CHAPITRE XXV *

vv. 1-13. *

vv. 14-30 *

vv. 31-45. *

v. 46. *

CHAPITRE XXVI *

vv. 1-2. *

vv. 3-4. *

vv. 6-13. *

vv. 14-15. *

vv. 17-19. *

vv. 20-25. *

v. 26. *

vv. 27-29. *

vv. 30-35. *

vv. 36-38. *

vv. 39-44. *

vv. 45-46. *

vv. 47-50. *

vv. 51-53. *

vv. 55-58. *

vv. 59-68. *

vv. 69-75. *

CHAPITRE XXVII *

vv. 1-6. *

vv. 6-10. *

vv. 11-14. *

vv. 15-25. *

vv. 27-30. *

vv. 31-34. *

vv. 35-38. *

vv. 39-44. *

vv. 45-50. *

vv. 51-56. *

vv. 57-61. *

vv. 62-65. *

CHAPITRE XXVIII *

vv. 1-7. *

vv. 8-10. *

vv. 11-15. *

vv. 16-20. *

CHAPITRE XXV

 

vv. 1-13.

S. Chrys. (hom. 78 sur S. Matth.) Dans la parabole précédente, Notre-Seigneur nous a fait connaître quel serait le châtiment du serviteur qui frappait ses compagnons, s’enivrait et dissipait les biens de son maître. Dans celle-ci, il nous apprend quelle sera la punition de celui dont la vie s’écoule sans bonnes oeuvres, et qui n’amasse pas en abondance les provisions spirituelles dont il aurait besoin, car les vierges folles avaient de l’huile, mais pas en quantité suffisante : " Alors le royaume des cieux sera semblable à dix vierges. " — S. Hil. (can. 28.) Le Sauveur dit : " Alors, " car toute cette parabole se rapporte au grand jour du Seigneur (Soph 1, 14 ; Ml 4, 5 ; Jude 6), dont il vient de parler. — S. GREG. (hom. 12 sur les Evang.) L’Église de la terre est appelée le royaume des cieux, comme dans cet autre passage : " Le Fils de l’homme enverra ses anges, et ils arracheront les scandales de son royaume " (Mt 13). — S. Jér. Il en est qui appliquent exclusivement aux vierges cette parabole des vierges folles et des vierges prudentes ; les unes, d’après l’Apôtre, sont vierges d’esprit et de corps (1 Co 7) ; les autres n’ont en partage que la virginité du corps, sans les oeuvres de la virginité ; ou bien, tout en demeurant sous la garde de leurs parents, elles ne laissent pas d’être mariées par les désirs de leur cœur. Mais, d’après les antécédents, cette parabole me paraît avoir une signification différente et se rapporter, non pas seulement à ceux qui sont vierges de corps, mais à tout le genre humain. — S. GREG. (hom. 12.) Tout homme possède en double chacun des cinq sens, et le nombre cinq étant doublé donne le nombre dix. Or, comme les deux sexes concourent à former la multitude des fidèles, la sainte Église nous est représentée sous la figure de ces dix vierges, et, comme les bons s’y trouvent mêlés aux méchants, et les réprouvés avec les élus, elle est comparée avec raison aux vierges sages et aux vierges folles. — S. Chrys. (hom. 78.) Notre-Seigneur choisit des vierges pour en faire le sujet de cette parabole, afin de nous apprendre que la virginité est sans doute une chose excellente, mais que cependant, si elle est dépourvue des oeuvres de miséricorde, elle sera jetée dehors avec les adultères. — ORIG. (traité 32 sur S. Matth.) Ou bien, ces vierges sont les sens de tous ceux qui ont reçu la parole de Dieu, car cette parole, par sa pureté, se prête et s’accommode à tous ceux que ses enseignements ont détachés du culte des idoles, pour les consacrer au culte du vrai Dieu par Jésus-Christ : " Et ayant pris leurs lampes, elles s’en allèrent, " etc. Ceux dont ces vierges sont la figure prennent leurs lampes, c’est-à-dire leurs sens extérieurs, sortent du monde et de ses erreurs, pour venir au-devant du Sauveur, qui est toujours prêt à entrer dans la maison de son épouse, la sainte Église, avec ceux qui sont dignes de l’accompagner. — S. Hil. Ou bien, l’époux et l’épouse, c’est Notre-Seigneur Dieu, uni à un corps semblable au nôtre, car la chair est comme l’épouse de l’esprit. Ces lampes, que les vierges ont prises, sont la lumière de ces âmes en qui brille la blancheur éclatante du baptême. — S. Aug. (Serm. 22 sur les paroles du Seig.) Ou bien, les lampes qu’on porte à la main représentent les oeuvres, car il est écrit (Mt 5) : " Que vos oeuvres brillent aux yeux des hommes. "

S. Grég. (hom. 12). Ceux dont la foi est droite et la vie pure sont semblables aux cinq vierges sages ; mais ceux qui font profession de la foi chrétienne, sans chercher à assurer leur salut par les bonnes oeuvres, ressemblent aux cinq vierges folles : " Il y en avait cinq d’entre elles qui étaient folles et cinq qui étaient sages. " — S. JER. Il y a en nous cinq sens qui aspirent aux choses célestes et qui désirent les biens du ciel. Il a été dit en particulier du sens de la vue, de l’ouïe et du toucher : " Ce que nous avons vu, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, et ce que nos mains ont touché " (1 Jn 1) ; du sens du goût : " Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux " (Ps 33) ; du sens de l’odorat : " Nous courrons sur tes pas à l’odeur de tes parfums " (Cant. 1). Mais il y aussi cinq autres sens qui soupirent avec ardeur après les plaisirs fangeux de la terre. — S. Aug. (Serm. 22 sur les paroles du Seig.) Ou bien, les cinq vierges sages représentent la continence que nous devons pratiquer dans les cinq sens du corps, en les séparant des attraits de la chair, car nous devons interdire aux désirs de notre âme les plaisirs de la vue, de l’ouïe, de l’odorat, du goût et du toucher. Mais comme les uns observent cette continence sous les yeux de Dieu, dans le but unique de lui plaire par la joie intérieure de la conscience, et les autres, devant les hommes, pour mériter leur estime, cinq d’entre ces vierges sont sages et cinq sont folles ; toutes cependant sont vierges, parce que toutes gardent la continence, quoiqu’elles aient un foyer d’action différent. — Orig. (Traité 32.) Les vertus s’attirent et se suivent les unes les autres, de manière que celui qui en possède une a toutes les autres ; ainsi, tous les sens marchent à la suite les uns des autres, et, par conséquent, tous les cinq sens sont nécessairement, ou doués de la sagesse, ou livrés à la folie. — S. Hil. Ou bien, cette distinction des cinq vierges sages et des cinq vierges folles établit la séparation qui existe entre les fidèles et les infidèles.

S. GREG. (hom. 12.) Il est à remarquer que toutes ces vierges portent des lampes, mais qu’elles n’ont pas toutes de l’huile : " Mais les cinq vierges folles ayant pris leurs lampes, ne prirent pas d’huile avec elles. " — S. Hil. L’huile, c’est le fruit des bonnes oeuvres ; les vases, sont les corps dans les entrailles desquels il faut cacher le trésor d’une bonne conscience. Les vierges qui ont pris de l’huile avec elles sont celles dont la foi est relevée par les oeuvres, et les vierges qui n’en ont pas sont celles qui paraissent professer la même foi, mais ne se mettent pas en peine de pratiquer les oeuvres des vertus. — S. Aug. (Serm. 22 sur les paroles du Seig.) Ou bien, l’huile, à mon avis, figure la joie elle-même, d’après ces paroles du Roi-prophète : " Votre Dieu vous a sacré d’une huile de joie " (Ps 44). Celui donc dont la joie n’a point pour motif qu’il plaît intérieurement à Dieu, n’a pas d’huile avec lui, car il ne possède point la véritable joie, puisqu’il ne pratique la continence que pour obtenir les louanges des hommes. Les vierges sages, au contraire, prennent avec leurs lampes de l’huile dans leurs vases, c’est-à-dire qu’elles portent dans leur cœur et dans leur conscience la joie des bonnes oeuvres, selon le conseil de l’Apôtre " Que l’homme examine ses propres actions, et alors il aura seulement de quoi se glorifier en lui-même et non dans un autre " (Ga 6). — S. Chrys. (hom. 78.) Ou bien l’huile, dans la pensée du Sauveur, c’est la charité, c’est l’aumône et tout autre secours donné aux indigents ; les lampes, sont les grâces de la virginité, et il appelle folles ces vierges qui, après avoir pratiqué ce qu’il y a de plus pénible, ont perdu tout le fruit de leurs efforts dans des épreuves beaucoup moins importantes, car il est bien plus difficile de vaincre la concupiscence de la chair que l’amour des richesses. — Orig. Ou bien, l’huile, c’est la parole de la doctrine, qui remplit les âmes comme autant de vases. Rien, en effet, ne donne autant de force à l’âme qu’un discours moral sur une vertu quelconque, et qui est ici figuré par l’huile de la lampe. Or, les vierges sages ont pris avec elles autant de cette huile qu’il leur en fallait, même en supposant que leur mort fût éloignée, et que le Verbe dût tarder à venir pour consommer leur salut. Les vierges folles ont pris aussi avec elles leurs lampes, qui étaient d’abord allumées ; mais elles n’ont pas pris assez d’huile pour les entretenir jusqu’à la fin, parce qu’elles n’ont eu que de la négligence pour recueillir la parole divine qui fortifie la foi et entretient la lumière des bonnes oeuvres.

" Et, comme l’époux tardait à venir, elles s’assoupirent toutes et s’endormirent. " — S. Aug. (comme précéd.) Les bons comme les mauvais parmi les hommes meurent dans l’intervalle du temps qui s’écoule jusqu’à la résurrection des morts, laquelle aura lieu à l’avènement du Seigneur. — S. Grég. (hom. 12.) Ce sommeil, c’est la mort et l’assoupissement qui précède le sommeil, c’est, avant la mort, la langueur pour tout ce qui concerne le salut, car cet assoupissement conduit directement à la mort. — S. Jér. Ou bien, elles s’assoupirent, c’est-à-dire qu’elles moururent ; et il dit ensuite qu’elles s’endormirent, parce qu’elles devaient ressusciter. Ces paroles : " Et comme l’époux tardait à venir, " nous indiquent qu’il devait s’écouler un assez long espace de temps entre le premier et le second avènement du Seigneur. — Orig. Ou bien, l’époux tardant à venir, et le Verbe ne venant pas aussitôt mettre un terme à notre vie, les sens, par suite de la faiblesse qui leur est naturelle, s’assoupissent comme ensevelis dans la nuit du monde. Elles s’endormirent ensuite, en négligeant de suivre les mouvements de l’esprit de vie ; cependant elles ne perdirent pas leurs lampes, et les vierges sages ne désespérèrent pas de conserver leur huile : " Mais, sur le minuit, on entendit un grand cri, " etc. — S. Jér. Suivant la tradition des Juifs, le Christ doit venir au milieu de la nuit comme au temps de la délivrance de la servitude d’Egypte, alors que la Pâque fut célébrée, que l’ange exterminateur fut envoyé, que le Seigneur passa au-dessus des tentes, et que le seuil de nos portes fut consacré par le sang de l’agneau. Je pense que c’est de là qu’est venue cette tradition apostolique, qui subsiste encore, de ne point permettre aux fidèles, la veille de Pâques, de quitter l’Église avant le milieu de la nuit, pour leur faire attendre l’arrivée et la résurrection de Jésus-Christ, afin que, après l’accomplissement de cet heureux événement, ils puissent célébrer en toute sécurité ce grand jour de fête. C’est en vue de cette nuit solennelle que le Psalmiste disait : " Je me levais au milieu de la nuit pour chanter vos louanges " (Ps 118). — S. Aug. (comme précéd.) Ou bien, au milieu de la nuit, c’est-à-dire au moment où personne ne soupçonnera l’arrivée de l’époux et ne s’y attendra.

S. JER. Ce sera donc tout d’un coup, au milieu du calme de la nuit, alors que tous se livrent paisiblement au repos et que le sommeil est le plus profond, que le cri des anges, et les trompettes des puissances qui précéderont le Christ, annonceront son avènement, comme il le dit lui-même : Voici l’époux qui vient, allez au-devant de lui. " — S. Hil. (can. 27.) L’épouse seule, réveillée par le son de la trompette, va au devant de l’époux, car l’époux et l’épouse, c’est-à-dire Dieu et la chair, ne feront plus qu’un, parce que l’humilité de la chair sera revêtue d’une gloire toute spirituelle. — S. Aug. (comme précéd.) Je pense que ce qui est dit ici, que les vierges seules vont au-devant de l’époux, doit s’entendre en ce sens que ce sont les vierges elles-mêmes qui sont l’épouse. C’est ainsi que, lorsque tous les chrétiens se rendent dans le sein de l’Église, nous disons que ce sont des enfants qui accourent à leur mère, quoique cette mère n’est autre que la réunion des enfants eux-mêmes. Or, maintenant, l’Église est une vierge fiancée, et qui doit être unie à son époux, et elle célébrera ces noces divines au jour où, dépouillée de tout ce qu’elle avait de périssable et de mortel, Dieu l’appellera aux joies d’une nouvelle union. — Orig. Ou bien, c’est au milieu de la nuit, alors que le sommeil est le plus profond, qu’on entendra un grand cri, le cri des anges venant tirer tous les hommes de leur sommeil, car ce sont les ministres du Seigneur (He 1) qui viendront faire entendre à l’oreille de tous ceux qui dorment ce cri : " Voici l’époux qui vient ; allez au-devant de lui. " Tous ont entendu cet appel et tous se sont levés ; mais tous n’ont pas préparé convenablement leurs lampes : " Aussitôt toutes ces vierges se levèrent et préparèrent leurs lampes. " L’ornement de ces lampes spirituelles, conformément à l’esprit de 1’Évangile, c’est le bon et légitime usage des sens ; quant à ceux qui font un mauvais usage de leurs sens, ils ne peuvent les relever par aucun ornement. — S. Grég. Ou bien, toutes les vierges se lèvent, parce que les élus et les réprouvés sont réveillés du sommeil de la mort, et ils préparent leurs lampes, parce qu’ils font en eux-mêmes le dénombrement des oeuvres qui peuvent leur permettre d’espérer l’éternelle félicité. — S. Aug. (comme précéd.) Elles préparèrent leurs lampes, c’est-à-dire le compte qu’elles devaient rendre de leurs oeuvres. — S. Hil. (can. 27.) Ou bien, l’action de reprendre leurs lampes, c’est le retour des âmes dans les corps, et leur lumière, c’est la conscience des bonnes oeuvres qui brille dans notre corps comme dans le vase qui la contient.

S. Grég. (hom. 12.) Mais les lampes des vierges folles s’éteignent, parce que leurs oeuvres, qui avaient paru briller d’un certain éclat extérieur aux yeux des hommes, s’obscurcissent intérieurement à l’approche du juste Juge : " Mais les folles dirent aux sages : Donnez-nous de votre huile, " etc. Elles demandent de l’huile aux vierges prudentes, c’est-à-dire que, sentant et comprenant leur indigence intérieure, elles cherchent au dehors des témoignages favorables. Leur trop grande confiance les a trompées, et, sous l’empire de cette déception, elles disent à leurs compagnes : Puisque vous nous voyez rejetées à cause du défaut de bonnes oeuvres, rendez témoignage à ce que vous avez vu de notre vie. — S. Aug. (comme précéd.) Ces vierges folles, selon leur habitude, recherchent toujours ce qui fait le sujet ordinaire de leur joie. C’est pour cela qu’elles veulent porter devant Dieu, qui pénètre le fond des cœurs, le témoignage des hommes pour qui les secrets des cœurs sont invisibles ; mais toutes ces actions, qui n’ont d’autre soutien que les louanges des hommes, tombent et disparaissent dès que ce soutien vient à leur manquer, et voilà pourquoi leurs lampes s’éteignent. — S. Jér. Ou bien, ces vierges qui se plaignent de voir leurs lampes éteintes, montrent qu’elles ont encore quelque lumière ; mais cette lumière n’est pas persévérante, et leurs oeuvres n’ont aucun caractère de durée. Celui donc qui a le bonheur d’avoir une âme virginale et d’aimer la pureté ne doit point placer sa joie dans les choses vaines et futiles qui passent et qui se dessèchent si vite aux premières ardeurs du soleil, et il s’attache à la pratique des vertus parfaites, pour jouir d’une lumière éternelle. — S. Chrys. (hom. 78.) Ou bien, dans un autre sens, non-seulement ces vierges étaient folles, parce qu’elles ont quitté la terre sans avoir avec elle l’huile de la miséricorde, mais parce qu’elles espéraient qu’on leur donnerait de cette huile là où elles se sont adressées mal à propos pour en obtenir. Car bien que personne ne soit plus miséricordieux que ces vierges sages, qui ont surtout brillé par la pratique de la miséricorde, cependant elles n’ont pu accéder à la demande des vierges folles : " Les sages leur répondirent Non, de peur que ce que nous en avons ne suffise pas pour vous et pour nous. " Apprenons de là qu’aucun d’entre nous ne peut espérer de soutien que des oeuvres au milieu desquelles la mort le surprendra. — S. Jér. Car ce n’est point par avarice, mais par un sentiment de crainte que les vierges sages font cette réponse. Donc chacun de nous recevra la récompense due à ses oeuvres, et, au jour du jugement, ni les vertus ni les vices des autres ne nous seront d’aucune utilité. Les vierges sages donnent le conseil de ne point aller au-devant de l’époux sans avoir de l’huile dans les lampes : " Allez plutôt à ceux qui en vendent, et achetez-en ce qu’il vous en faut. " — S. Hil. Les marchands sont ceux qui, ayant besoin de la charité des fidèles, se prêtent au commerce qu’on leur demande, et qui, pour prix des secours donnés à leur indigence, nous vendent la conscience d’avoir fait une bonne oeuvre, car c’est là une source abondante de lumière qui ne s’éteint pas, qu’il faut acheter par les oeuvres de miséricorde et conserver avec soin. — S. Chrys. (hom. 78.) Vous voyez donc quel riche commerce nous pouvons faire avec les pauvres, et ce n’est pas dans l’autre vie que nous trouverons les pauvres, mais ici-bas ; c’est donc pendant cette vie qu’il nous faut faire provision de cette huile, pour alimenter notre lampe lorsque Jésus-Christ nous appellera. — S. Jér. Cette huile se vend, elle s’achète à grand prix, et ne s’acquiert que par de pénibles travaux, c’est-à-dire non-seulement par les aumônes, mais par la pratique de toutes les vertus et des conseils enseignés par les maîtres spirituels. — ORIG. Ou bien, dans un autre sens, quoique folles, les vierges comprenaient qu’elles ne pouvaient aller au-devant de l’époux sans lumière, et qu’il fallait tenir allumées les lampes de leurs sens ; mais elles s’apercevaient en même temps qu’ayant une très petite quantité de cette huile spirituelle, leurs lampes allaient s’éteindre au milieu des ténèbres qui approchaient. Or, les vierges sages renvoient les folles à ceux qui vendent de l’huile, parce qu’elles voient que la provision qu’elles ont faite de cette huile (c’est-à-dire de la doctrine) ne peut suffire pour entretenir en elles la vie, et pour enseigner les autres ; c’est pour cela qu’elles leur disent : " Allez plutôt trouver ceux qui en vendent, " c’est-à-dire les docteurs, " et achetez-en pour vous, " c’est-à-dire recevez-en de leurs mains. Or, le prix auquel s’achète cette huile, c’est la persévérance, l’amour de la doctrine, le zèle et les efforts qu’inspire le désir d’apprendre. — S. Aug. (comme précéd.) Ou bien, ce n’est pas un conseil qu’elles donnent, mais un reproche indirect qu’elles font aux vierges folles de leur négligence ; car ceux qui vendent de l’huile sont les flatteurs, qui, en donnant des éloges aux fausses vertus ou aux actions qu’ils ignorent, jettent les âmes dans l’erreur, et qui, pour prix de la vaine joie qu’ils leur ont inspirée comme à des insensées, reçoivent des avantages temporels. Les vierges sages leur disent : " Allez à ceux qui en vendent, et achetez-en ce qu’il vous faut, " c’est-à-dire voyons quelle utilité vous retirerez de ceux qui s’étaient fait une habitude de vous vendre leurs louanges. Elles ajoutent : " De peur que ce que nous en avons ne suffise pas pour nous et pour vous, " car un témoignage étranger n’a aucune valeur auprès de Dieu, pour qui les secrets du cœur sont à découvert, et c’est à peine si le témoignage que la conscience rend à chacun de nous peut suffire devant lui.

S. Jér. Mais le temps d’acheter était passé, le jour du jugement étant arrivé, il n’y avait plus lieu de faire pénitence, et on les force, non pas de faire de nouvelles oeuvres, mais de rendre compte des anciennes. " Or, pendant qu’elles allaient en acheter, l’époux vint, et celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui aux noces. " — S. Hil. Ces noces, c’est le jour où nous revêtirons l’immortalité, c’est l’union qui s’établira par une nouvelle société entre la corruption et l’incorruptibilité. — S. Chrys. (hom. 78.) Ces paroles : " Pendant qu’elles allaient en acheter ", nous apprennent qu’il ne nous servira de rien, pour échapper à la colère divine, d’être miséricordieux après notre mort, pas plus qu’il ne servit alors au mauvais riche de se montrer plein de tendresse et de sollicitude pour ses parents. — Orig. Ces mêmes paroles : " Pendant qu’elles allaient etc., " ont encore un autre sens, c’est-à-dire qu’il en est qui, après avoir négligé toutes les occasions d’apprendre ce qui pouvait leur être utile, cherchent à réparer cette négligence à la fin de leur vie, et sont prévenus par la mort. — S. Aug. (comme précéd.) Ou bien encore, pendant qu’elles allaient en acheter, c’est-à-dire pendant qu’elles se répandaient au dehors, pour y trouver le sujet ordinaire de leur joie, parce qu’elles ne connaissaient pas les joies intérieures, le juge vint, et celles qui étaient prêtes, c’est-à-dire celles à qui leur conscience rendait témoignage devant Dieu, entrèrent avec lui aux noces, où l’âme pure s’unit, pour en être fécondée, au Verbe de Dieu, source de toute pureté et de toute perfection. — S. Jér. Après le jour du jugement, il n’y a plus d’occasion de pratiquer la justice et de faire de bonnes oeuvres, c’est pour cela qu’il ajoute : " Et la porte fut fermée. " — S. Aug. (comme précéd.) Après qu’on a reçu ceux qui, par une bienheureuse transformation, sont appelés à la vie des anges, la porte du royaume des cieux est fermée, car, après le jugement, il n’y a plus de place, ni pour les prières, ni pour les mérites. — S. Hil. Et cependant, bien que le temps de la pénitence soit passé, les vierges folles arrivent et demandent qu’on leur ouvre la porte : " Enfin les autres vierges vinrent aussi et dirent : Seigneur, " etc. — S. Jér. Elles invoquent l’époux comme leur Seigneur, c’est une confession admirable et un témoignage redoublé de leur foi ; mais que sert d’invoquer de bouche celui que vous niez par vos oeuvres ? — La Glose. Sous le coup de la douleur qu’elles éprouvent de se voir repoussées, elles l’appellent par deux fois : Seigneur, Seigneur, car elles n’osent donner le nom de père à celui dont elles ont méprisé la miséricorde pendant toute leur vie.

S. Aug. (comme précéd.) Il n’est point dit qu’elles achetèrent de l’huile, il faut donc supposer qu’ayant perdu toute la joie que leur donnaient les louanges des hommes, elles en sont réduites à implorer la bonté divine au milieu de leurs angoisses et de leurs afflictions. Mais, après le jugement, la sévérité de Dieu est égale à la miséricorde ineffable qui l’a précédé, comme l’indiquent les paroles qui suivent : " Mais il leur répondit : Je vous le dis en vérité, je ne vous connais point. " Telle est en effet la règle du plan divin, ou plutôt de la sagesse divine, de ne point laisser entrer dans sa joie éternelle ceux qui, dans les efforts qu’ils ont faits pour accomplir ses commandements, n’ont eu pour but que de plaire aux hommes et non pas à Dieu. — S. Jér. Car Dieu connaît ceux qui sont à lui, et celui qui a voulu ignorer sera lui-même ignoré (1 Co 14). Et bien que ces vierges folles soient vierges par la pureté du corps, et par la profession de la vraie foi, cependant elles ne seront pas reconnues par l’époux, parce qu’elles n’ont pas d’huile dans leurs lampes. Ces paroles : " Veillez donc, parce que vous ne savez ni le jour ni l’heure, " nous apprennent que tout ce qui précède a pour but de nous exciter à préparer avec soin la lumière de nos bonnes oeuvres, parce que nous ignorons le jour du jugement. — S. Aug. (comme précéd.) Non seulement nous ignorons le temps où doit venir l’époux, mais encore chacun de nous ignore le jour et l’heure de sa mort, et celui qui s’y tient toujours préparé le sera aussi lorsque retentira cette voix qui doit réveiller tous les morts dans leurs tombeaux. — S. Aug. (Lettre à Hesych.) Il en est qui ont voulu expliquer cette parabole des cinq vierges sages et des cinq vierges folles, en la rapportant à l’avènement qui s’accomplit tous les jours par le moyen de l’Église ; mais il ne faut pas adopter témérairement cette explication, de peur de rencontrer, dans la parabole, quelques circonstances qui la contredisent formellement.

 

vv. 14-30

La Glose. La parabole précédente nous a fait voir la condamnation de ceux qui n’ont pas fait une provision suffisante d’huile, soit qu’on entende par cette huile, ou l’éclat des oeuvres, la joie de la conscience, ou l’aumône que l’on distribue aux pauvres. Celle-ci est dirigée contre ceux qui ne veulent mettre au service de leur prochain, ni leur argent, ni leur doctrine, ni quelque autre chose que ce soit, et qui cachent tout ce qu’ils possèdent : " Le Seigneur est comme un homme qui entreprend un long voyage. " — S. Grég. (hom. 9.) Cet homme, qui part pour un long voyage, c’est notre Rédempteur, qui est parti pour le ciel revêtu de la chair qu’il avait prise pour notre salut ; car la terre est comme le pays natal de la chair et le lieu de son habitation, et elle part pour un long voyage lorsqu’elle est placée dans le ciel par notre Rédempteur. — Orig. (Traité 33 sur S. Matth.) Ce n’est pas comme Dieu qu’il fait ce voyage, mais comme homme revêtu du corps qu’il a pris dans le mystère de son incarnation. Car celui qui a dit : " Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles " (Mt 28), c’est le Fils unique de Dieu, qui n’est point renfermé dans les limites étroites d’un corps mortel. En parlant de la sorte, nous ne divisons pas la personne de Jésus, mais nous conservons à chaque nature ses propriétés distinctes. Nous pouvons dire aussi que le Seigneur voyage loin de ceux qui marchent par la foi, et ne jouissent pas encore de la claire vue (2 Co 5, 6). Or, si, lorsque nous serons éloignés de notre corps, nous sommes avec le Seigneur, il sera lui-même avec nous. Remarquez aussi que le texte ne porte pas : Je suis, ou le Fils de l’homme est comme un homme qui entreprend un voyage, " car il se présente à nous dans cette parabole, non pas comme Fils de Dieu, mais comme homme qui part pour un long voyage.

S. Jér. Après avoir appelé ses apôtres, il leur confia la doctrine de l’Évangile. S’il donne à l’un plus, à l’autre moins, ce n’est ni prodigalité d’une part, ni parcimonie de l’autre ; il proportionne ses dons à la capacité de ceux qui les reçoivent. C’est ainsi que l’Apôtre nous apprend qu’il avait nourri avec du lait ceux qui ne pouvaient supporter une nourriture plus solide. " Et il donne cinq talents à l’un, deux à l’autre, " etc. Ces talents, au nombre de cinq, de deux et d’un, représentent les diverses grâces qui furent données à chacun d’eux. — Orig. (Traité 33 sur S. Matth.) Parmi ceux à qui Jésus-Christ a confié le ministère de la parole de Dieu, vous voyez que les uns ont reçu davantage, les autres moins, et n’ont pas, pour ainsi-dire, la moitié de l’intelligence des premiers ; d’autres enfin ont reçu beaucoup moins encore. Or, pourquoi cette différence entre ceux qui ont reçu de Jésus-Christ le même ministère de la parole divine ? C’est que la vertu et la capacité n’étaient pas les mêmes dans celui qui a reçu cinq talents, dans celui qui en a reçu deux et dans celui qui n’en a reçu qu’un, et que tous ne pouvaient recevoir la même mesure de grâces. Cependant, celui qui n’a reçu qu’un talent a reçu un don qui n’est pas sans importance, car un seul talent, venant d’un si grand maître, est d’une grande valeur. Il y a toutefois trois sortes de serviteurs, comme il en est aussi trois sortes parmi ceux qui portent des fruits. Celui qui a reçu cinq talents est celui qui peut donner aux figures de l’Écriture sainte un sens plus élevé et tout divin. Celui qui ne connaît que le sens littéral et extérieur de la doctrine a reçu deux talents ; car le nombre deux se rapporte aux choses extérieures et charnelles (1 Co 3, 4). Enfin, celui à qui le père de famille ne donne qu’un talent est moins capable encore. — S. Grég. (hom. 9.) Ou bien, dans un autre sens, les cinq talents figurent les dons des cinq sens, c’est-à-dire la science des choses extérieures ; les deux talents désignent l’intelligence et l’action, et le talent unique n’indique que le don de l’intelligence.

" Et il partit aussitôt. " — La Glose. Il partit, non pas qu’il ait changé de lieu, mais il les abandonne à leur libre arbitre et leur laisse le libre exercice de leur action.

" Celui qui avait reçu cinq talents s’en alla et en gagna cinq autres. " — S. Jér. Il double le don des sens corporels qu’il a reçus par la connaissance des choses célestes, c’est-à-dire que les créatures lui font connaître le Créateur, le spectacle de la nature visible, les choses spirituelles, et les biens du temps, qui durent si peu, ceux de l’éternité. — S. Grég. (comme précéd.) Il en est plusieurs qui, incapables de pénétrer les secrets de la science spirituelle et mystique, enseignent, dans une intention toute céleste et selon leur charité, la science des choses extérieures qu’ils ont reçue de Dieu, et qui, non contents de se tenir en garde contre les assauts de la chair, l’ambition des honneurs de la terre et les jouissances du corps, cherchent encore à en préserver les autres par leurs conseils. — Orig. (Traité 33 sur S. Matth.) Ou bien, ceux qui après avoir exercé leurs sens à la pratique de la vertu, tendent à une science supérieure et l’enseignent aux autres, gagnent cinq autres talents ; car on ne peut recevoir l’accroissement d’une vertu si on ne la possède déjà, de même qu’on ne peut enseigner aux autres que ce que l’on sait soi-même. — S. Hil. Ou bien, le serviteur qui a reçu cinq talents est le peuple qui, vivant sous la loi, a embrassé la foi, et qui a doublé les mérites qu’il avait acquis sous la loi en y joignant l’accomplissement parfait des devoirs de la foi. chrétienne.

" Celui qui avait reçu deux talents en gagna de même encore deux autres. " — S. Grég. (comme précéd.) On en voit en effet qui enseignent à la fois par leurs paroles et par leurs oeuvres et qui réalisent ainsi un double bénéfice, car leur prédication s’adressant à l’un et à l’autre sexe, ils doublent ainsi les talents qu’ils ont reçus. — ORIG. Ou bien, ils gagnèrent deux autres talents, c’est-à-dire la science des choses extérieures et une autre un peu plus élevée. — S. Hil. Ou bien, ce serviteur à qui son maître a confié deux talents, c’est le peuple des Gentils, qui a été justifié par la foi et par la confession du Père et du Fils, et qui témoigne hautement que Jésus-Christ est à la fois Dieu et homme par l’union de l’esprit et de la chair. Ce peuple a donc reçu deux talents, et, de même que les Juifs ont doublé, en croyant à l’Évangile, la valeur des cinq talents mystérieux, c’est-à-dire de la loi qu’ils avaient reçue, ainsi les Gentils, en faisant fructifier leurs deux talents ont mérité de les voir doublés par le don de l’intelligence et des oeuvres.

" Mais celui qui n’en avait reçu qu’un alla creuser dans la terre et y cacha l’argent de son maître. — S. GREG. (hom. 9.) Cacher le talent dans la terre, c’est enfouir, pour ainsi-dire, dans des occupations toutes terrestres le don de l’esprit qu’on a reçu. — Orig. Ou bien encore, si vous voyez un homme qui a reçu le don d’enseigner et qui cache ce talent, eût-il d’ailleurs une certaine apparence de religion dans sa conduite, n’hésitez pas à dire qu’il est ce serviteur qui a reçu un talent et qui l’a enfoui dans la terre. — S. Hil. Ou bien enfin, ce serviteur qui a reçu un talent et l’a enfoui dans la terre, c’est le peuple qui s’opiniâtre à suivre la loi, et qui, par un sentiment d’envie contre les Gentils, qui doivent être sauvés, cache le talent qu’il a reçu ; car, enfouir le talent dans la terre, c’est cacher la gloire de la prédication de l’Évangile sous les honteuses attaques d’une passion charnelle.

" Longtemps après, le maître de ces serviteurs revint et leur fit rendre compte, " etc. Ce compte qu’il faut rendre, c’est l’examen qui précède le jugement. — Orig. Et remarquez ici que ce ne sont pas les serviteurs qui viennent vers le maître pour en être jugés, mais le maître lui-même qui vient les trouver, lorsque le temps est arrivé, ce que le Sauveur exprime en disant : " Longtemps après, " c’est-à-dire longtemps après qu’il leur a donné la mission d’aller gagner et sauver les âmes ; et c’est peut-être pour cela qu’on en voit peu de ceux qu’il a jugés propres à ce ministère qui aient été retirés promptement de ce monde, comme le prouve l’exemple des apôtres, qui sont tous parvenus à une assez grande vieillesse ; c’est ainsi qu’il dit à Pierre " Lorsque vous serez devenus vieux, vous étendrez les mains " (Jn 21) ; c’est ainsi que saint Paul écrit de lui-même à Philémon (Phm 9) : " Paul déjà vieillard. " — S. Chrys. (hom. 78.) Remarquez encore que le Seigneur ne se fait pas rendre compte immédiatement pour vous apprendre sa longanimité. Ces paroles : " Longtemps après, " me paraissent une allusion indirecte à la résurrection. — S. Jér. Il dit : " Longtemps après, " parce qu’il doit s’écouler un long espace de temps entre l’ascension du Sauveur et son second avènement. — S. Grég. La lecture de cet Évangile doit nous faire sérieusement réfléchir sur cette vérité : que ceux qui ont reçu en ce monde des grâces plus abondantes seront l’objet d’un jugement plus sévère, car plus on reçoit, plus est grand le compte que l’on devra rendre. Il faut donc s’humilier profondément des dons que l’on a reçus, en considérant que l’on devra être jugé d’autant plus sévèrement sur l’usage qu’on en aura fait.

ORIG. Plein de confiance, celui qui avait reçu cinq talents ose se présenter le premier devant son maître : " Et celui qui avait reçu cinq talents s’étant approché. " — S. Grég. Ce serviteur qui a doublé les cinq talents qu’il avait reçus mérite les éloges du Seigneur et en reçoit l’éternelle récompense. " Et le Seigneur lui dit : Très-bien. " — Rab. Le mot euge est une interjection qui marque la joie. Le Seigneur exprime ainsi la joie qu’il éprouve d’appeler à entrer dans la joie éternelle le serviteur qui a bien travaillé, et c’est de lui que le Prophète a dit : " Vous nous comblerez de joie en nous montrant votre visage " (Ps 15 et 20).

S. Chrys. (hom. 78.) Bon serviteur, " parce qu’il a été bon pour le prochain, et " fidèle " parce qu’il ne s’est rien attribué de ce qui appartenait à son maître. — S. Jér. Il lui dit : " Vous avez été fidèle en peu de choses, car les biens que nous possédons ici-bas, quels que soient d’ailleurs leur importance et leur nombre, sont toujours petits et peu nombreux en comparaison des biens éternels. — S. Grég. Le serviteur fidèle est établi sur des biens plus considérables, lorsqu’il a triomphé de toutes les atteintes de la corruption, et qu’il est assis dans le ciel au sein des joies éternelles, Il entre parfaitement dans la joie de son maître, lorsque Dieu l’appelle dans l’éternelle patrie, pour l’associer aux chœurs des anges et le remplir d’une joie intérieure, pure et sans mélange d’aucune de ces douleurs qui sont causées par la corruption de la chair. — S. Jér. Quelle récompense plus grande peut-on donner au serviteur fidèle que d’être avec son maître et de voir la joie de son Seigneur ? — S. Chrys. (hom. 78.) Ces paroles renferment l’idée de toute félicité et d’un bonheur parfait. — S. Aug. (De la Trinité, 1, 10.) Car le bonheur parfait pour nous, et supérieur à tout ce que l’on peut concevoir, sera de jouir de la présence du Dieu en trois personnes à l’image duquel nous avons été créés. — S. Jér. Le père de famille accueille avec les mêmes éloges le serviteur qui, avec cinq talents, en avait gagné cinq autres, et celui qui, avec deux talents, en avait gagné deux autres, et il les fait entrer en participation de la même joie, parce qu’il ne considère pas la grandeur du gain qu’ils ont réalisés, mais les efforts de leur volonté. " Celui qui avait reçu deux talents vint aussi se présenter. " — Orig. Cette expression " S’étant approché, " appliquée à celui qui avait reçu cinq talents, et à celui qui en avait reçu deux, signifie leur passage de ce monde dans l’autre ; et il faut remarquer que Dieu tient le même langage à tous les deux, pour nous apprendre que celui qui a reçu de moins grandes facultés, mais qui leur a fait produire tout ce qu’on était en droit d’en attendre, aura aux yeux de Dieu le même mérite que celui qui est doué de facultés supérieures. Dieu n’exige qu’une chose, c’est que l’homme consacre à sa gloire tout ce qu’il a reçu de lui.

S. GREG. (comme précéd.) Le serviteur qui n’a pas voulu faire fructifier son talent s’approche de son maître en s’excusant : " Celui qui n’avait reçu qu’un talent s’approchant ensuite, " etc. — S. Jér. Ce mauvais serviteur vérifie en lui ces paroles du Psalmiste : " Il cherche à excuser ses péchés " (Ps 140), et, au crime de la paresse et de la négligence, il joint celui d’un orgueil insolent. Au lieu de confesser simplement sa fainéantise, comme il aurait dû le faire, et de prier le père de famille de lui pardonner, il ose le calomnier, et il prétend que c’est par prudence qu’il s’est conduit de la sorte, dans la crainte qu’en cherchant à faire fructifier son argent il ne s’exposât à perdre le capital. — Orig. Ce serviteur faisait sans doute partie du nombre des fidèles, mais de ces fidèles dont la conduite est sans assurance, qui cherchent à se cacher, et qui font tout pour ne point paraître chrétiens. Les fidèles de ce genre ont aussi la crainte de Dieu, et le regardent comme un maître sévère et implacable, ce que ce serviteur exprime en disant : " Seigneur, je sais que vous êtes un homme dur. " Nous admettons que, dans un sens véritable, Notre-Seigneur moissonne où il n’a pas semé, car le juste sème dans l’esprit, et il moissonne la vie éternelle. Il moissonne encore où il n’a pas semé, et il recueille là où il n’a rien jeté, parce qu’il regarde comme donné à lui-même tout ce qui est semé parmi les pauvres. — S. Jér. De ces paroles qu’ose lui dire le mauvais serviteur : " Vous moissonnez là où vous n’avez pas semé, " nous pouvons aussi conclure que la vie, pure et vertueuse des Gentils et des philosophes est agréable à Dieu. — S. Grég. Il en est beaucoup dans l’Église dont ce serviteur est la figure, qui craignent d’entrer dans les voies d’une vie plus sainte, et qui ne craignent pas de croupir dans une négligence sensuelle et honteuse ; tout en se considérant comme pécheurs, ils redoutent d’embrasser une vie vertueuse et ne tremblent pas de rester dans leurs iniquités. S. Hil. Ou bien, ce serviteur figure le peuple juif qui reste attaché à la loi, et qui, donnant comme prétexte de son éloignement de la liberté évangélique la crainte que lui inspire la loi ancienne, dit à Dieu : " Je vous ai craint, " et ajoute : " Voici ce qui est à vous. " Ou bien encore, c’est ce même peuple qui s’arrête exclusivement aux commandements du Seigneur, bien qu’il sût que Dieu devait moissonner des fruits de justice là où la loi n’avait pas été semée, et recueillir parmi les Gentils des enfants qui ne provenaient pas de la race d’Abraham (Rm 4).

S. Jér. Mais ce qu’il pensait donner comme une excuse devient la matière même de son accusation : " Mais son maître lui répondit : Serviteur méchant et paresseux. " Il l’appelle méchant serviteur, parce qu’il a osé calomnier son maître, et paresseux, parce qu’il n’a point doublé son talent, condamnant ainsi d’un côté son insolence, de l’autre sa négligence : " Puisque vous saviez, lui dit-il, que j’étais dur et cruel, et que j’exigeais ce qui ne m’appartenait pas, vous deviez comprendre que j’exigerais plus exactement ce qui m’appartient, et donner au banquier mon argent ou mes deniers ” (le mot grec άργυριον signifie l’un et l’autre). “ Les paroles du Seigneur, dit le Psalmiste, sont des paroles pures, un argent ιprouvé par le feu " (Ps 11). Cet argent, cette monnaie, c’est donc la prédication de l’Évangile, et la parole de Dieu qu’il aurait fallu donner à ceux qui l’auraient fait fructifier, c’est-à-dire ou à d’autres prédicateurs, ce que firent les Apôtres en établissant des prêtres et des évêques dans chaque province (Ac 14, 22), ou bien à tous les fidèles pour leur faire produire le double, et rendre ce capital avec usure, en traduisant dans leurs oeuvres les enseignements de cette divine parole. — S. Grég. Les prédicateurs sont exposés à un danger visible, en retenant l’argent du Seigneur ; les auditeurs le sont également, car on leur demandera avec usure la doctrine qu’ils ont reçue, c’est-à-dire si, à l’aide de ce qu’ils ont entendu, ils se sont appliqués à comprendre ce qui ne leur était pas enseigné.

Orig. Le Seigneur ne reconnaît pas qu’il soit dur, comme le lui reprochait le mauvais serviteur ; mais il lui concède tout le reste. Cependant on peut dire qu’il use véritablement de dureté contre celui qui abuse de la miséricorde de Dieu pour persévérer dans son péché, au lieu d’en profiter pour se convertir. — S. Grég. (comme précéd.) Écoutons la sentence que le Seigneur prononce contre le mauvais serviteur : " Qu’on lui ôte donc le talent qu’il a et qu’on le donne à celui qui a dix talents. " — Orig. Le Seigneur peut, par sa puissance divine, ôter les moyens rigoureusement suffisants, à celui qui n’a pas su les mettre à profit, pour les donner à celui qui a multiplié ce qu’il avait reçu. — S. Grég. Il paraissait plus naturel de donner ce talent à celui qui en avait reçu deux, plutôt qu’à celui qui en avait reçu cinq, car il est plus juste en apparence de donner à celui qui a moins reçu. Mais, comme les cinq talents figurent la science des choses extérieures, et les deux talents, l’intelligence et l’action ; celui à qui son maître a confié deux talents a plus reçu que celui à qui il en a confié cinq, car celui qui, dans les cinq talents, a reçu le don d’administrer les choses extérieures, était cependant privé de l’intelligence des choses éternelles. Donc, ce talent unique, qui représente, comme nous l’avons dit, le don de l’intelligence, a dû être donné à celui qui a fidèlement administré les choses extérieures qui lui ont été confiées, et c’est ce que nous voyons tous les jours dans l’Église : ceux qui administrent avec fidélité les biens extérieurs sont doués d’une intelligence capable de pénétrer les choses spirituelles et intérieures. — S. Jér. Ou bien, ce talent est donné à celui qui avait obtenu dix talents, pour nous apprendre que, si le Seigneur se réjouit également du travail du serviteur qui a doublé ses deux talents et de celui qui a multiplié les cinq qu’il avait reçus, cependant il réserve une plus grande récompense à celui qui a travaillé davantage à faire fructifier l’argent de son maître. — S. Grég. Notre-Seigneur conclut cette parabole par cette maxime générale : " Car on donnera à celui qui a déjà, " etc. En effet, celui qui a la charité reçoit aussi les autres dons, et celui qui ne possède pas cette vertu perd jusqu’aux dons qu’il paraissait avoir.

S. Chrys (hom. 78). Celui qui a reçu le don éclatant de la parole et de la doctrine, pour le mettre à profit, et qui n’en fait aucun usage, perd ce don, tandis que celui qui s’applique avec zèle à le faire fructifier obtient des grâces plus abondantes. — S. Jér. Il en est beaucoup qui ont reçu de Dieu une intelligence naturelle et une grande vivacité d’esprit ; s’ils se laissent dominer par la paresse, et qu’ils corrompent ces dons naturels dans une honteuse indolence, ils en seront dépouillés par opposition à ceux qui, moins favorisés de la nature, ont su compenser par leur travail et par leur industrie ce qui leur manquait, et ils verront passer à d’autres la récompense qui leur était promise. On peut encore donner cette explication : celui qui a la foi et une bonne volonté recevra du juge plein de bonté ce que la faiblesse humaine laisserait à désirer dans ses actions, tandis que celui qui n’a pas la foi perdra jusqu’aux autres vertus qu’il paraissait tenir de la nature. Cette expression : " Ce qu’il paraît avoir lui sera enlevé, " est pleine de justesse et d’à-propos, car tout don qui est en dehors de la foi en Jésus-Christ ne doit pas être attribué à celui qui en fait un mauvais usage, mais à celui qui n’a pas refusé, même au mauvais serviteur, ces dons naturels. — S. Hil. La gloire qui vient de la loi est accordée à ceux qui savent profiter de la grâce de l’Évangile ; mais, pour celui qui n’a point la foi en Jésus-Christ, on lui ôtera jusqu’à cette gloire que la loi semblait lui donner.

S. Chrys. (hom. 78.) Le mauvais serviteur n’est pas seulement puni par la perte de ce qu’il possède, mais par un supplice rigoureux, auquel vient se joindre une sentence qui est en même temps un acte d’accusation : " Et quant à ce serviteur inutile, qu’on le jette dans les ténèbres extérieures. " — Orig. Là où il n’y a aucune lumière, peut-être même aucune clarté extérieure, et où on ne peut jouir de la vue de Dieu, car ceux qui se sont rendus coupables de ce crime, seront condamnés, comme indignes de voir Dieu, à être jetés dans ces ténèbres qu’on appelle les ténèbres extérieures. Nous avons lu dans un interprète qui nous a devancé, que ces ténèbres sont les ténèbres de l’abîme qui est en dehors de l’univers, et que ces serviteurs inutiles, étant jugés indignes d’habiter aucune partie de ce monde, seront jetés dans cet abîme extérieur, où il n’y a que ténèbres, et qu’aucune lumière ne vient jamais éclairer. — S. Grég. C’est ainsi que le châtiment précipitera dans les ténèbres extérieures celui qui est tombé volontairement par sa faute dans les ténèbres intérieures. — S. Jér. Nous avons dit plus haut ce que sont ces pleurs et ces grincements de dents. — S. Chrys. (hom. 78). Remarquez que ce n’est pas seulement celui qui prend le bien d’autrui ou qui fait le mal qui est condamné au dernier supplice, mais encore celui qui néglige de faire le bien. — S. Grég. Que celui donc qui a reçu le don de l’intelligence évite de garder le silence ; que celui qui nage au sein de l’abondance ne se ralentisse pas dans l’exercice de la miséricorde ; que celui qui a reçu le don de diriger l’applique à l’utilité du prochain ; que celui qui peut avoir accès auprès des riches intercède pour les pauvres, car, aux yeux de Dieu, la plus petite grâce reçue sera considérée comme un talent qu’il nous a confié. — Orig. Or, s’il vous paraît dur qu’on soit jugé sévèrement pour n’avoir pas instruit les autres, rappelez-vous cette parole de l’Apôtre : " Malheur à moi si je n’évangélise " (1 Co 9).

 

vv. 31-45.

Rab. Après les paraboles qui avaient pour objet, la fin du monde, le Seigneur décrit les circonstances du jugement dernier. — S. Chrys. (hom. 79.) Cette partie du discours du Sauveur est pleine d’attrait, et nous devons l’avoir sans cesse présente à l’esprit pour la méditer avec empressement et componction ; car Jésus-Christ lui-même traite ce sujet en termes aussi clairs qu’effrayants. Il ne dit plus comme précédemment : " Le royaume de Dieu est semblable, " mais il parle de lui-même ouvertement : " Or, quand le Fils de l’homme viendra, " etc. — S. Jér. Deux jours après, il devait célébrer la Pâque, être livré au suppliée de la croix et aux insultes de ses bourreaux ; c’est donc dans une pensée toute de sagesse qu’il prédit et promet la gloire de son triomphe, pour compenser par la promesse des récompenses à venir le scandale qui devait résulter de sa passion. Et il faut bien remarquer que celui que les hommes contempleront dans sa majesté c’est le Fils de l’homme. — S. Aug. (traité 21 sur S. Jean.) Les impies le verront sous une forme humaine, aussi bien que ceux qui seront placés à la droite ; car au jour du jugement il apparaîtra revêtu de notre nature, mais ensuite il se révélera dans sa nature divine, que tous les fidèles désirent ardemment de contempler.

