JEAN-RENE BOUCHET

Dominicain

 

LECTIONNAIRE

POUR LES DIMANCHES

ET POUR LES FÊTES

 

Lectionnaire patristique dominicain

        

présenté par

Eric T. de Clermont-Tonnerre o.p.

 et Marie-Anne Vannier

 

 

 

Avertissement

 

       Le Lectionnaire pour les dimanches et pour les fêtes est la reprise du Lectionnaire patristique dominicain qui fut en son temps diffusé en trois petits fascicules pro manuscripto par les moniales dominicaines de Prouilhe. En effet, le frère Jean-René Bouchet était assistant des moniales de la fédération du Sud de la France et travaillait à la révision postconciliaire de leurs constitutions, quand le prieur du couvent de Toulouse, le frère Philippe Maillard, lui demanda de proposer, pour l'office divin des dimanches et des fêtes, des lectures tirées des Pères de l'Église qu'il connaissait si bien. Le calendrier liturgique venait provisoirement de changer, mais ce n'était pas encore la répartition définitive que nous connaissons maintenant. Aussi la distribution des textes dans le présent volume a-t-elle été adaptée pour correspondre mieux aux lectures qui sont aujourd'hui celles de la messe du dimanche. D'autre part, certaines lectures proposées ici pour tel ou tel dimanche n'ont pas été choisies spécialement pour ce jour-là par le frère Jean-René Bouchet.

       Fallait-il donc publier ce recueil ? Nombreux sont ceux qui le souhaitaient, non seulement dans les milieux monastiques et religieux, mais aussi, au-delà du catholicisme parmi ses amis orthodoxes et protestants. À la vérité, le frère Jean-René Bouchet, de son vivant, ne tenait pas à ce que cet ensemble fût imprimé, encore qu'il ait laissé l'éditeur libre de le faire. La raison en était la suivante, ses proches peuvent en témoigner : semaine après semaine, en préparant la liturgie de son couvent, il avait cherché ces textes, il les avait parfois trouvés dans des ouvrages qui n'étaient pas nécessairement à jour d'un point de vue scientifique, ou bien encore les avait-il adaptés aux nécessités de la lecture liturgique ; dans quelques cas enfin, il avait constitué une sorte de santon à partir des crêtes d'un grand texte, de telle sorte qu'on eût un ensemble qui en respectât le vaste mouvement, sans avoir à en subir les détours ou les digressions. C'est ainsi qu'il adapta un texte de saint Éphrem, devenu célèbre grâce à lui, « Le roi dort », pour le samedi saint. Le frère Jean-René Bouchet, qui avait reçu une formation de patrologue et était fort respectueux des exigences de la science, hésitait à proposer cet ensemble autrement que comme un service de circonstances.

       Cependant un patrologue aussi éminent que le frère Matthieu de Durand n'hésite pas à parler du frère Jean-René Bouchet comme d'un génie dans l'art de découvrir les perles que recèle l'abondante littérature patristique. De son côté, le théologien orthodoxe Nicolas Lossky n'hésitait pas à écrire : « Parmi les nombreuses façons de lire les Pères de l'Église, il en est une que l'on pourrait qualifier de " liturgique ". C'est celle que Jean-René Bouchet utilise dans son Lectionnaire patristique dominicain. Elle consiste en un choix de passages, parfois de phrases, qui disent l'essentiel du mystère chrétien (vu par le prisme de la fête célébrée), arrangés en une courte homélie. Cette homélie exprime l'enseignement du Père dans la mesure où il s'inscrit dans la Tradition de l'Église : l'expérience ecclésiale de Dieu ? C'est extraire de la littérature patristique ce qui vaut pour tous les temps. Une grande partie de l'hymnographie byzantine est ainsi composée, rassemblant des citations d'homélies patristiques. »

       Ce recueil de textes ne vise pas à l'étude, mais à la méditation. Ces textes sont là pour favoriser l'amitié avec Dieu en la nourrissant de la réflexion des Pères sur les grands moments de l'année liturgique.

       Ce rassemblement de textes, à première vue fort divers, qu'on les prenne en eux-mêmes ou dans leur ensemble, répond à une logique interne. Le frère Jean-René Bouchet, qui s'est attaché à faire connaître les grands textes des mystiques des premiers siècles, en a enlevé les scories que sont les longs développements polémiques ou moralisants, non qu'il voulait les ignorer, lui qui a longuement étudié le Contre Apollinaire de Grégoire de Nysse, mais il avait à cœur de rendre manifeste le message des Pères de l'Église et son actualité.

       Délibérément, il a choisi un foyer vers lequel convergent tous les textes, foyer qui n'est autre que le mystère de la Rédemption. Pour aider à en vivre, il n'a pas retenu les élaborations spéculatives des Pères, mais il place le lecteur face à une expérience : celle de la Transfiguration qui lui fait percevoir, à la suite des disciples, la réalité de la divinité du Christ, à l'intérieur même de son humanité. Cette vision de lumière (ce « ciel sur la terre »), le frère Jean-René Bouchet en était pénétré et l'a transmise. À travers ces textes, il nous invite à goûter la douceur de la Transfiguration, à comprendre la tendresse de Dieu, à entrer plus profondément dans la Pâque du Christ. Lui qui a perçu l'urgence de la prédication sur la Résurrection, sur le troisième jour comme il aimait à le dire, il a donné à ce mystère tout son relief en le replaçant dans son contexte immédiat, la Transfiguration. Après la nuit du Thabor, « les disciples ont dû affronter une autre nuit : celle de l'agonie, avant de devenir les témoins de la Pâque » (Homélie pour le Carême des artistes, 1985). Le frère Jean-René Bouchet n'omet pas ce temps de l'épreuve, pendant lequel l'homme est défiguré. D'ailleurs, son livre Sur ses pas s'en fait l'écho, mais ce n'est pas là le dernier mot. Par la croix, le Christ a pris notre défiguration, pour la configurer à son image et la transfigurer dans sa résurrection. Les Pères l'expriment avec un réalisme saisissant. Lorsqu'ils prêchent sur la résurrection, ils annoncent « la transfiguration de tout notre être » (Retraite d'Andecy, 1978). C'est sur le chemin pascal de l'amour, que par ce lectionnaire et à la suite des Pères, nous sommes invités à nous engager.

 

 

 

 

TEMPS DE L'AVENT

 

Premier dimanche de l'Avent

 

 

 

Veillez donc, parce que vous ne savez pas quel jour va venir

votre Maître

matthieu 24, 42

 

 

Sermon de saint Bernard, abbé

 

       Je pense souvent au brûlant désir avec lequel les patriarches attendaient l'Incarnation du Christ et j'en ressens une tristesse et une confusion profondes : auquel d'entre nous la manifestation de la grâce inspire-t-elle une joie aussi vive que le désir qu'allumait sa promesse au cœur de nos vieux saints ? Nombreux serez-vous, sans doute, à vous réjouir de cette naissance que nous allons célébrer : Dieu veuille que notre joie se propose la nativité et non la vanité ! Les meilleurs de ces hommes qu'animait alors la force de l'Esprit disaient : « Que me font les bouches éloquentes des Prophètes ? Je ne veux plus entendre Moïse : elle est trop embarrassée la langue dont il me parle, les lèvres d'Isaïe sont impures, Jérémie ne sait pas parler car il n'est qu'un enfant. Quant aux Prophètes, ils sont tous muets. Mais que celui-là, oui, celui-là dont ils parlent, qu'il parle lui-même. »

       Je le vois, ces paroles vous plaisent. Mais écoutez encore ceci : les saints n'ignoraient pas qu'avant même l'avènement du Sauveur, Dieu formait des desseins de paix à l'égard du genre humain. Il n'eût point dit un mot sur la terre sans le révéler à ses Prophètes. Et, pourtant, sa Parole demeurait cachée pour beaucoup. En ce temps-là, la foi était rare sur la terre, et l'espérance bien ténue en la plupart de ceux qui attendaient la rédemption d'Israël. Mais ceux qui la pressentaient publiaient que le Christ viendrait en la chair et amènerait la paix. Ce qui inspira à l'un d'eux ce mot : « La paix sera sur la terre lorsqu'il viendra. »

       Mais, tandis qu'ils annonçaient la paix et que l'auteur de la paix tardait à venir, la foi du peuple chancelait et nul ne pouvait le racheter ni le sauver. Aussi les hommes s'indignaient-ils de ce retard et de ce que le Prince de la paix, tant de fois annoncé, ne venait point encore, ainsi qu'il l'avait affirmé par la bouche de ses saints Prophètes depuis le fond des âges.

Tenant ces promesses pour suspectes, ils réclamaient un signe de la réconciliation promise, comme si un homme du peuple répondait aux messagers de la paix : « Jusques à quand tiendrez-vous nos âmes inquiètes ? »

       Voici longtemps que vous prédisez la paix et elle ne vient pas. Vous promettez la prospérité et le désordre règne toujours. Cette nouvelle nous a été annoncée de bien des manières et sur tous les tons : « Les anges la portaient à nos Pères et nos Pères nous la répétaient : paix, paix... or, il n'y a point de paix. Si Dieu veut que je croie encore aux assurances qu'il nous donne de sa bonne volonté par des messages aussi insistants, qu'il me donne la certitude de sa paix. Qu'il démontre la bonne foi de ses messagers et qu'il les suive comme ils l'ont si souvent promis. »

       Ainsi l'antique plainte implorait-elle le mystère du Verbe incarné tandis que, lassée par sa longue et pénible attente, la foi défaillait et que le peuple murmurait, découragé, contre les promesses de Dieu. Je ne fais que rêver si vous ne reconnaissez tout cela vous-même en l'Écriture. De là montent ces plaintes : « ordre sur ordre, attente sur attente, un peu ici et un peu là ». De là ces prières pleines d'angoisse et de ferveur : « Récompense Seigneur ceux qui t'ont attendu afin que tes Prophètes soient trouvés fidèles. » Et encore : « Exauce Seigneur les prières que les premiers Prophètes ont prononcées en ton nom. » De là ces promesses, pleines de douceur et de consolation : « Voici que le Seigneur va paraître. S'il tarde, attends-le, il viendra sûrement sans faillir. » Ou encore : « Son heure approche, ses jours ne tarderont pas. » Et de la personne de celui qui doit venir : « Je vais descendre vers vous comme un fleuve de paix et comme un torrent inondant la gloire des nations. »

 

 

Deuxième dimanche de l'Avent

 

 

 

Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers

matthieu 3, 3 b

Sermon de saint Maxime de Turin, évêque

 

       La Sainte Écriture ne cesse de parler et de crier, comme il est écrit de Jean : « Je suis la voix qui crie dans le désert. » Jean n'a pas seulement crié au temps où il disait aux pharisiens, en leur annonçant le Dieu Sauveur : « Préparez le chemin du Seigneur, redressez les sentiers de notre Dieu ! » II crie encore pour nous et le tonnerre de sa voix roule dans le désert de nos péchés. Même s'il s'est endormi dans la sainte mort de son martyre, sa voix, elle, demeure toujours vivante. Aujourd'hui encore, Jean Baptiste nous dit : « Préparez le chemin du Seigneur, redressez ses sentiers. » La Sainte Écriture ne cesse de parler et de crier. Nous devons donc préparer des chemins au Seigneur, non au sens littéral, mais par la pureté de notre foi. Le Seigneur ne prend pas les chemins terrestres, mais s'avance dans le secret des esprits. C'est de ce chemin, que le Seigneur a l'habitude de prendre, que parle le Prophète lorsqu'il dit : « Préparez un chemin au Seigneur qui monte au-dessus du couchant : le Seigneur est son nom. »

       Jean nous ordonne de préparer le chemin du Seigneur ; mais voyez quel chemin lui-même lui a préparé. En tout, il a ordonné et dirigé la trame de sa vie en fonction de la venue du Christ. Il fut, en effet, jeûneur, humble, pauvre et vierge. L'Évangéliste décrit ce genre de vie lorsqu'il dit : « Jean avait un manteau en poils de chameau, un pagne autour des reins ; sa nourriture était de sauterelles et de miel sauvage. » Je pense que tout ce comportement du Prophète était lui-même prophétie. Jean est donc grand, lui dont le Sauveur lui-même a loué la grandeur : « Parmi les enfants des femmes il n'en est pas de plus grand que Jean le Baptiste. » II a le pas sur tous les Prophètes qui l'ont précédé, il dépasse tous les patriarches ; bref tout homme né d'une femme est inférieur à Jean Baptiste.

       Jean est aussi appelé lampe selon la parole du Seigneur : « II était une lampe ardente. » Avant son lever, le Soleil du monde a voulu être précédé d'une lampe comme il est d'usage de le faire avant que le soleil ne se lève. Le Christ a donc une lampe qui précède sa venue comme dit le Prophète : « J'ai apprêté une lampe pour mon Christ... » Et Jean Baptiste, comme la faible lampe qui précède la lumière du soleil, dit de lui-même : « Après moi vient quelqu'un qui est plus grand que moi et je ne suis pas digne de délier la courroie de sa sandale : lui-même vous baptisera dans l'Esprit Saint et le feu. » En même temps, il prédit que la clarté de sa lampe va devenir inutile et disparaître avec la venue du    Soleil : « II faut qu'il croisse et que je diminue. » Le soleil rend mutile la lumière d'une lampe et la venue de la grâce du Christ rend de même caduc le baptême de pénitence de Jean.

 

 

Troisième dimanche de l'Avent

 

 

 

Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un

autre ? matthieu 11, 3

 

Sermon de saint Augustin, évêque

 

       On a vu, avant Jean Baptiste, et en grand nombre, de grands, de saints Prophètes, dignes de Dieu, pleins de son Esprit, qui annonçaient le futur avènement du Seigneur et rendaient témoignage à la vérité. Cependant, on n'a pu dire d'eux ce qui a été dit de Jean Baptiste : « Parmi les enfants des femmes, il n'y en a pas eu de plus grand que Jean Baptiste. » Pourquoi donc cette grandeur envoyée devant celui qui est la grandeur même ? Pour donner un témoignage de la profonde humilité du Précurseur. Il était si grand qu'on aurait pu le prendre pour le Christ. Rien de plus facile à Jean Baptiste que d'abuser de l'erreur où étaient les hommes : il pouvait leur persuader sans peine qu'il était le Christ, puisque sans qu'il l'eût dit, telle était la croyance de ceux qui l'entendaient et le voyaient. Il n'était pas besoin de répandre l'erreur, il suffisait de l'accréditer. Mais cet humble ami de l'époux, zélé pour l'honneur de l'époux, ne veut pas prendre, comme un adultère, la place de l'époux. Il rend témoignage à son ami, il recommande à l'épouse l'époux véritable et il a horreur d'être aimé à sa place parce qu'il ne veut être aimé qu'en lui. « Celui qui a l'épouse est l'époux. » Et comme on lui demandait : « Qui es-tu donc ? » « L'ami de l'époux, continue-t-il, qui se tient debout et l'écoute, se réjouit d'une grande joie à la voix de l'époux. »

       Le disciple écoute le maître ; il est debout parce qu'il l'écoute, car s'il refuse de l'écouter sa chute est certaine. Ce qui relève à nos yeux la grandeur de Jean, c'est qu'il pouvait être pris pour le Christ et que, cependant, il préféra rendre témoignage à Jésus-Christ, proclamer sa grandeur et s'humilier que de passer pour lui et se tromper lui-même en trompant les autres. C'est donc à juste titre que Jésus dit de lui qu'il était plus qu'un Prophète. Le Seigneur, parlant lui-même des Prophètes qui ont précédé son avènement, s'exprime en ces termes : « ... beaucoup de Prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez et ne l'ont pas vu. » En effet, ces hommes saints, remplis de l'Esprit de Dieu pour annoncer l'avènement du Christ désiraient ardemment, s'il était possible, jouir de sa présence sur la terre. (...) C'est sur les bords du Jourdain que Jean vit le Sauveur. Il le vit, le reconnut et lui rendit témoignage. Jean s'humilia devant la grandeur du Seigneur pour mériter que son humilité fût relevée par cette grandeur... « Je ne suis pas digne, dit-il, de dénouer la courroie de ses sandales. »

       Ce Prophète, ou plutôt cet homme, qui était plus qu'un Prophète, a mérité d'être prédit longtemps d'avance par un Prophète : « Voix de celui qui crie dans le désert : préparez les chemins du Seigneur, rendez droits ses sentiers. Toute vallée sera comblée ; montagnes et collines seront abaissées, les chemins tortueux seront redressés, ceux qui étaient raboteux seront aplanis. Et toute chair verra le salut de Dieu. Une voix dit : Crie. Et j'ai dit : Que crierai-je ? Toute chair n'est que de l'herbe et sa beauté ressemble à la fleur des champs. L'herbe sèche, la fleur tombe, mais la Parole du Seigneur demeure éternellement. » Soyez bien attentifs, frères très chers : Les juifs envoient demander à Jean qui il était, s'il était le Christ, Élie ou un Prophète. Il répond : « Je ne suis ni le Christ ni Élie, ni un Prophète. » « Qui es-tu donc ? » lui dirent-ils ; « Je suis une voix qui crie dans le désert. » II se dit la voix. Jean est donc la voix ; et le Christ qu'est-il si ce n'est la Parole, le Verbe ? La voix précède pour donner l'intelligence du Verbe. Et de quel Verbe ? « Au commencement, dit l'Évangéliste, était le Verbe et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu. Il était en Dieu dès le commencement. Toutes choses ont été faites par lui et sans lui rien n'a été fait. » Si tout a été fait par lui, Jean aussi a été fait par lui. Pourquoi nous étonner que le Verbe ait fait la voix ? Voyez, regardez sur les bords du fleuve, tout à la fois la voix et le Verbe. La voix, c'est Jean, le Verbe c'est le Christ.

 

 

Autres lectures pour le temps de l'Avent

 

 

 

Sermon de saint Hilaire de Poitiers, évêque

 

       Comme le père de famille, dans l'Évangile de saint Luc, fit trois visites au figuier stérile, ainsi la Sainte Mère Église a marqué pour elle chaque année l'avènement du Seigneur par une période distincte de trois semaines. « Le Fils de l'homme vint en effet chercher et sauver ce qui était perdu. » II vint avant la Loi, car il fit connaître par la raison naturelle ce que chacun» devait faire ou suivre. Il vint sous la Loi car, par les exemples des patriarches et la voix des prophètes, il confirma à la descendance d'Abraham les décrets de la Loi. Il vint une troisième fois après la Loi par la grâce pour la vocation des gentils afin que, de l'Orient à l'Occident, les enfants apprennent à louer le nom du Seigneur, ces enfants que jusqu'à la fin du monde, il ne cesse d'exhorter au culte de sa gloire.

       Toute l'œuvre contenue dans les saints livres annonce, en effet, par des paroles, révèle par des faits, établit par des exemples, l'avènement de Jésus-Christ notre Seigneur qui, envoyé par son Père, s'est fait homme en naissant d'une vierge par l'opération du Saint-Esprit. C'est lui, en effet, qui, pendant toute la durée du siècle présent, par des préfigurations vraies et manifestes, engendre, lave, sanctifie, choisit, sépare ou rachète l'Église dans les patriarches : par le sommeil d'Adam, par le déluge de Noé, par la justification d'Abraham, par la naissance d'Isaac, par la servitude de Jacob... Pendant tout le déroulement du temps, en un mot, l'ensemble des prophéties, mise en œuvre du plan secret de Dieu, nous a été donné par bienveillance pour la connaissance de son Incarnation à venir... Dans chaque personnage, chaque époque, chaque fait, l'ensemble des prophéties projette comme dans un miroir l'image de son avènement, de sa prédication, de sa Passion, de sa résurrection et de notre rassemblement dans l'Église... A commencer par Adam, point de départ de notre connaissance du genre humain, nous trouvons annoncé dès l'origine du monde, en un grand nombre de préfigurations, ce qui a reçu dans le Seigneur un total achèvement.

       Ainsi l'ordre des générations, l'élection d'Abraham, la naissance des patriarches, l'esclavage du peuple, la destruction des Égyptiens, la division de la mer, la rosée de la manne, l'institution de la Loi, la distinction des sacrifices, le temps des juges, l'histoire des royaumes, la captivité du peuple, la vision des saints, les avertissements des Prophètes, combien tout cela est nécessaire pour notre connaissance ! Tous ces événements, en effet, nous font connaître, à partir du Père qui est Dieu, le Fils également Dieu, Jésus-Christ, Dieu et homme. Quand Dieu ordonne et quand Dieu exécute dans la création du monde, quand l'homme est formé sur le modèle d'une image commune, quand Abraham voit un homme et adore un Dieu, quand dans la lutte de Jacob l'homme voit Dieu et demande au Seigneur de le bénir, quand la Vierge enfante Emmanuel, celui qui est Dieu avec nous. Il convenait donc que ces réalités figurées par tous les événements, connues et accomplies dans le Christ seul, aient été conservées à la mémoire par des écrits et des livres scellés pour que la postérité, instruite par les événements antérieurs, contemple le présent dans le passé et vénère maintenant encore le passé dans le présent.

 

Première apologie de saint Justin, philosophe et martyr

 

       A l'empereur Hadrien, Auguste César, et à Verissimus, son fils philosophe, et à Licius, philosophe, et au Sénat et à tout le peuple romain, en faveur des hommes de toute race qui sont injustement haïs et persécutés, moi l'un d'eux, Justin, fils de Priscos de Naplouse en Syrie de Palestine, j'adresse ce discours.

       On nous objecte que celui que nous appelons le Christ n'est qu'un homme, né d'un homme, que les prodiges que nous lui attribuons sont dus à l'art de la magie et qu'il a réussi à se faire passer pour Fils de Dieu. Notre démonstration ne s'appuiera pas sur des on-dit, mais sur des prophéties faites avant l'événement, auxquelles nécessairement nous devons croire : car nous avons vu et nous voyons encore se réaliser ce qui a été prédit...

       Il y eut chez les juifs des Prophètes de Dieu par lesquels l'esprit prophétique annonça d'avance les événements futurs. Leurs prophéties furent soigneusement gardées telles qu'elles avaient été prononcées, par les rois successifs de Judée dans des livres écrits en hébreu de la main même des Prophètes...

       Or, nous lisons dans les livres des Prophètes que Jésus, notre Christ, doit venir, qu'il naîtra d'une vierge, qu'il parviendra à l'âge d'homme, qu'il guérira toute maladie et toute infirmité, qu'il ressuscitera les morts, que méconnu, méprisé, il sera crucifié, qu'il mourra, qu'il ressuscitera et montera au ciel, qu'il est et sera reconnu Fils de Dieu, qu'il enverra certains annoncer ces choses dans le monde entier et que ce seront surtout les gentils qui croiront en lui. Ces prophéties furent faites cinq mille, trois mille, deux mille, mille, huit cents ans avant sa venue car les Prophètes se succédèrent les uns aux autres de génération en génération.

       Moïse, le premier des Prophètes, dit en propres termes : « II ne manquera pas de roi en Juda ni de chef en cette race jusqu'à ce que vienne celui à qui il a été réservé. Celui-là sera l'attente des nations. » Or, après la venue du maître, vous avez régné sur les juifs et vous avez conquis leur territoire. « II sera l'attente des nations. » Cette parole signifiait que, dans toutes les nations, on attendrait son second avènement. Or, vous pouvez le voir et vous convaincre du fait : dans toutes les nations, on espère en ce crucifié de Judée après la mort duquel la patrie des juifs a été conquise par vos armes et livrée entre vos mains.

       Un autre Prophète, Isaïe, annonce la même chose en d'autres termes : « Une étoile se lèvera de Jacob, une fleur poussera sur la tige de Jessé et les nations espéreront en son bras. » Cette étoile lumineuse qui se leva, cette fleur qui poussa sur la tige de Jessé, c'est le Christ. Il naquit par la vertu de Dieu d'une vierge de la race de Jacob, père de Juda qui, comme nous l'avons vu, est l'ancêtre du Christ. Jessé fut aussi selon les oracles un aïeul du Christ, fils lui-même de Jacob et de Juda selon l'ordre des générations.

       Écoutez maintenant comment Isaïe annonce en propres termes qu'il naîtra d'une vierge ; il s'exprime ainsi : « Voici que la vierge concevra et enfantera un fils et on l'appellera Dieu avec nous. » La vertu de Dieu descendant sur la vierge l'a couverte de son ombre et l'a fait concevoir sans détruire sa virginité. En ce temps-là, l'Ange de Dieu envoyé à la vierge lui annonça la bonne nouvelle en ces termes : « Voici que tu concevras du Saint-Esprit et que tu enfanteras un fils et ce fils sera appelé Fils du Très-Haut et tu lui donneras le nom de Jésus car il sauvera son peuple de ses péchés. » C'est là ce que nous avons appris de ceux qui nous ont raconté la vie de notre Seigneur Jésus-Christ, et nous le croyons parce que, comme nous l'avons dit, l'Esprit prophétique annonça sa future naissance par la bouche d'Isaïe. Or, où il naîtrait, écoutez comme Michée, un autre Prophète l'a prédit. Voici ses   paroles : « Et toi Bethléem, terre de Juda, tu n'es pas la plus petite parmi les princes de Juda, car de toi sortira le chef, le pasteur de mon peuple. » Bethléem est une bourgade de Judée à trente-cinq stades de Jérusalem. C'est là qu'est né le Christ, vous pouvez vous en assurer par les registres du cens de Cyrénius, votre premier gouverneur en Judée.

 

Sermon de saint François de Sales, évêque

 

       C'est une chose admirable que nos anciens Pères, qui ont été si clairvoyants et ont eu de si grandes lumières pour expliquer et développer les plus grandes et obscures difficultés que présente la Sainte Écriture, se soient néanmoins tous trouvés étonnés sur le premier point de cet Évangile pour savoir comment l'on doit entendre que saint Jean, qui connaissait notre Seigneur, envoya ses disciples pour apprendre s'il était ce grand Prophète, ce Messie promis ou s'ils devaient en attendre un autre. Car, disent-ils, si saint Jean savait assurément qu'il était le Messie, pourquoi lui envoie-t-il demander qui il est ?...

       Mais l'on n'interroge pas toujours pour savoir, ni parce que l'on ignore ce que l'on demande ; mais l'on fait des questions pour plusieurs autres raisons ; car autrement, la divine Majesté ne ferait jamais aucune question aux hommes d'autant qu'elle sait tout et ne peut ignorer chose quelconque. Mais, encore que Dieu sache toutes choses, il n'a pas laissé de faire plusieurs questions aux hommes, non point qu'il ignorât ce qu'il leur demandait, mais sa divine providence l'a fait pour trois diverses causes.

La première, afin de leur faire confesser leur péché, comme il fit lorsque Adam eut transgressé son commandement : Il l'appela lui disant : « Adam, où es-tu ? »...

       La deuxième cause pour laquelle la divine Majesté fait des questions aux hommes est pour les éclairer ou instruire sur ce qui concerne les mystères de la foi, comme il fit à l'endroit des deux disciples qui allaient en Emmaùs. Apparaissant à eux en forme de pèlerin, il leur demanda de quoi ils parlaient, les interrogeant et éclaircissant sur le doute qu'ils avaient touchant sa résurrection.

La troisième cause pour laquelle on peut faire des demandes, c'est pour provoquer l'amour. Par exemple, Madeleine après la mort et la Passion de notre Seigneur, s'en alla pour oindre et embaumer son corps, mais trouvant le tombeau ouvert, elle pleura amèrement. Puis, passant un peu plus loin, elle aperçut notre Seigneur en forme de jardinier qui lui demanda : « Femme, pourquoi pleures-tu, que cherches-tu ? »...

       Voilà donc comment on ne demande pas toujours en ignorant, pour savoir ou apprendre, mais pour diverses causes. Aussi, le glorieux saint Jean n'envoya pas ses disciples à notre Seigneur pour savoir s'il était le Messie ou non, mais bien pour trois raisons.

       La première, pour le faire connaître à tout le monde. Il avait déjà tant prêché sa venue qu'il les envoya voir celui qu'il leur avait annoncé. Certes, ce doit être le but principal de tous les docteurs et prédicateurs de faire connaître Dieu. C'était le désir de ce glorieux saint. Et le signe pour trouver Dieu et le connaître, c'est Dieu lui-même : à la naissance de notre Sauveur, les anges allèrent trouver les pasteurs pour leur annoncer sa venue, chantant ces paroles que l'Église répète si souvent : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux. » Mais lorsqu'ils voulurent confirmer la merveille qu'ils leur faisaient entendre, ils leur dirent : « Allez voir et alors vous croirez et tiendrez pour certain ce que nous vous annonçons, car il n'est point de signe aussi assuré pour trouver Dieu que Dieu lui-même. »

       C'est pourquoi notre saint, après avoir longtemps prêché la venue de notre Seigneur à ses disciples, les envoie maintenant à lui, afin que non seulement ils le connaissent, mais le fassent connaître aux autres.

       La deuxième cause pour laquelle il les manda fut parce qu'il ne voulait pas les attirer à lui, mais à son maître, à l'école duquel il les envoyait pour être instruits de sa propre bouche. Car que voulait-il signifier sinon : Quoi que je vous prêche et enseigne, ce n'est point pour vous attirer à moi, mais bien à Jésus-Christ dont je suis la voix. C'est pourquoi je vous adresse à lui, sachez de lui s'il est le Messie promis ou si nous devons en attendre un autre, comme s'il voulait dire : Je ne me contente pas de vous assurer que c'est celui que nous attendons, mais je vous envoie afin que vous soyez instruits par lui. C'est ce que voulait dire aussi le grand Apôtre écrivant aux Corinthiens : « Je ne vous enseigne point pour vous attirer à moi, mais pour vous attirer à mon Seigneur Jésus-Christ. »

       La troisième raison pour laquelle saint Jean envoya ses disciples à notre Seigneur fut afin de les détacher de sa personne de peur qu'ils ne vinssent à un si grand abus de faire plus d'état de lui que du Sauveur.

       C'est donc pour leur bien et leur utilité que saint Jean envoya ses disciples faire au Seigneur une telle demande, pour ne point les attirer à lui, mais pour les en détacher afin que, voyant les merveilles que Jésus-Christ opérait, ils vinssent à en concevoir l'estime qu'il fallait.

 

Sermon de saint Grégoire de Nysse, évêque

 

       Quelle a été la cause qui a poussé la divinité à condescendre à notre faiblesse ? Tu cherches la cause pour laquelle Dieu est né, parmi les hommes : Sache que ce sont les dons qui nous font reconnaître la nature du donateur. Si nous regardons ce qui est survenu, nous pouvons conjecturer la nature du bienfaiteur. Et si l'amour pour l'humanité est une propriété de la nature divine, tu tiens la raison que tu cherchais, tu tiens la cause de la présence de Dieu dans l'humanité. Il fallait, en effet, un médecin à notre nature déchue ; il fallait quelqu'un qui relève l'homme tombé à terre ; il fallait celui qui donne la vie auprès de celui qui avait perdu la vie ; il fallait celui qui ramène au bien, car l'homme s'était détaché de la communion avec le bien ; l'homme enfermé dans les ténèbres appelait la lumière, le captif demandait qu'on le rachète, le prisonnier avait besoin d'un défenseur, l'esclave, retenu en servitude, appelait un libérateur. Ces raisons ne méritaient-elles pas de blesser la vue de Dieu, de le faire descendre pour visiter l'humanité gisant dans un si grand malheur et une si grande pitié ?

       Mais Dieu pouvait, dira-t-on, faire du bien à l'homme et demeurer dans l'impassibilité exempte de faiblesse. Pourquoi celui qui a établi l'univers par son vouloir, et qui a donné l'existence à ce qui ne l'avait point par la seule impulsion de son désir, n'aurait-il pas arraché l'homme à la puissance ennemie pour le ramener à sa condition première, puisqu'il lui plaisait de le faire ? Au contraire, il prend des chemins détournés et longs, il revêt la nature du corps, il entre dans notre monde par la voie de la naissance, parcourt les étapes de la vie, fait l'expérience de la mort, atteint ainsi son but par la résurrection de son propre corps. Ne lui aurait-il pas été possible, en restant dans les hauteurs, de sauver l'homme par une pure décision et de laisser de côté des moyens si compliqués ?

       La bonté, la sagesse, la justice, la puissance, l'incorruptibilité, tous ces attributs se manifestent dans l'économie du salut en notre faveur. La bonté se voit dans la volonté de sauver ce qui était perdu, la sagesse et la justice dans la forme qu'a pris notre salut. Dieu a montré sa puissance en devenant semblable à l'homme et en prenant sa condition pour se régler sur notre faiblesse. Ni les immensités des deux, ni l'éclat des astres, ni l'ordre de l'univers et l'économie qui ne cesse de s'occuper des êtres, ne manifestent la puissance de Dieu autant que la condescendance qui l'incline vers la faiblesse de notre nature. Nous y découvrons comment la grandeur, au cœur de la faiblesse, se laisse apercevoir sans déchoir de son élévation ; comment la divinité, unie à la nature humaine, devient ceci tout en restant cela.

 

Sermon du bienheureux Aelred de Rievaulx, abbé

 

       II est venu, frères très chers, le temps où nous devons chanter amour et jugement pour le Seigneur. C'est l'avent du Seigneur, le Maître de tout qui vient et qui viendra. Mais comment viendra-t-il ou comment vient-il ? N'a-t-il pas dit : « Je remplis le ciel et la terre ? » Comment vient-il donc au ciel et sur terre celui qui emplit ciel et terre ? Écoute l'Évangile : « II était dans le monde et le monde a été fait par lui et le monde ne l'a pas connu. » II était donc présent et absent à la fois. Présent, car il était dans le monde ; absent car le monde ne l'a pas connu. « II n'est pas loin de chacun de nous, dit Paul, en lui, en effet, nous avons la vie, le mouvement et l'être. » Cependant, « il est loin des impies, le salut ». Il est proche en sa nature, il est loin par la grâce. Comment n'aurait-il pas été loin, celui qui n'était pas reconnu, en qui l'on ne croyait pas, qui n'était pas craint, que l'on n'aimait pas ?

       Il vint donc pour qu'on le connaisse, celui qui n'était pas reconnu ; pour qu'on le croie celui en qui l'on ne croyait pas ; pour qu'on le craigne, celui qui n'était pas craint ; pour qu'on l'aime celui qui n'était pas aimé. Celui qui était présent par sa nature est venu dans sa miséricorde... Pensez un peu à Dieu et voyez pourquoi il dépose une si grande puissance, comment il humilie un si grand pouvoir, comment il affaiblit une si grande force, comment il rend folle une si grande sagesse. Était-ce un devoir de justice envers l'homme ? Non, car « ils étaient tous dévoyés, ensemble pervertis et il n'en était aucun qui fasse le bien ». Alors, manquait-il quelque chose à Dieu ? Non pas : « Au Seigneur la terre et sa plénitude. » Manquait-il au Seigneur quelque chose que nous aurions possédé ? Non plus, car « il est mon Dieu et n'a pas besoin de mes biens ».

       Vraiment, Seigneur, ce n'est pas ma justice, mais ta miséricorde, qui t'ont conduit ; ce n'est pas ta pauvreté, mais mon besoin. Tu as dit, en effet : « La miséricorde est bâtie dans les cieux. » C'est bien cela, parce que la misère abondait sur la terre, je chanterai pour toi, Seigneur, la miséricorde que tu as manifestée lors de ta venue. Ce fut miséricorde, lorsque, fait homme, il prit sur lui nos infirmités ; ce fut miséricorde, lorsqu'il affermit par les miracles notre foi en sa divinité ; ce fut miséricorde, lorsqu'il ne repoussa pas la prostituée qui le toucha, mais qu'il loua sa ferveur. Pour tout cela, je chanterai, Seigneur, la miséricorde que tu as manifestée lors de ta première venue, et à juste titre, car « la terre est remplie de la miséricorde du Seigneur ».

 

Sermon de saint Bernard, abbé

 

       Frères, vous à qui le Seigneur, comme à des petits, révèle ce qui est caché aux sages et aux habiles, vous devez appliquer votre pensée à ce qui concerne vraiment le salut et trouver le sens de cet avent : Cherchez donc quel est celui qui vient, d'où et de qui il vient, cherchez aussi le motif de sa venue. Cette curiosité est sans aucun doute louable et salutaire : l'Église ne célébrerait pas le présent A vent avec tant de ferveur s'il ne recelait en lui quelque grand sacrement. Et tout d'abord, avec l'Apôtre stupéfait et plein d'admiration, regardez vous aussi celui qui fait son entrée : II est, au témoignage de Gabriel, le Fils du Très-Haut, Très-Haut lui-même. Vous avez entendu, frères, quel est celui qui vient, écoutez, maintenant, d'où il vient et où il va. Il vient du cœur de Dieu le Père dans le sein de la Vierge Mère. Il vient du plus haut des cieux jusqu'aux régions inférieures de la terre.

       Mais quoi, ne devons-nous pas vivre sur la terre ? Bien sûr, et lui-même y a vécu. Où serions-nous heureux sans lui ? Et où malheureux avec lui ? « Qui donc aurais-je dans le ciel ; avec toi je suis sans désir sur la terre. Dieu de mon cœur, ma part, Dieu à jamais. » Même si je marche au milieu de l'ombre de la mort, je ne crains pas le mal, pourvu cependant que tu sois avec moi. Maintenant, je le vois bien, il est descendu et sur la terre et aux enfers. Aux enfers, non comme un vaincu, mais « comme un homme libre parmi les morts », comme « la lumière qui luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont point atteinte ». C'est pourquoi il n'a pas abandonné son âme aux enfers ni laissé son corps voir la corruption dans la terre. Le Christ qui est descendu, c'est lui qui est remonté, pour accomplir toutes choses, lui dont il est écrit : « II est passé en faisant le bien et en guérissant tous ceux qui étaient captifs du démon » ; et ailleurs : « II sortit comme un géant pour accomplir sa course ; à la limite des cieux il a son lever et sa course atteint à l'autre limite. »

       Qui douterait que ce soit pour un motif élevé qu'une telle grandeur a daigné descendre d'un lieu si élevé jusqu'à un autre si misérable ? C'est un motif élevé en vérité : une grande miséricorde, une pitié sans limite, une charité débordante. Pourquoi devons-nous croire qu'il soit venu ? C'est ce que nous avons à éclaircir. Point n'est besoin pour le faire de nous donner beaucoup de mal, car ses paroles et ses actions proclament bien haut le motif de sa venue. Il est venu du haut des montagnes chercher la centième brebis qui était errante. Et pour que nous rendions grâces au Seigneur car il est bon, pour que nous chantions ses merveilles pour les fils des hommes, il est venu pour nous. Grandeur inouïe du Dieu qui cherche, grandeur aussi de l'homme cherché !

 

Sermon du bienheureux Guerric d'Igny, abbé

 

       « Préparez le chemin du Seigneur. » Le chemin du Seigneur, frères, qu'il nous est demandé de préparer se prépare en marchant. On y marche dans la mesure où on le prépare. Même si vous vous êtes beaucoup avancés sur ce chemin, il vous reste toujours à le préparer, afin que, du point où vous êtes parvenus, vous soyez toujours tendus au-delà. Voilà comment, à chaque pas que vous faites, le Seigneur à qui vous préparez les voies vient au-devant de vous, toujours nouveau, toujours plus grand. Aussi est-ce avec raison que le juste prie ainsi : « Enseigne-moi le chemin de tes volontés et je le chercherai toujours. » On donne à ce chemin le nom de vie éternelle, peut-être parce que bien que la providence ait examiné le chemin de chacun et lui ait fixé un terme jusqu'où il puisse aller, cependant la bonté de celui vers lequel vous vous avancez n'a pas de terme. C'est pourquoi le voyageur sage et décidé pensera commencer lorsqu'il arrivera. Il oubliera alors ce qui est derrière lui pour se dire chaque jour : « Maintenant, je commence. »

       Mais nous qui parlons d'avancée dans ce chemin, plût au ciel que nous nous soyons mis en route ! A mon sens, quiconque s'est mis en route est déjà sur la bonne voie : il faut toutefois qu'il ait vraiment commencé, qu'il ait trouvé le chemin de la ville habitée, comme dit le psaume. Qu'ils sont peu nombreux ceux qui la trouvent, dit la Vérité. Qu'ils sont nombreux ceux qui errent dans les solitudes...

Et toi Seigneur, tu nous as préparé un chemin, si seulement nous consentons à nous y engager. Tu nous as enseigné le chemin de tes volontés en disant : Voici le chemin, suivez-le sans vous égarer à droite ou à gauche. C'est le chemin que le Prophète avait promis : « II y aura une route droite et les insensés ne s'y égareront pas. » J'ai été jeune, maintenant je suis vieux et, si j'ai bonne mémoire, je n'ai jamais vu d'insensés sur ton chemin, Seigneur, c'est tout juste si j'ai vu quelques sages qui aient pu le suivre tout au long. Malheur à vous qui êtes sages à vos yeux et qui vous dites prudents, votre sagesse vous a éloignés du chemin du salut et ne vous a pas permis de suivre la folie du Sauveur.

       Si tu es déjà sur le chemin, ne perds pas ta route ; tu offenserais le Seigneur qui lui-même t'a conduit. Alors il te laisserait errer dans les voies de ton cœur. Si ce chemin te paraît dur, regarde le terme auquel il te conduit. Si tu vois ainsi le bout de toute perfection, tu diras : « Comme ils sont larges tes ordres. » Si ton regard ne va pas jusque-là, crois au moins Isaïe le Voyant qui est l'œil de ton corps. Il voyait bien ce terme lorsqu'il disait : « Ils marcheront par ce chemin, ceux qui ont été libérés et rachetés par le Seigneur, et ils viendront dans Sion avec des cris de joie. Un bonheur éternel transfigurera leur visage, allégresse et joie les accompagneront, douleur et plainte auront pris fin. » Celui qui pense à ce terme, non seulement trouve le chemin court, mais encore a des ailes, de sorte qu'il ne marche plus, il vole vers le but. Que par là vous conduise et vous accompagne celui qui est le chemin de ceux qui courent et la récompense de ceux qui arrivent au but : Jésus-Christ.

 

 

 

 

OCTAVE PRÉPARATOIRE A NOËL DU 17 AU 24 DÉCEMBRE

 

I

 

Quatrième dimanche de l'Avent

 

 

 

Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme : car ce qui a été engendré en elle vient de l'Esprit

Saint matthieu 1, 20 b

 

 

De la liturgie syrienne

 

       J'ai vu Sion en joie et la Sainte Église en pleurs. Je me suis assis en gémissant. Qu'est-il donc arrivé au monde ? Si la mort subsiste dans le monde, pourquoi Adam a-t-il été créé ? Et si le Malin ceint la couronne de la royauté, pourquoi les justes sont-ils mis à mort ? Alors Isaïe m'a appelé et m'a dit : « Viens donc, ô homme, et je te dirai : Voici qu'une vierge concevra et elle enfantera un fils. Son nom sera Emmanuel. Par son sang purificateur, il rachètera le monde. »

       Son amour a poussé le Fils de Dieu à descendre sur terre. Dans son amour, il s'est fait homme pour l'homme. Avec amour, la Vierge bienheureuse a reçu le salut bienveillant de l'Ange qui l'annonçait. Avec amour et miséricorde, le Créateur pétrit Adam. Avec amour, il s'est joint lui-même à la famille d'Adam pour lui rendre la gloire qu'Adam avait perdue au paradis. L'être qui est au-dessus de tout s'est abaissé par amour, pour élever les humbles jusqu'au degré de Dieu et pour leur ouvrir les trésors de sa sagesse, afin qu'ils s'enrichissent de ses biens et administrent ses trésors ; qu'ils se réjouissent sans souffrance et règnent sans crainte.

       Le message que porta l'archange Gabriel a semé la paix dans la création et la tranquillité au ciel et sur la terre quand il annonça à la bienheureuse : « Le Seigneur est avec toi, et il naîtra de toi, le maître de toutes les créatures et le rédempteur des enfants d'Adam. » Béni soit celui qui a daigné descendre dans le sein de la Vierge pour racheter les mortels. Entre le ciel et la terre qui étaient dans la joie, une vierge et un ange ont fait la paix : Gabriel a reçu un message de son maître et il est venu saluer Marie en disant : « Paix à toi, ô bienheureuse Marie, car ton fils a ouvert une porte entre le Père et le monde, et par lui Adam sera racheté. »

       Du Père jusqu'à Marie : Dieu le Verbe ; de Marie à nous : Dieu incarné. Quand il entra chez elle, il était le Verbe, et quand il en sortit il était Dieu incarné. Il a pris de nous et il nous a donné du sien et il nous a unis à lui. Elle chante sa gloire jour et nuit, l'Église qui l'a reçu.

       Toutes les générations qui ont pressenti ce héros si précieux nous envient notre bonheur. Car elles espéraient le voir ce trésor qu'elles ont seulement palpé comme en rêve. Et ce rêve pour nous, de nos jours, s'est réalisé. Il était passé comme un trésor fermé sur les siècles et les avait étonnés. « Quand s'ouvrira pour nous ce trésor ? », soupiraient les justes, les Prophètes et les rois et tous les saints qui l'avaient pressenti. Et aujourd'hui, ont été accomplies les paroles des Prophètes qui s'exprimaient en figures : « Fils, Enfant, Splendeur, Soleil Levant, Sceptre, Souche », selon ce qui est écrit ; « Étoile et Principe », comme il a été annoncé ; et voici qu'elles sont réalisées ces figures, dans l'enfant né de la Vierge. Bienheureuse Mère qui as été jugée digne de servir de mère au Fils du Très-Haut et qui as enfanté dans la virginité l'Ancien qui avait donné naissance à Adam et à Eve. Il est issu de toi le doux fruit plein de vie et par lui les exilés sont rentrés au paradis.

 

 

II

 

Les sept fériés préparatoires à Noël

 

 

Sermon du bienheureux Aelred de Rievaulx, abbé

 

       Vous devez savoir, frères très chers, que ce temps bienheureux, que nous appelons « avent », a trait à deux réalités. C'est pourquoi double doit être notre joie, car double est bien notre avantage ! Ce temps représente les deux avènements de notre Seigneur : d'abord le très doux avènement du plus beau des enfants des hommes, du désiré de toutes les nations, du Fils de Dieu qui manifesta visiblement dans la chair à ce monde sa présence longtemps attendue et, par tous les saints Pères, ardemment désirée : avènement où il vint dans le monde pour sauver les pécheurs.

       Ce temps rappelle aussi l'avènement que nous attendons avec une ferme espérance et que nous devons aussi très souvent nous remémorer avec des larmes, celui qui aura lieu lorsque le même Seigneur viendra manifestement dans la gloire, comme le chante le psaume : « Notre Dieu viendra manifestement » : c'est-à-dire au jour du jugement lorsqu'il viendra manifestement pour juger. Le premier avènement fut connu de très peu d'hommes : dans le second, il se manifestera aux justes et aux pécheurs comme l'annonce le Prophète : « Et toute chair verra le salut de Dieu. »

       Cependant, comme le jour que nous allons bientôt célébrer en mémoire de sa naissance nous rappelle d'abord que le Seigneur est né, c'est-à-dire signifie plus expressément ce jour et cette heure où il vint dans le monde, ainsi le temps que nous célébrons avant Noël représente le Christ comme désiré ; c'est-à-dire comme le désir des anciens Pères qui vécurent avant sa venue. C'est pourquoi l'Église a fort bien prévu que dans ce temps nous seraient lues les paroles et remémoré le désir de ceux qui vécurent avant la première venue du Seigneur. Nous ne consacrons d'ailleurs pas à ce désir un seul jour de fête, mais un temps assez long : il est humain, en effet, que lorsque nous désirons une chose et que nous l'aimons, si elle tarde à venir, elle nous paraît plus douce encore.

       Suivons donc, frères très chers, les exemples des saints Pères, revivons leur désir et embrasons nos esprits de l'amour et du désir du Christ. Vous savez bien que la célébration de ce temps a été instituée pour renouveler en nous ce désir que les anciens Pères avaient de la première venue du Seigneur et pour que, par leurs exemples, nous apprenions aussi à désirer son retour. Pensons à tout le bien qu'accomplit pour nous le Seigneur en sa première venue : combien plus encore n'en accomplira-t-il pas lorsqu'il reviendra ! Cette pensée nous fera aimer davantage sa venue passée et davantage désirer son retour...

       Si nous voulons, en effet, connaître la paix quand il reviendra, efforçons-nous d'accueillir avec foi et amour sa venue passée. Demeurons fidèlement dans les œuvres qu'il nous manifesta et nous enseigna alors. Nourrissons en nos cœurs l'amour du Seigneur, et par l'amour le désir afin que, lorsqu'il viendra, le désiré des nations, nous puissions porter les yeux sur lui en toute confiance.

 

Sermon du bienheureux Guerric d'Igny, abbé

 

       Nous attendons le Sauveur. Vraiment, elle est joyeuse l'attente des justes, de ceux qui attendent la bienheureuse espérance et la venue de notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ ! « Quelle est mon espérance, dit le juste, n'est-ce pas le Seigneur ? » Puis, il se tourne vers lui et il s'écrie : « Je le sais : tu ne décevras pas mon attente. » Ô Christ, attente des nations, tous ceux qui t'espèrent ne seront pas déçus ! Nos Pères t'ont espéré, tous les justes, depuis la création du monde, ont espéré en toi et ils n'ont pas été déçus. Aussi, lorsque nous avons reçu ton amour au milieu de ton temple, le chœur des hommes s'est exclamé dans un transport de joie et de louange : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » J'espérais le Seigneur d'un grand espoir, il s'est penché vers moi. Ils ont reconnu dans la faiblesse de la chair la splendeur de la divinité et ils ont dit : « Voici notre Seigneur ; nous l'avons attendu et il nous sauvera. C'est lui notre Sauveur, nous l'avons espéré, nous exulterons et nous bondirons de joie en son salut. »

       Heureux l'homme dont l'espérance est le nom du Seigneur. Il dit : « Ma part c'est le Seigneur, aussi je l'attendrai. » Bon est le Seigneur pour ceux qui l'espèrent, pour l'âme qui le cherche. Il est bon d'attendre dans le silence le salut du Seigneur. « Jusqu'au bout, mon âme ira pour ton salut, j'espère en ta parole. » Je suis sûr qu'il viendra et, s'il tarde, je l'attendrai, car il est sur le chemin. Je crois à tes commandements, Seigneur, aide mon incrédulité afin que je m'établisse dans l'attente, dans l'espérance, jusqu'à ce que je vois ce que je crois. « Voici, je viens bientôt, dit le Seigneur, et ma récompense est avec moi : donner à chacun selon ses œuvres » ; et il dit à Jérusalem : « Bientôt viendra ton salut. Pourquoi te ronges-tu de tristesse ? » Même si le temps paraît long à celui que la peine ou l'amour oppressent, c'est vrai qu'il est court. Il vient, il vient le Seigneur, notre crainte et notre désir, le repos et la récompense de ceux qui peinent, la douceur et la satiété de ceux qui l'aiment.

       « Voici que vient le Roi, accourons tous au-devant du Sauveur. » A celui qui annonce sa venue, à celui qui apporte les eaux qu'il a puisées dans la joie aux sources du Sauveur, qu'il soit Isaïe pu un autre Prophète, nous répondons avec les mots d'Elisabeth, car c'est du même Esprit que nous sommes abreuvés : « D'où vient que mon Seigneur vienne à moi ? Voici, en effet, qu'à peine ton salut eût frappé mes oreilles, mon esprit a tressailli en mon cœur, bondissant de joie au-devant de Dieu son Sauveur. » Et c'est vrai, frères, qu'il faut courir dans l'exultation de nos esprits au-devant du Christ qui vient. Que, le voyant venir de loin, nous l'adorions, le saluions et l'acclamions en disant : « Salut, toi qui viens nous sauver, béni sois-tu, toi qui viens nous bénir. Viens Seigneur, sauve-moi et je serai sauvé, montre ta face et nous serons sauvés. Nous t'avons espéré, sois notre bras et notre salut durant le temps  d'épreuve. »

 

De l'Épître à Diognète

 

       Y eut-il jamais, parmi les hommes, quelqu'un qui ait su ce qu'est Dieu, avant qu'il ne fût venu lui-même ? Nul d'entre les hommes ne l'a vu ni connu : c'est lui-même qui s'est manifesté. Et il s'est manifesté dans la foi qui, seule, a reçu le privilège de voir Dieu.

       Car le Maître et Créateur de l'univers s'est montré pour les hommes non seulement plein d'amour, mais aussi de patience. Tant qu'il maintenait dans le mystère et réservait son dessein, il paraissait nous négliger et ne pas se soucier de nous. Mais quand il eut dévoilé par son Enfant bien-aimé et manifesté ce qu'il avait préparé dès l'origine, il nous offrit tout à la fois : et de participer à ses bienfaits, et de voir, et de comprendre : qui de nous s'y serait jamais attendu ? Jusqu'à ces derniers temps, il a souffert que nous nous laissions emporter à notre gré par les mouvements désordonnés des passions. Mais lorsque notre perversité fut à son comble, alors arriva le temps que Dieu avait marqué pour y manifester la surabondance de sa philanthropie et de son amour.

       Il ne nous a pas haïs, il ne nous a pas repoussés, ni tenu rancune, mais, au contraire, il a longtemps patienté, il nous a supportés. Nous prenant en pitié, il a assumé lui-même nos propres péchés : il a livré lui-même son propre Fils en rançon pour nous, livrant le saint pour les criminels, l'innocent pour les coupables, le juste pour les injustes. Quoi d'autre aurait pu couvrir nos péchés, sinon sa justice ? En qui pouvions-nous être justifiés, sinon par le seul Fils de Dieu ? Ô doux échange, opération impénétrable et inattendue : le crime du grand nombre est enseveli dans la justice d'un seul et la justice d'un seul justifie un grand nombre de pécheurs ! Ayant, au cours du temps passé, convaincu notre nature de son impuissance à obtenir la vie, il nous a maintenant montré le Sauveur qui a la puissance de sauver même ce qui ne pouvait l'être, afin que nous vissions en lui le nourricier, le père, le conseiller, le médecin, l'intelligence, la lumière, la gloire, la force, la vie.

       Si toi aussi, tu désires ardemment cette foi, si tu l'embrasses, tu commenceras à connaître le Père. Car Dieu a aimé les hommes : pour eux, il a créé le monde, il leur a soumis tout ce qui est sur la terre ; à eux seuls, il a permis d'élever les regards vers le ciel, il les a formés à son image ; il leur a envoyé son Fils unique, il leur a promis le Royaume des Cieux qu'il donnera à ceux qui l'auront aimé. Et quand tu l'auras connu, quelle joie remplira ton cœur ! Comme tu aimeras celui qui t'a ainsi aimé le premier ! En l'aimant, tu seras un imitateur de sa bonté. Et ne t'étonne pas qu'un homme puisse devenir un imitateur de Dieu : il le peut, si Dieu le veut, celui qui prend sur soi le fardeau de son prochain, celui qui donne libéralement à ceux qui en ont besoin les biens qu'il a reçus de Dieu, devenant ainsi un dieu pour ceux qui les reçoivent, celui-là est un imitateur de Dieu. Alors, quoique séjournant sur la terre, tu contempleras Dieu et tu commenceras à parler des mystères de Dieu.

       C'est pour cela que le Verbe a été envoyé, pour qu'il se manifestât au monde, lui qui, méprisé par son peuple, a été prêché par les Apôtres et cru par les nations. Lui qui était dès le commencement, il est apparu comme nouveau et fut trouvé ancien, et il renaît toujours jeune dans le cœur des saints. Éternel, il est aujourd'hui reconnu comme Fils.

 

Sermon de saint Grégoire le Thaumaturge, évêque

 

       Lorsque paraît Marie, comblée de grâces, tout déborde de joie : alors Elisabeth poussa un grand cri et dit : « Tu es bénie entre les femmes et béni le fruit de ton sein ; et comment m'est-il donné que la Mère de mon Seigneur vienne à moi ? » Tu es bénie entre les femmes. Tu es le principe de leur régénération. Tu nous as ouvert le libre accès du paradis et tu as chassé nos antiques douleurs. Car Jésus-Christ, le rédempteur de notre humanité, le Sauveur de toute la nature, l'Adam spirituel qui guérit les blessures de l'homme terrestre, Jésus-Christ sort de tes flancs sacrés. Tu es bénie entre les femmes et béni le fruit de ton sein ! Le jardinier de tous nos biens est devenu ton propre fruit. Quel éclat jettent à nos yeux les paroles de la femme stérile ! Mais quelle splendeur plus vive, encore dans les paroles de la Vierge et comme le chant de grâce qu'elle élève vers Dieu est plein de bonne odeur et de science divine ! Avec les anciennes promesses, elle annonce les nouvelles, avec les paroles séculaires, elle proclame celles de la consommation des siècles et en quelques mots récapitule tout le mystère de Jésus-Christ.

       Marie dit alors : « Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu mon Sauveur. Il relève Israël son Serviteur, il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos Pères en faveur d'Abraham et de sa race à jamais. » Voyez-vous comme la vierge surpasse la perfection du patriarche et confirme l'Alliance que Dieu a établie avec Abraham lorsqu'il lui a dit : « Telle sera l'Alliance entre moi et toi. » Ainsi est-il venu assurer son Alliance avec Abraham en recevant le signe de la circoncision et se faisant la plénitude de la Loi et des Prophètes. C'est le chant de cette prophétie que la sainte Mère de Dieu adresse à Dieu lorsqu'elle dit : « Le Tout-Puissant fit pour moi des merveilles, saint est son nom ! » En me rendant la Mère de Dieu, il préserve ma virginité. En mon sein se récapitule pour y être sanctifiée la plénitude de toutes les générations. Car il a béni tous les âges, hommes, femmes, jeunes gens, enfants, vieillards, il a déployé la force de son bras, par amour pour nous, contre la mort et contre le diable, il a déchiré la cédule de nos péchés. Il a dispersé les hommes au cœur superbe.

       « II renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles. » Le Seigneur a renversé son peuple qui avait mal usé de ses richesses et de ses privilèges. A sa place les humbles, les peuples païens, qui étaient affamés de justice, furent exaltés. Et, en faisant paraître leur humilité et la faim qui les étreignait de connaître Dieu, en sollicitant la Parole divine comme la Cananéenne les miettes, ils ont été rassasiés des richesses que recèlent les divins mystères. Car tout le lot des faveurs divines, Jésus-Christ notre Dieu, le Fils de la Vierge, l'a distribué aux païens. « II relève Israël son enfant. » Non un quelconque Israël, mais son enfant dont il honore la haute naissance. Voilà pourquoi la Mère de Dieu l'appelle son enfant et son héritier. Dieu trouvant ce peuple épuisé par la lettre, exténué par la Loi, l'appelle à la grâce. En donnant ce nom à Israël, il le relève : « II se souvient de son amour, de la promesse faite à nos Pères en faveur d'Abraham et de sa race à jamais. » Ces quelques paroles résument tout le mystère de notre salut. Voulant sauver l'humanité et sceller l'Alliance établie avec nos Pères, Jésus-Christ alors inclina les deux et descendit et ainsi se manifeste-t-il à nous afin que nous puissions le voir, le toucher et l'entendre parler.

 

Sermon de saint Irénée, évêque

 

       II n'y a qu'un seul Dieu qui, par le Verbe et la Sagesse, a fait et harmonisé toutes choses. C'est lui qui a assigné ce monde au genre humain. Selon sa grandeur, il est inconnu de tous les êtres faits par   lui : car personne n'a scruté son élévation, ni parmi les anciens, ni parmi les contemporains. Cependant, selon son amour, il est connu de tous temps grâce à celui par qui il a créé toutes choses : celui-ci n'est autre que son Verbe, notre Seigneur Jésus-Christ, qui dans les derniers temps s'est fait homme parmi les hommes afin de rattacher la fin au commencement, c'est-à-dire l'homme à Dieu. Voilà pourquoi les Prophètes, après avoir reçu de ce Verbe le charisme prophétique, ont prêché à l'avance sa venue selon la chair par laquelle le mélange et la communion de Dieu et de l'homme ont été réalisés selon le bon plaisir du Père. Dès le commencement, en effet, le Verbe a annoncé que Dieu serait vu des hommes, qu'il vivrait et converserait avec eux sur la terre et qu'il se rendrait présent à l'ouvrage par lui modelé, pour le sauver et se laisser saisir par lui, pour nous délivrer des mains de tous nos ennemis, et faire en sorte que nous le servions en justice et sainteté tous les jours de notre vie afin qu'enlacé à l'Esprit de Dieu l'homme accède à la gloire du Père.

       Et ce n'est pas seulement par des visions qu'ils contemplaient et par des paroles qu'ils prêchaient, mais c'est jusque dans leurs actes que le Verbe s'est servi des Prophètes pour préfigurer et montrer d'avance par eux les choses à venir.

       Mais dans les derniers temps, quand fut venue la plénitude des temps de la liberté, le Verbe en personne a par lui-même purifié la souillure de la fille de Sion en lavant de ses propres mains les pieds de ses disciples, c'est-à-dire de l'humanité recevant à la fin Dieu en héritage.

       De la sorte, de même qu'au commencement nous avons tous été réduits en esclavage en devenant débiteurs de la mort, de même à la fin, en la personne des derniers, tous ceux qui depuis le commencement furent ses disciples ont été purifiés et lavés de la mort et ont accédé à la vie de Dieu. C'est pour eux qu'il descendit dans les régions inférieures de la terre afin de voir de ses yeux les êtres inachevés de la création au sujet desquels il disait à ses disciples : « Beaucoup de Prophètes et de justes ont désiré voir et entendre ce que vous entendez. » Car le Christ n'est pas venu pour ceux-là seuls qui, à partir du temps de l'empereur Tibère, ont cru en lui, et le Père n'a pas exercé sa providence en faveur des seuls hommes de maintenant, mais en faveur de tous les hommes sans exception qui, depuis le commencement, selon leur capacité et en leur temps, ont craint et aimé Dieu, ont pratiqué la justice et la bonté envers le prochain, ont désiré voir le Christ.

       Si donc quelqu'un lit les Écritures de cette manière, il y trouvera une parole concernant le Christ et une préfiguration de la vocation nouvelle. C'est lui le « trésor caché dans le champ », c'est-à-dire le monde, car le champ c'est le monde. Trésor caché dans les Écritures, car il est signifié par des figures et des paraboles qui, humainement parlant, ne pouvaient être comprises avant 'l'accomplissement des prophéties, c'est-à-dire avant la venue du Seigneur. C'est pourquoi, il avait été dit au Prophète Daniel : « Obstrue ces paroles et scelle ce livre jusqu'à l'accomplissement, jusqu'à ce que beaucoup apprennent et que la connaissance abonde, car lorsque la dispersion aura pris fin, ils comprendront toutes ces choses. » Car toute prophétie avant son accomplissement n'était qu'énigmes et ambiguïtés pour les hommes ; mais lorsque arriva le moment de la prédiction, alors celle-ci trouva son exacte interprétation.

       Si quelqu'un lit les Écritures de la manière que nous venons d'expliquer (c'est de cette manière que le Seigneur les expliqua à ses disciples après sa résurrection d'entre les morts), il sera un disciple parfait « semblable au maître de maison qui extrait de son trésor des choses nouvelles et des choses   anciennes ».

 

Sermon de saint Ambroise, évêque

 

       « Le Verbe de Dieu se repose sur Jean, fils de Zacharie, dans le désert. » Avant de rassembler l'Église, le Fils de Dieu agit en son serviteur. C'est donc à propos que saint Luc montre le Verbe de Dieu se reposant sur Jean, fils de Zacharie, au désert. Ainsi, l'Église part, non d'un homme mais du Verbe. C'est elle en effet qui est le désert car « les fils de la désertée sont plus nombreux que ceux de l'épousée ». C'est encore d'elle qu'il a été dit : « Réjouis-toi, stérile », et encore : « Exulte, désert » ; car elle n'était pas encore cultivée par le travail d'un peuple d'étrangers... Il n'était pas encore venu celui qui devait dire : « Je suis comme un olivier fertile dans la maison du Seigneur » ; la vigne céleste n'assurait pas encore des fruits à ses sarments par le canal de ses paroles. Donc, la Parole, le Verbe vint pour que la terre auparavant déserte produisît son fruit. Le Verbe vint, la voix suivit : car le Verbe opère d'abord au-dedans, puis la voix fait son office. Aussi David dit-il : « J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé » : il a d'abord cru pour pouvoir parler.

       Donc le Verbe vint pour que saint Jean Baptiste prêchât la pénitence. Et, de ce fait, beaucoup appliquent à saint Jean la figure de la Loi, parce que la Loi a pu dénoncer le péché, elle n'a pu le pardonner ; car quiconque suivait la voie des gentils est, par la Loi, ramené de son égarement, détourné du crime, exhorté à la pénitence pour obtenir grâce. Or, « la Loi et les Prophètes ont duré jusqu'à Jean » et Jean est le précurseur du Christ ; de même, la Loi annonce l'Église, et la pénitence la grâce. Saint Luc a donc bien fait d'user de brièveté pour proclamer Jean prophète en disant que sur lui descendit la Parole de Dieu. On n'a pas besoin de donner d'autres preuves lorsqu'on est rempli de la Parole de Dieu. Il n'a dit qu'un mot qui explique tout.

       Jean marcha devant le Seigneur, précurseur par sa naissance et précurseur par sa mort. Et peut-être ce mystère s'accomplit-il encore aujourd'hui dans notre vie présente. Il y a comme une vertu de Jean Baptiste qui vient d'abord en notre âme quand nous sommes près de croire au Christ, pour préparer à la foi les chemins de notre cœur et faire de la piste tortueuse de notre vie les voies droites de notre pèlerinage de peur que nous ne tombions dans quelque ravin d'erreur : ainsi toutes les vallées de notre âme pourront être comblées par des fruits de vertu et toute élévation des dignités de ce monde se prosternera devant le Seigneur dans une humble crainte, sachant que rien ne peut être élevé de ce qui est fragile.

 

Sermon de saint François de Sales, évêque

 

       « Vous saurez aujourd'hui que le Seigneur viendra, et au matin, vous verrez sa gloire. » La Sainte Église a coutume de nous préparer dès la veille des grandes solennités afin que nous venions à être plus capables de reconnaître les grands bienfaits que nous avons reçus de Dieu par elle... Nous voulant donc faire préparer la vigile du saint jour de Noël, comme une mère très aimante, ne nous voulant laisser surprendre d'un si grand mystère, elle nous dit ces paroles : « Vous saurez aujourd'hui que notre Seigneur viendra demain », ce qui revient à dire : II naîtra demain et vous le verrez tout petit enfant couché dans une crèche. Ces paroles sont tirées de celles que Moïse adressa aux enfants d'Israël lorsqu'il sut le jour que Dieu avait destiné pour leur donner la manne dans le désert. Les ayant fait assembler il leur parla ainsi : « Vous saurez au soir que le Seigneur vous a retirés de la terre d'Egypte et au matin vous verrez la gloire du Seigneur... » II prend soin de faire que les Israélites se préparent par la considération d'un si grand bienfait, pour se rendre plus dignes de la recevoir. De même, l'Église nous disant : « Vous saurez aujourd'hui que le Seigneur viendra demain », ne prétend autre chose sinon de faire que nous enfoncions nos esprits en la considération du mystère de la sainte nativité de notre Seigneur.

       Nos esprits ne sont nullement capables de pouvoir pénétrer dans le fond de grandeur de ce mystère qui est un mystère vraiment chrétien. Je dis chrétien, d'autant que nuls que les chrétiens n'ont jamais su comprendre comment il se pouvait faire que Dieu fût homme et que l'homme fût Dieu. Tous les hommes ont toujours eu une certaine inclination à croire que cela se peut et se ferait. Mais, pourtant, nuls que les chrétiens ne sont parvenus à connaître comment il se pourrait faire. Je sais bien qu'en l'ancienne Loi, il y avait des Prophètes et certains personnages grands et relevés qui le savaient, mais, quant au commun des hommes, nul ne le pouvait comprendre. Entre les païens, cet instinct qu'ils avaient que Dieu fût homme et que l'homme fût Dieu leur a fait faire des choses étranges, jusque-là qu'ils croyaient au moins quelques-uns de se pouvoir faire dieux et se faire adorer comme tels du reste des hommes.

       Les chrétiens ont été plus éclairés et ont eu l'honneur de savoir que l'homme a été fait Dieu et que Dieu s'est fait homme, bien qu'ils ne soient pas capables de comprendre la grandeur du mystère de l'Incarnation et de la sainte nativité de notre Seigneur, car c'est un mystère caché dans l'obscurité des ténèbres de la nuit. Non pas que le mystère soit ténébreux en lui-même, car Dieu n'est que lumière, mais, comme l'on voit que nos yeux ne sont pas capables de regarder la lumière ou la clarté du soleil sans s'obscurcir, de même ce qui nous empêche de comprendre le mystère de la nativité du Seigneur n'est pas qu'il soit ténébreux en lui-même, parce qu'il n'est que lumière et clarté. Et notre entendement qui est l’œil de notre âme ne peut le regarder longuement sans s'obscurcir, et confesser en s'humiliant qu'il ne peut pénétrer dans le fond de ce mystère, pour comprendre comment Dieu s'est incarné dans le sein virginal et s'est fait homme semblable à nous pour nous rendre semblables à Dieu.

 

 

 

TEMPS DE NOËL

 

 

 

Noël

 

 

 

PREMIÈRE LEÇON

 

 

Et le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous, et nous

avons contemplé sa gloire, gloire qu'il tient de son Père,

comme Fils unique, plein de grâce et de vérité

jean 1, 14

 

 

Sermon de saint Éphrem, diacre

 

       Le tabernacle que Moïse bâtit sur le mont Sinaï et où il plaça les tables de la Loi était la figure de Marie qui demeura vierge tandis qu'elle portait en son sein l'auteur de la Loi. Et Dieu fait homme est sorti d'elle : que sa paix règne aux quatre coins du monde !

       Viens, Moïse, montre-nous ce buisson sur le sommet de la montagne dont les flammes dansaient sur ton visage : c'est l'enfant du Très-Haut qui est apparu du sein de la Vierge Marie et qui a illuminé le monde à sa venue : Gloire à lui de la part de toute créature et bienheureuse celle qui l'a enfanté !

       Viens, Gédéon, montre-nous cette toison et cette douce rosée : explique-nous donc le mystère de ta parole : C'est Marie qui est la toison qui a reçu la rosée, le Verbe de Dieu, et il s'est manifesté d'elle dans la création et il a racheté le monde de l'erreur.

       Viens, David, montre-nous la cité que tu as vue et la plante qui en a germé : la cité c'est Marie, la plante qui en est sortie c'est notre Sauveur dont le nom est Aurore.

       Béni soit celui qui est descendu et a habité en Marie et qui est sorti d'elle pour nous sauver. Bienheureuse Marie, toi qui as été jugée digne de servir de Mère nouvelle au Fils du Très-Haut, toi qui as enfanté l'Ancien qui avait donné naissance à Adam et Eve. Il est issu de toi, le doux fruit plein de vie et, par lui, les exilés ont de nouveau accès au paradis.

       L'arbre de vie qui était gardé par un chérubin au glaive de feu, voici qu'il habite en Marie, la Vierge pure ; Joseph le garde. Le chérubin a déposé son glaive, car le fruit qu'il gardait a été envoyé du haut du ciel jusqu'à l'abîme des proscrits. Mangez-en tous, hommes mortels, et vous vivrez. Béni soit le fruit qu'a enfanté la Vierge.

 

 

DEUXIÈME LEÇON

 

 

Oui, de sa plénitude nous avons tous reçu, et grâce pour grâce

jean 1, 16

 

 

Sermon de saint Basile le Grand, évêque

 

       « En voyant l'étoile, les mages se sont réjouis d'une grande joie. » Accueillons, nous aussi, aujourd'hui cette grande joie en nos cœurs, joie que les anges annoncent aux bergers. Adorons avec les mages, rendons gloire avec les bergers, chantons avec les anges : « II nous est né aujourd'hui un sauveur qui est le Christ Seigneur ; le Seigneur Dieu qui nous est apparu. »

       Cette fête est commune à la création tout entière : les étoiles courent dans le ciel, les mages arrivent des pays païens, la terre reçoit dans une grotte. Il n'est rien qui ne contribue à cette fête, rien qui n'y vienne les mains pleines. Faisons éclater nous-mêmes un chant de joie ; donnons à notre fête le nom de théophanie, fêtons le salut du monde, l'anniversaire de la naissance de l'humanité.

       Aujourd'hui est abolie la condamnation qui frappait Adam. Que l'on ne dise plus jamais : « Tu es terre et tu retourneras à la terre », mais : « Uni à celui qui descend du ciel, tu seras exalté dans le       ciel »... Bienheureuse celle qui a enfanté l'Emmanuel et le sein qui l'a nourri : « Un enfant nous est né, un fils nous est donné, éternelle est sa puissance. » Mon cœur jubile et mon esprit déborde de joie, mais ma langue est embarrassée et ma parole maladroite pour annoncer la nouvelle d'une si grande joie. Réfléchis donc un peu à l'Incarnation du Seigneur d'une manière qui convienne à ce mystère : Quel abîme de bonté et d'amour pour les hommes ! Mêle-toi donc à ceux qui, dans la joie, reçoivent leur Seigneur qui descend du ciel et qui adorent le Grand Dieu dans ce petit enfant. La puissance de Dieu se manifeste dans ce corps comme la lumière par les fenêtres, et resplendit aux yeux de ceux dont le cœur est pur. Avec eux, nous pourrons alors, le visage découvert, contempler comme en un miroir la gloire du Seigneur, et être nous-mêmes transfigurés de gloire en gloire par la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ et son amour des hommes.

 

 

TROISIÈME LEÇON

 

 

Nul n'a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui est tourné vers

le sein du Père, lui, l'a fait connaître

jean 1, 18

 

 

Sermon de saint Augustin, évêque

 

       Nous appelons Noël, ce jour où la Sagesse de Dieu s'est manifestée sous les traits d'un enfant et où le Verbe de Dieu vagit sans savoir parler. Nous célébrons l'anniversaire solennel de ce jour où fut accomplie la prophétie qui disait : « La Vérité a germé de la terre et des deux s'est penchée la Justice. » La Vérité qui est dans le sein du Père a germé de la terre pour être aussi dans le sein d'une mère. La Vérité, que le ciel ne peut contenir, s'est levée de la terre pour être déposée dans une crèche. Pourquoi donc une telle hauteur en est venue à une telle petitesse ? Éveille-toi, homme qui m'écoutes. Pour toi Dieu s'est fait homme. « Éveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d'entre les morts, et le Christ t'illuminera. » Pour toi, dis-je, Dieu s'est fait homme. Tu serais mort à jamais si, un jour, pour toi, il n'était né. Tu n'aurais jamais été libéré du péché, s'il n'était venu dans une chair semblable à celle du péché. Une misère sans fin t'aurait écrasé, s'il n'avait accompli cette miséricorde. Tu n'aurais jamais été rendu à la vie, s'il ne s'était soumis à ta mort. Tu aurais succombé s'il ne t'avait secouru. Tu aurais péri, s'il n'était venu.

       Célébrons dans la joie la venue de notre salut et de notre rédemption. La Vérité s'est levée de la terre : le Christ qui dit : « Je suis la Vérité », est né de Marie... La Vérité s'est levée de la terre, parce que le Verbe s'est fait chair. Et des cieux s'est penchée la justice, parce que tout don excellent, tout don parfait, vient d'en haut et descend du Père des Lumières.

       Quelle plus grande grâce de Dieu pouvait éclater à nos yeux ? Dieu avait un fils unique, il en a fait le fils de l'homme, pour pouvoir, en retour, faire du fils de l'homme un fils de Dieu.

 

 

La sainte famille

 

 

 

Lève-toi, prends avec toi l'enfant et sa mère, et fuis en

Egypte ; et restes-y jusqu'à ce que je te dise. Car Hérode va

rechercher l'enfant pour le faire périr

matthieu 2, 13 b et c

 

 

Sermon de saint Bonaventure, évêque

 

       Le Seigneur Jésus étant revenu du Temple et de Jérusalem à Nazareth avec ses parents y demeura avec eux jusqu'à sa trentième année « et il leur était soumis ». On ne trouve rien dans les Écritures qu'il ait fait pendant tout ce temps, ce qui apparaît bien étonnant. Qu'allons-nous donc imaginer et admirer qu'il ait fait pendant ce temps-là ? Le Seigneur Jésus est-il demeuré oisif si longtemps et n'a-t-il donc rien fait qui soit digne d'être raconté et écrit ? Et s'il en est autrement pourquoi l'Écriture n'en dit-elle rien ? Tout cela paraît étonnant. Mais sois attentif et alors tu verras clairement que, ne faisant rien, il a fait des merveilles. Chacun de ses gestes révèle, en effet, son mystère. Et comme il agissait avec puissance, ainsi avec puissance il s'est tu, il est demeuré dans la retraite et dans l'obscurité. Le Maître souverain, qui va nous enseigner les chemins de la vie, commence dès sa jeunesse à faire des œuvres de puissance, mais d'une manière étonnante, inconnue et inouïe, en paraissant aux yeux des hommes inutile, ignorant, et en vivant dans l'abjection comme il est permis de le penser sans tomber dans les affirmations gratuites.

       Il tenait de plus en plus à cette manière de vivre afin d'être jugé par tous comme un être vil et insignifiant, ce qui avait été annoncé par le Prophète qui disait en son nom : « Je suis un ver et non un homme. » Tu vois donc ce qu'il faisait en ne faisant rien. Il se rendait vil et, aux yeux de tous, vivait dans l'abjection, comme j'ai dit. Crois-tu donc que ce soit là peu de chose ? Certes, ce n'est pas lui qui avait besoin de cela, mais nous. Et je ne connais rien de plus difficile ni de plus grand. Et celui-là me semble être parvenu au plus haut degré qui, de tout son cœur et sans feinte, s'est suffisamment possédé pour ne rien chercher d'autre que d'être méprisé, de ne compter pour rien et de vivre dans l'abjection.

C'est une plus grande victoire que la prise d'une ville, selon la parole de Salomon qui dit : « Mieux vaut un homme patient qu'un héros, un homme maître de soi qu'un preneur de ville. » Tant que vous n'en serez pas arrivés là, pensez que vous n'avez rien fait. En effet, comme en vérité nous sommes tous des inutiles, selon la parole du Seigneur, même si nous faisions bien toute chose, tant que nous ne serons pas parvenus à ce degré d'abjection, nous ne serons pas encore dans la vérité, mais nous serons et nous marcherons dans la vanité.

       Tu sais aussi comment le Seigneur Jésus commença d'abord par faire avant d'enseigner... Il devait dire plus tard : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. » Et cela il voulut d'abord le pratiquer et sans feinte. Il le fit de tout son cœur, comme de tout son cœur et en vérité il était humble et doux. Il n'y avait pas de dissimulation en lui. Et il s'enfonça si profondément dans l'humilité et le mépris et l'abjection, il s'anéantit tellement aux yeux de tous que lorsqu'il se mit à prêcher, et à annoncer les merveilles de Dieu et à accomplir des miracles et des choses admirables, on ne l'estima pas, on le dédaigna et l'on se moqua de lui en disant : « N'est-ce pas le fils du charpentier ? » et d'autres paroles semblables. Et ainsi se vérifie la parole de l'Apôtre : « II s'anéantit lui-même prenant la condition d'esclave », non seulement d'un esclave ordinaire par l'incarnation, mais d'un esclave inutile par la manière de vie humble et méprisée.

 

 

Autres lectures pour le temps de Noël

 

 

Sermon du bienheureux Guerric d'Igny, abbé

 

       Voici venue la plénitude des temps... Un zèle sans pitié contre l'ingratitude et l'infidélité de notre temps me presse, mais la sainte et bienheureuse plénitude des temps accomplie en Jésus-Christ me rappelle. Ces deux temps si divers, si opposés, le temps de la malice et le temps de la grâce, courent ensemble et se vivent ensemble. Si ce n'était pas le temps de la grâce, l'Apôtre ne dirait pas : « Voici maintenant le temps favorable, voici maintenant le jour du salut. » Mais, si ce n'était pas le temps de la malice, il ne dirait pas aussi : « Rachetons le temps car ces jours sont mauvais. » Dans un temps unique, combattent comme en un stade grâce et ingratitude. La Sagesse de Dieu s'affronte à la malice : c'est pour cela d'ailleurs qu'elle est venue dans le monde. Elle combat, elle ne veut pas que le mal l'emporte, elle désire que le bien soit vainqueur. L'iniquité abondait et l'amour s'était refroidi chez les hommes mais, en Dieu, l'amour ne s'était pas refroidi. Ce grand feu de l'amour que les eaux ne sauraient éteindre, alors même que le nombre des pécheurs aurait exigé le jugement dernier, a fait que Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.

