CHAPITRE IX *

Vv. 1-7. *

Vv. 8-12. *

Vv. 13-28. *

Vv. 29-36. *

Vv. 37-42. *

Vv. 42-49. *

CHAPITRE X *

Vv. 1-12. *

Vv. 13-16. *

Vv. 17-27. *

Vv. 28-31. *

Vv. 32-34. *

Vv. 35-40. *

Vv. 41-45. *

Vv. 46-52. *

CHAPITRE XI *

Vv. 1-11. *

Vv. 12-14. *

Vv. 15-19. *

Vv. 20-26. *

Vv. 27-33. *

CHAPITRE XII *

Vv. 1-12. *

Vv. 13-17. *

Vv. 18-27. *

Vv. 28-34. *

Vv. 35-37. *

Vv. 38-40. *

Vv. 41-44. *

CHAPITRE XIII *

Vv. 1-3. *

Vv. 3-8. *

Vv. 9-13. *

Vv. 14-20. *

Vv. 21-27. *

Vv. 28-31. *

Vv. 32-37. *

CHAPITRE XIV *

Vv. 1-2. *

Vv. 3-9. *

Vv. 10-11. *

Vv. 12-16. *

Vv. 17-2I. *

Vv. 22-25. *

Vv. 26-31. *

Vv. 32-42. *

Vv. 43-52. *

Vv. 53-60. *

Vv. 61-65. *

Vv. 66-72. *

CHAPITRE XV *

Vv. 1-5. *

Vv. 6-15. *

Vv. 16-20. *

Vv. 21-28. *

Vv. 29-32. *

Vv. 33-38. *

Vv. 39-41. *

Vv. 42-47. *

CHAPITRE XVI *

Vv. 1-8. *

Vv. 9-13. *

Vv. 14-18. *

Vv. 19-20. *

CHAPITRE IX

 

Vv. 1-7.

S. jer. Après avoir confirmé le grand mystère de la croix, Jésus révèle la gloire de la résurrection, afin que, témoins de l'état triomphant de sa résurrection future, ses Apôtres fussent à l'épreuve des opprobres de la croix. " Et six jours après, " etc. — S. chrys. Saint Luc, en disant : " Huit jours après, " n'est point en contradiction avec, saint Marc ; car il comprend dans ces huit jours celui où si-lit cette prédiction et celui où elle s'accomplit. Or, pourquoi le Sauveur laissa-t-il s'écouler un intervalle de six jours ? C'était afin que dans cet intervalle le désir des Apôtres devînt plus vif et leur inspirai une vigilance et une attention plus grande pour les grandes choses qu'ils allaient contempler. — théophyl. Le Sauveur prend avec lui les trois têtes du collège apostolique : Pierre, qui a proclamé la divinité de Jésus et qui brûle d'amour pour lui ; Jean, le disciple bion-aimé ; enfin Jacques, le prédicateur courageux et le théologien que sa sainteté rendait tellement odieux aux Juifs qu'Hérode le fit mourir pour leur être agréable.

S. chrys. Ce n'est pas dans une maison que Jésus révèle sa gloire à ses disciples ; il les conduit sur une haute montagne qui, par son élévation, était le symbole de la sublimité de la grandeur qu'il allait manifester. — tiiéophyl. Jésus-Christ les conduit à l'écart, parce qu'il allait leur révéler des vérités mystérieuses. Le mot transfiguration ne signifie pas que les traits de sa figure furent modifiés ; son visage resta le même, mais resplendit d'une lumière que la parole humaine ne peut exprimer. — S. chrys. Qu'on ne s'imagine donc pas voir un jour dans le ciel, soit dans la personne du Sauveur, soit dans celle des saints qui partageront l'éclat de sa gloire une transformation quelconque dans les traits du visage ; une clarté resplendissante viendra simplement s'ajouter à leur nature. — bède. Le Sauveur, dans sa transfiguration, n'a rien perdu de sa nature corporelle ; il nous a seulement découvert quelle sera la gloire que la résurrection devait communiquer, soit à son corps, soit aux nôtres. Après le jugement, tous les élus le verront tel qu'il a apparu à ses Apôtres sur le Thabor.

" Ses vêtements devinrent éclatants, " etc.— S. grég. (Moral., 22, 7.) C'est-à-dire que les justes qui auront brillé sur la terre de l’éclat d'une vie sainte seront unis intimement au Sauveur dans la clarté immortelle du ciel ; car les vêtements figurent ici les justes que Jésus s'est attaché.

" Elie leur apparut avec Moïse. " — S. chrys. (hom. 57 sur S. Matth.) Notre-Seigneur fait paraître Moïse et Elie, pour plusieurs raisons. L'opinion du peuple était que Jésus était Elie ou un des prophètes. Le Sauveur se montre à ses Apôtres conjointement avec Moïse et Elie pour leur apprendre la différence qui sépare le Maître de ses serviteurs. — Les Juifs avaient reproché à Jésus-Christ de violer la loi : ils l'avaient traité de blasphémateur, s'attribuant la gloire de Dieu son Père ; il fait paraître deux hommes célèbres par des vertus opposées à ces deux crimes : Moïse, qui a donné la loi ; Elie, qui a été l'Apôtre zélé de la gloire de Dieu, et la présence de ces deux hommes prouve que Jésus ne s'est rendu coupable ni contre Dieu, ni contre la Loi. — Moïse, qui a subi la mort, Elie qui en a été préserve jusqu'alors, déclarent en se rendant à l'appel du Sauveur qu'il est le Maître de la vie et de la mort. Leur présence signifie encore que l'enseignement des prophètes a été l'introduction à la doctrine de Jésus-Christ. Enfin elle met en évidence l'union des deux Testaments, ci montre comment, lors de la résurrection générale, les Apôtres se joindront aux prophètes et s'avanceront d'un commun accord au-devant de leur commun Maître.

" Et Pierre dit à Jésus : Maître, il fait bon pour nous d'être ici," etc. BEDE. L'humanité transfigurée de Jésus et la présence de deux saints pendant un instant seulement a tant de charmes que Pierre s'efforce par ses prières d'obtenir la prolongation de ce bonheur ; que sera donc la félicité du ciel, où nous contemplerons la Divinité elle-même au milieu des chœurs angéliques. " Car il ne comprenait point ce qu'il disait. " Quoique Pierre, plongé dans un étonnement qu'explique la faiblesse de la nature humaine, ne sache pas ce qu'il dit, ses paroles ne laissent pas de manifester les sentiments de son âme : Car s'il ne comprend point ce qu'il dit, c'est parce qu'il oublie que le royaume que Dieu a promis à ses saints n'est point sur la terre, mais dans le ciel ; c'est qu'il ne s'est point rappelé que tant qu'ils seront enveloppés d'un corps mortel, ni lui ni les autres Apôtres ne pourront entrer en participation de cette vie immortelle ; c'est qu'il a oublié enfin que dans la maison du Père céleste toute construction humaine est inutile. Ajoutons qu'aujourd'hui encore ce serait une folie de prétendre faire une distinction entre la loi, les prophètes et l'Evangile, puisque ces trois objets forment un tout indivisible.

S. chrys. Pierre ne comprenait pas non plus que la transfiguration n'avait pour objet que de donner à ceux qui en étaient les témoins une preuve de la véritable gloire du ciel ; que Moïse n'était point présent en corps et en urne ; que ce qui se passait là était une leçon donnée aux chrétiens qui devaient un jour s'éloigner du monde et habiter dans le désert. " La frayeur les avait jetés hors d'eux-mêmes. " — S. chrys. Cette frayeur avait fait sortir leur âme de son état ordinaire pour l'élever dans une région supérieure ; ils voyaient de leurs yeux Moïse et Elie, mais en même temps leur âme, comme soustraite par la contemplation aux impressions des sens, était tout absorbée par un sentiment tout céleste.

thêophyl. Ou bien Pierre craint de descendre de la montagne, parce que le temps approchait où Jésus-Christ devait être crucifié, et il lui dit : " II nous est bon de demeurer ici, " dit-il, et de ne point nous aller mêler de nouveau à ce peuple. Si sa fureur contre votre personne les fait monter ici, nous comptons sur la puissance de Moïse lui a triomphé des Egyptiens, et sur celle d'Elie qui à sa parole a vu le feu descendre du ciel et consumer cinquante hommes. — orig. (Traité. sur S. Matth.) C'est de lui-même que saint Marc dit : " Pierre ne comprenait point ce qu'il disait. " Ces paroles signifient que dans l'égarement où se trouvait son esprit, Pierre était sans doute poussé par un esprit étranger, peut-être par cet esprit môme qui fit de lui un objet de scandale pour Jésus-Christ, lorsqu'il entreprit de détourner son divin Maître de souffrir la mort qui devait sauver le monde ; cet esprit séducteur veut encore ici, sous l'apparence du bien, détourner Jésus-Christ d'avoir compassion de la misère dus hommes, de venir à eux et de mourir pour les sauver.

bede. Pierre avait demandé une tente matérielle ; Dieu lui donne pour abri un nuage, il lui apprend ainsi qu'après la résurrection les élus sont abrités sous les rayons glorieux de l'Esprit saint, et non plus sous le toit d'une habitation faite par la main des hommes. " Et il survint une nuée qui les couvrit. " Ils ont fait une demande indiscrète, et ils ne méritent pas que le Sauveur leur réponde ; c'est Dieu le Père, qui répond à la place de son Fils : " Une voix sortit de la nuée, et fit entendre ces paroles : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, " etc. — S. chrys. (hom. 57 sur S. Matth.) C'est afin de bien persuader aux Apôtres que cette voix venait de Dieu lui-même, qu'elle sort d'une nuée dans laquelle Dieu avait coutume d'apparaître. Ces paroles : " Voici mon Fils bien-aimé, " attestent que le Père et le Fils ont une même volonté, et que, sauf la filiation, le Fils ne fait qu'un avec le Père qui l'a engendré. — bede. Ce grand prophète qui, d'après la parole de Moïse (Dt 18), doit venir au monde, et dont l'enseignement doit être écouté par tout homme qui veut être sauvé, c'est lui qui est venu, revêtu de notre chair et dont Dieu le Père recommande à ses disciples d'écouter la doctrine : " Et aussitôt, regardant autour d'eux, ils ne virent plus personne. " Le Fils vient d'être révélé, les serviteurs disparaissent aussitôt, afin que la parole du Père ne parût point s'adresser à eux (Ex 13, 21 ; 16, 10 ; 19, 9 ; 34, 9 ; 40, 32 ; Lv 16, 2 ; Nb 11, 25 ; 12, 5 ; Dt 31, 15).

théophyl. Dans le sens mystique, après la consommation de ce inonde qui a été fait en six jours, Jésus, si nous sommes ses disciples, nous transportera sur une montagne élevée, c'est-à-dire dans le ciel, et là nous jouirons de la magnificence de sa gloire divine. — bède. Les vêtements du Seigneur, ce sont les saints qui, au ciel, brilleront d'un éclat tout nouveau. Le foulon, c'est celui à qui le Psalmiste adresse cette prière : " Lavez-moi de plus en plus clé mon iniquité, et purifiez-moi de mon péché ; " (Ps 1) car Dieu ne peut donner à ses fidèles sur la terre l'éclat qu'il leur réserve dans le ciel. — remi. (sur S. Matth.) Ou bien par le foulon, nous pouvons entendre les saints prédicateurs et ceux qui purifient les âmes sur la terre ; aucun d'eux ne peut vivre si saintement que la pureté de son âme ne soit ternie par quelque tache ; mais après la résurrection, ils seront purifiés de toutes les souillures du péché. La grâce de Dieu les revêtira d'une sainteté que ni les rigueurs de la pénitence, ni les exemples, ni l'enseignement des prédicateurs ne pourraient leur donner.—S. chrys. Ou bien encore, ces vêtements blancs, ce sont les écrits des Evangélistes et des Apôtres, écrits plus lumineux que tous les écrits des hommes, dont les interprètes ne pourront jamais atteindre la clarté. — ORIG. (Traité 3 sur S. Matth.) Enfin, nous pouvons désigner sous le nom de foulons sur la terre les sages de ce monde qui embellissent de l'éclat de leur génie leurs honteuses inventions ou leurs dogmes menteurs ; mais jamais les ressources de leur art ne pourront réaliser une oeuvre égale à la parole qui enseigne aux ignorants la splendeur des pensées divines renfermées dans les Ecritures, qui sont méprisées pourtant d'un si grand nombre.

bede. La présence de Moïse et d'Elie, dont l'un a subi la mort (Dt 34) et l'autre a été transporté vivant dans le ciel (IV R 2) est le symbole de la gloire future de tous les saints. Le jour du jugement les trouvera ou vivants dans leurs corps, ou sur le point de sortir du tombeau où la mort les retenait depuis longtemps ; tous régneront avec Jésus-Christ. — théophyl. Ou bien leur présence signifie que dans la gloire céleste nous verrons la loi et les prophètes s'entretenant avec Jésus-Christ ; c'est-à-dire nous contemplerons la conformité des événements avec les prédictions inspirées par Jésus-Christ à Moïse et aux autres prophètes, et nous entendrons la voix du Père qui nous fera connaître son Fils en nous disant : " Celui-ci est mon Fils, " et en même temps une nuée lumineuse, c'est-à-dire l'Esprit saint, source de toute sagesse, nous couvrira de son ombre.

bede. Il est à remarquer que le mystère de la sainte Trinité qui avait d'abord été révélé au baptême de Nôtre-Seigneur dans le Jourdain, est ici proclamé de nouveau dans sa glorification sur le Thabor, Dieu nous apprend ainsi que nous verrons et que nous louerons après la résurrection la gloire que nous professons par la foi dans le baptême. Et ce n'est pas sans raison que l'Esprit saint, qui avait d'abord apparu sous la forme d'une colombe, manifeste ici sa présence dans une nuée éclatante ; il veut nous enseigner dans quelle éclatante lumière nous contemplerons l'objet de notre foi, si nous avons fidèlement pratiqué ses enseignements dans la simplicité de notre cœur. Pendant que la voix du Père céleste se faisait entendre sur son Fils, les disciples ne voient plus que Jésus seul, parce qu'en effet, lorsque Jésus se sera manifesté à ses élus, Dieu sera tout en tous, comme le dit saint Paul (1 Co 15) : " De même que le Fils ne fait qu'un avec le corps, Jésus-Christ brillera éternellement en tout, et ne fera plus qu'un avec ses saints.

 

Vv. 8-12.

orig. (sur S. Matth.) Après la manifestation du mystère de la gloire sur la montagne, alors que les disciples en descendent, Jésus leur recommande de ne publier sa transfiguration qu'après le triomphe île sa mort et de sa résurrection. " Comme les disciples descendaient de la montagne, Jésus leur défendit, " etc. — S. chrys. (hom. 57 sur S. Matth.) Le Sauveur ne se borne pas à leur ordonner le silence ; il leur fait entendre qu'il doit souffrir la mort et que tel est le motif du silence qu'il leur recommande. — théophyl. Les hommes se seraient scandalisés d'entendre raconter des choses si glorieuses de celui qu'ils devaient voir mourir sur une croix : il ne convenait donc pas de leur faire connaître avant sa passion la gloire qui devait la suivre ; après la résurrection au contraire, ce mystère n'avait plus rien d'incroyable pour eux. — S. CHRYS. Les Apôtres, qui ignoraient le mystère de la résurrection, conservèrent la parole qu'ils avaient entendue, et elle fut pour eux un objet de discussion : " Ils retinrent cette parole en eux-mêmes. " — S. jér. Cette observation, qui est personnelle à saint Marc, signifie que quand la mort aura été absorbée dans la victoire, tout ce qui aura précède sera mis en oubli (1 Co 15, 54 ; Is 65, 17 ; 25, 8 ; Ap 21, 4).

" Et ils demandèrent à Jésus : Que veulent donc dire, " etc. — S. chrys. Voici, ce me semble, l'intention des Apôtres, en faisant au Sauveur cette question : " Nous avons vu Elie avec vous, mais nous vous avons vu avant de voir Elie ; et cependant les scribes enseignent qu'Elie apparaîtra avant le Messie ; ils nous ont donc trompés. " — bede. Ou bien les Apôtres, regardant la transfiguration, dont ils viennent d'être les témoins sur la montagne, comme la transformation glorieuse de Jésus-Christ, ils lui disent : Si c'est ici votre avènement glorieux, comment no voyons-nous pas votre précurseur ? Elie, en effet, avait disparu. — S. chrys. (hom. 58 sur S. Matth.) Et Jésus répond à leur question dans les paroles suivantes : " Lorsque Elie viendra, " etc. Il leur apprend donc qu'Elie viendra avant le second avènement ; car les Ecritures distinguent deux avènements, l'un qui a déjà eu lieu, et l'autre qui doit s'accomplir plus tard. Or, le Sauveur déclare qu'Elie sera le précurseur de ce second avènement. — bède. Elie rétablira toutes choses, comme Malachie l'a annoncé (Ma 4) : " Je vous enverrai mon prophète Elie, qui réconciliera le cœur des pères avec leurs enfants, et le cœur des enfants avec leurs pères ; " il acquittera aussi envers la mort, la dette dont sa vie prolongée a différé le paiement. — THEOPHYL. Le Sauveur combat ici l'opinion des pharisiens, qui prétendaient qu'Elie était le précurseur du premier avènement, et il en fait voir les inconvénients : " Et comment il est écrit, " etc., c'est-à-dire, lorsque Elie de Thesbé viendra, il pacifiera les Juifs, et les amènera à la foi, et c'est ainsi qu'il sera le précurseur du second avènement. Mais s'il doit être le précurseur du premier avènement, comment expliquer ce que dit l'Ecriture, que le Fils de l'homme doit souffrir ? Car de deux choses l'une : ou Elie n'est pas le précurseur du premier avènement, elles Ecritures sont véridiques ; ou il l'est réellement, et les Ecritures ne disent pas la vérité, lorsqu'elles déclarent qu'il faut d'abord que le Christ souffre, puisqu'elles ajoutent qu'Elie doit tout rétablir, qu'il ne restera plus un seul Juif incrédule, que tous ceux qui l'entendront, ajouteront foi à sa prédication. — BÈDE. Ou bien, ces paroles de Jésus, " comment est-il écrit, " etc., signifient de même qu'il est écrit dans un grand nombre de prophéties, que le Christ doit souffrir, de même quand Elie viendra, il sera l'objet du mépris des impies qui lui feront souffrir mille outrages.

S. chrys. (hom. 58 sur S. Matth.) Le Sauveur vient d'affirmer qu'Elie serait le précurseur du dernier avènement ; il déclare en même temps que c'est Jean-Baptiste qui a été le précurseur du premier. " Mais je vous dis qu'Elie est déjà venu. " II donne à Jean le nom d'Elie, non qu'il eut été Elie en personne, mais parce qu'il avait rempli le ministère d'Elie et qu'il avait été le précurseur du premier avènement, comme Elie le sera du second. — théophyl. Jean avait été comme Elie, un censeur sévère, et, plein de zèle, un ami de la solitude ; mais les Juifs ont été moins dociles à sa parole qu'ils ne le seront à celle d'Elie ; ils l'ont mis à mort au milieu d'une fête criminelle, eu lui tranchant la tête, " ils lui ont fait tout ce qu'ils ont voulu. " — S. chrys. Ou bien encore, ce sont les disciples qui demandent à Jésus le sens de cette parole de l'Ecriture, que le Fils de l'homme doit souffrir; " et Jésus leur répond : Jean est venu pour remplir un ministère semblable à celui d'Elie, et comme Elie, les Juifs l'ont maltraité ; de même le Fils de l'homme doit souffrir, comme les Ecritures l'ont prédit. "

 

Vv. 13-28.

théophyl. Après avoir manifesté sa gloire à trois de ses disciples, Jésus-Christ vient retrouver les autres qui n'étaient point montés avec lui sur le Thabor ; " lorsqu'il fut retourné auprès de ses autres disciples, il les vit environnés d'une foule nombreuse. " Les pharisiens s'étaient empressés de profiter de la courte absence du Sauveur, pour aborder les disciples et essayer de les attirer à eux. — S. jér. Il n'y a point de repos pour l'homme sous le soleil (Qo 8, 23) ; les âmes basses sont victimes de leur jalousie (Jb 5, 2) ; les hautes montagnes sont frappées par la foudre ; l'assemblée des fidèles se compose, et de ceux qui, comme te peuple, recueillent avec foi l'enseignement, et de ceux qui, comme les scribes, sont pleins d'une orgueilleuse envie.

" Et le peuple, à la vue de Jésus, fut saisi d'étonnement, " etc. — bède. Remarquons, que dans toutes les circonstances, les sentiments du peuple sont bien différents de ceux des scribes. Chez ces derniers, nous ne voyons aucun témoignage de piété, de foi, d'humilité, de respect, à l'égard du Sauveur ; le peuple, au contraire, à l'approche de Jésus, s'émeut, s'ébranle, et court au-devant de lui pour lui offrir ses hommages ; " Et étant accourus, ils le saluaient. "—THEOPHYL. Tel était le désir du peuple pour voir Jésus, qu'à son approche seule il s'empressait de lui offrir ses hommages. Suivant quelques interprètes, le visage de Jésus avait conservé de sa transfiguration un tel éclat, que la foule était attirée comme invinciblement à venir le saluer.—S. JER. La présence de Jésus jeta le peuple dans l'admiration et le saisissement, mais les disciples ne partagèrent pas cette impression, parce que l'amour bannit la frayeur (1 Jn 4). L'esclave est dominé par la crainte ; l'étonnement, la stupeur, sont naturels à l'insensé. " Et Jésus-Christ demanda : Quel est le sujet de vos discussions ? " Il veut par cette question, les faire parler pour les sauver, il nous engager à lui exposer dans un langage plein de confiance, le trouble qui agile notre âme.— S. chrys. L'objet de leurs discussions était sans doute l'impuissance où ils s'étaient trouvés, eux, les disciples du Sauveur, de guérir le démoniaque qui se trouvait au milieu d'eux ; c'est ce que donnent à entendre les paroles qui suivent : " Un homme élevant la voix, du milieu de la foule, dit : Maître, j'ai apporté mon fils, " etc. — S. chrys. (hom. 50 sur S. Matth.) Cet homme n'avait qu'une foi bien faible, comme le prouve cette parole du Sauveur : " O race incrédule ! " Et cette autre qu'il adresse à cet homme lui-même : " Si vous pouvez croire. " Cependant, quoique ce fût son manque de foi qui eût rendu impossible l'expulsion du démon, il ne craint pas d'en rejeter la faute sur les disciples. " J'ai prié vos disciples de le chasser, et ils ne l'ont pu. " Voyez la conduite insensée de cet homme au milieu de la foule, il adresse sa prière à Jésus, et il accuse en même temps ses disciples. Aussi le Seigneur lui impute-t-il à lui-même, en présence de tout le peuple, cette impossibilité dont il le rend responsable aussi bien que tous les Juifs qui étaient présents ; car un grand nombre d'entre eux s'étaient sans doute scandalisés, et avaient jugé sévèrement les disciples. " Jésus leur répondit : O race incrédule, jusqu'à quand serai-je avec vous ? jusque à quand vous souffrirai-je ? " paroles qui attestent et le désir qu'il avait de mourir, et l'ennui qu'il éprouvait de vivre au milieu d'eux.

bède. Jésus est si loin de s'irriter contre cet homme, dont il blâme seulement le peu de foi, qu'il ajoute aussitôt : " Amenez-le moi. " — S. CHRYS. (hom. 58 sur S. Matth.) Notre-Seigneur permet ce qui arrive dans l'intérêt de ce pauvre père, afin qu'à la vue des tortures que le démon fait souffrir à son enfant, il fut déterminé à croire par le miracle qui allait le délivrer. — theophyl. Il permet que cet enfant soit ainsi tourmenté, pour nous faire connaître toute la fureur du démon, qui l'aurait fait mourir, si le Seigneur ne fût venu à son secours. " Et- il demanda au père : Combien y a-t-il de temps ? " etc. — bède. Que Julien soit ici confondu, lui qui ose soutenir que nous sommes nés sans aucune souillure, et que notre naissance a été aussi innocente que celle d'Adam. Pourquoi, en effet, enfant, a-t-il été, dès ses plus tendres années, l'objet de si cruels traitements de la part du démon, s'il n'était point souillé de la tache originelle, puisqu'il est certain qu'il n'était coupable d'aucun péché qui lui fût propre ? — la glose. Cet homme manifeste bien dans les termes mêmes de sa demande la faiblesse de sa foi : " Si vous avez quelque puissance. " Les disciples de Jésus n'ayant pu guérir son fils, il doute de la puissance du Maître lui-même, il ajoute : " Ayez pitié de moi, " pour exprimer l'état misérable de l'enfant qui souffre, et du père qui partage sa souffrance.

" Jésus lui dit : Si vous pouvez croire, " etc. — S. jér. Cette expression, " si vous pouvez, " prouve l'existence du libre arbitre. Or, quelles sont toutes ces choses possibles à celui qui croit ? celles qui sont demandées avec larmes au nom de Jésus, c'est-à-dire, qui ont pour objet notre salut. — bède. Jésus fait à cet homme une réponse parfaitement en rapport avec sa demande : " Si vous avez quelque puissance, aidez-nous. " Oui, répond le Sauveur, " si vous-même vous pouvez croire. " Le lépreux qui criait avec persévérance : " Seigneur, si vous voulez, vous pouvez me guérir, " avait une foi bien plus vive, aussi est-elle magnifiquement récompensée par cette réponse : " Oui, je le veux, soyez guéri. " (Mt 8 ; Mc 1) — S. chrys. (hom. 58 sur S. Matth.) La réponse de Jésus-Christ signifie : Ma puissance est si grande, si étendue, que non-seulement je puis guérir votre fils par moi-même, mais donnez à d'autres cette même puissance ; croyez comme il faut, et vous-même vous pourrez le guérir, lui, et un grand nombre d'autres. C'est ainsi qu'il amenait à la foi celui qui, tout à l'heure, tenait un langage inspiré par l'infidélité. " Aussitôt le père élevant la voix, s'écrie avec larmes : Je crois, aidez mon incrédulité. " — victor d'antioche. Si ce mot : " Je crois ! " atteste une foi réelle, pourquoi ajoute-t-il : " Aidez mon incrédulité ? " c'est qu'il y a deux espèces de foi, la première qui n'est qu’une foi préparatoire, l'autre qui est parfaite. Cet homme qui commençait seulement à croire, suppliait le Sauveur de développer la foi dans son âme. — bède. La perfection n'est pas l'œuvre d'un instant ; celui qui veut y parvenir, doit, dans une conduite régulière, commencer par les petites choses, pour parvenir ensuite aux grandes ; la vertu, en effet, a des degrés différents, son commencement, son progrès, sa perfection. Comme donc la foi se développe, sous l'inspiration secrète de la grâce, par les degrés successifs de ses mérites, il arriva ici que, dans un seul et même temps, celui qui ne croyait pas encore parfaitement était à la fois incrédule et croyant. — S. jér. Cet exemple nous apprend encore que notre foi est toujours faible, tant qu'elle ne s'appuie pas sur le secours et l'aide de Dieu. Mais lorsqu'elle est accompagnée de larmes, elle obtient toujours l'accomplissement de ses désirs. " Et Jésus voyant le peuple accourir en foule, s 'empresser autour de lui, menaça l'esprit impur, et lui dit : Esprit sourd et muet, " etc. — théophyl. Jésus se contente de menacer l'esprit immonde en présence de la multitude qui accourt, parce qu'il ne voulait pas opérer le miracle sous ses yeux, pour nous apprendre à fuir l'ostentation. — S. chrys. A ces menaces, à ce ton de maître : " Je te le commande, " on reconnaît la puissance divine. Jésus ne se contente pas de dire : " Sors de cet homme ; " il ajoute : " Et garde-toi bien de rentrer en lui, " car le démon était toujours près de reprendre possession de ce jeune homme, parce que la foi du père était encore trop faible ; mais la défense expresse de Dieu était pour lui un obstacle insurmontable. " Alors cet esprit ayant jeté un grand cri, et l'ayant agité par de violentes convulsions, sortit, " etc. En présence de la véritable vie, le démon fut impuissant à donner la mort.

BEDE. Celui que l'ennemi du genre humain avait comme frappé de mort, le Sauveur le guérit et le sauve en le touchant de sa main miséricordieuse. " Jésus l'ayant pris par la main, le releva. " Par cet acte de puissance, il prouve qu'il est véritablement Dieu ; et en le touchant à la manière des hommes, il démontre la réalité de sa nature humaine. L'insensé Manès prétend que Jésus ne s'est pas revêtu d'un corps véritable ; mais le Sauveur, en rendant par son toucher, la santé, la pureté, la lumière à tant de malades, a condamné son hérésie avant même qu'elle eut paru.

" Et lorsque Jésus fut entré dans la maison, ses disciples, lui demandèrent : " Pourquoi n'avons-nous pu le chasser ? " — S. chrys. Comme ils avaient reçu le pouvoir de chasser les esprits immondes, ils craignaient d'avoir perdu cette grâce qui leur avait été donnée. " Jésus leur répondit : Cette espèce de démons, " etc. — theophyl. C'est-à-dire, les démons lunatiques, ou simplement toute espèce de démons. Il faut que celui qui désire être guéri, jeûne, ainsi que celui qui doit le guérir ; la prière n'est parfaite, que lorsqu'elle est accompagnée du jeune ; lorsque celui qui prie, ne se laisse point appesantit par la nourriture, mais pratique la vertu de sobriété.

bede. Dans le sens mystique, nous apprenons ici que c'est sur les lieux élevés que le Seigneur découvre à ses disciples les mystères de son royaume, et dans les régions inférieures qu'il reproche an peuple son incrédulité, et qu'il chasse les esprits malins des corps qu'ils tour il fortifie, instruit, et châtie même les âmes encore charnelles et inintelligentes, et donne avec plus de liberté aux parfaits les enseignements de la vie éternelle. — théophyl. Ce démon est sourd et muet : sourd, parce qu'il ne veut pas entendre la parole de Dieu; muet, parce qu'il ne veut pas donner aux autres l'enseignement dont ils ont besoin. — S. jer. Le pécheur écume de folie, grince des dents par colère, et la paresse le dessèche. L'esprit mauvais déchire celui qu'il voit s'approcher du salut, et il bouleverse par des terreurs et des maux de tout genre, ceux qu'il veut engloutir dans son sein, comme il fit dans la personne de Job. — bêde. Souvent, en effet, lorsque, après avoir péché, nous voulons revenir à Dieu, cet antique ennemi de notre salut nous tend des pièges nouveaux et plus dangereux, afin de nous inspirer de l'aversion pour la vertu, ou de se venger de l'affront d'avoir été chassé. — S. GREG. (Mor., 10, 17.) Celui qui est délivré de la puissance de l'esprit impur, paraît comme mort; c'est-à-dire, que le chrétien qui a pu assujettir tous les désirs de la terre, voit s'éteindre en lui la vie des habitudes charnelles. Aux yeux du monde il paraît mort, et un grand nombre le tiennent réellement pour Mort, car dans l'ignorance où ils sont de la vie spirituelle, ils regardent comme tout à fait éteinte la vie qui ne court plus à la recherche des biens sensuels. — S. jér. Ce possédé, tourmenté dès son enfance, est le peuple gentil, chez qui on voit se développer, dès son origine, ce culte criminel des idoles, et qui, dans sa folie, alla jusqu'à immoler ses enfants aux démons. Le père dit que l'esprit malin précipita son enfant dans l'eau et dans le feu, et il exprime ainsi les deux principaux objets de l'idolâtrie des gentils, le feu et l'eau. — bede. Ou bien, ce démoniaque est l'image de l'âme, qui, souillée dès son origine de la tache du péché, n'en peut être purifiée que par la foi en Jésus-Christ et par sa grâce toute-puissante. Le feu représente le bouillonnement de la colère, et l'eau les voluptés charnelles dont le propre est de miner les forces de l'âme par les plaisirs du corps. Ce n'est pas à l'enfant qui souffre, mais au démon qui le tourmente, que Jésus adresse ses menaces ; il veut nous apprendre que celui qui désire corriger un pécheur doit aimer et consoler l'homme, et réserver pour le péché seul qu'il doit détruire ses réprimandes, sa haine, ses invectives.

S. jêr. Le Seigneur attribue ici au démon les effets qu'il produit dans l'homme, en lui disant : " Esprit sourd et muet, " car jamais il n'entendra ni ne dira ce qu'entend et dit le pécheur pénitent. Le démon une fois sorti d'un homme, n'y rentre plus, si cet homme a soin de tenir son cœur fermé avec les clefs de l'humilité et de la charité, et s'il est garanti et protégé par la porte qui le met à l'abri de tout danger. L'homme qui est guéri paraît comme mort, car c'est aux âmes guéries du péché qu'il est dit : " Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ (Col 3). — théophyl. Dès que Jésus nous tient la main, c'est-à-dire, dès que la parole évangélique nous donne la force d'agir, nous sommes délivrés du démon. Car, vous le voyez, Dieu commence par nous aider, puis il demande notre coopération à sa grâce. " Jésus le releva, " dit l'Evangile, voilà la grâce divine ; et " le malade se tint debout ; " voilà la coopération de l'homme.

BEDE. En enseignant à ses Apôtres le secret de chasser les démons les plus pernicieux, le Seigneur nous présente à tous une règle de vie : il nous apprend que nous triompherons des plus grandes épreuves, qu'elles aient pour auteurs les démons ou les hommes, par le jeûne et par la prière, et que le feu de la colère de Dieu tout prêt à châtier nos crimes, cédera lui-même à l'efficacité de ce remède tout-puissant. Par le jeûne, il faut entendre eu général l'abstinence, non-seulement d'aliments, mais de toute jouissance sensuelle, et même l’exemption de toute passion coupable. De même aussi la prière, prise dans sa généralité, ne consiste pas seulement dans les paroles dont nous faisons usage pour implorer la bonté divine, mais encore dans tous les actes inspirés par la foi et la piété, pour rendre hommage à notre Créateur, au sens de saint Paul, quand il dit (1 Th 5) : " Priez sans cesse. " — S. jer. La folie, qui a pour objet les jouissances de la chair, est guérie par le jeûne ; de même aussi la paresse est chassée par la prière. A chaque plaie il faut appliquer le remède convenable : ce n'est point par un remède appliqué sur le pied que l'on guérit l'œil malade. Ainsi donc, employez le jeûne contre les passions du corps, et la prière contre les maladies de l'âme.

 

Vv. 29-36.

théophyl. Aux prodiges, Jésus fait succéder un entretien sur sa Passion ; pour prévenir et combattre la pensée que c'est malgré lui qu'il a souffert. " Au sortir de ce lieu, ils traversèrent la Galilée ; et Jésus leur disait : Le Fils de l'homme sera livré, " etc. — bède. Aux événements prospères, Jésus-Christ mêle habituellement la prédiction d'événements fâcheux, afin que leur arrivée inopinée ne soit pas pour les Apôtres un sujet d'épouvante, mais qu'ils les trouvent préparés à les supporter courageusement. — théophyl. Après avoir rapporté la tristesse des Apôtres à cette nouvelle, l’Evangéliste ajoute ce qui devait les consoler : " Après que le Fils de l'homme aura été mis à mort, il ressuscitera le troisième jour ; " ainsi nous apprend-il qu'aux souffrances doit succéder la joie.

" Les Apôtres n'entendaient rien à ces paroles, " etc. — bêde. Cette ignorance dans les Apôtres n'avaient pas précisément pour cause la lenteur de leur esprit, mais plutôt l'amour qu'ils portaient au Sauveur. Encore charnels, et incapables de comprendre le mystère du salut par la croix, ils ne pouvaient croire que celui qu'ils reconnaissaient pour le vrai Dieu, fût sujet à la mort. Ils l'avaient si souvent entendu parler dans un langage métaphorique, que dans la frayeur que leur inspirait l'annonce de sa mort, ils voulaient ne donner encore qu'un sens figuré à ce qu'il leur prédisait de la trahison dont il serait l'objet, et de la passion qui devait en être la suite.

" Et ils arrivèrent à Capharnaüm. " — S. jer. Capharnaüm signifie lieu de consolation ; le sens de ce mot s'accorde parfaitement avec les dernières paroles de Jésus : " II ressuscitera le troisième jour après sa mort. " " Et lorsqu'ils furent entrés dans la maison, Jésus leur demanda : De quoi vous entreteniez-vous en chemin ? Mais ils ne répondirent rien. " —S. chrys. Saint Matthieu dit que ce lurent les Apôtres qui s'approchèrent de Jésus, et lui demandèrent : " Qui est, selon vous, le plus grand dans le royaume des cieux ? " Cet Evangéliste omet le commencement de ce récit ; il ne dit rien de la connaissance qu'avait le Sauveur des pensées et des paroles de ses disciples. On peut dire, il est vrai, que les Apôtres communiquaient à leur Maître tout ce qu'ils disaient ou pensaient même en son absence ; car tout lui était connu, comme s'il l'avait entendu, " Ils avaient, dans le chemin, disputé pour savoir quel était le plus grand parmi eux. " Saint Luc dit seulement que " cette pensée entra dans leur esprit. " Selon le récit évangélique, le Seigneur mit au jour la pensée et l'intention secrète renfermées dans leurs paroles. — S. jér. Il est assez naturel de s'entretenir eu chemin du pouvoir; un chemin en est une image frappante. On quitte le pouvoir comme on y est entré ; pendant même qu'on l'exerce, on le voit s'échapper ; et on ignore dans quel endroit, c'est-à-dire, quel jour on en sera dépouillé complètement. — bède. Cette dispute des Apôtres sur la prééminence paraît s'être élevée entre eux à l'occasion du choix que Jésus avait fait de Pierre, Jacques et Jean, pour les conduire avec lui sur la montagne, où ils s'imaginaient que leur Maître avait confié à ces trois disciples quelque secret; ils savaient aussi, d'après ce que dit saint Matthieu (Mt 16), que les clefs du royaume des deux avaient été promises à Pierre. Le Seigneur, qui voit leurs pensées, leur présente l'humilité comme remède de leur ambition ; et pour leur apprendre à ne pas rechercher l'autorité, il fait cette simple recommandation d'humilité : " S'étant assis, il appela ses douze Apôtres, et leur dit : Celui qui veut être le premier, il sera le dernier de tous. " — S. JER. Remarquez que c'est en marchant, que les disciples disputent sur la question de prééminence, et que Jésus s'asseoit pour leur enseigner l'humilité. Le travail et la fatigue sont le partage de ceux qui commandent, le repos celui des humbles. — S. chrys. Les disciples avaient un vif désir d'être honorés, glorifiés par leur divin Maître ; plus un homme est grand, plus il est digne de grands honneurs. Aussi le Sauveur ne réprime pas ce désir, il veut simplement qu'il soit tempéré par l'humilité. — théophyl. Il nous défend d'usurper injustement les honneurs, et il veut que nous n'y parvenions que par l'humilité.

BEDE. A cette recommandation, Jésus joint l'exemple de la simplicité de l'enfance. " Et prenant un enfant, " etc. — S. chrys. (hom. 59 sur S. Matth.) Il leur met sous les yeux mêmes un modèle d'humilité et de simplicité ; car l'enfant ne connaît ni la jalousie, ni la vaine gloire, il est pur de toute ambition. Et il ne leur dit pas seulement : une grande récompense vous est réservée, si vous devenez semblables à cet enfant, mais il ajoute, si vous honorez, pour l'amour de moi, quiconque lui ressemblera : " Ayant embrassé cet enfant, il leur dit : Celui qui accueillera un de ses petits enfants, " etc. — bède. Le Sauveur recommande ici à ceux qui aspirent aux dignités, de faire à ses pauvres un digue accueil par honneur pour lui-même ; ou bien il leur recommande d'avoir la candeur de l'enfance, et d'être simples sans fierté, charitables sans envie, affectueux sans colère. Le baiser qu'il donne à cet enfant, nous apprend que c'est aux petits qu'il réserve son affection et ses embrassements. Il ajoute : " En mon nom, " c'est-à-dire, que la vertu qui, chez l'enfant, n'est autre chose qu'une inclination naturelle, doit être chez nous un acte de la raison fait au nom de Jésus-Christ. Enfin, quand il veut que nous le considérions lui-même dans la personne de l'enfant, ce n'est pas seulement de sa nature visible qu'il veut parler : " Celui qui me recevra, ce n'est pas moi qu'il reçoit, mais celui qui m'a envoyé, " etc. Il veut que ses disciples croient qu'il a la même nature et la même grandeur que son Père. — théophyl. Voyez de quel prix est l'humilité, elle attire dans l'âme, le Père, le Fils et le Saint-Esprit (Jn 14, 23 ; 1 Jn 4, 16).

 

Vv. 37-42.

bede. Jean, que distinguait entre tous les autres un ardent amour pour Jésus-Christ, croyait que celui qui ne s'acquittait pas exactement de son office devait être privé des grâces qui lui étaient attachées : " Jean, prenant la parole, lui dit : Maître, nous avons vu, " etc. — S. chrys. Un grand nombre de ceux qui croyaient en Jésus-Christ avaient reçu de lui des dons, des pouvoirs particuliers, sans être cependant avec le Sauveur; tel était celui que nous voyons ici chasser les démons. Tous, en effet, ne réunissaient pas toutes les conditions d'une vie sainte ; les uns avaient une vie pure, mais leur foi était encore imparfaite ; chez d'autres, c'était le contraire.— theophyl. Ou bien encore, quelques incrédules, témoins des prodiges opérés par le nom de Jésus, prononçaient eux-mêmes ce nom divin et opéraient ainsi des miracles, tout indignes qu'ils fussent de la grâce de Dieu, car Dieu voulait se servir même des indignes pour répandre la connaissance de son nom.

S. chrys. Ce n'était ni par un zèle exagéré, ni par un sentiment d'envie que Jean voulait interdire à cet homme le pouvoir de chasser les démons ; sa pensée était que tous ceux qui invoquaient le nom du Seigneur devaient suivre Jésus-Christ et faire partie du nombre de ses disciples. Mais le Seigneur voulait se servir de ceux qui l'ont des miracles, malgré leur indignité, pour amener les autres à la foi et les exciter eux-mêmes par cette grâce ineffable à une vie plus sainte : " Jésus lui répondit : Ne l'en empêchez pas, " etc. — bede. Le Sauveur nous apprend ainsi à ne pas retirer à quelqu'un le bien qu'il possède à un degré médiocre, mais à lui inspirer le désir d'une vertu plus parfaite. — S. chrys. Il explique pourquoi il n'est pas convenable de faire cette défense à cet homme : " II n'est personne qui ayant fait un miracle en mon nom puisse aussitôt dire du mal de moi. " II parle ici de ceux qui devaient tomber dans l'hérésie, comme Simon, Ménandre et Cerinthe, qui ne faisaient point de vrais miracles au nom de Jésus-Christ, mais qui trompaient les fidèles par de faux prodiges. Ceux-ci, au contraire, bien qu'ils ne soient point avec nous, ne pourront jamais se déclarer contre moi dans leurs discours, puisqu'ils honorent mon nom en recourant à lui pour opérer des prodiges. — théophyl. Comment, eu effet, celui qui doit à mou nom la gloire qu'il s'attire, et qui opère des miracles eu l'invoquant, pourrait-il parler mal de moi ?

" Celui qui n'est point contre vous est pour vous. " — S. aug. (De l'acc. des Evang., 4, 5.) Mais cette maxime du Seigneur n'est-elle pas en opposition avec cette autre : " Celui qui u'est pas avec moi, est contre moi ? " Dira-t-on que ces deux maximes diffèrent, en ce que d'un côté Jésus parle de ses disciples : " Celui qui n'est pas contre vous est pour vous, " tandis que de l'autre, il parle de lui-même : " Celui qui n'est pas avec moi est contre moi. " Mais n’est-il pas évident qu'on est nécessairement avec Jésus-Christ, lorsqu'on ne fait qu’un corps avec ses disciples qui sont ses membres ? Où serait alors la vérité de ces paroles : " Qui vous reçoit me reçoit ? " (Mt 10) Par la même raison, n'est-on pas contre lui, quand on est contre ses disciples ? Comment aurait-il pu dire : " Celui qui vous méprise me méprise ? " Voici donc dans quel sens le Sauveur veut que nous entendions ces deux maximes. On n'est pas avec lui en tant qu'on est contre lui ; on est avec lui dans les actions où on agit de concert avec lui. Prenons pour exemple cet homme qui faisait des miracles au nom de Jésus-Christ, sans faire partie du nombre des Apôtres ; il n'était pas contre eux, il était même avec eux eu tant qu'il faisait des miracles au nom de Jésus ; mais eu tant qu'il n'appartenait pas à leur société, il n'était pas avec eux, il était contre eux. Or, les Apôtres voulaient lui interdire de faire ce en quoi il était d'accord avec eux, et c'est pour cela que Jésus leur dit : " Ne l'empêchez pas ; " ce à quoi ils devaient se borner, c'était de lui défendre d'agir en dehors de leur société, c'était de lui conseiller de rentrer dans l'unité de l'Eglise. Ils devaient le laisser libre dans ce qu'il avait de commun avec eux, l'invocation du nom de leur Maître, de leur Seigneur pour chasser les démons. Telle est justement la conduite de l'Eglise catholique, ce qu'elle condamne chez les hérétiques, ce ne sont pas les sacrements qui leur sont communs avec nous, mais leur séparation d'avec nous, mais les doctrines opposées à la vérité et à la paix, car sous ce rapport, ils sont contre nous. — S. chrys. Ou bien ces paroles du Sauveur s'appliquent à ceux qui croient eu lui ; mais qui ne peuvent le suivre, parce qu'ils mènent une vie relâchée. Les autres paroles doivent s'entendre des démons, dont les efforts tendent à nous séparer tous de Dieu et à dissiper son Eglise.

" Quiconque vous aura donné à boire un verre d'eau froide, " etc. — theophyl. Nôtre-Seigneur semble dire : Non-seulement je ne m'oppose pas à celui qui fait des miracles par l'invocation de mou nom ; mois je vous déclare que celui qui vous aura fait la moindre chose, et vous aura reçu à cause de moi, et non par un motif d'intérêt ou de vaine gloire, ne perdra pas sa récompense.—S. aug. (De l'accord des Evang., 4, 6.) Nous voyons par là que cet homme dont Jean vient de parler n'était pas séparé de la société des disciples au point de la condamner, comme ferait un hérétique. Sa conduite était celle de ces hommes qui n'ayant pas encore le courage de recevoir les sacrements de Jésus-Christ, se montrent pourtant pleins de bienveillance pour le nom chrétien, traitent affectueusement les chrétiens dans le seul but d'honorer en eux le nom de chrétiens. C'est d'eux que le Sauveur dit qu'ils ne perdront point leur récompense. Ce n'est pas que leurs bons sentiments à l'égard des chrétiens puissent leur donner une complète assurance, une pleine sécurité quant à leur salut éternel, sans que leur âme ait été purifiée dans les eaux du baptême, sans être membres du corps de l'Eglise ; mais la miséricorde de Dieu sera leur guide pour les faire parvenir à cette grâce si importante, et leur donner de sortir de ce monde avec une juste confiance dans l'avenir.

S. chrys. Afin que personne ne puisse prétexter sa pauvreté, Jésus-Christ accorde cette récompense à ce qui est à la disposition de tous : donner un verre d'eau froide. Ce qui à ses yeux rend une œuvre digne de récompense, ce n'est point l'importance de l'objet donné, mais la dignité de celui à qui on l'offre, et l'affection de celui qui le donne. Pour nous encourager à recevoir ses disciples, il ne se borne pas à nous montrer en perspective la récompense éternelle, il nous montre aussi la rigueur du châtiment : " Si quelqu'un scandalise un de ces petits, " etc., c'est-à-dire de même que ceux qui vous honorent en mon nom seront récompensés, ainsi ceux qui vous scandaliseront, c'est-à-dire qui ne vous donneront aucun témoignage d'honneur, seront rigoureusement châtiés. Et il emprunte aux choses bien connues les comparaisons qui font ressortir toute la rigueur de ce châtiment ; il ne s'agit de rien moins que d'être précipités dans la mer, une meule au cou. Et remarquez qu'il ne dit pas : Qu'on lui attachera une meule de moulin, mais : " II serait avantageux pour lui qu'un lui infligeât ce châtiment, " ce qui signifie qu'il doit s'attendre à un supplice plus rigoureux encore. Sous le nom de petits, le Sauveur désigne ceux qui croient en lui et ceux qui invoquent son nom, sans pourtant s'attachera sa personne ; ceux mêmes qui se contentent de donner un verre d'eau froide, sans faire d'œuvres plus importantes ; il ne veut pas qu'un seul d'entre eux soit scandalisé ou exclu ; car ce serait là empêcher l'invocation de son nom.— bède. C'est à juste titre qu'il donne le nom de petit à celui qui peut être scandalisé ; car celui qui est grand ne se laisse pas ébranler dans sa foi par les épreuves quelles qu'elles soient, au lieu que les esprits petits et étroits semblent chercher partout des occasions de scandale et de chute. Aussi devons-nous nous observer beaucoup à l'égard des petits et des faibles, afin de n'être pas pour eux une occasion de scandale et de chute dans la foi, et par suite de damnation éternelle. — S. greg. (hom. 7 sur Ezéchiel.) Remarquons cependant que si dans nos bonnes oeuvres nous devons éviter toute occasion de scandaliser le prochain ; nous devons aussi quelquefois n'en tenir aucun compte. Tant que nous le pouvons faire sans péché, nous devons éviter de scandaliser le prochain ; mais si c'est la vérité elle-même qui est un objet de scandale, il vaut mieux le laisser se produire, que de sacrifier la vérité. S. grég. (Pastoral., 1 part., chap. 3.) Dans le sens mystique, cette meule qu'un âne fait tourner, c'est la fatigue de la vie mondaine et du cercle dans lequel elle tourne sans cesse sur elle-même; la profondeur de la mer, c'est la damnation éternelle. Si donc celui dont la vie présente les caractères extérieurs de la sainteté en détourne les autres par ses paroles ou par ses exemples, il eût assurément mieux valu pour lui que sa conduite terrestre le conduisît à la mort sous les dehors d'une vie ordinaire, que de donner aux autres, dans une dignité aussi sainte, l'exemple d'une conduite vicieuse et criminelle ; car s'il tombait seul, le supplice que l'enfer lui réserve serait beaucoup moins rigoureux.

