L'ENSEIGNEMENT

DE

JEAN-PAUL II

1978

 

I. AUDIENCES GÉNÉRALES DU MERCREDI

LA VERTU DE PRUDENCE

SANS JUSTICE, IL N'Y A PAS D'AMOUR

LA VERTU DE FORCE

LA VERTU DE TEMPERANCE

QUI EST-CE QUI VIENT ? ET POUR QUI ?

L'HOMME RESSEMBLE PLUS A DIEU QU'A LA NATURE

AVENT: LE DON QUE DIEU FAIT A L'HOMME

LA DIMENSION ETHIQUE DE L'HOMME

L'HOMME EST L'ÊTRE QUI CHERCHE DIEU

 

II. HOMÉLIES

... ET PIERRE EST VENU A ROME

AU SANCTUAIRE MARIAL DE LA MENTORELLA

L'AMOUR CONSTRUIT, LA HAINE DÉTRUIT

LE PRÊTRE, UN HOMME POUR AUTRUI

IMPORTANCE DE L'APOSTOLAT DES LAÏCS

LA PAROISSE EST UNE COMMUNAUTE

MARIE, MOMENT DECISIF DANS L'HISTOIRE DU SALUT

LE CHRISTIANISME, PRINCIPE D'UNION ET DE COMMUNION

DANS LE PONTIFICAT DE PAUL VI LE CHARISME DE L'APOTRE DES GENTILS

HOMÉLIE DU SAINT-PÈRE POUR LA MESSE DE MINUIT

VALEURS FONDAMENTALES DE LA FAMILLE

 

III. DISCOURS

UNITÉ DE LA FOI ET DIVERSITÉ DES LANGUES

JE SERAI LE TÉMOIN DE L'AMOUR UNIVERSEL

L'ÉVANGILE GUIDE L'ÉGLISE

ALLER DE L'AVANT DANS LA VOIE DE L'UNITÉ

LE SOUCI DU BIEN DE L'ÉGLISE ET DE LA FAMILLE HUMAINE

NÉCESSITÉ DE LA PRÉSENCE ACTIVE DANS LE MONDE D'HOMMES ADULTES CATHOLIQUES

LE RÔLE PRIMORDIAL DE LA FAMILLE

BONNE FÊTE, SAINT-PÈRE !

JEAN PAUL II ET LES « PATRONS » DE L'ITALIE

AUX ENFANTS ET AUX JEUNES GENS

LE PAPE AU CLERGÉ DE ROME

LE RÔLE DE LA DOCTRINE DANS LA VIE DE L'ÉGLISE

LE PAPE AUX RELIGIEUSES

OUVREZ LES PORTES AU CHRIST

VŒUX DE BONHEUR AUX ROMAINS

MISSION D'ÉVANGÉLISATION EN HARMONIE AVEC LE CONCILE

L'ÉVÊQUE TÉMOIN DU CHRIST

AUX ÉLÈVES DES ÉCOLES DE POMPIERS

SUIVEZ LE CHRIST ET CONSTRUISEZ L'HOMME EN VOUS

AUX ŒUVRES MISSIONNAIRES PONTIFICALES

LE RADICALISME DE L'AMOUR DE DIEU

LA DISCIPLINE SACRAMENTELLE DANS LE VIE DE L'ÉGLISE

 

 

16 octobre 1978

 

 

LE PREMIER SALUT DU PAPE AUX FIDÈLES

 

 

Il était 19 h 20, le lundi 16 octobre, lorsque le Saint-Père Jean Paul II s'est présenté au balcon central de la basilique vaticane pour le premier salut et la première bénédiction aux fidèles. Voici la traduction des paroles qu'il a adressées en italien à la foule présente, avant la bénédiction « Urbi et Orbi » :

 

Loué soit Jésus-Christ. Très chers frères et sœurs, nous sommes encore tous affligés par la mort de notre très aimé pape Jean Paul Ier. Et voici que les éminents cardinaux ont élu un nouvel évêque de Rome. Ils l'ont appelé d'un pays lointain... lointain, mais toujours si proche par la communion dans la foi et dans la tradition chrétienne. J'ai eu peur en recevant cette nomination, mais je l'ai acceptée en esprit d'obéissance envers Nôtre-Seigneur Jésus-Christ et dans une confiance totale envers sa Mère, la Très Sainte Vierge.

Je ne sais si je pourrai bien m'exprimer dans votre... notre langue italienne... Si je me trompe vous me corrigerez. Et ainsi je me présente à vous tous pour confesser notre foi commune, notre espérance, notre confiance en la Mère du Christ et de l'Église, avec l'aide de Dieu et avec l'aide des hommes.

 

 

I

 

AUDIENCES GÉNÉRALES DU MERCREDI

 

 

 

25 octobre 1978

 

LA VERTU DE PRUDENCE

 

Devant l'afflux des pèlerins à Rome, le pape Jean Paul II pour sa première audience mercredi 25 octobre, a dû les accueillir en deux groupes. Le premier, constitué par plus de 6000 germanophones, était réuni dans la basilique Saint-Pierre, le second qui groupait les autres expressions linguistiques se retrouvait dans la salle des audiences, dite « salle Nervi ». Autour du Saint-Père, se trouvaient quelques cardinaux et beaucoup d'évêques. Parmi ceux-ci, il faut noter la présence des évêques du Québec avec, à leur tête, le cardinal Maurice Roy. Étaient présents également, Mgr Margéot, évêque de Port-Louis à l'île Maurice et Mgr Coty, évêque de Daloa en Côte-d'Ivoire.

 

Lorsque le mercredi 27 septembre le Saint-Père Jean Paul Ier a parlé aux participants à l'audience générale, personne ne pouvait imaginer que c'était pour la dernière fois. Sa mort — après 33 jours de pontificat — a surpris et plongé le monde entier dans un deuil profond. Lui, qui a suscité dans l'Eglise une si grande joie et fait naître dans le cœur des hommes tant d'espérance, il a, en si peu de temps, consumé et porté à sa fin sa mission. Sa mort vérifie la parole de l'Évangile si souvent répétée :             « ... tenez-vous prêts car c'est à l'heure que vous ne pensez pas que le Fils viendra » (Mt 24, 26). Jean Paul Ier veillait toujours. L'appel du Seigneur ne l'a pas surpris. Il l'a suivi avec une joie anxieuse, la même que celle avec laquelle il avait, le 26 août, accepté son élection à la chaire de Saint Pierre.

Aujourd'hui se présente à vous, pour la première fois, Jean Paul II. A quatre semaines de distance de cette audience générale, il désire vous saluer et parler avec vous. Il désire donner suite aux thèmes déjà abordés par Jean Paul Ier. Rappelons-nous qu'il a parlé des trois Vertus théologales': foi, espérance et charité. Il a terminé avec la charité. Celle-ci, qui a constitué son dernier enseignement, est, ici sur terre, la vertu la plus grande comme l'enseigne Saint Paul (1 Co 13, 13). Elle est celle qui traverse le seuil de la vie et de la mort. Parce que, lorsque finit le temps de la foi et de l'espérance, l'Amour continue. Jean Paul Ier est déjà passé par le temps de la foi, de l'espérance et de la charité qui s'est exprimée si magnifiquement sur cette terre et dont la plénitude ne se révèle que dans l'éternité.

Nous devons aujourd'hui parler d'une autre vertu, car, d'après les notes laissées par le défunt Pontife, j'ai appris qu'il avait l'intention de parler non seulement des trois vertus théologales, la foi, l'espérance et la charité, mais aussi des quatre vertus dites cardinales. Jean Paul Ier voulait parler des « 7 lampes » de la vie chrétienne, comme les appelait le pape Jean XXIII.

Eh bien, aujourd'hui je veux continuer ce schéma que le Pape disparu s'était préparé, et parler brièvement de la vertu de prudence. Les anciens ont déjà parlé abondamment de cette vertu. Aussi leur devons-nous beaucoup de reconnaissance, de gratitude. Dans une certaine dimension ils nous ont enseigné que la valeur de l'homme doit être mesurée avec le mètre du bien moral qu'il a réalisé dans sa vie. C'est précisément cela qui assure la première place à la vertu de prudence. L'homme prudent qui se prodigue en faveur de tout ce qui est vraiment bon, s'efforce de mesurer chaque chose, chaque situation et toute son œuvre selon le mètre du bien moral. Prudent, ce n'est donc pas celui qui — comme on l'entend souvent — sait s'arranger dans la vie, sait en tirer le plus grand profit ; mais celui qui sait construire toute sa vie selon la voix de la conscience droite et selon les impératifs de la justice morale.

Ainsi, la prudence constitue la clé pour la réalisation de la tâché fondamentale que chacun de nous a reçue de Dieu. Cette tâche est la perfection de l'homme lui-même. Dieu nous a donné l'humanité à chacun de nous. Il est nécessaire que nous répondions à cette tâche en la programmant en conséquence.

Mais le chrétien a le droit et le devoir de considérer la vertu de prudence également à un autre point de vue. Elle est comme une image ressemblant à la Providence de Dieu lui-même à la dimension de l'homme consacré. Car l'homme — nous le savons d'après la Genèse — a été créé à l'image et à la ressemblance de Dieu. Et Dieu réalise son plan dans l'histoire de la création et surtout dans l'histoire de l'humanité. Le but de ce dessein est, comme l'enseigne Saint Thomas, le bien ultime de l'univers. Le dessein même devient simplement, dans l'histoire de l'humanité, le dessein du salut, le dessein qui nous embrasse tous. Au point central de sa réalisation se trouve Jésus en qui s'est exprimé l'éternel amour et la sollicitude de Dieu lui-même, le Père, pour le salut de l'homme. Et en même temps ceci est la pleine expression de la Divine Providence.

Eh bien, l'homme qui est l'image de Dieu doit être en quelque sorte — comme de nouveau l'enseigne Saint Thomas — la providence. Mais à la mesure de sa vie. Il peut participer à cette grande démarche de toutes les créatures vers le but qui est le bien de la création. Il doit — s'exprimant encore plus dans le langage de la foi — participer au divin dessein de salut. Il doit marcher vers le salut et aider autrui à se sauver. Aidant les autres, il se sauve lui-même.

Je prie pour que, sous cette lumière, qui m'écoute pense maintenant à sa propre vie. Suis-je prudent ? Est-ce que je vis de manière conséquente et responsable ? Le programme que je réalise sert-il au bien commun ? Sert-il au salut que veulent pour nous le Christ et l'Eglise ? Si aujourd'hui m'écoutent un étudiant ou une étudiante, un fils ou une fille, qu'ils considèrent à cette lumière leurs propres tâches scolaires, leurs lectures, leurs intérêts, leurs passe-temps, le milieu de leurs amis et amies. Si m'écoutent un père et une mère de famille, qu'ils pensent un peu à leurs devoirs conjugaux, à leurs devoirs de parents: Si m'écoute un ministre ou un homme d'Etat, qu'il envisage le rayon de ses devoirs et de ses responsabilités. Cherche-t-il le vrai bien de l'humanité ? Ou seulement des intérêts particuliers et partisans ? Si m'écoute un journaliste, un chroniqueur, un homme qui exerce une influence sur l'opinion publique, qu'il réfléchisse sur la valeur et sur les fins de cette influence.

Moi aussi qui vous parle, moi qui suis Pape, que dois-je faire pour agir avec prudence ? Me viennent à l'esprit les lettres d'Albino Luciani, à l'époque Patriarche de Venise, à Saint Bernard. Dans sa réponse au Cardinal Luciani, l'Abbé de Clairvaux — Docteur de l'Eglise — rappelle avec de vigoureux accents, que celui qui gouverne doit être « prudent ». Que doit faire alors le nouveau Pape pour agir prudemment ? Certes, il doit faire beaucoup en ce sens. Il doit toujours apprendre et toujours réfléchir au sujet de tels problèmes. Mais en plus de cela, que peut-il faire ? Il doit prier et mettre tout en œuvre pour avoir ce don de l'Esprit Saint qui s'appelle le don du conseil. Et que tous ceux qui désirent que le nouveau Pape fasse le Pasteur prudent de l'Eglise, implorent pour lui le don du conseil. Et que pour eux-mêmes ils demandent également ce don, par l'intercession particulière de la Mère du Bon Conseil. Car il est si désirable que tous les hommes se comportent prudemment et qu'agissent avec une authentique prudence tous ceux qui détiennent le pouvoir. Afin que l'Eglise — prudemment, et se fortifiant avec les dons de l'Esprit Saint et, en particulier, avec le don du conseil — participe efficacement à cette grande marche vers le bien de tous et afin qu'elle montre à tous la voie du salut éternel.

 

 

 

     8 novembre 1978

 

SANS JUSTICE, IL N'Y A PAS D'AMOUR

 

Chers Frères et Sœurs,

 

1. Durant ces premières audiences où j'ai le bonheur de vous rencontrer, vous qui y êtes venus de Rome, d'Italie et de tant d'autres pays, je désire, comme je l'ai déjà dit le 25 octobre dernier, poursuivre le développement des thèmes fixés par Jean Paul Ier, mon Prédécesseur. Il voulait parler non seulement des trois vertus théologales : la foi, l'espérance et la charité, mais aussi des quatre vertus cardinales : la prudence, la justice, la force et la tempérance. Il voyait en elles, toutes ensemble, comme sept lampes de la vie chrétienne. Dieu l'ayant appelé à l'éternité, il ne put parler que des trois principales : la foi, l'espérance et la charité qui éclairent la vie tout entière du chrétien. En vous rencontrant pour réfléchir, dans l'esprit qui l'animait,'en traitant des vertus cardinales, son indigne Successeur veut, dans un certain sens, allumer les autres lampes près de sa tombe.

 

2. Aujourd'hui il m'échoit de parler de la justice. Qu'elle fasse le sujet de la première catéchèse du mois de novembre semble excellent. En effet, ce mois nous incite à fixer le regard sur la vie de tout homme et, en même temps, sur la vie de toute l'humanité, dans la perspective de la justice finale. Nous sommes tous convaincus, de quelque manière, que dans ce monde transitoire il n'est pas possible de réaliser la pleine mesure de la justice. Peut-être cette affirmation si souvent entendue : « 11 n'y a pas de justice en ce monde » est-elle le fruit d'un simplisme facile. Mais elle contient également un principe profondément vrai. De certaine manière, la justice est plus grande que l'homme, que la dimension de sa vie terrestre, que les possibilités d'établir en cette vie des rapports pleinement justes entre les hommes, les milieux, les sociétés et les groupes sociaux, les nations, et ainsi de suite. Chaque homme vit et meurt avec un certain sentiment de justice inassouvie, car le monde n'est pas en mesure de satisfaire à fond un être créé à l'image de Dieu, ni dans la profondeur de son être, ni dans les aspects variés de sa vie humaine. Et ainsi, grâce à cette faim de justice, l'homme s'ouvre à Dieu qui « est la justice même ». Dans le discours sur la montagne, Jésus l'a exprimé de manière très claire et concise, disant :                 « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés » (Mt 5, 6).

 

3. Gardant devant nous ce sens évangélique de la justice, nous devons en même temps considérer celle-ci comme dimension fondamentale de la vie humaine sur la terre : vie de l'homme, de la société, de l'humanité. C'est sa dimension éthique. La justice est un principe fondamental de l'existence et de la coexistence des hommes et également de celle des communautés humaines, des sociétés et des peuples. En outre, la justice est un principe de l'existence de l'Eglise, en tant que Peuple de Dieu, et un principe de coexistence de l'Eglise et des différentes structures sociales, de l'Etat en particulier, ainsi que des organisations internationales. Sur ce terrain, vaste et divers, l'homme et l'humanité cherchent continuellement justice : c'est un processus incessant, et c'est une tâche de suprême importance.

Selon les diverses relations et les divers aspects, la justice a obtenu, au long des siècles, les définitions les plus appropriées. D'où le concept de la justice : communicative, distributive, légale et sociale. Tout ceci indique la signification fondamentale que la justice a pour l'ordre moral parmi les hommes, dans les relations nationales et internationales. On peut dire que le sens même de l'existence de l'homme sur la terre est lié à la justice. Définir correctement « combien il est dû » par tous à chacun, et en même temps par chacun à tous, « ce qui est dû » (debitum) par l'homme à l'homme dans les divers systèmes et relations — définir et surtout réaliser ! — est une grande chose par laquelle tout -homme vit et grâce à laquelle sa vie a un sens.

Aussi, durant les siècles de l'existence humaine sur la terre, un effort incessant et une lutte continuelle s'accomplissent perpétuellement pour ordonner avec justice l'ensemble de la vie sociale sous ses différents aspects. Il faut considérer avec respect les multiples programmes et l'activité, parfois réformatrice, des diverses tendances, des différents systèmes. Il faut, en même temps, être conscient qu'ici il ne s'agit pas des systèmes, mais avant tout de la justice et de l'homme. Il faut, non pas que l'homme soit pour le système, mais que le système soit pour l'homme. C'est pourquoi il faut se défendre du raidissement du système. Je pense aux systèmes sociaux, économiques, politiques, culturels qui doivent être sensibles à l'homme, à son bien intégral, qui doivent avoir la capacité de se réformer eux-mêmes, de réformer leurs propres structures selon ce qu'exigé la pleine vérité sur l'homme. C'est de ce point de vue qu'il faut juger le grand effort de notre époque qui tend à définir et à consolider « les droits de l'homme » dans la vie de l'humanité actuelle, des peuples et des Etats.

L'Eglise de notre époque maintient un dialogue continuel sur le grand front du monde contemporain, comme le démontrent les nombreuses encycliques des papes et la doctrine du concile Vatican II. Le pape présent devra certainement revenir plus d'une fois sur ce thème. Il importe, dans le bref exposé d'aujourd'hui de se limiter à signaler ce domaine vaste et varié !

 

4. Il est donc nécessaire que chacun de nous puisse vivre dans un contexte de justice, et plus encore que chacun de nous soit juste et agisse justement à l'égard de ceux qui sont proches ou lointains, de la communauté, de la société à laquelle il appartient... et à l'égard de Dieu.

La justice concerne de nombreux domaines et a de nombreuses formes. D y a également une forme de justice qui regarde ce que l'homme « doit » à Dieu. Déjà ceci est en soi un vaste thème principal. Je ne le développerai pas maintenant, bien que je ne puisse m'empêcher de le signaler.

Entre-temps, penchons-nous sur les hommes. Le Christ nous a laissé le commandement de l'amour du prochain. Dans ce commandement tout ce qui concerne la justice se trouve également inclus. L'amour « surpasse » la justice, mais, en même temps, il trouve dans la justice sa vérification. Le père et la mère eux-mêmes, aimant leur propre enfant, doivent être justes avec lui. Si la justice vacille, l'amour court un péril.

Etre juste signifie donner à chacun ce qui lui est dû. Ceci concerne les biens temporels, de nature matérielle. Le meilleur exemple que l'on puisse donner ici est celui de la rétribution du travail ou ce qu'on appelle le droit aux fruits de son propre travail ou de sa propre terre. Mais en outre, à l'homme reviennent également le bon nom, le respect, la considération, la réputation qu'il a mérités. Mieux nous connaissons l'homme, mieux il nous révèle sa personnalité, son caractère, son intelligence et son cœur. Et nous nous rendons d'autant mieux compte — et nous devons le prendre en considération — du critère qui permet de le « mesurer » et de ce que veut dire être juste avec lui.

Il est donc nécessaire d'approfondir continuellement la connaissance de la justice. Elle n'est pas une science théorique. Elle est une vertu, une faculté de l'esprit humain, de la volonté humaine, et également du cœur. En outre il faut prier pour être juste, pour savoir être juste.

Nous ne saurions oublier ce qu'a dit Nôtre-Seigneur : « ...de la mesure dont vous mesurerez, on usera pour vous » (Mt 7,2).

Homme juste, homme de «juste mesure».

Puissions-nous l'être tous !

Puissions-nous tous tendre constamment à k devenir !

A tous, ma bénédiction.

 

 

 

15 novembre 1978

 

LA VERTU DE FORCE

 

Très chers Frères et Sœurs,

 

Parlant de la Loggia de la Basilique Saint-Pierre, le lendemain de son élection, le Pape Jean Paul Ier a rappelé, entre autres, que durant le Conclave, quand tout indiquait déjà que c'était probablement lui qui allait être choisi, les Cardinaux, ses voisins, lui murmurèrent à l'oreille : « Courage ! » II est probable qu'à ce moment cette parole lui fut nécessaire et qu'elle se soit imprimée dans son cœur, étant donné qu'il la rappela dès le lendemain. Veuille me pardonner Jean Paul Ier si je me sers maintenant de cette confidence. Je crois que c'est proprement elle qui peut, de la meilleure manière, nous introduire, nous tous ici présents, dans le thème que j'entends développer. En effet, je désire parler aujourd'hui de la troisième vertu cardinale, c'est-à-dire de la force. C'est précisément à cette vertu que nous nous référons quand nous voulons exhorter quelqu'un à avoir du courage, comme l'a fait le Cardinal voisin de Jean Paul Ier au Conclave quand il lui a dit : « Courage ! ».

Qui tenons-nous pour un homme fort, un homme courageux ? Ce terme évoque habituellement le soldat qui, en temps de guerre, défend sa patrie au péril de sa santé et même de sa vie. Nous nous rendons compte, toutefois, que même en temps de paix nous avons besoin de force. C'est pour cette raison que nous nourrissons une grande estime pour les personnes qui se distinguent par ce que l'on appelle « courage civique ». Un témoignage de force nous est offert par celui qui risque sa propre vie pour sauver quelqu'un en train de se noyer, ou par l'homme qui prête son aide dans les calamités naturelles comme un incendie, une inondation etc. Et Saint Charles, mon Patron, s'est certainement distingué par cette vertu quand, durant la peste de Milan, il accomplissait son ministère pastoral parmi les habitants de cette ville. Et nous pensons également, avec admiration, à ces hommes qui escaladent les sommets de l'Everest ou au cosmonautes, à ceux, par exemple, qui furent les premiers à mettre le pied sur la lune.

Comme il résulte de tout ceci, les manifestations de la force sont nombreuses. Quelques-unes d'entre elles sont largement connues et jouissent d'une certaine célébrité. D'autres sont plutôt ignorées, bien qu'elles exigent une vertu encore plus grande. Comme nous l'avons dit au début, la force est, en effet, une vertu, une vertu cardinale. Permettez-moi d'attirer votre attention sur des cas généralement peu connus mais qui témoignent en eux-mêmes d'une grande vertu, héroïque parfois. Je pense, par exemple, à une femme, mère d'une famille déjà nombreuse, à qui l'on conseille de divers côtés de supprimer une nouvelle vie conçue dans son sein, en se soumettant à « l'intervention » d'interruption de la maternité ; et elle répond avec fermeté : « non ! ». Elle sait toutes les difficultés que ce « non » entraîne avec soi, difficultés pour elle-même, pour son mari, pour la famille, et pourtant elle répond « non ». La nouvelle vie humaine conçue en elle est une valeur trop grande, trop « sacrée » pour qu'elle puisse céder à de semblables pressions.

Un autre exemple : un homme auquel on promet la liberté et, également, une carrière facile à condition de renier certains principes ou d'approuver quelque chose qui heurte son honnêteté envers autrui. Et lui aussi répond « non ! » même devant des menaces, d'une part et des avantages de l'autre. Voilà un homme courageux !

Nombreuses, très nombreuses sont les manifestations de force dont les journaux ne disent rien ou que l'on connaît à peine. Seule la conscience humaine les connaît... et Dieu le sait !

Je désire rendre hommage à tous ces courageux inconnus. A tous ceux qui ont le courage de dire « non » ou « oui » quoi qu'il en coûte. Aux nommes qui offrent un remarquable témoignage de dignité humaine et de profonde humanité. Et, précisément parce qu'ils sont ignorés, ils méritent un hommage et une reconnaissance particuliers.

Selon la doctrine de Saint Thomas, la vertu de force se rencontre chez l'homme — qui est prêt « aggredi pericula » c'est-à-dire à affronter le danger ; — qui est prêt « sustinere mala », c'est-à-dire à supporter les adversités pour une cause juste, pour la vérité, pour la justice etc.

La vertu de force impose toujours de surmonter la faiblesse humaine et surtout la peur. En effet, l'homme* par nature, craint spontanément le danger, les ennuis, les souffrances. C'est pourquoi, les hommes courageux il faut les chercher non seulement sur les champs de bataille mais aussi dans les salles d'un hôpital ou sur un lit de douleur. On pouvait souvent rencontrer de tels hommes dans les camps de concentration ou dans les centres de déportation. Ils étaient certainement d'authentiques héros.

La peur ôte souvent le courage civique aux hommes qui vivent dans un climat de menaces, d'oppression ou de persécution. Ont alors une particulière valeur humaine, ceux qui sont capables de franchir le mur de la peur afin de rendre témoignage à la vérité et à la justice. Pour parvenir à une telle force l'homme doit, d'une certaine manière « dépasser » ses propres limites et se « surmonter » lui-même, avec le risque d'être mal vu, le risque de s'exposer à des conséquences désagréables, à des injures, des dégradations, des pertes matérielles, peut-être même à la prison ou aux persécutions. Pour atteindre une telle force, l'homme doit être soutenu par un grand amour pour la vérité et pour le bien auquel il se consacre. La vertu de force va de pair avec la capacité de se sacrifier. Cette vertu avait déjà pris dans l'antiquité un aspect bien défini. Avec le Christ elle a pris une forme évangélique, chrétienne. L'Evangile s'adresse aux hommes faibles, pauvres, humbles et doux, artisans de la paix, miséricordieux et il s'y trouve en même temps, un constant appel à la force. Il répète souvent « N'ayez pas peur » (Mt 14,27). Il enseigne à l'homme que, pour une cause juste, pour la vérité, pour la justice, il faut savoir « donner sa vie » (Jn 15,13).

Je désire encore me référer ici à un autre exemple qui remonte à 400 ans, mais reste toujours vivant et actuel. Il s'agit de la figure de Saint Stanislas Kostka, patron des jeunes, dont la tombe se trouve en l'église Saint-André au Quirinal, à Rome. C'est ici en effet qu'à l'âge de 18 ans se termine la vie de ce Saint, par nature très sensible et tendre, mais aussi très courageux. La force le mena, lui qui provenait d'une famille noble, à choisir d'être pauvre, à l'exemple du Christ, et à se mettre exclusivement à son service. Bien que sa décision rencontrât une ferme opposition dans son milieu, il réussit avec grand amour mais aussi avec grande fermeté, à réaliser son projet, synthétisé dans la devise : « Ad majora natus sum » (Je suis né pour des choses plus grandes). Il gagna le noviciat des Jésuites, parcourant à pied la route de Vienne à Rome et cherchant à échapper à ses poursuivants qui voulaient par la force détourner cet « obstiné » de ses intentions.

Je sais qu'en novembre de nombreux jeunes de tout Rome, et spécialement des étudiants rendent visite à la tombe de saint Stanislas en l'église Saint-André. Je suis avec eux, parce que notre génération a besoin, elle aussi, d'hommes qui sachent répéter avec une sainte « obstination » : « Ad majora natus sum ». Nous avons besoin d'hommes forts !

Nous avons besoin de force pour être des hommes. En effet seul est vraiment prudent l'homme qui possède la vertu de force ; de même que l'homme véritablement juste est seulement celui qui a cette vertu.

Prions pour ce don de l'Esprit Saint qui s'appelle « le don de force ». Quand font défaut à l'homme les forces pour se surmonter lui même, en vue de valeurs supérieures, comme la vérité, la justice, la vocation, la fidélité matrimoniale, il est nécessaire que ce « don de là-haut » fasse de chacun de nous un homme fort et, au moment opportun, nous dise, au plus intime de nous-mêmes : « courage ! ».

 

 

 

22 novembre 1978

 

LA VERTU DE TEMPERANCE

 

1. Au cours des audiences de mon ministère pontifical j'ai cherché à exécuter le « testament » de mon bien-aimé prédécesseur Jean Paul Ier. Comme on le sait, il n'a pas laissé de testament écrit, parce que la mort, inattendue, l'a frappé à l'improviste ; mais il a laissé quelques notes d'où résulte son intention de parler, lors de ses premières rencontres du mercredi, des principes fondamentaux de la vie chrétienne, c'est-à-dire des trois vertus théologales — et ceci, il a eu le temps de le faire — puis des quatre venus cardinales, ce que réalise à présent son indigne Successeur. Aujourd'hui je parlerai de la quatrième vertu cardinale, la tempérance, dont c'est le tour, accomplissant ainsi, d'une certaine manière, le programme de Jean Paul Ier, un programme que nous pouvons presque considérer comme le testament du défunt Pontife.

 

2. Quand nous parlons des vertus — non seulement de ces vertus cardinales, mais de toutes et de chacune d'elles — nous devons avoir toujours sous les yeux l'homme réel, l'homme concret. La vertu n'est pas quelque chose d'abstrait, détaché de la vie ; au contraire elle a de profondes              « racines » dans la vie même, elle en jaillit et elle la forme. La vertu a une incidence sur la vie de l'homme, sur ses actions et sur son comportement. Il s'ensuit que dans ces réflexions nous parlons moins de la vertu que de l'homme qui vit et agit « vertueusement » ; nous parlons de l'homme prudent, juste, courageux et, enfin, aujourd'hui, précisément, nous parlons de l'homme                    « tempérant » (ou bien « sobre »).

Ajoutons sans tarder que tous ces attributs, ou plutôt ces attitudes de l'homme provenant des diverses vertus cardinales, se rattachent l'une à l'autre. On ne saurait donc être vraiment prudent, ni authentiquement juste, ni réellement fort, si l'on ne possède en même temps la vertu de tempérance. On peut dire que cette vertu conditionne indirectement toutes les autres, mais il faut dire également que toutes les autres vertus sont indispensables pour que l'homme soit « tempérant » (ou « sobre »).

 

3. Le terme même, « tempérance », semble se référer d'une certaine manière à ce qui est « à l'extérieur de l'homme ». En effet nous disons qu'est tempérant celui qui n'abuse pas des aliments, des boissons, des plaisirs, qui ne boit pas immodérément de l'alcool, qui ne se prive pas de sa conscience en faisant usage de stupéfiants etc. Cette référence qui a des éléments extérieurs à l'homme a cependant sa base au-dedans de l'homme. C'est comme si, en chacun de nous, il existait un « ego supérieur » et un    « ego inférieur ». Dans l’« ego inférieur » s'expriment notre « corps » et tout ce qui lui appartient : ses besoins, ses désirs, ses passions de nature principalement sensuelle. La vertu de tempérance garantit à tout homme la domination de IV ego supérieur » sur l’ego inférieur ». Est-ce là une humiliation de notre corps ? Ou bien un amoindrissement ? Au contraire, cette domination valorise le corps. La vertu de tempérance fait que notre corps et nos sens trouvent la place exacte qui leur revient dans notre être humain.

L'homme tempérant est celui qui a la maîtrise de soi-même. Celui chez qui les passions ne l'emportent pas sur la raison, sur la volonté, et même sur le « cœur ». L'homme qui sait se dominer ! S'il en est ainsi, nous pouvons nous rendre compte de la valeur fondamentale et radicale de la tempérance. Elle est même directement indispensable pour que l'homme « soit » pleinement homme. Il suffit de regarder quelqu'un qui, entraîné par ses passions, en devient la « victime », renonçant de lui-même à user de sa raison (par exemple un alcoolique, un drogué), pour constater clairement qu’être homme » signifie respecter sa propre dignité et donc, entre autres, se laisser guider par la vertu de tempérance.

 

4. Cette vertu est également appelée « sobriété ». Et il est juste qu'il en soit ainsi ! En effet, pour pouvoir dominer nos passions, la concupiscence de la chair, les explosions de la sensualité (par exemple, dans les relations avec l'autre sexe) etc., nous devons éviter de dépasser les justes limites à l'égard de nous-mêmes et de notre « ego inférieur ». Si nous ne respectons pas ces justes limites nous ne serons pas en mesure de nous dominer. Ceci ne signifie pas que l'homme vertueux, sobre, ne puisse être « spontané », ne puisse jouir, ne puisse pleurer, ne puisse exprimer ses propres sentiments ; cela ne veut pas dire qu'il doive devenir insensible, « indifférent » comme s'il était de glace ou de pierre. Non, en aucune manière ! Il suffit de regarder Jésus pour s'en convaincre. On n'a jamais identifié la morale catholique avec la morale stoïque. Au contraire, considérant toute la richesse de l'affectivité et de l'émotivité dont l'homme est doté — du reste, chacun de façon diverse : l'homme d'une manière, la femme d'une autre en vertu de leur sensibilité propre — il faut reconnaître que l'homme ne saurait arriver à cette spontanéité mûrie si ce n'est grâce à un travail sur lui-même et à une particulière « vigilance » sur tout son comportement. En fait, c'est en cela que consiste la vertu de « tempérance », de « sobriété ».

 

5. Je pense que cette vertu exige de chacun de nous une humilité spécifique au sujet des dons que Dieu a placés dans notre nature humaine. Je dirais : « l'humilité du corps » et celle « du cœur ». Cette humilité est une condition nécessaire pour « l'harmonie » intérieure de l'homme ; pour la beauté « intérieure » de l'homme. Que chacun y réfléchisse bien, et en particulier les jeunes, et encore plus les jeunes, à l'âge où l'on tient tant à être beau ou belle pour plaire aux autres ! Rappelons que l'homme doit surtout être beau intérieurement ! Sans cette beauté, tous les efforts tendus vers le corps, ne feront, ni de lui ni d'elle, une personne vraiment belle.

Du reste, n'est-ce pas précisément le corps qui doit subir des atteintes sensibles, et même parfois, très graves à la santé, quand à l'homme fait défaut la vertu de tempérance, de sobriété ? A ce propos, auraient beaucoup à dire les statistiques et les rapports cliniques de tous les hôpitaux du monde. En ont également une grande expérience les médecins des centres de consultation auxquels s'adressent des époux, des fiancés et des jeunes. Il est vrai qu'on ne saurait juger la vertu en se basant exclusivement sur le critère de la santé psycho-physique, mais il existe d'innombrables preuves que le manque de vertu, de tempérance, de sobriété nuit à la santé.

 

6. Il me faut conclure ici, tout en étant convaincu que le sujet est interrompu plutôt qu'épuisé. Peut-être l'occasion se présentera-t-elle un jour d'y revenir.

Pour le moment cela suffit.

De cette manière j'ai essayé, autant que possible, d'exécuter le testament de Jean Paul Ier.

Je lui demande de prier pour moi quand je devrai passer à d'autres thèmes au cours des audiences du mercredi.

 

 

 

29 novembre 1978

 

QUI EST-CE QUI VIENT ? ET POUR QUI ?

 

1. Bien que le temps liturgique de l'Avent commence seulement dimanche prochain, je désire parler dès aujourd'hui de ce cycle.

Nous sommes désormais habitués à ce terme de l’« Avent », nous savons ce qu'il signifie ; mais c'est peut-être parce qu'il nous est familier que nous ne parvenons pas à comprendre tout ce que ce concept contient de richesse.

« Avent » signifie « venue ».

Il faut donc se demander : « qui est-ce qui vient ? » et « pour qui vient-il ? ».

Nous trouvons aussitôt la réponse à cette demande. Même les bambins savent que c'est Jésus qui vient, pour eux et pour tous les hommes. Il vient une nuit à Bethléem, naît dans une grotte qui servait d'étable pour le bétail.

Cela, les enfants le savent, et le savent également les adultes qui prennent part à la joie des enfants et semblent, la nuit de Noël, redevenir, eux aussi, des enfants. Toutefois, nombreuses sont les demandes que l'on se fait. L'homme a le droit, et même le devoir, d'interroger pour savoir. Il y a également ceux qui doutent et qui, bien qu'ils participent à la joie de Noël, semblent étrangers à la vérité que celle-ci contient.

C'est précisément pour cela que nous avons le temps de l'Avent, de manière à pouvoir de nouveau, chaque année, pénétrer cette vérité essentielle du christianisme.

 

2. La vérité du christianisme correspond à deux réalités fondamentales que nous ne devons jamais perdre de vue. Elles sont toutes deux étroitement liées entre elles. Et c'est proprement ce lien, si intime qu'une réalité semble expliquer l'autre, qui est la note caractéristique du christianisme. La première réalité s'appelle « Dieu », la seconde « l'homme ». Le christianisme jaillit d'une particulière relation réciproque entre Dieu et l'homme. Ces derniers temps — spécialement durant le Concile Vatican II — on a longuement discuté la question de savoir si cette relation est théocentrique ou anthropocentrique. On n'obtiendra jamais de réponse satisfaisante à cette demande si l'on continue à considérer séparément les deux termes de la question. En effet, le christianisme est anthropocentrique précisément parce qu'il est pleinement théocentrique ; et simultanément, il est théocentrique grâce à son particulier anthropocentrisme.

Mais c'est proprement le mystère de l'Incarnation qui explique, de lui-même, cette relation.

C'est pour cette raison que le christianisme n'est pas seulement une « religion d'avent », mais l'Avent même. Le christianisme vit le mystère de la venue réelle de Dieu vers l'homme et cette réalité fait palpiter et battre constamment son cœur. Elle est simplement la vie même du christianisme. Il s'agit d'une réalité profonde et simple en même temps, très accessible à l'intelligence et à la sensibilité de tout homme et principalement de celui qui, à l'occasion de la nuit de Noël, sait redevenir un enfant. Ce n'est pas en vain que Jésus a dit un jour : « Si vous ne devenez pas comme des enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux (Mt 18, 3).

 

3. Pour comprendre à fond cette double réalité qui fait aujourd'hui palpiter et battre le christianisme, il est bon de remonter aux débuts mêmes de la Révélation, ou mieux, quasi aux premiers temps de la pensée humaine.

Au « début » de la pensée humaine peuvent se trouver des conceptions diverses ; la pensée de chaque individu a une histoire propre dans sa vie, dès son enfance. Toutefois, en parlant de « début * nous n'entendons pas faire l'historique de la pensée. Nous voulons, au contraire, constater qu'à la base même de la pensée, c'est-à-dire à ses sources, se trouvent le concept de « Dieu » et le concept de IV homme ». Parfois ceux-ci sont recouverts par une couche de nombreux autres concepts variés (en particulier dans l'actuelle civilisation matérialiste et, également, technocratique) — mais cela ne veut pas dire que ces concepts n'existent pas ou qu'ils ne sont pas à la base de notre pensée.

