L'ENSEIGNEMENT
DE
JEAN-PAUL II
1978
I. AUDIENCES
GÉNÉRALES DU MERCREDI
SANS JUSTICE, IL N'Y A PAS D'AMOUR
QUI EST-CE QUI VIENT ? ET POUR QUI ?
L'HOMME RESSEMBLE PLUS A DIEU QU'A LA NATURE
AVENT: LE DON QUE DIEU FAIT A L'HOMME
LA DIMENSION ETHIQUE DE L'HOMME
L'HOMME EST L'ÊTRE QUI CHERCHE DIEU
AU SANCTUAIRE MARIAL DE LA MENTORELLA
L'AMOUR CONSTRUIT, LA HAINE DÉTRUIT
LE PRÊTRE, UN HOMME POUR AUTRUI
IMPORTANCE DE L'APOSTOLAT DES LAÏCS
LA PAROISSE EST UNE COMMUNAUTE
MARIE, MOMENT DECISIF DANS L'HISTOIRE DU SALUT
LE CHRISTIANISME, PRINCIPE D'UNION ET DE COMMUNION
DANS LE PONTIFICAT DE PAUL VI LE CHARISME DE L'APOTRE DES GENTILS
HOMÉLIE DU SAINT-PÈRE POUR LA MESSE DE MINUIT
VALEURS FONDAMENTALES DE LA FAMILLE
UNITÉ DE LA FOI ET DIVERSITÉ DES LANGUES
JE SERAI LE TÉMOIN DE L'AMOUR UNIVERSEL
ALLER DE L'AVANT DANS LA VOIE DE L'UNITÉ
LE SOUCI DU BIEN DE L'ÉGLISE ET DE LA FAMILLE HUMAINE
NÉCESSITÉ DE LA PRÉSENCE ACTIVE DANS LE MONDE D'HOMMES
ADULTES CATHOLIQUES
LE RÔLE PRIMORDIAL DE LA FAMILLE
JEAN PAUL II ET LES «
PATRONS » DE L'ITALIE
AUX ENFANTS ET AUX JEUNES GENS
LE RÔLE DE LA DOCTRINE DANS LA VIE DE L'ÉGLISE
MISSION D'ÉVANGÉLISATION EN HARMONIE AVEC LE CONCILE
AUX ÉLÈVES DES ÉCOLES DE POMPIERS
SUIVEZ LE CHRIST ET CONSTRUISEZ L'HOMME EN VOUS
AUX ŒUVRES MISSIONNAIRES PONTIFICALES
LE RADICALISME DE L'AMOUR DE DIEU
LA DISCIPLINE SACRAMENTELLE DANS LE VIE DE L'ÉGLISE
16 octobre 1978
Il était 19 h 20, le lundi 16
octobre, lorsque le Saint-Père Jean Paul II s'est présenté au balcon central
de la basilique vaticane pour le premier salut et la première bénédiction aux
fidèles. Voici la traduction des paroles qu'il a adressées en italien à la
foule présente, avant la bénédiction « Urbi et Orbi » :
Loué soit
Jésus-Christ. Très chers frères et sœurs, nous sommes encore tous affligés par
la mort de notre très aimé pape Jean Paul Ier.
Et voici que les
éminents cardinaux ont élu un nouvel évêque de Rome. Ils l'ont appelé d'un pays
lointain... lointain, mais toujours si proche par la communion dans la foi et
dans la tradition chrétienne. J'ai eu peur en recevant cette nomination, mais
je l'ai acceptée en esprit d'obéissance envers Nôtre-Seigneur Jésus-Christ et
dans une confiance totale envers sa Mère, la Très Sainte Vierge.
Je ne sais si je
pourrai bien m'exprimer dans votre... notre langue italienne... Si je me trompe
vous me corrigerez. Et ainsi je me présente à vous tous pour confesser notre
foi commune, notre espérance, notre confiance en la Mère du Christ et de
l'Église, avec l'aide de Dieu et avec l'aide des hommes.
25 octobre 1978
Devant l'afflux des pèlerins à
Rome, le pape Jean Paul II
pour sa première audience
mercredi 25 octobre, a dû les accueillir en deux groupes. Le premier, constitué
par plus de 6000 germanophones, était réuni dans la basilique Saint-Pierre, le
second qui groupait les autres expressions linguistiques se retrouvait dans la
salle des audiences, dite « salle Nervi ». Autour du Saint-Père, se
trouvaient quelques cardinaux et beaucoup d'évêques. Parmi ceux-ci, il faut
noter la présence des évêques du Québec avec, à leur tête, le cardinal Maurice
Roy. Étaient présents également, Mgr Margéot, évêque de Port-Louis à l'île
Maurice et Mgr Coty, évêque de Daloa en Côte-d'Ivoire.
Lorsque le mercredi 27 septembre le
Saint-Père Jean Paul Ier a
parlé aux participants à l'audience générale, personne ne pouvait imaginer que
c'était pour la dernière fois. Sa mort — après 33 jours de pontificat — a
surpris et plongé le monde entier dans un deuil profond. Lui, qui a suscité
dans l'Eglise une si grande joie et fait naître dans le cœur des hommes tant
d'espérance, il a, en si peu de temps, consumé et porté à sa fin sa mission. Sa
mort vérifie la parole de l'Évangile si souvent répétée : « ... tenez-vous prêts car c'est
à l'heure que vous ne pensez pas que le Fils viendra » (Mt 24, 26). Jean Paul Ier veillait toujours. L'appel du Seigneur ne l'a pas surpris.
Il l'a suivi avec une joie anxieuse, la même que celle avec laquelle il avait,
le 26 août, accepté son élection à la chaire de Saint Pierre.
Aujourd'hui se présente à vous, pour la
première fois, Jean Paul II. A quatre semaines
de distance de cette audience générale, il désire vous saluer et parler avec
vous. Il désire donner suite aux thèmes déjà abordés par Jean Paul Ier. Rappelons-nous qu'il a parlé des trois Vertus théologales':
foi, espérance et charité. Il a terminé avec la charité. Celle-ci, qui a
constitué son dernier enseignement, est, ici sur terre, la vertu la plus grande
comme l'enseigne Saint Paul (1 Co 13, 13). Elle est celle qui traverse le seuil
de la vie et de la mort. Parce que, lorsque finit le temps de la foi et de
l'espérance, l'Amour continue. Jean Paul Ier est déjà passé par le temps de la foi, de l'espérance et de
la charité qui s'est exprimée si magnifiquement sur cette terre et dont la
plénitude ne se révèle que dans l'éternité.
Nous devons aujourd'hui parler d'une autre
vertu, car, d'après les notes laissées par le défunt Pontife, j'ai appris qu'il
avait l'intention de parler non seulement des trois vertus théologales, la foi,
l'espérance et la charité, mais aussi des quatre vertus dites cardinales. Jean
Paul Ier
voulait parler des « 7 lampes » de la vie
chrétienne, comme les appelait le pape Jean XXIII.
Eh bien, aujourd'hui je veux continuer ce
schéma que le Pape disparu s'était préparé, et parler brièvement de la vertu de
prudence. Les anciens ont déjà parlé abondamment de cette vertu. Aussi leur devons-nous
beaucoup de reconnaissance, de gratitude. Dans une certaine dimension ils nous
ont enseigné que la valeur de l'homme doit être mesurée avec le mètre du bien
moral qu'il a réalisé dans sa vie. C'est précisément cela qui assure la
première place à la vertu de prudence. L'homme prudent qui se prodigue en
faveur de tout ce qui est vraiment bon, s'efforce de mesurer chaque chose,
chaque situation et toute son œuvre selon le mètre du bien moral. Prudent, ce
n'est donc pas celui qui — comme on l'entend souvent — sait s'arranger dans la
vie, sait en tirer le plus grand profit ; mais celui qui sait construire toute
sa vie selon la voix de la conscience droite et selon les impératifs de la
justice morale.
Ainsi, la prudence constitue la clé pour la
réalisation de la tâché fondamentale que chacun de nous a reçue de Dieu. Cette
tâche est la perfection de l'homme lui-même. Dieu nous a donné l'humanité à
chacun de nous. Il est nécessaire que nous répondions à cette tâche en la
programmant en conséquence.
Mais le chrétien a le droit et le devoir de
considérer la vertu de prudence également à un autre point de vue. Elle est
comme une image ressemblant à la Providence de Dieu lui-même à la dimension de
l'homme consacré. Car l'homme — nous le savons d'après la Genèse — a été créé à
l'image et à la ressemblance de Dieu. Et Dieu réalise son plan dans l'histoire
de la création et surtout dans l'histoire de l'humanité. Le but de ce dessein
est, comme l'enseigne Saint Thomas, le bien ultime de l'univers. Le dessein
même devient simplement, dans l'histoire de l'humanité, le dessein du salut, le
dessein qui nous embrasse tous. Au point central de sa réalisation se trouve
Jésus en qui s'est exprimé l'éternel amour et la sollicitude de Dieu lui-même,
le Père, pour le salut de l'homme. Et en même temps ceci est la pleine
expression de la Divine Providence.
Eh bien, l'homme qui est l'image de Dieu doit
être en quelque sorte — comme de nouveau l'enseigne Saint Thomas — la
providence. Mais à la mesure de sa vie. Il peut participer à cette grande
démarche de toutes les créatures vers le but qui est le bien de la création. Il
doit — s'exprimant encore plus dans le langage de la foi — participer au divin
dessein de salut. Il doit marcher vers le salut et aider autrui à se sauver.
Aidant les autres, il se sauve lui-même.
Je prie pour que, sous cette lumière, qui
m'écoute pense maintenant à sa propre vie. Suis-je prudent ? Est-ce que je vis
de manière conséquente et responsable ? Le programme que je réalise sert-il au
bien commun ? Sert-il au salut que veulent pour nous le Christ et l'Eglise ? Si
aujourd'hui m'écoutent un étudiant ou une étudiante, un fils ou une fille,
qu'ils considèrent à cette lumière leurs propres tâches scolaires, leurs
lectures, leurs intérêts, leurs passe-temps, le milieu de leurs amis et amies.
Si m'écoutent un père et une mère de famille, qu'ils pensent un peu à leurs
devoirs conjugaux, à leurs devoirs de parents: Si m'écoute un ministre ou un
homme d'Etat, qu'il envisage le rayon de ses devoirs et de ses responsabilités.
Cherche-t-il le vrai bien de l'humanité ? Ou seulement des intérêts
particuliers et partisans ? Si m'écoute un journaliste, un chroniqueur, un
homme qui exerce une influence sur l'opinion publique, qu'il réfléchisse sur la
valeur et sur les fins de cette influence.
Moi aussi qui vous parle, moi qui suis Pape,
que dois-je faire pour agir avec prudence ? Me viennent à l'esprit les lettres
d'Albino Luciani, à l'époque Patriarche de Venise, à Saint Bernard. Dans sa
réponse au Cardinal Luciani, l'Abbé de Clairvaux — Docteur de l'Eglise —
rappelle avec de vigoureux accents, que celui qui gouverne doit être « prudent
». Que doit faire alors le nouveau Pape pour agir prudemment ? Certes, il doit
faire beaucoup en ce sens. Il doit toujours apprendre et toujours réfléchir au
sujet de tels problèmes. Mais en plus de cela, que peut-il faire ? Il doit
prier et mettre tout en œuvre pour avoir ce don de l'Esprit Saint qui s'appelle
le don du conseil. Et que tous ceux qui désirent que le nouveau Pape fasse le
Pasteur prudent de l'Eglise, implorent pour lui le don du conseil. Et que pour
eux-mêmes ils demandent également ce don, par l'intercession particulière de la
Mère du Bon Conseil. Car il est si désirable que tous les hommes se comportent
prudemment et qu'agissent avec une authentique prudence tous ceux qui
détiennent le pouvoir. Afin que l'Eglise — prudemment, et se fortifiant avec
les dons de l'Esprit Saint et, en particulier, avec le don du conseil —
participe efficacement à cette grande marche vers le bien de tous et afin
qu'elle montre à tous la voie du salut éternel.
8 novembre 1978
Chers Frères et Sœurs,
1. Durant ces premières audiences où j'ai le
bonheur de vous rencontrer, vous qui y êtes venus de Rome, d'Italie et de tant
d'autres pays, je désire, comme je l'ai déjà dit le 25 octobre dernier,
poursuivre le développement des thèmes fixés par Jean Paul Ier, mon Prédécesseur. Il voulait parler non seulement des trois
vertus théologales : la foi, l'espérance et la charité, mais aussi des quatre
vertus cardinales : la prudence, la justice, la force et la tempérance. Il
voyait en elles, toutes ensemble, comme sept lampes de la vie chrétienne. Dieu
l'ayant appelé à l'éternité, il ne put parler que des trois principales : la
foi, l'espérance et la charité qui éclairent la vie tout entière du chrétien.
En vous rencontrant pour réfléchir, dans l'esprit qui l'animait,'en traitant
des vertus cardinales, son indigne Successeur veut, dans un certain sens,
allumer les autres lampes près de sa tombe.
2. Aujourd'hui il m'échoit de parler de la
justice. Qu'elle fasse le sujet de la première catéchèse du mois de novembre
semble excellent. En effet, ce mois nous incite à fixer le regard sur la vie de
tout homme et, en même temps, sur la vie de toute l'humanité, dans la
perspective de la justice finale. Nous sommes tous convaincus, de quelque
manière, que dans ce monde transitoire il n'est pas possible de réaliser la
pleine mesure de la justice. Peut-être cette affirmation si souvent entendue :
« 11 n'y a pas de justice en ce monde » est-elle le fruit d'un simplisme
facile. Mais elle contient également un principe profondément vrai. De certaine
manière, la justice est plus grande que l'homme, que la dimension de sa vie
terrestre, que les possibilités d'établir en cette vie des rapports pleinement
justes entre les hommes, les milieux, les sociétés et les groupes sociaux, les
nations, et ainsi de suite. Chaque homme vit et meurt avec un certain sentiment
de justice inassouvie, car le monde n'est pas en mesure de satisfaire à fond un
être créé à l'image de Dieu, ni dans la profondeur de son être, ni dans les
aspects variés de sa vie humaine. Et ainsi, grâce à cette faim de justice,
l'homme s'ouvre à Dieu qui « est la justice même ». Dans le discours sur la
montagne, Jésus l'a exprimé de manière très claire et concise, disant : « Bienheureux ceux qui ont
faim et soif de justice, car ils seront rassasiés » (Mt 5, 6).
3. Gardant devant nous ce sens évangélique de
la justice, nous devons en même temps considérer celle-ci comme dimension
fondamentale de la vie humaine sur la terre : vie de l'homme, de la société, de
l'humanité. C'est sa dimension éthique. La justice est un principe fondamental
de l'existence et de la coexistence des hommes et également de celle des
communautés humaines, des sociétés et des peuples. En outre, la justice est un
principe de l'existence de l'Eglise, en tant que Peuple de Dieu, et un principe
de coexistence de l'Eglise et des différentes structures sociales, de l'Etat en
particulier, ainsi que des organisations internationales. Sur ce terrain, vaste
et divers, l'homme et l'humanité cherchent continuellement justice : c'est un
processus incessant, et c'est une tâche de suprême importance.
Selon les diverses relations et les divers
aspects, la justice a obtenu, au long des siècles, les définitions les plus
appropriées. D'où le concept de la justice : communicative, distributive,
légale et sociale. Tout ceci indique la signification fondamentale que la
justice a pour l'ordre moral parmi les hommes, dans les relations nationales et
internationales. On peut dire que le sens même de l'existence de l'homme sur la
terre est lié à la justice. Définir correctement « combien il est dû » par tous
à chacun, et en même temps par chacun à tous, « ce qui est dû » (debitum) par l'homme à l'homme
dans les divers systèmes et relations — définir et surtout réaliser ! — est une
grande chose par laquelle tout -homme vit et grâce à laquelle sa vie a un sens.
Aussi, durant les siècles de l'existence
humaine sur la terre, un effort incessant et une lutte continuelle
s'accomplissent perpétuellement pour ordonner avec justice l'ensemble de la vie
sociale sous ses différents aspects. Il faut considérer avec respect les
multiples programmes et l'activité, parfois réformatrice, des diverses
tendances, des différents systèmes. Il faut, en même temps, être conscient
qu'ici il ne s'agit pas des systèmes, mais avant tout de la justice et de
l'homme. Il faut, non pas que l'homme soit pour le système, mais que le système
soit pour l'homme. C'est pourquoi il faut se défendre du raidissement du
système. Je pense aux systèmes sociaux, économiques, politiques, culturels qui
doivent être sensibles à l'homme, à son bien intégral, qui doivent avoir la capacité
de se réformer eux-mêmes, de réformer leurs propres structures selon ce
qu'exigé la pleine vérité sur l'homme. C'est de ce point de vue qu'il faut
juger le grand effort de notre époque qui tend à définir et à consolider « les
droits de l'homme » dans la vie de l'humanité actuelle, des peuples et des
Etats.
L'Eglise de notre époque maintient un
dialogue continuel sur le grand front du monde contemporain, comme le
démontrent les nombreuses encycliques des papes et la doctrine du concile
Vatican II. Le pape présent
devra certainement revenir plus d'une fois sur ce thème. Il importe, dans le
bref exposé d'aujourd'hui de se limiter à signaler ce domaine vaste et varié !
4. Il est donc nécessaire que chacun de nous
puisse vivre dans un contexte de justice, et plus encore que chacun de nous
soit juste et agisse justement à l'égard de ceux qui sont proches ou lointains,
de la communauté, de la société à laquelle il appartient... et à l'égard de
Dieu.
La justice concerne de nombreux domaines et a
de nombreuses formes. D y a également une forme de justice qui regarde ce que
l'homme « doit » à Dieu. Déjà ceci est en soi un vaste thème principal. Je ne
le développerai pas maintenant, bien que je ne puisse m'empêcher de le
signaler.
Entre-temps, penchons-nous sur les hommes. Le
Christ nous a laissé le commandement de l'amour du prochain. Dans ce
commandement tout ce qui concerne la justice se trouve également inclus.
L'amour « surpasse » la
justice, mais, en même temps, il trouve dans la justice sa vérification. Le père
et la mère eux-mêmes, aimant leur propre enfant, doivent être justes avec lui.
Si la justice vacille, l'amour court un péril.
Etre juste signifie donner à chacun ce qui
lui est dû. Ceci concerne les biens temporels, de nature matérielle. Le
meilleur exemple que l'on puisse donner ici est celui de la rétribution du
travail ou ce qu'on appelle le droit aux fruits de son propre travail ou de sa
propre terre. Mais en outre, à l'homme reviennent également le bon nom, le
respect, la considération, la réputation qu'il a mérités. Mieux nous
connaissons l'homme, mieux il nous révèle sa personnalité, son caractère, son
intelligence et son cœur. Et nous nous rendons d'autant mieux compte — et nous
devons le prendre en considération — du critère qui permet de le « mesurer » et
de ce que veut dire être juste avec lui.
Il est donc
nécessaire d'approfondir continuellement la connaissance de la justice. Elle
n'est pas une science théorique. Elle est une vertu, une faculté de l'esprit
humain, de la volonté humaine, et également du cœur. En outre il faut prier
pour être juste, pour savoir être juste.
Nous ne saurions
oublier ce qu'a dit Nôtre-Seigneur : « ...de la mesure dont vous mesurerez, on
usera pour vous » (Mt 7,2).
Homme juste, homme
de «juste mesure».
Puissions-nous l'être
tous !
Puissions-nous tous
tendre constamment à k devenir !
A tous, ma
bénédiction.
15 novembre 1978
Très chers Frères et Sœurs,
Parlant de la Loggia de la Basilique Saint-Pierre, le lendemain de son
élection, le Pape Jean Paul Ier a
rappelé, entre autres, que durant le Conclave, quand tout indiquait déjà que
c'était probablement lui qui allait être choisi, les Cardinaux, ses voisins,
lui murmurèrent à l'oreille : « Courage ! » II est probable qu'à ce moment cette parole lui fut nécessaire
et qu'elle se soit imprimée dans son cœur, étant donné qu'il la rappela dès le
lendemain. Veuille me pardonner Jean Paul Ier si je me sers maintenant de cette confidence. Je crois que
c'est proprement elle qui peut, de la meilleure manière, nous introduire, nous
tous ici présents, dans le thème que j'entends développer. En effet, je désire
parler aujourd'hui de la troisième vertu cardinale, c'est-à-dire de la force.
C'est précisément à cette vertu que nous nous référons quand nous voulons exhorter
quelqu'un à avoir du courage, comme l'a fait le Cardinal voisin de Jean Paul Ier au Conclave quand il lui a dit : « Courage ! ».
Qui tenons-nous pour un homme fort, un homme
courageux ? Ce terme évoque habituellement le soldat qui, en temps de guerre,
défend sa patrie au péril de sa santé et même de sa vie. Nous nous rendons
compte, toutefois, que même en temps de paix nous avons besoin de force. C'est
pour cette raison que nous nourrissons une grande estime pour les personnes qui
se distinguent par ce que l'on appelle « courage civique ». Un témoignage de
force nous est offert par celui qui risque sa propre vie pour sauver quelqu'un
en train de se noyer, ou par l'homme qui prête son aide dans les calamités
naturelles comme un incendie, une inondation etc. Et Saint Charles, mon Patron,
s'est certainement distingué par cette vertu quand, durant la peste de Milan,
il accomplissait son ministère pastoral parmi les habitants de cette ville. Et
nous pensons également, avec admiration, à ces hommes qui escaladent les
sommets de l'Everest ou au cosmonautes, à ceux, par exemple, qui furent les
premiers à mettre le pied sur la lune.
Comme il résulte de tout ceci, les
manifestations de la force sont nombreuses. Quelques-unes d'entre elles sont
largement connues et jouissent d'une certaine célébrité. D'autres sont plutôt
ignorées, bien qu'elles exigent une vertu encore plus grande. Comme nous
l'avons dit au début, la force est, en effet, une vertu, une vertu cardinale.
Permettez-moi d'attirer votre attention sur des cas généralement peu connus
mais qui témoignent en eux-mêmes d'une grande vertu, héroïque parfois. Je
pense, par exemple, à une femme, mère d'une famille déjà nombreuse, à qui l'on
conseille de divers côtés de supprimer une nouvelle vie conçue dans son sein,
en se soumettant à « l'intervention » d'interruption de la maternité ; et elle
répond avec fermeté : « non ! ». Elle sait toutes les difficultés que ce « non
» entraîne avec soi, difficultés pour elle-même, pour son mari, pour la
famille, et pourtant elle répond « non ». La nouvelle vie humaine conçue en
elle est une valeur trop grande, trop « sacrée » pour qu'elle puisse céder à de
semblables pressions.
Un autre exemple : un homme auquel on promet
la liberté et, également, une carrière facile à condition de renier certains
principes ou d'approuver quelque chose qui heurte son honnêteté envers autrui.
Et lui aussi répond « non ! » même devant des menaces, d'une part et des
avantages de l'autre. Voilà un homme courageux !
Nombreuses, très nombreuses sont les
manifestations de force dont les journaux ne disent rien ou que l'on connaît à
peine. Seule la conscience humaine les connaît... et Dieu le sait !
Je désire rendre hommage à tous ces courageux
inconnus. A tous ceux qui ont le courage de dire « non » ou « oui » quoi qu'il
en coûte. Aux nommes qui offrent un remarquable témoignage de dignité humaine
et de profonde humanité. Et, précisément parce qu'ils sont ignorés, ils
méritent un hommage et une reconnaissance particuliers.
Selon la doctrine de Saint Thomas, la vertu
de force se rencontre chez l'homme — qui est prêt « aggredi pericula » c'est-à-dire à affronter le danger
; — qui est prêt « sustinere mala », c'est-à-dire à supporter les adversités
pour une cause juste, pour la vérité, pour la justice etc.
La vertu de force impose toujours de
surmonter la faiblesse humaine et surtout la peur. En effet, l'homme* par
nature, craint spontanément le danger, les ennuis, les souffrances. C'est
pourquoi, les hommes courageux il faut les chercher non seulement sur les
champs de bataille mais aussi dans les salles d'un hôpital ou sur un lit de
douleur. On pouvait souvent rencontrer de tels hommes dans les camps de
concentration ou dans les centres de déportation. Ils étaient certainement
d'authentiques héros.
La peur ôte souvent le courage civique aux
hommes qui vivent dans un climat de menaces, d'oppression ou de persécution.
Ont alors une particulière valeur humaine, ceux qui sont capables de franchir
le mur de la peur afin de rendre témoignage à la vérité et à la justice. Pour
parvenir à une telle force l'homme doit, d'une certaine manière « dépasser »
ses propres limites et se « surmonter » lui-même, avec le risque d'être mal vu,
le risque de s'exposer à des conséquences désagréables, à des injures, des
dégradations, des pertes matérielles, peut-être même à la prison ou aux
persécutions. Pour atteindre une telle force, l'homme doit être soutenu par un
grand amour pour la vérité et pour le bien auquel il se consacre. La vertu de
force va de pair avec la capacité de se sacrifier. Cette vertu avait déjà pris
dans l'antiquité un aspect bien défini. Avec le Christ elle a pris une forme
évangélique, chrétienne. L'Evangile s'adresse aux hommes faibles, pauvres,
humbles et doux, artisans de la paix, miséricordieux et il s'y trouve en même
temps, un constant appel à la force. Il répète souvent « N'ayez pas peur » (Mt
14,27). Il enseigne à l'homme que, pour une cause juste, pour la vérité, pour
la justice, il faut savoir « donner sa vie » (Jn 15,13).
Je désire encore me référer ici à un autre
exemple qui remonte à 400 ans, mais reste toujours vivant et actuel. Il s'agit
de la figure de Saint Stanislas Kostka, patron des jeunes, dont la tombe se
trouve en l'église Saint-André au Quirinal, à Rome. C'est ici en effet qu'à
l'âge de 18 ans se termine la vie de ce Saint, par nature très sensible et
tendre, mais aussi très courageux. La force le mena, lui qui provenait d'une
famille noble, à choisir d'être pauvre, à l'exemple du Christ, et à se mettre
exclusivement à son service. Bien que sa décision rencontrât une ferme
opposition dans son milieu, il réussit avec grand amour mais aussi avec grande
fermeté, à réaliser son projet, synthétisé dans la devise : « Ad majora natus
sum » (Je suis né pour des choses plus grandes). Il gagna le noviciat des
Jésuites, parcourant à pied la route de Vienne à Rome et cherchant à échapper à
ses poursuivants qui voulaient par la force détourner cet « obstiné » de ses
intentions.
Je sais qu'en novembre de nombreux jeunes de
tout Rome, et spécialement des étudiants rendent visite à la tombe de saint
Stanislas en l'église Saint-André. Je suis avec eux, parce que notre génération
a besoin, elle aussi, d'hommes qui sachent répéter avec une sainte «
obstination » : « Ad majora natus sum ». Nous avons besoin d'hommes forts !
Nous avons besoin de force pour être des
hommes. En effet seul est vraiment prudent l'homme qui possède la vertu de
force ; de même que l'homme véritablement juste est seulement celui qui a cette
vertu.
Prions pour ce don de l'Esprit Saint qui s'appelle
« le don de force ». Quand font défaut à l'homme les forces pour se surmonter
lui même, en vue de valeurs supérieures, comme la vérité, la justice, la
vocation, la fidélité matrimoniale, il est nécessaire que ce « don de là-haut »
fasse de chacun de nous un homme fort et, au moment opportun, nous dise, au
plus intime de nous-mêmes : « courage ! ».
22 novembre 1978
1. Au cours des
audiences de mon ministère pontifical j'ai cherché à exécuter le « testament »
de mon bien-aimé prédécesseur Jean Paul Ier.
Comme on le sait,
il n'a pas laissé de testament écrit, parce que la mort, inattendue, l'a frappé
à l'improviste ; mais il a laissé quelques notes d'où résulte son intention de
parler, lors de ses premières rencontres du mercredi, des principes
fondamentaux de la vie chrétienne, c'est-à-dire des trois vertus théologales —
et ceci, il a eu le temps de le faire — puis des quatre venus cardinales, ce
que réalise à présent son indigne Successeur. Aujourd'hui je parlerai de la quatrième
vertu cardinale, la tempérance, dont c'est le tour, accomplissant ainsi, d'une
certaine manière, le programme de Jean Paul Ier,
un programme que
nous pouvons presque considérer comme le testament du défunt Pontife.
2. Quand nous
parlons des vertus — non seulement de ces vertus cardinales, mais de toutes et
de chacune d'elles — nous devons avoir toujours sous les yeux l'homme réel,
l'homme concret. La vertu n'est pas quelque chose d'abstrait, détaché de la vie
; au contraire elle a de profondes « racines » dans la vie même, elle en
jaillit et elle la forme. La vertu a une incidence sur la vie de l'homme, sur
ses actions et sur son comportement. Il s'ensuit que dans ces réflexions nous
parlons moins de la vertu que de l'homme qui vit et agit « vertueusement » ;
nous parlons de l'homme prudent, juste, courageux et, enfin, aujourd'hui,
précisément, nous parlons de l'homme « tempérant » (ou bien « sobre »).
Ajoutons sans
tarder que tous ces attributs, ou plutôt ces attitudes de l'homme provenant des
diverses vertus cardinales, se rattachent l'une à l'autre. On ne saurait donc
être vraiment prudent, ni authentiquement juste, ni réellement fort, si l'on ne
possède en même temps la vertu de tempérance. On peut dire que cette vertu
conditionne indirectement toutes les autres, mais il faut dire également que
toutes les autres vertus sont indispensables pour que l'homme soit « tempérant
» (ou « sobre »).
3. Le terme même, « tempérance », semble se
référer d'une certaine manière à ce qui est « à l'extérieur de l'homme ». En
effet nous disons qu'est tempérant celui qui n'abuse pas des aliments, des
boissons, des plaisirs, qui ne boit pas immodérément de l'alcool, qui ne se
prive pas de sa conscience en faisant usage de stupéfiants etc. Cette référence
qui a des éléments extérieurs à l'homme a cependant sa base au-dedans de
l'homme. C'est comme si, en chacun de nous, il existait un « ego supérieur » et un « ego
inférieur ». Dans l’« ego inférieur
» s'expriment notre « corps » et tout ce qui lui appartient : ses besoins, ses
désirs, ses passions de nature principalement sensuelle. La vertu de tempérance
garantit à tout homme la domination de IV ego
supérieur » sur l’ego inférieur
». Est-ce là une humiliation de notre corps ? Ou bien un amoindrissement ? Au
contraire, cette domination valorise le corps. La vertu de tempérance fait que
notre corps et nos sens trouvent la place exacte qui leur revient dans notre
être humain.
L'homme tempérant est celui qui a la maîtrise
de soi-même. Celui chez qui les passions ne l'emportent pas sur la raison, sur
la volonté, et même sur le « cœur ». L'homme qui sait se dominer ! S'il en est
ainsi, nous pouvons nous rendre compte de la valeur fondamentale et radicale de
la tempérance. Elle est même directement indispensable pour que l'homme « soit
» pleinement homme. Il suffit de regarder quelqu'un qui, entraîné par ses
passions, en devient la « victime », renonçant de lui-même à user de sa raison
(par exemple un alcoolique, un drogué), pour constater clairement qu’être homme
» signifie respecter sa propre dignité et donc, entre autres, se laisser guider
par la vertu de tempérance.
4. Cette vertu est également appelée «
sobriété ». Et il est juste qu'il en soit ainsi ! En effet, pour pouvoir
dominer nos passions, la concupiscence de la chair, les explosions de la
sensualité (par exemple, dans les relations avec l'autre sexe) etc., nous
devons éviter de dépasser les justes limites à l'égard de nous-mêmes et de
notre « ego inférieur ». Si
nous ne respectons pas ces justes limites nous ne serons pas en mesure de nous
dominer. Ceci ne signifie pas que l'homme vertueux, sobre, ne puisse être «
spontané », ne puisse jouir, ne puisse pleurer, ne puisse exprimer ses propres
sentiments ; cela ne veut pas dire qu'il doive devenir insensible, «
indifférent » comme s'il était de glace ou de pierre. Non, en aucune manière !
Il suffit de regarder Jésus pour s'en convaincre. On n'a jamais identifié la
morale catholique avec la morale stoïque. Au contraire, considérant toute la
richesse de l'affectivité et de l'émotivité dont l'homme est doté — du reste,
chacun de façon diverse : l'homme d'une manière, la femme d'une autre en vertu
de leur sensibilité propre — il faut reconnaître que l'homme ne saurait arriver
à cette spontanéité mûrie si ce n'est grâce à un travail sur lui-même et à une
particulière « vigilance » sur tout son comportement. En fait, c'est en cela
que consiste la vertu de « tempérance », de « sobriété ».
5. Je pense que cette vertu exige de chacun
de nous une humilité spécifique au sujet des dons que Dieu a placés dans notre
nature humaine. Je dirais : « l'humilité du corps » et celle « du cœur ». Cette humilité est une condition
nécessaire pour « l'harmonie » intérieure de l'homme ; pour la beauté «
intérieure » de l'homme. Que chacun y réfléchisse bien, et en particulier les
jeunes, et encore plus les jeunes, à l'âge où l'on tient tant à être beau ou
belle pour plaire aux autres ! Rappelons que l'homme doit surtout être beau
intérieurement ! Sans cette beauté, tous les efforts tendus vers le corps, ne
feront, ni de lui ni d'elle, une personne vraiment belle.
Du reste, n'est-ce pas précisément le corps
qui doit subir des atteintes sensibles, et même parfois, très graves à la
santé, quand à l'homme fait défaut la vertu de tempérance, de sobriété ? A ce
propos, auraient beaucoup à dire les statistiques et les rapports cliniques de
tous les hôpitaux du monde. En ont également une grande expérience les médecins
des centres de consultation auxquels s'adressent des époux, des fiancés et des
jeunes. Il est vrai qu'on ne saurait juger la vertu en se basant exclusivement
sur le critère de la santé psycho-physique, mais il existe d'innombrables
preuves que le manque de vertu, de tempérance, de sobriété nuit à la santé.
6. Il me faut conclure ici, tout en étant
convaincu que le sujet est interrompu plutôt qu'épuisé. Peut-être l'occasion se
présentera-t-elle un jour d'y revenir.
Pour le moment cela suffit.
De cette manière j'ai essayé, autant que
possible, d'exécuter le testament de Jean Paul Ier.
Je lui demande de prier pour moi quand je
devrai passer à d'autres thèmes au cours des audiences du mercredi.
29 novembre 1978
1.
Bien que le temps liturgique de l'Avent commence seulement dimanche prochain,
je désire parler dès aujourd'hui de ce cycle.
Nous sommes
désormais habitués à ce terme de l’« Avent », nous savons ce
qu'il signifie ; mais c'est peut-être parce qu'il nous est familier que nous ne
parvenons pas à comprendre tout ce que ce concept contient de richesse.
« Avent » signifie
« venue ».
Il faut donc se
demander : « qui est-ce qui vient ? » et « pour qui vient-il ? ».
Nous trouvons
aussitôt la réponse à cette demande. Même les bambins savent que c'est Jésus
qui vient, pour eux et pour tous les hommes. Il vient une nuit à Bethléem, naît
dans une grotte qui servait d'étable pour le bétail.
Cela, les enfants
le savent, et le savent également les adultes qui prennent part à la joie des
enfants et semblent, la nuit de Noël, redevenir, eux aussi, des enfants.
Toutefois, nombreuses sont les demandes que l'on se fait. L'homme a le droit,
et même le devoir, d'interroger pour savoir. Il y a également ceux qui doutent
et qui, bien qu'ils participent à la joie de Noël, semblent étrangers à la vérité
que celle-ci contient.
C'est précisément
pour cela que nous avons le temps de l'Avent, de manière à pouvoir de nouveau,
chaque année, pénétrer cette vérité essentielle du christianisme.
2. La vérité du
christianisme correspond à deux réalités fondamentales que nous ne devons
jamais perdre de vue. Elles sont toutes deux étroitement liées entre elles. Et
c'est proprement ce lien, si intime qu'une réalité semble expliquer l'autre,
qui est la note caractéristique du christianisme. La première réalité s'appelle
« Dieu », la seconde « l'homme ». Le christianisme jaillit d'une particulière
relation réciproque entre Dieu et l'homme. Ces derniers temps — spécialement
durant le Concile Vatican II — on a longuement discuté la
question de savoir si cette relation est
théocentrique ou anthropocentrique. On n'obtiendra jamais de réponse
satisfaisante à cette demande si l'on continue à considérer séparément les deux
termes de la question. En effet, le christianisme est anthropocentrique
précisément parce qu'il est pleinement théocentrique ; et simultanément, il est
théocentrique grâce à son particulier anthropocentrisme.
Mais c'est proprement le mystère de
l'Incarnation qui explique, de lui-même, cette relation.
C'est pour cette raison que le christianisme
n'est pas seulement une « religion d'avent », mais l'Avent même. Le
christianisme vit le mystère de la venue réelle de Dieu vers l'homme et cette
réalité fait palpiter et battre constamment son cœur. Elle est simplement la
vie même du christianisme. Il s'agit d'une réalité profonde et simple en même
temps, très accessible à l'intelligence et à la sensibilité de tout homme et
principalement de celui qui, à l'occasion de la nuit de Noël, sait redevenir un
enfant. Ce n'est pas en vain que Jésus a dit un jour : « Si vous ne devenez pas
comme des enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux (Mt 18, 3).
3. Pour comprendre à fond cette double
réalité qui fait aujourd'hui palpiter et battre le christianisme, il est bon de
remonter aux débuts mêmes de la Révélation, ou mieux, quasi aux premiers temps
de la pensée humaine.
Au « début » de la pensée humaine peuvent se
trouver des conceptions diverses ; la pensée de chaque individu a une histoire
propre dans sa vie, dès son enfance. Toutefois, en parlant de « début * nous
n'entendons pas faire l'historique de la pensée. Nous voulons, au contraire,
constater qu'à la base même de la pensée, c'est-à-dire à ses sources, se
trouvent le concept de « Dieu » et le concept de IV homme ». Parfois ceux-ci sont recouverts par une couche de
nombreux autres concepts variés (en particulier dans l'actuelle civilisation
matérialiste et, également, technocratique) — mais cela ne veut pas dire que
ces concepts n'existent pas ou qu'ils ne sont pas à la base de notre pensée.
Même le système athée le plus élaboré n'a de
sens que s'il connaît l'idée de « Théos », c'est-à-dire Dieu. A ce propos, la
Constitution pastorale de Vatican II nous
enseigne que de nombreuses formes d'athéisme découlent de l'absence d'un
rapport adéquat avec ce concept de Dieu. Elles sont donc, ou tout au moins
peuvent être, la négation de quelque chose ou plutôt de quelqu'un d'autre qui
ne correspond pas au vrai Dieu.