 

Vv. 42-49.

bede. Notre-Seigneur vient de nous recommander de ne point scandaliser ceux qui croient en lui ; il nous avertit maintenant de nous tenir en garde contre ceux qui tenteraient de nous scandaliser, c’est-à-dire qui, par leurs paroles ou leurs exemples, nous pousseraient à notre ruine en nous faisant commettre le péché : " Si votre main est pour vous une occasion de péché, dit-il, coupez-la. " — S. chrys. (hom. 60 sur S. Matth.) Ce n'est pas des membres de notre corps que le Sauveur veut parler ici, mais de nos amis intimes, qui nous sont aussi chers et aussi nécessaires que les membres de notre corps ; rien de plus nuisible, en effet, qu'une liaison dangereuse. — bede. Ce que le Sauveur appelle notre main, c'est notre intime ami dont tous les jours nous réclamons les bons offices. Si cet ami veut attenter à la vie de notre âme, brisons tous les liens qui nous attachent à lui, car si durant cette vie nous nous attachons à un méchant, nous périrons éternellement avec lui ; c'est la vérité qu'expriment les paroles qui suivent : " II vaut mieux pour vous entrer dans la vie ayant un membre de moins. " — la glose. Cet homme à qui il manque un membre, c'est celui qui est privé du secours d'un ami ; il vaut mieux, sans avoir d'ami, jouir de la vie éternelle, que d'être précipité avec cet ami dans les flammes de l'enfer. — S. jer. Ou bien il vaut mieux entrer dans la vie éternelle étant mutilé, c'est-à-dire sans ce pouvoir, objet de vos désirs ambitieux, que d'être précipité avec vos deux mains dans le feu éternel. Le pouvoir a deux mains, l'humilité et l'orgueil ; retranchez celle de l'orgueil, et ne vous réservez que celle d'une autorité humble et modeste.

S. chrys. Le Sauveur cite à l'appui ce témoignage du prophète Isaïe (Is 66, 24) : " Ou le ver qui les ronge ne meurt point, ou le feu ne s'éteint jamais. " Ce ver n'est pas un ver extérieur et sensible ; c'est la conscience qui déchire l'âme coupable, parce qu'elle n'a point fait le bien. Chacun sera alors son propre accusateur, par le souvenir de ce qu'il aura fait pendant sa vie ; c'est en ce sens que le ver ne meurt point. — bède. Le ver, c'est la douleur poignante qui accuse au-dedans ; le feu, c'est le supplice qui tourmente au dehors. Ou bien on peut voir dans le ver la pourriture de l'enfer, et dans le feu son ardeur dévorante. — S. aug. (Cité de Dieu, 21, 9.) Ceux qui prétendent que le feu et le ver désignent seulement le châtiment particulier de l'âme et non celui du corps, disent que les réprouvés sépares de Dieu sont brûlés par la douleur à laquelle est en proie une âme qui ressent un repentir tardif et infructueux ; cette douleur intérieure, disent-ils, est parfaitement représentée par le feu, selon les paroles de l'Apôtre (2 Co 11) : " Qui est scandalisé sans que je brûle ? " et par le ver, d'après ces paroles des Proverbes (Pr 25) : " Comme la teigne dévore les vêtements et le ver le bois, de même le chagrin déchire le cœur de l'homme. " Ceux qui soutiennent qu'il y a dans l'enfer un supplice pour l'âme, et un autre pour le corps, disent que le feu est la peine du corps, et que celle de l'âme est la douleur qui est semblable à un ver qui ronge. Cette interprétation est plus vraisemblable ; car il serait absurde de prétendre que dans l'enfer le corps ou l'âme seront exempts de souffrances. Cependant j'aime mieux penser que ces deux peines se rapportent au corps, plutôt que de soutenir qu'on ne peut lui faire application ni de l'une, ni de l'autre. Donc dans ces paroles de l'Evangile, il n'est pas question du supplice de l'âme ; on le déduit seulement comme conséquence, le corps ne pouvant souffrir sans que l'âme elle-même soit soumise à la douleur. Que chacun adopte l'interprétation qui lui paraît la plus probable ; qu'il dise que le feu est le supplice du corps, et le ver celui de l'âme, en conservant au feu son sens naturel, et prenant le ver dans un sens figuré ; ou bien qu'il applique au corps l'un et l'autre supplice. Car la toute-puissance du Créateur peut permettre miraculeusement que les êtres animés vivent dans le feu, qu'ils brûlent sans se consumer, qu'ils y souffrent sans mourir.

" Et si votre pied vous scandalise, coupez-le, " etc. — bède. Le pied figure un ami, parce qu'il nous sert pour marcher et qu'il n'existe que pour notre utilité. " Et si votre œil vous scandalise, " etc. L'œil aussi représente un ami utile, vigilant, habile à découvrir les moindre dangers. — S. aug. (De l'acc. des Evang., 4, 6.) Une vérité ressort de ces paroles, c'est que souvent des hommes dévoués au nom chrétien, avant même d'appartenir à la grande famille chrétienne, rendent plus de services que d'autres qui, portant le titre de chrétiens et nourris des sacrements de l'Eglise, donnent cependant de si mauvais conseils qu'ils entraînent avec eux dans la damnation éternelle ceux qui ont le malheur de les écouter. Ce sont ces hommes que Nôtre-Seigneur compare aux membres du corps, à la main ou à l'œil qui scandalisent ; il veut que ces hommes soient impitoyablement retranchés du corps, c'est-à-dire de l'unité de l'Eglise, de sorte que nous entrions sans eux dans la vie, au lieu d'être précipités avec eux dans la mort éternelle. Les retrancher du corps, c'est refuser son assentiment à leurs mauvais conseil, c'est-à-dire à leurs scandales. Si leur perversion vient à se manifester aux âmes fidèles avec qui ils sont en relation, il faut briser tout lien avec eux et les exclure de la participation aux sacrements. Si au contraire ils ne sont connus que d'un petit nombre, si le plus grand nombre ignore leurs dispositions criminelles, il faut les tolérer avec patience, mais sans participer en rien à leur vie criminelle, et d'un autre côté, sans sacrifier pour eux la communion avec les bons.

bède. Nôtre-Seigneur, qui vient trois fois de suite de parler de ver et de feu, pour nous déterminer à éviter ce terrible supplice, ajoute : " Tout homme sera salé par le feu. " Le ver naît de la corruption de la chair et du sang ; aussi sale-t-on la chair des animaux qu'on vient de tuer, afin que le sang étant absorbé, elle ne puisse produire de vers. Aussi tout ce qui est salé est à l'abri de la putréfaction. Mais ce qui est salé par le feu, c'est-à-dire couvert de feux assaisonnés de sel, non-seulement éloigne les vers, mais consume la chair elle-même. La chair et le sang produisent donc les vers, en ce sens que la volupté charnelle qui n'est pas repoussée par l'assaisonnement de la chasteté produit pour les impudiques la corruption éternelle. Voulez-vous éviter la puanteur de cette corruption ? Assaisonnez les membres de votre corps du sel de la continence, et que le sel de la sagesse préserve votre âme de toute souillure d'erreurs ou de vices ; car le sel signifie la douceur de la sagesse, et le feu la grâce du Saint-Esprit. Ces paroles : " Tout homme sera salé par le feu, " signifient donc que tout élu doit se préserver par la sagesse spirituelle de la corruption de la concupiscence charnelle. Ou bien il s'agit ici du feu de la tribulation qui aide le juste à perfectionner ses œuvres par la patience (Jc 3, 3).

S. chrys. Ces paroles ont quelque analogie avec celle de saint Paul (1 Co 3) : " Le feu éprouvera l'ouvrage de chacun. " Les paroles qui suivent sont tirées du Lévitique (Lv 2) : " Et toute victime sera assaisonnée de sel. " — S. jér. La victime du Seigneur, c'est le genre humain tout entier ; ici-bas, il est assaisonné du sel de la sagesse, jusqu'à ce que la corruption du sang (qui conserve la pourriture et engendre les vers) soit détruite et qu'il soit purifié dans l'autre monde par les flammes du purgatoire. — bède. Nous pouvons encore considérer le cœur des élus comme l'autel de Dieu ; les hosties et les sacrifices qui doivent être offerts sur cet autel sont les bonnes œuvres des fidèles. Le sel doit entrer dans tous les sacrifices, c'est-à-dire qu'aucune œuvre n'est parfaitement bonne, si le sel de la sagesse ne l'a purifiée de la corruption de la vaine gloire ou des autres pensées mauvaises ou inutiles. — S. chrys. Ou bien ces paroles signifient que toute victime que nous offrons, soit la prière adressée à Dieu, soit l'aumône faite au prochain doit être salée de ce feu divin, dont le Sauveur a dit : " Je suis venu apporter le feu sur la terre. " (Lc 12, 49.) Il ajoute : " Le sel est bon, " c'est-à-dire le feu de l'amour divin ; mais si le sel s'affadit, c'est-à-dire s'il perd la saveur qui lui est propre, et à laquelle il doit d'être bon, comment lui rendrez-vous celte saveur ? Il y a en effet des sels qui ont de la saveur, image des âmes qui possèdent la plénitude de la grâce ; et il y a des sels fades, qui figurent les âmes où ne règne pas l'amour de la paix.

bède. Ou bien le sel est bon, c'est-à-dire il est bon d'entendre fréquemment la parole de Dieu et de préserver les secrets de son cœur à l'aide du sel de la sagesse spirituelle.— théophyl. Comme le sel conserve les chairs et empêche les vers de s'engendrer ; ainsi la parole de celui qui enseigne, si elle a la puissance de dessécher les mauvaises humeurs, réprime les convoitises des hommes charnels, et empêche ce ver qui ronge éternellement de s'engendrer au fond de leur cœur. Mais si cette parole est fade, c'est-à-dire si elle n'a pas la puissance de dessécher et de conserver, où est le sel qui donnera l'assaisonnement ? - S. chrys. Ou bien, selon saint Matthieu, ce sont les Apôtres de Jésus-Christ qui sont le sel de la terre, en la préservant de la pourriture qu'y introduit l'idolâtrie et la corruption du péché. On peut encore entendre ces paroles en ce sens que chacun de nous est un sel dans la mesure de grâces qu'il reçoit. Aussi l'Apôtre unit-il la grâce et le sel, quand il dit : " Que vos paroles soit assaisonnées de sel dans la grâce de Dieu. " (Col 4) Enfin, Jésus-Christ est lui même un sel ; il a pu préserver la terre entière et produire même un grand nombre d'autres sels ; ceux de ces sels qui viendraient à se corrompre (car des sels bons aujourd'hui peuvent changer et devenir eux-mêmes des germes de pourriture), il faut les jeter dehors. — S. jer. Ou bien le sel affadi, c'est l'homme qui aime l'exercice du pouvoir, et qui n'ose réprimander le vice. Aussi le Sauveur dit-il : " Conservez en vous le sel, " etc., de manière que l'amour du prochain tempère l'amertume de la correction, et qu'il soit lui-même assaisonné par le sel de la justice. — S. grég. (sur Ezéchiel.) Ou bien le divin Maître a ici en vue ces hommes qui, élevés au-dessus de leurs frères par une science plus profonde, se séparent de leur société, et qui s'éloignent d'autant plus de la vertu de charité qu'ils font de plus grands progrès dans la science. — S. grég. (Pastoral.) Celui qui vient parler le langage de la science doit veiller soigneusement à ce que ses paroles ne brisent pas l'unité parmi les auditeurs, et à ne pas rompre imprudemment ce lien de l'unité en prétendant à la réputation de savant. — théophyl. Ou bien encore, celui qui s'attache au prochain par le lien de la charité a le sel recommandé par le Sauveur et par conséquent la paix avec son frère. — S. aug. (De l'acc. des Evang. 4, 6.) Saint Marc rapporte toutes ces paroles de Nôtre-Seigneur comme ayant été dites sans interruption les unes après les autres ; il en rapporte quelques-unes qu'on ne trouve dans aucun des trois autres Evangélistes, d'autres qui sont rapportées soit par saint Matthieu, soit par saint Luc, mais dans des circonstances différentes et dans un tout autre ordre. Je pense donc que Nôtre-Seigneur renouvelle ici les recommandations qu'il avait faites dans d'autres circonstances , parce qu'elles se rapportaient parfaitement à la défense qu'il venait de faire à ses disciples, de ne point empêcher un homme qui ne marchait pas avec eux ù sa suite de faire des miracles en son nom.

 

CHAPITRE X

 

Vv. 1-12.

bède. Jusqu'ici saint Marc a rapporté les actions et les enseignements du Sauveur dans la Galilée ; il va maintenant nous présenter le récit de ce qu'il a fait, enseigné et souffert dans la Judée : d'abord, au delà du Jourdain à l'Orient : " Et Jésus étant parti de ce lieu, se dirigea vers les confins de la Judée, " etc. Puis en deçà du Jourdain, à Jéricho, à Béthanie, à Jérusalem. Tout le pays habité par les Juifs, porte le nom général de Judée, nom qui le distingue des nations voisines ; mais ou donne spécialement le nom de Judée à la partie méridionale de ce pays, pour la distinguer de la Samarie, de la Galilée, de la Décapole, et des autres provinces du même royaume. — théophyl. Jésus-Christ visite la Judée, dont il s'était souvent éloigné à cause de la jalousie des Juifs, parce que c'est là que sa passion devait s'accomplir. Cependant il ne s'avance pas encore jusqu'à Jérusalem, mais il demeure sur les confins, pour utiliser son ministère en faveur du peuple simple et sans malice, tandis que la malveillance des Juifs faisait de Jérusalem un centre de complots criminels. " Et le peuple, dit l'Evangéliste, s'assembla autour de lui, " etc.

bede. Remarquez comme le peuple et les pharisiens sont animés d'intentions différentes ; le peuple s'assemble pour recueillir l'enseignement, et obtenir la guérison de ses malades, comme nous le rapporte saint Matthieu ; les pharisiens s'approchent du Sauveur pour le tenter et le perdre. " Les pharisiens s'approchant, " etc. — théophyi. Les pharisiens n'ont garde de s'éloigner de Jésus, dans la crainte que le peuple ne croie en lui, ils l'entourent continuellement, persuadés qu'ils viendront à bout de l'embarrasser et de le confondre par leurs questions. Celle qu'ils lui font eu ce moment, cache un double piége. Que le Sauveur réponde qu'il est permis, ou qu'il est défendu à un homme marié de renvoyer sa femme, ils ont à lui opposer un texte de la loi de Moïse, qui le contredit et le condamne. Mais Jésus, qui est la sagesse même, leur fait une réponse qui échappe aux filets dans lesquels ils veulent le faire tomber. — S. chrys. (hom. 63 sur S. Matth.) A cette question : " Est-il permis ? " II ne répond pas aussitôt, non, cela n'est pas permis ; ce qui aurait amené de l'agitation parmi eux, mais il veut leur opposer d'abord le texte de la loi, afin de les forcer à donner eux-mêmes la réponse qu'il se disposait à leur faire. " II leur répondit : Que vous a ordonné Moïse ? Moïse, disent-ils, a permis à l'homme de renvoyer sa femme, en lui donnant un écrit de répudiation. " Ils apportent cette permission donnée par Moïse, ou à cause de la question du Sauveur, ou pour soulever contre lui la colère de la multitude ; car les Juifs regardaient ce point comme indifférent, et rien n'était plus ordinaire parmi eux que cette conduite qu'ils croyaient autorisée par la loi.

S. aug. (de l'acc. des Evang., 2, 62.) Peu importe à la vérité, que ce soit les Juifs qui, comme le rapporte saint Matthieu, entendant le Sauveur proclamer l'indissolubilité du mariage, et appuyer sa décision sur le texte même de la loi, l'aient interrogé sur l'écrit de répudiation autorisé par Moïse ; ou bien qu'il les ait amenés lui-même à lui faire cette réponse en les questionnant sur cet acte de répudiation, comme le dit saint Marc. L'intention du divin Maître était de n'expliquer l'autorisation accordée par Moïse, qu'après que les Juifs auraient l'eux-mêmes cité ce texte de la loi. Dès lors que les deux Evangélistes nous ont également fait connaître l'intention des personnes (intention qui doit déterminer le sens des paroles), peu importe une variante dans la manière de s'exprimer. On peut dire d'ailleurs avec saint Marc, que les Juifs commencèrent par demander au Sauveur s'il est permis de renvoyer son épouse, et qu'il leur demande à son tour ce que Moïse leur a ordonné ; sur la réponse qu'ils lui font, que Moïse le permettait en donnant un acte de répudiation, Nôtre-Seigneur leur répond, comme le rapporte saint Matthieu, en leur rappelant la loi donnée par Moïse, où l'on voit l'institution divine de l'union de l'homme et de la femme ; et c'est après cette réponse du Sauveur, qu'ils seraient revenus à leur première question, et lui auraient demandé : " Quel est donc le sens de l'autorisation donnée par Moïse. "

S. aug. (contre Fauste, 19, 26.) Certes, il était loin d'approuver le divorce, le législateur qui réprimait la fougue d'un esprit trop prompt à désirer la séparation par la sage lenteur que demande la rédaction d'un acte ; car chez les Hébreux, les scribes seuls avaient le droit d'écrire l'hébreu. C'était donc devant ces sages interprètes de la loi, à qui il appartenait de dissuader d'une séparation trop peu fondée, que devait se présenter celui à qui la loi ne permettait de renvoyer sa femme qu'en lui donnant un acte de répudiation. Ceux qui pouvaient seuls rédiger cet acte, trouvaient dans la nécessité où on était de recourir à leur ministère, une occasion de donner un conseil utile, et de travailler à rétablir entre l'homme et la femme l'affection et la concorde. Si la haine était si forte, qu'il fut impossible de l'éteindre ou de l'apaiser, l'acte était rédigé, la loi jugeant que la séparation était devenue nécessaire, puisque la haine avait atteint un degré qui ne permettait pas aux conseils de la sagesse de rappeler les époux aux sentiments d'affection qu'ils se doivent mutuellement. Voilà pourquoi le Sauveur répond : " C'est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse a fait cette ordonnance. " Quelle dureté, en effet, que celle qui ne se laissait ni vaincre ni adoucir, soit par les difficultés de cet acte, soit par les conseils des hommes justes et sages, qui cherchaient à faire renaître ou à réveiller dans ce cœur l'affection conjugale ? — S. chrys. Ou bien ces paroles : " A cause de la dureté de votre cœur, " signifient, qu'une âme libre de toute colère et de désirs mauvais, serait capable de supporter la femme la plus méchante ; mais si ces passions viennent à se développer et à exercer leur empire dans l’âme, elles deviendront le germe d'une infinité de maux, qui rendront souverainement odieux tout rapport entre les époux. Cette réponse justifie Moïse, qui leur avait donné cette loi et retourne contre eux l'accusation qu'ils semblaient porter contre lui. Mais comme l'explication que le Sauveur venait de donner, pouvait leur paraître sévère, il ramène leur attention sur la loi qui fut donnée dès l'origine. " Au commencement que le monde fut créé, Dieu forma un homme et une femme. " — bède. Il ne dit pas un seul homme et plusieurs femmes, ce qui était le but et la fin du divorce, mais " un seul homme et une seule femme, " pour exprimer l'unité du lieu conjugal. — S. chrys. (hom. 62 sur S. Matth.) Si l'intention de Dieu eût été que l'homme put renvoyer sa femme pour en épouser une autre, il aurait créé plusieurs femmes en même temps qu'un seul homme. Mais au contraire, non-seulement Dieu unit l'homme à une seule femme, mais il veut que, pour s'attacher plus complètement à elle, il abandonne même les auteurs de ses jours : " L'homme abandonnera son père et sa mère, dit Dieu par la bouche d'Adam, et il s'attachera à son épouse ; " cette expression, " il s'attachera, " indique assez nettement l'indissolubilité du mariage. — bède. Il faut dire la même chose de l'expression suivante, " il s'attachera à son épouse " et non à ses épouses.

" Et ils seront deux dans une seule chair. " — S. chrys. (hom. 62.) C'est-à-dire, que, sortis d'une même racine, ils ne feront qu'un même corps. " C'est pourquoi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. " — bêde. La gloire et le bonheur du mariage est de faire de deux personnes une même chair ; et l'union de l'esprit avec un corps chaste, produit l'unité de l'esprit.

S. chrys. (Ibid.) Nôtre-Seigneur tire enfin de ce qu'il vient de dire cette redoutable conclusion. Il ne dit pas seulement : " Ne séparez pas, " mais " que l'homme ne sépare pas ce que Dieu a uni. " — S. aug. (contre Fauste, 19, 29.) Les Juifs, en usant de la faculté du divorce, prétendaient s'appuyer sur l'autorisation donnée par Moïse ; et le Sauveur leur démontre que, d'après les livres de Moïse, l'homme ne doit point se séparer de sa femme. C'est ainsi que nous aussi, chrétiens, nous apprenons par le témoignage de Jésus-Christ lui-même, que c'est Dieu qui a créé et uni l'homme et la femme. Les Manichéens, qui ont nié cette vérité, sont condamnés, non-seulement par les livres de Moïse, mais par l'Evangile lui-même. — bède. Il n'appartient donc pas à l'homme de séparer l'homme de la femme ; c'est le droit de Dieu seul, qui les avait unis lui-même, en ne faisant de l'homme et de la femme qu'une seule chair. Quand l'homme abandonne sa première femme, par le seul désir d'en épouser une autre, c'est lui-même qui fait la séparation ; mais c'est Dieu qui en est l'auteur, lorsque cette séparation n'a pour motif que le désir de mieux servir le Seigneur, en ayant une femme comme n'en ayant pas. — S. chrys. Si c'est un crime de séparer les deux créatures que Dieu lui-même a unies, c'en est un beaucoup plus grand de chercher à séparer l'Eglise de Jésus-Christ, à qui Dieu l'a unie.

théophyl. La réponse de Jésus-Christ aux pharisiens n'a pas résolu complètement les doutes des disciples, aussi l'interrogent-ils à leur tour : " Ses disciples l'interrogèrent encore dans la maison sur le même objet. " — S. jér. L'Evangéliste dit que les Apôtres l'interrogèrent une seconde fois, parce que leur question n'est que la répétition de celle des pharisiens, et qu'elle a pour objet l'état du mariage. Et cette répétition n'est pas inutile ; car la réponse que renouvelle le Verbe, loin de produire l'ennui, est un nouveau stimulant pour la faim et la soif. " Ceux qui me mangent, auront encore faim, et ceux qui ne boivent auront encore soif. " (Qo 24) Quand une âme a une fois goûte les enseignements de la sagesse, plus doux que le miel, son amour fait qu'elle y trouve une saveur délicieuse. Aussi le Sauveur s'empresse-t-il de renouveler l'instruction qu'il vient de donner : " Quiconque renvoie sa femme pour en épouser une autre, commet un adultère à son égard. " — S. chrys. Habiter avec une femme qui n'est pas la sienne, voilà ce que le Sauveur appelle un adultère ; cette seconde femme ne peut être la sienne après qu'il a abandonné la première ; il commet donc le crime d'adultère avec elle, c'est-à-dire, avec la seconde ; il en est de même de la femme à l'égard de son mari. Et si la femme se sépare de son mari et en épouse un autre, elle devient adultère. Séparée de son mari, elle ne peut donner ce nom à un autre homme, auquel elle s'unit. La loi avait défendu l'adultère public, mais le Sauveur proclame que tout adultère, ne fût-il ni public, ni connu d'un grand nombre de personnes, est contraire à la loi naturelle.

bède. Saint Matthieu est plus explicite encore : " Quiconque abandonnera sa femme, hors le cas de fornication. " La séparation ne peut donc avoir lieu que pour deux causes ; la fornication, c'est la raison charnelle, ou la crainte de Dieu, c'est le motif spirituel qui en a déterminé un grand nombre à une séparation mutuelle. Mais aucun motif approuvé de Dieu ne peut autoriser un homme à s'unir à une autre femme, tant que vit la première.

S. chrys. Saint Matthieu, en disant que Notre-Seigneur donna ces enseignements aux pharisiens, ne contredit pas saint Marc, qui rapporte qu'ils furent donnés aux disciples, car ils ont très bien pu être donnés aux uns d'abord, et ensuite aux autres.

 

Vv. 13-16.

théophyl. Après nous avoir fait connaître la malice des pharisiens qui tentaient le Sauveur, l'Evangéliste nous montre la foi vive de la multitude, persuadée que par la seule imposition des mains, Jésus-Christ attirerait les bénédictions sur les enfants qu'ils lui présentaient. " Alors on lui présenta de petits enfants, afin qu'il les touchât. " — S. chrys. (hom. 63 sur S. Matth.) Les disciples repoussaient ceux qui présentaient ces enfants, par égard pour la dignité de Jésus-Christ. " Les disciples repoussaient par de rudes paroles ceux qui les lui présentaient. " Mais le Sauveur voulant enseigner à ses disciples à fuir toute pensée d'orgueil, et à fouler aux pieds toute hauteur mondaine, accueille ces petits enfants, et déclare que le royaume des cieux leur appartient : " Et il leur dit : Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les empêchez point, " etc. — orig. (Traité 1 sur S. Matth.) Si un disciple qui fait profession de la foi catholique, voit qu'on offre au Sauveur ceux que le monde considère comme des insensés, des hommes ignorés et misérables qui sont appelés pour cette raison de petits enfants, qu'il se garde bien de s'y opposer en accusant d'indiscrétion ceux qui veulent les présenter au Sauveur. Puis il exhorte ses disciples qui sont déjà des hommes faits à condescendre à tout ce qui peut être utile aux enfants, à se faire enfants avec les enfants pour les signer à Dieu, à l'exemple de celui qui étant Dieu lui-même, s'est humilié jusqu'à se faire enfant. " Car le royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent. " — S. chrys. (hom. 62.) En effet, l'âme de l'enfant est libre de toute passion, et nous devons faire par le travail de la volonté ce qu'il fait eu suivant l'impulsion de la nature. — theophyl. Aussi ne dit-il pas : " Le royaume des cieux leur appartient, " mais " il appartient à ceux qui leur ressemblent, " c'est-à-dire, à ceux qui par des efforts constants parviennent à l'innocence et à la simplicité que les enfants ont par nature. L'enfant n'a point de haine, il agit sans malice, châtié par sa mère il revient près d'elle, il préfère aux vêtements des rois les habits grossiers dont elle le couvre ; ainsi, le chrétien docile aux inspirations de l'Eglise, sa mère, ne met rien au-dessus d'elle, pas même la volupté, cette reine, qui en asservit un si grand nombre. " Je vous le dis en vérité, ajoute le Sauveur, quiconque ne recevra point le royaume de Dieu, comme un petit enfant, n'y entrera point. " — bêde. C'est-à-dire, si vous n'avez point l'innocence et la pureté de cœur d'un enfant, vous ne pourrez entrer dans le royaume de Dieu. Dans une autre sens, Nôtre-Seigneur nous commande de recevoir comme un enfant le royaume de Dieu, c'est-à-dire, la doctrine de l'Evangile. Voyez l'enfant qui apprend, il ne contredit pas l'enseignement de ses maîtres, il ne cherche ni raison. ni discours pour leur résister, mais il reçoit avec docilité leurs leçons, et leur obéit avec respect. Ainsi devons-nous recevoir la parole de Dieu en lui obéissant avec simplicité et sans résistance.

" Et les ayant embrassés il les bénit en leur imposant les mains. " — S. chrys. Admirez comme il les embrasse pour les bénir ; il semble dans sa bonté vouloir ramener jusque dans son sein sa créature qui s'en était séparée dès le commencement par sa chute ; il impose les mains aux enfants, comme signe de l'action de la puissance divine. La coutume d'imposer les mains existait avant lui, mais jamais elle n'avait eu l'efficacité que le Sauveur lui communique. Car il était Dieu, mais comme homme, il se conformait aux actions extérieures en usage parmi les hommes. — bede. Il embrasse et bénit es enfants pour nous apprendre que c'est sur les humbles d'esprit qu'il se plaît à verser sa bénédiction, sa grâce et son amour.

 

Vv. 17-27.

bêde. Ce jeune homme avait entendu le Seigneur déclarer que ceux-là seuls seront dignes d'entrer dans le royaume des cieux, qui travaillent à ressembler aux petits enfants, il demande donc qu'on lui explique, non plus en paraboles, mais en termes précis quelles sont les œuvres méritoires de la vie éternelle. " Comme il sortait pour se mettre en chemin, une personne accourut, et se jetant à genoux devant lui, dit : Bon maître, que dois-je faire, je vous prie, pour acquérir la vie éternelle ? " — théophyl. J'admire ce jeune homme, qui, tandis que tous les autres ne viennent trouver le Seigneur que pour la guérison de leurs maladies, ne lui demande que la possession de la vie éternelle, malgré la pernicieuse passion de l'avarice qui, tout à l'heure, le jettera dans la tristesse.

S. chrys. (hom. 63.) Ce jeune homme interroge le Sauveur comme s'il n’était qu'un homme ordinaire et un des docteurs des Juifs ; aussi Jésus-Christ ne lui répond que comme un homme. " Jésus lui répondit : Pourquoi m'appelez-vous bon, il n'y a que Dieu seul qui soit bon. " En parlant de la sorte, il ne prétend pas que les hommes ne puissent être bons, mais que leur bonté est nulle en comparaison de celle de Dieu. — bede. Ce Dieu qui seul est bon, ce n'est pas seulement le Père, mais le Fils qui a dit de lui-même : " Je suis le bon Pasteur, " (Jn 10), et le Saint-Esprit, dont le Fils a dit : " Le Père enverra du haut des cieux le bon Esprit à ceux qui le demanderont. " (Lc 11) La Trinité une fit indivisible, le Père, le Fils, le Saint-Esprit, sont un seul et unique Dieu bon. Nôtre-Seigneur ne nie donc point qu'il soit bon, mais il indique qu'il est Dieu ; il ne nie pas qu'il soit bon maître, mais il affirme que sans Dieu, nul ne peut être bon maître. — theophyl. Nôtre-Seigneur, par ces paroles, voulait élever les pensées de ce jeune homme jusqu'à le reconnaître pour Dieu. Elles renferment encore une autre leçon, c'est, lorsque vous devez conférer avec une personne, de vous garder de toute flatterie, et de tenir les yeux fixés sur Dieu, racine et source de toute bonté, et de lui rendre l'honneur qui lui est dû.

bêde. La fidélité aux prescriptions de la loi donnait droit, non-seulement aux biens de la terre comme récompense, mais à la vie éternelle. Aussi, à ce jeune homme qui lui demande les conditions de la vie éternelle ; Jésus répond: " Vous connaissez les commandements : Vous ne commettrez point d'adultère, vous ne tuerez point, " etc. Voilà cette innocence de l'enfant que nous devons imiter si nous voulons entrer dans le royaume de Dieu. " Ce jeune homme lui répondit : Maître, j'ai observé toutes ces choses dès ma jeunesse. " Ne supposons pas, comme quelques-uns, que ce jeune homme ait voulu tenter le Seigneur, ou qu'il ait exagéré le mérite de sa vie. Non, quelques il a dit simplement ce qu'elle avait été, comme le prouve ce qui suit : " Jésus le regardant l'aima, " etc. Or, s'il eût été coupable de mensonge ou de dissimulation, comment Jésus, le scrutateur des cœurs, aurait-il pu l'aimer ? — orig. L'affection que Jésus témoigna à ce jeune homme par le baiser qu'il lui donna atteste la vérité de ce qu'il venait de dire de sa fidélité à garder tous les commandements. Jésus pénétrant dans son âme en vertu de sa science divine, vit que ce témoignage ne pouvait sortir que d'une bonne conscience.

S. chrys. Il n'est pas sans intérêt d'examiner comment Jésus a pu aimer un homme qui ne devait pas le suivre. Or, voici ce que l'on petit dire : quant à la première partie de sa vie où il avait observé toute la loi dès sa jeunesse, il était digne de l'amour du Sauveur; dans la seconde, il n'a point, il est vrai, embrassé la voie de la perfection, mais il n'a point mérité non plus de voir diminuer l'affection que Jésus lui avait témoignée. Il n'a point dépassé les limites de la faiblesse humaine en refusant de suivre Jésus-Christ, mais il ne s'est rendu coupable d'aucun crime, il a été fidèle observateur de la loi selon la mesure ordinaire, et c'est cette fidélité qui l'a rendu digne de l'amour de Jésus-Christ. — bêde. En effet, le Seigneur aime ceux qui accomplissent fidèlement les commandements de la loi, qui ne sont cependant que le moindre degré de la perfection, mais il ne laisse pas de montrer l'insuffisance de la loi pour ceux qui aspirent à la perfection, car il n'est pas venu détruire la loi, mais l'accomplir. " Et Jésus lui dit : II vous manque encore une chose : Allez, vendez toute ce que vous avez, donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel, puis venez et suivez moi. " Car tout homme qui veut être parfait, doit vendre ce qu'il possède, non pas en partie, comme Ananie et Sapphire, mais en totalité. — théophyl. Et lorsqu'il aura fait cette vente, il doit en distribuer le produit aux pauvres, et non pas aux histrions et aux débauchés.

S. chrys. (hom. 63 sur S. Matth.) Ce n'est pas sans dessein que Nôtre-Seigneur promet à ce jeune homme, non la vie éternelle, mais un trésor : " Et vous aurez un trésor dans le ciel. " Il vient de lui parler du renoncement aux richesses et à tout ce qu'il possède, il lui apprend que les récompenses promises à ceux qui auront pratiqué ce renoncement, seront aussi élevées au-dessus des biens qu'ils auront quittés, que le ciel l'est au-dessus de la terre. — théophyl. Mais comme parmi les pauvres, il en est qui sont dominés par l'orgueil, par l'intempérance, ou par quelque autre inclination vicieuse, Notre-Seigneur ajoute : " Puis venez et suivez-moi. " — bède. Suivre Notre-Seigneur, c'est l'imiter et marcher sur ses traces.

" Mais ce jeune homme, affligé de ces paroles, s'en alla tout triste. " — S. chrys. L'Evangéliste nous fait connaître la cause de sa tristesse : " Car il avait de grands biens. " En effet, les dispositions de notre cœur sont différentes suivant que nous avons beaucoup ou peu de biens ; ajouter sans cesse de nouvelles richesses à celles qu'on possède déjà, c'est développer dans son cœur l'ardeur de la convoitise.

" Alors Jésus jetant ses regards autour de lui, dit à ses disciples : Qu'il est difficile à ceux qui ont des richesses d'entrer dans le royaume des cieux ! " — theophyl. Il ne dit pas que les richesses soient mauvaises en elles-mêmes, mais ceux-là seuls sont mauvais qui ne les possèdent que pour les conserver. Cardans les desseins de Dieu, les richesses ne nous sont point données pour les garder et les conserver, mais pour les utiliser dans nos besoins et les faire servir à notre usage. — S. chrys. Or, Nôtre-Seigneur tient ce langage à ses disciples, qui étaient pauvres et dénués de tout, pour leur apprendre à ne pas rougir de leur pauvreté, et comme pour s'excuser à leurs yeux de l'indigence où il les laisse. " Et les disciples étaient tout étonnés de ce discours. " II est évident que pauvres qu'ils étaient, ils n'étaient affectés que ce qui intéressait le salut des autres.

bède. Cependant, il y a une grande différence entre la possession et l'amour des richesses ; aussi Salomon ne dit pas : " Celui qui possède, " mais " celui qui aime les richesses, n'en retirera aucun fruit. " (Qo 5, 9.) C'est pour la même raison que Jésus explique à ses disciples étonnés la sens de la maxime qu'il vient d'émettre : " Et Jésus ajouta : Mes petits enfants, qu'il est difficile à ceux qui mettent leur confiance dans les richesses d'entrer dans le royaume de Dieu ! " Remarquez qu'il ne dit pas : Qu'il est impossible ! mais " qu'il est difficile ! " Car ce qui est impossible ne peut se faire en aucune façon, tandis que par de grands efforts, on peut triompher de toute difficulté. — S. chrys. Ou peut dire aussi que cette difficulté est ici une véritable impossibilité ; une impossibilité qui n'est pas ordinaire et dont il fait ressortir la grandeur par la comparaison suivante : " II est plus aisé qu'un chameau passe par le chas d'une aiguille, qu'il ne l'est à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu. " —théophyl. Par chameau, il faut entendre, ou l'animal qui porte ce nom, ou ce gros câble dont on fait usage pour les grands navires. — bède. Comment donc voyons-nous, soit dans l'Evangile, Matthieu, Zachée, Joseph d'Arimathie ; soit dans l'Ancien Testament, un si grand nombre de riches qui ont entré dans le royaume de Dieu ? C'est que l'inspiration divine leur avait appris à compter pour rien leurs richesses, ou même à les abandonner entièrement. Dans un sens plus élevé, il est plus facile à Jésus-Christ de souffrir pour ses amis, qu'aux amateurs du siècle de se convertir à Jésus-Christ. C'est lui que nous devons voir sous l'emblème de ce chameau, parce qu'il a voulu porter sur lui le fardeau de nos péchés. L'aiguille signifie les traits perçants, c'est-à-dire, les douleurs aiguës de sa passion. Le trou de cette aiguille, ce sont les angoisses de sa passion dont il s'est servi pour remettre à neuf les vêtements usés de notre vieille nature : " Ils furent remplis d'un étonnement beaucoup plus grand, et ils se disaient l'un à l'autre : Qui peut donc être sauvé ? " Comme le nombre des pauvres qui peuvent être sauvés est incomparablement plus grand que celui des riches qui se perdent, il est évident que dans la pensée des Apôtres, il faut mettre au nombre des riches, tous ceux qui aiment les richesses, bien qu'ils ne puissent les acquérir. " Mais Jésus les regardant leur dit : Cela est impossible aux hommes, mais non pas à Dieu. " Ce qui ne veut pas dire que les avares et les orgueilleux puissent entrer dans le royaume des deux avec leur avarice et leur orgueil ; mais Dieu peut les convertir de la cupidité et de l'orgueil, à la charité et à l'humilité chrétienne.

S. chrys. (hom. 63.) C'est là vraiment, suivant le Sauveur, l'œuvre de Dieu, c'est-à-dire que celui que Dieu appelle à cette vocation, a besoin d'un secours extraordinaire de la grâce. D'où nous pouvons conclure combien grande sera la récompense des riches qui auront consenti à suivre la divine sagesse de Jésus-Christ.

théophyl. On peut encore donner un autre sens à ces paroles : " Cela est impossible aux hommes, mais non pas à Dieu. " C'est-à-dire que ce qui nous est impossible lorsque nos pensées sont toutes terrestres, nous devient possible lorsque nous écoutons Dieu. " Car toutes choses sont possibles à Dieu. " Toutes choses, c'est-à-dire tous les êtres, car le péché n'est pas un être, il n'a ni nature ni substance. Ou bien encore, le péché est le résultat non de la force, mais de la faiblesse, et il est impossible à Dieu aussi bien que la faiblisse. Mais Dieu peut-il donc faire que ce qui a été fait ne l'ait pas été ? Je réponds que Dieu est la vérité ; or, il est contraire à la vérité de faire que ce qui a été n'ait pas existé. Or, comment la vérité pourrait-elle agir contre la vérité ? Il faudrait, comme le disent quelques-uns, qu'elle commençât par détruire sa propre nature. Mais Dieu peut-il cesser d'être Dieu ? C'est une absurdité de le penser.

 

Vv. 28-31.

la glose. Comme ce jeune homme était parti tout triste du conseil que le Sauveur lui avait donné d'abandonner tousses biens, les disciples de Jésus, qui avaient déjà mis ce conseil en pratique, s'empressent de l'interroger sur la récompense réservée à un sacrifice qu'ils regardent comme héroïque, puisque ce jeune homme qui avait accompli tous les préceptes de la loi, n'avait pu sans une grande tristesse entendre une doctrine aussi parfaite. Pierre interroge donc le Seigneur pour lui et au nom des autres disciples : "Alors Pierre, prenant la parole, lui dit : Voici que nous avons tout quitté pour vous suivre." — théophyl. Pierre a quitté bien peu de chose, et cependant il dit : " Nous avons tout quitté, " car il faut peu de chose pour nous rendre esclaves de la cupidité ; aussi on est heureux quand on a su le sacrifier.

bede. Mais il ne suffit pas de tout abandonner ; aussi Pierre ajoute, ce qui est le caractère de la perfection : " Et nous vous avons suivi, " c'est-à-dire : Nous avons fait ce que vous nous avez commandé, quelle sera noire récompense ? La question de Pierre n'avait pour objet que les disciples, la réponse du Sauveur est générale : " Jésus lui répondit : En vérité, en vérité, je vous le dis, nul, " etc. Il ne veut pas ici nous engager à abandonner nos parents, sans les assister; ni à nous séparer de nos épouses ; il nous apprend simplement à préférer l'honneur de Dieu à tous les intérêts du siècle. — S. chrys. (hom. 64 sur S. Matth.) Nôtre-Seigneur me paraît avoir voulu prédire indirectement les persécutions futures où l'on devait voir un grand nombre de parents entraîner leurs enfants dans l'impiété, et beaucoup de femmes leurs maris. Ces expressions : " Pour mon nom " ou " pour l'Evangile, " comme nous lisons dans saint Marc, ou " pour le royaume de Dieu, " suivant la variante de saint Luc, sont synonymes, car le nom de Jésus-Christ est la vertu de l'Evangile et du royaume de Dieu. L'Evangile est reçu au nom de Jésus-Christ, et c'est par son nom qu'on arrive à la connaissance et à la possession du royaume de Dieu.

bede. Quelques-uns, à l'occasion de cette promesse : " Il recevra le centuple dès cette vie, " ont imaginé par une interprétation judaïque cette fable de mille ans accordée aux justes après la résurrection, où Dieu devait leur rendre le centuple de ce qu'ils avaient quitté pour Dieu, et leur donner ensuite la vie éternelle. Ils ne voient pas que si cette promesse peut s'accomplir sans inconvenance pour tous les autres objets, elle a quelque chose de honteux en ce qui concerne les femmes qui seraient rendues au centuple, d'après les autres Evangélistes, d'autant plus que le Seigneur nous déclare expressément qu'après la résurrection il n'y aura plus de mariage, et qu'il nous assure que les récompenses des sacrifices accomplis pour lui plaire, seront ici-bas mêlées de persécutions. Or, ils ont soin de bannir toute persécution des mille ans qu'il ont imaginés. — S. chrys. Cette récompense au centuple doit donc s'entendre de la communication et non de la possession, et le Seigneur a accompli cette promesse d'une manière bien supérieure au sens matériel. — theophyl. Dans une maison, une seule épouse s'occupe de la nourriture et du vêtement de son mari. Mais voyez les Apôtres, un certain nombre de femmes pourvoyaient à leur nourriture et à leurs vêtements, et les servaient. (1 Co 9) Ils eurent aussi autant de pères, autant de mères qu'il y avait de fidèles qui les aimaient. Pierre lui-même n'avait quitté qu'une seule maison, et les maisons de tous les fidèles étaient à sa disposition. Et ce qu'il y a de plus remarquable, c'est que les saints jouiront de ce centuple jusqu'au milieu des persécutions qu'ils auront à souffrir. Aussi le Sauveur ajoute : " Les premiers seront les derniers, et les derniers les premiers. " Les pharisiens, qui étaient les premiers, sont devenus les derniers. Ceux, au contraire, qui ont tout abandonné pour suivre Jésus-Christ, ont été il est vrai les derniers en ce monde, si l'on considère leurs épreuves et leurs afflictions ; mais ils seront les premiers par leur espérance en Dieu.

bede. Ou peut entendre dans un sens plus élevé ces paroles : " II recevra au centuple. " Le nombre cent qui s'exprime en passant de la droite à la gauche, a pour signe caractéristique la même inflexion de doigts qui dans la main gauche désigne le nombre dix ; cependant il lui est de beaucoup supérieur en quantité. C'est ainsi que tous ceux qui ont méprisé les biens de ce monde pour le royaume de Dieu goûtent avec une foi ferme (He 11) les joies de ce royaume jusque dans cette vie pleine de persécutions, et dans l'attente de la céleste patrie, figurée par la droite, ils jouissent par avance de la félicité des élus. Le Sauveur ajoute : " Et plusieurs qui étaient les premiers seront les derniers, et plusieurs qui étaient les derniers seront les premiers. " Tous les jours, en effet, nous voyons de simples fidèles donner l'exemple des plus éminentes vertus ; et d'autres, pleins de ferveur au début de leur conversion, tomber dans la tiédeur, et, cédant à une paresse insensée, finir par la chair après avoir commencé par l'esprit.

 

Vv. 32-34.

bède. Les disciples n'avaient pas oublié la prédiction que le Seigneur leur avait faite, de ce qu'il devait souffrir de la part des princes, des prêtres et des scribes ; aussi n'était-ce qu'avec un sentiment de crainte qu'ils prenaient le chemin de Jérusalem : " Or, ils étaient en chemin pour aller à Jérusalem et Jésus marchait devant eux. "— théophyl. Il veut nous montrer qu'il court au-devant de sa passion et qu'il ne refuse pas de souffrir la mort pour notre salut. " Et ils le suivaient, remplis d'étonnement et de crainte. " — bêde. Ils craignaient de partager la mort qui l'attendait, ou du moins ils redoutaient de voir succomber sous les efforts de ses ennemis celui dont la présence et les divines leçons faisaient toute leur joie. Or, le Seigneur, prévoyant le trouble que le spectacle de sa passion devait jeter dans l'âme de ses disciples, leur prédit à la fois les tourments de sa passion et la gloire de sa résurrection. " Et Jésus, de nouveau, prenant à part les douze, commença à leur dire, " etc. — theophyl. Il veut affermir le cœur de ses disciples qui, ainsi prévenus, devaient supporter plus facilement cette épreuve et ne pas s'en effrayer outre mesure, comme d'un malheur inattendu. Il veut encore les convaincre que sa mort est volontaire ; car celui qui prévoit sa mort, qui peut la fuir et ne la fuit pas, montre, avec évidence que c'est volontairement qu'il se livre à la mort. Il prend à part ses disciples, car il était juste que ce fût à ses amis les plus intimes qu'il révélât le mystère de sa Passion.

S. chrys. (hom. 63.) Il leur prédit en détail toutes les circonstances de sa passion pour prévenir le trouble soudain qui se serait emparé d'eux à la vue d'une épreuve nouvelle qu'il ne leur aurait point fait connaître. " Voici que nous allons à Jérusalem et le Fils de l'homme, " etc. — la glose. " Le Fils de l'homme, " car c'est lui seul qui doit souffrir, la divinité est inaccessible aux souffrances. " Il sera livré (par Judas) aux princes des prêtres, aux scribes et aux anciens, et ils le condamneront à mort (le déclarant juridiquement digne de mort), et ils le livreront aux Gentils " (à Pilate, idolâtre). " Et ils l'insulteront " (les soldats de Pilate) ; " ils le couvriront de crachats, ils le flagelleront, et ils le mettront à mort. " — S. chrys. (comme précéd.) Pour adoucir la douleur qu'ils éprouveront de sa passion et de sa mort par l'espérance de sa résurrection, il ajoute : " Et il ressuscitera le troisième jour. " II ne leur avait pas caché le mystère de ses douleurs et de ses opprobres ; c'était pour eux un motif d'ajouter foi aux autres prédictions qu'il leur faisait.

 

Vv. 35-40.

S. chrys. Les disciples, qui avaient souvent entendu Jésus leur parler de son royaume, pensaient que l'établissement de ce royaume aurait lieu avant sa mort. Or, comme il vient de leur annoncer celle mort comme prochaine, il s'empressent de solliciter de lui les honneurs de son royaume. " Alors Jacques et Jean s'approchèrent de lui, " etc. Ils rougissent, ce semble, de céder à une inspiration toute humaine, et ils s'approchent de Jésus-Christ pour le tirer à l'écart, loin des autres disciples. Le Sauveur, connaissait bien leurs intentions, mais voulant les amener à formuler leur demande, leur fait cette question : " Que voulez-vous que je fasse pour vous ? " — théophyl. Ces deux disciples s'imaginaient qu'il allait à Jérusalem pour y établir son royaume, avant de souffrir la mort qu'il venait de prédire, et dans cette pensée ils désiraient d'être assis l'un à droite, l'autre à gauche de son trône : " Et ils lui dirent : Accordez-nous que nous soyons assis dans votre gloire, l'un à votre droite, l'autre à votre gauche." — S. aug. (De l'acc. des Evang., 2, 64.) D'après saint Matthieu, ce ne sont point les deux disciples eux-mêmes qui formulent cette demande, mais leur mère qui exprime au Sauveur le désir de ses enfants ; voilà pourquoi saint Marc, dans son récit abrégé, leur attribue plutôt cette démarche. — S. chrys. (hom. 65.) On peut dire avec autant de vraisemblance que ce désir fut exprimé à la fois par la mère et les enfants ; ces deux disciples se voyant honorés plus particulièrement par Jésus, espéraient obtenir l'effet de leur demande, et pour en assurer le succès, ils se font accompagner de leur mère.