       Alors que la malice du monde en était arrivée presque à son comble, la venue du Rédempteur infusa au genre humain une plénitude nouvelle et inattendue. Le monde vieillissait, il en était à l'âge où la mort se fait proche : soudain, la venue du Sauveur le renouvela dans une jeunesse nouvelle autant qu'inespérée et lui donna une ardeur virile dans la foi. Cette foi fut dans les patriarches comme en son printemps, en son enfance, eux qui se sont levés au petit matin de l'Église naissante, cette foi connut son adolescence chez les Prophètes et elle parvint à la pleine maturité d'une robuste jeunesse au temps des Apôtres lorsqu'elle manifesta au monde l'ardeur de sa puissance dans le triomphe éclatant et si étonnant des foules de martyrs.

       L'Apôtre appelle plénitude des temps l'âge adulte de la foi : ceux qui, jusqu'alors sous la Loi comme sous un pédagogue, ne différaient guère des esclaves et n'étaient dans la foi que de petits enfants, parvenus à l'âge adulte, reçoivent du Fils unique du Père une liberté de fils. Afin qu'aucune plénitude ne fît défaut à ce temps, le Christ est venu, « plein de grâce et de vérité » : par la grâce, il a accompli les commandements de la Loi, par la vérité, il a accompli les promesses. Ainsi, tout ce qui avait été dit ou fait en figure dans les siècles passés est accompli pleinement et en vérité quand vient la plénitude des temps. A ce propos, Salomon arrête les questions des insensés : « Ne dis pas, écrit-il, pourquoi le passé fut-il meilleur que le présent ? Ce n'est pas là une question inspirée par la sagesse. » La grâce de Dieu offre désormais à l'homme un temps où il peut trouver le vrai bonheur. Et vous, frères, qui avez reçu l'Esprit qui est de Dieu, chantez en vos cœurs : « Un Fils nous est donné. » Ce Fils, c'est le pain des fils que le Père donne aujourd'hui à toute sa famille en un repas de fête.

 

Sermon de saint Grégoire de Nazianze, évêque

 

       Jésus-Christ vient de naître, glorifiez-le ! Jésus-Christ descend des cieux, courez à sa rencontre. Jésus-Christ est sur terre, exaltez-le ! Chantez au Seigneur terre entière ! et pour le dire d une seule fois, joie au ciel, exulte la terre ! Le Christ céleste est venu parmi les hommes, le Christ s'est incarné, tressaillez de crainte et de joie, de crainte en songeant au péché, de joie en pensant à l'espérance... A nouveau, les ombres se dissipent, à nouveau, la lumière se lève, à nouveau, l'Egypte est frappée de ténèbres, à nouveau, une colonne de feu illumine Israël. Peuple qui étiez assis dans les ténèbres de l'ignorance, contemplez la vaste lumière de la connaissance ! L'ancien a disparu, toute chose est nouvelle, la lettre recule, l'esprit triomphe, les ombres passent, la vérité marche, Melchisédech se forme, qui était sans mère naît sans père... Que le monde céleste retentisse de louanges divines : le Christ nous l'ordonne, obéissons : tous les peuples battez des mains, un enfant nous est né, un fils nous est donné, il a reçu l'empire sur ses épaules qu'il porte avec la croix, on l'a nommé ange du grand conseil, celui du Père.

       Que Jean crie, préparez les voies du Seigneur, je crierai moi la puissance de ce jour : celui qui n'avait pas de corps s'incarne. Le Verbe prend une épaisseur, l'invisible se laisse voir, l'intangible devient palpable, l'intemporel entre dans le temps, le Fils de Dieu devient le fils de l'homme. Jésus-Christ est le même hier et aujourd'hui, il le sera à jamais, que les juifs se scandalisent, que les Grecs ricanent, que les hérétiques disputent à en perdre le souffle, ils croiront bien quand ils verront le Christ monter aux cieux, ou, sinon ce jour-là au moins lorsqu'il descendra du ciel et siégera comme juge. Dieu s'est manifesté au monde en naissant. Celui qui est, et qui est éternellement, de toute éternité, s'élève au-dessus des causes et des raisons : nul principe ne transcende le Principe. Mais un jour, pour nous, il prend naissance... le péché nous avait dépossédés du bonheur, l’Incarnation nous le rend... Telle est cette solennité : nous saluons aujourd'hui l'avènement de Dieu parmi les hommes, afin de parvenir, ou, disons mieux, de revenir auprès de Dieu, afin de nous dépouiller du vieil homme et de revêtir le nouveau, afin que, morts en Adam, nous vivions en Christ, nés avec lui, chargés avec lui de sa croix, avec lui ensevelis et ressuscites.

       Aujourd'hui, réjouissez-vous de tout cœur de cette naissance, bondissez d'allégresse, si ce n'est à l'exemple de Jean dans le sein de sa mère, du moins faites-le comme David lorsque l'arche se reposa. Respectez le recensement d'Hérode, par lui vous avez été inscrits dans le ciel. Vénérez cette naissance qui a rompu les chaînes de votre naissance. Honorez ce petit Bethléem qui vous a ramenés au paradis. Adorez la crèche, grâce à elle vous avez été nourris par le Verbe. Connaissez comme le bœuf votre bouvier, Isaïe vous l'ordonne, et comme l'âne l'étable de votre maître, que vous soyez au nombre des purs, soumis à la Loi, et que vous ruminiez la Parole, prêts au sacrifice... Accourez avec l'étoile, offrez vos présents avec les mages, or, encens, myrrhe comme à un roi, à un Dieu, à un homme qui est mort pour vous, célébrez-le avec les bergers, chantez avec les anges, entonnez des hymnes avec les archanges... Soyez enfin cloués en croix avec le Christ, mourez avec lui, soyez ensevelis avec lui, le cœur joyeux, afin de ressusciter avec lui, d'être glorifiés avec lui, de régner avec lui, de voir Dieu en toute sa majesté, d'en être vus, ce Dieu adoré et magnifié en la Trinité. En Jésus-Christ, notre Seigneur, à qui la gloire dans tous les siècles. Amen.

 

Sermon du bienheureux Aelred de Rievaulx, abbé

 

       Avant la naissance du Christ, il n'était pas pour l'homme de joie certaine, sinon dans la connaissance et l'espérance de ce jour. Aujourd'hui, il vous est dit : ne craignez pas, aimez ; ne soyez pas dans la tristesse : réjouissez-vous. Un ange descend du ciel et il vous annonce une grande joie. Réjouissez-vous pour vous, réjouissez-vous aussi pour les autres, car cette joie n'est pas pour vous seuls, elle est de tout le peuple.

       Quelle joie : grande, remplissant le cœur de douceur ! quelle joie désirable ! Jusqu'ici vous étiez dans la tristesse parce que vous étiez morts ; maintenant, vous êtes dans la joie, car la vie est venue jusqu'à vous pour que vous viviez. Vous étiez dans la tristesse à cause des ténèbres de votre cécité ; réjouissez-vous, car aujourd'hui la lumière s'est levée dans les ténèbres pour les hommes au cœur droit. Vous étiez dans la tristesse, à cause de votre misère ; mais il vous est né, le Miséricordieux, le Compatissant, pour que vous ayez accès à la béatitude. Vous étiez dans la tristesse, car la montagne de vos péchés pesait sur vous, réjouissez-vous maintenant, car il vous est né un Sauveur qui sauvera son peuple de ses péchés. Voilà la joie que nous annonce l'Ange : il nous est né aujourd'hui un Sauveur.

       Vous avez craint jusqu'ici celui qui vous avait créés, aimez maintenant celui qui vous a guéris. Vous avez craint jusqu'ici votre juge. Aimez maintenant votre Sauveur. Voyez jusqu'où le Christ s'est incliné pour nous. A l'approche de la mort, le Christ est triste et Paul joyeux ; le Christ pleure Lazare, son ami qui est mort, la mère des Macchabées ne pleure pas lors de la mort horrible de ses sept fils. Jean Baptiste vient qui ne mange ni ne boit : le Christ vient, mangeant et buvant et il est appelé glouton et buveur de vin. Ces choses-là ne sont pas de ton goût, toi le juif ; toi aussi le païen, elles ne sont pas de ton goût. Et le païen nous parle ici de folie, tandis que le juif est scandalisé. Quant à moi, ta tristesse est plus à mon goût, Seigneur Jésus, que toute la joie du monde. Les larmes que tu as versées pour la mort de ton ami me sont plus douces que cette force des philosophes qui veulent qu'aucune passion ne touche le sage. Ta nourriture et ta boisson prises au milieu des pécheurs et des publicains ont pour moi une odeur plus agréable que l'abstinence des pharisiens.

       Quelle est ma joie de voir le Seigneur de gloire se manifestant dans son comportement et dans ses affections humaines, non comme les forts, mais dans la faiblesse. Que cela me rend fort dans ma faiblesse ! La faiblesse du Seigneur est, j'en suis sûr, la force et le soutien de ma propre faiblesse. Courons donc, frères, courons avec les bergers, parce qu'aujourd'hui est né pour nous le Sauveur du monde qui est le Christ Seigneur dans la cité de David. Cette cité, c'est Bethléem, vers elle nous devons courir comme le firent les bergers à l'annonce de la nouvelle. Vous avez l'habitude de chanter : « Ils chantèrent la gloire de Dieu, ils coururent à Bethléem. » Et voici le signe : « Vous trouverez un enfant enveloppé de langes et couché dans une crèche. » Voilà, comme je vous l'ai dit, pourquoi vous devez l'aimer. Grand signe, en vérité, que cet enfant, si nous le comprenons. Nous le comprenons si nous entendons cet amour qui nous est annoncé, mais aussi si nous avons dans le cœur cette lumière qui se manifesta avec les anges. Et ceux-là seuls entendent cet amour qui ont l'esprit baigné de cette lumière spirituelle.

 

Sermon de saint Cyrille d'Alexandrie, évêque

 

       Vaste, profond, admirable mystère de notre salut qu'aspirent si fort à comprendre les anges eux-mêmes ! Le disciple du Sauveur, parlant des prédictions que les saints Prophètes avaient faites sur le Sauveur de tous, Jésus-Christ, disait : « mystères qu'avec le secours de l'Esprit Saint, envoyé du ciel, vous ont maintenant annoncés ceux qui vous ont évangélisés et sur lesquels les anges désirent plonger leurs regards » (1 P 1, 12).

       Lorsque, au temps où le Christ naissait, ils contemplaient le mystère de notre salut, ils s'écriaient dans l'action de grâces : Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes qu'il aime ! Comment n'eussent-ils été remplis d'allégresse en voyant le Sauveur et Libérateur du monde naître de la Vierge, ces anges qui jubilent pour un seul pécheur qui fait pénitence ! selon le mot du Sauveur. Ainsi exulte pour nous la multitude des esprits bienheureux. Quelle est la raison de leur joie ? L'Incarnation du Fils unique, sa naissance chez les hommes, l'immensité de sa bonté, la grandeur de son amitié incomparable pour nous. La mort triomphante a dévoré la terre, écrit le bienheureux Isaïe, mais il ajoute : Dieu a essuyé toute larme de tout visage.

       Et de quelle façon a-t-il essuyé les larmes de tout visage ? Comment a-t-il réduit à néant l'antique malédiction et ruiné le funeste pouvoir de la mort ? Le sage saint Paul cette fois nous l'apprendra : puis donc que les enfants avaient en commun le sang et la chair, lui aussi y participa pareillement afin d'anéantir par sa mort celui qui avait l'empire de la mort, c'est-à-dire le diable, et de délivrer ceux que la crainte de la mort vouait, leur vie entière, à la servitude. Que signifie « y participa pareillement » ? Rien d'autre que d'être né parmi nous, de Marie, la sainte Mère de Dieu, dans le sang et la chair. Comme le Christ était Dieu en sa nature, et Verbe véritable de Dieu le Père, consubstantiel et coéternel au Père et qu'il brillait au zénith de sa gloire dans la condition et la similitude de Dieu, il ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu, mais s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave et naissant de la sainte Marie. Et s'étant comporté comme un homme, il s'humilia jusqu'à la mort et à la mort sur une croix.

       II s'abaisse lui-même à notre humilité, lui qui donne à tous les hommes sa propre plénitude, il s'abaisse pour nous, non pas contraint, mais de plein gré ; pour nous,' il prend la condition d'esclave, lui qui était la liberté en personne, il devient l'un d'entre nous, lui qui s'élevait au-dessus de toute la création. Il se soumet à la mort, lui qui vivifie le monde. Il est le pain vivant qui donne la vie aux hommes. Il vient comme nous en sujet de la Loi, lui qui, comme Dieu, transcende la Loi ; il devient un homme parmi d'autres, soumis à la naissance et il prend commencement, lui qui précède tout siècle et tout âge, bien plus, lui qui est le créateur et le principe des siècles. Ainsi donc, la Vierge est véritablement Mère de Dieu puisqu'elle a enfanté surnaturellement un seul Christ qui participe pareillement à la chair et au sang et qui procède sur le plan humain de la même substance que sa mère et nous-mêmes, lui qui a pris chair de Marie, Mère de Dieu. Il n'est pas d'une substance seulement semblable à la nôtre, comme le soutiennent quelques hérétiques, mais il nous est consubstantiel, c'est-à-dire fait de notre propre substance : c'est de la descendance d'Abraham qu'il se charge. Mais, en même temps, il est, sur le plan divin, consubstantiel à Dieu son Père comme nos Pères l'ont confessé lorsqu'ils disaient que sa substance était celle du Père et non comme celle du Père.

 

 

Epiphanie

 

 

PREMIÈRE LEÇON

 

 

Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode,

voici que des mages venus d'Orient arrivèrent à Jérusalem

en disant : « Où est le roi des juifs qui vient de naître ? Nous

avons vu, en effet, son astre à son lever et sommes venus lui

rendre hommage »

matthieu 2, 1-2

 

 

Sermon de saint Pierre Chrysologue, évêque

 

       Celui qui a voulu naître pour nous n'a pas voulu être ignoré de nous : C'est pourquoi il se manifeste clairement de peur que le grand mystère de la piété ne soit une occasion de grande erreur.

       Aujourd'hui, le mage qui cherchait un seigneur brillant dans les étoiles le trouve vagissant dans une crèche. Aujourd'hui, le mage voit, à visage découvert dans ses langes, celui qu'il cherchait douloureusement et obscurément dans les astres. Aujourd'hui, le mage est plongé dans la stupeur de ce qu'il voit ici : le ciel sur la terre et la terre dans le ciel ; un homme en Dieu et Dieu en un homme. Et le mage qui n'arrive pas à scruter la profondeur de ce mystère, qui ne peut le comprendre, se prosterne pour adorer.

       Aujourd'hui, le Christ entre dans le sein du Jourdain pour y laver le péché du monde. Aujourd'hui, selon la parole du Prophète, « la voix du Seigneur est sur les eaux ». Quelle voix ? « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. »

       Aujourd'hui, l'Esprit plane sur les eaux dans l'apparence d'une colombe : comme la colombe de Noé avait annoncé que le déluge avait pris fin pour le monde, la colombe annonce ici que le naufrage du monde a cessé définitivement. Et comme la colombe avait, autrefois, rapporté une branche d'olivier, elle répand ici sur la tête du nouvel Adam toute la douceur de l'onction nouvelle selon la prédiction du Prophète : « C'est pourquoi Dieu, ton Dieu t'a oint de l'onction d'allégresse. »

       La Trinité répand toute sa grâce et dit tout son amour et Jean se tient sans crainte au milieu de si grands mystères, parce qu'il ne peut craindre, lui qui tout entier est né pour aimer Dieu.

       Aujourd'hui, le Seigneur accomplit le premier des signes du ciel en changeant l'eau en vin. Mais l'eau devait ensuite être changée en sang, mystère par lequel le Christ donnerait à boire le sang qui coulerait de son corps afin que s'accomplisse la parole du Prophète : « Et ta coupe qui enivre comme elle est admirable ! »

 

 

DEUXIÈME LEÇON

 

 

Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es nullement le moindre

 des clans de Juda ; car de toi sortira un chef qui sera pasteur

de mon peuple Israël

matthieu 2, 6

 

 

Sermon de saint Grégoire de Nazianze, évêque

 

       Je ne peux contenir l'élan de ma joie, mon esprit exulte et tressaille. J'en oublie ma propre faiblesse et j'en viens à brûler d'ardeur pour accomplir l'office du grand Jean, ou mieux pour me mettre à sa suite. C'est vrai que je ne suis pas précurseur, mais je viens comme lui du désert.

       Le Christ donc est illuminé, bien plus il nous inonde de sa lumière.

       Le Christ est baptisé, descendons avec lui pour pouvoir avec lui remonter nous aussi.

       Jean baptise, Jésus s'avance : il vient sanctifier le Baptiste. Il vient noyer dans les eaux le vieil Adam tout entier. Il vient surtout en tout cela sanctifier les eaux du Jourdain. Le Baptiste refuse et Jésus insiste. La lampe dit au Soleil, la voix au Verbe, l'ami à l'Époux : C'est moi qui devrais être baptisé par toi. Jésus répond : laisse donc. Ceci s'accomplit pour réaliser en toute sagesse l'économie du mystère.

       Jésus remonte de l'eau entraînant et élevant le monde avec lui et il voit les cieux ouverts, ces cieux qu'autrefois Adam avait fermés pour lui et pour les siens, et ce paradis qui était comme scellé par un glaive de feu. Et l'Esprit de Dieu rend témoignage avec le Père, et une voix descend du ciel.

       Nous entourons d'honneur, aujourd'hui, le baptême du Christ et nous sommes en fête pour le célébrer. Purifions-nous. Rien n'est plus agréable à Dieu que le salut des hommes et leur retour, c'est la clef de tout enseignement et de tous les mystères. Il en sera ainsi si vous êtes comme une lumière dans le monde, comme une force vitale pour les autres hommes, et comme de petites lumières autour du Christ, la Grande Lumière, reflétant sur vos traits sa Splendeur céleste.

 

 

TROISIÈME LEÇON

Entrant alors dans le logis, ils virent l'enfant avec Marie sa mère

et, se prosternant, ils lui rendirent hommage ; puis, ouvrant leurs

cassettes, ils lui offrirent en présents de l'or, de l'encens et de la myrrhe

matthieu 2, 11

 

 

De la liturgie syrienne

 

Ne demande pas, Église, le lever du soleil

Puisque le lever de ton Seigneur t'illumine.

       Voici que coulent en toi des sources

       d'eau vive et salvatrice,

       Voici que tes fils viennent de loin

       tes filles des extrémités de la terre,

En toi entrent les multitudes de peuples.

       Ils abandonnent leurs idoles,

       Ils viennent se réfugier en toi.

Béni soit le Christ que tu as épousé dans les eaux du baptême.

       Ne cherche pas un autre époux

       Car c'est lui l'Époux véritable

       Qui existe depuis toujours et à jamais.

Il t'a donné son corps en prémices,

II a fortifié ta foi.

       Ne le change pas pour un autre

       C'est lui l'Époux véritable.

Bienheureux celui qui ne l'abandonne pas.

       Jésus au nom si plein de sens,

       Lumière des justes et des croyants,

Accorde-moi la beauté de ta vie cachée afin que je sois ornée et illuminée par toi.

       Vérité et paix des humbles !

       C'est avec un cœur pur

       qu'on le voit cet époux

       Qui m'a sauvée dans sa miséricorde.

Béni soit celui qui a offert à mes fils le paradis !

       Veilleur vivant et saint,

       Fils mystérieux du Très-Haut

       Par son sang précieux, il est descendu

       II m'a épousée, moi, l'Église des nations,

       par sa naissance,

       sa croissance et sa Passion

       sa petitesse et son humilité

       sa croix et sa résurrection

       par son Esprit,

       II a sanctifié mes membres

       par son baptême,

       II a purifié mes fautes

       par sa lumière

       II a orné mes sens

       et parée de toutes beautés,

       II m'a fait entrer et sortir

       pour préparer ses desseins.

Chantons gloire au Père qui a préfiguré l'Église sur le mont Sinaï

Chantons gloire au Fils qui l'a épousée au baptême.

Chantons gloire au Saint-Esprit qui est descendu et l'a sanctifiée dans la chambre haute.

 

 

Baptême du Christ

 

 

Voici qu'une voix venue des cieux disait : « Celui-ci est mon

Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur »

matthieu 3, 17

 

 

Sermon de saint Hippolyte de Rome

 

       Elles sont toutes belles, oui, très belles les œuvres de Dieu notre Sauveur !... Mais quel présent est plus nécessaire que l'eau ? Tout est baigné par les eaux, nourri, purifié, arrosé. L'eau porte les continents, l'eau fait naître la rosée, épanouit la vigne, l'eau mûrit l'épi. Sans l'eau, nulle vie ne subsiste... Elle seule a trouvé place jusqu'au-dessus des cieux comme en témoigne le Prophète : Louez Dieu cieux des cieux et les eaux par-dessus les cieux.

       Ce texte dit bien la précellence de l'eau mais ce qui, plus que tout, emporte le respect, c'est que Jésus-Christ, le Créateur du monde, soit descendu comme l'ondée, qu'il ait été connu comme source d'eaux vives, qu'il se soit répandu comme un fleuve et qu'il ait été baptisé dans le Jourdain. Car tu viens d'entendre comment Jésus vint trouver Jean et fut baptisé par lui dans le Jourdain.

       Le fleuve qui réjouit la cité de Dieu s'est trempé dans de maigres flots, la source ineffable qui fait germer toute vie et ne tarit jamais s'est laissé recouvrir par de pauvres et fugitives eaux.

       Ne prends pas ce récit, mon frère, en un sens littéral ; entends comme il sert le dessein de Dieu ; les eaux virent la grâce que le Seigneur nous faisait en son humanité dans le secret : les eaux le virent et elles frémirent. Elles faillirent même se soulever et s'enfuir de leur lit. Le Prophète qui longtemps avant avait prévu le prodige les interrogeait : Qu'as-tu mer à t'enfuir, Jourdain à retourner en arrière ?

       Et voici que le Seigneur vient, chétif, seul, nu, sans escorte, revêtu du corps humain cachant sa divine grandeur afin de déjouer la ruse du serpent. C'est peu dire qu'il vint trouver Jean comme un chef qui a renvoyé sa garde. Il l'aborde comme un simple homme, soumis au péché, et il incline le front pour être baptisé... Celui-ci lui dit :

       « C'est moi qui ai besoin d'être baptisé et toi tu viens à moi ? Que fais-tu, Maître ? Baptise-moi du feu de ta divinité ; qu'attends-tu de l'eau, éclaire-moi de l'Esprit. Pourquoi te confier à une créature ? »

       Que lui répond le Seigneur ?

       « Laisse-moi donc, ainsi devons-nous accomplir toute justice. Laisse donc, Jean, tu n'es pas plus savant que moi. Tu vois les choses en homme et je les sais en Dieu. Voilà ce que je dois d'abord faire avant de l'enseigner. Laisse, dis-je, c'est ainsi que doit s'accomplir toute justice. Car c'est moi qui accomplis la Loi et je ne veux rien négliger en tout cet accomplissement afin que Paul s'écrie, après moi : " Le Christ accomplit la Loi pour la justification de tout croyant. " Laisse, dis-je... Baptise-moi afin que nul ne méprise le baptême. »

       Le Maître ne fit-il que recevoir le baptême ? Il rénova le vieil homme et lui confia derechef le sceptre de l'adoption. Car aussitôt les cieux s'ouvrirent. Le monde visible et le monde invisible se réconcilièrent. Les puissances d'en haut furent transportées d'allégresse, les maladies de la terre furent guéries, les mystères secrets révélés et l'hostilité fit place à l'amitié. Tu as entendu l'Évangéliste : les cieux s'ouvrirent de par ces trois merveilles : le Christ époux était baptisé, il fallait donc que s'ouvrissent les portes de la chambre céleste, l'Esprit Saint était descendu telle une colombe et la voix du Père avait partout retenti...

       Voix du Seigneur sur les eaux, le Dieu de gloire tonne, le Seigneur sur les eaux innombrables. Quelle était la parole de Dieu ?

       « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, il a tout mon amour. Celui-ci, qui est nommé fils de Joseph, et il est mon Fils unique, de nature divine. Celui-ci est mon Fils bien-aimé, c'est lui qui, affamé, nourrit des milliers d'hommes, fatigué, repose des fatigues ; il n'a pas de pierre où reposer la tête et porte tout en sa main, il souffre et guérit les souffrances, il est giflé et rend au monde sa liberté... »

       Le Verbe est venu chez les hommes pour les laver d'eau et d'Esprit. Il nous a régénérés et rendus incorruptibles d'âme et de corps, il a exhalé en nous l'Esprit de vie et nous a revêtus de l'armure d'immortalité. Et si l'homme est rendu immortel, il devient lui aussi un Dieu. Et s'il devient un Dieu par l'eau et l'Esprit Saint lorsqu'il est régénéré dans le bain, il se trouve aussi cohéritier du Christ à la résurrection d'entre les morts.

 

 

Les Noces de Cana

 

(2e dimanche du temps ordinaire, année C)

 

 

Tel fut le premier des signes de Jésus, il l'accomplit à Cana de

Galilée et il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui

jean 2, 11

 

 

Sermon de saint Romain le Mélode, prêtre

 

       Dieu, pour honorer la virginité, a habité un sein virginal, né sans semence, il n'a pas brisé les sceaux de la virginité ; il a aussi pris pour épouse l'Église vierge et sans tache. La mère du Christ est donc à la fois vierge et épouse. Il est vierge lui aussi. Mais le lit des époux est saint, car il a fait un ciel de la chambre nuptiale. Bien que né d'un sein vierge et très saint, il n'a pas méprisé l'union du mariage lui qui a tout créé avec sagesse. C'est pourquoi celui qui ne connut pas le mariage, le seul saint et redoutable, était présent dans la salle des noces comme nous l'a enseigné le divin Jean. Celui qui ignore le péché a dîné avec les pécheurs afin de rendre le mariage honorable par sa présence, lui qui a tout créé avec sagesse. C'est là que Paul a trouvé de bonnes références quand il a dit, dans ses écrits, que le mariage est honorable et que la couche du mariage est sans souillure.

       Nous nous proposons maintenant de dire le premier miracle que fit à Cana celui qui avait déjà montré aux Égyptiens et aux Hébreux la puissance de ses miracles. Alors la nature des eaux s'était miraculeusement changée en sang ; il avait attiré sur les Égyptiens la colère des dix plaies, il avait rendu la mer viable aux Hébreux qui se hâtèrent de la traverser comme une terre ferme. Dans le désert aride, il leur prodigue de l'eau qu'il fait sortir du rocher ; et aujourd'hui, aux noces, il modifie de nouveau la nature, lui qui a tout créé avec sagesse.

       Alors que le Christ assistait aux noces et que la foule des convives se régalait, le vin leur manqua et leur joie se changea en chagrin... Voyant cela, la très pure Marie vint aussitôt dire à son Fils :

« Ils n'ont plus de vin ; alors je t'en prie, mon enfant, montre que tu peux tout, toi qui as tout créé avec sagesse. »

       S'il te plaît, Vierge vénérable, d'après quels miracles de lui as-tu su que ton Fils sans avoir vendangé de raisin pouvait accorder le vin alors qu'il n'avait pas encore fait de miracles auparavant comme l'a écrit Jean l'inspiré de Dieu ?

       « J'ai vu moi-même Elisabeth m'appeler Mère de Dieu avant l'enfantement ; après l'enfantement Syméon m'a chantée, Anne m'a célébrée, les mages sont accourus de la Perse à la crèche, une étoile annonçait d'avance la naissance, les bergers avec les anges se faisaient hérauts de la joie. Que pouvais-je aller chercher de plus grand que ces miracles, pour croire sur leur foi que mon Fils est celui qui a tout créé avec sagesse ? »

       Quand le Christ changea manifestement l'eau en vin par sa puissance, toute la foule se réjouit, trouvant admirable le goût de ce vin. Aujourd'hui, c'est au banquet de l'Église que nous nous asseyons tous, car le vin est changé en sang du Christ et nous buvons tous avec une allégresse sainte glorifiant le grand Époux. Car l'Époux véritable, c'est le Fils de Marie, le Verbe qui est de toute éternité, qui a pris la forme d'un esclave et qui a tout créé avec sagesse.

       Très-Haut, Saint, Sauveur de tous, garde sans altération le vin qui est en nous, puisque tu présides à tout.

       Toi qui, par ta puissance, changeas l'eau en vin, change en joie l'angoisse des péchés qui nous oppressent, par la Mère de Dieu, ô Christ Dieu, toi qui as tout créé avec sagesse.

 

 

 

Autres lectures pour l'Epiphanie

 

 

Sermon de saint Éphrem, diacre

 

II nous est venu un agneau de la maison de David,

Prêtre et Pontife de la semence d'Abraham,

       II fut pour nous agneau,

       II fut pour nous pontife

       Son corps en sacrifice,

       Son sang en aspersion.

Béni son accomplissement des figures !

       Le Pasteur de tous descendit,

       II chercha Adam, brebis perdue,

       II le porta sur ses épaules et remonta

       II se fit sacrifice offert

       au maître du troupeau ;

Bénie sa descente vers nous !

       Il se répandit, rosée

       et pluie vivifiante,

       Sur Marie, cette terre assoiffée.

       Grain de blé,

       II descendit dans la terre ;

       II en remonta,

       gerbe et pain nouveau.

Bénie soit son offrande !

       De la hauteur, la puissance

       descendit pour nous ;

       Du sein de la Vierge,

       l'espérance brilla pour nous ;

       Du tombeau

       la vie apparut pour nous.

       A la droite du Père,

       II siège en roi pour nous :

Béni son honneur !

       De la hauteur

       II coula comme un fleuve ;

       De Marie comme un rejeton ;

       Du bois

       II pendit comme un fruit.

       Et il monta au ciel

       offrande de prémices :

Bénie sa volonté !

 

       Le Verbe du Père sortit de son sein

       II revêtit un corps dans un autre sein :

Béni soit celui qui habita en nous !

       De la hauteur

       II descendit Seigneur,

       Du sein de la Vierge

       II sortit esclave.

       Aux enfers la mort

       se prosterna devant lui,

       A la résurrection

       les vivants l'adorèrent :

Bénie sa victoire !

       Marie le porta comme un nourrisson

       Le prêtre le porta comme une offrande,

       La croix le porta comme un supplicié,

       Les cieux le portèrent comme Dieu :

Gloire à son Père !

       De Dieu vient sa divinité,

       Des mortels son humanité,

       De Melchisédech son sacerdoce,

       et de la maison de David sa royauté :

Bénie une telle association !

       Sa naissance est pour nous purification,

       Son baptême notre pardon,

       Sa mort notre vie,

       Son ascension notre exaltation.

 

Jésus, notre Seigneur, le Christ,

nous est apparu du sein de son Père ;

II est venu et nous a tirés des ténèbres

       et nous a illuminés

       de sa joyeuse lumière.

Le jour s'est levé pour les hommes ;

La puissance des ténèbres est chassée :

       De sa lumière s'est levée

       pour nous une lumière

       qui a éclairé nos yeux obscurcis.

Il a fait lever sa gloire sur le monde

et a éclairé les plus profonds abîmes.

La mort est anéantie,

les ténèbres ont pris fin,

les portes de l'enfer sont en pièces ;

       II a illuminé toutes les créatures,

       ténèbres depuis les temps anciens ;

II a réalisé le salut et nous a donné la

vie ; ensuite il viendra dans la gloire

et il éclairera les yeux de tous ceux qui

l'auront attendu.

       Notre Roi vient dans sa grande gloire :

       allumons nos lampes,

       sortons à sa rencontre,

Réjouissons-nous en lui

comme il s'est réjoui en nous

et nous réjouit par sa glorieuse lumière.

       Mes frères, levez-vous, préparez-vous

       pour rendre grâces à notre Roi et Sauveur

       qui viendra dans sa gloire

       et nous réjouira

       de sa joyeuse lumière dans le Royaume.

 

Sermon de saint Jean de la Croix, prêtre

 

       En nous donnant, comme il nous l'a donné, son Fils qui est son unique Parole — car il n'en a point d'autre — Dieu nous a dit et révélé toutes choses en une seule fois par cette seule parole et il n'a plus à parler. Et c'est le sens du texte par lequel saint Paul veut induire les Hébreux à se retirer des anciennes manières et façons de traiter avec Dieu selon la loi de Moïse, et à jeter seulement les yeux sur le Christ, disant : « Ce que Dieu autrefois a dit à nos Pères par les Prophètes en maintes sortes et manières, maintenant en ces derniers jours, il nous l'a dit en son Fils, tout en une seule fois. » En quoi l'Apôtre donne à entendre que Dieu est demeuré quasi muet et qu'il n'a plus rien à dire, parce que ce qu'il disait par parcelles aux Prophètes, il l'a tout dit en lui, en nous donnant le tout qui est son Fils. C'est pourquoi, celui qui demanderait maintenant à Dieu ou qui voudrait quelque vision ou révélation, non seulement, ferait une sottise, mais ferait injure à Dieu, ne jetant pas entièrement les yeux sur le Christ sans vouloir quelque autre chose ou nouveauté.

       Dieu pourrait lui répondre de cette manière, disant : « Si je t'ai tout dit en ma Parole qui est mon Fils, je n'en ai point d'autre que je puisse maintenant répondre ou révéler qui soit davantage que cela, regarde-le seulement parce que je t'ai tout dit et révélé en lui, et tu y trouveras encore plus que tu ne demandes et plus que tu ne saurais souhaiter. Tu veux une parole ou une révélation qui n'est qu'en partie seulement, et si tu le regardes bien, tu y trouveras tout, parce qu'il est toute ma Parole, ma réponse, ma vision et révélation laquelle je vous ai déjà parlée, répondue, manifestée et révélée, vous le donnant pour frère, pour compagnon, pour maître, pour prix et récompense. Car, depuis que j'ai descendu avec mon Esprit sur lui au mont de Thabor disant : " Voici mon Fils bien-aimé auquel je me suis plu, écoutez-le ", j'ai laissé toutes ces manières d'instructions et de réponses et lui ai tout remis : écoutez-le, car je n'ai plus de foi à révéler ni de choses à manifester. Que si je parlais auparavant, c'était en promettant le Christ, et si l'on m'interrogeait, ce n'était que pour demander et espérer le Christ... Mais à présent, qui m'interrogerait de même et voudrait que je lui répondisse ou que je lui révélasse quelque chose, ce serait en quelque sorte me redemander le Christ... et ainsi il ferait grande injure à mon Fils bien-aimé. »

       « Si tu veux que je te dise un mot de consolation, vois mon Fils qui m'est si obéissant et soumis pour mon amour et qui est affligé et tu entendras ce qu'il te répondra. Si tu veux que je te déclare des choses occultes ou des événements, jette seulement les yeux sur lui et tu y trouveras des mystères très cachés et la sagesse et les merveilles de Dieu qui sont encloses en lui, selon que dit mon Apôtre : " en lequel, Fils de Dieu, tous les trésors de la Sagesse et de la Science de Dieu sont cachés ". Lesquels trésors de la Sagesse et de la Science seront pour toi beaucoup plus sublimes, plus savoureux et plus utiles que ce que tu veux savoir. Car pour cela, le même Apôtre se glorifiait, disant qu'il avait donné à entendre qu'il ne savait autre chose que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié.

       Et si tu veux encore d'autres visions ou révélations divines ou corporelles, regarde-le aussi humanisé et tu y trouveras plus que tu ne le penses, parce que l'Apôtre dit aussi que " toute la plénitude de la divinité demeure corporellement dans le Christ ". »

 

Sermon de saint Romain le Mélode, prêtre

 

       Tu t'es manifesté aujourd'hui à l'univers et ta lumière, Seigneur, nous est apparue. Aussi, dans cette connaissance, nous te chantons : Tu es venu, tu t'es manifesté, toi, la lumière inaccessible ! Dans la Galilée des nations, dans le pays de Zabulon, dans la terre de Nephtali, comme dit le Prophète, le Christ, grande lumière, a resplendi. Pour ceux qui étaient dans les ténèbres a lui une grande clarté, jaillissant de Bethléem : le Seigneur né de Marie, le Soleil de justice, répand ses rayons sur l'univers entier. Nous, les fils d'Adam, qui sommes nus, venons, revêtons-le pour nous réchauffer. C'est pour vêtir ceux qui sont nus, illuminer ceux qui sont dans la ténèbre, que tu t'es manifesté, lumière inaccessible.

       Dieu n'a pas méprisé celui qui, dans le paradis, fut, par ruse, dépouillé de ses vêtements et perdit la robe tissée des mains de Dieu. Il revient à lui et appelle de sa voix sainte le désobéissant : « Adam, où es-tu ? Cesse de te cacher de moi. Si nu, si pauvre que tu sois, je veux te voir. N'aie pas peur, je me suis fait semblable à toi. Tu désirais devenir dieu, tu n'as pas pu. Maintenant, parce que je l'ai voulu, je me suis fait chair. Avance donc, reconnais-moi et dis : tu es venu, tu t'es manifesté, toi la lumière inaccessible. »

       Chante, chante Adam, adore celui qui vient à toi : alors que tu t'éloignais, il s'est manifesté à toi pour te voir, te toucher, t'accueillir. Celui dont tu t'étais caché quand tu fus abusé par le démon, pour toi s'est fait semblable à toi. Il est descendu sur la terre pour te prendre aux cieux, il est devenu mortel pour que toi tu deviennes Dieu et que tu recouvres ta première beauté. Voulant t'ouvrir les portes de l’Éden, il a habité Nazareth. Pour tout cela, chante, homme, et loue avec tes chants celui qui s'est manifesté et a illuminé l'univers.

 

TEMPS DE CAREME

 

Mercredi des Cendres

 

 

Prie ton Père qui est là, dans le secret ; et ton Père,

qui voit dans le secret, te le rendra

matthieu 6, 6 c

 

 

Du grand canon de Carême de saint André de Crète, évêque

 

       Par où commencerai-je à déplorer les actions de ma vie et quels seront, ô Christ, les premiers accents de ce chant de peine ? Accorde-moi, dans ta miséricorde, le pardon de mes péchés.

       Émule du premier Adam dans les voies de la transgression, je me suis vu dépouillé de mon Dieu, privé du Royaume éternel et de sa joie par mon péché. Si Adam, pour avoir violé un seul de tes commandements, a été en toute justice chassé du jardin d'Éden, que dois-je subir, ô Sauveur, moi qui transgresse constamment tes paroles de vie ?

       Tel le potier qui façonne l'argile, tu m'as dispensé, ô créateur, une chair et des os et tu m'as animé d'un souffle de vie. Aujourd'hui, ô Rédempteur et Juge, ne repousse pas ma pénitence. J'ai péché plus que tous les autres hommes ; contre toi, toi seul, j'ai péché. Cependant, toi mon Sauveur, prends en pitié l'œuvre de tes mains.

       J'ai mis en pièces le premier vêtement que tu m'avais tissé, ô mon Créateur, et depuis me voilà gisant dans ma nudité.

       J'ai essayé de me couvrir d'un vêtement déchiré, œuvre du serpent qui m'a séduit, et me voilà couvert de honte.

       J'ai perdu ma beauté première ; le péché a cousu pour moi des tuniques de peau après m'avoir dépouillé de la robe tissée par Dieu lui-même.

       J'ai enfoui dans l'abîme de mes passions la beauté de mon image primitive. Ô mon Dieu, cherche-moi et retrouve-moi, telle la drachme perdue.

       En toi, vainqueur de la mort, est la source de vie et vers toi je crie du fond du cœur : j'ai péché, sois propice à moi, pécheur, et sauve-moi. Mon corps est souillé, mon esprit enténébré, je suis couvert d'ulcères ; mais toi, ô Christ médecin, guéris-moi par la pénitence ; lave-moi, ô Sauveur, je serai blanc plus que neige.

       Pour nous tu as immolé, ô Verbe, sur la croix ton corps et ton sang, ton corps pour me renouveler, ton sang pour me purifier. Tu as donné ton Esprit pour me rapprocher de ton Père.

       Tu as opéré le salut au milieu de la terre, ô Créateur, afin que nous soyons sauvés. Tu fus cloué à l'arbre de douleur et l'Éden aussitôt se rouvrit. C'est pourquoi le ciel et la terre et toute la création et la foule des nations rachetées t'adorent.

       Que le sang et l'eau de ton côté soient pour moi la piscine du baptême et le breuvage qui absout les péchés afin que, d'un cœur pur, je puise dans ta Parole vivifiante l'onction sainte, et que j'étanche ma soif. L'Église possède comme coupe ton côté qui fut percé et d'où jaillit pour nous la double source de la rémission et de la connaissance, image de l'Ancien et du Nouveau Testament réunis, toi le Sauveur.

       En toi, je vois le port du Salut, Seigneur Christ ; aussi du haut de ton sanctuaire tire-moi de l'abîme de mon péché.

       C'est moi, ô mon Sauveur, qui suis la drachme à l'effigie du roi, autrefois tombée de tes mains. Hâte-toi, allume le flambeau précurseur de ta venue et retrouve ton image.

       Mes jours se sont évanouis comme le rêve de l'homme qui s'éveille ; c'est pourquoi je pleure sur ma couche, comme Ézéchias, et je demande que le cours de ma vie soit prolongé. Mais quel autre Isaïe se présentera devant moi, si ce n'est toi Seigneur ?

       Ô mon Sauveur, épargne ta créature, retrouve-moi comme le pasteur retrouve la brebis, arrache-moi au loup qui dévore et fais de moi une brebis de ton bercail.

       Après avoir dissipé mon patrimoine dans le dérèglement, je me sens dépourvu des fruits de la vraie vie et, tourmenté par la faim, je m'écrie : Père des miséricordes, viens à moi et fais-moi miséricorde.

       J'ai péché comme la femme pécheresse, contre toi, toi seul, j'ai péché. Agrée mes larmes, ô mon Sauveur, comme tu acceptas le parfum de la myrrhe. Comme le larron je m'écrie : « Dans ton Royaume souviens-toi de moi, Seigneur » ; comme Pierre je pleure amèrement ; comme le publicain je dis :         « Sois propice à moi, pécheur » ; comme la pécheresse je verse des larmes. Accueille ma prière comme tu accueillis celle de la Cananéenne. Guéris mes blessures, ô Sauveur, toi le seul médecin. Donne-moi le remède d'huile et de vin. Que j'entende, comme jadis le larron, les accents de ta voix qui me disent : « En vérité, je te le dis, tu seras avec moi en paradis quand je serai entré dans mon Royaume. »

 

 

 

Vendredi après les Cendres

 

 

 

N'est-ce pas plutôt ceci, le jeûne que je préfère : défaire les

chaînes injustes, délier les liens du joug ; renvoyer libres les

opprimés, et briser tous les jougs ? N'est-ce pas partager ton

pain avec l'affamé, héberger chez toi les pauvres sans abri,

si tu vois un homme nu, le vêtir, ne pas te dérober devant

celui qui est ta propre chair ?

isaïe 58, 6-7

 

 

Sermon de saint Maxime le Confesseur, abbé

 

       Aux hommes le salut est impossible, mais à Dieu tout est possible, comme le Seigneur l'a dit lui-même. Allons donc en sa présence et, confessant nos fautes, adorons-le, prosternons-nous et pleurons devant le Seigneur qui nous a faits, car c'est lui notre Dieu. Écoutons-le nous dire par Isaïe : « Quand vous reviendrez en gémissant, alors vous serez sauvés », et encore : « La main du Seigneur est-elle impuissante à sauver ou son oreille trop dure pour entendre ? Mais nos iniquités ont creusé un abîme entre nous et notre Dieu ; à cause de nos péchés, il a détourné sa face pour ne pas nous faire miséricorde. » Et c'est pourquoi il dit : « Lavez-vous, purifiez-vous ! Enlevez de devant mes yeux les difformités de vos âmes. Cessez de faire le mal, apprenez à faire le bien, recherchez le droit, secourez l'opprimé, rendez justice à l'orphelin, plaidez pour la veuve, puis venez et discutons ensemble, dit le Seigneur... » Et le Seigneur dit dans l'Évangile : « Faites pénitence, car le Royaume des Cieux est proche... » Qu'y a-t-il d'égal à cette bonté, qui peut rivaliser avec un tel amour ?

       Ayant donc appris de l'Ancien et du Nouveau Testament ce qu'est la crainte du Seigneur et quels sont sa bonté et son amour, convertissons-nous à lui de tout notre cœur. Pourquoi péririons-nous,  frères ? Pécheurs, lavons nos mains, nous qui sommes pleins de duplicité, purifions nos cœurs, mettons notre confiance en la miséricorde du Seigneur.

       Craignons ses menaces, gardons ses commandements, aimons-nous les uns les autres de tout notre cœur. Appelons nos frères, même ceux qui nous haïssent et nous détestent, afin que le nom du Seigneur soit glorifié et manifesté dans toute son allégresse. Nous qui nous éprouvons les uns les autres, pardonnons-nous mutuellement, puisque nous sommes en butte aux attaques du même ennemi. Excitons-nous les uns les autres par une émulation de charité et de bonnes œuvres. Ne portons pas envie aux autres et si nous sommes en butte à la jalousie, ne devenons pas féroces. Montrons-nous plutôt pleins de compassion les uns pour les autres, et par notre humilité guérissons-nous les uns les autres. Ne médisons pas, ne nous moquons pas, car nous sommes membres les uns des autres.

       Aimons-nous les uns les autres et nous serons aimés de Dieu ; soyons patients les uns avec les autres et il se montrera patient avec nos péchés. Ne rendons pas le mal pour le mal et nous ne recevrons pas ce que nous méritons pour nos péchés. Car nous obtenons le pardon de nos péchés en pardonnant à nos frères et la miséricorde de Dieu est cachée dans la miséricorde envers le prochain. C'est pourquoi le Seigneur dit : « Pardonnez et il vous sera pardonné. » Et : « Si vous remettez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous remettra aussi vos offenses. » Et encore : « Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. » Et : « C'est la mesure avec laquelle vous mesurez qui servira à vous mesurer. » Tu le vois, le Seigneur nous a donné le moyen de nous sauver et il nous a donné le pouvoir céleste de devenir fils de Dieu.

 

 

 

Premier dimanche de Carême

 

 

 

En ce temps-là Jésus fut conduit par l'Esprit dans le désert

pour y être tenté par le démon

matthieu 4, 1

 

 

Sermon de saint Ambroise, évêque

 

       Le Seigneur est venu au baptême, car il s'est fait tout pour vous : Pour les sujets de la Loi, il a été circoncis afin de gagner les sujets de la Loi ; à ceux qui étaient sans loi, il s'est associé en partageant leur repas afin de gagner ceux qui vivaient sans loi. Pour les infirmes, il s'est fait infirme par la souffrance du corps afin de les gagner. Enfin, il s'est fait tout à tous, pauvre pour les pauvres, riche pour les riches, pleurant avec ceux qui pleurent, affamé avec les affamés, altéré avec les altérés, large avec ceux qui sont dans l'abondance. Il est en prison avec le pauvre, avec Marie il pleure, avec les Apôtres il mange, avec la Samaritaine il a soif, au désert il a faim pour que la nourriture savourée par le premier homme en sa prévarication fût expiée par le jeûne du Seigneur. C'est à notre détriment qu'Adam a rassasié sa faim de la science du bien et du mal ; c'est pour notre profit que le Christ a enduré la faim.

       Jésus fut conduit au désert par l'Esprit pour être tenté par le diable. Il y a lieu ici de se rappeler comment le premier Adam fut chassé du paradis dans le désert pour remarquer comment le second Adam revint du désert au paradis. Voyez comment les dommages se réparent suivant leur enchaînement et comment les bienfaits divins se renouvellent en reprenant leurs propres traces. Une terre vierge a donné Adam, le Christ est né de la Vierge ; celui-là fut fait à l'image de Dieu, celui-ci est l'Image de Dieu ; celui-là fut placé au-dessus de tous les animaux sans raison, celui-ci au-dessus de tous les vivants ; par une femme la folie, par une vierge la sagesse ; la mort par un arbre, la vie par la croix. Adam est au désert, au désert le Christ ; car il savait où trouver le condamné pour dissiper son égarement et le ramener au paradis. Mais du moment qu'au paradis il avait, faute de guide, perdu la route qu'il suivait, comment, au désert, eût-il pu, sans guide, retrouver la route perdue ?

       Donc, Jésus, rempli de l'Esprit Saint, est conduit au désert pour provoquer le diable — car si celui-ci n'avait pas combattu, le Seigneur n'aurait pas triomphé pour moi — et pour, mystérieusement, délivrer Adam de l'exil.

       Ainsi donc, suivons le Christ selon ce qui est écrit : « Tu marcheras à la suite du Seigneur ton Dieu et tu lui seras attaché. » A qui m'attacher sinon au Christ comme l'a dit saint Paul : « Celui qui s'attache au Seigneur n'est qu'un esprit avec lui. » Suivons donc ses traces et nous pourrons revenir du désert au paradis. Voyez par quels chemins nous sommes ramenés : maintenant le Christ est au désert, il y pousse l'homme, l'instruit, le forme, l'exerce, l'oint de l'huile salutaire, puis il l'établit dans le verger au temps de la Passion. Enfin, son retour et son rappel par la puissance du Seigneur ont pour témoin l'Évangéliste qui nous montre le Seigneur disant au larron : « En vérité, je te le dis, aujourd'hui, tu seras avec moi en paradis. »

 

 

Premier mercredi de Carême

 

 

 

Jonas pénétra dans la ville ; il y fit une journée de marche. Il prêcha en ces termes :

 « Encore quarante jours, et Ninive sera détruite. » Les gens de Ninive crurent en Dieu ;

ils publièrent un jeûne et se revêtirent de sacs, depuis le plus grand jusqu'au plus petit

jonas 3, 4-5

 

 

Sermon de saint Maxime de Turin, évêque

 

       Tout comme Moïse et Élie, serviteurs du Christ Seigneur, méritèrent la grâce en observant la très sainte quarantaine, ainsi, nous-mêmes, devons-nous la mériter en pratiquant cette même observance. Une même récompense rétribuera ceux qui auront pareillement peiné dans la pratique du jeûne. Saint Élie par son jeûne ouvrit le ciel et, par sa prière, féconda la terre. A cause des péchés des hommes, le ciel était fermé et la pluie d'en haut ne venait plus arroser la terre et la rendre féconde. Toutes choses souffraient de l'âpre et longue sécheresse et une grande famine pesait sur l'univers tout entier : le ciel ne donnait plus la pluie, la terre n'offrait plus de pâture. Élie changea la sécheresse du ciel en pluie et la stérilité de la terre en fécondité.

       Nous tous, qui observons les mêmes jeûnes qu'Élie, ouvrons donc les cieux par nos prières à ceux qui s'approchent de l'Église jusqu'à ce que les illumine la pluie salutaire du baptême. Les cieux sont fermés pour eux tant que l'Esprit Saint venu d'en haut n'a vivifié leur cœur. Ils souffrent de la sécheresse tant que la grâce du baptême ne les a pas baignés. Ils travaillent le ventre vide et, dans leur famine, ils désirent les sacrements célestes. Tout comme la pluie, à la prière d'Élie, permit à la terre de produire la nourriture, ainsi le baptême du Christ fait germer toute justice dans l'âme. Voici donc le mérite de ceux qui observent ce jeûne : à leur prière le monde est renouvelé et les frères renés.

       II faut que s'ouvre le ciel pour ceux qui frappent à la porte de l'Église, ce ciel qui est encore fermé pour eux. Ils n'ont pas encore vu le mystère de la Trinité. Ils ne peuvent ouvrir le ciel si nous ne prenons ces clefs de l'Apôtre Pierre que le Seigneur lui donna en disant : « Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux. » Cette clef, nous disons que c'est la foi : voyons donc comment elle est fabriquée. La foi est proposée dans le symbole des douze Apôtres qui, comme des ouvriers spécialisés, se sont rassemblés pour le forger. J'appelle clef le symbole de la foi parce qu'il ouvre les ténèbres du péché afin qu'entre la lumière du Christ, qu'il force les consciences fermées par le péché pour que brille la justice manifestée dans les œuvres. C'est cette clef que nous devons montrer à nos frères, afin qu'en bons disciples de Pierre ils prennent l'habitude de fermer la porte des enfers et d'ouvrir celle des cieux.

 

 

 

Premier vendredi de Carême

 

 

 

Prendrais-je donc plaisir à la mort du méchant — oracle du Seigneur

Yahvé — et non pas plutôt à le voir renoncer à sa conduite et vivre ?

ézéchiel 18, 23

 

 

Sermon de saint Basile le Grand, évêque

 

       « Certains, dit saint Paul, furent baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer. » Qu'entendre par là et par ce passage du livre de l'Exode : « Le peuple crut en Dieu et en Moïse son serviteur » ? Que la foi s'adressait à des hommes ? Non, mais, dans Moïse comme dans la nuée, elle découvrait une image et un type. On appelle « type » tout ce qui fait connaître d'avance une réalité future et y prépare les esprits par une lointaine imitation. Ainsi Adam était-il le type de celui qui doit venir ; la pierre du désert d'où jaillit une source représentait typiquement le Christ et la source elle-même préfigurait le pouvoir vivifiant du Verbe : « Si quelqu'un a soif, dit le Seigneur, qu'il vienne à moi et qu'il boive. » La manne était le type du Pain vivant descendu du ciel et le serpent placé sur le bois, le type de la Passion salutaire consommée par la croix : ceux qui jetaient les yeux sur lui étaient sauvés. De même le récit de la sortie d'Egypte : elle préfigurait le baptême. En effet, les premiers-nés d'Israël furent sauvés comme type du corps des baptisés, par une grâce accordée à ceux qui portaient la marque du sang ; le sang de l'agneau était le type du sang du Christ. Et si Dieu préserva les premiers-nés des coups de l'Ange exterminateur, ce fut pour montrer que, vivifiés par le Christ, nous ne mourrons plus en Adam.

       Quant à la mer et à la nuée, sur le moment, elles incitaient à la foi par la stupeur qu'elles provoquaient, mais elles avaient, en outre, un sens typique, orienté vers l'avenir. « Qui est sage pour comprendre cela ? » Pour comprendre comment la mer était un type du baptême. Elle séparait du Pharaon comme le bain du baptême nous sépare de la tyrannie de Satan ; en son sein, elle engloutissait l'ennemi, comme dans le baptême est détruite notre inimitié avec Dieu. De la mer, le peuple élu sortit indemne, et nous, nous sommes remontés des eaux baptismales vivants d'entre les morts, sauvés par la grâce de celui qui nous a appelés. La nuée, de son côté, était l'image du don de l'Esprit.

       Dira-t-on, parce qu'il y eût en Moïse un type du baptême, que la nouveauté du baptême en serait amoindrie ? Il n'y aurait plus rien de grand chez nous si, à cause des types, nous en venions à méconnaître ce qu'il y a de vérité dans la réalité ! L'amour de Dieu pour l'homme n'aurait plus de grandeur surnaturelle, lui qui a livré son Fils unique pour nos péchés, puisque Abraham non plus n'a pas épargné son propre fils ! La Passion du Seigneur ne serait plus glorieuse, puisqu'en échange d'Isaac un bélier réalisait le type du sacrifice ! La descente aux enfers ne serait plus terrible, puisque Jonas en trois jours et trois nuits avait réalisé d'avance le type de la mort.

       Quant à ces paroles : « Le peuple eut foi en Dieu et en Moïse son serviteur », il faut y remarquer que Moïse y est joint à Dieu parce qu'il était le type du Christ : il préfigurait, en effet, en sa personne, par le ministère de la Loi, le véritable médiateur entre Dieu et les hommes ; aussi, la foi qu'on avait en lui se rapportait, à travers lui, au Seigneur qui a dit : « Si vous aviez cru en Moïse, vous croiriez en  moi. » Ainsi, par une sage économie, le Seigneur nous amène à la pleine lumière de la vérité en y accoutumant progressivement nos yeux habitués aux ténèbres. Par ménagement pour notre faiblesse, le Dieu dont la sagesse est insondable et les jugements inscrutables nous apprend à regarder le soleil d'abord dans l'eau où il se mire, de peur qu'en fixant nos regards d'un seul coup sur la pure lumière nous ne soyons aveuglés. De même la Loi, « ombre des choses à venir », prophétie, présentation en figures de la vérité, prépare les yeux de notre cœur à passer de la contemplation des ombres à celle de la Sagesse cachée dans le mystère.

 

 

 

Deuxième dimanche de Carême

 

 

 

En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean

son frère, et les conduisit à l'écart sur une haute montagne.

Là il fut transfiguré devant eux

matthieu 17, 1-2

 

 

Sermon de saint Jean Damascène, prêtre

 

       Venez, obéissons à David le Prophète ! Chantons notre Dieu, chantons notre Roi, chantons : « II est roi sur toute la terre. » Chantons pour Dieu avec sagesse. Chantons l'Esprit qui sonde toutes choses, même les profondeurs de Dieu, nous qui voyons dans la Lumière du Père qui est l'Esprit, le Fils de Dieu, lumière inaccessible. Aujourd'hui se manifeste ce que des yeux de chair ne peuvent voir : un corps terrestre rayonnant de la splendeur divine, un corps mortel manifestant la gloire de la divinité. Car la Parole s'est faite chair et la chair Parole, bien que celle-ci ne soit pas sortie de la nature divine. Le Thabor jubile et se réjouit, montagne divine et sainte... car elle rivalise en grâce avec le ciel. Là, les apôtres choisis voient le Christ dans la gloire de son Royaume. Là, la résurrection des morts est manifestée à leur foi et le Christ se montre Seigneur des morts et des vivants, lui qui fait paraître Moïse d'entre les morts et qui prend pour témoin des vivants Élie, le cocher au souffle de feu. Là, les chefs des prophètes prophétisent encore, annonçant l'exode du Seigneur à travers la croix. Jadis au Sinaï, la fumée, la tempête, la ténèbre et le feu effrayant annonçaient que le donateur de la Loi était inaccessible, lui qui, comme une ombre, ne se laissait voir que de dos... Mais maintenant tout ruisselle de lumière et de clarté.

       Tandis que s'accomplissent ces choses, et pour que le Christ soit révélé comme Seigneur de l'ancienne et de la Nouvelle Alliance, pour que soit crue la résurrection des morts et pour que celui qui reçoit le témoignage du Père soit reconnu Seigneur des morts et des vivants, Moïse et Élie se tiennent comme des serviteurs aux côtés du Seigneur de gloire. Par les Apôtres, leurs compagnons dans le service, ils sont vus parlant avec lui... Aujourd'hui le coryphée de la Nouvelle Alliance, qui avait le plus expressément proclamé le Christ comme Fils de Dieu par ces paroles : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant », voit le législateur de l'Ancienne Alliance qui assiste le Christ, donateur de l'une et de l'autre, et qui dit : « Voici celui qui est. » Aujourd'hui Élie, le Prophète vierge de l'Ancienne Alliance, annonce à Jean, vierge dans l'Alliance nouvelle, le Seigneur vierge, né d'une vierge. Moïse proclame : « Écoute, Israël spirituel, ce que l'Israël selon la chair n'a pu entendre. Le Seigneur ton Dieu est un seul Seigneur, puisqu'il est un seul, connu en trois Personnes. » Alors Élie répond : « Celui-ci est celui que jadis j'ai contemplé, incorporel comme dans une brise légère, je veux dire dans l'Esprit Saint. »

       Jadis, Moïse entrait dans la nuée divine, indiquant le caractère d'ombre de la Loi. C'est Paul qui écrit : « La Loi est l'ombre des choses à venir, non la vérité elle-même. » Et, alors, Israël ne pouvait regarder intensément la gloire pourtant passagère du visage de Moïse ; mais, nous, le visage découvert, nous contemplons comme dans un miroir la gloire du Seigneur, « transformés de gloire en gloire comme par l'Esprit du Seigneur ». C'est pourquoi une nuée, non plus de ténèbres mais lumineuse, les couvrit de son ombre. Car le mystère caché dès avant les siècles et les générations est révélé et la gloire véritable se manifeste... Et une voix sortit de la nuée disant : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le » : Celui-ci qui est homme et qui est vu tel, qui, hier, est devenu homme, qui humble, a conversé avec nous, dont maintenant la face resplendit, celui-ci est mon Fils bien-aimé d'avant tous les siècles, le Fils unique qui éternellement procède de moi, qui est toujours de moi, en moi et avec moi. En lui j'ai mis ma bienveillance. Car par la bienveillance du Père, le Fils unique s'est fait chair. Par la bienveillance du Père, le Fils unique a opéré le salut du monde entier. La bienveillance du Père a forgé dans le Fils unique la communion de tous les hommes.

 

 

 

Deuxième mercredi de Carême

 

 

 

Voici que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l'homme sera livré aux grands prêtres et

aux scribes ; ils le condamneront à mort et le livreront aux païens pour être bafoué, flagellé

et mis en croix ; et le troisième jour, il ressuscitera

matthieu 20, 18-19

 

 

Du grand canon de Carême de saint André de Crète, évêque

 

       J'ai mis devant mes yeux les exhortations de Moïse et tous ses écrits qui racontent la vie des justes et des pécheurs. J'ai imité ceux-ci et non ceux-là car j'ai péché devant Dieu.

       Les flots de mes péchés, pareils à ceux de la mer Rouge ont reflué sur moi et m'ont englouti comme autrefois Pharaon et son armée.

       J'ai bu aux puits stagnants de Canaan et j'ai dédaigné la source du rocher d'où jaillissent les eaux vives.

       Les viandes de porc, les chaudrons et les festins d'Egypte m'ont semblé meilleurs que la manne du ciel. Ainsi faisait au désert le peuple dur et ingrat.

       Je me suis éloigné du Seigneur comme Datan et Abiron, mais du fond du cœur je m'écrie : épargne-moi de peur que le gouffre béant ne m'engloutisse. Mon cœur s'est endurci à l'école de Pharaon et je succombe sous mon fardeau. Aussi hâte-toi, Seigneur, viens à mon aide.

       A rencontre de Moïse je n'ai pas frappé l'Égyptien, aussi ne saurais-je habiter le désert dans la paix, sans l'aide de la pénitence. Le grand Moïse a vécu au désert. Fais que j'imite son renoncement afin de pouvoir un jour contempler le Buisson ardent.

       N'exige pas de moi de trop grands fruits de pénitence, car mes forces sont épuisées, mais donne-moi un cœur contrit et la pauvreté en esprit afin que je puisse te les offrir comme un sacrifice agréable, ô toi mon unique Sauveur.

       Joseph fut jeté par ses frères dans une fosse, ô Seigneur souverain, préfigurant ta sépulture et ta résurrection, mais moi, que t'offrirai-je de semblable ?

       Job, naguère sur un trône, gisait nu sur son fumier, couvert d'ulcères. Lui, père de nombreux enfants et comblé de richesses, se retrouvait sans enfants, sans abri. Mais sa couche de fumier lui semblait un palais et ses plaies des joyaux. Je n'ai pas cherché à imiter son courage et sa force dans l'épreuve.

       J'ai entendu parler des Ninivites qui se repentirent devant Dieu dans le sac et la cendre, mais je ne les ai pas imités.

       Bien qu'ancêtre de l'Homme-Dieu, David a péché doublement, blessé d'abord par la flèche de l'adultère, puis par la lance de l'homicide. Il commit iniquité sur iniquité, mais aussitôt il fit double pénitence. Il fit de ses chants le monument de son crime et s'écria : « Pitié pour moi Seigneur en ta bonté ; contre toi, toi seul, j'ai péché. »

       Tourterelle au creux du rocher, hantant les solitudes, la voix du Précurseur se fait entendre et nous convie à la conversion ; le Christ s'est fait homme et appelle à la pénitence les larrons et les pécheresses. Le Christ s'est fait homme... Il rassemble les mages en même temps qu'il rassemble les bergers, il désigne au martyre la foule des petits enfants, il glorifie le vieillard et la veuve avancée en âge, il prend part aux noces de Cana et change l'eau en vin, signifiant par ce premier miracle ma propre transformation.

       Le Christ redressa le paralytique qui put emporter son lit de douleur, il ressuscite le fils de la veuve et le serviteur du centurion, puis, rencontrant la Samaritaine, il m'enseigne par elle l'adoration en Esprit.

Le Seigneur guérit par le contact de sa tunique la femme atteinte d'un flux de sang, il purifie les lépreux, rend lumière et force aux aveugles et aux boiteux, guérit par sa seule parole les sourds et les muets et la femme courbée, m'offrant ainsi les présages du salut.

       Il évangélise les pauvres, guérit les infirmes, mange avec les publicains, et ayant touché la fille de Jaïre, lui rend la vie.

       Le publicain reçut le salut, la femme pécheresse devint chaste tandis que le pharisien orgueilleux était condamné. Zachée était publicain et il fut sauvé. Simon le pharisien se scandalisait, tandis que la femme pécheresse obtenait le pardon de celui qui a le pouvoir de remettre les péchés. Prenant un vase d'albâtre empli de parfum, elle en répandit le contenu sur les pieds du Seigneur. C'étaient les pieds de celui qui déchira pour elle la cédule des péchés.

       Ouvre-moi les portes de ton Royaume de gloire, ô très miséricordieux, comme tu l'as fait pour le larron repentant et confessant ta divinité.

 

Deuxième vendredi de Carême

 

 

 

Lorsque Joseph arriva près de ses frères, ils le dépouillèrent de sa tunique,

la tunique ornée qu'il portait. Ils se saisirent de lui et le jetèrent dans la citerne ;

c'était une citerne vide, où il n'y avait pas d'eau

genèse 37, 23-24

 

 

Sermon de saint Jean Chrysostome, évêque

 

       Le Père n'a pas épargné son propre Fils, toi, tu ne donnes même pas un morceau de pain à celui qui a été livré et immolé pour toi. Le Père, pour toi, ne l'a pas épargné, toi tu passes, méprisant, à côté de lui qui a faim, alors que tu ne vis que de ses bienfaits. Que peut-on trouver de plus honteux ! Il a été livré pour toi, immolé pour toi, il vit dans le besoin pour toi, il veut que donner te soit avantageux et, même ainsi, tu ne donnes pas. Y a-t-il des pierres aussi dures que vos cœurs alors que tant de raisons les persuadent ? Il n'a pas suffi au Christ d'endurer la mort et la croix, il a voulu devenir pauvre, mendiant et nu, être jeté en prison afin que cela au moins te touche : « Si tu ne me rends rien, dit-il, pour mes douleurs, aie pitié de moi à cause de ma pauvreté ; si tu ne veux pas me prendre en pitié pour ma pauvreté, que mes maladies te fléchissent, que mes chaînes t'attendrissent. Si tout cela ne te touche pas, consens du moins à cause de la petitesse de la demande. Je ne te demande rien de coûteux, mais du pain, un toit et des paroles d'amitié. Si avec tout cela tu demeures insensible, sois au moins stimulé par le Royaume des Cieux et par les récompenses que je t'ai promises. Tout cela ne compte pas encore à tes yeux ? Du moins laisse-toi aller à une compassion naturelle en me voyant nu et en te souvenant de ma nudité sur la croix où j'ai été nu pour toi. J'ai été enchaîné pour toi et je le suis encore pour toi, afin qu'ému par mes liens passés ou par ceux d'aujourd'hui, tu veuilles bien m'être miséricordieux. J'ai souffert la faim pour toi, et je la souffre encore pour toi. J'ai eu soif lorsque j'étais pendu à la croix et j'ai encore soif par les pauvres afin de t'attirer par cela vers moi et de te rendre bon pour ton salut. »

       Tu te dis peut-être : « Si l'on me demandait de recevoir Paul chez moi, je le ferais de tout cœur ! » Voici que le Seigneur de Paul vient habiter chez toi, si tu veux. Il dit en effet : « Quiconque reçoit ces petits, me reçoit. » Plus ce frère est humble et plus aussi, en lui, le Christ est véritablement reçu. Car qui reçoit quelqu'un de célèbre le fait souvent par vaine gloire, qui reçoit un petit le fait purement, pour le Christ. Aie donc pour le Christ un asile ; dis : ceci est la chambre du Christ, cette demeure lui est réservée. Toute misérable qu'elle est, il ne la dédaignera pas... Il y a chez toi une place réservée aux voitures et aux chars ; mais pour le Christ errant, aucune. Mais, me dis-tu, beaucoup sont trompeurs et ingrats. Tu n'en seras que plus récompensé les recevant au nom du Christ... Choisis donc le plus fidèle de tes serviteurs et qu'il introduise les boiteux, les mendiants, les vagabonds. Je le dis pour notre confusion, il faudrait les recevoir en haut, dans les meilleurs appartements. Si tu ne le veux pas, reçois au moins le Christ dans les communs où sont les mules et les serviteurs.

       Le Christ ne te dit pas : « Fais-moi sortir de ma pauvreté », ni : « Donne-moi la richesse, quoique je sois devenu pauvre pour toi ; je te demande seulement du pain, un vêtement, et un soulagement pour ma faim. Si l'on me met en prison, je ne réclame pas que tu brises mes fers et que tu me libères, je te supplie seulement de venir me voir, alors que je suis lié pour toi ; cette grâce me suffira et pour cela seul, je te donnerai le ciel. Cependant, je t'ai délivré de liens bien pesants. N'importe, il me suffit que tu viennes me visiter dans ma prison. Je pourrais te couronner sans cela, mais je veux devenir ton débiteur afin que tu portes la couronne avec assurance. C'est pourquoi, alors que je pourrais me nourrir moi-même, je vais mendiant ça et là, je me tiens debout à ta porte et je tends la main. C'est par toi que je veux être nourri, car je t'aime ardemment. Mon bonheur est d'être à ta table. » Nous autres, si quelqu'un nous nourrit, nous en avons honte, nous nous en cachons. Lui, au contraire, à cause de son amour pour nous, même si nous nous taisons, il proclame hautement ce que nous avons fait et il n'a pas honte de dire que nous l'avons vêtu alors qu'il était nu et que nous l'avons nourri quand il avait faim.

 

Troisième dimanche de Carême

 

 

 

II arrive à une ville de Samarie appelée Sychar, près de la terre

que Jacob avait donnée à son fils Joseph. Là se trouvait le

puits de Jacob. Jésus, fatigué par la marche, se tenait donc

assis près du puits. C'était environ la sixième heure

jean 4, 5-6

 

 

Sermon de saint Augustin, évêque

 

       Jésus fatigué par la route s'assit sur la margelle du puits ; c'était environ la sixième heure. Là commencent les mystères : ce n'est pas sans raison que Jésus est fatigué. Ce n'est pas sans raison qu'est fatiguée la Force de Dieu. Ce n'est pas sans raison qu'il est fatigué, celui par qui ceux qui sont las retrouvent force, lui dont l'absence nous fatigue et la présence nous rend forts. Jésus cependant, fatigué par la route, s'assied au bord du puits, à la sixième heure. Tous ces détails évoquent quelque chose, veulent nous dire quelque chose. Ils veulent éveiller notre attention, ils nous poussent à chercher plus avant. Que daigne nous ouvrir, à vous et à nous, celui qui n'a cessé de nous exhorter en disant :             « Frappez et l'on vous ouvrira. » C'est pour toi que Jésus s'est fatigué en chemin. Nous trouvons Jésus, Force de Dieu ; nous trouvons Jésus faible ; Jésus fort et faible : Fort parce que « dans le Principe était le Verbe et le Verbe était auprès de Dieu et le Verbe était Dieu : et il était cela dans le Principe auprès de Dieu ». Veux-tu voir la Force de Dieu ? « Tout a été fait par lui et sans lui rien n'a été fait », et il a tout fait sans effort. Qui de plus fort que celui qui a fait tout l'univers sans effort ? Veux-tu connaître sa faiblesse ? « Le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous. »

       La Force du Christ t'a créé. La faiblesse du Christ t'a recréé. La Force du Christ a donné l'existence à ce qui n'était pas. La faiblesse du Christ a fait que ce qui était ne périsse pas. Il nous a créés par sa force, il nous a cherchés par sa faiblesse. C'est par sa faiblesse qu'il nourrit ceux qui sont faibles, comme la poule nourrit ses petits : c'est lui-même qui a pris cette image : « Combien de fois, dit-il à Jérusalem, ai-je voulu rassembler tes enfants comme la poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et tu ne l'as pas voulu ? »... Telle est l'image de la faiblesse de Jésus fatigué de la route. Sa route c'est la chair qu'il a prise pour nous. Quel autre chemin aurait-il celui qui est partout, qui est partout présent ? Où va-t-il, et d'où vient-il, sinon habiter parmi nous et pour cela il a pris chair ? Il a daigné, en effet, venir à nous, pour se manifester dans la forme d'esclave, et qu'il ait pris chair est le chemin qu'il a choisi. C'est pourquoi la fatigue du chemin n'est rien d'autre que la faiblesse de la chair. Jésus est faible dans la chair. Mais toi, ne te laisse pas aller à la faiblesse : toi, sois fort dans sa faiblesse à lui. Parce que « ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes ».

       Sous cette même image, Adam qui était la figure de celui qui devait venir, nous offre un grand signe de ce mystère, où plutôt c'est Dieu qui nous l'offre en Adam. C'est pendant qu'il dormait que Dieu lui donna une épouse, parce que l'Église devait être formée du côté du Christ endormi sur la croix, parce que du côté de celui qui pendait à la croix frappé par la lance, ont jailli les sacrements de l'Église. Mais pourquoi ai-je voulu vous rappeler ce fait, frères, sinon parce que la faiblesse du Christ est notre force. Eve est formée de la côte d'Adam, symbole de sa force, Adam est formé dans la chair, symbole de la faiblesse. C'est la figure du Christ et de l'Église, la faiblesse du Christ est notre force.

Cette femme qui vient au puits de Jacob est la figure de l'Église, non encore justifiée, mais qui va l'être, grâce à son entretien avec le Sauveur. Elle vient, ignorante, et la rencontre a lieu, elle trouve Jésus... Jésus lui demande à boire, mais il avait soif de la foi de cette femme. Il demande à boire et il promet de l'eau. Il demande car il avait soif, et il accorde l'eau qui étanche toute soif. « Si tu savais le don de   Dieu », dit-il. Le don de Dieu, c'est l'Esprit Saint. Il parle encore à la femme de manière cachée mais peu à peu il entre dans son cœur.

 

Troisième mercredi de Carême

 

 

 

Prends garde ! Garde bien ta vie, ne va pas oublier ces choses que tes yeux ont vues,

ni les laisser, en aucun jour de ta vie, sortir de ton cœur ;

enseigne-les au contraire à tes fils et aux fils de tes fils

deutéronome 4, 9

 

 

Sermon du bienheureux Aelred de Rievaulx, abbé

 

       Vous avez souvent entendu, frères très chers, que Moïse, après avoir fait sortir Israël d'Egypte, construisit dans le désert un tabernacle, grâce aux dons des fils d'Israël. Les uns lui offraient de l'or, d'autres de l'argent, des pierres précieuses, des animaux et bien d'autres choses encore. Il faut bien voir, comme le dit l'Apôtre, que tout cela arrivait en figures. Nous-mêmes, nous étions en Egypte lorsque nous vivions une vie de péché ; Egypte veut dire ténèbres : le péché, l'iniquité et le cœur endurci sont ténèbres épaisses. Lorsque nous vivions une vie de péché, nous vivions dans les ténèbres selon la parole de l'Apôtre : « Autrefois vous étiez ténèbres. » Et pour que nous soyons « lumière dans le Seigneur », il nous a donné un autre Moïse, un législateur, grâce auquel nous traversons le désert pour parvenir à la terre de la promesse, non pas celle que les fils d'Israël désiraient charnellement, mais celle qu'espérait le Prophète quand il disait : « Je crois que je verrai la bonté du Seigneur sur la terre des vivants. » C'est d'elle que le Seigneur a dit : « Bienheureux les doux, car ils posséderont la terre. »

       Moïse construisit un tabernacle... C'est vous mes frères qui êtes le tabernacle de Dieu, le Temple de Dieu selon la parole de l'Apôtre : « Le Temple de Dieu c'est vous. » Temple parce que Dieu régnera en vous éternellement ; son tabernacle, sa tente parce qu'il est avec vous sur la route, il a soif en vous, il a faim en vous. Cette tente, mes frères, c'est vous pendant le désert de cette vie, jusqu'à ce que vous parveniez à la terre de la promesse : alors aura lieu la véritable dédicace par le véritable Salomon, alors Jérusalem sera édifiée non plus sous la forme d'une tente, mais d'une cité. Mais déjà, frères, déjà, si nous sommes de vrais fils d'Israël selon l'esprit, si nous sommes sortis en esprit de la terre d'Egypte, offrons chacun nos biens pour la construction du tabernacle : « Chacun reçoit de Dieu son don particulier, l'un celui-ci, l'autre celui-là. » Que tout soit commun à tous. Il s'agit moins ici d'habits et de tuniques que de dons spirituels. Que personne ne considère comme sien propre le charisme qu'il a reçu de Dieu, que personne n'envie un charisme qu'aurait reçu son frère, mais qu'il estime que ce qui est sien est le bien de tous les frères, qu'il ne doute pas que le bien de son frère est le sien. Dieu agit en sorte que chacun ait besoin des autres et que ce que l'un n'a pas, il l'ait en son frère et qu'ainsi l'humilité soit gardée, la charité augmentée et l'unité manifestée. Nous sommes un seul corps du Christ et les membres les uns des autres. Que le faible dise : je suis fort. Car de même que son frère fort souffre de sa faiblesse, de même lui, le faible, est fort de la force de son frère.

       Je vous vois maintenant, frères, rassemblés pour partager la nourriture qui demeure, là nourriture de la Parole de Dieu ; comme dit le Seigneur : « Le ciel et la terre passeront, mais la Parole du Seigneur demeure éternellement. » Voilà le pain descendu du ciel. Pour ne pas défaillir dans votre pèlerinage, vous avez voulu être nourris, et nourris de ce pain qui repaît le cœur et non le corps. Fasse le Seigneur que ce pain vous soit rompu, de peur qu'il ne soit dit de nous : « Les petits enfants ont demandé du pain, et personne pour le leur rompre ! » Comme il est de votre devoir de demander du pain, il est du nôtre de vous en donner. Nous devons rompre le pain que le Seigneur nous donne en viatique sur la route de notre pèlerinage, afin que nous puissions parvenir au pain de la patrie. Le pain de la route, c'est le mystère de l'Incarnation du Christ, la vérité de son enseignement, l'exemple de son humilité et de celle de ses fidèles. Le pain de la patrie, c'est la face de Dieu, la participation de la divinité, la possession de la joie « que l’œil n'a pas vue, que l'oreille n'a pas entendue et qui n'est pas montée au cœur de l'homme ».

       Dans le pèlerinage, la croix du Christ est notre gloire, la croix du Christ est notre route...

       Dirigeons donc nos regards vers le Christ, prions-le, par les mérites de sa Mère très sainte, de nous apprendre à le désirer, de nous aider sur notre route, de nous accueillir à son terme.

 

Troisième vendredi de Carême

 

 

 

Munissez-vous de paroles et revenez à Yahvé. Dites-lui : « Enlève toute faute

et prends ce qui est bon. Au lieu de taureaux, nous te vouerons nos lèvres. »

 osée 14, 3

 

 

De saint Grégoire de Narek, prêtre

 

       Qu'ai-je à dire, Seigneur, en guise de paroles, sinon ce que la voix de David, le psalmiste inspiré, a chanté : « De tout mon cœur je t'ai recherché » ? Mais comment me servir de toutes ces paroles du psaume qui sont toujours là pour me couvrir d'opprobre et de malédiction ? Et comment les chanter chaque jour ? De quelles fautes ne devrais-je pas m'accuser, moi qui suis mort par les péchés, lorsque celui qui aime Dieu de tout son cœur regarde comme siennes les transgressions de ses ancêtres, en disant : « Nous avons péché avec nos pères, nous avons commis l'iniquité et nous avons fait le mal » ? Comment, avec David, dire une parole comme celle-ci : « De tout chemin de mal je me soustrais » ? Comment greffer en moi, couvert de honte, la fierté de l'homme divin en disant ses paroles :                  « Seigneur, je n'ai point le cœur fier, ni le regard hautain » ? Comment, moi qui suis dans la foule des méchants, clamerais-je les paroles de celui qui plaît à Dieu : « N'ai-je pas en haine, Seigneur, qui te  hait », et le reste qui suit ? Comment oserais-je prier Dieu avec le glorieux David : « C'est toi qui es mon espérance dans la terre des vivants » ? Accueille avec suavité, ô Seigneur tout-puissant, la supplication de celui qui t'a été une amertume. Approche de moi en ta compassion, alors que mon visage est couvert de confusion. Dissipe, ô Très Libéral, ma tristesse pleine de honte.

