En peinture, la révolution du Caravage (1573 - 1610)

 

Emile BERTHOUD

Articles parus dans Esprit et Vie, n° 12, 21 juin 2000, p. 30-34 et n° 13, juillet 2000, p. 28-31.

 

 

Plusieurs fois, déjà, nous avons fait mention du Maniérisme. Nous avons dit que ce style anti-classique avait succédé à celui de la Renaissance. Nous avons dit qu’il était caractérisé par son subjectivisme, sa fantaisie, son animation et son amour de ce qui est étrange.

¨ Déploiement de cette révolution

Dans la phase italienne de son développement, on peut distinguer trois périodes. D’abord de 1515 à 1540, une orientation anti-classique avec Beccafumi, Pontormo et Le Rosso. Puis, de 1540 à 1570, un processus d’académisation, issu des œuvres de Michel-Ange, avec Daniele da Volterra et Vasari, et le triomphe de l’art de cour avec Bronzino. Enfin, de 1570 à 1610, alors qu’en Lombardie avec Cambiaso, à Venise avec Le Tintoret et Véronèse, dans l’Italie centrale avec Baroccio, se développaient des styles plus personnels, un classicisme plus cohérent s’organisait de Bologne à Rome autour du triumvirat des Carrache.

¨ Les acteurs

Vers le milieu du xvie siècle, il y avait, à Bologne, deux frères dont l’un était boucher et l’autre tailleur. L’aîné se maria le premier et eut un fils qu’il appela Louis. L’autre eut, deux ans plus tard, en 1557, deux fils : Augustin et Annibal. Les trois cousins devaient être peintres. Louis, un peu lourdaud, pas très doué, que ses camarades appelaient " il giumento ", " la bête de somme ", était, en revanche, doté d’une grande volonté et du sens de l’organisation. Entré dans l’atelier de Fontana, celui-ci voulut le décourager de peindre. Il partit alors à Venise et alla trouver Tintoret qui se moqua de lui. Mais ce " cheval " têtu, persévérant, se mit à copier une multitude d’œuvres à Florence, à Parme, à Mantoue. Il finit ainsi par acquérir une technique, une " maniera ", qui, fondée sur un dessin correct, lui fit faire bientôt la conquête de Bologne qui l’avait d’abord repoussé.

Il s’occupa, alors, d’assurer l’avenir de ses cousins, devenant le chef de famille. Augustin entra dans l’école de Tibaldi. Dans celle-ci, nous dit Malvasia, " on dessinait dès la première heure du jour d’après les moulages, et aux deux premières heures de nuit d’après nature ". Annibal, le plus jeune, ardent, spirituel, indiscipliné, entra lui aussi dans cette école et, dès dix-huit ans, peignit des tableaux religieux. Mais il faisait preuve de personnalité, ne se pliant pas à la méthode de l’école qui multipliait les redites et la banalité. Alors, pour arracher ses cousins à l’hostilité que leur personnalité suscitait, Louis les fit voyager. À Parme, ils furent émerveillés par les peintures du Corrège. Mais, quand ils arrivèrent à Venise, Le Corrège disparut… devant l’éblouissement de Véronèse. Après une absence de deux ans, ils revinrent à Bologne en 1582, et, y retrouvant Louis, formèrent désormais une association conquérante, un triumvirat, dont l’influence extrêmement importante allait dominer tout l’art occidental du xviie siècle. Louis excitait ses cousins au travail et parfois à la lutte : ils s’y lancèrent de toute leur ardeur. En 1585 – événement essentiel pour eux et pour l’art du xviie – ils inauguraient leur Académie à Bologne.

Cette Académie des Carrache était bien différente des ateliers d’autrefois où le maître professait surtout par l’exemple et utilisait à son service le travail des apprentis. C’était une véritable école des beaux-arts. Il y avait une section littéraire avec des cours d’histoire et de la théorie de la peinture. Des philosophes, des poètes, y enseignaient. Des médecins y donnaient des cours d’anatomie ; des dessinateurs, des cours de dessin. Mais le grand travail était réparti entre les trois cousins. Annibal faisait les corrections ; Augustin expliquait la perspective, la lumière et l’ombre, et aussi l’anatomie avec l’aide du médecin Lanzoni qui décrivait la structure du corps sur des modèles vivants ou des moulages pris sur des cadavres. J’ouvre une petite parenthèse pour rappeler que c’est précisément à cette époque que le jeune François de Sales était étudiant en droit à l’université de Bologne. Écœuré par la véritable chasse aux cadavres à laquelle se livraient les étudiants en médecine, il avait légué son corps à la faculté alors qu’il était atteint d’une maladie très grave dont, heureusement, il guérit. Il n’est pas interdit de faire ainsi une petite association d’idée avec la fringale de l’anatomie qu’avaient alors, également, les élèves de l’Académie des Carrache.