REMI. Le Sauveur détruit ainsi l’erreur de ceux qui prétendent qu’il n’a point conservé la forme d’esclave qu’il a revêtu ; la majesté dont il parle ici, c’est la divinité qui le rend égal au Père et au Saint-Esprit. — Orig. Ou bien, il veut dire par là qu’il reviendra sur la terre avec cette même gloire dont son corps fut entouré au jour de sa transfiguration sur la montagne. Son trône, ce sont les saints les plus parfaits, dont il est écrit : Là sont établis les siéges de la justice "(Ps 121), ou bien les esprits angéliques, que saint Paul appelle " les Trônes ou les Dominations. " (Col 1) — S. Aug. (Cité de Dieu 20, 24.) Car il descendra avec ses anges qu’il appellera des hauteurs des cieux pour juger les hommes avec lui, c’est pour cela qu’il ajoute : " Et tous ses anges avec lui. " — S. CHRYS. (hom. 79.) Tous les anges l’accompagneront pour attester tous leurs efforts dans l’exercice du ministère qui leur avait été confié par le Seigneur pour le salut des hommes. — S. AUG. Ou bien, sous le nom d’anges, il veut désigner ici les hommes qui jugeront avec Jésus-Christ ; car les anges sont des envoyés, et nous pouvons donner à juste titre ce nom à tous ceux qui ont été envoyés pour annoncer le salut aux hommes.

" Et toutes les nations seront rassemblées devant lui, " etc. — Remi. Ces paroles établissent la vérité de la résurrection future. — S. Aug. (Cité de Dieu 20, 21.) Or, ce rassemblement se fera par le ministère des anges à qui s’adressent ces paroles : " Rassemblez ses saints autour de lui. " (Ps 49.) — Orig. (traité 34 sur S. Matth.) Ces paroles peuvent être aussi entendues dans un sens différent d’un rassemblement local, c’est-à-dire que les peuples ne seront plus divisés en une multitude de croyances et d’opinions à l’égard de Jésus-Christ ; car sa divinité éclatera aux yeux de tous les hommes sans exception, aux yeux des pécheurs aussi bien que des justes, et il n’apparaîtra pas dans un endroit à l’exclusion d’un autre, comme il a voulu nous l’apprendre lui-même par la comparaison de l’éclair. Tant que les méchants ne connaissent ni eux-mêmes, ni Jésus-Christ, et tant que les justes ne le voient que comme dans un miroir et sous des images obscures, les justes ne sont pas séparés des méchants ; mais lorsque la manifestation éclatante du Fils de l’homme donnera à tous les hommes cette connaissance, alors le Sauveur séparera les bons des méchants : " Et il séparera les uns d’avec les autres, " etc. Car d’un côté les pécheurs verront distinctement les suites de leurs péchés ; et les justes, les fruits qu’ont produits les semences de leur justice. Le Sauveur donne le nom de brebis à ceux qui sont sauvés, à cause de la douceur qu’ils ont apprise à l’école de celui qui a dit : " Apprenez de moi que je suis doux " (Mt 11), et parce qu’ils ont été disposés à souffrir même la mort, à l’exemple de Jésus-Christ qui a été conduit à la mort comme une brebis. (Is 53.) Les méchants sont appelés des boucs, parce qu’ils gravissent des rochers escarpés et raboteux, et marchent à travers les précipices dont ils sont bordés. — S. Chrys. (hom. 79.) Ou bien encore, il appelle les uns des boucs pour montrer leur stérilité ; car les boucs ne produisent pas, et les autres des brebis, pour exprimer leur fécondité spirituelle ; car les brebis produisent en abondance de la laine, du lait et des agneaux. Mais la brebis, dans les saintes Écritures, signifie plus ordinairement l’innocence et la simplicité. Les brebis sont donc ici une figure touchante des élus. — S. kit. Le boue est un animal lascif, toujours ardent pour s’unir à sa femelle, et il était toujours offert sous la loi comme victime pour le péché (Lv 4, 23 ; 9, 3 ; 23, 19 ; Nb 7, 82 ; 15, 24 ; 28, 22 ; 29, 38, etc.). Il n’est point ici question des chèvres qui peuvent avoir des petits, et qui sortent pures du lavoir après avoir été tondues.

S. Chrys. (hom. 79.) il les sépare encore en leur donnant une place différente. — Orig. Car les saints, dont les oeuvres ont été conformes à la droiture, recevront pour récompense de ces oeuvres d’être placés à la droite du Roi, au sein du repos et de la gloire, tandis que les méchants, en punition de leurs oeuvres mauvaises et sans droiture, sont tombés à la gauche, c’est-à-dire dans les plus tristes tourments : " Alors le roi dira à ceux qui sont à sa droite : Venez, " etc., afin de recevoir en vertu de leur union parfaite avec Jésus-Christ, tout ce qui pouvait leur manquer. Il ajoute : " Les bénis de mon Père, " et il fait ainsi ressortir l’excellence de cette bénédiction qu’ils ont reçue auparavant du Dieu qui a fait le ciel et la terre. — RAB. Ou bien il les appelle bénis, parce qu’ils ont mérité par leurs bonnes oeuvres l’éternelle bénédiction. Il dit : " Le royaume de mon Père, " parce qu’il rapporte la puissance royale à celui qui la lui a transmise par l’éternelle génération, et c’est en vertu de cette puissance royale, qui le couvrira seul de gloire dans ce dernier jour, qu’il prononcera la sentence du jugement. Aussi est-ce d’une manière significative qu’il ajoute : " Alors le roi dira. " — S. CHRYS. (hom. 79.) Remarquez encore qu’il ne dit pas : Recevez, mais : " Possédez, " ou bien : " Héritez, " comme d’un bien de famille, comme d’un patrimoine, ou. de biens qui vous sont acquis depuis longtemps : " Possédez ce royaume qui vous est préparé depuis le commencement du monde. " — S. Jér. Il faut entendre ces paroles d’après les règles de la prescience de Dieu pour qui l’avenir est comme le passé.

S. Aug. (Cité de Dieu, 20, 1.) indépendamment de ce royaume dont le Sauveur doit dire à la fin du monde : " Prenez possession du royaume qui vous a été préparé, " l’Église de la terre est aussi appelée son royaume, quoique dans un sens bien différent, royaume où il faut encore combattre contre les ennemis jusqu’à ce que nous parvenions à ce royaume de paix où nous régnerons sans plus craindre d’ennemis. — S. Aug. (de la Pén., hom. 50.) Mais peut-être quelques-uns diront : Je n’ai point l’ambition de régner, il me suffit d’être sauvé. Or, ce qui les trompe d’abord, c’est qu’il n’y a point de salut à espérer pour ceux qui persévèrent dans l’iniquité. En supposant ensuite qu’il y ait une différence entre ceux qui règnent et ceux qui ne règnent pas, il faut, toutefois, que tous les élus fassent partie du même royaume, s’ils ne veulent être comptés parmi les ennemis et les étrangers, et condamnés à périr, alors que tous les autres sont couronnés. Est-ce que tous les Romains ne sont pas en possession de l’empire Romain, bien que tous ne soient pas appelés à le gouverner ?

S. Chrys. (hom. 79.) Notre-Seigneur fait ensuite connaître les œuvres qui auront mérité aux saints les biens du royaume du ciel : " J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger, " etc. — REMI. Remarquez que le Seigneur fait ici mention de sept oeuvres différentes de miséricorde, et celui qui aura mis tous ses soins à les accomplir, méritera de posséder le royaume qui a été préparé aux élus dès le commencement du monde. — Remi. Dans le sens spirituel, ranimer et nourrir du pain de la parole, ou rafraîchir du breuvage de la sagesse ceux qui ont faim et soif de la justice ; recevoir dans le sein de l’Église notre mère, ceux qui s’égarent dans les sentiers de l’hérésie et du péché ; supporter ceux qui sont faibles dans la foi, c’est observer les prescriptions de la vraie charité. — S. Grég. (Moral., 24, 26.) Ceux qui seront placés à la droite et à qui le souverain juge dira : " J’ai eu faim, " etc., sont ceux qui ont été admis au nombre des élus et appelés à régner éternellement, ceux qui ont lavé dans leurs larmes les taches de leur vie, qui ont racheté leurs péchés passés par toute la suite de leurs oeuvres, et couvert de leurs aumônes, aux yeux du juste juge, toutes les fautes qu’ils avaient commises. Il en est d’autres qui sont appelés à régner sans être soumis au jugement, ce sont ceux qui ont été bien au delà des préceptes de la loi par la perfection de leur vertu.

Orig. Par un profond sentiment d’humilité, ils se déclarent indignes des louanges données à leurs bonnes oeuvres, sans toutefois avoir oublié ce qu’ils ont fait, et le Seigneur, par sa réponse, fait éclater toute l’affectIon qu’il porte aux siens " Alors les justes lui répondront Quand est-ce que nous vous avons vu avoir faim ? " etc. — Rab. S’ils parlent ainsi, ce n’est point qu’ils doutent de la vérité des paroles du Seigneur, mais ils s’étonnent d’une si grande élévation, et de la haute dignité dont il couronne leurs oeuvres. Ou bien ils s’expriment de la sorte, parce que le bien qu’ils ont fait leur paraît peu de chose selon ces paroles de l’Apôtre " Les souffrances de la vie présente n’ont aucune proportion avec cette gloire qui doit un jour éclater en nous. " (Rm 8)

" Et le Roi leur répondra : Je vous le dis en vérité, autant de fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits d’entre mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. " — S. Jér. Nous étions libres d’entendre que Jésus-Christ était nourri, et que sa soif était étanchée dans la personne de tous les pauvres, et ainsi des autres bonnes oeuvres ; mais ces paroles : " Autant de fois que vous avez agi ainsi à l’égard d’un de mes frères, " etc., ne me paraissent pas devoir s’appliquer à tous les pauvres indistinctement, mais seulement aux pauvres d’esprit qu’il indiquait de la main en disant : " Mes frères sont ceux qui font la volonté de mon Père qui est dans les cieux. " (Mt 12 ; Mc 13.)

S. Chrys. (hom. 79.)Mais s’ils sont ses frères, pourquoi les appelle-t-il les plus petits ? Parce qu’ils sont humbles, parce qu’ils sont pauvres, parce qu’ils sont délaissés. Or, il veut parler ici non-seulement des solitaires qui se sont retirés dans les montagnes, mais de tout fidèle, quel qu’il soit, même de celui qui vit dans le monde ; s’il a faim, ou s’il éprouve quelque besoin semblable, il veut que la miséricorde vienne à son secours, car c’est le baptême et la participation aux mêmes mystères qui établissent cette fraternité.

" Il dira ensuite à ceux qui seront à la gauche : Retirez-vous, " etc. — Orig. De même qu’il avait dit aux justes : " Venez, " il dit aux méchants : " Retirez-vous ; " car ceux qui gardent les commandements de Dieu sont près du Verbe, et ils sont appelés à s’en rapprocher encore davantage, tandis que ceux qui n’accomplissent pas ses commandements sont loin de lui, bien qu’ils paraissent en être rapprochés, et il leur dit : Retirez-vous, " pour qu’ils disparaissent entièrement de sa présence. Remarquez aussi que s’il a dit : Les bénis de mon Père, " il ne dit pas ici : " Les maudits de mon Père ; " car le Père est la source de toute bénédiction, mais chacun devient pour soi-même une cause de malédiction, en faisant des oeuvres dignes de malédiction. Or, ceux qui s’éloignent de Jésus, tombent dans le feu éternel, feu bien différent de celui qui sert à notre usage ; car il n’y a point sur la terre de feu qui soit éternel, ni même qui dure bien longtemps. Considérez aussi qu’il n’a point dit que le royaume fut préparé pour les anges, tandis qu’il déclare que le feu éternel a été préparé pour, le diable et pour ses anges. En effet, Dieu n’a point créé les hommes pour leur perte, mais ce sont les hommes qui, par leurs péchés, unissent leur sort à celui du démon ; et de même que les élus deviennent semblables aux saints anges, ainsi ceux qui persistent pour l’éternité, deviennent semblables aux anges du démon.

S. Aug. (Cité de Dieu, 21, 10.) Nous devons conclure de ce passage, que c’est le même feu qui servira au supplice des hommes et à celui des démons. Mais si le feu doit tourmenter les corps avec lesquels il sera en contact, comment pourra-t-il être le supplice des esprits mauvais, à moins de dire avec quelques-uns que les démons ont une certaine espèce de corps, formés de cet air grossier et humide qui nous entoure. Si l’on prétend, au contraire, que les démons ne sont revêtus d’aucun corps, quel qu’il soit, il est inutile de prolonger la discussion sur cette question. Car pourquoi n’admettrions-nous pas que des esprits incorporels, par des moyens aussi vrais qu’ils sont merveilleux, trouvent leur supplice dans la peine d’un feu matériel, puisque les âmes des hommes, qui sont certainement incorporelles, pourront bien alors être unies à leurs corps par des liens indissolubles, de même qu’elles sont comme enchaînées maintenant dans les corps qu’elles animent. Les démons, bien que d’une nature incorporelle, seront donc comme attachés a ce feu matériel, non pour lui donner la vie, mais pour y trouver leur châtiment. Or, le feu sera corporel, et il sera le tourment tout à la fois des corps des hommes réunis à leurs âmes, et des esprits des démons qui n’ont pas de corps.

ORIG. Ou bien peut-être, la nature de ce feu est de brûler les substances invisibles, parce qu’il est invisible lui-même, selon ces paroles de l’Apôtre : " Les choses visibles sont passagères, mais les invisibles sont éternelles. " Or, ne soyez pas surpris qu’un feu invisible devienne un instrument de supplice, puisque vous voyez tous les jours les corps eux-mêmes souffrir horriblement d’une chaleur toute intérieure. " J’ai eu soif, et vous ne m’avez pas donné à boire. " Saint Paul écrit aux fidèles de Corinthe : " Vous êtes le corps de jésus-Christ. " (1 Co 12.) De même donc que l’âme, qui est unie au corps, bien qu’elle ne puisse avoir faim dans sa substance incorporelle, éprouve cependant le besoin de la faim pour le corps, parce qu’elle lui est unie ; ainsi le Sauveur ressent toutes les souffrances de l’Église qui est son corps, tout impassible qu’il est lui-même. Remarquez qu’en s’adressant aux justes, il énumère l’un après l’autre toutes leurs bonnes oeuvres, tandis qu’en parlant aux méchants, il abrége cette énumération en réunissant leurs fautes contre la charité. " J’ai été malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité. " Il était digne, en effet, de ce juge miséricordieux, d’énumérer avec complaisance, et de rehausser les bonnes oeuvres des hommes, et d’abréger, au contraire, l’énumération de leurs mauvaises actions.

S. Chrys. (hom. 79.) Or, considérez que ce n’est point dans une ou deux circonstances, mais dans toutes absolument, qu’ils ont manqué aux devoirs de la miséricorde ; car non-seulement ils n’ont pas nourri celui qui avait faim, mais ce qui demandait beaucoup moins de peine, ils n’ont pas visité les malades. Voyez, d’ailleurs, quels devoirs faciles il prescrit. Il ne dit pas : J’étais en prison, et vous ne m’en avez pas fait sortir ; j’étais malade, et vous ne m’avez pas guéri, mais : " Vous ne m’avez pas visité, vous n’êtes pas venus à moi. " Il ne demande pas non plus pour apaiser sa faim une nourriture recherchée, mais ce qui est strictement nécessaire. Tout se réunit donc pour légitimer le supplice qu’il leur inflige. Premièrement, la facilité de donner ce qui leur était demandé, c’était du pain ; secondement, la misère de celui qui leur faisait cette demande, et il était pauvre ; troisièmement, la compassion naturelle qu’ils devaient éprouver pour lui, car il était homme ; quatrièmement, le désir d’obtenir la récompense promise, c’était un royaume ; cinquièmement, la dignité de celui qui recevait ces secours, c’était Dieu dans la personne des pauvres ; sixièmement, l’honneur extraordinaire que Dieu leur faisait, en daignant recevoir de leurs mains ; septièmement, la justice de cette aumône, puisqu’il ne reçoit que ce qui lui appartient. Mais l’avarice rend les hommes aveugles sur toutes choses. — S. Grég. (Moral., 26, 20.) Ceux à qui le Sauveur tient ce langage, sont les mauvais chrétiens qui sont jugés avant d’être livrés au supplice, tandis, que les infidèles subissent leur châtiment sans jugement préalable. En effet, on ne discutera pas la cause de ceux qui se présentent devant le tribunal du juge sévère et rigoureux avec la sentence de condamnation que leur a méritée leur infidélité. Ce sont ceux qui ont fait profession de la vraie foi sans en avoir les oeuvres, qui auront à subir le jugement avant d’être punis. Ils entendront le souverain juge prononcer leur sentence, parce qu’ils ont au moins conservé la doctrine de la foi, tandis que les infidèles n’entendront même pas la parole du juge éternel prononçant leur condamnation, parce qu’ils n’ont même pas voulu lui rendre hommage par la confession extérieure de sa parole. C’est ainsi qu’un roi de la terre inflige un châtiment différent au citoyen qui se rend coupable dans l’intérieur du royaume, et à l’ennemi qui l’attaque au dehors ; avant de punir le premier, il examine ses droits, tandis qu’il déclare la guerre au second sans s’occuper de ce que la loi renferme sur le châtiment qu’il mérite.

S. Chrys. (hom. 79.) Ainsi convaincus par cette accusation du juste juge, ils lui répondent avec douceur : " Mais, Seigneur, quand est-ce que nous vous avons vu avoir faim ou soif, et que nous avons manqué à vous assister ? " — Orig. Remarquez que les justes s’arrêtent à chaque parole du Sauveur, tandis que les méchants les effleurent comme en courant ; car un des caractères des justes lorsqu’on déroule sous leurs yeux le tableau de leurs bonnes oeuvres, c’est de repousser ces éloges et de les réfuter en détail par un profond sentiment d’humilité ; les méchants, au contraire, qui ne cherchent qu’à s’excuser, nient effrontément leurs crimes, ou en atténuent le nombre et l’énormité. La réponse de Jésus-Christ vient confirmer cette vérité : " Mais il leur répondra : Je vous le dis en vérité, autant de fois que vous avez manqué de le faire à l’un de ces plus petits, " etc. Il veut rehausser la grandeur des bonnes oeuvres des justes, et dissimuler, au contraire, l’énormité des crimes des méchants, il dit aux justes : " Autant de fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, " tandis qu’en parlant aux méchants, il supprime le mot de frères. Les frères de Jésus sont les chrétiens parfaits, et il est plus agréable à Dieu que nous fassions du bien à ceux qui sont plus avancés dans la perfection qu’à ceux qui le sont moins, de même que nous sommes moins coupables de ne pas assister ceux qui sont d’une sainteté moins éminente.

S. Aug. (Cité de Dieu, 20, 1.) Il s’agit donc maintenant du jugement dernier, alors que Jésus-Christ descendra du ciel pour juger les vivants et les morts ; nous appelons ce jour du jugement, le dernier jour, c’est-à-dire le dernier temps ; car nous ignorons quelle sera la durée de ce jugement, le mot jour étant pris ici pour le temps selon l’habitude des saintes Écritures. Or, nous appelons ce jugement le dernier jugement, parce que Dieu juge dès maintenant, et il a jugé dès le commencement du monde en éloignant nos premiers parents de l’arbre de vie (Gn 3), et en punissant les anges prévaricateurs. Mais dans ce jugement final, les anges seront juges aussi bien que les hommes Par un effet de la puissance divine, toutes les oeuvres bonnes ou mauvaises que les hommes ont faites, seront rappelées au souvenir de chacun d’eux, elles viendront se placer sous les yeux de leur âme avec une étonnante rapidité, pour que leur conscience y trouve le principe de leur condamnation ou de leur justification.

 

v. 46.

S. Aug. (de la foi et des oeuvres, chap. 15.) Il en est qui cherchent a se tromper eux-mêmes, en soutenant que c’est le feu et non pas le supplice, que Notre-Seigneur déclare être éternel, et c’est en prévision de cette erreur qu’il conclut en ces termes : " Et ceux-ci iront dans le supplice éternel, et les justes dans la vie éternelle. " Remarquez que précédemment ce n’est qu’après avoir dit aux élus : " Venez les bénis de mon Père, " qu’il adresse aux réprouvés ces terribles paroles : Retirez-vous maudits, " parce qu’il est dans la nature d’un Dieu bon de se rappeler les bonnes oeuvres des justes avant les crimes des méchants ; ici, au contraire, il prédit le supplice des méchants avant la récompense des bons, pour nous faire éviter les malheurs qui doivent nous inspirer d’abord une crainte salutaire avant que nous désirions les biens qui doivent nous combler d’honneur et de gloire. — S. GREG. (Moral., 15, 9). Si le châtiment de celui qui est accusé de n’avoir pas donné son bien est si grand, que sera le supplice infligé à celui qui sera convaincu d’avoir pris le bien des autres ?

S. Aug. (Cité de Dieu, 19, 11.) Or, la vie éternelle est notre souverain bien, et la fin de la Cité de Dieu, dont l’Apôtre a dit : La fin, c’est la vie éternelle. " (Rm 6.) Mais comme ceux qui ne sont pas familiarisés avec le langage des saintes Écritures pourraient aussi entendre la vie éternelle de la vie des méchants, parce que leur âme est immortelle, ou à cause des supplices sans fin dont leur impiété est punie, on doit, pour être compris de tous, dire que la fin de cette cité dans laquelle on jouira du souverain bien, est la paix dans la vie éternelle, ou la vie éternelle dans la paix. — S. Aug. (de la Trin., 9.) Ce que Dieu disait de lui-même à son serviteur Moïse : " Je suis celui qui suis " (Ex 3), c’est ce que nous contemplerons en vivant éternellement, comme Notre-Seigneur lui-même le déclare : " La vie éternelle, c’est de vous connaître, vous le seul Dieu véritable ; " car cette vue de Dieu nous est promise comme la fin de toutes nos oeuvres, et le complément éternel de toutes nos joies, et c’est d’elle que saint Jean a voulu parler, lorsqu’il disait : " Nous le verrons tel qu’il est. " (1 Jn 3.)

S. Jér. Remarquez, sage lecteur, que les supplices sont éternels, et que la vie éternelle n’a plus à craindre désormais d’épreuves fâcheuses. — S. Grég. (Moral., 34, 16.) Mais, dit-on, c’est une simple menace que Dieu fait aux pécheurs pour les arrêter dans le chemin du vice. Si Dieu, répondrons-nous, a menacé de châtiments imaginaires pour retirer les pécheurs de l’iniquité, il a promis également des récompenses mensongères pour exciter à la pratique de la vertu ; et c’est ainsi qu’en s’efforçant de défendre la miséricorde de Dieu, ils ne craignent pas de détruire ouvertement sa vérité. Mais, dira-t-on encore, une faute finie ne peut-être punie par un supplice infini ? Nous répondrons que ce raisonnement serait juste, si le juste juge examinait et pesait seulement les actions des hommes, et non pas leurs cœurs et leurs intentions. La justice fait donc un devoir à ce juge équitable de ne laisser jamais sans supplice des âmes qui, en ce monde, n’ont voulu rester aucunement sans péché. — S. Aug. (Cité de Dieu, chap. 11) Sous aucune législation, la justice ne s’attache à proportionner la durée du châtiment à la durée du crime. Jamais personne n’a soutenu, par exemple, que la peine qui punit l’homicide ou l’adultère, ne dût pas se prolonger au delà du temps qu’ont duré ces crimes. Lorsqu’un homme est condamné à mort pour quelque grand crime, est-ce que les lois mesurent sa punition sur le temps que dure son supplice ? et n’est-ce pas plutôt parce que la mort le retranche pour toujours de la société humaine ? Et d’ailleurs, la confiscation, la flétrissure, l’exil, l’esclavage, lorsque toutes ces peines sont appliquées dans toute leur rigueur et sans aucun adoucissement, ne sont-elles pas semblables aux peines éternelles, autant qu’elles peuvent l’être en cette vie ? si elles ne sont pas éternelles, c’est que la vie elle-même qu’elles atteignent ne dure pas éternellement. Mais, ajoute-t-on, où est la vérité de cette parole de Jésus-Christ : Vous serez mesurés avec la même mesure dont vous vous serez servis à l’égard des autres. " (Mt 7.) Si un péché qui n’a duré qu’un instant est puni par un supplice éternel ? Nous répondons qu’en parlant de la sorte, on ne fait pas attention que cette même mesure, dont parle le Sauveur, doit s’entendre non pas d’une peine égale en durée à la faute, mais de la peine elle-même qui, par une juste réciprocité, sera le châtiment du mai qu’on aura fait aux autres. Or, l’homme s’est rendu digne d’un mal éternel pour avoir détruit en lui-même un bien qui le pouvait être.

S. GREG. (Moral., 34, 46.) On fait une nouvelle objection : il n’y a pas d’homme juste qui puisse se complaire dans des cruautés gratuites, et si un maître qui est juste, fait battre de verges son serviteur coupable, c’est pour le corriger de ses vices, mais quel sera le but de ces feux éternels dans lesquels les méchants seront éternellement consumés ? Nous répondons que le Dieu tout-puissant ne peut se repaître des tourments des malheureux, parce qu’il est miséricordieux, ni être apaisé par le supplice des coupables, parce qu’il est juste ; mais une des fins pour lesquelles les méchants seront brûlés éternellement, c’est afin que les justes se reconnaissent éternellement d’autant plus redevables à la grâce divine, en voyant punies pour l’éternité des fautes que le secours de la grâce leur a fait éviter. — S. Aug. (Cité de Dieu, 21, 3.) Mais, ajoute-t-on encore, Dieu n’a créé aucun corps qui soit sujet à la souffrance, sans être sujet à la mort. Nous répondons qu’il est nécessaire qu’il vive pour souffrir, mais qu’il n’est pas nécessaire que la souffrance lui ôte la vie. Est-ce que toute souffrance donne actuellement la mort à nos corps qui sont cependant mortels ? Il est en effet des douleurs qui produisent cet effet, mais la cause en est que l’union actuelle de l’âme avec le corps ne peut résister, et cède devant des souffrances excessives. Mais alors, la nature du corps auquel l’âme sera unie, et les liens eux-mêmes qui établiront cette union seront à l’épreuve de toutes les douleurs. On ne peut pas dire qu’il n’y aura plus alors de mort ; mais la mort sera éternelle, parce que l’âme ne pourra vivre privée de Dieu, et qu’elle ne pourra échapper par la mort aux douleurs du corps. Parmi ceux qui ont nié l’éternité des peines de l’enfer, le plus miséricordieux est Origène qui a cru que le démon lui-même et ses anges, après de rigoureux et longs supplices proportionnés à leurs fautes, obtiendraient leur délivrance, et rentreraient dans la société des saints anges. Mais l’Église l’a condamné avec raison pour cette erreur et d’autres encore ; et il perdit jusqu’à ces faux dehors de miséricorde en créant aux saints de véritables souffrances, qui seraient pour eux des châtiments expiatoires, et une félicité mensongère, où leur joie n’aurait aucune sécurité, parce qu’elle ne serait point éternelle. Mais une erreur bien différente, et qui part toujours d’un faux sentiment de compassion, est celle qui prétend que les souffrances des hommes condamnés dans ce jugement n’auront qu’un temps, et qu’après avoir été délivrés tôt ou tard, ils jouiront d’un bonheur éternel. Mais pourquoi cette miséricorde, qui se répand sur toute la nature humaine, se tarit-elle aussitôt qu’elle arrive à la nature angélique ? — S. Grég. (comme précédemment.) Mais comment, objecte-t-on encore, peut-on croire à la sainteté de ceux qui ne prieront point pour leurs ennemis qu’ils verront alors la proie des flammes ? Les saints prient pour leurs ennemis, tant que leurs prières peuvent amener leurs cœurs à un repentir utile et salutaire, mais pourquoi prieraient-ils pour ceux qui ne peuvent plus en aucune façon être séparés de l’iniquité ?

S. Aug. (Cité de Dieu, 19.) Il en est d’autres encore qui promettent la délivrance des peines éternelles, non pas à tous les hommes indistinctement, mais seulement à ceux qui ont été justifiés par le baptême de Jésus-Christ, et qui participent à son corps, quelle qu’ait été d’ailleurs leur vie ; et ils se fondent sur les paroles du Seigneur : " Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. " Il en est d’autres qui font cette promesse, non pas à tous ceux qui ont participé au sacrement du Christ, mais aux seuls catholiques, bien que leur vie soit répréhensible, et cela parce qu’ils ont mangé en réalité le corps de Jésus-Christ, en faisant partie de son corps mystique qui est l’Église ; et ils leur garantissent ce bonheur quand même ils seraient tombés plus tard dans l’hérésie ou dans l’idolâtrie. heu est encore qui s’appuient sur ces paroles du Sauveur : " Celui qui aura persévéré jusqu’à la fin, sera sauvé " (Mt 23-24), pour promettre exclusivement le bonheur éternel à ceux qui persévéreront dans 1’Église catholique, quoiqu’ils y vivent d’une manière déréglée, parce que, disent-ils, en vertu du fondement de la foi qu’ils auront conservée, ils seront sauvés par le feu (1 Co 3) qui doit devenir le supplice des méchants au dernier jour. Mais l’Apôtre condamne toutes ces erreurs par ces paroles : " Il est aisé de connaître les oeuvres de la chair qui sont l’impureté, la fornication, et autres crimes semblables, et je déclare que ceux qui les commettent, ne posséderont pas le royaume de Dieu. " (Ga 5.) Si quelqu’un, en effet, préfère les choses de la terre à Jésus-Christ, bien qu’il paraisse avoir la foi de Jésus-Christ, Jésus-Christ n’est cependant pas le fondement (1 Co 3, 11) de ses oeuvres, puisqu’il lui préfère des biens périssables ; mais s’il fait plus, et qu’il commette l’iniquité, ce n’est plus seulement le second rang, mais le dernier, qu’il donne à Jésus-Christ. J’en ai rencontré aussi qui pensent que la peine des flammes éternelles n’atteindra que ceux qui auront omis d’expier leurs péchés par de dignes aumônes ; c’est pour cela, disent-ils, que le souverain juge n’a voulu rappeler au jugement dernier que les aumônes qui ont été faites ou omises. Mais celui qui expie ses péchés par des aumônes proportionnées à ses fautes, devrait commencer par se faire l’aumône à lui-même ; car c’est une indignité que de se refuser à soi-même ce qu’il accorde à son prochain, lorsqu’il entend le Seigneur lui dire : " Vous aimerez votre prochain comme vous-même, " et encore : " Ayez pitié de votre âme, en vous efforçant de plaire à Dieu. " Or, comment peut-on dire qu’il expie dignement ses péchés par ses aumônes, lui qui ne fait point à son âme l’aumône de plaire à Dieu ? Il faut donc faire des aumônes pour nous rendre Dieu favorable lorsque nous le prions de nous pardonner nos péchés passés, mais non pas dans la pensée que nous pouvons persévérer dans ces mêmes péchés, et que nous achetons par nos aumônes la liberté de faire le mal. Et si le Seigneur promet qu’il placera à sa droite ceux qui ont fait l’aumône, et à sa gauche ceux qui ont négligé ce devoir de charité, c’est qu’il veut nous apprendre toute la puissance de l’aumône pour effacer les péchés passés, mais non pas assurer à jamais l’impunité de ceux que l’on pourrait commettre.

ORIG. Ou bien, l’on peut dire que le Seigneur ne récompense pas ici une seule espèce de justice, comme plusieurs le pensent ; car quelque soit le précepte de Jésus-Christ qu’on accomplisse, on apaise la faim et la soif de Jésus-Christ, qui se nourrit et s’abreuve de la justice, et de la vérité des fidèles De même nous couvrons de vêtements les membres glacés de Jésus-Christ, lorsque nous prenons le tissu de la sagesse, pour enseigner aux antres la saine doctrine et les revêtir des entrailles de la miséricorde. Lorsque nous ornons notre cœur des différentes vertus chrétiennes pour recevoir Jésus-Christ ou ceux qui lui appartiennent, c’est Jésus-Christ voyageur que nous recevons dans la demeure de notre âme. Lorsque nous visitons un frère infirme dans la foi ou dans les bonnes oeuvres, soit par la parole qui enseigne, soit par la réprimande, soit parla consolation, c’est Jésus-Christ lui-même que nous visitons. Enfin toute la terre est une véritable prison pour Jésus-Christ et pour ceux qui lui appartiennent, et qui, pendant cette vie, sont comme des prisonniers enchaînés dans les nécessités de la nature humaine. Toutes les fois donc que nous faisons du bien à nos frères, nous les visitons dans leur prison, et Jésus-Christ dans leur personne.

 

CHAPITRE XXVI

 

vv. 1-2.

S. Hil. (can. 28 sur S. Matth.) Après avoir prédit que son second avènement aurait lieu dans tout l’éclat de sa gloire, Notre-Seigneur annonce que sa passion approche, pour faire comprendre à ses disciples l’union étroite qui existe entre le mystère de la croix et la gloire de l’éternité : " Et Jésus ayant achevé tous ses discours. " — Rab. C’est-à-dire touchant la fin du monde et le jour du jugement, ou bien pour signifier qu’il avait achevé toutes les oeuvres et toutes les prédications qui étaient l’objet de sa mission, depuis le commencement de l’Évangile jusqu’à sa passion. — Orig. (Traité 35 sur S. Matth.) L’Évangéliste ne dit pas simplement : Tous les discours, mais : " Tous ces discours, " car le Sauveur devait encore en prononcer d’autres avant d’être livré à ses ennemis.

" Et il dit à ses disciples : Vous savez que la Pâque se fera dans deux jours. " — RAB. Comme nous le voyons également dans saint Jean, Jésus vint à Béthanie six jours avant la Pâque, et, de là, se rendit à Jérusalem, où il fit son entrée monté sur un ânon, et c’est alors qu’il faut placer tous les événements qui eurent lieu à Jérusalem, d’après le récit des Évangélistes. Quatre jours s’étaient donc écoulés depuis l’arrivée de Jésus à Béthanie, puisque deux jours seulement le séparait de la Pâque. Il y a cette différence entre la Pâque et le jour des azymes, que le nom de Pâque était spécialement réservé au jour où on immolait, sur le soir, l’agneau pascal, c’est-à-dire au quatorzième jour de la lune du premier mois ; et le quinzième jour qui correspond à la sortie du peuple juif de l’Egypte, avait lieu la fête des azymes. Cependant, les Évangélistes prennent indifféremment un jour pour l’autre. — S. Jér. Le mot Pâque (en hébreu phasach) ou passage ne vient pas du mot grec πασχείν (souffrir), et ne signifie point passion, mais passage, parce qu’en effet l’ange exterminateur, en voyant le seuil des portes des Israιlites marqué du sang de l’agneau, passa sans les frapper (Ex 12), ou bien, parce que le Seigneur passa lui-même au-dessus d’eux pour venir au secours de son peuple. — Remi. Ou bien encore, ce nom vient de ce que le peuple d’Israël, délivré par la puissance du Seigneur, a passé de la servitude d’Egypte à la vraie liberté. — Orig. Notre-Seigneur ne dit pas : La Pâque sera ou viendra, mais " se fera, " pour montrer qu’il ne voulait point parler de la pâque qui se célébrait conformément à la loi (Ex 1, 2), mais d’une pâque nouvelle, telle qu’on ne l’avait point faite jusqu’alors. — Remi. Le mot pâque a un sens mystérieux, parce que c’est en ce jour que Jésus-Christ a passé du monde à son Père, de la Corruption à l’incorruptibilité, de la mort à la vie ; ou bien, parce qu’il a délivré le monde de l’esclavage du démon par son passage plein de grâce. Après les deux jours de la brillante lumière que répandent l’Ancien et le Nouveau Testament, la véritable pâque est célébrée (1 Co 5, 7) ; nous célébrons aussi notre Pâque ou notre passage, si nous laissons les choses de la terre pour nous hâter de nous diriger vers les choses du ciel.

Orig. Le Sauveur prédit à ses disciples qu’il sera livré, en ajoutant : " Et le Fils de l’homme sera livré pour être crucifié. " Il les avertit d’avance, dans la crainte qu’ils ne soient stupéfaits et interdits en voyant leur maître attaché à la croix sans avoir été préparés. Il se sert de cette expression impersonnelle : Il sera livré, " parce que Dieu l’a livré par miséricorde pour le genre humain ; Judas par avarice ; le démon par la crainte de voir les enseignements du Sauveur arracher les hommes à. sa puissance, et il ne voyait pas que le genre humain serait bien plus efficacement délivré par la mort de Jésus-Christ qu’il ne l’avait été par sa doctrine et par ses miracles.

 

vv. 3-4.

— La Glose. L’Évangéliste nous raconte les préparatifs de la passion que Jésus-Christ venait d’annoncer et les noires intrigues qui la précédèrent : Alors les princes des prêtres s’assemblèrent, " etc. — Remi. L’expression " Alors, " rattache cette circonstance à ce qui précède ; Alors, " c’est-à-dire avant la célébration de la Pâque. — ORIG. Ce n’étaient point de vrais prêtres ni de véritables anciens, mais les prêtres et les anciens d’un peuple qui n’avait que l’apparence du peuple de Dieu, et qui était en réalité un vrai peuple de Gomorrhe. Ils ne comprirent pas que Jésus était le souverain Pontife de Dieu, et ils lui tendirent des piéges ; ils ne reconnurent pas en lui le premier-né de toute créature, celui qui précède tous les hommes par l’ancienneté de son origine, et ils tinrent conseil contre lui.

S. CHRYS. (hom. 79.) Pleins de leurs projets iniques, ils viennent trouver le prince des prêtres, pour demander le pouvoir d’agir à celui qui aurait dû s’opposer à leurs desseins. Il y avait alors plusieurs grands prêtres, quoique, d’après la loi, il ne devait y en avoir qu’un seul, ce qui prouve un commencement de dissolution et de décadence dans le peuple juif, car Moïse avait établi qu’il n’y aurait qu’un seul grand prêtre, et qu’on ne lui donnerait un successeur qu’après sa mort ; mais, dans la suite, la dignité de grand prêtre devint annuelle. L’Évangéliste appelle donc ici princes des prêtres ceux qui avaient été revêtus de cette dignité. — REMI. Or, ce qui les rend inexcusables, c’est cette double circonstance : qu’ils étaient grands prêtres, et qu’ils se réunissent pour faire le mal, car plus le nombre de ceux qui s’assemblent pour concerter un crime est grand, plus ils sont distingués par leur dignité, par leur position, par leur naissance, plus le crime qu’ils commettent devient énorme, et plus aussi le châtiment qui les attend est terrible. L’Évangéliste ajoute, pour montrer la simplicité et l’innocence du Seigneur : " Afin de se saisir de lui par ruse et de le faire mourir. " Comme ils ne pouvaient trouver aucun motif légitime de le faire mourir, ils tinrent conseil pour se saisir de lui par la ruse et le mettre à mort. — S. Chrys. (hom. 79.) Ils tinrent donc conseil pour se saisir de lui secrètement et le faire mourir, car ils craignaient le peuple, et ils voulaient attendre que la fête de Pâque fut passée. " Et ils disaient : Il ne faut point que ce soit pendant la fête. " Le démon ne voulait pas que le Christ souffrît pendant la fête de Pâque, pour ne point donner un trop grand éclat à son supplice. Quant aux princes des prêtres, peu sensibles à la crainte de Dieu et à l’énormité bien plus grande d’un crime commis pendant cette grande fête, ils n’étaient préoccupés que d’une crainte toute humaine, c’est-à-dire que l’arrestation de Jésus ne suscitât quelque tumulte parmi le peuple. " — 051G. Car les sentiments du peuple étaient différents : les uns aimaient Jésus-Christ, les autres le haïssaient ; les uns croyaient en lui, les autres n’y croyaient pas.

S. Léon. (serm. pour le jour de Pâque.) Les princes des prêtres prenaient des mesures pour qu’aucun tumulte n’eût lieu dans ce saint jour de fête ; mais ce qui les préoccupait, ce n’était pas la solennité du jour, c’était l’exécution de leur crime, et ils redoutaient qu’une sédition ne vint à éclater pendant la principale fête de l’année, non pas dans la crainte que le peuple ne se rendît coupable, mais de peur que Jésus ne vint à leur échapper. — S. Chrys. (hom. 79.) Mais l’excès même de leur méchanceté les fit changer de résolution, et ayant trouvé un traître à leur disposition, ils firent mourir Jésus-Christ pendant la fête même de Pâque. — S. Léon. (comme précéd.) Nous devons reconnaître que c’est par un dessein bien marqué de la providence de Dieu que les princes des Juifs, qui avaient si souvent cherché l’occasion de satisfaire leur fureur contre Jésus-Christ, ne reçurent le pouvoir de l’exercer contre lui qu’à la fête de Pâque. Il fallait en effet que les promesses annoncées depuis si longtemps par des mystères figuratifs eussent un accomplissement visible et éclatant, que le véritable agneau prît la place de celui qui. l’avait figuré, et qu’un sacrifice unique tint lieu désormais des victimes multipliées de l’ancienne loi. Afin donc que les ombres s’évanouissent devant la réalité, et que les figures disparaissent en présence de la vérité, une victime succède à une victime, le sang est remplacé par le sang, et la solennité légale reçoit son accomplissement en faisant place à une autre.

 

vv. 6-13.

Après nous avoir fait connaître le conseil que tinrent les princes des prêtres pour faire mourir Jésus, l’Évangéliste va nous apprendre comment ils le mirent à exécution, en nous racontant comment Judas conclut avec les Juifs le traité qui devait leur livrer le Sauveur. Mais il nous instruit tout d’abord des causes de cette trahison, ce fut la peine qu’il éprouva qu’on n’eût pas vendu le parfum que cette femme répandit sur la tête de Jésus-Christ, car il désirait retenir quelque chose sur le prix ; ce fut donc pour se dédommager de cette perte qu’il conçut le dessein de trahir son maître, " Or, comme Jésus était à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux, " etc. — S. Jér. Ce n’est pas qu’il fut encore actuellement lépreux, mais parce qu’il avait été guéri précédemment de la lèpre, et l’Évangéliste lui conserve le nom de lépreux pour rappeler la puissance de celui qui l’avait guéri.

" Une femme s’approcha de lui, tenant un vase d’albâtre plein d’un parfum de grand prix, " — Rab. L’albâtre est une espèce de marbre blanc veiné de diverses nuances et dont on se sert ordinairement pour des vases destinés à contenir des parfums et qui ont la propriété, dit-on, de les préserver de toute altération. — S. Jér. Un autre Évangéliste (Jn 12), au lieu d’un vase d’albâtre plein d’un parfum précieux, parle d’un parfum de nard fidèle, c’est-à-dire vrai et sans mélange. — Rab. Le mot grec πίστις (pistis) veut dire foi, d’où vient le mot πιστίχον (pisticon), c’est-à-dire fidèle, et ce parfum était fidèle, parce qu’il était pur et sans mélange.

" Et elle le répandit sur sa tête lorsqu’il était à table. " — ORIG. Peut-être pourrait-on dire que les évangélistes on parlé de quatre femmes différentes ; mais, à mon avis, ils n’ont parlé que de trois : l’une dont saint Matthieu et saint Marc font mention, l’autre dont parle saint Luc, et la troisième dont parle saint Jean. — S. Jér. Il ne faut point penser que ce fut la même qui répandit le parfum sur la tête et qui le répandit sur les pieds. Celle qui le répandit sur les pieds les lava de ses larmes, les essuya de ses cheveux, et elle est appelée expressément une femme de mauvaise vie, tandis qu’on ne dit rien de semblable de celle-ci, D’ailleurs, une femme pécheresse n’aurait pas été digne tout d’un coup de répandre des parfums sur la tête du Sauveur. — S. AMBR. On peut donc admettre que ce n’est pas la même femme, et ainsi disparaît toute contradiction entre les évangélistes. On peut encore résoudre cette difficulté, en tenant compte de la différence des temps et du mérite de cette femme, pécheresse en premier lieu, et femme vertueuse et parfaite dans la seconde circonstance. — S. CHRYS. (hom. 80.) A s’en tenir au récit des trois évangélistes, saint Matthieu, saint Marc et saint Jean, ce serait une seule et même personne. Or, ce n’est pas sans raison que l’Évangéliste rappelle que Simon était lépreux ; il veut ainsi nous apprendre ce qui inspira à cette femme la confiance de s’approcher de Jésus. La lèpre était une maladie qui rendait impur, et cette femme voyant que Jésus en avait guéri cet homme chez qui il se trouvait, conçut la ferme espérance qu’il pourrait facilement purifier son âme de la lèpre impure du péché. Tandis que toutes les autres femmes ne s’étaient approchées de Jésus que pour lui demander la guérison de leur corps, seule cette femme s’approcha du Sauveur, pour lui rendre les honneurs qui lui étaient dus et pour en obtenir la guérison de son âme, car elle n’avait aucune infirmité corporelle ; aussi, est-ce là ce qui la rend vraiment digne de notre admiration. D’après l’évangéliste saint Jean, au contraire, ce ne serait pas la même personne, mais une autre, la sœur admirable de Lazare. — ORIG. Et la raison en est que saint Matthieu et saint Marc racontent que ce fait a eu lieu dans la maison de Simon le lépreux, tandis que saint Jean nous apprend que Jésus vint dans la maison où était Lazare, et que ce n’était pas Simon mais Marthe et Marie qui le servaient. D’ailleurs, selon saint Jean, c’est six jours avant la fête de Pâque que Marthe et Marie offrirent à Jésus un repas, tandis que lorsqu’il était à la table de Simon, on n’était plus séparé que par deux jours de la fête de Pâque. Dans saint Matthieu et dans saint Marc, nous voyons encore que ce sont les disciples qui manifestent leur mécontentement de la pieuse action de cette femme, tandis que, dans saint Jean, Judas seul s’en indigne parce qu’il aimait à voler ; dans saint Luc, nous ne voyons personne murmurer de cette action. — S. Grég. (hom. 33 sur les évang.) Ou bien, il faut dire que saint Luc appelle femme pécheresse cette même femme à qui saint Jean donne le nom de Marie. — S. Aug. (De l’accord des Evang., 2, 79.) Saint Luc raconte un fait semblable, et celui chez qui Notre-Seigneur se trouvait alors à table porte le même nom, puisque saint Luc l’appelle Simon. Cependant, comme il n’est contraire ni à la raison, ni à l’usage que le même nom soit porté par deux personnes différentes, il est plus vraisemblable qu’il y avait à Béthanie un autre Simon, différent de Simon le lépreux, et chez lequel s’est passé cette scène. Je pense donc que la femme dont il est ici question n’est point différente de la pécheresse qui était venue se jeter alors aux pieds de Jésus, mais que c’est la même appelée Marie qui a fait la même action dans deux circonstances différentes ; saint Luc a raconté la première et saint Jean lui-même la rappelle, comme trait distinctif de Marie, avant l’arrivée du Sauveur à Béthanie. " Or, il y avait un homme malade nommé Lazare, qui était du bourg de Béthanie, où demeuraient Marie et Marthe sa sœur. Cette Marie était celle qui répandit sur le Seigneur une huile de parfums, et qui essuya ses pieds avec ses cheveux, et Lazare, qui était alors malade, était son frère. " Marie avait donc déjà répandu une fois des parfums sur le Seigneur, et elle répète cette action une seconde fois, dans une circonstance dont saint Luc ne parle pas, mais qui est racontée par les trois autres évangélistes, saint Jean, saint Matthieu et saint Marc. Saint Matthieu et saint Marc disent, il est vrai, qu’elle répandit ce parfum sur la tête du Seigneur, tandis que saint Jean le lui fait répandre sur les pieds. Mais il n’y a point en cela de contradiction, si nous admettons que cette femme répandit ce parfum, non-seulement sur la tête, mais sur les pieds du Seigneur. Peut-être nous objectera-t-on, dans un esprit de chicane, que, suivant le récit de saint Marc, cette femme brisa le vase d’albâtre avant de répandre le parfum sur la tête du Seigneur, et qu’il est impossible qu’il en soit resté assez dans ce vase brisé pour parfumer ses pieds. Mais que les contradicteurs veuillent bien remarquer qu’elle a pu répandre le parfum sur les pieds du Sauveur avant de briser le vase, et qu’il en est resté assez dans ce vase entier pour répandre sur sa tête lorsqu’elle l’eut brisé.

S. Aug. (doct. chrét., 3, 12.) Personne, pour peu qu’il fasse usage de sa raison, n’ira croire que le Seigneur a permis que cette femme répandit ces parfums sur ses pieds, à l’exemple des hommes sensuels et voluptueux. Dans toutes ces choses, ce n’est point l’usage qui est coupable, mais la mollesse voluptueuse de ceux qui s’en servent. Celui qui, dans l’usage qu’il en fait, dépasse les limites que s’imposent les personnes vertueuses au milieu desquelles il vit, ou fait preuve de dépravation, ou annonce que sa conduite a quelque chose de mystérieux. La même chose donc qui, dans les autres, est presque toujours coupable, dans une personne divine ou dans un prophète, peut être un symbole ou une figure ; car la bonne odeur figure la bonne réputation, et celui qui s’en rend digne par les oeuvres d’une vie vertueuse, en suivant les pas de Jésus-Christ, semble répandre sur ses pieds un parfum d’un grand prix.