Même le système athée le plus élaboré n'a de sens que s'il connaît l'idée de « Théos », c'est-à-dire Dieu. A ce propos, la Constitution pastorale de Vatican II nous enseigne que de nombreuses formes d'athéisme découlent de l'absence d'un rapport adéquat avec ce concept de Dieu. Elles sont donc, ou tout au moins peuvent être, la négation de quelque chose ou plutôt de quelqu'un d'autre qui ne correspond pas au vrai Dieu.

 

4. L'Avent — comme temps liturgique de l'année ecclésiale — nous fait remonter aux débuts de la Révélation. Et c'est à ces débuts, précisément, que nous trouvons aussitôt le lien fondamental de ces deux réalités : Dieu et l'homme.

Prenant en main le premier livre de la Sainte Ecriture, c'est-à-dire la Genèse, nous lisons les premiers mots : « Beresit bara ! — Au commencement créa... ». Suit alors le nom de Dieu qui, dans la Bible, se dit « Elohim ». Au commencement créa... et celui qui créa, c'est Dieu. Ces trois mots :            « Beresit bara Elohim » constituent quasi le seuil de la Révélation. Au début du livre de la Genèse Dieu est défini seulement par le nom d'« Elohim » ; d'autres parties de ce livre adoptent également le nom de « Jahve ». Plus clairement encore parle de Lui le verbe « créa ». De fait, ce verbe révèle Dieu, qui est Dieu. Il exprime sa substance, moins en soi que par rapport au monde, c'est-à-dire à l'ensemble des créatures sujettes aux lois du temps et de l'espace. Le complément circonstanciel « au commencement » indique Dieu comme Celui qui existe avant ce commencement, qui n'est limité ni par le temps ni par l'espace et qui « crée », c'est-à-dire qui « donne origine » à tout ce qui n'est pas Dieu, c'est-à-dire qui constitue le monde visible et invisible (suivant la Genèse : le ciel et la terre). Dans ce contexte le verbe « créa » dit avant tout de Dieu que Lui-même existe, qu'il EST, que Lui, il est la plénitude de l'être, que cette plénitude se manifeste comme Toute-Puissance et que cette Toute-Puissance est en même temps sagesse et Amour. Tout cela c'est ce que la première phrase de la Sainte Ecriture nous dit de Dieu. De cette manière, si nous nous référons aux débuts de la Révélation, en notre intellect se forme le concept de Dieu.

II serait intéressant d'examiner les rapports existants entre le concept de Dieu tel que nous le trouvons aux débuts de la Révélation et celui que nous trouvons à la base de la pensée humaine (même dans le cas de la négation de Dieu, c'est-à-dire de l'athéisme). Toutefois nous n'entendons pas développer ce thème aujourd'hui.

 

5. Par contre, nous voulons constater qu'aux débuts de la Révélation — dans le même livre de la Genèse — et ce, déjà au premier chapitre, nous trouvons la vérité fondamentale au sujet de l'homme que Dieu (Elohim) créa à « son image et à sa ressemblance ». Nous y lisons, en effet : « Dieu dit : faisons l'homme à notre image, à notre ressemblance » (Gn 1, 26) et, plus loin, « Dieu créa l'homme à son image ; à l'image de Dieu le créa » (Gn 1, 27).

Nous reviendrons mercredi prochain sur ce problème de l'homme. Mais déjà aujourd'hui, nous devons signaler cette relation particulière entre Dieu et son image, c'est-à-dire l'homme.

Cette relation nous éclaire sur les bases mêmes du christianisme.

Elle nous permet également de donner une réponse fondamentale à deux demandes : la première, que signifie « l'Avent » ? La seconde : pourquoi précisément l'« Avent » fait-il partie de la substance même du christianisme ?

Ces demandes, je les soumets à vos réflexions. Nous y reviendrons lors de notre prochaine méditation et plus d'une fois. La réalité de l'A vent est pleine de la vérité la plus profonde sur l'homme et sur Dieu.

 

 

 

6 décembre 1978

 

L'HOMME RESSEMBLE PLUS A DIEU QU'A LA NATURE

 

Sœurs et Frères très chers,

 

Je reprends le thème de mercredi dernier.

 

1. Pour pénétrer, dans sa plénitude biblique et liturgique, la signification de l’Avent, il est nécessaire de suivre deux directions. Il faut « remonter » aux origines et, en même temps, « descendre » en profondeur. Déjà, mercredi dernier, nous l'avons fait une première fois en choisissant comme sujet de notre méditation les premiers mots du livre de la Genèse : « Au commencement Dieu créa » (Beresit bara Elohim). Vers la fin du thème traité l'autre semaine nous avons relevé notamment que pour comprendre. l'Avent dans sa pleine signification il importait de pénétrer également le thème de            l’« homme ». La pleine signification de l'Avent jaillit de la méditation sur la Réalité de Dieu qui crée — et qui, en créant, se révèle Lui-même (ceci est la première et fondamentale révélation et, également, la première et fondamentale vérité de notre « Credo »). La pleine signification de l'Avent émerge également de la réflexion profonde sur la réalité de l'homme. C'est de cette seconde réalité qu'est l'homme que nous allons nous rapprocher un peu plus durant la méditation de ce jour.

 

2. Il y a une semaine notre entretien a porté sur les paroles du livre de la Genèse qui définissent l'homme « image et ressemblance de Dieu ». Il est nécessaire de réfléchir de manière plus intense sur les textes qui en parlent. Ils font partie du premier chapitre du livre de la Genèse où la création du monde est décrite en une succession de sept jours. La description de la création de l'homme, le sixième jour, diffère quelque peu des descriptions précédentes. Avec celles-ci, nous sommes témoins seulement de l'acte de création, exprimé par la phrase : « Dieu dit — soit... » ; par contre, pour la création de l'homme l'auteur inspiré veut mettre d'abord en évidence l'intention et le dessein du Créateur (de Dieu-Elohim) ; nous y lisons, en effet : « Et Dieu dit : « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance » (Gn 1, 26). Comme si le Seigneur entrait en Lui-même ; non seulement comme si, en créant, il appelait du néant à l'existence avec le mot : « soit », mais, comme si, de manière particulière, il tirait l'homme du mystère de son propre être. Ceci est compréhensible, car il ne s'agit pas seulement de l'Être, mais de l'Image. L'image doit refléter, doit, d'une certaine façon, presque reproduire « la substance » de son Prototype. Le Créateur dit en outre : « à notre ressemblance ». Il est évident qu'il ne s'agit pas d'entendre cela comme un « portrait », mais comme un être vivant, qui vit la vie ressemblant à celle de Dieu.

Ce n'est qu'après ces mots qui témoignent, pour ainsi dire, du dessein du Dieu-Créateur, que la Bible parle de l'acte même de la création de l'homme :

« Dieu créa l'homme à son image ; à l'image de Dieu, Il le créa ; homme et femme Il les créa » (Gn 1, 27).

Cette description est complétée par la bénédiction. Il y a donc : le dessein, l'acte même de la création et la bénédiction : « Dieu les bénit et leur dit : Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre ; soumettez-la et régnez sur les poissons de la mer et sur les oiseaux du ciel et sur tout être vivant qui rampe sur la terre » (Gn 1, 28).

Les derniers mots de la description : « Dieu vit ce qu'il avait fait, et voilà, c'était chose très bonne » (Gn 1, 31)  semblent être l'écho de cette bénédiction.

 

3. Il est certain que le texte de la Genèse est des plus anciens ; d'après les spécialistes de la Bible, il a été rédigé vers le IXe siècle avant Jésus-Christ. Ce texte contient la vérité fondamentale de notre foi, le premier article du Credo apostolique. La partie du texte qui présente la création de l'homme est admirable pour sa simplicité et, en même temps, pour sa profondeur. Les affirmations qu'elle contient correspondent à notre expérience et à notre connaissance de l'homme. Il est clair pour chacun, peu importe la manière idéologique de concevoir le monde, que l'homme, tout en appartenant au monde visible, à la nature, se différencie de quelque manière de cette nature même. En effet, le monde visible existe « pour lui », et lui, il y exerce l'autorité ; et même si, de diverses façons, il est « conditionné » par la nature, il la « domine ». Il la domine, fort de ce qu'il est ; fort de ses capacités et de ses facultés d'ordre spirituel qui le rendent différent du monde naturel. Ce sont proprement ces facultés-là qui constituent l'homme. Le livre de la Genèse est extrêmement précis sur ce point. En définissant l'homme «image de Dieu» il met en évidence la raison pour laquelle l'homme est un homme ; la raison pour laquelle il est un être distinct de toutes les autres créations du monde visible.

On connaît les innombrables tentatives que la science a faites — et continue à faire — dans ses différentes disciplines pour établir les liens de l'homme avec le monde naturel et démontrer sa dépendance de ce monde, allant jusqu'à l'insérer dans l'histoire de l'évolution des différentes espèces. Tout en respectant de telles recherches, nous ne saurions nous limiter à celles-ci. Si nous analysons l'homme au plus profond de son être, nous constatons qu'il se différencie du monde de la nature plus qu'il n'y ressemble. C'est dans ce sens que procèdent également l'anthropologie et la philosophie quand elles cherchent à analyser et comprendre l'intelligence, la liberté, la conscience et la spiritualité de l'homme. Le livre de la Genèse semble devancer toutes ces expériences de la science et, parlant de l'homme comme « image de Dieu », il fait entendre que la réponse au mystère de sa nature humaine ne se trouve pas sur la voie de la ressemblance avec le monde de la nature. L'homme ressemble plus à Dieu qu'à la nature. C'est dans ce sens que le Psaume 82, 6 dit : « Vous êtes des dieux », les termes que Jésus reprendra ensuite (cf. Jn 10, 34).

 

4. Cette affirmation est audacieuse. Il faut avoir la foi pour l'accepter. Toutefois la raison, sans préjugés, ne s'oppose pas à une semblable vérité sur l'homme ; au contraire elle y voit un complément à ce qui ressort de l'analyse de la réalité humaine, et surtout de l'esprit humain.

Il est extrêmement significatif que, dans la longue description de la création de l'homme, déjà le livre de la Genèse lui-même oblige l'homme — le premier homme créé, Adam — à faire une semblable analyse. Ce que nous lisons peut scandaliser certains, à cause de l'archaïque manière de s'exprimer, mais, -en même temps, lorsqu'on prend en considération le nœud du problème, il est impossible de ne pas être émerveillé devant l'actualité de ce récit.

Et voici le texte :

« Alors le Seigneur Dieu forma l'homme avec le limon de la terre et insuffla dans ses narines un souffle de vie et l'homme devint un être vivant. Puis le Seigneur Dieu implanta un jardin dans l'Eden, à l'orient, et y plaça l'homme qu'il avait formé. Le Seigneur fit sortir du sol toutes espèces d'arbres agréables à la vue et bons à manger, parmi lesquels l'arbre de la vie au milieu du jardin, et l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Un fleuve jaillissait de l'Eden pour irriguer le jardin, puis de là il se divisait et formait quatre cours d'eau...

Le Seigneur prit l'homme et le mit dans le jardin d'Eden pour qu'il le cultivât et le gardât... Puis le Seigneur Dieu dit : II n'est pas bon que l'homme soit seul : je veux lui donner une aide qui lui soit semblable. Alors le Seigneur Dieu forma du limon toute espèce d'animaux sauvages et tous les oiseaux du ciel, et il les mena à l'homme pour voir comment il les aurait nommés : de la manière dont l'homme aurait appelé chacun de êtres vivants, ce nom devait être le sien. Ainsi l'homme imposa un nom à tout le bétail, à tous les oiseaux du ciel et à toutes les bêtes sauvages, mais l'homme ne trouva pas une aide qui lui fût semblable » (Gn 2, 7-20).

De quoi sommes-nous témoins ? Voilà, le premier « homme » accomplit le premier et fondamental acte de connaissance du monde: En même temps cet acte lui permet de se connaître, de se distinguer lui-même « l'homme » de toutes les autres créatures et surtout de celles qui, comme « êtres vivants » — doués de vie végétative et sensitive — démontrent proportionnellement la plus grande ressemblance avec lui, « avec l'homme », lui aussi doué de vie végétative et sensitive. On pourrait dire que ce premier homme fait ce que normalement fait tout homme de n'importe quelle époque : c'est-à-dire qu'il réfléchit sur son propre être et se demande qui il est.

Le résultat du processus de cette recherche est de se rendre compte de la différence totale et essentielle : je suis différent. Je suis plus différent que semblable. La description biblique conclut : « l'homme ne trouva aucune compagnie qui lui ressemblât » (Gn 2, 20).

5. Pourquoi parlons-nous aujourd'hui de tout cela ? — Nous le faisons pour mieux comprendre le mystère de l'A vent, pour le saisir, dès les fondements mêmes — et pénétrer ainsi le plus profondément possible dans notre christianisme.

L'Avent signifie « la Venue ».

Si Dieu « vient » à l'homme, II le fait parce qu'il a préparé dans son être humain une « dimension d'attente » qui permet à l'homme d'« accueillir » Dieu, qui le rend capable de le faire.,

Le livre de la Genèse — surtout ce chapitre — l'explique déjà quand, parlant de l'homme, il affirme que Dieu créa l'homme « à son image» (Gn 1, 27).

Avec ma bénédiction apostolique.

 

 

 

13 décembre 1978

 

AVENT: LE DON QUE DIEU FAIT A L'HOMME

 

1. Pour la troisième fois dans nos rencontres du mercredi je reprends le thème de l'Avent en suivant le rythme de la liturgie qui, de la manière la plus simple, et en même temps la plus profonde, nous introduit dans la vie de l'Eglise. Le Concile Vatican H qui nous a donné une doctrine riche et universelle sur l'Église, a également attiré notre attention sur la liturgie. Grâce à elle non seulement nous savons ce qu'est l'Eglise, mais nous faisons aussi, jour après jour, l'expérience de ce dont elle vit. Nous aussi nous en vivons parce que nous sommes l'Eglise : « La liturgie... contribue au plus haut point à ce que les fidèles, par leur vie, expriment et manifestent aux autres le mystère du Christ et la nature authentique de la véritable Eglise. Car il appartient en propre à celle-ci d'être à la fois humaine et divine, visible et riche de réalités invisibles, fervente dans l'action et occupée à la contemplation, présente dans le monde et pourtant étrangère (Constitution Sacrosanctum Conciliant, n.2).

Maintenant, l'Eglise vit l'Avent. C'est pourquoi nos rencontres du mercredi se concentrent sur cette période liturgique. L'Avent signifie « Venue ». Pour pénétrer la réalité de l'Avent, nous avons voulu regarder dans la direction de « qui vient et pour qui il vient ». Nous avons donc parlé d'un Dieu qui, en créant le monde, se révèle lui-même : d'un Dieu-Créateur. Et mercredi dernier nous avons parlé de l'homme. Nous allons poursuivre aujourd'hui pour trouver une réponse plus complète à la demande : pourquoi « l'Avent » ? Pourquoi Dieu vient-il ? Pourquoi veut-il venir à l'homme ?

La liturgie de l'Avent est fondée principalement sur les textes des Prophètes de l'Ancien Testament. Jour après jour y parle le Prophète Isaïe. Dans l'histoire du Peuple de Dieu de l'Ancienne Alliance, il était un « interprète » tout particulier de la promesse que ce Peuple avait depuis longtemps reçue de Dieu en la personne de leur souche : Abraham. Comme tous les autres prophètes, et peut-être même plus qu'eux, Isaïe, renforçait chez ses contemporains la foi dans les promesses de Dieu, confirmées par l'Alliance au pied du Mont Sinaï. 11 enseignait surtout la persévérance dans l'attente et la fidélité :         « Peuple de Sion, le Seigneur viendra sauver les peuples et il fera entendre sa voix puissante pour la joie de votre cœur » (cf. Is. 30, 19-30). Lorsqu'il était sur la terre le Christ s'est référé plusieurs fois aux paroles d'Isaïe. Il a dit clairement : « Aujourd'hui s'accomplit ce passagère l'Ecriture que vous avez entendu de vos oreilles » (Le 4, 21).

 

2. La liturgie de l'Avent est de caractère-historique. L'attente de la venue du « Oint » (Messie) fut un processus historique. Elle a imprégné, en effet, toute l'histoire d'Israël qui fut élu précisément pour préparer la venue du Sauveur.

Toutefois nos considérations dépassent d'une certaine manière la liturgie quotidienne de l'Avent Revenons-en donc à la demande fondamentale : pourquoi Dieu vient-il ? Pourquoi veut-il venir à l'homme, à l'humanité ? A cette demande nous cherchons des réponses adéquates et nous les cherchons aux origines mêmes, c'est-à-dire encore avant que commence l'histoire du Peuple Elu. Cette année, nous voulons fixer l'attention sur les premiers chapitres du livre de la Genèse. L'événement historique ne serait pas compréhensible sans une lecture et une analyse approfondies de ces chapitres.

Si donc nous cherchons une réponse à la demande : « pourquoi » l'Avent ? nous devons à nouveau relire attentivement tout le récit de la création du monde et tout particulièrement la description de la création de l'homme. Ce qui est significatif — et j'ai déjà eu l'occasion de le signaler — c'est que le récit des divers jours de la création se termine par la constatation : « Et Dieu vit que c'était quelque chose de bon », et celui de la création de l'homme finit ainsi : « Et Dieu vit que c'était quelque chose de très bon ». Cette constatation s'unit, comme je l'ai dit la semaine dernière, à la bénédiction de ce qui a été créé et surtout à une explicite bénédiction de l'homme.

Dans toute cette description, nous avons devant nous un Dieu qui — pour employer l'expression de Saint Paul — met sa joie dans la vérité, dans le bien (cf. 1 Co 13, 6). Où se trouve la joie qui jaillit du bien, là il y a l'amour. Et c'est seulement là où existe l'amour qu'il y a la joie qui vient du bien. Dès ses premiers chapitres, le livre de la Genèse nous révèle le Dieu qui est Amour (bien que de cette expression Saint Jean ne se servira que plus tard). Il est Amour, parce qu'il se réjouit du bien. La création constitue donc en même temps une authentique donation : là où il y a amour, il y a don.

Le livre de la Genèse nous renseigne sur le début de l'existence du monde et de l'homme. L'interprétant nous devons, sans aucun doute, comme l'a fait Saint Thomas d'Aquin, édifier une philosophie de l'être logiquement appropriée, une philosophie qui exprime l'ordre même de l'existence. Le livre de la Genèse parle toutefois de la création comme don. Dieu qui créa le monde visible est un donateur ; et l'homme est celui qui reçoit le don. Il est celui pour qui Dieu a créé le monde visible, celui que, dès les origines, Dieu a introduit non seulement dans l'ordre de l'existence mais également dans l'ordre de la donation. Le fait que l'homme soit « image et ressemblance » de Dieu signifie notamment qu'il est en mesure de recevoir le don, qu'il est sensible à ce don et qu'il est capable de la réciproque. C'est précisément pour cela que dès les origines Dieu a établi l'alliance avec l'homme et exclusivement avec lui. Le livre de la Genèse nous révèle non seulement l'ordre naturel de l'existence, mais en même temps, dés le début, l'ordre surnaturel de la grâce. De la grâce nous ne pouvons parler que si nous admettons la réalité du don. Rappelons-nous le catéchisme « la grâce est le don surnaturel de Dieu grâce auquel nous devenons fils de Dieu et héritiers du ciel ».

 

3. Quel rapport tout cela a-t-il avec l'A vent ? pourrait-on se demander à juste titre. Je réponds : L'Avent s'est annoncé pour la première fois à l'horizon de l'histoire lorsque Dieu s'est révélé lui-même comme Celui qui se réjouit du bien, qui aime et qui donne. Dans ce don fait à l'homme, Dieu ne s'est pas limité à « lui donner » le monde visible — ceci est très clair dés le début — mais en donnant à l'homme le monde visible, Dieu a voulu se donner également lui-même à l'homme, comme l'homme est capable de se donner, comme il se donne lui-même à l'autre homme : de personne à personne ; c'est-à-dire, se donner Lui-même à lui, en l'admettant à la participation à ses mystères, mieux, à la participation à sa vie. Ceci se réalise de manière tangible dans les relations familiales : entre mari et femme, entre parents et enfants. Voilà pourquoi les prophètes se réfèrent souvent à de telles relations pour montrer la véritable image de Dieu.

L'ordre de la grâce n'est possible que dans « le monde des personnes ». Il concerne le don qui tend toujours à la formation et à la communion des personnes ; en fait le livre de la Genèse nous présente une pareille donation. La forme de cette « communion de personnes » y est tracée dès le début. L'homme est appelé à la familiarité avec Dieu, à l'intimité et à l'amitié avec Lui. Dieu veut lui être proche. Il veut le faire participer à ses desseins. Il veut le faire participer à sa vie. Il veut le rendre heureux de son propre bonheur (de son Etre lui-même).

Pour tout ceci est nécessaire la Venue de Dieu, et l'attente de l'homme : la disponibilité de l'homme.

Nous savons que le premier homme qui jouissait de l'innocence originelle et d'une particulière proximité avec son Créateur, n'a pas fait preuve de cette disponibilité. Cette première alliance de Dieu avec l'homme a été interrompue, mais la volonté de Dieu de sauver l'homme n'a pas changé. L'ordre de la grâce ne s'est pas brisé et c'est pourquoi l'Avent dure toujours.

La réalité de l'Avent est exprimée notamment par Saint Paul quand il écrit que «Dieu... veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (l Tm 2,4).

Ce « Dieu veut » est précisément l'Avent et il se trouve à la base de tout événement.

 

Un appel du Saint-Père pour la libération des victimes de séquestres

 

S'adressant au groupe de malades présents

 

Un salut et une bénédiction particulière aux malades ici présents et à tous ceux qui souffrent. Ma pensée se tourne vers tout endroit du monde où la douleur, physique ou morale, tourmente des êtres humains.

En suivant les nouvelles quotidiennes, on rencontre des drames et des souffrances qui étreignent le cœur. Aujourd'hui je voudrais rappeler tout particulièrement ceux qui se trouvent dans l'affliction à cause d'une forme de violence qui est devenue malheureusement tellement fréquente, ces dernières années : celle des enlèvements de personnes.

C'est une plaie indigne de pays civilisés ; elle est parvenue, hélas, à des formes de cruauté qui font horreur.

Au nom de Dieu je supplie les responsables d'accepter de rendre la liberté à ceux qu'ils tiennent sous séquestre et je leur rappelle que Dieu est vengeur des actions des hommes. Que le Seigneur touche vraiment leur cœur et fasse triompher cette étincelle d'humanité qui ne peut être absente de leur âme donnant ainsi une conclusion plausible à un acte vivement déplorable.

 

 

 

20 décembre 1978

 

LA DIMENSION ETHIQUE DE L'HOMME

 

1. Notre rencontre d'aujourd'hui nous offre l'occasion de méditer pour la quatrième et dernière fois sur l'A vent. Le Seigneur est proche, la liturgie de l'Avent nous le rappelle chaque jour. Cette proximité du Seigneur, nous la sentons tous : nous, les prêtres, en récitant chaque jour les admirables « Grandes Antiennes » de l'Avent, comme tous les chrétiens qui s'efforcent de préparer leurs cœurs et leurs consciences à sa venue. Je sais que dans ma patrie, la Pologne, les confessionnaux sont pris d'assaut pendant cette période, non moins que durant le Carême. Je pense qu'il en est certainement de même en Italie et partout où un profond esprit de foi fait éprouver le besoin d'ouvrir son âme au Seigneur qui va venir.

La joie la plus grande de cette attente de l'Avent est celle que vivent les enfants. Je me rappelle que c'est proprement eux qui se hâtaient le plus volontiers dans les paroisses de ma patrie, pour participer à la messe qui se célèbre à l'aurore (appelée « Rorate » du mot par lequel commence la liturgie : « Rorate coeli » — distillez, ô cieux..., Is 45, 8). Ils comptaient encore sur « l'échelle céleste » par laquelle Jésus allait descendre sur la terre, et ce, pour le rencontrer à mi-nuit de Noël dans la crèche de Bethléem.

Le Seigneur est proche !

 

2. Il y a une semaine nous avons déjà parlé de cette proche venue du Seigneur. C'était en effet le troisième sujet des considérations du mercredi, choisies pour l'Avent de cette année-ci. Nous reportant aux origines mêmes de l'humanité, c'est-à-dire au livre de la Genèse, nous avons médité successivement les vérités de l'Avent : Dieu qui crée (Elohim) et qui, dans cette création se révèle simultanément Lui-même ; l’homme créé à l'image et à la ressemblance de Dieu, qui « reflète » Dieu dans le monde visible créé. Ce furent là les premiers thèmes, fondamentaux, de nos méditations durant l'Avent. Puis, le troisième thème qui peut brièvement se résumer dans le mot « grâce ». « Dieu veut » que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1 Tm 2, 4). Dieu veut que l'homme participe à sa vérité, à son amour, à son mystère, afin qu'il puisse prendre part à la vie de Dieu lui-même. « L'arbre de la vie » symbolise cette réalité dès les premières pages de la Sainte Ecriture. Mais dans les mêmes pages nous rencontrons aussi un autre arbre : le livre de la Genèse l'appelle « l'arbre de la connaissance du bien et du mal » (Gn 2, 16). Pour que l'homme puisse manger le fruit de l'arbre de la vie, il devra s'abstenir de toucher au fruit de l'arbre de « la connaissance du bien et du mal ». Cette expression peut avoir le son d'une légende archaïque. Toutefois, plus nous pénétrons « la réalité de l'homme », telle que son histoire terrestre nous a permis de la comprendre — et comme nous en parle, à chacun de nous, notre expérience humaine intime et notre conscience morale — et mieux nous nous rendons compte qu'il est impossible de rester indifférents, haussant les épaules devant ces images bibliques primitives. Combien grande est la charge de vérités essentielles sur l'homme qu'elles contiennent ! Des vérités que chacun de nous ressent comme nous appartenant en propre. Ovide, l'antique poète romain, n'a-t-il pas dit de manière explicite : « Vidéo meliora proboque, détériora sequor » — Je vois ce qu'il y a de meilleur et je l'approuve, mais je suis le pire (Métamorphoses VII, 20). Ses paroles ne s'écartent pas beaucoup de ce qu'écrira plus tard Saint Paul :  « Vraiment, ce que je fais, je ne le comprends pas : car je ne fais pas ce que je veux, mais je fais ce que je hais » (Rm 7, 15). L'homme lui-même, après le péché d'Adam, se trouve entre « le bien et le mal ».  « La réalité de l'homme » — la « réalité » de l'homme la plus profonde — semble se dérouler entre celui qui, dès les origines a été défini comme « l'arbre de la vie » et celui qui a été défini comme           « l'arbre de la connaissance du bien et du mal ». C'est pourquoi, de nos méditations sur l'Avent qui concernent les lois fondamentales, les réalités essentielles, nous ne pouvons exclure un autre thème : celui qu'exprimé le mot «péché».

 

3. Le péché. Le catéchisme nous dit de manière simple et facile à retenir, que le péché est une transgression du commandement de Dieu. Sans aucun doute, le péché est la transgression d'un principe moral, la violation d'une « norme » — et sur ceci, tout le monde est d'accord, même ceux qui ne veulent pas entendre parler de « commandements de Dieu ». Ceux-ci, également, sont d'accord pour admettre que les principales normes morales, les principes de comportements les plus élémentaires sans lesquels la coexistence entre les hommes serait impossible, sont précisément celles que nous connaissons comme « commandements de Dieu » (en particulier le quatrième, le cinquième, le septième et le huitième). La vie de l'homme, la coexistence entre les hommes, se déroulent dans une dimension éthique ; c'est là leur caractéristique essentielle, et c'est aussi la dimension essentielle de la culture humaine.

J'aimerais toutefois qu'aujourd'hui nous nous concentrions sur ce « premier péché » qui — malgré ce qu'on en pense généralement — est décrit dans le livre de la Genèse avec une précision si grande qu'elle démontre toute la profondeur de la « réalité de l'homme » qui s'y trouve. La tentation est exprimée par les paroles suivantes du tentateur : « Dieu sait que si vous en mangiez, vos yeux s'ouvriraient et vous deviendriez comme Dieu, connaissant le bien et le mal » (Gn 3, 5). Le contenu de la tentation touche ce que le Créateur Lui-même a façonné dans l'homme — car, en fait, il a été créé à la « ressemblance de Dieu », ce qui veut dire « comme Dieu ». Il touche également le désir de la connaissance qui est dans l'homme, ainsi que le désir de la dignité. Sauf que l'un et l'autre sont falsifiés, de sorte que le désir de la connaissance comme celui de la dignité — c'est-à-dire de la ressemblance à Dieu — sont utilisés, dans le geste de la tentation, pour opposer l'homme à Dieu. Le tentateur met l'homme contre Dieu en lui suggérant que Dieu est son adversaire, qu'il cherche à le maintenir, lui l'homme, dans un état d'ignorance, qu'il cherche à le « limiter » pour le soumettre. Le tentateur : « Vous ne mourrez pas du tout ! Au contraire Dieu sait que si vous en mangiez, vos yeux s'ouvriraient et vous deviendriez comme Dieu, connaissant le bien et le mal » (selon la traduction antique : « vous seriez comme des dieux ») (Gn 3, 4-5).

Cette « archaïque » description, il faut la méditer, et pas seulement une fois. Je ne sais si l'on peut trouver dans la Sainte Ecriture d'autres passages où la réalité du péché est décrite dans sa forme d'origine, mais aussi dans son essence, c'est-à-dire où la réalité du péché est présentée dans des dimensions si pleines et profondes, établissant comment l'homme s'est servi contre Dieu de ce qu'en lui il y avait précisément de Dieu, c'est-à-dire de ce qui devait servir à le rapprocher de Dieu.

 

4. Pourquoi parlons-nous aujourd'hui de tout cela ? Pour mieux comprendre l’Avent. Avent veut  dire : Dieu qui vient, parce qu'il veut « que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (l Tm 2, 4). Il vient parce qu'il a créé le monde et l'homme par amour et qu'il a établi avec lui l'ordre de la grâce.

Toutefois, il vient « à cause du péché » ;

il vient malgré le péché ;

il vient pour effacer le péché.

Ne nous étonnons donc pas si, la nuit de Noël, Jésus ne trouve pas place dans une maison de Bethléem et doive naître dans une étable (dans la grotte qui servait d'abri aux animaux).

Et donc le fait qu'il vient est d'autant plus important.

L'A vent de chaque année nous rappelle chaque année que la grâce, c'est-à-dire la volonté de Dieu de sauver l'homme, est plus puissante que le péché.

Avec ma bénédiction apostolique.

 

 

 

27 décembre 1978

 

L'HOMME EST L'ÊTRE QUI CHERCHE DIEU

 

1. Nous nous rencontrons durant la période liturgique de Noël. Je désire donc que les paroles que je vais vous adresser aujourd'hui s'accordent avec la joie de cette fête et de cette octave. Je désire, en outre, qu'elles correspondent à cette simplicité et profondeur qui de Noël rayonne sur nous tous. Spontanément me revient à l'esprit le souvenir de mes sentiments et de mes vicissitudes, à partir des années de mon enfance, en passant par les années difficiles de ma jeunesse, la période de la seconde guerre, la guerre mondiale. Puisse celle-ci ne plus jamais se répéter dans l'histoire de l'Europe et du monde ! Et pourtant, même durant les pires années, Noël a toujours porté avec soi quelque rayon. Et ce rayon pénétrait également dans les plus rudes expériences de mépris de l'homme, d'anéantissement de sa dignité, de cruauté. Il suffit, pour s'en rendre compte, de prendre en main les « mémoires » des hommes qui sont passés par les prisons ou les camps de concentration, par les fronts de la guerre, et par les interrogatoires et les procès.

Ce rayon de la nuit de Noël, rayon de la naissance de Dieu, n'est pas seulement un souvenir des lumières de l'arbre de Noël, à côté de la crèche à la maison, dans la famille ou à l'église paroissiale, mais il est quelque chose de plus. Il est la lueur la plus profonde de l'humanité qui a reçu la visite de Dieu, l'humanité de nouveau accueillie et assumée par Dieu lui-même ; assumée en le Fils de Marie dans l'unité de la Personne Divine : le Fils-Verbe. La nature humaine assumée par le Fils de Dieu en chacun de nous qui avons été adoptés dans la nouvelle union avec le Père. Le rayonnement de ce mystère s'étend loin, très loin ; il atteint également ces parties et ces milieux de l'existence de l'homme où toute pensée sur Dieu a été quasi étouffée et semble absente comme si elle avait été brûlée et totalement éteinte. Et voilà qu'avec la nuit de Noël point une lueur : peut-être, malgré tout ?... Heureux ce « peut-être malgré tout »... il est déjà une lueur de foi et d'espérance.

 

2. Lors de la fête de Noël, nous lisons à propos des bergers de Bethléem qui, les premiers, furent appelés à la crèche pour voir le Nouveau-né : « Ils vinrent donc en hâte et trouvèrent Marie, Joseph et le Nouveau-né couché dans la crèche » (Lc 2, 16).

Arrêtons-nous à ce « trouvèrent ». Ce mot indique la recherche. En effet, les bergers de Bethléem, en commençant à se reposer au milieu de leur troupeau, ne savaient pas que le temps était venu où allait s'accomplir ce que depuis des siècles avaient annoncé les prophètes de ce peuple auquel ils appartenaient eux-mêmes ; et que ce serait arrivé précisément cette nuit-là, et dans les environs du lieu où ils faisaient halte. Même après qu'ils se furent réveillés du sommeil dans lequel ils étaient plongés, ils ne savaient pas ce qui était arrivé, ni c'était advenu. Leur arrivée à la grotte de la Nativité était le résultat d'une recherche. Mais en même temps ils avaient été conduits, ils étaient — comme on lit — guidés par la voix et par la lumière. Et si nous remontons plus loin dans le passé, nous les voyons guidés par la tradition de leur peuple, par son attente. Nous savons en effet qu'Israël avait eu la promesse du Messie.

Et voici l’Evangéliste qui parle des simples, des modestes, des pauvres d'Israël : des bergers qui, les premiers, l'ont trouvé. Du reste, il en parle en toute simplicité, comme s'il s'agissait d'un événement      « extérieur » : ils ont cherché où il pouvait être, et, finalement, ils ont trouvé. Ce « trouvèrent » de Luc indique en même temps une dimension intérieure : c'est-à-dire ce qui, en ces hommes, en ces simples bergers de Bethléem, s'est accompli la nuit de Noël. « Ils trouvèrent Marie, Joseph et le Nouveau-né couché dans la crèche », et puis : « les bergers s'en retournèrent, glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu'ils avaient vu et entendu, en accord avec ce qui leur avait été annoncé » (Lc 2, 16-20).

 

3. « Trouvèrent » indique « la recherche ».

L'homme est un être qui cherche. Toute son histoire le confirme. Même la vie de chacun de nous en témoigne. Nombreux sont les champs où l'homme cherche et recherche et puis trouve ; et parfois, après avoir trouvé, il recommence à chercher. Parmi tous ces champs dans lesquels l'homme se révèle comme un être qui cherche, il en est un, plus profond. C'est celui qui pénètre le plus intimement dans l'humanité même de l'être humain. Et c'est le plus lié au sens de toute la vie humaine.

L'homme est l'être qui cherche Dieu.

Diverses sont les voies de cette recherche et multiples les histoires des âmes humaines proprement sur ces voies. Celles-ci semblent parfois très simples et proches. D'autres fois elles sont difficiles, compliquées, lointaines. Parfois l'homme parvient facilement à son « eurêka » : « j'ai trouvé ! ». Parfois il est en lutte avec les difficultés comme s'il ne pouvait comprendre ni soi-même ni le monde, et surtout comme s'il ne pouvait comprendre le mal qu'il y a dans le monde. On sait que même dans le contexte de la Nativité ce mal a montré sa face menaçante.

De nombreux hommes ont décrit leur recherche de Dieu sur le chemin de leur propre vie. Plus nombreux sont ceux qui se taisent, considérant comme leur propre secret, le plus profond, le plus intime, tout ce qu'ils ont vécu le long de cette voie : l'expérience qu'ils ont faite, comment ils ont cherché, comment ils ont perdu la bonne direction et comment ils l'ont retrouvée.

L'homme est l'être qui cherche Dieu.

Et même après l'avoir trouvé, il continue à le chercher. Et s'il le cherche avec sincérité, il l'a déjà trouvé ; comme dans une célèbre pensée de Pascal, Jésus dit à l'homme : « Console-toi, tu ne me chercherais pas, si tu ne m'avais déjà trouvé » (Pascal, Pensées, 553 : Le mystère de Jésus).

C'est cela la vérité sur. l'homme.

On ne saurait la falsifier . On ne peut même pas la détruire. Il faut la laisser à l'homme parce qu'elle le définit.

Que dire de l'athéisme, face à cette vérité ? Il est nécessaire de dire énormément de choses, bien plus que ce qu'il est possible d'insérer dans le cadre de mon bref discours. Mais il est au moins une chose qu'il faut dire : il est indispensable d'appliquer un critère, c'est-à-dire le critère de la liberté de l'esprit humain. L'athéisme est en désaccord avec ce critère — un critère fondamental — aussi bien lorsqu'il nie à priori que l'homme est l'être qui cherche Dieu, que lorsque, de diverses manières, il mutile cette recherche dans la vie sociale, publique et culturelle. Une telle attitude est contraire aux droits fondamentaux de l'homme.

 

4. Mais je ne veux pas m'attarder sur ceci. Si je vous en parle c'est pour vous montrer toute la beauté et la dignité de la recherche de Dieu.

Cette pensée m'a été suggérée par la fête de Noël.

Comment le Christ est-il né ? Comment est-il venu au monde ? Pourquoi est-il venu au monde ?

Il est venu au monde pour que les hommes puissent le trouver : ceux qui le cherchent. De même que les bergers l'ont trouvé dans la grotte de Bethléem.

Je dirais plus encore : Jésus est venu au monde pour révéler toute la dignité, toute la noblesse de la recherche de Dieu qui est le besoin le plus profond de l'âme humaine, et pour venir au-devant de cette recherche.