Louis dirigeait toute l’école qui, à certaines dates, organisait des concours et des distributions de prix. Ainsi se présentait, avec une logique parfaite et l’exact sentiment des besoins de l’art nouveau, cette Académie dénommée " de désir et d’acheminement " comme l’indiquait son titre :  " L’Accademia dei Desiderosi " ou encore " degli Incamminati ".

L’enseignement que les élèves y recevaient a été fort bien résumé dans un sonnet célèbre écrit par Augustin pour son ami Niccolo dell’Abbate, partant travailler au château de Fontainebleau en 1552. Ce sonnet est très important, le voici :

" Qui souhaite et désire se faire un bon peintre,

qu’il ait à la main le dessin de l’école romaine,

le mouvement et les ombres des Vénitiens,

et le beau coloris de Lombardie ;

qu’il suive de Michel-Ange le terrible chemin,

la vérité et le naturel de Titien,

de Corrège le style pur et souverain

et d’un Raphaël la vraie symétrie ;

de Tibaldi la prestance et la solidité,

du docte Primatice l’invention

et un peu de la grâce du Parmesan ;

ou que, sans tant d’étude et d’effort

il s’applique seulement à imiter les œuvres

qu’ici nous a laissées notre cher Niccolo. "

Le dernier vers est sans doute de la pure flatterie, mais, si on le met à part, nous avons là un credo esthétique et tout le programme de l’éclectisme qui condense toutes les données de la Renaissance et du Maniérisme. Ce programme, trop savant et trop scolaire, dangereux pour les jeunes talents, va susciter un déluge de banalités correctes dans tout l’art du xviie siècle. C’est la création de l’art académique.

¨ Leurs œuvres religieuses

Nous n’allons pas suivre ces beaux théoriciens mettant en œuvre leur enseignement. Ils produisirent une quantité d’œuvres religieuses. Annibal, surtout, le plus fécond et le plus habile des trois, y appliquait, avec une habileté prodigieuse, les formules du fameux sonnet-programme. Il combinait surtout Corrège avec Titien, mais c’était un Corrège refroidi et un Titien sans grandeur. Il y avait, dans ces œuvres religieuses des Carrache, quelque chose d’amolli et d’inconsistant qui correspondait à ce qu’il y avait de faible dans l’esprit de la Réforme catholique, à une dévotion doucereuse, mielleuse. Il ne s’en dégageait aucune émotion vive, aucune grande leçon, mais les élèves y trouvaient, en revanche, d’excellents modèles de dessin.

Cet art d’Annibal se modifiera quand il passera des sujets religieux aux sujets profanes, en particulier quand, après avoir quitté Bologne, il viendra à Rome, avec Augustin, décorer la célèbre galerie du palais Farnèse, aujourd’hui siège de l’ambassade de France. Imitant Michel-Ange et ses " ignudi " de la chapelle Sixtine, il fera preuve alors d’un extraordinaire talent dans un décor d’une richesse merveilleuse, à la fois touffu et clair, associant les sculptures feintes au marbre, au stuc et au bronze. Alors, il fait preuve d’une grande force et de nouveauté. Il rend à la Rome des dernières années du xvie siècle ce qu’elle avait attendu, à son début, du génie de Raphaël, que Jules Romain avait réalisé pendant un moment, mais que Vasari, Zuccari et les autres n’avaient pas su lui donner : la résurrection de l’âme de la peinture antique. Ce magnifique ensemble, d’une richesse, d’une variété, et même d’une joie extraordinaires, est fait avec une science que rien ne dépassera. Les morceaux les plus surprenants de ce grand professeur de dessin que fut Annibal Carrache auront une influence décisive sur l’art français du xviie. Quand les artistes français viendront se former à Rome, c’est plus encore d’après Carrache que d’après nature qu’ils étudieront l’Antiquité.

¨ Influence de cette peinture

Pourtant, cette peinture n’est pas sans défauts. À vouloir ramener ses grands modèles à un type uniforme, Annibal les dépouille d’une part de leur beauté. Comparés à ceux de Michel-Ange, ses " ignudi " sont d’une fadeur de bellâtres. Ses dieux et ses déesses, aux membres gonflés, aux mains lourdes, déforment les nobles dessins de Raphaël, et ses petits amours ne sont gracieux que quand ils copient ceux du Corrège.

Mais, malgré tout, il y a, dans cette peinture éclectique, un sentiment si fort de la peinture antique que le français Félibien, en 1679, loue en termes tels qu’il faut les citer car ils résument l’enseignement qu’alla y chercher l’art de Louis XIV : " On voit dans ce grand ouvrage une beauté solide qui frappe l’esprit, et les plus intelligents y découvrent toujours des grâces nouvelles à mesure qu’ils les considèrent. " Cette " beauté solide qui frappe l’esprit ", c’est tout ce que demandera le xviie siècle français. La galerie de Le Brun, à Versailles, est née de la galerie des Carrache au palais Farnèse. Elle est seulement plus solennelle, mais aussi plus monotone.

