VOYAGE EN POLOGNE

 

Juin 1979

 

 

 

2 juin 1979

AVANT DE QUITTER ROME

 

Au moment de quitter le sol aimé d'Italie pour me diriger vers celui également aimé de la Pologne, j'ai la vivante impression que ce voyage se déroule comme entre deux patries et, presque par un contact physique, qu'il sert à les unir encore plus dans mon cœur. Je laisse ma patrie d'élection où la, volonté du Seigneur m'a appelé pour un singulier service pastoral et je me rends dans ma patrie d'origine que j'ai quittée il y a quelques mois ; c'est donc un retour, qui sera suivi sous peu d'un autre retour, après avoir parcouru un itinéraire qui — à l'exemple de mon précédent voyage au Mexique — s'inspire avant tout d'un motif religieux et pastoral.

 

En effet, c'est l'anniversaire du jubilé de saint Stanislas, évêque et martyr qui guide mes pas : son holocauste pour la foi, survenu il y a neuf siècles, s'inscrit — d'une façon égale au précédent et fondamental « Millénaire de la Pologne » — parmi les plus importants événements historico-religieux de ma terre natale, si bien que depuis longtemps il fut décidé de le commémorer par des célébrations solennelles et appropriées. Et moi qui avais déjà participé à la préparation d'un vaste programme d'animation spirituelle en vue d'une telle date, je ne pouvais manquer à ce rendez-vous avec les miens, et je suis d'autant plus reconnaissant de cette invitation à l’Épiscopat polonais, avec en premier lieu le primat cardinal Stefan Wyszynski.

 

S'il plaît à Dieu, je rejoindrai d'abord Varsovie, la glorieuse capitale autrefois si éprouvée et maintenant ressuscitée, laborieuse et palpitante de vie. Je visiterai ensuite Gniezno, la ville qui pour la nation polonaise fut le berceau de la foi chrétienne, parce que là fut baptisé le souverain Mieszko en 996, et qu'elle se distingue pour le culte envers le protecteur saint Wojciech ; ensuite le célèbre sanctuaire marial de Czestochowa ; et encore Cracovie, que par une affection immuable je continue à appeler « ma Cité » : antique capitale de la Pologne, elle fut le siège épiscopal du martyr Stanislas et pour moi, à côté de Wadowice, ville de ma jeunesse et champ d'un apostolat de trente ans. A Cracovie prend relief le motif, je dirai, personnel du présent voyage, parce que là je rencontrerai l'Église de laquelle je proviens.

 

Mais il s'y trouve aussi un motif international et à ce sujet, je désire rappeler le message si prévenant et délicat, qui m'est arrivé de la part du professeur Henryk Jablonsky, président du Conseil d'État de la république populaire de Pologne qui, également au nom du Gouvernement polonais a voulu m'exprimer la satisfaction de l'entière communauté nationale pour le « fils du peuple polonais » qui, appelé à la direction de l'Église universelle, se prépare à visiter la mère-patrie. Ce geste m'a été et reste encore un motif de grande satisfaction. Pour cela, je renouvelle ma plus sincère estime aux autorités de l'État polonais, tandis que je confirmé ce que j'ai exprimé dans ma lettre de réponse, c'est-à-dire mon attachement aux causes de la paix, de la coexistence et de la coopération entre les nattons ; le souhait que ma visite raffermisse l'unité intérieure parmi mes compatriotes très aimés et serve également à un ultérieur développement des rapports entre l'État et l'Église.

 

C'est avec ces sentiments et ces pensées que je me dispose à partir, emportant avec moi le vœu même de mon prédécesseur Paul VI. Je garde avec moi l'image de vos personnes, autorités et vous tous Messieurs qui, avec tant d'amabilité — dont je vous suis sincèrement reconnaissant — êtes venus me présenter vos salutations et vos vœux.

Par-dessus tout j'emporte avec moi le lien d'affection qui m'unit à la chère Italie et à ses citoyens.

 

 

 

2 juin 1979

A SON ARRIVEE A VARSOVIE

 

1. Je vous remercie vivement des salutations que vous venez de m'adresser, au début de mon séjour en Pologne. Je vous remercie de ce que vous avez voulu dire au sujet du Siège apostolique et aussi de ma personne. En vos mains, Monsieur le Présidence dépose l'expression de mon estime pour les autorités de l'État, et je renouvelle une fois encore mes sentiments de cordiale reconnaissance pour l'attitude bienveillante qui a été adoptée envers ma visite en Pologne, « patrie aimée de tous les Polonais », ma patrie.

 

Je voudrais rappeler ici encore une fois la lettre courtoise que j'ai reçue de vous en mars dernier, par laquelle vous avez voulu, en votre nom personnel et au nom du Gouvernement de la république populaire de Pologne, exprimer votre satisfaction pour le fait que « le fils de la nation polonaise appelé à la dignité suprême dans l'Église » désirait visiter la patrie. C'est avec gratitude que je rappelle ces paroles. En même temps, j'aime répéter ce que j'ai déjà fait connaître : que ma visite a été dictée par des motifs strictement religieux. Je souhaite vivement aussi que mon présent voyage en Pologne puisse servir la cause du rapprochement et de la collaboration entre les nations ; qu'il serve à la compréhension réciproque, à la réconciliation et à la paix dans le monde contemporain. Je désire enfin que le fruit de cette visite soit l'unité interne de mes compatriotes et aussi un développement ultérieur favorable des relations entre l'État et l'Église dans ma patrie tant aimée.

 

Éminentissime cardinal primat de Pologne,

 

Je vous remercie de vos paroles de bienvenue qui me sont particulièrement chères eu égard à la personne qui les a prononcées et aussi en pensant à l'Église en Pologne dont elles expriment les sentiments et les pensées.

 

Je voudrais répondre à ces paroles en vous servant selon le programme prévu, pendant ce séjour que la Providence divine et votre cordiale bienveillance me permettent de passer en Pologne.

 

Très chers frères et sœurs, chers compatriotes,

 

2. J'ai embrassé le sol polonais sur lequel j'ai grandi : la terre de laquelle — par un dessein insondable de la Providence — Dieu m'a appelé à la chaire de Pierre à Rome ; la terre sur laquelle j'arrive aujourd'hui en pèlerin.

 

Permettez-moi donc de m'adresser à vous pour vous saluer tous et chacun avec le même salut que j'ai adressé, le 16 octobre de l'année dernière, à tous ceux qui étaient présents sur la place Saint-Pierre : Loué soit Jésus-Christ !

 

3. Je vous salue au nom du Christ, comme j'ai appris à saluer les gens ici, en Pologne :

 

— en Pologne, ma terre natale, à laquelle je demeure profondément attaché par les racines de ma vie, de mon cœur, de ma vocation ;

 

— en Pologne, ce pays dans lequel, comme l'a écrit le poète Cyprien Norwid, « on recueille, par respect pour les dons du ciel, la moindre miette de pain tombée à terre... », où le premier salut est comme une permanente confession du Christ : « Loué soit Jésus-Christ !

 

— en Pologne qui, par son histoire millénaire, appartient à l'Europe et à l'humanité contemporaine ;

 

— en Pologne qui s'est attachée tout au long de son histoire à l'Église du Christ et au siège romain par un lien particulier d'union spirituelle.

 

4. Oh, frères et sœurs très aimés, oh, chers compatriotes !

 

J'arrive vers vous en tant que fils de cette terre, de cette nation, en en même temps — par un dessein insondable de la Providence — comme successeur de saint Pierre sur le siège de Rome.

 

Je vous remercie de ne pas m'avoir oublié et de ne pas cesser, depuis le jour de mon élection, de m'aider par vos prières, en me manifestant en même temps tant de bienveillance humaine.

 

Je vous remercie de m'avoir invité.

 

Je salue et j'embrasse avec affection tout homme qui vit sur la terre polonaise.

 

Je salue aussi tous les hôtes qui sont venus de l'extérieur pour ces journées et d'une manière particulière les représentants de l’émigration polonaise du monde entier.

 

5. Quels sentiments ne suscitent pas dans mon cœur la mélodie et les paroles de l'hymne national (que nous venons d'écouter avec tout le respect qui convient !). Je vous remercie parce que ce Polonais, qui vient aujourd'hui « de la terre italienne à la terre polonaise » (hymne national polonais), est accueilli au seuil de son pèlerinage en Pologne par cette mélodie et par ces paroles dans lesquelles s'est toujours exprimée l'inlassable volonté de la nation de vivre : « tant que nous vivons » (hymne national polonais).

 

Je désire que mon séjour en Pologne contribue à renforcer cette inlassable volonté de mes compatriotes de vivre sur la terre qui est notre commune mère et notre commune patrie. Qu'il serve au bien de tous les Polonais, de toutes les familles polonaises, de la nation et de l'État.

 

Puisse ce séjour, je veux le répéter encore une fois, être bénéfique pour la grande cause de la paix, pour la coexistence amicale des nations et pour la justice sociale.

 

 

 

2 juin 1979

A VARSOVIE : A LA CATHEDRALE

 

Loué soit Jésus-Christ !

 

1. Au commencement de mon pèlerinage à travers la Pologne, je salue l'Église de Varsovie rassemblée dans sa cathédrale : je salue la capitale et l'archidiocèse.

 

Je salue cette Église dans la personne de son évêque, le primat de Pologne.

 

Saint Ignace d'Antioche avait déjà célébré l'unité que l'Église trouve dans son évêque. La doctrine de ce grand Père apostolique et de ce grand martyr est passée dans la Tradition. Elle a eu une résonance ample et puissante dans la constitution Lumen Gentium du concile Vatican II.

 

Cette doctrine a trouvé une magnifique application ici précisément : à Varsovie, dans l'Église de Varsovie. D'une telle unité, le cardinal primat est devenu une clé de voûte particulière. La clé de voûte est ce qui structure l'arc, ce qui reflète la force des fondements de l'édifice. Le cardinal primat manifeste la force du fondement de l'Église qui est Jésus-Christ. C'est en cela que consiste sa force. Le cardinal primat enseigne, depuis plus de trente ans, que cette force, il la doit à Marie, Mère du Christ. Tous, nous savons bien que grâce à Marie on peut faire resplendir la force de ce fondement, qui est le Christ et que l'on peut devenir efficacement clé de voûte de l'Église.

 

Voilà ce que nous enseignent la vie et le ministère du primat de Pologne.

 

C'est lui la clé de voûte de l'Église de Varsovie et la clé de voûte de toute l'Église de Pologne. En cela consiste la mission providentielle qu'il remplit depuis plus de trente ans. Je veux le dire, en ce début de mon pèlerinage, ici, dans la capitale de la Pologne, et je désire encore une fois, avec toute l'Église et la nation, en remercier la très Sainte Trinité. L'Église, en effet, dans toutes ses dimensions dans le temps et dans l'espace, dans ses dimensions géographiques et historiques, tire son unité de l'unité du Père, du Fils et de l'Esprit, comme nous l'a rappelé encore le Concile (Lumen Gentium, n. 4).

 

2. C'est donc au nom de la très Sainte Trinité que je désire saluer tous ceux qui forment cette Église dans la communion de leur évêque, le primat de Pologne. Les évêques : le vétéran, Mgr Wenceslas, Mgr Georges, Mgr Bronislas, secrétaire de la conférence épiscopale polonaise, Mgr Ladislas et Mgr Sbigniew, le chapitre métropolitain, tout le clergé diocésain et religieux, les sœurs de toutes les congrégations, le séminaire, l'institution académique ecclésiastique, qui est la continuation de la faculté de théologie de l'université de Varsovie.

 

Je désire aussi — en union avec l'archevêque de l'Église de Varsovie — regarder et embrasser de la manière la plus totale toute la communauté du peuple de Dieu représenté par presque trois millions de laïcs.

 

L'Église est présente « dans le monde » grâce aux laïcs. Je désire donc vous embrasser, vous tous qui formez l'Église pérégrinante ici même, en terre polonaise, à Varsovie, en Masovie.

 

Vous, pères et mères de famille, vous qui êtes seuls, vous, personnes âgées, vous, jeunes et enfants !

 

Vous qui travaillez la terre, qui travaillez dans l'industrie, dans les bureaux, dans les écoles, dans les athénées, dans les hôpitaux, dans les instituts culturels, dans les ministères et en quelque lieu que ce soit. Hommes de toutes les professions qui construisez par votre travail la Pologne contemporaine, héritage aimé, héritage qui n'est pas facile, grande responsabilité ; « grand devoir communautaire » pour nous Polonais, la patrie (C.K. Norwid).

 

Vous tous qui êtes en même temps l'Église, cette Église de Varsovie. Vous qui confirmez le droit de cité millénaire de cette Église dans la vie actuelle de la capitale, de la nation, de l'État.

 

3. En union avec l'Église archidiocésaine, je salue aussi tous les évêques suffragants du métropolitain de Varsovie, les Ordinaires de Lodz, de Sandomierz, de Lublin, de Siedice, de Warmia et de Plock, leurs évêques auxiliaires et les représentations des diocèses.

 

4. La cathédrale de Varsovie, dédiée à saint Jean Baptiste, a été presque complètement détruite pendant l'insurrection. Celle dans laquelle nous nous trouvons est un édifice totalement nouveau. C'est aussi un signe de vie nouvelle, polonaise et catholique, qui trouve son centre dans la cathédrale. C'est le signe de ce que le Christ a dit autrefois : Détruisez ce temple et, en trois jours. Je le rebâtirai (Jn 2, 19).

 

Frères et sœurs très aimés !

 

Chers compatriotes !

 

Vous savez que je viens ici, en Pologne, pour le neuvième centenaire du martyre de saint Stanislas. Il est, entre autres, le patron principal de l’archidiocèse de Varsovie. C'est donc ici, à Varsovie, que je commence à le vénérer, au cours de la première étape de mon pèlerinage jubilaire.

 

Lui qui était autrefois évêque de Cracovie (qui a été durant tant de siècles la capitale de la Pologne), il semble qu'il ait dit de lui-même au roi Boleslas : « Détruis cette Église et le Christ, au long des générations — la reconstruira. » Et il le dit « du temple de son corps » (Jn 2, 21).

 

C'est sous ce signe de la construction nouvelle et de la vie nouvelle, qui est le Christ et qui vient du Christ, que je vous rencontre aujourd'hui, bien-aimés, et je vous salue en tant que premier pape issu de la souche polonaise, au seuil du second millénaire du baptême et de l'histoire de la nation. :

 

« Le Christ... ne meurt pas, sur lui, la mort n'a plus de pouvoir » (Rm 6, 9).

 

 

 

2 juin 1979

A VARSOVIE : AUX AUTORITES CIVILES

 

Messieurs,

 

Monsieur le Premier Secrétaire,

 

1. « Une Pologne prospère et sereine sert aussi l'intérêt dé la tranquillité et de la bonne collaboration entre les peuples d'Europe. » Je me permets de commencer par ces paroles prononcées par l'inoubliable Paul VI dans sa réponse à votre discours, Monsieur le Premier Secrétaire, pendant votre rencontre au Vatican le 1er décembre 1977 (O.R. du 2 décembre 1977). Je suis convaincu que ces paroles constituent le meilleur point de départ pour ma réponse à votre discours d'aujourd'hui que nous avons tous écouté avec la plus profonde attention. En vous répondant, je désire cependant avant tout vous remercier de toutes les paroles bienveillantes adressées aussi bien au Siégé apostolique qu'à moi-même. J'y ajoute aussi un remerciement aux Autorités d'État de la république populaire de Pologne pour leur attitude si aimable face à l'invitation de l’épiscopat polonais qui exprime la volonté de la société catholique de notre patrie et qui m'ont aussi ouvert pour leur part les portes de la terre natale. Je renouvelle mes remerciements, et je les étends en même temps, en ayant présent à l'esprit tout ce dont je suis devenu débiteur, aux divers organes des Autorités centrales et locales, étant donné leur contribution à la préparation et à la réalisation de cette visite.

 

2. En passant le long des rues dé Varsovie, si chère à tous les cœurs polonais, je ne pouvais résister à l'émotion en pensant à l'itinéraire historique, grand mais aussi douloureux, que cette cité a parcouru au service tout à la fois de l'histoire et de notre nation. Les boucles les plus remarquables de ce parcours constituent le palais du Belvédère et surtout le château royal qui est en reconstruction. Ce dernier possède une éloquence vraiment particulière. Les siècles y parlent de l'histoire de la patrie, depuis que la capitale de l'État a été transférée de Cracovie à Varsovie. Siècles particulièrement difficiles et particulièrement chargés de responsabilités. Je veux exprimer ma joie, bien plus, je veux exprimer mes remerciements pour tout cela et pour ce que le château représente, lui qui a été réduit en ruines — comme presque tout Varsovie — pendant l'insurrection et qui se reconstruit rapidement comme un symbole de l'État et de la souveraineté de la patrie.

 

Ce fait que la raison d'être de l'État est la souveraineté de la société, de la nation, de la patrie, nous autres Polonais, nous le ressentons de manière particulièrement profonde. Nous l'avons longuement appris tout au cours de notre histoire et spécialement à travers les dures épreuves historiques des derniers siècles. Nous ne pouvons jamais oublier la terrible leçon historique qu'a été la perte de l'indépendance de la Pologne depuis la fin du XVIII° siècle jusqu'au début de celui-ci. Cette expérience douloureuse et, dans son essence, négative, est devenue comme un creuset où s'est forgé à nouveau le patriotisme polonais. Le mot « Patrie » a pour nous une telle signification, intellectuelle et en même temps affective, qu'on dirait que les autres nations de l'Europe et du monde ne la connaissent pas, particulièrement celles qui n'ont pas expérimenté, comme notre nation, les ravages, les injustices et les menaces de l'histoire. Et c'est pourquoi la dernière guerre mondiale et l'occupation que la Pologne a vécue furent pour notre génération une si grande secousse encore maintenant que la guerre est finie sur tous les fronts depuis trente-cinq ans. A ce moment, une nouvelle période de l'histoire de notre patrie a commencé. Nous ne pouvons pas cependant oublier tout ce qui a influé sur les expériences de la guerre et de l'occupation ; nous ne pouvons pas oublier le sacrifice de leur vie qu'ont fait tant d'hommes et de femmes de Pologne. Nous ne pouvons pas non plus oublier l'héroïsme du soldat polonais qui a combattu sur tous les fronts du monde « pour notre liberté et pour la vôtre ».

 

Nous avons du respect et de la reconnaissance pour toute aide que nous avons alors reçue des autres, tandis que nous pensons avec amertume aux déceptions qui ne nous ont pas été épargnées.

 

3. Dans les télégrammes et dans les lettres que les plus hauts représentants des Autorités d'État polonaises ont daigné m'envoyer, soit à l'occasion de l'inauguration du pontificat, soit à celle de l'actuelle invitation, revenait la pensée de la paix, de la vie en commun, du rapprochement entre les nations dans le monde contemporain. Le désir exprimé dans cette pensée a évidemment un profond sens éthique. Derrière lui se trouve aussi l'histoire de la science polonaise, à commencer par Paul Wlodkowic. La paix et le rapprochement entre les peuples ne peuvent se construire que sur le principe du respect des droits objectifs de la nation, qui sont : le droit à l'existence, à la liberté, à être un sujet socio-politique et le droit aussi à la formation de sa propre culture et de sa propre civilisation.

 

Je me permets encore une fois de répéter les paroles de Paul VI qui, dans la rencontre inoubliable du 1er décembre 1977, s'est exprimé en ces termes : « ... Nous ne nous lasserons jamais de travailler encore et toujours, dans la mesure où nos possibilités nous le permettront, à ce que les conflits entre les nations n'éclatent pas ou soient équitable-ment résolus, et pour que soient assurées et améliorées les bases indispensables permettant aux pays et aux continents de vivre ensemble dans la paix, notamment : un ordre économique mondial plus juste, l'abandon de la course à des armements toujours plus menaçants, en particulier les armements nucléaires, comme préparation à un désarmement progressif et équilibré ; le développement de meilleurs rapports économiques, culturels et humains entre les peuples, les individus et les groupes associés » (L'Osservatore romano, 2 décembre 1977, p. 2).

 

Dans ces paroles s'exprime ta doctrine sociale de l'Église qui, donne toujours son appui au progrès authentique et au développement pacifique de l'humanité ; c'est pourquoi — tandis que toutes les formes du colonialisme politique, économique et culturel demeurent en contradiction avec les exigences de l’ordre international — il faut apprécier toutes les alliances et les pactes qui se fondent sur le respect réciproque et sur la reconnaissance du bien de chaque nation et de chaque État dans le système des relations réciproques. Il est important que les nattons et les État, s'unissant entre eux pour une collaboration volontaire et conforme à ce but, trouvent en même temps dans cette collaboration l'accroissement de leur bien-être et de leur prospérité. C'est précisément un tel système de relations internationales et de telles résolutions entre chacun des États que souhaite le Siège apostolique au nom des principes fondamentaux de la justice et de la paix dans le monde contemporain.

 

4. L'Église désire servir aussi les hommes dans la dimension temporelle de leur vie et de leur existence. Étant donné que cette dimension se réalise à travers l'appartenance de l'homme à diverses communautés — nationales et d'État, et donc en même temps sociales, politiques, économiques et culturelles — l'Église redécouvre continuellement sa propre mission par rapport a ces secteurs delà vie et de l'action de l'homme. La doctrine du concile Vatican II et des derniers papes le confirme.

 

En établissant un contact religieux avec l'homme, l'Église le fortifie dans ses liens sociaux naturels. L'histoire de la Pologne a confirmé d'une manière éminente que, dans notre patrie, l'Église a toujours cherché, par diverses voies, a former des fils et des .filles de valeur pour la nation, de bons citoyens et des travailleurs utiles et créateurs dans les divers domaines de la vie Sociale, professionnelle, culturelle. Et cela découle de la mission fondamentale de l'Église qui a toujours et partout l'ambition de rendre l'homme meilleur, plus conscient de sa dignité, plus dévoué à ses engagements familiaux, sociaux, professionnels, patriotiques. De rendre l'homme plus confiant, plus courageux, conscient de ses droits et de ses devoirs, socialement responsable, créateur et utile.

 

Pour cette activité, l'Eglise ne désire pas de privilèges, mais seulement et exclusivement ce qui est indispensable à l'accomplissement dé sa mission. Et c'est dans cette direction qu'est orientée l'activité de l'épiscopat, conduit depuis déjà plus de trente années par un homme d'une intelligence inhabituelle, le cardinal Stefan Wyszynski, primat de Pologne. Si le Siège apostolique cherche un accord en ce domaine avec les autorités de l'État, il a bien consciente que, outre les motifs concernant la mise en place dès conditions d'une activité intégrale de l'Église, un tel accord correspond aux raisons historiques de la nation dont les fils et les filles, dans leur très grande majorité, sont fils et filles de l'Église catholique. A la lumière de ces prémisses indubitables, nous voyons un tel accord comme un des éléments de l'ordre éthique et international dans l'Europe et dans le monde contemporain, ordre qui provient du respect des droits des nations et des droits de l'Homme. Je me permets donc d'exprimer l'opinion qu'on ne peut pas abandonner les efforts et les recherches dans cette direction.

 

5. Je me permets aussi d'exprimer ma joie pour tout le bien auquel participent mes compatriotes qui vivent dans notre patrie, de quelque nature que soit ce bien et de quelque inspiration qu'il provienne. La pensée qui engendre le Vrai bien doit porter sur elle un signe de vérité.

 

Ce bien que constitue tout succès à venir, je désire le souhaiter à la Pologne en très grande abondance et dans tous les secteurs de la vie. Permettez, Messieurs, que je continue à considérer ce bien comme mien et que je ressente la part que j'y prends aussi profondément que si j'habitais encore cette terre et comme si j'étais encore citoyen de cet État.

 

Et avec la même intensité, peut-être même avec une intensité encore accrue par la distance, je continuerai à ressentir dans mon cœur tout ce qui pourrait menacer la Pologne, ce qui pourrait lui nuire, ce qui pourrait lui porter préjudice, c'est-à-dire tout ce qui pourrait signifier une stagnation ou une crise.

 

Permettez-moi de continuer à sentir ainsi, à penser ainsi, à former ces souhaits et de prier à cette intention.

 

C'est un fils de la même patrie qui vous parle.

 

Est particulièrement proche de mon cœur tout ce qui exprime la sollicitude pour le bien et pour la consolidation de la famille, pour la santé morale de la jeune génération.

 

Messieurs,

 

Monsieur le Premier Secrétaire,

 

Je désire vous renouveler, encore une fois en finissant un cordial remerciement et vous exprimer mon estime pour toutes vos préoccupations ayant pour but le bien commun de nos compatriotes et l'importance qui revient à la Pologne dans la vie internationale, J'ajoute l'expression de ma considération envers vous tous, distingués représentants des Autorités, et envers chacun, d'entre vous en particulier, selon la fonction que vous exercez et selon la dignité que, vous revêtez, comme aussi selon la part importante de responsabilité qui pèse sur chacun de vous devant l'Histoire et devant sa propre conscience.

 

 

 

2 juin 1979

A VARSOVIE : L'HOMELIE PLACE DE LA VICTOIRE

 

Chers compatriotes, Frères et sœurs très chers,

 

Vous tous qui participez au Sacrifice eucharistique que nous célébrons aujourd'hui à Varsovie, sur la place de la Victoire.

 

1. Avec vous, je voudrais chanter un hymne de louange à la divine Providence qui me permet de me trouver ici en qualité de pèlerin.

 

Nous savons que Paul VI, récemment disparu — premier pape pèlerin depuis tant de siècles — désirait ardemment fouler le sol polonais et en particulier venir à Jasna Gora (Clair-Mont). Jusqu'à la fin de sa vie, il a conservé ce désir dans son cœur et il est descendu dans la tombe avec lui. Et nous sentons maintenant que ce désir — si puissamment et si profondément enraciné qu'il a survécu à son pontificat — se réalise aujourd'hui et d'une façon que l'on pouvait difficilement prévoir. Remercions donc la divine Providence d'avoir donné à Paul VI un désir aussi fort. Et remercions-la pour ce style de pape-pèlerin qu'il a instauré avec le concile Vatican II. En effet, lorsque l’Église entière eut pris conscience d'une manière renouvelée d'être le peuple de Dieu, un peuple qui participe à la mission du Christ, un peuple qui traverse l'histoire avec cette mission, un peuple « en marche », le pape ne pouvait plus rester prisonnier du Vatican. Il devait devenir à nouveau le Pierre pérégrinant, comme le premier du nom qui, de Jérusalem et en passant par Antioche, était arrivé à Rome pour y donner au Christ un témoignage scellé de son propre sang.

 

Ce désir du défunt pape Paul VI, il m'est donné aujourd'hui de l'accomplir parmi vous, très chers fils et filles de ma patrie. En effet, lorsque — par un dessein insondable de la divine Providence, après la mort de Paul VI et le bref pontificat d'à peine quelques semaines de mon prédécesseur immédiat Jean Paul Ier — je fus appelé, par le vote des cardinaux, de la chaire de Saint-Stanislas à Cracovie à celle de Saint-Pierre à Rome, j'ai compris immédiatement qu'il était de mon devoir d'accomplir ce vœu, cette année où l'Église en Pologne célèbre le IXe centenaire de la mort de saint Stanislas, n'est-il pas un signe particulier de notre pèlerinage polonais à travers l'histoire de l'Église, non seulement au long des routes de notre patrie mais aussi au long de celles de l'Europe et du monde ? Laissant de côté ma propre personne, je n'en dois pas moins me poser avec vous tous la question concernant le motif pour lequel c'est justement en 1978 (après tant de siècles, d'une tradition bien établie dans ce domaine) qu'a été appelé sur la chaire de Saint-Pierre un fils de la nation polonaise, de la terre polonaise. Le Christ exigeait de Pierre et des autres Apôtres qu'ils fussent ses « témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre » (Ac 1, 8). En nous référant donc à ces paroles du Christ, n'avons-nous pas le droit de penser que la Pologne est devenue, en notre temps, une terre d'un témoignage particulièrement lourd de responsabilité ? Que d'ici précisément — de Varsovie et aussi de Gniezno, de Jasna Gora, de Cracovie, de tout cet itinéraire historique que j'ai, tant de fois parcouru dans ma vie et que je suis heureux de parcourir à nouveau ces jours-ci — il faut annoncer le Christ avec une singulière humilité, mais aussi avec conviction. Que c'est précisément ici qu'il faut venir, sur cette terre, sur cet itinéraire, pour relire le témoignage de sa croix et de sa résurrection. Mais si nous acceptons tout ce que je viens d'oser affirmer, combien grands sont les devoirs et les obligations qui en découlent ! Sommes-nous capables d'y répondre ?

 

2. Il m'est donné aujourd'hui, en cette première étape de mon pèlerinage papal en Pologne, de célébrer le Sacrifice eucharistique à Varsovie, sur la place de la Victoire. La liturgie de ce samedi soir, veille de la Pentecôte, nous transporte au Cénacle de Jérusalem, où les Apôtres — réunis autour de Marie, Mère du Christ — recevront, le jour suivant, l’Esprit-Saint. Ils recevront l'Esprit que le Christ, à travers sa croix, a obtenu pour eux afin que dans la force de cet Esprit ils puissent accomplir son commandement. « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du fils, et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit » (Mt 28, 19-20). Par ces paroles, le Christ Seigneur, avant de quitter ce monde, à transmis aux Apôtres son ultime recommandation, son « mandat missionnaire ». Et il a ajouté : « Et moi, je suis avec vous pour toujours jusqu'à la fin du monde » (Mt 28, 20).

 

C'est une bonne chose que mon pèlerinage en Pologne, à l'occasion du IXe centenaire du martyre de saint Stanislas, tombe dans la période de la Pentecôte, et en la solennité de la Sainte Trinité. Je puis ainsi, accomplissant le désir posthume de Paul VI, vivre encore une fois le millénaire du baptême en la terre polonaise et inscrire le jubilé de saint Stanislas de cette année dans ce millénaire qui rappelle le début de l’histoire de la nation et de l'Église. Et justement la solennité de la Pentecôte et celle de la Sainte Trinité nous rapprochent de ce commencement. Dans les Apôtres qui reçoivent l'Esprit-Saint au jour de la Pentecôte sont déjà en quelque sorte spirituellement présents tous leurs successeurs, tous tes évoques, y compris ceux qui ont eu la charge, depuis mille ans, d'annoncer l'Évangile en terre polonaise. Y compris ce Stanislas Szczepanow qui a payé de son sang la mission sur la chaire de Cracovie il y a neuf siècles.

 

Et ce ne sont pas seulement les représentants des peuples et des langues énumérés par le livre des Actes des Apôtres qui sont réunis le jour de la Pentecôte en ces Apôtres et autour d'eux. Déjà alors se trouvent rassemblés autour d'eux divers peuples et nations qui, par la lumière de l'Évangile et la force de l'Esprit-Saint, entreront dans l'Église au cours des époques et des siècles. Le jour de la Pentecôte est le jour de la naissance de la foi et de l'Église en notre terre polonaise aussi. C'est le début de l'annonce des merveilles du Seigneur, en notre langue polonaise aussi. C'est le début du christianisme dans la vie de notre nation aussi : dans son histoire, dans sa culture, dans ses épreuves.

 

3a. L'Église à apporté à la Pologne le Christ, c'est-à-dire la clef permettant de comprendre cette grande réalité, cette réalité fondamentale qu'est l'homme. On ne peut en effet comprendre l'homme à fond sans le Christ. Ou plutôt l'homme n'est pas capable de se comprendre lui-même à fond sans le Christ. Il ne peut saisir ni ce qu'il est, ni quelle est sa vraie dignité, ni quelle est sa vocation, ni son destin final. Il ne peut comprendre tout cela sans le Christ.

 

C'est pourquoi on ne peut exclure le Christ de l'histoire de l'homme en quelque partie que ce soit du globe, sous quelque longitude ou latitude géographique que ce soit Exclure le Christ de l'histoire de l'homme est un acte contre l'homme. Sans lui, il est impossible de comprendre l'histoire de la Pologne et surtout l'histoire des hommes qui sont passés ou passent par cette terre. L'histoire des hommes. L'histoire de la nation est surtout l'histoire des hommes. Et l'histoire de chaque homme se déroule en Jésus-Christ. En lui, elle devient l'histoire du salut.

 

L'histoire de la nation doit être jugée en fonction déjà contribution qu'elle a apportée au développement de l'homme et de l'humanité, à l'intelligence, au cœur, à la conscience. C'est là le courant le plus profond de la culture. Et c'est son soutien le plus solide. Sa moelle épinière, sa force, Il n'est pas possible de comprendre et d'évaluer, sans le Christ, l'apport de la nation polonaise au développement de l'homme et de son humanité dans le passé, et son apport également aujourd'hui. « Ce vieux chêne a poussé ainsi, et aucun vent ne l'a abattu parce que sa racine est le Christ » (Piotr Skarga, Kazania Sejmowe, Biblioteka Narodowa, 1, 70, p. 92). Il faut marcher sur les traces de ce que fût (ou plutôt de qui fut) le Christ, au long des générations, pour les fils et les filles de cette terre. Et cela, non seulement pour ceux qui ont cru ouvertement en lui et l'ont professé avec la foi de l'Église, mais aussi pour ceux qui étaient apparemment loin, hors de l'Église. Pour ceux qui doutaient ou s'opposaient.

 

3b. S’il est juste de saisir l'histoire de la nation à travers l'homme, chaque homme de cette nation, en même temps on ne peut comprendre, l'homme en dehors de cette communauté qu'est la nation. Il est naturel qu'elle ne soit pas l'unique communauté ; toutefois, elle est une communauté particulière, peut-être la plus intimement liée à la famille la plus importante pour l'histoire spirituelle de l'homme. Il n'est donc pas possible de comprendre sans le Christ l'histoire de la nation polonaise — de cette grande communauté millénaire — qui décide si profondément de moi et de chacun de nous. Si nous refusons cette clef pour la compréhension de notre nation, nous nous exposons à une profonde équivoque. Nous ne nous comprenons plus nous-mêmes. Il est impossible de saisir sans le Christ cette nation au passé si splendide et en même temps si terriblement difficile. Il n'est pas possible de comprendre cette ville, Varsovie, capitale de la Pologne, qui en 1944 s'est décidée à une bataille inégale avec l'agresseur, à une bataille dans laquelle elle a été abandonnée par les puissances alliées, à une bataille dans laquelle elle a été ensevelie sous ses propres ruines — si on ne se rappelle pas que sous ces mêmes ruines il y avait aussi le Christ Sauveur avec sa croix qui se trouve devant l'église à Krakowskie Przedmiescie. Il est impossible de comprendre l'histoire de la Pologne, de Stanislas en Skalka à Maximilien Kolbe à Auschwitz, si on ne leur appliqueras encore ce critère unique et fondamental qui porte le nom de Jésus-Christ.

 

Le millénaire du baptême de la Pologne dont saint Stanislas est le premier fruit mûr — le millénaire du Christ dans notre hier et notre aujourd'hui — est le motif principal de mon pèlerinage, de ma prière d'action de grâces avec vous tous, chers compatriotes auxquels Jésus-Christ ne cesse d'enseigner la grande cause de l'homme, avec vous pour lesquels Jésus-Christ ne cesse d'être un livre toujours ouvert sur l'homme, sur s'a dignité, sur ses droits, et en même temps un livre de science sur la dignité et sur les droits de la nation.

 

Aujourd'hui, sur cette place de la Victoire, dans la capitale de la Pologne, je demande, à travers la grande prière eucharistique avec vous tous, que le Christ ne cesse pas d'être pour nous un livre ouvert de la vie pour l'avenir. Pour notre demain polonais.

 

4, Nous nous trouvons devant le tombeau du soldat inconnu. Dans l'histoire de la Pologne — ancienne et contemporaine — ce tombeau a un fondement et une raison d'être particuliers. En combien de lieux de la terre natale n'est-il pas tombé, ce soldat ! En combien de lieux de l'Europe et du monde n'a-t-il pas crié, par sa mort, qu'il ne peut y avoir d'Europe juste sans l'indépendance de la Pologne, marquée sur les cartes de géographie ! Sur combien de champs de bataille n'a-t-il pas témoigné des droits de l'homme, profondément gravés dans les droits inviolables du peuple, en tombant pour « nôtre liberté et la vôtre » !

 

« Où sont leurs tombes, ô Pologne ? Où ne sont-elles pas ! Tu le sais mieux que tous, et Dieu le sait au ciel » (A. Oppman, Pacierz za zmarlych).

 

Je veux m'agenouiller près de cette tombe pour vénérer chaque semence qui, tombant en terre et y mourant, porte des fruits. Ce sera la semence du sang du soldat versé sur le champ de bataille ou le sacrifice du martyr dans les camps de concentration ou dans tes prisons. Ce sera la semence du dur travail quotidien, la sueur au front, dans le champ, l'atelier, la mine, les fonderies et les usines. Ce sera la semence d'amour des parents qui ne refusent pas de donner la vie à un nouvel homme et assument le devoir de rééduquer. Ce sera la semence du travail créateur dans les universités, les instituts supérieurs, les bibliothèques, les chantiers de la culture nationale. Ce sera la semence de la prière, de l'assistance aux malades, à ceux qui souffrent ou sont abandonnés : « Tout ce qui constitue la Pologne».