 

 

 

II

 

HOMÉLIES

 

 

 

22 octobre 1978

 

... ET PIERRE EST VENU A ROME

 

Célébration solennelle pour le début du ministère du pape Jean Paul II

 

Le dimanche 22 octobre, de très nombreuses délégations de pays, les représentants des Églises chrétiennes, une foule estimée à 300000 personnes, ont pu assister à ce moment émouvant : le pape Jean Paul II, entouré des cardinaux, en présence d'un grand nombre d'évêques et notamment de tout l'épiscopat polonais, recevait le « pallium», signe de son pouvoir spirituel. Immédiatement après la remise du pallium par le cardinal Pericle Felici, doyen des cardinaux diacres, les cardinaux se sont présentés devant le Saint-Père.

Après la lecture de l'Évangile, Jean Paul II prononçait l'homélie en italien dont nous publions ci-dessous la traduction. Il s'adressait en polonais à la délégation de Pologne et aux Polonais en diaspora et prononçait quelques phrases en français puis en une dizaine de langues.

 

1. « Tu es le Christ le Fils du Dieu Vivant » (Mt 16, 16).

Ces paroles, c'est Simon, fils de Jonas, qui les a prononcées dans la région de Césarée de Philippe. Oui, il les a exprimées dans sa propre langue, avec une conviction profondément enracinée dans les sentiments et dans la vie, mais ce n'est pas en lui qu'elles trouvaient leur source, leur origine : «... car cette révélation t'est venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père-qui est dans les cieux » (Mt  16,17). C'étaient là des paroles de foi.

Elles marquent le commencement de la mission de Pierre dans l'histoire du salut, dans l'histoire du Peuple de Dieu. Depuis cette profession de foi, l'histoire sainte du salut et du Peuple de Dieu devait acquérir une nouvelle dimension, s'exprimer dans la dimension historique de l'Église. Cette dimension ecclésiale de l'histoire du Peuple de Dieu tire en effet son origine de ces paroles de foi et est liée à l'homme qui les a prononcées : « Tu es Pierre — le roc, la pierre, et sur toi comme sur une pierre je construirai mon Église » (Mt 16, 18).

 

2. Aujourd'hui et en ce lieu, il faut que de nouveau soient prononcées et écoutées les mêmes   paroles : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu Vivant. »

Oui, Frères et Fils, ces paroles avant tout.

Leur contenu découvre à nos yeux le mystère du Dieu Vivant, mystère que le Fils connaît et nous a rendu proche. Personne en effet n'a rendu le Dieu vivant proche des hommes, personne ne l'a révélé comme lui-même l'a fait. Dans notre connaissance de Dieu, dans notre chemin vers Dieu, nous sommes totalement tributaires de la force de ces paroles : « Qui me voit voit également le Père » (Jn 14, 9). Celui qui est infini, impossible à scruter, impossible à exprimer, s'est fait proche de nous en Jésus-Christ, le Fils unique né de la Vierge Marie, dans l’étable de Bethléem.

Vous tous qui avez déjà la chance de croire, vous tous qui, jusqu'ici, cherchez Dieu, et vous aussi qui êtes tourmentés par le doute : veuillez accueillir encore une fois, aujourd'hui et en ce lieu sacré, les paroles prononcées par Simon Pierre. Ces paroles contiennent la vérité nouvelle, bien plus, la vérité ultime et définitive sur l'homme : le fils du Dieu vivant. « Tu es le Christ, le Fils du Dieu Vivant ! »

 

3. Aujourd'hui, le nouvel évêque de Rome inaugure solennellement son ministère et la mission de Pierre. Dans cette ville, en effet, Pierre a accompli et mené à son terme la mission que lui avait confiée le Seigneur.

Le Seigneur s'adressa à lui en disant : « ... quand tu étais plus jeune, tu mettais toi-même ta ceinture et tu allais où tu voulais ; mais quand tu auras vieilli, tu étendras les mains, et un autre te mettra ta ceinture et te mènera où tu ne voudrais pas » (Jn 21, 18).

Et Pierre est venu à Rome !

Qu'est-ce qui l'a guidé et conduit vers cette ville, le cœur de l'Empire, sinon l'obéissance à l'inspiration reçue du Seigneur ? Peut-être ce pêcheur de Galilée n'a-t-il pas voulu venir jusque là ? peut-être aurait-il préféré rester là-bas, sur les rives du lac de Génésareth, avec sa barque et ses filets ? Mais, conduit par le Seigneur et obéissant à son inspiration, il est venu jusqu'ici.

Selon une vieille tradition (qui a trouvé une belle expression littéraire dans un roman d'Henryl Sienkiewicz), pendant la persécution de Néron, Pierre voulait quitter Rome. Mais le Seigneur est intervenu ; il est venu à sa rencontre. Pierre s'adressa à lui et lui demanda : « Quo vadis Domine ? » — « Où vas-tu, Seigneur ? » Et le Seigneur lui répondit aussitôt : « Je vais à Rome pour être crucifié une seconde fois ». Pierre retourna à Rome et il y est resté jusqu'à sa crucifixion.

Oui, Frères et Fils, Rome est le siège de Pierre. Et sur ce siège de nouveaux évêques lui ont toujours succédé. Aujourd'hui, un nouvel évêque accède à la chaire romaine de Pierre, un évêque rempli de crainte, conscient de son indignité. Et comment ne pas craindre en face de la grandeur d'un tel appel et en face de la mission universelle de ce siège romain ?

Mais sur le siège de Pierre monte aujourd'hui un évêque qui n'est pas romain. Un évêque qui est fils de la Pologne. Mais dès cet instant, il devient lui aussi romain. Oui, romain ! Il l'est aussi parce qu'il est fils d'une nation dont l'histoire, depuis ses plus lointaines origines, dont les traditions millénaires sont marquées par un lien vivant avec le siège de Pierre, fort, ininterrompu, profondément ancré dans les sentiments et dans la vie, une nation qui est demeurée toujours fidèle à ce siège de Rome. Oh, dessein inscrutable de la divine Providence !

 

4. Dans les siècles passés, lorsque le successeur de Pierre prenait possession de son siège, on posait sur sa tête la triple couronne, la tiare. Le dernier pape couronné fut Paul VI en 1963. Mais, une fois achevé le rite solennel de son couronnement, il n'a plus jamais usé de la tiare et a laissé à ses successeurs la liberté de prendre leur décision à ce sujet.

Le pape Jean Paul Ier, dont le souvenir est si vivant en nos cœurs, n'a pas voulu de la triple couronne et aujourd'hui son successeur n'en veut pas davantage. En effet, ce n'est pas le moment de revenir à un rite qui, peut-être injustement, a été considéré comme symbole du pouvoir temporel des papes.

L'époque actuelle nous invite, nous pousse, nous oblige à regarder le Seigneur et à nous regarder dans l'humble méditation du mystère du pouvoir suprême du Christ.

Celui qui est né de la Vierge Marie, le fils du charpentier — comme on avait coutume de      l'appeler — le fils du Dieu Vivant, comme l'a confessé l'apôtre Pierre, est venu pour faire de nous tous « un royaume de prêtres » (Ap 1, 6).

Le Concile Vatican II nous a rappelé le mystère de ce pouvoir et le fait que la mission du Christ, prêtre, prophète et maître, roi, continue dans l'Église. Tout le Peuple de Dieu participe à cette triple mission. Et si autrefois on déposait sur la tête du pape la triple couronne, c'était pour exprimer, à travers ce symbole, que toute la hiérarchie de l'Église du Christ et tout le pouvoir sacré exercé par elle, ne sont qu'un service, le service qui tend à un unique but : la participation de tout le Peuple de Dieu à cette triple mission du Christ et sa constante fidélité à demeurer sous le pouvoir du Seigneur, lequel tire ses origines non des puissances de ce monde, mais du Père céleste et du mystère de la Croix et de la Résurrection.

Le pouvoir absolu et pourtant très doux du Seigneur, répond à ce qu'il y a de plus profond en l'homme, aux aspirations les plus nobles de son intelligence, de sa volonté, de son cœur. Ce pouvoir ne s'exprime pas en langage de force, mais dans la charité et la vérité.

Le nouveau successeur de Pierre sur le siège de Rome élève aujourd'hui une prière fervente, humble et confiante : « O Christ, fais que je puisse devenir et demeurer un serviteur de ton unique pouvoir ! Un serviteur de ton pouvoir tout imprégné de douceur ! Un serviteur de ton pouvoir qui ne connaît pas de déclin ! Fais que je puisse être un serviteur ! Ou mieux, le serviteur de tes serviteurs ! »

 

5. Frères et Sœurs, n'ayez pas peur d'accueillir le Christ et d'accepter son pouvoir !

Aidez le pape et tous ceux qui veulent servir le Christ et, avec la puissance du Christ, servir l'homme et l'humanité entière ! N'ayez pas peur ! Ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes au Christ ! A sa puissance salvatrice ouvrez les frontières des États, les systèmes économiques et politiques, les immenses domaines de la culture, de la civilisation, du développement. N'ayez pas peur ! Le Christ sait « ce qu'il y a dans l'homme » ! Et lui seul le sait !

Aujourd'hui, si souvent l'homme ignore ce qu'il porte au-dedans de lui, dans les profondeurs de son esprit et de son cœur. Si souvent il est incertain du sens de sa vie sur cette terre. Il est envahi par le doute qui se transforme en désespoir. Permettez donc — je vous prie, je vous implore avec humilité et confiance — permettez au Christ de parler à l'homme. Lui seul a les paroles de vie, oui, de vie  éternelle !

Aujourd'hui, justement, l'Église entière célèbre sa Journée missionnaire mondiale, c'est-à-dire qu'elle prie, qu'elle médite, qu'elle agit, pour que les paroles de vie du Christ parviennent à tous les hommes et qu'ils les écoutent comme un message d'espérance, de salut, de libération totale.

 

6. Je remercie tous ceux qui sont ici présents et ont voulu participer à cette solennelle inauguration du ministère du nouveau successeur de l'apôtre Pierre.

Je remercie cordialement les Chefs d'État, les représentants des Autorités, les Délégations des Gouvernements pour leur présence qui m'honore tant.

Merci à vous, chers cardinaux de la sainte Église romaine !

Merci à vous, mes Frères bien aimés dans l'épiscopat !

Merci à vous, chers prêtres !

Merci, Sœurs et Frères, religieuses et religieux des ordres et des congrégations !

Merci à vous, Romains ! Merci à vous, pèlerins venus du monde entier ! Merci enfin à tous ceux qui se sont unis à cette cérémonie grâce à la radio et à la télévision !

 

7. (En polonais) Je me tourne maintenant vers vous, mes chers compatriotes, pèlerins de la Pologne, vers vous, les évêques mes frères, avec à votre tête votre vénéré primat, vers vous, prêtres, sœurs et frères des congrégations religieuses polonaises, vers vous, représentants de la « Pologne » dans le monde entier.

Que puis-je vous dire à vous qui êtes venus de ma cité de Cracovie, du siège de saint Stanislas dont je suis l'indigne successeur depuis quatorze ans ? Que dire ? Tout ce que je pourrais dire serait bien pâle au regard de ce que ressent en ce moment mon cœur et de ce que vous éprouvez aussi dans vos cœurs.

Laissons donc tomber les paroles. Que reste ^seulement le grand silence devant Dieu, le silence qui se traduit en prière.

Je vous en prie, soyez avec moi ! A Jasna Gora et partout. Ne cessez pas d'être avec le pape qui prie aujourd'hui avec les paroles du poète : « Mère de Dieu qui défend la claire Czestochowa et qui brille sur la "Porta Accuta" ! » Je vous adresse les mêmes paroles en ce moment si particulier.

 

8. Ces paroles ont été un appel et une invitation à prier pour le nouveau pape, appel exprimé en langue polonaise. J'adresse le même appel à tous les fils et toutes les filles de l'Église catholique. Souvenez-vous de moi aujourd'hui et toujours dans votre prière.

(Salutations en français, anglais, allemand, espagnol, portugais, russe, tchécoslovaque, ukrainien, lituanien.)

J'ouvre mon cœur à tous les frères des Églises et des communautés chrétiennes, en vous saluant d'une façon particulière, vous qui êtes ici présents et en attendant de vous rencontrer personnellement tout prochainement. Mais dès maintenant, je vous exprime ma vive satisfaction pour avoir voulu assister à cette cérémonie solennelle.

Et je m'adresse encore à tous les hommes, à chaque homme (et avec quelle vénération l'apôtre du Christ ne devrait-il pas prononcer cette parole : homme !), priez pour moi ! Aidez-moi, afin que je puisse vous servir !

Amen.

 

La cérémonie se terminait vers 13 heures et le pape gagnait alors ses appartements. Quelques instants plus tard, il se présentait à sa fenêtre et adressait quelques paroles au nombreux public qui était encore sur la place Saint-Pierre avant de réciter l'Angélus et donner sa bénédiction apostolique.

 

 

 

29 octobre 1978

 

AU SANCTUAIRE MARIAL DE LA MENTORELLA

 

Le 29 octobre dernier, un hélicoptère de l'Aéronautique militaire se posait, peu après 14 h 30, sur la petite place où s'élève le sanctuaire mariai de la Mentorella. Jean Paul II descendit de l'appareil, immédiatement entouré, et serra toutes les mains qui se tendaient vers lui. Il assista à la messe célébrée par l'évêque de Tivoli, Mgr Giaquinta, puis il écouta le discours de bienvenue de Mgr Giaquinta et, celui en polonais, du Provincial des pères résurrectionnistes. La foule applaudit, ce qui fit dire au pape : « Je vois que vous avez tous compris ». Il prononça un discours, dont voici la traduction :

 

Depuis l'inauguration du Concile Vatican II, j'ai eu plusieurs fois l'occasion de séjourner à Rome, soit pour les travaux conciliaires, soit pour d'autres missions que m'avait confiées le pape Paul VI.

A l'occasion de mes séjours à Rome, j'ai souvent visité le sanctuaire de la Vierge de la Mentorella. Ce lieu, abrité entre les montagnes, m'a tout particulièrement séduit. De là, on peut embrasser et admirer le magnifique panorama du paysage italien. J'y suis venu également quelques jours avant le récent conclave. Et si j'ai désiré d'y revenir encore aujourd'hui, c'est pour diverses raisons que je vais vous exposer.

Toutefois je voudrais d'abord présenter des excuses à mes collaborateurs, à l'administration communale et à tous ceux qui se sont occupés de ce voyage aérien, parce qu'avec mon arrivée, je leur ai imposé une corvée supplémentaire. En même temps, je salue cordialement tous les habitants du proche Guadagnolo et des localités voisines qui se sont rassemblés ici. Je salue les gardiens de ce sanctuaire, les Pères polonais de la Résurrection, de même que le clergé des environs venu avec leur évêque, Monseigneur Guglielmo Giaquinta.

Dans l'Évangile de saint Luc, nous lisons qu'après l'Annonciation, Marie alla, à travers les montagnes, visiter Elisabeth, sa parente. Arrivée à Ain-Karim, elle mit toute son âme dans les paroles du Cantique que chaque jour l'Église rappelle dans les Vêpres : « Mon âme glorifie le Seigneur ». J'ai désiré venir ici, entre ces montagnes pour chanter le Magnificat dans le sillage de Marie.

Ceci est un lieu où, de manière toute particulière, l'homme s'ouvre devant Dieu. Un lieu où, loin de tout, mais en même temps tout près de la nature, on parle confidentiellement avec Dieu lui-même. On entend, au plus intime de soi, ce qui est l'appel personnel de l'homme. Et l'homme doit rendre gloire à Dieu Créateur et Rédempteur ; il doit de quelque manière se faire la voix de toute la création pour dire en son nom : « Magnificat ». Il doit annoncer les « magnolia Dei », les grandes œuvres de Dieu et, en même temps, s'exprimer lui-même dans cette sublime relation avec Dieu, car dans le monde visible, il est le seul à pouvoir le faire.

Durant mes séjours à Rome, ce lieu m'a beaucoup aidé à prier. Et c'est pourquoi j'ai désiré venir ici. La prière qui, de diverses manières, exprime les rapports de l'homme avec Dieu vivant, est également la première tâche et quasi la première annonce du Pape, de même qu'elle est la première condition de son service dans l'Église et dans le monde.

Durant ce bref espace de temps qui s'est écoulé depuis le 16 octobre j'ai eu la bonne fortune d'entendre, de la bouche de personnes dignes de foi, des paroles qui confirment le réveil spirituel de l'homme moderne. Ces paroles —et ceci est significatif—ont été prononcées principalement par des laïcs, des personnalités qui occupent des charges importantes dans la vie politique de divers pays et peuples. Bien des fois ils ont parlé des besoins de l'esprit humain qui ne sont pas moindres que les besoins du corps. En même temps ils ont indiqué, en premier lieu, l'Église comme capable de satisfaire ces besoins.

Que ce que je dis, maintenant soit une première et humble réponse à tout ce que j'ai entendu : l'Église prie, l'Église veut prier, elle désire être au service du plus simple et être, en même temps, un merveilleux don de l'esprit humain qui se réalise dans la prière. La prière est en effet la première expression de la vérité intérieure de l'homme, la première condition de la liberté de l'esprit.

L'Église prie et veut prier pour écouter la voix intérieure de l'Esprit divin afin qu'il puisse lui-même, en nous, parler avec les gémissements indicibles de toute la création. L'Église prie et veut prier pour répondre aux besoins du plus intime de l'homme qui, parfois est confiné et limité par les conditions et les contingences de la vie quotidienne, par tout ce qui est temporel, par la faiblesse, par le péché, par le découragement et par une vie qui semble sans signification. La prière donne un sens à toute la vie, à chacun de ses moments, en toutes circonstances.

C'est pourquoi, comme Vicaire du Christ sur la terre, le Pape désire avant tout s'unir à tous ceux qui, où qu'ils soient, où qu'ils se trouvent tendent à l'union avec le Christ dans la prière. Comme un bédouin dans la steppe, ou les carmes, ou les cisterciens dans leur profonde clôture, ou le malade sur son lit d'hôpital dans les souffrances de l'agonie, ou un homme au travail, dans la plénitude de la vie, ou des personnes opprimées, humiliées... Partout.

La Mère du Christ alla vers la montagne pour dire son « Magnificat ».

Que le Père, le Fils et l'Esprit Saint agréent la prière du Pape en ce sanctuaire et accordent les dons de l'Esprit à tous ceux qui prient.

 

 

 

12 novembre 1978

 

L'AMOUR CONSTRUIT, LA HAINE DÉTRUIT

 

Homélie du pape à Saint-Jean de Latran

 

Voici en traduction le discours de Jean-Paul II prononcé à l'occasion de la prise de possession de sa cathédrale, la basilique Saint-Jean de Latran.

 

Chers Frères et Sœurs,

 

1. Voici venu le moment où le Pape Jean Paul II vient en la Basilique Saint-Jean de Latran prendre possession de la Chaire d'Évêque de Rome. Je désire m'agenouiller en ce lieu et baiser le seuil de ce temple qui, depuis de nombreux siècles est « demeure de Dieu parmi les hommes » (Ac 21, 3) : Dieu-Sauveur parmi le peuple de la Ville Éternelle : Rome. Avec tous ceux qui sont présents ici, je répète les paroles du Psaume :

« Quelle joie quand ils me dirent : / Nous irons à la maison du Seigneur. / Et maintenant mes pieds s'arrêtent / à tes portes, Jérusalem ! / Jérusalem est construite / comme une ville solide et compacte. / C'est là que montent ensemble les tribus, / les tribus du Seigneur, / selon la loi d'Israël / pour louer le nom du Seigneur. » (Os 122/121).

Ceci n'est-ce pas une image de l'événement présent ? Les anciennes générations montaient en ce  lieu : générations de Romains, générations d'Evêques de Rome, Successeurs de saint Pierre, et elles chantaient cette hymne de joie que je répète aujourd'hui avec vous. Je me joins à ces générations, moi, nouvel Évêque de Rome, Jean Paul II, Polonais d'origine. Je m'arrête sur le seuil de ce temple et je vous demande de m'accueillir au nom du Seigneur. Je vous prie de m'accueillir de la même façon que vous avez, au cours des siècles, accueilli mes prédécesseurs et comme, il y a à peine quelques semaines, vous avez accueilli Jean Paul Ier, que le monde a si vivement aimé. Je vous prie de m'accueillir, moi également.

 

2. En même temps je vous adresse à tous un cordial salut. Je salue Messieurs les Cardinaux et mes frères dans l'épiscopat qui ont voulu, participer à cette cérémonie et, en particulier, je te salue, toi, cher Frère Cardinal-Vicaire, ainsi que Mgr le Vice-Gérant et les Évêques auxiliaires de Rome ; et vous, bien-aimés Prêtres de mon Diocèse ; vous, Sœurs et Frères des très nombreux Ordres et Congrégations religieuses. J'adresse un respectueux salut aux autorités gouvernementales et civiles et une pensée reconnaissante aux délégations ici présentes. Salut à vous tous, et ce « tous » signifie « chacun en particulier ». Même si je ne prononce pas vos noms un à un, j'entends saluer également chacun de vous en l'appelant par son nom ! Vous, Romains ! A combien de siècles remonte-t-il, ce salut ? Il nous ramène aux difficiles débuts de la foi et de l'Église ; cette Église, qui, précisément ici, en la capitale de l'antique Empire, a surmonté pendant trois siècles l'épreuve du feu : une épreuve de vie. Et elle en est sortie victorieuse. Gloire aux martyrs et aux confesseurs ! Gloire à Rome la Sainte ! Gloire aux Apôtres du Seigneur ! Gloire aux catacombes et aux basiliques de la Ville Éternelle !

 

3. Quand on entre aujourd'hui en la Basilique Saint-Jean de Latran, on a devant les yeux le moment où Marie franchit le seuil de la maison de Zacharie pour saluer Elisabeth la mère de Jean. L'Évangéliste écrit qu'à ce salut « l'enfant... tressaillit dans le sein de sa mère » (Lc 1, 41), et nombreux sont les Pères et les écrivains qui, depuis les temps les plus reculés, ont ajouté que dès ce moment Jean reçut la grâce du Seigneur. C'est pour cela que lui-même, le tout premier, l'a annoncé. Lui le premier, avec tout le peuple d'Israël l'a attendu sur les rives du Jourdain. Et c'est lui qui l'a manifesté au peuple avec ces  mots : « Voici l'Agneau de Dieu, celui qui efface le péché du monde » (Jn 1, 19).

Précisément, cette Basilique, dédiée à saint Jean Baptiste ainsi qu'à saint Jean l'Évangéliste, est consacrée au Saint-Sauveur. C'est comme si, aujourd'hui comme tout au long des siècles, nous entendions encore résonner cette voix sur les rives du Jourdain. La voix du Précurseur, la voix du Prophète, la voix de l’Ami, de l'Epoux. celui qui dit : « II faut que lui grandisse et que moi, je  décroisse » (Jn 3, 30). Cette première confession de la foi dans le Christ fut comme la clé qui ferme l'Ancienne Alliance et ouvre la Nouvelle Alliance, temps d'accomplissement. Cette première confession fondamentale de la foi en l'Agneau de Dieu qui efface les péchés du monde, les futurs Apôtres du Christ l'avaient déjà entendue sur les rives du Jourdain. Et il est probable que Simon Pierre, lui aussi, l'ait entendue. Ce qui lui permit, plus tard, au début de la Nouvelle Alliance, de proclamer :   « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16).

Il est donc juste que les successeurs de Pierre viennent en ce lieu pour recevoir, comme un jour l'a reçue Pierre, la confession de Jean : « Voici l'Agneau de Dieu » et la transférer dans la nouvelle ère de l'Eglise : «Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant».

 

4. Dans le cadre de cette merveilleuse rencontre du vieux et du neuf, je désire aujourd'hui, comme Évêque de Rome, commencer mon ministère en faveur du Peuple de Dieu de cette Ville et de ce Diocèse qui en raison de la mission de saint Pierre, est devenu le premier dans la grande famille de l'Église, dans la famille des diocèses-frères. L'élément essentiel de ce ministère est le commandement de la charité : ce commandement qui fait de nous, hommes, les amis du Christ : « Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande » (Jn 15, 14). « Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez en mon amour » (Jn 15, 9).

O Ville Éternelle, ô chers Frères et Sœurs, ô citoyens romains ! Votre nouvel Évêque désire surtout que nous demeurions en l'amour du Christ, et que cet amour soit toujours plus fort que nos faiblesses. Qu'il nous aide à modeler la face spirituelle de notre Communauté afin qu'en présence de cet amour disparaissent les haines, les jalousies et toute malice et toute perversité, dans les grandes choses comme dans les petites, dans les questions sociales comme dans les questions interpersonnelles. Que l'amour soit le plus fort ! Avec quelle joie, et en même temps avec quelle reconnaissance j'ai suivi, ces derniers jours les nombreux épisodes (la télévision me les a rendus proches) où, par suite de la carence dé personnel dans les hôpitaux, un grand nombre de volontaires s'est offert, des adultes et, particulièrement des jeunes, pour servir les malades avec sollicitude. Si la recherche de la justice sociale est valable dans la vie professionnelle, d'autant plus vigilant doit être l'amour social. Je désire donc, pour mon nouveau Diocèse, pour Rome, cet amour que le Christ a voulu pour ses disciples.

L'amour construit, seul l'amour construit !

La haine détruit. La haine ne construit rien. Elle peut seulement désagréger. Elle peut désorganiser la vie sociale, elle peut, tout au plus, faire pression sur les faibles, sans rien édifier, toutefois.

Pour Rome, pour mon nouveau Diocèse et, en même temps, pour toute l'Église et pour le monde, je désire amour et justice. Justice et afin nue nous ouïssions construire.

Au sujet de cette construction saint Paul nous enseigne aujourd'hui (dans la seconde lecture), de même qu'il l'a enseigné jadis dans son épître aux chrétiens d'Éphèse que : « C'est Lui (le Christ) qui a donné aux uns d'être apôtres, à d'autres d'être prophètes, ou encore évangélistes, ou bien pasteurs et docteurs... en vue de la construction du Corps du Christ » (Ep 4, 11-12). Et moi, continuant cette pensée à la lumière du Concile Vatican II, et me référant en particulier au Décret sur l'Apostolat des Laïcs, j'ajouterai que le Christ nous appelle pour que nous devenions pères, mères de famille, fils et filles, médecins ingénieurs, avocats, techniciens, savants, éducateurs, étudiants, élèves, quoi que ce soit. Chacun a sa place dans cette construction du Corps du Christ, tout comme chacun a sa place et sa mission dans la construction du bien commun des hommes, de la société, de la nation, de l'humanité. L'Église se construit dans le monde. Elle se construit avec des hommes vivants. Au début de mon service épiscopal, je demande à chacun de trouver et de définir sa propre place dans l'œuvre de cette construction.

Je vous demande également, à vous tous Romains, sans exception, à vous tous qui êtes ici présents et à tous ceux à qui parvient la voix de votre nouvel Évêque : Allez en esprit sur la rive du Jourdain, là où enseignait Jean Baptiste : Jean, précisément patron de cette Basilique, cathédrale de Rome. Écoutez encore une fois ce qu'il a dit en montrant Jésus :

« Voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui efface le péché du monde ! ».

Voici le Sauveur !

Croyez en Lui d'une foi renouvelée, d'une foi aussi fervente que celle des premiers chrétiens romains qui ont persévéré durant trois siècles d'épreuves et de persécutions.

Croyez d'une foi renouvelée, tel qu'il est nécessaire pour nous, chrétiens du second millénaire qui touche à sa fin : croyez en le Christ, Sauveur du monde !

Amen.

 

 

 

19 novembre 1978

 

LE PRÊTRE, UN HOMME POUR AUTRUI

 

Jean Paul II aux élèves des Séminaires romains

 

Une rencontre de prière entre les élèves des Séminaires romains et leur évêque. Voilà ce que signifiait la concélébration présidée par le Saint-Père qui eut lieu en la chapelle Pauline du Vatican, le dimanche 19 novembre. Après la liturgie de la Parole, le pape a prononcé l'homélie dont voici la traduction :

 

1. Notre rencontre d'aujourd'hui a le caractère d'une audience particulière. Et, pourrait-on dire, d'une audience eucharistique. Nous ne la « faisons » pas, mais nous la « célébrons ». C'est là une liturgie sacrée. Concélèbrent avec moi, nouvel Évêque de Rome, et avec Monsieur le Cardinal-Vicaire, les Supérieurs des Séminaires de ce diocèse et participent à cette Eucharistie les élèves du Séminaire Romain, du Séminaire « Capranica » et du Séminaire Mineur.

L'évêque de Rome désire visiter ses Séminaires, mais en attendant, c'est vous qui, aujourd'hui, êtes venus chez lui pour cette audience sacrée !

La Sainte Messe est aussi une audience. La comparaison est peut-être trop hardie, peut-être inconvenante, peut-être trop « humaine » : permettez-moi toutefois de l’utiliser : elle est une des audiences que le Christ accorde continuellement à toute l'humanité — qu'il accorde à une communauté eucharistique déterminée — et à chacun de nous qui constituons cette assemblée.

 

2. Durant l'audience, nous écoutons celui qui parle. Et nous aussi nous cherchons à Lui parler de manière qu'il puisse nous écouter.

Dans la liturgie eucharistique le Christ parle avant tout avec toute la force de son Sacrifice. C'est un discours extrêmement concis et en même temps brûlant. On peut dire de ce discours que nous le connaissons par cœur ; et pourtant, chaque fois, il parait nouveau, sacré, révélateur. Il renferme en soi tout le mystère de l'amour et de la vérité, parce que la vérité vit de l'amour et l'amour de la vérité. Dieu qui est Vérité et Amour, s'est manifesté dans l'histoire de la création et dans l'histoire du salut. Cette histoire il la propose à nouveau moyennant ce sacrifice rédempteur qu'il nous a transmis sous le signe sacramentel, afin que non seulement nous le repensions dans le souvenir, mais le renouvelions, le re-célébrions.

Chaque fois que nous célébrons le Sacrifice Eucharistique nous sommes introduits dans le mystère de Dieu lui-même et, également, dans toute la profondeur de la réalité humaine. L'Eucharistie est annonce de mort et de résurrection. Le mystère pascal y est exprimé comme le début d'un temps nouveau et comme attente finale.

C'est le Christ même qui parle, et nous, nous ne cessons de l'écouter. Nous désirons sans cesse Sa force de salut qui est devenue la « garantie » divine des paroles de vie éternelle.

Il a les paroles de vie éternelle (cf. Jn 6, 68).

 

3. Ce que nous voulons Lui dire est toujours nôtre, parce que jailli de notre expérience humaine, de nos désirs, mais aussi de nos angoisses. C'est souvent un langage de souffrance mais aussi d'espérance. Nous lui parlons de nous-mêmes, de tous ceux qui attendent de nous que nous les Lui rappelions.

Ce que nous disons, nous est inspiré par la Parole de Dieu. La liturgie de la Parole précède la liturgie eucharistique. En relation avec la Parole que nous avons entendue aujourd'hui, nous aurons énormément à dire au Christ durant cette Audience Sacrée.

Nous voulons donc Lui parler avant tout de ce talent particulier — et peut-être pas seulement un mais cinq — que nous avons reçu : la vocation sacerdotale, l'invitation à prendre la voie du sacerdoce en entrant au Séminaire. Chaque talent oblige. Et nous nous sentons d'autant plus obligés par ce talent à ne pas le gaspiller, à ne pas « le cacher sous terre », mais à le faire fructifier ! Grâce à une préparation sérieuse, à l'étude, au travail sur son propre ego, et à une consciente formation de « l'homme nouveau » qui, se donnant sans réserve au Christ dans le service sacerdotal, vécu dans le célibat, pourra devenir de manière toute particulière un homme « pour autrui ».

Nous voulons également parler avec le Christ de cette voie qui mène chacun de nous au sacerdoce, parler chacun de sa propre vie. Dans celle-ci, tâchons de persévérer avec crainte de Dieu comme le Psalmiste nous invite à le faire. Ceci est la voie qui nous fait sortir des ténèbres pour nous conduire à la lumière, comme l'a écrit saint Paul. Nous voulons être « fils de la lumière ». Nous voulons veiller, nous voulons être modérés, sobres et responsables, pour nous et pour autrui.

Chacun de vous aura certainement encore beaucoup d'autres choses à dire durant cette audience — chacun de vous, Supérieurs, et chacun de vous, très chers élèves.

Et que dirai-je à Jésus, moi, votre nouvel évêque ?

Avant tout, je désire Lui dire : je Te remercie pour tous ceux que Tu m'as donnés. Je veux encore Lui dire (je le Lui répète sans cesse) : la moisson est abondante ! Envoie des ouvriers pour ta moisson.

Et je veux surtout Lui dire : garde-les dans la vérité et accorde leur de mûrir à la grâce du sacrement du sacerdoce auquel ils se préparent

Tout ceci je veux le Lui dire par l'intermédiaire de Sa Mère que vous vénérez au séminaire Romain, en regardant l'image de la « Vierge de la confiance » envers qui le serviteur de Dieu Jean XXIII était particulièrement dévot.

Je confie donc à cette Mère chacun de vous et les trois Séminaires de mon Diocèse.

Amen.

 

 

 

26 novembre 1978

 

IMPORTANCE DE L'APOSTOLAT DES LAÏCS

 

A l'occasion de la fête du Christ-Roi de l'univers, Jean Paul II a tenu à rencontrer les représentants du laïcat catholique du diocèse de Rome. Au cours de la célébration eucharistique qui a eu lieu le 26 novembre dernier en la chapelle Sixtine, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

 

Je désire avant tout exprimer ma grande joie pour notre rencontre d'aujourd'hui. Je remercie le cardinal-vicaire de Rome qui, avec les évêques auxiliaires, a organisé cette rencontre à laquelle participent les représentants de ce diocèse, premier dans l'Église, dont je suis depuis peu, par la volonté du Christ, devenu l'évêque. Toutes les organisations de l'apostolat des laïcs du diocèse de Rome sont ici présentes dans la personne de leurs représentants accompagnés des assistants spirituels des diverses organisations. Assumant mon service épiscopal à Rome après une expérience de vingt années dans l'archidiocèse de Cracovie, je dois déclarer avant tout que j'attribue une grande importance à l'apostolat des laïcs à l'égard duquel, dans des circonstances bien différentes de celles que je trouve ici, je me suis toujours efforcé de faire de mon mieux.

Un motif particulier de ma joie est le fait que nous nous rencontrons le jour de la fête du Christ-Roi de l'univers qui, parmi tous les jours de l'année liturgique, est probablement le plus adapté, notamment à cause de certaines traditions, pour assumer le devoir de notre collaboration.

Nous reprenons cette collaboration, chers Frères et Sœurs, dans la célébration du Très Saint Sacrifice, pour retourner ainsi au Cénacle qui est devenu, tant le Jeudi saint que le jour de la Pentecôte, le lieu extraordinaire de « l'envoi des apôtres».

 

Servir

 

La parole divine de la liturgie d'aujourd'hui, que nous écoutons avec la plus grande attention, nous introduit dans la profondeur du mystère du Christ-Roi. Toutes les lectures en parlent. Je désire attirer particulièrement votre attention sur les paroles que saint Paul a adressées aux Corinthiens ; il fait la comparaison entre les deux dimensions de l'existence humaine : celle qui provient de ce que nous participons d'Adam et celle que nous obtenons dans le Christ.

L'homme participe d'Adam et cela signifie désobéir : « Non serviam » — Je ne servirai pas !

Et c'est précisément dans ce « non serviam » — je ne servirai pas ! que l'homme croit percevoir le signal de sa libération et du défi de sa propre grandeur à la mesure de Dieu. C'est ce qui est devenu la source du péché et de la mort. Et nous sommes également témoin du fait que cet antique « je ne servirai pas » entraîne une dépendance et un esclavage multiples de l'homme. C'est un sujet de profonde analyse qu'il est difficile en ce moment de faire dans toute son extension. Il faut que nous nous contentions d'une simple allusion.

Le Christ, le nouvel Adam est celui qui entre dans l'histoire de l'homme précisément pour servir : Le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie (Mt 20, 28) : en un certain sens, ceci est la définition fondamentale de son royaume. Dans ce service selon le modèle du Christ, l'homme retrouve sa pleine dignité, sa merveilleuse vocation, sa majesté. 11 vaut la peine de rappeler ici ce que dit la Constitution dogmatique sur l'Église, Lumen gentium, au chapitre IV consacré aux laïcs dans l'Église et à leur apostolat : « Puisque le Christ Jésus, prêtre souverain et éternel, veut continuer son témoignage et son service par les laïcs aussi, il les vivifie par son Esprit et les pousse sans cesse à toute bonne œuvre et parfaite. A ceux qu'il associe intimement à sa vie et à sa mission, il donne aussi une part de sa fonction sacerdotale pour exercer un culte spirituel pour la gloire de Dieu et le salut des hommes ... Ainsi les laïcs, agissant saintement, partout comme adorateurs, consacrent à Dieu le monde lui-même » (Lg 34).

Servir Dieu veut dire régner. Cette tâche qui exprime l'attitude du Christ lui-même et de ses disciples, a pour effet de ruiner l'héritage du péché et d'inaugurer « le royaume de vérité et de vie, un royaume de sainteté et de grâce, un royaume de justice, d'amour et de paix » (Préface pour la fête du Christ-Roi).

 

Solidaires avec le Christ

 

La liturgie d'aujourd'hui nous montre pour ainsi dire deux étapes du « régner-servir ». La première étape est la vie de l'Église sur la terre ; la seconde est celle du jugement. Le véritable sens de la première étape devient compréhensible grâce à celui de la seconde. Avant qu'il se présente devant chacun de nous et devant nous tous comme Juge qui « séparera les brebis des boucs », le Fils de l'Homme est toujours avec nous comme Pasteur qui prend soin de ses brebis. Cette sollicitude même, il veut la partager avec nous, avec chacun de nous. Il veut que son service devienne notre service au sens le plus large du terme. « Notre service » ne signifie pas seulement celui des évêques, des prêtres, des religieux, mais aussi, au sens le plus étendu du terme, celui des laïcs. De tout le monde. Car ce service-sollicitude requiert la participation de tous. « J'ai eu faim... j'ai eu soif ... j'étais un étranger... nu... malade... prisonnier... persécuté» opprimé, angoissé, inconscient, plein de doute, abandonné, menacé (peut-être même déjà dans le sein maternel). Il est immense le cercle des besoins et des devoirs que nous devons entrevoir, que nous devons placer devant nos yeux, si nous voulons être « solidaires avec le Christ ». Car, en fin de compte, c'est bien de cela dont il s'agit : « Dans la mesure où vous l'aurez fait au plus petit de mes frères, c'est à moi que vous l'aurez fait » (Mt 25, 40). Le Christ est parti de l'homme. Et il l'est des deux côtés : du côté de celui qui attend la sollicitude, le service et la charité ; et du côté de celui qui prête le service, qui apporte la sollicitude et fait preuve d'amour.