4. L'Avent — comme temps liturgique de
l'année ecclésiale — nous fait remonter aux débuts de la Révélation. Et c'est à
ces débuts, précisément, que nous trouvons aussitôt le lien fondamental de ces
deux réalités : Dieu et l'homme.
Prenant en main le premier livre de la Sainte
Ecriture, c'est-à-dire la Genèse, nous lisons les premiers mots : « Beresit
bara ! — Au commencement créa... ». Suit alors le nom de Dieu qui, dans la
Bible, se dit « Elohim ». Au commencement créa... et celui qui créa, c'est
Dieu. Ces trois mots : «
Beresit bara Elohim » constituent quasi le seuil de la Révélation. Au début du
livre de la Genèse Dieu est défini seulement par le nom d'« Elohim » ; d'autres
parties de ce livre adoptent également le nom de « Jahve ». Plus clairement
encore parle de Lui le verbe « créa ». De fait, ce verbe révèle Dieu, qui est
Dieu. Il exprime sa substance, moins en soi que par rapport au monde,
c'est-à-dire à l'ensemble des créatures sujettes aux lois du temps et de
l'espace. Le complément circonstanciel « au commencement » indique Dieu comme
Celui qui existe avant ce commencement, qui n'est limité ni par le temps ni par
l'espace et qui « crée », c'est-à-dire qui « donne origine » à tout ce qui
n'est pas Dieu, c'est-à-dire qui constitue le monde visible et invisible
(suivant la Genèse : le ciel et la terre). Dans ce contexte le verbe « créa »
dit avant tout de Dieu que Lui-même existe, qu'il EST, que Lui, il est la
plénitude de l'être, que cette plénitude se manifeste comme Toute-Puissance et
que cette Toute-Puissance est en même temps sagesse et Amour. Tout cela c'est
ce que la première phrase de la Sainte Ecriture nous dit de Dieu. De cette
manière, si nous nous référons aux débuts de la Révélation, en notre intellect
se forme le concept de Dieu.
II serait intéressant d'examiner les rapports
existants entre le concept de Dieu tel que nous le trouvons aux débuts de la
Révélation et celui que nous trouvons à la base de la pensée humaine (même dans
le cas de la négation de Dieu, c'est-à-dire de l'athéisme). Toutefois nous
n'entendons pas développer ce thème aujourd'hui.
5. Par contre, nous voulons constater qu'aux
débuts de la Révélation — dans le même livre de la Genèse — et ce, déjà au
premier chapitre, nous trouvons la vérité fondamentale au sujet de l'homme que
Dieu (Elohim) créa à « son image et à sa ressemblance ». Nous y lisons, en
effet : « Dieu dit : faisons l'homme à notre image, à notre ressemblance » (Gn
1, 26) et, plus loin, « Dieu créa l'homme à son image ; à l'image de Dieu le
créa » (Gn 1, 27).
Nous reviendrons mercredi prochain sur ce
problème de l'homme. Mais déjà aujourd'hui, nous devons signaler cette relation
particulière entre Dieu et son image, c'est-à-dire l'homme.
Cette relation nous éclaire sur les bases
mêmes du christianisme.
Elle nous permet également de donner une
réponse fondamentale à deux demandes : la première, que signifie « l'Avent » ?
La seconde : pourquoi précisément l'« Avent » fait-il partie de la substance
même du christianisme ?
Ces demandes, je les soumets à vos
réflexions. Nous y reviendrons lors de notre prochaine méditation et plus d'une
fois. La réalité de l'A vent est pleine de la vérité la plus profonde sur
l'homme et sur Dieu.
6 décembre 1978
Sœurs et Frères très chers,
Je reprends le thème de mercredi dernier.
1. Pour pénétrer, dans sa plénitude biblique et
liturgique, la signification de l’Avent, il est nécessaire de suivre deux
directions. Il faut « remonter » aux origines et, en même temps, « descendre »
en profondeur. Déjà, mercredi dernier, nous l'avons fait une première fois en
choisissant comme sujet de notre méditation les premiers mots du livre de la
Genèse : « Au commencement Dieu créa » (Beresit bara Elohim). Vers la fin du
thème traité l'autre semaine nous avons relevé notamment que pour comprendre.
l'Avent dans sa pleine signification il importait de pénétrer également le
thème de l’« homme ». La
pleine signification de l'Avent jaillit de la méditation sur la Réalité de Dieu
qui crée — et qui, en créant, se révèle Lui-même (ceci est la première et
fondamentale révélation et, également, la première et fondamentale vérité de
notre « Credo »). La pleine signification de l'Avent émerge également de la
réflexion profonde sur la réalité de l'homme. C'est de cette seconde réalité
qu'est l'homme que nous allons nous rapprocher un peu plus durant la méditation
de ce jour.
2. Il y a une semaine notre entretien a porté
sur les paroles du livre de la Genèse qui définissent l'homme « image et
ressemblance de Dieu ». Il est nécessaire de réfléchir de manière plus intense
sur les textes qui en parlent. Ils font partie du premier chapitre du livre de
la Genèse où la création du monde est décrite en une succession de sept jours.
La description de la création de l'homme, le sixième jour, diffère quelque peu
des descriptions précédentes. Avec celles-ci, nous sommes témoins seulement de
l'acte de création, exprimé par la phrase : « Dieu dit — soit... » ; par
contre, pour la création de l'homme l'auteur inspiré veut mettre d'abord en
évidence l'intention et le dessein du Créateur (de Dieu-Elohim) ; nous y lisons, en effet : «
Et Dieu dit : « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance » (Gn 1,
26). Comme si le Seigneur entrait en Lui-même ; non seulement comme si, en
créant, il appelait du néant à l'existence avec le mot : « soit », mais, comme
si, de manière particulière, il tirait l'homme du mystère de son propre être.
Ceci est compréhensible, car il ne s'agit pas seulement de l'Être, mais de
l'Image. L'image doit refléter, doit, d'une certaine façon, presque reproduire
« la substance » de son Prototype. Le Créateur dit en outre : « à notre
ressemblance ». Il est évident qu'il ne s'agit pas d'entendre cela comme un «
portrait », mais comme un être vivant, qui vit la vie ressemblant à celle de
Dieu.
Ce n'est qu'après
ces mots qui témoignent, pour ainsi dire, du dessein du Dieu-Créateur, que la
Bible parle de l'acte même de la création de l'homme :
« Dieu créa l'homme
à son image ; à l'image de Dieu, Il le créa ; homme et femme Il les créa » (Gn
1, 27).
Cette description
est complétée par la bénédiction. Il y a donc : le dessein, l'acte même de la
création et la bénédiction : « Dieu les bénit et leur dit : Soyez féconds et
multipliez-vous, remplissez la terre ; soumettez-la et régnez sur les poissons
de la mer et sur les oiseaux du ciel et sur tout être vivant qui rampe sur la
terre » (Gn 1, 28).
Les derniers mots
de la description : « Dieu vit ce qu'il avait fait, et voilà, c'était chose
très bonne » (Gn 1, 31) — semblent être l'écho de cette bénédiction.
3. Il est certain
que le texte de la Genèse est des plus anciens ; d'après les spécialistes de la
Bible, il a été rédigé vers le IXe
siècle avant
Jésus-Christ. Ce texte contient la vérité fondamentale de notre foi, le premier
article du Credo apostolique.
La partie du texte qui présente la création de l'homme est admirable pour sa
simplicité et, en même temps, pour sa profondeur. Les affirmations qu'elle
contient correspondent à notre expérience et à notre connaissance de l'homme.
Il est clair pour chacun, peu importe la manière idéologique de concevoir le
monde, que l'homme, tout en appartenant au monde visible, à la nature, se
différencie de quelque manière de cette nature même. En effet, le monde visible
existe « pour lui », et lui, il y exerce l'autorité ; et même si, de diverses
façons, il est « conditionné » par la nature, il la « domine ». Il la domine,
fort de ce qu'il est ; fort de ses capacités et de ses facultés d'ordre
spirituel qui le rendent différent du monde naturel. Ce sont proprement ces
facultés-là qui constituent l'homme. Le livre
de la Genèse est extrêmement précis sur ce point. En définissant l'homme «image
de Dieu» il met en évidence la raison pour laquelle l'homme est un homme ; la
raison pour laquelle il est un être distinct de toutes les autres créations du
monde visible.
On connaît les innombrables tentatives que la
science a faites — et continue à faire — dans ses différentes disciplines pour
établir les liens de l'homme avec le monde naturel et démontrer sa dépendance
de ce monde, allant jusqu'à l'insérer dans l'histoire de l'évolution des
différentes espèces. Tout en respectant de telles recherches, nous ne saurions
nous limiter à celles-ci. Si nous analysons l'homme au plus profond de son
être, nous constatons qu'il se différencie du monde de la nature plus qu'il n'y
ressemble. C'est dans ce sens que procèdent également l'anthropologie et la
philosophie quand elles cherchent à analyser et comprendre l'intelligence, la
liberté, la conscience et la spiritualité de l'homme. Le livre de la Genèse
semble devancer toutes ces expériences de la science et, parlant de l'homme
comme « image de Dieu », il fait entendre que la réponse au mystère de sa
nature humaine ne se trouve pas sur la voie de la ressemblance avec le monde de
la nature. L'homme ressemble plus à Dieu qu'à la nature. C'est dans ce sens que
le Psaume 82, 6 dit : « Vous êtes des dieux », les termes que Jésus reprendra
ensuite (cf. Jn 10, 34).
4. Cette affirmation est audacieuse. Il faut
avoir la foi pour l'accepter. Toutefois la raison, sans préjugés, ne s'oppose
pas à une semblable vérité sur l'homme ; au contraire elle y voit un complément
à ce qui ressort de l'analyse de la réalité humaine, et surtout de l'esprit
humain.
Il est extrêmement significatif que, dans la
longue description de la création de l'homme, déjà le livre de la Genèse
lui-même oblige l'homme — le premier homme créé, Adam — à faire une semblable
analyse. Ce que nous lisons peut scandaliser certains, à cause de l'archaïque
manière de s'exprimer, mais, -en même temps, lorsqu'on prend en considération
le nœud du problème, il est impossible de ne pas être émerveillé devant
l'actualité de ce récit.
Et voici le texte :
« Alors le Seigneur Dieu forma l'homme avec
le limon de la terre et insuffla dans ses narines un souffle de vie et l'homme
devint un être vivant. Puis le Seigneur Dieu implanta un jardin dans l'Eden, à
l'orient, et y plaça l'homme qu'il avait formé. Le Seigneur fit sortir du sol
toutes espèces d'arbres agréables à la vue et bons à manger, parmi lesquels
l'arbre de la vie au milieu du jardin, et l'arbre de la connaissance du bien et
du mal. Un fleuve jaillissait de l'Eden pour irriguer le jardin, puis de là il
se divisait et formait quatre cours d'eau...
Le Seigneur prit l'homme et le mit dans le
jardin d'Eden pour qu'il le cultivât et le gardât... Puis le Seigneur Dieu dit
: II n'est pas bon que l'homme soit seul : je veux lui donner une aide qui lui
soit semblable. Alors le Seigneur Dieu forma du limon toute espèce d'animaux
sauvages et tous les oiseaux du ciel, et il les mena à l'homme pour voir comment
il les aurait nommés : de la manière dont l'homme aurait appelé chacun de êtres
vivants, ce nom devait être le sien. Ainsi l'homme imposa un nom à tout le
bétail, à tous les oiseaux du ciel et à toutes les bêtes sauvages, mais l'homme
ne trouva pas une aide qui lui fût semblable » (Gn 2, 7-20).
De quoi sommes-nous témoins ? Voilà, le
premier « homme » accomplit le premier et fondamental acte de connaissance du
monde: En même temps cet acte lui permet de se connaître, de se distinguer
lui-même « l'homme » de toutes les autres créatures et surtout de celles qui,
comme « êtres vivants » — doués de vie végétative et sensitive — démontrent
proportionnellement la plus grande ressemblance avec lui, « avec l'homme », lui
aussi doué de vie végétative et sensitive. On pourrait dire que ce premier
homme fait ce que normalement fait tout homme de n'importe quelle époque :
c'est-à-dire qu'il réfléchit sur son propre être et se demande qui il est.
Le résultat du processus de cette recherche
est de se rendre compte de la différence totale et essentielle : je suis
différent. Je suis plus différent que semblable. La description biblique
conclut : « l'homme ne trouva aucune compagnie qui lui ressemblât » (Gn 2, 20).
5. Pourquoi parlons-nous aujourd'hui de tout
cela ? — Nous le faisons pour mieux comprendre le mystère de l'A vent, pour le
saisir, dès les fondements mêmes — et pénétrer ainsi le plus profondément
possible dans notre christianisme.
L'Avent signifie « la Venue ».
Si Dieu « vient » à l'homme, II le fait parce
qu'il a préparé dans son être humain une « dimension d'attente » qui permet à
l'homme d'« accueillir » Dieu, qui le rend capable de le faire.,
Le livre de la Genèse — surtout ce chapitre —
l'explique déjà quand, parlant de l'homme, il affirme que Dieu créa l'homme « à
son image» (Gn 1, 27).
Avec ma bénédiction apostolique.
13 décembre 1978
1. Pour la troisième fois dans nos rencontres
du mercredi je reprends le thème de l'Avent en suivant le rythme de la liturgie
qui, de la manière la plus simple, et en même temps la plus profonde, nous
introduit dans la vie de l'Eglise. Le Concile Vatican H qui nous a donné une
doctrine riche et universelle sur l'Église, a également attiré notre attention
sur la liturgie. Grâce à elle non seulement nous savons ce qu'est l'Eglise,
mais nous faisons aussi, jour après jour, l'expérience de ce dont elle vit.
Nous aussi nous en vivons parce que nous sommes l'Eglise : « La liturgie...
contribue au plus haut point à ce que les fidèles, par leur vie, expriment et
manifestent aux autres le mystère du Christ et la nature authentique de la
véritable Eglise. Car il appartient en propre à celle-ci d'être à la fois
humaine et divine, visible et riche de réalités invisibles, fervente dans
l'action et occupée à la contemplation, présente dans le monde et pourtant
étrangère (Constitution Sacrosanctum
Conciliant, n.2).
Maintenant, l'Eglise vit l'Avent. C'est
pourquoi nos rencontres du mercredi se concentrent sur cette période
liturgique. L'Avent signifie « Venue ». Pour pénétrer la réalité de l'Avent,
nous avons voulu regarder dans la direction de « qui vient et pour qui il
vient ». Nous avons donc parlé
d'un Dieu qui, en créant le monde, se révèle lui-même : d'un Dieu-Créateur. Et
mercredi dernier nous avons parlé de l'homme. Nous allons poursuivre
aujourd'hui pour trouver une réponse plus complète à la demande : pourquoi « l'Avent » ? Pourquoi Dieu
vient-il ? Pourquoi veut-il venir à l'homme ?
La liturgie de l'Avent est fondée
principalement sur les textes des Prophètes de l'Ancien Testament. Jour après
jour y parle le Prophète Isaïe. Dans l'histoire du Peuple de Dieu de l'Ancienne
Alliance, il était un « interprète » tout particulier de la promesse que ce
Peuple avait depuis longtemps reçue de Dieu en la personne de leur souche :
Abraham. Comme tous les autres prophètes, et peut-être même plus qu'eux, Isaïe,
renforçait chez ses contemporains la foi dans les promesses de Dieu, confirmées
par l'Alliance au pied du Mont Sinaï. 11 enseignait surtout la persévérance
dans l'attente et la fidélité :
« Peuple de Sion, le Seigneur viendra sauver les peuples et il fera
entendre sa voix puissante pour la joie de votre cœur » (cf. Is. 30, 19-30).
Lorsqu'il était sur la terre le Christ s'est référé plusieurs fois aux paroles
d'Isaïe. Il a dit clairement : « Aujourd'hui s'accomplit ce passagère
l'Ecriture que vous avez entendu de vos oreilles » (Le 4, 21).
2. La liturgie de l'Avent est de
caractère-historique. L'attente de la venue du « Oint » (Messie) fut un processus
historique. Elle a imprégné, en effet, toute l'histoire d'Israël qui fut élu
précisément pour préparer la venue du Sauveur.
Toutefois nos considérations dépassent d'une
certaine manière la liturgie quotidienne de l'Avent Revenons-en donc à la demande
fondamentale : pourquoi Dieu vient-il ? Pourquoi veut-il venir à l'homme, à l'humanité ? A cette demande nous
cherchons des réponses adéquates et nous les cherchons aux origines mêmes,
c'est-à-dire encore avant que commence l'histoire du Peuple Elu. Cette année,
nous voulons fixer l'attention sur les premiers chapitres du livre de la
Genèse. L'événement historique ne serait pas compréhensible sans une lecture et
une analyse approfondies de ces chapitres.
Si donc nous cherchons une réponse à la
demande : « pourquoi » l'Avent ? nous devons à nouveau relire attentivement
tout le récit de la création du monde et tout particulièrement la description
de la création de l'homme. Ce qui est significatif — et j'ai déjà eu l'occasion
de le signaler — c'est que le récit des divers jours de la création se termine
par la constatation : « Et Dieu vit que c'était quelque chose de bon », et
celui de la création de l'homme finit ainsi : « Et Dieu vit que c'était quelque
chose de très bon ». Cette
constatation s'unit, comme je l'ai dit la semaine dernière, à la bénédiction de
ce qui a été créé et surtout à une explicite bénédiction de l'homme.
Dans toute cette description, nous avons
devant nous un Dieu qui — pour employer l'expression de Saint Paul — met sa
joie dans la vérité, dans le bien (cf. 1 Co 13, 6). Où se trouve la joie qui
jaillit du bien, là il y a l'amour. Et c'est seulement là où existe l'amour
qu'il y a la joie qui vient du bien. Dès ses premiers chapitres, le livre de la
Genèse nous révèle le Dieu qui est Amour (bien que de cette expression Saint
Jean ne se servira que plus tard). Il est Amour, parce qu'il se réjouit du
bien. La création constitue donc en même temps une authentique donation : là où
il y a amour, il y a don.
Le livre de la Genèse nous renseigne sur le
début de l'existence du monde et de l'homme. L'interprétant nous devons, sans
aucun doute, comme l'a fait Saint Thomas d'Aquin, édifier une philosophie de
l'être logiquement appropriée, une philosophie qui exprime l'ordre même de
l'existence. Le livre de la Genèse parle toutefois de la création comme don.
Dieu qui créa le monde visible est un donateur ; et l'homme est celui qui
reçoit le don. Il est celui pour qui Dieu a créé le monde visible, celui que,
dès les origines, Dieu a introduit non seulement dans l'ordre de l'existence
mais également dans l'ordre de la donation. Le fait que l'homme soit « image et
ressemblance » de Dieu signifie
notamment qu'il est en mesure de recevoir le don, qu'il est sensible à ce don
et qu'il est capable de la réciproque. C'est précisément pour cela que dès les
origines Dieu a établi l'alliance avec l'homme et exclusivement avec lui. Le
livre de la Genèse nous révèle non seulement l'ordre naturel de l'existence,
mais en même temps, dés le début, l'ordre
surnaturel de la grâce. De
la grâce nous ne pouvons parler que si nous admettons la réalité du don.
Rappelons-nous le catéchisme « la grâce est le don surnaturel de Dieu grâce
auquel nous devenons fils de Dieu et héritiers du ciel ».
3. Quel rapport tout cela a-t-il avec l'A
vent ? pourrait-on se demander à juste titre. Je réponds : L'Avent s'est
annoncé pour la première fois à l'horizon de l'histoire lorsque Dieu s'est
révélé lui-même comme Celui qui se réjouit du bien, qui aime et qui donne. Dans
ce don fait à l'homme, Dieu ne s'est pas limité à « lui donner » le monde
visible — ceci est très clair dés le début — mais en donnant à l'homme le monde
visible, Dieu a voulu se donner également lui-même à l'homme, comme l'homme est
capable de se donner, comme il se donne lui-même à l'autre homme : de personne
à personne ; c'est-à-dire, se donner Lui-même à lui, en l'admettant à la
participation à ses mystères, mieux, à la participation à sa vie. Ceci se
réalise de manière tangible dans les relations familiales : entre mari et femme,
entre parents et enfants. Voilà pourquoi les prophètes se réfèrent souvent à de
telles relations pour montrer la véritable image de Dieu.
L'ordre de la grâce n'est possible que dans «
le monde des personnes ». Il concerne le don qui tend toujours à la formation
et à la communion des personnes ; en fait le livre de la Genèse nous présente
une pareille donation. La forme de cette « communion de personnes » y est
tracée dès le début. L'homme est appelé à la familiarité avec Dieu, à
l'intimité et à l'amitié avec Lui. Dieu veut lui être proche. Il veut le faire
participer à ses desseins. Il veut le faire participer à sa vie. Il veut le
rendre heureux de son propre bonheur (de son Etre lui-même).
Pour tout ceci est nécessaire la Venue de Dieu, et l'attente de
l'homme : la disponibilité de l'homme.
Nous savons que le premier homme qui
jouissait de l'innocence originelle et d'une particulière proximité avec son
Créateur, n'a pas fait preuve de cette disponibilité. Cette première alliance
de Dieu avec l'homme a été interrompue, mais la volonté de Dieu de sauver
l'homme n'a pas changé. L'ordre de la grâce ne s'est pas brisé et c'est
pourquoi l'Avent dure toujours.
La réalité de l'Avent est exprimée notamment
par Saint Paul quand il écrit que «Dieu...
veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance
de la vérité » (l Tm 2,4).
Ce « Dieu veut » est précisément l'Avent et
il se trouve à la base de tout événement.
S'adressant au groupe de malades
présents
Un salut et une bénédiction particulière aux
malades ici présents et à tous ceux qui souffrent. Ma pensée se tourne vers
tout endroit du monde où la douleur, physique ou morale, tourmente des êtres
humains.
En suivant les nouvelles quotidiennes, on
rencontre des drames et des souffrances qui étreignent le cœur. Aujourd'hui je
voudrais rappeler tout particulièrement ceux qui se trouvent dans l'affliction
à cause d'une forme de violence qui est devenue malheureusement tellement fréquente,
ces dernières années : celle des enlèvements de personnes.
C'est une plaie indigne de pays civilisés ;
elle est parvenue, hélas, à des formes de cruauté qui font horreur.
Au nom de Dieu je supplie les responsables
d'accepter de rendre la liberté à ceux qu'ils tiennent sous séquestre et je
leur rappelle que Dieu est vengeur des actions des hommes. Que le Seigneur
touche vraiment leur cœur et fasse triompher cette étincelle d'humanité qui ne
peut être absente de leur âme donnant ainsi une conclusion plausible à un acte
vivement déplorable.
20 décembre 1978
1. Notre rencontre d'aujourd'hui nous offre
l'occasion de méditer pour la quatrième et dernière fois sur l'A vent. Le
Seigneur est proche, la liturgie de l'Avent nous le rappelle chaque jour. Cette
proximité du Seigneur, nous la sentons tous : nous, les prêtres, en récitant
chaque jour les admirables « Grandes Antiennes » de l'Avent, comme tous les
chrétiens qui s'efforcent de préparer leurs cœurs et leurs consciences à sa
venue. Je sais que dans ma patrie, la Pologne, les confessionnaux sont pris
d'assaut pendant cette période, non moins que durant le Carême. Je pense qu'il
en est certainement de même en Italie et partout où un profond esprit de foi
fait éprouver le besoin d'ouvrir son âme au Seigneur qui va venir.
La joie la plus grande de cette attente de
l'Avent est celle que vivent les enfants. Je me rappelle que c'est proprement
eux qui se hâtaient le plus volontiers dans les paroisses de ma patrie, pour
participer à la messe qui se célèbre à l'aurore (appelée « Rorate » du mot par
lequel commence la liturgie : « Rorate coeli » — distillez, ô cieux..., Is 45,
8). Ils comptaient encore sur « l'échelle céleste » par laquelle Jésus allait
descendre sur la terre, et ce, pour le rencontrer à mi-nuit de Noël dans la
crèche de Bethléem.
Le Seigneur est proche !
2. Il y a une semaine nous avons déjà parlé
de cette proche venue du Seigneur. C'était en effet le troisième sujet des
considérations du mercredi, choisies pour l'Avent de cette année-ci. Nous
reportant aux origines mêmes de l'humanité, c'est-à-dire au livre de la Genèse,
nous avons médité successivement les vérités de l'Avent : Dieu qui crée (Elohim) et qui, dans
cette création se révèle simultanément Lui-même ; l’homme créé à l'image et à la ressemblance de Dieu, qui « reflète
» Dieu dans le monde visible créé. Ce furent là les premiers thèmes,
fondamentaux, de nos méditations durant l'Avent. Puis, le troisième thème qui
peut brièvement se résumer dans le mot « grâce
». « Dieu veut » que
tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité »
(1 Tm 2, 4). Dieu veut que l'homme participe à sa vérité, à son amour, à son
mystère, afin qu'il puisse prendre part à la vie de Dieu lui-même. « L'arbre de
la vie » symbolise cette réalité dès les premières pages de la Sainte Ecriture.
Mais dans les mêmes pages nous rencontrons aussi un autre arbre : le livre de
la Genèse l'appelle « l'arbre de la connaissance du bien et du mal » (Gn 2,
16). Pour que l'homme puisse manger le fruit de l'arbre de la vie, il devra
s'abstenir de toucher au fruit de l'arbre de « la connaissance du bien et du
mal ». Cette expression peut avoir le son d'une légende archaïque. Toutefois,
plus nous pénétrons « la réalité de l'homme », telle que son histoire terrestre
nous a permis de la comprendre — et comme nous en parle, à chacun de nous,
notre expérience humaine intime et notre conscience morale — et mieux nous nous
rendons compte qu'il est impossible de rester indifférents, haussant les
épaules devant ces images bibliques primitives. Combien grande est la charge de
vérités essentielles sur l'homme qu'elles contiennent ! Des vérités que chacun
de nous ressent comme nous appartenant en propre. Ovide, l'antique poète
romain, n'a-t-il pas dit de manière explicite : « Vidéo meliora proboque,
détériora sequor » — Je vois ce qu'il y a de meilleur et je l'approuve, mais je
suis le pire (Métamorphoses VII,
20). Ses paroles ne s'écartent pas beaucoup de ce qu'écrira plus tard Saint
Paul : « Vraiment, ce que je fais, je
ne le comprends pas : car je ne fais pas ce que je veux, mais je fais ce que je
hais » (Rm 7, 15). L'homme lui-même, après le péché d'Adam, se trouve entre «
le bien et le mal ». « La réalité de
l'homme » — la « réalité » de l'homme la plus profonde — semble se dérouler
entre celui qui, dès les origines a été défini comme « l'arbre de la vie » et
celui qui a été défini comme «
l'arbre de la connaissance du bien et du mal ». C'est pourquoi, de nos
méditations sur l'Avent qui concernent les lois fondamentales, les réalités
essentielles, nous ne pouvons exclure un autre thème : celui qu'exprimé le mot «péché».
3. Le péché. Le catéchisme nous dit de
manière simple et facile à retenir, que le péché est une transgression du
commandement de Dieu. Sans aucun doute, le péché est la transgression d'un
principe moral, la violation d'une « norme » — et sur ceci, tout le monde est
d'accord, même ceux qui ne veulent pas entendre parler de « commandements de
Dieu ». Ceux-ci, également, sont d'accord pour admettre que les principales
normes morales, les principes de comportements les plus élémentaires sans
lesquels la coexistence entre les hommes serait impossible, sont précisément
celles que nous connaissons comme « commandements de Dieu » (en particulier le
quatrième, le cinquième, le septième et le huitième). La vie de l'homme, la
coexistence entre les hommes, se déroulent dans une dimension éthique ; c'est
là leur caractéristique essentielle, et c'est aussi la dimension essentielle de
la culture humaine.
J'aimerais toutefois qu'aujourd'hui nous nous
concentrions sur ce « premier péché » qui — malgré ce qu'on en pense
généralement — est décrit dans le livre de la Genèse avec une précision si
grande qu'elle démontre toute la profondeur de la « réalité de l'homme » qui
s'y trouve. La tentation est exprimée par les paroles suivantes du tentateur :
« Dieu sait que si vous en mangiez, vos yeux s'ouvriraient et vous deviendriez
comme Dieu, connaissant le bien et le mal » (Gn 3, 5). Le contenu de la
tentation touche ce que le Créateur Lui-même a façonné dans l'homme — car, en
fait, il a été créé à la « ressemblance de Dieu », ce qui veut dire « comme
Dieu ». Il touche également le désir de la connaissance qui est dans l'homme,
ainsi que le désir de la dignité. Sauf que l'un et l'autre sont falsifiés, de
sorte que le désir de la connaissance comme celui de la dignité — c'est-à-dire
de la ressemblance à Dieu — sont utilisés, dans le geste de la tentation, pour
opposer l'homme à Dieu. Le tentateur met l'homme contre Dieu en lui suggérant
que Dieu est son adversaire, qu'il cherche à le maintenir, lui l'homme, dans un
état d'ignorance, qu'il cherche à le « limiter » pour le soumettre. Le
tentateur : « Vous ne mourrez pas du tout ! Au contraire Dieu sait que si vous
en mangiez, vos yeux s'ouvriraient et vous deviendriez comme Dieu, connaissant
le bien et le mal » (selon la traduction antique : « vous seriez comme des
dieux ») (Gn 3, 4-5).
Cette « archaïque » description, il faut la
méditer, et pas seulement une fois. Je ne sais si l'on peut trouver dans la
Sainte Ecriture d'autres passages où la réalité du péché est décrite dans sa
forme d'origine, mais aussi dans son essence, c'est-à-dire où la réalité du
péché est présentée dans des dimensions si pleines et profondes, établissant
comment l'homme s'est servi contre
Dieu de ce qu'en lui il y avait précisément de Dieu, c'est-à-dire de ce qui devait servir à le rapprocher de
Dieu.
4. Pourquoi parlons-nous aujourd'hui de tout
cela ? Pour mieux comprendre l’Avent. Avent veut dire : Dieu qui vient, parce
qu'il veut « que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance
de la vérité » (l Tm 2, 4). Il vient parce qu'il a créé le monde et l'homme par
amour et qu'il a établi avec lui l'ordre de la grâce.
Toutefois, il vient « à cause du péché » ;
il vient malgré le péché ;
il vient pour effacer le péché.
Ne nous étonnons donc pas si, la nuit de
Noël, Jésus ne trouve pas place dans une maison de Bethléem et doive naître
dans une étable (dans la grotte qui servait d'abri aux animaux).
Et donc le fait qu'il vient est d'autant plus important.
L'A vent de chaque année nous rappelle chaque
année que la grâce, c'est-à-dire la volonté de Dieu de sauver l'homme, est plus
puissante que le péché.
Avec ma bénédiction apostolique.
27 décembre 1978
1. Nous nous rencontrons durant la période
liturgique de Noël. Je désire donc que les paroles que je vais vous adresser
aujourd'hui s'accordent avec la joie de cette fête et de cette octave. Je
désire, en outre, qu'elles correspondent à cette simplicité et profondeur qui
de Noël rayonne sur nous tous.
Spontanément me revient à l'esprit le souvenir de mes sentiments et de mes
vicissitudes, à partir des années de mon enfance, en passant par les années
difficiles de ma jeunesse, la période de la seconde guerre, la guerre mondiale.
Puisse celle-ci ne plus jamais se répéter dans l'histoire de l'Europe et du
monde ! Et pourtant, même durant les pires années, Noël a toujours porté avec
soi quelque rayon. Et ce rayon
pénétrait également dans les plus rudes expériences de mépris de l'homme,
d'anéantissement de sa dignité, de cruauté. Il suffit, pour s'en rendre compte,
de prendre en main les « mémoires » des hommes qui sont passés par les prisons
ou les camps de concentration, par les fronts de la guerre, et par les
interrogatoires et les procès.
Ce rayon de la nuit de Noël, rayon de la
naissance de Dieu, n'est pas seulement un souvenir des lumières de l'arbre de
Noël, à côté de la crèche à la maison, dans la famille ou à l'église
paroissiale, mais il est quelque chose de plus. Il est la lueur la plus
profonde de l'humanité qui a reçu la visite de Dieu, l'humanité de nouveau
accueillie et assumée par Dieu lui-même ; assumée en le Fils de Marie dans
l'unité de la Personne Divine : le Fils-Verbe. La nature humaine assumée par le
Fils de Dieu en chacun de nous qui avons été adoptés dans la nouvelle union
avec le Père. Le rayonnement de ce mystère s'étend loin, très loin ; il atteint
également ces parties et ces milieux de l'existence de l'homme où toute pensée
sur Dieu a été quasi étouffée et semble absente comme si elle avait été brûlée
et totalement éteinte. Et voilà qu'avec la nuit de Noël point une lueur :
peut-être, malgré tout ?... Heureux ce « peut-être malgré tout »... il est déjà une lueur de foi et
d'espérance.
2. Lors de la fête de Noël, nous lisons à
propos des bergers de Bethléem qui, les premiers, furent appelés à la crèche
pour voir le Nouveau-né : « Ils vinrent donc en hâte et trouvèrent Marie,
Joseph et le Nouveau-né couché dans la crèche » (Lc 2, 16).
Arrêtons-nous à ce « trouvèrent ». Ce mot
indique la recherche. En effet,
les bergers de Bethléem, en commençant à se reposer au milieu de leur troupeau,
ne savaient pas que le temps
était venu où allait s'accomplir ce que depuis des siècles avaient annoncé les
prophètes de ce peuple auquel ils appartenaient eux-mêmes ; et que ce serait
arrivé précisément cette nuit-là, et dans les environs du lieu où ils faisaient
halte. Même après qu'ils se furent réveillés du sommeil dans lequel ils étaient
plongés, ils ne savaient pas ce qui était
arrivé, ni où c'était advenu.
Leur arrivée à la grotte de la Nativité était le résultat d'une recherche. Mais
en même temps ils avaient été conduits, ils étaient — comme on lit — guidés par
la voix et par la lumière. Et si nous remontons plus loin dans le passé, nous
les voyons guidés par la tradition de leur peuple, par son attente. Nous savons
en effet qu'Israël avait eu la promesse du Messie.
Et voici l’Evangéliste qui parle des simples,
des modestes, des pauvres d'Israël : des bergers qui, les premiers, l'ont
trouvé. Du reste, il en parle en toute simplicité, comme s'il s'agissait d'un
événement « extérieur » : ils ont
cherché où il pouvait être, et, finalement, ils ont trouvé. Ce « trouvèrent »
de Luc indique en même temps une dimension
intérieure : c'est-à-dire ce qui, en ces hommes, en ces simples bergers
de Bethléem, s'est accompli la nuit de Noël. « Ils trouvèrent Marie, Joseph et
le Nouveau-né couché dans la crèche », et puis : « les bergers s'en
retournèrent, glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu'ils avaient vu et
entendu, en accord avec ce qui leur avait été annoncé » (Lc 2, 16-20).
3. « Trouvèrent » indique « la recherche ».
L'homme est un être qui cherche. Toute son
histoire le confirme. Même la vie de chacun de nous en témoigne. Nombreux sont
les champs où l'homme cherche et recherche et puis trouve ; et parfois, après
avoir trouvé, il recommence à chercher. Parmi tous ces champs dans lesquels
l'homme se révèle comme un être qui
cherche, il en est un, plus profond. C'est celui qui pénètre le plus
intimement dans l'humanité même de l'être humain. Et c'est le plus lié au sens
de toute la vie humaine.
L'homme est l'être qui cherche Dieu.
Diverses sont les voies de cette recherche et
multiples les histoires des âmes humaines proprement sur ces voies. Celles-ci
semblent parfois très simples et proches. D'autres fois elles sont difficiles,
compliquées, lointaines. Parfois l'homme parvient facilement à son « eurêka » :
« j'ai trouvé ! ». Parfois il est en lutte avec les difficultés comme s'il ne
pouvait comprendre ni soi-même ni le monde, et surtout comme s'il ne pouvait
comprendre le mal qu'il y a dans le monde. On sait que même dans le contexte de
la Nativité ce mal a montré sa face menaçante.
De nombreux hommes ont décrit leur recherche
de Dieu sur le chemin de leur propre vie. Plus nombreux sont ceux qui se
taisent, considérant comme leur propre secret, le plus profond, le plus intime,
tout ce qu'ils ont vécu le long de cette voie : l'expérience qu'ils ont faite,
comment ils ont cherché, comment ils ont perdu la bonne direction et comment
ils l'ont retrouvée.
L'homme est l'être qui cherche Dieu.
Et même après l'avoir trouvé, il continue à le
chercher. Et s'il le cherche avec sincérité, il l'a déjà trouvé ; comme dans
une célèbre pensée de Pascal, Jésus dit à l'homme : « Console-toi, tu ne me
chercherais pas, si tu ne m'avais déjà trouvé » (Pascal, Pensées, 553 : Le mystère de Jésus).
C'est cela la vérité sur. l'homme.
On ne saurait la falsifier . On ne peut même
pas la détruire. Il faut la laisser à l'homme parce qu'elle le définit.
Que dire de l'athéisme, face à cette vérité ?
Il est nécessaire de dire énormément de choses, bien plus que ce qu'il est
possible d'insérer dans le cadre de mon bref discours. Mais il est au moins une
chose qu'il faut dire : il est indispensable d'appliquer un critère,
c'est-à-dire le critère de la liberté de l'esprit humain. L'athéisme est en
désaccord avec ce critère — un critère fondamental — aussi bien lorsqu'il nie à priori que l'homme est l'être qui
cherche Dieu, que lorsque, de diverses manières, il mutile cette recherche dans
la vie sociale, publique et culturelle. Une telle attitude est contraire aux
droits fondamentaux de l'homme.
4. Mais je ne veux pas m'attarder sur ceci.
Si je vous en parle c'est pour vous montrer toute la beauté et la dignité de la
recherche de Dieu.
Cette pensée m'a été suggérée par la fête de
Noël.
Comment le Christ est-il né ? Comment est-il
venu au monde ? Pourquoi est-il venu au monde ?
Il est venu au monde pour que les hommes
puissent le trouver : ceux qui le cherchent. De même que les bergers l'ont
trouvé dans la grotte de Bethléem.
Je dirais plus encore : Jésus est venu au
monde pour révéler toute la dignité, toute la noblesse de la recherche de Dieu
qui est le besoin le plus profond de l'âme humaine, et pour venir au-devant de
cette recherche.