S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 78.) Il semble qu’il y ait contradiction entre saint Matthieu et saint Marc, qui, après avoir dit que la Pâque se ferait dans deux jours, mentionnent tous les deux que Jésus était à Béthanie, où ce parfum précieux fut répandu sur sa tête, tandis que saint Jean place le même fait six jours avant la fête de Pâque. Mais ceux qui font cette difficulté, ne remarquent pas que c’est par récapitulation que saint Matthieu et saint Marc racontent ce fait ; car aucun d’eux, après avoir dit que la Pâque se ferait dans deux jours, ne continue son récit en ajoutant : " Ensuite comme Jésus était à Béthanie. "

S. Chrys. (hom. 80.) Mais comme les disciples avaient entendu le divin Maître proclamer cette vérité : " J’aime mieux la miséricorde que le sacrifice " (Mt 9, 12), ils se disaient en eux-mêmes : s’il n’a point pour agréables les holocaustes, à plus forte raison l’usage que l’on fait de ce parfum " Ce que ses disciples voyant, ils s’indignèrent et dirent : A quoi bon cette perte, car on aurait pu vendre, " etc. — S. JER. Je sais qu’il en est qui attaquent ce passage ; car d’après saint Jean, disent-ils, Judas seul s’indigna, parce qu’il avait la bourse, et qu’il avait volé dès le commencement ; saint Matthieu, au contraire, raconte que tous les disciples s’élevèrent contre cette femme. Mais ils oublient qu’il y a ici cette figure de mots, appelée syllepse (σύλληψις), qui consiste ΰ employer le singulier pour le pluriel, et le pluriel pour le singulier. C’est ainsi que dans son épître aux Hébreux, saint Paul dit des justes de l’ancienne loi : " Ils ont été sciés " (He 11), tandis que d’après l’opinion commune, Isaïe seul a souffert ce supplice. — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 79.) On peut encore admettre que les autres disciples partagèrent ces mêmes sentiments, et peut-être à la persuasion de Judas ; c’est cette impression générale que saint Matthieu et saint Marc ont voulu exprimer. Mais Judas tint ce langage, parce que c’était un voleur, les autres y participèrent par un sentiment de charité pour les pauvres, et saint Jean n’a fait mention que de Judas, parce qu’il a voulu constater à cette occasion l’habitude qu’il avait de voler.

S. Chrys. (hom. 80.) Telles étaient les pensées des disciples, mais le Seigneur, qui voyait l’intention de cette femme, la laisse agir, tant est grande la piété qui l’inspire, et le zèle qui l’anime. Il condescend donc à ses désirs, et lui permet de répandre ce parfum sur sa tête. Le Père céleste avait souffert qu’on lui offrit l’odeur des victimes et la fumée des sacrifices (Gn 8, 2), ainsi Jésus-Christ daigne accepter le parfum que cette femme répand sur lui par un sentiment de religion, tandis que ses disciples la blâment, parce qu’ils ignorent l’intention qui la fait agir. " Mais Jésus, sachant leurs murmures, leur dit : Pourquoi faites-vous de la peine à cette femme ? " — REMI. Preuve évidente qu’ils avaient dit quelque chose de blessant pour cette femme, Il ajoute cette parole remarquable : " Elle vient de faire une bonne oeuvre envers moi, " c’est-à-dire, ce n’est point là comme vous le dites une perte, mais une bonne oeuvre, un acte de piété et de religion. — S. Chrys. (hom. 80.) Il ne se borne pas à dire : " Elle a fait une bonne oeuvre envers moi, " mais il commence par réprimander ses disciples : " Pourquoi faites-vous de la peine à cette femme ? " parce qu’il veut nous apprendre à encourager, à exciter celui qui fait une bonne action quelle qu’elle soit, fût-elle d’ailleurs accompagnée de quelques négligences, et à ne point exiger tout d’abord la perfection. Si on l’avait interrogé avant que cette femme fit cette action, il ne lui en aurait pas fait une obligation ; mais après que ce parfum eut été répandu, le reproche des disciples n’avait plus d’application, et c’est pour ne point étouffer les saints désirs de cette femme qu’il s’exprime ainsi pour sa consolation.

" Car vous aurez toujours des pauvres avec vous. " — REMI. Notre-Seigneur leur prouve ici par une raison claire, qu’il ne fallait pas incriminer la conduite de ceux qui l’assistaient de leurs biens pendant le cours de sa vie mortelle ; car il y aurait toujours des pauvres dans 1’Église, et les fidèles trouveraient toujours l’occasion de leur faire du bien quand ils le voudraient, tandis qu’il devait rester peu de temps avec eux revêtu d’un corps mortel. " Mais pour moi, vous ne m’aurez pas toujours. " — S. Jér. On peut se demander comment Notre-Seigneur a pu dire à ses disciples après sa résurrection : " Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation du monde " (Mt 28), tandis qu’il leur déclare ici qu’ils ne l’auront pas toujours. Je réponds que dans cette dernière circonstance, il veut parler de sa présence sensible dont ils ne devaient plus jouir après sa résurrection, comme ils en jouissaient maintenant en toute intimité dans le commerce habituel de la vie. — REMI. Ou bien, cette question peut se résoudre en disant que c’est à Judas seul que Notre-Seigneur a adressé ces paroles, et s’il n’a pas dit : Tu auras, mais : " Vous aurez, " c’est que dans la personne de Judas, il a eu en vue tous ses imitateurs. Il dit aussi : " Vous ne m’aurez pas toujours, " bien que les méchants ne l’aient même pas pour un temps, parce qu’ils paraissent avoir Jésus-Christ pendant cette vie en se mêlant avec ses membres, et en s’approchant de sa table, mais ils ne l’auront pas toujours de cette manière, parce que ce n’est qu’aux seuls élus qu’il dira : " Venez les bénis de mon Père. "

" Car en répandant ce parfum, " etc. C’était un usage chez les Juifs d’embaumer avec divers parfums les corps des morts, pour les préserver plus longtemps de la corruption, et comme cette femme devait avoir la pensée d’embaumer le corps du Seigneur après sa mort, pensée qu’elle ne pourrait exécuter, prévenue qu’elle serait par la résurrection, Dieu permit, par une disposition providentielle, qu’elle couvrît de parfums le corps vivant de Jésus. C’est ce que signifient ces paroles : En répandant ce parfum sur mon corps, elle l’a fait pour m’ensevelir, " c’est-à-dire qu’en répandant ce parfum sur mon corps pendant ma vie, elle a comme annoncé ma mort et ma sépulture.

S. Chrys. (hom. 80.) Le Sauveur vient de parler de mort et de sépulture, il ne veut pas laisser cette femme sous l’impression de tristesse, que ces paroles devaient lui causer, il la console donc de nouveau en ajoutant : " Je vous le dis en vérité, partout où sera prêché, " etc. — RAB. C’est-à-dire dans tous les lieux où s’étendra l’Église, dans tout l’univers on racontera ce qu’a fait cette femme, etc. Ces dernières paroles nous apprennent que de même que Judas eu blâmant cette action, s’est couvert à tout jamais d’infamie, ainsi cette femme recueille dans tous les siècles la gloire de son pieux dévouement. — S. Jér. Voyez quelle connaissance de l’avenir, lui dont la passion et la mort devaient avoir lieu dans deux jours, il sait que son Évangile sera prêché dans tout l’univers. — S. Chrys. (hom. 80.) Or, voici que cette prédiction a reçu son accomplissement ; et dans quelque partie de la terre que vous alliez, vous verrez cette femme devenue célèbre par la puissance de celui qui a fait cette prédiction. Les victoires d’une multitude de rois et de généraux sont ensevelies dans le silence et l’oubli, et on ne connaît ni le nom, ni les actions d’un grand nombre de ceux qui ont construit des villes et réduit en servitude une infinité de nations. Mais cette femme a répandu un vase de parfum dans la maison d’un lépreux, en présence de douze hommes, et voici que tous la célèbrent à l’envi par toute la terre, et malgré le temps qui s’est écoulé depuis, le souvenir de cette action n’est pas effacé. Mais pourquoi Notre-Seigneur n’a-t-il point promis de récompense particulière à cette femme, mais seulement une mémoire éternelle ? Parce que sa récompense est clairement indiquée dans les paroles du Sauveur ; car puisqu’elle a fait une bonne oeuvre, il est évident qu’elle en recevra la récompense.

S. Jér. Dans le sens mystique, celui qui doit souffrir pour l’univers entier, s’arrête à Béthanie dans la maison de l’obéissance, autrefois la maison de Simon le lépreux, Simon veut dire aussi obéissant, et selon une autre explication, il signifie le monde, et c’est dans sa maison que l’Église a été guérie. — ORIG. Partout, dans les Écritures, l’huile signifie ou une oeuvre de miséricorde qui entretient la lampe de la parole et lui donne son éclat, ou la doctrine destinée à nourrir la parole de la foi, qui brille en nous comme une lumière. Généralement on donne le nom d’huile à tout ce qui sert à oindre le corps. Mais parmi les huiles, il y a les parfums, et parmi les parfums, il en est de plus précieux les uns que les autres. Ainsi tout acte, selon la justice, s’appelle une bonne oeuvre ; mais parmi les bonnes oeuvres, celles que nous faisons pour les hommes ou d’une manière toute humaine, sont différentes de celles que nous faisons pour Dieu et dans l’intention de lui plaire. De même dans les actions que nous faisons pour Dieu, les unes sont utiles aux hommes, les autres ne tendent qu’à la gloire de Dieu. Ainsi, par exemple, un homme fait du bien à son semblable par un sentiment naturel de justice, et sans songer à plaire à Dieu, comme le faisaient parfois les Gentils, cette action est une huile ordinaire, qui n’a point d’odeur exquise, elle est cependant agréable à Dieu ; car, comme le dit saint Pierre dans les écrits de saint Clément, les bonnes oeuvres que font les infidèles leur servent dans ce monde, mais non dans l’autre où elles sont stériles pour la vie éternelle. Ceux qui agissent pour Dieu, en recueillent surtout le prix dans l’autre vie, et c’est un parfum qui exhale une odeur délicieuse. Quelquefois ils agissent dans l’intérêt du prochain en faisant des aumônes, ou d’autres oeuvres semblables, et celui qui exerce ces oeuvres de miséricorde à l’égard des chrétiens, répand des parfums sur les pieds de Jésus-Christ. C’est ce que font ordinairement les pécheurs repentants pour obtenir la rémission de leurs péchés. Celui, au contraire, qui s’applique à la pratique de la chasteté, qui persévère dans les prières, dans les jeûnes et dans d’autres oeuvres qui ne tendent qu’à la gloire de Dieu, répand des parfums sur la tête du Seigneur ; c’est un parfum précieux dont l’odeur se répand dans toute l’Église, et c’est l’œuvre propre, non pas des pénitents, mais des parfaits. Ou bien, le parfum répandu sur les pieds du Sauveur, c’est la doctrine qui est nécessaire aux hommes, tandis que la connaissance de la foi qui n’a pour objet que Dieu est le parfum répandu sur la tête de Jésus-Christ, et c’est par ce parfum que nous sommes, par le baptême, ensevelis avec Jésus-Christ pour mourir au péché. — S. Hil. Cette femme figure le peuple des Gentils, c’est elle qui, dans la passion de Jésus-Christ, rend gloire à Dieu ; car elle a répandu des parfums sur sa tête, et la tête du Christ c’est Dieu ; l’huile, c’est le fruit des bonnes oeuvres. Les disciples, dans le désir qu’ils avaient de sauver Israël, prétendent qu’on aurait dû vendre ce parfum pour en distribuer le prix aux pauvres, c’est-à-dire aux Juifs qu’ils appellent par une inspiration prophétique des pauvres, comme étant privés des richesses de la foi, et le Seigneur leur déclare qu’ils auront tout le temps nécessaire pour prendre soin de ces pauvres. D’ailleurs ce n’est que par son ordre exprès qu’ils pourront porter le salut aux Gentils qui ont été ensevelis avec lui, et couverts du parfum répandu par cette femme ; car la régénération ne sera donnée dans le baptême qu’à ceux qui seront morts avec lui. Or, partout où l’Évangile sera prêché, on racontera ce qu’a fait cette femme, parce qu’après la chute du peuple d’Israël, la foi des Gentils proclamera la gloire de 1’Évangile.

 

vv. 14-15.

La Glose. Après nous avoir fait connaître quelle fut l’occasion de la trahison de Judas, l’Évangéliste en vient au fait même de cette trahison : " Alors l’un des douze s’en alla. " — S. Chrys. (hom. 80.) C’est-à-dire lorsqu’il eut entendu que cet Évangile serait prêché eu tout lieu, il fut saisi de crainte ; car les paroles du Sauveur étaient pleines d’une puissance ineffable. — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 80.) Voici la suite du discours de Notre-Seigneur : " Vous savez que la Pâque se fera dans deux jours. — Alors les princes des prêtres s’assemblèrent. — Alors l’un des douze s’en alla, " etc. Entre ces paroles : " De peur qu’il ne s’élève quelque tumulte parmi le peuple, et ces autres : " Alors l’un des douze s’en alla, " etc. ; l’Évangéliste raconte le fait qui s’est passé à Béthanie, et qu’il place ici par récapitulation. — Orig. Pour trahir l’unique prince des prêtres qui a été consacré prêtre pour l’éternité (Ps 109), il alla trouver tous ces princes des prêtres afin de leur vendre à prix d’argent celui qui voulait racheter le monde entier. — RAB. L’auteur sacré dit qu’il s’en alla, c’est-à-dire que c’est sans y être forcé, sans y être sollicité, mais de son plein gré qu’il conçut ce criminel dessein.

S. Chrys. (hom. 80.) Il dit : " L’un des douze, " c’est-à-dire l’un de ceux qui les premiers ont été l’objet d’une vocation sublime, et il ajoute pour le distinguer : " Appelé Judas Iscariote ; " car il y avait un autre Judas. — REMI. Iscariote était le village où Judas était né. — S. Léon. (Serm. 9 sur la passion.) Ce n’est point l’impression du trouble produit par la crainte qui lui fait abandonner Jésus-Christ, mais l’amour de l’argent ; car pour cette passion, aucune affection n’a de prix, une âme dominée par l’amour du gain ne craint pas de s’exposer à sa perte pour un misérable profit, et il n’y a plus de trace de justice dans un cœur où l’avarice a fixé sa demeure. Enivré de ce poison, le perfide Judas, dévoré par la soif de l’argent, pousse l’excès de sa folle impiété jusqu’à vendre son Seigneur et son Maître. " Et il dit aux princes des prêtres : Que voulez-vous me donner, et je vous le livrerai ? " — S. Jér. L’infortuné Judas veut se dédommager par la vente de son Maître de la perte qu’il croit avoir faite en voyant ce parfum répandu. Il ne fixe pas de chiffre précis de manière à ce que cette trahison fût pour lui une affaire lucrative, mais comme s’il s’agissait d’un vil esclave, il laisse aux acheteurs de déterminer le prix qu’ils veulent y mettre. — Orig. Or, voilà ce que font tous ceux qui reçoivent les biens de la terre et les avantages du monde pour livrer et chasser de leur âme le Sauveur et la parole de vérité qui était en eux.

" Et ils lui promirent trente pièces d’argent. " Ils semblent établir le prix de la vente sur le nombre d’années que le Sauveur avait passées dans le monde. — S. Jér. Joseph ne fut pas, comme quelques-uns le pensent d’après la version des Septante, vendu trente pièces d’or, mais trente pièces d’argent d’après le texte hébreu qui est authentique. Car le serviteur ne pouvait être estimé à un plus haut prix que le Maître.

S. Aug. (Quest. évang., 1, 44.) Judas, vendant le Seigneur trente pièces d’argent, représente les Juifs infidèles, qui, en poursuivant les biens terrestres et périssables (qui sont l’objet des cinq sens du corps), ont rejeté le Christ ; et comme ils ont commis ce crime au sixième âge du monde, ils ont reçu pour prix du Seigneur qu’ils ont vendu, une somme figurative composée du chiffre six multiplié par cinq ; et parce qu’il est écrit que la parole du Seigneur est pure comme l’argent, et qu’ils n’ont eu de la loi qu’une intelligence charnelle, ils ont comme gravé sur l’argent l’effigie de ce pouvoir terrestre, auquel ils ont été soumis après avoir perdu le Seigneur.

SUITE. " Et depuis ce moment, il cherchait une occasion favorable pour le livrer " — Orig. Saint Luc nous explique plus clairement quelle était cette occasion que cherchait Judas en disant : " Il cherchait l’occasion de leur livrer sans exciter de troubles, c’est-à-dire au moment où le peuple ne l’entourait pas, et où il se trouvait seul avec ses disciples. C’est ce qu’il fit en le livrant après la cène, lorsqu’il était seul dans le jardin de Gethsémani. Et voyez si aujourd’hui encore ce n’est pas cette même occasion favorable que cherchent ceux qui veulent trahir le Verbe de Dieu dans les temps de persécution, c’est-à-dire alors que la parole de vérité n’est pas entourée et défendue par la multitude des fidèles.

 

vv. 17-19.

La Glose. L’Évangéliste vient d’exposer les préludes de la passion de Jésus-Christ, c’est-à-dire la prédiction qu’il en fait lui-même, le conseil tenu par les princes des prêtres, et le traité conclu par le traître Judas, il va maintenant raconter toute la suite de l’histoire de la passion. " Or, le premier jour des azymes. " — S. Jér. Le premier jour des azymes est le, quatorzième du premier mois, où l’on immole l’agneau pascal ; c’est le jour où la lune est dans son plein, et où il était défendu de conserver de levain. — REMI. Il faut remarquer que, chez les Juifs, la Pâque se célébrait au premier jour, et les sept jours qui suivaient étaient les jours des azymes ; mais maintenant le jour de Pâques est également appelé le jour des azymes (Ac 12). — S. CHRYS. (hom. 80.) Ou bien, le Sauveur appelle ce jour le premier jour des azymes, parce qu’il y avait sept jours des azymes. Or, c’était l’usage chez les Juifs de compter les jours en partant de la veille au soir ; l’Évangéliste rappelle donc ce jour au soir duquel la Pâque devait être immolée, c’est-à-dire le cinquième jour de la semaine. — Remi. Peut-être nous fera-t-on cette objection : Si cet agneau figuratif était le symbole du véritable agneau, pourquoi Jésus-Christ n’a-t-il pas souffert la nuit même où on immolait cet agneau ? Nous répondons que c’est cette nuit là même qu’il a donné à ses disciples le pouvoir de célébrer les mystères de son corps et de son sang, et c’est immédiatement après que les Juifs se sont saisis de sa personne, l’ont chargé de chaînes, et qu’il a ainsi consacré le commencement de son immolation, c’est-à-dire de sa passion.

" Les disciples vinrent trouver Jésus, et lui dirent : Où voulez-vous que nous vous préparions ce qu’il faut pour manger la Pâque ? Je pense que le traître Judas se trouvait parmi les disciples qui s’approchèrent de Jésus pour lui faire cette question. — S. Chrys. (hom. 80.) Nous voyons clairement par là, que le Sauveur n’avait à lui, ni maison ni asile, et je suis porté à croire que ses disciples n’en avaient pas non plus ; car ils l’eussent prié d’y venir pour y célébrer la Pâque.

" Jésus leur répondit : Allez dans la ville chez un tel, " etc. — S. AUG. (de l’accord des Evang., 2, 80.) C’est celui que saint Marc et saint Luc appellent le père de famille ou le maître de la maison. Si donc saint Matthieu dit : Allez chez un tel, " c’est de lui-même et pour abréger son récit ; car chacun sait que personne ne peut formuler un ordre de cette manière : " Allez chez untel. " Saint Matthieu, après avoir rapporté les paroles du Seigneur : " Allez dans la ville, ajoute donc de lui-même : " Chez un tel, " non que le Seigneur se soit exprimé de la sorte, mais pour nous faire entendre qu’il y avait un homme dans la ville à qui le Seigneur adressait ses disciples pour lui préparer la Pâque. Car il est hors de doute que les disciples du Sauveur ne furent pas adressés au premier venu, mais à un homme qu’il leur désignait d’une manière spéciale. — S. CHRYS. (hom. 80.) Ou bien en leur disant : " Allez chez un tel, " il veut montrer qu’il les adresse à un homme inconnu, et leur apprendre ainsi qu’il était en son pouvoir de ne pas souffrir, car celui qui pouvait déterminer un inconnu à les recevoir, que n’aurait-il pu sur l’esprit de ceux qui devaient le crucifier, s’il avait voulu se soustraire au supplice de la croix ? Pour moi, ce que j’admire dans cet homme, ce n’est pas seulement qu’un homme qui ne connaissait pas Jésus-Christ l’ait reçu chez lui, mais qu’il ait méprisé, en le recevant, la haine générale à laquelle il s’exposait. — S. HIL. (can. 30 sur S. Matth.) Ou bien, il ne nomme pas celui chez lequel il devait célébrer la Pâque, parce qu’il n’avait pas encore accordé à ceux qui croyaient en lui, la gloire du nom chrétien. — Rab. Ou bien encore, il passe son nom sous silence, pour nous apprendre qu’il donne à tous ceux qui le veulent, le pouvoir de célébrer la vraie Pâque, et de recevoir Jésus-Christ dans la demeure de leur âme. — S. JER. Les écrivains du Nouveau Testament se conforment ici à l’usage suivi par les écrivains de l’Ancien Testament qui s’expriment souvent de cette manière : " Celui-ci lui dit : Dans ce lieu-ci, dans celui-là, " sans désigner autrement le nom des personnes et des lieux. — S. Chrys. (hom. 80.) L’intention du Sauveur est ici de rappeler sa passion à ses disciples, et de les exercer pour ainsi dire par ces prédictions répétées de ses souffrances, pour qu’elles devinssent l’objet continuel de leurs méditations, et aussi pour leur prouver que c’était volontairement qu’il allait souffrir : Je viens faire la Pâque chez vous avec mes disciples, " paroles qui montrent d’ailleurs qu’il voulait jusqu’au dernier jour de sa vie se conformer à la loi. Il ajoute : Avec mes disciples, " afin qu’il fît tous les préparatifs nécessaires, et que cet homme à qui il adressait ses disciples ne s’imaginât pas qu’il avait l’intention de se cacher dans sa maison.

" Et les disciples firent ce que Jésus leur avait commandé, et ils préparèrent la Pâque. " — Orig. Peut-être voudra-t-on s’autoriser de ce que Jésus a célébré la Pâque selon l’usage des Juifs, pour prétendre que nous, imitateurs de Jésus-Christ, nous devons agir de même. Mais ce serait oublier que Jésus ne s’est pas assujetti à la loi pour laisser sous le joug de la loi, mais, au contraire, pour délivrer de ce joug ceux qui étaient sous la loi (Ga 4, 4). A combien plus forte raison donc ne convient-il pas à ceux qui vivaient en dehors de la loi, de se soumettre à ses prescriptions. Les chrétiens doivent donc se contenter d’accomplir d’une manière spirituelle ce que la loi prescrivait d’accomplir extérieurement ; et c’est ainsi que nous devons célébrer la Pâque avec les azymes de la sincérité et de la vérité pour nous conformer à la volonté de l’Agneau qui nous dit : " Si vous ne mangez ma chair, et si vous ne buvez mon sang, vous n’aurez point la vie en vous. "

 

vv. 20-25.

S. JÉR. Le Sauveur, non content d’avoir annoncé sa passion à ses disciples, leur prédit maintenant celui qui doit le trahir ; il lui offre ainsi l’occasion de faire pénitence ; car en lui montrant qu’il connaissait ses pensées, et les secrets desseins de son cœur, il voulait l’amener à se repentir de son criminel projet : " Le soir donc étant venu, il se mit à table avec ses douze disciples " — REMI. Il dit : " Avec les douze, " car Judas était encore du nombre des Apôtres, bien qu’il en fût déjà séparé par les dispositions de son âme. — S. Jér. Judas se conduit en tout de manière à éloigner de lui le soupçon de trahison. — Remi. Et voyez par quel rapprochement touchant Notre-Seigneur, selon le récit de 1’Évangéliste, se met à table lorsque le soir fut venu ; car c’était vers le soir que l’agneau devait être immolé. — Rab. C’est le soir qu’il se met à table avec ses disciples, car c’est dans la passion du Sauveur, lorsque le soleil véritable approchait de son déclin, que l’éternel festin fut préparé à tous les fidèles.

S. Chrys. (hom. 82.) L’Évangéliste nous fait remarquer que c’est pendant qu’ils étaient à table, que Jésus parle de la trahison de Judas, pour faire ressortir la noirceur de ce traître par les circonstances du temps, et de ce repas auquel il participe lui-même. " Et pendant qu’ils mangeaient, il leur dit : " Je vous dis en vérité que l’un d’eux doit me trahir, " etc. — S. Léon. Il montre par là que la conscience du traître lui était connue. Il ne le confond point par un reproche sévère et direct, mais il se contente de lui donner un avertissement indirect et plein de douceur, pour amener plus facilement à se repentir de ses criminels desseins celui que le mépris n’aurait pas encore flétri.

Orig. Ou bien, il parle en termes généraux, pour en appeler au témoignage de leur conscience, et faire ainsi connaître les dispositions intérieures de chacun d’eux. Il veut aussi dévoiler la méchanceté de Judas qui ne se rendait même pas à la voix de celui qui connaissait ses projets. Il avait cru d’abord, je pense, pouvoir en dérober la connaissance à Jésus-Christ comme à un homme, mais lorsqu’il vit que sa conscience était à découvert devant lui, il voulut profiter du secret dont le Sauveur avait comme enveloppé ses paroles, joignant ainsi au crime de l’incrédulité le crime de l’impudence. Notre-Seigneur veut enfin faire éclater la délicatesse de conscience de ses disciples qui s’en rapportaient bien plus aux paroles de leur Maître qu’au témoignage de leur propre cœur : " Et ils furent contristés, et chacun d’eux commença à lui dire : " Est-ce moi Seigneur ? " Car les enseignements de Jésus avaient appris à chacun d’eux que la nature humaine peut facilement tourner au mal, et qu’elle est toujours en lutte avec les princes de ce monde de ténèbres. Aussi la crainte s’empare de leur âme, et sous cette impression, chacun d’eux interroge le Sauveur ; ainsi devons-nous, à leur exemple, craindre tout de l’avenir, nous qui sommes si faibles. Or, le Seigneur, les voyant ainsi pleins de la crainte d’eux-mêmes, désigne le traître à l’aide d’un témoignage prophétique Celui qui mangeait mon pain à ma table a fait éclater sa trahison contre moi. " (Ps 40.)

" Il leur répondit : Celui qui met la main avec moi dans le plat. " — S. Jér. O patience admirable de Jésus-Christ ! Il avait commencé par dire : " Un de vous me trahira, " le traître persévère dans ses criminels desseins, il le désigne plus clairement, sans toutefois le nommer. Et cependant, alors que tous les autres sont attristés, qu’ils retirent leur main, et n’osent porter les mets à leur bouche, judas pousse la témérité et l’impudence qui doivent bientôt faire de lui un traître, jusqu’à mettre la main dans le plat avec son Maître, pour se couvrir audacieusement de l’apparence hypocrite d’une bonne conscience. — S. CHRYS.(hom. 81.) Pour moi, je crois que le Sauveur a permis que Judas portât la main avec lui dans le plat, pour lui inspirer une salutaire confusion, et réveiller dans son cœur le sentiment de l’amour qu’il lui devait. — Rab. Saint Matthieu désigne ce plat par l’expression in paropside, saint Marc, par cette autre, in catino. Or, le premier est un plat quadrangulaire sur lequel on sert les mets solides, et qui est ainsi appelé des quatre côtés égaux dont il est composé (paribus assibus) ; et le second est un vase de terre destiné à contenir les mets liquides. Or, il est très-possible qu’il y eût sur la table un plat de terre, de forme quadrangulaire. — Orig. C’est le caractère particulier des hommes parvenus aux dernières limites du mal, de dresser après un repas pris en commun, des embûches à des hommes qui n’ont jamais nourri contre eux aucun sentiment de haine ; c’est ainsi qu’après cette cène toute spirituelle, vous verrez éclater toute la noirceur de la malice du traître Judas, qui trahit son Maître sans se souvenir de son amour qui lui avait tant de fois prodigué, d’un côté ses bienfaits extérieurs, de l’autre ses divins enseignements. Tels sont dans l’Église tous ceux qui tendent des embûches à leurs frères après s’être approchés souvent avec eux de la même table du corps de Jésus-Christ.

S. Jér. Judas ne se rend ni au premier ni au second avertissement pour se retirer de la voie où il est engagé ; c’est pourquoi le Seigneur lui prédit son châtiment pour essayer de convertir par la menace des supplices qui l’attendent, celui dont la honte n’a pu triompher : " Pour ce qui est du Fils de l’homme, il s’en va, " etc. — Remi. C’est le propre de l’humanité d’aller et de revenir, mais la divinité reste toujours ce qu’elle est, et comme dans le Sauveur l’humanité a pu souffrir et mourir d’une manière divine, il dit avec raison : " Le Fils de l’homme s’en va. " Il ajoute clairement : " Selon ce qui a été écrit de lui ; " car tout ce que le Christ a souffert a été prédit par les prophètes. — S. Chrys. (hom. 81.) Son dessein, en parlant de la sorte, est de consoler ses disciples et de prévenir la pensée qu’il souffrait par faiblesse et par impuissance. Il veut aussi convertir le traître Judas ; car bien que la passion de Jésus fut prédite, Judas n’en est pas moins coupable ; en effet, ce n’est pas la trahison de Judas qui a opéré notre salut, mais la sagesse de Jésus-Christ qui se servait de la méchanceté des hommes pour notre bien, aussi ajoute-t-il : " Mais malheur à l’homme par le moyen duquel il sera trahi, " etc. — Orig. Il ne dit pas : Malheur à l’homme par qui, mais : " Par le moyen duquel " le Fils de l’homme sera trahi, pour nous montrer qu’il y en avait un autre qui le trahissait, c’est-à-dire le démon (Jn 13), et que Judas n’était que l’instrument de sa trahison. Or, malheur à tous ceux qui trahissent le Christ, et tous ceux qui trahissent les disciples de Jésus-Christ trahissent Jésus-Christ lui-même. — Remi. Malheur aussi à tous ceux qui s’approchent de la table de Jésus-Christ avec une conscience mauvaise et souillée par le péché ; car bien qu’ils ne livrent pas Jésus-Christ aux Juifs pour être crucifié, ils le livrent cependant à leurs membres d’iniquité pour se. l’incorporer. Il ajoute pour faire ressortir davantage l’énormité du crime de Judas : " Il vaudrait mieux pour lui qu’il ne fût jamais né, " — S. Jér. Il ne faut cependant pas conclure de ces paroles que Judas ait pu exister avant de naître, par la raison que le bien ne peut arriver qu’à celui qui existe ; le Sauveur veut donc dire simplement qu’il vaut beaucoup mieux ne pas exister, que de vivre d’une vie livrée au mal. — S. AUG. (Quest. évang., 1, 40.) Et si quelqu’un prétend qu’il y a une vie antérieure à celle-ci, il sera forcé de convenir qu’il n’était pas avantageux de naître non-seulement pour Judas, mais pour aucun autre. Ou bien, Jésus dit-il qu’il ne lui était pas avantageux de naître au démon, c’est-à-dire pour le péché ? Ou était-il bon pour Judas de ne pas naître en Jésus-Christ par sa vocation, pour ne pas devenir un apostat ?

Orig. Après que tous les Apôtres eurent interrogé le Sauveur, et qu’il eut désigné indirectement le traître, Judas hasarde la même question dans une intention pleine de fourberie, et pour cacher son projet de trahison, en interrogeant Jésus comme les autres Apôtres, car la vraie tristesse ne peut souffrir de retard : " Judas qui fut celui qui le trahit, prenant la parole, dit : Est-ce moi, maître ? " — S. JER. C’est ici ou le témoignage d’une flatterie hypocrite, ou l’expression de son incrédulité, car tandis que les autres Apôtres, qui ne devaient pas le trahir, lui disent : " Est-ce moi, Seigneur ? " Judas, qui va consommer le crime de trahison, l’appelle " Maître, " et non pas Seigneur, comme si c’était pour lui une excuse de n’avoir trahi que son maître, puisqu’il niait qu’il fût son Seigneur. — Orig. Ou bien, il s’exprime ainsi par esprit de moquerie, appelant Maître celui qu’il croyait indigne de porter ce nom. — S. CHRYS. (hom. 81.) Le Seigneur aurait pu lui dire : Vous êtes convenu de la somme d’argent que vous devez recevoir, et vous osez encore me faire cette question ? Mais Jésus plein d’une ineffable douceur ne lui dit rien de semblable, pour nous tracer à nous-même la ligne de conduite et les règles que nous devons suivre : " Il lui répondit : Vous l’avez dit. " — Remi. Ce qui peut s’entendre de la sorte : C’est vous qui le dites, et vous dites vrai, ou bien, c’est vous qui le dites et non pas moi. Jésus offrait ainsi à Judas l’occasion de se repentir, en ne dévoilant pas entièrement la perversité de ses desseins. — Rab. Judas put encore faire cette question et Jésus lui répondre de la sorte pour ne point attirer l’attention des autres Apôtres sur ce qui venait d’avoir lieu.

 

v. 26.

S. Jér. Après qu’il eut célébré la Pâque figurative et mangé la chair de l’agneau avec ses disciples, le Sauveur en vient au véritable mystère de la Pâque, et de même que Melchisédech, prêtre du Dieu tout-puissant, avait offert du pain et du vin, il nous donna, sous les mêmes apparences, la réalité de son corps et de son sang. Or, pendant qu’ils soupaient, Jésus prit du pain, " etc.

S. Aug. (Lettre 118 à Januar., ch. 6.) Cette circonstance prouve clairement que les disciples n’étaient pas à jeun lorsqu’ils reçurent, pour la première fois, le corps et le sang du Seigneur. Doit-on pour cela blâmer l’usage de l’Église universelle, qui prescrit de ne recevoir l’Eucharistie qu’à jeun ? Non sans doute, car il a plu à l’Esprit saint que, par respect pour un si grand Sacrement, le corps du Seigneur entrât dans la bouche du chrétien avant toute autre nourriture. Ce fut pour faire ressortir plus fortement la grandeur de ce mystère que notre-Seigneur voulut l’imprimer en dernier lieu dans le cœur et dans le souvenir de ses disciples, dont il allait se séparer pour aller à la mort ; et, s’il n’établit pas lui-même la manière de recevoir dans la suite ce Sacrement, c’était pour laisser aux Apôtres, qui devaient en son nom gouverner l’Église, le soin de la déterminer eux-mêmes. — La Glose. Notre-Seigneur Jésus-Christ donne son corps et son sang sous une autre forme, et commande ensuite de les recevoir ainsi, afin de donner plus de mérite à la foi qui s’exerce sur les choses qui ne se voient point. — S. Amb. (Sacram., 4, 4.) C’est encore pour prévenir tout sentiment d’horreur et de répulsion pour le sang, et nous donner cependant le véritable prix de notre rédemption.

S. Aug. (Traité 26 sur S. Jean.) Or, le Seigneur nous a donné son corps et son sang sous les apparences de substances qui sont le résultat de plusieurs choses réduites en une seule, car le pain est le produit de plusieurs grains de blé, et le vin le produit de plusieurs grains de raisin mêlés et confondus ensemble. C’est ainsi qu’il a figuré l’union qui doit régner entre nous, et qu’il a consacré dans son banquet divin le mystère de notre paix et de notre unité. — Remi. Une autre raison également juste pour laquelle il choisit les fruits de la terre, c’était pour nous apprendre qu’il était venu faire disparaître cette malédiction prononcée contre la terre, à la suite du péché du premier homme (Gn 3). Enfin, un motif non moins sage du précepte qu’il nous fait d’offrir les fruits de la terre, qui sont l’objet principal des travaux des hommes, c’était qu’ils n’eussent aucune difficulté pour se les procurer, et que le travail de leurs mains leur fournît la matière du sacrifice qu’ils devaient offrir à Dieu.

S. AMBR. (Sacram., 4, 3.) Vous devez conclure de là que les mystères des chrétiens sont antérieurs à ceux des Juifs, car Melchisédech offrit du pain et du vin, comme étant en tout la figure du Fils de Dieu (He 7), à qui il est dit : " Vous êtes prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech " (Ps 119), et dont l’Évangéliste dit ici : " Jésus prit du pain, " etc. — La Glose. Ce pain était du pain de froment, car c’est au grain de froment que le Seigneur s’est comparé par ces paroles : " Si le grain de froment tombant dans la terre, " etc. (Jn 12). Ce pain convient d’ailleurs à ce sacrement, parce qu’il est d’un usage plus commun, et que les autres espèces de pains ne se font que pour le remplacer. Or, comme Jésus-Christ n’avait cessé jusqu’au dernier jour d’établir qu’il n’était pas opposé à la loi, ainsi que ses paroles précédentes le prouvent ; et que, le soir du jour où on immolait la Pâque, on ne devait manger que des pains azymes et jeter toute pâte fermentée. Il est incontestable que le pain, que prit le Seigneur pour le distribuer à ses disciples, était du pain azyme. — S. GREG. Il en est plusieurs qui s’étonnent de voir que, dans I’Église, les uns offrent des pains azymes et d’autres des pains fermentés ; or, l’Église de Rome offre des pains azymes, parce que le Seigneur a pris une chair sans mélange d’aucune souillure, tandis que d’autres Églises offrent du pain fermenté, parce que le Verbe du Père s’est revêtu d’une chair humaine, et qu’il est à la fois vrai Dieu et vrai homme, car le pain fermenté ou levain est mélangé avec la farine. Mais que nous recevions du pain azyme ou du pain fermenté, nous nous unissons intimement au vrai corps de notre Sauveur. — S. Ambr. (Sacram., 4, 4.) Ce pain, avant les paroles sacramentelles, n’est que du pain ordinaire ; après la consécration, ce pain devient la chair de Jésus-Christ. Or, de quelles paroles se compose la consécration, si ce n’est des paroles du Seigneur Jésus ? Car si ces paroles ont une puissance si grande qu’elles font sortir du néant ce qui n’existait pas, à combien plus forte raison pourront-elles changer en une autre substance celles qui existent déjà, tout en leur conservant leur apparence extérieure. Pourquoi, en effet, la parole céleste, qui s’est montrée si efficace dans les autres choses, le serait-elle moins dans les divins sacrements ? Le pain devient donc le corps de Jésus-Christ, et le vin devient son sang parla consécration de la parole divine. Vous demandez comment cela se fait ? Le voici : N’est-ce pas l’ordinaire que l’homme ne naisse que de l’union de l’homme avec la femme ? Et cependant, parce que telle a été la volonté du Seigneur, le Christ est né de l’Esprit saint et de la Vierge.

S. Aug. (des paroles du Seig.). De même que l’Esprit saint a créé une véritable chair sans union conjugale, ainsi le même Esprit consacre et change le pain et le vin au corps et au sang de Jésus-Christ, et comme cette consécration se fait par la parole du Seigneur, l’Évangéliste ajoute : " Et il le bénit. " — Remi. il nous apprend encore par là qu’avec le Père et le Saint-Esprit, il a rempli la nature humaine de la grâce de la vertu divine, et l’a enrichie pour l’éternité du don de l’immortalité, Mais, pour nous montrer en même temps que ce n’est pas sans sa volonté que son corps a été soumis aux souffrances de sa passion, il ajoute : " Et il le rompit. " — S. Aug. (sur le liv. ou sent. de Prosper ou Algerus, 1, 19.) Lors donc que l’hostie est rompue, et que le sang coule du calice sur les lèvres des fidèles, quel mystère nous est représenté, si ce n’est l’immolation du corps du Seigneur sur la croix et l’effusion de son sang qui sortit de son côté ?

S. DENIS. (Hier. Eccles., 3.) Nous voyons encore ici que le Verbe de Dieu, un et simple dans son essence, est devenu un être composé par son incarnation, et s’est rendu visible en descendant jusqu’à nous, et qu’il a recherché avec bienveillance notre société, pour nous rendre participants des biens spirituels qu’il est venu répandre sur la terre Et il le donna à ses disciples. " — S. LEON (serm. 7 sur la Pass.) Il n’éloigne pas même le traître de ce mystère, afin qu’il fût démontré qu’aucune offense ne motivait la haine de Judas, dont l’impiété toute volontaire lui était connue d’avance, et qui devait y persévérer volontairement. — S. Aug. (Traité 59 sur S. Jean.) Le même pain fut donné à Pierre et à Judas ; mais Pierre le reçut pour la vie, et Judas pour la mort. C’est ce qu’indiquent ces paroles de saint Jean " Et quand il eut prit ce morceau, Satan entra en lui. " Car ce qui augmenta l’énormité de son crime, c’est qu’il osa s’approcher des saints mystères dans des dispositions aussi coupables, et, qu’après les avoir reçus, il n’en devint pas meilleur, insensible à la crainte, à la reconnaissance et à l’honneur qui lui était fait. Jésus-Christ ne lui défendit pas de s’en approcher, bien qu’il connût toutes choses, pour nous apprendre qu’il n’a rien omis de ce qui pouvait le faire changer de sentiment. — Remi. Par cette conduite, il laisse à son Église l’exemple de ne retrancher personne de sa société ou de la communion du corps et du sang du Seigneur, si ce n’est pour des crimes manifestes et publics. — S. Jér. Ou bien, on peut dire que Notre-Seigneur, ayant rompu le pain et pris le calice, consacra la vraie Pâque lorsque Judas fut sorti, car il n’était pas digne de participer aux sacrements éternels, Or, une preuve qu’il était sorti du cénacle, c’est que nous le voyons revenir avec la foule.

" Et il leur dit : Prenez et mangez. " — S. Aug. (Des par. du Seig.) Le Seigneur invite ses serviteurs à ce festin, où il se donne lui-même à eux en nourriture. Mais qui osera se nourrir de la chair de son maître ? Or, remarquez que, lorsqu’il est mangé, il répare les forces sans défaillir lui-même ; il vit lorsqu’il est mangé, parce qu’il est ressuscité après qu’il eut été mis à mort. Observez encore que, lorsque nous le mangeons, nous ne le partageons pas. Voici ce qui arrive dans ce sacrement, et les fidèles savent la manière dont ils mangent la chair du Christ : chacun d’eux reçoit sa part de cet aliment divin, il est mangé comme par parties dans ce sacrement, et cependant il demeure tout entier dans le ciel et tout entier dans votre cœur. On appelle ce mystère sacrement, parce que ce qui paraît aux yeux est tout différent de ce que l’on comprend ; ce que l’on voit a une apparence corporelle, ce que l’esprit comprend produit des fruits tout spirituels.

S. Aug. (Traité 27 sur S. Jean.) Ne nous contentons pas de manger la chair de Jésus-Christ, ce que font beaucoup de mauvais chrétiens ; mais allons dans cette manducation jusqu’à la participation de l’Esprit, afin de rester unis à Jésus-Christ, comme les membres à leur corps et d’être vivifiés par son esprit. — S. Aug. Avant d’être consacré, c’est du pain ; mais, aussitôt que Jésus-Christ a prononcé ces paroles : " Ceci est mon corps, " c’est le corps du Christ.

 

vv. 27-29.

Remi. Après avoir donné son corps à ses disciples sous les apparences du pain ; par une raison également pleine de convenance, le Sauveur leur présente le calice de son sang. " Et, prenant le calice, il rendit grâces, et le leur donna, " etc. Il nous montre ainsi combien notre salut lui donne de joie, puisqu’il veut répandre son sang pour nous. — S. Chrys. (hom. 82.) Il rend grâces encore, pour nous apprendre dans quels sentiments nous devions célébrer ce mystère, et pour prouver que ce n’est pas malgré lui qu’il approche du moment de sa passion. Il nous enseigne ainsi à supporter avec actions de grâces toutes les épreuves qui nous arrivent, et il nous donne en même temps les plus belles espérances ; car si la figure de ce sacrifice, c’est-à-dire l’immolation de l’agneau pascal, a délivré le peuple juif de la servitude d’Egypte, à combien plus forte raison la vérité délivrera-t-elle l’univers entier : " Et il le leur donna en disant : Buvez-en tous. " Et pour prévenir le trouble que pouvaient produire ses paroles, il boit son sang le premier, et les amène sans étonnement à la communion des divins mystères. — S. Jér. (contre Helv.) C’est ainsi que le Seigneur fut à la fois le convive et le festin, le convive qui mange, et, l’aliment qui est mangé.

" Car ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance. " — S. Chrys. (hom. 82.) C’est-à-dire le sang de la promesse de la nouvelle loi. En effet, l’Ancien Testament promettait ce que possède le Nouveau, car de même que l’Ancien Testament fut consacré par le sang des bœufs et des brebis, ainsi le Nouveau est consacré par le sang du Seigneur. — REMI. Nous lisons, eu effet, dans l’Exode (24), que Moïse prit le sang d’un agneau, le versa dans une coupe, et après y avoir trempé un bouquet d’hysope, il le répandit sur le peuple en disant : " Voici le sang de l’alliance que le Seigneur à faite avec vous. " — S. Chrys. (hom. 82.) En leur présentant son sang, le Sauveur prédit de nouveau sa passion par ces paroles : Qui sera répandu pour plusieurs, " et il leur rappelle également la cause de sa mort en ajoutant : Pour la rémission des péchés. " Comme s’il disait : Le sang de l’agneau a été répandu dans l’Egypte, pour sauver les premiers-nés du peuple juif ; celui-ci sera répandu pour la rémission des péchés de toute la terre. — REMI. Et remarquez qu’il ne dit pas : Pour un petit nombre, ou pour tous, mais " Pour plusieurs ; " car il n’était pas venu pour racheter seulement une nation, mais un grand nombre d’hommes de toutes les nations de la terre. — S. CHRYS. (hom. 82.) Il nous apprend encore, par ces paroles, que sa passion est le mystère du salut des hommes, et c’est une consolation qu’il offre à ses disciples. Et de même que Moïse avait dit : " Ce sera pour vous un souvenir éternel, " Notre-Seigneur dit aussi, comme le rapporte saint Luc : " Faites ceci en mémoire de moi. "

REMI. Notre-Seigneur nous a enseigné que nous devions offrir non-seulement du pain, mais encore du vin, pour nous apprendre que ceux qui avaient faim et soif de la justice apaiseraient l’une et l’autre en recevant ce mystère. — La Glose. Car, de même que notre corps répare ses forces par le boire et le manger, ainsi les forces de notre âme se raniment dans ce banquet spirituel que le Seigneur nous a préparé sous les apparences du pain et du vin. Il était convenable d’ailleurs que ce sacrement qui devait représenter la passion du Seigneur fut institué sous la double espèce du pain et du vin, car son sang fut répandu dans sa passion et fut ainsi séparé de son corps. Il était donc nécessaire, pour reproduire le mystère de la passion du Sauveur, d’offrir séparément le pain et le vin, qui sont les signes de son corps et de son sang. — S. Ambr. (sur l’Ep. aux Corinth.) Nous célébrons ce mystère sous les deux espèces, car ce que nous recevons sert à protéger à la fois notre corps et notre âme. — S. CYPR. (Lettre à Cécile, liv. 2, lett. 3.) Le calice du Seigneur ne contient pas de l’eau seule ou du vin seul, mais l’un et l’autre mêlés ensemble, de même que ce qui doit être changé au corps du Seigneur n’est pas de la farine seule ou de l’eau seule, mais ces deux substances unies et mélangées. — S. AMBR. (Sacram., 5, 1.) Mais puisque Melchisédech a offert du pain et du vin (Gn 14), que signifie ce mélange d’eau avec le vin ? En voici la raison : Moïse frappa la pierre et en fit ainsi jaillir l’eau en abondance (Ex 17) ; or, cette pierre, c’était le Christ (1 Co 10) ; et l’un des soldats perça de sa lance le côté du Christ, et de ce côté sortit du sang et de l’eau : l’eau, pour nous purifier, le sang pour nous racheter. — Remi. Rappelons-nous encore que les grandes eaux, au témoignage de saint Jean (Ap 17), sont les peuples, et comme nous devons toujours demeurer en Jésus-Christ, et Jésus-Christ en nous, on offre du vin mêlé avec de l’eau, pour montrer que la tête et les membres, c’est-à-dire Jésus-Christ et l’Église ne font qu’un seul corps ; ou bien encore que le Christ n’a point souffert sans l’amour qui l’a porté à nous racheter, et que nous ne pouvons nous-mêmes avoir part à sa rédemption sans les mérites de sa passion.

S. Chrys. (hom. 82.) Comme il venait de parler de sa passion et de sa croix, par une conséquence naturelle il fait aussi allusion à sa résurrection : " Or, je vous dis que je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, " etc. Ce royaume, c’est sa résurrection. Or, en parlant de sa résurrection, il affirme qu’alors il boira avec ses Apôtres, pour qu’on ne pût croire que sa résurrection n’était qu’imaginaire. Aussi, lorsque les Apôtres prêchèrent la résurrection de Jésus-Christ, disent-ils ouvertement : " Nous avons mangé et bu avec lui, après qu’il fut ressuscité d’entre les morts. " (Ac 10.) Il leur donne ainsi l’assurance qu’ils le verront ressuscité et qu’il sera de nouveau au milieu d’eux. Ce vin nouveau doit s’entendre d’une manière nouvelle de le boire, c’est-à-dire avec un corps qui ne sera plus soumis ni à la souffrance, ni au besoin de nourriture ; car, si nous le voyons manger et boire après sa résurrection, ce, ne fut point par nécessité, mais pour nous donner une preuve qu’il était vraiment ressuscité. Mais comme il devait y avoir des hérétiques qui, dans la célébration de ce mystère, n’useraient que d’eau à l’exclusion du vin, il prouve par ces paroles que dans l’institution de ces augustes mystères il s’est servi du vin qu’il a bu après sa résurrection. C’est pour cela qu’il dit en termes précis : " De ce fruit de la vigne, " car la vigne produit, du vin et non pas de l’eau.