 

Tout cela dans les mains de la Mère de Dieu — au pied de la croix sur le Calvaire et au Cénacle de la Pentecôte !

 

Tout cela : l'histoire de la patrie formée pendant un millénaire par les générations successives — y compris la présente et la future — par chacun de ses fils et de ses filles, même anonymes et inconnus comme ce soldat devant le tombeau duquel nous nous trouvons en ce moment...

 

Tout cela, même l'histoire des peuples qui ont vécu avec nous et parmi nous, comme ceux qui sont morts par centaines de milliers entre les murs du ghetto de Varsovie.

 

Tout cela, je l'embrasse par la pensée et par le cœur en cette Eucharistie, et je l'inclus dans cet unique saint Sacrifice du Christ, sur la place de la Victoire.

 

Et je crie, moi, fils de la terre polonaise, et en même temps que moi, le pape Jean Paul II, je crie du plus profond de ce millénaire, je crie à la veille de la Pentecôte :

 

Que descende ton Esprit !

 

Que descende ton Esprit !

 

Et qu'il renouvelle la face de la terre, de cette terre !

 

Amen.

 

 

 

3 juin 1979

A VARSOVIE : A LA JEUNESSE UNIVERSITAIRE

 

Mes très chers !

 

1. Je désire ardemment que notre rencontre d'aujourd'hui marquée par la présence de la jeunesse universitaire corresponde à la grandeur de cette journée et de sa liturgie.

 

La jeunesse universitaire de Varsovie et celle des autres sièges universitaires de cette région centrale et métropolitaine est l'héritière de traditions spécifiques qui, au travers des générations, remontent aux « écoliers » du Moyen Age surtout ceux de l'université Jagellonica, la plus ancienne de la Pologne. Aujourd'hui chaque grande ville de Pologne a son université. Et Varsovie en a de nombreuses. Celles-ci voient la concentration de milliers d'étudiants qui se forment en différentes branches de la science et se préparent à des professions intellectuelles et à des tâches particulièrement importantes dans la vie de la nation.

 

Je désire vous saluer tous, vous qui êtes réunis ici. Je désire en même temps saluer en vous et par vous tout le monde universitaire et académique polonais : tous les instituts supérieurs, les professeurs, les chercheurs, les étudiants... Je vois en vous, en un certain sens, mes collègues plus jeunes, car moi aussi je dois à l'université polonaise les bases de ma formation intellectuelle. J'ai été régulièrement lié aux bancs du travail universitaire de la faculté de philosophie et de théologie de Cracovie et de Lublin. La pastorale des universités a été de ma part l'objet d'une prédilection particulière. Je désire donc, saisissant cette occasion, saluer également tous ceux qui se consacrent à cette pastorale, les groupes des assistants spirituels de la jeunesse académique et la commission pour la pastorale universitaire de l'épiscopat polonais.

 

2. Nous nous rencontrons aujourd'hui en la fête de la Pentecôte. Devant les yeux de notre foi s'ouvre le cénacle de Jérusalem, d'où est sortie l'Église et dans lequel l'Église demeure toujours. C'est exactement là que l'Église est née comme communauté vivante du peuple de Dieu, comme communauté consciente de sa mission propre dans l'histoire de l'homme.

 

L'Église prie en ce jour « Viens Esprit-Saint », remplis les cœurs de tes fidèles et allume en eux le feu dé ton amour ! (liturgie de la Pentecôte) : paroles si souvent répétées, mais qui résonnent aujourd'hui avec une ardeur, particulière.

 

Remplis les cœurs ! Pensez, jeunes amis, à la mesure du cœur humain, si Dieu est le seul à pouvoir le remplir de l'Esprit-Saint.

 

Par les études universitaires, s'ouvre devant vous le monde merveilleux de la science humaine dans ses multiples ramifications. En même temps que cette science du monde se développe certainement aussi votre autoconnaissance. Vous vous posez certainement déjà depuis longtemps la question :« Qui suis-je ? » C'est cela, dirais-je, la question la plus intéressante. Avec quelle mesure peut-on mesurer l'homme ? Le mesure-t-on selon la mesure des forces physiques dont il dispose ? Ou bien. le mesure-t-on avec la mesure des sens qui lui permettent d'entrer en contact avec le monde extérieur ? Ou bien avec la mesure de son intelligence vérifiée par différents tests ou examens ?

 

La réponse d'aujourd'hui, celle de la liturgie de la Pentecôte indique deux mesures : « il faut mesurer l'homme à la mesure de son cœur... » Le cœur dans le langage biblique indique l'intériorité spirituelle de l'homme, il signifie en particulier la conscience... Il faut donc mesurer l'homme avec la, mesure de sa conscience, avec la mesure de son esprit ouvert à Dieu. Seul l'Esprit-Saint peut remplir ce cœur, c'est-à-dire l'amener à se réaliser par l'amour et par la sagesse.

 

3. Permettez-moi par conséquent, de faire surtout de cette rencontre avec vous, aujourd'hui, en face du cénacle de notre histoire, de l'histoire de l'Église et de la nation, une rencontre de prière pour obtenir les dons de l'Esprit-Saint.

 

Comme autrefois mon père m'a mis dans les mains un petit livre qui m'indiquait la prière pour recevoir les dons du Saint-Esprit — ainsi aujourd'hui, moi-même que vous appelez aussi « Père », je désire prier avec la jeunesse universitaire de Varsovie et de la Pologne : pour le don de la sagesse, d'intelligence, de conseil, de force, de science, de piété, c'est-à-dire du sens de la valeur sacrale de la vie, de la dignité humaine, de la sainteté de l'âme et du corps humain, et enfin le don de crainte de Dieu, dont le psalmiste dit qu'elle est le commencement de la sagesse (cf. Ps. 111, 10).

 

Recevez de moi cette prière que mon père m'a enseignée et demeurez-lui fidèles. Ainsi vous resterez dans le cénacle de l'Église, unis au courant le plus profond de l'histoire.

 

4. Cela dépendra beaucoup de la mesure que vous choisirez pour mesurer votre propre vie et votre propre humanité. Vous savez très bien que les mesures sont diverses. Vous savez que les critères d'évaluation de l'homme sont nombreux, selon lesquels on l'estime au cours de ses études, puis dans son travail professionnel, dans ses différents contacts personnels, etc.

 

Ayez le courage d'accepter la mesure que nous a donnée le Christ, au cénacle de la Pentecôte, ainsi que dans le cénacle de notre histoire. Ayez le courage de garder votre vie dans une perspective prochaine et en même temps détachée, en acceptant comme vérité ce que saint Paul a écrit dans sa lettre aux Romains : « Vous savez bien, en effet, que toute la création gémit et souffre jusqu'à ce jour dans les douleurs de l'enfantement » (Rm 8, 22). Ne sommes nous pas les témoins de cette douleur ? En effet, « la création elle-même attend avec impatience la révélation des fils de Dieu » (Rm 8,19).

 

Elle attend non seulement que les universités et les différents instituts supérieurs préparent des ingénieurs, des médecins, des juristes, des philologues, des historiens, des hommes de lettres, des mathématiciens et des techniciens, mais elle attend la révélation des fils de Dieu. Elle attend de vous cette révélation, de vous qui demain serez des médecins, des techniciens, des juristes, des professeurs...

 

Cherchez à comprendre que l'homme créé par Dieu à son image et à sa ressemblance est en même temps appelé dans le Christ, afin qu'en lui se révèle ce qui est de Dieu ; afin qu'en chacun de nous se révèle dans une certaine mesure Dieu lui-même.

 

5. Réfléchissez à cela ! Je m'acheminé sur la route de mon pèlerinage à travers la Pologne vers la tombe de saint Wojciech (saint Adalbert) à Gniezno, de saint Stanislas à Cracovie, vers Jasna Gora. Partout je demanderai de tout cœur à l'Esprit-Saint qu'il vous accorde :

 

cette conscience,

 

cette connaissance de la valeur et du sens de la vie,

 

cet avenir pour vous,

 

cet avenir pour la Pologne.

 

Et priez pour moi afin que l'Esprit-Saint vienne en aide à notre faiblesse !

 

 

 

3 juin 1979

A GNIEZNO : AUX FIDELES

 

Éminentissime et très cher primat de Pologne !

 

1. « Dieu vous rende » les paroles de salutation que vous m'avez adressées ici, sur la route qui conduit à Gniezno. Voici le champ, les vastes prairies où nous nous rencontrons pour commencer ce pèlerinage. Ce pèlerinage doit nous conduire à Gniezno, et ensuite de Gniezno, — en passant par Jasna Gôra — à Cracovie, comme se déroule l'itinéraire de l'histoire de la nation, et en même temps l'itinéraire de nos saints patrons Adalbert et Stanislas, unis dans la sollicitude pour le patrimoine chrétien de cette terre, autour de la Mère de Dieu de Jasna Gôra.

 

Ici, sur ces vastes prairies, je salue avec vénération le berceau des Piast, origine de l'histoire de la patrie et berceau aussi de l'Église, en qui nos aïeux se sont unis par le lien de la foi avec le Père, avec le Fils et avec Je Saint-Esprit.

 

Je salue ce lien ! Je le salue avec une grande vénération, car il remonte aux commencements mêmes de l'histoire et, après mille ans, il continue à être intact. Je salue donc ici, avec l'illustrissime primat de Pologne, l'archevêque métropolitain de Poznan et les évêques ordinaires de Szczecin-Kamien, Koszalin-Kolobrzeg, Gdansk, Pelplin et Wloclawek, ainsi que les évêques auxiliaires de ces sièges. Je salue le clergé de tous les diocèses qui appartiennent à la communauté métropolitaine du siège primatial de Gniezno. Je salue les familles religieuses masculines et féminines. Je salue tous ceux qui, si nombreux se sont rassemblés ici. Tous ensemble, nous sommes « la race élue, le peuple acquis » (1 P 2, 9). Tous ensemble nous formons aussi « la race royale des Piast ».

 

2. Frères et sœurs très chers ! Mes compatriotes ! Je voudrais que mon pèlerinage à travers la terre polonaise, en communion avec vous tous, devienne une catéchèse vivante, une intégration de cette catéchèse que des générations entières d'aïeux ont inscrite dans l'histoire. Que ce soit la catéchèse de toute l'histoire de l'Église et de la Pologne, et en même temps la catéchèse de notre époque.

 

La tâche fondamentale de l'Église est la catéchèse. Nous le savons bien, en nous fondant non seulement sur les travaux du dernier Synode des évoques, mais aussi sur nos expériences nationales. Nous savons combien, dans le domaine de cette œuvre de la foi toujours plus consciente, qui est toujours introduite à nouveau dans la vie de chaque génération, elle dépend de l'effort commun des parents, de la famille, de la paroisse, des prêtres pasteurs d'âmes, des catéchistes, du milieu, des moyens de communication sociale, des usages. De fait, les murs, les clochers des églises, les croix des carrefours, les images saintes sur les murs des maisons et à l'intérieur de celles-ci, tout cela catéchise d'une certaine façon. La foi des générations futures dépend de cette grande synthèse de la: catéchèse de la vie, du passé et du présent.

 

Je veux donc me trouver avec vous aujourd'hui ici, dans le berceau des Piast, dans ce berceau de l'Église ; ici où ; voici plus de mille ans, la catéchèse a commencé en terre polonaise.

 

Et saluer d'ici toutes les communautés de l'Église en terre polonaise, dans lesquelles s'accomplit aujourd'hui la catéchèse. Tous les groupes de catéchèse dans les églises, les chapelles, les grandes et les petites salles...

 

Je veux saluer ici toute là Pologne jeune, tous les enfants polonais et toute la jeunesse rassemblée dans ces groupes, où elle se réunit avec persévérance et de façon, systématique... Oui, dis-je, la Pologne jeune ; mon cœur se tourne vers tous les enfants polonais, vers ceux qui sont présents en ce moment, comme vers tous ceux qui vivent, sur le sol polonais.

 

Aucun de nous ne peut jamais oublier les paroles suivantes de Jésus : « Laissez venir à moi les petits enfants, ne les empêchez pas » (Lc, 18, 16). Je veux être devant vous, très chers enfants polonais, un vivant écho de ces paroles de notre Sauveur, particulièrement en cette année où, dans le monde entier, on célèbre l'année de l'enfant.

Par la pensée et par le cœur, j'embrasse tous les enfants qui sont encore dans les bras de leur père et de leur mère. Que ces bras pleins d'amour des parents ne viennent jamais à manquer ! Qu'ils soient le moins nombreux possible, sur cette terre polonaise, les orphelins que l'on appelle « sociaux » de familles désagrégées ou incapables d'éduquer leurs fils!

 

Que tous les enfants d'âge préscolaire aient un accès facile au Christ. Qu'ils se préparent avec joie à l'accueillir dans l'eucharistie.

 

Qu'ils croissent « en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes » (Lc 2, 52), comme lui-même grandissait dans la maison de Nazareth.

 

Et pendant qu'ils croissent ainsi en âge, pendant qu'ils passent de l'enfance à l'adolescence, qu'aucun de nous, très chers frères et sœurs, ne soit jamais coupable à leur égard de ce scandale dont parle aussi sévèrement Jésus. Méditons de temps en temps ses paroles. Qu'elles nous aident à accomplir la grande œuvre d'éducation et de catéchèse avec un zèle plus grand et un plus grand sens de notre responsabilité.

 

3. Le cardinal primat m'a salué au nom de la Pologne toujours fidèle. La preuve première et fondamentale de cette fidélité, la condition essentielle pour l'avenir est justement cette jeunesse, ces enfants polonais et, près d'eux, les parents, les pasteurs d'âmes, les religieuses, les catéchistes, réunis dans l'œuvre quotidienne de la catéchèse dans toute la terre polonaise.

 

Que Dieu vous bénisse tous, comme il l’a fait, il y a si longtemps pour nos aïeux, nos souverains Mieszko et Boleslas, ici, sur le trajet de Poznan à Gniezno. Qu'il vous bénisse tous !

 

Recevez ce signe de bénédiction des mains du pape-pèlerin qui vous rend visite.

 

 

 

3 juin 1979

A GNIEZNO : HOMELIE A LA CATHEDRALE

 

Éminentissime et très cher primat de Pologne, Chers frères archevêques et évoques de Pologne !

 

1. En vos personnes, je salue tout le peuple de Dieu qui vit sur ma terre natale, prêtres, religieux et religieuses et laïcs !

 

Je salue la Pologne, baptisée voici maintenant plus de mille ans !

 

Je salue la Pologne, insérée dans les mystères de la vie divine par les sacrements de baptême et de confirmation. Je salue l'Église qui est sur la terre de mes aïeux, dans sa communion et son unité hiérarchique avec le successeur de Pierre. Je salue l'Église en Pologne qui, dès ses origines, a été guidée par les saints évêques et martyrs Adalbert et Stanislas, très attachés à la reine de Pologne, Notre-Dame de Jasna Gôra (Clair-mont - Czestochowa).

 

Venu au milieu de vous comme pèlerin du grand jubilé, je vous salue tous, frères et sœurs très chers, d'un fraternel baiser de paix.

 

2. A nouveau, nous célébrons le jour de la Pentecôte et en esprit nous nous trouvons au Cénacle de Jérusalem ; mais en même temps nous sommes ici, en ce cénacle de notre millénaire polonais, dans lequel nous parle toujours aussi fortement la mystérieuse date de ce début, à partir duquel nous commençons à compter les années de l'histoire de notre patrie et de l'Église qui est sur son sol. L'histoire de la Pologne toujours fidèle.

 

Oui, en ce jour de la Pentecôte, au Cénacle de Jérusalem, s'accomplit la promesse scellée dans le sang du Rédempteur répandu sur le Calvaire : « Recevez l'Esprit-Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus » (Jn 20, 22-23). L'Église naît précisément de la force de ces paroles. Elle naît de la force de ce souffle. Préparée par toute la vie du Christ, elle naît définitivement lorsque les Apôtres reçoivent du Christ le don de la Pentecôte, en recevant de lui I''Esprit-Saint. Sa descente marque le commencement de l'Église qui, à travers toutes les générations, doit introduire l'humanité — les individus et les nations — dans l'unité du Corps mystique du Christ. La descente de l'Esprit-Saint signifie le début et la continuité de ce mystère. La continuité est en effet le continuel retour aux commencements.

 

Nous comprenons comment, au Cénacle de Jérusalem, les Apôtres remplis de l'Esprit-Saint « commencèrent à parler en d'autres langues, selon que l'Esprit leur donnait de s'exprimer » (Ac 2, 4). Les différentes langues devinrent les leurs, devinrent leurs propres langues, grâce à la mystérieuse action de l'Esprit-Saint qui « souffle où il veut » (Jn 3, 8)et renouvelle « la face de la terre » (Ps 103, 30).

 

Bien que l'auteur des Actes n'énumère pas, parmi les langues que les Apôtres commencèrent à parler en ce jour, notre propre langue, il devait venir un moment où les successeurs des Apôtres auraient commencé à parler également la langue de nos aïeux et à annoncer l'Évangile au peuple, qui ne pouvait le comprendre et l'accepter que dans cette langue.

 

3. Les noms des châteaux des Piast sont significatifs. C'est en eux que se vérifia cette translation historique de l'Esprit et que fut allumée en même temps la flamme de l'Évangile sur la terre de nos aïeux. La langue des Apôtres résonna pour la première fois, comme en une première version, en notre langue, que le peuple habitant sur les rives de la Warta et de la Vistule comprit et que nous comprenons encore aujourd'hui.

 

De fait, les châteaux auxquels sont liés les débuts de la foi sur la terre des Polonais, nos ancêtres, sont celui des Poznan — où depuis les temps tes plus anciens, c'est-à-dire deux ans après le baptême du roi Mieszko, résidait l'évêque — et celui de Gniezno — où en l'an 1000 eut lieu le grand acte de caractère religieux et civil. Près des reliques de saint Adalbert se rencontrèrent les envoyés du pape Sylvestre II de Rome, l'empereur romain Otton III et le premier roi polonais (seulement prince à ce moment-là) Boleslas le vaillant fils et successeur de Mieszko, constituant la première métropole polonaise et posant ainsi, les fondements de l'ordre hiérarchique pour toute l'histoire de la Pologne. Dans le cadre de cette métropole, nous trouvons en l'an 1000, les sièges épiscopaux de Cracovie, Wroclaw, Kolobrzeg, reliés en une organisation ecclésiastique unique.

 

Chaque fois que nous venons ici, en ce lieu, nous devons voir le Cénacle de la Pentecôte nouvellement ouvert. Et nous devons écouter le langage des aïeux, dans lequel l'annonce des « merveilles de Dieu » (Ac 2, 11) commença à retentir.

 

C'est ici également que l'Église de Pologne en 1966 a entonné son premier Te Deum d'action de grâces pour le millénaire du baptême. En tant que métropolitain de Cracovie, j'ai eu le bonheur d'y participer. Permettez-moi aujourd'hui, comme premier pape d'origine polonaise, de chanter encore une fois avec vous ce Te Deum du millénaire. Qu'ils sont mystérieux et admirables les décrets du Seigneur qui tracent les voies conduisant à ce lieu, de Sylvestre II à Jean Paul II !

 

4. Après tant de siècles, le Cénacle de Jérusalem s'est de nouveau ouvert, et ce ne sont plus seulement les populations de la Mésopotamie et de la Judée, de l'Egypte et de l'Asie ; ou celles qui venaient de Rome, qui s'en émerveillent, mais les peuples slaves et les autres peuples qui habitent dans cette partie de l'Europe, lesquels ont entendu les Apôtres de Jésus-Christ parler leur langue et raconter dans leur langue « les grandes œuvres de Dieu».

 

Lorsque, historiquement, le premier souverain de Pologne voulut introduire le christianisme dans sa nation et s'unir au siège de Pierre, il se tourna surtout vers les peuples qui avaient des affinités avec le sien et prit pour épouse Dobrawa, fille du prince tchèque Boleslas. Celle-ci étant chrétienne, devint la marraine de son propre mari et de tous ses sujets. En même temps qu'elle, vinrent en Pologne des missionnaires en provenance des différentes nations d'Europe, comme l'Irlande, l'Italie,  l'Allemagne, telle saint évêque et martyr saint Bruno de Querfurt. Dans les souvenirs de l'Église, sur les terres de Boleslas s'est gravé de manière plus incisive le nom de saint Adalbert, fils et pasteur de la nation tchèque amie. Son histoire, pendant la durée de son épiscopat à Prague, est bien connue, ses pèlerinages à Rome également, et particulièrement son séjour à la cour de Gniezno, qui devait le préparer à son dernier voyage missionnaire dans le nord. Aux abords de la mer Baltique, cet évêque exilé, ce missionnaire infatigable devint cette semence qui, tombée en terre, doit mourir pour porter beaucoup de fruit (Jn 12, 24). Le témoignage du martyre, le témoignage du sang versé scella de façon particulière le baptême que nos aïeux reçurent voici mille ans. La dépouille torturée de l'apôtre Adalbert fut déposée dans les fondations du christianisme en terre polonaise.

 

5. Lorsque aujourd'hui, en cette commémoration de la descente de l'Esprit-Saint en cette année du Seigneur 1979, nous remontons aces tout premiers moments, nous ne pouvons pas ne pas entendre — à côté de la langue de nos ancêtres — les autres langues slaves et voisines dans lesquelles commença alors à parler le cénacle largement

ouvert de l'histoire. Et surtout le premier pape slave dans l'histoire de l'Église ne peut pas ne pas entendre ces langues. C'est peut-être justement pour cela que Dieu l'a choisi, c'est peut-être pour cela que l'Esprit-Saint l'a guidé, afin qu'il introduise dans la communion de l'Église la compréhension des paroles et des langues qui semblent encore étrangères aux oreilles habituées aux sons romains, germaniques, anglo-saxons, celtes. Le Christ ne veut-il pas que l'Esprit-Saint fasse en sorte que l'Église Mère, à la fin du second millénaire du christianisme, se penche avec un amour compréhensif, avec une sensibilité particulière, vers les sons de ce langage humain qui s'entrelacent dans une racine commune, dans une étymologie commune et qui — malgré leurs différences notoires (jusque dans l'orthographe) — ont entre elles des sons voisins et familiers ?

 

Le Christ ne veut-il pas, l'Esprit-Saint ne dispose-t-il pas que ce pape — qui porte profondément imprimée dans son cœur l'histoire de sa nation depuis ses origines et aussi l'histoire des peuples frères et limitrophes — manifeste et confirme d'une façon spéciale, à notre époque, leur présence dans l'Église et leur contribution particulière à l'histoire de la chrétienté ?

 

N'est-ce pas un dessein de la Providence qu'il soit appelé à faire connaître les développements que la riche architecture du temple de l'Esprit-Saint a connus précisément ici, dans cette partie de l'Europe ?

 

Le Christ ne veut-il pas, l'Esprit-Saint ne dispose-t-il pas que ce pape polonais, ce pape slave, manifeste justement maintenant l'unité spirituelle de l'Europe chrétienne qui, débitrice des deux grandes traditions de l'ouest et de l'est, professe grâce aux deux  « une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous » (Ep 4, 5-6), le Père de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ ?

 

Oui, le Christ veut et l'Esprit-Saint dispose que ce que je dis soit dit justement ici, maintenant, à Gniezno, sur la terre des Piast, en Pologne, près des reliques de saint Adalbert et de saint Stanislas, devant l'image de la Vierge Mère de Dieu, Notre-Dame de Clair-Mont, Mère de l'Église.

 

A l'occasion du baptême de la Pologne, il faut que soit rappelée la christianisation des Slaves : des Croates et des Slovènes parmi lesquels, dès les environs de l'an 650, travaillèrent les missionnaires, achevant en grande partie l’évangélisation vers l'an 800 des Bulgares, dont le prince Boris I° reçut le baptême en 864 ou en 865 ; des Moraves et des Slovaques, chez qui parvinrent les missionnaires avant 850, suivis en 863 des saints Cyrille et Méthode, lesquels vinrent de la Moravie pour consolider la foi des jeunes communautés, des Tchèques, dont le prince Borivoi fut baptisé par saint Méthode. Dans la zone évangélisée par saint Méthode et ses disciples, on trouve aussi les Vislans et les Slaves de Serbie. Il faut rappeler également le baptême de la Russie à Kiev, en 988. Il faut enfin rappeler la christianisation des Slaves qui demeuraient le long de l'Elbe : les Oborites, les Wielètes et les Serbes lusaciens. La christianisation de l'Europe s'acheva avec le baptême de la Lituanie dans les années 1386 et 1387.

 

Le pape Jean Paul II — Slave, fils de la nation polonaise — sent combien sont profondément enfoncées dans le sol de l'histoire les racines dont lui-même prend son origine, combien de siècles a derrière elle cette parole de l’Esprit-Saint qu'il annonce de la colline du Vatican près de Saint-Pierre, ici à Gniezno, de la colline de Lech, et à Cracovie des hauteurs du Wawel.

 

Ce pape — témoin du Christ, qui a un grand amour de la croix et de la résurrection —   vient aujourd'hui en ce lieu pour rendre témoignage au Christ vivant dans l'âme de sa propre nation, au Christ vivant dans l'âme des nations qui depuis longtemps l'ont accueilli comme « le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14, 6). Il vient pour parler devant toute l'Église, l'Europe et le monde, de ces nations et de ces populations souvent oubliées. Il vient pour crier « à voix forte ». Il vient pour indiquer les routes qui, de diverses façons, conduisent au Cénacle de la Pentecôte, à la croix, à la résurrection. Il vient pour embrasser tous ces peuples— en même temps que sa propre nation — et pour les presser sur le cœur de l'Église, sur le cœur de la Mère de l'Église, en laquelle il met une confiance illimitée.

 

D'ici peu prendra fin, ici, à Gniezno, la visite de la sainte icône.

 

L'image de Notre-Dame de Jasna Gôra, l'image de la Mère, exprime d'une façon singulière sa présence dans le mystère du Christ et de l'Église qui vit depuis tant de siècles en terre polonaise. Cette image qui, depuis plus de vingt ans, visite chacune des églises, des paroisses, chacun des diocèses de cette terre, est sur le point d'achever sa visite à Gniezno, siège antique des primats, et passe à Jasna Gôra pour commencer son pèlerinage dans le diocèse de Czestochowa.

 

C'est pour moi une grande joie de pouvoir accomplir cette étape de mon pèlerinage en même temps que Marie, et en même temps qu'elle de me trouver le long du grand itinéraire historique que souvent j'ai parcouru, de Gniezno à Cracovie, en passant par Jasna Gôra, de saint Adalbert à saint Stanislas, en passant par la « Vierge Mère de Dieu, comblée de gloire par Dieu, Marie ».

 

Itinéraire principal de notre histoire spirituelle sur lequel cheminent tous les Polonais, ceux de l'ouest et ceux de l'est comme ceux aussi qui sont à l'extérieur de la patrie dans les différentes nations, dans les divers continents.

 

Itinéraire principal de notre histoire spirituelle et en même temps l'un des grands itinéraires de l'histoire spirituelle de tous les slaves, et l'un des principaux itinéraires spirituels de l'histoire de l'Europe !

 

Ces jours-ci, pour la première fois, le pape ira en pèlerinage sur cet itinéraire, lui, l'évêque de Rome, le successeur de Pierre, de ce Pierre qui fut le premier à sortir du Cénacle de la Pentecôte à Jérusalem, en chantant : « Seigneur, mon Dieu, tu es si grand ! / Vêtu de faste et d'éclat, / drapé de lumière comme d'un manteau... / Que tes œuvres sont nombreuses, Seigneur ! / toutes avec sagesse tu les fis, / la terre est remplie de ta richesse. / ... Tu envoies ton souffle, ils sont créés. / Tu renouvelles la face de la terre » (Ps 103-104, 1-2, 24, 30).

 

Ainsi chantera avec vous, très chers compatriotes, ce pape sang de votre sang, os de vos os, et il s'exclamera avec vous : « A jamais soit la gloire du Seigneur, / que le Seigneur se réjouisse en ses Œuvres ! / ... La gloire du Seigneur soit pour toujours ! / ... Puisse mon langage lui plaire ! » (Ps 103-104, 31, 34).

 

Nous irons ensemble sur cette route de notre histoire, de Jasna Gôra vers le Wawel, vers saint Stanislas. Nous irons en nous souvenant du passé, mais l'esprit tendu vers l'avenir...

 

Nous ne retournerons pas au passé !

 

Nous irons vers l'avenir !

 

« Vous recevrez l'Esprit-Saint ! » (Jn 20, 22). Amen !

 

 

 

3 juin 1979

A GNIEZNO : AUX JEUNES

 

Très chers amis,

 

1. Le document le plus ancien de la littérature polonaise est Bogurodzica (« Mère de Dieu »). La tradition fait remonter son origine à saint Adalbert. L'histoire de la littérature nous permet de fixer au XVe siècle la date des plus anciens textes de ce chant-message. Je dis chant-message parce que la « Bogurodzica » n'est pas seulement un chant : c'est aussi une profession de foi, un symbole du Credo polonais, c'est une catéchèse, et même un document d'éducation chrétienne. Les principales vérités de foi et les principes de la morale y sont contenus. Ce n'est pas seulement un objet historique. C'est le document de la vie. Jakub Wujek l'a appelé le « catéchisme polonais ».

 

Nous le chantons toujours avec une profonde émotion, avec exaltation, en nous rappelant qu'il était chanté dans les moments solennels et décisifs. Et nous le lisons aussi avec une profonde émotion. Il est difficile de lire autrement ces versets si antiques quand on pense qu'avec eux ont été éduquées les générations de nos aïeux. Le chant « Bogurodzica » n'est pas seulement un document antique de culture. Il a donné à la culture polonaise son ossature fondamentale et primitive.

 

2. La culture est l'expression de l'homme, c'est la confirmation de l'humanité. L'homme la crée et, par elle, l'homme se crée lui-même. Il se crée lui-même par l'effort intérieur de l'esprit, de la pensée, de la volonté, du cœur. Et en même temps il crée la culture en communion avec les autres. La culture est l'expression de la communication de la pensée commune et de la collaboration mutuelle des hommes. Elle naît du service du bien commun et devient un bien essentiel des communautés humaines.

 

La culture est surtout un bien commun de la nation. La culture polonaise est un bien sur lequel s'appuie la vie spirituelle des Polonais. Elle nous distingue comme nation. Elle décide de nous tout au long de l'histoire, elle est plus décisive encore que la force matérielle. Et même plus encore que les frontières politiques. On sait que la nation polonaise est passée par la dure épreuve de la perte de l'indépendance pendant plus de cent ans. Et au milieu de cette épreuve, elle est restée toujours elle-même. Elle est restée spirituellement indépendante parce qu'elle a eu sa propre culture. Bien plus, dans la période des démembrements elle l'a encore beaucoup enrichie et approfondie, car ce n'est qu'en créant une culture qu'elle peut se conserver,

 

3. La culture polonaise, depuis ses débuts, porte des marques chrétiennes bien claires. Le baptême qu'ont reçu les générations de nos compatriotes, pendant tout le millénaire, ne les introduisait pas seulement dans le mystère de la mort et de la résurrection du Christ, ne les faisait pas seulement devenir fils de Dieu par la grâce, mais il trouvait une grande résonance dans l'histoire de la pensée et dans la créativité artistique, dans la poésie, dans la musique, dans le théâtre, dans les arts plastiques, dans la peinture et dans la sculpture.

 

Et il en a été ainsi jusqu'à aujourd'hui. L'inspiration chrétienne ne cesse pas d'être la source principale de la créativité des artistes polonais. La culture polonaise est toujours parcourue d'un large courant d'inspirations qui ont leur source dans l'Évangile. Cela contribue aussi au caractère profondément humaniste de cette culture. Cela la rend profondément et authentiquement humaine, car, comme l'écrit A. Mickiewicz dans les livres du pèlerinage polonais, la « civilisation vraiment digne de l'homme doit être chrétienne ».

 

Dans les œuvres de la culture polonaise se reflète l'âme de la nation. En elles vit son histoire, qui est une école permanente de patriotisme solide et loyal. C'est pourquoi elle sait imposer des exigences et soutenir des idéaux, sans lesquels il est difficile pour l'homme de croire en sa propre dignité et de s'éduquer lui-même.

 

4. L'homme qui vous adresse ces paroles doit sa propre formation spirituelle, depuis les débuts, à la culture polonaise, à sa littérature, à sa musique, à ses arts plastiques, au théâtre, à l'histoire de la Pologne, aux traditions chrétiennes polonaises, aux écoles polonaises, aux universités polonaises.

 

En vous parlant ainsi à vous qui êtes jeunes, cet homme désire surtout payer la dette contractée envers ce merveilleux héritage spirituel qui a commencé avec « Bogurodzica ». En même temps, cet homme désire se présenter aujourd'hui devant vous avec cet héritage, qui est un bien commun de tous les Polonais et qui constitue une parcelle éminente de la culture européenne et mondiale.

 

Et il vous demande :

 

Restez fidèles à ce patrimoine ! Faites qu'il soit le fondement de votre formation ! Faites-en l'objet de votre noble fierté ! Conservez et multipliez ce patrimoine ; transmettez-le aux générations futures !

 

Viens, Esprit-Saint, envoie-nous du haut du ciel un rayon de ta lumière !

Viens, père des pauvres, viens dispensateur des dons, viens lumière de nos cœurs ! (liturgie de la Pentecôte).

 

Lumière des jeunes consciences polonaises, viens ! Et fortifie en eux l'amour d'où est né le premier chant polonais, « Bogurodzica », message de foi et de dignité de l'homme sur notre terre !

 

 

 

4 juin 1979

A CZESTOCHOWA : HOMELIE AU SANCTUAIRE MARIAL

DE JASNA GORA ET ACTE DE CONSECRATION A LA MADONE

 

« Vierge sainte qui défends la claire Czestochowa... » Elles me reviennent à l'esprit ces paroles du poète Mickiewicz qui, au début de son œuvre Pan Tadeusz, a exprimé dans une invocation à la Vierge ce qui vibrait et qui vibre dans le cœur de tous les Polonais, en se servant du langage de la foi et de celui de la tradition nationale. Tradition qui remonte à environ six cents ans, c'est-à-dire au temps de la bienheureuse reine Hedwige, au début de la dynastie jagellonique. L'image de Jasna Gôra exprime une tradition, un langage de foi encore plus ancien que notre histoire et reflète en même temps tout le contenu de la Bogurodzica que nous avons médité hier à Gniezno, en évoquant la mission de saint Adalbert et en remontant aux premiers moments de l'annonce de l'Évangile en terre polonaise.

 

Celle qui avait parlé autrefois par le chant a parié ensuite par cette image, manifestant à travers elle sa présence maternelle dans la vie de l'Église et de la patrie. La Vierge de Jasna Gôra a révélé sa sollicitude maternelle pour toute âme, pour toute famille ; pour tout homme qui vit sur cette terre, qui travaille, lutte et tombe sur les champs de bataille, qui est condamné à l'extermination, qui se combat lui-même, qui est vainqueur ou vaincu ; pour tout homme qui doit laisser le sol de la patrie et émigrer, pour tout homme...

 

Les Polonais se sont habitués à lier à ce lieu et à ce sanctuaire les nombreuses vicissitudes de leur vie : les divers moments de joie ou de tristesse, spécialement les moments solennels, décisifs, les moments de responsabilité comme le choix de l'orientation de la vie, le choix de la vocation, la naissance des enfants, les examens de fin d'études... et tant d'autres moments. Ils se sont habitués à venir avec leurs problèmes à Jasna Gôra pour en parler à leur Mère du ciel, celle qui a ici non seulement son image, son effigie — l'une des plus connues et des plus vénérées du monde — mais qui est ici particulièrement présente.

 

Elle est présente dans le mystère du Christ et de l'Église, comme l'enseigne le Concile. Elle est présente pour tous et pour chacun de ceux qui font le pèlerinage vers elle, même seulement de cœur et en esprit lorsqu'ils ne peuvent le faire physiquement.

 

Les Polonais sont habitués à cela.

 

Les peuples amis y sont habitués aussi, comme les peuples voisins. Et c'est toujours plus nombreux que viennent ici des hommes de toute l'Europe et d'au-delà.

 

Au cours de la grande neuvaine, le cardinal primat s'exprimait ainsi à propos de la signification du sanctuaire de Czestochowa dans la vie de l'Église :

 

« Que s'est-il passé à Jasna Gôra ?

 

« Pour le moment, nous ne sommes pas en mesure de donner une réponse adéquate. Il s'est passé quelque chose de plus que ce qu'on pouvait imaginer... Jasna Gôra s'est révélée comme un lien interne à la vie polonaise, une force qui touche profondément le cœur et tient la nation entière dans l'attitude, humble mais forte de fidélité à Dieu, à l'Église et à sa hiérarchie... Pour nous tous, cela a été une grande surprise de voir la puissance de la Reine de Pologne se manifester d'une manière aussi magnifique.»