Les Français ne furent pas les seuls à être influencés par les Carrache. Tout ce qui comptera dans la première moitié du xviie siècle italien passera par l’Académie de Bologne. C’est le cas, en particulier, du Guido, de l’Albane, du Dominiquin surtout, de son vrai nom Domenico Zampieri, le pauvre petit Dominique, " il Domenichino ", qui fut le souffre-douleur d’Annibal. Libéré enfin de son esclavage après la mort de celui-ci en 1609, il surpassera son maître tyran en ajoutant à son art ce que sa pédagogie savante avait été impuissante à créer : le sentiment. Il a infusé à l’art des Carrache l’âme qui lui manquait.

Mais au moment même où les Carrache conduisaient avec science et méthode leur grande entreprise d’art, un autre peintre, un homme hors du commun, surgissait auprès d’eux. Alors que tout l’Occident n’avait d’yeux et d’oreilles que pour l’enseignement des Carrache, qui condensait la Renaissance, lui, violent, passionné, se proposait au contraire de saper les solides assises de leur enseignement. Il venait troubler la belle sérénité de leurs doctrines et montrer la réalité vivante en face de leur idéalisme et de leurs conventions. Poussin, en parlant de lui, s’écriera : " Il est venu au monde pour détruire la peinture. " Et Bellori écrira, en 1672 : " Il a déprécié la majesté de l’art. "

¨ " Le Caravage "

En réalité, cet homme étrange était loin de vouloir détruire la peinture. Il se proposait de lui donner des bases totalement différentes de celles que lui avait données la Renaissance. Il se donnait, au contraire, pour mission, de sauver la peinture. Ce révolutionnaire s’appelait Michelangelo Merisi. Aujourd’hui, on a oublié son vrai nom. On ne l’appelle plus que par son surnom : Le Caravage, du nom de son village, Caravaggio, dans le nord de l’Italie, près de Bergame, où il était né le 26 septembre 1573. Nous allons le suivre dans sa vie tumultueuse et, en même temps, nous allons dégager les éléments qui ont fait de son art un art véritablement révolutionnaire, qui allait avoir un énorme retentissement et marquer toute l’Europe. Nous verrons que, soit le personnage, soit son œuvre, tous deux ont quelque chose de fascinant.

Son père était un homme aisé et fort honorable, à la fois majordome et architecte du marquis de Caravaggio. Il mourut sans doute alors que le petit Michelangelo n’était qu’un enfant puisque, lorsque ce dernier eut atteint sa onzième année, c’est son frère aîné Baptiste, devenu son tuteur, qui le plaça comme apprenti chez le peintre milanais Peterzano. Celui-ci aussi était originaire de Bergame. Il se présentait comme disciple de Titien mais, en fait, par sa simplicité, son goût des couleurs claires et une sorte de naturalisme empirique, par sa gravité et son austérité qui découlaient de la Réforme catholique, il s’inscrivait dans la lignée de la peinture lombarde, celle de Foppa, de Borgognone et de Moretto.

Cette formation lombarde fut capitale pour le jeune Merisi. De plus, à travers elle, il fut marqué par l’art de Lotto, son naturalisme inconscient et son délicat luminisme. Il subit également l’influence très importante d’un peintre milanais fort modeste, Antonio Campi, qui modelait maladroitement, avec de dures contrastes d’ombres et de lumière, des scènes religieuses grandiloquentes qui annoncent déjà le mélange du sacré et du profane qu’il aimera tant. Cet apprentissage, à Milan, allait être capital pour celui qui serait donc appelé plus tard : Le Caravage.

Le 6 avril 1588, il terminait ses quatre années d’apprentissage, mais il est probable qu’il demeura encore au moins deux ans à Milan. Son tempérament chaud et emporté l’y avait amené à commettre déjà quelques extravagances. Mais je pense que l’on n’a pas le droit de l’accuser d’y avoir commis un meurtre comme beaucoup d’historiens l’ont fait jusqu’ici. Cette hypothèse ne repose sur aucun document. Toujours est-il qu’il quitta Milan pour venir à Rome.

On ne sait pas au juste quand il y arriva. Dans son ouvrage Considerazioni sulla pittura, Mancini dit que le jeune Merisi avait alors environ vingt ans. C’est donc entre les années 1591-1592 qu’il vint proposer ses services à un peintre d’origine sicilienne : Lorenzo Siciliano. L’écrivain Baglione écrit : " Il vint chez Lorenzo Siciliano à Rome où, étant dans un besoin extrême et nu, il faisait les têtes à un " grosso " l’une, et en faisait trois par jour ". Un " grosso ", c’était une petite monnaie. Il va ainsi, pendant deux ou trois ans, mener à Rome une existence misérable, en changeant sept fois de domicile.