22 octobre 1978
Célébration solennelle pour le
début du ministère du pape Jean Paul II
Le dimanche 22 octobre, de très
nombreuses délégations de pays, les représentants des Églises chrétiennes, une
foule estimée à 300000 personnes, ont pu assister à ce moment émouvant : le
pape Jean Paul II,
entouré des cardinaux, en
présence d'un grand nombre d'évêques et notamment de tout l'épiscopat polonais,
recevait le « pallium», signe de son pouvoir spirituel. Immédiatement
après la remise du pallium par le cardinal Pericle Felici, doyen des cardinaux
diacres, les cardinaux se sont présentés devant le Saint-Père.
Après la lecture de l'Évangile,
Jean Paul II
prononçait l'homélie en italien
dont nous publions ci-dessous la traduction. Il s'adressait en polonais à la
délégation de Pologne et aux Polonais en diaspora et prononçait quelques
phrases en français puis en une dizaine de langues.
1. « Tu es le Christ le Fils du Dieu Vivant »
(Mt 16, 16).
Ces paroles, c'est Simon, fils de Jonas, qui
les a prononcées dans la région de Césarée de Philippe. Oui, il les a exprimées
dans sa propre langue, avec une conviction profondément enracinée dans les
sentiments et dans la vie, mais ce n'est pas en lui qu'elles trouvaient leur
source, leur origine : «... car cette révélation t'est venue, non de la chair
et du sang, mais de mon Père-qui est dans les cieux » (Mt 16,17). C'étaient là des paroles de foi.
Elles marquent le commencement de la mission
de Pierre dans l'histoire du salut, dans l'histoire du Peuple de Dieu. Depuis
cette profession de foi, l'histoire sainte du salut et du Peuple de Dieu devait
acquérir une nouvelle dimension, s'exprimer dans la dimension historique de
l'Église. Cette dimension ecclésiale de l'histoire du Peuple de Dieu tire en
effet son origine de ces paroles de foi et est liée à l'homme qui les a
prononcées : « Tu es Pierre — le roc, la pierre, et sur toi comme sur une
pierre je construirai mon Église » (Mt 16, 18).
2. Aujourd'hui et en ce lieu, il faut que de
nouveau soient prononcées et écoutées les mêmes paroles : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu Vivant. »
Oui, Frères et Fils, ces paroles avant tout.
Leur contenu découvre à nos yeux le mystère
du Dieu Vivant, mystère que le Fils connaît et nous a rendu proche. Personne en
effet n'a rendu le Dieu vivant proche des hommes, personne ne l'a révélé comme
lui-même l'a fait. Dans notre connaissance de Dieu, dans notre chemin vers
Dieu, nous sommes totalement tributaires de la force de ces paroles : « Qui me
voit voit également le Père » (Jn 14, 9). Celui qui est infini, impossible à
scruter, impossible à exprimer, s'est fait proche de nous en Jésus-Christ, le
Fils unique né de la Vierge Marie, dans l’étable de Bethléem.
Vous tous qui avez déjà la chance de croire,
vous tous qui, jusqu'ici, cherchez Dieu, et vous aussi qui êtes tourmentés par
le doute : veuillez accueillir encore une fois, aujourd'hui et en ce lieu
sacré, les paroles prononcées par Simon Pierre. Ces paroles contiennent la
vérité nouvelle, bien plus, la vérité ultime et définitive sur l'homme : le
fils du Dieu vivant. « Tu es le Christ, le Fils du Dieu Vivant ! »
3. Aujourd'hui, le nouvel évêque de Rome
inaugure solennellement son ministère et la mission de Pierre. Dans cette
ville, en effet, Pierre a accompli et mené à son terme la mission que lui avait
confiée le Seigneur.
Le Seigneur s'adressa à lui en disant : « ...
quand tu étais plus jeune, tu mettais toi-même ta ceinture et tu allais où tu
voulais ; mais quand tu auras vieilli, tu étendras les mains, et un autre te
mettra ta ceinture et te mènera où tu ne voudrais pas » (Jn 21, 18).
Et Pierre est venu à Rome !
Qu'est-ce qui l'a guidé et conduit vers cette
ville, le cœur de l'Empire, sinon l'obéissance à l'inspiration reçue du
Seigneur ? Peut-être ce pêcheur de Galilée n'a-t-il pas voulu venir jusque là ?
peut-être aurait-il préféré rester là-bas, sur
les rives du lac de Génésareth, avec sa barque et ses filets ? Mais, conduit
par le Seigneur et obéissant à son inspiration, il est venu jusqu'ici.
Selon une vieille tradition (qui a trouvé une
belle expression littéraire dans un roman d'Henryl Sienkiewicz), pendant la
persécution de Néron, Pierre voulait quitter Rome. Mais le Seigneur est
intervenu ; il est venu à sa rencontre. Pierre s'adressa à lui et lui demanda :
« Quo vadis Domine ? » — « Où vas-tu, Seigneur ? » Et le Seigneur lui répondit
aussitôt : « Je vais à Rome pour être crucifié une seconde fois ». Pierre
retourna à Rome et il y est resté jusqu'à sa crucifixion.
Oui, Frères et Fils, Rome est le siège de
Pierre. Et sur ce siège de nouveaux évêques lui ont toujours succédé.
Aujourd'hui, un nouvel évêque accède à la chaire romaine de Pierre, un évêque
rempli de crainte, conscient de son indignité. Et comment ne pas craindre en
face de la grandeur d'un tel appel et en face de la mission universelle de ce
siège romain ?
Mais sur le siège de Pierre monte aujourd'hui
un évêque qui n'est pas romain. Un évêque qui est fils de la Pologne. Mais dès
cet instant, il devient lui aussi romain. Oui, romain ! Il l'est aussi parce
qu'il est fils d'une nation dont l'histoire, depuis ses plus lointaines
origines, dont les traditions millénaires sont marquées par un lien vivant avec
le siège de Pierre, fort, ininterrompu, profondément ancré dans les sentiments
et dans la vie, une nation qui est demeurée toujours fidèle à ce siège de Rome.
Oh, dessein inscrutable de la divine Providence !
4. Dans les siècles passés, lorsque le
successeur de Pierre prenait possession de son siège, on posait sur sa tête la
triple couronne, la tiare. Le dernier pape couronné fut Paul VI en 1963. Mais, une fois achevé le rite solennel de son
couronnement, il n'a plus jamais usé de la tiare et a laissé à ses successeurs
la liberté de prendre leur décision à ce sujet.
Le pape Jean Paul Ier, dont le souvenir est si vivant en nos cœurs, n'a pas voulu
de la triple couronne et aujourd'hui son successeur n'en veut pas davantage. En
effet, ce n'est pas le moment de revenir à un rite qui, peut-être injustement,
a été considéré comme symbole du pouvoir temporel des papes.
L'époque actuelle nous invite, nous pousse,
nous oblige à regarder le Seigneur et à nous regarder dans l'humble méditation
du mystère du pouvoir suprême du Christ.
Celui qui est né de la Vierge Marie, le fils
du charpentier — comme on avait coutume de
l'appeler — le fils du Dieu Vivant, comme l'a confessé l'apôtre Pierre,
est venu pour faire de nous tous « un royaume de prêtres » (Ap 1, 6).
Le Concile Vatican II nous a rappelé le mystère de ce pouvoir et le fait que la
mission du Christ, prêtre, prophète et maître, roi, continue dans l'Église.
Tout le Peuple de Dieu participe à cette triple mission. Et si autrefois on
déposait sur la tête du pape la triple couronne, c'était pour exprimer, à
travers ce symbole, que toute la hiérarchie de l'Église du Christ et tout le
pouvoir sacré exercé par elle, ne sont qu'un service, le service qui tend à un
unique but : la participation de tout le Peuple de Dieu à cette triple mission
du Christ et sa constante fidélité à demeurer sous le pouvoir du Seigneur,
lequel tire ses origines non des puissances de ce monde, mais du Père céleste
et du mystère de la Croix et de la Résurrection.
Le pouvoir absolu et pourtant très doux du
Seigneur, répond à ce qu'il y a de plus profond en l'homme, aux aspirations les
plus nobles de son intelligence, de sa volonté, de son cœur. Ce pouvoir ne
s'exprime pas en langage de force, mais dans la charité et la vérité.
Le nouveau successeur de Pierre sur le siège
de Rome élève aujourd'hui une prière fervente, humble et confiante : « O
Christ, fais que je puisse devenir et demeurer un serviteur de ton unique
pouvoir ! Un serviteur de ton pouvoir tout imprégné de douceur ! Un serviteur
de ton pouvoir qui ne connaît pas de déclin ! Fais que je puisse être un
serviteur ! Ou mieux, le serviteur de tes serviteurs ! »
5. Frères et Sœurs, n'ayez pas peur
d'accueillir le Christ et d'accepter son pouvoir !
Aidez le pape et tous ceux qui veulent servir
le Christ et, avec la puissance du Christ, servir l'homme et l'humanité entière
! N'ayez pas peur ! Ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes au Christ ! A sa puissance
salvatrice ouvrez les frontières des États, les systèmes économiques et
politiques, les immenses domaines de la culture, de la civilisation, du
développement. N'ayez pas peur ! Le Christ sait « ce qu'il y a dans l'homme » !
Et lui seul le sait !
Aujourd'hui, si souvent l'homme ignore ce
qu'il porte au-dedans de lui, dans les profondeurs de son esprit et de son
cœur. Si souvent il est incertain du sens de sa vie sur cette terre. Il est
envahi par le doute qui se transforme en désespoir. Permettez donc — je vous
prie, je vous implore avec humilité et confiance — permettez au Christ de
parler à l'homme. Lui seul a les paroles de vie, oui, de vie éternelle !
Aujourd'hui, justement, l'Église entière
célèbre sa Journée missionnaire mondiale, c'est-à-dire qu'elle prie, qu'elle
médite, qu'elle agit, pour que les paroles de vie du Christ parviennent à tous
les hommes et qu'ils les écoutent comme un message d'espérance, de salut, de
libération totale.
6. Je remercie tous ceux qui sont ici
présents et ont voulu participer à cette solennelle inauguration du ministère
du nouveau successeur de l'apôtre Pierre.
Je remercie cordialement les Chefs d'État,
les représentants des Autorités, les Délégations des Gouvernements pour leur
présence qui m'honore tant.
Merci à vous, chers cardinaux de la sainte
Église romaine !
Merci à vous, mes Frères bien aimés dans
l'épiscopat !
Merci à vous, chers prêtres !
Merci, Sœurs et Frères, religieuses et
religieux des ordres et des congrégations !
Merci à vous, Romains ! Merci à vous,
pèlerins venus du monde entier ! Merci enfin à tous ceux qui se sont unis à
cette cérémonie grâce à la radio et à la télévision !
7. (En
polonais) Je me tourne maintenant vers vous, mes chers compatriotes,
pèlerins de la Pologne, vers vous, les évêques mes frères, avec à votre tête
votre vénéré primat, vers vous, prêtres, sœurs et frères des congrégations
religieuses polonaises, vers vous, représentants de la « Pologne » dans le
monde entier.
Que puis-je vous dire à vous qui êtes venus
de ma cité de Cracovie, du siège de saint Stanislas dont je suis l'indigne
successeur depuis quatorze ans ? Que dire ? Tout ce que je pourrais dire serait
bien pâle au regard de ce que ressent en ce moment mon cœur et de ce que vous
éprouvez aussi dans vos cœurs.
Laissons donc tomber les paroles. Que reste
^seulement le grand silence devant Dieu, le silence qui se traduit en prière.
Je vous en prie, soyez avec moi ! A Jasna
Gora et partout. Ne cessez pas d'être avec le pape qui prie aujourd'hui avec
les paroles du poète : « Mère de Dieu qui défend la claire Czestochowa et qui
brille sur la "Porta Accuta" ! » Je vous adresse les mêmes paroles en
ce moment si particulier.
8. Ces paroles ont été un appel et une
invitation à prier pour le nouveau pape, appel exprimé en langue polonaise.
J'adresse le même appel à tous les fils et toutes les filles de l'Église
catholique. Souvenez-vous de moi aujourd'hui et toujours dans votre prière.
(Salutations en français,
anglais, allemand, espagnol, portugais, russe, tchécoslovaque, ukrainien,
lituanien.)
J'ouvre mon cœur à tous les frères des
Églises et des communautés chrétiennes, en vous saluant d'une façon
particulière, vous qui êtes ici présents et en attendant de vous rencontrer
personnellement tout prochainement. Mais dès maintenant, je vous exprime ma
vive satisfaction pour avoir voulu assister à cette cérémonie solennelle.
Et je m'adresse encore à tous les hommes, à
chaque homme (et avec quelle vénération l'apôtre du Christ ne devrait-il pas
prononcer cette parole : homme !), priez pour moi ! Aidez-moi, afin que je
puisse vous servir !
Amen.
La cérémonie se terminait vers 13 heures et
le pape gagnait alors ses appartements. Quelques instants plus tard, il se
présentait à sa fenêtre et adressait quelques paroles au nombreux public qui
était encore sur la place Saint-Pierre avant de réciter l'Angélus et donner sa
bénédiction apostolique.
29 octobre 1978
Le 29 octobre dernier, un
hélicoptère de l'Aéronautique militaire se posait, peu après 14 h 30, sur la
petite place où s'élève le sanctuaire mariai de la Mentorella. Jean Paul II descendit de l'appareil, immédiatement entouré, et serra toutes
les mains qui se tendaient vers lui. Il assista à la messe célébrée par
l'évêque de Tivoli, Mgr Giaquinta, puis il écouta le discours de bienvenue de
Mgr Giaquinta et, celui en polonais, du Provincial des pères
résurrectionnistes. La foule applaudit, ce qui fit dire au pape : « Je vois que
vous avez tous compris ». Il prononça un discours, dont voici la traduction :
Depuis l'inauguration du Concile Vatican II, j'ai eu plusieurs fois l'occasion de séjourner à Rome, soit
pour les travaux conciliaires, soit pour d'autres missions que m'avait confiées
le pape Paul VI.
A l'occasion de mes séjours à Rome, j'ai souvent
visité le sanctuaire de la Vierge de la Mentorella. Ce lieu, abrité entre les
montagnes, m'a tout particulièrement séduit. De là, on peut embrasser et
admirer le magnifique panorama du paysage italien. J'y suis venu également
quelques jours avant le récent conclave. Et si j'ai désiré d'y revenir encore
aujourd'hui, c'est pour diverses raisons que je vais vous exposer.
Toutefois je voudrais d'abord présenter des
excuses à mes collaborateurs, à l'administration communale et à tous ceux qui
se sont occupés de ce voyage aérien, parce qu'avec mon arrivée, je leur ai
imposé une corvée supplémentaire. En même temps, je salue cordialement tous les
habitants du proche Guadagnolo et des localités voisines qui se sont rassemblés
ici. Je salue les gardiens de ce sanctuaire, les Pères polonais de la
Résurrection, de même que le clergé des environs venu avec leur évêque,
Monseigneur Guglielmo Giaquinta.
Dans l'Évangile de saint Luc, nous lisons
qu'après l'Annonciation, Marie alla, à travers les montagnes, visiter Elisabeth,
sa parente. Arrivée à Ain-Karim, elle mit toute son âme dans les paroles du
Cantique que chaque jour l'Église rappelle dans les Vêpres : « Mon âme glorifie le Seigneur ». J'ai
désiré venir ici, entre ces montagnes pour chanter le Magnificat dans le sillage
de Marie.
Ceci est un lieu où, de manière toute
particulière, l'homme s'ouvre devant Dieu. Un lieu où, loin de tout, mais en
même temps tout près de la nature, on parle confidentiellement avec Dieu
lui-même. On entend, au plus intime de soi, ce qui est l'appel personnel de
l'homme. Et l'homme doit rendre gloire à Dieu Créateur et Rédempteur ; il doit
de quelque manière se faire la voix de toute la création pour dire en son nom :
« Magnificat ». Il doit
annoncer les « magnolia Dei », les
grandes œuvres de Dieu et, en même temps, s'exprimer lui-même dans cette
sublime relation avec Dieu, car dans le monde visible, il est le seul à pouvoir
le faire.
Durant mes séjours à Rome, ce lieu m'a
beaucoup aidé à prier. Et c'est pourquoi j'ai désiré venir ici. La prière qui,
de diverses manières, exprime les rapports de l'homme avec Dieu vivant, est
également la première tâche et quasi la première annonce du Pape, de même
qu'elle est la première condition de son service dans l'Église et dans le
monde.
Durant ce bref espace de temps qui s'est
écoulé depuis le 16 octobre j'ai eu la bonne fortune d'entendre, de la bouche
de personnes dignes de foi, des paroles qui confirment le réveil spirituel de
l'homme moderne. Ces paroles —et ceci est significatif—ont été prononcées
principalement par des laïcs, des personnalités qui occupent des charges
importantes dans la vie politique de divers pays et peuples. Bien des fois ils
ont parlé des besoins de l'esprit humain qui ne sont pas moindres que les
besoins du corps. En même temps ils ont indiqué, en premier lieu, l'Église
comme capable de satisfaire ces besoins.
Que ce que je dis, maintenant soit une
première et humble réponse à tout ce que j'ai entendu : l'Église prie, l'Église
veut prier, elle désire être au service du plus simple et être, en même temps,
un merveilleux don de l'esprit humain qui se réalise dans la prière. La prière
est en effet la première expression de la vérité intérieure de l'homme, la
première condition de la liberté de l'esprit.
L'Église prie et veut prier pour écouter la
voix intérieure de l'Esprit divin afin qu'il puisse lui-même, en nous, parler
avec les gémissements indicibles de toute la création. L'Église prie et veut
prier pour répondre aux besoins du plus intime de l'homme qui, parfois est
confiné et limité par les conditions et les contingences de la vie quotidienne,
par tout ce qui est temporel, par la faiblesse, par le péché, par le
découragement et par une vie qui semble sans signification. La prière donne un
sens à toute la vie, à chacun de ses moments, en toutes circonstances.
C'est pourquoi, comme Vicaire du Christ sur
la terre, le Pape désire avant tout s'unir à tous ceux qui, où qu'ils soient,
où qu'ils se trouvent tendent à l'union avec le Christ dans la prière. Comme un
bédouin dans la steppe, ou les carmes, ou les cisterciens dans leur profonde
clôture, ou le malade sur son lit d'hôpital dans les souffrances de l'agonie,
ou un homme au travail, dans la plénitude de la vie, ou des personnes
opprimées, humiliées... Partout.
La Mère du Christ alla vers la montagne pour
dire son « Magnificat ».
Que le Père, le Fils et l'Esprit Saint agréent la prière du
Pape en ce sanctuaire et accordent les dons de l'Esprit à tous ceux qui prient.
12 novembre 1978
Homélie du pape à Saint-Jean de Latran
Voici en traduction le discours
de Jean-Paul II
prononcé à l'occasion de la prise
de possession de sa cathédrale, la basilique Saint-Jean de Latran.
Chers Frères et Sœurs,
1. Voici venu le moment où le Pape Jean Paul II vient en la Basilique Saint-Jean de Latran prendre
possession de la Chaire d'Évêque de Rome. Je désire m'agenouiller en ce lieu et
baiser le seuil de ce temple qui, depuis de nombreux siècles est « demeure de
Dieu parmi les hommes » (Ac 21, 3) : Dieu-Sauveur parmi le peuple de la Ville
Éternelle : Rome. Avec tous ceux qui sont présents ici, je répète les paroles
du Psaume :
« Quelle joie quand ils me dirent : / Nous
irons à la maison du Seigneur. / Et maintenant mes pieds s'arrêtent / à tes
portes, Jérusalem ! / Jérusalem est construite / comme une ville solide et
compacte. / C'est là que montent ensemble les tribus, / les tribus du Seigneur,
/ selon la loi d'Israël / pour louer le nom du Seigneur. » (Os 122/121).
Ceci n'est-ce pas une image de l'événement présent
? Les anciennes générations montaient en ce
lieu : générations de Romains, générations d'Evêques de Rome,
Successeurs de saint Pierre, et elles chantaient cette hymne de joie que je
répète aujourd'hui avec vous. Je me joins à ces générations, moi, nouvel Évêque
de Rome, Jean Paul II, Polonais
d'origine. Je m'arrête sur le seuil de ce temple et je vous demande de
m'accueillir au nom du Seigneur. Je vous prie de m'accueillir de la même façon
que vous avez, au cours des siècles, accueilli mes prédécesseurs et comme, il y
a à peine quelques semaines, vous avez accueilli Jean Paul Ier, que le monde a si vivement aimé. Je vous prie de
m'accueillir, moi également.
2. En même temps je vous adresse à tous un
cordial salut. Je salue Messieurs les Cardinaux et mes frères dans l'épiscopat
qui ont voulu, participer à cette cérémonie et, en particulier, je te salue,
toi, cher Frère Cardinal-Vicaire, ainsi que Mgr le Vice-Gérant et les Évêques
auxiliaires de Rome ; et vous, bien-aimés Prêtres de mon Diocèse ; vous, Sœurs
et Frères des très nombreux Ordres et Congrégations religieuses. J'adresse un
respectueux salut aux autorités gouvernementales et civiles et une pensée
reconnaissante aux délégations ici présentes. Salut à vous tous, et ce « tous » signifie « chacun en particulier ».
Même si je ne prononce pas vos noms un à un, j'entends saluer également chacun
de vous en l'appelant par son nom ! Vous, Romains ! A combien de siècles
remonte-t-il, ce salut ? Il nous ramène aux difficiles débuts de la foi et de
l'Église ; cette Église, qui, précisément ici, en la capitale de l'antique
Empire, a surmonté pendant trois siècles l'épreuve du feu : une épreuve de vie.
Et elle en est sortie victorieuse. Gloire aux martyrs et aux confesseurs !
Gloire à Rome la Sainte ! Gloire aux Apôtres du Seigneur ! Gloire aux
catacombes et aux basiliques de la Ville Éternelle !
3. Quand on entre aujourd'hui en la Basilique
Saint-Jean de Latran, on a devant les yeux le moment où Marie franchit le seuil
de la maison de Zacharie pour saluer Elisabeth la mère de Jean. L'Évangéliste
écrit qu'à ce salut « l'enfant... tressaillit dans le sein de sa mère » (Lc 1,
41), et nombreux sont les Pères et les écrivains qui, depuis les temps les plus
reculés, ont ajouté que dès ce moment Jean reçut la grâce du Seigneur. C'est
pour cela que lui-même, le tout premier, l'a annoncé. Lui le premier, avec tout
le peuple d'Israël l'a attendu sur les rives du Jourdain. Et c'est lui qui l'a
manifesté au peuple avec ces mots : «
Voici l'Agneau de Dieu, celui qui efface le péché du monde » (Jn 1, 19).
Précisément, cette Basilique, dédiée à saint
Jean Baptiste ainsi qu'à saint Jean l'Évangéliste, est consacrée au
Saint-Sauveur. C'est comme si, aujourd'hui comme tout au long des siècles, nous
entendions encore résonner cette voix sur les rives du Jourdain. La voix du
Précurseur, la voix du Prophète, la voix de l’Ami, de l'Epoux. celui qui dit :
« II faut que lui grandisse et que moi, je
décroisse » (Jn 3, 30). Cette première confession de la foi dans le
Christ fut comme la clé qui ferme l'Ancienne Alliance et ouvre la Nouvelle
Alliance, temps d'accomplissement. Cette première confession fondamentale de la
foi en l'Agneau de Dieu qui efface les péchés du monde, les futurs Apôtres du
Christ l'avaient déjà entendue sur les rives du Jourdain. Et il est probable
que Simon Pierre, lui aussi, l'ait entendue. Ce qui lui permit, plus tard, au
début de la Nouvelle Alliance, de proclamer :
« Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16).
Il est donc juste que les successeurs de
Pierre viennent en ce lieu pour recevoir, comme un jour l'a reçue Pierre, la
confession de Jean : « Voici l'Agneau de Dieu » et la transférer dans la
nouvelle ère de l'Eglise : «Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant».
4. Dans le cadre de cette merveilleuse
rencontre du vieux et du neuf, je désire aujourd'hui, comme Évêque de Rome,
commencer mon ministère en faveur du Peuple de Dieu de cette Ville et de ce
Diocèse qui en raison de la mission de saint Pierre, est devenu le premier dans
la grande famille de l'Église, dans la famille des diocèses-frères. L'élément
essentiel de ce ministère est le commandement de la charité : ce commandement
qui fait de nous, hommes, les amis du Christ : « Vous êtes mes amis, si vous
faites ce que je vous commande » (Jn 15, 14). « Comme le Père m'a aimé, moi
aussi je vous ai aimés. Demeurez en mon amour » (Jn 15, 9).
O Ville Éternelle, ô chers Frères et Sœurs, ô
citoyens romains ! Votre nouvel Évêque désire surtout que nous demeurions en
l'amour du Christ, et que cet amour soit toujours plus fort que nos faiblesses.
Qu'il nous aide à modeler la face spirituelle de notre Communauté afin qu'en
présence de cet amour disparaissent les haines, les jalousies et toute malice
et toute perversité, dans les grandes choses comme dans les petites, dans les
questions sociales comme dans les questions interpersonnelles. Que l'amour soit
le plus fort ! Avec quelle joie, et en même temps avec quelle reconnaissance
j'ai suivi, ces derniers jours les nombreux épisodes (la télévision me les a rendus
proches) où, par suite de la carence dé personnel dans les hôpitaux, un grand
nombre de volontaires s'est offert, des adultes et, particulièrement des
jeunes, pour servir les malades avec sollicitude. Si la recherche de la justice
sociale est valable dans la vie professionnelle, d'autant plus vigilant doit
être l'amour social. Je désire donc, pour mon nouveau Diocèse, pour Rome, cet
amour que le Christ a voulu pour ses disciples.
L'amour construit, seul l'amour construit !
La haine détruit. La haine ne construit rien.
Elle peut seulement désagréger. Elle peut désorganiser la vie sociale, elle
peut, tout au plus, faire pression sur les faibles, sans rien édifier,
toutefois.
Pour Rome, pour mon nouveau Diocèse et, en
même temps, pour toute l'Église et pour le monde, je désire amour et justice.
Justice et afin nue nous ouïssions construire.
Au sujet de cette construction saint Paul
nous enseigne aujourd'hui (dans la seconde lecture), de même qu'il l'a enseigné
jadis dans son épître aux chrétiens d'Éphèse que : « C'est Lui (le Christ) qui
a donné aux uns d'être apôtres, à d'autres d'être prophètes, ou encore
évangélistes, ou bien pasteurs et docteurs... en vue de la construction du
Corps du Christ » (Ep 4, 11-12). Et moi, continuant cette pensée à la lumière
du Concile Vatican II, et me référant en
particulier au Décret sur l'Apostolat des Laïcs, j'ajouterai que le Christ nous
appelle pour que nous devenions pères, mères de famille, fils et filles,
médecins ingénieurs, avocats, techniciens, savants, éducateurs, étudiants,
élèves, quoi que ce soit. Chacun a sa place dans cette construction du Corps du
Christ, tout comme chacun a sa place et sa mission dans la construction du bien
commun des hommes, de la société, de la nation, de l'humanité. L'Église se construit
dans le monde. Elle se construit avec des hommes vivants. Au début de mon
service épiscopal, je demande à chacun de trouver et de définir sa propre place
dans l'œuvre de cette construction.
Je vous demande également, à vous tous
Romains, sans exception, à vous tous qui êtes ici présents et à tous ceux à qui
parvient la voix de votre nouvel Évêque : Allez en esprit sur la rive du
Jourdain, là où enseignait Jean Baptiste : Jean, précisément patron de cette
Basilique, cathédrale de Rome. Écoutez encore une fois ce qu'il a dit en
montrant Jésus :
« Voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui
efface le péché du monde ! ».
Voici le Sauveur !
Croyez en Lui d'une foi renouvelée, d'une foi
aussi fervente que celle des premiers chrétiens romains qui ont persévéré durant
trois siècles d'épreuves et de persécutions.
Croyez d'une foi renouvelée, tel qu'il est
nécessaire pour nous, chrétiens du second millénaire qui touche à sa fin :
croyez en le Christ, Sauveur du monde !
Amen.
19 novembre 1978
Jean Paul II aux élèves des Séminaires romains
Une
rencontre de prière entre les élèves des Séminaires romains et leur évêque.
Voilà ce que signifiait la concélébration présidée par le Saint-Père qui eut
lieu en la chapelle Pauline du Vatican, le dimanche 19 novembre. Après la
liturgie de la Parole, le pape a prononcé l'homélie dont voici la traduction :
1. Notre
rencontre d'aujourd'hui a le caractère d'une audience particulière. Et,
pourrait-on dire, d'une audience eucharistique. Nous ne la « faisons » pas,
mais nous la « célébrons ». C'est là une liturgie sacrée. Concélèbrent avec
moi, nouvel Évêque de Rome, et avec Monsieur le Cardinal-Vicaire, les
Supérieurs des Séminaires de ce diocèse et participent à cette Eucharistie les
élèves du Séminaire Romain, du Séminaire « Capranica » et du Séminaire Mineur.
L'évêque de Rome désire visiter ses
Séminaires, mais en attendant, c'est vous qui, aujourd'hui, êtes venus chez lui
pour cette audience sacrée !
La Sainte Messe est aussi une audience. La
comparaison est peut-être trop hardie, peut-être inconvenante, peut-être trop «
humaine » : permettez-moi toutefois de l’utiliser : elle est une des audiences
que le Christ accorde continuellement à toute l'humanité — qu'il accorde à une
communauté eucharistique déterminée — et à chacun de nous qui constituons cette
assemblée.
2. Durant l'audience, nous écoutons celui qui
parle. Et nous aussi nous cherchons à Lui parler de manière qu'il puisse nous
écouter.
Dans la liturgie eucharistique le Christ
parle avant tout avec toute la force de son Sacrifice. C'est un discours
extrêmement concis et en même temps brûlant. On peut dire de ce discours que
nous le connaissons par cœur ; et pourtant, chaque fois, il parait nouveau,
sacré, révélateur. Il renferme en soi tout le mystère de l'amour et de la
vérité, parce que la vérité vit de l'amour et l'amour de la vérité. Dieu qui
est Vérité et Amour, s'est manifesté dans l'histoire de la création et dans
l'histoire du salut. Cette histoire il la propose à nouveau moyennant ce sacrifice
rédempteur qu'il nous a transmis sous le signe sacramentel, afin que non
seulement nous le repensions dans le souvenir, mais le renouvelions, le
re-célébrions.
Chaque fois que nous célébrons le Sacrifice
Eucharistique nous sommes introduits dans le mystère de Dieu lui-même et,
également, dans toute la profondeur de la réalité humaine. L'Eucharistie est
annonce de mort et de résurrection. Le mystère pascal y est exprimé comme le
début d'un temps nouveau et comme attente finale.
C'est le Christ même qui parle, et nous, nous
ne cessons de l'écouter. Nous désirons sans cesse Sa force de salut qui est
devenue la « garantie » divine des paroles de vie éternelle.
Il a les paroles de vie éternelle (cf. Jn 6,
68).
3. Ce
que nous voulons Lui dire est toujours nôtre, parce que jailli de notre
expérience humaine, de nos désirs, mais aussi de nos angoisses. C'est souvent
un langage de souffrance mais aussi d'espérance. Nous lui parlons de
nous-mêmes, de tous ceux qui attendent de nous que nous les Lui rappelions.
Ce que nous disons, nous est inspiré par la
Parole de Dieu. La liturgie de la Parole précède la liturgie eucharistique. En
relation avec la Parole que nous avons entendue aujourd'hui, nous aurons
énormément à dire au Christ durant cette Audience Sacrée.
Nous voulons donc Lui parler avant tout de ce
talent particulier — et peut-être pas seulement un mais cinq — que nous avons
reçu : la vocation sacerdotale, l'invitation à prendre la voie du sacerdoce en
entrant au Séminaire. Chaque talent oblige. Et nous nous sentons d'autant plus
obligés par ce talent à ne pas le gaspiller, à ne pas « le cacher sous terre »,
mais à le faire fructifier ! Grâce à une préparation sérieuse, à l'étude, au
travail sur son propre ego, et
à une consciente formation de « l'homme nouveau » qui, se donnant sans réserve
au Christ dans le service sacerdotal, vécu dans le célibat, pourra devenir de
manière toute particulière un homme « pour autrui ».
Nous voulons également parler avec le Christ
de cette voie qui mène chacun de nous au sacerdoce, parler chacun de sa propre
vie. Dans celle-ci, tâchons de persévérer avec crainte de Dieu comme le
Psalmiste nous invite à le faire. Ceci est la voie qui nous fait sortir des
ténèbres pour nous conduire à la lumière, comme l'a écrit saint Paul. Nous
voulons être « fils de la lumière ». Nous voulons veiller, nous voulons être
modérés, sobres et responsables, pour nous et pour autrui.
Chacun de vous aura certainement encore
beaucoup d'autres choses à dire durant cette audience — chacun de vous, Supérieurs,
et chacun de vous, très chers élèves.
Et que dirai-je à Jésus, moi, votre nouvel
évêque ?
Avant tout, je désire Lui dire : je Te
remercie pour tous ceux que Tu m'as donnés. Je veux encore Lui dire (je le Lui
répète sans cesse) : la moisson est abondante ! Envoie des ouvriers pour ta
moisson.
Et je veux surtout Lui dire : garde-les dans
la vérité et accorde leur de mûrir à la grâce du sacrement du sacerdoce auquel
ils se préparent
Tout ceci je veux le Lui dire par
l'intermédiaire de Sa Mère que vous vénérez au séminaire Romain, en regardant
l'image de la « Vierge de la confiance » envers qui le serviteur de Dieu Jean XXIII était particulièrement dévot.
Je confie donc à cette Mère chacun de vous et
les trois Séminaires de mon Diocèse.
Amen.
26 novembre 1978
A l'occasion
de la fête du Christ-Roi de l'univers, Jean Paul II a tenu à rencontrer les
représentants du laïcat catholique du diocèse de Rome. Au cours de la
célébration eucharistique qui a eu lieu le 26 novembre dernier en la chapelle
Sixtine, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :
Je désire avant tout exprimer ma grande joie
pour notre rencontre d'aujourd'hui. Je remercie le cardinal-vicaire de Rome
qui, avec les évêques auxiliaires, a organisé cette rencontre à laquelle
participent les représentants de ce diocèse, premier dans l'Église, dont je
suis depuis peu, par la volonté du Christ, devenu l'évêque. Toutes les
organisations de l'apostolat des laïcs du diocèse de Rome sont ici présentes
dans la personne de leurs représentants accompagnés des assistants spirituels
des diverses organisations. Assumant mon service épiscopal à Rome après une
expérience de vingt années dans l'archidiocèse de Cracovie, je dois déclarer
avant tout que j'attribue une grande importance à l'apostolat des laïcs à
l'égard duquel, dans des circonstances bien différentes de celles que je trouve
ici, je me suis toujours efforcé de faire de mon mieux.
Un motif particulier de ma joie est le fait
que nous nous rencontrons le jour de la fête du Christ-Roi de l'univers qui,
parmi tous les jours de l'année liturgique, est probablement le plus adapté,
notamment à cause de certaines traditions, pour assumer le devoir de notre
collaboration.
Nous reprenons cette collaboration, chers
Frères et Sœurs, dans la célébration du Très Saint Sacrifice, pour retourner
ainsi au Cénacle qui est devenu, tant le Jeudi saint que le jour de la
Pentecôte, le lieu extraordinaire de « l'envoi des apôtres».
La parole divine de
la liturgie d'aujourd'hui, que nous écoutons avec la plus grande attention,
nous introduit dans la profondeur du mystère du Christ-Roi. Toutes les lectures
en parlent. Je désire attirer particulièrement votre attention sur les paroles
que saint Paul a adressées aux Corinthiens ; il fait la comparaison entre les
deux dimensions de l'existence humaine : celle qui provient de ce que nous
participons d'Adam et celle que nous obtenons dans le Christ.
L'homme participe
d'Adam et cela signifie désobéir : « Non serviam » — Je ne servirai pas !
Et c'est
précisément dans ce « non serviam » — je ne servirai pas ! que l'homme croit
percevoir le signal de sa libération et du défi de sa propre grandeur à la
mesure de Dieu. C'est ce qui est devenu la source du péché et de la mort. Et
nous sommes également témoin du fait que cet antique « je ne servirai pas »
entraîne une dépendance et un esclavage multiples de l'homme. C'est un sujet de
profonde analyse qu'il est difficile en ce moment de faire dans toute son
extension. Il faut que nous nous contentions d'une simple allusion.
Le Christ, le nouvel Adam est celui qui entre dans
l'histoire de l'homme précisément pour servir : Le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et
donner sa vie (Mt 20, 28) : en un certain sens, ceci est la définition
fondamentale de son royaume. Dans ce service selon le modèle du Christ, l'homme
retrouve sa pleine dignité, sa merveilleuse vocation, sa majesté. 11 vaut la
peine de rappeler ici ce que dit la Constitution dogmatique sur l'Église, Lumen gentium, au chapitre IV
consacré aux laïcs
dans l'Église et à leur apostolat : « Puisque le Christ Jésus, prêtre souverain
et éternel, veut continuer son témoignage et son service par les laïcs aussi,
il les vivifie par son Esprit et les pousse sans cesse à toute bonne œuvre et
parfaite. A ceux qu'il associe intimement à sa vie et à sa mission, il donne
aussi une part de sa fonction sacerdotale pour exercer un culte spirituel pour
la gloire de Dieu et le salut des hommes ... Ainsi les laïcs, agissant
saintement, partout comme adorateurs, consacrent à Dieu le monde lui-même » (Lg
34).
Servir Dieu veut
dire régner. Cette tâche qui exprime l'attitude du Christ lui-même et de ses
disciples, a pour effet de ruiner l'héritage du péché et d'inaugurer « le
royaume de vérité et de vie, un royaume de sainteté et de grâce, un royaume de
justice, d'amour et de paix » (Préface
pour la fête du Christ-Roi).
La liturgie
d'aujourd'hui nous montre pour ainsi dire deux étapes du « régner-servir ». La
première étape est la vie de l'Église sur la terre ; la seconde est celle du
jugement. Le véritable sens de la première étape devient compréhensible grâce à
celui de la seconde. Avant qu'il se présente devant chacun de nous et devant
nous tous comme Juge qui « séparera les brebis des boucs », le Fils de l'Homme
est toujours avec nous comme Pasteur qui prend soin de ses brebis. Cette
sollicitude même, il veut la partager avec nous, avec chacun de nous. Il veut
que son service devienne notre service au sens le plus large du terme. « Notre
service » ne signifie pas seulement celui des évêques, des prêtres, des
religieux, mais aussi, au sens le plus étendu du terme, celui des laïcs. De
tout le monde. Car ce service-sollicitude requiert la participation de tous. « J'ai
eu faim... j'ai eu soif ... j'étais un étranger... nu... malade...
prisonnier... persécuté» opprimé, angoissé, inconscient, plein de doute,
abandonné, menacé (peut-être même déjà dans le sein maternel). Il est immense
le cercle des besoins et des devoirs que nous devons entrevoir, que nous devons
placer devant nos yeux, si nous voulons être « solidaires avec le Christ ».
