CATENA AUREA SUR SAINT JEAN – CHAP. 9-14

 

CHAPITRE IX   2

Vv. 1-7  2

Vv. 8-17. 4

Vv. 18-23. 6

Vv. 24-34. 7

Vv. 35-41. 9

CHAPITRE X   11

Vv. 1-6. 11

Vv. 7-10. 14

Vv. 11-13. 15

Vv. 14-21. 18

Vv. 22-30. 20

Vv. 31-38. 23

Vv. 39-42. 25

CHAPITRE XI 26

Vv. 1-5. 26

Vv. 6-10. 27

Vv. 11-16. 28

Vv. 17-27. 29

Vv. 28-32. 31

Vv. 33-40. 32

Vv. 41-46. 34

Vv. 47-83. 37

Vv. 54-86. 40

CHAPITRE XII 41

Vv. 1-11. 41

Vv. 12-19. 44

Vv. 20-26. 46

Vv. 27-33. 48

Vv. 34-36. 51

Vv. 37-43. 52

Vv. 44-50. 54

CHAPITRE XIII 56

Vv. 1-4. 56

Vv. 6-11. 58

Vv. 12-20. 61

Vv. 21-30. 64

Vv. 31-32. 68

Vv. 33-35. 71

Vv. 36-38. 73

CHAPITRE XIV   74

Vv. 1-4. 74

Vv. 5-7. 76

Vv. 8-11. 78

Vv. 12-14. 81

Vv. 15-17. 83

Vv. 18-21. 85

Vv. 22-27. 87

Vv. 27-31. 90

 

CHAPITRE IX

 

Vv. 1-7

 

S. CHRYS. (hom. 56 sur S. Jean.) Comme les Juifs n'avaient pu comprendre la hauteur des enseignements de Jésus-Christ, en sortant du temple, il guérit un aveugle. Il veut en se dérobant à leurs regards apaiser leur fureur, et en même temps amollir leur dureté par le miracle qu'il va faire et confirmer la vérité de ses paroles : « Et comme Jésus passait, Jésus vit un homme qui était aveugle de naissance, » etc. Remarquons qu'en sortant du temple, il a le dessein formel d'opérer une œuvre qui fit connaître sa divinité, car c'est lui qui vit l'aveugle, ce ne fut point l'aveugle qui vint le trouver, et il le considéra avec tant d'intérêt, que ses disciples le remarquèrent et lui firent cette question : « Maître, est-ce cet homme qui a péché ou ses parents ? » — S. AUG. (Traité 44 sur S. Jean). Rabbi veut dire maître, ils lui donnent le nom de maître, parce qu'ils voulaient apprendre de lui ce qu'ils ignoraient ; et ils proposent cette question au Seigneur comme à leur maître. — THEOPHYL. Cette question paraît fautive de la part des Apôtres, qui n'admettaient pas cette opinion ridicule des Gentils, que l'âme avait péché dans un autre monde où elle avait vécu auparavant ; mais en y réfléchissant de plus près, cette question n'est pas aussi simple qu'elle le parait. — S. CHRYS. (hom. 56.) Ils furent amenés en effet à lui faire cette question, parce qu'en guérissant le paralytique, Jésus lui avait dit : « Voilà que vous êtes guéri, ne péchez plus davantage. » (Jean, 5) Et dans la pensée que ses péchés avaient été la cause de sa paralysie, ils demandent si cet aveugle ne s'est pas rendu aussi coupable de péché, ce qu'on ne pouvait ni dire ni supposer, puisqu'il était aveugle de naissance ; ou bien ses parents, ce qui n'était pas plus raisonnable, car le fils ne porte pas le péché du père.

 

« Jésus répondit : Ce n'est point qu'il ait péché, ni ses parents. — S. AUG. Est-ce donc qu'il était né sans la faute ORIGinelle ou qu'il n'y avait ajouté par la suite aucune faute volontaire ? Non, sans doute, ses parents aussi bien que lui étaient coupables, mais ce n'est pas à cause du péché qu'ils avaient commis que cet homme était né aveugle. Nôtre-Seigneur en donne la véritable cause, lorsqu'il ajoute : « C'est afin, dit-il, que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui. » — S. CHRYS. (hom. 56.) On ne peut conclure de ces paroles que les autres aveugles le sont devenus en punition des péchés de leurs parents, car il n'arrive pas qu'un homme soit puni pour le péché d'un autre. Ces paroles du Sauveur : « Afin que la gloire de Dieu soit manifestée, » doivent s'entendre de sa propre gloire et non de celle du Père, dont la manifestation avait déjà eu lieu. Mais cet homme souffrait-il donc injustement ? Non, et je réponds que la cécité fut pour lui un bienfait, car il lui dut de voir des yeux de l'âme. Il est évident que celui qui avait tiré cet homme du néant pour lui donner l'être, avait aussi le pouvoir de l'affranchir de toute infirmité. On peut dire du reste avec quelques-uns, que la particule ut n'exprime pas ici la cause, mais plutôt la conséquence. Comme dans cette autre phrase : « La loi est survenue, ut abundaret delictum, en sorte que le péché a abondé ; » (Rm 5, 20) de même ici, la conséquence de la guérison de cet aveugle et de toutes les autres maladies qui accablent l'infirmité humaine, a été la manifestation de sa puissance.

 

S. GREG. (1 Moral. ou Préf. sur Job.) Il y a des châtiments que Dieu inflige aux pécheurs sans qu'il y ait pour lui de retour possible ; il en est d'autres qui le frappent afin de le rendre meilleur ; il en est d'autres encore qui ont pour fin, non point de punir les fautes passées, mais de prévenir les fautes à venir ; d'autres enfin qui n'ont pour but ni de punir les péchés passés, ni de prévenir ceux que l'on peut commettre dans l'avenir, mais de faire connaître d'une manière plus éclatante et aimer plus ardemment la puissance de celui qui sauve par le salut inespéré qui suit immédiatement le châtiment.

 

S. CHRYS. (hom. 56.) Nôtre-Seigneur vient de dire, en parlant de lui-même : « Afin que la gloire de Dieu soit manifestée, » il ajoute : « Il faut, pendant qu'il est jour, que je fasse les œuvres de celui qui m'a envoyé, » c'est-à-dire, il faut que je me manifeste moi-même, et que je fasse les œuvres propres à me manifester, les mêmes que celles que fait mon Père. — BEDE. Lorsque le Fils affirme qu'il fait les œuvres de son Père, il prouve ainsi que ses œuvres sont les mêmes que celles de son Père, c'est-à-dire, guérir ce qui est infirme, fortifier ce qui est faible, éclairer tous les hommes. — S. AUG. En disant : « Les œuvres de celui qui m'a envoyé, » il renvoie toute la gloire à celui de qui il vient, car le Père a un Fils qui vient de lui, et il n'a pas lui-même de Père de qui il vienne.

 

S. CHRYS. (hom. 56.) Il ajoute : « Pendant qu'il est jour, » c'est-à-dire, il me faut agir tandis qu'il est permis aux hommes de croire en moi, ou bien tant que dure cette vie, et les paroles qui suivent viennent à l'appui de cette explication : « La nuit vient, où personne ne peut agir. » Cette nuit dont il a été dit : « Jetez-le dans les ténèbres extérieures. » (Mt 22) La nuit sera donc le temps où personne ne peut plus travailler et où l'on recevra la récompense de sou travail. Tandis que vous vivez, faites donc ce que vous devez faire, car au delà de cette vie, ni la foi n'est possible, ni les travaux, ni le repentir.

 

S. AUG. Mais si nous prenons soin de travailler pendant cette vie, c'est vraiment le jour, c'est le Christ. Aussi Nôtre-Seigneur ajoute-t-il : « Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. » Il est donc lui-même le jour ; ce jour qui se mesure sur la révolution du soleil compte un petit nombre d'heures, mais le jour de la présence de Jésus-Christ s'étend jusqu'à la consommation des siècles, comme il le déclare lui-même : « Voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles. »

 

S. CHRYS. (hom. 56.) C'est par des œuvres que le Sauveur veut confirmer la vérité de ce qu'il vient de dire, l'Evangéliste ajoute donc : « Après avoir parlé ainsi, il cracha à terre, et ayant fait de la boue avec sa salive, il l'étendit sur les yeux de l'aveugle. Celui qui a tiré du néant et appelé à l'être des créatures beaucoup plus importantes, eût bien pu donner des yeux à cet aveugle, sans une matière préexistante; mais il a voulu nous enseigner qu'il était le Créateur, qui au commencement s'est servi de bouc pour créer l'homme. (hom. 57.) Il ne se sert pas d'eau, mais de salive pour faire cette boue, pour vous empêcher d'attribuer rien à la vertu de la fontaine, et vous apprendre que c'est la vertu de sa bouche qui a fait et ouvert les yeux de cet aveugle, et il lui ordonne ensuite de les laver pour que la guérison ne soit point non plus rapportée à une vertu secrète de la terre : « Et il lui dit : Allez vous laver dans la piscine de Siloë (mot qui veut dire envoyé), » pour vous apprendre que je n'ai pas besoin de boue pour faire des yeux. La piscine de Siloë tirait toute sa vertu de Jésus-Christ qui opérait toutes les guérisons qui s'y faisaient, et c'est pour cela que l'Evangéliste donne la signification de ce nom en ajoutant : « Qui signifie envoyé, » et il vous apprend par là que c'est Jésus-Christ qui a guéri cet aveugle. De même, en effet, que l'Apôtre nous dit : « La pierre c'était le Christ, » ainsi la piscine de Siloë, alimentée par un cours d'eau qui coulait soudainement à certains intervalles, nous figurait secrètement que Jésus-Christ se manifeste souvent contre toute espérance. Mais pourquoi donc ne lui commande-t-il pas de se laver immédiatement sans aller à la piscine de Siloë ? C'est pour mieux confondre l'impudence des Juifs. Il était bon, en effet, que tous le vissent se diriger vers cette piscine, ayant les yeux couverts de boue. Jésus voulait d'ailleurs montrer en l'envoyant à cette piscine, qu'il n'est opposé ni à la loi, ni à l'Ancien Testament. Il n'était point d'ailleurs à craindre qu'on attribuât la gloire de cette guérison à la piscine de Siloë, car beaucoup s'y lavaient les yeux sans obtenir une grâce aussi importante. Il voulait encore faire éclater la foi de cet aveugle, qui ne cherche pas à contredire le Sauveur, qui ne se dit pas en lui-même : La boue d'ordinaire est bien plus propre à faire perdre la vue qu'à la rendre, je me suis lavé plusieurs fois dans la piscine de Siloë, je n'en ai éprouvé aucun soulagement, si cette eau avait quelque efficacité, elle m'eût guéri sur-le-champ, il obéit avec simplicité : « Il y alla, se lava et revint voyant clair. » (hom. 56.) C'est donc ainsi qu'il manifesta sa gloire, car ce n'est pas une faible gloire que de passer pour le créateur de toutes choses ; la foi que l'on donnait à cette grande vérité en faisait accepter d'autres moins importantes. L'homme, en effet est la première et la plus honorable de toutes les créatures ; et de tous ses membres, l'œil est le plus digne d'honneur, car c'est lui qui gouverne le corps, lui qui est le plus bel ornement du visage, ce qu'est le soleil dans l'univers, l'œil l'est dans le corps de l'homme, c'est pour cela qu'il occupe la partie la plus élevée et qu'il y est placé comme sur son trône. — THEOPHYLACTE. Il en est qui pensent que cette boue ne fut pas lavée, mais qu'elle servit à former les yeux de cet aveugle.

 

BEDE. Dans le sens allégorique, nous voyons ici que le Sauveur, chassé du cœur des Juifs, se dirige aussitôt vers les Gentils. Son passage, le chemin qu'il fait, c'est sa descente du ciel sur la terre. Il vit cet aveugle, lorsqu'il abaissa les regards de sa miséricorde sur le genre humain. — S. AUG. Cet aveugle, en effet, c'est le genre humain tout entier qui a été frappé de cécité par le péché du premier homme, dont nous tirons tous notre ORIGine ; il est donc aveugle de naissance. Le Seigneur laisse tomber à terre un peu de salive, et la mélangeant avec la poussière du chemin, il en fait de la boue, parce que le Verbe s'est fait chair, et il étend cette boue sur les yeux de l'aveugle. Lorsque ses yeux étaient ainsi couverts, il ne voyait pas encore, parce que le Seigneur ne fit de lui qu'un catéchumène, lorsqu'il lui couvrit ainsi les yeux. Il l'envoie à la piscine de Siloë, car c'est en Jésus-Christ qu'il a été baptisé, et c'est alors que le Sauveur lui donna l'usage de la vue. L’Evangéliste nous donne la signification du nom de cette piscine, qui veut dire envoyé, et, en effet, si le Fils de Dieu n'avait été envoyé sur la terre, personne d'entre nous n'eût été délivré de son iniquité. — S. GREG. (Moral., 8, 12 ou 18.) Ou bien encore, la salive figure la saveur de la contemplation intime. Elle descend de la tête dans la bouche, parce qu'elle part des splendeurs de Dieu, qu'elle nous fait goûter par les douceurs de la révélation alors que nous sommes encore dans cette vie. Nôtre-Seigneur mêle sa salive à la terre, et donne ainsi à cet aveugle l'usage de la vue, parce que c'est en mêlant la contemplation de la vérité à nos pensées charnelles, que la grâce céleste répand sa lumière dans notre âme, et délivre notre intelligence de la cécité ORIGinelle dont elle a été frappée dans le premier homme.

 

Vv. 8-17.

 

S. CHRYS. (hom. 57.) L'étrangeté de ce miracle le rendait plus difficile à croire, et c'est en effet ce qui arrive : « Les gens du voisinage, dit l'Evangéliste, et ceux qui l'avaient vu auparavant demander l'aumône, disaient : N'est-ce pas là celui qui était assis et mendiait ? » Admirable condescendance de la clémence de Dieu ! Le Sauveur guérissait avec une grande bonté les pauvres mendiants, et il ferme ainsi la bouche aux Juifs, en jugeant dignes de ses bienfaits les hommes obscurs et inconnus de préférence aux personnages illustres ou distingués par leurs talents ou leurs dignités, car il était venu pour le salut de tous les hommes : « Les uns disaient : C'est lui. » Comme cet aveugle avait une longue route à parcourir et que leur attention était excitée par la singularité de ce miracle dont ils avaient été les témoins, ils ne pouvaient pas dire : Ce n'est point lui. « D'autres cependant, poursuit l'Evangéliste, disaient : Point du tout, mais il lui ressemble. » — S. AUG. (Traité 44.) En effet, ses yeux ouverts avaient changé sa physionomie : « Mais lui disait : C'est moi, » c'est la voix de la reconnaissance qui veut se mettre à couvert du reproche d'ingratitude. — S. CHRYS. (hom. 57.) Il ne rougit pas de son premier état, il ne redoute point la colère du peuple, et il n'hésite pas à se montrer en public pour faire connaître son bienfaiteur : « Ils lui disaient donc : Comment vos yeux se sont-ils ouverts ? » De quelle manière fût-il guéri, nous ne le savons pas, il ne le savait pas lui-même, il savait seulement qu'il était guéri sans pouvoir comprendre comment cela s'était fait : « Il répondit : Cet homme qu'on appelle Jésus, a fait de la boue et l'a étendue sur mes yeux. » Voyez comme il s'attache à ne dire que la vérité. Il ne dit pas comment Jésus a fait cette boue, parce qu'il ne le savait pas, qu'il avait craché à terre, tandis que le sens du toucher lui fit connaître qu'il avait étendu de la boue sur ses yeux : « Et il m'a dit : « Allez à la piscine de Siloë et vous y lavez. » Il put encore certifier ce fait par le sens de l'ouïe, car il reconnut la voix de Jésus, dont il avait entendu la discussion avec ses disciples. Et comme il s'était préparé à une seule chose, c'est-à-dire, à faire avec docilité tout ce qui lui serait commandé, il ajoute : « J'y ai été, je me suis lavé et je vois. »

 

S. AUG. (Traité 44.) Le voici devenu prédicateur de la grâce, il évangélise et confesse Jésus-Christ. Mais tandis que cette aveugle confesse ainsi la vérité, le cœur des impies se resserrait, parce qu'ils n'avaient pas dans le cœur les yeux qui brillaient sur sa figure : « Et ils lui dirent : Où est cet homme ? » — S. gIlrys. (hom. 57.) Ils lui faisaient cette question dans le dessein qu'ils avaient formé de mettre Jésus à mort, car déjà ils avaient conspiré contre lui. Mais Jésus ne restait pas auprès de ceux qu'il avait guéris, parce qu'il ne cherchait ni la gloire ni l'ostentation, il se retirait aussitôt qu'il avait opéré un miracle de ce genre, pour éloigner tout soupçon de fraude on de concert, car comment ceux qui ne le connaissaient pas auraient-ils déclaré dans son intérêt, que leur guérison venait de lui ? « Et il répondit : Je ne sais. » En faisant cette réponse, il est semblable au catéchumène, qui n'a reçu que l'onction, et qui n'est pas encore éclairé, il prêche et il ne connaît pas encore ce qu'il annonce. — BEDE. Il est donc en cela la figure des catéchumènes qui ont bien la foi eu Jésus-Christ, mais qui ne le connaissent pas encore parfaitement, parce qu'ils ne sont pas encore purifiés.

 

C'étaient aux pharisiens qu'il appartenait d'approuver ou de blâmer cette œuvre. — S. CHRYS. Les Juifs donc, en demandant où était Jésus, avaient le dessein de le conduire aux pharisiens, mais n'ayant pu le trouver, ils leur amènent l'aveugle : « Alors ils amenèrent aux pharisiens celui qui avait été aveugle, pour le presser par de nouvelles et plus vives questions. » C'est pour cela que l'Evangéliste fait cette remarque : « Or, c'était le jour du sabbat que Jésus détrempa ainsi de la terre, » etc. Il voulait ainsi nous faire connaître les mauvaises dispositions du leur âme, et la cause pour laquelle ils le cherchaient, c'est-à-dire, pour trouver l'occasion de la perdre, et détruire l'impression produite par ce miracle par la prétendue violation de la loi, ce qui ressort évidemment des questions qu'ils lui adressent : « Les pharisiens lui demandèrent donc aussi comment il avait recouvré la vue. » Voyez comment l'aveugle répond sans se troubler; quand le peuple l'interrogeait, il n'avait aucun danger à craindre, il ne fallait pas un grand courage pour dire la vérité ; mais ce qui est vraiment admirable, c'est que bien qu'ayant tout à craindre de la haine des pharisiens, il ne songe ni à nier le fait, ni à dire le contraire de ce qu'il a déclaré précédemment : « Il leur dit : Il m'a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé et je vois. » Il abrège ici sa réponse, parce qu'il parle à des hommes qui connaissaient déjà le fait. Il ne leur dit pas le nom de celui qui lui a donné cet ordre, il ne rapporte pas les paroles que Jésus lui a adressées : « Allez, et lavez-vous ; » il va tout de suite au fait : « Il m'a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé et je vois. » Ils éprouvèrent donc le contraire de ce qu'ils espéraient, ils l'amenèrent dans l'intention de lui faire nier le fait de sa guérison, et ils en acquirent une certitude beaucoup plus grande.

 

« Sur cela, quelques-uns des pharisiens disaient, » etc. — S. AUG. Ce n'étaient pas tous, mais quelques-uns seulement, car déjà il y en avait parmi eux qui recevaient l'onction. Ceux donc qui ne voyaient pas encore et qui n'avaient pas reçu la grâce de l'onction, disaient : « Cet homme n'est point de Dieu, puisqu'il n'observe point le sabbat. » Au contraire, il en était le plus fidèle observateur, lui qui était sans péché, car l'observation spirituelle du sabbat, c'est de n'avoir aucun péché, et c'est l'avertissement que Dieu nous donne quand il nous recommande l'observation de la loi du sabbat : « Vous ne ferez aucune œuvre servile. » Qu'est-ce qu'un œuvre servile ? le Seigneur lui-même vous l'apprend : « Tout homme qui commet le péché est esclave du péché ; » (Jn 7) or, les pharisiens tout en observant extérieurement la loi du sabbat, la violaient spirituellement.

 

S. CHRYS. Ils passent malicieusement sous silence le fait de la guérison, et ne mettent en avant que la prétendue violation du sabbat. Ainsi, ils ne disent pas : Il guérit le jour du sabbat, mais : « Il transgresse la loi du sabbat. » D'autres disaient : « Comment un pécheur peut-il faire de tels prodiges ? » Vous voyez qu'ils sont vivement impressionnés par ce miracle, mais leurs dispositions étaient imparfaites, car ils auraient dû plutôt chercher à prouver qu'il n'y avait point ici transgression de la loi du sabbat. Mais ils ne croyaient pas encore qu'il était Dieu, et ne pouvaient répondre que c'est le maître du sabbat qui avait opéré ce miracle. Nul d'entre eux n'osait déclarer ouvertement ce qu'il aurait voulu dire, ils tenaient un langage ambigu, les uns, parce qu'ils n'osaient parler librement, les autres par amour du pouvoir : « Et ils étaient divisés entre eux. » Cette division avait lieu dans le peuple et avait gagné jusqu'aux chefs du peuple. — S. AUG. Jésus-Christ était le jour qui sépare la lumière des ténèbres.

 

S. CHRYS. Ceux qui avaient osé dire : Un pécheur ne peut faire de tels prodiges, voulant fermer la bouche à leurs contradicteurs, fout avancer au milieu d'eux celui qui avait éprouvé les heureux effets de la puissance de Jésus-Christ, pour éviter tout reproche de flatterie: « Ils dirent donc de nouveau à l'aveugle : Et vous, que dites-vous de celui qui vous a ouvert les yeux ? » — THEOPHYL. Voyez comme leur question est pleine de bienveillance ; ils ne lui demandent pas : Que dites-vous de celui qui n'observe pas la loi du sabbat ? Ils ne rappellent que le miracle qu'il a opéré, mais : « Comment vous a-t-il ouvert les yeux ? » Ils semblent exciter le zèle de cet homme, et lui dire : Il est votre bienfaiteur, et c'est un devoir pour vous de proclamer ses bienfaits. — S. AUG. Ou bien peut-être ils cherchaient une occasion de calomnier cet homme et de le chasser de la synagogue, mais il continua de dire avec courage tout ce qu'il pensait : « Il répondit : C'est un prophète. » Il avait déjà reçu l'onction du cœur, mais il ne reconnaît pas encore Jésus pour le Fils de Dieu. Cependant il ne ment pas, car Nôtre-Seigneur a dit, en parlant de lui-même : « Aucun prophète n'est sans honneur, si ce n'est dans sa patrie. » (Lc 4)

 

Vv. 18-23.

