La Réforme catholique et l’art religieux

Émile Berthoud

Articles parus dans Esprit et Vie,

n° 8, 19 avril 2000 , p. 36-39, n° 9, 3 mai 2000 , p. 32-39 et n° 10, 17 mai 2000 , p. 36-40.

 

 

Dans les articles rédigés pour Esprit et Vie, nous avons fait plusieurs fois allusion à une nouvelle forme d'art qui se développe, d’abord en Italie, surtout à Rome, puis dans toute l’Europe, à partir du milieu du xvie siècle.

Contexte historique

Généralement, elle est liée au célèbre et interminable concile de Trente qui, en vingt-cinq sessions échelonnées de 1545 à 1563, repensa la vie de l’Église et sa doctrine en fonction d’une interprétation plus précise de la Tradition et des textes de l’Ancien et du Nouveau testament. En même temps, le Concile remettait de l’ordre dans la discipline de vie des membres du clergé, réagissait contre les abus qui s’étaient produits depuis la fin du Moyen Âge. En un mot, à la " Réforme " prêchée par Luther, l’Église opposait une " Réforme catholique ".

Mais déjà bien avant le concile de Trente une vague de réformisme avait soulevé l’Église. De très nombreux esprits avaient pris conscience d’un nécessaire retour à plus de rigueur, à plus de pureté, à plus de ferveur. Les évènements tragiques vécus au début du siècle, avaient favorisé ce courant. Le sac de Rome, en 1527, par les troupes impériales, avait été ressenti, à l’époque, comme une punition infligée par Dieu. La menace des troupes turques et l’insécurité générale avaient encore renforcé cette pensée. Une vague de pénitence et de redressement s’était dessinée et de multiples ordres religieux, aux règlements sévères, avaient vu le jour. En 1520, étaient nées les sœurs Angéliques. Les Théatins suivaient en 1525 ; puis une année plus tard, en 1526, quelques mois avant le sac de Rome, c’est les Capucins qui étaient fondés par un simple frère convers franciscain. Les Barnabites voyaient le jour en 1533. En 1540, c’étaient les Frères de la Miséricorde qui étaient créés, mais, surtout, en cette même année, était approuvée par le pape Paul III, la Société de Jésus. Elle avait été fondée le 15 août 1534, dans la crypte de l’église saint Pierre de Montmartre par sept étudiants, cinq espagnols dont l’initiateur Inigo de Loyola, un portugais et un savoyard, Pierre Favre, le seul prêtre parmi eux. Quarante ans plus tard, la Société avait déjà quatorze provinces et vingt mille membres, qui portèrent le nom de Jésuites.

En même temps, une floraison de saints, dont les plus connus sont, avec Ignace de Loyola, François Xavier, Philippe Néri, Charles Borromée, Jean de la Croix, Thérèse d’Avila, donnaient le type nouveau d’une sainteté ascétique, à la fois énergique et mystique. Ils marquaient un durcissement dans la position de l’Église. Ce durcissement allait durer presque un siècle. La détente ne se fera sentir que lorsque l’Église aura repris l’initiative, surtout en Bohême et en Bavière, directement menacées par la Réforme. Cette détente s’accentuera encore au xviie avec le recul des Protestants en Allemagne, grâce aux prédications des Jésuites, puis à la Guerre de Trente Ans (1618-1648) terminée par le Traité de Wesphalie. Mais, pendant près d’un siècle, l’Italie d’abord, puis l’Europe, furent marquées par ce durcissement de la Réforme catholique.

Évidemment, l’art ne fit que refléter cette évolution. Nous avons vu que, dans son Jugement Dernier, Michel Ange exprimait déjà avec une douleur tragique le drame de la chrétienté, le drame du salut et les contradictions de l’âme. Peu à peu se posait le problème du contenu sacré de l’œuvre d’art et de la nécessité de plier les formes picturales à des exigences dictées par le sujet. Jusque là, le sujet de l’œuvre n’avait eu qu’une importance secondaire ; c’était un simple prétexte pour l’expression du talent du peintre. Mais tout allait changer ; il devint justification de l’œuvre, sauf pour les Maniéristes qui continuaient encore, pour un temps, de suivre une veine humaniste et païenne. D’où la complexité de la seconde partie du xvie siècle, période de transition marquée, à la fois, par le Maniérisme et par l’esprit de la Réforme catholique.

Ces idées agitaient peintres et écrivains, mais il faut bien savoir que cette évolution n’était pas, d’abord, le fruit d’un contrôle exercé par l’Église. Le contrôle ne viendra que plus tard, après le Concile. Il s’agissait d’une tendance bien plus profonde, dont le concile de Trente n’est pas la cause, mais simplement la consécration. Par exemple, avant les décisions de l’Église, un petit opuscule paraissait sous la signature de Gilio da Fabriano. Il avait pour titre : Due Dialoghi… degli errori di pittori (" Deux dialogues au sujet des erreurs des peintres "). Ce petit livre, qui eut une très grande audience, tendait à soumettre l’artiste à un ensemble de règles iconographiques.

 

Vers des règles iconographiques

On dirait que les évêques, réunis en concile à Trente, ont entendu cet appel à réglementation artistique lancé par Gilio da Fabriano. C’est exactement ce qu’ils vont faire en 1563 dans leur dernière session, juste avant de se séparer définitivement. Ils s’exprimèrent ainsi : " Le saint Concile défend que l’on place dans les églises aucune image qui s’inspire d’un dogme erroné et qui puisse égarer les simples ; il veut qu’on évite toute impureté, qu’on ne donne pas aux images des attraits provocants. Pour assurer le respect de ces décisions, le saint Concile défend de placer en aucun lieu, et même dans les églises qui ne sont pas assujetties à la visite de l’ordinaire, aucune image insolite, à moins que l’évêque ne l’ait approuvée ".

Ces courtes lignes sont si importantes qu’elles vont bouleverser la conception de l’art jusqu’à la fin du xviiie siècle. Depuis le décret du deuxième concile de Nicée, en 797, qui mettait fin à l’iconoclasme et codifiait l’iconologie, c’était la première fois qu’un Concile cherchait à réglementer l’art chrétien. Les conséquences en ont été innombrables. Nous allons en énumérer quelques-unes, les principales.

J’écris " énumérer " et non pas " commenter ", car le but de cet article est de donner un simple aperçu schématique, très scolaire, un peu sec, d’un immense thème qui nécessiterait la rédaction d’un ouvrage important pour être épuisé. Mais, dans son regrettable raccourci, ce schéma pourra peut-être donner quelques renseignements précieux pour l’appréciation d’un art qui a été celui de toute l’Europe chrétienne de la fin du xvie siècle au début du xxe.

Le concile de Trente avait donc édicté des prescriptions sévères. Que fit alors l’Église pour faire passer dans la pratique, ces décisions d’ordre général ?

Des décisions qui ouvrent une nouvelle période

Sa première décision fut de proscrire la nudité, le " nu ", dans l’art religieux. Nous avons déjà vu que le pape Paul IV n’avait pas attendu la fin du Concile pour entreprendre la lutte contre les libertés prises par la Renaissance. Déjà en 1559, alors que Michel-Ange était encore vivant, il avait fait voiler quelques-unes des figures du Jugement Dernier. En 1566, Pie V en fit encore voiler d’autres et Clément VIII, renonçant aux demi-mesures, avait décidé de faire détruire toute la fresque. Il ne fut arrêté que par une supplique instante de l’Académie de saint Luc, l’Académie de peinture de Rome. Ainsi des papes condamnaient ce qu’un pape, Clément VII, moins de quarante ans auparavant, avait jugé digne de la Chapelle Sixtine. En quelques années, l’esprit de l’Église s’était profondément modifié.

Une période d’austérité commença donc pour l’art religieux. Tous les évêques suivirent, à l’exemple de saint Charles Borromée, mais il y eut également des artistes aussi scrupuleux qu’eux. Par exemple, Philippe de Champaigne ne consentira jamais à peindre une nudité. Dans l’opinion des contemporains, cette réserve ajoutait encore au mérite des peintres. Mais il faut bien dire qu’il y eut quand même quelques artistes, fort peu nombreux en réalité, qui peignirent encore des Eves et des Madeleines qui n’éveillaient pas beaucoup l’idée du repentir. Cependant, il faut affirmer le fait que la décence devint désormais le caractère essentiel de l’art religieux.

Mais était-il vraiment possible de proscrire la nudité et d’admettre que des génies comme Donatello, Verrochio, Botticelli, Léonard, Raphaël, Michel-Ange avaient travaillé en vain à découvrir les beautés du corps humain, merveille de la Création ? Y-avait-il rien de plus grand, de plus chaste, de plus digne de l’œuvre de Dieu, que les figures nues de la chapelle Sixtine ? La nudité antique, elle-même, n’avait-elle pas quelque chose de religieux, et parfois d’austère comme la vertu du stoïcien ? Comment les artistes, qui apprenaient dans les écoles et dessinaient d’après le modèle vivant dans l’Académie des Carrache, auraient-ils pu renoncer à leur science ? L’Église elle-même ne pouvait le vouloir. Il fut donc convenu, d’un accord tacite, que l’antiquité, et tout ce qui s’y rapportait, resterait le domaine du nu. D’ailleurs, cette antiquité, l’Église l’aimait car c’est elle qui l’avait sauvée. Pour elle, la mythologie, devenue sans danger, restait un enchantement ; elle était pour le chrétien, qui savait où était la vérité, le charme des heures de loisirs, le délassement d’une vie sévère. Les Jésuites, qui étaient alors les grands éducateurs, en jugeaient ainsi. La Réforme catholique, qui avait voulu l’art religieux irréprochable, laissa donc toute sa liberté à l’artiste lorsqu’il travaillait en dehors des églises. De grands peintres, comme les Carrache, Rubens, et bien d’autres, surent en profiter. On ne saurait donc dire que la Réforme catholique condamna le génie de la Renaissance : elle se contenta de ramener la décence dans l’art religieux.

La deuxième conséquence du décret du concile de Trente, c’est la prohibition de tout ce qui pourrait paraître un manque de respect, le sacrifice à un décor, à des épisodes inutiles, dans les œuvres destinées à l’église. Nous en avons cité un exemple typique quand nous avons raconté les démêlés de Veronese avec l’Inquisition à propos de son tableau de La Cène. Ainsi désormais, dans un tableau religieux, rien ne doit éloigner la pensée du sujet : il faut contraindre l’imagination à se fixer. Ces idées entrèrent profondément dans l’esprit des artistes. Le Brun jugera, par exemple, que la crucifixion la plus parfaite est celle qui ne comporte que trois personnages : le Christ, la Vierge et saint Jean, parce rien ne vient détourner le chrétien de sa pieuse méditation. Comme nous sommes loin, non seulement de l’art de Tintoret, mais de celui de tous les artistes du xve siècle ! Dans la France du xviie siècle, l’austère gravure d’un tableau de Guido Reni, de Philippe de Champaigne ou de Le Sueur, apparaîtra comme la forme irréprochable de l’art religieux.

 

Art religieux, art profane

Cet idéal avait sa noblesse, mais on ne pouvait y atteindre qu’au prix d’énormes sacrifices. J’attire l’attention du lecteur sur ce que je vais écrire : on vit alors se détacher de l’art religieux le paysage, la nature morte, la scène familière qui, jusque là ne s’en séparaient pas. C’est capital pour l’histoire de l’art. Pendant des siècles, l’art religieux avait été l’art total. Il y eut désormais deux arts : un art religieux, un art profane. Ce fut un coup terrible pour le paysage qui hésita longtemps à vivre de sa propre vie. Les premiers paysagistes furent totalement désemparés. Comme Annibal Carrache, Paul Brill et Claude le Lorrain, ils continuèrent longtemps à faire cheminer quelques personnages sacrés dans leurs paysages. Il faudra attendre Ruysdael, en 1650, pour oser peindre la nature solitaire, en n’emplissant ses paysages que de la mélancolie de l’âme humaine. Ainsi, en concentrant l’art religieux, la Réforme catholique en sépara définitivement l’art profane.