Il existe donc un grand espace pour notre solidarité avec le Christ, un grand espace pour l'apostolat de tous, pour l'apostolat des laïcs en particulier. Une fois de plus, malheureusement, il est impossible dans le cadre de cette brève homélie, de soumettre ce sujet à une analyse plus détaillée. Toutefois les paroles de la liturgie d'aujourd'hui nous incitent à les relire à nouveau, à les méditer, et à mettre en pratique tout ce qui, avec de si vastes dimensions, est devenu l'objet de l'enseignement du Concile au sujet de l'apostolat des laïcs. Il semblait autrefois que le concept d'apostolat fut réservé presque uniquement à ceux qui sont les successeurs « d'office » des apôtres et qui expriment et garantissent l'apostolicité de l'Église. Le concile Vatican II a fait savoir combien grands sont les champs d'apostolat toujours accessibles aux laïcs. Et, en même temps, il a de nouveau poussé à un tel apostolat. Il suffit de reprendre une seule phrase du décret Apostolicam actuositatem qui, en un certain sens, contient et résume tout : «La vocation chrétienne est... par nature, vocation à l'apostolat » (ibid. 2)

 

Vocation à l'apostolat des laïcs

 

Mes chers frères et sœurs, je vous exprime ma joie toute particulière pour cette rencontre avec vous qui, de la vérité sur la vocation chrétienne comprise comme l'appel à la vocation à 1 apostolat des laïcs, avez fait, ici à Rome, le programme de votre vie. J en suis heureux, et j'espère que vous me mettrez au courant de vos problèmes, que vous m'introduirez dans les différents champs de votre activité. Je me réjouis d'emprunter à mon tour ces voies sur lesquelles vous marchez déjà, de pouvoir vous y accompagner et, également de vous guider comme votre évêque.

C'est précisément pour cela que je désirais tant vous rencontrer en ce jour de la fête du Christ-Roi de l'Univers. Je désire qu il vous reçoive lui-même. Peut-être a-t-il besoin d'entendre de nous cette question que tant d'interlocuteurs divers lui ont adressée : « Que dois-je faire ? » (Le 18, 18) : que devons-nous faire ?

Je rappellerai encore ce qu'à Cana en Galilée, sa Mère dit aux servantes : «Tout ce qu'il vous dira, faites-le » (Jn 2, 5). Nous, nous tournons les yeux vers cette Mère ; l'espérance renaît en nous, et nous répondons : « Nous sommes prêts !»

 

 

 

3 décembre 1978

 

LA PAROISSE EST UNE COMMUNAUTE

 

A la « Garbatella »

Fidèle à l'habitude qu'il avait, étant archevêque de Cracovie, de visiter les paroisses de son archidiocèse, Jean Paul II, évêque de Rome s'est rendu le 3 décembre dernier à l'église paroissiale Saint-François-Xavier de la « Garbatella », dans la périphérie de Rome. Au cours de la messe qu'il y a célébrée, le Saint-Père a prononcé en italien l'homélie dont voici la traduction :

 

Très chers Frères et Sœurs,

 

1. Je suis ici pour visiter votre paroisse consacrée à Saint François Xavier : je le fais avec une grande joie, une joie très intime. Ceci est ma première visite à une paroisse du Diocèse de Rome que le Christ m'a confié du fait de mon élection comme Evêque de Rome advenue le 16 octobre dernier à la suite du vote des Cardinaux réunis en Conclave. Lorsque j'ai pris possession de la Basilique Saint-Jean de Latran, cathédrale de l'Evêque de cette ville, j'ai dit qu'à ce moment j'entrais d'une certaine façon dans toutes les paroisses du diocèse de Rome. Naturellement cette entrée dans les paroisses de Rome, durant les cérémonies du 12 novembre au Latran se faisait plutôt au niveau de l'intention. Les visites effectives aux paroisses romaines doivent par contre se faire graduellement. J'espère que tous le comprendront et seront indulgents avec moi, en considération de la quantité énorme d'engagements liés à mon ministère.

C'est pour moi une grande joie de pouvoir, comme première paroisse romaine, visiter précisément la vôtre à laquelle m'unit un souvenir particulier. En effet, immédiatement après la guerre, durant mes années d'étude à Rome, je venais presque chaque dimanche à la Garbatella pour donner mon aide au service pastoral. Quelques-uns de ces moments vivent encore dans ma mémoire, bien qu'en plus de trente ans pas mal de choses aient énormément changé ici.

 

2. Rome tout entière a changé. A l'époque, il n'y avait que peu de bourgades. Aujourd'hui, nous voici dans un grand quartier habité. Les immeubles occupent désormais tout le terrain de la verte périphérie. Ils parlent eux-mêmes des gens qui les habitent. Vous, chers paroissiens, vous êtes ces habitants. Vous êtes les citadins de Rome et en même temps vous formez une communauté définie du Peuple de Dieu. La paroisse est proprement une telle communauté. Elle l'est et le devient toujours davantage grâce à l'Evangile, la Parole de Dieu qui vous est, ici, annoncée régulièrement et également du fait qu'ici l'on vit la vie sacramentelle. Venant aujourd'hui chez vous, au nom du Seigneur, je pense surtout à ce que le Christ lui-même vous transmet par l'intermédiaire des prêtres, vos pasteurs. Et non seulement par eux. Pensez à ce que le Christ opère par votre intermédiaire, à vous tous.

 

3. A qui vont principalement mes pensées ? A qui est-ce que je m'adresse ? Je m'adresse à toutes les familles qui vivent dans cette communauté paroissiale et qui constituent une partie de l'Eglise de Rome. Pour visiter les paroisses comme partie de l’Eglise-Diocèse, il faut rejoindre toutes les églises domestiques, c'est-à-dire toutes les familles ; c'est ainsi, en effet, que les Pères de l'Eglise appelaient les familles. « Faites de votre maison une église », recommandait Saint Jean Chrysostome dans un sermon à ses fidèles. Et le lendemain il répéta : « Quand, hier, je vous ai dit : faites de votre maison une église des applaudissements de joie ont éclaté et vous avez manifesté de manière éloquente qu'une grande joie avait inondé vos âmes lorsque vous avez entendu ces   paroles » (In Genesim Serm. VI, 2 ; VII, 1 : P. G. 54, 607 et suiv. ; cf. Lumen Gentium, 11 ; Apostolicam actuositatem, 11). Aussi, me trouvant aujourd'hui parmi vous, devant cet autel, comme Evêque de Rome, je me rends en esprit dans toutes les familles. Beaucoup de celles-ci sont présentes ici ; je leur adresse un cordial salut ; mais, par la pensée et le cœur je les recherche toutes.

Je dis à tous les époux et aux parents, jeunes ou non : donnez-vous la main comme vous l'avez fait le jour de vos noces en recevant le sacrement du mariage. Imaginez que votre Evêque vous demande de nouveau aujourd'hui votre consentement et alors vous, comme autrefois, vous prononcez les paroles de la promesse matrimoniale, le serment de votre mariage.

Savez-vous pourquoi je le rappelle ? C'est parce que de l'observance de ces engagements dépendent l'« église domestique », la qualité et la sainteté de la famille, l'éducation de vos fils. Tout cela, le Christ vous l'a confié, très chers époux, le jour où, moyennant le ministère du prêtre, il a uni vos vies pour toujours au moment où vous avez prononcé ces mots qu'il ne faudra jamais oublier : «jusqu'à la mort ». Si vous vous les rappelez, si vous les observez, mes très chers Frères et Sœurs, vous êtes également des apôtres du Christ et vous contribuez à l'œuvre de salut (cf. Lumen Gentium, 35, 41 ; Gaudium et Spes, 52).

 

4. Maintenant c'est vers vous, les enfants, et vers vous les jeunes, que se tourne ma pensée. Le Pape a pour vous une particulière prédilection non seulement en raison de ce que vous représentez, mais parce que vous êtes l'avenir de l'Eglise et donc l'avenir de votre paroisse. Soyez profondément amis de Jésus et portez dans votre famille, à l'école, dans votre quartier l'exemple de votre vie chrétienne, limpide et joyeuse. Soyez toujours de jeunes chrétiens, vrais témoins de l'enseignement du Christ. Mieux, soyez les messagers du Christ auprès de cette société bouleversée qui plus que jamais a besoin de Lui. Annoncez à tous par l'exemple de votre vie que seul le Christ est Je vrai salut de l'humanité.

 

5. Et dans cette visite, je m'adresse également aux malades, à ceux qui souffrent, aux personnes seules, abandonnées qui ont besoin de la compréhension, du sourire, de l'aide, de la solidarité de leurs frères. En ce moment ma pensée va également vers tous les hôtes-malades, médecins, personnel, aumôniers, sœurs — du grand hôpital qui se trouve dans le cadre de la paroisse, le Centra Traumatologico Ortopedico. A tous, mes affectueux encouragements et l'assurance de mes prières.

 

6. Maintenant que nous avons, de la pensée et du cœur, embrassé toute votre Communauté, je désire me consacrer à ceux qui, dans cette communauté se sont plus spécialement donnés au Christ.

Je veux exprimer ma paternelle approbation aux religieux qui vivent, prient et œuvrent au sein de cette populeuse paroisse, les Filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul, qui se dévouent au service des petits et des pauvres ; les Sœurs Servantes du Sanctuaire qui se consacrent à l'apostolat de l'école ; les Sœurs Disciples de Jésus-Eucharistie qui unissent à l'adoration continuelle de Jésus Eucharistie, l'effort d'éducation des jeunes ; les Clarisses Capucines qui depuis quatre cents ans, dans le silence et la pauvreté, prient et s'offrent pour l'Eglise et pour le monde.

Merci, merci, très chères Sœurs ! Que Jésus votre Epoux vous récompense pour le bien que vous faites. Continuez à servir le Christ « dans la joie », avec une généreuse et intense constance.

 

7. Les dernières paroles, c'est à vous que je les adresse, chers Frères Prêtres, à vous cher Curé et à tous vos collaborateurs. J'ai déjà eu. l'occasion de vous rencontrer et nous avons pu réfléchir ensemble sur les problèmes de votre paroisse. Je vous remercie vivement pour votre collaboration avec moi, avec le Cardinal-Vicaire de Rome, avec l'Evêque Auxiliaire de votre secteur. Le Christ lui-même vient et vit dans cette communauté, enseigne, sanctifie, absout et, surtout, de tous et de tout, il fait don au Père comme le dit la troisième Prière Eucharistique. Ne vous lassez jamais de travailler pour le Maître. Que parvienne à tous, grâce à vous, la voix de l'Avent qui résonne aussi claire dans la parole de l'Evangile : « Veillez ! ».

 

8. Votre paroisse célèbre aujourd'hui la fête de son Patron : Saint François Xavier, apôtre de l'Extrême-Orient, missionnaire et patron des missions. Il eut d'immenses mérites pour cette seule   cause : porter l'avent du Christ dans le cœur de ceux qui n'ont pas encore été touchés par son Evangile. Votre paroisse entend suivre son patron et célèbre aujourd'hui sa journée missionnaire.

Puisse la Parole de Dieu gagner tous les confins de la terre ! Puisse-t-elle trouver le chemin de chaque cœur humain !

Voici la prière qu'en union avec vous, moi, votre Evêque, j'élève par l'intercession de Saint François Xavier : « Viens Seigneur Jésus, Maranatha ! ».

Amen !

 

 

 

8 décembre 1978

 

MARIE, MOMENT DECISIF DANS L'HISTOIRE DU SALUT

 

L'homélie à Sainte-Marie-Majeure

 

Jean Paul II a consacré l'après-midi du 8 décembre, fête de l'Immaculée Conception au traditionnel pèlerinage place d'Espagne où se dresse la statue de l'Immaculée, puis à une célébration eucharistique en la basilique Sainte-Marie-Majeure, où se trouve l'image de la Vierge « Salus Populi Romani ». Après la liturgie de la Parole, le Saint-Père a prononcé en italien l'homélie dont voici la traduction :

 

1. Au moment où, pour la première fois comme Evêque de Rome, je franchis aujourd'hui le seuil de la Basilique Sainte-Marie-Majeure, je revois l'événement que j'ai vécu ici, en ce même lieu, le 21 novembre 1964. C'était au moment où se concluait la troisième session du Concile Vatican II, après la proclamation de la Constitution dogmatique sur l'Eglise qui commence par les mots : Lumen Gentium (Lumière des nations). Ce jour-là le Pape Paul VI avait invité les Pères Conciliaires à se trouver précisément ici, dans le temple mariai le plus ancien de Rome, pour exprimer leur joie et leur gratitude pour l'œuvre terminée ce jour-là.

La Constitution Lumen Gentium est le principal document du Concile, document « clé » de l'Eglise de notre époque, pierre angulaire de toute l'œuvre de renouvellement que Vatican II a entreprise et dont il a donné les directives.

Le dernier chapitre de cette Constitution a pour titre : « La Bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu, dans le mystère du Christ et de l'Eglise ». Parlant ce matin-là en la basilique Saint-Pierre, Paul VI, la pensée fixée sur l'importance de la doctrine exprimée dans le dernier chapitre de la Constitution Lumen Gentium, appela pour la première fois Marie « Mère de l'Eglise ». Il l'appela ainsi de manière solennelle, et il commença à l'appeler par ce nom, par ce titre, mais surtout à l'invoquer pour qu'elle participât comme Mère à la vie de l'Eglise : de cette Eglise qui, durant le Concile, a pris conscience plus profondément de sa propre nature et de sa propre mission. Pour donner un plus grand relief à cette expression, Paul VI est venu, avec les Pères Conciliaires, ici-même, en la basilique Sainte-Marie-Majeure où, depuis de nombreux siècles, Marie est entourée de vénération et d'amour tout particulier, sous le titre de « Salus Populi Romani ».

 

2. Suivant les traces de ce grand Prédécesseur qui fut pour moi un véritable Père, moi aussi je viens ici. Après l'acte solennel, Place d'Espagne, dont la tradition remonte à 1856, je viens ici pour répondre à une cordiale invitation que m'ont adressée le Cardinal Confalonieri, Doyen du Sacré Collège, Archiprêtre de cette Basilique et tout le Chapitre.

Mais je pense qu'avec lui m'ont invité tous mes prédécesseurs sur la Chaire de Pierre : le Serviteur de Dieu Pie XII, le Serviteur de Dieu Pie IX, toutes les générations de Romains ; toutes les générations de chrétiens et tout le Peuple de Dieu. Ils semblent dire : Va ! Honore le grand mystère caché de toute éternité en Dieu lui-même. Va et rends témoignage au Christ notre Sauveur, Fils de Marie ! Va et annonce ce moment particulier, ce moment qui marque un tournant dans l'histoire du salut de l'homme!

Ce point décisif dans l'histoire du salut est précisément l’« Immaculée Conception ». Dans son éternel amour, Dieu a, de toute éternité, choisi l'homme : il l'a choisi dans son Fils. Dieu a choisi l'homme pour qu'il puisse atteindre la plénitude du bien, moyennant la participation à sa vie même : Vie divine au moyen de la grâce. Il l'a choisi de toute éternité, et irréversiblement. Ni le péché originel, ni toute l'histoire des fautes personnelles et des péchés sociaux n'ont pu détourner le Père éternel de son plan d'amour. Rien n'a pu annuler le choix qu'il fit de nous dans le Fils éternel, Verbe consubstantiel au Père. Car ce choix devait prendre forme dans l'Incarnation et comme il fallait pour notre salut que le Fils de Dieu se fasse homme, c'est précisément pour cela que le Père éternel a choisi pour lui la Mère parmi les hommes. Chacun de nous devient homme parce que conçu et né du sein maternel. Le Père éternel a choisi la même voie pour l'humanité de son Fils éternel. Il a choisi sa Mère parmi le peuple auquel depuis des siècles il confiait, de manière particulière, ses mystères et ses promesses. Il l'a choisie dans la lignée de David et en même temps parmi toute l'humanité. Il l'a choisie de souche royale, mais en même temps parmi les gens pauvres.

Il l'a choisie dès le début, dès le premier moment de sa conception, la rendant digne de la maternité divine à laquelle elle serait appelée au moment voulu. Il l'a faite première héritière de la sainteté de son propre Fils. Première parmi tous ceux qui recevront leur rédemption du sang de son Fils, reçu d'elle, humainement parlant II l'a rendue immaculée au moment même où elle fut conçue.

L'Eglise tout entière contemple aujourd'hui le mystère de l'Immaculée Conception et s'en réjouit. Celle-ci est une journée particulière du temps de l'Avent.

 

3. L'Eglise Romaine exulte devant ce mystère, et moi, comme nouvel Evêque de cette Eglise, je participe pour la première fois à cette joie. C'est pourquoi je désirais tant venir ici, en ce temps où, depuis des siècles Marie est vénérée comme « Salus Populi Romani ». Ce titre, cette invocation ne nous disent-ils pas que le salut (salus) est devenu de manière particulière l'héritage du Peuple Romain (Populi Romani) ? N'est-ce pas là le salut que le Christ nous a porté et nous porte continuellement ? Lui seul ? Et sa Mère, qui précisément parce que sa Mère a été, par Lui rachetée de manière exceptionnelle, « plus éminente » (Paul VI, Credo), n'est-ce pas également Elle que Lui, son Fils, a appelée de la manière la plus explicite, en même temps simple et puissante, à participer au salut des hommes, du Peuple Romain, de l'humanité toute entière. Pour les conduire tous au Rédempteur. Pour Lui rendre témoignage, même sans paroles, seulement avec l'amour dans lequel s'exprime « le génie de la Mère ». Pour rapprocher de lui même ceux qui opposent le plus de résistance, ceux pour lesquels il est difficile de croire à l'amour ; qui considèrent le monde comme une grande « arène de lutte de tous contre tous » (selon l'expression d'un des philosophes du passé). Pour rapprocher tous les hommes — c'est-à-dire chacun des hommes — de son Fils. Pour révéler la primauté de l'amour dans l'histoire de l'homme. Pour annoncer la victoire finale de l'amour. L'Eglise, ne pense-t-elle pas à cette victoire lorsqu'elle nous rappelle aujourd'hui les paroles du livre de la Genèse : « Celle-là (la lignée de la femme) écrasera la tête du serpent » (cf. Gn 3, 15) ?

 

4. « Salus Populi Romani » !

Le nouvel Evêque de Rome franchit aujourd'hui le seuil du temple mariai de la Cité Eternelle, conscient de la lutte contre le bien et le mal qui envahit le cœur de tout homme, qui se passe dans l'histoire de l'humanité et aussi dans l'âme du « peuple romain ». Voici ce que le dernier Concile dit à cet égard : « Un dur combat contre les puissances des ténèbres passe à travers toute l'histoire des hommes ; commencé dès les origines, il durera, le Seigneur nous l'a dit, jusqu'au dernier jour. Engagé dans cette bataille, l'homme doit sans cesse combattre pour s'attacher au bien ; et ce n'est qu'au prix de grands efforts, avec la grâce de Dieu, qu'il parvient à réaliser son unité intérieure » (Gaudium et Spes, 37).

Et c'est pourquoi, au début de son service épiscopal sur la Chaire de Pierre, à Rome, le pape désire confier de manière toute particulière l'Église à Celle en qui s'est accomplie la merveilleuse et totale victoire du bien sur le mal, de l'amour sur la haine, de la grâce sur le péché ; à Celle dont Paul VI a dit qu'Elle est « le commencement du monde meilleur ». Il se confie lui-même à Elle, comme serviteur des serviteurs et lui confie tous ceux qu'il sert, et tous ceux qui servent avec lui. Il lui confie l'Église romaine comme gage et principe de toutes les Églises du monde, dans leur unité universelle. Je la lui confie et la lui offre comme propriété !

« Totus Tuus ego sum et omnia mea Tua sunt. Accipio Te in mea omnia ! » (Je suis tout à Toi et tout ce que j'ai est tien. Sois mon guide en tout).

Avec cet acte d'offrande, simple et en même temps solennel, l'évêque de Rome, Jean Paul II désire encore une fois réaffirmer qu'il est au service du peuple de Dieu et que ce service ne peut être que l'humble imitation du Christ et de Celle qui a dit : « Me voici, je suis la servante du Seigneur » (Lc 1, 38).

Que cet acte soit un signe d'espérance comme est signe d'espérance le jour de l'Immaculée Conception dans le cadre de tous les jours de notre Avent.

 

 

 

10 décembre 1978

 

LE CHRISTIANISME, PRINCIPE D'UNION ET DE COMMUNION

 

Le Pape visite « sa paroisse » au Vatican

 

La cité du Vatican a son église paroissiale, l'Église Sainte-Anne, une des églises mineures qui entourent la basilique Saint-Pierre. Elle a notamment le privilège de comprendre dans son    « territoire » les deux plus célèbres chapelles du monde : les chapelles Sixtine et Pauline. L'église Sainte-Anne riche en œuvres d'art, bâtie vers la fin du XVe siècle a reçu de Pie XI, au lendemain du pacte du Latran en 1929, le titre et les fonctions d'église paroissiale, chargée des soins pastoraux des quelques centaines d'habitants du petit état pontifical. Jean Paul II est venu, le 10 décembre, célébrer la messe dans sa paroisse. Après la lecture de l'Évangile, il a prononcé l'homélie. En voici la traduction :

 

l.«Vobis... sum episcopus, vobiscum sum christianus » (« Pour vous je suis évêque, avec vous je suis chrétien ») : ces paroles de Saint Augustin ont trouvé un grand écho dans les textes du Concile Vatican II, dans son Magistère. Elles me viennent à l'esprit, précisément aujourd'hui que je visite la paroisse Sainte-Anne, paroisse de la Cité du Vatican. Celle-ci est, en effet ma paroisse. J'ai ma résidence stable sur son territoire, comme mes vénérés Prédécesseurs et, également, comme vous, vénérables Frères Cardinaux, Archevêques, Evêques, Prêtres et vous, chers Frères et Sœurs, mes co-paroissiens. Ici, dans cette église nous pouvons répéter de manière toute particulière les paroles que Saint Augustin adressa à ses fidèles lors de l'anniversaire de son ordination épiscopale : « Mais vous aussi vous me soutenez, parce que selon le commandement de l'Apôtre nous portons les fardeaux les uns des autres et nous accomplissons ainsi la loi du Seigneur (Ga 6, 2)... Si m'effraie ce que je suis pour vous, ce que je suis avec vous me console. Car pour vous je suis évêque, avec vous je suis chrétien. L'un est un nom de fonction, l'autre de grâce ; celui-là est un nom de péril, celui-ci un nom de salut » (Sermo 340, 1 ; PL 38, 1483).

En effet, la vérité que nous sommes chrétiens chacun de nous — Vous, vénérables et chers Frères et moi — est la source première de notre joie, de notre noble et serein orgueil, de notre union et communion.

« Chrétien » : quel sens a ce terme, et quelle richesse il contient ! C'est à Antioche que, pour la première fois, les disciples ont été appelés « chrétiens » ; nous le lisons dans les Actes des Apôtres, là où se trouvent décrits les événements qui, à l'époque apostolique, se déroulèrent dans cette ville.           « Chrétiens », ce sont ceux qui ont reçu le nom du Christ ; ceux qui portent en eux son mystère ; ceux qui lui appartiennent de toute leur humanité ; ceux qui, en pleine conscience et liberté, « acceptent » que le Christ imprègne leur être humain de la dignité des fils de Dieu. Chrétiens !

La paroisse est une communauté de chrétiens. Une communauté fondamentale.

 

2. Notre paroisse vaticane est dédiée à Sainte Anne. Comme on le sait, c'est notre Prédécesseur Pie XI qui, avec la Constitution Apostolique Ex Lateranensi pacta, du 30 mai 1929, a donné une physionomie religieuse particulière à la Cité du Vatican ; l'Évêque-Sacriste, une charge qui dès 1352 avait été confiée par Clément VI à l'Ordre des Augustins, fut nommé Vicaire Général du Vatican ; l'église Sainte-Anne, au service de laquelle se dévouaient les Pères Augustins, fut érigée en église paroissiale. Puis, par le Motu Proprio Pontificalis Domus du 28 mars 1968, Sa Sainteté Paul VI, de vénérée mémoire, abolissait le titre de Sacriste, laissant toutefois intacte la fonction qui fut maintenue sous la dénomination de « Vicaire Général de Sa Sainteté pour la Cité du Vatican ».

Je désire donc adresser un salut paternel et affectueux à mon Vicaire Général et à ses collaborateurs immédiats ; au Curé ; aux très zélés Pères qui témoignent d'un admirable dévouement dans la direction pastorale de la paroisse et pour le plus grand bien des diverses Chapelles du Vatican ; aux autres religieux et religieuses qui accomplissent leur laborieux et méritoire service en faveur du Saint-Siège ; à tous les paroissiens et paroissiennes de cette communauté particulière.

 

3. J'avais tant désiré visiter « ma paroisse » dès les débuts de mon Pontificat, comme une des premières parmi les paroisses du Diocèse de Rome ! Je suis heureux que cela se réalise précisément pendant le temps de l'Avent.

La figure de Sainte Anne nous rappelle en effet la maison paternelle de Marie, Mère du Christ C'est là que Marie est venue au monde, portant en elle-même cet extraordinaire mystère de l'immaculée conception. C'est là qu'elle fut entourée de l'amour et de la sollicitude de ses parents, Joachim et Anne. Elle y apprit de sa mère, précisément Sainte Anne, comment être mère. Et bien qu'elle eut, du point de vue humain, renoncé à la maternité, le Père Céleste, acceptant son don total, la gratifia de la maternité la plus parfaite et la plus sainte. Du haut de la Croix, le Christ transféra, dans un certain sens, la maternité de sa mère à son disciple préféré, et, pareillement, il l'étendit à toute l'Eglise, à tous les hommes. Quand, donc, comme « héritiers de la promesse » (cf. Ga 4,28-31) nous nous trouvons dans le rayon de cette maternité et quand nous ressentons sa sainte profondeur et plénitude, nous pensons alors que ce fut proprement Sainte Anne qui, la première, enseigna à Marie, sa Fille, comment être Mère.

« Anne «signifie en Hébreu : « Dieu (sujet sous-entendu) a fait grâce ». Pensant à cette signification du nom de Sainte Anne, Saint Jean Damascène s'était écrié : « Comme il devait advenir que la vierge Mère de Dieu naquit d'Anne, la nature n'osa pas précéder le germe de la grâce, pour que la grâce produise le sien. Devait naître en effet cette première-née dont serait né le premier-né de toute   créature » (Serm. VI, De nat. B.M.V., 2 ; PG 96, 663).

Tandis que nous sommes, aujourd'hui, venus ici, nous tous paroissiens de Saint-Anne-au-Vatican, nous tournons nos cœurs vers elle et, par son intermédiaire, à Marie, Fille et Mère nous répétons :         « Montre-toi Mère pour nous tous, Offre notre prière, le Christ l'accueillera avec bienveillance, Lui qui s'est fait ton Fils ».

Le deuxième dimanche de l'Avent ces paroles semblent retrouver une toute particulière signification.

 

 

 

17 décembre 1978

 

DANS LE PONTIFICAT DE PAUL VI LE CHARISME DE L'APOTRE DES GENTILS

 

L'homélie durant la Messe en la Basilique Saint-Paul

 

Avec la visite accomplie le dimanche 17 décembre dernier à la basilique Saint-Paul-hors-les-Murs, Jean Paul II a conclu ses premières rencontres avec les communautés des quatre Basiliques Majeures du Diocèse de Rome. Au cours de la célébration de la Sainte Messe, il a prononcé un discours dont voici la traduction :

 

1. Après la prise de possession de la Basilique Saint-Jean de Latran qui est là Cathédrale de l'Evêque de Rome, après l'émouvante visite à la Basilique Sainte-Marie-Majeure à l'Esquilin, où j'ai pu, au début de mon Pontificat exprimer toute ma confiance et mon complet abandon entre les mains de Marie, Mère de l'Eglise, il m'est donné aujourd'hui de venir ici.

La Basilique St-Paul-hors-les-Murs — un des quatre temples les plus importants de la Ville Eternelle — évoque des pensées et des sentiments particuliers dans le cœur de celui qui, comme Evêque de Rome, est devenu le Successeur de Pierre.

La vocation de Pierre — unique par la volonté du Christ — est unie, par un lien tout spécial à la personne de Paul de Tarse. Tous deux, Pierre et Paul se sont trouvés ici à Rome au terme de leur pèlerinage terrestre ; tous deux sont venus ici dans le même but : rendre témoignage au Christ. Tous deux ont subi la mort, ici, pour la même cause et, comme le rapporte la tradition, ceci est advenu le même jour. Ils constituent, tous deux, le fondement de cette Eglise qui les invoque, les rappelant ensemble comme ses Patrons. Et bien que Rome soit la Chaire de Pierre, nous nous rendons tous compte combien profondément le nom de Paul est inscrit dans les origines de cette chaire, dans ses fondements : sa conversion, sa personne, sa mission.

Le fait que Saint Pierre se soit trouvé à Rome, qu'il y soit venu de Jérusalem en passant par Antioche, qu'il y ait accompli son mandat pastoral, qu'il y ait conclu sa vie, était l'expression de l'universalité de l'Evangile, de la chrétienté, de l'Eglise dont Saint Paul fut, dès ses débuts le héraut intrépide et décidé. Au moment de la conversion du persécuteur qu'il était, nous entendons résonner ces mots : « cet homme est pour moi un instrument de choix pour porter mon nom devant les païens, les rois et les enfants d'Israël » (Ac 9, 15).

Rome ne fut pas le seul but de la vie apostolique et du pèlerinage de Paul de Tarse. Il faut dire plutôt que son objectif fut l’universum de l'empire romain de l'époque (comme en font foi ses voyages et ses épîtres). Rome fut l'ultime étape de ces voyages. Il arriva ici, déjà prisonnier, et fut mis en prison pour la cause à laquelle il s'était donné complètement : la cause de l'universalisme, cette cause qui frappait à la base même une certaine vision rabbinique du peuple élu et de son Messie. Mis en jugement précisément à cause de cette activité, Paul en avait appelé à César comme citoyen romain : « Tu en appelles à César, tu iras devant César» (Ac 25, 12). Et c'est ainsi que Paul se trouvait à Rome, comme prisonnier, attendant la sentence de César. Il se trouvait ici, alors que le principe de l'universalité de l'Eglise, du Peuple de Dieu de la nouvelle Alliance s'était déjà suffisamment affirmé et même consolidé d'une manière irréversible dans la vie de l'Eglise même. Et alors Paul qui, au début de sa mission, après sa conversion, avait considéré comme son devoir tout particulier de « videre Petrum », de voir Pierre, pouvait ainsi venir ici, à Rome, pour rencontrer de nouveau Pierre : ici, dans cette ville où l'universalité de l'Eglise a trouvé pendant des siècles et des millénaires, son bastion dans la Chaire de Pierre.

C'est bien peu ce que j'ai dit sur Paul de Tarse, Apôtre des Gentils et grand Saint. On pourrait, on devrait dire beaucoup plus, mais je dois, par nécessité, me limiter à ces quelques notes.

 

2. Et maintenant, qu'il me soit permis de parler de ce Pontife qui choisit le nom de l'Apôtre des Gentils : de Paul VI. Les circonstances de temps et de lieu m'incitent tout particulièrement à parler de lui. Mais ceci est surtout une exigence du cœur : je désire, en effet, parler de celui qu'à bon droit, je considère non seulement comme mon Prédécesseur, mais proprement comme Père. Et de nouveau je me rends compte que je pourrais et devrais parler longuement, mais ici également la tyrannie du temps m'oblige à abréger mon discours. Je désire remercier tous ceux qui honorent la mémoire de ce grand Pontife. Je désire remercier ses concitoyens de Brescia pour le récent hommage solennel rendu à sa mémoire, et remercier le Cardinal Pignedoli pour y avoir participé. Et ce n'est pas l'unique fois que je reviendrai sur ce qu'il a fait, et sur ce qu'il était.

Pourquoi a-t-il choisi le nom de Paul ? (il y avait de nombreux siècles que ce nom n'avait plus paru dans la liste des évêques de Rome). Certainement parce qu'il se sentait une certaine affinité avec l'Apôtre des Gentils. Du reste, le Pontificat de Paul VI ne témoigne-t-il pas qu'il était profondément conscient — tout comme Paul — du nouvel appel du Christ à l'universalité de l'Eglise et de la chrétienté à la mesure de notre temps ? Ne scrutait-il pas, avec une pénétration extraordinaire les signes des temps de cette difficile époque, comme le faisait Paul de Tarse-? Ne se sentait-il pas appelé, comme cet Apôtre; à porter l'Evangile jusqu'au confins de la terre ? Ne gardait-il pas, comme Saint-Paul, la paix intérieure même quand « le navire était entraîné par l'ouragan et ne pouvait plus tenir tête au vent » (Ac 27,16).

Paul VI, Serviteur des serviteurs de Dieu, Successeur de Pierre, avait choisi le nom de l'Apôtre des Gentils, et avec le nom il avait eu son charisme en héritage.

 

3. Venant aujourd'hui en la Basilique Saint-Paul je désire m'unir par un nouveau lien d'amour et d'unité ecclésiale avec la communauté des Pères Bénédictins qui, depuis des siècles, veillent sur ce lieu, en priant et en travaillant

De plus, comme nouvel Evêque de Rome, je désire visiter la Paroisse qui a la Basilique Saint-Paul pour siège.

En effet cette ancienne et vénérable Basilique qui fut toujours, au long des siècles, un lieu de pèlerinage, et qui se trouvait « hors-les-murs » de Rome a été, ces dernières décennies constituée en paroisse, devenant ainsi le centre de la vie religieuse des habitants de ce secteur.

Si bien que nous trouvons ici trois aspects qui, tout en étant bien distincts entre eux, constituent autant de faces de la même réalité : Abbaye, Basilique, Paroisse, trois entités qui s'alimentent réciproquement, donnant aux fidèles de copieux fruits spirituels.

Et maintenant j'adresse mon .salut aux diverses associations qui collaborent avec la paroisse sur le plan pastoral ; je salue les catéchistes ; je salue avec paternelle affection les Religieux et Religieuses qui exercent leur activité dans le cadre de la paroisse, avec une particulière intention pour ceux qui apportent leur aide à l'Oratoire pontifical Saint-Paul dont l'objectif est de promouvoir une action interparoissiale en faveur de la jeunesse.

A tous les fidèles mon plus cordial salut, ma bénédiction et mes encouragements à aimer leur paroisse. Et, enfin, j'adresse une pensée spéciale à tous ceux qui souffrent, de la maladie, ou des angoisses du manque de travail ; je leur promets à tous un souvenir tout particulier dans mes prières.

 

4. « Gaudete in Domino semper : iterum dico vobis, gaudete... » : réjouissez-vous toujours dans le Seigneur : je vous le répète, réjouissez-vous. Ces paroles de la liturgie de ce jour, c'est-à-dire de ce troisième dimanche de l'A vent, sont prises dans Saint Paul. Paul VI les reprit dans l'exhortation qu'il publia au sujet de la joie chrétienne (cf. Exh. Apostolique Gaudete in Domino :AAS 67, 1975, p. 289-322).

Aujourd'hui je me joins à tous deux pour vous crier, très chers Frères et Sœurs : « Iterum dico vobis, gaudete » — je vous le répète, réjouissez-vous ! « Dominus... prope est » — Le Seigneur n'est pas loin.

 

 

 

24-25 décembre 1978

 

HOMÉLIE DU SAINT-PÈRE POUR LA MESSE DE MINUIT

 

Chers Frères et Soeurs,

 

Nous nous trouvons dans la Basilique Saint-Pierre à cette heure inhabituelle. Nous avons pour toile de fond l'architecture dans laquelle des générations entières au cours des siècles, ont exprimé leur foi dans le Dieu incarné, suivant le message porté ici, à Rome, par les Apôtres Pierre et Paul. Tout ce qui nous entoure nous fait entendre la voix des deux millénaires qui nous séparent de la naissance du Christ. Le second millénaire avance rapidement vers son terme. Permettez que, tels que nous sommes, dans ces circonstances de temps et de lieu, j'aille avec vous vers cette grotte des environs de Bethléem, au sud de Jérusalem. Faisons en sorte d'être tous ensemble plutôt là-bas qu'ici : là où « dans le silence de la nuit », se sont fait entendre les vagissements du Nouveau-Né, expression perpétuelle des fils de la terre. Et, en même temps, s'est fait entendre le ciel «monde» de Dieu qui habite dans le tabernacle inaccessible de la Gloire. Entre la majesté du Dieu éternel et la terre-mère, qui s'annonce, avec le cri de l'Enfant nouveau-né, s'entrevoit la perspective d'une nouvelle Paix, de la Réconciliation, de l'Alliance : « Voici que le Sauveur du monde est né pour nous ». « Les extrémités de la terre ont vu le salut de notre Dieu ».

 

2. Et pourtant, en ce moment à cette heure insolite, les extrémités de la terre demeurent à distance. Elles sont en proie à un temps d'attente, loin de la paix. La fatigue remplit plutôt le cœur des hommes qui se sont endormis, comme s'étaient endormis, non loin de là, les bergers dans les vallées de Bethléem. Ce qui se passe dans la crèche, dans la grotte rocheuse, a une dimension de profonde  intimité : c'est quelque chose qui se produit « entre » la Mère et celui qui va naître. Personne d'étranger n'y a accès. Même Joseph le charpentier de Nazareth, n'est qu'un témoin silencieux. Elle seule est pleinement consciente de sa Maternité. Elle seule comprend ce que signifie au juste le cri de l'enfant. La naissance du Christ est avant tout son mystère, son grand Jour. C'est la fête de la Mère.