 

S. CHRYS. (hom. 58.) Les pharisiens n'ayant pu intimider cet homme, et voyant qu'il proclamait en toute liberté le nom de son bienfaiteur, crurent qu'ils pourraient détruire la vérité du miracle au moyen de ses parents ; c'est ce que signifient ces paroles de l'Evangéliste : « Mais les Juifs ne voulurent pas croire qu'il eût été aveugle et qu'il eût recouvré la vue, jusqu'à ce qu'ils eussent fait venir les parents de celui qui voyait. » — S. AUG. C'est-à-dire, de celui qui avait été aveugle et qui avait recouvré la vue. — S. CHRYS. (hom. 58.) Mais telle est la nature de la vérité, qu'elle puise une force plus grande dans les difficultés qu'on lui suscite. Le mensonge se détruit par lui-même, et les moyens qu'il prend pour détruire la vérité, ne servent qu'à la rendre plus éclatante ; c'est ce que nous voyons arriver ici. On aurait pu dire que le témoignage des voisins n'était pas bien certain, que la ressemblance avait pu les tromper ; on fait donc venir les parents, qui connaissaient leur fils mieux que personne ne pouvait le connaître : « Et ils leur demandèrent : Est-ce là votre fils, que vous dites être né aveugle ? » Ils ne disent pas : Qui était autrefois aveugle, mais : « Que vous dites être né aveugle ? » O hommes pervers et dignes d'exécration ! Quel est le père qui voudrait faire un tel mensonge à l'égard de son fils ? Il n'y a qu'une chose qu'ils ne disent pas, c'est que ce sont eux-mêmes qui l'ont rendu aveugle. Ils s'efforcent donc de leur faire nier sa guérison par ces deux questions : « Est-ce là votre fils que vous dites être né aveugle ? » et : « Comment donc voit-il maintenant ? » — THEOPHYL. C'est-à-dire qu'ils voudraient révoquer en doute l'un des deux faits, ou il est faux qu'il voie maintenant, ou il n'a pas été précédemment aveugle. Mais comme on ne peut nier qu'il voie maintenant, il est donc faux qu'il fût aveugle, comme vous l'avancez.

 

S. CHRYS. (hom. 58.) Sur trois questions qui leur sont faites, s'il est leur fils, s'il était aveugle, et comment il se fait qu'il voie maintenant, ils répondent à deux : « Ses parents leur répondirent : Nous savons que c'est là notre fils, et qu'il est né aveugle. » Quant à la troisième, ils l'éludent, en disant : « Mais comment il voit maintenant, et qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons. » C'est pour le plus grand triomphe de la vérité que nul autre que celui qui a été guéri, et qui était bien digne de foi, atteste le miracle dont il est l'objet. « Interrogez-le, disent ses parents, il a de l'âge, qu'il parle de ce qui le concerne. » — S. AUG. C'est-à-dire, on pourrait nous forcer de parler pour un enfant, parce qu'il ne pourrait parler pour lui-même : nous l'avons connu aveugle de naissance, mais ayant l'usage de la parole.

 

S. cIlrys. (hom. 58.) Quelle ingratitude dans les parents de cet homme, qui n'osent dire ce qu'ils savent très-bien, par la crainte qu'ils ont des Juifs ! « Ils parlèrent ainsi, dit l'Evangéliste, parce qu'ils craignaient les Juifs. » Il nous fait connaître en même temps la pensée des Juifs et leur dessein : « Car, ajoute-t-il, les Juifs étaient convenus entre eux que quiconque reconnaîtrait Jésus pour le Christ, serait chassé de la synagogue. » — S. AUG. Ce n'était plus, du reste, un mal que d'être chassé de la synagogue ; car, si l'on était chassé par les Juifs, on était reçu par Jésus-Christ.

 

C'est pourquoi ses parents dirent: « Il a de l'âge, interrogez-le, » — ALCUIN. L'Evangéliste nous donne ici une preuve que, ce n'est point l'ignorance, mais la crainte qui leur a dicté cette réponse. — THEOPHYL. Ils sont plus timides que leur enfant, qui se montre le témoin intrépide de la vérité, parce que Dieu avait éclairé les yeux de son âme.

 

Vv. 24-34.

 

S. CHRYS. (hom. 58 sur S. Jean.) Les parents ayant renvoyé les pharisiens à celui-là même qui avait été guéri, ils l'appelèrent une seconde fois, comme le dit l'Evangéliste : « Ils appelèrent donc de nouveau l'homme qui avait été aveugle. » Ils ne lui dirent pas ouvertement : Niez que Jésus-Christ vous ait guéri ; mais ils veulent l'y amener indirectement, sous prétexte de religion : « Rendez gloire à Dieu, » lui dirent-ils ; c'est-à-dire, avouez que Jésus ne vous a rien fait. — S. AUG. (Traité 47.) Niez le bienfait que vous avez reçu ; ce qui n'est point rendre gloire à Dieu, mais se rendre coupable de blasphème envers lui. — ALCUIN. Mais ils voulaient qu'il rendit gloire à Dieu à leur façon, c'est-à-dire en reconnaissant que Jésus-Christ était un pécheur : « Nous savons, disent-ils, que cet homme est un pécheur. » — S. CHRYS. (hom. 58.) Pourquoi donc ne lui avez-vous point prouvé qu'il était un pécheur lorsqu'il vous a fait ce défi : « Qui de vous me convaincra de péché ? »

 

ALCUIN. Cet homme, qui ne voulait ni donner lieu à la calomnie, ni cacher la vérité, ne dit pas : Je sais qu'il est juste, mais il leur dit : « S'il est pécheur, je n'en sais rien. » — S. CHRYS. Comment celui qui avait reconnu précédemment que Jésus était un prophète, peut-il dire maintenant : « S'il est un pécheur, je ne sais ? » Est-ce qu'il se laisse influencer par la crainte ? Non ; mais il veut justifier Jésus-Christ contre ses accusateurs par le témoignage du miracle lui-même, et rendre ses paroles dignes de foi par le bienfait qu'il a reçu : « Je sais seulement que j'étais aveugle, et qu'à présent je vois. » C'est-à-dire, je ne m'explique point sur cette question s'il est pécheur ou non, mais je dis ce que je sais à n'en pouvoir douter. Les pharisiens ne pouvant détruire la vérité du fait miraculeux, reviennent à leurs premières questions, et s'informent de nouveau de la manière dont cette guérison a eu lieu, semblables à des chiens qui cherchent sans discontinuer leur proie, tantôt d'un côté tantôt d'un autre : « Sur quoi ils lui dirent : Que vous a-t-il fait ? Comment vous a-t-il ouvert les yeux ? » C'est-à-dire, est-ce au moyen de quelque prestige ? Ainsi ils ne lui disent pas : Comment avez-vous vu ? mais : « Comment vous a-t-il ouvert les yeux ? » pour lui offrir l'occasion de calomnier le miracle opéré par Jésus. Tant que les éclaircissements avaient été nécessaires, l'aveugle s'était expliqué avec modération ; mais comme la vérité est désormais triomphante, il leur parle avec une généreuse liberté : « Il leur répondit : Je vous l'ai déjà dit, et vous l'avez entendu, pourquoi voulez-vous l'entendre encore ? » C'est-à-dire : Vous ne tenez aucun cas de ce que je vous ai dit, je ne répondrai donc plus à des questions qui n'ont aucun but, et que vous faites non pour apprendre, mais pour trouver dans mes réponses un sujet de critique ou d'accusation. Il ajoute : « Est-ce que, vous aussi, vous voulez devenir ses disciples ? » — S. AUG. Que veulent dire ces paroles : « Est-ce que vous aussi ? » Quant à moi, je suis déjà son disciple, voulez-vous aussi le devenir ? Je vois, mais je jouis sans envie du bienfait de la vue. C'est avec cette noble fermeté que cet homme, autrefois aveugle, et qui ne peut plus supporter les aveugles, condamne la dureté opiniâtre des Juifs. — S. CHRYS. (hom. 58.) Voyez à la fois la force de la vérité, et la faiblesse du mensonge. La vérité rend les hommes illustres et les couvre de gloire, quelque méprisés qu'ils soient d'ailleurs ; et le mensonge, eût-il pour organe les puissants du monde, dévoile toute leur faiblesse.

 

« Ils le maudirent alors et lui dirent : Sois son disciple, toi. » Que cette malédiction soit sur nous et sur nos enfants, car elle n'existe que dans leur cœur, et non dans leurs paroles : « Pour nous, ajoutent-ils, nous sommes disciples de Moïse ; nous savons que Dieu a parlé à Moïse. » Plût à Dieu que vous sachiez que Dieu a parlé à Moise, vous sauriez également alors que Moïse a prédit l'avènement d'un Dieu ; puisque c'est le Seigneur lui-même qui vous dit : « Si vous croyiez à Moïse, vous croiriez aussi en moi ; car il a parlé de moi dans ses écrits. » Ainsi vous vous faites gloire de suivre le serviteur, et vous tournez le dos au Maître ? Car vous ajoutez : « Mais celui-ci, nous ne savons d'où il est » — S. CHRYS. (hom. 58.) C'est-à-dire que ce que vous voyez de vos yeux vous paraît moins véritable que ce que vous avez entendu dire ; en effet ce que vous dites savoir, vous le tenez de vos ancêtres. Mais n'est-il pas bien plus digne de foi, celui qui vous a prouvé qu'il venait de Dieu par des miracles, dont vous n'avez pas seulement entendu parler, mais que vous avez vus de vos propres yeux ? C'est ce que leur répond cet homme : « Il est vraiment surprenant que vous ne sachiez pas d'où il est, et qu'il m'ait ouvert les yeux. » Il ne cesse de leur rappeler ce miracle, parce qu'ils ne pouvaient en contester la réalité, et qu'il portait avec lui sa conviction ; et comme ils avaient déclaré qu'un pécheur ne pouvait opérer de semblables prodiges, il s'appuie sur cet aveu, et leur remet en mémoire leurs propres paroles : « Nous savons, leur dit-il, que Dieu n'exauce point les pécheurs ; » c'est-à-dire, vous et moi nous sommes d'accord sur ce point.

 

S. AUG. Il parle ici comme un homme qui n'a pas encore reçu l'onction, car Dieu exauce les pécheurs ; et, s'il ne les exauçait pas, c'est donc en vain que le publicain lui aurait fait cette prière : « Seigneur, soyez-moi propice, à moi, qui ne suis qu'un pécheur. » Mais au contraire il mérita, par cette confession, d'être justifié, comme l'aveugle mérita que la lumière lui fût rendue. — THEOPHYL. Ou bien encore on peut dire que Dieu n'exauce point les pécheurs, en ce sens qu'il ne leur accorde pas le pouvoir de faire des miracles, mais lorsqu'ils implorent le pardon de leurs fautes, ils passent de l'état de pécheurs à celui de pénitents.

 

S. CHRYS. (hom. 58.) Et, remarquez que les paroles qui précèdent : « S'il est un pécheur, je ne sais, » n'expriment pas un doute de la part de cet homme ; car ici, non-seulement il le justifie de tout péché, mais il montre combien il est agréable à Dieu. « Mais celui qui l'honore, et fait sa volonté, c'est celui-là qu'il exauce ; » ainsi il ne suffît pas de connaître Dieu, il faut encore accomplir sa volonté. «Voyez encore comme il relève le miracle dont il vient d'être l'objet : « Jamais on n'a ouï dire que personne ait ouvert les yeux à un aveugle-né. » C'est-à-dire : Si vous reconnaissez que Dieu n'exauce point les pécheurs, et que cet homme cependant ait fait un miracle comme jamais aucun homme n'en a fait, il est évident que la puissance en vertu de laquelle il a fait ce miracle est supérieure à toute puissance humaine : « Si cet homme n'était pas de Dieu, ajouta-t-il, il ne pourrait rien faire. » — S. AUG. Il ne pourrait rien faire avec liberté, avec constance, avec vérité ; car, comment les choses que le Seigneur a faites auraient-elles pu exister si Dieu lui-même n'en était l'auteur ? et comment ses disciples pourraient-ils opérer de semblables prodiges, si le Seigneur lui-même n'habitait en eux pour les revêtir de sa puissance ?

 

S. CHRYS. Cet homme a donc confessé la vérité sans la moindre crainte, et cependant au lieu d'admirer sa noble fermeté, les pharisiens le condamnent, « Ils lui répondirent : Tu es né tout entier dans le péché, et tu nous enseignes ! » Que veulent dire ces mots : « Tout entier ? » Avec les yeux fermés ; mais celui qui lui a ouvert les yeux l'a guéri aussi tout entier. — S. CHRYS. (hom. 58.) Ou bien ces paroles : « Tout entier, » signifient : Vous êtes dans le péché depuis vos premières années. Ils lui reprochent donc sa cécité, comme la suite et la punition de ses péchés, ce qui était dénué de fondement. Tant qu'ils ont espéré qu'il nierait cette guérison miraculeuse, ils l'ont juge digne de foi ; maintenant ils le repoussent loin d'eux. « Et ils le chassèrent dehors. » — S. AUG. Ils l'avaient eux-mêmes établi comme maître, ils l'avaient interrogé à plusieurs reprises, comme pour s'instruire, et après qu'il leur a enseigné la vérité, ils le chassèrent avec une superbe ingratitude. — BEDE. C'est, en effet, la coutume des grands, de dédaigner de rien apprendre de la bouche de leurs inférieurs.

 

Vv. 35-41.

 

S. CHRYS. (hom. 59 sur S. Jean.) Dieu se plaît à honorer surtout ceux qui sont couverts d'outrages pour avoir rendu témoignage à la vérité et confessé Jésus-Christ. C'est ce qui se vérifie dans cet aveugle. Les Juifs le chassent du temple, et le Maître du temple le rencontre, et l'accueille avec bonté, comme le président des combats accueille celui qui a courageusement combattu et mérité la couronne. « Jésus apprit qu'ils l'avaient ainsi chassé ; et, l'ayant rencontré, il lui dit : Croyez-vous au Fils de Dieu ? » Le récit de l'Evangéliste nous fait voir que Jésus était venu exprès pour lui parler. Or, il l'interroge, non pour apprendre ce qu'il ignorait, mais pour se faire connaître à lui, et lui montrer la grande estime qu'il fait de sa foi ; et il semble lui dire : Ce peuple m'a outragé, mais peu m'importe ; je n'ai à cœur qu'une seule chose, c'est de vous inspirer la foi : mieux vaut un homme faisant la volonté de Dieu, que dix mille impies.

 

S. HIL. (de la Trinité, 6) Si une foi telle quelle en Jésus-Christ devait être regardée comme une foi consommée, le Sauveur aurait dit à cet homme : Croyez-vous en Jésus-Christ ? Mais comme presque tous les hérétiques devaient avoir ce nom à la bouche et confesser le Christ, tout en niant qu'il était le Fils de Dieu, Jésus demande à cet homme de croire ce qui est le signe caractéristique du Christ, c'est-à-dire, de croire qu'il est Fils de Dieu. Que servirait-il de croire au Fils de Dieu, si l'objet de la foi n'était qu'une créature ? La foi qui nous est demandée, c'est la foi en Jésus-Christ, non comme créature de Dieu, mais comme Fils de Dieu.

 

S. CHRYS. (hom. 59.) Cet homme ne connaissait pas encore Jésus-Christ, il était aveugle avant que Jésus l'eût rencontré pour la première fois ; et après sa guérison, il avait été entraîné de tous côtés par les Juifs. « Il répondit : Qui est-il, Seigneur, afin que je croie en lui ? » C'est là l'expression d'un vif et ardent désir. Il ne connaît point celui dont il a pris et soutenu la défense avec tant de force et de chaleur, preuve de son grand amour pour la vérité. Le Seigneur ne lui a point encore dit expressément : « C'est moi qui vous ai guéri ; » mais il le lui fait connaître équivalemment en lui disant : « Vous l'avez vu, et c'est lui-même qui vous parle. » — THEOPHYL. Il s'exprime ainsi pour rappeler à cet homme sa guérison, parce que c'est de lui qu'il avait reçu la faculté de voir. Remarquez que celui qui lui parle est à la fois le Fils de Marie et le Fils de Dieu, et il n'y a point en lui deux personnes, suivant l'erreur de Nestorius ; « et c'est lui-même qui vous parle, » lui dit le Sauveur.

 

S. AUG. (Traité 44) Nôtre-Seigneur lave et purifie maintenant la face de son cœur, et après que son cœur est purifié, ainsi que sa conscience, il le reconnaît non comme Fils de l'homme, ce qu'il croyait déjà auparavant, mais comme Fils de Dieu, revêtu d'une chair mortelle : « Et il lui dit : Je crois, Seigneur. » C'est peu de croire ; voulez-vous voir tout ce que sa foi découvre en lui ? « Et, se jetant à ses pieds, il l'adora. » — BEDE. Cet exemple nous apprend qu'on ne doit point prier Dieu la tète haute, mais implorer sa miséricorde la face prosternée contre terre. — S. CHRYS. ( hom. 59. ) Par son attitude autant que par son langage, cet homme révèle la puissance divine de Jésus ; le Seigneur, de son côté, donne une nouvelle ardeur à sa foi, et rend ceux qui le suivent plus attentifs : « Alors Jésus dit : Je suis venu dans ce monde pour exercer le jugement. » — S. AUG. Jésus était le jour, qui sépare la lumière des ténèbres, et il ajoute justement : « Afin que ceux qui ne voient pas voient, » parce qu'il délivre des ténèbres. Mais que signifient les paroles qui suivent : « Et que ceux qui voient deviennent aveugles ? » La suite nous en donne le véritable sens : «Quelques-uns, d'entre les pharisiens qui étaient-là, ayant entendu ces paroles, lui dirent : « Sommes-nous donc aussi des aveugles ? » Car cette parole : « Et que ceux qui voient deviennent aveugles, » les avait vivement touchés. « Jésus leur répondit : Si vous étiez aveugles, vous n'auriez point de péché ; » c'est-à-dire, si vous reconnaissiez que vous êtes des aveugles, vous auriez recours au médecin. « Mais maintenant vous dites : Nous voyons, votre péché demeure. » En effet, en prétendant que vous voyez, vous n'avez nul souci de chercher le médecin, et vous demeurez dans votre aveuglement ; c'est ce qu'il vient de leur prédira, en leur disant : « Je suis venu pour que ceux qui ne voient point voient, » (c'est-à-dire, ceux qui reconnaissent qu'ils ne voient point, et cherchent un médecin, pour qu'il leur rende la vue,) « et que ceux qui voient deviennent aveugles. » (C'est-à-dire, afin que ceux qui s'imaginent qu'ils voient et ne cherchent pas le médecin, demeurent dans leur aveuglement.) C'est cette distinction qu'il appelle jugement, lorsqu'il dit : « Je suis venu dans le monde pour exercer le jugement, » et il ne veut point dire qu'il vienne exercer sur le monde ce jugement qui doit n'avoir lieu qu'à la fin des siècles, pour les vivants et les morts.

 

S. CHRYS. (hom. 59.) Ou bien encore, tel est le sens de ces paroles : « Je suis venu pour le jugement; » c'est-à-dire, pour augmenter la rigueur du supplice qui vous est réservé ; et il montre aussi que ceux qui l'ont condamné, seront eux-mêmes l'objet d'une sévère condamnation. Les paroles suivantes : « Afin que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles, » doivent être entendues dans le même sens que ces autres de saint Paul : « Que les Gentils qui ne cherchaient point la justice, ont embrassé la justice, et la justice qui vient de la foi de Jésus-Christ ; et qu'Israël, au contraire, qui recherchait la loi de la justice, n'est point parvenu à la loi de la justice. » (Rm 9, 30-31.) — THEOPHYL. Nôtre-Seigneur semble dire : Celui qui était aveugle dès sa naissance voit maintenant, et ceux qui paraissent avoir l'usage de la vue, sont aveugles dans leur intelligence. — S. CHRYS. (hom. 59.) Il y a, en effet, deux manières de voir, comme deux manières d'être aveugle, l'une extérieure, l'autre intérieure ; or, les Juifs n'avaient de désirs que pour les choses sensibles, et de mépris que pour la cécité extérieure ; Jésus leur déclare donc qu'il vaudrait mieux pour eux être aveugles, que de voir de la sorte : « Si vous étiez aveugles, leur dit-il, vous n'auriez point de péché, » et votre châtiment serait moins rigoureux ; « mais maintenant vous dites : Nous voyons. » — THEOPHYL. Vous ne voulez faire nulle attention au miracle opéré en faveur de cet aveugle, vous êtes donc indigne de pardon, puisque la vue de tels prodiges n'est point capable de vous attirer à la foi.

 

S. CHRYS. (hom. 59.) Il leur montre ainsi que ce qu'ils regardaient comme un titre de gloire, sera pour eux une cause de châtiment, et en même temps il console de sa cécité extérieure cet homme qui avait été aveugle de naissance. Ce n'est pas sans raison que l’Evangéliste nous fait remarquer que quelques-uns d'entre les pharisiens qui étaient là entendirent ces paroles ; il veut nous rappeler que ce sont les mêmes qui avaient d'abord résisté à Jésus-Christ, et avaient voulu ensuite le lapider ; ils étaient de ceux qui suivaient le Sauveur comme par manière d'acquit, et à la première occasion se déclaraient contre lui.— THEOPHYL. Ou bien encore, si vous étiez aveugles, c'est-à-dire si vous ignoriez les Ecritures, votre péché serait moins grand, parce qu'il aurait l'ignorance pour excuse ; mais maintenant, que vous vous donnez comme des sages et des hommes versés dans la loi, vous vous condamnez vous-mêmes.

 

CHAPITRE X

 

Vv. 1-6.

