers, non pour donner aux derniers la prééminence sur les premiers, mais pour nous apprendre que l’époque différente de leur vocation n’a établi entre eux aucune différence, et qu’ils sont, sous ce rapport, parfaitement égaux. Quant aux paroles qui terminent : " Il y en a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus, " elles se rapportent, non pas aux saints dont il vient d’être question, mais aux Gentils, parmi lesquels, en effet, beaucoup sont appelés, mais peu sont élus. — S. Grég. Il en est beaucoup, en effet, qui embrassent la foi, mais il en est peu qui parviennent jusqu’au royaume des cieux, car la plupart font profession de suivre Dieu et s’éloignent de lui par leurs moeurs. Nous devons donc faire ici deux réflexions : la première, c’est que personne ne doit se laisser aller à la présomption, car bien qu’il soit appelé à la foi, il ne sait pas s’il sera du nombre des élus qui entreront en possession du royaume ; la seconde, c’est qu’il ne faut jamais désespérer de son prochain quand on le voit croupir dans le vice, car nous ne connaissons pas les trésors de la miséricorde divine. — Et plus haut Ou bien, dans un autre sens, notre matin, c’est notre enfance ; la troisième heure, c’est l’adolescence ou la chaleur de l’âge qui se développe et qui est comme le soleil qui s’élève dans les hauteurs des cieux. La sixième heure, c’est la jeunesse, alors que la plénitude de la force s’établit en l’homme, comme le soleil qui semble se fixer au milieu du firmament. La neuvième heure est comme la vieillesse dans laquelle l’âge descend tous les jours des hauteurs brûlantes de la jeunesse, comme le soleil qui descend des points élevés du ciel. La onzième heure, c’est l’âge de la caducité et de la décrépitude.

S. Chrys. (hom. 64.) Le père de famille n’a pas loué tous ses ouvriers à la même heure, mais les uns le matin, les autres à la troisième heure et ainsi de tous ceux qui suivent ; mais la cause en est dans les différentes dispositions de leur âme ; car le Seigneur les appelle lorsqu’ils sont prêts à lui obéir ; c’est ainsi qu’il appela le larron au moment où il prévoyait qu’il répondrait à sa vocation. Il est vrai que ces ouvriers disent : " Personne ne nous a loués ; " mais, comme nous l’avons dit, il ne faut pas chercher la raison de toutes les circonstances des paraboles. D’ailleurs, ces paroles ne viennent pas du père de famille, mais des ouvriers ; et quant à Dieu, au contraire, il appelle tous les hommes dès le premier âge de la vie, comme le prouvent ces paroles : Il sortit de grand matin pour louer des ouvriers. " — S. Grég. Ceux donc qui ont tardé jusqu’au dernier âge à vivre pour Dieu, sont ceux qui se tiennent dans l’oisiveté jusqu’à la onzième heure, et cependant le père de famille ne laisse pas de les appeler, et souvent il les récompense les premiers, parce qu’ils sortent de cette vie pour entrer dans l’éternité avant ceux qui ont été appelés dès leur première enfance. — Orig. Or, ces paroles : " Pourquoi demeurez-vous ainsi tout le jour sans travailler ? " ne s’adressent pas à ceux qui, après avoir commencé par l’esprit, finissent par la chair (Ga 3), s’ils veulent revenir plus tard à la vie de l’esprit. En parlant ainsi, notre intention n’est pas de détourner ces enfants voluptueux, qui ont dissipé toute la richesse de la doctrine évangélique en vivant dans la débauche, de revenir dans la maison paternelle ; nous voulons simplement dire qu’on ne peut nullement les comparer à, ceux qui ont péché dans leur jeunesse avant d’avoir reçu les enseignements de la foi. — S. Chrys. (hom. 64.) Jésus termine en disant : " Les derniers seront les premiers et les premiers les derniers, " et il fait ici allusion indirecte tant à ceux qui, après avoir brillé d’abord d’un vif éclat, ont ensuite méprisé les leçons de la vertu, qu’aux autres, qui, ramenés des sentiers du vice, se sont élevés au-dessus d’un grand nombre par la sainteté de leur vie. Cette parabole a donc été composée pour exciter l’ardeur de ceux qui ne se sont convertis que dans leur extrême vieillesse, et les délivrer de la crainte de recevoir une récompense moins grande que les autres.

 

vv. 17-19.

S. Chrys. (hom. 65.) Notre-Seigneur, en quittant la Galilée, ne vint pas immédiatement à Jérusalem ; mais il opéra d’abord un grand nombre de miracles, confondit les pharisiens, donna à ses disciples les leçons de la perfection chrétienne et leur fit connaître la récompense qui lui était réservée. Maintenant qu’il est sur le point de se rendre à Jérusalem, il leur parle de nouveau de sa passion : " Et Jésus, s’en allant à Jérusalem, prit en particulier les douze, " etc. — Orig. (Traité 11 sur S. Matth.) Judas se trouvait encore au nombre des douze Apôtres, car il était peut-être encore digne d’apprendre en particulier avec les autres coque son maître devait souffrir. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Le salut des hommes repose tout entier dans la mort de Jésus-Christ, et cette mort doit être le premier et le plus digne sujet de nos actions de grâces. Le Sauveur annonce en secret à ses Apôtres le mystère de sa passion, parce que c’est dans les meilleurs vases qu’on renferme les plus précieux trésors. Si d’autres avaient entendu prédire la passion du Christ, il est probable que cette prédiction aurait troublé les hommes à cause de l’imperfection de leur foi, et les femmes par suite de la faiblesse naturelle à leur sexe, faiblesse qui leur fait verser des larmes dans de semblables circonstances. — S. Chrys. (hom. 65.) Ce n’est pas que le Sauveur n’ait parlé de ce mystère à la foule ; mais c’est d’une manière voilée, comme dans ces paroles : " Détruisez ce temple " (Jn 2) ; et dans ces autres : " il ne leur sera pas donné d’autre signe que celui du prophète Jonas. " (Mt 12.) Au contraire, il en parle clairement à ses disciples : " Voici que nous allons à Jérusalem, " etc. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Cette expression : " Voici " marque l’intention formelle que les disciples gardent dans leurs cœurs le souvenir de cette prédiction. " Voici que nous allons à Jérusalem, " c’est-à-dire : Remarquez que c’est volontairement que je vais à la mort, et, lorsque vous me verrez suspendu à la croix, gardez-vous de croire que je ne sois qu’un homme ; " car, s’il est dans la nature de l’homme de mourir, il n’est point dans sa nature de vouloir marcher de lui-même à la mort.