S. Jér. Ou bien, dans un autre sens, Notre-Seigneur passe des choses matérielles aux choses spirituelles. La sainte Écriture déclare que la vigne qui a été transplantée de l’Egypte, c’est le peuple d’Israël. Le Seigneur déclare qu’il ne boira plus du fruit de cette vigne que dans le royaume de son Père. Or, comme le royaume de son Père est à mon avis la foi des fidèles, le Seigneur ne boira du vin des Juifs que lorsqu’ils auront reconnu et accepté le royaume de son Père. Remarquez aussi qu’il dit : " Dans le royaume de mon Père, " et non pas de Dieu, car tout père donne son nom à son fils, et c’est comme s’il disait : Lorsqu’ils auront cru en Dieu le Père, et que le Père les aura conduits jusqu’au Fils. — Remi. Ou bien encore : " Je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, " c’est-à-dire : Je ne me complairai plus dans les sacrifices charnels de la synagogue, parmi lesquels l’immolation de l’agneau pascal occupait la première place. Mais viendra le temps de ma résurrection, et le jour où ayant pris possession du royaume de mon Père, c’est-à-dire, étant revêtu de la l’éternelle immortalité, je boirai avec vous ce vin nouveau, c’est-à-dire je me réjouirai comme d’une joie toute nouvelle du salut de ce peuple qui aura été renouvelé dans les eaux du baptême.

S. Aug. (Quest. Evang., 1, 43.) Ou bien enfin, ces paroles : " Je boirai ce vin nouveau, " veulent dire que celui-ci est ancien. Notre-Seigneur avait pris de la race d’Adam, qui est appelée le vieil homme (Rm 6), ce corps qu’il devait livrer à la mort dans sa passion ; c’est pourquoi il nous donne son sang sous l’apparence du vin. Mais que signifie ce vin nouveau, si ce n’est l’immortalité de nos corps qui doivent être renouvelés ? Quant à ces paroles : Je le boirai avec vous, " elles sont la promesse que leurs corps ressusciteront pour revêtir l’immortalité. Toutefois ces paroles : " Avec vous, " ne doivent pas s’entendre de la même époque, mais du même renouvellement. C’est ainsi que l’Apôtre déclare, que nous sommes ressuscités avec Jésus-Christ, afin que l’espérance de ce bonheur à venir soit pour nous une source de joie dès cette vie. Il appelle nouveau ce fruit de la vigne, pour nous apprendre que ces mêmes corps que leur vétusté terrestre condamne à la mort ressusciteront un jour par un principe de renouvellement tout céleste.

S. Hil. (can. 30.) De ce que Judas n’a pas été admis à boire avec lui de cette coupe, on conclut qu’il ne devait pas boire un jour dans le royaume, puisque le Sauveur promet à tous ceux qui participent à cette coupe qu’ils boiront un jour avec lui de ce fruit de la vigne. — La Glose. Mais en admettant avec les autres saints docteurs que Judas avait reçu le sacrement de l’Eucharistie des mains de Jésus-Christ, nous dirons que ces paroles : " Avec vous " s’adressent, non pas à tous, mais à la plupart d’entre eux.

 

vv. 30-35.

Orig. (Traité 33 sur S. Matth.) Notre-Seigneur voulait enseigner à ses disciples, qui venaient de recevoir le pain de bénédiction, de manger le corps du Verbe et de boire le calice d’actions de grâces, à dire à Dieu le Père un hymne de reconnaissance : " Et après avoir chanté l’hymne (Ps 115 ; 118), ils allèrent à la montagne des Oliviers ; " c’est-à-dire que d’une hauteur, il les élève à une autre hauteur, car le vrai fidèle ne peut rien opérer de grand tant qu’il reste dans la vallée. C’est par une disposition admirable qu’il conduit sur le mont des Oliviers ses disciples, tout pénétrés encore des mystères de son corps et de sOn sang, et qu’il a recommandés à son Père par un hymne de pieuse intercession, car il voulait nous apprendre que l’action de ses sacrements, jointe au secours de sa médiation, devait nous faire parvenir aux dons des plus sublimes vertus et à ces grâces de l’Esprit saint qui répandent l’onction dans nos cœurs. — RAB. On peut admettre que cet hymne fut celui que, d’après saint Jean, le Seigneur adresse à son Père pour lui rendre grâces, et dans lequel il priait, les yeux élevés vers le ciel, pour lui-même, pour ses disciples et pour tous ceux qui devaient croire en lui. — La Glose. C’est que le Roi-prophète avait prédit : " Les pauvres mangeront et ils seront rassasiés, et ils loueront le Seigneur, " etc. — S. Chrys. (hom. 82.) Qu’ils entendent ces paroles, ceux qui, ne songeant qu’à manger comme des pourceaux, se lèvent ivres de table, tandis qu’ils devraient rendre grâces et terminer leur repas par l’hymne de la reconnaissance. Qu’ils les entendent aussi, ceux qui, dans la célébration des saints mystères, n’attendent pas la dernière oraison de la Messe, qui est un souvenir de cet hymne. Jésus rendit grâces avant de distribuer les saints mystères à ses disciples, pour nous apprendre à rendre grâces nous-mêmes, et il récite l’hymne après avoir mangé, afin que nous imitions son exemple. — S. Jér. D’après cet exemple du Sauveur, celui qui a été rassasié du pain de Jésus-Christ et comme enivré de son sang, peut louer Dieu et gravir le mont des Oliviers, où il trouvera le repos de ses fatigues, la consolation de ses douleurs et la connaissance de la vraie lumière. — S. Hil. (can. 30.) Nous voyons encore par là que les hommes, après avoir pratiqué toutes les vertus dont les divins mystères sont la source, sont élevés dans la gloire céleste pour y participer à la joie et à l’allégresse commune à tous les saints.

Orig. C’est par une raison pleine de sagesse que Jésus choisit le mont de la miséricorde pour y faire connaître le scandale de la faiblesse des apôtres, déjà prêt à ne pas repousser ceux de ses disciples qui se sont séparés de lui, et à les accueillir lorsqu’ils reviendront à lui. " Alors Jésus leur dit : Je vous serai à tous cette nuit une occasion de scandale. " Il leur prédit la faiblesse à laquelle ils doivent succomber, afin qu’après avoir fait cette triste expérience, ils ne désespèrent pas de leur salut, mais qu’ils cherchent leur délivrance dans un sincère repentir. — S. Chrys. (hom. 82.) Il nous apprend encore par là ce que furent les disciples avant sa passion, et ce qu’ils devinrent après sa mort. En effet, ces mêmes disciples qui n’avaient pu rester près de Jésus-Christ pendant qu’on le crucifiait, devinrent plus forts que le diamant après sa mort. Or, la fuite des disciples, leur épouvante, sont une démonstration évidente de la mort de Jésus-Christ, et une réponse qui doit couvrir de confusion ceux qui sont malades de l’hérésie de Marcion ; car si Jésus-Christ n’a été ni chargé de chaînes, ni crucifié, quelle a été la cause de cette crainte excessive de Pierre et des autres disciples ? — S. Jér. Et c’est avec dessein qu’il ajoute : " Pendant cette nuit, " car de même que ceux qui s’enivrent, s’enivrent pendant la nuit. (1 Th 5), ainsi ceux qui sont scandalisés le sont dans la nuit et au sein des ténèbres. — S. HIL. Cette prédiction était confirmée par une ancienne prophétie, car il est écrit : " Je frapperai le pasteur, et les brebis du troupeau seront dispersées. " — S. Jér. Cette prophétie se trouve dans le prophète Zacharie en d’autres termes ; le prophète s’adresse lui-même à Dieu et lui dit : Frappez le pasteur, et les brebis seront dispersées. " (Za 13.) Le bon pasteur est frappé, afin qu’il puisse donner sa vie pour ses brebis, et pour ne faire qu’un seul pasteur. et un seul troupeau de cette multitude de troupeaux que l’erreur avait dispersés. — S. Chrys. (hom. 82.) Le Sauveur cite cette prophétie pour engager ses disciples à avoir toujours les yeux fixés sur les saintes Écritures, pour leur prouver que c’était par un dessein bien arrêté de Dieu qu’il était crucifié, et leur montrer en même temps qu’il n’était pas étranger à l’Ancien Testament et au Dieu qu’il proclame. Toutefois, il ne veut pas les laisser dans la tristesse, et il se hâte de leur faire des prédictions plus agréables : Mais lorsque je serai ressuscité, je vous précéderai en Galilée. " Ce n’est point du haut du ciel qu’il leur apparaît aussitôt sa résurrection ; il ne va pas non plus dans une région lointaine pour se manifester à eux, mais c’est dans la même nation et presque dans le même pays, afin qu’ils ne pussent douter que c’était bien lui, le même qui avait été crucifié, qui était ressuscité. Il leur annonce encore qu’il ira en Galilée, afin que n’étant plus sous l’impression de la crainte des Juifs, ils fussent plus disposés à croire ce qu’il leur disait. — Orig. Il leur fait encore cette prédiction, afin qu’ils sachent qu’après avoir été dispersés pour un moment à la suite du scandale qu’ils avaient souffert, il les réunirait aussitôt sa résurrection, et les précéderait dans la Galilée des nations. — Ou bien encore, si l’on demande comment les disciples, après avoir vu tant de miracles et de prodiges, ont pu être scandalisés par une seule parole, nous répondrons que Notre-Seigneur veut nous apprendre par là que de même que personne ne peut dire : " Jésus est le Seigneur, Sinon par l’Esprit saint, " ainsi personne ne peut être sans scandale, c’est-à-dire inaccessible au scandale, sans le secours de l’Esprit saint. Mais lorsque ces paroles du Sauveur : " Je vous serai à tous cette nuit un sujet de scandale, " reçurent leur accomplissement, l’Esprit saint n’était pas encore donné, parce que Jésus n’était pas encore glorifié. Pour nous, au contraire, si après avoir confessé le Seigneur Jésus par l’Esprit saint, il nous devient un sujet de scandale ou que nous venions à le renoncer, nous sommes tout à fait inexcusables. Ajoutons que les disciples ont été scandalisés, comme des hommes qui étaient encore au milieu de la nuit, tandis que pour nous, la nuit a disparu pour faire place au jour qui s’est approché. Enfin, les disciples ont été scandalisés pendant la nuit, parce que le Père n’a pas épargné son Fils unique, mais l’a livré pour nous à la mort, de manière que les brebis du troupeau ont été dispersées pour un peu de temps, après avoir été scandalisées, mais pour être ensuite réunies par Jésus-Christ dans la Galilée, où il précédera ceux qui voudront le suivre, afin que le peuple des Gentils qui, auparavant, " était assis dans les ténèbres, voie briller une grande lumière, " etc.

S. Hil. Mais Pierre était tellement transporté par son affection, par son amour pour Jésus-Christ, qu’il oublia la faiblesse de sa chair et la croyance que méritent les paroles du Seigneur ; comme si ces paroles ne devaient pas avoir leur effet : " Pierre, prenant la parole, lui dit : Quand tous les autres, " etc. — S. Chrys. (hom. 82.) Que dites-vous, ô Pierre ? Le prophète a dit : " Les brebis seront dispersées, " et Jésus-Christ a confirmé ce témoignage, et vous osez dire : Non, il n’en sera pas ainsi ? Lorsque Jésus a dit : " Un de vous me trahira, " vous trembliez d’être vous-même ce traître, quoique votre conscience ne vous reprochât rien de semblable ; et maintenant qu’il déclare ouvertement qu’il sera pour vous tous un sujet de scandale, vous osez le contredire ? Pierre était délivré de l’anxiété que lui avait causé l’idée qu’il pourrait trahir son Maître, et plein désormais d’une confiance exagérée, il s’écrie : " Pour moi, je ne me scandaliserai jamais. " — S. Jér. Ce n’est point cependant témérité ni mensonge de la part de cet Apôtre, mais l’effet de son ardent amour pour le Sauveur son maître. — REMI. Il nie donc, par un effet de son amour, ce que le Seigneur avait prédit par un effet de sa prescience, et nous devons apprendre de là que la fragilité de notre chair doit nous donner autant de crainte que la vivacité de notre foi peut nous inspirer de confiance. Cependant Pierre est inexcusable et pour avoir contredit le Seigneur, et pour s’être préféré aux autres, et en troisième lieu pour avoir cru qu’il trouverait en lui seul la force nécessaire pour persévérer. Afin de guérir cette présomption et cet orgueil, le Seigneur permit la chute de son disciple, non pas qu’il l’ait poussé à ce honteux renoncement, mais il l’abandonna à lui-même et convainquit ainsi la nature humaine de fragilité. — Orig. Aussi les autres disciples sont scandalisés au sujet de la personne de Jésus, tandis que Pierre est non-seulement scandalisé, mais abandonné plus complètement par la grâce, de manière à renier trois fois son Maître : " Et Jésus lui repartit : Je vous dis en vérité que cette nuit, avant que le coq ait chanté, vous me renierez trois fois. "

S. Aug. (De race. des Evang., 3, 2.) On peut s’étonner de ce que les Évangélistes ont rapporté si diversement non seulement aux expressions, mais quant au fond même des choses, cette présomption de Pierre, qui, malgré les avertissements qui lui sont donnés, affirme qu’il est prêt à mourir avec le Seigneur ou pour défendre cause. Aussi est-on forcé d’admettre que cet Apôtre a renouvelé promesse présomptueuse en réponse à différentes parties du (de Jésus-Christ, et que le Sauveur lui a déclaré par trois fois rentes) qu’avant le chant du coq, il le renierait trois fois. C’est ainsi qu’après sa résurrection il lui demande par trois fois s’il l’aimait, lui donne par trois fois le précepte de paître ses brebis. Qu’ont en effet de semblable les paroles ou les pensées rapportées par saint Matthieu avec celles dont saint Jean (Jn 13) et saint Luc (Lc 22) i se servent pour exprimer la réponse présomptueuse de Pierre ? Saint Marc, au contraire (Mc 14), rapporte ce fait à peu près dans les mêmes termes que saint Matthieu, avec cette différence que dans saint Marc, le Seigneur prédit d’une manière plus explicite ce qui devait arriver : " Je vous dis en vérité qu’aujourd’hui, dès cette nuit, avant que le coq ait chanté deux fois, vous me renoncerez trois fois. " Aussi en est-il quelques-uns qui, n’y regardant pas de bien près, prétendent que saint Marc ne peut se concilier ici avec les autres Évangélistes. Car, disent-ils, Pierre a renié trois fois son Maître, et s’il a commencé après le premier chant du coq, le récit des trois Évangélistes n’est pas conforme à la vérité, puisqu’ils rapportent que le Seigneur a déclaré qu’avant que le coq chantât, Pierre le renierait trois fois. D’ailleurs, si les trois renoncements de saint Pierre ont eu lieu avant que le coq ait commencé à chanter, pourquoi Notre-Seigneur aurait-il dit d’après saint Marc : " Avant que le coq ait chanté deux fois, vous me renoncerez trois fois ? ta Nous répondons que le triple renoncement de saint pierre ayant commencé avant le premier chant du coq, les évangélistes ont considéré non pas le moment où il devait être consommé, mais celui où il devait se produire et commencer, c’est-à-dire avant le chant du coq. On peut même dire, en considérant les dispositions intérieures de saint Pierre, que ce triple renoncement eut lieu avant le chant du coq, car avant cette heure, son âme était en proie à une crainte si grande qu’elle pouvait le conduire jusqu’à renoncer trois fois son maître. A plus forte raison, on ne doit pas s’étonner que ces trois renoncements successifs et distincts aient commencé avant le chant du coq, bien qu’ils n’aient pas été consommés avant le premier chant du coq. Car si l’on disait à quelqu’un : " Avant que le coq ait chanté, vous m’écrirez une lettre dans laquelle vous m’outragerez trois fois, " cette prédiction ne se trouverait pas fausse, si la lettre, commencée avant le premier chant du coq, était achevée après que le coq aurait chanté pour la première fois.

ORIG. Vous demanderez peut-être s’il était possible que Pierre ne fût pas scandalisé après cette déclaration du Sauveur : " Je vous serai à tous une occasion de scandale. " Les uns répondent que ce que Jésus avait prédit devait nécessairement arriver ; les autres, que celui qui, à la prière de Jonas, consentit à ne pas accomplir la prédiction qu’il avait faite par ce prophète, aurait pu aussi, si Pierre l’en eût prié, éloigner de lui ce scandale ; tandis que cette promesse téméraire, faite sous l’impression d’un amour généreux, mais irréfléchi, fut cause qu’à la honte du scandale il joignit le crime d’un triple renoncement. Mais, dira-t-on, puisque Jésus, lui avait affirmé avec serment qu’il le renoncerait, il fallait nécessairement que ce renoncement eût lieu. Car si ces paroles du Sauveur : " Je vous le dis en vérité, " renfermaient un serment, ce serment eût confirmé un mensonge si Pierre avait pu dire vrai en affirmant : " Pour moi, je ne vous renoncerai pas. " Or, à mon avis, les autres disciples me paraissent. préoccupés de ces premières paroles : " Je vous serai à tous une occasion de scandale. " Il s’adresse ensuite à Pierre en particulier et lui fait cette prédiction qui ne comprenait pas les autres disciples : " Je te le dis en vérité, " etc. Et Pierre lui répond : " Quand il me faudrait mourir avec vous, je ne vous renierai point. Et tous les autres disciples dirent la même chose. " Ici encore, Pierre ne sait pas ce qu’il dit (Lc 9, 33), car il n’appartenait pas aux hommes de mourir avec Jésus, qui donnait sa vie pour tous les hommes. En effet, tous les hommes étaient ensevelis dans leurs péchés ; tous avaient donc besoin qu’un autre mourût pour eux, et eux-mêmes ne pouvaient mourir pour leurs semblables.

RAB. Pierre avait compris que le Seigneur lui avait prédit qu’il le renoncerait par la crainte qu’il aurait de la mort, il lui affirme donc que le danger d’une mort certaine ne pourrait le séparer de la foi qu’il avait en lui. Les autres Apôtres, emportés également par l’ardeur de leur affection, promettent tous d’affronter la mort sans crainte ; mais cette présomption toute humaine, abandonnée de la protection divine, fut sans effet. — S. Chrys. (hom. 82.) Je pense que ce fut quelque mouvement d’ambition et de vanité qui inspira ces paroles présomptueuses à l’apôtre saint Pierre ; car, pendant la Cène, il s’était élevé parmi eux une contestation, lequel d’entre eux était le plus grand, tant l’amour de la vaine gloire troublait et agitait violemment leur âme ; et c’est parce qu’il voulait les délivrer de ces malheureuses passions que Jésus-Christ leur retira le secours de sa grâce. Or, voyez comment, après la résurrection du Sauveur, instruit par cette leçon, Pierre. répond à Jésus avec beaucoup plus d’humilité, et n’ose plus contredire les assertions de son Maître. Cette chute a produit en tout les plus heureux effets. Auparavant, il s’attribuait tout à lui-même, lorsqu’il, aurait dû s’exprimer de la sorte : " Je ne vous renoncerai pas, si votre grâce vient à mon secours " ; dans la suite, au contraire, il proclame qu’il faut tout renvoyer à Dieu : " Pourquoi nous regardez-vous comme si c’était par notre puissance que nous ayons fait marcher cet homme ? " Nous apprenons donc de là cette grande vérité que le désir de l’homme ne suffit pas, s’il n’est d’ailleurs aidé par un secours divin.

 

vv. 36-38.

REMI. L’Évangéliste nous a raconté un peu plus haut qu’après avoir dit avec ses disciples l’hymne d’action de grâces, Jésus était allé avec eux vers le mont des Oliviers, et c’est pour désigner l’endroit de cette montagne où il se retira, qu’il ajouté : " Alors Jésus vint avec eux un lieu appelé, " etc. — Rab. Saint Luc dit : " Sur le mont des Oliviers ; " saint Jean : " Au delà du torrent de Cédron, " ce qui est la même chose que Gethsémani, lieu situé au pied du mont des Oliviers, où se trouve un jardin et où fut bâtie depuis une église. — S. Jér. Le nom de Gethsémani veut dire vallée très fertile, et c’est là que Jésus ordonne à ses disciples de se reposer un instant, et d’y attendre qu’il revienne les trouver lorsqu’il aurait prié seul pour tous les hommes. — Orig. Il ne convenait pas que le Sauveur fut pris dans le lieu même où il avait mangé la pâques avec ses disciples. Il fallait aussi qu’il priât avant d’être trahi, et qu’il choisît un lieu convenable et propre à la prière : " Et il dit à ses disciples : Asseyez-vous ici pendant que j’irai là, et que je prierai. " — S. CHRYS. (hom. 83.) Jésus leur fait cette recommandation, parce qu’ils le suivaient sans jamais se séparer de lui ; il avait aussi l’habitude de prier sans ses disciples, ce qu’il faisait pour nous apprendre à rechercher le repos et la solitude dans nos prières. — DAM. (liv. 3). Mais puisque la prière est l’élévation de notre âme vers Dieu et la demande faite à Dieu de choses justes et légitimes, comment le Sauveur pouvait-il prier ? Son âme n’avait pas besoin de s’élever à Dieu, unie qu’elle était au Verbe de Dieu en unité de personne ; il n’avait non plus besoin de rien demander à Dieu, car Jésus-Christ est tout à la fois Dieu et homme. Mais le Sauveur voulut en cela nous donner dans sa personne l’exemple de la conduite que nous devons suivre, nous enseigner à prier Dieu son Père, et à nous élever jusqu’à lui. Lorsqu’il s’est soumis aux souffrances, c’était pour en triompher et nous obtenir d’en triompher nous-mêmes ainsi, lorsqu’il prie, c’est pour nous ouvrir la voie par laquelle nous pouvons nous élever jusqu’à Dieu ; c’est encore afin d’accomplir pour nous toute justice, de nous réconcilier avec son Père, de l’honorer comme le principe de toutes choses et de nous montrer qu’il n’est point lui-même contraire à Dieu. — Remi, En priant sur la montagne, Notre-Seigneur nous enseigne à demander à Dieu dans la prière les choses du ciel, et en priant dans cet endroit appelé Gethsémani, il nous apprend à pratiquer toujours avec soin l’humilité dans la prière. — Rab. C’est par un dessein admirable qu’à la veille de sa passion le Sauveur prie dans la vallée de l’abondance, pour nous montrer que c’était par la vallée de l’humilité et par l’abondance de sa charité qu’il a souffert la mort pour nous. Il nous avertit en même temps de ne point porter en nous un cœur stérile et privé de la fécondité que donne la charité.

Remi. C’est parce qu’il avait été témoin de l’expression de la foi de ses disciples et de leur dévouement à toute épreuve, et qu’il prévoyait leur effroi et leur dispersion qu’il leur ordonne de s’asseoir en ce lieu, car on s’assoie pour se reposer, et il devait leur en coûter bien de la peine pour le renoncer. L’Évangéliste nous apprend comment il s’éloigna d’eux, en ajoutant : Et ayant pris avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, il commença à être triste et dans l’affliction. " Il prend avec lui ceux qu’il avait rendus témoins, sur la montagne, de la splendeur de sa majesté. — S. HIL. (can. 31.) Mais les hérétiques ne veulent entendre ces paroles : Il commença à s’attrister et à s’affliger " que dans le sens qui assujettit le Fils de Dieu à la crainte de la mort, parce qu’ils affirment, d’ailleurs, qu’il n’est point né de toute éternité, et qu’il n’est point sorti de la substance infinie de son. Père, mais qu’il a été tiré du néant par le Créateur de toutes choses. Donc, ajoutent-ils, il a été accessible aux angoisses de la douleur, à la crainte de la mort, et, puisqu’il a pu craindre la mort, il a pu mourir ; or, s’il a pu mourir, bien qu’il doive maintenant vivre éternellement, il n’est cependant point éternel par sa naissance dans le passé. Nous leur répondrons que, si la foi leur avait donné l’intelligence des Évangiles, ils auraient appris que le Verbe était Dieu dès le commencement, qu’il était en Dieu dès le commencement, et que celui qui engendre, comme celui qui a été engendré, ont la même éternité. Mais si la chair qu’il a prise a pu vicier, par suite de l’infirmité qui lui est inhérente, la vertu de cette substance incorruptible, jusqu’à la soumettre aux atteintes de la douleur, aux agitations de la crainte, elle devra aussi être soumise à la corruption, et si cette substance éternelle peut subir un changement qui l’assujettisse à la crainte, elle pourra perdre, dans un moment donné, les propriétés qu’elle possède aujourd’hui. Mais Dieu est toujours le même, sans qu’on puisse mesurer son existence, et il est de toute éternité tout ce qu’il est ; rien donc en Dieu n’a pu être sujet à la mort, rien en lui n’a pu être accessible à la crainte. — S. Jér. Pour nous, nous disons que le Fils de Dieu s’est revêtu de notre humanité sujette aux souffrances, mais sans que la divinité ait cessé d’être impassible, car le Fils de Dieu a souffert, non pas d’une manière imaginaire, mais en réalité, tout ce que l’Écriture atteste qu’il a souffert dans la nature qui pouvait souffrir en lui, c’est-à-dire dans la nature humaine dont il s’était revêtu.

S. HIL. (De la Trinité, 10.) Il en est, ce me semble, qui ne donnent d’autre cause à cette crainte du Sauveur que les approches de sa passion et de sa mort. Mais je demanderai à ceux qui sont dans cette opinion si l’on peut raisonnablement admettre que la crainte de la mort ait pu trouver place chez celui qui bannissait toute crainte de la mort de l’esprit de ses Apôtres, et les exhortait à conquérir la gloire du martyre ? Peut-on d’ailleurs supposer qu’il ait pu envisager la mort avec effroi, lui qui donne la vie pour récompense à ceux qui meurent pour lui. Quelle est encore la douleur qu’il pourrait craindre dans la mort, lui qui ne devait mourir que par un acte librement consenti de sa toute-puissance ? Et si enfin ses souffrances devaient être pour lui une source de gloire, comment la crainte de sa passion pouvait-elle l’attrister. — S. Hil. (can. 31.) Mais, puisque nous lisons que Notre-Seigneur a été accablé par la tristesse, recherchons-en les causes. Il avait prévenu plus haut ses disciples que tous seraient scandalisés, et il avait déclaré à Pierre qu’il renierait trois fois son maître. Or, c’est après avoir pris avec lui cet Apôtre, ainsi que Jacques et Jean, qu’il commence à s’attrister. Ce n’est donc point avant de les avoir pris avec lui qu’il est triste ; mais toute cette crainte ne paraît en lui qu’après qu’il s’est fait suivre de ses disciples. Cette tristesse ne prend donc point naissance à son sujet, mais à l’occasion de ceux qu’il avait pris avec lui. — S. Jér. Le Seigneur s’attristait donc, non dans la crainte de souffrir, puisque sa passion était l’objet de sa venue sur la terre, et qu’il avait reproché à Pierre son appréhension (Mt 14, 3), mais en pensant à l’infortuné Judas, au scandale dont sa mort allait être l’occasion pour tous ses Apôtres, à l’abandon et à la réprobation de tout le peuple juif, et à la ruine de la malheureuse Jérusalem. — DAM. (De la foi orth., 23.) Ou bien, dans un autre sens, toutes les créatures qui n’existaient pas, et à qui Dieu a donné l’être, ont le désir naturel de l’existence, et fuient naturellement ce qui pourrait la leur ravir. Donc, Dieu le Verbe, s’étant fait homme, eut aussi ce désir qu’il fit paraître, en recherchant la nourriture, la boisson, le sommeil nécessaires à la conservation de la vie, parce qu’il était soumis, par sa nature humaine, à ces différentes nécessités, et en fuyant, au contraire, tout ce qui pouvait être, pour cette nature, un principe de dissolution. Ainsi, au temps de sa passion qu’il a soufferte par un effet de sa volonté, il fut soumis à une crainte de la mort et à une tristesse qui étaient naturelles, car il est naturel à l’âme de craindre d’être séparée du corps, à cause de l’union intime que le Créateur a établie dès le commencement entre ces deux substances.

S. Jér. Notre-Seigneur, pour prouver la vérité de la nature qu’il avait prise, éprouve une tristesse réelle ; mais pour ne point laisser cette passion dominer dans son âme : " Il commence, dit l’Évangéliste, à s’attrister. " Ce n’est pas en effet la même chose d’être triste, ou de commencer à s’attrister. — Remi. Ce passage condamne l’erreur, et des Manichéens, qui ont prétendu qu’il n’avait pris qu’un corps fantastique, et de ceux qui ont soutenu qu’il n’avait pas eu d’âme véritable, mais que la divinité lui en avait tenu lieu. — S. Aug. (Livre des 83 Quest., quest. 80.) Nous avons, en effet, les récits des évangélistes, qui nous rapportent que Jésus-Christ est né de la bienheureuse Vierge Marie, qu’il a été pris parles Juifs, flagellé, crucifié, mis à mort et enseveli dans un tombeau, toutes choses qu’on ne peut comprendre dans leur réalité sans qu’il ait eu un corps véritable. Quel est l’homme, si insensé qu’il fût d’ailleurs, qui oserait dire qu’il faut prendre toutes ces choses dans un sens figuré, alors que les évangélistes ont raconté ces faits d’après leurs propres souvenirs ? Si donc ces faits incontestables prouvent jusqu’à l’évidence que Jésus a eu un corps, ces passions, qui ne peuvent exister que dans l’âme, prouvent également qu’il avait une âme véritable, et nous trouvons cette preuve dans le même récit des évangélistes, qui nous disent : Et Jésus fut dans l’admiration, et il fut irrité, et il s’attrista. " — S. Aug. (Cité de Dieu, 14, 9.) Puisque tous ces faits nous sont racontés dans l’Évangile, ce ne sont point des récits controuvés, et Notre-Seigneur, par l’effet d’une économie toute divine, a réellement éprouvé ces sentiments lorsqu’il l’a voulu, de même qu’il s’est fait homme par un acte également libre de sa volonté. Nous éprouvons aussi ces sentiments comme une des infirmités de notre condition humaine ; mais il n’en a pas été ainsi du Seigneur Jésus, dont l’infirmité même a été un effet de sa nouvelle puissance.

DAM. (De la foi orthod., 20.) Toutes nos passions naturelles ont donc existé en Jésus-Christ, naturellement, et d’une manière supérieure à la nature ; naturellement, parce qu’il laissait la chair souffrir ce qui était inhérent à sa condition ; d’une manière supérieure à la nature, parce que les mouvements de la nature ne précédaient pas en lui la volonté. En effet, rien en Jésus-Christ n’était soumis à la coaction ; mais tout était volontaire ; ainsi, c’est par un effet de sa volonté qu’il éprouva le besoin de la faim, les sentiments de crainte et de tristesse, sentiments qu’il exprime par ces paroles : " Mon âme est triste jusqu’à la mort. " — S. AMBR. (Liv. 1 sur S. Luc, chap. 22) Ce n’est pas lui qui est triste, mais son âme, car la tristesse ne peut atteindre la sagesse, la nature divine, mais son âme seulement, car il s’est uni mon âme, il s’est uni mon corps. — S. Jér. Il dit que son âme est triste, non à cause de la mort, mais jusqu’à la mort, jusqu’à ce qu’il ait délivré ses Apôtres par sa passion. Que ceux-là donc qui prétendent que Jésus a pris une âme sans intelligence nous disent comment cette âme a pu s’attrister, et comment elle a pu connaître les heures de la tristesse, car si les animaux sans raison peuvent éprouver de la tristesse, ils ne peuvent cependant en connaître ni les causes, ni le temps, ni le terme. — Orig. Ou bien, dans un autre sens, ces paroles : " Mon âme est triste jusqu’à la mort, " signifient : La tristesse a commencé en moi, non pour toujours, mais jusqu’à l’heure de ma mort, et, lorsque je serai mort au péché, je mourrai à toute espèce de tristesse, dont le commencement seul a trouvé, place en moi. " Demeurez ici, " etc. C’est-à-dire, j’ai commandé aux autres de rester plus loin comme, étant plus faibles, et pour leur épargner la vue de ce triste combat ; pour vous, je vous ai pris avec moi, comme étant plus forts, et pour prendre part avec moi aux fatigues de la veille et de la prière. Cependant, demeurez aussi en cet endroit, car il faut que chacun s’arrête au degré de sa vocation, et toute grâce, quelque grande qu’elle soit, en a toujours une qui lui est supérieure. — S. Jér. Ou bien, on peut dire qu’il ne leur défend pas de se livrer au sommeil, car ce n’en était guère le temps à l’approche de ce moment décisif, mais qu’il veut les prémunir contre l’assoupissement de l’âme et le sommeil de l’infidélité.

 

vv. 39-44.

Orig. Notre-Seigneur emmène avec lui Pierre, celui de tous qui avait le plus de confiance en lui-même, ainsi que les deux autres Apôtres, qui paraissaient comme lui plus fidèles et plus courageux, afin qu’ils vissent de leurs yeux leur divin Maître prosterné le visage contre terre, et qu’ils apprissent à n’avoir jamais d’eux-mêmes une opinion avantageuse, mais des sentiments pleins d’humilité, et à être moins prompts à promettre et plus empressés de recourir à la prière. C’est pour cela qu’il est dit : " Et s’en allant un peu plus loin. " Il ne voulait pas s’éloigner d’eux, mais, au contraire, en être rapproché pour prier, et après leur avoir dit autrefois : " Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur " (Mt 11), il confirme cette doctrine par son exemple, en s’humiliant honorablement le premier, et en se prosternant le visage contre terre : " Et il tomba la face contre terre en priant et en disant : Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi. " Il fait éclater dans cette prière toute sa piété, et comme le Fils bien-aimé, et qui met toute son affection à obéir aux dispositions de son Père, il ajoute : " Néanmoins, non comme je veux, mais comme vous voulez, " nous enseignant ainsi à demander que la volonté de Dieu s’accomplisse et non pas la nôtre, il demande que le calice de sa passion s’éloigne, non pas selon sa volonté, mais comme le veut son Père, de la même manière qu’il a commencé à craindre et à s’attrister, c’est-à-dire non pas dans sa nature divine et impassible, mais dans sa nature humaine et sujette à l’infirmité, car, en se revêtant de cette nature, il en a subi toutes les conditions, pour ne point laisser croire qu’il n’avait que l’apparence et non la réalité d’une chair mortelle. Or, le premier sentiment qu’éprouve l’homme fidèle, c’est d’abord de ne pas vouloir de la douleur, surtout de celle qui peut le conduire à la mort, parce qu’il est revêtu d’une chair mortelle ; mais si telle est la volonté de Dieu, il ne demande qu’à s’y conformer, parce qu’il est avant tout plein de foi. Car de même que nous devons nous garder d’une confiance excessive, pour ne point paraître faire montre de notre force, nous devons également ne pas nous laisser aller à une défiance qui semblerait accuser d’impuissance le Dieu qui est notre soutien. Remarquons que cette circonstance nous est rapportée par saint Marc et par saint Luc ; mais saint Jean ne nous dit point que Jésus ait prié son Père que ce calice s’éloignât de lui ; ces premiers, en effet, ont insisté davantage, dans leur récit, sur ce qui concernait la nature humaine, et saint Jean sur ce qui faisait ressortir sa nature divine. Dans un autre sens, on peut dire que Jésus, voyant toutes les calamités qui devaient fondre sur les Juifs pour avoir demandé sa mort, s’écrie : " Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi. " — S. Jér. C’est d’une manière significative qu’il dit : " Ce calice, " c’est-à-dire le calice du peuple Juif, qui ne peut s’excuser sur son ignorance en me mettant à mort, puisqu’il a entre les mains la loi et les prophètes qui m’ont annoncé. — Orig. Mais il considère de nouveau les immenses avantages que le monde entier devait retirer de sa passion, et il ajoute : " Toutefois, non ma volonté, mais la vôtre, " c’est-à-dire si tous ces biens dont ma passion doit être la source peuvent se réaliser sans qu’elle ait lieu, qu’elle s’éloigne de moi, afin que le monde soit sauvé sans que les Juifs expient par leur ruine le crime de m’avoir mis à. mort ; mais si le salut d’un grand nombre ne peut avoir lieu sans la perte de quelques-uns, que ce calice ne s’éloigne pas. Or ce calice, qu’il faut boire, est l’expression dont se sert l’Écriture en plusieurs endroits, pour désigner les souffrances, et, en particulier, les souffrances des martyrs, comme dans ce passage du psaume 15 : " Je prendrai le calice du salut. " Celui qui, pour rendre témoignage à la foi (He 11, 39), souffre tous les mauvais traitements qu’on peut lui faire, boit ce calice tout entier ; mais celui qui se dérobe à toute souffrance le renverse en le prenant. — S. AUG. (De l’accord des Evang., 3, 4.) Et pour ne point paraître diminuer la puissance de son Père, il ne dit point : Si vous le pouvez, mais " Si cela se peut faire, " ou " Si cela est possible, " c’est-à-dire, Si vous le voulez. En effet, tout ce qu’il veut est possible, et c’est ce que saint Luc exprime d’une manière plus claire, car il ne dit pas : Si cela est possible, mais " Si vous voulez. " — S. Hil. Ou bien encore, dans un autre sens, il ne dit pas : Que ce calice s’éloigne, car ce serait la prière d’un homme qui craint pour lui-même ; mais il demande que ce calice passe au delà de lui. Il demande donc, non d’être exempté de le boire, mais de le voir passer à d’autres après qu’il se sera éloigné de lui. Toute la crainte qu’il éprouve se concentre donc sur ceux qui doivent souffrir après lui, et c’est pour eux qu’il adresse à Dieu cette prière : " Que ce calice s’éloigne de moi, " c’est-à-dire qu’ils le boivent comme je le bois moi-même, sans aucune défiance, sans aucun sentiment de douleur, sans aucune crainte de la mort, Il dit : " Si cela est possible, " parce que la chair et le sang redoutent les souffrances, et qu’il est difficile que des corps mortels soient à l’épreuve de leurs cruelles atteintes. Il ajoute : Non comme je veux, mais " comme vous voulez. " Il voudrait en effet les affranchir de la nécessité de souffrir, dans la crainte de les voir succomber à la souffrance, si toutefois ils peuvent devenir les cohéritiers de sa gloire, sans passer par la rude épreuve de sa passion. " Non pas comme je le veux, mais comme vous le voulez, " parce que la volonté du Père est que la force nécessaire pour boire ce calice passe de Jésus-Christ dans ses Apôtres, car, d’après l’ordre des conseils divins, le démon devait être vaincu directement, plus par les disciples de Jésus-Christ que par Jésus-Christ lui-même.

S. Aug. (Explic. Du ps. 32.) Jésus-Christ, revêtu de notre humanité, fit donc paraître en lui une volonté particulière à l’homme, et qui figurait à la fois sa volonté et la nôtre, puisqu’il était notre chef en disant : " Que ce calice s’éloigne de moi, " car c’était là. l’expression de la volonté humaine, qui a des désirs qui lui sont propres ; mais comme elle veut en même temps que la justice règne dans l’homme, et qu’il ait toujours Dieu en vue, elle ajoute : " Cependant, non pas comme je veux, mais comme vous le voulez, " c’est-à-dire : Ne considérez que vous en moi, car la volonté humaine peut avoir des désirs personnels qui soient contraires à la volonté de Dieu, et que Dieu pardonne à la fragilité humaine. — S. Léon. (Serm. 7 sur la Pass.) Cette parole de notre chef est le salut de tout le corps ; cette voix a instruit tous les fidèles, enflammé tous les confesseurs, et a couronné tous les martyrs, car qui pourrait braver les haines, de ce monde, les orages des tentations, les terreurs des persécutions, si Jésus-Christ ne disait en tous et pour tous à son Père : " Que votre volonté soit faite. " Que tous les enfants de l’Église apprennent donc à répéter cette parole, afin que, lorsque l’adversité vient fondre sur eux comme une violente tempête, ils puissent triompher de la crainte qu’elle inspire et se montrer animés du courage nécessaire pour la supporter.

Orig. Jésus s’étant éloigné tant soit peu de ses disciple, ils ne purent veiller même une heure en son absence ; prions donc que Jésus ne nous quitte pas, ne fût-ce que pour un instant. Il vient ensuite vers ses disciples, et il les trouva endormis. " — S. Chrys. (hom. 83.) Car la nuit était profonde, et d’ailleurs leurs yeux étaient appesantis par la tristesse. — S. Hil. Lorsqu’il revient trouver ses disciples et qu’il les trouve endormis, c’est à Pierre qu’il adresse particulièrement ses reproches : " Et il dit à Pierre : Quoi, vous n’avez pu veiller une heure avec moi ? " il fait ce reproche à Pierre plutôt qu’aux deux autres, parce que c’était celui de tous ses Apôtres qui s’était le plus vanté de ne point se laisser scandaliser. — S. Chrys. (hom. 83.) Mais comme ils avaient fait tous la même promesse, il leur reproche justement à tous leur faiblesse ; car après avoir pris la résolution de mourir tous ensemble avec Jésus-Christ, ils n’eurent même pas la force de veiller avec lui. — Orig. Les ayant trouvés endormis, il les réveille pour les rendre attentifs à sa parole, et il leur recommande la vigilance : " Veillez et priez, afin de ne point tomber dans la tentation, " ainsi nous devons d’abord veiller, et ensuite prier. On pratique la vigilance en faisant de bonnes oeuvres, et en se tenant soigneusement en garde contre toute doctrine de ténèbres, c’est par là que celui qui veille assure le succès de sa prière. — S. Jér. Il est impossible que l’âme humaine soit exempte de tentation ; aussi le Sauveur ne dit pas : Veillez et priez pour ne pas être tentés, mais : Pour ne pas tomber dans la tentation, " c’est-à-dire pour n’en être pas victime.

S. Hil. Il leur découvre ensuite les raisons du précepte qu’il leur donne de prier pour ne point tomber dans la tentation ; " car l’esprit est prompt, et la chair est faible, " paroles qui ne s’appliquent point au Sauveur, puisqu’il s’adresse maintenant à ses disciples. — S. Jér. Il condamne ici la conduite de ces esprits téméraires qui pensent pouvoir obtenir tout ce qu’ils croient et ce qu’ils espèrent. Que la fragilité de notre chair nous inspire donc autant de crainte que la ferveur de notre âme nous inspire de confiance. — ORIG. Il nous faut examiner ici si dans tous les hommes la chair est faible de même que l’esprit est prompt ; ou bien si tous ont une chair faible, sans que tous aient l’esprit prompt, à l’exception des saints ; quant aux infidèles, leur esprit est faible en même temps que leur chair est sans force. Dans un autre sens, on peut dire qu’il n’y a que ceux dont l’esprit est prompt qui aient une chair faible ; car leur esprit s’empresse de mortifier les oeuvres de la chair. (Rm 8.) C’est donc à eux que Jésus commande de veiller et de prier pour ne point entrer en tentation ; car plus on est avancé dans la vie spirituelle, et plus on doit être attentif à ne point exposer une si haute vertu à une lourde chute. — REMI. Ou bien encore, le Sauveur prouve par ces paroles qu’il a pris une chair véritable dans le sein de la Vierge Marie, et qu’il a eu aussi une âme véritable, et c’est dans ce sens qu’il dit que son esprit est prompt pour souffrir, mais que sa chair faible appréhende les douleurs de sa passion.

" Il s’en alla une seconde fois, et il pria en disant : Mon Père, si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que votre volonté se fasse. " — Orig. Je pense que ce calice devait passer loin de Jésus-Christ, mais avec cette différence, que s’il le buvait, il passait loin de lui, et ensuite loin de tout le genre humain ; au contraire, s’il ne le buvait pas, ce calice passait loin de lui, mais ne passait pas loin des hommes. Or, il voulait que ce calice s’éloignât de lui, et qu’il ne fût point obligé d’en goûter l’amertume, si toutefois la justice de Dieu pouvait y consentir ; mais si cela n’était pas possible, il aimait mieux épuiser ce calice, et le voir ainsi passer loin de lui et de tout le genre humain, que d’en détourner les lèvres contrairement à la volonté de son Père. — S. Chrys. (hom. 83.) En priant une deuxième et une troisième fois, sous l’impression de l’infirmité humaine qui lui faisait craindre la mort, il atteste qu’il s’était réellement fait homme. Car lorsqu’un acte se répète une deuxième et une troisième fois, c’est dans le langage des Écritures la plus haute démonstration de la vérité, voilà pourquoi Joseph dit à Pharaon : " Quant au songe que vous avez eu en second lieu, et qui a le même sens, c’est un signe certain qu’il aura son effet. " (Gn, 41) — S. Jér. Ou bien, il prie une seconde fois, pour témoigner à Dieu que si Ninive, c’est-à-dire la Gentilité, ne peut être sauvée, qu’à la condition que l’arbrisseau se dessèche (Jon 3), il consent que la volonté de son Père soit faite, volonté qui n’est pas contraire à celle du Fils, selon ces paroles du Roi-prophète ; " Je suis venu pour faire votre volonté, c’est aussi, mon Dieu, ce que j’ai voulu. " (Ps 33) — S. Hil. Ou bien encore, eu faveur de ses disciples, qui devaient passer par les souffrances, il a pris sur lui toutes les faiblesses de notre corps, il a cloué à la croix toutes nos infirmités ; et c’est pourquoi ce calice ne peut s’éloigner de lui sans qu’il le boive, parce que nous ne pouvons souffrir qu’en vertu de sa passion.

S. Jér. Or, Jésus-Christ est le seul qui prie pour tous les hommes, de même qu’il est le seul qui souffre pour tous sans exception. " Et il vint de nouveau, et il les trouva endormis ; car leurs yeux étaient appesantis. " Les Apôtres étaient comme atteints de langueur, et leurs yeux étaient accablés par les approches de leur renoncement. — ORIG. Je pense que c’était moins les yeux de leur corps que ceux de leur âme qui étaient appesantis ; car ils n’avaient pas encore reçu l’Esprit saint, aussi le Sauveur ne leur fait-il point de nouveaux reproches, mais il retourne prier une troisième fois, pour nous enseigner à ne point nous décourager, mais à persévérer dans la prière jusqu’à ce que nous ayons obtenu ce que nous avons commencé à demander. " Et les ayant quittés, il s’en alla de nouveau, et il pria une troisième fois disant les mêmes paroles. " — S. Jér. Il pria une troisième fois, comme pour se conformer à ce précepte des livres saints : " Que tout soit assuré par la déposition de deux ou trois témoins (Dt 19, 15 ; Mt 18, 16, et 2 Co 13, 1). — Rab. Ou bien, le Seigneur prie à trois reprises différentes, pour nous apprendre à demander à Dieu le pardon de nos péchés passés, la délivrance de nos maux présents, et la protection divine contre les dangers à venir. Il nous enseigne encore à adresser toutes nos prières au Père, au Fils et au Saint-Esprit, et à leur demander de conserver sans tache notre esprit, notre âme et notre corps. (1 Th 5) — S. Aug. (Quest évang., 2, 44.) On peut encore raisonnablement admettre que le Seigneur a prié par trois fois en vue de la triple tentation de sa passion ; car de même qu’il y a trois tentations de la concupiscence, la crainte nous tente ainsi de trois manières différentes. Ainsi à la concupiscence des yeux ou de la curiosité, correspond la crainte de la mort ; car de même que la première est un désir ardent de connaître toutes choses, de même la seconde est la crainte de perdre cette connaissance. A la concupiscence ou au désir de l’honneur et de la louange, correspond la crainte de l’ignominie et des outrages, et à la. concupiscence du plaisir, la crainte de la douleur. — Remi. Ou bien, il prie par trois fois pour les Apôtres, et surtout pour Pierre qui devait le renier trois fois,

 

vv. 45-46.

S. Hil. (can. 31.) Après ces prières multipliées, après ces démarches répétées, il bannit la crainte de l’âme de ses disciples, il leur rend la sécurité, et les invite à prendre du repos " Alors il revint trouver ses disciples, " etc. — S. Chrys. (hom. 83.) Au contraire, c’est alors qu’il fallait veiller ; mais il leur parle de la sorte pour leur faire comprendre qu’ils ne pourraient supporter la vue des maux qui allaient fondre sur lui, et que d’ailleurs, il n’avait pas besoin de leur secours, puisqu’il fallait nécessairement qu’il fût livré à ses ennemis. — S. Hil. Ou bien, il s’exprime ainsi, parce qu’il attendait désormais avec confiance l’effet de la volonté de son Père sur ses disciples, d’après la prière qu’il lui avait faite : " Que votre volonté soit faite, " assuré qu’il était qu’en buvant le premier le calice qui devait passer jusqu’à nous, il absorbait pour ainsi dire, en sa personne, les infirmités de notre corps, les sollicitudes de la crainte, et la douleur elle-même de la mort. — Orig. Ou bien, ce sommeil qu’il commande maintenant à ses disciples de prendre, n’est pas le même auquel ils ont succombé précédemment ; en effet, lorsque Jésus vint les trouver alors, ils dormaient, il est vrai, et avaient leurs yeux appesantis, mais ils ne se reposaient pas ; maintenant, au contraire, il leur commande, non plus simplement de dormir, mais de dormir d’un sommeil qui les repose, pour que l’ordre naturel des choses soit observé. C’est ainsi que nous devons d’abord veiller et prier pour ne point tomber dans la tentation, afin de pouvoir ensuite nous livrer au sommeil et au repos. Ainsi tout homme qui a trouvé une demeure au Seigneur, un tabernacle au Dieu de Jacob peut monter sur le lit de son repos, et accorder le sommeil à ses yeux. (Ps 131) Peut-être aussi l’âme qui ne peut toujours supporter la fatigue, accablée qu’elle est sous le poids du travail, obtiendra quelques moments de relâche que l’on compare au sommeil, et qu’elle pourra goûter sans crainte de reproche, afin de pouvoir se lever toute renouvelée après ces quelques instants de repos. — S. HIL. Lorsque Notre-Seigneur revient vers ses disciples, et qu’il les trouve endormis, la première fois, il leur en fait un reproche ; la seconde fois, il se tait ; la troisième fois, il leur ordonne de se reposer. Voici la raison de cette conduite : premièrement, après sa résurrection, il les trouva dispersés, pleins de défiance et de crainte ; secondement, lorsqu’il les visita en leur envoyant l’Esprit saint, leurs yeux étaient appesantis et ne pouvaient contempler la liberté de l’Évangile ; car l’amour de la loi, qui les retenait encore tant soit peu, les laissait comme plongés dans le sommeil par rapport à la foi ; troisièmement enfin, lorsqu’il reviendra dans l’éclat de sa majesté, il leur rendra la sécurité et le repos.