       « Celui qui invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. » Quant à moi, non seulement je l'invoque, mais avant tout je crois à sa grandeur. Ce n'est pas pour ses présents que je persévère dans mes supplications, mais parce qu'il est la vie véritable et la cause vraie de la respiration sans laquelle il n'y a ni mouvement ni progrès. Ce n'est pas tant par l'attache de l'espérance que par les liens de l'amour que je suis attiré. Ce n'est pas des dons, mais du donateur que j'ai toujours la nostalgie. Ce n'est pas à la gloire que j'aspire, mais c'est le Glorifié que je veux embrasser. Ce n'est pas par le désir de la vie, mais par le souvenir de celui qui donne la vie, que toujours je me consume. Ce n'est pas après la passion des jouissances que je soupire, mais c'est par le désir de celui qui les prépare que du fond de mon cœur j'éclate en sanglots. Ce n'est pas le repos que je cherche, mais le visage de celui qui donne le repos que je demande en suppliant. Ce n'est pas du banquet nuptial mais du désir de l'Époux que je languis.

       Dans l'attente certaine de sa puissance, malgré le fardeau de mes transgressions, je crois avec une ferme espérance, en me confiant dans la main du Tout-Puissant, que non seulement j'obtiendrai le pardon, mais que je le verrai lui, face à face, grâce à sa miséricorde et à sa pitié et que j'hériterai du ciel, bien que je mérite d'en être proscrit.

       Toi seul, ô Seigneur Christ, tu es la délivrance, asile de repos, de calme et de salut pour mon âme dans le péché... Renouvelle en mon âme l'image de lumière de la gloire adorable de ton nom grand et puissant. Intensifie l'éclat de ta grâce sur la beauté de ma face et sur les yeux de mon cœur... Par une réforme exacte, corrige l'image qui est la tienne, en ôtant, par ta pureté lumineuse, mes ténèbres, pécheur que je suis. Inonde-la de ta lumière.

 

Quatrième dimanche de Carême

 

 

 

En ce temps-là, Jésus, en passant, aperçut un homme aveugle de naissance

jean 9, 1

 

 

Sermon de saint Ambroise, évêque

 

       Que se passe-t-il dans le baptême après la consignation ? Tu peux approcher de l'autel. Dès que tu y es arrivé, tu peux voir ce que tu ne voyais pas avant. C'est le mystère que tu as lu dans l'Évangile. Si, cependant, tu ne l'as pas lu, tu l'as au moins entendu dire. Un aveugle se présenta au Seigneur pour être guéri. Le Seigneur avait guéri les autres aveugles par sa parole et son discours et rendu la lumière des yeux par son commandement. Mais dans le livre de l'Évangile intitulé « selon Jean », celui qui plus que les autres vit de grands mystères, les présenta et les expliqua, le Seigneur voulut préfigurer en cet homme le mystère du baptême dont nous parlons.

       Sans doute, tous les évangélistes sont saints. Pourtant, saint Jean, qui écrivit le dernier Évangile, comme un familier, recherché et choisi par le Christ, fit entendre les mystères éternels avec une voix plus puissante. Tout ce qu'il dit est mystère. Les autres ont dit qu'un aveugle a été guéri. Matthieu l'a dit, Luc l'a dit, Marc l'a dit. Qu'est-ce que Jean est seul à dire ? « II prit de la boue, retendit sur ses yeux et lui dit : Va à Siloam ! Il se leva, s'en alla, se lava, et revint voyant clair. » Considère toi aussi les yeux de ton cœur. Tu voyais ce qui était corporel avec les yeux de ton corps. Mais ce qui concerne les mystères, tu ne pouvais encore le voir avec les yeux de ton cœur. Quand donc tu t'es fait inscrire pour être baptisé, il a pris de la boue et l'a étendue sur tes yeux.

       Ainsi donc, il t'a mis de la boue à toi aussi... et il t'a dit : « Va à Siloam ! » Qu'est-ce que Siloam ? Cela se traduit, nous dit Jean, par : envoyé. C'est-à-dire : Va à la fontaine où l'on prêche la croix du Seigneur, à cette fontaine où le Christ a racheté les erreurs de tous. Tu y es allé, tu t'es lavé, tu es venu à l'autel, tu as commencé à voir ce que tu ne voyais pas auparavant, c'est-à-dire que par la fontaine de la prédication de la Passion du Seigneur, tes yeux se sont ouverts. Toi qui semblais avoir le cœur aveuglé auparavant, tu as commencé à voir la lumière des mystères.

 

Quatrième mercredi de Carême

 

 

 

Partout où passera le torrent, tout être vivant qui y fourmille vivra. Le poisson sera très abondant,

car là où cette eau pénètre, elle assainit, et la vie se développe partout où va le torrent

ézéchiel 47, 9

 

 

Sermon de saint Bernard, abbé

 

       « Convertissez-vous, dit le Seigneur, de tout votre cœur. » Frères, s'il avait dit : « Convertissez-vous » sans rien ajouter, peut-être aurions-nous pu répondre : c'est fait, tu peux nous prescrire autre chose. Mais le Christ nous parle ici, si j'entends bien, d'une conversion spirituelle qui ne se fait pas en un seul jour. Puisse-t-elle même s'achever au cours de cette vie ! Fais donc attention à ce que tu aimes, à ce que tu crains, à ce qui te réjouit ou à ce qui te centriste et tu verras parfois que, sous l'habit religieux, tu restes un homme du monde. En effet, le cœur est tout entier dans ces quatre sentiments et c'est d'eux, je pense, qu'il faut entendre ces paroles : « Convertissez-vous au Seigneur de tout votre cœur. »

       Que ton amour se convertisse de sorte que tu n'aimes rien sinon le Seigneur ou bien que tu n'aimes rien que pour Dieu. Que ta crainte se tourne aussi vers lui car toute crainte qui nous fait redouter quelque chose en dehors de lui et non pas à cause de lui est mauvaise. Que ta joie et ta tristesse se convertissent à lui ; il en sera ainsi si tu ne souffres ou ne te réjouis qu'en lui. Si donc tu t'affliges pour tes propres péchés ou pour ceux du prochain, tu fais bien et ta tristesse est salutaire. Si tu te réjouis des dons de la grâce, cette joie est sainte et tu peux la goûter en paix dans l'Esprit Saint. Tu dois te réjouir, dans l'amour du Christ, des prospérités de tes frères et compatir à leurs malheurs selon cette parole :     « Réjouissez-vous avec ceux qui sont dans la joie, pleurez avec ceux qui pleurent. »

       « Déchirez vos cœurs, dit le Prophète, et non vos vêtements. » Quel est celui parmi vous dont la volonté est particulièrement sujette à l'entêtement ? Qu'il déchire son cœur avec le glaive de l'Esprit qui n'est autre que la Parole de Dieu. Qu'il le déchire et qu'il le réduise en poussière, car on ne peut se convertir au Seigneur qu'avec un cœur brisé. Écoute l'homme que Dieu a trouvé selon son cœur :          « Mon cœur est prêt, ô Dieu, mon cœur est prêt. » II est prêt pour l'adversité, il est prêt pour la prospérité, il est prêt pour les choses humbles, il est prêt pour celles qui sont élevées, il est prêt pour ce que tu ordonneras. « Mon cœur est prêt, ô Dieu, mon cœur est prêt. » Qui est, comme David, prêt à sortir et à entrer et à marcher selon la volonté du Roi ?

 

Quatrième vendredi de Carême

 

 

 

Tendons des pièges au juste, puisqu'il nous gêne et qu'il s'oppose

à notre conduite, nous reproche nos fautes contre la Loi et nous

accuse de fautes contre notre éducation. Il se flatte d'avoir

la connaissance de Dieu et se nomme enfant du Seigneur

sagesse 2, 12-13

 

 

Sermon de saint Irénée, évêque

 

       Le Christ est lui-même, avec le Père, le Dieu des vivants qui a parlé à Moïse et s'est manifesté aux patriarches. C'est ce qu'il enseignait lorsqu'il disait aux juifs : « Abraham votre Père a exulté de joie à la pensée de voir mon jour, il l'a vu et il s'est réjoui. » Qu'est-ce à dire ? « Abraham crut à Dieu et cela lui fut imputé à justice. » II crut en premier lieu que c'était lui le Créateur du ciel et de la terre, le seul Dieu ; ensuite, qu'il rendrait sa postérité pareille aux étoiles du ciel : c'est le mot même de Paul « comme des luminaires dans le monde ». C'est donc à juste titre que, laissant là toute sa parenté terrestre, il suivait le Verbe de Dieu, se faisant pèlerin avec le Verbe, afin de devenir concitoyen du Verbe. C'est à juste titre aussi que les Apôtres, ces descendants d'Abraham, laissant là leur barque et leur père, suivaient le Verbe. C'est à juste titre que nous, qui avons la même foi qu'Abraham, prenant notre croix comme Isaac prit le bois, nous suivons ce même Verbe, car en Abraham, l'homme avait appris par avance et s'était accoutumé à suivre le Verbe de Dieu.

       Et comme Abraham était Prophète et qu'il voyait dans l'Esprit le jour de la venue du Seigneur et l'économie de sa Passion, par laquelle lui-même et tous ceux qui, comme lui, croiraient en Dieu seraient sauvés, il tressaillit d'une grande joie. Le Seigneur n'était donc pas inconnu d'Abraham, puisque celui-ci désira voir son jour... Il désira voir ce jour afin de pouvoir, lui aussi, embrasser le Christ, et l'ayant vu de façon prophétique par l'Esprit, il exulta. C'est pourquoi Siméon qui était de sa postérité accomplissait la joie du patriarche et disait : « Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser s'en aller ton serviteur, en paix selon ta promesse ; car mes yeux ont vu ton salut que tu prépares à la face des peuples : Lumière pour éclairer les païens et gloire d'Israël ton peuple. » Les anges aussi annoncèrent une grande joie aux bergers qui veillaient dans la nuit. Et Elisabeth dit : « Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu mon Sauveur. » L'exultation d'Abraham descendait de la sorte sur ceux qui veillaient, qui voyaient le Christ et qui croyaient en lui.

       De ses fils, l'exultation remontait vers Abraham, qui déjà avait désiré voir le jour de la venue du Christ. C'est donc à bon droit que le Seigneur lui rendait témoignage en disant : « Abraham, votre Père, a exulté à la pensée de voir mon jour : il l'a vu et il s'est réjoui. » Et ce n'est pas seulement à propos d'Abraham qu'il dit cela, mais de tous ceux qui, depuis le commencement, acquirent la connaissance de Dieu et prophétisèrent la venue du Christ, reçurent cette révélation du Fils lui-même, de ce Fils qui, dans ces temps qui sont les derniers, s'est fait visible et palpable et a conversé avec les hommes pour susciter à partir des pierres des fils d'Abraham, accomplir les promesses que Dieu lui avait faites et rendre sa postérité semblable aux étoiles du ciel. Comme dit Jean-Baptiste : « Dieu peut, en effet, à partir de ces pierres susciter des fils à Abraham. » C'est ce qu'a fait Jésus... en nous retirant d'une dure et stérile parenté et en nous donnant une foi semblable à celle d'Abraham. Paul est témoin lorsqu'il dit que nous sommes fils d'Abraham selon la ressemblance de la foi et la promesse de l'héritage... Il est donc clair que ceux qui contestent le salut d'Abraham, et imaginent un autre Dieu que celui qui lui fit la promesse, sont hors du Royaume de Dieu et n'ont pas de part à l'héritage incorruptible, car ils méprisent et blasphèment le Dieu qui introduit dans le Royaume des Cieux Abraham et sa race, c'est-à-dire l'Église qui par Jésus-Christ reçoit l’adoption et l'héritage promis à Abraham.

 

Cinquième dimanche de Carême

 

 

 

En ce temps-là, un certain Lazare était malade à Béthanie

jean 11, 1

 

 

Canon de saint Jean Damascène, prêtre

     

       Étant Dieu véritable, tu connaissais, Seigneur, le sommeil de Lazare et tu l'as prédit à tes disciples, les convainquant de la puissance infinie de ta divinité. Étant dans la chair, toi sans limite, tu viens à Béthanie. Vrai homme, Seigneur, tu pleures sur Lazare ; vrai Dieu, par ta volonté tu ressuscites le mort de quatre jours.

       Aie pitié de moi, Seigneur, nombreuses sont mes transgressions. De l'abîme des maux, je t'en prie, ramène-moi. C'est vers toi que j'ai crié, écoute-moi, Dieu de mon salut.

       Pleurant sur ton ami, tu as mis fin dans ta compassion aux larmes de Marthe, et, par ta Passion volontaire, tu as ôté toute larme du visage de ton peuple. Dieu de nos Pères, tu es béni.

       Trésorier de la vie, Seigneur, tu as appelé le mort comme s'il dormait. Par une parole tu as déchiré le ventre des enfers et tu as ressuscité celui qui se mit à jubiler : Dieu de nos Pères, tu es béni. Tu as réveillé le mort sentant déjà, lié de bandelettes. Moi, étranglé par les liens de mes péchés, relève-moi aussi et je chanterai : Dieu de nos Pères, tu es béni.

       Tu cherches ton ami comme un mortel, mais, comme Dieu, tu ressuscites un mort de quatre jours à ta seule parole. C'est pourquoi nous te chantons et t'exaltons dans tous les siècles.

       Marie, dans sa reconnaissance, t'apporte, comme un dû pour son frère, un vase de myrrhe, Seigneur, et elle te chante dans tous les siècles. Comme mortel, tu invoques le Père, comme Dieu, tu réveilles Lazare. C'est pourquoi nous te chantons, ô Christ, pour les siècles des siècles. Honorant ton Père et montrant que tu n'es pas un ennemi de Dieu (comme le prétendaient les juifs), tu as réveillé librement par la prière, ô Christ, un mort de quatre jours. Tu réveilles Lazare, un mort de quatre jours, et le fais surgir du tombeau, le désignant ainsi comme témoin véridique de ta résurrection le troisième jour, ô Christ.

       Tu marches, tu pleures, tu parles, mon Sauveur, montrant ton énergie humaine, mais en réveillant Lazare tu révèles ton énergie divine. De manière indicible, Seigneur mon Sauveur, tu as, selon tes deux natures, librement opéré mon salut.

 

Cinquième mercredi de Carême

 

 

 

Si donc le Fils vous libère, vous serez réellement libres

jean 8, 36

 

 

Sermon de saint Hippolyte de Rome

 

       Qu'est-ce que l'Avènement du Christ ? La délivrance de l'ancien esclavage et le rejet de l'ancienne contrainte, le commencement de la liberté et l'honneur de l'adoption, la source de la rémission des péchés et la vie véritablement immortelle pour tous.

       Comme le Verbe nous voyait d'en haut tyrannisés par la mort, dissous et liés tout à la fois par les liens de la corruption, emportés sur des chemins inévitables et sans issue, il vint prendre la nature du premier homme selon le dessein du Père, et ne confia pas à des anges ni à des archanges la charge de notre salut, mais lui-même prit sur lui tout le combat pour nous, accomplissant le dessein du Père. Lui-même donc a revêtu en premier lieu ce corps misérable et mort, et c'est pourquoi l'Esprit clame à son sujet : « II n'a ni beauté ni éclat ; nous l'avons vu sans aimable apparence, objet de mépris et rebut de l'humanité », car c'est dans la ressemblance du péché qu'étant sans péché, il a condamné le péché, montrant que « les bien-portants n'ont pas besoin de médecin, mais les malades ». Il a guéri nos corps de leurs infirmités, il a soigné chacune de nos maladies par la vertu de sa puissance afin que s'accomplisse la parole : « Je suis le Seigneur Dieu, je t'ai appelé dans la justice, je te prendrai par la main droite, et te fortifierai. Je t'ai établi comme alliance avec mon peuple et comme lumière des nations, pour ouvrir les yeux des aveugles, délier ceux qui sont enchaînés et délivrer de leur prison ceux qui sont assis à l'ombre de la mort. Je suis le Seigneur Dieu, c'est mon nom. »

       La Pâque que Jésus a désirée pour nous, c'était de pâtir : par la souffrance, il nous a délivrés de la souffrance ; par la mort, il a vaincu la mort ; par la nourriture visible, il nous a donné sa vie immortelle. Voici le désir salutaire de Jésus, voici son amour tout spirituel : montrer les figures comme des figures et donner à ses disciples son corps sacré : « Prenez, mangez, ceci est mon corps ; prenez et buvez, ceci est mon sang, la Nouvelle Alliance, versé pour beaucoup en rémission des péchés. » Et, en conséquence, à la place du bois plantant le bois, à la place de la main perverse qui autrefois s'était tendue vers le fruit, clouant dans un geste de piété sa propre main, il a montré en sa personne la vraie vie pendue à l'arbre de la croix. Toi, Israël, tu n'as pu en manger, mais nous autres, nous en avons mangé et, en mangeant, nous ne mourrons pas.

       Cet arbre m'est une plante de salut éternel, de lui je me nourris, de lui je me repais. Par ses racines, je m'enracine et par ses branches je m'étends. A son ombre, j'ai dressé ma tente et, fuyant les grandes chaleurs, j'y trouve mon lieu de repos. Ses feuilles sont ma frondaison, ses fruits mes parfaits délices. Il est dans la faim ma nourriture, ma source dans la soif, mon vêtement dans la nudité, car ses feuilles sont l'Esprit de vie ; loin de moi, désormais, les feuilles de figuier. Quand je redoute Dieu, il est ma protection, quand je chancelle mon appui, mon prix quand je combats, quand je triomphe mon trophée. Il est pour moi le sentier étroit et la route bien tracée. C'est l'échelle de Jacob et le chemin des anges au sommet duquel le Seigneur est vraiment appuyé. Cet arbre de la croix aux dimensions célestes s'est élevé de la terre aux cieux, se fixant, plante éternelle au milieu du ciel et de la terre, soutien de toutes choses, appui de l'univers, joint du monde.

       C'est toi que nous invoquons, ô Dieu Maître éternel, Christ Maître et Roi, étends tes grandes mains sur ta Sainte Église et sur ton peuple toujours tien. Puisque tu as vaincu nos ennemis, dresse encore maintenant les trophées de notre salut, et fais à nous aussi la grâce de chanter avec Moïse le cantique de victoire car c'est à toi qu'appartiennent la gloire et la puissance pour les siècles des siècles.

 

Cinquième vendredi de Carême

 

 

 

Jésus leur dit : « Je vous ai montré quantité de bonnes œuvres, venant

du Père ; pour laquelle de ces œuvres me lapidez-vous ? »

jean 10, 32

 

 

De saint Méliton, évêque de Sardes

 

       Le mystère du Seigneur — qui a été préfiguré depuis longtemps et, aujourd'hui, est rendu visible — trouve sa créance parce qu'il a été accompli, bien qu'il soit jugé inouï pour les hommes. En effet, ancien et nouveau est le mystère du Seigneur. Ancien selon la préfiguration, nouveau selon la grâce. Mais si tu regardes vers cette préfiguration, tu verras le vrai à travers sa réalisation. Si donc tu veux que le mystère du Seigneur apparaisse, regarde vers Abel pareillement tué, vers Isaac pareillement lié, vers Joseph pareillement vendu, vers Moïse pareillement exposé, vers David pareillement persécuté, vers les Prophètes pareillement souffrants à cause du Christ, regarde aussi vers l'agneau qui fut immolé en Egypte, vers celui qui frappa l'Egypte et sauva Israël par le sang. C'est aussi par la voix des Prophètes qu'est annoncé le mystère du Seigneur : En effet, Moïse dit au peuple : « Et vous verrez votre vie suspendue devant vos yeux nuit et jour, et vous ne croirez certes pas à votre vie. » David s'écrie de son côté : « Pourquoi ces nations en tumulte, ce vain grondement de peuples ? Les rois de la terre se lèvent, les princes conspirent contre Dieu et contre son Christ. » Et Jérémie : « Je suis comme un agneau innocent amené pour l'abattoir. Ils formèrent de mauvais desseins contre moi disant : allons, jetons du bois dans son pain et arrachons-le de la terre des vivants et l'on ne se souviendra certainement plus de son nom. » Et Isaïe : « II a été conduit comme un agneau à la boucherie ; comme un agneau muet devant le tondeur, il n'ouvre pas la bouche. Sa génération, qui la racontera ? »

       C'est lui, le Seigneur, qui pour avoir été amené comme une brebis et immolé comme un agneau, nous délivra du service du monde comme de la terre d'Egypte, nous délia des liens de l'esclavage du démon comme de la main de Pharaon, marqua nos âmes de son propre Esprit comme d'un sceau et les membres de notre corps de son propre sang. C'est lui qui couvrit la mort de confusion, qui mit le démon dans le deuil, comme Moïse Pharaon. C'est lui qui frappa l'iniquité, qui priva l'injustice de postérité comme Moïse l'Egypte, c'est lui qui nous arracha de l'esclavage pour la liberté, des ténèbres pour la lumière, de la mort pour la vie, de la tyrannie pour une royauté éternelle, lui qui fit de nous un sacerdoce nouveau et un peuple élu, éternel. C'est lui qui est la Pâque de notre salut... C'est lui qui en une vierge prit chair, qui sur le bois fut suspendu, qui en terre fut enseveli, qui ressuscité d'entre les morts et vers les hauteurs fut exalté. C'est lui, l'agneau sans voix, lui l'agneau égorgé, lui né de Marie, lui pris du troupeau et traîné à l'immolation, et le soir tué, et de nuit enseveli.

       Écoutez, vous toutes, familles des nations et voyez : Un meurtre jamais entendu a été commis au milieu de Jérusalem, dans la ville de la Loi, dans la ville des Hébreux, dans la ville des Prophètes, dans la ville estimée juste. Et qui a été tué ? Qui est le meurtrier ? Si le meurtre avait eu lieu de nuit, si l'assassinat s'était passé dans un endroit inhabité, il serait facile de garder le silence, mais maintenant, c'est en pleine rue, au milieu de la ville que l'injuste meurtre du juste a été perpétré. Et, ainsi, il est fixé sur le bois et une inscription indique celui qui a été tué. Qui est-il ? Il est dur de le dire, mais se taire est plus dur encore. Écoutez en tremblant celui qui fit trembler la terre : C'est celui qui suspendit la terre qui pend au gibet, celui qui fixe les cieux qui y est fixé, celui qui affermit tout, qui est fermement attaché au bois, c'est le maître qui est outragé, c'est Dieu qui est assassiné.

       Venez donc toutes les familles des nations, pétries avec vos péchés, et recevez la rémission des péchés, car c'est moi, dit le Seigneur, qui suis votre rémission, moi, la Pâque du salut, moi l'agneau immolé pour vous, moi votre rançon, moi votre vie, moi votre résurrection, moi votre lumière, moi votre salut, moi votre roi. C'est moi qui vous conduis vers les hauteurs des cieux, c'est moi qui vous manifesterai le Père qui est avant les siècles, moi qui vous ressusciterai par ma droite.

 

Dimanche des Rameaux et de la Passion

 

 

 

Les foules qui marchaient devant lui et celles qui suivaient criaient :

« Hosanna au Fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur !

Hosanna au plus haut des cieux ! »

matthieu 21, 9

 

 

Sermon de saint Épiphane, évêque

 

       « Fille de Sion, réjouis-toi », sois dans l'allégresse, Église de Dieu. « Voici que ton Roi vient à    toi », va au-devant de lui, hâte-toi de contempler sa gloire. Voici le salut du monde : Dieu vient vers la croix et le désiré des nations fait son entrée dans Sion : la lumière vient, crions avec le peuple :             « Hosanna au Fils de David. » Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, le Seigneur Dieu nous est apparu à nous qui étions assis dans les ténèbres et à l'ombre de la mort. Il est apparu, résurrection de ceux qui sont tombés, libération des captifs, lumière des aveugles, consolation des affligés, repos des faibles, source des assoiffés, vengeur des persécutés, rachat de ceux qui sont perdus, union des divisés, médecin des malades, salut des égarés. Hier, le Christ ressuscitait des morts Lazare, aujourd'hui, il court à la mort ; hier, il arrache Lazare aux bandelettes qui le liaient, aujourd'hui, il tend les mains à ceux qui veulent le ligoter. Hier, il arrachait cet homme aux ténèbres, aujourd'hui, pour les hommes, il s'enfonce dans les ténèbres et l'ombre de la mort. Et l'Église est en fête. Elle commence la fête des fêtes, car elle reçoit son roi comme un époux, car son roi se tient au milieu d'elle.

       Au milieu de l'Église vient le Christ comme un olivier qui oint ceux qui espèrent en lui de l'huile de la miséricorde. Au milieu de l'Église, il se tient, racine de Jessé qui pousse des rameaux plus anciens que le monde. Au milieu de l'Église, il se tient, source éternelle d'où jaillissent non plus les fleuves du paradis, mais Matthieu, Marc, Luc et Jean, irriguant le jardin du Christ. Aujourd'hui, comme des plants d'olivier, supplions le Seigneur, plantés dans la maison du Seigneur, dans les parvis de la maison de notre Dieu célébrons un jour de fête. Avec Paul, je m'écrie : « L'être ancien a disparu, l'être nouveau est là. » Réjouis-toi, Église dont le veuvage prend fin. Tu n'es plus soumise au sang de l'esclave, mais tu es signée du sang de Dieu.

       Aujourd'hui, les deux, la terre et les enfers chantent ensemble avec tous les esprits : « Saint, Saint, Saint le Seigneur Dieu de l'univers », les Prophètes s'écrient : « joie au ciel, exulte la terre », un autre Prophète nous dit : « Voici l'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde », Zacharie proclame :       « Voici un homme et un Dieu tout ensemble, son nom est Orient », et David, regardant celui qui est de sa race selon la chair : « Le Seigneur Dieu nous est apparu. » Tandis que les prêtres le maudissent, les enfants l'adorent et les docteurs le calomnient. Les enfants disent : « Hosanna ! » et les Hébreux :         « Crucifie-le ! » Les uns viennent avec des palmes, les autres avec des épées, ceux-ci avec des rameaux, ceux-là avec une croix, ceux-ci jettent à terre leurs vêtements, ceux-là se préparent à tirer au sort ceux du Christ. Ceux-ci offrent leurs louanges et ceux-là du vinaigre : voilà le sens de la fête d'aujourd'hui, de la venue du Seigneur, de l'entrée en Sion du Roi des Rois. C'est pourquoi, frères, nous devons aller au-devant de lui, nous qui sommes ces foules qui viennent à la fête.

 

Lundi saint

 

 

 

Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu en qui mon âme se complaît.

J'ai mis sur lui mon esprit, il présentera aux nations le droit

isaïe 42, 1

 

 

Sermon de saint Jean Chrysostome, évêque

 

       Le jour où notre Seigneur Jésus-Christ est monté sur la croix est pour nous un jour de fête, car, sachez-le bien, la croix est maintenant fête et célébration dans l'Esprit. Autrefois, la croix était un signe de condamnation, elle est maintenant principe de salut. De quels biens n'est-elle pas la source ? Elle nous a délivrés de l'erreur, elle nous a ramenés des ténèbres à la lumière, nous étions révoltés contre Dieu : elle scelle notre réconciliation ; nous étions à ses yeux des étrangers : elle nous a ouvert les portes de sa maison ; nous étions éloignés de lui : elle nous a rendus proches ; elle a détruit toute inimitié, elle nous a procuré la paix, elle est devenue pour nous un trésor de biens innombrables. Grâce à la croix, nous n'errons plus dans la solitude, car nous connaissons le Chemin véritable ; grâce à la croix, nous ne sommes plus hors de la demeure, car nous avons trouvé la Porte ; grâce à la croix, nous ne craignons plus les traits enflammés de l'ennemi, car nous avons trouvé la source ; grâce à la croix, l'Église n'est plus dans la tristesse du veuvage, car elle a reçu l'Époux ; grâce à la croix, nous ne craignons plus le loup ravisseur, car le Bon Pasteur est parmi nous : « Je suis, dit le Seigneur, le Bon Pasteur. »

       Voilà pourquoi nous sommes en fête, voilà pourquoi nous célébrons la mémoire de la croix. C'est Paul qui nous ordonne de célébrer dignement la croix : « Célébrons cette fête, non avec du vieux levain, mais avec des azymes de sincérité et de vérité. » Ensuite, il en donne le motif : « Le Christ, notre Pâque, a été immolé. » Et où s'est donc accomplie cette immolation ? sur un gibet. L'autel du sacrifice est nouveau, car le sacrifice lui-même est nouveau et paradoxal : la victime et le prêtre sont une seule et même personne. Le Christ offre et il est offert. Écoutez l'explication qu'en donne l'Apôtre : « Tout prêtre pris parmi les hommes est établi pour intervenir en faveur des hommes dans leur relation avec Dieu, afin d'offrir dons et sacrifices pour leurs péchés. » C'est pourquoi, il s'offre lui-même. L'Apôtre dit encore : « Le Christ, après s'être offert une seule fois pour enlever les péchés d'un grand nombre, apparaîtra une seconde fois à ceux qui l'attendent, pour leur donner le salut. » Ainsi, c'est bien lui-même qu'il a offert et c'est lui qui offrait. Tu vois comment il était à la fois prêtre et victime et comment l'autel du sacrifice était la croix.

       Tu vas me demander encore pourquoi au lieu d'être offerte dans le Temple, la victime l'a été hors de la ville et de ses murs. C'était afin d'accomplir cette parole : « II a été mis au rang des scélérats... » II est offert hors de la ville et de ses murs, et cela vous apprend qu'il s'agit d'un sacrifice universel, d'un sacrifice offert pour la terre entière ; cela vous apprend qu'il s'agit non pas d'une purification particulière comme pour les juifs, mais d'une purification universelle. Nous pouvons désormais élever en tous lieux des mains pures vers le Seigneur parce que, par le sacrifice du Christ, la terre entière a été sanctifiée et qu'elle surpasse en sainteté le Saint des Saints. Le sacrifice offert dans le Temple était celui d'une victime sans raison. Le sacrifice offert sur la croix est celui d'une victime spirituelle. Plus parfaite est la victime, plus parfaite est la sanctification. Telles sont les raisons qui nous poussent à fêter la croix du Sauveur.

 

Mardi saint

 

 

 

Moi, j'ai dit : « C'est en vain que j'ai peiné, pour rien, pour

du vent, j'ai usé mes forces. » Et pourtant mon droit était

avec Yahvé et mon salaire avec mon Dieu

isaïe 49, 4

 

 

Sermon de saint Proclus de Constantinople, évêque

 

       Les oracles prophétiques s'accomplissent, l'enfer va cracher son venin mortel et la mort va recevoir un mort qui est toujours vivant. Les chaînes que le Serpent avait forgées en paradis vont être détruites, et les esclaves vont être libérés. Le larron va faire l'assaut du paradis que garde depuis des milliers d'années un chérubin au glaive de feu. La lumière brillant dans les ténèbres va vider le trésor de la mort, et l'entrée du roi dans la prison va faire sauter les portes, car il brise les portes d'airain et les verrous de fer, et celui que reçoit la mort comme un simple mortel dévaste son empire, car c'est le Dieu Verbe. Adam se lèvera et Abel sera sain et sauf, et ceux que la mort avait dévorés et qui gémissaient sous sa coupe s'exclament : « Mort, où est ta victoire ? Enfer, où se trouve ton aiguillon ? » Que dis-tu de cela, toi qui regardes la croix avec mépris et te moques de la Passion ? Tu ris de la mort, tu montres le tombeau du doigt ; mais fais donc aussi attention à la victoire.

       Tu admires Abel. Il est mort. Parle-moi de Noé. Mais lui aussi connut la corruption. Tu avances encore Enoch : il n'a pas échappé à la Loi. Alors tu me parles d'Abraham ; mais Abraham aussi est mort. Fais-tu mention d'Isaac, il est tombé et ne s'est jamais relevé. Le patriarche Jacob est lui aussi tombé en poussière. Te souviens-tu de l'histoire des ossements de Joseph ? Quant à Moïse, on ne sait même pas où il fut enterré. Rassemble tous les Prophètes, rappelle-toi tous leurs tombeaux et tais-toi. La mort les a tous engloutis et n'en a rendu aucun. Mais aujourd'hui se tient debout au tribunal celui qui vient détruire la malédiction. Les Prophètes rassemblés l'interrogent : Que sont ces plaies au milieu de tes mains ? Comment la Passion ose-t-elle t'atteindre ? Il répond : « J'ai ramené ma vigne de la terre d'Egypte, je l'ai arrosée par le passage de la mer, je l'ai entourée d'un mur, je l'ai protégée par la circoncision, les Prophètes et la Loi la gardaient. J'attendais qu'elle donne du raisin, elle m'a donné du verjus ; alors je me suis fait comme un homme descendu dans la fosse, comme un homme fini. »

       Ô Passion, purification de l'univers ; ô mort, principe d'immortalité ; descente aux enfers qui jette un pont pour les morts afin qu'ils puissent passer au royaume de la vie. ô midi de la mort du Christ, retour de ce midi du paradis où Eve a cueilli le fruit. Clous qui fixent le monde à Dieu et transpercent la mort ! Ô épines, fruit de la vigne mauvaise, fiel qui donne la douceur de la foi, éponge qui lave le monde de son péché, roseau qui inscrit les fidèles sur le livre de vie ! Signe de contradiction, mystère qui scandalise les juifs et que les païens taxent de folie. Christ, force de Dieu, sagesse de Dieu, comme dit l'Apôtre. Ce qui est fou pour Dieu est plus sage que le monde. Il a détruit la mort, dépouillé les enfers, rendu la vie à ceux qui étaient morts. A lui la gloire et la puissance pour les siècles des siècles.

 

Mercredi saint

 

 

 

Le Seigneur Yahvé m'a donné une langue de disciple Pour que je sache apporter à l'épuisé une parole de réconfort

isaïe 50, 4 a

 

 

Sermon de saint Jean Chrysostome, évêque

 

       Veux-tu connaître un prodige opéré par la croix ? Elle nous ouvre le paradis fermé depuis cinq mille ans et davantage. C'est ce jour-là, en effet, et à cette heure, que le Seigneur l'ouvre pour le larron, accomplissant ainsi deux bienfaits : l'un d'ouvrir pour nous le paradis, l'autre d'y introduire son compagnon de supplice. Aujourd'hui, il nous rend notre antique patrie, aujourd'hui il nous ramène à la ville de nos Pères, aujourd'hui, il donne une maison à l'humanité : « Aujourd'hui, tu seras avec moi en paradis. » Que dis-tu là : tu es cloué à la croix et tu promets le paradis ? Oui, répond-il, je le promets ; et ainsi ma croix manifestera ma puissance. Ce ne fut pas en rappelant un cadavre à la vie, ni en commandant à la mer et aux flots, ni en chassant les démons, mais sur la croix, percé de clous, accablé d'injures, couvert de crachats, d'outrages et d'opprobres, qu'il changea le cœur du larron... Quel prince souffrirait qu'un bandit, et même qu'un de ses sujets, à son entrée dans une ville, fût assis à ses côtés ? C'est pourtant ce que fait le Christ. Il entre dans la patrie et il y entre en compagnie d'un bandit, et loin de déshonorer ces lieux par la présence de ce criminel, il en rehausse au contraire l'éclat. Car c'est une gloire pour le paradis d'appartenir à un Seigneur capable de rendre un bandit digne de jouir du bonheur qu'on y goûte. Que ses portes soient ouvertes aux publicains et aux prostituées est un sujet d'honneur pour le Royaume des Cieux, non un outrage.

       Qu'a donc fait ce larron pour mériter le paradis après la croix ? Je vais vous l'expliquer en quelques mots : pendant que Pierre reniait son maître loin de la croix, le larron le confessait sur la croix. Le disciple faiblit devant les menaces d'une servante, le larron voit autour de lui la populace déchaînée, proférant dans sa folie sarcasmes et blasphèmes : il voit cela et n'en est pas ému, il ne s'arrête pas à la bassesse du crucifié, mais s'élevant par les yeux de la foi, il reconnaît le maître du ciel et s'écrie : « Dans ton Royaume, souviens-toi de moi, Seigneur, quand tu seras entré dans ton Royaume. » Ne passons pas avec indifférence devant ce larron, ne rougissons pas de recevoir une leçon de celui que le Seigneur n'a pas rougi d'introduire le premier dans son paradis. Comprends-tu la philosophie du    larron ? Comprends-tu sa sagesse et ses enseignements ? Il va aussitôt de la croix au ciel. Il confesse son péché : « Nous, du moins, nous souffrons justement et nous subissons le châtiment que nous ont mérité nos crimes... » II ajoute ensuite : « Souviens-toi de moi, Seigneur, quand tu seras entré dans ton Royaume. »

       Le larron parle du Royaume. Mais que vois-tu de semblable ? Tu ne vois que la croix et des clous. Mais c'est la croix elle-même qui est le signe du Royaume. Si je donne au Christ le nom de roi, c'est parce que je le vois crucifié ; c'est le devoir d'un roi de mourir pour son peuple. Il l'a dit lui-même : « Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. » Le Christ a donné sa vie, voilà pourquoi je l'appelle roi : « Souviens-toi de moi, Seigneur, dans ton Royaume. » Tu vois la hardiesse du larron. Crucifié, il n'oublie point son métier et il vole, par sa confession, le Royaume des Cieux. Pour moi, non seulement je l'admire, mais j'envie son sort. « Aujourd'hui, tu seras avec moi au paradis. » Quel honneur, quelle grandeur de la philanthropie divine ! De même que nous admirons un médecin qui guérit un homme d'une maladie apparemment incurable, de même, frères, admirez le Christ dont la puissance a délivré les âmes de maladies mortelles et rendu dignes du paradis des malheureux qui étaient tombés dans une perversité sans fond.

 

Jeudi saint

 

 

PREMIER NOCTURNE

 

 

Exode 12, 21-27

 

       Moïse convoqua tous les anciens d'Israël et leur dit : « Allez vous procurer du petit bétail pour vos familles et immolez la Pâque. Puis vous prendrez un bouquet d'hysope, vous le tremperez dans le sang qui est dans le bassin et vous toucherez le linteau et les deux montants avec le sang qui est dans le bassin. Quant à vous, que personne ne franchisse la porte de sa maison jusqu'au matin. Lorsque Yahvé traversera l'Egypte pour la frapper, il verra le sang sur le linteau et sur les deux montants, il passera au-delà de cette porte et ne laissera pas l'Exterminateur pénétrer dans vos maisons pour frapper. Vous observerez cette disposition comme un décret pour toi et tes fils, à perpétuité. Quand vous serez entrés dans la terre que Yahvé vous donnera comme il l'a dit, vous observerez ce rite. Et quand vos fils vous diront : " Que signifie pour vous ce rite ? " vous leur direz : " C'est le sacrifice de la Pâque pour Yahvé qui a passé au-delà des maisons des Israélites en Egypte lorsqu'il frappait l'Egypte, mais épargnait nos maisons. " Le peuple alors s'agenouilla et se prosterna. »

 

Sagesse 2, 10, 22

 

       Opprimons le juste qui est pauvre, n'épargnons pas la veuve, soyons sans égards pour les cheveux blancs chargés d'années du vieillard. Que notre force soit la loi de la justice, car ce qui est faible s'avère inutile. Tendons des pièges au juste, puisqu'il nous gêne et qu'il s'oppose à notre conduite, nous reproche nos fautes contre la Loi et nous cause de fautes contre notre éducation. Il se flatte d'avoir la connaissance de Dieu et se nomme enfant du Seigneur. Il est devenu un blâme pour nos pensées, sa vue même nous est à charge ; car son genre de vie ne ressemble pas aux autres, et ses sentiers sont tout différents. Il nous tient pour chose frelatée et s'écarte de nos chemins comme d'impuretés. Il proclame heureux le sort final des justes et il se vante d'avoir Dieu pour père. Voyons si ses dires sont vrais, expérimentons ce qu'il en sera de sa fin. Car si le juste est fils de Dieu, II l'assistera et le délivrera des mains de ses adversaires. Éprouvons-le par l'outrage et la torture afin de connaître sa douceur et de mettre à l'épreuve sa résignation. Condamnons-le à une mort honteuse, puisque, d'après ses dires, il sera visité. Ainsi raisonnent-ils, mais ils s'égarent, car leur malice les aveugle. Ils ignorent les secrets de Dieu, ils n'espèrent pas de rémunération pour la sainteté, ils ne croient pas à la récompense des âmes pures.

 

Philippiens 2, 6-11

 

       Le Christ Jésus, de condition divine, ne retient pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant semblable aux hommes. S'étant comporté comme un homme, il s'humilia plus encore, obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix ! Aussi Dieu l'a-t-il exalté et lui a-t-il donné le Nom qui est au-dessus de tout nom, pour que tout, au nom de Jésus, s'agenouille, au plus haut des deux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue proclame, de Jésus Christ, qu'il est SEIGNEUR, à la gloire de Dieu le Père.

 

 

DEUXIÈME NOCTURNE

 

 

Des lettres de saint Ignace d'Antioche, évêque

 

       Je rends gloire à Jésus-Christ notre Dieu de vous avoir inspiré une telle sagesse. J'ai pu constater, en effet, que vous êtes unis dans une foi inébranlable, cloués de chair et d'esprit à la croix du Seigneur Jésus-Christ et affermis dans la charité par le sang du Christ. Vous avez, je le sais, la ferme conviction que notre Seigneur est véritablement de la race de David selon la chair, Fils de Dieu selon la volonté et la puissance de Dieu, véritablement né d'une vierge, baptisé par Jean pour que, par lui, fût accomplie toute justice. Il a été véritablement percé de clous en sa chair sous Ponce Pilate et Hérode le tétrarque : c'est au fruit de sa croix et à sa Passion divine et bienheureuse que nous devons d'exister. C'est ainsi que, par sa résurrection, il a levé son étendard sur les siècles pour rassembler ses saints et ses fidèles, venus des juifs ou des gentils, dans l'unique corps de son Église. C'est pour nous, en effet, et pour notre salut qu'il a enduré toutes ces souffrances : c'est en vérité qu'il a souffert, comme en vérité il est ressuscité.

       Ayez donc soin de ne participer qu'à une seule eucharistie ; il n'y a, en effet, qu'une seule chair de notre Seigneur, une seule coupe pour nous unir en son sang, un seul autel, comme il n'y a qu'un seul évêque entouré des prêtres et des diacres... Ainsi, tout ce que vous ferez, vous le ferez selon Dieu. Mes frères, je déborde d'amour pour vous et c'est dans la joie que je cherche à vous affermir, non pas moi, mais Jésus-Christ. Je me réfugie dans l'Évangile comme dans la chair de Jésus-Christ et dans les Apôtres comme au presbyterium de l'Église. Aimons aussi les Prophètes, car eux aussi ont annoncé l'Évangile ; ils ont espéré dans le Christ et l'ont attendu ; croyant en lui, ils ont été sauvés et, demeurant dans l'unité de Jésus-Christ, saints et dignes d'amour, ils ont mérité de recevoir le témoignage de Jésus-Christ et d'avoir part à l'Évangile, notre commune espérance.

       Rassemblez-vous dans un cœur sans partage... Aimez l'union, fuyez les divisions, soyez les imitateurs de Jésus-Christ comme lui l'est aussi de son Père... Là où il y a division et colère, Dieu n'habite pas... Je vous exhorte à ne rien faire par esprit de querelle, mais selon l'enseignement du Christ. J'en ai entendu qui disaient : « Ce que je ne trouve pas dans les archives, je ne le crois pas dans l'Évangile »... Pour moi, mes archives, c'est le Christ ; mes inviolables archives, c'est sa croix, sa mort et sa résurrection et la foi qui vient de lui : c'est en cela que je désire, par vos prières, être justifié.

       Que me servirait la possession du monde entier ? Qu'ai-je à faire des royaumes de ce siècle ? Il est bon pour moi de mourir pour m'unir au Christ Jésus, plus que de régner jusqu'aux extrémités de la terre. C'est lui que je cherche qui est mort pour nous, c'est lui que je veux qui est ressuscité pour nous... Laissez-moi recevoir la pure lumière quand je serai arrivé là, je serai un homme. Laissez-moi imiter la Passion de mon Dieu. Si quelqu'un a Dieu dans son cœur qu'il comprenne ce que je veux et qu'il ait compassion de moi, connaissant le désir qui m'étreint... Le Prince de ce monde veut m'arracher à Dieu et corrompre les sentiments que j'ai pour lui... Mon désir terrestre a été crucifié, il n'y a plus en moi de feu pour aimer la matière, mais une eau vive qui murmure et qui dit au-dedans de moi : « Viens vers le Père ! » Je ne me plais plus à la nourriture corruptible, ni aux plaisirs de cette vie, c'est le pain de Dieu que je veux, qui est la chair de Jésus-Christ de la race de David, et pour boisson, je veux son sang qui est l'amour incorruptible.

 

 

TROISIÈME NOCTURNE

 

 

Sermon de saint Ambroise de Milan, évêque

 

       « Père s'il est possible, éloigne de moi ce calice. » Je ne vois pas qu'il y ait sujet d'excuser le Christ d'avoir dit ces mots, mais nulle part je n'admire davantage sa tendresse et sa grandeur. Le bienfait que me procure la Passion du Seigneur eût été moindre s'il n'avait pris mes sentiments. C'est donc pour moi qu'il s'est affligé, n'ayant en lui aucun motif d'affliction. Mettant de côté la jouissance de sa divinité éternelle, il se laisse atteindre par la lassitude de ma faiblesse. Il a pris ma tristesse pour me donner sa joie, sur mes pas il est descendu jusqu'à l'angoisse de la mort afin que, sur ses pas, je sois rappelé à la vie. Je n'hésite donc pas à parler de tristesse puisque je prêche la croix. C'est que le Christ n'a pas pris de l'Incarnation seulement l'apparence, il en a pris la réalité. Il devait donc aussi prendre la douleur, afin de triompher de la tristesse et non de l'écarter : on ne saurait être loué pour son courage, si l'on n'a connu des blessures que l'étonnement sans la douleur. « Homme de douleurs et connu de la    souffrance », il a voulu nous instruire. L'histoire de Joseph nous avait appris à ne pas craindre la   prison ; dans le Christ, nous apprenons à vaincre la mort, mieux encore, à vaincre l'angoisse de la mort à venir. Aussi bien, comment t'imiterions-nous, Seigneur Jésus, si nous ne te suivions dans ton humanité, si nous ne croyions que tu es mort, si nous n'avions vu tes blessures. Comment les disciples auraient-ils cru qu'il allait mourir, s'ils n'avaient vu l'angoisse d'un mourant ?

       Ainsi, les disciples dorment et ignorent la douleur, eux pour qui le Christ est dans la douleur. C'est ce que nous lisons : « II porte nos péchés et il souffre pour nous. » Tu souffres donc, Seigneur, non de tes blessures, mais des miennes, non de ta mort, mais de ma faiblesse. Et nous te regardions comme un homme de douleurs, quand tu souffrais, non pour toi, mais pour moi. Car tu es devenu faible, mais à cause de mes péchés, parce que cette faiblesse tu ne l'as pas reçue de ton Père, tu l'as prise pour moi, parce qu'il était bon que le châtiment qui nous rend la paix soit sur toi et que tes blessures guérissent nos plaies. Mais quoi d'étonnant si, pour tous, il a souffert, quand pour un seul il a pleuré ? Quoi d'étonnant s'il défaille au moment de souffrir pour tous, quand il pleure au moment de ressusciter Lazare ? Alors les larmes d'une sœur aimante ont touché son cœur, maintenant un désir profond le pousse ; de même qu'en sa chair il détruit nos péchés, de même l'angoisse de son âme détruit l'angoisse de la nôtre.

       Or, Pierre suivait de loin... Il est bien vrai qu'il suivait de loin, étant déjà si près de le renier, car il n'aurait pas pu le renier s'il s'était attaché étroitement au Christ. Mais peut-être devons-nous l'admirer de ne pas avoir abandonné le Seigneur tout en ayant peur : sa chute est le sort commun, son repentir vient de la foi. Pierre nie au Heu où le Christ est emprisonné, où Jésus est enchaîné... Il faisait froid... Il faisait froid en ce lieu où Jésus n'était pas reconnu, où il n'y avait personne qui vît la lumière, où l'on reniait le feu qui consume II faisait froid pour le cœur, non pour le corps. Aussi bien Pierre se tenait auprès du feu car il avait le cœur transi... L'erreur de Pierre est un enseignement pour les justes, l'achoppement de Pierre est le roc de tous. C'est le même Pierre qui a chancelé sur la mer, mais a marché. Pierre chancelant est plus ferme que notre fermeté. Tomber lui a été meilleur que pour d'autres rester debout : mieux lui a valu tomber puisque le Christ l'a relevé. Jésus le regarda : aussi bien ceux-là pleurent que Jésus regarde. Regarde-nous, Seigneur Jésus, pour que nous sachions pleurer notre péché. Que nous imitions Pierre qui dit ailleurs à trois reprises : Seigneur, tu sais que je t'aime, car ayant renié trois fois, il confesse trois fois ; il a renié dans la nuit et a confessé le Seigneur au grand jour.

 

Vendredi saint

 

 

 

PREMIER NOCTURNE

 

 

Genèse 37, 15-25 a

 

       Un homme rencontra Joseph errant dans la campagne et cet homme lui demanda : « Que cherches-tu ? » II répondit : « Je cherche mes frères. Indique-moi, je te prie, où ils paissent leurs troupeaux. » L'homme dit : « Ils ont décampé d'ici, je les ai entendus qui disaient : Allons à Dotân » ; Joseph partit en quête de ses frères et il les trouva à Dotân. Ils l'aperçurent de loin et, avant qu'il n'arrivât près d'eux, ils complotèrent de le faire mourir. Ils se dirent entre eux : « Voilà l'homme aux songes qui arrive ! Maintenant, venez, tuons-le et jetons-le dans n'importe quelle citerne ; nous dirons qu'une bête féroce l'a dévoré. Nous allons voir ce qu'il adviendra de ses songes ! » Mais Ruben entendit et il le sauva de leurs mains. Il dit : « N'attentons pas à sa vie ! » Ruben leur dit : « Ne répandez pas le sang ! Jetez-le dans cette citerne du désert, mais ne portez pas la main sur lui ! » C'était pour le sauver de leurs mains et le ramener à son Père. Donc, lorsque Joseph arriva près de ses frères, ils le dépouillèrent de sa tunique, la tunique ornée qu'il portait. Ils se saisirent de lui et le jetèrent dans la citerne ; c'était une citerne vide, où il n'y avait pas d'eau. Puis ils s'assirent pour manger.

 

Job 16, 6-22

 

       Quand je parle, ma souffrance ne cesse pas, si je me tais, en quoi disparaît-elle ? Et maintenant elle me pousse à bout ; tu as frappé d'horreur tout mon entourage et il me presse, mon calomniateur s'est fait mon témoin, il se dresse contre moi, il m'accuse en face ; sa colère déchire et me poursuit, en montrant des dents grinçantes. Mes adversaires aiguisent sur moi leurs regards, ouvrent une bouche menaçante. Leurs railleries m'atteignent comme des soufflets ; ensemble ils s'ameutent contre moi. Oui, Dieu m'a livré à des injustes, entre les mains des méchants, il m'a jeté. Je vivais tranquille quand il m'a fait chanceler, saisi par la nuque pour me briser. Il a fait de moi sa cible : il me cerne de ses traits, transperce mes reins sans pitié et répand à terre mon fiel. Il ouvre en moi brèche sur brèche, fonce sur moi tel un guerrier. J'ai cousu un sac sur ma peau, jeté mon front dans la poussière. Mon visage est rougi par les larmes et l'ombre couvre mes paupières. Pourtant, pointée violence dans mes mains, et ma prière est pure. Ô terre, ne couvre point mon sang, et que mon cri monte sans arrêt. Dès maintenant, j'ai dans les cieux un témoin, là-haut se tient mon défenseur. Interprète de mes pensées auprès de Dieu, devant qui coulent mes larmes, qu'il plaide la cause d'un homme aux prises avec Dieu, comme un mortel défend son semblable. Car mes années de vie sont comptées, et je m'en vais par le chemin sans retour.

 

Hébreux 5, 5-10

 

       Ce n'est pas le Christ qui s'est attribué à soi-même la gloire de devenir grand prêtre, mais il l'a reçue de celui qui lui a dit : « Tu es mon fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré » ; comme il dit encore ailleurs : « Tu es prêtre pour l'éternité, selon l'ordre de Melchisédech ». C'est lui qui, aux jours de sa chair, ayant présenté, avec une violente clameur et des larmes, des implorations et des supplications à celui qui pouvait le sauver de la mort, et ayant été exaucé en raison de sa pitié, tout Fils qu'il était, apprit, de ce qu'il souffrit, l'obéissance ; après avoir été rendu parfait, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent principe de salut éternel, puisqu'il est salué par Dieu du titre de grand prêtre « selon l'ordre de Melchisédech ».

 

 

DEUXIÈME NOCTURNE

 

 

De saint Éphrem le Syrien, diacre

 

       Aujourd'hui s'avance la croix, la création exulte ; la croix, chemin des égarés, espoir des chrétiens, prédication des Apôtres, sécurité de l'univers, fondement de l'Église, fontaine pour ceux qui ont soif. Aujourd'hui s'avance la croix et les enfers sont ébranlés. Les mains de Jésus sont fixées par les clous, et les liens qui attachaient les morts sont déliés. Aujourd'hui, le sang qui ruisselle de la croix parvient jusqu'aux tombeaux et fait germer la vie dans les enfers. Dans une grande douceur Jésus est conduit à la Passion, bénissant ses douleurs à toute heure : il est conduit au jugement de Pilate qui siège au prétoire ; à la sixième heure on le raille ; jusqu'à la neuvième heure, il supporte la douleur des clous, puis sa mort met fin à sa Passion. A la douzième heure, il est déposé de la croix : on dirait un lion qui dort. Alors il descend aux enfers, désirant voir les justes qui se reposent de leurs fatigues et il les passe en revue comme un roi regardant son armée au repos à l'heure de midi, il dit : « Me voici, je viens. » Et toute l'armée se dresse aussitôt.

       Mais revenons à la Passion. Pendant le jugement, la Sagesse se tait et la Parole ne dit rien. Ses ennemis le méprisent et le mettent en croix. Aussitôt, l'univers est ébranlé, le jour disparaît et le ciel s'obscurcit. On le couvre d'un vêtement dérisoire, on le crucifie entre deux brigands. Ceux à qui, hier, il avait donné son corps en nourriture le regardent mourir de loin. Pierre, le premier des Apôtres, a fui le premier. André aussi a pris la fuite, et Jean qui reposait sur son côté n'a pas empêché un soldat de percer ce côté de sa lance. Le chœur des Douze s'est enfui. Ils n'ont pas dit un mot pour lui, eux pour qui il donne sa vie. Lazare n'est pas là qu'il a rappelé à la vie, l'aveugle n'a pas pleuré celui qui a ouvert ses yeux à la lumière, et le boiteux, qui grâce à lui pouvait marcher, n'a pas couru auprès de lui. Seul un bandit crucifié à son côté le confesse et l'appelle son roi, au scandale des juifs. Ô larron, fleur précoce de l'arbre de la croix, premier fruit du bois du Golgotha.

       Désormais, par la croix, les ombres sont dissipées et la vérité se lève, comme nous le dit l'Apôtre : « L'ancien monde est passé, toutes choses sont nouvelles. » La mort est dépouillée, l'enfer livre ses captifs, l'homme est libre, le Seigneur règne, la création est dans la joie. La croix triomphe et toutes les nations, tribus, langues et peuples viennent pour l'adorer. Nous trouvons en elle notre joie avec le bienheureux Paul qui s'écrie : « Loin de moi la pensée de trouver ma gloire ailleurs que dans la croix de Jésus-Christ notre Seigneur. » La croix rend la lumière à l'univers entier, elle chasse les ténèbres et rassemble les nations de l'Occident, du Nord, de la mer et de l'Orient en une seule Église, une seule foi, un seul baptême dans la charité. Elle se dresse au centre du monde, fixée sur le calvaire...

       Armés de la croix, les Apôtres s'en vont prêcher et rassembler dans son adoration tout l'univers, foulant aux pieds toute puissance hostile. Par elle, les martyrs ont confessé la foi avec audace et n'ont pas craint les ruses des tyrans. S'en étant chargés, les moines, dans une immense joie, ont fait de la solitude leur séjour. Cette croix paraîtra lors du retour du Christ, la première dans le ciel, sceptre précieux, vivant, véritable et saint du Grand Roi : « Alors, dit le Seigneur, apparaîtra dans le ciel le signe du Fils de l'homme. » Nous la verrons, escortée par les anges, illuminant la terre, d'un bout de l'univers à l'autre, plus claire que le soleil, annonçant le jour du Seigneur.

 

 

TROISIÈME NOCTURNE

 

 

Sermon de saint Germain de Constantinople, évêque

 

       Le peuple qui était assis dans les ténèbres a vu une grande lumière, et sur les habitants du sombre pays une lumière a resplendi, la lumière de la rédemption. En voyant le tyran blessé à mort, il revient des ténèbres à la lumière ; de la mort, il passe à la vie. La victoire de Jésus seule est le salut de ceux qui, par leur faute, s'étaient éloignés de lui. Le bois de la croix porte celui qui a fait l'univers. Celui qui y est fixé est celui-là même que le patriarche autrefois avait vu au sommet de l'échelle. Subissant la mort pour ma vie, il est fixé au bois comme un mort, celui qui porte l'univers ; il rend le souffle sur le bois, celui qui insuffle la vie aux morts. La croix ne lui fait point honte, mais comme un trophée atteste sa victoire totale. Il siège en juste juge sur le trône de la croix.

       La couronne d'épines qu'il porte sur le front confirme sa victoire : Ayez confiance, j'ai vaincu le monde et le Prince de ce monde, en portant le péché du monde. Et cette victoire du Christ passe dans toute l'humanité dont il a pris les prémices. Que la croix soit un triomphe, les pierres elles-mêmes le crient, ces pierres du calvaire, où, selon une antique tradition des Pères, fut enterré Adam, notre premier Père. Cette tradition manifeste qu'Adam fut la cause de la venue du Seigneur sur la terre, que tout le mystère de l'humiliation avait en vue son rappel et son salut. Tout cela eut pour but la libération d'Adam et pour motif l'amour que son créateur lui portait.

       Adam où es-tu ? crie à nouveau le Christ en croix. Je suis venu là à ta recherche et, pour pouvoir te trouver, j'ai tendu les mains sur la croix. Les mains tendues, je me tourne vers le Père pour rendre grâces de t'avoir trouvé, puis je les tourne aussi vers toi pour t'embrasser. Je ne suis pas venu pour juger ton péché, mais pour te sauver par mon amour des hommes, je ne suis pas venu te maudire pour ta désobéissance, mais te bénir par mon obéissance. Je te couvrirai de mes ailes, tu trouveras à mon ombre un refuge. Ma fidélité te couvrira du bouclier de la croix et tu ne craindras pas la terreur des nuits car tu connaîtras le jour sans déclin. Je chercherai ta vie, cachée dans les ténèbres et à l'ombre de la mort, je n'aurai de repos, jusqu'à ce qu'humilié et descendu jusqu'aux enfers pour t'y chercher, je t'aie reconduit dans le ciel.

 

Samedi saint

 

 

PREMIER NOCTURNE

 

 

Genèse 2, 1-4 a

 

       Ainsi furent achevés le ciel et la terre, avec toute leur armée. Dieu conclut au septième jour l'ouvrage qu'il avait fait et, au septième jour, il chôma, après tout l'ouvrage qu'il avait fait. Dieu bénit le septième jour et le sanctifia, car il avait chômé après tout son ouvrage de création. Telle fut l'histoire du ciel et de la terre, quand ils furent créés.

 

Hébreux 4, 3-11

 

       Nous entrons, nous les croyants, dans un repos, selon qu'il a dit : « Aussi ai-je juré dans ma colère : Non, ils n'entreront pas dans mon repos ». Les œuvres de Dieu certes étaient achevées dès la fondation du monde, puisqu'il a dit quelque part au sujet du septième jour : « Et Dieu se reposa le septième jour de toutes ses œuvres » Et de nouveau en cet endroit : « Ils n'entreront pas dans mon repos ». Ainsi donc, puisqu'il est acquis que certains doivent y entrer, et que ceux qui avaient reçu d'abord la bonne nouvelle n'y entrèrent pas à cause de leur désobéissance, de nouveau Dieu fixe un jour, un                           « aujourd'hui », disant en David, après si longtemps, comme il a été dit ci-dessus : « Aujourd'hui, si vous entendez sa voix, n'endurcissez pas vos cœurs... » Si Josué avait introduit les Israélites dans ce repos, Dieu n'aurait pas dans la suite parlé d'un autre jour. C'est donc qu'un repos, celui du septième jour, est réservé au peuple de Dieu. Car celui qui « est entré dans son repos » lui aussi « se repose de ses œuvres », comme Dieu des siennes. Efforçons-nous donc d’« entrer dans ce repos », afin que nul ne succombe, en imitant cet exemple de désobéissance.

 

1 Pierre 3, 18-22

 

       Le Christ lui-même est mort une fois pour les péchés, juste pour des injustes, afin de nous mener à Dieu. Mis à mort selon la chair, il a été vivifié selon l'esprit. C'est en lui qu'il s'en alla même prêcher aux esprits en prison, à ceux qui jadis avaient refusé de croire lorsque se prolongeait la patience de Dieu, aux jours où Noé construisait l'Arche, dans laquelle un petit nombre, en tout huit personnes, furent sauvées à travers l'eau. Ce qui y correspond, c'est le baptême qui vous sauve à présent et qui n'est pas l'enlèvement d'une souillure charnelle, mais l'engagement à Dieu d'une bonne conscience par la résurrection de Jésus Christ, lui qui, passé au ciel, est à la droite de Dieu, après s'être soumis les Anges, les Dominations et les Puissances.

 

 

DEUXIÈME NOCTURNE

 

 

Sermon de saint Épiphane, évêque

 

       Un grand silence règne aujourd'hui sur la terre, un grand silence et une grande solitude. Un grand silence parce que le Roi dort. La terre a tremblé et s'est calmée parce que Dieu s'est endormi dans la chair et qu'il est allé réveiller ceux qui dormaient depuis des siècles. Dieu est mort dans la chair et les enfers ont tressailli. Dieu s'est endormi pour un peu de temps et il a réveillé du sommeil ceux qui séjournaient dans les enfers...

       Il va chercher Adam, notre premier Père, la brebis perdue. Il veut aller visiter tous ceux qui sont assis dans les ténèbres et à l'ombre de la mort. Il va, pour délivrer de leurs douleurs Adam dans ses liens et Eve, captive avec lui, lui qui est en même temps leur Dieu et leur Fils. Descendons donc avec lui pour voir l'Alliance entre Dieu et les hommes... Là se trouve Adam, le premier Père, et comme premier créé, enterré plus profondément que tous les condamnés. Là se trouve Abel, le premier mort et comme premier pasteur juste, figure du meurtre injuste du Christ pasteur. Là se trouve Noé, figure du Christ, le constructeur de la grande arche de Dieu, l'Église... Là se trouve Abraham, le père du Christ, le sacrificateur, qui offrit à Dieu par le glaive et sans le glaive un sacrifice mortel sans mort. Là demeure Moïse, dans les ténèbres inférieures, lui qui a jadis séjourné dans les ténèbres supérieures de l'arche de Dieu. Là se trouve Daniel dans la fosse de l'enfer, lui qui, jadis, a séjourné sur la terre dans la fosse aux lions. Là se trouve Jérémie, dans la fosse de boue, dans le trou de l'enfer, dans la corruption de la mort. Là se trouve Jonas dans le monstre capable de contenir le monde, c'est-à-dire dans l'enfer, en signe du Christ éternel. Et parmi les Prophètes il en est un qui s'écrie : « Du ventre de l'enfer, entends ma supplication, écoute mon cri ! » et un autre : « Des profondeurs, je crie vers toi, Seigneur, écoute mon appel ! » ; et un autre : « Fais briller sur nous ta face et nous serons sauvés... »

       Mais, comme par son avènement le Seigneur voulait pénétrer dans les lieux les plus inférieurs, Adam, en tant que premier Père et que premier créé de tous les hommes et en tant que premier mortel, lui qui avait été tenu captif plus profondément que tous les autres et avec le plus grand soin, entendit le premier le bruit des pas du Seigneur qui venait vers les prisonniers. Et il reconnut la voix de celui qui cheminait dans la prison, et, s'adressant à ceux qui étaient enchaînés avec lui depuis le commencement du monde, il parla ainsi : « J'entends les pas de quelqu'un qui vient vers nous. » Et pendant qu'il parlait, le Seigneur entra, tenant les armes victorieuses de la croix. Et lorsque le premier Père, Adam, le vit, plein de stupeur, il se frappa la poitrine et cria aux autres : « Mon Seigneur soit avec vous ! » Et le Christ répondit à Adam : « Et avec ton esprit. » Et lui ayant saisi la main, il lui dit : « Éveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d'entre les morts, et le Christ t'illuminera. » Je suis ton Dieu, et à cause de toi je suis devenu ton Fils. Lève-toi, toi qui dormais, car je ne t'ai pas créé pour que tu séjournes ici enchaîné dans l'enfer. Relève-toi d'entre les morts, je suis la Vie des morts. Lève-toi, œuvre de mains, toi, mon effigie, qui a été faite à mon image.

       Lève-toi, partons d'ici, car tu es en moi et je suis en toi.. A cause de toi, moi ton Dieu, je suis devenu ton fils • à cause de toi, moi ton Seigneur, j'ai pris la formé d'esclave ; à cause de toi, moi qui demeure au-dessus des cieux, je suis descendu sur la terre et sous la terre. Pour toi, homme, je me suis fait comme un homme sans protection, libre parmi les morts. Pour toi qui es sorti du jardin, j'ai été livré aux juifs dans le jardin et j'ai été crucifié dans le jardin...

       Regarde sur mon visage les crachats que j'ai reçus pour toi afin de te replacer dans l'antique paradis. Regarde sur mes joues la trace des soufflets que j'ai subis pour rétablir en mon image ta beauté détruite. Regarde sur mon dos la trace de la flagellation que j'ai reçue afin de te décharger du fardeau de tes péchés qui avait été imposé sur ton dos. Regarde mes mains qui ont été solidement clouées au bois à cause de toi qui autrefois as mal étendu tes mains vers le bois... Je me suis endormi sur la croix et la lance a percé mon côté à cause de toi qui t'es endormi au paradis et as fait sortir Eve de ton côté. Mon côté a guéri la douleur de ton côté. Et mon sommeil te fait sortir maintenant du sommeil de l'enfer. Lève-toi et partons d'ici, de la mort à la vie, de la corruption à l'immortalité, des ténèbres à la lumière éternelle. Levez-vous et partons d'ici et allons de la douleur à la joie, de la prison à la Jérusalem céleste, des chaînes à la liberté, de la captivité aux délices du paradis, de la terre au ciel. Mon Père céleste attend la brebis perdue, un trône de chérubin est prêt, les porteurs sont debout et attendent, la salle des noces est préparée, les tentes et les demeures éternelles sont ornées, les trésors de tout bien sont ouverts, le Royaume des Cieux qui existait avant tous les siècles vous attend.

 

 

TROISIÈME NOCTURNE

 

 

Sermon de saint Jean Damascène, prêtre

 

       Christ en croix, venons à lui, devenons participants de ses souffrances pour avoir part aussi à sa gloire. Christ parmi les morts, mourons au péché afin de vivre pour la justice. Christ dans un tombeau neuf, purifions-nous du vieux levain et devenons une pâte nouvelle pour être un lieu de repos pour le Christ. Christ aux enfers, descendons avec lui dans l'humiliation qui élève, afin de ressusciter avec lui, d'être exaltés avec lui, glorifiés avec lui, voyant Dieu toujours et toujours vus par lui. Vous qui êtes du monde, soyez libres ; vous qui êtes liés de bandelettes, sortez ; vous qui êtes dans la ténèbre, ouvrez vos yeux à la lumière ; soyez relâchés vous les captifs ; aveugles, levez les yeux. Réveille-toi Adam qui dors, relève-toi d'entre les morts, car le Christ, la résurrection, est apparu !

       Celui qui trône sur les chérubins est pendu sur la croix comme un condamné, lui, la vie des hommes, en laquelle n'ont pas cru les meurtriers de Dieu, en la voyant pendue sur le bois. Celui qui a fait l'homme de ses mains de Dieu a étendu tout le jour des mains pures vers un peuple rebelle qui suivait une voie mauvaise, et il remet son âme entre les mains du Père. Avec une lance, est percé le côté de celui qui a créé Eve du côté d'Adam ; l'eau et le sang divins en ruissellent, boisson d'immortalité et baptême de renouveau. C'est pourquoi le soleil est obscurci ne pouvant voir maltraité le Soleil de justice, et la terre tremble aspergée du sang du Seigneur purifiée de l'idolâtrie et bondissant de joie pour cette purification.

       Celui qui avait inspiré un souffle de vie à Adam pour en faire une âme vivante est déposé dans un tombeau, mort, sans vie. Celui qui avait condamné l'homme à retourner à la terre, est devenu du nombre de ceux qui sont oubliés dans la terre. Les portes d'airain sont brisées, les barres des portes sont détruites, les portes éternelles se lèvent, le gardien des enfers frémit. Celui qui est libre du péché est compté au nombre des morts, et celui qui a détaché Lazare de ses liens est enveloppé de bandelettes, pour détacher de ses chaînes l'homme mort à cause du péché et enserré par ses liens, et le renvoyer libre. Maintenant le Roi de gloire descend vers le tyran, lui le vaillant des combats qui a son lever à l'Orient, dont la course atteint l'autre limite et qui se réjouit vaillant de courir sa carrière.

       Maintenant les enfers deviennent ciel, l'Hadès est rempli de lumière, les ténèbres qui autrefois faisaient peur s'éloignent et les aveugles recouvrent la vue. Car le Soleil levant, Lumière d'en haut, visite ceux qui sont assis dans les ténèbres et à l'ombre de la mort.

       Écoutons, nous qui ne voyons pas, et croyons à la nouvelle de ceux qui sont les évangélistes de la paix. Car le bras de Dieu et sa puissance nous sont révélés. Car si nous écoutons nous serons glorifiés, contemplant dans l'humiliation comme dans un miroir la gloire du Seigneur et voyant dans son aspect défiguré la beauté qui dépasse toute beauté. S'il est vu pendu sur le bois, sans beauté et sans gloire, mourant à cause de tous les hommes, il est pourtant la Splendeur de la Gloire du Père. Il donne sa robe en partage, aux soldats, mais ressuscité des morts, il enverra au-devant des nations les disciples qu'il avait choisis et lui-même sera la robe du baptême pour les fidèles, car vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ.

       Par-dessus tout, ayons donc les sentiments qui furent ceux du Christ Jésus qui nous a aimés alors que nous étions des ennemis. Alors nous recevrons l'ancienne franchise, alors nous fêterons l'Exode du Seigneur Dieu, et la vie de l'Église sera dans la paix. Alors nous irons rayonnants, avec des flambeaux allumés, à la rencontre du vainqueur de la mort, de l'Époux immortel, et, le visage découvert, nous contemplerons comme dans un miroir la gloire du Seigneur, alors nous jouirons de sa beauté.

 

 

 

 

TEMPS PASCAL

 

Pâques

 

 

 

Entra aussi l'autre disciple, arrivé le premier au tombeau.

Il vit et il crut

jean 20, 8

 

 

Sermon de saint Épiphane, évêque

 

       Le Soleil de justice, disparu depuis trois jours, se lève aujourd'hui et illumine toute la création. Christ au tombeau depuis trois jours et existant avant les siècles ! Il pousse comme une vigne et remplit de joie toute la terre habitée : fixons nos yeux sur la lumière sans déclin et soyons remplis de la joie de cette lumière. Les portes des enfers sont brisées par le Christ, les morts se dressent comme d'un sommeil : le Christ, résurrection des morts, a réveillé Adam. Le Christ, résurrection des morts, est ressuscité et a délivré Eve de la malédiction. Le Christ est ressuscité, lui la résurrection, et il a transfiguré dans la beauté ce qui était sans beauté ni éclat. Le Seigneur comme un dormeur s'est éveillé et a déjoué toutes les ruses de l'ennemi. Il est ressuscité et il donne la Joie à toute la création. Il est ressuscité et la prison de l'enfer a été évacuée. Il est ressuscité et a transformé le corruptible en incorruptible. Le Christ ressuscité a rétabli Adam dans sa dignité première d'immortel.

       Si quelqu'un est dans le Christ créature nouvelle, qu'il soit renouvelé par la résurrection... L'Église qui est dans le Christ devient aujourd'hui ciel nouveau, ciel plus beau que celui que nous voyons, ciel nouveau qui n'a pas besoin de la lumière d'un soleil qui se couche chaque soir, car il a pour lumière ce Soleil que le soleil de la terre a craint quand il l'a vu suspendu à la croix. Soleil dont le Prophète a dit : « II se lève le Soleil de justice pour ceux qui craignent le Seigneur. » Soleil qui donne aux insensés la sagesse, qui est établi pour affermir notre foi. A cause de ce soleil, l'Église devient ciel, un ciel qui ne porte pas je ne sais quels astres errants, mais ces étoiles jaillies dans leur lumière neuve de la piscine baptismale. « Voici le jour que fit le Seigneur. » Dans l'Esprit, exultons et réjouissons-nous en lui. Jour qui récapitule toute fête. Fête dont l'Esprit Saint a dit : « Célébrez la fête rameaux en main, jusqu'aux cornes de l'autel. » C'est la fête de tout l'univers, sa dédicace et son salut. C'est la fête qui mène le chœur de toutes les fêtes, leur acropole ! Jour que bénit le Seigneur, qu'il a sanctifié et dans lequel il s'est reposé de tout ce qu'il avait accompli.

       En ce jour, le Seigneur accomplit tous les types, toutes les ombres, toutes les prophéties : notre Pâque, la Pâque véritable, le Christ, a été immolé, et dans le Christ est une création nouvelle, une foi nouvelle, une nouvelle loi, un nouveau peuple de Dieu : non le vieil Israël, mais la Pâque nouvelle : une nouvelle circoncision dans l'Esprit, un nouveau sacrifice non sanglant, une nouvelle et divine alliance. Renouvelez-vous aujourd'hui et renouvelez en vos cœurs un esprit ferme afin de recevoir les sacrements de la fête nouvelle et véritable, de jouir aujourd'hui de la joie du vrai ciel, de repartir dans la lumière de la nouvelle Pâque qui ne passe pas, et dont l'ancienne Pâque qui passe était la figure. Voyez la différence des figures et de la réalité : Dans l'ancienne Pâque, Moïse a lavé son peuple d'un baptême nocturne et la nuée recouvrait le peuple ; ici la puissance du Très-Haut recouvre de son ombre le peuple du Christ. Alors, Marie, sœur de Moïse, conduisait les chœurs lors de la libération du peuple, maintenant, pour la libération du peuple des païens, l'Église du Christ est en fête en toutes les Églises. Là, Moïse va vers un rocher, ici le peuple se confie dans le rocher de la foi. Alors le veau d'or était fondu pour le châtiment du peuple, maintenant l'Agneau de Dieu est immolé. Alors Moïse frappait la pierre de son bâton, maintenant le Christ, qui est la pierre, a le côté percé. Là, l'eau jaillit de la pierre, ici du côté percé coulent l'eau et le sang. Alors, ils mangeaient la manne qui ne se conservait pas et ils sont morts ; nous, nous mangeons le pain de vie, pour la vie éternelle.

 

Autres lectures pour le temps de Pâques

 

 

Sermon de saint Augustin, évêque

 

       Ces paroles du Seigneur : « Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus, encore un peu de temps et vous me verrez, parce que je vais au Père », paraissaient si obscures aux disciples avant leur accomplissement qu'ils se demandaient entre eux ce qu'elles signifiaient et avouaient n'en pas comprendre le sens. L'Évangile dit ensuite : « Alors plusieurs de ses disciples se dirent l'un à l'autre : Que nous dit-il ? Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus, et encore un peu de temps, vous me verrez... » L'obscurité de ces paroles disparut bientôt pour eux comme elle a disparu pour nous : peu de temps après, sa Passion et sa mort le dérobèrent à leurs yeux ; mais après sa résurrection, ils le virent de nouveau. Quand il leur dit : bientôt vous ne me verrez plus, car je vais au Père, il veut dire qu'ils ne verront plus le Christ mortel.

       Quant à ces paroles du Sauveur : « Mais je vous verrai et votre cœur se réjouira et cette joie, personne ne pourra vous l'ôter », elles ne doivent pas être rapportées à ce temps où, après sa résurrection, il se montra à eux dans sa chair et leur dit de le toucher, mais à cet autre temps dont il avait déjà dit : « Celui qui m'aime, mon Père l'aimera et je me manifesterai à lui. » Cette vision n'est pas pour cette vie, mais pour celle du monde à venir. Elle n'est pas pour un temps, mais n'aura jamais de fin. « La vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et ton envoyé Jésus-Christ. » De cette vision et connaissance, l'Apôtre dit : « Nous voyons maintenant dans un miroir et en énigme, alors nous le verrons face à face. Je ne connais maintenant qu'en partie, alors je connaîtrai comme je suis connu. » Ce fruit de son labeur, l'Église l'enfante maintenant dans le désir, alors elle l'enfantera dans la vision ; maintenant elle l'enfante dans la peine, alors elle l'enfantera dans la « joie » ; maintenant elle l'enfante dans la supplication, alors elle l'enfantera dans la louange. Ce fruit sera sans fin, car rien ne saurait nous combler sinon ce qui est infini. C'est ce qui faisait dire à Philippe : « Seigneur, montre-nous le Père et cela nous suffit. »

       Cela nous permet de comprendre les paroles qui précèdent : « Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus, encore un peu de temps et vous me verrez. » Ce qu'il appelle un peu de temps, c'est tout l'espace de notre temps actuel, dont l'Évangéliste dit dans son épître : « C'est maintenant la dernière heure. » La promesse qu'il leur fait : « Encore un peu de temps et vous me verrez », s'adresse à toute l'Eglise comme cette autre promesse : « Voici que je suis avec vous jusqu'à la fin du monde. » Le Seigneur ne saurait tarder d'accomplir sa promesse : encore un peu de temps et nous le verrons et nous n'aurons plus aucune supplication à lui faire, aucune question à lui adresser, parce que nous n'aurons plus rien à désirer, plus rien à chercher. Ce peu de temps nous paraît long parce qu'il est encore en train de s'écouler ; lorsqu'il sera fini, alors nous sentirons combien il a été court. Que notre joie soit donc différente de celle du monde dont il est dit : « Le monde se réjouira. » Dans l'enfantement de ce désir, ne soyons pas sans joie, mais comme dit l'Apôtre, « réjouissons-nous dans l'espérance, soyons patients dans l'épreuve ». Car la femme qui enfante, à laquelle le Seigneur nous compare, se réjouit beaucoup plus de l'enfant qu'elle va mettre au monde, qu'elle ne s'attriste de sa souffrance.

 

Sermon de saint Grégoire de Nazianze, évêque

 

       Le Christ est ressuscité d'entre les morts, levez-vous, vous aussi. Le Christ qui dormait s'éveille, éveillez-vous. Le Christ sort du tombeau, libérez-vous des chaînes du péché ! Les portes de l'enfer s'ouvrent, la mort est détruite, le vieil homme est déposé, et le nouveau, enfin, libéré : Puisque vous êtes devenus dans le Christ une créature nouvelle, renouvelez-vous : C'est la Pâque du Seigneur, la Pâque du Seigneur, je le dirai une troisième fois en l'honneur de la Trinité, c'est la Pâque du Seigneur ! C'est la fête des fêtes, la solennité des solennités, qui surpasse non seulement les fêtes humaines, mais même celles du Christ, comme la lumière du soleil surpasse celle des étoiles. C'est le jour de la résurrection et le commencement de la vraie vie. Éclatons de lumière et de joie en cette fête et embrassons-nous mutuellement.