 

Il n'est donc nullement étonnant qu'aujourd'hui je vienne ici moi aussi. De la Pologne, en effet, j'ai emporté avec moi, sur la chaire de Saint-Pierre à Rome, cette « sainte habitude » du cœur, élaborée par la foi de tant de générations, confirmée par l'expérience chrétienne de tant de siècles et profondément enracinée dans mon âme.

 

2. Le pape Pie XI s'est souvent rendu ici, non comme pape, naturellement, mais en tant qu'Achille Ratti, premier nonce en Pologne, après la reconquête de l'indépendance,

 

Lorsque, après la mort de Pie XII, le pape Jean XXIII a été élu à la chaire de Pierre, les premières paroles que le nouveau pontife adressa au primat de Pologne, après le conclave, se référèrent à Jasna Gôra. Il rappela ses visites ici, durant les années où il était délégué apostolique en Bulgarie et il demanda surtout une prière incessante à la Mère de Dieu, à toutes les intentions que lui donnait sa nouvelle mission. Sa demande a été satisfaite tous les jours à Jasna Gôra, et pas seulement durant son pontificat mais aussi durant celui de ses successeurs.

 

Nous savons tous combien le pape Paul VI aurait voulu venir ici en pèlerinage, lui qui était si lié à la Pologne depuis sa première charge diplomatique auprès de la nonciature de Varsovie. Le pape qui s'est tant dépensé pour normaliser la vie de l'Église en Pologne, particulièrement en ce qui concerne l'organisation actuelle des terres de l'ouest et du nord. Le pape de notre millénaire ! Pour ce millénaire, justement, il voulait se trouver ici en pèlerin, à côté des fils et des filles de la nation polonaise.

 

Après que le Seigneur eût rappelé à lui le pape Paul VI en la solennité de la Transfiguration de l'année dernière, les cardinaux choisirent son successeur le 26 août, jour où en Pologne, et surtout à Jasna Gôra, on célèbre la solennité de la Madone de Czestochowa. La nouvelle de l'élection du nouveau pontife Jean Paul Ier fut communiquée aux fidèles par l'évêque de Czestochowa le jour même, lors de la célébration du soir.

 

Que dois-je dire de moi à qui, après le pontificat d'à peine trente-trois jours de Jean Paul Ier, il est revenu, par un décret insondable de la Providence, d'en accepter l'héritage et la succession apostolique à la chaire de Saint-Pierre le 16 octobre 1978 ? Que dois-je dire moi, Jean Paul II, premier pape polonais dans l'histoire de l'Église ? Je vous dirai : en ce 16 octobre, jour où le calendrier liturgique de l'Église fait mémoire de sainte Hedwige, je me reportais par la pensée au 26 août, au conclave précédent et à cette élection survenue en la solennité de la Madone de Jasna Gôra.

 

Je n'avais même pas besoin de dire, comme mes prédécesseurs, que je comptais sur les prières faites aux pieds de l'image de Jasna Gôra. L'appel d'un fils de la nation polonaise à la chaire de Pierre contient un lien évident et fort avec ce lieu saint, avec ce sanctuaire de grande espérance : Totus tuus, ai-je murmuré tant de fois dans la prière devant cette image !

 

3. Et voici qu'aujourd'hui je suis de nouveau avec vous tous, frères et sœurs très chers : avec vous, bien-aimés compatriotes, avec toi, cardinal primat de la Pologne, avec tout l’épiscopat auquel j'ai appartenu pendant plus de vingt ans comme évêque, archevêque métropolitain de Cracovie, comme cardinal. Nous sommes venus tant de fois ici, en ce lieu, en une vigilante écoute pastorale, pour entendre battre le cœur de l'Église et celui de la patrie dans le cœur de la Mère. Jasna Gôra est en effet non seulement un but de pèlerinage pour les Polonais de la mère patrie et du monde entier, mais c'est le sanctuaire de la nation. Il faut prêter l'oreille en ce lieu pour sentir comment bat le cœur de la nation dans le cœur de sa Mère. Car nous savons que ce cœur bat au rythme de tous les rendez-vous de l'histoire, de toutes les vicissitudes de la vie nationale : combien de fois en effet n'a-t-il pas vibré avec les cris de joie et de victoire ! On peut écrire de diverses façons l'histoire de la Pologne ; celle de ces derniers siècles, spécialement, on peut l'interpréter selon différentes clefs. Toutefois, si nous voulons savoir comment le cœur des Polonais l'interprète, il faut venir ici, il faut tendre l'oreille vers ce sanctuaire, il faut percevoir l'écho de la vie de la nation entière dans le cœur de sa Mère et Reine ! Et si ce cœur bat avec une note d'inquiétude, si en lui résonnent la sollicitude et l'appel à la conversion et au raffermissement des consciences, il faut accueillir cette invitation. Elle naît en effet de l'amour maternel qui détermine à sa manière les processus historiques sur la terre polonaise.

 

Les dernières décades ont confirmé et rendu plus intense une telle union entre la nation polonaise et sa Reine. C'est devant la Vierge de Czestochowa que fut prononcée la consécration de la Pologne au Cœur immaculé de Marie le 8 septembre 1946. Dix ans après, ont été renouvelés à Jasna Gôra les vœux du roi Jean-Casimir, lors du troisième centenaire du jour où, après une période de « déluge » (invasion des Suédois au XVIIe siècle), il proclama la Mère de Dieu Reine du royaume de Pologne. En cet anniversaire commença la grande neuvaine de neuf ans pour préparer le millénaire du baptême de la Pologne. Et finalement, en l'année même du millénaire, le 3 mai 1966, ici, en ce lieu même, fut prononcé par le primat de Pologne, l'acte de servitude totale à la Mère de Dieu ; pour la liberté de l'Église en Pologne et dans le monde entier. Cet acte historique fut prononcé ici, devant Paul VI, absent corporellement mais présent spirituellement, en témoignage de cette foi vivante et forte qu'attend et qu'exige notre temps.

 

L'acte parle de la « servitude » et contient un paradoxe semblable à celui des paroles de l'Évangile selon lesquelles il faut perdre sa vie pour la trouver (cf. Mt, 10, 39). L'amour, en effet, constitue l'accomplissement de la liberté, mais en même temps l'appartenance, c'est-à-dire le fait de ne pas être libre, fait partie de son essence. Toutefois, ce fait de « ne pas être libre » dans l'amour n'est pas perçu comme un esclavage mais bien comme une affirmation de liberté et comme son accomplissement. L'acte de consécration dans l'esclavage indique donc une dépendance singulière et une confiance sans limites. En ce sens, l'esclavage (la non-liberté) exprime la plénitude de la liberté, de la même manière que l'Évangile parle de la nécessité de perdre sa vie pour la trouver dans sa plénitude.

 

Les paroles de cet acte, prononcées selon le langage des expériences historiques de la Pologne, de ses souffrances et aussi de ses victoires, ont une résonance précisément en ce moment de la vie de l'Église et du monde, après la clôture du concile Vatican II qui, comme nous le pensons justement, a ouvert une ère nouvelle. Il a marqué le début d'une époque de connaissance approfondie de l'homme, de ses joies et de ses espoirs, et aussi de ses tristesses et de ses angoisses, comme l'affirment les premiers mots de la constitution pastorale Gaudium et Spes. L'Église, consciente de sa grande dignité et de sa magnifique vocation dans le Christ, désire aller à la rencontre de l'homme. L'Église désire répondre aux interrogations perpétuelles et en même temps toujours actuelles des cœurs et de l'histoire humaine, et c'est pourquoi elle a accompli durant le Concile un travail de connaissance approfondie d'elle-même, de sa nature, de sa mission, de ses devoirs.

 

Le 3 mai 1966, l'épiscopat polonais ajoute à ce travail fondamental du Concile son acte propre de Jasna Gôra : la consécration à la Mère de Dieu pour la liberté de l'Église dans le monde et en Pologne. C'est un cri qui part du cœur et de la volonté : un cri de tout l'être chrétien, de la personne et de la communauté, pour le plein droit d'annoncer le message du salut, un cri qui veut devenir efficace d'une manière universelle en s'enracinant dans l'époque présente et dans l'avenir. Tout à travers Marie ! Telle est l'interprétation authentique de la présence de la Mère de Dieu dans le mystère du Christ et de l'Église comme le proclame le chapitre VIII de la constitution Lumen Gentium. Cette interprétation correspond à la tradition des saints, comme Bernard de Clairvaux, Grignion de Montfort, Maximilien Kolbe.

 

4. Le pape Paul VI accepta cet acte de consécration comme fruit de la célébration du millénaire polonais de Jasna Gôra, comme en fait foi sa bulle qui se trouve près de l'image de la Madone noire de Czestochowa. Aujourd'hui, son indigne successeur, en venant à Jasna Gôra, désire le renouveler, le lendemain de la Pentecôte, alors que dans toute la Pologne se célèbre la fête de la Mère de l'Église.

 

Pour la première fois le pape fête cette solennité en exprimant avec vous, vénérables et chers frères, sa reconnaissance à son grand prédécesseur qui, depuis le temps du Concile, a commencé à invoquer Marie sous le titre de Mère de l'Église.

 

Ce titre nous permet de pénétrer tout le mystère de Marie depuis l'instant de sa conception immaculée, en passant par l'Annonciation, la Visitation et la naissance de Jésus à Bethléem, jusqu'au Calvaire. Il nous permet à tous de nous retrouver — comme le rappelle la lecture d'aujourd'hui — au Cénacle où les Apôtres, avec Marie, Mère de

Jésus, sont assidus à la prière, attendant, après l'Ascension du Seigneur, l'accomplissement de sa promesse, c'est-à-dire la venue de l'Esprit-Saint, afin que puisse naître l'Église ! A la naissance de l'Église participe d'une manière particulière celle à laquelle nous devons la naissance du Christ.

 

L'Église, née autrefois au Cénacle de la Pentecôte, continue à naître dans chaque cénacle de prière. Elle naît pour devenir notre Mère spirituelle à la ressemblance de la Mère du Verbe éternel. Elle naît pour révéler les caractéristiques et la force de la maternité — maternité de la Mère de Dieu — grâce à laquelle nous pouvons être « appelés enfants de Dieu, car nous le sommes » (1 Jn 3, 1). En effet, la paternité très sainte de Dieu, dans son économie du salut, s'est servie de la maternité virginale de son humble servante pour accomplir dans les enfants des hommes l'œuvre de l'auteur divin.

 

Chers compatriotes, vénérables et très chers frères dans l'épiscopat, pasteurs de l'Église en Pologne, hôtes illustres et vous, tous les fidèles, permettez que comme successeur de saint Pierre, ici présent avec vous, je confie toute l'Église à la Mère du Christ, avec la même foi vive, avec la même espérance héroïque avec lesquelles nous l'avons fait en ce jour mémorable du 3 mai du millénaire polonais.

 

Permettez-moi d'apporter ici, comme je l'ai fait il y a quelque temps dans la basilique romaine de Sainte-Marie-Majeure, puis au Mexique dans le sanctuaire de Guadalupe, les mystères des cœurs, les douleurs et les souffrances, et enfin les espoirs et les attentes de cette dernière fraction du vingtième siècle de l'ère chrétienne.

 

Permettez-moi de confier tout cela à Marie.

 

Permettez-moi de le lui confier d'une manière nouvelle et solennelle.

 

Je suis un homme rempli d'une grande confiance.

 

C'est ici que j'ai appris à l'être.

 

Amen.

Acte de consécration à la Madone

 

« Grande Mère du Dieu fait homme, Vierge très sainte, Notre-Dame de Jasna Gora... »

C'est avec ces paroles que les évêques polonais s'adressèrent à toi tant de fois à Jasna Gôra, en portant dans leur cœur les expériences et les peines les joies et les douleurs, et par-dessus tout la foi, l'espérance et la charité de leurs compatriotes.

 

Qu'il me soit permis de commencer aujourd'hui par les mêmes paroles le nouvel acte de consécration à Notre-Dame de Jasna Gôra : il naît de la même foi, de la même espérance et de la même charité, il naît de la tradition de notre peuple, à laquelle j'ai eu part durant tant d'années ; et cet acte naît en même temps des nouveaux devoirs qui, grâce à toi, ô Marie, m'ont été confiés, à moi, homme indigne et en même temps ton fils adoptif.

 

C'est bien ce que me disaient toujours les paroles que ton Fils, ce Fils né de toi, Jésus-Christ, Rédempteur de l'homme, a adressées du haut de la croix à Jean, apôtre et évangéliste : « Femme, voici ton fils » (Jn 19, 26). Dans ces paroles, je trouvais toujours la place de tout homme et ma propre place.

 

Aujourd'hui, présent ici selon les desseins mystérieux de la divine Providence, je désire, en ce sanctuaire de Jasna Gôra, dans ma patrie terrestre, la Pologne, confirmer avant tout les actes de consécration et de confiance qui, à divers moments — beaucoup de fois et sous des formes variées, ont été prononcés par le cardinal primat et par l'épiscopat polonais. D'une façon tout à fait particulière — je désire confirmer et renouveler l'acte de consécration prononcé à Jasna Gôra le 3 mai 1966, à l'occasion du millénaire de la Pologne ; par cet acte les évêques polonais, en se donnant à toi, Mère de Dieu, « dans ta maternelle servitude d'amour » voulaient servir la grande cause de la liberté de l'Église, non seulement dans leur propre patrie, mais dans le monde entier. Quelques années après, le 7 juin 1976, ils ont consacré à toi toute l'humanité, toute les nations et tous les peuples du monde contemporain, leurs frères proches par la foi, par la langue et par le destin commun de l'histoire, en étendant cet acte de confiance jusqu'aux frontières les plus lointaines de l'amour, comme l'exige ton cœur : cœur de la Mère qui embrasse chacun et tous partout et toujours.

 

Je désire, aujourd'hui en arrivant à Jasna Gôra, comme premier pape-pèlerin, renouveler tout ce patrimoine de confiance, de consécration et d'espérance, qui avec tant de magnanimité, a été accumulé par mes frères dans l'épiscopat et mes compatriotes.

 

Et c'est pourquoi je te confie, ô Mère de l'Église, tous les problèmes de cette Église, toute sa mission, tout son service pendant qu'on s'apprête à achever le second millénaire de l'histoire du christianisme sur la terre.

 

Épouse de l'Esprit-Saint et Trône de la Sagesse ! A ton intercession, nous devons la magnifique vision et le programme du renouvellement de l'Église à notre époque exprimé dans l'enseignement du concile Vatican II. Fais que nous fassions de cette vision et de ce programme l'objet de notre action, de notre service, de notre enseignement, de notre pastorale, de notre apostolat dans la vérité, la simplicité et la force avec lesquels l’Esprit-Saint nous les a fait découvrir dans notre humble service.

 

Fais que l'Église entière se régénère à cette nouvelle source de connaissance de sa nature et de sa mission, et non pas à d'autres « citernes » étrangères ou empoisonnées (cf. Jr 8, 14).

 

Aide-nous, dans le grand effort que nous allons faire pour rencontrer de manière toujours plus mûre nos frères dans la foi, auxquels nous unissent tant de choses bien qu'il y en ait qui nous divisent Fais que, à travers tous tes moyens de la connaissance, du respect réciproque, de l'amour, de la collaboration dans les. divers domaines, nous puissions découvrir progressivement le dessein divin de cette unité dans laquelle nous devons entrer nous-mêmes et introduire tous les hommes afin que l'unique bercail du Christ reconnaisse et vive son unité sur la terre. O Mère de l'union, enseigne-nous toujours les chemins qui conduisent à elle.

 

Permets-nous d'aller dans l'avenir à la rencontre de tous les hommes et de tous les peuples qui cherchent Dieu sur les chemins de diverses religions et qui veulent le servir. Aide-nous tous à annoncer le Christ et à révéler « la force et la sagesse divine » (l Co 1, 24) cachées dans sa croix. Toi qui les a révélées d'abord à Bethléem non seulement aux bergers simples et fidèles, mais aussi aux sages des pays lointains !

 

Mère du Bon Conseil ! Indique-nous toujours comment nous devons servir l'homme, l'humanité, dans toutes les nations, comment le conduire sur les chemins du salut. Comment protéger la justice et la paix dans le monde continuellement menacé de divers côtés. Comment je désire vivement, à l'occasion de la rencontre d'aujourd'hui, te confier tous les difficiles problèmes des sociétés, des systèmes, et des États, problèmes qui ne peuvent être résolus par la haine, la guerre et l'autodestruction mais seulement par la paix, la justice, le respect des droits des hommes et des nations.

 

O Mère de l'Église ! Fais que l'Église jouisse de la liberté et de la paix dans l'accomplissement de sa mission de salut et qu'elle jouisse à cette fin d'une nouvelle maturité de foi et d'unité intérieure ! Aide-nous à découvrir toute la simplicité et la dignité de la vocation chrétienne ! Fais que les ouvriers ne manquent jamais à la vigne du Seigneur. Sanctifie les familles ! Veille sur l'âme des jeunes et sur le cœur des enfants ! Aide à surmonter les grandes menaces morales qui atteignent les fondements de la vie et de l'amour. Obtiens pour nous la grâce de nous renouveler continuellement par toute la beauté du témoignage rendu à la croix et à la résurrection de ton Fils.

 

Il y a tant de problèmes que j'aurais dû, ô Mère, te présenter en cette rencontre, en les nommant l'un après l'autre. Je te les confie tous car tu les connais mieux et tu prends soin de tous.

 

Je le fais dans le lieu du grand acte de consécration d'où l'on voit non seulement la Pologne mais toute l'Église, à travers les pays et les continents : toute l'Église dans ton cœur maternel.

 

L'Église entière, dont je suis le premier serviteur, je te l'offre et je te la confie ici, ô Mère, avec une immense confiance.

 

Amen.

 

 

 

4 juin 1979

A CZESTOCHOWA : DISCOURS A LA PAROISSE DE SAINT-SIGISMOND

 

1. C'est Vraiment avec joie que je foule le seuil de cette paroisse qui, avec l'ensemble du diocèse de Czestochowa, attend la visite désormais prochaine de l'image de la Madone de Jasna Gôra.

 

Après avoir pris congé du siège primatial de Gniezno, elle commencera sa visite chez vous. Je voudrais donc saluer aujourd'hui déjà la Mère de la Visitation dans cette nouvelle étape de mon pèlerinage à travers la terre polonaise. Je le fais en cordiale union spirituelle avec mon cher frère du diocèse de Czestochowa, avec les évêques qui le secondent, avec tous les pasteurs et les prêtres diocésains et religieux, avec les chères sœurs de tant de congrégations religieuses. Je le fais, avec les cœurs de tout le peuple de Dieu qui, partout, est particulièrement sensible à la présence de la Madone de Jasna Gôra.

 

2. La visite de l'image de Jasna Gôra dans sa reproduction fidèle, bénie en 1957 par le Saint-Père Pie XII, a plus de vingt ans d'histoire. Depuis l'été 1957, l'image a commencé à visiter successivement chaque paroisse, passant de l'archidiocèse de Varsovie au diocèse de Siedlce, à celui de Lomza, à l'archidiocèse de Bialystock, à la région des Lacs et de Poméranie, aux diocèses de Warmia, Gdansk et Chelmno ; et ensuite sur le territoire de l'ancienne administration de Gorzow, actuellement divisée en trois diocèses : Szvzecin-Kamien, Koszalin-Kolobrzeg et Gorzow, dans les nouvelles frontières. La Madone pérégrinante a visité ensuite la Silésie : l'archidiocése de Wroclaw et le diocèse d'Opole, pour arriver au diocèse de Katowice et aux autres diocèses méridionaux, c'est-à-dire à l'archidiocèse de Cracovie, aux diocèses de Tarnow et de Przemysl et sur le territoire de l'archidiocèse de Lubaczow ; ensuite aux diocèses de Lublin et de Sandomierz. Après avoir visité le diocèse de Kielce, l'image s'est dirigée vers le diocèse de Drohiczyn, et encore celui de Lodz, pour se tourner vers le nord avec les diocèses de Wloclawek et de Plock. De Plock, cette chaîne de visites est passée à l'archidiocèse de Poznan et enfin à celui de Gniezno. Aujourd'hui, à cette magnifique chaîne s'ajoute le diocèse de Czestochowa qui en constitue, pour ainsi dire, le dernier maillon.

 

J'ai énuméré toutes les étapes des visites de la Madone pérégrinante de Jasna Gôra, parce que chacune d'elles développe cette idée bénie, dont se sont inspirés le Serviteur de Dieu le pape Pie XII et l'épiscopat polonais, en lançant cette pratique religieuse il y a vingt ans.

 

3. J'ai salué Notre-Dame de Jasna Gôra dans son image pérégrinante, en certaines de ses étapes. Je l'ai saluée surtout quand je rendais visite aux paroisses et aux communautés du peuple de Dieu de l'archidiocèse de Cracovie, dont j'étais le pasteur.

 

Je veux aujourd'hui la saluer — par un mystérieux dessein de; la Providence — en ma qualité de successeur de tous les papes qui ont vécu pendant cette période, en commençant par Pie XII, puis Jean XXIII, Paul VI et Jean Paul I°. Je salue Marie, en la remerciant de toutes les grâces de sa visite en chacune de ses étapes. Je sais, par expérience pastorale personnelle, combien grandes et extraordinaires sont ces grâces. Par les visites de l'image pérégrinante de Jasna Gôra, dans sa reproduction fidèle, est commencé ainsi un nouveau chapitre de l'histoire de Notre-Dame de Jasna Gôra en terre polonaise.

 

La doctrine du concile Vatican II, contenue surtout dans la constitution dogmatique sur l'Église, a trouvé son expression tangible dans cette visite. Ces visites ont montré ce qu'est réellement la présence maternelle de la Mère de Dieu dans le mystère du Christ et de son Église. En quittant son sanctuaire de Jasna Gôra pour visiter chaque diocèse et chaque paroisse de Pologne, Marie s'est montrée à nous tous, d'une façon particulière, une Mère. La mère en effet n’attend pas seulement ses enfants à la maison, elle les suit où qu'ils établissent leur demeure. Où qu'ils vivent, où qu'ils travaillent, où qu'ils fondent leur foyer, où qu'ils soient cloués sur un lit de douleur, et même en quelque voie détournée qu'ils se trouvent, en oubliant Dieu ou en étant chargés de fautes.

 

Là, partout !

 

Je voudrais donc aujourd'hui, avec vous qui êtes ici présents, exprimer une immense gratitude pour tout cela. Je voudrais être l'écho principal de tous les cœurs, de toutes les familles, de toutes les communautés, de tous les pasteurs : prêtres et évêques. De tous.

 

Et en même temps, en saluant spirituellement Marie dans son image pérégrinante, sur le seuil de chaque paroisse du diocèse de Czestochowa — alors que la chaîne de la visite passera à l'évêque de l'église de Czestochowa, avec ses frères dans l’épiscopat, les pasteurs, les prêtres, les famines-religieuses et tout le peuple de Dieu — je voudrais être le messager d'une grande attente et d'une ardente espérance. Vos cœurs sont remplis de cette attente. Marie elle-même, par son image; vous apporte l'espérance. Le moment de l'Annonciation à Nazareth n'a-t-il pas été un grand tournant dans l'histoire de l'humanité ? Marie n'a-t-elle pas apporté l'espérance dans la maison de Zacharie quand elle est venue rendre visite à Elisabeth sa parente ? Le pape Paul VI n'a-t-il pas, en nos temps difficiles, appelé la Mère de Dieu « principe d'un monde meilleur » ? Le bienheureux Maximilien Kolbe, « soldat » polonais de l’Immaculée, n'a-t-il pas senti lui aussi le même mystère ?

 

Que soit béni le séjour de Marie dans chaque paroisse de votre diocèse de Czestochowa !

 

Comme l'a fait autrefois le serviteur de Dieu Pie XII moi aussi aujourd'hui — en cette dernière étape du pèlerinage de l'image de Jasna Gôra — moi son indigne successeur, pape Jean Paul II, fils de la nation polonaise, je bénis de tout cœur ceux qui accueillent Marie.

 

Je dépose ce salut et cette bénédiction dans les mains de l'évêque de Czestochowa afin qu'ils soient lus — selon la coutume — pendant la visite dans les différentes paroisses.

 

 

 

4 juin 1979

AU SANCTUAIRE DE JASNA GORA : A UN GROUPE DE MALADES

 

Je ne peux manquer au cours de mon pèlerinage en Pologne, d'adresser la parole aux malades, qui sont si proches de mon cœur. Je le sais, chers amis, souvent dans les lettres que vous m'envoyez, vous écrivez que vous offrez à mes intentions cette grande croix de la maladie et de la souffrance, que vous l'offrez pour ma mission papale. Que le Seigneur vous le rende !

 

Pendant l'Angélus du matin, du midi et du soir — chaque fois que je le récite, je sens, très chers compatriotes, que vous m'êtes spécialement proches. Je m'unis spirituellement à vous tous. D'une façon particulière, je renouvelle cette union spirituelle qui me lie à tout homme qui souffre, à tout malade, à tout homme cloué sur un lit d'hôpital, à tout infirme contraint d'utiliser une petite voiture, à tout homme qui, de quelque façon, rencontre la croix.

 

Très chers frères et sœurs ! Tout contact avec vous, en quelque lieu que ce soit, dans le passé ou aujourd'hui, est pour moi la source d'une profonde émotion. J'ai toujours senti l'insuffisance des paroles que j'aurais pu vous dire et qui m'auraient servi à exprimer ma compassion humaine. Et aujourd'hui encore, j'ai la même impression. Je l'éprouve toujours. Reste toutefois cette unique dimension, cette unique réalité qui permet à la souffrance humaine de se transformer essentiellement. Cette dimension, cette réalité, c'est la croix du Christ. Sur la croix, le Fils de Dieu a accompli la rédemption du monde. Et à travers le mystère que chaque croix met sur les épaules de l'homme, elle acquiert une dignité humainement impossible à concevoir, elle devient le signe de salut pour celui qui la porte et aussi pour les autres. «Je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ » (Col. l, 24), a écrit saint Paul.

 

Et c'est pourquoi, en m'unissant à vous tous qui souffrez sur toute la terre de Pologne — dans vos maisons, dans les hôpitaux, dans les cliniques, dans les centres de soins et de cure... où que vous soyez — je vous en prie, utilisez pour le salut cette croix qui est devenue partie intégrante de chacun de vous. Je demande pour vous la grâce de la lumière et de la force spirituelle dans la souffrance, afin que vous ne perdiez pas courage, mais que vous découvriez par vous-mêmes le sens de la souffrance et que vous puissiez, avec la prière et le sacrifice, soulager les autres. Ne m'oubliez pas, n'oubliez pas non plus toute l'Église, ni la cause de l'Évangile et de la paix que je sers par la volonté du Christ.

 

Alors que vous êtes faibles et humainement frappés d'une certaine incapacité, soyez une source de force pour votre frère et votre père qui est, proche de vous par la prière et par le cœur.

 

« Me voici, je suis la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon ta parole » (Lc 1, 38).

 

Ces paroles que Marie prononce à travers tant de lèvres humaines, qu'elles deviennent pour vous tous lumière sur votre chemin !

 

Que Dieu vous le rende, très chers frères et sœurs ! Et qu'il récompense tous ceux qui ont soin de vous. A travers toute manifestation de cet empressement à vous servir, le Verbe se fait chair (cf. Jn 1, 14). Le Christ a dit en effet : « Dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait» (Mt 25, 40).

 

 

 

5 juin 1979

A JASNA GORA: RENCONTRE DU PAPE AVEC LES RELIGIEUSES

 

1. Je me réjouis cordialement de cette rencontre que la providence de Dieu nous a préparée aujourd'hui ici aux pieds de la Dame de Jasna Gôra. Vous êtes venues très nombreuses de toute la Pologne pour participer au pèlerinage de votre compatriote que le Christ dans son insondable miséricorde a appelé, comme autrefois. Simon de Bethsaïde, et lui a ordonné de quitter sa terre natale pour assumer la succession sur le siège des évêques de Rome, Et puisque il lui a été donné de revenir une fois encore dans ces lieux, je désire vous dire les mêmes paroles que je vous ai adressées plus d'une fois dans le passé en qualité de successeur de saint Stanislas à Cracovie. Maintenant ces paroles acquièrent une dimension différente, un dimension universelle.

 

Le thème de la « vocation religieuse » est l'un des plus beaux parmi ceux dont nous a parlé et nous parle constamment l'Évangile. Ce sujet trouve une incarnation particulière en Marie qui a dit d'elle-même : « Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon sa parole » (Lc 1, 38). Je pense que ces mots ont trouvé un écho profond dans la vocation et dans la profession religieuse de chacune d'entre vous.

 

2. Pendant qu'aujourd'hui l'occasion se présente à moi de vous parler ici, les splendides chapitres de l'enseignement de l'Église au dernier Concile me: viennent à l'esprit, ainsi que les documents — si nombreux — des derniers papes.

 

Permettez toutefois que, me basant sur toute cette richesse d'enseignement de l'Église, je me réfère à quelques-unes de mes modestes déclarations. Et je le fais parce que dans ces déclarations, mes rencontres avec les milieux religieux en Pologne, si nombreuses dans le passé, ont trouvé un écho. Je les ai emportées avec mot à Rome comme la « ressource » de mon expérience personnelle. Il vous sera donc peut-être plus facile de vous retrouver dans ces paroles qui — bien qu'adressées à des milieux nouveaux — parlent d'une certaine façon de vous : des sœurs polonaises et des familles religieuses polonaises.

 

3. Peu de temps après le début de mon nouveau ministère, j'ai eu la chance de rencontrer environ vingt mille sœurs de Rome ; et voici un passage du discours que je leur ai adressé.

 

« Votre vocation est un trésor particulier de l'Église qui ne peut jamais cesser de prier pour que l'Esprit de Jésus-Christ suscite dans les âmes des vocations religieuses. De fait, celles-ci sont, aussi bien pour la communauté du peuple de Dieu que pour le "monde" un signe vivant du "siècle à venir" : signe qui, en même temps s'enracine (également par votre habit religieux) dans la vie quotidienne de l'Église et de la, société et pénètre dans ses tissus les plus délicats... »

 

Votre présence « doit être pour tous un signe visible de l'Évangile. Elle doit être la source d'un apostolat particulier. Cet apostolat est tellement riche et varié qu'il m'est finalement difficile d'énumérer toutes les formes qu'il prend, tous les domaines qu'il atteint, toutes les orientations qu'il vise. Il est lié au charisme spécifique de chaque congrégation, à son esprit apostolique, que l'Église et le Saint-Siège approuvent avec joie, voyant en lui l'expression de la vitalité du Corps mystique du Christ lui-même !  Cet apostolat est habituellement discret, caché, proche de l'être humain, et pour cela convient davantage à l'âme féminine, sensible au prochain et donc appelée à la tâche de sœur et de mère.

 

C'est justement cette vocation qui se trouve au "cœur" même de votre être de religieuses. Comme évêque de Rome je vous en prie : soyez spirituellement les mères et les sœurs de tous les hommes de cette Église, que Jésus dans son ineffable et miséricordieuse grâce a voulu me confier » (Osservatore Romano, édition italienne 12-11-1978, p. 16).

 

4. Le 24 novembre dernier, l'occasion s'est offerte à moi de rencontrer le groupe nombreux des supérieures générales réunies à Rome sous la direction du cardinal préfet de la Sacrée Congrégation pour les religieux et les instituts séculiers. Qu'il me soit permis de rapporter quelques-unes des phrases du discours que j'ai prononcé en cette circonstance.

 

« La vocation religieuse... appartient à cette plénitude spirituelle que l’Esprit-Saint lui-même — l'Esprit du Christ — suscite et façonne dans le peuple de Dieu. Sans les ordres religieux, sans la vie "consacrée" par les vœux de chasteté, de pauvreté, d'obéissance, l'Église ne serait pas pleinement elle-même... Vos maisons doivent être surtout des centres de prière, de recueillement, de dialogue — personnel et communautaire — avec celui qui est et doit rester le premier et le principal interlocuteur dans la succession laborieuse des heures de vos journées. Si vous savez alimenter ce "climat" d'intense et d'amoureuse communion avec Dieu, il vous sera possible de faire progresser, sans tensions traumatisantes, sans débandades dangereuses, ce renouveau de la vie et de la discipline dans lequel le concile œcuménique Vatican II vous a engagées » (Osservatore Ramano, édition italienne du 25-11-1978, p. 1).

 

5. Enfin le Mexique. La rencontre qui a eu lieu dans la capitale de ce pays m'est restée profondément gravée dans la mémoire et dans le cœur. Il ne pouvait pas en être autrement, car les sœurs créent toujours au cours de ces rencontres un climat particulièrement cordial «t acceptent avec joie la parole qui leur est adressée. Voici donc quelques-unes des pensées de cette rencontre mexicaine :

 

« Votre vocation mérite la plus grande estime de la part du pape et de la part de l'Église. C'est pourquoi je désire exprimer ma joyeuse confiance en vous et vous encourager à ne pas vous-laisser abattre sur le chemin que vous avez entrepris et qui vaut la peine d'être poursuivi avec un esprit et un enthousiasme renouvelé... Que de choses vous pouvez faire aujourd'hui pour l'Église et pour l'humanité ! Elles attendent votre don généreux, le dévouement de votre cœur libre, qui élargit sans soupçon ses potentialités d'amour dans un monde qui perd sa capacité d'altruisme, d'amour sacrifié et désintéressé. Rappelez-vous, en effet, que vous êtes les épouses mystiques du Christ et du Christ crucifié » (AAS., 1979, p. 177).

 

6. Et maintenant permettez que mes pensées et les vôtres se tournent encore une fois ici, en ce lieu vers la Dame de Jasna Gôra qui est source de vivante inspiration pour chacune d'entre vous. Chacune d'entre vous, en écoutant les paroles prononcées à Nazareth par Marie répète avec elle : « Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon sa parole » (Lc 1, 38). Dans ces paroles est contenu d'une certaine façon le prototype de toute profession religieuse, moyennant laquelle chacune d'entre vous embrasse, avec tout son être, le mystère de la grâce transmise dans la vocation religieuse. Chacune d'entre vous, comme Marie, choisit Jésus, le divin époux. Et en réalisant les vœux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance, désire vivre pour lui, pour son amour. Moyennant ces vœux, chacune d'entre vous désire rendre témoignage à la vie éternelle que le Christ nous a apportée dans sa croix et dans sa résurrection.

 

Chères sœurs, ce qui vous constitue comme signe vivant au milieu des hommes est inestimable. Et en embrassant avec foi, espérance et charité le divin époux, vous l'embrassez dans les nombreuses personnes que vous servez : dans les malades, dans les vieillards, dans les boiteux, dans les handicapés dont personne d'autre que vous n'est capable de s'occuper parce que, pour cela, un sacrifice vraiment héroïque est nécessaire. Et où trouverez-vous encore le Christ lui-même ? Dans les enfants, dans les jeunes du catéchisme, dans la pastorale aux côtés des prêtres. Vous le trouverez dans le service le plus simple aussi bien que dans les travaux qui exigent parfois une formation et une culture profondes. Vous le trouverez partout, comme l'épouse du Cantique des Cantiques : « ... j'ai trouvé l'amour démon cœur» (Ct 3, 4).

 

Que la Pologne se réjouisse toujours de votre témoignage de l'Évangile !

 

Que ne manquent pas ces cœurs ardents qui portent l'amour évangélique au prochain ! Et vous, réjouissez-vous toujours de la joie de votre vocation, même quand vous devrez éprouver des souffrances intérieures ou extérieures ou bien l'obscurité.

 

Le pape Jean Paul II désire demander tout cela avec vous pendant ce très saint sacrifice de la messe.

 

 

 

5 juin 1979

A JASNA GORA : JEAN PAUL II A LA CONFERENCE EPISCOPALE POLONAISE

 

1. Je désire avant tout vous exprimer ma joie et ma profonde émotion pour notre rencontre d'aujourd'hui. La Conférence de l'épiscopat polonais est la communauté et le milieu d'où le Christ — dans son dessein insondable — m'a appelé le 16 octobre 1978 à là chaire de saint Pierre à Rome, manifestant sa volonté par l’intermédiaire des votes du Sacré Collège rassemblé en conclave dans la chapelle Sixtine. Ayant aujourd'hui le bonheur de participer de nouveau à l'assemblée plénière de la Conférence de l'épiscopat polonais à Jasna Gôra, je ne peux pas ne pas exprimer avant tout mes sentiments de gratitude et de solidarité fraternelle, qui remontent au moment de ma nomination comme évêque en 1958. Je me souviens que la première conférence à laquelle j'ai participé comme évêque-élu eut lieu à Jasna Gôra, durant les premiers jours de septembre.