Après être resté un certain temps chez Lorenzo, Mancini nous dit qu’il fut hébergé chez Mgr Pandolfo da Recanati. Il avait ainsi le vivre et le couvert, mais il était obligé de rendre des services ne convenant pas à sa nature. Pire encore, le soir, il devait se contenter d’une salade pour tout repas, à tel point qu’il appelait son bienfaiteur " Mgr Salade ". Cela ne pouvait pas durer longtemps. Au bout de peu de mois, il déménageait pour la troisième fois et se mettait au service du peintre Gramatica qui avait une activité purement commerciale.

¨ Son style

Dans la misère, il fréquentait les bas-fonds de Rome, les auberges mal famées, vivait en communion d’esprit avec les couches les plus démunies de la ville. Pour survivre, il peignait, également, de petits tableaux qui correspondaient à ses goûts : un jeune garçon mordu par un lézard vert sortant d’un amas de fruits, un concert donné par quelques jeunes gens, un enfant qui pèle un fruit, un Bacchus. Dans ces premières peintures, le style de Caravage apparaît déjà comme très personnel. Il est essentiellement amoureux de la nature et anti-maniériste. Les couleurs claires et les fonds uniformes mettent en évidence la vitalité des sujets représentés. Ce qui est le plus original, pour ces sujets, c’est leur choix lui-même. Celui-ci marque la naissance du réalisme dans le sens moderne du mot. Par exemple, dans le Bacchus qui est aujourd’hui au musée des Offices à Florence, le thème lui-même devient, pour la première fois dans l’histoire de la peinture européenne, un prétexte pour accumuler des produits naturels et des objets quotidiens. Ce sont ces produits et ces objets qui sont les véritables protagonistes de la scène, autour d’un adolescent couronné de pampres. Dans le Garçon mordu par un lézard, pour la première fois un incident vulgaire est élevé au même rang qu’un événement biblique comme celui du Sacrifice d’Isaac. Autour des plus humbles objets et des plus humbles scènes, Le Caravage sait créer un climat dramatique, le même que celui qu’il donnera à ses compositions sacrées. Tout est mis au même niveau.

Ce goût de la réalité trouve son expression la plus frappante dans la Bohémienne du Louvre, où Le Caravage affirme son dédain envers les grands Renaissants et Raphaël lui-même. C’est à propos de ce tableau que Bellori écrit quelques années plus tard : " Alors commença l’imitation des choses viles, la recherche de la réalité et de la difformité ", ce qui trahit l’intention profonde du peintre.

¨ Regard sur ses œuvres

Dans les multiples aspects du réel qui nourrissent son inspiration, il n’y a pas de hiérarchie de valeurs, ni de différence de classe. Ainsi le deuxième Bacchus qu’il peindra sera encore représenté comme un garçonnet de basse taverne, mal nourri et maladif. Sa Madeleine repentie sera vue comme une femme du peuple, seule, avec sa souffrance, dans une pauvre chambre dépouillée. Son Repos pendant la fuite en Égypte sera représenté comme une " tranche de vie " comparable, par la situation spirituelle des acteurs, à une scène profane. Dans la peinture de ses vingt ans, Le Caravage témoigne déjà du refus insouciant et ambitieux de tout préjugé.

À mener une vie misérable, il tomba malade et fut soigné à l’hôpital de la Consolation. Là, nous dit encore son biographe Mancini, pendant sa convalescence, il peignit " nombre de tableaux pour le prieur qui les emporta à Séville, sa patrie ". C’est ainsi qu’allait se répandre, d’une manière étonnante, le caravagisme en Espagne.

À sa sortie de l’hôpital, il séjourna pendant quelque temps chez le chevalier d’Arpin, un très bon peintre qui avait cinq ans de plus que lui. D’Arpin, nous dit Bellori, l’employa " à peindre des fleurs et des fruits si bien rendus que, sous son pinceau, ils acquirent ce supplément de charme qui aujourd’hui plaît tant ". Il est certain qu’il fit, alors, un certain nombre de peintures remarquables qui, aujourd’hui, ont disparu.

L’occasion de se libérer de cet assujettissement s’offrit au Caravage avec la rencontre de Prospero Orsi, peintre de grotesques. Mais il traînait toujours la misère avec lui, et il fut hébergé par Mgr Petrignani. Il essaya alors de faire quelques portraits de lui-même à l’aide d’un miroir, mais il n’arrivait pas à les vendre et, nous dit Mancini, " à bout de ressources, il fut réduit en si mauvais point que de galants hommes de sa profession le secoururent par charité ", jusqu’à ce que " Maître Valentino " revendeur de tableaux à Saint-Louis-des-Français, lui en fit vendre quelques-uns. L’un de ces acheteurs était le cardinal Del Monte. Alors, tout allait changer pour le jeune Merisi. Le cardinal sut immédiatement apprécier l’immense talent de cette espèce de vagabond. Il l’accueillit dans son palais  " avec vivres, couvert et appointements ". Merisi avait vingt-trois ans : il se mit à peindre sérieusement pendant deux ans, produisant quelques œuvres d’excellente qualité qui lui valurent, en plus du cardinal Del Monte, quelques clients et protecteurs importants comme les Barberini. C’est alors qu’on cessa de l’appeler par son nom de famille Merisi. Il devint pour tout le monde Le Caravage.