Orig. Cet exemple doit nous apprendre, à nous qui connaissons bien souvent les épreuves qui nous attendent, que nous devons nous-mêmes nous offrir au danger ; mais, comme le Sauveur nous dit ailleurs : " Lorsqu’on vous poursuivra dans une ville, fuyez dans une autre, celui qui est sage en Jésus-Christ doit discerner le temps où il doit aller au-devant de la persécution et celui où il peut la fuir.

S. Jér. Bien souvent il avait parlé à ses disciples de sa passion ; mais comme les entretiens nombreux qu’il avait eus avec eux sur d’autres sujets avaient pu leur faire oublier ce qu’il leur en avait dit, avant d’aller à Jérusalem avec eux, il les prépare à cette grande épreuve, pour qu’il ne fussent pas scandalisés lorsqu’ils seraient eu présence de la persécution et de l’ignominie de la croix. — S. Chrys. (sur S. Matth.) En effet, lorsque la tentation nous trouve préparés, elle nous paraît bien plus légère que si elle nous avait surpris tout d’un coup. — S. Chrys. (hom. 65.) Il leur fait encore cette prédiction pour leur apprendre que c’est après l’avoir prévu, après l’avoir voulu, qu’il endurera les souffrances de sa passion. Mais tandis qu’au commencement il ne leur avait prédit que sa mort seule, lorsqu’il les trouve bien préparés, il va plus loin et leur annonce qu’il sera livré aux Gentils. — Rab. En effet, Judas livra Jésus aux Juifs, et ceux-ci à leur tour le livrèrent à Pilate, c’est-à-dire au pouvoir des Romains. Or, le Seigneur ne voulut point des prospérités de ce monde, mais il leur préféra les souffrances, pour nous apprendre, à nous dont la chute avait eu pour cause l’attrait du plaisir, par quelles amertumes nous pour-lions nous relever ; c’est pour cela qu’il ajoute : " Afin qu’ils le traitent avec dérision, qu’ils le fouettent et le crucifient. " — S. Aug. (Cité de Dieu, 18, 49.) Par sa passion, il nous enseigne ce que nous devons souffrir pour la vérité, et par sa résurrection ce que nous devons espérer dans l’éternité : " Et le troisième jour, il ressuscitera. " — S. Chrys. (homélie 66.) Il s’exprime de la sorte pour que leur âme, attristée par la perspective de ses souffrances, se repose dans l’espérance de la résurrection : " Il ressuscitera le troisième jour. " — S. Aug. (De la Trinité, 4, 3.4.) Une seule mort, celle du Sauveur selon le corps, nous a sauvés de deux morts, et sa seule résurrection a été pour nous le principe de deux résurrections différentes. Or, cette relation d’un à deux vient du nombre trois, qui se compose de ces deux premiers nombres. — Orig. Nous ne voyons pas que les disciples aient rien dit ou rien fait en entendant cette triste révélation des souffrances de Jésus-Christ ; ils se rappelaient les paroles du Seigneur à Pierre, et ils craignaient de s’attirer un semblable et peut-être plus sévère reproche. Et maintenant, voici que les scribes, qui se flattent de connaître les saintes Écritures, condamnent Jésus à mort et le flagellent par leurs accusations, et ils le crucifient pour faire disparaître sa doctrine ; mais après avoir paru succomber un instant, il se relève et apparaît à ceux qui ont reçu le pouvoir de le voir et de le reconnaître.

 

vv. 22-23.

S. Jér. Le Seigneur venait de terminer son discours en disant : " Et il ressuscitera le troisième jour. " Cette femme s’imagine donc que son règne commencerait aussitôt après sa résurrection, et avec la vivacité de désirs naturelle à son sexe, elle veut jouir de ce qu’elle voit déjà comme présent, sans penser à ce qui doit arriver dans l’avenir : " Alors la mère des enfants de Zébédée s’approcha, " etc. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Cette mère des enfants de Zébédée est Salomée, dont un autre Évangéliste (Mc 15, 16) nous fait connaître le nom, femme vraiment pacifique, qui a enfanté les enfants de la paix. Nous pouvons juger ici du mérite et de la gloire de cette femme qui, non contente de voir ses enfants quitter leur père, abandonne elle-même son mari pour suivre Jésus-Christ ; car son mari pouvait vivre sans elle, mais pour elle, elle ne pouvait obtenir le salut sans Jésus-Christ. On peut admettre, d’ailleurs, que Zébédée était mort dans l’espace de temps qui s’écoula de la vocation des Apôtres à la passion du Sauveur. C’est donc alors que cette femme d’un sexe faible et accablée par l’âge, marchait à la suite de Jésus-Christ ; car la foi ne vieillit point, et la piété ne connaît point la fatigue. L’affection naturelle pour ses enfants lui, donne la hardiesse de faire au Sauveur une demande. " Elle l’adora en lui témoignant qu’elle voulait lui demander quelque chose, " c’est-à-dire elle commence par lui rendre ses hommages pour assurer le succès de sa demande. " Il lui dit : Que voulez-vous ? " S’il lui fait cette question, ce n’est point qu’il ignore ce qu’elle désire, mais il veut lui montrer tout ce que la demande qu’elle allait lui adresser avait de déraisonnable. " Et elle lui dit : Ordonnez que mes deux enfants soient assis, " etc.