S. aug. (De l'accord des Evang., 2, 64.) Aussi, dans le récit de saint Matthieu comme dans celui de saint Marc, c'est à eux plutôt qu'à leur mère que s'adresse la réponse du Sauveur : " Jésus leur répondit : Vous ne savez ce que vous demandez. " — theophyl. C'est-à-dire : II n'en est pas comme vous le pensez ; ce n'est point un royaume temporel que je dois établir à Jérusalem ; tout ce qui a rapport à ce royaume surpasse toute intelligence, et l'honneur d'être assis à ma droite est si élevé, qu'il est au-dessus même des prérogatives des anges. — bêde. Ou bien ils ne savent ce qu'ils demandent, en sollicitant du Sauveur un honneur qu'ils n'ont pas encore mérité. — S. chrys. (hom. 65.) Un bien encore : " Vous ne savez ce que vous demandez, " c'est-à-dire : Vous parlez d'honneurs et de dignités, lorsque je ne vous entretiens que de combats et de fatigues. Ce n'est point ici le temps des récompenses, mais celui du sacrifice, des combats et des dangers ; c'est pour cela qu'il ajoute : " Pouvez-vous boire le calice ? " etc. Il emploie cette forme interrogative pour exciter dans leurs cœurs un plus vif désir de participer à ses souffrances.

théophyl. C'est sa croix qu'il appelle un calice et un baptême ; un calice, parce qu'elle est pour lui un breuvage qu'il accepte avec joie ; un baptême, car c'est par elle que nous sommes purifiés de nos fautes. Les disciples lui répondirent sans comprendre le sens de ses paroles : " Ils lui répondirent : Nous le pouvons. " Ils s'imaginaient qu'il n'était question que d'une coupe ordinaire et de purifications en usage chez les Juifs, et qui précédaient les repas.—S. chrys. (hom. 65.) Ils se hâtent de répondre, persuadés que leur demande va être exaucée. " Mais Jésus leur dit : Vous boirez en effet le calice que je boirai, " etc., c'est-à-dire vous serez jugés dignes de la gloire du martyre, et d'être associés à mes souffrances.

bède. Comment Jacques et Jean ont-ils bu la coupe du martyre, comment ont-ils été baptisés du baptême du Seigneur, puisque d'après le livre des Actes, l'apôtre saint Jacques fut seul décapité par Hérode, tandis que saint Jean mourut de sa mort naturelle ? Si nous lisons l'histoire ecclésiastique, nous y verrons que Jean souffrit le martyre lorsqu'il fut plongé dans une chaudière d'huile bouillante et puis exilé ensuite dans l'île de Pathmos. Jean a donc eu l'esprit du martyre, et il en a bu la coupe (comme les trois enfants dans la fournaise), bien que son sang n'ait pas été répandu par les bourreaux.

" Mais d'être assis à ma droite, " etc. — S. chrys. (hom. 65.) On peut faire ici deux questions : premièrement, est-il dans le ciel une place préparée pour quelqu'un à la droite du Sauveur ? secondement, le souverain Seigneur de toutes choses a-t-il le pouvoir d'accorder cette place à ceux à qui elle a été préparée ? Je réponds à la première question, que personne dans le ciel n'est assis, soit à la droite, soit à la gauche de Jésus-Christ, son trône est inaccessible à toute créature ; comment donc expliquer ces paroles : " D'être assis à ma droite ou à ma gauche, ce n'est pas à moi de vous l'accorder, " comme si quelques-uns devaient occuper ces places ? Nôtre-Seigneur répond ici à la pensée de ceux qui lui font cette question, et condescend au sentiment qui l'a dictée. Les disciples ne connaissaient pas ce trône élevé, ce siège à la droite du Père ; ils ne demandaient qu'une chose : c'était l'autorité même et la prééminence sur les autres Apôtres. Ils avaient entendu de la bouche même du Sauveur que les Apôtres seraient assis sur douze sièges ; ils ne savent ce que signifie cette promesse, ce qu'ils demandent, c'est d'être élevés au-dessus des autres. Quant à la seconde question, je réponds qu'une si grande faveur ne dépasse point le pouvoir du Fils de Dieu. Ces paroles de saint Matthieu : " Ceux à qui mon Père l'a préparé, " ont le même sens que ces autres : " A qui je l'ai préparé. " Aussi saint Marc s'est contenté de dire ici : " ceux à qui ces places ont été préparées. " Voici donc le sens des paroles du Sauveur : Vous donnerez votre vie pour moi, mais ce n'est pas assez pour obtenir les premières places. Si un autre, martyr comme vous se présente avec une moisson de vertus supérieure à la vôtre ; il obtiendra des récompenses beaucoup plus grandes. Les premières places sont réservées à ceux que leurs œuvres placent au premier rang. Par cette réponse, le Seigneur ne veut pas les contrister, mais il leur apprend à cesser toutes ces vaines et inutiles questions sur la préséance. — bède. Ou bien encore, il ne m'appartient point de vous accorder cette première place, c'est-à-dire de l'accorder aux superbes, car ils l'étaient encore. C'est pour d'autres qu'elle a été préparée, soyez tout autres que vous n'êtes, c'est-à-dire soyez humbles et cet honneur vous est assuré.

 

Vv. 41-45.

théophyl. Cette prétention des fils de Zébédée à des honneurs privilégiés, irrite les autres Apôtres. " Et les dix autres, entendant cela, s'indignèrent contre Jacques et Jean. " Ils étaient encore assujettis aux faiblesses de l'humanité, et cédaient aux inspirations de l'envie ; mais ils ne manifestent leur indignation que lorsqu'ils virent la demande des deux disciples rejetée par le Seigneur. Jusque là ils avaient comprimé ces sentiments, parce qu'ils voyaient que Jacques et Jean étaient de la part du Sauveur l'objet d'une distinction spéciale. Telles étaient alors les dispositions imparfaites des Apôtres ; plus tard nous les verrons se céder mutuellement les premières places. Or, le Seigneur applique un double remède à la plaie de leur âme : premièrement, il les appelle près de lui pour les consoler : " Jésus les appela, " dit l'Evangéliste ; secondement, il leur enseigne que cette convoitise d'honneurs, ce désir des premières places est le propre des païens : " Vous savez que ceux qui paraissent les chefs des nations leur commandent en maîtres, et que les grands exercent sur elles l'empire. " En effet, chez les païens, les rois exercent l'autorité d'une manière absolue et tyrannique : " Il n'en sera pas ainsi parmi vous. " — bède. Il leur apprend que pour devenir le plus grand, il faut commencer par être le plus petit, et qu'on ne devient le maître de tous qu'en se rendant leur serviteur. C'est donc inutilement que les uns ont manifesté des prétentions exagérées, et que les autres se sont indignés contre ces désirs ambitieux, puisque c'est l'humilité et non les honneurs et la puissance qui conduit à la perfection des vertus. Puis il leur propose un exemple capable de les faire rougir, si ses paroles ont fait peu d'impression sur eux : " Car le Fils de l'homme même n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie pour la rédemption d'un grand nombre. " —théophyi. Ce qui est beaucoup plus que de servir. En effet, que peut-on concevoir de plus grand, de plus admirable, que de donner sa vie pour celui dont on s'est fait le serviteur ? Et cependant cette servitude volontaire, cet excès d'humiliation est devenu le principe de la gloire, non seulement du Sauveur, mais de tous les hommes. Avant qu'il se fit homme, il n'était connu que des anges ; après son incarnation, après sa mort sur la croix , non-seulement il a été couvert lui-même de gloire, mais il nous a rendu participants de cette gloire, et a régné en maître par la foi sur tout l'univers. — bède. Il ne dit pas : " II a donné sa vie pour la rédemption de tous, mais pour la rédemption d'un grand nombre ; c'est-à-dire de ceux qui consentiront à croire en lui.

 

Vv. 46-52.

S. jér. " Et ils vinrent ensuite à Jéricho. " Le nom de Jéricho a un rapport remarquable avec la passion qui approche ; il signifie lune ou anathème. En effet, la défaillance de la chair de Jésus-Christ est la préparation pour entrer dans la Jérusalem céleste.

" Et lorsqu'il sortait de Jéricho, un aveugle, " etc. — bède. Saint Matthieu nous parle de deux aveugles assis sur le bord du chemin, et qui obtinrent du Seigneur la guérison qu'ils demandaient à grands cris. Saint Luc, au contraire, ne parle que d'un seul aveugle qui recouvra la vue dans les mêmes circonstances, à la porte de Jéricho. Personne, pour peu qu'on réfléchisse, n'en conclura qu'il y a contradiction entre les Evangélistes, mais tout simplement que le récit de l'un est plus développé que la narration de l'autre. Ce qui paraît ici certain, c'est que l'un de ces deux aveugles avait plus de notoriété que l'autre, comme nous le fait supposer saint Marc en nous faisant connaître son nom et celui de son père. — S. aug. (De l'accord des Evang., 2, 65.) La raison pour laquelle saint Marc ne parle que de cet aveugle, c'est que sa guérison a donné au miracle autant d'éclat et de renommée qu'en avait son infirmité. Quant à la guérison rapportée par saint Luc, elle a eu lieu dans des circonstances semblables ; cependant c'est un autre aveugle qui fut l'objet de ce miracle.

" Ayant appris que c'était Jésus de Nazareth, " etc. — S. chrys. Cet aveugle appelle le Seigneur " Fils de David , " parce qu'il entend les louanges de la foule qui passe, et qu'il acquiert ainsi la certitude que le Sauveur vient accomplir les oracles et l'attente des prophètes.

" Et plusieurs le reprenaient rudement pour le faire taire."— orig. (Traité 13 sur S. Matth.) Tel est le sens de ces paroles : Les premiers qui avaient cru en Jésus-Christ le reprenaient de ce qu'il appelait Jésus " Fils de David ; " ils voulaient qu'il se tût, ou qu'au lieu de donner au Sauveur un nom peu digne de lui, il lui criât : " Fils de Dieu, ayez pitié de moi. " Mais cet aveugle n'obéit point à leurs reproches : " II criait encore plus haut, " etc. Le Seigneur entend il ses cris. Alors Jésus s'arrêtant, ordonna qu'on le fît venir. " Remarquez combien l'aveugle dont parle saint Luc est inférieur à celui-ci : Jésus ne l'appelle pas lui-même, comme saint Matthieu le rapporte ; il n'ordonne pas qu'on le fasse venir, comme nous le voyons ici ; mais il ordonne qu'on le lui amène comme étant incapable de venir à lui-même. L'aveugle, au contraire, dont il est ici question, est appelé par l'ordre du Sauveur : " Et ils l'appelèrent en lui disant : Ayez confiance, levez-vous, il vous appelle. Celui-ci, rejetant son manteau, s'élança et vint à Jésus. " Le vêtement de cet aveugle, de ce mendiant signifie peut-être la pauvreté et l'indigence dont il était comme enveloppé ; il s'en débarrasse pour venir à Jésus, et lorsqu'il est près de lui, le Sauveur l'interroge et lui dit : " Que voulez-vous que je vous fasse ? " — béde. Celui qui avait la puissance de lui rendre la vue pouvait-il ignorer le désir de cet aveugle ? S'il l'interroge, c'est donc pour que cet aveugle demande sa guérison ; c'est pour faire naître dans son cœur une prière fervente. — S. chrys. (hom. 66) Ou bien il lui fait cette question pour ne point lui donner lieu de penser qu'il lui accorderait autre chose que ce qu'il désirait recevoir. En effet, le Sauveur avait coutume de faire exprimer devant tous ceux qui étaient présents le désir de ceux qui sollicitaient leur guérison, avant de la leur accorder. Il voulait tout à la fois exciter la foi de ceux qui en étaient les témoins, et montrer qu'il n'accordait cette grâce qu'à ceux qui en étaient dignes.

" L'aveugle lui répondit : Seigneur, faites que je voie. " Cet aveugle n'a qu'un désir, celui de voir la lumière, car quels que soient les autres biens qu'il puisse posséder, sans la lumière, il lui est impossible de les voir. — S. jér. Jésus voyant la ferveur de sa demande, s'empresse de la récompenser en l'exauçant pleinement. — orig. (Traité 13 sur S. Matth.) Le titre de Maître ou de Seigneur qu'on lit dans les autres Evangélistes, est plus digne que celui de Fils de David. Aussi le Sauveur, qui ne l'a point exaucé, tant qu'il a dit : " Fils de David, " le guérit aussitôt qu'il l'appelle : " Maître. " " Et Jésus lui dit : Allez, votre foi vous a sauvé. Et il vit au même instant, et il suivait Jésus dans le chemin. " — théophyl. Cet aveugle témoigne sa reconnaissance à Jésus qui vient de le guérir, en suivant son bienfaiteur et en s'attachant à ses pas.

bède. Dans le sens mystique, Jéricho, dont le nom veut dire lune, représente les défaillances de notre mutabilité naturelle. C'est en approchant de Jéricho, que Nôtre-Seigneur rend la vue à cet aveugle, parce que c'est en paraissant revêtu d'une chair mortelle et aux approches de sa passion, qu'il amène un grand nombre d'âmes à la lumière de la foi. En effet, ce n'est pas dans les premières années de son incarnation, mais dans les années qui ont précédé immédiatement sa mort, qu'il a révélé au monde le mystère du Verbe incarné. — S. jér. L'aveuglement où est tombé une partie du peuple juif, fera place à la lumière, lorsqu'à la fin du monde, Nôtre-Seigneur leur enverra le prophète Elie (Ml 4, 5). — bède. Avant d'entrer dans Jéricho, Jésus rend la vue à un seul aveugle, et en sortant de cette ville il en guérit deux, c'est-à-dire, qu'avant sa passion il n'a prêché son Evangile qu'au seul peuple juif, tandis qu'après sa résurrection et son ascension, il a révélé par ses Apôtres aux Juifs et aux gentils, les secrets de sa divinité et de son humanité. Saint Marc, qui ne rapporte la guérison que d'un seul aveugle, a en vue le salut des gentils, et présente à ceux qu'il instruisait des mystères de la foi, une figure spéciale de leur conversion. Saint Matthieu, au contraire, dont l'Evangile écrit pour les Hébreux convertis à la foi, devait cependant parvenir ensuite aux gentils, rapporte la guérison de deux aveugles, pour nous apprendre que les deux peuples participeraient un jour à la même grâce de la foi. Au moment où Notre-Seigneur sort de Jéricho, accompagné de ses disciples et d'une grande multitude, un aveugle se trouve assis sur le bord du chemin pour demander l'aumône ; cet aveugle est la figure du peuple des gentils qui commence à concevoir l'espérance de recouvrer la lumière, lorsque le Sauveur monte aux cieux, suivi d'une foule innombrable de fidèles, et de tous les élus, depuis le commencement du monde, qui entrèrent avec lui dans le royaume des cieux. Cet aveugle mendie sur le bord de la route, parce que le peuple des gentils n'était pas encore entré dans la vérité, et faisait simplement des efforts pour y parvenir. — S. jér. Le peuple juif, qui conserve les Ecritures sans les accomplir, est aussi figuré par ce mendiant du chemin, qui souffre de la faim. Il crie : " Fils de David, ayez pitié de moi, " parce que c'est par les mérites des patriarches, que le peuple juif peut obtenir la grâce de la lumière. Des menaces multipliées lui imposent silence ; ce sont les péchés et les démons qui étouffent le cri du pauvre ; mais cet aveugle redouble ses cris, car plus la lutte devient violente, plus aussi il faut lever les mains avec de grands cris vers la pierre du secours (Ex 17, 11 ; 1 R 4), c'est-à-dire, vers Jésus de Nazareth.

bède. Dès que le peuple des gentils eut appris la célébrité du nom de Jésus-Christ, il cherche à participer à ses grâces, malgré les oppositions nombreuses d'abord des Juifs, puis des gentils eux-mêmes, qui ne voulaient pas que le monde rendu à la lumière invoquât le nom de Jésus Christ ; cependant leurs violentes attaques ne purent priver de la grâce du salut ceux qui étaient prédestinés à la vie. C'est en passant que Jésus entend les cris de cet aveugle ; car si c'est par la puissance de sa divinité qu'il chasse les ténèbres de notre âme, c'est par son humanité qu'il a compassion de nous. La naissance, la mort de Jésus sont comme un passage, ce sont des actions accomplies dans le temps, mais se tenir debout signifie pour Dieu, ordonner d'une manière immuable. Le Seigneur appelle à lui cet aveugle qui crie, lorsqu'il charge les prédicateurs de porter aux gentils la parole de la foi. Ceux-ci appellent l'aveugle, l'excitent à la confiance, lui commandent de se lever et de venir trouver le Seigneur, lorsqu'en instruisant les ignorants, ils font naître dans leur âme l'espérance du salut, les font sortir de la fange des vices, et leur commandent de se préparer aux combats de la vertu. L'aveugle jette son manteau et s'élance vers Jésus, figure de celui qui se débarrasse de tous les liens du monde, et qui s'empresse de marcher d'un pas libre vers la source de la lumière éternelle.

S. jer. Le peuple juif, après s'être dépouillé du vieil homme, accourt aussi comme un faon qui bondit sur les montagnes. Il secoue sa négligence, jette les regards sur les hauteurs où se trouvent les patriarches, les prophètes, les Apôtres, et s'élance à leur suite vers les choses du ciel. Tel est l'ordre habituel du salut : nous écoutons d'abord la parole des prophètes, nous faisons entendre le cri de la foi, nous sommes appelés par les Apôtres, nous nous levons par la pénitence, nous nous dépouillons par le baptême, nous sommes interrogés pour faire connaître notre volonté. L'aveugle à qui Jésus demande ce qu'il désire, répond qu'il veut voir la volonté du Seigneur.

bède. Imitons cet aveugle, ne demandons à Dieu ni les richesse, ni les biens de la terre, ni les honneurs, mais demandons à voir cette lumière que nous avons le privilège de ne contempler qu'avec les anges. C'est la foi qui nous conduit à cette lumière, aussi le Sauveur répond à cet aveugle : " Votre foi vous a sauvé. " II voit et se met à la suite de Jésus, c'est-à-dire, qu'il fait le bien qu'il lui est donné de comprendre ; car suivre Jésus, c'est pratiquer le bien que l'intelligence perçoit, c'est imiter celui qui, aux félicités de ce monde, a préféré les ignominies et les opprobres. Il nous apprend ainsi que ce sont les amertumes qui ramèneront dans notre âme la joie intérieure que la poursuite des biens de la terre nous a fait perdre. — théophyl. L’Evangéliste nous dit que cet aveugle suivit Jésus dans le chemin, c'est-à-dire, dans cette vie, car une fois la mort venue, Jésus exclut de sa société tous ceux qui ne l'ont pas suivi ici-bas en pratiquant ses commandements. — S. jér. Ou bien encore, cette voie, c'est celle qui a dit: " Je suis la vérité et la vie, " voie étroite qui conduit sur les hauteurs escarpées de Jérusalem et de Béthanie, et sur le mont des Oliviers, qui est la montagne de la lumière et de la consolation.

 

CHAPITRE XI

 

Vv. 1-11.

S. chrys. (hom. 66 sur S. Matth.) Après avoir donné des preuves suffisantes de sa puissance divine, et alors que sa croix se dressait devant ses yeux, le Sauveur donne à toutes ses actions un caractère de publicité plus grande qui devait redoubler la fureur de ses ennemis. Bien des fois il s'était rendu à Jérusalem, mais jamais avec l'éclat dont il environne aujourd'hui son entrée dans cette ville. — théophyl. Ses ennemis, s'ils le veulent, pourront reconnaître sa gloire, et par l'accomplissement des prophéties dont il est l'objet, apprendre qu'il est le vrai Dieu ; s'ils s'y refusent, leur incrédulité malgré tant de prodiges éclatants, leur attirera un jugement bien plus redoutable. C'est cette entrée triomphale que l'Evangéliste décrit en ces termes : " Lorsqu'ils approchaient de Jérusalem et de Béthanie, " etc. — béde. Béthanie est une bourgade ou une petite ville bâtie sur le flanc de la montagne des Oliviers, et c'est là qu'eut lieu la résurrection de Lazare. L'Evangéliste nous apprend comment et pourquoi le Sauveur envoya ses disciples : " Et il leur dit : Allez à ce village, " etc. — théophyl. Voyez que de circonstances particulières dans cette prédiction : ils trouveront un ânon. " A l'entrée du village, vous trouverez, " etc. On voudra leur défendre de le détacher : " Et si quelqu'un vous dit : Que faites-vous ? dites-lui, " etc., on les laissera libres alors de l'emmener : " Et aussitôt il le laissera, " etc. Et toutes ces choses arrivèrent comme il l'avait prédit : " Et s'en étant allés, ils trouvèrent l'ânon qui était attaché dehors, auprès d'une porte, entre deux chemins, et ils le délièrent. " — S. aug. (De l'acc. des Evang., 2, 66.) Saint Matthieu parle d'une ânesse et de son ânon, les autres Evangélistes ne disent rien de l'ânesse. Il n'y a ici aucune contradiction, dès lors qu'on peut admettre les deux circonstances de ce fait ; quand même chacun des Evangélistes n'en rapporterait qu'une des deux. A plus forte raison n'y a-t-il aucune difficulté, lorsqu'un Evangéliste rapporte une circonstance, et que l'autre les raconte toutes deux.

" Quelques-uns de ceux qui étaient là leur dirent : Que faites vous ? pourquoi déliez-vous cet ânon ? Ils leur répondirent comme Jésus le leur avait ordonné, et ces gens le leur laissèrent emmener, " c'est-à-dire, l'ânon.—théophyl. Ces hommes, habitants de la campagne et occupés aux travaux des champs, n'auraient certainement pas donné cette permission, si une influence divine ne les eût dirigés, et comme forcés de laisser aller cet ânon.

" Ils amenèrent donc l'ânon à Jésus, ils le couvrirent de leurs vêtements, et il monta dessus. " — S. chrys. (hom. 66.) Nôtre-Seigneur n'avait pas besoin, sans doute, de monter sur cet ânon pour aller du mont des Oliviers à Jérusalem, puisqu'il avait bien parcouru à pied la Judée et toute la Galilée ; cette action était donc figurative. " Un grand nombre étendaient leurs vêtements le long de la route. " — S. jér. Sous les pieds de l'ânon ; " d'autres coupaient des branches d'arbres et en jonchaient le chemin, " beaucoup plus pour la décoration de la route et comme symbole que par nécessité. " Et ceux qui marchaient devant, et ceux qui suivaient, criaient : Hosanna ! " etc. Tant que le peuple ne fut point corrompu, il eut le sentiment de ce qu'il devait faire ; il honore Jésus suivant la mesure de son pouvoir, et pour le louer, il emprunte l'hymne de David et chante Hosanna! ce qui, selon quelques-uns, signifie : Sauvez-moi; selon d'autres : Hymne. Le premier sens me paraît plus vraisemblable, car on lit dans le psaume 117 : " O Seigneur, sauvez-moi ! " en hébreu : Hosanna. — bède. Hosanna est un mot hébreu, composé de deux autres mots, l'un entier, l'autre altéré. Sauvez-moi, se dit en hébreu, hosi le mot anna est comme l'interjection delà prière ; interjection qui répond à l'interjection latine, hélas ! — S. jér. Ils crient hosanna, c'est-à-dire, sauvez-moi, pour lui demander que les hommes soient sauvés par ce Sauveur béni, par ce vainqueur, qui vient au nom du Seigneur (c'est-à-dire, de son Père), car c'est du Père que le Fils prend son nom, comme c'est du Fils que le Père reçoit le sien.

S. chrys. Ils rendent donc gloire à Dieu, en s'écriant : " Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! " Ils bénissent aussi le royaume de Jésus-Christ ; en ajoutant : Béni soit le règne de notre Père David qui va commencer ! — théophyl. Le royaume de David, dans leur pensée, était le royaume du Christ, parce que le Christ descendait de la race de David, et aussi parce que David signifie celui qui est puissant de la main. Qui a mieux mérité cette qualification que le Sauveur, dont la main a opéré tant et de si éclatants prodiges ? — S. chrys. Aussi les prophètes donnent-ils souvent à David le nom de Christ, parce que le Christ devait descendre de David. — bède. Nous voyons dans l'Evangile de saint Jean, Jésus s'enfuir sur la montagne, lorsque les Juifs voulurent le faire roi. Aujourd'hui qu'il vient à Jérusalem pour y souffrir, il accepte ce titre de roi, sous lequel il est acclamé, pour établir clairement que le royaume qu'il veut fonder n'est point un royaume temporel et terrestre, mais un royaume éternel dans les cieux, et qu'il devait entrer en possession de ce royaume par le mépris de la mort. Il faut remarquer ici la conformité des acclamations de la foule avec ces paroles de Gabriel : " Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père, " c'est-à-dire, qu'il devait appeler à ce royaume céleste, par ses paroles et par ses actions, cette nation autrefois soumise à l'autorité temporelle de David. — S. chrys. Enfin, la multitude rend gloire à Dieu, en ajoutant : " Hosanna au plus haut des cieux ! c'est-à-dire, hymne et gloire au Dieu de toutes choses qui habite les hauteurs des cieux. — S. jer. Ou bien, hosanna (c'est-à-dire, sauvez-moi), dans les hauteurs des cieux comme dans les profondeurs de la terre, que les justes s'élèvent dans les cieux sur les ruines des anges, et que ceux qui habitent la surface ou les profondeurs de la terre soient également sauvés.

Dans le sens mystique, le Seigneur approche de Jérusalem, qui est la vision de la paix, le siège d'une félicité éternelle et immuable, et selon l'Apôtre, la mère de tous les croyants. (Ga 4) — bède. Béthanie veut dire maison d'obéissance, c'est-à-dire, qu'avant sa passion, il s'était préparé par ses enseignements dans l'âme d'un grand nombre une maison d'obéissance. Béthanie est située sur le versant de la montagne des Oliviers, figure de l'onction des dons spirituels et de là lumière de la science et de la piété, par lesquels le Sauveur anime et réchauffe l'Eglise. Il envoie ses disciples dans le village qui est devant eux, c'est-à-dire, qu'il a chargé les docteurs de pénétrer par la prédication de l'Evangile dans toutes les forteresses où l'ignorance du monde semblait s'être réfugiée. — S. jer. Les disciples de Jésus-Christ sont appelés, ils sont envoyés deux à deux, parce que la charité ne peut s'exercer, si on est seul. " Malheur à celui qui est seul, dit la sainte Ecriture " (Qo 4). Ce sont deux hommes qui dirigent les Hébreux dans leur sortie de l'Egypte ; deux hommes qui rapportent de la terre sainte la grappe de raisin, pour enseigner à ceux qui sont placés à la tête des autres, à joindre toujours l'action à la science, à tirer des deux tables les deux commandements (Ex 32, 5 ; 30, 18 ; 25 ; 39 ; 3 R 8, 7), à se purifier dans les deux fontaines, à porter l'arche du Seigneur sur deux bâtons, et afin qu'ils apprennent à connaître le Dieu assis entre deux chérubins, lui offrant le double hommage de l'esprit et du cœur (1 Co 14).

théophyl. Cet ânon n'était pas nécessaire au Sauveur, il l'envoie chercher pour donner à entendre qu'il devait bientôt appeler à lui les gentils. — bede. Cet ânon libre et indompté est la figure du peuple des nations ; personne ne l'avait encore monté, c'est-à-dire, qu'aucun sage docteur n'avait encore, par des enseignements utiles, imposé à ce peuple le frein de la discipline, pour préserver sa langue des paroles coupables, ou le forcer d'entrer dans l'étroit sentier de la vie. — S. jer. Ils trouvèrent cet ânon attaché devant la porte en dehors, emblème du peuple des gentils retenu dans les liens du péché devant la porte de la foi, en dehors de l'Eglise. — S. ambr. (sur S. Luc, 9, 19.) Ou bien, ils le trouvèrent attaché devant la porte, c'est-à-dire, que tout homme qui n'est pas avec Jésus-Christ et qui demeure dehors, est sur la voie, mais celui qui est en Jésus-Christ ne reste pas dehors. L'Evangéliste ajoute qu'on le trouva entre deux chemins, où tout le monde passe, dans un lieu dont personne ne pouvait revendiquer la propriété ; il était là, sans étable, sans nourriture, sans crèche. Quelle misérable servitude que celle qui n'a aucun droit certain ! On est l'esclave de plusieurs maîtres quand ou ne dépend pas d'un seul, les étrangers lient pour assurer leur possession, le maître légitime met en liberté pour conserver, car les bienfaits sont des liens beaucoup plus puissants que les chaînes. — bède. On peut dire encore qu'il était dans un carrefour, parce qu'il ne se tenait pas dans le chemin certain de la foi et de la vérité, mais qu'il suivait au gré de l'erreur les sentiers innombrables et douteux des sectes diverses. — bède. On bien encore ces deux chemins sont la figure du libre arbitre qui hésite entre la vie et la mort (Si 15, 18). — théophyl. Ou enfin " dans un carrefour, " c'est-à-dire, dans cette vie ; or, ce sont les disciples qui le délient par le baptême et par la foi. — S. jér. " Quelques-uns de ceux qui étaient là leur dirent : Que faites-vous ? Comme s'ils disaient : Qui peut remettre les péchés ? " — théophyl. Ou bien ceux qui veulent s'opposer aux disciples sont les démons dont les Apôtres, plus forts qu'eux, ont triomphé. — bède. Ou bien ce sont ces maîtres de l'erreur qui s'opposèrent aux docteurs qui venaient apporter le salut aux gentils ; mais lorsque le Sauveur eut fait éclater la puissance de la foi en son nom, le peuple des croyants, libre des attaques de ses ennemis, fut amené au Seigneur qu'il portait déjà dans son cœur. Les vêtements dont les Apôtres couvrent cet animal, représentent ou la doctrine des vertus, ou le don d'interpréter les Ecritures, ou la variété des dogmes de l'Eglise ; les cœurs des hommes autrefois nus et glacés, sont couverts de ces vêtements pour devenir des sièges dignes de Jésus-Christ. — S. jer. Ou bien encore, ces vêtements dont ils couvrent l'ânon, c'est la robe première d'immortalité (Lc 15, 28) dont se revêtent les gentils par le baptême. Jésus monte sur cet ânon, c'est-à-dire, qu'il commence à régner sur eux pour substituer à l'empire du péché dans une chair voluptueuse, celui de la justice, de la paix et de la joie dans l'Esprit saint (Rm 6, 12 ; 14, 17). " Un grand nombre étendent leurs vêtements le long du chemin sous les pieds de l'ânon. " Que figurent les pieds ? les derniers d'entre les fidèles que l'Apôtre établit pour juger leurs frères. " (1 Co 6) Ils ne sont pas jugés dignes de servir de siège au Seigneur, mais cependant ils sont instruits par Jean-Baptiste, comme les soldats, de leurs devoirs. (Lc 3) — bede. Ou bien encore, cette multitude qui étend ses vêtements le long du chemin, ce sont les saints martyrs qui se dépouillent du vêtement de leur chair pour préparer la voie par leur sang aux fidèles moins avancés dans le service de Dieu. Celle multitude est encore la figure de ceux qui domptent leurs corps par la mortification, pour ouvrir à Dieu le chemin de leur âme, ou offrir de saints exemples à ceux qui veulent marcher sur leurs traces. Ceux qui coupent des rameaux ou des branches d'arbres, représentent ceux qui recueillent dans les écrits des Pères la doctrine de vérité qui s'y trouve semée, et par une prédication pleine d'humilité, la répandent sur la voie de Dieu dans l'âme de l'auditeur qui vient les entendre. — théophyl. Il nous faut aussi joncher de rameaux enlevés aux arbres le chemin de notre vie, c'est-à-dire, imiter les saints, car les arbres figurent les saints, et celui qui imite leurs vertus, coupe des rameaux de ces arbres. — S. jér. Les justes fleuriront comme le palmier (Ps 91), leur racine est petite, mais leurs fleurs et leurs fruits sont très étendus. Comme ils sont la bonne odeur de Jésus-Christ (2 Co 2), ils étendent sur la voie des commandements de Dieu leur bonne renommée ; ceux qui marchaient en avant, sont les prophètes, et ceux qui suivaient, les Apôtres. — bêde. Or, comme tous les élus, ceux qui pouvaient être alors dans la Judée aussi bien que ceux qui sont maintenant dans l'Eglise, ont cru et croient encore au médiateur de Dieu et des hommes, ceux qui précèdent, comme ceux qui suivent, crient tous ensemble : Hosanna ! — théophyl. Il n'y a que les actes dont la fin répond au commencement qui soient vraiment à la louange de Dieu. Il en est dont la vie passée offre des commencements de bien, mais les années suivantes ont donné un démenti à celles qui précédaient, et n'ont point eu pour fin la gloire de Dieu.

 

Vv. 12-14.

béde. Le temps de sa passion n'étant pas éloigné, Nôtre-Seigneur voulut se rapprocher du lieu où il devait souffrir, pour bien établir qu’il mourait par un effet de sa volonté : " Et Jésus entra à Jérusalem dans le temple. " A peine entré dans la ville, il se dirige vers le temple ; il nous donne ainsi un grand exemple de religion et nous apprend qu'en arrivant dans un endroit où se trouve une maison de prières, nous devons nous empresser de nous y rendre. Remarquons encore que la pauvreté du Sauveur était si grande et qu'il recherchait si peu la faveur des hommes, que dans une si grande ville il ne trouve personne qui le reçût, aucun endroit où il pût se retirer. Il est oblige d'aller dans une pauvre campagne demander l'hospitalité à Lazare et à ses sœurs, car Béthanie était le village qu'ils habitaient. " Et ayant observé toutes choses (c'est-à-dire, si quelqu'un lui offrirait un asile), comme déjà l'heure était avancée, " etc. Il ne fit pas seulement cela une fois, mais pendant les cinq jours qui s'écoulèrent depuis son entrée à Jérusalem jusqu'à sa passion ; il enseignait toute la journée dans le temple, et sortait de Jérusalem le soir pour aller passer la nuit sur la montagne des Oliviers.

" Le lendemain, comme il sortait de Béthanie, il eut faim. " — S. chrys. (hom. 68 surS. Matth.) Comment se fait-il que le Sauveur avait faim dès le matin, comme le raconte saint Matthieu, si ce n'est par une permission divine qui était la suite de son incarnation. " Et voyant de loin un figuier qui avait des feuilles, il s'avança pour voir s'il ne trouverait pas quelque fruit. " II est évident que l'Evangéliste conforme son récit à la pensée des disciples, qui croyaient que Jésus s'approchait du figuier dans ce dessein, et qu'il avait maudit en figuier parce qu'il n'y avait trouvé pas de fruit. " Mais après s'en être approché, il n'y trouva que des feuilles, car ce n'était pas le temps des fruits. Et il dit au figuier, que jamais nul ne mange plus de ton fruit. " Il maudit donc ce figuier, dans l'intérêt des disciples, pour affermir leur confiance. Jusque là, en effet, il avait partout semé les bienfaits sous ses pas, et n'avait puni personne ; il importait donc qu'il donnât un exemple de sa puissance vindicative pour apprendre aux disciples qu'il aurait pu dessécher de la même manière les Juifs ses persécuteurs ; mais il ne voulut pas exercer sur les hommes cet acte de sévérité, c'est sur un arbuste qu'il l'a fait éclater. Nous voyons par là que c'est justement pour ce motif qu'il s'approche du figuier, et non parce qu'il avait faim. Et qui serait assez ignorant pour supposer qu'il pût éprouver de si grand matin le besoin de la faim ? Qui d'ailleurs l'empêchait de satisfaire ce besoin avant de sortir de la maison ? On ne peut dire non plus que c'est la vue des fruits qui excitait son appétit, car ce n'était point la saison des figues ; et puis s'il avait faim, pourquoi ne pas chercher un autre aliment au lieu de demander des figues à un figuier qui ne pouvait lui en donner. Quelle peine encore pouvait mériter un figuier de ne point porter de fruits avant la saison ? Toutes ces circonstances autorisent suffisamment cette conclusion que le Sauveur voulait donner un exemple de sa puissance, pour prévenir l'abattement où sa passion devait jeter ses disciples. — théophyl. Son dessein était de leur prouver qu'il pouvait exterminer en un moment, s'il l'eût voulu, ceux qui devaient le crucifier. Dans le sens mystique, Nôtre-Seigneur entre dans le temple, et en sort aussitôt pour montrer qu'il allait l'abandonner, comme une solitude déserte, et exposée à la dévastation des voleurs.

bede. Il observe avec attention tous les cœurs et ne trouvant pas où reposer la tête dans ces contradicteurs de la vérité, il se retire chez les fidèles et fixe sa demeure parmi ceux qui lui obéissent, car Béthanie signifie maison d'obéissance. — S. jer. C'est le matin qu'il vient vers les Juifs, et c'est au soir du monde qu'il nous visite. — bède. Les actions du Sauveur sont paraboliques comme ses discours. Ainsi la faim semble le presser de chercher sur un figuier des figues, dont la saison, il le savait bien, n'était pas encore venue ; et cependant il le frappe d'une stérilité perpétuelle, pour montrer que le peuple juif ne pouvait être sauvé par des feuilles sans fruit, c'est-à-dire, par les paroles de justice qui étaient sur ses lèvres, sans être accompagnées des bonnes œuvres, mais qu'il serait arraché et jeté au feu. Nôtre-Seigneur donc, pressé par la faim, c'est-à-dire, plein du désir de sauver le genre humain, voit un figuier, c'est-à-dire, le peuple juif couvert de faillies, c'est-à-dire, des oracles de lu loi et des prophètes, il cherche à lui faire produire le fruit des bonnes œuvres par ses enseignements, ses reproduis, ses miracles, et ne trouvant pas ce fruit, il condamne le figuier. Vous aussi, si vous ne voulez pas être condamné par Jésus-Christ au jour du jugement, gardez-vous d'être un arbre stérile, mais empressez-vous d'offrir à Jésus-Christ pauvre, le fruit de piété qu'il nous demande. — S. chrys. On peut encore dire que le Sauveur a maudit ce figuier sur lequel il n'avait point trouvé le fruit qu'il demandait avant le temps, parce que tous ceux qui accomplissent les commandements de la loi, celui-ci, par exemple : " Vous ne commettrez point d'adultère, " sont dits porter des fruits dans leur temps. Celui, au contraire, qui non content d'éviter l'adultère, pratique la virginité, ce qui est beaucoup plus parfait, s'élève au plus haut degré des vertus. Or, le Seigneur exige des parfaits la pratique, non-seulement des devoirs ordinaires, mais des vertus supérieures à ce qu'exigent les commandements.

 

Vv. 15-19.

bede. Ce que Nôtre-Seigneur a fait en figure eu maudissant le figuier stérile, il le fait plus clairement en chassant du temple les impies, car le figuier n'était point coupable de ne point porter de fruit avant le temps, mais bien les prêtres. " Et ils vinrent de nouveau à Jérusalem, et lorsqu'il fut entré dans le temple, " etc. Il est à croire qu'on ne vendait et qu'on n'achetait dans le temple que les choses nécessaires aux sacrifices ; si donc le Seigneur ne peut souffrir qu'on traite dans sa maison les affaires temporelles dont il est permis de s'occuper ailleurs, quel sera son courroux lorsqu'il verra s'accomplir dans des lieux qui lui sont consacrés, des actes qui partout ailleurs sont des crimes : " Et les tables des banquiers. "théophyl. Il appelle banquiers (nummularios) les changeurs de monnaie, car le nummus était une petite monnaie de cuivre, " Et les sièges de ceux qui vendaient des colombes. " — bède. Comme le Saint-Esprit a paru sur la tête du Sauveur sous la forme d'une colombe (Mt 3, 2 ; Mc 1, 10 ; Lc 3, 2), les dons de ce divin Esprit sont justement figurés par les colombes. On vend donc la colombe lorsqu'on donne pour de l'argent l'imposition des mains, par laquelle nous recevons l'Esprit saint. Jésus renverse les sièges de ceux qui vendent des colombes pour nous apprendre que ceux qui font trafic des grâces spirituelles, sont privés du ministère sacerdotal, soit devant Dieu, soit devant les hommes. — théophyl. Celui qui livre au démon par le péché la grâce et l'innocence de son baptême, vend sa colombe, et mérite pour cela d'être chassé du temple.

" Et il ne souffrait pas que personne transportât aucun objet par le temple. " — béde. Il veut parler de ces objets qu'on n'apportait dans le temple que pour en trafiquer. Gardons-nous de croire, en effet, que le Sauveur ait banni du temple ou qu'il ait défendu d'y introduire les vases ou autres objets consacrés au culte de Dieu. Nous voyons ici une figure du jugement que Nôtre-Seigneur devait exercer plus tard, en chassant de l'Eglise les pécheurs obstinés, et leur interdisant à tout jamais de revenir troubler l'Eglise par les châtiments éternels dont il les frappe. Quant aux péchés qui se glissent dans les cœurs des fidèles, la componction dont Dieu est l'auteur les efface, et la grâce divine les préserve de toute rechute.

" Et il les instruisait en leur disant : Ma maison sera une maison de prière pour toutes les nations, " etc. — S. jér. Ce sont les paroles d'Isaïe (Is 56, 7), " mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs. " — bède. C'est pour toutes les nations, et non pas seulement pour la seule nation juive ou pour la seule ville de Jérusalem, et ce n'est nullement une maison de taureaux, de boucs ou de béliers, mais une maison de prière. — théophyl. Le Sauveur appelle le temple une caverne de voleurs à cause du gain qu'on y réalisait. Il est, en effet, une espèce de voleurs qui se réunissent dans ce dessein, et il leur donne le nom de voleurs, parce qu'ils ne vendaient les animaux destines aux sacrifices que par le désir effréné du gain. — bède. Ils n'étaient dans le temple qu'à cette fin de persécuter extérieurement ceux qui ne donnaient pas, ou de faire mourir spirituellement ceux qui donnaient. L'âme et la conscience des fidèles sont aussi le temple et la maison de Dieu ; lorsqu'elles donnent naissance à des pensées coupables et nuisibles au prochain, ces pensées sont comme des voleurs dans une caverne. Le cœur des fidèles devient donc une caverne de voleurs lorsqu'il abandonne la simplicité qui est le caractère propre de la sainteté, pour se livrer à des actes préjudiciables au prochain.

 

S. aug. (De l'acc. des Evang., 2, 67.) Saint Jean place ce fait à une époque toute différente (Jn 2), d'où il est clair qu'il y a eu, non un seul fait, mais deux faits semblables dans la vie du Sauveur ; Jean raconte le premier dans l'ordre chronologique, et les trois autres le dernier. — theophyl. C'est ce qui rend les Juifs beaucoup plus coupables, de ne s’être point corrigés après que cet acte de sévérité s'était répété plusieurs fois sous leurs yeux. — S. aug. (De l'acc. des Evang., 2, 68.) Saint Marc lui-même ne suit pas le même ordre que saint Matthieu ; mais comme saint Matthieu établit cette liaison dans son récit : " Et les ayant quittés, il sortit de la ville, et s'en alla à Béthanie, " (Mt 21), et que c'est le lendemain matin, en revenant à Jérusalem que Jésus maudit le figuier, il est vraisemblable que cet Evangéliste a suivi plus exactement l'ordre chronologique sur le fait des vendeurs et des acheteurs chassés du temple. Saint Marc a donc passé d'abord sous silence ce que Jésus fit le premier jour lorsqu'il fut entré dans le temple, et se l'étant rappelé, il l'a raconté après l'histoire du figuier, sur lequel le Sauveur ne trouva que des figues, ce qui eut lieu le second jour, au témoignage des deux Evangélistes. —la glose. Or, quel fruit produisit la réprimande du Sauveur dans les ministres du temple, l'Evangéliste nous l'apprend : " Ce qu'ayant entendu, les princes des prêtres et les scribes cherchaient un moyen de le perdre. " Ils accomplissaient ainsi cet oracle du prophète : " Ils ont haï celui qui les reprenait dans les assemblées publiques, et ils ont eu en abomination celui qui leur parlait dans la droiture et la vérité. " (Am 5) La crainte seule leur fit ajourner l'exécution de leur criminel dessein : " Car ils le craignaient, parce que tout le peuple admirait sa doctrine. " En effet, il les enseignait comme ayant autorité, et non comme leurs scribes et les pharisiens.

 

Vv. 20-26.

S. jér. Le Sauveur laisse après lui les ténèbres dans les cœurs des Juifs, et comme le soleil, il abandonne cette ville pour aller en éclairer une autre plus soumise et plus obéissante, c'est le sens de ces paroles : " Le soir, étant venu, " etc. Mais le soleil se couche et il se lève ; la lumière qui est enlevée aux scribes, brille sur les Apôtres ; Jésus revient donc dans la ville : " Et le lendemain malin, en passant, ils virent le figuier desséché jusqu'à la racine. " — theophyl. Ce qui rend ce miracle plus frappant, c'est qu'un arbre si vert et si plein de sève fut entièrement desséché. Quoique saint Matthieu affirme que le figuier fut immédiatement desséché et que les disciples en furent saisis d'étonnement, ne soyez point surpris d'entendre dire à saint Marc, que ce ne fut que le lendemain que les disciples virent cet arbre desséché, car on peut entendre le récit de saint Matthieu dans ce sens que les disciples ne s'aperçurent que le lendemain du dessèchement de cet arbre. — S. aug. (De l'acc. des Evang., 2, 68.) Il ne faut pas croire cependant qu'il ne se dessécha que lorsqu'ils le virent, la malédiction du Sauveur produisit aussitôt son effet, car les disciples ne le virent pas se desséchant, mais entièrement desséché, et ils comprirent que c'était la parole du Seigneur qui l'avait immédiatement frappé de stérilité.

S. jer. Ce figuier desséché jusque dans ses racines, c'est la synagogue, à partir de Caïn et de tous les autres à qui on redemande le sang d'Abel et de tous les justes, jusqu'à Zacharie (Mt 23, 35). —bede. Le figuier fut desséché jusque dans ses racines pour montrer que cette nation impie ne serait pas dévastée en partie et pour un temps par les excursions des étrangers, et qu'elle serait ensuite délivrée par son repentir comme par le passé, mais qu'elle serait frappée d'une éternelle damnation, ou bien encore cet arbre fut desséché jusque dans ses racines, pour apprendre à cette nation qu'elle serait privée, non-seulement à l'extérieur de tout secours humain, mais à l'intérieur de toute faveur divine. — S. jér. Pierre reconnaît cette racine desséchée et arrachée de terre, à laquelle succède l'olivier choisi de Dieu, et aussi remarquable par sa beauté que par sa fécondité. " Et Pierre se ressouvenant de la parole du Christ, lui dit : Maître, voyez comme le figuier que vous avez maudit est devenu sec. " — S. chrys. Cet étonnement de Pierre et des autres disciples, prouve que leur foi n'était pas encore parfaite, car ce n'était point là pour Dieu un bien grand miracle. Ils ne connaissaient pas encore toute l'étendue de sa puissance, et leur ignorance les jette dans l'admiration. Aussi Jésus leur répond : " Ayez la foi en Dieu. Je vous dis en vérité, que quiconque dira à cette montagne : ôte-toi de là et te jette dans la mer, et cela sans hésiter dans son cœur... il le verra en effet arriver, " c’est-à-dire, qu'il pourra non-seulement dessécher un arbre, mais transporter une montagne par la puissance de sa parole et de son commandement. — théophyl. Admirez ici la miséricorde de Dieu qui nous communique, lorsque nous approchons de lui par la foi, le pouvoir de faire des miracles qu'il tient de sa nature, pouvoir qui va jusqu'à transporter les montagnes.

bede. Les païens qui ont pris plaisir à calomnier l'Eglise dans leurs écrits, ont reproché aux nôtres l'imperfection de leur foi en Dieu, puisqu'ils n’ont jamais pu, disent-ils, transporter des montagnes : nous leur répondrons que tous les miracles qui se sont accomplis dans l'Eglise, ne nous ont pas été conservés par écrit, comme l’Ecriture l'atteste des faits de la vie de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ. Si ce miracle avait été nécessaire, il aurait bien pu se reproduire comme du temps de saint Grégoire de Néocésarée, qui obtint de Dieu par ses prières, qu'une montagne lui laissa autant de place qu'il lui fallait pour la construction d'une église. — S. chrys. Ou bien dans un autre sens, le Sauveur n'a point desséché le figuier pour lui-même, mais comme signe de la stérilité dont il allait frapper Jérusalem, et tout à la fois de sa puissance ; or, c'est dans le même sens que l'on doit entendre la promesse qui a pour objet le déplacement d'une montagne, bien qu'un prodige de ce genre ne soit pas impossible à la puissance de Dieu. — S. jer. Jésus-Christ, qui est cette pierre détachée de la montagne sans la main d'aucun homme et qui devient elle-même une grande montagne, est arraché et jetée dans la mer, lorsque les Apôtres tiennent aux Juifs ce langage justement mérité : " Nous allons vers les gentils, parce que vous vous jugez vous-mêmes indignes de la parole de Dieu. — bède. Cette montagne peut aussi être la figure du démon à cause de son orgueil ; or, cette montagne est arrachée de terre et jetée dans la mer, à la parole de ceux qui sont forts dans la foi, lorsque les saints docteurs prêchant la parole de Dieu, l'esprit immonde est chassé du cœur de ceux qui sont prédestinés à la vie éternelle ; il lui est alors permis d'exercer la violence de sa tyrannie dans les cœurs des infidèles remplis de trouble et d'amertume, et il se déchaîne contre eux avec une fureur égale à la douleur qu'il éprouve de n'avoir pu tourmenter et perdre les premiers.