Car, en fin de compte, c'est bien de cela dont il s'agit : « Dans la mesure où
vous l'aurez fait au plus petit de mes frères, c'est à moi que vous l'aurez
fait » (Mt 25, 40). Le Christ est parti de l'homme. Et il l'est des deux côtés
: du côté de celui qui attend la sollicitude, le service et la charité ; et du
côté de celui qui prête le service, qui apporte la sollicitude et fait preuve d'amour.
Il existe donc un
grand espace pour notre solidarité avec le Christ, un grand espace pour
l'apostolat de tous, pour l'apostolat des laïcs en particulier. Une fois de
plus, malheureusement, il est impossible dans le cadre de cette brève homélie,
de soumettre ce sujet à une analyse plus détaillée. Toutefois les paroles de la
liturgie d'aujourd'hui nous incitent à les relire à nouveau, à les méditer, et
à mettre en pratique tout ce qui, avec de si vastes dimensions, est devenu
l'objet de l'enseignement du Concile au sujet de l'apostolat des laïcs. Il
semblait autrefois que le concept d'apostolat fut réservé presque uniquement à
ceux qui sont les successeurs « d'office » des apôtres et qui expriment et
garantissent l'apostolicité de l'Église. Le concile Vatican II
a fait savoir
combien grands sont les champs d'apostolat toujours accessibles aux laïcs. Et,
en même temps, il a de nouveau poussé à un tel
apostolat. Il suffit de reprendre une seule phrase du décret Apostolicam actuositatem qui, en un
certain sens, contient et résume tout : «La vocation chrétienne est... par
nature, vocation à l'apostolat » (ibid. 2)
Mes chers frères et sœurs, je vous exprime ma
joie toute particulière pour cette rencontre avec vous qui, de la vérité sur la
vocation chrétienne comprise comme l'appel à la vocation à 1 apostolat des
laïcs, avez fait, ici à Rome, le programme de votre vie. J en suis heureux, et
j'espère que vous me mettrez au courant de vos problèmes, que vous
m'introduirez dans les différents champs de votre activité. Je me réjouis
d'emprunter à mon tour ces voies sur lesquelles vous marchez déjà, de pouvoir
vous y accompagner et, également de vous guider comme votre évêque.
C'est précisément pour cela que je désirais
tant vous rencontrer en ce jour de la fête du Christ-Roi de l'Univers. Je
désire qu il vous reçoive lui-même. Peut-être a-t-il besoin d'entendre de nous
cette question que tant d'interlocuteurs divers lui ont adressée : « Que
dois-je faire ? » (Le 18, 18) : que devons-nous faire ?
Je rappellerai encore ce qu'à Cana en
Galilée, sa Mère dit aux servantes : «Tout ce qu'il vous dira, faites-le » (Jn
2, 5). Nous, nous tournons les yeux vers cette Mère ; l'espérance renaît en
nous, et nous répondons : « Nous sommes prêts !»
3 décembre 1978
A la « Garbatella »
Fidèle à l'habitude qu'il avait,
étant archevêque de Cracovie, de visiter les paroisses de son archidiocèse,
Jean Paul II,
évêque de Rome s'est rendu le 3
décembre dernier à l'église paroissiale Saint-François-Xavier de la
« Garbatella », dans la périphérie de Rome. Au cours de la messe qu'il y a
célébrée, le Saint-Père a prononcé en italien l'homélie dont voici la
traduction :
Très chers Frères et Sœurs,
1. Je suis ici pour visiter votre paroisse
consacrée à Saint François Xavier : je le fais avec une grande joie, une joie
très intime. Ceci est ma première visite à une paroisse du Diocèse de Rome que
le Christ m'a confié du fait de mon élection comme Evêque de Rome advenue le 16
octobre dernier à la suite du vote des Cardinaux réunis en Conclave. Lorsque
j'ai pris possession de la Basilique Saint-Jean de Latran, cathédrale de
l'Evêque de cette ville, j'ai dit qu'à ce moment j'entrais d'une certaine façon
dans toutes les paroisses du diocèse de Rome. Naturellement cette entrée dans
les paroisses de Rome, durant les cérémonies du 12 novembre au Latran se
faisait plutôt au niveau de l'intention. Les visites effectives aux paroisses
romaines doivent par contre se faire graduellement. J'espère que tous le
comprendront et seront indulgents avec moi, en considération de la quantité
énorme d'engagements liés à mon ministère.
C'est pour moi une grande joie de pouvoir,
comme première paroisse romaine, visiter précisément la vôtre à laquelle m'unit
un souvenir particulier. En effet, immédiatement après la guerre, durant mes
années d'étude à Rome, je venais presque chaque dimanche à la Garbatella pour donner mon aide
au service pastoral. Quelques-uns de ces moments vivent encore dans ma mémoire,
bien qu'en plus de trente ans pas mal de choses aient énormément changé ici.
2. Rome tout
entière a changé. A l'époque, il n'y avait que peu de bourgades. Aujourd'hui,
nous voici dans un grand quartier habité. Les immeubles occupent désormais tout
le terrain de la verte périphérie. Ils parlent eux-mêmes des gens qui les
habitent. Vous, chers paroissiens, vous êtes ces habitants. Vous êtes les
citadins de Rome et en même temps vous formez une communauté définie du Peuple
de Dieu. La paroisse est proprement une telle communauté. Elle l'est et le
devient toujours davantage grâce à l'Evangile, la Parole de Dieu qui vous est,
ici, annoncée régulièrement et également du fait qu'ici l'on vit la vie
sacramentelle. Venant aujourd'hui chez vous, au nom du Seigneur, je pense
surtout à ce que le Christ lui-même vous transmet par l'intermédiaire des
prêtres, vos pasteurs. Et non seulement par eux. Pensez à ce que le Christ
opère par votre intermédiaire, à vous tous.
3. A qui vont
principalement mes pensées ? A qui est-ce que je m'adresse ? Je m'adresse à
toutes les familles qui vivent dans cette communauté paroissiale et qui
constituent une partie de l'Eglise de Rome. Pour visiter les paroisses comme
partie de l’Eglise-Diocèse, il faut rejoindre toutes les églises domestiques,
c'est-à-dire toutes les familles ; c'est ainsi, en effet, que les Pères de
l'Eglise appelaient les familles. « Faites de votre maison une église »,
recommandait Saint Jean Chrysostome dans un sermon à ses fidèles. Et le
lendemain il répéta : « Quand, hier, je vous ai dit : faites de votre maison
une église des applaudissements de joie ont éclaté et vous avez manifesté de
manière éloquente qu'une grande joie avait inondé vos âmes lorsque vous avez
entendu ces paroles » (In Genesim Serm. VI,
2 ; VII,
1 : P. G. 54, 607 et suiv. ; cf. Lumen Gentium, 11 ; Apostolicam actuositatem, 11).
Aussi, me trouvant aujourd'hui parmi vous, devant cet autel, comme Evêque de
Rome, je me rends en esprit dans toutes les familles. Beaucoup de celles-ci
sont présentes ici ; je leur adresse un cordial salut ; mais, par la pensée et
le cœur je les recherche toutes.
Je dis à tous les
époux et aux parents, jeunes ou non : donnez-vous la main comme vous l'avez
fait le jour de vos noces en recevant le sacrement du mariage. Imaginez que
votre Evêque vous demande de nouveau aujourd'hui votre consentement et alors
vous, comme autrefois, vous prononcez les paroles de la promesse matrimoniale,
le serment de votre mariage.
Savez-vous pourquoi je le rappelle ? C'est
parce que de l'observance de ces engagements dépendent l'« église domestique »,
la qualité et la sainteté de la famille, l'éducation de vos fils. Tout cela, le
Christ vous l'a confié, très chers époux, le jour où, moyennant le ministère du
prêtre, il a uni vos vies pour toujours au moment où vous avez prononcé ces
mots qu'il ne faudra jamais oublier : «jusqu'à la mort ». Si vous vous les rappelez, si vous les observez, mes très
chers Frères et Sœurs, vous êtes également des apôtres du Christ et vous
contribuez à l'œuvre de salut (cf. Lumen
Gentium, 35, 41 ; Gaudium et
Spes, 52).
4. Maintenant c'est vers vous, les enfants,
et vers vous les jeunes, que se tourne ma pensée. Le Pape a pour vous une
particulière prédilection non seulement en raison de ce que vous représentez,
mais parce que vous êtes l'avenir de l'Eglise et donc l'avenir de votre
paroisse. Soyez profondément amis de Jésus et portez dans votre famille, à
l'école, dans votre quartier l'exemple de votre vie chrétienne, limpide et
joyeuse. Soyez toujours de jeunes chrétiens, vrais témoins de l'enseignement du
Christ. Mieux, soyez les messagers du Christ auprès de cette société
bouleversée qui plus que jamais a besoin de Lui. Annoncez à tous par l'exemple
de votre vie que seul le Christ est Je vrai salut de l'humanité.
5. Et dans cette visite, je m'adresse
également aux malades, à ceux qui souffrent, aux personnes seules, abandonnées
qui ont besoin de la compréhension, du sourire, de l'aide, de la solidarité de
leurs frères. En ce moment ma pensée va également vers tous les hôtes-malades,
médecins, personnel, aumôniers, sœurs — du grand hôpital qui se trouve dans le
cadre de la paroisse, le Centra
Traumatologico Ortopedico. A tous, mes affectueux encouragements et
l'assurance de mes prières.
6. Maintenant que nous avons, de la pensée et
du cœur, embrassé toute votre Communauté, je désire me consacrer à ceux qui,
dans cette communauté se sont plus spécialement donnés au Christ.
Je veux exprimer ma paternelle approbation
aux religieux qui vivent, prient et œuvrent au sein de cette populeuse
paroisse, les Filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul, qui se dévouent au
service des petits et des pauvres ; les Sœurs Servantes du Sanctuaire qui se
consacrent à l'apostolat de l'école ; les Sœurs Disciples de Jésus-Eucharistie
qui unissent à l'adoration continuelle de Jésus Eucharistie, l'effort
d'éducation des jeunes ; les Clarisses Capucines qui depuis quatre cents ans,
dans le silence et la pauvreté, prient et s'offrent pour l'Eglise et pour le
monde.
Merci, merci, très chères Sœurs ! Que Jésus
votre Epoux vous récompense pour le bien que vous faites. Continuez à servir le
Christ « dans la joie », avec une généreuse et intense constance.
7. Les dernières paroles, c'est à vous que je
les adresse, chers Frères Prêtres, à vous cher Curé et à tous vos
collaborateurs. J'ai déjà eu. l'occasion de vous rencontrer et nous avons pu
réfléchir ensemble sur les problèmes de votre paroisse. Je vous remercie
vivement pour votre collaboration avec moi, avec le Cardinal-Vicaire de Rome,
avec l'Evêque Auxiliaire de votre secteur. Le Christ lui-même vient et vit dans
cette communauté, enseigne, sanctifie, absout et, surtout, de tous et de tout,
il fait don au Père comme le dit la troisième Prière Eucharistique. Ne vous
lassez jamais de travailler pour le Maître. Que parvienne à tous, grâce à vous,
la voix de l'Avent qui résonne aussi claire dans la parole de l'Evangile : «
Veillez ! ».
8. Votre paroisse célèbre aujourd'hui la fête
de son Patron : Saint François Xavier, apôtre de l'Extrême-Orient, missionnaire
et patron des missions. Il eut d'immenses mérites pour cette seule cause : porter l'avent du Christ dans le
cœur de ceux qui n'ont pas encore été touchés par son Evangile. Votre paroisse
entend suivre son patron et célèbre aujourd'hui sa journée missionnaire.
Puisse la Parole de Dieu gagner tous les
confins de la terre ! Puisse-t-elle trouver le chemin de chaque cœur humain !
Voici la prière qu'en union avec vous, moi,
votre Evêque, j'élève par l'intercession de Saint François Xavier : « Viens Seigneur
Jésus, Maranatha ! ».
Amen !
8 décembre 1978
L'homélie à Sainte-Marie-Majeure
Jean Paul II
a consacré l'après-midi du 8 décembre, fête de l'Immaculée Conception au
traditionnel pèlerinage place d'Espagne où se dresse la statue de l'Immaculée,
puis à une célébration eucharistique en la basilique Sainte-Marie-Majeure, où
se trouve l'image de la Vierge « Salus Populi Romani ». Après la liturgie
de la Parole, le Saint-Père a prononcé en italien l'homélie dont voici la
traduction :
1. Au moment où, pour la première fois comme
Evêque de Rome, je franchis aujourd'hui le seuil de la Basilique
Sainte-Marie-Majeure, je revois l'événement que j'ai vécu ici, en ce même lieu,
le 21 novembre 1964. C'était au moment où se concluait la troisième session du
Concile Vatican II, après la
proclamation de la Constitution dogmatique sur l'Eglise qui commence par les
mots : Lumen Gentium (Lumière
des nations). Ce jour-là le Pape Paul VI avait
invité les Pères Conciliaires à se trouver précisément ici, dans le temple
mariai le plus ancien de Rome, pour exprimer leur joie et leur gratitude pour
l'œuvre terminée ce jour-là.
La Constitution Lumen Gentium est le principal document du Concile, document «
clé » de l'Eglise de notre époque, pierre angulaire de toute l'œuvre de
renouvellement que Vatican II a entreprise et
dont il a donné les directives.
Le dernier chapitre de cette Constitution a
pour titre : « La Bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu, dans le mystère du
Christ et de l'Eglise ». Parlant ce matin-là en la basilique Saint-Pierre, Paul
VI, la pensée fixée sur l'importance de la doctrine exprimée
dans le dernier chapitre de la Constitution Lumen Gentium, appela pour la première fois Marie « Mère de
l'Eglise ». Il l'appela ainsi de manière solennelle, et il commença à l'appeler
par ce nom, par ce titre, mais surtout à l'invoquer pour qu'elle participât
comme Mère à la vie de l'Eglise : de cette Eglise qui, durant le Concile, a
pris conscience plus profondément de sa propre nature et de sa propre mission.
Pour donner un plus grand relief à cette expression, Paul VI est venu, avec les Pères Conciliaires, ici-même, en la
basilique Sainte-Marie-Majeure où, depuis de nombreux siècles, Marie est
entourée de vénération et d'amour tout particulier, sous le titre de « Salus
Populi Romani ».
2. Suivant les traces de ce grand
Prédécesseur qui fut pour moi un véritable Père, moi aussi je viens ici. Après
l'acte solennel, Place d'Espagne, dont la tradition remonte à 1856, je viens ici
pour répondre à une cordiale invitation que m'ont adressée le Cardinal
Confalonieri, Doyen du Sacré Collège, Archiprêtre de cette Basilique et tout le
Chapitre.
Mais je pense qu'avec lui m'ont invité tous
mes prédécesseurs sur la Chaire de Pierre : le Serviteur de Dieu Pie XII, le Serviteur de Dieu Pie IX, toutes les générations de Romains ; toutes les générations
de chrétiens et tout le Peuple de Dieu. Ils semblent dire : Va ! Honore le
grand mystère caché de toute éternité en Dieu lui-même. Va et rends témoignage
au Christ notre Sauveur, Fils de Marie ! Va et annonce ce moment particulier,
ce moment qui marque un tournant dans l'histoire du salut de l'homme!
Ce point décisif dans l'histoire du salut est
précisément l’« Immaculée
Conception ». Dans son éternel amour, Dieu a, de toute éternité, choisi l'homme
: il l'a choisi dans son Fils. Dieu a choisi l'homme pour qu'il puisse
atteindre la plénitude du bien, moyennant la participation à sa vie même : Vie
divine au moyen de la grâce. Il l'a choisi de toute éternité, et
irréversiblement. Ni le péché originel, ni toute l'histoire des fautes
personnelles et des péchés sociaux n'ont pu détourner le Père éternel de son
plan d'amour. Rien n'a pu annuler le choix qu'il fit de nous dans le Fils
éternel, Verbe consubstantiel au Père. Car ce choix devait prendre forme dans
l'Incarnation et comme il fallait pour notre salut que le Fils de Dieu se fasse
homme, c'est précisément pour cela que le Père éternel a choisi pour lui la
Mère parmi les hommes. Chacun de nous devient homme parce que conçu et né du
sein maternel. Le Père éternel a choisi la même voie pour l'humanité de son
Fils éternel. Il a choisi sa Mère parmi le peuple auquel depuis des siècles il
confiait, de manière particulière, ses mystères et ses promesses. Il l'a
choisie dans la lignée de David et en même temps parmi toute l'humanité. Il l'a
choisie de souche royale, mais en même temps parmi les gens pauvres.
Il l'a choisie dès le début, dès le premier
moment de sa conception, la rendant digne de la maternité divine à laquelle
elle serait appelée au moment voulu. Il l'a faite première héritière de la
sainteté de son propre Fils. Première parmi tous ceux qui recevront leur
rédemption du sang de son Fils, reçu d'elle, humainement parlant II l'a rendue
immaculée au moment même où elle fut conçue.
L'Eglise tout entière contemple aujourd'hui
le mystère de l'Immaculée Conception et s'en réjouit. Celle-ci est une journée
particulière du temps de l'Avent.
3. L'Eglise Romaine exulte devant ce mystère,
et moi, comme nouvel Evêque de cette Eglise, je participe pour la première fois
à cette joie. C'est pourquoi je désirais tant venir ici, en ce temps où, depuis
des siècles Marie est vénérée comme « Salus Populi Romani ». Ce titre, cette
invocation ne nous disent-ils pas que le salut (salus) est devenu de manière particulière l'héritage du Peuple
Romain (Populi Romani) ? N'est-ce pas là le salut que le Christ nous a porté et
nous porte continuellement ? Lui seul ? Et sa Mère, qui précisément parce que
sa Mère a été, par Lui rachetée de manière exceptionnelle, « plus éminente »
(Paul VI, Credo), n'est-ce pas également Elle
que Lui, son Fils, a appelée de la manière la plus explicite, en même temps
simple et puissante, à participer au salut des hommes, du Peuple Romain, de l'humanité
toute entière. Pour les conduire tous au Rédempteur. Pour Lui rendre
témoignage, même sans paroles, seulement avec l'amour dans lequel s'exprime «
le génie de la Mère ». Pour rapprocher de lui même ceux qui opposent le plus de
résistance, ceux pour lesquels il est difficile de croire à l'amour ; qui
considèrent le monde comme une grande « arène de lutte de tous contre tous »
(selon l'expression d'un des philosophes du passé). Pour rapprocher tous les
hommes — c'est-à-dire chacun des hommes — de son Fils. Pour révéler la primauté
de l'amour dans l'histoire de l'homme. Pour annoncer la victoire finale de
l'amour. L'Eglise, ne pense-t-elle pas à cette victoire lorsqu'elle nous
rappelle aujourd'hui les paroles du livre de la Genèse : « Celle-là (la lignée
de la femme) écrasera la tête du serpent » (cf. Gn 3, 15) ?
4. « Salus Populi Romani » !
Le nouvel Evêque de Rome franchit aujourd'hui
le seuil du temple mariai de la Cité Eternelle, conscient de la lutte contre le
bien et le mal qui envahit le cœur de tout homme, qui se passe dans l'histoire
de l'humanité et aussi dans l'âme du « peuple romain ». Voici ce que le dernier
Concile dit à cet égard : « Un dur combat contre les puissances des ténèbres
passe à travers toute l'histoire des hommes ; commencé dès les origines, il
durera, le Seigneur nous l'a dit, jusqu'au dernier jour. Engagé dans cette
bataille, l'homme doit sans cesse combattre pour s'attacher au bien ; et ce
n'est qu'au prix de grands efforts, avec la grâce de Dieu, qu'il parvient à
réaliser son unité intérieure » (Gaudium
et Spes, 37).
Et c'est pourquoi, au début de son service
épiscopal sur la Chaire de Pierre, à Rome, le pape désire confier de manière
toute particulière l'Église à Celle en qui s'est accomplie la merveilleuse et
totale victoire du bien sur le mal, de l'amour sur la haine, de la grâce sur le
péché ; à Celle dont Paul VI a dit qu'Elle est
« le commencement du monde meilleur ». Il se confie lui-même à Elle, comme
serviteur des serviteurs et lui confie tous ceux qu'il sert, et tous ceux qui
servent avec lui. Il lui confie l'Église romaine comme gage et principe de
toutes les Églises du monde, dans leur unité universelle. Je la lui confie et
la lui offre comme propriété !
« Totus Tuus ego sum et omnia mea Tua sunt.
Accipio Te in mea omnia ! » (Je suis tout à Toi et tout ce que j'ai est tien.
Sois mon guide en tout).
Avec cet acte d'offrande, simple et en même
temps solennel, l'évêque de Rome, Jean Paul II désire
encore une fois réaffirmer qu'il est au service du peuple de Dieu et que ce
service ne peut être que l'humble imitation du Christ et de Celle qui a dit : «
Me voici, je suis la servante du Seigneur » (Lc 1, 38).
Que cet acte soit un signe d'espérance comme
est signe d'espérance le jour de l'Immaculée Conception dans le cadre de tous
les jours de notre Avent.
10 décembre 1978
Le Pape visite
« sa paroisse » au Vatican
La cité du Vatican a son église paroissiale, l'Église
Sainte-Anne, une des églises mineures qui entourent la basilique Saint-Pierre.
Elle a notamment le privilège de comprendre dans son « territoire » les deux plus célèbres chapelles du monde :
les chapelles Sixtine et Pauline. L'église Sainte-Anne riche en œuvres d'art,
bâtie vers la fin du XVe siècle a reçu de Pie XI, au lendemain du pacte du Latran en 1929, le titre et les
fonctions d'église paroissiale, chargée des soins pastoraux des quelques
centaines d'habitants du petit état pontifical. Jean Paul II est venu, le 10
décembre, célébrer la messe dans sa paroisse. Après la lecture de l'Évangile,
il a prononcé l'homélie. En voici la traduction :
l.«Vobis... sum episcopus, vobiscum sum
christianus » (« Pour vous je suis évêque, avec vous je suis chrétien ») : ces
paroles de Saint Augustin ont trouvé un grand écho dans les textes du Concile
Vatican II, dans son
Magistère. Elles me viennent à l'esprit, précisément aujourd'hui que je visite
la paroisse Sainte-Anne, paroisse de la Cité du Vatican. Celle-ci est, en effet
ma paroisse. J'ai ma résidence stable sur son territoire, comme mes vénérés
Prédécesseurs et, également, comme vous, vénérables Frères Cardinaux,
Archevêques, Evêques, Prêtres et vous, chers Frères et Sœurs, mes
co-paroissiens. Ici, dans cette église nous pouvons répéter de manière toute
particulière les paroles que Saint Augustin adressa à ses fidèles lors de
l'anniversaire de son ordination épiscopale : « Mais vous aussi vous me
soutenez, parce que selon le commandement de l'Apôtre nous portons les fardeaux
les uns des autres et nous accomplissons ainsi la loi du Seigneur (Ga 6, 2)...
Si m'effraie ce que je suis pour vous, ce que je suis avec vous me console. Car
pour vous je suis évêque, avec vous je suis chrétien. L'un est un nom de
fonction, l'autre de grâce ; celui-là est un nom de péril, celui-ci un nom de
salut » (Sermo 340, 1 ; PL 38, 1483).
En effet, la vérité que nous sommes chrétiens
chacun de nous — Vous, vénérables et chers Frères et moi — est la source
première de notre joie, de notre noble et serein orgueil, de notre union et
communion.
« Chrétien » : quel sens a ce terme, et
quelle richesse il contient ! C'est à Antioche que, pour la première fois, les
disciples ont été appelés « chrétiens » ; nous le lisons dans les Actes des Apôtres, là où se trouvent
décrits les événements qui, à l'époque apostolique, se déroulèrent dans cette
ville. « Chrétiens », ce sont
ceux qui ont reçu le nom du Christ ; ceux qui portent en eux son mystère ; ceux
qui lui appartiennent de toute leur humanité ; ceux qui, en pleine conscience
et liberté, « acceptent » que le Christ imprègne leur être humain de la dignité
des fils de Dieu. Chrétiens !
La paroisse est une communauté de chrétiens.
Une communauté fondamentale.
2. Notre paroisse vaticane est dédiée à
Sainte Anne. Comme on le sait, c'est notre Prédécesseur Pie XI qui, avec la Constitution Apostolique Ex Lateranensi pacta, du 30 mai 1929,
a donné une physionomie religieuse particulière à la Cité du Vatican ;
l'Évêque-Sacriste, une charge qui dès 1352 avait été confiée par Clément VI à l'Ordre des Augustins, fut nommé Vicaire Général du
Vatican ; l'église Sainte-Anne, au service de laquelle se dévouaient les Pères
Augustins, fut érigée en église paroissiale. Puis, par le Motu Proprio Pontificalis Domus du 28 mars 1968,
Sa Sainteté Paul VI, de vénérée
mémoire, abolissait le titre de Sacriste, laissant toutefois intacte la
fonction qui fut maintenue sous la dénomination de « Vicaire Général de Sa
Sainteté pour la Cité du Vatican ».
Je désire donc adresser un salut paternel et
affectueux à mon Vicaire Général et à ses collaborateurs immédiats ; au Curé ;
aux très zélés Pères qui témoignent d'un admirable dévouement dans la direction
pastorale de la paroisse et pour le plus grand bien des diverses Chapelles du
Vatican ; aux autres religieux et religieuses qui accomplissent leur laborieux
et méritoire service en faveur du Saint-Siège ; à tous les paroissiens et
paroissiennes de cette communauté particulière.
3. J'avais tant désiré visiter « ma paroisse
» dès les débuts de mon Pontificat, comme une des premières parmi les paroisses
du Diocèse de Rome ! Je suis heureux que cela se réalise précisément pendant le
temps de l'Avent.
La figure de Sainte Anne nous rappelle en
effet la maison paternelle de Marie, Mère du Christ C'est là que Marie est
venue au monde, portant en elle-même cet extraordinaire mystère de l'immaculée
conception. C'est là qu'elle fut entourée de l'amour et de la sollicitude de
ses parents, Joachim et Anne. Elle y apprit de sa mère, précisément Sainte
Anne, comment être mère. Et bien qu'elle eut, du point de vue humain, renoncé à
la maternité, le Père Céleste, acceptant son don total, la gratifia de la
maternité la plus parfaite et la plus sainte. Du haut de la Croix, le Christ
transféra, dans un certain sens, la maternité de sa mère à son disciple
préféré, et, pareillement, il l'étendit à toute l'Eglise, à tous les hommes.
Quand, donc, comme « héritiers de la promesse » (cf. Ga 4,28-31) nous nous
trouvons dans le rayon de cette maternité et quand nous ressentons sa sainte
profondeur et plénitude, nous pensons alors que ce fut proprement Sainte Anne
qui, la première, enseigna à Marie, sa Fille, comment être Mère.
« Anne «signifie en Hébreu : « Dieu (sujet
sous-entendu) a fait grâce ». Pensant à cette signification du nom de Sainte
Anne, Saint Jean Damascène s'était écrié : « Comme il devait advenir que la
vierge Mère de Dieu naquit d'Anne, la nature n'osa pas précéder le germe de la
grâce, pour que la grâce produise le sien. Devait naître en effet cette
première-née dont serait né le premier-né de toute créature » (Serm. VI, De
nat. B.M.V., 2 ; PG 96, 663).
Tandis que nous sommes, aujourd'hui, venus
ici, nous tous paroissiens de Saint-Anne-au-Vatican, nous tournons nos cœurs
vers elle et, par son intermédiaire, à Marie, Fille et Mère nous répétons
: « Montre-toi Mère pour nous
tous, Offre notre prière, le Christ l'accueillera avec bienveillance, Lui qui
s'est fait ton Fils ».
Le deuxième dimanche de l'Avent ces paroles
semblent retrouver une toute particulière signification.
17 décembre 1978
L'homélie durant la
Messe en la Basilique Saint-Paul
Avec la visite accomplie le
dimanche 17 décembre dernier à la basilique Saint-Paul-hors-les-Murs, Jean Paul
II a conclu ses premières rencontres avec les communautés des quatre
Basiliques Majeures du Diocèse de Rome. Au cours de la célébration de la Sainte
Messe, il a prononcé un discours dont voici la traduction :
1. Après la prise de possession de la
Basilique Saint-Jean de Latran qui est là Cathédrale de l'Evêque de Rome, après
l'émouvante visite à la Basilique Sainte-Marie-Majeure à l'Esquilin, où j'ai
pu, au début de mon Pontificat exprimer toute ma confiance et mon complet
abandon entre les mains de Marie, Mère de l'Eglise, il m'est donné aujourd'hui
de venir ici.
La Basilique St-Paul-hors-les-Murs — un des
quatre temples les plus importants de la Ville Eternelle — évoque des pensées
et des sentiments particuliers dans le cœur de celui qui, comme Evêque de Rome,
est devenu le Successeur de Pierre.
La vocation de Pierre — unique par la volonté
du Christ — est unie, par un lien tout spécial à la personne de Paul de Tarse.
Tous deux, Pierre et Paul se sont trouvés ici à Rome au terme de leur
pèlerinage terrestre ; tous deux sont venus ici dans le même but : rendre
témoignage au Christ. Tous deux ont subi la mort, ici, pour la même cause et,
comme le rapporte la tradition, ceci est advenu le même jour. Ils constituent,
tous deux, le fondement de cette Eglise qui les invoque, les rappelant ensemble
comme ses Patrons. Et bien que Rome soit la Chaire de Pierre, nous nous rendons
tous compte combien profondément le nom de Paul est inscrit dans les origines
de cette chaire, dans ses fondements : sa conversion, sa personne, sa mission.
Le fait que Saint Pierre se soit trouvé à
Rome, qu'il y soit venu de Jérusalem en passant par Antioche, qu'il y ait
accompli son mandat pastoral, qu'il y ait conclu sa vie, était l'expression de
l'universalité de l'Evangile, de la chrétienté, de l'Eglise dont Saint Paul
fut, dès ses débuts le héraut intrépide et décidé. Au moment de la conversion
du persécuteur qu'il était, nous entendons résonner ces mots : « cet homme est
pour moi un instrument de choix pour porter mon nom devant les païens, les rois
et les enfants d'Israël » (Ac 9, 15).
Rome ne fut pas le seul but de la vie
apostolique et du pèlerinage de Paul de Tarse. Il faut dire plutôt que son
objectif fut l’universum de
l'empire romain de l'époque (comme en font foi ses voyages et ses épîtres).
Rome fut l'ultime étape de ces voyages. Il arriva ici, déjà prisonnier, et fut
mis en prison pour la cause à laquelle il s'était donné complètement : la cause
de l'universalisme, cette cause qui frappait à la base même une certaine vision
rabbinique du peuple élu et de son Messie. Mis en jugement précisément à cause
de cette activité, Paul en avait appelé à César comme citoyen romain : « Tu en
appelles à César, tu iras devant César» (Ac 25, 12). Et c'est ainsi que Paul se
trouvait à Rome, comme prisonnier, attendant la sentence de César. Il se
trouvait ici, alors que le principe de l'universalité de l'Eglise, du Peuple de
Dieu de la nouvelle Alliance s'était déjà suffisamment affirmé et même
consolidé d'une manière irréversible dans la vie de l'Eglise même. Et alors
Paul qui, au début de sa mission, après sa conversion, avait considéré comme
son devoir tout particulier de « videre Petrum », de voir Pierre, pouvait ainsi
venir ici, à Rome, pour rencontrer de nouveau Pierre : ici, dans cette ville où
l'universalité de l'Eglise a trouvé pendant des siècles et des millénaires, son
bastion dans la Chaire de Pierre.
C'est bien peu ce que j'ai dit sur Paul de
Tarse, Apôtre des Gentils et grand Saint. On pourrait, on devrait dire beaucoup
plus, mais je dois, par nécessité, me limiter à ces quelques notes.
2. Et maintenant, qu'il me soit permis de
parler de ce Pontife qui choisit le nom de l'Apôtre des Gentils : de Paul VI. Les circonstances de temps et de lieu m'incitent tout
particulièrement à parler de lui. Mais ceci est surtout une exigence du cœur :
je désire, en effet, parler de celui qu'à bon droit, je considère non seulement
comme mon Prédécesseur, mais proprement comme Père. Et de nouveau je me
rends compte que je pourrais et devrais parler longuement, mais ici également
la tyrannie du temps m'oblige à abréger mon discours. Je désire remercier tous
ceux qui honorent la mémoire de ce grand Pontife. Je désire remercier ses
concitoyens de Brescia pour le récent hommage solennel rendu à sa mémoire, et
remercier le Cardinal Pignedoli pour y avoir participé. Et ce n'est pas
l'unique fois que je reviendrai sur ce qu'il a fait, et sur ce qu'il était.
Pourquoi a-t-il
choisi le nom de Paul ? (il y avait de nombreux siècles que ce nom n'avait plus
paru dans la liste des évêques de Rome). Certainement parce qu'il se sentait
une certaine affinité avec l'Apôtre des Gentils. Du reste, le Pontificat de
Paul VI ne témoigne-t-il pas qu'il était profondément conscient — tout
comme Paul — du nouvel appel du Christ à l'universalité de l'Eglise et de la
chrétienté à la mesure de notre temps ? Ne scrutait-il pas, avec une
pénétration extraordinaire les signes des temps de cette difficile époque,
comme le faisait Paul de Tarse-? Ne se sentait-il pas appelé, comme cet Apôtre;
à porter l'Evangile jusqu'au confins de la terre ? Ne gardait-il pas, comme
Saint-Paul, la paix intérieure même quand « le navire était entraîné par
l'ouragan et ne pouvait plus tenir tête au vent » (Ac 27,16).
Paul VI,
Serviteur des
serviteurs de Dieu, Successeur de Pierre, avait choisi le nom de l'Apôtre des
Gentils, et avec le nom il avait eu son charisme en héritage.
3. Venant
aujourd'hui en la Basilique Saint-Paul je désire m'unir par un nouveau lien
d'amour et d'unité ecclésiale avec la communauté des Pères Bénédictins qui,
depuis des siècles, veillent sur ce lieu, en priant et en travaillant
De plus, comme
nouvel Evêque de Rome, je désire visiter la Paroisse qui a la Basilique
Saint-Paul pour siège.
En effet cette
ancienne et vénérable Basilique qui fut toujours, au long des siècles, un lieu
de pèlerinage, et qui se trouvait « hors-les-murs » de Rome a été, ces dernières décennies constituée en paroisse,
devenant ainsi le centre de la vie religieuse des habitants de ce secteur.
Si bien que nous
trouvons ici trois aspects qui, tout en étant bien distincts entre eux,
constituent autant de faces de la même réalité : Abbaye, Basilique, Paroisse,
trois entités qui s'alimentent réciproquement, donnant aux fidèles de copieux
fruits spirituels.
Et maintenant
j'adresse mon .salut aux diverses associations qui collaborent avec la paroisse
sur le plan pastoral ; je salue les catéchistes ; je salue avec paternelle
affection les Religieux et Religieuses qui exercent leur activité dans le cadre
de la paroisse, avec une particulière intention pour ceux qui apportent leur
aide à l'Oratoire pontifical Saint-Paul dont l'objectif est de promouvoir une
action interparoissiale en faveur de la jeunesse.
A tous les fidèles
mon plus cordial salut, ma bénédiction et mes encouragements à aimer leur
paroisse. Et, enfin, j'adresse une pensée spéciale à tous ceux qui souffrent,
de la maladie, ou des angoisses du manque de travail ; je leur promets à tous
un souvenir tout particulier dans mes prières.
4. « Gaudete in
Domino semper : iterum dico vobis, gaudete... » : réjouissez-vous toujours dans
le Seigneur : je vous le répète, réjouissez-vous. Ces paroles de la liturgie de
ce jour, c'est-à-dire de ce troisième dimanche de l'A vent, sont prises dans
Saint Paul. Paul VI les reprit dans l'exhortation qu'il
publia au sujet de la joie chrétienne (cf. Exh. Apostolique Gaudete in Domino :AAS 67, 1975, p.
289-322).
Aujourd'hui je me
joins à tous deux pour vous crier, très chers Frères et Sœurs : « Iterum dico
vobis, gaudete » — je vous le répète, réjouissez-vous ! « Dominus... prope est » — Le Seigneur n'est pas loin.
24-25 décembre 1978
Chers Frères et Soeurs,
Nous nous trouvons dans la Basilique
Saint-Pierre à cette heure inhabituelle. Nous avons pour toile de fond
l'architecture dans laquelle des générations entières au cours des siècles, ont
exprimé leur foi dans le Dieu incarné, suivant le message porté ici, à Rome,
par les Apôtres Pierre et Paul. Tout ce qui nous entoure nous fait entendre la
voix des deux millénaires qui nous séparent de la naissance du Christ. Le
second millénaire avance rapidement vers son terme. Permettez que, tels que
nous sommes, dans ces circonstances de temps et de lieu, j'aille avec vous vers
cette grotte des environs de Bethléem, au sud de Jérusalem. Faisons en sorte
d'être tous ensemble plutôt là-bas qu'ici : là où « dans le silence de la nuit
», se sont fait entendre les vagissements du Nouveau-Né, expression perpétuelle
des fils de la terre. Et, en même temps, s'est fait entendre le ciel «monde» de
Dieu qui habite dans le tabernacle inaccessible de la Gloire. Entre la majesté
du Dieu éternel et la terre-mère, qui s'annonce, avec le cri de l'Enfant
nouveau-né, s'entrevoit la perspective d'une nouvelle Paix, de la
Réconciliation, de l'Alliance : « Voici que le Sauveur du monde est né pour
nous ». « Les extrémités de la terre ont vu le salut de notre Dieu ».
2. Et pourtant, en ce moment à cette heure
insolite, les extrémités de la terre demeurent à distance. Elles sont en proie
à un temps d'attente, loin de la paix. La fatigue remplit plutôt le cœur des
hommes qui se sont endormis, comme s'étaient endormis, non loin de là, les
bergers dans les vallées de Bethléem. Ce qui se passe dans la crèche, dans la
grotte rocheuse, a une dimension de profonde
intimité : c'est quelque chose qui se produit « entre » la Mère et celui
qui va naître. Personne d'étranger n'y a accès. Même Joseph le charpentier de
Nazareth, n'est qu'un témoin silencieux. Elle seule est pleinement consciente
de sa Maternité. Elle seule comprend ce que signifie au juste le cri de
l'enfant. La naissance du Christ est avant tout son mystère, son grand Jour.
C'est la fête de la Mère.