       Hier attache à la croix avec le Christ, je suis glorifié aujourd'hui avec lui. Mourant hier avec lui, aujourd'hui avec lui je reviens à la vie. Enseveli hier avec lui, aujourd'hui, avec lui, je ressuscite. Celui qui est aujourd'hui ressuscité des morts, le Christ, me renouvelle aussi moi-même en esprit et me fait revêtir l'homme nouveau. Dieu donne en la personne du Christ à la créature nouvelle, c'est-à-dire à tous ceux qui sont nés de Dieu, un bon tuteur et un bon guide. C'est lui qui meurt librement avec elle pour ressusciter avec elle. Présentons donc nos offrandes à celui qui a souffert pour nous et qui est ressuscité pour nous. Que chacun donne tout à celui qui s'est donné lui-même en rançon pour nous racheter. Mais nous ne saurions donner rien de mieux que nous-mêmes, à condition que, comprenant la portée du mystère, nous devenions, par amour pour le Christ, tout ce qu'il a voulu, lui, devenir par amour pour nous.

       Soyons comme le Christ, puisque le Christ a voulu être comme nous. Devenons dieux par lui, puisque aussi bien il est devenu homme pour nous. Il a pris sur lui notre bassesse pour partager avec nous sa grandeur. Il est devenu pauvre, pour nous enrichir par son indigence, il a pris la forme d'esclave pour nous donner la liberté. Il s'est abaissé pour nous relever ; il a été tenté pour que nous puissions vaincre, méprisé pour notre glorification. Il est mort pour nous sauver ; il est monté aux deux pour y entraîner à sa suite ceux qui gisaient à terre par suite du péché. Il s'est fait tout pour nous, afin que nous soyons tout pour lui.

 

Sermon de saint Cyrille de Jérusalem, évêque

 

       Réjouis-toi Jérusalem, rassemblez-vous, vous tous qui aimez Jésus, car il est ressuscité ! De même que le rappel de la croix attristait notre assemblée, que la bonne nouvelle de la résurrection soit sa joie. Que la tristesse se change en joie, les chants de deuil en allégresse, réjouissons-nous et soyons dans l'allégresse en l'honneur de celui qui, après sa résurrection, a salué les femmes en disant : « Réjouissez-vous ! »

       De même que nous avons produit les témoignages qui concernent sa croix, de même maintenant, établissons la résurrection par ses preuves. L'Apôtre est là, en effet, qui nous affirme : « II a été enseveli et il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures. » L'Apôtre nous ayant donc renvoyé au témoignage des Écritures, nous ferons bien d'y découvrir l'espérance de notre salut et d'apprendre d'abord si les divines Écritures nous disent le temps de la résurrection du Christ, comment a été désigné le lieu de sa résurrection, et si les femmes qui l'ont cherché sans le trouver se réjouissent quand elles le retrouvent, tout cela pour qu'à la lecture des Évangiles, on ne prenne pas leurs récits pour des ragots ou pour des fables.

       En quel lieu ressuscite le Sauveur ? Il est dit dans le Cantique des Cantiques : « Lève-toi, viens ma bien-aimée », et ensuite, « dans la caverne du rocher ». n a appelé « caverne du rocher », la caverne qui se trouvait alors devant la porte du tombeau du Sauveur et qui, comme on a l'habitude de le pratiquer ici au-devant des tombeaux, avait été taillée dans le roc. Actuellement, elle n'est plus visible, car récemment on a écrasé la partie antérieure de la caverne pour l'ornementation qui s'y trouve.

       Et en quelle saison se réveille le Sauveur ? Dans le Cantique, un peu avant les passages que je viens de citer, il est dit : « L'hiver est passé, la pluie a cessé et s'en est allée, les fleurs ont apparu sur notre terre, la saison de la taille est arrivée. » Est-ce que la terre n'est pas actuellement pleine de fleurs, est-ce qu'on ne taille pas les vignes ? Tu vois comment il dit aussi que l'hiver est désormais passé. Comme le mois d'avril est, en effet, arrivé, c'est désormais le printemps. Or, c'est en cette saison, c'est en ce premier mois du calendrier hébraïque, que l'on célèbre la Pâque, jadis en figure, maintenant en réalité. Cette époque est celle de la création du monde, car Dieu dit alors : « Que la terre verdisse de verdure et des herbes portant semence selon leur espèce »... Dieu dit ensuite : « Faisons l'homme à notre image et selon notre ressemblance. » Et l'homme accueillit la conformité selon l'image et obscurcit par la désobéissance la conformité à la ressemblance. C'est donc à la saison même où il avait perdu ce bien qu'eut lieu sa restauration. La saison où la créature humaine avait été, pour sa désobéissance, chassée du paradis est aussi celle où, venu à la foi par le baptême, l'obéissant y est introduit. Le salut s'est donc réalisé à la même époque où se réalisa la déchéance, c'est-à-dire quand les fleurs eurent apparu et que fut arrivée la saison de la taille.

       Un jardin fut le lieu de la sépulture et une vigne y fut plantée. « C'est moi qui suis la vigne », dit-il. Elle fut donc plantée dans la terre pour que fût déracinée la malédiction venue par Adam : la terre avait été condamnée aux épines et aux ronces. De la terre se leva la vraie vigne pour que soit accomplie la parole : « La vérité s'est levée de la terre et la justice a regardé du ciel. » Et que va dire celui qui est enseveli dans le jardin : « J'ai récolté ma myrrhe avec mes aromates. » Et encore : « La myrrhe et l'aloès avec tous les parfums », car tous symbolisent la sépulture. Les Évangiles disent aussi : « Les femmes vinrent au tombeau apportant les aromates qu'elles avaient préparés. » Nicodème vint aussi, « il apportait un mélange de myrrhe et d'aloès ».

       Car, avant d'entrer en traversant les portes closes, l'Époux et le médecin des âmes avait été cherché par les femmes au cœur fort. Les saintes femmes vinrent au tombeau, et elles cherchaient celui qui était ressuscité... Marie vint, selon l'Évangile, se mit à chercher et ne trouva pas, puis elle recueillit le message des anges et enfin elle vit le Christ. Ces circonstances avaient-elles été aussi décrites ? Oui, Marie dit dans le Cantique : « Sur ma couche j'ai cherché celui qu'aimé mon âme. » En quel temps ? « Sur ma couche, durant les nuits... » « Marie, dit l'Évangile, vint alors qu'il faisait encore nuit. » « Sur ma couche, je l'ai cherché, je l'ai cherché et ne l'ai pas trouvé. » Et dans les Évangiles : « Ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais où ils l'ont mis. » Mais les anges survinrent alors : « Pourquoi chercher parmi les morts celui qui est vivant ? »... Marie ne le reconnaissait pas et c'est en son nom que le Cantique des Cantiques disait aux anges : « Avez-vous vu celui qu'aimé mon âme ?... A peine les avais-je rencontrés (il s'agit des anges) que j'ai trouvé celui qu'aimé mon âme ! je l'ai saisi et ne l'ai point lâché. »

 

Sermon de saint Léon, pape

 

       La croix du Christ par laquelle le Seigneur s'est sacrifié pour le salut des hommes est à la fois sacrement et exemple. Sacrement dans lequel s'accomplit la puissance divine, exemple qui excite notre amour. A ceux, en effet, qu'elle arrache au joug de l'esclavage, la rédemption ajoute ce bienfait de pouvoir être imitée.

       L'ensemble du genre humain était tombé en la personne de nos premiers parents ; mais Dieu, en sa miséricorde, voulut secourir par son Fils Jésus-Christ la créature faite à son image, de sorte que la restauration de la nature ne se fît pas hors de la nature, et que la condition nouvelle l'emportât en même temps sur la condition d'origine. Heureuse, en effet, si elle n'était pas déchue de l'état dans lequel Dieu l'avait créée, la nature est plus heureuse encore si elle demeure en celui qui l'a recréée. C'était déjà beaucoup d'avoir reçu du Christ sa condition, c'est plus encore de subsister en lui.

       C'est pourquoi, bien-aimés, si notre cœur croit ce que notre bouche confesse, c'est nous qui, dans le Christ, avons été crucifiés, nous qui sommes morts, nous qui avons été ensevelis, nous qui sommes également ressuscites le troisième jour. Aussi l'Apôtre dit-il : « Si vous êtes ressuscites avec le Christ, recherchez les choses d'en haut, là où se trouve le Christ assis à la droite de Dieu, pensez aux choses d'en haut, non à celles de la terre. Car vous êtes morts et votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu. Quand le Christ apparaîtra, lui qui est votre vie, vous aussi vous apparaîtrez avec lui dans la gloire.. » Pour que les fidèles sachent que leur cœur possède ce qui lui donne la force de s'élever à la sagesse d'en haut en méprisant les convoitises du monde, le Seigneur promet sa présence en ces   termes : « Voici que je suis avec vous jusqu'à la fin du monde. » « Ce n'est pas en vain que l'Esprit Saint avait dit par la bouche d'Isaïe : " Voici que la vierge concevra et elle enfantera un fils et on l'appellera Emmanuel. " » Jésus réalise le sens de son nom et s'il monte aux cieux, il n'abandonne pas ceux qu'il a adoptés, s'il siège auprès du Père il continue à habiter son corps : c'est le même qui, ici-bas, nous conforte dans nos labeurs et qui, d'en haut, nous invite à la gloire.

       Armons-nous donc toujours de la croix du Seigneur. Nous ne cessons jamais de fêter Pâques si nous nous abstenons du vieux levain de la malice, par la sincérité de la vérité. Dans les fluctuations de la vie présente, qui sont pleines de souffrances diverses, nous devons nous souvenir de ce que nous dit l'Apôtre : « Ayez en vous les sentiments qui furent ceux du Christ Jésus... » Si vous comprenez, veut-il dire, le grand mystère de la piété et ce qu'a fait le Fils de Dieu pour le salut du genre humain, ayez en vous les sentiments qui furent ceux du Christ Jésus. Imitez ce qu'il a fait, aimez ce qu'il a aimé, et, trouvant en vous la grâce de Dieu, aimez en lui votre nature.

       Réjouissez-vous en cette fête... car celui que vous reconnaissez c'est, sans aucune séparation d'avec la divinité, le Christ véritable, né de la Vierge, le Christ véritable pendu au bois, le Christ véritable au tombeau en sa chair, véritable dans la gloire de sa résurrection, véritablement assis à la droite du Père ; de là nous attendons comme Sauveur le Seigneur Jésus-Christ qui transfigurera notre corps de misère pour le configurer à son corps de gloire.

 

Deuxième dimanche de Pâques

 

 

 

Jésus lui dit : « Parce que tu me vois, tu crois. Heureux ceux

qui n'ont pas vu et qui ont cru »

jean 20, 29

 

 

Sermon de saint Augustin, évêque

 

       Voici le jour que fit le Seigneur.

       Rappelez-vous l'état du monde à l'origine : « Les ténèbres étaient sur l'abîme et l'Esprit de Dieu planait sur les eaux. Et Dieu dit : que la lumière soit ! et la lumière fut... Et Dieu sépara la lumière des ténèbres et il appela la lumière Jour et il appela les ténèbres Nuit. » Pensez aux ténèbres des néophytes, avant qu'ils ne soient venus à la rémission des péchés. Les ténèbres étaient donc sur l'abîme avant que leurs péchés ne soient remis. Mais l'Esprit de Dieu planait sur les eaux. Ils sont descendus dans l'eau et sur les eaux planait l'Esprit Saint. Les ténèbres du péché ont été chassées. Voici le Jour que fit le Seigneur. C'est le jour dont parle l'Apôtre : « Autrefois vous étiez ténèbres, maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur », ténèbres en vous, lumière dans le Seigneur.

       Thomas n'était-il pas un des disciples, un homme de la foule pour ainsi dire ? Ses frères lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur. » Et lui : « Si je ne touche pas, si je ne mets pas mon doigt dans son côté, je ne croirai pas. » Les évangélistes t'apportent la nouvelle, et toi tu ne crois pas ? Le monde a cru et le disciple n'a pas cru ? Leurs paroles se sont répandues, elles sont parvenues jusqu'aux confins du monde et le monde entier a cru... et lui ne croit pas. Il n'était pas encore devenu ce Jour qu'a fait le Seigneur. Qu'il vienne donc, lui qui est le point du Jour, qu'il vienne et qu'il dise avec patience, avec douceur, sans colère, lui qui guérit : Viens, viens, touche ceci et crois. Tu as déclaré : si je ne touche pas, si je ne mets pas mon doigt, je ne croirai pas. Viens, touche, mets ton doigt et ne sois plus incrédule, mais fidèle. Je connaissais tes blessures, j'ai gardé pour toi ma cicatrice.

       Mais, en approchant sa main, Thomas peut pleinement compléter sa foi. Quelle est, en effet, la plénitude de la foi ? De ne pas croire que le Christ est seulement homme, de ne pas croire non plus que le Christ est seulement Dieu, mais de croire qu'il est homme et Dieu. Telle est la plénitude de la foi. Ainsi le disciple auquel son Sauveur donnait à toucher les membres de son corps et ses cicatrices  s'écrie : « Mon Seigneur et mon Dieu. » II a touché l'homme, il a reconnu Dieu. Il a touché la chair, il s'est tourné vers la Parole, car « la Parole s'est faite chair et elle a habité parmi nous ». La Parole a souffert que sa chair soit suspendue au bois ; la Parole a souffert que des clous soient fixés dans sa chair, la Parole a souffert que sa chair soit transpercée par la lance ; la Parole a souffert que sa chair soit mise au tombeau. La Parole a ressuscité sa chair, l'a montrée aux yeux de ses disciples, s'est prêtée à être pressée de leurs mains. Ils touchent, ils crient : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Voici le Jour que fit le Seigneur...

 

Troisième dimanche de Pâques

 

 

 

Voici que, ce même jour, deux d'entre eux faisaient route vers un village

du nom d'Emmaüs, distant de Jérusalem de soixante stades

Luc 24, 13

 

 

Sermon de saint Grégoire le Grand, pape

 

       Frères très chers, deux disciples faisaient route ensemble. Ils ne croyaient pas dans le Seigneur, mais ils parlaient de lui quand, soudain, ils le rencontrèrent sous un aspect qu'ils ne purent reconnaître. Le Seigneur rendit sensible à leurs yeux de chair la contradiction qui frappait intérieurement les yeux de leur cœur. Les disciples étaient partagés en effet entre l'amour et le doute ; le Seigneur paraît auprès d'eux, mais ne se laisse pas reconnaître. Ils parlaient de lui : il vient à leur rencontre. Us doutaient de lui, il leur cache ses véritables traits. Il leur parle et leur reproche l'endurcissement de leur cœur, puis leur dévoile dans l'Écriture les mystères qui le concernaient. Mais, comme il n'était qu'un étranger à leur cœur sans foi, il feignit de poursuivre sa route... Louons les disciples d'avoir su alors donner leur amitié à ce pèlerin, eux qui ne pouvaient encore en lui aimer Dieu.

       Les disciples apprêtent donc la table, ils lui donnent à manger, et ce Dieu qu'ils n'ont pas reconnu dans la méditation des saints livres, voici qu'ils le découvrent dans la fraction du pain. Ils ne furent pas éclairés en écoutant les commandements de Dieu, ils le furent en les accomplissant : « Ce ne sont pas les auditeurs de la Loi qui sont justes aux yeux de Dieu, mais ceux qui la pratiquent qui sont justifiés. » Voulez-vous comprendre les paroles que vous avez écoutées ? Hâtez-vous de mettre en pratique ce que vous avez pu déjà en comprendre. Le Seigneur ne s'est pas laissé connaître en parlant, il s'est découvert en mangeant.

       Aimez donc l'hospitalité, frères très chers, aimez les œuvres de l'amitié. C'est d'elles que Paul nous dit : « Persévérez dans l'amour fraternel, ne négligez pas l'hospitalité, c'est grâce à elle, sans le savoir, que certains ont hébergé des anges. » C'est d'elles que Pierre nous dit : « Pratiquez sans murmurer l'hospitalité entre vous. » C'est d'elles que la Vérité en personne vous dit : « J'étais étranger et vous m'avez accueilli. » Frères, à vos tables, accueillez le Christ afin que lui-même vous accueille à ses festins d'éternité. Donnez l'hospitalité à Jésus-Christ, l'étranger, afin qu'il ne vous regarde pas comme des étrangers, mais vous reçoive en son Royaume comme ses frères, par sa grâce, lui qui vit et règne, car il est Dieu, dans les siècles des siècles.

 

Troisième dimanche de Pâques

 

(Année C)

 

 

Sermon de saint Pierre Chrysologue, évêque

 

       II y eut un matin. Et Jésus se tint sur le bord du rivage et ses disciples ne reconnurent pas Jésus. L'univers avait été tellement ébranlé en ses bases et son ordre bouleversé qu'il croyait être ramené par la mort du Seigneur aux ténèbres originelles et à l'antique chaos. Alors, le Seigneur, par la lumière de sa résurrection, ramena le jour et reforma le monde entier en un seul corps afin de ressusciter avec lui dans la gloire celui qu'il avait vu tellement ébranlé par la Passion. Selon la parole de l'Évangéliste : « Et il y eut un matin », c'est-à-dire la nuit de la Passion étant achevée, « Jésus se tint sur le rivage » pour ramener toutes choses à leur fin originelle, affermir ce qui était branlant, arrêter l'agitation, apaiser le trouble, stabiliser par sa station debout les fondements ébranlés de l'univers, ramener dans le service du Seigneur le monde qui s'était disloqué devant les injures qu'on avait fait subir au Christ.

       « II y eut un matin, et Jésus se tint sur le rivage », afin que l'Église dans laquelle les disciples étaient secoués par les flots de la mer retrouve sa stabilité dans la foi. Jésus trouve, en effet, ses disciples sans vigueur dans leur foi et dénués de force et de courage. C'est pourquoi, il les appelle « petits ». « Petits, avez-vous quelque chose à manger? » Ces petits, ce sont : Pierre qui avait nié, Thomas qui avait douté, Jean qui avait fui. Il les appelle petits, car ils ne sont pas des soldats très vaillants, mais des faibles et ceux qu'il ne trouve pas encore assez armés pour la lutte, il les appelle à table comme des petits : « Petits, avez-vous quelque chose à manger ? », pour que son humanité les ramène à la grâce, le pain à la confiance, la nourriture à la foi. Ils ne croiraient pas à son corps ressuscité s'ils ne le voyaient manger comme un homme. Et lui qui nourrit toute créature demande à manger ; lui le pain, mange, car il n'a pas faim de leurs plats, mais de leur amour.

       Le disciple que Jésus aimait dit : « C'est le Seigneur. » Celui qui est aimé voit le premier car l'œil de l'amour voit toujours mieux et celui qui est aimé sent toujours plus vivement. « Pierre, continue l'Évangile, lorsqu'il eut entendu... » Qu'est-ce qui retarde ainsi l'esprit de Pierre pour qu'il doive entendre d'un autre le Seigneur, lui qui avait coutume de l'annoncer aux autres ? Où donc est sa belle confession : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant »? Il avait fui dans la maison de Caïphe, le Prince des juifs, et il tardait à voir son Seigneur, lui qui avait si bien entendu les chuchotements de la servante. « Quand il entendit que c'était le Seigneur, il prit une tunique car il était nu. » Pierre, après sa chute, comme Adam, cherche à cacher sa nudité, il se revêt d'une tunique et se jette à la mer comme pour s'y laver des souillures de son reniement. Et, ainsi, il fut le premier à revenir, lui qui était le premier dans l'ordre des Apôtres.

 

Quatrième dimanche de Pâques

 

 

 

Moi, je suis venu pour qu'on ait la vie et qu'on l'ait surabondante

jean 10, 10 b

 

 

Sermon de saint Basile de Séleucie, évêque

 

       Abel, le premier pasteur, fit l'admiration du Seigneur qui accueillit volontiers son sacrifice et préféra encore le donateur au don qu'il lui faisait. L'Écriture vante aussi Jacob, paissant les troupeaux de Laban, notant les peines qu'il prit pour ses brebis : « J'ai été dévoré par la chaleur pendant le jour et par le froid durant la nuit. » Et Jacob se tenait vigilant, prêt à se battre pour la sécurité de son troupeau. Et Dieu récompensa cet homme de son labeur. Berger, Moïse le fut lui aussi, sur les montagnes de Madian où il gardait les troupeaux de Jéthro, après son séjour en Egypte, aimant mieux être maltraité avec le peuple de Dieu que de connaître la jouissance éphémère du péché. Dieu, admirant ce choix, se laissa voir de lui en récompense. Et après la vision, Moïse n'abandonne pas son office de pasteur, mais de son bâton commande aux éléments et fait paître le peuple d'Israël, son compagnon de servitude. David, la lyre de l'Esprit, fut lui aussi pasteur... mais son bâton de berger fut changé en sceptre royal et il reçut le diadème : après l'onction de Samuel, la grâce l'investit et l'Esprit de grâce se répandit sur lui avec l'huile. Ne t'étonne pas si tous ces bons bergers sont près de Dieu. Le Seigneur lui-même ne rougit pas d'être appelé « pasteur » : « Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien », « Pasteur d'Israël, écoute, toi qui conduis Joseph comme un troupeau. » Dieu ne rougit pas de paître les hommes, pas plus qu'il ne rougit de les avoir créés.

       Mais regardons maintenant notre berger, le Christ ; voyons son amour pour les hommes et sa douceur pour les conduire au pâturage. Il se réjouit des brebis qui l'entourent comme il cherche celles qui s'égarent. Monts ni forêts ne lui font un obstacle ; il court dans la vallée de l'ombre pour parvenir jusqu'à l'endroit où se trouve la brebis perdue. L'ayant trouvée malade, il ne la méprise pas, mais la soigne, et, la prenant sur ses épaules, il guérit par sa propre fatigue la brebis fatiguée. Sa fatigue le remplit de joie, car il a retrouvé la brebis perdue, et cela le guérit de sa peine : « Lequel d'entre vous, dit-il, s'il a cent brebis et vient à en perdre une, n'abandonne les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour s'en aller auprès de celle qui est perdue, jusqu'à ce qu'il l'ait retrouvée ? » La perte d'une seule brebis trouble la joie du troupeau rassemblé, mais la joie des retrouvailles chasse cette tristesse :  « Quand il l'a retrouvée, il assemble amis et voisins et il leur dit : Réjouissez-vous avec moi, car j'ai retrouvé ma brebis qui était perdue. » C'est pourquoi le Christ, qui est ce berger, disait : « Je suis le bon pasteur. » « Je cherche la brebis perdue, je ramène celle qui est égarée, je panse celle qui est blessée, je guéris celle qui est malade. »

       « Je suis le bon pasteur. Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. » Pilate a vu ce pasteur, les juifs l'ont vu, conduit à la croix pour son troupeau, comme le chœur des Prophètes qui, bien avant la Passion, annonçaient clairement : « Comme un agneau il est conduit à la boucherie, comme devant les tondeurs une brebis muette. » II ne refuse pas la mort, il ne fuit pas le jugement, il ne repousse pas ceux qui le crucifient. Il n'a pas subi la Passion, il l'a voulue pour ses brebis : « J'ai le pouvoir de déposer ma vie, dit-il, et le pouvoir de la reprendre. » II détruit la passion par sa Passion, la mort par sa mort ; par son tombeau, il ouvre les tombeaux, il ébranle les enfers, il en fait sauter les verrous. Les tombeaux sont scellés et la prison fermée tant que le Berger ne descend dans la mort pour y annoncer la libération à celles de ses brebis qui sont endormies. On le voit aux enfers ; il donne l'ordre d'en sortir. On le voit renouveler là l'appel à la vie. « Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis » : c'est ainsi qu'il cherche l'amour de ses brebis. Aime le Christ celui qui sait entendre sa voix.

 

Cinquième dimanche de Pâques

 

 

 

Jésus lui dit : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie.

Nul ne vient au Père que par moi »

jean 14, 6

 

 

Sermon de saint Hilaire de Poitiers, évêque

 

       Quelle est en nous l'action de l'Esprit ? Écoutons les paroles du Seigneur lui-même : « J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant. Il vous est bon que je m'en aille, car si je m'en vais, je vous enverrai un avocat. » II dit encore : « Je prierai le Père et il vous enverra l'Avocat pour qu'il soit avec vous à jamais, l'Esprit de vérité qui vous conduira à la vérité tout entière ; car il ne parlera pas de lui-même, mais tout ce qu'il entendra, il vous le dira, et il vous annoncera les choses à venir. » En ces mots, nous sont révélés la volonté du donateur, ainsi que la nature et le rôle de celui qu'il nous donne. Car notre infirmité n'étant capable de connaître ni le Père ni le Fils, et difficile notre Foi en l'Incarnation de Dieu, le don de l'Esprit nous illumine, se faisant notre allié par son intercession.

       « Dieu est esprit », dit le Seigneur à la Samaritaine. En effet, après qu'il lui eut annoncé l'eau vive et parlé de ses cinq maris, cette femme lui dit : « Seigneur, je vois que tu es un Prophète. Nos Pères ont adoré sur cette montagne, mais vous, vous dites que c'est à Jérusalem qu'il faut adorer. » Jésus lui répond alors : « Crois-moi, l'heure est venue où les vrais adorateurs adoreront le Père dans l'Esprit et en vérité, car Dieu est esprit. » Puisque Dieu est invisible, incompréhensible et immense, ce n'est ni sur une montagne, ni dans un temple que Dieu doit être adoré. « Dieu est esprit » et un esprit ne peut être circonscrit, ni tenu en main, car, par la puissance de sa nature, il est partout et n'est absent d'aucun lieu, lui qui par tout lui-même surabonde en toutes choses. C'est pourquoi il faut adorer dans l'Esprit le Dieu qui est esprit. Dire que « Dieu est esprit », ce n'est pas enlever à l'Esprit Saint son nom et sa nature de « don ». En effet, l'Esprit Saint reçoit ce nom pour manifester la fonction qui lui est propre, tandis que Dieu est dit « esprit » pour exprimer son excellence. A cette femme qui voulait enclore Dieu dans un temple ou une montagne, le Christ enseigne que le Dieu-esprit doit être adoré dans l'Esprit, manifestant si bien la nature du Don qu'il fait éclater l'infinité de celui qui doit être adoré.

       Que cessent ici les argumentations de ceux qui refusent l'Esprit, Écoutons plutôt avec eux ce que nous dit l'Apôtre : « Puisque nous sommes fils de Dieu, celui-ci a envoyé dans nos cœurs l'Esprit de son Fils qui s'écrie : Abba ! Père ! » Oui ! il existe, et il nous est donné, et nous le possédons, et il est Dieu ! L'Esprit Saint est un, partout répandu, illuminant tous les Prophètes, les patriarches et tous les choreutes de la Loi, inspirant Jean dès le sein de sa mère, répandu enfin sur les Apôtres et tous les croyants pour qu'ils connaissent la vérité qui leur est donnée par grâce. Le Don qui est dans le Christ s'offre tout entier et le même à tous. Il ne manque nulle part, mais il est donné à chacun pour autant qu'il veut le recevoir. Cet Esprit Saint est avec nous jusqu'à la consommation des siècles, il est notre consolation dans l'attente, il est le gage des biens de l'espérance à venir, il est la lumière de nos esprits, il est la splendeur de nos âmes.

 

Sixième dimanche de Pâques

 

 

 

Je prierai le Père et il vous donnera un autre Paraclet,

pour qu'il soit avec vous à jamais

jean 14, 16

 

 

Sermon de saint Augustin, évêque

 

       Nous devons aujourd'hui expliquer ces paroles du Seigneur : « Si vous demandez quelque chose au Père en mon Nom, il vous l'accordera. » « En mon Nom » : par ces mots il faut entendre non pas une manière toute matérielle de nommer le Seigneur, mais le sens véritable de ce nom. Celui qui pense donc au sujet du Christ des choses qui ne conviennent pas au Fils unique de Dieu ne prie pas en son nom, même s'il le nomme matériellement. Celui, au contraire, qui a de lui les sentiments qui conviennent, celui-là prie en son nom et reçoit ce qu'il demande pourvu qu'il ne demande rien de contraire à son salut. Et il reçoit ce qu'il demande au moment opportun. Certaines demandes ne sont pas refusées, mais différées pour un moment plus convenable.

       « Demandez et vous recevrez afin que votre joie soit parfaite. » Ce qu'il appelle la joie parfaite n'est pas une joie selon la chair, mais la joie de l'esprit. Elle sera telle lorsque rien ne pourra y être ajouté : ce sera alors la joie parfaite. Nos demandes qui ont trait à cette joie doivent être faites au nom du Christ, si nous comprenons ce qu'est la grâce divine, si nous recherchons vraiment la vie bienheureuse.

       « Je vous ai dit toutes ces choses en paraboles. L'heure vient où je ne vous parlerai plus en paraboles, mais où je vous parlerai ouvertement de mon Père. » Je dirais volontiers que l'heure dont il s'agit est le monde à venir où nous le verrons clairement, ou, comme dit l'Apôtre « face à face ». « Je vous ai dit ces choses en paraboles » reviendrait au même que ces mots de l'Apôtre : « Nous voyons maintenant dans un miroir, d'une manière confuse. » « Je vous parlerai ouvertement de mon Père » parce que le Père sera vu par le Fils selon ce qu'il dit ailleurs : « Personne ne connaît le Père si ce n'est le Fils et celui à qui le Fils voudra le révéler. » Mais la suite paraît interdire une telle interprétation : « En ce jour-là vous demanderez en mon nom. » Dans le monde à venir, quand nous serons entrés dans le Royaume, quand nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu'il est, que pourrions-nous bien demander quand notre désir sera comblé ? Dans un psaume il est bien dit : je serai comblé lorsque ta gloire apparaîtra. La demande manifeste toujours une certaine indigence, mais il ne saurait y avoir d'indigence, là où tout désir sera comblé.

       « Le Père lui-même vous aime parce que vous m'aimez. » Nous aime-t-il donc parce que nous l'aimons ou bien l'aimons-nous parce qu'il nous aime ? C'est l'évangéliste lui-même qui nous donne la réponse dans son épître : Nous l'aimons, dit-il, parce qu'il nous a aimés le premier. Voilà d'où vient que nous l'aimons : c'est que nous sommes aimés. C'est un don de Dieu d'aimer Dieu. Lui-même nous permet de l'aimer, lui qui nous a aimés alors que nous ne l'aimions pas. Nous avons été aimés alors que nous étions loin d'être aimables, afin qu'il y ait en nous quelque chose d'aimable. Le Père nous aime parce que nous aimons le Fils. Le Père et le Fils nous ont donné l'amour pour les aimer. L'Esprit du Père et du Fils a répandu l'amour en nos cœurs et par cet Esprit nous aimons le Père et le Fils et cet Esprit nous l'aimons avec le Père et le Fils. Dieu est donc l'auteur de cet amour saint par lequel nous l'aimons et il a vu que cela était bon. C'est pourquoi il a aimé ce qu'il a fait. Mais il n'aurait pas fait en nous ce qu'il aimait s'il ne nous avait aimés avant de le faire.

 

Vigile de l'Ascension

 

 

 

Ayant ainsi parlé, Jésus leva les yeux au ciel et dit : « Père, l'heure est venue,

glorifie ton Fils pour que ton Fils te glorifie. »

jean 17, 1

 

 

Sermon de saint Augustin, évêque

 

       II en est qui pensent que le Fils a été glorifié par le Père en ce qu'il ne l’a pas épargné, mais qu'il l'a livré pour nous tous. Mais s'il a été glorifié en sa Passion, combien plus en sa résurrection ! Dans sa Passion, son humilité apparaît plus que sa splendeur, comme en témoigne l'Apôtre lorsqu'il dit : « II s'humilia lui-même et se fit obéissant jusqu'à la mort et à la mort de la croix. » Puis il dit de sa glorification : « Aussi Dieu l'a exalté et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse aux cieux, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame de Jésus qu'il est le Seigneur, dans la gloire de Dieu le Père. » Voilà la glorification de notre Seigneur Jésus-Christ qui commença à sa résurrection. Afin donc que le médiateur entre Dieu et les hommes, l'homme Jésus-Christ soit glorifié en sa résurrection, il fut d'abord humilié en sa Passion. « Père, l'heure est venue, glorifie ton Fils » ; l'heure est venue de semer l'humiliation ne diffère pas le fruit de gloire.

       Aucun chrétien ne doute et il est évident que le Fils a été glorifié selon la forme d'esclave que le Père a ressuscitée et a fait asseoir à sa droite. Mais le Seigneur ne dit pas seulement : « Père, glorifie ton Fils », il ajoute : « pour que ton Fils te glorifie ». On demande, et avec raison, comment le Fils a glorifié le Père... En effet, la gloire du Père, en elle-même, ne peut ni croître ni diminuer. Elle était, cependant, moindre auprès des hommes lorsque Dieu n'était connu qu'en Juda et que les serviteurs ne louaient pas le nom du Seigneur du lever au coucher du soleil. Cela s'est produit par l'Évangile du Christ qui a fait connaître aux nations le Père par le Fils : ainsi le Fils a glorifié le Père. Si le Fils n'avait fait que mourir et n'était pas ressuscité, il n'aurait pas été glorifié par le Père ni le Père par lui ; maintenant, glorifié par le Père en sa résurrection, il glorifie le Père par la prédication de sa résurrection. Cela apparaît dans l'ordre même des mots : « Père, glorifie ton Fils pour que ton Fils te glorifie », comme s'il disait : ressuscite-moi, afin que par moi tu te fasses connaître à tout l'univers.

       Dès cette vie, Dieu est glorifié lorsque la prédication le fait connaître aux hommes et qu'il est prêché par la foi de ceux qui croient en lui. C'est pourquoi le Seigneur dit : « Je t'ai glorifié sur la terre et j'ai achevé l'œuvre que tu m'avais donnée pour que je l'accomplisse. » Le Fils a glorifié le Père en le prêchant aux nations, le Père a glorifié le Fils en le plaçant à sa droite.

       « J'ai manifesté ton nom aux hommes... », ces paroles comprennent, dans la pensée du Sauveur, tous ceux qui devaient croire en lui comme membres de cette grande Église qui devait être composée de toutes les nations et dont le psalmiste a dit : « Je te rendrai grâces dans la grande Église » ; c'est vraiment, alors, cette glorification par laquelle le Fils rend gloire au Père en répandant la connaissance de son nom parmi les nations et aux innombrables générations humaines.

       « J'ai manifesté ton nom aux hommes... », non pas ce nom de Dieu, mais celui de Père. Ce nom-là ne pouvait être manifesté sans la manifestation du Fils. Il n'est aucun peuple en effet qui, avant même de croire en Jésus-Christ, n'ait eu une connaissance quelconque de Dieu comme étant Dieu de toute créature. Telle est, en effet, la puissance de la divinité véritable qu'elle ne peut être absolument cachée à une créature spirituelle qui veut faire usage de son esprit. Dieu était donc connu dans toutes les nations avant même qu'elles aient embrassé la foi en Jésus-Christ ; il était connu en Juda comme le Dieu dont le service ne pouvait être confondu, sous peine d'injure, avec celui des idoles. Mais le nom de Père de Jésus-Christ, par lequel il enlève le péché du monde, n'était nullement connu et c'est celui que le Seigneur manifeste à ceux que son Père lui a donnés.

 

Ascension

 

 

PREMIÈRE LEÇON

 

 

Sermon de saint Épiphane, évêque

 

       La parure du corps, c'est la tête. La parure des fêtes, c'est celle que nous célébrons aujourd'hui. Nous fêtons l'Ascension selon la chair de notre Seigneur Jésus-Christ. C'est le sceau de toutes les fêtes du Seigneur. Elle parfait la beauté de l'économie du Seigneur en lui donnant un terme.

       La première des fêtes, selon leur ordre, est la naissance admirable du Christ selon la chair. Qui ne voit de quelles louanges, de quelle admiration doit être entourée la descente vers nous du Grand Dieu, sa descente, mais bien plus sa condescendance ! Qui donc ne saurait admirer que le Seigneur de toutes choses ait pris la forme de l'esclave ?

       Après la naissance vient la Théophanie ou Epiphanie qui ouvre nos yeux sur le mystère du Christ.

Mais cette fête elle-même ne met pas son comble à notre joie : le corps mortel du Christ n'a pas encore revêtu l'immortalité par la glorieuse résurrection. La troisième des fêtes est donc la Résurrection qui suit de près la Passion salutaire. Cette fête donne la vie à ceux qui, par le baptême, ont été illuminés par le sang du Christ, par elle, le monde qui s'était écroulé est relevé, par elle, Adam tombé reçoit en partage la vie éternelle.

       Mais la joie n'est pas encore parfaite : il y a encore Pentecôte où l'Esprit Saint, dans l'allégresse, est donné aux Apôtres.

       Mais la plus grande des fêtes, celle devant laquelle tout discours n'est qu'un balbutiement, c'est l'Ascension, torrent de délices, et comble de la joie.

       Aujourd'hui, le Christ ouvre la porte des cieux ruisselants de lumière. Venez donc contempler ce cocher qui traverse les cieux des cieux. Personne, pas même Élie, n'était monté aux cieux, mais celui-là seul qui le dit clairement : « Personne ne monte au ciel si ce n'est le Fils de l'homme qui est au ciel. » Ce bon pasteur qui avait laissé sur les montagnes les quatre-vingt-dix-neuf brebis, c'est-à-dire les anges, pour venir chercher la brebis perdue, la ramène aujourd'hui sur ses épaules et s'écrie : « Père, j'ai trouvé la brebis que le serpent avait induite en erreur. Sur les chemins de son errance, je l'ai vue salie par la boue du péché, je l'ai saisie par la main de ma divinité, je l'ai relevée à la hâte poussé par l'amour de mon cœur, je l'ai lavée dans le Jourdain, parfumée de l'onction de mon Esprit. Maintenant, ressuscité, me voici, j'offre à ta divinité ce don digne de toi, la brebis retrouvée. »

 

 

DEUXIÈME LEÇON

 

De la liturgie syrienne

 

Au jour de ton Ascension, ô Roi Christ, les anges et les hommes te crient :

Tu es saint, Seigneur, car tu es descendu et tu as sauvé Adam, l'homme fait de poussière, de l'abîme de la mort et du péché ; et par ton Ascension sainte, ô Fils de Dieu, les cieux et la terre ont été pacifiés.

Gloire à celui qui t'a envoyé !

L'Église a vu son époux dans la gloire,

Et elle a oublié les souffrances endurées au Golgotha ;

Au lieu du faix de la croix qu'il portait

C'est une nuée de lumière qui le porte.

Voici qu'il s'élève, vêtu de splendeur et de gloire.

Un grand prodige s'accomplit aujourd'hui au mont des Oliviers :

Qui est capable de le narrer ?

L'assemblée aimante s'y rassemble pour voir monter son maître.

Il était descendu à la recherche d'Adam,

Et après avoir retrouvé celui qui était perdu, il l'a porté sur ses épaules et avec gloire il l'a introduit au ciel avec lui.

Il est venu et il nous a montré qu'il était Dieu ;

II a revêtu un corps et il a montré qu'il était homme ; il est descendu aux enfers et il a montré qu'il était mort ; il est monté et a été exalté et il a montré qu'il était grand.

Bénie soit son exaltation !

Au jour de sa naissance, Marie se réjouit, au jour de sa mort, la terre tremble, au jour de sa résurrection, l'enfer s'afflige, au jour de son ascension, le ciel exulte.

Bénie soit son Ascension !

 

 

TROISIÈME LEÇON

 

Sermon de saint Bernard, abbé

 

       « Hommes de Galilée, que faites-vous là à regarder le ciel ? Ce Jésus qui a été emporté là-haut, loin de vous, reviendra de la même manière que vous l'avez vu partir pour le ciel. » II reviendra ainsi, disent-ils : s'agit-il donc de cette venue, aussi singulière qu'universelle, dans laquelle, précédé par les anges, suivi de tous les hommes, il descendra pour juger les vivants et les morts ? Oui il viendra de la sorte ; mais ce sera comme il est monté, non comme il est descendu : humble, il est venu afin de sauver les hommes ; sublime, il viendra pour ressusciter le cadavre et le rendre semblable à son corps  glorieux... On le verra alors dans toute sa puissance et dans sa majesté, lui qui jadis s'était caché dans la faiblesse de la chair... Entre-temps, il est emporté à la droite du Père et il se tient pour nous devant sa face... Étant Dieu, le Christ ne pouvait grandir, car il n'y a rien au-delà de Dieu. Il a cependant trouvé le moyen de croître, et ce fut en descendant, en venant s'incarner, souffrir, mourir pour nous éviter la mort éternelle. Aussi Dieu l'a exalté. Jésus est ressuscité, il est monté, il s'est assis à la droite de Dieu. Va, et fais de même.

       Heureux, Seigneur Jésus, celui dont tu es partout le guide ! Puissions-nous, nous ton peuple et les brebis de ton pâturage, te suivre, aller par toi à toi, parce que tu es la voie, la vérité, la vie. La voie par l'exemple, la vérité par tes promesses, la vie : car c'est toi notre récompense. Tu as les paroles de la vie éternelle, nous savons, nous, et nous croyons que tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant, Dieu lui-même, plus haut que toutes choses, béni à jamais.

 

Septième dimanche de Pâques

 

 

 

La vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ

jean 17, 3

 

 

Sermon de saint Grégoire de Nazianze, évêque

 

       Dieu n'a pas voulu que ses bienfaits nous fussent imposés de force, mais qu'ils fussent reçus volontairement. Aussi a-t-il agi comme un pédagogue ou un médecin, supprimant quelques traditions ancestrales, en tolérant d'autres... Ainsi, par des changements partiels, les hommes se sont trouvés comme furtivement entraînés vers l'Évangile. L'Ancien Testament a clairement manifesté le Père, obscurément le Fils. Le Nouveau a révélé le Fils et fait entendre la divinité de l'Esprit. Aujourd'hui, l'Esprit vit parmi nous et se fait plus clairement connaître. Il eût été périlleux, en effet, alors que la divinité du Père n'était point reconnue, de prêcher ouvertement le Fils ; et tant que la divinité du Fils n'était point admise, d'imposer, si j'ose dire, en surcharge, le Saint-Esprit. On eût pu craindre que, comme des gens chargés de trop d'aliments ou comme ceux qui fixent sur le soleil des yeux encore débiles, les fidèles ne perdissent cela même qu'ils avaient déjà acquis. Il fallait, au contraire, par des additions partielles et, comme dit David, par des ascensions de gloire en gloire, que la splendeur de la Trinité rayonnât progressivement.

       C'est pour cette raison que l'Esprit se communique progressivement aux Apôtres selon leurs forces. Suivant qu'on est aux premiers temps de l'Évangile, après la Passion ou après l'Ascension, il perfectionne leurs aptitudes, il leur est insufflé, il leur apparaît enfin sous forme de langues de feu. D'ailleurs Jésus ne révèle l'Esprit que peu à peu : il dit d'abord : « Je prierai le Père et il vous enverra un autre Paraclet, l'Esprit de Vérité. » II s'exprime de la sorte pour que les Apôtres ne le croient pas en désaccord avec Dieu le Père ou sous l'influence d'une puissance étrangère. Il dit ensuite : « Le Père l'enverra, mais en mon nom. » II laisse ainsi de côté la demande pour retenir seulement que le Père enverra l'Esprit. Puis : « je l'enverrai », montrant ainsi sa propre autorité. Et « il viendra », montrant ainsi la puissance de l'Esprit.

       Voici maintenant une foule de témoignages qui prouveront, au moins à ceux qui ne sont pas fous ou trop étrangers à l'Esprit, que sa divinité se trouve fréquemment dans l'Écriture. Regarde : le Christ naît, l'Esprit le précède. Il est baptisé, l'Esprit rend témoignage. Il est tenté, l'Esprit le fait revenir en Galilée. Il accomplit des miracles, l'Esprit l'accompagne. Il est élevé au ciel, l'Esprit lui succède.

       II est l'Esprit qui crée, recrée par le baptême et la résurrection, il est l'Esprit qui connaît toutes choses, qui enseigne, qui souffle où il veut et comme il veut, qui conduit, qui parle, qui envoie, qui met à part certains Apôtres, qui s'irrite, qui est tenté, qui révèle, qui illumine, qui donne la vie ou plutôt qui est lui-même lumière et vie. Il fait de nous ses temples, il nous divinise, il est notre perfection, si bien qu'il précède le baptême et qu'on a besoin de lui aussi après le baptême. Il fait tout ce que fait Dieu, il est manifesté sous forme de langues de feu, il distribue ses dons, il fait les Apôtres, les Prophètes et les Évangélistes, il est intelligent, multiple, clair, pénétrant et pur, il ne connaît pas d'obstacle, il est la Sagesse Très Haute, il manifeste son action sous mille formes, il explique tout, il révèle tout... Je ne puis me contenter des comparaisons et des images d'un aussi grand mystère ; je ne trouve aucune image qui me satisfasse pleinement... Il faudrait avoir la sagesse de n'emprunter à ces images que certains traits en rejetant le reste. Aussi, ai-je fini par me dire qu'il valait mieux abandonner mes images et les ombres qui sont trompeuses et demeurent trop loin de la vérité. Je préfère m'attacher aux pensées plus conformes à la foi, me contenter de peu de mots et prendre pour guide l'Esprit, pour garder jusqu'à la fin la lumière que j'ai reçue de lui. Il est mon ami, mon intime et je passe dans la vie présente en invitant les autres, autant que je le puis, à adorer le Père, le Fils et l'Esprit Saint.

 

Vigile de Pentecôte

 

 

 

Le dernier jour de la fête, le grand jour, Jésus, debout,

s'écria : « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi, et qu'il

boive, celui qui croit en moi ! »

jean 7, 37

 

 

Sermon de saint Basile de Césarée, évêque

 

       Qui donc, en entendant les noms de l'Esprit, ne sent bondir son cœur et n'élève son esprit vers la nature qui surpasse tout ? On le dit Esprit de Dieu, Esprit de vérité, qui procède du Père, Esprit de rectitude, Esprit qui régit tout, Esprit Saint, enfin, son nom par excellence. Vers lui se tournent tous ceux qui cherchent la sanctification, vers lui s'élance le désir des saints qui sont comme rafraîchis par son souffle. Capable de parfaire les autres, lui-même ne manque de rien ; il n'est pas un vivant qui doit refaire ses forces mais le chorège de la vie. Il ne s'accroît pas, mais il est plénitude, parfait en lui-même et partout présent. Source de sanctification, lumière spirituelle, il fournit à tout esprit pour la découverte de la vérité un certain dévoilement lumineux. Inaccessible par nature, il se laisse comprendre à cause de sa bonté, il remplit tout de sa puissance, mais ne se communique qu'à ceux qui en sont dignes, non pas suivant une mesure unique, mais distribuant son opération à proportion de la foi.

       Simple dans sa nature, multiple et multiforme en ses manifestations, présent tout entier à chacun et tout entier partout. Comme un rayon de soleil dont la grâce est présente à celui qui en jouit comme s'il était seul à le percevoir, alors qu'il illumine la terre et la mer et les airs, l'Esprit se donne à chacun et à tous... et ceux qui en ont part en jouissent autant qu'ils en sont capables, sans épuiser cependant ses possibilités. Se purifier de la laideur pétrie par le vice, revenir à la beauté de sa nature, restituer à l'image royale sa forme originelle par la pureté, voilà la condition pour s'approcher du Paraclet. Et lui, comme un soleil emplissant des yeux très purs, te montrera en sa lumière l'Image du Dieu invisible, et dans la contemplation de cette Image tu verras la beauté du Principe devant laquelle s'arrêtent tous les mots.

       Par lui, nous élevons notre cœur, il conduit les faibles par la main, il est le terme vers lequel tendent les parfaits. Illuminant ceux qui se sont lavés de toute souillure, il les rend spirituels par la communion avec lui. Et comme des miroirs reflètent la lumière qu'ils ont reçue, ainsi ceux qui portent l'Esprit, impressionnés par lui, deviennent spirituels et répandent la grâce sur les autres. C'est de là que tout découle : la connaissance des choses à venir, la compréhension des mystères, le dévoilement de ce qui est caché, les dons des charismes la citoyenneté céleste, le chant en un même chœur avec les anges, la joie sans fin, le repos en Dieu, la ressemblance avec Dieu et enfin, le comble de nos désirs, devenir Dieu.

 

 

 

TEMPS DE LA PENTECÔTE

 

Pentecôte

 

 

PREMIÈRE LEÇON

 

 

 

Le jour de la Pentecôte étant arrivé, ils se trouvaient tous

ensemble dans un même lieu

actes 2, 1

 

 

Sermon de saint Éphrem le Syrien, diacre

 

       Les Apôtres étaient là, assis, attendant la venue de l'Esprit.

       Ils étaient là comme des flambeaux disposés et qui attendent d'être allumés par l'Esprit Saint pour illuminer toute la création par leur enseignement... Ils étaient là comme des cultivateurs portant leur semence dans le pan de leur manteau qui attendent le moment où ils recevront l'ordre de semer. Ils étaient là comme des marins dont la barque est liée au port du commandement du Fils et qui attendent d'avoir le doux vent de l'Esprit. Ils étaient là comme des bergers qui viennent de recevoir leur houlette des mains du Grand Pasteur de tout le bercail et qui attendent que leur soient répartis les troupeaux.

       « Et ils commencèrent à parler en des langues diverses selon que l'Esprit leur donnait de s'exprimer. »

       Ô cénacle, pétrin où fut jeté le levain qui fit lever l'univers tout entier. Cénacle, mère de toutes les Églises. Sein admirable qui mit au monde des temples pour la prière. Cénacle qui vit le miracle du buisson ! Cénacle qui étonna Jérusalem par un prodige bien plus grand que celui de la fournaise qui émerveilla les habitants de Babylone ! Le feu de la fournaise brûlait ceux qui étaient autour, mais protégeait ceux qui étaient au milieu de lui. Le feu du Cénacle rassemble ceux du dehors qui désirent le voir tandis qu'il réconforte ceux qui le reçoivent. Ô feu dont la venue est parole, dont le silence est lumière. Feu qui établis les cœurs dans l'action de grâces.

       Il y avait, résidant à Jérusalem, des hommes pieux venus de toutes les nations qui sont sous le ciel, rassemblés par l'Esprit. Ils entendaient parler dans leur propre langue et disaient : ces gens-là ne sont-ils pas Galiléens ? Comment parlent-ils notre langue ? Et les juifs opposés au Saint-Esprit disaient : ces gens-là ont bu du vin doux, ils sont ivres. Vraiment vous dites la vérité, mais ce n'est pas comme vous croyez. Ce n'est pas du vin des vignes qu'ils ont bu. C'est un vin nouveau qui coule du ciel. C'est un vin nouvellement pressé sur le Golgotha. Les Apôtres le firent boire et enivrèrent ainsi toute la création. C'est un vin qui fut pressé à la croix par les bourreaux. Merveille que réalise l'Esprit par sa venue ! Le Prophète avait crié : « Voici que dans les derniers jours je répandrai mon Esprit et ils prophétiseront » : le Père a promis, le Fils a exécuté et l'Esprit Saint a accompli.

 

 

DEUXIÈME LEÇON

 

 

 

Ils virent apparaître des langues qu'on eût dites de feu ; elles se partageaient, et il s'en posa une sur chacun d'eux

actes 2, 3

 

 

Sermon de saint Augustin, évêque

 

       Frères, un jour de grâces commence et la Sainte Église resplendit aux yeux de ses fidèles et réchauffe leur cœur. Soyons en fête en ce jour où le Seigneur Jésus-Christ, après sa résurrection, glorifié par son Ascension, envoya l'Esprit Saint. Il est écrit dans l'Évangile : « Si quelqu'un a soif qu'il vienne à moi et qu'il boive. Celui qui croit en moi, de son sein couleront des fleuves d'eau vive. » Et l'Évangéliste poursuit : « II disait cela de l'Esprit Saint que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui. L'Esprit n'avait pas encore été donné parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié. » II restait donc à Jésus après sa glorification et son ascension dans les cieux, à envoyer l'Esprit Saint qu'il avait promis. Le Seigneur, après sa résurrection, passa quarante jours avec ses disciples, puis il monta au ciel et le cinquantième jour, en la fête que nous célébrons, il envoya l'Esprit Saint comme il est écrit : « II se fit soudain un grand bruit comme celui d'un violent coup de vent et ils virent des langues qu'on eût dites de feu et elles se divisaient et il s'en posa une sur chacun d'eux. » Ce vent purifiait les cœurs de la paille charnelle qu'il faisait voler, ce feu brûlait le foin de l'antique concupiscence, ces langues que parlaient ceux qui étaient remplis de l'Esprit Saint préfiguraient l'Église qui se répandrait dans tous les peuples.

       Après le Déluge, l'orgueil impie des hommes dressa contre le Seigneur une tour élevée. L'humanité mérita ainsi de voir son langage éclater en des langues diverses et chacun parlait en sa propre langue sans que les autres puissent le comprendre. Aujourd'hui, l'humilité fervente des fidèles rassemble dans l'Église Une la diversité des langues : la charité rassemble ce que la discorde avait éparpillé. Les membres disloqués du genre humain sont réunis au Christ leur tête unique, ils sont fondus dans l'unité d'un seul corps par le feu de l'amour.

       Vous, frères, membres du corps du Christ, semences d'unité, fils de la paix, célébrez cette fête dans la joie, soyez sûrs de ce que vous fêtez. En vous s'accomplira ce qui était préfiguré en ces jours où l'Esprit Saint descendit. Comme alors celui qui recevait l'Esprit Saint, fût-il un seul homme, n'en parlait pas moins la langue de tous, aujourd'hui l'Église, Une par toutes les nations, parle toutes les langues. Fondés en elle, vous avez l'Esprit Saint, vous qui par aucun schisme ne vous séparez de l'Église du Christ qui parle toutes les langues. A cela vous reconnaîtrez que vous avez l'Esprit Saint si vous consentez à ce que votre esprit s'attache de toutes ses forces à l'unité par un amour vrai. Voilà le visage de l'homme chrétien catholique : si vous voulez vivre de l'Esprit Saint tenez la charité, aimez la vérité, désirez l'unité afin de parvenir à la vie éternelle. Amen.

 

 

TROISIÈME LEÇON

 

 

Tous furent alors remplis de l'Esprit Saint et commencèrent à parler en d'autres langues,

selon que l'Esprit leur donnait de s'exprimer

actes 2, 4

 

 

Sermon de saint Basile le Grand, évêque

 

       L'Esprit éclaire tous les hommes pour leur faire connaître Dieu. Il donne aux Prophètes l'inspiration, aux législateurs la sagesse... c'est lui qui opère les guérisons miraculeuses, ressuscite les morts, fait sauter les chaînes des prisonniers, c'est par lui que les étrangers sont adoptés comme des fils. Il accomplit cela par son opération divine. Il prend un publicain qui croit et en fait un évangéliste. Il vient dans un pécheur et en fait un docteur de la divinité. Trouve-t-il un persécuteur qui se repent, il le fait Apôtre des gentils, prédicateur de la foi, vase d'élection. Par lui, les faibles deviennent forts, les pauvres deviennent riches et les ignorants plus savants que les savants. Paul était malade, mais par la présence de l'Esprit, ses vêtements rendaient la santé à ceux qui les touchaient. Pierre était un homme faible, mais par la grâce de l'Esprit qui habitait en lui, son ombre guérissait les malades. Jean ne connaissait pas la science du monde, mais il a proclamé dans la puissance de l'Esprit des vérités qu'aucune science ne peut scruter. L'Esprit est au ciel et il remplit la terre. Il est partout sans être contenu nulle part. Il habite en chacun et tout entier il est avec le Père. Il n'est pas un serviteur qui distribue les bienfaits de son maître. C'est le maître qui distribue ses biens comme il l'entend. Il est écrit en effet : « n distribue à chacun ses dons comme il lui plaît. » Prions-le de nous assister et de ne jamais nous abandonner, par la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ à qui revient la gloire et la puissance dans les siècles des siècles. Amen.

 

Autres lectures pour le temps de la Pentecôte

 

 

Sermon de saint Cyrille de Jérusalem, évêque

 

       Pour quelle raison le Sauveur a-t-il appelé eau la grâce de l'Esprit ? Parce que l'eau donne à tous les corps leur subsistance, parce que l'eau produit l'herbe et fait la vie, parce que l'eau des pluies descend des cieux, parce que descendant d'une manière unique elle accomplit des œuvres diverses. Une source coule, en effet, et arrose le paradis. C'est la même pluie qui descend des cieux, elle devient blanche dans le lys, rouge dans la rosé, elle est autre dans le palmier et autre dans la vigne et toute en tous. Elle s'adapte à ceux qui la reçoivent et elle fait Pour chacun ce qui convient. Ainsi l'Esprit Saint : il est unique, simple, indivisible et, pourtant, il répartit la grâce comme il le veut. De même que le bois sec, si on l'arrose, produit des rejetons, de même une vie dans le péché, que la pénitence rend digne de l'Esprit, produit des grappes de justice.

       Quoique simple, l'Esprit produit, par l'ordre de Dieu le Père et au nom du Christ, les nombreux charismes. Il se sert de la langue de l'un pour la sagesse, il éclaire l'esprit de l'autre pour la prophétie, à un autre il donne le pouvoir de chasser les démons, à un autre d'interpréter les Écritures. Il fortifie la chasteté de l'un, il apprend à l'autre l'art d'aider les pauvres, à un autre le jeûne et l'ascèse, à un autre le mépris de ses intérêts matériels, il prépare un autre au martyre. Différent chez les différents hommes, il est toujours le même, ainsi qu'il est écrit : « A chacun est donnée la manifestation de l'Esprit en vue du bien commun. Il y a certes diversité de dons spirituels, mais c'est le même Esprit. »

       L'Esprit n'agit que pour le bien et le salut. D'abord douce est sa présence et paisible la conscience qu'on en a. Des rayons de lumière et de science annoncent sa brillante venue. Il vient avec le cœur d'un tuteur légitime. Car il vient sauver, guérir, enseigner, conseiller, fortifier, éclairer l'esprit de celui qui le reçoit et ceux des autres, par lui. Comme notre œil, s'il passe de l'obscurité à la lumière, est rempli de lumière et voit distinctement ce qu'il ne voyait pas encore, ainsi celui qui a été gratifié de la visite du Saint-Esprit a l'esprit rempli de lumière et voit, au-delà des possibilités humaines, ce qu'il ne savait pas. Il voit comme Isaïe « le Seigneur assis sur un trône élevé », il voit « celui qui siège sur les chérubins », et ce rien qu'est l'homme voit ainsi le commencement du monde et la fin du monde et le milieu des temps... car il jouit de la présence de celui qui introduit à la vraie lumière. L'homme est à l'intérieur de ses murs, mais ce qu'il sait alors s'étend au loin... On ne se lasserait pas de parler de l'Esprit Saint.

 

Sermon de saint Athanase d'Alexandrie, évêque

 

       Le Père est dit dans l'Écriture source et lumière : « Ils m'ont délaissé, moi la source d'eau vive », et encore, en Baruch : « D'où vient, Israël, que tu es dans le pays de tes ennemis ? Tu as abandonné la source de la sagesse », et selon Jean « notre Dieu est lumière ». Or, le Fils, en relation avec la source, est appelé « fleuve », car « le fleuve de Dieu, selon le psaume, est rempli d'eau », et en relation avec la lumière, il est appelé « resplendissement ». Selon Paul, en effet, il est « le resplendissement de sa gloire et l'effigie de sa substance ». Le Père est donc lumière, le Fils le resplendissement, et c'est par l'Esprit que nous sommes illuminés. « Puisse Dieu vous donner, dit Paul, un Esprit de sagesse et de révélation qui vous le fasse vraiment connaître, puisse-t-il illuminer les yeux de votre cœur. » Mais quand nous sommes illuminés, c'est le Christ qui est notre lumière, car « il était la vraie lumière qui illumine tout homme venant en ce monde ». De même, le Père étant source et le Fils fleuve, on dit que nous buvons l'Esprit : « Tous nous avons été abreuvés d'un seul Esprit », mais, abreuvés de l'Esprit, nous buvons le Christ car « ils buvaient à un rocher spirituel qui les suivait et ce rocher c'était le Christ ».

       Le Christ est le vrai Fils, et recevant l'Esprit nous devenons fils « car ce n'est pas un esprit d'esclavage que vous avez reçu pour retomber dans la crainte, mais un esprit d'adoption ». Faits fils par l'Esprit, il est clair que c'est dans le Christ que nous sommes appelés enfants de Dieu, car « à ceux qui l'ont reçu, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu ». Le Père étant le seul sage et le Fils sa sagesse, car le Christ est la force et la sagesse de Dieu, c'est en recevant l'Esprit de sagesse que nous possédons le Fils et acquérons la sagesse, et l'Esprit nous étant donné — le Seigneur disait bien : « Recevez l'Esprit Saint » — Dieu est en nous. Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous. Nous reconnaissons que nous demeurons en lui et qu'il demeure en nous à ce qu'il nous a donné de son Esprit. Et Dieu, le Père, étant en nous, le Fils est aussi en nous puisqu'il dit : « Nous viendrons, le Père et moi, et nous ferons en lui notre demeure. »

       Le Fils est la vie, il a dit : je suis la vie ; nous sommes vivifiés par l'Esprit, car « celui qui a ressuscité le Christ Jésus d'entre les morts vivifiera aussi nos corps mortels par son Esprit qui habite en nous ». Quand nous sommes vivifiés par l'Esprit, c'est le Christ qui est notre vie : « Avec le Christ, j'ai été crucifié. » « Ce n'est plus moi qui vis, mais c'est le Christ qui vit en moi... » La Sainte Ecriture nous donne donc ainsi des exemples pour que, par eux, il soit possible de parler simplement... et de croire que la sanctification qui se fait du Père par le Fils dans l'Esprit Saint est unique... Car le mystère de Dieu n'est pas livré à notre esprit par des discours démonstratifs, mais dans la foi et dans la prière pleine de respect. .. car si Paul annonçait la croix salutaire « non par des discours persuasifs, mais dans une manifestation d'Esprit et de puissance... » qui donc osera parler du mystère de la Trinité ?

 

Sermon de saint Augustin, évêque

 

       « Personne ne vient à moi si le Père qui m'a envoyé ne l'attire. » Voilà soulignée la grâce. Personne ne vient s'il n'est attiré. Si tu ne veux pas être dans l'erreur, ne Juge pas celui qu'il attire et celui qu'il n'attire pas, pourquoi il attire celui-ci et non pas celui-là. Accepte-le une bonne fois et comprends : Tu n'as pas été encore attiré, Prie pour l'être. Mais que disons-nous là, frères ? Si nous sommes attirés au Christ, nous ne croyons pas librement il nous est fait violence, notre volonté est forcée. On peut, sans y consentir entrer dans une église, sans y consentir s'approcher de l'autel, sans y consentir recevoir le sacrement. Mais pour croire, il faut consentir Si l'on croyait avec son corps, on pourrait le faire contre son gré, mais on ne croit pas avec son corps. Écoute l'Apôtre : « La foi du cœur obtient la justice » et ensuite : « De la confession des lèvres vient le salut. » Cette confession jaillit des racines du cœur. Il t'arrive d'entendre confesser quelqu'un que tu ne juges pas être un croyant. Mais tu ne dois pas appeler confessant celui qui n'est pas croyant. Car c'est cela confesser sa foi que de dire ce que l'on a dans son cœur.

       Si tu as autre chose dans le cœur que sur tes lèvres, tu parles, mais ne confesses pas ta foi. On ne peut croire au Christ avec son cœur contre son gré. C'est pourquoi lorsque tu entends : « Personne ne vient à moi si le Père ne l'attire », tu ne dois pas croire qu'il soit attiré malgré lui. Mais comment puis-je croire volontairement si je suis attiré ? C'est peu de dire volontairement, c'est par passion que tu es attiré. Que veut dire être attiré par la passion : « Mets ta joie dans le Seigneur et il comblera les désirs de ton cœur. » II y a une passion du cœur à laquelle est doux le pain du ciel. Si un poète a pu dire : « Chacun est attiré par sa passion », non par la nécessité mais la passion, non l'obligation mais la joie, combien plus nous, devons-nous dire que l'homme est attiré au Christ, lui qui se réjouit de la vérité, qui se réjouit de la béatitude, lui qui se réjouit de la justice, qui se réjouit de la vie éternelle, car tout cela est le Christ. Le corps a ses plaisirs, l'esprit a aussi les siens : comment pourrait-on dire sans cela : « Les fils des hommes espéreront à l'ombre de tes ailes. Ils seront enivrés des délices de ta maison et tu les abreuveras aux torrents de tes délices, car auprès de toi est la source de la vie et dans ta lumière nous verrons la lumière. » Donne-moi quelqu'un qui aime et il comprendra ce que je dis. Donne-moi quelqu'un rempli de désir, quelqu'un qui a faim, qui va, pèlerin dans cette solitude, qui a soif et qui désire la source de la patrie éternelle. Donne-moi celui-là et il me comprendra. Si je parle à quelqu'un au cœur sec, je parais radoter à ses yeux, comme ceux-là qui murmuraient aux paroles du Christ.

       « Ma chair est pour la vie du monde » : les fidèles du Christ connaissent le corps du Christ s'ils ne négligent pas d'être le corps du Christ. Ils deviennent le corps du Christ s'ils veulent vivre de l'Esprit du Christ. Seul le corps du Christ vit de l'Esprit du Christ. Comprenez, frères, ce que je dis ! Mon corps vit de mon esprit. Veux-tu vivre de l'Esprit du Christ : sois donc le corps du Christ. Le corps du Christ ne peut vivre sinon de l'Esprit du Christ. D'où il vient que l'Apôtre, parlant de ce pain, affirme : « Puisqu'il n'y a qu'un seul pain, à nous tous nous formons un seul corps. » Ô sacrement de l'amour, signe de l'unité, lien de la charité. Celui qui veut vivre sait où vivre et d'où vient cette vie. Qu'il ne méprise pas d'être uni aux membres, qu'il adhère au corps, qu'il vive en Dieu, de Dieu, qu'il peine sur la terre pour pouvoir régner dans le ciel.

 

Sermon du bienheureux Baudouin de Cantorbéry, évêque

 

       Frères bien-aimés, tout ce qui touche à la profession de notre vie commune, veillons-y avec soin, conservant l'unité de l'Esprit, dans le lien de la paix, par la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ, l'amour de Dieu et la communion du Saint-Esprit. De l'amour de Dieu procède l'unité de l'Esprit, de la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ le lien de la paix, de la communication du Saint-Esprit cette communion qui est nécessaire à tous ceux qui vivent en commun pour que leur vie soit vraiment commune... Quelle est cette paix qui nous est donnée par le Christ et dans le lien de laquelle est conservée l'unité de l'Esprit ? C'est l'amour mutuel par lequel nous nous aimons les uns les autres et qui ne se rompt pas si nous parlons de même et s'il n'y a pas entre nous de schismes. Le bienheureux Pierre nous en avertit : « Avant tout, ayez sans cesse cette charité. »

       Garde-moi, Seigneur, garde-moi du péché grave que je crains tant : de la haine de ton amour. Que je ne pèche pas contre l'Esprit Saint qui est amour, lien, unité, paix et concorde ; que je ne me sépare pas de l'unité de ton Esprit, de l'unité de la paix en commettant le péché qui ne sera remis ni sur terre ni plus tard. Conserve-moi,

       Seigneur, parmi mes frères et mes proches pour annoncer la paix qui vient de toi. Conserve-moi parmi ceux qui gardent l'unité de l'Esprit dans le lien de la paix... je crois, Seigneur, dans l'Esprit Saint, dans la Sainte Église catholique, dans la communion des saints. Là est mon espérance, là est ma confiance, là est ma sécurité dans la confession de ma foi : dans la bonté de l'Esprit Saint, dans l'unité de l'Église catholique, dans la communion des saints. S'il m'est donné, Seigneur, de t'aimer et d'aimer mon prochain, bien que mes mérites soient de peu, mon espérance va bien plus loin. J'espère que, par la communion de la charité, les mérites des saints me seront utiles et qu'ainsi la communion des saints suppléera à mon insuffisance et mon imperfection. Le Prophète me console en disant : De toute perfection j'ai vu le bout, comme ils sont larges tes ordres ! Ô charité large et vaste, que ta maison est grande, qu'il est vaste ton domaine.

       II y a trois communions : d'abord la communion de la nature à laquelle sont venues s'ajouter la communion de la faute et celle de la colère. Puis la communion de la grâce et enfin celle de la gloire. Par la communion de la grâce, la communion de la nature commence d'être rétablie et celle de la faute disparaît. Mais par la communion de la gloire, celle de la nature sera restaurée en mieux et celle de la colère tout à fait abolie, car Dieu essuiera alors toute larme des yeux des saints. Alors tous les saints auront comme un seul cœur et une seule âme, toutes choses leur seront communes car Dieu sera tout en tous. Pour que nous parvenions à cette communion et que nous soyons rassemblés dans l'unité, que la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ, l'amour de Dieu et la communion du Saint-Esprit soient toujours avec nous tous.

 

Sermon de saint Augustin, évêque

 

       Le peuple juif célébrait la Pâque, vous le savez, par l'immolation d'un agneau qu'il mangeait avec des pains azymes. Cette immolation de l'agneau figurait l'immolation de Jésus-Christ et les pains azymes la vie nouvelle purifiée de l'ancien levain. C'est l'enseignement de l'Apôtre Paul : « Purifiez-vous de l'ancien levain pour être une pâte nouvelle, puisque vous êtes des azymes. Car Jésus-Christ notre Pâque a été immolé. » L'ancien peuple célébrait donc la Pâque, non point dans l'éclat de la lumière, mais dans les ombres figuratives de l'avenir ; et, cinquante jours après la célébration de la Pâque, comme on peut le vérifier, ce peuple fêtait le moment où Dieu donna sur le mont Sinaï la Loi écrite de sa main.

       A la Pâque en figure succède la vraie Pâque ; Jésus-Christ est immolé et nous fait passer de la mort à la vie. Le mot Pâque, en effet, signifie passage, ce qu'exprimé l'Évangéliste lorsqu'il dit : « l'heure étant venue où Jésus devait passer de ce monde à son Père ». La nouvelle pâque célébrée signifie que le Seigneur ressuscite et nous fait passer de la mort à la vie selon le sens du mot « Pâque » ; et cinquante jours après, l'Esprit Saint, le doigt de Dieu, descend sur les disciples. Mais voyez quelle différence dans les circonstances avec le Sinaï. Là le peuple se tenait au loin, c'était la crainte et non l'amour qui le tenait... Au contraire, lorsque le Saint-Esprit descendit sur la terre, les disciples étaient tous ensemble en un même lieu, et l'Esprit, loin de les effrayer du haut de la montagne, entre dans la maison où ils étaient réunis.

       « Ils virent, dit l'Écriture, des langues de feu qui se partageaient. » Était-ce un feu qui semait au loin l'épouvante ? Nullement. Ces langues de feu reposèrent sur chacun d'eux et ils commencèrent à parler diverses langues selon que l'Esprit leur donnait de s'exprimer. Écoutez la langue qui parle et comprenez que c'est l'Esprit qui écrit, non sur la pierre mais dans le cœur de celui qui parle. Ainsi donc, la loi de l'Esprit de vie, écrite dans le cœur et non sur la pierre, la loi de l'Esprit de vie, dis-je, est en Jésus-Christ dans lequel la Pâque a été célébrée en toute vérité.

 

Sermon de saint Grégoire de Nysse, évêque

 

       « Les idoles des païens, des œuvres faites de main d'homme. Comme elles, seront ceux qui les firent, quiconque met en elles sa foi. » De même, en effet, que ceux qui tournent leur visage vers le Vrai Dieu reçoivent en eux les propriétés de la divinité, de même ceux qui s'attachent à des idoles illusoires sont transfigurés en ce qu'ils contemplent, et d'hommes deviennent pierres. Ainsi, l'humanité pétrifiée par le culte des idoles et figée par la glace du paganisme avait perdu toute agilité vers le bien. C'est pourquoi le Soleil de Justice s'est levé sur ce rigoureux hiver et a amené le printemps. En même temps que ses rayons montent à l'Orient, le vent du sud fait fondre la glace afin que l'homme pétrifié par le froid de l'infidélité soit pénétré de chaleur par l'Esprit et fonde sous les rayons du Verbe et qu'il devienne à nouveau une source jaillissante pour la vie éternelle. « II souffle son vent et les eaux  coulent », est-il écrit et : « II change le rocher en étang et la pierre en source d'eau vive. »

       La Vérité fait d'abord briller le Verbe pour l'Église par les Prophètes, puis la révélation de l'Évangile dissipe tout le spectacle d'ombres et de figures. Par elle, le mur de séparation est détruit et l'air dans la maison est envahi par la lumière céleste. Point n'est besoin désormais de recevoir la lumière par des fenêtres, puisque la vraie lumière éclaire tout ce qui est à l'intérieur des rayons de l'Évangile.

       C'est pourquoi le Verbe, qui redresse tous ceux qui sont courbés, crie à l'Église à travers les fenêtres : « Relève-toi, toi qui avais glissé dans la boue du péché, toi qui avais été enchaînée par le Serpent, qui étais tombée à terre et que la désobéissance avait entraînée dans la chute. Relève-toi. Il ne suffit pas de te relever de ta chute, dit-il, avance et progresse dans le bien jusqu'au bout de ta course vers la perfection. Lève-toi, viens. » A peine a-t-elle entendu la puissance du Verbe qu'elle se lève, s'avance et s'approche de la lumière.

       « Lève-toi, ma bien-aimée, ma belle, ma colombe. » Elle entend l'ordre, elle est revêtue de la puissance du Verbe, elle s'éveille, s'avance, s'approche et devient belle ; elle est appelée colombe. Comment un miroir peut-il renvoyer une belle image si rien ne s'y mire ? Il en est ainsi du miroir de l'humanité. Il n'était pas beau, mais dès qu'il s'est approché du Beau, il a été transfiguré par l'image de la beauté de Dieu. De même que l'épouse avait pris l'apparence du Serpent, après la chute, lorsqu'elle gisait à terre et fixait les yeux sur lui, de même lorsqu'elle s'est levée, elle a pris l'apparence de ce vers quoi elle se tournait. Elle se tourne vers la beauté du Principe, c'est pourquoi s'approchant de la lumière, elle devient lumière, et dans la lumière, elle réfléchit l'image de la colombe, dont la forme révèle la présence de l'Esprit Saint.

       Ainsi, au fur et à mesure qu'elle progresse vers ce qui est toujours en avant d'elle, son désir augmente et l'excès des biens qui lui apparaissent lui fait croire qu'elle est toujours au début de sa route. C'est pourquoi le Verbe dit à nouveau : « Lève-toi » à celle qui est déjà levée et : « Viens » à celle qui est déjà venue. En effet, à celui qui se lève vraiment il faudra toujours se lever et à celui qui court vers le Seigneur jamais ne manquera le large espace. Ainsi, celui qui monte ne s'arrête jamais, allant de commencement en commencement par des commencements qui n'ont jamais de fin.

 

 

SOLENNITÉS DU SEIGNEUR

 

Fête de la Sainte-Trinité

 

 

 

Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que

quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle

jean 3, 16

 

 

Sermon de saint Irénée de Lyon, évêque

 

       Voici la règle de notre foi, le fondement de l'édifice et ce qui donne fermeté à notre conduite :

       Dieu Père, incréé, qui n'est pas contenu, invisible, Dieu un, créateur de l'univers. Tel est le premier article de notre foi.

       Comme deuxième article : le Verbe de Dieu, le Fils de Dieu, le Christ Jésus notre Seigneur, qui est apparu aux Prophètes selon le genre de leur prophétie et selon l'état des économies du Père, par qui tout a été fait, qui, en outre, à la fin des temps, pour récapituler toutes choses, s'est fait homme parmi les hommes, visible, palpable, pour détruire la mort, faire apparaître la vie et opérer une communion de Dieu et d'homme. Le troisième article, le voici : le Saint-Esprit par lequel les Prophètes ont prophétisé, les Pères ont appris ce qui concerne Dieu, les justes ont été guidés dans la voie de la justice et qui, à la fin des temps a été répandu d'une manière nouvelle sur notre humanité pour renouveler l'homme sur toute la terre en vue de Dieu.

       C'est pourquoi, à notre nouvelle naissance, le baptême a lieu par ces trois articles, lui qui nous accorde la grâce de la nouvelle naissance en Dieu le Père par son Fils dans l'Esprit Saint. Car ceux qui portent l'Esprit de Dieu sont conduits au Verbe, c'est-à-dire au Fils, mais le Fils les présente au Père et le Père leur donne l'incorruptibilité. Donc, sans l'Esprit il n'est pas possible de voir le Fils de Dieu et sans le Fils personne ne peut approcher le Père, car la connaissance du Père, c'est le Fils et la connaissance du Fils se fait par l'Esprit Saint. Quant à l'Esprit, c'est selon qu'il plaît au Père que le Fils le dispense à titre de ministre, à qui veut et comme le veut le Père. La présence intérieure de l'Esprit de Dieu est multiple et est énumérée par le prophète Isaïe en sept formes de ministères qui se sont reposées sur le Fils de Dieu, c'est-à-dire le Verbe à sa venue en tant qu'homme. Il dit en effet : « Sur lui reposera l'Esprit de Dieu, Esprit de sagesse et d'intelligence, Esprit de conseil et de force, de science et de piété, et l'Esprit de crainte de Dieu le remplira. »

       Voilà donc comment se fait l'exposé de notre foi : un seul Dieu Père non créé, invisible, Créateur de l'univers, au-dessus duquel il n'y a pas d'autre Dieu et après lequel il n'y a pas d'autre Dieu. Dieu est intelligent : aussi la création des êtres fut œuvre d'intelligence. Dieu est Esprit, aussi est-ce par l'Esprit qu'il a ordonné tout l'univers comme dit le Prophète : « Par la Parole du Seigneur les deux ont été faits et par son Esprit toute leur puissance. » Paul, son Apôtre a bien raison de dire : Un seul Dieu Père qui est au-dessus de tous, avec tous et en tous. Au-dessus de tous, en effet, est le Père, avec tous est le Verbe car c'est par son intermédiaire que tout a été créé par le Père, en nous tous l'Esprit qui crie : « Abba, Père » et façonne l'homme à la ressemblance avec Dieu. Donc, l'Esprit montre le Verbe, et c'est pourquoi les Prophètes annonçaient le Fils de Dieu, mais le Verbe articule l'Esprit et c'est pourquoi c'est lui-même qui parle aux Prophètes et élève l'homme auprès du Père.

 

Fête du Saint-Sacrement

 

 

 

Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je

le ressusciterai au dernier jour

jean 6, 54

 

 

Sermon de saint Augustin, évêque

 

       La charge de la Parole et le souci avec lequel nous vous avons engendrés pour que le Christ soit formé en vous nous poussent à vous dire ce que signifie ce sacrement si grand et si divin, ce remède si célèbre et si noble, ce sacrifice si pur et si facile : ce n'est plus dans une seule cité terrestre, Jérusalem, ni dans le tabernacle qui a été fait par Moïse, ni dans le Temple qui a été construit par Salomon — tout cela n'était que l'ombre des réalités à venir — mais c'est du lever du soleil jusqu'au couchant, comme l'ont prédit les Prophètes, qu'on immole et qu'on offre à Dieu cette victime de louanges selon la grâce du Nouveau Testament. On ne va plus chercher dans les troupeaux une victime sanglante, on n'approche plus de l'autel de Dieu une brebis ou un bouc, mais, désormais, le sacrifice de notre temps, c'est le corps et le sang du prêtre lui-même. C'est de ce prêtre qu'il a été prédit dans le psaume : « Tu es prêtre à jamais selon l'ordre de Melchisédech. » Or, nous lisons dans la Genèse et nous tenons que Melchisédech, prêtre du Très-Haut présenta du pain et du vin quand il bénit notre père Abraham.