C'est une étrange fête : sans aucun signe de la liturgie de la Synagogue, sans lecture des prophètes et sans chant de psaumes. « Tu n'as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m'as préparé un corps » (He 10, 5) semble dire, par ses vagissements, celui qui, tout en étant le Fils Eternel, Verbe consubstantiel au Père, « Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière », s'est fait « chair » (cf. Jn 1, 14). Il se révèle dans ce corps comme l'un d'entre nous, petit enfant, dans toute sa fragilité et sa vulnérabilité. Soumis à la sollicitude des hommes, confié à leur amour, sans défense. Il vagit, et le monde ne l'entend pas, il ne peut pas l'entendre. Le cri de l'enfant nouveau-né ne peut se percevoir qu'à la distance de quelques pas.

 

3. Je vous en prie donc, Frères et Sœurs qui remplissez cette basilique : efforçons-nous d'être présents là-bas plutôt qu'ici. Voici quelques jours, j'exprimais mon grand désir de me trouver dans la grotte de la Nativité, pour célébrer précisément à cet endroit le début de mon Pontificat. Etant donné que les circonstances ne me le permettent pas, et que je suis ici avec vous tous, je cherche avec vous tous à être très présent en esprit là-bas, pour vivre cette Liturgie avec la profondeur, l'ardeur et l'authenticité d'un sentiment intérieur intense. La liturgie de la nuit de Noël est riche d'un réalisme particulier : réalisme de ce moment que nous renouvelons, et aussi réalisme des cœurs qui revivent ce moment. Tous en effet, nous sommes profondément émus et bouleversés, bien que ce que nous célébrons soit advenu voici bientôt deux mille ans.

Pour avoir un tableau complet de la réalité de cet événement, pour entrer davantage encore dans le réalisme de ce moment et des cœurs humains, rappelons-nous ce qui s'est passé et comment cela s'est passé : dans l'abandon, dans l'extrême pauvreté, dans cette grotte qui servait d'étable, en dehors de la ville parce que les habitants de cette ville n'avaient pas voulu accueillir la Mère et Joseph dans aucune de leurs maisons. Il n'y avait de place nulle part. Dès le point de départ, le monde s'est révélé inhospitalier envers Dieu qui devait naître comme Homme.

 

4. Réfléchissons maintenant brièvement sur la signification constante de ce refus par l'homme de l'hospitalité à Dieu. Nous tous, ici présents, nous voulons que tout ce qui est en nous, hommes d'aujourd'hui, soit ouvert à Dieu qui naît comme homme. C'est bien avec ce désir que nous sommes venus ici !

Il nous faut donc penser, cette nuit, à tous les hommes qui tombent victimes de situations infra-humaines créées par les hommes, de la cruauté, du manque de respect, du mépris des droits objectifs de toute personne humaine. Pensons à ceux qui sont seuls, âgés, malades, à ceux qui n'ont pas de logement, qui souffrent de la faim, et dont la misère est une conséquence de l'exploitation et de l'injustice des systèmes économiques. Pensons enfin à ceux qui, en cette nuit, n'ont pas la liberté de participer à la liturgie de là Nativité du Seigneur, et qui n'ont pas de prêtre pour célébrer l'Eucharistie. Et que notre pensée arrive jusqu'à ceux dont les âmes, les consciences sont tourmentées autant que leur propre foi.

L'étable de Bethléem est le premier lieu de la solidarité avec l'homme : d'un homme avec l'autre et de tous les hommes avec tous les autres hommes, surtout avec ceux pour qui « il n'y a pas de place à l'hôtellerie» (cf. Lc 2, 7) et auxquels on n'accorde plus la reconnaissance de leurs propres droits.

 

5. L'Enfant nouveau-né pousse de petits cris. Qui comprend les cris du tout petit enfant ? A travers lui, c'est pourtant le Ciel qui parle, et c'est le Ciel qui révèle l'enseignement particulier de cette naissance. C'est le Ciel qui en donne l'explication par ces paroles : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes qu'il aime » (Lc 2, 14).

Nous devons, nous autres qui sommes atteints par le fait de la naissance de Jésus, comprendre ce cri du Ciel.

Il faut que ce cri atteigne les confins de la terre, que tous les hommes l'entendent de manière nouvelle !

Un Fils nous a été donné.

Le Christ est né pour nous. Amen !

 

 

 

31 décembre 1978

 

VALEURS FONDAMENTALES DE LA FAMILLE

 

L'homélie à l'église du Gesù

 

Renouant avec une tradition abandonnée il y a plus d'un siècle, le Saint-Père a célébré la sainte Messe, le dernier jour de l'an, en la belle église des Jésuites de Rome, l'église du Gesù. Durant la cérémonie au cours de laquelle a été chanté un* Te Deum » de reconnaissance, Jean Paul II a prononcé l'homélie dont voici la traduction :

 

Très chers Frères et Sœurs,

 

Je veux avant tout saluer l'assistance, les Romains et leurs hôtes venus ici pour célébrer la fin de l'année 1978. J'adresse un salut cordial au Cardinal-Vicaire, à mes frères les Evêques, aux représentants des autorités civiles, aux prêtres, aux religieuses et religieux, et surtout à ceux de la Compagnie de Jésus et à leur Père Général.

 

1. Le dimanche de l'octave de Noël, c'est-à-dire ce dimanche-ci inscrit dans la liturgie le souvenir solennel de la Sainte Famille de Jésus, Marie et Joseph. La naissance donne toujours le départ à une famille. La naissance de Jésus à Bethléem a donné le départ à cette Famille unique, exceptionnelle dans l'histoire de l'humanité ; dans cette Famille est venu au monde, a grandi et a été éduqué le Fils de Dieu conçu et né de la Mère-Vierge et en même temps confié, dès le début, aux soins authentiquement paternels de Joseph, charpentier de Nazareth qui, devant la loi hébraïque fut le mari de Marie et devant l'Esprit Saint son digne époux et le tuteur,, vraiment paternel, du mystère maternel de son épouse.

La Famille de Nazareth que l'Eglise met, surtout dans la liturgie d'aujourd'hui, sous les yeux de toutes les familles constitue effectivement ce point culminant de référence pour la sainteté de toute famille. L'histoire de cette Famille est décrite de façon très succincte dans les pages de l'Evangile. Nous parvenons à peine à connaître quelques événements de sa vie. Le peu que nous apprenons suffit toutefois pour impliquer les moments fondamentaux dans la vie de toute famille et faire apparaître cette dimension à laquelle sont appelés tous ceux qui vivent la vie familiale : pères, mères, parents, enfants. L'Evangile nous la montre avec grande clarté, sous son aspect éducatif. « II revint à Nazareth ; et leur était soumis » (Lc 2, 51). Pour les enfants et pour les jeunes générations est nécessaire cette                   « soumission » : obéissance, promptitude à accepter les mûrs exemples de la conduite humaine de la famille. Jésus, lui aussi, était « soumis » de cette manière. Et c'est avec cette « soumission », cette promptitude de l'enfant à accepter les exemples du comportement humain que les parents doivent mesurer toute leur conduite. Ceci est le point de référence particulièrement important de la responsabilité des parents, de leur responsabilité à l'égard de l'homme, de ce petit homme qui grandit et que Dieu lui-même leur a confié. Ils doivent également garder la vision de tout ce qui s'est passé dans la vie de la Famille de Nazareth quand Jésus avait douze ans : ils doivent donc éduquer leur propre enfant, non pas pour eux-mêmes, mais pour lui, pour les tâches qu'il aura à accomplir par la suite. Jésus avait douze ans quand il répondit à Marie et à Joseph : « Ne savez-vous pas que je dois m'occuper des affaires de mon Père ? » (Lc 2, 49).

 

2. Les problèmes humains les -.plus profonds, se rattachent à la famille. Celle-ci constitue la communauté première, fondamentale et irremplaçable de l'homme. « La famille a reçu de Dieu la mission d'être la cellule première et vitale de la société » affirme le Concile Vatican II (Decr. Apostolicam Actuositatem, 11). En célébrant la fête de la Sainte Famille l'Eglise a voulu en donner un témoignage particulier durant l'octave du Noël du Seigneur. Elle veut rappeler qu'à la famille se rattachent les valeurs fondamentales qu'on ne saurait violer qu'au prix d'incalculables dommages de nature morale. Souvent, les perspectives d'ordre matériel et le point de vue « économico-social » l'emportent sur les principes de moralité chrétienne et même humaine. Il ne suffit pas, alors, d'exprimer simplement des regrets. Il faut défendre ces valeurs fondamentales, avec ténacité et fermeté, parce que leur violation cause d'incalculables dommages à la société et, en dernière analyse, à l'homme. L'expérience des divers pays dans l'histoire de l'humanité peut, tout comme notre expérience contemporaine, servir d'argument pour réaffirmer cette douloureuse vérité, c'est-à-dire que s'il est facile de détruire les valeurs essentielles dans le cadre fondamental de l'existence humaine, dans lequel est décisif le rôle de la famille, il est extrêmement difficile de reconstruire ces valeurs.

De quelles valeurs s'agit-il ? Si l'on devait répondre de manière appropriée à cette question, il faudrait indiquer toute la hiérarchie et l'ensemble des valeurs qui se définissent et se conditionnent l'une l'autre. Mais si l'on cherche à s'exprimer de façon concise, on peut dire qu'il s'agit de deux valeurs fondamentales qui rentrent rigoureusement dans le contexte de ce que nous appelons « amour   conjugal ». La première de ces valeurs est celle de la personne qui s'exprime dans l'absolue fidélité réciproque jusqu'à la mort : fidélité du mari à l'égard de la femme et de la femme à l'égard du mari. La conséquence de cette affirmation de la valeur de la personne qui s'exprime dans les rapports mutuels entre femme et mari, doit être également le respect de la valeur personnelle de la nouvelle vie, c'est-à-dire de l'enfant, dès le premier moment de sa conception.

L'Église ne saurait jamais reculer devant son devoir qui est de sauvegarder ces deux valeurs liées à la vocation de la famille. C'est le Christ lui-même qui, d'une manière ne permettant pas le moindre doute, a confié à son Église la garde de ces valeurs. En même temps leur évidence — humainement comprise — fait qu'en les défendant, l'Église se voit elle-même comme porte-parole de la dignité authentique de l'homme : du bien de la personne, de la famille, des nations.

Tout en continuant à respecter ceux qui pensent différemment, on lie saurait que difficilement reconnaître — du point objectif et impartial — que se comporte conformément aux impératifs de la vraie dignité humaine celui qui trahit la fidélité conjugale ou qui permet que s'anéantisse, que se détruise la vie humaine conçue dans le sein maternel. On ne saurait en conséquence admettre que les programmes qui suggèrent, qui facilitent, qui acceptent un tel comportement, servent au bien objectif de l'homme, au bien moral, et contribuent à rendre la vie humaine vraiment plus humaine, vraiment plus digne de l'homme ; qu'ils servent à l'édification d'une société meilleure.

 

3. Ce dimanche-ci est également le dernier jour de l'année 1978. Nous sommes réunis ici, dans cette liturgie, pour rendre grâce à Dieu de tout le bien qu'il nous a prodigué et que sa grâce nous a permis de faire durant l'année écoulée et pour demander son pardon pour tout ce qui, étant contraire au bien, est aussi contraire à sa Sainte Volonté !

Permettez que dans ces remerciements et cette demande de pardon je me serve également du critère de la famille, cette fois cependant dans le sens le plus ample. Comme Dieu est Père, le critère de la famille a, également alors, cette dimension ; il se réfère à toutes les communautés humaines, aux sociétés, aux nations, aux pays ; il se réfère à l'Eglise et à l'humanité.

Concluant ainsi cette année, rendons grâce à Dieu pour tout ce qui fait que dans les divers milieux de l'existence humaine — les hommes deviennent encore plus « famille », encore plus frères et plus sœurs, eux qui ont en commun l'unique Père. En même temps, demandons pardon pour tout ce qui est étranger à la commune fraternité des hommes, qui détruit la famille humaine, qui la menace, qui l'empêche.

C'est pourquoi, ayant toujours devant les yeux mon grand Prédécesseur Paul VI et le bien-aimé Pape Jean Paul Ier, moi, qui suis devenu leur successeur l'année où ils moururent tous deux, je dis : « Notre Père qui es dans les cieux, accepte-nous, ce dernier jour de l'année 1978, en Jésus-Christ, Ton Fils Eternel, et en lui, guide-nous plus avant dans le futur. Dans le futur que Toi-même désires : Dieu de l'Amour, Dieu de la Vérité, Dieu de la Vie ! ».

Cette prière aux lèvres, moi, le successeur de deux Pontifes morts cette année, je franchis avec vous la frontière qui, dans quelques heures, séparera l'année 1978 de l'année 1979.

 

 

 

III

 

DISCOURS

 

 

 

18 octobre 1978

 

UNITÉ DE LA FOI ET DIVERSITÉ DES LANGUES

 

Au Sacré Collège

 

Le 18 octobre, le Saint-Père a reçu en audience le Sacré Collège des cardinaux. A l'adresse d'hommage du cardinal-doyen Confalonieri, Jean Paul II a répondu par un discours en italien dont voici notre traduction :

 

Vénérés Frères,

 

Que pourrais-je et voudrais-je vous dire en cette rencontre alors que, sans nul doute, nous sommes encore tous émus en raison des événements ecclésiaux de ces jours ?

Avant tout, je remercie le cardinal-doyen pour les nobles paroles que, interprétant vos sentiments, il m'a adressées et, en particulier, je vous exprime ma gratitude pour le geste d'exceptionnelle confiance que vous avez démontrée à l'égard de mon humble personne comme successeur de Pierre au siège de Rome. Ce n'est qu'à la lumière de la foi qu'il est possible d'accepter, avec intime tranquillité et confiance le fait qu'en vertu de votre choix il m'est échu, à moi, de devenir le Vicaire du Christ sur la terre et le chef visible de l'Église.

Vénérables Frères, ce fut un acte de confiance et, en même temps, de grand courage d'avoir appelé comme évêque de Rome, un « non-Italien ». On ne peut rien dire de plus, et seulement courber le front devant une telle décision du Sacré Collège.

Jamais peut-être autant que dans les récentes vicissitudes qui ont affecté l'Église, la privant deux fois en deux mois de son Pasteur universel, le peuple chrétien n'a senti et expérimenté l'importance, la délicatesse, la responsabilité des tâches que doit accomplir le Sacré Collège des cardinaux ; et, jamais comme en cette période — nous devons le reconnaître avec satisfaction — les fidèles n'ont démontré à l'égard des Éminentissimes Pères autant d'affectueuse estime et autant de bienveillante compréhension. Les applaudissements intenses et prolongés qui vous ont été adressés à la fin de la messe Pro eligendo Pape et l'annonce de l'élection du nouveau pontife, en sont la preuve la plus expressive, la plus exaltante, la plus émouvante.

Les fidèles ont vraiment compris, vénérés Frères, que la pourpre dont vous êtes revêtus est le signe de cette fidélité usque ad effïtsionem sanguinis que vous avez promis au pape par serment solennel. Votre habit est un habit de sang, qui rappelle et représente le sang que, durant le cours des siècles, les apôtres, les évêques, les cardinaux, ont versé pour le Christ. Il me souvient, en ce moment, de la figure d'un grand évêque, saint Jean Fisher, créé cardinal — comme on le sait — alors qu'il se trouvait incarcéré pour sa fidélité au pape de Rome. Le matin du 22 juin 1535, tandis qu'il se préparait à offrir sa tête à la hache du bourreau, il se tourna vers la foule, s'exclamant : « Peuple chrétien, je vais mourir à cause de ma foi en la sainte Église catholique du Christ. »

Oserais-je encore ajouter que, même à notre époque, ne manquent pas ceux qui ont fait et font encore l'expérience de la prison, des souffrances, des humiliations du Christ ?

Que cette indéfectible fidélité à l'Épouse du Christ soit toujours la marque d'honneur et l'orgueil prééminent du Collège cardinalice.

II est un autre élément que je voudrais souligner en cette brève rencontre : le sens de la fraternité qui, au cours de cette dernière période s'est de plus en plus manifesté et cimenté au sein du Sacré Collège : « Voyez ! Qu'il est bon, qu'il est doux d'habiter en frères tous ensemble » (ps 133 [132] 1). Le Sacré Collège a dû, par deux fois et en très peu de temps, affronter un des problèmes les plus délicats de l'Église : celui de l'élection du Pontife romain. Et, en de telles occasions, s'est manifestée, lumineusement, l'authentique universalité de l'Église. On a pu constater réellement ce qu'affirmait saint Augustin : « Ipsa Ecclesia linguis omnium loquitur... Diffusa Ecclesia per gentes loquitur omnibus linguis » (InJoannis Evang. Tract., XXXII, 7 ; PL 35, 1645).

Expériences, exigences, problèmes ecclésiaux, complexes, variés et, parfois également différents. Mais une telle variété a été — et sera certainement — toujours en concordance avec une seule et même foi, comme nous le rappelle l'évêque d'Hippone, lorsqu'il souligne la beauté et la variété de la robe de l'Eglise-Reine : « Ces langues constituent la variété du vêtement royal de l'Église, de manière à ce que toutes les diversités de costume se rejoignent dans l'unité de la foi unique, comme il en est de même de toutes les langues » (Enarrat. in Psalm. XLIV, 2 : PL 36, 509).

Il m'est difficile, de ne pas exprimer ma profonde gratitude envers le Saint-Père Paul VI notamment pour le fait qu'il a voulu donner au Sacré Collège une si large dimension internationale et intercontinentale. En effet, ses membres proviennent des plus lointains confins de la terre. Ce qui permet de mettre en évidence non seulement l'universalité de l'Église, mais aussi le caractère universel de l’« Urbs ».

Dans quelques jours vous retournerez tous à vos postes de responsabilité : la plupart d'entre vous dans vos diocèses ; les autres dans les dicastères du Saint-Siège; tous, afin de poursuivre avec un zèle toujours croissant le ministère pastoral, lourd de responsabilités, de préoccupations, de sacrifices, mais aussi réconfortés par la grâce du Seigneur et par la joie spirituelle qu'il donne à ses serviteurs fidèles. Mais tout en étant à la tête des Églises particulières vous prenez toujours part aux soucis de l'Église tout entière, vivant et réalisant de toutes vos forces tout ce qu'a recommandé le Concile Vatican II :             « Successeurs légitimes des Apôtres et membres du Collège épiscopal, les évêques doivent se savoir toujours unis entre eux et se montrer soucieux de toutes les Églises ; en vertu de l'institution divine et des devoirs de sa charge apostolique, chacun d'eux est en effet responsable de l'Église avec les autres évêques » (Décret Christus Dominus, 6 ; cf. ibid. 3 ; Lumen Gentium, 23).

Invoquant sur vous tous, sur les fidèles confiés à votre zèle pastoral et sur les personnes qui vous sont chères, la grâce du Christ et la vigilante protection de Marie, la Mater Ecclesiae, je voudrais, avec grande affection, donner ma bénédiction apostolique. Je voudrais d'abord le faire pour vous, et ensuite, avec vous tous : Que l'Église soit ainsi bénie partout, par l'Évêque de Rome et par tout le Collège des cardinaux dont les membres proviennent de toutes les parties du monde et sont à ses côtés.

 

 

 

20 octobre 1978

 

JE SERAI LE TÉMOIN DE L'AMOUR UNIVERSEL

 

Au Corps diplomatique

 

Jean Paul II a reçu les membres du Corps diplomatique près du Saint-Siège le vendredi 20 octobre à II h, dans la salle du Consistoire. Répondant au discours du doyen, S. Exc. M. Luis Valladares y Aycinena, ambassadeur du Guatemala près le Saint-Siège, le pape s'est adressé aux diplomates en ces termes :

 

Excellences, Mesdames, Messieurs,

 

Je suis très touché des nobles paroles, des souhaits généreux que votre interprète vient de m'adresser. Je sais les relations pleines d'estime et de confiance réciproques qui s'étaient instaurées entre le pape Paul VI et chacune des représentations diplomatiques accréditées auprès du Saint-Siège. Ce climat était dû à la compréhension, respectueuse et bienveillante, que ce grand pape avait de la responsabilité du bien commun des peuples, et surtout aux idéaux supérieurs qui l'animaient en matière de paix et de développement. Mon prédécesseur immédiat, le cher pape Jean Paul Ier, en vous recevant il y a moins de deux mois, avait inauguré de semblables relations, et chacun d'entre vous a encore en mémoire ses paroles pleines d'humilité, de disponibilité, dé sens pastoral, que je fais entièrement miennes. Et voilà qu'aujourd'hui j'hérite de la même charge et vous, vous m'exprimez la même confiance, avec le même enthousiasme. Je vous remercie très vivement des sentiments que, à travers ma personne, vous témoignez ainsi fidèlement au Saint-Siège.

Tout d'abord, que chacun de vous se sente ici cordialement accueilli pour lui-même, et pour le pays, pour le peuple qu'il représente. Oui, s'il est un lieu où tous les peuples doivent se côtoyer dans la paix et rencontrer respect, sympathie, désir sincère de leur dignité, de leur bonheur, de leur progrès, c'est bien au cœur de l'Église, autour du Siège apostolique, établi pour témoigner de la vérité et de l'amour du Christ.

Mon estime et mes vœux sont donc à tous et à chacun, dans la diversité de vos situations. Dans cette rencontre sont représentés en effet, non seulement les Gouvernements, mais aussi les peuples et les nations. Et parmi celles-ci, il y a les vieilles « nations », riches d'un grand passé, d'une histoire féconde d'une tradition et d'une culture propres ; il y a aussi déjeunes nations qui ont surgi depuis peu, avec de grandes possibilités à mettre en œuvre, ou qui s'éveillent et se forment encore. L'Église a toujours désiré participer à la vie et contribuer au développement des peuples et des nations. L'Église a toujours reconnu une richesse particulière dans la diversité et la pluralité de leurs cultures, de leurs histoires, de leurs langues. En beaucoup de cas, l'Église a apporté sa part spécifique dans la formation de ces cultures. L'Église a considéré, et continue à estimer que, dans les relations internationales, il est obligatoire de respecter les droits de chaque nation.

Pour moi, appelé de l'une de ces nations à succéder à l'apôtre Pierre au service de l'Église universelle et de toutes les nations, je m'appliquerai à manifester à chacune l'estime qu'elle est en droit d'attendre. Vous devez donc vous faire l'écho de mes vœux fervents auprès de vos Gouvernants et de tous vos compatriotes. Et ici je dois ajouter que l'histoire de ma patrie d'origine m'a enseigné de respecter les valeurs spécifiques de chaque nation, de chaque peuple, sa tradition et ses droits parmi les autres peuples. Comme chrétien, plus encore comme pape, je suis, je serai le témoin de cette attitude et de l'amour universel réservant à tous la même bienveillance, spécialement à ceux qui connaissent l'épreuve.

Qui dit relations diplomatiques dit relations stables, réciproques, sous le signe de la courtoisie, de la discrétion, de la loyauté. Sans confusion des compétences, elles manifestent de ma part, non pas nécessairement l'approbation de tel ou tel régime — cela n'est pas mon affaire — ni évidemment l'approbation de tous ses actes dans la conduite des affaires publiques, mais une appréciation des valeurs temporelles positives, une volonté de dialogue avec ceux qui sont légitimement chargés du bien commun de la société, une compréhension de leur rôle souvent difficile, un intérêt et une aide apportés aux causes humaines qu'ils ont à promouvoir, grâce parfois à des interventions directes, grâce surtout à la formation des consciences, une contribution spécifique à la justice et à la paix au plan international. Ce faisant le Saint-Siège ne veut pas sortir de son rôle pastoral : soucieux de mettre en œuvre la sollicitude du Christ comment pourrait-il, en préparant le salut éternel des hommes, ce qui est son premier devoir, se désintéresser du bien et du progrès des peuples en ce monde ?

D'un autre côté, l'Église — et le Saint-Siège en particulier — demandent à vos nations, à vos Gouvernements, de prendre toujours plus en considération un certain nombre de besoins. Le Saint-Siège ne le cherche pas pour lui-même. Il le fait, en union avec l'épiscopat local, pour les chrétiens ou les croyants qui habitent vos pays afin que, sans privilège particulier mais en toute justice, ils puissent alimenter leur foi, assurer le culte religieux et être admis, comme des citoyens loyaux, à participer à part entière à la vie sociale. Le Saint-Siège le fait pareillement dans l'intérêt des hommes quels qu'ils soient, sachant que la liberté, le respect de la vie et de la dignité des personnes — qui ne sont jamais des instruments — l'équité dans le traitement, la conscience professionnelle dans le travail et la recherche solidaire du bien commun, l'esprit de réconciliation, l'ouverture aux valeurs spirituelles, sont des exigences fondamentales de la vie harmonieuse en société, du progrès des citoyens et de leur civilisation. Certes, ces derniers objectifs figurent, en général, au programme des responsables. Mais le résultat n'est pas pour autant acquis et tous les moyens ne sont pas également valables. Il y a encore trop de misères physiques et morales qui dépendent de la négligence, de l'égoïsme, de l'aveuglement ou de la dureté des hommes. L'Église elle, veut contribuer à diminuer ces misères, avec ses moyens pacifiques, en éduquant au sens moral, par l'action loyale des chrétiens et des hommes de bonne volonté. Ce faisant, l'Église peut parfois ne pas être comprise, mais elle est convaincue de rendre un service dont l'humanité ne saurait se passer : elle est fidèle à son Maître et Sauveur, Jésus-Christ. C'est dans cet esprit que j'espère maintenir et développer, avec tous les pays que vous représentez, des rapports cordiaux et fructueux. Je vous encourage, dans votre haute fonction, et j'encourage surtout vos Gouvernements, à rechercher toujours plus de justice et de paix, dans un amour bien compris de vos compatriotes, et dans l'ouverture d'esprit et de cœur aux autres peuples. Sur ce chemin, que Dieu vous éclaire et vous fortifie, vous-mêmes et tous les responsables, et qu'il bénisse chacun de vos pays.

 

 

 

21 octobre 1978

 

L'ÉVANGILE GUIDE L'ÉGLISE

 

Aux journalistes

 

Le samedi 21 octobre, à 11 h, en la salle des Bénédictions, le Saint-Père a reçu en audience les journalistes de la presse, de la radio et de la télévision. En l'absence de Mgr Deskur, président delà commission pontificale des Moyens de communication sociales, retenu par la maladie, c'est le Père Romeo Panciroli, secrétaire de la commission, qui s'est adressé au pape pour lui présenter son auditoire. Le Saint-Père s'est longuement attardé, en entrant et en sortant, avec les journalistes, s'adressant à eux avec beaucoup de simplicité. Jean Paul II a prononcé le discours suivant en   français :

 

Mesdames, Messieurs,

 

Soyez les bienvenus ! Et soyez vivement remerciés de tout ce que vous avez fait, de ce que vous ferez, pour présenter au grand public, dans la presse, à la radio, à la télévision, les événements de l'Église catholique qui vous ont plusieurs fois rassemblés à Rome depuis deux mois.

Certes, au simple niveau professionnel, vous avez vécu des journées éprouvantes autant qu'émouvantes. Le caractère soudain, imprévisible, des faits qui se sont succédé, vous a obligé, à faire appel à une somme de connaissances en matière d'information religieuse qui vous étaient peut-être peu familières, puis à faire face, dans des conditions parfois fébriles, à une exigence qui connaît la maladie du siècle : la hâte. Pour vous, attendre la fumée blanche n'était pas une heure de tout repos !

Merci d'abord d'avoir fait si largement écho, avec un respect unanime, au labeur considérable et véritablement historique du grand pape Paul VI. Merci d'avoir rendu si familier le visage souriant et l'attitude évangélique de mon prédécesseur immédiat, Jean Paul Ier. Merci encore du relief favorable que vous avez donné au récent conclave, à mon élection et aux premiers pas que j'ai accomplis dans la lourde charge du pontificat. Dans tous les cas, ce fut l'occasion pour vous, non seulement de parler des personnes — qui passent — mais du Siège de Rome, de l'Église, de ses traditions et de ses rites, de sa foi, de ses problèmes et de ses espérances, de saint Pierre et du rôle du pape, des grands enjeux spirituels d'aujourd'hui, bref, du mystère de l'Église. Permettez que je m'arrête un peu sur cet aspect : il est difficile de bien présenter le vrai visage de l'Église.

Oui, les événements sont toujours difficiles à lire, et à faire lire. D'abord ils sont presque toujours complexes. Il suffit qu'un élément soit oublié par inadvertance, omis volontairement, minimisé ou au contraire accentué outre mesure, pour fausser la vision présente et les prévisions à venir. Les faits d'Église sont en outre plus difficiles à saisir pour ceux qui les regardent, je le dis en tout respect de chacun, en dehors d'une vision de foi, et plus encore à exprimer à un large public qui en perçoit difficilement le vrai sens. Il vous faut pourtant susciter l'intérêt et l'écoute de ce public, alors que vos agences vous demandent souvent et surtout du sensationnel. Certains sont alors tentés de tomber dans l'anecdote : c'est concret et ce peut être valable, mais à condition que l'anecdote soit significative et en rapport réel avec la nature du fait religieux. D'autres se livrent courageusement à une analyse très poussée des problèmes et des mobiles des personnes d'Église, avec le risque de rendre insuffisamment compte de l'essentiel qui, vous le savez, n'est pas d'ordre politique, mais spirituel. Finalement, de ce dernier point de vue, les choses sont souvent plus simples qu'on ne l'imagine : j'ose à peine parler de mon élection !

Mais ce n'est pas l'heure d'examiner en détail tous les risques et mérites de votre fonction d'informateurs religieux. Notons d'ailleurs qu'un certain progrès semble se dessiner ici et là, dans la recherche de la vérité, dans la compréhension et la présentation du fait religieux. Soyez félicités de la part que vous y avez prise.

Peut-être avez-vous été vous-mêmes surpris et encouragés par l'importance qu'y attribuait, dans tous les pays, un très large public que d'aucuns croyaient indifférent ou allergique à l'institution ecclésiastique et aux choses spirituelles. En réalité, la transmission de la charge suprême confiée par le Christ à saint Pierre, à l'égard de tous les peuples à évangéliser et de tous les disciples du Christ à rassembler dans l'unité, est vraiment apparue comme une réalité transcendant les événements habituels. Oui, la transmission de cette charge a un profond retentissement dans les esprits et dans les cœurs qui perçoivent que Dieu est à l'œuvre dans l'histoire. C'était loyal d'en prendre acte et d'y adapter les moyens de communication sociale dont vous disposez à des degrés divers.

Je souhaite précisément que les artisans de l'information religieuse puissent trouver l'aide dont ils ont besoin auprès d'instances d'Église qualifiées. Celles-ci doivent les accueillir dans le respect de leurs convictions et de leur profession, leur fournir une documentation très adéquate et très objective, mais aussi leur proposer une perspective chrétienne qui situe les faits dans leur véritable signification pour l'Église et pour l'humanité. Ainsi vous pourrez aborder ces reportages religieux avec la compétence spécifique qu'ils exigent.

Vous êtes très soucieux de la liberté de l'information et de l'expression : vous avez raison. Estimez-vous heureux d'en bénéficier ! Utilisez bien cette liberté pour cerner de plus près la vérité et initier vos lecteurs, vos auditeurs ou téléspectateurs à « ce qui est vrai et noble, à ce qui est juste et pur, à ce qui est digne d'être aimé et honoré », pour reprendre les mots de saint Paul (Ph 4, 8), à ce qui les aide à vivre dans la justice et la fraternité, à découvrir le sens ultime de la vie, à les ouvrir au mystère de Dieu si proche de chacun d'entre nous. Dans ces conditions, votre profession si exigeante et parfois si épuisante, j'allais dire votre vocation si actuelle et si belle, élèvera encore l'esprit et le cœur des hommes de bonne volonté, en même temps que la foi des chrétiens. C'est un service que l'Église et l'humanité apprécient.

J'ose vous inviter vous aussi à un effort de compréhension, comme à un pacte loyal : quand vous faites un reportage sur la vie et l'activité de l'Église, cherchez encore davantage à saisir les motivations authentiques, profondes, spirituelles, de la pensée et de l'action de l'Église. L'Église, de son côté, écoute le témoignage objectif des journalistes sur les attentes et les exigences de ce monde. Cela ne veut pas dire évidemment qu'elle modèle son message sur le monde de son temps : c'est l'Évangile qui doit toujours inspirer son attitude.

Je suis heureux de ce premier contact avec vous. Je vous assure de ma compréhension et je me permets de compter sur la vôtre. Je sais qu'en plus de vos problèmes professionnels -, sur lesquels nous reviendrons une autre fois, vous avez chacun vos soucis personnels, familiaux. Ne craignons pas de les confier à la Vierge Marie, qui se tient toujours aux côtés du Christ. Et au nom du Christ, je vous bénis de tout cœur.

 

 

 

22 octobre 1978

 

ALLER DE L'AVANT DANS LA VOIE DE L'UNITÉ

 

Aux délégués des autres Églises

 

C'est en cours d'après-midi le dimanche 22 octobre, que le pape a reçu en audience les délégations des Églises chrétiennes non catholiques qui avaient participé le matin à la célébration solennelle. La rencontre a eu lieu dans la bibliothèque privée de l'appartement. Chaque délégation a été accueillie séparément, puis Jean Paul II s'est adressé à tous, dans la bibliothèque, par le discours suivant prononcé en français :

 

Très chers Frères dans le Christ,

 

Nous voulons d'abord vous remercier du fond du cœur d'être venus ici aujourd'hui. Votre présence en effet témoigne de notre commune volonté d'établir entre nous des liens de plus en plus étroits et de surmonter les divisions héritées du passé, divisions qui sont, nous l'avons déjà dit, un intolérable scandale faisant obstacle à la proclamation de la bonne nouvelle du salut donné en Jésus-Christ, à l’annonce de cette grande espérance de libération dont le monde d'aujourd'hui a tant besoin.

En cette première rencontre, nous tenons à vous dire notre ferme volonté d'aller de l'avant sur la voie de l'unité dans l'esprit du deuxième Concile du Vatican et en suivant l'exemple de nos prédécesseurs. Une belle étape a déjà été parcourue, mais nous ne devons pas nous arrêter avant d'être arrivés au terme, avant d'avoir réalisé cette unité que le Christ veut pour son Église et pour laquelle il a prié.

La volonté du Christ, le témoignage à rendre au Christ, voilà le motif qui nous incite tous et chacun à ne pas nous lasser ou nous décourager dans cet effort. Nous avons confiance que celui qui a commencé cette œuvre parmi nous, nous donnera abondamment la force pour persévérer et pour la mener vers son terme.

Veuillez dire à ceux que vous représentez et à tous que l'engagement de l'Église catholique dans le mouvement œcuménique tel qu'il s'est solennellement exprimé dans le deuxième Concile du Vatican est irréversible.

Nous nous réjouissons de vos relations de confiance fraternelle et de collaboration avec notre Secrétariat pour l'unité. Nous savons que vous cherchez avec lui, patiemment, la solution des différends qui nous séparent encore, les moyens de progresser ensemble dans une fidélité toujours plus intégrale à tous les aspects de la vérité révélée en Jésus-Christ. Nous vous assurons que nous ferons tout pour vous aider.

Que l'Esprit d'amour et de vérité nous donne de nous retrouver souvent et de plus en plus proches les uns des autres, de plus en plus en communion profonde dans le mystère du Christ notre unique Sauveur, notre unique Seigneur. Que la Vierge Marie soit pour nous un exemple de cette docilité à l'Esprit-Saint qui est le centre le plus profond de l'attitude œcuménique que notre réponse soit toujours comme la sienne : je suis ton serviteur, qu'il me soit fait selon ta parole (cf. Le 1,19).

 

 

 

23 octobre 1978

 

LE SOUCI DU BIEN DE L'ÉGLISE ET DE LA FAMILLE HUMAINE

 

Aux Missions spéciales

 

Le Saint-Père a reçu en audience, dans la matinée du lundi 23 octobre, les Chefs d'État et les membres des Missions extraordinaires qui avaient assisté la veille à la célébration solennelle en l'honneur du début de son pontificat. Après avoir accordé une audience privée à chacun des Chefs d'État, Jean Paul II s'est adressé en français aux membres des délégations en ces termes :

 

Excellences, Mesdames, Messieurs,

 

Voici quelques semaines seulement mon prédécesseur Jean Paul Ier accueillait les membres des semblables Missions avec le sourire et la simplicité qui lui avaient gagné tous les cœurs. Dans son souvenir inoubliable, je vous exprime à mon tour ma chaleureuse gratitude pour votre participation à la cérémonie d'ouverture de mon pontificat Ma gratitude va d'abord à vous qui présidez au destin de vos nations : je suis très touché que vous soyez venus en personne. Merci également à ceux qui ont été désignés par leur Gouvernement et qui assument souvent une part importante dans la conduite des affaires publiques. Merci aux peuples et organisations internationales que vous représentez. Oui, votre présence a été pour moi une joie et un honneur .vivement ressentis. Et surtout, elle m'a paru significative de l'hommage rendu à l'Église catholique et au Saint-Siège pour leur action au service de l'Évangile et de l'humanité.

Certes, les hommes d'État et leurs collaborateurs qualifiés ont d'abord la responsabilité de leur propre nation et du bien de leurs concitoyens. Mais la certitude s'impose de plus en plus, et vous en les premiers convaincus, qu'il ne peut y avoir de progrès humain véritable ni de paix durable sans la recherche courageuse, loyale, désintéressée, d'une coopération et d'une unité croissantes entre les peuples. Pour cela, l'Église encourage toutes les initiatives qui peuvent être prises, tous les pas qui peuvent être accomplis, au plan bilatéral ou multilatéral. N'est-ce pas souvent le seul moyen de commencer à dénouer des problèmes apparemment insolubles ? Par ailleurs, les Organisations internationales dont les représentants sont ici à côté de ceux des États, ont un rôle extrêmement important et que je souhaite toujours plus efficace. Je suis heureux de souligner leur contribution, à la veille précisément de la « Journée mondiale des Nations Unies ».