 

S. CHRYS. (hom. 59 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur venait de convaincre les Juifs d'aveuglement, mais ils pouvaient lui répondre : Ce n'est point par aveuglement que nous ne vous suivons pas, nous nous séparons de vous comme d'un imposteur, il veut donc leur prouver que loin d'être un imposteur, il est le véritable pasteur, en donnant les signes distinctifs de l'un et de l'autre, et d'abord le signalement de l'imposteur et du voleur : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui n'entre point par la porte dans la bergerie, mais qui y monte par un autre endroit, est un voleur et un larron. » Nôtre-Seigneur désigne ici indirectement tons ceux qui sont venus avant lui et ceux qui doivent paraître après lui, l'Antéchrist et les faux prophètes. Les saintes Ecritures sont la porte, car ce sont elles qui ouvrent l'intelligence à la connaissance de Dieu, elles servent d'ailleurs à garder les brebis et ne laissent point approcher les loups, c'est-à-dire, les hérétiques qu'elles empêchent d'entrer dans la bergerie. Celui donc qui, laissant là les Ecritures, veut monter par un autre endroit, et s'ouvre un chemin particulier et non autorisé, est un voleur. Le Sauveur dit : « Il monte, » et non pas : « Il entre, » à l'exemple du voleur qui cherche à escalader le mur de clôture, et s'expose pour cela à tous les dangers. Nôtre-Seigneur ajoute : « Par un autre endroit, » et il désigne à mots couverts les scribes, qui enseignaient des maximes et des doctrines tout humaines, et transgressaient ouvertement la loi. S'il déclare plus bas qu'il est lui-même la porte, il ne faut pas s'en étonner, il s'appelle la porte et pasteur sous des rapports différents. Il est la porte, parce qu'il nous amène à son Père, et il est notre pasteur, parce qu'il nous conduit et nous dirige.

 

S. AUG. (Traité 45 sur S. Jean.) Ou bien encore, il en est beaucoup que selon l'usage ordinaire de la vie, on appelle des hommes de bien, ils observent d'une manière quelconque les commandements de la loi, et toutefois ils ne sont pas chrétiens et demandent avec fierté comme les pharisiens : « Est-ce que nous sommes aveugles ? » Or, Nôtre-Seigneur leur montre que toutes leurs actions qu'ils ne savent à quelle fin rapporter, sont vaines sous la figure d'un troupeau et de la porte par laquelle on entre dans la bergerie : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui n'entre point par la porte, » etc. Que les païens donc, que les Juifs, que les hérétiques disent : « Notre vie est bonne, » à quoi cela leur sert-il s'ils n'entrent point par la porte ? La fin de la bonne vie doit être pour chacun de lui faire obtenir la vie éternelle, et on ne peut appeler des hommes de bien ceux qui, par aveuglement ou bien par orgueil, dédaignent de connaître ce qui doit être la fin de la bonne vie. Or, la véritable espérance de vivre toujours n'est donnée qu'à celui qui connaît la vie qui est Jésus-Christ, et qui entre par la porte dans la bergerie. Que celui donc qui veut entrer dans la bergerie, entre par la porte, qu'il ne se contente pas d'annoncer Jésus-Christ, qu'il cherche la gloire de Jésus-Christ au lieu de chercher la sienne. Mais Jésus-Christ est une porte qui est bien basse, et il faut s'abaisser pour entrer par cette porte sans se blesser la tête, or celui qui s'élève au lieu de s'humilier, veut escalader le mur, et il ne s'élève que pour tomber. Ces hommes, la plupart du temps, cherchent à persuader aux autres à vivre en hommes de bien sans être chrétiens, ils veulent monter et passer ailleurs que par la porte pour ravir et pour tuer. Ce sont des voleurs, parce qu'ils disent que ce qui est aux autres, leur appartient, et des larrons, parce qu'ils tuent ce qu'ils ont volé.

 

S. CHRYS. (hom. 59.) Vous avez vu la description du voleur, voici celle du pasteur : « Mais celui qui entre par la porte est le pasteur des brebis. » — S. AUG. (serm. 49 sur les par. du Seign.) Celui qui entre par la porte est celui qui entre par Jésus-Christ, qui imite la passion de Jésus-Christ, qui connaît l'humilité de Jésus-Christ, c'est-à-dire, qu'à la vue d'un Dieu fait homme, l'homme doit reconnaître que lui-même n'est pas Dieu, mais qu'il n'est qu'un homme, car celui qui veut affecter de paraître un Dieu, lorsqu'il n'est qu'un homme, n'imite pas celui qui étant Dieu s'est fait homme. Or, on ne vous dit pas : Soyez moins que ce que vous êtes, mais : Reconnaissez ce que vous êtes en réalité.

 

« C'est à lui que le portier ouvre. » — S. CHRYS. (hom. 59.) Rien ne s'oppose à ce que ce portier soit Moïse, car c'est à lui qu'a été confié le dépôt des oracles de Dieu. — THEOPHYL. Ou bien encore ce portier, c'est l'Esprit saint qui nous ouvre le sens des Ecritures pour nous y faire reconnaître le Christ. — S. AUG. Ou bien encore ce portier, c'est le Seigneur lui-même ; dans les choses humaines, en effet, il y a une bien plus grande différence entre le pasteur et la porte qu'entre le portier et la porte, et cependant le Sauveur se donne à la fois comme le pasteur et comme la porte. Pourquoi donc ne pas voir aussi en lui le portier ? Ne s'ouvre-t-il pas lui-même lorsqu'il s'explique lui-même ? Si cependant vous voulez qu'un autre soit le portier, vous pouvez donner cette dénomination à l'Esprit saint, dont le Seigneur a dit : « Il vous enseignera lui-même toute vérité. » (Jn 16) La porte, c'est Jésus-Christ qui est la vérité. Qui ouvre la porte, si ce n'est celui qui enseigne la vérité ? Prenons garde cependant de regarder ici le portier comme supérieur à la porte, parce que dans les maisons des hommes, le portier est plus que la porte, et non la porte plus que le portier.

 

S. CHRYS. (hom. 59.) Comme les Juifs traitaient Jésus d'imposteur et confirmaient cette opinion par leur incrédulité, en disant : « Qui d’entre les princes du peuple a cru en lui ? » il leur signifie que pour avoir refusé de l'écouter, ils sont exclus du nombre de ses brebis : « Et les brebis entendent sa voix. » Si en effet, c'est un signe distinctif du pasteur d'entrer par la porte, comme Nôtre-Seigneur lui-même est entré, c'est se séparer du troupeau de ses brebis que de refuser d'écouter sa voix.

 

« Et il appelle par leur nom ses brebis. » — S. AUG. En effet, il connaît le nom des prédestinés, et c'est pour cela qu'il dit à ses disciples : « Réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans les cieux. » (Lc 10) « Et il les fait sortir. » — S. CHRYS. (Hom. 59.) Il faisait sortir ses brebis, quand il les envoyait non loin des loups, mais au milieu même des loups. Le Sauveur paraît faire ici allusion à l'aveugle, car en l'appelant, il l'a comme fait sortir du milieu des Juifs. — S. AUG. Quel est celui qui fait véritablement sortir les brebis, si ce n'est celui qui leur remet leurs péchés, afin qu'elles puissent le suivre délivrées qu'elles sont des lourdes chaînes de leur esclavage ? « Et lorsqu'il a fait sortir ses brebis, il marche devant elles. » — LA GLOSE. Il les fait sortir des ténèbres de l'ignorance à la lumière de la vérité, en marchant devant elles, comme il marchait autrefois devant le peuple de Dieu, dans une colonne tour à tour de nuée et de feu. S. CHRYS. Les bergers font le contraire de ce qui est ici marqué, et marchent après leur troupeau. Nôtre-Seigneur nous apprend qu'il agit tout différemment, parce qu'il conduit ses brebis à la vérité. — S. AUG. Quel est le pasteur qui a précédé ses brebis, si ce n'est celui qui est ressuscité des morts pour ne plus mourir (Rm 6), et qui a dit à son Père : « Mon Père, je veux que là où je suis, ceux que vous m'avez donnés soient aussi avec moi ? » (Jn 17, 24.)

 

« Et les brebis le suivent, parce qu'elles connaissent sa voix, mais elles ne suivent point un étranger, » etc. — S. CHRYS. Ces étrangers sont les partisans de Théodas et de Judas (Ac 6, 36-37), et de tous les faux apôtres qui, après eux devaient tromper le peuple de Dieu. Or, pour n'être point confondu avec eux, il fait voir les différents caractères qui l'en séparent ; d'abord la doctrine des Ecritures, par lesquelles Jésus-Christ amenait les hommes à lui, tandis que les autres en détournaient les hommes ; en second lieu, l'obéissance que les brebis avaient pour lui, car les hommes ont cru en lui, non-seulement pendant sa vie, mais après sa mort, tandis que ces faux pasteurs furent bientôt abandonnés de ceux qui les avaient suivis. — THEOPHYL. Il veut encore désigner ici l'Antéchrist, qui, après avoir égaré un instant les hommes, n'aura point de disciples après sa mort.

 

S. AUG. Mais comment résoudre celte question ? Ceux qui ne sont pas des brebis de Jésus entendent quelquefois sa voix, comme Judas, par exemple, qui était un loup, tandis qu'une partie de ceux qui avaient crucifié le Sauveur, n'écoutèrent pas sa voix, bien qu'ils fussent du nombre de ses brebis. On peut dire que lorsqu'elles n'entendaient pas sa voix, elles n'étaient pas encore du nombre des brebis, la voix qu'elles ont entendue, les a changés, et en a fait des brebis de loups qu'elles étaient. Je suis encore frappé de ces reproches que Dieu adresse aux pasteurs par la bouche d'Ezéchiel, lorsqu'il leur dit entre autres choses, en parlant des brebis : « Vous n'avez point ramené la brebis qui s'égarait. » (Ez 34, 4.) Elle s'égare et il ne laisse pas de lui donner le nom de brebis ; elle ne s'égarerait pas, si elle entendait la voix du pasteur, et elle ne s'égare que parce qu'elle écoute la voix d'un étranger. Disons donc : « Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui, » (2 Tm 2) il connaît les prédestinés, ce sont les brebis. Quelquefois ils ne se connaissent pas eux-mêmes, mais le pas-tour les connaît, car il y a beaucoup de brebis dehors, comme il y a un grand nombre de loups dans l'intérieur. Nôtre-Seigneur veut donc parler ici des prédestinés. Il y a d'ailleurs une certaine voix du pasteur qui ne sera jamais confondue parles brebis avec celle des étrangers, et que ceux qui ne sont pas brebis n'entendront jamais comme la voix de Jésus-Christ. Quelle est cette voix ? « Celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé. » (Mt 10 et 24) Cette voix est toujours entendue de celui qui appartient à Jésus-Christ ; elle ne l'est pas de celui qui lui est étranger : « Jésus leur dit cette parabole, mais ils ne comprirent pas ce qu'ils lui disaient. » Nôtre-Seigneur, en effet, nourrit notre âme par les vérités qu'il révèle clairement, et il l'exerce par celles qu'il, laisse dans l'obscurité. Deux hommes entendent les paroles de l'Evangile, l'un est un homme religieux, l'autre est un impie, et ce qu'ils entendent n'est peut-être compris ni de l'un ni de l'autre. L'un s'exprime de la sorte : Ce que le Sauveur vient de nous dire est vrai et bon, mais nous ne le comprenons pas ; cet homme a déjà la foi, il est digne qu'on lui ouvre, s'il persévère à frapper. L'autre, au contraire, soutient qu'il ne leur a rien dit, il a donc encore besoin d'entendre ces paroles : « Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas. » (Is 7, 9, selon la vers. des Sept.)

 

Vv. 7-10.

 

S. CHRYS. (hom. 59 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur, pour rendre les Juifs plus attentifs, leur explique ce qu'il vient de dire : « Jésus donc leur dit encore : En vérité, en vérité, je vous le dis, je suis la porte des brebis. » — S. AUG. (Traité 45 sur S. Jean.) Voici qu'il ouvre ce qui était fermé, il est lui-même la porte ; entrons et réjouissons-nous d'être entrés.

 

« Tous ceux qui sont venus sont des voleurs et des larrons. » — S. CHRYS. (hom. 59.) Ce n'est point aux prophètes que s'appliquent ces paroles, comme le disent les hérétiques, mais à ceux qui ont excité des séditions. Aussi se hâte-t-il de faire l'éloge des brebis en ajoutant : « Et les brebis ne les ont point écoutés ; » or, jamais nous ne le voyons donner des louanges à ceux qui n'ont point obéi aux prophètes, au contraire, il les blâme toujours sévèrement. — S. AUG. Comprenez donc ces paroles dans ce sens : « Tous ceux qui sont venus en dehors de moi ; » or, les prophètes ne sont point venus en dehors de lui, tous ceux qui sont venus avec le Verbe de Dieu sont venus avec lui, et ceux qui sont venus avec lui sont dignes de foi, parce qu'il est lui-même le Verbe et la vérité. Avant de venir lui-même sur la terre, il envoyait devant lui ses hérauts, mais il était le maître des cœurs de ceux qu'il envoyait, car s'il a pris une chair mortelle dans le temps, il existe de toute  éternité. Que signifient  ces  paroles : « De toute éternité ? » « Au commencement était le Verbe. » Or, avant son avènement si plein d'humilité dans la chair, il a paru sur la terre des justes qui croyaient au Christ qui devait venir, comme nous croyons au Christ qui est venu. Les temps ont changé, la foi est restée la même, et cette même foi unit étroitement ceux qui croyaient que le Christ devait venir avec ceux qui croyaient qu'il est venu. Tous ceux donc qui sont venus en dehors de lui sont des voleurs et des larrons, c'est-à-dire, qu'ils ne sont venus que pour voler et pour tuer. Mais les brebis, c'est-à-dire ceux dont saint Paul a dit : « Le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent, » (2 Tm 2) ne les ont point écoutés. Les brebis n'ont donc pas écouté ceux en qui n'était point la voix de Jésus-Christ, c'étaient des maîtres d'erreur et de mensonge qui ne pouvaient que séduire des âmes infortunées.

 

Il explique ensuite pourquoi il s'est appelé la porte : « Je suis la porte, si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé. » — ALCUIN. C'est-à-dire, les brebis ne les écoutent point ; mais ils m'écoutent, parce que je suis la porte, et que celui qui entrera par moi sans artifice, en toute sincérité, et en toute persévérance, sera sauvé. — THEOPHYL. Or, le Seigneur conduit ses brebis aux pâturages par la porte : « Et il entrera, et il sortira, et il trouvera des pâturages. » Quels sont ces pâturages ? ce sont les délices du ciel, et ce repos dans lequel Nôtre-Seigneur nous fera entrer. — S. AUG. (Traité 45.) Mais que signifient ces paroles : « Il entrera et il sortira ? » Entrer dans l'Eglise par la porte elle-même est une excellente chose, mais il n'est pas aussi avantageux de sortir de l'Eglise. On peut donc dire que nous entrons, quand nous avons quelque pensée au dedans de nous, et que nous sortons quand nous agissons au dehors, selon ces paroles : « L'homme sortira pour accomplir son œuvre. » (Ps 103) — THEOPHYL. Ou bien encore, entrer c'est prendre soin de l'homme intérieur ; sortir, c'est mortifier en Jésus-Christ l'homme extérieur, c'est-à-dire les membres qui sont sur la terre. (Col 3) Celui qui agit ainsi trouvera des pâturages dans la vie future. — S. CHRYS. (hom. 59.) Peut-être encore ces paroles doivent s'entendre des Apôtres, qui entrèrent et sortirent librement comme les maîtres du monde entier, sans que personne les en pût chasser ou les empêcher de trouver leur nourriture.

 

S. AUG. (Traité 41) Mais j'aime mieux voir ici un avertissement que la vérité elle-même, comme un bon pasteur, nous confirme dans les paroles qui suivent : « Le larron ne vient que pour dérober, pour égorger, et pour détruire. » — ALCUIN. Paroles dont voici le sens : Les brebis ont raison de ne pas écouter la voix du larron, parce qu'il ne vient que pour voler, en dérobant ce qui ne lui appartient pas, c'est-à-dire, en persuadant à ceux qui le suivent de vivre conformément à ses exemples, au lieu de leur enseigner les préceptes de Jésus-Christ. Le Sauveur ajoute : « Et pour égorger, » en les détournant de la foi par sa doctrine pernicieuse, « et pour les perdre, » en les précipitant dans l’éternelle damnation. Les larrons ne font donc que voler et égorger ; « mais je suis venu pour qu'elles aient la vie, et une vie plus abondante. » — S. AUG. Je crois que Notre-Seigneur veut dire : Afin qu'elles aient la vie en entrant, c'est-à-dire au moyen de la foi, qui opère par la charité. (Gal 5) Cette foi les fait entrer dans la bergerie, pour leur donner la vie, parce que le juste vit de la foi. (Rom 1, 17.) Il ajoute : « Et une vie plus abondante en sortant, » c'est-à-dire, quand les vrais fidèles sortent de cette vie, et entrent en possession d'une vie plus abondante, qui est pour toujours à l'abri de la mort. Car, bien que sur la terre même, et dans la bergerie, les pâturages ne leur aient pas manqué, ils trouveront alors des pâturages où ils seront pleinement rassasiés, tels que les a trouvés celui à qui Jésus a dit : « Aujourd'hui vous serez avec moi dans le paradis. » — S. GREG. (hom. 13, sur Ezech.) Il entrera donc pour recevoir la foi, il sortira pour entrer dans la claire vision, et il trouvera des pâturages là où son âme sera éternellement rassasiée.

 

S. CHRYS. (hom. 59.) Ces paroles : « Le voleur ne vient que pour dérober, pour égorger et pour perdre, » s'appliquent à tous les auteurs de révolte ou de sédition, et elles se sont vérifiées à la lettre dans tous ceux qui ont été misa mort pour les avoir suivis, et qui ont ainsi perdu même la vie présente. Mais pour moi, je suis venu pour le salut de tous, pour qu'ils aient la vie, et une vie plus abondante dans le royaume des cieux, et c'est la troisième différence qui le distinguo, des faux prophètes. — THEOPHYL. Dans le sens allégorique, le voleur est le démon qui vient par la tentation pour dérober, par les pensées coupables qu'il inspire, égorger par le consentement, et perdre par les actes.

 

Vv. 11-13.

 

S. AUG. (Traité 46 sur S. Jean.) Notre-Seigneur nous a déjà expliqué deux choses qu'il nous avait proposées sous le voile de la parabole ; nous savons déjà qu'il est lui-même la porte, nous savons qu'il est lui-même le pasteur ; il va maintenant prouver qu'il est le bon pasteur : « Je suis le bon pasteur. » (Traité 47.) Il avait dit précédemment que le pasteur entre par la porte ; si donc il est lui-même la porte, comment peut-il entrer par lui-même ? Le Fils de Dieu connaît le Père par lui-même, et nous ne le connaissons que par lui ; ainsi il entre dans la bergerie par lui-même, tandis que nous n'y entrons que par lui. Nous, qui prêchons Jésus-Christ, nous entrons par la porte ; Jésus-Christ, au contraire, se prêche lui-même, car la lumière se manifeste elle-même en découvrant les autres objets qu'elle éclaire. (Traité 46.) Si les chefs de l'Eglise, qui sont ses enfants, sont pasteurs, comment peut-il dire qu'il n'y a qu'un seul pasteur, si ce n'est parce qu'ils sont tous les membres d'un seul et même pasteur ? (Traité 47.) Il a communiqué à ses membres son titre et ses fonctions de pasteur ; ainsi Pierre est pasteur, les autres apôtres sont pasteurs, tons les saints apôtres sont eux-mêmes pasteurs. Mais personne d'entre nous n'ose se dire la porte ; c'est une prérogative que le Sauveur s'est réservée à l'exclusion de tout autre. Il n'aurait pas ajouté au nom de pasteur la qualification de bon, s'il n'y avait de mauvais pasteurs ; ce sont les voleurs et les larrons, ou du moins les mercenaires, qui sont en grand nombre. — S. GREG. (hom. 14 sur les Evang.) Il propose ensuite à notre imitation l'exemple de sa bonté et de son dévouement pour ses brebis. « Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. » Il a fait lui-même ce qu'il nous enseigne ; il pratique le commandement qu'il nous a impose, il a donné sa vie pour ses brebis, afin de faire de son corps et de son sang un véritable sacrement pour nous, et rassasier de sa chair, devenue notre aliment, les brebis qu'il avait rachetées, il nous a tracé, pour que nous la suivions, la voie du mépris de la mort ; il nous a donné le modèle que nous devons reproduire. Notre premier devoir est de distribuer charitablement nos biens à ses brebis ; le second, de sacrifier généreusement, s'il le faut, notre vie pour elles. Mais celui qui ne sacrifie même pas ses biens pour ses brebis, quand sera-t-il disposé à sacrifier sa vie ?

 

S. AUG. (Traité 47) Or, le Christ n'est pas le seul qui ait donné personnellement cette preuve de charité, et cependant on peut dire que c'est lui seul qui l'a donnée, dans la personne de ceux qui étaient ses membres ; car lui seul pouvait la donner sans eux, tandis qu'ils ne pouvaient, sans lui, accomplir cet acte de dévouement. — S. AUG. (Serm. 50 sur les paroles du Seig.) Tous cependant ont été de bons pasteurs, non-seulement parce qu'ils ont versé leur sang, mais parce qu'ils l'ont versé pour leurs brebis, et qu'ils l'ont versé non par orgueil, mais par charité. Il est des hérétiques, en effet, qui osent décorer du nom de martyre les tribulations qu'ils ont pu souffrir à cause de leurs erreurs et de leurs iniquités, et qui se couvrent de ce manteau pour pouvoir plus facilement voler et piller, parce qu'ils sont de véritables loups. Mais gardons-nous de croire que tous ceux qui livrent leur corps au supplice même du feu versent leur sang pour les brebis, c'est bien plutôt contre elles qu'elles le versent. Car, comme dit l'Apôtre : « Quand je livrerai mon corps pour être brûlé, si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien. » (1 Co 13) Or, comment peut-on prétendre avoir le moindre degré de charité, quand on n'aime pas l'unité de la communion chrétienne ? C'est pour nous recommander cette unité que le Seigneur ne veut point dire qu'il y a plusieurs pasteurs, mais un seul, en disant : « Je suis le bon pasteur. »

 

S. CHRYS. (hom. 89 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur en vient ensuite à parler de sa passion, et à montrer qu'elle avait pour objet le salut du monde, et qu'il allait volontairement au-devant d'elle. Puis il expose de nouveau les signes distinctifs du pasteur et du mercenaire. « Mais le mercenaire et celui qui n'est pas le pasteur, à qui les brebis n'appartiennent pas, voit venir le loup, laisse là les brebis et s'enfuit. » — S. GREG. Il en est quelques-uns qui, en préférant dans leur affection les avantages de la terre, aux brebis elles-mêmes, perdent justement le nom de pasteur ; car celui qui ne conduit pas ses brebis par un sentiment d'amour, mais pour un gain terrestre, n'est pas un pasteur, c'est un mercenaire. Le mercenaire, en effet, est celui qui tient la place du pasteur, mais ne cherche pas l'intérêt des âmes, ne soupire qu'après les richesses de la terre, et se complaît dans les prérogatives de sa dignité. — S. AUG. (Serm. 49 sur les par. du Seig.) Il cherche donc dans l'Eglise autre chose que Dieu ; s'il cherchait Dieu, il serait chaste, car le légitime époux de l'âme c'est Dieu, et celui qui demande à Dieu autre chose que Dieu lui-même, ne le cherche pas avec des dispositions pures.