" C'est pourquoi je vous le dis : Tout ce que vous demanderez dans la prière, croyiez que vous l'obtiendrez. " — théophyl. Celui qui croit par un motif d'amour, élève certainement son cœur à Dieu, il s'unit à lui, et sou cœur embrasé d'amour lui donne l'assurance que sa prière est exaucée. Cette vérité sera comprise de ceux qui en ont fait l'expérience, c'est-à-dire, à mon avis, de ceux qui cherchent à avoir la mesure et le degré de la foi véritable. C'est pour cela que le Sauveur déclare que vous recevrez tout ce que vous demanderez avec foi ; car celui qui croit que sa vie toute entière est soumise aux dispositions providentielles de Dieu, verse en sa présence ses larmes et ses supplications, tient comme embrassés ses pieds dans la prière, et ne peut manquer d'obtenir ce qu'il demande. Voulez-vous un autre moyen d'obtenir infailliblement ce que vous demandez ? Pardonnez à votre frère les fautes qu'il aura commises contre vous. " Et lorsque vous vous présenterez pour prier, si vous avez quelque chose contre quelqu'un, pardonnez-lui, " etc. — S. jér. Saint Marc, selon sa coutume, abrège les sept demandes de l'Oraison dominicale, et les comprend toutes dans une seule. Or, que reste-t-il à demander à celui qui a reçu la rémission de ses péchés, si ce n'est la persévérance dans la grâce obtenue ?

bède. Parmi ceux qui prient, il faut distinguer soigneusement ceux qui ont cette foi parfaite qui opère par la charité (Ga 5, 6) ; une seule prière, une seule parole sortie de leur bouche ; peut transporter des montagnes spirituelles, comme saint Paul le fît pour le magicien Elymas (Ac 13). Quant à ceux qui ne peuvent atteindre le sommet de la perfection, qu'ils demandent la rémission de leurs péchés et ils l'obtiendront, si toutefois ils pardonnent tout d'abord à ceux qui les ont offensés. S'ils refusent de pardonner, leurs prières ne pourront obtenir ni la grâce de pratiquer la vertu, ni même le pardon de leurs péchés : " Que si vous ne pardonnez point, dit Nôtre-Seigneur, votre Père qui est dans les cieux ne vous pardonnera point non plus. " — la glose (interlin.) Effrayante sentence !

 

Vv. 27-33.

théophyl. L'autorité avec laquelle Nôtre-Seigneur avait chassé du temple ceux qui en faisaient une maison de trafic, avait irrité les scribes et les pharisiens ; ils s'approchent donc de lui pour l'interroger et le tenter : " Ils vinrent de nouveau à Jérusalem. Et comme Jésus marchait dans le temple, " etc. fis semblent lui dire : Qui êtes-vous pour agir de la sorte ? Vous posez-vous donc vous-même en docteur, vous établissez-vous prince des prêtres ? — bède. Ces paroles : " laquelle autorité faites-vous ces choses ? " expriment le doute que ce soit par la puissance de Dieu, et ils donnent à entendre qu'il agit au nom et par l'autorité du démon. Ils ajoutent : " Et qui vous a donné ce pouvoir ? " c'est-à-dire, qu'ils nient ouvertement qu'il soit le Fils de Dieu, puisqu'à leur avis ce n'est point par sa propre puissance, mais en vertu d'un secours étranger qu'il opère des miracles. — théophyl. Leur intention, en lui faisant cette question, était de le jeter dans l'embarras ; s'il répondait : C'est par ma propre puissance ; ils se saisiraient de lui, s'il répondait au contraire : c'est par le pouvoir d'un autre, ils chercheraient à détacher de lui le peuple pour qui Jésus était le Fils de Dieu. Or, Nôtre-Seigneur leur fait cette question sur Jean-Baptiste, non point sans raison, ni cependant pour leur faire un piège de ses raisonnements, mais parce que Jean-Baptiste avait rendu témoignage de lui. " II leur répondit : Je vous ferai moi-même une question. " — bède. Le Seigneur pouvait confondre leurs calomnies par une réponse claire et décisive ; mais il aime mieux les interroger avec prudence, et les faire condamner, ou par leur silence, ou par leurs propres paroles. C'est en effet ce qui arrive : " Ils raisonnaient ainsi en eux-mêmes : Si nous répondons du ciel, il nous dira pourquoi ne l'avez-vous pas cru ? " c'est-à-dire, celui qui de votre aveu a reçu du ciel le don de prophétie, m'a rendu témoignage, et c'est de lui que vous avez appris par quelle autorité je fais toutes ces choses ; " si au contraire, nous disons : des hommes, nous craignons le peuple." Ils virent donc, que quelle que fût leur réponse, ils tomberaient dans le piège, car ils craignaient d'être lapidés, et encore plus de confesser la vérité : " Et ils répondirent à Jésus : Nous ne savons. " — S. jér. Cette lampe couvre ces curieux d'obscurité, ce qui a fait dire à Dieu par la bouche du Psalmiste : " J'ai préparé une lampe à mon Christ, je couvrirai de confusion ses ennemis. " (Ps 131) " Et Jésus leur dit : Je ne vous dirai pas non plus par quelle autorité je fais ces choses. " — bede. C'est-à-dire, je ne vous dirai pas ce que je sais, parce que vous ne voulez point avouer ce que vous savez. Remarquons qu'il est deux circonstances où l'on doit s'abstenir de découvrir la vérité à celui qui la cherche, lorsqu'il est incapable de la comprendre, ou lorsque par le mépris ou la haine de la vérité, il est indigne qu'on la lui fasse connaître.

 

CHAPITRE XII

 

Vv. 1-12.

la glose. Après avoir réduit au silence ses contradicteurs par une réponse pleine de prudence, il fait voir toute l'étendue de leur méchanceté sous le voile d'une parabole : " Jésus commença ensuite à leur parler eu paraboles : Un homme, dit-il, planta une vigne, " etc. — S. jer. Le nom d'homme est donné ici à Dieu le Père, par une manière de parler tout humaine ; la vigne est la maison d'Israël ; la haie, les anges qui la gardent ; le pressoir est la loi ; la tour, le temple ; les vignerons, les prêtres. — bède. Ou bien la haie, c'est le mur qui entourait la ville ; le pressoir, l'autel ; ou ces pressoirs dont il est question dans les titres de trois psaumes. — théophyl. Ou bien encore, cette haie c'est la loi qui défendait aux Juifs de se mêler aux étrangers (Nb 18, 4).

" Et il s'en alla dans un pays éloigné. " — bède. Il ne change point de lieu, mais il semble s'éloigner de la vigne pour laisser aux vignerons toute liberté d'agir. " Le temps de la vendange étant venu, il envoya un de ses serviteurs aux vignerons pour recevoir ce qu'ils lui devaient du fruit de la vigne. " — S. jer. Les serviteurs qui furent envoyés sont les prophètes ; le fruit de la vigne, c'est l'obéissance : de ces prophètes, les uns furent frappés de verges, les autres couverts de blessures, d'autres mis à mort : " Mais l'ayant pris, ils le battirent et le renvoyèrent les mains vides. " — bède. Le premier serviteur qui fut envoyé, c'est Moïse, qui leur donna la loi ; mais ils le renvoyèrent après l'avoir battu, sans lui rien donner, " car ils aigrirent son esprit dans le désert, " (Ps 105, 33). " II leur envoya encore un autre serviteur, et ils le blessèrent à la tête, et lui firent toute sorte d'outrages. " Cet autre serviteur, c'est David et les autres auteurs des psaumes ; or ils l'ont accablé d'outrages et blessé à la tète, parce qu'ils n'ont fait aucune estime des psaumes, et qu'ils ont rejeté David (2 R 20, 1), en disant : " Quelle part avons-nous avec David ? " (3 R 12, 16.) " II leur en envoya un troisième qu'ils tuèrent, " etc. Ce troisième serviteur représente avec ses compagnons le chœur des prophètes; car quel est celui des prophètes qu'ils n'ont point persécuté ? (Mt 23) Par ces trois serviteurs successifs, Nôtre-Seigneur semble vouloir entendre dans un autre endroit, tous les docteurs de la loi, lorsqu'il dit : " Il faut que tout ce qui a été écrit de moi, dans la loi, dans les prophètes et dans les psaumes, soit accompli. " — théophyl. Ou bien encore, le premier serviteur, ce sont les prophètes qui existaient du temps d'Elie ; nous voyons, en effet, que Miellée fut alors maltraité par lu faux prophète Sédécias (3 R 22). Le second serviteur qu'ils ont Messe à la tête et accablé d'outrages, sont les prophètes contemporains d'Osée et d'Isaïe ; le troisième serviteur, les prophètes qui vécurent du temps de Daniel et d'Ezéchiel.

" Enfin, ayant un fils unique qu'il aimait très-tendrement, " etc. — S. jer. Ce Fils chéri qui vient en dernier lieu, c'est le Fils unique de Dieu. C'est par une espèce d'ironie que le Père dit : " Ils auront quelque respect pour mon Fils. " — bède. Ou bien encore, cette forme dubitative : " Peut-être ils auront quelque respect pour mon Fils, " n'a point pour cause l'ignorance, mais le dessein arrêté en Dieu de laisser à l'homme toute sa liberté d'action. — théophyl. On peut dire enfin que si Dieu s'exprime ainsi, ce n'est pas qu'il ignore ce qui doit arriver, mais il veut leur apprendre ce qu'il était juste et convenable de faire. " Ces vignerons dirent entre eux : Voici l'héritier, allons, tuons-le, " etc. — bède. Notre-Seigneur prouve ici jusqu'à l'évidence, que ce n'est point par ignorance, mais par envie que les chefs de la nation juive ont crucifié le Fils de Dieu, car ils savaient fort bien que c'était à lui qu'il avait été dit : " Je vous donnerai les nations pour héritage. " (Ps 2) En le mettant à mort, ces vignerons coupables cherchaient à s'emparer de son héritage, c'est-à-dire, que les Juifs en le crucifiant, se proposaient d'éteindre la foi dont il est l'auteur, d'établir sur ses ruines la justice qui vient de la loi, (Rm 10, 2-3) et de pénétrer les nations de la nécessité de cette justice légale.

" Et s'étant saisi de lui, ils le tuèrent et le jetèrent hors de la vigne. " —théophyl. C'est-à-dire, en dehors de là ville, car ce fut hors des murs de Jérusalem que le Seigneur fut crucifié. — S. jér. Ou bien ils le jetèrent hors de la vigne, c'est-à-dire, ils le rejetèrent du milieu du peuple, lorsqu'ils lui dirent : " Vous êtes un Samaritain et un possédé du démon " (Jn 8). On peut dire encore qu'en le rejetant autant qu'ils le purent hors des frontières de la Judée, ils l'ont remis entre les mains des nations qui l'ont reçu par la foi.

" Que fera donc le maître de cette vigne ? Il viendra lui-même, il exterminera ces vignerons, " etc. — S. aug. (De l'acc. des Evang., 2, 10.) D'après le récit de saint Matthieu, ce sont les Juifs eux-mêmes qui répondent au Sauveur : " II exterminera ces vignerons. " Saint Marc, au contraire, place cette réponse dans la bouche du Sauveur, après la question qu'il leur a faite. Or, on peut admettre, sans aucune difficulté, que la réponse des Juifs suivit immédiatement la question de Nôtre-Seigneur, sans que l'Evangéliste ait cru nécessaire de dire : " Ils répondirent, " ce qu'il était facile de sous-entendre, ou bien cette réponse est attribuée à Jésus-Christ, parce qu'étant conforme à la vérité, ils n'ont pu la faire que par l'inspiration de celui qui est la vérité même. — théophyl. Le maître de la vigne est donc le Père du qui a été mis à mort, et Jésus-Christ est lui-même ce Fils qui a été crucifié. " II exterminera les vignerons, " en les livrant aux Romains, "et il donnera sa vigne à d'autres vignerons, " c'est-à-dire aux Apôtres. Lisez les Actes des Apôtres, et vous y trouverez d'aboli trois mille Juifs (Ac 2, 41), et ensuite cinq mille (Ac 4, 4), qui ont embrassé la foi et en ont produit les fruits pour Dieu. — S. jér. Ou bien la vigne est donnée à d'autres qui viendront de l'Orient, de l'Occident du Nord et du Midi, et qui s'asseoiront dans le royaume de Dieu, avec Abraham, Isaac et Jacob.

bede. Nôtre-Seigneur prouve aussitôt par un témoignage prophétique, que tout cela se fera par suite d'un dessein tout divin : " N’avez-vous point lu cette parole de l'Ecriture : La pierre qui avait été rejetée par ceux qui bâtissaient est devenue la principale pierre de l'angle ? " etc. C'est comme s'il leur disait : Comment cette prophétie sera-t-elle accomplie ? Parce que le Christ que vous avez rejeté et mis à mort, sera livré par la prédication aux gentils, et que semblable à la pierre de l'angle, il formera en lui-même un seul homme des deux peuples, (Ep 2, 15.20) et ne fera de ces deux peuples qu'une seule cité des fidèles, un seul temple. Nôtre-Seigneur compare maintenant ceux qu'il vient d'appeler vignerons à des architectes, parce que ceux-là même qui cultivaient comme une vigne le peuple qu'ils dirigeaient pour lui faire produire des fruits de vie, avaient aussi pour devoir de faire de ce peuple un temple parfaitement orné et digne du Dieu qui l'habite. — théophyl. Cette pierre donc, que les docteurs ont rejetée, est devenue la pierre de l'angle ; cet angle, c'est l'Eglise qui réunit les Juifs et les gentils ; cet angle, c'est-à-dire, l'Eglise a Dieu pour auteur, et c'est un spectacle admirable à nos yeux, aux yeux des fidèles, car les infidèles ne croient point aux miracles. L'Eglise est vraiment admirable, parce qu'elle est établie sur des miracles que Dieu opère par le ministère des Apôtres, en confirmant leurs paroles par les prodiges dont il l'accompagnait (Mc 16). Tel est le sens de ses paroles : " C'est le Seigneur qui a fait cela, et nos yeux le voient avec admiration. " S. jer. Ou bien encore, cette pierre qui a été rejetée et qui est devenue la pierre de l'angle est la figure de celui qui, dans la Cène, a uni le pain céleste à l'Agneau, a mis fin à l'ancienne alliance pour commencer la nouvelle, et a fait éclater à nos yeux des merveilles aussi brillantes que la topaze.

bède. Les princes des prêtres rendirent témoignage à la vérité des paroles du Sauveur, par la résolution qu'ils prirent : " Et ils cherchaient le moyen de l'arrêter, " car il est cet héritier dont il prédisait que la mort injuste serait vengée par son Père. Dans le sens moral, tout fidèle, lorsque l'Eglise lui donne le sacrement de baptême, reçoit comme une vigne qu'il doit cultiver. Il frappe, accable d'outrages, et chasse dehors le serviteur qui lui est envoyé, lorsque la parole qui lui est annoncée devient l'objet de son mépris, et ce qui est pis encore, de ses blasphèmes. Il met à mort l'héritier autant qu'il est en lui, lorsqu'il foule aux pieds le Fils de Dieu (He 10, 28). Ce vigneron coupable est exterminé, et la vigne donnée à un autre, lorsque le don de la grâce, méprisé par les orgueilleux, vient enrichir l'âme qui est humble. Nous voyons même se renouveler tous les jours dans l'Eglise la conduite des princes des prêtres qui cherchaient à se saisir de Jésus, mais qui sont retenus par la crainte du peuple, lorsqu'un chrétien qui ne l'est que de nom, rougit ou craint d'attaquer l'unité de la foi et de la paix de l'Eglise, retenu qu'il est par la multitude d'âmes saintes qui font avec lui partie de cette même Eglise.

 

Vv. 13-17.

bède. Les princes des prêtres cherchaient à se saisir de Jésus, mais ils craignaient le peuple ; ce qu'ils n'osent donc faire par eux-mêmes, il essaient de le mettre à exécution par l'intermédiaire du pouvoir séculier, pour se décharger de la responsabilité de sa mort. " Et ils lui envoyèrent quelques-uns des pharisiens et des hérodiens. "—théophyl. Nous avons dit ailleurs que les hérodiens formaient une secte nouvelle qui soutenait qu'Hérode était le Christ, parce qu'il n'y avait plus alors de successeurs naturels au sceptre des rois de Juda (Gn 49, 10). D'autres prétendent que les hérodiens étaient des soldats d'Hérode embauchés par les pharisiens, pour être témoins des paroles de Jésus-Christ, s'emparer de sa personne et le leur amener. Voyez quelle est leur malice, et comme ils cherchent à tromper le Sauveur par leurs flatteries : " Et étant venus, ils lui dirent : Maître, nous savons que vous êtes sincère et véritable. " — S. jér. Ils l'interrogent avec des paroles mielleuses, et l'entourent comme des abeilles qui ont le miel à la bouche et l'aiguillon par derrière. — bède. Cette question si flatteuse mais pleine de fourberie, tend à provoquer du Sauveur cette réponse, qu'il craint Dieu plus que César, et à lui faire dire qu'il ne faut point payer le tribut, afin que les hérodiens prennent occasion pour l'accuser de vouloir soulever une révolte contre les Romains, ils ajoutent : " Vous n'avez égard à qui que ce soit et vous ne considérez point la qualité des personnes. " — théophyl. C'est-à-dire, que vous seriez prêt à refuser tout honneur à César, si vous ne le pouviez qu'aux dépens de la vérité : " Mais vous enseignez la voie de Dieu dans la vérité, " etc. Leur question perfide cachait de toute part un précipice, si Jésus répondait qu'il est permis de payer le tribut à César, ils exciteraient contre lui le peuple, en l'accusant de vouloir le réduire en servitude. Si au contraire, il défendait de payer le tribut, ils le présenteraient comme un homme qui soulevait le peuple contre César. Mais celui qui est la source de la sagesse sut échapper à leurs embûches. " Jésus, connaissant leur hypocrisie, leur dit : Pourquoi me tentez-vous ? Apportez-moi un denier. " — bède. Le denier est une pièce de monnaie qui valait dix as et qui portait l'effigie de César. " Et il leur demanda : De qui est cette image et cette inscription ? De César, leur dirent-ils. " Que ceux qui pensent que la question du Sauveur est l'effet de l'ignorance et non d'un dessein particulier, se détrompent ; ils savaient fort bien de qui était cette effigie; si donc il interroge, c'est afin de se ménager l'occasion d'une réponse convenable : " Jésus leur répondit : Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. " — théophyl. C'est-à-dire, rendez l'image à celui dont elle reproduit les traits. En d'autres termes, rendez ce denier à César, car vous pouvez très-bien à la fois payer le tribut à César, et rendre à Dieu ce qui lui appartient. — bède. C'est-à-dire, les dîmes, les prémices, les oblations, les victimes, à l'exemple de Jésus-Christ, qui a payé le tribut pour Pierre et pour lui, tout en rendant à Dieu ce qui est à Dieu, par l'accomplissement fidèle de la volonté de son l'ère. — S. jer. Ou bien dans un autre sens : Rendez forcément à César la pièce de monnaie qui porte son empreinte, et offrez vous vous-mêmes volontairement à Dieu ; car la lumière de votre visage, Seigneur, et non celle de César, a été gravée sur nous (Ps 4) — théophyl. César peut encore être considéré ici comme l'emblème de toutes les nécessités vie la vie. Le Seigneur nous ordonne donc de donner au corps la nourriture qui lui est propre et le vêtement, et de rendre à Dieu ce qui est à Dieu, c'est-à-dire, les veilles, les prières, etc. " Et ils admirèrent sa réponse. " Une si grande sagesse aurait du ouvrir leur cœur à la foi ; ils se contentent d'admirer que leurs desseins artificieux n'aient pas abouti.

 

Vv. 18-27.

la glose. Nôtre-Seigneur, par sa réponse pleine de sagesse, vient de déjouer la question artificieuse des pharisiens, il va maintenant confondre les sadducéens, qui viennent le tenter : " Après cela les sadducéens, " etc. — théophyl. Les sadducéens formaient une secte parmi les Juifs ; ils niaient la résurrection, aussi bien que l'existence des anges et des esprits. Ils viennent donc trouver Jésus, et au moyen d'un récit imaginaire et controuvé, ils cherchent à lui prouver que la résurrection n'a point eu lieu et qu'elle est à jamais impossible : " Et ils lui proposèrent cette question : Maître, " etc. Ils donnent sept maris à cette femme, afin de rendre plus impossible toute idée de résurrection. — bède. C'est là une fable qu'ils ont forgée à plaisir, dans le dessein de convaincre de folie ceux qui croient à la résurrection des corps ; cependant il peut se faire qu'un fait semblable se soit passé dans la Judée.

S. jér. Dans le sens allégorique, cette femme qui ne laisse aucun enfant de ses sept maris et qui meurt la dernière, est la figure de la synagogue juive ; elle est abandonnée par l'Esprit aux sept dons qui a rempli les patriarches. Cependant ils ne lui ont point laissé de rejeton de la race d'Abraham, qui est Jésus-Christ. Car bien que cet enfant soit né au milieu d'eux (Is 19), cependant c'est à nous, c'est aux nations qu'il a été donné. Cette femme était morte à Jésus-Christ, et ne pourra être unie dans la résurrection à aucun des patriarches ; car le nombre sept exprime l'universalité des choses, comme nous le voyons dans le fait contraire prédit par le prophète Isaïe : " En ce jour sept femmes prendront un seul homme " (Is 4), c'est-à-dire, que les sept Eglises que le Seigneur aime, reprend et châtie, s'uniront à lui et l'adoreront dans les sentiments d'une même foi : " Jésus leur répondit : Ne voyez-vous pas que vous êtes dans l'erreur, " etc. — théophyl. C'est-à-dire, vous ne comprenez pas la résurrection telle que l'enseigne l'Ecriture, vous croyez que les corps ressusciteront dans leur état actuel, il n'en sera pas ainsi. Vous ignorez donc complètement le sens des Ecritures ? Vous ne connaissez pas davantage la puissance divine, vous ne voyez ici que la difficulté et vous dites : Comment les membres disjoints et séparés d'un même corps pourront-ils être réunis et rendus à l'âme qui leur donnaient la vie ? Mais cette difficulté n'est rien pour la puissance de Dieu. " Lorsque les morts seront ressuscites, les hommes n'auront point de femmes, ni les femmes de maris, " etc. C'est-à-dire, la vie qui nous sera rendue aura un caractère angélique et divin, nous serons affranchis de la corruption, et nous resterons dans le même état, voilà pourquoi les noces n'auront plus de raison d'être. Elles ne sont établies ici-bas que pour combler les vides de la mortalité et perpétuer la succession du genre humain ; mais alors nous serons comme les anges qui n'ont pas besoin de cette succession, qui est le fruit des noces, parce que leur vie est immortelle. — bède. Il faut remarquer que l'usage de la langue latine ne répond pas à celui de la langue grecque, car le mot nubere ne se dit proprement que des femmes, et on emploie pour les hommes l'expression uxores ducere, prendre une épouse ; cependant nous appliquons simplement le mot nubere aux hommes qui se marient, et le mot nubi aux femmes qu'ils épousent.

S. jer. Voilà donc l'erreur où les fait tomber leur ignorance des Ecritures, car après la résurrection, les hommes seront comme les anges de Dieu, c'est-à-dire, il n'y aura plus ni mort, ni naissance, ni enfant, ni vieillard. — théophyl. Dette même ignorance leur fait commettre une autre erreur, car s'ils comprenaient bien les Ecritures, ils y trouveraient des preuves évidentes de la résurrection des morts : " Quant à la résurrection des morts, continue Nôtre-Seigneur, n'avez-vous point lu dans le livre de Moïse ce que Dieu lui dit dans le buisson, " etc. — S. jer. Je dis " dans le buisson, " emblème de ce que vous êtes, car le feu le brûlait, sans consumer ses épines, ainsi vous êtes comme entourés des flammes de ma parole, et elles ne peuvent consumer les épines qui sont le fruit de la malédiction. — théophyl. " Or, je vous le déclare, je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob, comme s'il disait : " Je suis le Dieu de ceux qui vivent ; " et il ajoute, en effet ; " mais des vivants ; " et remarquez qu'il ne dit pas : J'ai été, mais, " je suis " le Dieu d'hommes qui existent encore. Dira-t-on que Dieu ne parle ici que de l'âme d'Abraham et non de son corps. Je réponds que la personne d'Abraham comprend ces deux choses, le corps et l'âme ; Dieu est donc aussi le Dieu du corps qui vit en Dieu, c'est-à-dire, en vertu de l'ordre établi de Dieu. — bède. On peut dire encore que Nôtre-Seigneur, en prouvant que les âmes survivent à la mort du corps (car Dieu ne pourrait point être le Dieu de ceux qui n'auraient jamais existé), en vient par une liaison nécessaire à la résurrection des corps qui ont participé aux bonnes et aux mauvaises actions des âmes. — S. jer. Ces paroles : " Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob, " sont une déclaration de la sainte Trinité. En ajoutant : " Dieu n'est pas le Dieu des morts, " Notre-Seigneur nous enseigne l'unité de la nature divine. Or, ceux-là vivent qui se sont rendus maîtres de la part qu'ils avaient choisie ; et ceux-là sont morts qui ont perdu ce qui était en leur possession ; vous êtes donc dans une grossière erreur. — la glose. En effet, ils se mettaient en contradiction avec les Ecritures, et soutenaient des opinions injurieuses à la puissance de Dieu.

 

Vv. 28-34.

la glose. Nôtre-Seigneur a réduit au silence et les pharisiens et les sadducéens qui étaient venus le tenter, voyons maintenant comment il répond à la question d'un docteur de la loi : " Alors l'un des docteurs de la loi s'approcha de lui et lui demanda : Quel est le premier de tous les commandements ? " etc. — S. jér. Ce doute, commun à tous ceux qui étaient versés dans la connaissance de la loi, venait de ce qu'elle paraissait imposer des commandements différents dans l'Exode (20), le Lévitique (26) et le Deutéronome (4). Nôtre-Seigneur déclare donc qu'il y a non pas un seul commandement, mais deux commandements distincts qui sont comme les deux mamelles placées sur le sein de l'épouse pour nourrir notre enfance (Ct 4, 5 ; 7, 7) : " Le premier commandement est celui-ci : Ecoutez, Israël, le Seigneur votre Dieu est le seul Dieu. " Il appelle le plus grand des commandements le premier de tous, c'est-à-dire celui que nous devons tous placer dans notre cœur comme le fondement unique de la piété, et qui consiste dans la connaissance, dans la confession de l'unité divine jointe à la pratique des bonnes œuvres, qui sont le fruit de l'amour de Dieu et du prochain : " Et vous aimerez le Seigneur votre Dieu, " etc. — théophyl. Voyez comme Notre-Seigneur énumère ici toutes les forces de l'âme. La première est la force vitale qu'il exprime, lorsqu'il dit : " De toute votre âme, " et à laquelle se rattachent la colère et le désir, passions que nous devons consacrer toutes à l'amour de Dieu. Il y a une autre force qu'on appelle naturelle, à laquelle est jointe la faculté de se nourrir et de se développer, et il faut également la donner toute entière à Dieu, elle est caractérisée par ces paroles " De tout votre cœur. " Il y a enfin la force raisonnable, qu'il désigne sous le nom d'esprit, et il faut encore l'offrir à Dieu dans toute son étendue. — la glose. Il ajoute : " De toutes vos forces, " ce qui peut se rapporter aux forces corporelles.

" Voici le second qui est semblable au premier : Vous aimerez voir, prochain comme vous-même. " Le second commandement est semblable au premier, dans ce sens que ces deux commandements ont entre eux une parfaite corrélation et une liaison des plus étroites. En effet, celui qui aime Dieu étend nécessairement cet amour à ses œuvres. Or, une des œuvres de Dieu les plus importantes, c'est l'homme. Donc celui qui aime Dieu, doit aimer tous les hommes ; et celui qui aime son prochain, cause si fréquente pour lui de scandales, doit aimer à bien plus forte raison celui de qui il ne reçoit que des bienfaits ; ci c'est à cause du lien étroit qui unit ces deux commandements, que le Sauveur ajoute : " Aucun autre commandement n'est plus grand que celui-ci. "

" Le docteur lui répondit : Maître, ce que vous avez dit est très véritable, " etc. — bède. Ce qu'il dit, que l'amour de Dieu vaut mieux que tous les holocaustes et tous les sacrifices, est une preuve qu'entre les scribes et les pharisiens s'agitait cette grave question : Quel était le premier et le plus grand commandement de la loi divine. Les uns mettaient au premier rang les victimes et les sacrifices ; les autres donnaient la préférence aux œuvres de la foi et de la charité , parce qu'avant la loi, la foi, qui opère par la charité (Ga 5, 6), avait suffi par rendre les patriarches agréables à Dieu, n'était, on le voit, le sentiment de ce docteur de la loi.

" Jésus, voyant qu'il avait répondu avec, sagesse, lui dit : Vous n'êtes pas loin du royaume de Dieu. " — théophyl. Il atteste par là même qu'il n'est pas encore arrivé à la perfection ; car il ne lui dit pas : Vous êtes dans le royaume du Dieu , mais : " Vous n'êtes pas loin du royaume de Dieu. " — bède. Or, il mérita cet éloge de n'être pas loin du royaume de Dieu, parce qu'il se déclare le partisan d'une vérité qui est propre au Nouveau Testament et à la perfection de l'Evangile. — S. aug. (de l'accord des Evang., 2, 75.) Peu importe que saint Matthieu dise qu'il est venu avec l'intention de tenter Jésus. Ne peut-on pas supposer qu'il est venu avec celte intention, il est vrai, mais que la réponse du Sauveur l'a fait changer de dessein ? Ou bien il est venu pour le tenter, non point dans la mauvaise acception du mot, comme un ennemi qui veut absolument tromper, mais avec la circonspection d'un esprit qui veut éprouver un homme qu'il ne connaît pas entièrement. — S. jer. Ou bien il n'était pas loin, parce qu'il venait avec une espèce de calcul ; car l'ignorance est plus éloignée du royaume de Dieu que la science. Aussi Nôtre-Seigneur fait-il plus haut ce reproche aux sadducéens : " Vous êtes dans l'erreur, parce que vous ne comprenez ni les Ecritures, ni la puissance de Dieu. " " Et depuis ce temps-là personne n'osait plus lui faire de questions. — bède. Après avoir été ainsi déjoués et confondus dans leurs questions, ils n'osent plus l'interroger, mais ils cherchent à s'emparer de lui pour le livrer ouvertement à la puissance romaine, preuve que l'envie peut être vaincue, mais qu'elle ne peut que difficilement rester en repos.

 

Vv. 35-37.

théophyl.. Comme le temps de la passion du Sauveur approchait, il croit devoir redresser la fausse opinion des Juifs qui prétendaient que le Christ était le Fils de David, mais non son Seigneur : " Et Jésus, enseignant dans le temple, leur dit." — S. jér. C'est-à-dire qu'il leur parle ouvertement de lui-même, pour leur ôter toute excuse. " Comment les scribes (Mt 12, 35) disent-ils que le Christ est le Fils de David ? " — théophyl. Or, Jésus-Christ prouve ici qu'il est le Seigneur par les paroles même de David : " Car David parle ainsi par l'Esprit saint : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite. " C'est-à-dire vous ne pouvez objecter que David, en parlant de la sorte, n'était point inspiré, car c'est vraiment dans l'Esprit saint qu'il l'a appelé son Seigneur. Il prouve ensuite qu'il l'est véritablement par ces paroles : " Jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied, " car les Juifs étaient eux-mêmes les ennemis dont Dieu le Père faisait le marchepied de son Fils. Que ce soit Dieu le Père qui assujettisse au Fils ses ennemis, c'est une preuve non point de l'impuissance du Fils, mais de l'unité de nature qui les fait agir conjointement l'un dans l'autre. En effet, le Fils assujettit aussi au Père ses ennemis, parce qu'il le glorifie sur la terre (Jn 17, 4)

la glose. C'est ainsi que de tout ce qui précède Nôtre-Seigneur donne une conclusion claire à une question qui d'abord pouvait sembler douteuse. Les paroles de David établissent que le Christ est le Seigneur de David ; la réponse des scribes prouve qu'il est son Fils, ce qui amène naturellement le Sauveur à leur demander : " David l'appelle son Seigneur, comment donc est-il son Fils ? "— bede. Cette question que leur fait Jésus est pour nous jusqu'à ce jour un puissant argument contre les Juifs. Ils confessent que le Christ doit venir, mais ils ne veulent voir en lui qu'un homme et qu'un saint personnage de la race de David. Or, instruits que nous sommes par le Seigneur, demandons-leur comment s'il n'est qu'un homme et le Fils de David, David dans son langage inspiré, l'appelle son Seigneur. Nous ne leur reprochons point de dire qu'il est le Fils de David, mais de refuser de croire qu'il est le Fils de Dieu.

" Et une foule nombreuse prenait plaisir à l’écouter. " — la glose. Parce qu'ils admiraient la sagesse de ses questions et de ses réponses.

 

Vv. 38-40.

S. jer. Après avoir ainsi confondu les scribes et les pharisiens, sa parole, nomme un feu ardent, consume les actions stériles de leur vie : " Et il leur disait en enseignant : Gardez-vous des docteurs de la loi qui aiment à se promener avec de longues robes. " — bède. " Ils aimaient à se promener avec de longues robes, " c'est-à-dire qu'ils aimaient à paraître en public avec des vêtements recherches, et c’est là une des fautes dont s'est rendu coupable ce riche, qui faisait tous les jours de magnifiques repas. (Lc 16)— théophyl. Ils marchaient revêtus de ces vêtements solennels, pour s'attirer de la considération et de l'honneur, et ils recherchaient ainsi tout ce qui pouvait tourner à leur gloire : " Ils aiment aussi à être salués dans les places publiques, à être assis sur les premiers siéges dans les synagogues, et à avoir les premières places dans les festins. "— bède. Remarquez que Nôtre-Seigneur ne défend point de recevoir le salut sur les places publiques ou d'occuper les premières places dans les assemblées ou dans les festins à ceux qui ont droit à ces honneurs en raison de leur dignité ou de leur position ; mais qu'il blâme seulement ici ceux qui exigent outre mesure des fidèles ces marques d'honneur, qu'ils y aient droit ou non, et leur reproche de donner en cela un mauvais exemple qu'il faut éviter. C'est donc la disposition du cœur, et non la place elle-même que le Seigneur condamne ici ; cependant il est difficile d'excuser ceux qui, assis sur la chaire de Moïse, ambitionnent le titre de maîtres de la synagogue, de se mêler aux débats de la place publique. Le Sauveur nous met en garde contre ces hommes avides de vaine gloire, pour deux raisons, pour nous prémunir contre la séduction de leur conduite, que nous serions tentés de regarder comme irréprochable, ou contre une vaine émulation, qui nous porterait à les imiter, en nous réjouissant des louanges données à des actions qui n'ont que les dehors de la vertu. — théophyl. Le Sauveur recommande ici particulièrement aux Apôtres de n'avoir aucun rapport avec les scribes, mais de s'appliquer à imiter le Christ, et en les établissant ainsi les maîtres de tout ce qui tend à rendre la vie vertueuse et sainte, il leur soumet tous les autres hommes.

béde. Ce ne sont pas seulement les louanges des hommes, mais l'argent et les richesses qu'ils désirent : " Ils dévorent les maisons des veuves sous le semblant de longues prières. " II en est, en effet, qui, se couvrant des dehors de la justice, viennent s'offrir aux consciences troublées par le souvenir de leurs péchés, pour être leur avocat, leur protecteur au jour du jugement, et qui n'hésitent pas à se faire payer cette prétendue protection ; or comme c'est surtout en priant, que le pauvre qui tend les mains, obtient l'aumône ; ces hommes passent les nuits en prières pour recevoir la pièce de monnaie destinée au pauvre. — théophyl. C'était aux femmes privées de l'appui de leurs maris que les scribes venaient offrir leur protection, et sous le faux semblant de la prière, sous l'attitude du respect et les dehors de l'hypocrisie, ils trompaient les veuves et dévoraient les maisons des riches. " Ils recevront un jugement plus rigoureux " que les autres Juifs coupables.

 

Vv. 41-44.

bède. Notre-Seigneur, qui venait de prémunir ses disciples contre les désirs ambitieux des premières places et de la vaine gloire, fait de même un discernement aussi juste que certain de ceux qui apportent leurs offrandes dans la maison du Seigneur. " Jésus-Christ étant assis vis-à-vis du tronc, il regardait de quelle manière le peuple y jetait de l'argent. ” Le mot grec φυλάξαι veut dire conserver, et le mot persan gaza signifie richesse ; de là le nom de gazophylacium donné à l'endroit où l'on conserve l'argent. Ce nom était également donné au tronc où l'on déposait les dons faits par le peuple pour les usages du temple, et aux portiques où ces troncs étaient placés. Vous avez un exemple de ces portiques dans l'Evangile : " Jésus parla de la sorte dans le parvis du trésor, lorsqu'il enseignait dans le temple. " (Jn 8, 20.) Il est aussi question du tronc des offrandes dans le livre des Rois. " Et le grand-prêtre Joïada prit un coffre et y fit une ouverture par dessus, " etc. (4 R 12, 9.) — théophyl. C'était une coutume louable chez les Juifs que ceux à qui leur fortune le permettaient, déposaient volontairement leur offrande dans le trésor du temple destiné à nourrir les prêtres, les pauvres et les veuves, " Et plusieurs gens riches en mettaient beaucoup. " Or, pendant qu'un grand nombre déposaient ainsi leurs offrandes, vint une pauvre veuve qui fit éclater sa piété par une offrande proportionnée à ses facultés. " II vint aussi une pauvre veuve qui mit seulement deux petites pièces, valant ensemble le quart d'un as. " — bède. Dans le calcul ordinaire on donne le nom de quadrans à la quatrième partie d'une chose, d'un espace quelconque, du temps, de l'argent. Peut-être ce mot exprime ici la quatrième partie du sicle, c'est-à-dire environ cinq oboles. " Alors Jésus, ayant appelé ses disciples, leur dit : Je vous le dis en vérité, cette pauvre veuve a plus donné que tous ceux qui ont mis dans le tronc. " Car Dieu pèse les intentions bien plus que l'objet même de nos offrandes, il considère moins la matière de notre sacrifice que la disposition généreuse de celui qui l'offre : " Car tous les autres ont donné de leur abondance, mais celle-ci a donné de son indigence même tout ce qu'elle avait, " etc.

S. jér. Dans le sens figuré, les riches sont ceux qui tirent du trésor de leurs cœurs des choses anciennes et nouvelles (Mt 13, 52), les secrets mystérieux et cachés de la sagesse divine (Ps 50, 7) dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament. Que figure cette pauvre femme ? moi et tous ceux qui me ressemblent, qui mettons ce que nous pouvons, et qui sommes obligés de nous arrêter aux désirs pour ce qui échappe à nos explications. Dieu ne considère pas le nombre de vérités que vous avez entendues, mais vos dispositions en les écoutant. Or, chacun de vous peut offrir le quadrant qui est une volonté active et prompte, et qui est ainsi appelée, parce qu'elle est composée de trois choses : la pensée, la parole et l'action. Nôtre-Seigneur dit que cette pauvre veuve a donné tout ce qui lui restait pour vivre parce que tous les plaisirs du corps consistent dans la nourriture suivant ces paroles de l'Ecclésiaste : " Tout le travail de l'homme est pour sa nourriture. " — théophyl. Ou bien dans un autre sens cette veuve, c'est l'âme de l'homme qui laisse Satan, à qui elle s'était attachée ; elle jette deux pièces de monnaie dans le trésor du temple, c'est-à-dire le corps et l'esprit, le corps par l'abstinence, l'esprit par l'humilité. Ainsi mérite-t-elle d'entendre qu'elle a donné tout ce qui lui restait pour vivre, et qu'elle en a fait un sacrifice, en ne réservant rien de ce qu'elle possédait.

bède. Dans le sens allégorique, les riches qui déposaient leurs offrandes dans le trésor du temple sont la figure des Juifs fiers de la justice de la loi. Cette pauvre veuve représente la simplicité de l'Eglise ; elle est pauvre, parce qu'elle s'est dépouillée de l'esprit d'orgueil et des concupiscences de la terre ; elle est veuve, parce que son époux a souffert la mort pour elle. Elle met deux petites pièces de monnaie dans le tronc, parce qu'elle vient apporter l'offrande soit de l'amour de Dieu et du prochain, soit de la foi et de la prière. C'est une bien petite offrande, eu égard à notre misère personnelle, mais les pieuses dispositions de notre âme la rendent agréable à Dieu , et elle l'emporte de beaucoup sur toutes les œuvres des Juifs orgueilleux. En effet, ces Juifs, qui présument de leur justice, donnent à Dieu de leur abondance ; l'Eglise, au contraire, offre tout ce qui sert à sa subsistance, parce qu'elle reconnaît que tout ce qui contribue à entretenir sa vie est dû non pas à ses mérites, mais à la libéralité toute gratuite de Dieu.

 

CHAPITRE XIII

 

Vv. 1-3.

bède. L'Eglise de Jésus-Christ une fois fondée, la Judée devait recevoir le digne châtiment de sa perfidie ; aussi est-ce avec dessein que Nôtre-Seigneur après avoir loué dans cette femme la dévotion de l'Eglise, sort du temple, prédit sa ruine prochaine, et le mépris réservé à ces constructions, objet de l'admiration générale. " Et comme il sortait du temple, un de ses disciples lui dit, " etc. — théophyl. Comme le Seigneur leur avait parlé à diverses reprises de la destruction de Jérusalem, ses disciples s'étonnaient du triste sort réservé à des édifices dont la magnificence égalait la grandeur ; ils lui montrent donc la riche structure du temple ; et Nôtre-Seigneur prédit que non-seulement il sera détruit, mais qu'il n'en restera point pierre sur pierre. " Jésus leur répondit : Voyez-vous ces grandes constructions, tout sera détruit, et il n'en restera point pierre sur pierre. " On objectera peut-être pour accuser la véracité du Sauveur, que les ruines du temple sont restées en grand nombre ; cette objection n'est pas fondée, car en supposant qu'il soit resté quelques ruines de cet édifice, cependant jusqu'à la consommation des siècles, il n'en restera point pierre sur pierre. D'ailleurs l'histoire rapporte qu'Ǽlius Adrien renversa de fond en comble la cité et le temple, et accomplit ainsi littéralement la prédiction du Sauveur.

bède. C'est par un dessein particulier de Dieu, qu'au temps où la grâce de la foi évangélique se fut répandue dans tout l'univers, le temple disparut avec toutes les cérémonies du culte judaïque. Autrement ceux qui étaient encore faibles dans la foi, en voyant subsister ce qui était d'institution divine, auraient pu se détacher insensiblement de la foi en Jésus-Christ, et tomber dans un judaïsme grossier. — S. jér. On peut dire encore que le Seigneur prédit à ses disciples la catastrophe des derniers temps de la Judée , c'est-à-dire la destruction du temple et du peuple juif avec son attachement à la lettre dont il ne restera point pierre sur pierre, des témoignages des prophètes, sur ceux contre lesquels les Juifs les faisaient retomber, comme sur Esdras, Zorobabel et les Macchabées. — bede. Dès que le Seigneur s'éloigne du temple, tous les édifices de la loi et l'ensemble des commandements se trouvent tellement détruits, que l'accomplissement en devient impossible aux Juifs, et que les membres ayant perdu leur chef, en sont réduits à se combattre entre eux.

 

Vv. 3-8.

bede. Alors que quelques-uns de ses disciples étaient dans l'admiration de l'imposante construction du temple, le Seigneur leur avait prédit que tous ces édifiées seraient détruits ; ses Apôtres l'interrogent donc en particulier sur le temps et les signes précurseurs de cette grande catastrophe : " Et comme il était assis, " etc. Le Seigneur s'assied sur le mont des Oliviers, en face du temple, pour prédire la ruine et la destruction de cet édifice ; cette attitude extérieure est conforme aux oracles qui vont sortir de sa bouche, et il nous enseigne ainsi dans un sens spirituel, que tandis qu'il repose paisible et tranquille dans les saints, il a en horreur la folie des âmes orgueilleuses; car le mont des Oliviers figure les hauteurs fertiles de la sainte Eglise (Ps 51, 8 ; Jr 11, 6). — S. aug. (lettre 80 à Hésychius.) A cette question que lui font ses disciples, le Seigneur répond en leur prédisant les événements qui devaient s'accomplir plus ou moins prochainement, et qui se rapportaient soit à la ruine de Jérusalem qui avait donné lieu à cette question, soit à son avènement par le moyen de l'Eglise, dans laquelle il ne cesse de venir, car il se produit et se manifeste dans les nouveaux membres qui lui naissent tous les jours ; soit à la fin des siècles, où il apparaîtra pour juger les vivants et les morts.

théophyl. Mais avant de répondre à leurs questions, il veut les affermir contre les séductions, auxquelles ils devaient être exposés : " Et Jésus leur répondit : Prenez garde que personne ne vous séduise, " etc. Il leur tient ce langage, parce qu'au temps des dernières épreuves de la Judée, on vit s'élever dans son sein des hommes qui prenaient insolemment le titre de docteurs, c'est ce que prédit le Sauveur : " Plusieurs viendront en mon nom, " etc. — bède. On en vit beaucoup, en effet, à l'approche de la ruine du Jérusalem, qui se proclamaient christs, et annonçaient l'ère prochaine de la liberté. Du temps des Apôtres, un grand nombre d'hérésiarques devaient aussi sortir du sein de l'Eglise. Plusieurs antéchrists vinrent aussi au nom de Jésus-Christ, le premier fut Simon le Magicien auquel les habitants de Samarie s'attachaient en disant de lui : " C’est là celui que l'on appelle la grande vertu de Dieu. " (Ac 8, 10) " Et ils en séduiront plusieurs. " Depuis la passion de Nôtre-Seigneur, le peuple juif qui lui avait préféré un voleur séditieux, et avait rejeté Jésus-Christ son Sauveur, fut continuellement en butte aux attaques de ses ennemis et à des guerres intestines. C'est à ces guerres que le Seigneur fit allusion en ajoutant : " Lorsque vous entendrez parler de guerres et de bruits de guerre. " Mais il rassure en même temps ses disciples contre ses épreuves, et les engage à ne quitter ni Jérusalem ni la Judée ; car ce n'est point encore la fin, qui ne devait avoir lieu que quarante ans après. " II faut que ces choses arrivent, mais ce ne sera pas encore la fin, " c'est-à-dire la désolation de la province, et la destruction complète de la ville et du temple.

" On verra se soulever peuple contre peuple. " — théophyl. C'est-à-dire les Romains contre les Juifs, ce qui, au témoignage de l'historien Josèphe, eut lieu avant la destruction de Jérusalem. En effet, les Juifs ayant refusé de payer le tribut, les Romains vinrent furieux pour venger ce refus, mais comme à cette époque ils se montraient cléments à l'égard des nations vaincues, ils se contentèrent des dépouilles qu'ils emportèrent, sans détruire la ville de Jérusalem ; mais Dieu ne laissait pas de se déclarer lui-même contre les Juifs, comme on le voit par ce qui suit : " Il y aura des tremblements de terre en divers lieux. " — béde. C'est ce qui s'accomplit à la lettre au temps de la révolte des Juifs contre les Romains. Ce peuple qui se soulève contre un autre peuple, ces doctrines pestilentielles de ceux dont les discours gagnent comme un cancer. (2 Tm 2) Cette faim de la parole de Dieu, ces tremblements de terre qui s'étendent au loin, peuvent aussi s'entendre des hérétiques qui se séparent de la vraie foi, et qui, par leurs luttes intestines, assurent à l'Eglise la victoire.