ORIG. Après les avoir tirés de leur sommeil, Jésus, voyant en esprit Judas qui s’approchait pour le trahir, sans que ses disciples pussent encore l’apercevoir, leur dit : Voici l’heure qui approche, " etc. — S. Chrys. (hom. 83.) Ces paroles : " L’heure approche, " prouvent que tout se faisait par suite d’une disposition toute divine, et ces autres : Le Fils de l’homme va être livré entre les mains des pécheurs, " que sa passion était l’œuvre de leur méchanceté, et qu’il n’était coupable d’aucun crime qui pût en être la cause. — Orig. Maintenant encore, Jésus est livré entre les mains des pécheurs, lorsque ceux qui paraissent croire en lui l’ont entre les mains, tout pécheurs qu’ils sont. De même, toutes les fois qu’un juste qui possède Jésus en soi, devient esclave du péché, Jésus est encore livré entre les mains des pécheurs.

S. Jér. Après avoir prié pour la troisième fois, et obtenu pour ses Apôtres que leur repentir pût expier leurs craintes, sans inquiétude de sa passion, il se dirige vers ses persécuteurs, et se présente de lui-même à la mort : " Levez-vous, allons, " c’est-à-dire, afin qu’ils ne vous trouvent pas en proie aux appréhensions et à la crainte, marchons de nous-mêmes à la mort, et qu’ils soient témoins de l’assurance et de la joie de celui qu’ils vont faire souffrir. " Voici qu’approche celui qui me doit livrer. " — Orna. Il ne dit pas : Il s’approche de moi ; car le traître disciple ne s’approchait pas de Jésus, lui qui s’en était éloigné par ses péchés. — S. Aug. (de l’accord des Evang., 3, 4.) Ce récit de saint Matthieu paraît contradictoire ; car comment a-t-il pu dire : " Dormez maintenant et reposez-vous, " et ajouter presque immédiatement : " Levez-vous, allons ? " Cette contradiction apparente a porté quelques interprètes à soutenir que ces paroles du Sauveur : " Dormez maintenant et reposez-vous, " sont un reproche qu’il leur fait, plutôt qu’une permission qu’il leur donne, explication qu’on pourrait très-bien admettre, si elle était nécessaire ; mais comme dans le récit de saint Marc après que Jésus a dit : " Dormez maintenant et reposez-vous, " il ajoute : " C’est assez, " et puis ensuite : " L’heure est venue, le Fils de l’homme va être livré, " nous devons comprendre qu’après avoir dit : " Dormez maintenant et reposez-vous, " le Seigneur a gardé quelque temps le silence, pour laisser s’accomplir ce qu’il avait promis, et qu’ensuite il ajoute : " Voici que l’heure approche. " D’après saint Marc, le Sauveur leur dit : " C’est assez, " c’est-à-dire vous vous êtes reposés suffisamment.

 

vv. 47-50.

La Glose. L’Évangéliste vient de nous dire que le Seigneur avait été lui-même au-devant de ses persécuteurs ; il nous raconte maintenant comment ils se saisirent de sa personne : " il parlait encore, lorsque Judas, un des douze, " etc. — Remi. Un des douze, c’est-à-dire qu’il était numériquement un des douze, mais qu’il ne méritait pas d’en faire partie, circonstance que l’auteur sacré relève pour faire ressortir l’énormité du crime de Judas qui, d’apôtre, était devenu un traître : " Et avec lui une grande troupe de gens armés d’épées et de bâtons. " Pour nous montrer que c’était l’envie qui avait ordonné de se saisir de Jésus, l’Évangéliste ajoute : " Qui avaient été envoyés par les princes des prêtres, et par les anciens du peuple. " — ORIG. On pourrait dire qu’ils avaient envoyé cette grande troupe pour se saisir de lui, à cause du grand nombre de ceux qui croyaient en lui, et dans la crainte que cette multitude ne vînt à le délivrer de leurs mains. Mais pour moi, je pense que ce fut pour un autre motif, et parce qu’étant persuadés qu’il chassait les démons par Béelzébub, ils s’imaginaient qu’il pourrait, à l’aide de quelques maléfices, s’échapper des mains de ceux qui venaient s’emparer de lui. Il en est encore beaucoup qui combattent contre Jésus, armés de glaives spirituels, c’est-à-dire répandant sur Dieu des erreurs nombreuses et variées. " Or, celui qui le trahit leur avait donné ce signe : " Celui que je baiserai, " etc. il n’est pas inutile de rechercher pourquoi Judas donna un signe pour faire connaître Jésus, alors que sa figure était connue de tous les habitants de la Judée. Or, d’après une tradition qui est parvenue jusqu’à nous, Jésus se manifestait sous deux formes extérieures, l’une sous laquelle tout le monde le voyait ; l’autre, sous laquelle il apparut lors de sa transfiguration sur la montagne. De plus, il se manifestait à chacun selon qu’il en était digne, et de même qu’il est écrit de la manne qu’elle avait pour chacun le goût qu’il souhaitait, ainsi le Verbe de Dieu ne se manifeste pas à tous de la même manière. Ce sont ces diverses transfigurations qui rendaient nécessaire un signe pour le faire reconnaître. — S. Chrys. (hom. 83.) Ou bien, il leur donna un signe, parce que souvent il s’était échappé de leurs mains, sans qu’ils s’en aperçussent, et c’est ce qu’il eût encore fait, s’il l’eût voulu.

" Et aussitôt, s’approchant de Jésus, il lui dit : Salut, Maître. Et il le baisa. " — RAB. Le Sauveur reçoit le baiser du traître, non pour nous apprendre à user de feinte et de dissimulation, mais parce qu’il ne voulait point paraître se dérober à la trahison. — ORIG. Si l’on demande pourquoi Judas a trahi Jésus par un baiser, nous répondons que selon quelques-uns ce fut pour conserver les marques extérieures de respect à l’égard de son maître, sur lequel il n’osait se jeter publiquement ; selon d’autres, c’est parce qu’il craignit qu’en se déclarant ouvertement son ennemi, il ne fût cause qu’il ne lui échappât, puisque dans sa pensée le Sauveur pouvait se dérober au danger qui le menaçait et se rendre invisible. Pour moi, je pense que tous ceux qui trahissent la vérité, la trahissent par un baiser et en affectant un amour hypocrite pour elle. Tous les hérétiques disent aussi à Jésus, comme Judas : " Je vous salue, Maître. " Or, Jésus lui fait une réponse pleine de douceur : " Et Jésus lui répondit : Mon ami, dans quel dessein êtes-vous venu ? " Il l’appelle " mon ami, " pour lui reprocher son hypocrisie, car nous ne voyons dans l’Écriture aucun juste appelé de ce nom (Ct 5 ; 2 Paralip., 20 ; Jdt 8 ; Is 41), tandis que le Père de famille dit au convive qui n’avait pas la robe nuptiale : " Mon ami, comment êtes-vous entré ici ? " (Mt 22) ; et ailleurs, à l’un des ouvriers qui murmuraient : " Mon ami, je ne vous fais pas de tort. " (Mt 20) — S. Aug. (Serm. pour le Dim. de la Pas.) Jésus lui dit : " Dans quel dessein êtes-vous venu ici ? " C’est-à-dire, vous me donnez un baiser et vous me trahissez. Je sais pourquoi vous êtes venu, vous feignez d’être mon ami, alors que vous n’êtes qu’un traître. — REMI. Ou bien, en lui disant : " Ami, qu’êtes-vous venu faire ici, " il sous-entend : Faites ce pourquoi vous êtes venu. " Alors ils s’avancèrent, se jetèrent sur Jésus et se saisirent de lui. " Alors, c’est-à-dire quand il le leur permit, car bien souvent ils en eurent le désir sans pouvoir l’exécuter. — RAB. Tressaille de joie, ô chrétien, tu as gagné au trafic de tes ennemis, et tu as acquis ce que Judas a vendu et ce que le Juif a acheté.

 

vv. 51-53.

S. Chrys. (hom. 84.) Saint Luc nous rapporte que le Seigneur avait dit pendant la Cène à ses disciples : Que celui qui a un sac le prenne, de même que sa bourse, et que celui qui n’en a pas vende sa tunique et achète un glaive : " Et les disciples répondirent : Il y a deux glaives ici. " (Lc 22) On comprend qu’ils aient eu des glaives avec eux, puisqu’ils venaient de manger l’Agneau pascal. D’ailleurs, comme ils savaient que les ennemis de Jésus-Christ s’approchaient pour se saisir de lui, ils prirent, au sortir du cénacle, des glaives pour défendre leur Maître contre ses persécuteurs ou comme s’ils allaient combattre pour lui. Alors, un de ceux qui étaient avec Jésus, portant la main à son épée, la tira. " — S. Jér. On lit dans un autre évangéliste que ce fut Pierre, et qu’il agit avec la même ardeur qu’il fait paraître en toute circonstance " Et, frappant un des serviteurs du grand-prêtre, il lui coupa une oreille. " Ce serviteur du grand-prêtre s’appelait Malchus, et l’oreille qui lui fut coupée était la droite. Or, nous dirons en passant que ce Malchus (c’est-à-dire qui était autrefois roi des Juifs), est devenu esclave de l’impiété et de la cupidité des prêtres, et a perdu l’oreille droite pour ne plus entendre que de l’oreille gauche la pauvreté du sens littéral de la loi. — Orig. Car, bien que les Juifs paraissent encore entendre aujourd’hui la loi, ce n’est pas la vérité, mais l’ombre de la tradition de la loi qu’ils entendent de l’oreille gauche. Au contraire, le peuple qui a embrassé la foi parmi les Gentils est ici représenté par Pierre, et par le fait même qu’ils ont cru en Jésus-Christ, ils ont été cause que les Juifs ont cessé d’entendre de l’oreille droite. —RAB. Ou bien on peut dire que Pierre n’enlève pas à ceux qui écoutent, le sens de la perception de la vérité, mais qu’il ne fait que manifester le juste jugement de Dieu qui ôte ce sens à ceux qui négligent de s’en servir, tandis que l’usage de cette même oreille droite est rendu par un effet de la miséricorde divine à tous ceux qui, parmi le peuple juif, ont embrassé la foi. — S. Hil. (can. 32.) Ou bien, dans un autre sens, l’oreille coupée par Pierre au valet du grand-prêtre figure le sens indocile de l’ouïe, qui est retranché par le disciple de Jésus-Christ au peuple esclave du sacerdoce judaïque et qui devient incapable de recevoir la vérité qu’il a refusé d’entendre.

S. Léon. (Serm. 1 sur la Pas.) Le Seigneur ne souffre pas que le pieux élan de son zélé disciple aille plus loin : " Alors Jésus lui dit : Remets ton glaive en son lieu. " En effet, il eut été contraire au mystère de la rédemption que celui qui venait mourir pour tous les hommes ne consentît pas à se laisser prendre par ses ennemis. fi donna donc à ces furieux le pouvoir d’assouvir leur rage contre lui, pour ne point prolonger, par le retard du glorieux triomphe de la croix, l’empire du démon et la captivité du genre humain. — Rab. Il fallait aussi que l’auteur de la grâce enseignât par son exemple la patience aux fidèles, et qu’il leur apprît à supporter courageusement la persécution, plutôt que de les exciter à la vengeance. — S. Chrys. (hom. 83.) Il use même de menaces pour persuader plus facilement son disciple : " Car tous ceux qui prendront le glaive périront par le glaive. " — S. Aug. (contre Fauste, 22, 76.) C’est-à-dire, quiconque se sera servi du glaive. Celui qui prend le glaive est celui qui le fait servir à répandre le sang sans l’ordre, le consentement ou la permission de l’autorité supérieure et légitime ; car le Seigneur avait bien ordonné à ses disciples de porter un glaive, mais non pas de s’en servir pour frapper. En quoi donc est-ce une indignité qu’après cette faute, Pierre soit devenu le chef de l’Église, de même que Moïse devint le chef et le prince de la synagogue après avoir tué un Egyptien ? (Ex 2.) L’un et l’autre outrepassèrent la règle, non par une cruauté détestable, mais par un sentiment de colère bien digne de pardon ; l’un et l’autre agirent sous l’impression de la haine contre l’injustice commise sous leurs yeux, bien que l’un ait péché par un excès d’amour fraternel, et le second par une affection vive, quoique charnelle encore, pour son Maître. — S. Hil. Mais la mort par le glaive n’est point le châtiment de tous ceux qui se servent du glaive, car la fièvre ou d’autres accidents en emportent beaucoup de ceux qui ont fait usage du glaive, ou en remplissant les fonctions de juge, ou en résistant nécessairement aux voleurs. Si cependant, d’après la sentence du Sauveur, tout homme qui se sert du glaive doit périr par le glaive, c’est avec justice qu’on faisait mourir par le glaive ceux qui s’en servaient pour commettre quelque crime. — S. JER. Or, quel est le glaive qui fera périr celui qui se sera servi du glaive ? le glaive de feu qui flamboie à la porte du paradis (Gn 3), et le glaive de l’esprit qui se trouve décrit dans l’armure de Dieu (Ep 6). — S. Hil. Le Seigneur ordonne que le glaive soit remis dans le fourreau, parce qu’il devait faire périr ses ennemis, non sous les coups d’un glaive matériel, mais par le glaive de sa bouche. — Remi. Ou bien enfin, dans un autre sens, celui qui se sert du glaive pour tuer son semblable, périt tout le premier, victime du glaive de sa malice.

S. Chrys. (hom. 84.) Non-seulement le Sauveur modère le zèle de ses disciples par cette menace, mais encore en leur montrant que c’était volontairement qu’il souffrait cet attentat : " Penses-tu que je ne puisse prier mon Père, et qu’il ne m’enverra pas à l’heure même plus de douze légions d’anges ? " Comme il avait donné de si nombreuses marques de la faiblesse naturelle à l’homme, ils auraient eu peine à le croire s’il leur avait dit qu’il pouvait lui-même se défaire de ses ennemis ; c’est pour cela qu’il ajoute : " Penses-tu que je ne puisse pas prier mon Père ? " — S. Jér. C’est-à-dire : je n’ai nul besoin d’être défendu par douze apôtres, quand ils devraient tous s’armer pour ma cause, moi qui puis avoir douze légions d’anges à mon service. Une légion, chez les anciens, était composée de six mille hommes ; ces douze légions, par conséquent, formeraient un total de soixante-douze mille anges, correspondant au nombre des nations qui se dispersèrent après la division des langues. — Orig. Nous voyons par là que de même qu’il existe des légions dans la milice de la terre, il y a aussi, dans la milice du ciel, des légions d’anges pour combattre les légions des démons (Mc 4, Lc 8), car toute milice est formée dans le dessein de l’opposer aux attaques de l’ennemi. Toutefois, s’il s’exprime de la sorte, ce n’est pas qu’il ait besoin du secours des anges, mais c’est pour se conformer à la manière de voir de Pierre, qui voulait lui porter secours, car les anges ont plus besoin du secours du Fils unique de Dieu, qu’il n’a besoin lui-même de leur appui. — Remi. Nous pouvons entendre aussi par ces légions d’anges l’armée des Romains ; car, avec Titus et Vespasien, on vit les peuples de toute langue se déclarer contre la Judée, et alors fut accomplie cette prédiction : " L’univers combattra contre les insensés. " (Sg 5, 21). — S. Chrys. (hom. 84.) Ce n’est pas seulement par cette considération qu’il dissipe la crainte de ses Apôtres, mais encore en leur apportant le témoignage des Écritures : " Comment donc s’accomplirent les Écritures, qui déclarent qu’il doit être fait ainsi ? " — S. Jér. Ces paroles prouvent combien il tardait à son âme de souffrir ce que les prophètes auraient inutilement prédit s’il n’avait confirmé par sa passion la vérité de leurs prophéties.

 

vv. 55-58.

ORIG. Après avoir dit à Pierre : " Remettez votre épée, " et nous avoir ainsi montré toute sa patience ; après avoir donné une preuve de sa souveraine bonté et de sa puissance toute divine en guérissant l’oreille que Pierre avait coupée, comme le rapporte un autre Évangéliste (Lc 22,) l’auteur sacré continue son récit " En même temps Jésus dit à cette troupe, " etc. Si elle avait perdu le souvenir de ses anciens bienfaits, Jésus voulait lui faire au moins reconnaître ceux dont elle venait d’être témoin " Vous êtes venus ici armés d’épées et de bâtons pour me prendre comme si j’étais un voleur. " — REMI. C’est-à-dire, c’est le propre des voleurs de chercher à nuire et de se cacher ; mais pour moi, je n’ai cherché à nuire à personne, au contraire, j’ai guéri un grand nombre de malades, et j’ai toujours enseigné dans les synagogues : " J’étais tous les jours assis parmi vous, enseignant dans le temple, et vous ne m’avez pas pris. " — S. Jér. Il semble leur dire : C’est une absurdité de venir prendre avec des bâtons et des épées un homme qui se livre lui-même entre vos mains, et de chercher de nuit, sous la conduite d’un traître, celui qui enseignait tous les jours dans le temple, comme s’il voulait se dérober à vos recherches.

S. Chrys. (hom. 84.) Or, ils ne s’étaient point emparé de lui dans le temple, parce qu’ils n’avaient pas osé le faire, dans la crainte de la foule, et c’est pour leur offrir le lieu et l’occasion favorable pour se saisir de lui, que le Sauveur sortit hors de la ville. Il nous apprend ainsi que s’il ne l’avait permis par un acte libre de sa volonté, ils n’auraient jamais pu s’emparer de sa personne. L’Évangéliste explique ensuite la raison pour laquelle le Seigneur a consenti à être pris en ajoutant : " Tout cela s’est fait afin que s’accomplissent les oracles des prophètes. " — S. Jér. " Ils ont percé mes ma,ins et mes pieds. "(Ps 21) Et ailleurs : " Il a été conduit à la mort comme une brebis (Is 53) ; et plus loin : Il a été conduit à la mort à cause des iniquités de mon peuple. " — Remi. Comme tous les prophètes ont prédit la mort du Christ, le Sauveur ne cite pas un témoignage particulier, mais il dit d’une manière générale que les oracles des prophètes doivent être accomplis. — S. Chrys. (hom. 84.) Les disciples qui étaient restés au moment où l’on s’était saisi du Seigneur, s’enfuirent lorsqu’ils eurent entendu ces paroles : " Alors tous les disciples l’abandonnèrent et s’enfuirent. " Car ils savaient bien qu’il n’était plus possible de le délivrer, puisqu’il se livrait volontairement entre les mains de ses ennemis. — Remi. Cette conduite prouve, toutefois, la fragilité des Apôtres. Ils avaient promis dans l’ardeur de leur foi de mourir avec leur divin Maître, et ils furent maintenant pleins d’effroi, sans se souvenir de leur promesse. C’est ce que nous voyons encore se renouveler dans ceux qui promettent d’exécuter de grandes choses pour l’amour de Dieu, et qui n’en accomplissent aucune, cependant ils ne doivent pas désespérer, mais se relever avec les Apôtres et se renouveler par le repentir. — Rab. Dans le sens mystique, de même que Pierre qui a lavé la tache de son renoncement dans les larmes du repentir, figure le retour de ceux qui succombent dans l’épreuve du martyre, ainsi les autres disciples qui s’enfuient, enseignent à ceux qui ne se sentent pas assez forts pour affronter les supplices, de chercher prudemment leur salut dans la fuite.

" Ces gens s’étant donc saisis de Jésus, l’emmenèrent chez Caïphe. " — S. Aug. (de l’accord des Evang., 3, 5.) Cependant il fut conduit en premier lieu chez Anne, beau-père de Caïphe, comme le raconte saint Jean. Il fut amené lié, car il y avait dans cette foule un tribun à la tête d’une cohorte, au témoignage du même Évangéliste. — S. Jér. Josèphe rapporte que Caïphe avait acheté à prix d’argent le pontificat pour cette année-là, contrairement à ce que Moïse avait ordonné de la part de Dieu, que les enfants des grands-prêtres succéderaient à leurs pères dans le pontificat, par ordre de naissance. Qu’y a-t-il d’étonnant qu’un pontife inique ait rendu des jugements d’iniquité ? — Rab. Il y a aussi un rapport entre le nom de Caïphe et sa conduite, Caïphe signifie investigateur ou habile dans l’accomplissement de ses mauvais desseins, ou bien, qui vomit de sa bouche ; car il lit éclater son impudence dans les mensonges qu’il proféra, et dans l’homicide qu’il ne craignit pas de commettre. Or, ils amenèrent Jésus chez lui, pour ne paraître agir en tout que par l’autorité du conseil, " ou les scribes, les pharisiens et les anciens étaient assemblés. " Là où se trouvent Caïphe et les grands-prêtres, là se rassemblent aussi les scribes, c’est-à-dire les secrétaires, dont le ministère est de copier et de garder la lettre qui tombe, et les anciens qui ont vieilli, non dans la vérité, mais dans la vétusté de la lettre.

" Or, Pierre le suivait de loin. " Il ne pouvait le suivre de près, mais de loin seulement, sans cependant s’éloigner tout à fait de lui. — S. Chrys. (hom. 84.) Le zèle de Pierre était bien ardent, puisque, après avoir été témoin de la fuite des autres, il ne s’enfuit pas lui-même, mais qu’il tient ferme, et entre dans la cour du grand-prêtre. Il est vrai que saint Jean y entre aussi, mais il était connu du prince des prêtres. Or, Pierre ne le suivait que de loin, parce qu’il devait bientôt le trahir. — Remi. Il n’aurait jamais pu renier son Seigneur, s’il fût toujours resté près de lui. Cette circonstance signifie que Pierre devait suivre et imiter le Seigneur jusque dans sa passion. — S. Aug. (Quest. évang., 1, chap. dern.) Nous y voyons encore que l’Église doit suivre, c’est-à-dire imiter les souffrances du Seigneur, mais d’une manière bien différente ; car l’Église souffre pour elle-même, tandis que le Sauveur souffre pour l’Église.

" Et étant entré dans l’intérieur, il s’assit avec les serviteurs pour voir la fin. " S. Jér. C’était par attachement pour son Maître, ou bien par une curiosité toute naturelle, et parce qu’il désirait savoir le jugement que le grand-prêtre prononcerait contre lui, s’il le condamnerait à mort, ou s’il le renverrait après l’avoir flagellé.

 

vv. 59-68.

S. Chrys. (hom. 84.) Les princes des prêtres s’étant assemblés, cette réunion d’hommes corrompus voulut donner aux criminels desseins qu’ils tramaient contre le Sauveur, les formes légales de la justice : " Cependant les princes des prêtres et tout le conseil cherchaient un faux témoignage contre Jésus, " etc. Mais ce qui suit prouve jusqu’à l’évidence qu’il n’y avait là qu’un simulacre de jugement, et que toutes leurs délibérations n’étaient que tumulte et confusion : " Et ils n’en trouvèrent point, quoique plusieurs faux témoins se fussent présentés. — Orig. Les faux témoignages ne sont possibles que lorsqu’on peut leur donner quelque semblant de vérité. Mais on ne pouvait même pas trouver ces apparences qui seraient venues fortifier les mensonges qu’ils inventaient contre Jésus-Christ, bien qu’il y eût beaucoup de gens qui eussent voulu être agréable en cela aux princes des prêtres. C’est là, du reste, une gloire éclatante pour Jésus, que toutes ses paroles, que toutes ses actions aient été irrépréhensibles jusque là que ces hommes pervers et consommés dans la malice, n’aient pu trouver l’ombre même d’une faute dans sa conduite.

" Enfin, il vint deux faux témoins. " — S. Jér. Comment peut-on les appeler faux témoins, puisqu’ils ne rapportent que ce que le Sauveur a dit lui-même d’après le récit des Évangélistes ? C’est que pour être faux témoin, il suffit de ne pas rapporter les choses dans le sens où elles ont été dites. Le Seigneur avait ainsi parlé du temple de son corps, mais ils dénaturent ses paroles, et à l’aide d’une légère addition, ou d’un léger changement, ils semblent formuler contre lui une accusation fondée. Le Sauveur avait dit : " Détruisez ce temple ; " ils dénaturent le sens de ses paroles, et lui font dire : " Je puis détruire le temple de Dieu. " Détruisez vous-même ce temple, leur dit-il, ce n’est pas moi qui le détruirai. " En effet, il ne nous est pas permis de nous donner la mort. ils ajoutent ensuite : " Et après trois jours je le rebâtirai, " de manière que ces paroles parussent se rapporter directement au temple de Jérusalem, tandis que le Sauveur, pour montrer qu’il voulait parler d’un temple vivant et animé, avait dit : " Et dans trois jours je le ressusciterai ; " car rebâtir, n’est pas la même chose que ressusciter. — S. Chrys. (hom. 84.) Mais pourquoi ne l’accusent-ils pas d’avoir violé le jour du sabbat ? C’est parce que bien des fois il les avait confondus sur ce point.

S. Jér. La colère aveugle et impatiente de ne point trouver de fondement à ces calomnies, soulève le grand-prêtre de son siége, et trahit la fureur de son âme par les brusques mouvements de son corps : " Et le grand-prêtre, se levant, lui dit : Vous ne répondez rien à ce que déposent ceux-ci contre vous ? " — S. Chrys. (hom. 84.) Il lui parle de la sorte pour lui arracher une réponse répréhensible, et qui pût être tournée contre lui. Or, il était parfaitement inutile au Sauveur de répondre, puisque personne n’était disposé à l’écouter, c’est pour. quoi l’Évangéliste ajoute : " Mais Jésus se taisait ; " car il n’y avait là que les apparences de la justice, et en réalité, c’était une troupe de brigands se jetant sur leur proie comme dans une caverne, et c’est pour cela qu’il garde le silence. — Orig. Cet exemple nous apprend à mépriser les calomnies et les faux témoignages, et à ne pas même juger dignes de réponse ceux qui tiennent des discours injustes contre nous, surtout alors qu’il est plus digne de se taire librement et courageusement, que de se défendre sans profit. — S. Jér. Car comme Dieu, Jésus savait que l’on tournerait contre lui tout ce qu’il pourrait dire. Mais plus Jésus persiste à garder le silence devant ces faux témoins et ces prêtres impies, indignes de recevoir une réponse, et plus le grand-prêtre, transporté de fureur, le presse de répondre, afin de trouver dans ses paroles, quoi qu’il puisse dire, matière à l’accuser " Et le grand-prêtre lui dit : Je vous adjure par le Dieu vivant de nous dire, " etc. — ORIG. La loi nous offre quelques exemples d’adjuration (Gn 24 et 50 ; Ex 13 ; Nb 5 ; Jos 17 ; 1 R 14 ; 3 R 4 ; 4 R 11 ; 2 Paral., 18, 34, 36 ; Esd 10 ; Is 5 et 12 ; Tb 18 et 19 ; Ct 2-3, 5-6), mais pour moi, je pense qu’un homme qui veut vivre conformément à l’Évangile, ne doit point en adjurer un autre ; car s’il est défendu de jurer, il l’est également d’adjurer. Si l’on objecte que Jésus commandait aux démons, et qu’il donnait à ses disciples le pouvoir de les chasser, nous répondrons que le pouvoir donné par le Sauveur sur les démons, n’est pas une véritable adjuration. Or, le grand-prêtre était grandement coupable de tendre ainsi des piéges à Jésus, et en cela, il imitait son propre père (le démon) qui, dans le doute, avait fait deux fois cette question au Sauveur : " Si vous êtes le Christ, Fils de Dieu " (Mt 4) ; et l’on peut en conclure avec raison que douter si le Christ est le Fils de Dieu, c’est faire l’œuvre du démon. Or, il ne convenait pas que le Seigneur répondit à l’adjuration du grand-prêtre, comme s’il y était forcé. Aussi s’il ne nie pas qu’il fût le Fils de Dieu, il ne le confesse pas non plus ouvertement Jésus lui répondit : C’est vous qui l’avez dit. " Le grand-prêtre n’était pas digne d’entendre les divins enseignements de Jésus-Christ, aussi ne cherche-t-il pas à l’instruire, mais il prend ses propres paroles, et s’en sert pour le convaincre et le condamner. De plus, je vous le déclare, vous verrez un jour le Fils de l’homme assis, " etc. Cette figure, par laquelle Notre-Seigneur se représente assis, me paraît signifier une royauté fortement établie ; et en effet, c’est par la puissance de Dieu, qui seul est la véritable puissance, qu’a été fondé le trône de Jésus, qui a reçu de Dieu le Père toute puissance dans le ciel comme sur la terre. Or, il viendra un temps où ses ennemis seront témoins de l’affermissement de son trône, et cette prédiction a reçu un commencement d’exécution dans le temps même de l’incarnation du Sauveur, alors que ses disciples le virent ressusciter d’entre les morts, et solidement établi à la droite de la puissance divine, ou bien, comme en comparaison de cette durée éternelle qui est en Dieu, le temps qui s’écoule depuis le commencement du monde jusqu’à la fin est comme un seul jour, il n’est pas étonnant que le Sauveur emploie cette expression : tout à l’heure, bientôt, " pour montrer la brièveté du temps qui nous sépare de la fin du monde. Or, il ne leur prédit pas seulement qu’ils le verront assis à la droite de la puissance divine, mais encore qu’ils le verront venir sur les nuées du ciel. " Et, venant sur les nuées du ciel. " Les nuées sont les prophètes et les Apôtres de Jésus-Christ, auxquels il commande de répandre la pluie lorsqu’elle est nécessaire. (Ps 77.) Ce sont des nuées qui ne passent pas, car elles portent en elles l’image de l’homme céleste (1 Co 15), et elles sont dignes, comme héritières de Dieu et cohéritières du Christ, d’être le siége de Dieu. (Rm 8)

S. Jér. Le même accès de fureur qui vient d’arracher le grand-prêtre à son siége, le pousse à déchirer ses vêtements : " Alors le grand-prêtre déchira ses vêtements en disant : il a blasphémé. " C’était un usage chez les Juifs (Ac 15) de déchirer ses vêtements lorsqu’on entendait une parole de blasphème, et outrageante pour la divinité. — S. Chrys. (hom. 84.) Le grand-prêtre fait cette démonstration pour aggraver le crime dont il veut charger le Sauveur, et confirmer par cet acte la vérité de ses paroles. — S. Jér. Mais en déchirant ses vêtements, il déclare que les Juifs ont perdu la gloire du sacerdoce, et que le siége de leurs pontifes est désormais vide ; car par cette action, il déchire aussi le voile qui recouvrait la loi. — S. Chrys. (hom. 84.) Après avoir ainsi déchiré ses vêtements, il ne veut pas, ce semble, prononcer la sentence de sa propre autorité, mais il demande aux autres de la porter eux-mêmes : " Que vous en semble ? " Comme s’il s’agissait d’un crime évident, et d’un blasphème manifeste ; et il leur fait ainsi dire violence, en devançant leur jugement, et en les forçant de prononcer la sentence de condamnation : " Qu’avons-nous encore besoin de témoins ? Vous venez d’entendre vous-mêmes le blasphème " Or, quel était ce blasphème ? Dans une circonstance précédente où ils étaient venus le trouver en grand nombre, il leur avait cité ces paroles du Roi-prophète : Le Seigneur a dit à mon Seigneur, " et leur en avait donné l’explication. Or, ils avaient tous gardé le silence et n’osèrent plus depuis le contredire ; Comment se fait-il donc qualifient de blasphème ce qu’ils viennent d’entendre ? Et ils répondirent : il mérite la mort, " c’est-à-dire qu’ils sont tout à la fois les accusateurs, les témoins et les juges. — Orig. Quelle erreur monstrueuse que de proclamer digne de mort la vie par excellence, et malgré des témoignages si imposants de résurrection, de ne pas reconnaître la source même de la vie, d’où elle se répandait sur toue les hommes. — S. Chrys. (hom. 85.) Mais non, ils font éclater leur liesse et leurs transports insensés, comme s’ils avaient rencontré une proie.

Suite. " Alors ils lui crachèrent au visage, " etc. — S. Jér. s’accomplissait ce qui avait été prédit : J’ai présenté ma joue aux soufflets, et je n’ai pas détourné mon visage des outrages et des crachats de l’ignominie. "D’autres lui donnèrent des soufflets en disant : Christ, prophétise-nous, " etc. C’est pour l’outrager qu’ils lui tiennent ce langage, et parce qu’il avait voulu passer aux yeux du peuple pour un prophète. — S. Jér. Il eût été contre la raison de répondre à ceux qui le frappaient, et de deviner qui le souffletait, alors que la rage de ceux qui le maltraitaient était si manifeste. — S. CHRYS. (hom. 85) Remarquez que l’Évangéliste rapporte avec le plus grand soin les outrages les plus ignominieux, ne dissimulant rien, n’ayant honte de rien, mais regardant, au contraire, comme le comble de la gloire que le souverain Maître de l’univers ait souffert pour nous d’aussi indignes traitements. Méditons donc continuellement ces tristes détails, gravons-les dans notre âme, faisons-en le sujet de notre gloire. — S. Aug. (Quest. évang., 1, 14) Ceux qui lui crachent au visage représentent ceux qui rejettent la présence de sa grâce ; il est encore frappé à coups de poing par ceux qui lui préfèrent leur propre gloire ; et ceux qui lui donnent des soufflets sont ceux que la perfidie aveugle, qui nient sa venue, et qui voudraient repousser et détruire sa présence sur la terre.

 

vv. 69-75.

S. Aug. (De l’accord des Evang., 3, 6.) Le triple renoncement de Pierre eut lieu pendant que le Seigneur était en butte aux outrages dont on vient de parler. Les évangélistes ne le rapportent pas tous dans le même ordre : saint Luc raconte la chute de cet Apôtre avant les indignes traitements qu’on fit à Jésus, tandis que saint Matthieu et saint Marc ne rapportent le renoncement de Pierre qu’après ces scènes d’ignominie. Pierre cependant était au dehors, assis dans la cour " S. Jér. Il était assis dehors pour attendre le dénouement de cette affaire, et il ne s’approchait pas de Jésus pour n’inspirer aucun soupçon aux serviteurs du grand prêtre. Pierre, lorsqu’on ne faisait que se saisir de son maître, s’était montré enflammé de zèle jusqu’à tirer son épée et couper l’oreille d’un des serviteurs du grand-prêtre, et maintenant qu’il est témoin des opprobres de Jésus-Christ, il devient apostat et ne peut supporter les questions pressantes d’une pauvre jeune fille : " Et une servante s’approcha de lui et lui dit : Vous étiez aussi avec Jésus de Galilée. " — Rab. Comment se fait-il que soit par une femme que Pierre soit d’abord reconnu, alors que les hommes qui étaient là auraient dû bien plus facilement le reconnaître, si ce n’est pour nous montrer que ce sexe concourait aussi par ses péchés à la passion du Sauveur, et devait être racheté par sa mort. Mais il le nia devant tous en disant : Je ne sais ce que vous dites. " Il nia devant tout le monde, parce qu’il craignait d’être découvert ; et, en déclarant qu’il ne connaît pas le Sauveur, il montre ainsi qu’il n’est pas disposé à mourir pour lui. — S. Léon. (Serm. 9 sur la Passion.) Or, Dieu permit cette hésitation coupable, pour nous apprendre, par l’exemple du chef des Apôtres, à trouver dans la pénitence le remède de nos fautes, et à ne jamais nous confier dans notre vertu, puisque saint Pierre lui-même n’a pu échapper aux tristes suites de la mutabilité naturelle à l’homme.

S. Chrys. (hom. 85.) Dans un si court espace de temps, Pierre renonce son maître, non-seulement une fois, mais deux et trois fois, Et comme il sortait dans le vestibule, " etc. — S. Aug. (De l’accord des Evang., 3, 6.) Il faut comprendre que le coq chanta pour la première fois, lorsque Pierre sortit dehors, après le premier renoncement. — S. Chrys. (hom. 85.) Nous voyons par là que le chant du coq ne l’arrêta pas dans cette voie de renoncement, et ne le fit pas se souvenir de sa promesse. S. Aug. (De l’accord des Evang., 3, 5.) Ce n’est pas dehors et devant la porte qu’il renia son maître une seconde fois, mais après qu’il fut revenu près du feu, car cette autre, servante n’était pas sortie, et ne l’avait pas vue dehors ; mais elle le vit lorsqu’il sortait, c’est-à-dire lorsqu’il se levait pour se diriger vers la porte, et elle dit à ceux qui étaient présents et autour du feu avec elle : " Celui-ci était aussi avec Jésus de Nazareth. " Or, Pierre, qui venait de sortir, revint sur ses pas pour se justifier, en niant ce que cette femme venait de dire. Ou bien, ce qui est plus vraisemblable, il n’avait pas entendu ces paroles en sortant, et c’est lorsqu’il rentra que la servante et un autre, dont parle saint Luc, lui dirent : " Certainement, vous êtes aussi de ces gens-là. " Ou bien, d’après saint Jean : " N’êtes-vous pas aussi des disciples de cet homme. "

" Et il nia de nouveau avec serment, " etc. — S. Jér. Je sais qu’il en est qui, par un sentiment de pieuse affection pour l’apôtre saint Pierre, ont entendu ce passage dans ce sens : que Pierre n’avait pas nié en Jésus-Christ le Dieu, mais l’homme, et que sa réponse signifie : Je ne connais pas "homme, car je connais le Dieu. Un lecteur intelligent comprendra facilement la futilité de cette explication, car si Pierre n’a pas renié son maître, le Seigneur a donc menti en lui disant : " Vous me renoncerez trois fois. " — S. Ambr. (sur saint Luc, 22) J’aime mieux que Pierre ait renié le Sauveur que de soutenir que le Sauveur s’est trompé. — Rab. Or, ce renoncement de Pierre nous autorise à dire qu’on ne renonce pas seulement Jésus-Christ, lorsqu’on soutient qu’il n’est pas le Christ, mais en niant qu’on soit chrétien, lorsqu’on l’est en effet.

S. Aug. (De l’accord des Evang., 5, 6.) Examinons maintenant le troisième renoncement : " Peu après ceux qui étaient là s’approchèrent et dirent à Pierre : Assurément, vous êtes aussi de ces gens-là. " Saint Luc dit que ce fut une heure après ; et comme preuve convaincante, ils ajoutent : " Car votre langage vous fait assez connaître. " — S. Jér. Ce n’est pas que Pierre parlât une autre langue, ou appartînt à une autre nation (car celui qu’on voulait convaincre et ceux qui le questionnaient étaient tous hébreux), mais c’est que chaque province, chaque contrée a son dialecte particulier, et qu’on ne peut jamais éviter en parlant l’accent naturel de son pays (Jg 12, 5). — Remi. Voyez combien sont funestes les entretiens avec les méchants, puisqu’ils forcent Pierre à renoncer le Seigneur, qu’il avait autrefois proclamé le Fils de Dieu. " Alors il se mit à faire des imprécations et à jurer, " etc. — Rab. Remarquez qu’en premier lieu, Pierre s’est contenté de répondre : Je ne sais pas ce que vous dites, " qu’en second lieu il nie avec serment, qu’enfin il se met à faire des imprécations et à jurer qu’il ne connaît pas cet homme. C’est ainsi que la persévérance dans le péché devient une cause de crimes plus énormes, et que celui qui méprise les fautes légères tombe nécessairement dans les grandes.

Remi. Dans le sens spirituel, Pierre, qui renonce Jésus avant que le coq ait chanté, figure ceux qui, troublés par sa mort, ne croyaient pas à sa divinité avant sa résurrection. Lorsqu’il, le renonce une seconde fois après le chant du coq, il est la figure de ceux qui ont des idées fausses sur les deux natures de Jésus-Christ, sa nature divine et sa nature humaine. La première servante représente la cupidité ; la seconde, la délectation charnelle ; et ceux qui étaient présents, les démons, car ce sont les démons qui excitent les hommes à renier Jésus-Christ. — Orig. Ou bien, par la première servante, on peut entendre la synagogue des Juifs, qui contraignit souvent les fidèles à renier Jésus-Christ ; par la seconde, la réunion des peuples qui ont persécuté les chrétiens ; et par ceux qui se tiennent dans la cour, les ministres des diverses hérésies. — S. Aug. (Quest. Evang., 1, 23.) Pierre a renié trois fois le Seigneur, et l’erreur des hérétiques s’est toujours renfermée dans ces trois objets : la divinité de Jésus-Christ, ou son humanité, ou les deux natures à la fois. — Rab. Après le troisième renoncement, le chant du coq se fait entendre : " Et aussitôt le coq chanta. " Ce coq est la figure du docteur de l’Église, qui réprimande ceux qui sont endormis, et leur dit : Réveillez-vous, justes, et ne péchez pas " (1 Co 15). Or, la sainte Écriture a la coutume d’exprimer le mérite des actions dont elle parle, par le temps où elles se font ; c’est ainsi que Pierre, qui a renié son maître au milieu des ténèbres, s’est repenti au chant du coq. " Et Pierre se ressouvint de la parole que Jésus lui avait dite : Avant que le coq ait chanté, vous me renoncerez trois fois. " — S. Jér. Nous lisons dans un autre Évangile (Lc 22), qu’après le renoncement de Pierre et le chant du coq, le Seigneur regarda Pierre, et, par ce regard, lui fit verser des larmes amères. Il n’était pas possible en effet qu’il restât dans les ténèbres, après avoir été regardé par la lumière du monde ; aussi l’Évangéliste ajoute : " Et étant sorti, il pleura amèrement. " Il ne pouvait faire pénitence en restant dans la cour de Caïphe, et il sort du milieu de l’assemblée des impies, pour laver, dans des larmes amères, la honte de ce timide et lâche renoncement. — S. Léon. (Serm. 9 sur la Pass.) Heureuses sont vos larmes, ô saint Apôtre, puisqu’elles eurent, pour effacer le crime de votre renoncement, la vertu des eaux du baptême. Vous avez été soutenu par la droite du Seigneur Jésus-Christ, qui vous reçut lors de votre chute, avant que vous fussiez tombé dans l’abîme, et qui vous rendit inébranlable au moment même où vous alliez tomber sans retour. Pierre recouvra donc aussitôt sa fermeté, avec la force toute divine qui lui fût communiquée, et après avoir tremblé à la vue de la passion de Jésus-Christ, il fut sans crainte et resta inébranlable devant son propre supplice.

 

CHAPITRE XXVII

 

vv. 1-6.

S. Aug. (De l’accord des Evang., 3, 7.) Le récit qui précède comprend tout ce que Notre-Seigneur a eu à souffrir depuis le soir jus-qu’au matin ; l’Évangéliste revient ensuite sur ses pas, pour raconter le renoncement de Pierre, et il reprend son récit au matin du même jour pour le continuer. " Or, le matin étant venu, tous les princes des prêtres et les anciens du peuples tinrent conseil contre Jésus pour le faire mourir. " — Orig. Ils espéraient, par sa mort, anéantir ses enseignements et éteindre la foi dans le cœur de ceux qui avaient cru en lui comme étant le Fils de Dieu. Dans le dessein d’exécuter contre lui ce projet sanguinaire, ils firent charger de chaînes Celui qui brise les chaînes des autres captifs (Is 61) : Et l’ayant lié, ils l’emmenèrent et le livrèrent au gouverneur Ponce-Pilate. — S. Jér. Voyez la criminelle sollicitude des prêtres : ils se concertent pendant toute la nuit sur les moyens de commettre cet homicide, et ils envoient Jésus chargé de chaînes à Pilate, car c’était leur coutume de livrer ainsi garrotté au gouverneur celui qu’ils avaient condamné à morte — RAB. Remarquons cependant qu’ils ne l’enchaînèrent pas alors pour la première fois ; ils l’avaient lié et enchaîné aussitôt qu’ils se furent saisis de lui, comme le rapporte saint Jean (Jn 18, 12). — S. Chrys. (hom. 85.) Ils ne voulurent pas le mettre à mort secrètement, parce qu’ils voulaient le couvrir d’opprobres, et qu’un grand nombre était rempli pour lui d’admiration. Ils s’efforcent donc de le faire mettre à mort publiquement et aux yeux de tout le peuple, et c’est dans ce dessein qu’ils l’amènent au gouverneur.

S. Jér. Or, Judas, voyant que le Sauveur était condamné à mort, rapporte aux prêtres le prix de sa trahison, comme s’il était en son pouvoir de changer la sentence inique rendue par les ennemis de Jésus : " Alors Judas, qui l’avait trahi, voyant qu’il était condamné, fut touché de repentir, et reporta les trente pièces d’argent aux princes des prêtres et aux anciens du peuple, en disant : J’ai péché, en livrant le sang innocent. "

ORIG. Que ceux qui inventent des fables sur les natures essentiellement différentes, nous disent d’où vient que Judas, après avoir reconnu son crime, s’écrie : " J’ai péché, en livrant le sang innocent, " si ce n’est en vertu du bon plant et des semences de vertu que Dieu répand dans toute âme raisonnable, mais que Judas ne prit pas soin de cultiver, ce qui fut cause qu’il commit ce crime affreux. Mais s’il est dans la nature de certains hommes de se perdre, qui plus que Judas appartint à cette nature ? Si Judas avait tenu ce langage après la résurrection du Sauveur, on aurait pu dire que c’était la gloire et la puissance de la résurrection qui l’avait porté à se repentir ; mais c’est au moment qu’il voit Jésus livré à Pilate qu’il est touché de repentir. Peut-être se rappelle-t-il alors les prédictions fréquentes que Jésus a faites de sa résurrection ; peut-être aussi Satan, qui était entré en lui, ne le quitta point que Jésus ne fût livré à Pilate ? Mais, après avoir obtenu ce qu’il voulait, il se retira de lui, et c’est alors que le repentir pût avoir accès dans son âme. Mais comment Judas pût-il savoir la condamnation de Jésus ? car Pilate ne l’avait pas encore interrogé. On peut répondre que, le voyant entre les mains de ses ennemis, il vit dans les prévisions de son esprit, quels en seraient les résultats. Il en est qui prétendent que ces paroles : " Judas voyant qu’il était condamné, " se rapportent, non pas à Jésus, mais à Judas lui-même, car c’est alors qu’il mesura toute l’étendue du crime qu’il venait de commettre, et qu’il comprit qu’il était condamné. — S. LEON. (Serm. 1 sur la Pass.) Bien qu’il dise : " J’ai péché en livrant le sang innocent, " il persévère dans la perfidie de son impiété, en continuant de croire, jusque dans les derniers moments de sa vie, et aux approches de la mort, que Jésus n’était pas le Fils de Dieu, mais seulement un homme d’une condition semblable à la nôtre, car il aurait certainement fléchi sa miséricorde, s’il n’avait pas refusé de reconnaître sa toute-puissance. — S. Chrys. (hom. 85.) Remarquez qu’il se repent lorsque son crime est consommé et qu’il a produit tous ses effets, car le démon ne permet pas à ceux qui ne veillent pas sur eux-mêmes de voir le mal avant qu’il soit consommé.

" Ils répondirent : Que nous importe ? c’est votre affaire. — Remi. C’est-à-dire : " Que nous importe qu’il soit innocent, cela vous regarde, " c’est-à-dire on verra quelle est la nature de votre action. Il en est qui prétendent qu’on doit réunir ces deux membres de phrase en traduisant de cette manière : " Que paraissez-vous à nos yeux ? qu’êtes-vous pour nous ? " c’est-à-dire que devons-nous penser de vous qui confessez l’innocence de celui que vous avez trahi.

Orig. Lorsque le démon se retire d’un homme, il épie le moment favorable pour rentrer, et lorsqu’il a saisi ce moment, et qu’il a entraîné cet infortuné dans un second péché, il étudie avec soin l’occasion de le tromper une troisième fois. C’est ainsi que le Corinthien (1 Co 5, 1-2 ; 2 Co 2, 7), qui abusa de l’épouse de son père, se repentit de ce crime affreux, mais le démon voulut ensuite lui faire porter cette tristesse jusqu’à l’excès pour accabler ce malheureux sous le poids de son chagrin. Il arriva quelque chose de semblable à Judas ; car après s’être repenti, il ne sut pas mettre son cœur à l’abri du désespoir, et il y laissa entrer cette tristesse excessive, que le démon lui inspira pour l’accabler entièrement : " Et il se retira, et alla se pendre. " S’il eût pris le temps de se repentir et qu’il eût épié le temps favorable pour faire pénitence, il aurait, sans doute, rencontré celui qui a dit : " Je ne veux pas la mort du pécheur. " (Ez 33.) Ou bien, peut-être pensa-t-il à devancer son Maître qui allait mourir, et à se présenter devant lui avec son âme dépouillée par la mort, pour mériter son pardon par ses aveux et par ses prières ; et il ne comprit pas que le vrai serviteur de Dieu ne doit point s’ôter à lui-même la vie ; mais qu’il doit attendre le jugement de Dieu. — Rab. Or, Judas se pendit pour témoigner par ce genre de mort qu’il était en horreur au ciel et à la terre. — S. Aug. (du Nouv. et de l’Anc. Test.). Mais puisque les princes des prêtres étaient occupés depuis le matin jusqu’à la neuvième heure à presser l’exécution de la mort du Sauveur, comment peut-on admettre que Judas leur aurait reporté avant la passion du Seigneur le prix de sa trahison, et qu’il leur aurait dit dans le temple : " J’ai péché, en livrant le sang innocent ? " Il est constant, en effet, que tous les princes des prêtres et les anciens du peuple ne se trouvaient pas dans le temple avant la mort du Sauveur, et la preuve, c’est qu’ils l’insultaient lorsqu’il était sur la croix. On ne peut pas le conclure non plus de ce que ce fait est raconté avant la passion de Notre-Seigneur, puisqu’il est certain qu’il est un grand nombre de faits qui, bien que s’étant passés antérieurement, sont cependant racontés en dernier lieu. Peut-être pourrait-on dire que ce fait a eu lieu à la neuvième heure, et que Judas, voyant le Sauveur mis à mort, le voile du temple déchiré, la terre trembler, les rochers se briser, les éléments dans la consternation, il aurait conçu, sous l’inspiration de la crainte, le repentir de son crime. Mais après la neuvième heure, les anciens et les princes des prêtres étaient tout entiers, ce me semble, à la célébration de la Pâque. D’ailleurs la loi défendait de porter de l’argent le jour du sabbat. Je crois donc qu’on ne peut fixer d’une manière vraisemblable ni le jour ni l’heure où Judas mit fin à sa vie en se pendant.