 

S. GREG. — Ce n'est, du reste, que dans les temps d'épreuve qu'on peut distinguer parfaitement le pasteur du mercenaire ; dans les temps de paix, le mercenaire veille ordinairement à la garde du troupeau comme le véritable pasteur : mais lorsque le loup survient, il découvre les vrais motifs qui inspiraient cette vigilance. — S. AUG. (Serm. 49 sur les par. du Seign.) Le loup, c'est le démon et tous ceux qui font profession de le suivre ; car, Nôtre-Seigneur lui-même nous dit que, tout revêtus qu'ils sont de peaux de brebis, ils sont au dedans des loups ravisseurs. (Mt 7) — S. AUG. (Traité 46 sur S. Jean.) Voici que le loup saisit la brebis à la gorge, le démon persuade à un fidèle de commettre un adultère, vous devez l'excommunier ; mais cette excommunication le rendra votre ennemi déclaré, il vous tendra des pièges, et vous nuira autant qu'il le pourra ; vous gardez le silence, vous ne lui faites aucun reproche ; vous avez vu le loup qui venait, et vous vous êtes enfui ; vous êtes resté de corps, mais vous vous êtes enfui d'esprit ; car c'est par les affections que notre âme se meut, elle se répand par la foi, se resserre par la tristesse, marche par le désir, et s'enfuit par la crainte. — S. GREG. Le loup vient encore fondre sur les brebis toutes les fois qu'un homme injuste ou ravisseur opprime les fidèles et les humbles. Or, celui qui n'avait que l'extérieur du pas-leur et ne l'était pas en effet, laisse les brebis et s'enfuit à son approche, parce que le danger qu'il redoute pour lui le rend incapable de résister à l'injustice ; et il s'enfuit non pas en changeant de lieu, mais en privant ses brebis de son appui. A la vue des dangers que court son troupeau, le mercenaire n'est enflammé d'aucun sentiment de zèle ; et il supporte avec indifférence les maux qui viennent fondre sur ses brebis, parce qu'il n'est préoccupé que de ses intérêts personnels. « Le mercenaire s'enfuit, » etc. L'unique raison pour laquelle le mercenaire s'enfuit, c'est qu'il est mercenaire ; et voici le sens de ces paroles : Celui qui dirige les brebis non par un sentiment d'amour, mais en vue d'un gain sordide, ne peut supporter le danger qui menace les brebis, et il redoute de l'affronter, parce qu'il craint de perdre ce qu'il aime.

 

S. AUG. (Tr. 46 sur S. Jean.) Les Apôtres étaient des pasteurs et non des mercenaires, et pourquoi donc fuyaient-ils devant la persécution, obéissant en cela au conseil du Sauveur : « S'ils vous persécutent, fuyez » (Mt 10, 23.) Frappons, quelqu'un nous ouvrira. — S.AUG. (Lett. 180 à Honor.) Les serviteurs de Jésus-Christ, les ministres de sa parole et de ses sacrements peuvent fuir de ville en ville, peuvent fuir de ville en ville,et spécial de la haine des persécuteurs, à la condition que l'Eglise ne soit pas abandonnée par ceux qu'épargne la persécution. Mais lorsque le danger devient commun pour tous, pour les évoques, pour les clercs, pour les simples fidèles, ceux qui ont besoin du ministère de leurs frères, ne doivent pas être abandonnés par eux. Que tous donc s'enfuient alors dans des lieux de sûreté, ou que ceux qui sont obligés de rester ne soient pas privés du ministère de ceux qui doivent pourvoir à leurs besoins spirituels. Ainsi il est permis aux ministres de Jésus-Christ, de fuir devant la persécution, quand ils ne laissent pas derrière eux tout un peuple qui réclame leur ministère, ou lorsque ce ministère peut être rempli par ceux qui n'ont pas les mêmes raisons de fuir. Mais si le peuple est obligé de rester et que les ministres le laissent sans secours en s'enfuyant, c'est la fuite honteuse et inexcusable des mercenaires qui n'ont aucun souci de leurs brebis.

 

S. AUG. (Traité 46 sur S. Jean.) Parmi les bons, il nous faut donc compter la porte, le portier, le pasteur et les brebis ; parmi les mauvais, les voleurs, les larrons, les mercenaires et les loups. — S. AUG. (serm. 49 sur les par. du Seig.) Il faut aimer le pasteur, se garder du voleur, supporter le mercenaire, car le mercenaire peut être utile tant qu'il ne voit point le loup, le voleur ou le larron, mais à leur vue seule, il s'enfuit. — S. AUG. (Traité 46 sur S. Jean.) On ne lui donne le nom de mercenaire, que parce qu'il est payé par celui qui le loue. Les enfants attendent patiemment l'héritage de leur père, le mercenaire soupire ardemment après le salaire qu'il regarde comme le prix de son travail, et cependant la gloire du divin Sauveur se répand par la bouche de chacun d'eux. Le mercenaire n'est donc nuisible que lorsqu'il fait mal et non lorsqu'il annonce la bonne doctrine : cueillez le raisin, gardez-vous des épines. Quelquefois, en effet, la grappe de raisin qu'a produite le cep de vigne, pend aux branches d'un buisson ; il en est beaucoup dans l'Eglise, qui cherchent leurs avantages temporels en prêchant Jésus-Christ, la voix de Jésus-Christ se l'ait entendre par eux, et les brebis suivent alors, non pas le mercenaire, mais la voix de Jésus-Christ qui se fait entendre par le mercenaire.

 

Vv. 14-21.

 

S. CHRYS. (hom. 60 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur a fait connaître dans ce qui précède l'existence de deux mauvais maîtres, l'un qui vole, égorge et pille, l'autre qui ne s'y oppose point ; par le premier il veut représenter les auteurs de sédition ; et par le second, confondre les docteurs des Juifs, qui ne veillaient point sur les brebis qui leur étaient confiées. Il se sépare nettement de ces deux maîtres, d'abord de ceux qui ne venaient que pour perdre en disant : « Je suis venu pour qu'elles aient la vie, » et ensuite de ceux qui voient avec indifférence les rapines des loups, en déclarant qu'il donne sa vie pour ses brebis, et comme conclusion de tout ce qui précède, il dit : « Je suis le bon pasteur. » Mais comme il venait de dire que les brebis entendent la voix du pasteur et le suivent, on pouvait lui objecter : « Que dites-vous donc de ceux qui ne croient point en vous ; » il ajoute donc : « Et je connais mes brebis, » etc. Vérité que saint Paul confirme, lorsqu'il dit : « Dieu n'a pas rejeté son peuple qu'il a connu dans sa prescience. » — S. CHRYS. Il semble dire ouvertement : J'aime mes brebis, et leur amour pour moi est le principe de leur obéissance, car celui qui n'aime pas la vérité n'en a pas la moindre intelligence. — THEOPHYL. Vous pouvez conclure de là quelle différence sépare le pasteur du mercenaire, le mercenaire ne connaît pas les brebis, parce qu'il les visite rarement ; le pasteur les connaît en vertu de la sollicitude qu'il a pour son troupeau.

 

S. CHRYS. Gardez-vous de croire cependant que la connaissance de Jésus-Christ et celle des brebis soit la même : « Comme mon Père me connaît, ajoute-t-il, et que moi-même je connais mon Père, » etc., c'est-à-dire, je le connais avec autant de certitude qu'il me connaît lui-même, la connaissance du Père et du Fils est donc la même, il n'en est pas de même de la connaissance des brebis, car il ajoute : « Et je donne ma vie pour mes brebis. » — S. GREG. (hom. 14.) La preuve évidente que je connais mon Père, et que mon Père me connaît, c'est que je donne ma vie pour mes brebis, c'est-à-dire, la charité qui me porte à sacrifier ma vie pour mes brebis, fait voir la grandeur de l'amour que j'ai pour mon Père. — S. CHRYS. Il prouve un môme temps qu'il n'est pas un imposteur, de même que le grand Apôtre voulant prouver contre les faux apôtres qu'il était un véritable maître, puisait ses raisons dans les dangers qu'il avait courus et dans les périls de mort auxquels il avait été exposé. — THEOPHYL. En effet, les séducteurs n'ont jamais exposé leur vie pour leur brebis, mais comme des mercenaires, ils ont abandonné ceux qui les suivaient, et le Sauveur, pour qu'on ne se saisît pas de la personne de ses disciples, dit à ses ennemis : « Laissez-les aller ».

 

S. GREG. Cependant comme le Sauveur était venu racheter, non-seulement les Juifs, mais les Gentils, il ajoute : « J'ai encore d'autres brebis qui ne sont point de cette bergerie. » — S. AUG. (serm. 50 sur les par. du Seig.) Il s'adressait tout d'abord au bercail qui était composé des enfants d'Israël par le sang, il y en avait d'autres qui en faisaient partie par la foi, ils étaient encore au milieu des Gentils, ils étaient prédestinés, mais ils n'étaient pas encore réunis. Ils ne sont donc pas encore de cette bergerie, parce qu'ils n'appartiennent point par le sang à la race d'Israël, mais ils en feront un jour partie d'après la parole du Sauveur : « Il faut que je les amène, » etc. — S. CHRYS. (hom. 60.) Il nous apprend ainsi que les uns et les autres étaient dispersés et n'avaient point de pasteurs : « Et ils entendront ma voix, » paroles dont voici le sens : Pourquoi vous étonner que les premiers me suivront et entendront ma voix, quand vous verrez les autres eux-mêmes se mettre à ma suite et écouter ma voix ? Il prédit ensuite l'union future des deux troupeaux : « Et il n'y aura qu'une bergerie et qu'un pasteur. » — S. GREG. Il ne fait de ces deux troupeaux qu'une seule bergerie, parce qu'il unit dans les liens d'une seule et même foi les Juifs et les Gentils. — THEOPHYL. Tous deux, en effet, n'ont qu'un seul et même sacrement du baptême, un seul et même pasteur qui est le Verbe de Dieu. Que les manichéens comprennent donc ici que l'Ancien et le Nouveau Testament n'ont qu'un seul pasteur et un seul bercail. — S. AUG. (Traité 17.) Que signifient alors ces paroles : « Je ne suis envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël ? » C'est que le peuple d'Israël seul a joui de sa présence corporelle, et qu'il n'a pas été en personne vers les Gentils, mais qu'il leur a envoyé ses Apôtres.

 

S. CHRYS. (hom. 60.) Ce mot : « Il faut, » n'exprime pas la nécessité, mais la certitude de l'événement, et comme les Juifs prétendaient que Jésus était en opposition avec le Père, il ajoute : « Mon Père m'aime, parce que je donne ma vie pour la reprendre. » — S. AUG. C'est-à-dire, parce que je meurs pour ressusciter. Remarquez la force de cette expression : « Je donne ma vie. » Que les Juifs cessent de se glorifier, ils pourront se déchaîner contre moi, mais si je ne consens à donner ma vie, à quoi peuvent aboutir les efforts de leur fureur ? Or, l'amour que le Père a pour le Fils, n'est pas comme le prix de la mort qu'il doit soutenir, mais il l'aime en contemplant dans ce Fils qu'il a engendré sa propre nature, alors qu'en vertu de ce même amour, il consent à donner sa vie pour nous.

 

S. CHRYS. (hom. 60.) On peut dire encore qu'en parlant de la sorte, il s'accommode à notre faiblesse et veut nous dire : Quand il n'y aurait pas d'autre motif, ce qui me porte à vous aimer, c'est l'amour que mon Père a pour vous, amour qui est si grand, qu'il m'aime moi-même, parce qu'il me voit disposé à mourir pour vous. Il ne faut pas toutefois l'entendre dans ce sens, que le Père n'aimait pas auparavant son Fils, et que nous soyons la cause de cet amour. Le Sauveur veut encore prouver que ce n'est point malgré lui qu'il a enduré les souffrances de sa passion : a Personne, dit-il, ne me la ravit, mais je la donne de moi-même. » — S. AUG. (de la Trin., 4, 13.) Ces paroles sont la preuve que sa mort n'a été l'effet et la suite d'aucun péché personnel, mais qu'il est mort parce qu'il l'a voulu, quand il l'a voulu, et de la manière qu'il l'a voulu : « Et j'ai le pouvoir de la donner, et le pouvoir de la reprendre. » — S. CHRYS. Combien de fois les Juifs avaient formé le projet de le mettre à mort, il leur déclare donc que tous leurs efforts sont inutiles, s'il ne consent à donner sa vie. J'ai tellement le pouvoir de la donner, dit-il, que personne ne peut me l'arracher malgré moi, pouvoir qui n'appartient pas à tous les hommes. Ainsi nous n'avons le pouvoir de donner notre vie qu'en nous donnant la mort à nous-mêmes, et Nôtre-Seigneur a le véritable pouvoir de la donner. De cette vérité suit nécessairement cette autre qu'il a le pouvoir de reprendre sa vie, et il donne ainsi une preuve certaine de sa résurrection. Mais comme ils auraient pu penser qu'après qu'ils l'auraient mis à mort, il serait abandonné de son Père, il ajoute : « J'ai reçu de mon Père ce commandement, » c'est-à-dire, de donner ma vie et de la reprendre. Ne croyons pas cependant qu'il ait attendu que ce commandement lui ait été donné, et qu'il ait eu besoin de l'apprendre, il veut simplement montrer ici que sa volonté est libre, et détruire tout soupçon d'opposition entre lui et son Père. — THEOPHYL. Ce commandement, en effet, n'exprime autre chose que la parfaite harmonie entre son Père et lui. — ALCUIN. Et ce n'est point par une parole extérieure, que le Verbe a reçu ce commandement, car tout commandement a sa racine dans le Verbe, Fils unique du Père. Lors donc qu'on dit du Fils, qu'il reçoit ce qu'il possède, par sa nature, ce n'est point pour amoindrir sa puissance, mais pour prouver sa génération, car c'est par la génération que le Père a tout donné à son Fils, qu'il a engendré dans toute sa perfection.

 

THEOPHYL. Après avoir parlé de lui-même en termes aussi relevés et s'être donné pour le maître de la mort et de la vie ; le Sauveur tempère de nouveau son langage, et unit ainsi les choses les plus contraires dans une admirable harmonie, afin que nous le considérions, non comme inférieur à son Père, ni comme son adversaire, mais comme possédant le même pouvoir et la même sagesse.

 

S. AUG. (Traité 47.) La manière dont Nôtre-Seigneur parle ici de son âme, nous prémunit contre l'erreur des apollinaristes, qui prétendent que Jésus-Christ n'a pas eu d'âme humaine, c'est-à-dire, une âme intelligente et raisonnable. Dans quel sens donc Nôtre-Seigneur dit-il qu'il a le pouvoir de donner son âme ou sa vie ? Jésus-Christ est à la fois Verbe et homme, c'est-à-dire, Verbe, âme et chair ; or, est-ce comme Verbe qu'il donne son âme ou sa vie et qu'il la reprend ? Ou bien est-ce en tant qu'il est une âme humaine que l'âme se donne et qu'elle se reprend ? Ou bien encore est-ce en tant qu'il est chair, que la chair donne son âme ou la reprend ? Si nous disons que le Verbe de Dieu a donné son âme et l'a reprise, donc cette âme a été pendant un certain temps séparée du Verbe de Dieu, puisque la mort sépare l'âme du corps, mais non, l'âme n'a jamais été séparée du Verbe. Si nous disons au contraire que l'âme elle-même s'est donnée, c'est une proposition absurde, car si elle ne pouvait être séparée du Verbe, pouvait-elle être séparée d'elle-même ? C'est donc la chair qui laisse son âme pour la reprendre ensuite, non cependant par sa puissance, mais par la puissance du Verbe qui habitait en elle.

 

ALCUIN. Et comme la lumière luisait dans les ténèbres, et que les ténèbres ne l'ont point comprise, l'Evangéliste ajoute : « Il s'éleva de nouveau une dissension parmi les Juifs, à l'occasion de ce discours, plusieurs d'entre eux disaient : Il est possédé du démon et il a perdu le sens. » — S. CHRYS. Ses enseignements dépassaient la portée de l'intelligence humaine, ils l'accusaient doue d'être possédé du démon ; mais il trouve des défenseurs qui savent bien le venger de cette accusation par les œuvres qu'il a faites : « D'autres disaient : Ce ne sont pas là les paroles d'un homme possédé du démon, est-ce que le démon peut ouvrir les yeux des aveugles ? » C'est-à-dire, ces paroles ne sont pas celles d'un homme possédé du démon, mais si elles ne suffisent point pour vous convaincre, laissez-vous an moins persuader par les œuvres. Après cette démonstration tirée des faits eux-mêmes, Nôtre-Seigneur se tait sur le reste, car ils n'étaient pas dignes qu'il leur répondit. Il nous enseigne aussi à pratiquer dans toute leur étendue la douceur et la longanimité. D'ailleurs ils se réfutaient eux-mêmes les uns les autres par les divisions qui existaient entre eux.

 

Vv. 22-30.

 

ALCUIN. Nous avons entendu le récit de la patience du Seigneur, et comment les outrages dont il est l'objet ne peuvent interrompre pour lui le ministère de la prédication du salut, mais les Juifs, plus que jamais endurcis, cherchaient à le tenter plutôt qu'à lui obéir, voici dans quelles circonstances : « Or, c'était à Jérusalem la fête de la Dédicace. » — S. AUG. (Traité 48.) Le mot encœnia signifiait la fête de la Dédicace du temple, car le mot grec χαινόν veut dire nouveau, et on appelait encœnia, toute dédicace de chose nouvelle. — S. CHRYS. (hom. 61.) C'était l'anniversaire du jour où le temple fut de nouveau consacré, au retour des Juifs de la captivité de Babylone. — THEOPHYL. Ils célébraient cette fête avec une grande pompe, il leur semblait que la ville de Jérusalem avait recouvré tout son éclat après une si longue captivité. — ALCUIN. Ou bien encore, cette dédicace était l'anniversaire de celle qu'avait faite Judas le Machabée, car la première dédicace avait été faite par Salomon en automne, la seconde par Zorobabel et Jésus au printemps, et celle-ci avait lieu en hiver, comme le remarque l'Evangéliste : « Et c'était l'hiver. » — BEDE. Nous lisons en effet, qu'il fut établi sous Judas Machabée, que l'anniversaire de cette dédicace aurait lieu solennellement tous les ans.

 

BEDE. L'Evangéliste précise l'époque de cette fête qui avait lieu en hiver, pour nous faire comprendre que le temps de la passion était proche, car ce fut au printemps suivant qu'eut lieu la passion du Sauveur, et c'est pour cela qu'il se trouvait alors à Jérusalem. — S. GREG. (2 Mor., 2.) On bien encore, il fait mention de la saison d'hiver pour exprimer la froide méchanceté qui avait gagné les cœurs des Juifs.

 

S. CHRYS. Nôtre-Seigneur s'était rendu avec un grand empressement à cette solennité, et il restait d'ailleurs de préférence dans la Judée, parce que sa passion approchait : «  Et Jésus se promenait dans le temple, sous le portique de Salomon. » — ALCUIN. On appelait portique de Salomon, celui où ce roi se tenait ordinairement pour la prière, et qui pour cette raison avait reçu son nom, car ces portiques qui entouraient le temple, tiraient leur nom de la partie du temple qu'ils entouraient. Or, si le Fils de Dieu a voulu fréquenter le temple où l'on n'offrait que la chair des animaux sans raison, combien plus aimera-t-il à visiter notre maison de prière où se fait la consécration de sou corps et de son sang.

 

THEOPHYL. Efforcez-vous aussi pendant la durée de l'hiver, c'est-à-dire, durant cette vie présente si souvent agitée par les tempêtes de l'iniquité, de célébrer la dédicace spirituelle de votre temple, en vous renouvelant sans cesse vous-même et en disposant dans votre cœur les degrés qui vous élèvent jusqu'à Dieu, alors Jésus viendra à votre rencontre sous le portique de Salomon, et vous fera jouir d'une paix assurée sous son propre toit. Mais dans la vie future, nous n'aurons plus à célébrer les fêtes solennelles de la dédicace.

 

S. AUG. Comme le feu de la charité s'était éteint dans le cœur des Juifs, et qu'ils brûlaient au contraire de l'ardeur de faire le mal, ce n'est point la foi qui les amenait à Jésus, c'est le désir de le persécuter : « Les Juifs donc l'entourèrent et lui dirent : Jusques à quand tiendrez-vous notre esprit en suspens ? Si vous êtes le Christ, dites-nous-le ouvertement. » Ils lui font cette question, non qu'ils désirent connaître la vérité, mais pour trouver occasion de le calomnier. — S. CHRYS. (hom. 61.) Ils ne peuvent incriminer aucune de ses actions, ils désiraient donc trouver dans ses paroles un sujet d'accusation. Et voyez jusqu'où va leur perversité : lorsqu'il les enseigne par ses paroles, ils lui disent : « Quel miracle faites-vous ? » S'il fait des miracles pour démontrer sa divinité, ils viennent lui dire : « Si vous êtes le Christ, dites-le nous ouvertement, » tant ils sont dominés par l'esprit de contradiction. Remarquez encore quelle haine dans ces paroles : « Si vous êtes le Christ, dites-le nous ouvertement. » Mais Jésus parlait toujours en public, il assistait à toutes les grandes solennités, et ne disait rien en secret. Ils commencent toutefois par un langage plein de flatterie : « Jusques à quand tiendrez vous notre âme en suspens ? » pour le provoquer et le faire tomber dans un piège. — ALCUIN. Ils reprochent à celui qui était venu sauver les âmes de tenir leur âme en suspens et dans l'incertitude.