 

Vv. 9-13.

bède. Nôtre-Seigneur fait ici connaître la justice des châtiments effroyables qui devaient fondre sur la Judée : " Prenez bien garde à vous, car on vous fera comparaître dans les assemblées des juges, vous serez fouettés de verges dans les synagogues. " En effet, la cause principale de la ruine du peuple juif, c'est que non content d'avoir mis à mort le Sauveur, il poursuivit avec une cruauté impie les prédicateurs de son nom et de sa foi. — théophyl. C'est avec dessein que Nôtre-Soigneur parle tout d'abord de ce que les Apôtres devaient souffrir, il veut leur faire trouver quelque consolation à leurs épreuves personnelles dans les souffrances et les tribulations qui seront communes à tous les autres. " Et vous serez conduits devant les gouverneurs et devant les rois, " etc. Ces rois et ces gouverneurs, c'est Agrippa, Néron, Hérode (Ac 15 ; 12). Ces paroles : " Vous serez conduits devant les rois et les gouverneurs à cause de moi, " étaient d'une grande consolation pour les Apôtres, puisque c'était pour Jésus-Christ lui-même qu'ils devaient souffrir. Il ajoute : " Pour me rendre témoignage devant eux, " ou, si l'on veut, en témoignage contre eux, c'est-à-dire, qu'ils seront inexcusables de ne s'être point rendus à la vérité malgré les travaux des Apôtres. " Cependant qu'ils se gardent de croire que ces tribulations et ces dangers seront un obstacle à la prédication des Apôtres : " Car, ajoute-t-il, il faut d'abord que l'Evangile soit prêché à toutes les nations, " etc. — S. aug. (De l'acc. des Evang., 2, 7.) Saint Matthieu ajoute : " Et alors viendra la consommation ; " mais l'expression de saint Marc : " II faut d'abord, " a la même signification.

bède. Les monuments historiques attestent à l'envi l'accomplissement de cette prédiction. Nous y lisons que tous les Apôtres, peu de temps avant la ruine de la Judée, se répandirent dans tout l'univers pour y prêcher l'Evangile, à l'exception de Jacques, fils de Zébédée, et de Jacques, frère du Seigneur, qui avaient déjà versé leur sang dans la Judée pour la parole du Seigneur. Le Seigneur savait que le cœur de ses disciples serait contristé de la destruction et de la ruine de leur nation, il veut donc leur donner cette consolation, en leur apprenant qu'au défaut des Juifs qu'il rejetait, ils auraient d'autres compagnons de la gloire et du royaume des cieux, et qu'il se choisirait parmi toutes les nations un plus grand nombre d'élus que la ruine de la Judée n'en ferait perdre.

la glose. Une autre préoccupation pouvait naître dans l'esprit des disciples. Jésus leur avait prédit qu'ils seraient conduits devant les rois et les gouverneurs ; ils pouvaient donc se demander, si dépourvus qu'ils étaient de science et d'éloquence, ils ne seraient pas dans l'impossibilité de répondre ; le Seigneur les rassure donc en leur disant : " Et lorsque vous serez conduits, " etc. — bède. Lorsque nous sommes traduits devant les juges pour la cause de Jésus-Christ, il nous suffit d'offrir notre volonté pour lui. Jésus-Christ qui habite en nous parlera pour nous, et la grâce du Saint-Esprit nous dictera la réponse que nous devons faire, " car ce n'est pas vous qui parlez, mais l'Esprit saint. "

théophyl. Il leur prédit encore quelque chose de plus cruel, c'est que leurs proches deviendraient leurs propres persécuteurs : " Le frère livrera son frère à la mort, et le père son fils, " etc. — bède. C'est ce que nous avons vu souvent dans les persécutions, et des cœurs divisés sur le point de la foi ne peuvent être unis par une affection véritable et sûre. — théophyl. En leur annonçant ce danger, le Sauveur veut les préparer à supporter patiemment ce nouveau genre de persécutions et d'épreuves. Selon sa coutume, il joint à cette prédiction une vérité consolante : " Et vous serez haï de tout le monde à cause de mon nom. " Etre un objet de haine à cause de Jésus-Christ, c'est là un motif suffisant pour nous de souffrir patiemment les persécutions (car ce n'est point la souffrance, mais la cause pour laquelle on souffre qui fait le martyr). Enfin, rien de plus consolant au milieu des persécutions que ce que le Sauveur ajouta : " Celui qui aura persévéré jusqu'à la fin sera sauvé. "

 

Vv. 14-20.

la glose. Après avoir décrit les signes précurseurs de la destruction de la ville de Jérusalem, Nôtre-Seigneur prédit les circonstances qui doivent l'accompagner : " Lorsque vous verrez l'abomination, " etc.— S. aug. (De l'accord des Evang., 2, 77.) Saint Matthieu dit : " Etablie dans le lieu saint. " Saint Marc se sert d'une expression différente, mais le sens est le même. Pourquoi dit-il, en effet : " établie où elle induit pas être ? " parce qu'elle est dans le lieu saint d'où elle devrait être à jamais bannie. —bede. Lorsque l'Esprit saint nous invite à l'intelligence du texte sacré, c'est une preuve qu'il renferme un sons spirituel. Or, on peut entendre cette abomination, ou de l'Antéchrist, on de l'image de César, que Pilate plaça dans le temple, ou de la statue équestre d'Adrien, qui demeura longtemps dans le saint des saints, en effet, le mot abomination dans le langage de l'Ancien Testament est souvent synonyme d'idole (Dt 7, 25 ; 4 R 23, 16 ; Ez 7, 20). Il ajoute : " De la désolation, " parce que ces idoles ont été placées dans le temple désert et désolé. — théophyl.. Ou bien, " l'abomination de la désolation, " c'est l'entrée des ennemis par violence dans la ville. — S. aug. (Lett. 80 à Hésych.) Saint Luc, pour nous apprendre que cette abomination de la désolation eut lieu lors du siège de Jérusalem, rapporte eu ce même endroit les paroles du Sauveur : " Quand vous verrez Jérusalem entourée par des armées, sachez que la désolation de cette ville est proche" (Lc 21, 20). " Alors que ceux qui sont dans la Judée fuient vers les montagnes." — bède. Cette prédiction, l'histoire ecclésiastique en fait foi, fut littéralement accomplie, lorsqu'aux approches de l'armée romaine et de la ruine du peuple juif, tous les chrétiens avertis par un oracle venu du ciel, s'éloignèrent de la Judée, passèrent le Jourdain, et se retirèrent pour un temps dans la ville de Pella, sous la protection d'Agrippa, roi des Juifs, dont parlent les Actes des Apôtres (Ac 25 ; 26), et qui avec la partie de la nation juive qui consentait à reconnaître son autorité, restait toujours soumis à l'autorité de l'empire romain. — théophyl. Nôtre-Seigneur dit : " Ceux qui sont dans la Judée, " parce qu'en effet les Apôtres n'étaient pas alors dans la Judée, et bien longtemps avant la guerre, ils avaient été obligés de quitter Jérusalem. —la glose. Ou plutôt ils en étaient sortis par une inspiration de l'Esprit saint : " Que celui qui sera sur le toit, ne descende pas dans sa maison, et n'y entre point pour en emporter quelque chose, " car il serait mille fois désirable de pouvoir échapper, même dépouillé de tout, à une si grande tribulation.

" Malheur aux femmes qui seront grosses ou nourrices en ces jours-là. " — bède. Celles dont le sein ou les bras chargés du fardeau de leurs enfants, pourront difficilement trouver leur salut dans la fuite. — théophyl. Je crois que le Sauveur fait ici allusion aux mères qui mangèrent leurs enfants, car la famine et la peste les amenèrent à cette cruelle extrémité contre le fruit de leurs entrailles.

la glose. A ces deux obstacles à leur fuite tirés l'un du désir d'enlever les objets qui leur appartenaient, l'autre, de la difficulté de porter leurs enfants, Notre-Seigneur en ajoute un troisième, celui du temps : " Priez Dieu que ces choses n'arrivent point durant l'hiver. " — théophyl. Afin que la rigueur de la saison ne s'oppose point à votre fuite. Quels seront les graves motifs qui les réduiront à cette triste nécessité de fuir ? " Car l'affliction de ce temps-là sera si grande, que depuis le commencement de la création de l'univers jusqu'à présent, il n'y en eut jamais de pareille. " — S. aug. (lett. 80 à Hésych.) Josèphe, qui a écrit l'histoire des Juifs, nous rapporte une multitude de faits inouïs qui précédèrent la ruine de ce peuple, et qui paraissent à peine croyables, ce qui justifie ces paroles du Sauveur, que jamais depuis la création on n'a vu, que jamais on ne verra de tribulation semblable. Peut-être, la tribulation qui doit éclater lors de la venue de l'Antéchrist, égalera, surpassera même celle-ci, mais quant au peuple juif, il est vrai de dire que jamais il n'en existera de semblable, d’ailleurs, si les Juifs doivent être les premiers et les plus empressés à recevoir l'Antéchrist, ils seront bien plutôt les auteurs que. les victimes de cette tribulation.

hkde. Le seul refuge contre de si grands maux, c'est que Dieu qui donne la force de supporter la persécution, mettra un terme à la puissance des persécuteurs : " Que si le Seigneur n'avait abrégé ces jours, " etc. — théophyl.. C’est-à-dire, si la guerre des Romains n'avait été de courte durée, nul homme n'eût été sauvé, c'est-à-dire, aucun juif n'eût échappe. Mais à cause des élus qu'il a choisis (c'est-à-dire, des Juifs qui avaient déjà embrassé, ou qui devaient embrasser la foi), Dieu abrégea ces jours, et mit promptement fin à la guerre, car Dieu savait qu'après la ruine de Jérusalem, un grand nombre de Juifs croiraient en Jésus-Christ, et c'est en leur faveur que la nation juive ne fut pas entièrement détruite. — S. aug. (Lett. 80 à Hesych.) Je regarde comme plus probable l'interprétation de certains auteurs, d'après lesquels les jours seraient pris ici pour les calamités elles-mêmes, de même que nous voyons dans plusieurs autres endroits de l'Ecriture, les jours appelés mauvais (Gn 47, 9 ; Ps 93, 13 ; Ep 5, 16) ; car ce ne sont pas les jours qui sont mauvais, mais les événements qu'ils voient s'accomplir. Ces jours donc seront abrégés, dans ce sens que Dieu donnera la force nécessaire pour sentir moins vivement le poids de ces calamités, et leur ôtera ainsi ce qu'ils auront d'excessif et d'insupportable. — bède. Ou bien encore, tout ce qui suit à commencer de ces paroles : " L'affliction de ce temps-là sera si grande, " etc., se rapportent, dans leur sens propre, au temps de l'Antéchrist, où non-seulement les chrétiens auront à souffrir des tourments plus nombreux et plus cruels, mais ou, chose déplorable, l'éclat des prodiges semblera justifier la conduite des persécuteurs.

bède. Or, plus cette dernière tribulation l'emportera par l'étendue des épreuves sur toutes celles qui ont précédé, plus aussi elle sera limitée dans sa durée ; car, autant que la prophétie de Daniel et l'Apocalypse de saint Jean permettent de le conjecturer, l'Eglise répandue par toute la terre sera persécutée pendant trois ans et demi (Dn 12, 11 ; Ap 13, 15). Dans le sens spirituel, " lorsque nous verrons l'abomination de la désolation établie où elle ne doit pas être, " c'est-à-dire, les hérésies et les crimes régner parmi ceux qui paraissaient consacrés aux divins mystères, " alors nous tous qui sommes dans la Judée, " c'est-à-dire, qui persévérons dans la confession de la vraie foi, " nous devons d'autant plus nous efforcer de nous élever au sommet des vertus, que nous en voyons un plus grand nombre suivre les sentiers du vice. — S. jér. Fuir sur les montagnes, c'est ne point descendre des hauteurs où l'on s'est élevé. — bède. Alors que celui qui est sur le toit, c'est-à-dire, qui s'est élevé par l'esprit au-dessus des œuvres charnelles, ne redescende pas dans les actions basses de sa vie première, et qu'il ne rouvre pas sou cœur aux désirs de la chair et du monde, car notre maison, c'est ou ce monde, ou la chair que notre âme habite.

S. jér. " Priez Dieu, dit Nôtre-Seigneur, que votre fuite n'ait point lieu en hiver, ou le jour du sabbat, " c'est-à-dire, priez que les fruits de vos œuvres ne passent pas avec le temps ; en effet, l'hiver est la saison où finissent les fruits, et le sabbat est la figure de la fin des temps. — bède. Si l'on entend ces paroles de la consommation des siècles, nous dirons alors que Jésus-Christ nous recommande de ne point laisser refroidir notre foi en Jésus-Christ et notre charité pour lui, comme aussi de ne point cesser de pratiquer les bonnes œuvres, et de ne point nous livrer au repos du sabbat dans l'exercice des vertus.

S. jér. Cette tribulation sera grande, et sa durée abrégée, à cause des élus, de peur que le mal du temps ne vienne changer leur esprit (Sg 4).

 

Vv. 21-27.

théophyl. Après avoir achevé tout ce qui a rapport à la ruine de Jérusalem, Nôtre-Seigneur passe à l'avènement de l'Antéchrist : " Alors si quelqu'un vous dit : Le Christ ici, ou il est là, ne le croyez point. " II ne faut pas entendre cette expression : " alors, " du temps qui devait suivre immédiatement l'accomplissement des prédictions sur Jérusalem. Ainsi lorsque saint Matthieu, après avoir raconté la génération de Nôtre-Seigneur, dit : " En ces jours, Jean vint, " etc., est-ce immédiatement après la naissance du Sauveur ? Non, sans doute ; ces paroles ont un sens indéfini ou indéterminé, il en est de même de l'expression " alors ; " il ne s'agit donc point du temps de la ruine de Jérusalem, mais du temps où doit venir l'Antéchrist : " II s'élèvera alors de faux christs, " etc. Un grand nombre prendront le nom du Christ, et séduiront ainsi jusqu'aux fidèles. — S. aug. (Cité de Dieu, 19.) Satan sera alors déchaîné, et il usera de toute sa puissance pour opérer dans la personne de l'Antéchrist des prodiges merveilleux, mais trompeurs et mensongers. On se fait souvent cette question : l'Apôtre a-t-il traité de mensonges (2 Th 2, 9) ces signes et ces prodiges, parce que ce n'étaient que de vains fantômes, dont le démon se servait pour tromper les sens, et paraître faire ce qu'il ne faisait pas ? Ou bien est-ce parce que tout en étant de vrais prodiges, ils entraînaient dans l'erreur ceux qui ne pouvaient croire qu'un autre que Dieu en fût l'auteur, dans l'ignorance où ils étaient que la puissance du démon devait alors être plus grande qu'elle n'avait jamais été. Or, quelle que soit l'interprétation qu'on adopte, ces signes, ces prodiges séduiront ceux qui mériteront d'être séduits. — S. grég. (sur Ezech., hom. 9.) Mais pourquoi cette forme dubitative : " s'il est possible, " alors que le Seigneur savait parfaitement ce qui devait arriver. De deux choses l'une, s'ils sont élus, il n'est pas possible qu'ils soient séduits ; et si cela est possible, ils ne sont pas élus. Cette forme dubitative dans la bouche du Seigneur, exprime donc uniquement le trouble et l'hésitation d'esprit de ceux qu'il appelle les élus, parce qu'il voit leur persévérance dans la foi et les bonnes œuvres ; mais bien que Dieu les ait choisis comme devant persévérer, ils seront tentés par les prédicateurs de l'Antéchrist, qui s'efforceront de les entraîner dans leur chute.

bède. Il en est qui rapportent cette prédiction au temps de la captivité des Juifs où l'on vit un grand nombre de séducteurs qui prenaient le nom de Christ, et entraînaient après eux les nombreuses victimes de leur séduction. Mais lors du siège de la ville de Jérusalem, elle ne renfermait dans son sein aucun chrétien à qui put s'adresser cet avertissement du Sauveur, de ne pas suivre de faux docteurs. Il est donc plus juste de les entendre des hérétiques qui se couvraient faussement du nom de Christ, pour mieux combattre l'Eglise ; le premier d'entre eux fut Simon le Magicien, et le dernier comme le plus dangereux sera l'Antéchrist.

" Prenez donc garde à vous, voici que je vous l'ai prédit, " etc. — S. aug. (lett. 137 au peuple d'Hippone.) Il ne s'est pas contenté de prédire longtemps à l'avance les récompenses qu'il devait accorder aux fidèles et aux saints, il a voulu aussi prédire les maux qui devaient fondre en foule sur le monde dès cette vie. Il nous fait ainsi attendre les biens de l'autre vie avec une foi et une certitude d'autant plus grande, que nous passons par les épreuves qui, d'après les mêmes prédictions, devaient précéder la fin du monde.

théophyl. Or, après l'avènement de l'Antéchrist, le globe terrestre sera bouleversé et changé par suite de l'obscurcissement des astres en présence de la clarté resplendissante de Jésus-Christ. " Mais après ces jours d'affliction, le soleil s'obscurcira, " etc. — bède. En effet, au jour du jugement, les astres paraîtront couverts d'obscurité, non qu'ils perdent rien de la lumière qui leur est propre, mais parce qu'ils seront éclipsés par l'éclat de la lumière véritable, c'est-à-dire, du souverain Juge. Cependant rien ne s'oppose à ce que l'on entende que le soleil, la lune et les astres seront alors privés réellement pour un temps de leur lumière, comme cela est certainement arrivé lors de la mort du Christ. Mais le jugement une fois terminé, il y aura un ciel nouveau et une nouvelle terre (2 P 3, 13 ; Ap 21, 1), et alors s'accomplira cette prophétie d'Isaïe : " La lumière de la lune brillera comme la lumière du soleil, et la lumière du soleil sera sept fois plus éclatante " (Is 30, 26). " Et les puissances des cieux seront ébranlées. " — théophyl. C'est-à-dire, que les puissances angéliques seront frappées de stupeur en étant témoins d'aussi étonnants prodiges, et en voyant juger ceux qui partageaient leur nature. — bède. Qu'y a-t-il d'étonnant que les hommes soient remplis de frayeur aux approches de ce jugement, dont la vue seule fait trembler les puissances angéliques ? Que feront les simples planches quand les colonnes sont ébranlées ? Que deviendra l'arbuste du désert, quand le cèdre du paradis tremble jusque dans ses racines ?

S. jér. Ou bien encore : " Le soleil s'obscurcira, " pour les cœurs glacés comme pendant l'hiver, " et la lune ne donnera plus sa lumière, " qui brillait sereine au-dessus des orages et des disputes qui agitent la terre ; et les étoiles du ciel tomberont du ciel, " sans lumière, lorsqu'on verra la race d'Abraham qui a été comparée aux étoiles, défaillir presque toute entière ; " et les vertus des cieux seront ébranlées, " lorsqu'à l'avènement du Fils de l'homme elles seront envoyées comme les ministres de sa vengeance. C'est de cet avènement que le Sauveur ajoute : " Et alors, ils verront venir sur les nuées avec une grande puissance et une grande majesté le Fils de l'homme " qui était descendu, d'abord comme la pluie sur la toison de Gédéon, revêtu des livrées de l'humilité. " — S. aug. (lett. 80 à Hésych). Les anges avaient dit aux Apôtres : " II viendra de la même manière que vous l'avez vu monter au ciel. " (Ac 2) Nous devons donc croire qu'il viendra, non-seulement avec le même corps mais sur les nuées, puisqu'il viendra du ciel comme il y est monté, et qu'une nuée le reçut et le déroba aux yeux de ses disciples.

 

théophyl. Or ils verront le Seigneur comme Fils de l'homme, c'est-à-dire, revêtu d'un corps sensible, car tout ce qui se voit est corporel. — S. aug. (de la Trin., 1, 13.) Il sera donné devoir le Fils de l'homme, même aux méchants, mais la vue de la nature divine sera réservée à ceux qui ont le cœur pur parce qu'ils verront Dieu (Mt 5). Comme les méchants ne peuvent voir le Fils de Dieu dans cette forme divine, qui le rend l'égal de son Père, et qu'il faut cependant que les méchants comme les bons voient le juge des vivants et des morts devant lequel ils doivent comparaître, il était donc nécessaire qu'il reçût comme Fils de l'homme la puissance déjuger, puissance dont il nous décrit l'exercice dans les paroles suivantes : " Et alors il enverra ses anges. " — théophyl. Vous voyez que Jésus-Christ envoie les anges comme le Père, où sont donc ceux qui prétendent qu'il n'est pas égal à son Père ? Or, les anges s'empresseront de rassembler les élus afin qu'ils puissent aller dans les airs au-devant de Jésus-Christ (1 Th 4, 16) : " Et il réunira ses élus des quatre vents. " — S. jér. Comme le blé qu'on bat et qu'on passe au van, sur l'aire de toute la terre. — bède. " Des quatre vents, " c'est-à-dire, des quatre parties du monde, l'Orient, l'Occident, le Septentrion et le Midi. Et ce n'est pas seulement des quatre parties du monde, mais de toutes ses extrémités, des régions les plus éloignées au delà des mers qu'il rassemblera ses élus, comme l'indiquent ces paroles : " Depuis l'extrémité de la terre jusqu'à l'extrémité du ciel, " c'est-à-dire, des extrémités les plus éloignées de l'univers, jusqu'à ces contrées opposées, où le contour du ciel parait au loin s'appuyer sur les confins de la terre. Tous les élus donc, sans exception, viendront dans ce jour au-devant du Seigneur; les méchants se rendront aussi au jugement, pour disparaître de devant la face de Dieu et périr pour l'éternité après leur sentence de condamnation (Ps 67, 1).

 

Vv. 28-31.

béde. Sous cette figure du figuier, le Seigneur nous apprend le temps de la consommation du monde : " Apprenez ceci d'une comparaison tirée du figuier, lorsque ses branches sont encore tendres, " etc. — théophyl. C'est-à-dire, de même que l'été vient aussitôt après que le figuier a poussé ses feuilles ; ainsi, aussitôt après les persécutions de l'Antéchrist, aura lieu l'avènement du Christ, qui sera pour les justes l'été succédant à l'hiver, et pour les pécheurs l'hiver après l'été. — S. aug. (lett. 81 à Hésych.) On peut dire encore que tout ce que les trois Evangélistes ont raconté de l'avènement du Seigneur, soigneusement comparé et discuté, paraît se rapporter à cet avènement qu'il accomplit tous les jours dans son corps, qui est l'Eglise, à l'exception des endroits où le dernier avènement est prédit clairement, comme s'approchant tous les jours. Ainsi, dans la dernière partie du discours rapporté par saint Matthieu, c'est à ce dernier avènement qui s'appliquent ces paroles : " Lorsque le Fils de l'homme viendra dans sa majesté. " A quoi se rapportent en effet ces autres paroles : " Lorsque vous verrez toutes ces choses s'accomplir ? " Aux circonstances dont il vient de parler et parmi lesquels il faut ranger celle-ci : " Et alors ils verront le Fils de l'homme venant sur les nuées, " Ce ne sera donc pas encore la fin, mais elle ne sera pas éloignée. Ou bien on peut dire encore, que tout ce qui précède ne doit pas s'entendre du dernier avènement, mais une partie seulement, c'est-à-dire, ces paroles : " Et alors ils verront venir le Fils de l'homme, " car ce sera bien là non un signe de la fin prochaine, mais la fin elle-même. Cependant saint Matthieu montre clairement qu'il faut tout entendre sans exception de la fin du monde, lorsqu'il dit : " Lorsque vous verrez toutes ces choses, sachez que le Fils de l'homme est proche et qu'il est à la porte. " Voici donc dans quel sens il faut entendre ce qui a été dit plus haut : " Et il enverra ses anges des quatre parties du monde, " c'est-à-dire, il rassemblera ses élus de toutes les parties de la terre, pendant toute cette dernière heure, en venant dans ses membres comme sur les nuées.

bède. Au sens spirituel on peut voir dans ce figuier qui se couvre de feuilles, la synagogue qui, lors de la venue du Sauveur, ne produisait aucun fruit de justice dans ceux qui étaient alors incrédules, et qui fut condamnée à une éternelle stérilité. Cependant l'Apôtre dit : " Lorsque la plénitude des nations sera entrée, tout Israël sera sauvé. " Qu'est-ce à dire ? que le figuier longtemps stérile produira les fruits qu'il avait refusés jusque-là. Dès que vous apercevrez ces fruits, soyez certain que l'été du la paix véritable n'est pas éloigné. — S. jér. Ou bien les feuilles nouvelles du figuier c'est le temps présent, l'été qui approche, c'est le jour du jugement, jour auquel chaque arbre découvrira ce qu'il portait en soi, ou l'aridité qui le fera condamner au feu, ou la sève qui le rendra digne d'être planté avec l'arbre de vie.

" Je vous dis en vérité que cette génération ne passera point, que toutes ces choses ne soient accomplies. " — bède. Par génération, on peut entendre ici ou tout le genre humain, ou la nation seule des Juifs.—théophyl. Ou bien encore, " cette génération, " la génération des chrétiens ne passera point que toutes les prédictions sur Jérusalem et sur l'Antéchrist ne soient accomplies. Il ne dit pas en effet la génération des Apôtres, parce que les Apôtres, pour le plus grand nombre, ne vécurent point jusqu'à la ruine de Jérusalem. Il veut doue parler de la génération des chrétiens, et son dessein est de consoler ses disciples, en leur donnant l'assurance que la foi ne défaillirait pas entièrement dans ces temps malheureux. Les éléments stables et permanents du monde passeront plutôt que les paroles du Christ : " Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point. " — bède. Le ciel qui doit passer, n'est ni le ciel éthéré, ni le ciel des astres, mais le ciel atmosphérique ; car d'après la doctrine de saint Pierre, le feu du jugement atteindra tous les endroits où les eaux du déluge ont pu parvenir (2 P 3, 5-7). Le ciel et la terre passeront quant à la forme extérieure qu'ils ont actuellement, mais leur substance a une durée éternelle.

 

Vv. 32-37.

théophyl. Le Seigneur veut détourner ses disciples de le questionner sur le jour et l'heure on ces choses arriveront : " Quant à ce jour et à cette heure, leur dit-il, nul ne les sait, ni les auges qui sont dans le ciel, ni le Fils, mais le Père seul. " S'il leur avait dit, je le sais, mais je ne veux pas vous le découvrir, il les aurait singulièrement attristés ; il agit donc plus sagement, il éloigne leur esprit de toute question de ce genre, et il échappe à toutes leurs difficultés on leur disant : "Ni les anges ne le savent, ni moi-même. " — S. hil. (de la Trin., 9) On objecte au Fils unique de Dieu d'ignorer ce jour et cette heure, et on en conclut qu'il n'est point né Dieu de Dieu avec cette nature parfaite que possède Dieu le Père ; mais j'en appelle ici au simple jugement du sens commun ; peut-on supposer une ignorance quelconque, dans celui qui est pour tous les êtres l'auteur de ce qu'ils sont et de ce qu'ils seront ? Comment une seule chose peut-elle être en dehors de la science de sa nature, par laquelle et dans laquelle sont contenues toutes les choses qui doivent exister. Quoi ! il aurait ignoré le jour de son avènement. L'homme, autant que sa nature le lui permet, prévoit d'avance ce qu'il a dessein de faire, et la connaissance de ce qu'il doit faire suit chez lui la volonté d'agir. Comment donc admettre que le Seigneur de gloire, par cette ignorance au jour de son avènement, ait eu une nature si imparfaite que d'être soumise à un avènement nécessaire, sans en avoir aucune connaissance. Mais encore, il y a ici double impiété, si l'on suppose une intention malveillante dans Dieu le Père, qui aurait refusé la connaissance de la béatitude à celui à qui il avait révélé la connaissance de sa mort. Si tous les trésors de la science sont en lui ; il ne peut ignorer ce jour, mais nous devons nous rappeler que ces trésors de science sont cachés en lui. L'ignorance dont il parle tient donc uniquement à ce que les trésors de la science restent cachés en lui. Toutes les fois donc que Dieu déclare ignorer quelque chose, il ne s'agit point d'une véritable ignorance, mais il veut nous apprendre, ou qu'il n'est pas temps de parler, ou qu'il n'est pas temps d'agir. L'Ecriture dit de Dieu, qu'il connut qu'Abraham l'aimait, parce qu'il le fit connaître à Abraham lui-même (Gn 22). Il faut donc dire, par la même raison, que le Père a connu ce jour, parce qu'il l'a révélé à son Fils. Si donc nous lisons que le Fils ne connaît point ce jour, c'est dire d'une manière figurée qu'il ne doit point en parler ; au contraire, le Père seul connaît ce jour, parce que c'est à lui de le faire connaître. Gardons-nous donc d'admettre dans le Père ou dans le Fils aucun changement, aucune modification extérieure. Enfin, pour éloigner de lui tout soupçon d'ignorance, il ajoute aussitôt : " Prenez garde, veillez et priez, parce que vous ne savez quand ce temps viendra. " — S. jér. La vigilance est un devoir pour l'âme avant la mort du corps. — théophyl. Il nous recommande à la fois ces deux choses : la vigilance et la prière, car il en est beaucoup qui veillent, mais qui passent les nuits dans les excès de la débauche. C'est pour nous enseigner cette vérité qu'il amène la comparaison suivante : " II en sera comme d'un homme qui, s'en allant faire un voyage. "

bède. Cet homme qui part pour un long voyage et quitte sa maison, c'est Jésus-Christ qui, après sa résurrection, remontant vers son Père, vainqueur de la mort, quitte extérieurement l'Eglise, mais sans jamais la priver du secours de sa divine présence. En effet, l'habitation naturelle de la chair est la terre, et le Sauveur l'emmène comme en voyage, lorsqu'il la place dans les cieux. Cet homme assigne à chacun de ses serviteurs la tâche qui lui est propre, c'est-à-dire, que Nôtre-Seigneur, avec la grâce de l'Esprit saint, leur rend possible la pratique de toutes les bonnes œuvres. Il recommande au portier de veiller, c'est-à-dire, qu'il fait un devoir à l'ordre des pasteurs, de consacrer tous leurs soins à l'Eglise qui leur est confiée. Cette recommandation n'est pas seulement pour les pasteurs de l'Eglise ; nous devons nous-mêmes veiller, garder soigneusement sur les portes de nos cœurs, les fermer à toute inspiration mauvaise de l'antique ennemi, et prendre garde que le Seigneur ne nous trouve endormis. — S. jér. Car celui qui dort ne voit que des fantômes et non des corps véritables, et lorsqu'il est réveillé, il ne lui reste de ce qu'il a vu dans son sommeil qu'un souvenir sans réalité. Tels sont ceux qui, pendant cette vie, se laissent entraîner à l'amour du monde, et qui, au moment de la mort, se voient abandonnés de ce que, dans leurs rêves, ils avaient regardé comme des réalités. — théophyl. Remarquez qu'il ne dit pas : Je ne sais quand ce temps viendra, mais " vous ne savez. " C'est dans notre intérêt que Nôtre-Seigneur nous a caché ce jour, car si maintenant que nous l'ignorons, nous ne pensons pas à notre fin, qu'aurions-nous fait si nous l'avions su ? Hélas ! nous prolongerions nos iniquités jusqu'au dernier jour de notre vie. Pesons bien ici chacune des expressions du Sauveur. La fin arrive sur le soir pour celui qui meurt dans la vieillesse ; au milieu de la nuit pour celui qui meurt au milieu de la jeunesse ; au chant du coq, lorsqu'on quitte la vie à l'âge où la raison dirige nos actions. En effet, lorsque l'enfant commence à régler sa vie d'après les inspirations de la raison, c'est comme le chant du coq qui élève la voix et le réveille du sommeil de la vie des sens. Le matin, c'est l'enfance. Il nous faut donc à tout âge prévoir notre fin et veiller à ce que l'enfant même ne sorte point de cette vie sans baptême.

S. jér. Nôtre-Seigneur conclut tout son discours par ces paroles : " Ce que je vous dis, je le dis à tous, " afin que les derniers reçoivent des premiers cette recommandation qui est commune à tous. — S. aug. (lett. 80 à Hésych.) Il ne s'adressait pas seulement à ceux qui l'écoutaient, mais encore à ceux qui devaient les suivre et nous précéder, à nous-mêmes et à ceux qui viendront après nous jusqu'à son dernier avènement. Est-ce qu'en effet ce jour trouvera tous les hommes encore en vie ? Ou bien dira-t-on que c'est aux morts aussi que s'adressent ces paroles : " Veillez, afin que ce jour qui viendra à l'improviste ne vous trouve endormi ? " Pourquoi donc adresse-t-il à tous une recommandation qui ne parait concerner que ceux qui vivront alors, si ce n'est parce qu'elle s'adresse à tous en réalité, comme je l'ai dit. Ce jour vient pour chacun de nous, avec le jour de sa mort, parce qu'il sort de cette vie dans l'état où il sera jugé au dernier jour. Tout chrétien doit donc veiller, afin que ce jour ne le surprenne pas sans être préparé. Or, il surprendra sans préparation celui qui ne se sera point préparé au dernier jour de sa vie.

 

CHAPITRE XIV

 

Vv. 1-2.

S. jér. Il nous faut maintenant répandre du sang sur notre livre et sur le seuil de nos demeures, entourer d'un ruban d'écarlate la maison où nous prions, tenir dans la main une bandelette d'écarlate comme Zara, afin de pouvoir raconter le sacrifice de la vache rousse dans la vallée des victimes (Ex 12 ; Jos 2 ; Gn 28 ; Nb 19). L'Evangéliste commence le récit de la passion de Jésus-Christ par ces paroles : " Or, deux jours après était la fête de Pâques, " etc. — bède. La pâque, en hébreu phase, ne tire point son étymologie et sa signification du mot passion, comme plusieurs le pensent, mais du mot passage, parce que l'ange exterminateur, à la vue du sang dont les portes des Israélites étaient marquées, passa sans les frapper (Ex 12) ; ou bien, parce que le Seigneur passa pour ainsi dire au-dessus de son peuple pour lui porter secours. (Ex 13) — S. jér. Ou bien le mot phase veut dire passage, et le mot pascha, immolation. Or, l'immolation de l'agneau pascal, et le passage du peuple à travers la mer Rouge ou l'Egypte, figurent la passion de Jésus-Christ et la rédemption de son peuple délivré de l'enfer, alors que le Seigneur nous visite après deux jours, c'est-à-dire dans la pleine lune de l'âge parfait du Christ, afin que nous puissions manger les chairs de l'Agneau immaculé, qui ôte les péchés du monde dans une même maison, dans l'Eglise catholique, sans aucune partie ténébreuse dans notre âme, avec les chaussures de la charité et les armes de la justice.

bède. D'après l'Ancien Testament, il y avait cette différence entre la fête de Pâques et celle des azymes, que le nom de Pâques était exclusivement réservé au jour où l'agneau était immolé sur le soir, c'est-à-dire le quatorzième jour de la lune du premier mois. La fête des azymes, instituée en souvenir de la sortie d'Egypte, succédait immédiatement à la fête de Pâques le quinzième jour de la lune, et durait sept jours, c'est-à-dire jusqu'au soir du vingt et unième jour du même mois. Cependant les Evangélistes mettent indifféremment le jour des azymes pour la pâque, et la pâque pour le jour des azymes. Voilà pourquoi saint Marc dit ici : " Or, deux jours après c'était la fête de Pâques et des azymes, " parce que la loi commandait de célébrer la pâque avec des pains azymes. Et nous aussi qui célébrons une pâque perpétuelle, nous devons sans cesse nous efforcer de passer de ce monde.

S. jér. C'est des princes du peuple qu'est sortie l'iniquité dans Babylone, eux dont le devoir était de préparer le temple et les vases sacrés, et de se purifier selon les prescriptions de la loi pour manger l'agneau pascal, " Et les princes des prêtres et les scribes cherchaient comment ils pourraient s'emparer de lui par la ruse et le mettre à mort. " Le chef mort, tout le corps devient sans force. Voilà pourquoi ces misérables s'attaquent à la tête pour la faire périr. Ils veulent éviter ce jour de fête qui se présente à eux, car il n'est point de fête pour ceux qui ont perdu la miséricorde et la vie : " Et ils disaient : Non pas durant la fête, de peur qu'il n'y ait quelque tumulte parmi le peuple. " — bede. Ces paroles sont claires, ils craignent non pas une sédition, mais que le peuple, venant au secours de Jésus, ne l'arrache de leurs mains. — théophyl. Cependant c'était Jésus-Christ lui-même qui avait fixé le temps de sa passion, et il voulut être crucifié pendant la fête de Pâques, parce qu'il était lui-même la véritable pâque.

 

Vv. 3-9.

béde. Notre-Seigneur, prêt de souffrir pour le monde tout entier, et de racheter toutes les nations par l'effusion de son sang, s'arrête à Béthanie, c'est-à-dire dans la maison de l'obéissance : " Or, comme il était à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux, " etc. — S. jér. Le faon revient toujours à son gîte, ainsi le Fils obéissant à son Père jusqu'à la mort, nous demande à nous aussi une obéissance semblable (Ph 2, 8). — bède. L'Evangéliste dit : " Dans la maison de Simon le lépreux, " non qu'il le fût encore ; mais comme le seigneur l'avait guéri précédemment de la lèpre, il lui conserve son ancien nom pour rappeler le souvenir de cette guérison miraculeuse.

théophyl. Quoique les quatre Evangélistes parlent de cette femme qui répandit son parfum sur la tête du Sauveur, ce n'est pas cependant une seule et même personne, mais il faut en admettre deux, l'une dont parle saint Jean, sœur de Lazare, qui répandit des parfums sur le Seigneur, six jours avant la pâque, l'autre, dont parlent les trois autres Evangélistes. Si vous voulez même y faire plus d'attention, vous trouverez trois femmes distinctes ; saint Jean nous parle de la première, saint Luc de la seconde, et les deux autres Evangélistes de la troisième. Eu effet, celle dont saint Luc raconte l'action est appelée une femme de mauvaise vie, et vint trouver Jésus vers le milieu de sa vie évangélique. Celle, au contraire, dont parlent saint Matthieu et saint Marc, vint aux approches de la passion, et rien ne nous autorise à croire qu'elle fut une femme pécheresse. — S. aug. (de l'accord des Evang., 2, 79.) Pour moi, je pense qu'il faut nécessairement admettre qu'il n'y a eu qu'une seule femme, Marie la pécheresse, qui vint alors se jeter aux pieds de Jésus, et qui réitéra deux fois cette action, une première fois comme le raconte saint Luc, lorsqu'elle vint le trouver dans les sentiments de l'humilité et de la componction la plus vive, et en obtint le pardon de ses péchés. Saint Jean fait allusion à ce fait, en commençant le récit de la résurrection de Lazare, et avant que Jésus vint à Béthanie : " Marie était celle qui répandit des parfums sur le Seigneur, et qui essuya ses pieds avec ses cheveux, et son frère Lazare était malade. " (Jn 11, 2.) La même action qu'elle réitéra à Béthanie est tout à fait différente de la première, dont parle saint Luc, et se trouve racontée dans les mêmes termes par les trois autres Evangélistes. Saint Matthieu et saint Marc disent, il est vrai que le parfum fut répandu sur la tête du Seigneur, saint Jean sur les pieds ; il nous faut donc entendre tout simplement que cette femme répandit le parfum non-seulement sur la tête, mais sur les pieds du Seigneur. Si quelque esprit difficultueux s'appuie sur ce que S. Marc nous dit, que c'est après avoir brisé le vase qu'elle répandit le parfum sur la tête, pour prétendre qu'il ne put en rester assez pour en répandre sur les pieds ; un esprit droit et chrétien lui répondra que ce vase n'était pas tout à fait brisé, et que le parfum ne fut pas entièrement répandu ; ou bien encore, qu'elle répandit le parfum sur les pieds avant que le vase qui contenait le parfum destiné tout entier à la tête, ne fut brisé.

bède. L'albâtre est une espèce de marbre blanc, veiné de diverses nuances, dont on façonne des vases destinés à contenir des parfums, et qui a la propriété, dit-on, de les préserver de toute altération. Le nard est un arbuste aromatique, dont la racine est très-dense, courte, noire et fragile. Quoiqu'il soit plein de sève, cet arbuste répand une odeur semblable à celle des cyprès, il est amer au goût, ses feuilles sont petites et serrées, le sommet de cet arbuste s'épanouit en épis, aussi les parfumeurs vantent-ils à la fois les épis et les feuilles du nard, et saint Marc spécifie ce parfum en disant que c'était un parfum de nard d'épi très précieux, c'est-à-dire que le parfum que Marie vint offrir au Seigneur, venait non-seulement de la racine, mais des épis et des feuilles du nard, ce qui ajoutait à son prix, en augmentant son odeur et ses propriétés. — théophyl. Ou bien suivant l'étymologie du mot grec πιοτιχής, c'était un parfum de nard véritable, c'est-à-dire sans aucun mélange étranger, et dans toute la pureté de sa nature première.

S. aug. (de l'accord des Evang., 2, 78.) Il semblerait qu'il y a contradiction entre le récit de saint Matthieu et de saint Marc qui, après avoir dit que la pâque se fera dans deux jours, racontent que Jésus était en Béthanie, où le parfum fut répandu sur lui, et le récit de saint Jean qui rapporte que ce fut six jours avant la pâque que Jésus vint en Béthanie, où eut lieu ce même fait qu'il va raconter. Mais ceux qui se laissent arrêter par cette difficulté ne réfléchissent pas que c'est par récapitulation que saint Matthieu et saint Marc ont rapporté ce fait qui se passa en Béthanie, non pas deux jours, mais six jours avant Pâque.

S. jér. An sens mystique, Simon le lépreux est la figure d'abord du monde infidèle, et puis de ce même monde devenu fidèle ; cette femme avec son vase est le symbole de la foi de l'Eglise qui dit : " Le nard répandu sur moi a exhalé son parfum. " (Ct 1, 11) Ce nard est véritable et sincère, c'est-à-dire mystique et précieux, la maison qui est remplie de ce parfum, c'est le ciel et la terre ; le vase qui est brisé, ce sont les désirs charnels que l'on brise contre ce chef, par lequel tout le corps est joint et uni avec une si juste proportion (Ep 4, 13), alors que ce chef s'assied et s'humilie pour se rendre accessible à la foi de cette femme pécheresse. Elle s'élève des pieds à la tête, et de la tête redescend par la foi jusqu'aux pieds, c'est-à-dire qu'elle va du Christ à ses membres.

" Quelques-uns en furent indignés en eux-mêmes, et ils disaient : Pourquoi cette perte ? " La figure appelée synecdoque emploie indifféremment le singulier pour le pluriel, et le pluriel pour le singulier. L'infortuné Judas trouve ici sa perte dans ce qui devrait être son salut, et le figuier qui porte les fruits de la vie devient pour lui un lacs qui donne la mort. Son avarice couvre un mystère de foi, car notre foi est achetée trois cents deniers par les dix sens soit intérieurs, soit extérieurs, triplés par le corps, l'âme et l'esprit.

bède. " Et ils murmuraient contre elle, " ce que nous devons entendre non des Apôtres dévoués à la personne de Jésus, mais de Judas, dont il est ainsi question au pluriel.— théophyl. On peut dire que plusieurs des disciples blâmèrent l'action de cette femme, parce qu'ils avaient souvent entendu Jésus-Christ leur recommander le devoir de l'aumône ; mais l'indignation de Judas avait un autre motif, c'était l'amour de l'argent, et une honteuse avarice ; aussi saint Jean ne parle que du reproche que l'avarice hypocrite inspira contre cette femme au perfide disciple, " Ils murmuraient contre elle, " c'est-à-dire ils lui faisaient de la peine et la couvraient de reproches et d'injures. Or, le Seigneur reprend à son tour ses disciples qui voulaient mettre obstacle au pieux désir de cette femme. " Jésus leur dit : Laissez-la, pourquoi lui faites-vous de la peine ? " Elle avait fait son offrande, et ils la blâmaient et la repoussaient avec dureté. —orig. (Traité 25 sur S. Matth.) Ils se plaignaient de la perte de ce parfum qu'on pouvait vendre très-cher pour en donner le prix aux pauvres ; plaintes et reproches injustes, car il était convenable que la tête de Jésus-Christ fut parfumée de cette sainte et riche effusion. Aussi que leur répond le Sauveur ? " Ce qu'elle vient de me faire est une bonne œuvre. " L'éloge éclatant qu'il fait de cette action nous invite puissamment à couvrir la tête du Sauveur de parfums odoriférants et précieux, et à mériter aussi qu'on dise de nous que nous avons fait une bonne œuvre à l'égard de Jésus-Christ notre chef. En effet, tant que durera cette vie, nous aurons toujours des pauvres qui auront besoin du secours de ceux qui ont fait des progrès dans la doctrine , et qui sont devenus riches dans la sagesse de Dieu, mais malgré tous nos efforts, nous ne pouvons avoir jour et nuit avec nous le Fils de Dieu, c'est-à-dire le Verbe et la sagesse de Dieu. " Vous aurez toujours des pauvres avec vous, leur dit-il, et lorsque vous voudrez, vous pouvez leur faire du bien, mais vous ne m'aurez pas toujours. " — bède. Il veut parler ici de sa présence corporelle dont ils ne devaient plus jouir après sa résurrection, comme alors dans l'intimité d'une vie commune. — S. jér. Il dit encore : " Elle a fait une bonne œuvre à mon égard, parce que la foi de celui qui croit en Dieu lui est imputée à justice (Gn 12, 6 ; Rm 4, 3 ; Ga 3, 6 ; Jc 2, 23) ; car autre chose est de croire à Dieu, et autre chose est de croire en Dieu, c'est-à-dire de se jeter entièrement dans ses bras.

" Elle a fait ce qui était en son pouvoir, elle a répandu ses parfums sur mon corps pour me rendre par avance les devoirs de la sépulture." — bède. C'est-à-dire vous croyez que ce parfum est perdu, il sert par avance à ma sépulture. — théophyl. Elle a été comme inspirée de Dieu en répandant des parfums sur mon corps en vue de ma sépulture, paroles propres à confondre le traître disciple, à qui Jésus semble dire : Comment osez-vous accuser cette femme qui embaume mon corps par avance pour ma sépulture, et ne songez-vous point à vous accuser vous-mêmes qui me livrez à la mort ? Le Seigneur fait ensuite deux prédictions distinctes, la première, que son Evangile sera prêché dans tout l'univers ; la seconde, que l'action de cette femme ne cessera de recueillir des éloges. " En vérité, je vous le dis, dans tout l'univers où sera prêché cet Evangile, on racontera à la louange de cette femme ce qu'elle vient de faire, " etc. — bède. Fait digne de remarque ! Marie s'est couverte de gloire dans tout l'univers par l'hommage qu'elle a rendu au Seigneur, tandis que celui qui ose blâmer son action est devenu l'objet de la réprobation universelle. Cependant Nôtre-Seigneur se contente de donner à l'action de cette femme la louange qu’elle mérite, et se tait sur le châtiment réservé au sacrilège disciple.

 

Vv. 10-11.

bêde. L'infortuné Judas vent compenser par le prix qu'il espère de la vente de son Maître, la perte qu'il croyait avoir faite par ce parfum répandu : " Et Judas Iscariote, l'un des douze, s'en alla trouver les princes des prêtres, pour leur livrer Jésus. " — S. chrys. (serm. sur la passion). Pourquoi me faire connaître sa patrie, plut à Dieu qu'il fut permis d'ignorer jusqu'à son nom ! Mais il y avait un autre disciple, appelé Judas, fils de Jacques ou Zélotes, et c'est pour prévenir la confusion qui aurait pu naître de l'identité de nom, que l'Evangéliste distingue Judas de celui-ci. Toutefois, il ne dit pas : Judas le traître, pour nous apprendre, à son exemple, à éviter tout ce qui peut porter atteinte à la réputation du prochain. Cependant en spécifiant qu'il est l'un des douze, il fait ressortir la conduite abominable de ce traître ; car Jésus avait d'autres disciples, mais ils ne vivaient pas dans son intimité, et n'étaient pas honorés comme Judas de sa confiance. Les douze, au contraire, étaient des disciples éprouvés, c'était comme l'escorte royale, et c'est de ses rangs que sortit ce traître disciple. — S. jér. Il n'était du reste un des douze que numériquement, et non par ses vertus, il était un des douze par le corps, et non par l'esprit. Aussitôt qu'il fut sorti, il s'en alla vers les princes des prêtres, et Satan entra dans son âme, car tout être animé tend à se réunir à son semblable. — bède. " II s'en alla, " donc ce n'étaient point les princes des prêtres qui l'appelaient, aucune nécessité ne le pressait, c'est par le libre choix de sa volonté criminelle qu'il forme ce noir dessein. — théophyl. L'Evangéliste ajoute : " Pour le leur livrer, " c'est-à-dire pour leur faire connaître les moments où il était seul ; car ils craignaient de s'emparer de lui quand il enseignait la foule qui aurait pu prendre sa défense. Or, il promet de le leur livrer dans les mêmes termes dont s'était servi autrefois le démon son maître. " Je vous donnerai toute cette puissance. " (Lc 4, 6) " En l'écoutant, ils eurent beaucoup de joie, et ils promirent de lui donner de l'argent. " Ils promettent de l'argent, et ils perdent la vie, et au moment où il reçoit cet argent, le traître perd lui-même la vie. — S. chrys. (serm. sur la trahison de Judas.) O avarice insensée du traître ! L'avarice est la source de tous les maux, elle retient les âmes captives, elle les étreint de chaînes multipliées, elle efface en eux tout souvenir, et montre jusqu'où l'esprit de l'homme peut porter la folie : Victime de cette passion insensée, Judas a tout oublié : la vie intime avec son divin Maître, la table qui les réunissait, ses enseignements, ses conseils, ses douces persuasions. Ecoutez en effet la suite : " Et il cherchait l'occasion de leur livrer. " — S. jér. Mais on ne trouve jamais l'occasion d'accomplir une perfidie sans que la vengeance ne la suive d'une manière ou de l'autre. — bède. Qu'il en est beaucoup aujourd'hui qui sont pleins d'horreur pour le crime abominable à leurs yeux de Judas, qui vend pour une somme d'argent son Seigneur, son Maître et son Dieu ; et qui ne cherchent nullement à l'éviter. Car lorsqu'ils sacrifient à des présents, les droits de la charité et de la vérité, que font-ils autre chose que de trahir Dieu qui est la charité et la vérité par essence ?

 

Vv. 12-16.

