Catéchisme de la

Somme théologique

Suite

 

 

Deuxième section : Vue détaillée du retour de l’homme à Dieu_ 3

1. Des actes bons ou mauvais considérés dans le détail de leurs espèces et selon les conditions de leur état ordinaire parmi les hommes ; les vertus théologales  3

2. La foi : sa nature ; les conditions de son acte ; le Credo ; la formule de l’acte de foi ; les péchés qui lui sont opposés : l’infidélité ; l’hérésie ; l’apostasie ; le blasphème  4

3. Des dons du Saint-Esprit qui correspondent à la foi : l’intelligence et la science ;  des vices qui leur sont opposés : l’ignorance, l’aveuglement de l’esprit et l’hébétation du sens 8

4. Des préceptes relatifs à la foi – de l’enseignement catéchistique et de la Somme de saint Thomas d’Aquin_ 10

5. L’espérance : nature ; vices qui lui sont opposés : la présomption et le désespoir ; formule de l’acte d’espérance ; ceux qui peuvent faire cet acte. 11

6. Du don de crainte, qui correspond à la vertu d’espérance – crainte servile –  crainte filiale 13

7. Des préceptes relatifs à l’espérance 16

8. La charité : sa nature ; acte principal ; formule de cet acte 17

9. Actes secondaires ou effets de la charité : la joie, la paix, la miséricorde, la bienfaisance, l’aumône, la correction fraternelle  19

10. Vices opposés à la charité et à ses actes : la haine ; la mauvaise tristesse ou le dégoût spirituel et la paresse ; l’envie ; la discorde ; la contention ; le schisme ; la guerre ; la rixe (le duel) ; la sédition ; le scandale 22

11. Préceptes relatifs à la charité 27

12. Du don de sagesse, qui correspond à la charité ; du vice qui lui est opposé 27

13. Des vertus morales : la prudence : nature ; éléments ; vertus annexes ; espèces : prudence individuelle, familiale, royale, militaire. 29

14. Du don de conseil, qui correspond à la prudence 32

15. Des vices opposés à la prudence : l’imprudence ; la précipitation ; l’inconsidération ; l’inconstance ; la négligence ; la fausse prudence ; la prudence de la chair ; l’astuce ; le dol ; la fraude ; la fausse sollicitude 32

16. Des préceptes relatifs à la prudence 35

17. La justice : sa nature ; le droit : droit naturel ; droit positif ; droit privé ; droit public ; droit national ; droit international ; droit civil ; droit ecclésiastique. Justice légale ; justice particulière. — Vice opposé 36

18. Acte de la justice particulière : le jugement 37

19. Justice particulière : ses espèces : justice distributive ; justice commutative 38

20. Acte de la justice commutative : la restitution_ 38

21. Vices opposés à la justice distributive : l’acception des personnes ; — à la justice commutative : l’homicide ; la peine de mort ; la mutilation ;la verbération ; l’incarcération  39

22. Du droit de propriété : devoirs qu’il entraîne. — Violation de ce droit : le vol et la rapine 40

23. Péchés contre la justice, par paroles : dans l’acte du jugement : de la part du juge ; — de la part de l’accusation ; — de la part de l’accusé ; — de la part du témoin ; — de la part de l’avocat 42

24. Péchés par paroles, dans l’ordinaire de la vie : l’injure ; la détraction (médisance et calomnie) ; la zizanie ; la dérision ; la malédiction. 44

25. Péchés où l’on trompe le prochain et où l’on abuse de lui : la fraude ; l’usure 46

26. Des éléments de la vertu de justice : faire le bien et éviter le mal ; — vices opposés : l’omission ; la transgression_ 47

27. Vertus annexes de la justice : la religion ; la piété ; l’observance ; la gratitude ; le soin de la vengeance ; la vérité ; l’amitié ; la libéralité ; l’équité naturelle  48

28. La religion : sa nature 49

29. La religion : ses actes intérieurs : la dévotion ; la prière : nature ; nécessité ; formule ; le Notre Père, ou l’oraison dominicale ; efficacité  49

30. Actes extérieurs : l’adoration ; le sacrifice ; les dons ; le denier du culte ; le vœu ; le serment ; l’invocation du saint nom de Dieu  52

31. Vices opposés à la religion : la superstition ; la divination ; l’irréligion ; la tentation de Dieu ; le parjure ; le sacrilège  54

32. La piété envers les parents et envers la patrie 56

33. L’observance envers les supérieurs 56

34. La gratitude ou la reconnaissance 57

35. La vindicte ou le soin de la vengeance 58

36. La vérité ; vices opposés : le mensonge ; la simulation ; l’hypocrisie 58

37. L’amitié ; vices opposés : dédain ; flatterie 59

38. La libéralité ; vices opposés : l’avarice ; la prodigalité 59

39. L’équité naturelle (ou l’épikie) 61

40. Du don de piété, qui correspond à la justice et à ses parties 61

41. Des préceptes relatifs à la justice, qui sont ceux du Décalogue : les trois premiers ; les quatre derniers 62

42. La force : vertu ; acte : le martyre ; vices opposés : la peur ; l’insensibilité ; la témérité 63

43. Vertus annexes, la magnanimité ; vices opposés : la présomption ; l’ambition ; la vaine gloire ; la pusillanimité 64

44. La magnificence ; vices opposés : la petitesse ; les dépenses outrées 65

45. La patience ; la longanimité et la constance 65

46. La persévérance ; — vices opposés : la mollesse ; la pertinacité 65

47. Du don de la force, qui correspond à la vertu de force 66

48. Des préceptes relatifs à la force 66

49. La tempérance ; l’abstinence ; le jeûne ; vice opposé : la gourmandise 67

50. La sobriété ; vice opposé : l’ébriété 69

51. La chasteté ; la virginité ; vice opposé : la luxure 70

52. Vertus annexes de la tempérance : la continence ; vice opposé : l’incontinence 71

53. La clémence et la mansuétude ; vices opposés : la colère ; la cruauté ou la férocité 71

54. La modestie : l’humilité ; vice opposé : l’orgueil ; le péché d’Adam et d’Ève ; le naturalisme et le laïcisme 73

55. La studiosité ; vice opposé : la curiosité 74

56. La modestie extérieure 75

57. Du don qui correspond à la vertu de tempérance 76

58. Préceptes relatifs à la tempérance et à ses parties 76

59. Suffisance des vertus et leur rôle. – Double vie : active et contemplative ; l’état de perfection. – La vie religieuse : les familles religieuses dans l’Église  77

 

Deuxième section : Vue détaillée du retour de l’homme à Dieu

 

1. Des actes bons ou mauvais considérés dans le détail de leurs espèces et selon les conditions de leur état ordinaire parmi les hommes ; les vertus théologales

 

— Quelles sont les plus grandes de toutes les vertus et celles dont il importe au plus haut point de produire les actes ?

— Ce sont les vertus théologales.

 

— Pourquoi dites-vous que ces vertus sont les plus grandes et celles dont il importe au plus haut point de produire les actes ?

— Parce que ce sont elles qui font que l’homme atteint sa fin dernière surnaturelle autant qu’il peut et doit l’atteindre sur cette terre pour rendre toute sa vie méritoire et posséder un jour dans le ciel cette même fin dernière qui doit être son éternel bonheur.

 

— Il est donc impossible que l’homme fasse rien de bon surnaturellement sans les vertus théologales ?

— Oui, il est tout à fait impossible que l’homme fasse rien de bon surnaturellement sans les vertus théologales.

 

— Quelles sont les vertus théologales ?

— Les vertus théologales sont : la foi, l’espérance et la charité.

 

2. La foi : sa nature ; les conditions de son acte ; le Credo ; la formule de l’acte de foi ; les péchés qui lui sont opposés : l’infidélité ; l’hérésie ; l’apostasie ; le blasphème

 

— Qu’est-ce que la foi ?

— La foi est une vertu surnaturelle qui fait que notre intelligence adhère très fermement et sans crainte de se tromper, bien qu’elle ne le voie pas, à ce que Dieu nous a révélé, notamment sur lui-même et sur sa volonté de se donner un jour lui-même à nous comme objet de notre bonheur parfait (q. 1, 2 et 4).

 

— Comment notre intelligence peut-elle adhérer fermement, sans crainte de se tromper, à ce que Dieu a révélé et qu’elle ne voit pas ?

— En se fondant sur l’autorité de Dieu, qui ne peut ni se tromper, ni nous tromper (q. 1, a. 1).

 

— Et pourquoi Dieu ne peut-il ni se tromper, ni nous tromper ?

— Parce qu’il est la vérité même (q. 1, a. 1 ; q. 4, a. 8).

 

— Mais comment savons-nous que Dieu nous a révélé ce que vous dites ?

— Nous le savons par ceux à qui il l’a révélé et par ceux à qui il a confié le dépôt de sa révélation (q. 1, a. 6 et 10).

 

— Quels sont ceux à qui Dieu l’a révélé ?

— C’est d’abord le premier homme lui-même, à qui Dieu s’est manifesté directement ; ce sont ensuite tous les prophètes de l’Ancien Testament ; et, enfin, les apôtres au temps de Jésus-Christ (q. 1, a. 7).

 

— Comment savons-nous que Dieu s’est ainsi révélé au premier homme, aux prophètes, aux apôtres ?

— Nous le savons par l’histoire qui nous le rapporte et qui nous dit aussi les prodiges ou les miracles faits par Dieu pour convaincre les hommes de son intervention surnaturelle.

 

— Le miracle prouve-t-il d’une façon absolue que Dieu est intervenu ?

— Oui, puisqu’il est le signe même de Dieu, nulle créature ne pouvant l’accomplir par sa propre vertu.

 

— Où se trouve l’histoire de ces interventions surnaturelles de Dieu et de sa révélation ?

— Cette histoire se trouve surtout dans l’Écriture sainte ou la Bible.

 

— Qu’entendez-vous par l’Écriture sainte ou la Bible ?

— J’entends un ensemble de livres divisés en deux groupes qu’on appelle l’Ancien et le Nouveau Testament.

 

— Ces livres ressemblent-ils à tous les autres livres ?

— Non, ces livres ne ressemblent pas à tous les autres livres ; car les autres livres sont écrits par des hommes, tandis que ceux-là ont été écrits par Dieu lui-même.

 

— Que voulez-vous dire quand vous dites que ces livres ont été écrits par Dieu lui-même ?

— Je veux dire que Dieu est l’auteur principal de ces livres ; et qu’il s’est servi, pour les écrire, des hommes choisis par lui, comme autant d’instruments.

 

— Tout ce qui est contenu dans ces livres, y a donc été mis par Dieu ?

— Oui, tout ce qui est contenu dans ces livres y a été mis par Dieu, à parler du premier exemplaire autographe écrit par les écrivains sacrés ; car les autres ne sont divins qu’autant qu’ils sont conformes au premier.

 

— Lors donc que nous lisons ces livres, c’est comme si nous entendions Dieu lui-même nous parler ?

— Oui, quand nous lisons ces livres, c’est comme si nous entendions Dieu lui-même nous parler.

 

— Mais ne pouvons-nous pas nous tromper sur le sens de cette parole de Dieu ?

— Oui, nous pouvons nous tromper sur le sens de cette parole de Dieu ; car, s’il est des passages qui sont par eux-mêmes très clairs, il en est d’autres qui sont obscurs.

 

— D’où vient cette obscurité de la parole de Dieu dans l’Écriture sainte ou la Bible ?

— Cette obscurité vient d’abord des mystères mêmes qu’elle renferme, puisqu’il s’agit, en ce qu’elle a de plus essentiel, de vérités que Dieu seul connaît par lui-même, et qui dépassent toute intelligence créée ; elle vient aussi de l’ancienneté de ces livres, écrits premièrement pour des peuples qui n’avaient ni notre langue, ni nos habitudes de vie ; et, enfin, elle vient des fautes qui ont pu se glisser, soit dans les copies de la langue originale, soit dans les traductions qui en ont été faites et les copies de ces traductions.

 

— Y a-t-il quelqu’un qui soit assuré de ne pas se tromper sur le sens de la parole de Dieu dans l’Écriture sainte, et où qu’elle se trouve ?

— Oui, c’est le souverain pontife, et par lui l’Église catholique dans son enseignement universel (q. 1, a. 10).

 

— Pourquoi dites-vous que le souverain pontife et, par lui, l’Église catholique dans son enseignement universel ne peuvent pas se tromper sur le sens de la parole de Dieu dans l’Écriture sainte, et où qu’elle ait été conservée ?

— Parce que Dieu lui-même a voulu qu’ils fussent infaillibles.

 

— Et pourquoi Dieu a-t-il voulu qu’ils fussent infaillibles ?

— Parce que sans cela les hommes n’auraient pas eu les moyens nécessaires d’arriver sûrement à la fin surnaturelle à laquelle il les appelle (q. 1, a. 10).

 

— Est-ce là ce qu’on veut dire quand on dit que le pape et l’Église sont infaillibles dans les questions qui touchent à la foi et aux mœurs ?

— Oui, et c’est là très exactement le sens de ces expressions, et l’on veut dire que le pape et l’Église ne peuvent jamais se tromper ni nous tromper, quand ils livrent ou interprètent aux hommes la parole de Dieu, en ce qui touche aux vérités essentielles qui regardent les choses qu’il faut croire ou qu’il faut faire, pour obtenir ce qui doit être un jour notre bonheur parfait.

 

— Existe-t-il un résumé de ces vérités essentielles qui regardent ce qu’il faut croire et sont le fondement de ce qu’il faut faire pour obtenir un jour notre bonheur parfait ?

— Oui, c’est le symbole des apôtres ou le Credo (q. 1, a. 6).

 

— Pourriez-vous me dire le symbole des apôtres ou le Credo ?

— Le voici, tel que le récite chaque jour l’Église catholique :

Je crois en Dieu, le Père tout-puissant, Créateur du ciel et de la terre ;

et en Jésus-Christ, son Fils unique, Notre Seigneur,

qui a été conçu du Saint-Esprit ;

est né de la Vierge Marie ;

a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort, a été enseveli ;

est descendu aux enfers ;

le troisième jour est ressuscité d’entre les morts ;

est monté aux cieux, est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant ;

d’où il viendra pour juger les vivants et les morts.

Je crois au Saint-Esprit ;

à la sainte Église catholique, à la communion des saints, à la rémission des péchés ;

à la résurrection de la chair, à la vie éternelle.

Ainsi soit-il.

 

— La récitation de ce symbole des apôtres, ou de ce Credo, est-il l’acte de foi par excellence ?

— Oui, la récitation de ce symbole des apôtres, ou de ce Credo, est l’acte de foi par excellence ; et l’on ne saurait trop le recommander à tous les fidèles comme pratique de chaque jour.

 

— Pourriez-vous me donner encore une autre formule de l’acte de foi, courte et précise, qui serait, elle aussi, excellemment, l’acte de la vertu surnaturelle de foi, qui est la première des vertus théologales ?

— Oui ; et voici cette formule, sous forme d’hommage à Dieu : Mon Dieu, je crois, sur votre parole, tout ce que vous avez révélé, en vue de vous-même, voulant être, un jour, notre bonheur parfait.

 

— Quels sont ceux qui peuvent faire cet acte de foi ?

— Ceux-là seuls qui ont la vertu surnaturelle de foi (q. 4, a. 5).

 

— Les infidèles ne peuvent donc pas faire cet acte de foi ?

— Les infidèles ne peuvent pas faire cet acte de foi ; parce qu’ils ne croient pas ce que Dieu a révélé en vue de leur bonheur surnaturel : soit qu’ils l’ignorent, et ne s’abandonnent point, confiants, à l’action de Dieu, pouvant et voulant leur donner leur bien selon qu’il lui plaît ; soit que, l’ayant connu, ils aient refusé d’y donner l’assentiment de leur esprit (q. 10).

 

— Et les impies peuvent-ils faire cet acte de foi ?

— Non, les impies ne peuvent pas faire cet acte de foi ; parce que, même s’ils tiennent pour certain ce que Dieu a révélé, en raison de l’autorité de Dieu, qui ne peut ni se tromper, ni nous tromper, l’adhésion de leur esprit n’est point l’effet d’une sympathie surnaturelle à l’endroit de la parole de Dieu, qu’ils détestent au contraire, bien que ne pouvant pas ne pas la subir (q. 5, a. 2, ad 2).

 

— Y a-t-il des hommes qui puissent croire de la sorte, sans pourtant faire l’acte de foi de la vertu surnaturelle ?

— Oui, et ils ne font en cela qu’imiter les démons (q. 5, a. 2).

 

— Les hérétiques peuvent-ils faire l’acte de foi de la vertu surnaturelle ?

— Non, les hérétiques ne peuvent pas faire l’acte de foi de la vertu surnaturelle ; parce que, même s’ils adhèrent, par leur esprit, à tel ou tel point de la doctrine révélée, ils n’y adhèrent point sur la parole de Dieu, mais sur leur propre jugement (q. 5, a. 3).

 

— Ces hérétiques sont-ils encore plus en défaut, par rapport à l’acte de foi, que les impies ou les démons ?

— Oui, parce que la parole de Dieu ou son autorité n’est même pas ce qui motive l’adhésion de leur esprit.

 

— Et les apostats, peuvent-ils faire l’acte de foi ?

— Non, les apostats ne peuvent pas faire l’acte de foi ; parce que leur esprit a complètement rejeté ce à quoi ils avaient cru d’abord sur la parole de Dieu (q. 12).

 

— Les pécheurs peuvent-ils faire l’acte de foi, même comme acte de la vertu surnaturelle ?

— Oui, les pécheurs peuvent faire l’acte de foi, même comme acte de la vertu surnaturelle, quand ils ont, en effet, cette vertu : et ils peuvent l’avoir, quoique dans un état imparfait, quand ils n’ont pas la charité ou qu’ils sont en état de péché mortel (q. 4, a. 1 et 4).

 

— Tout péché mortel n’est donc pas un péché contre la foi ?

— Non, tout péché mortel n’est pas un péché contre la foi (q. 10, a. 1 et 4).

 

— En quoi consiste exactement le péché contre la foi ?

— Le péché contre la foi consiste à ne pas vouloir soumettre son esprit à la parole de Dieu par respect et par sympathie pour cette parole (q. 10, a. 1 et 3).

 

— Est-ce toujours la faute de l’homme, s’il ne soumet pas ainsi son esprit à la parole de Dieu, par respect et par sympathie pour cette parole ?

— Oui, c’est toujours la faute de l’homme et parce qu’il résiste à la grâce actuelle de Dieu l’invitant à faire cet acte de soumission (q. 6, a. 1 et 2).

 

— Tous les hommes qui vivent sur cette terre ont-ils toujours cette grâce actuelle ?

— Oui, tous les hommes qui vivent sur cette terre ont toujours cette grâce actuelle, bien qu’à des degrés divers, et selon qu’il plaît à Dieu de la distribuer dans les conseils de sa Providence.

 

— Est-ce une grande grâce de Dieu d’avoir la vertu de foi surnaturelle ?

— Oui, d’avoir la vertu de foi surnaturelle est, d’une certaine manière, la plus grande grâce de Dieu.

 

— Pourquoi dites-vous que d’avoir la foi surnaturelle est la plus grande grâce de Dieu ?

— Parce que, sans la foi surnaturelle, on ne peut absolument rien dans l’ordre du salut ; et qu’on est entièrement perdu pour le ciel, à moins qu’on ne la reçoive de Dieu avant de mourir (q. 2, a. 5 et 8 ; q. 4, a. 7).

 

— Ce serait donc, quand on a le bonheur de la posséder, une grande faute de s’exposer à la perdre par des fréquentations, ou des conversations, ou des lectures qui seraient de nature à y porter atteinte ?

— Oui, ce serait une très grande faute, si on le faisait sciemment ; et c’est toujours chose très regrettable de courir un pareil danger, même si tout d’abord il n’y avait pas de sa faute.

 

— Il importe donc souverainement de bien choisir ses fréquentations et ses lectures, en vue de ne pas exposer, mais, au contraire, pour conserver et développer en soi le grand bien de la foi ?

— Oui, cela importe souverainement, alors surtout que, dans le monde, et avec la liberté effrénée de la presse, on peut rencontrer aujourd’hui tant d’occasions qui sont un péril pour la foi.

 

— Y a-t-il encore un autre péché contre la foi ?

— Oui, c’est le péché de blasphème (q. 13).

 

— Pourquoi dites-vous que le blasphème est un péché contre la foi ?

— Parce qu’il va directement contre l’acte extérieur de la foi, qui est la confession de cette foi par nos paroles : tout blasphème, en effet, consiste à proférer quelque parole qui est injurieuse à Dieu ou à ses saints (q. 13, a. 1).

 

— Le blasphème est-il un grand péché ?

— Le blasphème est toujours de soi un très grand péché (q. 13, a. 2 et 3).

 

— Est-ce que l’habitude de proférer des blasphèmes excuse ou amoindrit leur gravité, quand on les profère ?

— Au contraire, cette habitude les aggrave plutôt, puisqu’au lieu de travailler à s’en corriger, on a laissé ce mal si grave s’enraciner si profondément (q. 13, a. 2, ad 3).

 

3. Des dons du Saint-Esprit qui correspondent à la foi : l’intelligence et la science ;  des vices qui leur sont opposés : l’ignorance, l’aveuglement de l’esprit et l’hébétation du sens

 

— Cette vertu de foi, en ceux où elle se trouve, suffit-elle pour leur faire pleinement atteindre, comme ils le doivent sur cette terre, la vérité de Dieu ?

— Oui, elle suffit, mais selon qu’elle a, pour la servir, plusieurs dons du Saint-Esprit (q. 8, a. 2).

 

— Quels sont ces dons du Saint-Esprit destinés à servir la vertu de foi ?

— Ce sont les dons d’intelligence et de science (q. 8 et 9).

 

— Comment le don d’intelligence aide-t-il la vertu de foi dans la connaissance de la vérité de Dieu ?

— Le don d’intelligence aide la vertu de foi dans la connaissance de la vérité de Dieu en faisant que notre esprit, sous l’action directe de l’Esprit-Saint, pénètre le sens des termes que comportent les affirmations divines, ou de toutes les propositions qui peuvent s’y rapporter, de manière à pleinement entendre ces propositions ou ces affirmations, si elles ne dépassent point la portée de notre intelligence, ou, s’il s’agit des mystères eux-mêmes, de manière à les conserver intacts, malgré toutes les difficultés que ces mystères peuvent soulever (q. 8, a. 2).

 

— Ce don d’intelligence est donc par excellence le don de la lumière ?

— Oui, ce don d’intelligence est par excellence le don de la lumière, et tout ce que nous avons de clartés et de jouissances intellectuelles dans l’ordre de la vérité surnaturelle, dont la claire vue fera notre bonheur au ciel, nous le devons, sur cette terre, en première origine, à ce don d’intelligence, faisant fructifier chez nous, dans notre esprit, ces germes de vérités infinies, que sont les affirmations divines, objet propre et direct de la vertu de foi (q. 8, a. 2).

 

— Le don d’intelligence aide-t-il aussi en vue du bien à pratiquer ?

— Oui, le don d’intelligence aide souverainement en vue du bien à pratiquer, parce que son rôle ou son effet est d’éclairer l’esprit de l’homme sur les raisons de bonté surnaturelle, en vue de la vraie fin surnaturelle de l’homme, qui est la vision de Dieu, contenues dans la vérité révélée que nous tenons de Dieu par la foi, afin que la volonté de l’homme divinisée par la charité puisse s’y porter comme il convient (q. 8, a. 3, 4 et 5).

 

— Pourriez-vous me dire comment ou en quoi le don d’intelligence, qui est une perfection surnaturelle de notre esprit, se distingue de la foi ou des autres dons qui sont aussi une perfection surnaturelle de ce même esprit, tels que les dons de sagesse, de science et de conseil ?

— Oui ; et le voici en quelques mots. – La foi pose devant le regard de l’homme, sous forme de propositions énoncées au nom de Dieu, des vérités dont les principales le dépassent. Ces vérités tantôt regardent Dieu lui-même, tantôt les créatures, tantôt l’action de l’homme. Si l’homme, par la foi, peut assentir à ces vérités comme il convient, il ne peut en vivre par son intelligence, selon qu’il convient à l’obtention du bien que sont pour lui ces vérités, qu’à la condition d’en pénétrer les termes, selon qu’ils sont les principes ou les éléments du triple jugement qu’il peut avoir à porter à leur sujet dans ce même ordre. Le don d’intelligence a pour objet propre cette pénétration des termes des propositions énoncées au nom de Dieu. Quant au triple jugement, il est porté d’une manière parfaite, par le don de sagesse, en ce qui est des choses de Dieu ; par le don de science, en ce qui est des créatures ; par le don de conseil, en ce qui est de l’action de l’homme (q. 8, a. 6).

 

— Pourriez-vous me montrer, d’après cela, l’importance et le rôle du don de science, qui est le deuxième don se rapportant plus spécialement à la vertu de foi ?

— Oui ; et le voici également en quelques mots. Par la vertu du don de science, le fidèle, en état de grâce, sous l’action directe de l’Esprit-Saint, juge, avec une certitude absolue et une infaillible vérité, non point en usant du procédé naturel du raisonnement, mais comme d’instinct et de façon intuitive, le vrai caractère des choses créées dans leur rapport avec les choses de la foi, selon qu’elles doivent être crues ou qu’elles doivent diriger notre conduite, voyant immédiatement ce qui, dans les créatures, est en harmonie avec la vérité première, objet de foi et fin dernière de nos actes, ou ce qui ne l’est pas (q. 9, a. 1 et 3).

 

— Ce don est-il aujourd’hui d’une importance toute spéciale pour les fidèles ?

— Oui, car il constitue le remède par excellence à l’un des plus grands maux qui ont affligé l’humanité, surtout depuis la Renaissance.

 

— Quel est ce mal dont vous parlez ?

— C’est que, depuis lors, a prévalu, même dans le monde qui formait autrefois la chrétienté, le règne de la fausse science, qui n’a plus saisi le véritable rapport des créatures avec Dieu, vérité première et fin dernière de l’homme, mais, dans l’ordre spéculatif, a fait de l’étude des créatures un obstacle perpétuel à la vérité de la foi, et, dans l’ordre pratique, a suscité ce renouveau de l’antique corruption païenne d’autant plus pernicieux qu’il succédait à une floraison plus surnaturelle des vertus pratiquées par les saints.

 

— Est-ce là une des principales causes du mal qui règne dans le monde et afflige la société moderne ?

— Oui, c’est là une des principales causes du mal qui règne dans le monde et afflige la société moderne.

 

— C’est donc dans la vertu de foi et dans les dons d’intelligence et de science qui l’accompagnent, quand les fidèles ont la grâce, que consiste un des plus puissants remèdes contre le mal de la société moderne impie et séparée de Dieu ?

— Oui, c’est dans la vertu de foi et dans les dons d’intelligence et de science qui l’accompagnent, quand les fidèles ont la grâce, que consiste un des plus puissants remèdes contre le mal de la société moderne impie et séparée de Dieu.

 

— Quels sont les vices opposés à ces merveilleux dons du Saint-Esprit que sont l’intelligence et la science ?

— Ce sont : l’ignorance, qui s’oppose à la science, et l’aveuglement de l’esprit avec l’hébétation du sens, qui s’opposent à l’intelligence (q. 15, a. 1 et 2).

 

— D’où viennent ces divers vices, surtout les deux derniers ?

— Ils viennent tout spécialement des péchés charnels qui étouffent la vie de l’esprit (q. 15, a. 3).

 

4. Des préceptes relatifs à la foi – de l’enseignement catéchistique et de la Somme de saint Thomas d’Aquin

 

— Y a-t-il dans la loi de Dieu quelques préceptes relatifs à la foi ?

— Oui, il y a, dans la loi de Dieu, notamment dans la loi nouvelle, des préceptes relatifs à la foi (q. 16, a. 1 et 2).

 

— Pourquoi dites-vous : notamment dans la loi nouvelle ?

— Parce que, dans la loi ancienne, il n’y avait point de préceptes qui eusssent trait aux détails des choses à croire, ces choses-là n’ayant pas encore été détaillées par Dieu comme devant être imposées à la foi de tout le peuple (q. 16, a. 1).

 

— Et pourquoi ces choses à croire qui sont données maintenant dans le détail, au moins en ce qui concerne les deux principaux mystères de la Trinité et de l’Incarnation, comme devant être imposées à la foi de tous les hommes, ne l’étaient-elles point dans l’Ancien Testament ?

— Parce que, dans l’Ancien Testament, le mystère de Jésus-Christ n’existait encore qu’à l’état de promesse ou de figure, et qu’il devait être réservé à Jésus-Christ lui-même, quand il paraîtrait, de révéler aux hommes, dans toute leur plénitude, les deux mystères essentiels de la Trinité et de l’Incarnation.

 

— Qu’était-ce donc que les hommes de l’ancienne loi étaient tenus de croire ?

— Il n’était rien, en fait de ces deux mystères, qu’ils fussent tenus de croire explicitement ; mais d’une façon implicite, ils les croyaient en croyant à l’excellence divine et aux promesses de salut que Dieu leur avait faites et ne cessait de leur renouveler (q. 16, a. 1).

 

— Cela suffisait-il pour qu’ils pussent faire l’acte de foi de la vertu théologale ?

— Oui, cela suffisait pour qu’ils pussent faire l’acte de foi de la vertu théologale.

 

— Notre état, aujourd’hui, est-il préférable à celui des hommes de l’ancienne loi, au point de vue de la foi ?

— Notre état, aujourd’hui, est sans comparaison préférable à celui des hommes de l’ancienne loi au point de vue de la foi.

 

— En quoi consiste cette supériorité ?

— En ce que les mystères dont la claire vue fera notre bonheur éternel au ciel nous sont maintenant manifestés directement et en eux-mêmes, bien que d’une manière encore voilée et obscure, tandis que dans l’ancienne loi on ne les connaissait qu’implicitement et d’une façon vague ou figurée.

 

— Y a-t-il un devoir spécial pour nous, dans la loi nouvelle, de vivre de la pensée de ces grands mystères et de nous appliquer à les entendre de mieux en mieux par la mise en œuvre des dons de science et d’intelligence ?

— Oui, ce devoir spécial existe pour tous les fidèles dans la loi nouvelle, et c’est pour nous aider à mieux le remplir que l’Église s’applique avec tant de soin à instruire les fidèles des choses de la foi.

 

— Quelle est la forme à la portée de tous qui est plus spécialement usitée par l’Église pour cet enseignement ?

— C’est la forme même du catéchisme.

 

— Il y a donc un vrai devoir pour tous les fidèles de connaître l’enseignement du catéchisme et de s’y appliquer selon qu’il est en leur pouvoir ?

— Oui, c’est là un devoir strict pour tous les fidèles.

 

— Cet enseignement du catéchisme se présente-t-il avec une valeur et une autorité spéciales ?

— Oui, cet enseignement du catéchisme est comme la mise à la portée de tous de ce qu’il y a de plus sublime et de plus lumineux dans l’ordre des plus hautes vérités qui sont le pain de nos intelligences.

 

— Qui est l’auteur de cet enseignement ?