C'est une étrange fête : sans aucun signe de
la liturgie de la Synagogue, sans lecture des prophètes et sans chant de
psaumes. « Tu n'as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m'as préparé un
corps » (He 10, 5) semble dire, par ses vagissements, celui qui, tout en étant
le Fils Eternel, Verbe consubstantiel au Père, « Dieu né de Dieu, Lumière née
de la Lumière », s'est fait « chair » (cf. Jn 1, 14). Il se révèle dans ce
corps comme l'un d'entre nous, petit enfant, dans toute sa fragilité et sa
vulnérabilité. Soumis à la sollicitude des hommes, confié à leur amour, sans
défense. Il vagit, et le monde ne l'entend pas, il ne peut pas l'entendre. Le
cri de l'enfant nouveau-né ne peut se percevoir qu'à la distance de quelques
pas.
3. Je vous en prie donc, Frères et Sœurs qui
remplissez cette basilique : efforçons-nous d'être présents là-bas plutôt qu'ici.
Voici quelques jours, j'exprimais mon grand désir de me trouver dans la grotte
de la Nativité, pour célébrer précisément à cet endroit le début de mon
Pontificat. Etant donné que les circonstances ne me le permettent pas, et que
je suis ici avec vous tous, je cherche avec vous tous à être très présent en
esprit là-bas, pour vivre cette Liturgie avec la profondeur, l'ardeur et
l'authenticité d'un sentiment intérieur intense. La liturgie de la nuit de Noël
est riche d'un réalisme particulier : réalisme de ce moment que nous
renouvelons, et aussi réalisme des cœurs qui revivent ce moment. Tous en effet,
nous sommes profondément émus et bouleversés, bien que ce que nous célébrons
soit advenu voici bientôt deux mille ans.
Pour avoir un tableau complet de la réalité
de cet événement, pour entrer davantage encore dans le réalisme de ce moment et
des cœurs humains, rappelons-nous ce qui s'est passé et comment cela s'est
passé : dans l'abandon, dans l'extrême pauvreté, dans cette grotte qui servait
d'étable, en dehors de la ville parce que les habitants de cette ville
n'avaient pas voulu accueillir la Mère et Joseph dans aucune de leurs maisons.
Il n'y avait de place nulle part. Dès le point de départ, le monde s'est révélé
inhospitalier envers Dieu qui devait naître comme Homme.
4. Réfléchissons maintenant brièvement sur la
signification constante de ce refus par l'homme de l'hospitalité à Dieu. Nous
tous, ici présents, nous voulons que tout ce qui est en nous, hommes
d'aujourd'hui, soit ouvert à Dieu qui naît comme homme. C'est bien avec ce
désir que nous sommes venus ici !
Il nous faut donc
penser, cette nuit, à tous les hommes qui tombent victimes de situations
infra-humaines créées par les hommes, de la cruauté, du manque de respect, du
mépris des droits objectifs de toute personne humaine. Pensons à ceux qui sont
seuls, âgés, malades, à ceux qui n'ont pas de logement, qui souffrent de la
faim, et dont la misère est une conséquence de l'exploitation et de l'injustice
des systèmes économiques. Pensons enfin à ceux qui, en cette nuit, n'ont pas la
liberté de participer à la liturgie de là Nativité du Seigneur, et qui n'ont
pas de prêtre pour célébrer l'Eucharistie. Et que notre pensée arrive jusqu'à
ceux dont les âmes, les consciences sont tourmentées autant que leur propre
foi.
L'étable de
Bethléem est le premier lieu de la solidarité avec l'homme : d'un homme avec
l'autre et de tous les hommes avec tous les autres hommes, surtout avec ceux
pour qui « il n'y a pas de place à l'hôtellerie» (cf. Lc 2, 7) et auxquels on
n'accorde plus la reconnaissance de leurs propres droits.
5. L'Enfant
nouveau-né pousse de petits cris. Qui comprend les cris du tout petit enfant ?
A travers lui, c'est pourtant le Ciel qui parle, et c'est le Ciel qui révèle
l'enseignement particulier de cette naissance. C'est le Ciel qui en donne
l'explication par ces paroles : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix
sur la terre aux hommes qu'il aime » (Lc 2, 14).
Nous devons, nous
autres qui sommes atteints par le fait de la naissance de Jésus, comprendre ce
cri du Ciel.
Il faut que ce cri
atteigne les confins de la terre, que tous les hommes l'entendent de manière
nouvelle !
Un Fils nous a été
donné.
Le Christ est né
pour nous. Amen !
31 décembre 1978
L'homélie à l'église du Gesù
Renouant avec une tradition abandonnée il y a plus d'un
siècle, le Saint-Père a célébré la sainte Messe, le dernier jour de l'an, en la
belle église des Jésuites de Rome, l'église du Gesù. Durant la cérémonie au
cours de laquelle a été chanté un* Te Deum » de reconnaissance, Jean Paul II a prononcé
l'homélie dont voici la traduction :
Très chers Frères et Sœurs,
Je veux avant tout saluer l'assistance, les
Romains et leurs hôtes venus ici pour célébrer la fin de l'année 1978.
J'adresse un salut cordial au Cardinal-Vicaire, à mes frères les Evêques, aux
représentants des autorités civiles, aux prêtres, aux religieuses et religieux,
et surtout à ceux de la Compagnie de Jésus et à leur Père Général.
1. Le dimanche de l'octave de Noël,
c'est-à-dire ce dimanche-ci inscrit dans la liturgie le souvenir solennel de la
Sainte Famille de Jésus, Marie et Joseph. La naissance donne toujours le départ
à une famille. La naissance de Jésus à Bethléem a donné le départ à cette
Famille unique, exceptionnelle dans l'histoire de l'humanité ; dans cette
Famille est venu au monde, a grandi et a été éduqué le Fils de Dieu conçu et né
de la Mère-Vierge et en même temps confié, dès le début, aux soins
authentiquement paternels de Joseph, charpentier de Nazareth qui, devant la loi
hébraïque fut le mari de Marie et devant l'Esprit Saint son digne époux et le
tuteur,, vraiment paternel, du mystère maternel de son épouse.
La Famille de Nazareth que l'Eglise met,
surtout dans la liturgie d'aujourd'hui, sous les yeux de toutes les familles
constitue effectivement ce point culminant de référence pour la sainteté de
toute famille. L'histoire de cette Famille est décrite de façon très succincte
dans les pages de l'Evangile. Nous parvenons à peine à connaître quelques
événements de sa vie. Le peu que nous apprenons suffit toutefois pour impliquer
les moments fondamentaux dans la vie de toute famille et faire apparaître cette
dimension à laquelle sont appelés tous ceux qui vivent la vie familiale :
pères, mères, parents, enfants. L'Evangile nous la montre avec grande clarté,
sous son aspect éducatif. « II revint à Nazareth ; et leur était soumis » (Lc
2, 51). Pour les enfants et pour les jeunes générations est nécessaire
cette « soumission » :
obéissance, promptitude à accepter les mûrs exemples de la conduite humaine de
la famille. Jésus, lui aussi, était « soumis » de cette manière. Et c'est avec
cette « soumission », cette promptitude de l'enfant à accepter les exemples du
comportement humain que les parents doivent mesurer toute leur conduite. Ceci
est le point de référence particulièrement important de la responsabilité des
parents, de leur responsabilité à l'égard de l'homme, de ce petit homme qui
grandit et que Dieu lui-même leur a confié. Ils doivent également garder la
vision de tout ce qui s'est passé dans la vie de la Famille de Nazareth quand
Jésus avait douze ans : ils doivent donc éduquer leur propre enfant, non pas
pour eux-mêmes, mais pour lui, pour les tâches qu'il aura à accomplir par la
suite. Jésus avait douze ans quand il répondit à Marie et à Joseph : « Ne
savez-vous pas que je dois m'occuper des affaires de mon Père ? » (Lc 2, 49).
2. Les problèmes humains les -.plus profonds,
se rattachent à la famille. Celle-ci constitue la communauté première,
fondamentale et irremplaçable de l'homme. « La famille a reçu de Dieu la
mission d'être la cellule première et vitale de la société » affirme le
Concile Vatican II (Decr. Apostolicam Actuositatem, 11). En
célébrant la fête de la Sainte Famille l'Eglise a voulu en donner un témoignage
particulier durant l'octave du Noël du Seigneur. Elle veut rappeler qu'à la
famille se rattachent les valeurs fondamentales qu'on ne saurait violer qu'au
prix d'incalculables dommages de nature morale. Souvent, les perspectives
d'ordre matériel et le point de vue « économico-social » l'emportent sur les
principes de moralité chrétienne et même humaine. Il ne suffit pas, alors,
d'exprimer simplement des regrets. Il faut défendre ces valeurs fondamentales,
avec ténacité et fermeté, parce que leur
violation cause d'incalculables dommages à la société et, en dernière analyse,
à l'homme. L'expérience des divers pays dans l'histoire de l'humanité peut,
tout comme notre expérience contemporaine, servir d'argument pour réaffirmer
cette douloureuse vérité, c'est-à-dire que s'il est facile de détruire les
valeurs essentielles dans le cadre fondamental de l'existence humaine, dans
lequel est décisif le rôle de la famille, il est extrêmement difficile de
reconstruire ces valeurs.
De quelles valeurs s'agit-il ? Si l'on devait
répondre de manière appropriée à cette question, il faudrait indiquer toute la
hiérarchie et l'ensemble des valeurs qui se définissent et se conditionnent
l'une l'autre. Mais si l'on cherche à s'exprimer de façon concise, on peut dire
qu'il s'agit de deux valeurs fondamentales qui rentrent rigoureusement dans le
contexte de ce que nous appelons « amour
conjugal ». La première de ces valeurs est celle de la personne qui
s'exprime dans l'absolue fidélité réciproque jusqu'à la mort : fidélité du mari
à l'égard de la femme et de la femme à l'égard du mari. La conséquence de cette
affirmation de la valeur de la personne qui s'exprime dans les rapports mutuels
entre femme et mari, doit être également le respect de la valeur personnelle de
la nouvelle vie, c'est-à-dire de l'enfant, dès le premier moment de sa
conception.
L'Église ne saurait jamais reculer devant son
devoir qui est de sauvegarder ces deux valeurs liées à la vocation de la
famille. C'est le Christ lui-même qui, d'une manière ne permettant pas le
moindre doute, a confié à son Église la garde de ces valeurs. En même temps
leur évidence — humainement comprise — fait qu'en les défendant, l'Église se
voit elle-même comme porte-parole de la dignité authentique de l'homme : du
bien de la personne, de la famille, des nations.
Tout en continuant à respecter ceux qui
pensent différemment, on lie saurait que difficilement reconnaître — du point
objectif et impartial — que se comporte conformément aux impératifs de la vraie
dignité humaine celui qui trahit la fidélité conjugale ou qui permet que
s'anéantisse, que se détruise la vie humaine conçue dans le sein maternel. On
ne saurait en conséquence admettre que les programmes qui suggèrent, qui
facilitent, qui acceptent un tel comportement, servent au bien objectif de
l'homme, au bien moral, et contribuent à rendre la vie humaine vraiment plus
humaine, vraiment plus digne de l'homme ; qu'ils servent à l'édification d'une
société meilleure.
3. Ce dimanche-ci est également le dernier
jour de l'année 1978. Nous sommes réunis ici, dans cette liturgie, pour rendre
grâce à Dieu de tout le bien qu'il nous a prodigué et que sa grâce nous a
permis de faire durant l'année écoulée et pour demander son pardon pour tout ce
qui, étant contraire au bien, est aussi contraire à sa Sainte Volonté !
Permettez que dans ces remerciements et cette
demande de pardon je me serve également du critère de la famille, cette fois
cependant dans le sens le plus ample. Comme Dieu est Père, le critère de la
famille a, également alors, cette dimension ; il se réfère à toutes les
communautés humaines, aux sociétés, aux nations, aux pays ; il se réfère à
l'Eglise et à l'humanité.
Concluant ainsi cette année, rendons grâce à
Dieu pour tout ce qui fait que dans les divers milieux de l'existence humaine —
les hommes deviennent encore plus « famille », encore plus frères et plus
sœurs, eux qui ont en commun l'unique Père. En même temps, demandons pardon
pour tout ce qui est étranger à la commune fraternité des hommes, qui détruit
la famille humaine, qui la menace, qui l'empêche.
C'est pourquoi, ayant toujours devant les
yeux mon grand Prédécesseur Paul VI et
le bien-aimé Pape Jean Paul Ier, moi,
qui suis devenu leur successeur l'année où ils moururent tous deux, je dis : «
Notre Père qui es dans les cieux, accepte-nous, ce dernier jour de l'année
1978, en Jésus-Christ, Ton Fils Eternel, et en lui, guide-nous plus avant dans
le futur. Dans le futur que Toi-même désires : Dieu de l'Amour, Dieu de la
Vérité, Dieu de la Vie ! ».
Cette prière aux lèvres, moi, le successeur
de deux Pontifes morts cette année, je franchis avec vous la frontière qui,
dans quelques heures, séparera l'année 1978 de l'année 1979.
18 octobre 1978
Au Sacré Collège
Le 18 octobre, le Saint-Père a reçu en audience le Sacré
Collège des cardinaux. A l'adresse d'hommage du cardinal-doyen Confalonieri,
Jean Paul II a répondu par un discours en italien dont voici notre
traduction :
Vénérés Frères,
Que pourrais-je et voudrais-je vous dire en
cette rencontre alors que, sans nul doute, nous sommes encore tous émus en
raison des événements ecclésiaux de ces jours ?
Avant tout, je remercie le cardinal-doyen
pour les nobles paroles que, interprétant vos sentiments, il m'a adressées et,
en particulier, je vous exprime ma gratitude pour le geste d'exceptionnelle
confiance que vous avez démontrée à l'égard de mon humble personne comme
successeur de Pierre au siège de Rome. Ce n'est qu'à la lumière de la foi qu'il
est possible d'accepter, avec intime tranquillité et confiance le fait qu'en
vertu de votre choix il m'est échu, à moi, de devenir le Vicaire du Christ sur
la terre et le chef visible de l'Église.
Vénérables Frères, ce fut un acte de
confiance et, en même temps, de grand courage d'avoir appelé comme évêque de
Rome, un « non-Italien ». On ne peut rien dire de plus, et seulement courber le
front devant une telle décision du Sacré Collège.
Jamais peut-être autant que dans les récentes
vicissitudes qui ont affecté l'Église, la privant deux fois en deux mois de son
Pasteur universel, le peuple chrétien n'a senti et expérimenté l'importance, la
délicatesse, la responsabilité des tâches que doit accomplir le Sacré Collège
des cardinaux ; et, jamais comme en cette période — nous devons le reconnaître
avec satisfaction — les fidèles n'ont démontré à l'égard des Éminentissimes
Pères autant d'affectueuse estime et autant de bienveillante compréhension. Les
applaudissements intenses et prolongés qui vous ont été adressés à la fin de la
messe Pro eligendo Pape et
l'annonce de l'élection du nouveau pontife, en sont la preuve la plus
expressive, la plus exaltante, la plus émouvante.
Les fidèles ont vraiment compris, vénérés
Frères, que la pourpre dont vous êtes revêtus est le signe de cette fidélité usque ad effïtsionem sanguinis que
vous avez promis au pape par serment solennel. Votre habit est un habit de
sang, qui rappelle et représente le sang que, durant le cours des siècles, les
apôtres, les évêques, les cardinaux, ont versé pour le Christ. Il me souvient,
en ce moment, de la figure d'un grand évêque, saint Jean Fisher, créé cardinal
— comme on le sait — alors qu'il se trouvait incarcéré pour sa fidélité au pape
de Rome. Le matin du 22 juin 1535, tandis qu'il se préparait à offrir sa tête à
la hache du bourreau, il se tourna vers la foule, s'exclamant : « Peuple
chrétien, je vais mourir à cause de ma foi en la sainte Église catholique du
Christ. »
Oserais-je encore ajouter que, même à notre
époque, ne manquent pas ceux qui ont fait et font encore l'expérience de la
prison, des souffrances, des humiliations du Christ ?
Que cette indéfectible fidélité à l'Épouse du
Christ soit toujours la marque d'honneur et l'orgueil prééminent du Collège
cardinalice.
II est un autre élément que je voudrais
souligner en cette brève rencontre : le
sens de la fraternité qui, au cours de cette dernière période s'est de
plus en plus manifesté et cimenté au sein du Sacré Collège : « Voyez ! Qu'il
est bon, qu'il est doux d'habiter en frères tous ensemble » (ps 133 [132] 1). Le Sacré Collège a
dû, par deux fois et en très peu de temps, affronter un des problèmes les plus
délicats de l'Église : celui de l'élection du Pontife romain. Et, en de telles
occasions, s'est manifestée, lumineusement, l'authentique universalité de
l'Église. On a pu constater réellement ce qu'affirmait saint Augustin : « Ipsa
Ecclesia linguis omnium loquitur... Diffusa Ecclesia per gentes loquitur
omnibus linguis » (InJoannis Evang.
Tract., XXXII, 7 ; PL 35,
1645).
Expériences, exigences, problèmes ecclésiaux,
complexes, variés et, parfois également différents. Mais une telle variété a
été — et sera certainement — toujours en concordance avec une seule et même
foi, comme nous le rappelle l'évêque d'Hippone, lorsqu'il souligne la beauté et
la variété de la robe de l'Eglise-Reine : « Ces langues constituent la variété
du vêtement royal de l'Église, de manière à ce que toutes les diversités de
costume se rejoignent dans l'unité de la foi unique, comme il en est de même de
toutes les langues » (Enarrat. in
Psalm. XLIV, 2 : PL 36, 509).
Il m'est difficile, de ne pas exprimer ma
profonde gratitude envers le Saint-Père Paul VI notamment pour le fait qu'il a voulu donner au Sacré
Collège une si large dimension internationale et intercontinentale. En effet,
ses membres proviennent des plus lointains confins de la terre. Ce qui permet
de mettre en évidence non seulement l'universalité de l'Église, mais aussi le
caractère universel de l’« Urbs ».
Dans quelques jours vous retournerez tous à
vos postes de responsabilité : la plupart d'entre vous dans vos diocèses ; les
autres dans les dicastères du Saint-Siège; tous, afin de poursuivre avec un
zèle toujours croissant le ministère pastoral, lourd de responsabilités, de préoccupations,
de sacrifices, mais aussi réconfortés par la grâce du Seigneur et par la joie
spirituelle qu'il donne à ses serviteurs fidèles. Mais tout en étant à la tête
des Églises particulières vous prenez toujours part aux soucis de l'Église tout
entière, vivant et réalisant de toutes vos forces tout ce qu'a recommandé le
Concile Vatican II : « Successeurs légitimes des
Apôtres et membres du Collège épiscopal, les évêques doivent se savoir toujours
unis entre eux et se montrer soucieux de toutes les Églises ; en vertu de
l'institution divine et des devoirs de sa charge apostolique, chacun d'eux est
en effet responsable de l'Église avec les autres évêques » (Décret Christus Dominus, 6 ; cf. ibid. 3 ; Lumen Gentium, 23).
Invoquant sur vous tous, sur les fidèles
confiés à votre zèle pastoral et sur les personnes qui vous sont chères, la
grâce du Christ et la vigilante protection de Marie, la Mater Ecclesiae, je voudrais, avec grande affection, donner ma
bénédiction apostolique. Je voudrais d'abord le faire pour vous, et ensuite,
avec vous tous : Que l'Église soit ainsi bénie partout, par l'Évêque de Rome et
par tout le Collège des cardinaux dont les membres proviennent de toutes les
parties du monde et sont à ses côtés.
20 octobre 1978
Au Corps diplomatique
Jean Paul II a reçu les membres du Corps diplomatique près du
Saint-Siège le vendredi 20 octobre à II h, dans la salle du Consistoire. Répondant au discours du
doyen, S. Exc. M. Luis Valladares y Aycinena, ambassadeur du Guatemala près le
Saint-Siège, le pape s'est adressé aux diplomates en ces termes :
Excellences, Mesdames, Messieurs,
Je suis très touché des nobles paroles, des
souhaits généreux que votre interprète vient de m'adresser. Je sais les relations
pleines d'estime et de confiance réciproques qui s'étaient instaurées entre le
pape Paul VI et chacune des
représentations diplomatiques accréditées auprès du Saint-Siège. Ce climat
était dû à la compréhension, respectueuse et bienveillante, que ce grand pape
avait de la responsabilité du bien commun des peuples, et surtout aux idéaux
supérieurs qui l'animaient en matière de paix et de développement. Mon
prédécesseur immédiat, le cher pape Jean Paul Ier, en vous recevant il y a moins de deux mois, avait inauguré
de semblables relations, et chacun d'entre vous a encore en mémoire ses paroles
pleines d'humilité, de disponibilité, dé sens pastoral, que je fais entièrement
miennes. Et voilà qu'aujourd'hui j'hérite de la même charge et vous, vous m'exprimez
la même confiance, avec le même enthousiasme. Je vous remercie très vivement
des sentiments que, à travers ma personne, vous témoignez ainsi fidèlement au
Saint-Siège.
Tout d'abord, que chacun de vous se sente ici
cordialement accueilli pour lui-même, et pour le pays, pour le peuple qu'il
représente. Oui, s'il est un lieu où tous les peuples doivent se côtoyer dans
la paix et rencontrer respect, sympathie, désir sincère de leur dignité, de
leur bonheur, de leur progrès, c'est bien au cœur de l'Église, autour du Siège
apostolique, établi pour témoigner de la vérité et de l'amour du Christ.
Mon estime et mes vœux sont donc à tous et à
chacun, dans la diversité de vos situations. Dans cette rencontre sont
représentés en effet, non seulement les Gouvernements, mais aussi les peuples
et les nations. Et parmi celles-ci, il y a les vieilles « nations », riches
d'un grand passé, d'une histoire féconde d'une tradition et d'une culture
propres ; il y a aussi déjeunes nations qui ont surgi depuis peu, avec de grandes
possibilités à mettre en œuvre, ou qui s'éveillent et se forment encore.
L'Église a toujours désiré participer à la vie et contribuer au développement
des peuples et des nations. L'Église a toujours reconnu une richesse
particulière dans la diversité et la pluralité de leurs cultures, de leurs
histoires, de leurs langues. En beaucoup de cas, l'Église a apporté sa part
spécifique dans la formation de ces cultures. L'Église a considéré, et continue
à estimer que, dans les relations internationales, il est obligatoire de
respecter les droits de chaque nation.
Pour moi, appelé de l'une de ces nations à
succéder à l'apôtre Pierre au service de l'Église universelle et de toutes les
nations, je m'appliquerai à manifester à chacune l'estime qu'elle est en droit
d'attendre. Vous devez donc vous faire l'écho de mes vœux fervents auprès de
vos Gouvernants et de tous vos compatriotes. Et ici je dois ajouter que
l'histoire de ma patrie d'origine m'a enseigné de respecter les valeurs
spécifiques de chaque nation, de chaque peuple, sa tradition et ses droits
parmi les autres peuples. Comme chrétien, plus encore comme pape, je suis, je
serai le témoin de cette attitude et de l'amour universel réservant à tous la
même bienveillance, spécialement à ceux qui connaissent l'épreuve.
Qui dit relations diplomatiques dit relations
stables, réciproques, sous le signe de la courtoisie, de la discrétion, de la
loyauté. Sans confusion des compétences, elles manifestent de ma part, non pas
nécessairement l'approbation de tel ou tel régime — cela n'est pas mon affaire
— ni évidemment l'approbation de tous ses actes dans la conduite des affaires
publiques, mais une appréciation des valeurs temporelles positives, une volonté
de dialogue avec ceux qui sont légitimement chargés du bien commun de la
société, une compréhension de leur rôle souvent difficile, un intérêt et une
aide apportés aux causes humaines qu'ils ont à promouvoir, grâce parfois à des
interventions directes, grâce surtout à la formation des consciences, une
contribution spécifique à la justice et à la paix au plan international. Ce
faisant le Saint-Siège ne veut pas sortir de son rôle pastoral : soucieux de
mettre en œuvre la sollicitude du Christ comment pourrait-il, en préparant le
salut éternel des hommes, ce qui est son premier devoir, se désintéresser du
bien et du progrès des peuples en ce monde ?
D'un autre côté, l'Église — et le Saint-Siège
en particulier — demandent à vos nations, à vos Gouvernements, de prendre
toujours plus en considération un certain nombre de besoins. Le Saint-Siège ne
le cherche pas pour lui-même. Il le fait, en union avec l'épiscopat local, pour
les chrétiens ou les croyants qui habitent vos pays afin que, sans privilège
particulier mais en toute justice, ils puissent alimenter leur foi, assurer le
culte religieux et être admis, comme des citoyens loyaux, à participer à part
entière à la vie sociale. Le Saint-Siège le fait pareillement dans l'intérêt
des hommes quels qu'ils soient, sachant que la liberté, le respect de la vie et
de la dignité des personnes — qui ne sont jamais des instruments — l'équité
dans le traitement, la conscience professionnelle dans le travail et la
recherche solidaire du bien commun, l'esprit de réconciliation, l'ouverture aux
valeurs spirituelles, sont des exigences fondamentales de la vie harmonieuse en
société, du progrès des citoyens et de leur civilisation. Certes, ces derniers
objectifs figurent, en général, au programme des responsables. Mais le résultat
n'est pas pour autant acquis et tous les moyens ne sont pas également valables.
Il y a encore trop de misères physiques et morales qui dépendent de la
négligence, de l'égoïsme, de l'aveuglement ou de la dureté des hommes. L'Église
elle, veut contribuer à diminuer ces misères, avec ses moyens pacifiques, en
éduquant au sens moral, par l'action loyale des chrétiens et des hommes de
bonne volonté. Ce faisant, l'Église peut parfois ne pas être comprise, mais
elle est convaincue de rendre un service dont l'humanité ne saurait se passer :
elle est fidèle à son Maître et Sauveur, Jésus-Christ. C'est dans cet esprit
que j'espère maintenir et développer, avec tous les pays que vous représentez,
des rapports cordiaux et fructueux. Je vous encourage, dans votre haute
fonction, et j'encourage surtout vos Gouvernements, à rechercher toujours plus
de justice et de paix, dans un amour bien compris de vos compatriotes, et dans
l'ouverture d'esprit et de cœur aux autres peuples. Sur ce chemin, que Dieu
vous éclaire et vous fortifie, vous-mêmes et tous les responsables, et qu'il
bénisse chacun de vos pays.
21 octobre 1978
Aux journalistes
Le samedi 21 octobre, à 11 h, en la salle des Bénédictions,
le Saint-Père a reçu en audience les journalistes de la presse, de la radio et
de la télévision. En l'absence de Mgr Deskur, président delà commission
pontificale des Moyens de communication sociales, retenu par la maladie, c'est
le Père Romeo Panciroli, secrétaire de la commission, qui s'est adressé au pape
pour lui présenter son auditoire. Le Saint-Père s'est longuement attardé, en
entrant et en sortant, avec les journalistes, s'adressant à eux avec beaucoup
de simplicité. Jean Paul II a prononcé le discours suivant en français :
Mesdames, Messieurs,
Soyez les bienvenus ! Et soyez vivement
remerciés de tout ce que vous avez fait, de ce que vous ferez, pour présenter
au grand public, dans la presse, à la radio, à la télévision, les événements de
l'Église catholique qui vous ont plusieurs fois rassemblés à Rome depuis deux
mois.
Certes, au simple niveau professionnel, vous
avez vécu des journées éprouvantes autant qu'émouvantes. Le caractère soudain,
imprévisible, des faits qui se sont succédé, vous a obligé, à faire appel à une
somme de connaissances en matière d'information religieuse qui vous étaient
peut-être peu familières, puis à faire face, dans des conditions parfois
fébriles, à une exigence qui connaît la maladie du siècle : la hâte. Pour vous,
attendre la fumée blanche n'était pas une heure de tout repos !
Merci d'abord d'avoir fait si largement écho,
avec un respect unanime, au labeur considérable et véritablement historique du
grand pape Paul VI. Merci d'avoir
rendu si familier le visage souriant et l'attitude évangélique de mon
prédécesseur immédiat, Jean Paul Ier. Merci encore du relief
favorable que vous avez donné au récent conclave, à mon élection et aux
premiers pas que j'ai accomplis dans la lourde charge du pontificat. Dans tous
les cas, ce fut l'occasion pour vous, non seulement de parler des personnes —
qui passent — mais du Siège de Rome, de l'Église, de ses traditions et de ses
rites, de sa foi, de ses problèmes et de ses espérances, de saint Pierre et du
rôle du pape, des grands enjeux spirituels d'aujourd'hui, bref, du mystère de
l'Église. Permettez que je m'arrête un peu sur cet aspect : il est difficile de
bien présenter le vrai visage de l'Église.
Oui, les événements sont toujours difficiles
à lire, et à faire lire. D'abord ils sont presque toujours complexes. Il suffit
qu'un élément soit oublié par inadvertance, omis volontairement, minimisé ou au
contraire accentué outre mesure, pour fausser la vision présente et les
prévisions à venir. Les faits d'Église sont en outre plus difficiles à saisir
pour ceux qui les regardent, je le dis en tout respect de chacun, en dehors
d'une vision de foi, et plus encore à exprimer à un large public qui en perçoit
difficilement le vrai sens. Il vous faut pourtant susciter l'intérêt et
l'écoute de ce public, alors que vos agences vous demandent souvent et surtout
du sensationnel. Certains sont alors tentés de tomber dans l'anecdote : c'est
concret et ce peut être valable, mais à condition que l'anecdote soit
significative et en rapport réel avec la nature du fait religieux. D'autres se
livrent courageusement à une analyse très poussée des problèmes et des mobiles
des personnes d'Église, avec le risque de rendre insuffisamment compte de
l'essentiel qui, vous le savez, n'est pas d'ordre politique, mais spirituel.
Finalement, de ce dernier point de vue, les choses sont souvent plus simples
qu'on ne l'imagine : j'ose à peine parler de mon élection !
Mais ce n'est pas l'heure d'examiner en
détail tous les risques et mérites de votre fonction d'informateurs religieux.
Notons d'ailleurs qu'un certain progrès semble se dessiner ici et là, dans la
recherche de la vérité, dans la compréhension et la présentation du fait
religieux. Soyez félicités de la part que vous y avez prise.
Peut-être avez-vous été vous-mêmes surpris et
encouragés par l'importance qu'y attribuait, dans tous les pays, un très large
public que d'aucuns croyaient indifférent ou allergique à l'institution
ecclésiastique et aux choses spirituelles. En réalité, la transmission de la
charge suprême confiée par le Christ à saint Pierre, à l'égard de tous les
peuples à évangéliser et de tous les disciples du Christ à rassembler dans
l'unité, est vraiment apparue comme une réalité transcendant les événements
habituels. Oui, la transmission de cette charge a un profond retentissement
dans les esprits et dans les cœurs qui perçoivent que Dieu est à l'œuvre dans
l'histoire. C'était loyal d'en prendre acte et d'y adapter les moyens de
communication sociale dont vous disposez à des degrés divers.
Je souhaite précisément que les artisans de
l'information religieuse puissent trouver l'aide dont ils ont besoin auprès
d'instances d'Église qualifiées. Celles-ci doivent les accueillir dans le
respect de leurs convictions et de leur profession, leur fournir une
documentation très adéquate et très objective, mais aussi leur proposer une
perspective chrétienne qui situe les faits dans leur véritable signification
pour l'Église et pour l'humanité. Ainsi vous pourrez aborder ces reportages
religieux avec la compétence spécifique qu'ils exigent.
Vous êtes très soucieux de la liberté de
l'information et de l'expression : vous avez raison. Estimez-vous heureux d'en
bénéficier ! Utilisez bien cette liberté pour cerner de plus près la vérité et
initier vos lecteurs, vos auditeurs ou téléspectateurs à « ce qui est vrai et
noble, à ce qui est juste et pur, à ce qui est digne d'être aimé et honoré »,
pour reprendre les mots de saint Paul (Ph 4, 8), à ce qui les aide à vivre dans
la justice et la fraternité, à découvrir le sens ultime de la vie, à les ouvrir
au mystère de Dieu si proche de chacun d'entre nous. Dans ces conditions, votre
profession si exigeante et parfois si épuisante, j'allais dire votre vocation
si actuelle et si belle, élèvera encore l'esprit et le cœur des hommes de bonne
volonté, en même temps que la foi des chrétiens. C'est un service que l'Église
et l'humanité apprécient.
J'ose vous inviter vous aussi à un effort de
compréhension, comme à un pacte loyal : quand vous faites un reportage sur la
vie et l'activité de l'Église, cherchez encore davantage à saisir les
motivations authentiques, profondes, spirituelles, de la pensée et de l'action
de l'Église. L'Église, de son côté, écoute le témoignage objectif des
journalistes sur les attentes et les exigences de ce monde. Cela ne veut pas
dire évidemment qu'elle modèle son message sur le monde de son temps : c'est
l'Évangile qui doit toujours inspirer son attitude.
Je suis heureux de ce premier contact avec
vous. Je vous assure de ma compréhension et je me permets de compter sur la
vôtre. Je sais qu'en plus de vos problèmes professionnels -, sur lesquels nous reviendrons une
autre fois, vous avez chacun vos soucis personnels, familiaux. Ne craignons pas
de les confier à la Vierge Marie, qui se tient toujours aux côtés du Christ. Et
au nom du Christ, je vous bénis de tout cœur.
22 octobre 1978
Aux délégués des autres Églises
C'est en
cours d'après-midi le dimanche 22 octobre, que le pape a reçu en audience les
délégations des Églises chrétiennes non catholiques qui avaient participé le
matin à la célébration solennelle. La rencontre a eu lieu dans la bibliothèque
privée de l'appartement. Chaque délégation a été accueillie séparément, puis
Jean Paul II s'est adressé à tous, dans la bibliothèque, par le discours
suivant prononcé en français :
Très chers Frères dans le Christ,
Nous voulons d'abord vous remercier du fond
du cœur d'être venus ici aujourd'hui. Votre présence en effet témoigne de notre
commune volonté d'établir entre nous des liens de plus en plus étroits et de
surmonter les divisions héritées du passé, divisions qui sont, nous l'avons
déjà dit, un intolérable scandale faisant obstacle à la proclamation de la
bonne nouvelle du salut donné en Jésus-Christ, à l’annonce de cette grande
espérance de libération dont le monde d'aujourd'hui a tant besoin.
En cette première rencontre, nous tenons à
vous dire notre ferme volonté d'aller de l'avant sur la voie de l'unité dans
l'esprit du deuxième Concile du Vatican et en suivant l'exemple de nos
prédécesseurs. Une belle étape a déjà été parcourue, mais nous ne devons pas
nous arrêter avant d'être arrivés au terme, avant d'avoir réalisé cette unité
que le Christ veut pour son Église et pour laquelle il a prié.
La volonté du Christ, le témoignage à rendre
au Christ, voilà le motif qui nous incite tous et chacun à ne pas nous lasser
ou nous décourager dans cet effort. Nous avons confiance que celui qui a
commencé cette œuvre parmi nous, nous donnera abondamment la force pour
persévérer et pour la mener vers son terme.
Veuillez dire à ceux que vous représentez et
à tous que l'engagement de l'Église catholique dans le mouvement œcuménique tel
qu'il s'est solennellement exprimé dans le deuxième Concile du Vatican est
irréversible.
Nous nous réjouissons de vos relations de
confiance fraternelle et de collaboration avec notre Secrétariat pour l'unité. Nous
savons que vous cherchez avec lui, patiemment, la solution des différends qui
nous séparent encore, les moyens de progresser ensemble dans une fidélité
toujours plus intégrale à tous les aspects de la vérité révélée en
Jésus-Christ. Nous vous assurons que nous ferons tout pour vous aider.
Que l'Esprit
d'amour et de vérité nous donne de nous retrouver souvent et de plus en plus
proches les uns des autres, de plus en plus en communion profonde dans le
mystère du Christ notre unique Sauveur, notre unique Seigneur. Que la Vierge
Marie soit pour nous un exemple de cette docilité à l'Esprit-Saint qui est le
centre le plus profond de l'attitude œcuménique que notre réponse soit toujours
comme la sienne : je suis ton serviteur, qu'il me soit fait selon ta parole
(cf. Le 1,19).
23 octobre 1978
Aux Missions spéciales
Le Saint-Père a reçu en audience,
dans la matinée du lundi 23 octobre, les Chefs d'État et les membres des
Missions extraordinaires qui avaient assisté la veille à la célébration
solennelle en l'honneur du début de son pontificat. Après avoir accordé une
audience privée à chacun des Chefs d'État, Jean Paul II s'est adressé en français aux membres des délégations en ces
termes :
Excellences, Mesdames,
Messieurs,
Voici quelques
semaines seulement mon prédécesseur Jean Paul Ier
accueillait les membres des semblables Missions avec le sourire et
la simplicité qui lui avaient gagné tous les cœurs. Dans son souvenir
inoubliable, je vous exprime à mon tour ma chaleureuse gratitude pour votre
participation à la cérémonie d'ouverture de mon pontificat Ma gratitude va
d'abord à vous qui présidez au destin de vos nations : je suis très touché que
vous soyez venus en personne. Merci également à ceux qui ont été désignés par
leur Gouvernement et qui assument souvent une part importante dans la conduite
des affaires publiques. Merci aux peuples et organisations internationales que
vous représentez. Oui, votre présence a été pour moi une joie et un honneur .vivement
ressentis. Et surtout, elle m'a paru significative de l'hommage rendu à
l'Église catholique et au Saint-Siège pour leur action au service de l'Évangile
et de l'humanité.
Certes, les hommes
d'État et leurs collaborateurs qualifiés ont d'abord la responsabilité de leur
propre nation et du bien de leurs concitoyens. Mais la certitude s'impose de
plus en plus, et vous en les premiers
convaincus, qu'il ne peut y avoir de progrès humain véritable ni de paix
durable sans la recherche courageuse, loyale, désintéressée, d'une coopération
et d'une unité croissantes entre les peuples. Pour cela, l'Église encourage
toutes les initiatives qui peuvent être prises, tous les pas qui peuvent être
accomplis, au plan bilatéral ou multilatéral. N'est-ce pas souvent le seul
moyen de commencer à dénouer des problèmes apparemment insolubles ? Par
ailleurs, les Organisations internationales dont les représentants sont ici à
côté de ceux des États, ont un rôle extrêmement important et que je souhaite
toujours plus efficace. Je suis heureux de souligner leur contribution, à la
veille précisément de la « Journée mondiale des Nations Unies ».
Oui, dans une conjoncture souvent difficile,
vous avez d'énormes responsabilités, qui vous demandent beaucoup de lucidité,
de ténacité, d'ouverture, dans le respect des exigences fondamentales de
l'homme. Comment ne pas apprécier ces efforts, dans la marche tâtonnante de
l'humanité vers son progrès et son unité ? Ils méritent estime et
encouragement.