S. chrys. (serm. sur la trahison de Judas, comme précéd.) Tandis que Judas débattait le prix de sa trahison, les autres disciples étaient préoccupés de la préparation de la pâque (1). " Et le premier jour des azymes, " etc.

bede. Ce premier jour des azymes était le quatorzième jour du premier mois, où les Juifs devaient jeter tout levain, et immoler la pâque, c'est-à-dire l'agneau pascal vers le soir. C'est à cet usage que l'Apôtre fait allusion, lorsqu'il dit : " Jésus-Christ est notre agneau pascal qui a été immolé pour nous. " (1 Co 5) Il n'a été attaché à la croix que le jour suivant, c'est-à-dire le quinzième jour de la lune, cependant la nuit même du jour où l'agneau pascal était immolé, il adonné à ses disciples, avec le pouvoir de les célébrer, les mystères de son corps et de son sang, il a été saisi et garrotté par les Juifs, et il a ainsi consacré les prémices de son sacrifice. — S. jér. Les pains azymes que l'on mange avec des choses amères, c'est-à-dire avec des laitues sauvages, sont la figure de notre rédemption, et l'amertume, l'emblème de la passion du Sauveur.

théophyl. La question des disciples : " Où voulez-vous que nous allions, " prouve évidemment que Jésus-Christ n'avait aucun domicile, ni les disciples aucune demeure en propre, car s'ils en avaient eu, ils y auraient conduit le Seigneur. — S. jér. Cette question : " Où voulez-vous que nous allions? " nous apprend encore à régler nos pas et nos démarches sur la volonté de Dieu. Nôtre-Seigneur nous fait aussi connaître avec qui il doit manger la pâque, et selon sa coutume dont nous avons parlé plus haut, il envoie deux de ses disciples : " II envoya donc deux de ses disciples, et leur dit : Allez dans la ville. " — théophyl. Il choisit parmi ses disciples Pierre et Jean, comme nous l'apprend saint Luc, et les envoie vers un homme inconnu, nous indiquant ainsi qu'il pourrait éviter sa passion, si telle était sa volonté, car celui qui savait que cet homme inconnu était disposé à recevoir ses disciples, ne pouvait-il pas changer les dispositions de ses ennemis ? Il leur donne même un signe auquel ils reconnaîtront la maison, en ajoutant : " Vous rencontrerez un homme portant une cruche d'eau. " —S. aug. (de l'acc. des Evang., 2, dern. chap.) Le vase que porte cet homme est une cruche, suivant saint Marc, une amphore, suivant saint Luc ; l'un désigne l'espèce, l'autre la forme ; mais l'un et l'antre sont dans la vérité. — bède. Une preuve manifeste de la présence de la divinité, c'est que Jésus, tout en parlant avec ses disciples, sait ce qui doit se passer ailleurs, " Et ses disciples s'en allèrent, et ils préparèrent la pâque, " etc. — S. chrts. (serm. sur la Trah. de Jud.) Ce n'était pas encore notre pâque, mais la pâque des Juifs ; c'était Jésus-Christ, qui non-seulement devait établir, mais devenir lui-même notre pâque. Mais pourquoi a-t-il voulu la manger ? Parce qu'il s'est assujetti à la loi pour racheter ceux qui étaient sous la loi (Ga 4, 4-5), et mettre lui-même un terme à la loi. Et afin que personne ne soit tenté de dire qu'il n'a détruit la loi, que parce que son accomplissement lui paraissait trop dur, trop pénible et au-dessus de ses forces, il a voulu l'accomplir tout d'abord avant de l'annuler.

S. jér. Au sens mystique, la ville c'est l'Eglise, qui est entourée du mur de la foi ; cet homme que les disciples rencontrent, c'est le premier peuple ; la cruche d'eau, c'est la loi de la lettre. — bède. Ou bien l'eau est le bain salutaire de la grâce ; la cruche figure la fragilité de ceux qui devaient faire connaître cette grâce au monde. — théophyl. Celui qui a été baptisé, porte comme un vase plein d'eau, et celui qui porte ainsi son baptême, marche vers le repos en vivant conformément à la raison, et jouit du repos et de la paix comme dans sa maison : " Suivez-le, " ajoute Nôtre-Seigneur. — S. jér. Suivez celui qui vous conduira sur les hauteurs où Jésus-Christ lui-même devient votre nourriture. Le maître de la maison, c'est l'apôtre saint Pierre, à qui le Sauveur a confié le soin de sa maison, afin qu'il y eût unité de foi sous un seul pasteur. Cette grande salle, c'est la grande Eglise de Dieu, où l'on fait connaître le nom du Seigneur, et qui est ornée de la variété des vertus et des diverses langues des peuples. — bède. Ou bien, cette grande salle, au sens spirituel, est la loi qui, sortant des limites étroites de la lettre, reçoit le Sauveur sur les lieux élevés, c'est-à-dire, sur les parties les plus hautes de l'esprit. C'est avec dessein que le nom soit du porteur d'eau, soit du maître de la maison, est passé sous silence, afin que tous ceux qui veulent célébrer la véritable pâque, c'est-à-dire, recevoir les sacrements de Jésus-Christ, et qui désirent lui offrir l'hospitalité dans leurs cœurs, sachent qu'ils en ont le pouvoir. — théophyl. Ou bien encore, le maître de la maison c'est l'intellect qui nous montre cette grande salle, c'est-à-dire, les pensées élevées. Cependant tout élevée qu'elle est, elle éloigne de toute vaine gloire et de toute enflure, elle s'abaisse et s'égalise par l'humilité. C'est dans cette salle, c'est-à-dire, dans une âme ainsi disposée que Pierre et Jean, c'est-à-dire, l'action et la contemplation, préparent la pâque à Jésus-Christ.

 

Vv. 17-2I.

bède. Après avoir prédit sa passion, le Seigneur prédit également la trahison de Judas, pour lui offrir l’occasion de se repentir (Sg 12, 10 ; 29, 21) de son infâme dessein, lorsqu'il verrait que ses pensées étaient découvertes : " Le soir étant venu, il vint avec les douze, et comme ils étaient à table, il leur dit : L'un de vous me trahira. " — S. chrys. (Serm. sur la trahis, de Jud.) Nous voyons ici évidemment que Nôtre-Seigneur ne découvrait pas à tous indifféremment ce perfide disciple, pour ne pas augmenter son impudence ; mais il ne tait pas non plus complètement son noir dessein, de peur que la persuasion qu'il n'était pas connu ne le rendit plus audacieux pour consommer sa trahison. — théophyl. Mais comment pouvaient-ils être assis et couchés pour la Cène, puisque la loi commandait de manger la pâque en se tenant debout ? Il est vraisemblable qu'ils avaient commencé par manger la pâque légale, et qu'ils se sont assis ensuite au moment où le Sauveur allait instituer sa propre pâque.

S. jér. Le soir de ce jour est la figure du soir du monde. C'est vers la onzième heure qu'arrivent les derniers ouvriers qui sont les premiers à recevoir le denier de la vie éternelle (Mt 20). Tous les disciples sont également touchés par leur maître, et comme les cordes d'une lyre bien accordée, ils répondent avec une harmonie parfaite et d'une voix unanime : " Ils commencèrent à s'attrister, et chacun d'eux lui demandait : Est-ce moi ? " Un seul, comme une corde détendue et imbibée de l'amour de l'argent, lui dit : " Est-ce moi, Seigneur ? " comme nous le lisons dans saint Matthieu. — théophyl. Les autres Apôtres furent attristés de la parole du Seigneur, car bien qu'étrangers à ce criminel dessein, ils s'en rapportent beaucoup plus à celui qui connaît le cœur de tous les hommes qu'à eux-mêmes.

" II leur répondit : C'est l'un des douze qui met la main au plat avec moi. " — bède. C'était Judas qui, tandis que les autres sont attristés et retirent la main, avance la sienne et la porte au plat avec son maître. Le Sauveur venait de dire précédemment : " L'un de vous me trahira. " Le traître disciple persévérant dans son coupable dessein, il le lui reproche plus ouvertement, mais sans le désigner par son nom. — S. jér. Il dit : " L'un des douze, " qui se sépare d'eux, c'est ainsi que le loup sépare des autres la brebis qu'il veut prendre, et la brebis qui sort de la bergerie est exposée sans défense à la dent des loups. Un premier et un second avertissement n'ont pu détourner Judas du sentier de la trahison, Notre-Seigneur lui prédit donc son châtiment, afin que la perspective des supplices qui l'attendent, triomphe de celui qui n'a point cédé à la honte d'un si grand crime : " Et pour le Fils de l'homme, il s'en va, comme il est écrit de lui. " — théophyl. Cette expression : " II s'en va, " prouve que sa mort est toute volontaire et nullement forcée. — S. jér. Mais comme il en est beaucoup qui, à l'exemple de Judas, font des œuvres dont le résultat est bon, mais absolument sans aucune utilité pour eux, Nôtre-Seigneur ajoute : " Cependant, malheur à l'homme par lequel le Fils de l'homme sera livré. " — bède. Aujourd'hui encore, malheur à l'homme qui s'approche indignement de la table du Seigneur; à l'exemple de Judas, il trahit le Fils de l'homme, et le livre non aux Juifs coupables, mais à ses membres esclaves du péché.

" II eût mieux valu pour lui qu'il ne fût jamais né. " — S. jér. Il eut été préférable qu’il restât toujours caché dans le sein de sa mère, car il vaut mieux ne pas exister que d'exister pour une vie de tourments. — théophyl. Si l'on considère la fin que Dieu s'est proposée, il vaudrait mieux pour lui qu'il existât, s'il n'était pas devenu un traître, car Dieu l'avait créé pour le bien ; mais dès qu'il tombe dans ce profond abîme de malice, il valait mieux pour lui ne point exister.

 

Vv. 22-25.

bède. Toutes les cérémonies de l'ancienne pâque étant terminées, Jésus en vient à la nouvelle ; et à la chair et au sang de l'agneau, il substitue le sacrement de son corps et de son sang : " Et tandis qu'ils mangeaient, Jésus prit du pain, pour prouver qu'il était celui à qui le Seigneur a dit avec serment (He 5-7) : Vous êtes prêtre pour l'éternité, selon l'ordre de Melchisédech. " (Ps 109)

" Et l’ayant béni, il le rompit. " — théophyl. C'est-à-dire qu'il rendit grâces avant de le rompre, c'est ce que nous faisons nous-mêmes, en y ajoutant d'autres prières. — bède. Il rompt lui-même le pain qu'il présente à ses disciples, pour montrer que la fraction de son corps était la suite d'un plan qu'il avait tracé lui-même. Il bénit le pain, parce qu'en effet, il a, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, rempli d'une vertu divine la nature qu'il a prise pour souffrir. Il bénit le pain et le rompt, et montre ainsi qu'il a daigné soustraire à la mort l'humanité dont il s'est revêtu, faire éclater la puissance d'immortalité qui est en elle, et nous enseigner qu'il la ressusciterait promptement dans sa personne.

" Et il leur dit : Prenez, ceci est mon corps. "— théophyl. C'est-à-dire ce que je vous donne maintenant, ce que vous recevez de mes mains. Le pain n'est pas seulement la figure du corps de Jésus-Christ, mais il est changé au corps de Jésus-Christ lui-même ; car Nôtre-Seigneur a dit : " Le pain que je donnerai est ma chair. " Cependant nous ne voyons point la chair de Jésus-Christ à cause de notre faiblesse ; le pain et le vin sont des aliments accommodés à notre usage ; si la chair et le sang nous étaient présentés dans leur état naturel, nous n'aurions pu nous résoudre à les prendre. Aussi Notre-Seigneur, pour condescendre à notre faiblesse, conserve les apparences du pain et du vin, mais change le pain et le vin en sa chair et en son sang. — S. chrys. (serm. sur la trah. de Judas.) Et maintenant encore, Jésus-Christ est encore là, c'est lui-même qui a orné cette table, c'est lui encore qui la consacre. Ce n'est point l'homme qui change les dons offerts au corps et au sang de Jésus-Christ, c'est Jésus-Christ lui-même qui a été crucifié pour nous. Les paroles sortent de la bouche du prêtre, mais elles reçoivent leur consécration de la puissance et de la grâce de Dieu. C'est par cette parole : " Ceci est mon corps, " que les dons offerts sont consacrés, et de même que ces paroles : " Croissez et multipliez-vous, et remplissez la terre, " n'ont été dites qu'une fois (Gn 9, 1), et produisent cependant leurs effets dans tous les temps pour la génération des êtres par l'intermédiaire de la nature ; ainsi cette parole du Sauveur n'a été dite qu'une fois, et cependant jusqu'à ce jour, et jusqu'à l'avènement du Sauveur, elle donne au sacrifice toute sa force sur tous les autels de l'Eglise catholique.

S. jér. Au sens mystique, le Seigneur donne à son corps qui est l'Eglise actuelle, la forme de pain. On s'unit à ce corps par la foi, il est béni par la multiplication de ses membres, il est rompu par les souffrances, il est donné dans les exemples de vertu, reçu par l'enseignement, il se change dans le calice au sang de Jésus-Christ mêlé d'eau et de vin, pour nous purifier de nos fautes, et tout à la fois pour nous racheter des supplices que nous avons mérités. C'est par le sang de l'agneau que les maisons des Hébreux sont préservées de l’ange exterminateur, et leurs ennemis sont ensevelis dans les eaux de la mer ; c'étaient des symboles figuratifs de l'Eglise de Jésus-Christ, " Et prenant le calice, il rendit grâces et le leur donna. " C'est par la grâce, en effet, et non point par nos mérites que nous avons été sauvés. — S. grég. (Mor., 2, 24.) Nous le voyons à l'approche de sa passion, prendre du pain et rendre grâces. Celui qui a pris sur lui la peine due aux châtiments des autres, rend grâces à Dieu ; celui dont la vie n'offre pas l'ombre d'une faute, bénit humblement dans sa passion. En supportant avec tant de patience les châtiments dus aux forfaits des autres, il veut nous enseigner comment nous devons supporter les châtiments que méritent nos propres iniquités, et ce que doit faire le serviteur que Dieu châtie, alors que lui, l'égal de son Père, lui rend grâces des souffrances qu'il endure. — bède. Le vin du calice du Seigneur est mêlé d'eau et figure ainsi que nous devons demeurer en Jésus-Christ, et Jésus-Christ en nous, car au témoignage de saint Jean, les eaux représentent les peuples. Il n'est permis à personne d'offrir ou du vin seul, ou de l'eau seule, une telle offrande semblerait vouloir séparer la tête des membres, et signifier ou que Jésus-Christ a pu souffrir sans l'amour de notre rédemption, ou que nous pouvons être sauvés, et mériter d'être offerts à Dieu sans nous unir à sa passion.

" Et ils en burent tous. " — S. jér. Heureuse ivresse, satiété salutaire, qui daigne communiquer à l'âme une sobriété d'autant plus grande qu'elle est plus abondante. — théophyl. Quelques auteurs prétendent que Judas n'a point participé aux divins mystères, mais qu'il sortit avant que le Seigneur les eût distribués à ses disciples. D'autres, au contraire, soutiennent qu'il reçut le corps sacré du Sauveur. — S. chrys. (serm. sur la trah. De Judas) Jésus-Christ offrait son sang à celui-là même qui allait le vendre, afin qu'il pût y puiser la rémission de ses péchés, s'il avait voulu renoncer à son impiété. — S. jér. Judas but donc à ce calice du salut, mais il ne fut point rassasié et n'éteignit point la soif que produit le feu éternel, parce qu'il reçut indignement les mystères de Jésus-Christ ; car son sacrifice ne peut purifier ceux qui se sont traînés dans le bourbier infect de la cruauté, et que des pensées dépourvues de raison précipitent dans le crime. — S. chrys. (serm. sur la trah. de Judas.) Qu'il n'y ait donc aucun Judas à la table du Seigneur; ce sacrifice est une nourriture spirituelle. Or, de même que la nourriture corporelle, lorsqu'elle trouve l'estomac chargé d'humeurs contraires, ne fait que le rendre plus malade ; ainsi cette nourriture spirituelle, lorsqu'elle entre dans une âme souillée par le péché, rend sa perte plus certaine, non par l'effet de sa nature, mais par la mauvaise disposition de celui qui la reçoit. Que l'âme soit donc pure de toute souillure, que cette pureté s'étendent jusqu'aux pensées, parce que c'est ici le sacrifice de toute pureté.

" Et il leur dit : Ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance." — bède. Nôtre-Seigneur établit ici le caractère qui distingué la nouvelle alliance de l'ancienne, qui fut consacrée par le sang des boucs et des taureaux, que Moïse répandait sur le peuple en disant : " Voici le sang de l'alliance que le Seigneur a faite avec vous. " (Ex 24, 8.) " Qui sera répandu pour plusieurs. " — S. jér. Car il ne purifie pas tous les hommes de leurs péchés.

" En vérité je vous le dis : Je ne boirai plus, " etc. — théophyl. C'est-à-dire, je ne boirai plus de ce vin jusqu'à la résurrection, il appelle sa résurrection son royaume, parce que c'est alors qu'il a régné en vainqueur sur la mort. Après sa résurrection, il but et mangea avec ses disciples, leur prouvant ainsi qu'il était bien le même qui avait souffert. Le vin qu'il boit alors est nouveau, c'est-à-dire qu'il le boit d'une manière différente et toute nouvelle ; car il n'a plus un corps passible qui ait besoin de nourriture, son corps est à la fois immortel et incorruptible ; voici donc l'explication de ces paroles : la vigne, c'est le Seigneur lui-même ; le fruit de la vigne, ce sont les mystères, et l'intelligence secrète qu'en donne celui qui enseigne la science à l'homme (Ps 92) Or, dans le royaume de Dieu, c'est-à-dire dans le siècle futur, il boira avec ses disciples les mystères et la sagesse, en nous enseignant, en nous révélant alors des vérités nouvelles dont il nous dérobe ici-bas la connaissance. — bêde. Ou bien dans un autre sens, cette vigne du Seigneur c'est la synagogue au témoignage d'Isaïe : " La vigne du Seigneur des armées, nous dit-il, c'est la maison d'Israël. " (Is 5) C'est donc au moment où le Sauveur marche de lui-même au devant de sa passion, qu'il dit à ses disciples : " Je ne boirai plus de ce fruit de la vigne, " c'est-à-dire en d'autres termes : Je ne me complairai plus dans les cérémonies charnelles de la synagogue, parmi lesquelles l'immolation de l'agneau pascal tenait le premier rang ; car voici venir le temps de ma résurrection, voici venir ce jour où en possession du royaume de Dieu, élevé sur les hauteurs d'une gloire immortelle, je serai avec vous comblé de joie à la vue du salut de ce peuple régénéré aux sources de la grâce spirituelle.

S. jér. Remarquons que Nôtre-Seigneur change la nature du sacrifice, mais sans changer le temps où il était offert. Il nous apprend ainsi a ne jamais célébrer la cène au seigneur, avant le quatorzième jour de la lune. Celui qui célébrerait la résurrection le quatorzième jour serait obligé de célébrer la cène au onzième, ce qui ne s'est jamais fait ni sous la loi ancienne, ni sous la loi nouvelle.

 

Vv. 26-31.

théophyl. Ils avaient rendu grâces avant de boire le calice du salut, ils rendent grâces après l'avoir bu : " Et après le cantique d'actions de grâces, ils s'en allèrent sur la montagne des Oliviers. " Apprenez ici à rendre aussi grâces à Dieu avant et après vos repas. — S. jér. Cet hymne est un cantique de louanges au Seigneur, comme il est dit au Psaume 21, 28-32 : " Les pauvres mangeront et seront rassasiés, et ceux qui chercheront le Seigneur célébreront ses louanges. " Et encore : " Tous les grands de la terre mangeront et adoreront. " Le Sauveur nous enseigne encore qu'il était doux et désirable pour lui de mourir pour nous, puisqu'au moment d'être livré à ses ennemis, il offre à Dieu un hymne de louanges. II nous apprend enfin, lorsque nous sommes surpris par l'affliction, à ne point nous laisser aller à la tristesse, mais à rendre grâces à Dieu, qui se sert de la tribulation pour opérer le salut d'un grand nombre. — béde. On peut encore voir dans cet hymne le cantique d'actions de grâces que rapporte saint Jean, et où le Sauveur élevant les yeux au ciel, priait pour lui, pour ses disciples, et pour tous ceux qui devaient croire en lui. (Jn 17)

théophyl. Jésus se retire sur une montagne, afin que ses ennemis le trouvant seul, pussent s'emparer de lui sans aucun tumulte. Car s'ils s'étaient saisi de lui au milieu de la ville, la multitude aurait pu s'agiter, et ses ennemis auraient trouvé dans cette agitation un juste motif de le mettre à mort, sons le prétexte qu'il cherchait à soulever le peuple. — bêde. Au sens mystique, c'est dans un dessein plein de sagesse que Notre-Seigneur conduit ses disciples sur la montagne des Oliviers, après les avoir nourris et fortifiés des saints mystères ; il nous apprend ainsi qu'après avoir reçu les divins sacrements, nous devons nous élever à des vertus plus hautes, à des grâces plus sublimes de l'Esprit saint, vertus et grâces par lesquelles nos cœurs sont comme consacrés. — S. jer. Notre-Seigneur Jésus-Christ tombe au pouvoir de ses ennemis sur le mont des Oliviers, du haut duquel il monta au ciel, pour nous apprendre que nous aussi nous montons au ciel du milieu de nos veilles, de nos prières et de nos souffrances, lorsque nous les acceptons sans résistance.

bede. Le Sauveur prédit à ses disciples l'épreuve qui les attend, afin que quand elle sera venue, ils ne désespèrent point de leur salut, mais qu'ils cherchent leur délivrance dans le repentir : " Et Jésus leur dit : Je vous serai à tous un sujet de scandale pendant cette nuit. " — S. jér. Tous succombent, mais tous ne restent pas sous le coup de cette chute. Est-ce que celui qui tombe ne se relèvera jamais ? dit le psalmiste. (Ps 40) Il est de la nature humaine de tomber, mais il est diabolique de ne point se relever. —théophyl. Dieu permit cette chute dans ses Apôtres, pour les guérir d'une confiance trop grande en eux-mêmes, et afin que cette prédiction ne parût point reposer sur une simple apparence, il l'appuie sur ce témoignage du prophète Zacharie : " Je frapperai le pasteur, et les brebis du troupeau seront dispersées. " bède. Cette prophétie est conçue en d'autres termes dans Zacharie, et c'est le prophète lui-même qui dit à Dieu : " Frappez le pasteur, et les brebis seront dispersées " (Za 13, 7). — S. jer. Le prophète demande la passion du Seigneur, le Père répond à ces prières : " Je frapperai le Pasteur, " le Fils est envoyé par son Père, et il est frappé, c'est-à-dire qu'il est incarné et souffre les douleurs de sa passion. — théophyl. Le Père dit : " Je frapperai le Pasteur, " parce qu'il l'abandonne aux coups de ses ennemis ; il donne le nom du brebis à ses disciples à cause de leur innocence et de leur éloignement de toute malice. Le Sauveur se hâte d'ajouter des prédictions plus consolantes : " Mais après que je serai ressuscité, j'irai avant vous eu Galilée. " — S. jér. Il leur promet donc avec certitude qu'il ressuscitera, pour ne point éteindre toute espérance dans leur cœur, " Or Pierre lui dit : Quand vous seriez pour tous les autres un sujet de scandale, vous ne le serez point pour moi. " Voici un oiseau sans ailes qui veut s'élever dans les airs, mais le corps appesantit l'âme, et donne à la crainte tout humaine de la mort une force qui triomphe de la crainte de Dieu. —bède. La promesse de Pierre lai était inspirée par l'ardeur de la foi, et la prédiction du Seigneur, par la connaissance qu'il avait de l'avenir : " Et Jésus lui repartit : En vérité je vous le dis, " etc.

S. aug. (De l’accord des Evang., 3, 2.) Tous les Evangélistes rapportent la prédiction que le Sauveur fît à Pierre, qu'il le renierait avant que le coq chantât, mais le récit de saint Marc est plus circonstancié. Aussi quelques-uns, faute d'attention sérieuse, prétendent que saint Marc ne peut se concilier ici avec les autres Evangélistes ; car, disent-ils, Pierre a renié trois fois son maître ; et si ce triple renoncement a commencé après le premier chant du coq, le récit des trois Evangélistes n'est pas conforme à la vérité, puisqu'ils rapportent que le Seigneur a déclaré à Pierre, qu'avant que le coq chantât, il le renierait trois fois. Maintenant si les trois renoncements de saint Pierre ont eu lieu avant que le coq ait commencé à chanter, pourquoi Nôtre-Seigneur aurait-il dit, d'après saint Marc : " Avant que le coq ait chanté deux fois, vous me renierez trois fois. " Nous répondons que le triple renoncement de saint Pierre ayant commencé avant le chant du coq, les trois Evangélistes ont considéré, non pas le moment où il devait être consommé, mais celui où il devait se produire et commencer, c'est-à-dire, avant le chant du coq, bien qu'on puisse dire que dans les dispositions intérieures de Pierre, ce triple renoncement eut lieu tout entier avant le chant du coq ; saint Marc, au contraire, raconte plus en détail ce qui se passa entre chaque renoncement. — théophyl. Voici donc comme on peut l'entendre : Pierre nia une première fois, et le coq chanta ; puis il nia une seconde et une troisième fois, et le coq chanta pour la seconde fois.

S. jér. Ce coq, messager de la lumière, figure l'Esprit saint, dont la voix se fait entendre à nous par les prophètes et par les Apôtres, à l'occasion de ce triple renoncement, pour nous appeler à répandre des larmes amères sur nos chutes multipliées, sur nos pensées coupables à l'égard de Dieu, sur nos discours blessants pour le prochain et sur les fautes commises contre nous-mêmes.

bède. Nous voyons ici la foi de Pierre et la vivacité de son amour pour son divin Maître : " Mais il insistait encore davantage : Quand il me faudrait mourir avec vous, je ne vous renoncerai point. " — théophyl. Les autres disciples firent preuve de la même ardeur, de la même intrépidité : " Et tous les autres en dirent autant. " Mais en cela ils contredisaient aussi la vérité que Jésus-Christ venait de leur prédire.

 

Vv. 32-42.

la glose. Après nous avoir raconté la prédiction du Seigneur sur le scandale dont il devait être l'occasion pour ses disciples, l'Evangéliste rapporte la prière qu'il fit, on le croit, pour ses disciples. Et tout d'abord il nous décrit le lieu qu'il choisît pour prier : " Ils allèrent ensuite en un lieu appelé Gethsémani. " — béde. On voit encore aujourd'hui ce lieu de Gethsémani, où le Seigneur fit sa prière. Il est situé au pied du mont des Oliviers, et le mot Gethsémani signifie vallée féconde ou vallée de l'abondance. Nôtre-Seigneur, en choisissant une montagne pour prier, nous enseigne à quelle sublimité de pensées et d'intentions nous devons nous élever dans la prière ; et en priant dans la vallée de la fécondité, il nous apprend à pratiquer toujours l'humilité dans nos prières et la fécondité de l'amour intérieur ; car c'est en descendant lui-même dans la vallée de l'humilité et en suivant les inspirations de son extrême charité qu'il a souffert la mort pour nous. — S. jér. C'est aussi dans cette vallée d'abondance qu'il fut assailli par des taureaux chargés de graisse. (Ps 31) " Et il dit à ses disciples : Demeurez ici tandis que je prierai. " II sépare de lui dans la prière ceux qui doivent en être séparés dans sa passion ; il prie, et ils dorment accablés sous le poids de leur cœur.

théophyl. Nôtre-Seigneur avait coutume de se retirer seul pour prier, et il nous apprend ainsi à chercher le silence et la solitude lorsque nous devons prier : " Et il prit avec lui Pierre, Jacques et Jean. " Il prend seulement avec lui les trois disciples qui ont été témoins de sa gloire sur le Thabor, pour associer à ses tristesses ceux qu'il avait associés à sa gloire, et que ces tristesses mêmes fussent pour eux une preuve de la vérité de son humanité : " Et il commença à se troubler et à être accablé d'ennui. " Par là même qu'il avait pris l'humanité tout entière, il en avait pris toutes les passions, la crainte, l'ennui, la tristesse, car les hommes ont un éloignement naturel pour la mort : " Et il leur dit : Mon âme est triste jusqu'à la mort. " — bède. Tout Dieu qu'il est, il s'est revêtu de notre corps, il fait donc voir en lui la fragilité de la chair, pour détruire par ce seul fait l'impiété de ceux qui refusent de croire au sacrement de l'Incarnation. Dès lors, en effet, qu'il s'est uni à un corps semblable au nôtre, il a dû en prendre toutes les propriétés, toutes les faiblesses naturelles, comme la faim, la soif, les angoisses, la tristesse ; car pour la divinité elle ne peut éprouver la moindre altération de ces diverses impressions. — théophyl. Il en est qui entendent ces paroles dans ce sens : " Je m'attriste, non de la mort que je dois endurer, mais de ce que les Israélites, mes compatriotes, vont me crucifier, et seront par là même exclus du royaume de Dieu, " — S. jér. Il nous enseigne aussi la crainte et la tristesse dont nous devons être pénétrés en présence du jugement de la mort, car nous ne pouvons dire par nous-mêmes, mais par Jésus-Christ seul : " Le prince de ce monde vient, et il n'a aucun droit sur moi. "

" Demeurez ici et veillez. " Le sommeil auquel il leur défend de se livrer n'est point le sommeil ordinaire dont il ne pouvait être question aux approches du combat, mais le sommeil de l'infidélité et de la langueur de l'esprit. Il s'éloigne un peu de ses disciples et se prosterne la face contre terre, pour faire paraître l'humiliation de son âme jusque dans la posture humiliée du corps : " Et s'en allant un peu plus loin, il se prosterna la face contre terre, priant que s'il était possible, cette heure s'éloignât de lui, " etc. — S. aug. (De l'acc. des Evang., 3, 4.) Il ne dit pas à Dieu : Si vous pouvez le faire, mais : " Si cela peut se faire. " Car la volonté de Dieu est la mesure de son pouvoir. Ces paroles : " Si cela est possible, " reviennent donc à celles-ci : " Si vous le voulez. " Et afin qu'on ne puisse soupçonner qu'il porte ici atteinte à la puissance de son Père, il nous explique aussitôt quel sens il faut donner aux paroles qui précèdent : " Et il dit : Mon Père, tout vous est possible, " preuve évidente qu'il est question, non de l'impuissance du Père, mais de sa volonté dans ces paroles : " Si cela est possible. " Suivant saint Marc, Notre-Seigneur joint au nom de père le mot abba, qui signifie en hébreu Père. Peut-être a-t-il fait usage de ces deux mots dans une intention mystérieuse, et pour nous apprendre qu'il se livrait à cette tristesse, comme représentant de son corps mystique, qui est l'Eglise, dont il est devenu comme la pierre angulaire qui réunit les deux peuples ; les hébreux, au nom desquels il prononce le mot abba, et les gentils qui disent à Dieu : " Père. " — bede. Il demande à Dieu que ce calice s'éloigne de lui, prouvant ainsi qu'il était véritablement homme : " Détournez de moi ce calice. " Mais se rappelant aussitôt le but de sa mission, il veut accomplir l'œuvre pour laquelle il a été envoyé, et il s'écrie : " Néanmoins que votre volonté s'accomplisse et non la mienne. " Si la mort peut être détruite sans que la nature humaine reçoive en moi le coup de la mort, que ce calice s'éloigne ; mais comme ce triomphe ne peut être obtenu que par ma mort, qu'il soit fait comme vous le voulez et non comme je veux. Il en est beaucoup qui s'attristent aux approches de la mort ; qu'ils aient une grande droiture de cœur, qu'ils évitent la mort dans la mesure du possible ; mais s'ils ne peuvent l'éviter, qu'ils répètent les paroles que Nôtre-Seigneur n'a prononcées que pour nous. — S. jér. Le Sauveur nous y enseigne encore à être obéissants à nos parents jusqu'à la fin de notre vie, et à préférer leur volonté à la nôtre, " Et il vint, et il les trouva endormis. " Leur âme est endormie comme leur corps. Cependant le Seigneur qui revient les trouver après sa prière et les trouve tous endormis, n'adresse de reproche qu'à Pierre : " Et il dit à Pierre : Simon, vous dormez ; vous n'avez pu veiller une heure avec moi ? " C'est-à-dire : " Vous qui n'avez pu veiller une heure avec moi, comment pouvez-vous mépriser la mort, vous qui avez promis de mourir avec moi ? " Veillez et priez, afin que vous n'entriez point dans la tentation de me renier. — bède. Il ne leur dit pas : Priez, afin de ne pas être tentés, mais priez, afin de ne pas entrer en tentation, c'est-à-dire, de ne point succomber à la tentation. — S. jér. Or celui qui entre en tentation est celui qui néglige de prier.

" L'esprit est prompt, et la chair est faible. " — théophyl. C'est-à-dire votre esprit rejette avec ardeur la pensée de me renier, et voilà pourquoi vous faites cette promesse ; mais votre chair est si faible, que si Dieu, que vous priez, ne la fortifie, vous succomberez à la tentation. — bède. Le Sauveur réprime ici la présomption téméraire de ceux qui s'imaginent pouvoir tout ce qui leur vient à l'esprit ; plus, au contraire, l'ardeur de notre âme nous donne de confiance, plus la fragilité de la chair doit nous inspirer de crainte. Tout ce passage est directement opposé à l'erreur de ceux qui ne veulent reconnaître dans le Sauveur qu'une opération et qu'une volonté ; car il établit clairement l'existence des deux volontés, de la volonté humaine qui refuse de souffrir à cause de la faiblesse de la chair, et de la volonté divine, qui marche avec ardeur au delà des souffrances.

" Et il s'en alla pour la seconde fois, et fît sa prière dans les mêmes termes. — théophyl. Cette seconde prière prouve qu'il était véritablement homme. " Et étant retourné vers eux, il les trouva endormis. " Cependant il leur adresse de vifs reproches ; " Car leurs yeux étaient appesantis par le sommeil, et ils ne savaient que lui répondre. " Devant ce spectacle de la faiblesse humaine, apprenons à ne pas promettre des choses qui nous sont impossibles, lorsque nous sommes appesantis par le sommeil. Il retourne une troisième fois pour faire la même prière. " II revint enfin la troisième fois, et il leur dit : Dormez maintenant et reposez-vous. " II ne s'émeut pas contre eux qui après les premiers reproches ont aggravé leur faute, mais il leur dit avec une espèce d'ironie : " Dormez maintenant et reposez-vous, " parce qu'il savait que le traître disciple approchait. Ce qu'il ajoute, prouve évidemment le dessein ironique de ses paroles : " C'en est assez, l'heure est venue, voici que le Fils de l'homme va être livré entre les mains des pécheurs. Il leur reproche ironiquement leur sommeil, et semble leur dire : C'est bien maintenant le temps de dormir au moment où l'ennemi s'approche. " Levez-vous, continue-t-il, marchons, celui qui doit me trahir n'est pas loin. " Ce n'est pas pour leur faire prendre la fuite qu'il leur tient ce langage, mais pour les entraîner avec lui au-devant de ses ennemis. — S. aug. (de l'accord des Evang., 3, 4.) Ou bien encore, comme il avait dit : " Dormez maintenant et reposez-vous, " il ajoute : " C'en est assez, " et puis il continue : " L'heure est venue, voici que le Fils de l'homme va être livré. Il faut donc admettre qu'après ces paroles : " Dormez et reposez-vous, " le Seigneur garda quelque temps le silence pour donner aux Apôtres le temps de dormir, et qu'il leur dit ensuite : " L'heure est venue, " après ces autres paroles : " C'est assez, " sous-entendez, dormir. — S. jér. Le sommeil auquel les disciples se laissent aller par trois fois, nous représente les trois morts ressuscites par Nôtre-Seigneur, le premier dans sa maison ; le second, lorsqu'on le conduisait au tombeau ; le troisième dans le tombeau même.

 

Vv. 43-52.

bède. Après avoir prié une troisième fois, afin d'obtenir pour ses Apôtres, avec la grâce du repentir d'être délivrés de la crainte qui les dominait, Nôtre-Seigneur, calme et tranquille sur les souffrances qui l'attendent, marche au-devant de ses persécuteurs, dont l'Evangéliste décrit l'arrivée en ces termes : " II parlait encore, que Judas Iscariote, l'un des douze, " etc. — théophyl. L'Evangéliste relève à dessein cette circonstance pour faire ressortir l'énormité du crime de ce traître qui, faisant partie du premier collège des disciples, s'emporta contre son divin Maître à cet excès de fureur. " Et avec lui une grande troupe de gens armés d'épées et de bâtons, qui avaient été envoyés par les princes des prêtres, par les scribes et les anciens. " —S. jér. Celui qui désespère du secours de Dieu, cherche à s'appuyer sur la puissance du monde.

bède. Cependant Judas conserve encore quelque respect du disciple pour son Maître, il ne le livre pas ouvertement, il donne un baiser pour signe à ses ennemis. " Or, le traître leur avait donné ce signal et leur avait dit : Celui que je baiserai, " etc. — théophyl. Voyez jusqu'où va sa folie ; il croit pouvoir tromper Jésus par ce baiser et se faire passer pour son ami. Mais si vous êtes son ami, Judas, pourquoi vous joindre à ses ennemis ? Disons-le , tout cœur livré au mal est sans prévoyance.

" Et étant arrivé, il le baisa, " etc. — S. jér. Judas donne pour signal un baiser empoisonné par la perfidie, à l'exemple de Gain qui offrit à Dieu un sacrifice hypocrite et réprouvé de Dieu. — bède. C'est avec une âme pleine d'envie et la hardiesse d'un scélérat qu'il appelle Jésus son Maître, et donne un baiser à celui qu'il trahit. Nôtre-Seigneur reçut cependant ce baiser du traître, non pour nous enseigner la dissimulation, mais pour ne point paraître fuir devant la trahison, et accomplir en même temps ces paroles du Psalmiste : " J'étais pacifique avec ceux qui baissaient la paix. " (Ps 119, 6.)

" Les autres mirent la main sur Jésus. " — S. jér. Joseph est vendu par ses frères, et le fer a transpercé son âme. "

" Un de ceux qui étaient présents, tirant son épée, " etc. — bède. C'est Pierre, comme le rapporte saint Jean ; il se laisse entraîner ici à son ardeur habituelle ; il savait comment Phinées, pour avoir châtié des sacrilèges, avait reçu, comme récompense de cette juste vengeance, la dignité du sacerdoce qui devait se perpétuer dans sa famille. — théophyl. Marc tait le nom de Pierre, pour ne point paraître louer son maître d'avoir déployé cette ardeur pour Jésus-Christ. Par cette action, Pierre condamne indirectement la désobéissance et l'incrédulité des Juifs, et leur mépris pour les Ecritures ; car s'ils avaient eu les oreilles ouvertes et dociles aux enseignements de l'Ecriture, ils n'auraient point crucifié le Seigneur de la gloire. Pierre coupe l'oreille du serviteur du grand-prêtre, car les princes des prêtres étaient les premiers à transgresser les Ecritures, comme s'ils ne les avaient jamais entendues.

" Et Jésus leur dit : Vous êtes venus pour me prendre, armés d'épées et de bâtons, comme si j'étais un voleur. " — bède. Paroles qui reviennent à ceci : C'est une folie de venir attaquer avec des épées et des bâtons celui qui se livre volontairement entre vos mains, et sous la conduite d'un traître, de poursuivre dans la nuit, comme s'il se dérobait à vos recherches, celui qui enseignait tous les jours dans le temple. — théophyl. Jésus leur donne ici une preuve de sa divinité ; lorsqu'il enseignait dans le temple, ils n'ont pu s'emparer de lui, bien qu'il fût entre leurs mains, parce que le temps de sa passion n'était pas encore arrivé. Mais lorsque telle fut sa volonté, il se livra lui-même pour accomplir cette prédiction de l'Ecriture : " II a été conduit comme un agneau à la boucherie " (Is 53), sans pousser aucun cri, aucune plainte, comme un homme qui souffre par son propre choix.

" Alors ses disciples l'abandonnèrent et s'enfuirent tous. " — béde. Nous voyons ici s'accomplir la prédiction de Nôtre-Seigneur, que tous ses disciples seraient scandalisés à son sujet pendant cette nuit. " Or, il y avait un jeune homme qui le suivait, revêtu seulement d'un linceul, et qui n'avait d'autre vêtement que ce linceul. Ils se saisirent de lui ; mais lui, laissant aller son linceul, s'enfuit tout nu de leurs mains. " Il s'enfuit loin de ceux dont il abhorre la présence et les œuvres, mais non loin du Seigneur, dont tout absent qu'il était, il conserva l'amour profondément gravé dans son âme. — S. jér. A l'exemple de Joseph qui s'échappa des mains d'une femme impudique (Gn 39), en lui abandonnant son manteau, celui qui veut se dérober aux mains des méchants, doit renoncer intérieurement à toutes les choses du mondé, et fuir à la suite de Jésus. — théophyl. Il est vraisemblable que ce jeune homme faisait partie de la maison où ils avaient mangé la pâque. Quelques-uns prétendent que c'était Jacques, frère du Seigneur, surnommé le juste, et qui, après l'ascension de Jésus-Christ, fut établi par les Apôtres évêque de Jérusalem. — S. grég. (Moral., 14, 23.) Ou bien ce jeune homme était saint Jean, qui revint en effet au pied de la croix pour y entendre les paroles du Sauveur, mais qui s'était d'abord enfui dans un premier mouvement de crainte. — bède. En effet, il était jeune alors, comme le prouve la longue vie qu'il vécut sur la terre, après la mort de Jésus. On peut donc très-bien supposer qu'il s'échappa pour un moment des mains de ceux qui le tenaient, et qu'il revint ensuite après avoir repris son vêtement, et qu'à la lumière douteuse de la nuit, il se mêla à la troupe de ceux qui emmenaient Nôtre-Seigneur, comme s'il en eût fait partie lui-même jusqu'à ce qu'on fût arrivé dans la cour du grand-prêtre, comme il le raconte lui-même dans son Evangile. Pierre, qui lave dans les larmes de la pénitence la faute de son renoncement, enseigne à ceux qui ont faibli dans l'épreuve du martyre, comment ils doivent se relever ; ainsi les autres disciples qui s'enfuirent au moment de l'arrestation de leur divin Maître, apprennent à ceux qui ne se sentent pas assez forts pour affronter les supplices, à chercher prudemment leur salut dans la fuite.

 

Vv. 53-60.

la glose. L'Evangéliste vient de nous rapporter comment Jésus fut arrêté par les serviteurs des princes des prêtres, il va maintenant nous raconter sa condamnation à mort dans la maison du grand-prêtre. " Et ils amenèrent Jésus au grand-prêtre. "—bebe. Ce grand-prêtre était Caïphe qui, au témoignage de l'Evangéliste saint Jean, était grand-prêtre pour cette année, fait confirmé par l'historien Josèphe, qui atteste qu'il avait acheté le pontificat à prix d'argent du gouverneur romain.

" Où s'assemblèrent tous les princes des prêtres, les scribes et les anciens. " — S. jér. C'est alors qu'eut vraiment lieu cette assemblée de taureaux au milieu des vaches des peuples. (Ps 68) " Pierre le suivit de loin. " C'est qu'en effet la crainte éloigne, tandis que la charité entraîne. — bede. L'Evangéliste fait remarquer avec raison que Pierre suivait le Sauveur de loin, lui qui allait bientôt le renier, car jamais il n'en serait venu à cette extrémité, s'il s'était toujours tenu près de son divin Maître.

" S'étant assis auprès du feu avec les serviteurs, il se chauffait. " — S. jer. Il se chauffe avec les gens du grand-prêtre au foyer allumé dans la cour. Cette cour du grand-prêtre, c'est le monde que l'on peut comparer à un cercle ; les serviteurs sont les démons, dans la compagnie desquels il est impossible de pleurer ses péchés ; le feu, ce sont les désirs de la chair. — béde. Il y a un autre feu, celui de la charité dont Jésus a dit : " Je suis venu apporter le feu sur la terre " (Lc 12), et qui en descendant sur les fidèles, leur a enseigné à louer Dieu dans les langues si variées qu'ils parlaient. Il y a aussi le feu de la cupidité, dont le prophète a dit : "Ils sont tous adultères, leur cœur est semblable à un four où on a porté la flamme. " (Osée, 7) Ce feu que le souffle du malin esprit avait allumé dans la cour de Caïphe, excitait la langue de ces hommes perfides à nier et à blasphémer le Seigneur. Ce feu allumé dans la cour, au milieu du froid de la nuit, était la figure de ce que cette assemblée perverse accomplissait dans l'intérieur de la maison, l'iniquité abondait, la charité d'un grand nombre se refroidissait. (Mt 24) Saisi pour un moment par le froid, Pierre cherchait à se chauffer au foyer des serviteurs du grand-prêtre, c'est-à-dire qu'il cherchait un soulagement purement extérieur dans la société des méchants.

" Cependant les princes des prêtres, et tout le conseil cherchait des dépositions, " etc. — théophyl. La loi ordonnait qu'il n'y eût jamais qu'un seul grand-prêtre, et il y en avait alors plusieurs, et chaque année le proconsul romain en nommait un nouveau pour remplacer le précédent. Ils ont recours à un simulacre de justice qui devient pour eux le titre même de leur condamnation, et ils cherchent des témoignages qui donnent à la condamnation et à la mort de Jésus une apparence de justice. — S. jér. Mais l'iniquité s'est menti à elle-même (Ps 26), comme cette princesse qui accusa Joseph (Gn 20), comme les prêtres qui déposèrent contre Suzanne. (Dn 13) Or le feu, faute d'être alimenté, s'éteint, " Et ils n'en trouvaient point, continue l'Evangéliste, car plusieurs déposaient faussement contre lui, " etc. ; en effet, ce qui manque d'uniformité, manque par la même de certitude, " Quelques-uns se levèrent et portèrent contre lui un faux témoignage en ces termes. " C'est la coutume des hérétiques de tirer l'ombre de la vérité elle-même. Jésus n'a pointait ce qu'ils lui attribuent, mais il a dit quelque chose d'approchant en parlant du temple de son corps qu'il devait ressusciter deux jours après sa mort. — théophyl. En effet, le Seigneur n'avait pas dit : Je le détruirai, mais : " Détruisez-le ; " il n'a point parlé du temple fait de main d'homme, il a dit simplement : " Détruisez ce temple. " — S. jér. En ajoutant : " Je le ressusciterai, " c'était désigner un être vivant, un temple animé. Or, on est faux témoin quand on rapporte les choses dans un sens différent de celui où elles ont été dites.

 

Vv. 61-65.

bède. Plus Jésus se tait devant ces faux témoins et devant ces prêtres qui ne méritent pas qu'il leur réponde, et plus le grand-prêtre dominé par la fureur, le presse de répondre afin de trouver à tout prix dans ses paroles un sujet d'accusation. " Alors le grand-prêtre se levant au milieu de rassemblée, " etc. Ce prince des prêtres, dont l'impatience égale la colère, irrité de ne trouver aucun chef d'accusation, se lève de son siège pour faire éclater par les mouvements de son corps la rage de son cœur. — S. jér. Mais le Dieu Sauveur qui a sauvé le monde et si puissamment secouru le genre humain par sa bonté, se laisse conduire sans dire un mot, comme une brebis que l'on conduit à la boucherie (Is 53, 7 ; Ac 8, 22). " II se tient en silence et ne dit pas le bien qu'il pouvait répondre. " (Ps 37, 3.) " Mais Jésus se taisait et ne répondait rien. " Le silence de Jésus expie la défense, c'est-à-dire l'excuse coupable d'Adam. —théophyl. Il se taisait, parce qu'il savait bien qu'ils ne tiendraient aucun compte de ses paroles ; c'est l'observation qu'il leur fait d'après le récit de saint Luc : " Si je vous le dis, vous ne me croirez point. " — " Le grand-prêtre l'interrogea de nouveau et lui dit : Etes-vous le Christ, le Fils du Dieu béni ? " Le grand-prêtre lui fait cette question, non pour s'instruire et croire, mais pour saisir dans la réponse du Sauveur matière à condamnation. Il lui demande : " Etes-vous le Christ, le Fils du Dieu béni ? " II y avait beaucoup de christs, c'est-à-dire de personnes qui avaient reçu l'onction, comme les rois et les grands-prêtres, mais aucun d'eux n'était appelé : " Le Fils du Dieu béni, " du Dieu loué à jamais.

S. jér. Ils attendaient pour un avenir éloigné celui qu'ils ne voyaient point si près d'eux ; de même qu'Isaac, dont les yeux obscurcis ne reconnaissaient point Jacob, que ses mains touchaient (Gn 27, 23), tout en lui annonçant pour l'avenir de magnifiques destinées : " Jésus lui répondit : Je le suis, " afin de leur ôter toute excuse. — théophyl. II savait très-bien qu'ils ne croiraient pas en lui ; cependant il répond pour ne point leur donner lieu de dire : " S'il nous avait parlé, nous aurions cru en lui. " Or ce qui les condamne ouvertement, c'est qu'ils l'ont entendu et qu'ils n'ont pas cru en lui. — S. Aug. (De l’acc. des Evang., 3, 6-7.) Suivant saint Matthieu, Jésus ne répondit point : Je le suis, mais : " Vous l'avez dit. " Saint Marc, en adoptant la première version : " Je le suis, " fait voir qu'elle a le même sens que cette autre : " Vous l'avez dit. "

" Et vous verrez un jour le Fils de l'homme assis à la droite de la Majesté divine, et venant sur les nuées du ciel. " — théophyl. C'est-à-dire, vous me verrez comme le Fils de l'homme assis à la droite du Père, car ici la puissance signifie le Père. Or le Fils de l'homme ne viendra point sans son corps, mais il apparaîtra au jour du jugement tel qu'il est apparu à ceux qui l'ont crucifié. Si donc, qui que vous soyez, païen, juif ou hérétique, le mépris, l'infirmité et la croix vous paraissent outrageantes pour le Sauveur, rappelez-vous que c'est par là que le Fils de l'homme s'est élevé jusqu'à la droite du Père, et qu'il redescendra dans sa Majesté sur les nuées du ciel. — S. jér. Le grand-prêtre lui demande s'il est le Fils de Dieu ; Jésus répond qu'il est le Fils de l'homme, pour nous faire comprendre que le Fils de Dieu et le Fils de l'homme sont une seule et même personne, et afin que nous ne soyons pas tentés de faire de la Trinité une quaternité, mais que nous admettions que l'homme est en Dieu et Dieu en l'homme, Jésus dit : " Assis à la droite de la puissance, " c'est-à-dire, régnant au sein d'une vie éternelle et d'une puissance toute divine : " Et venant sur les nuées au ciel " il est monté au ciel sur une nuée, il en redescendra sur une nuée, c'est-à-dire, qu'il est monté au ciel revêtu de ce corps qu'il avait pris dans le sein de la Vierge, et qu'il viendra juger le monde avec l'Eglise, qui est son corps, sa plénitude, et qui est si variée dans ses membres.