Par ses nouveaux thèmes, le jeune Caravage irritait les uns et réjouissait les autres, mais sa peinture était dangereusement séduisante. Les biographes en effet, reconnaissent son beau coloris qui, je cite Bellori, " après avoir été doux et fait de peu de teintes dans ses premières œuvres, est devenu un coloris tout dru d’ombres vigoureuses, avec des noirs abondants pour donner du relief aux corps ".

¨ Une nouveauté

C’est que Le Caravage venait d’inventer une nouveauté extraordinaire. Il venait de découvrir un style où la lumière, loin d’être asservie à la mise en valeur, à la représentation, à la définition plastique des corps comme elle l’était jusqu’alors, devenait elle-même, après l’ombre qui la suit, l’arbitre de l’existence même de ces corps. Pour la première fois, en peinture, le principe, la source de la réalité était quelque chose d'immatériel. Ce principe n’était plus l’homme ; il était extérieur à lui, il l’englobait, il n’était pas son esclave.

C’était le bouleversement total du principe de l’art de la Renaissance qui donnait à l’homme la priorité absolue, qui glorifiait l’homme, qui avait édifié sur l’homme un superbe monument anthropocentrique. Jusqu’alors, la lumière était une servante anodine de l’Homme. Pour Le Caravage, au contraire, c’était " la lumière " qui devenait prioritaire. C’était elle qui pourvoyait, maintenant, au symbole dramatique du style, et non plus l’idée que l’homme avait pu se faire de lui-même. Le Caravage se sentait dégagé de l’obligation d’attribuer à l’homme sa fonction humaniste de mesure des choses, d’éternel protagoniste et seigneur de la création.

¨ Création d’une tradition picturale

Désormais, hommes, objets, paysages, tout était sur un même plan. Il n’y avait plus d’échelle hiérarchique pour ranger les divers éléments suivant leur dignité. L’humanisme de la Renaissance avait créé une tradition picturale. Celle-ci, avec beaucoup d’érudition historique, avec des stylisations, des abstractions, avait établi une classification qui était faite pour servir le mieux possible la société d’alors dominée par les classes nobles et cultivées. Le Caravage, lui, au contraire, pensera à la vie commune, aux sentiments simples, à l’aspect quotidien des choses qui, pour lui, ont la même valeur que l’homme.

Voici ce que Bellori disait de cette technique révolutionnaire.  " Le Caravage cessa désormais d’exposer ses modèles au grand jour. Selon un système spécial qu’il avait mis au point, il les plaçait dans une pièce sombre et les exposait à une lumière haut placée, qui frappait les parties principales du corps et laissait le reste dans l’ombre ; d’où de véhémentes oppositions de clair et d’obscur. Cette manière de peindre déchaîna l’enthousiasme des jeunes peintres. Considérant Le Caravage comme un génie extraordinaire, et le seul vrai imitateur de la nature, ils ne voulaient plus tenir compte des " maîtres ", prenaient leurs modèles dans la rue et haussaient les lumières à qui mieux mieux. Cependant que les vieux peintres, mécontents, prétendaient que Le Caravage ne savait rien faire hors de la cave, qu’il ignorait complètement la dignité de l’art, la composition et la science des dégradés. "

Le Caravage dérangeait l’école classique et exaspérait une clientèle aux goûts conservateurs. En revanche, une clientèle éclairée et audacieuse s’enthousiasmait pour cet art révolutionnaire. Et alors, il reçut sa première grande commande : à la fin de 1597, il fut chargé de peindre trois grands tableaux pour la chapelle Contarelli, dans l’église Saint-Louis-des-Français. Il allait y peindre La Vocation de Saint Matthieu, Saint Matthieu et l’ange, et enfin, Le Martyre de saint Matthieu.

Pour la réalisation de ces trois extraordinaires tableaux, il fut d’abord pris d’une espèce de crise de conscience qui remettait en cause son univers artistique et poétique. L’examen radioscopique de ces tableaux nous indique qu’il a d’abord tâtonné, qu’il a fait preuve de " repentirs ". Tout cela montre l’inquiétude avec laquelle il s’interrogeait sur la validité de son interprétation réaliste de tout événement, même sacré. Cela montre comment il cherchait un langage nouveau et persuasif pour justifier les libertés qu’une telle interprétation entraînait, nécessairement, à l’égard de l’iconographie consacrée depuis des siècles par la tradition et reconnue par l’Église. Mais, à travers cette recherche, le credo artistique du Caravage se consolidait et s’imposait par son caractère révolutionnaire de façon d’autant plus pénétrante qu’il s’exprimait, après ses recherches et ses tâtonnements, avec la calme certitude d’avoir trouvé enfin la vérité.