S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 64.) Saint Matthieu met dans la bouche de la mère la demande qui, d’après saint Marc, a été faite par les enfants de Zébédée eux-mêmes, parce qu’elle n’a été auprès du Seigneur que l’interprète de leurs désirs, et ainsi saint Marc, pour abréger, leur attribue cette demande. — S. Chrys. (hom. 65.) Ces deux disciples se voyaient plus honorés que les autres, ils avaient entendu dire au Sauveur : " Vous serez assis sur douze trônes, " ils demandent donc d’occuper les premiers. Ils savaient bien qu’ils étaient plus élevés en dignité que les autres auprès de Jésus-Christ, mais ils craignaient que Pierre n’obtint la primauté sur eux. Aussi un autre Évangéliste nous rapporte que, comme ils approchaient de Jérusalem, ils s’imaginaient que le royaume de Dieu allait s’établir, c’est-à-dire un royaume visible, preuve évidente qu’ils ne demandaient rien de spirituel, et qu’ils n’avaient aucune idée d’un royaume plus élevé. — Orig. (traité 12 sur S. Matth.) Dans les cours des rois de la terre, on regarde comme un grand honneur d’être assis près du roi, il n’est donc pas étonnant que cette femme, dans la simplicité et l’inexpérience de son sexe, ait cru pouvoir faire au Sauveur une semblable demande. Ses deux enfants eux-mêmes, qui étaient encore bien imparfaits, et n’avaient pas des pensées fort élevées du règne du Christ, partagèrent les idées de leur mère sur la destinée de ceux qui seront assis avec Jésus. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien dans un autre sens, nous ne prétendons pas que la demande de cette femme soit légitime, mais nous disons qu’elle désirait pour ses enfants, non pas les biens de la terre, mais les biens du ciel. Elle ne partageait pas les sentiments des autres mères, qui aiment le corps de leurs enfants, et ne font aucun cas de leur âme, et qui désirent les voir réussir et prospérer en ce monde, sans avoir aucun souci de ce qu’ils auront à souffrir dans l’autre ; elles montrent ainsi qu’elles sont les mères des corps, mais non des âmes de leurs enfants. Je pense donc que ces deux frères ayant entendu le Seigneur prédire sa passion et sa résurrection, se dirent en eux-mêmes dans le sentiment de foi qui les animait : voici que le roi du ciel va descendre dans le royaume des enfers pour détruire l’empire de la mort ; lorsque sa victoire sera consommée, que lui restera-t-il, que de recevoir les honneurs et la gloire de la royauté ? — Orig. C’est, en effet, après qu’il a détruit le péché qui régnait dans nos corps mortels et toute la puissance des esprits de malice, que Jésus-Christ reçoit parmi les hommes les honneurs de la souveraineté, ce qui est pour lui s’asseoir sur le trône de sa gloire. Dieu agit en toute puissance à sa droite et à sa gauche, en ne souffrant aucun mal en sa présence. Parmi ceux qui s’approchent de Jésus-Christ, ceux qui sont les plus élevés, sont à sa droite ; ceux qui sont au-dessous, sont à sa gauche. Par la droite du Christ, peut-être peut-on comprendre toute créature invisible ; et par la gauche toute créature visible et corporelle. Dans le nombre de ceux qui s’approchent du Christ, les uns prennent la droite, c’est-à-dire les choses intelligibles, les autres la gauche, c’est-à-dire les choses sensibles.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Comment celui qui s’est donné lui-même aux hommes, pourrait-il ne pas leur donner part à la gloire de son royaume ? La négligence de celui qui prie est donc seule coupable, là où la miséricorde de celui qui donne ne peut être mise en doute. Les deux frères se dirent probablement à eux-mêmes : Si nous nous adressons directement au maître, peut-être notre démarche fera mauvaise impression sur l’âme de nos frères ; car bien qu’ils ne puissent être vaincus par une jalousie toute charnelle, régénérés qu’ils sont par l’esprit, cependant ils peuvent encore y être accessibles dans ce qui reste en eux de charnel. Envoyons donc notre mère à notre place, elle priera pour nous en son nom ; si l’on trouve sa démarche répréhensible, elle en obtiendra facilement le pardon ; si au contraire, elle est accueillie, elle obtiendra plus facilement ce qu’elle demande pour ses enfants ; car le Seigneur, qui a rempli le cœur des mères d’amour pour leurs enfants, exaucera plus facilement une prière inspirée par l’affection maternelle. Voilà pourquoi le Seigneur, qui connaît le secret des cœurs, ne répond pas à la prière que cette femme lui adresse, mais à la pensée de ses enfants qui la lui avaient dictée. Car si leur désir était bon, leur demande était inconsidérée. Et, toutefois, bien que leur prière ne dût pas être exaucée, elle ne méritait pas d’être humiliée, parce qu’elle avait pour principe un grand amour du Seigneur. Aussi ne les réprimande-t-il que de leur ignorance : " Mais Jésus répondit : Vous ne savez ce que vous demandez. " — S. Jér. Il n’est pas étonnant que le Sauveur les reprenne de leur ignorance, puisqu’il est dit de Pierre lui-même : " Il ne savait pas ce qu’il disait. " (Lc 9.) — S. Chrys. (hom. sur S. Matth.) Souvent, en effet, le Seigneur permet que ses disciples aient des pensées, tiennent des discours répréhensibles, pour y trouver l’occasion d’expliquer les règles de la vie chrétienne ; car il sait que leur erreur ne peut leur nuire tant que leur maître est avec eux, et la doctrine qu’il leur expose devient une source d’édification, non-seulement dans le présent, mais pour l’avenir. — S. Chrys. (hom. 66.) Or, en s’exprimant de la sorte, il leur fait comprendre qu’ils ne demandent rien de spirituel, et que s’ils avaient su ce qu’ils demandaient, jamais ils n’auraient songé à en faire l’objet d’une prière dont l’accomplissement surpasse le pouvoir des puissances célestes. — S. Hil. (can. 20.) Ils ne savent encore ce qu’ils demandent, parce que la gloire réservée aux Apôtres ne pouvait faire l’objet d’aucune discussion, après qu’il leur avait prédit si clairement qu’ils devaient juger le monde. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien, vous ne savez ce que vous demandez, c’est-à-dire : Je vous ai appelés à ma droite de la gauche où vous étiez (cf. Mt 25, 33), et vous, de votre propre choix, vous vous hâtez de repasser à la gauche. Aussi est-ce pour cela, peut-être, que cette demande se négociait par le moyen d’une femme ; le démon recourut à ses armes habituelles, à la femme, pour séparer ces deux frères de leur maître par la suggestion de leur mère, comme il avait dépouillé Adam par le moyen de sa femme. Mais la ruine ne pouvait plus arriver jusqu’aux saints par une femme, depuis que le salut de tous les hommes était sorti par les mains d’une femme. Ou bien encore, ces paroles : " Vous ne savez ce que vous demandez, " nous apprennent que nous devons penser non-seulement à la gloire que nous voulons obtenir, mais à éviter la ruine dont le péché nous menace. Ainsi dans les guerres qui ont lieu sur la terre, celui qui ne pense qu’aux dépouilles et aux richesses de la victoire, triomphe difficilement, ils auraient donc dû faire cette prière : " Donnez-nous le secours de votre grâce, afin que nous puissions triompher de tout mal. "