 

Au cours des vingt aimées de mon appartenance à la Conférence de l'épiscopat polonais et de ma participation à ses travaux, j'ai énormément appris, aussi bien de chacun des membres de cette communauté épiscopale ; à commencer par l'éminentissime primat de Pologne, que de toute cette communauté comme telle. Ce qui caractérise en effet d'une manière particulière la Conférence de l'épiscopat polonais, c'est cette unité qui est source de force spirituelle. L'épiscopat polonais, justement par son unité, sert d'une manière toute particulière l'Église en Pologne et aussi l'Église universelle. La société s'en rend bien compté et nourri envers l'épiscopat polonais une confiance juste et méritée. Cette confiance s'adresse à tout l'épiscopat, à tous les archevêques et évêques dans leurs diocèses, et particulièrement au primat de Pologne, au sujet duquel je désire dire aujourd'hui ce que j'ai eu déjà l'occasion de dire plusieurs fois, qu'il est un homme providentiel pour l'Église et pour la Patrie. Ceux qui disent cela ne sont pas seulement les Polonais, mais aussi des personnes appartenant à d'autres nations d'Europe et du monde, qui remercient avec moi le Seigneur d'avoir donné un tel pouvoir à l'homme (cf. Jn 1, 12).

 

Au cours des vingt années de mon ministère épiscopal pendant lesquelles j'ai pu servir l'Église de Cracovie — d'abord aux côtés de l'archevêque Eugène Baziak de sainte mémoire (métropolitain de l'archidiocèse actuellement orphelin de Lwow), puis comme successeur du métropolitain de Cracovie, le cardinal Adam Stefan Sapieha, dans la cathédrale de saint Stanislas — une grande dette de reconnaissance s'est accumulée dans mon cœur. Je cherche à m'en acquitter comme je le puis, dans le souvenir et dans la prière pour tes cardinaux, archevêques et évêques polonais vivants ou défunts. Ces défunts ne s'effacent pas de ma mémoire : tout spécialement ceux avec lesquels il m'a été donné de collaborer de plus près, dans la sphère d'influence de leur personnalité, comme c'est le cas des archevêques de Cracovie que j'ai déjà nommés, du regretté cardinal Boleslas Kominek, métropolitain de Poznan, et de tant de figures magnifiques et inoubliables d'évêques résidentiels et auxiliaires, pleins d'originalité humaine et d'authenticité chrétienne, que le Seigneur a rappelés à lui au cours de ces vingt ans. Je ne peux pas non plus ne pas évoquer le souvenir du regretté cardinal Boleslas Filipiak, qui a servi le Saint-Siège durant de longues années et que j'ai rencontré si souvent à Rome.

 

La participation aux travaux de l'épiscopat polonais m'a permis de me familiariser avec les problèmes de l'Église contemporaine dans sa dimension universelle. Ceci s'est produit grâce surtout au Concile, auquel j'ai eu le bonheur de participer du premier au dernier jour. En entrant dans cette vaste problématique que Vatican II a actualisée dans tous ses documents, j'ai pu me rendre compte de tout ce que comporte comme particularité et comme responsabilité la place que la Pologne, et spécialement l'Église polonaise, tient sur la grande carte du monde contemporain auquel nous sommes tous envoyés comme les Apôtres avaient été envoyés lors de l'Ascension du Christ, qui leur disait : « Allez donc, et enseignez toutes les nations » (Mt 28, 19). Cette conscience s'est approfondie ensuite, au cours des années de l'après-Concile, grâce en particulier, aux travaux du Synode des évêques, aux congrégations du Siège apostolique et grâce aussi aux rencontres que j'ai eues avec les représentants de divers épiscopats européens ou hors de l'Europe. Parmi ces occasions, il y a eu les visites aux émigrés polonais que j'ai faites plusieurs fois au nom de l'épiscopat polonais.

 

Je rappelle aujourd'hui tout cela avec gratitude. L'appartenance à la Conférence épiscopale polonaise et la participation à ses multiples travaux ont été confirmées par la Providence comme la voie la plus adaptée pour la préparation à ce ministère que, depuis le 16 octobre, je dois exercer à l'égard de toute l'Église universelle. Je désire dire tout cela en commençant mon allocution, devant cette assemblée plénière insolite de la Conférence épiscopale polonaise, qui se déroule ici aujourd'hui.

 

2. L'année 1979 est dans l'Église de ma patrie l'année de saint Stanislas. Neuf cents ans se sont écoulés depuis qu'il reçut la mort des mains du roi Boleslas le Hardi à Skalka. La mort de l'évêque qui annonçait à tous — y compris au roi — la vérité de la foi et de la morale chrétienne a eu le sens d'un témoignage particulier rendu à l'Évangile et au Christ. Stanislas de Szczepanow a subi la mort de manière à être compté, dans la tradition de l'Église, au nombre des martyrs. Au commencement de notre histoire, au second siècle du christianisme en Pologne, cet évêque-martyr, sang du sang et os des os de la nation, est venu s'associer à un autre évêque-martyr qui appartenait encore à la génération missionnaire et à l'époque du baptême : à saint Adalbert, d'origine tchèque. Je rappelle son souvenir parce que, dans la mémoire du peuple de Dieu en terre polonaise, ces deux figures sont unies et entourées d'une vénération et d'une dévotion particulières.

 

Stanislas de Szczepanow a été évêque de Cracovie et membre de l’épiscopat polonais d'alors, et c'est pourquoi l’épiscopat polonais actuel a des raisons particulières pour entourer sa figure d'une vénération spéciale et de célébrer avant tout l'anniversaire de son martyre. Cela se fait dans l’archidiocèse de Cracovie depuis 1972 et on célèbre au contraire, dans le diocèse de Tarnow, sur le territoire duquel se trouve Szczepanow — lieu de ta naissance du saint — l'« Année de saint Stanislas ». Comme évêque et comme pasteur sur la chaire de Cracovie, saint Stanislas fut un des piliers de cet ordre hiérarchique qui s'est établi sur les terres des Piast depuis l'an 1000. Nous avons des raisons particulières de remercier Dieu continuellement pour les bases solides de cet ordre, institué au Congrès de Gniezno (Poznan) sur lé fondement de la mission apostolique de saint Adalbert et sur son Martyre. C'est vers ce corps martyrisé, transféré avec vénération à Gniezno (Poznan) par Boleslas le Vaillant, que sont venus les légats du pape Sylvestre II et de l'empereur Otton III. La Pologne des Piast, qui depuis 968 cepit habere episcopum à Poznan — relativement tôt, puisque ce fut à peine trente-quatre ans après le baptême de Miesko — a obtenu son organisation ecclésiastique propre : métropolitain à Gniezno (Poznan) avec les sièges épiscopaux à Cracovie, Wroclaw (Breslau) et Kolobrzeg.

 

Ces faits sont universellement connus. Il est impossible, cependant, de ne pas. les rappeler en cette circonstance extraordinaire que nous vivons ensemble aujourd'hui et de ne pas m'y référer.

 

L'ordre hiérarchique est un élément constitutif de l'Église du Christ,  comme  la constitution  dogmatique  sur  l'Église Lumen gentium nous l'a magistralement rappelé. L'Église qui, comme peuple de Dieu, a été édifiée sur les mystères de l'Incarnation et de la Rédemption et qui naît continuellement par la descente du Saint-Esprit, est la réalité visible d'une organisation hiérarchique clairement définie. Cette organisation détermine l'Église comme communauté et société bien définie qui, à travers l'organisation hiérarchique qui lui est propre, s'inscrit dans l'histoire de l'humanité, dans l'histoire de chaque peuple et de chaque nation. Nous vénérons donc ajuste titre saint Adalbert comme le patron de l'ordre hiérarchique dans notre patrie. Nous commémorons et nous admirons à juste titre les grands coryphées de l'assemblée de Gniezno (Poznan). L'Église s'est solidement insérée dans l'histoire de la nation à travers la structure hiérarchique formelle qu'elle a obtenue en ce temps-là en Pologne. L'an 1000 est une date que nous lions, avec des raisons bien fondées, à la date du baptême qui eut lieu en 966.

 

La connaissance de l'histoire de la Pologne nous, apprendra encore davantage :,non seulement l'organisation hiérarchique de l'Église a été inscrite de manière décisive dans l'histoire de la nation en l'an 1000, mais l'histoire de la nation a été aussi enracinée de manière providentielle dans la structure de l'Église en Pologne, structure que nous devons à l'assemblée de Gniezno (Poznan). Cette, affirmation trouve sa vérification dans les diverses périodes de l'histoire de la Pologne, et particulièrement dans les périodes les plus difficiles. Lorsque les structures de la nation et de l'État ont fait défaut, la société, catholique pour sa plus grande partie, a trouvé l'appui de l'organisation hiérarchique de l'Église, qui l'a aidée ainsi à, surmonter les temps de la partition du pays et de l'occupation ; elle l’a aidée à maintenir, et même à approfondir, la. conscience de son identité. Peut-être y aura-t-il des étrangers pour, estimer que cette situation est « atypique », mais elle a pour les Polonais une éloquence irrésistible. Elle est simplement une partie de la vérité de l'histoire de la patrie.

 

L'épiscopat de la Pologne contemporaine est d'une manière particulière l'héritier et le représentant de cette vérité. Le fait que, au long d'un millénaire d'histoire, le patronage des saints évêques et martyrs Adalbert et Stanislas ait accompagné les pensées et les cœurs des Polonais est une motivation profonde.

 

3. Lorsque, en l'an 1000, la structure fondamentale de l'organisation hiérarchique de l'Église a été établie en Pologne, elle a été établie, depuis le commencement, dans l'unité de la hiérarchie avec l'organisation de l'Église universelle — c'est-à-dire avec le Siège apostolique. C'est dans un tel rapport que la structure de l'Église demeure ininterrompue dans notre patrie jusqu'à aujourd'hui. Grâce à cela, la Pologne est catholique et « toujours fidèle ». L'unité de la structure hiérarchique, le lien de l'épiscopat polonais avec le Siège de Pierre constitue la base de cette unité dans sa dimension universelle. L'Église en Pologne, au long des siècles, a été fortement et inébranlablement enracinée dans cette universalité, qui;est un des signes de l'Église du Christ. La constitution Lumen gentium a approfondi ce point :de manière exhaustive sous divers aspects, montrant en même temps comment la dimension universelle de l'Église est liée à la mission et au ministère de Pierre.

 

Nous savons bien que cet enracinement de l'Église en Pologne dans sa catholicité — depuis le moment du baptême et de l'assemblée de Gniezno (Poznan) et tout au long de l'histoire — a une signification particulière pour la vie spirituelle de la nation. Et il a aussi une signification pour sa culture, qui est marquée non seulement par la tradition de liens visibles avec Rome, mais qui possède encore les caractéristiques de l'universalité propres au catholicisme et de l'ouverture à tout ce qui, dans l'échange universel des biens, devient le lot de chacun de ceux qui y participent. Cette affirmation pourrait être étayée par d'innombrables arguments tirés de notre histoire. Un de ces arguments pourrait même être le fait que nous nous trouvons ensemble aujourd'hui, qu'un pape polonais rencontre aujourd'hui l'épiscopat polonais.

 

On affirme généralement que la participation du peuple polonais à l'héritage spirituel de l'Église, qui découle de son unité universelle, est devenue un élément d'union et de sécurité pour l'identité et l'unité de la nation dans les périodes particulièrement difficiles. Ces périodes étaient aussi particulièrement marquées par le rayonnement de l'esprit chrétien. Le XIX° siècle en est la preuve, comme en sont la preuve, pour nous, les dernières décennies du siècle actuel. Après la période de l'occupation qui, comme on le sait, a été une menace terrible et mortelle pour la survie de la Pologne, est venue une période de grandes transformations qui ont trouvé une expression extérieure, par exemple dans l'organisation complètement nouvelle des frontières de l'État.

 

Dans ce contexte, le lien expérimenté depuis des siècles entre la vie de la nation et l'activité de l'Église, s'est encore une fois manifesté à nos yeux. La normalisation des rapports ecclésiastiques à l'intérieur des nouvelles limites de l'État polonais, et en particulier dans les territoires de l'ouest et du nord, a confirmé clairement ce qu'ont représenté l'an 1000 ou les temps de saint Adalbert et de saint Stanislas. L'organisation hiérarchique de l'Église est devenue non seulement le centre de sa mission pastorale, mais aussi un appui manifeste pour toute la vie de la société, pour la nation consciente de ses droits à l'existence et qui, comme nation en très grande majorité catholique, cherche aussi cet appui dans les structures hiérarchiques de l'Église. Telle est la portée des événements qui ont commencé!durant le pontificat du pape Pie XII en 1945, peu après la fin de la guerre et de l'occupation, avec la mission mémorable du cardinal Auguste Hlond, primat de Pologne, et qui se sont achevés avec les dernières décisions du pape Paul VI en juin 1972, lorsque dans l’archidiocèse de Cracovie a commencé le jubilé de sept années dit service pastoral de saint Stanislas. Il est significatif que c'est durant la conférence plénière de Cracovie, le 28 juin, que ces décisions importantes de Paul VI ont été rendues publiques.

 

L'ordre hiérarchique de l'Église trouve sa clé de voûte dans la mission et le ministère de Pierre. Le Siège apostolique tire de cette mission et de ce ministère le caractère qui lui est propre. Ce n'est pas un caractère de structure laïque et politique, même si, pour des raisons qui sont encore valables aujourd'hui, une survivance de l'ancien État pontifical est encore liée au Siège romain. Cependant, comme cet État, qui a cessé d'exister du point de vue historique en 1870, de même ce qu'il en reste actuellement, et qui est seulement symbolique, est une garantie de la souveraineté du Siège apostolique par rapport au monde et constitue une base sur laquelle s'appuie ce qui est essentiel à ce Siège apostolique : cela découle uniquement et exclusivement de la nature de l'Église, de sa mission apostolique, du service évangélique de la vérité et de l'amour, de la mission pastorale au service de laquelle est surtout l'organisation hiérarchique de l'Église. Les chapitres consacrés à cette organisation hiérarchique et à ses raisons d'être se trouvent dans la constitution Lumen gentium, après les chapitres qui traitent du mystère de l'Église et de la mission universelle du peuple de Dieu.

 

C'est seulement en ayant devant les yeux cette image adéquate et correcte de l'Église et, dans son ensemble organique, l'image propre du Siège apostolique, que nous pouvons établir d'une manière exacte la signification de la question qui est devenue depuis de nombreuses années d'une grande actualité en Pologne, c'est-à-dire la question de la normalisation des rapports entre l'Église et l'État. Il faut parler ici de cette actualité qui a de nouveaux aspects, puisque cette question a en arrière-plan, pour des raisons compréhensibles, une longue et riche histoire à laquelle on ne peut pas ne pas se référer. L'épiscopat polonais, en étroite collaboration avec le Siège apostolique, particulièrement durant les pontificats de Jean XXIII et de Paul VI, a fait énormément pour la cause de cette normalisation. Avant tout, il a établi une série d'éléments concrets sur lesquels la fonder. L'aide fondamentale pour ce travail d'avant-garde a été la doctrine contenue dans les documents du concile Vatican II et avant, tout d'avoir pu s'appuyer sur la Déclaration sur la liberté religieuse, document qui coïncide directement avec les principes promulgués dans des documents fondamentaux, nationaux et internationaux, parmi lesquels la constitution de la république populaire de Pologne. Il est clair que l'application concrète de ces principes ne peut répondre à l'idée de la « liberté religieuse » que lorsqu'elle prend en considération les besoins réels de l'Église qui sont liés à ses multiples activités.

 

De ce thème, comme aussi de la disponibilité de l'Église à collaborer avec tous les pays et tous les hommes de bonne volonté, j'ai parlé le 12 janvier dernier au Corps diplomatique prés le Saint-Siège. En voici un passage :

 

« En prenant des contacts — entre autres par le moyen des représentations diplomatiques — avec tant d'États aux profils si divers, le Siège apostolique désire avant tout exprimer sa profonde estime pour chaque nation et chaque peuple, pour sa tradition, sa culture, son progrès en tout domaine, comme je l'ai déjà dit dans les lettres adressées aux chefs d'État à l'occasion de mon élection au Siège de Pierre. L'État, comme expression de l'autodétermination souveraine des peuples et nations, constitue une réalisation normale de l'ordre social. C'est en cela que consiste son autorité morale. Fils d'un peuple à la culture millénaire qui a été privé durant un temps considérable de son indépendance comme État. Je sais, par expérience, la haute signification de ce principe.

 

« Le Siège apostolique accueille avec joie tous les représentants diplomatiques, non seulement comme porte-parole de leurs propres gouvernements, régimes et structures politiques, mais aussi et surtout comme représentants des peuples et des nations qui, à travers ces structurés politiques, manifestent leur souveraineté, leur indépendance politique et la possibilité de décider de leur destinée de façon autonome. Et il le fait sans aucun préjugé quant à l'importance numérique de la population : ici, ce n'est pas le facteur numérique qui est décisif.

 

« Le Siège apostolique se réjouit de la présence de si nombreux représentants ; il serait même heureux d'en voir beaucoup d'autres, spécialement des nations et populations qui avaient parfois à cet égard une tradition séculaire : je pense surtout ici aux nations qu'on peut considérer comme catholiques. Mais aussi à d'autres. Car, actuellement, de même que se développe l’œcuménisme entre l'Église catholique et les autres Églises chrétiennes, de même qu'on tend à nouer des contacts avec tous les hommes en faisant appel à la bonne volonté, de même ce cercle, s'élargit... Le Siège apostolique veut être, conformément à la mission de l’Elise, au centre de ce rapprochement fraternel. Il désire servir la cause de la paix, non pas à travers une activité politique, mais en servant les valeurs et les principes qui conditionnent la paix et le rapprochement et qui sont à la base du bien commun international...

 

« Nous Voyons bien que l'humanité est divisée de multiples façons. Il s'agit aussi, et peut-être par-dessus tout, de divisions idéologiques liées aux divers systèmes étatiques. La recherche de solutions permettant aux sociétés humaines d'accomplir leurs propres tâches, de vivre dans la Justice, est peut-être le principal signe de notre temps... Il faut tirer avantage des expériences réciproques...

 

« Le Siège apostolique, qui en a déjà donné la preuve, est toujours prêt à manifester son ouverture à l'égard de tout pays ou régime, en cherchant le bien essentiel qui est le véritable bien de l'homme. Un bon nombre d'exigences corrélatives à ce bien ont été exprimées dans la Déclaration des droits de l'homme et dans les pactes internationaux qui en permettent concrètement l'application ». (AAS 71, 1979, p. 354-357).

 

L'épiscopat polonais a ses expériences propres en ce domaine important. En se fondant sur la doctrine de Vatican II, il a élaboré un ensemble théorique de documents connus du Siège apostolique, et il a élaboré en même temps un ensemble d'attitudes pastorales pratiques qui confirment sa disponibilité au dialogue, en montrant clairement que le dialogue authentique doit respecter les convictions des croyants et assurer tous les droits des citoyens et les conditions normales pour l'activité de l'Église comme communauté religieuse à laquelle appartient la très grande majorité des Polonais. Nous nous rendons compte que ce dialogue ne peut être facile, car il se déroule entre deux conceptions du monde diamétralement opposées ; mais il doit être possible et efficace si le bien de l'homme et de la nation l'exige. D faut que l'épiscopat polonais ne cesse d'entreprendre avec sollicitude des initiatives importantes pour l'Église aujourd'hui. Il faut en outre que soient bien clairs dans l'avenir les principes de procédure qui ont été élaborés dans la situation actuelle à l'intérieur de la communauté ecclésiale, qu'il s'agisse de l'attitude du clergé ou des laïcs ou du status de chaque institution. La clarté des principes, comme leur mise en oeuvre pratique, est une source de force morale et elle sert en outre au processus d'une vraie normalisation.

 

En faveur de la normalisation des rapports entre l'Église et l'État à notre époque, la cause des droits fondamentaux de l'homme, parmi lesquels le droit à la liberté religieuse, a une signification indubitable qui est sous certains aspects fondamentale et centrale. La normalisation des rapports entre l'Église et l'État constitue une preuve pratique du respect de ce droit et de toutes ses conséquences dans la vie de la communauté politique. Ainsi conçue, la normalisation est aussi une manifestation pratique du fait que l'État comprend sa mission à l'égard de la société selon le principe de subsidiarité (principium subsidiaretatis), qui veut exprimer par là la pleine souveraineté de la nation. En ce qui concerne la nation polonaise, eu égard à son millénaire exceptionnel et à son lien actuel avec l'Église catholique, ce dernier aspect acquiert une signification particulière.

 

4. A travers toutes ces considérations particulièrement dans leur dernière partie, nous sommes profondément entrés dans le domaine des raisons éthiques qui constituent la dimension fondamentale de la vie humaine, y compris dans le domaine de l'activité qui est définie comme politique. Conformément à la tradition de la pensée européenne, qui remonte aux œuvres des plus grands philosophes de l'antiquité et qui a trouvé sa pleine confirmation et son approfondissement dans l'Évangile et dans le christianisme, même — et surtout — l’activité politique trouve son sens propre dans le souci pour le bien de l'homme, qui est un bien de nature éthique. C'est de là que tire ses prémisses les plus profondes toute la doctrine sociale de l'Église qui, depuis la fin du XIX° siècle et particulièrement à notre époque, s'est beaucoup enrichie grâce à la problématique contemporaine. Ceci ne signifie pas qu'elle soit née seulement au cours des deux derniers siècles ; elle existait en fait depuis le commencement, comme conséquence de l'Évangile et de la vision de l'homme qu'il introduit dans les rapports avec les autres hommes, et particulièrement dans la vie, communautaire et sociale.

 

Saint Stanislas est appelé patron de l'ordre moral en Pologne. C'est peut-être dans sa figure qu'on voit le plus clairement combien l'ordre moral — aussi fondamental pour l'homme, pour l’humanum — pénètre profondément dans les structures et les différents niveaux de l'existence de la nation comme État, dans les structures et les différents niveaux de l'existence politique. Nous ne pourrons jamais méditer assez sur la manière dont le saint évêque de Cracovie, qui a subi la mort de la main d'un représentant éminent de la dynastie des Piast, a été ensuite bien accueilli, particulièrement au XIII° siècle, par les successeurs de cette même dynastie et ensuite — après sa canonisation en 1253 — a été vénéré comme le patron de l'unité de la patrie, démembrée à cause des divisions dynastiques. Cette tradition insolite du culte de saint Stanislas jette à coup sûr une lumière particulière sur les événements de 1079, au cours desquels l’évêque de Cracovie subit la mort, alors que le roi Boleslas le Hardi perdit sa couronne et fut obligé de quitter la Pologne. Et même si l'Anonyme de Saint-Gall, en écrivant sa chronique quelques dizaines d'années plus tard, a employé au sujet de l'évêque Stanislas l'expression traditor, cette expression ou d'autres semblables, nous les trouvons appliquées à la même époque à plusieurs autres évêques (comme par exemple à saint Thomas Becket en Angleterre) qui ont mérité l'auréole des saints. Évidemment, le ministère épiscopal a parfois été exposé au péril de perdre la vie pour payer ainsi le prix de l'annonce de la vérité et de la loi divine.

 

Le fait que saint Stanislas, que l'histoire proclame « patron des. Polonais » ait été reconnu de la part de l’épiscopat polonais avant tout comme patron de l'ordre moral, trouvera raison dans l’éloquente éthique de sa vie et de sa mort, et aussi dans toute la tradition qui s'est exprimée à travers les générations de la Pologne des Piast, des Jagellons et des rois élus, jusqu'à notre époque. Le patronage de l'ordre moral que nous rapportons à saint Stanislas est lié par-dessus tout à la reconnaissance universelle de l'autorité de la loi morale, c'est-à-dire de la loi de Dieu. Cette loi oblige tout le monde, les sujets comme les gouvernants. Elle constitue la norme morale et elle est un critère essentiel de la valeur de l'homme. C'est seulement lorsque nous partons de cette loi, c'est-à-dire de la morale, que peut être respectée et reconnue universellement la dignité de la personne humaine. La morale et la loi sont donc ainsi les conditions fondamentales de Tordre social. Les États et les nations se construisent sur cette loi et sans elle, ils périssent.

 

L'épiscopat polonais, avec un grand sens de sa responsabilité envers l'avenir de la nation, met toujours en évidence dans ses programmes pastoraux l'ensemble des menaces de nature morale contre lesquelles combat l'homme de notre époque, l'homme de la civilisation moderne. Ces menaces concernent la vie personnelle comme la vie sociale, et elles pèsent en particulier sur la famille et sur l'éducation des jeunes. Il faut défendre les époux, les cellules familiales, vis-à-vis du péché, vis-à-vis du péché grave contre la vie dès sa conception. On sait en effet que les circonstances de ces péchés pèsent sur la morale de la société et que ses conséquences menacent l'avenir de la nation. Il faut ensuite défendre l'homme contre les péchés d'immoralité et d'abus de l'alcool, parce qu'ils portent en eux l'humiliation de la dignité humaine et parce qu'ils ont des conséquences incalculables dans la vie sociale. Il faut toujours veiller, toujours tenir en éveil les consciences humaines, toujours avertir face aux violations des principes moraux, toujours pousser à la réalisation du commandement de là charité, parce que l'insensibilité intérieure prend facilement racine dans le cœur de l'homme.

 

Telle est la problématique éternelle, qui non seulement n'a rien perdu de son actualité à notre époque, mais qui est devenue encore plus claire et plus lumineuse. L'Église a besoin d'ordre hiérarchique pour être à même de servir efficacement l'homme et la société dans le domaine de l'ordre moral. De cet ordre, saint Stanislas est l'expression, le symbole et le patron. Étant donné que l'ordre moral est situé à la base de toute culture humaine; c'est à juste titre que la tradition nationale voit la place de saint Stanislas à la base de la culture polonaise. L'épiscopat polonais, en fixant le regard sur le grand protagoniste de l'histoire de la patrie, non seulement peut mais est vraiment obligé de se sentir le gardien de cette culture. Il doit ajouter à sa mission actuelle et à son ministère une sollicitude particulière pour tout le patrimoine culturel polonais, dont nous savons bien combien il est imprégné de la lumière du christianisme. Il est connu en outre que la culture est la preuve première et fondamentale de l'identité de la nation. La mission de l'épiscopat polonais, en tant que celui-ci continue celle de saint Stanislas, est marquée d'une certaine manière-par son charisme historique — et c'est pourquoi elle demeure dans ce domaine évidente et irremplaçable.

 

5. Il est difficile de considérer notre grand jubilé du neuf-centième anniversaire de la mort de saint Stanislas en le séparant du contexte européen. Tout comme il est difficile de considérer et de vivre le millénaire du baptême de la Pologne sans se référer à ce contexte. Ce contexte s'est étendu aujourd'hui au-delà de l'Europe, avant tout parce que les fils et les filles de nombreuses nations européennes — parmi lesquels aussi les Polonais — ont peuplé et formé la vie sociale en d'autres continents. Le contexte européen est cependant indubitablement présent aux bases mêmes. Déjà, les analogies que nous avons mentionnées entre la cause de saint Stanislas et celles d'autres nations ou États de la même époque historique montrent clairement que la Pologne du XIe siècle faisait partie de l'Europe et participait à ses problèmes, aussi bien dans la vie de l'Église que dans celle des communautés politiques de ce temps. C'est pourquoi le jubilé de saint Stanislas, qui a avant tout une dimension polonaise qui est nôtre et patriotique, nous le vivons à juste titre dans le contexte européen et nous ne pouvons faire autrement. La présence des représentants des nombreuses Conférences épiscopales d'Europe qui sont venus ici pour cette circonstance est donc grandement précieuse et éloquente.

 

Il s'est trouvé providentiellement que j'ai participé, le 18 mai de cette année, à la célébration du trente-cinquième anniversaire de la bataille du Mont-Cassin et de la victoire qui y fut remportée, et à laquelle nos compatriotes ont grandement contribué. Sur le même Mont-Cassin, nous avons honoré saint Benoît, en faisant mention du prochain quinzième centenaire de sa naissance — ce saint Benoît qui fut proclamé par Paul VI patron de l'Europe.

 

Si je me permets de faire ce rappel dans la circonstance de ce jour, je le fais en relation au contexte européen de saint Stanislas, et aussi en relation à son jubilé que nous sommes en train de célébrer. L'Europe qui a été plusieurs fois divisée au cours de son histoire, l'Europe qui a été tragiquement divisée vers la fin de la première moitié de notre siècle par l'horrible guerre mondiale, l'Europe qui, malgré les divisions actuelles et durables des régimes, des idéologies et des systèmes économiques et politiques, ne peut cesser de chercher son unité fondamentale, doit se tourner vers le christianisme. Malgré les traditions diverses qui existent sur le territoire européen entre ses parties orientales et occidentales, il y a en elles le même christianisme, qui tire son origine du même et unique Christ, qui accepte la même parole de Dieu, qui se rattache aux mêmes douze Apôtres. C'est cela qui se trouve aux racines de l'histoire de l'Europe. C'est cela qui forme sa généalogie spirituelle.

 

Le confirme l'éloquence du jubilé actuel de saint Stanislas, patron de la Pologne, auquel a le bonheur de participer le premier pape polonais, le premier pape slave, dans l'histoire de l'Église et de l'Europe. Les seules raisons économiques et politiques ne sont pas en mesure de le faire. Nous devons aller plus profond : jusqu'aux raisons éthiques. L'épiscopat polonais, tous les épiscopats et les Églises d'Europe ont ici une grande tâche à accomplir. En face de ces multiples tâches, le Siège apostolique voit les siennes d'une manière conforme au caractère et au ministère de Pierre. Quand le Christ dit à Pierre : « Confirme tes frères » (Lc 22, 32), il dit par là même : « Sers leur unité ».

 

 

 

5 juin 1979

A JASNA GORA : AU CONSEIL EPISCOPAL POLONAIS POUR LA SCIENCE

 

C'est avec grande joie que je rencontre le vénérable Conseil épiscopal polonais pour la science dont, jusqu'à il y a peu de temps j'étais le président de par la volonté de la même Conférence épiscopale. Aujourd'hui je salue cordialement S. Exc. Mgr Mariano Rechowicz, tous les chers prêtres et MM. les professeurs.

 

Je désire vous dire que je donne au Conseil épiscopal pour la science la même grande importance que je lui donnais dans le passé. Peut-être même qu'actuellement après la promulgation de la nouvelle constitution apostolique Sapientia christiana concernant les études universitaires, je vois plus clairement l'actualité de notre Conseil pour la science et j'apprécie en meilleure connaissance de cause sa fonction et sa responsabilité.

 

L'Église — particulièrement à notre époque — doit affronter cette responsabilité. Elle doit tout d'abord, décider en toute connaissance de cause des problèmes qui touchent à sa propre science au niveau académique. Elle doit également, avec une grande lucidité, participer aux importants processus scientifiques de. la science contemporaine, liés à l'activité de l'université et des différents instituts, en particulier à ses propres universités et à ses propres instituts catholiques.

 

Le Conseil épiscopal pour la science qui regroupe les représentants de toutes les universités catholiques de caractère académique en Pologne, doit précisément dans ce domaine être utile à l'épiscopat et à l'Église de notre patrie. Je n'exagère pas en disant qu'il lui incombe une grande partie de la responsabilité pour l’aujourd'hui et pour l'avenir de la culture chrétienne polonaise. Et c'est la raison pour laquelle, en tenant compte de ce que je viens de dire, Excellences et Messieurs les professeurs, je recommande votre activité future à Marie, siège de la Sagesse divine, et je vous bénis de tout cœur.

 

 

 

5 juin 1979

A JASNA GORA : RECITATION DE L'ANGELUS

 

1. Il y a à Rome un bel usage : chaque dimanche et chaque fête d'obligation, le pape récite 1'Angélus Domini avec les fidèles qui s'assemblent pour cela sur la place Saint-Pierre. J'ai hérité cet usage de mes vénérés prédécesseurs et je le continue avec une grande joie. La prière est précédée par une brève méditation et aussi par un rappel des événements qu'il faut recommander particulièrement à Dieu dans la prière et elle se termine par la bénédiction.

 

Mes compatriotes de Pologne connaissent cet usage romain. Bien plus, à partir du moment où j'ai été appelé à la chaire de saint Pierre, ils ont commencé spontanément à s'unir à moi dans la récitation de l'Angélus de chaque jour, à l'heure fixée, le matin, le midi et le soir. Cette prière est devenue un usage universel, comme le montrent de nombreuses lettres et les échos de la presse. Grâce à l'Angélus, nous sommes spirituellement unis entre nous, nous rappelons mutuellement notre souvenir, nous partageons le mystère du salut et aussi notre cœur.

 

Aujourd'hui, en récitant l'Angélus de Jasna Gôra, je désire remercier tous mes compatriotes et toute la Pologne pour leur noble initiative. J'ai toujours été profondément ému par la preuve constante de votre souvenir et aujourd'hui je désire exprimer publiquement ce sentiment.

 

2. Je désire en même temps, chers frères et sœurs, demander avec vous à la Mère très sainte que la prière de l'Angélus rappelle continuellement à chacun et à tous combien la dignité de l'homme est grande. C'est aussi le fruit de cette prière et son but. En rappelant que « le Verbe s'est fait chair », c'est-à-dire que le Fils de Dieu est devenu homme, nous devons réaliser combien chaque homme est devenu grand à travers ce mystère c'est-à-dire à travers le mystère de l'incarnation du Fils de Dieu — chaque homme ! En effet, le Christ a été conçu dans le sein de Marie et il est devenu homme pour révéler l'amour éternel du Créateur et Père, et pour manifester la dignité de chacun d'entre nous.

 

Si nous récitons régulièrement l'Angélus, cette prière doit avoir une influence sur toute notre conduite. Nous ne pouvons pas la réciter seulement avec les lèvres, nous ne pouvons pas répéter la prière de l'Angélus et agir en même temps d'une manière opposée à notre dignité humaine et chrétienne.

 

Je ne parlerai pas maintenant en détail de tout ce qui, dans la manière de vivre des Polonais, est contraire à la dignité de « l'image de Dieu et de la ressemblance avec Dieu », à la dignité confirmée de manière nouvelle par le mystère de l'Incarnation. Nous connaissons parfaitement lés vices qui, parfois, se transforment en véritables plaies menaçant la vie spirituelle et biologique de la nation. Pensez-y bien chers frères et sœurs. Je vous en prie vivement.

 

Que l'Angélus continue donc en terre polonaise en union avec le pape. Et qu'il porte des fruits dans toute la vie des Polonais, non seulement les jours de fête, mais chaque jour de leur vie !

 

 

 

5 juin 1979

A JASNA GORA : AUX PELERINS DE SILESIE

 

1. De Jasna Gôra, je voudrais offrir un vœu particulier au sanctuaire de sainte Hedwige à Trzebnica, près de Wroclaw. Je le fais pour une raison bien précise. La Providence divine, dans ses desseins insondables, a choisi le 16 octobre 1978 pour marquer un tournant dans ma vie. Le 16 octobre, l'Église en Pologne fête sainte Hedwige ; c'est pourquoi je me sens un devoir spécial d'offrir aujourd'hui à l'Église en Pologne ce vœu pour la sainte qui est non seulement la patronne de la réconciliation entre les nations voisines, mais aussi la patronne du jour de l'élection du premier Polonais à la chaire de Pierre. Je dépose directement ce vœu dans les mains de tous les pèlerins qui sont venus aujourd'hui en nombre si élevé à Jasna Gôra, de toute la basse Silésie. Quand vous serez rentrés chez vous, je vous prie de porter ce vœu du pape au sanctuaire de Trzebnica, ville qui est devenue sa nouvelle patrie d'élection. Qu'il complète ainsi la longue histoire des vicissitudes humaines et des œuvres de la divine Providence, liées à ce lieu et à toute votre terre.

 

2. Sainte Hedwige, femme d'Henri de la dynastie des Piast, appelé le Barbu, provenait de la famille bavaroise des Andechs. Elle est entrée dans l'histoire de notre patrie et, indirectement, dans celle de toute l'Europe du XIIIe siècle, comme la « femme parfaite » (Pr 31, 10) dont parle la Sainte Écriture. Notre mémoire conserve particulièrement l'événement dont son fils, le prince Henri le Pieux, fut le protagoniste. C'est lui qui opposa une résistance efficace à l'invasion des Tartares, invasion qui traversa la Pologne en 1241 en venant de l’est de l'Asie, et s'arrêta seulement en Silésie, près de Legnica. Henri le Pieux tomba, il est vrai, sur le champ de bataille, mais les Tartares furent obligés de se retirer, et ne se rapprochèrent jamais plus autant de l'ouest par leurs incursions. Derrière le fils héroïque, il y avait sa mère, qui l'encourageait et recommandait au Christ crucifié la bataille de Legnica. Son cœur a payé de la mort de son propre fils le prix de la paix et de la sécurité des terres qui lui étaient soumises, comme aussi de celles avoisinantes et de toute l'Europe de l'ouest.

 

Pendant ces événements, Hedwige était déjà veuve et, étant veuve, elle consacra le restant de sa vie exclusivement à Dieu, en entrant à l'abbaye de Trzebnica qu'elle avait fondée. C'est là qu'elle acheva aussi sa sainte vie en 1243. Elle fut canonisée en 1267. Cette date est très proche de celle de la canonisation de saint Stanislas, advenue en 1253, le saint que l'Église en Pologne vénère depuis des siècles comme son patron principal.