— C’est l’Église elle-même dans la personne de ses plus grands génies et de ses plus grands docteurs.

 

— Peut-on dire que cet enseignement vient de ce qui est le fruit par excellence des dons de science et d’intelligence dans l’Église de Dieu ?

— Oui, cet enseignement vient de ce qui est le fruit par excellence des dons de science et d’intelligence dans l’Église de Dieu ; car il n’est que la reproduction, à des degrés divers, du plus merveilleux de ces fruits, qui est la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin.

 

— Cette Somme théologique de saint Thomas d’Aquin jouit-elle d’une autorité spéciale dans l’Église de Dieu ?

— Oui ; et l’Église ordonne que tous ceux qui enseignent en son nom s’en inspirent dans leur enseignement (Code de droit canonique, can. 589, 1366).

 

— Il n’y a donc rien de plus excellent que de vivre de cet enseignement ?

— Il n’y a rien de plus excellent que de vivre de cet enseignement, car on est sûr de vivre alors dans la pleine lumière de la raison et de la foi.

 

5. L’espérance : nature ; vices qui lui sont opposés : la présomption et le désespoir ; formule de l’acte d’espérance ; ceux qui peuvent faire cet acte.

 

— Quelle est la seconde vertu théologale ?

— La seconde vertu théologale est la vertu d’espérance.

 

— Qu’est-ce que la vertu d’espérance ?

— La vertu d’espérance est celle des trois vertus théologales qui fait que notre volonté, appuyée sur l’action de Dieu lui-même venant à notre secours, se porte vers Dieu tel que la foi nous le révèle, comme sur ce qui peut et doit être un jour notre bonheur parfait (q. 17, a. 1 et 2).

 

— Cette sorte d’espérance est-elle possible sans la foi ?

— Cette vertu d’espérance est absolument impossible sans la foi, qu’elle présuppose nécessairement (q. 17, a. 7).

 

— Pourquoi dites-vous que cette vertu d’espérance est impossible sans la foi et qu’elle la présuppose nécessairement ?

— Parce que c’est la foi seule qui donne à l’espérance son objet et le motif sur lequel elle s’appuie (q. 17, a. 7).

 

— Cet objet de l’espérance quel est-il ?

— C’est premièrement et par-dessus tout Dieu lui-même, selon qu’il est à lui-même l’objet de son propre bonheur et qu’il daigne vouloir se communiquer à nous un jour dans le ciel pour nous rendre heureux de ce même bonheur (q. 17, a. 1 et 2).

 

— Peut-il y avoir aussi quelque chose, autre que Dieu ainsi considéré, qui puisse être objet de la vertu d’espérance ?

— Oui, n’importe quel bien véritable peut être l’objet de la vertu d’espérance, pourvu seulement qu’il demeure subordonné à l’objet premier et principal qui est Dieu en lui-même (q. 17, a. 2, ad 2).

 

— Quel est le motif sur lequel s’appuie l’espérance ?

— Le motif sur lequel s’appuie l’espérance n’est pas autre que Dieu lui-même se portant à notre secours par lui ou par ses créatures pour nous mettre à même de le posséder un jour dans le ciel à titre de récompense (q. 17, a. 2).

 

— L’espérance implique donc nécessairement, dans le motif sur lequel elle s’appuie, nos actions vertueuses et méritoires, faites par nous sous l’action de Dieu, nous aidant à le conquérir lui-même tel qu’il veut se donner à nous dans son ciel ?

— Oui, l’espérance implique nécessairement, dans le motif sur lequel elle s’appuie, nos actions vertueuses et méritoires, faites par nous sous l’action de Dieu, nous aidant, par sa grâce, à le conquérir lui-même tel qu’il veut se donner à nous dans son ciel.

 

— Serait-ce un péché contre l’espérance de compter sur la possession de Dieu un jour et de la tenir comme possible pour nous, sans se mettre en peine de s’y préparer par une vie surnaturellement vertueuse ?

— Oui, ce serait un péché contre l’espérance.

 

— Comment s’appelle ce péché ?

— Il s’appelle la présomption (q. 21).

 

— Est-ce le seul péché qu’on puisse commettre contre la vertu d’espérance ?

— Non, il y en a encore un autre, qui s’appelle le désespoir (q. 20).

 

— En quoi consiste le péché du désespoir ?

— Il consiste en ceci : qu’en raison du bien si haut qu’est Dieu devant être possédé tel qu’il est en lui-même, ou en raison des difficultés qu’on constate autour de soi ou en soi pour la pratique d’une vie surnaturellement vertueuse, on fait à Dieu l’injure de penser que l’on n’arrivera pas soi-même à pratiquer cette vie et à conquérir ce bonheur ; et l’on y renonce, s’abstenant désormais d’en appeler au secours de Dieu et de compter sur lui, comme s’il ne devait plus donner ce secours, quoi que l’on puisse faire d’ailleurs (q. 20, a. 1 et 2).

 

— Ce péché de désespoir est-il un péché particulièrement grave ?

— Ce péché est en un sens le plus grave de tous : car, de soi, il rend impossible tout effort vers le bien surnaturel et fait que le pécheur se damne en quelque sorte lui-même (q. 20, a. 3).

 

— L’homme n’a donc jamais le droit de désespérer, quelques grandes que puissent être ses misères ou sa faiblesse morales ?

— Non, l’homme n’a jamais le droit de désespérer ; parce que la miséricorde de Dieu et sa puissance l’emportent à l’infini sur ces misères ou sur sa faiblesse à lui, quelque grandes qu’elles puissent être.

 

— Que faut-il donc que l’homme fasse quand il constate ses misères ou sa faiblesse et se sent comme accablé sous leur poids ?

— Il doit tout de suite correspondre à l’action de la grâce qui l’invite toujours à se tourner vers Dieu, avec la ferme espérance que Dieu aura pitié de lui, l’aidera à se relever et lui donnera la force de vivre d’une vraie vie surnaturelle pour mériter de le posséder un jour dans le ciel.

 

— Pourriez-vous me donner une formule de l’acte d’espérance comme acte de la vertu théologale qu’on appelle de ce nom ?

— Oui ; et la voici sous forme d’hommage à Dieu : Mon Dieu, j’espère, d’une espérance invincible, que vous-même, par votre miséricorde et par votre puissance, vous m’aiderez toujours de votre grâce à me rendre digne, par une vie vraiment surnaturelle, de vous posséder un jour dans le ciel, et que vous vous donnerez en effet à moi pour me rendre heureux de votre propre bonheur, si seulement je ne désespère jamais de vous et que je m’abandonne à l’action de votre grâce.

 

— Cette formule de l’acte d’espérance peut-elle être abrégée encore ?

— Oui, et la voici sous cette forme : Mon Dieu, j’espère en vous d’une sainte et invincible espérance.

 

— Quels sont ceux qui peuvent faire cet acte d’espérance ?

— Tous les fidèles qui sont encore sur la terre peuvent faire cet acte d’espérance.

 

— Les bienheureux dans le ciel n’ont-ils plus la vertu d’espérance ?

— Les bienheureux dans le ciel n’ont plus la vertu d’espérance ; parce qu’ils possèdent désormais le bonheur de Dieu, absent encore pour tous ceux qui l’espèrent (q. 18, a. 2).

 

— Et les damnés, dans l’enfer, n’ont-ils plus rien de la vertu d’espérance ?

— Non, les damnés, dans l’enfer, n’ont plus rien de la vertu d’espérance ; parce que le bonheur de Dieu, objet principal de cette vertu, est à tout jamais impossible pour eux (q. 18, a. 2).

 

— Les âmes du purgatoire ont-elles la vertu d’espérance ?

— Oui, les âmes du purgatoire ont la vertu d’espérance ; mais l’acte de cette vertu n’est plus entièrement le même que pour les fidèles qui vivent sur la terre : si, en effet, elles attendent encore le bonheur de Dieu qu’elles n’ont pas, elles n’ont plus à compter sur le secours de Dieu pour le mériter, ne pouvant plus mériter désormais, et elles ne redoutent plus de le perdre, tout péché étant désormais impossible pour elles (q. 18, a. 3).

 

6. Du don de crainte, qui correspond à la vertu d’espérance – crainte servile –  crainte filiale

 

— Ce n’est donc que pour les fidèles qui vivent sur la terre que la vertu d’espérance doit avoir pour effet d’armer la volonté contre ce qui serait un excès, dans la crainte de ne point parvenir à posséder Dieu un jour ?

— Oui, ce n’est que pour les fidèles qui vivent sur la terre que la vertu d’espérance doit avoir pour effet d’armer la volonté contre ce qui serait un excès, dans la crainte de ne point parvenir à posséder Dieu un jour (q. 18, a. 4).

 

— Y a-t-il une crainte qui soit toujours essentiellement bonne et qui se rapporte à la vertu d’espérance ?

— Oui, il y a une crainte qui est toujours essentiellement bonne et qui se rapporte à la vertu d’espérance.

 

Comment s’appelle cette crainte qui est ainsi toujours essentiellement bonne et qui se rapporte à la vertu d’espérance ?

— C’est la crainte de Dieu appelée du nom de crainte filiale (q. 19, a. 1, 2).

 

— Qu’entendez-vous par cette crainte de Dieu appelée du nom de crainte filiale ?

— C’est la crainte qui fait qu’on se tient devant Dieu avec un saint respect, en raison de son excellence ou de sa bonté d’infinie majesté, et qu’on ne redoute rien tant que de lui déplaire ou de s’exposer à le perdre par ce qui nous empêcherait de le posséder éternellement au ciel (q. 19, a. 2).

 

— Y a-t-il une autre crainte de Dieu distincte de cette crainte filiale ?

— Oui, on l’appelle la crainte servile (q. 19, a. 2).

 

— Que veut-on signifier par ces mots : crainte servile ?

— On désigne par là un sentiment d’ordre inférieur, qui est le propre des esclaves, et qui fait qu’on redoute le maître à cause des peines ou des châtiments qu’il est à même d’infliger (q. 19, a. 2).

 

— La crainte des peines ou des châtiments que Dieu peut infliger a-t-elle toujours la raison de crainte servile ?

— Oui, cette crainte des peines ou des châtiments que Dieu peut infliger a toujours la raison de crainte servile ; mais elle peut ne pas avoir toujours le caractère défectueux qui implique le péché (q. 19, a. 4).

 

— Quand est-ce donc que la crainte servile a ce caractère défectueux qui implique le péché ?

— C’est quand la peine ou le châtiment, ou la perte d’un bien créé quelconque, qui est l’objet de cette crainte, est chose qu’on redoute comme le mal suprême (q. 19, a. 4).

 

— Si donc on redoute ce mal, non pas comme le mal suprême, mais en le subordonnant à ce qui serait la perte du bien de Dieu aimé par-dessus tout, la crainte servile n’est pas chose mauvaise ?

— Non ; elle est même chose bonne, quoique cependant d’un ordre inférieur, et bien moins bonne que la crainte filiale (q. 19, a. 4 et 6).

 

— Pourquoi est-elle moins bonne que la crainte filiale ?

— Parce que la crainte filiale ne se préoccupe en rien de la perte des biens créés pourvu que la possession du bien incréé qu’est Dieu lui-même lui demeure assurée (q. 19, a. 2 et 5).

 

— C’est donc uniquement la perte du bien infini qu’est Dieu lui-même ou ce qui pourrait compromettre sa possession parfaite, que redoute la crainte filiale ?

— Oui, c’est uniquement la perte du bien infini qu’est Dieu lui-même ou ce qui pourrait compromettre sa possession parfaite, que redoute la crainte filiale (q. 19, a. 2).

 

— Cette crainte filiale a-t-elle quelques rapports avec le don du Saint-Esprit qu’on appelle le don de crainte ?

— Oui, cette crainte filiale a le rapport le plus étroit avec le don du Saint-Esprit qu’on appelle le don de crainte (q. 19, a. 9).

 

— C’est donc à la vertu théologale de l’espérance que se rapporte tout spécialement ce don du Saint-Esprit qu’on appelle le don de crainte ?

— Oui, c’est à la vertu théologale de l’espérance que se rapporte tout spécialement le don du Saint-Esprit qu’on appelle le don de crainte (q. 19).

 

— En quoi consiste proprement ce don du Saint-Esprit qu’on appelle le don de crainte ?

— Il consiste en ce que par lui l’homme se tient soumis à Dieu et à l’action du Saint-Esprit, ne lui résistant pas, mais au contraire le révérant et évitant de se soustraire à lui (q. 19, a. 9).

 

— Où se trouve exactement la différence du don de crainte et de la vertu d’espérance ?

— Cette différence se trouve en ceci, que la vertu d’espérance regarde directement le bien infini de Dieu à conquérir par le secours qui nous vient de lui-même, tandis que le don de crainte regarde plutôt le mal que serait pour nous le fait d’être séparé de Dieu et de le perdre, en se soustrayant, par le péché, au divin secours venu de lui pour nous conduire à lui (q. 19, ad 2).

 

— La vertu d’espérance est-elle supérieure au don de crainte ?

— Oui, comme toutes les vertus théologales, du reste, sont supérieures aux dons ; et aussi parce que la vertu d’espérance regarde le bien à posséder : tandis que le don de crainte regarde le mal que serait la privation d’un tel bien.

 

— La crainte, qui est le propre du don du Saint-Esprit, est-elle inséparable de la charité ou de l’amour parfait de Dieu ?

— Oui, la crainte qui est le propre du don du Saint-Esprit est inséparable de la charité ou de l’amour parfait de Dieu ; car elle a pour cause cet amour (q. 19, a. 10).

 

— Peut-elle exister avec l’autre crainte qui est la crainte servile, exempte cependant du caractère de crainte mauvaise ?

— Oui, elle peut exister, au commencement, avec la crainte servile, exempte cependant du caractère de crainte mauvaise ; et c’est pour cela qu’on l’appelle alors du nom de crainte initiale ; mais, à mesure que la charité augmente, elle-même grandit et n’a plus enfin que son nom et son caractère très pur de crainte filiale ou chaste, toute pénétrée de l’amour de Dieu, considéré comme le seul vrai bien, dont la perte serait pour nous le mal suprême et en quelque sorte le seul vrai mal (q. 19, a. 8).

 

— Cette crainte existera-t-elle dans la patrie, au ciel ?

— Oui, cette crainte existera dans la patrie, au ciel ; mais dans son dernier degré de perfection et sans avoir tout à fait le même acte qu’elle a sur cette terre (q. 19, a. 11).

 

— Quel sera l’acte de la crainte filiale au ciel ?

— Ce sera toujours en quelque sorte un acte de saint tremblement devant la grandeur infinie du bien divin et de sa majesté ; mais non plus un tremblement de peur, et comme s’il était encore possible à la béatitude de le perdre ; ce sera un tremblement d’admiration, faisant qu’on admirera Dieu comme existant infiniment au-dessus de la possibilité de la nature ; car éternellement le bienheureux aura la conscience très vive que son infini bonheur ne lui vient que de Dieu (q. 19, a. 11).

 

7. Des préceptes relatifs à l’espérance

 

— Y a-t-il, dans la loi de Dieu, quelques préceptes qui se rapportent à la vertu d’espérance et au don de crainte ?

— Oui, il y a, dans la loi de Dieu, des préceptes qui se rapportent à la vertu d’espérance et au don de crainte ; mais ces préceptes, comme du reste les préceptes relatifs à la foi, en ce qu’ils ont de tout premier, revêtent un caractère spécial, distinct du caractère des préceptes proprement dits, contenus dans la loi de Dieu (q. 21, a. 1 et 2).

 

— Quel est ce caractère spécial des préceptes de la foi et de l’espérance, en ce qu’ils ont de tout premier ?

— C’est qu’ils ne sont point donnés par mode de préceptes ; mais, sous forme de propositions, pour la foi ; et sous forme de promesses ou de menaces, pour l’espérance et la crainte (q. 22, a. 1).

 

— Pourquoi ces sortes de préceptes sont-ils donnés sous cette forme spéciale ?

— Parce qu’ils doivent nécessairement précéder les préceptes proprement dits, contenus dans la loi (q. 22, a. 1).

 

— Et pourquoi ces premiers préceptes relatifs à la foi et à l’espérance ou à la crainte, doivent-ils précéder nécessairement les préceptes proprement dits, contenus dans la loi ?

— Parce que l’acte de foi fait que l’esprit de l’homme est incliné à reconnaître que l’auteur de la loi est tel que l’on doit se soumettre à lui ; et l’espérance de la récompense ou la crainte du châtiment fait que l’homme est amené à observer les préceptes (q. 22, a. 1).

 

— Et quels sont les préceptes proprement dits qui constituent la substance de la loi ?

— Ce sont ceux qui sont imposés à l’homme, ainsi soumis et prêt ou disposé à obéir, pour ordonner et régler sa vie, surtout dans l’ordre de la vertu de justice.

 

— Ces derniers préceptes sont-ils ceux qui constituent le Décalogue ?

— Oui, ces derniers préceptes sont ceux qui constituent le Décalogue.

 

— Les préceptes relatifs à la foi et à l’espérance ne sont donc pas proprement des préceptes du Décalogue ?

— Non, les préceptes relatifs à la foi et à l’espérance ne sont pas proprement des préceptes du Décalogue ; mais, d’abord, ils les précèdent et leur ouvrent la voie ou les rendent possibles ; puis, dans les compléments ou les explications que les prophètes ou Jésus-Christ et les apôtres ont donnés à la loi de Dieu, ils se présentent eux-mêmes sous des formes nouvelles, revêtant à leur tour le caractère d’admonitions ou de préceptes formels complémentaires (q. 22, a. 1, ad 2).

 

— Rien donc n’est plus nécessaire, ni plus rigoureusement voulu de Dieu et ordonné par lui à l’homme, que la soumission absolue de l’esprit de l’homme à Dieu par la foi, et l’acte d’espérance appuyé sur le secours de Dieu en vue de Dieu à conquérir par une vie toute surnaturelle ?

— Oui, rien n’est plus nécessaire, ni plus rigoureusement voulu de Dieu et ordonné par lui à l’homme que la soumission absolue de l’esprit de l’homme à Dieu par la foi, et l’acte d’espérance appuyé sur le secours de Dieu en vue de Dieu à conquérir par une vie toute surnaturelle.

 

— Est-il une vertu spéciale qui ait précisément pour rôle et pour mission de faire que l’homme vive ainsi d’une vie toute surnaturelle en vue de Dieu à conquérir ?

— Oui, et cette vertu s’appelle la charité.

 

8. La charité : sa nature ; acte principal ; formule de cet acte

 

— Qu’est-ce donc que la charité ?

— La charité est une vertu qui nous élève à la vie d’intimité avec Dieu en vue de lui-même selon qu’il est son propre bonheur et qu’il a daigné vouloir nous le communiquer (q. 23, a. 1).

 

— Que suppose en nous cette vie d’intimité avec Dieu à laquelle nous élève la vertu de charité ?

— Cette vie d’intimité avec Dieu suppose en nous deux choses : d’abord, une participation de la nature divine, qui divinise notre nature et nous élève, au-dessus de tout ordre naturel, soit humain, soit angélique, jusqu’à l’ordre qui est propre à Dieu, faisant de nous des dieux et nous donnant d’être de sa famille ; ensuite, des principes d’action, proportionnés à cet être divin, qui nous mettent à même d’agir, en véritables enfants de Dieu, comme Dieu agit lui-même, le connaissant comme il se connaît, l’aimant comme il s’aime, et pouvant jouir de lui comme il en jouit lui-même (q. 23, a. 2).

 

— Ces deux ordres de biens sont-ils indissolublement liés à la présence de la charité dans l’âme ?

— Ces deux ordres de biens sont indissolublement liés à la présence de la charité dans l’âme ; et la charité elle-même n’en est que le couronnement.

 

— Il est donc vrai toujours que quiconque a la charité dans l’âme a aussi la grâce sanctifiante et les vertus et les dons ?

— Oui, quiconque a la charité dans l’âme a toujours nécessairement la grâce sanctifiante et les vertus et les dons (q. 23, a. 7).

 

— La charité est-elle la reine de toutes les vertus ?

— Oui, la charité est la reine de toutes les vertus (q. 23, a. 6).

 

— Pourquoi dites-vous que la charité est la reine de toutes les vertus ?

— Parce que c’est elle qui les commande toutes et les fait agir en vue de la possession de Dieu qui est son objet propre (q. 23, a. 6).

 

— Comment la charité adhère-t-elle et s’unit-elle à Dieu, ou à la possession de Dieu, son objet propre ?

— C’est par l’amour que la charité adhère et s’unit à Dieu, ou à la possession de Dieu, son objet propre (q. 27).

 

— En quoi consiste cet acte d’amour par lequel la charité adhère et s’unit à Dieu, ou à la possession de Dieu, son objet propre ?

— Il consiste en ce que l’homme, par la charité, veut à Dieu ce bien infini qui est Dieu lui-même ; et qu’il veut pour soi ce même bien qui est Dieu étant à lui-même son propre bonheur. (q. 25 et 27).

 

— Quelle différence y a-t-il entre ces deux amours ?

— Il y a cette différence, que l’un est un amour de complaisance en Dieu, selon qu’il est heureux lui-même ; et l’autre, un amour de complaisance en Dieu, selon qu’il est notre propre bonheur.

 

— Ces deux amours sont-ils inséparables dans la vertu de charité ?

— Oui, ces deux amours sont absolument inséparables dans la vertu de charité.

 

— Pourquoi dites-vous que ces deux amours sont inséparables dans la vertu de charité ?

— Parce qu’ils se commandent l’un l’autre et qu’ils sont réciproquement cause l’un de l’autre.

 

— Comment montrez-vous qu’ils se commandent l’un l’autre et qu’ils sont réciproquement cause l’un de l’autre ?

— C’est qu’en effet, si Dieu n’était pas notre bien, nous n’aurions aucune raison de l’aimer ; et s’il n’avait en lui, comme dans sa source, le bien qu’il est pour nous, nous ne l’aimerions pas de l’amour dont nous l’aimons (q. 25, a. 4).

 

— Chacun de ces deux amours est-il un amour pur et un amour parfait ?

— Oui, chacun de ces deux amours est un amour pur et un amour parfait.

 

— Chacun d’eux est-il un amour de la vertu de charité ?

— Oui, chacun d’eux est un amour de la vertu de charité.

 

— Y a-t-il cependant un certain ordre entre ces deux amours ; et lequel des deux tient la première place ?

— Oui, il y a un ordre entre ces deux amours ; et celui qui tient la première place est l’amour qui nous fait nous complaire en Dieu pour le bien infini qu’il est à lui-même.

 

— Pourquoi cet amour doit-il être le premier ?

— Parce que le bien que Dieu est à lui-même l’emporte sur le bien que Dieu est pour nous : non que ce bien soit différent, car c’est toujours Dieu lui-même selon qu’il est en lui-même ; mais parce qu’il est en Dieu d’une manière infinie et comme dans sa source ; tandis qu’il n’est en nous que d’une manière finie et dérivée.

 

— L’amour de la charité porte-t-il encore sur d’autres que sur Dieu et sur nous ?

— Oui, l’amour de la charité porte sur tous ceux qui possèdent déjà le bonheur de Dieu ou qui sont à même de le posséder un jour (q. 25, a. 6-10).

 

— Quels sont ceux qui possèdent déjà le bonheur de Dieu ?

— Ce sont tous les anges et tous les élus qui sont au ciel.

 

— Quels sont ceux qui sont à même de le posséder un jour ?

— Ce sont toutes les âmes de justes qui sont au purgatoire et tous les hommes qui vivent sur la terre.

 

— Il faut donc aimer de l’amour de charité tous les hommes qui vivent sur la terre ?

— Oui, il faut aimer de l’amour de charité tous les hommes qui vivent sur la terre.

 

— Y a-t-il des degrés dans cet amour de charité que nous devons avoir pour d’autres que pour nous ?

— Oui, il y a des degrés dans cet amour de charité ; car nous devons nous aimer d’abord et surtout nous-mêmes ; puis, les autres, selon qu’ils sont plus près de Dieu dans l’ordre surnaturel, ou selon qu’ils sont plus près de nous dans les divers ordres de rapports qui peuvent nous unir à eux ; tels, par exemple, les liens du sang, de l’amitié, de la communauté de vie et le reste (q. 26).

 

— Qu’entend-on signifier quand on dit que nous devons nous aimer d’abord et surtout nous-mêmes, après Dieu, dans l’ordre ou les degrés de l’amour de charité ?

— Cela veut dire que nous devons avant tout et par-dessus tout nous vouloir à nous-mêmes le bonheur de Dieu, à la seule exception de Dieu, à qui nous devons vouloir ce bonheur antérieurement et de préférence à tout autre.

 

— N’est-ce que le bonheur de Dieu que nous devons nous vouloir à nous-mêmes et vouloir aussi aux autres, en vertu de la charité ?

— C’est le bonheur de Dieu avant tout et par-dessus tout ; mais nous devons ou pouvons nous vouloir aussi et vouloir aux autres, en vertu de la charité, tout ce qui est ordonné à ce bonheur de Dieu ou qui demeure dans sa dépendance.

 

— Y a-t-il quelque chose qui soit directement ordonné au bonheur de Dieu ?

— Oui, ce sont les actes des vertus surnaturelles (q. 25, a. 2).

 

— Ce sont donc les actes des vertus surnaturelles que nous devons vouloir pour nous et pour les autres, immédiatement après le bonheur de Dieu et en raison de ce bonheur ?

— Oui, ce sont les actes des vertus surnaturelles que nous devons nous vouloir et vouloir aux autres immédiatement après le bonheur de Dieu et en raison de ce bonheur.

 

— Pouvons-nous nous vouloir aussi et vouloir aux autres les biens temporels, en vertu de la charité ?

— Oui, nous pouvons et quelquefois nous devons nous vouloir et vouloir aussi aux autres les biens temporels, en vertu de la charité.

 

— Quand est-ce que nous devons vouloir ces sortes de biens ?

— Quand ils sont indispensables à notre vie sur cette terre et à la pratique de la vertu.

 

— Quand est-ce que nous pouvons les vouloir ?

— Quand ils ne sont pas indispensables, mais qu’ils peuvent être utiles.

 

— S’ils étaient nuisibles au bien de la vertu, ne pourrions-nous plus nous les vouloir ou les vouloir aux autres, sans aller contre la vertu de charité ?

— Non, si ces sortes de biens temporels deviennent un obstacle à la vie de la vertu et sont une cause de péché, nous ne pouvons plus les vouloir, ni pour nous, ni pour les autres, sans aller contre la vertu de charité.

 

— Pourriez-vous me donner une formule précise et exacte de l’acte d’amour qui constitue l’acte principal de la vertu de charité ?

— Oui, et voici cette formule sous forme d’hommage à Dieu : Mon Dieu, je vous aime de tout mon cœur et par-dessus toutes choses, ne voulant pour moi d’autre bonheur que vous-même, et voulant ce même bonheur, avant tout et par-dessus tout, à vous-même, puis à tous ceux qui vous possèdent déjà ou que vous daignez appeler à vous posséder un jour.

 

9. Actes secondaires ou effets de la charité : la joie, la paix, la miséricorde, la bienfaisance, l’aumône, la correction fraternelle

 

— Que s’ensuit-il, dans l’âme, quand elle a la vertu de charité et qu’elle en produit vraiment l’acte principal ?

— Il s’ensuit un premier effet qui s’appelle la joie (q. 28, a. 1).

 

— Cette joie, effet propre de la charité, est-elle absolue et sans aucun mélange de tristesse ?

— Cette joie est absolue et sans aucun mélange de tristesse, quand elle porte sur l’infini bonheur que Dieu est à lui-même ou qu’il est à ses élus dans le ciel ; mais elle est mélangée de tristesse, quand elle porte sur le bonheur de Dieu non encore possédé par les âmes du purgatoire ou par nous et tous ceux qui vivent encore sur la terre (q. 28, a. 2).

 

— Pourquoi, dans ce dernier cas, la joie de la charité est-elle mélangée de tristesse ?

— Dans ce dernier cas, la joie de la charité est mélangée de tristesse en raison du mal physique ou du mal moral qui atteint ou qui peut atteindre ceux qui se trouvent dans ces divers états (ibid.).

 

— Même alors, cependant, est-ce la joie qui doit dominer en vertu de la charité ?

— Oui, même alors, c’est toujours la joie qui doit dominer en vertu de la charité ; parce que cette joie a pour objet principal et pour première cause l’infini bonheur du divin ami jouissant éternellement du bien infini qui n’est autre que lui et qu’il possède essentiellement, à l’abri de tout mal (ibid.).

 

— Y a-t-il un autre acte ou un autre effet qui suive l’acte principal de la charité en nous ?

— Oui ; et cet acte ou cet autre effet s’appelle la paix (q. 29, a. 3).

 

— Qu’et-ce donc que la paix ?

— La paix est la tranquillité de l’ordre ou l’harmonie parfaite, résultant, en nous et en toutes choses, de ce que toutes nos affections et les affections de toutes les autres créatures sont orientées vers Dieu, objet suprême de notre bonheur parfait (q. 29, a. 1).

 

— N’y a-t-il que ces deux actes intérieurs qui soient un effet en nous ou une suite de l’acte principal de la charité ?

— Non ; il y a encore un autre effet intérieur ou une autre suite de cet acte, et on l’appelle la miséricorde (q. 30).

 

— Qu’entendez-vous par la miséricorde ?

— J’entends, par la miséricorde, une vertu spéciale, distincte de la charité, mais qui en est le fruit, et qui fait qu’on s’apitoie sur la misère d’autrui, comme on le doit, étant donné qu’on est soi-même susceptible d’une semblable misère, ou à tout le moins, qu’on tient cette misère d’autrui, en quelque sorte, comme sa misère propre, en raison de l’amitié qui nous unit à lui (q. 30, a. 1-3).

 

— Cette vertu de la miséricorde est-elle une grande vertu ?

— Oui, elle est même par excellence la vertu qui convient à Dieu, non quant au sentiment affectif de douleur ou de tristesse, qui ne saurait être en lui, mais quant aux effets que ce sentiment, mû par la charité, produit au-dehors (q. 30, a. 4).

 

— Parmi les hommes, cette vertu convient-elle surtout aux plus parfaits ?

— Oui, parmi les hommes aussi, cette vertu convient aux plus parfaits ; car plus un être se rapproche de Dieu, plus il faut que la miséricorde règne en lui, l’inclinant à subvenir partout, autour de lui, et selon l’étendue de ses moyens, soit spirituels, soit temporels, aux misères qu’il rencontre (q. 30, a. 4).

 

— La pratique de cette vertu serait-elle d’un grand secours pour l’établissement et l’affermissement de la paix sociale parmi les hommes ?

— Oui, la pratique de cette vertu serait le moyen par excellence d’établir et d’affermir la paix sociale parmi les hommes.

 

— Est-ce qu’il peut y avoir aussi des actes extérieurs qui soient l’effet propre de la vertu de charité, en raison de son acte principal ?

— Oui, et au premier rang de ces actes se trouve la bienfaisance (q. 31, a. 1).

 

— Qu’est-ce donc que la bienfaisance ?