Rab. Ils ne savaient pas encore ce qu’ils demandaient, eux qui voulaient obtenir du Seigneur le trône de gloire qu’ils n’avaient pas encore mérité. La perspective d’une si grande gloire avait pour eux de l’attrait, mais il leur fallait auparavant prendre la voie du travail qui pouvait seule les y conduire ; c’est pour cela qu’il ajoute : " Pouvez-vous boire le calice ? " — S. Jér. Le mot calice, dans le style des Écritures, signifie souffrance, comme dans le Ps 115 : " Je prendrai le calice du salut ; " et le Roi-Prophète explique aussitôt quel est ce calice : " La mort de ses saints est précieuse aux yeux de Dieu. ". — S. Chrys. (sur S. Matth.) Notre-Seigneur savait qu’ils étaient disposés à le suivre jusque dans ses souffrances, mais il leur fait cette question pour nous apprendre que personne ne peut régner avec lui sans avoir participé à sa passion ; car un trésor aussi précieux ne peut s’acquérir à vil prix (cf. 2 Tm 2, 12 ; Rm 8, 17). Or, la passion du Sauveur, ce n’est pas seulement la persécution des Gentils, mais toute violence que nous souffrons en combattant contre le péché. — S. Chrys. (hom. 66.) Il leur dit donc : " Pouvez-vous boire ? " etc., c’est-à-dire : " Vous me parlez de gloire et de couronnes, et moi je vous parle de combats et de fatigues, car le temps des récompenses n’est pas encore venu. " Par la manière dont il leur fait cette question, il les encourage et les attire ; il ne leur dit pas : Pourrez-vous répandre votre sang ? mais : " Pouvez-vous boire le calice ? " et il ajoute : " Que je dois boire, " pour enflammer plus vivement leurs désirs par ce rapprochement. — S. Hil. (can. 20.) Or, les deux disciples qui avaient déjà la liberté et la constance du martyre, promettent de boire ce calice. " Ils lui dirent : Nous le pouvons. " — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien ils font cette réponse moins par confiance dans leur propre force que par ignorance de leur fragilité ; car la tentation de la souffrance et de la, mort paraît légère à ceux qui ne l’ont pas éprouvée. — S. Chrys. (hom. 65.) Ou bien encore, ils promettent de boire ce calice par le désir qu’ils en ont ; car ils n’auraient jamais parlé de la sorte, si ce qu’ils demandaient n’avait été l’objet de leur attente. Or, le Seigneur leur prédit des biens du plus grand prix, c’est-à-dire qu’ils seront rendus dignes de souffrir le martyre.

" Il leur répartit : il est vrai que vous boirez le calice que je boirai. " Orig. Jésus-Christ ne leur dit pas : Vous pouvez boire mon calice, mais les yeux fixés sur la perfection à laquelle ils devaient atteindre, il leur dit : " Il est vrai que vous boirez mon calice. " — S. Jér. On se demande dans quel sens les deux enfants de Zébédée, Jacques et Jean, ont bu le calice du martyre, puisque d’après l’Écriture, Jacques seul fut décapité par Hérode (Ac 12), et que Jean mourut de mort naturelle. Mais puisque nous lisons dans l’histoire ecclésiastique que Jean fut plongé dans une chaudière d’huile bouillante, et qu’il fut exilé dans l’île de Pathmos, nous voyons qu’il eut vraiment l’esprit du martyre, et qu’il but le calice du confesseur de la foi, calice que burent aussi les trois enfants dans la fournaise, bien que leur persécuteur n’ait pas répandu leur sang.