 

S. AUG. Ils cherchaient à obtenir du Sauveur cet aveu : « Je suis le Christ, » et comme ils n'avaient du Christ que des idées tout humaines, et qu'ils ne comprenaient point sa divinité prédite par les prophètes, s'il leur avait répondu qu'il était le Christ, ils l'auraient accusé d'usurper la puissance royale d'après la croyance où ils étaient que le Christ devait sortir de la race de David. — ALCUIN. Ils pensaient donc à le livrer au gouverneur pour le faire punir comme usurpateur du pouvoir de l'empereur Auguste, mais Nôtre-Seigneur leur répond de manière à fermer la bouche des calomniateurs, à faire connaître aux fidèles qu'il est vraiment le Christ, et à dévoiler les mystères de sa divinité à ceux qui ne l'interrogeaient que sur son humanité : « Jésus leur répondit : Je vous parle et vous ne me croyez point. » — S. CHRYS. (hom. 61.) Comme ils paraissaient vouloir se rendre à l'évidence seule de ses paroles, eux que tant d'œuvres miraculeuses n'avaient pu persuader, il confond leur malice et semble leur dire : Si vous ne croyez pas à mes œuvres, comment croirez-vous à mes paroles ? et il leur fait connaître la raison de leur peu de foi : « Mais vous ne croyez point, parce que vous n'êtes point de mes brebis. » — S. AUG. (Traité 48.) Il leur tient ce langage, parce qu'il les voyait prédestinés à la mort éternelle et privés à jamais de la vie éternelle qu'il avait acquise par son sang, car ce qui fait les brebis c'est leur foi et leur obéissance à leur pasteur.

 

THEOPHYL. Après leur avoir déclaré qu'ils ne sont point de ses brebis, il les engage ensuite à le devenir, et leur en donne le moyen : « Mes brebis, leur dit-il, entendent ma voix. » — ALCUIN. C'est-à-dire, elles obéissent de cœur à mes préceptes, « et je les connais, » c'est-à-dire, je les choisis, « et elles me suivent, » en marchant ici dans les voies de la douceur et de l'innocence, et en entrant ensuite dans les joies de la vie éternelle : « Et je leur donne la vie éternelle. » — S. AUG. (Traité 48.) Ce sont les pâturages dont il avait dit précédemment : « Il trouvera des pâturages. » Ce pâturage excellent, c'est la vie éternelle, où l'herbe, loin de se flétrir, conserve toute sa verdure, mais pour vous, vous cherchez à me calomnier, parce que vous ne songez qu'à la vie présente : « Et elles ne périront pas à jamais ; » ajoutez ce qu'il sous-entend : Pour vous, vous périrez éternellement, parce que vous n'êtes pas de mes brebis. — théophyl. Mais comment Judas a-t-il péri ? Parce qu'il n'a point persévéré jusqu'à la fin. Or, Jésus-Christ ne veut parler ici que de ceux qui persévèrent, car si quelques brebis se séparent du troupeau, et cessent de suivre le pasteur, elles s'exposent aussitôt aux plus grands dangers.

 

S. AUG. (Traité 48.) Il explique ensuite pourquoi ses brebis ne périssent point ; les brebis dont il est dit : « Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui, » (2 Tm 2) ni le loup ne les ravit, ni le voleur ne les enlève, ni le larron ne les égorge, celui qui sait le prix qu'elles lui ont coûté est assuré de n'en perdre aucune. — S. HIL. (de la Trin., 7) Cette parole est le témoignage d'une puissance qui a conscience d'elle-même ; mais comme tout en ayant la nature même de Dieu, il faut cependant admettre qu'il est né de lui ; il ajoute : « Ce que mon Père m'a donné est plus grand que toutes choses. » Il ne dissimule point qu'il est né du Père, car ce qu'il a reçu du Père, il l'a reçu par sa naissance, et non dans la suite. — S. AUG. En effet, le Fils qui est né du Père, Dieu de Dieu, n'est point devenu son égal par un accroissement successif, il l'est par sa naissance seule. Voilà donc ce que mon Père m'a donné, et ce qui est plus grand que toutes choses, c'est que je suis son Verbe, son Fils unique, la splendeur de sa lumière. On ne peut donc ravir mes brebis d'entre mes mains, parce qu'on ne peut les ravir d'entre les mains de mon Père : « Et nul ne peut ravir ce qui est entre les mains de mon Père. » Si par la main nous entendons la puissance, le Père et le Fils ont une seule et même puissance, parce qu'ils ont une seule et même divinité ; mais si par la main nous entendons le Fils, c'est le Fils qui est la main du Père, ce qui ne veut point dire que Dieu le Père ait des membres comme ceux du corps de l'homme, mais qu'il a tout fait par son Fils. (Jn 1, 3.) C'est ainsi que les hommes appellent leurs mains ceux de leurs semblables, qui sont les instruments de leurs volontés. Quelquefois même l'œuvre de l'homme est appelée sa main, parce qu'elle est le produit de sa main, c'est ainsi qu'on dit qu'un homme reconnaît sa main lorsqu'il reconnaît son écriture. Dans cet endroit la main doit s'entendre de la puissance du Père et du Fils, de peur qu'en appliquant exclusivement au Fils cette dénomination, une pensée toute charnelle ne nous fasse chercher le Fils du Fils. — S. HIL. (de la Trin., 7) La main du Fils est ici appelée la main du Père, pour vous faire comprendre par une comparaison sensible, qu'ils ont une puissance de même nature, parce que la nature et la puissance du Père se trouvent également dans le Fils.

 

S. CHRYS. Et afin que vous ne puissiez soupçonner que la puissance du Père vient au secours de la puissance du Fils, pour mettre les brebis en sûreté, Nôtre-Seigneur ajoute : « Mon Père et moi nous sommes un. » — S. AUG. (Traité 48.) Comprenez bien ces deux mots : « Un, » et : « Nous sommes, » et vous ne tomberez ni dans Charybde, ni dans Scylla. En disant : « Un, » il vous délivre d'Arius, et en disant : « Nous sommes, » il vous débarrasse de Sabellius ; s'il y a unité, il n'y a donc point de différence ; si : « Nous sommes, » il y a donc Père et Fils. — S. AUG. (de la Trin., 6) Il a dit : « Nous sommes un, » ce qu'il est, je le suis moi-même, quant à la nature, non quant à la relation de personne à personne. — S. HIL. (de la Trin., 8) Les hérétiques contraints d'avouer la vérité de ces paroles, s'efforcent de les dénaturer par leurs interprétations mensongères aussi ridicules qu'elles sont impies. Ils cherchent donc à les expliquer dans le sens d'unité parfaite de consentement ; il y a, disent-ils, unité de volonté, mais non unité de nature, c'est-à-dire, que le Père et le Fils sont un, non par leur essence, mais par la conformité parfaite de leur volonté. Ils sont un, non par le mystère d'une économie quelconque, mais par la génération de la nature divine, parce que la nature divine ne dégénère en aucune manière par cette génération. Ils sont un, en ce sens que ce qui ne peut être ravi d'entre les mains du Fils, ne peut être ravi d'entre les mains du Père ; parce que le Père agit en lui et en même temps que lui ; puisqu'il est dans le Père, et que le Père est en lui. Ce n'est point là l'effet d'une création, mais de la naissance ; ce n'est pas la volonté, mais la puissance qui agit ici, ce n'est point une simple unanimité de sentiments qui parle ici, c'est l'unité de nature. Nous ne nions donc pas l'unanimité de sentiments entre le Père et le Fils, ce que les hérétiques nous attribuent à tort en prétendant que nous n'admettons point cette unanimité entre le Père et le Fils, parce que nous voulons voir ici autre chose que l'unanimité. Qu'ils comprennent donc dans quel sens nous affirmons cette unanimité ; le Père et le Fils sont un en nature, en honneur, en puissance, et une même nature ne peut avoir des volontés différentes.

 

Vv. 31-38.

 

S. AUG. (Traité 48.) Les Juifs ne purent supporter ces paroles : « Mon Père et moi nous sommes un, » et obéissant à leur dureté habituelle, ils coururent chercher des pierres pour les lui jeter : « Alors les Juifs prirent des pierres pour le lapider. » — S. HIL. (de la Trin., 7) Maintenant que le Seigneur est assis an plus haut des cieux, les hérétiques refusent encore d'obéir à ses paroles par le même sentiment d'incrédulité, et le poursuivent de leur haine sacrilège ; ils lancent contre lui leurs impiétés comme autant de pierres, et s'ils le pouvaient, ils le renverseraient de son trône pour l'attacher de nouveau à la croix.

 

THEOPHYL. Mais le Sauveur voulant leur prouver que leur fureur contre lui n'a aucune raison d'être, leur rappelle les prodiges qu'il avait opérés : « J'ai fait devant vous beaucoup d'œuvres excellentes, » etc. — ALCUIN. C'est-à-dire, les guérisons des infirmes, l'éclat de ma doctrine et de mes miracles, dont mon Père était le principe comme je vous l'ai déclaré, parce que j'ai toujours cherché sa gloire, pour laquelle donc de ces œuvres me lapidez-vous ? Ils sont forcés de reconnaître la multitude des bienfaits dont Jésus-Christ les a comblés, mais ils relèvent comme un blasphème ce qu'il a dit, qu'il était égal à son Père : « Les Juifs lui répondirent : Ce n'est pas pour aucune bonne œuvre que nous vous lapidons, mais à cause de votre blasphème, » etc. — S. AUG. C'est la réponse qu'ils font à cette parole du Sauveur : « Mon Père et moi nous ne sommes qu'un. » Voici donc que les Juifs ont compris ce que n'ont pas compris les Ariens, car la colère des Juifs vint de ce qu'ils comprirent bien qu'il ne pouvait dire : Mon Père et moi nous ne sommes qu'un, qu'autant qu'il y avait égalité parfaite entre son Père et lui. — S. hil. (de la Trin., 7) Le Juif dit : « Alors que vous êtes un homme ; » l'Arien : « Alors que vous êtes une créature, » et tous deux poursuivent : « Vous vous faites Dieu. » Les ariens, en effet, en font un Dieu d'une nature nouvelle et toute particulière, un Dieu d'un nouveau genre, ou plutôt un Dieu qui n'en est pas un, puisqu'ils prétendent qu'il n'est point Fils de Dieu par naissance, qu'il n'est point Dieu en vérité, et qu'il est tout simplement une créature plus excellente que les antres.

 

S. CHRYS. (hom. 61.) Nôtre-Seigneur, loin de détruire l'opinion où étaient les Juifs, qu'il se disait égal à Dieu, cherche au contraire à la confirmer : « Jésus leur repartit : N'est-il pas écrit dans votre loi, » etc. — S. AUG. C'est-à-dire, dans la loi qui vous a été donnée : « Je l'ai dit : Vous êtes des dieux. » Ce sont les paroles que Dieu adresse aux hommes dans les psaumes par son prophète. Le Sauveur comprend quelquefois sous le nom de loi, toutes les Ecritures ; en d'autres endroits il la distingue des écrits prophétiques : « A ces deux commandements se rattachent toute la loi et les prophètes. » (Mt 22) Quelquefois il divise les Ecritures en trois parties : « Il fallait que tout ce qui a été prédit de moi, dans la loi, dans les prophètes et dans les psaumes, fût accompli. » (Lc 14) Ici il comprend les psaumes sous le nom de loi, et voici son raisonnement : Si l'Ecriture appelle dieux ceux à qui la parole de Dieu a été adressée, et que l'Ecriture ne puisse être démentie, comment dites-vous à celui que le Père a sanctifié et envoyé dans le monde : Vous blasphémez, parce que j'ai dit : Je suis le Fils de Dieu ?

 

S. HIL. (de la Trin., 7) Le Sauveur, avant de démontrer que son Père et lui n'avaient qu'une seule et même nature, commence par repousser l'accusation aussi ridicule qu'outrageante, que les Juifs dirigeaient contre lui, qu'il se faisait Dieu, lorsqu'il était homme, car puisque ce nom était donné à de saints personnages, et que la parole de Dieu appuyait de son autorité irréfragable l'attribution faite de ce nom à de simples mortels, ce n'est donc point un crime pour lui de se faire Dieu, quand il n'aurait été qu'un homme, puisque la loi elle-même appelle Dieu ceux qui ne sont que des hommes. Et si les autres hommes peuvent prendre ce nom sans aucune usurpation sacrilège, à plus forte raison celui que le Père a sanctifié peut-il sans usurpation prendre ce nom et se dire le Fils de Dieu, puisqu'il surpasse tous les autres par la sanctification qu'il a reçue comme Fils, d'après ces paroles de saint Paul : « Qu'il était prédestiné Fils de Dieu en puissance, selon l'esprit de sanctification, » (Rm 1, 4) car toute cette réponse du Sauveur a trait à son humanité, et tend à établir que le Fils de Dieu est aussi le Fils de l'homme.

 

S. AUG. Ou bien encore, le Père l'a sanctifié, c'est-à-dire, lui a donné d'être saint eu l'engendrant, parce qu'il l'a engendré dans la plénitude de la sainteté. Or, si la parole de Dieu, adressée aux hommes, leur a donné le nom de dieux, comment le Verbe de Dieu ne serait-il pas Dieu lui-même ? Et si les hommes, en participant au Verbe de Dieu, deviennent eux-mêmes des dieux, comment le Verbe qui fait entrer en participation de lui-même, ne serait-il pas Dieu ? — THEOPHYL. Ou bien, il l'a sanctifié, c'est-à-dire, il a ordonné qu'il serait offert en sacrifice pour le monde, ce qui prouve qu'il n'est pas Dieu comme les autres hommes, car sauver le monde est une œuvre toute divine et bien au-dessus d'un homme déifié par la grâce.

 

S. CHRYS. (hom. 61.) Ou bien encore, Nôtre-Seigneur s'exprime d'abord en termes plus humbles de lui-même, pour faire recevoir plus facilement ses paroles, et s'élever ensuite à de plus hautes considérations : « Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez point. » Il prouve ainsi qu'il n'est en rien inférieur à son Père : et comme il était impossible de voir sa nature divine, il prouve que la ressemblance est l'identité des œuvres, la parfaite égalité de puissance. — S. HIL. (de la Trin., 7) Comment trouver place ici à une simple adoption, à un nom concédé par indulgence, pour nier qu'il soit le Fils de Dieu par nature, alors que les œuvres de la puissance du Père prouvent évidemment qu'il est le Fils de Dieu ? La créature ne peut prétendre ni à l'égalité ni à la ressemblance avec Dieu, et aucune nature créée ne peut lui être comparée en puissance. Or, le Fils déclare qu'il accomplit non pas ses œuvres, mais les œuvres de son Père, pour ne pas détruire par l'éclat de ses œuvres la vérité de sa naissance. Et comme le mystère de son incarnation, dans le sein de Marie, découvrait surtout en lui le Fils de l'homme et non le Fils de Dieu, il appuie notre foi sur ses œuvres : « Mais si je les fais, quand bien même vous ne voudriez pas me croire, croyez aux œuvres. » Pourquoi, en effet, le mystère de sa naissance humaine, de son humanité, nous empêcherait-il d'admettre sa naissance divine, puisque c'est sous le voile de l'humanité que la nature divine accomplit toutes ses œuvres ? Mais quelle est la vérité qu'il veut faire ressortir des œuvres du Père qu'il accomplit ? « Afin que vous connaissiez et que vous croyiez que mon Père est en moi, et moi dans mon Père, » c'est-à-dire que je suis le Fils de Dieu, ou en d'autres termes, que mon Père et moi ne sommes qu'un. — S. AUG. (Traité 48 sur S. Jean.) Le Fils de Dieu ne dit pas : Mon Père est en moi. et moi en lui, dans le sens que les hommes le peuvent dire ; car si nos pensées sont bonnes, nous sommes en Dieu, et si notre vie est sainte, Dieu est en nous. Lorsque nous participons à sa grâce et que nous recevons sa lumière, nous sommes en lui, et lui en nous. Mais pour le Fils unique de Dieu, il est dans le Père, et le Père est en lui, comme un égal est dans celui qui lui est égal.

 

Vv. 39-42.

 

BEDE. Nous voyons par le récit de l'Evangéliste que les Juifs persévèrent avec opiniâtreté dans leur égarement : « Les Juifs cherchaient donc à le prendre. » — S. AUG. (Traité 48) Ils cherchent à le prendre, non par la foi ou par l'intelligence, mais pour satisfaire leur haine contre lui en le mettant à mort. Vous le prenez pour l'avoir en votre possession, ils veulent le prendre pour se défaire de lui : « Et il s'échappa de leurs mains. » Ils ne purent se saisir de lui, parce qu'ils n'avaient pas les mains de la foi, et il ne fut pas difficile au Verbe de délivrer son corps de ces mains de chair. — S. CHRYS. (hom. 61.) Lorsque le Sauveur a enseigné aux Juifs quelque grande vérité, il se dérobe presque aussitôt pour apaiser leur fureur par son absence, comme il le fait encore ici : « Et il s'en alla de nouveau au delà du Jourdain. » Pourquoi l'Evangéliste fait-il mention du lieu où il se retire ? c'est pour rappeler le souvenir des actions et des paroles de Jean-Baptiste, aussi bien que de ses témoignages multipliés. — BEDE. Il dit: « Où Jean était d'abord, » c'est-à-dire dès ses premières années. Pendant le séjour que Jésus, y fit, l'Evangéliste nous raconte qu'un grand nombre de personnes vinrent le trouver : « Et un grand nombre de personnes vinrent à lui, et ils disaient : Jean n'a fait aucun miracle. » — S. AUG. C'est-à-dire qu'il n'a fait aucun miracle public, il n'a ni chassé les démons, ni rendu la vue aux aveugles, ni ressuscité les morts.

 

S. CHRYS. Voyez la force de leurs raisonnements : « Jean, disent-ils, n'a fait aucun miracle. Jésus, au contraire, en a fait de nombreux. ce qui établit sa supériorité et sa prééminence. Cependant il ne faut pas croire pour cela que parce que Jean n'a fait aucun miracle, son témoignage soit sans autorité, aussi ajoutent-ils : « Tout ce que Jean a dit de celui-ci était vrai. » Si Jean n'a fait aucun miracle, tous les témoignages qu'il a rendus à Jésus sont véritables. Donc si l'on devait ajouter foi aux témoignages de Jean, à plus forte raison doit-on croire à celui qui, à l'autorité de ce témoignage, joint encore l'autorité des miracles. C'est ce qui eut lieu en effet : «Et beaucoup crurent en lui. » — S. AUG. Voici qu'ils s'emparent de Jésus-Christ, alors qu'il demeure au milieu d'eux, non pas comme les Juifs qui voulaient se saisir de lui, lorsqu'il s'échappait de leurs mains. Servons-nous donc aussi de la lampe pour arriver au jour, puisque Jean était la lampe, et qu'il rendait témoignage au jour.

 

THEOPHYL. Il est à remarquer que le Seigneur aimait à conduire le peuple dans des lieux solitaires, et qu'il les arrachait à la société des méchants pour leur faire produire des fruits de vertu. C'est ainsi qu'il avait conduit le peuple hébreu dans le désert pour lui donner la loi ancienne. Dans le sens mystique, Nôtre-Seigneur s'éloigne de Jérusalem, c'est-à-dire du peuple juif, et se dirige vers les lieux où les fontaines abondent, c'est-à-dire vers l'Eglise des nations qui a la fontaine du baptême, par laquelle un grand nombre parviennent jusqu'à Jésus-Christ en traversant le Jourdain.

 

CHAPITRE XI

 

Vv. 1-5.

 

BEDE. L'Evangéliste venait de dire que le Seigneur était allé au delà du Jourdain, et que c'est alors que Lazare tomba malade : « Or, il y avait un homme malade, nommé Lazare, de Béthanie. » De là vient que dans quelques exemplaires la conjonction copulative se trouve placée en tête de ce récit, de manière à le rattacher à ce qui précède. Le mot Lazare signifie qui a été secouru ; car de tous les morts que Jésus a ressuscites, Lazare est celui qui a reçu le secours le plus signale, puisque non-seulement Il était mort, mais dans le tombeau depuis quatre jours, lorsqu'il fut ressuscité. — S. AUG. (Traité 49, sur S. Jean.) La résurrection de Lazare est un des plus éclatants miracles qu’ait opéré Noire-Seigneur. Mais si nous considérons l'auteur de ce miracle, notre joie doit être plus grande que notre étonnement. Celui qui a ressuscité un homme, est celui-là même qui a créé l'homme ; car, créer l'homme est un acte, de puissance plus grande que de le ressusciter. Or, Lazare était malade à Béthanie, bourg où demeuraient Marthe et Marie, sa sœur, selon la remarque de l'Evangéliste. Ce bourg était proche de Jérusalem. — ALCUIN. Et, comme il y avait plusieurs hommes du nom de Marie, pour nous faire éviter toute erreur, l'Evangéliste caractérise celle, dont il s'agit par une action très connue : « Marie était celle qui oignit de parfum le. Seigneur, » etc.

 

S. CHRYS. (hom. 62 sur S. Jean.) Ce qu'il faut savoir tout d'abord, c'est, que ce ne fut pas cette femme de mauvaise vie dont il est parlé dans saint Luc. La sœur de Lazare était une femme vertueuse et empressée à recevoir le Sauveur. — S. AUG. (de l'accord des Evang., 2, 79.) Ou bien encore, en s'exprimant de la sorte, saint Jean rend témoignage au récit de saint Luc, qui raconte, que ce fait se passa dans la maison d'un pharisien appelé Simon. Marie avait donc déjà répandu des parfums sur la tête de Jésus ; elle renouvela cette action à Béthanie, comme le racontent les trois autres évangélistes, à l'exclusion de saint Luc, qui n'en parle point, parce que ce fait était étranger à son récit.

 

S. AUG. (Serm. 52, sur les par. du Seig.) Lazare était donc atteint d'une langueur mortelle, et le feu dévorant de la fièvre consumait de jour en jour le corps de cet infortuné. Ses deux sœurs lui prodiguaient leurs soins, et, pleines de compassion pour leur jeune frère souffrant, elles restaient constamment près de son lit. Aussi les voyons-nous agir aussitôt dans son intérêt, « Ses sœurs donc envoyèrent dire à Jésus : Seigneur, voilà que celui que vous aimez est malade. » — S. AUG. (Traité 49.) Elles ne lui disent pas: Venez, et guérissez-le ; elles n'osent lui dire : Commandez là où vous êtes, et la guérison aura lieu ici ; elles se contentent de lui dire : « Voilà que celui que vous aimez est malade, » c'est-à-dire, il suffit que vous en soyez averti, car vous n'abandonnez jamais celui que vous aimez.