— La bienfaisance, comme son nom l’indique, est l’acte qui consiste à faire du bien (ibid.).

 

— Cet acte est-il toujours l’acte propre de la seule vertu de charité ?

— Oui, cet acte est toujours l’acte propre de la seule vertu de charité, quand on le prend sous sa raison absolue de bienfaisance (ibid.).

 

— Peut-il être aussi l’acte d’autres vertus distinctes de la charité et sous sa dépendance ?

— Oui, il peut être et il est toujours l’acte d’autres vertus distinctes de la charité, mais sous sa dépendance, quand à la raison générale de bien s’ajoute une raison spéciale et particulière, comme celle de chose due ou de chose nécessaire et dont on a besoin (ibid.).

 

— Quelle vertu intervient dans l’acte de bienfaisance, quand à la raison générale de bien s’ajoute la raison spéciale de chose due ?

— C’est la vertu de justice, qui intervient alors (q. 31, a. 1, ad 3).

 

— Et quelle vertu intervient dans ce même acte de bienfaisance, quand, à la raison générale de bien, se joint la raison spéciale de chose nécessaire ou dont on a besoin ?

— C’est la vertu de miséricorde (ibid.).

 

— Comment s’appelle l’acte de charité qui consiste à faire du bien par l’entremise de la miséricorde ?

— Il s’appelle l’aumône (q. 32, a. 1).

 

— Y a-t-il diverses sortes d’aumônes ?

— Oui, il y a deux grandes sortes d’aumônes, qui sont les aumônes spirituelles et les aumônes corporelles (q. 32, a. 2).

 

— Quelles sont les aumônes corporelles ?

— Les aumônes corporelles sont les suivantes : nourrir celui qui a faim ; donner à boire à celui qui a soif ; vêtir celui qui est nu ; recevoir l’étranger ; visiter celui qui est infirme ; racheter les captifs ; donner aux morts la sépulture (q. 32, a. 2).

 

— Et les aumônes spirituelles, quelles sont-elles ?

— Ce sont : la prière, la doctrine, les conseils, la consolation, la correction, la remise de l’offense (q. 32, a. 2).

 

— Toutes ces aumônes sont-elles d’une grande importance ?

— Oui, toutes ces aumônes sont d’une grande importance, et nous voyons par l’Évangile qu’au jour du jugement c’est par elles que sera motivée la sentence de l’éternelle condamnation ou de l’éternelle récompense.

 

— Quand est-ce qu’il y a une obligation stricte et grave de faire l’aumône ?

— Il y a une obligation stricte et grave de faire l’aumône toutes les fois que le prochain est dans un besoin pressant, spirituel ou corporel, et qu’il n’y a que nous pour le secourir (q. 32, a. 5).

 

— Bien qu’il n’y ait pas immédiatement, d’une façon déterminée, un besoin pressant à secourir, y a-t-il cependant obligation stricte et grave à ne pas laisser inutiles, pour le bien du prochain ou de la société, les dons spirituels ou temporels qu’on a reçus de Dieu en surabondance ?

— Oui, bien qu’il n’y ait pas immédiatement et d’une façon déterminée un besoin pressant à secourir, il y a cependant obligation stricte et grave à ne pas laisser inutiles, pour le bien du prochain ou de la société, les dons spirituels ou temporels qu’on a reçus de Dieu en surabondance (q. 32, a. 5 et 6).

 

— Parmi les diverses aumônes, y en a-t-il une qui soit particulièrement délicate et importante ?

— Oui, c’est la correction fraternelle (q. 33, a. 1).

 

— Qu’entendez-vous par la correction fraternelle ?

— J’entends cette aumône spirituelle qui est ordonnée proprement à guérir le mal du péché en celui qui pèche (q. 33, a. 1).

 

— Cette aumône est-elle un acte de la vertu de charité ?

— Cette aumône est au premier chef un acte de la vertu de charité, par l’entremise de la miséricorde, avec le concours de la prudence qui doit proportionner les moyens à cette fin aussi excellente que délicate et difficile (q. 33, a. 1).

 

— La correction fraternelle est-elle chose de précepte ?

— Oui, la correction fraternelle est obligatoire et de précepte ; mais elle ne l’est comme telle, qu’autant qu’elle s’impose à nous selon les circonstances pour retirer notre frère d’un mal qui engage son salut (q. 33, a. 2).

 

— Quels sont ceux qui sont tenus à la correction fraternelle ?

— Tout homme qui est animé de l’esprit de charité et qui, par suite, n’a pas à se reprocher à lui-même ce qu’il peut apercevoir de grave dans le prochain, est tenu d’avertir ce prochain, quel qu’il soit, même s’il est son supérieur, à charge toutefois d’y apporter tous les égards voulus et pourvu qu’il y ait un espoir fondé que le prochain s’amendera ; dans le cas contraire, il est dispensé de son obligation et doit s’abstenir (q. 33, a. 3-6).

 

10. Vices opposés à la charité et à ses actes : la haine ; la mauvaise tristesse ou le dégoût spirituel et la paresse ; l’envie ; la discorde ; la contention ; le schisme ; la guerre ; la rixe (le duel) ; la sédition ; le scandale

 

— Quel est le sentiment qui doit, avant tout, être banni du cœur de l’homme dans ses rapports avec le prochain ?

— C’est le sentiment de la haine (q. 34).

 

— Qu’est-ce donc que la haine ?

— La haine est le plus grand des vices, opposé directement à l’acte principal de la charité, qui est l’acte d’amour de Dieu et du prochain (q. 34, a. 2-4).

 

— Est-ce une chose possible que Dieu soit haï par quelqu’une de ses créatures ?

— Oui, il n’est que trop possible que Dieu soit haï par quelqu’une de ses créatures (q. 34, a. 1).

 

— Comment expliquez-vous que Dieu, qui est le bien infini et de qui découle tout bien pour ses créatures, soit dans l’ordre naturel, soit dans l’ordre surnaturel, puisse être haï par quelqu’une de ses créatures ?

— On l’explique par la dépravation morale de quelques-unes de ces créatures, lesquelles ne considèrent plus Dieu sous sa raison de bien infini ou de source de tout bien, mais sous la raison de législateur qui défend un mal qu’on aime, ou sous la raison de juge qui condamne et punit le mal qu’on a commis, et dont on ne veut pas se repentir ou demander pardon (q. 34, a. 1).

 

— C’est donc une sorte d’obstination diabolique dans le mal qui fait que des créatures raisonnables ont la haine de Dieu ?

— Oui, c’est une sorte d’obstination diabolique dans le mal qui fait que des créatures raisonnables ont la haine de Dieu.

 

— La haine de Dieu est-elle le plus grand de tous les péchés ?

— La haine de Dieu est sans comparaison le plus grand de tous les péchés (q. 34, a. 2).

 

— Peut-il être jamais permis d’avoir de la haine pour quelqu’un parmi les hommes ?

— Non, il ne peut jamais être permis d’avoir de la haine pour quelqu’un parmi les hommes (q. 34, a. 3).

 

— Mais s’il est des hommes qui font le mal, n’a-t-on pas le droit de les haïr ?

— Non, on n’a jamais le droit de haïr les hommes qui font le mal ; mais on doit détester le mal qu’ils font, précisément en raison de l’amour qu’on doit avoir pour eux (q. 34, a. 3).

 

— N’a-t-on jamais le droit de leur vouloir du mal ?

— Non, on n’a jamais le droit de leur vouloir du mal pour le mal ; mais en vue du bien véritable qu’on leur veut à eux ou qu’on veut à la société et plus encore à Dieu, on peut vouloir qu’ils éprouvent certains maux destinés à les ramener au bien ou à sauvegarder le bien de la société et la gloire de Dieu (q. 34, a. 3).

 

— Peut-on jamais souhaiter à un homme qui vit sur la terre, quelque coupable qu’il puisse être, la damnation éternelle ?

— Non, jamais on ne peut souhaiter à un homme qui vit sur la terre, quelque coupable qu’il puisse être, la damnation éternelle ; car, ce serait aller directement contre l’acte de la vertu de charité, qui doit nous faire vouloir à tous finalement le bonheur de Dieu, à la seule exception des démons et des réprouvés qui sont déjà dans l’enfer.

 

— Y a-t-il un vice qui s’oppose spécialement au second acte de la charité qui s’appelle la joie ?

— Oui, c’est le vice de la tristesse, portant sur le bien spirituel et surnaturel qui est l’objet propre de la charité que nous savons être Dieu lui-même en lui-même, notre bonheur parfait (q. 35).

 

— Comment une telle tristesse est-elle possible ?

— Cette tristesse est possible parce que l’homme, en raison de son goût spirituel dépravé, tient le bien divin, objet de la charité, pour chose non bonne et odieuse et attristante.

 

— Cette tristesse est-elle toujours un péché mortel ?

— Cette tristesse est toujours un péché mortel, quand elle passe de la partie inférieure de notre être ou de la partie sensible jusqu’à la partie rationnelle et supérieure (q. 35, a. 1).

 

— Pourquoi est-elle alors un péché mortel ?

— Parce qu’elle est directement contraire à la charité qui, nous faisant un devoir d’aimer Dieu par-dessus toute chose, nous fait aussi, et par voie de conséquence, un devoir essentiel de prendre en lui notre repos ou le plaisir foncier et dernier de notre âme (q. 35, a. 3).

 

— Cette mauvaise tristesse est-elle un péché capital ?

— Oui, cette mauvaise tristesse est un péché capital, parce qu’elle fait que les hommes accomplissent beaucoup de choses mauvaises et commettent de nombreux péchés, soit afin de l’éviter et d’en sortir, soit parce que son poids les fait se jeter en certaines mauvaises actions (q. 35, a. 4).

 

— Comment s’appelle cette mauvaise tristesse qui est un péché capital ?

— On l’appelle la paresse et le dégoût spirituel.

 

— Pourriez-vous me dire quelles sont les filles de la paresse ou les péchés qui en découlent ?

— Ce sont : la désespérance ou le désespoir ; la pusillanimité ; la torpeur à l’endroit des préceptes ; la rancœur ; la malice ; la divagation de l’âme vers les choses illicites (q. 35, a. 4, ad 2).

 

— Cette paresse est-elle le seul vice qui s’oppose à la joie de la charité ?

— Non, il en est encore un autre, qui s’appelle l’envie (q. 36).

 

— Quelle différence y a-t-il entre ces deux vices, qui s’opposent tous deux à la joie de la charité ?

— Il y a cette différence, entre ces deux vices, que la paresse ou le dégoût spirituel s’oppose à la joie du bien divin selon que ce bien est en Dieu et doit être en nous-mêmes ; tandis que l’envie s’oppose à la joie du bien divin selon que ce bien est celui du prochain (q. 35 et 36).

 

— Qu’est-ce donc que l’envie ?

— L’envie est la tristesse du bien d’autrui, non parce que ce bien nous cause du mal, mais seulement parce que ce bien est celui d’autrui, non le nôtre (q. 36, a. 1, 2 et 3).

 

— Cette tristesse de l’envie est-elle un péché ?

— Oui, parce que c’est s’attrister de ce qui doit être une cause de joie, à savoir : le bien du prochain (q. 36, a. 2).

 

— L’envie est-elle toujours un péché mortel ?

— Oui, l’envie est toujours un péché mortel de sa nature, comme essentiellement contraire à la joie de la charité ; on n’y peut trouver la raison de péché véniel, que s’il s’agit de premiers mouvements imparfaits dans la raison d’actes humains volontaires (q. 36, a. 3).

 

— L’envie est-elle un péché capital ?

— Oui, l’envie est un péché capital, parce que sa mauvaise tristesse porte l’homme à de nombreux péchés, soit pour l’éviter, soit pour s’y conformer (q. 36, a. 4).

 

— Quelles sont les filles de l’envie ou les péchés qui en découlent ?

— Ce sont : l’insinuation ; la détraction ; l’exultation dans les adversités du prochain ; l’affliction dans ses prospérités ; la haine (q. 36, a. 4).

 

— Y a-t-il aussi des vices qui soient opposés à la charité du côté de la paix ?

— Oui, il y a de nombreux vices opposés à la charité du côté de la paix.

 

— Quels sont ces vices nombreux opposés à la charité du côté de la paix ?

— Ce sont : la discorde, dans le cœur ; la contention, dans les paroles ; et, dans l’action : le schisme ; la rixe ; la sédition ; la guerre (q. 37-42).

 

— Pourriez-vous me dire en quoi consiste proprement la discorde qui est un péché contre la charité ?

— Elle consiste dans le fait de ne pas vouloir intentionnellement ce que les autres veulent, quand il est avéré que ces autres veulent le bien, c’est-à-dire ce qui est pour l’honneur de Dieu et le bien du prochain, et ne pas le vouloir précisément pour cette raison-là ; ou encore, à verser dans ce désaccord sans mauvaise intention directe, mais par rapport à des choses qui sont de soi essentielles à l’honneur de Dieu et au bien du prochain ; ou, de quelque objet qu’il s’agisse, et quelle que soit la droiture d’intention, à apporter dans ce désaccord une obstination et une pertinacité indues (q. 37, a. 1).

 

— Et qu’est-ce que la contention ?

— La contention est le fait de lutter avec quelque autre en parole (q. 38, a. 1).

 

— Cette contention est-elle un péché ?

— Oui, si on lutte ainsi avec un autre pour le seul fait de le contredire ; à plus forte raison le serait-elle si on le faisait pour nuire au prochain, ou à la vérité que le prochain défendrait dans ses paroles ; elle le serait même si, en défendant soi-même la vérité, on le faisait sur un ton ou avec des paroles qui seraient de nature à blesser le prochain (q. 38, a. 1).

 

— Qu’entendez-vous par le schisme ?

— Le schisme est une rupture ou une scission qui fait que de soi-même et intentionnellement on se sépare de l’unité de l’Église, soit en refusant de se soumettre au Souverain Pontife comme au chef de toute l’Église, soit en refusant de communiquer avec les membres de l’Église comme tels (q. 39, a. 1).

 

— Pourquoi comptez-vous la guerre parmi les péchés oppposés à charité ?

— Parce que la guerre, quand elle est injuste, est un des plus grands maux dont on puisse être responsable à l’égard du prochain.

 

— Est-ce qu’il peut être jamais permis de faire la guerre ?

— Oui, il peut être permis de faire la guerre, quand on la fait pour une cause juste et sans commettre d’injustice au cours de cette guerre (q. 40, a. 1).

 

— Qu’entendez-vous par une cause juste ?

— J’entends la dure nécessité de faire respecter, même par la force et la voie des armes, les droits essentiels aux rapports des hommes entre eux, quand ces droits ont été violés par une nation étrangère qui refuse de réparer (q. 40, a. 1).

 

— C’est donc alors seulement qu’il est permis de faire la guerre ?

— Oui, c’est uniquement alors qu’il est permis de faire la guerre (q. 40, a. 1).

 

— Ceux qui combattent dans une guerre juste et qui le font sans commettre eux-mêmes d’injustice au cours de cette guerre accomplissent-ils un acte de vertu ?

— Oui, ceux qui combattent au cours d’une guerre juste et n’y commettent eux-mêmes aucune injustice accomplissent un grand acte de vertu, puisqu’ils s’exposent aux plus grands des périls en vue du bien des hommes ou du bien de Dieu qu’ils défendent contre ceux qui les attaquent.

 

— Qu’entendez-vous par le péché opposé à la paix, que vous appelez la rixe ?

— J’entends, par rixe, une sorte de guerre privée qui se fait entre particuliers, sans aucun mandat de l’autorité publique ; et, à ce titre, elle est toujours, de soi, en celui qui en est l’auteur, une faute grave (q. 41, a. 1).

 

— Peut-on rattacher à ce vice l’acte spécial qui s’appelle le duel ?

— Oui, avec cette différence que le duel semble procéder plus à froid et moins sous le coup de la passion, circonstance d’ailleurs qui ne fait qu’ajouter à sa gravité.

 

— Le duel est-il toujours, de soi, essentiellement mauvais ?

— Oui, le duel est toujours, de soi, essentiellement mauvais ; parce qu’on y joue sa vie ou celle du prochain contrairement à la volonté de Dieu qui en est le seul maître.

 

— Et la sédition, qu’est-elle, parmi les vices qui s’opposent à la charité en raison de la paix ?

— La sédition est un vice qui fait que les parties d’un même peuple conspirent ou se soulèvent en tumulte, les unes contre les autres, ou contre l’autorité légitime chargée de pourvoir au bien de l’ensemble (q. 42, a. 1).

 

— La sédition est-elle un grand péché ?

— Oui, la sédition est toujours un très grand péché ; parce que n’existant rien de plus grand ou de plus excellent, dans l’ordre humain, que l’ordre public, condition indispensable des autres biens dans cet ordre, il s’ensuit qu’avec le crime de la guerre injuste, et peut-être même, en un sens, plus encore que ce crime, celui de la sédition est le plus grand des crimes contre le bien des hommes (q. 42, a. 2).

 

— Y a-t-il quelque vice spécial qui s’oppose directement à la charité en raison de son acte extérieur qui est la bienfaisance ?

— Oui, ce vice est celui du scandale (q. 43).

 

— Qu’est-ce donc que le scandale ?

— Le scandale est le fait de donner à quelqu’un une occasion de chute, en raison de ce que l’on fait ou de ce que l’on dit ; ou le fait de prendre occasion de pécher, à cause de ce qui est dit ou fait par un autre : dans le premier cas, on scandalise ; dans le second, on se scandalise (q. 43, a. 1).

 

— N’y a-t-il que les âmes faibles à se scandaliser ?

— Oui : il n’y a que les âmes faibles, non encore affermies dans le bien, qui se scandalisent, au sens propre de ce mot ; bien qu’il appartienne à toute âme délicate d’être péniblement affectée, quand elle voit un acte mauvais quelconque se produire (q. 43, a. 5).

 

— Les justes et les âmes vertueuses sont-elles incapables de scandaliser ?

— Oui, les justes et les âmes vertueuses sont incapables de scandaliser, parce que, d’abord, elles ne font rien de mal qui puisse vraiment scandaliser, et si d’autres se scandalisent de ce qu’elles font, c’est en raison de leur propre malice, elles-mêmes n’agissant que comme elles doivent agir (q. 43, a. 6).

 

— Peut-il y avoir quelquefois, pour les âmes justes et vertueuses, obligation de laisser certaines choses afin de ne pas scandaliser les faibles ?

— Oui, il peut y avoir quelquefois, pour les âmes justes et vertueuses, obligation de laisser certaines choses afin de ne pas scandaliser les faibles, pourvu qu’il ne s’agisse point de choses nécessaires au salut (q. 43, a. 7).

 

— Est-on jamais tenu de laisser un bien quelconque pour éviter le scandale des méchants ?

— Non, on n’est jamais tenu de laisser un bien quelconque pour éviter le scandale des méchants (q. 43, a. 7 et 8).

 

11. Préceptes relatifs à la charité

 

— Y a-t-il quelque précepte qui regarde la vertu de charité dans la loi de Dieu ?

— Oui, il y a une précepte qui regarde la vertu de charité dans la loi de Dieu (q. 44, a. 1).

 

— Ce précepte, quel est-il ?

— Ce précepte est le suivant : Tu aimeras ton Dieu de tout ton cœur, et de tout ton esprit, et de toute ton âme, et de toutes tes forces (q. 44, a. 4).

 

— Que veulent dire exactement ces paroles ?

— Elles veulent dire que toute notre intention, dans nos actions, doit se porter vers Dieu ; que toutes nos pensées doivent lui être soumises ; que toutes nos affections sensibles doivent être réglées selon lui ; que tous nos actes extérieurs doivent être l’accomplissement de sa volonté (q. 44, a. 4, 5).

 

— Ce précepte de la charité est-il un grand précepte ?

— Ce précepte est le plus grand de tous les préceptes, qui contient virtuellement tous les autres et auquel tous les autres sont ordonnés (q. 43, a. 1-3).

 

— Ce précepte de la charité est-il unique et simple ; ou en comprend-il plusieurs, même comme précepte direct de la charité ?

— Ce précepte de la charité est tout ensemble un et multiple, même comme précepte de la charité ; et cela veut dire que, bien compris, il suffirait à lui seul, dans l’ordre de la charité ; car on ne peut aimer Dieu, sans aimer le prochain, que nous devons aimer pour Dieu lui-même ; mais, afin qu’il soit compris de tous, il est ajouté, au premier précepte, ce second précepte, qui ne fait qu’un avec lui : Tu aimeras ton prochain comme toi-même (q. 44, a. 2, 3, 7).

 

— Ces préceptes de la charité sont-ils compris au nombre des préceptes du Décalogue ?

— Non, ces préceptes de la charité ne sont pas compris au nombre des préceptes du Décalogue. Ils les précèdent et les dominent ; car les préceptes du Décalogue ne sont que pour assurer l’accomplissement des préceptes de la charité (q. 44, a. 1, ad 3).

 

— Ces préceptes de la charité sont-ils manifestes par eux-mêmes, dans l’ordre surnaturel, sans qu’il soit besoin qu’on les proclame ?

— Oui, ces préceptes de la charité sont manifestes par eux-mêmes, dans l’ordre surnaturel, sans qu’il soit besoin qu’on les proclame ; car, de même que c’est une loi de la nature, innée dans tous les cœurs, que, dans l’ordre naturel, Dieu doit être aimé par-dessus tout, et tout le reste en vue de lui ; de même, c’est une loi essentielle à l’ordre surnaturel que Dieu, principe de tout dans cet ordre, soit aimé, d’un amour surnaturel, par-dessus tout, et que tout le reste soit aimé pour lui.

 

— C’est donc aller contre ce qu’il y a de plus essentiel dans l’ordre des affections, que de ne pas aimer Dieu par-dessus tout, et le prochain comme soi-même ?

— Oui, c’est aller contre ce qu’il y a de plus essentiel dans l’ordre des affections, que de ne pas aimer Dieu par-dessus tout et le prochain comme soi-même.

 

12. Du don de sagesse, qui correspond à la charité ; du vice qui lui est opposé

 

— La vertu de charité a-t-elle un don du Saint-Esprit qui lui correspond ?

— Oui, la vertu de charité a un don du Saint-Esprit qui lui correspond ; et c’est le plus parfait de tous, à savoir le don de sagesse (q. 45).

 

— Qu’entendez-vous par le don de sagesse ?

— J’entends ce don du Saint-Esprit, qui fait que l’homme, sous l’action directe de l’Esprit-Saint, juge de toutes choses par son intelligence, en prenant pour norme ou pour règle propre de ses jugements la plus haute et la plus sublime de toutes les causes, qui est la sagesse même de Dieu telle qu’elle a daigné se manifester à nous par la foi (q. 45, a. 1).

 

— Pourriez-vous me dire en quoi ce don de sagesse se distingue de la vertu intellectuelle du même nom, ou encore des dons d’intelligence, de science, de conseil, pour autant qu’eux-mêmes se distinguent des vertus intellectuelles qui s’appellent aussi l’intelligence, la science et la prudence ?

— Oui ; et le voici en quelques mots. — Du côté de l’intelligence, dans l’ordre des choses de la foi, il y a plusieurs actes essentiellement distincts, auxquels correspondent des vertus ou des dons proportionnés, également distincts entre eux ou distinctes entre elles. — La foi vise essentiellement l’acte d’assentir aux affirmations émises par Dieu. Cet acte d’assentir, qui est l’acte principal dans les choses de la foi, entraîne à sa suite, comme actes secondaires ou complémentaires et perfectionnant l’intelligence dans le même ordre des choses de la foi, les actes de percevoir et de juger. — L’acte de percevoir est unique comme genre ; et à lui correspond, soit la vertu intellectuelle d’intelligence, soit, dans une ligne plus haute de perfection, le don d’intelligence. — L’acte de juger est multiple : il se divise en trois : selon qu’il juge, en général, d’après les raisons divines, ou d’après les raisons humaines ; ou selon qu’il fait l’application aux cas particuliers. — Dans le premier cas, on a, qui lui correspondent, la vertu intellectuelle qu’est la sagesse, et, plus haut, le don de sagesse.— Dans le second cas, la vertu intellectuelle qu’est la science, et, plus haut, le don de science. — Dans le troisième cas, la vertu intellectuelle qu’est la prudence, et, plus haut, le don de conseil.

 

— Pourrait-on appeler d’un nom général cette doctrine que vous venez d’exposer ?

— Oui, on pourrait l’appeler, en quelque sorte, l’économie de notre organisme psychologique surnaturel dans l’ordre des choses de la foi.

 

— Cet enseignement a-t-il quelque chose de particulièrement parfait ?

— Oui : car nous le devons à saint Thomas d’Aquin : et lui-même nous a avertis qu’il ne l’avait saisi dans toute son harmonieuse beauté qu’à la suite de réflexions particulièrement attentives et mûries (q. 8, a. 6).

 

— Parmi ces vertus ou ces dons qui perfectionnent l’intelligence dans la connaissance de la vérité, qu’y a-t-il qui occupe la première place en perfection ?

— C’est la vertu de foi, de laquelle tout le reste dépend, et que tout le reste a pour mission ou pour rôle d’assister et d’aider dans la connaissance de cette vérité.

 

— Et, après la vertu de foi, qu’y a-t-il qui soit le plus parfait ?

— Après la vertu de foi, ce qu’il y a de plus parfait est le don de sagesse.

 

— En quoi consiste cette perfection du don de sagesse, notamment par rapport au don de science ?

— Elle consiste en ce que le don de science nous fait juger divinement des choses, en les jugeant selon leurs propres causes immédiates et créées ; tandis que le don de sagesse nous fait juger divinement de toutes choses en les jugeant selon la plus haute de toutes les causes, de laquelle toutes les autres dépendent et qui, elle-même, ne dépend d’aucune autre.

 

— C’est donc par le don de sagesse qu’on atteint au plus haut degré de connaissance où l’on puisse s’élever sur cette terre ?

— Oui, c’est par le don de sagesse qu’on atteint au plus haut degré de connaissance où l’on puisse s’élever sur cette terre.

 

— Ce don si élevé et si beau a-t-il un vice qui s’oppose à lui ?

— Oui ; et c’est précisément le manque de sagesse, qui consiste à porter le dernier jugement sur une chose, sans tenir aucun compte ou au mépris des souverains conseils de Dieu (q. 46).

 

— Comment devra s’appeler ce vice ?

— Ce vice n’a qu’un nom qui lui convienne ; c’est celui de la suprême sottise et de la suprême folie (q. 46, a. 1).

 

— Est-il très répandu parmi les hommes ?

— Oui ; puisqu’il est pratiquement le vice de tous ceux qui organisent leur vie en dehors ou à l’encontre de toute considération des choses divines.

 

— Peut-il convenir même à des hommes d’ailleurs fort intelligents dans l’ordre des choses humaines ?

— Oui, il peut convenir à des hommes d’ailleurs fort intelligents dans l’ordre des choses humaines.

 

— Est-ce qu’il y a opposition irréductible entre la sagesse du monde et la sagesse de Dieu ?

— Oui, il y a opposition irréductible entre la sagesse du monde et la sagesse de Dieu, l’une de ces sagesses étant folie aux yeux de l’autre.

 

— En quoi consiste cette opposition irréductible ?

— Elle consiste en cela, que le monde tient pour sages ceux qui organisent leur vie du mieux possible pour ne manquer de rien sur cette terre, mettant leur fin dernière dans les biens de ce monde, au mépris du bien de Dieu qui nous est promis pour une autre vie, tandis que la sagesse des enfants de Dieu consiste à tout subordonner, dans les choses de la vie présente, à la future possession de Dieu dans le ciel.

 

— Ces deux sortes de vies sont-elles nécessairement distinctes du tout au tout ?

— Oui, ces deux sortes de vies sont nécessairement distinctes du tout au tout, parce que la fin dernière de chacune d’elles est absolument autre ; et que c’est la fin dernière qui commande tout dans une vie.

 

— C’est donc par la seule pratique et mise en œuvre des vertus théologales de foi, d’espérance et de charité et des dons qui leur correspondent, que l’homme tend à sa véritable fin dernière et peut s’orienter comme il convient dans tous les actes de sa vie ?

— Oui, c’est par la seule pratique et mise en œuvre des vertus théologales de foi, d’espérance et de charité et des dons qui leur correspondent, que l’homme tend à sa véritable fin dernière et peut s’orienter comme il convient dans tous les actes de sa vie.

 

13. Des vertus morales : la prudence : nature ; éléments ; vertus annexes ; espèces : prudence individuelle, familiale, royale, militaire.

 

— Que doit faire l’homme pour se rendre digne de posséder un jour, dans le ciel, à titre de récompense, Dieu lui-même, tel que la foi, l’espérance et la charité lui permettent de l’atteindre même sur cette terre ?

— Il doit, en même temps que vivre sans cesse de ces grandes vertus et des dons qui leur correspondent, mettre en œuvre aussi toutes les vertus morales et les dons qui leur correspondent.

 

— Quelle est la première de ces vertus morales ?

— C’est la vertu de prudence (q. 47).

 

— Qu’entendez-vous par cette vertu ?

— J’entends un principe d’action morale, qui perfectionne la raison pratique de l’homme, afin que, dans chacune de ses actions, il dispose et ordonne toutes choses comme il convient, se commandant à lui-même ou commandant à tous ceux dont l’action est subordonnée à la sienne et en dépend ce qu’il faut faire à chaque instant pour la réalisation parfaite de chaque vertu (q. 47, a. 1-9).

 

— Cette vertu est-elle d’une grande importance dans la vie morale de l’homme ?

— Cette vertu est d’une importance souveraine dans la vie morale de l’homme ; car, sans elle, il est impossible qu’il y ait, dans la vie morale de l’homme, aucun acte vertueux (q. 47, a. 13).

 

— Cette vertu, quand elle existe et produit excellemment son acte, suffit-elle pour assurer le côté vertueux de toute la vie de l’homme ?

— Oui, cette vertu, quand elle existe et qu’elle produit excellemment son acte, suffit pour assurer le côté vertueux de toute la vie morale de l’homme (q. 47, a. 14).

 

— Pourquoi ce privilège est-il attribué à la prudence ?

— Parce qu’en elle toutes les autres vertus se trouvent réunies, aucune ne pouvant exister sans elle et elle-même ne pouvant exister sans le concours de toutes les autres.

 

— Cette vertu, pour être parfaite, exige-t-elle de nombreuses conditions préalables en ce qui est de son acte propre ?

— Oui, cette vertu, pour être parfaite, exige de nombreuses conditions préalables ou qu’elle implique en ce qui est de son acte propre.

 

— Quelles sont ces conditions qu’exige ou qu’implique la vertu de prudence pour la perfection de son acte propre ?

— Ce sont, d’abord, comme des éléments qui la constituent, ou sans lesquels elle ne peut pas être ; puis, ou en même temps, d’autres vertus qui lui sont ordonnées et préparent son acte propre ; et, enfin, la division d’elle-même selon la nature des sujets à gouverner ou à régir (q. 48 et 51).

 

— Quels sont ces éléments qui la constituent elle-même ou sans lesquels elle ne peut pas être ?