S. Hil. (can. 20.) Notre-Seigneur, tout en louant la foi qui les anime, leur déclare qu’ils seront associés à ses souffrances, mais que Dieu, son Père, avait disposé en faveur d’autres de l’honneur de s’asseoir à sa droite et à sa gauche : " Mais pour ce qui est d’être assis à ma droite et à ma gauche, " etc. Dans notre opinion, cet honneur n’est pas tellement réservé à d’autres, que les Apôtres n’y aient point de part, eux qui, assis sur les sièges des patriarches, jugeront les douze tribus d’Israël. Autant que l’Évangile nous permet de le conclure, nous verrons assis aux côtés du Sauveur Moise et Elle, au milieu desquels il parut sur la montagne dans tout l’éclat de sa gloire. (Mt 18 ; Mc 9 ; Lc 9.) — S. Jér. Quant à moi, telle n’est pas mon opinion, mais je pense que le Sauveur ne nomme pas ceux qui seront assis dans le royaume des cieux, dans la crainte que cette désignation spéciale de quelques-uns, ne parût une exclusion pour les autres. En effet, la gloire du royaume des cieux ne dépend pas seulement de celui qui la donne, mais aussi de celui qui la reçoit ; car Dieu ne fait acception de personne, et celui qui se rendra digne de ce royaume, recevra ce que Dieu a préparé, non pas à la personne, mais à la vie sainte et pure. Si donc vous vous rendez dignes par vos vertus du royaume des cieux, vous en serez mis en possession. Cependant il ne leur dit pas : Vous ne serez pas assis à ma droite, pour ne pas les couvrir de confusion, ni : Vous y serez assis, pour ne pas froisser les autres disciples. — S. Chrys. (hom. 65.) Ou bien dans un autre sens, cette place est inaccessible, non-seulement aux hommes, mais encore aux anges ; car saint Paul nous déclare en ces termes qu’elle est l’apanage exclusif du Fils unique : " A qui, parmi les anges, a-t-il jamais dit : Asseyez-vous à ma droite ? " C’est donc uniquement par condescendance pour ceux qui l’interrogent, et non pour établir que quelques-uns des saints seraient assis à ses côtés, qu’il répond à leur question ; car le Seigneur leur répond : " Vous mourrez, en effet, pour moi, mais cela ne suffit pas pour : que vous obteniez la première place ; car s’il s’en trouve un autre qui joint au martyre une vertu plus parfaite, mon amour pour vous ne peut aller jusqu’à lui enlever la première place pour vous la donner. " Mais il ne veut pas que l’on croie que c’est impuissance de sa part, aussi ne dit-il pas simplement : Ce n’est point à moi de donner, mais : " Ce n’est point à moi de vous le donner, " cela est réservé à ceux à qui mon Père l’a préparé, c’est-à-dire à ceux qui peuvent briller par l’éclat de leurs bonnes oeuvres. — Remi. Ou bien encore : " Ce n’est point à moi de vous le donner, c’est-à-dire de le donner à des orgueilleux comme vous, mais cela est réservé aux humbles de cœur auxquels mon Père céleste l’a préparé. " — S. Aug. (de la Trinité, 1, 12.) Ou bien enfin, le Seigneur répond à ses disciples comme homme revêtu de la forme de serviteur : " Mais pour ce qui est d’être assis à ma droite, ce n’est point à moi de vous le donner, " etc. Or, ce que le Père a préparé, le Fils l’a également préparé ; car le Fils et le Père ne sont qu’un.

 

vv. 24-28.

S. Chrys. (hom. 65.) Tant que Jésus-Christ n’a fait qu’exprimer sa volonté à l’égard des deux disciples, les autres Apôtres n’éprouvèrent aucun sentiment de peine ; ils ne s’indignent que lorsqu’il les reprend : " Et les dix autres ayant entendu, " etc. — S. Hil. Ce n’est pas sur la mère qu’ils font retomber la témérité d’une pareille demande, mais sur les enfants qui, paraissant ignorer ce qu’ils étaient, se sont laissé dominer par une ambition aussi démesurée. — S. Chrys. (hom. 65.) Ils comprirent que cette demande venait des deux frères, quand le Sauveur leur adressa ce reproche. Jusque-là, lorsqu’ils avaient vu les marques particulières d’honneur qu’il leur donnait, comme dans sa transfiguration, quelle que fût la peine qu’ils en ressentaient intérieurement, ils n’osaient pas la faire paraître au dehors, par respect pour leur divin Maître. — S. Chrys. (sur S. Matth.) La demande des deux disciples avait été toute charnelle, la tristesse des dix autres fut de même nature, car s’il est blâmable de vouloir s’élever au-dessus des autres, il est on ne peut plus glorieux d’accepter que d’autres soient élevés au-dessus de nous.