Il y avait une troisième manière de manquer aux règles du Concile : c’était de ne pas donner assez de noblesse aux personnages évangéliques eux-mêmes. C’est ainsi que l’Église se montra sévère pour ce peintre novateur, révolutionnaire, que fut le Caravage ; nous le verrons plus tard.

Le Caravage s’écartait trop de la grande tradition chrétienne, faite de noblesse et de beauté ; ses œuvres avaient ce caractère " insolite " qui inquiétait le concile de Trente. La Réforme catholique fut sévère pour lui.

Enfin, le Concile condamnait les œuvres qui propageaient des idées erronées. Allait-on alors proscrire la " Légende dorée " qui avait fait la joie de tous les artistes du Moyen Âge ? Pendant les années qui suivirent le concile de Trente, les censeurs firent preuve de zèle. Ainsi, par exemple, depuis le xive siècle, les peintres représentaient souvent la Vierge pâmée, étendue au pied de la croix, lors de la crucifixion. Or l’Évangile dit qu’elle se tenait debout : stabat. Alors, cette image de la Vierge à moitié évanouie, qui avait touché et ému tant de chrétiens, paru soudain inconvenante. On l’interdit. De fait, beaucoup d’artistes se soumirent à l’interdiction. Rubens, Van Dyck, Philippe de Champaigne, peignirent toujours la Vierge debout. Mais d’autres comme Lanfranco, Simon Vouet, Perrier, continuèrent de la représenter évanouie, au grand mécontentement des rigoristes qui, comme le Père Jésuite Maselli, écrivait : " Je ne sais comment peut s’excuser la grave négligence de ceux qui sont chargés d’appliquer les décrets du concile de Trente sur les images ".

L’Église donc, ne fit pas toujours respecter ses décisions et, à côté de la nouvelle iconographie, née du Concile, elle laissa l’ancienne se perpétuer. L’Église ne fit pas de coup d’état ; elle se montra conciliante, modérée, indulgente pour les anciennes traditions.

 

L’art façonné à l’image de l’Église

Elle a fait mieux que lutter contre l’ancien art religieux : elle l’a pénétré d’un autre esprit. Quand on aborde le xviie siècle après avoir étudié Raphaël et les autres peintres du xvie siècle, on croit entrer dans un autre monde. Pendant la Renaissance, l’art chrétien, même s’il avait perdu sa ferveur, était serein comme l’art antique ; il exprimait le repos dans la foi ; il fuyait l’expression de la douleur ; il voilait l’image de la mort.

Au xviie, c’est tout le contraire. L’art semble revenir en arrière, au Moyen Âge ; il lutte contre l’hérésie ; il représente l’élan de tout l’être vers Dieu ; il représente le martyre dans toute son horreur ; il représente la mort et sculpte des squelettes sur les tombeaux ; il retrouve le pathétique du xve siècle. Ainsi, l’Église, sans violence, en laissant les vieilles légendes en repos, transforma l’art chrétien. La Réforme catholique ardente et passionnée, qui connut la lutte et le martyre, nous allons le voir, l’angoisse et l’extase des grands mystiques, façonna l’art à son image.

Ce qui est remarquable, c’est qu’elle a rencontré des artistes dociles, tout pénétrés de l’esprit chrétien de leur temps. On croit souvent que les peintres de la fin du xvie siècle et de tout le xviie siècle étaient à peu près indifférents aux sujets qu’ils représentaient et qu’ils ne se préoccupaient que de la technique, de la ligne et de la couleur. C’est une très grande erreur. Pour le démontrer, je vais prendre seulement un ou deux exemples, mais je pourrais en aligner des dizaines. Le grand Rubens, qu’on croit indifférent, participait tous les matins à la messe, avant de se mettre au travail. Ainsi, n’attacher aucune importance à cette foi de Rubens c’est ne pas le comprendre. Van Dyck faisait partie de la Congrégation de la Vierge.

Sait-on comment Le Guerchin programmait ses journées ? Levé de bon matin, il passait une heure en prière, puis il entendait la messe. Il se mettait alors au travail et ne sortait qu’au coucher du soleil pour aller prier dans une église. Le vendredi, il assistait aux exercices de la Confrérie de la Bonne Mort dont il faisait partie. Ce jour-là, il emportait une bourse pleine et la vidait entre les mains des pauvres. À ses élèves, en même temps que la peinture, il enseignait la décence du pinceau : " Ne peignez jamais, leur disait-il, des tableaux trop libres : Dieu laisse leurs auteurs dans le Purgatoire aussi longtemps que durent ces œuvres dangereuses ".

Je pourrais continuer ainsi pendant longtemps. Je me contenterai de dire, pour terminer ce sujet, que le grand Tiepolo lui-même, qui ne semblait né que pour exprimer les joies de la vie, faisait partie de la Confrérie du Carmel. Je dirais encore que, même au xviiie siècle, beaucoup d’artistes restaient toujours profondément chrétiens comme Bouchardon qui, après la mort de sa femme, écrit : " J’aurais succombé à l’affliction, si Dieu ne m’avait secouru, en qui j’ai mis toutes mes espérances ".

Certes, ces bons chrétiens n’avaient pas toutes les vertus. Ils étaient souvent passionnés, violents, irritables ; ils se défendaient mal contre leur sensibilité. Les femmes firent le tourment du pieux Sacchi, qui se jetait à genoux devant la Vierge. Guido Reni, que sa piété, sa vie pure, sa charité, faisaient considérer comme le type de l’honnête homme, ne pouvait résister à sa passion pour le jeu. Mais ils savaient se repentir de leurs fautes. Augustin Carrache, qui n’avait pas été sans reproches, termina sa vie chez les Capucins de Bologne en priant et en peignant un saint Pierre pleurant ses péchés. Et, – c’est peut-être plus joli –, Allori changea de vie, peignit sa belle maîtresse en Judith portant la tête coupée d’un Holopherne qui était lui-même, et entra dans la Confrérie la plus austère de Florence.

Pour être, non pas complet, mais le moins incomplet possible, il faudrait faire une large part à l’Espagne où, pendant tout le xviie siècle, l’art apparaît comme une véritable fonction religieuse. Il était d’ailleurs si intimement lié à l’Église que beaucoup de moines et de prêtres étaient peintres et, certains, de grands peintres. Rien que dans l’Ordre, pourtant très austère, des Chartreux, on compte sept grands peintres dont le célèbre Sanchez-Cotan. On pourrait faire le même inventaire également en Italie et on ne saurait oublier que les Jésuites eurent à leur service l’illustre P. Pozzo.

 

Des artistes formés par l’enseignement de l’Église

Tous ces artistes étaient formés à l’enseignement de l’Église par les sermons, les retraites fréquentes, les livres de piété. Ils étaient donc en parfaite harmonie avec la pensée religieuse de leur temps, de sorte que, sans avoir reçu de directives précises, ils devaient être les fidèles interprètes du catholicisme de la Réforme catholique. Mais, presque toujours ils recevaient en plus, des programmes détaillés auxquels ils se soumettaient fidèlement. Quant Rubens fut chargé de décorer l’église des Jésuites d’Anvers, par exemple, il s’engagea à peindre trente neuf panneaux " conformément, dit le contrat, à la liste à lui remise par le supérieur ". C’est partout la même chose. À Paris, Le Brun, travaillant pour la chapelle de saint Sulpice, se conforme très exactement au programme que Monsieur Olier lui a tracé. Dans les églises des Ordres religieux, on voit une pensée directrice qui n'abandonne rien à la fantaisie des artistes. On sent que l’Église a repris la direction de l’art, comme au Moyen Âge.

Les sujets que l’on demandait au peintre répondaient aux sentiments religieux du temps. En particulier, l’art religieux devint l’auxiliaire de la Réforme catholique et fut un des aspects de l’apologétique du moment. Or, le principal souci de l’Église du xvie et du xviie siècle, c’était de défendre ce que le Protestantisme attaquait. L’art devint le défenseur de la Vierge, des saints, de la Papauté, des images, des sacrements, des œuvres et des prières pour les morts. Nous allons donc, un peu schématiquement, examiner le rôle apologétique de l’art, auxiliaire de l’Église dans sa lutte contre le Protestantisme.

 

L’art, serviteur de la réforme catholique

Il faut imaginer ce qui se passait dans l’âme d’une religieuse espagnole, d’un frère mendiant italien ou d’un paysan français quand il entendait dire que les Protestants d’Allemagne, et d’ailleurs, brisaient les statues de la Vierge, brûlaient les crucifix, cassaient les vitraux, démolissaient les statues des saints, tournaient la messe en dérision, niaient la présence du Christ dans l’eucharistie, insultaient la Vierge. On comprend le désespoir de sainte Thérèse d’Avila et ses élans de charité : " Je donnerais mille fois ma vie, disait-elle, pour sauver une seule de ces âmes égarées. "

Cette détresse fut celle de l’Église catholique tout entière. Allait-elle être emportée par la tempête ? La profonde tristesse de ce temps, nous l’avons vu, fut exprimée par Michel-Ange aux tombeaux des Médicis. Ses personnages ont renoncé à toute espérance, contemplent la vie avec mépris, ou s’enfoncent dans le sommeil. Le pape Clément VII, voyant par-dessus le marché des Turcs s’emparer du royaume chrétien de Hongrie et s’approcher des murs de Vienne, crut que la fin du monde était proche et demanda à Michel-Ange de peindre Le Jugement Dernier sur le mur de la chapelle Sixtine.

Puis l’Église retrouva en elle la foi et l’amour qui sauvent, affirma ses dogmes au concile de Trente, se réforma elle-même, et entreprit, avec l’aide des Ordres religieux et en particulier des Jésuites, de reconquérir ce qui était perdu en Europe. Pendant un siècle et demi, la lutte contre le Protestantisme fut sa pensée de tous les instants. De grands penseurs l’y aidèrent par leurs écrits, en particulier Canisius et Bellarmin. Et l’art lui-même entra dans la controverse.

Le Protestantisme avait détruit les images et interdit l’art religieux. Les églises, transformées en temple, furent blanchies à la chaux et devinrent aussi nues que les synagogues ou les mosquées. À cette nudité, l’Église catholique opposa, dès le xvie siècle, la splendeur des couleurs, des marbres et des métaux précieux. Généralement, on voit dans cette richesse, qui contraste avec la simplicité des édifices de la renaissance, une perversion du goût. Ce n’est pas très juste ; il est plus exact d’y voir une prise de position systématique, un argument, un chapitre de la controverse religieuse. Le dogme de la présence réelle justifiait toutes les magnificences et l’Église affirmait ce que les Protestants niaient. Le dépouillement volontaire du temple protestant explique, dans une bonne mesure, l’art catholique fastueux du xviie siècle.

Les destructions des Réformés iconoclastes rendirent les images plus chères aux catholiques. On racontait que quelques-unes d’entre elles, sensibles aux injures des hérétiques, avaient versé des larmes ; que d’autres, frappées par des profanateurs, avaient versé du sang. Alors, on se mit à aimer d’autant plus les statues qu’on les savait menacées. On devint plein de dévotion pour celles qui ornaient les maisons, les carrefours. On se mit à transporter à l’intérieur des églises, dans de riches sanctuaires, les plus célèbres d’entre elles. À Rome, saint Philippe de Néri fit mettre sur l’autel de la Chiesa Nuova une image miraculeuse de la Madone qui décorait le mur d’une maison voisine. C’est cette Vierge que Rubens a peinte plusieurs fois. C’est elle, en particulier, que l’on voit invoquée par saint Grégoire et les martyrs romains au Musée de Grenoble.