— Ce sont : le souvenir des choses passées ; l’intelligence ou la claire vue des principes de l’action, soit en général, soit en particulier ; la docilité et la révérence à l’endroit de ce qu’ont déterminé les plus sages qui ont précédé ; la sagacité, pour trouver elle-même ce qu’il lui serait impossible, dans un moment subit, de demander à autrui ; le saint exercice de la raison appliquant, comme il convient, les principes de l’action aux multiples conditions particulières de l’action elle-même, si incertaines et si variées ; la prévoyance ou la détermination voulue au moment de l’action pour chaque acte particulier, quant à la substance de cet acte ; la circonspection, à l’endroit de tout ce qui entoure cet acte ; la précaution, contre tout ce qui pourrait y mettre obstacle ou en compromettre le fruit (q. 49, a. 1-8).

 

— Quelles sont les autres vertus qui lui sont ordonnées et préparent son acte propre ?

— Ce sont : la vertu de bon conseil, et les deux vertus qui assurent le bon jugement : l’une, dans les cas ordinaires de la vie et en tenant compte des lois établies ; l’autre, dans les cas extraordinaires, et alors que l’on doit recourir aux clartés supérieures du seul droit naturel (q. 51, a. 1-4).

 

— Comment s’appelle l’acte propre que doit régler la prudence, en l’émettant à la suite de ces actes du bon conseil et du bon jugement ?

— C’est l’acte même du commandement qui déclenche l’action (q. 47, a. 8).

 

— La prudence est donc, proprement, la vertu du commandement ?

— Oui, la prudence est proprement la vertu du commandement.

 

— Mais ne semble-t-il pas, au contraire, qu’elle soit la vertu du conseil, puisqu’on a coutume d’appeler prudents les hommes qui s’assurent avant d’agir ?

— On n’appelle ainsi les hommes prudents qu’en raison du conseil qui précède, en effet, le commandement, mais la vertu propre de prudence est dans l’acte même de commander avec énergie et décision au moment voulu où il faut agir (q. 47, a. 8, ad 2).

 

— Y a-t-il plusieurs espèces de vertu de prudence ?

— Oui, il y a autant d’espèces de vertu de prudence qu’il y a d’espèces d’actes de commandement revêtant une difficulté spéciale dans l’ordre de la vertu.

 

— Combien y a-t-il d’espèces de ces sortes de commandement ?

— Il y en a quatre, qui sont : l’acte de se commander à soi-même, l’acte de commander dans la famille, l’acte de commander dans la société, et l’acte de commander dans l’armée (q. 50, a. 1-4).

 

— Comment appelle-t-on les diverses espèces de vertu de prudence qui correspondent à ces divers actes de commandement ?

— On les appelle : la prudence individuelle, la prudence familiale, la prudence royale ; et la prudence militaire (q. 50, a. 1-4).

 

— Qu’entendez-vous par la prudence individuelle ?

— J’entends cette espèce de prudence requise en chaque individu pour la gestion de sa vie morale en vue de son propre bien individuel.

 

— Qu’entendez-vous par la prudence familiale ?

— J’entends cette espèce de prudence nécessaire à tous les membres de la famille pour que chacun, dans le rôle qui lui convient et sous la direction du chef de la famille, pourvoie au bien de la famille (q. 50, a. 3).

 

— Qu’entendez-vous par la prudence royale ?

— J’entends cette espèce de prudence nécessaire au chef de la société parfaite qu’est la cité indépendante ou la nation et le royaume, pour gouverner comme il convient cette société parfaite (q. 50, a. 1).

 

— Suffit-il pour le bien de la cité ou de la nation que cette prudence existe dans la personne de celui ou de ceux qui gouvernent ?

— Non, il faut encore que se trouve, dans la personne des gouvernés, une espèce de prudence proportionnée à celle du chef ou du gouvernement (q. 50, a. 2).

 

— En quoi consiste cette prudence des gouvernés ?

— Elle consiste en cela, que chaque membre de la société, en chacun de ses actes d’ordre social, facilite, par sa correspondance parfaite aux ordres ou à la direction du chef ou du gouvernement, l’obtention du bien commun (q. 50, a. 2).

 

— Est-ce également à l’obtention du bien commun dans la société, qu’est ordonnée la prudence militaire ?

— Oui ; et cette prudence est de la dernière importance pour le bien de la société, puisque c’est elle qui doit assurer, par le bon commandement des chefs et la discipline consentie des subordonnés jusqu’au plus petit soldat, la défense du pays contre les attaques ou les injustices des ennemis du dehors (q. 50, a. 4).

 

14. Du don de conseil, qui correspond à la prudence

 

— La vertu de prudence a-t-elle un don spécial du Saint-Esprit qui lui correspond ?

— Oui, c’est le don de conseil (q. 52).

 

— Qu’entendez-vous par le don de conseil ?

— J’entends cette disposition surnaturelle ou transcendante qui perfectionne la raison pratique de l’homme, la rendant prompte et docile à recevoir de l’Esprit-Saint, dans la recherche ou l’enquête et le conseil qui se rapportent à l’action, dans tout l’ordre de la vie humaine, tout ce qui est nécessaire au salut, venant ainsi au secours de la raison de l’homme, qui, même pourvue de toutes les vertus acquises ou infuses en vue du bon conseil devant amener le jugement parfait et l’acte parfait du commandement, demeure toujours sujette à l’erreur ou à la surprise, dans la complexité quasi infinie des circonstances qui peuvent intéresser son acte, soit pour elle-même, soit pour les autres, en vue du ciel à conquérir (q. 52, a. 1, 2).

 

— Ce don du conseil pourra-t-il continuer d’exister au ciel après cette vie ?

— Oui, mais d’une manière particulièrement transcendante (q. 52, a. 3).

 

— Quel sera ce mode spécial selon lequel le don de conseil continuera d’exister au ciel ?

— Il consistera en cela, que toutes les intelligences y seront merveilleusement éclairées par Dieu sur tout ce qui, dans le domaine de l’action, s’harmonise pour elles avec l’obtention de leur fin déjà réalisée : soit qu’il s’agisse des actes qui découleront pour elles, éternellement, de l’obtention même de cette fin, soit qu’il s’agisse du secours qu’elles sont destinées à prêter, jusqu’au dernier jour à ceux qui doivent encore travailler à la conquête ou à l’obtention de cette fin (q. 52, a. 3).

 

15. Des vices opposés à la prudence : l’imprudence ; la précipitation ; l’inconsidération ; l’inconstance ; la négligence ; la fausse prudence ; la prudence de la chair ; l’astuce ; le dol ; la fraude ; la fausse sollicitude

 

— Y a-t-il des vices qui soient opposés à la vertu de prudence ?

— Oui, il y a des vices qui lui sont opposés par défaut ; et d’autres qui lui sont opposés par excès.

 

— Comment s’appelle le groupe des vices opposés par défaut à la vertu de prudence ?

— On les appelle du nom général d’imprudence (q. 53).

 

— Pourriez-vous me dire ce qu’est l’imprudence considérée en général ?

— On appelle du nom d’imprudence, en général, tout acte de la raison pratique fait par l’homme en s’écartant des règles qui assurent la droite raison de la prudence (q. 53, a. 1).

 

— Est-ce qu’il peut y avoir péché mortel dans l’acte d’imprudence ?

— Oui ; et cela arrive, quand la raison de l’homme ordonne son action à l’encontre des règles divines : tel, celui qui, méprisant et repoussant les avertissements divins, agit avec précipitation (q. 53, 1).

 

— Et quand est-ce qu’il n’y aurait que péché véniel ?

— C’est quand l’homme agit en dehors des règles divines, mais sans qu’il y ait mépris de sa part, et sans compromettre ce qui est de nécessité de salut (q. 53, a. 1).

 

— Le péché d’imprudence se trouve-t-il joint à tout autre péché ?

— Oui, le péché d’imprudence se trouve joint à tout autre péché ; car aucun péché ne serait, s’il n’y avait quelque acte d’imprudence ; toutefois, ce péché peut exister aussi en lui-même et distinct des autres péchés (q. 53, a. 2).

 

— Quand est-ce que ce péché d’imprudence existe ainsi en lui-même, distinct des autres péchés ?

— Cela arrive toutes les fois que, sans faire quelque chose de mal, ou même en faisant une chose bonne en soi, on agit avec précipitation, ou sans considération, ou d’une manière inconstante, ou avec négligence (q. 53, a. 2).

 

— Qu’est-ce que vous entendez par la précipitation ?

— La précipitation est ce péché contre la prudence, qui consiste à ne pas s’enquérir avant d’agir, lorsqu’il le faudrait, et comme il le faudrait (q. 53, a. 3)

 

— Et l’inconsidération, qu’est-elle ?

— C’est un péché contre la rectitude du jugement ; et il consiste à mépriser ou à négliger ce qui assure le jugement droit dans les choses de l’action (q. 53, a. 4).

 

— En quoi l’inconstance est-elle un vice qui s’oppose à la prudence ?

— Parce qu’elle est un défaut dans l’acte même de commander, qui est l’acte propre de la prudence : en effet, l’inconstant est celui qui, par manque de commandement ferme, ne réalise pas, dans l’action, ce qui a été résolu après l’enquête ou le conseil (q. 53, a. 5).

 

— N’y a-t-il que ce seul défaut qui puisse affecter l’acte principal de la prudence ?

— Il y en a encore un second, qui lui est opposé du côté de la sollicitude qu’il implique, et c’est la négligence (q. 54).

 

— Qu’est-ce donc bien que la négligence ?

— La négligence est un manque de promptitude ou de rapidité dans la mise en œuvre immédiate, par voie de précepte ou de commandement, des résolutions du jugement, préparé par l’enquête ou le conseil, en vue de l’action qui doit réaliser la fin de la vertu (q. 54, a. 1).

 

— Est-ce un grand péché que ce péché de la négligence ?

— Oui ; ce péché peut être dit très grand, en ce sens qu’il paralyse tout dans le domaine de l’action vertueuse ; car, ou bien il empêche que cette action ne se produise, ou il fait qu’elle se produit mollement et de façon qui traîne, de telle sorte qu’elle perd la plus grande partie de son mérite et de son prix (q. 54, a. 3).

 

— Comment s’appelle cette négligence, quand elle s’étend ainsi à l’acte extérieur pour le retarder ou le ralentir et l’énerver ?

— On l’appelle la paresse et la torpeur (q. 54, a. 2, ad 1).

 

— Ces deux autres vices se distinguent-ils de la négligence proprement dite et considérée en elle-même ?

— Oui ; car le péché de négligence au sens strict consiste proprement dans l’absence ou le manque de promptitude et de vigueur dans l’acte du commandement, selon que ce défaut provient d’un relâchement intérieur de la volonté (q. 54, a. 2).

 

— Est-il important de veiller sur ce vice de la négligence et de ne pas s’en laisser envahir ?

— Oui ; cela est d’une importance extrême, parce que ce péché de négligence est à la source même de l’action et qu’il porte sur l’acte principal de la raison pratique, de laquelle tout dépend dans la réalisation de chaque acte de vertu ; d’où il suit qu’il s’étend à tout, dans le domaine de cette vie, et peut tout infecter de son venin.

 

— Ce vice peut-il quelquefois être mortel ?

— Oui ; il l’est toujours quand il est cause de ce qu’on ne se résout pas à vouloir et à agir dans les choses de préceptes nécessaires au salut ; mais, alors même qu’il ne l’est pas, il constitue de lui-même, et si on ne s’applique pas à le surveiller pour le combattre sans relâche, une maladie de langueur, qui doit conduire fatalement au dépérissement et à la mort (q. 54, a. 3).

 

— De quel nom appelle-t-on les vices qui s’opposent à la prudence par mode d’excès ?

— On les appelle fausse prudence et fausse sollicitude (q. 55).

 

— Qu’entendez-vous par la fausse prudence ?

— J’entends cet ensemble de vices qui dénaturent le vrai caractère de la prudence, en servant une mauvaise fin, ou en excédant du côté des moyens (q. 55, a. 1-5).

 

— Quel est le vice qui dénature le vrai caractère de la prudence en servant une mauvaise fin ?

— C’est la prudence de la chair (q. 55, a. 1).

 

— En quoi consiste cette prudence de la chair ?

— Elle consiste à disposer les choses de la vie humaine en vue des intérêts de la chair considérée comme fin (q. 55, a. 1).

 

— Cette prudence de la chair est-elle un péché mortel ?

— Oui, quand elle prend les intérêts de la chair comme fin dernière ; si elle ne les prend que comme fin particulière, non actuellement ordonnée à la vraie fin dernière, qui reste cependant la fin habituelle, il n’y a qu’un péché véniel (q. 55, a. 2).

 

— Et les vices qui excèdent du côté des moyens, quels sont-ils ?

— Ces vices sont l’astuce et ses annexes : le dol et la fraude (q. 55, a. 3-5).

 

— Qu’entendez-vous par l’astuce ?

— J’entends cette fausse prudence qui consiste à user de moyens faux et trompeurs, qu’il s’agisse d’ailleurs d’une fin bonne ou d’une fin mauvaise à laquelle on les ordonne (q. 55, a. 3).

 

— Et le dol qu’est-il ?

— Le dol est un vice qui consiste à réaliser, par la parole ou par les actes, les projets intérieurement arrêtés par l’astuce (q. 55, a. 4).

 

— Pourriez-vous me dire quelle différence existe ente le dol et la fraude ?

— Il y a cette différence, entre le dol et la fraude, qu’étant tous deux ordonnés à l’exécution de l’astuce, le dol est ordonné à cette exécution, soit par voie de paroles, soit par voie de faits, indistinctement, tandis que la fraude n’est ordonnée à cette même exécution que par voie d’actes ou de faits (q. 55, a. 5).

 

— L’astuce, le dol et la fraude sont-ils la même chose que le mensonge ?

— Non : car le mensonge se propose le faux comme fin ; tandis que l’astuce, le dol et la fraude se proposent le faux comme moyen. S’ils trompent, c’est pour obtenir une certaine fin qu’ils se proposent.

 

— Que s’ensuit-il de cette différence ?

— Il s’ensuit que le mensonge est un péché spécial dans l’ordre des vertus morales, qui ne se trouve en opposition qu’avec la vertu de vérité ; tandis que l’astuce, le vol et la fraude, peuvent se trouver dans les divers genres de vices ou de péchés, n’en constituant aucun distinctement dans l’ordre des vertus morales, mais seulement dans l’ordre de la prudence, dont le propre est d’être participée dans toutes les autres vertus.

 

— Qu’entendez-vous par le péché de fausse sollicitude ?

— J’entends la sollicitude qui fait qu’on met tout son soin à rechercher les choses temporelles, ou un soin superflu, ou qu’on redoute d’une manière exagérée de manquer de ces choses (q. 55, a. 6).

 

— Y a-t-il une sollicitude des choses temporelles qui peut être bonne ?

— Oui, c’est la sollicitude qui apporte à ces choses un soin modéré, en les ordonnant à la fin de la charité, et en se confiant à la divine Providence (q. 55, a. 6).

 

— Que faut-il penser de la sollicitude qui regarde l’avenir ?

— Cette sollicitude est toujours mauvaise, quand elle empiète sur ce qui devra être le propre d’un autre temps (q. 55, a. 7).

 

— Quand est-ce donc que la sollicitude qui regarde l’avenir sera bonne ?

— Quand elle se contente de pourvoir aux choses de l’avenir selon qu’elles dépendent de celles qui doivent nous occuper au moment où nous sommes, laissant pour les temps qui viendront après, ce qui devra nous occuper alors (q. 55, a. 7).

 

16. Des préceptes relatifs à la prudence

 

— La vertu de prudence a-t-elle quelque précepte qui lui corresponde parmi les préceptes du Décalogue ?

— Non, la vertu de prudence n’a pas de précepte qui lui corresponde parmi les préceptes du Décalogue ; parce que les préceptes du Décalogue, formulant ce qui appartient à la raison naturelle, devaient porter sur les fins de la vie humaine qui sont le propre des autres vertus, et non sur ce qui est ordonné à la fin, où s’exerce proprement la vertu de prudence. Mais, à la prudence se réfèrent tous les préceptes du Décalogue, selon qu’elle-même doit diriger tous les actes des vertus (q. 56, a. 1).

 

— Les préceptes ayant directement trait à la vertu de prudence sont donc des préceptes complémentaires et venus plus tard ?

— Oui, et on les trouve soit dans les autres textes des livres inspirés, même dans l’Ancien Testament, soit, plus excellemment encore, dans le Nouveau Testament (q. 56, a. 1).

 

— N’y a-t-il pas, même dans l’Ancien Testament, des préceptes particulièrement pressants pour défendre certains vices opposés à la vertu de prudence ?

— Oui ; ce sont les préceptes relatifs à l’astuce, au dol et à la fraude (q. 56, a. 2).

 

— Pourquoi ces vices ont-ils été spécialement prohibés ?

— Parce qu’ils ont surtout leur application extérieure dans les choses de la justice, qui est la vertu directement visée par tous les préceptes du Décalogue (q. 56, a. 2).

 

17. La justice : sa nature ; le droit : droit naturel ; droit positif ; droit privé ; droit public ; droit national ; droit international ; droit civil ; droit ecclésiastique. Justice légale ; justice particulière. — Vice opposé

 

— La vertu de justice, que vous venez de nommer, est-elle, après la vertu de prudence, et en harmonie avec elle, comme, du reste, doivent l’être aussi toutes les autres vertus morales, la plus importante parmi les autres vertus ?

— Oui, après la vertu de prudence, qui occupe une place à part dans l’ordre des vertus morales, dont aucune ne peut exister sans elle, la plus importante, parmi toutes ces autres vertus, est la vertu de justice (q. 57-121).

 

— Qu’entendez-vous par la vertu de justice ?

— J’entends cette vertu qui a pour objet le droit ou le juste (q. 57, a. 1).

 

— Que voulez-vous dire quand vous dites que la justice a pour objet le droit ou le juste ?

— Je veux dire qu’elle a pour objet de faire régner, entre les divers hommes, l’harmonie des rapports fondés sur le respect de l’être et de l’avoir qui sont légitimement ceux d’un chacun (q. 57, a. 1).

 

— Et comment sait-on que l’être ou l’avoir d’un chacun, parmi les hommes, est tel ou doit être tel, légitimement ?

— On le sait par ce que dicte la raison naturelle de chaque homme et par ce qu’a pu déterminer, d’un commun accord, la raison des divers hommes ou la raison de ceux qui ont autorité pour régler les rapports des hommes entre eux (q. 57, a. 2-4).

 

— Comment appelle-t-on le droit ou le juste, fondé sur ce que dicte la raison naturelle de chaque homme ?

— On l’appelle le droit naturel (q. 57, a. 2).

 

— Et comment appelle-t-on le droit ou le juste, constitué par ce qu’a pu déterminer, d’un commun accord, la raison des divers hommes ou la raison de ceux qui ont autorité pour régler les rapports des hommes entre eux ?

— On l’appelle le droit positif, qui se divise en droit privé ou en droit public, lequel, à son tour, peut être national ou international, selon qu’il s’agit des conventions privées, ou des lois du pays, ou des lois convenues ou établies entre diverses nations (q. 57, a. 2).

 

— Ne parle-t-on pas aussi de droit civil et de droit ecclésiastique ?

— Oui, et ces droits se distinguent selon qu’il s’agit de rapports des hommes entre eux, déterminés par l’autorité civile, ou par l’autorité ecclésiastique.

 

— Le droit sur lequel porte la vertu de justice ne regarde-t-il que les rapports des particuliers entre eux dans la société ou regarde-t-il aussi les rapports des particuliers avec l’ensemble ?

— Il regarde l’une et l’autre de ces deux espèces de rapports (q. 58, a. 5-7).

 

— De quel nom appelle-t-on la vertu de justice qui porte sur le second droit ?

— On l’appelle justice légale (q. 58, a. 5).

 

— Et de quel nom appelle-t-on la vertu de justice qui porte sur le premier droit ?

— On l’appelle justice particulière (q. 58, a. 7).

 

— Voudriez-vous me dire maintenant, par une définition précise, ce que c’est que la vertu de justice ?

— La vertu de justice est cette perfection de la volonté de l’homme qui le porte à vouloir et à réaliser, en tout, spontanément, et sans se désister jamais, le bien de la société dont il fait partie sur cette terre et aussi tout ce à quoi peut avoir droit l’un quelconque des êtres humains qui sont en rapport avec lui (q. 58, a. 1).

 

— Comment s’appelle le vice opposé à cette vertu ?

— On l’appelle l’injustice : injustice qui, tantôt, s’oppose à la justice légale, méprisant le bien commun, que la justice légale recherche, et, tantôt, à la justice particulière, portant atteinte à l’égalité que la justice particulière a pour objet de maintenir parmi les divers hommes (q. 59).

 

— En quoi consiste proprement ce dernier péché d’injustice ?

— Il consiste en ce que, le sachant et le voulant, on porte atteinte au droit d’autrui ; c’est-à-dire qu’on empiète sur ce que sa volonté raisonnable doit naturellement vouloir, allant à l’encontre de cette volonté (q. 59, a. 3).

 

18. Acte de la justice particulière : le jugement

 

— La vertu de justice a-t-elle un acte qui lui appartienne à un titre spécial, surtout comme justice particulière ?

— Oui ; c’est l’acte du jugement, qui consiste précisément à déterminer exactement, selon l’équité, ce qui convient à chacun, soit d’office et dans le fait même de rendre la justice à des parties en litige, comme cela convient au juge, soit même en tout temps et pour tous, dans le fait d’apprécier, même intérieurement, l’être ou l’avoir d’un chacun, conformément au droit, par amour de ce droit en lui-même (q. 60).

 

— Le jugement, acte de la vertu de justice, doit-il interpréter plutôt en bien les choses douteuses ?

— Oui, quand il s’agit du prochain et de ses actes, la justice veut que jamais on ne se prononce, soit intérieurement, soit extérieurement, par mode de sentence ferme et arrêtée, dans le sens du mal, s’il demeure quelque doute à ce sujet (q. 60, a. 4).

 

— Ne peut-on pas, cependant, quand il y a doute sur des choses qui pourraient nuire à soi ou à d’autres, se défier et se prémunir ?

— Oui, la justice légale, et la prudence, et la charité veulent que, s’il s’agit d’un mal à prévenir pour nous ou pour les autres, nous sachions nous garder ou les garder en supposant parfois le mal comme possible de la part de certains hommes, même sur de simples conjectures, et sans avoir là-dessus une certitude absolue (q. 60, a. 4, ad 3).

 

— N’y a-t-il pas, cependant, même alors, des réserves à faire ?

— Oui, même dans le cas où il peut être nécessaire de les prendre, en prenant pour soi ou pour les autres les précautions voulues, on doit se garder soigneusement de concevoir ou d’exprimer sur les personnes un jugement formel qui leur soit défavorable (ibid.)

 

— Pourriez-vous me donner un exemple ?

— Si, par exemple, je vois un homme à la mine suspecte, je n’ai pas le droit de le tenir pour un voleur, encore moins de le donner comme tel ; mais, s’il rôde autour de ma maison, ou de la maison de mes amis, j’ai le droit et même un peu le devoir de veiller à ce que, chez moi ou chez eux, tout soit parfaitement gardé et tenu à l’abri.

 

19. Justice particulière : ses espèces : justice distributive ; justice commutative

 

— La vertu de justice, considérée sous sa raison de justice particulière, comprend-elle plusieurs espèces ?

— Oui, elle comprend deux espèces, qui sont : la justice distributive et la justice commutative (q. 61, a. 1).

 

— Qu’entendez-vous par la justice distributive ?

— J’entends cette sorte de justice particulière qui pourvoit au bien de l’équité dans les rapports des hommes entre eux considérés du tout aux parties, dans la société qu’ils composent (q. 61, a. 1).

 

— Et par la justice commutative, qu’entendez-vous ?

— J’entends cette sorte de justice particulière qui pourvoit au bien de l’équité dans les rapports des hommes entre eux, considérés de partie à partie, dans cette même société (q. 61, a. 1).

 

— Et si l’on considérait les hommes comme parties ordonnées au tout, dans la société, quelle serait la justice qui pourvoirait au bien de l’équité dans les rapports des hommes à ce tout ?

— Ce serait la grande vertu de justice légale (q. 61, a. 1, ad 4).

 

20. Acte de la justice commutative : la restitution

 

— La justice commutative a-t-elle un acte qui lui appartienne en propre ?

— Oui, c’est la restitution (q. 62, a. 1).

 

— Qu’entendez-vous par la restitution ?

— J’entends cet acte qui fait que se trouve rétablie ou reconstituée l’égalité extérieure d’un homme à un autre, quand cette égalité se trouvait rompue du fait que l’un des deux n’avait pas ce qui est à lui (q. 61, a. 1).

 

— La restitution n’implique donc pas toujours la réparation d’une injustice ?

— Non ; car elle est aussi l’acte de l’homme juste, rendant tout de suite, avec une fidélité scrupuleuse, ce qui est à autrui, quand cela doit être rendu.

 

— Pourriez-vous me donner en quelques mots les règles essentielles de la restitution ?

— Oui, les voici, telles que l’équité naturelle les impose. Par la restitution, ce qui manque ou manquerait à quelqu’un injustement lui est donné ou de nouveau rendu. Ce qui doit être ainsi rendu, c’est la chose elle-même, ou son équivalent exact, rien de plus, rien de moins, selon que quelqu’un l’avait déjà, soit d’une façon actuelle, soit d’une façon virtuelle, antérieurement à l’acte qui a modifié la possession de cette chose, avec cela d’ailleurs qu’il faudra tenir compte de toutes les conséquences qui auront pu être la suite de cet acte et continuer de modifier au préjudice du légitime possesseur l’intégrité de ce qu’il aurait sans la position de cet acte. C’est à lui-même que la chose doit être rendue, non à un autre, à moins qu’en la personne de celui-ci, on ne le rende au premier. Et celui qui doit rendre, c’est quiconque est détenteur de la chose, ou quiconque se trouve avoir été la cause responsable de l’acte qui a rompu l’égalité de la justice. Aucun délai ne doit être apporté dans l’acte de restitution, en dehors du seul cas d’impossibilité (q. 62, a. 2-8).

 

21. Vices opposés à la justice distributive : l’acception des personnes ; — à la justice commutative : l’homicide ; la peine de mort ; la mutilation ;la verbération ; l’incarcération

 

— Parmi les vices opposés à la vertu de justice, en est-il quelqu’un qui s’oppose à la justice distributive ?

— Oui, c’est l’acception des personnes (q. 63).

 

— Qu’entendez-vous par l’acception des personnes ?

— J’entends le fait de donner ou de refuser quelque chose à quelqu’un, quand il s’agit de quelque bien, ou d’imposer quelque chose à quelqu’un, s’il s’agit de quelque chose de pénible ou d’onéreux, dans la société, en considérant, non pas ce qui peut le rendre digne ou susceptible d’un tel traitement, mais seulement en raison de ce qu’il est tel individu ou telle personne (q. 63, a. 1).

 

— Pourriez-vous me dire quels sont les vices opposés à la vertu de justice, considérée sous sa raison de justice commutative ?

— Ces vices-là sont nombreux et on les divise en deux groupes (q. 64-78).

 

— Quels sont ceux du premier groupe ?

— Ce sont ceux qui atteignent le prochain sans que sa volonté y ait aucune part (q. 64-76).

 

— Quel est le premier de ces péchés ?

— C’est l’homicide, qui atteint le prochain, par voie de fait, dans le principal de ses biens, en lui enlevant la vie (q. 64).

 

— L’homicide est-il un grand péché ?

— L’homicide est le plus grand des péchés contre le prochain.

 

— N’est-il jamais permis d’attenter à la vie du prochain ?

— Il n’est jamais permis d’attenter à la vie du prochain.

 

— La vie de l’homme est-elle un bien qu’il n’est jamais permis de lui ôter ?

— La vie de l’homme est un bien qu’il n’est jamais permis de lui ôter, à moins qu’il n’ait mérité, par quelque crime, d’en être privé (q. 64, a. 2, 6).

 

— Et qui a le droit d’enlever la vie à l’homme qui, par son crime, a mérité d’en être privé ?

— Seule l’autorité publique, dans la société, a le droit d’enlever la vie à l’homme qui, par son crime, a mérité d’en être privé (q. 64, a. 2).

 

— D’où vient ce droit à l’autorité publique ?

— Il lui vient du devoir qu’elle a de veiller au bien commun dans la société (q. 64, a. 2).

 

— Est-ce que le bien commun de la société parmi les hommes peut demander qu’un homme soit mis à mort ?

— Oui, le bien commun de la société parmi les hommes peut demander qu’un homme soit mis à mort : soit parce qu’il peut n’y avoir aucun autre moyen pleinement efficace d’arrêter les crimes au sein d’une société ; soit parce que la conscience publique peut exiger cette juste satisfaction, pour certains crimes plus particulièrement odieux et exécrables (q. 64, a. 2).

 

— N’est-ce que pour une raison de crime qu’un homme peut être mis à mort par l’autorité publique dans la société ?

— Oui, ce n’est que pour une raison de crime qu’un homme peut être mis à mort par l’autorité publique dans une société (q. 64, a. 6).

 

— Le bien ou l’intérêt public ne pourrait-il pas, quelquefois, justifier ou légitimer la mort, même d’un innocent ?

— Non, jamais le bien ou l’intérêt public ne peut justifier ou légitimer la mort d’un innocent, parce que le bien suprême, dans la société des hommes, est toujours le bien de la vertu (q. 64, a. 6).

 

— Et un particulier qui se défend ou qui défend son bien n’a-t-il pas le droit de donner la mort à celui qui s’attaque à lui ou à son bien ?

— Non, jamais un particulier n’a le droit de donner la mort à un autre qui l’attaque ou s’attaque à son bien, à moins qu’il s’agisse de sa propre vie ou de la vie des siens et qu’il n’y ait absolument aucun autre moyen de la défendre, en dehors de celui qui entraîne la mort de l’assaillant : encore faut-il que, même alors, celui qui se défend n’ait aucunement l’intention de donner la mort à l’autre, mais seulement de défendre sa propre vie ou celle des siens (q. 64, a. 7).

 

— Quels sont les autres péchés contre le prochain dans sa personne ?

— Ce sont : la mutilation, qui l’atteint dans son intégrité, la verbération, qui en trouble le repos ou le bien-être normal, l’incarcération, qui le prive du libre usage de sa personne (q. 65, a. 1-3).

 

— Quand est-ce que ces actes-là sont des péchés ?

— Toutes les fois qu’il sont accomplis par ceux qui n’ont pas autorité sur le patient, ou qui, ayant autorité sur lui, ne gardent pas la mesure voulue dans l’usage qu’ils en font (ibid.).

 

22. Du droit de propriété : devoirs qu’il entraîne. — Violation de ce droit : le vol et la rapine

 

— Après les péchés qui s’attaquent au prochain dans sa personne, quel est le plus grand des autres péchés qui se commettent contre lui par action ?

— C’est le péché qui s’attaque à son bien ou à ce qu’il possède (q. 66).

 

— Est-ce qu’un homme a le droit de posséder quelque chose en propre ?