 

vv. 6-10.

S. Chrys (hom. 86.) En reconnaissant qu’ils avaient acheté le sang qu’ils voulaient répandre, les princes des prêtres se condamnèrent par le témoignage de leur propre conscience : " Les princes des prêtres, ayant pris l’argent, dirent : Il ne nous est pas permis de le mettre dans le trésor, parce que c’est le prix du sang. " — S. Jér. Voilà bien les gens qui filtrent et rejettent le moucheron, et qui ne craignent pas d’avaler un chameau. (Mt 23.) Car s’ils n’osent mettre l’argent dans le trésor du temple, avec les offrandes faites à Dieu, sous prétexte qu’il est le prix du sang, pourquoi n’ont-ils pas horreur de répandre ce sang lui-même ?

Orig. Ils jugèrent que le meilleur emploi qu’ils pussent faire de cet argent était de le consacrer aux morts, parce que c’était le prix du sang. Mais comme il y a différents lieux de sépultures pour les morts, ils employèrent le prix du sang de Jésus pour acheter le champ d’un potier, afin d’y ensevelir les étrangers, qui ne pourraient, suivant leurs désirs, être ensevelis dans les tombeaux de leurs aïeux : " Et ayant délibéré là dessus, ils en achetèrent le champ d’un potier pour la sépulture des étrangers. — S. Aug. (serm. sur la Cène). Je regarde comme un effet particulier de la providence divine, que le prix de la vente du Sauveur n’ait pas tourné au profit des pécheurs, mais ait servi à procurer un lieu de repos aux étrangers, pour montrer que Jésus-Christ rachetait ainsi les vivants par le sang de sa passion, et qu’il sauvait aussi les morts au prix du même sang répandu. Le champ du potier est donc acheté avec le prix du sang du Seigneur. Or, nous lisons dans les Écritures que le genre humain tout entier a été racheté par le sang du Sauveur. Par ce champ, il faut donc entendre le monde enfler, et ce potier, qui doit avoir l’empire sur tout l’univers, est celui qui a formé du limon de la terre les vases de notre corps. C’est le champ de ce potier qui a été acheté avec le prix du sang de Jésus-Christ pour les étrangers sans famille, sans patrie, exilés, et errants sur toute la terre, et à qui le sang du Sauveur prépare un lieu de repos. Ces étrangers sont les chrétiens pleins de dévouement qui, renonçant au siècle, et ne possédant rien dans le monde, trouvent leur repos dans le sang de Jésus-Christ, car la sépulture de Jésus-Christ est le vrai repos du chrétien. Nous avons été ensevelis avec lui par le baptême pour la mort du péché, dit 1’Apôtre " (Rm 6.) Nous sommes donc des voyageurs en ce monde, et comme des étrangers sur cette terre. — S. Jér. On peut dire aussi que nous étions étrangers à la loi et aux prophètes, et que les mauvaises dispositions des Juifs ont été pour nous une cause de salut. — Orig. Ou bien, nous appelons ici étrangers, ceux qui demeurent séparés de Dieu jusqu’à la fin ; car si les justes ont été ensevelis avec Jésus-Christ dans le sépulcre neuf qui a été taillé dans le roc, ceux qui demeurent jusqu’à la fin étrangers à Dieu, sont ensevelis dans le champ de ce potier qui façonne la boue, champ qui a été acheté avec le prix du sang et qui est appelé pour cela le champ du sang : C’est pourquoi ce champ est encore aujourd’hui appelé haceldama, c’est-à-dire le champ du sang ". — La Glose. Ce qu’il faut rapporter au temps où l’Évangéliste écrivait.

Il apporte ensuite à l’appui de ce fait, le témoignage du prophète : " ils ont reçu les trente pièces d’argent, prix de celui qui a été mis à prix suivant l’appréciation des enfants d’Israël, et ils les ont données pour en acheter le champ d’un potier, ainsi que me l’a prescrit le Seigneur. " — S. Jér. On ne trouve aucune trace de cette prophétie dans Jérémie, mais nous lisons quelque chose de semblable dans Zacharie, le dernier des douze petits prophètes (Za 11, 12) ; c’est-à-dire que le sens est à peu près le même, bien que la contexture de la phrase et les expressions soient différentes. — S. Aug. (de l’accord des Evang., 3, 7.) Si l’on prétendait s’autoriser de cette difficulté pour contester l’autorité de l’Évangéliste, nous rappellerions d’abord qu’on ne lit pas dans tous les exemplaires de l’Évangile, que ces paroles aient été dites " par le prophète Jérémie, " mais simplement " par le prophète. " Toutefois, je ne puis admettre cette solution, car un grand nombré d’exemplaires, et des plus anciens, portent le nom de Jérémie, et il n’y a aucune raison qui ait pu faire ajouter ce nom et altérer ainsi le texte. On explique parfaitement, au contraire, le retranchement de ce nom, en l’attribuant à une ignorance téméraire, que troublait, peut-être, le passage en question. Or, il a. pu arriver, que tandis que saint Matthieu écrivait son Évangile, le nom de Jérémie se soit présenté à son esprit à la place de celui de Zacharie, comme il arrive souvent, erreur qu’il aurait certainement corrigée sur l’observation qui a dû lui en être faite de son vivant par les lecteurs de cet Évangile, s’il n’avait pensé que le nom d’un prophète ne s’était pas présenté à son esprit pour un autre au moment où il écrivait sous l’inspiration de l’Esprit saint, sans que Dieu l’eût ainsi voulu. Quelles sont les raisons de cette conduite ? La première, c’est que Dieu montrait ainsi que tous les prophètes avaient parlé sous l’inspiration du même esprit, et que l’accord le plus admirable régnait entre eux ; prodige bien plus étonnant que si tous les oracles prophétiques avaient été annoncés par un seul homme, et d’où il résulte que l’on doit considérer toutes les paroles que l’Esprit saint a prononcées par leur bouche, comme si chacune d’elles appartenait à tous, et toutes à chacun d’eux. Car, encore aujourd’hui, il peut arriver qu’une personne, qui veut citer les paroles de quelqu’un, les cite sous le nom d’un de ses amis intimes, et que s’apercevant aussitôt de sa méprise, elle se reprenne, en ajoutant toutefois : mais j’ai bien dit, parce qu’elle ne considère que la parfaite union qui existe entre les deux amis. Or, à bien plus forte raison, on doit raisonner ainsi des saints prophètes. Il y a encore une autre raison pour laquelle l’Esprit saint a permis, ou plutôt a voulu positivement que le nom de Jérémie fut conservé à la place de celui de Zacharie. On lit dans Jérémie (Jr 33) qu’il acheta un champ au fils de son frère, et qu’il lui en donna l’argent, mais non pas le même prix des trente pièces d’argent qui se trouve indiqué dans Zacharie (Jr 32, 9). Or, il est évident que l’Évangéliste a voulu appliquer la prophétie des trente pièces d’argent à ce fait qui vient de s’accomplir dans la personne du Seigneur. Mais on peut voir aussi au sens spirituel une preuve que la prophétie de Jérémie, à l’occasion du champ qu’il achète, s’applique au même événement, dans le nom de Jérémie qui parle du champ acheté, mis à la place du nom de Zacharie qui précise les trente pièces d’argent. Le dessein de Dieu en cela, est que celui qui lit l’Évangile, et qui, en voyant cité Jérémie, n’y trouve cependant rien des trente pièces d’argent, mais seulement ce qui concerne le champ qu’il achète, soit amené à comparer les deux prophètes, et à éclaircir le vrai sens de la prophétie en l’appliquant à ce qui s’est accompli dans la personne du Seigneur. Quant à ce que saint Matthieu ajoute à ces paroles Suivant l’appréciation des enfants d’Israël, et ils les donnèrent pour le champ du potier comme le Seigneur l’a ordonné, " on ne le trouve ni dans Jérémie ni dans Zacharie. D’où nous devons conclure que c’est l’Évangéliste lui-même qui a fait cette addition dans un sens spirituel, parce qu’il connaissait, par une révélation divine, que cette prophétie s’appliquait au prix que Jésus-Christ a été vendu.

S. JÉR. (de la meilleure méthode d’interp. Lettre 51.) Loin de nous la pensée qu’on puisse accuser d’erreur un fidèle compagnon de Jésus-Christ, qui se préoccupa bien plus du sens dogmatique, que des mots et des syllabes. — S. Jér. (sur S. Matth,) J’ai lu dernièrement dans un texte hébreu apocryphe de Jérémie, qu’un juif de la secte des Nazaréens m’avait procuré, et j’y ai trouvé la reproduction littérale de cette citation. Mais il me paraît plus vraisemblable qu’elle a été empruntée au prophète Zacharie, selon la coutume des Évangélistes et des prophètes qui, sans tenir compte de la suite des paroles, ne citent que le sens de l’Ancien Testament à l’appui des faits qu’ils racontent.

 

vv. 11-14.

S. Aug. (de l’accord des Evang., 7 et 8.) Après avoir achevé de raconter ce qui concerne le traître Judas, saint Matthieu reprend la suite de son récit : Or, Jésus comparut devant le gouverneur. " — ORIG. Considérez combien celui que Dieu le Père a établi le juge de toute créature, s’est humilié en consentant à comparaître devant un homme qui était alors un simple juge de la terre de Judée, et à s’entendre adresser une question que Pilate lui fait pour se moquer de lui, ou sans croire à la vérité qu’elle contient. Et le gouverneur l’interrogea en ces termes : Êtes-vous le roi des Juifs ? " — S. Chrys. (hom. 86.) Pilate interroge Jésus sur ce qui était le sujet continuel des récriminations de ses ennemis ; car comme ils savaient que Pilate n’avait nul souci des questions purement légales, ils formulent contre lui une accusation en matière politique. — Orig. Ou bien, la proposition de Pilate est affirmative, et c’est ce qui lui fit écrire au-dessus de sa croix : Roi des Juifs. " (Jn 18) Or, en répondant au prince des prêtres, Jésus avait condamné indirectement le doute exprimé par sa question, tandis qu’il se contente de confirmer la proposition de Pilate par ces paroles : " Vous le dites. " — S. Chrys. (hom. 86.) Jésus confesse qu’il est roi, mais roi du ciel, comme nous le lisons plus clairement dans un autre évangile : " Mon royaume, dit-il, n’est pas de ce monde " (Jn 18), afin que Pilate et les Juifs soient inexcusables d’insister sur ce chef d’accusation. — S. Hil. Ou bien, lorsque le grand-prêtre lui a demandé s’il était le Christ, il lui a répondu Vous l’avez dit, " parce qu’il avait dû apprendre de la loi, que le Christ demeurait éternellement (Jn 12, 34 ; Ps 109 ; 116 ; Is 10, 9), mais ici que cette même question : " Êtes-vous le roi des Juifs ? " lui est faite par un homme qui ne connaît pas la loi, il lui répond : Vous le dites, " parce que c’est par la foi de leur confession actuelle que les Gentils obtiennent le salut. — S. Jér. Remarquez que Jésus satisfait en partie à la question de Pilate qui le jugeait malgré lui, tandis qu’il garde un silence absolu devant les anciens et les princes des prêtres qu’il regarde comme indignes de toute réponse : " Et comme les princes des prêtres et les anciens l’accusaient, il ne répondit rien. " — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 8.) Saint Luc nous apprend quels sont les crimes dont ils l’accusèrent. " Et ils commencèrent à l’accuser en disant : Nous avons trouvé cet homme qui pervertissait le peuple, qui empêchait de payer le tribut à César, et qui se disait le Christ roi. Il importe peu à la vérité des faits qu’ils soient rapportés dans un ordre plutôt que dans un autre, ou qu’un Évangéliste passe sous silence ce que l’autre raconte. — Orig. A ces nouvelles accusations, Jésus ne répond pas plus qu’il n’a fait à la première ; car la parole de Dieu ne devait plus se faire entendre aux Juifs comme elle s’était autrefois révélée par le moyen des prophètes. D’ailleurs, Pilate lui-même n’était pas digne de réponse, lui qui n’avait point d’opinion constante et arrêtée sur la personne de Jésus-Christ, mais qui se laissait entraîner aux idées les plus opposées. " Alors Pilate lui dit : Vous n’entendez pas de combien de choses ils vous accusent. " — S. Jér. Celui qui méprise ainsi Jésus-Christ est un païen, mais il en fait retomber la responsabilité sur le peuple juif. — S. Chrys. (hom. 86.) Or, il parlait de la sorte, parce qu’il voulait le délivrer, en profitant d’une réponse qui l’aurait justifié. Mais Jésus ne répondit à aucun de ces griefs, de sorte que le gouverneur en était dans l’étonnement. " Malgré tant d’épreuves évidentes qu’ils avaient de sa puissance, de sa douceur et de son humilité, ils ne laissent pas de conspirer contre lui, et de l’accabler sous le poids de leurs injustes accusations. C’est pour cela qu’il ne leur répond rien, ou s’il leur répond quelquefois, c’est en peu de mots, et pour qu’on ne put qualifier d’opiniâtreté son silence absolu. Ou bien, Jésus ne voulut rien répondre, dans la crainte qu’en se justifiant, il ne fût mis hors de cause par le gouverneur, et que les biens immenses que la croix devait produire, ne fussent ainsi différés. — ORIG. Or, le gouverneur s’étonne de la constance de Jésus, lui qui savait, peut-être, qu’il avait le pouvoir de le condamner à mort, et qui le voyait tranquille, calme dans la sagesse, et d’une dignité que rien ne pouvait troubler. Voilà ce qui l’étonne grandement, car il regardait comme un prodige surprenant que Jésus, sous le coup d’une sentence capitale, fût sans crainte et sans trouble devant la mort, qui inspire à tous les hommes une si grande terreur.

 

vv. 15-25.

S. Chrys. (hom. 86.) Comme Jésus n’avait répondu aux accusations des Juifs rien qui permit à Pilate de le renvoyer déchargé des crimes qu’on lui reprochait, il a recours à un autre expédient pour le délivrer. " Or, le gouverneur avait coutume au jour de la fête de Pâques d’accorder au peuple la délivrance de celui des prisonniers qu’il demandait. " — Orig. C’est ainsi que les gouvernements accordent quelques grâces aux nations qu’ils ont conquises, jusqu’à ce qu’ils les aient complètement assujetties à leur joug. Cependant cette coutume existait autrefois chez les Juifs ; car nous voyons Saül acquiescer è la demande qui lui est faite par tout le peuple, de ne pas faire mettre à mort son fils Jonathas. — S. Chrys. (hom. 86.) Pilate voulut profiter de cette coutume pour essayer de délivrer Jésus-Christ, et pour ne pas laisser aux Juifs l’ombre même d’excuse, il met en parallèle de Jésus un homicide déclaré. Il y avait alors un criminel fameux, nommé Barrabas. " L’Évangéliste ne se contente pas de le qualifier de voleur, mais il l’appelle un voleur insigne, c’est-à-dire connu par sa scélératesse. — S. Jér. Barrabas, d’après l’Évangile, selon les Hébreux, veut dire le fils de leur maître, et il avait été condamné pour cause d’homicide et de sédition. Or, Pilate leur offre de délivrer, à leur choix, Barrabas ou Jésus, ne doutant pas qu’ils ne choisissent Jésus. " Les ayant donc assemblés, Pilate leur dit : Lequel voulez-vous que je vous délivre de Barrabas ou de Jésus qui est appelé Christ ? " — S. Chrys. (hom. 86). C’est comme s’il leur disait : Si vous ne voulez pas l’absoudre comme innocent, du moins graciez-le comme coupable à l’occasion de cette grande fête ; en effet, ils auraient dû le délivrer malgré des crimes manifestes, à combien plus forte raison devant des accusations aussi peu fondées. Mais voyez comme les choses sont renversées ; c’est le peuple qui ordinairement demande la grâce des condamnés, et le pouvoir qui la leur accorde ; ici, c’est le contraire qui arrive ; l’autorité fait cette demande au peuple, et le peuple n’en devient que plus acharné à sa proie.

La Glose. L’Évangéliste nous apprend pourquoi Pilate travaillait à délivrer le Sauveur : " Car il savait que c’était par envie qu’ils l’avaient livré. " — REMI. Saint Jean nous fait connaître la cause de cette envie, en nous racontant ce qu’ils se disaient entre eux : " Voici que tout le monde le suit, et si nous le laissons ainsi, tous finiront par croire eu lui. " (Jn 11.) Il faut remarquer qu’au lieu de ce que nous lisons dans saint Matthieu : " Ou Jésus qui est appelé Christ ? " Saint Marc dit : Voulez-vous que je vous délivre le roi des Juifs ? " Car les rois des Juifs seuls recevaient l’onction, et le nom de christ à cause de cette onction.

S. Chrys. (hom. 86.) L’Évangéliste ajoute une autre circonstance qui aurait dû les rappeler tous à des sentiments plus modérés : Et pendant qu’il siégeait sur son tribunal, sa femme lui envoya dire : Ne vous embarrassez pas dans l’affaire de ce juste, " et le songe de cette femme vient ajouter un grand poids aux preuves de faits déjà si imposants. — Rab. Remarquons que le tribunal est le siège des juges, le trône, celui des rois, et la chaire celui des docteurs. Or, la femme d’un païen comprit dans un songe et dans une vision, ce que les Juifs ne voulurent ni croire ni comprendre en plein jour. — S. JÉR. Il faut observer aussi que Dieu s’est souvent servi de songes pour révéler la vérité aux Gentils, et que Pilate et sa femme, confessant l’innocence du Seigneur, personnifient en eux le témoignage rendu à Jésus-Christ par les Gentils. — S. Chrys. (hom. 86.) Mais pourquoi n’était-ce point à Pilate lui-même que ce songe fut envoyé ? Parce que sa femme en était plus digne que lui, ou bien, parce qu’on aurait cru moins facilement Pilate, ou bien enfin, parce qu’il n’en aurait point parlé. C’est donc par un dessein particulier de Dieu qu’une femme a eu cette vision dans un songe, pour qu’elle arrivât à la connaissance de tous. Et non-seulement elle a cette vision, mais elle en est étrangement tourmentée : " J’ai beaucoup souffert dans un songe à cause de lui. " Dieu le permet ainsi, afin que l’affection de Pilate pour sa femme le détournât de consentir à la condamnation de Jésus. L’heure même où cette vision avait eu lieu venait encore à l’appui, car c’était cette nuit là même. — S. Aug. C’est ainsi que Dieu épouvante le juge dans la personne de sa femme, et afin qu’il ne se rende point, par sa sentence, complice du crime des Juifs, il trouve son propre jugement dans la vision et dans les inquiétudes de sa femme ; il est jugé, lui qui a le pouvoir de juger, et il souffre le premier avant qu’il en fasse souffrir un autre. — Rab. Ou bien dans un autre sens, le démon comprend enfin que Jésus-Christ va lui arracher ses dépouilles, il reprend donc le plan qu’il avait suivi dès le commencement, en introduisant la mort dans le monde par une femme, et il veut encore, par l’entremise d’une autre femme, arracher Jésus des mains des Juifs pour ne point perdre, par sa mort, l’empire de la mort qu’il avait sur tous les hommes.

S. Chrys. (hom. 86.) Tant de motifs réunis ne peuvent fléchir les ennemis du Sauveur, parce que l’envie les avait complètement aveuglés. Aussi cherchent-ils à corrompre le peuple en le rendant complice de leur noire méchanceté " Mais les princes des prêtres et les anciens persuadèrent au peuple de demander Barrabas, et de faire périr Jésus. — Orig. Voyons donc maintenant comment le peuple juif se laisse persuader par les anciens et par les docteurs de la loi, et entraîner à concourir à la mort de Jésus.

" Le gouverneur donc, reprenant la parole, leur dit : Lequel des deux voulez-vous que je vous délivre ? " — La Glose. L’Évangéliste dit ici que Pilate répondit, parce qu’il a pu répondre, en effet, soit à l’avertissement que sa femme lui avait donné, soit à la demande du peuple qui voulait, selon l’usage, qu’on lui délivrât quelqu’un dans ce jour de fête. — Orig. Or, la foule, comme une troupe de bêtes féroces qui suivent la voie large, demanda. qu’on lui délivrât Barrabas : Et ils répondirent : Barrabas. " Voilà pourquoi cette nation est déchirée par des séditions, des homicides, des brigandages, crimes que plusieurs de ses enfants commettent extérieurement, et dont tous se rendent coupables dans leur âme. Car là où Jésus n’est pas, il n’y a que disputes et combats ; là, au contraire, où il est, se trouvent tous les biens et la paix. Tous ceux encore qui sont semblables aux Juifs, ou dans leur croyance ou dans leur vie, veulent la délivrance de Barrabas ; car tout homme qui fait le mal, délivre en lui-même Barrabas, et y tient Jésus captif ; celui au contraire qui fait le bien, a dans son âme Jésus-Christ libre de tout lien, et y tient Barrabas enchaîné. Pilate, cependant, voulut leur inspirer la honte d’une si flagrante injustice : Et il leur dit : Que ferai-je donc de Jésus qui est appelé Christ ? " Ce n’est pas pour ce seul motif qu’il leur fait cette question, mais pour voir jusqu’où irait leur cruelle impiété. Or, ils ne rougissent pas d’entendre Pilate proclamer que Jésus est le Christ, et ils ne mettent plus de bornes à leur sacrilège : Ils s’écrièrent tous : Qu’il soit crucifié. " Ils comblent ainsi la mesure de leurs crimes, non-seulement en demandant la vie d’un homicide, mais encore en demandant la mort d’un juste et la mort ignominieuse de la croix (Sg 2, 20). — Rab. Les crucifiés, attachés au bois de la croix par des clous qui leur traversaient les pieds et les mains, mouraient d’une mort prolongée, et vivaient-longtemps encore sur cet instrument de supplice. Ce n’était pas, toutefois, pour prolonger leur vie, mais pour retarder leur mort, afin de prolonger leurs souffrances, qu’on leur infligeait ce supplice. Mais tandis que. les Juifs ne pensaient qu’à faire souffrir à Jésus la mort la plus honteuse, ils lui préparaient, sans le comprendre, le genre de mort que le Seigneur avait lui-même choisie ; car il devait placer la croix elle-même sur le front des fidèles comme le trophée de sa victoire sur le démon.

S. Jér. Pilate ne se rend pas encore à cette cruelle réponse des Juifs, mais sous l’impression de l’avertissement que sa femme lui a donné : " Ne vous mêlez pas de l’affaire de ce juste, " il insiste de nouveau. " Le gouverneur lui dit : Mais quel mal a-t-il fait ? " Pilate décharge ainsi Jésus de toute accusation. " Mais ils se mirent à crier encore plus fort : Qu’il soit crucifié, " accomplissant ainsi cette prédiction du Roi-prophète. " Un grand nombre de chiens m’ont environné ; l’assemblée des méchants m’a assiégé (Ps 20), " et cette autre de Jérémie : " Ceux qui étaient mon héritage, sont devenus pour moi comme le lion dans la forêt, ils ont élevé leur voix contre moi. " (Jr 12.) — S. Aug. (de l’accord des Evang., 3, 8.) Pilate discuta longtemps avec les Juifs, dans le désir de délivrer Jésus, ce que saint Matthieu nous indique en ces quelques mots : " Pilate, voyant qu’il ne gagnait rien, mais que le tumulte ne faisait qu’augmenter, " réflexion qui prouve que Pilate avait fait les plus grands efforts (bien que l’Évangéliste n’entre pas dans le détail) pour arracher Jésus à leur fureur.

" Il prit de l’eau, et se lava les mains devant le peuple en disant : Je suis innocent du sang de ce juste, " etc. — Remi. C’était la coutume chez les anciens, quand un homme voulait prouver son innocence, qu’il se fit apporter de l’eau et se lavât les mains devant le peuple.

S. Jér. Pilate se fit apporter de l’eau conformément à ces autres paroles du Roi-prophète : Je laverai mes mains parmi les innocents, " et il semble dire par là à haute voix " Pour moi, j’ai voulu délivrer l’innocent, mais comme une sédition est prête d’éclater, et qu’on veut m’accuser du crime de haute trahison contre César, je suis innocent du sang de ce juste. " Ainsi ce juge, que l’on force de rendre une sentence de mort contre le Seigneur, ne condamne point celui qui lui est présenté, mais il confond ceux qui l’amènent devant son tribunal, en proclamant l’innocence de celui qu’ils veulent crucifier. Il ajoute : " A vous d’en répondre, " c’est-à-dire : Je suis l’exécuteur des lois, mais c’est votre voix qui répand le sang innocent : " Et tout le peuple répondit : Que son sang soit sur nous, " etc. Cette imprécation pèse encore aujourd’hui sur les Juifs, et le sang du Seigneur s’attache à eux jusqu’à ce jour.

S. Chrys. (hom. 86.) Considérez d’ailleurs jusqu’où va leur fureur aveugle et insensée ; leur impiété, et la funeste passion de l’envie qui les domine, ne leur permet plus de voir leurs plus chers intérêts, ils se dévouent eux-mêmes à la malédiction en s’écriant : " Que son sang soit sur nous, " et ils appellent cette malédiction jusque sur leurs enfants : Et sur nos enfants. " Cependant le Dieu plein de miséricorde n’a pas ratifié entièrement leur jugement ; car il en a choisi parmi eux et parmi leurs enfants qui ont fait pénitence, un Paul par exemple, et ces milliers de Juifs qui embrassèrent la foi dans la ville de Jérusalem (Ac 2, 41 ; 4, 4).

S. LÉON. (serm. 8 sur la passion.) Le crime des Juifs surpasse de beaucoup la faute de Pilate, mais il ne laisse pas toutefois d’être coupable, lui qui sacrifie ses convictions personnelles pour se rendre complice du crime d’autrui : Alors il leur accorda la délivrance de Barrabas, et après avoir fait flageller Jésus, il le leur livra pour être crucifié. " — S. Jér. Pilate ne fit en cela qu’exécuter la loi romaine, qui ordonnait de flageller d’abord celui qui devait être crucifié. Jésus fut donc livré aux soldats pour être flagellé, et les coups de fouets déchirèrent le corps si saint, et cette poitrine où Dieu reposait. — S. Aug. Voici qu’on s’apprête à flageller le Seigneur, voici qu’on le frappe, sa peau se déchire sous la violence des coups de fouets, et ces coups, que la cruauté multiplie, laissent sur ses épaules leurs traces sanglantes. O douleur ! Un Dieu est là étendu devant l’homme, et il souffre le châtiment des vils criminels, lui en qui on n’a pu trouver aucune trace de péché. — S. Jér. Or, tout cela s’est fait, parce qu’il est écrit : De nombreux coups de fouets sont réservés aux pécheurs "(Ps 31), et que cette flagellation nous en délivre. Pilate, en se lavant les mains, proclame que les oeuvres des Gentils sont purifiées, et que nous devenons étrangers à l’impiété des Juifs.

S. Hil. (can. 33.) A l’instigation des prêtres, le peuple choisit Barrabas, dont le nom signifie le fils du père. Ce nom est une prophétie de la future infidélité des Juifs, qui préféreront à Jésus-Christ, l’antéchrist le fils du péché. — S. Jér. Barrabas, l’homme qui excitait des séditions, et qui est délivré à la demande des Juifs, est la figure du démon qui règne jusqu’à présent sur eux, et leur rend ainsi toute paix impossible.

 

vv. 27-30.

S. Aug. (De l’harm. des Evang., 3, 9.) Après les accusations portées contre Jésus-Christ nous arrivons, par une suite naturelle, au récit de la passion proprement dite que saint Matthieu commence ainsi : " Alors les soldats du gouverneur amenèrent Jésus dans le prétoire, et rassemblèrent autour de lui toute la cohorte. " — S. Jér. Comme Jésus avait été appelé roi des Juifs, et que les scribes et les prêtres lui avaient fait un crime d’avoir voulu usurper le pouvoir sur le peuple d’Israël, les soldats, pour se moquer de lui, le dépouillent de ses vêtements et le couvrent d’un manteau d’écarlate, pour figurer le manteau bordé de rouge que portaient les anciens rois. Pour diadème, ils lui placent sur la tête une couronne d’épines ; pour sceptre royal, ils lui donnent un roseau, et ils se prosternent devant lui comme devant un roi, ce que l’Évangéliste nous raconte en ces termes : " Et après lui avoir ôté ses habits, ils le couvrirent d’un manteau d’écarlate, " etc. — S. AUG. (De l’harmonie des Evang., 3, 9.) Ainsi s’explique ce que dit saint Marc, qu’on le revêtit de pourpre, car c’est en place du manteau de pourpre qu’ils le couvrirent de ce manteau d’écarlate pour se moquer de lui ; et il y a en effet une certaine pourpre, dont la couleur se rapproche tout à fait de l’écarlate. Il peut se faire aussi que saint Marc veuille parler de la pourpre qui se trouvait dans ce manteau, quoiqu’il fût de couleur écarlate.

S. Chrys. (hom. 87.) Comment pourrons-nous encore être sensibles aux outrages que nous pourrions recevoir, après que Jésus-Christ s’est soumis à d’aussi indignes traitements ? C’était bien là le dernier degré de l’outrage, car ce n’était pas une petite partie de lui-même, mais tout son corps, qui était exposé à ces indignités : la tête, par la couronne d’épines, par le roseau et les soufflets ; le visage, par les crachats dont on le couvrait ; les joues, par les soufflets qu’ils y déchargeaient, tout le corps, par la flagellation et la nudité à laquelle il fut exposé ; les mains, par le roseau qu’ils lui donnèrent pour sceptre, comme s’ils eussent craint d’omettre la moindre partie de ce que l’audace la plus effrontée peut suggérer

S. Aug. (De l’harm. des Evang., 3, 9.) Il est certain que saint Matthieu a rapporté ces tristes détails, comme par récapitulation, et non comme ayant eu lieu après que Pilate eut livré Jésus aux Juifs pour être crucifié, car saint Jean les place avant que Jésus fût abandonné aux Juifs par Pilate.

S. JER. Quant à nous, nous donnons à toutes ces circonstances une signification spirituelle. De même que Caïphe fit cette prophétie sans savoir ce qu’il disait " Il faut qu’un seul homme meure pour tous, " de même les Juifs, dans tout ce qu’ils entreprirent contre Jésus, nous offrent a nous, qui avons la foi, bien qu’ils aient eu une intention toute différente, de mystérieux symboles. Jésus, dans ce manteau d’écarlate, porte toutes les oeuvres sanguinaires des Gentils ; par sa couronne d’épines, il détruit l’antique malédiction ; par son roseau, il tue toutes les bêtes venimeuses ; ou bien, il tient ce roseau à la main, pour écrire l’action sacrilège des Juifs. — S. Hil. (can. 33.) Le Seigneur, ayant pris sur lui toutes les infirmités de notre corps, se présente à nous, sous ce manteau d’écarlate, couvert du sang de tous les martyrs qui ont mérité de régner avec lui. Il est aussi couronné d’épines, c’est-à-dire de tous les péchés des peuples qui le transpercent, et lui forment une couronne de victoire ; ce roseau représente la faiblesse et l’infirmité des nations, à qui le Sauveur communique, en les prenant par la main, une force toute divine. On le frappe à la tête avec ce roseau, c’est-à-dire que les nations faibles et infirmes, soulevées par la main de Jésus-Christ, se reposent en Dieu le Père, qui. est la tête du Christ. — Orig. Ou bien, ce roseau est un symbole mystérieux de la confiance que nous avions dans le roseau de l’Egypte (4 R 18, 21) ou de quelque autre puissance contraire à Dieu, avant que nous ayons embrassé la foi. Jésus-Christ prend ce roseau pour en triompher sur le bois de la croix ; c’est avec ce roseau qu’ils frappent la tête du Seigneur Jésus, car la puissance ennemie dirige toujours ses coups contre Dieu le Père, qui est la tête du Sauveur. — Remi. Ou bien, dans un autre sens, ce manteau d’écarlate figure la chair du Seigneur, qui nous apparaît comme rouge, à cause du sang qu’il a répandu, et, la couronne d’épines, nos péchés, qu’il a pris sur lui, parce qu’il s’est revêtu d’une chair semblable à celle du péché. — Rab. Ceux-là donc frappent la tête de Jésus-Christ avec un roseau, qui, osant s’élever contre sa divinité, s’efforcent d’appuyer leur erreur sur l’autorité des Saintes Écritures écrites avec un roseau ; ceux qui lui crachent au visage sont ceux qui repoussent, avec des paroles de blasphèmes, la présence de sa grâce, et nient que Jésus soit venu revêtu d’une chair mortelle. Enfin, ceux-là lui rendent des honneurs mensongers, qui croient en lui, et ne témoignent que du mépris pour lui par la perversité de leur conduite. — S. Aug. (Quest. Evang., 3, vers la fin.) Ils ont dépouillé le Sauveur dans sa passion, de ses vêtements, et l’ont revêtu d’un manteau de couleur, et, en cela, ils figurent les hérétiques, qui soutiennent que le corps de Jésus-Christ n’est point véritable, mais purement fantastique.

 

vv. 31-34.

La Glose. Après avoir rapporté toutes les railleries et les insultes dont Jésus-Christ fut l’objet, l’Évangéliste en vient aux circonstances de son crucifiement : " Et après s’être ainsi moqués de lui, ils lui ôtèrent le manteau, " etc. — S. Aug. (De l’harm. des Evang., 3, 9.) Tout ceci s’est passé vers la fin, lorsque Jésus-Christ était emmené pour être crucifié, c’est-à-dire après que Pilate l’eut livré aux Juifs.

S. Jér. Il faut remarquer que, lorsque Jésus est frappé de verges, et couvert de crachats, il n’a pas les vêtements qui lui appartiennent, mais ceux dont il s’est revêtu pour expier nos péchés ; mais lorsqu’il est crucifié, et que cette scène de moqueries est passée, il reprend ses premiers vêtements et l’habillement qui lui est propre, et aussitôt les éléments se troublent et la créature rend témoignage au Créateur. — ORIG. Il est dit du manteau qu’ils l’en dépouillèrent, tandis qu’aucun des évangélistes ne dit rien de semblable de la couronne d’épines, pour nous apprendre qu’il ne nous reste plus rien de nos anciennes épines, depuis que Jésus-Christ les a prises pour les placer sur sa tête vénérable.

S. Chrys. (serm. sur la Pass.) Or, le Seigneur ne voulut souffrir ni dans l’intérieur d’une habitation, ni dans le temple juif, pour ne pas vous laisser croire qu’il n’était mort que pour ce peuple ; mais c’est en dehors de la ville et au delà des murs qu’il est crucifié, pour vous apprendre qu’il offre en sacrifice universel la victime de toute la terre, et qui doit purifier tout le genre humain. C’est ce que l’Évangéliste veut exprimer en ajoutant : " Comme ils sortaient de la ville, ils trouvèrent un homme de Cyrène, nommé Simon, qu’ils contraignirent de porter la croix de Jésus. " — S. Jér. Il ne faut pas croire que le récit de saint Jean est ici contraire à celui de saint Mathieu, parce que saint Jean raconte que Jésus, sortant du prétoire, porta lui-même sa croix, tandis que, d’après saint Mathieu, ils rencontrèrent un homme de Cyrène, qu’ils contraignirent de porter la croix de Jésus ; mais il faut entendre qu’en sortant du prétoire, Jésus porta lui-même sa croix, et qu’ayant ensuite rencontré Simon, les soldats le contraignirent de partager ce fardeau avec Jésus. — ORIG. Ou bien, c’est en sortant qu’ils contraignirent Simon (Jn 19, 17), et c’est en approchant du lieu du crucifiement qu’ils chargèrent Jésus de la croix, pour qu’il la portât lui-même jusqu’au lieu de son supplice. Or, ce n’est point par hasard que Simon fut ainsi contraint ; mais, par une disposition particulière de Dieu, il fut amené à ce point d’être trouvé digne de voir son nom écrit dans les saints Évangiles, et d’être associé au précieux fardeau de la croix de Jésus-Christ, Ce n’était pas seulement le Sauveur qui devait porter sa croix, nous devions aussi la porter nous-mêmes, en obéissant à cette salutaire contrainte, et cependant nous ne pouvions retirer, en la portant, un avantage égal à celui que Jésus nous procure en la portant lui-même.

S. Jér. Dans le sens mystique, nous voyons ici les nations se charger de la croix, et l’obéissance de l’étranger porter l’ignominie du Sauveur. — S. Hil. (can. 33.) Le Juif était indigne de porter la croix, et il était réservé à la foi des nations de prendre la croix et de compatir aux souffrances du divin crucifié. — Remi. Ce Simon n’était pas de Jérusalem, mais il était étranger et voyageur ; il était de Cyrène, qui est une ville de Libye. Or, le nom de Simon veut dire obéissant, et celui de cyrénéen, héritier, et il est une belle figure du peuple des Gentils, qui était étranger aux alliances et aux testaments de Dieu, mais qui est devenu, par sa foi, le concitoyen des saints, et l’héritier de la maison de Dieu. — S. GREG. (hom. 32.) Ou bien, dans un autre sens, Simon, qui porte la croix du Seigneur, parce qu’il y est contraint, est la figure de ceux qui sont à la fois mortifiés et pleins d’orgueil ; ils affligent leur chair par les privations extérieures, mais n’ont aucun souci du fruit intérieur de la mortification. C’est ainsi que Simon porte la croix, mais sans mourir sur la croix, et il représente les chrétiens mortifiés et superbes, qui châtient leur corps par les oeuvres de la mortification, mais qui vivent encore au monde par le désir de la vaine gloire.

" Et ils arrivèrent au lieu appelé Golgotha, c’est-à-dire le lieu du Calvaire. " — Rab. Golgotha est un nom syriaque, qui signifie Calvaire. — S. JER. J’ai entendu donner cette explication que le Calvaire était le lieu de la sépulture d’Adam, et que ce lieu avait reçu le nom de Calvaire, parce que la tête du premier homme s’y trouvait ensevelie. C’est une interprétation qui peut obtenir de la vogue et flatte agréablement l’esprit du peuple, mais qui n’est pas fondée, car en dehors de la ville, et au delà des portes, se trouve le lieu où l’on tranche la tête aux condamnés, et c’est de là que lui est venue le nom de Calvaire, ou lieu des décapités. Or Jésus fut crucifié en ce lieu, pour ériger l’étendard du martyre dans l’endroit même où les condamnés souffraient le dernier supplice. Quant au premier homme, il fut enterré, comme nous le lisons dans le livre de Josué (Jos 14, 15), près d’Hébron et d’Arbé. — S. Hil. (can. 33.) Le lieu du crucifiement fut choisi de manière que, placé au milieu de la terre, il se présentât également à tous les peuples de la terre, pour leur donner la connaissance de Dieu.

" Et ils lui donnèrent à boire du vin mêlé avec du fiel. " — S. Aug. (De l’harm. des Evang., 3, 11.) Saint Marc dit : Ils lui donnaient à boire du vin mêlé avec de la myrrhe. " Saint Mathieu se sert du mot fiel, pour exprimer l’amertume de ce vin, car le vin mêlé à la myrrhe est fort amer. Il n’est pas impossible non plus que ce fut le fiel et la myrrhe réunis qui rendirent ce vin fort amer. — S. Jér. C’est la vigne amère qui produit le vin amer, dont ils abreuvent le Seigneur Jésus, pour accomplir cette prophétie : " ils ont mêlé le fiel à ma nourriture " (Ps 68), et ces autres paroles de Dieu à Jérusalem : " Je vous ai plantée comme une vigne où je n’avais mis que de bon plants, et comment, vigne étrangère, vous êtes-vous changée en amertume ? " (Jr 2) : " Et, lorsqu’il en eût goûté, il ne voulut pas en boire. " Saint Marc dit : " Il n’en prit point, " c’est-à-dire : il n’en prit point pour le boire ; il en goûta seulement, comme le rapporte saint Matthieu, et cette expression : Il ne voulut pas le boire, " est la même que celle de saint Marc : " Il n’en prit point, " excepté que cet Évangéliste passe sous silence que le Sauveur en a goûté. Après l’avoir goûté, il ne veut pas en boire, pour nous apprendre qu’il a goûté pour nous l’amertume de la mort, mais qu’il est ressuscité le troisième jour. — S. Hil. (can. 33.) Ou bien, il a refusé de boire ce vin mêlé de fiel, parce que l’amertume des péchés ne doit point se mêler à l’incorruptibilité de la gloire éternelle.

 

vv. 35-38.

La Glose. L’Évangéliste vient de nous raconter comment Jésus-Christ fut conduit au lieu de son crucifiement ; il poursuit le récit de sa douloureuse passion, et nous décrit son genre de mort : " Après qu’ils l’eurent crucifié, " etc. — S. Aug. (Livre des 83 Quest., quest. 25.) La sagesse de Dieu s’est revêtue de notre humanité, pour nous donner l’exemple d’une vie irréprochable. Or, un homme d’une vie irrépréhensible ne doit pas redouter ce qui n’est pas à craindre, Il y a cependant des hommes qui, sans craindre la mort elle-même, redoutent certain genre de mort. Il a donc été nécessaire de leur montrer, par l’exemple de cet homme-Dieu, qu’il n’y a aucun genre de mort redoutable pour un homme juste et vertueux, car la mort sur la croix était de toutes les morts la plus horrible et la plus effroyable. — S. Aug. (serm. sur la Pass.) Que votre sainteté considère, mes frères, quelle a été la grande puissance de la croix. Adam n’a tenu aucun cas du commandement de Dieu, en mangeant du fruit de l’arbre ; mais tout ce qu’Adam a perdu, Jésus-Christ l’a retrouvé sur la croix. Une arche de bois a sauvé le genre humain des eaux du déluge ; Moïse a divisé les eaux de la mer avec sa verge devant les Hébreux qui sortaient de l’Egypte, et, avec cette même verge, il terrassa Pharaon et délivra le peuple de Dieu. Moïse jeta encore du bois dans l’eau et changea ainsi son amertume en douceur ; c’est encore en frappant avec une verge de bois le rocher spirituel et figuratif qu’il en fit jaillir une eau salutaire, et, pour obtenir la défaite d’Amalech, c’est autour de la verge que Moïse étend les bras. Enfin, la loi de Dieu est confiée à l’arche d’alliance qui est de bois, et c’est par toutes ces figures que nous arrivons, comme par autant de degrés, jusqu’au bois de la croix. — S. Chrys. (hom. sur la croix et le bon larron.) Jésus-Christ a voulu souffrir sur un arbre élevé, entre le ciel et la terre, comme pour purifier la nature de l’air ; mais la terre elle-même éprouvait un bienfait semblable, purifiée qu’elle était par le sang qui découlait du côté du Sauveur.

La Glose. L’arbre de la croix peut aussi représenter l’Église répandue dans les quatre parties du monde. — Rab. Ou bien, dans le sens moral, la largeur de la croix signifié la joie qui accompagne les bonnes oeuvres, car la tristesse resserre le cœur ; la largeur de la croix, c’est la barre transversale où les mains de Jésus sont clouées, et, par les mains, il faut entendre les oeuvres. Le haut de la croix, où la tête repose, représente l’attente de la récompense que nous réserve la justice sublime de Dieu. La longueur de la croix, sur laquelle le reste du corps est étendu, figure la patience, et de là vient qu’on dit de ceux qui sont patients, qu’ils ont de la longanimité. La partie de la croix qui s’enfonce dans la terre est le symbole des profondeurs que renferme ce mystère.

S. HIL. C’est ainsi que, sur le bois de la croix, nous voyons suspendu la vie et le salut de tous les hommes. " Après qu’ils l’eurent crucifié, " etc. — S. Aug. (De l’accord des Evang., 3, 12.) Saint Mathieu raconte sommairement la scène du crucifiement ; saint Jean entre dans de plus grands détails : Les soldats, dit-il, après l’avoir crucifié, prirent ses vêtements et en firent quatre parts, une pour chaque soldat ; " ils prirent aussi sa tunique ; or cette tunique était sans couture.

S. Chrys. (hom. 87.) Considérez quelle grande humiliation pour Jésus-Christ. Ils le traitent à l’égal du plus vil scélérat, tandis qu’ils ne font rien de semblable à l’égard des voleurs, car on ne partageait les vêtements que des criminels de la condition la plus vile et la plus abjecte, et qui ne possédaient rien autre chose. — S. Jér. Or, cette circonstance avait été prédite par le Roi-prophète, et c’est pour cela que l’Evangéliste ajoute : " Afin que cette parole de l’Écriture fût accomplie : Ils ont partagé entre eux mes vêtements, et ils ont tiré ma robe au sort. " (Ps 21) " Et s’étant assis, ils le gardaient, " c’est-à-dire les soldats. Le soin que prirent les soldats et les prêtres de garder Jésus nous a grandement servi, en rendant plus certaine et plus évidente la puissance de sa résurrection : Et ils mirent au-dessus de sa tête le sujet de sa condamnation écrit en ces termes : Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs. " Je ne puis assez admirer ce fait vraiment extraordinaire, qu’après avoir acheté des faux témoins, et cherché à soulever de toute manière, contre Jésus-Christ, ce peuple infortuné, ils n’aient pu trouver d’autre cause de sa mort, si ce n’est qu’il était le roi des Juifs. Peut-être aussi mirent-ils cette inscription par dérision et pour se moquer de lui. — Remi. C’est par l’effet d’un conseil tout divin que cette inscription fut placée au-dessus de la tête de Jésus, afin que les Juifs fussent forcés de reconnaître que, même en le mettant à mort, ils n’avaient pu faire qu’il ne fût pas leur roi, car, loin de perdre sa royauté, il l’a bien plutôt consolidée par la mort ignominieuse de la croix. — Orig. Le grand prêtre devait, d’après le texte de la loi, porter écrit sur son front le saint nom de Dieu (Ex 28, 36) ; mais le véritable prince des prêtres et le vrai roi Jésus porte écrit au haut de sa croix : Celui-ci est le roi des Juifs. " En montant vers son Père, au lieu des lettres dont se compose ce nom, et du nom qui lui est donné, il a son Père lui-même. — Rab. Comme il est tout à la fois prêtre et roi, en même temps qu’il offre sur l’autel de la croix sa chair comme victime, l’inscription de cette croix établit sa dignité royale. Cette inscription n’est pas placée au bas, mais au haut de la croix, car, quoique l’infirmité de la chair du Sauveur souffrait sur la croix, l’éclat de la majesté royale ne laissait pas de briller au-dessus de la croix, et loin de la lui faire perdre, sa croix l’affermit d’une manière plus parfaite.

" En même temps, on crucifia avec lui deux voleurs, l’un à sa droite et l’autre à sa gauche. " — S. Jér. De même que Jésus s’est rendu malédiction pour nous sur la croix, il consent à être crucifié comme un criminel entre deux criminels. — S. Léon. (serm. 4 sur la Pass.) Deux voleurs sont crucifiés, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche, pour nous montrer dans ces supplices figuratifs le discernement et la séparation que Jésus-Christ doit faire de tous les hommes au jugement dernier. La passion de Jésus-Christ renferme donc le mystère de notre salut, et la puissance du Rédempteur s’est fait un degré, pour monter dans la gloire, de cet instrument, que l’iniquité des Juifs avait préparé pour son supplice. — S. Hil. (can. 33.) Ou bien, dans un autre sens, les deux larrons qui sont crucifiés, l’un à sa gauche, l’autre à sa droite, figurent que l’universalité des hommes est appelée à profiter du bienfait de la passion du Sauveur ; mais, comme la différence qui existe entre les fidèles et les infidèles établit entre eux une séparation marquée par la gauche et par la droite, l’un des deux placé à la droite de Jésus est sauvé par la justification qui vient de la foi. — Remi. Ou bien, ces deux voleurs représentent tous ceux qui embrassent la pratique sévère d’une vie mortifiée, ceux qui entrent dans cette vie par le seul désir de plaire à Dieu sont figurés par le voleur qui est crucifié à droite ; et ceux qui n’agissent que pour obtenir la gloire qui vient des hommes, ou pour un autre motif aussi peu digne, le voleur qui est crucifié à gauche.

 

vv. 39-44.

S. Chrys. (hom. 87.) Les ennemis du Sauveur ne se contentent pas de le dépouiller de ses vêtements et de le crucifier, ils vont plus loin, et, en le voyant attaché à la croix, ils osent encore le couvrir d’outrages. Or, les passants le blasphémaient en branlant la tête, " etc. — S. Jér. Ils le blasphémaient, parce qu’ils marchaient en dehors de la voie, et qu’ils ne voulaient pas entrer dans le véritable chemin des Écritures ; ils branlaient la tête, parce que leurs pieds chancelaient depuis longtemps et ne s’appuyaient plus sur la pierre (Ps 72, 2 ; 39, 3). Le peuple insensé se joint à eux pour l’insulter, en répétant les inventions des faux témoins : " Et ils lui disaient : Vah ! Toi qui détruit le temple de Dieu, " etc. — Remi. Vah ! est une interjection qui exprime l’insulte et la moquerie. — S. Hil. (can. 33.) Quel pardon pourront-ils espérer lorsqu’après trois jours ils verront le temple de Dieu rebâti dans la résurrection du Sauveur. — S. Chrys. (hom. 87.) Ils semblent même vouloir rabaisser ses anciens miracles : " Que ne te sauves-tu toi-même ? Situ es le Fils de Dieu, descends de la croix. " — S. Chrys. (hom. 87.) Mais, au contraire, c’est justement parce qu’il est le Fils de Dieu qu’il ne descend pas de la croix, car il n’est venu sur la terre qu’afin d’être crucifié pour notre salut.