C’est pour honorer la célèbre Vierge de Sainte-Marie-Majeure, que l’on croyait être le portrait authentique de la Mère de Dieu, peint par saint Luc, que le pape Paul V fit construire, en 1610, la magnifique chapelle, revêtue de marbres, qui s’élève à gauche du chœur de la basilique. Cette chapelle est ornée de tableaux qui, tous, sont des exemples caractéristiques de la lutte engagée par l’art contre le Protestantisme : " Mort de l’Empereur byzantin iconoclaste Léon l’Arménien ", par Baglione ; " Victoire de l’Empereur Heraclius sur les Perses, avec l’aide de la Vierge ", par Guido Reni… Ce ne sont que des exemples parmi des milliers d’autres.

 

Faire refleurir l’art chrétien

Mais le meilleur moyen que l’Église trouva de confondre le protestantisme iconoclaste, ce fut encore de faire refleurir l’art chrétien, dès la fin du xvie siècle. A Rome et dans toute l’Italie, on est stupéfait de la quantité d’œuvres d’art des xviie et xviiie siècles. C’est prodigieux. Il y a là un témoignage imposant de l’extraordinaire fécondité de l’art chrétien après la Réforme. L’Espagne est aussi riche que l’Italie. La France elle-même, si l’on en juge par les anciennes descriptions, ne le cédait peut-être pas aux autres pays catholiques, mais, malheureusement, la Révolution française a ruiné les églises. Pour l’Occident en général, on peut dire que le xviie siècle a presque autant produit que les grands siècles du Moyen Âge. Ainsi, aux Protestants qui voulaient faire de la religion quelque chose de purement spirituel, l’Église répondit en multipliant les images, où elle voyait, comme autrefois, un perpétuel enseignement. " Si nous étions des anges, écrivait Canisius, nous n’aurions besoin ni d’églises, ni de culte, ni d’image, mais nous ne sommes que des hommes. Liée à cette lourde chair, notre âme s’élève quelquefois, mais elle retombe bientôt. Il est nécessaire que l’Église nous rappelle sans cesse ce que nous sommes toujours prêts à oublier. "

C’est surtout contre les images de la Vierge que s’acharnaient les Protestants. Tous, quelque soit leur confession, accusaient la Vierge d’avoir remplacé le Christ. Ils disaient que c’est elle que les catholiques adorent et non pas son Fils Jésus-Christ. Ils réduisaient à presque rien son rôle dans l’œuvre de la Rédemption. Ils enlevaient à la Vierge toute beauté, toute poésie, toute grandeur. Calvin, surtout, essayait d’enlever de la mémoire des hommes cette merveilleuse figure que chaque siècle avait rendue plus parfaite et où l’humanité avait mis tout ce qu’elle avait dans le cœur de bonté, de douceur, de pureté. Cette Vierge, qui avait soulevé le Moyen Âge, inspiré les saints, les artistes et les poètes, fait sortir de terre les cathédrales, on voulait la supprimer à la chrétienté.

L’Église ne se la laissa pas ravir et elle la défendit avec toute sa science et tout son amour. Tous les Ordres religieux en devinrent les champions, surtout les Jésuites qui écrivent dans leur programme, à la fin du xvie siècle : " Nous prenons la résolution d’honorer la Vierge d’une façon toute particulière, en voyant les hérétiques l’injurier et déchirer ses images ".

 

La Vierge Marie et l’art chrétien

On se mit à célébrer la Vierge avec une ferveur ardente. On lui rendit d’abord la beauté. On l’entoura de toute la poésie dont les Protestants l’avaient dépouillée. Amusons-nous un instant à énumérer les noms des églises consacrées, alors, à la Vierge, dans la seule ville de Naples : c’est très instructif. Elles s’appellent : Sainte-Marie-de-l’Étoile, Sainte-Marie-de-la-Rose, Sainte-Marie-de-la-Neige, Sainte-Marie-Porte-du-Ciel, Sainte-Marie-de-la-Splendeur, Sainte-Marie-de-la Solitude, Sainte-Marie-des-Anges, Sainte-Marie-des-Servantes, Sainte-Marie-des-Ames. N’est-ce pas suggestif ?

On était si sensible à cet enchantement du mot qu’on fit des recueils entiers des beaux noms donnés à la Vierge à travers les siècles. On lui consacra des livres qui dépassent quelquefois en ferveur les livres du Moyen Âge lui-même, et de curieuses œuvres d’art se mirent à illustrer cette pensée. La Vierge y apparaît comme la lumière des docteurs qui luttent contre l’hérésie. Parmi des centaines et des centaines, je vais en prendre un seul exemple où Marie vient récompenser son champion. À Sainte-Marie-Majeure, Guido Reni nous montre cela dans une fresque consacrée à saint Isidore. Une nuit que le saint évêque était allé prier dans la cathédrale de Tolède, il la trouva illuminée d’une clarté si étrange que ceux qui l’accompagnaient, effrayés, prirent la fuite. Isidore marcha seul vers l’autel et il vit la Vierge, éblouissante de lumière, lui présenter une merveilleuse chasuble. Elle voulut de la sorte, nous dit l’inscription, lui marquer sa reconnaissance " d’avoir défendu sa gloire en réfutant les hérétiques ".

Comme il ne peut être question d’énumérer, d’une manière à peu près complète, les compositions faites par les artistes, en l’honneur de la Vierge, artistes guidés et dirigés par les écrivains et les autorités religieuses, je me contenterai de dire que, toutes, elles annoncent que la Vierge triomphera un jour de l’hérésie. Je veux aussi illustrer ce propos par une seule image nouvelle, plus populaire, mais qui a encore aujourd’hui une large audience. Pour exprimer symboliquement la victoire de la Vierge sur l’hérésie, on se mit alors à la représenter, en statue ou en peinture, foulant aux pieds le serpent. Rapidement, cette nouvelle image se répandit dans toute l’Europe catholique.

Il peut sembler que cette image soit uniquement destinée à glorifier l’Ève nouvelle, celle qui a effacé la faute d’Ève ancienne et écrasé la tête du serpent, c’est à dire du mal. Mais, pour les plus graves théologiens, ce n’est pas seulement le mal en général qu’elle écrase, mais l’hérésie. On reprend alors la phrase de saint Bernard qui écrivait : " En écrasant la tête du serpent, elle a, à elle toute seule, écrasé toute la perversité des hérésies ". Pour écraser ce serpent, souvent son fils Jésus l’aide en mettant son pied sur celui de sa mère. C’est ainsi, par exemple, que Le Caravage représente la scène dans son célèbre tableau, refusé par les Chanoines de saint Pierre et aujourd’hui à la Galerie Borghèse. Quelquefois Jésus, dans les bras de sa mère qui a le serpent sous son pied, transperce celui-ci de la hampe de sa croix.

Mais il y a encore un autre thème qui eut bientôt la faveur des peintres, après celle des théologiens. On se mit à affirmer et à glorifier la Conception Immaculée de la Vierge, conçue par Dieu avant tous les siècles et affranchies de la loi du péché. Ce n’était pas encore un dogme, mais c’était la pensée profonde de l’Église, bien que le pape Pie V ait défendu de débattre de ce sujet. Les Jésuites se firent les ardents défenseurs de cette croyance et tous les Ordres religieux suivirent. Ainsi l’Église proclamait que la Vierge a échappé au péché originel et qu’elle n’a même pas été effleurée par le plus petit péché véniel. C’était prendre directement le contre-pied des Protestants qui s’efforçaient de diminuer le rôle de la Vierge dans l’œuvre de la Rédemption : " Il est certain, avait écrit Luther, que le Christ a été avant tous les siècles ; mais dire cela de Marie, c’est dire un pur mensonge, c’est blasphémer contre Dieu ". L’Église ne lui répondit pas seulement par ses docteurs, mais aussi pas ses artistes.

Les représentations de la Vierge de l’Immaculée-Conception se multiplièrent à Rome et dans l’Europe catholique sous diverses formes, dont certaines sont d’ailleurs très originales. Par exemple, à l’Aracoeli de Rome, l’artiste représente la Vierge avant la création de l’homme, assistant au combat de saint Michel contre le démon. Puis, il nous la montre au moment où Adam et Ève sont chassés du paradis terrestre : debout sur le serpent elle fait pressentir la rédemption au moment même de la chute.

Mais ces images, et d’autres encore, étaient faites plutôt pour des théologiens et risquaient de n’être pas comprises de tous. Alors, on vit se multiplier une image plus simple, qui remontait aux premières années du xvie siècle. La Vierge, les mains jointes, les cheveux sur les épaules, y apparaissait entre les symboles des litanies. Dieu, du haut du ciel, contemplait cette Vierge Immaculée, fille de sa pensée, née avant le commencement des temps. Les Français s’en emparèrent et la multiplièrent, et les Espagnols, puis les Italiens, l’adoptèrent. C’est la fameuse Vierge de l’Immaculée-Conception qui a été peinte une multitude de fois par Le Gréco, Murillo, Ribera, Roellas, le Dominicain, Maratta, et des centaines d’autres peintres. Cette magnifique image de la Vierge l’élève bien au-dessus des controverses. Il semble qu’elle soit entrée dans une région où les attaques des novateurs ne peuvent plus l’atteindre. Elle a la sublimité d’une idée éternelle et le Moyen Âge lui-même n’a rien conçu de plus haut.

 

L’art et la primauté de Pierre

Après la Vierge, c’est la papauté que les luthériens, les calvinistes et les autres protestants attaquaient avec le plus de vigueur car ils étaient convaincus, qu’en l’ébranlant, ils préparaient la ruine de l’Église catholique. Pour eux, le pape, c’était celui qui renie Jésus-Christ, qui prend le contre-pied de son enseignement : c’est l’Antéchrist. Pour enlever à la Papauté son caractère surnaturel, ils donnaient une explication nouvelle des passages de l’Évangile qui se rapportent à la primauté de saint Pierre. C’est ainsi que selon eux, quand Jésus dit à Pierre : " Je te donnerai les clefs du Royaume, tout ce que tu liras sera lié… ", il s’adresse au collège apostolique tout entier, et Pierre n’est ici que le représentant des Apôtres. Selon Calvin, lorsque le Christ dit à Pierre " Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église ", il a voulu dire que l’Église aurait pour fondement Jésus lui-même, car il n’y a pas d’autre pierre que le Christ. D’ailleurs, disait-il, saint Pierre n’est jamais venu à Rome et il est probable qu’il est mort à Jérusalem.

Les Jésuites, et Bellarmin en particulier, répondirent avec une force de dialectique et une science des textes qui porta le trouble chez les réformés et affermit la foi chez les catholiques. L'art répondit à son tour aux protestants et l'on vit se multiplier Les remises des clefs à saint Pierre. C’est dans cet esprit qu’il faut comprendre deux décors élevés par Le Bernin dans la basilique Saint-Pierre, décors qui choquent souvent le visiteur.

Le premier, c’est un monument géant, le fameux baldaquin, qui marque l’emplacement de la tombe de saint Pierre. Les extraordinaires fouilles qui ont été menées, d’une manière très scientifique, sous l’église actuelle, ont confirmé la présence de cette tombe du chef des apôtres, exactement sous ce baldaquin. Par cet immense baldaquin, Le Bernin et l’Église voulaient donc simplement affirmer la présence de Pierre à Rome, sa sépulture, et illustrer l'immense inscription qui fait le tour de la coupole, au-dessus de la tombe, et que les Protestants voulaient dénaturer : " Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église ".