 

S. CHRYS. (hom. 62.) Elles veulent, par ce message, réveiller la compassion pour son ami dans le cœur de Jésus ; car elles agissaient encore avec lui comme avec un homme. Elles ne vinrent point trouver le Sauveur comme le Centurion et l'officier du roi ; mais elles envoient vers lui, parce que la grande intimité qu'elles avaient avec Jésus-Christ leur inspirait une vive confiance dans sa bonté, et que d'ailleurs leur tristesse les retenait chez elles. — THEOPHYL. Ajoutons qu'il ne convient pas à des femmes de sortir trop facilement de leur maison. Mais quelle foi et quelle, confiance dans cette courte prière : « Voilà que celui que vous aimez est malade ! » Elles reconnaissent dans le Seigneur une si grande puissance, qu'il leur paraît surprenant que la maladie ait pu atteindre un homme qui lui était si cher. « Ce qu'entendant Jésus, il leur dit : Cette maladie n'est pas pour la mort. » — S. AUG. (Traité 49.) La mort elle-même de Lazare n'était pas pour la mort, mais plutôt pour donner lieu à un grand miracle qui fit croire les hommes en Jésus-Christ et leur fit éviter la véritable mort. C'est pour cela qu'il ajoute : « Mais elle est pour la gloire de Dieu. » C'est ainsi qu'il prouve indirectement qu'il est Dieu, contre les hérétiques, qui prétendent que le Fils de Dieu n'est pas Dieu. Nôtre-Seigneur explique, du reste, ces paroles : « Elle est pour la gloire de Dieu, » en ajoutant : « Afin que le Fils de Dieu en soit glorifié, » c'est-à-dire par cette infirmité. — S. CHRYS. (hom. 62.) La particule ut, afin, n'exprime pas ici la cause, mais ce qui arriva en effet, c'est-à-dire que l'infirmité eut une autre cause, et que Jésus la fit servir à la gloire de Dieu.

 

« Or, Jésus aimait Marthe, Marie, sa sœur, et Lazare. » — S. AUG. Lazare était malade, ses sœurs dans la tristesse, et tous étaient aimés de Jésus. Ils étaient donc pleins d'espérance, parce qu'ils étaient aimés de celui qui est le consolateur des affligés et le salut des infirmes.— S. CHRYS. (hom. 62.) L'Evangéliste veut encore nous apprendre, par cette réflexion, à ne point nous attrister lorsque nous voyons des hommes de bien, des amis de Dieu éprouvés par la maladie et la souffrance.

 

Vv. 6-10.

 

ALCUIN. — Nôtre-Seigneur ayant appris la maladie de Lazare, diffère de le guérir et attend quatre jours entiers, afin d'avoir l'occasion d'opérer un plus grand miracle en le ressuscitant. « Ayant donc appris qu'il était malade, il demeura encore deux jours au lieu où il était. » — S. CHRYS. Il attend que Lazare ait rendu le dernier soupir, qu'il soit enseveli, qu'il exhale déjà une odeur infecte, afin que personne ne puisse dire : Il n'était pas encore mort lorsqu'il a paru le ressusciter ; ce n'était qu'une léthargie, et non une mort véritable.

 

« Après cela, il dit à ses disciples : Retournons en Judée. » — S. AUG. (Traité 49.) Dans la Judée, où il avait failli être lapidé, et d'où il était parti comme un homme qui veut se dérober an danger ; mais en revenant, il semble oublier sa faiblesse, pour ne faire paraître que sa puissance. — S. CHRYS. (hom. 62.) Nulle part ailleurs on ne le voit prévenir ses disciples du lieu où il doit aller ; il le fait ici, parce qu'ils redoutaient grandement ce voyage, et qu'il veut leur épargner un trop vif sentiment de terreur ! « Ses disciples lui dirent : Maître, tout à l'heure les Juifs voulaient vous lapider, et vous retournez là ? » Ils craignaient tout à la fois pour lui et pour eux, car ils n'étaient pas encore affermis dans la foi.

 

S. AUG. Les hommes voulurent donc donner un conseil à Dieu, les disciples à leur Maître ; aussi les en reprend-il immédiatement : « N'y a-t-il pas douze heures au jour ? » C'est pour signifier qu'il est lui-même le jour, qu'il a choisi douze disciples. En parlant ainsi, il avait en vue, non point Judas, mais son successeur ; car, après la chute de Judas, Matthias lui succéda, et la perfection du nombre douze demeura dans son intégrité. Les heures sont éclairées par la lumière du jour, et c'est par la prédication des heures que le monde est amené à croire à celui qui est le jour. Suivez-moi donc, si vous ne voulez pas vous heurter, car : « Si quelqu'un marche pendant le jour, il ne se heurte point, » etc. — S. CHRYS. (hom. 62.) C'est-à-dire, celui qui a la conscience pure de tout crime, n'aura rien à craindre d'aucune embûche ; mais celui qui fait le mal, en souffrira la peine. Ne craignons donc point, car nous n'avons rien fait qui mérite la mort. Ou bien encore, celui que marche à la lumière extérieure de ce monde, est en pleine sécurité ; à plus forte raison celui qui marche avec moi, à la condition qu'il ne s'écartera jamais de moi.

 

THEOPHYL. Il en est qui par le jour entendent le temps qui a précédé sa passion, et par la nuit, sa passion elle-même : Il leur dit donc : « Pendant qu'il est jour, » c'est-à-dire avant que le temps de ma passion soit proche, vous n'avez rien à craindre, les Juifs ne vous persécuteront point. Mais lorsque la nuit sera venue, c'est-à-dire ma passion, alors vous serez comme plongés dans une nuit de tribulations.

 

Vv. 11-16.

 

S. CHRYS. (hom. 62 sur S. Jean.) A ce premier encouragement donné aux Apôtres, le Sauveur eu ajoute un second, en leur apprenant que ce n'est pas à Jérusalem, mais à Béthanie, qu'ils doivent se rendre : « Il leur parla ainsi, et ensuite il leur dit : Notre ami Lazare dort, mais je vais le tirer de son sommeil, » c'est-à-dire je ne retourne pas en Judée pour avoir de nouvelles discussions avec les Juifs, j'y vais pour réveiller notre ami. Il dit : « Notre ami, » pour leur faire comprendre la nécessité de son voyage. — S. AUG. Rien de plus exact que cette expression : « Lazare dort. » Aux yeux des hommes qui ne pouvaient pas le ressusciter Lazare était mort, mais pour le Seigneur il n'était qu'un homme endormi, car il pouvait plus facilement faire sortir un mort du tombeau, que vous ne pouvez réveiller un homme endormi. Il dit donc de Lazare qu'il dort, au point de vue de sa puissance, c'est dans ce sens que l'Apôtre lui-même a dit : « Nous ne voulons pas, mes frères, que vous ignoriez ce que vous devez savoir touchant ceux qui dorment. (1 Th 4, 12.) Il appelle la mort des chrétiens un sommeil, parce qu'il annonçait leur résurrection. Mais de même qu'il y a une différence entre ceux que nous voyons tous les jours dormir et s'éveiller, et que les mêmes images ne se présentent pas à eux dans le sommeil, les uns ont des songes agréables, les autres en ont d'affreux ; ainsi chacun s'endort du sommeil de la mort, et se réveille avec une cause de jugement qui lui est propre.

 

S. CHRYS. (hom. 62.) Ses disciples voulurent de nouveau s'opposer à son retour dans la Judée : « Ses disciples lui dirent : S'il dort, il guérira, » car le sommeil est pour les malades un signe de guérison. Ils semblent donc lui dire : S'il dort, il est inutile que vous alliez le réveiller de son sommeil. — S. AUG. (Traité 49.) La réponse des disciples est conforme au sens qu'ils ont donné aux paroles du Sauveur : « Jésus, dit l'Evangéliste, voulait parler de la mort de Lazare, mais ils pensaient qu'il parlait de l'assoupissement du sommeil. » — S. CHRYS. (hom. 62.) Mais, dira-t-on, comment les disciples ne comprirent-ils pas que Lazare était mort, lorsque Jésus leur dit : « Je vais le réveiller de son sommeil ? » N'était-il pas ridicule de faire un voyage de plusieurs stades pour le réveiller simplement de son sommeil ? Nous répondrons que les disciples virent dans cette manière de parler un langage figuré qui était très-ordinaire au Sauveur. — S. AUG. Il ne tarde pas du reste à expliquer ce qu'il y avait d'obscur dans cette expression : « Alors Jésus leur dit clairement : Lazare est mort. » — S. CHRYS. (hom. 62.) Il n'ajoute pas ici : Je vais le ressusciter , car il ne voulait point proclamer par ses paroles ce que ses œuvres devaient suffisamment établir ; et il nous apprend ainsi tout à la fois à fuir la vaine gloire, et à ne pas nous contenter de faire de simples promesses.

 

« Et je me réjouis à cause de vous, de ce que je n'étais pas là. » — S. AUG. (Traité 49.) On lui avait annoncé la maladie et non la mort de Lazare ; mais que pouvait ignorer celui qui l'avait créé, et entre les mains duquel son âme était retournée au sortir de son corps ? « Il leur dit donc : Je me réjouis à cause de vous de ce que je n'étais pas là, afin que vous croyiez. » Ce devait être déjà pour eux un premier sentiment d'étonnement d'entendre le Seigneur leur annoncer une chose qu'il n'avait ni vue, ni entendue, la mort de Lazare. Nous devons ici nous rappeler que la foi des Apôtres eux-mêmes s'appuyait encore sur les miracles, non pour commencer d'être, mais pour se développer. Ces paroles : « Afin que vous croyiez, » signifient donc : Afin que votre foi devienne plus ferme et plus robuste.

 

THEOPHYL. Voici une autre explication : « Je me réjouis à cause de vous, » car mon absence, lors de la mort de Lazare, doit être pour vous un nouveau motif de foi. En effet, si j'eusse été présent, je l'aurais guéri de sa maladie, ce qui n'eût donné qu'une faible idée de ma puissance. Mais comme sa mort est arrivée en mon absence, votre foi en moi n'en deviendra que plus forte, lorsque vous verrez que je puis ressusciter un mort qui tombe déjà en pourriture.

 

S. CHRYS. (hom. 62.) Tous les disciples avaient une grande crainte des Juifs, mais par-dessus tout Thomas : « Sur quoi Thomas , qui est appelé Didyme, dit aux autres disciples : Allons et mourons avec lui. » Il était le plus faible de tous et celui qui avait le moins de foi, mais il devint par la suite le plus fort et le plus indomptable, parcourant seul le monde entier, et se trouvant tous les jours au milieu de peuples qui voulaient le mettre à mort. — BEDE. On peut encore dire que les disciples, instruits par les paroles qui précèdent, n'osèrent plus contredire leur divin Maître ; mais Thomas entre tous exhorte les autres disciples à suivre leur Maître et à mourir avec lui. Il donne en cela une grande preuve de courage ; car il parle ainsi comme un homme qui était disposé à faire ce qu'il conseille aux autres, et qui, comme plus tard Pierre, oubliait sa propre fragilité.

 

Vv. 17-27.

 

ALCUIN. Le dessein de Nôtre-Seigneur en retardant son départ, était de laisser passer quatre jours et de rendre plus glorieuse la résurrection de Lazare : « Jésus vint donc et il le trouva mis dans le sépulcre depuis quatre jours. » — S. CHRYS. (hom. 62.) Le Sauveur était encore resté deux jours dans le même endroit, et l'envoyé était arrivé deux jours auparavant, le jour même de la mort de Lazare, c'est donc le quatrième jour que Nôtre-Seigneur vint à Béthanie.

 

S. AUG. On peut expliquer ces quatre jours de plusieurs manières différentes, car une même chose peut avoir diverses significations. Le péché que l'homme reçoit avec la transmission de la vie est un premier jour de mort ; la transgression de la loi naturelle est un second jour de mort ; le troisième c'est le mépris de la loi écrite, que Dieu a donnée par Moïse, et la violation de la loi de l'Evangile est le quatrième jour de mort. Or, le Seigneur ne dédaigne pas de venir pour ressusciter de semblables morts. — ALCUIN. Ou bien encore, le premier péché qui a existé, c'est l'enflure du cœur ; le second, le consentement ; le troisième, l'acte ; le quatrième, l'habitude.

 

« Or, Béthanie était près de Jérusalem, à quinze stades environ, » c'est-à-dire à deux mille. L'Evangéliste fait cette remarque pour montrer qu'il était très-naturel qu'un grand nombre de Juifs fussent venus de Jérusalem : « Beaucoup de Juifs étaient venus près de Marthe et de Marie pour les consoler de la mort de leur frère ; » Mais comment les Juifs purent-ils venir consoler les amies de Jésus, après avoir décidé que celui qui le reconnaîtrait pour le Christ, serait chassé de la synagogue ? Ils vinrent les consoler ou à cause des convenances dues au malheur, ou par égard pour la condition élevée des deux sœurs de Lazare. Ou bien encore, ceux qui vinrent n'étaient pas de ceux qui s'étaient déclarés contre Jésus ; car un grand nombre d'entre eux croyaient en lui. Or, l'Evangéliste fait mention de cette circonstance, comme preuve que Lazare était véritablement mort.

 

BEDE. Nôtre-Seigneur n'était pas encore entré dans le bourg de Béthanie, et c'est au dehors du bourg que Marthe vient au-devant de lui : « Marthe ayant donc appris que Jésus venait, alla au-devant de lui. » — S. CHRYS. Elle n'a point pris sa sœur avec elle pour aller au-devant de Jésus-Christ, elle veut lui parler en particulier, l'informer de ce qui est arrivé, et ce n'est qu'après que Jésus lui a donné bon espoir qu'elle retourne appeler Marie. — THEOPHYL. Elle ne fait pas connaître d'abord son dessein à sa sœur, parce qu'elle veut le laisser ignorer à ceux qui étaient présents. Si, en effet, Marie eut appris que Jésus approchait, elle eût été à sa rencontre, et les Juifs qui étaient Tenus l'auraient accompagnés. Or, Marthe ne voulait pas leur faire connaître l'arrivée de Jésus.

 

« Marthe dit donc à Jésus : Seigneur, si vous eussiez été ici, mon frère ne serait pas mort. » — S. CHRYS. (hom. 62.) Elle croyait en Jésus-Christ, mais sa foi n'était pas encore ce qu'elle devait être ; elle ne savait pas encore qu'il était Dieu, voilà pourquoi elle lui disait : « Si vous eussiez été ici, mon frère ne serait pas mort. » — THEOPHYL. Elle paraît douter que Jésus tout absent qu'il était, eût pu, s'il l'eût voulu empêcher son frère de mourir. — S. CHRYS. Elle ne savait pas encore non plus que Jésus agirait ici en vertu de sa propre puissance, comme nous le voyons dans ce qu'elle dit au Sauveur : « Cependant, maintenant encore, je sais que tout ce que vous demanderez à Dieu, Dieu vous le donnera, » elle regarde ici Jésus comme un homme vertueux et aimé de Dieu. — S. AUG. (Traité 49.) Elle ne lui dit pas : Je vous prie de ressusciter mon frère ; car comment pouvait-elle savoir qu'il serait utile à son frère de ressusciter ? Elle se contente de dire au Sauveur : « Je sais que vous pouvez le faire, si vous le voulez, mais ce n'est pas à moi, c'est à vous seul qu'il appartient de juger, s'il est utile de le faire. » — S. CHRYS. Nôtre-Seigneur lui enseigne alors la vérité qu'elle ne savait point : « Jésus lui répondit : Votre frère ressuscitera. » Il ne lui dit pas : Je demanderai à Dieu qu'il ressuscite. Il ne dit pas non plus : Je n'ai pas besoin de secours, je fais tout de moi-même, ce qui eût paru surprenant à cette femme ; il prend un moyeu terme et lui dit : « Votre frère ressuscitera. » — S. AUG. Il y avait cependant quelque ambiguïté dans cette expression : « Il ressuscitera, » puisque Jésus ne disait pas : Il va ressusciter actuellement. Aussi Marthe lui dit : « Je sais qu'il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour, » je suis certaine de cette résurrection, mais je ne le suis pas de celle qui aurait lieu immédiatement.

 

S. CHRYS. (hom. 62.) Marthe avait souvent entendu Jésus-Christ parler de la résurrection ; il lui fait donc connaître ici clairement sa puissance : « Jésus lui dit : Je suis la résurrection et la vie. » Il loi prouve ainsi qu'il n'a point besoin d'un secours étranger, car si ce secours lui était nécessaire, comment serait-il la résurrection ? S'il est loi-même la vie, il n'est limité par aucun espace, il existe partout, et partent aussi il peut faire sentir sa vertu bienfaisante. — ALCUIN. Je sois la résurrection, par la même raison que je suis la vie, et celui qui un jour doit ressusciter votre frère avec tous les autres hommes, peut aussi bien le ressusciter dès aujourd'hui. — S. CHRYS. Marthe lui a dit : « Tout ce que vous demanderez, Dieu vous le donnera ; » et Jésus lui répond : « Celui qui croit en moi, fût-il mort, vivra, » il lui apprend ainsi qu'il est le dispensateur de tous les biens, et que c'est à lui qu'il faut les demander, et il élève en même temps son intelligence à de plus hautes pensées, car il ne se proposait pas seulement de ressusciter Lazare, mais de rendre tous ceux qui étaient présents témoins de sa résurrection. — S. AUG. Voici donc l'explication des paroles du Sauveur : « Celui qui croit en moi, fût-il mort (dans son corps), vivra (dans son âme), jusqu'au jour où son corps ressuscitera pour ne plus mourir, car la vie de l'âme c'est la foi. » Il ajoute : « Et quiconque vit (de la vie du corps) et croit en moi (quand bien même il viendrait à perdre pour un temps cette vie du corps), il ne mourra point pour toujours. — ALCUIN. A cause de la vie de l'esprit et de l'immortalité de la résurrection. Le Seigneur, pour qui rien n'est caché, savait que Marthe croyait ces vérités, mais il voulait qu'elle fit extérieurement la profession de foi qui sauve. Il lui demande donc : « Croyez-vous cela ? » Elle lui répondit : « Oui, Seigneur, je crois que vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant, qui êtes venu en ce monde. » — S. CHRYS. (hom. 62.) Marthe ne me parait pas avoir compris entièrement ce que Jésus lui avait dit ; elle comprit qu'il s'agissait d'un grand mystère, mais elle ne savait encore ce que c'était ; aussi ne ré-pond-elle pas directement à la question que lui fait le Sauveur. — S. AUG. Ou bien encore : en croyant que vous êtes le Fils de Dieu, je crois que vous êtes la vie, car celui qui croit en vous, vivra alors même qui perdra la vie du corps.

 

Vv. 28-32.

 

S. CHRYS. (hom. 63.) Les paroles de Jésus-Christ eurent la puissance de mettre fin à la douleur de Marthe, car la pieuse affection qu'elle avait pour le divin Maître ne lui permettait pas de se livrer à l'affliction que lui causait la mort de son frère : « Lorsqu'elle eut parlé ainsi, elle s'en alla et appela à voix basse Marie, sa sœur. »S. AUG. (Traité 49.) L'Evangéliste dit qu'elle l'appela en silence, c'est-à-dire, à voix basse, car comment dire qu'elle a fait tout en silence, puisqu'elle lui dit : « Le Maître est là, il vous appelle ? » — S. CHRYS. (hom. 63.) Elle appelle sa sœur en secret, car si les Juifs eussent appris l'arrivée de Jésus, ils se seraient retirés et n'eussent pas été témoins du miracle.

 

S. AUG. Il est à remarquer que l'Evangéliste ne dit ni le lieu, ni le moment où le Seigneur appela Marie, ni de quelle manière ; pour abréger son récit, il ne nous fait connaître cette circonstance que par les paroles de Marthe. — THEOPHYL. Peut-être aussi Marthe regarda-t-elle la présence seule de Jésus-Christ comme un appel, et semble-t-elle dire à sa sœur : Vous seriez inexcusable si, le Seigneur étant là, vous n'alliez pas à sa rencontre.

 

S. CHRYS. (hom. 63.) Un cercle d'amis entouraient Marie, plongée dans la douleur et dans les larmes. Cependant elle n'attend pas que le Maître vienne la trouver, elle n'est retenue ni par les bienséances de sa condition, ni par son profond chagrin, elle se lève aussitôt pour aller à sa rencontre : « Ce que celle-ci ayant entendu, elle se leva aussitôt et vint à lui. » — S. AUG. Nous voyons par-là que Marthe n'eût pas eu besoin de prévenir sa sœur, si Marie eût connu l'arrivée de Jésus.

 

« Car Jésus n'était pas encore entré dans le bourg. » — S. CHRYS. Nôtre-Seigneur approchait lentement, il ne voulait point paraître se jeter au-devant du miracle, mais il attendait qu'on vînt l'en prier, c'est ce que l'Evangéliste semble vouloir indiquer en termes couverts, lorsqu'il dit que Marie se leva aussitôt, ou bien il veut nous apprendre qu'elle vint à sa rencontre pour prévenir son arrivée. Or elle vint, non pas seule, mais accompagnée de tous les Juifs qui étaient avec elle : « Cependant les Juifs, qui étaient dans la maison avec Marie, et la consolaient, la suivirent, » etc. — S. AUG. L'Evangéliste a pris soin de mentionner cette circonstance, pour nous apprendre la raison pour laquelle il y avait tant de monde, lorsque Lazare fut ressuscité ; c'était pour qu'un plus grand nombre fussent témoins d'un aussi grand miracle que la résurrection d'un mort de quatre jours.

 

« Lorsque Marie fut arrivée au lieu où était Jésus, le voyant, elle se jeta à ses pieds. » — S. CHRYS. (hom. 63.) Marie était plus ardente que sa sœur, elle n'est arrêtée ni par la multitude, ni par les préjugés que les Juifs avaient contre Jésus-Christ, ni par la présence de plusieurs de ses ennemis personnels, la vue du Sauveur lui fait mépriser toutes les considérations humaines, et elle n'est préoccupée que d'une seule pensée, l'honneur de sou divin Maître. — THEOPHYL. Cependant elle ne parait pas avoir de lui une idée encore assez relevée, en lui disant : « Seigneur, si vous eussiez été ici, mon frère ne fût pas mort. » — ALCUIN. Tant que vous êtes demeuré avec nous, aucune maladie, aucune infirmité n'ont osé apparaître chez celles qui avaient pour hôte et pour habitant la vie elle-même. — S. AUG. (serm. 52 sur les paroles du Seigneur.) Quel pacte déloyal ! Lazare, votre ami, meurt pendant que vous êtes encore sur cette terre, et si vous laissez mourir votre ami de la sorte, à quoi doit s'attendre votre ennemi ? C'est peu que les cieux ne vous obéissent point, voici que les enfers vous ont enlevé celui que vous aimez. — BEDE. Marie parle moins à Jésus que n'avait fait sa sœur, car par un effet ordinaire de la douleur et des larmes, elle ne put épancher les sentiments dont son cœur était plein.