 

Cette année, pour le neuvième centenaire de son martyre à Cracovie en Skalka, je voudrais — comme premier pape fils de la nation polonaise, ancien successeur de saint Stanislas sur la chaire de Cracovie, et maintenant élu à la chaire de saint Pierre le jour de la Sainte-Hedwige — envoyer à son sanctuaire de Trzebnica ce vœu qui marque une nouvelle étape dans l'histoire multiséculaire à laquelle nous participons tous.

 

3. A ce vœu, je joins en particulier des souhaits cordiaux pour tous ceux qui participent à cette sainte eucharistie, que je célèbre aujourd'hui à Jasna Gôra. Les saints que nous commémorons en ce jour devant Notre-Dame de Jasna Géra nous offrent, à travers les siècles, un témoignage d'unité entre les compatriotes et de réconciliation entre les nations. Je voudrais souhaiter précisément cette union et cette réconciliation. Je prie ardemment pour cela.

 

L'unité fonde ses racines dans la vie de la nation, comme elle l'a fait, par saint Stanislas, à une époque difficile pour la Pologne, quand la vie humaine à ses différents niveaux répond aux exigences de la justice et de l'amour. La famille constitue le premier de ces niveaux. Et moi, très chers compatriotes, je voudrais prier, aujourd'hui avec vous pour l'unité de toutes les familles polonaises. Cette unité a son origine dans le sacrement de mariage, dans ces promesses solennelles par lesquelles l'homme et la femme s'unissent entre eux pour la vie entière, en répétant les paroles rituelles : « Je ne t'abandonnerai pas jusqu'à la mort. » Cette unité prend sa source dans l'amour et la confiance mutuelle et le fruit et la récompense en sont l'amour et la confiance des enfants pour leurs parents. Malheur si elle devait s'affaiblir ou se dégrader entre les époux ou entre les parents et les enfants ! Conscients du mal qu'apporte avec soi la désagrégation de la famille, prions, aujourd'hui afin que n'arrive pas ce qui peut détruire l'unité, afin que la famille reste vraiment le siège de la justice et de l'amour.

 

Si elle veut, être intérieurement unie, si elle veut constituer une unité indissoluble, la nation a besoin d'une justice et d'un amour semblables. Et bien qu'il soit impossible de comparer la nation — cette société composée de plusieurs millions de personnes — à la famille — la plus petite communauté de l'humanité, comme on le sait — toutefois l'unité dépend de la justice, qui satisfait les besoins et garantit les droits et les devoirs de chaque membre de la nation. On évite ainsi de faire naître des dissonances et des contrastes à cause des différences qu'apportent avec eux les privilèges évidents pour les uns et la discrimination pour les autres. L'histoire de notre patrie nous montre combien cette tâche est difficile ; nous pouvons encore moins nous dispenser du grand effort qui tend à construire l'unité juste entre les fils de la même patrie. Cela doit s'accompagner de l'amour de cette patrie, amour de sa culture et de son histoire, amour de ses valeurs spécifiques, qui décident de sa place dans la grande famille des nations ; amour, enfin, des compatriotes, des Hommes qui parlent la même langue et sont responsables de la cause commune qui s'appelle la « patrie ».

 

En priant avec vous aujourd'hui pour l'unité interne de la nation dont — surtout au. XIII° et XIV° siècle — saint Stanislas est devenu le patron, je voudrais recommander à la Mère de Dieu, à Jasna Gôra, la réconciliation entre les nations, dont nous voyons une médiatrice dans la figure de sainte Hedwige. Comme la condition de l'unité interne dans le cadre de toute société ou communauté, aussi bien nationale que familiale, est le respect des droits de chacun de ses membres, ainsi la condition de la réconciliation entre les nations est aussi la reconnaissance et le respect des droits de chaque nation. Il s'agit surtout du droit à l'existence et à l’autodécision, du droit à la culture et à son développement multiforme. Nous savons bien, par l'histoire de notre patrie, combien nous a coûté l'infraction, la violation et la négation de ces droits inaliénables. Nous prions donc avec plus de force encore pour une réconciliation durable entre les nations de l'Europe et du monde. Qu'elle soit le fruit de la reconnaissance et du réel respect des droits de chaque nation.

 

4. L'Église veut se mettre au service de l'unité entre les hommes, elle veut se mettre au service de là réconciliation entre les nations. Ceci appartient à sa mission salvifique. Ouvrons continuellement nos pensées et nos cœurs vers cette paix dont le Seigneur Jésus a tant parlé aux Apôtres, aussi bien avant la passion qu'après sa résurrection : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix » (Jn 14, 27).

 

Puisse ce pape, qui parle aujourd'hui ici du sommet de Jasna Gôra, servir efficacement la cause de l'unité et de la réconciliation dans le monde contemporain. Ne cessez pas de le soutenir dans cette tâche, par vos prières dans toute la terre polonaise.

 

 

 

5 juin 1979

APPEL DE JASNA GORA

 

1. « Marie, Reine de la Pologne, je suis près de toi, je me souviens de toi, je veille!»

 

Nous répéterons d'ici peu ces paroles qui, depuis la grande neuvaine de préparation au millénaire du baptême, sont devenues l'appel de Jasna Gôra et de l'Église en Pologne.

 

Je les répéterai aujourd'hui avec vous, comme pape-pèlerin sur sa terre natale.

 

Comme ces paroles correspondent à l'invitation que nous entendons si souvent dans l'Évangile: « Veillez ! » En répondant à cette invitation du Christ lui-même, nous désirons aujourd'hui, comme chaque soir à l'heure de l'appel de Jasna Gôra, dire à sa Mère : « Je suis près de toi, je me souviens de toi, je veille ! »

 

Ces paroles expriment de manière simple et forte, en même temps ce que signifie être chrétien, en terre polonaise, toujours, mais d'une façon particulière dans cette époque « millénaire » décisive de l'histoire de l'Église et de la nation. Être chrétien veut dire veiller, comme veille la sentinelle, la mère auprès du malade.

 

Veiller signifie garder un grand bien.

 

A l'occasion du millénaire du baptême, nous nous sommes rendu compte avec une force nouvelle du grand bien que représente notre foi et tout l'héritage spirituel qui tire d'elle son origine dans notre histoire. Veiller signifie se rappeler tout cela. Avoir une perception aiguë des valeurs qui existent dans la vie de chaque homme par le simple fait d'être homme, d'avoir été créé à l’image et, à la ressemblance de Dieu et d'avoir été racheté par le sang du Christ. Veiller veut dire se rappeler tout cela. Se le rappeler pour soi-même et souvent aussi pour les autres, pour ses compatriotes, pour le prochain.

 

2. Il faut veiller, très chers frères et sœurs, il faut veiller et agir avec empressement pour le bien de l'homme, car telle est la grande tâche qui revient à chacun de nous. On ne peut pas se permettre de laisser perdre tout ce qui est humain, polonais, chrétien sur cette terre.

 

« Soyez sobres, veillez » (1 P 5, 8), dit saint Pierre. Et moi aujourd'hui, à l'heure de l'appel de Jasna Gôra, je répète ces paroles. Je me trouve ici en effet pour veiller en cette heure avec vous et pour vous montrer combien m'éprouve profondément toute menace contre l'homme, contre la famille et la nation. Menace qui a toujours sa source dans notre faiblesse humaine, dans la volonté fragile, dans la façon superficielle de concevoir la vie. C'est pourquoi, très chers compatriotes, en cette heure de particulière sincérité, en cette heure d'ouverture du cœur devant Notre-Dame de Jasna Gôra, je vous parle de cela et je vous confie cela. Ne succombez pas à la faiblesse !

 

Ne vous laissez pas vaincre par le mal, mais par le bien, remportez la victoire sur le mal (cf. Rm 12, 21). Si tu vois que ton frère vient à tomber, relève-le, ne le laisse pas exposé au péril ! Il est parfois difficile de soutenir l'autre, surtout quand il « nous glisse entre les mains ».

 

... Mais peut-on le faire ? C'est Dieu lui-même, c'est le Christ lui-même qui nous confie chacun de nos frères, de nos compatriotes, en disant : « Dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait » (Mt 25, 40). Faites attention de ne pas vous rendre responsables des péchés des autres ! Le Christ adresse des paroles sévères à ceux qui causent le scandale (cf. Mt 18, 6-7). Demande-toi donc, cher frère ou chère, sœur, en cette heure de sincérité nationale, devant la Mère et devant son cœur plein d'amour, si tu ne scandalises pas, si tu ne pousses pas au mal, si, par légèreté, tu ne charges pas ta conscience des vices et des mauvaises habitudes que les autres contractent par ta faute... Les jeunes... peut-être même tes propres enfants.

 

« Soyez sobres, veillez !»

 

Veiller et se souvenir ainsi signifie se tenir à côté de Marie. Je suis près de toi ! Je ne peux pas être à côté d'elle, de Notre-Dame de Jasna Gôra, si je ne veille pas et si je ne me souviens pas de cette manière-là. Si en effet « je veille et je me souviens », par là même je suis à côté d'elle. Et parce qu'elle est entrée ainsi dans nos cœurs, il est plus facile pour nous de veiller et de nous, souvenir de ce qu'est notre héritage et notre devoir en nous tenant à côté de Marie : « Je suis près de toi. »

 

3. L'appel de Jasna Gôra n'a pas cessé d'être notre prière et notre programme ! La prière et le programme de tous ! Qu'il soit d'une manière particulière la prière et le programme des familles polonaises !

 

La famille est la communauté humaine première et fondamentale. Elle est un cadre de vie, elle est un milieu d'amour. La vie de toute société, nation ou État dépend de la famille, à condition qu'elle soit en leur sein un véritable cadre de vie et un véritable milieu d'amour. Il faut faire beaucoup, bien plus, il faut faire tout son possible pour donner à la famille les conditions nécessaires pour cela : conditions de travail, conditions de logement, conditions de subsistance, souci de la vie dès sa conception, respect social de la paternité et de la maternité, joie que donnent les enfants qui viennent au monde, plein droit à l'éducation et en même temps aide sous diverses formes à l'éducation... Voici un vaste et riche programme dont dépend l'avenir de l'homme et celui de la nation.

 

Comme je voudrais aujourd'hui, très chers compatriotes, comme je voudrais ardemment que l'appel de Jasna Gôra, la prière des cœurs polonais, se réalisent jour après jour, année après année, dans ce programme !

 

Comme je voudrais ardemment, moi qui dois ma vie, ma foi, ma langue à une famille polonaise, que la famille ne cesse jamais d'être forte de la force de Dieu ! Qu'elle surmonte tout ce qui l'affaiblit, tout ce qui la brise, tout ce qui ne lui permet pas d'être un véritable milieu d'amour. C'est pour cela que je prie pour vous maintenant avec les paroles de l'appel de Jasna Gôra. Et je désiré prier aussi à l'avenir en répétant : « Je suis près de toi, je me souviens de toi, je veille ! », afin que notre cri devant la Mère de Dieu se répercute et se réalise là où c'est le plus nécessaire.

 

Là d'où, de la fidélité à ces paroles répétées à la fin du premier millénaire, dépendra en grande partie le nouveau millénaire.

 

 

 

6 juin 1979

A JASNA GORA : AUX SEMINARISTES ET AUX RELIGIEUX NOVICES

 

Très chers amis,

 

1. L'Évangile que nous entendons lire le plus souvent lorsque nous nous trouvons ici, à Jasna Gôra, est celui qui nous rappelle les noces de Cana en Galilée. Saint Jean, témoin oculaire, a décrit en détail cet événement qui a eu lieu au début de la vie publique du Christ Seigneur. C'est là le premier miracle — le premier signe de la force salvifique du Christ — accompli en présence de sa Mère et de ses premiers disciples, les futurs Apôtres.

 

Vous aussi, vous vous êtes réunis ici comme disciples du Christ Seigneur. Chacun de vous est devenu son disciple par le saint baptême, qui oblige à une solide préparation de notre intelligence, de nôtre volonté, de notre cœur. Cela se réalise par la catéchèse, d'abord dans nos familles puis dans la paroisse. Par la catéchèse, nous approfondissons toujours davantage le mystère du Christ et nous découvrons en quoi consiste notre participation à ce mystère. La catéchèse ne consiste pas seulement à nous apprendre des notions religieuses, mais elle nous introduit à la vie de participation au mystère du Christ. Ainsi, en le connaissant — et à travers lui, en connaissant aussi le Père, « Qui m'a vu a vu le Père » (Jn 14, 9) — nous devenons, dans l'Esprit-Saint, participants à la nouvelle vie que le Christ a infusée, en chacun de nous dès le baptême et a ensuite renforcée par la confirmation.

 

2. Cette nouvelle vie que le Christ nous donne devient notre vie spirituelle, notre vie intérieure. Nous nous découvrons donc nous-même ; nous découvrons en nous l'homme intérieur avec ses qualités, ses talents, ses nobles désirs, ses idéaux, mais nous découvrons aussi les faiblesses, les vices, les mauvaises inclinations : égoïsme, orgueil, sensualité. Nous sentons parfaitement combien les premiers de ces aspects de notre humanité méritent d'être développés et renforcés, et combien au contraire les seconds doivent être surmontés, combattus, transformés. De cette manière en gardant un contact vivant avec le Seigneur Jésus, un contact de disciple à maître — commence et se développe l'activité la plus sublime de l'homme : le travail sur soi-même, qui a pour fin la formation de sa propre humanité. Dans notre vie, nous nous préparons à exécuter divers travaux dans telle ou telle profession ; au contraire, Je travail intérieur tend uniquement à former l’homme lui-même : cet homme qu'est chacun de nous.

 

Ce travail est la collaboration la plus personnelle avec Jésus-Christ, semblable à celle qui s'est réalisée dans ses disciples quand il les a appelés à vivre en intimité avec lui.

 

3. L'Évangile d'aujourd'hui parle du banquet. Nous avons conscience que notre divin Maître, en nous appelant à collaborer avec lui — collaboration que nous, ses disciples, acceptons pour devenir ses apôtres — nous invite à Cana de Galilée. Il dispose en effet devant nous, selon la description expressive et symbolique des Pères de l'Église, deux tables : la table de la Parole de Dieu et la table de l'Eucharistie. Le travail que nous assumons sur nous-mêmes consiste à nous approcher de ces deux tables pour y puiser à pleines mains.

 

Je sais qu'ils sont fort (nombreux en Pologne les jeunes, garçons et filles qui, avec joie, avec confiance, avec un désir intérieur de connaître la vérité et de trouver l'amour pur et beau, s'approchent de la table de la Parole de Dieu et de la table de l'Eucharistie. A l'occasion de notre rencontre d'aujourd'hui, je voudrais souligner la grande signification des diverses formes de ce travail créateur qui nous permet de trouver la valeur profonde de la vie, le vrai charme de la jeunesse, en vivant dans l'intimité avec le Christ notre Maître, dans sa grâce sanctifiante. On découvre ainsi que la vie humaine, sur le seuil de laquelle se trouvent encore les jeunes, a un sens très riche et qu'elle est — toujours et partout — une réponse libre et consciente à l'appel de Dieu, qu'elle est une vocation bien déterminée.

 

4. Certains d'entre vous ont découvert que le Christ les appelle d'une manière particulière à son service exclusif et veut les voir à l’autel comme ses ministres ou bien sur les voies de la consécration évangélique par les vœux religieux. Cette découverte de la vocation est suivie d'un travail particulier de préparation qui dure plusieurs années et se réalise dans les séminaires ecclésiastiques ou dans les noviciats religieux. Que ces institutions — très méritantes dans la vie de l'Église — ne cessent jamais d'attirer les jeunes âmes, prêtes à se donner totalement au Rédempteur, afin que se réalise ce que vous chantez si spontanément: « Viens avec moi sauver le monde, c'est déjà le vingtième siècle... ! »

 

Rappelez-vous que je me réjouis de chaque vocation sacerdotale et religieuse comme d'un don particulier du Christ Seigneur pour l'Église, pour le peuple de Dieu, comme d'un témoignage singulier de la vitalité chrétienne de nos diocèses, de nos paroisses, de nos familles. Et ici aujourd'hui, avec vous, je confie chaque vocation de jeune à Notre-Dame de Jasna Gôra et je la lui offre comme un bien particulier.

 

5. Pendant le banquet de Cana en Galilée, Marie demande à son Fils le premier signe en faveur des jeunes époux et des maîtres de maison. Que Marie ne cesse pas de prier pour vous, pour toute la jeunesse polonaise, pour la jeunesse du monde entier, afin que se manifeste en vous le signe d'une nouvelle présence du Christ dans l'histoire !

 

Et vous, très chers amis, rappelez-vous bien ces paroles que la Mère du Christ a prononcées à Cana en s'adressant aux hommes qui devaient remplir les jarres d'eau. Elle dit alors en montrant son Fils : Tout ce qu'il vous dira faites-le ! (Jn 2, 5).

 

A vous aussi elle dit cela aujourd'hui.

 

Acceptez ces paroles.

 

Souvenez-vous en.

 

Accomplissez-les!

 

 

 

6 juin 1979

RENCONTRE AVEC LES PRETRES A CZESTOCHOWA

 

1. Chers frères dans le sacerdoce et en même temps, dans le sacerdoce du Christ, fils très aimés.

 

Nous nous rencontrons ici, aux pieds de la Mère de Dieu, sous les yeux de notre Mère : la Mère des prêtres. Nous nous rencontrons dans des circonstances insolites, que vous ressentez certainement profondément, tout comme moi. Et pourtant, ce premier pape polonais qui se trouve aujourd'hui en face de vous a reçu la grâce de la vocation sacerdotale sur la terre polonaise, il est passé par un grand séminaire polonais (en bonne partie clandestin, car c'était durant l'occupation), il a étudié à la faculté de théologie de l'université Jagellon, il a reçu l'ordination sacerdotale des mains de l'évêque polonais d'inoubliable mémoire, un chef inflexible, le cardinal Adam Stefan Sapieha ; il a participé, comme vous, aux mêmes expériences de l'Église et de la nation.

 

Voici ce que je veux surtout vous dire dans la rencontre d'aujourd'hui. Tout ce qui s'est fortifié en moi ici, tout ce dont, d'ici, je me suis fait l'écho durant les rencontres que j'ai eu l'occasion d'avoir avec les prêtres depuis le 16 octobre 1978. C'est pourquoi, en vous rencontrant aujourd'hui, je désire me référer surtout aux paroles que j'ai déjà prononcées en ces diverses occasions. Je suis sûr en effet que vous avez tous une part dans leur expression, et que les droits d'auteur vous en reviennent en partie. De plus, j'estime qu'elles vous concernent vous, en Pologne, même si elles ont été déjà prononcées à Rome ou ailleurs.

 

2. Voici un passage du discours que j'ai adressé aux prêtres diocésains et aux religieux du diocèse de Rome, le 9 novembre de l'année dernière :

 

« Je garde le souvenir, disais-je, des prêtres admirables, zélés et souvent héroïques dont j'ai pu partager les soucis et les luttes... Dans ma précédente charge épiscopale, le Conseil presbytéral m'a rendu de grands services, en tant que lieu de rencontre pour partager avec l’évêque la sollicitude commune de toute la vie du presbyterium et l'efficacité de son activité pastorale... En vous rencontrant ici pour la première fois et en vous saluant avec une sincère affection, disais-je aux prêtres et aux religieux de Rome, j'ai encore dans les yeux et dans le cœur le presbyterium de l'Église de Cracovie ; toutes nos rencontres en différentes occasions ; nos nombreux entretiens qui remontent aux années de séminaire, les rencontres entre prêtres compagnons d'ordination et d'années de séminaire, auxquelles j'ai toujours été invité, y participant avec joie et profit » (cf. n. 2, 3. l'Osservatore Romano, 10 novembre 1978, p. 1).

 

3. Et maintenant, rendons-nous ensemble à la grande rencontre avec les prêtres mexicains au sanctuaire de Notre-Dame de Guadalupe. Je leur ai adressé ces paroles : « Serviteurs d'une cause sublime, de vous dépend en grande partie le sort de l'Église dans les secteurs confiés à vos soins pastoraux. Cela vous impose une profonde conscience de la grandeur de votre mission et de la nécessité d'y répondre toujours mieux. Il, s'agit, en effet..., de l'Église du Christ — quel respect et quel amour cela doit vous inspirer ! — que vous devez servir joyeusement dans la sainteté de vie (cf. Ep 4, 13). Ce service élevé et exigeant ne pourra être rendu sans une conviction claire et profondément enracinée au sujet de votre identité de prêtres du Christ, dépositaires et intendants des mystères de Dieu, instruments de salut pour les hommes, témoins d'un royaume qui commence en ce monde, mais qui trouve son achèvement dans l'au-delà » (cf. n. 2-3 : AAS 71, 1979, p. 180).

 

4. Ma troisième citation, enfin, est peut-être la mieux connue : c'est la lettre à tous les prêtres de l'Église à l'occasion du Jeudi Saint 1979. J'ai senti d'une manière particulièrement forte le besoin de m'adresser aux prêtres de toute l'Église au commencement de mon pontificat. Je désirais que cela se fasse à l'occasion du Jeudi Saint, à l'occasion de la « fête des prêtres ». J'avais devant les yeux ce jour où nous avons renouvelé ensemble, dans la cathédrale de Wawel, notre foi dans le sacerdoce du Christ, lui consacrant de nouveau, pour être à son entière disposition, tout notre être, âme et corps, afin qu'il puisse agir à travers nous et remplir son œuvre de salut.

 

« Notre activité pastorale, ai-je écrit entre autres, exige que nous soyons proches des hommes et de tous leurs problèmes, aussi bien de leurs problèmes personnels et familiaux que de leurs problèmes sociaux, mais elle exige aussi que nous soyons proches de tous ces problèmes en prêtres. C'est seulement ainsi qu'au milieu de tous ces problèmes nous restons nous-mêmes. Si donc nous sommes vraiment au service de ces problèmes humains, parfois très difficiles, nous conservons notre identité et nous sommes vraiment fidèles à notre vocation. Il nous faut mettre une grande perspicacité à rechercher, avec tous les hommes, la vérité et la justice, dont nous ne pouvons trouver la dimension véritable et définitive que dans l'Évangile, bien plus, dans le Christ lui-même » (cf. n. 17 : AAS 71 1979, p. 404).

 

5. Chers prêtres polonais réunis aujourd'hui à Jasna Gôra, voici les principales pensées que je désirais partager avec vous. Les prêtres polonais ont leur histoire propre, qu'ont écrite, en lien étroit avec l’histoire de la patrie, les générations entières « des ministres du Christ et des administrateurs des mystères de Dieu » (1 Co 4, 1) que notre terre a donnés.

 

Nous avons toujours ressenti un lien profond avec le peuple de Dieu, avec ce peuple du milieu duquel nous avons été « choisis » et pour lequel nous avons été « établis » (cf. He 5, 1). Le témoignage de la foi vive que nous atteignons au cénacle, à Gethsémani, au Calvaire, de la foi sucée avec le lait de notre mère, de la foi fortifiée à travers les dures épreuves de nos compatriotes, est notre carte d'identité spirituelle, le fondement de notre identité sacerdotale.

 

Comment pourrais-je, au cours de la rencontre d'aujourd'hui, ne pas évoquer le souvenir des milliers de prêtres polonais qui ont perdu la vie au cours de la dernière guerre, principalement dans les camps de concentration ?

 

Permettez-moi de mettre un frein aux souvenirs qui se pressent dans mon esprit et dans mon cœur.

 

Je dirai seulement que cet héritage de la foi sacerdotale, du service, de la solidarité avec la nation dans ses périodes les plus difficiles qui constitue en un certain sens, le fondement de la confiance historique que la société met dans les prêtres polonais, doit être toujours repensé par chacun de vous et je dirais, toujours reconquis. Le Christ Seigneur a enseigné aux Apôtres quelle conception ils doivent avoir de lui et ce; qu'ils- doivent exiger d'eux-mêmes : « Nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait-ce que nous devions faire » (Lc 17, 10). Vous devez donc, chers frères, prêtres polonais, en vous rappelant ces paroles et les expériences historiques, avoir toujours devant les yeux ces exigences qui proviennent de l'Évangile et qui sont la mesure de votre vocation. C'est un grand bien que ce crédit, cette confiance dont le prêtre polonais jouit dans la société quand il est fidèle à sa mission et quand son attitude est limpide et conforme à ce style que l'Église en Pologne a élaboré au cours des dernières décennies : c'est-à-dire le style du témoignage évangélique du service social. Que Dieu nous assiste afin que ce style ne soit pas exposé à quelque « ébranlement » que ce soit.

 

Le Christ demande à ses disciples que leur lumière brille aux yeux des hommes (cf. Mt 5, 16). Nous nous rendons très bien compte des faiblesses humaines qui existent en chacun d'entre nous. Avec humilité nous pensons à la confiance que nous fait le Maître et Rédempteur, en confiant à nos mains sacerdotales le pouvoir sur son Corps et sur son Sang. Je veux espérer que, avec l'aide de sa Mère, vous serez toujours en mesure, en ces temps difficiles et souvent obscurcis, de vous comporter de manière telle que votre lumière brille aux yeux des hommes. Prions sans cesse pour cela, prions avec grande humilité.

 

Je désire en outre exprimer cordialement le souhait que la Pologne ne cesse d'être la patrie des vocations sacerdotales et la terre du grand témoignage qui est rendu au Christ à travers le service de votre vie : à travers le ministère de la Parole et de l'Eucharistie. Aimez Marie, frères très chers ! Ne cessez pas de tirer de cet amour la force de vos cœurs. Qu'elle se manifeste par vous et par votre intermédiaire comme la Mère de tous les hommes, qui ont une soif si grande de cette maternité.

 

Monstra te esse Matrem / Sumat per te preces / qui pro nobis natus / tulit esse tuus.

 

Amen.

 

 

 

6 juin 1979

A JASNA GORA: HOMELIE A LA MESSE POUR LES OUVRIERS

 

1. Jasna Gôra est devenue la capitale spirituelle de la Pologne où viennent les pèlerins de toutes les parties du sol de la patrie pour y retrouver l'unité avec le Christ Seigneur par l'intermédiaire du cœur de sa Mère. Et pas seulement de la Pologne, mais aussi d'au-delà des frontières. L'image de la Madone de Jasna Gôra est devenue dans le monde entier le signe de l'unité spirituelle des Polonais. Elle est également, dirais-je, un signe de reconnaissance de notre spiritualité et, en même temps, de notre place dans la grande famille des peuples chrétiens, réunis dans l'unité de l'Église. C'est une chose admirable, en effet, que de voir régner la Mère au moyen de son effigie à Jasna Gôra : le règne du cœur, toujours plus nécessaire au monde, qui tend à tout exprimer en froids calculs et en fins purement matérielles.

 

Arrivant comme pèlerin à Jasna Gôra, je voudrais d'ici m'unir cordialement à-tous ceux qui appartiennent à cette communauté spirituelle, à cette grande famille étendue sur toute la terre polonaise et au-delà de ses frontières. Je voudrais que nous nous rencontrions tous dans le cœur de notre Mère. Je m'unis par la foi, l'espérance et la prière à tous ceux qui ne peuvent venir jusqu'ici. Je m'unis particulièrement à toutes les communautés de l'Église du Christ en Pologne, à toutes les Églises diocésaines avec leurs pasteurs, à toutes les paroisses, aux familles religieuses masculines et féminines.

 

D'une manière particulière, je m'adresse à vous qui êtes venus aujourd'hui de la Silésie et de Zaglebie Dabrowskie. Ces deux terres, ces deux régions de la Pologne ancienne et contemporaine me sont proches. La richesse de la Pologne actuelle est liée en bonne partie aux ressources naturelles dont la Providence a doté ces terres et aux grands chantiers de travail humain qui ont surgi ici des derniers siècles. Historiquement, la Silésie comme Zaglebie — surtout la Silésie — sont toujours restées en union étroite avec le siège de saint Stanislas. Comme ancien métropolitain de Cracovie, je voudrais exprimer la joie spéciale que j'éprouve en cette rencontre qui a lieu aujourd'hui aux pieds de Jasna Gôra. J'ai toujours été proche par le cœur de l'Église de Katowice qui apporte à la vie catholique de Pologne, dans son ensemble, des expériences et des valeurs particulières.

 

2. Surtout, l'expérience de l'énorme travail. Les richesses de la terre, celles qui apparaissent à la surface comme celles que nous devons chercher dans les profondeurs de la terre, ne deviennent richesses de l'homme qu'au prix du travail humain. Il est nécessaire, ce travail — travail multiforme de l'intelligence et des mains — pour que l'homme puisse accomplir la magnifique mission que le Créateur lui a confiée, mission que le livre de la Genèse exprime par ces paroles : « Soumettez, dominez (la terre) » (Gn l, 28). La terre est confiée à l'homme et, à travers son travail, l'homme la domine.

 

Le travail est aussi la dimension fondamentale de l'existence de l'homme sur la terre. Pour l'homme, le travail n'a pas seulement une signification technique ; il a aussi une signification éthique. On peut dire que l'homme « assujettit » à lui la terre lorsque lui-même, par son comportement, en devient seigneur et non esclave, et aussi seigneur et non esclave du travail.

 

Le travail doit aider l'homme à devenir meilleur, spirituellement plus mûr, plus responsable, afin qu'il puisse réaliser sa vocation sur la terre, aussi bien comme personne absolument unique que dans la communauté avec les autres, et surtout dans cette communauté humaine fondamentale qu'est la famille. En s'unissant, l'homme et la femme, précisément dans cette communauté dont le caractère a été établi depuis le début par le Créateur lui-même, donnent vie à de nouveaux hommes. Le travail doit fournir à cette communauté humaine la possibilité de trouver les moyens nécessaires pour se former et pour subsister.

 

La raison d'être de la famille est l'un des facteurs fondamentaux qui déterminent l'économie et la politique du travail. Ces dernières conservent leur caractère éthique lorsqu'elles prennent en considération les besoins de la famille et ses droits. Par le travail, l'homme adulte doit gagner les moyens nécessaires à la subsistance de la famille. La maternité doit être traitée dans la politique et dans l'économie du travail comme une grande fin et un grand devoir en elle-même. A elle en effet est lié le travail de la mère, qui enfante, qui allaite, qui éduque et que personne ne peut remplacer. Rien ne peut remplacer le cœur d'une mère qui, dans une maison, est toujours présent et toujours attend. Le véritable respect du travail comporte en soi l’estime que l'on doit à la maternité, et il ne peut en être autrement. De cela dépend aussi la santé-morale de toute la société.

 

Mes pensées et mon cœur s'ouvrent encore une fois à vous, hommes soumis au dur travail, auxquels ma vie personnelle et mon ministère pastoral m'ont lié de différentes façons. Je souhaite que le travail que vous faites ne cesse jamais d'être la source de votre force sociale. Que grâce à votre travail, vos foyers soient forts ! Que grâce à votre travail, toute notre patrie soit forte !

 

3. Et c'est pourquoi je tourne encore une fois mon regard vers la Silésie et la Zaglebie laborieuses, vers les hauts fourneaux, vers les cheminées des usines ; c'est une terre de grand travail et de grande prière. L'une et l'autre étroitement unies dans la tradition de ce peuple dont la salutation la plus courante est exprimée par les paroles « Szczesc Boze » (Que Dieu vous aide !), paroles qui relient et réfèrent la pensée de Dieu au travail humain.

 

Il me faut aujourd'hui bénir la divine Providence, lui rendant grâces parce que dans cette terre l'énorme développement du travail humain est allé de pair avec la construction des églises, avec l'érection des paroisses, avec l'approfondissement et le renforcement de la foi. Parce que le développement n'a pas entraîné la déchristianisation, la rupture de l'alliance que travail et prière doivent sceller dans l'âme humaine, selon la devise des bénédictins : Ora et labora. La prière, qui en tout travail apporte la référence à Dieu Créateur et Rédempteur, contribue en même temps à «l'humanisation » totale du travail. « Le travail existe... afin que l'homme s'élève » (C.K. Norwid). L'homme qui, par la volonté du Créateur, a été appelé dès le commencement à soumettre la terre par le travail, a été créé par ailleurs à l'image et à la ressemblance de Dieu même. Il ne peut se retrouver lui-même, confirmer ce qu'il est, qu'en cherchant Dieu dans la prière. En cherchant Dieu, en se rencontrant avec lui par la prière, l'homme doit nécessairement se retrouver lui-même, puisqu'il est semblable à Dieu. Il ne peut se retrouver lui-même ailleurs qu'en son prototype. Il ne peut confirmer sa « domination » sur la terre par son travail qu'en priant en même temps.

 

Très chers frères et sœurs ! Hommes de Silésie, de Zaglebie et de toute la Pologne, qui êtes soumis au dur travail ! Ne vous laissez pas séduire par la tentation de croire que l'homme peut se retrouver pleinement lui-même en reniant Dieu, en supprimant la prière de sa vie, en restant seulement travailleur, en s'imaginant que ses propres productions puissent à elles seules satisfaire les besoins du cœur humain. « L'homme ne vit pas seulement de pain » (Mt 4, 4), a dit celui qui connaît le cœur humain et qui a suffisamment prouvé qu'il se soucie des besoins matériels. La prière du Seigneur le « Notre Père », contient aussi une invocation pour le pain. Mais malgré cela, l'homme ne vit pas seulement de pain. Restez fidèles à l'expérience des générations qui ont cultivé cette terre, qui ont fait remonter à la surface ses trésors cachés, avec Dieu dans leurs cœurs, avec la prière sur les lèvres. Conservez ce qui a été la source de la force de vos pères et de vos aïeux, de vos familles, de vos communautés ! Que la prière et le travail deviennent une nouvelle source de force pour cette génération et aussi dans les cœurs de vos enfants, de vos petits-enfants et de vos arrière-petits-enfants.

 

4. Je vous dis « Szczesc Boze ». Que Dieu vous aide !

 

Et je le dis par le cœur de notre Mère, de celle dont te règne à Jasna Gôra consiste à être une Mère aimanté pour nous tous.

 

Je le dis par le Cœur de cette Mère qui s'est choisi une place plus proche de vos maisons, de vos mines et de vos usines, de vos villages et de vos villes : à Piekary. Ajoutez ce que je vous dis aujourd'hui de ce sommet de Jasna Gôra à ce que tant de fois je vous ai dit comme métropolitain de Cracovie, du sommet de Piekary. Et souvenez-vous en.

 

Amen.

 

« Szczesc Boze » — Que Dieu vous aide !

 

Amen !

 

 

 

6 juin 1979

ADIEUX A JASNA GÔRA

 

Notre-Dame de Jasna Gôra !

 

1. C'est l'usage — un bel usage — que les pèlerins auxquels tu as donné l'hospitalité auprès de toi à Jasna Gôra viennent prendre congé de toi avant de s'en aller. Je me souviens de tant de ces visites d'adieu, de ces audiences particulières que toi, ô Mère de Jasna Gôra, tu m'as accordées quand j'étais encore lycéen et que j'arrivais ici avec mon père ou avec le pèlerinage de toute ma paroisse natale de Wadowice. Je me rappelle l'audience que tu as accordée à moi-même et à mes compagnons lorsque nous sommes venus ici clandestinement, comme représentants de la jeunesse universitaire de Cracovie, durant la terrible occupation, pour ne pas interrompre la continuité des pèlerinages universitaires à Jasna Gôra, commencés en la mémorable année 1936. Je me rappelle tant d'autres adieux, tant d'autres séparations, lorsque je venais ici comme aumônier des jeunes, et plus tard comme évêque conduisant des pèlerinages de prêtres de l’archidiocèse de Cracovie.

 

2. Aujourd'hui je suis venu à toi, Notre-Dame de Jasna Gôra, avec le vénérable primat de Pologne, avec l'archevêque de Cracovie, avec l'évêque de Czestochowa, et avec tout l'épiscopat de ma patrie pour prendre congé encore une fois et pour te demander ta bénédiction pour mon voyage. Je viens ici après ces journées passées avec eux — et avec tant d'autres pèlerins — comme premier serviteur de ton Fils et successeur de saint Pierre sur la chaire de Rome. La signification de ce pèlerinage est vraiment ineffable. Je n'essaierai même pas d'exprimer ce qu'il a été pour moi et pour nous tous, et ce qu'il ne cessera d'être. Pardonne-nous donc, Mère de l'Église et Reine de la Pologne, de te remercier seulement par le silence de nos cœurs et de te chanter en silence notre « préface » d'adieu !

 

3. Je voudrais seulement remercier encore en ta présence mes frères très chers dans l'épiscopat : le cardinal primat, les archevêques et les évêques de l'Église en Pologne, du milieu desquels j'ai été appelé, avec lesquels j'ai été depuis le début, et je continue à être, profondément lié. Voici ceux qui, devenant selon les paroles de saint Pierre les modèles du troupeau (forma gregis, cf. 1 P 5, 3), servent de tout leur cœur l'Église et la patrie, sans épargner leurs forces. Je désire vous remercier tous, vénérables frères, et toi en particulier, éminentissime et bien-aimé primat de Pologne, en répétant encore une fois (même sans paroles) ce que j'ai déjà dit à Rome le 22 et le 23 octobre de l'année dernière. Je répète les mêmes choses aujourd'hui — par la pensée et par le cœur — ici, en présence de Notre-Dame de Jasna Gôra.