Oui, dans une conjoncture souvent difficile, vous avez d'énormes responsabilités, qui vous demandent beaucoup de lucidité, de ténacité, d'ouverture, dans le respect des exigences fondamentales de l'homme. Comment ne pas apprécier ces efforts, dans la marche tâtonnante de l'humanité vers son progrès et son unité ? Ils méritent estime et encouragement.

Les chrétiens sont d'autant plus sensibles à cette vocation des hommes à la coopération et à l'unité que au plan du salut, le message évangélique leur révèle que Jésus de Nazareth « est mort afin de rassembler dans l'unité tous les fils de Dieu dispersés » (Jn 11, 52) Ce texte avait sans doute frappé le célèbre évêque d'Hippone, saint Augustin, qui présente l'humanité créée à l'image de Dieu comme brisée en quelque sorte par le péché et remplissant de ses débris tout l'univers : « Mais la miséricorde divine en a rassemblé de partout les fragments, elle les a fondus au feu de sa charité, elle a reconstitué leur unité brisée » (Ennarationes in Psalmos, 95, 15, PL 37, 1236).

L'Église, elle, en poursuivant sa fin spécifique de conduire les hommes sur la voie du salut, est persuadée de pouvoir également contribuer efficacement, grâce à l'amour évangélique, à cette œuvre de reconstitution de l'unité, à l'humanisation toujours plus profonde de la famille humaine et de son histoire (cf. Const. Gaudium et Spes, n.40).C'est aussi pour cela que le Saint-Siège établit des relations avec chacun de vos Gouvernements et participe aux activités des Organisations internationales. Je suis heureux de constater l'estime et la confiance avec laquelle la Communauté internationale comprend et accueille une action qui n'a d'autre but que de la servir.

Est-il besoin d'ajouter, Excellences, Mesdames, Messieurs, que les principes qui guidaient mes prédécesseurs, et particulièrement le regretté pape Paul VI, continueront à inspirer l'action du Saint-Siège ? Élu évêque de Rome et héritier de l'apôtre Pierre dans l'exercice de sa charge, c'est inséparablement le souci du bien de toute l'Église et celui de toute la famille humaine qui guideront mes efforts. D'ores et déjà, je remercie les pays et les institutions que vous représentez de la compréhension toujours plus grande, j'ose l'espérer, qu'ils témoigneront de manière effective à l'égard des besoins proprement spirituels de l'homme et de la manière dont ils accueilleront l'engagement du Saint-Siège à cet égard.

Au-delà de vos personnes; je salue avec cordialité chacun des peuples et des nations auxquels vous appartenez, et chacune des organisations internationales auxquelles vous vous dévouez. Que le Seigneur les bénisse, qu' il inspire leur action ! Et qu'il vous accorde, ainsi qu'à vos familles, les dons de sa grâce et de sa paix !

 

 

 

28 octobre 1978

 

NÉCESSITÉ DE LA PRÉSENCE ACTIVE DANS LE MONDE D'HOMMES ADULTES CATHOLIQUES

 

Audience de Jean Paul II à la Fédération internationale des hommes catholiques

 

Le 28 octobre, le Saint-Père a reçu en audience les participants à l'Assemblée générale de la Fédération internationale des hommes catholiques « Unum Omnes » qui se déroulait à ce moment à Rome. La délégation, présidée par le président de la Fédération Fers Niehaus, et accompagnée par le secrétaire général Emile Inglesis et par Mgr Paul Grichting, comptait quelque soixante-dix dirigeants provenant d'Europe, d'Amérique latine, d'Amérique du Nord, d'Afrique et d'Asie.

La Fédération « Unum Omnes », qui célèbre cette année le trentième anniversaire de sa fondation à Lourdes en 1948, s'était réunie à Rome pour examiner le thème : « L'Église et les droits de l'homme».

 

Chers Amis,

 

La Fédération internationale des hommes catholiques « Unum Omnes », qui regroupe des Associations nationales de plus de trente pays des divers continents, célèbre cette année le trentième anniversaire de sa fondation. C'est une joie, au début de mon pontificat, de m'adresser pour la première fois à l'une de ces Organisations internationales catholiques appelées à apporter une contribution importante à la mission de l'Église, c'est-à-dire à l'évangélisation et à l'animation chrétienne du monde. Joie de prendre contact particulièrement avec votre Fédération qui a toujours développé ses activités dans une grande fidélité à l'Église, en communion étroite avec la hiérarchie et en ayant le souci constant des aspirations et des problèmes actuels. Je désire seulement souligner aujourd'hui quelques caractéristiques des Organisations nationales, membres de la Fédération, et de la Fédération elle-même, dans une perspective d'approfondissement et de renouveau.

Votre Fédération est une Organisation internationale d'hommes adultes. En mettant tout d'abord cet aspect en relief, il ne s'agit pas de sous-estimer la participation si importante des femmes, des jeunes et des enfants eux-mêmes à la mission de l'Église, dans de nombreux domaines de la vie sociale et ecclésiale.

Mais il s'agit d'insister sur la nécessité de la présence active dans le monde d'hommes adultes catholiques, sur la nécessité de leur témoignage chrétien et de leur action apostolique, pour que l'Église, comme un levain, pénètre réellement toute la société humaine, structurée comme elle l'est et marquée par tant d'idéologies étrangères à l'esprit de l'Évangile. Comment, d'autre part, rejoindre tous ces hommes, souvent si engagés et si absorbés par leurs responsabilités ou préoccupations terrestres qu'ils en négligent ou même oublient la dimension religieuse de leur vie ? N'est-ce pas grâce à d'autres hommes, semblables à eux, engagés comme eux, mais qui, sans trêve, cherchent et adorent Dieu, suivent et servent le Seigneur Jésus-Christ ?

Comment ne pas souhaiter que partout dans le monde, des hommes catholiques, de toute condition sociale et assumant des responsabilités temporelles à tous les niveaux, puissent s'unir dans des associations apostoliques, bien insérées dans les paroisses et les cités, pour y trouver la solide formation chrétienne qui leur est nécessaire, pour s'entraider et se préparer à porter un vrai témoignage apostolique, adapté aux besoins présents et animé par l'esprit d'amour, de service et de renouveau selon l'Évangile ? Cette insertion locale appelle évidemment échanges et concertation au plan diocésain, national et international.

Votre Fédération et ses organisations membres sont catholiques. C'est une des caractéristiques essentielles de ces associations d'action catholique, bien mise en lumière par le récent Concile : poursuivre, « en union particulièrement étroite avec la hiérarchie des buts proprement apostoliques... dans l'ordre de l'évangélisation, de la sanctification des hommes et de la formation chrétienne de leur conscience, afin qu'ils soient en mesure de pénétrer de l'esprit de l'Évangile les diverses communautés et les divers milieux » (Décret Apostolicam actuositatem, n. 20).

Le Saint-Siège apprécie hautement ce profond sens ecclésial de la Fédération et vous encourage vivement à l'entretenir à tous les niveaux.

Il est capital enfin que votre Fédération garde le souci de donner à ses membres la formation appropriée pour qu'ils puissent assumer pleinement leurs responsabilités de laïcs, car, dans un monde menacé par la sécularisation, ils doivent mener une action séculière chrétienne, cherchant le règne de Dieu à travers la gérance des choses temporelles (cf. Const. Lumen Gentium, n. 31).

Le thème étudié dans la présente Assemblée, « les droits de l'homme », est un signe de votre désir d'être très présents aux réalités sociales de notre temps. Cette étude, faite à la lumière de l'Évangile, vise des objectifs concrets : l'engagement personnel et l'action concertée des chrétiens en vue de promouvoir, défendre et faire respecter ces droits dans la société humaine. Et par là même, elle contribuera à accroître le rayonnement de l'Église à travers l'action de ses membres laïcs.

Je souhaite que les travaux de votre Assemblée soient très fructueux. Merci pour la tâche accomplie au service de l'Église au cours de ces trente années ; poursuivez-la, dans la foi, l'espérance et la charité. Je demande au Seigneur de vous guider et je vous bénis de grand cœur, vous qui êtes ici présents, avec vos aumôniers, ainsi que tous les membres de la Fédération et leurs familles.

Permettez-moi d'ajouter un mot en anglais pour vous dire la joie que me donne cette occasion de me trouver en compagnie du Conseil international des hommes catholiques. Je désire vous exprimer mon admiration pour votre dévouement à la cause du Seigneur Jésus. Par le baptême et la confirmation, il vous a invités à prendre part à la mission de l'Église — à sa mission de salut. Et le pape vous est profondément reconnaissant pour tout ce que vous faites pour le progrès du royaume de Dieu, celui de la vérité et de la vie, de la sainteté et de la grâce, de la justice, de l'amour et de la paix. Il est comblé de joie, à vous avoir pour partenaires dans l'Évangile du Christ.

Je recommande vos activités à Marie, Mère de Dieu et Mère de l'Église, lui demandant de vous maintenir fermes dans la foi en son Fils, Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, afin que Je monde « voyant vos œuvres, en rende gloire à votre Père qui est dans les cieux » (Mt 5, 16). Avec ma bénédiction apostolique.

 

 

 

30 octobre 1978

 

LE RÔLE PRIMORDIAL DE LA FAMILLE

 

Le pape aux membres d'une Conférence internationale

 

Dans la salle Clémentine, le pape Jean Paul II a reçu en audience, le lundi 30 octobre, les participants au IIIe Congrès international de la famille, présidé par le professeur Piernicola De Leonardis. Il s'est adressé aux congressistes en ces termes :

 

C'est toujours une joie pour le pape de rencontrer des pères et des mères de famille, très conscients de leurs responsabilités d'éducateurs chrétiens. Et c'est une grâce de voir surgir aujourd'hui dans l'Église de nombreuses initiatives de soutien des familles.

Je n'ai pas besoin, devant vous, d'insister sur le rôle primordial de la famille dans l'éducation humaine et chrétienne. Le récent Concile, en plusieurs de ses textes, a mis heureusement en relief la mission des parents « premiers et principaux éducateurs », difficilement remplaçables (Déclaration Gravissimum educationis. n. 3). C'est pour eux un droit naturel, puisqu'ils ont donné la vie à leurs enfants ; c'est aussi la meilleure façon d'assurer une éducation harmonieuse, en raison du caractère tout à fait original des relations parents-enfants, et de l'atmosphère d'affection et de sécurité que les parents peuvent créer dans le rayonnement de leur propre amour (cf. Const. Gaudium et Spes, N. 52). La plupart des sociétés civiles ont dû reconnaître elles-mêmes le rôle particulier et nécessaire des parents dans la première éducation. Au plan international, la « Déclaration des droits de l'enfant », qui est pour le moins le signe d'un très large consensus, a admis que l'enfant « doit, autant que possible, grandir sous la sauvegarde et sous la responsabilité de ses parents » (principe 6). Souhaitons que cet engagement se traduise toujours davantage dans les faits, surtout durant l'Année internationale de l'enfant qui va bientôt commencer.

Mais il ne suffît pas d'affirmer et de défendre ce principe du droit des parents. Il faut surtout se soucier de les aider à bien accomplir ce métier difficile de l'éducation en nos temps modernes. En ce domaine, la bonne volonté, l'amour même, ne sont pas suffisants. C'est un savoir-faire que les parents doivent acquérir, avec la grâce de Dieu, d'abord en fortifiant leurs propres convictions morales et religieuses, en donnant l'exemple, en réfléchissant aussi sur leur expérience, entre eux, avec d'autres parents, avec des éducateurs experts, avec des prêtres. Il s'agit d'aider les enfants et les adolescents «à apprécier sainement les valeurs morales et à les embrasser dans une adhésion personnelle et, tout autant, à connaître et à aimer Dieu plus parfaitement » (déclaration Gravissimum educationis, n. 1). Cette éducation de leur discernement, de leur volonté et de leur foi est tout un art ; l'atmosphère familiale doit être faite de confiance, de dialogue, de fermeté, de respect bien compris de la liberté naissante : toutes choses qui permettent une initiation progressive à la rencontre du Seigneur et aux habitudes qui honorent déjà l'enfant et préparent l'homme de demain. Puissent vos enfants acquérir dans vos familles une « première expérience de l'Église et de l'authentique vie humaine en société » (cf. ibid., n. 3) ! Il vous reviendra aussi de les introduire peu à peu dans des communautés éducatives plus larges que la famille. Celle-ci doit alors accompagner ses adolescents avec un amour patient, dans l'espérance et, sans démissionner, coopérer avec les autres éducateurs. Ainsi, affermis dans leur identité chrétienne pour affronter comme il convient un monde pluraliste, souvent indifférent, voire hostile à leurs convictions, ces jeunes pourront devenir forts dans la foi, servir la société et prendre une part active à la vie de l'Église, en communion avec leurs pasteurs et en mettant en œuvre les orientations du Concile Vatican II.

Que l'exemple et la prière de la Vierge Mère vous aident dans votre magnifique mission ! Je suis heureux de bénir vos familles et d'encourager, au-delà de vos personnes, tous les parents et associations de parents soucieux d'éducation chrétienne.

 

 

 

4 novembre 1978

 

BONNE FÊTE, SAINT-PÈRE !

 

Le samedi 4 novembre, l'Église célèbre la fête de saint Charles Borromée, le grand archevêque de Milan, celui qui a consacré toutes ses forces à la mise en application du Concile de Trente. Il se trouve que c'est aujourd'hui la fête du pape Jean Paul II qui a reçu, à son baptême le nom de Karol.

 

Je désire de tout cœur vous remercier pour les expressions de bienveillance au regard de ma personne. Le jour de la fête fait toujours converger l'attention et la bienveillance des plus proches, des familiers, sur la personne qui porte un nom déterminé. Ce nom nous rappelle l'amour de nos parents, qui en nous l'imposant voulaient d'une certaine manière déterminer la place de leur enfant dans cette communauté d'amour qu'est la famille. Par ce nom, eux d'abord, se sont adressés à lui, et avec eux, tous les frères et les sœurs, les parents, les amis et les compagnons. Et ainsi le nom a tracé la route de l'homme parmi les hommes ; parmi les hommes plus proches et plus affectionnés.

Cependant le mystère du nom va au-delà. Les parents qui ont imposé le nom à leur enfant au baptême voulaient définir sa place dans la grande assise d'amour qu'est la Famille de Dieu. L'Église sur la terre tend sans cesse aux dimensions de cette famille dans le mystère de la Communion des Saints. En imposant le nom à leur enfant, les parents veulent l'introduire dans la continuité de ce mystère.

Mes très chers parents m'ont donné le nom de Karol (Charles) qui était aussi le nom de mon père. Certainement ils n'ont jamais pu prévoir (l'un et l'autre sont morts jeunes) que ce nom aurait ouvert à leur enfant la voie parmi les grands événements de l'Église d'aujourd'hui.

Saint Charles ! Combien de fois me suis-je agenouillé devant ses reliques au. Dôme de Milan ! Combien de fois ai-je repensé à sa vie, contemplant dans mon esprit la gigantesque figure de cet homme de Dieu et serviteur de l'Église, Charles Borromée, Cardinal, Évoque de Milan, et homme du Concile ! Il est un des grands protagonistes de la réforme de l'Église au XVIe siècle, opérée par le Concile de Trente, qui restera pour toujours liée à son nom. Il a été également l'un des créateurs de l'institution des séminaires ecclésiastiques, reconfirmée dans toute sa substance par le Concile Vatican II. Il fut, en plus, serviteur des âmes, qui ne se laissait jamais dominer par la peur ; serviteur des souffrants, des malades, des condamnés à mort.

Mon Patron !

En son nom mes parents, ma paroisse, ma patrie avaient l'intention de me préparer dès le début à un service singulier envers l'Église, dans le contexte du Concile d'aujourd'hui, avec les nombreux devoirs attachés à sa réalisation, et aussi dans l'ensemble des expériences et souffrances de l'homme de nos jours.

Que Dieu vous récompense, vénérés Frères, Cardinaux de la Sainte Eglise Romaine, parce qu'en ce jour vous avez voulu avec moi vénérer saint Charles dans mon indigne personne. Que Dieu récompense tous ceux qui le font unis à Vous.

Puisse-je, au moins en partie, être son imitateur !

J'espère que vos prières, les prières de tous les hommes bons, nobles, bienveillants, mes frères et sœurs, m'aideront en cela.

Et maintenant, avant de terminer ce discours, qu'il me soit permis de m'adresser d'une façon spéciale à Vous, vénéré et cher Doyen du Sacré Collège, porteur du même nom de Charles.

Nous avons un même Patron et nous avons notre fête le même jour.

Échangeons les meilleurs vœux de fête. Et je le fais du fond du cœur avec une très vive reconnaissance.

Le doyen du Sacré Collège m'a donné des preuves d'une grande bienveillance en ces premiers jours de mon pontificat Ses paroles, chaque fois qu'il parle, sont pleines d'amour, et de dévouement ; et moi je reçois les expressions qu'il m'a adressées aujourd'hui comme un signe de singulier appui pour mes premiers pas au début de ma nouvelle Mission. Je vous remercie de tout cœur.

Et je prie afin que saint Charles, notre Patron commun, bénisse votre personne durant toute votre vie, durant tous vos jours pleins d'amour pour l'Église et marqués de l'esprit de consécration et de service, qui nous édifie tous.

Avec ma spéciale bénédiction apostolique.

 

 

 

5 novembre 1978

 

JEAN PAUL II ET LES « PATRONS » DE L'ITALIE

 

Le dimanche 5 novembre, Jean Paul II a quitté le Vatican vers 13 h, pour se rendre en hélicoptère, à Assise. De retour au Vatican, dans le milieu de l'après-midi, il en ressortait peu après pour se rendre dans le centre historique de Rome, à l'église dite de la « Minerva», où se trouve le corps de sainte Catherine de Sienne. Le but de ce double voyage est clair: le pape s'est rendu près des tombes des deux saints patrons de l'Italie : François d'Assise et Catherine de Sienne. Par là, il témoigne de son insertion complète en Italie comme évêque de Rome.

 

Voici la traduction des discours prononcés par lui à cette occasion :

 

Me voici à Assise en ce jour que j'ai voulu consacrer d'une façon spéciale aux Saints Patrons de cette terre : l'Italie, terre où Dieu m'a appelé afin que je puisse servir comme successeur de saint Pierre. Du fait que je ne suis pas né sur ce sol, je sens plus que jamais le besoin d'une « naissance » spirituelle en lui. Et pour cela, en ce dimanche, je viens en pèlerin à Assise aux pieds du saint « povorello » François, qui a inscrit en caractères incisifs l'Évangile du Christ dans le cœur des hommes de son temps. Nous ne pouvons nous étonner que ses concitoyens aient voulu voir en lui le Patron de l'Italie. Le Pape, qui par sa mission doit avoir devant les yeux l'Église universelle, épouse du Christ, dans les diverses parties du globe, a besoin en particulier sur son siège de Rome, de l'aide du Saint Patron d'Italie, il a besoin de l'intercession de saint François d'Assise.

Et pour cela aujourd'hui, il arrive ici.

Il vient pour visiter cette ville toujours témoin de la merveilleuse aventure divine, qui s'est déroulée entre le XIIe et le XIIIe siècle. Elle est le témoignage de cette surprenante sainteté qui passa ici comme un grand souffle de l'Esprit. Souffle auquel participent saint François d'Assise, sa sœur spirituelle, sainte Claire et tant d'autres saints nés de leur spiritualité évangélique. Le message franciscain s'est étendu loin au-delà des frontières d'Italie, et bien vite il est arrivé même en Pologne, d'où je proviens. Et il produit toujours des fruits abondants comme du reste en d'autres pays du monde et en d'autres continents.

Je vous dirai qu'étant archevêque de Cracovie, j'habitais près d'une très antique église franciscaine, et de temps en temps, j'allais prier en ce lieu, faire le « Chemin de Croix » et visiter la chapelle de la Vierge des Douleurs. Moments inoubliables pour moi ! Il faut se rappeler, n'est-ce pas que, de ce magnifique tronc de la spiritualité franciscaine, est né le bienheureux Maximilien Kolbe, Patron de nos temps difficiles.

Je ne puis passer sous silence que précisément à Assise, dans cette Basilique, en 1253, le Pape Innocent IV a proclamé saint l'Évêque de Cracovie le martyr Stanislas, maintenant Patron de la Pologne dont jusqu'à il y a peu de temps, j'étais l'indigne successeur.

Pour cela aujourd'hui, en posant, pour la première fois comme Pape, les pieds ici, à la source de ce grand souffle de l'Esprit, de cette merveilleuse renaissance de l'Église et de la chrétienté au XIIIe siècle, mon cœur s'ouvre vers notre Patron et s'écrie : « Toi qui as tant travaillé à rapprocher le Christ de ton époque, aide-nous à faire de même pour notre époque, en ces temps critiques et difficiles».

Aide-nous ! Cette époque attend le Christ avec une anxiété grandissante, bien que beaucoup d'hommes d'aujourd'hui ne s'en rendent pas compte. Nous nous approchons de l'an deux mille après le Christ. N'y aura-t-il pas des temps pour nous préparer à une renaissance du Christ, à un nouvel A vent ? Nous, chaque jour, dans la prière eucharistique nous exprimons notre attente, adressée à Lui seul, notre Rédempteur et Sauveur, à Lui qui est l'accomplissement de l'histoire de l'homme et du monde.

Aide-nous, saint François d'Assise à rapprocher le Christ de l'Église et du monde d'aujourd'hui.

Toi, qui as porté dans Ton cœur les vicissitudes de tes contemporains, aide-nous, avec le cœur proche du Rédempteur, à embrasser tout ce qui touche les hommes de notre époque !

Les difficiles problèmes sociaux, économiques, politiques, de la culture et de la civilisation contemporaines, toutes les souffrances de l'homme d'aujourd'hui, ses doutes, ses négations, ses débandades, ses tensions, ses complexes, ses inquiétudes... Aide-nous à traduire tout cela dans le langage simple et fructueux de l'Évangile.

Aide-nous à résoudre toute chose à la manière évangélique afin que le Christ lui-même puisse être « Voie, Vérité, Vie » pour l'homme de notre temps.

Moi, le Pape Jean Paul II, fils de la terre polonaise, je te demande cela, à Toi fils saint de l'Église, fils de la terre italienne. Et j'espère que tu ne le lui refuseras pas, que tu l'aideras. Tu as toujours été bon et tu t'es toujours empressé de porter secours à tous ceux qui se sont adressés à toi.

Je remercie vivement S. Em. le cardinal Silvio Oddi, délégué pontifical pour la basilique de Saint-François d'Assise et S. Exc. Monseigneur Dino Tomasini, évêque d'Assise, tous les archevêques et évêques de la Région pastorale de l’Ombrie, ainsi que les prêtres des divers diocèses.

Un salut et un grand merci spécial au Ministre général des quatre Familles franciscaines, à la Communauté de la Basilique de Saint-François, à tous les franciscains, à toutes les familles religieuses — religieux et religieuses — qui s'inspirent de la Règle et du style de vie de saint François d'Assise ! Je vous dis ce que je ressens au fond de mon cœur :

Le Pape vous remercie pour votre fidélité à votre vocation franciscaine !

Le Pape vous remercie pour votre travail apostolique, évangélique et missionnaire.

Le Pape vous remercie pour vos prières à ses intentions.

Le Pape vous assure de son souvenir dans la prière.

Servez le Seigneur avec joie !

Soyez serviteurs de son peuple avec allégresse parce que saint François a voulu que vous soyez des serviteurs joyeux de l'humanité, capables d'allumer la lampe de l'espérance, de la confiance, de l'optimisme qui trouve sa source dans le Seigneur lui-même. Qu'aujourd'hui et toujours vous serve d'exemple, notre commun saint Patron, saint François d'Assise !

 

A l'église de la « Minerve » à Rome

 

Nous arrivons désormais au soir de cette journée que j'ai voulu consacrer d'une façon particulière aux saints Patrons de l'Italie. Élu par le Sacré Collège des cardinaux comme successeur de saint Pierre, c'est avec une profonde appréhension que j'ai accepté ce service, en y voyant la volonté de notre Seigneur Jésus-Christ. Quand j'ai bien pris conscience de ne pas être natif de cette terre, mais d'être un étranger par rapport à elle, j'ai pensé à la figure de saint Pierre, lui aussi étranger à Rome, Ainsi, en esprit de foi, par obéissance, j'ai accepté cette élection, en vertu de laquelle je suis devenu successeur de Pierre et Évêque de Rome.

Je ressens donc d'autant plus le besoin de m'insérer sur cette nouvelle terre que Pierre a choisie, en venant de Jérusalem, par Antioche jusqu'à Rome. Et il l'a choisie pour établir en elle sa chaire apostolique. Cette terre m'a toujours été proche ; maintenant, elle doit devenir ma seconde patrie, et voilà pourquoi j'ai eu l'idée d'exprimer aujourd'hui, de façon spéciale, mon union avec cette terre, avec l'Italie. Je désire faire partie de cette terre dans toute sa richesse historique et, en même temps, dans toute sa réalité d'aujourd'hui. Il est un témoignage particulier de chaque patrie terrestre des hommes : ce sont les Saints propres à ce pays, parmi lesquels précisément figurent ces deux-là : Sainte Catherine de Sienne et Saint François d'Assise, qui ont été proclamés Patrons de l'Italie.

Ici, devant les reliques de sainte Catherine, je dois encore une fois remercier la divine Sagesse d'avoir voulu se servir de ce cœur de femme, à la fois simple et profond, pour montrer, dans une période d'incertitude, le chemin à l'Église et, spécialement, aux Successeurs de Pierre. Quel amour et quel courage ! Quelle merveilleuse simplicité, mais aussi quelle merveilleuse profondeur d'âme : une âme ouverte à toutes les inspirations de l'Esprit, consciente de sa mission.

Je souhaite de tout cœur que, à notre époque sainte Catherine, Docteur de l'Église, continue à être la patronne qui accorde à tous les hommes la conscience de leur vocation chrétienne. Conscience qui, d'une façon particulière, doit mûrir et s'approfondir pour que l'Église puisse remplir la mission que lui a confiée le Christ et la remplir en correspondant aux besoins de notre temps !

En sainte Catherine de Sienne, je vois un signe visible de la mission de la femme dans l'Église. Je voudrais dire beaucoup de choses à ce sujet, mais le court espace de temps dé cette journée ne me le permet pas. L'Église de Jésus-Christ et des apôtres est en même temps l'Église-mère et l'Église-épouse. De telles expressions bibliques révèlent avec clarté de quelle façon profonde la mission de la femme est inscrite dans le mystère de l'Église. Puissions-nous ensemble découvrir la signification multiforme de cette mission, en allant, la main dans la main avec le monde féminin d'aujourd'hui, en s'appuyant sur les richesses que, dès l'origine, le Créateur a mises dans le cœur de la femme et sur la sagesse admirable de ce cœur que Dieu a voulu manifester, voici bien des siècles, en sainte Catherine de Sienne.

De même que, en ce temps-là, elle servit de maître et de guide aux Papes éloignés de Rome, qu'elle soit aujourd'hui l'inspiratrice du Pape venu à Rome et qu'elle rapproche de lui, non seulement sa propre patrie, mais aussi toutes les terres du monde en lui permettant d'embrasser d'un seul coup l'Église universelle.

Avec ces vœux, de grand cœur, je vous bénis.

 

 

 

8 novembre 1978

 

AUX ENFANTS ET AUX JEUNES GENS

 

Je vous salue de tout cœur et vous dis que particulièrement grande est la joie que m'apporte aujourd'hui votre nombreuse et affectueuse présence. On se trouve toujours bien avec les jeunes.

Le Pape aime tout le monde, chaque homme et tous les hommes, mais il a une préférence pour les plus jeunes parce que ceux-ci avaient une place privilégiée dans le cœur de Jésus, qui désirait rester avec les enfants (Me 10, 14 ; Le 18, 16) et s'entretenir avec les jeunes ; c'est particulièrement aux jeunes qu'il adressait son appel (Mt 19, 21) ; et Jean, l'Apôtre le plus jeune, était son préféré.

Je vous remercie donc vivement pour être venus me voir, m'apportant le don précieux de votre jeunesse, de vos yeux pleins de joie et de vie, de vos visages resplendissant d'idéal.

En cette première rencontre je désire, en plus de l'intensité de mes sentiments d'affection, vous exprimer mon espérance. Oui, mon espérance, parce que vous êtes la promesse de demain. Vous êtes l'espérance de l'Église et de la société.

En vous contemplant, je pense en frémissant, et avec confiance, à ce qui vous attend dans la vie et à ce que vous serez dans le monde de demain ; comme viatique pour votre vie, je désire vous laisser trois pensées :

- cherchez Jésus ;

- aimez Jésus ;

- témoignez Jésus.

 

1. Avant tout, « cherchez Jésus » !

On ne saurait, aujourd'hui moins que jamais, en rester à une foi chrétienne superficielle ou de type sociologique : les temps, vous le savez, sont changés. Le développement de la culture, l'influence continue des mass média, la connaissance des événements humains du passé et du présent, l'accroissement de la sensibilité et du besoin de certitude et de clarté au sujet des vérités fondamentales, la présence massive dans la société et dans la culture de conceptions athées agnostiques et, également, anti-chrétiennes, imposent d'avoir une foi personnelle, c'est-à-dire recherchée avec la hantise de la vérité pour être ensuite vécue intégralement.

Il faut par conséquent parvenir à une conviction claire et certaine de la vérité de sa propre foi chrétienne, et donc, en premier lieu, de l'historicité et de la divinité du Christ et de la mission de l'Église qu'il a voulue et fondée.

Quand on est vraiment convaincu que Jésus est le Verbe Incarné et qu'il est encore aujourd'hui présent dans l'Église, alors on accepte totalement sa « parole », parce qu'elle est parole divine qui ne trompe pas, qui ne se contredit pas, qui nous donne l'unique et véritable sens de la vie et de l'éternité. C'est Lui seul en effet qui a des paroles de vie éternelle ! Lui seul est la voie, la vérité et la vie !

Je vous répète donc : cherchez Jésus en lisant et étudiant l'Évangile ; en lisant quelque bon livre ; cherchez Jésus, tirant profit en particulier de la leçon de religion dans les écoles, les catéchismes, les réunions dans vos paroisses.

Chercher personnellement Jésus donne, avec l'anxiété et la joie de découvrir la vérité, une profonde satisfaction intérieure et une grande force spirituelle pour mettre alors en pratique ce qu'il exige, même si cela impose des sacrifices.

 

2. En deuxième lieu, je vous dis : aimez Jésus !

Jésus n'est pas une idée, un sentiment, un souvenir ! Jésus est une « personne » toujours vivante et présente parmi nous !

- Aimez Jésus présent dans l'Eucharistie. Il est présent de manière sacrificatoire dans la Sainte Messe qui renouvelle le Sacrifice de la Croix. Aller à la Messe signifie aller au Calvaire pour le rencontrer, Lui, notre Rédempteur.

Il vient en nous dans la Sainte Communion et demeure présent dans les Tabernacles de nos églises parce qu'il désire être particulièrement l'ami et, sur le chemin de la vie, le soutien des jeunes, le vôtre, chers enfants et jeunes gens, qui avez tant besoin de confiance et d'amitié.

- Aimez Jésus présent dans l'Église au moyen de ses prêtres, présent dans la famille au moyen de vos parents et de ceux qui vous aiment.

- Aimez Jésus présent spécialement en ceux qui souffrent de l'une ou l'autre manière : physiquement, moralement, spirituellement. Que ce soit pour vous un engagement et un programme d'aimer votre prochain en découvrant en lui le visage du Christ.

 

3. Et enfin je vous dis : témoignez le Christ par votre foi courageuse et par votre innocence.

Il est vain de se lamenter sur la méchanceté des temps. Comme l'écrivait déjà saint Paul, il faut vaincre le mal en faisant le bien (Rm 12, 21) .

Le monde estime et respecte le courage des idées et la force des vertus. N'ayez pas peur de bannir les paroles, les gestes, les attitudes non conformes aux idéaux chrétiens. Ayez le courage de repousser ce qui détruit votre innocence ou nuit à la fraîcheur de votre amour pour le Christ.

Chercher, aimer, témoigner Jésus ! Voilà votre mission ; voilà la consigne que je vous laisse ! En agissant ainsi, non seulement vous conserverez la vraie joie dans votre vie, mais vous ferez aussi du bien à la société tout entière qui a besoin avant tout d'être cohérente avec le message évangélique.

C'est ce que, de tout cœur, je souhaite pour vous, tandis que cordialement je vous bénis, vous, tous ceux qui vous sont chers et tous ceux qui se consacrent à votre formation.

 

 

 

9 novembre 1978

 

LE PAPE AU CLERGÉ DE ROME

 

Le jeudi 9 novembre, le Saint-Père a reçu en audience, dans la Salle des Bénédictions, le clergé de Rome. Celui-ci a accueilli le Souverain Pontife avec une très grande ferveur. Le cardinal-vicaire Ugo Poletti a présenté le diocèse de Rome au Pape. Celui-ci s'est alors adressé aux prêtres par un discours en italien dont voici la traduction :

 

Monsieur le Cardinal,

 

Je désire vous remercier de tout cœur pour les paroles que vous m'avez adressées au début de notre rencontre d'aujourd'hui. Avec le Cardinal-Vicaire, Mgr le Vice-Gérant et les évoques auxiliaires sont ici présents, les membres du clergé romain pour rencontrer le nouvel évêque de Rome, que le Christ a désigné au moyen du vote des Cardinaux au cours du Conclave du 16 octobre, après la mort inopinée du bien-aimé Pape Jean Paul Ier. Je dois vous avouer, chers Confrères, que j'ai fort désiré cette, rencontre et l'ai vivement attendue. Toutefois, assumant l'héritage de mes vénérables Prédécesseurs — en fait à peine trois mois nous séparent de la mort du grand Pape Paul VI — j'ai pensé qu'il convenait de le faire graduellement. D'autant plus que les circonstances sont particulièrement insolites.

La succession des Evêques de Rome compte pour la première fois après 455 ans un Pape qui vient d'au-delà des frontières italiennes. C'est pourquoi j'ai cru bon de faire précéder ma prise de possession du diocèse de Rome liée à l'entrée solennelle dans la Basilique Saint-Jean de Latran, par une période de préparation. Entre-temps, j'ai voulu m'insérer dans le magnifique courant de la tradition chrétienne d'Italie, exprimée par la figure de ses Saints Patrons : Saint François d'Assise et Sainte Catherine de Sienne. Après cette préparation, je désire accomplir le devoir fondamental de mon pontificat, c'est-à-dire prendre possession de Rome comme Diocèse, comme Église de cette ville, assumer officiellement la responsabilité de cette communauté, de cette tradition dont l'origine remonte à l'Apôtre Saint Pierre. Je suis parfaitement conscient d'être devenu Pape de l'Église Universelle, parce que Evêque de Rome. Le ministère (munus) de l'évêque de Rome en tant que successeur de Pierre est la racine de l'universalité.

Notre rencontre aujourd'hui, fête de la Dédicace de la Basilique du Latran, est comme une inauguration de l'acte solennel qui aura lieu dimanche prochain. Je salue le Cardinal-Vicaire, Monseigneur le Vice-Gérant, les Evêques et tous les Prêtres ici réunis, tant diocésains que religieux. Je souhaite cordialement à tous la bienvenue au nom du Christ Sauveur.

J'ai écouté très attentivement le discours du Cardinal-Vicaire. J'ajoute que déjà avant notre rencontre d'aujourd'hui il a eu la bonté de m'informer au sujet de différentes questions concernant le Diocèse de Rome et, en particulier sur l'activité pastorale qui pèse sur vos épaules, chers Frères prêtres dans ce diocèse, premier par dignité parmi les autres.

En écoutant ce discours, j'ai constaté avec joie que les problèmes essentiels me sont familiers. Ils font partie de toute ma précédente expérience. Vingt années de service épiscopal et quelque quinze ans de direction de l'un des plus anciens diocèses de Pologne, l’archidiocèse de Cracovie, font que ces problèmes revivent dans mes souvenirs, me forçant à les confronter entre eux, tout en ayant, évidemment, conscience de la diversité des situations. Je sais parfaitement ce que signifient l’évangélisation et l'activité pastorale dans une ville où le centre historique est riche d'églises qui se dépeuplent alors qu'en même temps, naissent de nouveaux quartiers et bourgades auxquels il faut pourvoir, non sans devoir souvent lutter pour obtenir de nouvelles églises, de nouvelles paroisses ainsi que les autres conditions fondamentales nécessaires pour l'évangélisation. Je me souviens des prêtres admirables, zélés et souvent héroïques avec lesquels j'ai pu partager la sollicitude et la lutte. Sur cette voie, la foi alimentée par la tradition acquiert des forces neuves. La laïcisation programmée ou bien jaillie d'habitudes et de prédispositions des habitants d'une grande ville s'arrête quand elle rencontre un vivant témoignage de foi qui sait mettre également en évidence, la dimension sociale de l'Évangile.

Je sais également, chers frères, ce que signifient les diverses institutions et structures auxquelles le Cardinal-Vicaire a eu la bonté de faire allusion, c'est-à-dire la Curie — en l'espèce le Vicariat de Rome — les préfectures et le Conseil des Curés-Préfets y relatif, le Conseil Presbytéral. J'ai appris à donner leur juste valeur à toutes ces formes de travail de groupe. Elles sont, non pas seulement, des structures administratives mais aussi des centres par lesquels s'expriment et se réalisent notre communion sacerdotale et, en même temps, l'union du service pastoral et de l'évangélisation. Dans ma précédente activité épiscopale, il m'a été rendu de grands services par le Conseil Presbytéral, soit en tant que communauté, soit comme lieu de rencontre avec l’évêque pour partager avec lui la commune sollicitude pour toute la vie du presbyterium et pour l'efficacité de son activité pastorale.

Parmi les institutions que le Cardinal Vicaire a énumérées dans son discours, il en est trois qui, dans mon précédent service d'évêque m'ont toujours été très proches et très chères : le séminaire diocésain, l'Université des Sciences théologiques et la paroisse.