 

Vv. 33-40.

 

S. chris, (hom. 63 sur S. Jean.) Jésus ne répond rien à Marie, il ne lui tient pas le même langage qu'à sa sœur, il était environné d'une grande multitude, et ce n'était pas le moment de faire de longs discours, mais il s'abaisse, il s'humilie, et dévoile en lui les sentiments de la nature humaine. Comme il allait opérer un grand miracle qui devait lui gagner beaucoup de disciples, il s'entoure d'un grand nombre de témoins, et montre qu'il a véritablement pris notre nature : « Jésus la voyant pleurer, et les Juifs, qui étaient venus avec elle pleurer aussi, fut ému en lui-même et se troubla. » — S. AUG. (Traité 49 sur S. Jean.) Qui pourrait le troubler, si ce n'est lui-même ? Jésus-Christ a été troublé parce qu'il l'a voulu, il a eu faim parce qu'il l'a voulu, il était en son pouvoir de se prêter ou de se soustraire à ces impressions, car le Verbe a pris une âme et un corps, et s'est uni la nature humaine tout entière en unité de personne ; or, là où se trouve une puissance souveraine, la faiblesse humaine ne peut être troublée qu'autant que cette puissance souveraine y consent. — THEOPHYL. C'est afin de prouver la vérité de sa nature humaine, qu'il lui commande de manifester les sentiments qui lui sont propres, et c'est par la vertu de l'Esprit saint qu'il lui donne cet ordre, et qu'il réprime ses trop vives émotions. Le Seigneur vent que la nature humaine subisse ces épreuves, pour nous prouver qu'il était homme en réalité et non-seulement en apparence, et aussi pour nous enseigner à mettre des bornes à la tristesse comme à la joie, car n'être accessible à aucun sentiment de compassion ou de tristesse, c'est l'insensibilité de la brute, comme aussi il n'appartient qu'aux caractères efféminés de se livrer sans mesure à ces affections.

 

« Et il dit : Où l'avez-vous mis ? » — S. AUG. (serm. sur les par. du Seig.) Ce n'est pas qu'il ignorât le lieu où Lazare était enseveli, mais il voulait éprouver la foi de ce peuple. — S. CHRYS. (hom. 63.) Il ne veut pas se mettre en avant, et il veut être instruit par les autres et ne rien faire que sur leur prière, pour ne laisser aucune place au soupçon. — S. AUG. (Liv. des 83 quest., quest. 65.) Cette question du Sauveur est comme le symbole de notre vocation qui se passe dans le secret, car la prédestination de notre vocation est une chose cachée, et la marque qu'elle est secrète, c'est la question que fait le Seigneur sur ce sujet comme s'il l'ignorait, alors que c'est nous-mêmes qui l'ignorons. Ou bien peut-être est-ce parce que le Seigneur déclare dans un autre endroit qu'il ne connaît pas les pécheurs auxquels il dit : « Je ne vous connais pas, » (Mt 7, 25) parce que les péchés se commettent en dehors de la loi et de ses préceptes : « Ils lui répondirent : Seigneur, venez et voyez. » — S. CHRYS. (hom. 63.) Il n'avait encore fait aucun miracle de résurrection, il leur paraissait donc ne se diriger vers le tombeau que pour pleurer sur Lazare, et non pour le ressusciter, c'est pour cela qu'ils lui disent : « Venez et voyez. » — S. AUG. Le Seigneur voit lorsqu'il a compassion, c'est pour cela que le Psalmiste lui dit : « Voyez mon humiliation et ma douleur, et pardonnez-moi tous mes crimes. » (Ps 24)

 

« Et Jésus pleura. » — ALCUIN. Il était la source inépuisable de la bonté, et il pleurait comme homme celui qu'il pouvait ressusciter par un acte de sa puissance divine. — S. AUG. Or, pourquoi Jésus a-t-il pleuré ? pour enseigner aux hommes à verser eux-mêmes des larmes. — BEDE. Les hommes ont coutume de pleurer les personnes chères que la mort leur a enlevées. Les Juifs crurent que Jésus pleurait sons l'impression de ce sentiment, et c'est ce qui leur fait dire : « Voyez comme il l'aimait ! » — S. AUG. Que signifient ces paroles : Il l'aimait ? » « Je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs à la pénitence. » « Mais quelques-uns d'entre eux dirent : Ne pouvait-il pas, lui qui a ouvert les yeux d'un aveugle-né, faire que cet homme ne mourût point ? » Il fera bien plus, puisqu'il va le ressusciter après sa mort. — S. CHRYS. Ceux qui parlèrent ainsi étaient de ses ennemis, ils se servent pour le calomnier d'un fait qui aurait dû leur faire admirer sa puissance, c'est-à-dire, la guérison de l'aveugle-né, et ils se plaignent que Jésus n'ait pas empêché par un miracle Lazare de mourir. Une nouvelle preuve de leur perversité, c'est qu'ils prennent le rôle d'accusateurs avant même que Jésus soit arrivé au tombeau, et sans attendre l'issue de l'événement : « Jésus donc, frémissant de nouveau en lui-même, vint au tombeau. » L'Evangéliste prend soin de répéter que Jésus pleura, et frémit en lui-même pour vous convaincre qu'il a pris véritablement notre nature. L'Evangéliste saint Jean nous a décrit les grandeurs du Verbe incarné, bien plus magnifiquement que ne l'ont fait les autres évangélistes, et par une même raison, il s'appesantit davantage sur ses humiliations. — S. AUG. Frémissez aussi en vous-même si vous voulez reprendre une nouvelle vie, c'est, ce qu'on peut dire à tout homme qui est accablé sous le poids d'une habitude criminelle : « C'était une grotte et une pierre était posée dessus. » Ce mort étendu sous la pierre, c'est l'homme coupable sous la loi, car la loi qui fut donnée aux Juifs, était écrite sur la pierre. Tous les coupables sont sous la loi, mais la loi n'a pas été établie pour le juste. (1 Tm 1) — BEDE. Une grotte est une excavation pratiquée dans un rocher. On appelle monuments ces grottes qui servent de tombeau, parce qu'ils avertissent notre âme (mentem monet), et leur rappellent le souvenir des morts.

 

« Jésus leur dit : Otez la pierre. » — S. CHRYS. Pourquoi le Sauveur n'a-t-il pas ressuscité Lazare sans que la pierre fût ôtée ? Celui qui, d'une seule parole, rendit la vie et le mouvement à ce cadavre, ne pouvait-il pas, à plus forte raison, ôter la pierre qui fermait le tombeau ? Oui, sans doute, mais il ne l'a pas fait, parce qu'il voulait rendre les Juifs témoins de ce miracle, et les empêcher de dire ce qu'ils avaient dit de l'aveugle-né : « Ce n'est pas lui, » car leurs mains qui roulaient cette pierre et leur présence au tombeau attestaient d'une manière infaillible que c'était bien Lazare. — S. AUG. Dans le sens allégorique, ces paroles : « Otez la pierre, » signifient : Enlevez le poids de la loi, et annoncez la grâce de la loi nouvelle. — S. AUG. (Lim. des 83 quest., quest. 65.) Ceux à qui le Sauveur donne cet ordre, me paraissent figurer les Juifs qui voulaient imposer le fardeau de la circoncision aux Gentils, qui entraient dans l'Eglise ; ou bien, les chrétiens qui, au sein de l'Eglise même, mènent une vie corrompue et sont un scandale pour ceux qui veulent embrasser la foi.

 

S. AUG. (serm. 82 sur les par. Du Seign.) Cependant Marie et Marthe, soeurs de Lazare, qui avaient va souvent Jésus ressusciter des morts ne croient pas entièrement qu'il puisse ressusciter leur frère : « Marthe, la sœur de celui qui était mort, lui dit : « Seigneur, il sent déjà mauvais, » etc. — THEOPHYL. Marthe parle de la sorte sous l'impression d'un sentiment de défiance qui lui fait regarder comme impossible la résurrection de son frère après quatre jours qu'il était dans le tombeau. — BEDE. On peut dire encore que ces paroles sont l'expression de J'étonnement et de l'admiration plutôt que de la défiance. — S. CHRYS. Elles peuvent servir aussi à fermer la bouche aux incrédules, et nous voyons ainsi concourir à la démonstration de ce miracle les mains qui ont ôté la pierre, les oreilles qui ont entendu la voix de Jésus-Christ, les yeux qui ont vu Lazare sortir du tombeau, et l'odorat qui sentait l'odeur que son cadavre exhalait.

 

THEOPHYL. Nôtre-Seigneur rappelle à la sœur de Lazare ce qu'il lui avait déjà dit, et qu'elle paraissait avoir presque oublié : « Jésus lui répondit : Ne vous ai-je pas dit que si vous croyiez, vous verriez la gloire de Dieu ? » — S. CHRYS. (hom. 63.) Marthe ne se souvenait plus en effet de ce que Jésus-Christ lui avait dit : « Celui qui croit en moi fût-il mort, vivra. » En parlant à ses disciples, il leur avait dit : « Afin que le Fils de Dieu soit glorifié par cette maladie. » Ici il ne parle que de Dieu le Père, les dispositions imparfaites de ceux qui l'écoutaient le forçaient ainsi de modifier son langage. Il ne voulait point jeter le trouble dans l'âme de ceux qui étaient présents, et c'est pour cela qu'il dit à Marthe : « Vous verrez la gloire de Dieu. » — S. AUG. (Traité 49.) La gloire de Dieu parut en effet dans la résurrection d'un mort de quatre jours exhalant déjà l'odeur infecte du tombeau.

 

« Ils ôtèrent donc la pierre. » ORIG. (Traité 28 sur S. Jean.) Le retard que l'on mit à enlever cette pierre, vint de la sœur de Lazare ; si elle n'avait pas dit : « Il sent déjà mauvais, car il y a quatre jours qu'il est là, » Jésus n'eût pas été obligé de donner l'ordre d'ôter la pierre. Ils enlevèrent donc cette pierre, mais plus tard qu'elle n'aurait du l'être. Il est souverainement utile de ne mettre aucun intervalle entre les ordres de Jésus et leur exécution.

 

Vv. 41-46.

 

ALCUIN. En tant qu'homme, Nôtre-Seigneur Jésus-Christ était inférieur à son Père, et c'est sous ce rapport qu'il lui demande la résurrection de Lazare, et qu'il dit eu avoir été exaucé : « Jésus, levant les yeux en haut, dit : Mon Père, je vous rends grâces de ce que vous m'avez exaucé. » — ORIG. (Traité 28 sur S. Jean.) Il élève les yeux en haut, c'est-à-dire qu'il élève son âme humaine, et qu'il la conduit par la prière jusqu'au Très-Haut. Celui donc qui veut imiter la prière de Jésus-Christ doit aussi élever jusqu'au ciel les yeux de son cœur, et les détacher de toutes les choses présentes, de tout ce qui remplit mémoire, ses pensées, ses intentions. Mais si Dieu promet d'exaucer la prière de ceux qui remplissent ces conditions, comme il le déclare par la bouche d'Isaïe : « Pendant que vous parlerez encore, je dirai : Me voici, » (Is 58, 9) que devons-nous penser de Notre-Seigneur Jésus-Christ notre Sauveur ? Il allait prier Dieu pour obtenir la résurrection de Lazare, mais celui qui seul est un Père plein de bonté exauce sa prière avant même qu'il l'ait faite. Et c'est pour remercier son Père qu'il lui rend grâces en ces termes : « Mon Père, je vous rends grâces de ce que vous m'avez exaucé..., afin qu'ils croient que vous m'avez envoyé. » — S. CHRYS. (hom. 64.) C'est-à-dire qu'il n'y a aucune contradiction entre vous et moi. Ce langage du Sauveur n'est point une preuve de son impuissance, ou de son infériorité vis-à-vis de son Père, car on peut ainsi parler à ses amis et à ses égaux. Pour montrer du reste qu'il n'avait pas besoin de recourir à la prière, il ajoute : « Pour moi, je savais que vous m'exaucez toujours, » c'est-à-dire, je n'ai pas besoin de vous prier pour vous persuader de faire ma volonté ; car nous n'avons tous deux qu'une même volonté ; vérité qu'il n'exprime qu'en termes couverts à cause de la faiblesse de ceux qui l'entendaient ; car le Dieu Sauveur a moins égard à sa dignité qu'à notre salut, aussi nous parle-t-il très-peu de ses grandeurs, et toujours d'une manière voilée, tandis qu'il s'étend comme avec complaisance sur ses humiliations.

 

S. HIL. (de la Trin.) Il n'avait donc aucun besoin de prier, et s'il a prié, c'est pour nous faire connaître sa filiation divine : « Mais je dis ceci à cause de ce peuple qui m'entoure, afin qu'ils croient que vous m'avez envoyé. » La prière lui était inutile, il prie cependant dans l'intérêt de notre foi. Il n'a pas besoin de secours, mais nous avons besoin d'être instruits. — S. CHRYS. Il ne dit pas toutefois : Afin qu'ils croient que je vous suis inférieur (parce que je ne puis rien faire sans vous prier), mais : « Afin qu'ils croient que vous m'avez envoyé. » Il ne dit pas non plus : Que vous m'avez envoyé, dénué de tout pouvoir, avec la connaissance de ma dépendance absolue, ne pouvant rien faire de moi-même, mais : « Que vous m'avez envoyé, » afin qu'ils ne pensent pas que je suis en opposition avec Dieu, et ne disent point : Il ne vient pas de Dieu, et pour leur montrer que c'est d'après sa volonté que je vais faire ce miracle.

 

S. AUG. (serm. 52 sur les par. du Seig.) Jésus s'approche donc du tombeau où était enseveli Lazare, et il l'appelle à en sortir, non pas comme s'il était vivant, et prêt à entendre sa voix : « Ayant ainsi parlé, il cria d'une voix forte : Lazare, sortez dehors. » Il l'appelle par son nom, pour faire voir que ce ne sont pas les autres morts qu'il appelle à sortir du tombeau. — S. CHRYS. Il ne lui dit pas : Ressuscitez, mais : «  Venez dehors, » il parle à celui qui était mort, comme s'il était vivant, il ne lui dit pas non plus : Au nom de mon Père, sortez dehors, ou bien encore : Mon Père, ressuscitez-le, il laisse de côté ces formules qui convenaient à un suppliant, et prouve sa puissance par les faits. Il entrait, en effet, dans les desseins de la sagesse de faire preuve d'humilité dans ses discours, et de puissance dans ses œuvres.

 

THEOPHYL. La voix forte du Sauveur qui ressuscita Lazare est le symbole de cette trompette éclatante qui doit se faire entendre à la résurrection générale. (1 Co 15, 52.) Le Sauveur élève la voix pour fermer la bouche aux Gentils qui prétendent sans aucun fondement que les âmes des morts sont dans les tombeaux, et il appelle à haute et forte voix l'âme de Lazare comme étant absente très au loin. Cette résurrection individuelle de Lazare eut lieu en un clin d'œil, comme se fera un jour la résurrection générale : « Et aussitôt celui qui avait été mort, sortit, » etc. Nous voyons dès lors s'accomplir ce que disait le Sauveur : « L'heure est venue où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l'entendront vivront. » (Jn 5) — ORIG. (Traité 28 sur S. Jean.) On peut dire avec raison que c'est cette voix forte qui a ressuscité Lazare, et ainsi se trouve accomplie cette parole du Sauveur : « Notre ami Lazare dort, je vais le réveiller. » Le Père qui a exaucé la prière du Fils a aussi ressuscité Lazare, et cette résurrection est l'œuvre commune du Fils et du Père qui l'a exaucé, car de même que le Père ressuscite les morts et leur rend la vie, le Fils donne aussi la vie à qui il veut. » (Jn 5, 21.)

 

S. CHRYS. Lazare sortit les pieds et les mains liés de bandelettes, pour qu'on ne crût pas qu'il n'était qu'un fantôme, et ce ne fut pas une chose moins admirable de le voir sortir avec ces bandelettes et entouré d'un suaire, que de le voir ressusciter : « Jésus leur dit : Déliez-le, » afin que ceux qui le toucheraient de leurs mains fussent bien convaincus que c'était vraiment lui. « Et laissez-le aller. » Le Sauveur agit ainsi par humilité, et c'est pour cela qu'il ne prend pas Lazare avec lui, et ne lui commande pas de marcher à sa suite comme preuve du miracle qu'il vient d'opérer.

 

ORIG. Nôtre-Seigneur avait dit précédemment : « Je dis ceci à cause de ce peuple qui m'entoure, afin qu'ils croient que vous m'avez envoyé. » Si aucun de ceux qui étaient présents n'avaient cru en lui, il eût parlé comme un homme qui n'a aucune connaissance de l'avenir ; aussi est-ce pour éloigner ce soupçon que l'Evangéliste ajoute : « Plusieurs d'entre les Juifs crurent en lui, mais quelques-uns d'entre eux allèrent trouver les pharisiens et leur racontèrent ce que Jésus avait fait. » Cette proposition paraît offrir un sens équivoque, ceux qui allèrent trouver les pharisiens étaient-ils du grand nombre de ceux qui crurent en Jésus-Christ, et se proposèrent-ils de concilier à Jésus-Christ les pharisiens animés de dispositions hostiles à son égard ? ou bien étaient-ils différents de ceux qui crurent en lui, et ne cherchèrent-ils qu'à exciter contre le Sauveur le zèle plein de jalousie des pharisiens ? C'est cette dernière supposition qui paraît ressortir du récit de l'Evangéliste. D'après son récit, en effet, c'est le grand nombre de ceux qui étaient présents qui crurent en Jésus-Christ, et un petit nombre d'entre eux dont il ajoute : « Quelques-uns allèrent trouver les pharisiens, » etc.

 

S. AUG. (liv. des 83 quest., quest. 65.) Quoique nous admettions avec une foi entière la résurrection de Lazare dans le sens historique, je regarde cependant comme certain qu'elle contient aussi une vérité allégorique ; car le sens allégorique d'un événement ne lui fait perdre en aucune façon son caractère de réalité historique. — S. AUG. (Traité 49.) Tout homme qui pèche, est tombé victime de la mort, mais Dieu, par sa grande miséricorde, ressuscite les âmes et les sauve ainsi de la mort éternelle. Les trois morts dont Nôtre-Seigneur a ressuscité les corps sont donc la figure de la résurrection des âmes. — S. GREG. (Moral., 4, 25 ou 29.) Il a ressuscité une jeune fille dans sa maison, un jeune homme hors des portes de la ville, et Lazare déjà enseveli dans le tombeau. Celui qui est mort dans son péché est comme étendu sans vie dans sa maison ; le pécheur est conduit hors des portes, lorsque son péché affiche le caractère scandaleux d'un péché public. — S. AUG. (Traité 49.) Ou bien, la mort est encore à l'intérieur lorsque la pensée du mal ne s'est pas encore produite par un acte extérieur; mais si vous commettez le mal, vous portez pour ainsi dire le mort hors des portes de la ville. — S. GREG. (Moral., 4) Le pécheur est comme oppressé sous la pierre du tombeau, lorsqu'il est écrasé par l'horrible pierre des mauvaises habitudes qu'il a contractées, mais souvent la grâce divine éclaire ces pauvres pécheurs d'un rayon de sa lumière. — S. AUG. (liv. des 83 quest., quest. 68.) Ou bien Lazare, dans le tombeau, figure encore l'âme qui est comme accablée sous le poids des péchés de la terre. » — S. AUG. (Traité 49) Et cependant le Seigneur aimait Lazare, car s'il n'avait pas aimé les pécheurs, il ne serait pas descendu du ciel sur la terre. C'est à juste titre que l'on dit du pécheur d'habitude : « Il sent mauvais, » car sa mauvaise réputation se répand partout comme une odeur infecte et nauséabonde. — S. AUG. (liv. des 83 quest.) C'est encore avec raison qu'il est dit : « Il y a quatre jours qu'il est dans le tombeau ; » car le dernier des éléments c'est la terre, qui figure l'abîme des péchés de la terre, c'est-à-dire des convoitises charnelles.

 

S. AUG. (Traité 49.) Jésus frémit, il verse des larmes, il crie à haute voix, parce qu'il est bien difficile de se relever pour celui qui est accablé sous le poids de ses habitudes vicieuses. Jésus se trouble lui-même pour vous apprendre le trouble dont vous devez être saisi lorsque vous êtes comme écrasé sous le poids énorme de vos péchés. La foi de l'homme qui devient pour lui-même un objet d'horreur, doit frémir en accusant ses actions coupables, afin de faire céder l'habitude du péché à la violence du repentir. Lorsque vous dites : J'ai commis ce crime, et Dieu m'a épargné ; j'ai entendu la doctrine évangélique, et je l'ai méprisée, qu'ai-je fait ? Jésus-Christ frémit en vous, parce que la foi frémit, ce frémissement contient déjà l'espérance de la ré-surrection. — S. GREG. (Moral., 22, 9 ou 13.) Le Sauveur dit à Lazare : « Sortez dehors, afin que le pécheur qui cherche à dissimuler et à cacher son péché, soit comme forcé par cette voix de se faire son propre accusateur, et que celui qui est enseveli dans le tombeau de sa conscience, en sorte de lui-même par la confession de ses fautes. »

 

S. AUG. (liv. des 83 quest.) Lazare, sortant de son tombeau, est le symbole de l'âme qui se retire des vices de la chair ; les bandelettes dont il reste encore enveloppé nous apprennent que ceux-là mêmes qui ont renoncé aux plaisirs charnels, et veulent obéir de cœur à la loi de Dieu, ne peuvent tant qu'ils sont dans ce corps mortel être entièrement à l'abri des atteintes de la chair. Le suaire dont sa figure est couverte signifie que nous ne pouvons avoir dans cette vie la pleine intelligence de la vérité. Nôtre-Seigneur ajoute : « Déliez-le, et laissez-le aller, » pour nous apprendre qu'après cette vie tous les voiles seront enlevés, afin que nous puissions voir Dieu face à face.

 

S. AUG. (Traité 49.) Ou bien encore, lorsque vous faites mépris de la loi de Dieu, vous êtes comme mort et enseveli dans le tombeau ; si vous faites l'aveu de vos fautes, vous sortez de ce tombeau ; car sortir du tombeau, c'est sortir de la retraite cachée de son cœur pour se produire au grand jour. Mais c'est Dieu qui vous amène à faire cet aveu en vous appelant à haute voix, c'est-à-dire par une grâce extraordinaire. Le mort qui sort du tombeau est encore lié, de même que celui qui confesse ses péchés est encore coupable, et c'est pour le délier de ses péchés que Jésus dit aux serviteurs : « Déliez-le, et laissez-le aller, » c'est-à-dire, tout ce que vous aurez délié sur la terre, le sera le ciel.