 

Je remercie cordialement tous ceux qui ces jours-ci se sont faits pèlerins ici avec moi — en particulier ceux qui sont chargés du sanctuaire, les Pères Paulins, avec leur supérieur général et gardien de Jasna Gôra.

 

4. O Mère de l'Église ! Encore une fois je me consacre à toi « dans ton maternel esclavage d'amour » : « Totus tuus ! » Je suis tout à toi ! Je te consacre toute l'Église, où qu'elle se trouve, jusqu'aux extrémités de la terre ! Je te consacre l'humanité, je te consacre tous les hommes, mes frères. Tous les peuples et toutes les nations. Je te consacre l'Europe et tous les continents. Je te consacre Rome et la Pologne unies, à travers ton serviteur, par un lien nouveau d'amour.

 

Mère, accepte !

 

Mère, ne nous abandonne pas !

 

Mère, guide-nous !

 

 

 

6 juin 1979

ARRIVEE A CRACOVIE

 

Par un mystérieux dessein de la Providence, j'ai dû laisser le siège épiscopal de saint Stanislas à Cracovie pour assumer, à partir du 16 octobre 1978, celui de saint Pierre à Rome. Le choix opéré par le Sacré Collège a été pour moi l'expression de la volonté du Christ lui-même. Je veux rester toujours soumis et fidèle à cette volonté. Je veux en outre servir de toutes mes forces la grande cause à laquelle j'ai été appelé, à savoir l'annonce de l'Évangile et l'œuvre du salut. Je vous remercie de m'avoir aidé spirituellement, surtout de vos prières.

 

Si je vous dis cela dès les premiers mois de cette salutation, c'est que le Christ inscrit ses appels dans te cœur vivant de l'homme. Mon cœur était et n'a cessé d’être uni à vous, à cette ville, à ce patrimoine, à cette « Rome polonaise ».

 

C'est ici, sur cette terre, que je suis né.

 

C'est ici, à Cracovie, que j'ai passé la plus grande partie de ma vie, en commençant avec mon inscription à l'université Jagellon en 1938.

 

C'est ici que j'ai obtenu la grâce de la vocation sacerdotale.

 

C'est dans la cathédrale de Wawel que j'ai été consacré évêque et que, en janvier 1964, j'ai reçu en héritage le grand patrimoine des évêques de Cracovie.

 

Cracovie, depuis ma plus tendre enfance a été pour moi une particulière synthèse de tout ce qui est polonais et chrétien. Elle m'a toujours parlé du grand passé historique de ma patrie. Elle a toujours représenté pour moi, d'une façon sublime, l'esprit de son histoire.

 

Je me souviens de la vieille Cracovie de mes années de jeune et d'étudiant — et voici la nouvelle Cracovie, presque triplée par la construction de Nowa Huta, aux problèmes de laquelle j'ai participé comme pasteur, comme évêque, comme cardinal.

 

Je salue aujourd'hui ma chère Cracovie en tant que pèlerin.

 

Je salue tout ce qui la constitue : le témoignage de l'histoire, la tradition des rois, le patrimoine de la culture et de la science et, en même temps, la métropole moderne.

 

Et je vous salue surtout vous, les habitants de Cracovie, vous tous et chacun de vous. Je reviens à vous pour ces quelques jours du jubilé de saint Stanislas, comme à une grande famille.

 

Vous m'êtes si proches ! A cause de cet éloignement auquel le Seigneur m'a appelé, je vous sens encore plus proches. Je voudrais vous exprimer mes sentiments et mes vœux en reprenant les paroles de saint Ignace d'Antioche : « Que la grâce vous fasse abonder en toutes choses... Vous m'avez réconforté en toutes manières, que Jésus en fasse autant pour vous. Absent et présent vous m'avez aimé : que Dieu vous le rende » (Aux Smyrniotes, 9, 2 ; SC 10, p. 165).

 

Je voudrais, pendant les quelques jours où je serai avec vous, faire les choses que j'ai toujours faites annoncer « les merveilles de Dieu » (Ac 2, 11), rendre témoignage à l'Évangile et servir la dignité de l'homme. Comme l'a servie saint Stanislas il y a tant de siècles.

 

 

 

6 juin 1979

A CRACOVIE : SALUT AU « PRESBYTERIUM » ET AU PEUPLE DE DIEU

 

Dès mon arrivée à Cracovie, j'ai dirigé mes premiers, pas vers la cathédrale pour vous rencontrer près de la tombe de saint Stanislas, de la bienheureuse reine Hedwige et près de la tombe de nos rois, de nos chefs, de nos poètes nationaux. Vous savez tous très bien ce qu'a été pour moi cette cathédrale de Wawel.

 

Je salue tout le bien-aimé Presbyterium de l'Église de Cracovie, réuni près des reliques de son Patron, évêque il y a neuf siècles, et en même temps près de son actuel successeur, le métropolite de Cracovie et ses frères dans l’épiscopat.

 

Salut à tous.

 

Depuis 1972, j'ai préparé avec vous, très chers frères, ce Jubilé que maintenant je célèbre avec vous, bien que différemment de ce que je prévoyais. Insondables desseins de Dieu ! Insondables ses voies !

 

Nous avons ensemble fait le projet que cette année seraient effectuées les visites dans toutes les paroisses de l'archidiocèse de Cracovie avec les reliques de saint Stanislas, et je sais que cela se réalise. Permettez qu'à cette succession de visites j'ajoute également la mienne, ma visite actuelle dans la basilique de Wawel, qui en sa qualité de cathédrale est mère de toutes les églises et paroisses de l'archidiocèse. Par la visite aux saintes reliques, ici dans cette cathédrale, je visite indirectement chaque paroisse. Et de cette façon, je visite aussi chacun de vous, très chers frères et fils, chacun sur son propre poste de travail. Je visite toutes les communautés du peuple de Dieu dont vous êtes les pasteurs. Je vous prie de saluer vos paroisses, vos églises, vos chapelles. Saluez tous les sanctuaires toujours si chers à mon cœur.

 

Saluez les familles, les parents, la jeunesse.

 

Ainsi, comme autrefois, je prie maintenant chaque jour pour mon cher archidiocèse :

 

pour les familles ;

pour les paroisses et les aumôneries militaires ;

pour les congrégations religieuses masculines et féminines ;

pour le séminaire de Cracovie et tous les séminaires de la ville ;

pour l'Athénée théologique, héritier de la plus ancienne faculté de Pologne, de l'université Jagellone, que nous devons à la bienheureuse reine Hedwige ;

pour le Conseil presbytéral ;

pour la Curie métropolitaine ;

pour le Chapitre préposé à la garde de Wawel ;

pour le Synode de l’archidiocèse et de la métropole.

 

Que soit béni Dieu et Père de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ qui nous a bénis par le don d'une particulière unité à son service.

 

Amen.

 

 

 

7 juin 1979

AU SANCTUAIRE DE KALWARIA ZEBRZYDOWSKA

 

1. Je ne sais vraiment pas comment remercier la divine Providence pour m'avoir permis de visiter encore une fois ce lieu. Kalwaria Zebrzydowska, le sanctuaire de la Mère de Dieu, les lieux saints de Jérusalem liés à la vie de Jésus et de sa Mère, reproduits ici, en ce qu'on appelle les « ruelles ». Je les ai visitées comme prêtre. J'ai visité souvent en particulier le sanctuaire de Kalwaria comme archevêque de Cracovie et comme cardinal. Nous venions très souvent ici, les prêtres et moi, pour concélébrer devant la Mère de Dieu. Nous venions pour le pèlerinage annuel du mois d'août et aussi avec les pèlerinages de groupes déterminés au printemps et à l'automne. Mais plus fréquemment je venais seul ici et, marchant le long des ruelles de Jésus-Christ et de sa Mère, je pouvais méditer leurs très saints mystères et recommander au Christ, par Marie, les problèmes particulièrement difficiles et ceux qui engageaient spécialement ma responsabilité dans la complexité de mon ministère. Je puis dire que presque tous ces problèmes n'ont été mûris qu'ici, par l'ardente prière devant ce grand mystère de la foi que Kalwaria enferme en soi.

 

2. C'est un mystère que vous connaissez tous bien : vous, les Pères et Frères Bernardins (Franciscains), gardiens de ce sanctuaire, et vous qui habitez -ici, les paroissiens, vous les nombreux, nombreux pèlerins qui venez ici à diverses époques et en divers groupes de toute la Pologne, surtout de la région proche des Carpates, de l'une et de l'autre partie des Tatras, certains plusieurs fois. Kalwaria a en soi quelque chose qui provoque cela ? Peut-être la beauté naturelle du paysage, qui s'étend au seuil des Beskides polonais. Ceci nous rappelle assurément Marie qui — pour rendre visite à Elisabeth — se mit en route vers la montagne » (Lc 1, 39), Mais ce qui surtout, attire l'homme continuellement ici de nouveau, c'est ce mystère d'union de la Mère avec le Fils et du Fils avec la Mère. Ce mystère est raconté d'une façon plastique et généreuse par toutes les chapelles et les petites églises, disséminées autour de la basilique centrale, où règne l'image de la Madone de Kalwaria couronnée d'un diadème, offert par le pape Léon XIII, le 11 août 1887, par le cardinal Albin Dunajewski. L'anniversaire de cette cérémonie tombe le 15 août. Pour le centenaire, qui aura lieu en 1987, vous vous préparerez pendant les neuf prochaines années. Que ces neuf années de préparation soient profondément vécues par vous et vous rapprochent encore davantage des mystères de la Mère et du Fils, si fortement vécus et médités en ce saint lieu.

 

Le mystère de l'union de la Mère avec le Fils et du Fils avec la Mère sur le « chemin de croix », et ensuite sur les traces de ses funérailles de la chapelle de la Dormition au « sépulcre de la Madone». Enfin, le mystère de l'union dans la gloire que rappellent les ruelles de l'Assomption et du Couronnement. Le tout, bien situé dans le temps et dans l'espace, enveloppé des prières de tant de cœurs, de tant de générations, constitue un trésor singulier et vivant de la fou de l'espérance et de la charité du peuple de Dieu de cette terre. Quand je venais ici, j'avais toujours conscience de puiser dans ce trésor. Et j'avais toujours conscience que ces mystères de Jésus et de Marie, que nous méditons en priant pour les vivants et pour les morts, sont vraiment insondables. Nous revenons toujours à eux et chaque fois nous éprouvons le besoin de revenir de nouveau ici et de les pénétrer davantage. Dans ces mystères s'exprime en synthèse tout ce qui fait partie de notre pèlerinage terrestre et qui fait partie de nos « ruelles » de la vie quotidienne. Tout cela a été assumé par le Fils de Dieu et par sa Mère, est rendu de nouveau à l'homme : tout cela est alors pénétré d'une lumière nouvelle, sans laquelle la vie humaine n'a pas de sens et reste dans la nuit.

 

« ... Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie» (Jn 8, 12). Tel est le fruit de mon pèlerinage pluriannuel à travers les ruelles de Kalwaria. Le fruit que je partage aujourd'hui avec vous.

 

3. Et si je veux vous encourager et vous enthousiasmer pour quelque chose, c'est bien pour cela : que vous ne cessiez pas de visiter ce sanctuaire. Plus encore : je veux vous dire à tous, mais surtout aux jeunes (parce que les jeunes aiment particulièrement ce lieu) : ne cessez pas de prier : « il faut prier toujours, sans se lasser » (Lc 18, l) — disait Jésus. Priez et, par la prière, formez vos vies : « L'homme me vit pas seulement de pain » (Mt 4 ,4)... et l'homme n'est pas seulement homme par l'aspect temporel des choses, la satisfaction des besoins matériels, les ambitions ou les désirs. « L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4, 4). Si nous devons vivre cette parole, une parole divine, il nous faut prier « sans nous lasser » !

 

Que parvienne de ce lieu, à tous ceux qui m'écoutent et partout, cette invitation simple et fondamentale du pape à la prière.

 

C'est l'invitation la plus importante.

 

C'est le message le plus essentiel.

 

Que le sanctuaire de Kalwaria continue à rassembler les pèlerins, qu'il serve l’archidiocèse de Cracovie et toute l'Église en Pologne. Que s'accomplisse ici une grande œuvre de renouveau spirituel des hommes, des femmes, de la jeunesse masculine et féminine, du service liturgique de l'autel et de tous.

 

Et à tous ceux qui continueront à venir, je demande de prier pour l'un des pèlerins de Kalwaria que le Christ a appelé avec les mêmes mots que Simon Pierre : « pais mes agneaux... Pais mes-brebis » (Jn 21, 15-19).

 

Je vous le demande : priez pour moi ici pendant ma vie et après ma mort.

 

Amen.

 

 

 

7 juin 1979

DANS L'EGLISE PAROISSIALE DE WADOWICE

 

Chers habitants de Wadowice,

 

C'est avec une grande émotion que j'arrive aujourd'hui dans la ville où je suis né, dans la paroisse où j'ai été baptisé et accueilli dans la communauté ecclésiale, dans le cadre auquel j'ai été lié pendant dix-huit années de ma vie : depuis ma naissance jusqu'au baccalauréat.

 

Je voudrais vous remercier de vos salutations et en même temps vous saluer cordialement et souhaiter à tous la bienvenue. Depuis l'époque où je résidais à Wadowice, beaucoup d'années se sont écoulées et le cadre actuel a bien changé. Je salue donc tes nouveaux habitants de Wadowice, mais je te fais en pensant à ceux d'autrefois : à la génération qui a vécu la période de la première et de la seconde guerre mondiale et qui a vécu là sa jeunesse. Par la pensée et par le cœur, je reviens à l'école élémentaire — ici au Rynek (place du Marché) — et au lycée Marcin Wadowita de Wadowice que je fréquentais. Par la pensée et par le cœur, je reviens vers ceux de mon âge, mes camarades d'école, vers nos parents, nos maîtres et nos professeurs. Certains de ma génération sont encore ici, et je les salue avec une cordialité particulière. D'autres sont dispersés à travers toute la Pologne et de par le monde, mais ils sauront eux aussi que nous nous sommes rencontrés.

 

Nous savons l'importance des premières années de la vie, de l'enfance, de l'adolescence, pour le développement de la personne humaine et du caractère. Ce sont justement ces années qui m'unissent de manière indissoluble à Wadowice, à la ville et à ses environs. Au fleuve Skawa, à la chaîne des Beskides. C'est pourquoi j'ai tant désiré venir ici pour remercier Dieu avec vous de tous les bienfaits que j'ai reçus ici. Ma prière se porte vers tous les défunts, en commençant par mes parents, mon frère et ma sœur, dont le souvenir, pour moi, est toujours lié à cette ville.

 

Je voudrais encore exprimer mes sentiments de profonde gratitude à Mgr Edward Zacher, qui m'enseigna la religion au lycée de Wadowice, et qui prêcha ensuite à ma première messe, à mes premières célébrations d'évêque, d'archevêque et de cardinal, ici, dans l'église de Wadowice, et qui a pris la parole aujourd'hui aussi à l'occasion de cette nouvelle étape de ma vie, que l'on ne peut expliquer sinon par l'incommensurable miséricorde divine et la protection spéciale de la Mère de Dieu.

 

Lorsque je me mets à regarder derrière moi le long chemin de ma vie, je pense que le cadre, la paroisse, ma famille m'ont conduit aux fonts baptismaux de l'église de Wadowice où, le 20 juin 1920, m'a été accordée la grâce de devenir enfant de Dieu, et aussi la foi en mon Rédempteur. Ces fonts baptismaux, je les ai déjà baisés solennellement une fois, en l'année du Millénaire de la Pologne, quand j'étais archevêque de Cracovie. Aujourd'hui, je veux les baiser encore une fois comme pape, successeur de saint Pierre.

 

Je veux en outre fixer mon regard, sur le visage de la Mère du Perpétuel Secours, en son image de Wadowice.

 

Et je demande à tous, devant l'image de cette Mère, de m'entourer de leur prière incessante.

 

 

 

7 juin 1979

AU CAMP DE CONCENTRATION D'AUSCHWITZ

 

1. « Voici quelle est la victoire qui a vaincu le monde : c'est notre foi » (Jn 5,4).

 

Ces paroles de la lettre de saint Jean me viennent à l'esprit et me pénètrent le cœur lorsque je me trouve ici, en cet endroit où à été remportée une victoire particulière de la foi. De la foi qui fait naître l'amour de Dieu et du prochain, l'unique amour, l'amour suprême qui est prêt « à donner sa vie pour ses amis » (Jn 15, 13 ; cf. 10, 11). Une victoire donc de l'amour que la foi a vivifiée jusqu'au sommet du témoignage ultime et définitif.

 

Cette victoire de la foi et de l'amour, un homme l'a remportée en ce lieu ; son nom est Maximilien Marie ; son nom de famille : Kolbe ; sa profession (telle qu'il l'indiquait lui-même dans les registres du camp de concentration) : prêtre catholique ; sa vocation : fils de saint François ; sa naissance : fils de gens simples, laborieux et pieux, tisserands aux environs de Lodz ; par la grâce de Dieu et le jugement de l'Église : bienheureux.

 

La victoire par la foi et l'amour, cet homme l'a remportée en ce lieu qui fut construit pour la négation de la foi (de la foi en Dieu et de la foi en l'homme) et pour fouler aux pieds radicalement non seulement l'amour mais tous les signes de la dignité humaine, de l'humanité. Un lieu qui fut construit sur la haine et sur le mépris de l'homme au nom d'une idéologie folle. Un lieu qui fut construit sur la cruauté. A ce lieu conduit une porte, qui existe encore aujourd'hui, et sur laquelle est placée une inscription : Arbeit macht frei (le travail rend libre), qui rend un son sardonique, parce que son contenu était radicalement contredit par tout ce qui se passait à l'intérieur.

 

Dans ce lieu du terrible massacre où trouvèrent la mort quatre millions d'hommes de diverses nations, le père Maximilien, en s'offrant volontairement lui-même à la mort, pour un frère, dans le bunker de la faim, remporta une victoire Spirituelle semblable à celle du Christ lui-même. Ce frère vit encore aujourd'hui sur la terre polonaise.

 

Mais le père Maximilien Kolbe fut-il le seul ? Certes, il a remporté une victoire qui frappa aussitôt ses compagnons de prison et qui frappe encore aujourd'hui l'Église et le monde. Il est certain aussi que beaucoup d'autres victoires semblables ont été remportées ; je pense par exemple à la mort, dans le four crématoire d'un camp de concentration, de la sœur carmélite Bénédicte de la Croix, dans le siècle Edith Stein, illustre disciple de Husserl, qui est devenue une gloire de la philosophie allemande contemporaine, et qui descendait d'une famille juive de Wroclaw.

 

Sur le lieu où la dignité de l'homme avait été foulée aux pieds d'une manière aussi horrible, la victoire remportée grâce à la foi est l'amour.

 

Quelqu'un peut-il encore s'étonner que le pape, né et élevé sur cette terre, le pape qui est arrivé sur le siège de saint Pierre de ce diocèse sur le territoire duquel se trouve le camp d'Auschwitz, ait commencé sa première encyclique par les mots Redemptor hominis, et qu'il l'ait consacrée dans son ensemble à la cause de l'homme, à la dignité de l'homme, aux menaces contre lui et enfin à ses droits inaliénables qui peuvent êtres facilement foulés aux pieds et anéantis par ses semblables ? Suffit-il donc de revêtir l'homme d'un uniforme différent, de l'armer de tous les moyens de la violence, suffit-il donc de lui imposer une idéologie dans laquelle les droits de l'homme sont soumis aux exigences du système, complètement soumis, au point de ne plus exister en fait ?

 

2. Je viens ici aujourd'hui en pèlerin. On sait que je suis venu ici bien des fois... Tant de fois ! Et bien des fois, je suis descendu dans la pièce où Maximilien Kolbe est mort, et je me suis arrêté devant le mur de l'extermination, et je suis passé entre les ruines des fours crématoires de Brzezinka ; Je ne pouvais pas ne pas venir ici comme pape.

 

Je viens donc ; en ce sanctuaire particulier dans lequel est né — si je puis dire — le patron de notre siècle difficile, tout comme saint Stanislas, patron des Polonais, naquit sous l’épée il y a neuf siècles à Rupella.

 

Je viens pour prier avec vous tous qui êtes venus ici aujourd'hui — et avec toute la Pologne — et avec toute l'Europe. Le Christ veut, que moi, devenu successeur de Pierre, je rende témoignage devant le monde de ce qui constitue la grandeur de l'homme de notre temps et sa misère. De ce qui constitue sa défaite et sa victoire.

 

C'est pourquoi je viens m'agenouiller sur ce Golgotha du monde contemporain, sur ces tombes en grande partie sans nom, comme la grande tombe du soldat inconnu. Je m'agenouille devant toutes les pierres qui se succèdent et sur lesquelles la commémoration des victimes d'Auschwitz est gravée dans, les langues suivantes : en polonais, anglais, bulgare, tzigane, tchèque, danois, français, grec, hébreu, yiddish, espagnol, flamand, serbo-croate, allemand, norvégien, russe, roumain, hongrois, italien.

Et je m'arrête en particulier avec vous, chers participants à cette rencontre, devant la pierre qui porte l'inscription en langue hébraïque. Cette inscription rappelle le souvenir du peuple dont les fils et les filles étaient destinés à l'extermination totale. Ce peuple tire son origine d'Abraham, qui est le Père de notre foi (cf. Rm 4, 12), comme l'a dit Paul de Tarse. Ce peuple, qui a reçu de Dieu ce commandement : « tu ne tueras pas », a éprouvé en lui-même à un degré spécial ce que signifie tuer. Devant cette pierre, il n'est permis à personne de passer outre avec indifférence.

 

Je choisis de m'arrêter encore devant une autre pierre : celle dont l'inscription est en langue russe. Je n'ajoute aucun commentaire. Nous savons de quelle nation il s'agit. Nous connaissons la part qu'elle eut dans la terrible dernière guerre, pour la liberté des peuples. Devant cette pierre, on ne peut pas passer indifférent.

 

Enfin, la dernière pierre, celle en langue polonaise. Six millions de Polonais ont perdu la vie au cours de la seconde guerre mondiale : le cinquième de la nation. Encore une étape des luttes séculaires de cette nation, de ma nation, pour ses droits fondamentaux parmi les peuples d'Europe. Encore un cri puissant pour le droit d'avoir sa propre place sur la carte de l'Europe. Encore un compte douloureux avec la conscience de l'humanité.

 

J'ai choisi seulement trois pierres. Il faudrait s'arrêter devant chacune de celles qui sont là, c'est ce que nous ferons.

 

3. Oswiecim (Auschwitz) est un tel compte. On ne peut pas le visiter seulement.

 

Il faut se demander avec crainte à cette occasion où se trouvent les frontières de la haine, les frontières de la destruction de l'homme par l'homme, les frontières de la cruauté ?

 

Oswiecim est un témoignage de la guerre. La guerre porte avec elle une croissance démesurée de la haine, de la cruauté. Et si on ne peut pas nier qu'elle manifeste aussi de nouvelles possibilités du courage de l'homme, de l'héroïsme, du patriotisme, il demeure pourtant que c'est le compte des pertes qui l'emporte en elle. Il l'emporte toujours plus, parce que la capacité de destruction des armes inventées par la technique moderne s'accroît chaque jour. Les responsables des guerres ne sont pas seulement ceux qui en sont directement la cause, mais aussi ceux qui ne font pas tout pour les empêcher. Qu'il me soit donc permis de répéter en ce lieu les paroles que Paul VI prononça devant l'Organisation des Nations Unies : « Il suffit de rappeler que le sang de millions d'hommes, que les souffrances inouïes et innombrables, que d'inutiles massacres et d'épouvantables ruines sanctionnent le pacte qui vous unit en un, serment qui doit changer l'histoire future du monde : jamais plus la guerre, jamais plus la guerre ! C'est la paix, la paix, qui doit guider le destin des peuples et de toute l'humanité ! » (AAS 57, 1965, p. 881).

 

Si toutefois ce grand appel d'Oswiecim, le cri de l'homme martyrisé ici doit porter des fruits pour l'Europe (et aussi pour le monde), il faut tirer toutes les justes conséquences de la Déclaration des droits de l'homme, comme le pape Jean XXIII exhortait à le faire dans l'encyclique, Pacem in terris. En effet, on y « reconnaît solennellement à tous les hommes sans exception leur dignité de personne ; elle affirme pour chaque individu ses droits de rechercher librement la vérité, de suivre les normes de la moralité, de pratiquer les devoirs de justice, d'exiger des conditions de vie conformes à la dignité humaine, ainsi que d'autres droits liés à ceux-ci » (Jean XXIII, Pacem in terris, IV : AAS 55, J963, p. 295-296).

 

Il faut revenir à la sagesse du vieux maître Pawel Wlodkowic, recteur de l'université Jagellon de Cracovie, et assurer les droits des nations : à l'existence, à la liberté, à l'indépendance, à leur propre culture, à un développement honnête. Wlodkowic écrit : « Là où le pouvoir s'exerce plus que l'amour, on cherche ses propres intérêts, et non ceux de Jésus-Christ, et on s'éloigne donc facilement de la norme de la loi divine (...). Tout le droit s'oppose aux menaces contre ceux qui veulent vivre en paix : s'y oppose le droit civil (...) et canonique (...), le droit naturel, c'est-à-dire le principe "Ce que tu veux pour toi, fais-le à autrui". S'y oppose le droit divin, en tant que ... dans le "tu ne voleras pas" tout, larcin est interdit et dans le "tu ne tueras pas" l'est toute violence» (P. Wlodkowic, Saeventibus, 1415, Trac. 2, Solutio quaest ,4a ; cf. L. Ehrlich, Pisma Wybrane Pawla Wlodkowica, Waeszawa 1968, t. 1, s.61 ; 58-59).

 

Et non seulement le droit s'y opposait, mais aussi et surtout, l'amour. Cet amour du prochain dans lequel se manifeste et se traduit l'amour de Dieu que le Christ a proclamé comme son commandement. Mais il est aussi le commandement que tout homme porte

inscrit dans son cœur ; gravé par son Créateur lui-même. Un tel commandement se concrétise également dans le « respect de l'autre », de sa personnalité, de sa conscience ; il se concrétise dans le « dialogue avec l'autre », dans le savoir rechercher et reconnaître ce qu'il y a de bon et peut y avoir de positif même en celui qui a des idées différentes des nôtres, en celui qui erre sincèrement, en bonne foi.

 

Jamais l'un aux dépens de l'autre, au prix de l'asservissement de l'autre, au prix de la conquête, de l'outrage, de l'exploitation et de la mort !

 

C'est le successeur de Jean XXIII et de Paul VI qui prononce ces paroles. Mais celui qui les prononce est en même temps le fils de la nation qui a subi de la part des autres, au cours de son histoire, de multiples vicissitudes. Il ne le dit pas pour accuser, mais pour rappeler. Il parle au nom de toutes les nations dont les droits sont violés et oubliés. Il le dit parce qu'il y est poussé par la vérité et par la sollicitude pour l'homme.

 

4. Dieu saint, Dieu puissant, saint et immortel !

De la peste, de la famine, du feu et de la guerre... et de la guerre, délivre-nous, ô Seigneur !

 

 

 

8 juin 1979

A CRACOVIE : L'HOMELIE DE LA MESSE A NOWY TARG

 

1. « De la mer Baltique aux sommets des montagnes... », aux sommets des Tatras.

 

Au cours de mon pèlerinage à travers la Pologne, j'ai l'occasion aujourd'hui d'approcher justement ces monts, ces Tatras qui constituent depuis des siècles la frontière méridionale de la Pologne. Elle a été la frontière la plus fermée et la plus protégée, et en même temps la plus ouverte et la plus amicale. A travers cette frontière passaient les chemins conduisant chez nos voisins, chez nos amis. Même durant la dernière occupation, ces sentiers étaient les plus battus par les réfugiés qui se dirigeaient vers le sud : ils cherchaient à rejoindre l'armée polonaise qui combattait au-delà des frontières pour la liberté de la patrie.

 

Je veux saluer de tout mon cœur ces lieux auxquels j'ai toujours été si intimement lié. Je veux en outre saluer tous ceux qui se trouvent ici, venus du Podhale comme de toutes les Précarpates, de l’archidiocèse de Cracovie et même de plus loin : du diocèse de Tarnow et de celui de Przemysl. Permettez-moi de me référer à l'antique lien de voisinage et de vous saluer tous comme je le faisais habituellement lorsque j'étais métropolitain de Cracovie.

 

2. Je voudrais parler ici, en ce lieu de Nowy Targ, de la terre polonaise, parce qu'elle se révèle ici particulièrement belle et riche de paysage. L'homme a besoin de la beauté de la nature, et il ne faut donc pas s'étonner de voir venir ici des personnes de différentes parties de la Pologne et de l'étranger. Elles viennent aussi bien l'été que l'hiver. Elles cherchent le repos. Elles désirent se retrouver elles-mêmes au contact de la nature. Elles veulent refaire leurs forces par le sain exercice physique de la marche, de l'ascension, de l'escalade, de la descente à ski. Cette région hospitalière est aussi le terrain d'un grand travail pastoral, car les grands viennent ici pour raviver non seulement leurs forces physiques mais aussi leurs forces spirituelles.

 

3. Cette belle terre est en même temps une terre difficile. Pierreuse, montagneuse. Pas aussi fertile que la plaine de la Vistule. Qu'il me soit donc permis, précisément en cette terre des Précarpates et des Prétatras, de me référer à ce qui a toujours été si cher au cœur des Polonais : l'amour de la terre et du travail des champs. Personne ne peut nier que cela représente non seulement un sentiment, un lien affectif, mais aussi un grand problème économique et social. Ces régions-ci connaissent particulièrement bien le problème parce que d'ici justement, alors que se faisait sentir la plus grande pénurie de terre cultivable, ce qui amenait parfois une grande misère, les gens émigraient au loin, au-delà de la Pologne, au-delà de l'Océan. Ils partaient là-bas en quête de travail et de pain, et ils en trouvaient. Je veux dire aujourd'hui à tous ceux qui sont dispersés dans le monde, en quelque lieu qu'ils se trouvent » « Szczese Boze » — Que Dieu vous aide ! Que ceux-là n'oublient pas leur patrie d'origine, leur famille, l'Église, la prière et tout ce qu'ils ont emporté d'ici. Car même s'ils ont dû émigrer parce que les biens matériels leur faisaient défaut, ils n'en ont pas moins emporté d'ici avec eux un grand patrimoine spirituel. Qu'ils veillent, en devenant riches matériellement, à ne pas s'appauvrir spirituellement : ni eux, ni leurs enfants, ni leurs petits-enfants !

 

Le grand droit de l'homme, son droit fondamental, c'est 1e droit au travail et le droit à la terre. Certes, le développement de l'économie nous mène dans une autre direction, on évalue le progrès à partir de l'industrialisation, la génération actuelle abandonne en masse la campagne et les travaux des champs ; mais le droit à la terre ne cesse pas pour autant de constituer le fondement d'une saine économie et d'une saine sociologie.

 

Puisque durant ma visite, il convient que je présente des vœux, je souhaite de tout mon cœur à ma patrie que ce qui a toujours constitué la force des Polonais — jusque dans les périodes les plus difficiles de l'histoire — c'est-à-dire le lien personnel avec la terre, ne cesse pas de l'être même pour notre génération industrialisée. Que l'on garde de la considération pour les travaux des champs ; qu'ils soient appréciés et estimés ! Et que jamais ne manquent en Pologne le pain et la nourriture !

 

4. A ce souhait s'en ajoute un autre. Le Créateur adonné la terre à l'homme pour qu'il la « soumette » et sur cette domination de l'homme sur la terre, il a basé le droit fondamental de l'homme à la vie. Ce droit est étroitement lié à la vocation de l'homme à la famille et à la procréation. C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à sa femme, et ils deviendront une, seule chair » (Gn 2, 24). Et, de même que la terre, par un décret providentiel du Créateur, porte du fruit, ainsi cette union dans l'amour de deux personnes, homme et femme, fructifie en une nouvelle vie humaine. De cette unité vivifiante des personnes, le Créateur a fait le premier sacrement et le Rédempteur, a confirmé ce sacrement perpétuel de l'amour et de la vie, lui donnant une nouvelle dignité et lui imprimant le sceau de sa sainteté. Le droit de l'homme à la vie est joint, par volonté du Créateur et en vertu de la croix du Christ, au sacrement indissoluble du mariage.

 

A l'occasion de ma visite, je souhaite donc, très chers compatriotes, que ce droit sacré ne cesse jamais de marquer la vie en terre polonaise : et ici, dans les Prétatras, dans les Précarpates, et partout. On dit très justement que la famille est la cellule fondamentale de la vie sociale. C'est la communauté humaine fondamentale. Telle est la famille, telle sera aussi la nation, parce que tel est l'homme. Je vous souhaite donc d'être forts grâce à des familles profondément enracinées dans la force de Dieu, et je souhaite que l'homme puisse se développer pleinement sur la base du lien indissoluble des époux-parents, dans le climat familial que rien ne peut remplacer. Je souhaite encore, et je prie toujours pour cela, que la famille polonaise donne la vie et soit fidèle au droit sacré à la vie. Si on enfreint le droit de l'homme à la vie au moment où il commence à être conçu dans le sein maternel, on porte aussi atteinte indirectement à tout l'ordre moral qui sert à assurer les biens inviolables de l'homme. La vie occupe la première place parmi ceux-ci. L'Église défend le droit à la vie non seulement eu égard à la majesté du Créateur qui est le premier Donateur de cette vie, mais aussi par respect envers le bien essentiel de l'homme.

 

5. Je voudrais également m'adresser aux jeunes qui aiment ces lieux d'une façon spéciale et viennent chercher ici non seulement le repos physique mais aussi le repos spirituel. « Se reposer — a écrit autrefois Norwid —signifie "concevoir à nouveau" (jeu de mots polonais) ». Le repos spirituel de l'homme, comme le pensent justement tant de groupes de jeunes, doit conduire à retrouver et à élaborer en soi la « nouvelle créature » dont parle saint Paul. C'est à cela que mène le chemin de la Parole de Dieu lue et célébrée avec foi et amour, la participation aux sacrements et surtout à l'Eucharistie. C'est à cela que mène le chemin de la compréhension et déjà réalisation de la communauté, c'est-à-dire de la communion avec les hommes qui naît de la communion eucharistique et aussi la compréhension et la réalisation du service évangélique, c'est-à-dire de la « diaconie ». Très chers amis, ne renoncez pas à ce noble effort qui vous permet de devenir témoins du Christ. Témoin, dans le langage biblique, signifie martyr.

 

Je vous confie à l'Immaculée, à laquelle le bienheureux Maximilien Kolbe confiait continuellement le monde entier.

 

Je vous confie tous à la Mère du Christ qui, dans les environs d'ici, règne comme Mère dans son sanctuaire de Ludzmiers et aussi dans celui qui s'élève au cœur des Tatras à Rusinowa Polana (combien le serviteur de Dieu, le frère Albert, a aimé ce lieu, combien il a admiré et aimé depuis son ermitage de Kalatowki !), et en tant d'autres sanctuaires érigés aux pieds des Carpates, dans le diocèse de Tarnow, celui de Przemsyl... à l'est et à l'ouest. Et dans toute la terre polonaise.

 

Que le patrimoine de la foi au Christ et de l'ordre moral soit sauvegardé par saint Stanislas, évêque et martyr, patron des Polonais, témoin du Christ depuis tant de siècles sur notre terre natale !

 

 

 

8 juin 1979

A CRACOVIE : DISCOURS DE CLOTURE DU SYNODE ARCHIDIOCESAIN

 

Très cher métropolitain de Cracovie,

 

Vénérables évêques,

 

Chers frères et sœurs,

 

1. Aujourd'hui se réalise le désir ardent de mon cœur. Le Seigneur Jésus, qui m'a appelé de ce siège de saint Stanislas à la veille de son neuvième centenaire, me permet de participer à la clôture du synode de l'archidiocèse de Cracovie, synode qui a toujours été lié dans ma pensée à ce grand jubilé de notre Église. Vous le savez tous très bien, car j'ai traité ce sujet à de nombreuses reprises, et je n'ai pas besoin de le répéter aujourd'hui. Je ne serais peut-être même pas capable de dire tout ce qui, en rapport avec ce synode, m'est passé dans l'esprit et dans le cœur, quelles espérances et quels projets j'ai bâtis sur: lui en cette période décisive de l'histoire de l'Église et de la patrie.