— Oui, l’homme peut avoir le droit de posséder quelque chose en propre et de le gérer comme il l’entend, sans que les autres aient à s’y entremettre contrairement à sa volonté (q. 66, a. 2).

 

— D’où vient ce droit à l’homme ?

— Il lui vient de sa nature même. Car étant un être raisonnable et fait pour vivre en société, son bien à lui, comme être libre, le bien de sa famille et le bien de la société tout entière, demandent que ce droit de propriété existe parmi les hommes (q. 66, a. 1, 2).

 

— Comment montrez-vous que ces divers biens demandent que le droit de propriété existe parmi les hommes ?

— On le montre par cela, que la propriété des biens possédés par lui est une condition de liberté pour l’homme, que c’est, pour la famille, le mode par excellence de se constituer parfaite et de durer à travers les âges dans le sein d’une société, et que, dans la société elle-même, cette propriété fait que les choses sont gérées avec plus de soin, d’une façon plus ordonnée, avec moins de heurts ou de litiges (q. 66, a. 2).

 

— N’y a-t-il pas cependant des devoirs attachés au droit de propriété ?

— Oui, il y a de très grands devoirs attachés au droit de propriété.

 

— Pourriez-vous me dire quels sont ces devoirs attachés au droit de propriété parmi les hommes ?

— Oui, et les voici en quelques mots. Il y a, d’abord, le devoir de faire fructifier et prospérer les biens que l’on possède. Puis, dans la mesure où ces biens prospéreront entre les mains de ceux qui les possèdent, quand une fois ceux-ci ont prélevé sur ces biens ce dont ils ont personnellement besoin pour eux et pour leur maison, il ne leur est plus permis de les considérer comme leur bien propre, excluant de leur participation la société des hommes au milieu desquels ils vivent. Il y a, pour eux, un devoir de justice sociale de répartir, le mieux possible, le superflu de leurs biens, ou de faciliter autour d’eux le travail des autres, afin que les nécessités des particuliers en soient soulagées et que le bien public en soit accru. La raison du bien public autorisera l’État à prélever lui-même, sur les biens des particuliers, tout ce qu’il jugera nécessaire ou utile au bien de la société. Dans ce cas, les particuliers sont tenus de se conformer aux lois édictées par l’État : c’est, pour eux, une obligation de justice stricte. La raison du bien des particuliers ou de leurs nécessités n’oblige pas avec la même rigueur, quant à sa détermination. Il n’est pas de loi, ici, qui oblige, sous forme de loi positive humaine, entraînant la possibilité de contrainte par voie judiciaire. Mais la loi naturelle garde toute sa rigueur. C’est aller directement contre elle, en ce qu’elle a de plus imprescriptible et qui est l’obligation de vouloir le bien de ses semblables, de se désintéresser des besoins de ceux-ci, quand on a soi-même le superflu. Cette obligation, déjà rigoureuse, en vertu de la seule loi naturelle, revêt un caractère tout à fait sacré, en vertu de la loi positive divine, surtout de la loi évangélique. Dieu lui-même est intervenu personnellement pour corroborer et rendre plus pressante, par les sanctions dont il l’entoure, la prescription déjà gravée par lui au fond du cœur des hommes (q. 66, a. 2-7 ; q. 32, a. 5, 6).

 

— Si tels sont les devoirs de ceux qui possèdent, à l’endroit des autres hommes, quels sont les devoirs de ces derniers à l’endroit des premiers ?

— Les devoirs des autres hommes, à l’endroit de ceux qui possèdent, sont de respecter leurs biens et de n’y jamais toucher contrairement à leur volonté (q. 66, a. 5, 8).

 

— Comment s’appelle l’acte qui consiste à toucher au bien de ceux qui possèdent, contrairement à leur volonté ?

— On l’appelle du nom de vol ou de rapine (q. 66, a. 3, 4).

 

— Qu’entendez-vous par le vol ?

— J’entends le fait de s’emparer d’une manière occulte de ce qui est le bien d’autrui (q. 66, a. 3).

 

— Et par la rapine, qu’entendez-vous ?

— J’entends cet acte qui, au lieu de procéder à l’insu de celui qu’on dépouille, comme le vol, le heurte de front, au contraire, et lui enlève ostensiblement, d’une façon violente, le bien qui lui appartient (q. 66, a. 4).

 

— De ces deux actes, quel est celui qui est le plus grave ?

— La rapine est chose plus grave que le vol ; mais le vol, comme la rapine, constitue toujours, en soi, un péché mortel, à moins que la chose prise n’en vaille pas la peine (q. 66, a. 9).

 

— Faut-il s’abstenir au plus haut point, parmi les hommes, de tout ce qui aurait, même du plus loin, l’apparence du vol ?

— Oui, c’est chose souverainement importante, pour le bien de la société, que les hommes s’abstiennent au plus haut point de tout ce qui aurait, même du plus loin, une apparence de vol parmi eux.

 

23. Péchés contre la justice, par paroles : dans l’acte du jugement : de la part du juge ; — de la part de l’accusation ; — de la part de l’accusé ; — de la part du témoin ; — de la part de l’avocat

 

— En plus des péchés qui se commettent contre la justice, à l’endroit du prochain, par mode d’actes, y en a-t-il d’autres qui se commettent à son endroit par paroles ?

— Oui, et on les divise en deux groupes : ceux qui se commettent dans l’acte solennel du jugement ou en justice ; et ceux qui se commettent dans l’ordinaire de la vie (q. 67-76).

 

— Quel est le premier des péchés qui se commettent dans l’acte solennel du jugement ?

— C’est le péché du juge qui ne juge pas selon la justice (q. 67).

 

— Et que faut-il, de la part du juge, pour qu’il juge selon la justice ?

— Il faut qu’il se considère comme une sorte de justice vivante, qui a pour office, dans la société, de rendre, au nom même de la société qu’il représente, son droit lésé à quiconque recourt à son autorité (q. 67, a. 1).

 

— Que s’ensuit-il de là pour le juge dans l’accomplissement de son office ?

— Il s’ensuit qu’un juge ne peut juger que ceux qui sont de son ressort, et que, dans le libellé de sa sentence, il ne peut se baser que sur les données du procès, telles que les parties les exposent et les établissent juridiquement devant lui, ne pouvant d’ailleurs jamais intervenir, que si l’une des parties se plaint et demande justice ; mais devant toujours, alors, rendre intégralement cette justice, sans fausse miséricorde envers le coupable, quelque peine qu’il ait à prononcer contre lui au nom du droit fixé par Dieu ou par les hommes (q. 67, a. 2-4).

 

— Quel est le second péché qui se commet contre la justice dans l’acte solennel du jugement, ou à son sujet ?

— C’est le péché de ceux qui manquent au devoir d’accuser ou qui accusent injustement (q. 68).

 

— Qu’est-ce que vous entendez par le devoir d’accuser ?

— J’entends le devoir qui incombe à tout homme qui vit dans une société et qui, se trouvant en présence d’un mal atteignant cette société elle-même, est obligé de déférer au juge l’auteur de ce mal pour qu’il en soit fait justice ; il n’est libéré de cette obligation que s’il est dans l’impossibilité d’établir juridiquement la vérité du fait (q. 68, a. 1).

 

— Quand l’accusation est-elle injuste ?

— L’accusation est injuste quand la pure malice fait imputer à quelqu’un des crimes qui sont faux ; ou encore si, étant engagée, on ne la poursuit pas selon que la justice le demande : soit qu’on traite frauduleusement avec la partie adverse, soit qu’on se désiste, sans raison, de l’accusation (q. 68, a. 3).

 

— Quel est le troisième péché qui se commet contre la justice dans l’acte du jugement ?

— C’est le péché de l’accusé qui ne se conforme pas aux règles du droit (q. 69).

 

— Quelles sont ces règles du droit auxquelles doit se conformer l’accusé, sous peine de péché contre la justice ?

— C’est qu’il doit dire la vérité au juge, quand celui-ci l’interroge en vertu de son autorité, et qu’il ne peut jamais se défendre en usant de procédés frauduleux (q. 69, a. 1, 2).

 

— Un accusé peut-il, s’il est condamné, décliner le jugement en faisant appel ?

— Un accusé, ne pouvant se défendre d’une manière frauduleuse, n’a pas le droit de faire appel d’un jugement juste, dans le seul but d’en retarder l’exécution. Il ne peut faire cet appel que s’il est victime d’une injustice manifeste. Encore faudra-t-il qu’il use de son droit dans les limites qui auront pu être fixées par la loi (q. 69, a. 3).

 

— Un condamné à mort a-t-il le droit de résister à la sentence qui le condamne ?

— L’homme injustement condamné à mort peut résister, même par la violence, à la seule réserve du scandale à éviter. Mais s’il a été condamné justement, il est tenu de subir son supplice sans résistance aucune : il pourrait cependant s’échapper, s’il en avait le moyen : car nul n’est tenu de coopérer à son propre supplice (q. 69, a. 4).

 

— Quel est le quatrième péché qui se commet contre la justice dans l’acte du jugement ?

— C’est le péché du témoin qui manque à son devoir (q. 70).

 

— Comment un témoin peut-il manquer à son devoir dans l’acte du jugement ?

— Un témoin peut manquer à son devoir dans l’acte du jugement soit en s’abstenant de témoigner quand il est requis par l’autorité du supérieur à qui il est tenu d’obéir, dans les choses qui appartiennent à la justice ou quand son témoignage peut empêcher un dommage pour quelqu’un, soit, plus encore, en portant un faux témoignage (q. 70, a. 1, 4).

 

— Le faux témoignage rendu en justice est-il toujours un péché mortel ?

— Le faux témoignage rendu en justice est toujours un péché mortel, sinon toujours en raison du mensonge qui peut être, quelquefois, véniel, toujours, du moins, en raison du parjure, et, aussi, en raison de l’injustice, s’il va à l’encontre d’une cause juste (q. 120, a. 4).

 

— Quel est le dernier péché qui se commet contre la justice dans l’acte du jugement ?

— C’est le péché de l’avocat qui refuse de prêter son patronage à une cause juste qui ne peut être défendue que par lui, ou qui défend une cause injuste, dans l’ordre notamment des causes civiles, ou qui exige, pour son patronage, une rétribution injuste (q. 71, a. 1, 3, 4).

 

24. Péchés par paroles, dans l’ordinaire de la vie : l’injure ; la détraction (médisance et calomnie) ; la zizanie ; la dérision ; la malédiction.

 

— Pourriez-vous me dire quels sont les péchés d’injustice qui se commettent contre le prochain, par paroles, dans l’ordinaire de la vie ?

— Ce sont : l’injure ; la détraction ; la zizanie ; la dérision ; et la malédiction (q. 72-76).

 

— Qu’est-ce que vous entendez par l’injure ?

— L’injure, ou l’insulte, ou l’outrage, ou même le reproche et le blâme et la réprimande – à prendre ces trois dernières choses dans le sens d’une intervention indue ou injustement blessante –, désignent une intervention outrageuse qui fait qu’on blesse, dans son honneur et dans le respect qu’on lui doit, tel sujet visé, par les gestes que l’on fait ou les paroles que l’on dit (q. 72, a. 1).

 

— Est-ce là un péché mortel ?

— Oui, quand on fait ces gestes ou que l’on profère ces paroles, de nature à porter gravement atteinte à l’honneur de celui qui en est l’objet, avec l’intention formelle d’attenter, en effet, à cet honneur. La faute ne serait légère que si, en fait, l’honneur du sujet n’était pas sérieusement atteinte ou qu’on n’eût pas, soi-même, l’intention d’y attenter d’une façon grave (q. 72, a. 2).

 

— Y a-t-il, pour tout homme, un devoir strict, dans l’ordre de la justice, de traiter les autres hommes, quels qu’ils soient, avec la révérence ou le respect qui leur sont dus ?

— Oui, c’est là pour tout homme un devoir strict dans l’ordre de la justice, et qui est d’une importance extrême pour l’harmonie des rapports de société que les hommes doivent avoir entre eux (q. 72, a. 1-3).

 

— Sur quoi se fonde ce devoir et quelle est son importance ?

— Sur ce que l’honneur est un des biens auxquels les hommes tiennent le plus. Même le plus petit parmi eux, selon que sa condition le comporte, veut et doit être traité avec respect. Lui manquer d’égards, en gestes ou en paroles, est le blesser en ce qu’il a de plus cher (ibid.).

 

— Il faut donc éviter avec le plus grand soin de ne rien dire ou de ne rien faire, en présence de quelqu’un, qui soit de nature à le contrister ou à l’humilier, ou à lui être pénible de quelque façon que ce soit ?

— Oui, il faut l’éviter avec le plus grand soin (ibid.).

 

— Est-ce qu’il ne peut jamais être permis d’en agir autrement ?

— Cela ne peut être permis que s’il s’agit d’un supérieur à l’adresse d’un inférieur, à seule fin de corriger cet inférieur, quand vraiment il le mérite, et à la condition de ne jamais le faire sous le coup de la passion, ou d’une manière qui soit outrée ou indiscrète (q. 72, a. 2, ad 2).

 

— Et à l’égard de ceux qui manquent eux-mêmes de respect, que faut-il faire ?

— A l’égard de ceux qui se rendraient eux-mêmes coupables du péché d’injure contre nous ou contre ceux dont l’honneur peut nous être confié, soit directement, soit indirectement, la charité peut nous demander, ou même la justice, que nous ne laissions pas leur audace impunie. Mais, dans ce cas, il faut garder, dans la répression, toutes les formes que comporte l’ordre du droit et veiller soigneusement à ne se donner soi-même aucun tort (q. 72, a. 3).

 

— Que faut-il entendre par la détraction ?

— La détraction, prise dans son sens formel ou précis, implique l’intention de porter atteinte, par ses paroles, à la réputation du prochain, ou de lui enlever, en partie ou en tout, l’estime dont il jouit dans la pensée des autres, quand il n’y a aucune raison juste de le faire (q. 73, a. 1).

 

— Est-ce là un bien grand péché ?

— Oui, puisque c’est enlever injustement au prochain un bien plus précieux que ne l’est le bien des richesses qu’on lui enlève par le vol (q. 73, a. 2, 3).

 

— De combien de manières se commet ce péché de la détraction ?

— Il se commet directement de quatre manières : ou en imputant au prochain des choses fausses, ou en exagérant ce qu’il peut y avoir en lui de défectueux, ou en manifestant des choses qui étaient ignorées et qui lui sont défavorables, ou en lui prêtant des intentions douteuses, sinon même mauvaises, qui dénaturent ce qu’il fait de meilleur (q. 73, a. 1, ad 3).

 

— Ne peut-on pas nuire encore au prochain d’autre manière dans le péché de détraction ?

— Oui, d’une manière indirecte, en niant son bien, ou en le taisant malicieusement, ou en le diminuant (q. 73, a. 1, ad 3).

 

— Qu’entendez-vous par le péché de zizanie ?

— J’entends le péché qui consiste à porter atteinte au bien des amis en se proposant directement, par de louches et perfides paroles, de semer la mésintelligence entre ceux qu’unissent, dans une mutuelle confiance, les liens de l’amitié (q. 74, a. 1).

 

— Ce péché est-il bien grave ?

— De tous les péchés de parole contre le prochain, celui-là est le plus odieux, le plus grave et le plus digne de réprobation devant Dieu comme devant les hommes (q. 74, a. 2).

 

— Que faut-il entendre par la dérision ?

— La dérision ou la moquerie injurieuse est un péché de parole contre la justice, qui consiste à railler le prochain, en mettant sous ses yeux des choses mauvaises ou défectueuses qui l’amènent à perdre la confiance qu’il avait en lui-même dans ses rapports avec les autres (q. 75, a. 1).

 

— Est-ce là un bien grave péché ?

— Oui, très certainement ; car il implique un mépris à l’égard des personnes, qui est bien une des choses les plus détestables et les plus dignes de réprobation (q. 75, a. 2).

 

— L’ironie à l’égard des autres est-elle toujours la dérision, avec la gravité qu’on vient de dire ?

— L’ironie peut être chose légère, s’il s’agit de légers défauts ou de légers manquements, que l’on raille pour se jouer, sans que la raillerie implique aucun mépris pour les personnes. Il peut même n’y avoir aucun péché, quand la chose se fait par mode de récréation innocente et qu’on ne court aucun risque d’attrister celui qui en est l’objet. Toutefois, c’est là un mode de récréation très délicat et dont il ne faut user qu’avec une extrême prudence (q. 75, a. 1, ad 1).

 

— L’ironie peut-elle être quelquefois un acte de vertu ?

— Oui, si elle est maniée comme il convient, et par mode de correction, de la part d’un supérieur à l’endroit d’un inférieur, ou encore, d’égal à égal, par mode de charitable correction fraternelle.

 

— Que demande, en pareil cas, l’usage de l’ironie ?

— Elle demande toujours une très grande discrétion. Car, s’il peut être bon que ceux qui sont portés à avoir trop de confiance en eux-mêmes, soient ramenés à un sentiment plus juste de leur propre valeur, il faut bien se garder d’anéantir cette confiance, en ce qu’elle peut avoir de légitime, sans quoi, on s’exposerait à paralyser tout élan et toute spontanéité, atrophiant ou avilissant même, par la défiance outrée qu’on lui inspire de lui-même, le sujet de l’ironie, qui en devient la victime.

 

— Dans quels rapports se trouvent, avec le vice appelé la malédiction, les quatre vices de l’injure, de la détraction, de la zizanie, de la dérision ?

— Tous ces vices ont, entre eux, le commun rapport de s’attaquer, par paroles au bien du prochain ; mais, tandis que les autres le font par mode de proposition, ou de mal qu’on énonce, et de bien qu’on dénie, la malédiction le fait par mode de mal qu’on souhaite (q. 76, a. 1, 4).

 

— Est-ce là chose essentiellement mauvaise ?

— Oui, c’est là chose essentiellement mauvaise, toutes les fois que l’on souhaite à quelqu’un le mal pour le mal ; et, de soi, un tel acte est toujours une faute grave (q. 76, a. 3).

 

25. Péchés où l’on trompe le prochain et où l’on abuse de lui : la fraude ; l’usure

 

— Quel est le dernier genre de péchés qui se commettent contre la justice commutative ?

— Ce sont les péchés où l’on amène, d’une façon indue, le prochain au consentement de choses qui sont à son préjudice (q. 77, prologue).

 

— Comment appelle-t-on ces péchés ?

— On les appelle la fraude et l’usure (q. 77, 78).

 

— Qu’entendez-vous par la fraude ?

— J’entends cet acte d’injustice qui se commet dans les contrats de vente ou d’achat et qui, trompant le prochain, l’amène à vouloir ce qui est un dommage pour lui (q. 78).

 

— De combien de manières peut se produire ce péché de fraude ?

— Ce péché peut se commettre : en raison du prix, selon qu’on achète une chose moins qu’elle ne vaut, ou qu’on la vend plus qu’elle ne vaut ; en raison de la chose vendue, selon qu’elle n’est pas ce qu’elle paraît, que le vendeur le sache ou qu’il l’ignore ; en raison du vendeur, qui tait un défaut qu’il connaît ; en raison de la fin, qui est le gain poursuivi (q. 77, a. 1-4).

 

— Ne peut-on jamais, le sachant, acheter une chose moins qu’elle ne vaut, ou la vendre plus qu’elle ne vaut ?

— Non ; car le prix de la chose que l’on vend ou que l’on achète doit toujours, dans les contrats de vente ou d’achat, correspondre à la juste valeur de la chose elle-même : demander plus ou donner moins, le sachant, est, de soi, chose essentiellement injuste et qui oblige à la restitution (q. 77, a. 1).

 

— Est-ce contre la justice de vendre une chose pour ce qu’elle n’est pas, ou d’acheter une chose qui est autre qu’on ne la croit ?

— Oui, vendre ou acheter une chose qui est autre que ce qu’elle paraît, qu’il s’agisse de son espèce, de sa quantité, ou de sa qualité, est contraire à la justice ; et c’est un péché, si on le fait sciemment, et il y a obligation de restituer. Bien plus, cette obligation de restituer existe, alors même qu’il n’y a pas eu péché, dès que l’on s’aperçoit de ce qu’il en est de la chose achetée ou vendue (q. 77, a. 2).

 

— Le vendeur est-il toujours tenu de manifester les vices de la chose qu’il vend, selon qu’il les connaît ?

— Oui, le vendeur est toujours tenu de manifester les vices de la chose qu’il vend, lorsque ces vices, connus de lui, sont cachés et qu’ils peuvent être, pour l’acheteur, une cause de péril ou de dommage (q. 77, a. 3).

 

— Est-il permis de se livrer aux ventes et aux achats, en vue du seul gain à réaliser, sous forme de négoce ?

— Le négoce pour le négoce a quelque chose de honteux ou de contraire à l’honnêteté de la vertu, parce que, en ce qui est de lui, il favorise l’amour du lucre, qui ne connaît pas de bornes, mais tend à acquérir sans fin (q. 77, a. 4).

 

— Que faudra-t-il donc pour que le négoce devienne une chose permise et honnête ?

— Il faut que le gain ou le lucre ne soit pas recherché pour lui-même, mais en vue d’une fin honnête. Ainsi en est-il quand on ordonne le gain modéré, qu’on cherche dans le négoce, à soutenir sa propre maison, ou encore à subvenir aux indigents ; ou qu’on vaque au négoce en vue de l’utilité publique, afin que les choses nécessaires à la vie ne manquent point dans sa patrie ou parmi les hommes, et qu’on cherche le gain, non comme une fin, mais comme prix de son travail (q. 77, a. 4).

 

— Qu’entendez-vous par le péché d’usure ?

— J’entends cet acte d’injustice, qui consiste à abuser du besoin dans lequel un homme se trouve, et à lui prêter de l’argent, ou toute chose appréciable à prix d’argent, mais qui n’a d’autre usage que la consommation, ordonnée aux nécessités du moment, en l’obligeant à rendre cet argent ou cette chose à date fixe, avec un surplus, à titre d’usure ou de prix de l’usage (q. 78, a. 1, 2, 3).

 

— L’usure est-elle la même chose que le prêt à intérêt ?

— Non ; car si toute usure est un prêt à intérêt, tout prêt à intérêt n’est pas une usure.

 

— En quoi le prêt à intérêt se distingue-t-il de l’usure ?

— Le prêt à intérêt se distingue de l’usure en ce que l’on y considère l’argent comme pouvant être productif, en raison des circonstances sociales et économiques où les hommes vivent aujourd’hui.

 

— Que faut-il pour que le prêt à intérêt demeure permis et ne risque pas de se transformer en usure ?

— Il y faut deux choses : 1°) que le taux de l’intérêt ne dépasse pas le taux légal, ou le taux fixé par un usage raisonnable, 2°) que les riches qui abondent en superflu sachent ne pas se montrer exigeants envers les pauvres gens qui empruntent, non pour faire un négoce d’argent, mais en vue de la seule consommation et pour subvenir aux nécessités de leur vie.

 

26. Des éléments de la vertu de justice : faire le bien et éviter le mal ; — vices opposés : l’omission ; la transgression

 

— Quand il s’agit de la vertu de justice, outre ses diverses espèces, pouvons-nous considérer encore comme des éléments qui la constituent, ainsi qu’il a été dit pour la prudence ?

— Oui ; et ces éléments ne sont autres que ce qu’on appelle : faire le bien et éviter le mal (q. 79, a. 1).

 

— Pourquoi ces deux éléments sont-ils propres à la vertu de justice ?

— Parce que dans les autres vertus morales, comme la force ou la tempérance, il n’y a pas à les distinguer, ne pas faire le mal s’identifiant en elles à ce qui est faire le bien, tandis que, dans la vertu de justice, faire le bien consiste à faire, par nos actes, que l’égalité règne entre nous et le prochain ; et ne pas faire le mal consiste à ne rien faire qui puisse aller contre cette égalité, qui doit régner entre nous et le prochain (q. 79, a. 1).

 

— Comment s’appelle le péché contre le premier mode ?

— Il s’appelle l’omission (q. 79, a. 3).

 

— Et comment s’appelle le péché contre le second mode ?

— Il s’appelle la transgression (q. 79, a. 2).

 

— De ces deux péchés, quel est le plus grave ?

— En soi, le plus grave est le péché de transgression, bien que telle omission puisse être plus grave que telle transgression. Et, par exemple, il est plus grave d’injurier quelqu’un que de ne pas lui rendre le respect qu’on lui doit ; mais, s’il s’agit d’un supérieur très élevé, il sera plus grave de manquer au respect qu’on lui doit en ne lui rendant pas le témoignage extérieur que le respect demande, notamment devant le public, que ne sera un léger signe de dédain ou une parole légèrement blessante à l’endroit d’une personne infime dans la société (q. 79, a. 4).

 

27. Vertus annexes de la justice : la religion ; la piété ; l’observance ; la gratitude ; le soin de la vengeance ; la vérité ; l’amitié ; la libéralité ; l’équité naturelle

 

— La vertu de justice a-t-elle aussi, dans sa dépendance, des vertus qui se rapportent à elle et qui soient, pour elle, comme des parties annexes ?

— Oui, la vertu de justice a de ces sortes de parties (q. 80, a. 1).

 

— Mais comment, ou en quoi, ces autres vertus se distinguent-elles de la justice proprement dite ?

— Elles s’en distinguent en cela, que la justice proprement dite a pour objet de rendre à autrui, en parfaite égalité, ce qui lui est rigoureusement dû, tandis que ces autres vertus, bien qu’elles se réfèrent à autrui comme la justice, en quoi elles conviennent avec elle, cependant ont leur acte qui aboutit : – ou bien à donner une chose qui n’est due à autrui que dans un sens large et non point en stricte rigueur, pouvant être exigée au nom du droit fixé par la loi, devant les tribunaux, – ou bien à ne donner que d’une manière nécessairement imparfaite, et en-deçà de l’égalité absolue, ce qui est dû rigoureusement (q. 80, a. 1).

 

— Combien y a-t-il de vertus qui se rattachent à la justice ; et quelles sont-elles ?

— Il y en a neuf, qui sont : la religion, – la piété, – l’observance, – la gratitude, – le soin de la vengeance, – la vérité, – l’amitié, – la libéralité, – et l’équité naturelle (q. 80, a. 1).

 

— Pourriez-vous justifier l’ordre de ces vertus ?

— Oui, et le voici en peu de mots. – Les huit premières se rapportent à la justice particulière ; la neuvième, à la justice générale ou légale. – Et des huit premières il en est trois : la religion, la piété et l’observance, qui restent en-deçà de la justice au sens strict, non point par manque de rigueur dans la raison de dette, mais par l’impossibilité d’atteindre la raison d’égalité, dans l’acquittement de cette dette : la religion, par rapport à Dieu ; la piété, par rapport aux parents et à la patrie ; l’observance, par rapport aux hommes vertueux, ou à ceux qui sont élevés en dignité. – Les cinq autres sont en défaut du côté de la dette, car elles ne portent point sur quelque chose qui soit dû légalement et qui puisse être exigé en justice devant les tribunaux humains, comme étant déterminé par la loi, mais seulement sur ce qui est dû moralement et dont la détermination ou l’acquittement est laissé au mouvement vertueux d’un chacun : chose cependant qui est requise pour l’honnêteté de la vie humaine ou la bonne harmonie des rapports des hommes entre eux, soit d’une manière nécessaire, comme l’objet de la vérité, de la gratitude, du soin de la vengeance, soit à titre de perfection et de mieux, comme l’objet de l’amitié et de la libéralité (q. 80, a. 1).

 

28. La religion : sa nature

 

— Qu’est-ce que c’est que la vertu de religion ?

— La vertu de religion – ainsi appelée parce qu’elle constitue le lien par excellence devant rattacher l’homme à Dieu, comme à celui qui est la source de tout bien – est une perfection de la volonté, l’amenant à reconnaître, comme il convient, la dépendance de l’homme à l’endroit de Dieu, premier principe et fin dernière de tout, souverainement parfait en lui-même et de qui dépend toute autre perfection (q. 81, a. 1-5).

 

— Quels seront les actes qui appartiendront à cette vertu ?

— Tous les actes qui, de soi, tendent à confesser la dépendance de l’homme à l’égard de Dieu rentrent dans l’objet propre de la vertu de religion. Mais elle peut aussi ordonner à cette même fin les actes de toutes les autres vertus ; et, dans ce cas, elle fait de toute la vie de l’homme un acte de culte envers Dieu (q. 81, a. 7, 8).

 

— Comment l’appellera-t-on alors ?

— On l’appellera du nom de sainteté. Car l’homme saint est précisément celui dont toute la vie est transformée en un acte de religion (q. 81, a. 8).

 

— Cette vertu de religion est-elle particulièrement excellente ?

— La vertu de religion est, en deçà des vertus théologales, la plus excellente de toutes les vertus (q. 81, a. 6).

 

— D’où vient cette excellence de la vertu de religion ?

— Elle lui vient de ce que, parmi toutes les vertus morales, dont l’objet propre est de perfectionner l’homme dans tous les ordres de son activité consciente en vue de Dieu à conquérir, tel que la foi, l’espérance et la charité nous le font atteindre, aucune autre vertu n’a d’objet aussi rapproché de cette fin. Tandis que les autres vertus, en effet, ordonnent l’homme, soit en lui-même, soit avec les autres créatures, la religion l’ordonne avec Dieu : elle fait qu’il soit, par rapport à Dieu, ce qu’il doit être, reconnaissant, comme il le doit, sa souveraine majesté, le servant et l’honorant, par ses actes, comme demande d’être servi et honoré celui dont l’excellence dépasse à l’infini toutes choses et dans tous les ordres (q. 81, a. 6).

 

29. La religion : ses actes intérieurs : la dévotion ; la prière : nature ; nécessité ; formule ; le Notre Père, ou l’oraison dominicale ; efficacité

 

— Quel est le premier des actes de la religion ?

— Le premier des actes de la religion est l’acte intérieur qui s’appelle du nom de dévotion (q. 82, a. 1, 2).

 

— Qu’entendez-vous par la dévotion ?

— J’entends, par la dévotion, un certain mouvement de la volonté, qui fait qu’elle se donne elle-même et qu’elle donne tout ce qui dépend d’elle, dans l’homme, au service de Dieu, s’y portant toujours et en tout, avec un saint empressement (q. 82, a. 1, 2).

 

— Quel est, après la dévotion, le premier acte, dans l’homme, ainsi appliqué au service de Dieu ?

— C’est l’acte de la prière.

 

— Qu’est-ce que l’acte de la prière ?

— L’acte de la prière, entendu dans son sens le plus haut, et selon qu’il s’adresse à Dieu, est un acte de la raison pratique, par lequel, sous forme de demande qui supplie, nous voulons amener Dieu à faire ce que nous souhaitons (q. 83, a. 1).

 

— Mais est-ce là chose raisonnable et possible ?

— Oui, certes ; et il n’est même rien, sur cette terre, qui soit plus raisonnable ou plus en harmonie avec notre nature (q. 83, a. 2).

 

— Comment montrez-vous qu’il en est ainsi ?