S. Jér. Toutefois le divin Maître ne reproche ni leur ambition aux deux disciples, ni leur indignation jalouse aux dix autres : " Mais Jésus les appela à lui, " etc. — S. Chrys. (hom. 66.) Comme il les voit dans le trouble, il les appelle à lui pour les consoler en leur adressant la parole de plus près, car les deux frères s’étaient séparés de la société des dix Apôtres pour se rapprocher du Seigneur et lui parler en particulier. Or, il apaise les sentiments de leur âme, non plus comme précédemment, en plaçant un petit enfant au milieu d’eux, mais par un exemple tout opposé : " Vous savez, leur dit-il, que les princes des nations dominent sur elles. " — Orig. C’est-à-dire : Vous savez que, non contents de gouverner leurs sujets, ils aspirent à une domination tyrannique ; mais pour vous, qui êtes mes disciples, il n’en sera pas de la sorte, car, si les choses matérielles sont soumises à la nécessité, les choses spirituelles dépendent de la volonté. Ceux donc qui sont revêtus d’une puissance toute spirituelle doivent faire reposer toute leur autorité sur l’affection de ceux qui leur sont soumis, plutôt que sur la crainte des châtiments extérieurs. — S. Chrys. (hom. 66.) Il leur montre en même temps que c’est le propre des nations idolâtres d’ambitionner la primauté, et par cette comparaison il apaise l’agitation de leur âme. — S. Chrys. (sur S. Matth.) C’est une chose louable de désirer le travail du ministère, car le travail dépend en partie de notre volonté, aussi bien que la récompense qui la suit ; mais c’est une vanité que d’ambitionner l’honneur des premières dignités, parce qu’elles dépendent de la volonté de Dieu. Aussi, quand bien même nous obtiendrions cet honneur, nous ne savons pas si nous méritons la couronne de justice. En effet, l’Apôtre ne sera pas trouvé digne d’éloges aux yeux de Dieu pour avoir été apôtre, mais pour avoir bien rempli les devoirs de l’apostolat ; de même ce n’est pas aux mérites qui ont précédé sa vocation que l’Apôtre doit l’honneur de l’apostolat ; mais il a été jugé digne de ce ministère, d’après les dispositions de son âme. Disons encore que les premières dignités vont au devant de ceux qui les fuient, et fuient ceux qui les recherchent. Ce qu’il faut désirer, ce n’est donc point un rang plus élevé, mais une vie plus vertueuse. C’est donc pour éteindre l’ambition des deux frères et l’indignation des autres Apôtres, que le Sauveur établit cette différence entre les princes du monde et les chefs de l’Église, et il montre ainsi que le pouvoir ecclésiastique ne doit être ni recherché par celui qui ne l’exerce pas, ni envié à celui qui en est revêtu. Les princes du monde semblent n’être établis que pour faire peser leur domination sur leurs inférieurs, les réduire en servitude, les dépouiller et les exploiter jusqu’à la mort au profit de leur propre gloire et de leur utilité personnelle. Les princes de l’Église, au contraire, ne sont placés à sa tête que pour servir leurs inférieurs, leur distribuer tout ce qu’ils ont reçu de Jésus-Christ, pour veiller aux intérêts des fidèles au détriment de leurs intérêts personnels, et ne point reculer devant la mort même pour les sauver. Il n’est donc ni juste, ni utile de désirer la puissance et les honneurs dans l’Église, car quel est l’homme tant soit peu sage qui voudrait se soumettre de lui-même à une si grande servitude et au danger effrayant de rendre compte pour toute l’Église, à moins qu’il n’ait perdu toute crainte des jugements de Dieu, et qu’il ne veuille faire un abus indigne de la puissance ecclésiastique en la transformant en un pouvoir tout séculier ?

S. Jér. Jésus termine en se proposant comme exemple pour faire rougir par ses actions ceux que ses paroles laisseraient insensibles : " Comme le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi. " — Orig. Les anges et Marthe l’ont servi, il est vrai ; il n’est cependant pas venu pour être servi, mais pour servir, et il poussa si loin cette servitude à l’égard des autres, qu’il accomplit les paroles suivantes : " Et pour donner sa vie en mourant pour la rédemption de plusieurs, " qui ont cru en lui. Mais comme il a été le seul qui fût libre entre les morts (Ps 87), et plus fort que toute la puissance de la mort, il a par là même affranchi de la mort tous ceux qui ont voulu le suivre. Les princes de l’Église doivent donc imiter Jésus-Christ qui se rendait accessible, ne dédaignait pas de parler aux femmes, d’imposer les mains sur les petits enfants, et de laver les pieds à ses disciples pour les engager à en faire autant à leurs frères. Mais, malgré cet exemple, nous offrons dans notre conduite le spectacle d’un orgueil qui va au delà de l’orgueil des princes du monde ; car, soit que nous ne voulions pas comprendre, soit que nous méprisions le précepte de Jésus-Christ, nous voulons, comme les rois de la terre, nous faire précéder par des gardes, nous cherchons à nous rendre redoutables et de difficile accès, surtout à l’égard des pauvres ; nous n’avons pour les autres et nous ne voulons pour nous-mêmes aucune marque d’affabilité.

S. Chrys. (hom. 66.) Donc, à quelque degré que vous puissiez vous humilier, jamais vous ne descendrez aussi bas que votre Sauveur et votre Dieu.

 

vv. 29-34.

S. Chrys. (sur S. Matth.) De même qu’une abondante moisson témoigne en faveur du travail du laboureur, ainsi une nombreuse assemblée est une preuve du zèle de celui qui enseigne : " Et lorsqu’ils sortaient, une foule nombreuse le suivit. " Aucun d’eux ne fut arrêté par les difficultés de la route, car l’amour spirituel n’est point sujet à la fatigue, aucun d’eux ne fut retenu par la pensée de ses intérêts temporels, car ils entraient en possession du royaume des cieux. Celui, en effet, qui a une fois goûté en vérité le bien céleste, ne trouve plus rien sur la terre qui soit digne de son affection. Or, ces deux aveugles se rencontrent très-à propos sur le passage de Jésus-Christ, car, après avoir recouvré la vue, ils le suivront à Jérusalem pour rendre témoignage à sa puissance : " Et voici que deux aveugles, " etc. Ces deux aveugles entendaient les pas de ceux qui marchaient, mais ne pouvaient les voir. Ils n’avaient de libre dans tout leur corps que la voix ; et comme ils ne pouvaient se mettre à la suite du Sauveur, ils l’accompagnent de leurs cris et de leurs supplications : Et ayant entendu que Jésus passait, " etc.