Les chrétiens sont d'autant plus sensibles à
cette vocation des hommes à la coopération et à l'unité que au plan du salut,
le message évangélique leur révèle que Jésus de Nazareth « est mort afin de
rassembler dans l'unité tous les fils de Dieu dispersés » (Jn 11, 52) Ce texte
avait sans doute frappé le célèbre évêque d'Hippone, saint Augustin, qui
présente l'humanité créée à l'image de Dieu comme brisée en quelque sorte par
le péché et remplissant de ses débris tout l'univers : « Mais la miséricorde
divine en a rassemblé de partout les fragments, elle les a fondus au feu de sa
charité, elle a reconstitué leur unité brisée » (Ennarationes in Psalmos, 95, 15, PL 37, 1236).
L'Église, elle, en poursuivant sa fin
spécifique de conduire les hommes sur la voie du salut, est persuadée de
pouvoir également contribuer efficacement, grâce à l'amour évangélique, à cette
œuvre de reconstitution de l'unité, à l'humanisation toujours plus profonde de
la famille humaine et de son histoire (cf. Const. Gaudium et Spes, n.40).C'est aussi pour cela que le Saint-Siège
établit des relations avec chacun de vos Gouvernements et participe aux
activités des Organisations internationales. Je suis heureux de constater
l'estime et la confiance avec laquelle la Communauté internationale comprend et
accueille une action qui n'a d'autre but que de la servir.
Est-il besoin d'ajouter, Excellences,
Mesdames, Messieurs, que les principes qui guidaient mes prédécesseurs, et
particulièrement le regretté pape Paul VI, continueront
à inspirer l'action du Saint-Siège ? Élu évêque de Rome et héritier de l'apôtre
Pierre dans l'exercice de sa charge, c'est inséparablement le souci du bien de
toute l'Église et celui de toute la famille humaine qui guideront mes efforts.
D'ores et déjà, je remercie les pays et les institutions que vous représentez de
la compréhension toujours plus grande, j'ose l'espérer, qu'ils témoigneront de
manière effective à l'égard des besoins proprement spirituels de l'homme et de
la manière dont ils accueilleront l'engagement du Saint-Siège à cet égard.
Au-delà de vos personnes; je salue avec
cordialité chacun des peuples et des nations auxquels vous appartenez, et
chacune des organisations internationales auxquelles vous vous dévouez. Que le
Seigneur les bénisse, qu' il inspire leur action ! Et qu'il vous accorde, ainsi
qu'à vos familles, les dons de sa grâce et de sa paix !
28 octobre 1978
Audience de Jean Paul II à la Fédération internationale des hommes catholiques
Le 28 octobre, le Saint-Père a
reçu en audience les participants à l'Assemblée générale de la Fédération
internationale des hommes catholiques « Unum Omnes » qui se déroulait à ce
moment à Rome. La délégation, présidée par le président de la Fédération Fers
Niehaus, et accompagnée par le secrétaire général Emile Inglesis et par Mgr
Paul Grichting, comptait quelque soixante-dix dirigeants provenant d'Europe,
d'Amérique latine, d'Amérique du Nord, d'Afrique et d'Asie.
La Fédération « Unum Omnes », qui
célèbre cette année le trentième anniversaire de sa fondation à Lourdes en
1948, s'était réunie à Rome pour examiner le thème : « L'Église et les
droits de l'homme».
Chers Amis,
La Fédération internationale des hommes
catholiques « Unum Omnes », qui regroupe des Associations nationales de plus de
trente pays des divers continents, célèbre cette année le trentième
anniversaire de sa fondation. C'est une joie, au début de mon pontificat, de
m'adresser pour la première fois à l'une de ces Organisations internationales
catholiques appelées à apporter une contribution importante à la mission de
l'Église, c'est-à-dire à l'évangélisation et à l'animation chrétienne du monde.
Joie de prendre contact particulièrement avec votre Fédération qui a toujours
développé ses activités dans une grande fidélité à l'Église, en communion
étroite avec la hiérarchie et en ayant le souci constant des aspirations et des
problèmes actuels. Je désire seulement souligner aujourd'hui quelques
caractéristiques des Organisations nationales, membres de la Fédération, et de
la Fédération elle-même, dans une perspective d'approfondissement et de
renouveau.
Votre Fédération est une Organisation internationale d'hommes adultes. En
mettant tout d'abord cet aspect en relief, il ne s'agit pas de sous-estimer la
participation si importante des femmes, des jeunes et des enfants eux-mêmes à
la mission de l'Église, dans de nombreux domaines de la vie sociale et
ecclésiale.
Mais il s'agit d'insister sur la nécessité de
la présence active dans le monde d'hommes adultes catholiques, sur la nécessité
de leur témoignage chrétien et de leur action apostolique, pour que l'Église,
comme un levain, pénètre réellement toute la société humaine, structurée comme
elle l'est et marquée par tant d'idéologies étrangères à l'esprit de
l'Évangile. Comment, d'autre part, rejoindre tous ces hommes, souvent si
engagés et si absorbés par leurs responsabilités ou préoccupations terrestres
qu'ils en négligent ou même oublient la dimension religieuse de leur vie ?
N'est-ce pas grâce à d'autres hommes, semblables à eux, engagés comme eux, mais
qui, sans trêve, cherchent et adorent Dieu, suivent et servent le Seigneur
Jésus-Christ ?
Comment ne pas souhaiter que partout dans le
monde, des hommes catholiques, de toute condition sociale et assumant des
responsabilités temporelles à tous les niveaux, puissent s'unir dans des
associations apostoliques, bien insérées dans les paroisses et les cités, pour
y trouver la solide formation chrétienne qui leur est nécessaire, pour
s'entraider et se préparer à porter un vrai témoignage apostolique, adapté aux
besoins présents et animé par l'esprit d'amour, de service et de renouveau
selon l'Évangile ? Cette insertion locale appelle évidemment échanges et
concertation au plan diocésain, national et international.
Votre Fédération et ses organisations membres
sont catholiques. C'est une des
caractéristiques essentielles de ces associations d'action catholique, bien
mise en lumière par le récent Concile : poursuivre, « en union particulièrement
étroite avec la hiérarchie des buts proprement apostoliques... dans l'ordre de
l'évangélisation, de la sanctification des hommes et de la formation chrétienne
de leur conscience, afin qu'ils soient en mesure de pénétrer de l'esprit de
l'Évangile les diverses communautés et les divers milieux » (Décret Apostolicam actuositatem, n. 20).
Le Saint-Siège apprécie hautement ce profond
sens ecclésial de la Fédération et vous encourage vivement à l'entretenir à
tous les niveaux.
Il est capital enfin que votre Fédération
garde le souci de donner à ses membres la formation appropriée pour qu'ils
puissent assumer pleinement leurs responsabilités de laïcs, car, dans un monde menacé par la sécularisation, ils
doivent mener une action séculière chrétienne, cherchant le règne de Dieu à
travers la gérance des choses temporelles (cf. Const. Lumen Gentium, n. 31).
Le thème étudié dans la présente Assemblée, «
les droits de l'homme », est un signe de votre désir d'être très présents aux
réalités sociales de notre temps. Cette étude, faite à la lumière de
l'Évangile, vise des objectifs concrets : l'engagement personnel et l'action
concertée des chrétiens en vue de promouvoir, défendre et faire respecter ces
droits dans la société humaine. Et par là même, elle contribuera à accroître le
rayonnement de l'Église à travers l'action de ses membres laïcs.
Je souhaite que les travaux de votre
Assemblée soient très fructueux. Merci pour la tâche accomplie au service de
l'Église au cours de ces trente années ; poursuivez-la, dans la foi,
l'espérance et la charité. Je demande au Seigneur de vous guider et je vous
bénis de grand cœur, vous qui êtes ici présents, avec vos aumôniers, ainsi que
tous les membres de la Fédération et leurs familles.
Permettez-moi d'ajouter un mot en anglais
pour vous dire la joie que me donne cette occasion de me trouver en compagnie
du Conseil international des hommes catholiques. Je désire vous exprimer mon
admiration pour votre dévouement à la cause du Seigneur Jésus. Par le baptême
et la confirmation, il vous a invités à prendre part à la mission de l'Église —
à sa mission de salut. Et le pape vous est profondément reconnaissant pour tout
ce que vous faites pour le progrès du royaume de Dieu, celui de la vérité et de
la vie, de la sainteté et de la grâce, de la justice, de l'amour et de la paix.
Il est comblé de joie, à vous avoir pour partenaires dans l'Évangile du Christ.
Je recommande vos activités à Marie, Mère de
Dieu et Mère de l'Église, lui demandant de vous maintenir fermes dans la foi en
son Fils, Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, afin que Je monde « voyant vos œuvres,
en rende gloire à votre Père qui est dans les cieux » (Mt 5, 16). Avec ma
bénédiction apostolique.
30 octobre 1978
Le pape aux membres d'une Conférence internationale
Dans la salle Clémentine, le pape
Jean Paul II
a reçu en audience, le lundi 30
octobre, les participants au IIIe Congrès
international de la famille, présidé par le professeur Piernicola De Leonardis.
Il s'est adressé aux congressistes en ces termes :
C'est toujours une joie pour le pape de
rencontrer des pères et des mères de famille, très conscients de leurs
responsabilités d'éducateurs chrétiens. Et c'est une grâce de voir surgir
aujourd'hui dans l'Église de nombreuses initiatives de soutien des familles.
Je n'ai pas besoin, devant vous, d'insister
sur le rôle primordial de la famille dans l'éducation humaine et chrétienne. Le
récent Concile, en plusieurs de ses textes, a mis heureusement en relief la
mission des parents « premiers et principaux éducateurs », difficilement remplaçables
(Déclaration Gravissimum educationis. n.
3). C'est pour eux un droit naturel, puisqu'ils ont donné la vie à leurs
enfants ; c'est aussi la meilleure façon d'assurer une éducation harmonieuse,
en raison du caractère tout à fait original des relations parents-enfants, et
de l'atmosphère d'affection et de sécurité que les parents peuvent créer dans
le rayonnement de leur propre amour (cf. Const. Gaudium et Spes, N. 52). La plupart des sociétés civiles ont dû
reconnaître elles-mêmes le rôle particulier et nécessaire des parents dans la
première éducation. Au plan international, la « Déclaration des droits de
l'enfant », qui est pour le moins le signe d'un très large consensus, a admis
que l'enfant « doit, autant que possible, grandir sous la sauvegarde et sous la
responsabilité de ses parents » (principe 6). Souhaitons que cet engagement se
traduise toujours davantage dans les faits, surtout durant l'Année
internationale de l'enfant qui va bientôt commencer.
Mais il ne suffît pas d'affirmer et de
défendre ce principe du droit des parents. Il faut surtout se soucier de les
aider à bien accomplir ce métier difficile de l'éducation en nos temps
modernes. En ce domaine, la bonne volonté, l'amour même, ne sont pas
suffisants. C'est un savoir-faire que les parents doivent acquérir, avec la
grâce de Dieu, d'abord en fortifiant leurs propres convictions morales et
religieuses, en donnant l'exemple, en réfléchissant aussi sur leur expérience,
entre eux, avec d'autres parents, avec des éducateurs experts, avec des prêtres.
Il s'agit d'aider les enfants et les adolescents «à apprécier sainement les
valeurs morales et à les embrasser dans une adhésion personnelle et, tout
autant, à connaître et à aimer Dieu plus parfaitement » (déclaration Gravissimum educationis, n. 1). Cette
éducation de leur discernement, de leur volonté et de leur foi est tout un art
; l'atmosphère familiale doit être faite de confiance, de dialogue, de fermeté,
de respect bien compris de la liberté naissante : toutes choses qui permettent
une initiation progressive à la rencontre du Seigneur et aux habitudes qui
honorent déjà l'enfant et préparent l'homme de demain. Puissent vos enfants
acquérir dans vos familles une « première expérience de l'Église et de
l'authentique vie humaine en société » (cf. ibid., n. 3) ! Il vous reviendra aussi de les introduire peu à
peu dans des communautés éducatives plus larges que la famille. Celle-ci doit
alors accompagner ses adolescents avec un amour patient, dans l'espérance et,
sans démissionner, coopérer avec les autres éducateurs. Ainsi, affermis dans
leur identité chrétienne pour affronter comme il convient un monde pluraliste,
souvent indifférent, voire hostile à leurs convictions, ces jeunes pourront
devenir forts dans la foi, servir la société et prendre une part active à la
vie de l'Église, en communion avec leurs pasteurs et en mettant en œuvre les
orientations du Concile Vatican II.
Que l'exemple et la prière de la Vierge Mère
vous aident dans votre magnifique mission ! Je suis heureux de bénir vos
familles et d'encourager, au-delà de vos personnes, tous les parents et
associations de parents soucieux d'éducation chrétienne.
4 novembre 1978
Le samedi 4 novembre, l'Église
célèbre la fête de saint Charles Borromée, le grand archevêque de Milan, celui
qui a consacré toutes ses forces à la mise en application du Concile de Trente.
Il se trouve que c'est aujourd'hui la fête du pape Jean Paul II qui a reçu, à son baptême le nom de Karol.
Je désire de tout cœur vous remercier pour
les expressions de bienveillance au regard de ma personne. Le jour de la fête
fait toujours converger l'attention et la bienveillance des plus proches, des
familiers, sur la personne qui porte un nom déterminé. Ce nom nous rappelle
l'amour de nos parents, qui en nous l'imposant voulaient d'une certaine manière
déterminer la place de leur enfant dans cette communauté d'amour qu'est la
famille. Par ce nom, eux d'abord, se sont adressés à lui, et avec eux, tous les
frères et les sœurs, les parents, les amis et les compagnons. Et ainsi le nom a
tracé la route de l'homme parmi les hommes ; parmi les hommes plus proches et
plus affectionnés.
Cependant le mystère du nom va au-delà. Les
parents qui ont imposé le nom à leur enfant au baptême voulaient définir sa
place dans la grande assise d'amour qu'est la Famille de Dieu. L'Église sur la
terre tend sans cesse aux dimensions de cette famille dans le mystère de la
Communion des Saints. En imposant le nom à leur enfant, les parents veulent
l'introduire dans la continuité de ce mystère.
Mes très chers parents m'ont donné le nom de
Karol (Charles) qui était aussi le nom de mon père. Certainement ils n'ont
jamais pu prévoir (l'un et l'autre sont morts jeunes) que ce nom aurait ouvert
à leur enfant la voie parmi les grands événements de l'Église d'aujourd'hui.
Saint Charles ! Combien de fois me suis-je
agenouillé devant ses reliques au. Dôme de Milan ! Combien de fois ai-je
repensé à sa vie, contemplant dans mon esprit la gigantesque figure de cet
homme de Dieu et serviteur de l'Église, Charles Borromée, Cardinal, Évoque de
Milan, et homme du Concile ! Il est un des grands protagonistes de la réforme
de l'Église au XVIe siècle,
opérée par le Concile de Trente, qui restera pour toujours liée à son nom. Il a
été également l'un des créateurs de l'institution des séminaires
ecclésiastiques, reconfirmée dans toute sa substance par le Concile Vatican II. Il fut, en plus, serviteur des âmes, qui ne se laissait
jamais dominer par la peur ; serviteur des souffrants, des malades, des
condamnés à mort.
Mon Patron !
En son nom mes parents, ma paroisse, ma
patrie avaient l'intention de me préparer dès le début à un service singulier
envers l'Église, dans le contexte du Concile d'aujourd'hui, avec les nombreux
devoirs attachés à sa réalisation, et aussi dans l'ensemble des expériences et
souffrances de l'homme de nos jours.
Que Dieu vous récompense, vénérés Frères,
Cardinaux de la Sainte Eglise Romaine, parce qu'en ce jour vous avez voulu avec
moi vénérer saint Charles dans mon indigne personne. Que Dieu récompense tous
ceux qui le font unis à Vous.
Puisse-je, au moins en partie, être son
imitateur !
J'espère que vos prières, les prières de tous
les hommes bons, nobles, bienveillants, mes frères et sœurs, m'aideront en
cela.
Et maintenant, avant de terminer ce discours,
qu'il me soit permis de m'adresser d'une façon spéciale à Vous, vénéré et cher
Doyen du Sacré Collège, porteur du même nom de Charles.
Nous avons un même Patron et nous avons notre
fête le même jour.
Échangeons les meilleurs vœux de fête. Et je
le fais du fond du cœur avec une très vive reconnaissance.
Le doyen du Sacré Collège m'a donné des
preuves d'une grande bienveillance en ces premiers jours de mon pontificat Ses
paroles, chaque fois qu'il parle, sont pleines d'amour, et de dévouement ; et
moi je reçois les expressions qu'il m'a adressées aujourd'hui comme un signe de
singulier appui pour mes premiers pas au début de ma nouvelle Mission. Je vous
remercie de tout cœur.
Et je prie afin que saint Charles, notre
Patron commun, bénisse votre personne durant toute votre vie, durant tous vos
jours pleins d'amour pour l'Église et marqués de l'esprit de consécration et de
service, qui nous édifie tous.
Avec ma spéciale bénédiction apostolique.
5 novembre 1978
Le dimanche
5 novembre, Jean Paul II a quitté le Vatican vers 13 h, pour se rendre en
hélicoptère, à Assise. De retour au Vatican, dans le milieu de l'après-midi, il
en ressortait peu après pour se rendre dans le centre historique de Rome, à
l'église dite de la « Minerva», où se trouve le corps de sainte Catherine de
Sienne. Le but de ce double voyage est clair: le pape s'est rendu près des
tombes des deux saints patrons de l'Italie : François d'Assise et Catherine de
Sienne. Par là, il témoigne de son insertion complète en Italie comme évêque de
Rome.
Voici la traduction des discours
prononcés par lui à cette occasion :
Me voici à Assise en ce jour que j'ai voulu
consacrer d'une façon spéciale aux Saints Patrons de cette terre : l'Italie, terre
où Dieu m'a appelé afin que je puisse servir comme successeur de saint Pierre.
Du fait que je ne suis pas né sur ce sol, je sens plus que jamais le besoin
d'une « naissance » spirituelle en lui. Et pour cela, en ce dimanche, je viens
en pèlerin à Assise aux pieds du saint « povorello » François, qui a inscrit en
caractères incisifs l'Évangile du Christ dans le cœur des hommes de son temps.
Nous ne pouvons nous étonner que ses concitoyens aient voulu voir en lui le
Patron de l'Italie. Le Pape, qui par sa mission doit avoir devant les yeux
l'Église universelle, épouse du Christ, dans les diverses parties du globe, a
besoin en particulier sur son siège de Rome, de l'aide du Saint Patron
d'Italie, il a besoin de l'intercession de saint François d'Assise.
Et pour cela aujourd'hui, il arrive ici.
Il vient pour visiter cette ville toujours
témoin de la merveilleuse aventure divine, qui s'est déroulée entre le XIIe et le XIIIe siècle.
Elle est le témoignage de cette surprenante sainteté qui passa ici comme un grand souffle de l'Esprit.
Souffle auquel participent saint François d'Assise, sa sœur spirituelle, sainte
Claire et tant d'autres saints nés de leur spiritualité évangélique. Le message
franciscain s'est étendu loin au-delà des frontières d'Italie, et bien vite il
est arrivé même en Pologne, d'où je proviens. Et il produit toujours des fruits
abondants comme du reste en d'autres pays du monde et en d'autres continents.
Je vous dirai
qu'étant archevêque de Cracovie, j'habitais près d'une très antique église franciscaine,
et de temps en temps, j'allais prier en ce lieu, faire le « Chemin de Croix »
et visiter la chapelle de la Vierge des Douleurs. Moments inoubliables pour moi
! Il faut se rappeler, n'est-ce pas que, de ce magnifique tronc de la
spiritualité franciscaine, est né le bienheureux Maximilien Kolbe, Patron de
nos temps difficiles.
Je ne puis passer
sous silence que précisément à Assise, dans cette Basilique, en 1253, le Pape
Innocent IV a proclamé saint l'Évêque de
Cracovie le martyr Stanislas, maintenant Patron de la Pologne dont jusqu'à il y
a peu de temps, j'étais l'indigne successeur.
Pour cela
aujourd'hui, en posant, pour la première fois comme Pape, les pieds ici, à la
source de ce grand souffle de l'Esprit, de cette merveilleuse renaissance de
l'Église et de la chrétienté au XIIIe
siècle, mon cœur
s'ouvre vers notre Patron et s'écrie : « Toi qui as tant travaillé à rapprocher
le Christ de ton époque, aide-nous à faire de même pour notre époque, en ces
temps critiques et difficiles».
Aide-nous ! Cette
époque attend le Christ avec une anxiété grandissante, bien que beaucoup
d'hommes d'aujourd'hui ne s'en rendent pas compte. Nous nous approchons de l'an
deux mille après le Christ. N'y aura-t-il pas des temps pour nous préparer à
une renaissance du Christ, à un nouvel A vent ? Nous, chaque jour, dans la
prière eucharistique nous exprimons notre attente, adressée à Lui seul, notre
Rédempteur et Sauveur, à Lui qui est l'accomplissement de l'histoire de l'homme
et du monde.
Aide-nous, saint
François d'Assise à rapprocher le Christ de l'Église et du monde d'aujourd'hui.
Toi, qui as porté
dans Ton cœur les vicissitudes de tes contemporains, aide-nous, avec le cœur
proche du Rédempteur, à embrasser tout ce qui touche les hommes de notre époque
!
Les difficiles
problèmes sociaux, économiques, politiques, de la culture et de la civilisation
contemporaines, toutes les souffrances de l'homme
d'aujourd'hui, ses doutes, ses négations, ses débandades, ses tensions, ses
complexes, ses inquiétudes... Aide-nous à traduire tout cela dans le langage
simple et fructueux de l'Évangile.
Aide-nous à résoudre toute chose à la manière
évangélique afin que le Christ lui-même puisse être « Voie, Vérité, Vie » pour
l'homme de notre temps.
Moi, le Pape Jean Paul II, fils de la terre polonaise, je te demande cela, à Toi fils
saint de l'Église, fils de la terre italienne. Et j'espère que tu ne le lui
refuseras pas, que tu l'aideras. Tu as toujours été bon et tu t'es toujours
empressé de porter secours à tous ceux qui se sont adressés à toi.
Je remercie vivement S. Em. le cardinal
Silvio Oddi, délégué pontifical pour la basilique de Saint-François d'Assise et
S. Exc. Monseigneur Dino Tomasini, évêque d'Assise, tous les archevêques et
évêques de la Région pastorale de l’Ombrie, ainsi que les prêtres des divers
diocèses.
Un salut et un grand merci spécial au
Ministre général des quatre Familles franciscaines, à la Communauté de la
Basilique de Saint-François, à tous les franciscains, à toutes les familles
religieuses — religieux et religieuses — qui s'inspirent de la Règle et du
style de vie de saint François d'Assise ! Je vous dis ce que je ressens au fond
de mon cœur :
Le Pape vous remercie pour votre fidélité à
votre vocation franciscaine !
Le Pape vous remercie pour votre travail
apostolique, évangélique et missionnaire.
Le Pape vous remercie pour vos prières à ses
intentions.
Le Pape vous assure de son souvenir dans la
prière.
Servez le Seigneur avec joie !
Soyez serviteurs de son peuple avec
allégresse parce que saint François a voulu que vous soyez des serviteurs
joyeux de l'humanité, capables d'allumer la lampe de l'espérance, de la
confiance, de l'optimisme qui trouve sa source dans le Seigneur lui-même.
Qu'aujourd'hui et toujours vous serve d'exemple, notre commun saint Patron, saint
François d'Assise !
Nous arrivons désormais au soir de cette
journée que j'ai voulu consacrer d'une façon particulière aux saints Patrons de
l'Italie. Élu par le Sacré Collège des cardinaux comme successeur de saint
Pierre, c'est avec une profonde appréhension que j'ai accepté ce service, en y
voyant la volonté de notre Seigneur Jésus-Christ. Quand j'ai bien pris
conscience de ne pas être natif de cette terre, mais d'être un étranger par
rapport à elle, j'ai pensé à la figure de saint Pierre, lui aussi étranger à
Rome, Ainsi, en esprit de foi, par obéissance, j'ai accepté cette élection, en
vertu de laquelle je suis devenu successeur de Pierre et Évêque de Rome.
Je ressens donc d'autant plus le besoin de
m'insérer sur cette nouvelle terre que Pierre a choisie, en venant de
Jérusalem, par Antioche jusqu'à Rome. Et il l'a choisie pour établir en elle sa
chaire apostolique. Cette terre m'a toujours été proche ; maintenant, elle doit
devenir ma seconde patrie, et voilà pourquoi j'ai eu l'idée d'exprimer
aujourd'hui, de façon spéciale, mon union avec cette terre, avec l'Italie. Je
désire faire partie de cette terre dans toute sa richesse historique et, en
même temps, dans toute sa réalité d'aujourd'hui. Il est un témoignage particulier
de chaque patrie terrestre des hommes : ce sont les Saints propres à ce pays,
parmi lesquels précisément figurent ces deux-là : Sainte Catherine de Sienne et
Saint François d'Assise, qui ont été proclamés Patrons de l'Italie.
Ici, devant les reliques de sainte Catherine,
je dois encore une fois remercier la divine Sagesse d'avoir voulu se servir de
ce cœur de femme, à la fois simple et profond, pour montrer, dans une période
d'incertitude, le chemin à l'Église et, spécialement, aux Successeurs de
Pierre. Quel amour et quel courage ! Quelle merveilleuse simplicité, mais aussi
quelle merveilleuse profondeur d'âme : une âme ouverte à toutes les
inspirations de l'Esprit, consciente de sa mission.
Je souhaite de tout cœur que, à notre époque
sainte Catherine, Docteur de l'Église, continue à être la patronne qui accorde
à tous les hommes la conscience de leur vocation chrétienne. Conscience qui,
d'une façon particulière, doit mûrir et s'approfondir pour que l'Église puisse
remplir la mission que lui a confiée le Christ et la remplir en correspondant
aux besoins de notre temps !
En sainte Catherine de Sienne, je vois un
signe visible de la mission de la femme dans l'Église. Je voudrais dire
beaucoup de choses à ce sujet, mais le court espace de temps dé cette journée
ne me le permet pas. L'Église de Jésus-Christ et des apôtres est en même temps
l'Église-mère et l'Église-épouse. De telles expressions bibliques révèlent avec
clarté de quelle façon profonde la mission de la femme est inscrite dans le
mystère de l'Église. Puissions-nous ensemble découvrir la signification
multiforme de cette mission, en allant, la main dans la main avec le monde
féminin d'aujourd'hui, en s'appuyant sur les richesses que, dès l'origine, le
Créateur a mises dans le cœur de la femme et sur la sagesse admirable de ce
cœur que Dieu a voulu manifester, voici bien des siècles, en sainte Catherine
de Sienne.
De même que, en ce temps-là, elle servit de
maître et de guide aux Papes éloignés de Rome, qu'elle soit aujourd'hui
l'inspiratrice du Pape venu à Rome et qu'elle rapproche de lui, non seulement
sa propre patrie, mais aussi toutes les terres du monde en lui permettant
d'embrasser d'un seul coup l'Église universelle.
Avec ces vœux, de grand cœur, je vous bénis.
8 novembre 1978
Je vous salue de
tout cœur et vous dis que particulièrement grande est la joie que m'apporte
aujourd'hui votre nombreuse et affectueuse présence. On se trouve toujours bien
avec les jeunes.
Le Pape aime tout
le monde, chaque homme et tous les hommes, mais il a une préférence pour les
plus jeunes parce que ceux-ci avaient une place privilégiée dans le cœur de
Jésus, qui désirait rester avec les enfants (Me 10, 14 ; Le 18, 16) et
s'entretenir avec les jeunes ; c'est particulièrement aux jeunes qu'il
adressait son appel (Mt 19, 21) ; et Jean, l'Apôtre le plus jeune, était son
préféré.
Je vous remercie
donc vivement pour être venus me voir, m'apportant le don précieux de votre
jeunesse, de vos yeux pleins de joie et de vie, de vos visages resplendissant
d'idéal.
En cette première
rencontre je désire, en plus de l'intensité de mes sentiments d'affection, vous
exprimer mon espérance. Oui, mon espérance, parce que vous êtes la promesse de
demain. Vous êtes l'espérance de l'Église et de la société.
En vous
contemplant, je pense en frémissant, et avec confiance, à ce qui vous attend
dans la vie et à ce que vous serez dans le monde de demain ; comme viatique
pour votre vie, je désire vous laisser trois pensées :
- cherchez Jésus ;
- aimez Jésus ;
- témoignez Jésus.
1. Avant tout, «
cherchez Jésus » !
On ne saurait,
aujourd'hui moins que jamais, en rester à une foi chrétienne superficielle ou
de type sociologique : les temps, vous le savez, sont changés. Le développement
de la culture, l'influence continue des mass média, la connaissance des
événements humains du passé et du présent, l'accroissement de la sensibilité et
du besoin de certitude et de clarté au sujet des vérités fondamentales, la
présence massive dans la société et dans la culture de conceptions athées agnostiques et, également, anti-chrétiennes, imposent
d'avoir une foi personnelle, c'est-à-dire recherchée avec la hantise de la
vérité pour être ensuite vécue intégralement.
Il faut par conséquent parvenir à une
conviction claire et certaine de la vérité de sa propre foi chrétienne, et
donc, en premier lieu, de l'historicité et de la divinité du Christ et de la
mission de l'Église qu'il a voulue et fondée.
Quand on est vraiment convaincu que Jésus
est le Verbe Incarné et qu'il est encore aujourd'hui présent dans l'Église,
alors on accepte totalement sa « parole », parce qu'elle est parole divine qui
ne trompe pas, qui ne se contredit pas, qui nous donne l'unique et véritable
sens de la vie et de l'éternité. C'est Lui seul en effet qui a des paroles de
vie éternelle ! Lui seul est la voie, la vérité et la vie !
Je vous répète donc : cherchez Jésus en
lisant et étudiant l'Évangile ; en lisant quelque bon livre ; cherchez Jésus,
tirant profit en particulier de la leçon de religion dans les écoles, les
catéchismes, les réunions dans vos paroisses.
Chercher personnellement Jésus donne, avec
l'anxiété et la joie de découvrir la vérité, une profonde satisfaction
intérieure et une grande force spirituelle pour mettre alors en pratique ce
qu'il exige, même si cela impose des sacrifices.
2. En deuxième lieu, je vous dis : aimez
Jésus !
Jésus n'est pas une idée, un sentiment, un
souvenir ! Jésus est une « personne » toujours vivante et présente parmi nous !
- Aimez Jésus présent dans l'Eucharistie. Il
est présent de manière sacrificatoire dans la Sainte Messe qui renouvelle le
Sacrifice de la Croix. Aller à la Messe signifie aller au Calvaire pour le
rencontrer, Lui, notre Rédempteur.
Il vient en nous dans la Sainte Communion et
demeure présent dans les Tabernacles de nos églises parce qu'il désire être
particulièrement l'ami et, sur le chemin de la vie, le soutien des jeunes, le
vôtre, chers enfants et jeunes gens, qui avez tant besoin de confiance et
d'amitié.
- Aimez Jésus présent dans l'Église au moyen
de ses prêtres, présent dans la famille au moyen de vos parents et de ceux qui
vous aiment.
- Aimez Jésus présent spécialement en ceux
qui souffrent de l'une ou l'autre manière : physiquement, moralement,
spirituellement. Que ce soit pour vous un engagement et un programme d'aimer
votre prochain en découvrant en lui le visage du Christ.
3. Et
enfin je vous dis : témoignez le Christ par votre foi courageuse et par votre
innocence.
Il est vain de se lamenter sur la méchanceté
des temps. Comme l'écrivait déjà saint Paul, il faut vaincre le mal en faisant
le bien (Rm 12, 21) .
Le monde estime et respecte le courage des
idées et la force des vertus. N'ayez pas peur de bannir les paroles, les
gestes, les attitudes non conformes aux idéaux chrétiens. Ayez le courage de
repousser ce qui détruit votre innocence ou nuit à la fraîcheur de votre amour
pour le Christ.
Chercher, aimer, témoigner Jésus ! Voilà
votre mission ; voilà la consigne que je vous laisse ! En agissant ainsi, non
seulement vous conserverez la vraie joie dans votre vie, mais vous ferez aussi
du bien à la société tout entière qui a besoin avant tout d'être cohérente avec
le message évangélique.
C'est ce que, de tout cœur, je souhaite pour
vous, tandis que cordialement je vous bénis, vous, tous ceux qui vous sont
chers et tous ceux qui se consacrent à votre formation.
9 novembre 1978
Le jeudi 9
novembre, le Saint-Père a reçu en audience, dans la Salle des Bénédictions, le
clergé de Rome. Celui-ci a accueilli le Souverain Pontife avec une très grande
ferveur. Le cardinal-vicaire Ugo Poletti a présenté le diocèse de Rome au Pape.
Celui-ci s'est alors adressé aux prêtres par un discours en italien dont voici
la traduction :
Monsieur le Cardinal,
Je désire vous remercier de tout cœur pour
les paroles que vous m'avez adressées au début de notre rencontre
d'aujourd'hui. Avec le Cardinal-Vicaire, Mgr le Vice-Gérant et les évoques
auxiliaires sont ici présents, les membres du clergé romain pour rencontrer le
nouvel évêque de Rome, que le Christ a désigné au moyen du vote des Cardinaux
au cours du Conclave du 16 octobre, après la mort inopinée du bien-aimé Pape
Jean Paul Ier. Je
dois vous avouer, chers Confrères, que j'ai fort désiré cette, rencontre et
l'ai vivement attendue. Toutefois, assumant l'héritage de mes vénérables
Prédécesseurs — en fait à peine trois mois nous séparent de la mort du grand
Pape Paul VI — j'ai pensé qu'il
convenait de le faire graduellement. D'autant plus que les circonstances sont
particulièrement insolites.
La succession des Evêques de Rome compte pour
la première fois après 455 ans un Pape qui vient d'au-delà des frontières
italiennes. C'est pourquoi j'ai cru bon de faire précéder ma prise de
possession du diocèse de Rome liée à l'entrée solennelle dans la Basilique
Saint-Jean de Latran, par une période de préparation. Entre-temps, j'ai voulu
m'insérer dans le magnifique courant de la tradition chrétienne d'Italie,
exprimée par la figure de ses Saints Patrons : Saint François d'Assise et
Sainte Catherine de Sienne. Après cette préparation, je désire accomplir le
devoir fondamental de mon pontificat, c'est-à-dire prendre possession de Rome
comme Diocèse, comme Église de cette ville, assumer officiellement la
responsabilité de cette communauté, de cette tradition dont l'origine remonte à
l'Apôtre Saint Pierre. Je suis parfaitement conscient d'être devenu Pape de
l'Église Universelle, parce que Evêque de Rome. Le ministère (munus) de l'évêque de Rome en tant
que successeur de Pierre est la racine de l'universalité.
Notre rencontre aujourd'hui, fête de la
Dédicace de la Basilique du Latran, est comme une inauguration de l'acte
solennel qui aura lieu dimanche prochain. Je salue le Cardinal-Vicaire,
Monseigneur le Vice-Gérant, les Evêques et tous les Prêtres ici réunis, tant
diocésains que religieux. Je souhaite cordialement à tous la bienvenue au nom
du Christ Sauveur.
J'ai écouté très attentivement le discours du
Cardinal-Vicaire. J'ajoute que déjà avant notre rencontre d'aujourd'hui il a eu
la bonté de m'informer au sujet de différentes questions concernant le Diocèse
de Rome et, en particulier sur l'activité pastorale qui pèse sur vos épaules,
chers Frères prêtres dans ce diocèse, premier par dignité parmi les autres.
En écoutant ce discours, j'ai constaté avec
joie que les problèmes essentiels me sont familiers. Ils font partie de toute
ma précédente expérience. Vingt années de service épiscopal et quelque quinze
ans de direction de l'un des plus anciens diocèses de Pologne, l’archidiocèse
de Cracovie, font que ces problèmes revivent dans mes souvenirs, me forçant à
les confronter entre eux, tout en ayant, évidemment, conscience de la diversité
des situations. Je sais parfaitement ce que signifient l’évangélisation et
l'activité pastorale dans une ville où le centre historique est riche d'églises
qui se dépeuplent alors qu'en même temps, naissent de nouveaux quartiers et
bourgades auxquels il faut pourvoir, non sans devoir souvent lutter pour
obtenir de nouvelles églises, de nouvelles paroisses ainsi que les autres
conditions fondamentales nécessaires pour l'évangélisation. Je me souviens des
prêtres admirables, zélés et souvent héroïques avec lesquels j'ai pu partager
la sollicitude et la lutte. Sur cette voie, la foi alimentée par la tradition
acquiert des forces neuves. La laïcisation programmée ou bien jaillie
d'habitudes et de prédispositions des habitants d'une grande ville s'arrête
quand elle rencontre un vivant témoignage de foi qui sait mettre également en
évidence, la dimension sociale de l'Évangile.
Je sais également, chers frères, ce que
signifient les diverses institutions et structures auxquelles le
Cardinal-Vicaire a eu la bonté de faire allusion, c'est-à-dire la Curie — en
l'espèce le Vicariat de Rome — les préfectures et le Conseil des Curés-Préfets
y relatif, le Conseil Presbytéral. J'ai appris à donner leur juste valeur à
toutes ces formes de travail de groupe. Elles sont, non pas seulement, des
structures administratives mais aussi des centres par lesquels s'expriment et
se réalisent notre communion sacerdotale et, en même temps, l'union du service
pastoral et de l'évangélisation. Dans ma précédente activité épiscopale, il m'a
été rendu de grands services par le Conseil Presbytéral, soit en tant que
communauté, soit comme lieu de rencontre avec l’évêque pour partager avec lui
la commune sollicitude pour toute la vie du presbyterium et pour l'efficacité de son activité pastorale.
Parmi les institutions que le Cardinal
Vicaire a énumérées dans son discours, il en est trois qui, dans mon précédent
service d'évêque m'ont toujours été très proches et très chères : le séminaire
diocésain, l'Université des Sciences théologiques et la paroisse.
Comme j'aimerais contribuer à leur
développement ! Le Séminaire en effet est « la pupille de l'œil » non seulement
des Évêques, mais de toute l'Église locale et universelle. L'Université des
Sciences théologiques — en notre cas l'Université du Latran — me sera chère
autant que l'était et le reste la Faculté de Théologie de Cracovie et ses
Instituts-annexes. Quant à la paroisse, comme je trouve profondément justifiée
l'affirmation que c'est « dans la paroisse » que l'évêque se sent le plus à
l'aise ! Les visites aux paroisses — cellules fondamentales d'organisation de
l'Église et, en même temps, de la Communauté du Peuple de Dieu — comme je les
aimais ! J'espère pouvoir les continuer ici également pour connaître vos
problèmes et ceux de la paroisse. A cet égard, j'ai déjà eu des entretiens avec
le Cardinal-Vicaire et ses évêques.