— Par ces considérations : étant des êtres raisonnables et conscients, nous avons besoin, au plus haut point, de prendre conscience de ce qu’est Dieu et de ce que nous sommes. Or, nous ne sommes que misère ; et lui est la source de tout bien. Plus, donc, nous aurons conscience de notre misère, jusque dans le détail de ses besoins, et que c’est de Dieu seul que nous viennent, comme de leur première source, les biens capables d’y remédier, plus nous serons ce que nous devons être, c’est-à-dire ce que notre nature requiert. Et l’acte de la prière est précisément cela même. Il est d’autant plus parfait qu’il nous fait davantage prendre conscience de notre misère et de la bonté de Dieu y remédiant. Aussi, est-ce bien pour cela que Dieu, dans sa miséricorde, a voulu que nous priions, déterminant que certaines choses ne nous seraient accordées qu’à la demande que nous lui en ferions (q. 83, a. 2).

 

— C’est donc, au plus haut point, la volonté de Dieu que nous faisons, en voulant l’amener par notre prière à faire ce que nous voulons ?

— Oui, c’est, au plus haut point, la volonté même de Dieu que nous faisons en nous efforçant de l’amener, par notre prière, à accomplir ce que nous souhaitons, toutes les fois que ce que nous souhaitons est pour notre vrai bien.

 

— Dieu nous exauce-t-il toujours alors ?

— Oui, Dieu nous exauce toujours, quand nous lui demandons, sous l’action même de son Esprit-Saint, ce qui est pour notre vrai bien (q. 83, a. 15).

 

— Y a-t-il une formule de prière qui nous assure que nous demandons toujours notre vrai bien ?

— Oui, c’est la formule de la prière par excellence, qui s’appelle le Notre Père, ou l’oraison dominicale (q. 83, a. 9).

 

— Qu’entendez-vous par ces mots : l’oraison dominicale ?

— J’entends la prière que nous a enseignée Notre Seigneur Jésus-Christ dans l’Évangile.

 

— Pouvez-vous me dire cette prière ?

— Oui, et la voici :

Notre Père, qui êtes aux cieux : que votre nom soit sanctifié ; que votre royaume arrive ; que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ; donnez-nous aujourd’hui notre pain de chaque jour ; pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ; et ne nous laissez pas succomber à la tentation ; mais délivrez-nous du mal. Ainsi soit-il.

 

— Cette prière contient-elle, à elle seule, toutes les prières ou toutes les demandes que nous pouvons et devons faire à Dieu ?

— Oui, cette prière contient, à elle seule, toutes les prières ou toutes les demandes que nous pouvons et devons faire à Dieu ; et tout ce que nous demanderons à Dieu se ramènera toujours, si nous demandons ce qu’il faut, à l’une de ces demandes du Notre Père (q. 83, a. 9).

 

— Y a-t-il encore une autre excellence de cette prière et qui lui appartienne tout à fait en propre ?

— Oui ; et cette excellence consiste en ce qu’elle met sur nos lèvres, dans l’ordre même où ils doivent être dans notre cœur, tous les désirs qui doivent être les nôtres (q. 83, a. 9).

 

— Pourriez-vous me montrer cet ordre des demandes de l’oraison dominicale ?

— Le voici en quelques mots. De tous nos désirs, le premier doit être que Dieu soit glorifié, puisque la gloire de Dieu est la fin de toutes choses ; mais, tout de suite, et pour coopérer nous-mêmes, le plus excellemment, à cette gloire, nous devons désirer d’être admis à la partager un jour éternellement dans le ciel. Et tel est le sens des deux premières demandes du Notre Père, quand nous disons : Que votre nom soit sanctifié ; que votre royaume arrive. – Cette glorification de Dieu en lui-même et de nous en lui sera le terme final de notre vie un jour. Sur cette terre et durant la vie présente, nous devons travailler à mériter d’y être admis. Pour cela, nous n’avons qu’une seule chose à faire : accomplir en tout, aussi parfaitement que possible, la volonté de Dieu. C’est ce que nous demandons quand nous disons : Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. – Mais, pour accomplir cette volonté d’une manière parfaite, nous avons besoin du secours de Dieu qui soutienne notre faiblesse, soit dans l’ordre des nécessités temporelles, soit dans l’ordre des nécessités spirituelles. Nous demandons ce secours, quand nous disons : Donnez-nous aujourd’hui notre pain de chaque jour. – Et cela suffirait, si nous n’avions à nous débarrasser du mal qui peut être un obstacle, soit à l’acquisition du royaume de Dieu, soit à l’accomplissement de la volonté de Dieu, soit à la suffisance des choses dont nous avons besoin dans la vie présente. Contre ce triple mal, nous disons à Dieu : Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons, nous, à ceux qui nous ont offensés ; et ne nous laissez point succomber à la tentation ; mais délivrez-nous du mal (q. 83, a. 9).

 

— Pourquoi disons-nous au début de cette prière : Notre Père qui êtes aux cieux ?

— Pour nous exciter à une confiance sans bornes, puisque celui à qui nous nous adressons est un Père, et qu’il règne dans les cieux, ayant tout en son pouvoir (q. 83, a. 9, ad 5).

 

— Faut-il réciter souvent cette prière du Notre Père ?

— Il faut vivre continuellement dans son esprit et la dire aussi de temps en temps, le plus souvent même, selon que les conditions de notre vie nous le permettent (q. 83, a. 14).

 

— Est-ce le moins qu’il soit convenable de faire, en quelque condition qu’on se trouve, de ne point laisser passer un seul jour sans dire cette prière ?

— Oui, c’est le moins qu’il soit convenable de faire, en quelque condition qu’on se trouve, de ne point laisser passer un seul jour sans dire cette prière.

 

— Est-ce à Dieu seul que nous devons adresser nos prières ?

— Oui, c’est à Dieu seul que nous devons adresser nos prières, comme à celui de qui nous attendons tous nos biens ; mais nous pouvons nous adresser à certaines créatures pour les prier d’intercéder en notre faveur auprès de Dieu (q. 83, a. 4).

 

— Quelles sont ces créatures à qui nous pouvons nous adresser pour les prier d’intercéder en notre faveur auprès de Dieu ?

— Ce sont les anges ou les saints qui sont dans le ciel et les justes qui vivent sur la terre (q. 83, a. 11).

 

— Est-il bon de se recommander ainsi aux âmes saintes et de solliciter leurs prières ?

— Oui, c’est chose excellente de se recommander à la pieuse intercession des âmes saintes et de solliciter leurs prières auprès de Dieu.

 

— Parmi toutes les créatures, en est-il quelqu’une qui doive, à un titre tout spécial, être ainsi sollicitée par nous dans nos prières ?

— Oui, c’est la glorieuse Vierge Marie, la Mère du Fils de Dieu incarné, Notre Seigneur Jésus-Christ.

 

— De quel nom a-t-on appelé la très sainte Vierge Marie en raison de cette mission spéciale qu’elle a d’intercéder pour nous ?

— On l’a appelée la toute-puissance d’intercession.

 

— Et qu’a-t-on voulu signifier par ces mots ?

— On a voulu signifier par là que tous ceux pour qui elle intercède auprès de Dieu, sont exaucés de lui dans leurs prières.

 

— Est-il une formule de prière plus particulièrement excellente pour solliciter ainsi l’intercession de la très sainte Vierge Marie auprès de Dieu ?

— Oui, c’est la prière de l’Ave Maria ou du Je vous salue.

 

— Pourriez-vous me dire cette prière ?

— Oui ; et la voici : Je vous salue, Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes, et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni. Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort. Ainsi soit-il.

 

— Quand est-ce qu’il est bon de réciter cette prière ?

— Il est bon de la réciter le plus souvent possible ; et, tout spécialement, à la suite du Notre Père, quand on le récite en particulier.

 

— Y a-t-il un mode particulièrement excellent de joindre ensemble ces deux prières pour en assurer l’efficacité ?

— Oui, c’est le Rosaire.

 

— Qu’entendez-vous par le Rosaire ?

— J’entends un mode de prière qui consiste à rappeler les quinze principaux mystères de notre rédemption, et à réciter, en présence du souvenir de chacun d’eux, une fois le Notre Père, qu’on fait suivre du Je vous salue, répété dix fois, après quoi on ajoute : Gloire soit au Père et au Fils et au Saint-Esprit, comme il était au commencement et maintenant et toujours et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

30. Actes extérieurs : l’adoration ; le sacrifice ; les dons ; le denier du culte ; le vœu ; le serment ; l’invocation du saint nom de Dieu

 

— Après les actes intérieurs de la dévotion et de la prière, quels sont les autres actes de la vertu de religion ?

— Ce sont tous les actes extérieurs qui sont ordonnés de soi à honorer Dieu (q. 84-91).

 

— Ces actes, quels sont-ils ?

— Il y a d’abord les gestes ou mouvements du corps, tels que les inclinations de tête, les génuflexions, les prostrations ou tous autres actes qu’on comprend sous le nom général d’adoration (q. 84).

 

— En quoi consiste l’excellence de ces actes ?

— Elle consiste en ce qu’ils font contribuer le corps lui-même à honorer Dieu et qu’ils peuvent, au plus haut point, quand ils sont accomplis comme ils doivent l’être, constituer un secours pour mieux faire les actes intérieurs (q. 84, a. 2).

 

— N’y a-t-il que notre corps que nous devons ainsi faire servir à honorer Dieu dans la vertu de religion ?

— Il y a aussi les choses extérieures que nous pouvons offrir à Dieu en hommage, sous forme de sacrifice ou de pieuse contribution (q. 85-87).

 

— Y a-t-il, dans la loi nouvelle, une seule forme de sacrifice, au sens strict de ce mot, et selon qu’il implique une immolation de victime ?

— Oui, c’est le saint sacrifice de la messe, dans lequel est immolé, sous les espèces sacramentelles du pain et du vin, celui qui depuis le sacrifice sanglant de la croix est l’unique victime offerte à Dieu et agréée de lui (q. 80, a. 4).

 

— Est-ce un acte de religion agréable à Dieu de contribuer, selon ses ressources, à assurer ou à rehausser le culte extérieur, en donnant pour ce culte ou pour l’entretien de ses ministres ?

— Oui, tout cela est acte de religion, et Dieu l’a pour très spécialement agréable (q. 86-87).

 

— N’est-ce qu’en donnant ainsi à Dieu, pour son culte, ou à ses ministres, qu’on fait acte de religion ?

— On peut aussi faire acte de religion en promettant à Dieu quelque chose qui soit de nature à lui être agréable (q. 88).

 

— Comment s’appelle cette promesse ?

— On l’appelle le vœu (q. 88, a. 1 ; a. 2).

 

— Quand on fait un vœu, est-on obligé de le tenir ?

— Oui, quand on fait un vœu, on est obligé de le tenir, à moins d’impossibilité ou de dispense (q. 88, a. 3 ; a. 10).

 

— Y a-t-il un dernier genre d’actes de religion ?

— Oui ; ce sont les actes où l’on use, en vue d’honorer Dieu, de quelque chose qui touche à Dieu lui-même (q. 89).

 

— Qu’est-ce donc qui peut ainsi être quelque chose qui touche à Dieu et que nous pouvons utiliser à l’effet de l’honorer et de lui rendre hommage ?

— Ce sont les choses saintes ; et le saint nom de Dieu.

 

— Qu’entendez-vous par les choses saintes ?

— J’entends tout ce qui a reçu de Dieu, par l’entremise de son Église, une consécration ou une bénédiction particulière ; comme sont les personnes consacrées à Dieu ; les sacrements ; et les sacramentaux : tels que l’eau bénite ou les objets de piété ; et aussi les lieux du culte (q. 89, prologue).

 

— Comment est-ce qu’on peut user du saint nom de Dieu, sous forme d’hommage rendu à Dieu ?

— On peut user du saint nom de Dieu, sous forme d’hommage rendu à Dieu, en l’appelant à témoin de ce qu’on affirme ou en l’évoquant par mode de louange (q. 89-91).

 

— De quel nom désigne-t-on le fait d’appeler Dieu à témoin de ce que l’on affirme ou de ce que l’on promet ?

— C’est ce que l’on désigne sous le nom de serment (q. 89, a. 1).

 

— Le serment est-il une chose bonne en soi et qui soit à recommander ?

— Le serment n’est une chose bonne qu’en raison d’une grande nécessité et dont il ne faut user qu’avec la plus extrême réserve (q. 89, a. 2).

 

— Et l’adjuration, qu’est-elle ?

— L’adjuration est un acte qui consiste à en appeler au saint nom de Dieu ou à quelque chose sainte pour amener quelqu’un à agir ou à ne pas agir dans le sens que nous voulons (q. 90, a. 1).

 

— Est-ce là un acte permis ?

— Oui ; quand il est fait avec respect et selon que le demande la condition des êtres que nous adjurons (Ibid.)

 

— Est-il bon d’invoquer ou d’évoquer souvent le saint nom de Dieu ?

— Oui ; pourvu qu’on le fasse avec le plus grand respect et sous forme de louange (q. 91, a. 1).

 

31. Vices opposés à la religion : la superstition ; la divination ; l’irréligion ; la tentation de Dieu ; le parjure ; le sacrilège

 

— Quels sont les vices opposés à la vertu de religion ?

— Il y a deux sortes de vices opposés à la vertu de religion : les uns par excès, qu’on appelle du nom de superstition ; et les autres par défaut, qui s’appellent l’irréligion (q. 92, prologue).

 

— Qu’entendez-vous par la superstition ?

— J’entends cet ensemble de vices qui consiste à rendre à Dieu un culte qui ne peut lui être agréable, ou à rendre à d’autres qu’à Dieu le culte qui n’appartient qu’à lui seul (q. 92 ; 93 ; 94).

 

— Y a-t-il un mode plus particulièrement fréquent de cette dernière sorte de vices ?

— Oui, c’est le désir immodéré de connaître l’avenir ou les choses cachées, qui fait qu’on se livre aux multiples pratiques de la divination ou des vaines observances (q. 95 ; 96).

 

— Et l’irréligion, que comprend-elle ?

— L’irréligion comprend deux choses : le fait de ne pas traiter avec le respect qui convient les choses qui regardent le service ou le culte de Dieu ; ou le fait de s’abstenir entièrement de tout acte de religion.

 

— Ce dernier vice est-il particulièrement grave ?

— Ce dernier vice est d’une gravité extrême ; parce qu’il implique le mépris ou l’oubli dédaigneux de celui à qui nous sommes le plus obligés et que tout homme a le devoir le plus strict d’honorer et de servir.

 

— Sous quelle forme spéciale se présente aujourd’hui ce dernier vice ?

— Il se présente sous la forme du laïcisme.

 

— Qu’entendez-vous par le laïcisme ?

— J’entends ce système de vie qui consiste à mettre Dieu complètement de côté : soit d’une manière positive, en chassant Dieu de partout et en le persécutant, lui, ou tout ce qui est de lui, partout où on le trouve ; soit d’une façon négative, ou en ne tenant aucun compte de lui dans l’organisation de la vie humaine, individuelle, familiale ou sociale.

 

— D’où provient ce grand vice du laïcisme, dans sa double forme positive et négative ?

— La forme positive procède de la haine ou du fanatisme sectaire ; la forme négative, d’une sorte de stupidité intellectuelle et morale dans l’ordre métaphysique et surnaturel.

 

— Doit-on s’opposer de toutes ses forces au laïcisme ?

— Il n’y a pas de plus grand devoir que de s’opposer de toutes ses forces au laïcisme et de le combattre par tous les moyens en son pouvoir.

 

— Quels sont les autres vices d’irréligion ?

— Ce sont : la tentation de Dieu et le parjure, qui sont contre Dieu lui-même ou son saint nom ; le sacrilège et la simonie, qui sont contre les choses saintes (q. 97 ; 99).

 

— Qu’entendez-vous par la tentation de Dieu ?

— J’entends ce péché contre la vertu de religion, qui consiste à manquer de respect envers Dieu en faisant appel à son intervention, comme pour s’assurer de sa puissance ; ou en des circonstances qui ne lui permettent pas d’intervenir sans aller contre ce qu’il se doit à lui-même (q. 97, a. 1).

 

— Est-ce tenter Dieu que de compter sur un secours spécial de sa part, alors qu’on ne fait pas soi-même ce qu’il est possible de faire ?

— Oui, c’est tenter Dieu d’agir ainsi, et on doit l’éviter avec le plus grand soin (q. 97, a. 1 ; a. 2).

 

— Qu’entendez-vous par le parjure ?

— J’entends ce péché contre la vertu de religion, qui consiste à en appeler au témoignage de Dieu pour une chose fausse, ou qu’on manque de tenir après l’avoir ainsi promise (q. 98, a. 1).

 

— Est-ce un péché qui se rattache à celui du parjure, que d’en appeler à Dieu par l’évocation de son saint nom à tout propos et de façon inconsidérée ?

— Oui, sans être proprement un parjure, c’est un manque de respect envers le saint nom de Dieu, qui s’y rattache, et qu’on ne saurait éviter avec trop de soin.

 

— Qu’entendez-vous par le sacrilège ?

— J’entends la violation des personnes, ou des choses, ou des lieux, revêtus d’une consécration ou d’une sanctification spéciales qui les voue au culte ou au service de Dieu (q. 99, a. 1).

 

— Le sacrilège est-il un grand péché ?

— Oui, le sacrilège est un grand péché ; car toucher aux choses de Dieu, c’est en quelque sorte toucher à Dieu lui-même, et Dieu réserve à ce péché, même sur cette terre, les plus grands châtiments (q. 99, a. 2-4).

 

— Qu’entendez-vous par la simonie ?

— J’entends ce péché spécial d’irréligion, qui consiste, imitant en cela l’impiété de Simon le Magicien, à faire injure aux choses saintes, en les traitant comme de viles choses matérielles, dont les hommes disposent en maîtres et qu’ils vendent ou achètent à prix d’argent (q. 100, a. 1).

 

— La simonie est-elle un grand péché ?

— Oui, la simonie est un grand péché, que l’Église punit de peines très sévères (q. 100, a. 6).

 

32. La piété envers les parents et envers la patrie

 

— Après la vertu de religion, quelle est celle des vertus annexes à la justice, qui est la plus grande ?

— C’est la vertu de piété (q. 101).

 

— Qu’entendez-vous par la vertu de piété ?

— J’entends cette vertu qui a pour objet de rendre aux parents, et à la patrie, l’honneur et le culte qui leur sont dus, pour le grand bienfait de l’être qu’ils nous ont donné, avec tous les biens qui le suivent, le conservent et le complètent (q. 101, a. 1-3).

 

— Ces devoirs de la vertu de piété envers les parents et envers la patrie sont-ils particulièrement saints ?

— Oui, après les devoirs envers Dieu, il n’en est pas qui soient plus saints ou plus sacrés (q. 101, a. 1).

 

— Quels sont les devoirs de la vertu de piété envers les parents ?

— Ce sont : toujours, le respect et la déférence ; l’obéissance, quand ont vit sous leur autorité ; l’assistance, en cas de besoin (q. 101, a. 2).

 

— Et quels sont les devoirs de la vertu de piété envers la patrie ?

— Ce sont : le respect et la révérence envers ceux qui la personnifient ou la représentent ; l’obéissance aux lois ; et le don de soi jusqu’à sacrifier sa propre vie en cas de guerre juste contre ses ennemis.

 

33. L’observance envers les supérieurs

 

— Y a-t-il encore une autre vertu où l’obéissance puisse être requise, outre les vertus de religion et de piété ?

— Oui, c’est la vertu d’observance (q. 102).

 

— Qu’entendez-vous par la vertu d’observance ?

— J’entends une vertu qui a pour objet de régler les rapports des inférieurs aux supérieurs, en deçà de la supériorité ou du domaine propre à Dieu ou aux parents et aux autorités qui personnifient ou représentent la patrie (q. 102 ; 103).

 

— Est-ce la vertu d’observance, qui garde les rapports des élèves aux maîtres, des apprentis aux patrons, ou de tous autres inférieurs à leurs supérieurs ?

— Oui, c’est la vertu d’observance qui garde les rapports des élèves aux maîtres, des apprentis aux patrons, ou de tous autres inférieurs à leurs supérieurs (q. 103, a. 3).

 

— La vertu d’observance implique-t-elle toujours la vertu d’obéissance ?

— Non ; la vertu d’obéissance n’est requise par la vertu d’observance que s’il s’agit de supérieurs ayant autorité sur leurs inférieurs.

 

— Y a-t-il d’autres ordres de supériorité en dehors de ceux qui impliquent autorité sur les inférieurs ?

— Oui, comme sont par exemple la supériorité du talent, du génie, des richesses, de l’âge, de la vertu et autres de ce genre (q. 103, a. 2).

 

— Dans tous ces ordres-là, y a-t-il lieu de pratiquer la vertu d’observance ?

— Oui, la vertu d’observance fait que l’homme rend à toute supériorité, quelle qu’elle soit, les honneurs qui lui sont dus ; avec ceci pourtant qu’elle rend ces honneurs d’abord aux supérieurs en autorité, à qui elle rend en même temps le culte ou le service qui leur est dû (Ibid.).

 

— Est-ce là chose importante pour le bien de la société ?

— Oui, c’est une chose très importante pour le bien de la société ; parce que toute société implique multiplicité et, en quelque sorte, subordination ; et que tout subordonné doit pratiquer la vertu d’observance sous peine de troubler la beauté et l’harmonie qui font le charme de la vie des hommes entre eux.

 

— Tout homme peut-il avoir à pratiquer la vertu d’observance ?

— Oui ; parce qu’il n’est aucun homme, quelque supérieur qu’il soit dans un certain ordre, qui ne soit, dans un autre ordre, inférieur à quelque autre (q. 103, a. 2, ad 3).

 

34. La gratitude ou la reconnaissance

 

— Quelle est la première des autres vertus annexes à la justice ayant pour objet, non plus une dette stricte impossible à acquitter pleinement, mais une certaine dette morale, ordonnée cependant d’une façon nécessaire au bien de la société ?

— C’est la vertu de reconnaissance ou de gratitude (q. 106).

 

— Quel est le rôle de cette vertu ?

— Le rôle de cette vertu est de nous faire reconnaître comme il convient et en les payant de retour tous les bienfaits d’ordre particulier que nous pouvons avoir reçus de quelqu’un (q. 106, a. 1).

 

— Est-ce là une grande vertu ?

— Oui ; car le vice contraire, qui est l’ingratitude, est chose extrêmement odieuse et réprouvée de tous les hommes (q. 106).

 

— Doit-on s’appliquer, dans la vertu de gratitude ou de reconnaissance, à rendre plus qu’on n’a reçu ?

— Oui, on doit s’appliquer à rendre plus qu’on n’a reçu, afin d’imiter soi-même l’acte de son bienfaiteur (q. 106, a. 6).

 

35. La vindicte ou le soin de la vengeance

 

— Et contre les malfaiteurs ou tous ceux qui nuisent dans la sphère de vigilance qui est la nôtre, y a-t-il quelque chose à faire au point de vue de la vertu ?

— Oui, une vertu spéciale, qui est le soin de la vengeance, dit nous porter à faire que ce mal ne demeure point impuni, quand le bien dont nous avons la garde demande que ce mal soit puni en effet (q. 108).

 

36. La vérité ; vices opposés : le mensonge ; la simulation ; l’hypocrisie

 

— Quelle est l’autre vertu, du même ordre, qui est encore requise, non plus précisément en raison des autres, mais en raison même de celui qui agit, pour le bien de la société parmi les hommes ?

— C’est la vertu de vérité (q. 109).

 

— Qu’entendez-vous par la vertu de vérité ?

— J’entends cette vertu qui nous porte à nous montrer en toutes choses, dans nos paroles et dans nos actes, tels que nous sommes (q. 109, a. 1-4).

 

— Quels sont les vices opposés à cette vertu ?

— Ce sont le mensonge ; et la simulation ou l’hypocrisie (q. 110-113).

 

— Qu’entendez-vous par le mensonge ?

— J’entends le fait de parler ou d’agir de telle sorte que, le sachant, on exprime ou on signifie ce qui n’est pas (q. 110, a. 1).

 

— Est-ce là chose mauvaise ?

— C’est là chose essentiellement mauvaise, et qui ne peut jamais, pour aucune fin ou aucun prétexte, devenir bonne (q. 110, a. 3).

 

— Mais est-on toujours tenu de dire ou d’exprimer et de signifier par ses paroles ou par ses actes tout ce qui est ?

— Non, on n’est point toujours tenu de dire ou de signifier tout ce qui est ; mais on ne doit jamais, le sachant, dire ou signifier ce qui n’est pas (q. 110, a. 3).

 

— Combien y a-t-il d’espèces de mensonges ?

— Il y a trois espèces de mensonges, qui sont : le mensonge joyeux ; le mensonge officieux, et le mensonge pernicieux (q. 110, a. 2).

 

— En quoi se distinguent ces trois sortes de mensonges ?

— Ces trois sortes de mensonges se distinguent en ce que le mensonge joyeux a pour but d’amuser le prochain ; le mensonge officieux, de lui être utile ; et le mensonge pernicieux, de lui nuire (q. 110, a. 2).

 

— Ce dernier mensonge est-il de tous le plus mauvais ?

— Oui, de toutes les sortes de mensonges, le mensonge pernicieux est le plus mauvais ; et tandis que les deux autres peuvent n’être que des péchés véniels, celui-là est toujours, de soi, un péché mortel, ne pouvant être véniel qu’en raison de la légèreté du dommage qu’il a en vue (q. 110, a. 4).

 

— Qu’entendez-vous par la simulation et l’hypocrisie ?

— La simulation consiste à se montrer dans l’extérieur de sa vie ce que l’on n’est pas intérieurement ; et l’hypocrisie est une simulation qui vise à passer pour un homme juste ou saint, quand on ne l’est pas intérieurement (q. 111, a. 1 ; 2).

 

— Est-on tenu, pour ne pas tomber dans ces vices, de manifester extérieurement ce qu’il peut y avoir en soi de mauvais ou de moins bon ?

— Nullement ; et c’est un devoir, au contraire, de n’en rien laisser paraître au dehors, soit pour ne pas se nuire à soi-même dans l’opinion des autres, soit pour ne pas les mal édifier ou les scandaliser. Ce que la vertu de vérité requiert est que l’on ne vise pas à signifier, par l’extérieur de sa vie, quelque chose, soit en bien, soit en mal, qui ne répondrait pas à la réalité de ce qu’on est (q. 111, a. 3 ; 4).

 

— Est-on tenu, par la vertu de vérité, de s’abstenir de tout signe, en parole ou en acte, qui prêterait à une fausse interprétation, ou de prévenir cette fausse interprétation ?

— Non ; on n’y serait tenu que si la fausse interprétation était de nature à causer un mal qu’il soit de notre devoir d’empêcher (q. 111, a. 1).

 

— Peut-on pécher, des péchés de mensonge ou de simulation et d’hypocrisie, en plusieurs manières qui constituent des péchés spécifiquement distincts ?

— Oui ; on peut pécher en allant au-delà de ce qui est ; et c’est le péché de jactance ; ou en restant en deçà de ce qui est, donnant à penser qu’on n’a pas ce qu’on a, quand il s’agit du bien ; et c’est le péché d’effacement indu (q. 112 ; 113).

 

37. L’amitié ; vices opposés : dédain ; flatterie

 

— Y a-t-il encore une autre dette morale qui s’impose, dans la société des hommes, pour le bien parfait de cette société, quoiqu’elle ne s’impose pas avec la même rigueur que celle de la reconnaissance, du soin de la vengeance ou de la vérité ?

— Oui, c’est la dette de l’amitié (q. 114, a. 2).

 

— Qu’entendez-vous par l’amitié ?

— J’entends une vertu qui fait que l’homme, dans ses rapports avec les autres, s’applique, en tout ce qui est de son extérieur, qu’il s’agisse de ses paroles ou de ses actes, à traiter avec eux comme il convient, pour donner à leur vie commune l’agrément le plus parfait (q. 114, a. 1).

 

— Est-ce là une vertu qui soit d’un grand prix dans les rapports que les hommes ont entre eux ?

— Oui ; c’est la vertu de société par excellence, et on pourrait l’appeler comme la fleur ou le parfum le plus exquis, tant de la vertu de justice que de la vertu de charité.

 

— De quelle manière peut-on pécher contre cette vertu ?

— On peut pécher contre cette vertu de deux manières : ou par défaut, se préoccupant peu, ou ne se préoccupant pas du tout de ce qui peut faire plaisir ou déplaisir aux autres ; ou par excès, tombant dans le vice de la flatterie, ou ne sachant point témoigner au dehors, quand il le faut, la désapprobation que peuvent mériter les actes ou les paroles de ceux avec lesquels on vit (q. 115 ; 116).

38. La libéralité ; vices opposés : l’avarice ; la prodigalité

 

— Quelle est enfin la dernière vertu se rattachant à la justice particulière et destinée à acquitter le dernier aspect de la dette morale qui peut s’attacher aux rapports des hommes entre eux ?

— C’est la vertu de libéralité (q. 117, a. 5).

 

— Qu’entendez-vous par cette vertu ?

— J’entends une disposition de l’âme qui fait que l’homme n’est attaché aux choses extérieures pouvant servir à l’utilité de la vie des hommes entre eux que dans une mesure si parfaitement ordonnée qu’il est toujours prêt à donner ces choses, et notamment l’argent qui les représente, au mieux de la vie de société existant parmi les hommes (q. 117, a. 1-4).

 

— Cette vertu est-elle bien grande ?

— Prise dans son objet immédiat, qui est le bien des richesses, elle est la plus infime ; mais, par voie de conséquence, elle s’ennoblit de la dignité de toutes les autres vertus, car elle peut concourir au bien de chacune d’elles (q. 117, a. 6).

 

— Quels sont les vices opposés à cette vertu ?

— Ce sont l’avarice et la prodigalité (q. 118 ; 119).

 

— Qu’entendez-vous par l’avarice ?

— J’entends un péché spécial qui est constitué par l’amour immodéré des richesses (q. 118, a. 1 ; 2).

 

— Ce péché est-il bien grave ?

— A le considérer dans le bien humain qu’il déforme, il est le plus infime des péchés, car il ne dénature que l’amour de l’homme pour les biens extérieurs que sont les richesses ; mais, à considérer la disproportion de l’âme et des richesses auxquelles ce vice fait qu’elle s’attache indûment, il est le plus honteux et le plus méprisable de tous les vices ; car il fait que l’âme se soumet à ce qui est le plus au-dessous d’elle (q. 118, a. 4 ; a. 5).

 

— Ce vice est-il particulièrement dangereux ?

— Oui ; ce vice est particulièrement dangereux, car l’amour des richesses n’a pas de fin en soi ; et, pour les entasser, on peut en arriver à commettre tous les crimes, contre Dieu, contre le prochain et contre soi-même (q. 118, a. 5).

 

— L’avarice est-elle un péché capital ?

— Oui, l’avarice est un péché capital ; parce qu’elle porte en elle ou dans son objet une des conditions attachées à la félicité que tout être désire ; savoir : l’abondance des biens auxquels tout obéit (q. 118, a. 7).

 

— Quelles sont les filles de l’avarice ?