" Les princes des prêtres se moquaient aussi de lui en disant : Il a sauvé les autres, " etc. — S. Jér. Les scribes et les pharisiens sont forcés de confesser qu’il a sauvé les autres. Vous êtes donc condamnés par vos propres paroles, car celui qui a sauvé les autres pourrait se sauver lui-même s’il le voulait. — Suite. S’il est roi d’Israël, qu’il descende maintenant de la croix, et nous croirons en lui. " — S. Chrys. (serm. sur la Pass.) Écoutez cette voix des enfants, quelle fidèle imitation de celle du Père. Le démon disait : " Jettes-toi en bas, si tu es le Fils de Dieu, " et les Juifs : Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix. " — S. Léon. (serm. sur la Pass.) A quelle source d’erreurs, ô Juifs, avez-vous puisé ces blasphèmes empoisonnés ? Quel maître vous a enseigné, quelle doctrine vous a persuadé que vous ne deviez reconnaître pour roi d’Israël et pour Fils de Dieu que celui qui ne permettrait pas qu’on le crucifie, ou qui détacherait son corps des clous qui perçaient ses pieds et ses mains sur la croix ? Ce n’est pas ce que vous ont annoncé les oracles prophétiques, car vous y avez vraiment lu : Je n’ai point détourné mon visage des crachats ignominieux, " et encore : " Ils ont percé mes pieds et mes mains, et ils ont compté tous mes os. " (Ps 21.) Est-ce que vous avez lu quelque part : Le Seigneur est descendu de la croix ? N’avez-vous pas lu au contraire : " C’est par le bois que le Seigneur a régné ? " — RAB. S’il eût cédé à cette injurieuse invitation, il ne nous eût pas fait voir toute l’étendue de sa patience ; mais il attendit quelque temps, supporta toutes ces railleries, et, après avoir refusé de descendre de la croix, il sortit du tombeau glorieusement ressuscité. — S. Jér. Ils ajoutent : " Et nous croirons en lui, " promesse pleine de mensonge, car qui exige plus de puissance, de descendre vivant de la croix, ou de s’arracher aux bras de la mort dans le tombeau ? Or, il est ressuscité et vous n’avez pas cru en lui ; donc, s’il descendait de la croix, vous ne croiriez pas davantage. Mais, en tenant ce langage, ils obéirent à l’inspiration des démons, car, aussitôt que le Seigneur fut crucifié, ils éprouvèrent la vertu de sa croix ; ils comprirent que leur puissance était brisée, et ils font tous leurs efforts pour que le Sauveur descende de la croix. Mais Notre-Seigneur, qui connaissait les ruses de ses ennemis, reste attaché sur la croix, pour détruire la puissance du démon. Il met sa confiance en Dieu ; si donc Dieu l’aime, qu’il le délivre maintenant. " — S. Chrys. (hom. 87.) O hommes profondément corrompus, est-ce que les prophètes et les justes avaient cessé d’être prophètes et justes, parce que Dieu ne les a pas délivrés du danger ? Or, si les épreuves et les souffrances, que vous avez accumulées sur leur tête, n’ont pu en rien obscurcir leur gloire, combien moins les souffrances de cet homme devaient-elles vous scandaliser, car toutes ses paroles tendaient à éloigner ces doutes de votre esprit. " lia dit : Je suis le Fils de Dieu. " Ils veulent persuader par là qu’il a été condamné pour avoir voulu séduire et tromper, et comme un homme plein d’orgueil qui se glorifie dans ses vaines prétentions. Or, non-seulement les Juifs et les soldats, qui étaient au bas de la croix, en faisaient l’objet de leurs risées, mais aussi, à ses côtés, les voleurs qui étaient crucifiés avec lui : " Les voleurs qui étaient crucifiés avec lui lui faisaient les mêmes reproches. "

S. Aug. (De l’harm. des Evang.) Au premier abord, il semblerait que saint Luc est ici en contradiction avec saint Matthieu, puisqu’il rapporte que l’un des voleurs blasphémait contre Jésus, ce que l’autre reprochait à son compagnon. Mais il faut nous rappeler que saint Matthieu, abrégeant singulièrement son récit, a mis le pluriel pour le singulier, comme nous le voyons dans ce passage de l’Epître aux Hébreux : " ils ont fermé la gueule des lions, " alors qu’il ne s’agissait que du seul Daniel (Jg 14, et 1 R 17 ; Dn 16). Quelle expression plus ordinaire que celle-ci Ces rustres m’insultent, bien qu’on ne veuille parler que d’un seul ? Il y aurait contradiction, si saint Matthieu avait dit que les deux voleurs outrageaient le Seigneur ; mais comme il dit simplement : " Les voleurs, " sans ajouter : les deux, il faut en conclure que, selon l’usage ordinaire, il s’est servi du pluriel pour le singulier. — S. Jér. Ou bien, on peut dire encore que tous deux commencèrent par blasphémer ; mais, qu’après avoir vu le soleil s’obscurcir, la terre trembler, les rochers se fendre ou se renverser, les ténèbres se répandre sur la terre, l’un d’eux crut en Jésus et racheta son incrédulité et ses premiers blasphèmes par la confession qu’il fit ensuite de la divinité du Sauveur.

S. Chrys. (hom. 87.) Et ne pensez pas que tout cela soit l’effet d’un arrangement concerté à l’avance, et que celui qui passait pour un voleur ne le fût pas en effet ; les outrages dont il ne craint pas de couvrir Jésus-Christ prouvent que, jusque sur la croix, il avait les sentiments d’un voleur et d’un ennemi de Jésus-Christ, et cependant il fut changé en un seul instant. — S. Hil. (can. 33.) Ces deux voleurs, qui-lui reprochent les humiliations de sa passion, sont un signe que la croix sera aussi un sujet de scandale pour tous les fidèles (1 Co 1, 23). — S. Jér. Ou bien, ces deux voleurs représentent les deux peuples, Juif et Gentil, qui, tous deux, ont d’abord blasphémé le Seigneur ; mais ensuite l’un d’eux, effrayé par la multitude des miracles dont il était témoin, fit pénitence, et, jusqu’à ce jour, il reproche aux Juifs leurs blasphèmes. — ORIG. Le larron qui a été sauvé est encore le symbole de ceux qui, après une vie pleine d’iniquités, ont embrassé la foi en Jésus-Christ.

 

vv. 45-50.

S. Chrys. (serm. sur la passion.) La créature ne pouvait supporter la vue des outrages faits au Créateur ; aussi le soleil retira-t-il ses rayons pour ne pas être témoin des forfaits de ces impies : " Depuis la sixième heure, les ténèbres couvrirent toute la terre. " — Orig. Il en est qui argumentent de ce texte pour attaquer la vérité de l’Evangile ; car depuis le commencement du monde, les éclipses de soleil ont toujours eu lieu dans les temps prévus et marqués. Or, ces phénomènes qui arrivent périodiquement à des époques prévues d’avance, n’ont jamais lieu que lorsque le soleil se rencontre avec la lune, et que la lune, s’interposant entre le soleil et la terre, empêche ses rayons de parvenir jusqu’à nous. Or, à l’époque de l’année où la passion de Jésus-Christ eut lieu, il est évident qu’il ne pouvait y avoir de conjonction du soleil et de la lune, puisqu’on était au temps de Pâque, qui se célèbre à l’époque de la pleine lune. Des chrétiens, pour résoudre cette difficulté, ont avancé que cet obscurcissement du soleil avait été un miracle, comme tant d’autres faits qui se produisirent alors en dehors des lois ordinaires de la nature. — S. DENIS (lettre à Polyc.) Nous vîmes tout d’un coup et sans y être préparés, la lune s’interposer entre le soleil et la terre (car ce n’était pas le temps de la rencontre naturelle de ces deux astres), nous la vîmes de nouveau depuis la neuvième heure jusqu’au soir, couvrir contrairement aux lois de la nature le diamètre du soleil. Nous vîmes cette éclipse commencer à l’Orient, s’avancer vers le couchant, et puis revenir pour ainsi dire sur ses pas. Nous fûmes encore témoins de ce fait extraordinaire, que ce ne fut pas du même côté du soleil que la lune s’avança sur cet astre, et se retira ensuite, mais dans un sens diamétralement opposé. — S. Chrys. (hom. 87.) Les ténèbres durèrent trois heures, tandis qu’une éclipse de soleil ne dure qu’un instant, et n’a point de temps d’arrêt, comme le savent les astronomes.

Orig. Mais les enfants du siècle nous font cette objection : Comment se fait-il qu’aucun écrivain grec ou étranger n’ait rapporté un fait aussi étonnant, alors qu’ils nous ont transmis avec soin le souvenir de tous les événements extraordinaires dont ils ont été témoins ? Il est vrai que Phlégon, dans ses chroniques, rapporte qu’une éclipse eut lieu sous l’empire de Tibère César, mais il ne dit pas que ce fut à l’époque de la pleine lune. C’est ce qui me porte à croire que ce prodige, aussi bien que tous les autres qui eurent lieu pendant la passion du Sauveur, tels que le tremblement de terre et le voile du temple déchiré, furent restreints à la ville de Jérusalem. Ou si l’on veut l’étendre à toute la Judée, il faudra donner à ces paroles le sens qu’elles ont dans ce passage du livre des Rois, où Abdias dit à Elie : " Vive le Seigneur votre Dieu, il n’y à point de nation ni de royaume où mon Seigneur n’ait envoyé vous chercher " (3 R 18), c’est-à-dire qu’il l’avait cherché dans les contrées voisines de la Judée. Nous devons donc admettre que d’épaisses et profondes ténèbres s’étendirent sur toute la ville de Jérusalem et sur toute la terre de Judée. La terre fut couverte d’épaisses ténèbres depuis la sixième heure jusqu’à la neuvième heure. Car nous lisons que deux espèces différentes d’êtres ont été créés le sixième jour, les animaux avant la sixième heure, et l’homme à cette heure là même. Il convenait donc que celui qui mourait pour le salut du genre humain fût attaché sur la croix à la sixième heure, et que par suite, les ténèbres se répandissent sur toute la terre de la sixième heure à la neuvième. Lorsque Moïse leva ses mains vers le ciel (Ex 10), les ténèbres se répandirent sur les Egyptiens qui tenaient le peuple de Dieu en servitude ; de même à la sixième heure, alors que le Christ étendait ses mains sur la croix et les levait vers le ciel, les ténèbres enveloppèrent ce peuple qui avait crié : Crucifiez-le, " et il se trouva privé de toute lumière, en signe des ténèbres qui devaient envelopper toute la nation juive. Sous Moïse encore, les ténèbres couvrirent pendant trois jours toute la terre d’Egypte, tandis que tous les enfants d’Israël étaient dans la plus vive lumière ; c’est ainsi que pendant la passion de Jésus-Christ, les ténèbres se répandirent pendant trois heures sur toute la Judée, parce qu’elle était privée, en punition de ses péchés, de la lumière de Dieu le Père, de la splendeur du Christ, et de la clarté de l’Esprit saint, tandis que la lumière éclairait tout le reste de la terre, figure de cette lumière qui éclaire dans tous les lieux l’Église de Dieu en Jésus-Christ. Et si les ténèbres couvrirent toute la Judée, jusqu’à la neuvième heure, il s’ensuit que la lumière a dû de nouveau briller à leurs yeux : " Car lorsque la plénitude des nations sera entrée, alors tout Israël sera sauvé. " (Rm 11)

S. Chrys. (hom. 87.) Ou bien suivant une autre explication, ce qu’il y avait d’admirable, c’est que ces ténèbres étaient répandues sur toute la face de la terre, ce qui n’était jamais arrivé auparavant. Car les ténèbres ne couvrirent que l’Egypte seule, au moment de la célébration de la Pâque, ténèbres qui étaient la figure de celles qui eurent lieu à la mort de Jésus-Christ. Et remarquez que ces ténèbres se répandent au milieu du jour, au moment où la lumière inonde toute la terre de sa clarté, afin que tous les habitants de la terre en fussent témoins. C’est là ce signe que Jésus promettait de donner aux Juifs qui lui en faisaient la demande, lorsqu’il disait : Cette génération adultère et perverse demande un signe, et il ne lui en sera pas donné d’autre que celui du prophète Jonas, " figure de sa croix et de sa résurrection ; car il était bien plus étonnant qu’il opérât ce prodige, étant attaché sur la croix, que pendant le cours de sa vie. Ce miracle suffisait certainement pour les convertir, non seulement par la grandeur du fait considéré en lui-même, mais encore parce que le Sauveur l’opéra après qu’ils eurent épuisé contre lui toutes les insultes, tous les outrages que la haine put leur suggérer. Mais comment purent-ils se défendre d’un sentiment d’admiration, et reconnaître qu’il était Dieu ? C’est que le genre humain tout entier était livré à une malice prodigieuse, et plongé dans une torpeur inexprimable ; que ce miracle fut de courte durée et qu’ils en ignoraient la cause. Aussi Jésus fait entendre ensuite sa voix, pour leur montrer qu’il est encore vivant et qu’il est l’auteur de ce miracle : Et sur la neuvième heure, Jésus jeta un grand cri en disant : Eli ! Eli ! lamma sabacthani ? " c’est-à-dire " Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m’avez-vous abandonné ? " — S. Jér. Notre-Seigneur a cité le commencement du psaume vingt et unième. Ces paroles qui se trouvent au milieu du verset : " Jetez les yeux sur moi, " ont été surajoutées, car le texte hébreu porte seulement : " Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m’avez-vous abandonné ? " Il n’y a donc que des impies qui puissent prétendre que ce psaume a pour objet la personne d’Esther et de Mardochée, puisque les Évangélistes lui ont emprunté d’autres témoignages qu’ils appliquent au Sauveur, celui-ci en particulier : Ils se sont partagé mes vêtements, et ils ont percé mes mains. " — S. CHRYS. (hom. 88.) Or, Jésus cite ces paroles du prophète, pour rendre hommage jusqu’au dernier moment, à l’Ancien Testament, et pour faire voir qu’il honore son Père, et ne lui est pas opposé, et il prononce ces paroles en hébreu, pour être compris des Juifs qui l’entendent.

ORIG. Examinons pourquoi Jésus-Christ a été abandonné de Dieu. Quelques-uns, dans l’impossibilité d’expliquer comment le Christ peut être délaissé de Dieu, disent que c’est par humilité qu’il s’est ainsi exprimé ; mais vous pourrez comprendre facilement le sens de ces paroles, en comparant la gloire dont le Fils de Dieu jouit dans le sein de son Père avec la honte et l’ignominie qu’il méprise en souffrant la mort de la croix.

S. Hil. (Liv. 10 sur la Trinité.) De ces paroles, les hérétiques veulent conclure ou que le Verbe de Dieu s’est comme anéanti en prenant la place de l’âme unie au corps, et en lui donnant la vie qu’il reçoit de l’âme, ou bien que Jésus-Christ n’était pas un homme véritable, parce que le Verbe de Dieu n’habitait en lui que comme il était autrefois dans l’esprit des prophètes. Il semble, d’après ces hérétiques, que Jésus-Christ ne soit qu’un homme ordinaire, composé d’un corps et d’une âme comme nous, et qu’il ne date son existence que du jour où il a été fait homme, lui qui, dépouillé de la protection de Dieu qui se retire de lui, s’écrie : " Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m’avez-vous abandonné. " Ou bien encore, ajoutent-ils, la nature humaine s’étant comme confondue avec l’âme du Verbe, Jésus-Christ a été secouru en tout par la puissance de son Père, et maintenant qu’il est privé de ce secours, et abandonné à la mort, il se plaint de cet abandon, et en appelle à celui qui l’a délaissé. Mais au milieu de ces opinions aussi faibles qu’impies, la foi de l’Église, toute pénétrée de la doctrine des Apôtres, ne divise point Jésus-Christ, et ne laisse point à penser qu’il ne soit pas à la fois Fils de Dieu et Fils de l’homme. En effet, la plainte qu’il fait entendre dans son délaissement, c’est la faiblesse de l’homme qui va mourir, et la promesse qu’il fait du paradis au bon larron, c’est le royaume du Dieu vivant. En se plaignant d’être abandonné au moment de sa mort, il vous prouve qu’il est homme, mais tout en mourant, il assure qu’il règne dans le paradis, et vous montre ainsi qu’il est Dieu. Ne soyez donc pas surpris de l’humilité de ses paroles et des plaintes qu’il fait entendre dans son délaissement, lorsque sachant bien qu’il a revêtu la forme d’esclave, vous êtes témoin du scandale de la croix. — La Glose. On dit que Dieu a délaissé son Fils au moment de sa mort, parce qu’il l’a exposé au pouvoir de ses persécuteurs, il lui a retiré sa protection, mais n’a point brisé les liens qui l’unissaient à lui.

Orig. Lorsqu’il vit les ténèbres couvrir toute la terre de Judée, Jésus prononça ces paroles dont voici le sens : Vous m’avez abandonné, mon Père, c’est-à-dire vous m’avez livré comme anéanti sous le poids de telles calamités, afin que ce peuple que vous avez comblé d’honneur, reçoive le châtiment de tout ce qu’il a osé entreprendre contre moi, et qu’il soit privé de la lumière de vos regards. Vous m’avez aussi abandonné pour le salut des nations. Mais quel si grand bien ont pu faire les hommes qui ont embrassé la foi parmi les Gentils, pour mériter d’être racheté de l’enfer par tout mon sang répandu sur la croix ? Ou comment les hommes pourront-ils reconnaître dignement les supplices que je souffre pour eux ? Peut-être que jetant les regards sur les péchés des hommes qu’il expiait sur la croix, il dit à Dieu : " Pourquoi m’avez-vous abandonné ? " Pour que je devinsse comme celui qui ramasse les épis qui restent après la moisson et les grains échappés à la main du vendangeur. (Mi 7) Ne pensez pas cependant que ce soit sous l’impression d’un sentiment purement humain et comme vaincu par la douleur, qu’il endure sur la croix que le Sauveur s’exprime de la sorte ; si vous l’entendiez ainsi, vous ne comprendriez pas ce grand cri qu’il jette, et qui nous annonce un grand mystère caché. — Rab. Ou bien le Sauveur jette ce cri, parce qu’il s’était comme revêtu de nos sentiments, et que lorsque nous sommes dans le danger, nous nous croyons abandonnés de Dieu. En effet, Dieu avait abandonné la nature humaine par suite du péché, mais comme le Fils de Dieu est devenu notre avocat, il pleure la misère de ceux dont il a pris sur lui les fautes, et il nous apprend par là combien les pécheurs doivent verser de larmes, en voyant ainsi pleurer celui qui n’a jamais commis le péché.

" Quelques-uns de ceux qui étaient présents, entendant cela, disaient : Il appelle Elie. " — S. Jér. Ce n’est pas tous, mais quelques-uns, sans doute les soldats romains qui ne comprenaient pas l’hébreu, et qui pensaient qu’il appelait Elie, parce qu’il s’était écrié : Eh ! Eh ! Si l’on attribue cette réflexion aux Juifs, il faudra dire que suivant leur habitude, ils accusent le Seigneur de faiblesse, parce qu’il demande le secours d’Elie.

" Et aussitôt l’un d’eux courut prendre une éponge qu’il emplit de vinaigre, " etc. — S. Aug. (de la passion.) Ainsi celui qui alimente les fontaines est abreuvé de vinaigre ; celui qui nous donne le miel est nourri de fiel ; la miséricorde est flagellée ; celui qui accorde le pardon est condamné ; la majesté est insultée ; la vertu tournée en dérision, et celui qui répand les pluies fécondantes est couvert de crachats. — S. Hil. (can. 33.) Le vinaigre est un vin qui s’est aigri ou par sa mauvaise qualité, ou par le mauvais état du vase qui le contient, ou par négligence. Le vin représente l’honneur de l’immortalité et de la vertu. Or, lorsque le vin se fut aigri en Adam, le Sauveur en prit et en fut abreuvé par les nations. Ce vin est présenté au moyen d’une éponge placée au bout d’un bâton ; c’est-à-dire que le Sauveur reçut du corps des nations les faiblesses qui avaient corrompu en nous le principe de l’immortalité, et qu’il les fit pour ainsi dire passer en lui-même, pour communiquer l’immortalité à tout ce qui avait été altéré et corrompu. — Remi. Ou bien, les Juifs eux-mêmes étaient ce vinaigre, eux qui étaient comme un vin dégénéré des patriarches et des prophètes, et qui avaient des cœurs creusés par la fraude, comme l’est une éponge par les cavités profond es et tortueuses qu’elle renferme. Le roseau figure la sainte Écriture qui. recevait ainsi son accomplissement ; car de même qu’on appelle langue grecque ou hébraïque le langage que ces langues servent à former, ainsi on peut donner le nom de roseau aux lettres où à l’écriture qui sont tracées au moyen d’un roseau. — ORIG. Peut-être aussi peut-on dire que tous ceux qui ont la science de la doctrine ecclésiastique, mais dont la vie est mauvaise, donnent à boire à Jésus-Christ du vin mélangé de fiel. Ceux, au contraire, qui appliquent à Jésus-Christ des maximes qui sont opposées la vérité, comme s’il en était l’auteur, ceux-là placent au bout du roseau de l’Écriture une éponge remplie de vinaigre, et la présentent aux lèvres du Sauveur.

" Les autres disaient : Attendez, voyons si Elie viendra le délivrer. " Rab. Les soldats ne comprenaient pas le sens des paroles du Sauveur, aussi ils attendaient, mais bien inutilement, l’arrivée d’Elie. Quant à Notre-Seigneur, il était uni d’une manière indissoluble avec le Dieu qu’il invoquait en langue hébraïque. — S. Aug. (serm. sur la Pâque.) Après que Jésus-Christ eut épuisé toutes les peines, la mort s’arrête, car elle sent qu’il n’y a rien en lui qui lui appartienne. La nouveauté est suspecte à la vétusté ; c’est le premier, c’est le seul homme qu’elle voit sans péché, pur de tout crime, et n’étant soumis en aucune manière à ses lois. Mais la mort ne laisse pas de s’associer à la fureur des Juifs, et elle se jette en désespérée sur l’auteur de la vie : Or, Jésus, jetant encore un grand cri, rendit l’esprit. " Qu’y a-t-il donc qui puisse nous déplaire, en ce que Jésus-Christ ait quitté le sein de son Père, pour venir nous délivrer de notre servitude et nous faire partager sa liberté ; qu’il se soit soumis à notre mort pour nous en affranchir par sa propre mort, alors qu’en nous inspirant le mépris de la mort, il nous a placés, simples mortels, au rang des dieux, et malgré notre origine terrestre, nous a égalés aux esprits célestes ? Car autant sa puissance divine brille dans le spectacle de ses oeuvres, autant il nous donne une preuve éclatante de son immense charité, en consentant à souffrir pour ses sujets, et à mourir pour ses serviteurs. Telle fut la première raison de la passion du Seigneur, il voulut faire connaître combien Dieu aimait l’homme, lui qui veut être bien plus aimé que craint des hommes. La seconde cause, ce fut de détruire avec plus de justice la juste sentence de mort qu’il avait portée contre l’homme. Le premier homme avait au jugement de Dieu, encouru la mort par son péché, et l’avait transmise à ses descendants ; le second (1 Co 15, 47) vint du ciel, pur de tout péché, pour condamner la mort qui, n’ayant reçu de droits que sur les coupables, avait osé s’attaquer à la source même de toute sainteté. Il n’est point surprenant qu’il ait quitté pour nous ce qu’il a reçu de nous, c’est-à-dire son âme, lui qui a fait tant pour nous, et qui nous a comblés de tant de bienfaits. — S. AUG. (contre Félic., chap. 14.) Que les fidèles se gardent bien de penser que Jésus-Christ ait pu ressentir la mort, de manière qu’en ce qui le concerne, la vie ait perdu la vie ; car s’il en était ainsi, comment, pendant ces trois jours, pourrions-nous dire que tout ce qui respire ait conservé la vie, si la source même de la vie avait été desséchée ? La divinité du Christ n’a donc ressenti la mort que par son union à notre humanité, ou par la communion aux faiblesses de notre nature qu’il avait prises volontairement ; mais il n’a point perdu la puissance de sa nature, qui donne la vie à tout ce qui existe. Lorsque nous mourons nous-mêmes, notre corps, privé de la vie, n’en dépouille pas notre âme ; l’âme, en se retirant, ne perd point sa vertu, elle ne fait qu’abandonner le corps qu’elle vivifiait, et c’est elle-même qui est la cause de la mort du corps, loin d’en être la victime. Quant à l’âme du Sauveur, nous dirons que ce n’est ni à cause de la divinité dont elle était le temple, ni par suite de sa pureté extraordinaire, mais d’après les lois ordinaires de la mort, qu’elle a pu abandonner son corps pendant ces trois jours, sans être elle-même exposée aux coups de la mort. Car je crois que le Fils de Dieu est mort, non pour subir la peine due au péché, peine qu’il ne put encourir en aucune façon, mais par une suite de la sentence portée contre tous les hommes, et à laquelle il s’est soumis pour la rédemption du genre humain.

S. DAMASE. (de la foi orthodoxe 3, 21.) Quoique Jésus-Christ soit mort comme homme, et que son âme sainte ait été séparée de son corps exempt de toute souillure, cependant la divinité est restée inséparablement unie à l’une et à l’autre, c’est-à-dire à l’âme et au corps, et l’unité de personne n’a souffert aucune division. Le corps et l’âme ont eu, dès le commencement, leur existence dans la personne du Verbe, et l’ont conservée jusque dans la mort ; car ni le corps ni l’âme n’ont eu d’autre personnalité que celle du Verbe.

S. JER. C’est pour Jésus-Christ un acte de puissance toute divine que de rendre l’esprit, comme lui-même l’avait prédit : " Personne ne peut m’ôter la vie ; mais c’est de moi-même que je la quitte, et j’ai le pouvoir de la reprendre. " L’esprit, dans ce passage, doit être pris pour l’âme, soit parce qu’il donne la vie au corps et le rend pour ainsi dire spirituel, soit parce que l’esprit est l’essence de l’âme, selon ces paroles : " Vous leur ôterez l’esprit, et ils tomberont dans la défaillance. " (Ps 103.) — S. Chrys. (hom. 88.) Il jette un grand cri pour montrer qu’il agit ici en vertu de sa puissance, et en criant ainsi d’une voix forte au moment où il expire, il prouve de la manière la plus évidente, qu’il est le Dieu véritable, puisque les hommes, prêts de rendre le dernier soupir, peuvent à peine faire entendre un souffle de voix. — S. Aug. (de l’accord des Evang., 3, 18) Saint Luc nous apprend quel fut l’objet de ce grand cri : " Et Jésus s’écria d’une voix forte : Mon Père, je remets mon âme entre vos mains. " — S. Hil. (can. 33.) Ou bien, il expire en jetant un grand cri par la douleur qu’il éprouve de ne pouvoir effacer les péchés de tous les hommes (Is 53, 6 ; 1 P 2, 24).

 

vv. 51-56.

ORIG. De grands événements suivirent ce grand cri jeté par Jésus : " Et voici que le voile du temple se déchira en deux, " etc. — S. Aug. (de l’accord des Evang., 3, 10.) Ces paroles prouvent suffisamment que le voile fut déchiré au moment même où Jésus rendit l’esprit. Si l’Evangéliste n’avait pas dit : " Et voilà, " mais simplement : Le voile du temple se déchira, on ne pourrait dire au juste si saint Matthieu et saint Marc ne font que résumer leurs souvenirs, tandis que saint Luc suit dans son récit l’ordre naturel des faits en disant : " Le soleil s’obscurcit, " et aussitôt après : " Et le voile du temple se déchira ; ou si saint Luc résume ce que les deux premiers rapportent dans l’ordre chronologique. " — ORIG. Il y avait deux voiles, l’un qui fermait le Saint des Saints (Ex 26, 14 ; Nb 4, 4 ; 3 R 3, 50 ; 8, 6), et l’autre, à l’extérieur, devant le temple, ou devant le tabernacle. Au moment où le Sauveur expira, ce voile extérieur fut déchiré de haut en bas, pour signifier que les mystères qui avaient été cachés selon les desseins de la sagesse de Dieu depuis le commencement du monde, jusqu’à l’avènement du Sauveur, allaient être révélés d’une extrémité de la terre à l’autre. Mais lorsque viendra l’état parfait, alors le second voile sera également déchiré, pour que nous puissions voir ce qui est caché à l’intérieur, c’est-à-dire l’arche véritable du Testament, et les chérubins et les autres merveilles du ciel dans leur propre nature. — S. Hil. Ou bien, le voile du temple se déchire, parce que, dès ce moment, le peuple se divise en deux parties, et que la gloire de ce voile disparaît avec l’ange qui le couvrait de sa protection.

S. Léon. (serm. 10 sur la passion.) Le bouleversement subit de tous les éléments est un témoignage rendu à cette auguste passion du Fils de Dieu : " Et la terre trembla, et les pierres se fendirent, " etc. — S. Jér. Personne lie peut douter de la signification littérale de tous ces prodiges étonnants, où l’on voit le ciel, la terre et tous les éléments proclamer ainsi que c’est leur Dieu qui vient d’être crucifié. — S. Hil. La terre tremble, parce qu’elle était incapable de recevoir ce mort ; les pierres se fendent, parce que le Verbe de Dieu avait pénétré et forcé tout ce qui était capable de résistance ; les tombeaux furent ouverts ; car les portes des cachots de la mort furent brisées. Et plusieurs corps des saints, qui étaient dans le sommeil de la mort, ressuscitèrent. " — S. Chrys. (hom. 88.) Les ennemis du Sauveur insultaient et se moquaient de lui, parce qu’il ne descendait pas de la croix : Il a sauvé les autres, disent-ils, et il ne peut se sauver lui-même. " Mais ce qu’il n’a point voulu faire en lui-même, il l’a fait, bien au delà, dans les corps de ses serviteurs ; car si ce fut un prodige surprenant de voir Lazare sortir du tombeau quatre jours après sa mort, combien fut-il plus extraordinaire de voir tout d’un coup apparaître pleins de vie ceux qui s’étaient endormis depuis si longtemps du sommeil de la mort, ce qui était un présage de la résurrection dernière. Et afin qu’on ne vînt à penser que ces apparitions n’étaient qu’imaginaires, l’Évangéliste ajoute : Et sortant de leurs tombeaux, ils vinrent dans la ville sainte et apparurent à plusieurs. — S. Jér. Ces corps des saints ressuscitèrent de la même manière que Lazare était ressuscité, pour prouver la résurrection du Seigneur. Et quoique leurs tombeaux fussent ouverts, ils ne ressuscitèrent qu’après la résurrection du Sauveur, afin qu’il fût le premier né de la résurrection d’entre les morts. (Col 1, 18.) La sainte cité, où apparurent ceux qui ressuscitèrent, figure ou la Jérusalem céleste, ou la Jérusalem de la terre, qui fut autrefois la cité sainte ; car Jérusalem était appelée la ville sainte à cause du temple, du Saint des Saints, et de sa séparation d’avec les autres villes livrées au culte des idoles. Ces paroles : " Et ils apparurent à plusieurs, " prouvent que cette résurrection n’eut pas un caractère général qui la rendit visible aux yeux de tous, mais qu’elle fut restreinte à un certain nombre pour en rendre témoins ceux qui méritaient cette faveur.

Remi. On demandera peut-être que devinrent ceux qui ressuscitèrent en même temps que le Seigneur ; car nous devons croire qu’ils ressuscitèrent pour être témoins de la résurrection du Sauveur. Il en est qui ont avancé qu’ils étaient morts de nouveau, et retournés en poussière comme Lazare et les autres que Jésus a ressuscités. Mais on ne peut ajouter foi en aucune manière à une semblable opinion, car il eût été bien plus triste pour eux de mourir de nouveau, après leur résurrection, que de ne pas ressusciter du tout. Nous devons donc croire à n’en pouvoir douter, qu’ils ressuscitèrent pour prendre part à la résurrection du Sauveur, et qu’ils montèrent avec lui au ciel le jour de son ascension.

Orig. Tous les jours, ces grands prodiges se renouvellent sous nos yeux ; car tous les jours le voile du temple se déchire devant les saints pour leur révéler les secrets mystérieux qu’il renferme ; la terre, c’est-à-dire toute chair est ébranlée en entendant la parole nouvelle et les nouveaux mystères que contient le Nouveau Testament ; les rochers se fendent, parce qu’ils sont la figure des prophètes, pour nous laisser voir à découvert les mystères qui s’y trouvent cachés. Les sépulcres des morts sont les corps des âmes pécheresses, et qui sont mortes aux yeux de Dieu, mais lorsque ces âmes sont ressuscitées par la grâce de Dieu, leurs corps, qui auparavant étaient des tombeaux de morts, deviennent les corps des saints, et ces âmes paraissent sortir d’elles-mêmes, elles suivent celui qui est ressuscité, et elles marchent avec lui dans une sainte nouveauté de vie, et ceux qui sont dignes de la vie du ciel, entrent dans la cité sainte, chacun en son temps, et ils apparaissent aux yeux d’un grand nombre qui sont témoins de leurs bonnes oeuvres.

" Le centurion et ceux qui avec lui guidaient Jésus, voyant le tremblement de terre, et tout ce qui se passait, furent épouvantés, et ils dirent : " Cet homme était vraiment le Fils de Dieu. " — S. Aug. (de l’accord des Evang., 3, 20.) Il n’y a point de contradiction entre saint Matthieu qui rapporte qu’en voyant ce tremblement de terre, le centurion et tous ceux qui étaient avec lui furent saisis de frayeur, et saint Luc qui attribue cette frayeur au grand cri que Jésus jeta en mourant ; car saint Matthieu n’ayant pas dit simplement : " A la vue de ce tremblement de terre, " mais ayant ajouté : " Et de tout ce qui se passait, " prouve l’intégrité du récit de saint Luc, où nous lisons, qu’en voyant la mort du Sauveur, le centurion fut saisi de crainte, puisque ce prodige se trouve compris dans les phénomènes extraordinaires qui arrivèrent alors.

S. JER. Remarquons ici qu’au milieu de ce scandale de la passion, le centurion confesse que Jésus est Fils de Dieu, tandis qu’au sein de 1’Église, Arius le proclame une simple créature. — Rab. C’est donc avec raison que le centurion est la figure de la foi de l’Église, lui qui, aussitôt que le voile qui couvrait les mystères célestes est déchiré par la mort du Seigneur, le proclame un homme vraiment juste et le vrai Fils de Dieu, alors que la synagogue garde un lâche et honteux silence. — S. LEON. (serm. 13 sur la passion.) Que toute créature terrestre tremble d’effroi à l’exemple du centurion devant le supplice de son Rédempteur, que les rochers des âmes infidèles se brisent, et que ceux qui étaient comme accablés sous le poids des tombeaux de la mortalité, se hâtent d’en sortir en renversant tous les obstacles qui les arrêtent ; qu’ils se montrent aussi dans la cité sainte, c’est-à-dire dans l’Église de Dieu comme preuve de la résurrection future, et qu’on voie dès maintenant s’accomplir dans les cœurs, ce qui, d’après la foi chrétienne, doit un jour s’accomplir dans les corps.

" Il y avait là aussi, à quelque distance de la croix, plusieurs femmes qui avaient suivi Jésus depuis la Galilée, pour le servir. — S. Jér. C’était, chez les Juifs, une coutume consacrée par les mœurs antiques, et que personne ne songeait à blâmer que les femmes prissent soin de fournir à ceux qui les instruisaient le vêtement et la nourriture. Saint Paul nous rapporte qu’il crut devoir renoncer à cet usage, parce qu’il pouvait être un sujet de scandale pour les Gentils. Or, elles assistaient le Seigneur de leur avoir, et lui permettaient ainsi de moissonner leurs biens matériels, alors qu’elles moissonnaient elles-mêmes ses grâces spirituelles. Ce n’est pas que le Seigneur eût besoin d’être nourri par ses créatures ; mais il voulait ainsi donner l’exemple à ceux qui devaient enseigner l’Évangile, et leur apprendre à se contenter de la nourriture et du vêtement qu’ils recevraient de leurs disciples. Mais voyons quelles étaient ces pieuses femmes : " Parmi elles, étaient Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques et de Joseph, et la mère des fils de Zébédée. " — ORIG. Dans saint Marc, la troisième est appelée Salomé. — S. Chrys. (hom. 88.) Ces femmes considéraient ce qui se passait, conduites par un profond sentiment de compassion. Elles le suivaient pour le servir, pendant son ministère public, lorsqu’il parcourait la Judée et la Galilée pour les évangéliser, car, à cette heure, elles ne pouvaient que compatir à ses souffrances. Et voyez jusqu’où va leur constance ; elles suivaient Jésus, pour avoir soin de son entretien ; elles l’accompagnèrent jusqu’au milieu des dangers, et firent ainsi preuve du plus grand courage, en restant avec lui alors que tous les disciples avaient pris la fuite.

S. Jér. (contre Helvid.) Il est donc évident, dit Helvidius, que Jacques et Joseph, que les Juifs appellent les frères de Jésus-Christ, sont les enfants de Marie. L’Évangéliste dit : " de Jacques le mineur, " pour le distinguer de Jacques le Majeur, fils de Zébédée ; et ce serait, ajoute Helvidius, se rendre coupable d’impiété à l’égard de Marie, que de penser qu’elle pût être absente dans cette circonstance où les autres femmes étaient près de Jésus, ou qu’il y eut là on ne sait quelle autre Marie de notre invention, alors surtout que saint Jean atteste qu’elle était présente au pied de la croix. O fureur aveugle, ô âme dont la folie tourne à sa propre ruine, entends ce que dit saint Jean l’Évangéliste : " Or, la mère de Jésus, et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie-Madeleine étaient debout près de la croix. " Personne ne doute qu’il y ait eu deux apôtres du nom de Jacques : " Jacques, fils de Zébédée, et Jacques, " fils d’Alphée. " Ce je ne sais quel Jacques le Mineur, que l’Écriture appelle fils de Marie, ne peut être que le fils d’Alphée, s’il est apôtre ; et s’il ne l’est pas, mais qu’il soit je ne sais quel troisième disciple du nom de Jacques, comment peut-on le regarder comme le frère du Seigneur ? Et comment, s’il est le troisième du nom de Jacques, peut-il être appelé Jacques le Mineur, par opposition à Jacques le Majeur ? car la distinction de Majeur et de Mineur ne peut exister entre trois, mais entre deux personnes seulement. Et, d’ailleurs, saint Paul l’appelle frère du Seigneur, dans son épître aux Galates : " Je n’ai vu aucun autre apôtre, si ce n’est Jacques, frère du Seigneur. " Et pour vous bien convaincre que saint Paul ne veut point parler de Jacques, fils de Zébédée, lisez les Actes des Apôtres, et vous y verrez qu’à cette époque Hérode l’avait déjà fait mettre à mort, Concluons donc que cette Marie, qui est appelée mère de Jacques le Mineur, était l’épouse d’Alphée et la sœur de Marie, mère du Seigneur, et celle que saint Jean appelle Marie, femme de Cléophas. Si vous croyez qu’il y ait ici deux personnes différentes, parce qu’elle est d’un côté Marie, mère de Jacques le Mineur, et, de l’autre, Marie, femme de Cléophas, rappelez-vous que c’est la coutume des Écritures de donner deux noms différents à la même personne, comme, par exemple, Raguel, qui est aussi appelée Jéthro (Ex 2, 3.) C’est ainsi que la même femme est appelée à la fois Marie de Cléophas, femme d’Alphée, et Marie, mère de Jacques le Mineur ; et si elle était la mère du Seigneur, il lui aurait donné ce nom comme dans tous les autres passages. Mais, quand même Marie de Cléophas serait différente de Marie, mère de Jacques et de Joseph, il n’en serait pas moins vrai que Marie, mère de Jacques et de Joseph, n’est point Marie, mère du Seigneur.

S. Aug, (De l’accord des Evang., 13, 21.) Nous pourrions encore dire que les femmes qui se tenaient à distance de la croix ; au rapport des trois Évangélistes, sont différentes de celles qui se tenaient près de la croix, d’après le récit de saint Jean, si saint Luc et saint Matthieu n’avaient placé Marie-Madeleine parmi celles qui se tenaient au loin, et saint Jean parmi celles qui étaient debout près de la croix. Comment donc expliquer cette difficulté ? C’est en disant qu’elles étaient tout à la fois près de la croix, parce qu’elles étaient en présence et comme en face, et loin de la croix en comparaison de la foule, qui se tenait plus près, avec le centurion et sa cohorte. Nous pouvons encore admettre que les femmes, qui étaient avec la mère du Sauveur, commencèrent à s’éloigner, lorsque Jésus l’eut confiée à saint Jean, pour se tirer de la foule et considérer de loin ce qui se passait, ce qui explique comment les Évangélistes, qui n’en parlent qu’après la mort du Seigneur, aient pu dire qu’elles se tenaient au loin.

 

vv. 57-61.

La Glose. L’Évangéliste, ayant rapporté toute la suite de la passion et de la mort du Seigneur, raconte maintenant ce qui concerne sa sépulture : " Le soir étant venu, " etc. — Remi. Arimathie est la même ville que Ramatha, patrie de Samuel et d’Helcana (1 R 1), et elle est située dans le pays de Chanaan, près de Diospolis. Ce Joseph avait dans le monde une haute position ; mais l’Évangéliste le loue de ce qu’il jouissait, aux yeux de Dieu, d’une considération plus grande encore, car, nous dit-il, il était juste (Lc 23, 50). Il était convenable que ce fût un homme de ce mérite qui ensevelit le corps de Jésus, et qui, par la grandeur de ses vertus, fût digne de lui rendre ce devoir. — S. Jér. L’auteur sacré nous dit qu’il était riche, non point par vanité, et pour nous apprendre qu’un homme aussi distingué par sa noblesse que par son opulence était disciple de Jésus, mais pour expliquer comment il put obtenir de Pilate le corps du Sauveur : " Il vint trouver Pilate et lui demanda le corps de Jésus. " Des pauvres, des gens du peuple, n’auraient osé venir trouver Pilate, gouverneur, qui représentait la puissance romaine, et lui demander le corps d’un crucifié. Ce Joseph est appelé, par un autre Évangéliste, buleutes, c’est-à-dire conseiller (Mc 15, 42), et plusieurs pensent que c’est à lui que s’applique ce premier psaume : " Heureux l’homme qui n’a pas été dans le conseil des impies, " etc.

S. Chrys. (hom. 88.) Considérez le courage de cet homme : il s’expose à perdre la vie, en attirant sur lui la haine de tous les ennemis de Jésus, par l’affection qu’il ne craint pas de lui témoigner, et non-seulement il ose demander le corps de Jésus, mais encore l’ensevelir : " Et Joseph, ayant reçu le corps, l’enveloppa dans un linceul blanc. " — S. Jér. La sépulture si simple du Sauveur condamne les prétentions ambitieuses des riches qui veulent que leurs richesses les suivent jusque dans leurs tombeaux. Nous pouvons aussi entendre, dans un sens spirituel, la sépulture du corps du Seigneur, qui est enseveli, non dans l’or, ni dans les pierres précieuses, ni dans la soie, mais dans un linge blanc, figure de celui qui reçoit Jésus dans un cœur pur et qui l’enveloppe ainsi dans un linceul blanc. — Remi. Ou bien, dans un autre sens, comme le mot sindon, que nous traduisons par linceul, est un tissu de lin, que le lin vient de la terre, et qu’on ne peut lui donner une blancheur éclatante que par beaucoup d’opérations successives, c’est une figure mystérieuse de ce corps qui vient de la terre, c’est-à-dire du sein d’une Vierge, et qui n’est parvenu que par les travaux de sa passion à la gloire éclatante de l’immortalité. — Rab. C’est de là qu’est venu l’usage, dans l’Église, d’offrir le sacrifice de l’autel, non sur la soie, ni sur une étoffe de couleur, mais sur un tissu de lin qui vient de la terre, comme l’a ordonné le bienheureux pape Sylvestre.

" Et il le déposa dans le sépulcre neuf qu’il avait fait creuser dans le roc. " — S. Aug. (serm. 2 pour le Samedi saint.) Le Sauveur est déposé dans un sépulcre étranger, parce qu’il mourait pour le salut des autres. Pourquoi aurait-il eu une sépulture en propre, puisque, par lui-même, il n’était pas sujet à la mort ? Qu’avait-il besoin d’un tombeau, lui qui n’avait cessé d’avoir son trône dans le ciel ? A quoi pouvait lui servir un sépulcre qui lui appartint, lui qui n’y resta que trois jours, plutôt comme un homme qui se repose dans un lit que comme un mort étendu dans un tombeau. Le sépulcre, c’est la demeure de la mort, et la demeure de la mort ne pouvait être celle de Jésus-Christ, qui est la vie, et Celui qui vit éternellement n’avait nul besoin du séjour des morts. — S. Jér. il est déposé dans un sépulcre neuf, car les autres corps restant dans le tombeau après sa résurrection, on aurait pu supposer que c’était un autre qui était ressuscité. Ce sépulcre neuf peut aussi figurer le sein virginal de Marie. Le corps du Sauveur a été enseveli dans un tombeau creusé dans le roc, car si ce tombeau avait été composé de plusieurs pierres, on n’eût pas manqué d’objecter qu’on en avait creusé les fondations, pour dérober secrètement le corps. — S. Aug. Et encore, si ce tombeau avait été préparé dans la terre, ils auraient pu dire : Ils ont creusé sous terre, et ils l’ont enlevé. S’il n’eût été fermé que par une petite pierre, ils n’auraient pas manqué de dire : Ils sont venus le dérober pendant que nous dormions. " Et ayant roulé une grande pierre à l’entrée du tombeau, il s’en alla. " — S. Jér. Cette grande pierre, qui couvre le sépulcre, prouve suffisamment qu’on n’aurait pu l’ouvrir sans le concours d’un grand nombre de personnes.

S. Hil. (can. 33.) Dans le sens mystique, Joseph est une figure des Apôtres ; il ensevelit le corps dans un linceul blanc. C’est dans un linge semblable que saint Pierre vit descendre du ciel vers lui toutes sortes d’animaux, ce qui signifie que 1’Église a été ensevelie avec Jésus-Christ. Le corps du Seigneur est donc placé dans ce lieu de repos, creusé tout nouvellement dans la pierre, parce que Jésus-Christ est déposé, par la prédication des Apôtres, dans le cœur si dur des infidèles, que le travail de la doctrine a creusé, mais qui était jusque-là inaccessible à tout sentiment de crainte de Dieu. Une pierre ferme l’entrée de ce tombeau, pour nous apprendre que nul que le Seigneur ne doit entrer dans nos cœurs, et que, puisqu’avant lui personne n’avait fait pénétrer en nous la connaissance de Dieu, personne ne puisse y être ensuite introduit que par lui. — Orig. Ce n’est point par hasard qu’il est écrit que Joseph enveloppe le corps dans un linceul blanc, qu’il le dépose dans un sépulcre neuf, et qu’il roule une grande pierre à l’entrée, car tout ce qui approche le corps de Jésus doit avoir pour caractère la pureté, la nouveauté, la grandeur.

REMI. Après que le corps fut enseveli, tandis que tous les autres retournaient chez eux, les femmes seules qui l’avaient aimé plus tendrement restèrent près de son corps et remarquèrent avec grand soin l’endroit où on venait de l’ensevelir, afin de pouvoir, en temps convenable, lui offrir l’hommage de leur piété : " Or, Marie-Madeleine et l’autre Marie étaient là, se tenant près du tombeau. " — Orig. Nous ne lisons pas dans l’Évangile que la mère des enfants de Zébédée fut elle-même assise près du sépulcre, peut-être n’avait-elle été que jusqu’au pied de la croix ; mais les autres femmes, animées d’une charité plus grande, voulurent être témoins de tout ce qui devait suivre. — S. Hil. Ou bien, alors que tous les autres abandonnent le Seigneur, celles-ci persévèrent dans leur dévouement à Jésus, et attendent l’effet de ses promesses. Aussi elles méritèrent de voir les premières le Sauveur ressuscité, " car celui-là seul qui persévère jusqu’à la fin sera sauvé " (Mt 10, 22 ; 24, 13). C’est ce que continuent de faire, jusqu’à ce jour, les saintes femmes, c’est-à-dire les âmes qui considèrent, avec une pieuse curiosité, comment s’accomplit et se termine la passion du Christ.

 

vv. 62-65.

S. Jér. Il ne suffisait pas aux princes des prêtres d’avoir crucifié le Dieu Sauveur ; il fallait encore qu’ils gardassent son tombeau, et qu’autant qu’il était en eux ils lui fissent violence pour l’empêcher de ressusciter. " Or, le lendemain, c’est-à-dire le jour d’après la préparation du sabbat, " etc. — RAB. Le mot parasceve veut dire préparation, et ce nom était donné au sixième jour pendant lequel on préparait tout ce qui était nécessaire pour le sabbat, comme il était recommandé pour la manne : " Le sixième jour, vous en recueillerez le double. " C’est le sixième jour que l’homme a été créé, et c’est le septième que Dieu s’est reposé. Ainsi, Jésus est mort le sixième jour, et il s’est reposé le septième dans le tombeau.