Tout ce que je dis se rapporte à vous et vous
touche directement, chers frères prêtres romains. Tandis que je vous rencontre
ici pour la première fois et vous salue avec sincère affection, j'ai encore
dans les yeux et dans le cœur le « presbyterium » de l'Église de Cracovie —
toutes nos rencontres en diverses occasions — les nombreux entretiens qui ont
commencé dès les années de Séminaire — les réunions de prêtres — compagnons
d'ordination des divers cours du séminaire, auxquels j'ai toujours été invité
et y participant avec joie et profit.
Il ne sera pas possible évidemment de
réaliser tout cela ici, étant donné mes nouvelles conditions de travail, mais
nous devons faire tout ce que nous pouvons pour être proches, pour former P«
unum », la communion sacerdotale, comprenant tout le clergé diocésain et
religieux de tous les prêtres provenant des diverses parties du monde qui
travaillent au service de la Curie Romaine et se dévouent avec autant de
sollicitude au ministère pastoral. Cette communion des prêtres entre eux et
avec leur Évêque est la condition fondamentale de l'union entre tout le Peuple
de Dieu. Elle constitue son unité dans le pluralisme et dans la solidarité
chrétienne. L'union des prêtres avec leur évêque doit devenir la source de
l'union réciproque des prêtres entre eux et des groupes de prêtres. Cette
union, basée sur la conscience de leur grande mission propre, s'exprime
moyennant l'échange de services et d'expériences, la disponibilité à la
collaboration, l'engagement dans toutes les activités pastorales, tant dans la
paroisse que dans la catéchèse ou dans la direction de l'apostolat des laïcs.
Chers Frères, nous devons aimer notre
sacerdoce du plus profond de notre âme, comme grand «sacrement social ». Nous
devons l'aimer comme l'essence de notre vie et de notre vocation, comme base de
notre identité chrétienne et humaine. Aucun de nous ne peut être divisé en
lui-même. Le sacerdoce sacramentel, le sacerdoce ministériel, exige une
particulière foi, un particulier engagement de toutes les forces de l'âme et du
corps ; il exige une toute spéciale conscience de la propre vocation comme
vocation exceptionnelle. Nous devons, chacun de nous, remercier le Christ à
genoux pour le don de cette vocation : « Que rendrais-je au Seigneur pour les
dons qu'il m'a faits ? J'élèverai le calice du salut et j'invoquerai le nom du
Seigneur » (Ps. 115).
Chers frères, nous devons prendre « le calice
du salut ». Nous sommes nécessaires aux hommes, immensément nécessaires, et pas
à moitié-service, à mi-temps, comme des « employés ». Nous sommes nécessaires en
tant qu'hommes qui rendent témoignage et réveillent chez autrui le besoin de
rendre témoignage. Et s'il peut sembler parfois que nous ne sommes pas
nécessaires, cela veut dire qu'il nous faut commencer à rendre plus clairement
témoignage, et alors nous nous rendrons compte combien le monde a besoin
aujourd'hui de notre témoignage sacerdotal, de notre service, de notre
sacerdoce.
Aux hommes de notre temps, à nos fidèles, au
peuple de Rome, nous devons donner et offrir notre témoignage avec toute notre
existence humaine, avec tout notre être. Le témoignage sacerdotal, le tien,
cher confrère prêtre, et le mien implique notre personne tout entière. Oui, le
Seigneur semble en effet nous parler : « J'ai besoin de tes mains pour
continuer à bénir... J'ai besoin de tes lèvres pour continuer à parler... J'ai
besoin de ton corps pour continuer à souffrir... J'ai besoin de ton cœur pour
continuer à aimer... J'ai besoin de toi pour continuer à sauver » (Michel
Quoist, Prières).
Ne nous flattons pas de servir, si nous tentons
de « diluer » notre charisme sacerdotal en accordant un intérêt exagéré au
vaste domaine des problèmes temporels, si nous désirons « laïciser » notre
manière de vivre et d'agir, si nous effaçons également les signes extérieurs de
notre vocation sacerdotale. Nous devons conserver le sens de notre vocation
spéciale, et un tel caractère exceptionnel doit s'exprimer également dans le
vêtement extérieur. Nous n'avons pas à en avoir honte. Certes, nous sommes dans
le monde ! Mais nous ne sommes pas du monde !
Le Concile Vatican II nous a rappelé cette splendide vérité du « sacerdoce
universel » de tout le Peuple de Dieu qui découle de la participation au
sacerdoce unique de Jésus. Notre sacerdoce « ministériel », enraciné dans le sacrement de
l'Ordre, diffère essentiellement du sacerdoce universel des fidèles. Il a été
constitué afin d'éclairer plus efficacement nos frères et sœurs qui vivent dans
le monde — c'est-à-dire les laïcs — sur le fait que nous sommes tous en
Jésus-Christ « royaume de prêtres » pour le Père. Le prêtre rejoint cette fin
par le ministère de la parole et des sacrements qui lui est propre, et surtout
par le sacrifice eucharistique auquel lui seul est autorisé ; tout ceci, le
prêtre le réalise également grâce à un style de vie adapté. C'est pourquoi
notre sacerdoce doit être limpide et expressif. Et si, dans la tradition de
notre Église, il est strictement lié au célibat, c'est précisément en vue de la
limpidité et de l'expressivité « évangélique » auxquelles se réfèrent les paroles du Seigneur au sujet du
célibat « pour le royaume des cieux » (cf. Mt 19, 12).
Le Concile Vatican II et un des premiers Synodes des Évêques, celui de 1971, ont
prêté grande attention aux questions précitées. En outre, rappelons-nous que
durant ce Synode, le Pape Paul VI a
élevé aux honneurs de l'autel, le Bienheureux Maximilien Kolbe, un prêtre.
Aujourd'hui, je désire me référer à tout ce qui a été énoncé à l'époque et
également au témoignage sacerdotal de mon compatriote.
Je voudrais vous confier également un
problème que j'ai pris particulièrement à cœur: celui des vocations
sacerdotales pour notre chère ville et diocèse de Rome. Chers prêtres, veuillez
prendre part à ma préoccupation, à ma sollicitude ! Faites appel à vos
souvenirs les plus personnels ! N'y a-t-il pas eu aux débuts de votre vocation
un prêtre exemplaire qui vous a guidés dans vos premiers pas vers le sacerdoce
? Votre première pensée, votre premier désir de suivre le Seigneur, ne sont-ils
pas liés à la personne concrète d'un prêtre-confesseur, d'un prêtre-ami ?
Qu'aillent à ce prêtre votre pensée reconnaissante, votre cœur gonflé de
gratitude. Oui, le Seigneur a besoin d'intermédiaires, d'instruments pour faire
écouter sa voix, son appel. Chers prêtres, offrez-vous au Seigneur pour être
ses instruments pour appeler de nouveaux ouvriers à sa vigne. Il ne manque pas
de jeunes généreux.
Avec grande humilité et amour je demande au
Christ, Prêtre éternel et unique, par l'intercession de Sa Mère et de la nôtre,
particulièrement vénérée dans l'image connue dans le monde entier comme Salus Populi Romani, que notre commun
service sacerdotal et pastoral dans ce diocèse qui est le plus vénérable de
l'Église Universelle soit béni et produise des fruits copieux. Me référant donc
à la prière sacerdotale de Jésus-Christ, je termine par ces paroles : « Père
Saint, garde en ton nom ceux que tu m'as donnés pour qu'ils soient une seule
chose... et qu'aucun d'eux ne se perde... afin qu'ils soient sanctifiés dans la
vérité» (Jn 17, 11, 19).
9 novembre 1978
Aux évêques des États-Unis en visite « ad limina »
Le Saint-Père a reçu en audience, le 9 novembre, les
archevêques et évêques des Ve et VIIe régions pastorales des États-Unis d'Amérique venus à Rome
pour leur visite « ad limina ». Après avoir reçu chaque évêque en
particulier dans la matinée, le Saint-Père a prononcé, en réponse à l'adresse
d'hommage du cardinal Cody, archevêque de Chicago, un discours en anglais dont
voici la traduction :
Chers Frères en Jésus-Christ,
L'une des plus grandes consolations du
nouveau pape est de savoir qu'il peut compter sur l'amour et l'appui de tout le
peuple de Dieu. Comme l'apôtre Paul dans les Actes des Apôtres, le pape est
puissamment aidé par les ferventes prières des fidèles. C'est donc une joie
spéciale pour moi de me retrouver avec vous, mes frères dans l'épiscopat, vous
qui êtes les pasteurs d'Églises locales dans les États-Unis d'Amérique. Je sais
que vous portez avec vous la foi profonde de vos fidèles, leur profond respect
pour le mystère du rôle de Pierre dans le dessein de Dieu à l'égard de l'Église
universelle, et leur amour pour le Christ et pour ses frères. Par une
providence de Dieu, j'ai pu visiter votre pays et y faire personnellement la
connaissance de quelques personnes. Ainsi notre réunion est elle-même la
célébration de l'unité de l'Église. C'est également l'attestation de notre
acceptation de Jésus-Christ dans la totalité de son mystère de salut.
Comme serviteur et pasteur, et père de
l'Église universelle, je voudrais maintenant exprimer mon amour à l'égard de
ceux qui sont particulièrement appelés à travailler pour l'Évangile, ceux qui
collaborent activement avec vous dans vos diocèses, pour construire le royaume
de Dieu. Comme vous-mêmes, j'ai appris, comme évêque, à considérer comme
prioritaire le ministère sacerdotal, les problèmes qui touchent à la vie des
prêtres, les sacrifices qui font partie intégrante de leur service du peuple de
Dieu. Comme vous-mêmes, je suis pleinement conscient de la façon dont le Christ
dépend de ses prêtres pour l'accomplissement dans le temps de sa mission de
rédemption. Et comme vous-mêmes, j'ai travaillé avec les religieux, je me suis
efforcé de témoigner de l'estime que l'Église leur porte dans leur vocation d'amour
consacré, et je les ai toujours engagés à une collaboration pleine et généreuse
dans la vie du corps de la communauté ecclésiale. Tous nous connaissons
d'abondants exemples d'authentique evangelica
testificatio (témoignage évangélique). Je vous demande donc de porter
mon salut au clergé et aux religieux, de les assurer de ma compréhension, de ma
solidarité, de mon amour dans le Christ Jésus et dans l'Église.
Je suis également conscient du fait que mes
obligations pastorales s'étendent à la communauté entière des croyants. Au
cours de cette audience, je voudrais faire quelques réflexions de base qui,
j'en suis convaincu, sont importantes pour chaque Église locale dans son
ensemble. Dans les priorités qu'ils ont établies, mes prédécesseurs Paul VI et Jean Paul Ier ont choisi des sujets d'une extrême importance, et je
ratifie en pleine connaissance de cause et avec toute ma conviction personnelle
toutes leurs exhortations et toutes leurs directives. Lors de la dernière
visite « ad limina » d'évêques des États-Unis, mon prédécesseur immédiat a
consacré son discours au thème de la famille chrétienne. Déjà au cours des
premières semaines de mon pontificat, j'ai eu moi aussi l'occasion de parler
sur ce sujet et d'en montrer l'importance. Oui, que toutes les belles familles
chrétiennes dans l'Église de Dieu sachent que le pape est avec elles, uni dans
la prière, dans l'espérance, dans la confiance. Le pape les confirme dans la
mission que le Christ lui-même leur a donnée, il proclame leur dignité et bénit
tous leurs efforts.
Je suis tout à fait convaincu que les
familles en tous lieux ainsi que la grande famille de l'Église catholique
seront très bien servies — un réel service pastoral leur sera rendu — si un
accent renouvelé est mis sur le rôle de la doctrine dans la vie de l'Église.
Dans le plan de Dieu, un nouveau pontificat est toujours un nouveau
commencement qui évoque des espoirs neufs et qui donne de nouvelles
possibilités de réflexion, de conversion, de prière et de résolutions.
Sous la protection de Marie, mère de Dieu et
mère de l'Église, je désire consacrer mon pontificat à la continuation de
l'application authentique du Concile Vatican II, sous l'action du Saint-Esprit. Et, à ce propos, rien n'est
plus éclairant que de rappeler les paroles mêmes qui ont été utilisées par Jean
XXIII, le jour de son ouverture, pour préciser les orientations de
ce grand événement ecclésial : « Le plus grand souci du Concile œcuménique est
celui-ci : que le dépôt sacré de la-doctrine chrétienne soit gardé
et enseigné d'une façon plus effective ».
Cette vue très large du pape Jean est encore valable aujourd'hui.
C'était l'unique et forte base pour un Concile qui visait à un renouveau de la
pastorale ; c'est l'unique et forte base de tout notre effort pastoral comme
évêques de l'Église de Dieu. Et c'est mon plus profond désir aujourd'hui pour
les pasteurs de l'Église d'Amérique aussi bien que pour tous les pasteurs de
l'Église universelle : « Que le dépôt sacré de la doctrine chrétienne soit
gardé et enseigné d'une façon plus effective ». Le dépôt sacré de la parole de
Dieu, pris en mains par l'Église, est la joie et la force pour la vie de nos
populations ; c'est l'unique solution pastorale en face des nombreux problèmes
d'aujourd'hui. Présenter ce dépôt sacré de la doctrine chrétienne dans toute sa
pureté et dans toute son intégrité, avec toutes ses exigences et dans tout son
pouvoir est une sainte responsabilité pastorale ; c'est, bien plus, le plus
sublime service que nous puissions rendre.
Et le second désir que je voudrais exprimer
aujourd'hui est un désir de préservation de la grande discipline de l'Église —
espoir éloquemment formulé par Jean Paul Ier au lendemain de son élection : « Nous désirons maintenir intacte la grande discipline de
l'Église dans la vie des prêtres et des fidèles, telle que l'histoire de
l'Église, enrichie par l'expérience, l'a présentée au cours des siècles par des
exemples de sainteté et de perfection héroïque, à la fois dans l'exercice des
vertus évangéliques et dans le service des pauvres, des humbles et de ceux qui
sont sans défense. »
Ces deux désirs n'épuisent pas nos
aspirations et nos prières, mais ils sont dignes d'efforts pastoraux intenses
et de zèle apostolique. Ces efforts et ce zèle, de notre part, sont
l'expression que nous formulons à notre tour d'un amour et d'un intérêt réels
pour le troupeau confié à nos soins par Jésus-Christ, le chef des pasteurs —
charge qui est à exercer à l'intérieur de l'unité de l'Église universelle et
dans le contexte de la collégialité de l'épiscopat.
Ces désirs pour la vie de l'Église — pureté
de doctrine et discipline ferme — dépendent immédiatement de chaque nouvelle
génération de prêtres qui, par la générosité de leur amour, assurent la
continuation de l'engagement de l'Église à l'égard de l'Évangile. Pour cette
raison, Paul VI a fait preuve
d'une grande sagesse en demandant aux évêques d'Amérique : « remplissez avec
une affectueuse attention personnelle votre grande responsabilité pastorale
envers les séminaristes ; prenez connaissance du contenu de leurs cours,
encouragez-les à aimer la parole de Dieu et à ne jamais avoir honte de
l'apparente folie de la croix» (discours du 20 juin 1977). Et ceci est mon
ardent désir aujourd'hui : qu'un nouvel accent mis sur l'importance de la
doctrine et de la discipline soit la contribution post-conciliaire de vos
séminaires de sorte que « la parole du Seigneur accomplisse sa course et soit
glorifiée » (2 Th 3, 1).
Enfin dans toutes vos peines pastorales,
soyez assurés que le pape vous est uni et proche dans l'amour de Jésus-Christ.
Nous n'avons tous qu'un seul but : nous montrer fidèles à la charge pastorale
qui nous est confiée, conduire le peuple de Dieu « par les bons sentiers pour
l'honneur de son nom » (ps 23,
3), de sorte que, dans notre responsabilité pastorale, nous puissions dire avec
Jésus au Père : « Aussi longtemps que j'étais avec eux, je les ai gardés en ton
nom ceux que tu m'as donnés. J'ai veillé sur eux et aucun d'eux ne s'est
perdu... » (Jn l7, 12).
Au nom de Jésus, paix à vous et à tous vos
fidèles. Avec ma bénédiction apostolique.
10 novembre 1978
Le vendredi 10 novembre, enfin
d'après-midi, le Saint-Père a reçu les religieuses présentes à Rome, parmi
lesquelles se trouvaient des déléguées des moniales cloîtrées. Voici la traduction
du discours qu'il a prononcé en italien :
Chères Sœurs,
1. Hier, en la fête de la Dédicace de la
Basilique du Très Saint Sauveur au Latran, j'ai commencé ma préparation au
grand acte de la prise de possession de cette Basilique — Chaire de l’Évêque de
Rome — qui aura lieu dimanche prochain. Pour cela j'ai rencontré hier le Clergé
du Diocèse de Rome, avec les prêtres engagés surtout dans la pastorale
diocésaine. Aujourd'hui ma rencontre est avec vous, Religieuses. J'ai désiré
que cette rencontre suive immédiatement celle d'hier. Ainsi, comme nouvel
Évoque de Rome, je peux m'approcher de ceux qui constituent d'une certaine
façon, les principales réserves spirituelles de ce Diocèse, qui est le premier
parmi tous les diocèses de l'Église, et avoir au moins un premier contact avec
eux. Ce rapprochement et cette connaissance me tiennent très à cœur.
Vous êtes venues ici très nombreuses !
Peut-être qu'aucun siège épiscopal au monde ne peut en compter autant. Le
Cardinal-Vicaire de Rome m'a informé que, sur le territoire du Diocèse, il y a
environ vingt mille religieuses, environ deux cents maisons généralices, et
environ cinq cents maisons provinciales de divers Ordres et Congrégations
féminines. Ces maisons sont au service de vos familles religieuses dans le
rayon de toute l'Église ou des provinces qui dépassent le territoire de la
Ville de Rome. Durant les années de mon ministère épiscopal, j'ai rencontré
bien souvent les Ordres féminins (Cracovie en est la plus riche en Pologne), et
j'ai eu la possibilité de me rendre compte du profond désir de chaque
Congrégation d'avoir une maison, et surtout la maison généralice, à Rome, près
du Pape. De ceci je me réjouis et je vous remercie, bien que je sois d'avis que
vous devriez vous maintenir toujours fidèles au lieu de votre naissance, là où
est la maison-mère, où, pour la première fois a jailli la lumière de la
nouvelle communauté, de la nouvelle vocation, de la nouvelle mission dans
l'Église.
2. Je vous souhaite
la bienvenue, à vous toutes, Sœurs, qui êtes là réunies aujourd'hui. Je veux
vous saluer avant tout comme nouvel Évoque de Rome et je désire préciser votre
place dans cette « Église locale », en ce Diocèse concret, dont je me prépare à
prendre solennellement possession dimanche prochain. En me basant sur la
tradition vivante et séculaire de l'Église, sur la doctrine récente du Concile
Vatican II et également sur mes expériences
précédentes d'Évêque, je viens ici avec la profonde conviction que celui-ci est
un « poste » spécial.
Cela provient de la
vision de l'homme et de sa vocation, que le Christ lui-même nous a manifestées.
« Qui potest capere, capiat » — Qui peut comprendre comprenne (Mt 19, 12),
ainsi dit-Il à ses disciples, qui lui posaient avec insistance des questions
sur la législation de l'Antique Testament et surtout sur celle relative au
mariage. Dans ces demandes, comme aussi dans la tradition de l'Antique
Testament, était incluse une certaine limitation à cette liberté des fils de
Dieu que le Christ nous a apportée, et que saint Paul a confirmée avec tant de
force. La vocation religieuse est justement le fruit de cette liberté d'esprit,
réveillée par le Christ d'où jaillit la disponibilité de la donation totale à
Dieu lui-même. La vocation religieuse réside dans l'acceptation d'une discipline
sévère, qui ne provient pas d'un commandement, mais d'un conseil de chasteté,
conseil de pauvreté, conseil d'obéissance. Et tout ceci, embrassé en conscience
et enraciné dans l'amour pour l'Époux Divin constitue de fait la révélation
particulière de la profondeur de la liberté de l'esprit humain. Liberté des
fils de Dieu : fils et filles.
Une telle vocation
provient d'une foi vive, cohérente jusqu'aux extrêmes conséquences, laquelle
ouvre à l'homme la prospective filiale, c'est-à-dire la prospective de la rencontre
avec Dieu lui-même, qui seul est digne d'un amour « au-dessus de toute autre
chose » amour exclusif et nuptial. Cet amour consiste dans le don de tout notre
être humain, âme et corps, à Celui qui s'est donné entièrement à nous par
l'Incarnation, la Croix, et l'anéantissement, par la pauvreté, la chasteté,
l'obéissance. Il s'est fait pauvre pour nous... afin que nous devenions riches
(cf. 2 Co 8, 9). Ainsi donc la vocation religieuse se nourrit de cette richesse
de la foi vivante. Cette vocation est comme l'étincelle qui allume dans l'âme
une « vive flamme d'amour », comme l'a écrit
saint Jean de la Croix. Cette vocation, une fois acceptée, une fois confirmée
solennellement, par les vœux, doit être nourrie sans cesse de la richesse de la
foi, non seulement lorsqu'elle porte en même temps la joie intérieure, mais
aussi quand elle s'accompagne de difficultés, de l'aridité, de la souffrance
intérieure, appelée « nuit » de l'âme.
Cette vocation est un trésor spécial de
l'Église, qui ne peut jamais cesser de prier, afin que l'Esprit de Jésus-Christ
suscite dans les âmes des vocations religieuses. En effet, elles sont, pour la
communauté du Peuple de Dieu, comme pour le « monde », un signe vivant du «
siècle futur » : signe qui, en même temps s'enracine, même à travers votre
habit religieux dans la vie quotidienne de l'Église et de la société et pénètre
ses tissus les plus délicats. Les personnes qui ont aimé Dieu sans réserve,
sont d'une façon spéciale, capables d'aimer l'homme, et de se donner à lui sans
intérêts personnels et sans limites. Peut-être avons-nous besoin de preuves ?
Nous les trouvons dans toutes les époques de la vie de l'Église, nous les
trouvons aussi en notre temps. Durant mon précédent ministère épiscopal, je
rencontrai de tels témoignages à chaque pas. Je me souviens des Instituts et
des hôpitaux pour les malades les plus atteints et pour les handicapés.
Partout, là où personne ne pouvait plus rendre le service de bon Samaritain, se
trouvait toujours encore une sœur.
3. Il ne s'agit évidemment en ce cas que d'un
champ de l'activité religieuse, et donc d'un seul exemple. Et il est
indubitable que ces champs sont très nombreux. Eh bien, en vous rencontrant ici
aujourd'hui pour la première fois, chères Sœurs, je désire vous dire avant tout
que dans toute l'Église, et en particulier ici à Rome, en ce Diocèse, votre
présence est indispensable. Elle doit être pour tous un signe visible de
l'Évangile. Elle doit être aussi la source d'un apostolat spécial. Cet
apostolat est si riche et si varié, qu'il m'est difficile d'en énumérer ici
toutes les formes, les secteurs, les orientations. Il est rattaché au charisme
spécifique de chaque Congrégation, à son esprit apostolique, que l'Église et le
Saint-Siège approuvent avec joie, voyant en lui l'expression de la vitalité du
Corps mystique du Christ lui-même ! Un tel apostolat est habituellement
discret, caché, proche de l'être humain, et pour cela mieux en harmonie avec
l'âme féminine, sensible au prochain, et pour cela appelée au devoir de sœur et
de mère. C'est exactement cette vocation-là qui se trouve dans le « cœur » même
de votre être de religieuses. Comme Évêque de Rome je vous prie : soyez
spirituellement mères et sœurs pour tous les hommes de cette Église, que Jésus,
dans son ineffable miséricorde et grâce, a voulu me confier. Soyez-le pour
tous, sans exceptions, mais surtout pour les malades, les enfants, les jeunes,
les familles qui se trouvent dans des situations difficiles... Allez à leur
rencontre ! N'attendez pas qu'ils viennent à vous ! Cherchez vous-mêmes !
L'amour nous pousse à cela. L'amour doit chercher! « Caritas Christi urget nos
— l'Amour du Christ nous-pousse ! » (2 Co. 5, 14).
Et je vous adresse encore une prière, je vous
confie le début de mon ministère pastoral : engagez-vous généreusement à
collaborer avec la grâce de Dieu, afin que beaucoup de jeunes accueillent
l'appel du Seigneur et que de nouvelles forces viennent augmenter vos rangs,
pour affronter les exigences croissantes qui émergent dans les vastes champs de
l'apostolat moderne. La première forme de collaboration est certainement
l'invocation assidue au « maître de la moisson » (cf. Mt 9, 38) afin qu'il
éclaire et oriente le cœur de nombreuses jeunes filles « en recherche », qui
existent certainement même aujourd'hui dans ce diocèse, comme dans chaque
partie du monde : puissent-elles comprendre qu'il n'y a pas d'idéal plus grand,
auquel consacrer la vie que celui du don total de soi au Christ pour le service
de son Règne. Mais il existe une seconde manière, non moins importante, de
favoriser l'appel de Dieu, c'est celle du témoignage qui jaillit de votre vie :
— le témoignage d'abord, de la cohérence sincère avec les valeurs évangéliques
et le charisme propre de votre Institut : tout fléchissement à vos promesses
est une désillusion pour qui vous approche, ne l'oubliez pas ! — ensuite le
témoignage d'une personnalité humainement réussie et mûre qui sait entrer en
rapport avec les autres sans préventions injustifiées ni imprudences ingénues,
mais avec une ouverture cordiale et un équilibre serein ; — le témoignage,
enfin, de votre joie, une joie qui se lit dans les yeux et dans l'attitude
comme dans les paroles, et qui manifeste clairement à ceux qui vous voient la
conscience que vous possédez ce « trésor caché », cette « perle précieuse »,
dont l'acquisition ne fait pas regretter d'avoir renoncé à tout, selon le
conseil évangélique (cf. Mt 13, 44-45).
Et maintenant, avant de terminer, je désire
adresser une parole spéciale aux chères Sœurs cloîtrées, à celles qui sont
présentes à cette rencontre et à celles qui sont dans leur austère clôture,
choisies pour un amour spécial envers l'Époux Divin. Je vous salue toutes avec
une particulière intensité de sentiments et je visite en esprit vos couvents,
fermés en apparence, mais en réalité si largement ouverts à la présence de Dieu
vivant dans notre monde humain, et pour cela si nécessaires au monde. Je vous
recommande l'Église et Rome, je vous recommande les hommes et le monde ! A
vous, à vos prières, à votre « holocauste » je me recommande aussi moi-même,
Évêque de Rome. Soyez avec moi, près de moi, vous qui êtes « dans le cœur de
l'Église » ! Que se réalise en chacune de vous ce qui fut le programme de vie
de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus : « In corde Ecclesiae amor ero » — Dans le
cœur de l'Église je serai l'amour !
Je termine ainsi ma première rencontre avec
les Sœurs de Rome Sainte. Qu'en vous persiste la semence spéciale de
l'Évangile, expression singulière de cet appel à la sainteté que dernièrement
le Concile nous a rappelé dans la Constitution sur l'Église. J'attends beaucoup
de vous. J'espère beaucoup en vous. Tout cela je désire le résumer et
l'exprimer dans la bénédiction que je vous donne de grand cœur.
Je vous recommande à Marie, Épouse du
Saint-Esprit, Mère de l'amour le plus beau !
11 novembre 1978
Le pape reçoit la commission pontificale « Justice et Paix
»
Le samedi 11 novembre, le pape a
reçu en audience les membres de la commission pontificale « Justitia et
Pax » qui tenait à Rome son assemblée générale. En réponse au cardinal
Bernardin Gantin, président de la commission, qui a présenté les travaux de
celle-ci, Jean Paul II
a prononcé le discours suivant :
Chers Amis,
Je compte sur vous, je compte sur la
commission pontificale « Justitia et Fax », pour m'aider et pour aider l'Église
entière à redire aux hommes de ce temps, avec une pressante insistance,,
l'appel que je leur adressai, en commençant mon ministère romain et universel,
le dimanche 22 octobre :
« N'ayez pas peur ! Ouvrez, oui ouvrez toutes
grandes les portes au Christ ! A son pouvoir de salut, ouvrez les frontières
des États, les régimes économiques et politiques, les immenses domaines de la
culture, de la civilisation, du développement. N'ayez pas peur ! Le Christ sait
ce qu'il y a dans l'homme ! Et lui
seul le sait. »
Nous vivons en un temps où tout devrait
pousser au « décloisonnement » : la perception plus vive de l'universelle
solidarité des hommes des peuples, la nécessité de sauvegarder l'environnement
et le patrimoine communs de l'humanité, la nécessité de réduire le poids et la
menace mortelle des armements, le devoir d'arracher à la misère des millions
d'hommes qui retrouveraient, avec les moyens de mener une vie décente, la
possibilité d'apporter à l'effort commun des énergies neuves. Or voici que
devant l'ampleur et les difficultés de la tâche, on observe un peu partout un
réflexe de raidissement. A la source, il y a la peur ; la peur surtout de
l'homme et de sa liberté responsable, peur souvent aggravée par l'enchaînement
des violences et des répressions. Et finalement, on a peur de Jésus-Christ,
soit parce qu'on ne le connaît pas, soit parce que, chez les chrétiens
eux-mêmes, on ne fait plus suffisamment l'expérience exigeante mais vivifiante
d'une existence inspirée de son Évangile.
Le premier service que l'Église doit rendre à
la cause de la justice et de la paix, c'est d'inviter les hommes à s'ouvrir à
Jésus-Christ. En lui, ils réapprendront leur dignité essentielle de fils de
Dieu, faits à l'image de Dieu, doués de possibilités insoupçonnées qui les
rendent capables de faire face aux tâches de l'heure, liés les uns aux autres
par une fraternité qui s'enracine dans la paternité de Dieu. En lui, ils
deviendront libres pour un service responsable. Qu'ils n'aient pas peur !
Jésus-Christ n'est pas un étranger ni un concurrent. Il ne fait ombrage à rien
de ce qui est authentiquement humain, ni chez les personnes, ni dans leurs
diverses réalisations scientifiques et sociales. L'Église non plus n'est ni une
étrangère ni une concurrente : « l'Église, dit la constitution Gaudium et Spes, qui, en raison de sa
charge et de sa compétence, ne se confond d'aucune manière avec la communauté
politique et n'est liée à aucun système politique, est à la fois le signe et la
sauvegarde du caractère transcendant de la personne humaine» (n. 76, paragr.
2). En ouvrant l'homme sur Dieu, l'Église l'empêche de s'enfermer dans quelque
système idéologique que ce soit, elle l'ouvre sur lui-même et sur les autres et
le rend disponible pour créer du neuf à la mesure des exigences présentes de
l'évolution de l'humanité.
Avec le don central de Jésus-Christ, l'Église
apporte à l'œuvre commune non un modèle préfabriqué, mais un patrimoine —
doctrinal et pratique — dynamique, développé au contact des situations
changeantes de ce monde, sous l'impulsion de l'Évangile comme source de
renouveau, avec une volonté désintéressée de service et une attention aux plus
pauvres (cf. Lettre Octogesima
adveniens, n. 42). Toute la communauté chrétienne participe à ce
service. Mais le Concile a opportunément souhaité, et Paul VI a réalisé avec la commission pontificale « Justitia et Pax
»; « la création d'un organisme de l'Église universelle, chargé d'inciter la
communauté catholique à promouvoir l'essor des régions pauvres et la justice
sociale entre les nations » (Const. Gaudium
et Spes, n. 90, paragr. 3). C'est à ce service universel que vous êtes
appelés, auprès du pape et sous sa direction. Vous l'exercez dans un esprit de
service et dans un dialogue — qu'il faudra développer — avec les Conférences
épiscopales et les organismes divers qui, en communion avec elles, poursuivent
la même tâche. Vous l'exercez dans un esprit œcuménique, en recherchant
inlassablement et en adaptant les formes de coopération susceptibles de faire
progresser l'unité des chrétiens dans la pensée et dans l'action.
Sans préjudice pour les nombreuses questions
auxquelles la commission porte son attention, vous avez consacré cette
assemblée générale au thème du développement des peuples. L'Église a été
présente dès le départ à cet immense effort et elle en a suivi les espoirs, les
difficultés et les déceptions. Une sereine appréciation des résultats positifs,
même insuffisants, doit aider à surmonter les hésitations présentes. Vous avez
eu à cœur d'étudier tout l'éventail des problèmes que la poursuite nécessaire
de l'œuvre commencée pose au niveau de la communauté internationale, dans la
vie interne de chaque peuple, au niveau aussi des communautés élémentaires,
dans la façon de concevoir et de réaliser de nouveaux modes de vie. Pour que
l'Église puisse dire la parole d'espérance qu'on attend d'elle et fortifier les
valeurs spirituelles et morales sans lesquelles il ne peut y avoir de
développement, elle doit écouter, patiemment et avec sympathie, les hommes et
les institutions qui s'appliquent à la tâche à tous les niveaux, prendre la
mesure des obstacles à surmonter. On ne triche pas avec la réalité qu'on veut
transformer.
L'attention prioritaire à ceux qui souffrent
d'une pauvreté radicale rejoint à coup sûr une préoccupation fondamentale de
l'Église ; de même le souci de concevoir des modèles de développement qui, pour
demander des sacrifices, veillent à ne pas sacrifier les libertés et les droits
personnels et sociaux essentiels, sans lesquels, du reste, ils se
condamneraient vite à l'impasse. Et les chrétiens voudront être à l'avant-garde
pour susciter des convictions et des modes de vie qui rompent de manière
décisive avec une frénésie de consommation, épuisante et sans joie.
Merci, Monsieur le Cardinal, des paroles par
lesquelles vous m'avez exprimé les sentiments filiaux et dévoués de toute la
commission. Votre présence à la tête de cet organisme est un gage que les
peuples pauvres, mais riches en humanité, seront au cœur de ses préoccupations.
Merci à vous tous, chers amis, qui apportez à la commission, et qui m'apportez
à moi-même, votre compétence et votre expérience humaines et apostolique .
Merci à tous les membres de la Curie ici présents : grâce à vous, la dimension
de la promotion humaine et sociale peut mieux pénétrer l'activité des autres
dicastères ; en retour, l'activité de la commission « Justitia et Pax » pourra
s'insérer toujours mieux dans la mission globale de l'Église.
Vous savez en effet à quel point le Concile
et mes prédécesseurs ont eu à cœur de bien situer l'action de l'Église en
faveur de la justice, de la paix, du développement, de la libération, dans sa
mission évangélisatrice. A rencontre de confusions toujours renaissantes, il
importe de ne pas réduire l'évangélisation à ses fruits pour la cité terrestre
: l'Église doit aux hommes de les faire accéder à la source, à Jésus-Christ.
Aussi bien la constitution dogmatique Lumen
Gentium demeure la « magna carta
» conciliaire : dans sa lumière tous les autres textes prennent leur pleine
dimension. La constitution pastorale Gaudium
et Spes et tout ce qu'elle inspire ne s'en trouvent pas dévalués mais
affermis.
Au nom du Christ, je vous bénis, vous-mêmes
et vos collaborateurs, ceux qui vous sont chers et vos pays bien-aimés, ceux
surtout qui connaissent l'épreuve. Rejoignant le thème de l'audience de
mercredi dernier : que le Seigneur nous aide, qu'il aide tous nos frères à
s'engager sur les chemins de la justice et de la paix !
12 novembre 1978
Jean Paul II au maire de Rome
Première étape sur la voie qui,
du Vatican, le menait à sa cathédrale du Latran, le Saint-Père est descendu de
voiture devant le « Campidoglio », le Capitale ou mairie de Rome, pour y
recevoir l'hommage, en tant qu'évêque de la ville et du diocèse, du maire, le
professeur Argan et des autorités municipales. A l'adresse d'hommage du maire,
le Saint-Père a répondu par un discours dont voici la traduction :
Monsieur le Maire,
Je
vous suis sincèrement reconnaissant pour les nobles paroles que vous venez de
m'adresser ; et, avec vous, je remercie toute l'Administration civile, à
laquelle je suis heureux et honoré d'apporter mon plus cordial salut.
Cette première
rencontre avec ceux qui ont la charge d'interpréter, de protéger et de servir
les intérêts d'une ville comme Rome dont le glorieux et mystérieux destin
s'entrelace si intimement avec les vicissitudes de l'Église du Christ qui, par
disposition providentielle, a ici son centre visible, suscite en moi une vague
difficile à contenir de sentiments, de souvenirs, de pensées solennelles et
graves. Dans cette ville qui fut une dominatrice souveraine de peuples;
maîtresse admirable de civilisation, artisan inégalé de lois extrêmement sages,
débarqua un jour l'humble pêcheur de Galilée, l'apôtre Pierre, humainement
dépourvu et faible, mais soutenu intérieurement par la force de l'Esprit qui
faisait de lui le courageux porteur de la Bonne Nouvelle destinée à conquérir
le monde. Dans cette même ville est arrivé maintenant un nouveau successeur de
Pierre, soumis lui aussi à tant de limites
humaines, mais confiant en l'aide indéfectible de la grâce, et venant d'un pays
pour lequel vous avez bien voulu, Monsieur le Maire, avoir des paroles de
sympathie et de cordialité.
Le nouveau pape commence officiellement
aujourd'hui son ministère d'évêque de Rome et de pasteur d'un diocèse qui n'a
pas d'égal dans le monde. Je ressens vivement la responsabilité découlant des
problèmes complexes qu'entraîné avec soi l'assistance pastorale d'une
communauté qui s'est vertigineusement développée ces dernières années. Et je ne
saurais m'empêcher de considérer avec sympathie ceux qui, portant sur les
épaules, la charge et l'honneur de l'administration civique de la ville, se
prodiguent pour l'amélioration des conditions ambiantes, pour le rééquilibre
des situations sociales inadéquates, pour l'élévation du niveau général de vie
de la population.
En souhaitant que le but auquel tend cet
important service rendu à la population soit heureusement atteint, j'exprime
également le vœu que l'Administration municipale, faisant proprement sienne une
vision du bien commun comprenant toute valeur humaine authentique, sache
réserver également une attention ouverte et cordiale aux exigences imposées par
la dimension religieuse de la ville qui, en vertu des incomparables valeurs
chrétiennes qui caractérisent sa physionomie, est un centre d'attraction de
pèlerins provenant de chaque partie du monde.