Dans l’abside de la basilique, un autre monument du Bernin, pas très heureux d’ailleurs, exprime la même idée, la même doctrine. Au milieu des rayons de bronze doré où flottent des anges, le tout couronné par la tiare et les clefs, les quatre grands Pères de l’Église, saint Augustin et saint Ambroise pour l’Église latine, saint Athanase et saint Jean Chrysostome pour l'Église grecque, portent un reliquaire en forme de fauteuil. Dans ce reliquaire a été placée l’antique chaire, que la tradition dit être celle que saint Pierre utilisait pour enseigner et qui, jusqu’alors était reléguée au fond d’une chapelle. Ainsi l’art rendait sensible l’idée souvent exprimée que, comme le disait le célèbre Père Coton, " en face de la chaire de pestilence, il y a une chaire de vérité ", qui est celle de saint Pierre. C’est de cette chaire seulement que l’on a le droit d’enseigner. Elle symbolise la perpétuelle durée de la doctrine et la promesse d’infaillibilité qui lui a été faite : elle a triomphé de toutes les hérésies au cours des siècles ..

À ces œuvres uniques, il faut encore ajouter toutes les peintures qui dans toute l’Europe, mettent en scène saint Pierre exerçant son primat sur les apôtres et sur l’Église : Pierre marchant sur les eaux, auquel Jésus tend la main ; Pierre et Simon le Magicien ; Pierre guérissant les malades ; Pierre dans la scène du Quo vadis, cette rencontre de Jésus et de Pierre aux portes de Rome ; la Crucifixion de Pierre la tête en bas… Toutes ces scènes avaient pour but, soit d’affirmer, contre les Réformés, que saint Pierre était le chef de l’Église et que les papes, quels qu’ils fussent, étaient ses successeurs légitimes, soit que saint Pierre avait vécu à Rome et qu’il y était mort. Ces représentations, on les retrouve partout sorties du pinceau des Carrache, de Bourdon, de Guerchin, de Rubens qui peint trois fois La Remise des clefs. D’innombrables autres scènes, présentaient à la chrétienté tout ce que la papauté avait fait pour elle au cours des siècles alors que les Protestants la décrivaient comme le scandale permanent de l’Église.

Les papes éducateurs

De plus, défenseurs de la chrétienté, les papes voulurent en être les éducateurs. Ils crurent à la grandeur de l’esprit humain et réunirent au Vatican les livres des écrivains de l’antiquité en même temps que les écrits des Pères de l’Église. Ils laissèrent les Protestants les appeler des Païens. Ils firent peindre les effigies de ces Pères, des écrivains antiques et les fondateurs des grandes bibliothèques de l’Antiquité, celle de Babylone, d’Athènes, de Pergame, d’Alexandrie, de Byzance. Les papes du xvie siècle firent un effort considérable pour enrichir et décorer leur bibliothèque. Ils firent construire sa double et immense nef par Fontana. Aux sarcasmes des réformateurs, la Papauté répondit en soutenant la science, en accroissant le trésor de ses livres, de ses manuscrits, en élevant des églises, des palais, et surtout des fontaines, en faisant peindre des fresques et sculpter des statues, enfin en ajoutant beaucoup à la beauté du monde. Les fontaines de Rome sont célèbres.

L’art et le culte des morts

La querelle des indulgences avait marqué le commencement de la Réforme. Les Protestants, qui refusaient de croire à leur vertu, furent bien vite amenés à dépasser ce stade et à nier l’existence du Purgatoire. Selon eux, il est inutile, car Jésus Christ a satisfait pour nous, et son sang nous a lavés, une fois pour toutes, de nos péchés. Il est donc vain de prier pour les morts.

De toutes les négations du Protestantisme, c’est peut-être celle qui parut la plus inhumaine aux catholique. Quoi ! pensaient-ils, les païens apportaient du lait, du vin, du miel à leurs morts, et les chrétiens ne pourraient plus leur apporter leurs prières ! Ils ne pourraient pas travailler pour ceux qui ont cesser leur travail, (c’est le sens du mot " défunts ") mérité pour ceux qui ne méritent plus ! Après avoir perdu un être cher, ils ne pourraient plus rester en contact avec lui ! C’était heurter un des sentiments les plus profonds de la nature humaine. Que pouvaient penser nos paysans de la Vieille France qui avaient souvent entendu raconter, à la veillée, que les pauvres morts venaient parfois, d’une manière ou d’une autre, demander des prières aux vivants ?

L’Église défendit des sentiments vieux comme l’humanité. Elle cita, d’abord, le témoignage de la Bible qui, dans le livre des Macchabées, dit : " C’est une chose sainte de prier pour les morts afin qu’ils soient délivrés de leurs péchés ". Puis, elle se mit à établir la nécessité du Purgatoire. Nous n’allons pas la suivre dans ces hauts raisonnements théologiques.

Il était difficile à l’art d’exprimer cette haute théologie. Il s’y essaya pourtant, en lui donnant des formes simples, frappantes, compréhensibles pour tous. Par exemple, Rubens peignit un tableau représentant Judas Macchabée priant pour les morts : il est au Musée de Nantes. On se mit à représenter les flammes du Purgatoire. Au Gésu, à Rome, l’art montre des anges plongeant dans la mer de feu, en retirant des âmes sous la forme de petites figurines et les présentant au Christ et à la Vierge, assise dans le ciel à ses côtés.

Quelquefois, chez Annibal Carrache, par exemple, l’Enfant Jésus, assis sur les genoux de sa mère, participe à la délivrance en versant de l’eau sur les flammes. Au musée Brera à Milan, Salvator Rosa fait amener à Marie et à Jésus, par les anges, les âmes affranchies.

Ces tableaux consacrés au Purgatoire se multiplièrent avec les Confréries qui priaient pour les défunts. Pour répondre au Protestantisme, celle de Rome, avec les encouragements du pape Clément VIII, avait construit, en 1590, une église spécialement destinée à la prière pour les morts : Santa Maria del Suffragio. Par une bulle spéciale, le pape l’autorisa à s’agréger toutes les confréries analogues qui existaient dans le monde. Il y en avait des milliers. Elles prirent pour patron saint Grégoire qui consacre presque tout le quatrième livre de ses " Dialogues " à la prière pour les morts.

Un épisode de sa vie, qu’il raconte lui-même, prouvait l’efficacité des messes dites pour les morts. Un de ses moines, avant de mourir, avoua qu’au mépris de la Règle, il avait gardé trois pièces d’or. Indigné qu’il eut ainsi manqué à la sainte pauvreté, saint Grégoire ordonna qu’on l’ensevelit hors du cimetière avec son or. Mais bientôt son cœur s’émut : à sa demande, un prêtre dit pendant trente jours une messe pour le repos du coupable. Le trentième jour, le mort apparut à son frère, moine, lui aussi, dans le monastère du Mont Coelius, lui annonça que le sacrifice de la messe avait abrégé ses peines, et qu’il entrait maintenant dans la lumière. C’est l’origine du " Trentin grégorien ", encore ancré dans la dévotion d’aujourd’hui.

Ce récit fut si célèbre qu’on vit se multiplier les tableaux faisant apparaître saint Grégoire et les Ames du Purgatoire. En Italie, il y en a des milliers. Le plus poétique d’entre eux est peut-être celui de Crespi, dans l’église saint Victor de Varèse, où l’art devient une vision et semble ouvrir une fenêtre sur l’autre monde.

En France et dans les Flandres, -en Italie également-, saint Grégoire est remplacé très souvent par d’autres saints. Ainsi, au musée d’Anvers, dans un tableau de Rubens peint pour les Carmes, c’est sainte Thérèse qui intervient. A saint Nicolas du Chardonnet à Paris, c’est saint Ignace et saint François Xavier. En Espagne, où les Confréries eurent et ont encore une importance énorme, tous les saints sont mobilisés pour secourir les âmes. Ainsi, ces milliers de tableaux où le Purgatoire est affirmé, sont nés des négations du protestantisme et de l’esprit de la Réforme catholique.

L’art et le sacrement de pénitence

Hostiles aux indulgences et au purgatoire, les Protestants le furent aussi aux sacrements. Le premier qu’ils rejetèrent fut le sacrement de la pénitence, puis, après beaucoup d’hésitations, ils finirent par ne donner qu’une valeur purement symbolique au sacrement de l’eucharistie.

Ils jugeaient la confession inutile parce que, pour eux, le véritable sacrement de la pénitence c’était le baptême ; ceux qui commettent une faute, disaient-ils sont réconciliés par le souvenir du baptême.

Les théologiens catholiques eux, établissaient la nécessité de la confession et du repentir. Alors, les repentirs des saints et en particulier de saint Pierre, devinrent l’un des sujets favoris des peintres, des sculpteurs, et même des poètes. Malherbe, par exemple, écrivit un beau poème sur les larmes de saint Pierre. Parmi les grands peintres du temps, Les Repentirs de saint Pierre du Greco (6 ou 7), d’Annibal Carrache, de Guido Reni, de Lanfranco, de l’Albane, de Carlo Dolci, de Velasquez, de Ribera .. sont célèbres. Le grand sculpteur français Puget en a fait plusieurs. Je crois que tous les artistes de la fin du xvie et du xviie ont peint cette scène ; certains l’ont fait plusieurs fois. Ainsi le premier des papes donnait l’exemple du repentir et on affirmait que, quoi qu’en disait Calvin, les prédestinés eux-mêmes pouvaient pêcher et avaient besoin d’être pardonnés.

Mais, dans l’Écriture, on trouvait encore un autre exemple à opposer aux Protestants : c’était celui de Marie Madeleine. Les images de Marie-Madeleine pénitente devinrent donc, dans l’art chrétien, le symbole même du repentir. Cette beauté qui s’évanouissait peu à peu dans un lieu retiré, loin du regard des hommes, était l’image la plus pathétique de la pénitence qu’il fut possible d’imaginer. Ce beau sujet passionna le xviie siècle. Tous les peintres, grands ou petits, le traitèrent des milliers de fois, pas seulement pour les églises, d’ailleurs, mais aussi pour les palais des grands et les maisons des simples particuliers. Cette grandeur de l’expiation, cette vertu des larmes, étaient pour les catholiques un perpétuel sujet de méditations. Je pense qu’aucun des grands peintres du siècle n’égala Ribera dans sa Madeleine agenouillée du Prado à Madrid. Son pur visage, ses longs cheveux, ses belles épaules, gardent encore sa radieuse beauté, mais sa bouche douloureuse, ses yeux levés au ciel, son rayonnement lumineux la séparent du monde, lui confèrent une noblesse plus haute que la beauté.

En France, on connaît particulièrement les trois célèbres Marie Madeleine peintes par Georges de la Tour dont l’une, celle appartenant à la famille Fabius, a été vendue par ses propriétaires, il y a quelques années, à un musée de New York.

D’autres personnages encore, illustrèrent l’image du repentir car cette idée est sans cesse présente aux âmes. Certains peintres illustrent celui de David implorant son pardon : " Oublie mes crimes, Seigneur ". Rubens, lui, dans son magnifique tableau de l’Alte Pinakotek de Munich, représente auprès du Christ, quatre pêcheurs qui demandèrent pardon de leurs péchés : saint Pierre, Marie-Madeleine, le bon larron et le publicain. Un tableau de Zeguers est encore plus complet car, à ces quatre là, il ajoute l’enfant prodigue.

Mais, bientôt, l’art put célébrer le héros même de la confession, le martyr du silence : saint Jean Népomucène. C’était un chanoine de Prague. En 1383, il avait refusé de révéler au roi Wenceslas la confession de la reine, dont il était le confesseur. Après l’avoir vainement emprisonné et torturé, le roi le fit jeter dans la Moldau, du haut du grand pont de Prague. Ce ne fut qu’au xviie siècle que son culte, limité alors à la Bohême, fut répandu en Occident par les Jésuites qui luttaient contre l’hérésie chez le peuple Tchèque. Le saint devint alors, un sujet très prisé par les peintres qui le représentèrent assis dans son confessionnal.

En niant la pénitence, les Protestants avaient suscité, par réaction, des milliers de bien belles œuvres.