S. Aug. (De l’acc. des Evang., 2, 56.) Saint Marc raconte ce même fait, mais ne parle que d’un seul aveugle, difficulté dont voici la solution. Des deux aveugles que saint Matthieu comprend dans son récit, l’un était très-connu dans la ville, et ce qui le prouve, c’est que saint Marc a cru devoir nous faire connaître son nom et celui de son père. Ce Bartimée, fils de Timée, était probablement déchu d’une grande fortune et devait à cette circonstance d’être très-connu. Il était non-seulement aveugle, mais encore assis près du chemin comme un mendiant. C’est donc de celui-là seulement que saint Marc a voulu parler, parce que sa guérison eut autant d’éclat que ses malheurs avaient eu de retentissement. Quant à Saint Luc, bien qu’il raconte un fait absolument semblable, il faut admettre qu’il s’agit dans son récit d’un autre aveugle, qui fut l’objet d’un semblable miracle, car il place sa guérison lorsque Jésus approchait de Jéricho, tandis que, suivant les autres Évangélistes, les deux aveugles furent guéris lorsque Jésus sortait de Jéricho.

" Et le peuple les reprenait pour les faire taire. " — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ils voyaient les haillons repoussants dont cet homme était couvert, et, ne considéraient pas l’éclatante beauté de son âme. Voilà bien la sagesse insensée des hommes. Ils s’imaginaient que c’était un outrage pour les grands de recevoir les hommages des pauvres, car, quel est le pauvre qui eut osé saluer en public un riche ? — S. Hil. Ou bien ce n’est point par honneur pour le Sauveur qu’ils font taire ces deux aveugles, mais parce qu’il leur faisait peine d’entendre affirmer par ces aveugles ce qu’ils niaient eux-mêmes, c’est-à-dire que Jésus était fils de David. — Orig. (Traité 13 sur S. Matth.) Ou bien peut-être c’étaient ceux qui croyaient en Jésus-Christ qui reprenaient les aveugles de ne lui donner que le nom trop peu digne fie fils de David, au lieu de dire : Fils de Dieu, ayez pitié de nous. " — S. Chrys. (sur S. Matth.) Mais la défense qui leur était faite, loin fie leur fermer la bouche ; les excitait davantage. C’est ainsi que la foi s’accroît et se fortifie par la contradiction ; aussi est-elle calme et tranquille parmi les dangers, tandis qu’elle n’est pas sans crainte au milieu de la paix. " Et ils se mirent à crier encore plus haut : Ayez pitié de nous, fils de David. " Ils avaient crié d’abord parce qu’ils étaient aveugles, ils se mettent à crier plus haut encore parce qu’on les empêche d’approcher de la lumière. — S. Chrys. (hom. 66.) Le Sauveur permettait qu’on leur fît cette défense pour faire éclater la vivacité de leurs désirs. Apprenez de là que, quelque soit notre misère et notre abjection, nous obtiendrons par nous-mêmes tout ce que nous demanderons, en nous approchant de Dieu avec ferveur.

" Alors Jésus s’arrêta, et, les ayant appelés, " etc. — S. Jér. Le Seigneur s’arrêta, parce que les aveugles ne savaient de quel côté ils devaient se diriger. Il y avait auprès de Jéricho beaucoup d’excavations, d’endroits escarpés pendant en précipices ; le Seigneur s’arrêta donc pour qu’ils pussent venir jusqu’à lui. — Orig. Ou bien le Seigneur ne continue pas son chemin, mais s’arrête pour que le bienfait qu’il va leur accorder ne se répande pas au delà ; mais que la miséricorde coule sur eux comme d’une source permanente et durable. — S. Jér. Il les fait appeler pour que la foule ne les empêche pas d’approcher, et il leur demande ce qu’ils veulent, afin que leur réponse rende évidentes leur infirmité et la puissance qui doit les guérir. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien il leur fait cette demande pour faire connaître leur foi, et, par l’exemple de ces aveugles qui confessent qu’il est le Fils de Dieu. confondre ceux qui voient et ne le regardent que comme un homme. Ils avaient appelé le Christ Seigneur, et en cela ils disaient la vérité ; mais eu ajoutant : Fils de David, ils affaiblissaient la force de leur profession de foi. En effet, on donne aux hommes, par extension et par abus, le nom de seigneur ; mais il n’y a de véritable seigneur que Dieu. Lors donc qu’ils appellent Jésus " Seigneur, fils de David, " ils l’honorent simplement comme homme ; s’ils l’appelaient Seigneur, sans aucune addition, ils confesseraient par là même sa divinité. C’est pourquoi il les interroge en ces termes : Que voulez-vous que je vous fasse ? " Alors ils ne l’appellent plus : " Seigneur, Fils de David, " mais simplement " Seigneur : " " Et ils lui dirent : Seigneur, que nos yeux s’ouvrent. " En effet, le fils de David ne peut ouvrir les yeux des aveugles ; il n’y a que le Fils de Dieu qui ait cette puissance. Tant qu’ils se sont contentés de dire : " Seigneur, Fils de David, " leur guérison a été comme suspendue ; mais aussitôt qu’ils eurent dit : " Seigneur, " leurs yeux se sont ouverts. En effet, l’Évangéliste ajoute : " Et Jésus, ayant pitié d’eux, toucha leurs yeux. " Il les toucha, comme homme, avec la main, et il les guérit comme Dieu. — S. Jér. Le Créateur leur donne ce que la nature leur avait refusé, ou du moins la miséricorde leur rend ce que la maladie leur avait ôté.