S. JER. Ce n’est pas assez pour les princes des prêtres d’avoir commis un immense forfait en mettant le Seigneur à mort, il faut encore que leur malice empoisonnée se répande sur lui après sa mort, qu’ils déchirent sa réputation, et qu’ils traitent de séducteurs celui dont ils connaissent l’innocence : Ils disent donc à Pilate : " Seigneur, nous nous sommes rappelé que cet imposteur, lorsqu’il vivait encore, a dit, " etc. Ils agissent ici comme Caïphe, qui avait prophétisé précédemment, sans savoir ce qu’il disait : " Il est avantageux qu’un seul homme périsse pour tout le peuple " (Jn 11). En effet, Jésus-Christ était un séducteur, qui ne faisait point passer de la vérité à l’erreur, mais du mensonge à la vérité, du vice à la vertu, de la mort à la vie.

Remi. Ils prétendent qu’il a dit : " Je ressusciterai après trois jours, " parce qu’il avait fait autrefois cette prédiction : " De même que Jonas resta trois jours et trois nuits dans le sein de la baleine, " etc. (Mt 12). Mais il nous faut examiner comment il a ressuscité trois jours après sa mort. Il en est quelques-uns qui ont voulu compter trois heures de nuit pour une nuit, et pour un jour l’aurore qui suivit les ténèbres ; mais ils n’ont point compris la portée du langage figuré. Dans ce langage, le sixième jour où Jésus-Christ a souffert comprend la nuit précédente, vient ensuite la nuit du samedi avec le jour qui la suit, et la nuit du dimanche comprend le jour qui vient après. C’est ainsi qu’il est vrai de dire que le Sauveur est ressuscité trois jours après sa mort. — S. Aug. (Serm. sur la Pass.) Il est ressuscité trois jours après sa mort, pour montrer le consentement que toute la Trinité avait donné à la passion du Fils de Dieu, et ces trois jours sont une figure de la Trinité qui avait créé l’homme au commencement, et qui la répare à la fin par la passion de Jésus-Christ.

" Commandez donc que le sépulcre soit gardé jusqu’au troisième jour. " — RAB. Les disciples de Jésus-Christ étaient des voleurs dans un sens spirituel, parce qu’ils faisaient servir à l’usage de 1’Église les écrits de l’Ancien et du Nouveau Testament, qu’ils avaient enlevés aux Juifs coupables d’ingratitude, et qu’ils leur ont enlevé le Sauveur, pendant qu’ils dormaient du sommeil de l’infidélité, pour le transmettre aux Gentils qui devaient croire en lui. — S. Hil. Cette crainte qu’on enlève le corps, cette garde du sépulcre, ce sceau qu’ils y apposent sont un témoignage de leur folie et de leur incrédulité qui les portent à sceller le sépulcre de celui à la voix duquel ils avaient un vu mort sortir plein de vie du tombeau. — Rab. En ajoutant : " Et cette dernière erreur serait pire que la première, " ils disent vrai à leur insu, car le mépris de la grâce de la pénitence fut pour les Juifs pire que l’erreur causée par leur ignorance. — S. Chrys. (hom. 88.) Voyez encore comment, sans le vouloir, ils concourent à la démonstration de la vérité, car cette mesure qu’ils firent prendre devint une preuve péremptoire de la résurrection : car, puisque le tombeau fut gardé, aucune fraude n’a été possible, et s’il n’y a pas eu de fraude, il est donc certain et incontestable que le Seigneur est ressuscité. Or, voici ce que leur répond Pilate : " Pilate leur dit : Vous avez des gardes, allez, gardez-le comme vous l’entendrez. " — RAB. Il semble leur dire : Qu’il vous suffise de m’avoir fait consentir à la mort de l’innocent ; pour le reste, soyez seuls responsables de votre coupable erreur. " Ils s’en allèrent donc, et, pour s’assurer du sépulcre, ils eu scellèrent la pierre et y mirent des gardes. " — S. Chrys. (hom. 89.) Pilate ne voulut pas que le sceau fût mis sur le sépulcre par les soldats seulement, car les Juifs auraient pu dire alors que les soldats avaient laissé les disciples enlever le corps du Seigneur, et détruire ainsi la foi en sa résurrection ; mais ils n’oseraient maintenant l’avancer, puisqu’ils ont eux-mêmes scellé le sépulcre.

 

 

 

CHAPITRE XXVIII

 

vv. 1-7.

S. Aug. (serm. sur la résurrect.). Après les insultes et les coups, après le fiel mêlé de vinaigre, après les douleurs et le supplice de la croix, le corps renouvelé du Sauveur renaît du sein même du trépas, la vie sort du tombeau où elle était cachée, le salut ressuscite au milieu de la mort où il a puisé une splendeur plus éclatante. — S. Aug. (De l’accord des Evang., 3, 24.) Une question qui n’est pas sans importance est de savoir l’heure précise à laquelle les femmes vinrent au sépulcre ; car comment concilier ce que dit saint Matthieu : " Le soir du sabbat, " etc., avec le récit de saint Marc : " Et le premier jour de la semaine, de grand matin, Marie Magdeleine et une autre Marie vinrent voir le sépulcre. " Nous répondons que saint Matthieu, par le soir, qui est la première partie de la nuit, a voulu exprimer toute la nuit vers la fin de laquelle les femmes vinrent au sépulcre. Comme elles ne pouvaient exécuter auparavant leurs pieux desseins à cause du jour de sabbat, saint Matthieu désigne par le mot nuit, la partie de cette nuit où il leur fut permis de les accomplir. Cette expression " Le soir du sabbat, " revient donc à celle-ci : " La nuit du sabbat, " c’est-à-dire la nuit qui suit le jour du sabbat, et ce qui suit le prouve assez : " Lorsque le premier jour de la semaine commençait à luire. " Ce qui ne serait point vrai, si nous ne comprenions parle mot soir, que la première partie, que le commencement de la nuit ; car ce n’est pas au commencement de la nuit qu’on voit luire l’aurore du premier jour de la semaine, c’est dans le cours de la nuit elle-même, alors qu’elle se dispose à faire place à la lumière, et on sait que l’usage de l’Écriture est d’exprimer le tout par la partie. Le mot soir signifie donc ici la nuit, à l’extrémité de laquelle on voit poindre l’aurore, et c’est à l’aurore naissante que les saintes femmes vinrent au sépulcre. — BÈDE. Ou bien dans un autre sens, ce que dit S. Matthieu, que les femmes vinrent au tombeau le soir du sabbat, lorsque le premier jour de la semaine commençait à peine à luire, doit s’entendre eu ce sens qu’elles se disposèrent à partir le soir, mais qu’elles n’arrivèrent au tombeau qu’à l’aurore du premier jour de la semaine ; c’est-à-dire qu’elles préparèrent, le soir, les parfums dont elles voulaient embaumer le corps du Seigneur, mais elles ne portèrent au tombeau, que le matin, ces parfums préparés de la veille. S. Matthieu, voulant abréger, s’est exprimé ici d’une manière plus obscure, mais les autres Évangélistes ont rapporté plus clairement les faits dans l’ordre où ils se sont passés. Lorsque le Seigneur fut enseveli le sixième jour, les saintes femmes quittèrent le tombeau et préparèrent les parfums et les aromates, alors qu’il leur était permis de le faire, elles suspendirent leur travail le jour du sabbat pour obéir aux prescriptions de la loi, comme saint Luc le dit en propres termes. Mais lorsque le jour du sabbat fut passé, et que le retour de la nuit leur permit de reprendre leur travail, pleines d’une tendre charité, elles se hâtèrent d’acheter les parfums qu’elles n’avaient pas eu le temps de préparer entièrement, comme le rapporte saint Marc, pour venir embaumer Jésus, et c’est de grand matin qu’elles arrivent au tombeau. — S. Jér. Ou bien encore, que les Évangélistes racontent que les femmes sont venues à des heures différentes, ce n’est pas un signe qu’ils se contredisent, comme l’objectent les impies, mais une preuve du pieux empressement de ces saintes femmes, qui les porte à visiter souvent le sépulcre, et ne leur permet pas d’être longtemps éloignées du tombeau du Seigneur.

Remi. Il faut aussi se rappeler que dans le sens mystique, S. Matthieu a voulu nous apprendre quel honneur le triomphe de Jésus-Christ sur la mort, et sa glorieuse résurrection avaient fait rejaillir sur cette nuit sacrée, et c’est pour cela qu’il dit : " Le soir du sabbat, " etc. Car d’après la marche naturelle du temps, le soir n’aboutit pas immédiatement au jour, mais s’obscurcit, au contraire, jusqu’à la nuit complète ; l’Évangéliste veut donc nous montrer par ces paroles que le Seigneur a fait de toute de cette nuit, parla splendeur de sa résurrection, une nuit de clarté et d’allégresse. — BÈDE. Depuis le commencement du monde jusque là, la marche naturelle du temps était que le jour précédât la nuit, parce que l’homme, ayant perdu par son péché la lumière du paradis, était tombé dans les ténèbres et dans les douleurs de ce monde. Mais maintenant par une raison pleine de sagesse, le jour vient après la nuit ; car, par la foi en la résurrection, nous passons des ténèbres du péché et de l’ombre de la mort à la lumière de la vie par l’effet de la grâce de Jésus-Christ. — SEV. (serm. sur la passion.) Jésus-Christ ne vient pas détruire, mais éclairer le jour du sabbat : " Je ne suis pas venu détruire la loi, a-t-il dit, mais l’accomplir. " Dieu éclaire ce jour pour lui donner la splendeur qui convient au jour du Seigneur, et le faire briller dans toute l’Eglise, alors que dans la synagogue il était couvert des ténèbres que les Juifs répandaient autour de lui. — Suite. " Marie Magdeleine vint, " etc. La femme accourt le soir pour obtenir son pardon, elle qui avait couru le matin vers le crime ; elle avait puisé dans le paradis l’esprit d’incrédulité, elle se hâte de venir puiser la foi au sépulcre du Sauveur, elle s’efforce d’arracher la vie du sein même de la mort, après qu’elle avait trouvé la mort au sein même de la vie. Or, l’Évangéliste ne dit point : Elles vinrent, mais : " Elle vint. " Sous le même nom, elles viennent deux, non par hasard, mais par une raison mystérieuse. Marie Magdeleine vient elle-même, mais elle vient toute autre, un bienheureux changement s’est opéré en elle, non pas dans son nom, mais dans sa vie, non pas dans son sexe, mais dans les dispositions de son âme. Ces femmes, appelées toutes deux Marie, précèdent les Apôtres, et portent pour ainsi dire le symbole des Églises au tombeau du Seigneur. Marie est le nom de la mère de Jésus-Christ, ce même nom est porté simultanément par deux femmes comme figure de l’unité de l’Église qui est composée de deux peuples, c’est-à-dire des Gentils et des Juifs. Or, Marie vint au sépulcre comme au sein qui devait enfanter la résurrection, d’où Jésus-Christ devait naître de nouveau à la foi, comme il était né du sein de sa mère à cette vie mortelle ; de manière que le sépulcre fermé rendit à la vie éternelle celui que le chaste sein d’une vierge avait enfanté à la vie présente. C’est une preuve éclatante de sa divinité d’avoir laissé intacte et ferme le sein de la Vierge qui lui avait donné le jour, comme aussi d’être sorti avec son corps de ce tombeau qu’il laisse également fermé.

" Et voici qu’il se fit un grand tremblement de terre, " etc. — S. Jér. Notre-Seigneur, tout à la fois Fils de Dieu, et Fils de l’homme, selon sa double nature divine et humaine, donne tour à tour des signes, tantôt de sa grandeur, tantôt de son humilité ; ainsi dans cet endroit, quoique celui qui a été crucifié et qui a été enseveli soit homme, cependant tous ces prodiges qui éclatent au dehors, proclament qu’il est en même temps Fils de Dieu. — S. Hil. (can. dern. sur S. Matth.) Ce tremblement de terre, c’est la puissance de résurrection que déploie en ressuscitant le Seigneur des vertus célestes, lorsqu’après avoir émoussé l’aiguillon de la mort, et éclairé ses profondes ténèbres, il fait trembler les enfers et les saisit d’épouvante. — S. Chrys. (hom, 89.) Ou bien, ce tremblement de terre eut lieu pour tirer les saintes femmes de leur sommeil ; car elles étaient venues pour embaumer le corps, et comme il était nuit, il est probable que quelques-unes d’entre elles s’étaient endormies. — BÈDE. La terre tremble, lorsque le Seigneur ressuscite du tombeau, comme elle a tremblé lorsqu’il était mort sur la croix, et nous annonce qu’il faut que les cœurs des hommes, pour se convertir, soient pénétrés d’une crainte salutaire par la foi que nous devons avoir d’abord en sa passion, puis en sa résurrection. — S. JER. Si la terre a ainsi tremblé, alors que le Seigneur ressuscitait pour la justification des saints, combien plus tremblera-t-elle lorsqu’il se lèvera pour punir les pécheurs, selon cette parole du prophète : " La terre a tremblé, lorsque le Seigneur se levait pour le jugement. " (Ps 75) Comment pourra-t-elle soutenir la présence de Dieu, elle qui n’a pu soutenir la présence d’un ange ? " Et un ange du Seigneur descendit du ciel. " Du moment que Jésus-Christ ressuscite, et que la mort est détruite, le commerce se rétablit entre le ciel et la terre, et la femme qui avait reçu autrefois du démon un conseil de mort, entend sortir de la bouche d’un ange des paroles de vie. — S. Hil. C’est un effet insigne de la miséricorde de Dieu, d’employer au moment où son Fils ressuscita des enfers le ministère de ses anges, et il devient ainsi lui-même comme le héraut de la première résurrection en la faisant annoncer par un de ceux qui sont les ministres habituels de la volonté de son Père. — BÈDE. Jésus-Christ étant tout à la fois Dieu et homme, jamais le ministère et le service des anges, auquel il avait droit comme Dieu, ne lui a fait défaut dans le cours de sa vie mortelle : " Il s’approcha, et renversa la pierre, " non pas pour ouvrir un passage par où le Seigneur put sortir du tombeau, mais prouver, au contraire, qu’il en était déjà sorti ; car celui qui a pu venir au monde sans ouvrir par sa naissance le sein d’une vierge, a bien pu, en ressuscitant à une vie immortelle, sortir du monde en laissant fermé le tombeau qu’il quittait.

Remi. Cette pierre renversée signifie que les mystères de Jésus-Christ qui étaient couverts par la lettre de la loi, sont maintenant dévoilés ; car la loi a été écrite sur la pierre, et cette pierre en est la figure. — SEV. Il ne dit pas : Il roula la pierre, mais : " Il la renversa ; " car la pierre, roulée à l’entrée du tombeau, était une preuve de la mort de Jésus-Christ, tandis qu’étant renversée, elle est une démonstration de sa résurrection. L’ordre naturel des choses est ici renversé ; le tombeau dévore la mort elle-même, et non le cadavre ; la demeure de la mort devient un séjour vivifiant ; nous voyons ici un sein d’un nouveau genre, il reçoit un mort et rend un vivant : " Et il était assis sur la pierre. " Il était assis sans être sujet à aucune fatigue ; mais comme docteur de la foi, pour annoncer la résurrection ; et il était assis sur la pierre pour que la solidité de cette chaire put affermir la foi des croyants. L’ange posait les fondements de la foi sur cette pierre sur laquelle Jésus-Christ devait fonder son Église. — Ou bien cette pierre du tombeau peut être considérée comme une figure de la mort qui pesait sur tous les hommes ; et l’ange assis sur la pierre nous représente Jésus-Christ qui a triomphé de la mort par sa puissance. — BÈDE. (hom. 1.) L’ange qui est venu annoncer au monde l’avènement du Seigneur se tint debout avec raison, déclarant par cette attitude que le Seigneur était venu pour combattre le prince de ce monde, tandis que le héraut de la résurrection nous est représenté assis, pour marquer que le Sauveur était monté sur son trône éternel après avoir triomphé de l’auteur de la mort. Il était assis sur la pierre renversée, qui fermait précédemment l’entrée du sépulcre, pour nous apprendre qu’il avait fait tomber par sa puissance les portes de l’enfer. — S. Aug. (De l’acc. des Evang., 3, 24.) On sera peut-être surpris de ce que, d’après le récit de saint Matthieu, l’ange était assis sur la pierre du sépulcre qu’il avait renversée, tandis que saint Marc nous dit que les femmes étant entrées dans ce sépulcre, virent un jeune homme assis à la droite. Mais on peut répondre que saint Matthieu n’a point parlé de l’ange qu’elles virent en entrant dans le sépulcre, ni saint Marc de celui qui était assis sur la pierre, de manière qu’elles virent deux anges, et entendirent séparément de leur bouche ce qu’ils venaient leur apprendre de Jésus. Ou bien encore, ces paroles : " Elles entrèrent dans le tombeau, " doivent s’expliquer d’un mur de clôture, dont il est probable que le tombeau était entouré, ou d’un endroit particulier qui se trouvait devant la pierre dans laquelle on avait creusé le tombeau, de manière que les saintes femmes aient pu dans ce même endroit, voir assis, à droite, l’ange qui, d’après S. Matthieu était assis sur la pierre.

" Son visage brillait comme l’éclair, " etc. — SEV. L’éclat du visage est distinct de la blancheur des vêtements ; son visage est comparé à l’éclair, et ses vêtements à la neige, parce que l’éclair vient du ciel, et que la neige vient de la terre, c’est pour cela que le prophète a dit : " Louez le Seigneur du sein de la terre, feu, grêle, neige, " etc. (Ps 147) L’ange conserve sur son visage l’éclat de sa nature céleste, et ses vêtements figurent la faveur qu’il nous fait d’entrer en communion avec notre nature. L’aspect de cet ange qui s’adresse aux saintes femmes est donc tempéré de manière que des yeux mortels puissent supporter la douce clarté de ses vêtements, et que l’éclat de son visage leur fassent craindre et révérer en lui l’envoyé de celui qui les a créées. — IDEM. Mais pourquoi ces vêtements, là où il n’y a aucune nécessité de se couvrir ? C’est que l’ange figure ici, par avance, la forme et la figure que nous devons avoir dans la résurrection, alors que l’homme sera revêtu d’un corps éclatant. — S. Jér. Par ce vêtement blanc, l’ange nous représente encore la gloire de Jésus-Christ triomphant. — S. Grég. (hom. sur la Pâq.) Ou bien dans un autre sens, la foudre produit le tremblement et la crainte ; la neige frappe par sa blancheur. Or, comme le Dieu tout-puissant est à la fois terrible pour les pécheurs, et plein de douceur pour les justes, l’ange, témoin de sa résurrection, doit apparaître avec un visage éclatant et des vêtements blancs comme la neige, afin que son aspect épouvante à la fois les méchants, et calme les craintes des âmes pieuses : " Les gardes en furent tellement saisis de frayeur, " etc. La crainte et l’anxiété les glacent d’effroi, parce qu’ils n’avaient pas la confiance qu’inspire l’amour, et ils devinrent comme morts, parce qu’ils ne voulurent pas croire la vérité de la résurrection. — SÉV. Car ils gardaient le tombeau par un instinct de cruauté, et non par un sentiment de piété. Or, celui que sa conscience abandonne et que le remord accable, ne peut rester debout : Voilà pourquoi l’ange renverse les impies, tandis qu’il adresse la parole aux âmes justes pour les consoler.

" Et l’ange s’adressant aux femmes, " etc. — S. JER. Les gardes, glacés d’effroi, sont là étendus immobiles comme des morts, et cependant ce n’est pas à eux, mais aux saintes femmes, que l’ange adresse des paroles de consolation : " Pour vous, ne craignez pas, " comme s’il leur disait Qu’ils craignent ceux qui persévèrent dans leur incrédulité, mais pour vous qui cherchez Jésus crucifié, apprenez qu’il est ressuscité et qu’il a accompli les prédictions qu’il a faites : " Car je sais que vous cherchez Jésus qui a été crucifié. " — SEV. Elles cherchaient encore celui qui avait été crucifié et qui était mort, car la cruelle tempête de la passion avait troublé leur foi, et le poids de cette épreuve les avait tellement abattues qu’elles cherchaient, dans le tombeau, le Dieu du ciel. " Il n’est point ici. " — Rab. Il n’y est point présent corporellement, lui qui se trouve cependant partout par la présence de sa majesté : " Il est ressuscité comme il l’avait dit. " — S. Chrys. (hom. 89.) L’ange semble leur dire : Si vous ne voulez pas me croire, souvenez-vous de ses paroles. Il leur donne ensuite une autre preuve en ajoutant : " Venez et voyez le lieu où avait été mu le Seigneur. " — S. Jér. Si ne croyez pas à mes paroles, vous en croirez du moins au sépulcre qui est vide. — S. Jér. L’ange rappelle donc d’abord le nom de Jésus-Christ, puis sa croix et sa passion ; mais il ne tarde pas à parler de sa résurrection, et bientôt il proclame qu’il est le Seigneur. Ainsi, après de si grands supplices, après le tombeau, l’ange n’hésite pas à reconnaître Jésus-Christ pour son Dieu, pourquoi donc l’homme prétend-il ou que Dieu s’est amoindri en se faisant homme, ou que sa puissance lui a fait défaut dans sa passion ? L’ange dit : " Qui a été crucifié, " et il montre le lieu où on avait mis le corps du Sauveur, afin qu’on ne pût croire que c’était un autre et non pas lui-même qui était ressuscité d’entre les morts. Or, puisque le Seigneur a voulu ressusciter dans la même chair et donner des preuves si évidentes de sa résurrection, pourquoi l’homme croirait-il qu’il doit ressusciter dans une chair différente de la sienne ? Est-ce que le serviteur aurait du dédain pour sa chair, alors que le Seigneur n’a pas voulu changer celle qu’il a reçue de nous ? — Rab. Mais une aussi grande joie n’est pas destinée à rester cachée dans vos cœurs ; vous devez publier cette heureuse nouvelle à ceux qui partagent votre amour pour Jésus-Christ. " Et hâtez-vous d’aller dire à ses disciples qu’il est ressuscité. " — SÉV. Comme s’il disait : Femme qui est maintenant guérie, reviens trouver cet homme, et persuade-lui la foi, toi qui lui a persuadé autrefois l’incrédulité ; porte à l’homme la preuve de la résurrection, toi qui lui as donné autrefois le conseil qui l’a perdu. " Voici qu’il sera avant vous en Galilée " — S. Chrys. (hom. 89.) L’ange ajoute ces paroles, pour leur ôter toute crainte de danger qui aurait pu être. un obstacle à la foi. — S. Jér. Il vous précédera dans la Galilée, c’est-à-dire au sens mystique, dans le bourbier des nations, là où il n’y avait auparavant qu’erreur ténébreuse et terrain glissant, et où on ne pouvait poser le pied avec sûreté. " C’est là que vous le verrez ; je vous en avertis par avance. — BEDE. C’est avec raison que le Seigneur apparaît à ses disciples dans la Galilée, lui qui avait déjà passé de la mort à la vie, de la corruption à l’incorruptibilité, car le mot Galilée signifie transmigration. Heureuses femmes, qui méritèrent d’annoncer au monde le triomphe de la résurrection. Plus heureuses encore les âmes qui, au jour du jugement, mériteront d’entrer dans la joie de la bienheureuse résurrection, tandis que les méchants seront saisis d’épouvante.

 

vv. 8-10.

S. Hil. (can. 41) L’ange avait à peine cessé de parler aux saintes femmes que Jésus se présenta devant elles, afin qu’en annonçant aux disciples, qui étaient dans l’attente, la nouvelle de la résurrection, elles pussent leur transmettre ses paroles en même temps que celles de l’ange. — S. Aug. (De l’accord des Evang., 13, 24.) L’Evangéliste dit qu’elles sortirent du tombeau, c’est-à-dire de l’enclos en forme de jardin, qui se trouvait devant le sépulcre creusé dans le roc. — S. Jér. Leur âme était partagée entre deux sentiments, la crainte et la joie, produites, l’une par la grandeur du miracle, l’autre par le désir de voir Jésus ressuscité, et ces deux sentiments réunis leur faisaient presser leur marche " Et elles coururent annoncer cette nouvelle aux disciples. " Elles allaient trouver les Apôtres, afin que la semence de la foi fût répandue par leur ministère. Un zèle aussi ardent, un empressement aussi marqué les rendait dignes que le Seigneur ressuscité vînt à leur rencontre : " En même temps, Jésus se présenta devant elles et leur dit : Je vous salue. " — Rab. Il nous apprend ainsi qu’il va, par sa grâce, au-devant de ceux qui commencent à marcher dans la voie des vertus, et leur donne de parvenir au salut éternel. — S. Jér. Les femmes sont les premières qui méritent d’entendre cette parole : " Le salut soit à vous, " et nous sommes ainsi affranchis dans la personne des femmes de la malédiction encourue par Eve la première femme.

SÉV. Nous voyons, dans ces femmes, une figure parfaite de l’Église, car, en s’adressant à ses disciples, Jésus-Christ leur reproche leurs doutes et les rassure contre leurs appréhensions, tandis qu’en venant au-devant de ces saintes femmes, il ne les effraye pas par le spectacle de sa puissance, mais les prévient par l’ardeur de sa charité, car c’est à lui-même qu’il souhaite le salut dans la personne de l’Église, avec laquelle il ne fait qu’un seul corps. — S. Aug. (De l’accord des Evang., 3, 24.) Nous concluons de la lecture comparée des Évangélistes que les anges ont adressé deux fois la parole aux saintes femmes dans leur visite au tombeau : la première fois lorsqu’elles virent l’ange dont parle saint Matthieu et saint Marc, et la seconde lorsqu’elles virent les deux dont parlent saint Luc et saint Jean. Le Seigneur leur parla également deux fois, d’abord lorsque Marie le prit pour le jardinier, et, une seconde fois, lorsqu’il vint à leur rencontre, dans le chemin, pour affermir leur courage et dissiper toutes leurs craintes par cette seconde manifestation. — SÉV. Mais, d’un côté, Jésus ne permet pas à Marie de le toucher, ici, au contraire, il accorde aux saintes femmes, non-seulement de le toucher, mais de tenir embrassés ses pieds : " Elles s’approchèrent, et, embrassant ses pieds, elles l’adorèrent. " — RAB. Nous avons dit plus haut qu’il est ressuscité sans ouvrir son tombeau, pour nous apprendre que ce même corps, qui avait été déposé après sa mort dans un tombeau fermé, était revêtu d’immortalité, Il présente maintenant ses pieds aux pieux embrassements des saintes femmes, pour leur prouver qu’il a une véritable chair, qui peut être touchée par les hommes. — SEV. Ces femmes tiennent embrassés les pieds de Jésus-Christ, parce qu’elles sont, dans l’Église, la figure de la prédication évangélique, et qu’elles ont mérité cet honneur par leur pieux empressement ; et elles étreignent ainsi, par la foi, les pieds de leur Sauveur, pour obtenir l’honneur de connaître la divinité toute entière. Celle au contraire qui, sur la terre, pleure le Seigneur, et qui cherche comme mort, dans le sépulcre, celui dont elle ne sait pas qu’il règne dans les cieux avec son Père, entend de sa bouche ces paroles : " Ne me touchez pas. " Il n’y a aucune difficulté que ce soit la même Marie, qui, d’un côté, élevée au sommet de la foi, touche les pieds de Jésus-Christ et l’étreint de toute la force d’un saint amour, et qui, de l’autre, abattue sous le poids de l’infirmité de la chair et de la faiblesse naturelle à son sexe, est agitée par le doute et ne mérite point de toucher son Créateur. D’un côté, sa foi est un symbole ; de l’autre, ses doutes viennent de la faiblesse de son sexe. Ici, il faut voir l’action de la grâce divine ; là, l’infériorité de la nature humaine, car, lorsque nous parvenons à la connaissance des choses divines, nous vivons pour Dieu ; mais, lorsque nous avons des goûts terrestres, notre aveuglement vient de nous-mêmes. Ces saintes femmes embrassèrent les pieds du Seigneur, pour apprendre ainsi que, dans un sens figuré, la tête de Jésus-Christ était l’homme, que, pour elles, elles étaient à ses pieds, et qu’elles devaient suivre et non précéder en Jésus-Christ l’homme qui leur était donné. Le Sauveur leur répète ce que l’ange leur avait dit, pour augmenter en elles la confiance que le discours de l’ange leur avait inspirée.

" Alors Jésus leur dit : Ne craignez point. " — S. Jér. Nous pouvons remarquer, dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament, que toutes les fois que Dieu favorise les hommes d’une vision plus auguste, il commence par bannir la crainte, pour que les hommes puissent entendre dans le calme de leur âme les paroles qu’il veut leur adresser. — S. Hil. Nous voyons reproduit ici, mais dans un sens contraire, la marche suivie dans le grand événement qui a été la cause de notre perte ; c’est par une femme que la mort est entrée dans le monde, ce sont des femmes aussi qui, les premières, méritent de voir et d’annoncer la gloire de la résurrection, et c’est pour cela que le Seigneur ajoute : " Allez, et dites à mes frères qu’ils se rendent en Galilée ; c’est là qu’ils me verront. " — SÉV. Il appelle ses frères ceux qu’il s’est unis par les liens du corps qu’il a pris ; il appelle ses frères ceux que, dans sa bonté, il a fait ses cohéritiers, lui l’héritier de Dieu ; il appelle ses frères ceux qu’il a adoptés pour les enfants de son Père. — S. Aug. (De l’accord des Evang., 3, 24.) Chaque fidèle doit être attentif à rechercher dans quel dessein mystérieux le Seigneur commande, et par l’ange et par lui-même à ses disciples, d’aller pour le voir, non pas dans l’endroit où il devait d’abord se manifester, mais dans la Galilée, où il a été vu plus tard. Le mot Galilée signifie à la fois transmigration et révélation ; or, que nous donne à comprendre la première signification, si ce n’est que la grâce de Jésus-Christ devait passer du peuple d’Israël aux Gentils, auxquels les Apôtres n’auraient jamais confié le dépôt de la prédication évangélique, si le Seigneur lui-même ne leur avait préparé la voie dans le cœur des hommes ? C’est ce que veulent dire ces paroles : " Il vous précédera en Galilée. " Celles qui suivent : " C’est là que vous le verrez, " signifient : C’est là que vous trouverez ses membres ; c’est là que vous reconnaîtrez son corps vivant dans la personne de ceux qui vous recevront. Si l’on donne au mot Galilée le sens de révélation, ce mot signifiera qu’il faut comprendre Jésus-Christ, non plus dans la forme de serviteur, mais dans cette nature qui le rend l’égal de son Père. Cette révélation, comme une véritable Galilée, aura lieu " lorsque nous lui serons semblables, et que nous le verrons tel qu’il est. " Ce sera là aussi la plus heureuse transmigration, celle de cette vie à l’éternité.

 

vv. 11-15.

S. Chrys. (hom. 90.) Parmi les prodiges qui entourèrent la mort et la résurrection de Jésus-Christ, les uns, comme les ténèbres furent communs à tout l’univers, les autres furent particuliers aux soldats qui gardaient le tombeau, comme l’apparition miraculeuse de l’ange et le tremblement de terre que Dieu permit pour 1es remplir d’effroi et les forcer de rendre témoignage à la vérité. Car la vérité brille d’un plus vif éclat lorsqu’elle est répandue par ses propres adversaires, et c’est ce qui est arrivé ici : " Quand elles furent parties, quelques-uns des gardes vinrent dans la ville, et annoncèrent aux princes des prêtres tout ce qui s’était passé. " — Rab. Souvent la simplicité d’une âme sans instruction, et même une ignorance grossière, révèle la vérité sans artifice et telle qu’elle est, tandis que l’astucieuse malignité s’efforce de faire passer le mensonge pour la vérité, en lui donnant les dehors de la vraisemblance. — S. Jér. Ainsi, les princes des prêtres qui auraient dû se convertir, et chercher eux aussi Jésus ressuscité, persévèrent dans leur malice et se servent de l’argent qui devait être consacré à l’usage du temple pour acheter un mensonge, de même qu’ils ont donné précédemment trente pièces d’argent au traître Judas : " Ceux-ci rassemblèrent les anciens, et, ayant tenu conseil, ils donnèrent une grosse somme d’argent aux soldats. " — SÉV. Ce n’est pas assez pour eux d’avoir mis le Maître à mort, ils cherchent encore les moyens de perdre les disciples, et veulent leur faire un crime de la puissance de leur maître. Oui les soldats ont laissé échapper, et les Juifs ont perdu le corps de Jésus ; mais, si les disciples l’ont enlevé, ce n’est point furtivement, mais par la foi ; ce n’est point par fraude, mais par leur vertu ; ce n’est point par un crime, mais par leur sainteté, et ils l’ont enlevé plein de vie, et non comme une victime de la mort. — S. Chrys. (hom. 90.) Car comment des hommes pauvres, sans esprit, et qui n’osaient se montrer, auraient-ils osé enlever le corps de leur maître ? Si, lorsqu’ils vivaient encore, ils se sont tous enfui, comment, après sa mort, n’auraient-ils pas craint cette multitude de gens armés ? Et encore, est-ce qu’ils pouvaient renverser la pierre du sépulcre qui ne pouvait être soulevée que par plusieurs bras ? Est-ce que le sceau public n’y avait pas été apposé ? Pourquoi d’ailleurs ne l’ont-ils pas dérobé la première nuit, lorsqu’il n’y avait aucune garde au tombeau ? car ce n’est que le jour du sabbat qu’ils demandèrent une garde à Pilate. Que signifient encore ces suaires que Pierre vit placés dans le sépulcre ? Si les disciples avaient voulu dérober le corps, ils ne l’eussent pas enlevé dépouillé de son linceul, non-seulement par respect, mais encore pour ne pas être retardés par cette opération et donner aux soldats les moyens de s’emparer d’eux, d’autant plus que la myrrhe était tellement gluante et collée au corps et au linceul qu’il était fort difficile de le détacher du corps. Tout ce qu’on a dit sur ce vol prétendu n’a donc aucune vraisemblance, et tout ce que les Juifs ont amassé pour obscurcir le fait de la résurrection n’a servi qu’à le rendre plus éclatant, car, en publiant que les disciples ont enlevé le corps de Jésus, ils avouent que le corps n’était plus dans le sépulcre. Or, la crainte dont les Apôtres étaient remplis, et le soin avec lequel les soldats gardaient le tombeau démontrent l’impossibilité de cet enlèvement. — Remi. Mais si d’ailleurs les gardes dormaient, comment purent-ils voir qu’on avait enlevé le corps ? et, s’ils n’ont pu le voir, comment ont-ils pu servir de témoins ? Ils n’ont donc pu atteindre le but qu’ils se proposaient. — La Glose. Ils vont même au-devant de la crainte que les soldats auraient pu avoir que le gouverneur punit leur négligence, s’ils répandaient ce mensonge : " Et si cela vient à la connaissance du gouverneur, nous l’apaiserons et nous vous mettrons à couvert. " — S. Chrys. (hom. 90.) Voyez comme la corruption est générale : Pilate s’est laissé gagner, le peuple juif soulever et les soldats corrompre. " Et les soldats ayant reçu l’argent firent ce qu’on leur avait dit. " Puisque l’argent n, une telle force sur l’esprit d’un disciple que de lui faire trahir son divin Maître, ne soyez pas surpris de voir des soldats gagnés eux-mêmes à prix d’argent. — S. Hil. C’est à ce prix qu’on achète le silence sur la résurrection et le mensonge de l’enlèvement du corps, parce qu’en effet la gloire du monde, qui consiste dans l’estime et le désir de l’argent, est une négation de la gloire de Jésus-Christ.

RAB. De même que le crime du sang répandu, qu’ils ont appelé sur eux et sur leurs enfants, les accable du poids énorme de leurs péchés, ainsi ce mensonge qu’ils achètent, et qui a pour but de nier la vérité de la résurrection, les tient enchaînés dans les liens d’un crime qui dure à jamais : " Et ce bruit qu’ils répandirent se répète encore aujourd’hui parmi les Juifs. " — SÉV. (comme précéd.) Ce bruit s’est répandu parmi les Juifs, mais non parmi les chrétiens, car ce que les Juifs ont voulu obscurcir dans la Judée, à prix d’argent, la foi l’a fait briller du plus vif éclat dans tout l’univers. — S. Hil. Tous ceux qui font abus de l’argent du temple, ou de tout ce qui doit servir à l’usage de l’Église, pour satisfaire leurs désirs ou leurs passions, sont semblables aux scribes et aux prêtres qui achètent à prix d’argent le mensonge et le sang de Jésus-Christ.

 

vv. 16-20.

BÈDE. (hom. 1.) Après nous avoir rapporté comment l’ange vint annoncer la résurrection du Sauveur, saint Mathieu raconte comment le Seigneur se manifesta à ses disciples : " Or, les onze disciples s’en allèrent en Galilée, sur la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre, " car, lorsqu’il se dirigeait vers le lieu de sa mort, il avait dit à ses disciples " Après que je serai ressuscité, je vous précéderai en Galilée. " (Mt 26, Mc 14.) L’ange avait dit aussi aux femmes : " Annoncez à ses disciples qu’il vous précédera en Galilée. " C’est donc à un ordre de leur divin Maître que les disciples obéissent. L’Évangéliste ne compte avec raison que onze disciples qui vont pour adorer Jésus, car un d’eux avait péri, celui qui avait trahi son Seigneur et son Maître.

S. Jér. Après sa résurrection, Jésus se manifeste donc sur une montagne de Galilée, et il y est adoré malgré le doute de quelques-uns, doute qui sert à augmenter notre foi. " Et, le voyant, ils l’adorèrent, et quelques-uns néanmoins doutèrent. " — Remi. C’est ce que saint Luc explique plus clairement, car il rapporte que lorsque le Seigneur, après sa résurrection, apparut à ses disciples, ceux-ci, troublés et saisis de frayeur, s’imaginaient voir un esprit. — Rab. Le Sauveur apparaît à ses disciples sur une montagne, pour signifier que ce corps, qu’il avait pris en naissant, de la terre, origine commune de tous les hommes, avait été, par sa résurrection, élevé au-dessus de toutes les choses terrestres, et aussi pour apprendre aux fidèles que, pour contempler les sublimes mystères de sa résurrection, il faut s’efforcer de quitter les voluptés basses et charnelles et s’élever jusqu’aux désirs des choses du ciel. Or, Jésus précède ses disciples en Galilée, parce qu’il est ressuscité comme les premiers de ceux qui dorment (1 Co 16). Ceux qui appartiennent à Jésus-Christ viennent après lui, et passeront, chacun à son rang, de la mort à la vie, pour contempler la divinité dans sa propre nature ; et le mot Galilée, qui signifie révélation, confirme cette interprétation. — S. Aug. (De l’accord des Evang., 3, 24.) Mais comment le Seigneur a-t-il pu se manifester corporellement dans la Galilée, car il est certain que ce ne fut pas le jour même de sa résurrection, puisque ce jour-là, vers le commencement de la nuit, il se manifesta dans la ville de Jérusalem, comme saint Luc et saint Jean s’accordent à le dire. Ce ne fut pas non plus les huit jours suivants, puisque saint Jean rapporte qu’après ces huit jours, il apparut à Thomas, qui ne l’avait pas vu le jour de sa résurrection, à moins toutefois que l’on ne prétende que les onze dont il parle n’étaient point les onze qui portaient dès lors le nom d’Apôtres, mais que c’étaient onze disciples choisis dans le grand nombre de ceux qui avaient embrassé la doctrine de Jésus-Christ. Mais voici à cela une autre difficulté, lorsque saint Jean raconte que le Seigneur fut vu, non pas sur la montagne par les onze, mais sur les bords de la mer de Tibériade, par sept d’entre eux occupés à la pèche, il s’exprime ainsi : " Ce fut pour la troisième fois que Jésus se manifesta à ses disciples, " ce qu’il faut entendre du nombre, non des jours, mais des manifestations. Or si nous admettons que cette apparition aux onze disciples, quels qu’ils soient, eut lieu dans l’intervalle de ces huit jours, avant qu’il apparut à Thomas, l’apparition sur les bords du lac de Tibériade ne sera plus la troisième, mais la quatrième, et nous serons ainsi forcés d’admettre que ce fut tout à fait en dernier lieu que Jésus apparut aux onze sur la montagne de Galilée. Nous trouvons donc, dans les quatre Évangélistes, que le Seigneur s’est manifesté par dix fois différentes après sa résurrection : une première fois, aux femmes qui visitaient son tombeau ; une seconde fois, à ces mêmes femmes, lorsqu’elles revenaient de visiter le sépulcre ; la troisième fois, à Pierre ; la quatrième, à deux disciples qui allaient au bourg d’Emmaüs ; la cinquième, à plusieurs autres disciples, parmi lesquels ne se trouvait pas Thomas, dans la ville de Jérusalem, la sixième, à Thomas lui-même, au milieu des autres disciples ; la septième, près du lac de Tibériade ; la huitième, sur la montagne de Galilée, d’après saint Matthieu, la neuvième, au rapport de saint Marc, dans le dernier repas qu’il fit avec ses disciples, et après lequel il ne devait plus manger avec eux sur la terre, la dixième fois, non plus sur la terre, mais lorsqu’il s’élevait sur une nuée et montait ainsi au ciel, dernière manifestation que rapportent saint Marc et saint Luc. Mais tout ce qu’a fait Jésus n’a pas été écrit, comme le déclare saint Jean, car Jésus eut de fréquentes relations avec ses disciples, pendant les quarante jours qui précédèrent son ascension.

Remi. Les disciples, en voyant le Seigneur, le reconnurent aussitôt, et ils l’adoraient les yeux baissés vers la terre. C’est pourquoi ce bon et tendre Maître, pour faire disparaître toute incertitude de leurs cœurs, s’approcha d’eux et les fortifia dans la foi : " Et Jésus s’approchant, leur parla ainsi : Toute puissance m’a été donnée dans le ciel et sur la terre. " — S. Jér. Cette puissance a été donnée à celui qui venait d’être crucifié, enseveli dans le tombeau, et qui était ensuite ressuscité. — RAB. Il ne parle pas ici de sa divinité coéternelle au Père, mais de l’humanité qu’il avait prise, et selon laquelle il avait été mis un peu au-dessous des anges. — SEV. (ou S. Chrysolog., serm. 80.) Car le Fils de Dieu a communiqué au fils de la Vierge, Dieu à l’homme, la Divinité à la chair, ce qu’il possédait de toute éternité avec son Père. — S. Jér. Toute puissance lui est donnée dans le ciel et sur la terre, afin qu’il pût régner sur la terre, par la foi que les chrétiens auraient en lui, comme il règne dans le ciel. — Remi. Ce que le Psalmiste a prédit du Seigneur ressuscité : " Vous l’avez établi sur l’œuvre de vos mains, " le Sauveur se l’applique à lui-même dans ces paroles : " Toute puissance m’a été donnée dans le ciel et sur la terre. " Et il faut se rappeler ici qu’avant que le Seigneur fût ressuscité d’entre les morts, les anges savaient qu’ils étaient soumis au Christ fait homme. Or, Jésus-Christ voulant aussi faire connaître aux hommes que toute puissance lui avait été donnée dans le ciel et sur la terre, il envoya des prédicateurs pour annoncer la parole de vie à tous les peuples : " Allez donc, enseignez toutes les nations. " — BEDE. Lui qui, avant sa passion, leur avait dit : " Vous n’irez point dans la voie des nations, " (Mt 10) leur dit lorsqu’il est ressuscité des morts : " Allez, instruisez tous les peuples. " Que les Juifs soient donc confondus, eux qui prétendent que le Christ ne viendra seulement que pour le salut de leur nation. Que les donatistes rougissent, eux qui voulant renfermer Jésus-Christ dans un espace déterminé, ont osé dire qu’il n’était que dans l’Afrique, à l’exclusion des autres contrées de la terre.

S. Jér. Ils commencent par enseigner les nations, et c’est après les avoir enseignées qu’ils les baptisent dans l’eau ; car il est impossible que le corps reçoive le sacrement de baptême avant que l’âme ait reçu la vérité de la foi. " En les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, " afin qu’il n’y ait qu’une seule et même grâce, comme il n’y a entre eux qu’une seule et même divinité, puisque le nom de Trinité ne signifie qu’un seul Dieu. SEV. (ou S. Chrysolog., serm. 80.) C’est donc la même puissance qui répare et sanctifie toutes les nations qu’elle a créées et appelées à la vie.

DYDIME. (Du Saint-Esprit, liv. 2.) Il peut exister des hommes assez insensés, pour essayer de baptiser en omettant un de ces trois noms, contrairement à la loi portée par Jésus-Christ ; mais leur baptême sera sans effet, et ils ne pourront délivrer de leurs péchés ceux qu’ils auront cru baptiser de la sorte. Concluons de là combien la substance de la Trinité est indivisible, et que le Père est vraiment le Père du Fils, le Fils vraiment le Fils du Père, et l’Esprit saint réellement l’Esprit du Père et du Fils-Dieu, et aussi de la sagesse et de la vérité, c’est-à-dire du même Fils de Dieu. Voilà la foi qui sauve les fidèles, et l’économie de la discipline ecclésiastique trouve sa perfection dans cette auguste Trinité.

S. Hil. Que ne contient pas en effet ce sacrement de notre salut. Tout y est plein, tout y est parfait, comme venant de celui qui possède toute plénitude et toute perfection. Le nom de Père exprime la nature de la première personne ; mais elle est Père seulement, et ne doit pas à un autre, comme les hommes, d’être Père. Le Père n’a pas été engendré, il est éternel ; il a toujours en lui le principe qui le fait exister ; il n’est connu que du Fils, etc. Le Fils est engendré de celui qui ne l’a pas été, un de celui qui est un, vrai de celui qui est vrai, vivant de celui qui est vivant, parfait de celui qui est parfait, vertu de la vertu, sagesse de la sagesse, gloire de la gloire, image du Dieu invisible, figure du Père qui n’a pas été engendré. L’Esprit saint ne peut pas être séparé de la confession que nous faisons du Père et du Fils, et cette consolation de notre espérance ne nous fait défaut en aucune circonstance. C’est lui qui est le gage des promesses futures, par les opérations de ses dons, lui qui est la lumière de l’intelligence, lui qui est la splendeur des esprits. Les hérétiques, qui ne peuvent pas changer ces vérités, essaient de les expliquer d’une manière toute humaine. C’est ainsi que Sabellius étend la paternité jusqu’au Fils, et admet une distinction plutôt dans leurs noms divers que dans leurs personnalités différentes, reconnaissant lui-même à sa manière, un Père et un Fils, puisque, suivant lui, le Fils n’est autre que le Père. C’est ainsi qu’Ebion n’attribue d’autre origine à Jésus-Christ que celle qu’il tire de la Vierge Marie, et qu’il prétend que ce n’est pas l’homme qui vient de Dieu, mais Dieu qui vient de l’homme. C’est ainsi que les Ariens font sortir du néant et du temps l’image substantielle, la sagesse et la vertu de Dieu. Qu’y a-t-il d’étonnant qu’ils enseignent des erreurs multipliées sur l’Esprit saint, eux qui sont assez téméraires pour affirmer que le Fils, de qui il procède, a été soumis à la création et au changement,

S. Jér. Considérons ici l’ordre essentiel établi par Jésus-Christ ; il ordonne à ses disciples : premièrement, d’enseigner toutes les nations ; puis de les purifier dans le sacrement de la foi, et ensuite de leur apprendre ce qu’il faut observer après avoir embrassé la foi et reçu le baptême " Et leur apprenant à observer toutes les choses que je vous ai commandées. " — Rab. Car, de même qu’un corps sans âme est mort, ainsi la foi sans les oeuvres est morte — S. Chrys Comme il vient de leur faire des commandements d’une haute importance, il relève leur courage en ajoutant : " Et voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles, " paroles dont voici la signification : Ne dites pas que les commandements que je vous fais sont difficiles, car je suis avec vous, moi qui rend toutes choses légères. Et il leur promet d’être, non seulement avec eux, mais encore avec tous ceux qui croiront après eux, car les Apôtres ne devaient pas vivre jusqu’à la fin des siècles, et le Sauveur s’adresse à tous les fidèles comme à un seul corps. — Rab. Nous devons conclure de ces paroles, que, jusqu’à la fin du monde, il y aura toujours des hommes dignes d’être choisis de Dieu pour lui servir de demeure. — S. Chrys. (hom. 90.) Il leur rappelle la fin de toutes choses, pour les attirer plus fortement à lui, et leur faire jeter les yeux, non pas seulement sur les biens du temps, mais sur les biens futurs, qui doivent durer éternellement, et il semble leur dire : Les épreuves que vous aurez à supporter passeront avec cette vie, et le monde tout entier passera lui-même et sera détruit, tandis que les biens dont vous serez comblés dureront éternellement. — Bède. Mais comment le Sauveur a-t-il pu dire : " Voici que je suis avec vous, " alors qu’il dit dans un autre endroit : " Je m’en vais vers celui qui m’a envoyé ? " C’est que les attributs de la nature divine sont différents des propriétés de la nature humaine. Le Sauveur ira vers son Père par son humanité, et il restera avec ses disciples dans cette nature divine qui le rend l’égal de son Père. Dans ces paroles : " Jusqu’à la consommation des siècles, " il emploie le fini pour signifier l’infini, car il est évident que celui qui reste dans le siècle présent avec les élus, pour les protéger, demeurera éternellement avec eux après la fin du monde, pour les récompenser. — S. Jér. En promettant donc d’être avec ses disciples jusqu’à la consommation des siècles, il leur déclare qu’ils vivront toujours, et qu’il n’abandonnera jamais ceux qui croiront en lui.

S. Léon. (serm. sur la Paque.) Celui qui monte dans les cieux n’abandonne pas ceux qu’il a adoptés, et il les fortifie en leur inspirant la patience sur la terre, en même temps qu’il les appelle à la gloire. Que Jésus-Christ lui-même nous rende participants de cette gloire, lui qui est le Dieu béni dans tous les siècles des siècles.

Ainsi soit-il.