L’art et le sacrement de l’eucharistie

Mais, c’est surtout l’attitude des Protestants envers le sacrement de l’eucharistie qui allait provoquer la plus intense réaction. Certaines sectes le rejetèrent purement et simplement ; d’autres diminuaient le miracle et réduisait la part de Dieu. Ces subtilités irritaient le génie de Pascal qui disait : " Je hais ces sottises ; si Jésus-Christ est Dieu, quelle difficulté y a-t-il là ? " Les théologiens discutaient avec plus de calme ; ils montraient à leurs adversaires que le texte de l’Évangile ne pouvait avoir qu’une seule interprétation : celle qui était admise depuis seize siècles.

L’art, à son tour, exprima ce qu’enseignait l’Église.

Il est très curieux de constater que, pendant tout le Moyen Âge, les artistes qui peignaient la Cène, le dernier repas du Christ, aient représenté le moment où Jésus prononce la parole : " L’un de vous me trahira " et non pas celui où il dit : " Ceci est mon corps ". Au xve siècle, deux peintres seulement, le flamand Dirk Bouts et Fra Angelico, avaient lié la Cène et l’eucharistie. Nous dirons tout à l’heure que c’est la même chose pour la communion au Moyen Âge. Léonard de Vinci dans sa célèbre Cène de Milan, avait excité l’admiration universelle en peignant cette annonce de la trahison. Il semblait alors que l’image de la Cène ait été définitivement fixée.

Au moment de la Réforme catholique, on voit, avec surprise, le beau modèle de Léonard remplacé par un autre. Il ne s’agit plus, maintenant, de représenter l’annonce de la trahison, mais l’institution de l’eucharistie, d’affirmer ce que l’on nie ou ce que l’on discute.

La première forme de la Cène consacrée à l’eucharistie met, sous nos yeux, le Christ lui-même donnant la communion aux Apôtres. Le premier grand peintre qui la représente sous cet aspect, après l’exception de Fra Angelico, est Tintoret, dans sa grande peinture de San Giorgio Maggiore, à Venise. Malgré les dressoirs, ses corbeilles de fruits, ses servantes et ses chiens, on sent que la pensée de l’Église a pénétré jusqu’à lui.

Cette forme de la communion des apôtres va être très répandue en Italie et en France. Mais bientôt, une évolution va avoir lieu et l’aspect de la Consécration du pain et du vin, va devenir de plus en plus fréquent. Ainsi, on voit Baroche, qui représente la communion à Rome, représenter, l’année suivante, la Consécration, à Urbino. C’est la formule qui va régner, concurremment à la communion des Apôtres, dans toute l’Europe catholique. On la voit utilisée en France par Philippe de Champaigne, Poussin, d’autres encore ; en Espagne, par Ribalda. Rubens, lui, dans sa Cène du musée Brera, représente le Christ consacrant le pain au milieu des apôtres, tandis que derrière on voit un autel avec le missel et les cierges. On ne saurait rappeler plus nettement aux Protestants que la Cène fut la première des messes.

Bientôt, on fit communier les saints, souvent, d’ailleurs, par les anges et même la Vierge qui, très souvent, reçoit l’hostie que lui donne l’Apôtre saint Jean. Les peintres illustrèrent volontiers ce thème. On en a, par exemple, un beau spécimen à l’hôpital d’Aix en Provence. Dans certaines communions miraculeuses, c’est Jésus lui-même qui apporte l’hostie à des saints ou à des saintes, comme sainte Thérèse d’Avila et sainte Marie Madeleine de Pazzi.

On peut dire que c’est seulement à la suite des grandes luttes religieuses que l’eucharistie entra dans l’art. Chose extraordinaire, le Moyen Âge, qui avait créé la Fête Dieu, la fête du Corps du Christ, inventé les merveilleux hymnes au saint sacrement, fait monter ses cathédrales vers le ciel pour qu’elles fussent plus dignes de la présence réelle, le Moyen Âge mystique qui semblait suspendu à l’eucharistie, n’avait pratiquement jamais représenté la communion. Trois fois seulement, on voit des personnages communier : à la cathédrale de Reims, Melchisédech offre à Abraham, vêtu en chevalier, le pain sous la figure de l’hostie ; à Assise, sainte Marie Madeleine reçoit la communion des mains de saint Maximin et, au Campo Santo de Pise, sainte Marie l’Égyptienne communie des mains de Zozime. C’est tout pour cette riche époque qui dura plusieurs siècles. Au Xviie, au contraire, il n’y a rien de plus fréquent. Sans cesse, dans les tableaux, dans les fresques, les saints reçoivent l’eucharistie et souvent on les voit, au moment de la mort, s’unissant à Dieu une dernière fois avant de le contempler dans la lumière du Paradis. La dernière communion des saints devint l’un des plus beaux thèmes de l’art religieux.

Une autre conséquence, très importante, de cette glorification de l’eucharistie par la Réforme catholique, fut de changer l’emplacement du tabernacle. Auparavant, la Réserve Eucharistique était presque toujours conservée dans une armoire taillée dans le mur du sanctuaire, à gauche de l’autel principal. Ces armoires étaient d’ailleurs magnifiquement décorées dans les grandes églises. saint Jean de Maurienne, par exemple, possède encore un très beau tabernacle orné de motifs architecturaux imposants, et beaucoup d’autres églises aussi. Mais, désormais, ces armoires encastrées ne seront plus utilisées et on réservera au tabernacle la place d’honneur, au centre du retable qui décore le maître-autel. Tout ce retable sera consacré à glorifier le Christ présent dans le tabernacle. L’art baroque fera des prodiges d’habileté technique en l’honneur de ce Christ caché, dont la présence est signalée seulement par une petite lumière. Nous verrons cela longuement bientôt puisque nous consacrerons tout un article à l’art baroque. Là ou cela n’était pas possible à cause de la forme de l’autel, comme dans les grandes basiliques romaines où l’autel, recouvert d’un ciborium, ne pouvait recevoir un retable, les papes firent construire de rutilantes chapelles pour abriter la Réserve Eucharistique. Quand il s’agissait d’exalter l’eucharistie, rien ne semblait trop magnifique dans tout l’Occident catholique. On peut le constater à Saint-Pierre, à Saint-Jean-de-Latran, à Sainte-Marie-majeure, dans d’autres basiliques encore.

Cette eucharistie, Raphaël l’avait déjà glorifiée dans sa Dispute du saint sacrement. Une multitude de grands artistes lui consacrèrent leur talent, mais je crois qu’aucun peintre ne lui a rendu un hommage aussi prestigieux que celui que lui rend Rubens dans son extraordinaire suite de tapisseries du Prado, à Madrid. C’est l’une des œuvres qui expriment le mieux le caractère et l’esprit d’une époque.

C’est un splendide poème de l’eucharistie, où Rubens a mis son génie et où l’Espagne a mis sa foi profonde, son amour et son espérance. Ni l’Italie, ni la France du xviie siècle ne peuvent présenter une œuvre aussi grandement conçue. Comme toujours, en niant la présence du Christ dans l’eucharistie, la Réforme avait provoqué, par réaction, la naissance d’un chef-d’œuvre incomparable.

Un autre point de désaccord entre les réformés et l’Église catholique étaient la valeur des bonnes œuvres. Pour les réformés " bonnes œuvres " n’a aucun sens puisque rien de bon ne saurait venir de la nature humaine. L’homme est si profondément vicié qu’il ne peut jamais mériter, même avec la grâce. " Toutes nos œuvres, avait écrit Calvin, pour bonnes qu’elles soient, sont péché devant Dieu ". Amsdorffius avait publié un livre intitulé Que les bonnes œuvres sont pernicieuses au salut. Seule la foi dans la vertu du sacrifice de Jésus-Christ peut nous sauver et il n’y a pas d’autre péché que l’incrédulité. Luther avait traduit cette affirmation théologique par sa célèbre maxime populaire : Pecca fortiter, sed crede fortius (" Pêche fortement, mais crois plus fortement encore ")

L’Église répondait que la foi ne saurait sauver sans la charité. L’homme n’est pas seulement justifié par sa foi mais par ses œuvres. Elle reprenait la phrase de l’apôtre saint Jacques (II-17) :  " La foi sans les œuvres est chose morte dans son isolement " (24) : " On doit sa justification aux œuvres et pas seulement à la foi ". L’Église était fermement attachée à l’Évangile selon saint Matthieu : " Venez les bénis de mon Père prendre possession du Royaume qui vous a été préparé, car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire… "

À vrai dire, le désaccord entre Luther et l’Église de Rome était plus verbal que fondamental. Une discussion loyale, sans passion, eut permis un rapprochement salutaire qui aurait non seulement évité un schisme très douloureux et très néfaste, mais aussi provoqué des réformes vivifiantes pour l’Église. On vient d’en avoir la preuve avec l’accord signé en novembre 1999, à Augsbourg, entre le catholicisme et le Luthéranisme. Quatre siècles anti-unitaires eussent été évités.

Quoi qu’il en soit, au xvie siècle, l’art appuya la pensée de Rome à l’égard des œuvres. Vingt cinq ans avant le Concile, Michel-Ange, dans son Jugement dernier, où souffle déjà l’esprit de la Réforme catholique, avait illustré cette doctrine. Saint Pierre présentait ses clefs, c’est à dire ses œuvres, au Christ Juge, et saint Barthélemy sa peau écorchée.

Les négations de la Réforme firent fleurir les œuvres de charité catholiques. Saint Jean de Dieu et saint Vincent de Paul fondaient des ordres voués uniquement à la pratique de ces œuvres méprisées par les novateurs, et qu’ils appelaient, eux, les œuvres de miséricorde. Un des grands héros de cette charité active fut alors saint Charles Borromée, archevêque de Milan, mort en 1584 et canonisé vingt cinq ans seulement après sa mort, en 1610.

Il n’y a peut-être pas de saint, parmi les saints nouveaux, qui ait été représenté aussi souvent que lui par les peintres. Sa célébrité était si grande que, le lendemain de sa canonisation, on éleva trois églises en son honneur, à Rome, alors que saint François d’Assise, saint Dominique, saint Bernard, n’en avait qu’une, saint Pierre deux, saint Paul une, et la grande sainte Thérèse aucune. De plus, dans toutes les églises figurait un tableau qui lui était consacré. Nous ne pouvons pas nous étendre sur ce sujet. Disons simplement que si son culte fut aussi universel, c’est que l’Église voyait en lui le type parfait de l’évêque de la Réforme catholique, la réfutation vivante du protestantisme, car personne plus que lui, grand seigneur, qui s’était dépouillé de tout pour les pauvres et les pestiférés, ne crut à l’efficacité des œuvres. Il montrait à tous, et les tableaux qui lui étaient consacrés aussi, que ce n’était pas seulement par la foi que l’on devenait un saint, mais aussi par les œuvres.

Saint Jean de Dieu, et, en Espagne, saint Thomas de Villeneuve, étaient également célébrés par les artistes pour les mêmes raisons.

L’art et le culte des saints

Par là, d’ailleurs, l’Église atteignait encore un autre but : celui de défendre le culte des saints représenté par les Protestants comme une sorte de superstition païenne. Invoquer les saints, disait Calvin, c’est faire tort à Jésus Christ, l’unique médiateur. D’ailleurs, ajoutait-il, les saints n’ont pas l’oreille assez fine pour nous entendre ; voudraient-ils venir à notre aide qu’ils ne le pourraient pas, car ils ne sont pas encore dans le ciel. Seul Jésus y est entré : les saints, eux, n’en occupent que le vestibule, où ils attendent avec patience que les siècles soient révolus et que le grand jour arrive.

Cette négation protestante eut son effet ordinaire : elle exalta le culte des saints. L’érudition catholique, renonçant aux charmants enfantillages de la " Légende Dorée ", entreprit de donner les récits authentiques de la vie des saints. Les fameux Bollandistes commencèrent l’immense collection des " Acta Sanctorum ", monument énorme qui ressemble aux cathédrales inachevées.