S. léon. (serm. 6 sur la Pass.) Caïphe, pour faire éclater l'envie que lui inspirent les paroles qu'il vient d'entendre, déchire ses vêtements, et sans savoir ce que signifie cet acte de folie, il se dépouille de l'honneur du sacerdoce, oubliant ce précepte de la loi au grand-prêtre : " II n'ôtera point la tiare de son front et il ne déchirera point ses vêtements. " (Lv 21, 10) " Aussitôt le grand-prêtre, déchirant ses vêtements, leur dit : Qu'avons-nous encore besoin de témoins ? Vous avez entendu le blasphème, " etc. — théophyl. Le grand-prêtre se conforme ici à l'usage des Juifs qui déchiraient leurs vêtements dans toutes les afflictions et les malheurs qui venaient fondre sur eux. C'est donc pour faire ressortir l'énormité du blasphème qu'il attribue à Jésus-Christ que le grand-prêtre déchire ses vêtements.

bède. Mais c'est par l'effet d'un dessein mystérieux et plus profond que dans la passion du Seigneur, ce grand-prêtre des Juifs déchire ses vêtements, c'est-à-dire l'Ephod (Jg 7, 5 ; Ex 25, 7 ; 1 R 2, 28), tandis que la tunique du Seigneur ne put être partagée par les soldats mêmes qui le crucifièrent. C'était une figure que le sacerdoce des Juifs allait être détruit en punition des crimes des prêtres eux-mêmes, tandis que l'Eglise, souvent appelée la robe du Sauveur, résisterait à tons les efforts que l'on ferait pour la déchirer.

théophtl. La raison pour laquelle le sacerdoce des Juifs fut retranché et détruit, c'est la condamnation à mort de Jésus-Christ : " Ils le jugèrent tous digne de mort, " dit l'Evangéliste. — S. jér. Ils le condamnent à mort comme un criminel, afin que par cette condamnation il pût expier nos propres crimes, " Alors quelques-uns commencèrent par lui cracher au visage. " Par ces crachats qui couvrent sa face adorable, il lave la face intérieure de notre âme ; le voile qu'ils jettent sur son visage fait disparaître le voile qui couvrait nos cœurs ; les soufflets qu'ils déchargent sur sa tête, guérissent la tête du genre humain, c'est-à-dire Adam ; les soufflets que leurs mains appliquent sur ses joues, nous méritent de pouvoir le louer des mains et des lèvres, selon la prédiction du Roi-prophète : " Nations, frappez toutes des mains. " (Ps 46) — bède. En lui disant : " Prophétise qui t'a frappé ; " ils veulent outrager en lui la qualité de prophète qu'il s'est donnée aux yeux du peuple. — S. aug. (De l'acc. des Evang., 3, 6.) Or, Nôtre-Seigneur a souffert tous ces outrages jusqu'au matin dans la maison du grand-prêtre où il fut conduit tout d'abord.

 

Vv. 66-72.

S. aug. (De l'acc. des Evang., 3, 6.) Tous les Evangélistes ne racontent pas dans le même ordre la tentation et la chute de Pierre qui eut lieu pendant que Jésus était en butte à ces indignes outrages. Saint Luc la place en tête du récit des outrages faits au Sauveur ; saint Jean commence par la chute de Pierre, entre dans le détail de quelques-uns de ces outrages, ajoute que Jésus fut ensuite envoyé au grand-prêtre Caïphe, puis il récapitule pour l'expliquer, la tentation et le renoncement de Pierre. Saint Matthieu et saint Marc racontent d'abord la scène des outrages et puis ensuite la chute de Pierre: " Pendant que Pierre était au bas, dans la cour, une des servantes du grand-prêtre, " etc. — bède. Mais pourquoi Pierre est-il tout d'abord aperçu et découvert par une femme, alors qu'il y avait là un grand nombre d'hommes qui auraient dû bien plutôt le reconnaître ? C'était pour montrer la part que prenait à la mort du Seigneur ce sexe qui devait aussi être racheté par sa passion.

" Mais il le nia en disant : Je ne le connais point et je ne sais point ce que vous dites, " etc. — S. jér. Pierre, avant d'avoir reçu l'Esprit saint, faillit à la voix d'une servante, mais après l'avoir reçu, il résiste courageusement aux rois et aux princes. — théophyl. C'est par un dessein providentiel que Dieu permit cette chute, afin que Pierre ne fût point tenté de s'enorgueillir, et aussi pour lui inspirer une grande compassion pour les pécheurs, instruit qu'il était par lui-même de la faiblesse humaine.

" Et comme il sortait dehors, dans le vestibule, le coq chanta, " etc. — béde. Les autres Evangélistes passent sous silence ce premier chant du coq, mais sans contester ce fait ; c'est ainsi qu'il est un grand nombre de faits omis par les uns et racontés par les autres.

" Et lorsqu'elle l'eut aperçu de nouveau, " etc. — S. aug. (De l'acc. des Evang., 3, 6.) Cette servante n'est pas la même, mais elle est différente de la première, comme le dit expressément saint Matthieu. On peut aussi admettre qu'avant le second renoncement, Pierre fut interpellé par deux personnes, par la servante dont parlent saint Matthieu et saint Marc, et par une autre dont parle saint Luc : " Mais il le nia pour la seconde fois. " Pierre était revenu dans la cour, comme le raconte saint Jean, près du foyer où il allait renoncer son maître pour la seconde fois. Or la servante faisait cette remarque, non pas à lui, mais à ceux qui étaient restés pendant qu'il sortait, de manière cependant à être entendue de Pierre, qui revient alors près du foyer et dément leurs assertions en reniant de nouveau le Sauveur. En effet, en comparant entre eux le récit de tous les Evangélistes, on arrive à cette conclusion certaine, que ce n'est pas devant la porte que Pierre renia Jésus pour la seconde fois, mais dans l'intérieur de la cour et près du foyer. Saint Matthieu et saint Marc, qui rapportent que Pierre sortit dehors, ont passé sous silence, pour abréger, qu'il était rentré dans l'intérieur de la cour.

bède. Le renoncement de Pierre nous apprend qu'on ne renie pas seulement Jésus-Christ, en soutenant qu'il n'est pas le Christ, mais en niant qu'on soit chrétien, lorsqu'on l’est en réalité. En effet, Notre-Seigneur ne dit pas à Pierre : Vous nierez que vous soyez mon disciple, mais vous me renierez. Il a donc renié Jésus-Christ, lorsqu'il a nié qu'il fût son disciple : " Et peu de temps après, ceux qui étaient présents dirent encore à Pierre : Assurément, vous êtes-de ces gens-là, car vous êtes Galiléen ; " etc. Ce n'est pas que la langue que l'on parlait eu Galilée, fût différente de celle que l'on parlait à Jérusalem, puisque de part et d'autre c'était la langue hébraïque ; mais chaque province, chaque contrée avait son dialecte, ses locutions et son accent particulier dont on ne peut jamais se dépouiller.

théophyl. Pierre saisi, épouvanté de frayeur, oublie les paroles du Seigneur : " Celui qui m'aura confessé devant les hommes, je le confesserai aussi devant mon Père, " renie son divin Maître : " II se mit alors à dire avec imprécation et avec serment, " etc. — bède. Que la société des méchants est funeste ! Pierre, au milieu de ces gens sans foi, nie qu'il connaisse comme homme celui qu'il avait hautement reconnu comme Dieu au milieu des disciples. L'Ecriture sainte détermine souvent le mérite des différentes actions par le temps où elles se sont accomplies. Ainsi Pierre, qui renia le Seigneur au milieu de la nuit, se repentit au chant du coq : " Et aussitôt le coq chanta, " etc. — théophyl. Les larmes de Pierre renouèrent les liens qui l'attachaient au Sauveur. Cet exemple condamne et confond les novatiens, qui prétendent que celui qui pèche après avoir reçu le baptême ne peut être admis à l'espérance du pardon. Voici Pierre qui avait reçu le corps et le sang de Jésus-Christ, et à qui cependant la grâce du repentir est accordée. Les faiblesses des saints ont été écrites pour nous apprendre que si nous venons à tomber par défaut de vigilance, nous devons nous rappeler leur exemple, et mettre tonte notre espérance dans la miséricorde de Dieu.

S. jér. Dans le sens allégorique, la première servante, c'est l'état d'une âme qui chancelle ; la seconde, c'est le consentement ; la troisième personne, c'est l'acte même du crime. C'est ce triple renoncement que le souvenir des paroles de Jésus lave dans les larmes de la pénitence. Le coq nous fait entendre sa voix, lorsqu'un prédicateur excite nos cœurs à la componction et au repentir. Nous commençons à pleurer, lorsqu'une étincelle de la parole vient embraser notre cœur, et nous sortons dehors, lorsque nous rejetons hors de notre âme toutes nos anciennes habitudes.

 

CHAPITRE XV

 

Vv. 1-5.

bède. Les Juifs avaient coutume de livrer au juge, chargé de chaînes, celui qu'ils avaient condamné à mort ; voilà pourquoi après avoir raconté la condamnation du Christ, l'Evangéliste ajoute : " Dès le matin, les princes des prêtres lièrent Jésus, " etc. Remarquons cependant que ce ne fut pas la première fois qu'ils le lièrent ; aussitôt qu'ils se furent saisis de lui la nuit, dans le jardin, ils le garrottèrent. — théophyl. Ils livrèrent Jésus aux Romains, mais ils furent eux-mêmes livrés à ces mêmes Romains, pour accomplir cette parole des Ecritures (Is 3, 11) : " Rendez-leur selon les œuvres de leurs mains. " (Ps 27)

" Pilate l'interrogea, " etc. — bède. Pilate ne l'interroge que sur ce seul chef d'accusation, s'il est le roi des Juifs ; preuve évidente de l'impiété des Juifs qui n'ont même pas pu trouver de faux prétextes pour faire condamner le Sauveur, " Jésus leur répondit : Vous le dites. " Nôtre-Seigneur répond de la sorte dans l'intérêt de la vérité, et de manière que ses paroles ne pussent donner prise à aucune accusation calomnieuse.— théophyl. Sa réponse, en effet, est douteuse, car ces paroles : " Vous le dites, " peuvent s'entendre de la sorte : C'est vous qui le dites, ce n'est pas moi. Remarquez aussi que Jésus répond en partie à Pilate qui le condamne malgré lui, et qu'il ne dit rien aux prêtres et aux chefs du peuple, parce qu'il les juge indignes de sa réponse.

" Et ils formaient diverses accusations contre lui. " — S. Aug. (de l'accord des Evang,, 3, 8.) Saint Luc raconte les crimes supposés dont ils l'accusèrent : " Ils commencèrent à l'accuser en disant : Nous avons trouvé cet homme pervertissant notre nation, et défendant de payer le tribut à César, et se donnant le nom de Christ roi. "

" Pilate l'interrogea de nouveau et lui dit : Vous ne répondez rien, voyez de combien de choses ils vous accusent. " — bede. C'est un païen qui condamne Jésus, mais il fait remonter la condamnation au peuple juif, " Mais Jésus ne répondit plus rien, de sorte que Pilate en était tout étonné, " Le Sauveur ne voulut rien répondre, car en se justifiant de ces fausses accusations, le gouverneur l'eût renvoyé, et les fruits immenses de la croix eussent été différés.

théophyl. Ce que Pilate admirait, c'est que Jésus, docteur de la loi, dont l'éloquence pouvait d'un seul mot mettre à néant les accusations de ses ennemis, ne répondait rien, mais supportait courageusement leurs calomnies.

 

Vv. 6-15.

bede. Pilate offrit aux Juifs plusieurs moyens de délivrer le Sauveur, d'abord, en mettant un scélérat en regard du juste : " Or, chaque année il avait coutume de leur accorder la délivrance d'un des prisonniers, " etc. —la glose. Cette coutume avait pour but de gagner les bonnes grâces du peuple, surtout à l'occasion de cette grande fête où les Juifs affluaient à Jérusalem de toutes les parties de la Judée. Or, pour mettre dans un plus grand jour ce qu'avait de monstrueux le choix que firent les Juifs, l'Evangéliste nous fait connaître l'énormité du crime commis par ce voleur que les Juifs préférèrent à Jésus-Christ, " Et il y en avait un alors nommé Barrabas, qui avait commis un meurtre dans une sédition. " La gravité de ce crime ressort de la nature même du forfait, il avait commis un homicide ; de la manière de le commettre, c'était au moyen d'une sédition qui avait agité toute la ville ; enfin c'était un crime de notoriété publique, puisqu'on l'avait mis en prison avec les séditieux.

" Le peuple étant donc venu devant le prétoire lui demanda, " etc. — S. Aug. (de l'accord des Evang., 3, 8.) Que saint Matthieu passe sous silence ce que saint Marc rapporte ici que ce furent les Juifs qui vinrent faire cette demande à Pilate, cela ne peut faire aucune difficulté ; peu importe, en effet, qu'une circonstance racontée par un Evangéliste soit omise par un autre. " Pilate leur répondit : Voulez-vous que je vous délivre le roi des Juifs ? " Quelles sont les paroles dont s'est servi Pilate, ou celles que lui prête saint Matthieu ou celles que rapporte ici saint Marc ? Il y a, en effet, une différence entre ce que dit saint Matthieu : " Lequel des deux voulez-vous que je vous délivre, Barrabas, ou Jésus qu'on appelle Christ ? " et ce que nous lisons ici dans saint Marc : " Voulez-vous que je vous délivre le roi des Juifs ? " Je réponds que les Juifs appelaient leurs rois christs (1 R 2, 10), et que celui qui s'est servi de l'un de ces deux termes a voulu évidemment leur demander s'ils voulaient qu'on leur délivrât le roi des Juifs, c'est-à-dire le Christ. Peu importe donc que saint Marc ne dise rien ici de Barrabas, et s'attache exclusivement à ce qui concerne le Sauveur, la réponse des Juifs que cet Evangéliste rapporte, montre clairement celui dont ils demandaient la délivrance : " Les prêtres excitèrent le peuple à demander qu'il leur délivrât plutôt Barrabas. " — bêde. Jusqu'à ce jour, cette demande qu'ils ont faite avec des instances si pressantes s'est comme attachée à eux. Pour avoir préféré, en vertu du choix qui leur était laissé, à Jésus un voleur, au Sauveur un assassin, ils ont justement perdu le salut et la vie ; ils se sont comme dévoués aux brigandages et aux séditions, et ils ont fini par perdre leur patrie et leur royaume qu'ils avaient aimés plus que Jésus-Christ, sans qu'ils aient jamais pu recouvrer la liberté du corps et de l'âme.

Pilate leur offre encore une autre occasion de délivrer le Sauveur. " Pilate leur dit encore : Que voulez-vous donc que je fasse du roi des Juifs ? " — S. aug. (de l'accord des Evang., 3, 8.) On voit ici clairement qu'en appelant Jésus roi des Juifs, saint Marc veut dire la même chose que saint Matthieu, d'après lequel Pilate lui donne le nom de Christ ; car les seuls rois des Juifs portaient le nom de christs. En effet, saint Matthieu, dans l'endroit correspondant, fait dire à Pilate : " Que voulez-vous que je fasse de Jésus qu'on appelle Christ ? "

" Mais ils crièrent de nouveau, et lui dirent : Crucifiez-le. " — théophyl. Considérez tout à la fois la méchanceté des Juifs et le bon naturel de Pilate, bien qu'il soit coupable de n'avoir point résisté aux injustes exigences du peuple. Ils lui crient : " Crucifiez-le, " et Pilate pousse la modération jusqu'à essayer de nouveau d'arracher Jésus à ce jugement inique, " Pilate leur dit : Mais quel mal a-t-il fait ? " II voulait chercher dans l'innocence du Sauveur un motif pour le délivrer. — bède. Mais les Juifs, tout entiers à leur fureur insensée, ne répondent même pas à la question du gouverneur, " Et eux criaient encore plus fort : Crucifiez-le ! " accomplissant ainsi cette prophétie de Jérémie : " Mon héritage est devenu pour moi comme le lion dans la forêt, il a élevé sa voix contre moi. " (Jr 12, 9.)

" Enfin Pilate, voulant complaire au peuple, leur délivra Barrabas, et après que Jésus eut été battu de verges, il le leur livra pour être crucifié. "théophyl. Il voulait complaire au peuple, c'est-à-dire faire sa volonté, plutôt que ce que demandaient de lui Dieu et la justice. — S. jér. Nous voyons ici les deux boucs, l'un mis en liberté et appelé le bouc émissaire est renvoyé dans le désert, couvert des péchés du peuple ; l'autre est immolé comme un agneau pour les péchés de ceux qui recouvrent la liberté. La portion qui appartient au Seigneur est toujours immolée ; celle du démon, qui est leur maître (c'est le sens du mot Barrabas) , se précipite dans l'enfer avec une fureur aveugle. — bède. C'est par les ordres de Pilate seul que Jésus fut flagellé ; saint Jean le dit en termes exprès : " Alors Pilate prit Jésus, et le fit battre de verges. " (Jn 19, 1.) Son dessein en cela était que les Juifs, rassassiés des souffrances et des opprobres de Jésus, cessassent d'avoir soif de son sang et de sa mort.

 

Vv. 16-20.

théophyl. La misérable vanité des soldats qui mettent leur joie dans les opprobres sans mesure dont ils chargent le Sauveur, fait voir ici tout ce dont elle est capable : " Alors les soldats, l'ayant amené dans la salle du prétoire, le revêtirent d'un manteau d'écarlate, " etc. — bède. Gomme on l'avait appelé roi des Juifs, et que les scribes et les princes des prêtres lui avaient fait un crime d'avoir voulu s'emparer du pouvoir sur le peuple d'Israël, les soldats font de cette ambition prétendue l'objet de leurs dérisions, ils le dépouillent de ses vêtements ordinaires pour le revêtir de la pourpre, vêtement distinctif des anciens rois. —S. aug. (De l'acc. Des Evang., 3, 4.) Il n'y a aucune contradiction entre saint Matthieu, d'après lequel : " Ils le revêtirent d'un manteau d'écarlate, " et saint Marc qui rapporte qu'ils le revêtirent de pourpre. " Les soldats lui jetèrent sur les épaules ce manteau d'écarlate comme une pourpre dérisoire ; et d'ailleurs il est une espèce de pourpre fort semblable à l'écarlate. On peut encore dire que saint Marc parle de pourpre, parce que ce manteau d'écarlate avait une garniture de pourpre (cf. Mt 28). — bède. Pour diadème, ils lui placent sur la tète une couronne d'épines. " Et ils lui mirent sur la tête une couronne d'épines entrelacées, " etc. Pour sceptre royal, ils lui donnent un roseau, suivant le récit de saint Matthieu, et ils se prosternent devant lui comme devant leur roi : " Et ils commencèrent à le saluer, " etc. Ils ne lui rendaient ces honneurs que pour se moquer de lui, parce qu'il avait voulu faussement se faire passer pour Dieu ; comme le prouvent les paroles suivantes : " Ils lui frappaient la tête avec un roseau. " — S. jer. Ce sont les opprobres du Sauveur qui nous ont délivrés de nos opprobres ; ses liens ont brisé nos chaînes ; la couronne d'épines qui a ceint son front, nous a mérité le diadème du royaume (Is 53, 3), et nous avons été guéris par ses blessures.

S. aug. (de l'accord des Evang., 3, 9.) Il paraît certain que saint Matthieu et saint Marc rapportent ces faits par récapitulation, et non pas comme s'étant passé, lorsque Pilate livra Jésus aux Juifs pour être crucifié, car d'après saint Jean, ils eurent lieu dans la demeure même de Pilate. Quant à cette dernière circonstance : " Et après s'être ainsi joués de lui, " etc., il faut la rapporter au moment où ils emmenaient Jésus pour être crucifié.

S. jér. Dans le sens mystique, Jésus est dépouillé de ses vêtements, c'est-à-dire des Juifs ; il est revêtu de pourpre, c'est-à-dire de l'Eglise formée des Gentils, qu'il a comme recueillie sur les rochers de la mer. Il se dépouille de cette Eglise à la fin du monde à cause de ses scandales, et il se revêt de nouveau du peuple juif ; car " lorsque la plénitude des nations sera entrée, tout Israël sera sauvé. " (Rm 11) — bède. Ou bien cette pourpre dont le Seigneur est revêtu, c'est sa chair qu'il a exposée aux souffrances, et la couronne d'épines qu'il porte sur sa tête, nos péchés qu'il a pris sur lui. — théophyl. Revêtons-nous nous-mêmes de cette pourpre royale, car nous devons marcher comme des rois, foulant aux pieds les serpents et les scorpions (Lc 10, 19), et triomphant du péché. Car nous sommes appelés chrétiens, c'est-à-dire consacrés par l'onction, comme les rois qui portaient ce même nom. Prenons donc la couronne d'épines, c'est-à-dire hâtons-nous de nous couronner de mortification, d'abstinence, de pureté.

bède. Ceux-là frappent la tête de Jésus-Christ qui nient qu'il soit le vrai Dieu. Et comme c'est avec un roseau qu'on transcrit ordinairement la sainte Ecriture ; frapper avec un roseau la tête de Jésus-Christ, c'est nier la divinité de Jésus-Christ en s'efforçant d'appuyer son erreur sur l'autorité des saintes Lettres. On crache à la face du Sauveur lorsqu'on rejette la présence de sa grâce par des paroles d'imprécation. Il en est encore aujourd'hui qui adorent Jésus-Christ comme le vrai Dieu dans les sentiments d'une foi certaine, mais qui, par leur vie criminelle, méprisent ses paroles comme dépourvues de vérité, et préfèrent à ses promesses les charmes séducteurs de cette vie. Remarquons d'ailleurs que les soldats agissent ici sans savoir ce qu'ils font, comme Caïphe qui avait prononcé ces paroles, sans en comprendre le sens. " II faut qu'un homme meure pour le peuple. " (Jn 11)

 

Vv. 21-28.

la glose. Après la condamnation de Jésus-Christ, et les outrages faits à ce divin condamné, l'Evangéliste en vient au récit de son crucifiement : " Et ils l'emmenèrent pour le crucifier. " — S. jér. C'est Abel qui est conduit dans les champs par son frère pour y être mis à mort (Gn 4) ; c'est Isaac portant le bois du sacrifice avec Abraham qui trouve le bélier pris dans un buisson (Gn 22) ; c'est encore Joseph avec la gerbe qu'il vit en songe, et sa tunique teinte de sang (Gn 38) ; c'est Moïse avec sa verge (Ex 7), et le serpent suspendu à un arbre (Nb 21) ; c'est là cette grappe de raisin portée sur un bâton (Nb 13) ; c'est Elisée cherchant le fer de sa cognée tombée dans l'eau, et qui nagea sur l'eau vers le bois (4 R 6), figure du genre humain, que le fruit défendu d'un arbre précipita dans l'abîme, mais que le bois de la croix de Jésus-Christ et le baptême de l'eau firent remonter et nager vers le paradis ; c'est enfin Jonas jeté par le sort hors du vaisseau dans la mer, et qui resta trois jours dans le sein de la baleine. (Jon 3)

" Et ils contraignirent un homme, nommé Simon, de porter sa croix, " etc. — théophyl. Saint Jean dit que Jésus portait sa croix, l'un et l'autre sont vrais, Jésus porta d'abord lui-même sa croix jusqu'à ce que les Juifs contraignirent cet homme, qui passait, de la porter avec lui. L'Evangéliste fait connaître le nom des enfants de cet homme pour donner à son récit une marque plus authentique de crédibilité ; car cet homme vivait encore et pouvait affirmer lui-même toutes les circonstances du crucifiement. — S. jér. Les uns doivent leur renommée aux mérites de leurs parents, les autres aux vertus de leurs enfants. Ce Simon, que les Juifs forcent de porter la croix, semble tirer son illustration de ses enfants qui étaient les disciples de Jésus-Christ. Nous apprenons de là que la sagesse, que les vertus des enfants peuvent être dans cette vie un puissant auxiliaire pour les parents eux-mêmes. C'est ainsi que les mérites des patriarches, des prophètes et des Apôtres ne cessent d'être un titre de gloire pour le peuple juif. Simon qui porte forcément la croix de Jésus, est la figure de celui qui travaille pour la gloire humaine ; les hommes le contraignent de faire ce que ni la crainte ni l'amour de Dieu n'auraient pu obtenir de lui. — bède. Ou bien encore, ce Simon qui n'est pas de Jérusalem, mais de Cyrène, ville de Lybie, figure le peuple des Gentils qui autrefois étaient complètement étrangers aux alliances, et qui maintenant par leur obéissance sont devenus les héritiers de Dieu et les cohéritiers de Jésus-Christ (Ep 2, 12). Il est à remarquer, en effet, que Simon veut dire obéissant et Cyrène héritier. Il revient de sa maison des champs, en grec πάγος, d'oω vient le mot paganus, païen que nous donnons à ceux qui sont étrangers à la cité de Dieu. Simon qui sort de sa maison des champs pour porter la croix après Jésus, est donc le peuple des nations ou des Gentils, qui abandonne les superstitions du paganisme pour s'attacher fidèlement à suivre les traces de la passion du Sauveur, " Et ils le conduisirent jusqu'au lieu appelé Golgotha, " etc. En dehors de la ville et au delà des portes se trouve le lieu où l'on tranche la tête aux condamnés, et c'est delà que lui est venu le nom de Calvaire, ou lieu des décapités. Or, Jésus fat crucifié en ce lieu, pour ériger l'étendard du martyre dans l'endroit même où les condamnés souffraient le dernier supplice. — S. jér. Suivant une tradition des Juifs, c'est sur cette montagne qu'Abraham immola un bélier à la place de son fils Isaac ; et c'est là aussi que Jésus est comme dépouillé de sa chair, c'est-à-dire séparé de la Judée toute charnelle.

" Et ils lui donnèrent à boire du vin mêlé avec de la myrrhe. " — S. aug. (de l'acc. des Evang., 3, 11.) Saint Matthieu exprime la même pensée en disant : " Du vin mêlé avec du fiel. " II s'est servi du mot fiel pour signifier l'amertume de ce vin, car le vin mêlé à la myrrhe est fort amer. Il n'est pas impossible, non plus que ce soient le fiel et la myrrhe réunis qui rendirent ce vin fort amer. —théophyl. Ou bien encore, au milieu de ce désordre et de cette confusion, on apportait une chose pour une autre, les uns du vinaigre et du fiel, les antres du vin avec de la myrrhe. — S. jér. Ou bien ce vin mêlé avec de la myrrhe est du vinaigre ; et c'est en goûtant ce vin que le Sauveur détruit le suc du fruit qui a donné la mort. — bède. C'est la vigne amère qui produit le vin amer, dont le Seigneur est abreuvé, pour accomplir cette prophétie : " Ils ont mêlé le fiel à ma nourriture, ils m'ont présenté du vinaigre pour étancher ma soif. " (Ps 68) — S. Aug. (de l’acc., des Evang., 3, 11) L'Evangéliste ajoute : " Et il n'en prit point, " c'est-à-dire il n'en prit point pour boire, il en goûta seulement, comme le rapporte saint Matthieu, et cette expression : " II ne voulut point le boire, " est la même que celle de saint Marc : " Et il n'en prit point, " excepté que ce dernier passe sous silence que le Seigneur en a goûté. — S. jér. Il n'a point pris non plus ce qui était la cause de ses souffrances, ce qui lui fait dire par la bouche du Roi-prophète : " Je payais alors ce que je n'avais pas pris. " (Ps 68)

" Et après l'avoir crucifié, " etc. — S. jér. L'arbre de la croix est pour nous la figure du salut. Le premier arbre fut celui de la science du bien et du mal ; le second est exclusivement l'arbre du bien et de la vie. La main, en s'étendant vers le premier arbre, n'a saisi que la mort ; les mains étendues sur le second ont retrouvé la vie qui était perdue. C'est par la croix que Jésus-Christ nous a délivrés des supplices qui nous étaient dus ; c'est par sa mort qu'il a détruit notre mort. C'est sous la forme d'un serpent qu'il donne la mort à l'antique serpent, de même que c'est par la verge changée en serpent que les autres serpents ont été dévorés. (Ex 5, 12.) Que nous représente aussi la forme de la croix, si ce n'est les quatre parties du monde ? L'Orient brille à son sommet, le Septentrion est figuré par la droite ; le Midi par la gauche ; l'Occident par la base fixée dans le sol ; ce que parait indiquer l'Apôtre dans ces paroles : " Afin que vous sachiez quelle est la hauteur, la largeur, la longueur et la profondeur. " (Ep 3) Lorsque les oiseaux prennent leur vol dans les airs, ils y dessinent la forme d'une croix ; l'homme, en nageant, imite la forme d'une croix pour se soutenir sur les eaux ; le vaisseau reçoit le souffle du vent dans l'antenne qui soutient les voiles, et présente la figure d'une croix ; la lettre T, par sa forme, est aussi l'emblème de la croix et du salut. (Ez 9) — bède. On peut dire aussi que le bois transversal de la croix où les mains sont clouées, signifie la joie que produit l'espérance ; car les mains sont le symbole des œuvres, et cette largeur de la croix figure la joie qui accompagne les bonnes œuvres ; car la tristesse resserre le cœur. Le haut de la croix où la tête repose, représente l'attente de la récompense que nous réserve la justice sublime de Dieu. La longueur de la croix sur laquelle le reste du corps est étendu, figure la patience, et de là vient qu'on dit de ceux qui sont patients, qu'ils ont de la longanimité. La partie de la croix qui s'enfonce dans la terre est le symbole des profondeurs que renferme ce mystère. Tant que dure pour nos corps le devoir de détruire en eux le corps du péché (Rm 6), c'est pour nous le temps de la croix.

théophyl. Les soldats jettent au sort ses vêtements, comme si c'étaient des vêtements royaux, nouvelle dérision ajoutée à tant d'autres ; car ces vêtements étaient pauvres et de peu de valeur. — la glose. D'après saint Jean, qui raconte ce fait plus en détail, les soldats partagèrent en quatre parties, suivant leur nombre, les vêtements du Sauveur, et jetèrent au sort sa tunique sans couture et d'un seul tissu depuis le haut jusqu'en bas. — S. jér. Les vêtements du Sauveur que les soldats païens se partagent, sont ses commandements, dont son corps, c'est-à-dire l'Eglise est comme enveloppée, et ils sont partagés entre quatre classes de fidèles, unis par une même foi ; les époux, ceux qui pratiquent la continence, les supérieurs et les simples fidèles. La tunique indivisible qui est la paix et l'unité leur est échue à tous par le sort.

" Or, il était la troisième heure du jour, " etc. — S. Jer. Cette observation de saint Marc est on ne peut plus conforme à la vérité ; car à la sixième heure, les ténèbres se répandirent sur la terre, et il eût été impossible de faire aucune action. — S. aug. (de raccord des Evang., 3, 13.) Si ce fut à la sixième heure que Pilate, assis sur son tribunal, livra Jésus aux Juifs pour le crucifier, comme le rapporte saint Jean ; comment a-t-il pu être crucifié à la troisième heure, comme quelques-uns le concluent d'une fausse interprétation des paroles de saint Marc ? Examinons d'abord à quelle heure a pu avoir lieu le crucifiement, et nous verrons ensuite pourquoi saint Marc le place à la troisième heure. Il était environ la sixième heure lorsque Pilate, assis sur son tribunal, livra Jésus aux Juifs, comme nous l'avons dit. Or, la sixième heure n'était pas encore tout à fait arrivée ; c'était environ la sixième heure, c'est-à-dire que la cinquième était passée, et qu'une partie de la sixième était commencée. Ainsi la cinquième heure était écoulée, et la sixième commencée, lorsqu'eurent lieu les circonstances du crucifiement ; et aussitôt la sixième heure achevée, pendant que Jésus était attaché à la croix, les ténèbres se répandirent sur toute la terre. Examinons maintenant pourquoi saint Marc s'exprime ainsi : " II était la troisième heure, " etc. Il venait de dire : " Et ceux qui l'avaient crucifié partagèrent ses vêtements, " et les autres Evangélistes rapportent également que ce fut après le crucifiement de Jésus, que ses bourreaux se partagèrent ses vêtements. Si saint Marc eut seulement voulu préciser l'heure où ces faits se passèrent, il lui suffisait de dire : " II était la troisième heure. " Pourquoi donc ajoute-t-il : " Et ils le crucifièrent ? " Ne voulait-il point par une espèce de récapitulation nous indiquer ici, comme objet de nos recherches, une vérité cachée ; alors surtout que son Evangile devait être lu dans des temps où toute l'Eglise savait fort bien à quelle heure Jésus avait été attaché à la croix, ce qui permettait de dissiper sur ce point jusqu'à l'ombre de l'erreur, jusqu'à l'apparence du mensonge. Mais comme il savait parfaitement que ce ne furent pas les Juifs, mais les soldats, qui en réalité attachèrent Jésus-Christ à la croix, comme l'atteste saint Jean (Jn 19, 23), il a voulu nous apprendre en termes couverts que les véritables auteurs du crucifiement furent ceux qui demandèrent à grands cris que le Sauveur fût crucifié, plutôt que ceux qui, par le devoir de leur état, ne firent qu'obéir aux ordres de leurs chefs. Ainsi donc, ce fut à la troisième heure que les Juifs demandèrent que Jésus fût crucifié, et eu réalité, ce crime fut dès lors moralement accompli. Or, pendant que Pilate s'efforçait de délivrer le Sauveur, et pendant le tumulte causé par les résistances des Juifs, il se passa un intervalle d'environ deux heures, et il était donc environ la sixième heure qui n'était pas encore écoulée lorsque se passèrent les événements renfermés entre le moment où il livra Jésus aux Juifs, jusqu'à celui où les ténèbres se répandirent sur la terre. Celui donc qui examinera ce passage sans aucun parti pris d'impiété, comprendra facilement que saint Marc a fait mention de la troisième heure dans l'endroit le plus opportun, c'est-à-dire au moment où les soldats crucifièrent Jésus. Afin donc qu'on fit retomber non pas sur les soldats, mais sur les Juifs la pensée d'un si grand crime, il écrit : " Or, il était la troisième heure, et ils le crucifièrent. " Il voulait que pour un lecteur attentif, les véritables auteurs du crucifiement fussent ceux qui l'avaient demandé à grands cris vers la troisième heure, plutôt que les soldats qui n'ont accompli le crime qu'à la sixième heure. — S. aug. (Quest. sur le Nouv. et l'Anc. Test., chap. 65.) Saint Marc a donc voulu nous faire entendre que la sentence qui condamnait Jésus à être crucifié, fut rendue à la troisième heure. En effet, tout homme condamné à mort, est regardé comme mort du moment où la sentence de mort lui a été signifiée. Il établit ainsi d'une manière évidente que ce n'est point précisément en vertu de la sentence du juge que Jésus a été crucifié ; car il serait difficile de prouver l'innocence de celui qui est l'objet d'une condamnation à mort. — S. aug. (de l'acc. des Evang., 3, 13.) Cependant il est des auteurs qui dans ces paroles de saint Jean : " C'était le jour de la préparation de la pâque, vers la sixième heure " (Jn 19, 14), ont voulu voir la troisième heure dont parle saint Marc. Ce jour qui était suivi du jour du sabbat, disent-ils, était le jour de la préparation de la pâque des Juifs, parce que la fête des Azymes commençait à ce sabbat. Or, la préparation ou la vigile de la Pâque véritable, non pas de celle des Juifs, mais de celle des chrétiens, qui s'accomplissait dans la passion du Sauveur, avait déjà commencé à partir de la neuvième heure de la nuit, puisque c'est à partir de ce moment que les Juifs se sont préparés à immoler le Sauveur. En effet, le mot parasceve signifie préparation. Ainsi entre la neuvième heure de la nuit jusqu'à celle du crucifiement, vient se placer la sixième heure de la préparation, suivant saint Jean, et la troisième heure du jour d'après saint Marc. Quel fidèle n’adopterait pas cette solution, si quelque chose pouvait nous faire clairement comprendre que c'est à la neuvième heure de la nuit que commença la préparation de notre pâque, c'est- à-dire la préparation de la mort de Jésus-Christ ? Dirons-nous que cette préparation a commencé au moment où Jésus fut pris et garrotté par les Juifs ? Mais on n'était alors qu'à la première partie de la nuit. Est-ce quand le Sauveur fut conduit à la maison de Caïphe, où il fut interrogé par les princes des prêtres ? mais le coq n'avait pas encore chanté. Est-ce quand Jésus fut traduit devant Pilate ? mais l'Evangile dit expressément qu'il était alors grand jour. Il n'est donc plus possible de placer la préparation de la mort du Seigneur qu'au moment où tous les princes des prêtres s'écrièrent : " II est digne de mort, " car rien n'empêche d'admettre qu'il pouvait être alors la neuvième heure de la nuit, à la condition toutefois de placer auparavant le renoncement de Pierre que l'Evangéliste ne raconte qu'après, comme par récapitulation.

" Et le titre de sa condamnation était ainsi écrit, " etc.—théophyl. Ils mirent cette inscription pour apprendre à tous la cause de son crucifiement. Ils condamnaient ainsi publiquement le sentiment de Jésus qui se disait roi, ils étouffaient tout sentiment de compassion dans l'âme des passants, et les excitaient à insulter bien plutôt le Sauveur comme un tyran. — S. jér. Ils écrivirent cette inscription en trois langues, en hébreu : Maleck Jeoudim ; en grec : Basileus exomologeton ; en latin : Rex confitentium. Ces trois langues furent consacrées dans l'inscription de la croix, afin que la perfidie des Juifs fût publiée dans toutes les langues que ces trois représentaient. — bède. Cette inscription, placée au haut de la croix, prouve que les Juifs, en mettant Jésus à mort, n'ont pu se délivrer de l'avoir pour roi qui leur rendra selon leurs œuvres.

" Ils crucifièrent aussi avec lui deux voleurs, " etc. — théophyl. Afin de donner ainsi de lui au peuple une mauvaise opinion et de le faire passer pour un voleur et un malfaiteur. Mais Dieu permit ce nouvel outrage pour accomplir l'oracle de l'Ecriture : " Ainsi fut accomplie cette parole de l'Ecriture : II a été mis au rang des criminels. " — S. jér. La vérité est confondue avec les scélérats ; elle en laisse un à gauche, elle prend et sauve celui qui est à sa droite ; c'est ce qu'elle doit faire encore au jour du jugement. Quel sort bien différent, après des crimes semblables ? l'un précède Pierre dans le paradis, l'autre Judas dans l'enfer. Une confession rapide obtient à l’un une vie éternelle, et le blasphème qui expire sur les lèvres de l'autre, est puni d'un supplice sans fin.

bède. Les deux voleurs crucifiés avec Nôtre-Seigneur, sont la figure de ceux qui, pour professer la foi et le nom de Jésus-Christ, se dévouent aux épreuves du martyre, on embrassent la pratique sévère d'une vie mortifiée. Ceux qui ne se proposent en cela que la gloire éternelle, sont figurés par la foi du voleur qui est à droite ; ceux au contraire qui n'ont en vue que la gloire qui vient des hommes imitent les sentiments et les actes du voleur qui est à gauche. — théophyl. Ou bien encore, ces deux voleurs représentent les deux peuples, les Juifs et les Gentils, tous deux coupables d'iniquité, pour avoir transgressé, les Gentils, la loi naturelle ; les Juifs, la loi écrite que le Seigneur leur avait donnée. Mais le peuple des Gentils se repent, tandis que le peuple juif blasphème jusqu'à la fin, et c'est au milieu de ces deux peuples que le Seigneur est crucifié, car il est la pierre angulaire qui nous réunit (Ep 2, 14).

 

Vv. 29-32.

S. jér. L'ânon de la Judée, étant lié à la vigne, et son manteau rougi dans le sang du raisin, les chevreaux déchirent la vigne, ils blasphèment le Christ et branlent la tête : " Et les passants le blasphémaient en branlant la tête, " etc. — théophyl. Les passants blasphèment Jésus-Christ et l'accablent d'outrages comme un séducteur. C'est le démon qui les poussait à l'engager à descendre de la croix. Il savait que c'est la croix qui devait sauver le monde, il revenait donc tenter de nouveau Jésus-Christ ; s'il descendait de la croix, il serait évident qu'il n'était pas véritablement le Fils de Dieu, et ainsi toute espérance de salut par la croix était anéantie. Mais Jésus, vrai Fils de Dieu, ne descendit pas de la croix. S'il avait dû en descendre il n'y serait pas monté, mais il savait que c'était là le moyen choisi de Dieu pour sauver le monde, il se dévoua donc aux souffrances de la croix et à mille autres outrages pour accomplir son œuvre. " Et les princes des prêtres disaient aussi : II a sauvé les autres, il ne peut se sauver lui-même, " etc. En parlant ainsi, ils voulaient anéantir la vérité de ses miracles et les faire passer pour imaginaires ; car en effet, Jésus avait sauvé un grand nombre par ses miracles. — bède. Ils sont forcés d'avouer malgré eux qu'il a sauvé les autres. Vous êtes donc condamnés par vos propres paroles, car celui qui a sauvé les autres, peut également se sauver lui-même.

" Que le Christ, le roi d'Israël descende de la croix, afin que nous voyions et que nous croyions. " — S. jér. Ils virent bientôt sortir du sépulcre celui qu'ils ne croyaient pas pouvoir descendre de la croix. O Juifs ! où ira donc se réfugier votre incrédulité ? Je vous prends à témoins, j'en appelle à votre jugement. N'est-il pas mille fois plus admirable qu'un mort puisse ressusciter, qu'il ne le serait qu'un homme vivant encore voulût descendre de la croix ? Vous avez peu demandé, on vous a donné beaucoup ; mais ces prodiges mille fois plus éclatants que ceux que vous demandez n'ont pu guérir votre incrédulité ; ils se sont tous détournés de la vérité, ils sont devenus inutiles.

" Et ceux qui avaient été crucifiés avec lui l'outrageaient de même. " — S. aug. (De l'acc. des Evang., 3, 16.) Mais comment admettre ici la vérité du récit de saint Marc, alors qu'au témoignage de saint Luc, un seul de ces voleurs outragea le Sauveur, tandis que l'autre voulait l'en empêcher et crut en Dieu. La seule réponse à faire, c'est que saint Matthieu et saint Marc, insistant peu sur ce détail, ont employé le pluriel pour le singulier. — théophyl. Ou bien tous deux commencèrent par l'accabler d'outrages, et puis l'un deux reconnaissant son innocence, reprocha à son compagnon les blasphèmes qu'il vomissait contre lui.

 

Vv. 33-38.

bède. L'astre brillant du jour voila ses rayons pour ne pas voir le Seigneur attaché à la croix, ou pour ne pas laisser jouir de sa lumière ces impies blasphémateurs : " A la sixième heure du jour, les ténèbres se répandirent sur toute la terre jusqu'à la neuvième. " — S. aug. (De l'acc. des Evang., 3, 17) Saint Luc indique la cause de ces ténèbres, c'est-à-dire l'obscurcissement du soleil. — théophyl. Si c'eût été le temps régulier pour une éclipse, on pourrait dire que cette obscurité était naturelle, mais on était alors au quatorzième jour de la lune, époque où selon les lois ordinaires, une éclipse n'est pas possible.

" Et à la neuvième heure, Jésus jeta un grand cri, en disant : Ëloï ! Eloï ! " etc. — S. jer. C'est à la neuvième heure que la maison a été balayée, que la drachme qui était perdue est retrouvée (Lc 15, 8). — bède. Lorsque Adam eut péché, il est écrit (Gn 3) qu'il entendit la voix de Dieu, qui se promenait dans le paradis à l'heure du jour où la brise s'élève ; or, ce fut à l'heure que le premier Adam fit entrer par son péché la mort dans le monde, que le second Adam détruisit par sa mort l'empire de la mort. Il est encore à remarquer que le Seigneur a été crucifié lorsque le soleil s'éloigne du centre du ciel, et qu'il a célébré le mystère de sa résurrection lorsque le soleil se lève, parce qu'il est mort pour nos péchés et qu'il est ressuscité pour notre justification (Rm 4, 25). Ne soyez point surpris de l'humilité de ses paroles, de ce qu'il se plaigne d'être abandonné ; la forme de serviteur qu'il a prise, vous le savez, est la cause du scandale de la croix. La faim, la soif, la fatigue, n'étaient pas les propriétés de sa divinité, mais les infirmités de la nature humaine ; ainsi ce cri : " Pourquoi m'avez-vous abandonné ; " c'est la plainte du corps, parce que le corps a une horreur souveraine et naturelle pour sa séparation d'avec la vie qui lui est unie. Sans doute, c'est le Sauveur lui-même qui parle ici, mais eu égard à la faiblesse de son corps, il parle comme homme et laisse la nature humaine en proie à ces agitations qui nous font craindre à nous-mêmes que Dieu nous abandonne au milieu des dangers. — théophyl. Ou bien, c'est au nom de l'humanité, que le Sauveur crucifié adresse cette plainte à Dieu, car nous autres hommes, nous sommes abandonnés, mais pour, lui, il n'a jamais été abandonné de son Père. Ecoutez, c'est lui-même qui l’atteste : "  je ne suis pas seul, mais mon Père est avec moi. (Jn 8) Ou bien encore, il parle ici au nom des Juifs qu'il représentait comme juif par sa naissance, et il semble dire : Pourquoi avez-vous abandonné le peuple hébreu, et l'avez-vous laissé crucifier votre Fils ? Nous disons quelquefois : Dieu s'est revêtu de moi, c'est-à-dire, de ma nature humaine ; ainsi nous devons entendre ces paroles : " Pourquoi m'avez-vous abandonné " de la nature humaine ou du peuple juif.

" Quelques-uns de ceux qui étaient présents, l'ayant entendu, disaient : Il appelle Elie. " — bède. Ce furent, à mon avis, des soldats romains, qui ne comprenaient point la langue hébraïque, et qui entendant crier Eloï, s'imaginèrent qu'il appelait Elie. Si vous voulez au contraire que ce soient les Juifs, ils interprètent ainsi le cri du Sauveur, pour insulter à sa faiblesse, qui implore le secours d'Elie : " Et l'un d'eux courut emplir une éponge de vinaigre, " etc. Saint Jean explique plus au long la raison pour laquelle on présenta du vinaigre à Jésus sur la croix : " Afin que les Ecritures fussent accomplies, Jésus dit : J'ai soif ; les soldats emplirent une éponge de vinaigre, et la présentèrent à sa bouche. " (Jn 19, 28, 29.) — S. jér. C'est ici un symbole de ce qu'étaient les Juifs ; ils emplissent de vinaigre, c'est-à-dire, de malice et de ruse, une éponge qu'ils placent au bout d'un roseau fragile, sec, destiné au feu. — S. aug. (De l'acc. des Evang., 3, 17.) D'après saint Matthieu, ce n'est pas celui qui présenta l'éponge remplie de vinaigre qui interpréta ainsi les paroles du Seigneur, mais les autres qui étaient présents, d'où nous pouvons conclure que tous ont tenu ce langage.

S. jér. Au moment où la chair s'affaiblit, la voix divine fait éclater sa puissance, cette voix qui dit par la bouche du Psalmiste : " Ouvrez-moi les portes de la justice. " (Ps 117) " Jésus ayant jeté un grand cri, expira. " Nous qui sommes de la terre, nous n'avons en mourant qu'un reste de voix où la parole même expire sur nos lèvres, mais celui qui vient du ciel a jusqu'à la mort toute la puissance de sa voix. — théophyl. Celui qui tient la mort sous ses lois et qui lui commande, meurt aussi comme le maître de la mort. Or, quel fut ce cri que Jésus fît entendre ? Saint Luc nous l'apprend : " Mon Père, je remets mon âme entre vos mains. " Il a voulu par là nous apprendre que les âmes des saints s'élèvent dans les mains de Dieu, elles qui étaient retenues dans les enfers avant l'avènement de celui qui est venu annoncer aux captifs leur délivrance.

 

Vv. 39-41.

la glose. Après avoir raconté la passion et la mort du Sauveur, l'Evangéliste passe au récit des événements qui suivirent sa mort : " Et le voile du temple se déchira en deux, " etc. — S. jér. Le voile du temple qui se déchire, c'est le ciel qui s'ouvre. — théophyl. Dieu permit que le voile se déchirât, afin de signifier que la grâce de l'Esprit saint s'éloignait et se séparait du temple pour découvrir aux yeux de tous les secrets du saint des saints, et aussi que le temple serait dans la désolation, lorsque les Juifs déploreront leur malheur et déchireront leurs vêtements. Ce voile est aussi le symbole de ce temple vivant du corps de Jésus-Christ qui, dans sa passion, vit ses vêtements, c'est-à-dire son corps déchiré. Il a encore une autre signification ; notre chair est le voile de notre temple, c'est-à-dire, de notre âme. Or, la puissance de la chair dans la passion de Jésus-Christ, a été déchiré et détruit du haut en bas, c'est-à-dire, depuis Adam jusqu'au dernier rejeton de sa postérité. En effet, Adam est sauvé par la passion de Jésus-Christ, sa chair ne demeure plus sous la malédiction, elle n'est plus sujette à la corruption, mais elle reçoit en même temps le don de l'incorruptibilité.