       Le Christ, donc, notre Seigneur, qui a offert en souffrant pour nous ce qu'il avait reçu en naissant de nous, établi grand prêtre pour l'éternité, a institué le sacrifice de son corps et de son sang. Car son corps percé par la lance a laissé couler l'eau et le sang par lesquels il a remis nos péchés. Vous souvenant de cette grâce, opérant votre salut avec crainte et tremblement, car c'est Dieu qui opère en vous, vous vous approchez pour participer à cet autel. Reconnaissez dans le pain ce qui a été pendu à la croix, dans le calice ce qui a coulé du côté ouvert. Les anciens sacrifices du peuple de Dieu dans leurs multiples variétés signifiaient l'unique sacrifice à venir. Et tout ce qui a été annoncé de façon multiple et diverse dans les sacrifices de l'Ancien Testament a rapport à cet unique sacrifice qui a été révélé dans le nouveau.

       Recevez donc et mangez le corps du Christ, puisque dans le corps du Christ vous êtes devenus maintenant les membres du Christ. Recevez et buvez le sang du Christ. Pour ne pas vous laisser disperser, mangez celui qui est votre lien ; pour ne pas paraître sans valeur à vos yeux, buvez celui qui est le prix dont vous avez été payé. Quand vous mangez cette nourriture et buvez cette boisson, elles se changent en vous ; ainsi vous aussi vous êtes changés au corps du Christ si vous vivez dans l'obéissance et la ferveur. Si vous avez la vie en lui, vous serez une chair avec lui. Car ce sacrement ne vous présente pas le corps du Christ pour vous séparer de lui. L'Apôtre nous rappelle que ceci a été prédit dans la Sainte Écriture : « Ils seront deux en une seule chair. »

       Ailleurs, il dit à propos de l'eucharistie elle-même : « Nous sommes un seul pain, un seul corps, si nombreux que nous soyons. » Vous commencez donc à recevoir ce que vous avez commencé d'être.

 

Fête du Sacré-Cœur

 

 

 

Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau,

et moi je vous soulagerai

matthieu 11, 28

 

 

Sermon de saint Augustin, évêque

 

       « Des soldats vinrent donc et rompirent les jambes de ceux qui avaient été crucifiés avec Jésus. S'approchant de Jésus, ils virent qu'il était déjà mort. Ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais l'un des soldats lui ouvrit le côté de sa lance, et aussitôt il en sortit du sang et de l'eau. » L'Évangéliste a choisi à dessein cette dernière expression : il n'a pas dit : « un des soldats le frappa », ou « le blessa » ou une autre expression de ce type ; il dit « un des soldats lui ouvrit le côté », pour nous apprendre qu'il ouvrait d'une certaine manière la porte de la vie. De là coulèrent les sacrements de l'Église sans lesquels on n'accède pas à la vie qui est la vie véritable. Ce sang a été versé pour la rémission des péchés. Cette eau se mêle à la boisson salutaire. Elle est un bain qui purifie et une boisson rafraîchissante.

       Nous trouvons une préfiguration de ce mystère dans l'ordre qui fut donné à Noé d'ouvrir sur un des côtés de l'arche une porte par laquelle puissent entrer les animaux qui ne devaient pas périr dans le Déluge et qui représentaient l'Église.

       C'est en vue de ce même mystère que la première femme fut faite du côté d'Adam endormi et qu'elle fut appelée vie et mère des vivants. Elle était figure d'un grand bien avant d'être le signe du grand mal de la prévarication. Ici, le second Adam ayant incliné la tête s'est endormi sur la croix afin que son épouse soit formée à partir de ce qui coulait de son côté. Ô mort, pour les morts principe de  vie ! Quoi de plus pur que ce sang ? Quoi de plus salutaire que cette blessure ?

       « Et celui qui l'a vu rend témoignage et son témoignage est véridique et il sait qu'il dit vrai afin que vous aussi vous croyiez. » II n'a pas dit « afin que vous aussi vous sachiez », mais « afin que vous croyiez ». Celui qui a vu sait, mais celui qui n'a pas vu croit sur son témoignage. Qu'est-ce, en effet, que croire sinon donner sa foi ? Ceci s'est passé afin que l'Écriture soit accomplie : « On ne lui brisera pas un os. » L'Écriture dit encore : « Ils verront celui qu'ils auront transpercé. » L'Évangéliste rend deux témoignages tirés de l'Écriture aux choses qu'il a vues s'accomplir.

       Au fait que les soldats ne lui brisèrent pas les jambes se rapporte le premier témoignage : « On ne lui brisera pas un os », commandement qui s'applique à l'immolation de l'Agneau, au cours de la célébration de la pâque qui avait lieu comme une ombre de la Passion du Seigneur. D'où la phrase : « Le Christ notre Pâque a été immolé. » De lui le Prophète Isaïe avait prédit : « Il sera conduit comme un agneau à l'immolation. » L'Évangéliste a ajouté qu'un des soldats de sa lance lui perça le côté, c'est à cela qu'a trait le deuxième témoignage : « Us verront celui qu'ils ont transpercé », dans lequel avait été prédite la venue du Christ dans cette chair qui pendit sur la croix.

 

 

TEMPS ORDINAIRE

 

Deuxième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

Moi, je ne le connaissais pas ; mais c'est pour qu'il fût manifesté à Israël que je suis venu baptisant dans l'eau

jean 1, 31

 

 

Sermon de saint Maxime de Turin, évêque

 

       II est clair, et nous en avons entendu parler ces jours derniers, ce n'est pas pour lui mais pour nous que le Christ a été baptisé. Nous devons donc, frères très chers — et c'est à vous, catéchumènes, que je m'adresse — recevoir en toute hâte la grâce du baptême et puiser à la source du Jourdain, que le Christ a bénie, la bénédiction du sacrement : dans ses flots il a plongé sa sainteté ; que nos péchés y soient noyés. Que la même eau dans laquelle s'est enfoncé le maître purifie les serviteurs ! Que cette eau, rendue sainte par le baptême vénérable du Christ, nous soit utile, qu'elle nous purifie par sa chaleur bienheureuse, elle qui a été bénie par le passage et les mystères du Sauveur. Qu'elle reverse sur les chrétiens la grâce qu'elle a reçue du Christ.

       Nous devons donc, frères, nous laver à la même source que le Christ pour que nous puissions être ce qu'est le Christ. Nous devons être baptisés, dans la même eau que le Sauveur. Pour cela, point n'est besoin de partir en Orient, point n'est besoin d'un fleuve de la terre d'Israël. Le Christ est maintenant partout, et partout le Jourdain. La même consécration qui a béni alors le fleuve d'Orient bénit maintenant les eaux en Occident. Même si le fleuve terrestre a un autre nom, le mystère est bien celui du Jourdain. Faisons donc pour nous ce que nous avons vu faire, pour nous aussi, par le Sauveur.

       Faisons pour nous ce que Jean souhaitait que le Sauveur fît pour lui. Si lui qui était prophète et maître spirituel a désiré le baptême du Sauveur, combien plus nous, pécheurs humbles et stupides, devons-nous souhaiter cette grâce ! Voyez la miséricorde du Sauveur : il nous est simplement proposé ce que le Prophète ne put obtenir à sa demande. Nous devons être attentifs à la raison pour laquelle Jean a demandé le baptême et ne l'a pas obtenu. Le Seigneur lui a répondu : « Laisse maintenant, il convient d'accomplir toute justice. » Nous savons que Jean Baptiste était le type de la Loi. Il était juste qu'il baptisât le Seigneur, de sorte que, comme le Sauveur est né selon la chair de l'Israël ancien, ainsi l'Évangile naquit selon l'esprit de la Loi représentée par Jean Baptiste. C'est pourquoi il dit : « II convient d'accomplir toute justice. » II était juste que celui qui avait établi les commandements de la Loi les menât à leur terme, comme il dit ailleurs : « Je ne suis pas venu détruire, mais accomplir. »

 

Troisième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

Le peuple qui demeurait dans les ténèbres a vu une grande lumière ;

sur ceux qui demeuraient dans la région de la mort, une lumière s'est levée

matthieu 4, 16

 

 

Sermon de saint Cyprien de Carthage, évêque

 

       Pour nous, frères bien-aimés, en plus des heures observées depuis les temps anciens, sont apparus maintenant de nouveaux espaces et de nouveaux signes de prière. Il faut donc prier le matin pour célébrer dans une prière matinale la résurrection du Seigneur. C'est ce que l'Esprit désignait autrefois dans les Psaumes lorsqu'il disait : « Ô mon roi et mon Dieu, c'est toi que je prie, Seigneur, au matin, et tu écoutes ma voix ; au matin je me tiendrai devant toi et je te verrai. » Le Seigneur nous dit aussi par le Prophète : « Au petit jour, ils veilleront auprès de moi et ils diront : Allons, retournons vers le Seigneur notre Dieu. » De même, quand se couche le soleil et que le jour s'achève, devons-nous à nouveau prier. Le Christ est, en effet, le vrai Soleil et le Jour véritable. Lorsque disparaissent le soleil et le jour de ce monde, nous prions et nous demandons que la lumière vienne cependant sur nous, nous implorons l'avènement du Christ et la révélation gracieuse de la lumière éternelle.

       Dans les Psaumes, l'Esprit Saint déclare que le Christ est appelé « Jour ». « La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs est devenue tête d'angle. C'est là l'œuvre de Dieu, ce fut merveille à nos yeux. Voici le jour que fit le Seigneur. Soyons dans la joie et l'allégresse en lui. » Que le Christ soit appelé « Soleil » le Prophète Malachie l'atteste lorsqu'il dit : « Pour vous qui craignez le nom du Seigneur, se lève le soleil de justice ; sous ses ailes se trouve le salut. » Ainsi, dans les Saintes Écritures, le vrai soleil et le jour véritable, c'est le Christ ; aussi pour les chrétiens, aucune heure n'est exclue, et sans cesse et toujours il faut adorer Dieu. Puisque nous sommes dans le Christ, c'est-à-dire dans la lumière véritable, tout au long du jour, soyons en supplications et en prière. Et quand selon le cours du temps, la nuit revient après le jour, rien dans les ténèbres nocturnes ne nous empêche de prier : pour les fils de lumière, il fait jour même dans la nuit. Quand donc est-il sans la lumière, celui dont la lumière est dans le cœur ? Quand donc fait défaut le soleil, quand donc n'est-ce plus jour pour celui dont le Christ est Soleil et Jour ?

       Nous qui sommes toujours dans le Christ, c'est-à-dire dans la lumière, pendant la nuit ne laissons pas la prière. C'est ainsi qu'Anne, la veuve, obtenait la faveur de Dieu en persévérant dans la prière et dans les veilles comme il est écrit dans l'Évangile : « Elle ne s'éloignait pas du Temple, servant jour et nuit dans les jeûnes et la prière. » Frères bien-aimés, nous qui sommes toujours dans la lumière du Seigneur, qui faisons mémoire et qui tenons ce que nous avons commencé d'être en recevant la grâce, considérons la nuit comme le jour, croyons que nous marchons toujours dans la lumière, ne nous laissons pas entraver par les ténèbres auxquelles nous avons échappé ! Que dans les heures de la nuit, rien ne fasse obstacle à la prière. Que la paresse et le laisser-aller ne nous empêchent pas de prier. Par la miséricorde de Dieu, nous avons été recréés dans l'Esprit et nous sommes renés. Imitons donc ce que nous serons. Nous devons habiter un royaume où il n'y aura plus de nuit, où brillera un jour sans déclin, veillons déjà pendant la nuit comme s'il faisait plein jour. Appelés à prier et à rendre grâces sans fin à Dieu, commençons déjà à prier sans cesse et à rendre grâces ici-bas.

 

Quatrième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

Heureux ceux qui ont une âme de pauvre,

car le Royaume des Cieux est à eux

matthieu 5, 3

 

 

De la lettre de saint Polycarpe, évêque, aux Philippiens

 

       Je me réjouis de savoir que votre foi, dont on parle depuis les temps anciens subsiste aujourd'hui, vigoureusement enracinée, et qu'elle porte des fruits en Jésus-Christ notre Seigneur, lui qui a voulu, pour nos péchés, aller au-devant de la mort. Dieu l'a ressuscité en le délivrant des affres de l'enfer ; sans le voir, vous croyez en lui dans une joie ineffable et glorieuse à laquelle beaucoup désirent parvenir et vous savez que c'est par grâce que vous êtes sauvés et non par vos œuvres, par la bienveillance de Dieu en Jésus-Christ. Ceignez donc vos reins et servez le Seigneur dans la crainte et la vérité, fuyez les vains bavardages et l'erreur de la foule, croyez en celui qui a ressuscité notre Seigneur Jésus-Christ d'entre les morts et lui a donné la gloire et un trône à sa droite. A lui tout est soumis au ciel et sur la terre, à lui tout ce qui respire obéit. Il viendra juger les vivants et les morts.

       Celui qui a ressuscité le Seigneur d'entre les morts nous ressuscitera nous aussi si nous faisons sa volonté et si nous marchons selon ses préceptes, si nous aimons ce qu'il a aimé, nous abstenant de toute injustice, cupidité, amour de l'argent, médisance, faux témoignage, ne rendant pas le mal pour le mal ni l'injure pour l'injure. Souvenons-nous des paroles du Seigneur : « Ne jugez pas pour ne pas être jugés, pardonnez et l'on vous pardonnera, soyez miséricordieux pour obtenir miséricorde ; la mesure avec laquelle vous mesurerez servira aussi pour vous », et « bienheureux les pauvres et ceux qui sont persécutés pour la justice, car le Royaume de Dieu est à eux ». La foi est notre mère à tous, l'espérance la suit, l'amour pour Dieu, le Christ et le prochain la précède. Celui qui demeure en ces vertus accomplit les commandements de la justice. Celui qui a la charité est loin de tout péché.

       Soyons sans cesse fermement attachés à notre espérance et au gage de notre justice, le Christ Jésus qui a porté nos fautes en son corps sur le bois, qui n'a pas commis de péché et dont la bouche n'a pas connu le mensonge. Pour nous, pour que nous vivions en lui, il a tout supporté. Soyons donc les imitateurs de sa patience et, si nous souffrons pour son nom, rendons-lui gloire. C'est un exemple qu'il nous a proposé en lui et c'est là ce que nous avons cru. Demeurez donc en ces sentiments, suivez l'exemple du Seigneur, fermes et inébranlables dans la foi, aimant vos frères, vous aimant les uns les autres, unis dans la vérité, vous attendant les uns les autres dans la douceur du Seigneur, ne méprisant personne.

       Que Dieu le Père de notre Seigneur Jésus-Christ et Jésus-Christ lui-même, grand prêtre éternel, le Fils de Dieu, vous fassent croître dans la foi et dans la vérité, en toute douceur, sans colère, avec patience et grandeur d'âme, endurance et chasteté. Qu'il vous donne part à l'héritage de ses saints et à nous aussi avec vous et à tous ceux qui sont sous le ciel qui croient en notre Seigneur Jésus-Christ et en son Père qui l'a ressuscité des morts.

 

Cinquième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

Vous êtes la lumière du monde. Une ville ne peut se cacher,

qui est sise au sommet d'un mont

matthieu 5, 14

 

 

Sermon de saint Clément de Rome, évêque

 

       Voici le chemin, mes bien-aimés, où nous trouvons notre salut : Jésus-Christ, le grand prêtre de nos offrandes, notre protecteur et notre secours dans la faiblesse. Par lui nous dirigeons nos yeux vers les hauteurs des cieux ; par lui nous contemplons comme dans un miroir le visage immaculé et plein de grandeur de Dieu ; par lui les yeux de notre cœur s'ouvrent à la lumière et notre intelligence, autrefois infirme et enténébrée, s'épanouit ; par lui, le maître a voulu nous faire goûter à la connaissance impérissable : « Resplendissement de la gloire divine, il est d'autant supérieur aux anges que le nom Qu'il a reçu en héritage est incomparable au leur. » II est écrit, en effet, de Dieu qu'il « prend les vents pour messagers, pour serviteurs des feux de flammes », mais au sujet de son Fils, le Maître s'exprime ainsi : « Tu es mon fils, moi aujourd'hui je t'ai engendré ; demande et je te lègue les nations, je te soumets les lointains de la terre. »

       Le Maître dit aussi : « Tes ennemis, j'en ferai ton marchepied. » Quels sont ces ennemis ? Ce sont les pervers et ceux qui s'opposent à la volonté de Dieu. Travaillons, ô hommes mes frères, avec tout le soin voulu, à vivre sous son commandement irréprochable. Prenons l'exemple de notre corps : la tête sans les pieds ne peut rien ; pas davantage les pieds sans la tête. Les moindres membres de notre corps sont nécessaires et utiles au corps tout entier, ou plutôt, par une subordination unanime, ils s'harmonisent et se mettent tous au service du corps tout entier. Sauvons donc ainsi en sa totalité le corps que nous formons en Jésus-Christ : que chacun se soumette à son voisin selon le charisme qui lui a été départi.

       Réfléchissons, frères, à la manière dont nous avons été créés ; nous qui, en entrant dans le monde, étions liés à la mort et aux ténèbres, songeons que notre Auteur et Créateur nous a fait passer dans le monde qui est sien et où, dès avant notre naissance, il nous avait préparé ses bienfaits. Puisque de lui nous tenons tout, en tout nous devons lui rendre grâces. A lui la gloire dans les siècles des siècles... Que celui qui a la charité du Christ accomplisse les commandements du Christ : Qui peut expliquer le lien de la charité divine ? Qui est capable d'en dire toute la beauté ? La hauteur où elle nous élève est indicible. Elle nous unit étroitement à Dieu. La charité parfait la perfection de tous les élus de Dieu. Sans la charité, rien ne plaît à Dieu. C'est par la charité que le Maître nous a appelés à lui, c'est à cause de sa charité pour nous que Jésus-Christ notre Seigneur, docile à la volonté de Dieu, a répandu son sang pour nous, sa chair pour notre chair, son âme pour nos âmes.

 

Sixième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

N'allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir mais accomplir

matthieu 5, 17

 

 

Sermon de saint Augustin, évêque

 

       La grâce, autrefois comme voilée dans l'Ancien Testament, a été révélée dans l'Évangile du Christ par une économie harmonieuse des temps selon que Dieu a coutume de disposer harmonieusement toute chose. Mais à l'intérieur de cette admirable harmonie, on constate une distance très grande entre la loi ancienne et la loi de l'Évangile. Autrefois, il était défendu au peuple d'approcher le lieu où la Loi avait été donnée, maintenant le Saint-Esprit descend sur ceux qui se sont rassemblés et l'attendent selon la promesse. Autrefois, le doigt de Dieu gravait les lois sur des tables de pierre, maintenant c'est dans le cœur des hommes qu'il l'écrit. Autrefois, la Loi était écrite au-dehors, pour que les pécheurs soient terrifiés, maintenant, elle leur est donnée intérieurement pour les justifier. En effet, tout ce qui est écrit sur les tables de pierre : « Tu ne commettras pas d'adultère, tu ne tueras pas, tu ne convoiteras pas » et d'autres choses semblables, est compris dans cette parole : « Tu aimeras ton prochain comme  toi-même. » L'amour du prochain n'accomplit aucun mal. La charité est donc la plénitude de la Loi.

       Cette charité n'a pas été gravée sur des tables de pierre, mais elle a été « répandue dans nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné ». La loi de Dieu c'est la charité. La prudence de la chair ne lui est pas soumise et ne peut même pas l'être. Pour réprimer cette prudence de la chair, les œuvres de la charité ont été écrites sur des tables de pierre : il s'agit de la loi des œuvres, de la lettre qui tue l'impie. Lorsque la charité est répandue dans le cœur des croyants, voilà alors la loi de la foi et l'esprit qui rend vivant celui qui aime. Vous voyez comment la différence entre les deux lois s'accorde avec la parole de l'Apôtre : « Oui, vous êtes manifestement une lettre du Christ rédigée par nos soins, écrite non avec de l'encre, mais avec l'Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, en vos cœurs. »

       N'est-il pas clair que Paul, en disant que la loi de la foi a été écrite non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, en nos cœurs, fait allusion au passage du Prophète : « J'écrirai ma loi dans leur cœur », passage où la Nouvelle Alliance est promise expressément par le Seigneur ? Quelles sont donc ces lois de Dieu, écrites dans nos cœurs par Dieu lui-même, sinon la présence elle-même de l'Esprit Saint qui est le doigt de Dieu, et cette présence répand l'amour en nos cœurs, amour qui est la plénitude de la Loi et la perfection de l'accomplissement des commandements. Et pour montrer quelle sera la récompense, le Seigneur ajoute : « Je serai leur Dieu et ils seront mon peuple. » Lorsque David dit : « Pour moi c'est un bien que d'adhérer à Dieu », quel bien est meilleur que celui-là, quelle béatitude plus grande que de vivre pour Dieu, que de vivre de Dieu, auprès duquel est la source de vie et dans la lumière duquel nous verrons la lumière. De cette vie, le Seigneur a dit : « La vie éternelle c'est qu'ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu et ton envoyé Jésus-Christ. »

 

Septième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

Moi je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour vos persécuteurs

matthieu 5, 44

 

 

Sermon de saint Augustin, évêque

 

       « A ce signe, nous reconnaissons que nous sommes en Dieu, si en lui nous sommes parfaits. » Jean veut dire ici : parfaits dans l'amour. Quelle est la perfection de l'amour ? D'aimer nos ennemis et de les aimer à ce point qu'ils deviennent nos frères. Notre amour, en effet, ne doit pas être selon la chair. Aime donc tes ennemis en souhaitant qu'ils deviennent tes frères ; aime tes ennemis de sorte qu'ils soient appelés à entrer en communion avec toi. Ainsi aima, en effet, celui qui pendu sur la croix disait : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. » II voulait les arracher à la mort éternelle par une prière toute pleine de miséricorde et une Puissance très forte. Nombre d'entre eux crurent d'ailleurs et il leur fut pardonné d'avoir versé le sang du Christ. Ils l'avaient versé en s'acharnant contre lui, ils le burent ensuite lorsqu'ils crurent. « A ce signe, nous savons que nous sommes en lui, si en lui nous sommes parfaits. » C'est à cette perfection de l'amour des ennemis que le Seigneur nous invite lorsqu'il dit : « Soyez donc parfaits comme votre Père céleste est parfait. »

       « Qui prétend demeurer dans le Christ, doit marcher lui aussi comme celui-là a marché. » Serait-ce que par ces mots, il nous invite à marcher sur la mer ? Certes pas. Il veut que nous marchions sur le chemin de la justice. En quel chemin ? Je l'ai dit à l'instant. Attaché à la croix, il marchait sur ce  chemin : « Père pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font. » Ainsi donc, si tu as appris à prier pour ton ennemi, tu marches dans la voie du Seigneur.

       Ah ! frères, combien de temps encore faudra-t-il vous dire : « Aimez vos ennemis ! » ? Gardez-vous du moins, ce qui serait plus grave, de haïr vos frères. Si vous n'aimiez que vos frères, vous ne seriez pas encore parfaits, mais si vous haïssez vos frères, qu'êtes-vous donc ? Où en êtes-vous ? Que chacun regarde son cœur ! Qu'il ne garde pas rancune à son frère pour quelque parole dure. Que pour une dispute de la terre il ne devienne pas lui-même terre. « Quiconque prétend être dans la lumière tout en haïssant son frère est encore dans les ténèbres. »

       « Grande paix pour les amants de ta Loi, dit le psaume, pour eux rien n'est scandale. » II dit que jouissent d'une grande paix ceux qui aiment la loi de Dieu et que par là même, pour eux il n'y a pas de scandale. Mais objectera-t-on, le psalmiste parle de la loi de Dieu, non de ceux qui aiment leurs frères. Écoute ce que dit le Seigneur : « Je vous donne un commandement nouveau, c'est de vous aimer les uns les autres. » Qu'est une loi sinon un commandement ? Dès lors, comment échapper au scandale sinon en nous supportant mutuellement. Comme le dit saint Paul : « Supportez-vous mutuellement dans l'amour, vous efforçant de conserver l'unité de l'Esprit par le lien de la paix. » Que telle soit bien la loi du Christ, tu l'entends encore de la bouche de ce même Apôtre lorsqu'il nous recommande de  l'observer : « Portez les fardeaux les uns des autres et ainsi vous accomplirez la loi du Christ. »

 

Huitième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

Nul ne peut servir deux maîtres : ou il haïra l'un et aimera

l'autre, ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne

pouvez servir Dieu et l'argent

matthieu 6, 24

 

 

Sermon de saint Jean Chrysostome, évêque

 

       Voyez quels avantages Jésus-Christ nous promet et combien ses préceptes nous sont utiles, puisqu'ils nous délivrent de si grands maux. Le mal que vous causent les richesses, dit-il, n'est pas seulement d'armer les voleurs contre vous et de remplir votre esprit d'épaisses ténèbres. La grande plaie qu'elles font, c'est qu'elles vous arrachent à la bienheureuse servitude de Jésus-Christ pour vous rendre esclaves d'un métal insensible et inanimé. Ainsi, elles vous causent un double mal, qui est de vous rendre esclaves d'une chose dont vous devriez être les maîtres, et de vous retirer de l'assujettissement à Dieu auquel il vous est avantageux et nécessaire d'être soumis.

       Vous ne pouvez servir Dieu et l'argent. Tremblons, frères, à la pensée que nous forçons Jésus-Christ de nous parler de l'argent comme d'une divinité opposée à Dieu ! Mais quoi, direz-vous, les anciens patriarches n'ont-ils pas trouvé le moyen de servir tout ensemble Dieu et l'argent ? Nullement. Mais comment donc Abraham, comment Job ont-ils jeté tant d'éclat par leur magnificence ? Je vous réponds qu'il ne faut point alléguer ici ceux qui ont possédé les richesses, mais ceux qui en ont été possédés. Job était riche ; il se servait de l'argent, mais il ne servait pas l'argent, il en était le maître et non l'adorateur. Il considérait son bien comme s'il eût été un autre, il s'en regardait comme le dispensateur et non comme le propriétaire... C'est pourquoi il ne s'affligea point lorsqu'il le perdit.

       Mais les riches de notre temps sont bien éloignés de cet esprit. L'argent est leur maître et leur tyran. Il leur fait payer avec une extrême rigueur le tribut qu'il leur impose et ils le servent comme les plus lâches et les plus malheureux dé tous les esclaves. Cet amour de l'or possède leur cœur et il s'y retranche comme dans une place forte d'où il leur impose tous les jours de nouvelles lois pleines d'injustice et de violence sans qu'aucun d'eux n'ose résister. N'opposez donc pas de vains raisonnements à la voix de Dieu. Puisque Jésus-Christ a prononcé cet oracle et qu'il a dit qu'il est impossible de servir deux maîtres, ne dites point que cela se peut. Comment d'ailleurs pourriez-vous servir tout ensemble ces deux maîtres puisqu'ils vous commandent des choses toutes contraires ?

 

Neuvième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

Ce n'est pas en me disant : « Seigneur, Seigneur », qu'on

entrera dans le Royaume des Cieux, mais c'est en faisant la

volonté de mon Père qui est dans les deux

matthieu 7, 21

 

 

Sermon de saint Irénée de Lyon, évêque

 

       C'est dans la nouveauté de l'Esprit que nous sommes appelés, non dans la vétusté de la lettre selon la prophétie de Jérémie : « Voici venir des jours, oracle du Seigneur, où je conclurai avec la maison de David une alliance nouvelle. Je mettrai ma Loi au fond de leur être et je l'écrirai sur leur cœur. » Isaïe annonce que ces promesses doivent être un héritage pour la vocation des gentils — pour eux aussi le livre de la Nouvelle Alliance a été ouvert — lorsqu'il dit : « Voici ce que dit le Dieu d'Israël : en ce jour-là, l'homme regardera vers son Créateur et tournera les yeux vers le Saint d'Israël. Ils ne mettront plus leur espérance dans des autels d'idoles ni dans des oeuvres de leurs mains, fabriquées de leurs doigts. » II est bien évident que cela s'adresse à ceux qui abandonnent les idoles et croient en Dieu, notre Créateur grâce au Saint d'Israël ; et le Saint d'Israël, c'est le Christ.

       Dans Isaïe, le Verbe lui-même dit qu'il devait se manifester parmi nous — le Fils de Dieu, en effet, s'est fait fils d'homme — et se laisser trouver par nous qui auparavant ne le connaissions pas. « Je me suis manifesté à ceux qui ne me cherchaient pas, j'ai été trouvé par ceux qui ne me questionnaient pas, j'ai dit : me voici, à un peuple qui n'avait pas invoqué mon nom. »

       Que ce peuple, dont parle Isaïe, doive être un peuple saint, cela a été annoncé dans les douze Prophètes par Osée : « J'aimerai Non-Aimée et à Pas-mon-peuple je dirai : tu es mon peuple et ils seront appelés fils du Dieu vivant. » C'est aussi le sens de ce qu'a dit Jean Baptiste : « Dieu peut, de ces pierres, faire surgir des fils à Abraham. » En effet, après avoir été arrachés par la foi au culte des pierres, nos cœurs voient Dieu et deviennent fils d'Abraham qui a été justifié par la foi.

       Le Verbe de Dieu s'est incarné et a planté sa tente parmi nous comme dit Jean, son disciple. Grâce à lui, par la vocation nouvelle, le cœur des païens est changé. L'Église porte désormais beaucoup de fruits, en ceux qui sont sauvés ; et ce n'est plus un intercesseur, comme Moïse, ni un messager comme Élie, mais le Seigneur lui-même qui nous sauve en donnant à l'Église plus d'enfants qu'à la synagogue des anciens, comme Isaïe l'avait prédit en disant : « Réjouis-toi, stérile qui n'as pas enfanté... » Dieu s'est complu à donner son héritage aux nations folles, à ceux qui n'appartenaient pas à la cité de Dieu et ne savaient pas qui était Dieu. Maintenant donc que, grâce à cet appel, la vie nous a été donnée et que Dieu a récapitulé en nous la foi d'Abraham nous ne devons plus retourner en arrière, je veux dire à la première législation, car nous avons reçu le Maître de la Loi, le Fils de Dieu, et, par la foi en lui, nous apprenons à aimer Dieu de tout notre cœur et le prochain comme nous-mêmes.

 

Dixième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

Comme il était à table dans la maison, voici que beaucoup de publicains et

de pécheurs vinrent se mettre à table avec Jésus et ses disciples

matthieu 9, 10

 

 

Sermon du bienheureux Guerric d'Igny, abbé

 

       Le Créateur éternel et invisible du monde, se disposant à sauver le genre humain qui se traînait au long des âges soumis aux dures lois de la mort, aux derniers temps a daigné se faire homme, de manière merveilleuse et par une naissance plus admirable encore, pour racheter dans sa clémence, ceux que dans sa justice il avait condamnés. Afin de montrer la profondeur de son amour pour nous, il ne s'est pas fait seulement homme, mais pauvre et humble homme, afin que, s'approchant de nous en sa pauvreté, il nous donne d'avoir part à ses richesses. Il s’est fait si pauvre pour nous qu'il n'a pas de lieu où reposer la tête selon ce qu'il dit ailleurs : « Les renards ont leur tanière et les oiseaux du ciel leur nid, le Fils de l'homme, lui, n'a pas où reposer la tête. »

       C'est pourquoi il acceptait d'aller aux repas auxquels on l'invitait, non par goût immodéré des repas, mais pour y enseigner le salut et y susciter la foi. Il se rendait volontiers aux fêtes des hommes auxquelles on l'invitait pour remplir les convives de lumière par ses miracles. Là, les serviteurs qui étaient occupés à l'intérieur de la maison, et n'avaient pas la liberté d'aller auprès de lui, entendaient à cette occasion la parole de salut et en connaissaient l'auteur. Il ne méprisait, en effet, aucune condition, aucune n'était indigne de son amour parce « qu'il a pitié de tous et il n'a de haine pour aucune de ses œuvres et s'occupe avec soin de chacune d'elles ».

       Pour accomplir son œuvre de salut, le Seigneur entra donc dans la maison de l'un des notables pharisiens un jour de sabbat. Les scribes et les pharisiens l'observaient pour pouvoir le reprendre, afin que, s'il guérissait l'hydropique, ils puissent l'accuser de violer la Loi et, s'il ne le guérissait pas, ils l'accusent d'impiété ou de faiblesse. Et il leur dit : « Lequel d'entre vous si son âne ou son bœuf tombe dans un puits le jour du sabbat ne se hâte de l'en tirer ? » Si vous faites cela, non par souci de l'animal, mais par avarice, pourquoi ne guérirais-je pas moi, un jour de sabbat, un homme créé à l'image de  Dieu ? Et ils ne purent pas lui répondre. Par la lumière très pure de la vérité, ils voient s'évanouir toutes les ténèbres de leur mensonge.

 

Onzième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

A la vue des foules il en eut pitié, car ces gens étaient las et prostrés comme des brebis qui n'ont pas de berger

matthieu 9, 36

 

 

Sermon de saint Grégoire de Nysse, évêque

 

       La Parole du Seigneur nous ordonne de nous méfier des faux prophètes « qui viennent à nous, dit-elle, déguisés en brebis, mais au-dedans sont des loups rapaces ». « C'est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. » C'est donc le fruit qui permet de discerner la brebis véritable du séducteur des brebis : ce dernier, sous des apparences douces, se glisse au milieu du troupeau rassemblé et cache sous cette douceur empruntée une bouche emplie d'amertume. Il convient donc de connaître les fruits, les bons et les mauvais, afin de mettre à jour la manière dont se manifeste la fraude. « A leurs fruits vous les reconnaîtrez. » : Eh bien, à mon avis, le bon fruit de tout enseignement dans l'Église est l'accroissement du nombre des sauvés, le fruit pourri et empoisonné est la division de ses membres.

       Si donc quelqu'un, par ses paroles, accroît le troupeau, fait grimper la vigne dans tous les coins de la maison, plante autour de la table du Seigneur ceux qui, oliviers sauvages, sont devenus de jeunes plants d'oliviers et fait circuler dans ces branches mystérieuses la sève douce et bienfaisante de l'enseignement évangélique qui féconde les troupeaux : alors les biens de Laban diminuent tandis que ceux de Jacob croissent et se multiplient dans l'abondance en une postérité merveilleuse. Si quelqu'un, par sa prédication, produit ces fruits, car le fruit est, comme on l'a dit, le fait de répandre la vérité évangélique, c'est un véritable prophète, un interprète du dessein de Dieu dans la lumière de l'Esprit.

       Si quelqu'un, au contraire, coupe les sarments de la vigne, pousse à déserter la table du Seigneur, déracine les nouveaux plants, tend des embûches autour de l'abreuvoir spirituel, de sorte que les troupeaux ne puissent plus concevoir devant les baguettes du patriarche, ni grossir le troupeau de bêtes remarquables, s'il laisse le troupeau s'égarer loin des gras pâturages, je veux dire les enseignements transmis par les Pères, s'il le laisse séjourner hors des bergeries, se disperser vers d'autres prairies, s'il fait cela, nous sommes à même de bien voir le comportement du loup, caché sous la peau de brebis.

 

Douzième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

Ne craignez rien de ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent

tuer l'âme ; craignez plutôt Celui qui peut perdre dans la

géhenne à la fois l'âme et le corps

matthieu 10, 28

 

 

Sermon de saint Romain le Mélode, prêtre

 

       C'en est fini de la loi d'inimitié : ta Passion, ô Christ notre Dieu a séché les larmes d'Eve. Dans ta Passion, le mort retrouve vie, par elle le larron a trouvé un asile et Adam est dans la joie. Que le ciel soit aujourd'hui frappé de stupeur ! Que la terre sombre dans le chaos !

       Soleil ne te hasarde pas à porter les yeux sur le bois auquel ton Maître est suspendu de son plein gré. Que se fendent les rochers : en cet instant le rocher de la vie est meurtri par les clous. Que se déchire en deux le voile du Temple : la lance des criminels a transpercé le côté du Seigneur ! Que toute la création devant la Passion du Créateur frémisse et gémisse...

       Tu as pris, ô mon Sauveur, ma condition pour que je puisse accéder à la tienne, ta mort m'a fait revivre ; tu as été mis au tombeau et pour séjour tu m'as donné le paradis. En descendant au fond de l'abîme, tu m'as exalté. Tu as abattu les portes de l'enfer et tu m'as ouvert les portes du ciel. Oui tu as tout souffert pour celui qui était tombé, tu as tout enduré pour la joie d'Adam.

       La créature, née de la terre, périssait de soif : consumée par la chaleur ardente, elle errait au désert, sans eau, et dans son malheur, ne trouvait rien pour étancher sa soif. Aussi mon Sauveur, fontaine de tout bien, a fait jaillir des sources de vie en criant : « C'est d'Eve sortie de ton flanc, que t'est venue la soif, bois à mon flanc tu n'auras plus jamais soif. » Double est le fleuve qui en sort, il lave et abreuve les hommes souillés et Adam est dans la joie.

       On a abreuvé de vinaigre la source aux flots délicieux, on a donné du fiel à celui qui fit pleuvoir la manne et jaillir l'eau du rocher. Chante, créature née de la terre, célèbre celui qui a souffert et qui est mort pour toi, et quand bientôt tu le contempleras vivant, accueille-le dans ton âme.

       Désormais, un glaive de feu ne garde plus la porte de l'Éden : à sa place on a mis, étonnante clôture, le bois de la croix. L'aiguillon de la mort et la victoire de l'enfer y sont cloués. Tu es là, mon Sauveur qui cries aux captifs de l'enfer : vous êtes ramenés au paradis ! En vérité, rançon versée pour la multitude, tu te laissas clouer au bois pour nous racheter, Christ notre Dieu. Avec ton précieux sang, par amour pour l'homme, tu as arraché nos âmes à la mort en nous rassemblant de nouveau dans le paradis.

       Très-Haut, Dieu glorieux des Pères et des enfants, désormais notre honneur, c'est l'outrage que tu as volontairement subi, car dans ta croix, nous connaissons tous le triomphe... Autrefois le navire de Tharsis n'apportait à Salomon de l'or qu'au temps fixé, selon l'Ecriture ; à nous ce bois procure tous les jours et en tout temps une richesse incalculable, car il ramène tous les hommes dans le paradis.

 

Treizième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

Qui aura trouvé sa vie la perdra et qui aura perdu sa vie à

cause de moi la trouvera

matthieu 10, 39

 

 

De l'Épître à Diognète

 

       Dieu a aimé les hommes. Pour eux, il a fait le monde. Il leur a soumis tout ce qui est sur la terre, il leur a donné la parole et l'esprit, à eux seuls il a permis de tourner les yeux vers le ciel, il les a façonnés à sa propre image, auprès d'eux il a envoyé son Fils, son unique, il leur a promis le Royaume des Cieux, Royaume qu'il donnera à ceux qui l'auront aimé. Quand tu auras connu ce Dieu, songe à la joie qui remplira ton cœur ! Combien tu vas aimer celui qui t'a aimé le premier ! En l'aimant, tu deviendras un imitateur de sa bonté. Et ne t'étonne pas qu'un homme puisse devenir imitateur de Dieu. Il le peut, puisque Dieu le veut. Ce n'est pas imiter Dieu qu'opprimer son prochain, que désirer dominer les plus faibles que soi, qu'être riche ou violent envers les petits ; là n'est pas le bonheur, au contraire ces actes sont étrangers à la grandeur divine. Celui qui se charge du fardeau de son prochain, celui qui veut partager avec un moins fortuné ce en quoi il est mieux pourvu, celui qui donne largement les biens qu'il a reçus de Dieu, devenant ainsi un dieu pour ceux qui les reçoivent, celui-là est un imitateur de Dieu. Si tu fais cela, bien que séjournant sur la terre, tu verras Dieu dans la cité céleste, alors tu commenceras à parler des mystères de Dieu.

       Je ne dis là rien d'étrange, je ne recherche pas le paradoxe, je me fais seulement disciple des Apôtres et je deviens ainsi maître pour les païens car je livre fidèlement la tradition à ceux qui se font les disciples de la vérité. Qui, en effet, instruit droitement par le Verbe et engendré par sa bienveillance, ne chercherait à apprendre exactement tout ce que le Verbe a clairement enseigné à ses disciples. C'est pour cela que le Verbe a été envoyé : pour qu'il se manifestât au monde, lui qui a été méprisé par son peuple, qui a été annoncé par les Apôtres, qui a été cru par les païens. Lui qui était dès le commencement, il est apparu comme nouveau et a été reconnu comme ancien et il renaît, toujours jeune, dans le cœur des saints. Lui qui est toujours, il est reconnu aujourd'hui comme Fils.

       Par le Fils, l'Église s'enrichit, la grâce s'épanouit et surabonde dans le cœur des saints, elle se réjouit à cause de ceux qui croient, elle se donne à ceux qui la cherchent en respectant la règle de foi et en ne transgressant pas les bornes fixées par les Pères. Voici donc que la crainte de la Loi du Seigneur est chantée, que la grâce des Prophètes est reconnue, que la foi des Évangiles est affermie, que la tradition des Apôtres est conservée et que la grâce de l'Église danse de joie. Cette grâce, ne la centriste pas et alors tu connaîtras les secrets que le Verbe révèle, par qui il veut, quand il lui plaît. Que le Verbe de vérité en toi devienne ta vie. Le salut se montre, les Apôtres sont compris, la Pâque du Seigneur approche, les temps s'accomplissent, l'ordre de l'univers s'établit et le Verbe se réjouit d'enseigner les saints. Par lui, le Père est glorifié. A lui la gloire dans les siècles des siècles.

 

Quatorzième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau,

et moi je vous soulagerai

matthieu 11, 28

 

 

Sermon de saint Colomban, abbé

 

       Frères très chers, prêtez l'oreille à nos paroles, étanchez votre soif aux eaux de la fontaine divine dont nous désirons vous parler, étanchez-la, mais ne l'éteignez pas, buvez, mais ne soyez pas rassasiés. La Fontaine vivante, la Fontaine de vie nous appelle à Elle et nous dit : « Celui qui a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive. » Comprenez ce que vous buvez. Qu'Isaïe vous le dise, qu'Elle vous le dise la Fontaine elle-même : « Ils m'ont abandonnée, moi la fontaine d'eau vive, Parole du Seigneur. » C'est donc le Seigneur lui-même notre Dieu, Jésus-Christ, qui est la Fontaine de vie et c'est pourquoi il nous invite à venir à lui, la Fontaine, pour que nous le buvions. Il le boit celui qui aime, il le boit celui qui se repaît de la Parole de Dieu, il boit, celui qui aime vraiment, qui est vraiment un homme de désir, qui brûle de l'amour de la sagesse. Nous les païens, buvons donc à la Source que les juifs ont abandonnée. Pour que nous mangions de ce pain, pour que nous buvions à cette Fontaine qui est notre Seigneur Jésus-Christ lui-même, il se dit le Pain vivant qui donne la vie au monde et que nous devons manger, il se montre comme la fontaine : « Celui qui a soif qu'il vienne à moi et qu'il boive », et de cette fontaine le Prophète nous dit : « Parce qu'auprès de toi est la fontaine de la vie. »

       Voyez d'où coule cette fontaine, voyez aussi d'où descend ce pain : c'est le même, en effet, qui est Pain et Fontaine, le Fils Unique, notre Dieu, le Christ Seigneur, dont nous devons sans cesse avoir faim. Notre amour nous le donne en nourriture, notre désir nous le fait manger ; rassasiés, nous le désirons encore. Allons à lui comme à une fontaine et buvons-le toujours dans l'excès de notre amour, buvons-le toujours dans un désir toujours nouveau, prenons notre joie dans la douceur de son amour. Le Seigneur est doux et bon. Nous le mangeons et le buvons, sans cesser d'avoir faim et soif de lui, car nous ne saurions épuiser cette nourriture et cette boisson. Nous mangeons de ce pain, nous ne l'épuisons pas ; nous buvons à cette fontaine, elle ne tarit pas. Ce pain est éternel, cette fontaine coule sans fin, notre fontaine est douce.

       Le Prophète dit : « Vous qui avez soif, allez à la fontaine. » C'est la fontaine de ceux qui ont soif, non de ceux qui sont abreuvés. Elle appelle ceux qui ont faim et soif, qu'ailleurs elle dit bienheureux, eux dont la soif n'est jamais étanchée, et qui ont d'autant plus soif qu'ils se sont déjà abreuvés à la fontaine. Nous devons donc désirer, frères, la Fontaine de la sagesse, le Verbe de Dieu dans les hauteurs, nous devons la chercher, nous devons l'aimer. En elle sont cachés, comme le dit l'Apôtre, tous les trésors de la sagesse et de la science et elle invite tous ceux qui ont soif à s'abreuver. Si tu as soif, va boire à la fontaine de vie. As-tu faim, mange le pain de vie. Bienheureux ceux qui ont faim de ce pain et soif de cette fontaine. Buvant et mangeant sans fin, ils désirent encore boire et manger. Douce est la nourriture et douce la boisson. Nous mangeons et nous buvons, nous avons encore faim et nous avons encore soif, notre désir est comblé et nous ne cessons de désirer. C'est pourquoi le Roi prophète s'écrie : « Goûtez et voyez comme est doux le Seigneur. » Aussi, frères, suivons notre appel. La Vie, la Fontaine d'eau vive, la Fontaine de la vie éternelle, la Fontaine de lumière et la Source de clarté nous invite elle-même à venir et à boire : là nous trouvons la sagesse et la vie, la lumière éternelle. Là, buvons l'eau vive, jaillissant pour la vie éternelle.

 

Quinzième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

Voici que le semeur est sorti pour semer

matthieu 13, 3 b

 

 

Sermon de saint Charles Borromée, évêque

 

       En visitant les fidèles de Rome par sa lettre, l'Apôtre Paul les avertissait d'abord de se convaincre qu'ils étaient faibles et endormis et ensuite, de bien comprendre ce qu'ils auraient à faire. « L'heure est venue de sortir du sommeil. » Nous aussi, frères très chers, nous sommes venus parmi vous pour vous tirer du sommeil, pour vous guérir de votre léthargie autant que le Seigneur nous l'accordera. C'est pourquoi empruntant les paroles de l'Apôtre, nous pensons que deux choses sont requises de vous : que vous soyez d'abord conscients que vous dormez ; et puis, que l'heure est venue de vous réveiller. Profitez de cette heure, frères très chers, car il ne vous en sera sans doute pas accordé une autre. L'Apôtre ne défend pas le sommeil du corps que la nature nous accorde pour reprendre des forces ; il parle ici du sommeil de l'âme qui est funeste, lui, et qu'elle doit secouer.

       En toute vérité, le pécheur est un homme qui dort et qui dort profondément. Que cette torpeur est donc grave ! Le bateau qui portait Jonas était secoué par la mer en furie. Tout le monde s'agitait, criait, se lamentait. Au milieu de ce bouleversement, seul, Jonas, qui fuyait la face de Dieu après avoir désobéi à ses ordres, dormait, sans souci, dans un coin du vaisseau... Quel grand obstacle notre somnolence n'a-t-elle pas été pour le salut de l'univers entier ! Si les montagnes qui nous entourent, les vastes régions et les provinces qui ont erré dans la foi pouvaient parler, nous les entendrions crier certainement ; l'ennemi est venu pendant que nous dormions et il a semé la mauvaise graine dans notre champ. Soyons donc vigilants, frères, et ne permettons pas à nos yeux de céder à ce sommeil.

       Courage donc, mes fils très chers. Si jusqu'à présent il y en avait parmi vous qui dormaient, qu'ils ouvrent les yeux et se secouent de leur torpeur. Le temps est venu. La longue nuit s'achève et le jour pointe. Allez-vous continuer à joindre le jour à la nuit comme les loirs ou les taupes ? Songez que ceux qui dorment l'été se condamnent à souffrir la faim en hiver, et que ceux qui ne travaillent pas dans le siècle présent se préparent une moisson de tourments dans le siècle à venir. Voici le jour favorable. En ce jour, Dieu nous a envoyé vers vous pour faire tomber les écailles de vos yeux et pour que nous vous aidions à vous lever. Levez-vous, levez-vous vite et soyez vigilants le temps de cette vie, pour jouir du repos sans fin.

 

Seizième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

II en va du Royaume des Cieux comme d'un homme qui a semé du bon grain dans son champ

matthieu 13, 24 b

 

 

Sermon de saint François de Sales, évêque

 

       Saint Augustin disait : Si vous dites que la semence que les Apôtres avaient semée est partout perdue, nous vous répondrons : lisez-nous ceci dans les Saintes Écritures, et vous ne le lirez jamais que vous ne rendiez faux ce qui est écrit, que la semence qui fut semée au commencement croîtrait jusqu'au temps de moissonner. « La bonne semence, ce sont les enfants du Royaume, la zizanie, ce sont les mauvais, la moisson, c'est la fin du monde. » Ne dites donc pas que la bonne semence soit abolie ou étouffée, car elle croît jusqu'à la fin du monde. Les dons et les grâces de Dieu sont sans repentance, c'est-à-dire qu'il ne donne pas pour ôter. Sa divine Providence conserve perpétuellement la génération du moindre oisillon du monde, comment, je vous prie, eût-il abandonné l'Église qui lui coûte tout son sang et tant de peines et travaux ? Dieu tira Israël de l'Egypte, des déserts, de la mer Rouge, des calamités et captivités, comment croirons-nous qu'il ait laissé l'Église en l'incrédulité ? S'il a tant aimé Agar, comment méprisera-t-il Sara ? Ignorez-vous que notre Seigneur se soit acquis l'Église en son sang ? Et qui pourra la lui lever et ôter d'entre les mains ?

       Ne sait-on pas que la reformation de l'homme est un bien plus profond mystère que la formation et qu'en la formation Dieu dit et il fut fait. Il inspira l'âme vivante et il ne l'eut pas plus tôt inspirée que l'homme commença à respirer. Mais la reformation, Dieu employa trente-trois ans, sua le sang et l'eau et mourut même de cette reformation. Et qui donc sera si téméraire de dire que cette Église est morte ? Notre Seigneur avait mis le feu de sa charité dans le monde, les Apôtres avec le souffle de leur prédication l'avaient accru et fait courir de partout. On dit qu'il était éteint par les eaux d'ignorance et d'iniquité. « Ô voix impudente, dit saint Augustin, l'Église ne sera point parce que tu n'y es point ? » Non dit saint Bernard ; les torrents sont venus, les vents ont soufflé et l'ont combattue, elle n'est point tombée parce qu'elle était fondée sur la pierre, et la pierre était Jésus-Christ.

       Laissez croître l'ivraie et le bon grain jusqu'à la moisson... Les comparaisons évangéliques montrent clairement toute cette vérité. Saint Jean compare l'Église à l'aire d'une grange en laquelle est non seulement le grain pour le grenier, mais la paille pour être brûlée au feu éternel. Ne sont-ce pas les élus et les réprouvés ? Notre Seigneur la compare au filet jeté en la mer duquel on retire les bons et les mauvais poissons, à la compagnie de dix vierges dont cinq sont folles et cinq sont sages, à trois serviteurs dont l'un est paresseux et partant jeté dans les ténèbres extérieures, et, enfin, à un festin de noce dans lequel sont entrés bons et mauvais et les mauvais n'ayant pas la robe convenable sont jetés dans les ténèbres extérieures. Ne sont-ce pas autant de preuves suffisantes que non seulement les élus, mais encore les réprouvés sont dans l'Église ? Il y a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus. Tous ceux qui sont en l'Eglise sont appelés, mais tous ceux qui y sont ne sont pas élus. Aussi Église ne veut pas dire élection, mais convocation.

 

Dix-septième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

Le Royaume des Cieux est semblable à un trésor qui était caché dans un champ et qu'un homme vient à trouver :

il le recache, s'en va ravi de joie vendre tout ce qu'il possède, et achète ce champ

matthieu 13, 44

 

 

Du Grand Exorde de Cîteaux

 

       Le Dieu éternel, Fils du Dieu éternel, notre Seigneur Jésus-Christ, Créateur de l'univers et Rédempteur de tous ceux qui croient en lui, aux jours de sa faiblesse, a opéré le salut au milieu de la terre et a prêché au monde le chemin salutaire d'une parfaite conversion en disant : « Convertissez-vous car le Royaume des Cieux est arrivé. » Rendons grâces à la miséricorde infinie de Dieu qui a regardé d'un œil plein de douceur le malheur des fils d'Adam et a adouci l'étroitesse de la Loi qui appliquait sans miséricorde pour toute faute la peine du talion en demandant œil pour œil et dent pour dent. Il l'a adoucie, cette loi, par la douceur incarnée de son Verbe. Et pour que les faibles hommes ne soient terrifiés par le mot de pénitence, qui évoque l'idée de peine, il prit soin d'adoucir la dureté de la parole par un mot de réconfort, un mot digne d'être bien accueilli : « Le Royaume de Dieu est arrivé. » Quel homme de bon sens, si faible, si fragile soit-il, ne supporterait avec patience et même avec gratitude le poids temporaire de la pénitence, non seulement pour éviter une peine future qui n'aurait pas de fin, mais surtout pour avoir part au Royaume des Cieux qui sera éternel.

       Le bienheureux Jean Baptiste, précurseur du Seigneur dans cette prédication de la pénitence, a jugé que l'on devait accomplir de vrais fruits de pénitence : aussi nous faut-il chercher avec attention quelle est la forme de la conversion parfaite qui paraît suffire à accomplir de dignes fruits. Mais où trouverions-nous cette forme mieux que dans les paroles et les actions du maître des maîtres, Jésus-Christ notre Seigneur ? Quelqu'un qui avait de grands biens demanda au Seigneur ce qu'il fallait faire pour obtenir la vie éternelle. Le Seigneur lui recommanda d'observer les commandements de la Loi. Il répondit qu'il les observait depuis sa jeunesse. Alors le Seigneur ajouta : « II te manque encore une chose : Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, puis, viens, suis-moi, et tu auras un trésor dans les cieux. »

       Il convenait que la Sagesse du Père Très-Haut, qui venait enseigner la loi de la justice parfaite, imprimât cette loi comme un sceau dans le petit troupeau de l'Église naissante. Le Seigneur ayant souffert dans sa chair et étant ressuscité des morts et monté aux cieux envoya à ses disciples l'Esprit Saint qu'il avait promis! La foule des croyants s'accrut et la beauté de cette vie dans l'Esprit que nous appelons la conversion parfaite commença à resplendir, comme l'atteste Luc : « La multitude des croyants n'avait qu'un cœur et qu'une âme. Nul ne disait sien ce qui lui appartenait, mais entre eux, tout était commun. » Les propriétaires de champs où de maisons vendaient leurs biens et en déposaient le prix aux pieds des Apôtres. Luc témoigne également de l'admiration que ce genre de vie élevé suscitait dans le cœur de ceux qui ne croyaient pas, lorsqu'il dit : « Personne d'autre n'osait se joindre à eux, mais tous célébraient leurs louanges. » Et ce n'est pas seulement à Jérusalem que cette école de la primitive Église était instituée sous des règles venues du ciel, mais aussi à Antioche, avec pour maîtres Paul et Barnabé, où elle fut florissante. C'est là que, pour la première fois, les disciples furent appelés chrétiens.

 

Dix-huitième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

Tous mangèrent et furent rassasiés, et l'on emporta le reste ; des morceaux : douze pleins couffins !

matthieu 14, 20

 

 

Sermon de saint Éphrem, diacre

 

       Au désert, notre Seigneur multiplia le pain et, à Cana, il changea l'eau en vin. Il habitua ainsi la bouche des disciples à son pain et à son vin jusqu'au temps où il leur donnerait son corps et son sang. Il leur fit goûter un pain et un vin qui passent pour éveiller en eux le désir de son corps et de son sang vivifiants. Il leur donna libéralement ces menues choses, pour qu'ils sachent que le don parfait serait gratuit. Non seulement il nous a donc comblés gratuitement de ses dons, mais il nous a entourés de sa tendresse. Il nous a donné ces menues choses gratuitement afin que nous allions et recevions gratuitement cette chose si grande qu'est l'eucharistie. Ces morceaux de pain et ce vin étaient doux au palais, mais le don de son corps et de son sang est utile à l'esprit.

       Comme premier signe, il fit un vin réjouissant pour les convives, afin de manifester que son sang réjouirait toutes les nations. Le vin intervient dans toutes les joies et de même toutes les délivrances se rattachent au mystère de son sang. Il donna aux convives un vin excellent qui transforma leur esprit pour leur faire savoir que la doctrine dont il les abreuverait transformerait leur cœur.

       De même, en un clin d'œil, le Seigneur a multiplié un peu de pain. Il a prouvé la force pénétrante de sa parole à ceux qui l'exécutaient, et la largesse avec laquelle il octroyait ses dons à ceux qui en étaient les bénéficiaires. Ce n'est pas à sa puissance qu'il a mesuré ce miracle, mais à la faim de ceux qui étaient là. Et, mesuré à la faim de milliers de gens, le miracle a dépassé les douze corbeilles. Chez tous les artisans, la puissance est inférieure au désir des clients, ils ne peuvent pas faire tout ce qu'on leur demande : les réalisations de Dieu, au contraire, dépassent tout désir.

       Rassasiés au désert comme jadis les Israélites à la prière de Moïse, ils s'écrièrent : « Celui-ci est le Prophète dont il est dit qu'il viendra dans le monde. » Ils faisaient allusion aux paroles de Moïse : « Le Seigneur vous suscitera un prophète », non pas n'importe lequel, mais « un Prophète comme moi », qui vous rassasiera de pain dans le désert. Comme moi il a marché sur la mer, il est apparu dans la nuée, il a libéré son Église de la circoncision.

       Mais le pain de Moïse n'était pas parfait, c'est pourquoi il a été donné aux seuls Israélites. Aussi voulant lénifier que son don est supérieur à celui de Moïse et la vocation des nations plus parfaite, notre Seigneur dit : « Quiconque mangera de mon pain vivra éternellement », car le pain de Dieu est descendu des deux et il est donné au monde entier.

 

Dix-neuvième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

A la quatrième veille de la nuit, il vint vers eux en marchant

sur la mer matthieu 14, 25

 

 

Sermon de saint Pierre Chrysologue, évêque

 

       Le Christ réalise des mystères divins dans ses actions humaines et, à travers des réalités visibles, il accomplit des œuvres invisibles. Il monte dans une barque : n'est-ce donc pas lui qui découvrit le lit de la mer après avoir rejeté ses eaux, afin que le peuple d'Israël passe à pied sec comme en une vallée ? N'est-ce donc pas lui qui affermit sous les pieds de Pierre les vagues de la mer, de sorte que l'eau fournisse à ses pas un chemin solide et sûr ? Comment se fait-il, alors, qu'il refuse l'obéissance de la mer et veuille faire la traversée du lac sur une barque de louage ? Il monta dans une barque, dit l'Évangile, et il fit la traversée.

       Qu'y a-t-il de surprenant dans ce geste du Christ, frères ? Il est venu prendre nos infirmités et nous donner en partage sa force, il est venu chercher ce qui était de l'homme pour lui donner ce qui était à Dieu. Il est venu rechercher les injures pour nous rendre nos dignités, il est venu supporter la souffrance pour nous donner en échange la santé ; un médecin, en effet, qui ne souffre pas de maladies ne sait vraiment guérir, et celui qui ne s'est pas fait faible avec les faibles ne peut redonner la santé à un faible. Si le Christ était demeuré dans sa force, il n'aurait rien eu de commun avec les hommes et s'il ne s'était soumis aux lois de la chair, il aurait pris inutilement notre chair. Il se soumit donc à ces lois pour éprouver les lois humaines dans la vérité de son humanité.

       II monte dans la barque. Le Christ pour traverser la mer de ce monde jusqu'à la fin des temps, monte dans la barque de son Eglise pour conduire ceux qui croient en lui jusqu'à la patrie du ciel par une traversée paisible, et faire citoyens de son Royaume ceux avec lesquels il communie en son humanité. Le Christ n'a, certes, pas besoin de la barque, mais la barque a besoin du Christ. Sans ce pilote céleste, en effet, la barque de l'Église agitée Par les flots n'arriverait jamais au port... L'Évangile continue : il vint dans sa ville. Le Créateur des choses, !e Seigneur de l'univers, après s'être pour nous humilié en la chair, commença à avoir une humaine patrie, commença à être citoyen d'une ville juive, à avoir des parents, lui de qui vient toute parenté, afin que l'amour invite, la charité attire, l'affection conquière, l'humanité persuade ceux que la domination faisait fuir, que la crainte dispersait, que le pouvoir terrorisait.

 

Vingtième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

La femme était arrivée et se tenait prosternée devant lui en

disant : « Seigneur, viens à mon secours ! »

matthieu 15, 25

 

 

Sermon de saint Romain le Mélode, prêtre

 

       La pécheresse dit : la miséricorde du Christ m'environne, me cherchant, quand je m'égare par ma faute. C'est pour moi, en effet, qu'il est partout en quête, c'est pour moi qu'il dîne chez le pharisien, lui qui nourrit le monde tout entier ; et il fait de la table un autel de sacrifice où il s'étend, remettant leur dette à ses débiteurs pour qu'ils s'approchent avec confiance.

       L'odeur de la table du Christ attire la fille, naguère perdue, à présent ferme dans le bien... Avidement, elle y accourt et, dédaignant les miettes, elle a saisi le pain ; plus affamée que la Cananéenne, elle a rassasié son âme vide, car elle avait autant de foi. Ce n'est pas son cri d'appel qui l'a rachetée mais son silence, car elle a dit dans un sanglot : « Seigneur délivre-moi du gouffre de mes œuvres. »

       Ainsi le dit le livre des Évangiles : comme le Seigneur était à table dans la maison du pharisien, une femme — dès qu'elle le sut — se hâta de s'y rendre, se précipitant dans la pénitence. Allons mon âme, dit-elle, voici le temps que tu demandais ! Je m'en vais à lui, car c'est pour moi qu'il est venu. Je laisse mes anciens amis car, celui d'aujourd'hui, je le désire passionnément, et puisqu'il m'aime, à lui mon parfum et mes larmes. Le désir du désiré me transfigure et j'aime celui qui m'aime comme il veut être aimé. Je me repens et me prosterne, c'est là ce qu'il attend ; je cherche le silence et la retraite, c'est là ce qui lui plaît.

       J'irai donc pour être illuminée, comme le dit l'Écriture, je vais approcher du Christ et je ne serai pas confondue. Il ne me fera pas de reproches, il ne me dira pas : « Jusqu'à présent tu étais dans les ténèbres et tu es venue me voir, moi le soleil. » Aussi je prendrai du parfum et je ferai de la maison du pharisien un baptistère où je laverai mes fautes et où je me purifierai de mon péché. De larmes, d'huile et de parfum, je remplirai la cuve baptismale où je me laverai, où je me purifierai, et je m'échapperai du gouffre de mes œuvres. Voici venu le temps que j'ai désiré voir, le jour, l'année de grâce brillent sur moi.

 

Vingt et unième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

Jésus lui dit : « Tu es heureux, Simon fils de Jonas, car cette

révélation t'est venue, non de la chair et du sang, mais de

mon Père qui est dans les cieux »

matthieu 16, 17

 

 

Sermon de saint Nicétas de Remesiana, évêque

 

       On trouve dans l'Écriture beaucoup de noms et d'expressions qui conviennent à Jésus notre Seigneur et Sauveur. Il est dit Verbe, Sagesse, Lumière, Force. On l'appelle : « Droite de Dieu, son bras, son Ange ». On lui donne aussi le nom d'homme, d'agneau, de brebis, de prêtre. Il se dit : chemin, vérité, vie. Voyez encore : rédemption, pain, pierre, médecin, fontaine d'eau vive, paix, juge, porte.

       Tous ces noms s'emploient, bien que le Fils de Dieu, notre Dieu, soit unique, et par eux nous pouvons connaître le sens de sa puissance et de son économie salutaire. Tu as entendu ces noms ? Sais-tu ce qu'ils signifient ?

       Il est dit « Verbe », soit parce que le Père l’a engendré sans passion, soit parce que sa génération n'entraîne pas une diminution de la substance paternelle.

       Il est appelé « Sagesse », parce que, par lui, toutes choses ont été disposées avec sagesse dans le commencement.

       Il est dit « Lumière », parce que c'est lui qui a illuminé les ténèbres primordiales du monde et que sa venue dans la chair a mis en fuite les ténèbres qui obscurcissaient l'esprit des hommes.

       Il est dit « Fils de l'homme », parce que, pour nous les hommes, il a voulu naître comme un homme. Il est dit « agneau » à cause de son innocence sans tache. Il est appelé « brebis » et par là nous est rappelée sa Passion, « prêtre », soit parce qu'il a offert son corps en victime et sacrifice pour nous au Dieu Père, soit parce que pour nous, chaque jour, il accepte d'être offert. Il est « chemin » : c'est par lui que nous allons au salut ; « vérité » : il détruit le mensonge ; « vie », car il anéantit la mort. On l'appelle « vigne » : sur la croix il a étendu les rameaux de ses bras en offrant au monde un grand fruit de douceur. Le nom de « justice » nous rappelle que la foi en son nom justifie les pécheurs. Il est dit « rédemption » car au prix de son sang il nous a rachetés, nous qui autrefois étions perdus ; « pain », car il apaise notre faim de savoir par son Évangile ; « médecin » parce qu'il a guéri par sa visite nos faiblesses et nos blessures. On l'appelle « fontaine d'eau vive » : par le baptême de la nouvelle naissance il lave les pécheurs et les rend à la vie. Son nom est « paix », car il rassemble dans l'unité les hommes divisés ; « résurrection », parce qu'il fera se lever du tombeau les corps ensevelis ; « juge », car il viendra juger les vivants et les morts.

       Parce que le Seigneur de tous est appelé de tant de noms, de tant de titres, prends courage, baptisé, et enracine en lui ton espérance de toutes tes forces.

       Pour que tu connaisses le Père, il est Verbe. Si tu veux penser avec droiture, cherche-le : il est la sagesse. Si ton esprit est envahi par les ténèbres, va au Christ : il est la lumière. Es-tu faible ? Tu as un abri car il est force et médecin. S'il te paraît difficile de parvenir à la grandeur impressionnante du Fils unique, ne désespère pas car il s'est fait homme pour que les hommes puissent avoir accès plus facilement à lui.

 

Vingt-deuxième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

A dater de ce jour, Jésus commença de montrer à ses disciples qu'il lui fallait

s'en aller à Jérusalem y souffrir beaucoup de la part des anciens,

des grands prêtres et des scribes, être tué et le troisième jour, ressusciter

matthieu 16, 21

 

 

Sermon de saint Augustin, évêque

 

       Vous entendez lire la résurrection du Christ dans l'Évangile. C'est cette résurrection qui est le fondement de notre foi. La Passion du Christ, les païens, les impies et les juifs la croient. Sa résurrection, personne, sinon les chrétiens. La Passion du Christ signifie les misères de cette vie. La résurrection du Christ montre la béatitude du monde à venir. Travaillons dans le présent. Espérons dans l'avenir. Maintenant, c'est le temps du labeur, viendra ensuite le temps de la récompense. Celui qui est paresseux dans le travail est illogique s'il attend un salaire.

       Vous avez entendu ce que dit le Seigneur à ses disciples après la résurrection. Il les envoie prêcher l'Évangile et ils l'ont fait. Écoutez : « Sur toute la terre s'en va leur message et leurs paroles jusqu'aux extrémités du monde. » Pas à pas, l'Évangile est parvenu jusqu'à nous et jusqu'aux confins de la terre. En peu de mots, le Seigneur s'adressant à ses disciples établit ce que nous devons faire et ce que nous devons espérer. Il dit, en effet, comme vous l'avez entendu : « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé. » II demande notre foi et il nous offre le salut. Si précieux est ce qu'il nous offre que ce qu'il nous demande n'est rien.

       « Ainsi, mon Dieu, les fils des hommes à l'ombre de tes ailes ont abri, ils s'enivrent de la graisse de ta maison, au torrent de tes délices tu les abreuves, car en toi est la source de vie. » Jésus-Christ est la source de la vie. Avant que la source de vie ne parvînt jusqu'à nous, nous n'avions qu'un salut humain, semblable à celui des animaux dont parle le psaume : « L'homme et le bétail, tu les sauves Seigneur. » Mais maintenant la source de la vie est venue jusqu'à nous, la source de la vie est morte pour nous. Nous refusera-t-il sa vie, celui qui pour nous a donné sa mort ? Il est le salut et ce salut n'est pas vain comme l'autre. Pourquoi ? Parce qu'il ne passe pas. Le Sauveur est venu. Il est mort, mais il a tué la mort. Il a mis à la mort un terme en lui. Il l'a assumée et il l'a tuée. Où donc est maintenant la mort ? Cherche-la dans le Christ et elle n'y est plus. Elle y a été, mais elle est morte là. Ô vie, mort de la mort ! Reprenez courage. Elle mourra aussi en nous.

       Ce qui s'est accompli dans la Tête s'accomplira aussi dans les membres et la mort mourra aussi en nous. Mais quand ? A la fin des temps, à la résurrection des morts, que nous croyons et sur laquelle nous n'avons pas de doute. « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé. » Écoute la suite aussi et   crains : « Celui qui ne croira pas sera condamné. » La mort mourra en nous, mais elle vaincra en ceux qui seront condamnés. Elle mourra en nous et n'existera plus. Voulez-vous le savoir ? Je vais vous le dire en quelques mots, afin que vous ayez de quoi méditer, de quoi chanter en vos cœurs, de quoi espérer en votre âme, de quoi chercher en vos œuvres. Écoutez les voix des vainqueurs de la mort, quand la mort sera morte en nous comme elle l'est dans le Christ notre tête. « II faut que ce qui est corruptible revête l'incorruptibilité et le mortel l'immortalité. » Alors sera accompli ce qui est écrit :      « La mort a été engloutie dans la victoire ! » Ô mort, c'est lorsque tu t'es attaquée à mon maître que tu es morte pour moi. Et de ce salut sera sauvé celui qui croira et sera baptisé.

 

Vingt-troisième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

Je vous le dis en vérité, si deux d'entre vous, sur la terre, unissent leurs voix pour

 demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux

matthieu 18, 19

 

 

Sermon de saint Augustin, évêque

 

       Je voudrais vous parler d'un psaume dont vous désirez le commentaire. C'est par un saint désir qu'il commence et celui qui le dit chante : « Comme gémit une biche après l'eau vive, ainsi languit mon âme vers toi mon Dieu. » Qui parle ainsi ? Nous-mêmes si nous le voulons. En réalité, il s'agit moins ici d'un seul homme que d'un corps tout entier et du corps du Christ qui est l'Eglise. Non pas que nous trouvions un tel désir dans le cœur de tous ceux qui entrent dans une église, mais parce que ceux qui ont goûté la douceur du Seigneur, et qui se reconnaissent dans ce psaume, découvrent qu'ils ne sont pas seuls et comprennent qu'ils sont une semence jetée dans le champ du Seigneur, c'est-à-dire la terre entière, et que ce chant est celui de l'unité des chrétiens : « Comme gémit une biche après l'eau vive, ainsi languit mon âme vers toi mon Dieu. » Essayons de comprendre ce chant qui nous est destiné. Ah ! frères, comprenez ma ferveur, communiez avec moi dans ce désir : aimons ensemble, ensemble brûlons de cette soif, courons ensemble à la source qui nous fera comprendre, désirons cette source dont l'Écriture dit ailleurs : « En toi est la source de la vie. »

       Le Seigneur est source et lumière : « En ta lumière, nous verrons la lumière. » Cours à la fontaine, désire la source des eaux. Auprès de Dieu est la fontaine de la vie et une fontaine qui ne tarit jamais. Dans sa lumière, un éclat qui ne connaît point d'ombre. Désire cette lumière, cette source, cet éclat que ne connaissent pas tes yeux. Cette lumière, l'œil intérieur se prépare à la voir ; cette fontaine, une soif intérieure brûle d'y puiser. Que rien ne ralentisse ta course ; cours sans relâche, sans relâche désire la fontaine. Entends la suite du psaume : « Mon âme a soif du Dieu vivant ! » De quoi a-t-elle soif : « Quand viendrai-je et paraîtrai-je devant la face de Dieu ? » C'est cela dont j'ai soif, venir et me tenir devant Dieu. J'ai soif durant la route, j'ai soif durant ma course, je serai abreuvé en arrivant au terme. Quand donc viendrai-je ? Ce qui est court aux yeux de Dieu est long pour mon désir : « Quand viendrai-je et paraîtrai-je devant la face de Dieu ? » C'est rempli du même désir que le psalmiste dit ailleurs : « Une chose qu'au Seigneur je demande, la chose que je cherche, c'est d'habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie. » Et pourquoi ? « Pour contempler la douceur du Seigneur. »

       Tandis que je médite, tandis que je suis en route, avant de venir, avant de paraître, « je n'ai de pain que mes larmes la nuit, le jour, moi qui tout le jour entends dire : où est-il ton Dieu ». Harcelé par cette question, sans cesse nourri de mes larmes, de jour et de nuit j'ai médité sur ce que j'avais entendu : « Où est-il ton Dieu ? » Moi-même j'ai cherché mon Dieu afin de pouvoir, non seulement croire en lui, mais aussi de quelque manière le voir. Je vois, en effet, les œuvres de mon Dieu, mais je ne vois pas mon Dieu qui les a faites. Je vois l'immensité des mers qui nous entourent : elle m'étonne et me ravit, mais j'en cherche l'auteur ; je regarde le ciel, la beauté des étoiles, j'admire la splendeur du soleil qui suffit à faire le jour et la lune qui nous rend la nuit si douce. Tout cela est admirable, tout cela fait jaillir la louange, tout cela plonge dans l'étonnement. Mais rien qui étanche ma soif. J'admire, je chante, mais j'ai soif de celui qui a fait tout cela. Je reviens en moi-même, moi qui cherche ainsi, et je cherche qui je suis, moi qui cherche ainsi...

       Ainsi ai-je cherché mon Dieu dans ses œuvres visibles et matérielles et ne l'ai point trouvé, ainsi l'ai-je cherché en moi-même comme s'il ressemblait à ce que je suis et je ne l'ai point trouvé, j'ai découvert alors que Dieu était bien plus que mon âme elle-même. J'ai cherché à comprendre, mais cette tâche est trop dure pour moi, jusqu'au jour où j'entrerai dans la tente admirable, dans la maison de Dieu, et là je comprendrai la fin de toutes choses. Oui, là est la source de l'intelligence : dans le sanctuaire de Dieu, dans la maison de Dieu. Là est une fête éternelle. Là Dieu est vu face à face, là on goûte une joie sans défaut, ce jour de fête est tel qu'il n'a pas de matin et qu'il n'a pas de soir. « Pourquoi donc es-tu triste mon âme, pourquoi gémir sur toi ? Espère en Dieu, je le louerai encore. » Et voici ma louange : « Mon sauveur et mon Dieu. »

 

Vingt-quatrième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

Apitoyé, le maître de ce serviteur le relâcha et lui fit remise de sa dette

matthieu 18, 27

 

 

Sermon de saint Pacien de Barcelone, évêque

 

       Je désire vous montrer comment, dans le baptême, nous naissons et nous sommes renouvelés. Comprenez donc, en premier lieu, mes très doux fils, en quelle mort l'homme se trouve, avant son baptême. Vous savez bien l'antique condamnation qui rejeta Adam dans son origine terrestre. Vous savez que ce jugement le soumit à la loi de la mort éternelle : après son péché, Adam fut livré à la mort par le Seigneur lorsqu'il lui dit : « Tu es terre, et tu iras dans la terre. » Ce décret reflua sur tout le genre humain. Tous, en effet, ont péché en raison des exigences de la nature, comme le dit l'Apôtre : « De même que, par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, ainsi la mort a passé dans tous les hommes du fait que tous ont péché. » Le péché a donc régné et c'est, chargés de ses liens, que nous étions conduits à la mort comme des captifs et à une mort éternelle. Qui donc a pu libérer l'homme de cette mort ? Écoutez l'Apôtre : « Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps qui me voue à la mort ? » Et il répond : « La grâce par Jésus-Christ notre Seigneur. »

       Qu'est-ce que la grâce ? C'est la rémission du péché, c'est-à-dire un don. La grâce est un don. Le Christ est venu, il a pris une humanité qu'il a présentée à Dieu pure de toute emprise du péché et innocente, principe de l'humanité nouvelle. Isaïe le dit : « Voici que la Vierge concevra dans son sein et elle enfantera un Fils et vous l'appellerez du nom d'Emmanuel. De laitage et de miel il se nourrira jusqu'à ce qu'il sache rejeter le mal ou choisir le bien. » De même Isaïe dit plus loin : « II n'a pas fait de péché et le mensonge n'a pas été trouvé dans sa bouche. » Fort de cette innocence, le Christ entreprit de défendre notre nom, et cela, dans une chair de péché. Le démon, qui avait reçu tout pouvoir sur les pécheurs, le revendiqua aussi contre celui qui était sans péché. C'est ainsi qu'il fut vaincu, en s'arrogeant à l'égard de celui qui était sans péché des droits que la Loi ne lui permettait pas. Aussi le Christ, foulant aux pieds les traits de la mort, ressuscita en sa chair le troisième jour, réconciliant la chair avec Dieu, la rétablissant dans l'éternité après avoir vaincu et détruit de fond en comble le péché.

       Si le Christ seul a remporté la victoire, qu'arrive-t-il aux autres ? Écoutez rapidement. Le péché d'Adam avait passé dans tout le genre humain. « Par un seul homme, dit l'Apôtre, le péché est entré dans le monde, et par le péché, la mort et ainsi la mort a passé dans tous les hommes. » II faut donc que la justice du Christ, elle aussi, passe dans tout le genre humain. Comme Adam, par le péché, a perdu toute sa descendance, ainsi par sa justice, le Christ donne la vie à tout le genre humain. L'Apôtre insiste sur ce point : « Comme par la désobéissance d'un seul homme, la multitude a été constituée pécheresse, ainsi par l'obéissance d'un seul, la multitude sera-t-elle constituée juste. Et, comme le péché a régné dans la mort, ainsi la grâce régnera par la justice pour la vie éternelle. »

       En ces temps qui sont les derniers, le Christ a reçu de Marie une âme incarnée ; c'est elle qu'il est venu sauver, elle qu'il n'a pas abandonnée aux enfers, elle qu'il a unie à son esprit et faite sienne. Voici les noces du Seigneur, son union à une seule chair, afin que, selon ce grand mystère, ils soient deux en une seule chair, le Christ et l'Église. De ces noces naît le peuple chrétien, sous l'action de l'Esprit Saint venu d'en haut.

 

Vingt-cinquième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

N'ai-je pas le droit de disposer de mes biens comme il me plaît ? ou faut-il que tu sois jaloux parce que je suis bon ?

matthieu 20, 15

 

 

Sermon de saint Augustin, évêque

 

       Je suis le pain vivant descendu du ciel. Vivant parce qu'il est descendu du ciel. La manne aussi descendait du ciel, mais elle n'était qu'un symbole : ce pain est la réalité. Qui mangera ce pain vivra à jamais et le pain que je donnerai c'est ma chair pour la vie du monde. (...) Cela ils n'ont pu le supporter, ils ont dit que c'était trop pour eux, ils l'ont cru impossible. C'est ma chair pour la vie du monde. Les fidèles connaissent le corps du Christ, mais seulement s'ils prennent soin d'être corps du Christ. Il leur faut devenir le corps du Christ pour vivre de l'Esprit du Christ. Veux-tu donc à ton tour vivre de l'Esprit du Christ ? Alors, sois dans le corps du Christ. Est-ce que mon corps vit de ton esprit ? Non, mon corps vit de mon esprit, et ton corps de ton esprit. Le corps du Christ ne peut vivre que de l'Esprit du Christ. Voilà pourquoi, l'Apôtre Paul, expliquant ce pain, dit : « Puisqu'il n'y a qu'un pain, à nous tous, nous ne formons qu'un corps, car nous tous avons part à ce pain unique. Ô sacrement de la piété, signe de l'unité, lien de la charité ! »

       « Si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme et ne buvez son sang vous n'aurez pas la vie en vous. » C'est à des vivants qu'il parlait, non à des cadavres ; aussi, pour éviter qu'ils n'appliquent ces paroles à la vie actuelle et ne se mettent à en discuter, il continue : « Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle. » Celui qui ne mange pas ce pain et ne boit pas ce sang est donc privé de cette vie. Sans ce pain et sans ce sang, les hommes peuvent avoir la vie temporelle, mais absolument pas la vie éternelle. Celui donc qui ne mange pas sa chair et ne boit pas son sang n'a pas la vie en lui. Au contraire, celui qui mange sa chair et boit son sang a la vie. Jésus ne voulant pas qu'ils pensent que la vie éternelle était promise dans cette nourriture et cette boisson, en ce sens que ceux qui les recevraient ne mourraient pas physiquement, a corrigé par avance cette idée. Après avoir dit : « Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle », il ajoute aussitôt : « Et je le ressusciterai au dernier jour. » II existe donc, dans l'intervalle, pour recevoir les âmes des saints dans la paix, une vie éternelle selon l'Esprit. Le corps, lui, n'est pas privé de « vie éternelle, mais il ne l'obtiendra qu'à la résurrection des morts au dernier jour.