 

Le synode avait été lié, pour moi et pour vous tous, à l'anniversaire du neuvième centenaire du ministère de saint Stanislas, qui fut évêque de Cracovie pendant sept ans. Le programme de travail prévoyait ainsi une période qui allait du 8 mai 1972 au 8 mai 1979. Nous avons voulu, pendant tout ce temps, honorer l'évêque et le pasteur (d'il y a neuf siècles) de l'Église de Cracovie, en cherchant à exprimer — en fonction de notre temps et de ses besoins — notre sollicitude pour l'œuvre de salut opérée par le Christ dans les âmes de nos contemporains. Comme saint Stanislas de Szczepanow le faisait il y a neuf siècles, ainsi voulons-nous faire nous aussi, neuf siècles après. Je suis persuadé que c'est là la façon la plus adaptée d'honorer la mémoire du grand patron de la Pologne. Cela correspond autant à la mission historique de saint Stanislas qu'aux grandes tâches que doivent affronter aujourd'hui l'Église et le christianisme contemporain après le concile Vatican II. Celui qui a commencé le Concile, le serviteur de Dieu Jean XXIII, a déterminé cette tâche en l'appelant « aggiornamento ». Le but du travail de sept années du synode de Cracovie — en réponse aux fins essentielles de Vatican II — devait être raggiornamento de l'Église de Cracovie, le renouvellement de la conscience de sa mission de salut, comme aussi le programme précis de sa réalisation.

 

2. Le chemin qui a conduit à cette fin avait été tracé par la tradition des synodes particuliers de l'Église ; qu'il suffise de rappeler les deux synodes précédents au temps du ministère du cardinal Adam Stefan Sapieha. Les nonnes pour mener les travaux synodaux étaient tracées par le code de droit canonique. Toutefois nous avons considéré que la doctrine du concile Vatican II ouvre ici de nouvelles perspectives et crée, je dirais, de nouveaux devoirs. Si le synode devait servir à la réalisation de la doctrine de Vatican II, il devait le faire avant tout avec la même conception et la même méthode de travail. Cela explique tout le dessein du synode pastoral et ta mise en œuvre qui s'en est suivie. On peut dire que, par l'élaboration des résolutions et des documents, nous avons parcouru une route plus longue mais aussi plus complète. Cette route est passée par l'activité de centaines de groupes d'étude synodaux, dans lesquels un grand nombre de fidèles de l'Église de Cracovie ont pu s'exprimer. Ces groupes, comme vous le savez, étaient formés dans leur majorité de laïcs catholiques, qui y ont trouvé d'une part la possibilité de pénétrer dans la doctrine du Concile, et d'autre part leurs propres expériences, leurs propres propositions, qui manifestaient leur amour envers l'Église, et le sens de leur responsabilité pour l'ensemble de sa vie dans l'archidiocèse de Cracovie.

 

Pendant l'étape de préparation des documents finals du synode, les groupes d'étude sont devenus des lieux d'amples consultations ; c'est à eux que s'adressaient en effet la commission générale qui coordonnait l'activité de toutes les commissions de travail, de même que les commissions d'experts qui, depuis le début du synode avaient été convoquées. De cette façon mûrissait ce que le synode, en se rattachant à la doctrine du Concile, voulait faire passer dans la vie de l'Église de Cracovie. Il voulait former en fonction de cela l'avenir de l'Église.

 

3. Aujourd'hui tout ce travail, ce parcours de sept ans, est déjà derrière vous. Je n'ai jamais imaginé que j'aurais participé comme hôte venu de Rome à la clôture des travaux du synode de Cracovie. Mais si telle est la volonté du Christ, qu'il me soit permis, en ce moment, de remplir encore une fois le rôle du métropolitain de Cracovie, qui, par le synode, avait désiré s'acquitter de la grande dette, qu'il avait contractée envers le Concile, envers l'Église universelle, envers l'Esprit-Saint. Qu'il me soit aussi permis dans ce rôle — comme je l'ai dit — de remercier tous ceux qui ont réalisé ce synode, année après année, mois après mois, de leur travail, de leurs conseils, de leur contribution constructive, de leur zèle. Mes remerciements s'adressent, d'une certaine manière, à toute la communauté du peuple de Dieu de l'archidiocèse de Cracovie, aux ecclésiastiques et aux laïcs ; aux prêtres, aux religieux et aux religieuses. Surtout à tous ceux qui sont ici présents : aux évêques, avec à leur tête mon vénéré successeur le métropolitain de Cracovie : spécialement à l'évêque Stanislaw Smolenski qui a dirigé, en tant que président de la commission générale, les travaux du synode. A tous les membres de cette, commission, et encore une fois à la commission préparatoire, qui, sous la direction de Mgr E. Florkowski, a préparé en: 1971 et en 1972 le statut, le règlement et le programme du synode. Aux commissions de travail, aux commissions d'experts à l'infatigable secrétariat, aux groupes chargés de la rédaction, et enfin à tous les groupes d'étude.

 

J'aurais peut-être dû, en une telle circonstance, m'exprimer d'une autre manière, mais cela ne m'est pas possible. J'ai été trop personnellement lié à ce travail.

 

Je voudrais donc, en votre nom à tous, déposer cette œuvre achevée devant le sarcophage de saint Stanislas, au centre de la cathédrale de Wawel ; elle avait, en effet, été entreprise en vue de son jubilé.

 

Et avec vous tous, je demande à la Sainte Trinité que cette œuvre porte des fruits au centuple.

 

Amen.

 

 

 

8 juin 1979

A CRACOVIE : RENCONTRE AVEC LES ETUDIANTS

 

Mes jeunes amis,

 

1. Permettez-moi de commencer par des souvenirs, puisque le temps est encore tout proche où j'avais des rencontres régulières avec vous dans tant de centres de pastorale pour les étudiants de Cracovie. Nous nous sommes vus en diverses occasions, et il me semble que nous nous comprenons bien. Je n'oublierai jamais vos vœux de Noël avec le partage de l’Eucharistie, les exercices spirituels de l’Avent et du Carême, et nos autres rencontres.

 

Cette année, j'ai dû passer le Carême à Rome et, pour la première fois, au lieu de parler aux étudiants polonais de Cracovie, j'ai parlé aux étudiants romains. Je vous cite quelques passages de ce que je leur ai dit dans la basilique Saint-Pierre : « Le Christ est celui qui a accompli un renversement fondamental dans la façon de concevoir la vie. Il a montré que la vie est un passage, non seulement au-delà de la limite de la mort, mais vers une vie nouvelle. Aussi la croix est-elle devenue pour nous la chaire suprême de la vérité de Dieu et de l'homme. Tous, d'une façon ou d'une autre, nous devons être disciples de cette chaire. Nous comprenons alors que la croix est aussi le berceau de l'homme nouveau.

 

« C'est ainsi que ceux qui se mettent a son école perçoivent la Vie. C'est ainsi qu'ils l'enseignent aux autres. Ce sens de la vie, ils l'impriment dans toute la réalité temporelle : dans la morale, la créativité, la culture, la politique, l'économie. Combien de fois n'a-t-on pas dit — par exemple, les disciples d'Épicure dans l'Antiquité et, pour d'autres motifs, certains disciples de Marx aujourd'hui — que cette façon de concevoir la vie détourne l'homme de la réalité temporelle et, d'une certaine manière, l'annule. La vérité est tout autre. Seule cette conception de la vie donne leur pleine importance à tous les problèmes de la réalité temporelle. Elle permet de les situer pleinement dans la vie de l'homme. Une chose est sûre : cette conception de la vie ne permet pas d'enfermer l'homme dans les choses temporelles ; elle ne permet pas qu'il leur soit entièrement subordonné. Elle décide de sa liberté. En donnant à la vie humaine ce sens pascal, à savoir qu'elle est un passage, un passage vers la liberté, Jésus-Christ a enseigné par sa parole, et encore plus par son exemple, qu'elle est une épreuve... (elle est) l'épreuve de la pensée, du « cœur » et de la volonté, l'épreuve de la vérité et de l'amour. En ce sens, c'est en même temps, l'épreuve de l'Alliance avec Dieu.

 

« La notion d'épreuve est étroitement liée à celle de responsabilité. L'une et l'autre sont ordonnées à notre volonté, à nos actes. Acceptez chers amis, ces deux notions, ou plutôt ces deux réalités, comme les éléments avec lesquels nous constituons notre humanité. Votre humanité est déjà mûre et en même temps elle est encore jeune. Elle est en train de forger d'une façon définitive son projet de vie, de cela précisément pendant le temps de vos études supérieures. Il faut assumer cette épreuve en toute responsabilité ; responsabilité personnelle — pour sa vie, sa physionomie future et sa valeur — et en même temps responsabilité sociale : pour la justice et la paix, pour la vie morale de son propre milieu originel et de toute la société. C'est une responsabilité pour le bien commun authentique. L'homme qui a une, telle conscience du sens de sa vie ne détruit pas mais construit l'avenir. C'est ce que le Christ nous a enseigné. »

 

Après la soirée passée avec la jeunesse romaine, au cours de laquelle presque tous ont reçu la communion pascale, j'ai pensé en moi-même : comme les étudiants se ressemblent partout ! Comme ils écoutent partout, avec la même attention, la parole de Dieu et participent à la liturgie ! J'ai pensé alors à vous, aux retraites spirituelles des étudiants polonais de Cracovie, à votre manière analogue de vous recueillir, de réfléchir, de vivre en silence dans l'église de la Mère de Dieu, à Nowa Wies, ou encore dans l'église des dominicains ou des jésuites, au cours de rencontres semblables.

 

2. J'ai aussi pensé à vous à Mexico, au cours de ma rencontre avec la jeunesse étudiante dans le sanctuaire de Notre-Dame de Guadalupe. Permettez-moi de vous citer encore quelques phrases de la lettre que j'ai écrite spécialement après mon retour de Mexico, aux étudiants d'Amérique latine.

 

« Au cours de ma rencontre avec vous, j'ai perçu que vous ressentiez très profondément

le mal qui pèse sur la vie sociale des nations dont vous êtes les fils et les filles. Le besoin de changement, la nécessité de construire un monde meilleur, plus juste, plus digne de l'homme, vous tourmentent. Sur ce point, vos désirs rencontrent le courant qui s'est si fortement accentué dans l'enseignement et dans l'apostolat de l'Église contemporaine. Le concile Vatican II a exprimé souvent ces aspirations à rendre la vie humaine sur cette terre plus humaine, plus digne de l’homme. Cette tendance — chrétienne au fond, mais en même temps humaine (humaniste) — a un caractère universel : elle concerne tout homme et donc elle concerne tous les hommes. Elle ne peut conduire à des restrictions, des utilisations, des falsifications, des discriminations. Elle doit porter en elle la pleine vérité sur l'homme et elle doit conduire à la réalisation de la plénitude des droits de l'homme. Afin que ces nobles aspirations qui se font entendre dans la volonté et dans les cœurs des jeunes puissent parvenir à se réaliser correctement, il faut voir l'homme dans toutes les dimensions de son humanité. On ne peut réduire l'homme à la sphère de ses besoins matériels. On ne peut mesurer le progrès seulement par les valeurs économiques. La dimension spirituelle de l'être humain doit se trouver à sa juste place.

 

« L'homme est lui-même à travers la maturité de son esprit, de sa conscience, de son rapport avec Dieu et avec le prochain. Il n'y aura un monde meilleur et un ordre de la vie sociale meilleur que si on donne la première place à ces valeurs de l'esprit humain. Rappelez-vous bien ceci, vous tous qui désirez ajuste titre des changements pour une société meilleure et plus juste ; vous les jeunes qui contestez à juste titre tout mal, toute discrimination, toute violence, toute torture à l'égard des hommes. Rappelez-vous que l'ordre que vous désirez est un ordre moral ; et vous ne l'atteindrez pas autrement qu'en assurant la première placé à tout ce qui constitue la force de l'esprit humain : justice, amour, amitié. »

 

3. Je suis heureux, aujourd'hui, de cette nouvelle rencontre avec vous, pendant ce jubilé de saint Stanislas auquel j'ai le bonheur de participer. Quand nous, écoutons l'Évangile que la liturgie de la solennité de saint Stanislas nous rappelle, chaque année, le Christ Bon Pasteur apparaît devant les yeux de notre âme, lui « qui donne sa vie pour ses brebis » (Jn 10, 11) ; le Christ qui connaît ses brebis et que, ses brebis connaissent (cf. Jn 10, 14) ; le Bon Pasteur, qui cherche la brebis perdue et qui, lorsqu'il l'a retrouvée, « la met sur ses épaules, tout content » (Lc 15, 5) et la reporte avec joie, à la bergerie.

 

Que puis-je vous, dire de plus que ceci ? Apprenez à connaître le Christ et faites-vous connaître de lui ! Lui connaît chacun de vous d'une manière particulière. Ce n'est pas une connaissance qui suscite opposition et révolte, une science devant laquelle il soit nécessaire de fuir pour sauvegarder son propre mystère intérieur. Ce n'est pas une science faite d'hypothèse, qui réduit l'homme à ses dimensions socio-utilitaires. Sa science est une science pleine de simple vérité sur l’homme, et par-dessus, tout pleine d'amour. Soumettez-vous à cette science, simple et pleine d'amour, du Bon Pasteur. Soyez certains que lui connaît chacun de vous plus que. chacun de vous ne se connaît lui-même. Il connaît parce qu'il a donné sa vie (cf. Jn 15, 13).

 

Permettez-lui de vous trouver. L'homme, le jeune, est parfois perdu en lui-même, dans le monde qui l'entoure, dans tout le réseau des choses humaines qui l'enveloppent. Permettez au Christ de vous trouver. Que lui connaisse tout de vous, qu'il vous guide. C'est vrai que, pour suivre quelqu'un, il faut en même temps être exigeant pour soi-même, telle est la loi de l’amitié. Si nous voulons marcher ensemble, nous devons être attentifs au chemin à prendre. Si nous marchons dans la montagne, nous ne pouvons pas lâcher la corde. Il faut aussi conserver notre union avec l'ami divin qui a pour nom Jésus-Christ. Il faut collaborer avec lui.

 

Bien souvent, je vous en ai parlé et d'une manière plus large et plus développée qu'aujourd'hui. Souvenez-vous en : ce que je vous ai dit et ce que je vous dis, je l'ai dît et je le dis par expérience personnelle. Je me suis toujours émerveillé de cet admirable pouvoir que le Christ a sur le cœur de l'homme : il ne l'a pas pour une raison ou pour un motif quelconques, pour une carrière ou un profit quelconques, mais uniquement parce qu'il aime et qu'il donne sa vie pour ses frères (cf. Jn 15, 13).

 

4. Vous êtes l'avenir du monde, de la nation, de l'Église. « De vous dépend l'avenir... » Acceptez avec le sens de vos responsabilités la vérité toute simple contenue dans ce chant de jeunes et demandez au Christ, par l'intermédiaire de sa Mère, d'être capables de l'affronter.

 

Vous devez porter dans l'avenir toute l'expérience historique qui a pour nom « Pologne ». C'est une expérience difficile, peut-être une des plus difficiles du monde, de l'Europe, de l'Église. N'ayez pas peur de la fatigue ; mais craignez seulement la légèreté et la pusillanimité. De cette difficile expérience qui a nom « Pologne », on peut tirer un avenir meilleur mais seulement à condition d'être honnêtes, sobres, croyants, libres d'esprit, forts dans ses convictions.

 

Soyez cohérents dans votre foi !

 

Soyez fidèles à la Mère du Bel Amour. Ayez confiance en elle, qui forme votre amour et qui forme vos jeunes, familles.

 

Que le Christ demeure pour vous « le chemin, la vérité et la vie ».

 

 

 

9 juin 1979

A NOWA MUTA : AU SANCTUAIRE DE LA SAINTE CROIX A MOGILA

 

Messe pour les ouvriers

 

1. Voici que je suis de nouveau devant cette croix auprès de laquelle je suis si souvent venu en pèlerin, devant la croix qui est demeurée pour nous comme la relique la plus précieuse de notre Rédempteur.

 

Lorsque Nôwa Huta s'élevait dans les environs de Cracovie — énorme complexe industriel et nouvelle grande cité : la nouvelle Cracovie — peut-être ne se rendit-on pas compte quelle était en train de s'élever juste auprès de cette croix, auprès de cette relique que nous avons héritée du temps des Piast en même temps que la très ancienne abbaye cistercienne. C'était en l'an 1222, au temps du prince Leszek Bialy, au temps de l'évêque Yves Ôdrowaz, avant la canonisation de saint Stanislas. A cette époque, le troisième centenaire de notre baptême, l'abbaye cistercienne fut fondée ici, et on y porta la relique de la sainte croix qui est devenue depuis des siècles le bût de pèlerinage de la région de Cracovie : du nord, pour ta région de Kielce, de l’est pour celle de Tarnow, et de l'ouest pour la Silésie. Tout ceci s'est passé sur le lieu où s'élevait autrefois, selon la tradition, Stara Huta, qui est historiquement comme l'ancêtre de l'actuelle Nowa Huta.

 

Je voudrais aujourd'hui saluer encore une fois ici les pèlerins de Cracovie, les pèlerins de la Silésie, les pèlerins du diocèse de Kielce.

 

Nous allons ensemble, pèlerins, vers la croix du Seigneur, parce que, à partir d'elle, commence une ère nouvelle dans l’histoire de l'homme. C'est, un temps de grâce, c'est le temps du salut. A travers la croix, l'homme a pu comprendre le sens de son propre sort, de sa propre existence sur la terre. Il a découvert combien Dieu l'a aimé. Il a découvert, et il découvre continuellement à la lumière de la foi combien sa propre valeur est grande. Il a appris à mesurer sa propre dignité avec la mesure de ce sacrifice que Dieu a offert dans son Fils pour le salut de l'homme : « En effet, Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que celui qui croit en lui ne meure pas, mais qu'il ait la vie éternelle » (Jn 3, 16).

 

Mais si les temps changent, même si, à la place des champs d'autrefois, dans les environs de Cracovie, a surgi un énorme complexe industriel, même si nous vivons à une époque de progrès prodigieux des sciences de la nature et d'un progrès encore plus prodigieux de la technique, cependant la vérité de là vie de l'esprit humain — qui s'exprime à travers la croix — ne connaît pas de déclin, elle est toujours actuelle, elle ne vieillit jamais. L'histoire de Nowa Huta est écrite aussi sous le signe de la croix : d'abord de la croix antique de Mogila, héritée des siècles, puis sous le signe de l'autre, la nouvelle... qui a été élevée non loin d'ici.

 

Là où s'élève la croix, surgit le signe que la bonne nouvelle du salut de l'homme grâce;à l'amour est arrivée jusque là. Là où s'élève la croix, là est le signe que l'évangélisation est commencée. Autrefois, nos pères dressaient la croix en divers lieux de la terre polonaise comme signe que l'Évangile y était arrivé, que l'évangélisation était commencée, elle qui devait se continuer sans interruption jusqu'à aujourd'hui. C'est dans cette pensée qu'a été élevée aussi la première croix à Mogila, aux environs de Cracovie, aux environs de Stara Huta.

 

La nouvelle croix de bois a été élevée non loin d'ici, durant les célébrations du millénaire. Avec elle nous avons reçu un signe, celui qu'au seuil du nouveau millénaire — en ces temps nouveaux, en ces Nouvelles conditions de vie — l'Évangile est de nouveau annoncé. Une nouvelle évangélisation est commencée, comme s'il s'agissait d'une deuxième annonce, bien qu'en réalité ce soit toujours la même. La croix se tient debout sur le monde qui change.

 

Nous disons merci aujourd'hui, devant la croix de Mogila, devant la croix de Nowa Huta, pour ce nouveau commencement de l'évangélisation qui s'est réalisé. Et nous demandons tous qu'elle soit fructueuse, comme la première — et même encore plus.

 

2. la nouvelle croix, qui a été élevée non loin de la très ancienne relique de la sainte Croix de l'abbaye des cisterciens, a annoncé la naissance de la nouvelle Église. Cette naissance s'est gravée profondément dans mon cœur et, en laissant le siège de saint Stanislas pour le siège de saint Pierre, je l'ai emportée avec moi comme une nouvelle relique, comme une relique inestimable de notre temps.

 

La nouvelle croix est apparue, sur le territoire des anciennes campagnes des alentours de Cracovie devenu territoire de Nowa Huta, sont venus des hommes nouveaux pour commencer un nouveau travail. Autrefois, ici, on travaillait dur, on travaillait dans les champs, et la terre était fertile, et on travaillait donc avec plaisir. Depuis quelques décennies, l'industrialisation a commencé ; la grande industrie, l'industrie lourde. Et les hommes sont venus de diverses régions pour travailler comme ouvriers dans la sidérurgie.

 

Ce sont eux qui ont apporté avec eux cette nouvelle croix. Ce sont eux qui l'ont élevée comme signe de leur volonté de construire une nouvelle église. Cette croix même, devant laquelle nous nous trouvons en ce moment. J'ai eu l'honneur, en tant que votre archevêque et cardinal, de bénir et de consacrer en 1977, cette église qui est née d'une nouvelle croix.

 

Cette église est née d'un travail nouveau. J'oserais dire qu'elle est née de Nowa Huta. Nous savons tous, en effet, que dans le travail de l'homme se trouve profondément gravé le mystère déjà croix, la loi de la croix. Les paroles du Créateur, prononcées après la chute de l'homme : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front » (Gn 3, 19) ne se vérifient-elles pas en elle ? Qu'il s'agisse de l'ancien travail des champs qui fait naître le froment, mais aussi les épines et les chardons, qu'il s'agisse du nouveau travail des hauts fourneaux et des nouvelles fonderies, on le fait toujours « à la sueur de son front ». La loi de la croix est inscrite dans le travail de l'homme. L'agriculteur a travaillé à la sueur de son front C'est à la sueur de son front que travaille l'ouvrier sidérurgiste. Et c'est à la sueur de son front — la sueur effrayante de la mort — que le Christ agonise sur la croix.

 

On ne peut pas séparer la croix du travail humain. On ne peut pas séparer le Christ du travail humain. Et cela s'est confirmé ici, à Nowa Huta. Et cela a été le principe de la nouvelle évangélisation, au début du nouveau millénaire du christianisme en Pologne. Ce nouveau commencement, nous l'avons vécu ensemble, et je l'ai emporté avec moi, comme une relique, de Cracovie à Rome.

 

Le christianisme et l'Église n'ont pas peur du monde du travail. Ils n'ont pas peur du système fondé sur le travail. Le pape n'a pas peur des travailleurs. Ils lui ont toujours été particulièrement proches. Il est sorti du milieu d'eux. Il est sorti des carrières de pierre de Zakrzowek, des fournaises Solvay à Borek, Falecki, puis de Nowa Huta. C'est à travers ces divers milieux, à travers ses propres expériences de travail que le pape —j'ose le dire — a appris de nouveau l'Évangile. Il s'est rendu compte et il s'est convaincu que la problématique contemporaine du travail humain est profondément gravée dans l'Évangile. Tout comme il est impossible de la résoudre à fond sans l'Évangile.

 

En effet, la problématique contemporaine du travail humain (mais est-elle seulement contemporaine, au reste ?) ne se réduit, en dernière analyse — que tous les spécialistes me pardonnent — ni à la technique, ni non plus à l'économie, mais à une catégorie fondamentale : à la catégorie de la dignité du travail, c'est-à-dire de la dignité de l'homme. L'économie, la technique et tarit d'autres spécialisations et disciplines tirent leur raison d'être de cette unique catégorie essentielle. Si elles ne parviennent pas jusqu'à elle et si elles se forment en dehors de la dignité du travail humain, elles sont dans l'erreur, elles sont nocives, elles sont contre l'homme.

 

Cette catégorie fondamentale est humaniste. Je me permets dédire que cette catégorie fondamentale, la catégorie du travail comme mesure de la dignité de l'homme, est chrétienne. Nous la retrouvons à son plus haut degré d'intensité dans le Christ.

 

Ceci suffit, frères très chers. Ce n'est pas une fois seulement que je vous ai rencontrés, quand j'étais votre évoque, et que j'ai développé plus largement tous ces thèmes. Aujourd'hui, étant votre hôte, je dois en parler de manière plus concise. Mais rappelez-vous cette unique chose : le Christ n'approuvera jamais que l'homme soit considéré — ni qu'il se considère lui-même — seulement comme un instrument de production, et qu'il soit apprécié, estimé et évalué selon un tel critère. Le Christ ne l'approuvera jamais ! C'est pour cela qu'il s'est fait mettre en croix, comme sur le grand seuil de l'histoire spirituelle de l'homme, pour s'opposer à toute dégradation de l'homme, y compris la dégradation par le travail. Le Christ demeure devant nos yeux, sur la croix, afin que tout homme soit conscient de ta force qu'il lui a'donnée : « Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jn 1, 12).

 

Et il faut se rappeler cela : le travailleur comme celui qui donne le travail, le système du travail comme celui de la rétribution ; l'État, la nation et l'Église doivent se le rappeler.

 

Quand j'étais parmi vous, j'essayais de témoigner de cela. Priez afin que je continue à rendre ce témoignage encore dans l’avenir et d'autant plus que je suis à Rome ; afin que je continue à le rendre devant toute l'Église et devant le monde contemporain.

 

3. Je pense avec joie a la bénédiction de la magnifique église de Mistrzejowice, dont la construction a grandement avancé. Sachez tous que je me rappelle les débuts de cette œuvre, à Mistrzejowice : les tout premiers débuts. Et toutes les étapes successives de la construction. Avec vous, je retourne par la prière et par le cœur sur la tombe du prêtre Joseph, de sainte mémoire, qui a commencé cette œuvre, y mettant toutes ses forces et immolant sûr son autel toute sa jeune vie. Je remercie tous ceux qui continuent cette œuvre avec tant d'amour et de persévérance.

 

Ma pensée se tourne en ce moment vers la colline de Kezeslawice. Les efforts de tant d'années sont en train d'y porter lentement leurs fruits. Je bénis de tout cœur cette œuvre et toutes les autres églises qui s'élèvent ou qui s'élèveront dans cette région et dans ces quartiers en perpétuel développement.

 

A partir de la croix de Nowa Huta la nouvelle évangélisation a commencé : évangélisation du second millénaire. Cette église en l'end témoignage et en est la preuve. Elle est issue d'une foi vive, consciente et responsable, et il faut que je continue à la servir.

 

L'évangélisation du nouveau millénaire doit se référer à la doctrine du concile Vatican II. Elle doit être, comme renseigne, ce Concile, l'œuvre commune des évêques, des prêtres, des religieux et des laïcs, l'œuvre des parents et des enfants. La paroisse n'est pas seulement le lieu où l'on fait la catéchèse, mais aussi un milieu vivant où on doit la mettre en pratique.

 

L'église dont vous êtes en train de terminer la Construction poursuivie avec tant d'efforts mais aussi avec tant d'enthousiasme s'élève afin que l'Évangile du Christ entre par elle dans toute votre vie. Vous-avez construit l'église ; construisez votre vie avec l'Évangile.

 

Que Marie, reine de la Pologne, et le bienheureux Maximilien Kolbe vous y aident continuellement.

 

 

 

9 juin 1979

A CRACOVIE : A L'UNIVERSITE THEOLOGIQUE PONTIFICALE

 

Cher et très Révérend Doyen,

 

Je vous remercie pour cette invitation qui me permet aujourd'hui de rencontrer l’Alma Mater que j'aime tant, dont j'ai été d'abord étudiant et où, par la suite, j'ai passé mon doctorat, puis, après l'habilitation en 1953, où j'ai travaillé, pendant beaucoup d'années, comme chargé de cours, enseignant libre et professeur.

 

Tout le monde connaît bien le soin que je prenais — quand j'étais encore métropolitain de Cracovie — à faire reconnaître à cet athénée les droits qui lui étaient dus et qu'il a sans doute mérités ; à faire pleinement respecter son caractère académique, en conformité avec les besoins actuels, différents par leur nature et leur sphère d'action de ceux du passé, par exemple de la période durant laquelle la faculté de théologie de Cracovie appartenait encore à l'université Jagellon.

 

1. En tenant compte de ces besoins, j'ai cherché, durant mon ministère à Cracovie, à :

 

a) renouveler et augmenter le nombre des chercheurs et à leur assurer les qualifications qui, selon la loi ecclésiastique (en rapport avec la procédure de l'État en Pologne), constituent les bases de leur autonomie ;

 

b) assurer à une large majorité d'étudiants en théologie l’instruction fondamentale de caractère académique et les grades académiques canoniques correspondants. Il s'agissait ici, en particulier, des élèves des séminaires ecclésiastiques — futurs prêtres et pasteurs d'âmes — de l'archidiocèse de Cracovie et des diocèses de Czestochowa, de Katowice et de Tarnow, comme aussi des élèves appartenant aux divers ordres et congrégations religieuses, qui étudiaient en particulier à l'Institut des Missionnaires (Lazaristes) à Cracovie. C'est au service de ce but qu'était le système des accords de collaboration scientifique entre la faculté pontificale de théologie et les séminaires ecclésiastiques mentionnés ci-dessus, système approuvé par le Saint-Siège (Congrégation pour l'éducation catholique). Durant la dernière année de mon travail à Cracovie ont été entrepris les pourparlers préparatoires pour établir un contrat analogue avec le séminaire du diocèse de Kielce.

 

2. La faculté de théologie, soucieuse de la formation ultérieure des prêtres — et en partie aussi des laïcs — après le cycle des études fondamentales, a élargi le système des études dites annexes aux différentes facultés, par exemple : cours de catéchèse, de liturgie, d'ascétique, de théologie pastorale de la famille et de la pensée contemporaine. Les spécialités dont je viens de parler se font à Cracovie. Des cours analogues sont donnés aussi à Rzeszow pour les prêtres du diocèse de Przemysl.

 

3. Si J'activité dont il est question précédemment entre dans le cyclus institutionalis (cycle académique fondamental), la faculté de théologie organise aussi en même temps, conformément à son caractère et à son statut, des études comprenant le cyclus specializationis, préparant à la licence et au doctorat. Ces études se déroulent surtout à Cracovie. En outre, les termes du contrat avec l'évêque de Tarnow pour ouvrir en ce Heu un institut spécialisé de patrologie ont déjà été stipulés. L'institut d'ecclésiologie et de mariologie fondé d'abord à Czestochowa, d'accord avec l'ordinaire du lieu, possède aussi un caractère spécialisé. Pendant mon ministère, la demande en faveur d'un institut de pastorale à Katowice a été également introduite.

 

4. La spécialisation exige l'individualisation des spécialités scientifiques dans le cadre desquelles elle est exercée, avec possibilité de conférer les grades académiques selon la spécialisation. C'est pour cette raison que je m'étais adressé au pape Paul VI, par l'intermédiaire de la Congrégation pour l'éducation catholique, afin d'obtenir la permission de conférer les grades scientifiques, non seulement dans la branche de la théologie, mais également dans celle de la philosophie.

 

La spécialisation dans le domaine de l'histoire de l'Église est motivée de façon tout à fait particulière à Cracovie qui possède des ressources propres en ce domaine. Le Saint-Siège répondra donc certainement avec bienveillance aux demandes d'approbation de cette spécialisation à l'athénée de Cracovie. Depuis longtemps déjà des démarches ont été faites à ce sujet, à la suite desquelles est né l'institut d'histoire de l'Église, auprès de la faculté pontificale de théologie.

 

Pouvoir créer cette spécialisation séparée, comme aussi la spécialisation séparée de philosophie, correspond pleinement à mes projets primitifs. Cela regarde également la spécialisation philosophique sous la forme d'une troisième faculté de l'athénée de Cracovie. Je vous prie de continuer d'agir dans ce sens.

 

J'exprime ma joie profonde de pouvoir aujourd'hui, dans cet auditorium vénérable, avec mon successeur, en présence des évêques et de tout le conseil de la faculté au grand complet, rendre hommage au noble passé de notre Alma Mater de Cracovie. Je désire encore, une fois honorer la bienheureuse reine Hedwige, fondatrice de la faculté de théologie de Cracovie. Je désire enfin de tout cœur et avec une profonde conviction, confirmer la décision historique de mon prédécesseur le pape Boniface IX, exprimée dans la bulle Eximiae devotionis affectus du 11 janvier 1397.

 

Sur cet athénée si cher à mon cœur, j'invoque la bénédiction de la Sainte Trinité et la continuelle protection de Marie, Siège de la Sagesse, et aussi le fidèle patronage de saint Jean de Kenty, qui y enseigna voice plus de cinq cents ans.

 

 

 

9 juin 1979

A CRACOVIE : RENCONTRE AVEC LES HOTES (CARDINAUX, EVEQUES...) VENUS DE DIVERS PAYS

 

Vénérables frères,

 

Messieurs,

 

Je suis vraiment heureux de pouvoir vous rencontrer, vous les hôtes de l'Église en Pologne, venus de divers pays pour participer aux célébrations jubilaires solennelles qui sont organisées à l'occasion du neuvième centenaire du glorieux martyre de saint Stanislas de Szczepanow, évêque de Cracovie. Je voudrais encore une fois vous, remercier vivement d'avoir aimablement donné votre adhésion à ces célébrations et d'avoir promis de vous y rendre, lorsque le vénéré primat de Pologne, le cardinal Sefan Wyszynski et moi-même, alors archevêque métropolitain de Cracovie, nous vous avions fait parvenir notre cordiale invitation.

 

1. Ces célébrations du centenaire ont acquis aussi une signification particulière et une vaste résonance en raison du fait que, par un mystérieux dessein de la divine Providence, j'ai été, appelé, par les éminentissimes cardinaux électeurs, du siège de saint Stanislas à la chaire de saint Pierre. J'ai voulu participer maintenant, comme hôte, au jubilé solennel avec les fidèles de Pologne et les pèlerins du monde entier, pour exalter avec eux la glorieuse figure de mon saint prédécesseur sur le siège de Cracovie, et pour demander, au début de mon pontificat, sa protection céleste pour l'accomplissement de mon nouveau service pastoral universel.

 

Stanislas était né dans la première moitié du  XI° siècle dans la localité de Szczepanow. Sa piété profonde et sa préparation culturelle le firent nommer chanoine de la cathédrale par l’évêque Lambert Zula. A la mort de Lambert ; le pape Alexandre II, à la demande du clergé, du peuple et aussi du roi Boleslas le Hardi, éleva Stanislas au siège de Cracovie. (Son ministère épiscopal fut très bref : il dura de 1072 à 1079, sept ans à peine. Mais des années combien intenses ! Combien fécondes ! Combien méritoires ! Combien héroïques !)

L'histoire nous dit que les rapports entre l'évêque Stanislas et le roi Boleslas II, qui étaient sereins au début, se détériorèrent ensuite en raison des injustices et des cruautés commises par le roi à l'égard de ses sujets. L'évêque de Cracovie, en authentique « bon pasteur » (cf. Jn 10, 10-14), défendit son troupeau. Le foi répondit par la violence. L'évêque Stanislas fut mis à mort tandis qu'il célébrait l'Eucharistie. Les marques des durs coups mortels sont encore bien visibles sur le crâne vénéré du martyr, qui est conservé précieusement dans le reliquaire artistique.

 

2. Depuis lors, saint Stanislas est devenu le patron de la Pologne, le bienfaiteur et le protecteur particulier des pauvres gens ; mais il est surtout devenu le modèle des évêques, pour avoir transmis et défendu le dépôt sacré de là foi avec une force intrépide et un courage inébranlable ; depuis des siècles, il a été considéré comme un témoin insigne de la liberté authentique et de la synthèse féconde qui s'opère, dans le croyant, entre la loyauté à la patrie terrestre et la fidélité à l'Église, qui vit dans la perspective de la cité définitive et future (cf. He 13, 14).

 

Neuf siècles après, la personnalité et le message de saint Stanislas conservent une actualité extraordinaire aussi bien, par l'exemple de sa vie de pasteur d'une portion du peuple de Dieu, que par le témoignage sanglant de son martyre.

 

Mais saint Stanislas est certainement et spécialement « l'homme » de son époque : son ministère pastoral se déroule sous le pontificat de saint Grégoire VII, c'est-à-dire à une période où l'Église, face aux puissants de la terre, revendique sa liberté et sa mission spirituelle originale. Au XIe siècle, au commencement du deuxième siècle de leur histoire, la Pologne et l'Église en Pologne se sont trouvées elles aussi mêlées aux problèmes délicats et complexes que devaient alors affronter l'Europe comme le christianisme lui-même.

 

Si l’épiscopat polonais s'est permis d'inviter tant d'hôtes illustres, il l'a fait justement pour mettre en relief ces liens historiques. Et c'est au nom de ces liens que je voudrais vous remercier de votre présence.

 

Si donc, en cette occasion extraordinaire, Je puis souhaiter quelque chose à tous, c'est que notre commune méditation sur les faits qui ont eu lieu il y a neuf cents ans nous aidera voir, avec une perspicacité plus grande encore, la mission du christianisme et de l'Église vis-à-vis dus monde contemporain. C'est peut-être d'une importance particulière pour l'Europe d'aujourd'hui, qui se trouve à une étape de la nouvelle recherche d'une voie propre et adéquate.