" Or le centurion voyant, " etc. Le centurion est l'officier qui commandait à cent hommes. A la vue de Jésus expirant avec tant de puissance et d'autorité, il est dans l'admiration et confesse sa divinité. — bède. L'Evangile nous fait connaître clairement la cause de l'étonnement du Centurion, c'est qu'ayant vu le Seigneur mourir de la sorte, il s'écria : " Cet homme était vraiment le Fils de Dieu. " Car le Créateur des âmes a seul, à l'exclusion de tout autre, le pouvoir de remettre son âme. — S. aug. (De la Trin., 4, 13.) Ce qui étonna surtout le Centurion, c'est qu'après ce grand cri qui était comme l'expression figurée de notre péché, il expira aussitôt. L'esprit du Médiateur nous apprenait ainsi que la mort de son corps n'était la suite d'aucun péché, qu'il ne s'en séparait point malgré lui, mais quand il le voulut, parce qu'il était uni au Verbe de Dieu en unité de personne. — S. jer. Les derniers sont maintenant devenus les premiers, les Gentils confessent Jésus-Christ, les Juifs aveugles le renient, et leur erreur devient pire que la première. — théophyl. L'ordre naturel se trouve ainsi renversé, les Juifs mettent à mort celui que les Gentils reconnaissent comme Dieu, ses disciples s'enfuient, et les pieuses femmes persévèrent.

" II y avait aussi là des femmes, " etc. Celle qui est appelée Salomé, est la mère des enfants de Zébédée. — orig. (Traité 35 sur S. Matth.) Le récit comparé de saint Matthieu et de saint Marc, m'amène à penser qu'il est ici question de trois femmes principales ; deux d'entre elles sont désignées par les deux Evangélistes, Marie-Madeleine et Marie, mère de Jacques ; la troisième est appelée par saint Matthieu, la mère des enfants de Zébédée, et par saint Marc, Salomé. — bède. Saint Marc appelle Jacques le Mineur, Jacques, fils d'Alphée, on l'appelait aussi frère du Seigneur, parce qu'il était fils de Marie, tante du Sauveur, dont saint Jean fait mention : " Debout, près de la croix de Jésus, étaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie-Madeleine. " (Jn 19) Or, l'une de ces femmes est appelée Marie de Cléophas, ou comme fille de Cléophas, ou du nom de sa famille. Jacques le Mineur est ainsi appelé pour le distinguer de Jacques le Majeur, fils de Zébédée, qui a été un des premiers que le Seigneur a choisi pour ses Apôtres. C'était chez les Juifs une coutume consacrée par les mœurs antiques, et que personne ne songeait à blâmer, que les femmes prissent soin de fournir de leur bien, la nourriture à ceux qui les instruisaient, c'est ce que saint Marc rappelle ici : " Elles le suivaient lorsqu'il était en Galilée, et l'assistaient de leur bien. " Elles assistaient le Seigneur de leur avoir, et lui permettaient ainsi de moissonner leurs biens matériels, alors qu'elles moissonnaient elles-mêmes ses grâces spirituelles. Nôtre-Seigneur voulait ainsi donner l'exemple à ceux qui devaient enseigner l'Evangile, et leur apprendre à se contenter de la nourriture et du vêtement qu'ils recevraient de leurs disciples. Mais voyons quelles étaient celles qui les accompagnaient : " Et plusieurs autres qui étaient venues avec lui à Jérusalem. " — S. jér. De même que la femme est associée au salut du monde dans la personne de la Vierge Marie ; ainsi Dieu la rattache à la science du mystère de la croix et de la résurrection dans Marie-Madeleine, qui est veuve, et dans les autres mères qui l'accompagnent.

 

Vv. 42-47.

la glose. Après le récit de la passion et de la mort de Jésus-Christ, l'Evangéliste raconte ce qui concerne sa sépulture : " Le soir étant venu, comme c'était le jour de la préparation, " etc. — bede. Le mot grec parasceve, veut dire en latin prœparatio, préparation. Les Juifs qui habitaient parmi les Grecs, donnaient ce nom au sixième jour de la semaine, parce qu'on préparait dans ce jour tout ce qui était nécessaire pour assurer le repas du jour de sabbat. C'est le sixième jour que l'homme a été créé, et c'est le septième que le Créateur s'est reposé de toutes ses œuvres ; c'est aussi le sixième jour que le Sauveur attaché à la croix, accomplit le mystère de la réparation du genre humain, et le septième il se repose dans le tombeau en attendant sa résurrection qui devait avoir lieu le huitième jour. Ainsi, pendant l'âge actuel de cette vie, nous devons être nous-mêmes crucifiés au monde ; et le septième jour, lorsque chacun de nous aura payé son tribut à la mort, nos corps reposeront dans le tombeau, tandis que nos âmes, après une vie de bonnes œuvres, se reposeront dans la paix intime de Dieu, en attendant qu'au huitième âge nos corps glorifiés avec nos âmes, reçoivent par leur résurrection le don de l'incorruptibilité.

" Joseph d'Arimathie, qui était très-considéré, " etc. Il était convenable que ce fût un homme de ce mérite qui ensevelît le corps de Jésus ; qui par la grandeur de ses vertus, fût digne de lui rendre ce devoir, et par le crédit que lui donnait sa haute position dans le monde, pût en obtenir l'autorisation ; c'est pour cela que l'Evangéliste nous fait remarquer que c'était un homme de considération et du grand conseil, et qui lui aussi attendait le royaume de Dieu. On appelait décurion celui qui faisait partie du conseil et qui remplissait les fonctions de conseiller ou de sénateur ; on lui donnait aussi le nom de magistrat municipal, à cause des emplois civils qu'il remplissait. Arimathie est la même ville que Ramata, patrie de Samuel et d'Helcana (1 R 1). Arimathie signifie qui détache, et Joseph, qui vint pour détacher le corps de Jésus de la croix, sort de cette ville.

" II vint hardiment trouver Pilate, et lui demanda le corps de Jésus. " — théophyl. La demande qu'il fait est aussi digne d'éloges qu'elle est hardie. Il ne se dit pas à lui-même : Je perdrai mes richesses, je serai banni par les Juifs, si je demande le corps de celui qui a été condamné comme un blasphémateur : " Pilate s'étonnant qu'il fût mort si tôt, " etc. Il pensait que sa vie devait se prolonger plus longtemps sur la croix comme celle des voleurs qu'on y suspendait et qui ne mouraient pas sitôt : " II fit donc venir le centenier et lui demanda s'il était déjà mort, " c'est-à-dire avant le temps où les autres criminels rendaient ordinairement le dernier soupir : " Le centenier l'en ayant assuré, il donna le corps à Joseph. " — bêdb. Un homme inconnu ou dans une position ordinaire, n'aurait pas osé se présenter chez le gouverneur, et n'en aurait pas obtenu le corps d'un crucifié.

" Joseph ayant acheté un linceul, enveloppa le corps, " etc. — théophyl. Il ensevelit dans un linceul de grand prix un corps aussi précieux, car il était disciple du Seigneur, et il savait avec quel honneur il fallait traiter son divin corps. — bêde. Nous pouvons aussi, dans un sens spirituel, conclure de cet exemple que le corps du Seigneur ne doit pas être enveloppé dans l'or, dans les pierres précieuses et dans la soie, mais dans un linge d'une blancheur éclatante. C'est de là qu'est venu l'usage dans l'Eglise, d'offrir le sacrifice de l'autel, non sur la soie, ni sur une étoffe de couleur, mais sur un tissu de lin qui vient de la terre, en souvenir du corps du Seigneur, qui a été enseveli dans un linceul blanc, comme l'a ordonné par un décret pontifical, le bienheureux pape Sylvestre. Joseph, qui enveloppe le corps de Jésus dans un linceul blanc, est aussi la figure de celui qui le reçoit dans un cœur pur : " Et il le mit dans un sépulcre. " Le monument du Sauveur était, dit-on, une cellule de forme ronde, et taillé dans une roche qui se trouvait au-dessous. La hauteur de ce monument était si grande, qu'un homme debout pouvait à peine en toucher la voûte avec la main. On y entrait du côté de l'Orient, et on y roula une grande pierre sur la partie qui regarde le Nord. Le tombeau proprement dit, où fut déposé le corps du Seigneur était creusé dans le même roc, il avait sept pieds de long, s'élevait de trois palmes au-dessus du sol, il était ouvert sur toute sa longueur, non par dessus, mais du côté du Midi, et c'est par cette ouverture que l’on introduisait le corps. La couleur du monument et du tombeau était un mélange de rouge et de blanc. — S. jér. C'est par la sépulture du Christ que nous ressuscitons, c'est par sa descente aux enfers que nous montons aux cieux; c'est là que nous trouvons véritablement le miel dans la gueule du lion mort (Jg 14, 8).

théophyl. Imitons nous aussi, la conduite de Joseph en recevant le corps de Jésus-Christ dans le sacrement de l'unité, et déposons-le dans un monument taillé dans le roc, c'est-à-dire, dans une âme qui ne perd jamais le souvenir de Dieu ; une telle âme est comme taillée dans le roc, c'est-à-dire, dans Jésus-Christ, qui est la pierre, parce qu'il est le principe de toute fermeté. Nous devons aussi envelopper ce divin corps dans un linceul blanc, c'est-à-dire, le recevoir dans un corps pur, car le linceul est l'emblème du corps qui est le vêtement de l'âme, et l'honneur dû au corps de Jésus-Christ, exige que nous le recevions, non-seulement dans une âme innocente, mais dans un corps exempt de toutes souillures. Il faut de plus envelopper le corps et ne pas le laisser à découvert, c'est un secret qu'il faut tenir soigneusement fermé et caché.

" Cependant Marie-Madeleine et Marie, mère de Joseph, regardaient où on le mettait. " — bède. Nous lisons dans saint Luc, que tous ceux qui connaissaient Jésus, et les femmes qui l'avaient suivi, regardaient de loin ce qui se passait (Lc 23, 49). Or, tandis que les amis de Jésus regagnent leurs demeures après que Jésus fut descendu de la croix, les saintes femmes seules, qui l'avaient aimé plus tendrement, suivent ses funérailles, elles remarquent avec soin le lieu où on le déposait, afin de pouvoir lui offrir, en temps convenable, l'hommage de leur piété. Or, le jour de la préparation de la pâque, les saintes femmes, c'est-à-dire, les âmes humbles, accomplissent le même devoir, lorsque brûlantes d'amour pour le Sauveur, elles suivent fidèlement les traces de sa passion, dans le cours de cette vie où elles préparent le repos de l'éternité. Elles s'appliquent aussi avec une pieuse curiosité à méditer l'ordre et les circonstances de sa passion, afin de voir comment elles peuvent l'imiter. — S. jér. Tous ces détails de la sépulture du Sauveur peuvent aussi s'appliquer au peuple juif, qui doit embrasser la foi à la fin du monde. Ennobli par la foi, il redevient fils d'Abraham, il recouvre l'espérance, il attend le royaume de Dieu ; il entre dans l'assemblée des chrétiens pour recevoir le baptême, ce qui est figuré par le nom de Pilate (c'est-à-dire, forgeron), qui dompte les peuples les plus durs, et les gouverne avec un sceptre de fer. Il demande le sacrifice qui est donné comme viatique aux pénitents ù la fin de leur vie ; il l'enveloppe dans un cœur pur (1 Tm 1, 5) et mort au péché, il le dépose dans un lieu fortifié par la foi, le recouvre avec l'espérance par les œuvres de la charité (car la fin du précepte est la charité). Cependant les élus qui sont comme les étoiles de la mer, regardent de loin, alors que les élus eux-mêmes seront scandalisés, si cela était possible.

 

CHAPITRE XVI

Vv. 1-8.

S. jér. À la tristesse du jour du sabbat succède un jour brillant et fortuné, jour qui tient le premier rang parmi les jours, parce qu'il est éclairé des rayons de la lumière par excellence, et qu'il est témoin du triomphe de la résurrection du Seigneur : " Et lorsque le jour du sabbat fut passé, Marie-Madeleine, " etc. —la glose. Tant qu'il leur fut permis de travailler, c'est-à-dire, jusqu'au coucher du soleil, les saintes femmes préparèrent pieusement les parfums nécessaires à la sépulture du Sauveur, comme le rapporte saint Luc. Mais le peu de temps qui leur restait ne leur permit point de terminer ces préparatifs ; aussitôt donc que le jour du sabbat fut passé, et que le coucher du soleil leur eut rendu la liberté de reprendre leur travail, elles se hâtèrent d'aller acheter des parfums, comme le dit saint Marc, afin de pouvoir, le matin, embaumer le corps de Jésus, car elles ne purent se rendre au tombeau le soir du jour du sabbat, la nuit commençant à répandre son obscurité. — séver. Ces saintes femmes obéissent à un sentiment de piété propre à leur sexe, ce n'est pas un témoignage de foi qu'elles viennent offrir à Jésus-Christ vivant, ce sont des parfums qu'elles apportent pour embaumer un mort, c'est un hommage de leur tristesse qu'elles offrent à celui qui est enseveli, ce ne sont pas les joies d'un triomphe tout divin qu'elles préparent à celui qui doit bientôt ressusciter. — théophyl. Elles ne comprenaient pas encore la grandeur et la dignité de la Divinité de Jésus-Christ. Elles vinrent, selon la coutume des Juifs, embaumer le corps de Jésus, pour lui conserver une odeur agréable, et le préserver de la corruption qu'engendrent les humeurs. Les parfums ont, en effet, une vertu dessicative, qui absorbe toutes les parties humides du corps et le préserve de la corruption. — S. grêg. (hom. 21 sur les Evang.) Pour nous qui croyons en celui qui est mort, nous venons à son tombeau avec des parfums, si nous le cherchons tout parfumés de la bonne odeur des vertus et avec la conscience de nos bonnes œuvres.

" Et le premier jour de la semaine, étant parties de grand matin, " etc. — S. aug. (de l'accord des Evang., 2, 24.) " De grand matin, " dit saint Luc ; " le matin, quand les ténèbres régnaient encore, " dit saint Jean. Saint Marc exprime la même pensée, en disant : " De grand matin, le soleil étant déjà levé, " c'est-à-dire, lorsque le soleil commençait à blanchir du côte de l'Orient, c'est ce qui a lieu à l'approche du lever du soleil, on donne à ces premières lueurs le nom d'aurore. Saint Jean a donc pu dire sans contradiction : " Quand les ténèbres régnaient encore, car lorsque le jour paraît, les ténèbres se dissipent insensiblement et disparaissent à mesure que le soleil se lève sur l'horizon. " Ces paroles : " Le soleil étant déjà levé, " ne veulent pas dire qu'il dardait pleinement ses rayons sur la terre, mais qu'à mesure qu'il approchait, il commençait à blanchir et à éclairer le ciel de ses rayons naissants. — S. jér. Saint Marc appelle donc ici : " De grand matin, " ce qu'un autre Evangéliste appelle : " Le point du jour, " c'est-à-dire, le point intermédiaire entre les ténèbres de la nuit et les clartés du jour où devait paraître le salut du genre humain annoncé dans l'Eglise par cette heureuse coïncidence de l'aurore ; semblable au soleil qui, avant son lever, se fait précéder par l'aurore empourprée, il prépare les yeux à contempler la splendeur éclatante de sa résurrection. Alors, à l'exemple des saintes femmes, l'Eglise tout entière chante les louanges de Jésus-Christ qui, par le fait de sa résurrection, rend au genre humain le mouvement et la vie en l'inondant delà lumière de la foi. — bède. En se rendant de grand matin au tombeau, ces pieuses femmes nous donnent une preuve de leur ardent amour ; elles nous apprennent ainsi dans le sens spirituel, à offrir à Dieu le parfum de nos bonnes œuvres et la suave odeur de nos prières, la face éclairée de sa lumière et après avoir chassé les ténèbres des vices. — théophyl. " Le premier jour du sabbat, " c'est-à-dire, le premier jour de la semaine, car tous les jours de la semaine portent le nom de sabbat, et le premier jour est appelé una sabbatorum. — bède. Ou bien, le premier jour du sabbat est le premier jour à partir du jour du sabbat ou du repos que l'on observait le jour du sabbat.

" Or, elles se disaient l'une à l'autre : Qui nous ôtera la pierre, " etc. — séver. Votre cœur est fermé, vos yeux sont appesantis, et vous ne pouvez voir la gloire qui environne ce tombeau ouvert. — bebe. " Mais en regardant elles virent que cette pierre était ôtée. " — bède. Saint Matthieu nous a suffisamment expliqué comment la pierre avait été renversée par l'ange. Cette pierre enlevée figurait au sens allégorique, que les mystères du Christ couverts comme d'un voile par la lettre de la loi écrite sur la pierre étaient maintenant pleinement dévoilés, a Cette pierre était fort grande. " — séver. Elle était plus grande par sa destination que par sa forme, puisqu'elle suffit à couvrir et à enfermer le corps du Créateurs de l'univers.

S. greg. (hom. 21.) Les saintes femmes qui sont venues avec des parfums voient les anges ; ainsi les âmes qui méritent de voir les habitants des cieux sont celles qui, chargées de vertus, s'avancent vers le Seigneur par de saints désirs : " Et entrant dans le sépulcre, elles virent un jeune homme assis, " etc. — théophyl. Ne soyez point surpris que saint Matthieu rapporte que l'ange était assis sur la pierre, tandis que d'après saint Marc, c'est en entrant dans le tombeau qu'elles virent un jeune homme assis ; elles purent très-bien voir, un instant après dans l'intérieur du tombeau, celui qu'elles avaient vu d'abord assis sur la pierre. — S. aug. (De l’acc. des Evang., 3, 24.) Nous pouvons aussi admettre que saint Matthieu a gardé le silence sur l'ange que les femmes virent en entrant dans le tombeau, et saint Marc, sur celui qu'elles ont vu assis sur la pierre. Dans cette hypothèse, elles en ont vu deux, et ont entendu de chacun d'eux séparément les paroles que rapportent les Evangélistes. Ou bien encore, le tombeau dans lequel elles entrèrent, doit s'entendre d'une place libre entourée de murs qui formaient comme une enceinte destinée à défendre à une certaine distance le roc dans lequel le sépulcre était creusé. On comprend parfaitement alors qu'elles aient vu dans le même lieu, assis du côté droit, celui qui, d'après saint Matthieu, était assis sur la pierre. — théophyl. Quelques auteurs prétendent que les femmes dont parle saint Matthieu sont différentes de celles dont il est question dans saint Marc, mais Marie-Madeleine les accompagnait toutes dans l'impatience de sa ferveur et l'ardeur de son amour.

sévère. Les saintes femmes entrent dans le tombeau pour s'ensevelir avec Jésus-Christ et ressusciter avec lui. Elles aperçoivent un jeune homme, figure de l'âge de l'homme ressuscité, qui ne connaît point la vieillesse ; car là où l’homme ne doit plus ni naître ni mourir, l’âge de l'homme n'est plus soumis ni à la croissance, ni à la décroissance. Voilà pourquoi ce n'est ni un vieillard, ni un enfant, mais un jeune homme dans la fleur de l'âge qui se présente aux regards des saintes femmes. — bédé. Elles virent un jeune homme assis à la droite, à la partie méridionale de l'endroit où le corps avait été déposé. En effet, ce corps étendu sur le dos dans le sépulcre, ayant la tête à l'Occident, devait avoir nécessairement la droite au Midi. — S. grég. (hom. 20.) La gauche est ici l'emblème de la vie présente ; et la droite le symbole de la vie éternelle. Or, comme notre Rédempteur avait traversé cette vie corruptible, c'est avec raison que l'ange qui venait annoncer son entrée dans la vie éternelle, se tenait à droite. — sévère. Une autre raison pour laquelle ils aperçoivent ce jeune homme assis à la droite, c'est que dans la résurrection glorieuse il n'y a point de gauche. Elles le virent revêtu d'une robe blanche ; cette robe blanche n'est point un tissu fait avec la laine d'une toison, c'est l'œuvre d'une puissance pleine de vie, sa couleur n'a rien de la terre, et emprunte tout son éclat aux cieux, selon ces paroles du prophète : " II est revêtu de la lumière comme d'un manteau " (Ps 103), et ces autres du Sauveur en parlant des justes : " Alors les justes brilleront comme le soleil. (Mt 13)— S. grég. (hom. 21.) On bien encore, il apparut revêtu d'une robe blanche, parce qu'il nous annonce les joies de cette grande fête, car la blancheur des vêtements est le symbole de cette grande et éclatante solennité. — S. jér. La robe blanche figure encore la joie véritable que répand dans les âmes la défaite de notre ennemi, la conquête du royaume, la jouissance du roi pacifique que nous avons trouvé après tant de recherches, et que nous possédons sans crainte de le perdre. Ce jeune homme donne donc à ceux qui craignent la mort, un symbole de la forme que nous réserve la résurrection. Les femmes sont saisies de frayeur, parce que l'œil n'a point vu, l'oreille n'a point entendu, le cœur de l'homme n'a point compris ce que Dieu a préparé à ceux qui l'aiment (2 Co 2, 9).

" II leur dit, " etc. — S. grég. (hom. 21.) C'est-à-dire : Laissez la crainte à ceux qui n'aiment point la visite des habitants des cieux, laissez la frayeur à ceux qui, accablés sous le poids des désirs de la chair, désespèrent de pouvoir jamais arriver dans leur société ; mais pour vous, pourquoi craignez-vous la vue de vos concitoyens ?— S. Jeu. Car la crainte n'est point dans la chanté. (1 Jn 4) Pourquoi craindraient-elles, après avoir trouvé celui qu'elles cherchaient.

S. grég. (hom. 21.) Mais écoutons ce que l'ange ajoute : " Vous cherchez Jésus de Nazareth. " Jésus en latin veut dire salutaire ou Sauveur. Or, plusieurs ont pu être appelés Jésus de nom seulement, et sans qu'ils le fussent en réalité. L'ange ajoute : " De Nazareth, " pour préciser de quel Jésus il voulait parler, et il indique le motif pour lequel les saintes femmes le cherchaient, par ce mot : " Qui a été crucifié. " — théophyl. II ne rougit point de la croix, car la croix est la cause du salut des hommes, et le principe de la béatitude des cieux.

S. jér. La racine de la croix a cessé de faire sentir son amertume, la fleur de vie est sortie de sa tige, accompagnée de ses fruits, c'est-à-dire que celui qui gisait dans le tombeau victime de la mort, en est sorti glorieux et triomphant. " II est ressuscité, il n'est plus ici. " II n'y est plus présent corporellement, lui qui cependant remplit tout de la présence de sa majesté. — théophyl. Il semble leur dire : Voulez-vous une preuve certaine de sa résurrection ? Voici l'endroit où on l'avait mis, et il avait renversé la pierre, afin, qu'elles pussent constater elle-même le lieu où on l'avait déposé. — S. jér. L'ange dévoile les mystères de l'immortalité à de simples mortels, pour nous inspirer de justes sentiments d'actions de grâces, et nous faire comprendre ce que nous avons été et ce que nous serons un jour.

" Allez, et dites à ses disciples, " etc. Il charge les saintes femmes d'apprendre cette nouvelle aux Apôtres ; la mort a été annoncée par la femme, c'est par la femme que doit être annoncée la vie qui ressuscita d'entre les bras de la mort. L'ange désigne spécialement Pierre, parce qu'il s'est jugé indigne de l'apostolat, lorsqu'il a renié par trois fois son Maître ; mais les péchés passés ne sont point pour nous un obstacle, lorsqu'ils cessent de nous être agréables.— S. grég. (hom. 21.) Si l'ange n'avait pas désigné nommément celui qui avait renié son divin Maître, il n'aurait pas osé reprendre sa place parmi ses disciples, il l'appelle donc par son nom pour l'arracher au désespoir où aurait pu jeter son renoncement.

S. aug. (de l'accord des Evang., 3, 25.) Ces paroles : " Il vous précédera en Galilée, " semblent indiquer que Jésus ne devait apparaître à ses disciples, après sa résurrection, qu'en Galilée ; apparition que saint Marc lui-même n'a point rapportée ; car les apparitions qu'il raconte en ces termes : "Le premier jour de la semaine, au matin, il apparut à Marie-Madeleine, et puis ensuite à deux d'entre eux qui s'en allaient à la campagne, " ont eu lieu à Jérusalem le jour même de la résurrection, et il arrive aussitôt à la dernière manifestation du Sauveur ressuscité sur le mont des Oliviers, non loin de Jérusalem ; saint Marc ne nous montre donc nulle part l'accomplissement de la prédiction de l'ange qu'il nous fait connaître. Quant à saint Matthieu, il ne mentionne d'autre apparition du Sauveur à ses disciples, après sa résurrection, que celle qui eut lieu en Galilée, selon la prédiction de l'ange. Mais comme cet Evangéliste n'indique point le temps précis de cette apparition, et qu'il ne précise point davantage ni le jour où les disciples se sont rendus sur une montagne dans la Galilée, ni l'ordre des faits, sa narration n'est point en contradiction réelle avec celle des autres Evangélistes, et donne toute facilité pour les interpréter et les expliquer. Mais pourquoi le Seigneur fait-il annoncer qu'il ne leur apparaîtra pour la première fois que dans la Galilée, où il ne se manifesta que plus tard. C'est un secret qui excite l'attention de tout fidèle, et le porte à demander quel mystère est renfermé dans ces paroles. — S. grég. (hom. 21.) Le mot Galilée signifie transmigration ; déjà notre Rédempteur était passé des souffrances de sa passion à la gloire de là résurrection, de la mort à la vie ; et nous aussi nous jouirons un jour du spectacle de sa résurrection, si nous sortons ici de la fange des vices pour nous élever aux sommets de la vertu. Celui qu'on disait être dans le sépulcre, nous apparaît passant de la mort à la vie. Ainsi celui qui se fait remarquer par la mortification de la chair donne aux autres le spectacle de l'heureuse transmigration de son âme. — S. jér. Ces paroles sont courtes à ne compter que les syllabes qui les composent, mais elles sont immenses par l'étendue des promesses qu'elles contiennent. Là est la source de notre joie et le principe de notre salut éternel ; c'est là que se réuniront tous ceux qui sont dispersés, et que tous les cœurs brisés seront pas tel que vous l'avez vu. " —S. aug. (de l'accord des Evang., 3, 25.) Ces paroles signifient que la grâce de Jésus-Christ devait quitter le peuple d'Israël pour passer ou pour émigrer chez les Gentils, qui n'eussent jamais reçu la prédication des Apôtres, si Dieu lui-même ne leur avait préparé la voie dans les cœurs des hommes. Et c'est là le sens de ces paroles : " Je vous précéderai en Galilée , c'est là que vous le verrez, " c'est-à-dire là vous trouverez ses membres.

" Elles sortirent aussitôt du sépulcre et s'enfuirent, saisies de crainte et de tremblement. "— théophyl. Cette frayeur était produite à la fois par la vue de l'ange, et par l'étonnement où les jetait la résurrection du Sauveur. — sévère. L'ange est assis sur le sépulcre, tandis que les femmes s'enfuient loin du sépulcre ; nous voyons d'un côté la confiance que donne une nature céleste, de l'autre, le trouble inhérent à la condition d'une nature terrestre. L'ange qui n'est point sujet à la mort, ne craint point le tombeau ; les femmes, au contraire, tremblent à la vue du fait dont elles sont témoins, et la présence du tombeau réveille dans leur âme la frayeur de la mort naturelle aux mortels. — S. jér. On peut dire encore que c'est ici une figure de la vie future, d'où fuiront à jamais la douleur et les gémissements; car les femmes imitent avant la résurrection générale ce que feront tous les hommes après la résurrection ; elles fuient la mort, et tout ce qui leur inspire de l'effroi.

" Et elles ne durent rien à personne, tant, leur frayeur était grande. " — théophyl. Ce fut ou par crainte des Juifs, ou sous l'impression de la frayeur de ce qu'elles avaient vu, qu'elles gardèrent le silence sur ce qui leur avait été dit. — S. aug. (de l'accord des Evang., 3, 24.) Mais comment concilier ce que dit ici saint Marc avec le récit de saint Matthieu : " Ces femmes sortirent aussitôt du sépulcre avec crainte et grande joie, et elles coururent porter cette nouvelle aux disciples ? " On peut dire qu'elles n'osèrent adresser la parole soit à aucun des anges (c'est-à-dire rien répondre à ce qu'elles avaient entendu), soit aux gardes qu'elles virent étendus à terre ; car la joie dont elles étaient pénétrées, selon saint Matthieu, ne contredit pas le sentiment de crainte dont parle saint Marc. Nous devrions même admettre que leur âme fut livrée à ces deux émotions si différentes, lors même que saint Matthieu ne les représenterait point sous l'impression de la crainte. Mais comme il dit expressément qu'elles sortirent du sépulcre avec crainte et grande joie, il ne peut plus y avoir de difficulté. — sévère. C'est peut-être à dessein que l'Evangéliste remarque que les femmes ne dirent rien à personne, parce que le devoir des femmes est d'écouter et non de parler, d'apprendre et non pas d'enseigner.

 

Vv. 9-13.

S. aug. (de l'accord des Evang., 2, 24.) Considérons maintenant les diverses apparitions de Nôtre-Seigneur après sa résurrection : " Jésus étant ressuscité, dit saint Marc, apparut premièrement à Marie-Madeleine. " — bède. Saint Jean raconte très en détail comment et dans quel endroit cette apparition eut lieu. Nôtre-Seigneur sortit le matin du tombeau dans lequel on l'avait déposé le soir pour accomplir cet oracle du Roi-prophète : " Les gémissements se font entendre le soir, au matin retentit l'allégresse. " (Ps 29, 6.)—théophyl. On peut aussi ponctuer différemment cette phrase : " Jésus étant ressuscité, " et puis : " Le premier jour de la semaine, il apparut d'abord à Marie-Madeleine. " — S. grég. (hom. 21.) Comme Samson qui, au milieu de la nuit, non-seulement sortit de la ville de Gaza, mais en emporta les portes, notre Rédempteur ressuscite avant le jour, et non-seulement il sort libre du sein de la terre, mais il brise et renverse les portes des enfers. Saint Marc rappelle que Jésus avait chassé sept démons de Marie-Madeleine; que signifient ces sept démons, si ce n'est l'universalité des vices ? De même que toute l'étendue du temps semble être comprise dans un espace de sept jours, le nombre sept est pris pour symbole de l'universalité des choses. Marie-Madeleine avait donc sept démons, parce que son âme était pleine de tous les vices. — théophyl. Ou bien ces sept démons sont les esprits opposés aux sept vertus, c'est-à-dire aux sept dons du Saint-Esprit, c'est-à-dire les esprits privés de la crainte de Dieu, de la sagesse, de l'intelligence, " etc. — S. jér. Le Sauveur apparaît tout d'abord à celle dont il avait chassé sept démons , confirmant ainsi cette vérité que les femmes de mauvaise vie et les publicains précéderont la synagogue dans le royaume des cieux, comme le larron a précédé les Apôtres.

bede. Dès l'origine, ce fut la femme qui entraîna son mari dans le mal. Aujourd'hui celle qui la première a goûté la mort, est aussi le premier témoin de la résurrection, pour ne point rester couverte aux yeux des hommes d'un opprobre éternel ; et après avoir été le canal par lequel le péché est arrivé jusqu'à l'homme, c'est par elle aussi que la grâce lui est transmise, " Et elle s'en alla le dire à ceux qui étaient avec lui, et qui étaient dans l'affliction, " etc. — S. jér. Ils pleurent et s'attristent, parce qu'ils n'ont pas encore vu, mais la consolation ne tardera point. Car, dit le Sauveur, bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés. " (Mt 5) — bède. Ce n'est pas sans dessein que l'Evangéliste nous rappelle que cette femme qui annonce la première la joie de la résurrection du Seigneur , avait été délivrée de sept démons, il veut apprendre à toute âme vraiment pénitente à ne point désespérer du pardon de ses fautes , et que la grâce a été surabondante là où le péché avait abondé. — sévère. Marie qui annonce cette nouvelle, ne représente plus simplement la femme, mais l'Eglise ; comme femme, elle a gardé le silence, mais maintenant qu'elle représente l'Eglise, elle parle hautement et publie le miracle de la résurrection.

" Mais eux, lui ayant oui-dire, " etc. — S. grég. (hom. 16 sur les Evang.) La difficulté des disciples à croire la résurrection, a eu moins pour cause, j'ose le dire, leur propre faiblesse, que le dessein de nous affermir un jour dans la foi, car ces preuves incontestables de la résurrection que Nôtre-Seigneur oppose à leurs incertitudes, que sont-elles pour nous qui les lisons, qu'un fondement solide que notre foi puise jusque dans leurs doutes ?

" Après cela, il apparut sous une autre forme à deux d'entre eux, " etc. — S. aug. (De l'acc. des Evang., 2, 25.) Saint Luc donne tout en entier le récit de l'apparition de Jésus à ces deux disciples, dont l'un s'appelait Cléophas, taudis que saint Marc ne fait que l'indiquer en peu de mots. En effet, ce que saint Luc appelle un bourg, nous pouvons admettre, sans invraisemblance, que saint Marc a pu le désigner sous le nom de maison de campagne. Les exemplaires grecs désignent plutôt ce lieu par le nom de champ que par celui de maison de campagne. Or, sous le nom de champ, on désigne ordinairement, non-seulement les châteaux, mais aussi les municipes et les colonies situées en dehors de la ville qui en est comme le chef et la mère. Saint Marc dit que Jésus apparut sous une autre forme ; saint Luc exprime la même pensée en disant que leurs yeux étaient retenus et ne pouvaient le reconnaître. En effet, quelque phénomène affectait leurs yeux, et les empêcha de voir jusqu'à la fraction du pain. — séver. Gardons-nous de croire que la résurrection ait changé les traits de la figure de Jésus-Christ ; l'apparence et la forme seules ont changé, lorsque de mortel il est devenu immortel, et sa figure brilla d'un nouvel éclat sans perdre sa nature et son identité. Or, il apparut à deux disciples qui représentaient les deux peuples (les Gentils et les Juifs) à qui la foi devait être annoncée.

" Ceux-ci vinrent l'annoncer aux autres disciples, mais ils ne les crurent pas non plus. " — bède. Saint Marc dit : " Ils vinrent l'annoncer aux autres disciples qui ne les crurent pas non plus. " Saint Luc rapporte au contraire que, dès ce moment les disciples affirmaient que le Seigneur était vraiment ressuscité et qu'il avait apparu à Simon ; il faut donc supposer qu'il s'en trouva parmi eux quelques-uns qui refusèrent de croire. — théophyl. En effet, ce n'est pas des onze que saint Marc veut ici parler, mais de certains disciples qu'il appelle " les autres. "

S. jér. Au sens mystique, cette apparition aux deux disciples d'Emmaûs, nous apprend qu'ici-bas la foi travaille pendant la durée de la vie active, tandis que la vie contemplative règne dans la jouissance calme et assurée de la claire vision. Sur la terre, nous ne voyons que l'image des choses comme dans un miroir ; dans l'autre vie nous verrons la vérité face à face. Voilà pourquoi le Sauveur apparaît sous une autre figure aux disciples qui sont en marche et dans les travaux de la vie présente. Les autres disciples ne croient point à leur témoignage, parce qu'ainsi que Moïse, ils ont vu ce qui n'était pas capable de les satisfaire. Aussi Moïse fait-il cette demande à Dieu : " Montrez-vous vous-même à moi. " (Ex 33) Il oubliait ce corps mortel dont il était revêtu, et il demandait à jouir dans cette vie de ce que nous espérons pour la vie future.

 

Vv. 14-18.

la glose. Saint Marc, sur le point de clore sa narration évangélique, rapporte la dernière apparition de Jésus-Christ à ses disciples après sa résurrection : " Enfin il apparut aux onze, " etc. — S. grég. (hom. 29 sur les Evang.) Comparons ici le récit de saint Luc dans les Actes (Ac 1). " Et mangeant avec eux, il leur commanda de ne point s'éloigner de Jérusalem; " et un peu plus loin : " II s'éleva en leur présence. " II mange avec eux, pour établir clairement par cette action la vérité de sa chair, et monte ensuite au ciel. C'est ce même fait que saint Marc raconte ici : " II apparut aux onze lorsqu'ils étaient à table. " — S. jér. Il apparut aux onze qui étaient réunis, afin qu'ils soient tous témoins de sa résurrection, et qu'ils puissent annoncer à tous les hommes, ce qu'ils ont vu et ce qu'ils ont entendu lorsqu'ils étaient réunis tous ensemble.

" Et il leur reprocha leur incrédulité et la dureté de leur cœur de n'avoir point cru ceux qui avaient vu qu'il était ressuscité. " —S. aug. (De l'acc. des Evang., 2, 25.) Comment cette apparition put-elle avoir lieu le dernier jour ? La dernière fois que Nôtre-Seigneur apparut aux Apôtres, ce fut le quarantième jour après sa résurrection. Or, devait-il leur reprocher ce jour-là de n'avoir point cru ceux qui avaient vu qu'il était ressuscité, lorsqu'eux-mêmes l'avaient vu si souvent depuis sa résurrection ? Par cette expression : " enfin, " saint Marc a voulu abréger son récit, et il veut dire que ce fut le dernier événement de la journée à l'entrée de la nuit, après que les deux disciples furent revenus du bourg d'Emmaüs dans Jérusalem, et qu'ils eurent trouvé, comme le dit saint Luc, les onze réunis, et avec eux d'antres disciples s'entretenant de la résurrection du Sauveur. Mais il s'en trouvait encore parmi eux qui refusaient de croire ; or, pendant qu'ils étaient à table (d'après saint Marc) et qu'ils s'entretenaient entre eux (au rapport de saint Luc), Jésus apparut au milieu d'eux et leur dit : " La paix soit avec vous, " (comme le disent également saint Luc et saint Jean). Dans les paroles de Nôtre-Seigneur à ses disciples rapportées à la fois par saint Luc et par saint Jean, il faut donc intercaler le reproche dont parle ici saint Marc. Mais voici une nouvelle difficulté. Comment saint Marc peut-il dire que le Sauveur apparut aux onze Apôtres, si cette apparition eut lieu le même jour du dimanche, vers le soir ? En effet, saint Jean dit clairement qu'alors Thomas n'était pas avec les autres, et nous croyons qu'il les quitta avant l'entrée de Jésus-Christ, et après que les deux disciples de retour d'Emmaüs, se furent entretenus avec les onze, comme nous le voyons dans saint Luc. Du reste, saint Luc lui-même, dans son récit, laisse supposer que Thomas était sorti pendant que les deux disciples parlaient et avant, que le Sauveur entrât. Et voici que saint Marc, eu affirmant qu'en dernier lieu, Jésus apparut aux onze pendant qu'ils étaient à table, nous force de conclure que Thomas était avec eux, à moins qu’on admette que malgré l’absence de Thomas, saint Marc a voulu conserver cette dénomination, " les onze, " parce que c'était la dénomination reçue pour désigner le collège apostolique ayant l'élection de Matthias en remplacement de Judas. Si cette explication parait forcée, nous pouvons placer cette dernière apparition aux onze, pendant qu'ils étaient à table, après un grand nombre d'autres, c'est-à-dire, le quarantième jour qui suivit sa résurrection. Comme le Sauveur était sur le point de les quitter pour monter au ciel, il profite de cette dernière circonstance pour leur reprocher de n'avoir point cru à ceux qui l'avaient vu ressuscité, avant d'eu avoir été eux-mêmes les témoins oculaires ; alors surtout qu'après son ascension, les nations auxquelles ils prêcheraient l'Evangile, devaient croire sans avoir vu-Et en effet, le reproche est immédiatement suivi de ces paroles : " Et il leur dit : Allez par tout le monde ; " et plus bas : " Celui qui ne croira point sera condamné. " Voilà ce qu'ils vont bientôt prêcher, comment donc ne pas leur faire tout d'abord ce reproche à eux-mêmes, qui avant qu'il leur eût apparu, avaient refusé de croire au témoignage de ceux qui l'avaient vu ressuscité ? — S. grég. (hom. 29.) Nôtre-Seigneur fait ce reproche à ses disciples au moment où il va les priver de sa présence corporelle, afin que ces dernières paroles qu'il leur adresse en les quittant, restassent plus profondément gravées dans leur cœur. — S. jér. Il leur reproche leur incrédulité afin qu'elle fasse place à la foi ; il leur reproche la dureté de leur cœur de pierre, afin qu'ils le changent en un cœur de chair rempli de charité.

s. greg. (hom. 29) Après qu’il leur a reproché leur dureté, écoutons les instructions qu'il leur donne : " Allez dans le monde entier, prêchez l'Evangile à toute créature. " Sous cette dénomination générale de créature, il faut entendre l'homme ; l'homme, en effet, a quelque point de contact avec chaque créature, il a de commun l'être avec les pierres, la vie végétative avec les arbres, le sentiment avec les animaux, l'intelligence avec les anges. L'Evangile est donc prêché à toute créature, lorsqu'il est annoncé à l'homme seul, parce qu'il est enseigné à celui pour qui tout a été fait sur la terre et qui a quelque rapport d'analogie avec toutes les créatures. Le Sauveur leur avait dit précédemment : " N'allez point vers les nations. " (Mt 10) Il leur commande maintenant de prêcher l'Evangile à toute créature, afin que la prédication des Apôtres repoussée par les Juifs, vint à notre secours, tandis que leur superbe refus tournerait à leur condamnation. — théophyl. Ou bien encore ; " A toute créature, " c'est-à-dire aux croyants et aux incrédules : " Celui qui croira et sera baptisé, " etc. En effet, la foi ne suffit pas, car celui qui croit sans être baptisé et qui n'est encore que catéchumène, n'est dans la voie du salut que d'une manière incomplète. — S. greg. (hom. 29.) Chacun se dira peut-être en lui-même : J'ai cru, donc je serai sauvé. Il dit vrai, si sa foi se traduit dans ses œuvres, car la foi véritable est celle où les actions sont en parfaite conformité avec les paroles.

" Celui qui ne croira point sera condamné. " — béde. Que dirons-nous encore ici des enfants à qui leur âge rend l'acte de foi impossible ? car pour les adultes, il ne peut y avoir de difficulté. Je réponds que dans l’Eglise du Sauveur, les enfants croient par la foi des autres, de même qu'ils ont contracté par d'autres les péchés qui leur sont remis par le baptême.

" Et voici les miracles qui accompagneront ceux qui auront cru : ils chasseront les démons en mon nom, " etc. — théophyl. C'est-à-dire, ils dissiperont les puissances visibles aussi bien que les puissances spirituelles, et on peut entendre dans le même sens cette prédiction : " Vous marcherez sur les serpents et sur les scorpions. " On peut aussi l'entendre des serpents matériels, et c'est ainsi que saint Paul, mordu par une vipère, n'en reçut aucun mal : " Et s'ils boivent un breuvage mortel, il ne leur nuira point. " Nous voyons dans l'histoire une multitude de faits de ce genre ; et un grand nombre de saints qui, par la vertu du signe de la croix, ont échappé à l'influence mortelle de breuvages empoisonnés.

" Ils imposeront les mains sur les malades, " etc. — S. grég. (hom. 29.) Notre foi est-elle donc moins vive, parce que nous ne sommes pas témoins de semblables prodiges ? Non, mais ils étaient nécessaires à l'Eglise naissante. La foi des chrétiens a du, pour se développer, être nourrie par des miracles. Ainsi, lorsque nous plantons des arbustes, nous les arrosons jusqu'à ce qu'ils se soient incorporés à la terre, et nous cessons de les arroser lorsqu'ils ont pris racine. Mais ces miracles et ces prodiges ont une signification mystérieuse qui ne doit pas nous échapper; car la sainte Eglise accomplit tous les jours dans les âmes ce qu'elle faisait alors par les Apôtres pour les corps. Lorsque les prêtres, en vertu du pouvoir qu'ils ont reçu d'exorciser, imposent les mains sur les chrétiens, et qu'ils défendent aux esprits mauvais d'habiter dans leur âme, que font-ils autre chose que de chasser les démons ? Ainsi les fidèles qui renoncent au langage du siècle pour consacrer leur parole à la prédication des saints mystères, parlent de nouvelles langues ; et ils prennent les serpents comme avec la main, lorsque par leurs sages exhortations ils arrachent le mal du cœur de leurs frères. Ceux qui résistent aux pernicieux conseils qui voudraient les entraîner dans ses actions criminelles, boivent un breuvage empoisonné sans en recevoir de mal ; ceux qui, tontes les fois qu'ils voient leur prochain chanceler dans la voie du bien, le fortifient par l'exemple de leurs vertus, imposent les mains sur les malades et les guérissent. Or, ces miracles sont d'autant plus grands, qu'ils appartiennent au monde spirituel, et qu'ils ont pour objet de rendre la vie non aux corps, mais aux âmes.

 

Vv. 19-20.

S. jer. Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, qui était descendu du ciel pour délivrer notre pauvre nature, remonte ensuite lui-même an plus haut des cieux : " Et le Seigneur Jésus, après leur avoir ainsi parlé, fut élevé dans le ciel, " etc. — S. aug. (De l'accord des Evang., 3, 25.) L'Evangéliste semble vouloir nous faire entendre que ce fut là le dernier discours que Jésus leur adressa sur la terre ; cependant rien ne nous force absolument de tirer cette conclusion. En effet, saint Marc s'exprime de la sorte : " Après qu'il leur eût parlé, " on peut donc admettre, si la nécessité y contraignait, que ce ne fut point là le dernier entretien du Sauveur, et que ces paroles : " Après qu'il leur eût parlé, il fut élevé dans le ciel, " s'étendent à tous les entretiens qu'il eut avec ses disciples pendant ces quarante jours. Cependant ce que nous avons dit plus haut, nous amène plus naturellement à conclure que ce furent réellement les derniers moments que le Sauveur passa sur la terre. C'est donc après les paroles rapportées par saint Marc et les autres détails que nous lisons dans les Actes des Apôtres, que le Seigneur est véritablement monté au ciel.

S. greg. (hom. 29.) Nous savons par l'Ancien Testament, qu'Elie a été enlevé au ciel (4 R 2). Mais il faut distinguer ici entre le ciel éthéré et le ciel aérien ou atmosphérique qui est plus rapproché de la terre. Elie fut donc enlevé dans le ciel aérien, et déposé dans une région secrète du monde pour y vivre dans une paix profonde de l'âme et du corps, jusqu'à ce qu'il revienne à la fin du monde et paie son tribut à la mort. Remarquons aussi qu'Elie a été remporté sur un char, pour démontrer clairement que n'étant qu'homme il avait besoin d'un secours étranger; notre Rédempteur, au contraire, n'a eu besoin ni d'un char, ni des anges pour monter au ciel ; créateur de toutes choses, il s'élevait par sa propre vertu au-dessus de tous les éléments. Considérons encore ce que saint Marc ajoute : " Et il est assis à la droite de Dieu " alors qu'Etienne s'écria : " Je vois les deux ouverts, et le Fils de l'homme debout à la droite de Dieu. " (Ac 7) Celui qui juge s'asseoit, celui qui combat ou porte secours se tient debout. Or, Etienne, au milieu du combat qu'il soutenait, voit debout Jésus-Christ qu'il avait pour soutien ; mais saint Marc nous le montre assis à la droite de Dieu, parce qu'après la gloire de son ascension il parait dans cette attitude comme juge des hommes à la fin du monde. — S. aug. (du Symbole.) II ne faut point entendre qu'il est assis comme les hommes ont coutume de s'asseoir, et dans ce sens que le Père serait assis à la gauche, et le Fils à la droite ; la droite, c'est la puissance qu'il a reçue de Dieu comme homme pour venir juger les hommes après qu'il était venu pour être jugé par eux. L'expression s'asseoir ou résider, a le même sens qu'habiter ; ainsi nous disons d'un homme, il s'est assis ou il a résidé dans ce pays pendant trois ans ; c'est donc ainsi que Jésus-Christ habite à la droite de Dieu le Père, il est heureux et il habite au sein de la béatitude, qui est appelée la droite du Père. Là, on ne connaît que la droite, parce qu'il n'y a plus aucune souffrance.

" Et eux, étant partis, prêchèrent partout, " etc. — bède. Il est à remarquer que l'évangéliste saint Marc prolonge d'autant plus son récit, qu'il l'a commencé à une période plus avancée de la vie du Sauveur. Il débute, en effet, par la prédication de Jean-Baptiste, et il conduit son récit jusqu'au temps où les Apôtres ont semé par tout l'univers cette même parole de l'Evangile. — S. grég. (hom. 29.) Que devons-nous considérer dans ces paroles ? C'est que l'obéissance suit le commandement, et que les prodiges accompagnent l'obéissance que leur avait commandée le Seigneur : " Allez dans tout l'univers, et prêchez l'Evangile ; " et dans les Actes, 3 : " Vous me rendrez témoignage jusqu'aux extrémités de la terre (Mt 28, 19). " — S. aug. (Lett. 80 à Hésych.) Mais comment la prédication des Apôtres s'est-elle répandue par toute la terre, alors qu'il y a encore des nations où l’Evangile commence à peine d'être prêché, et d'autres où .elle n'a pas encore été portée ? Nous répondons qu'en imposant ce commandement, aux Apôtres, Nôtre-Seigneur ne leur donnait pas une mission qu'ils dussent seuls remplir. Ainsi, c'est aux Apôtres seuls qu'il semble avoir dit : " Voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles. " Qui ne comprend cependant que cette promesse a été faite à l'Eglise universelle, qui au milieu de cette succession continuelle d'hommes qui meurent et d'autres qui naissent, doit subsister jusqu'à la consommation des siècles ?

théophyl. Remarquons encore que la parole est confirmée par les œuvres, comme les discours des Apôtres étaient confirmés par les miracles qui les accompagnaient. O Christ, faites que nos discours que nous prononçons avec autorité, soient toujours confirmés par nos œuvres et par nos actes, afin qu'à l'aide de votre coopération toute-puissante, nous devenions parfaits dans toutes nos paroles comme dans toutes nos actions, car c'est à vous seul qu'il faut renvoyer la gloire de nos paroles comme de nos œuvres. Ainsi soit-il.