       Voici le pain descendu du ciel pour qu'en le mangeant nous ayons la vie puisque, de nous-mêmes, nous ne pouvons avoir la vie éternelle. Il n'est pas comme celui qu'ont mangé nos pères ; eux sont morts. Qui mangera ce pain vivra à jamais. Ceux qui se nourrissent du Christ mourront aussi de la mort temporelle ; mais ils vivent éternellement, puisque le Christ est la vie éternelle.

 

Vingt-sixième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

Un homme avait deux enfants. S'adressant au premier, il dit : « Mon enfant, va-t'en aujourd'hui travailler à la vigne »

matthieu 21, 28

 

 

Sermon de saint Cyrille d'Alexandrie, évêque

 

       Le Verbe qui était Dieu et engendré avant les siècles, l'Écriture nous dit qu'il est engendré aujourd'hui. Qu'est-ce à dire sinon qu'il a voulu faire de nous des fils adoptifs ? C'est dans ce but qu'il prend sur lui la descendance d'Abraham, comme il est écrit, et qu'il devient en tout semblable à ses frères. Ce n'est pas pour lui-même, en effet, qu'il reçoit l'Esprit, lui, le Fils unique, car l'Esprit est à lui, il est en lui, il est par lui... mais il le reçoit, parce que, étant devenu homme, il avait en lui-même toute notre nature pour la réparer toute et tout entière la restaurer. Voyons, en effet, pourquoi les saintes lettres l'appellent le second Adam : dans le premier Adam le genre humain est créé, puis, par la désobéissance, il est corrompu. Dans le second, c'est-à-dire dans le Christ, il prend comme un second départ, il élevé à une vie nouvelle, une vie qui ne finira point.

       Le Verbe a habité en nous. Voilà un très profond mystère. Nous étions tous dans le Christ et la commune personne de l'humanité se reforme et se recrée en lui Ainsi l'a-t-on nommé second Adam, parce qu'il communique à la nature humaine tout entière tous les trésors de bonheur et de gloire, de même que le premier Adam avait attiré sur nous les malédictions de la mort et de l'ignominie. Vous voyez bien qu'il est descendu dans l'esclave non pour y gagner quelque chose mais pour se donner à nous. Il a voulu nous enrichir de sa pauvreté, nous conduire par sa ressemblance avec nous, à la grandeur indicible qui lui est propre et faire de nous des dieux et des enfants de Dieu par la foi. Il a habité en nous, lui qui par nature est Fils de Dieu, de sorte que par son Esprit nous puissions crier « Abba, Père ». En vérité, le Verbe habite en tous, dans l'unique temple qu'il a pris pour nous et de nous, afin que nous portant tous en lui, il nous réconcilie tous ensemble en un seul corps, comme le dit saint Paul, avec Dieu son Père.

       Retenez bien ce grand et profond mystère... Le Verbe, Fils unique de Dieu, est devenu semblable à nous pour que nous devenions semblables à lui autant qu'il est possible à notre nature et que le veut le dessein de notre renouveau surnaturel. Il s'est humilié pour élever à sa propre hauteur ce qui, de par sa nature, est bas. Il a pris forme d'esclave, lui qui par nature est Seigneur et Fils, pour amener celui qui est esclave par nature à la gloire de l'adoption, à la ressemblance du Christ selon ce qu'il est II est devenu ce que nous sommes pour que nous devenions comme il est, je veux dire dieux et fils. Il reçoit en lui, comme si elles étaient à lui, nos misères, pour nous donner en échange ses propres grandeurs.

 

Vingt-septième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

Un homme était propriétaire, et il planta une vigne ; il

l'entoura d'une clôture, y creusa un pressoir et y bâtit une

tour ; puis il la loua à des vignerons et partit en voyage

matthieu 21, 33

 

 

Sermon de saint Jean Chrysostome, évêque

 

       « Le Christ nous a confié le ministère de la réconciliation. » Paul fait ressortir la grandeur des Apôtres en nous montrant quel ministère leur a été confié en même temps qu'il manifeste de quel amour Dieu nous a aimés. Après que les hommes eurent refusé d'entendre celui qu'il leur avait envoyé, Dieu n'a pas fait éclater sa colère, il ne les a pas rejetés. Il persiste à les appeler par lui-même et par les Apôtres. Qui donc ne s'émerveillerait devant tant de sollicitude ? Ils ont égorgé le Fils venu les réconcilier, lui l'unique et le consubstantiel ; le Père ne s'est pas détourné des meurtriers, il n'a pas dit : je leur avais envoyé mon Fils, et non contents de ne pas l'écouter, ils l'ont mis à mort et ils l'ont  crucifié ; désormais, il est juste que je les abandonne. C'est le contraire qu’il a fait, et le Christ ayant quitté la terre, c'est nous qui sommes chargés de le remplacer. « II nous a confié le ministère de la réconciliation, car Dieu lui-même était dans le Christ se réconciliant le monde, ne tenant aucun compte de leur iniquité. »

       Quel amour, qui surpasse toute parole et toute intelligence ! Qui était l'insulté ? Lui-même, Dieu. Et qui a fait le premier pas vers la réconciliation ? C'est lui. Et il nous a confié le ministère de la réconciliation. Ne pensez pas que ce pouvoir réside en nous, nous n'en sommes pas les ministres : c'est Dieu qui a tout fait et qui s'est réconcilié le monde par son Fils unique. Et ce qu'il y a d'admirable ce n'est pas seulement que le monde soit ainsi uni à lui, mais qu'il le soit de manière si intime, « ne tenant aucun compte de leur iniquité ». Si Dieu avait voulu nous en demander compte, en effet, nous étions perdus, puisque « tous étaient morts ». Malgré le si grand nombre de nos péchés, il ne nous a pas frappés de sa vengeance, mais encore il s'est réconcilié avec nous ; non content de nous abandonner notre dette, il l'a même tenue pour rien. Ainsi devons-nous pardonner à nos ennemis si nous voulons obtenir nous-mêmes ce large pardon : « II nous a confié le ministère de la réconciliation. »

       Nous venons donc, non pour une œuvre pénible, mais Pour faire de tous les hommes des amis de Dieu. Puisqu'ils n'ont pas écouté, nous dit le Seigneur continuez à les exhorter jusqu'à ce qu'ils en viennent la foi. De là ce qui suit : « Nous remplissons une ambassade pour le Christ, c'est comme si Dieu vous exhortait par notre bouche. Nous vous en supplions au nom du Christ, réconciliez-vous avec Dieu. » Dieu ne se borne pas à vous exhorter par son Fils, il vous exhorte aussi par nous, investis que nous sommes du même ministère Que pourrait-on comparer à un si grand amour ? Après que nous avons payé ses bienfaits par des outrages, loin de nous châtier, il nous a donné son Fils pour nous réconcilier avec lui. Or, ceux qui le reçurent ne voulurent pas de la réconciliation et ils le firent mourir. Il envoya d'autres ministres pour les exhorter et, par leur voix, c'était toujours lui qui demandait : « Réconciliez-vous avec Dieu. »

 

Vingt-huitième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

II en va du Royaume des deux comme d'un roi qui fit un , festin de noce pour son fils

matthieu 22, 2

 

 

Sermon de saint Augustin, évêque

 

       Quelle est la robe nuptiale dont parle l'Évangile ? Très certainement cette robe est une chose que seuls possèdent les bons, ceux qui doivent participer au festin, ceux qui doivent être gardés pour ce festin dont aucun méchant n'approche, mais où la grâce de Dieu les conduira : seuls, ils portent la robe nuptiale. Mais encore, quel est-il ce vêtement ?... Seraient-ce les sacrements ? le baptême ? Sans le baptême, personne ne parvient jusqu'à Dieu, mais certains reçoivent le baptême et n'arrivent pas effectivement jusqu'à Dieu ; je ne peux donc croire que le sacrement du baptême soit la robe nuptiale, puisque alors, nous verrions cette robe également portée par les bons et par les méchants. Peut-être est-ce l'autel ou ce que l'on reçoit à l'autel ? Mais en recevant le corps du Seigneur beaucoup mangent et boivent leur propre condamnation. Qu'est-ce donc ? le jeûne ? les méchants jeûnent aussi. La fréquentation de l'église ? Les méchants vont à l'église comme les autres Le don des miracles ? non seulement il est commun aux bons et aux méchants, mais souvent les bons ne le possèdent pas.

       Qu'est-ce donc que la robe nuptiale ? L'Apôtre nous dit : « Les préceptes n'ont d'autre fin que la charité qui naît d'un cœur pur, d'une bonne conscience et d'une foi sans feinte. » La voilà la robe nuptiale. Il ne s'agit pas de n'importe quel amour, car souvent on voit s'aimer des hommes qui ont une mauvaise conscience. Ceux qui se livrent ensemble aux brigandages, aux maléfices, ceux que rassemble l'amour des comédiens, des cochers et des gladiateurs, s'aiment généralement entre eux, mais non de cette charité qui naît d'un cœur pur, d'une bonne conscience et d'une foi sans feinte : or, c'est cette charité-là qui est la robe nuptiale.

       Revêtez-vous donc de la robe nuptiale, vous qui ne l'avez pas encore. Déjà vous êtes entrés dans la salle du festin, vous allez vous approcher de la table du Seigneur, mais vous n'avez pas encore, en l'honneur de l'époux, la robe nuptiale : vous cherchez encore vos intérêts et non ceux de Jésus-Christ. Le vêtement nuptial se porte pour honorer l'union nuptiale, c'est-à-dire l'Époux et l’Epouse. Vous connaissez l'Époux, c'est Jésus-Christ, vous connaissez l'Épouse, c'est l'Église. Rendez honneur  à celle qui est épousée, rendez honneur aussi à celui qui l'épouse.

 

Vingt-neuvième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu

matthieu 22, 21

 

 

Sermon de saint Basile de Séleucie, évêque

 

       J'ai vu dans l'Évangile le Seigneur accomplir des miracles et, rassuré par eux, j'affermis ma parole craintive. J'ai vu le centurion se jeter aux pieds du Seigneur, j'ai vu les nations envoyer au Christ leurs prémices. La croix n'est pas encore et déjà les païens se hâtent vers le maître ; on n'a pas encore entendu : « Allez, enseignez toutes les nations » et les nations accourent. Leur course précède leur appel, elles brûlent du désir du Seigneur. La prédication n'a pas encore retenti et elles s'empressent vers celui qui prêche. Pierre, comme dans le sein maternel, est encore enseigné, et elles se rassemblent autour de celui qui l'enseigne. La lumière de Paul n’a pas encore resplendi sous l'étendard du Christ et les nations avec de l'encens viennent adorer le roi. Et maintenant voici qu'un centurion le prie et lui dit : « Seigneur, mon esclave est couché à la maison, paralysé, et il souffre beaucoup. » Voilà bien un nouveau miracle : le serviteur dont les membres sont paralysés conduit son maître au Seigneur et la maladie de l'esclave rend la santé à son propriétaire. Cherchant la santé de son serviteur, il trouve le Seigneur, et tandis qu'il est en chasse pour la santé de son esclave, il devient le gibier du Christ.

       L'esclave se meurt d'une langueur mortelle et son maître est guéri avant lui ; celui qui court pour son serviteur malade commence par prendre le remède. « Seigneur, mon serviteur est couché, paralysé, et il souffre beaucoup. » Pour être esclave, il n'en est pas moins homme celui que le mal étreint. Ne regarde pas la bassesse de l'esclave, mais plutôt la grandeur du mal. Et que dit la bonté suprême ? : « Je viens et je le guérirai. » Moi qui, par souci des hommes, me suis fait homme, qui suis venu pour tous, je n'en mépriserai aucun. Je le guérirai. Par la rapidité de sa promesse, il excite la course de là foi :           « Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres dans ma maison. » Tu vois comment le Seigneur, comme un chasseur, a suscité la foi cachée dans le secret. « Dis seulement une parole et mon serviteur sera guéri de son mal », libéré de la servitude de sa maladie. « Car moi qui suis soumis à des supérieurs, j'ai des soldats sous mes ordres, je dis à l'un : va, et il va, à l'autre : viens, et il vient. J'ai ainsi connu la force de ton pouvoir. A partir de celui que j'ai, j'ai connu celui qui me dépasse. Je vois les armées des guérisons, je vois les miracles en troupe attendre tes ordres. Envoie-les contre la maladie, envoie-les comme j'envoie un soldat. »

       Passerai-je sous silence la louange de ce gentil que le Seigneur proclama au milieu du peuple d'Israël ? Jésus dit l'Écriture, fut dans l'admiration et dit : « Je n'ai pas trouvé si grande foi en Israël. » Celui qui était étranger à la vocation, qui ne faisait pas partie du peuple de l'Alliance, qui n'avait pas eu part aux miracles de Moïse qui n'avait pas été initié à ses lois, qui n'avait pas connu les paroles prophétiques, a surpassé les juifs par sa foi. A quoi t'ont servi, ô fils d'Israël, les miracles accomplis en Egypte ? Ceux qu'a opérés le bâton de Moïse ? La mer avait été séparée en deux parts afin que tu apprennes à croire, Dieu t'appela du milieu du feu afin de briser la dureté de ton cœur, du haut du ciel descendit la nourriture qui t'était préparée, d'en bas les rochers laissent jaillir des sources. Où est en toi le fruit de tout cela ? Un seul gentil s'est élevé par la foi au-dessus de tout le peuple d'Israël. Sois donc disciple de ce gentil. Tu n'as pas écouté Moïse établissant la Loi. Suis donc ceux qui n'avaient pas cru afin d'apprendre à croire.

 

Trentième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

Tu aimeras ton prochain comme toi-même

matthieu 22, 39

 

 

Sermon de saint Grégoire de Nysse, évêque

 

       Là est mon bien-aimé, c'est là mon aimé, filles de Jérusalem. L'Épouse du Cantique montre celui qu'elle cherchait en disant : « Voici celui que je cherche, qui, pour devenir mon frère, est monté du pays de Juda ; il est devenu l'ami de celui qui était tombé aux mains des brigands, il a guéri ses plaies avec de l'huile, du vin et des pansements, il l'a fait monter sur sa propre monture, il l'a fait reposer dans l'hôtellerie ; il a donné deux deniers pour son entretien ; il a promis de donner à son retour ce qui aurait été dépensé en plus pour accomplir ses ordres. » Chacun de ces détails a une signification bien évidente.

       Le légiste tentait le Seigneur et voulait se montrer a dessus des autres ; dans son orgueil, il faisait fi de tout égalité avec les autres, disant : Qui est mon prochain ?  Le Verbe alors lui expose sous forme d'un récit tout l'économie de la miséricorde : il raconte la descente de l'homme, l'embuscade des brigands, l'enlèvement du vêtement incorruptible, les blessures du péché, l'envahissement par la mort de la moitié de notre nature (puisque notre âme est restée immortelle), le passage inutile de la Loi (puisque ni le prêtre ni le lévite ne soignèrent les plaies de celui qui était tombé aux mains des brigands).

       II était, en effet, impossible que le sang des taureaux et des boucs effaçât le péché : seul pouvait le faire Celui qui a revêtu toute la nature humaine comme les prémices de la pâte. Dans ces prémices se trouvait un germe de chaque race, juifs, samaritains, grecs, en un mot de toute l'humanité. Avec son corps, comme avec une monture, il s'est rendu dans le lieu de la misère de l'homme. Il a guéri ses plaies, il l'a fait reposer sur sa propre monture et a fait pour lui de sa miséricorde une hôtellerie, où tous ceux qui peinent et ploient sous le fardeau trouvent le repos. Celui qui entre chez lui le reçoit en lui-même selon la parole : « Celui qui demeure en moi, moi je demeure en lui. »

 

Trente et unième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

Quiconque s'élèvera sera abaissé, et quiconque s'abaissera sera élevé

matthieu 23, 12

 

 

Sermon de saint Augustin, évêque

 

       Le pharisien disait : je ne suis pas comme certains hommes. Quels sont-ils ces autres hommes, sinon tous, lui excepté ? Moi, je suis juste, les autres sont pécheurs ; je ne suis pas comme les autres hommes, injustes, voleurs, adultères. Et voilà que la présence de ce publicain lui donne l'occasion d'un orgueil plus grand encore. Moi, je suis un homme à part ; lui, il est comme les autres. Je ne suis pas de son espèce, grâce à mes œuvres de justice qui font que je ne suis pas un pécheur.

       Je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que je possède.

       Que demande-t-il à Dieu ? Cherchez dans ses paroles, vous ne trouverez rien. Il montait soi-disant pour prier : or, il ne demande rien à Dieu, il se loue. Ne demander à Dieu, mais se louer, c'est évidemment peu ; insulter en outre celui qui demande, c'est le comble !

       Le publicain se tient à distance et pourtant il s'approche de Dieu ; les reproches que lui dicte son cœur marquent la distance, mais son amour le rapproche de Dieu Le publicain se tient à distance, mais le Seigneur s'approche pour l'écouter.

       Le Seigneur est élevé, il se penche vers les humbles, tandis que les superbes, comme ce pharisien, il les connaît de loin. Oui, Dieu regarde à distance ces gens-là et il ne leur pardonne pas. Voyez, par contre, l'humilité du publicain. Il ne se contente pas de se tenir à distance, il ne lève même pas les yeux vers le ciel. Il n'ose lever les yeux pour qu'on le regarde. Sa conscience l'abaisse, mais l'espérance le soulève. En outre, il se frappe la poitrine. De lui-même, il réclame son châtiment, aussi Dieu pardonne-t-il à celui qui avoue : Seigneur, sois propice au pécheur que je suis : le voilà celui qui demande !... Il se fait son propre juge et Dieu plaide sa cause... Il s'accuse et Dieu le défend. Il le défendit si bien qu'il le jugea ainsi : « Ce publicain s'en retourna chez lui justifié. »

 

Trente-deuxième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

A minuit un cri retentit : « Voici l'époux ! Sortez à sa rencontre ! »

matthieu 25, 6

 

 

Sermon de saint Hilaire de Poitiers, évêque

 

       Le Seigneur dit : C'est ici mon repos à tout jamais et il choisit Sion pour le lieu de sa demeure. Mais Sion et son temple sont détruits. Où se tiendra le trône éternel de Dieu ? Où son repos à tout jamais ? Où sera son temple pour qu'il y habite ? L'Apôtre nous répond : le temple de Dieu, c'est vous ; en vous habite l'Esprit de Dieu. Voilà la maison et le temple de Dieu : ils sont remplis de sa doctrine et de sa puissance. Ils sont le séjour de la sainteté du cœur de Dieu. Mais cette demeure, c'est Dieu qui l'édifie. Construite de main d'homme, elle ne durerait pas, ni même si elle était fondée sur les doctrines humaines. Nos vains labeurs et nos inquiétudes ne suffisent pas à la protéger. Le Seigneur s'y prend bien autrement : il ne l'a pas fondée sur la terre ni sur les sables mouvants, mais elle repose sur les Prophètes et les Apôtres ; elle se construit sans cesse de pierres vivantes. Elle se développera jusqu'aux ultimes dimensions du corps du Christ. Sans cesse son édification se poursuit : autour d'elle montent de nombreuses maisons qui se rassembleront dans une grande et bienheureuse cité

       C'est déjà cette cité dont le Seigneur s'est fait le gardien vigilant lorsqu'il a protégé Abraham, le pèlerin, lorsqu'il a épargné Isaac, prêt à être immolé, lorsqu'il a comblé de richesses Jacob, encore esclave, lorsqu'il appela au pouvoir Joseph, vendu par ses frères, lorsqu'il a soutenu Moïse contre Pharaon, désigné Josué comme chef de guerre, délivré David de tous les périls, lorsqu'il a donné à Salomon le don de la sagesse et aux Prophètes celui de la parole. Déjà il protégeait sa cité en instruisant Joseph par un ange de la conception virginale du Verbe, en rassurant Marie, en envoyant Jean le Baptiste, en choisissant ses Apôtres, en priant le Père de les garder. Lui-même, après sa Passion, il promit de veiller éternellement sur nous en disant : « Voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles. » Telle est la garde éternelle de cette sainte et bienheureuse cité.

       Qui s'appuie sur le Seigneur ressemble au mont Sion, il ne chancelle pas, il est stable à jamais. Suivons l'Apôtre, suivons l'Evangile, suivons le Prophète. Appuyons-nous sur le Seigneur pour devenir conformes à son corps de gloire. Habitons maintenant l'Église, la Jérusalem du ciel, afin d'être stables à jamais. Nous avons appris que cette maison doit être désirée et qu'elle est aimée par beaucoup ; l'Écriture dit en effet : « Une chose qu'au Seigneur je demande, la chose que je cherche, c'est d'habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie. » Allons dans la maison du Seigneur. Là est notre joie, là notre allégresse, car on nous a dit : allons dans la maison du Seigneur, Jérusalem, bâtie comme une ville, jusqu'à ce qu'y entre — comme dit l'Apôtre — la plénitude des gentils, et alors le reste d'Israël sera sauvé. Alors nous serons la cité de Dieu, la sainte Jérusalem où tout ensemble fait corps, par l'unité de la foi, par la communion de l'amour, par la concorde du vouloir et des œuvres, par le don d'un sacrement unique en tous, selon ce qui est écrit : ils avaient un seul cœur et une seule âme dans le Seigneur.

 

Trente-troisième dimanche du temps ordinaire

 

 

 

C'est bien, serviteur bon et fidèle, lui dit son maître, en peu de chose tu as été fidèle, sur beaucoup je t'établirai

matthieu 25, 23

 

 

Sermon de saint Césaire d'Arles, évêque

 

       Je vous en prie, frères, faites bien attention et, autant que vous le pouvez, tremblez et craignez que l'ennemi cruel du genre humain ne mette la main sur vous et ne vous prenne par sa ruse honteuse, comme il sait le faire pour les imprudents et pour les négligents. Il sait donner, en effet, à certains homicides, voleurs ou adultères, une fausse sécurité en leur faisant croire qu'ils rachètent par leurs aumônes quotidiennes les crimes quotidiens qu'ils ont commis. Ils imaginent ainsi que Dieu, à la manière des juges corrompus, reçoit l'argent et remet les péchés. Certes, Dieu reçoit l'argent et se réjouit de l'aumône, à cette condition toutefois que le pécheur qui offre son argent à Dieu lui offre en même temps son âme. Je vous le demande, frères, où est la justice quand un criminel offre son argent à Dieu par l'aumône, tandis que par le péché il offre son âme au diable ? Ce n'est pas ce que commande le Seigneur dans l'Évangile, lorsqu'il dit : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. » Que vous semble-t-il dire sinon que, comme dans un sou vous rendez à César l'image de César, en vous-mêmes vous rendez à Dieu l'image de Dieu.

       Quelle que soit l'ampleur des aumônes que tel ou tel puisse faire, s'il n'abandonne pas ses péchés graves, je doute, je doute fort qu'il ne se donne une fausse sécurité et qu'il perde son argent saris racheter ses péchés. Autre chose est de changer de vie, autre chose de « teindre » sa vie. Changer sa vie c'est s'abstenir des péchés graves. « Teindre » sa vie, c'est laver les péchés quotidiens que nous ne pouvons éviter, par des aumônes quotidiennes. Comme je l'ai déjà dit, une aumône généreuse libère l'âme, lorsque le criminel a déjà déserté les péchés qui donnent la mort. Si, au contraire, il donne son argent à Dieu et offre son âme à l'Ennemi, alors s'accomplit la parole de l'Écriture : « Qui se purifie du contact d'un mort et à nouveau le touche, que lui sert son ablution ? »

       Ce que je vous dis là, frères très chers, écoutez-le avec attention, car je ne voudrais pas que quelqu'un, à l'intelligence un peu courte, ne croie que j'ai dit que l'aumône ne sert à rien pour les péchés. Loin de nous cette pensée. Non seulement nous croyons qu'elle sert, mais qu'elle sert beaucoup. A cette condition, toutefois, que celui qui fait l'aumône pour ses péchés cesse de commettre des péchés graves et ainsi fasse l'aumône comme le veut le Seigneur en ne servant plus le péché. Aussi, comme nous l'avons souvent dit, quand nous donnons notre argent aux pauvres, offrons notre âme à Dieu, afin que « là où est notre trésor, là aussi puisse être notre cœur ». Pourquoi, en effet, Dieu nous demande-t-il notre argent ? Parce qu'il sait que nous l'aimons beaucoup et que nous pensons souvent à lui, et que là où est notre argent, là est aussi notre cœur. C'est pourquoi Dieu nous exhorte à nous faire par l'aumône un trésor dans le ciel, afin que notre cœur s'établisse là où nous avons placé d'abord notre trésor et que lorsque le prêtre dit : « Élevons notre cœur », nous puissions en vérité répondre : « Nous le tournons vers le Seigneur. »

 

Solennité du Christ-Roi

 

 

 

Quand le Fils de l'homme viendra dans sa gloire, escorté de tous les anges, alors il prendra place sur son trône de gloire

matthieu 25, 31

 

 

Sermon de saint Grégoire de Nysse, évêque

 

       Béni soit Dieu. Célébrons aujourd'hui le Fils unique, le Créateur des cieux, qui est remonté après être descendu au profond des enfers et couvre aujourd'hui la terre entière de ses rayons éclatants. Célébrons l'ensevelissement du Fils unique, la résurrection du vainqueur, la joie du monde et la vie des peuples de l'univers. Célébrons aujourd'hui celui qui avait revêtu le péché. Célébrons le Dieu Verbe qui a confondu la sagesse du monde, qui a confirmé la prédication des Prophètes, qui a renforcé le lien qui unissait les Apôtres, qui a déployé sur tout l'univers l'appel de l'Église et la grâce de l'Esprit. Et nous qui étions étrangers à la promesse de Dieu nous avons connu le Seigneur et l'Écriture est accomplie :    « La terre entière se souviendra et reviendra vers le Seigneur. » De quoi se souviendra-t-elle : de la chute antique et de la nouvelle résurrection. De la transgression originelle et du retour maintenant sur le droit chemin. De la mort d'Eve et de l'enfantement de la Vierge, du rétablissement des nations, du pardon des pécheurs, des oracles des Prophètes, de la prédication des Apôtres, de la nouvelle naissance dans la piscine baptismale, de l'installation en paradis, du retour aux cieux.

       Tout cela nous fut obtenu lorsque se leva le Créateur ayant rejeté l'ignominie et dans sa magnificence divine transfigurant le corruptible en incorruptible. Quelle est donc cette ignominie qu'il a rejetée ? Isaïe nous le dit : Sans beauté ni éclat nous l'avons vu et sans aimable apparence, rebut de l'humanité. Quand donc fut-il sans gloire ? Quand il portait sur les épaules le bois de la croix comme le trophée de sa victoire sur le diable. Lorsqu'on mit sur sa tête une couronne d'épines, lui qui couronne ses fidèles. Lorsqu'ils revêtirent de pourpre celui qui revêt d'immortalité ceux qui sont renés de l'eau et de l'Esprit Saint. Lorsqu'ils attachèrent au bois le maître de la vie et de la mort. Quand fut-il sans   gloire ? Quand les soldats triomphèrent du chef des puissances des deux. Quand donc fut-il sans    gloire ? Lorsque le chef fut asservi et jugé le juge du monde.

       Mais celui qui était sans gloire a été transfiguré dans la lumière et la joie du monde s'est réveillée avec son corps. Alors la terre enfanta et le jour conçut et la mort rendit la vie de tous. « Le Seigneur est roi, il s'est vêtu de beauté. » Quelle beauté a-t-il donc revêtue : l'incorruptibilité, l'immortalité, la convocation des Apôtres, la couronne de l'Église. La terre que le péché avait ébranlée sur ses bases a été affermie par le bois de la croix, afin qu'elle ne soit à nouveau ébranlée par aucune chute ni agitée par les vents de l'erreur.

 

Paul s'en fait le témoin, écoutons-le :

       « II convenait que le corruptible

       revête  l'incorruptibilité

       et le mortel l'immortalité. »

Le Psalmiste dit aussi :

       « Ton trône est fixé dès l'origine,

       de tous temps c'est toi le Seigneur,

       ton règne, un règne pour les siècles,

       ton règne, un règne éternel

       qui ne sera pas détruit. »

et encore :

       « Dieu règne, exulte la terre,

       que jubilent les îles nombreuses.

       A lui la gloire et la puissance. Amen. »

 

Autres lectures pour le temps ordinaire

 

 

 

Sermon de saint Ambroise de Milan, évêque

 

       « Quel est, dit le Seigneur, celui d'entre vous qui, ayant cent brebis et l'une d'elles s'étant égarée, ne laisse pas les quatre-vingt-dix-neuf dans le désert pour aller après celle qui s'est égarée ? »

       Comme la faiblesse des hommes ne sait pas garder une démarche ferme en un monde glissant, le bon médecin te montre les remèdes contre l'égarement, le juge miséricordieux ne refuse pas l'espoir du pardon. Ce n'est donc pas sans motif que saint Luc a proposé trois paraboles à la suite : la brebis qui s'était égarée et qui fut retrouvée, la drachme qui était perdue et que l'on a retrouvée, le fils qui était mort et qui est revenu à la vie, pour que ce triple remède nous engage à soigner nos blessures. La brebis lasse est ramenée par le pasteur, la drachme égarée est retrouvée, le fils rebrousse chemin et revient vers son père dans le repentir de son égarement.

       Réjouissons-nous donc de ce que cette brebis qui s'était égarée en Adam soit relevée dans le Christ. Les épaules du Christ sont les bras de la croix : c'est là que j'ai déposé mes péchés, c'est sur ce gibet que j'ai trouvé mon repos.

       Cette brebis est unique dans sa nature, mais non dans ses personnes, car nous tous nous formons un seul corps, mais nous sommes beaucoup de membres, c'est pourquoi il est écrit : « Vous êtes le corps du Christ et membres de ses membres. » « Le Fils de l'homme est venu pour sauver ce qui était perdu », c'est-à-dire tous les hommes puisque « tous meurent en Adam de même que tous revivent dans le Christ... ».

       Il n'est pas non plus indifférent que cette femme se réjouisse d'avoir retrouvé la pièce de monnaie : ce n'est pas peu que cette monnaie où figure l'image du roi. Aussi l'image du roi est-elle le bien de l'Église. Nous sommes des brebis : prions donc le Seigneur de nous conduire à l'eau du repos ; nous sommes des brebis : demandons les pâturages. Nous sommes la pièce de monnaie, gardons notre prix ; nous sommes des fils, courons au Père.

       N'ayons pas peur si nous avons dilapidé en plaisirs terrestres le patrimoine de dignité spirituelle que nous avons reçu. Le Père a remis au Fils le trésor qu'il avait. Le prix de la foi ne s'épuise jamais. Ne redoute pas que le Père refuse de t'accueillir : Dieu ne prend pas plaisir à la perte des vivants. Il viendra en courant au-devant de toi, il se penchera sur toi, car le Seigneur redresse tous ceux qui sont courbés, il te donnera le baiser qui est gage de tendresse et d'amour, il te fera donner robe, anneau, chaussures. Tu en es à craindre un affront, il te rend ta dignité. Tu as peur du châtiment, il te donne un baiser. Tu as peur des reproches, il te prépare un festin.

 

Sermon de saint Grégoire de Nysse, évêque

 

       Le vénérable Paul, sachant que le Dieu Fils unique est le principe et l'auteur de tous les biens et qu'il tient la primauté en tout, témoigne à son sujet que ce n'est pas seulement la création des êtres qui a été faite par lui, mais encore que, l'ancienne création ayant vieilli et étant devenue caduque, une nouvelle création ayant eu lieu en Christ, ce n'est pas un autre que lui qui l'a opérée. Et, ainsi, le Christ lui-même est le Premier-Né de toute la création par l'Évangile annoncé aux hommes.

       Afin que notre pensée soit plus claire, nous comprendrons le mot « premier-né » de la façon suivante : l'Apôtre emploie quatre fois ce mot ; une fois il dit « premier-né de toute créature », une autre fois « premier-né d'une multitude de frères », une troisième fois « premier-né d'entre les morts », une dernière fois enfin, il emploie le mot de manière absolue lorsqu'il dit : « Quand il introduit le premier-né dans le monde, il dit : que tous les anges l'adorent. »

       Comment le Christ devient-il premier-né d'une multitude de frères ? Comment devient-il premier-né d'entre les morts ? « Nous naissons chair et sang », dit l'Écriture. Celui qui pour nous s'est fait comme nous, ayant participé à la chair et au sang pour nous transformer de corruptibles en incorruptibles par la naissance d'en haut de l'eau et de l'Esprit, nous a montré le chemin d'une telle naissance lorsqu'il a attiré par son propre baptême le Saint-Esprit sur l'eau. Il est devenu ainsi le premier-né de tous ceux qui sont régénérés spirituellement, et tous ceux qui ont part à cette régénération par l'eau et par l'Esprit sont appelés frères.

       Ayant déposé dans notre nature la puissance de la résurrection d'entre les morts, le Christ devient aussi prémices de ceux qui se sont endormis et premier-né d'entre les morts. Le premier, il nous a libérés des affres de la mort et il nous a ouvert le chemin de la régénération de la mort. Par la Résurrection du Seigneur, en effet, les liens de la mort qui nous tenaient captifs ont été détruits.

       Ainsi, il devient le premier-né de la nouvelle création par cette double régénération, celle du saint baptême et celle de la résurrection d'entre les morts. Il est pour nous, dans ces deux régénérations, Prince de la vie, prémices et premier-né. Ce premier-né a des frères, desquels il dit à Marie : « Va et dis à mes frères : je monte vers mon Père et votre Père, mon Dieu et votre Dieu. » C'est pourquoi le médiateur entre Dieu et les hommes, ouvrant le cortège de toute la nature humaine envoie à ses frères ce message et leur dit : « Par les prémices que j'ai assumées, je ramène à notre Dieu et Père, en moi, tout l'humain. »

 

Sermon de saint Macaire d'Egypte, abbé

 

       Ceux qui s'approchent du Seigneur doivent s'adonner à la prière en grand repos, calmes et apaisés et non point par des cris inconvenants et confus. C'est le labeur de notre cœur, c'est la sobriété de nos pensées qui nous permettent d'approcher du Seigneur. Il ne convient pas à un serviteur de Dieu de s'établir dans l'agitation, mais dans une grande douceur et sagesse comme dit le Prophète : « Vers qui jetterai-je les yeux, c'est vers le doux et le paisible qui tremble à mes paroles. » Aux temps de Moïse et d'Élie, nous trouvons que, dans leur rencontre avec Dieu, la manifestation du Seigneur était précédée du ministère des trompettes et des puissances, mais le Seigneur n'était point là et sa présence se manifestait dans le repos, la paix et la tranquillité du cœur. « Voici, dit l'Écriture, la voix d'une brise légère, en elle était le Seigneur. » II est clair que le repos du Seigneur est dans un cœur paisible et tranquille. Il reste que le fondement posé par l'homme dès le début, et le départ qu'il a pris le marquent jusqu'à la fin : A-t-il commencé à prier avec cris et agitation, jusqu'à la fin il gardera une telle habitude. Mais le Seigneur qui aime les hommes, à celui-là aussi donnera son secours.

       Le fondement véritable de la prière, le voici : être attentif à ses pensées et se livrer à la prière en grand repos et en paix. Celui qui aura suivi la grâce de Dieu et la perfection jusqu'à la fin en édifiera beaucoup : « Dieu, dit l'Écriture, n'est pas le Dieu de la confusion, mais de la paix. » II convient que le combat de l'homme porte sur ses pensées, qu'il taille dans la masse des pensées qui l'étouffent, qu'il se pousse lui-même vers Dieu, qu'il n'obéisse pas à ses pensées désordonnées, mais les ramène de leur dispersion et apprenne à les discerner. L'âme dans le péché est comme une grande forêt sur la montagne, ou les roseaux au bord d'un fleuve, ou encore un taillis de ronces et d'arbustes. Ceux qui veulent passer par là doivent tendre les mains en avant et écarter les obstacles en masse qui les cernent. Ainsi l'ennemi cerne-t-il notre âme par les pensées.

       L'âme doit se plonger tout entière dans la prière et l'amour de Dieu, sans se laisser égarer et distraire par ses pensées. Elle doit attendre de Dieu tout son élan. Alors il lui donnera la lumière, alors il lui apprendra la véritable intercession et lui fera le don de la prière pure, spirituelle, digne de Dieu, la prière en esprit et en vérité. Alors, l'âme devient tout entière œil. Si tu crois que tout cela est vrai — et c'est vrai, crois-le — examine-toi et cherche si tu as trouvé la lumière pour te diriger ; vois si tu as trouvé la vraie nourriture et la boisson véritable, c'est-à-dire le Seigneur. Si tu ne l'as point, cherche nuit et jour à l'acquérir. Sache bien qu'il y a des yeux que Satan a aveuglés et des oreilles qu'il a assourdies. Mais Jésus est venu pour rendre à nouveau la santé à l'homme intérieur. A lui la gloire et la puissance avec le Père et l'Esprit Saint pour les siècles. Amen.

 

Sermon de saint Augustin, évêque

 

       Je t'appelle, ô mon Dieu, ô ma miséricorde, toi qui m'as fait et qui n'as pas oublié celui qui t'avait oublié. Je t'appelle dans mon âme que tu prépares à te recevoir, par le désir que tu lui as inspiré. Maintenant je t'appelle, ne m'abandonne pas, puisque avant même que je t'appelle tu avais pris les devants et insisté par des appels persévérants pour que j'entende de loin et me retourne et appelle vers toi qui m'appelais...

       Donne-toi à moi, mon Dieu, redonne-toi à moi. Voici que je t'aime et c'est si peu, je veux aimer bien davantage. Nulle mesure ne me dira ce qu'il manque à mon amour pour qu'il soit suffisant et que ma vie coure vers ton amour et ne se détourne pas avant d'être abritée au secret de ta face. Tout ce que je sais, c'est que je vais mal sans toi, non seulement au-dehors, mais aussi au fond de moi-même et que toute richesse qui n'est pas mon Dieu est misère.

       Et je dis : Mon Dieu où es-tu ? Ah voici où tu es ! Je respire un peu en toi quand je répands en moi mon âme dans un cri de liesse et de louange d'une fête jubilante. Et mon âme est triste encore car elle retombe et devient abîme, ou plutôt elle sent qu'elle est encore abîme. Ma foi lui dit, cette foi que tu as allumée dans la nuit, devant mes pas : Pourquoi es-tu triste, mon âme et pourquoi te troubles-tu ? Espère dans le Seigneur. Son Verbe est une lampe devant tes pas : Espère et persévère jusqu'à ce que passe la nuit, mère des méchants, jusqu'à ce que passe la colère du Seigneur, colère dont nous fûmes les fils autrefois, quand nous étions ténèbres... jusqu'à ce que souffle le jour et reculent les ombres. Espère dans le Seigneur... au matin, je serai debout et je verrai mon Dieu, le salut de ma face... De lui, pèlerins ici-bas, nous avons reçu le gage pour que nous soyons déjà lumière, maintenant que sauvés, encore qu'en espérance, nous sommes devenus enfants de la lumière, enfants du jour.

       Seigneur mon Dieu, sois attentif à ma prière et que ta miséricorde exauce mon désir ! Seigneur sois attentif et prends pitié. Mon Dieu, lumière des aveugles et force des faibles, mais aussi bien lumière des voyants et force des forts. Sois attentif à mon âme, entends-la crier des profondeurs. Car si tu n'es pas là, même dans les profondeurs, à l'écoute, à qui irons-nous, vers qui crierons-nous ? Ô Vérité, lumière de mon cœur, ne laisse pas les ténèbres me parler : Je me suis englouti dans les choses d'en bas et je suis devenu obscurité : mais de là-bas, même de là-bas, je t'ai profondément aimée. Je me suis égaré, mais je me suis souvenu de toi. J'ai entendu ta voix derrière moi me disant de revenir... Et maintenant, voici que je reviens tout brûlant, haletant vers ta source : que nul ne m'en éloigne, que j'y boive et y trouve la vie... Je fus la mort pour moi, en toi je reprends vie.

 

 

SANCTORAL

 

 

 

1er JANVIER

 

Sainte Marie, Mère de Dieu

 

 

Sermon de saint Proclus de Constantinople, évêque

 

       Que bondisse la nature et qu'exulté le genre humain... Que danse en chœur l'humanité... Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé. Elle nous a rassemblés, la Sainte Mère de Dieu, la Vierge Marie, trésor très pur de la virginité, paradis spirituel du second Adam, lieu de l'union des natures, vivante fête de notre salut, chambre nuptiale en laquelle le Christ a épousé la chair.

       Elle est ce buisson spirituel que le feu de l'enfantement d'un Dieu n'a point brûlé, le nuage léger qui porta celui qui trône sur les chérubins lorsqu'il prit un corps, la toison très pure qui reçut la rosée céleste, elle en qui le Pasteur revêtit la brebis. Marie, servante et Mère, Vierge, ciel, pont unique entre Dieu et les hommes, admirable métier sur lequel Dieu a tissé son dessein ! Oui, le Christ, étant Dieu, par sa miséricorde s'est fait homme comme nous le croyons.

       Les Prophètes, voyant la maladie s'accroître dans le monde des hommes, réclamaient du ciel un médecin à grands cris. L'un disait : « Incline tes cieux et descends », l'autre : « Guéris-moi Seigneur et je serai guéri », un autre : « Si Dieu venait vraiment habiter avec les hommes sur la terre ? » et encore : « Réveille ta puissance et viens pour nous sauver ! Hâte-toi, préviens-nous par ta tendresse, nous sommes à bout de forces... les fidèles ont disparu du pays, pas un juste parmi les gens, Dieu, viens à mon aide, Seigneur viens vite à mon secours, bientôt celui qui doit venir viendra, il ne tardera pas ; je m'égare, brebis perdue, viens chercher ton serviteur qui espère en toi. Notre Dieu viendra resplendissant, et il ne se taira plus... » Et celui qui est notre roi ne méprisa point le genre humain en esclavage depuis si longtemps, mais il vint, lui qui est toujours et partout, il vint et il versa son sang en prix de notre rédemption.

       Autrefois, vous étiez ténèbres, maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur. Qui donc nous a illuminés ? David te l'enseigne : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. » Qui donc est-il ? Crie plus fort, David, élève ta voix comme le cor ! Dis-nous son nom : « Le Seigneur, le fort, le vaillant, et il nous est apparu. » En effet, le Verbe s'est fait chair. Lui qui était Dieu s'est fait homme, Emmanuel. Dieu, il nous a sauvés, homme, il a souffert : c'est pourquoi l'Église voyant la couronne dont l'avait couronné la Synagogue s'écriait dans sa douleur : « Filles de Jérusalem, sortez et voyez la couronne dont sa mère l'a couronné !» Il a porté la couronne d'épines, mais il a détruit la condamnation antique sur le sol porteur de chardons et d'épines... La chair qu'il avait reçue de la Vierge, le Seigneur l'a livrée en échange pour notre salut. Ainsi, il a racheté le monde de la malédiction de la Loi et détruit la mort par sa mort. S'il ne m'avait pas revêtu, il ne m'aurait pas sauvé.

 

 

3 JANVIER

 

Saint nom de Jésus

 

 

Sermon de saint Bernard, abbé

 

       Son nom s'est répandu. Jusqu'alors il n'était qu'infus, les deux le possédaient, les anges le connaissaient. Mais voici qu'il a été envoyé au-dehors. Précédemment infusé aux anges qui seuls le détenaient, voici qu'il s'est diffusé jusque dans le cœur des hommes et la terre peut pousser enfin ce cri : ton nom est une huile répandue... Accourez nations, le salut est à portée de la main, le nom s'est répandu sur la terre, quiconque l'invoquera sera sauvé ! Le Dieu des anges s'appelle aussi le Dieu des hommes. Du ciel jusqu'en Judée et de là sur toute la terre ce nom se répand et de toutes les régions monte la clameur de l'Église : ton nom est une huile répandue. Si bien répandue qu'elle n'inonde pas seulement le ciel et la terre, mais jusqu'aux enfers, si bien qu'au nom de Jésus tout genou fléchit au ciel sur terre et aux enfers et que toute langue confesse : ton nom est une huile répandue.

       Voici le Christ, voici Jésus. Que ce nom est précieux, et qu'il est commun ! Commun mais salutaire. S'il n'était pas commun, je n'en recevrais pas l'aumône, s'il n'était pas salutaire, il ne me servirait de rien. Participant au nom, j'ai part à l'héritage. Je suis chrétien, je suis le frère du Christ, et si je le suis en effet, je suis héritier de Dieu et cohéritier du Christ.

       Le nom de Jésus éclaire quand on le prêche. Il nourrit quand on le médite, il est un baume quand on l'invoque... D'où serait venue sur la terre entière la lumière si grande et si soudaine de la foi sinon par la prédication du nom de Jésus ? C'est à la lueur de ce nom que Dieu nous a appelés à contempler sa propre lumière, et que saint Paul a pu nous dire : Autrefois vous n'étiez que ténèbres, mais maintenant, vous êtes lumière dans le Seigneur.

       Ce même nom, l'Apôtre a reçu l'ordre de le porter à la connaissance des rois et des nations et des fils d'Israël. Il le portait comme une torche éclairant sa patrie et proclamant en tous lieux : « La nuit est avancée, le jour est proche. Dépouillons-nous des œuvres de ténèbres et revêtons les armes de la lumière, marchons droit comme on marche en plein jour. » Et montrant à tous la flamme sur le candélabre, il annonçait partout que Jésus était venu et qu'il était crucifié. Cette même lumière éblouit tous les assistants lorsque, sortant comme un éclair de la bouche de Pierre, elle guérit les pieds et consolida les chevilles d'un boiteux atteint dans son corps de chair et rendit la lumière à beaucoup d'esprits aveuglés.

       Vraiment ses paroles étaient de feu lorsqu'il dit à l'infirme : Au nom de Jésus de Nazareth, lève-toi et marche.

       Le nom de Jésus n'est pas seulement lumière, il est nourriture... Toute nourriture de l'âme est sèche si elle n'est trempée de cette huile, insipide si ce sel ne l'assaisonne. Ce que vous écrivez est lettre morte pour moi si je n'y lis le nom de Jésus. Vos paroles dans la controverse ou la discussion me lassent si vous ne prononcez pas le nom de Jésus. Jésus, miel dans la bouche, mélodie à l'oreille, chant pour le cœur.

       Enfin, ce nom est un remède. L'un de vous est-il triste ? Que le nom de Jésus lui vienne au cœur et de là monte sur ses lèvres, aussitôt à la lumière de ce nom les ténèbres se dissipent, le beau temps réapparaît. Quelqu'un a-t-il commis une faute grave, désespéré il court à la mort, qu'il invoque ce nom de vie pour reprendre goût à la vie.

       Devant ce nom salutaire, nul ne peut garder sa dureté de cœur habituelle, sa torpeur, ses rancunes ou sa somnolence. Le courage ne manque pas à celui qui entend prononcer ce nom protecteur à l'instant où les malheurs le réduisent à s'abandonner... En voici la preuve : invoque-moi, dit-il, au temps de la détresse, je te délivrerai et tu me rendras grâces.

 

 

 

7 JANVIER

 

Saint Raymond de Peñafort

 

 

De la vie de saint Raymond de Peñafort

 

       Raymond naquit en 1175 à Peñafort en Catalogne. La passion qu'il avait d'apprendre le droit civil et canonique le fit aller à la fameuse université de Bologne. Après y avoir étudié quelque temps, il fut reçu docteur, et s'étant présentée une chaire vacante de lecteur, il l'emporta à la dispute. Il enseigna le droit durant trois ans sans jamais prendre aucune rétribution de ses écoliers. A Bologne, il rencontra saint Dominique et la vie apostolique qu'il vit mener à ses fils le poussa à embrasser ce nouvel Ordre. Il prit l'habit à Barcelone, le Vendredi saint 1222, âgé de quarante-sept ans. Son entrée au noviciat attira plusieurs grands personnages à l'Ordre qui, à son exemple, renoncèrent à leurs richesses et à leurs bénéfices pour embrasser la pauvreté de Jésus-Christ.

       Raymond contribua à la fondation de l'ordre de la Merci. Puis, le pape Grégoire IX l'appela à Rome. Il n'eut pas plutôt conversé avec lui qu'il le prit pour son confesseur, le fit son chapelain et l'établit grand pénitencier de l'Église romaine. En qualité de confesseur du pape, il lui donnait ordinairement pour pénitence d'expédier promptement les affaires des pauvres, et, parce que Grégoire IX ne pouvait pas toujours s'acquitter en personne de ce devoir de charité, il en chargea saint Raymond qui devint, comme dit le bienheureux Humbert, « l'homme chargé des causes pauvres ». Un autre auteur écrit qu'il s'était rendu leur avocat et l'appelle « le procureur des pauvres ». La Somme des Cas de conscience qu'il écrivit parut à Rome l'année 1235.

       II fut élu général de l'Ordre à Bologne en 1238 à la mort du bienheureux Jourdain. Aux premiers tours, les voix furent partagées : les Allemands votèrent pour le bienheureux Albert le Grand et les Français pour Hugues de Saint-Cher, provincial de France qui fut depuis cardinal. C'est après avoir prié auprès du tombeau de saint Dominique que les pères élirent Raymond à l'unanimité. C'est lui qui divisa les constitutions en deux distinctions et qui rétablit l'Ordre dans sa première ferveur. Il visita à pied toutes les provinces. Il pria saint Thomas d'Aquin d'écrire une Somme contre les gentils. Il poussa les rois de Castille et d'Aragon à fonder deux collèges pour vingt religieux prêcheurs, l'un à Tunis, l'autre à Murcie, où ils pussent apprendre l'arabe et l'hébreu. Avec ce secours, ces frères convertirent de son vivant plus de dix mille Sarrasins. Le bienheureux Raymond démissionna en 1240 et retourna dans son pays où il mourut, âgé de cent ans.

 

 

23 JANVIER

 

Bienheureux Henri Suso

 

 

Sermon du bienheureux Henri Suso, prêtre

 

       « Je l'ai aimée et recherchée depuis mes jeunes années et j'ai désiré la prendre pour épouse. » Ces mots se trouvent écrits au livre de la Sagesse. Un cœur encore grossier, en ses premiers cheminements, s'était égaré dans les chemins où l'homme se défigure. Alors la Sagesse divine vint à sa rencontre : elle l'attira par la douceur et l'amertume jusqu'à l'amener au droit sentier de la divine vérité. Et lui parla ainsi à Dieu : « Seigneur ! mon esprit, depuis les jours de ma jeunesse, a cherché un je-ne-sais-quoi, avec une soif impatiente ; qu'était-ce donc, Seigneur, je ne l'ai pas encore parfaitement saisi. Voici bien des années que je le désire ardemment et je n'ai pas encore pu m'en saisir... Et pourtant c'est bien cela qui attire mon cœur et mon âme, et sans quoi je ne puis m'établir en une paix véritable.

       « Seigneur, je voulais chercher mon bonheur dans les créatures, comme je le voyais faire autour de moi, et plus je cherchais, moins je trouvais ; plus je m'approchais, plus je m'éloignais. Car toute chose me disait : " Je ne suis pas ce que tu cherches." Est-ce donc toi Seigneur que j'ai si longtemps     cherché ? Est-ce donc vers toi que l'attrait de mon cœur toujours et sans cesse luttait ? Pourquoi ne t'es-tu pas montré alors à moi ? Comment as-tu pu si longtemps différer cette rencontre ? En combien de chemins harassants ne me suis-je embourbé ? Car il est vraiment heureux l'homme que tu préviens avec tant d'amour, que tu ne le laisses pas en repos jusqu'à ce qu'il cherche son repos en toi seul.

       « Seigneur, je ne suis pas digne de toi, mais je suis indigent de toi. N'es-tu pas celui qui, d'un seul mot, a créé le ciel et la terre ? D'un seul mot, Seigneur, tu peux me guérir. Tu es l'Agneau pascal innocent, immolé aujourd'hui pour le péché des hommes. Nourris-moi et abreuve-moi. Viens aujourd'hui en moi pour chasser de mon cœur tous mes ennemis, guérir mes infirmités, pardonner tous mes péchés. Illumine mon esprit de la lumière de la vraie foi, embrase mon cœur de ton amour, éclaire ma mémoire de ta joyeuse présence. Garde-moi jusqu'à ma mort, afin qu'alors, à visage découvert, je puisse vivre avec toi dans le bonheur sans fin. »

 

 

25 JANVIER

 

Conversion de saint Paul

 

 

Sermon de saint Bernard, abbé

 

       C'est à bon droit, frères très chers, que la conversion du Docteur des nations est célébrée aujourd'hui dans la joie par toutes les nations ! Que de rameaux, en effet, sont sortis de cet arbre. Paul converti devient ministre de la conversion pour l'univers entier. Il convertit bien des hommes quand il vivait, et maintenant encore, bien qu'il ne marche plus selon la chair, il ne cesse d'en convertir au Seigneur par le ministère de la prédication. Maintenant auprès du Seigneur et goûtant en lui la joie sans fin, il ne cesse de travailler à la conversion des hommes par son exemple, sa prière et son enseignement. La mémoire de sa conversion est célébrée avec ferveur parce qu'elle est utile à ceux qui la célèbrent. Dans cette mémoire, le pécheur conçoit l'espoir du pardon et se trouve ainsi provoqué à la pénitence, et celui qui a fait pénitence découvre les profondeurs d'une conversion parfaite.

       Qui désespérerait, quelle que soit la grandeur de sa faute, quand il voit Saul, ne respirant toujours que menaces et carnages à l'égard des disciples du Seigneur, devenu vase d'élection ?

       Dans cette seule conversion, la grandeur de la miséricorde et l'efficacité de la grâce nous apparaissent magnifiquement. « Soudain, dit Luc, une lumière du ciel l'enveloppa, et une voix se fit entendre. » C'est ainsi, oui, c'est de la même manière que dans le Jourdain une colombe apparut au-dessus de la tête du Seigneur et qu'une voix retentit. C'est ainsi que, sur la montagne, quand le Seigneur fut transfiguré devant ses disciples, une clarté resplendit et la voix du Père se fit entendre : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? »

       « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » II répond : « Seigneur qui es-tu ? » Car il ne connaissait pas celui qu'il persécutait. Il obtint miséricorde parce qu'il ne savait pas ce qu'il faisait. Qui es-tu Seigneur ? Et le Seigneur lui dit : « Je suis Jésus de Nazareth que tu persécutes. » Je suis le Sauveur que tu cherches en le persécutant. Je suis celui dont tu lis dans ta loi la prédiction et tu ignores qu'elle est accomplie : on l'appellera Nazaréen.

       « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? » Voilà, frères, le modèle d'une parfaite conversion. « Mon cœur est prêt, ô Dieu, mon cœur est prêt. » Je suis prêt et point troublé, pour garder tes commandements. Seigneur, que veux-tu que je fasse ? Parole brève, mais dense, vivante et efficace et digne d'une absolue créance. Combien peu font preuve d'une telle obéissance !

 

 

28 JANVIER

 

Saint Thomas d'Aquin

 

 

Sermon de saint Thomas d'Aquin, prêtre

 

       Manifestement, tous ne peuvent passer leur temps en de laborieuses études. Aussi le Christ nous a donné une loi que sa brièveté rend accessible à tous et qu'ainsi, nul n'a le droit d'ignorer : telle est la loi de l'amour divin, cette « parole brève que le Seigneur déclare à l'univers ».

       Pareille loi, reconnaissons-le, doit être la règle de tous les actes humains. L'œuvre d'art obéit à des canons. De même l'acte humain, juste et vertueux quand il suit les normes de la charité, perd sa rectitude et sa perfection s'il vient à s'en écarter. Voilà donc le principe de tout bien : la loi d'amour. Mais elle entraîne bien d'autres avantages.

       Elle est tout d'abord source de vie spirituelle. C'est un fait naturel et manifeste que le cœur aimant est habité par ce qu'il aime. Qui aime Dieu le possède en soi. « Qui demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu en lui. » Et telle est la nature de l'amour qu'il transforme en l'être aimé. Aimez Dieu, vous serez tout divins. « Qui s'attache au Seigneur est un même esprit avec lui. » C'est une question de vie ou de mort : car Dieu est la vie de l'âme, comme celle-ci l'est du corps qu'elle anime... Sans la charité elle n'agit plus. « Qui n'aime point demeure dans la mort. » Auriez-vous tous les charismes de l'Esprit Saint, sans la charité vous êtes mort. Don des langues, don de la foi, tous les dons que vous voudrez ne feront point de vous un vivant, si vous n'aimez. Ce mort, revêtu d'or et de pierreries, n'en est pas moins un cadavre.

       La charité assure l'observance des préceptes divins : « L'amour de Dieu n'est jamais en repos, dit saint Grégoire, il agit et fait grand si c'est vraiment l'amour... » Qui aime, nous le voyons entreprendre de grands et difficiles travaux pour son bien-aimé. Notre Seigneur nous dit : « Si quelqu'un m'aime, il observera ma Parole. » Entendons bien qu'observer le commandement d'amour, c'est accomplir toute la Loi. S'agit-il des préceptes positifs, la charité donne à leur accomplissement cette plénitude qui n'est autre que l'amour avec lequel on leur obéit... La charité est encore une protection contre l'adversité. Qui la possède, rien ne peut lui nuire. « Les amis de Dieu, dit saint Paul, tout concourt à leur bien. » Contrariétés et difficultés leur semblent pleines de douceur. Telle est l'expérience de l'amour.

       La charité enfin mène au bonheur. Aux seuls amis de Dieu la béatitude éternelle est promise. Sans amour, tout demeure insuffisant... Et s'il est parmi les bienheureux quelque différence, elle ne tient qu'à leur degré d'amour et non point à d'autres vertus. Beaucoup ont été plus abstinents que les Apôtres, mais ceux-ci dépassent tout autre en béatitude pour l'éminence de leur charité.

       La charité remet les péchés. Manifeste expérience de l'amour : que celui qui m'a offensé vienne à m'aimer du fond du cœur, l'amour fera oublier l'offense... L'exemple de Marie-Madeleine est ici flagrant : « De nombreux péchés lui sont remis », dit le Seigneur, et il en dévoile la cause : « Elle a beaucoup aimé. » Mais direz-vous alors, si la charité suffit, à quoi bon la pénitence ? Apprenez que nul n'aime vraiment s'il ne se repent vraiment.

       La charité ensuite illumine le cœur. « Nous sommes environnés de ténèbres », dit Job, ne sachant souvent que faire, que désirer : la charité nous enseigne tout ce qui est nécessaire au salut : « Son onction vous enseignera tout. » C'est que là où est la charité, là est l'Esprit Saint qui sait tout et nous conduit sur la voie droite... La charité met en nous la joie parfaite... Elle donne aussi la paix parfaite. C'est elle, enfin, qui fait la grandeur de l'homme... Du serviteur, la charité fait un ami... Ainsi, non seulement nous voilà libres, mais devenus fils, portant ce nom et l'étant en vérité. « L'Esprit Saint lui-même rend à notre esprit ce témoignage que nous sommes des fils de Dieu. Et si nous sommes des fils, nous sommes également héritiers, héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ... » Tous les dons descendent du Père, des lumières, mais nul qui ne soit surpassé par la charité. Tous les autres peuvent être possédés sans la charité, mais celle-ci nous fait posséder l'Esprit Saint.

 

 

2 FÉVRIER

 

Présentation du Seigneur

 

 

Sermon du bienheureux Guerric d'Igny, abbé

 

       Que vos reins soient ceints et qu'en vos mains soient des lampes allumées. Que nos reins soient ceints pour revivre la purification de Marie, qu'en nos mains soient des lampes allumées pour reproduire en nous visiblement la foi de Siméon portant la lumière en ses bras. Soyons purs en nos cœurs et en nos corps et nous revivrons la purification de Marie ; soyons brûlants d'amour, lumière dans nos œuvres, et comme Siméon, avec lui, nous porterons le Christ en nos mains. Marie fut moins purifiée qu'elle ne recommanda le mystère de la purification, accomplissant la purification légale, signifiant la purification spirituelle. Qu'y aurait-il eu en elle à purifier, elle qui conçut vierge, vierge enfanta et demeura vierge après l'enfantement, bien plus qui fut purifiée en sa propre conception ?

       Et qui, d'autre part, en tenant aujourd'hui un cierge allumé en sa main, ne se rappelle aussitôt ce vieillard qui en ce jour reçut en ses bras Jésus, Verbe dans la chair, lumière dans la cire, et témoigna qu'il était la lumière qui éclaire tous les peuples ? Et le vieillard était lui-même flamme ardente qui éclaire, rendant témoignage à la lumière, lui qui, dans l'Esprit Saint dont il était rempli, vint recevoir, ô Dieu, ton Amour au milieu de ton temple, et témoigner qu'il est l'Amour et la lumière de ton peuple.

       Réjouis-toi, juste vieillard, vois ce que par avance tu avais vu : les ténèbres du monde sont dissipées, les nations marchent à sa lumière, la terre entière est remplie de la lumière que tu portes en tes bras. Embrasse, ô saint vieillard, la sagesse de Dieu et que se renouvelle ta jeunesse ; reçois sur ton cœur la miséricorde et ta vieillesse connaîtra la douceur de la miséricorde. Il reposera sur mon sein, dit l'Écriture. Même quand je le rendrai à sa mère, il demeurera avec moi ; mon cœur sera enivré de sa miséricorde, plus encore le cœur de sa mère. Je rends grâces et je me réjouis pour toi ; pleine de grâce, tu as mis au monde la miséricorde que j'ai reçue ; le cierge que tu as préparé, je le tiens en mes mains. Et vous frères, voyez le cierge qui brûle entre les mains de Siméon, allumez vos cierges en lui empruntant sa lumière. Alors, non seulement vous porterez une lumière entre vos mains, mais vous serez vous-mêmes lumière. Lumière dans vos cœurs, lumière dans vos vies, lumière pour vous, lumière pour vos frères.

       Que la lumière soit donc dans vos cœurs, qu'elle soit en vos mains, qu'elle soit sur vos lèvres. La lumière nous vient de Dieu lorsque nous prions et chantons les psaumes. Elle est le souffle qui nous permet de respirer. Pour allumer vos lampes à une telle lumière, frères, approchez-vous de la source de la lumière et vous serez illuminés, approchez-vous de Jésus, qui brille entre les bras de Siméon, pour qu'il illumine votre foi et remplisse vos vies de sa clarté. Et pour vous dont le cœur sera plein de lumière, lorsque s'éteindra la lumière de cette vie, se lèvera la lumière sans déclin ; le soir vous apparaîtra comme l'éclat du plein midi, vous croirez périr et vous vous lèverez comme l'étoile du matin, la ténèbre sera pour vous comme plein jour, vous n'aurez plus besoin du soleil le jour, la clarté de la lune ne vous illuminera plus, mais le Seigneur sera votre lumière éternelle, car c'est l'Agneau qui est le flambeau de la nouvelle Jérusalem, à qui revient honneur et gloire aux siècles des siècles.

 

 

22 FEVRIER

 

Chaire de saint Pierre, apôtre

 

 

Sermon de saint Augustin, évêque

 

S     i la solennité de ce jour a reçu de nos Pères le nom de Chaire de saint Pierre, c'est que la tradition rapporte qu'en ce jour le premier des Apôtres prit possession de la chaire de son épiscopat. Et il est juste que les Églises célèbrent le jour de la naissance de ce siège épiscopal qui fut confié à l'Apôtre pour le salut de toutes les Églises, selon la parole du Seigneur : « Tu es Pierre, et sur cette pierre j'édifierai mon Église. »

       Ce nom de Pierre lui est donné parce que, le premier, il posa parmi les nations les fondements de la Foi et qu'il est le rocher indestructible sur lequel reposent les assises et l'ensemble de l'édifice de Jésus-Christ. C'est pour sa fidélité qu'il est appelé Pierre, tandis que le Seigneur reçoit ce nom pour sa puissance, selon la parole de saint Paul : « Ils buvaient l'eau de la pierre spirituelle qui les suivait, et cette pierre est Jésus-Christ. » Oui, il méritait de partager un même nom avec le Christ, l'Apôtre choisi pour être le coopérateur de son œuvre. Ensemble, ils ont construit le même édifice. C'est Pierre qui plante, c'est le Seigneur qui donne l'accroissement, c'est le Seigneur aussi qui envoie ceux qui devront arroser.

       Vous le savez, frères très aimés, c'est à partir de ses propres fautes, au moment où souffrait son Sauveur, que le bienheureux Pierre a été élevé. C'est après qu'il eut renié le Seigneur qu'il devint auprès de lui le premier. Rendu plus fidèle en pleurant sur la Foi qu'il avait trahie, il reçut une grâce plus grande encore que celle qu'il avait perdue. Le Christ lui confia son troupeau pour le conduire comme le bon pasteur et, lui qui avait été si faible, il devenait maintenant le soutien de tous. Lui qui, interrogé sur sa Foi, avait succombé, il fallait qu'il établît les autres sur le fondement inébranlable de la Foi. Aussi est-il appelé la pierre fondamentale de la piété des Églises.

       Ainsi quand il s'avançait sur la mer : ses pieds enfoncent, mais il s'attache à Jésus-Christ. La Foi le soutient tandis qu'il sent les flots s'ouvrir. Troublé par la tempête, il s'affermit dans son amour pour son Sauveur. De la barque, il a vu son Maître. Guidé par son amour, il descend dans la mer. Il ne voit plus les flots, c'est Jésus seul qu'il voit. Il ne regarde pas sur quoi se poseront ses pieds, il ne voit que la trace des pas de celui qu'il aime. Mais dès que, étourdi par la force du vent, la crainte commence à voiler sa Foi, l'eau se dérobe sous ses pas. La Foi faiblit, et l'eau faiblit comme elle. Il crie alors : « Seigneur, sauve-moi ! » Aussitôt, Jésus, étendant la main, le délivre et lui dit : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » « Pourquoi n'as-tu pas eu assez de foi pour arriver jusqu'au but en t'appuyant sur elle ? Sache-le désormais, cette foi seule te soutenait sur les flots. » Ainsi, frères, nous ne pouvons nous sauver qu'en criant vers le Sauveur qui étendra la main pour nous prendre.

 

 

19 MARS

 

Saint Joseph

 

 

Sermon de saint Bernard, abbé

 

       « L'ange Gabriel fut envoyé par Dieu à une vierge, fiancée à Joseph » : pourquoi fiancée, puisqu'elle était, nous l'avons vu, cette vierge élue qui devait concevoir et enfanter ? Il est bien étrange qu'on la dise fiancée... Je vous dirai là-dessus ma pensée, ou plutôt celle que les Pères eurent avant moi. Les fiançailles de Marie s'expliquent de la même façon que le doute de Thomas. De même que Thomas, pour avoir douté et voulu toucher le corps de Jésus, devint le plus sûr témoin de sa résurrection, Joseph, grâce à ses fiançailles avec Marie, devait être le meilleur témoin de sa virginité. Il y a donc une parfaite analogie entre le doute de Thomas et les fiançailles de Marie : tous deux pouvaient nous exposer à une même erreur, l'un nous induisant à suspecter la vérité de son témoignage, l'autre à contester sa virginité. Mais tout a été disposé avec sagesse pour que notre certitude s'affermît précisément de ce qui risquait de l'ébranler. Sur la résurrection du Fils, j'accorderai dans ma faiblesse plus de crédit à Thomas, qui l'a mise en doute et puis a touché le ressuscité, qu'à Céphas qui y crut par ouï-dire. Et pour la virginité de la Mère, j'accepterai plus aisément l'attestation du fiancé qui veilla sur elle, que les protestations de la Vierge elle-même invoquant sa seule conscience.

       Quelle a été l'excellence de Joseph, concevez-le par le titre dont Dieu l'a jugé digne, lui qui fut appelé et cru Père de Dieu. Souvenez-vous en même temps de ce grand patriarche de l'Ancien Testament qui fut vendu en Egypte : et sachez que le second n'a pas eu seulement l'avantage de porter le nom du premier, mais qu'il en a eu la chasteté, obtenu les grâces et l'innocence. Car si le premier Joseph, qui fut vendu et mené en Egypte par la jalousie de ses frères, a été la figure de Jésus-Christ vendu par Judas, le second, fuyant la persécution d'Hérode, porta Jésus-Christ en Egypte. Le premier, gardant la fidélité qu'il devait à son maître, repoussa les honteuses propositions de sa maîtresse, celui-ci connaissant la virginité de son épouse qui était la Mère de son Seigneur, la protégea fidèlement sans vouloir la toucher. Celui-là reçut l'intelligence des songes mystérieux, celui-ci eut la communication des secrets divins. Celui-là mit les blés en réserve pour tout le peuple d'Egypte et non pour lui-même, celui-ci reçut le Pain vivant du ciel afin de le conserver aussi bien pour lui que pour le monde entier.

       On ne peut douter que Joseph ait été un homme très saint et très digne de confiance, puisque la Mère du Sauveur devait être son épouse. Il fut le serviteur fidèle et prudent puisque Dieu l'établit pour être le soutien de sa Mère, le nourricier de sa chair et l'auxiliaire de son dessein de salut. Il faut nous rappeler qu'il était de la maison de David. Il était fils de David non seulement par la chair, mais encore par la foi, la sainteté et la piété. Le Seigneur trouva en lui un second David à qui il put, en toute sûreté, confier ses desseins les plus secrets. Il lui révéla, comme à un autre David, les mystères de sa sagesse et lui découvrit ce que ne connut aucun des maîtres de ce monde. Il lui permit de voir et d'entendre ce que tant de rois et de prophètes, malgré leur désir, ne purent voir ni entendre ; mieux encore, il le lui fit porter, conduire, embrasser, nourrir, protéger. Marie et Joseph appartenaient donc tous deux à la race de David, mais en Marie s'accomplissait la promesse faite jadis par le Seigneur à David, tandis que Joseph était le témoin de cet accomplissement.

 

 

25 MARS

 

Annonciation du Seigneur

 

 

Sermon de saint Proclus de Constantinople, évêque

 

       Aujourd'hui, le grain de blé est déposé dans une terre vierge. Le monde affamé exulte et bondit de joie. La nature entière prépare ses dons pour l'enfant conçu sans père. La terre offre la crèche, les pierres offrent les jarres de Cana, les montagnes une grotte, et les villes Bethléem ; les vents leur obéissance et la mer sa soumission ; les profondeurs de la mer offrent les poissons de la pêche et les poissons eux-mêmes la pièce de monnaie ; les eaux offrent le Jourdain, les fontaines la Samaritaine, le désert Jean Baptiste, les animaux l'ânon, les oiseaux la colombe, les mages leurs présents. Les femmes offrent Marthe, les veuves Anne et les stériles Elisabeth, les vierges offrent Marie, Mère de Dieu ; les bergers leurs chants, les prêtres Syméon, les enfants leurs rameaux ; les persécuteurs offrent Paul, les pécheurs le publicain, les païens la Chananéenne, l'hémorroïsse sa foi, la prostituée son parfum ; les arbres offrent Zachée, les forêts la croix et la croix le larron, l'Orient une étoile, l'air la nuée, les cieux les anges, Gabriel sa salutation : « Réjouis-toi, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi, de toi, en toi. » En toi il est venu selon son bon plaisir. De toi il est sorti car il l'a voulu ; avant toi car avant tous les siècles, sans altération et de manière ineffable, il a été engendré par le Père.

       Bienheureuses par toi toutes les femmes ! Déjà Eve est guérie et Marie est vénérée. Marie, mère et servante, nuée, chambre nuptiale et arche du Seigneur. Mère, car elle mit au monde celui qui voulut naître. En disant servante, je confesse la nature et je proclame la grâce. Nuée, car elle conçut du Saint-Esprit celui qui conserva intacte sa virginité. Chambre nuptiale, car en elle le Verbe habita pour ses noces. Arche qui porte non plus la Loi, mais l'auteur de la Loi. Toi seule, tu as arrêté les larmes d'Eve, toi seule as guéri son chagrin, toi seule as porté le salut du monde, toi seule as reçu la perle précieuse, toi seule as mis au monde l'Emmanuel, Dieu avec nous, comme il l'a voulu. « Tu es bénie entre les femmes et le fruit de ton sein est béni » : Emmanuel ! Dieu avec nous : toute erreur disparaît ! Dieu avec nous, plus de circoncision ! Dieu avec nous, les démons sont en fuite ! Dieu avec nous et la piscine du baptême ne cesse de mettre au monde un peuple nouveau ! Dieu avec nous, nos églises sont trop petites ! Dieu avec nous, la mort devient sommeil : les morts proclament leur libération ; Dieu avec nous, Emmanuel ! Pas un ange, pas un légat, mais Dieu vient et il nous sauvera.

       Et l'on vit sur la terre celui qui était Dieu, et par la Vierge il est venu où il était déjà. Celui que les cieux ne peuvent contenir, le monde le reçut quand il prit chair. Fait homme sans péché, il délivra l'humanité du péché par le bois. Dans son tombeau, il détruisit la mort ; par l'humiliation, il dispense la gloire ; dans le fleuve, il signifie le mystère du baptême ; vents, marées, mers à leur manière montrent qu'il est Dieu : « Les eaux te virent ô Dieu, les eaux te virent, elles tremblèrent. »

       Vraiment Dieu a tout fait avec sagesse : à sa création muette il donna une langue : c'est l'homme ; et la terre vierge fut la mère du premier Adam. C'est pourquoi le Christ est dit selon la chair second Adam, parce que le premier était figure du Christ.

       Adam, le serviteur, fut principe de la race ; le Christ, le maître, principe de la vie ; le premier sortit des mains de Dieu, le second prit chair car il le voulut. Le premier fut créé à l'image : c'est le second qui est l'Image ; le souffle de Dieu anima le premier et l'on vit le second dans la forme d'esclave ; le premier est la voix de la création, le second, tête de l'Église. Le premier tendit la main vers l'arbre et y cueillit la mort, le second étendit la main sur la croix et reçut le monde dans ses bras : ne crie-t-il pas dans l'Évangile : « Quand j'aurai été élevé, j'attirerai tout à moi » ?

       Le premier Adam eut dans la femme une complice, le second eut la Vierge pour chambre nuptiale.

 

 

5 A VRIL

 

Saint Vincent Ferrier

 

(en Carême)

 

 

Sermon de saint Vincent Ferrier, prêtre

 

       « Que je ne me glorifie pas sinon dans la croix de notre Seigneur Jésus-Christ. » Vous trouvez ce texte dans l'épître aux Galates et c'est sur lui que portera notre sermon. Les premiers mots de ce texte : « Que je ne me glorifie pas sinon dans la croix » peuvent être mis sur les lèvres du Christ. La Sainte Écriture nous montre clairement que le Christ fut souvent en péril de mort parmi les juifs et que, plusieurs fois, on essaya de le tuer, mais aucun genre de mort ne lui plut sinon la croix et il évita les autres soit par la fuite, soit autrement. Il fut en péril de mort dès après sa naissance. Alors régnait Hérode, l'étranger, qui avait obtenu de la faveur de l'empereur le pouvoir de gouverner les juifs. Lorsqu'il apprit de la bouche des rois de l'Orient la naissance du Christ, et de celle des sages d'Israël le lieu de sa naissance, il voulut tuer l'enfant et, dans ce but, envoya des hommes en armes tuer tous les enfants de la ville de Bethléem et des environs ; et il en fut ainsi, mais l'Ange du Seigneur apparut à Joseph et lui dit de fuir avec l'enfant et sa mère, et ainsi le Christ échappa à la mort, et ainsi s'accomplit la prophétie de Job : « Ils frappèrent les enfants de l'épée, et seul j'en réchappai. »

       Le Christ fut une deuxième fois en péril de mort lorsqu'on voulut le précipiter du haut d'une colline comme il est dit au chapitre quatrième de saint Luc. Né à Bethléem, élevé à Nazareth, on appela Jésus : « Jésus de Nazareth ». Les juifs lui dirent : « Ce que nous avons appris que tu as fait à Capharnaüm fais-le dans ta patrie. » Le Christ leur répondit qu'ils ne le méritaient pas parce qu'ils ne croyaient pas. C'est pourquoi ils le méprisaient en disant : « N'est-ce pas là le fils du charpentier, et de cette femme qu'on appelle Marie ? » Puis, pris de colère, ils se levèrent et le poussèrent hors de la ville, le conduisirent au bord de l'escarpement de la colline, sur laquelle était bâtie la ville, pour le jeter en bas. « Mais lui, dit l'Évangile, passant au milieu d'eux, allait son chemin. » Pourquoi n'a-t-il pas voulu mourir ainsi ? S'il avait voulu, il aurait pu ainsi sauver le monde. Parce que sa mort nous doit enseigner. Il fut encore près d'être lapidé, comme rapporte Jean l'Évangéliste aux chapitres huit et dix, lorsqu'il prêchait aux juifs en disant : « Si quelqu'un garde ma parole, il ne verra jamais la mort. »

       II fut enfin en péril de mort et de mort sur la croix. Ce genre de mort lui convint, il l'accepta. Les juifs voyant qu'ils ne pouvaient le précipiter de la falaise ni le lapider, dirent : « Qu'il meure en croix, qu'il soit crucifié », et ils préparèrent une croix. Jésus, à ce moment-là, prêchait en Galilée. Sachant que les juifs préparaient la croix, il dit à ses disciples : « Voici que nous montons à Jérusalem et le Fils de l'homme sera livré aux princes des prêtres et aux scribes, et ils le condamneront à mort. » Ainsi ce n'est pas par force, mais de plein gré, que le Christ vient à la mort de la croix. Une fois que Pilate a rendu la sentence, il n'appelle pas contre elle, il ne refuse pas, mais, comme dit Jean, « portant sa croix, il sortit vers le lieu appelé le Calvaire ». Pourquoi a-t-il choisi ce genre de mort ? Laissez-moi, en réponse, vous rappeler que tout le mal est venu du péché d'Adam et d'Eve et du fait qu'ils prirent du fruit de l'arbre défendu. Le Christ revient à l'arbre comme le fruit qui en avait été pris. C'est pourquoi les vieux livres des Grecs disent que la croix est taillée de ce bois de l'arbre du paradis. La Mère Église aborde d'ailleurs ce point dans la préface lorsqu'elle dit : « Tu as établi dans le bois de la croix le salut du genre humain, afin que la vie jaillît à nouveau de l'arbre qui donnait la mort, et que l'ennemi victorieux par le bois soit lui-même vaincu sur le bois par le Christ notre Seigneur. » II est donc clair que la manière dont nous devions être rachetés était la mort sur une croix.

 

 

5 AVRIL

 

Saint Vincent Ferrier

 

(au temps pascal)

 

 

Sermon de saint Vincent Ferrier, prêtre

 

       La Vierge était absolument certaine de la résurrection de son Fils puisqu'il l'avait si ouvertement prédite ; mais elle en ignorait l'heure qui, en effet, ne se trouve nulle part déterminée. Elle passa donc la nuit du Grand Samedi, qui lui parut bien longue, à réfléchir sur l'heure possible de la résurrection. Sachant que David a, plus que les autres Prophètes, parlé de la Passion du Christ, elle parcourut le psautier, mais n'y trouva nulle indication de l'heure. Cependant, au psaume 56, David, parlant en la personne du Père à son Fils, dit : « Éveille-toi, ma gloire, éveille-toi ma harpe et ma cithare. » Et le Fils répondit : « Je m'éveillerai à l'aurore... » Quand la Vierge Marie sut l'heure de la résurrection, je vous laisse penser avec quel empressement elle se leva pour voir si l'aurore venait. Elle constata que non et acheva le psautier. Puis elle voulut s'assurer si d'autres Prophètes n'avaient pas mentionné l'heure de la résurrection et elle trouva au chapitre six d'Osée ce texte : « Après deux jours il nous rendra la vie, le troisième jour il nous relèvera et nous vivrons en sa présence. Appliquons-nous à connaître le Seigneur, sa venue est certaine comme l'aurore. »

       La Vierge se leva et dit : « Ces témoins de l'heure où mon Fils doit ressusciter me suffisent... » puis elle regarda par la fenêtre et vit que l'aurore commençait à poindre. Sa joie fut grande : « Mon Fils va ressusciter », dit-elle. Puis, fléchissant les genoux, elle pria : « Réveille-toi, sois devant moi et regarde, et toi, Seigneur Dieu Sabaoth, réveille-toi. » Et, aussitôt, le Christ lui envoya l'ange Gabriel disant : « Toi qui as annoncé à ma Mère l'incarnation du Verbe, annonce-lui sa résurrection. » Aussitôt l'Ange vola vers la Vierge et lui dit : « Reine du ciel, réjouis-toi, car celui que tu as mérité de porter dans ton sein est ressuscité comme il l'a dit. » Et le Christ salua sa Mère en disant : « La paix soit avec toi... » Et Marie dit à son Fils : « Jusqu'ici, mon Fils, je rendais mon culte le samedi, pour honorer le saint repos après la création du monde ; désormais, ce sera le dimanche, en mémoire de ta résurrection, de ton repos et de ta gloire. » Et le Christ approuva.