Cependant, ces tableaux furent jugés trop réalistes et trop irrespectueux des choses sacrées. Ils choquèrent ses clients, les frères Crescenzi, héritiers du cardinal Contarelli, qui s’attendaient, pourtant, à une œuvre pas du tout traditionnelle, et il dut les repeindre une deuxième fois. Ces peintures étaient à la fois, un défi et un manifeste ; du jamais vu en peinture religieuse.

¨ Les thèmes religieux

Dorénavant, Le Caravage ne traitera pratiquement plus que des thèmes religieux malgré le scandale que son interprétation soulevait habituellement dans des âmes imprégnées de la rigueur religieuse de la Réforme catholique et de la doctrine technique de la Renaissance.

C’est dans le même esprit et avec la même technique luministe qu’il peignit également La Crucifixion de saint Pierre et La Conversion de saint Paul pour la chapelle Cerasi, à Sainte-Marie-du-Peuple. C’était la traduction de l’histoire sacrée en dialecte populaire, d’ailleurs dans le même esprit que les prédications contemporaines de saint Philippe Neri. Le réalisme y était poussé à l’extrême. Ainsi dans La Conversion de saint Paul, le cheval, énorme, y apparaît comme le principal personnage et le clair-obscur s’y transforme en une profondeur ténébreuse, percée par la lumière incidente dans un déchirement douloureux. Le public romain fut choqué par ces audaces irrespectueuses, mais il faut bien reconnaître que ces scènes, traitées avec une palette sobre et sans détails descriptifs, s’imposent avec une vérité foudroyante.

C’est toujours dans cette même lignée que se situent les autres grands tableaux peints par Le Caravage à Rome entre 1600 et 1604 : La Mise au tombeau du Musée du Vatican ; La Madone aux pèlerins de l’église Saint-Augustin ; La Mort de la Vierge de Santa-Maria della Scala ; La Vierge au serpent ou La Vierge des palefreniers du pape, à la petite église Sainte-Anne, au Vatican. Quelques autres tableaux encore, pour lesquels il fait poser des filles du peuple et où s’exaspère une véritable lutte entre la lumière et les ténèbres. Ces tableaux étaient traités par le mépris par les gens de la haute société romaine mais enthousiasmaient les vrais initiés.

¨ Des œuvres provocantes

Déjà, en ce début du xviie siècle, on assiste à la querelle entre les anciens et les modernes. À propos de La Vierge aux pèlerins, Baglione écrit : " Il [Le Caravage] fit une Madone de Lorette d’après nature, avec deux pèlerins, un homme aux pieds boueux, et une femme à la coiffe sale. Ce tableau tout insoucieux de la dignité que doit avoir une grande peinture, suscita un enthousiasme populaire et bruyant. "

Mais Le Caravage ne se contentait pas de défrayer la chronique par ses œuvres ; sa conduite était encore plus scandaleuse. Le Flamand Karel Van Mander, qui était le Vasari du Nord, écrit en 1604 : " Là [en Italie] il y a aussi un Michel-Ange de Caravage qui fait des œuvres merveilleuses. Lui aussi est sorti péniblement de la pauvreté moyennant un travail assidu… C’est un mélange de grain et de balle : en effet, il ne se consacre pas continuellement à l’étude, mais quand il a travaillé deux semaines, il part se promener un mois ou deux, une grande épée au flanc et un serviteur à sa suite, et il va d’un jeu de ballon à l’autre, très enclin au duel et à la bagarre, si bien qu’il est difficile de le fréquenter. "

En effet, après la peinture, ou peut-être même avant, la bagarre c’était la grande occupation du Caravage. Il se bat sans cesse, seul ou aidé d’un ou deux comparses, contre Baglione, contre des peintres, contre la police. Il blesse d’un coup d’épée Canonico, sergent du château Saint-Ange. Il jette des pierres aux sbires. Tous les six mois, il comparaît devant le tribunal. Il est emprisonné cinq ou six fois, puis libéré sur caution ou grâce à l’intervention de l’un de ses protecteurs. En juillet 1605, il blesse le scribe Pasqualone pour défendre son modèle et amie Lena, et il s'enfuit de Rome à Gênes. Il rentre à Rome, en septembre, se réconcilie avec Pasqualone, mais il brise à coups de pierres les fenêtres de sa logeuse qui lui avait volé ses affaires pendant sa fuite à Gênes.