S. Chrys. (hom. 56.) La reconnaissance de ces aveugles, après qu’ils eurent reçu cette grâce, égala leur persévérance avant de l’avoir obtenue. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ils offrirent à Jésus-Christ un présent qui lui fut bien agréable, car l’auteur sacré nous apprend qu’ils le suivirent ; c’est là ce que Dieu demande de vous par le prophète : " Marchez avec crainte en présence de votre Dieu. " (Mi 6.) — S. Jér. Ces aveugles, qui étaient assis près de la ville de Jéricho, retenus par leur infirmité et qui ne pouvaient que gémir et crier, suivent maintenant Jésus, moins par le mouvement des pieds que par leurs vertus. — Rab. Jéricho, dont le nom signifie lune, est une figure de l’inconstance humaine. — Orig. Dans le sens mystique, Jéricho signifie le monde, au milieu duquel Notre-Seigneur est descendu. Ceux qui habitent Jéricho ne peuvent sortir de la sagesse du monde avant d’avoir vu non-seulement Jésus, mais encore ses disciples sortir de Jéricho. Or, une foule nombreuse, à la vue de cette guérison miraculeuse, les suivit, pleine de mépris pour le monde et pour les choses du monde, afin de monter, sous la conduite de Jésus-Christ, jusqu’à la Jérusalem céleste. Dans ces deux aveugles, nous pouvons voir les deux peuples de Juda et d’Israël (cf. 3 R 12), qui étaient aveugles avant l’avènement du Christ, parce qu’ils ne voyaient pas la parole de vérité qui était renfermée dans la loi et les prophètes, et parce qu’étant assis le long du chemin de la loi et des prophètes, et n’ayant que l’intelligence charnelle de la lettre, ils élevaient la voix seulement vers celui qui est né de la race de David selon la chair. (Rm 1.) — S. Jér. Ou bien encore, par ces deux aveugles, la plupart entendent les pharisiens et les sadducéens. — S. Aug. (Quest. évang., 1, 20.) Ou bien, dans un autre sens, ces deux aveugles sont la figure de ceux qui, dans les deux peuples, s’attachent par la foi à l’économie de la vie humaine de Jésus-Christ, par laquelle il est notre voie, et qui désirent d’être éclairés, c’est-à-dire de comprendre quelque chose de l’éternité du Verbe. Or, c’est ce qu’ils espèrent obtenir lorsque Jésus vient à passer, c’est-à-dire par le mérite de la foi, qui reconnaît que le Fils de Dieu s’est fait homme, est né et a souffert pour nous. En effet, d’après cette économie de l’incarnation, Jésus ne fait pour ainsi dire que passer, parce que cette action ne dure qu’un temps. Or, il leur fallait crier assez haut pour dominer le bruit de la foule, qui couvrait leur voix, c’est-à-dire il leur fallait s’appliquer avec persévérance à la prière, aux saints désirs, pour arriver à vaincre, par la force de l’intention l’habitude des désirs charnels, qui, comme une foule tumultueuse, empêche l’âme de voir la lumière de l’éternelle vérité, ou bien la foule elle-même des hommes charnels qui veulent nous rendre impossibles les exercices spirituels de la prière et de la vertu. — S. Aug. (serm. 18 sur les par. du Seig.) En effet, les mauvais chrétiens et ceux qui vivent dans la tiédeur font de l’opposition aux bons chrétiens qui veulent accomplir les préceptes divins, mais que ceux-ci ne cessent pas de crier sans se lasser ; car tout chrétien qui commence à pratiquer la vertu et à mépriser le monde est sûr de trouver au début de sa conversion des censeurs de sa conduite dans les chrétiens dont la charité s’est refroidie ; mais s’il persévère, il se verra bientôt applaudi et appuyé par ceux-là même qui voulaient d’abord lui créer des obstacles. — S. Aug. (Quest. évang., 5.) Jésus qui a dit : " On ouvrira à celui qui frappe " (Mt 7, Lc 11) les ayant entendus, s’arrête, les touche et ouvre leurs yeux à la lumière. En effet, comme c’est la foi au mystère de l’Incarnation qui s’est accompli dans le temps, qui nous prépare à l’intelligence des choses de l’éternité, lorsque Jésus passe, ils sont avertis que la lumière va leur être rendue, et il s’arrête, en effet, pour leur ouvrir les yeux, car les choses du temps passent et celles de l’éternité sont immuables. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il en est qui voient dans les deux aveugles deux sortes de Gentils, issus, les uns de Cham, les autres de Japhet. " Ils étaient assis le long du chemin, " c’est-à-dire qu’ils étaient proches de la vérité, sans pouvoir la trouver ; ou bien ils conformaient leur vie aux préceptes du Verbe, mais sans se diriger d’après les principes surnaturels du Verbe, parce qu’ils n’avaient pas encore reçu la connaissance du Verbe. — Rab. Mais aussitôt qu’ils apprirent la grande réputation de Jésus-Christ, ils cherchèrent à s’attacher à lui, et c’est alors qu’ils trouvèrent de nombreux contradicteurs ; d’abord dans les Juifs, comme nous le lisons dans les Actes et puis dans les Gentils qui suscitèrent contre eux une persécution encore plus violente, sans que tous leurs efforts aient pu priver du salut ceux qui étaient prédestinés à la vie. — S. Chrys. (sur S. Matth.) C’est donc les yeux du cœur que le Sauveur toucha en donnant aux Gentils, et aussitôt qu’ils furent éclairés ils ont marché à sa suite par la pratique des bonnes oeuvres. — Orig. Et nous aussi, qui sommes assis le long du chemin des Écritures et qui comprenons sous quel rapport nous sommes aveugles, si nous prions par amour de la vérité, Jésus touchera les yeux de notre âme et les ténèbres de l’ignorance se retireront de notre esprit pour nous laisser voir et suivre celui qui ne nous a rendus à la lumière que pour nous permettre de marcher à sa suite.