       Le Christ raconta à Marie ce qu'il avait fait aux enfers, comment il avait enchaîné Satan, et présenta à sa Mère les patriarches qu'il en avait «amenés. Et tous la saluèrent d'une inclination profonde. Je vous laisse à penser quels furent les sentiments d'Adam et d'Eve lorsqu'ils dirent à la Vierge Marie : « Bénie sois-tu notre fille et notre Dame, toi dont parlait le Seigneur lorsqu'il dit au serpent : je mettrai une hostilité entre toi et la femme. » Eve ajouta : « J'ai fermé par ma faute le paradis, mais toi, pleine de grâce, tu l'as ouvert à nouveau. » Et chaque Prophète lui disait tour à tour :   « J'ai prophétisé de toi ici ou là dans mon livre », puis tous la saluèrent en disant : « Tu es la gloire de Jérusalem, la joie d'Israël et l'honneur de notre peuple. » Et la Vierge leur rendit leur salut par ces   mots : « Vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple que Dieu s'est acquis pour annoncer les louanges de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière. » Et les anges chantèrent à nouveau : « Reine du ciel, réjouis-toi. »

 

 

25 AVRIL

 

Saint Marc, évangéliste

 

 

Sermon de saint Irénée de Lyon, évêque

 

       Le Maître de toutes choses a donné à ses Apôtres le pouvoir de prêcher l'Évangile. C'est par eux que nous connaissons la vérité, c'est-à-dire l'enseignement du Fils de Dieu. C'est à eux que le Seigneur a dit : « Qui vous écoute, m'écoute ; qui vous méprise me méprise et méprise celui qui m'a envoyé. » Car nous n'avons pas connu l'économie de notre salut par d'autres que ceux qui nous ont apporté l'Évangile. Cet Évangile, ils l'ont d'abord prêché. Puis, par la volonté de Dieu, ils nous l'ont transmis dans les Écritures pour qu'il devienne le fondement et la colonne de notre foi.

       ... Après que notre Seigneur fut ressuscité d'entre les morts et que les Apôtres eurent été revêtus de la force d'en haut par la venue soudaine de l'Esprit Saint, ils furent remplis de tous les dons et eurent la connaissance parfaite. Alors ils s'en allèrent jusqu'aux extrémités de la terre, proclamant la bonne nouvelle qui nous vient de Dieu, et annonçant aux hommes la paix du ciel, eux qui possédaient tous également et chacun en particulier l'Évangile de Dieu.

       Matthieu, précisément, chez les Hébreux, dans leur propre langue, a fait paraître une forme écrite d'évangile alors que Pierre et Paul évangélisaient et fondaient l'Église de Rome. Après leur mort, Marc, le disciple de Pierre et son interprète, nous a transmis lui aussi par écrit la prédication de Pierre. De même Luc, le compagnon de Paul, a consigné en un livre l'Évangile prêché par celui-ci. Enfin, Jean le disciple du Seigneur, le même qui reposa sur sa poitrine, a publié lui aussi l'Évangile, pendant son séjour à Éphèse.

       Marc, interprète et compagnon de Pierre, a présenté ainsi le début de sa rédaction de l'Évangile : « Commencement de l'Évangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu. Selon qu'il est écrit dans les Prophètes : Voici que j'envoie mon ange devant ta face, qui préparera ton chemin. Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, redressez les sentiers devant notre Dieu. » On le voit, Marc fait des paroles des saints Prophètes le commencement de l'Évangile, et celui que les Prophètes ont proclamé Dieu et Seigneur, Marc le met en tête comme Père de notre Seigneur Jésus-Christ, Père qui promet à son Fils de lui envoyer son ange pour marcher devant sa face. Cet ange, c'était Jean Baptiste qui, dans l'Esprit et la puissance d'Élie, criait dans le désert : « Préparez les chemins du Seigneur, redressez les chemins de notre Dieu... » A la fin de son Évangile, Marc dit : « Or donc, le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé aux cieux et s'assit à la droite de Dieu », ce qui confirme la parole du Prophète : « Oracle du Seigneur à mon maître : siège à ma droite, tes ennemis j'en ferai ton marchepied. » Ainsi il n'y a qu'un seul et même Dieu et Père, proclamé par les Prophètes, transmis par l'Évangile, que nous, chrétiens, révérons et aimons de tout cœur : le Créateur du ciel et de la terre et de tout ce qu'ils contiennent.

       Le Verbe artisan de l'univers, lui qui est assis sur les chérubins et qui maintient tout dans l'unité, une fois manifesté aux hommes, nous a donc donné l'Évangile aux quatre formes, Évangile qui contient cependant un seul Esprit. Jean décrit sa génération qui vient du Père, créatrice et glorieuse : « Dans le Principe était le Verbe et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu », et encore : « Tout a été fait par lui et sans lui rien n'a été fait. » C'est pourquoi cet Évangile est rempli d'une grande hardiesse d'élan : tel était son visage. L'Évangile selon Luc, parce qu'il porte le caractère du sacerdoce, commence par Zacharie offrant un sacrifice : déjà, en effet, se préparait le veau gras qui serait sacrifié pour le jeune fils retrouvé. Matthieu raconte la génération du Christ comme un homme... Cet Évangile présente donc le Christ sous sa forme humaine, c'est pourquoi dans tout cet Évangile nous voyons toujours le Christ animé de sentiments d'humilité et homme de douceur. Quant à Marc, il débute par l'Esprit prophétique qui, d'en haut, fond sur les hommes : « Commencement de l'Évangile... comme il est écrit dans le prophète Isaïe. » II présente donc, comme en plein vol, une image ailée de l'Évangile, c'est pourquoi il donne son message en raccourci et à grands traits rapides, ce qui est bien la marque de l'esprit prophétique.

 

 

29 A VRIL

 

Sainte Catherine de Sienne

 

 

D'une lettre de sainte Catherine de Sienne

 

       Mes chers fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, servante des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris avec le désir de vous voir obéissants jusqu'à la mort, à l'exemple de l'Agneau sans tache qui obéit à son Père jusqu'à l'ignominieuse mort sur la croix. Songez qu'il est le chemin et la règle que vous devez suivre. Je veux que vous le teniez toujours présent devant les yeux de votre esprit. Voyez combien il est obéissant, ce Verbe ! Il ne refuse pas de supporter la souffrance dont son Père l'a chargé. C'est animé d'un grand désir qu'il s'élance. N'est-ce pas ce qu'il manifeste lors de la Cène du Jeudi saint quand il dit : « J'ai désiré d'un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de mourir. » Par            « manger la Pâque », il entend accomplir la volonté du Père et son désir. Ne voyant presque plus de temps devant lui (il se voyait déjà à la fin quand il devait sacrifier son corps pour nous), il exulte, se réjouit et dit avec joie : « J'ai désiré d'un grand désir. » Voilà la Pâque dont il parlait, celle qui consistait à se donner lui-même en nourriture, à immoler son propre corps pour obéir au Père.

       Jésus avait célébré bien d'autres Pâques avec ses disciples, mais jamais celle-ci, ô ineffable, douce et brûlante charité ! Tu ne penses ni à tes peines ni à ta mort... Le Verbe voit que c'est lui-même qui a été choisi, lui-même qui a reçu pour épouse l'entière humanité. Il lui a été ordonné de nous donner son propre sang afin que la volonté de Dieu s'accomplisse en nous, afin que ce soit son sang qui nous sanctifie. Voilà bien la Pâque qu'accepté cet Agneau sans tache et c'est avec un grand amour et un grand désir qu'il accomplit du même coup la volonté du Père et qu'il observe et accomplit son dessein.

Aussi, je vous prie, mes doux fils dans le Christ Jésus, de ne jamais redouter quoi que ce soit et de mettre toute votre confiance dans le sang du Christ crucifié. Ne laissez jamais briser cette union par des tentations et des illusions, par la peur que vous pourriez avoir de ne pas pouvoir persévérer, par la crainte de ne pouvoir supporter les fardeaux de l'obéissance et de l'Ordre.

       Je ne veux pas vous voir craintifs. Que la crainte servile vous quitte. Vous direz avec saint Paul : « Par le Christ crucifié, je puis tout, puisqu'il est en moi par désir et par amour, et qu'il me fortifie. » Aimez, aimez ! Qui vit dans le monde est comme quelqu'un qui rame avec ses propres bras, celui qui fait partie de l'Ordre navigue avec les bras de ses frères... Courage mes fils, vous trouverez la source de la charité dans le côté du Christ crucifié. Je veux que vous suiviez cette source et que vous en fassiez votre demeure. Debout donc, avec un grand désir. Il n'est aucun démon, aucune créature qui puisse vous enlever la grâce ou vous empêcher de parvenir à votre but qui est de voir et de goûter Dieu. Je termine. Demeurez dans l'amour de Dieu. Aimez-vous. Aimez-vous les uns les autres.

 

 

30 AVRIL

 

Saint Pie V

 

 

Sermon de saint Bernard, abbé

 

       « Les veilleurs qui gardent la ville m'ont rencontrée. » Qui sont donc ces veilleurs ? Ce sont ceux dont le Sauveur dit, dans l'Évangile, qu'ils sont heureux si, à son arrivée, il les trouve vigilants. Ce sont les bons gardiens qui restent éveillés tandis que nous dormons, comme s'ils avaient à rendre compte de nos âmes. Ce sont ces amis de leurs frères humains et de tout le peuple chrétien qui ne cessent de prier pour ce peuple et pour toute la cité sainte. Prenant grand souci des brebis du Seigneur qui leur sont confiées, ils se consacrent à veiller dès l'aurore en présence du Seigneur qui les a créés et à prier le Très-Haut. Mais ils veillent et prient tout en sachant qu'ils ne sauraient suffire à protéger la cité : car « si le Seigneur ne garde la ville, en vain veillent les sentinelles ».

       Vous me demanderez peut-être quelle différence il y a entre la Cité, l'Épouse et les brebis. C'est une seule et même réalité, mais qui reçoit le nom de cité pour signifier la réunion de ses membres, d'Épouse parce qu'elle est fondée sur l'amour et de brebis pour évoquer la douceur qui y règne. Que l'Épouse et la Cité soient une même chose, en voici la preuve : « J'ai vu, dit l'Écriture, la Cité sainte, la Jérusalem nouvelle qui descendait du ciel d'auprès de Dieu, belle comme une épouse parée pour son époux. » Vous jugerez qu'il en va de même pour les brebis si vous vous rappelez avec quelle insistance leur premier gardien, je veux dire, saint Pierre, fut invité à les aimer au moment où on les lui confia.

       Soyez donc attentifs, vous à qui échoit l'exercice de ce ministère, soyez attentifs à vous-mêmes et au dépôt qui vous est confié. C'est une cité : veillez sur sa sécurité et la concorde de ses habitants. C'est une épouse : n'oubliez pas sa parure. Ce sont des brebis ; pourvoyez à leur pâture... Le bon pasteur devra encore, selon l'Évangile, prendre soin d'avoir toujours du sel sur lui et se rappeler qu'une parole assaisonnée de sel est d'autant plus utile au salut qu'elle est plus agréable à entendre.

       Quiconque a cette charge doit brûler enfin du même zèle qui enflammait l'ami le plus empressé de l'Épouse du Seigneur et qui lui arrachait ces paroles : « J'éprouve à votre égard une jalousie divine, car je vous ai fiancés à un époux unique, le Christ, et je veux vous présenter à lui comme une vierge pure. »

 

 

1er MAI

 

Saint Joseph, artisan

 

 

Sermon de saint François de Sales, évêque

 

       Combien ce grand saint que nous fêtons fut fidèle en l'humilité ! Il ne se peut dire selon sa perfection, car, malgré ce qu'il était, en quelle pauvreté, en quelle abjection ne vécut-il pas tout le temps de sa vie ! Pauvreté et abjection sous lesquelles, il tenait cachées et couvertes ses grandes vertus et dignités. Ô vraiment, je ne doute pas que les anges, ravis d'admiration, ne vinssent, troupes à troupes, le considérer et admirer son humilité lorsqu'il tenait ce cher Enfant dans sa pauvre boutique où il travaillait de son métier pour nourrir et le Fils et la Mère qui lui étaient commis. Il n'y a point de doute que saint Joseph ne fût plus vaillant que David et plus sage que Salomon ; néanmoins, le voyant réduit en l'exercice de la charpenterie, qui eût pu juger cela s'il n'eût été éclairé de la lumière céleste, tant il tenait cachés tous les dons signalés dont Dieu l'avait gratifié.

       Vous entendez combien la dignité de saint Joseph était relevée et combien il était rempli de toutes sortes de vertus : néanmoins, vous voyez d'ailleurs combien il était rabaissé, humilié, plus qu'il ne se peut dire ni imaginer. Regardez comment l'Ange le tourne à toutes mains. Il lui dit qu'il faut aller en Egypte, il y va ; il commande qu'il revienne, il s'en revient. Dieu veut qu'il soit toujours pauvre, ce qui est une des plus puissantes épreuves qu'il nous puisse faire, et il s'y soumet amoureusement et non pas pour un temps, car il fut pauvre toute sa vie. Mais de quelle pauvreté ? D'une pauvreté méprisée, rejetée et nécessiteuse.

       La pauvreté religieuse dont les religieux font profession est fort aimable, d'autant qu'elle n'empêche pas qu'ils ne reçoivent et prennent les choses qui leur sont nécessaires, défendant et les privant seulement des superfluités. Mais la pauvreté de saint Joseph, de notre Seigneur et de notre Dame n'était pas telle car, encore qu'elle fût volontaire, d'autant qu'ils l'aimaient chèrement, elle ne laissait pas pourtant d'être abjecte, rejetée, méprisée et nécessiteuse, grandement ; car chacun tenait ce grand saint pour un pauvre charpentier, lequel sans doute ne pouvait empêcher qu'il ne leur manquât plusieurs choses nécessaires bien qu'il se peinât avec une affection nonpareille pour l'entretien de sa pauvre famille.

 

 

3 MAI

 

Saint Philippe et saint Jacques, apôtres

 

 

Sermon de saint Hilaire de Poitiers, évêque

 

       Le Seigneur ne nous a pas laissé sur le mystère un enseignement incertain ou douteux, et il ne nous a pas abandonnés à l'erreur qui peut naître d'une compréhension ambiguë. Écoutons-le donc lorsqu'il révèle aux Apôtres l'entière connaissance de cette foi ; il dit en effet : « Je suis le chemin, la vérité, la vie ; nul ne vient au Père que par moi. » Celui qui est le chemin ne nous a pas laissés errer dans des voies sans issue. La Vérité ne nous a pas joués par des mensonges. La Vie ne nous a pas livrés à l'erreur qui tue. Et, parce qu'il a manifesté pour notre salut les doux noms de son économie : Chemin pour nous conduire à la vérité, Vérité pour nous établir dans la Vie, sachons quel est le sacrement qui nous conduit à cette vie : « Nul ne vient au Père que par moi », le chemin vers le Père passe par le Fils.

       « Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi le Père. » On voit l'homme Jésus-Christ. Comment le connaissant, connaîtra-t-on aussi le Père ? Dans le mystère du corps qu'il a pris, le Seigneur manifeste la divinité qui est dans le Père ; il marque cet ordre : « Si vous me connaissez, vous connaîtrez aussi le Père, dès maintenant, vous le connaîtrez et vous l'avez vu. » II a distingué le temps de la vue et celui de la connaissance, car il dit qu'on a déjà vu cela même qu'on devra connaître, pour que nous recevions à partir de cette révélation temporelle la connaissance de la nature qui est en lui. Mais la nouveauté de ces paroles ébranle l'Apôtre Philippe : On voit un homme, il se proclame Fils de Dieu ; il affirme que celui qui le connaît connaît le Père. Il dit que le Père a été vu et c'est parce qu'il a été vu qu'il sera connu.

       Écoute le Père inengendré, écoute le Fils monogène, écoute : « Moi et le Père nous sommes un » ; écoute : « Qui me voit voit le Père » ; écoute : « Le Père est en moi et je suis dans le Père » ; écoute :   « Je suis sorti du Père et tout ce qu'a le Père il l'a donné au Fils et le Fils a la vie en lui comme le Père l'a en lui. » Écoute le Fils, image, sagesse, puissance et gloire de Dieu. Entends la proclamation de l'Esprit : « Sa génération qui la racontera ? » Plonge-toi dans cet arcane, enfonce-toi dans le secret de cette naissance ineffable entre le Dieu inengendré et le Dieu monogène. Pars, avance, persiste.

       Même si je sais que je n'arriverai pas, je me réjouirai d'être en route, car celui qui, avec amour, poursuit l'insondable, même s'il n'arrive pas au bout, du moins grandit dans cette marche. Mais ici l'intelligence se tait : il n'y a plus de mots.

 

 

10 MAI

 

Saint Antonin

 

 

Sermon de saint Antonin de Florence, évêque

 

       « Que tes œuvres sont grandes, Seigneur, toutes avec sagesse tu les fis, la terre est remplie de ta richesse. » Le Prophète, dans la joie de son cœur, contemple la grandeur de Dieu et son esprit est rempli d'admiration pour la grandeur de son œuvre. Aussi lui dit-il : « Que tes œuvres sont grandes » comme pour manifester quelles merveilles nous apparaissent, lorsque nous est manifesté le mystère de la Sainte Trinité que nous devons toujours implorer, dont nous devons toujours attendre le secours, pour que soient conduites à leur terme nos œuvres bonnes qui viennent de lui. Sans lui et sa grandeur aucune nature ne subsiste, comme le dit Platon, aucun esprit ne comprend, aucune action n'aboutit ; et, si on l'oublie, aucune réalité ne trouve sa vraie fin. Le Prophète évoque donc en premier lieu cette admirable puissance qui est attribuée au Père : « Que tes œuvres sont grandes Seigneur » ; vient ensuite la sagesse attribuée au Fils : « Tu les fis toutes avec sagesse », et enfin la bienveillance, attribuée au Saint-Esprit : « La terre est remplie de ta richesse. »

       C'est de la première, la puissance, que parle Mardochée lorsqu'il s'écrie à propos de la grandeur de Dieu manifestée dans la création : « Seigneur tout-puissant, tout est dans ta main ; tu as fait le ciel et la terre et tout ce qu'ils contiennent. » Voici la puissance attribuée au Père, lui qui fait tout de rien, et non comme un artisan à partir d'un quelconque matériau.

       Quant à la sagesse, l’Ecclésiaste dit : « La source de la Sagesse est le Verbe de Dieu dans les hauteurs. Tout a été fait par lui. » Le Verbe, Fils de Dieu, est comme l'art du Père tout-puissant. En lui et par lui toutes choses sont faites très bonnes. « Tu as tout fait avec sagesse. » Et comme, selon le Philosophe, il revient au sage d'ordonner, de là provient que toute chose est harmonieusement disposée, de là vient la beauté de l'univers et la providence qui gouverne le monde. « Tu as tout fait avec sagesse. » Le monde est un livre écrit au-dedans et au-dehors qui nous enseigne la sagesse, non seulement sur le mystère divin, comme le dit l'épître aux Romains : « Les réalités invisibles depuis la création du monde se laissent voir à l'intelligence à travers ses œuvres » ; mais encore le monde nous enseigne la sagesse dans l'action, selon le livre de Job : « Parle à la terre, elle te répondra. » Tu as tout fait avec sagesse pour nous donner la sagesse. Il a répandu sa sagesse sur toutes ses œuvres jusque sur les plus petits animaux comme les fourmis. Il a tout fait avec sagesse.

       A propos de la bienveillance de Dieu, saint Augustin nous dit qu'elle apparaît en ce que Dieu a fait toutes ces œuvres, si grandes et si sages, pour l'homme. La terre est remplie de ta richesse : la terre c'est l'homme : il vient de la terre, il cultive la terre et il vit de la terre. Et cette terre, l'homme, Dieu l'a remplie de sa richesse. Dieu possède les choses terrestres, célestes et divines. De tout cela, il a enrichi l'homme. Il a mis la terre à son usage : « Tu as tout mis sous ses pieds. » II lui a donné aussi le ciel, c'est-à-dire les anges pour serviteurs, comme le dit l'épître aux Hébreux. Il lui a encore donné ce qu'il possède de meilleur, c'est-à-dire son Fils : il en a comblé l'homme, car « le Verbe s'est fait chair ». Ainsi « Dieu a tant aimé le monde », c'est-à-dire l'homme, « qu'il lui a donné son Fils unique ». D'où l'on peut dire : « La terre est remplie de ta richesse. »

 

 

14 MAI

 

Saint Matthias, apôtre

 

 

Sermon de saint Jean Chrysostome, évêque

 

       En ces jours-là, Pierre se leva au milieu des frères. Il est toujours plein de feu, celui à qui le Christ a confié son troupeau, le premier du chœur des Apôtres et le premier dès lors à prendre la parole. « Ils étaient là, réunis au nombre d'environ cent vingt personnes. » Et il dit : « Frères, il fallait que l'Écriture s'accomplisse, elle qui contient les prédictions de l'Esprit Saint. » Pourquoi Pierre ne demande-t-il pas tout seul au Christ de lui donner quelqu'un à la place de Judas ? Pourquoi aussi les Apôtres ne lui élisent-ils pas un successeur ? Pierre est désormais bien supérieur à ce qu'il était du vivant du Christ, et c'est pourquoi il ne lui demande pas de remplacer lui-même Judas. Quant à savoir pourquoi les Apôtres veulent compléter le chœur apostolique par révélation et non par élection, nous en donnerons deux raisons. La première est la diversité de leurs intérêts, l'autre c'est que choisir à Judas un successeur par révélation prouvait éminemment la présence du Christ parmi eux.

       Remarquez comment Pierre agit constamment en s'appuyant sur le sentiment des autres, jamais de son seul chef, jamais avec autoritarisme. Il ne dit pas : « Nous élisons un tel pour remplacer Judas. » Voyez plutôt avec quel ménagement il leur parle en cherchant à les consoler du malheur qu'ils avaient éprouvé. « Ils en présentèrent deux, est-il dit, Joseph, appelé Barsabas, surnommé le Juste, et   Matthias. » Ce n'est donc pas lui qui les a présentés, c'est toute la communauté. Puis ils se mirent à prier en disant : « Seigneur, toi qui connais le cœur de tous les hommes, montre-nous lequel de ces deux tu as choisi pour occuper dans l'apostolat la place qu'a délaissée Judas. » Ils tirèrent alors les noms au sort, car l'Esprit n'avait pas encore été donné, et le sort tomba sur Matthias qui prit rang avec les onze Apôtres.

       Remarquez la prévoyance de Pierre. Le premier, il en introduit un autre. Il ne dit pas : « Nous suffisons à l'enseignement », son cœur était trop éloigné de l'ambition ; il n'avait qu'une chose en vue et tous acceptaient son autorité quoique sous différentes formes. Voyez : sur cent vingt qu'ils étaient, Pierre n'en demande qu'un ; il prend à bon droit l'initiative de l'affaire. En effet, c'est à lui que tous étaient confiés, car c'est à lui que le Christ avait dit : « Et toi, quand tu seras revenu, confirme tes frères. » Remarquez avec quel soin il imite son Maître en prenant toujours l'Écriture pour base de ses propos. Tout cela, d'ailleurs, une fois de plus, fait éclater l'amour du Seigneur pour les hommes.

 

 

30 MAI

 

Sainte Jeanne d'Arc

 

 

Des témoins de la vie et de la mort de sainte Jeanne d'Arc

 

       A mon jugement, elle pouvait avoir dix-neuf ou vingt ans ; de tenue, elle était très simple, mais dans ses réponses, pleine de discernement et de prudence.

       Pendant son procès, Jeanne s'est plainte très souvent qu'on lui posait des questions subtiles et sans rapport avec le procès. Je me souviens bien qu'une fois, il lui fut demandé si elle était en état de grâce. Elle répondit que c'était chose grande que de répondre sur un tel sujet. Et, à la fin, elle répondit : « Si j'y suis, Dieu m'y garde ; si je n'y suis, Dieu veuille m'y mettre, car j'aimerais mieux mourir que de ne pas être en l'amour de Dieu. » De cette réponse, ceux qui l'interrogeaient furent stupéfaits et sur l'heure, ils s'arrêtèrent et ne l'interrogèrent pas davantage cette fois-là... Plusieurs fois, j'ai entendu dire à Jeanne qu'il y avait sur son fait un mystère et quand on lui disait : « Jamais on n'a vu de telles choses comme l'ont été vues de votre fait ; en aucun livre on ne lit des faits semblables », elle répondait : « Mon Seigneur a un livre dans lequel jamais aucun clerc n'a lu, tant soit-il parfait en clergie. »

       Le mercredi, jour qu'elle fut condamnée, et avant qu'elle partît du château, lui fut apporté le corps de Jésus-Christ, irrévérencieusement, sans étole ni lumière, ce dont frère Martin qui l'avait confessée fut mal content. Puis, elle fut menée au vieux marché et lui fut faite la prédication en laquelle elle eut grande constance et qu'elle écouta fort paisiblement, montrant de grands signes de contrition, pénitence et ferveur de foi, tant par les pieuses et dévotes prières et invocations de la bénie Trinité et de la glorieuse Vierge Marie et de tous les saints du paradis, qu'en requérant aussi à toute sorte de gens, de quelque condition et état qu'ils fussent, tant de son parti que d'autres, pardon très humblement, leur demandant qu'ils voulussent prier pour elle. Plusieurs, à cette vue, reconnurent et confessèrent le nom de Dieu... Et quand elle fut délaissée par l'Église, j'étais encore avec elle, et à grande dévotion, elle demanda à avoir la croix.

       Jeanne me demanda, requit et supplia, comme j'étais près d'elle en sa fin, que j'aille à l'église prochaine et lui apporte la croix, pour la tenir élevée droit devant ses yeux jusqu'au pas de la mort, afin que la croix où Dieu pendit fût en sa vie continuellement devant sa vue. Et de plus, étant dedans la flamme, elle ne cessa jusqu'en la fin de clamer et confesser à haute voix le saint nom de Jésus, en invoquant sans cesse l'aide des saints et des saintes du paradis. Et encore, qui plus est, en rendant son esprit et inclinant la tête, proféra le nom de Jésus en signe qu'elle était fervente en la foi de Dieu, ainsi que nous le lisons de saint Ignace et de plusieurs martyrs. Je ne doute pas qu'elle ne soit morte catholiquement ; je voudrais, en effet, que mon âme soit où je crois qu'est l'âme de Jeanne.

 

 

31 MAI

 

Visitation de la Vierge Marie

 

 

Sermon de saint Jean Damascène, prêtre

 

       « Tu es bénie entre les femmes et le fruit de ton sein est béni. » Voici, en effet, que les générations te disent bienheureuse comme tu l'as déclaré. Les filles de Jérusalem, c'est-à-dire de l'Église, t'ont vue et ont proclamé ton bonheur. Tu es, en effet, le trône royal près duquel se tenaient les anges contemplant leur Maître et Créateur qui y était assis. Tu es devenue l’Éden spirituel, plus sacré et plus divin que l'ancien. Dans le premier habitait l'Adam terrestre, en toi, c'est le Seigneur venu du ciel. L'arche de Noé t'a préfigurée, elle qui sauva le germe de la seconde création ; car tu enfantas le Christ, le salut du monde, qui a submergé le péché et apaisé les flots. D'avance c'est toi que le buisson a dépeinte, que les tables écrites par Dieu ont dessinée, que l'arche de la Loi a racontée... J'allais omettre l'échelle de Jacob. Comme Jacob vit le ciel réuni à la terre par les extrémités de l'échelle, et par elle les anges descendre et monter, et Celui qui est réellement le fort et l'invincible engager avec lui une lutte symbolique, ainsi toi-même tu es devenue la médiatrice et l'échelle par laquelle Dieu est descendu vers nous et a pris sur lui la faiblesse de notre pâte, l'embrassant et se l'unissant étroitement.

       Par ton tombeau, comme par un autre Jourdain, tu es parvenue à la vraie Terre promise, je veux dire à la Jérusalem d'en haut, mère de tous les croyants, dont Dieu est l'architecte et le constructeur. Car ton âme assurément n'est pas descendue dans l'Hadès, bien plus ta chair elle-même n'a pas connu la corruption. Ton corps sans souillure ne fut pas abandonné à la terre, mais aux demeures du Royaume des Cieux tu fus emportée, toi la reine, la souveraine, la dame, la Mère de Dieu, la véritable Theotokos. Avec joie le ciel a accueilli ton âme : « Quelle est celle-là qui monte dans tout son éclat, belle comme la lune, resplendissante comme le soleil. » Le roi t'a introduite dans son cellier et les anges glorifient celle qui est la mère de leur propre maître, par nature et en vérité selon l'économie.

       Le Père l'a prédestinée, ensuite les Prophètes par le Saint-Esprit l'ont annoncée, puis la vertu sanctificatrice de l'Esprit l'a illuminée, purifiée et rendue sainte et a arrosé cette terre. Et toi, Seigneur, qui es la définition et l'expression du Père, tu vins habiter en elle. Et tu es sorti d'elle, toi, un seul Christ, un seul Seigneur, un seul Fils, Dieu et homme, Dieu parfait et homme parfait, prenant sur toi notre faiblesse dans une tendresse indicible. Tu es devenu ainsi médiateur entre Dieu et les hommes... tu as ramené ce qui était égaré, tu as éclairé ce qui était dans la nuit, tu as renouvelé ce qui était en loques, tu as transformé le corruptible en incorruptible. Tu as fait des hommes les enfants de Dieu, tu as déclaré participants de ta gloire ceux qui étaient soumis au déshonneur. Celui qui était condamné aux enfers souterrains, tu l'as fait asseoir en toi sur le trône de ton règne. Et celle qui t'a enfanté, la Toujours Vierge, fut l'instrument de ces bienfaits sans limite qui dépassent toute imagination et toute pensée.

 

 

4 JUIN

 

Saint Pierre de Vérone

 

 

De la bulle de canonisation de saint Pierre, martyr

 

       Un cri : la voix du sang versé ! comme un héraut, le martyr illustre sonne de la trompette. La terre ne se tait point quand le sang répandu l'a recouverte comme d'une sueur. Voici les signes de la vraie foi : Que se réjouisse le ciel tandis qu'exulté aussi la terre de la grande joie qu'elle pressent. La Mère Église est envahie par une grande joie : pour elle, quel motif d'allégresse ! Elle a raison de chanter un cantique nouveau, l'Hymne d'une louange sans fin. Le peuple catholique peut bien battre des mains et les élever vers le Très-Haut avec l'acclamation à pleine voix et la réjouissance. Réunie, l'assemblée chrétienne peut chanter à son Seigneur des chants pleins d'amour. Du jardin de la foi un fruit mûr a été cueilli et on l'a porté sur la table du Roi des siècles. De la vigne de l'Église a coulé un vin nouveau dans la coupe du Seigneur. Le sarment fécond, taillé par la main du soldat, a porté plus de fruit, uni plus étroitement qu'il était à la vigne véritable.

       Dans le jardin de l'ordre des Prêcheurs a fleuri une rosé rouge. Dans cet atelier de l'Église une pierre a été polie et taillée pour être enchâssée dans les murs de la Jérusalem d'en haut. La cause de cette fête est le bienheureux Pierre de l'ordre des Prêcheurs : Tout son effort consistait à vivre dans la fidélité à l'Évangile, c'était le but de toutes ses actions. Il avait choisi ce chemin droit et lumineux, la Règle de son Ordre, pour être conduit, dirigé, amené et introduit jusqu'au repos attendu après la peine. Dans cet Ordre, pendant près de trente ans, précédé de la foi, ayant la charité pour compagne, il va et marche pour la défense de cette foi qui brûlait dans son cœur. Et ainsi Pierre, fermement établi sur la pierre de la Passion, monta sur le Rocher qui est le Christ pour recevoir la couronne.

       II désirait mourir pour la foi et souvent, fortement, il demandait au Seigneur de ne pas le laisser quitter cette vie avant d'avoir bu la coupe de la Passion. Il fut frappé par un sacrilège et ne se plaignit pas mais supporta tout avec patience en recommandant son esprit à Dieu et disant : « En tes mains Seigneur, je remets mon esprit. » Puis, il commença à réciter le symbole de la foi dont il ne cessa, même en mourant, d'être le prêcheur. Ainsi fut jeté en terre le grain de blé. Ainsi fut-il enfoui et livré à la mort par la main des infidèles. Ainsi la grappe, jetée sous le pressoir, donna un vin abondant. Ainsi, battu sur l'aire, le froment fut porté dans les greniers du Seigneur, après que la paille en eut été séparée. Ainsi les grains d'aromates, après avoir été broyés, ont répandu leur parfum. Ainsi le Royaume des Cieux est arraché de force par les violents. Ainsi les saints obtiennent le Royaume.

 

 

23 JUIN

 

Vigile de saint Jean Baptiste

 

 

Sermon de saint Pierre Damien, évêque

 

       La fête que nous célébrons aujourd'hui brille d'un éclat particulier, car elle annonce l'approche de notre rédemption et l'apparition de la vraie Lumière. Comment la Nativité de Jean Baptiste n'évoquerait-elle pas celle de Jésus, puisque la naissance merveilleuse du Précurseur n'avait pas d'autre fin que de préparer la venue prochaine du Sauveur ? L'ami devait naître avant l'Époux, le serviteur avant son Maître, la voix avant le Verbe, le flambeau avant le Soleil, le héraut avant le Juge, le racheté avant le Rédempteur. Jean Baptiste lui-même l'a proclamé : « Après moi vient Quelqu'un qui est passé devant moi, car il était avant moi. Et moi je ne le connaissais pas, mais c'est pour qu'il fût manifesté à Israël que je suis venu baptiser dans l'eau. »

       Précurseur du Christ, Jean l'a été par sa naissance, par sa prédication, par son baptême et par sa mort. Et même, il a commencé sa mission dès avant sa naissance. Son père, Zacharie, était devenu muet à cause de son manque de foi. Mais lui, avant même de pouvoir faire entendre sa voix à l'oreille des hommes, tressaillant de joie dans le sein de sa mère, avertit celle-ci de la présence du Roi du ciel, caché dans le sein de la Vierge. C'est pourquoi Elisabeth s'écrie : « Dès l'instant où ta salutation a frappé mes oreilles, mon enfant a tressailli de joie dans mon sein. »

       Frères, comprenons bien à quel point la vie de Jean Baptiste fut admirable et quelle fut sa grandeur aux yeux de tous. Jamais on ne lui vit faire un prodige, et pourtant tout le peuple crut qu'il était le Christ, comme en témoigne saint Luc : « Tous se demandaient en eux-mêmes si Jean ne serait pas le Messie. » Peut-on trouver, en effet, une seule voie de sainteté que le Précurseur n'ait réalisée à un degré éminent ? Il n'était encore qu'un enfant quand il s'enfonça dans le désert et résolut d'habiter dans la solitude. Il renonça à succéder à son père dans la charge sacerdotale, afin de pouvoir annoncer en toute liberté le Prêtre véritable et souverain. Les Prophètes ont prédit à l'avance la venue du Sauveur, les Apôtres témoignent que cette venue a réellement eu lieu ; mais Jean seul montre le Sauveur présent au milieu des hommes. Parmi l'assemblée des martyrs, Jean préside, comme le premier de tous : il a combattu avec force pour la vérité et il est mort pour elle. Il est devenu le chef de tous ceux qui combattent pour le Christ, et, le premier, il a planté dans le ciel l'étendard triomphal du martyre.

 

 

24 JUIN

 

Saint Jean Baptiste

 

 

De la liturgie syrienne

 

       Lorsque nous considérons ton Incarnation et ta Providence, ô Verbe de Dieu, et que nous méditons la richesse inénarrable de ta bonté dans la rédemption du genre humain, sans fin nous te louons et nous te rendons grâces. Tu as, en effet, envoyé les saints Prophètes avant ta venue comme des messagers. Chacun d'eux a annoncé le mystère caché et étonnant de ton avènement. L'un prophétisait : Voici que le Seigneur vient consoler les affligés de Sion. L'autre annonçait : Voici que le Seigneur rétablira son Alliance avec son peuple. L'un priait que le Seigneur vint et ne se tût pas ; l'autre suppliait Dieu de montrer sa puissance et de venir sauver son peuple. L'un prophétisait ton Précurseur en disant qu'il serait un ange ; l'autre nous apprenait qu'il serait la voix qui crie dans le désert. Et après avoir manifesté en figure à tous les saints ton avènement, tu as envoyé, avant ta venue, l'intermédiaire de l'Ancienne et de la Nouvelle Alliance, Jean Baptiste, étoile qui précède la lumière, lampe qui précède le soleil de justice, voix qui précède le Verbe, messager qui annonce clairement aux nations : Voici qu'après moi vient quelqu'un de plus grand que moi, et je ne suis pas digne de délier les cordons de ses sandales.

       Béni soit le Messie qui est venu à la fin des jours et a accompli les mystères des Prophètes qui avaient annoncé sa manifestation. Il a habité dans le sein de la fille de David, Vierge pleine de merveilles. Il a envoyé au-devant de lui comme messager Jean, fils de la stérilité, pour annoncer et proclamer sa manifestation et lui préparer un chemin. Le Fils eut deux annonciateurs : au ciel une étoile de lumière et, sur la terre, Jean qui annonça sa venue. Jean prêcha dans le désert en disant : pécheurs, repentez-vous et soyez justifiés, car il est venu le Messie, espoir des justes. Tu as été revêtu de la splendeur des anges, ô Jean. Aussi ton maître t'a appelé l'Ange de son Verbe. Toute l'humanité se trouvait jadis plongée dans l'aveuglement de l'erreur, mais tu as paru, ô Apôtre, pour crier : Béni sois-tu Seigneur Tout-Puissant, Dieu de nos Pères. A la naissance du héraut de la vérité, l'Église sainte est dans la joie et chante la gloire et la louange du Seigneur avec tous ses enfants dans l'univers entier.

       Bienheureux es-tu Jean, élu de Dieu, astre lumineux qui as montré le matin véritable, aurore joyeuse qui manifestes le jour glorieux, lampe étincelante qui as indiqué la Lumière unique. Grande trompette de la crainte de Dieu, ton éclat joyeux réveille ceux qui dorment dans le péché et leur annonce l'aurore de la pénitence salutaire ! Le plus grand parmi les enfants des femmes précède celui qui est avant toute la création. Bienheureux es-tu Jean, car le désert a augmenté ton mérite et le miel sauvage t'a servi de nourriture. Bienheureux es-tu car tu fus le convive de l'Époux et le parrain de l'Église, Épouse du Fils unique, en invitant nations et peuples au baptême de la vraie pénitence. Bienheureux es-tu car tu as vu l'Esprit Saint, tu as entendu la voix du Père dans les hauteurs et tu as posé la main sur la tête du Rédempteur du monde.

       Veille sur l'Église et apprends-lui à aimer le Christ son véritable époux. Béni soit celui qui la fiança à son Fils unique.

 

 

28 JUIN

 

Vigile de saint Pierre et saint Paul, apôtres

 

 

Sermon de saint Augustin, évêque

 

       La Passion des saints Apôtres Pierre et Paul fait pour nous de ce jour un jour de fête. Nous ne prêchons pas des martyrs inconnus : « Par toute la terre s'en est allé leur message et leur parole jusqu'aux extrémités du monde. » Ces martyrs ont vu ce qu'ils ont annoncé, ils ont suivi le chemin de rectitude et confessant la vérité ils sont morts pour elle. Le bienheureux Pierre, le premier des Apôtres, ce fervent ami du Christ, a mérité d'entendre : Et je te le dis, tu es Pierre. Il avait dit lui-même : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant, et le Christ lui a dit : Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église. Sur cette pierre j'édifierai la foi que tu as confessée. Sur cette parole que tu as dite : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant, je bâtirai mon Église. Tu es Pierre. Le nom de Pierre vient de la pierre, comme le nom de chrétien vient de Christ. Veux-tu savoir de quelle pierre l'Apôtre tire son nom, écoute Paul : Ils buvaient tous de la même pierre spirituelle qui les suivait et cette pierre était le Christ.

       Le Seigneur Jésus, comme vous le savez, a choisi, avant sa Passion, les disciples qu'il a appelés Apôtres. Le seul, Pierre mérita de personnifier toute l'Église. Parce qu'il était seul le type de toute l'Église, il mérita d'entendre : je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux. Ce n'est pas un homme isolé qui reçoit ces clefs, mais l'unité de l'Église et l'excellence de Pierre est manifestée en ce qu'il figure l'unité et la catholicité de l'Église lorsqu'on lui dit : « Je te donnerai ce qui est donné à tous. » Pour que vous sachiez que l'Église a reçu les clefs du Royaume des Cieux, écoutez ce qu'ailleurs le Seigneur dit à tous les Apôtres : « Recevez l'Esprit Saint » et ensuite : « Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez. » Cela a trait aux clefs dont il est dit : « Ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux. » Ces paroles le Seigneur les a dites à Pierre.

       Pierre représente la force de l'Église, car il a suivi le Seigneur dans sa Passion. Il est aussi la figure de sa faiblesse car, interrogé par une servante, il a renié le Maître. Et cet ami fervent devient soudain un renégat. Il s'est découvert dans sa faiblesse, lui qui avait présumé de sa force... Le Seigneur le regarda et il sortit et il pleura amèrement ; il sortit : il confessa sa faute, il pleura amèrement car il savait aimer. Et la douceur de l'amour chassa l'amertume de la douleur.

       C'est à bon droit qu'après sa résurrection, c'est au même Pierre que le Seigneur commanda de faire paître ses brebis. Il n'est pas seul parmi les disciples à mériter de paître les brebis du Christ, mais quand le Christ parle à un seul, l'unité est recommandée, aussi le Seigneur confie en premier lieu ses brebis à Pierre qui est le premier des Apôtres. Trois fois interrogé, il s'attriste : ne t'attriste pas, Apôtre, réponds une fois, une deuxième fois encore, réponds une troisième fois : que trois fois la confession de l'amour chasse la défaite de la négation. Tu dois délier trois fois ce que trois fois tu as lié. Délie par amour ce que tu as lié par peur. Et le Seigneur lui-même, par trois fois, recommanda ses brebis à Pierre.

 

 

29 JUIN

 

Saint Pierre et saint Paul, apôtres

 

 

Sermon du bienheureux Aelred de Rievaulx, abbé

 

       Vous savez, frères, qu'entre tous les Apôtres et martyrs de notre Seigneur, les deux dont nous célébrons aujourd'hui la fête semblent avoir une place spéciale. Rien d'étonnant à cela : c'est, en effet, à eux que le Seigneur a recommandé son Église. Quand saint Pierre eut confessé que le Seigneur était le Fils de Dieu, celui-ci lui répondit : Et toi, tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église et je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux. Plus tard, le Seigneur fit en quelque sorte de Paul l'égal de Pierre comme le dit saint Paul lui-même : « Celui qui avait fait de Pierre l'Apôtre des circoncis a agi pareillement pour moi en faveur des païens. » Ce sont eux que par le Prophète le Seigneur a promis à la Sainte Église en disant : « A la place de tes Pères te sont nés des fils. » Les Pères de la Sainte Église, ce sont les patriarches et les Prophètes qui enseignèrent d'abord la Loi de Dieu, puis prophétisèrent la venue du Seigneur... Puis, le Seigneur est venu et, au lieu des Prophètes, il a choisi les saints Apôtres pour que fût accompli ce que disait le Prophète : « A la place de tes Pères te sont venus des fils. »

       Et nous, frères, autant que nous le pouvons, louons ces saints Apôtres, ces amis de Dieu, nos Pères et nos chefs. Nous pouvons les louer, en vérité, si nous nous efforçons d'imiter leur conduite. Imitons leur force, leur vie très sainte et leur persévérance jusqu'à la fin. Ils ont fait preuve sans aucun doute, frères, d'une très grande force. Car ils sont les colonnes qu'a plantées le Seigneur. Colonnes de la terre, tous les Apôtres le sont, mais en premier lieu les deux dont nous célébrons la fête. Ils sont les deux colonnes qui portent l'Église par leur enseignement, leur prière et l'exemple de leur constance. Ces colonnes, c'est le Seigneur lui-même qui les a fondées. D'abord, ils étaient faibles et ne pouvaient se porter, ni eux, ni les autres. Et ici apparaît le grand dessein du Seigneur : s'ils avaient été toujours forts, on aurait pu penser que leur force venait d'eux. Aussi le Seigneur, avant de les affermir, a voulu montrer de quoi ils étaient capables afin que tous sachent que leur force vient de Dieu.

       C'est le Seigneur qui a fondé ces colonnes de la terre, c'est-à-dire de la Sainte Église. C'est pourquoi nous devons louer de tout cœur nos saints Pères qui ont supporté tant de peines pour le Seigneur et qui ont persévéré avec tant de force. Ce n'est rien de persévérer dans la joie, dans la prospérité et la patience. Mais voilà qui est grand, d'être lapidé, flagellé, frappé pour le Christ, et en tout cela persévérer avec le Christ. Il est grand avec Paul d'être maudit et de bénir... d'être comme le rebut du monde et d'en tirer gloire. Quels mots pourraient chanter la persévérance de Paul au milieu de tant de travaux ? Et que dire de celle de Pierre ? Même s'il n'avait rien supporté pour le Christ, il suffirait pour le fêter qu'aujourd'hui il ait été crucifié pour lui. La croix fut sa route... Vraiment, frères, gardons devant les yeux la vie et la mort de ces saints. Pensons que si, selon nos forces nous imitons leur Passion, sans aucun doute nous jouirons de leur compagnie. Que, par ses mérites, le Seigneur Jésus nous l'accorde, lui qui vit et règne avec le Père et l'Esprit Saint pour les siècles des siècles. Amen.

 

 

3 JUILLET

 

Saint Thomas, apôtre

 

 

Sermon de saint Pierre Chrysologue, évêque

 

       Pourquoi Thomas recherche-t-il ainsi des preuves pour sa foi ? Pourquoi discute-t-il si durement le ressuscité qui a souffert la Passion avec tant d'amour ? Pourquoi la main droite du disciple reconnaît-elle les blessures qu'ont faites au Seigneur des mains impies ? Pourquoi la main du disciple va-t-elle frapper à nouveau ce côté ouvert par la lance du soldat ? Pourquoi sa curiosité sans douceur va-t-elle renouveler les douleurs dues aux fureurs des bourreaux... La puissance du diable est pourtant mise à bas, la porte de l'enfer est grande ouverte, les liens des morts sont rompus par la mort du Seigneur et, à sa résurrection, l'état même de mort est tout entier changé. Alors pourquoi toi seul, Thomas, demandes-tu que les blessures te soient présentées comme des preuves pour ta foi ?

       Votre amour, frères, aurait aimé qu'après la résurrection du Seigneur l'impiété ne laissât de doute chez personne. Mais Thomas portait l'incertitude non seulement de son cœur, mais celle de tous les hommes. Et devant prêcher la résurrection aux nations, il cherchait, en bon ouvrier, sur quoi il fonderait un mystère qui demande tant de foi. Et le Seigneur montra à tous les Apôtres ce que Thomas avait demandé si tard. Jésus vint et leur montra ses mains et son côté. En effet, celui qui entrait, alors que les portes étaient fermées, pouvait être pris par les disciples pour un esprit s'il n'avait pu leur montrer que ce n'était pas un autre que lui, les blessures étant le signe de sa Passion.

       Ensuite, il vint à Thomas et lui dit : « Mets ta main dans mon côté et ne sois plus incrédule, mais croyant. Que ces blessures que tu ouvres à nouveau laissent couler la foi dans tout l'univers, elles qui ont déjà versé l'eau du baptême et le sang du rachat. » Thomas répondit : « Mon Seigneur et mon   Dieu. » Que les hérétiques viennent et qu'ils entendent et comme le dit le Seigneur, qu'ils ne soient plus incrédules, mais croyants. Thomas manifeste et proclame que ce n'est pas là seulement un corps humain, mais aussi que par la Passion de son corps de chair, le Christ est Dieu et Seigneur. Et il est vraiment Dieu celui qui sort vivant de la mort et qui ressuscite de sa blessure.

 

 

22 JUILLET

 

Sainte Marie-Madeleine

 

 

Hymne de saint Romain le Mélode, prêtre

 

       Les femmes porteuses d'aromates envoyèrent en avant Marie-Madeleine au sépulcre selon le récit de Jean le Théologien. Il faisait noir, mais l'amour l’éclairait : aussi aperçut-elle la grande pierre roulée de devant la porte du tombeau et elle retourna dire : « Disciples, sachez ce que j'ai vu : la pierre ne recouvre plus le tombeau. Auraient-ils enlevé mon Seigneur ? Pas de gardes en vue : serait-il ressuscité, celui qui offre aux hommes déchus la résurrection ? »

       A ces mots Céphas et le fils de Zébédée partirent aussitôt en courant comme s'ils luttaient de vitesse... Or, ils ne trouvèrent pas le Seigneur... Marie qui les suivait leur dit : « Mystes du Seigneur, vous qui l'aimez d'amour vraiment brûlant, ne pensez pas ainsi... Car ce qui s'est passé c'était une disposition divine pour que les femmes, premières dans la chute, fussent les premières à voir le ressuscité ; c'est nous que veut gratifier de son " Réjouissez-vous ", nous qui sommes en deuil, celui qui offre aux hommes déchus la résurrection. »

       Le Seigneur qui voit tout, voyant Madeleine vaincue par les sanglots, accablée de tristesse, en eut le cœur touché et se montra à la jeune fille ; il lui dit : « Femme pourquoi pleures-tu, qui cherches-tu dans le tombeau ? » Alors Marie se retourna et lui dit : « Je pleure, car on a enlevé mon Seigneur du tombeau et je ne sais où il repose... Il est mon maître, il est mon Seigneur, lui qui offre aux hommes déchus la résurrection. »

       Celui qui sonde les reins et les cœurs, sachant que Marie reconnaîtrait sa voix, appela la brebis, lui, le pasteur véritable : « Marie », dit-il et aussitôt elle le reconnut : « C'est bien lui mon bon pasteur qui m'appelle pour me compter désormais avec les quatre-vingt-dix-neuf brebis. Car je sais bien qui il est, celui qui m'appelle : je l'avais dit, c'est mon Seigneur, c'est celui qui offre aux hommes déchus la résurrection. »

       Le Seigneur dit à Marie : « Que ta bouche désormais publie ces merveilles, femme, et les explique aux fils du Royaume qui attendent que je m'éveille, moi le Vivant ; va, Marie, rassemble mes disciples... éveille-les tous comme d'un sommeil afin qu'ils viennent à ma rencontre avec des flambeaux allumés. Va dire : l'Époux s'est éveillé... celui qui offre aux hommes déchus la résurrection. »

       « Mon deuil s'est soudain transformé en liesse, tout m'est devenu joie et allégresse », s'écrie Marie. « Je n'hésite pas à le dire : j'ai reçu la même gloire que Moïse ; j'ai vu, oui, j'ai vu, non sur la montagne, mais dans le sépulcre... le maître des incorporels et des nuées, celui qui est, qui était et qui vient, me dire : hâte-toi Marie, va révéler à ceux qui m'aiment que je suis ressuscité... Il est revenu à la vie, celui qui offre aux hommes déchus la résurrection. »

 

 

25 JUILLET

 

Saint Jacques le Majeur, apôtre

 

 

Sermon de saint Nicetas David

 

       Jacques et Jean étaient frères, frères par le sang et frères dans la foi : tous deux, fils de Zébédée sur la terre, tous deux fils de Dieu dans le ciel. Seuls leurs noms les distinguent, car leur action les unit étroitement : égaux de cœur, égaux dans la grâce, égaux dans la force et dans la familiarité avec Dieu : unique est le Seigneur en qui ils croient et qu'ils contemplent, qu'ils adorent et qu'ils servent ; unique est leur appel, unique leur propos, unique leur espérance, unique leur baptême. Ils ont un seul sentiment dans la connaissance du Père, un seul sentiment dans l'amour du Fils unique et dans l'obéissance et la soumission à l'Esprit Saint. C'est pourquoi l'un et l'autre sont appelés Fils du Tonnerre par celui qui est la Vérité, car c'est dans un seul Esprit qu'ils ont été préparés pour clamer la grande voix de l'Évangile.

       Maintenant, très saint et très admirable disciple du Christ, ô Jacques, assiste-moi aujourd'hui : Tu as contemplé les merveilles du Dieu Verbe, tu as accompli son œuvre : tu as été initié aux paroles ineffables et tu les as expliquées dans tes discours. Grand tonnerre du Dieu Verbe qui a proclamé aux oreilles des juifs, à grands cris et fortement, la résurrection de Jésus et qui a brisé la dureté de leur  cœur ! Prédicateur très fervent de l'Évangile, qui avec Pierre et Jean te tiens au sommet et à la tête de l'ordre des Apôtres ! Salut, toi qui as bu selon ta promesse le calice du Christ avant tes compagnons, qui as été baptisé du baptême du salut, couronné ainsi doublement par l'apostolat et par le martyre.

       Le très bienheureux Jacques, comme un agneau innocent, comme une brebis sans tache, immolé à la suite de l'Agneau de Dieu et offert à Dieu par le grand prêtre comme une victime vivante, volontaire et spirituelle, intercéda auprès de Dieu pour les Apôtres ; il intercéda aussi pour l'Église.

       Réjouis-toi : quand tu étais jeune, tu demandais la première place dans un royaume terrestre ; devenu homme, tu as été jugé digne du premier siège auprès du Seigneur de la Gloire. Réjouis-toi, toi qui as vu de tes yeux le Verbe et qui l'as contemplé, car tu as échangé le métier de pêcheur pour la pêche des hommes, le désir d'un royaume terrestre pour celui du Royaume du ciel, un héritage qui passe pour l'héritage parfait, les biens qui passent pour ceux qui demeurent, ceux du ciel qui ne périssent pas.

 

 

26 JUILLET

 

Saints Joachim et Anne

 

 

Sermon de saint Jean Damascène, prêtre

 

       Joachim et Anne, couple heureux et vraiment sans tache ! Au fruit de votre sein vous avez été reconnus selon la parole du Seigneur : « A leurs fruits vous les reconnaîtrez. » Votre conduite fut agréable à Dieu et digne de celle qui naquit de vous. Et tout cela pour mon salut, ô Maître ! Tu m'as tellement aimé que tu n'as réalisé mon salut ni par des anges, ni par aucune créature. Comme ma première création, ma régénération fut aussi ton œuvre personnelle ! Aussi j'exulte, je laisse éclater ma fierté et ma joie, je reviens à la source des merveilles : et, ivre d'un torrent d'allégresse, je frappe à nouveau la cithare de l'Esprit. Joachim et Anne, couple très chaste... vous avez enfanté au monde une Mère de Dieu qui ne connaîtrait point d'homme... Vous avez engendré une fille supérieure aux anges, qui maintenant règne sur les anges : Fille d'Adam, Mère de Dieu ! Heureux les flancs qui t'ont portée, heureux les bras qui t'ont tenue...

       Une vigne aux beaux sarments a germé du sein d'Anne et elle a produit un fruit plein de douceur, source de nectar jaillissant pour les habitants de la terre en vie éternelle. Joachim et Anne se firent des semailles de justice et récoltèrent un fruit de vie. « Éclairés de la lumière de la connaissance, ils ont cherché le Seigneur et il leur vint un fruit de justice. » Que la terre reprenne confiance ; enfants de Sion, réjouissez-vous dans le Seigneur votre Dieu, car le désert a verdoyé, celle qui était stérile a porté son fruit. Sois dans l'allégresse, Anne, bienheureuse d'avoir enfanté une femme. Car cette femme sera Mère de Dieu, porte de la lumière, source de vie, et elle réduit à néant l'accusation qui pesait sur la femme.

       Joachim et Anne, couple béni, recevez de moi ce discours d'anniversaire. Fille de Joachim et d'Anne, ô Souveraine, accueille la parole d'un serviteur pécheur mais que l'amour enflamme. Accorde au monde la paix et à tous les habitants orthodoxes de cette cité une joie parfaite et le salut éternel, par les prières de tes parents et de tout le corps de l'Église. Amen ! Amen ! Réjouis-toi, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi, tu es bénie entre les femmes et le fruit de ton sein est béni, Jésus-Christ le Fils de Dieu, à lui la gloire avec le Père et le Saint-Esprit pour les siècles éternels. Amen.

 

 

6 AOÛT

 

Transfiguration du Seigneur

 

 

Sermon de saint Pierre le Vénérable, abbé

 

       Aujourd'hui, frères très chers, le jour resplendit plus clair que de coutume car sur terre brille la lumière du ciel. La lumière véritable éclaire les ténèbres des mortels, et la splendeur de Dieu se montre visiblement, que dis-je, corporellement, dans le monde des hommes. Aujourd'hui, le soleil éternel, dévoilant quelque peu la ténèbre de la faiblesse charnelle, resplendit de ses rayons dans son corps encore mortel, par un miracle nouveau et stupéfiant. Aujourd'hui, le Verbe fait chair montre, dans la clarté de son visage et de ses vêtements, la divinisation de la chair qu'il s'est unie. Aujourd'hui, nous avons vu sa gloire, gloire qu'il tient de son Père, comme Fils unique lorsque la voix de majesté transmet cette parole : celui-ci est mon Fils bien-aimé qui a toute ma faveur, écoutez-le. Cette gloire Jean la vit, lorsqu'il connut Dieu de Dieu et entendit le Père instruire les hommes sur son Fils. C'est pourquoi il   dit : « Nous avons vu sa gloire, gloire qu'il tient de son Père comme Fils unique. » II l'a vue, les autres l'ont vue aussi. Il a entendu et les autres aussi ont entendu. Pierre dit : « Cette voix, nous l'avons entendue, elle venait du ciel quand nous étions sur la montagne sainte. Voyez, frères, la gloire de cette fête, voyez l'œuvre de la Trinité, voyez le mystère de la résurrection : le Père parle, le Fils rayonne de splendeur, l'Esprit couvre de la nuée lumineuse... »

       Pierre dit à Jésus : « Seigneur, il nous est bon d'être ici, faisons-y trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie. » Que dis-tu là Pierre ? Que cherches-tu donc à bâtir une demeure terrestre ? Pourquoi donc souhaiter que demeure là celui qui est venu pour retourner au Père ? Que vas-tu proposer une maison de la terre à celui qui habite dans les cieux ? Il n'est pas venu pour avoir une maison sur la terre celui qui n'a pas voulu avoir de lieu où reposer sa tête. Il n'est pas venu pour habiter une maison que tu lui aurais bâtie celui qui, pour toi, en prépare une dans le ciel. Il n'est pas venu pour habiter une maison que tu lui construirais ici, mais pour t'élever après lui à celle qui est préparée en haut. Il te faut être là où il est et non pas le laisser où tu voudrais qu'il soit. Il est bon d'être ici. Mais alors ? Et la mort, et la Passion, et la rédemption du monde et la résurrection et l'ascension dans les cieux ? S'il restait avec toi comme tu le désires, il n'accomplirait pas ce pour quoi il est venu, ni ne retournerait là d'où il est venu. S'il est bon, Pierre, d'être ici, bien plus grande sera ta joie dans la patrie. Et si l'humanité du Christ, glorifiée pour un temps, te comble de joie, combien davantage te comblera la divinité que tu verras éternellement. Tu jouiras toi aussi Pierre de la vision de Dieu, mais comme le Christ a souffert pour toi, tu devras auparavant souffrir pour le Christ, partager sa Passion pour avoir part ensuite à sa consolation.

       Nous te rendons grâces Très Haute Trinité. L'homme, ton humble créature, te rend grâces. L'homme, ton image, te rend grâces ; car tu ne veux pas qu'il périsse, tu l'arraches de la masse de perdition, tu répands sur lui largement ta miséricorde. Autant qu'il le peut, il t'immole un sacrifice de louange, il t'offre l'encens de son amour, il fait un holocauste de jubilation. Père, tu envoies ton Fils, Fils, tu viens par ta chair dans le monde, et tu es là, Esprit Saint, dans la Vierge qui conçoit, dans la colombe au Jourdain, dans la nuée sur la montagne. Tu as opéré, Trinité tout entière, le salut de l'homme, pour que l'homme se reconnût sauvé par la force de Dieu... Tu vois Satan et ses suppôts tomber du ciel comme l'éclair et n'en as cure. Tu vois l'homme chassé du paradis, tu le rappelles. Les premiers disent à ton Fils : « Tu es venu pour nous tourmenter avant le temps. » Ton Fils dit de l'homme : « Le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » Sans cesse nous te rendons grâces, car tu as envoyé ton Fils et tu nous l'as donné pour maître. Aujourd'hui, tu l'as couronné de gloire et d'honneur, aujourd'hui, tu l'as placé sur l'ouvrage de tes mains, aujourd'hui, tu as tout mis sous ses pieds. Réjouis-toi, ô homme, réjouis-toi. Tu n'es pas vil aux yeux de Dieu, car pour maître t'est donné le Fils de Dieu.

 

 

8 AOÛT

 

Notre Père saint Dominique

 

 

Des témoins de la vie et de l'œuvre de saint Dominique

 

       Voici le portrait du bienheureux Dominique : taille moyenne, corps mince, visage beau et légèrement coloré, cheveux et barbe légèrement roux, de beaux yeux. De son front et de ses cils, une sorte de splendeur rayonnait qui attirait la révérence et l'affection de tous. Il restait toujours souriant et joyeux, à moins qu'il ne fût ému de compassion par quelque affliction du prochain. Il avait les mains longues et belles ; une grande voix, belle et sonore. Il ne fut jamais chauve et sa couronne de cheveux était complète, parsemée de rares fils blancs.

       Frère Dominique parlait peu, à moins que ce ne fût avec Dieu, pour prier, ou de Dieu. Il engageait les frères à faire de même. Devant les hommes, le témoin l'a toujours vu joyeux, mais dans ses oraisons, il pleurait fréquemment. Le frère le sait, car il l'a vu et entendu pleurer.

       C'était pour frère Dominique une habitude très courante de passer la nuit en prière. La porte close, il priait son Père. Au cours et à la fin de ses oraisons, il avait accoutumé de proférer des cris et des paroles dans le gémissement de son cœur ; il ne pouvait se contenir, et ces cris, sortant avec impétuosité, s'entendaient nettement d'en haut. Une de ses demandes fréquentes et singulières à Dieu était qu'il lui donnât une charité véritable et efficace pour cultiver et procurer le salut des hommes : car il pensait qu'il ne serait vraiment membre du Christ que le jour où il pourrait se donner tout entier, avec toutes ses forces, à gagner des âmes, comme le Seigneur Jésus, Sauveur de tous les hommes, se consacra tout entier à notre salut.

       Frère Dominique était plein de compassion pour le prochain et désirait très ardemment son salut. Il prêchait lui-même fréquemment et, par tous les moyens en son pouvoir, il exhortait les frères à prêcher et les envoyait en prédication. Il les avertissait alors et les conjurait d'être pleins de sollicitude pour le salut des âmes. Très confiant en Dieu, il envoyait prêcher même les moins habiles en leur disant : « Allez avec assurance, parce que le Seigneur vous donnera le don de la parole divine. Il sera avec vous et rien ne vous manquera. » Ils s'en allaient et il leur arrivait comme il leur avait dit.

       Il désirait le salut de toutes les âmes, aussi bien des Sarrasins que des chrétiens et spécialement des Cumans et autres peuples païens. Le témoin n'a jamais vu personne qui eût plus de zèle pour les âmes... Il aimait beaucoup la pauvreté et il s'appliquait avec un grand zèle à la faire aimer de ses frères... Il était joyeux, affable, patient, miséricordieux, bienveillant et consolateur de ses frères.

 

 

10 AOÛT

 

Saint Laurent, martyr

 

 

Passion de saint Laurent, martyr (saint Ambroise)

 

 

       Lorsque saint Laurent vit que l'on conduisait l'évêque Sixte au martyre, il se mit à pleurer. Ce n'était pas la souffrance de son évêque qui lui arrachait des larmes, mais le fait qu'il partît au martyre sans lui. C'est pourquoi il se mit à l'interpeller en ces termes : « Où vas-tu, Père, sans ton fils, vers quoi te hâtes-tu, prêtre saint, sans ton diacre ? Tu avais pourtant l'habitude de ne jamais offrir le sacrifice sans ministre ! Quelque chose en moi t'a-t-il déplu ? M'as-tu trouvé mauvais fils ? Fais donc la preuve que tu as choisi un bon diacre : Celui à qui tu as commis le ministère du sang du Seigneur, celui avec lequel tu partages les sacrements, refuserais-tu de communier avec lui dans le sacrifice du sang ? Fais attention à ne pas commettre d'erreur, toi dont on loue la force d'âme. Le mépris du disciple est la honte du maître... Abraham a offert son fils et Étienne a précédé Pierre. A ton tour, Père, montre ta force dans ton fils, offre celui que tu as formé, afin de parvenir à la couronne du martyre, sans avoir fait d'erreur de jugement et accompagné, comme il sied à un évêque. »

       Sixte répondit à Laurent : « Je ne t'oublie pas, fils, ni ne t'abandonne. Mais je te laisse des combats plus grands à soutenir. Je suis vieux et je ne puis soutenir qu'une lutte légère. Quant à toi, tu es jeune et il te reste un triomphe bien plus glorieux à obtenir contre le tyran. Tu viendras bientôt. Sèche tes larmes. Dans trois jours, tu me suivras. C'est l'espace qui convient entre le prêtre et le lévite. Il n'était pas digne de toi de combattre à mes côtés comme si tu avais encore besoin de mon secours. Que me demandes-tu de communier à ma Passion ? C'est tout entière que je te la donne en héritage. Qu'as-tu besoin de ma présence ? Élie a bien laissé Elisée. Eh bien ! je remets entre tes mains la succession de mon pouvoir. » Tel était le débat, dont on voit la grandeur, où le prêtre et le diacre luttaient pour savoir lequel souffrirait le premier pour le nom du Seigneur.

       Trois jours après, Laurent est arrêté. On lui demande d'amener les biens et les trésors de l'Église. Il promet d'obéir. Le lendemain, il revient avec des pauvres. On lui demande où étaient ces trésors qu'il devait amener. Il montra les pauvres en disant : voilà les trésors de l'Église. Quels trésors meilleurs aurait le Christ, que ceux-là dans lesquels il a dit être : « Ce que vous aurez fait à l'un de ces petits, a-t-il dit, c'est à moi que vous l'avez fait. » Laurent montra ces trésors-là et fut vainqueur car le persécuteur n'eut aucune envie de les lui ôter. Mais dans sa rage, il le fit placer sur un gril. Brûlé, il dit : « C'est cuit, retourne et mange si tu veux », montrant par la force de son cœur qu'il ne craignait pas la brûlure du feu.

 

 

14 AOUT

 

Vigile de l'Assomption

 

 

Sermon de saint Éphrem, diacre

 

       La Vierge m'invite à chanter le mystère que je contemple avec admiration. Fils de Dieu, donne-moi ton admirable don, fais que j'accorde ma lyre et que je peigne l'image toute belle de ta Mère bien-aimée.

       La Vierge Marie enfante son Fils dans la virginité, elle allaite celui qui nourrit les nations, en son chaste sein elle porte celui qui soutient l'univers. Elle est vierge, elle est Mère, que n'est-elle pas ?

       Sainte de corps et toute belle d'âme, pure d'esprit, droite d'intelligence, parfaite de sentiments, chaste, fidèle, pure de cœur, éprouvée, elle est remplie de toutes les vertus.

       Qu'en Marie se réjouisse toute la race des vierges, car une d'entre elles a enfanté celui qui soutient toute la création, celui qui a délivré le genre humain, gémissant dans la servitude.

Qu'en Marie se réjouisse le vieil Adam, blessé par le serpent... Que les prêtres se réjouissent en la Vierge bénie. Elle a mis au monde le grand prêtre qui s'est fait lui-même victime. Il a mis fin aux sacrifices anciens, s'étant fait la victime qui apaise le Père.

       Qu'en Marie se réjouisse toute la suite des Prophètes. En elle se sont accomplies toutes leurs visions, se sont réalisées leurs prophéties, se sont confirmés leurs oracles.

       Qu'en Marie se réjouisse toute la suite des patriarches. De même qu'elle a reçu la bénédiction qui leur était promise, de même, en son Fils, elle les a rendus parfaits. Par lui, en effet, voyants, justes et prêtres se sont trouvés justifiés.

       Au lieu du fruit amer cueilli par Eve à l'arbre fatal, Marie a donné aux hommes un fruit plein de douceur. Et voici que le monde entier se délecte du fruit de Marie. L'arbre de vie, caché au milieu du paradis, a grandi en Marie. Sorti d'elle, il a étendu son ombre sur l'univers et il a répandu ses fruits sur les peuples les plus lointains comme sur les plus proches. Marie a tissé le vêtement de gloire et l'a donné à notre premier père.

       Eve et le serpent avaient creusé un piège : Adam y était tombé ; Marie et son royal enfant se sont penchés sur lui et l'ont retiré de l'abîme. La vigne virginale a donné une grappe dont le vin savoureux rend la joie aux affligés. Eve et Adam dans leur angoisse ont goûté à ce breuvage de vie et ils y ont trouvé l'apaisement de toute leur douleur.

 

 

15 AOÛT

 

Assomption de la Vierge Marie

 

 

Sermon de saint Jean Damascène, prêtre

 

       Jadis, le Seigneur Dieu frappa les premiers parents de la race mortelle qui s'étaient gorgés du vin de la désobéissance et s'étaient endormis d'un sommeil de mort. Il les exila et les chassa du paradis d'Éden. Mais, aujourd'hui, celle qui a produit le germe de l'obéissance à notre Dieu et Père, celle qui a redonné la vie à la race humaine tout entière, le paradis ne la recevra-t-il pas ? Elle qui fut unie à Dieu de tout son être, comment la mort pourrait-elle l'engloutir ? l'Hadès se refermer sur elle ? Si le Christ qui est vérité et vie a dit : « Où je suis, là aussi sera mon serviteur », comment sa mère, bien davantage, n'habitera-t-elle pas avec lui ? La mort des saints est précieuse aux yeux du Seigneur : plus précieuse encore la pâque de sa Mère.

       Alors Adam et Eve, alors les ancêtres de notre race, de leurs lèvres joyeuses s'écrièrent à pleine voix : « Heureuse es-tu, ô notre fille, qui as aboli pour nous la peine de la transgression ! Tu as hérité de nous un corps périssable, tu as porté pour nous dans ton sein un vêtement d'incorruptibilité ! Tu as reçu de nous la vie et tu nous as donné en retour la vie véritable... Tu as restauré notre ancienne demeure : nous avions fermé le paradis, toi tu as ouvert à nouveau l'accès de l'arbre de vie. Par notre faute, les biens s'étaient changés en peines : grâce à toi, de ces peines sont sortis pour nous de plus grands biens. Comment goûterais-tu la mort, toi qui es sans souillure ? Pour toi, elle sera un pont qui conduit à la vie, un passage à l'immortalité. »

       Marie sans doute dit alors : « Dans tes mains, mon Fils, je remets mon esprit. Reçois mon âme qui t'est chère et que tu as préservée de toute faute. C'est à toi et non à la terre que je remets aussi mon corps. Emporte-moi auprès de toi, afin que là où tu es, toi le fruit de mes entrailles, je sois aussi pour partager ta demeure. Je me hâte de retourner à toi qui descendis vers moi en supprimant toute   distance. » Après ces mots, elle entendit à son tour une voix : « Viens ma mère bénie, entre dans ton repos. Lève-toi, ma bien-aimée, belle entre les femmes, car voilà, l'hiver est passé... Belle est ma bien-aimée, il n'y a pas de défaut en toi. L'odeur de tes parfums surpasse tous les aromates. »

 

 

24 AOÛT

 

Saint Barthélemy, apôtre

 

 

Sermon de saint Jean Chrysostome, évêque

 

       Imitons les Apôtres dans leurs vertus et nous ne leur serons inférieurs en rien. Ce ne sont pas, en effet, leurs miracles qui les firent Apôtres, mais la pureté de leur vie. C'est à cela qu'on connaît une figure vraiment apostolique, la physionomie d'un disciple du Christ. Cette marque le Seigneur lui-même nous l'a clairement donnée. En effet, lorsqu'il voulut tracer le portrait de ses disciples et révéler le signe qui distinguerait ses Apôtres, ayant commencé en ces termes : Voici à quoi les hommes reconnaîtront en vous mes disciples, comment poursuit-il donc ? Serait-ce aux prodiges qu'ils opéreraient ? Aux morts qu'ils ressusciteraient ? Point du tout. Mais à quoi donc ? Voici à quoi les hommes reconnaîtront en vous mes disciples : à l'amour que vous aurez les uns pour les autres. Or, l'amour n'est pas affaire de miracles, mais simplement de vertu : l'amour accomplit la loi.

       Ainsi, vous voilà au fait de ce qui distingue les disciples, de ce qui révèle les Apôtres, de leur physionomie propre, de leur vraie figure. Pourquoi chercher plus loin ? Le Seigneur lui-même peint ses disciples d'un seul trait et ce trait, c'est l'amour. Ayez l'amour, vous serez parmi les Apôtres, voire au premier rang parmi eux. Voulez-vous une autre preuve de cette doctrine ? Voyez comment le Christ s'adresse à Pierre : Pierre, lui dit-il, m'aimes-tu plus que ceux-ci ? Nous le savons, rien n'a tant d'efficacité pour nous ouvrir le Royaume des Cieux que de témoigner au Christ l'amour qu'il mérite.

       Prétendra-t-on que les Apôtres, du moins, ont été aidés par leurs miracles à devenir tels ? Non, dis-je, les miracles n'y sont pour rien ; le seul mérite était dans leur vertu et c'est elle seule qui leur a donné tant d'éclat. C'est encore le Seigneur qui l'affirme : « Que votre lumière, dit-il, brille aux yeux des hommes, de sorte que les hommes puissent voir non pas vos miracles, mais votre conduite irréprochable et en rendent gloire à votre Père des cieux. »

 

 

28 AOÛT

 

Saint Augustin

 

 

Sermon de saint Augustin, évêque

 

       Tu es grand, Seigneur, et louable hautement, grande est ta puissance, innombrable ta sagesse. Te louer, voilà ce que veut l'homme, parcelle de ta création... C'est toi qui le pousses à prendre plaisir à te louer parce que tu nous as faits orientés vers toi et que sans repos est notre cœur tant qu'il ne repose pas en toi... Qui me donnera de reposer en toi ? Qui me donnera que tu viennes dans mon cœur et que tu l'enivres, afin que j'oublie mes maux et que je t'embrasse, toi mon unique bien ? Qui es-tu pour moi ? Aie pitié pour que je parle ! Que suis-je donc pour toi que tu m'ordonnes ainsi de t'aimer ? Est-ce donc si grand malheur que de ne point t'aimer ? Dis-moi, au nom de ton amour, Seigneur mon Dieu, ce que tu es pour moi. Dis à mon âme : c'est moi ton salut. Dis-le de façon que je l'entende ; vois : les oreilles de mon cœur sont devant toi, Seigneur. Ouvre-les et dis à mon âme : ton Salut c'est moi. Je veux courir après cette parole et la saisir.

       Je dis : Où es-tu mon Dieu ? Ah ! te voici. Je respire un peu en toi quand mon âme en moi s'épanche parmi les cris de liesse et de louange et la foule jubilante. Et mon âme défaille encore, car elle retombe et devient abîme ou plutôt, elle sent qu'elle est encore abîme. Ma foi, que tu as allumée dans la nuit, lui dit : Qu'as-tu mon âme à défaillir, à gémir sur toi, espère en Dieu, une lampe sur tes pas sa Parole. Espère et persévère jusqu'à ce que passe la nuit, mère des méchants, jusqu'à ce que passe la colère du Seigneur, colère dont nous fûmes les fils autrefois. Espère en Dieu, au matin je me tiendrai debout et je contemplerai, pour toujours je le confesserai. Au matin, je me tiendrai debout et je verrai mon Dieu, le salut de ma face, celui qui rendra vie, même à nos corps mortels à cause de l'Esprit qui habite en nous, planant miséricordieusement sur nos abîmes de ténèbres. De cet Esprit, pèlerins ici-bas, nous avons reçu le gage pour que nous soyons lumière, maintenant que sauvés, encore qu'en espérance, nous sommes devenus enfants de la lumière, enfants du jour.

       Seigneur Dieu, donne-nous la paix, puisque tu nous as tout donné, la paix du repos, la paix du sabbat, la paix qui n'a point de soir. Le septième jour, en effet, ne connaît pas le soir et n'a pas de couchant puisque tu l'as sanctifié pour qu'il dure toujours. Et si toi, au terme de tes œuvres très bonnes que tu as faites pourtant dans le repos, tu t'es reposé le septième jour, c'est pour nous dire d'avance qu'au terme de nos œuvres qui sont très bonnes parce que c'est toi qui nous les as données, nous aussi, au sabbat de la vie éternelle, nous nous reposerions en toi... L'intelligence de tout cela, qui parmi les hommes pourra la donner à l'homme ? Qu'on te demande à toi, que l'on recherche en toi, que l'on frappe chez toi. Ainsi l'on recevra, ainsi l'on trouvera, ainsi la porte s'ouvrira.

 

 

29 AOÛT

 

Martyre de saint Jean Baptiste

 

 

Sermon de saint Irénée de Lyon, évêque

 

       Jean a préparé la voie au Christ. A ceux qui se glorifiaient d'une alliance charnelle mais dont le cœur était changeant et rempli de toute sorte de malice, il a prêché la pénitence qui les ferait revenir de leur perversité... Il les exhortait donc au repentir, mais il ne leur annonçait pas un Dieu différent de celui qui avait fait la promesse à Abraham. Il fut le Précurseur dont Matthieu dit, ainsi que Luc : « C'est lui que le Seigneur a désigné par la bouche du Prophète : Voix de celui qui crie dans le désert : préparez le chemin du Seigneur, redressez les sentiers de notre Dieu... et toute chair verra le salut de Dieu. » II n'y a donc qu'un seul et même Dieu, Père de notre Seigneur qui a promis par les Prophètes d'envoyer le Précurseur et qui a fait que son salut, c'est-à-dire son Verbe, devienne visible pour toute chair, c'est-à-dire s'incarne pour se manifester comme le Roi de l'univers.

       Voici maintenant un autre texte de Luc au sujet de Jean : « II sera grand devant le Seigneur. Il retournera de nombreux fils d'Israël à leur Seigneur Dieu, lui-même le précédera dans l'esprit et la puissance d'Élie pour lui préparer un peuple parfait. » Pour le compte de qui Jean a-t-il donc préparé un peuple et devant quel Seigneur est-il devenu grand ? Evidemment, devant celui qui a dit de lui : « Jean est plus qu'un Prophète » et encore : « Parmi les enfants des femmes, il n'en est pas de plus grand que Jean le Baptiste. » Jean a préparé un peuple en annonçant d'avance à ses compagnons de servitude la venue du Seigneur, en leur prêchant la pénitence afin qu'ils fussent en état de recevoir, lorsqu'il serait là, le pardon du Seigneur et qu'ils puissent se convertir à lui, eux que leur péché et leurs transgressions avaient éloignés de lui. C'est pourquoi, en les convertissant à leur Seigneur, Jean préparait au Seigneur un peuple parfait, dans l'esprit et la puissance d'Élie.