L’art devint leur auxiliaire dans cette exaltation des saints. Quand on visite les innombrables églises occidentales et romaines de la fin du xvie et du xviie siècle, on est étonné de la place qu’y tiennent les images des saints. C’est curieux : on n’y trouve pas toujours, et même pas souvent, une scène empruntée à l’Évangile. Souvent seule la croix rappelle Jésus-Christ. Mais les tableaux des autels, les peintures des voûtes, les statues des chapelles, sont consacrés aux saints de toute espèce. Rome est la ville des saints, et l’art du xviie siècle les a célébrés avec autant de ferveur qu’en France celui du XIIIème.

Il faut ici ouvrir une parenthèse, pour dire que, dans son culte voué aux saints, l’Église a été souvent prise à son propre piège. La dévotion aux saints est devenue abusive et, en cela, l’Église a parfois oublié l’essentiel pour privilégier l’accessoire.

Ainsi, tout ce que le Protestantisme attaquait : culte de la Vierge, primauté de saint Pierre, foi aux sacrements, surtout à l’eucharistie, vertu de la prière pour les morts, efficacité des œuvres, intervention des saints, vénération des images, tous ces dogmes ou toutes ces antiques traditions, cela fut défendu par l’art, allié de l’Église. La Réforme qui voulait détruire les images, les multiplia, ironique compensation providentielle aux énormes destructions d’œuvres d’art par les fanatiques protestants. La Réforme fit naître des sujets nouveaux, donna aux anciens une signification et une beauté nouvelles. Elle fut enfin, sans s’en douter et encore moins le vouloir, un des plus puissants stimulants de l’art religieux.

L’art et le temps des martyrs

Cependant, la Réforme avait eu des conséquences beaucoup plus tragiques que l’anéantissement des œuvres d’art dans les pays où elle s’était implantée. Nous venons de voir que l’Église exaltait le culte des saints morts depuis plus ou moins longtemps. Elle eut aussi, hélas, à en célébrer d'autres, car le temps de la Réforme catholique a été, aussi, le temps des martyrs.

En 1579, le pape Grégoire XIII avait ouvert une maison, un " collège ", à Rome, pour recevoir les jeunes missionnaires qui se préparaient à reconquérir l’Angleterre à la foi catholique. On entrait dans cette maison pour se préparer au martyre car, en Angleterre, le prêtre catholique qui était surpris au moment où il célébrait la messe était voué à la mort. Il devait s’attendre à être emprisonné à la Tour de Londres, soumis à la torture, traîné sur la claie jusqu’à Tiburn, et coupé en quartiers par la main du bourreau. Ceux à qui on voulait arracher des aveux étaient pliés en deux et comprimés jusqu’au sang dans un cercle de fer qui se resserrait peu à peu. Cet instrument de torture, célèbre en Angleterre, s’appelait du nom de son inventeur : la " Fille de Scavinger ".

Ces temps tragiques étaient ceux de la jeunesse de Shakespeare. Ces supplices, loin d’effrayer les jeunes néophytes du Collège des Anglais, exaltaient leur courage. Beaucoup trouvèrent à Londres la mort qu’ils y allaient chercher. Aussi, à Rome, étaient-ils entourés d’un profond respect. Quand saint Philippe Néri les rencontraient, ils les saluaient d’un respectueux : " Salut, fleur des martyrs ". Le pape avait chargé les Jésuites de préparer ces jeunes missionnaires à la controverse et à la mort, et comme ils avaient eu, eux-mêmes, d’autres martyrs en Angleterre, ils ne manquaient pas d’exemples à leur proposer. Ils eurent recours à l’art pour familiariser leurs disciples avec la mort.

Vers 1582, ils firent peindre, dans le Collège anglais, par Nicolas Circignani, surnommé Pomarancio, une suite de fresques si terribles qu’on ne trouverait rien de pareil en Italie avant cette date. Elles ont disparu, mais restent les gravures que l’on en a faites. L’histoire d’Angleterre y est racontée presque uniquement par des supplices. L’œuvre était brutale et sauvage, comme tout ce qu’a créé Pomarancio qui eut le génie d’un tortionnaire.

Mais les Jésuites pensaient qu’à force d’être contemplés tous les jours, les supplices perdaient de leur épouvante. D’ailleurs à côté de ces fresques terrifiantes étaient alignés, au xviie siècle, quarante portraits d’anciens élèves, tous morts en Angleterre pour la foi chrétienne.

Les Jésuites préparaient aussi les jeunes prêtres du Collège germanique qui devaient aller lutter contre le Protestantisme en Allemagne. Ils y couraient moins de danger qu’en Angleterre, mais cependant cinq d’entre eux y trouvèrent la mort. Le pape leur avait donné l’antique église de San-Stefano-Rotondo, sur le Mont Coelius. Dans cette église, où l’on ne devrait ressentir qu’une impression de paix solennelle, le célèbre Pomarancio, aidé par Tempesta et le paysagiste Mathieu, peignit vers 1585, en une trentaine de fresques, toute l’histoire des persécutions. Encore aujourd’hui le spectacle de ces terribles peintures est presque intolérable. De pareilles œuvres nous paraissent dépasser les limites de l’art, mais elles expriment à leur manière, le profond ébranlement des âmes au temps de la Réforme. On voyait alors l’antique férocité se déchaîner de nouveau sur le monde.

C’est un fait que les Jésuites, dans toutes leurs maisons de Rome, ont multiplié l’image des supplices. Dans la décoration de leur propre noviciat, l’une de leurs deux églises était presque uniquement décorée de scènes de martyre. C’est que, eux aussi, payaient un lourd tribut dans la grande épopée des missions qui commençaient en Asie, en Afrique, et en Amérique. Mais, chose surprenante, les premiers missionnaires Jésuites, qui méritèrent le titre de martyrs, ne furent pas massacrés par les indigènes mais par les calvinistes. Le 15 juillet 1570, le vaisseau le " Saint Jacques ", parti de Porto avec quarante hommes d’équipage et quarante Jésuites destinés aux missions du Brésil, fut attaqué par une flottille de cinq navires commandés par le corsaire huguenot Jacques Sourie, de Dieppe. Pendant la bataille, les Jésuites, soignèrent les blessés, puis se laissèrent massacrer sans résistance. Un postulant, qui ne portait pas encore le costume de l’Ordre et qui donc aurait pu échapper à la mort, revêtit une soutane pour ne pas être privé de l’honneur du martyre.

Cette scène fut reproduite plusieurs fois par les peintres et bientôt on y joignit la scène des six missionnaires franciscains, trois jésuites japonais et dix sept convertis, crucifiés à Nagasaki. Les japonais s’étaient convertis nombreux : en 1587, on comptait déjà deux cent mille chrétiens. Mais, en 1624, trente mille d’entre eux avaient déjà péri.

Partout les martyrs se multipliaient : aux Indes, aux Philippines, au Brésil, pas seulement chez les Jésuites mais chez tous les Ordres religieux et chez les autochtones convertis. Par exemple, en 1535, dix-huit chartreux furent martyrisés par Henri VIII d’Angleterre. L’art, lui, fidèle interprète des sentiments de l’Église, mettait sans cesse le martyre sous les yeux des fidèles et leur rappelait, dans ces jours de feu et de sang, la vertu du sacrifice.

C’est au moment où l’Église demandait des exemples à l’histoire des martyrs que les Catacombes furent découvertes. Tout à coup, le christianisme de l’âge des persécutions apparut dans son émouvante beauté. Certes on connaissait déjà la petite catacombe de saint Sébastien, sur la voie Appienne. Elle avait perdu presque tout son caractère, mais suffisait à émouvoir. Saint Charles Borromée, quand il était à Rome, saint Philippe de Néri, y allaient prier. Elle avait tellement ému Luther qu’il parlait de cette église primitive dans tous ses livres. Les catholiques y pensaient sans cesse, et, à ceux qui lui demandaient des reliques, Pie V répondait : " Prenez de la terre de Rome : elle a été arrosée tout entière par le sang des martyrs. "

C’est alors que les Catacombes reparurent. En 1578, un éboulement de terrain, sur la Via Salaria, révéla tout à coup le cimetière de Priscille. " Rome, dit Baronius, fut remplie de stupeur quand elle apprit que, dans ses faubourgs, il y avait des villes cachées ". Un tout jeune homme, Bosio, s’enthousiasma pour cette " Rome souterraine ", comme il l’appelait, et en 1593, à dix-huit ans, il commença ses recherches. Peu à peu, il découvrit plus de trente catacombes le long des grandes voies romaines. Il consacra toute sa vie à copier des inscriptions et à dessiner les peintures des salles souterraines. Mais il mourut en 1629, et son ouvrage capital, Roma Sotteranea, " Rome souterraine ", ne fut édité qu’après sa mort par son ami le P. Severino, de l’Oratoire. L’ouvrage apparut comme une réfutation éclatante de quelques-unes des affirmations les plus hardies de Luther et de Calvin, en particulier pour l’importance donnée, dès les premiers siècles, aux images. On pensait que ces peintures des Catacombes répondaient, mieux que les controversistes, aux ennemis des images. On y vit, en même temps, le tableau le plus fidèle de l’Église primitive au temps des persécutions. Le respect pour les martyrs fut alors partagé par tous les fidèles. Et l’émotion fut encore accrue, au même moment, en 1599, par la découverte du corps intact de la jeune sainte Cécile qui bouleversa Rome. Son corps fut immédiatement reproduit en sculpture par Maderna.

On se mit alors à publier les plus beaux textes historiques des Actes des Martyrs. On comprit, enfin, ce qu’avaient été ces dialogues pathétiques entre les chrétiens et les juges. On admira l’intrépidité des martyrs, certes beaucoup moins nombreux, en réalité, qu’on le croyait alors. Les artistes comprirent, eux aussi, cette grandeur et l’exprimèrent.

Le génie de la Renaissance, qui sympathisait peu avec la douleur et avec la mort, avait rarement représenté les supplices des martyrs. Mais, à partir de la fin du xvie siècle, ces violentes images se multiplièrent, revêtant un aspect historique tout nouveau car ceux qui commandaient ces tableaux étaient plus instruits et plus exigeants. Les peintres, eux, n’étaient pas des érudits, mais ils écoutaient ce qui se disait autour d’eux et recevaient des indications précises. D’ailleurs, ceux qui, nombreux, vivaient à Rome, étaient dans la familiarité des deux antiquités et sentaient eux-mêmes profondément cet âge des persécutions. Souvent, il s’inspiraient des bas-reliefs de la colonne Trajane, et leurs compositions ont un accent de vérité.

En Espagne, tous les grands peintres peignirent des quantités de scènes de supplice. L’une des plus célèbres est le fameux tableau de l’Escurial où Le Gréco a représenté saint Maurice et ses compagnons attendant leur martyre à Agaune, aujourd’hui Saint-Maurice-en-Valais.

En même temps que le sens historique, le sens critique s’éveilla lui aussi. On fit la chasse aux légendes, aux invraisemblances, aux erreurs historiques. Mais ce ne fut qu’au milieu du xviie siècle qu’un français, Don Ruinard, fit un véritable travail critique sur les Actes des martyrs romains. Il faut dire que ce travail scientifique resta confiné dans un petit cercle d’érudits, et les artistes continuèrent souvent à s’inspirer des vieux récits du vie siècle. L’art consacra ainsi les légendes romaines et les innombrables tableaux voués à sainte Cécile, sainte Agnès, sainte Catherine, sainte Agathe, sainte Lucie, à des centaines d’autres saints et d’autres saintes martyrs, sous l’œil indulgent de l’Église, ne portent aucune garantie d’authenticité.