— Ce sont : la dureté du cœur qui n’a plus de miséricorde ; l’inquiétude ; les violences ; la tromperie ; le parjure ; la fraude ; la trahison ; – car l’amour désordonné des richesses peut excéder : quant au fait de les retenir ; ou par rapport au fait de les acquérir ; en ce qui est du désir de les avoir ; ou en ce qui est du fait de les prendre : par la violence ; ou en usant de ruse : dans le discours ordinaire ou dans le discours accompagné du serment ; ou par voie de fait : à l’endroit des choses ; à l’endroit des personnes (q. 118, a. 8).

 

— Est-ce que la prodigalité, qui est l’autre vice oppposé à la libéralité, s’oppose également à l’avarice ?

— Oui ; parce que tandis que l’avarice excède dans l’amour ou la préoccupation des richesses et n’est pas assez portée à les utiliser en les donnant, la prodigalité, au contraire, ne se préoccupe pas assez de ce qui regarde le soin des richesses et a trop de pente à les donner (q. 119, a. 1 ; a. 2).

 

— De ces deux vices, quel est le plus grave ?

— C’est l’avarice ; parce qu’elle s’oppose davantage au bien de la vertu de libéralité, dont le propre est de donner plutôt que de retenir (q. 119, a. 3).

 

— Pourriez-vous, sous forme de récapitulation, me dire comment s’ordonnent et se graduent les vertus annexes de la justice particulière, en raison de ceux qui en sont l’objet ?

— Oui ; et le voici en quelques mots. En premier lieu, vient la religion, qui regarde Dieu, dans le service ou le culte qu’on lui doit, sous sa raison de Créateur et souverain Seigneur et maître de toutes choses ; – puis, la piété, à l’endroit des parents et de la patrie, pour le grand bienfait de la vie que nous leur devons ; – puis l’observance, à l’endroit des supérieurs en autorité ou en dignité et en excellence, dans quelque ordre que ce puisse être ; – puis la gratitude ou la reconnaissance, à l’endroit de nos bienfaiteurs particuliers ; – la vindicte ou le soin de la vengeance, quand il s’agit des malfaiteurs ou de ceux qui ont pu nous nuire de quelque manière qui demande d’être réprimée ; – enfin, la vérité, l’amitié, et la libéralité, que nous devons à tout être humain en raison de nous-mêmes.

 

39. L’équité naturelle (ou l’épikie)

 

— N’aviez-vous point dit qu’il était aussi une vertu annexe pour la justice générale ou légale ?

— Oui ; et c’est la vertu que nous pouvons appeler du nom général d’équité naturelle, qu’on appelle aussi du nom d’épikie (q. 120).

 

— Quel est le rôle ou l’office propre de cette vertu ?

— Elle a pour rôle et pour office propre de porter la volonté à chercher la justice en toutes choses et dans tous les ordres, en dehors et au-dessus des textes de lois ou des coutumes existant parmi les hommes, quand la raison naturelle, en vertu de ses tout premiers principes, montre qu’en tel cas donné ces textes de lois ou ces coutumes ne peuvent ni ne doivent s’appliquer (q. 120, a. 1).

 

— Cette vertu est-elle bien précieuse ?

— Elle est, dans l’ordre de la justice, ou de toutes les vertus qui règlent l’homme dans ses rapports avec autrui, la plus importante et la plus précieuse de toutes les vertus, les dominant toutes en quelque sorte et les maintenant toutes dans l’ordre du bien social en ce qu’il a de plus profond et de plus essentiel (q. 120, a. 2).

 

40. Du don de piété, qui correspond à la justice et à ses parties

 

— Parmi les dons du Saint-Esprit, quel est celui qui correspond à la vertu de justice ?

— C’est le don de piété (q. 121).

 

— En quoi consiste exactement le don de piété ?

— Il consiste en une disposition habituelle de la volonté, qui fait que l’homme est apte à recevoir l’action directe et personnelle de l’Esprit-Saint, le portant à traiter avec Dieu, considéré dans les plus hauts mystères de sa vie divine, comme avec un Père tendrement et filialement révéré, servi et obéi ; et à traiter avec tous les autres hommes ou toutes les autres créatures raisonnables, dans ses rapports extérieurs avec eux, selon que le demande le bien divin et surnaturel qui les unit tous à Dieu comme au Père de la grande famille divine (q. 121, a. 1).

 

— Faut-il dire que le don de piété est ce qui met le sceau le plus parfait aux rapports extérieurs que les hommes peuvent ou doivent avoir, soit entre eux, soit avec Dieu ?

— Oui, le don de piété est ce qui met le sceau le plus parfait aux rapports extérieurs que les hommes peuvent ou doivent avoir, soit entre eux, soit avec Dieu ; il est le couronnement de la vertu de justice et de toutes ses annexes ; et, si tous mettaient en œuvre, par ce don, en y correspondant d’une manière parfaite, les mouvements et l’action de l’Esprit-Saint, la vie des hommes sur cette terre serait la vie d’une grande famille divine et comme l’avant-goût de la vie qui est celle des élus dans le ciel.

 

41. Des préceptes relatifs à la justice, qui sont ceux du Décalogue : les trois premiers ; les quatre derniers

 

— La vertu de justice et ses annexes, avec le don de piété qui les couronne, ont-elles des préceptes qui s’y rapportent ?

— Oui ; et ce sont tous les préceptes du Décalogue (q. 122, a. 1).

 

— Les préceptes du Décalogue ne se rapportent-ils qu’à ces vertus ?

— Oui, les préceptes du Décalogue ne se rapportent qu’à ces vertus ; et ceux qui se rapportent aux autres vertus ne sont venus qu’après, comme des déterminations ou des explications des premiers (q. 122, a. 1).

 

— Pourquoi en a-t-il été ainsi ?

— Parce que les préceptes du Décalogue, étant les premiers préceptes de la loi morale, devaient porter sur ce qui, tout de suite et pour tous, a manifestement la raison de chose due ou obligatoire ; et que ceci comprend les rapports avec autrui tels que les règle la vertu de justice avec ses annexes (q. 122, a. 1).

 

— Comment se divisent ces préceptes du Décalogue ?

— Ils se divisent en deux parts, qu’on appelle les deux tables de la loi.

 

— Que comprennent les préceptes de la première table ?

— Ils comprennent les trois premiers préceptes, relatifs à la vertu de religion qui règle les rapports de l’homme envers Dieu.

 

— Comment s’ordonnent ces trois premiers préceptes de la première table ?

— Ils s’ordonnent de telle sorte que les deux premiers excluent les deux principaux obstacles au culte de Dieu, qui sont : la superstition ou le culte des faux dieux ; et l’irréligion ou le manque de respect à l’endroit du vrai Dieu ; puis, le troisième fixe le côté positif du culte du vrai Dieu (q. 122, a. 2 ; a. 3).

 

— Que comprend ce troisième précepte du Décalogue ?

— Il comprend deux choses : l’abstention des œuvres serviles ; et le soin de vaquer aux choses de Dieu (q. 122, a. 4, ad 3).

 

— Qu’entend-on par l’abstention des œuvres serviles ?

— On entend par l’abstention des œuvres serviles l’obligation de laisser, un jour par semaine, qui est maintenant le dimanche, et les jours de fête de précepte qui sont, pour toute l’Église*, la Noël, la Circoncision, l’Épiphanie, l’Ascension, la Fête-Dieu, l’Immaculée Conception, l’Assomption, la fête de saint Joseph, la fête de saint Pierre et de saint Paul, la Toussaint  – les travaux manuels qui ne sont pas requis pour l’entretien ou le bon ordre de la vie matérielle, ou qui ne sont pas exigés par une nécessité urgente (q. 122, a. 3, ad 3 ; Code, 1247).

 

* En France les seules fêtes d’obligation sont la Noël, l’Ascension, l’Assomption et la Toussaint. (NDLR.)

 

— Et le soin de vaquer aux choses de Dieu, que comprend-il ?

— Il comprend, d’une façon très expresse et sous peine de faute grave, l’assistance au saint sacrifice de la messe les dimanches et jours de fête que nous venons de marquer (q. 122, a. 3, ad 4).

 

— Si on ne peut pas assister à la messe, ces jours-là, est-on tenu à quelque autre exercice de piété ?

— On n’est tenu à aucun exercice de piété d’une manière déterminée ; mais très certainement ce serait manquer à l’obligation positive de sanctifier ces jours-là que de les laisser passer sans faire aucun acte de religion.

 

— Que comprennent les préceptes de la seconde table ?

— Ils comprennent les préceptes relatifs à la vertu de piété envers les parents et à la vertu de justice stricte envers le prochain quel qu’il soit (q. 122, a. 5 ; a. 6).

 

42. La force : vertu ; acte : le martyre ; vices opposés : la peur ; l’insensibilité ; la témérité

 

— Quelle est la troisième vertu qui appartient aux vertus cardinales et qui vient après la justice ?

— C’est la vertu de force (q. 123-140).

 

— Qu’entendez-vous par la vertu de force ?

— J’entends cette perfection d’ordre moral de la partie affective sensible, qui a pour objet de tenir contre les plus grandes craintes ou de modérer les mouvements d’audace les plus hardis, portant sur les périls de mort au cours d’une guerre juste, afin que jamais l’homme, à leur occasion, ne se détourne de son devoir (q. 123, a. 1-6).

 

— Cette vertu a-t-elle un acte plus spécial où paraissent toute son excellence et toute sa perfection ?

— Oui, c’est l’acte du martyre (q. 124).

 

— Qu’entendez-vous par l’acte du martyre ?

— J’entends cet acte de la vertu de force qui fait que, dans cette sorte de guerre particulière qu’on a à soutenir contre les persécuteurs du nom chrétien ou de tout ce qui s’y rattache, on ne craint pas d’accepter la mort pour rendre témoignage à la vérité (q. 124, a. 1-5).

 

— Quels sont les vices opposés à la vertu de force ?

— Ce sont : d’une part, la peur, qui ne tient pas assez devant les périls de mort, ou l’insensibilité devant le péril, qui manque de l’éviter quand il doit être évité ; et, d’autre part, la témérité, qui fait aller au-devant du danger contrairement à la juste prudence (q. 125-127).

 

— On peut donc pécher par excès de bravoure ?

— On ne pèche jamais par excès de bravoure ; mais on peut, sous le coup d’une trop grande hardiesse, non modérée par la raison, se porter à des actes qui n’étant pas des actes de vrai courage n’ont que l’apparence de la bravoure (q. 127, a. 1, ad 2).

 

43. Vertus annexes, la magnanimité ; vices opposés : la présomption ; l’ambition ; la vaine gloire ; la pusillanimité

 

— Y a-t-il des vertus qui se rattachent à la vertu de force comme imitant son acte ou son mode d’agir, mais en une matière moins difficile ?

— Oui, ce sont : d’une part, la magnanimité et la magnificence ; et, de l’autre, la patience et la persévérance (q. 128).

 

— En quoi se distinguent ces deux genres de vertus ?

— En ce que les deux premières se rattachent à la force en raison de celui de ses actes qui est de s’attaquer à ce qu’il y a de plus difficile ou de plus ardu ; tandis que les deux autres se rattachent à elle en raison de celui de ses actes qui est de tenir contre les plus grandes craintes (q. 128).

 

— Quel est l’objet propre de la magnanimité ?

— C’est d’affermir le mouvement de l’espoir à l’endroit des grandes actions à accomplir selon qu’il en résulte de grands honneurs ou une grande gloire (q. 129, a. 1 ; a. 2).

 

— Tout est donc grand dans la magnanimité ?

— Oui, tout est grand dans cette vertu ; et elle est par excellence le propre des grands cœurs.

 

— Peut-il y avoir quelque vice qui s’oppose à elle ?

— Oui, il y a de nombreux vices qui s’opposent à elle, ou par excès ou par défaut.

 

— Quels sont les vices qui s’opposent à elle par excès ?

— Ce sont : la présomption ; l’ambition ; et la vaine gloire (q. 130-132).

 

— Comment se distinguent entre eux ces divers vices ?

— Ils se distinguent en ce que la présomption porte à faire des actions trop grandes pour ses forces ou sa vertu ; l’ambition vise à des honneurs plus grands que ne le comportent son état ou ses mérites ; et la vaine gloire recherche une gloire qui est sans objet, ou qui n’a pas de valeur, ou qui n’est pas ordonnée à sa véritable fin, savoir la gloire de Dieu et le bien des hommes (Ibid.).

 

— La vaine gloire est-elle un vice capital ?

— Oui, la vaine gloire est un vice capital ; parce qu’elle implique la manifestation de sa propre excellence, que les hommes recherchent en tout et qui peut les porter à beaucoup de fautes (q. 132, a. 4).

 

— Quelles sont les filles de la vaine gloire ?

— Ce sont : la jactance ; l’hypocrisie ; la pertinacité ; la discorde ; la contention ; la désobéissance (q. 132, a. 5).

 

— Quel est le vice qui s’oppose à la magnanimité par défaut ?

— C’est la pusillanimité (q. 133).

 

— Pourquoi la pusillanimité est-elle un péché ?

— Parce qu’elle est contraire à la loi naturelle, qui porte tout être à agir selon que sa vertu ou ses moyens l’en rendent capable (q. 133, a. 1).

 

— C’est donc une chose réellement blâmable de ne pas mettre en œuvre les vertus ou les moyens d’action qu’on a reçus de Dieu, par défiance de soi-même ou par attitude indue à l’endroit des honneurs et de la gloire ?

— Oui, c’est là chose réellement blâmable et qu’il faut bien se garder de confondre avec la véritable humilité, dont nous aurons à parler bientôt (Ibid.).

 

44. La magnificence ; vices opposés : la petitesse ; les dépenses outrées

 

— En quoi consiste la vertu de magnificence ?

— Elle consiste dans une disposition de la partie affective, qui affermit ou règle le mouvement de l’espoir à l’endroit de ce qui est ardu dans les frais et les dépenses en vue de grands ouvrages à accomplir (q. 134, a. 1 ; a. 2).

 

— Cette vertu suppose-t-elle de grandes richesses et de grandes occasions de dépenses en vue du bien public ?

— Oui, cette vertu suppose de grandes richesses ; et qu’on a l’occasion de les dépenser pour tout ce qui regarde notamment le culte divin ou le bien public dans la cité ou dans l’État (q. 134, a. 3).

 

— Elle est donc proprement la vertu des riches et des grands ?

— Oui ; elle est proprement la vertu des riches et des grands.

 

— Quels sont les vices opposés à cette vertu ?

— C’est le vice de la petitesse en ce que l’on fait, qui porte l’homme à rester en deçà des dépenses requises par l’ouvrage à entreprendre ; et le vice de la dépense outrée, qui le porte à dépenser sans raison au-delà de la mesure voulue selon que la grandeur de l’ouvrage le requiert (q. 135, a. 1 ; a. 2).

 

45. La patience ; la longanimité et la constance

 

— Quel est le propre de la vertu de patience ?

— Le propre de la vertu de patience est de supporter, en vue du bien de la vie future, objet de la charité, toutes les tristesses qui peuvent être causées à chaque instant de notre vie présente par les contrariétés inhérentes à cette vie et plus spécialement par les actions des autres hommes dans leurs rapports avec nous (q. 136, a. 1-3).

 

— La patience est-elle la même chose que la longanimité et la constance ?

— Non ; car, si toutes trois aident à tenir contre les tristesses de cette vie, la patience tient surtout contre les tristesses que nous causent les ennuis ou les contrariétés qui proviennent de nos rapports quotidiens avec les autres hommes ; tandis que la longanimité tient contre les tristesses que nous cause le délai apporté à la réalisation du bien que nous attendons ; et la constance, contre les tristesses que nous causent les divers ennuis qui peuvent survenir au cours de la pratique du bien (q. 136, a. 5).

 

46. La persévérance ; — vices opposés : la mollesse ; la pertinacité

 

— Quel rapport a la persévérance avec les vertus dont il vient d’être parlé ?

— La persévérance ne porte pas sur les tristesses ; mais plutôt sur la crainte de la fatigue que nous cause la seule durée prolongée de la pratique du bien (q. 137, a. 1-3).

 

— Cette vertu de la persévérance a-t-elle des vices qui lui soient opposés ?

— Oui ; ce sont le manque de résistance ou la mollesse, qui fait qu’on cède à la moindre peine ou à la moindre fatigue ; et la pertinacité (Obstination, entêtement. NDLR.), qui fait qu’on s’obstine à ne pas céder, quand il serait au contraire raisonnable de le faire (q. 138, a. 1, 2).

 

47. Du don de la force, qui correspond à la vertu de force

 

— Y a-t-il un don du Saint-Esprit qui corresponde à la vertu de force ?

— Oui, c’est le don qui porte le même nom et qui s’appelle le don de force (q. 139).

 

— Pourriez-vous m’expliquer en quoi le don de force diffère de la vertu qui porte le même nom ?

— Oui, et le voici en quelques mots : Comme la vertu, ce don regarde la crainte et en quelque sorte l’audace. Mais, tandis que la crainte et l’audace que modère la vertu de force, ne regardent que les périls qu’il est au pouvoir de l’homme de surmonter ou de subir, la crainte et la confiance que domine ou qu’excite le don de force regardent des périls ou des maux qu’il n’est absolument pas au pouvoir de l’homme de surmonter : c’est la séparation même que fait la mort d’avec tous les biens de la vie présente, sans donner par elle-même le seul bien supérieur qui les compense et les supplée à l’infini, apportant tout bien et excluant tout mal, savoir, l’obtention effective de la vie éternelle. Cette substitution effective de la vie éternelle à toutes les misères de la vie présente, malgré toutes les difficultés ou tous les périls qui peuvent se mettre en travers du bien de l’homme, y compris la mort elle-même qui les résume tous, est l’œuvre exclusive de l’action propre de l’Esprit-Saint. C’est pourquoi aussi, il n’appartient qu’à lui de mouvoir effectivement l’âme de l’homme vers cette substitution, de telle sorte que l’homme possède en lui la confiance ferme et positive qui lui fait mépriser la plus souveraine de toutes les craintes et s’attaquer en quelque sorte à la mort elle-même, non pour succomber cette fois, mais pour en triompher. Et c’est selon le don de force que l’homme est ainsi mû par l’Esprit-Saint. Si bien qu’on pourrait assigner comme objet propre de ce don : la victoire sur la mort (q. 139, a. 1).

 

48. Des préceptes relatifs à la force

 

— Y a-t-il des préceptes qui aient trait à la vertu de force, dans la loi divine ?

— Oui ; et ces préceptes sont donnés comme il convient. Car, surtout dans la loi nouvelle, où tout est ordonné à fixer l’esprit de l’homme en Dieu, l’homme est invité, sous forme de précepte négatif, à ne pas craindre les maux temporels ; et, sous forme de précepte positif, à combattre sans relâche son plus mortel ennemi, qui est le démon (q. 140, a. 1).

 

— Et les préceptes relatifs aux autres vertus qui se rattachent à la force, sont-ils également bien donnés dans la loi divine ?

— Oui ; car il n’y est donné des préceptes, d’ailleurs affirmatifs ou positifs, qu’au sujet de la patience et de la persévérance, comme portant sur les choses ordinaires de la vie ; au sujet, au contraire, de la magnificence et de la magnanimité, comme portant sur des choses qui appartiennent plutôt à l’ordre de la perfection, il n’est point donné de préceptes, mais seulement des conseils (q. 140, a. 2).

 

49. La tempérance ; l’abstinence ; le jeûne ; vice opposé : la gourmandise

 

— Quelle est la dernière des grandes vertus morales qui doivent assurer la perfection de la vie de l’homme dans sa marche de retour vers Dieu ?

— C’est la vertu de tempérance (q. 141-170).

 

— Qu’entendez-vous par la vertu de tempérance ?

— J’entends cette vertu qui maintient en toutes choses la partie affective sensible dans l’ordre de la raison, pour qu’elle ne se porte pas indûment aux plaisirs qui intéressent plus particulièrement le sens du toucher dans les actes nécessaires à la conservation de la vie corporelle (q. 141, a. 1-5).

 

— Quelles sont ces sortes de plaisirs ?

— Ce sont les plaisirs de la table ou du mariage (q. 141, a. 4).

 

— Quel nom prend la vertu de tempérance quand elle porte sur les plaisirs de la table ?

— On l’appelle l’abstinence ou la sobriété (q. 146, 149).

 

— En quoi consiste l’abstinence ?

— Elle consiste à régler la partie affective sensible par rapport au boire et au manger, afin qu’on ne s’y porte que conformément à ce que la raison demande (q. 146, a. 1).

 

— Quelle est la forme spéciale que peut revêtir la pratique de la vertu d’abstinence ?

— C’est la forme du jeûne (q. 147).

 

— Qu’entendez-vous par le jeûne ?

— J’entends le fait de supprimer une partie de ce qui est normalement requis pour son alimentation de chaque jour (q. 147, a. 1, 2).

 

— Mais n’est-ce point là chose illicite ?

— Non ; et, au contraire, le jeûne peut être chose excellente ; car il sert à réprimer la concupiscence ; il rend l’esprit plus libre de vaquer aux choses de Dieu ; et il permet de satisfaire pour le péché (q. 147, a. 1).

 

— Que faut-il pour que le jeûne soit ainsi chose bonne et excellente ?

— Il faut qu’il soit toujours réglé par la prudence ou la discrétion, et qu’il n’aille jamais à compromettre la santé ou à être un obstacle pour les devoirs d’État (q. 147, a. 1, ad 2).

 

— Tout être humain qui a l’usage de la raison est-il tenu au jeûne ?

— Tout être humain qui a l’usage de la raison est tenu à une certaine forme de jeûne ou de privation proportionnée au besoin de la vertu dans sa vie morale ; mais non au jeûne prescrit par l’Église (q. 147, a. 3, 4).

 

— Qu’entendez-vous par le jeûne prescrit par l’Église ?

— J’entends une forme de jeûne spéciale déterminée par l’Église et prescrite à partir d’un certain âge pour certains jours de l’année (q. 147, a. 5-8).

 

— En quoi consiste cette forme spéciale de jeûne ?

— Elle consiste en ce que l’on ne doit faire qu’un seul repas proprement dit dans la journée (q. 147, a. 6).

 

— L’heure ou le moment de ce repas sont-ils chose absolument fixe et immuable ?

— Non ; car on peut faire ce repas ou à midi ou le soir.

 

— Peut-on prendre quelque chose en dehors de ce repas proprement dit ?

— Oui ; on peut prendre quelque chose le matin, sous forme de très léger acompte, et, le soir, sous forme de collation (Code, 1251).

 

— Quels sont ceux qui sont tenus au jeûne prescrit par l’Église ?

— Ce sont tous les chrétiens baptisés qui ont accompli leur vingt et unième année jusqu’à l’âge de cinquante-neuf ans révolus (Code, 1254).

 

— Que faut-il pour qu’on ait le droit de ne pas jeûner, quand on est dans ces conditions ?

— Il faut qu’on en soit empêché par une raison manifeste de santé ou de travail ; ou, dans le doute, qu’on ait une dispense de l’autorité légitime (q. 147, a. 4).

 

— Qui peut donner cette dispense ?

— Pratiquement, il suffit de la demander à son supérieur ecclésiastique immédiat.

 

— Quels sont les jours où l’on est ainsi tenu au jeûne d’Église ?

— Ce sont tous les jours de carême, sauf le dimanche ; les mercredis, vendredis et samedis des Quatre-Temps de l’année ; et les veilles ou vigiles de la Pentecôte, de l’Assomption, de la Toussaint et de la Noël ; si ces vigiles tombent un dimanche, on n’est pas tenu de les anticiper* (Code, 1252)

 

* Selon l’actuelle discipline de l’Église, le jeûne n’est obligatoire que le mercredi des Cendres et le vendredi saint. Mais il est louable et recommandé de conserver quelque chose de l’ancienne pratique, en jeûnant, par exemple, les vendredis de carême, les jours des Quatre-Temps et à certaines grandes vigiles. (NDLR.)

 

— N’y a-t-il pas une loi de l’Église pour l’abstinence, distincte de la loi du jeûne ?

— Oui ; et cette loi consiste dans l’obligation de s’abstenir de viande et de jus de viande, tous les vendredis de l’année, et, pendant le carême, le mercredi des Cendres, ainsi que chaque samedi, jusqu’au samedi saint à midi ; enfin, les mercredis et samedis des Quatre-Temps* (Code, 1250, 1252)

 

* Actuellement, l’abstinence est obligatoire, outre les deux jours de jeûne précités, tous les vendredis de l’année (sauf si une solennité tombe ce jour-là). (NDLR.)

 

— Quels sont ceux qui sont tenus à la loi d’abstinence ?

— Ce sont tous les fidèles qui ont accompli l’âge de sept ans* (Code, 1254)

 

* L’âge de ceux qui sont tenus de pratiquer l’abstinence a été porté à quatorze ans. (NDLR.)

 

— Quel est le vice opposé à la vertu d’abstinence ?

— C’est la gourmandise (q. 148).

 

— Qu’entendez-vous par la gourmandise ?

— J’entends une pente désordonnée au boire et au manger (q. 148, a. 1).

 

— Ce vice a-t-il plusieurs espèces ?

— Oui ; car cette pente désordonnée au boire et au manger peut porter sur la nature des mets ou leur qualité, ou sur leur quantité, ou sur leur préparation, ou sur le fait même de prendre la nourriture, n’attendant pas l’heure voulue, ou mangeant avec trop d’avidité (q. 148, a. 4).

 

— La gourmandise est-elle un vice capital ?

— Oui, la gourmandise est un vice capital ; parce qu’elle porte sur un des plaisirs qui sont le plus de nature à provoquer le désir de l’homme et à le faire agir dans son sens (q. 148, a. 5).

 

— Quelles sont les filles de la gourmandise ?

— Ce sont : l’hébétude de l’esprit à l’endroit des choses de l’intelligence ; la joie inepte ; l’intempérance de langage ; la bouffonnerie ; l’impureté (q. 148, a. 6).

 

— Sont-ce là des vices particulièrement laids ? et pourquoi viennent-ils spécialement de la gourmandise ?

— Oui ; ces vices sont particulièrement laids, parce qu’ils impliquent davantage une diminution ou une quasi-absence de la raison ; et ils viennent de la gourmandise, parce que la raison, comme assoupie ou endormie par elle sous l’action de ses pesanteurs, ne tenant plus le gouvernail d’une main ferme, tout s’en va à la dérive dans l’homme (ibid).

 

50. La sobriété ; vice opposé : l’ébriété

 

— Y a-t-il, en plus de l’abstinence, une autre vertu qui aide l’homme à prévenir de tels effets ?

— Oui, c’est la vertu de sobriété (q. 149).

 

— Qu’entendez-vous par la vertu de sobriété ?

— J’entends une vertu spéciale, qui a pour objet propre de faire que l’homme n’use que comme il convient de toute boisson capable d’enivrer (q. 149, a. 1, 2).

 

— Quel est le vice opposé à cette vertu ?

— C’est le vice qui consiste à dépasser la mesure, dans l’usage de ces boissons, au point de tomber dans l’état d’ébriété ou d’ivresse (q. 150).

 

— Qu’entendez-vous par l’état d’ébriété ou d’ivresse ?

— J’entends un état physique où l’excès de boisson a fait perdre l’usage de la raison (q. 150, a. 1).

 

— Cet état d’ébriété ou d’ivresse est-il toujours un péché ?

— Cet état est toujours un péché quand on s’y est mis par sa faute, ne laissant pas de boire avec excès, alors qu’on pouvait et qu’on devait se méfier du caractère capiteux de la boisson (q. 150, a. 1).

 

— Que faut-il pour que cet état soit un péché mortel ?

— Il faut qu’on ait prévu que l’excès de la boisson pouvait amener l’ivresse et qu’on ait accepté cette conséquence possible plutôt que de se priver du plaisir trouvé dans cette boisson (q. 150, a. 2).

 

— Quand ce péché passe à l’état d’habitude, de quel nom s’appelle-t-il ?

— Il s’appelle l’ivrognerie.

 

— L’ivrognerie est-elle un vice particulièrement laid et avilissant ?

— Oui, l’ivrognerie est un vice particulièrement laid et avilissant ; parce qu’il prive sciemment l’homme de l’usage de sa raison, le mettant d’une manière plus ou moins renouvelée et fréquente dans un état inférieur même à celui de la brute, qui garde au moins toujours son instinct pour la conduire (q. 150, a. 3).

 

51. La chasteté ; la virginité ; vice opposé : la luxure

 

— A côté de la vertu d’abstinence et de sobriété, quelle est l’autre grande vertu qui constitue, elle aussi, une espèce de la tempérance ?

— C’est la vertu de chasteté (q. 151).

 

— Qu’entendez-vous par la vertu de chasteté ?

— J’entends cette perfection de la faculté affective sensible, qui rend l’homme maître de tous les mouvements le portant aux choses du mariage (q. 151, a. 1).

 

— Y a-t-il, dans cet ordre de la chasteté, une vertu spéciale, qui en soit le couronnement et la plus haute perfection ?

— Oui ; c’est la virginité (q. 152).

 

— Qu’entendez-vous par la virginité ?

— J’entends le ferme et absolu propos, sanctifié par un vœu, de renoncer à tout jamais aux plaisirs du mariage (q. 152, a. 1-3).

 

— Quel est le vice opposé à la vertu de chasteté ?

— C’est la luxure (q. 153).

 

— En quoi consiste le vice de la luxure ?

— Le vice de la luxure consiste à user en fait, ou par désir, ou en pensée voulue et complaisante, des choses que la nature a ordonnées à la conservation de l’espèce humaine, en vue de la jouissance qui s’y trouve attachée, contrairement à l’ordre naturel ou honnête qui règle l’usage de ces choses-là (q. 153, a. 1-3).

 

— Le vice de la luxure a-t-il plusieurs espèces ?

— Oui, ce vice a autant d’espèces qu’il peut y avoir de désordres distincts dans les choses de la luxure (q. 154).

 

— Quelles sont ces espèces de désordre dans les choses de la luxure ?

— Ce sont : la simple fornication, qui est directement opposée au bon ordre des choses du mariage en ce qui est de leur fin, savoir le bien et la formation ou l’éducation des enfants à venir ; – ou, chose de toutes la plus grave dans cet ordre-là, le vice contre nature, qui s’oppose directement et totalement à la fin première et essentielle du mariage, savoir la venue même de l’enfant ; – ou l’inceste, et l’adultère, et le stupre, et le rapt, qui portent sur l’abus de personnes proches parentes, ou mariées, ou sous la tutelle de leur père, que l’on trompe ou à qui l’on fait violence ; – enfin, le sacrilège, qui est l’abus de personnes consacrées à Dieu (q. 154, a. 1-2).

 

— Le vice de la luxure, en ce qui constitue son fond essentiel, qui se retrouve en chacune de ses espèces, et qui n’est pas autre chose que la jouissance indue des plaisirs attachés aux choses du mariage, est-il un vice capital ?

— Oui, la luxure est un vice capital, en raison précisément de ce qu’il y a de particulièrement véhément dans son objet, qui fait que les hommes s’y trouvent extrêmement portés (q. 153, a. 4).

 

— Quelles sont les filles de la luxure ?