       Jean l'Évangéliste nous dit « qu'il y eut un homme envoyé par Dieu : son nom était Jean. Il vint rendre témoignage : pour témoigner de la lumière. Il n'était pas la lumière, mais il devait rendre témoignage à la lumière. » Donc, ce précurseur, Jean, qui rend témoignage à la lumière, est envoyé par le Dieu qui avait promis par ses Prophètes d'envoyer son ange devant la face de son Fils pour préparer son chemin, c'est-à-dire pour rendre témoignage à la lumière dans l'esprit et la puissance d'Élie.

       Précisément, parce que Jean est un témoin, le Seigneur déclare qu'il le tient pour plus qu'un Prophète. Tous les autres Prophètes, en effet, ont annoncé la venue de la lumière du Père, ils ont désiré être jugés dignes de voir celui qu'ils annonçaient.

       Jean a prophétisé comme eux, mais il a vu celui qui venait, il l'a montré, il a poussé beaucoup d'hommes à croire en lui de sorte qu'il est à la fois un Prophète et un Apôtre. Voilà pourquoi le Christ a dit de lui qu'il était plus qu'un Prophète.

 

 

8 SEPTEMBRE

 

Nativité de la Vierge Marie

 

 

Sermon de saint Germain de Constantinople, évêque

 

       Joie en toi et réjouissance pour tous ceux qui te cherchent, ô Mère de Dieu, et qu'ils redisent toujours : Dieu est grand, ceux qui aiment louer ton nom. La bouche des chrétiens médite ta justice et ta virginité, et dit tout au long du jour la louange de ton saint enfantement. Les pauvres ont vu, par toi, les richesses de la bonté de Dieu, ils ont vu et ils ont dit : de l'amour du Seigneur la terre est pleine. Par toi les pécheurs ont cherché Dieu et ils ont été sauvés. Et ils ont dit : « Sans le Seigneur qui fut pour nous lorsqu'il prit chair de la Vierge, alors ils nous engloutissaient dans l'enfer dévorant de la mort. Il est puissant pour le salut, ton secours, ô Mère de Dieu. Tu es la Mère de la Vie véritable, tu es le levain de la recréation d'Adam, tu es la libération du châtiment d'Eve. »

       A ta grandeur, Mère de Dieu, point de mesure. On n'est pas rassasié de penser à toi. Si tu n'avais pas été là, personne ne serait devenu spirituel, personne n'aurait pu adorer Dieu en esprit. L'homme est devenu spirituel lorsque toi, Mère de Dieu, tu es devenue demeure de l'Esprit... Personne ne serait rempli de la connaissance de Dieu, sinon grâce à toi, ô Mère de Dieu. Personne ne serait protégé du danger, sinon grâce à toi Vierge Mère, personne ne serait racheté sinon grâce à toi, personne n'aurait reçu le don de la miséricorde sinon grâce à toi qui as été digne de recevoir Dieu en ton sein. Aussi est-ce à bon droit que l'affligé recourt à toi, que le malade s'attache à toi. Tu éloignes emportement, fureur, colère et l'envoi d'anges de malheur. Aussi qui ne te dirait bienheureuse, qui ne te bénirait ?

       Par toi, dit l'Écriture, nos os germeront comme l'herbe, toi qui rassembles tous les biens, ô Mère de l'Agneau et du berger. Tout ce qui est à toi est digne d'admiration, véridique, équitable toujours, plus doux que le miel, que le suc des rayons. Aussi tes serviteurs que nous sommes s'en pénètrent, les délirer est grand profit. Qui comprendra ton amour ? Et c'est assez te louer, ô Mère admirable, de dire que nos discours ne sauraient épuiser ta louange. Tu as d'ailleurs ta propre louange, c'est d'être la Mère de Dieu. Non seulement nous l'avons entendu de nos oreilles dans l'Écriture, non seulement nos Pères nous l'ont annoncé par une prédication véridique, mais tu l'as été en vérité, en toute vérité, et nous te proclamons Mère de Dieu, sans mensonge, véritablement, dans la foi orthodoxe et dans les balbutiements de notre langue. Réjouis-toi, toi qui par ta naissance as délié les liens de la stérilité, enlevé l'opprobre de l'infécondité, as rejeté au profond de la mer la malédiction de la loi et as fait germer la bénédiction de la grâce.

 

 

14 SEPTEMBRE

 

La croix glorieuse

 

 

Sermon de saint Bernard, abbé

 

       Reviens un peu à ton cœur, reviens, vieil Adam et vois comment l'Adam nouveau t'a cherché et t'a retrouvé. Il n'eut de cesse qu'il n'ait couru après toi qui fuyais, t'appelant dans sa miséricorde, à travers les coups et le fouet et les dérisions inouïes. Il t'a suivi jusqu'au supplice plus inouï encore de la croix et là il te trouva déjà mourant et te saisit.

       Souviens-toi de moi Seigneur, dans ton Royaume. Je pouvais manger et goûter de tous les arbres du paradis et maintenant je suis crucifié et je meurs sur ce bois. Souviens-toi de moi ; je t'avais oublié, mais toi, dans ton emportement tu t'es souvenu de ta miséricorde. Pitié pour moi, Seigneur, dans ta miséricorde qui est grande. Je la vois en toi cette miséricorde grande et qui est bien tienne, qui t'a fait condescendre à te configurer à ma misère. Tu ne pouvais me suivre plus loin. D'où viens-tu ? Tu es sorti du plus haut des deux. Du sein de la Vierge tu es venu, le plus beau des enfants des hommes et avec moi tu pends sur le bois. Qui t'a conduit là ? Ta seule miséricorde. Pitié pour moi, Seigneur, dans cette miséricorde qui est grande. Je suis ta création que tu as faite à ton image et à ta ressemblance. Pitié, Seigneur, pour ton image.

       Loin de moi la pensée de me glorifier ailleurs que dans la croix de mon Seigneur Jésus-Christ. La croix est ta gloire, la croix est ton empire. Voici ton empire sur tes épaules. Qui porte ta croix, porte ta gloire. Aussi la croix, qui fait peur aux infidèles, est pour les fidèles plus belle que tous les arbres du paradis. Le Christ a-t-il craint la croix ? Et Pierre ? Et André ? Au contraire, ils l'ont désirée. Le Christ s'est élancé vers elle comme un vaillant pour courir sa carrière : « J'ai désiré d'un grand désir manger cette Pâque avec vous, avant de mourir. » II a mangé la Pâque en souffrant sa Passion, lorsqu'il passa de ce monde à son Père. Sur la croix il mangea et il but, il s'enivra et il dormit. Le Seigneur, en effet, envoya un sommeil profond sur Adam, il prit une de ses côtes et il façonna une femme et il la conduisit à Adam. Le Christ dort d'un profond sommeil, de son côté chaque jour est façonnée et nourrie l'Église et elle est amenée jusqu'aux confins du monde afin que la reine se tienne à sa droite en vêtements tissés d'or, de couleurs chatoyantes. Sur la croix, le Christ mangea la Pâque, lui qui est monté au palmier et qui en a cueilli les fruits.

       « Quand je serai élevé de terre, j'attirerai tout à moi. » Tout, qu'est-ce à dire ? le ciel, la terre et les enfers. Il a attiré à lui son Père, car son cri est monté devant sa face, à ses oreilles, et la terre a tremblé et les pierres se sont fendues et les tombeaux se sont ouverts car ils avaient entendu la voix du Fils de l'homme. Médiateur de Dieu et des hommes, l'homme Jésus-Christ, entre ciel et terre mangeait la Pâque, cueillait les fruits de l'arbre, et les distribuait, car tous accouraient auprès de l'arbre de vie qui était au milieu du paradis. Le glaive de feu qui barrait la route avait été ôté. Qui pourrait désormais craindre la croix ? Je peux, Seigneur, faire le tour du ciel et de la terre, de la mer et des steppes, jamais je ne te trouverai sinon sur la croix. Là tu dors, là tu pais ton troupeau, là tu te reposes à l'heure de midi. Sur cette croix celui qui est uni à son Seigneur chante avec douceur : « Toi Seigneur, bouclier qui m'entoures, ma gloire, tu me relèves la tête. » Personne ne te cherche, personne ne te trouve, sinon sur la croix. Ô Croix de gloire, enracine-toi en moi, pour que je sois trouvé en toi.

 

 

15 SEPTEMBRE

 

Notre Dame des Douleurs

 

 

 

Sermon de saint Romain le Mélode, prêtre

 

       Venez tous, chantons celui qui fut crucifié pour nous. Marie le vit sur le bois et dit : « Même quand tu demeures sur la croix, tu es mon Fils et mon Dieu ! » Brebis contemplant son agneau qu'on traînait à la boucherie, Marie suivait dans la douleur avec les autres femmes et criait : « Où vas-tu mon enfant, quel est le but de cette course rapide ? Y a-t-il d'autres noces à Cana, est-ce là que tu vas, dans la hâte, pour leur faire du vin avec de l'eau ? Dis-moi un mot, Verbe, ne passe pas devant moi en silence. Tu marches, mon enfant, vers un injuste meurtre et personne ne compatit. Pierre ne marche pas à tes côtés, lui qui pourtant disait : " Jamais je ne te renierai, même si je devais mourir. " II t'a laissé ce Thomas qui criait : " Mourons tous avec lui. " Et les autres aussi, les intimes, les fils, ceux-là qui doivent être les juges des douze tribus. Où sont-ils à présent ? Il n'en est plus un seul, mais toi, tout seul, mon enfant, tu meurs pour tous. C'est ton salaire pour avoir sauvé tous les hommes et les avoir servis. »

       Se retournant vers Marie, celui qui est sorti d'elle s'écria : « Pourquoi pleures-tu, Mère ? Moi, ne pas souffrir ? ne pas mourir ? Comment donc sauverais-je Adam ? Moi ne pas habiter le tombeau ? Comment ramènerais-je à la vie ceux qui demeurent aux enfers ? Pourquoi pleures-tu, Mère, crie  plutôt : " Volontairement il souffre, mon Fils et mon Dieu. " Aux folles ne te rends pas semblable, Vierge sage. Tu es dans la salle des noces, ne fais donc pas comme si tu étais dehors. Ne fais donc pas paraître amer le jour de la Passion : c'est pour lui que je suis descendu des deux, moi le doux, comme la manne, non plus au Sinaï, mais dans ton sein. Ne pleures donc plus, Mère, mais dis plutôt : " Prends pitié d'Adam, sois miséricordieux pour Eve, mon Fils et mon Dieu. " »

       « Rassure-toi, Mère, la première tu me verras sortir du tombeau. Je viendrai te montrer de quels malheurs j'ai racheté Adam, quelles sueurs, pour lui, j'ai versées. A mes amis, j'en révélerai les marques que je montrerai dans mes mains. Alors, tu verras Eve vivante, ô Mère, comme autrefois et tu crieras dans ta joie : " II a sauvé mes parents, mon Fils et mon Dieu ! " Apaise, Mère, ta douleur, apaise-la et va dans la joie. Moi, je me hâte d'accomplir la volonté de celui qui m'a envoyé : c'est pour cela que je suis venu. Cours, Mère, annoncer à tous : Par sa Passion il vainc l'ennemi d'Adam et il revient vainqueur, mon Fils et mon Dieu. »

       Fils de la Vierge, Dieu de la Vierge, Créateur du monde, tienne est la souffrance, tienne la profondeur de la sagesse. C'est toi qui, par ta souffrance volontaire, as daigné venir sauver les hommes. Tu t'es chargé de nos fautes comme l'agneau. Tu les as détruites par ton immolation, Sauveur, et tu as sauvé tous les hommes. Tu as donné à la Vierge de te dire en toute assurance : « Mon Fils et mon  Dieu. »

 

 

21 SEPTEMBRE

 

Saint Matthieu, apôtre et évangéliste

 

 

Sermon de saint Irénée, évêque

 

       Le Maître de toutes choses a donné à ses Apôtres le pouvoir de prêcher l'Évangile. C'est par eux que nous connaissons la Vérité, c'est-à-dire l'enseignement du Fils de Dieu. C'est à eux que le Seigneur a dit : qui vous écoute, m'écoute, qui vous méprise, me méprise, et méprise celui qui m'a envoyé. Car nous n'avons pas connu l'économie de notre salut par d'autres que par ceux qui nous ont apporté l'Évangile. Cet Évangile, ils l'ont d'abord prêché, puis, par la volonté de Dieu, ils nous l'ont transmis dans des Écritures pour qu'il devienne la base et la colonne de notre foi. Il n'est pas permis de dire qu'ils ont prêché avant d'avoir eu la connaissance parfaite, comme certains ont l'audace de l'affirmer, qui se vantent de corriger les Apôtres. Car, après que notre Seigneur fut ressuscité d'entre les morts et que les Apôtres eurent été revêtus de la force d'en haut par la venue soudaine de l'Esprit Saint, ils furent remplis de tous les dons et ils eurent la connaissance parfaite.

       Ils s'en allèrent alors jusqu'aux extrémités de la terre, proclamant la bonne nouvelle des bienfaits que Dieu nous envoie et annonçant aux hommes la paix du ciel, eux qui possédaient tous également, et chacun en particulier, l'Évangile de Dieu. Matthieu précisément, chez les Hébreux, dans leur propre langue a fait paraître une forme écrite d'évangile alors que Pierre et Paul évangélisaient Rome et y fondaient l'Église. Après leur mort, Marc, le disciple et l'interprète de Pierre, nous a transmis lui aussi par écrit la prédication de Pierre, de même, Luc, le compagnon de Paul a consigné en un livre l'Évangile prêché par celui-ci. Ensuite Jean, le disciple du Seigneur, le même qui reposa sur sa poitrine, a publié lui aussi l'Évangile pendant son séjour à Éphèse.

       Matthieu, dans son Évangile, raconte la génération du Christ comme homme : Livre de la génération de Jésus-Christ, fils de David, fils d'Abraham : voici quelle fut la génération du Christ. Cet Évangile présente donc le Christ sous sa forme humaine ; c'est pourquoi le Christ y est toujours animé de sentiments d'humilité et demeure un homme de douceur... L'Apôtre Matthieu ne connaît qu'un seul et même Dieu qui a promis à Abraham de multiplier sa descendance comme les étoiles du ciel et qui par son Fils le Christ Jésus nous a appelés du culte des pierres à sa connaissance, de sorte que, ce qui n'était pas peuple est devenu peuple, et que celle qui n'était pas aimée est devenue aimée.

 

 

29 SEPTEMBRE

 

Saints Michel, Gabriel et Raphaël, archanges

 

 

Sermon de saint Pantaléon, diacre de Constantinople

 

       Quel plus grand défenseur des fidèles, quel plus grand ministre des manifestations de l'Ancien et du Nouveau Testament trouvons-nous que Michel dont le nom est doux et la personne plus encore ? Michel, plein de ferveur angélique, se tient près du trône grand et redoutable de Dieu en grande dévotion, révérence, force et stabilité et chante sans fin, avec les chérubins aux yeux innombrables et les séraphins aux six ailes, l'hymne de louange : Saint, Saint, Saint. Michel, assistant véridique et fidèle de Dieu, guide plein de sagesse "de ceux qui croient en lui, lui qui retint le glaive d'Abraham, lui qui fut le ministre de la loi divine promulguée au mont Sinaï, lui dont le nom signifie, chef et armée de Dieu, combattant et défenseur de ceux qui mettent leur espérance dans le Seigneur.

       Michel fut établi par Dieu assistant de la Sainte Trinité, mystagogue et illuminateur de la hiérarchie céleste, initiateur de l'Ancien Testament qui passe et de notre nouvel héritage dans le Christ. C'est lui qui, chaque année, sanctifiait la piscine probatique en figure du saint baptême, et celui qui s'y plongeait le premier était guéri, quelle que fût sa maladie. Michel, luminaire admirable et splendide qui ne connaît pas de couchant, colonne de feu non faite de main d'homme pour l'Église sainte et apostolique, cette échelle qui monte au ciel et par où descend tout don parfait.

       Michel voit sans cesse la face de notre Père qui est dans le ciel et se réjouit, se réjouit avec le Seigneur de l'univers parce que ceux qui avaient péri ont été retrouvés, il est en fête avec toute l'armée du ciel pour un seul pécheur qui fait pénitence. C'est lui qui sonnera avec la trompette l'appel terrible et éclatant qui ébranlera les fondements de la terre et les abîmes, quand viendra la consommation des temps. C'est lui qui, en un clin d'œil, fera se lever tous les morts et les rassemblera pour le jugement et la rétribution et alors chacun recevra selon sa vie, bonne ou mauvaise.

 

 

1er OCTOBRE

 

Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus

 

 

Des écrits de sainte Thérèse de l'Enfant Jésus

 

       A l'oraison... j'ouvris les épîtres de saint Paul... Les chapitres XII et XIII de la première épître aux Corinthiens me tombèrent sous les yeux... J'y lus, dans le premier, que tous ne peuvent être apôtres, prophètes, docteurs... que l'Église est composée de différents membres et que l'œil ne saurait être en même temps la main. La réponse était claire, mais ne comblait pas mes désirs, elle ne me donnait pas la paix. Comme Madeleine, se baissant toujours auprès du tombeau vide, finit par trouver ce qu'elle cherchait, ainsi, m'abaissant jusque dans les profondeurs de mon néant, je m'élevai si haut que je pus atteindre mon but... Sans me décourager, je continuai ma lecture et cette phrase me soulagea :               « Recherchez avec ardeur les dons les plus parfaits, mais je vais vous montrer une voie plus   excellente. » Et l'Apôtre explique comment tous les dons parfaits ne sont rien sans l'Amour... que la charité est la voie excellente qui conduit sûrement à Dieu.

       Enfin, j'avais trouvé le repos : considérant le corps mystique de l'Église je ne m'étais reconnue dans aucun des membres décrits par saint Paul, ou plutôt, je voulais me reconnaître en tous... La charité me donna la clef de ma vocation. Je compris que si l'Église avait un corps, composé de différents membres, le plus noble de tous ne lui manquait pas, je compris que l'Église avait un cœur et que ce cœur était brûlant d'amour. Je compris que l'amour seul faisait agir les membres de l'Église, que si l'amour venait à s'éteindre, les Apôtres n'annonceraient plus l'Évangile, les martyrs refuseraient de verser leur sang. Je compris que l'amour renfermait toutes les vocations, que l'amour était tout, qu'il embrassait tous les temps et tous les lieux... en un mot qu'il est éternel.

       Alors, dans l'excès de ma joie délirante, je me suis écriée : « Ô Jésus, mon amour, ma vocation, enfin je l'ai trouvée, ma vocation, c'est l'amour. Oui, j'ai trouvé ma place dans l'Église et cette place, ô mon Dieu, c'est vous qui me l'avez donnée... Dans le cœur de l'Église, je serai l'amour, ainsi je serai tout, ainsi mon rêve sera réalisé. Pourquoi parler d'une joie délirante ? Non, cette expression n'est pas juste, c'est plutôt la paix calme et sereine du navigateur apercevant le phare qui doit le conduire au port. Ô Jésus, je sais que l'amour ne se paie que par l'amour, aussi, j'ai cherché et j'ai trouvé le moyen de soulager mon cœur en te rendant amour pour amour. »

 

 

4 OCTOBRE

 

Notre Père saint François d'Assise

 

 

Des témoins de la vie de saint François d'Assise

 

       Une nuit, comme François réfléchissait à toutes les tribulations qu'il subissait, il eut pitié de lui-même et dit en son cœur : Seigneur viens à mon secours dans mes infirmités afin de me permettre de les porter avec patience. Soudain, il entendit en esprit une voix lui dire : Si l'on te donnait en compensation de tes souffrances un grand et précieux trésor... ne te réjouirais-tu pas ? Eh bien mon frère, dit la voix, réjouis-toi et sois dans l'allégresse au milieu de tes infirmités et tribulations ! Dès maintenant vis en paix comme quelqu'un qui partage déjà mon Royaume. Au matin, en se levant il dit à ses compagnons : Je dois être plein d'allégresse au milieu de mes infirmités et tribulations, trouver mon réconfort dans le Seigneur et rendre grâces à Dieu le Père, à son Fils notre Seigneur Jésus-Christ et au Saint-Esprit. Dieu a daigné, en effet, dans sa grande miséricorde, m'assurer à moi, son pauvre et indigne serviteur vivant encore ici-bas, que je partagerais son Royaume. Aussi, pour sa gloire, ma consolation et l'édification du prochain, je veux composer de nouvelles « louanges » au sujet de ses créatures.

       François s'assit, réfléchit quelque temps et s'écria : Très-Haut, tout-puissant, bon Seigneur. Il composa ainsi un chant qu'il apprit à redire à tous ses compagnons. Son cœur fut rempli de tant de douceurs et de consolation qu'il voulut que frère Pacifique, roi des poètes dans le siècle et très courtois docteur de chant, s'en allât par le monde, avec quelques frères pieux et spirituels, pour prêcher et chanter les louanges de Dieu. Celui d'entre eux qui savait le mieux prêcher ferait d'abord la prédication, ensuite tous chanteraient les louanges comme de vrais jongleurs de Dieu. Le cantique fini le prédicateur dirait au peuple : nous sommes les jongleurs de Dieu et la seule récompense que nous désirons c'est de vous voir mener une vie vraiment pénitente.

       Voici la louange des créatures que François composa lorsque le Seigneur l'eut assuré de son Royaume :

       Très-Haut, tout-puissant, bon Seigneur, à toi sont les louanges, la gloire, l'honneur et toute bénédiction ; à toi seul, Très-Haut, ces hommages sont dus et nul homme n'est digne de te nommer.

       Loué sois-tu mon Seigneur avec toutes les créatures, spécialement messire le frère Soleil, qui fait le jour et par qui tu nous éclaires ; et il est beau et rayonnant avec une grande splendeur.

       Loué sois-tu mon Seigneur pour sœur Lune et les étoiles dans les deux, tu les as formées, claires, précieuses et belles.

       Loué sois-tu mon Seigneur pour frère Vent et pour l'air et le nuage et le serein et tout temps par lesquels à tes créatures tu donnes le soutien.

       Loué sois-tu mon Seigneur pour sœur Eau qui est fort utile et humble et précieuse et chaste.

       Loué sois-tu mon Seigneur pour frère Feu, par qui tu éclaires la nuit, et il est beau, joyeux, robuste et fort.

       Loué sois-tu mon Seigneur pour sœur notre mère Terre qui nous porte et nous mène et nous produit les fruits divers avec l'herbe et les fleurs colorées.

       Loué sois-tu mon Seigneur pour ceux qui pardonnent pour ton amour et qui subissent injustice et tribulations, et bienheureux ceux qui persévèrent dans la paix, car par toi, Très-Haut, ils seront couronnés.

       Loué sois-tu Seigneur pour notre sœur la mort corporelle, à qui nul homme vivant ne peut échapper, malheureux ceux-là seuls qui meurent en péché mortel ; mais bienheureux ceux qui ont accompli tes très saintes volontés car la seconde mort ne pourra leur nuire !

       Louez et bénissez mon Seigneur et remerciez-le, et servez-le avec grande humilité.

 

 

7 OCTOBRE

 

Notre Dame du Rosaire

 

 

Prière de l'Église d'Alexandrie à la Mère de Dieu

 

       Venez tous avec joie, venez tous avec allégresse, venez avec transport, venez tous les humains, savants et sages, jeunes et vieux, hommes et femmes, venez tous, fils d'Adam, venez m'écouter : je vous apprendrai la venue du Dieu véritable qui en la Vierge a pris chair. Il est Dieu vraiment Dieu ; il est Dieu, le Verbe du Père, il est Dieu le fils de la Vierge, fille d'Anne et de Joachim. Jésus-Christ dont le nom est le salut, Jésus-Christ dont le nom est doux, Jésus-Christ, le vivificateur en la Vierge a pris chair. Ainsi que l'a dit Isaïe le Prophète : la Vierge concevra et enfantera l'Emmanuel. Pour tout peuple et toute tribu et pour toute nation fidèle, l'unique source de salut a jailli de Marie. Gloire à Dieu le Père, gloire à son Fils chéri, gloire à l'Esprit Saint et honneur à la Vierge. Réjouis-toi, ma Dame, Mère de mon Seigneur, réjouis-toi, reine, mère du Roi, réjouis-toi, épouse véritable qui enfanta celui en qui nous sommes tous unis.

       Les patriarches te bénissent, les Prophètes te louent, et nous, nous t'adorons, ô Seigneur Jésus-Christ. Louange et gloire à toi qui es venu nous sauver, Dieu le Fils, reçois-nous auprès de toi, à cause de Marie la Sainte des Saintes. Tous les peuples louent la Vierge : Salut ô Vierge Marie, Mère du Verbe, Mère du véritable Fils de Dieu. Jésus-Christ, Fils de Dieu, égal au Père, est venu prendre chair en toi, Marie, Mère de notre Dieu, tu es la Jérusalem céleste, la cité de notre Dieu, tu es le second ciel, Marie, Mère de Dieu. Dieu, en sa miséricorde, inclina les cieux et descendit, il prit chair en la Vierge Marie, Mère de miséricorde. Le saint Roi David a dit : ton temple est saint : Ce temple c'est la Reine, Marie, la Mère de la Vraie Lumière.

       Ô Vierge sans souillure, auguste et toute sainte, toi qui as amené Dieu jusqu'à nous en le portant dans tes bras, la création tout entière se réjouit avec toi et proclame : Salut, pleine de grâces, le Seigneur est avec toi. Dieu a envoyé son Fils qui a pris chair en la Vierge, aussi toute la création se réjouit avec Marie. Nous te rendons gloire, ô Vierge fidèle qui as porté le Verbe du Père... et disons : salut, pleine de grâces, Marie, Mère de l'Emmanuel... et nous te chantons avec le psalmiste : on parle de toi pour ta gloire, cité de Dieu ! Enfin, nous louons Dieu qui en toi a pris chair et s'est fait homme comme nous, en toutes choses excepté le péché. Le Verbe de Dieu, le Fils du Créateur est ton enfant, c'est lui qui nous a rendus libres, c'est lui qui nous a libérés de l'antique esclavage, lui qui est notre Dieu depuis le commencement.

 

 

18 OCTOBRE

 

Saint Luc, évangéliste

 

 

Sermon de saint Irénée de Lyon, évêque

 

       Que Luc ait été l'inséparable compagnon de Paul et son coopérateur dans l'Évangile, lui-même le montre avec évidence, non par gloriole, mais sous la pression de la Vérité elle-même. Barnabé et Jean, surnommé Marc, s'étant, dit-il, séparés de Paul, et embarqués pour Chypre, nous vînmes à Troas... après quoi, il décrit en détail tout leur voyage, leur venue à Philippes, leur premier discours : nous étant assis là, nous parlâmes aux femmes qui s'y étaient assemblées. Et il relate dans l'ordre tout son voyage avec Paul dont il marque avec grand soin les circonstances... Parce que Luc était présent à toutes, il les a consignées avec soin — on ne peut surprendre chez lui ni mensonge ni orgueil, car tous ces faits étaient patents... il n'a pas ignoré la vérité.

       Que Luc ait été non seulement le compagnon, mais encore le coopérateur des Apôtres, de Paul surtout, Paul le dit clairement lui-même dans ses épîtres : « Demas m'a abandonné et s'en est allé à Thessalonique, Crescens en Galatie, Tite en Dalmatie, Luc seul est avec moi. » Cela prouve bien que Luc a toujours été uni à Paul et de façon inséparable. De même dans l'épître aux Colossiens, on lit : Luc, le médecin bien-aimé, vous salue. Luc, d'autre part, nous a fait connaître beaucoup de traits de l'Évangile et des plus importants... Par lui, nous avons appris beaucoup de faits de la vie du Seigneur qui sont utilisés par tous.

       Qui sait, d'ailleurs, si Dieu n'a pas fait en sorte que beaucoup de traits de l'Évangile aient été révélés par le seul Luc, pour que précisément tous donnent leur assentiment au témoignage qu'il apporte ensuite sur les actes et la doctrine des Apôtres et qu'ainsi tenant inaltérée la règle de la vérité, tous puissent être sauvés. Ainsi le témoignage de Luc est vrai ; l'enseignement des Apôtres est manifeste, solide et ne cache rien. Telles sont les voix de l'Église, d'où toute l'Église tire son origine. Telles sont les voix de la Cité Mère des citoyens de la Nouvelle Alliance. Telles sont les voix des Apôtres, telles sont les voix des disciples du Seigneur.

 

 

28 OCTOBRE

 

Saints Simon et Jude, apôtres

 

 

Sermon de saint Jean Chrysostome, évêque

 

       De même que ce levain communique sa force à la niasse de la pâte, de même vous transformerez vous aussi le monde entier. Ne m'objectez pas : Que pourrons-nous faire, nous qui ne sommes que douze, jetés au milieu d'une si grande foule ? Ce qui fera précisément ressortir l'éclat de votre puissance, c'est que vous affrontiez la multitude sans reculer. Le levain fait fermenter la masse quand on l'approche de la farine, mieux encore quand on l'y mêle complètement. Aussi le Sauveur ne dit-il pas que la femme a placé le levain, mais qu'elle l'a enfoui dans la farine. (...) Le levain, tout en disparaissant dans la masse, n'y perd pas sa force, au contraire, il la communique peu à peu ; il en sera de même pour le message évangélique. Par conséquent, dit Jésus, si je vous ai prédit de nombreuses difficultés, ne soyez pas effrayés. C'est de cette manière que brillera votre puissance et que vous triompherez... C'est le Christ seul qui donne au levain sa puissance. Il a mêlé à la multitude ceux qui avaient foi en lui, pour que nous nous communiquions les uns aux autres nos connaissances. Qu'on ne lui reproche donc pas le petit nombre de ses disciples, car la puissance du message est grande, et quand la masse a fermenté, elle devient à son tour levain pour tout le reste.

       Mais si douze hommes ont fait lever la terre entière, combien nous sommes mauvais, nous qui, malgré notre grand nombre, ne parvenons pas à convertir ceux qui nous entourent, alors qu'un tel nombre devrait suffire à être le levain de milliers de mondes ! Mais ces douze, dites-vous, étaient les Apôtres ! Et alors ? N'étaient-ils pas dans les mêmes conditions que nous ? N'habitaient-ils pas des villes ? Ne partageaient-ils pas notre sort ? N'exerçaient-ils pas des métiers ? Étaient-ils donc des anges descendus du ciel ? Vous dites qu'ils ont fait des miracles. Mais ce n'est pas pour cela que nous les admirons. Jusqu'à quand parlerons-nous de leurs miracles pour cacher notre paresse ? Regardez les saints : ils n'ont pas l'éclat de ces miracles. (...) Alors d'où vient la grandeur des Apôtres ? De leur mépris des richesses, de leur dédain pour la gloire, de leur renoncement à toutes les jouissances de la vie. Car c'est la façon de vivre qui donne l'éclat véritable et fait descendre la grâce de l'Esprit.

       Imitons donc les Apôtres dans leurs vertus et nous ne leur serons inférieurs en rien. Ce ne sont pas, en effet, leurs miracles qui les firent Apôtres, mais la pureté de leur vie. C'est à cela qu'on reconnaît une figure vraiment apostolique, la physionomie d'un disciple du Christ. Cette marque, le Seigneur lui-même l'a clairement donnée. En effet, lorsqu'il voulut tracer le portrait de ses disciples et révéler le signe qui distinguerait ses Apôtres, ayant commencé en ces termes : voici à quoi les hommes reconnaîtront en vous mes disciples, comment poursuit-il donc ? Serait-ce aux prodiges qu'ils opéreraient ? Aux morts qu'ils ressusciteraient ? Point du tout. Mais à quoi donc ? Voici à quoi les hommes reconnaîtront en vous mes disciples : à l'amour que vous aurez les uns pour les autres. Or, l'amour n'est pas affaire de miracle, mais simplement de vertu. L'amour est la plénitude de la loi. Ainsi vous voilà au fait de ce qui distingue les disciples, de ce qui révèle les Apôtres, de leur physionomie propre, de leur vraie figure. Pourquoi chercher plus loin ? Le Seigneur lui-même peint ses disciples d'un seul trait, et ce trait c'est la charité. Ayez la charité, vous serez parmi les Apôtres, voire au premier rang parmi eux. Prétendra-t-on que les Apôtres du moins ont été aidés par leurs miracles à devenir tels ? Non, dis-je, les miracles n'y sont pour rien ; leur seul mérite était dans leur vertu, et c'est elle seule qui leur a donné tant d'éclat. C'est encore le Seigneur qui l'affirme : Que votre lumière brille aux yeux des hommes de sorte qu'ils puissent voir non pas vos miracles, mais votre conduite irréprochable et en rendent gloire à votre Père des cieux.

 

 

1er NOVEMBRE

 

Fête de tous les saints

 

 

Sermon de saint Augustin, évêque

 

       Qu'est-ce que suivre, sinon imiter ? La preuve, c'est que le Christ a souffert pour nous, nous laissant un exemple, comme dit l'Apôtre, pour que nous suivions ses traces.

       Bienheureux les pauvres en esprit.

Imitez donc celui qui s'est fait pauvre à cause de vous alors qu'il était riche.

       Bienheureux les doux.

Imitez celui qui a dit : mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur.

       Bienheureux ceux qui pleurent.

Imitez celui qui pleura sur Jérusalem.

       Bienheureux ceux qui ont faim et soif de justice.

Imitez celui qui a dit : ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé.

       Bienheureux les miséricordieux.

Imitez celui qui porta secours à celui que blessèrent les voleurs et qui gisait sur le chemin à demi mort et désespéré.

       Bienheureux les cœurs purs.

Imitez celui qui n'a point fait de péché et sur les lèvres duquel il ne s'est point trouvé de malice.

       Bienheureux les pacifiques.

Imitez celui qui a dit en faveur de ses persécuteurs : « Père pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font. »

       Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice.

Imitez celui qui a souffert pour vous, vous laissant un exemple pour que vous suiviez ses traces.

      

       Je te vois, ô Jésus bon, avec les yeux de la foi que tu 'as ouverts en moi, je te vois criant et disant, comme si tu haranguais le genre humain : « Venez à moi et mettez-vous à mon école. » Quelle est la leçon, je t'en conjure, Fils de Dieu par qui tout a été fait et tout ensemble, ô Fils de l'homme, qui as été créé parmi tant d'autres choses, quelle est la leçon que nous venons apprendre à ton école : « Que je suis doux et humble de cœur. » Voilà donc à quoi se réduisent tous les trésors de sagesse et de science cachés en toi : A apprendre cette leçon capitale : que tu es « doux et humble de cœur ». Est-ce donc chose si grande d'être petit, que si ce n'était à ton école, à toi si grand, on ne pourrait absolument pas l'apprendre ?

       Qu'ils écoutent, qu'ils viennent à toi, qu'ils apprennent de toi à être doux et humbles, ceux qui recherchent ta miséricorde et ta vérité, en vivant pour toi, pour toi et non pour eux. Qu'il entende cela celui qui peine et qui est chargé, qui ploie sous son fardeau jusqu'à ne point oser lever les yeux vers le ciel, le pécheur qui se frappe la poitrine et n'approche que de loin. Qu'il entende le centurion qui n'était pas digne que tu entres sous son toit. Qu'il entende Zachée, le chef des publicains, quand il rend au quadruple le fruit coupable de ses péchés. Qu'elle entende la femme qui avait été pécheresse dans la ville et qui répandait d'autant plus de larmes à tes pieds qu'elle avait été plus éloignée de tes pas. Qu'ils entendent, les femmes de mauvaise vie et les publicains qui, dans le Royaume des Cieux, précèdent les scribes et les pharisiens. Qu'ils entendent les malades de toute sorte dont on te faisait un grief d'avoir été le convive, grief de soi-disant bien portants qui ne cherchaient pas de médecin alors que tu étais venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs à la pénitence. Tous ceux-là, quand ils se tournent vers toi, deviennent facilement doux et humbles devant toi, au souvenir de leur vie pleine d'iniquité et de ta miséricorde pleine de pardon, car là où le péché a abondé, la grâce a surabondé.

 

 

2 NOVEMBRE

 

Mémoire des fidèles défunts

 

 

Sermon de saint Aphraate, évêque

 

       L'Apôtre dit : la mort a régné depuis Adam jusqu'à Moïse, même en ceux qui n'ont pas péché, et ainsi, elle est passée en tous les hommes. Comment la mort a-t-elle régné depuis Adam jusqu'à Moïse ? Lorsque Dieu a dit à Adam : « Le jour où tu mangeras le fruit de l'arbre de la science du bien et du mal, tu mourras de mort. » Quand Adam eut transgressé le précepte et eut mangé de cet arbre, la mort régna sur lui et sur tous ses fils. Mais, à cause de la prévarication d'Adam, elle régna même sur ceux qui n'avaient pas péché. Pourquoi l'Apôtre dit-il donc : « La mort a régné d'Adam jusqu'à Moïse » ? Celui qui est peu intelligent pensera que la mort n'a régné que jusqu'à Moïse. Mais qu'il comprenne donc : par la suite, elle est passée dans tous les hommes. Elle est passée en tous les hommes de Moïse à la fin du monde, cependant Moïse a annoncé que son empire lui serait ôté. Quand le Très Saint, en effet, appela Moïse du sein du buisson, il lui dit : « Je suis le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. » Entendant ces paroles, la mort fut ébranlée, trembla de crainte et comprit qu'elle ne régnerait pas à jamais sur les hommes. Depuis le moment où elle eut entendu Dieu dire à Moïse : « Je suis le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob », la mort fut envahie par le doute, car elle sut que Dieu était le roi des morts et des vivants et qu'il viendrait un temps où les hommes échapperaient à ses ténèbres et ressusciteraient dans leur corps.

       Quand vint Jésus, le Meurtrier de la mort, qu'il revêtit un corps de la semence d'Adam, qu'il fut fixé à la croix et qu'il goûta la mort, alors elle comprit qu'il allait descendre chez elle. Alors elle fut ébranlée et troublée : à la vue de Jésus, elle referma ses portes, refusant de le recevoir. Mais lui brisa les portes, entra chez elle et commença à lui arracher tous ceux qu'elle détenait. Les morts, voyant la lumière dans les ténèbres, levèrent la tête hors de leur prison, regardèrent à l'extérieur et virent le Roi Christ. Alors se lamentèrent les puissances des ténèbres de la mort... car la mort sut que les morts ressusciteraient et seraient arrachés à son pouvoir... Et le Christ lui signifia que, quand les temps seraient accomplis, il viendrait pour libérer tous les captifs de son empire, pour les conduire à lui afin qu'ils voient la lumière. C'est pourquoi la mort dut laisser partir Jésus une fois qu'il eut accompli son ministère chez elle ; elle ne put le retenir. Elle ne prévalut pas contre le Saint qui ne fut pas livré à la corruption. Ainsi Jésus mort fut meurtrier de la mort à qui l'on dit désormais : « Mort où est ta    victoire ?... »

       L'Esprit Saint dans sa force puissante précédera le Christ et se tiendra à la porte des tombeaux où auront été ensevelis ceux qui dans cette vie l'auront gardé dans un cœur pur. Il attendra le signal. Et aussitôt que les anges auront ouvert devant le Roi du ciel les portes de la mort, la corne sonnera et les trompettes éclateront. L'Esprit, entendant le signal qu'il attendait, se hâtera d'ouvrir les tombeaux, éveillera ceux qui y sont enterrés et les revêtira de sa gloire. Lui-même, l'Esprit Saint, demeure dans ceux qu'il ressuscite en même temps qu'au-dehors il les enveloppe de sa gloire. Et cet homme qu'il aura ressuscité, enlevé par l'Esprit, ira au-devant du Roi Christ et le recevra dans la joie. Le Christ alors se montrera dans sa bonté à celui qui durant sa vie aura gardé l'Esprit Saint dans un cœur pur. Et ceux qui auront reçu l'Esprit Saint seront semblables à l'Adam céleste qui est notre Vivificateur, Jésus-Christ.

 

 

7 NOVEMBRE

 

Tous les saints de l’Ordre des Prêcheurs

 

 

Du Mémoire pour le rétablissement en France de l'ordre des Frères Prêcheurs du frère H.D. Lacordaire

 

       Au XIII° siècle, la foi était profonde. L'Église régnait encore sur la société qu'elle avait conquise. Cependant, la raison européenne, lentement travaillée par le temps et par le christianisme, touchait à la crise d'adolescence. Ce qu'Innocent III avait vu de son lit, dans un songe, c'est-à-dire l'Église chancelante, saint Dominique le révéla à toute la terre, et lorsque la terre la croyait reine et maîtresse, il déclara qu'il ne fallait pas moins pour la sauver que la résurrection de l'apostolat primitif. On répondit à saint Dominique comme on avait répondu à Pierre l'Ermite, on se fit prêcheur comme on s'était fait croisé. Toutes les universités d'Europe fournirent leur contingent en maîtres et en écoliers. Frère Jourdain de Saxe, deuxième général de l'Ordre, donna l'habit à plus de mille hommes que, pour sa seule part, il avait gagnés à ce nouveau genre de vie. En un moment où, pour parler sans figure, car la vérité est ici au-dessus de la figure, en cinq années, saint Dominique, qui avant la bulle d'Honorius n'avait que seize collaborateurs, huit Français, sept Espagnols et un Anglais, fonda soixante couvents peuplés d'hommes d'élite et d'une jeunesse florissante.

       Tous les frères, comme leur maître, dans un moment où l'Église était riche voulaient être pauvres, et pauvres jusqu'à la mendicité. Tous comme lui, dans un moment où l'Église était souveraine, ne voulaient devoir leur influence qu'à la soumission volontaire des esprits à leurs vertus. Ils ne disaient pas comme les hérétiques : « II faut dépouiller l'Église », mais la dépouillant dans leurs personnes, ils la montraient aux peuples avec sa nudité originelle. En un mot, ils aimaient Dieu, ils l'aimaient vraiment, ils l'aimaient par-dessus toute chose ; ils aimaient le prochain comme eux-mêmes et plus qu'eux-mêmes... Outre ce mérite d'une âme passionnée, sans laquelle nul orateur n'existe jamais, les frères prêcheurs eurent une grande habileté à saisir le genre de prédication qui convenait à leur temps.

       Je citerai quelques-uns des noms les mieux préservés de l'oubli : c'était saint Hyacinthe, l'Apôtre du Nord au XIII° siècle... dont on pouvait suivre la marche aux couvents qu'il semait sur sa route ; c'était saint Pierre de Vérone, tombé sous le coup des assassins après une longue carrière apostolique et écrivant sur le sable avec le sang de ses blessures les premières paroles du symbole des Apôtres : « Je crois en Dieu. » C'était Henri Suso, cet aimable jeune homme de Souabe, au XIV° siècle, dont la prédication avait un tel succès que sa tête fut mise à prix. A la même époque, frère Jean Tauler était applaudi dans Cologne et dans toute l'Allemagne. Je nommerai encore saint Vincent Ferrier qui au XV° siècle évangélisa la France, l'Italie, l'Allemagne, les royaumes d'Angleterre, d'Ecosse et d'Irlande et ce Jérôme Savonarole, vainement brûlé vif au milieu d'un peuple ingrat puisque sa vertu et sa gloire s'élevèrent plus haut que la flamme du bûcher. Le pape Paul III déclara qu'il regarderait comme suspect d'hérésie quiconque oserait en accuser Savonarole. Thomas d'Aquin qui devint en peu de temps le docteur le plus célèbre de l'Église catholique, Fra Angelico dont Michel-Ange témoigna « qu'un homme n'a pu faire ces figures-là qu'après les avoir vues dans le ciel ». Barthélemy de las Casas... Laissons à la garde de ceux qui les savent et qui les invoquent ces noms vénérés et terminons cette légère esquisse d'un ordre immense par l'éloge qu'en faisait au XIV° siècle un des plus grands poètes chrétiens, le chantre indépendant de La Divine Comédie :

       « II fut appelé Dominique, j'en parle, moi, comme de l'agriculteur qu'élut le Christ pour l'aider dans son jardin. Avec doctrine et vouloir tout ensemble et l'office apostolique, il s'élança comme un torrent que haute source presse. De lui jaillirent de nombreux ruisseaux dont le jardin catholique s'arrose. »

 

 

8 NOVEMBRE

 

Mémoire des défunts de l'Ordre des Prêcheurs

 

 

Sermon de saint Grégoire de Narek, prêtre

 

       Que mes os dispersés, Seigneur, et enfouis dans la terre, lorsqu'ils seront dans le tombeau, répètent d'une voix silencieuse cette prière : Que mon corps réduit en poussière sache encore te supplier, ô toi qui scrutes les secrets, qu'il dise : « Seigneur très compatissant, Source de miséricorde, donateur de tous biens, Fils du Très-Haut, Jésus-Christ Seigneur, fais-moi miséricorde, penche-toi vers ma misère, écoute, montant des profondeurs de l'abîme de la mort et du tombeau mon cri silencieux ; que la supplication de mes os, réduits en poussière, monte jusqu'à ton oreille qui entend tout, Seigneur. Comme ma vie est incorruptible, que ta pitié et ton amour ne cessent jamais envers moi. N'entre pas en jugement avec moi, ne me frappe pas, moi que la mort a touché.

       « Du tombeau qui referme sur moi les ténèbres, voici le cri que je t'adresse : je te supplie Seigneur Jésus-Christ, regarde-moi avec miséricorde et ne permets pas que j'habite l'enfer. Que ton Esprit Saint habite avec moi en m'éclairant dans les ténèbres. Exauce-moi, moi qui me confie en toi, Seigneur Jésus, j'attends ton retour et je compte fermement sur ta miséricorde, ô Sauveur ; je confesse mes dettes et publie mes péchés, je suis desséché par le vent du désespoir et je vacille sous les paroles de tristesse. Écoute-moi, ô Très Compatissant, Ami des hommes, longanime, Douceur ineffable, Jour plein de bonté, Lumière désirable. Tu peux accorder à mon âme le salut, lors même que je rendrais le souffle.

       « A toi appartient, Seigneur, de changer la malédiction qui conduit à la mort en bénédiction qui donne la vie et d'accorder, au lieu de la séparation, l'attente de l'union, au lieu de la condamnation sans appel, une double délivrance. Ce qu'à l'heure de ma mort je ne pourrai solliciter, aujourd'hui veuille l'accorder dans ton amour pour les hommes, ô Libéral, toi qui à tous donnes la vie. Lorsque je serai étendu, cadavre inerte, sans parole, plante déracinée, ami devenu étranger, j'aurai besoin des prières des autres qui psalmodieront les supplications de ma foi et les présenteront avec des larmes à ta haute miséricorde, ô bienfaiteur. Ils chanteront alors le retour vers toi, que je bénis, la vérité de ta résurrection à laquelle je crois, la crainte de ton jugement, que je confesse, le règne avec toi, Seigneur, que j'attends et pour lequel je te supplie. »

 

 

9 NOVEMBRE

 

Dédicace de la basilique du Latran

 

 

De la Constitution dogmatique Lumen Gentium

 

       A toute époque, à la vérité, et en toute nation, Dieu a tenu pour agréable quiconque le craint et pratique la justice. Cependant, le bon vouloir de Dieu a été que les hommes ne reçoivent pas la sanctification et le salut séparément hors de tout lien mutuel ; il a voulu, au contraire, en faire un peuple qui le connaîtrait selon la vérité et le servirait dans la sainteté. C'est pourquoi, il s'est choisi Israël pour être son peuple avec qui il a fait alliance et qu'il a progressivement instruit, se manifestant lui-même et son dessein dans l'histoire de ce peuple et se l'attachant dans la sainteté. Tout cela, cependant, n'était que pour préparer et figurer l'Alliance nouvelle et parfaite qui serait conclue dans le Christ et la révélation plus totale qui serait apportée par le Verbe de Dieu lui-même fait chair. « Voici venir des jours, dit le Seigneur, où je conclurai avec la maison d'Israël et la maison de Juda une Alliance nouvelle... Je mettrai ma loi au fond de leur être et je l'écrirai sur leur cœur. Alors je serai leur Dieu et eux seront mon peuple. Tous me connaîtront du plus petit jusqu'au plus grand, dit le Seigneur. »

       Cette Alliance nouvelle, le Christ l'a instituée ; c'est la Nouvelle Alliance en son sang ; il appelle la foule des hommes de parmi les juifs et de parmi les gentils, pour former un tout non selon la chair, mais dans l'Esprit et devenir le nouveau peuple de Dieu. Ceux en effet qui croient au Christ sont renés, non d'un germe corruptible, mais du germe incorruptible qui est la Parole du Dieu vivant, non de la chair, mais de l'eau et de l'Esprit Saint, ceux-là deviennent finalement « une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple que Dieu s'est acquis, ceux qui autrefois n'étaient pas un peuple étant maintenant le peuple de Dieu ».

       Ce peuple messianique a pour chef le Christ « livré pour nos péchés, ressuscité pour notre justification », possesseur, désormais, du Nom qui est au-dessus de tout nom et glorieusement régnant dans les cieux. La condition de ce peuple, c'est la dignité et la liberté des fils de Dieu, dans le cœur de qui, comme dans un temple, habite l'Esprit Saint. La loi c'est le commandement nouveau d'aimer comme le Christ lui-même nous a aimés. Sa destinée enfin, c'est le Royaume de Dieu inauguré sur la terre par Dieu même qui doit se dilater encore plus loin, jusqu'à ce que, à la fin des siècles, il reçoive

enfin de Dieu son achèvement, lorsque le Christ, notre vie, sera apparu et « que la création elle-même sera affranchie de l'esclavage de la corruption pour connaître la glorieuse liberté des enfants de Dieu ».

 

 

15 NOVEMBRE

 

Saint Albert le Grand

 

 

Du commentaire de saint Albert le Grand sur l'Évangile selon saint Matthieu

 

       Le cordeau m'a marqué un enclos de délices, un splendide héritage m'est échu. C'est moi qui suis leur héritage. Sara, épouse de mon Seigneur a enfanté un fils à mon Seigneur dans sa vieillesse : il lui donna tout ce qu'il avait. La première interprétation de Sara est l'Église. Le fils d'éternelle joie, la fleur et l'héritier est celui que Dieu le Père engendra à l'Église par sa grâce dans la vieillesse des temps présents, et à qui il donne tout son héritage, tout ce qu'il possède : car, en se donnant lui-même il donne tout ce qui est à lui. Dieu n'a pas honte de s'appeler leur Dieu.

       Le Seigneur est mon partage, a dit mon âme, c'est pourquoi j'espérerai en lui. Ce sont là les arrêts de la puissance paternelle pour ceux que le Père souverain engendre par sa grâce (...). De sa propre volonté, il nous a engendrés par sa Parole de vérité afin que nous soyons comme les prémices de ses créatures : il a donc imprimé en nous la marque et, par conséquent, la note de sa nature, car tout ce qui peut être connu l'est par la marque et la ressemblance imprimée dans nos âmes.

       De la ressemblance avec le Père se déduit la foi qui dirige nos yeux vers lui, de l'union avec lui la charité qui fixe nos yeux sur lui, de l'amour qu'il a pour nous l'espérance qui élève nos yeux pour demander de grandes choses. Nous ne sommes plus, en effet, satisfaits des petites, car nous espérons dans l'amour du Père. (...) C'est pourquoi il est dit Père. Il n'existe pas de prière plus douce et familière qui commence de façon plus intime. D'après ce qui précède, le Père est avec nous, il nous voit dans le secret de nous-mêmes d'un regard familier et doux. A qui aurions-nous accès, si ce n'est à lui ? Adoptant donc l'Esprit de son Fils unique, nous serons donc accueillis dans le sein du Père.

 

 

21 NOVEMBRE

 

Présentation de la Vierge Marie

 

 

Prière de l'Église d'Alexandrie à la Mère de Dieu

 

      Salut Bethléem, cité des Prophètes !

      C'est de toi que naquit le Christ,

      le second Adam,

      Pour rétablir Adam, le premier homme,

      l'Adam de la terre en paradis.

      Là où abonda le péché,

      la grâce a surabondé.

Tous les esprits se réjouissent

Et chantent en chœur avec les anges

Les louanges du Christ-Roi.

Elles disent : « Gloire à Dieu au plus haut

des cieux et paix sur la terre aux hommes

qu'il aime. »

      Le Christ a détruit le mur de séparation

      II a détruit la puissance de l'ennemi

      II a déchiré le décret de servitude

      concernant Adam et Eve qu'il a libérés.

Jésus notre Sauveur, né pour nous dans la

Cité de David, ainsi que l'a dit l'Ange,

a fait tout cela pour nous sauver.

      La lumière qu'est Dieu, Lumière de Lumière

      les anges de lumière la chantent.

      La lumière a brillé du sein de Marie ;

      Elisabeth a enfanté le Précurseur

      L'Esprit Saint a suscité David :

      « Lève-toi et chante car la lumière

      a brillé. »

Et David le saint Chantre se leva,

il prit sa cithare inspirée,

il se rendit à l'assemblée des anges,

il y chanta des hymnes à la Trinité Sainte.

 

      Ô mes amis qui chérissez le Christ Jésus

      Honorons la Mère de Dieu,

      Marie, la fille des saints.

Tous te louent, ô Marie, Mère du Christ,

Buisson véritable qui es dans le désert.

Moïse, le chef des Prophètes,

a vu ce buisson brûlant d'un feu

qui ne consumait pas ses branches.

David nous a ainsi instruits :

      « Les ailes de la colombe

      sont recouvertes d'argent

      et ses pieds sont revêtus d'or. »

      « Après elle les vierges

      entrent chez le roi,

      Elle et toutes ses compagnes

      entrent dans le Temple du Seigneur. »

Par la Vierge Marie,

notre Père, le premier Adam,

est rétabli en paradis,

ainsi que Noé et Abraham notre Père,

      Un de la Trinité,

      consubstantiel au Père

      a été enfanté

      par Marie l'épouse bénie.

Nous glorifions la Mère du Christ

Du Roi véritable, l'espérance de ceux qui tombent

et l'avocate des saints.

Jean en a ainsi témoigné :

      « J'ai vu une femme

      revêtue du soleil

      la lune et les étoiles du ciel

      formaient une couronne sur sa tête. »

Vraiment, le soleil c'est le Christ Jésus,

la femme, la Vierge Marie,

la lune, Jean Baptiste,

les étoiles, les douze Apôtres.

      Salut Vierge Marie,

      salut Temple de Dieu,

      salut, Mère du Verbe,

      de Jésus,

      de l'Agneau de Dieu.

 

Venez tous d'un cœur unanime

louer Dieu à jamais !

Seigneur, tu as envoyé ton Verbe

nous visiter miséricordieusement ;

II s'est incarné en la Vierge,

pour nous sauver.

David le saint Chantre

a fait son éloge en ces termes :

      « Sa fondation sur les saintes montagnes,

      le Seigneur la chérit

      II aime les portes de Sion. »

Cette porte est la Vierge auguste

et sans souillure,

Marie, Mère de Dieu et reine véritable.

      Nous te bénissons, ô Vierge...

      par ton Enfant,

      le salut a été apporté

      à notre race ;

      en sa bonté

      Dieu nous a réconciliés avec lui.

Nous te louons Seigneur,

à cause de la Mère de l'Aimé

disant avec le Roi David

la louange prophétique :

      « Lève-toi, Seigneur, de ton repos,

      toi et l'arche de ta force. »

Gloire à Marie, pleine de grâce,

table de l'Esprit Saint,

qui guérit nos maladies

et donne la vie à nos âmes.

      Seigneur, Dieu clément,

      ami des hommes,

      aide-nous à dire

      avec Elisabeth :

« Tu es bénie entre les femmes

On parle de toi pour ta gloire,

cité de Dieu »,

en qui demeure le Seigneur, Mère de Dieu.

En toi, ô bénie et parfaite,

est venu le Seigneur ;

En sa grande miséricorde,

il est venu sauver le monde ;

      Louons et glorifions-le,

      exaltons-le chaque jour

      car il est bon

      et ami des hommes.

 

 

30 NOVEMBRE

 

Saint André, apôtre

 

 

Sermon de saint Basile de Séleucie, évêque

 

       Le grand Apôtre André est l'occasion de cette fête, mais l'honneur en rejaillit sur tout le chœur des Apôtres, Ceux que la grâce a unis, rien ne pourrait les séparer. Qui veut louer une couronne sertie de pierres précieuses, quelle que soit la pierre qu'il admire plus particulièrement, l'admire sur cette couronne et loue ainsi le joyau tout entier. De même, un sermon sur l'un des Apôtres les concerne tous, selon la parole du divin Paul : « Si un membre se réjouit, tous les membres se réjouissent avec lui. » Et quels sont les membres que la nature a unis avec autant de force que la grâce du Saint-Esprit l'a fait pour les Apôtres ? Chantons-les donc tous ensemble et chacun. Unique en vérité est la grâce qui a rassemblé les Apôtres au service du Seigneur.

       André, ainsi nommé de la force apostolique, le premier s'est inscrit à l'école du Seigneur, principe du chœur des Apôtres. Son regard sut découvrir la présence du Seigneur et il quitta l'enseignement de Jean pour se mettre à l'école du Christ. Il est le sceau des paroles du Baptiste. A l'éclat de cette lampe, il a cherché la vraie lumière. Poussé par les paroles de son maître, André court à celui qu'il annonçait, entraînant avec lui Jean l’Évangéliste. Tous deux, ayant laissé la lampe, courent vers le soleil. André est le premier plant apostolique.

       Le premier, il a entendu Moïse honorer le Christ, puisque le premier il a compris celui que Moïse prédisait par ces mots : « Le Seigneur suscitera parmi vos frères un Prophète comme moi, écoutez-le. » II laissa la Loi pour obéir à la Loi. Il entend Moïse dire : « Écoutez-le » ; il entend Jean qui crie : « Voici l'Agneau de Dieu. »

       Lorsqu'il reconnaît le Prophète annoncé, il conduit à lui son frère, pour qu'il le cherche ; à Pierre qui l'ignore, il montre le trésor : « Nous avons trouvé le Messie que nous désirions. Celui dont nous avions désiré la venue, goûtons-en maintenant la présence. » II est allé trouver Simon son frère et partage avec lui son trésor. André n'est pas encore Apôtre, et il conduit déjà au Christ. Il conduit Pierre au Seigneur. Il conduit au Seigneur celui auquel l'unissent les liens du sang pour partager aussi avec lui l'enseignement du Maître. Ce fut le premier miracle d'André. Il augmente le nombre des disciples, il amène Pierre afin que le Christ leur trouve un coryphée. Ainsi Pierre et André se rendent des louanges.

Plus tard, quand le Sauveur laissant les cités traversait le désert, des foules le suivaient, ne supportant pas, même pour un peu de temps, d'être séparées de lui. Le lieu était désert, le pain manquait, on avait faim. Le Sauveur renouvelle alors le miracle du désert, et le désert est témoin des miracles d'autrefois. Ce fut André qui, montrant au Seigneur la pauvreté de ceux qui étaient là, lui donna sans le savoir l'occasion du miracle. Et la confession de la misère fut la cause de l'abondance des biens.

       Après la mort du Seigneur, les Apôtres se partagèrent la terre et, s'étant séparés, partirent chacun de son côté annoncer l'Évangile. André, après avoir rempli de grâce les terres de Grèce et des Barbares et ramené des nations à la foi, fut envoyé en Achaïe, région d'une incrédulité tenace. Après avoir amené beaucoup d'hommes à la foi, pour la foi il est condamné à la croix. Il imite le Seigneur dans sa mort afin de montrer dans la communion à sa Passion la passion de son amour. André est suspendu à la croix, de la croix prêchant le crucifié, par ses clous confirmant la vérité des clous, par sa passion témoin de la Passion. Par sa passion il montre la force de sa prédication. Ceux que sa parole n'avait pas attirés, son martyre les prend comme dans un filet. Entre ciel et terre il regarde son troupeau.

       Vous qui enseignez le mystère du salut, vous qui voulez acquérir le Royaume des Cieux, vous vous êtes rassemblés autour de celui que le ciel admire. Écoutez le Christ qui vous dit par la bouche de Paul : « Si nous mourons avec lui, avec lui nous régnerons. » A lui la gloire pour les siècles des siècles.

 

 

8 DÉCEMBRE

 

Immaculée Conception de la Vierge Marie

 

 

Sermon de saint Jean Damascène, prêtre

 

       Aujourd'hui ont soufflé les brises annonciatrices de la joie universelle. « Joie au ciel, exulte la terre... » Que la nature bondisse de joie : l'agnelle vient au monde, par laquelle le pasteur revêtira la brebis et déchirera les tuniques de l'antique mortalité ! D'elle sortira le roi de gloire. Revêtu de la pourpre de sa chair, il visitera les captifs et proclamera la délivrance... « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, le Seigneur Dieu qui nous est apparu. » Célébrons une fête pour la Mère de Dieu.

Réjouis-toi, Anne, stérile qui n'enfantais pas, éclate en cris de joie et d'allégresse, toi qui n'as pas eu les douleurs.

       Réjouis-toi Joachim : de ta fille un enfant nous est né, un fils nous est donné, et on lui donnera ce nom : « Ange du Grand Conseil », c'est-à-dire du salut de l'univers, « Dieu-fort ».

       L'enfant est Dieu, comment donc ne serait-elle pas de Dieu celle qui le met au monde ? « Si quelqu'un ne reconnaît pas pour Mère de Dieu la sainte Vierge, il est séparé de la divinité. » Le mot n'est pas de moi, et, cependant, il m'appartient : je l'ai reçu comme un précieux héritage théologique de mon Père, Grégoire le Théologien. Aujourd'hui est pour le monde le commencement du salut. Car dans le troupeau du Seigneur naît une Mère de Dieu, de qui a bien voulu naître l'Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde.

       Aujourd'hui, le Créateur de toutes choses, Dieu le Verbe, a composé un nouveau chant, jailli du cœur du Père pour être écrit comme avec un roseau par l'Esprit qui est la langue de Dieu.

       Fille digne de Dieu, beauté de la nature humaine, réhabilitation d'Eve notre première mère. Fille toujours vierge qui put concevoir sans intervention humaine, car celui que tu ais conçu a un Père éternel. Fille de la race des hommes qui portas le Créateur dans tes bras...

       Réellement, tu es plus précieuse que toute la Création, car de toi seule le Créateur a reçu en partage les prémices de notre humanité. Sa chair fut faite de ta chair, son sang de ton sang ; Dieu s'est nourri de ton lait, tes lèvres ont touché les lèvres de Dieu. Dans la prescience de ta dignité, le Dieu de l'univers t'a aimée ; comme il t'aimait il te prédestina, et dans les derniers temps il t'appela à l'existence et t'établit mère pour enfanter un Dieu et nourrir son propre Fils et son Verbe. Par tout ton être tu es la chambre nuptiale de l'Esprit, la cité du Dieu vivant que réjouissent les torrents du fleuve qui sont les flots des charismes de l'Esprit, toute belle, toute proche de Dieu.

       Que Salomon le très sage se taise et qu'il ne dise plus « rien de nouveau sous le soleil » ! Vierge pleine de la grâce divine, temple saint de Dieu que le Salomon véritable, le prince de la paix, a construit et habite ; l'or et les pierres mortes ne sont pas ta parure, mais mieux que l'or, l'Esprit fait ta splendeur. Pour pierreries tu as la perle toute précieuse, le Christ, la braise de la divinité. Supplie-le de toucher nos lèvres, afin que, purifiés, nous le chantions avec le Père et l'Esprit en nous écriant : « Saint ! Saint ! Saint le Seigneur, Dieu de l'univers, nature unique de la divinité en trois Personnes. »

       Saint est Dieu le Père qui a bien voulu qu'en toi s'accomplît le mystère qu'il avait  prédéterminé avant les siècles.

       Saint fort est le Fils de Dieu et Dieu le Monogène qui te fait naître afin qu'il naisse de toi, Fils unique d'une Vierge Mère, premier-né d'une multitude de frères, semblable à nous et participant par toi à notre chair et à notre sang.

       Saint immortel, l'Esprit de toute sainteté qui par la rosée de sa divinité t'a gardée indemne du feu divin, ce que signifiait par avance le buisson de Moïse. Amen ! Amen !

       Salut, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi, tu es bénie entre les femmes et béni le fruit de ton sein, Jésus-Christ, le Fils de Dieu. A lui la gloire pour les siècles des siècles.

 

 

26 DÉCEMBRE

 

Saint Étienne, premier martyr

 

 

Sermon du bienheureux Aelred de Rievaulx, abbé

 

       Nous avons encore dans nos bras le Fils de la Vierge... l'étoile brille, le mage adore, le ciel exulte et la terre bondit de joie, les anges chantent la gloire et les bergers se réjouissent, la Vierge enfante, Dieu naît, les astres du ciel par leur éclat plus pur honorent la lumière qui s'est levée dans les ténèbres. Tournons-nous vers ces biens : Heureux l'homme qui comble avec eux son désir. Douce est à notre cœur cette parole : « Au commencement était le Verbe » ; plus douce : « Le Verbe s'est fait chair » ; mais plus doux encore à nos yeux le Verbe suspendu à la croix. D'une telle naissance quel fou détournerait les yeux ?

       Or, tandis que nous sommes étonnés et attentifs à de telles merveilles, Étienne, plein de grâce et de vérité, accomplit signes et prodiges dans le peuple. Est-il indifférent de s'éloigner du roi pour jeter les yeux sur le soldat ? Non, mais le roi nous y invite. Le Fils du roi se lève lui-même et assiste dans la douleur de son cœur au combat du triomphateur. Courons au spectacle auquel accourt celui qui est sorti comme un époux de la chambre nuptiale et voyons avec quelles armes ce porte-étendard des martyrs, Étienne, est descendu dans l'arène. Et pour mieux comprendre la grandeur de ce martyr, rappelons-nous le texte des Actes des Apôtres.

       Étienne, plein de grâce et de puissance, accomplissait de grands signes et prodiges dans le peuple. Ces mots cachent un grand mystère... L'Ange envoyé à la Vierge la salue d'une parole nouvelle dont l'auteur est l'Esprit de Dieu. Dans ce salut est scellé ce sacrement unique : l'union du Verbe et de l'homme, de la divinité et de la chair. « Salut, dit Gabriel, pleine de grâce. »

       Voyons maintenant Étienne : « Étienne, plein de grâce et de puissance... » Vous voyez que Luc utilise presque les mêmes mots à leur propos. Même si elle se trouve de manière plus haute dans la Vierge, la grâce est louée aussi, quoique moindre, chez le martyr.

       Étienne, revêtu de grâce, et protégé par le bouclier de la puissance, accomplissait de grands signes et prodiges dans le peuple. « Alors certains se levèrent dans la synagogue... », poursuit l'Écriture, mais la voix de l'homme libre se lève et, à partir de leurs livres, il leur présente la parole de vérité. L'Esprit de Dieu s'empare du martyr et parle par sa voix.

       Et tandis qu'il se tenait au milieu d'eux, son visage paraissait celui d'un ange. Il regarde le ciel, mais ne voit plus le ciel : « II voit les cieux ouverts et Jésus se tenant à la droite de la puissance de Dieu. » Le Seigneur Dieu est vu à la droite de la puissance de Dieu, de peur qu'on ne pense qu'il soit inférieur au Père. Il se tient debout avec celui qui est debout, il combat avec celui qui combat, parce qu'il est lapidé en celui qu'on lapide. Ils lapidaient en effet Étienne qui invoquait Dieu et disait : « Seigneur Jésus, reçois mon esprit. » II revendique à bon droit la première place parmi les martyrs celui qui exprime de manière si admirable la ressemblance avec le Seigneur pendu à la croix. « Et il cria d'une voix forte : " Seigneur ne leur impute pas cela comme un péché. " Grand est son cri, car grand est son amour. Et sur ces mots, il s'endormit dans le Seigneur. Heureux sommeil dans le repos, repos dans la joie, joie dans la satiété, satiété dans la paix, paix sans déclin. » II s'endort dans le Seigneur, absorbé dans un abîme de lumière et repose entre les bras de Dieu.

 

 

27 DÉCEMBRE

 

Saint Jean, apôtre et évangéliste

 

 

Sermon de saint Pierre Damien, évêque

 

       II est juste et bon que celui qui a été aimé du Christ plus que tous les mortels soit l'objet d'un amour tout particulier de la part des amis du Christ, d'autant que Jean a montré pour nous tant d'amour qu'il nous a ouvert les trésors des sacrements divins et qu'il a partagé avec nous largement et fidèlement les richesses de la vie éternelle qu'il avait reçues lui-même : A lui, en effet, ont été données par Dieu les clefs de la sagesse et de la science. Que peux-tu chercher de la sagesse divine que tu ne saurais trouver chez Jean ? Il est Apôtre dans ses épîtres, Évangéliste par son Évangile, Prophète dans l'Apocalypse. Prophète, dis-je et pas n'importe lequel, mais un Prophète merveilleux et, à l'image de l'autre Jean, plus qu'un Prophète.

       L'esprit de Jean illuminé par Dieu conçut la hauteur suréminente de la sagesse divine lorsque dans le très saint repas de la Cène il reposa sur la poitrine du Rédempteur. Et parce que dans le cœur de Jésus sont tous les trésors de la sagesse et de la science, c'est là qu'il puisa et de là qu'il enrichit largement notre misère de pauvres et distribua largement ces biens pris à leur source pour le salut du monde entier. Et parce que ce bienheureux Jean parle de Dieu d'une manière merveilleuse qui ne saurait être comparée à aucune autre chez les mortels, c'est à bon droit que les Grecs aussi bien que les Latins lui ont donné le nom de Théologien. « Theotokos » Marie parce qu'elle a enfanté Dieu en vérité, « Theologos » Jean parce qu'il a vu d'une manière qui ne saurait être décrite que le Verbe de Dieu était avant les siècles auprès du Père et qu'il était Dieu et qu'il l'a aussi raconté avec une profondeur étonnante.

       Jean, de bien des manières, peut être comparé à Pierre. Le Seigneur interroge les disciples pour savoir quelle opinion les hommes se faisaient de lui et ceux-ci de répondre aussitôt : « Les uns disent que tu es Jean Baptiste, d'autres Élie, Jérémie ou un autre prophète. » II vient à Pierre et le premier des Apôtres les précède dans la vérité de sa confession : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. » De même, c'est dans l'Église remplie de troubles que Jean, comme le rapportent les historiens, sollicité par l'amour de presque toute l'Église universelle, proclama sous l'inspiration de Dieu : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était auprès de Dieu et le Verbe était Dieu. »

 

 

28 DÉCEMBRE

 

Les saints Innocents

 

 

Sermon de saint Pierre Chrysologue, évêque

 

       « Hérode envoya tuer tous les enfants de Bethléem et de tout son territoire depuis l'âge de deux ans et au-dessous. » Ainsi reçurent la mort ceux qui n'avaient pas encore appris à vivre. Le roi est né, le roi du ciel ; pourquoi abandonne-t-il ses soldats, innocents comme lui, pourquoi méprise-t-il cette garde postée autour de son berceau, au point que l'ennemi qui le cherche, et lui seul, se rabatte sur son    armée ? N'allez pas croire, frères, que le Christ ait abandonné ses soldats, il les a poussés en avant ; il leur a donné de triompher avant de vivre, il leur a fait obtenir la victoire sans qu'ils aient à combattre ; il leur a donné la couronne de la victoire avant de leur donner des membres... Il ne les a pas oubliés : il a fait passer devant lui ses jeunes témoins ; il a accueilli ses armées, il ne les a pas abandonnées.

       Ils sont vivants, ils sont vivants, ils vivent vraiment ceux qui, pour le Christ, ont mérité la mort. Bienheureux le sein qui les a portés, bienheureuses les larmes qui ont apporté à celles qui les versaient la grâce du baptême : par un unique don de la grâce, les mères ont été baptisées dans leurs larmes et les fils dans leur sang. Dans le martyre de leurs fils, les mères ont souffert la Passion, l'épée qui tuait les enfants pénétrait jusqu'au cœur de leur mère. Il faut donc bien qu'elles partagent la gloire, celles qui ont partagé la Passion ; celles qui ont versé les larmes du martyre, connaîtront aussi la joie du martyre.

       Ici que celui qui m'écoute soit bien attentif, qu'il soit attentif et qu'il comprenne bien que ce n'est pas le mérite qui fait le martyr, mais la grâce. Dans ces petits, où est la volonté, où est le choix ? alors que la nature elle-même n'est pas développée. Dans le martyre, nous devons tout à Dieu et rien à nous-mêmes. Vaincre le diable, livrer son corps, mépriser la douleur et supporter les tourments, lasser les bourreaux, trouver sa gloire dans les injures, trouver la vie dans la mort, tout cela ne relève pas de la force de l'homme mais c'est un don de Dieu. Celui qui court au martyre avec ses seules forces n'obtient pas du Christ la couronne du martyre. Or, c'est lui seul qui nous conduit aux pâturages du ciel, lui qui, pour nous, a daigné naître dans une étable, Jésus-Christ le Nazaréen, notre Seigneur.

 

Dédicace de l'église locale

 

(ou le 22 octobre)

 

 

Sermon de saint Bernard, abbé

 

       Aujourd'hui, frères, nous sommes en fête ! Et quelle fête. C'est la fête de la maison du Seigneur, du Temple de Dieu, de la cité du grand roi, de l'Epouse du Christ. Qui oserait douter de la sainteté de la maison de Dieu dont il est dit : « La sainteté s'attache à ta maison. » Les psaumes disent encore : « Ton Temple est saint dans la merveille de sa justice », et Jean témoigne qu'il a vu la Cité sainte, la Jérusalem nouvelle qui descendait du ciel d'auprès de Dieu, belle comme une épouse parée pour son époux. Cherchons ce temple, cherchons cette cité, cherchons l'épouse. Je le dis avec crainte et tremblement : C'est nous. C'est nous, dis-je, mais dans le cœur de Dieu. C'est nous parce qu'il nous en rend dignes et non pas parce que nous le serions par nous-mêmes. Homme ! Lis dans ton cœur, et à cette lumière tu te croiras indigne. Lis maintenant dans le cœur de Dieu l'Alliance qui fut scellée dans le sang du médiateur et tu verras que tu peux espérer bien plus de choses que tu n'en possèdes.

       Comme le prophète nous l'a rappelé, « la sainteté convient à ta maison ». Et l'Apôtre dit : « Ne savez-vous pas que vos corps sont le Temple du Saint-Esprit et que le Saint-Esprit habite en vous ? Si quelqu'un détruit le Temple de Dieu, Dieu le détruira. » Cependant, cette sanctification suffit-elle ? La paix elle aussi est nécessaire, selon le témoignage de l'Apôtre qui dit : « Recherchez la paix avec tous, et la sanctification sans laquelle personne ne verra le Seigneur. » C'est cette paix qui nous fait habiter en frères tous ensemble, unanimes et qui construit cette cité nouvelle pour notre roi, le Prince de la paix, cité dont le nom est Jérusalem, c'est-à-dire vision de paix. Une multitude sans alliance, sans loi, sans discipline, sans gouvernement et sans chef est une foule, mais ce n'est pas un peuple, c'est Babylone qu'elle figure, elle n'a rien de Jérusalem. Et comment est-il possible que le roi devienne l'Époux et la Cité son Épouse ? Seule le peut celle qui peut tout : la charité forte comme la mort. La charité qui fit descendre l'Époux sur la terre peut facilement élever l'Épouse jusqu'aux cieux.

       C'est pourquoi, frères, si par l'abondance de la bénédiction, nous montrons que nous sommes la maison du Père de famille, par la sanctification, que nous sommes le Temple de Dieu, par la communion d'une vraie vie fraternelle, que nous sommes la Cité du Grand Roi, par l'amour, que nous sommes l'Épouse de l'Époux immortel, alors je n'ai aucune crainte de dire que c'est aujourd'hui notre fête. Ne vous étonnez pas que cette fête se passe sur la terre, c'est la fête aussi dans les deux. S'il y a de la joie au ciel parmi les anges de Dieu pour un seul pécheur qui fait pénitence, il n'est pas douteux que leur joie déborde aujourd'hui pour tant de pécheurs qui font pénitence. Voulez-vous en savoir davantage encore : « La joie du Seigneur est notre rempart. » Soyons en fête avec les anges, réjouissons-nous avec Dieu. Que cette fête se passe dans l'action de grâces et avec d'autant plus de ferveur que c'est la fête de notre maison.

 

Dédicace de l'église cathédrale

 

 

Sermon de saint Augustin, évêque

 

       La fête qui nous rassemble est la dédicace d'une maison de prière. Ce temple est donc la maison de nos prières, mais la maison de Dieu c'est nous. Or, si nous sommes la maison de Dieu, nous devons construire cette maison durant cette vie, pour en faire la dédicace à la fin du siècle présent. L'édifice, ou plutôt la construction de l'édifice, exige des fatigues, la dédicace n'amène avec elle que de la joie. Ce qui s'est fait lorsque les murs s'élevaient se reproduit lorsque sont rassemblés ceux qui croient au Christ. En croyant, ils sont comme des arbres coupés dans les forêts, comme des pierres taillées dans le flanc des montagnes, et lorsqu'ils sont instruits, baptisés, formés à la vie chrétienne, ils sont comme taillés, façonnés, aplanis entre les mains des ouvriers et des artisans. Ils ne deviennent toutefois la maison de Dieu que lorsqu'ils sont étroitement unis par la charité. Si ces bois, si ces pierres n'étaient joints entre eux dans un ordre déterminé, s'ils n'étaient comme liés, enchaînés dans un parfait accord et ne semblaient unis par une espèce d'amour, personne ne pourrait entrer ici. Lorsque, dans une maison, tu vois les pierres et le bois parfaitement liés entre eux, tu entres sans peur et tu ne crains pas que l'édifice s'écroule. Le Seigneur Christ, voulant entrer en nous et y habiter, commence par construire l'édifice en disant : « Je vous donne un commandement nouveau, c'est de vous aimer les uns les   autres. »

       Je vous donne un commandement nouveau... Vous étiez comme une maison en ruine, vous ne songiez pas à m'élever une demeure, vous restiez comme ensevelis sous vos ruines. Si vous voulez sortir de vos ruines, aimez- vous les uns les autres. Considérez, frères très chers, que cette maison, selon qu'il a été prédit et promis, se construit dans tout l'univers. Lorsque après la captivité on rebâtissait le Temple, le peuple s'écriait, comme nous le trouvons dans un autre psaume : « Chantez au Seigneur un cantique nouveau, chantez au Seigneur toute la terre ! » Ce que le Seigneur appelle là « cantique nouveau », il le dit ici « commandement nouveau ». Qu'a de neuf, en effet, ce cantique nouveau, sinon un nouvel amour. Chanter est le propre de celui qui aime. Et la voix de celui qui chante ce cantique est la ferveur d'un amour saint.

       Nous chantons dans les psaumes : « Une chose qu'au Seigneur je demande, la chose que je cherche, c'est d'habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, de contempler la douceur du Seigneur et d'être protégé, moi, son Temple. » II habite dans les siens, ils sont sa demeure. En effet, ceux qui habitent la maison du Seigneur sont eux-mêmes la maison du Seigneur, maison qui contemple sa douceur, qu'il protège comme son Temple et qu'il cache au secret de sa face. Telle est maintenant notre espérance, mais nous ne possédons pas encore la réalité : « Or, si nous espérons ce que nous ne voyons point, nous l'attendons par la patience » et par la patience nous devenons la maison du Seigneur. Courage donc, mes frères : « Si vous êtes ressuscites avec le Christ, recherchez les choses d'en haut où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu, ayez le goût des choses d'en haut, non de celles de la terre. » C'est dans les cieux que Jésus-Christ, notre fondement, a été placé pour nous engager à construire dans cette direction notre demeure. Dans les constructions terrestres, dont les matériaux tendent toujours à descendre, nous posons les fondations dans le bas. Pour nous, au contraire, la pierre fondamentale est placée dans le haut pour nous attirer par le poids de la charité.

       Et soyez vous-mêmes établis sur lui comme des pierres vivantes pour devenir le Temple de Dieu. Soyez comme des bois incorruptibles pour former en vous-mêmes la maison de Dieu. Il faut, pour ainsi dire, vous équarrir, vous polir dans les travaux, les privations et les veilles, par une vie laborieuse ; soyez prêts pour toute œuvre bonne afin de jouir dans la vie éternelle du repos dans la communion avec les anges des cieux.