Mais, par ces tableaux innombrables, l’image de la souffrance se présentait sans cesse aux yeux des fidèles. Les martyrs d’autrefois devenaient un exemple pour le chrétien qui devait être prêt, en Europe, comme en Asie ou en Amérique, à donner sa vie pour sa foi. Mais, surtout, pour le plus grand nombre, on pensait que l’exemple des martyrs pouvait au moins aider à mieux supporter les souffrances de la vie, les transfigurer, aider à mettre en application dans sa vie la mystérieuse parole de saint Paul : " Ils achèvent dans leur chair ce qui manque aux souffrances du Christ ". Pour les chrétiens de ce temps-là, les violents tableaux que la Réforme catholique mettait devant leurs yeux devenaient une consolation.

Les représentations extatiques

La Réforme catholique mit encore devant les yeux des fidèles une incroyable multitude de miraculeuses visions ou d’images de saints en extase. Dans presque toutes les églises d’Italie ou d’Espagne, on aperçoit, sortant de l’ombre, le visage pâle d’un saint qui semble défaillir, suspendu entre la vie et la mort. Ou bien, on entrevoit, dans une demi – nuit, une jeune sainte douloureuse, à qui Jésus-Christ met sur le front une couronne d’épines. Dans certaines églises, on trouve presque à chaque autel un de ces tableaux extatiques, œuvres pleines de mystère, qui s’enveloppent de sombres nuages, déchirés par une trouée de lumière. La plupart de ces sujets sont des énigmes pour le visiteur, car, pour les comprendre, il faut avoir vécu longtemps dans la familiarité des saints du xvie et du xviie siècles. En France, on en trouve également beaucoup, mais incomparablement moins qu’en Espagne et en Italie car les révolutionnaires de 1789 ont fait, dans les églises, le même massacre que les réformés d’Allemagne ou d’Angleterre.

Nous n’allons pas étudier ces représentations extatiques de saint Ignace de Loyola, de saint Philippe de Néri, de sainte Thérèse, de sainte Marie Madeleine de Pazzi, de saint Jean de la Croix, de saint Joseph de Cupertino, qui sont tous des saints contemporains de la Réforme catholique.

Nous n’allons pas davantage étudier les représentations des scènes extatiques tirées de la vie des saints plus anciens : saint Paul, saint François d’Assise, saint Antoine de Padoue, sainte Claire d’Assise, sainte Catherine de Sienne, saint Martin de Tours, sainte Cécile, sainte Madeleine et combien d’autres !

Mais il faut absolument avoir une connaissance élémentaire de cette forme de l’art représentant le mystère de l’extase qui, au temps du baroque, apparaît de plus en plus comme le vrai signe de la sainteté. Il est bien rare, qu’au xviie siècle, on ne représente pas un saint, les yeux levés au ciel, contemplant ce que les hommes ne voient pas. Dès la fin du xvie siècle, le même élan, la même aspiration se retrouvera dans l’architecture qui tendra à faire éclater les coupoles et les voûtes dans un désir d’infini et de vision céleste. C’est dans ce même esprit extatique que l’on pourra appliquer, à l’architecture, ces vers écrits plus tard par Lamartine, mais parfaitement adaptés à la Réforme catholique :

" Que tes temples, Seigneur, sont étroits pour mon âme !

Tombez, murs impuissants, tombez ;

Laissez-moi voir le ciel que vous me dérobez ".

L’extase est la plus grande nouveauté dans l’art de ce temps ; elle correspond à la profonde vague de mysticisme qui, au même moment, envahit la littérature religieuse. C’est par une sorte de fièvre intérieure que l’art du xviie siècle diffère essentiellement de celui du xve et du commencement du xvie. Passion, ferveur brûlante, désir éperdu de Dieu allant jusqu’à l’anéantissement, voilà ce qui remplace l’admirable sérénité, l’amour silencieux et effacé de Fra Angelico. Il est absolument certain que l’on peut préférer Fra Angelico ; mais on ne peut pas nier que cet art frémissant n’apporte quelque chose de nouveau, n’exprime ce qui n’avait encore jamais été exprimé : la prise de possession d’une âme par Dieu.

Mais les peuples de l’Occident vont dessiner ces images de l’extase avec leur génie personnel. La France, quand elle n’imite pas l’Italie, quand elle est elle-même, utilise son sens de la mesure. Elle ne représente pas l’anéantissement mystique, mais l’union à Dieu par la prière. Le chef-d’œuvre type, où respire l’âme religieuse du xviie siècle français, sera le tableau de Philippe de Champaigne qui représente la sœur Catherine de sainte Suzanne et la Mère Agnès priant dans une cellule, pauvre et nue, mais qu’emplit une mystérieuse présence. Il n’y a rien de plus simple, de plus doux, de plus modeste que cette jeune religieuse étendue les mains jointes, le regard fixé sur Dieu qu’elle voit et qui ne l’étonne pas tant elle est habituée à vivre avec lui. Dans cette belle œuvre du musée du Louvre, Philippe de Champaigne a fait revivre le génie du Moyen Âge.

L’Italie, elle, est beaucoup plus ardente et passionnée. Elle a créé de belles figures extatiques, des figures exténuées, qui ont la pâleur de la mort et qui nous attendrissent. Mais elle associe toujours le corps à l’âme. Elle nous montre ce corps fléchissant au contact de Dieu, s’abandonnant. Mais son gracieux génie sait faire, d’une défaillance, une beauté.

Mais, dans cet art nouveau, c’est l’Espagne qui triomphe. L’Espagne des grands mystiques, l’Espagne de l’amour et de la mort, a représenté l’extase avec une simplicité et une grandeur qui n’ont pas été égalées. Les artistes espagnols présentent des corps immobiles, mais l’âme est tout entière dans les yeux et sur le front du saint.

Ainsi, en représentant le martyre et l’extase, c’est à dire la souffrance et l’amour, l’art de la Réforme catholique atteignait les profondeurs de la sensibilité. Il lui restait à exprimer l’angoisse de la mort pour traduire tous les sentiments extrêmes de l’âme. Il le fit, avec grand talent, et là encore, il fut l’instrument docile de la pensée chrétienne. Mais nous allons laisser volontairement de côté l’étude de ce thème qui nous entraînerait beaucoup trop loin. Nous en éliminerons encore d’autres car je voudrais consacrer quelques pages à la présentation de la nouvelle manière, de l’œil nouveau, avec lequel l’Église de la Réforme catholique regarde l’Évangile.

L’art et les légendes populaires

L’Église d’après le concile de Trente est très embarrassée dans son attitude. Elle, si ferme sur les dogmes, elle hésitait en présence des légendes poétiques du passé. Pressée par la critique protestante, elle abandonnait certaines traditions, puis, prise de remords, elle les remettait en honneur. Ainsi, par exemple, Pie V supprima la fête de la Présentation de la Vierge au temple ainsi que la fête des parents de la Vierge, Anne et Joachim, dont les Évangiles ne parlent pas. Quelques années plus tard Sixte Quint rétablit la première et Grégoire XIII la seconde.

Il y avait là quelque chose de douloureux. Pour des âmes tendres, c’était un déchirement de se séparer du passé. Il y avait dans l’Église des historiens respectueux, comme Baronius, qui s’efforçaient de conserver tout ce qui ne paraissait pas invraisemblable. Mais d’autres esprits pensaient qu’il fallait tout sacrifier à la vérité : des légendes, qui avaient enchanté les âmes pendant des siècles, étaient réfutées avec âpreté et rejetées avec dédain. La vie de la Vierge n’était plus, comme autrefois, un gracieux poème : c’était une suite de problèmes à résoudre.

Ces polémiques ne demeuraient pas ignorées des artistes et ils n’eurent pas la douce sérénité des vieux maîtres. Fils d’un siècle inquiet, ils flottaient eux aussi entre la tradition et l’esprit critique. Alors, souvent, ils se conformaient au désir de ceux qui passaient commande, dont les uns étaient fidèles au passé, et d’autres favorables aux idées nouvelles.

Comment s’est formée cette iconographie qui va souvent s’opposer à celle du Moyen Âge ? Elle s’est préparée à Bologne, dans l’atelier des Carrache, puis elle a été apportée à Rome par les Carrache eux-mêmes et leurs élèves. Elle y a pris son caractère presque canonique, et c’est de Rome qu’elle s’est répandue dans toute l’Europe catholique. Les cardinaux, les évêques, les supérieurs d’Ordres religieux faisaient sans cesse le voyage de Rome. Ils voulaient des tableaux comme ceux qu’ils admiraient dans les églises romaines. Pendant la plus grande partie du Xviie siècle, Rome fut le vrai centre artistique de l’Europe. C’est pourquoi une iconographie, qui se présentait avec le prestige de Rome et l’approbation du pape, ne pouvait manquer d’être adoptée par tous les peuples catholiques.

Beaucoup d’éléments de cette iconographie nouvelle sont empruntés à l’art du xvie siècle italien. Il est naturel que les Carrache et leurs élèves, qui demandaient à Michel-Ange, à Raphaël, au Corrège, le secret de la composition, du dessin et de la couleur, leur aient pris, en même temps, certains traits caractéristiques. Je n’en prendrai qu’un seul exemple parmi des dizaines. Le Moyen Âge n’avait jamais osé représenter la Vierge les pieds nus : pour lui, cette liberté aurait été un véritable sacrilège, un manque de respect. Michel-Ange, lui, considérait que la nudité a un caractère sacré et n'avait donc pas ces scrupules. Il donna des pieds nus à sa Pieta de saint Pierre. Dès lors, l’imiter devint une loi dans l’école et bientôt les Vierges italiennes, puis les Vierges françaises, eurent les pieds nus.

Les types traditionnels disparaissaient donc, et d’autres naissaient que le temps allait consacrer. Prenons deux exemples : au plafond de la Chapelle Sixtine, Michel-Ange avait créé une grandiose image de Dieu, presque égale en majesté au Yahvé de l’Ancien Testament. Devant ce formidable vieillard qui plane, porté par les nuages, soutenu par les anges, on pense à l’Éternel du prophète Baruch, " à qui la lumière obéit avec tremblement, à qui les étoiles répondent : nous voici ". Désormais on retrouve ce Dieu de Michel-Ange chez ses successeurs : Sebastiano del Piombo, Salviati, Jules Romain, sans qu’ils arrivent d’ailleurs à égaler la majesté de l’original. Les Carrache l’adoptèrent et le transmirent et, ainsi, ce Dieu de Michel-Ange fut celui du Dominicain, de Lanfranco, de Guido Reni, de Castiglione…, en Italie ; de Vouet, de Poussin, de Stella, de Le Brun en France… Et de l’art Baroque.

Michel-Ange marquait un profond dédain pour les images traditionnelles : il semblait vouloir que l’art datât de lui, mais ce n’était pas calcul de sa part. Il représenta les anges sans ailes. Il ne se souciait plus d’exprimer, comme les vieux maîtres, la vélocité surnaturelle de ces messagers célestes, exécutant les ordres de Dieu avec la rapidité de la pensée. Raphaël l’imita, puis Le Corrège aussi au Dôme de Parme, puis tous les peintres, de toute l’Europe.

Ainsi, les types consacrés furent modifiés par les grands artistes du xvie siècle, mais, surtout, ils créèrent de nouvelles scènes qui parurent si parfaites qu’elles devinrent des modèles sans cesse imités. Il était difficile de concevoir la Transfiguration autrement que Raphaël. Tous, désormais, la copièrent. Rubens en fit une reproduction presque littérale, mais en exagérant simplement tous les mouvements. La scène du Jugement Dernier semblait avoir reçu du génie de Michel-Ange un caractère d’éternité. Désormais, l’imagination des artistes et même celle des fidèles, n’étaient plus libres. Rares furent, d’ailleurs, les peintres qui osèrent encore traiter ce grand sujet auquel le génie de Michel-Ange avait mis un point final. Rubens fut l’un des rares qui eurent l’audace de s’y essayer, mais il n’eut pas la puissance de concevoir autrement que Michel-Ange son Jugement Dernier de Munich.