Mais c’est surtout le 29 mai 1606 que la situation devient grave. Ce jour-là, Le Caravage joue au jeu de la raquette sur les terrains qui se trouvent au Pincio, entre la villa Médicis et la villa Borghèse, avec quelques compagnons. L’un de ses adversaires fait une faute. Pour cette futilité, une nouvelle bagarre se déclenche : quatre contre quatre. On tire l’épée. Épaulé par Onorio Longo et le capitaine Antonio Bolonèse, Le Caravage y met toute sa hargne. Il est blessé, mais il tue Ranuccio Tommasoni de Terni.

Alors, malgré sa blessure, il s’enfuit de Rome et se réfugie chez le prince Colonna à Palestrina.

¨ Vie errante et vie de travail

Dès lors, une vie errante commence pour lui. Toujours protégé par le prince, il s’abrite successivement à Paliano, puis à Zugarolo. En reconnaissance envers son bienfaiteur, il peint pour lui Madeleine et Cène à Emmaüs, aujourd’hui à la Galerie Brera, à Milan. Mais ne se sentant pas assez à l’abri de la justice, au bout d’une année, il part se réfugier à Naples où règnent les Bourbon espagnols, peu souvent en bons termes avec Rome. Là, il peint d’abord sa célèbre Mort de la Vierge, aujourd’hui au Louvre. Comme elle est achetée par le duc Gonzague de Mantoue, il part avec elle dans cette ville, mais il ne s’y plaît pas et revient bien vite à Naples.

Pendant que ses amis font démarches sur démarches à Rome pour le faire amnistier, Le Caravage, lui, se met au travail avec acharnement. Il peint successivement La Résurrection du Christ, Saint François recevant les stigmates, tableau qui est aujourd’hui perdu ; puis les Sept œuvres de miséricorde pour l’église du Mont de Piété de Naples et La Flagellation à l’église Saint-Dominique. Son style s’y affirme dans des effets plastiques et monumentaux confiés aux seuls rapports entre l’ombre et la lumière. Ils sont employés pour exalter les aspects les plus crus de la réalité. À l’automne de l’année 1607, il vend encore, à Naples, La Madone du Rosaire et Judith et Holopherne ; puis, on ne sait pour quelle raison, il éprouve le besoin de mettre encore plus de distance entre lui et Rome, et il part à Malte.

¨ Chevalier de l’Ordre de Malte : l’errance

Dans cette île, il se sent d’abord en sécurité car les communications avec Rome sont peu faciles. Il se remet à peindre et son talent est vite reconnu par le grand maître de l’Ordre, Alof de Wignacourt, qui lui commande par deux fois son portrait. Ces œuvres magnifiques lui valent un suprême honneur : il est nommé chevalier de l’Ordre de Malte et reçoit deux nouvelles commandes pour la cathédrale de La Valette, la capitale de l’Île : Décollation de saint Jean Baptiste et Saint Jérôme. Mais, hélas, les nouvelles finissent toujours par arriver, même dans une île.

Le 6 octobre 1608, une année après son arrivée, le procurateur de l’Ordre, probablement instruit des vraies raisons qui avaient motivé le départ du peintre de Rome, fait arrêter Le Caravage et réunit une commission criminelle, chargée d’une enquête sur lui. C’est le 1er décembre que l’artiste doit comparaître pour un premier interrogatoire, mais, on ne sait comment, il réussit à s'évader du château Saint-Ange, pourtant bien gardé. Alors, un jugement d’exclusion est porté contre lui : il est exclu de l’Ordre et chassé, dit le jugement, " comme un membre corrompu et fétide ". Désormais, il aura à ses trousses, non seulement la justice de Rome, toujours un peu molle, mais celle des chevaliers de Malte, ce qui est beaucoup plus dangereux pour lui.

Il s’en rend parfaitement compte car, arrivé en Sicile, à Syracuse, il n’y restera que quelques mois : le temps d’y peindre L’Enterrement de sainte Lucie, la patronne de la ville, et celui de donner le nom D’oreille de Denis à la célèbre grotte des non moins célèbres anciennes carrières grecques. Puis, au printemps 1609, il s’enfuit de nouveau à Messine, car il se sent menacé. Dans cette ville, il recommence à peindre pour vivre et livre le 16 juin, La Résurrection de Lazare, puis peint une Adoration des bergers.

Mais, là encore, il ne se sent pas à l’abri des vengeances de Malte. Alors, il part de nouveau et va s’installer à Palerme où il peint, pour l’oratoire Saint-Laurent, La Nativité avec saint François et saint Laurent. Au bout de trois mois, il pense de nouveau que la distance qui sépare la Sicile de Malte n’est pas suffisante. Alors, il reprend le bateau et le 20 octobre, il débarque de nouveau à Naples.