— Ce sont : l’aveuglement de l’esprit ; la précipitation ; l’inconsidération ; l’inconstance ; l’amour de soi ; la haine de Dieu ; l’attachement à la vie présente ; l’horreur du siècle à venir (q. 153, a. 5).

 

— Ces filles de la luxure n’ont-elles pas toutes un caractère commun et particulièrement grave ?

— Oui, elles ont toutes, bien qu’à des degrés divers, ceci de commun, qu’elles impliquent l’absorption de l’esprit par la chair ; et c’est cela même qui fait la gravité spéciale de chacune d’elles, et de la luxure qui en est la mère : savoir que l’homme déchoit de sa royauté pour tomber au-dessous de la brute ou de l’animal sans raison (q. 153, a. 5, 6).

 

52. Vertus annexes de la tempérance : la continence ; vice opposé : l’incontinence

 

— Outre les vertus qui ont la raison d’espèce à l’endroit de la tempérance, n’y a-t-il pas d’autres vertus qui ont par rapport à elle la raison de vertus annexes ?

— Oui, ce sont les vertus qui imitent son acte ou son mode d’agir, savoir la modération de ce qui est de nature à entraîner, mais en des matières moins difficiles à maîtriser ; ou qui n’atteignent pas la perfection de son acte (q. 155).

 

— Quelles sont ces autres vertus ?

— Ce sont : la continence ; la clémence et la mansuétude ; et la modestie (q. 155-170).

 

— Qu’entendez-vous par la continence ?

— J’entends cette vertu, d’ailleurs imparfaite dans la raison de vertu, qui consiste à choisir de ne pas suivre les mouvements violents de la passion qui entraînerait, mais qu’on ne suit pas pour un motif de raison (q. 155, a. 1).

 

— Pourquoi dites-vous que c’est là quelque chose d’imparfait dans l’ordre de la vertu ?

— Parce que la vertu parfaite suppose ou tient les mouvements de la passion soumis, tandis que la continence ne fait que leur résister (ibid.).

 

— Cette vertu imparfaite a-t-elle un vice qui lui soit opposé ?

— Oui, c’est l’incontinence (q. 156).

 

— En quoi consiste l’incontinence ?

— Elle consiste en ce que l’homme cède à la violence de la passion et se met en quelque sorte à sa remorque (q. 156, a. 1).

 

— De l’intempérant ou de l’incontinent, quel est celui qui pèche plus gravement ?

— C’est l’intempérant ; car, de même que la continence est moins parfaite que la tempérance dans l’ordre de la vertu ; de même, dans l’ordre du vice, l’incontinence est moins parfaite ou moins mauvaise que l’intempérance (q. 156, a. 3).

 

53. La clémence et la mansuétude ; vices opposés : la colère ; la cruauté ou la férocité

 

— Qu’entendez-vous par la clémence et la mansuétude ?

— La clémence et la mansuétude sont deux vertus dont l’une modère ou règle la punition extérieure, afin qu’elle ne dépasse point les limites de la raison ; et l’autre, le mouvement intérieur de la passion qui est la colère (q. 157, a. 1).

 

— La clémence et la sévérité sont-elles opposées entre elles, ou aussi la mansuétude et le soin de la vengeance ?

— Nullement ; car elles n’ont pas les mêmes motifs et, en des cas ou pour des motifs différents, elles tendent toutes à ce qui est selon la raison (q. 157, a. 2, ad 1).

 

— Quels sont les vices qui sont opposés à la clémence et à la mansuétude ?

— Ce sont : la colère, au sens peccamineux de ce mot ; et la cruauté ou la férocité (q. 158, 159).

 

— Qu’entendez-vous par la colère, au sens peccamineux de ce mot ?

— J’entends un mouvement de l’appétit irascible, qui se porte à une vengeance injuste, ou à une vengeance juste mais avec trop d’irritation (q. 158, a. 2).

 

— Y a-t-il plusieurs sortes de colères ?

— Oui, il y a trois espèces de colères : la colère des irritables, qui se mettent en colère pour un rien ; la colère des amers, qui gardent longtemps le souvenir de l’injure ; et la colère des intraitables qui poursuivent sans répit l’exécution de la vengeance (q. 158, a. 5).

 

— La colère est-elle un péché capital ?

— Oui, la colère est un péché capital ; parce que son objet est chose à laquelle les hommes se portent tout spécialement, savoir : la vengeance, ou le mal sous la raison d’un bien juste et honnête (q. 158, a. 6).

 

— Quelles sont les filles de la colère ?

— Ce sont : l’indignation ; le gonflement du cœur ; la clameur ; le blasphème ; l’injure ; les rixes (q. 158, a. 7).

 

— Peut-il y avoir un vice opposé à celui de la colère ?

— Oui ; c’est celui qui consiste à manquer du mouvement de la colère, quand la raison le commande et qu’il doit être l’effet de la juste volonté de punir (q. 158, a. 8).

 

— Qu’entendez-vous par la cruauté, qui s’oppose à la clémence ?

— J’entends cette sorte de cruauté d’âme, qui fait qu’on est porté à augmenter la peine au-delà des justes limites fixées par la raison (q. 161, a. 1).

 

— Et la férocité, que sera-t-elle ?

— La férocité est ce quelque chose de sauvage, d’absolument inhumain, qui fait qu’on se délecte dans la peine ou qu’on y prend plaisir sous la seule raison de mal : c’est se complaire dans la souffrance d’autrui, non sous la raison de juste châtiment, mais sous la raison seule de peine et de souffrance. La férocité s’oppose directement au don de piété (q. 159, a. 2).

 

— Mais est-ce là chose possible ?

— Quelque impossible que cela dût être, la nature humaine dépravée peut aller jusqu’à cet excès ; et l’on a vu des nations entières autrefois, même les plus civilisées en apparence, trouver leur suprême plaisir à ce qu’avaient de plus féroce les spectacles de l’amphithéâtre.

 

54. La modestie : l’humilité ; vice opposé : l’orgueil ; le péché d’Adam et d’Ève ; le naturalisme et le laïcisme

 

— Quelle est la dernière des vertus annexes à la tempérance ?

— C’est la modestie (q. 160-170).

 

— Qu’entendez-vous par la modestie ?

— J’entends une vertu qui consiste à réfréner ou à modérer et à régler la partie affective en des choses moins difficiles que celles qui sont l’objet soit de la tempérance, soit même de la continence, ou de la clémence et de la mansuétude (q. 160, a. 1, 2).

 

— Quelles sont les autres choses moins difficiles à maîtriser ou à modérer et à régler, quant aux mouvements de la partie affective qui portent sur elles ?

— Ce sont, par ordre de décroissance : le désir de sa propre excellence ; le désir de connaître ; les actions ou les mouvements extérieurs du corps ; enfin la tenue extérieure, quant à la manière de se vêtir (q. 160, a. 2).

 

— Comment s’appellent les vertus qui règlent la partie affective par rapport à ces diverses choses ?

— On les appelle : l’humilité ; la studiosité ou la vertu des studieux ; la modestie, au sens strict (q. 160, a. 2).

 

— Qu’entendez-vous par l’humilité ?

— J’entends cette vertu qui fait que l’homme, eu égard au souverain domaine de Dieu, réprime en soi ou règle l’espoir de ce qui touche à l’excellence, de telle sorte qu’il ne tende pas à plus qu’il ne lui appartient ou qu’il ne lui convient, selon le degré ou la place que Dieu lui a marquée (q. 161, a. 1, 2).

 

— Que s’ensuit-il de là dans les rapports de l’homme avec autrui ?

— Il s’ensuit que l’homme n’estime pas que quelque chose lui soit dû, considéré en lui-même ou en tant que soustrait à l’action et au domaine de Dieu ; car de lui-même il n’a rien, sinon le péché ; et qu’il estime au contraire que tout est dû aux autres, dans le degré même du bien qu’ils reçoivent de Dieu et qui les fait relever de son domaine. Que s’il s’agit de ce qu’il a lui-même de Dieu, par où aussi il relève de son domaine, il ne voudra pas autre chose que ce qui lui convient à sa place et dans son ordre, parmi tous les autres êtres qui relèvent comme lui de ce domaine de Dieu (q. 161, a. 3).

 

— L’humilité est donc une question de stricte vérité, et c’est en toute vérité que par l’humilité l’homme peut et doit se tenir au-dessous de tous les autres ?

— Oui, l’humilité est une question de stricte vérité ; et c’est en toute vérité que par l’humilité l’homme peut et doit se tenir au-dessous de tous les autres, dans le sens qui vient d’être précisé (ibid.).

 

— De quel nom s’appelle le vice opposé à l’humilité ?

— Il s’appelle l’orgueil (q. 162).

 

— Qu’entendez-vous par l’orgueil ?

— J’entends ce vice spécial, et en quelque sorte général aussi, qui, au mépris de Dieu et de la règle de subordination établie par lui dans son œuvre ou dans son domaine, entend dominer sur tout et se préférer à tout, se considérant, en excellence, supérieur à tout (q. 162, a. 1, 2).

 

— Pourquoi dites-vous que ce vice est spécial et en quelque sorte général aussi ?

— Parce qu’il a un objet propre et distinct, qui est la propre excellence ; et que l’amour ou la recherche de cette propre excellence, au mépris de Dieu et de la règle établie par lui, amène l’homme à commettre tous les autres péchés (ibid.).

 

— Ce péché est-il un grand péché ?

— Il est le plus grand de tous les péchés, en raison du mépris de Dieu, qu’il implique directement ; et il donne, de ce chef, leur plus grande gravité à tous les autres péchés, quelque graves qu’ils soient déjà par eux-mêmes (q. 162, a. 6).

 

— L’orgueil est-il le premier de tous les péchés ?

— Oui, l’orgueil est le premier de tous les péchés ; car c’est lui, toujours en raison du mépris de Dieu qu’il implique, qui achève et complète la raison de péché en tous les autres, pour autant qu’ils font que l’homme se détourne de Dieu : de telle sorte qu’aucun péché grave ne peut exister, qu’il n’implique ou ne présuppose l’orgueil, bien qu’il ne soit pas toujours en lui-même, ou quant au motif qui le spécifie, un péché d’orgueil (q. 162, a. 7).

 

— L’orgueil est-il un péché capital ?

— L’orgueil est plus qu’un péché capital ; car il est la tête ou le roi de tous les péchés et de tous les vices (q. 162, a. 8).

 

— Est-ce du péché d’orgueil que péchèrent nos premiers parents dans leur premier péché ?

— Oui, c’est du péché d’orgueil que péchèrent nos premiers parents dans leur premier péché, comme c’était aussi du péché d’orgueil qu’avaient péché les mauvais anges dans le ciel (q. 163, a. 1).

 

— Mais n’est-ce pas plutôt de la gourmandise, ou de la désobéissance, ou d’une vaine curiosité à l’endroit de la science, ou d’un manque de foi à la parole de Dieu, que péchèrent Adam et Ève dans leur premier péché ?

— Tous ces péchés, qui ont pu se trouver, en effet, dans le péché de nos premiers parents, ne furent qu’une conséquence du péché d’orgueil, sans lequel aucun autre ne pouvait être commis (q. 163, a. 1).

 

— Pourquoi dites-vous que, sans le péché d’orgueil, aucun autre péché ne pouvait être commis par nos premiers parents ?

— Parce que leur état d’intégrité faisait que tout en eux était parfaitement soumis et subordonné, tant que leur esprit demeurait lui-même soumis à Dieu ; et que leur esprit ne peut se soustraire à Dieu que pour un motif d’orgueil, voulant se donner une excellence qui ne leur était point due (q. 163, a. 1, 2).

 

— Le péché de naturalisme et de laïcisme qui règne un peu partout aujourd’hui, surtout depuis la Réforme protestante, la Renaissance païenne, et la Révolution impie du XVIIIe siècle, n’est-il pas, lui aussi, tout spécialement, un péché d’orgueil ?

— Oui ; et c’est ce qui en fait l’exceptionnelle gravité ; car il est une imitation du mépris et de la révolte qui furent d’abord le péché de Satan ou des mauvais anges, et ensuite le péché de nos premiers parents.

 

55. La studiosité ; vice opposé : la curiosité

 

— Qu’entendez-vous par la studiosité, qui est la seconde des vertus annexes à la tempérance, sous le nom ou l’influence de la modestie ?

— J’entends cette vertu qui modère, dans l’homme, conformément à la droite raison, le désir de connaître ou d’apprendre (q. 166, a. 1).

 

— Et comment s’appelle le vice qui lui est opposé ?

— Il s’appelle : la curiosité (q. 167).

 

— Qu’est-ce donc que la curiosité ?

— La curiosité est le désir désordonné de connaître ou savoir ce qui n’est pas de sa compétence, ou qu’il peut y avoir du danger à savoir et à connaître, en raison de sa faiblesse (q. 167, a. 1, 2).

 

— Peut-on facilement pécher par curiosité ?

— Oui ; le péché de curiosité peut se produire et se produit très fréquemment, soit dans l’ordre de toute connaissance en général, soit dans l’ordre plus spécial de la connaissance qui peut intéresser les sens ou les passions (q. 167, a. 1, 2).

 

— Est-ce à ce péché qu’appartient le désir immodéré de lire, surtout de lire des feuilletons et des romans ? ou encore d’assister à des fêtes profanes, à des spectacles, tels que le théâtre, le cinéma, et autres choses de ce genre ?

— Oui ; c’est au péché de curiosité que tout cela peut appartenir, en même temps d’ailleurs qu’au péché de sensualité ou de luxure ; et l’on ne saurait trop s’appliquer à y porter remède.

 

56. La modestie extérieure

 

— Quelle est la dernière des vertus annexes qui se rattachent à la tempérance, sous le nom général de modestie ?

— C’est la vertu spéciale de modestie, qui s’appelle de ce nom, dans son sens strict (q. 167-170).

 

— Qu’entendez-vous par cette vertu ?

— J’entends ce fini de perfection dans les dispositions affectives du sujet, qui fait que tout, dans son extérieur, qu’il s’agisse de ses mouvements ou de ses gestes, de ses paroles, du ton de la voix, de sa tenue ou de son attitude ou de son maintien, est ce que tout cela doit être selon qu’il convient à la personne, au milieu, à l’état, à l’action qui se fait, de telle sorte que rien ne détonne ou ne heurte et que tout, dans cet extérieur du sujet, apparaisse d’une souveraine et parfaite harmonie : auquel titre la vertu de modestie se rattache à l’affabilité ou à l’amitié et à la vérité (q. 168, a. 1).

 

— Faut-il attribuer à la vertu de modestie ce qui peut avoir trait au jeu ou au divertissement et à la récréation dans l’économie de la vie humaine ?

— Oui ; et cette vertu prend même, alors, un nom spécial, qui est celui d’eutrapélie, ou de vertu qui fait qu’on joue ou qu’on se divertit ou qu’on se récrée comme il convient, évitant, d’une part, l’excès, et, de l’autre, le défaut contraire (q. 168, a. 2-4).

 

— La modestie comprend-elle aussi ce qui a trait à la mise extérieure ou au vêtement ?

— Oui ; la modestie s’étend aussi à ce qui touche au vêtement ou à la mise extérieure ; et c’est même alors qu’elle prend, dans son sens tout à fait strict, le nom de modestie (q. 169).

 

— Et que fait la vertu de modestie à ce sujet ?

— Elle fait que le mouvement affectif intérieur est ce qu’il doit être à l’endroit de la mise extérieure ou du vêtement ; et qu’on y garde cette mesure parfaite, qui exclut tout ensemble la recherche outrée et la négligence déplacée (q. 169, a. 1).

 

Est-ce contre cette vertu de modestie que pèchent tout spécialement les personnes du monde qui ne gardent aucune mesure dans les excès de ce qu’on appelle la mode, et qui peuvent devenir par là une occasion de péché autour d’elles ?

— Oui ; c’est tout spécialement contre la vertu de modestie, en même temps d’ailleurs que contre la chasteté, que pèchent ces sortes de personnes ; et l’on ne saurait trop blâmer les excès qui se commettent dans ce sens (q. 169, a. 2).

 

57. Du don qui correspond à la vertu de tempérance

 

Parmi les dons du Saint-Esprit, en est-il quelqu’un qui corresponde à la vertu de tempérance ?

— Oui, c’est le don de crainte (q. 166, a. 1, ad 3).

 

Mais n’a-t-il pas été dit plus haut que le don de crainte correspond à la vertu théologale d’espérance ?

— Le don de crainte, en effet, correspond tout ensemble à la vertu théologale d’espérance et à la vertu cardinale de tempérance ; mais non sous le même aspect ou au même titre (ibid.).

 

En quoi consiste cette différence ?

— Elle consiste en ce que le don de crainte correspond à la vertu théologale d’espérance, selon que l’homme révère Dieu directement en raison de son infinie grandeur et évite de l’offenser ; et il correspond à la vertu cardinale de tempérance, en ce que la révérence ou le respect qu’il inspire à l’endroit de la grandeur de Dieu fait qu’on évite ces choses-là qui portent le plus à offenser Dieu et qui sont les plaisirs des sens (ibid.).

 

Mais la vertu de tempérance ne portait-elle pas déjà à éviter cela ?

— Oui, mais dans une mesure sans comparaison moins parfaite : car elle ne porte à le laisser que dans une mesure ou selon un mode qui est le fruit de l’homme agissant par lui-même à la lumière de la raison ou de la foi, tandis que le don de crainte le fait éviter dans la mesure ou selon le mode qui est le fruit de l’Esprit-Saint lui-même personnellement, mouvant l’homme par son action toute-puissante, et l’amenant, en raison du respect ou de la révérence que lui inspire la majesté divine, à tenir pour du fumier les plaisirs des sens et tout ce qui s’y rattache.

 

58. Préceptes relatifs à la tempérance et à ses parties

 

Y a-t-il, dans la loi divine, quelque précepte qui ait trait à la tempérance ?

— Oui, nous trouvons dans le Décalogue lui-même deux préceptes qui ont trait à la vertu de tempérance (q. 170).

 

Quels sont ces deux préceptes ?

— Ce sont le sixième et le neuvième préceptes : Tu ne commettras point d’adultère ; — tu ne convoiteras point la femme de ton prochain.

 

Pourquoi n’est-il parlé que de l’adultère ; et pourquoi, au sujet de l’adultère, y a-t-il deux préceptes distincts dans le Décalogue ?

— Parce que de tout ce qui a trait à la tempérance, l’adultère est ce qui intéresse le plus les rapports de l’homme avec le prochain, notamment du point de vue de la justice, qui est celui des préceptes du Décalogue ; et s’il est donné deux préceptes distincts à ce sujet, c’est en raison de l’importance qu’il y a à arrêter jusque dans sa première source le grand mal de l’adultère (q. 170, a. 1).

 

Y a-t-il, parmi les préceptes du Décalogue, quelque précepte qui ait trait aux parties de la tempérance ?

— Non, il n’y a pas de précepte qui ait trait directement à ces parties ; car elles n’intéressent point par elles-mêmes les rapports de l’homme à l’endroit de Dieu ou du prochain. Toutefois ces diverses parties sont touchées indirectement en raison de leurs effets, soit dans les préceptes de la première table, soit dans ceux de la seconde. C’est, en effet, en raison de l’orgueil que l’homme ne rend pas à Dieu ou au prochain les hommages ou le culte qu’il leur dit ; et c’est en raison de la colère, opposée à la mansuétude, que l’homme s’attaque à la personne du prochain jusqu’à attenter à sa vie, dans l’homicide (q. 170, a. 2).

 

Pour ce qui est du côté positif des préceptes relatifs soit à la tempérance, soit à ses parties, était-il à propos qu’on le trouve marqué dans le Décalogue ?

— Non ; parce que le Décalogue devait contenir seulement les premiers préceptes de la loi divine applicables à tous les hommes dans tous les temps ; et que ce qui a trait au côté positif de ces vertus, comme l’abstinence ou le mode extérieur de parler, d’agir, de se tenir, et le reste, peut varier beaucoup selon les divers hommes, dans les divers temps et dans les divers lieux (q. 170, a. 1, ad 3).

 

A qui appartient-il de déterminer ces choses, avec une autorité spéciale, dans la loi nouvelle ?

— C’est à l’Église qu’il appartient de fixer là-dessus, par des préceptes adaptés, la conduite des fidèles.

 

N’y a-t-il pas, dans les explications de la loi divine que contient l’Écriture sainte, une invite spéciale, sous forme de prière, à s’appuyer sur le don de crainte selon qu’il correspond à la tempérance ?

— Oui, c’est le beau texte du psaume 118, verset 120 : Confige timore tuo carnes meas ; Que votre crainte achève d’exterminer en moi les révoltes de ma chair.

 

59. Suffisance des vertus et leur rôle. – Double vie : active et contemplative ; l’état de perfection. – La vie religieuse : les familles religieuses dans l’Église

 

Avons-nous maintenant la connaissance suffisante de toutes les vertus que l’homme peut être appelé à pratiquer en vue du ciel à conquérir ; et des vices qu’il doit éviter pour ne pas s’exposer à perdre le ciel et à tomber dans l’enfer ?

— Oui, nous avons maintenant cette connaissance suffisante. Car nous connaissons les trois grandes vertus de foi, d’espérance et de charité, qui permettent à l’homme d’atteindre sa fin dernière surnaturelle comme il doit l’atteindre sur cette terre pour qu’elle dirige et commande sa vie morale. Nous connaissons aussi les quatre grandes vertus morales ou cardinales, qui sont la prudence, la justice, la force et la tempérance avec toutes leurs annexes, considérées non seulement dans l’ordre naturel ou sous leur raison de vertus acquises, mais plus encore dans l’ordre surnaturel ou sous leur raison de vertus infuses proportionnées aux vertus théologales, qui permettent à l’homme de tout ordonner dans sa vie morale soit à l’égard d’autrui, soit à l’égard de lui-même, comme il le doit pour être en harmonie avec sa fin surnaturelle en toutes choses. Si bien qu’il suffit à l’homme de pratiquer toutes ces vertus, en liaison avec les dons qui leur correspondent, pour être sûr d’obtenir la vision de Dieu que nous savons devoir être sa béatitude au ciel durant toute l’éternité ; avec ceci seulement que, s’il vient à pécher contre l’une quelconque de ces vertus, il faudra que par une nouvelle vertu dont nous parlerons dans la Troisième Partie, et qui sera la pénitence, il satisfasse pour son péché, en union avec la satisfaction de Jésus-Christ.

 

La mise en œuvre de cet ensemble des vertus et des dons, qui constitue, à vrai dire, la vie de l’homme sur cette terre, ne peut-elle pas se présenter sous deux formes qui seront distinctes et même en quelque sorte séparées ?

— Oui, et ces deux formes sont ce qu’on appelle la vie contemplative et la vie active (q. 179-182).

 

Qu’entendez-vous par la vie contemplative ?

— J’entends cette forme de vie, où l’homme, ayant l’âme au repos du côté des passions vicieuses et du côté du tumulte des actions extérieures, sous le coup de l’amour qu’il a pour Dieu, passe son temps, dans la mesure du possible sur cette terre, à le contempler en lui-même ou dans ses œuvres, jouissant de la vision du Dieu qu’il aime, et trouvant dans cette fruition de Dieu, au plus haut point, sa perfection, qui le fait vivre séparé de quelque autre chose que ce puisse être en dehors de Dieu seul (q. 180, a. 1-8).

 

Cette vie contemplative suppose-t-elle toutes les vertus ?

— Oui ; cette vie contemplative suppose toutes les vertus et concourt à les parfaire ; mais elle-même consiste dans une certaine action propre où interviennent toutes les vertus intellectuelles et théologales, demeurant toujours, au plus haut point, à la merci de l’action personnelle de l’Esprit-Saint par l’entremise des dons (q. 180, a. 2).

 

Et la vie active, que comprend-elle ?

— La vie active comprend proprement tous les actes des vertus morales et très spécialement les actes de la vertu de prudence ; parce que son objet propre est la disposition en elles-mêmes et selon qu’il convient à l’ordre de la vie présente, dans les nécessités de cette vie terrestre, de toutes les choses qui ont trait à cette vie (q. 181, a. 1-4).

 

De ces deux vies, quelle est la plus parfaite ?

— La plus parfaite est incontestablement la vie contemplative, car c’est elle qui donne, sur cette terre, comme un avant-goût du ciel (q. 182, a. 1).

 

Chacune de ces deux vies, ou la mise en œuvre des vertus et des dons qu’elles impliquent, ne peuvent-elles pas se trouver comme dans une double condition parmi les hommes ?

— Oui ; elles peuvent se trouver selon la condition commune ; ou comme placées dans un état de perfection.

 

Qu’entendez-vous par l’état de perfection ?

— J’entends une certaine condition de vie qui fait que l’homme se trouve placé, d’une manière fixe et permanente ou immuable, hors des liens qui le rendent esclave des nécessités de la vie présente, et le constitue libre de vaquer exclusivement, et selon tout lui-même, aux choses de Dieu ou de la divine charité (q. 183, a. 1, 4).

 

Cet état de perfection est-il la même chose que la perfection elle-même ?

— Non ; car la perfection consiste en quelque chose d’intérieur ; tandis que l’état de perfection dont nous parlons consiste dans une condition de vie qui se considère plutôt en raison d’un ensemble d’actes extérieurs (q. 184, a. 1).

 

Peut-on avoir la perfection des vertus et des dons ou de la vie de charité divine, sans être dans l’état de perfection ; et, inversement, peut-on être dans l’état de perfection, sans avoir la perfection de la charité ?

— Oui, ces deux choses-là sont possibles (q. 184, a. 4).

 

Pourquoi donc recourir à l’état de perfection ?

— Parce que, de soi, l’état de perfection facilite excellemment l’acquisition de la perfection elle-même ; et que, généralement, c’est dans l’état de perfection que la perfection se trouve.

 

Qu’est-ce donc qui constitue l’état de perfection ?

— C’est le fait de s’obliger à perpétuité, sous une certaine forme solennelle, aux choses qui sont de la perfection en tant qu’elles touchent à l’organisation extérieure de sa vie (q. 184, a. 4).

 

Et qui donc se trouve dans cet état de perfection ?

— Ce sont les évêques et les religieux (q. 184, a. 5).

 

Pourquoi dites-vous que les évêques sont dans l’état de perfection ?

— Parce que les évêques, au moment où ils assument l’office ou le devoir pastoral, s’obligent à donner leur vie pour leurs ouailles, et que cela se fait avec la solennité de la consécration (q. 184, a. 6).

 

Et pour les religieux, qu’est-ce qui fait donc qu’ils sont dans l’état de perfection ?

— C’est qu’ils s’astreignent, sous forme de vœu perpétuel, à laisser de côté les choses du siècle, dont ils pourraient user licitement, afin de vaquer plus librement aux choses de Dieu ; et qu’ils font cela avec une certaine solennité de profession ou de bénédiction (q. 184, a. 5).

 

De ces deux états de perfection, quel est le plus parfait ?

— C’est celui des évêques (q. 184, a. 7).

 

Pourquoi dites-vous que l’état de perfection qui est celui des évêques est plus parfait que celui des religieux ?

— Parce qu’il est ordonné à ce dernier comme celui qui donne est ordonné à celui qui reçoit. Les évêques, en effet, doivent, par état, posséder la perfection que les religieux tendent, par état, à acquérir (q. 184, a. 7).

 

Comment les religieux tendent-ils, par état, à acquérir la perfection ?

— Les religieux tendent, par état, à acquérir la perfection, selon qu’ils se trouvent, en raison des trois vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, comme dans l’heureuse impossibilité de pécher et dans l’heureuse nécessité de bien agir en toutes choses (q. 186, a. 1-10).

 

Ces trois vœux sont-ils essentiels à l’état de perfection qui est celui des religieux ?

— Oui ; ces trois vœux sont essentiels à l’état de perfection qui est celui des religieux ; de telle sorte que sans eux l’état religieux ne saurait exister (q. 186, a. 2-7).

 

Peut-il y avoir diversité de familles religieuses ayant, toutes, les conditions essentielles de l’état religieux ?

— Oui ; il peut y avoir diversité de familles religieuses ayant, toutes, les conditions essentielles de l’état religieux (q. 188).

 

En quoi consistera la diversité des familles religieuses, alors qu’elles conviennent toutes dans les conditions essentielles de l’état religieux ?

— Elle consistera en ce qu’il est diverses choses dans lesquelles l’homme peut se vouer totalement au service de Dieu ; et que l’homme peut se disposer à cela de diverses manières ou selon des exercices divers (q. 188, a. 1).

 

Quels sont les deux grands genres de familles religieuses ?

— Les deux grands genres de familles religieuses sont ceux qui se tirent dans deux grandes conditions de vie dont nous avons parlé et qui sont la vie contemplative et la vie active (q. 188, a. 2-6).

 

Il y a donc des familles religieuses qui sont de vie active et d’autres qui sont de vie contemplative ?

— Oui ; il y a des familles religieuses qui sont de vie active et d’autres qui sont de vie contemplative.

 

Qu’entendez-vous par les familles religieuses de vie active ?

— J’entends ces familles religieuses où la plus grande part des actions des sujets qui les composent est ordonnée à servir le prochain en vue de Dieu (q. 188, a. 2).

 

Et qu’entendez-vous par les familles religieuses de vie contemplative ?

— J’entends ces familles religieuses où la totalité des actions des sujets qui les composent est ordonnée au service de Dieu en lui-même (q. 188, a. 2, ad 2).

 

De ces deux sortes de familles religieuses, quelles sont les plus parfaites ?

— Ce sont celles de vie contemplative ; avec ceci pourtant que les plus parfaites de toutes sont celles dont la part principale est vouée à la contemplation des choses divines ou au culte et au service de Dieu en lui-même, mais pour déverser ensuite sur le prochain le trop-plein de leur contemplation et l’attirer lui aussi au culte et au service de Dieu (a. 188, a. 6).

 

Cette existence des diverses familles religieuses dans l’Église et au milieu du monde est-elle un très grand bien ?

— Il n’est rien de plus excellent que cette existence des diverses familles religieuses dans l’Église et au milieu du monde ; car, outre qu’elles constituent les foyers choisis où se pratiquent, dans leur plus grande perfection, toutes les vertus, elles ont pour effet de contribuer au plus grand bien de l’humanité par leurs œuvres de charité ou d’apostolat et par leur vie d’immolation à Dieu.

 

D’où vient aux familles religieuses, dans l’Église, cette excellence qui est la leur en ce qui touche à la pratique de toutes les vertus portées jusqu’à leur plus haute perfection ?

— Cette excellence leur vient de ce qu’elles s’appliquent ostensiblement et par vocation ou d’office à marcher dans la vie où tout homme quel qu’il soit doit marcher pour pratiquer ces mêmes vertus et atteindre le bonheur du ciel.

 

Quelle est cette vie hors de laquelle aucune marche vers Dieu par la vraie pratique des vertus ne sera jamais possible ?

— Cette voie n’est autre que Jésus-Christ ou le mystère même du Verbe fait chair. C’est de lui qu’il nous reste à nous occuper maintenant ; et son étude va faire l’objet de notre Troisième Partie.