Comme j'aimerais contribuer à leur développement ! Le Séminaire en effet est « la pupille de l'œil » non seulement des Évêques, mais de toute l'Église locale et universelle. L'Université des Sciences théologiques — en notre cas l'Université du Latran — me sera chère autant que l'était et le reste la Faculté de Théologie de Cracovie et ses Instituts-annexes. Quant à la paroisse, comme je trouve profondément justifiée l'affirmation que c'est « dans la paroisse » que l'évêque se sent le plus à l'aise ! Les visites aux paroisses — cellules fondamentales d'organisation de l'Église et, en même temps, de la Communauté du Peuple de Dieu — comme je les aimais ! J'espère pouvoir les continuer ici également pour connaître vos problèmes et ceux de la paroisse. A cet égard, j'ai déjà eu des entretiens avec le Cardinal-Vicaire et ses évêques.

Tout ce que je dis se rapporte à vous et vous touche directement, chers frères prêtres romains. Tandis que je vous rencontre ici pour la première fois et vous salue avec sincère affection, j'ai encore dans les yeux et dans le cœur le « presbyterium » de l'Église de Cracovie — toutes nos rencontres en diverses occasions — les nombreux entretiens qui ont commencé dès les années de Séminaire — les réunions de prêtres — compagnons d'ordination des divers cours du séminaire, auxquels j'ai toujours été invité et y participant avec joie et profit.

Il ne sera pas possible évidemment de réaliser tout cela ici, étant donné mes nouvelles conditions de travail, mais nous devons faire tout ce que nous pouvons pour être proches, pour former P« unum », la communion sacerdotale, comprenant tout le clergé diocésain et religieux de tous les prêtres provenant des diverses parties du monde qui travaillent au service de la Curie Romaine et se dévouent avec autant de sollicitude au ministère pastoral. Cette communion des prêtres entre eux et avec leur Évêque est la condition fondamentale de l'union entre tout le Peuple de Dieu. Elle constitue son unité dans le pluralisme et dans la solidarité chrétienne. L'union des prêtres avec leur évêque doit devenir la source de l'union réciproque des prêtres entre eux et des groupes de prêtres. Cette union, basée sur la conscience de leur grande mission propre, s'exprime moyennant l'échange de services et d'expériences, la disponibilité à la collaboration, l'engagement dans toutes les activités pastorales, tant dans la paroisse que dans la catéchèse ou dans la direction de l'apostolat des laïcs.

Chers Frères, nous devons aimer notre sacerdoce du plus profond de notre âme, comme grand «sacrement social ». Nous devons l'aimer comme l'essence de notre vie et de notre vocation, comme base de notre identité chrétienne et humaine. Aucun de nous ne peut être divisé en lui-même. Le sacerdoce sacramentel, le sacerdoce ministériel, exige une particulière foi, un particulier engagement de toutes les forces de l'âme et du corps ; il exige une toute spéciale conscience de la propre vocation comme vocation exceptionnelle. Nous devons, chacun de nous, remercier le Christ à genoux pour le don de cette vocation : « Que rendrais-je au Seigneur pour les dons qu'il m'a faits ? J'élèverai le calice du salut et j'invoquerai le nom du Seigneur » (Ps. 115).

Chers frères, nous devons prendre « le calice du salut ». Nous sommes nécessaires aux hommes, immensément nécessaires, et pas à moitié-service, à mi-temps, comme des « employés ». Nous sommes nécessaires en tant qu'hommes qui rendent témoignage et réveillent chez autrui le besoin de rendre témoignage. Et s'il peut sembler parfois que nous ne sommes pas nécessaires, cela veut dire qu'il nous faut commencer à rendre plus clairement témoignage, et alors nous nous rendrons compte combien le monde a besoin aujourd'hui de notre témoignage sacerdotal, de notre service, de notre sacerdoce.

Aux hommes de notre temps, à nos fidèles, au peuple de Rome, nous devons donner et offrir notre témoignage avec toute notre existence humaine, avec tout notre être. Le témoignage sacerdotal, le tien, cher confrère prêtre, et le mien implique notre personne tout entière. Oui, le Seigneur semble en effet nous parler : « J'ai besoin de tes mains pour continuer à bénir... J'ai besoin de tes lèvres pour continuer à parler... J'ai besoin de ton corps pour continuer à souffrir... J'ai besoin de ton cœur pour continuer à aimer... J'ai besoin de toi pour continuer à sauver » (Michel Quoist, Prières).

Ne nous flattons pas de servir, si nous tentons de « diluer » notre charisme sacerdotal en accordant un intérêt exagéré au vaste domaine des problèmes temporels, si nous désirons « laïciser » notre manière de vivre et d'agir, si nous effaçons également les signes extérieurs de notre vocation sacerdotale. Nous devons conserver le sens de notre vocation spéciale, et un tel caractère exceptionnel doit s'exprimer également dans le vêtement extérieur. Nous n'avons pas à en avoir honte. Certes, nous sommes dans le monde ! Mais nous ne sommes pas du monde !

Le Concile Vatican II nous a rappelé cette splendide vérité du « sacerdoce universel » de tout le Peuple de Dieu qui découle de la participation au sacerdoce unique de Jésus. Notre sacerdoce               « ministériel », enraciné dans le sacrement de l'Ordre, diffère essentiellement du sacerdoce universel des fidèles. Il a été constitué afin d'éclairer plus efficacement nos frères et sœurs qui vivent dans le monde — c'est-à-dire les laïcs — sur le fait que nous sommes tous en Jésus-Christ « royaume de prêtres » pour le Père. Le prêtre rejoint cette fin par le ministère de la parole et des sacrements qui lui est propre, et surtout par le sacrifice eucharistique auquel lui seul est autorisé ; tout ceci, le prêtre le réalise également grâce à un style de vie adapté. C'est pourquoi notre sacerdoce doit être limpide et expressif. Et si, dans la tradition de notre Église, il est strictement lié au célibat, c'est précisément en vue de la limpidité et de l'expressivité « évangélique » auxquelles se réfèrent les paroles du Seigneur au sujet du célibat « pour le royaume des cieux » (cf. Mt 19, 12).

Le Concile Vatican II et un des premiers Synodes des Évêques, celui de 1971, ont prêté grande attention aux questions précitées. En outre, rappelons-nous que durant ce Synode, le Pape Paul VI a élevé aux honneurs de l'autel, le Bienheureux Maximilien Kolbe, un prêtre. Aujourd'hui, je désire me référer à tout ce qui a été énoncé à l'époque et également au témoignage sacerdotal de mon compatriote.

Je voudrais vous confier également un problème que j'ai pris particulièrement à cœur: celui des vocations sacerdotales pour notre chère ville et diocèse de Rome. Chers prêtres, veuillez prendre part à ma préoccupation, à ma sollicitude ! Faites appel à vos souvenirs les plus personnels ! N'y a-t-il pas eu aux débuts de votre vocation un prêtre exemplaire qui vous a guidés dans vos premiers pas vers le sacerdoce ? Votre première pensée, votre premier désir de suivre le Seigneur, ne sont-ils pas liés à la personne concrète d'un prêtre-confesseur, d'un prêtre-ami ? Qu'aillent à ce prêtre votre pensée reconnaissante, votre cœur gonflé de gratitude. Oui, le Seigneur a besoin d'intermédiaires, d'instruments pour faire écouter sa voix, son appel. Chers prêtres, offrez-vous au Seigneur pour être ses instruments pour appeler de nouveaux ouvriers à sa vigne. Il ne manque pas de jeunes généreux.

Avec grande humilité et amour je demande au Christ, Prêtre éternel et unique, par l'intercession de Sa Mère et de la nôtre, particulièrement vénérée dans l'image connue dans le monde entier comme Salus Populi Romani, que notre commun service sacerdotal et pastoral dans ce diocèse qui est le plus vénérable de l'Église Universelle soit béni et produise des fruits copieux. Me référant donc à la prière sacerdotale de Jésus-Christ, je termine par ces paroles : « Père Saint, garde en ton nom ceux que tu m'as donnés pour qu'ils soient une seule chose... et qu'aucun d'eux ne se perde... afin qu'ils soient sanctifiés dans la vérité» (Jn 17, 11, 19).

 

 

 

9 novembre 1978

 

LE RÔLE DE LA DOCTRINE DANS LA VIE DE L'ÉGLISE

 

Aux évêques des États-Unis en visite « ad limina »

 

Le Saint-Père a reçu en audience, le 9 novembre, les archevêques et évêques des Ve et VIIe régions pastorales des États-Unis d'Amérique venus à Rome pour leur visite « ad limina ». Après avoir reçu chaque évêque en particulier dans la matinée, le Saint-Père a prononcé, en réponse à l'adresse d'hommage du cardinal Cody, archevêque de Chicago, un discours en anglais dont voici la    traduction :

 

Chers Frères en Jésus-Christ,

 

L'une des plus grandes consolations du nouveau pape est de savoir qu'il peut compter sur l'amour et l'appui de tout le peuple de Dieu. Comme l'apôtre Paul dans les Actes des Apôtres, le pape est puissamment aidé par les ferventes prières des fidèles. C'est donc une joie spéciale pour moi de me retrouver avec vous, mes frères dans l'épiscopat, vous qui êtes les pasteurs d'Églises locales dans les États-Unis d'Amérique. Je sais que vous portez avec vous la foi profonde de vos fidèles, leur profond respect pour le mystère du rôle de Pierre dans le dessein de Dieu à l'égard de l'Église universelle, et leur amour pour le Christ et pour ses frères. Par une providence de Dieu, j'ai pu visiter votre pays et y faire personnellement la connaissance de quelques personnes. Ainsi notre réunion est elle-même la célébration de l'unité de l'Église. C'est également l'attestation de notre acceptation de Jésus-Christ dans la totalité de son mystère de salut.

Comme serviteur et pasteur, et père de l'Église universelle, je voudrais maintenant exprimer mon amour à l'égard de ceux qui sont particulièrement appelés à travailler pour l'Évangile, ceux qui collaborent activement avec vous dans vos diocèses, pour construire le royaume de Dieu. Comme vous-mêmes, j'ai appris, comme évêque, à considérer comme prioritaire le ministère sacerdotal, les problèmes qui touchent à la vie des prêtres, les sacrifices qui font partie intégrante de leur service du peuple de Dieu. Comme vous-mêmes, je suis pleinement conscient de la façon dont le Christ dépend de ses prêtres pour l'accomplissement dans le temps de sa mission de rédemption. Et comme vous-mêmes, j'ai travaillé avec les religieux, je me suis efforcé de témoigner de l'estime que l'Église leur porte dans leur vocation d'amour consacré, et je les ai toujours engagés à une collaboration pleine et généreuse dans la vie du corps de la communauté ecclésiale. Tous nous connaissons d'abondants exemples d'authentique evangelica testificatio (témoignage évangélique). Je vous demande donc de porter mon salut au clergé et aux religieux, de les assurer de ma compréhension, de ma solidarité, de mon amour dans le Christ Jésus et dans l'Église.

Je suis également conscient du fait que mes obligations pastorales s'étendent à la communauté entière des croyants. Au cours de cette audience, je voudrais faire quelques réflexions de base qui, j'en suis convaincu, sont importantes pour chaque Église locale dans son ensemble. Dans les priorités qu'ils ont établies, mes prédécesseurs Paul VI et Jean Paul Ier ont choisi des sujets d'une extrême importance, et je ratifie en pleine connaissance de cause et avec toute ma conviction personnelle toutes leurs exhortations et toutes leurs directives. Lors de la dernière visite « ad limina » d'évêques des États-Unis, mon prédécesseur immédiat a consacré son discours au thème de la famille chrétienne. Déjà au cours des premières semaines de mon pontificat, j'ai eu moi aussi l'occasion de parler sur ce sujet et d'en montrer l'importance. Oui, que toutes les belles familles chrétiennes dans l'Église de Dieu sachent que le pape est avec elles, uni dans la prière, dans l'espérance, dans la confiance. Le pape les confirme dans la mission que le Christ lui-même leur a donnée, il proclame leur dignité et bénit tous leurs efforts.

Je suis tout à fait convaincu que les familles en tous lieux ainsi que la grande famille de l'Église catholique seront très bien servies — un réel service pastoral leur sera rendu — si un accent renouvelé est mis sur le rôle de la doctrine dans la vie de l'Église. Dans le plan de Dieu, un nouveau pontificat est toujours un nouveau commencement qui évoque des espoirs neufs et qui donne de nouvelles possibilités de réflexion, de conversion, de prière et de résolutions.

Sous la protection de Marie, mère de Dieu et mère de l'Église, je désire consacrer mon pontificat à la continuation de l'application authentique du Concile Vatican II, sous l'action du Saint-Esprit. Et, à ce propos, rien n'est plus éclairant que de rappeler les paroles mêmes qui ont été utilisées par Jean XXIII, le jour de son ouverture, pour préciser les orientations de ce grand événement ecclésial : « Le plus grand souci du Concile œcuménique est celui-ci : que le dépôt sacré de la-doctrine chrétienne soit gardé et enseigné d'une façon plus effective ». Cette vue très large du pape Jean est encore valable aujourd'hui. C'était l'unique et forte base pour un Concile qui visait à un renouveau de la pastorale ; c'est l'unique et forte base de tout notre effort pastoral comme évêques de l'Église de Dieu. Et c'est mon plus profond désir aujourd'hui pour les pasteurs de l'Église d'Amérique aussi bien que pour tous les pasteurs de l'Église universelle : « Que le dépôt sacré de la doctrine chrétienne soit gardé et enseigné d'une façon plus effective ». Le dépôt sacré de la parole de Dieu, pris en mains par l'Église, est la joie et la force pour la vie de nos populations ; c'est l'unique solution pastorale en face des nombreux problèmes d'aujourd'hui. Présenter ce dépôt sacré de la doctrine chrétienne dans toute sa pureté et dans toute son intégrité, avec toutes ses exigences et dans tout son pouvoir est une sainte responsabilité pastorale ; c'est, bien plus, le plus sublime service que nous puissions rendre.

Et le second désir que je voudrais exprimer aujourd'hui est un désir de préservation de la grande discipline de l'Église — espoir éloquemment formulé par Jean Paul Ier au lendemain de son élection :   « Nous désirons maintenir intacte la grande discipline de l'Église dans la vie des prêtres et des fidèles, telle que l'histoire de l'Église, enrichie par l'expérience, l'a présentée au cours des siècles par des exemples de sainteté et de perfection héroïque, à la fois dans l'exercice des vertus évangéliques et dans le service des pauvres, des humbles et de ceux qui sont sans défense. »

Ces deux désirs n'épuisent pas nos aspirations et nos prières, mais ils sont dignes d'efforts pastoraux intenses et de zèle apostolique. Ces efforts et ce zèle, de notre part, sont l'expression que nous formulons à notre tour d'un amour et d'un intérêt réels pour le troupeau confié à nos soins par Jésus-Christ, le chef des pasteurs — charge qui est à exercer à l'intérieur de l'unité de l'Église universelle et dans le contexte de la collégialité de l'épiscopat.

Ces désirs pour la vie de l'Église — pureté de doctrine et discipline ferme — dépendent immédiatement de chaque nouvelle génération de prêtres qui, par la générosité de leur amour, assurent la continuation de l'engagement de l'Église à l'égard de l'Évangile. Pour cette raison, Paul VI a fait preuve d'une grande sagesse en demandant aux évêques d'Amérique : « remplissez avec une affectueuse attention personnelle votre grande responsabilité pastorale envers les séminaristes ; prenez connaissance du contenu de leurs cours, encouragez-les à aimer la parole de Dieu et à ne jamais avoir honte de l'apparente folie de la croix» (discours du 20 juin 1977). Et ceci est mon ardent désir aujourd'hui : qu'un nouvel accent mis sur l'importance de la doctrine et de la discipline soit la contribution post-conciliaire de vos séminaires de sorte que « la parole du Seigneur accomplisse sa course et soit glorifiée » (2 Th 3, 1).

Enfin dans toutes vos peines pastorales, soyez assurés que le pape vous est uni et proche dans l'amour de Jésus-Christ. Nous n'avons tous qu'un seul but : nous montrer fidèles à la charge pastorale qui nous est confiée, conduire le peuple de Dieu « par les bons sentiers pour l'honneur de son nom » (ps 23, 3), de sorte que, dans notre responsabilité pastorale, nous puissions dire avec Jésus au Père : « Aussi longtemps que j'étais avec eux, je les ai gardés en ton nom ceux que tu m'as donnés. J'ai veillé sur eux et aucun d'eux ne s'est perdu... » (Jn l7, 12).

Au nom de Jésus, paix à vous et à tous vos fidèles. Avec ma bénédiction apostolique.

 

 

 

10 novembre 1978

 

LE PAPE AUX RELIGIEUSES

 

Le vendredi 10 novembre, enfin d'après-midi, le Saint-Père a reçu les religieuses présentes à Rome, parmi lesquelles se trouvaient des déléguées des moniales cloîtrées. Voici la traduction du discours qu'il a prononcé en italien :

 

Chères Sœurs,

 

1. Hier, en la fête de la Dédicace de la Basilique du Très Saint Sauveur au Latran, j'ai commencé ma préparation au grand acte de la prise de possession de cette Basilique — Chaire de l’Évêque de Rome — qui aura lieu dimanche prochain. Pour cela j'ai rencontré hier le Clergé du Diocèse de Rome, avec les prêtres engagés surtout dans la pastorale diocésaine. Aujourd'hui ma rencontre est avec vous, Religieuses. J'ai désiré que cette rencontre suive immédiatement celle d'hier. Ainsi, comme nouvel Évoque de Rome, je peux m'approcher de ceux qui constituent d'une certaine façon, les principales réserves spirituelles de ce Diocèse, qui est le premier parmi tous les diocèses de l'Église, et avoir au moins un premier contact avec eux. Ce rapprochement et cette connaissance me tiennent très à cœur.

Vous êtes venues ici très nombreuses ! Peut-être qu'aucun siège épiscopal au monde ne peut en compter autant. Le Cardinal-Vicaire de Rome m'a informé que, sur le territoire du Diocèse, il y a environ vingt mille religieuses, environ deux cents maisons généralices, et environ cinq cents maisons provinciales de divers Ordres et Congrégations féminines. Ces maisons sont au service de vos familles religieuses dans le rayon de toute l'Église ou des provinces qui dépassent le territoire de la Ville de Rome. Durant les années de mon ministère épiscopal, j'ai rencontré bien souvent les Ordres féminins (Cracovie en est la plus riche en Pologne), et j'ai eu la possibilité de me rendre compte du profond désir de chaque Congrégation d'avoir une maison, et surtout la maison généralice, à Rome, près du Pape. De ceci je me réjouis et je vous remercie, bien que je sois d'avis que vous devriez vous maintenir toujours fidèles au lieu de votre naissance, là où est la maison-mère, où, pour la première fois a jailli la lumière de la nouvelle communauté, de la nouvelle vocation, de la nouvelle mission dans l'Église.

 

2. Je vous souhaite la bienvenue, à vous toutes, Sœurs, qui êtes là réunies aujourd'hui. Je veux vous saluer avant tout comme nouvel Évoque de Rome et je désire préciser votre place dans cette « Église locale », en ce Diocèse concret, dont je me prépare à prendre solennellement possession dimanche prochain. En me basant sur la tradition vivante et séculaire de l'Église, sur la doctrine récente du Concile Vatican II et également sur mes expériences précédentes d'Évêque, je viens ici avec la profonde conviction que celui-ci est un « poste » spécial.

Cela provient de la vision de l'homme et de sa vocation, que le Christ lui-même nous a manifestées. « Qui potest capere, capiat » — Qui peut comprendre comprenne (Mt 19, 12), ainsi dit-Il à ses disciples, qui lui posaient avec insistance des questions sur la législation de l'Antique Testament et surtout sur celle relative au mariage. Dans ces demandes, comme aussi dans la tradition de l'Antique Testament, était incluse une certaine limitation à cette liberté des fils de Dieu que le Christ nous a apportée, et que saint Paul a confirmée avec tant de force. La vocation religieuse est justement le fruit de cette liberté d'esprit, réveillée par le Christ d'où jaillit la disponibilité de la donation totale à Dieu lui-même. La vocation religieuse réside dans l'acceptation d'une discipline sévère, qui ne provient pas d'un commandement, mais d'un conseil de chasteté, conseil de pauvreté, conseil d'obéissance. Et tout ceci, embrassé en conscience et enraciné dans l'amour pour l'Époux Divin constitue de fait la révélation particulière de la profondeur de la liberté de l'esprit humain. Liberté des fils de Dieu : fils et filles.

Une telle vocation provient d'une foi vive, cohérente jusqu'aux extrêmes conséquences, laquelle ouvre à l'homme la prospective filiale, c'est-à-dire la prospective de la rencontre avec Dieu lui-même, qui seul est digne d'un amour « au-dessus de toute autre chose » amour exclusif et nuptial. Cet amour consiste dans le don de tout notre être humain, âme et corps, à Celui qui s'est donné entièrement à nous par l'Incarnation, la Croix, et l'anéantissement, par la pauvreté, la chasteté, l'obéissance. Il s'est fait pauvre pour nous... afin que nous devenions riches (cf. 2 Co 8, 9). Ainsi donc la vocation religieuse se nourrit de cette richesse de la foi vivante. Cette vocation est comme l'étincelle qui allume dans l'âme une « vive flamme d'amour », comme l'a écrit saint Jean de la Croix. Cette vocation, une fois acceptée, une fois confirmée solennellement, par les vœux, doit être nourrie sans cesse de la richesse de la foi, non seulement lorsqu'elle porte en même temps la joie intérieure, mais aussi quand elle s'accompagne de difficultés, de l'aridité, de la souffrance intérieure, appelée « nuit » de l'âme.

Cette vocation est un trésor spécial de l'Église, qui ne peut jamais cesser de prier, afin que l'Esprit de Jésus-Christ suscite dans les âmes des vocations religieuses. En effet, elles sont, pour la communauté du Peuple de Dieu, comme pour le « monde », un signe vivant du « siècle futur » : signe qui, en même temps s'enracine, même à travers votre habit religieux dans la vie quotidienne de l'Église et de la société et pénètre ses tissus les plus délicats. Les personnes qui ont aimé Dieu sans réserve, sont d'une façon spéciale, capables d'aimer l'homme, et de se donner à lui sans intérêts personnels et sans limites. Peut-être avons-nous besoin de preuves ? Nous les trouvons dans toutes les époques de la vie de l'Église, nous les trouvons aussi en notre temps. Durant mon précédent ministère épiscopal, je rencontrai de tels témoignages à chaque pas. Je me souviens des Instituts et des hôpitaux pour les malades les plus atteints et pour les handicapés. Partout, là où personne ne pouvait plus rendre le service de bon Samaritain, se trouvait toujours encore une sœur.

 

3. Il ne s'agit évidemment en ce cas que d'un champ de l'activité religieuse, et donc d'un seul exemple. Et il est indubitable que ces champs sont très nombreux. Eh bien, en vous rencontrant ici aujourd'hui pour la première fois, chères Sœurs, je désire vous dire avant tout que dans toute l'Église, et en particulier ici à Rome, en ce Diocèse, votre présence est indispensable. Elle doit être pour tous un signe visible de l'Évangile. Elle doit être aussi la source d'un apostolat spécial. Cet apostolat est si riche et si varié, qu'il m'est difficile d'en énumérer ici toutes les formes, les secteurs, les orientations. Il est rattaché au charisme spécifique de chaque Congrégation, à son esprit apostolique, que l'Église et le Saint-Siège approuvent avec joie, voyant en lui l'expression de la vitalité du Corps mystique du Christ lui-même ! Un tel apostolat est habituellement discret, caché, proche de l'être humain, et pour cela mieux en harmonie avec l'âme féminine, sensible au prochain, et pour cela appelée au devoir de sœur et de mère. C'est exactement cette vocation-là qui se trouve dans le « cœur » même de votre être de religieuses. Comme Évêque de Rome je vous prie : soyez spirituellement mères et sœurs pour tous les hommes de cette Église, que Jésus, dans son ineffable miséricorde et grâce, a voulu me confier. Soyez-le pour tous, sans exceptions, mais surtout pour les malades, les enfants, les jeunes, les familles qui se trouvent dans des situations difficiles... Allez à leur rencontre ! N'attendez pas qu'ils viennent à vous ! Cherchez vous-mêmes ! L'amour nous pousse à cela. L'amour doit chercher! « Caritas Christi urget nos — l'Amour du Christ nous-pousse ! » (2 Co. 5, 14).

Et je vous adresse encore une prière, je vous confie le début de mon ministère pastoral : engagez-vous généreusement à collaborer avec la grâce de Dieu, afin que beaucoup de jeunes accueillent l'appel du Seigneur et que de nouvelles forces viennent augmenter vos rangs, pour affronter les exigences croissantes qui émergent dans les vastes champs de l'apostolat moderne. La première forme de collaboration est certainement l'invocation assidue au « maître de la moisson » (cf. Mt 9, 38) afin qu'il éclaire et oriente le cœur de nombreuses jeunes filles « en recherche », qui existent certainement même aujourd'hui dans ce diocèse, comme dans chaque partie du monde : puissent-elles comprendre qu'il n'y a pas d'idéal plus grand, auquel consacrer la vie que celui du don total de soi au Christ pour le service de son Règne. Mais il existe une seconde manière, non moins importante, de favoriser l'appel de Dieu, c'est celle du témoignage qui jaillit de votre vie : — le témoignage d'abord, de la cohérence sincère avec les valeurs évangéliques et le charisme propre de votre Institut : tout fléchissement à vos promesses est une désillusion pour qui vous approche, ne l'oubliez pas ! — ensuite le témoignage d'une personnalité humainement réussie et mûre qui sait entrer en rapport avec les autres sans préventions injustifiées ni imprudences ingénues, mais avec une ouverture cordiale et un équilibre serein ; — le témoignage, enfin, de votre joie, une joie qui se lit dans les yeux et dans l'attitude comme dans les paroles, et qui manifeste clairement à ceux qui vous voient la conscience que vous possédez ce « trésor caché », cette « perle précieuse », dont l'acquisition ne fait pas regretter d'avoir renoncé à tout, selon le conseil évangélique (cf. Mt 13, 44-45).

Et maintenant, avant de terminer, je désire adresser une parole spéciale aux chères Sœurs cloîtrées, à celles qui sont présentes à cette rencontre et à celles qui sont dans leur austère clôture, choisies pour un amour spécial envers l'Époux Divin. Je vous salue toutes avec une particulière intensité de sentiments et je visite en esprit vos couvents, fermés en apparence, mais en réalité si largement ouverts à la présence de Dieu vivant dans notre monde humain, et pour cela si nécessaires au monde. Je vous recommande l'Église et Rome, je vous recommande les hommes et le monde ! A vous, à vos prières, à votre « holocauste » je me recommande aussi moi-même, Évêque de Rome. Soyez avec moi, près de moi, vous qui êtes « dans le cœur de l'Église » ! Que se réalise en chacune de vous ce qui fut le programme de vie de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus : « In corde Ecclesiae amor ero » — Dans le cœur de l'Église je serai l'amour !

Je termine ainsi ma première rencontre avec les Sœurs de Rome Sainte. Qu'en vous persiste la semence spéciale de l'Évangile, expression singulière de cet appel à la sainteté que dernièrement le Concile nous a rappelé dans la Constitution sur l'Église. J'attends beaucoup de vous. J'espère beaucoup en vous. Tout cela je désire le résumer et l'exprimer dans la bénédiction que je vous donne de grand cœur.

Je vous recommande à Marie, Épouse du Saint-Esprit, Mère de l'amour le plus beau !

 

 

 

11 novembre 1978

 

OUVREZ LES PORTES AU CHRIST

 

Le pape reçoit la commission pontificale « Justice et Paix »

 

Le samedi 11 novembre, le pape a reçu en audience les membres de la commission pontificale « Justitia et Pax » qui tenait à Rome son assemblée générale. En réponse au cardinal Bernardin Gantin, président de la commission, qui a présenté les travaux de celle-ci, Jean Paul II a prononcé le discours suivant :

 

Chers Amis,

 

Je compte sur vous, je compte sur la commission pontificale « Justitia et Fax », pour m'aider et pour aider l'Église entière à redire aux hommes de ce temps, avec une pressante insistance,, l'appel que je leur adressai, en commençant mon ministère romain et universel, le dimanche 22 octobre :

« N'ayez pas peur ! Ouvrez, oui ouvrez toutes grandes les portes au Christ ! A son pouvoir de salut, ouvrez les frontières des États, les régimes économiques et politiques, les immenses domaines de la culture, de la civilisation, du développement. N'ayez pas peur ! Le Christ sait ce qu'il y a dans   l'homme ! Et lui seul le sait. »

Nous vivons en un temps où tout devrait pousser au « décloisonnement » : la perception plus vive de l'universelle solidarité des hommes des peuples, la nécessité de sauvegarder l'environnement et le patrimoine communs de l'humanité, la nécessité de réduire le poids et la menace mortelle des armements, le devoir d'arracher à la misère des millions d'hommes qui retrouveraient, avec les moyens de mener une vie décente, la possibilité d'apporter à l'effort commun des énergies neuves. Or voici que devant l'ampleur et les difficultés de la tâche, on observe un peu partout un réflexe de raidissement. A la source, il y a la peur ; la peur surtout de l'homme et de sa liberté responsable, peur souvent aggravée par l'enchaînement des violences et des répressions. Et finalement, on a peur de Jésus-Christ, soit parce qu'on ne le connaît pas, soit parce que, chez les chrétiens eux-mêmes, on ne fait plus suffisamment l'expérience exigeante mais vivifiante d'une existence inspirée de son Évangile.

Le premier service que l'Église doit rendre à la cause de la justice et de la paix, c'est d'inviter les hommes à s'ouvrir à Jésus-Christ. En lui, ils réapprendront leur dignité essentielle de fils de Dieu, faits à l'image de Dieu, doués de possibilités insoupçonnées qui les rendent capables de faire face aux tâches de l'heure, liés les uns aux autres par une fraternité qui s'enracine dans la paternité de Dieu. En lui, ils deviendront libres pour un service responsable. Qu'ils n'aient pas peur ! Jésus-Christ n'est pas un étranger ni un concurrent. Il ne fait ombrage à rien de ce qui est authentiquement humain, ni chez les personnes, ni dans leurs diverses réalisations scientifiques et sociales. L'Église non plus n'est ni une étrangère ni une concurrente : « l'Église, dit la constitution Gaudium et Spes, qui, en raison de sa charge et de sa compétence, ne se confond d'aucune manière avec la communauté politique et n'est liée à aucun système politique, est à la fois le signe et la sauvegarde du caractère transcendant de la personne humaine» (n. 76, paragr. 2). En ouvrant l'homme sur Dieu, l'Église l'empêche de s'enfermer dans quelque système idéologique que ce soit, elle l'ouvre sur lui-même et sur les autres et le rend disponible pour créer du neuf à la mesure des exigences présentes de l'évolution de l'humanité.

Avec le don central de Jésus-Christ, l'Église apporte à l'œuvre commune non un modèle préfabriqué, mais un patrimoine — doctrinal et pratique — dynamique, développé au contact des situations changeantes de ce monde, sous l'impulsion de l'Évangile comme source de renouveau, avec une volonté désintéressée de service et une attention aux plus pauvres (cf. Lettre Octogesima adveniens, n. 42). Toute la communauté chrétienne participe à ce service. Mais le Concile a opportunément souhaité, et Paul VI a réalisé avec la commission pontificale « Justitia et Pax »; « la création d'un organisme de l'Église universelle, chargé d'inciter la communauté catholique à promouvoir l'essor des régions pauvres et la justice sociale entre les nations » (Const. Gaudium et Spes, n. 90, paragr. 3). C'est à ce service universel que vous êtes appelés, auprès du pape et sous sa direction. Vous l'exercez dans un esprit de service et dans un dialogue — qu'il faudra développer — avec les Conférences épiscopales et les organismes divers qui, en communion avec elles, poursuivent la même tâche. Vous l'exercez dans un esprit œcuménique, en recherchant inlassablement et en adaptant les formes de coopération susceptibles de faire progresser l'unité des chrétiens dans la pensée et dans l'action.

Sans préjudice pour les nombreuses questions auxquelles la commission porte son attention, vous avez consacré cette assemblée générale au thème du développement des peuples. L'Église a été présente dès le départ à cet immense effort et elle en a suivi les espoirs, les difficultés et les déceptions. Une sereine appréciation des résultats positifs, même insuffisants, doit aider à surmonter les hésitations présentes. Vous avez eu à cœur d'étudier tout l'éventail des problèmes que la poursuite nécessaire de l'œuvre commencée pose au niveau de la communauté internationale, dans la vie interne de chaque peuple, au niveau aussi des communautés élémentaires, dans la façon de concevoir et de réaliser de nouveaux modes de vie. Pour que l'Église puisse dire la parole d'espérance qu'on attend d'elle et fortifier les valeurs spirituelles et morales sans lesquelles il ne peut y avoir de développement, elle doit écouter, patiemment et avec sympathie, les hommes et les institutions qui s'appliquent à la tâche à tous les niveaux, prendre la mesure des obstacles à surmonter. On ne triche pas avec la réalité qu'on veut transformer.

L'attention prioritaire à ceux qui souffrent d'une pauvreté radicale rejoint à coup sûr une préoccupation fondamentale de l'Église ; de même le souci de concevoir des modèles de développement qui, pour demander des sacrifices, veillent à ne pas sacrifier les libertés et les droits personnels et sociaux essentiels, sans lesquels, du reste, ils se condamneraient vite à l'impasse. Et les chrétiens voudront être à l'avant-garde pour susciter des convictions et des modes de vie qui rompent de manière décisive avec une frénésie de consommation, épuisante et sans joie.

Merci, Monsieur le Cardinal, des paroles par lesquelles vous m'avez exprimé les sentiments filiaux et dévoués de toute la commission. Votre présence à la tête de cet organisme est un gage que les peuples pauvres, mais riches en humanité, seront au cœur de ses préoccupations. Merci à vous tous, chers amis, qui apportez à la commission, et qui m'apportez à moi-même, votre compétence et votre expérience humaines et apostolique . Merci à tous les membres de la Curie ici présents : grâce à vous, la dimension de la promotion humaine et sociale peut mieux pénétrer l'activité des autres dicastères ; en retour, l'activité de la commission « Justitia et Pax » pourra s'insérer toujours mieux dans la mission globale de l'Église.

Vous savez en effet à quel point le Concile et mes prédécesseurs ont eu à cœur de bien situer l'action de l'Église en faveur de la justice, de la paix, du développement, de la libération, dans sa mission évangélisatrice. A rencontre de confusions toujours renaissantes, il importe de ne pas réduire l'évangélisation à ses fruits pour la cité terrestre : l'Église doit aux hommes de les faire accéder à la source, à Jésus-Christ. Aussi bien la constitution dogmatique Lumen Gentium demeure la « magna  carta » conciliaire : dans sa lumière tous les autres textes prennent leur pleine dimension. La constitution pastorale Gaudium et Spes et tout ce qu'elle inspire ne s'en trouvent pas dévalués mais affermis.

Au nom du Christ, je vous bénis, vous-mêmes et vos collaborateurs, ceux qui vous sont chers et vos pays bien-aimés, ceux surtout qui connaissent l'épreuve. Rejoignant le thème de l'audience de mercredi dernier : que le Seigneur nous aide, qu'il aide tous nos frères à s'engager sur les chemins de la justice et de la paix !

 

 

 

12 novembre 1978

 

VŒUX DE BONHEUR AUX ROMAINS

 

Jean Paul II au maire de Rome

 

Première étape sur la voie qui, du Vatican, le menait à sa cathédrale du Latran, le Saint-Père est descendu de voiture devant le « Campidoglio », le Capitale ou mairie de Rome, pour y recevoir l'hommage, en tant qu'évêque de la ville et du diocèse, du maire, le professeur Argan et des autorités municipales. A l'adresse d'hommage du maire, le Saint-Père a répondu par un discours dont voici la traduction :

Monsieur le Maire,

Je vous suis sincèrement reconnaissant pour les nobles paroles que vous venez de m'adresser ; et, avec vous, je remercie toute l'Administration civile, à laquelle je suis heureux et honoré d'apporter mon plus cordial salut.

Cette première rencontre avec ceux qui ont la charge d'interpréter, de protéger et de servir les intérêts d'une ville comme Rome dont le glorieux et mystérieux destin s'entrelace si intimement avec les vicissitudes de l'Église du Christ qui, par disposition providentielle, a ici son centre visible, suscite en moi une vague difficile à contenir de sentiments, de souvenirs, de pensées solennelles et graves. Dans cette ville qui fut une dominatrice souveraine de peuples; maîtresse admirable de civilisation, artisan inégalé de lois extrêmement sages, débarqua un jour l'humble pêcheur de Galilée, l'apôtre Pierre, humainement dépourvu et faible, mais soutenu intérieurement par la force de l'Esprit qui faisait de lui le courageux porteur de la Bonne Nouvelle destinée à conquérir le monde. Dans cette même ville est arrivé maintenant un nouveau successeur de Pierre, soumis lui aussi à tant de limites humaines, mais confiant en l'aide indéfectible de la grâce, et venant d'un pays pour lequel vous avez bien voulu, Monsieur le Maire, avoir des paroles de sympathie et de cordialité.

Le nouveau pape commence officiellement aujourd'hui son ministère d'évêque de Rome et de pasteur d'un diocèse qui n'a pas d'égal dans le monde. Je ressens vivement la responsabilité découlant des problèmes complexes qu'entraîné avec soi l'assistance pastorale d'une communauté qui s'est vertigineusement développée ces dernières années. Et je ne saurais m'empêcher de considérer avec sympathie ceux qui, portant sur les épaules, la charge et l'honneur de l'administration civique de la ville, se prodiguent pour l'amélioration des conditions ambiantes, pour le rééquilibre des situations sociales inadéquates, pour l'élévation du niveau général de vie de la population.

En souhaitant que le but auquel tend cet important service rendu à la population soit heureusement atteint, j'exprime également le vœu que l'Administration municipale, faisant proprement sienne une vision du bien commun comprenant toute valeur humaine authentique, sache réserver également une attention ouverte et cordiale aux exigences imposées par la dimension religieuse de la ville qui, en vertu des incomparables valeurs chrétiennes qui caractérisent sa physionomie, est un centre d'attraction de pèlerins provenant de chaque partie du monde.