Avec ces sentiments, j'invoque la bénédiction
de Dieu sur cette ville que je sens mienne désormais et je vous souhaite, à
vous Monsieur le Maire, à vos collaborateurs et à toute la grande famille du
peuple romain, une sereine prospérité et un progrès civil marqué par la
concorde, le respect réciproque, l'aspiration sincère à une coexistence
pacifique, harmonieuse et juste.
13 novembre 1978
Aux évêques néo-zélandais en visite « ad limina »
Jean Paul II s'adressa le 13 novembre aux évêques de Nouvelle-Zélande en
visite « ad limina».
Chers frères en
Nôtre-Seigneur Jésus-Christ,
Je serai toujours
reconnaissant envers le Seigneur qui m'a donné l'occasion de me rendre en
visite en Nouvelle-Zélande. Bien que mon séjour parmi vous, en 1973, fut très
bref, il m'a donné une grande joie. Soyez assurés que le souvenir de ces jours
est resté très vif dans mon esprit et ceci est également une raison de plus
pour faire tout mon possible pour être utile à votre peuple bien-aimé dans
l'Évangile du Christ. Et aujourd'hui, j'espère qu'avec la grâce de Dieu, je
pourrai remplir mon ministère papal à votre égard, mes frères les évêques :
comme successeur de Pierre, je désire vous confirmer dans la profession de foi
de l'apôtre, de manière que vous puissiez à votre tour, avec une vigueur
nouvelle et une force renouvelée, continuer à prêcher Jésus-Christ, le Fils du
Dieu vivant, et aider vos populations à réaliser pleinement leur dignité
chrétienne et atteindre leur destinée finale.
Le concile Vatican II
a voulu éviter tout
semblant de triomphalisme dans l'Église. A cet égard, il a souligné que le
Christ a appelé son Église « à
cette réforme permanente dont elle a continuellement besoin en tant qu'institution humaine et terrestre » (Unitatis Redintegratio, n° 6). Le
Concile n'a jamais eu l'idée de proclamer que l'Église possède toujours une
solution immédiate et facile aux problèmes individuels (cf. Gaudium et Spes, n° 33) ; il
souhaita, toutefois, mettre en valeur le rôle d'enseignement de l'Église : le
fait est que Dieu l'a dotée de lumières pour qu'elle puisse offrir des
solutions aux problèmes qui affectent l'humanité (cf. Gaudium et Spes, 12). Le concile désire que, grâce à l'annonce
de l'Évangile, tous les peuples soient illuminés de la lumière du Christ que
reflète le visage de l'Église (cf. Lumen
Gentium, n° 1).
L'Église reflète fidèlement la lumière du
Christ, et du Christ elle a reçu un message qui répond aux aspirations
fondamentales du cœur humain. Dans la Constitution pastorale sur l'Église dans
le monde d'aujourd'hui, il nous est rappelé .que « les évêques, qui ont reçu la
charge de diriger l'Église de Dieu, doivent prêcher avec leurs prêtres le
message du Christ, de telle sorte que toutes les activités terrestres des
fidèles puissent être baignées de la lumière de l'Évangile » (Gaudium et Spes, 43). En tant
qu'évêques, vous êtes tenus de remplir constamment ce rôle de service pastoral
: porter le trésor de la Parole de Dieu dans la vie de chaque membre du
troupeau afin de le marquer profondément, porter la lumière du Christ dans
toute vie individuelle ou communautaire.
Je désire vous assurer maintenant que je suis
parfaitement conscient des liens qui vous unissent dans l'Église et dans sa
communion hiérarchique. Vous avez mes prières et mon appui pour tout ce qui
concerne votre travail apostolique. En particulier, je suis totalement avec
vous dans votre mission de protéger la vie humaine à tous ses niveaux. Dans
tous vos efforts catéchistiques, dans votre activité en faveur de l'éducation
catholique, vous pouvez compter sur la solidarité de l'Église universelle.
Comme elle est importante l'œuvre qui consiste à pourvoir les enfants d'écoles
catholiques où ils peuvent «
grandir de toutes manières vers Celui qui est la Tête, le Christ » (Ep. 4, 15) ! Quelle grande mission
est pour l'évêque celle de garder le dépôt de la doctrine chrétienne, de
manière que chaque génération nouvelle puisse recevoir la plénitude de la foi
apostolique! Et combien profondes sont la sensibilité paternelle et la
direction spirituelle auxquelles l'évêque est appelé pour s'associer
effectivement tout le diocèse dans l'exercice d'une vigilance collective
nécessaire pour maintenir une fidèle éducation catholique ! Par la parole et
l'exemple, par la prière, l'évêque doit inciter chaque membre de la famille
chrétienne à accomplir sa part, de sorte que la lumière du Christ baigne chacun
dans tout aspect vital de la vie moderne.
En dépit des difficultés et des obstacles, nous
ne devons jamais faiblir dans notre tâche de travailler pour le rétablissement
de l'unité chrétienne, conformément au désir ardent du cœur du Christ. Les
directives du Concile œcuménique sont décisives, et ses appels à la conversion
et à la sainteté sont aujourd'hui aussi impérieux qu'il y a quatorze ans quand
il les a lancés : « Que les fidèles se souviennent tous qu'ils favoriseront
l'union des chrétiens, bien plus, qu'ils la réaliseront, dans la mesure où ils
s'appliqueront à vivre plus purement selon l'Évangile» (Unitatis Redintegratio, n° 7). Le grand héritage œcuménique du
Concile a été succinctement résumé par Paul VI dans
les dernières lignes de son testament, où il nous propose, une fois de plus, la
méditation et la prière, les nôtres et celles de l'Église tout entière. « Que
l'on poursuive l'œuvre de rapprochement avec les frères séparés, avec beaucoup
de compréhension, beaucoup de patience ; avec un grand amour ; mais sans dévier
de la vraie doctrine catholique ». Ce délicat travail dépasse les forces
humaines ; seul l'Esprit-Saint peut nous mener à sa conclusion. Avec un amour
intense, nous devons prier le Père. « Le Royaume est proche, il nous sera donné
».
Avec ces réflexions, je réitère mon affection
dans le Christ pour tous les catholiques et pour tous vos compatriotes de
Nouvelle-Zélande. Mon amour s'adresse tout spécialement aux pauvres, aux
malades, à ceux qui souffrent. J'envoie un salut particulier au peuple maori et
l'encourage à se maintenir ferme dans la foi et fervent dans l'amour.
Ma bénédiction apostolique « à vous tous qui
êtes dans le Christ ! » (I P 5, 14).
14 novembre 1978
Le pape à des pèlerins d'Ernakulam
Le 14 novembre dernier, Jean Paul II a reçu en audience
un groupe de religieux et de fidèles de l'archidiocèse d'Ernakulam (Inde),
venus en pèlerinage à Rome pour Jeter le vingt-cinquième anniversaire de
l'ordination épiscopale de leur archevêque, le cardinal Joseph Parecattil.
Chers Amis en le Christ,
Ce mois-ci, le cardinal Joseph Parecattil
commémorera le vingt-cinquième anniversaire de son ordination épiscopale et
c'est pour moi un grand plaisir de célébrer cet événement en recevant un groupe
de fidèles d'Ernakulam.
Votre présence ici est en fait une
représentation de votre archidiocèse tout entier : du clergé, des religieux et
des laïcs, entourant votre archevêque et, dans la foi et dans l'amour unis à
l'Église universelle, sous Jésus-Christ, le «Chef des Pasteurs» (1 P 5, 4). Le
sublime mystère de l'Église locale est présenté ici dans toute sa beauté et
l’Évêque de Rome trouve une grande joie dans votre présence et un immense
réconfort spirituel dans l'amour filial que vous lui témoignez en tant que
successeur de Pierre.
Mon plus vif désir est que votre visite à ce
siège de Pierre et le renouvellement de votre acte de foi près de sa tombe en
la Basilique, vous laissent un vivant souvenir pour tout le reste de votre
existence. L'édification de l'Église est entièrement liée à la profession de
Pierre au sujet de la divinité du Seigneur Jésus : « Tu es le Christ, le Fils
du Dieu vivant » (Mt 16, 16). Toute notre ecclésiologie tire sa signification
de cette grande réalité ; notre vocation de chrétiens est de proclamer par
l'authenticité de notre vie ce que nous acceptons avec foi.
Un évêque est appelé d'une manière
particulière à donner témoignage de la foi en Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai
homme, Fils de Dieu et Fils de Marie. C'est ce qu'a fait pendant un quart de
siècle le cardinal Joseph Parecattil et je désire aujourd'hui, en votre
présence, lui rendre honneur, à lui et à l’épiscopat qui est le grand don que
Dieu a fait pour garantir que la foi de son Église sera transmise, soutenue et
nourrie.
Mes salutations vous accompagneront, cardinal
Parecattil, et chacun de vous, à Ernakulam. Dans l'amour du Seigneur,
j'embrasse tous les membres de la communauté ecclésiale, spécialement ceux qui
souffrent ou sont affligés de quelque manière. Je vous assure que l'Église vous
est reconnaissante pour les vocations sacerdotales et religieuses qui sont nées
dans vos milieux et pour les fruits de justice et de sainteté que vous avez
montrés dans votre vie chrétienne.
Fortifiés par la grâce de Dieu et « les yeux
fixés sur Jésus, le Chef de notre foi qui mène à la perfection » (He 12, 2)
:voilà ma prière pour Ernakulam, en cette joyeuse circonstance et pour
toujours.
Avec ma bénédiction apostolique.
15 novembre 1978
Chers jeunes gens,
J'ai accueilli bien volontiers le désir que
m'ont exprimé vos supérieurs de m'entretenir avec vous, élèves des écoles
anti-incendie de Rome dans cette cour Saint-Damase, pour vous adresser quelques
mots de satisfaction et d'éloges pour ce que vous « êtes » et pour ce que vous
« faites ».
— Vous « êtes » des jeunes enthousiastes et
généreux qui désirent, comme vos aînés l'ont déjà fait les années précédentes,
avec mon vénéré prédécesseur le pape Paul VI, témoigner
au nouveau pape votre foi en Dieu et votre confiance en l'Église. Pour ceci, je
vous remercie et vous exprime toute ma sympathie et toute ma solidarité.
— Vous « faites » des exercices pratiques
pour vous entraîner, dans la discipline du corps et de l'esprit, à rendre à la
communauté un précieux service pour la défense et la sécurité des citoyens,
parfois au prix de grands dangers ; eh bien, sachez unir à l'exercice des
vertus humaines, propres à votre future profession, l'idéal noble et
ennoblissant qui vous fait découvrir, dans le frère en danger ou dans le
besoin, le Christ lui-même (cf. Mt 25, 31-46).
Je souhaite également que, lorsque vous
retournerez chez vous après votre stage, vous puissiez réaliser toutes ces
bonnes intentions dans la vie privée et dans la vie publique : dans la
formation des futures familles auxquelles vous pensez déjà et dans votre
insertion dans la société, comme de braves et honnêtes citoyens, aimant le
progrès, la justice, la paix et le respect mutuel.
Avec ces vœux, je salue et remercie de
nouveau les officiers du Commando, l’aumônier-chef
et vous tous, chers jeunes gens qui êtes l'espérance de l'Église et de la
société et je vous donne à tous ma bénédiction que je désire étendre à vos
amis, à vos parents et à tous ceux qui vous sont chers.
15 novembre 1978
Jean Paul II et les jeunes
Onze mille
enfants étaient réunis mercredi dernier 15 novembre en la basilique
Saint-Pierre pour participer à une des deux audiences générales de ce jour.
Cela devient une habitude, sinon une nécessité, tellement nombreuse est la
foule qui désire voir et entendre le nouveau pape.
Voici, en traduction, ce que leur
a dit Jean Paul II :
Aujourd'hui cette patriarcale Basilique
Vaticane est de nouveau bondée d'une jeunesse joyeuse qui offre à mes yeux et
surtout à mon cœur un spectacle grandiose et exaltant.
Je vous remercie, chers jeunes gens et jeunes
filles, chers jeunes des écoles, des paroisses et des associations catholiques,
pour la joie et le réconfort que vous me procurez par votre présence si
nombreuse qui confirme combien vivement vous ressentez le problème religieux et
moral, un problème qui répond aux aspirations profondes de l'esprit.
Je désire vous assurer que je suis de près
vos problèmes, vos difficultés ; je partage vos aspirations ; je désire vous
accompagner le long de votre chemin.
Je l'ai déjà répété en diverses circonstances
: vous, les jeunes, vous êtes l'espérance de l'Église et de la société. Cette
affirmation, si évidente à première vue, a cependant besoin d'une pause de
réflexion.
D'abord, les adultes, les parents, les
éducateurs, les hommes responsables de l'Église et de la société, sont-ils
vraiment convaincus de l'espérance que vous représentez ? Les raisons de leur
angoisse, découlant de quelques-unes des expressions de vie de la jeunesse
actuelle, pourraient avoir affaibli en eux un peu de cette confiance qui est
pourtant source d'intelligence et intense activité en vue de votre formation.
Et vous, chers jeunes, vous sentez-vous
vraiment, profondément, l'espérance et la joyeuse promesse de demain ? Certes,
il ne suffit pas de la conscience d'un âge à ses débuts pour donner ce
sentiment de confiance intérieure qui permet de regarder l'avenir avec la
tranquille certitude de pouvoir transformer les forces opérant dans le monde,
pour édifier une coexistence vraiment digne de l'homme.
Être jeune, signifie vivre en soi une
incessante nouveauté d'esprit, alimenter une continuelle recherche du bien,
libérer une impulsion pour se rendre toujours meilleur, réaliser une
persévérante volonté du don de soi-même. Qui va permettre tout cela ? L'homme
aurait-il en lui-même la vigueur d'affronter avec ses propres forces les
embûches du mal, de l'égoïsme et, disons-le clairement, celles désagrégeantes
du « prince de ce monde », toujours zélé pour donner à l'homme, d'abord une
fausse idée de son autonomie et le conduire ensuite, à travers l'insuccès, dans
le gouffre du désespoir.
Au Christ, l’éternellement jeune, au Christ
vainqueur de toute expression de mort, au Christ qui, dans l’Esprit-Saint,
communique la continuelle et impétueuse vie du Père, nous devons tous recourir,
jeunes et adultes, afin de fonder et d'assurer l'espérance du futur que vous
construisez mais qui se trouve déjà en puissance dans l'aujourd'hui.
Jésus-Christ doit vaincre. Chaque fois que sa
grâce détruit en nous les forces du mal, II renouvelle notre jeunesse, élargit
les horizons de notre espérance, fortifie les énergies de notre confiance.
La victoire du Christ dans nos cœurs exige
l'exercice de la vertu de force, la troisième vertu cardinale que nous avons
choisie pour thème de l'audience générale d'aujourd'hui.
Cette vertu, qui nous permet d'affronter les
dangers et de supporter les adversités — comme l'affirme saint Thomas d'Aquin —
permet à l'homme de combattre courageusement, d'« agir contre », pour les
idéaux de la justice de l'honnêteté et de la paix par lesquels vous vous sentez
vivement attirés. On ne peut penser à construire un monde nouveau sans être
fort et courageux, sans surmonter les fausses idées à la mode, les critères de
violence du monde, les suggestions du mal. Tout ceci nous impose de franchir le
mur de la peur pour apporter notre témoignage au Christ et offrir en même temps
— les deux réalités se superposent — une image de l'homme vrai qui s'exprime
uniquement dans l'amour, dans le don de soi.
A vous aussi je veux montrer l'exemple de force
d'un jeune garçon de 18 ans, saint Stanislas Kostka, patron des jeunes, qui,
pour suivre sa propre vocation à l'état religieux et bien qu'il fût de santé
délicate et de nature sensible, affronta l'opposition de son milieu, échappa à
la poursuite des siens, et accomplit, en cachette, à pied, le voyage de Vienne
à Rome, afin de pouvoir entrer au noviciat des Jésuites et répondre ainsi à
l'appel du Seigneur. Sa tombe, en l'église Saint-André au Quirinal, est
principalement ce mois-ci, un but de pieuses visites pour des phalanges de
jeunes.
Voilà, chers jeunes, suivre le Christ,
édifier l'homme en vous et s'employer à l'édifier en autrui, cela comporte de
courageuses intentions et la force tenace de les mettre en œuvre, cherchant
aussi un soutien mutuel dans ces formes d'association qui permettent d'unir vos
forces, d'approfondir et d'échanger vos convictions, de vous encourager par une
aide affectueuse et réciproque.
Confiez-vous à la grâce du Seigneur qui crie
en vous et pour nous : « Courage ! ».
C'est le Christ qui remportera la victoire
sur le monde. Voulez-vous vous mettre de son côté et affronter avec lui ce
combat de l'amour, animés d'une invincible espérance et de force courageuse ?
Vous ne serez pas seuls : tout le monde sera
avec vous, et le Pape tout autant, lui qui vous aime et vous bénit.
15 novembre 1978
Avec une toute particulière intensité
d'affection, j'adresse maintenant mon salut aux membres du Conseil supérieur
des Œuvres missionnaires pontificales qu'accompagné en cette audience le Préfet
de la Sacrée Congrégation pour l'évangélisation des peuples, Son Éminence le
cardinal Agnelo Rossi.
Votre présence, très chers fils, m'offre
l'occasion d'exprimer, avec ma gratitude pour votre geste de sincère dévotion,
la haute considération que je nourris pour l'activité intelligente et zélée que
vous exercez avec un dévouement admirable au service de la cause missionnaire.
Pour le croyant, ceci doit être la cause qui l'emporte sur toutes les autres
parce qu'elle concerne le destin éternel des hommes, parce qu'elle répond au
mystérieux dessein de Dieu sur la signification de la vie et de l'histoire de
l'humanité, parce qu'elle habilite les diverses cultures à poursuivre
efficacement l'objectif d'un humanisme vrai et plein.
Continuez donc, avec un dévouement continu,
invariable, votre travail d'animation missionnaire, en étroite liaison, d'une
part, avec les Conférences épiscopales de vos pays respectifs et de l'autre,
avec la Congrégation de Propaganda
Fide à qui incombe la charge d'ordonner les efforts de tous vers des
objectifs communs.
Que l'Esprit du Christ vous illumine et vous
soutienne, en même temps que tous ceux que vous représentez ici, dans cette
œuvre délicate et de très grande importance pour la vie de l'Église. Le pape
est à vos côtés avec sa prière et avec sa bénédiction.
16 novembre 1978
Le jeudi 16 novembre, le
Saint-Père a reçu en audience les membres de l'Union Internationale des
Supérieures Générales.
Chères Sœurs,
" Ecce quam
bonum et iucundum habitare fratres in unum... ". Vous aimez ce psaume et
vous le vivez en ce moment. Le temps où les Congrégations religieuses se
rencontraient peu, pour des raisons géographiques et d'autres peut-être, est
presque révolu. Dieu soit loué ! Et vous aussi mes Sœurs, soyez félicitées : de
diverses manières, vous témoignez d'un unique trésor confié par le Christ
lui-même à son Église, le trésor incomparable des conseils évangéliques !
Assurément votre
Union Internationale des Supérieures générales sort tout juste de l'enfance.
Elle n'a que treize ans ! Mais elle a déjà porté de bons fruits. Le nouveau
Pape, comme son très méritant prédécesseur Paul VI
qui vous a
accueillies tant de fois, voudrait qu'elle en porte davantage encore. La
célèbre parabole de la vigne et du vigneron doit être souvent présente à mon
esprit et au vôtre (Jn 15, 1-8).
Votre rencontre
avait pour thème « Vie religieuse et humanité nouvelle ». C'est un thème
fondamental, très ancien et très actuel. Si tout le peuple de Dieu est appelé à
devenir une humanité nouvelle dans le Christ et par le Christ (Constitution Lumen Gentium, ch. 5), les chemins
d'accès à cette humanité nouvelle, autrement dit à la sainteté, sont divers et
doivent le demeurer. Précisément, le chapitre VI
de Lumen Gentium, sans effectuer la
moindre ségrégation entre les membres du Peuple de Dieu qui contredirait le
projet rédempteur du Christ Jésus — projet de sainteté et d'unité pour le monde
— éclaire toujours votre route. Depuis le Concile, les Congrégations
religieuses ont en effet multiplié les temps et les moyens d'approfondissement
des valeurs religieuses essentielles. Elles les ont bien remises dans le
sillage de la consécration première, ontologique, ineffaçable, qu'est le baptême. Et toutes les religieuses se sont comme transmis
un mot de passe : « Soyons d'abord des chrétiennes ! », un certain nombre lui
préférant ou lui adjoignant celui-ci : « Soyons d'abord des femmes ! ». Il est
évident que les deux ne s'excluent pas. Ces formules frappantes ont trouvé un
écho favorable dans une grande partie du peuple de Dieu. Mais le positif d'une
telle prise de conscience ne saurait dispenser d'une vigilance continue et
avisée. Le trésor des conseils évangéliques et l'engagement, mûri et sans retour,
à en faire la charte d'une existence chrétienne ne sauraient être relativisés
par une opinion publique, fût-elle ecclésiale. L'Église et, disons, le monde
lui-même ont plus que jamais besoin d'hommes et de femmes qui sacrifient tout,
pour suivre le Christ à la manière des apôtres. Et à tel point que le sacrifice
de l'amour conjugal, des possessions matérielles, de l'exercice totalement
autonome de la liberté, devient incompréhensible sans l'amour du Christ. Ce
radicalisme est nécessaire pour annoncer de manière prophétique, mais toujours
très humble, cette humanité nouvelle selon le Christ, totalement disponible à
Dieu et totalement disponible aux autres hommes. Toute religieuse doit
témoigner du primat de Dieu et consacrer chaque jour un temps suffisamment long
à se tenir devant le Seigneur, pour lui dire son amour et surtout se laisser
aimer par Lui. Toute religieuse doit signifier chaque jour, par son mode de
vie, qu'elle choisit la simplicité et les moyens pauvres pour tout ce qui
concerne sa vie personnelle et communautaire. Toute religieuse doit chaque jour
faire la volonté de Dieu et non la sienne, pour signifier que les projets
humains, les siens et ceux de la société, ne sont pas les seuls plans de
l'histoire, mais qu'il existe un dessein de Dieu requérant le sacrifice de la
liberté propre. Ce véritable prophétisme des conseils évangéliques, vécu jour
après jour, et tout à fait possible avec la grâce de Dieu, n'est pas une leçon
orgueilleuse donnée au peuple chrétien, mais une lumière absolument indispensable
à la vie de l'Église — tentée parfois de recourir aux moyens de puissance — et
même indispensable à l'humanité qui erre sur les chemins séduisants et
décevants du matérialisme et de l'athéisme.
Et si vraiment votre consécration à Dieu est
une réalité aussi profonde, il n'est pas sans importance d'en porter de façon
permanente le signe extérieur que constitue un habit religieux simple et adapté
: c'est le moyen de vous rappeler constamment à vous-mêmes votre engagement qui
tranche sur l'esprit du monde ; c'est un témoignage silencieux mais éloquent ;
c'est un signe que notre monde sécularisé a besoin de trouver sur son chemin,
comme d'ailleurs beaucoup de chrétiens ou même de non chrétiens le désirent. Je
vous demande d'y bien réfléchir.
Voilà mes Sœurs, le prix de votre
participation réaliste à l'annonce et à l'édification de cette « humanité
nouvelle ». Car l'homme ne peut être comblé, au-delà des biens terrestres
nécessaires à sa vie et hélas ! si mal partagés, que par la connaissance et
l'amour de Dieu, inséparables de l'accueil et l'amour de tous les hommes,
surtout des plus pauvres humainement et moralement. Toutes les recherches,
toutes les transformations de vos Congrégations doivent être effectuées dans
cette optique, sinon vous travaillez en vain !
Tout cela, mes Sœurs, c'est l'idéal vers
lequel vous tendez personnellement, et vers lequel vous entraînez
maternellement et fermement vos compagnes de route évangélique. Pratiquement,
vous le savez mieux que d'autres, vous vous heurtez de temps en temps à
d'inévitables contingences : soit les rapides mutations sociales d'un pays,
soit le petit nombre et le vieillissement de vos sujets, soit encore le vent
des recherches et des expériences interminables, les requêtes des jeunes, etc.
Soyez accueillantes à toutes ces réalités. Prenez-les au sérieux, jamais au
tragique. Cherchez calmement des solutions progressives, claires, courageuses.
Tout en demeurant vous-mêmes, cherchez avec d'autres. Par-dessus tout, soyez
filles de l'Église, non seulement en paroles mais en actes ! Dans la fidélité
toujours renouvelée au charisme de leurs fondateurs, les Congrégations doivent
en effet s'efforcer de correspondre à l'attente de l'Église, aux engagements
que l'Église, avec ses Pasteurs, estime les plus urgents aujourd'hui pour faire
face à une mission qui a tant besoin d'ouvriers qualifiés. Une garantie de cet
amour exemplaire de l'Église — inséparable de l'amour du Christ Jésus — c'est
votre dialogue avec les responsables de vos Églises locales, avec une volonté
de fidélité et de dévouement à ces Églises, ce sont aussi vos rapports
confiants avec notre Congrégation pour les Religieux et les Instituts
séculiers. Chères Sœurs, le capital de générosité de vos Congrégations est
immense. Employez ces forces à bon escient. Ne permettez pas qu'elles se
dispersent inconsidérément.
Je vous demande de traduire à chacune de vos
sœurs, quelle que soit sa place dans la congrégation dont vous avez la
responsabilité, l'affection du Pape mais aussi l'espérance qu'il met en elle pour
le renouveau d'une exigeante pratique des conseils évangéliques, pour le
témoignage signifiant de toutes les communautés religieuses dont la foi
ardente, le souffle apostolique, et bien sûr les relations interpersonnelles
feraient dire à ceux qui cherchent des chemins nouveaux, dans notre société
harassée par le matérialisme, la violence et la peur : « Nous avons trouvé un
modèle à imiter... ». Oui, mes Sœurs, dans l'Église elle-même, sur les traces
de sainte Catherine d'Avila entre tant et tant d'autres, vous pouvez montrer la
place qui revient à la femme.
Que l'Esprit-Saint agisse puissamment en vous
! Avec Marie, qui lui fut parfaitement docile, vivez dans l'écoute de la Parole
de Dieu et mettez-la en pratique, jusqu'à la Croix. Que votre don total au
Christ soit toujours une source de joie, de dynamisme, de paix ! A vous toutes,
à toutes celles que vous représentez, notre bénédiction apostolique.
17 novembre 1978
Aux évêques canadiens en visite « ad limina»
Le Saint-Père a reçu en audience les évêques du Canada, le
vendredi 17 novembre dans l'après-midi; cette audience était la conclusion
d'entretiens personnels entre le pape et chacun de ces évêques au cours des
journées précédentes. Voici notre traduction du discours prononcé, en partie en
anglais et en partie en français, par Jean Paul II :
Chers Frères en Nôtre-Seigneur Jésus-Christ,
C'est une source féconde de force pastorale
de nous rassembler au nom de Jésus et dans l'unité de son Église. Pour moi
personnellement c'est une joie réelle de vous accueillir à titre de frères dans
l'épiscopat, de membres participants de l'Évangile, de pasteurs d'une grande
partie du Peuple de Dieu au Canada. Vos diocèses ont une importance immense
pour l'Église universelle et pour moi-même qu'un insondable dessein de Dieu a
placé sur le Siège de Pierre pour être le serviteur de tous.
Selon le Concile Vatican II, la notion exacte d'un diocèse est celle d'une « portion du
peuple de Dieu confiée à un évêque pour qu'avec l'aide de son presbyterium, il
en soit le pasteur : ainsi le diocèse, lié à son pasteur et à l'Eucharistie,
constitue une Église particulière en laquelle est vraiment présente et
agissante l'Église du Christ, une, sainte, catholique et apostolique» (Christus Dominus, 11). C'est le
mystère de l'amour de Dieu sur lequel nous réfléchissons aujourd'hui : l'évêque
comme pasteur d'une Église particulière dans laquelle demeure l'unité
catholique.
Cette unité est effectuée et assurée par
l'Évangile et par l'Eucharistie. En effet, le Concile nous rappelle que « parmi
les charges principales des évêques la prédication de l'Évangile est la
première» (Lumen Gentium, 25).
L'évêque trouve son identité dans l'évangélisation qu'il donne en se faisant le
héraut de cet Évangile dont saint Paul nous dit qu'il est « une force de Dieu
pour le salut de tout croyant » (Rm 1,
16). Au plus haut niveau de notre ministère d'évangélisation se trouve
l'Eucharistie, que nous reconnaissons avec foi, selon le Concile, comme « la
source et le sommet de toute évangélisation » (Presbyterorum ordinis, 5).
De la parole de Dieu et de son institution
suprême dans l'Eucharistie nous retirons joie et force pour être père et frère
et ami de nos prêtres qui ont la tâche vitale de collaborer avec nous dans la
communication du mystère du Christ. Que la joie qu'engendré l'Évangile dans nos
propres vies soit contagieuse pour le ministère de nos prêtres et qu'elle les
aide à réaliser combien le Christ a besoin d'eux dans sa mission de salut.
Nous-mêmes, au tombeau de Pierre, nous demandons humblement la grâce de remplir
notre responsabilité à l'égard du troupeau tout entier avec une force
renouvelée et un amour pastoral toujours plus grand. C'est avec la force de
l'Évangile du Christ que nous confrontons toutes les situations pastorales et
tous les problèmes qui sont liés à notre ministère. C'est seulement sur cette
base que nous pouvons bâtir l'Église qui est le germe et le commencement du
royaume de Dieu sur la terre et le levain de toute là société. C'est dans la
force de la Parole de Dieu que nous trouvons le courage de promouvoir la
justice, de témoigner de l'amour, d'exalter le caractère sacré de la vie et de
proclamer la dignité de la personne humaine et sa destinée transcendante. Bref,
avec la force de l'Évangile, nous avançons avec sérénité et confiance pour
proclamer « les insondables richesses du Christ » (Ep 3, 8). Du fait de cette centralité de la Parole de Dieu
nous sommes appelés à donner une priorité pastorale absolue à la garde
effective et à l'enseignement du dépôt de la foi. A cet égard, saint Paul nous
rappelle constamment à la vigilance apostolique : « Je t'adjure devant Dieu et
devant le Christ Jésus qui doit juger les vivants et les morts, au nom de son
apparition et de son règne : proclame la parole, insiste à temps et à
contretemps, réfute, menace, exhorte, avec une patience inlassable et le souci
d'instruire » (2 Tm 4, 1-3).
En même temps, comme évêque, nous recevons un
appel pressant, le souci pastoral profond de la discipline sacrée qui est
commune à l'Église entière (cf. Lumen
Gentium, 23). Ceci comporte le besoin d'une sensibilité à l'action
délicate et souveraine de l'Esprit-Saint dans la vie de nos populations et une
conscience humble du fait que cette action est accomplie d'une façon spéciale
par l'intermédiaire des évêques. Ce sont eux qui, en union avec le collège
épiscopal tout entier et avec Pierre qui en est la tête, ont reçu la promesse
de l'assistance du Saint-Esprit pour pouvoir mener effectivement les fidèles au
salut.
En ce moment, dans la vie de l'Église, il y a
deux aspects particuliers de la discipline sacramentelle qui méritent
l'attention spéciale de l'Église universelle et je voudrais les mentionner pour
aider les évêques en tout lieu. Ces matières constituent une part de la
discipline générale dont la responsabilité première revient au Saint-Siège et
au sujet desquelles le Pape désire soutenir ses frères dans l'épiscopat et
proposer une parole d'encouragement et une orientation pastorale pour le bien
spirituel des fidèles. Ces deux sujets sont la pratique de la première
confession avant la première communion et la question de l'absolution générale.
A la suite d'un début d'expérimentation en
cours, Paul VI, en 1973, a
réitéré la discipline de l'Église latine au sujet de la première confession.
Dans un esprit de fidélité exemplaire, de nombreux évêques, prêtres, diacres,
religieux, enseignants et catéchistes se sont employés à expliquer l'importance
d'une discipline confirmée par l'autorité suprême de l'Église et à l'appliquer
au bénéfice des fidèles. Les communautés ecclésiales étaient affermies dans
leur certitude que l'Église universelle donnait une assurance renouvelée dans
un domaine pastoral où, précédemment, il existait une honnête divergence
d'opinion. Je vous suis reconnaissant de votre vigilance personnelle à ce sujet
et je vous demande de continuer à expliquer le souci de l'Église de maintenir
cette discipline universelle, si riche de profondeur doctrinale et confirmée
par l'expérience de si nombreuses Églises locales. En ce qui concerne les
enfants qui ont atteint l'âge de raison, l'Église est heureuse de garantir la
valeur pastorale qui leur fait expérimenter l'expression sacramentelle de la
conversion avant d'être initiés au partage eucharistique du Mystère Pascal.
Comme pasteur suprême, Paul VI a manifesté une profonde sollicitude similaire à propos de
la grande question de la conversion sous son aspect sacramentel de confession
individuelle. Au cours d'une visite ad
limina, au début de cette année, il s'est étendu assez longuement sur
les normes pastorales qui règlent l'usage de l'absolution générale (Discours du
20 avril 1978, aux Évêques des États-Unis). Il a montré que ces normes, de
fait, sont liées au solennel enseignement du Concile de Trente sur le précepte divin de la confession
individuelle. Une fois encore il a indiqué le caractère tout à fait
exceptionnel de l'absolution générale. En même temps, il demandait aux évêques
d'aider leurs prêtres « à avoir une estime toujours plus grande de leur splendide
ministère de confesseurs... D'autres tâches, en raison du manque de temps,
doivent être retardées, ou même abandonnées, mais pas le confessionnal ». Je
vous remercie de ce que vous avez fait et de ce que vous ferez pour montrer
l'importance de la sage discipline de l'Église dans ce domaine qui est si
intimement lié à la tâche de réconciliation. Au nom du Seigneur Jésus, donnons
l'assurance, en union avec l'Église entière, à tous nos prêtres, de
l'efficacité surnaturelle d'un ministère qui s'exerce avec persévérance dans la
confession auriculaire dans une fidélité au commandement du Seigneur et à
l'enseignement de son Église. Et une fois encore assurons tout le peuple des
grands bienfaits qui découlent de la confession fréquente. Je suis vraiment convaincu
par les paroles de mon prédécesseur Pie XII :
« Ce n'est pas sans une inspiration du Saint-Esprit que cette pratique a été
introduite dans l'Église » (AAS 35,
1943, p. 235).
Nôtre-Seigneur Jésus-Christ lui-même a
insisté sur l'indissolubilité qui est essentielle au mariage. Son Église ne
doit pas permettre que son enseignement en cette matière soit obscurci. Elle
serait infidèle à son Maître si elle n'insistait pas sur le fait, comme Il l'a
fait lui-même, que quiconque divorce de son ou de sa partenaire dans le mariage
commet un adultère (Me 10, 11-12). L'union inséparable entre le mari et la
femme est un grand mystère ou un signe sacramentel en rapport avec le Christ et
l'Église. C'est en préservant la clarté de ce signe que nous manifesterons le
mieux l'amour qu'il signifie : l'amour
surnaturel qui unit le Christ et l'Église et qui lie ensemble le Christ et ceux
qu'il sauve.
Et dans toutes vos activités apostoliques
soyez assurés de mon amour fraternel. Je suis uni à vous et à votre clergé —
pour qui je prie chaque jour — et je rends grâce à Dieu des nombreuses grâces
qu'il a accordées au peuple de vos diocèses : leur sens renouvelé d'une
solidarité collective dans la mission de l'Église, les signes récents d'un
renouveau spirituel, un goût croissant pour la parole de Dieu, une
compréhension plus profonde de leur responsabilité sociale, le courage de la
jeunesse pour répondre à l'appel du Christ. Que le renouveau que nous désirons
tous comporte également une préservation et un renforcement du grand héritage
canadien au service de l'Évangile, en particulier pour le recrutement de
missionnaires en grand nombre à travers l'Église pour y prêcher l'Évangile du
Christ. Que la paix et la joie du Christ Jésus vous soient puissamment
communiquées dans votre ministère pastoral et celui de vos bien-aimés prêtres.
Et puissions-nous tous trouver notre encouragement et notre persévérance dans
la pleine réalisation de « notre communion qui est avec le Père et avec son
Fils Jésus-Christ » (1 Jn 1, 3).
Mettant joyeusement vos pas dans les pas de
vos Prédécesseurs, vous êtes venus, chers Frères, vous agenouiller sur la tombe
de l'Apôtre Pierre, comme je l'ai fait moi-même tant de fois, venant de
Cracovie.
Cette démarche personnelle et communautaire,
toujours émouvante, comporte, un sens très profond, un engagement extrêmement
exigeant. Nous savons tous qu'en dépendance du Christ, qui est la seule Pierre
angulaire, l'humble pêcheur de Galilée a été appelé par Jésus lui-même le Roc
de l'Église. C'est ce Roc qui permet au Peuple de Dieu de grandir à travers le
temps et l'espace sur des bases solides, c'est-à-dire sur la foi essentielle,
de demeurer en lien profond et permanent avec le Christ Source de Vie, de
maintenir et de reconstruire l'unité entre les disciples de résister à l'usure
du temps et aux courants extérieurs — et parfois internes — de dissolution et
de désagrégation. Oh ! certes, l'Esprit-Saint est toujours à l'œuvre, et
je me réjouis avec vous des renouveaux inattendus, des approfondissements réels
que vous constatez dans vos communautés. Ils sont les fruits de l'Esprit. Mais
les Pasteurs que nous sommes doivent demeurer vigilants, clairvoyants, dans
l'espérance et l'humilité. Les forces de dissolution et de désagrégation sont
aussi à l'œuvre. La parabole du bon grain et de l'ivraie est toujours actuelle.
C'est pour cela que nous devons, nous d'abord, les Pasteurs, professer haut et
clair la foi, la doctrine de l'Église, toute la doctrine de l'Église. C'est
pour cela qu'il nous faut adhérer et entraîner hardiment l'adhésion des fidèles
à la discipline sacramentelle de l'Église, garante de la continuité et de
l'authenticité de l'action salvatrice du Christ, garante de la dignité et de
l'unité du culte chrétien, et finalement garante de la véritable vitalité du
Peuple de Dieu. Voilà ce que requiert le service — qui nous est commun — du
salut des âmes. Voilà ce qu'impliqué avant tout la visite « ad limina
Apostolorum ».
Que le Seigneur Jésus vous aide lui-même à devenir, avec
Pierre, le roc sur lequel s'édifient vos communautés. Mon service, à moi, est
de continuer à vous affermir. Je vous accompagnerai par la prière dans votre
ministère. Priez aussi pour moi. Et bénissons ensemble toutes vos chères
communautés diocésaines.