Pourtant, c’est surtout Le Corrège qui eut l’influence la plus profonde car si Michel-Ange avait la majesté biblique, Raphaël la noblesse platonique, Le Corrège avait, lui, la tendresse, et c’est à lui que remontent quelques-uns des motifs les plus frappants de l’art de la Réforme catholique et du xviie siècle.

Nous avons dit que cet art religieux, né de la tradition des maîtres de la Renaissance et du génie de la Réforme catholique, ne fit pas disparaître complètement l’art du Moyen Âge avec ses traditions séculaires. Ces deux arts s’opposèrent parfois, mais parfois aussi s’unirent. Pour faire comprendre ce qu’il y a de nouveau et ce qu’il y a d’ancien dans l’iconographie chrétienne, à partir de la fin du xvie siècle, il faudrait passer en revue toutes les scènes de l’Évangile. Si nous en avions le temps, ce serait fort intéressant ! Mais comme il ne peut en être question, je vais me contenter d’en étudier deux : l’Annonciation et la Nativité. Cette étude suffira pour faire comprendre l’évolution qui s’est produite dans l’art du temps.

L’Annonciation du xviie siècle fait un vif contraste avec le passé. Le ciel envahit tout à coup la cellule où prie la Vierge et l’ange, un lis à la main, y pénètre, agenouillé sur un nuage. Je viens d’écrire " un lis ". Au Moyen Âge, une fleur dans un vase n’avait d’autre but que de rappeler que la scène se passe au printemps. Au xviie siècle, cette fleur est toujours un lis, qui n’est plus dans un vase, mais dans la main de l’ange. Elle ne désigne pas autre chose que la pureté de la Vierge et elle est une réponse aux Protestants.

L’ange pénètre donc dans la cellule de la Vierge, agenouillé sur un nuage. Des vapeurs, tour à tour sombres et lumineuses, font souvent disparaître le lit, le foyer, les murs, tout ce qui rappelle les réalités de la vie. Il semble que nous ne soyons plus sur la terre, mais dans le ciel. Presque toujours, d’autres anges font cortège au messager céleste, et il est rare que quelques gracieux visages ne se montrent pas au milieu des ombres. L’art a donc voulu mettre la terre en rapport avec le ciel. Il semblait que la Vierge d’autrefois, isolée dans sa cellule, n’eut ni assez de grandeur, ni assez de mystère ; il fallait que l’on compris que les anges, et Dieu lui-même, attendaient sa réponse. La piété ne concevait plus l’Annonciation comme un grave dialogue sans témoin ; il fallait que le ciel entier y eut participé. C’est ce qu’exprimèrent désormais les artistes.

L’Annonciation triomphale, qui unit le ciel à la terre, née en Italie, au xvie siècle, fut bientôt celle de toute l’Europe catholique. Ce fut celle de la France à partir du xviie siècle. Les anges seront plus ou moins nombreux, la chambre se dissoudra plus ou moins en brouillard, mais l’archange Gabriel, un lis à la main, entrera toujours porté par un nuage. C’est là le trait essentiel de la nouvelle Annonciation.

L’Espagne adopta cette loi après quelques hésitations dont le musée de Grenoble nous donne un bon exemple. On y voit une Annonciation peinte par Zurbaran dans laquelle le Ciel entre, avec les anges, dans la chambre ; l’archange Gabriel est agenouillé sur un nuage, tout cela, donc, conformément aux nouvelles règles. Mais l’ange n’a pas le lis fleuri à la main. Zurbaran conserve en cela la vieille tradition : il met toujours le lis dans un vase. Mais, quelques années plus tard, à Séville, Murillo se conforme totalement aux nouveaux usages.

La Flandre, elle, avait déjà adopté la formule nouvelle dès la fin du xvie siècle.

Dans les derniers siècles du Moyen Âge, la Nativité était une scène pleine d’humilité, de silence et de ferveur. L’Enfant Jésus était étendu tout nu sur la terre, plus pauvre que les plus misérables des enfants des hommes. Mais la Vierge agenouillée, les mains jointes, l’adorait et saint Joseph le contemplait avec respect. Je parle surtout du xve siècle. Le bœuf et l’âne rappelaient que le Fils de Dieu était né dans une étable. Cette famille abandonnée touchait le cœur des fidèles, et la présence de Dieu ne trahissait que par le recueillement profond de Marie.

Au xviie siècle, tout change. L’Enfant est enveloppé de langes et couché dans une grande corbeille pleine de foin. Sa mère est toujours agenouillée près de lui, mais elle ne joint plus les mains pour prier : elle écarte les langes pour laisser voir le nouveau-né. Elle le montre aux bergers qui contemplent avec admiration le Sauveur annoncé par l’ange. saint Joseph est dans l’ombre de l’étable.

Cette Nativité a donc un caractère nouveau : elle ne se sépare pas de l’Adoration des Bergers. L’art ne représente plus le triste abandon de la sainte Famille, mais le moment où le Fils de Dieu est reconnu pour la première fois par les hommes. Aussi, quand la Mère soulève les langes, souvent l’Enfant Jésus, devenu lumineux, éclaire les ténèbres et fait rayonner les visages. Il n’y avait jadis que trois personnages : il y a maintenant, autour de la sainte Famille, des bergers, des bergères, des enfants émerveillés, le chien du troupeau, et, porté sur les épaules d’un jeune homme, un agneau, les pattes liées, présent des pauvres à plus pauvre qu’eux. Parfois, les anges planent dans le ciel ; parfois ils descendent sur la terre et s’agenouillent, eux aussi, auprès de l’Enfant Jésus.

Mais, il y a surtout une chose qui frappe. Autrefois, dans la scène de la Nativité, il y avait un trait qui venait du plus lointain passé. Depuis des siècles, on voyait l’âne et le bœuf dans l’étable, près de l’Enfant Jésus, et, avant la Réforme, personne n’avait jamais pensé à s’en étonner. Il est vrai que l’Évangile ne parle pas de ces humbles amis qui avaient réchauffé de leur souffle le nouveau-né abandonné des hommes. Fallait-il dont les supprimer et se rendre aux raisons des contempteurs ? L’Église se divisa, l’esprit critique entra en conflit avec le génie poétique, et les artistes prirent part à ces controverses.

Alors, on voit donc, une fois sur deux, au xviie siècle, en France, en Italie, en Flandre, en Espagne, des Nativités sans l’âne et sans le bœuf, ce qui eut semblé une véritable impiété au Moyen Âge. Il y a des Nativités de Le Brun, de Vouet, des Le Nain, du Guido, de Maratta, de Piero da Cortone, de bien d’autres encore, où ne figurent ni l’âne, ni le bœuf. Il arrive même que le même artiste représente la Nativité, tantôt avec les animaux, tantôt sans eux. Il est possible que, dans l’un ou l’autre cas, les donateurs aient eux-mêmes fait leur choix et donné des consignes précises au peintre car les fidèles eux-mêmes étaient divisés sur ce sujet.

En tout cas, quand l’âne et le bœuf apparaissent, ils ne sont jamais plus à la place d’honneur : on les dissimule dans l’ombre où ils se remarquent à peine. On ne leur reprochait pas seulement d’être apocryphes, mais on les trouvait vulgaires. On pensait que leur place n’était plus dans les Nativités embellies d’arcades en ruines et de colonnes corinthiennes aux architraves mutilées. On jugeait plus noble de convier la grande antiquité au berceau du Christ. Au xviiie siècle, encore, dans les Nativités napolitaines, on supprime l’âne et le bœuf, mais les bergers viennent adorer l’Enfant Jésus dans les ruines d’un temple païen, au pied de la statue du dieu.

Il faut arrêter ici cette étude de l’art issu de la Réforme catholique. J’ai bien conscience de ne traiter que partiellement mon sujet. Je devrais poursuivre l’analyse de la nouvelle iconographie. Je devrais parler des dévotions nouvelles, en particulier, celles de la sainte famille, de saint Joseph, des anges, surtout de l’ange gardien, du scapulaire, qui ont été illustrées si souvent par les peintres et les sculpteurs.

Je devrais surtout dire, longuement, comment l’esprit du Moyen Âge continue quand même son influence dans de très nombreux cas, malgré les idées et les formes nouvelles. Dire comment le Passé reste encore bien vivant dans l’art et la pensée du xviie siècle. Je devrais parler de la vogue persistante de " l’allégorie " chère à la Renaissance, mais d’une allégorie codifiée et universalisée dans toute l’Europe par l’extraordinaire diffusion d’un livre qui est complètement oublié aujourd’hui : L’Iconologia du Chevalier César Ripa. Ce traité de l’allégorie et du symbolisme eut dix rééditions en un siècle, et tous les peintres y puisèrent leur inspiration jusqu’à la fin du xviiie siècle.

Il faudrait enfin étudier chacun des styles particuliers adoptés par les grands ordres religieux : Jésuites, Carmes, Augustins, Dominicains et Franciscains, car la décoration des églises n’était pas abandonnée au caprice des peintres. Chaque ordre, en effet, a son, iconographie particulière, et, hors de France, un visiteur averti peut tout de suite savoir s’il est chez les Jésuites, ou les Franciscains. Je dis " hors de France ", car, chez nous, la Révolution a arraché les tableaux aux retables des autels soit, la plupart du temps, pour les brûler, soit, rarement, s’ils paraissaient avoir de la valeur aux yeux du commissaire local, de les entreposer dans un dépôt. Quand, sous l’Empire ou la Restauration, on voulut décorer de nouveau les églises, on le fit sans s’occuper de la provenance des peintures, donnant n’importe quelle œuvre à n’importe quelle église. Il est donc extrêmement rare qu’aujourd’hui, en France, une œuvre d’art occupe sa véritable place.

Mais, pour terminer, je voudrais redire encore que la Réforme catholique, hélas, s’est laissé prendre à son propre jeu. Si je puis me le permettre, je dirais qu’elle s’est fait " piéger ". Art de défense, avant tout, mettant en valeur ce que niaient les protestants, elle a favorisé le culte des saints, mais elle lui a donné une importance exagérée, au détriment d’autres thèmes beaucoup plus essentiels. Nous ne pouvons pas traiter ce problème car cela nous entraînerait trop loin. Mais je signale ce fait car il a une grande importance qui déborde, d’ailleurs, le cadre de l’art, et je m’en tiendrai là.

 

En conclusion

J’ai essayé de montrer quelle a été l’évolution de l’art religieux, désormais distinct de l’art profane, après le concile de Trente. J’ai dit comment l’Église avait repris la direction de l’art, mais sans se montrer tyrannique. Tout en s’efforçant d’accréditer une iconographie nouvelle, plus conforme aux textes canoniques, elle ne déclara pas la guerre à l’ancienne iconographie. Elle fut indulgente à la légende, ou il y avait tant de beauté et de foi. Elle sentit que la légende exprimait souvent mieux que l’histoire le désir des âmes. En plein xviie siècle, le siècle de Louis XIV, le siècle de la Raison, elle laissa encore représenter les merveilles de la " Légende Dorée ".

Mais elle fit mieux que de surveiller, de blâmer, d’interdire : elle inspira, elle sut faire naître un art à son image. Cet art, conçu après les années tragiques où la Papauté avait vu une partie de la chrétienté se détacher d’elle, ne pouvait plus exprimer le repos dans la Foi, comme au Moyen Âge. C’était un art qui devait lutter, affirmer, réfuter. Il devint l’auxiliaire de la Réforme catholique et fut un aspect de l’apologétique : il défendit ce que le protestantisme attaquait.

Surtout, ce fut un art vivant. Alors que les Calvinistes, et les membres des autres groupes, les Luthériens mis à part, détruisaient les statues, les tableaux, les vitraux, en un mot se déclaraient les ennemis de l’art sacré, l’Église, fidèle à sa mission d’exaltation de l’homme dans toutes ses activités légitimes, se fit le défenseur de l’art et le mécène des artistes. Ne serait-ce que pour cela, la culture humaine doit une profonde reconnaissance à la Réforme catholique.

 

P. Émile Berthoud