Avec ces sentiments, j'invoque la bénédiction de Dieu sur cette ville que je sens mienne désormais et je vous souhaite, à vous Monsieur le Maire, à vos collaborateurs et à toute la grande famille du peuple romain, une sereine prospérité et un progrès civil marqué par la concorde, le respect réciproque, l'aspiration sincère à une coexistence pacifique, harmonieuse et juste.

 

 

 

13 novembre 1978

 

MISSION D'ÉVANGÉLISATION EN HARMONIE AVEC LE CONCILE

 

Aux évêques néo-zélandais en visite « ad limina »

 

Jean Paul II s'adressa le 13 novembre aux évêques de Nouvelle-Zélande en visite « ad limina».

 

Chers frères en Nôtre-Seigneur Jésus-Christ,

 

Je serai toujours reconnaissant envers le Seigneur qui m'a donné l'occasion de me rendre en visite en Nouvelle-Zélande. Bien que mon séjour parmi vous, en 1973, fut très bref, il m'a donné une grande joie. Soyez assurés que le souvenir de ces jours est resté très vif dans mon esprit et ceci est également une raison de plus pour faire tout mon possible pour être utile à votre peuple bien-aimé dans l'Évangile du Christ. Et aujourd'hui, j'espère qu'avec la grâce de Dieu, je pourrai remplir mon ministère papal à votre égard, mes frères les évêques : comme successeur de Pierre, je désire vous confirmer dans la profession de foi de l'apôtre, de manière que vous puissiez à votre tour, avec une vigueur nouvelle et une force renouvelée, continuer à prêcher Jésus-Christ, le Fils du Dieu vivant, et aider vos populations à réaliser pleinement leur dignité chrétienne et atteindre leur destinée finale.

 

L'Église, lumière du Christ

 

Le concile Vatican II a voulu éviter tout semblant de triomphalisme dans l'Église. A cet égard, il a souligné que le Christ a appelé son Église « à cette réforme permanente dont elle a continuellement besoin en tant qu'institution humaine et terrestre » (Unitatis Redintegratio, n° 6). Le Concile n'a jamais eu l'idée de proclamer que l'Église possède toujours une solution immédiate et facile aux problèmes individuels (cf. Gaudium et Spes, n° 33) ; il souhaita, toutefois, mettre en valeur le rôle d'enseignement de l'Église : le fait est que Dieu l'a dotée de lumières pour qu'elle puisse offrir des solutions aux problèmes qui affectent l'humanité (cf. Gaudium et Spes, 12). Le concile désire que, grâce à l'annonce de l'Évangile, tous les peuples soient illuminés de la lumière du Christ que reflète le visage de l'Église (cf. Lumen Gentium, n° 1).

L'Église reflète fidèlement la lumière du Christ, et du Christ elle a reçu un message qui répond aux aspirations fondamentales du cœur humain. Dans la Constitution pastorale sur l'Église dans le monde d'aujourd'hui, il nous est rappelé .que « les évêques, qui ont reçu la charge de diriger l'Église de Dieu, doivent prêcher avec leurs prêtres le message du Christ, de telle sorte que toutes les activités terrestres des fidèles puissent être baignées de la lumière de l'Évangile » (Gaudium et Spes, 43). En tant qu'évêques, vous êtes tenus de remplir constamment ce rôle de service pastoral : porter le trésor de la Parole de Dieu dans la vie de chaque membre du troupeau afin de le marquer profondément, porter la lumière du Christ dans toute vie individuelle ou communautaire.

 

La grande mission de l'évêque : garder le dépôt de la doctrine chrétienne

 

Je désire vous assurer maintenant que je suis parfaitement conscient des liens qui vous unissent dans l'Église et dans sa communion hiérarchique. Vous avez mes prières et mon appui pour tout ce qui concerne votre travail apostolique. En particulier, je suis totalement avec vous dans votre mission de protéger la vie humaine à tous ses niveaux. Dans tous vos efforts catéchistiques, dans votre activité en faveur de l'éducation catholique, vous pouvez compter sur la solidarité de l'Église universelle. Comme elle est importante l'œuvre qui consiste à pourvoir les enfants d'écoles catholiques où ils peuvent          « grandir de toutes manières vers Celui qui est la Tête, le Christ » (Ep. 4, 15) ! Quelle grande mission est pour l'évêque celle de garder le dépôt de la doctrine chrétienne, de manière que chaque génération nouvelle puisse recevoir la plénitude de la foi apostolique! Et combien profondes sont la sensibilité paternelle et la direction spirituelle auxquelles l'évêque est appelé pour s'associer effectivement tout le diocèse dans l'exercice d'une vigilance collective nécessaire pour maintenir une fidèle éducation catholique ! Par la parole et l'exemple, par la prière, l'évêque doit inciter chaque membre de la famille chrétienne à accomplir sa part, de sorte que la lumière du Christ baigne chacun dans tout aspect vital de la vie moderne.

En dépit des difficultés et des obstacles, nous ne devons jamais faiblir dans notre tâche de travailler pour le rétablissement de l'unité chrétienne, conformément au désir ardent du cœur du Christ. Les directives du Concile œcuménique sont décisives, et ses appels à la conversion et à la sainteté sont aujourd'hui aussi impérieux qu'il y a quatorze ans quand il les a lancés : « Que les fidèles se souviennent tous qu'ils favoriseront l'union des chrétiens, bien plus, qu'ils la réaliseront, dans la mesure où ils s'appliqueront à vivre plus purement selon l'Évangile» (Unitatis Redintegratio, n° 7). Le grand héritage œcuménique du Concile a été succinctement résumé par Paul VI dans les dernières lignes de son testament, où il nous propose, une fois de plus, la méditation et la prière, les nôtres et celles de l'Église tout entière. « Que l'on poursuive l'œuvre de rapprochement avec les frères séparés, avec beaucoup de compréhension, beaucoup de patience ; avec un grand amour ; mais sans dévier de la vraie doctrine catholique ». Ce délicat travail dépasse les forces humaines ; seul l'Esprit-Saint peut nous mener à sa conclusion. Avec un amour intense, nous devons prier le Père. « Le Royaume est proche, il nous sera donné ».

Avec ces réflexions, je réitère mon affection dans le Christ pour tous les catholiques et pour tous vos compatriotes de Nouvelle-Zélande. Mon amour s'adresse tout spécialement aux pauvres, aux malades, à ceux qui souffrent. J'envoie un salut particulier au peuple maori et l'encourage à se maintenir ferme dans la foi et fervent dans l'amour.

Ma bénédiction apostolique « à vous tous qui êtes dans le Christ ! » (I P 5, 14).

 

 

 

14 novembre 1978

 

L'ÉVÊQUE TÉMOIN DU CHRIST

 

Le pape à des pèlerins d'Ernakulam

 

Le 14 novembre dernier, Jean Paul II a reçu en audience un groupe de religieux et de fidèles de l'archidiocèse d'Ernakulam (Inde), venus en pèlerinage à Rome pour Jeter le vingt-cinquième anniversaire de l'ordination épiscopale de leur archevêque, le cardinal Joseph Parecattil.

 

Chers Amis en le Christ,

 

Ce mois-ci, le cardinal Joseph Parecattil commémorera le vingt-cinquième anniversaire de son ordination épiscopale et c'est pour moi un grand plaisir de célébrer cet événement en recevant un groupe de fidèles d'Ernakulam.

Votre présence ici est en fait une représentation de votre archidiocèse tout entier : du clergé, des religieux et des laïcs, entourant votre archevêque et, dans la foi et dans l'amour unis à l'Église universelle, sous Jésus-Christ, le «Chef des Pasteurs» (1 P 5, 4). Le sublime mystère de l'Église locale est présenté ici dans toute sa beauté et l’Évêque de Rome trouve une grande joie dans votre présence et un immense réconfort spirituel dans l'amour filial que vous lui témoignez en tant que successeur de Pierre.

Mon plus vif désir est que votre visite à ce siège de Pierre et le renouvellement de votre acte de foi près de sa tombe en la Basilique, vous laissent un vivant souvenir pour tout le reste de votre existence. L'édification de l'Église est entièrement liée à la profession de Pierre au sujet de la divinité du Seigneur Jésus : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16). Toute notre ecclésiologie tire sa signification de cette grande réalité ; notre vocation de chrétiens est de proclamer par l'authenticité de notre vie ce que nous acceptons avec foi.

Un évêque est appelé d'une manière particulière à donner témoignage de la foi en Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, Fils de Dieu et Fils de Marie. C'est ce qu'a fait pendant un quart de siècle le cardinal Joseph Parecattil et je désire aujourd'hui, en votre présence, lui rendre honneur, à lui et à l’épiscopat qui est le grand don que Dieu a fait pour garantir que la foi de son Église sera transmise, soutenue et nourrie.

Mes salutations vous accompagneront, cardinal Parecattil, et chacun de vous, à Ernakulam. Dans l'amour du Seigneur, j'embrasse tous les membres de la communauté ecclésiale, spécialement ceux qui souffrent ou sont affligés de quelque manière. Je vous assure que l'Église vous est reconnaissante pour les vocations sacerdotales et religieuses qui sont nées dans vos milieux et pour les fruits de justice et de sainteté que vous avez montrés dans votre vie chrétienne.

Fortifiés par la grâce de Dieu et « les yeux fixés sur Jésus, le Chef de notre foi qui mène à la perfection » (He 12, 2) :voilà ma prière pour Ernakulam, en cette joyeuse circonstance et pour toujours.

Avec ma bénédiction apostolique.

 

 

 

15 novembre 1978

 

AUX ÉLÈVES DES ÉCOLES DE POMPIERS

 

Chers jeunes gens,

 

J'ai accueilli bien volontiers le désir que m'ont exprimé vos supérieurs de m'entretenir avec vous, élèves des écoles anti-incendie de Rome dans cette cour Saint-Damase, pour vous adresser quelques mots de satisfaction et d'éloges pour ce que vous « êtes » et pour ce que vous « faites ».

— Vous « êtes » des jeunes enthousiastes et généreux qui désirent, comme vos aînés l'ont déjà fait les années précédentes, avec mon vénéré prédécesseur le pape Paul VI, témoigner au nouveau pape votre foi en Dieu et votre confiance en l'Église. Pour ceci, je vous remercie et vous exprime toute ma sympathie et toute ma solidarité.

— Vous « faites » des exercices pratiques pour vous entraîner, dans la discipline du corps et de l'esprit, à rendre à la communauté un précieux service pour la défense et la sécurité des citoyens, parfois au prix de grands dangers ; eh bien, sachez unir à l'exercice des vertus humaines, propres à votre future profession, l'idéal noble et ennoblissant qui vous fait découvrir, dans le frère en danger ou dans le besoin, le Christ lui-même (cf. Mt 25, 31-46).

Je souhaite également que, lorsque vous retournerez chez vous après votre stage, vous puissiez réaliser toutes ces bonnes intentions dans la vie privée et dans la vie publique : dans la formation des futures familles auxquelles vous pensez déjà et dans votre insertion dans la société, comme de braves et honnêtes citoyens, aimant le progrès, la justice, la paix et le respect mutuel.

Avec ces vœux, je salue et remercie de nouveau les officiers du Commando, l’aumônier-chef et vous tous, chers jeunes gens qui êtes l'espérance de l'Église et de la société et je vous donne à tous ma bénédiction que je désire étendre à vos amis, à vos parents et à tous ceux qui vous sont chers.

 

 

 

15 novembre 1978

 

SUIVEZ LE CHRIST ET CONSTRUISEZ L'HOMME EN VOUS

 

Jean Paul II et les jeunes

 

Onze mille enfants étaient réunis mercredi dernier 15 novembre en la basilique Saint-Pierre pour participer à une des deux audiences générales de ce jour. Cela devient une habitude, sinon une nécessité, tellement nombreuse est la foule qui désire voir et entendre le nouveau pape.

Voici, en traduction, ce que leur a dit Jean Paul II :

 

Aujourd'hui cette patriarcale Basilique Vaticane est de nouveau bondée d'une jeunesse joyeuse qui offre à mes yeux et surtout à mon cœur un spectacle grandiose et exaltant.

Je vous remercie, chers jeunes gens et jeunes filles, chers jeunes des écoles, des paroisses et des associations catholiques, pour la joie et le réconfort que vous me procurez par votre présence si nombreuse qui confirme combien vivement vous ressentez le problème religieux et moral, un problème qui répond aux aspirations profondes de l'esprit.

Je désire vous assurer que je suis de près vos problèmes, vos difficultés ; je partage vos aspirations ; je désire vous accompagner le long de votre chemin.

Je l'ai déjà répété en diverses circonstances : vous, les jeunes, vous êtes l'espérance de l'Église et de la société. Cette affirmation, si évidente à première vue, a cependant besoin d'une pause de réflexion.

D'abord, les adultes, les parents, les éducateurs, les hommes responsables de l'Église et de la société, sont-ils vraiment convaincus de l'espérance que vous représentez ? Les raisons de leur angoisse, découlant de quelques-unes des expressions de vie de la jeunesse actuelle, pourraient avoir affaibli en eux un peu de cette confiance qui est pourtant source d'intelligence et intense activité en vue de votre formation.

Et vous, chers jeunes, vous sentez-vous vraiment, profondément, l'espérance et la joyeuse promesse de demain ? Certes, il ne suffit pas de la conscience d'un âge à ses débuts pour donner ce sentiment de confiance intérieure qui permet de regarder l'avenir avec la tranquille certitude de pouvoir transformer les forces opérant dans le monde, pour édifier une coexistence vraiment digne de l'homme.

Être jeune, signifie vivre en soi une incessante nouveauté d'esprit, alimenter une continuelle recherche du bien, libérer une impulsion pour se rendre toujours meilleur, réaliser une persévérante volonté du don de soi-même. Qui va permettre tout cela ? L'homme aurait-il en lui-même la vigueur d'affronter avec ses propres forces les embûches du mal, de l'égoïsme et, disons-le clairement, celles désagrégeantes du « prince de ce monde », toujours zélé pour donner à l'homme, d'abord une fausse idée de son autonomie et le conduire ensuite, à travers l'insuccès, dans le gouffre du désespoir.

Au Christ, l’éternellement jeune, au Christ vainqueur de toute expression de mort, au Christ qui, dans l’Esprit-Saint, communique la continuelle et impétueuse vie du Père, nous devons tous recourir, jeunes et adultes, afin de fonder et d'assurer l'espérance du futur que vous construisez mais qui se trouve déjà en puissance dans l'aujourd'hui.

Jésus-Christ doit vaincre. Chaque fois que sa grâce détruit en nous les forces du mal, II renouvelle notre jeunesse, élargit les horizons de notre espérance, fortifie les énergies de notre confiance.

La victoire du Christ dans nos cœurs exige l'exercice de la vertu de force, la troisième vertu cardinale que nous avons choisie pour thème de l'audience générale d'aujourd'hui.

Cette vertu, qui nous permet d'affronter les dangers et de supporter les adversités — comme l'affirme saint Thomas d'Aquin — permet à l'homme de combattre courageusement, d'« agir contre », pour les idéaux de la justice de l'honnêteté et de la paix par lesquels vous vous sentez vivement attirés. On ne peut penser à construire un monde nouveau sans être fort et courageux, sans surmonter les fausses idées à la mode, les critères de violence du monde, les suggestions du mal. Tout ceci nous impose de franchir le mur de la peur pour apporter notre témoignage au Christ et offrir en même temps — les deux réalités se superposent — une image de l'homme vrai qui s'exprime uniquement dans l'amour, dans le don de soi.

A vous aussi je veux montrer l'exemple de force d'un jeune garçon de 18 ans, saint Stanislas Kostka, patron des jeunes, qui, pour suivre sa propre vocation à l'état religieux et bien qu'il fût de santé délicate et de nature sensible, affronta l'opposition de son milieu, échappa à la poursuite des siens, et accomplit, en cachette, à pied, le voyage de Vienne à Rome, afin de pouvoir entrer au noviciat des Jésuites et répondre ainsi à l'appel du Seigneur. Sa tombe, en l'église Saint-André au Quirinal, est principalement ce mois-ci, un but de pieuses visites pour des phalanges de jeunes.

Voilà, chers jeunes, suivre le Christ, édifier l'homme en vous et s'employer à l'édifier en autrui, cela comporte de courageuses intentions et la force tenace de les mettre en œuvre, cherchant aussi un soutien mutuel dans ces formes d'association qui permettent d'unir vos forces, d'approfondir et d'échanger vos convictions, de vous encourager par une aide affectueuse et réciproque.

Confiez-vous à la grâce du Seigneur qui crie en vous et pour nous : « Courage ! ».

C'est le Christ qui remportera la victoire sur le monde. Voulez-vous vous mettre de son côté et affronter avec lui ce combat de l'amour, animés d'une invincible espérance et de force courageuse ?

Vous ne serez pas seuls : tout le monde sera avec vous, et le Pape tout autant, lui qui vous aime et vous bénit.

 

 

 

15 novembre 1978

 

AUX ŒUVRES MISSIONNAIRES PONTIFICALES

 

Avec une toute particulière intensité d'affection, j'adresse maintenant mon salut aux membres du Conseil supérieur des Œuvres missionnaires pontificales qu'accompagné en cette audience le Préfet de la Sacrée Congrégation pour l'évangélisation des peuples, Son Éminence le cardinal Agnelo Rossi.

Votre présence, très chers fils, m'offre l'occasion d'exprimer, avec ma gratitude pour votre geste de sincère dévotion, la haute considération que je nourris pour l'activité intelligente et zélée que vous exercez avec un dévouement admirable au service de la cause missionnaire. Pour le croyant, ceci doit être la cause qui l'emporte sur toutes les autres parce qu'elle concerne le destin éternel des hommes, parce qu'elle répond au mystérieux dessein de Dieu sur la signification de la vie et de l'histoire de l'humanité, parce qu'elle habilite les diverses cultures à poursuivre efficacement l'objectif d'un humanisme vrai et plein.

Continuez donc, avec un dévouement continu, invariable, votre travail d'animation missionnaire, en étroite liaison, d'une part, avec les Conférences épiscopales de vos pays respectifs et de l'autre, avec la Congrégation de Propaganda Fide à qui incombe la charge d'ordonner les efforts de tous vers des objectifs communs.

Que l'Esprit du Christ vous illumine et vous soutienne, en même temps que tous ceux que vous représentez ici, dans cette œuvre délicate et de très grande importance pour la vie de l'Église. Le pape est à vos côtés avec sa prière et avec sa bénédiction.

 

 

 

16 novembre 1978

 

LE RADICALISME DE L'AMOUR DE DIEU

 

Le jeudi 16 novembre, le Saint-Père a reçu en audience les membres de l'Union Internationale des Supérieures Générales.

 

Chères Sœurs,

 

" Ecce quam bonum et iucundum habitare fratres in unum... ". Vous aimez ce psaume et vous le vivez en ce moment. Le temps où les Congrégations religieuses se rencontraient peu, pour des raisons géographiques et d'autres peut-être, est presque révolu. Dieu soit loué ! Et vous aussi mes Sœurs, soyez félicitées : de diverses manières, vous témoignez d'un unique trésor confié par le Christ lui-même à son Église, le trésor incomparable des conseils évangéliques !

Assurément votre Union Internationale des Supérieures générales sort tout juste de l'enfance. Elle n'a que treize ans ! Mais elle a déjà porté de bons fruits. Le nouveau Pape, comme son très méritant prédécesseur Paul VI qui vous a accueillies tant de fois, voudrait qu'elle en porte davantage encore. La célèbre parabole de la vigne et du vigneron doit être souvent présente à mon esprit et au vôtre (Jn 15, 1-8).

Votre rencontre avait pour thème « Vie religieuse et humanité nouvelle ». C'est un thème fondamental, très ancien et très actuel. Si tout le peuple de Dieu est appelé à devenir une humanité nouvelle dans le Christ et par le Christ (Constitution Lumen Gentium, ch. 5), les chemins d'accès à cette humanité nouvelle, autrement dit à la sainteté, sont divers et doivent le demeurer. Précisément, le chapitre VI de Lumen Gentium, sans effectuer la moindre ségrégation entre les membres du Peuple de Dieu qui contredirait le projet rédempteur du Christ Jésus — projet de sainteté et d'unité pour le monde — éclaire toujours votre route. Depuis le Concile, les Congrégations religieuses ont en effet multiplié les temps et les moyens d'approfondissement des valeurs religieuses essentielles. Elles les ont bien remises dans le sillage de la consécration première, ontologique, ineffaçable, qu'est le baptême. Et toutes les religieuses se sont comme transmis un mot de passe : « Soyons d'abord des chrétiennes ! », un certain nombre lui préférant ou lui adjoignant celui-ci : « Soyons d'abord des femmes ! ». Il est évident que les deux ne s'excluent pas. Ces formules frappantes ont trouvé un écho favorable dans une grande partie du peuple de Dieu. Mais le positif d'une telle prise de conscience ne saurait dispenser d'une vigilance continue et avisée. Le trésor des conseils évangéliques et l'engagement, mûri et sans retour, à en faire la charte d'une existence chrétienne ne sauraient être relativisés par une opinion publique, fût-elle ecclésiale. L'Église et, disons, le monde lui-même ont plus que jamais besoin d'hommes et de femmes qui sacrifient tout, pour suivre le Christ à la manière des apôtres. Et à tel point que le sacrifice de l'amour conjugal, des possessions matérielles, de l'exercice totalement autonome de la liberté, devient incompréhensible sans l'amour du Christ. Ce radicalisme est nécessaire pour annoncer de manière prophétique, mais toujours très humble, cette humanité nouvelle selon le Christ, totalement disponible à Dieu et totalement disponible aux autres hommes. Toute religieuse doit témoigner du primat de Dieu et consacrer chaque jour un temps suffisamment long à se tenir devant le Seigneur, pour lui dire son amour et surtout se laisser aimer par Lui. Toute religieuse doit signifier chaque jour, par son mode de vie, qu'elle choisit la simplicité et les moyens pauvres pour tout ce qui concerne sa vie personnelle et communautaire. Toute religieuse doit chaque jour faire la volonté de Dieu et non la sienne, pour signifier que les projets humains, les siens et ceux de la société, ne sont pas les seuls plans de l'histoire, mais qu'il existe un dessein de Dieu requérant le sacrifice de la liberté propre. Ce véritable prophétisme des conseils évangéliques, vécu jour après jour, et tout à fait possible avec la grâce de Dieu, n'est pas une leçon orgueilleuse donnée au peuple chrétien, mais une lumière absolument indispensable à la vie de l'Église — tentée parfois de recourir aux moyens de puissance — et même indispensable à l'humanité qui erre sur les chemins séduisants et décevants du matérialisme et de l'athéisme.

Et si vraiment votre consécration à Dieu est une réalité aussi profonde, il n'est pas sans importance d'en porter de façon permanente le signe extérieur que constitue un habit religieux simple et adapté : c'est le moyen de vous rappeler constamment à vous-mêmes votre engagement qui tranche sur l'esprit du monde ; c'est un témoignage silencieux mais éloquent ; c'est un signe que notre monde sécularisé a besoin de trouver sur son chemin, comme d'ailleurs beaucoup de chrétiens ou même de non chrétiens le désirent. Je vous demande d'y bien réfléchir.

Voilà mes Sœurs, le prix de votre participation réaliste à l'annonce et à l'édification de cette « humanité nouvelle ». Car l'homme ne peut être comblé, au-delà des biens terrestres nécessaires à sa vie et hélas ! si mal partagés, que par la connaissance et l'amour de Dieu, inséparables de l'accueil et l'amour de tous les hommes, surtout des plus pauvres humainement et moralement. Toutes les recherches, toutes les transformations de vos Congrégations doivent être effectuées dans cette optique, sinon vous travaillez en vain !

Tout cela, mes Sœurs, c'est l'idéal vers lequel vous tendez personnellement, et vers lequel vous entraînez maternellement et fermement vos compagnes de route évangélique. Pratiquement, vous le savez mieux que d'autres, vous vous heurtez de temps en temps à d'inévitables contingences : soit les rapides mutations sociales d'un pays, soit le petit nombre et le vieillissement de vos sujets, soit encore le vent des recherches et des expériences interminables, les requêtes des jeunes, etc. Soyez accueillantes à toutes ces réalités. Prenez-les au sérieux, jamais au tragique. Cherchez calmement des solutions progressives, claires, courageuses. Tout en demeurant vous-mêmes, cherchez avec d'autres. Par-dessus tout, soyez filles de l'Église, non seulement en paroles mais en actes ! Dans la fidélité toujours renouvelée au charisme de leurs fondateurs, les Congrégations doivent en effet s'efforcer de correspondre à l'attente de l'Église, aux engagements que l'Église, avec ses Pasteurs, estime les plus urgents aujourd'hui pour faire face à une mission qui a tant besoin d'ouvriers qualifiés. Une garantie de cet amour exemplaire de l'Église — inséparable de l'amour du Christ Jésus — c'est votre dialogue avec les responsables de vos Églises locales, avec une volonté de fidélité et de dévouement à ces Églises, ce sont aussi vos rapports confiants avec notre Congrégation pour les Religieux et les Instituts séculiers. Chères Sœurs, le capital de générosité de vos Congrégations est immense. Employez ces forces à bon escient. Ne permettez pas qu'elles se dispersent inconsidérément.

Je vous demande de traduire à chacune de vos sœurs, quelle que soit sa place dans la congrégation dont vous avez la responsabilité, l'affection du Pape mais aussi l'espérance qu'il met en elle pour le renouveau d'une exigeante pratique des conseils évangéliques, pour le témoignage signifiant de toutes les communautés religieuses dont la foi ardente, le souffle apostolique, et bien sûr les relations interpersonnelles feraient dire à ceux qui cherchent des chemins nouveaux, dans notre société harassée par le matérialisme, la violence et la peur : « Nous avons trouvé un modèle à imiter... ». Oui, mes Sœurs, dans l'Église elle-même, sur les traces de sainte Catherine d'Avila entre tant et tant d'autres, vous pouvez montrer la place qui revient à la femme.

Que l'Esprit-Saint agisse puissamment en vous ! Avec Marie, qui lui fut parfaitement docile, vivez dans l'écoute de la Parole de Dieu et mettez-la en pratique, jusqu'à la Croix. Que votre don total au Christ soit toujours une source de joie, de dynamisme, de paix ! A vous toutes, à toutes celles que vous représentez, notre bénédiction apostolique.

 

 

 

17 novembre 1978

 

LA DISCIPLINE SACRAMENTELLE DANS LE VIE DE L'ÉGLISE

 

Aux évêques canadiens en visite « ad limina»

 

Le Saint-Père a reçu en audience les évêques du Canada, le vendredi 17 novembre dans l'après-midi; cette audience était la conclusion d'entretiens personnels entre le pape et chacun de ces évêques au cours des journées précédentes. Voici notre traduction du discours prononcé, en partie en anglais et en partie en français, par Jean Paul II :

 

Chers Frères en Nôtre-Seigneur Jésus-Christ,

 

C'est une source féconde de force pastorale de nous rassembler au nom de Jésus et dans l'unité de son Église. Pour moi personnellement c'est une joie réelle de vous accueillir à titre de frères dans l'épiscopat, de membres participants de l'Évangile, de pasteurs d'une grande partie du Peuple de Dieu au Canada. Vos diocèses ont une importance immense pour l'Église universelle et pour moi-même qu'un insondable dessein de Dieu a placé sur le Siège de Pierre pour être le serviteur de tous.

Selon le Concile Vatican II, la notion exacte d'un diocèse est celle d'une « portion du peuple de Dieu confiée à un évêque pour qu'avec l'aide de son presbyterium, il en soit le pasteur : ainsi le diocèse, lié à son pasteur et à l'Eucharistie, constitue une Église particulière en laquelle est vraiment présente et agissante l'Église du Christ, une, sainte, catholique et apostolique» (Christus Dominus, 11). C'est le mystère de l'amour de Dieu sur lequel nous réfléchissons aujourd'hui : l'évêque comme pasteur d'une Église particulière dans laquelle demeure l'unité catholique.

Cette unité est effectuée et assurée par l'Évangile et par l'Eucharistie. En effet, le Concile nous rappelle que « parmi les charges principales des évêques la prédication de l'Évangile est la première» (Lumen Gentium, 25). L'évêque trouve son identité dans l'évangélisation qu'il donne en se faisant le héraut de cet Évangile dont saint Paul nous dit qu'il est « une force de Dieu pour le salut de tout  croyant » (Rm 1, 16). Au plus haut niveau de notre ministère d'évangélisation se trouve l'Eucharistie, que nous reconnaissons avec foi, selon le Concile, comme « la source et le sommet de toute évangélisation » (Presbyterorum ordinis, 5).

De la parole de Dieu et de son institution suprême dans l'Eucharistie nous retirons joie et force pour être père et frère et ami de nos prêtres qui ont la tâche vitale de collaborer avec nous dans la communication du mystère du Christ. Que la joie qu'engendré l'Évangile dans nos propres vies soit contagieuse pour le ministère de nos prêtres et qu'elle les aide à réaliser combien le Christ a besoin d'eux dans sa mission de salut. Nous-mêmes, au tombeau de Pierre, nous demandons humblement la grâce de remplir notre responsabilité à l'égard du troupeau tout entier avec une force renouvelée et un amour pastoral toujours plus grand. C'est avec la force de l'Évangile du Christ que nous confrontons toutes les situations pastorales et tous les problèmes qui sont liés à notre ministère. C'est seulement sur cette base que nous pouvons bâtir l'Église qui est le germe et le commencement du royaume de Dieu sur la terre et le levain de toute là société. C'est dans la force de la Parole de Dieu que nous trouvons le courage de promouvoir la justice, de témoigner de l'amour, d'exalter le caractère sacré de la vie et de proclamer la dignité de la personne humaine et sa destinée transcendante. Bref, avec la force de l'Évangile, nous avançons avec sérénité et confiance pour proclamer « les insondables richesses du Christ » (Ep 3, 8). Du fait de cette centralité de la Parole de Dieu nous sommes appelés à donner une priorité pastorale absolue à la garde effective et à l'enseignement du dépôt de la foi. A cet égard, saint Paul nous rappelle constamment à la vigilance apostolique : « Je t'adjure devant Dieu et devant le Christ Jésus qui doit juger les vivants et les morts, au nom de son apparition et de son règne : proclame la parole, insiste à temps et à contretemps, réfute, menace, exhorte, avec une patience inlassable et le souci d'instruire » (2 Tm 4, 1-3).

En même temps, comme évêque, nous recevons un appel pressant, le souci pastoral profond de la discipline sacrée qui est commune à l'Église entière (cf. Lumen Gentium, 23). Ceci comporte le besoin d'une sensibilité à l'action délicate et souveraine de l'Esprit-Saint dans la vie de nos populations et une conscience humble du fait que cette action est accomplie d'une façon spéciale par l'intermédiaire des évêques. Ce sont eux qui, en union avec le collège épiscopal tout entier et avec Pierre qui en est la tête, ont reçu la promesse de l'assistance du Saint-Esprit pour pouvoir mener effectivement les fidèles au salut.

En ce moment, dans la vie de l'Église, il y a deux aspects particuliers de la discipline sacramentelle qui méritent l'attention spéciale de l'Église universelle et je voudrais les mentionner pour aider les évêques en tout lieu. Ces matières constituent une part de la discipline générale dont la responsabilité première revient au Saint-Siège et au sujet desquelles le Pape désire soutenir ses frères dans l'épiscopat et proposer une parole d'encouragement et une orientation pastorale pour le bien spirituel des fidèles. Ces deux sujets sont la pratique de la première confession avant la première communion et la question de l'absolution générale.

A la suite d'un début d'expérimentation en cours, Paul VI, en 1973, a réitéré la discipline de l'Église latine au sujet de la première confession. Dans un esprit de fidélité exemplaire, de nombreux évêques, prêtres, diacres, religieux, enseignants et catéchistes se sont employés à expliquer l'importance d'une discipline confirmée par l'autorité suprême de l'Église et à l'appliquer au bénéfice des fidèles. Les communautés ecclésiales étaient affermies dans leur certitude que l'Église universelle donnait une assurance renouvelée dans un domaine pastoral où, précédemment, il existait une honnête divergence d'opinion. Je vous suis reconnaissant de votre vigilance personnelle à ce sujet et je vous demande de continuer à expliquer le souci de l'Église de maintenir cette discipline universelle, si riche de profondeur doctrinale et confirmée par l'expérience de si nombreuses Églises locales. En ce qui concerne les enfants qui ont atteint l'âge de raison, l'Église est heureuse de garantir la valeur pastorale qui leur fait expérimenter l'expression sacramentelle de la conversion avant d'être initiés au partage eucharistique du Mystère Pascal.

Comme pasteur suprême, Paul VI a manifesté une profonde sollicitude similaire à propos de la grande question de la conversion sous son aspect sacramentel de confession individuelle. Au cours d'une visite ad limina, au début de cette année, il s'est étendu assez longuement sur les normes pastorales qui règlent l'usage de l'absolution générale (Discours du 20 avril 1978, aux Évêques des États-Unis). Il a montré que ces normes, de fait, sont liées au solennel enseignement du Concile de Trente sur le précepte divin de la confession individuelle. Une fois encore il a indiqué le caractère tout à fait exceptionnel de l'absolution générale. En même temps, il demandait aux évêques d'aider leurs prêtres « à avoir une estime toujours plus grande de leur splendide ministère de confesseurs... D'autres tâches, en raison du manque de temps, doivent être retardées, ou même abandonnées, mais pas le confessionnal ». Je vous remercie de ce que vous avez fait et de ce que vous ferez pour montrer l'importance de la sage discipline de l'Église dans ce domaine qui est si intimement lié à la tâche de réconciliation. Au nom du Seigneur Jésus, donnons l'assurance, en union avec l'Église entière, à tous nos prêtres, de l'efficacité surnaturelle d'un ministère qui s'exerce avec persévérance dans la confession auriculaire dans une fidélité au commandement du Seigneur et à l'enseignement de son Église. Et une fois encore assurons tout le peuple des grands bienfaits qui découlent de la confession fréquente. Je suis vraiment convaincu par les paroles de mon prédécesseur Pie XII : « Ce n'est pas sans une inspiration du Saint-Esprit que cette pratique a été introduite dans l'Église » (AAS 35, 1943, p. 235).

Nôtre-Seigneur Jésus-Christ lui-même a insisté sur l'indissolubilité qui est essentielle au mariage. Son Église ne doit pas permettre que son enseignement en cette matière soit obscurci. Elle serait infidèle à son Maître si elle n'insistait pas sur le fait, comme Il l'a fait lui-même, que quiconque divorce de son ou de sa partenaire dans le mariage commet un adultère (Me 10, 11-12). L'union inséparable entre le mari et la femme est un grand mystère ou un signe sacramentel en rapport avec le Christ et l'Église. C'est en préservant la clarté de ce signe que nous manifesterons le mieux l'amour qu'il   signifie : l'amour surnaturel qui unit le Christ et l'Église et qui lie ensemble le Christ et ceux qu'il sauve.

Et dans toutes vos activités apostoliques soyez assurés de mon amour fraternel. Je suis uni à vous et à votre clergé — pour qui je prie chaque jour — et je rends grâce à Dieu des nombreuses grâces qu'il a accordées au peuple de vos diocèses : leur sens renouvelé d'une solidarité collective dans la mission de l'Église, les signes récents d'un renouveau spirituel, un goût croissant pour la parole de Dieu, une compréhension plus profonde de leur responsabilité sociale, le courage de la jeunesse pour répondre à l'appel du Christ. Que le renouveau que nous désirons tous comporte également une préservation et un renforcement du grand héritage canadien au service de l'Évangile, en particulier pour le recrutement de missionnaires en grand nombre à travers l'Église pour y prêcher l'Évangile du Christ. Que la paix et la joie du Christ Jésus vous soient puissamment communiquées dans votre ministère pastoral et celui de vos bien-aimés prêtres. Et puissions-nous tous trouver notre encouragement et notre persévérance dans la pleine réalisation de « notre communion qui est avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ » (1 Jn 1, 3).

Mettant joyeusement vos pas dans les pas de vos Prédécesseurs, vous êtes venus, chers Frères, vous agenouiller sur la tombe de l'Apôtre Pierre, comme je l'ai fait moi-même tant de fois, venant de Cracovie.

Cette démarche personnelle et communautaire, toujours émouvante, comporte, un sens très profond, un engagement extrêmement exigeant. Nous savons tous qu'en dépendance du Christ, qui est la seule Pierre angulaire, l'humble pêcheur de Galilée a été appelé par Jésus lui-même le Roc de l'Église. C'est ce Roc qui permet au Peuple de Dieu de grandir à travers le temps et l'espace sur des bases solides, c'est-à-dire sur la foi essentielle, de demeurer en lien profond et permanent avec le Christ Source de Vie, de maintenir et de reconstruire l'unité entre les disciples de résister à l'usure du temps et aux courants extérieurs — et parfois internes — de dissolution et de désagrégation. Oh ! certes, l'Esprit-Saint est toujours à l'œuvre, et je me réjouis avec vous des renouveaux inattendus, des approfondissements réels que vous constatez dans vos communautés. Ils sont les fruits de l'Esprit. Mais les Pasteurs que nous sommes doivent demeurer vigilants, clairvoyants, dans l'espérance et l'humilité. Les forces de dissolution et de désagrégation sont aussi à l'œuvre. La parabole du bon grain et de l'ivraie est toujours actuelle. C'est pour cela que nous devons, nous d'abord, les Pasteurs, professer haut et clair la foi, la doctrine de l'Église, toute la doctrine de l'Église. C'est pour cela qu'il nous faut adhérer et entraîner hardiment l'adhésion des fidèles à la discipline sacramentelle de l'Église, garante de la continuité et de l'authenticité de l'action salvatrice du Christ, garante de la dignité et de l'unité du culte chrétien, et finalement garante de la véritable vitalité du Peuple de Dieu. Voilà ce que requiert le service — qui nous est commun — du salut des âmes. Voilà ce qu'impliqué avant tout la visite « ad limina Apostolorum ».

Que le Seigneur Jésus vous aide lui-même à devenir, avec Pierre, le roc sur lequel s'édifient vos communautés. Mon service, à moi, est de continuer à vous affermir. Je vous accompagnerai par la prière dans votre ministère. Priez aussi pour moi. Et bénissons ensemble toutes vos chères communautés diocésaines.