 

La tâche du christianisme et de l'Église ne peut consister en autre chose qu'en une participation créatrice, à ces efforts. C'est de cette manière seulement, et non d'une autre, que peut s'exprimer et se traduire notre sollicitude pour préserver et pour sauvegarder le patrimoine chrétien de l'Europe et, de chacun des pays, européens.

 

Je vous renouvelle par ces souhaits mes sentiments de profonde gratitude et, en invoquant sur vos personnes l'effusion des valeurs célestes, je vous donne la bénédiction apostolique, en signe de mon estime et de ma bienveillance.

 

 

 

10 juin 1979

A CRACOVIE : LE PROFIL DE L'HISTOIRE SPIRITUELLE DE CHACUN DE NOUS...

 

La grande esplanade (Blonia Krakowskie) située au centre de Cracovie accueillait, le dimanche 10 juin, près de trois millions de fidèles venus participer à la messe célébrée par le pape Jean Paul II, ancien archevêque de Cracovie. Cette messe marquait la conclusion de deux grands événements : le jubilé de saint Stanislas et le pèlerinage du pape en Pologne. En plus des évêques polonais et de la population étaient présents de très nombreux évêques du monde entier, présidents ou représentants de leurs conférences épiscopales. Après la lecture de l'Évangile, le pape a prononcé l'homélie.

 

Loué soit Jésus-Christ !

 

I. Nous tous qui sommes réunis ici aujourd'hui, nous nous trouvons devant un grand mystère de l'histoire de l'homme : le Christ, après sa résurrection, rencontre les Apôtres en Galilée et leur adresse les paroles que nous avons entendues il y a quelques instants de la bouche du diacre qui a proclamé l'Évangile : « Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc, de toutes tes nations, faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous pour toujours, jusqu'à la fin du monde » (Mt 28, 18-20).

 

Ces paroles contiennent le grand mystère de l'histoire de l'humanité et de l'histoire de l'homme.

 

Tout homme, en effet, est en marche. Il marche vers l'avenir. Même les nations sont en marche. Et toute l'humanité. Marche signifie non seulement subir les exigences do temps, en laissant continuellement derrière soi le passé : la journée d'hier, les années, les siècles... Marcher veut dire aussi être conscient du but.

 

L'homme et l'humanité passent-ils ou disparaissent-ils seulement dans leur chemin à travers cette terre ? Pour l'homme, tout consiste-t-il en ce que, sur cette terre, il construit des conquêtes dont il jouit ? Indépendamment de toutes les conquêtes, de tout l'ensemble de la vie (culture, civilisation, technique), rien d'autre, ne l'attend-il ? « Elle passe la figure de ce monde ! » Et l'homme passe-t-il totalement avec elle ?

 

Les paroles que le Christ a prononcées en prenant congé des Apôtres expriment le mystère de l'histoire de l'homme, de chacun et de tous, le mystère de l'histoire de l'humanité.

 

Le baptême au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit est immersion dans le Dieu vivant, « en celui qui est », comme le dit le livre de l'Exode, en celui « qui est, qui était et qui vient », comme dit l'Apocalypse (1, 4). Le baptême est le début de la rencontre, de l'unité, de la communion, et donc la vie terrestre n'est qu'un prologue et une introduction ; l'accomplissement et la plénitude appartiennent à l'éternité. « Elle passe la figure de ce monde. » Nous devons donc nous trouver « dans le monde de Dieu » pour parvenir au but, pour arriver à la plénitude de la vie et de la vocation de l'homme.

 

Le Christ nous à indiqué cette route et, en prenant congé des Apôtres, il l'a reconfirmée encore une fois. Il leur a recommandé ainsi qu'à toute l'Église d'enseigner et d'observer tout ce qu'il leur avait ordonné : « Et moi, je suis avec vous pour toujours, jusqu'à la fin du monde. »

 

2. Écoutons toujours avec la plus grande émotion ces paroles par lesquelles le Rédempteur ressuscité trace l'histoire de l'humanité et en même temps l'histoire de tout homme. Quand il dit « enseignez toutes les nations », les yeux de notre âme considèrent le moment où l'Évangile est parvenu à notre nation, au début même de son histoire, quand les premiers Polonais ont reçu le baptême au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Le profil spirituel de l’histoire de la patrie a été tracé par les paroles mêmes du Christ, dites aux Apôtres. Le profil de l'histoire spirituelle de chacun de nous a été tracé lui aussi à peu près de la même façon.

 

L'homme est en effet un être raisonnable et libre, un sujet conscient et responsable. Il peut et il doit, par l'effort personnel de la pensée, parvenir à la vérité. Il peut et il doit choisir et décider. Le baptême, reçu au début de l'histoire de la Pologne, nous a rendu encore plus conscients de l'authentique grandeur de l'homme ; « l'immersion dans l'eau » est un signe de l'appel à participer à la vie de la Sainte Trinité et c'est en même temps une preuve irremplaçable de la dignité de tout homme. Déjà le même appel témoigne en sa faveur : l'homme doit avoir une dignité extraordinaire, s'il a été appelé à une telle participation, participation, à la vie même de Dieu.

 

Pareillement tout le processus historique de la conscience et des choix de l'homme est étroitement lié à la tradition vivante de sa nation dans laquelle, à travers toutes les générations résonnent, avec un vivant écho, les paroles du Christ, le témoignage de l'Évangile, la culture chrétienne, les habitudes nées de la foi, de l'espérance et de la charité. L'homme choisit consciemment, dans sa liberté intérieure. Ici la tradition n'est pas une limitation : c'est un trésor, c'est une richesse spirituelle, c'est un grand bien commun, qui se confirme en tout choix, en tout acte noble, en toute vie authentiquement vécue en chrétien.

 

Peut-on repousser tout cela ? Peut-on dire non ? Peut-on refuser le Christ et tout ce qu'il a apporté dans l'histoire de l'homme ?

 

Certainement cela se peut. L'homme est libre. L'homme peut dire non à Dieu. Mais demeure la question fondamentale : est-il permis de le faire, et au nom de quoi est-ce permis ? Quel argument de raison, quelle valeur de la volonté et du cœur peux-tu mettre devant toi, devant ton prochain, tes compatriotes et ta nation pour repousser, pour dire non à ce dont nous, avons tous vécu pendant mille ans ; à ce qui a créé et a toujours constitué les fondements de notre identité ?

 

Un jour le Christ demanda aux Apôtres (la scène se déroula après la promesse de l'institution de l'Eucharistie et beaucoup se détachèrent de lui) : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » (Jn 6, 67). Permettez que le successeur de Pierre, devant vous tous qui êtes ici rassemblés, et devant toute notre histoire et la société contemporaine, répète « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle » (Jn 6,6 8).

 

3. Saint Stanislas a été évêque de Cracovie pendant sept ans, comme le confirment tes sources historiques. Cet évêque-compatriote, venu du non lointain Szczepanow, a assumé le siège de Cracovie en 1072 pour le laisser en 1079, en subissant la mort des mains du Roi Boleslas le Hardi. Selon les sources, il est mort le 11 avril, et c'est ce jour-là que le calendrier liturgique de l'Église universelle commémore saint Stanislas. En Pologne, la solennité de l’évêque martyr est célébrée depuis des siècles le 8 mai, et elle continue à l'être aujourd'hui encore.

 

Lorsque comme métropolitain de Cracovie, j'ai commencé avec vous les préparatifs du neuvième centenaire de la mort de saint Stanislas, qui a lieu cette année, nous étions tous encore marqués par le millénaire du baptême de la Pologne, célébré en l'an du Seigneur 1966. Sur le fond de cet événement et par rapport à la figure de saint Adalbert, lui aussi évêque martyr, dont la vie a été unie dans notre histoire à l'époque du baptême, la figure du saint Stanislas semble indiquer (par analogie) un autre sacrement qui fait partie de l'initiation du chrétien à la foi et à la vie de l'Église. Ce sacrement, comme vous le savez, est celui de la confirmation. Toute la relecture « jubilaire » de la mission de saint Stanislas dans l'histoire de notre millénaire chrétien, et aussi toute la préparation spirituelle aux célébrations de cette année, se réfèrent justement à ce sacrement de confirmation.

 

L'analogie a plusieurs aspects. Mais nous l'avons surtout cherchée dans le développement normal de la vie chrétienne. De même qu'un homme baptisé devient un chrétien adulte par le sacrement de confirmation, de même la Providence divine a donné à notre nation, en son temps, après le baptême, le moment historique de la confirmation. Saint Stanislas, que presque un siècle entier sépare de l'époque du baptême et de la mission de saint Adalbert, symbolise ce moment d'une façon particulière, par le fait qu'il a rendu témoignage au Christ en versant son sang. Le sacrement de confirmation dans la vie de chaque chrétien, en principe jeune, parce que ce sont les jeunes qui reçoivent ce sacrement — la Pologne aussi était alors une nation et un pays jeune — doit faire de lui un « témoin du Christ » dans sa vie et selon sa vocation personnelle. C'est un sacrement qui nous associe d'une façon particulière à la mission des Apôtres, en tant qu'il introduit chaque baptisé dans l'apostolat de l'Église (spécialement dans ce qu'on appelle l'apostolat des laïcs).

 

C’est le sacrement qui doit faire naître en nous un sens aigu de la responsabilité pour l'Église, pour l'Évangile, pour la cause du Christ dans les âmes humaines, pour le salut du monde.

 

Le sacrement de confirmation, nous ne le recevons qu'une seule fois dans la vie (comme le baptême), et toute la vie, qui s'ouvre dans la perspective, de ce sacrement, revêt l'aspect d'une grande épreuve, d'une épreuve fondamentale : l'épreuve de foi et de caractère. Saint Stanislas est devenu, dans l'histoire spirituelle des Polonais, le patron de cette grande et fondamentale épreuve de foi et de caractère. En ce sens, nous le vénérons aussi comme le patron de l'ordre moral chrétien. En définitive, l'ordre moral se constitue en effet a travers les hommes. Cet ordre est donc composé d'un grand nombre d'épreuves, chacune d'entre elles étant une épreuve victorieuse. Chaque épreuve manquée implique au contraire le désordre moral.

 

Nous savons très bien aussi, par toute notre histoire, que nous, ne pouvons absolument pas, à aucun prix, nous permettre ce désordre, que nous avons déjà plusieurs fois payé amèrement.

 

C'est pourquoi notre méditation de sept années sur la figure de saint Stanislas, notre référence à son ministère pastoral sur le siège de Cracovie, le nouvel examen, de ses reliques, c'est-à-dire du crâne du saint, qui porte imprimées les traces des coups mortels — tout cela nous conduit aujourd'hui à, une grande, et ardente prière pour la victoire, de l'ordre moral dans ce moment difficile de notre histoire.

 

Telle est la conclusion essentielle de tout le travail persévérant de ce septennat, la condition principale et en même temps le but du renouveau conciliaire, pour lequel le synode de l'archidiocèse de Cracovie a travaillé si patiemment ; et aussi, le principal moteur de la pastorale et de toute l'activité de l'Église et de tous les travaux, de toutes les tâches et de tous les programmes qui sont et seront entrepris en terre polonaise.

 

Que cette, année de saint, Stanislas soit une année de particulière maturité historique de la nation et de l'Église en Pologne, l'année d'une responsabilité nouvelle et consciente pour l'avenir de location et de l'Eglise en Pologne ; tel est le vœu que je voudrais, ici, avec vous, vénérables et chers frères et sœurs, comme premier pape de souche polonaise, offrir à l'immortel Roi des siècles, au Pasteur éternel de nos âmes et de notre histoire, au Bon Pasteur !

 

4. Permettez maintenant que, pour faire une synthèse, j'embrasse spirituellement tout mon pèlerinage en Pologne qui, commencé la veille de la Pentecôte à Varsovie, est sur le point de s'achever aujourd'hui à Cracovie, en la solennité de la Sainte-Trinité. Je désire vous remercier, très chers compatriotes, pour tout ! Parce que vous m'avez invité et m'avez accompagné dans tout l'itinéraire du pèlerinage, de Varsovie en passant par la Gniezno (Poznan) des primats et Jasna Gôra. Je remercie encore une fois les autorités de l'État de leur aimable invitation et de leur accueil. Je remercie les autorités des Voïvodies, spécialement les autorités municipales de Varsovie et — en cette dernière étape — les autorités municipales de l'antique cité royale de Cracovie. Je remercie l'Église de ma patrie : l'épiscopat avec à sa tête le cardinal primat, le métropolitain de Cracovie et:mes chers frères évêques Julian, Jan, Stanislaw et Albin, avec lesquels il m'a été donné ici, à Cracovie, de collaborer pendant de nombreuses années à la préparation du jubilé de saint Stanislas. Je remercie également les évêques de tous les diocèses suffragants de Cracovie, de Czestochowa, Katowice, Kielce et Tarnow. Tarnow est à travers Szczepanow, la première patrie de saint Stanislas. Je remercie l'ensemble du clergé. Je remercie les ordres religieux masculins et féminins. Je remercie tous et chacun en particulier. Il est vraiment juste et bon, et c'est notre devoir et source de joie de rendre grâces.

 

Je voudrais moi aussi, maintenant, en ce dernier jour de mon pèlerinage à travers la Pologne, ouvrir largement mon cœur et proclamer mon action de grâces en empruntant cette belle forme de la « préface ». Je désire tant que mes remerciements parviennent à la divine Majesté, au cœur de la Sainte Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit !

 

Mes chers compatriotes ! De manière combien chaleureuse je rends grâces encore une fois, avec vous, pour le don d'avoir été — il y a plus de mille ans baptisés au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit ; d'avoir été plongés dans l'eau qui, par la grâce, perfectionne en nous l'image du Dieu vivant — dans l’eau qui est une onde d'éternité : « source d'eau qui jaillit pour la vie éternelle » (Jn 4, 14). Je rends grâces parce que nous hommes, nous Polonais, qui sommes tous nés comme hommes par la chair et le sang (cf. Jn 3,6) de nos parents, nous avons été conçus et nous sommes nés de l'Esprit (cf. Jn 3, 5) de l'Esprit-Saint.

 

Je voudrais donc aujourd'hui, me trouvant ici — dans ces vastes prairies de Krakow (Cracovie) — et tournant mon regard vers Wawel et Skalka où il y a neuf cents ans,  « le célèbre évêque Stanislas a subi la mort », accomplir encore une fois ce qui se réalise dans le sacrement de confirmation, dont il est le symbole dans notre histoire. Je voudrais que ce qui a été conçu et ce qui est né de l'Esprit-Saint soit à nouveau confirmé par la croix et la résurrection de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ auxquelles notre compatriote saint Stanislas de Szczepanow participa d'une façon particulière.

 

Permettez donc que, comme l'évêque pendant la confirmation, je répète moi aussi aujourd'hui ce geste apostolique de l'imposition des mains sur tous ceux qui sont ici présents, sur tous mes compatriotes. En lui s'expriment en effet l'acceptation et la transmission de l'Esprit-Saint que les Apôtres ont reçu du Christ lui-même, lorsque, après la résurrection, il vint à eux « les portes closes » (Jn 20, 19) et leur dit : « Recevez le Saint-Esprit » (Jn 20, 22).

 

Cet Esprit, l'Esprit de salut, de rédemption, de conversion et de sainteté, l'Esprit de vérité, d'amour et de force — hérité comme force vive par les Apôtres — a été si souvent transmis par les mains des évêques à des générations entières en terre polonaise ! Cet Esprit — que l'évêque originaire de Szczepanow transmettait à ses contemporains — Je veux vous le transmettre aujourd'hui en embrassant cordialement et avec une humilité profonde la grande « confirmation de l'histoire » que vous vivez.

 

Je  répète  avec  l'Apôtre:  « Ne  contristez   pas  l'Esprit-Saint » (Ep 4, 30).

 

Je répète donc avec le Christ lui-même : « Recevez l'Esprit-Saint » (Jn 20, 22)

 

Je répète avec l'Apôtre : « N'éteignez pas l'Esprit ! » (1 Th 5, 19).

 

Vous devez être forts, très chers frères et sœurs ! Vous devez être forts de cette force qui prend sa source dans la foi ! Vous devez être forts de la force de la foi ! Vous devez être fidèles ! Aujourd'hui plus qu'à aucune autre époque, vous avez besoin de cette force. Vous devez être forts de la force de l'espérance qui conduit à la parfaite joie de vivre et ne permet pas de contrister l'Esprit-Saint !

 

Vous devez être forts de l'amour, qui est plus fort que la mort ! Comme l'ont révélé saint Stanislas et le bienheureux Maximilien Kolbe. Vous devez être forts de cette charité qui « est patiente et longanime ; ... n'est pas envieuse ; ... ne fanfaronne pas, ne se rengorge pas, ne fait rien d'inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s'irrite pas, ne tient pas compte du mal, ne se réjouit pas de l'injustice et met sa joie dans la vérité. Elle excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout. Cet amour qui ne passe jamais » (1 Co 13, 4-8).

 

Vous devez être forts de la force de la foi, de l'espérance et de la charité, de cette force consciente, mûre et responsable qui nous aide à établir ce grand dialogue avec l'homme et avec le monde en l'étape actuelle de notre histoire : dialogue avec l'homme et avec le monde, enraciné dans le dialogue avec Dieu lui-même — avec le Père, par le Fils, dans l'Esprit — dialogue du salut.

 

Je voudrais que ce dialogue soit repris ensemble avec tous nos frères chrétiens, bien qu'encore séparés aujourd'hui, cependant unis par une unique foi dans le Christ. Je parle de cela ici, en ce lieu, pour exprimer des paroles de gratitude pour la lettre que j'ai reçue des représentants du Conseil œcuménique polonais. Même si, à cause du programme si chargé, nous ne sommes pas arrivés à une rencontre à Varsovie, souvenez-vous, chers frères dans le Christ, que je porte cette rencontre dans le cœur comme un vif désir et comme une expression de confiance pour l'avenir.

 

Ce dialogue ne cesse d'être notre vocation à travers tous les « signes des temps ». Jean XXIII et Paul VI, comme le concile Vatican II, ont accueilli cette invitation au dialogue. Jean Paul II, depuis le premier jour de son pontificat, confirme la même disponibilité. Oui ! Il faut travailler pour la paix et la réconciliation entre les hommes et les nations du monde entier. Il faut essayer de se rapprocher mutuellement. Il faut ouvrir les frontières. Quand nous sommes forts de l'Esprit de Dieu, nous sommes aussi forts de la foi en l'homme — forts de la foi, de l'espérance et de la charité — qui sont indissolubles — et nous sommes prêts à rendre témoignage à la cause de l'homme face à celui à qui cette cause tient vraiment à cœur, pour qui cette cause est sacrée, A celui qui désire la servir avec la meilleure volonté. Il ne faut donc pas avoir peur ! Il faut ouvrir les frontières ! Souvenez-vous que l'impérialisme de l'Église, cela n'existe pas, mais seulement son service. Il y a seulement la mort du Christ sur le Calvaire. Il y a l'action de l’Esprit-Saint, fruit de cette mort, l’Esprit-Saint qui reste avec nous tous, avec l'humanité entière, « jusqu'à la fin du monde » (Mt 28, 20).

 

Je salue ici avec une joie spéciale les groupes de nos frères venus du sud, au-delà des Carpates. Que Dieu vous récompense pour votre présence. Comme je désirerais que les autres puissent être présents ici ! Que Dieu vous récompense, frères Lusatiens. Comme je désirerais que puissent être présents ici, durant ce pèlerinage du pape slave, également nos autres frères de langue et des événements de l'histoire. Et s'ils n'y sont pas, s'ils ne sont pas présents sur cette esplanade, qu'ils se souviennent qu'à cause de cela ils sont encore plus présents dans notre cœur. Qu'ils se souviennent qu'ils sont encore plus présents dans notre cœur et dans notre prière.

 

5. Il y a en outre, là-bas à Varsovie, sur la place de la Victoire, la tombe du soldat inconnu, d'où j'ai commencé mon ministère de pèlerin en terre polonaise ; et ici, à Cracovie sur la Vistule, entre Wawel et Skalka — la tombe de « l'évêque inconnu », dont il reste une admirable relique dans le trésor de notre histoire.

 

Avant de vous quitter, je voudrais donc jeter encore un regard sur Cracovie, cette Cracovie dont j'aime chaque pierre et chaque brique. Et je regarde encore ma Pologne…

 

C'est pourquoi, avant de vous quitter, je vous prie d'accepter encore une fois tout le patrimoine spirituel qui a pour nom « Pologne », avec la foi, l'espérance et la charité que le Christ a placées en nous par le saint baptême.

 

Je vous prie :

— de ne jamais perdre confiance, de ne pas vous laisser abattre, de ne pas vous décourager ;

— de ne pas couper vous-même les racines de notre origine.

 

Je vous prie :

— d'avoir confiance, malgré toute votre faiblesse, et de chercher toujours la force spirituelle en celui près duquel tant de générations de nos pères et de nos mères l'ont trouvée ;

— ne vous détachez jamais de lui ;

ne perdez jamais la liberté d'esprit par laquelle il « rend libre » l'homme ;

— ne dédaignez jamais la charité, qui est la chose « la plus grande » qui s'est manifestée à travers la croix, et sans laquelle la vie humaine n'a ni racines ni sens.

 

Je vous demande tout cela :

— en mémoire et par la puissante intercession de la Mère de Dieu de Jasna Gôra et de tous ses sanctuaires en terre polonaise ;

— en mémoire de saint Adalbert qui subit la mort pour le Christ près de la mer Baltique ;

— en mémoire de saint Stanislas, tombé sous Pépée royale à Skalka.

 

Je vous demande tout cela.

Amen.

 

 

 

10 juin 1979

A CRACOVIE : AUX PROFESSIONNELS DES MASS MEDIA

 

Chers amis,

 

Je vous ai déjà rencontres bien loin d'ici et, même si le successeur de Pierre peut se sentir chez lui en quelque partie du monde que ce soit — vu que son mandat est « pour toutes les nations » (Mt 28, 19) — c'est cependant pour moi une source de satisfaction particulière et un plaisir de vous rencontrer et de vous ouvrir les bras ici, sur le sol de ma terre natale. Mon vœu est que soit grandement accordé à votre esprit un nouvel enrichissement et une profonde paix intérieure dans les sanctuaires et dans les lieux sacrés où la foi du peuple polonais a su s'exprimer d'une façon si intense.

 

Le pèlerinage est pour nous chrétiens, une pratique qui remonte à une tradition antique. Certains lieux sont considérés comme particulièrement saints du fait de la sainteté, et de la vertu acquise par certaines personnes qui y ont vécu. Et ce caractère sacré augmente avec le temps du fait, des :prières et des sacrifices des multitudes de pèlerins qui viennent les visiter.

 

Ainsi la vertu engendre une nouvelle vertu, la grâce qui attire la grâce et la bonté d'un saint ou d'une sainte, dont tout un peuple conserve le souvenir, continue à rayonner à travers les siècles et fait don d'un renouveau, d'une inspiration et d'une guérison aux générations qui se succèdent. De cette manière nous sommes aidés et encouragés dans la difficile ascèse de la vertu.

 

Vous vous souvenez sans doute que l'un de mes premiers désirs, à peine suis-je devenu pape, a été de me rendre en pèlerinage aux sanctuaires des patrons nationaux d'Italie, saint François d'Assise et sainte Catherine de Sienne. J'ai senti alors le besoin de m'assurer l'aide de ces grands saints et de demander dans leurs sanctuaires la résolution et le conseil que réclamait la nouvelle et formidable tâche qui est la mienne. Je ressentais cependant aussi le profond besoin de fortifier mon esprit par un pèlerinage aux lieux saints de ma patrie et je remercie Dieu qui, dans sa bonté, a permis que cela se réalise et que cela ait été possible précisément cette année où la Pologne célèbre le neuvième centenaire de son patron principal, saint Stanislas.

 

Et maintenant, au moment de mon départ, je vous remercie, amis des mass média, de m'avoir accompagné pendant mon pèlerinage. Je vous remercie, vous et les différentes agences de moyens de communication que vous représentez parce que vous avez — je crois pouvoir le dire — apporté le monde entier en Pologne, parce que vous l'avez fait venir à mes côtés et que vous l'avez fait participer à ces précieuses journées de prières au cours de mon retour chez moi.

 

En vous exprimant ma profonde gratitude, je voudrais vous demander encore une faveur. Je voudrais vous prier de dire au monde et aux peuples de chacune de vos contrées que Jean Paul II s'est souvenu d'eux, les a gardés dans son cœur, a prié pour eux à chaque pas de son pèlerinage : aux sanctuaires de la bienheureuse Mère de Dieu, à Varsovie, à Czestochowa, à Nowy Targ et à Makow ; sur la tombe de saint Wojcieh et de saint Stanislas à Gniezno et à Cracovie ; au sanctuaire de la sainte Croix à Mogila et dans la cellule d'Auschwitz où le bienheureux Maximilien Kolbe a passé les dernières heures héroïques de sa vie. Dites-leur — et c'est la vérité — que le pape prie pour eux chaque jour plusieurs fois par jour où qu'il se trouve et qu'il leur demandé de prier pour lui.

 

Et maintenant une parole spéciale pour vous-mêmes, professionnels de la presse et des agences photographiques, de la radio, de la télévision et du cinéma. Chaque jour davantage, en vous observant dans l'exercice de votre travail, je suis frappé de la noblesse de la tâche qui vous est confiée par votre vocation et par votre profession. J'ai dit à une autre occasion (Mexique, janvier 1979) que c'est parle moyen d'une information « complète, soigneuse, exacte et fidèle » que vous mettez chaque homme et chaque femme en mesure de participer et d'être responsable du « progrès général de tous » (Communio et progressio, 34-19). L'idéal de vos vies est d'être consacrées au service de la vérité. C'est seulement en restant fidèles à cet idéal que vous mériterez le respect et la gratitude de tous.

 

Dans ce but, je voudrais vous rappeler ce que Jésus-Christ a dit, au cours du procès qui devait décider de sa vie — et cela a été l'unique élément qu'il a apporté à sa défense — « je suis né et je suis venu dans ce monde pour rendre témoignage à la vérité » (Jn 18, 37). Appliquez ceci, chacun d'entre vous, à sa propre vie et cela sera le moyen d'adoucir vos souffrances et de renforcer votre courage dans la plupart des épreuves et des frustrations de votre existence.

 

C'est cette pensée que je vous laisse jusqu'à ce que nous nous rencontrions de nouveau. Portez votre salut et mon merci à vos familles et mon affection spéciale à vos enfants. En disant au revoir, à vous et à la Pologne, je vous bénis debout cœur.

 

 

 

10 juin

LE PAPE PREND CONGE DE LA POLOGNE A L'AEROPORT DE BALICE

 

Monsieur le Professeur,

Monsieur le Président du Conseil d'État de la République populaire polonaise,

Messieurs,

 

1. Le moment est venu pour moi de prendre congé de Cracovie et de la Pologne. Même si ce détachement ne peut certainement pas rompre les liens spirituels profonds et les sentiments qui me lient à ma ville, à ma patrie, et à ses citoyens, je ressens en ce moment avec douleur ce détachement. Mais, maintenant, mon siège épiscopal est Rome et il faut que j'y retourne : là, aucun fils de l'Église et, nous pouvons le dire, aucun homme, qu'il soit Polonais ou fils de toute autre nation, n'est un étranger.

 

Maintenant est venue l'heure des saluts et des remerciements. Je veux d'abord adresser mes paroles de remerciement à M. le président du Conseil d'État qui, avec les autres représentants des autorités de l'État, a tenu à venir ici pour me saluer comme il l'avait fait il y a neuf jours pour me souhaiter la bienvenue dans mon pays natal au nom des autorités de la République polonaise. Je le remercie pour cette double courtoisie que j'ai appréciée et que j'apprécierai toujours pour tout ce qu'elle exprime.

 

Je veux en outre, en ce lieu, exprimer mes remerciements cordiaux pour l'hospitalité qui m'a été offerte et à laquelle ont beaucoup contribué également les autorités de l'État aussi bien les autorités centrales que les autorités locales. Je vous remercie en particulier, encore une fois, pour la rencontré du Belvédère, au premier jour de ma visite en Pologne. J'espère que cette visite, qui s'achève maintenant, contribuera au développement ultérieur des relations entre l'État et l'Église en Pologne et également entre le Siège apostolique et la Pologne.

 

Je réalise combien le mot « hospitalité » contient de richesse et de délicatesse mais en même temps combien, dans notre cas, il contient aussi de fatigue, combien de problèmes cachés il recèle, combien de travaux de préparation, combien de décisions et enfin combien d'efforts pour sa réalisation.

 

Alors, je vous dis « merci » à tous et je voudrais que ce « merci » parvienne à tous ceux à qui je dois des remerciements et je ne sais si sur cette terre de Pologne il y a quelqu'un à qui je ne sois pas redevable de remerciements.

 

Je crois que je dois remercier tout le monde. J'adresse ce signe de ma gratitude aux autorités gouvernementales, aux autorités de chacun des « voivodati » et aux autorités de la ville de Cracovie.

 

2. Très Eminent cardinal primat de Pologne, je vous offre aussi mes remerciements cordiaux pour « l’au revoir » que vous m'avez exprimé en votre nom personnel et au nom de toute l'Église qui est en Pologne. A vos paroles de bienvenue, j'ai voulu répondre par tout le service que, grâce à la providence de Dieu et grâce à votre cordialité, j'ai eu le bonheur et la joie de remplir au cours de ces quelques journées. En ce moment il ne me reste plus qu'à remercier de tout cœur Votre Éminence, l’épiscopat, les prêtres, les familles religieuses, masculines et féminines et tout le peuple de Dieu qui est en Pologne, pour leurs sentiments si vifs et cordiaux, pour leurs prières qui m'ont entouré au cours de cet inoubliable pèlerinage de Varsovie à Saint-Stanislas de Cracovie en passant par Saint-Adalbert de Gniezno et Jasna Gôra. Je remercie Dieu de votre foi, de votre attachement au Siège apostolique et au successeur de saint Pierre.

 

Mon bref séjour en Pologne a renforcé encore davantage les liens spirituels qui m'unissent à ma patrie si aimée et à cette Église dont je viens et que je veux servir de tout mon cœur, de toutes mes forces par mon ministère universel de pape.

 

Je vous remercie de m'avoir assuré de votre souvenir dans la prière. Là-bas, au-delà des Alpes, j'écouterai en esprit le son des cloches qui appellent les fidèles à la prière, surtout au moment de l'Angélus et en même temps je sentirai battre le cœur de mes compatriotes.

 

« Que Dieu accorde sa récompense » à la vénérable Conférence de l'épiscopat polonais, avec son chef le cardinal primat, le métropolitain de Cracovie et l'évêque-secrétaire !

 

« Que Dieu accorde sa récompense » à tous !

 

3. La visite du pape en Pologne est assurément un événement sans précédent, non seulement pour ce siècle, mais aussi pour tout le millénaire de vie chrétienne polonaise, d'autant plus qu'il s'agit de la visite d'un pape polonais, qui a le droit sacro-saint de partager les sentiments de sa nation. Une telle participation, en effet, est partie, intégrante de son ministère de successeur de Pierre vis-à-vis de toute l'Église.

 

Cet événement sans précédent est indubitablement un acte de courage aussi bien de la part de ceux qui ont invité que de la part de celui qui a été invité. Toutefois, un tel acte de courage est nécessaire en notre temps. Il faut avoir le courage de marcher dans une direction que personne n'a suivie jusqu'à maintenant, comme autrefois fut nécessaire à Simon le courage de se diriger du lac de Génésareth en Galilée vers Rome, qui lui était inconnue.

 

Notre temps a grand besoin d'un témoignage qui exprime ouvertement la volonté de rapprocher entre eux nations et régimes, condition indispensable pour la paix dans le monde. Notre temps exigé de nous de ne pas nous enfermer dans les frontières rigides des systèmes, mais de chercher tout ce qui est' nécessaire au bien de l'homme, lequel doit trouver partout la conscience et la certitude de sa citoyenneté authentique. J'aurais voulu dire : conscience et certitude de son primat dans n'importe quel système de rapports et de forces.

 

Merci donc pour cette visite. Je souhaite qu'elle s'avère utile et qu'à l'avenir elle serve aux buts et aux valeurs qu'elle s'était proposés.

 

4. Je prends congé de Cracovie. Je lui souhaite une nouvelle jeunesse.

 

Je souhaite qu'elle reste pour les Polonais, pour l'Europe et pour le monde ce magnifique témoignage d'histoire de la nation et de l'Église qu'elle est actuellement ; je souhaite que le patrimoine culturel conservé dans les murs de Cracovie, dont le bien tient tant au cœur de M. le Président de l'État continue à parler par son contenu absolument unique.

 

Je prends congé de la Pologne ! Je prends congé de ma patrie ! En partant je baise cette terre dont mon cœur ne peut jamais se détacher.

 

Que Dieu Tout-Puissant vous bénisse : le Père, le Fils et le Saint-Esprit !

 

 

 

10 juin 1979

LE RETOUR A ROME

 

Monsieur le Président du Conseil des ministres, veuillez accepter ma reconnaissante gratitude pour les paroles élevées par lesquelles vous avez voulu me souhaiter la bienvenue à mon retour en terre d'Italie, au nom du gouvernement et au nom de toute la nation.

 

Le pape a visité sa terre natale, où il est venu à la lumière du soleil et à celle de la foi, où il s'est consacré au Christ et à l'Église, et maintenant il revient à son Siège, là où le Seigneur l'a placé pour guider et confirmer ses frères, à Rome, ville providentiellement élue pour être la demeure du vicaire du Christ lui-même. Je remercie Dieu d'avoir pu revoir la Pologne, sol béni et fécond où j'ai plongé mes racines d'homme, de prêtre, d'évêque et dont j'ai retiré une sève riche et vitale. Je remercie avec une très vive ferveur le Seigneur de m'avoir ramené ici où mon esprit veut s'identifier et se confondre, chaque jour davantage, avec la mission universelle qui m'a été confiée. Une patrie, ma patrie natale, m'a préparé et me renvoie à l'autre qui est plus grande, catholique, car elle embrasse, comme mon service, le monde entier.

 

Je suis heureux de pouvoir exprimer en ce moment la profonde, ineffable, joie de mon cœur pour avoir pu prendre part aux célébrations du centenaire du martyre de saint Stanislas : Varsovie, Gniezno, Czestochowa, Cracovie, étapes de mon pèlerinage ont constitué autant de moments de joyeuse communion, d'amitié, d'entretiens constructifs et surtout d'élévation de la même prière. Les émotions intimes et profondes des différentes rencontres se sont soudées harmonieusement entre elles dans mon âme et l'ont enrichie d'une nouvelle grâce, d'une expérience qui est une pure grâce de la part du Très-Haut.

 

J'ai devant les yeux les ondes attentives, paisibles, priantes de foules de frères, de fils, de compatriotes qui ont voulu manifester l'affection la plus dévote au fils de la même terre, mais surtout au chef visible de l'Église, au successeur de Pierre. La foi de la Pologne est une réalité vivante et stimulante dont je voudrais vous rendre participant, car elle contient — comme toutes les expériences authentiques de foi — un message d'optimisme et d'espérance : « Le Christ ne meurt plus ; la mort n'a plus de pouvoir sur lui » (Rm 6, 9). Cette affirmation assurée de Paul, par laquelle j'ai terminé mon discours aux fidèles polonais dans la cathédrale de Varsovie, je vous la transmets maintenant à vous et, à travers vous, à la chère Rome et à l'Italie, en message de salut ; ce salut qui trouve toujours en nous de nouvelles confirmations dans la société et dans le concert des peuples pourvu que la foi au Christ inspire nos choix responsables.

 

Au terme de mon voyage, j'ai à cœur de renouveler mon salut, mon souvenir et mes souhaits à toute la nation polonaise, et d'adresser un cordial merci à l'épiscopat polonais, avec à la tête le cardinal Stéphane Wyszynski, primat de Pologne, et aux représentants de l'autorité dans l'État pour l'estime et l'empressement avec lesquels ils m'ont accueilli et entouré.

 

Je vous assure que j'ai eu un souvenir tout particulier devant l'image vénérée de la Vierge de Czestochowa pour la destinée de l'Italie, et pour le bien, pour la coexistence dans la paix et pour la prospérité de ses citoyens. J'adresse à toutes les personnes présentes une pensée respectueuse et cordiale en même temps que l'expression de ma vive gratitude, à MM. les cardinaux, aux autorités civiles et militaires italiennes, qui par leur accueil déférent et spontané rendent plus joyeuse l'heure de mon retour ; aux membres distingués du Corps diplomatique dont la présence témoigne de la participation de chacune de leurs nations à la joie de mon pèlerinage ; à vous qui par cet accueil de fête me faites le don d'une authentique atmosphère de famille ; aux dirigeants, aux pilotes, au personnel de la Compagnie aérienne et à tous ceux qui se sont employés à l'excellente organisation de mon voyage et l'ont rendu à la fois confortable et attrayant. Que, pour vous tous, la bénédiction, que j'étends à la Ville éternelle et au monde catholique, soit un témoignage d'affection et de bienveillance.