Hélas, au cours de ses fuites et des séjours multiples, son instinct belliqueux ne l’a pas quitté. Deux jours après son arrivée, il est de nouveau pris dans une bagarre devant l’auberge allemande du port. Il y est si gravement blessé que la nouvelle de sa mort arrive deux jours après à Rome. La feuille de nouvelles L’Avvisio du 24 octobre, écrit : " De Naples, on apprend que Le Caravage, le célèbre peintre, a été tué. " Pourtant, on connaîtra bien vite qu’il n’en est rien, et ses amis, en particulier, le cardinal Gonzague, redoublent d’ardeur pour obtenir sa grâce, et leurs efforts sont près d’aboutir.

La blessure du Caravage est sérieuse. Il lui faut plus de six mois pour s’en remettre. En juillet 1610, rétabli et ayant de bonnes nouvelles de Rome, le peintre décide de quitter Naples, de se rapprocher de la Ville éternelle, et d’aller attendre sa grâce à Porto Ercole, petit port tenu par une garnison espagnole, près de la frontière sud des États pontificaux. Il part donc, de Naples, en felouque mais, comble de malchance, à peine débarqué, sans qu’il ait eu le temps de mettre à terre ses bagages, la police espagnole se trompe, le prend pour quelqu’un d’autre et l’arrête par erreur. Il sera retenu deux jours au poste de police.

Mais pendant ces deux jours, la felouque qui ne faisait qu’une escale est repartie en emportant ses bagages laissés à bord. Alors, Le Caravage, furieux, et en proie à une profonde crise de désespoir, se met à parcourir la plage tentant de voir sur la mer le petit bateau où il avait laissé ses bagages et de lui faire des signaux pour obtenir son retour. Bientôt, épuisé, il tombe sur le sable, en proie à une fièvre maligne. Il y restera quelques jours, sans aucun secours et, nous dit Baglione, " il mourra misérablement, comme il avait vécu ".

C’était le 18 juillet 1610. La grâce venait d’être accordée, mais elle ne servait plus à rien. L’Avviso du 31 juillet écrit : " Michel-Ange de Caravage, peintre célèbre, est mort à Porto Ercole, tandis qu’il revenait de Naples à Rome par la grâce de Sa Sainteté qui l’avait relevé du bannissement ". Il avait trente-six ans.

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Avec une vie aussi agitée et déréglée, on comprend que Le Caravage n’ait formé aucun élève. Il ne fut jamais professeur, ne donna pas de leçons, n’écrivit aucune consigne, ne tint aucun propos sur la peinture. Il exposait seulement quelques idées au cours de ses procès. Et pourtant, paradoxalement, peu de peintres ont exercé autant d’influence que lui sur la peinture de leur époque. Déjà, de son vivant, des peintres l’observaient, étudiaient son œuvre originale, et le Caravagisme prit un essor considérable. Dès 1600, des artistes comme les Italiens Borgianni, Gentileschi, Saraceni ; les Flamands Rubens et Van Baburen ; l’Allemand Elsheimer, assimilèrent les nouveautés caravagesques. Après sa mort, les adhésions se multiplièrent en Italie et à l’étranger. Pour ne citer que les principaux, j’avancerai les noms des Italiens Lucas Giordano, Le Guerchin et Manfredi, des Français Simon Vouet, Nicolas Reignier, Valentin, des Le Nain et du grand Georges de La Tour ; des Hollandais Terbrugghen, Van Honthorst, Stomer et surtout Rembrandt ; des Flamands Tombouts et Janssens ; de nombreux Espagnols dont les plus grands furent Ribera et Velasquez.

Grâce au Caravage, un art attentif aux aspects les plus variés de la vie quotidienne et empreint d’un message de liberté voyait le jour. La révolution accomplie par ce peintre, anticonformiste sur le plan de la forme et de l’iconographie, codifiait le résultat d’un changement radical entre le peintre et le monde. Sa force de pénétration était d’autant plus grande qu’elle pouvait répondre aux exigences de renouvellement que portaient en eux certains milieux culturels et sociaux. Elle pouvait aussi atteindre les sensibilités individuelles les plus originales sans exercer sur elles une contrainte tyrannique.

L’une des conséquences de la leçon du Caravage fut l’adoption, par une bonne partie de la peinture européenne, d’un certain nombre de formules techniques (naturalisme de la représentation, luminisme de la lumière incidente, clair-obscur expressif, figures grandeur nature) et d’un certain nombre de thèmes iconographiques populaires (scènes de taverne, diseuses de bonne aventure, joueurs d’instruments de musique populaire).

Mais, surtout, le caravagisme eut le rôle spécifique de représenter, au cours de tout le xviie siècle, un courant puissant d’opposition, d’une part à la rhétorique des Académies et de leur art classique et, d’autre part, à la verve brillante, décorative et un peu illusionniste de l’art baroque.

C’est dire toute son importance et tout son intérêt.

P. Émile Berthoud