 

ALCUIN. C'est donc Jésus-Christ qui ressuscite, parce que c'est lui qui donne par lui-même la vie à l'intérieur, ce sont ses disciples qui délient, parce que c'est par le ministère des prêtres que ceux .qu'il vivifie sont absous. — BEDE. Ceux qui vont apprendre aux pharisiens ce que Jésus a fait, figurent ceux qui, à la vue des bonnes œuvres des serviteurs de Dieu, les poursuivent de leur haine, et s'efforcent de noircir leur réputation.

 

Vv. 47-83.

 

THEOPHYL. Les pharisiens auraient dû admirer et exalter l'auteur d'aussi grands miracles, et au contraire, ils forment le dessein de le mettre à mort : « Les pontifes et les pharisiens assemblèrent donc le conseil, » etc. — S. AUG. (Traité 49.) Ils ne disent point : Croyons en lui, ces hommes pervers sont bien plus préoccupés de la pensée de faire le mal et de mettre à mort un innocent, que des moyens d'assurer leur propre salut. Et cependant la crainte les agite, et ils se consultent : « Et ils disaient : Que ferons-nous ? car cet homme opère beaucoup de miracles ? » — S. CHRYS. Ils ne le regardent encore que comme un homme, après qu'il leur a donné une si grande preuve de sa divinité.

 

ORIG. (Traité 28 sur S. Jean.) Le langage que tiennent les pontifes et les pharisiens nous donne une idée de l'étendue de leur folie et de leur aveuglement. Quelle folie, en effet, de reconnaître et d'attester que Jésus a opéré un grand nombre de miracles, et de penser qu'ils pouvaient néanmoins lui dresser des embûches, comme s'il n'était point capable de déjouer toutes leurs machinations ! Leur aveuglement n'est pas moins surprenant, de ne pas voir que celui qui pouvait opérer de si grands prodiges, pouvait également échapper à leurs embûches, à moins que dans leur pensée ses miracles ne fussent pas l'œuvre d'une puissance divine. Ils forment donc le dessein de ne point le laisser aller, ils s'imaginent par là empêcher ses disciples de croire en lui, et s'opposer à ce que les Romains ne détruisent leur pays et leur nation : « Si nous le laissons faire, disent-ils, tous croiront en lui, et les Romains viendront, » etc. — S. CHRYS. (hom. 64.) En parlant de la sorte, ils veulent soulever le peuple, comme s'il courait le danger d'être soupçonné par les Romains de vouloir s'affranchir de leur domination, et leurs paroles peuvent ainsi se traduire : Si les Romains le voient entraîner la multitude après lui, ils en prendront ombrage, croiront que nous voulons nous ériger en pouvoir indépendant, et ils détruiront notre cité. Mais cette supposition était purement imaginaire ; car sur quoi reposait-elle ? Voyait-on Jésus entouré d'hommes en armes ? traînait-il après lui des escadrons de gardes? Au contraire, ne cherchait-il pas la solitude ? Ils ne veulent pas qu'on les soupçonne de vouloir la mort du Sauveur, et ils mettent en avant le danger que courent leur cité et leur nation. — S. AUG. Ou bien encore, ils craignirent que si tous venaient à croire en Jésus-Christ, il ne restât plus personne pour prendre contre les Romains la défense de leur ville et de leur temple ; car ils comprenaient que la doctrine de Jésus-Christ était contraire à leur temple et aux institutions données à leurs ancêtres. La crainte donc qu'ils avaient de perdre les choses du temps, les empêcha de penser à celles de l'éternité, et ils perdirent les unes et les autres ; car après la passion et la résurrection glorieuse du Sauveur, les Romains ruinèrent le pays et la nation des Juifs en les détruisant on en les emmenant en captivité.

 

ORIG. (Traité 28) Dans le sens anagogique, les Gentils prirent la place du peuple de la circoncision, parce que leur chute est devenue le salut des Gentils. (Rm 11, 11.) Les Romains sont mis ici à la place des Gentils, c'est-à-dire ceux qui avaient l'empire à la place de ceux qui leur étaient soumis. Leur nationalité fut aussi détruite, car le peuple qui avait été le peuple de Dieu, cessa de l'être. — S. CHRYS. (hom. 65.) Pendant qu'ils hésitaient et qu'ils soumettaient de nouveau cette question à la délibération du conseil, en disant : « Que faisons-nous, » un d'entre eux prend la parole et ouvre cet avis plein d'impudence et de cruauté : « Mais l'un deux, nommé Caïphe, qui était le pontife de cette année-là, leur dit, » etc.

 

S. AUG. On peut être surpris que Caïphe soit appelé le pontife de cette année, alors que Dieu n'avait établi qu'un seul grand-prêtre, qui n'avait de successeur qu'après sa mort. Il faut donc se rappeler que ta prétentions ambitieuses et les rivalités qui régnaient parmi les Juifs, les avaient amenés à instituer plusieurs grands-prêtres, qui exerçaient leur ministère tour à tour pendant un an. Peut-être même il y en avait plusieurs pour une même année, et d'autres leur succédaient l'année suivante.

 

ALCUIN. Ainsi, l'historien Josèphe rapporte que c'est à prix d'argent que Caïphe avait acheté le souverain pontificat pour cette année-là.

 

ORIG. (Traité 28.) La méchanceté de Caïphe ressort de cette circonstance qu'il était grand-prêtre pour cette année-là, dans laquelle notre Sauveur accomplit le ministère douloureux de sa passion : « Or, comme il était pontife de cette année-là, il leur dit : « Vous n'y entendez rien, et vous ne songez pas qu'il vous est avantageux qu'un seul homme meure pour le peuple. » — S. CHRYS. (hom. 65.) Il semble leur dire : Vous êtes assis tranquillement et vous délibérez négligemment sur cette affaire, mais veuillez donc réfléchir que la vie d'un homme doit être comptée pour rien quand il s'agit de l'intérêt public. — THEOPYHL. Il parle de la sorte dans une intention coupable, et cependant l'Esprit saint se sert de sa bouche pour prophétiser l'avenir : « Or, il ne dit pas cela de lui-même, mais étant le grand-prêtre de cette année, il prophétisa que Jésus devait mourir pour la nation. »

 

ORIG. Tout homme qui prophétise n'est point par-là même prophète, de même qu'on n'est pas juste pour avoir fait une action juste, si par exemple on l'a faite par un motif de vaine gloire, Caïphe prophétise donc, mais sans être prophète, pas plus que Balaam. (Nb 23) Osera-t-on dire que ce n'est point par l'inspiration de l'Esprit saint que Caïphe a prophétisé, parce que l'esprit mauvais peut également rendre témoignage à Jésus, et prophétiser dans son intérêt, comme nous voyons les démons dire à Jésus : « Nous savons qui vous êtes, le saint de Dieu. » Mais son intention n'est pas de gagner des disciples à Jésus, c'est, au contraire, d'exciter contre lui ceux qui, dans le conseil avait mis en lui leur confiance, et de leur arracher une sentence de mort. D'ailleurs ces paroles : « Il vous est avantageux, » etc. qui sont une partie de la prophétie, sont-elles vraies ou fausses ? Si elles sont vraies, il s'ensuit que tous ceux qui, dans le conseil, se déclarent contre Jésus, seront sauvés, puisque Jésus meurt pour le salut du peuple ; et tous obtiendront cet avantage ; mais s'il est absurde de dire que Caïphe, et les antres membres du conseil qui délibéraient contre Jésus, soient sauvés, il est évident que ce n'est pas l'Esprit saint qui lui a dicté ces paroles, parce que l'Esprit saint ne ment jamais. Si l'on veut cependant que Caïphe ait dit ici la vérité, on comprendra ce que dit saint Paul : a Que la bonté de Dieu a voulu qu'il mourût pour tous, » (He 2, 9) et qu'il est le Sauveur de tous les hommes, surtout des fidèles. (1 Tm 4, 10.) Il reconnaîtra que toute cette prophétie est vraie dans son ensemble, à partir de ces mots : « Vous n'y entendez rien, » car ils ne connaissaient vraiment rien, eux qui ignoraient que Jésus est la vérité, la justice, la sagesse et la paix. Il est vrai encore qu'il était avantageux que ce seul homme (en tant qu'il est homme) mourût pour le peuple, car en tant qu'il est l'image du Dieu invisible, il ne peut être soumis à la mort. Il est mort pour le peuple en vertu de la puissance qu'il avait d'effacer les crimes de tout l'univers en les prenant sur lui. Cette réflexion de l'Evangéliste : « Il ne dit pas cela de lui-même, » nous apprend qu'il y a des choses que nous pouvons dire par nous-mêmes, sans avoir besoin pour cela d'aucun secours étranger, mais qu'il en est d'autres qui nous sont inspirées par une vertu secrète, bien que nous ne les comprenions point dans toute leur étendue. Dans ce dernier cas, nous nous attachons au sens que paraissent présenter les choses que nous disons, mais sans comprendre dans quelle intention elles nous ont été dictées. C'est ainsi que Caïphe ne dit rien ici de lui-même, et ne pense point faire une véritable prophétie, parce qu'il ne comprend pas le sens prophétique des paroles qu'il prononce. Tels étaient ces prétendus docteurs de la loi dont parle saint Paul : « Qui n'entendent ni ce qu'ils disent, ni ce qu'ils affirment. » (1 Tm 1, 7) — S. AUG. (Traité 49.) Nous apprenons par cet exemple que des hommes livrés au mal peuvent recevoir l'esprit de prophétie pour prédire l'avenir, ce que l'Evangéliste attribue à un conseil secret de la divine providence, parce que Caïphe était grand-prêtre cette année. — S. CHRYS. (hom. 65.) Voyez combien grande est la puissance de l'Esprit saint, qui peut faire sortir d'un esprit corrompu un oracle prophétique ! Voyez aussi la grandeur et la vertu du pouvoir pontifical. Caïphe est grand-prêtre, tout indigne qu'il est de cet honneur, et il prophétise sans savoir ce qu'il dit : La grâce ne s'est servi que de ses lèvres, et n'effleura même pas le cœur de cet homme profondément corrompu. — S. AUG. Caïphe ne prophétisa que de la seule nation des Juifs, dans laquelle se trouvaient les brebis, dont le Seigneur a dit lui-même : « Je ne suis envoyé qu'aux brebis qui ont péri de la maison d'Israël. » (Mt 15) Mais l'Evangéliste savait qu'il y avait d'autres brebis qui n'étaient pas de cette bergerie et qu'il fallait amener au bercail (Jn 10) ; et c'est pour cela qu'il ajoute : « Et non seulement pour la nation, mais afin de rassembler en un seul corps les enfants de Dieu. Il se place ici au point de rue de la prédestination, car les Gentils n'étaient alors ni les brebis, ni les enfants de Dieu.

 

S. GREG. (Moral., 6, 12 ou 13 dans les anc.) Les ennemis de Jésus mirent donc à exécution le dessein criminel qu'ils avaient formé. Ils firent mourir Jésus-Christ, pour empêcher la piété des fidèles de s'attacher à lui ; mais la foi grandit et s'accrut par les moyens mêmes que la cruauté des impies avait pris pour l'éteindre, et Jésus fit servir à l'accomplissement de ses desseins miséricordieux ce que la cruauté des hommes avait inventé contre lui. — ORIG. (Traité 28.) Ces paroles de Caïphe les enflammèrent de colère, et ils résolurent dès lors de mettre à mort le Seigneur : « Depuis ce jour ils pensèrent à le faire mourir. » Si ce n'est point par l'inspiration de l'Esprit saint que Caïphe a prophétisé ; il y eut un autre esprit qui parla par la bouche de cet impie et qui excita ses semblables contre Jésus-Christ. Si cependant on veut absolument que l'Esprit saint ne soit pas étranger aux paroles de Caïphe et à la délibération qui suivit, on peut dire que de même qu'on voit des hommes faire servir à l'établissement de leur monstrueuse doctrine les saintes Ecritures qui ont pour objet l'utilité des fidèles, de même les pharisiens, en ne prenant point dans son vrai sens la prophétie véritable qui avait le Christ pour objet, en ont tiré comme conclusion le dessein de le mettre à mort. — S. CHRYS. (hom. 65.) Ils cherchaient depuis longtemps à le faire mourir, et ils s'affermirent plus que jamais dans leur dessein.

 

Vv. 54-86.

 

ORIG. (Traité 28.) Jésus ayant appris la résolution que les prêtres et les pharisiens avaient prise dans leur conseil de le mettre à mort, s'environna de plus de précautions, et ne se montra plus avec autant de confiance au milieu des Juifs. Il choisit pour retraite non une cité populeuse, mais une petite ville éloignée et située près du désert : « C'est pourquoi Jésus ne se montrait plus en public parmi les Juifs, » etc. — S. AUG. (Traité 19.) Ce n'est pas que sa puissance lui fit défaut, et il aurait très bien pu, s'il avait voulu, demeurer publiquement au milieu des Juifs, sans avoir rien à craindre, mais il voulut apprendre par son exemple à ses disciples, qu'il n'y a pour eux aucun péché à se dérober à la haine de leurs persécuteurs, et qu'il vaut mieux échapper en se cachant à leur fureur sacrilège, que de la rendre plus ardente en paraissant à leurs yeux. — ORIG. Il est beau et louable pour confesser le nom de Jésus, de ne point rougir d’affronter le combat qui se présente, et de ne point refuser de souffrir la mort pour la défense de la vérité ; mais il n'est pas moins louable de ne point donner occasion à une si grande épreuve, non-seulement parce que nous ne pouvons pas prévoir l'issue d'un si grand combat, mais parce que nous devons éviter de donner aux impies et aux méchants les moyens augmenter leur impiété et leurs crimes ; car si celui qui devient pour un autre une occasion de péché, portera nécessairement la peine de ce péché, celui qui ne fuit point la persécution, lorsqu'il le peut, ne sera-t-il pas aussi responsable du crime de son persécuteur ? Et non-seulement le Seigneur se rendit dans cet endroit écarté, mais pour ôter tout motif à ses ennemis de le chercher, il y conduisit avec lui ses disciples : « Et il y demeurait avec ses disciples. » — S. CHRYS. Combien les disciples durent être troublés en voyant leur divin Maître échapper au danger par des moyens humains, et comme forcé de chercher un refuge pour se dérober à la poursuite de ses ennemis ? Tous sont dans la joie et l'allégresse qui accompagnent les grandes solennités, eux, au contraire, se cachent exposés qu'ils sont à de grands dangers ; cependant ils persévèrent avec le Sauveur, suivant la parole qu'il leur avait dite : « C'est vous qui êtes demeurés avec moi au milieu de mes épreuves. »

 

ORIG. Dans le sens anagogique, on peut dire que Jésus demeurait avec confiance au milieu des Juifs, alors que le Verbe divin habitait avec eux dans la personne des prophètes ; mais il s'en est retiré, et le Verbe de Dieu n'est plus avec les Juifs. Il se rendit dans une petite ville qui était près du désert et dont le prophète a dit : « Les enfants de la femme abandonnée (ou déserte) sont plus nombreux que les enfante de l'épouse. » Cette ville s'appelait Ephrem, qui veut dire fertilité ; or, Ephraïm fut le frère de Manassé, c'est-à-dire, du peuple ancien livré à l'oubli, car c'est après que ce peuple eut été livré à l'oubli et abandonné, que l'abondance sortit du milieu des nations. Nôtre-Seigneur quitte donc la Judée et vient dans la terre de tout l'univers, auprès de l'Eglise déserte et abandonnée, et dont le nom veut dire cité féconde, et il y demeure avec ses disciples.

 

S. AUG. (Traité 50 sur S. Jean.) Celui qui était descendu du ciel pour souffrir, ne voulut pas s'éloigner du lieu de sa passion, parce que l'heure de sa mort approchait : « Or, la Pâque des Juifs était proche, » etc. Les Juifs n'avaient que l'ombre de la vraie Pâque, nous en avons la lumière; le haut des portes des maisons juives était marqué du sang de l'agneau immolé, nos fronts sont marqués du sang de Jésus-Christ. Les Juifs ont voulu ensanglanter ce jour en répandant le sang du Seigneur, et l'Agneau qui a été immolé a consacré à jamais ce jour de fête par son sang. La loi faisait un précepte aux Juifs de se réunir pour cette fête à Jérusalem, de toutes les parties de la Judée, et de se sanctifier par la célébration de cette grande fête : « Un grand nombre de Juifs, dit l'Evangéliste, montèrent de la province à Jérusalem avant la Pâque, pour se purifier. » — THEOPHYL. Ils se rendirent à Jérusalem avant la Pâque pour se purifier, parce que ceux qui s'étaient rendus coupables d'une faute volontaire ou involontaire ne célébraient point la Pâque avant de s'être purifiés, selon la coutume, par des bains, par des jeûnes, en se rasant les cheveux, et aussi en faisant les offrandes qui étaient commandées à cet effet. C'est donc pendant le temps qu'ils accomplissaient ces purifications légales qu'ils cherchent à tendre des pièges au Sauveur. « Ils cherchaient donc Jésus, et se disaient les uns aux autres : Que pensez-vous de ce qu'il n'est pas venu pour la fête ? » — S. CHRYS. (hom. 65.) Ils lui tendent des embûches jusque dans cette fête de Pâque, et font de cette grande solennité un temps de meurtre et d'homicide. — Omet. Aussi l'Evangéliste ne dit pas : La Pâque du Seigneur, mais : « La Pâque des Juifs, » parce qu'ils dressaient des embûches au Seigneur dans cette fête. — ALCUIN. Les Juifs cherchaient Jésus-Christ avec de mauvaises intentions; pour nous, nous le cherchons en restant dans le temple à nous consoler, à nous exhorter mutuellement, et à demander qu'il se rende à notre jour de fête, et nous sanctifie par sa présence. — THEOPHYL. S'il n'y avait que le peuple pour s'occuper de ce dessein sanguinaire, on pourrait dire que sa passion a été le résultat de l'ignorance, mais ce sont les pharisiens eux-mêmes qui donnent l'ordre de se saisir du sa personne : « Or, les pontifes et les pharisiens avaient donné ordre que si quelqu'un savait où il était, il le déclarât, afin qu'ils le fissent prendre. » — ORIG. Remarquez qu'ils ignoraient où il était ; car, nous avons dit qu'il avait quitté la ville de Jérusalem. Vous irez ajouter qu'en cherchant à tendre des pièges à Jésus, ils ne auvent où il est, et qu'ils donnent des commandements bien différents des commandements divins, en enseignant des maximes et des ordonnances tout humaines. — S. AUG. Pour nous, indiquons aux Juifs où Jésus se trouve maintenant. Plaise à Dieu qu'ils veuillent nous entendre et se saisir de lui ! Qu'ils viennent dans l'Eglise, qu'ils apprennent où se trouve Jésus-Christ, et qu'ils s'emparent de sa personne.

 

 

CHAPITRE XII

 

Vv. 1-11.

 

ALCUIN. Le temps où le Sauveur avait résolu de souffrir approchait ; il se rapprocha donc aussi du lieu où il devait accomplir la mystérieuse économie de sa passion : « Jésus donc, six jours avant la Pâque, vint à Béthanie. » Il se rend d'abord à Béthanie, puis à Jérusalem ; à Jérusalem pour y souffrir, à Béthanie pour que la résurrection de Lazare s'imprimât plus profondément dans la mémoire de tous ; et c'est pour cela que l'Evangéliste ajoute : « Où était mort Lazare, qu'il avait ressuscite. »

 

théophyi. Le dixième jour du mois, les Juifs prennent un agneau pour l'immoler dans les fêtes de Pâques ; c'est de ce jour que commence pour eux les solennités de cette fête. Voilà pourquoi le neuvième jour du mois, qui précède le dixième jour avant la Pâque, ils font un festin splendide, et ce jour est comme l'ouverture de cette grande fête ; c'est pour cela que Jésus, venant à Béthanie, prend part à on festin de ce genre : « On lui prépara là un souper, » etc. En nous disant que Marthe servait à table, l'Evangéliste nous fait entendre que ce repas avait lieu dans sa maison. Mais considérez la foi de cette femme ; elle ne charge pas les femmes de service de servir à table, elle veut elle-même remplir cet office. L'Evangéliste nous donne encore une preuve évident la résurrection de Lazare, en ajoutant : « Lazare était un de ceux qui étaient assis à table avec lui. » — S. AUG. (Traité 50 sur S. Jean.) Il était donc vivant, il parlait, il mangeait, la vérité se montrait au grand jour, et l'incrédulité des Juifs était confondue.

 

S. CHRYS. (hom. 65.) Quant à Marie, elle ne s'occupe point du service ordinaire, elle est tout entière à l'honneur qu'elle veut rendre à son divin Maître, et elle s'approche de lui non comme d'un homme, mais comme d'un Dieu: « Or, Marie prit une livre de parfum de nard pur, d'un grand prix, le répandit sur les pieds de Jésus, et les essuya avec ses cheveux, » etc. — S. AUG. Le mot pistici indique probablement le lieu d'où venait ce parfum précieux. —ALCUIN. Ou bien, ce mot ajouté à celui de parfum, veut dire qu'il était pur (de fides), et n'était mélangé d'aucune substance étrangère. Marie était cette femme pécheresse qui était déjà venue trouver le Seigneur dans la maison de Simon, avec un vase de parfum. — S. AUG. (de l'accord des Evang., 2, 79.) Ce fait, qui se répète à Béthanie, est différent de celui que raconte saint Luc ; mais il est également raconté par les trois autres évangélistes, saint Jean, saint Matthieu et saint Marc. Dans saint Matthieu et dans saint Marc, le parfum est répandu sur la tète; dans saint Jean, il est répandu sur les pieds ; mais nous devons entendre que Marie le répandit non-seulement sur la tête, mais encore sur les pieds du Seigneur. C'est comme par récapitulation que saint Matthieu et saint Marc parlent de ce fait, qui eut lieu à Béthanie, six jours avant la Pâque, et qu'ils racontent le repas dont parle ici saint Jean, et du parfum qui fut répandu sur le Sauveur.

 

« Et la maison fut remplie de l'odeur du parfum. » — S. AUG. (Traité 80.) Rappelez-vous ces paroles de l'Apôtre : « Aux uns nous sommes une odeur de mort pour la mort, et aux autres une odeur de vie pour la vie, » (2 Co 2, 16) et vous comprendrez par ce parfum comment il était pour les uns une bonne odeur qui donnait la vie, et pour les autres une mauvaise odeur qui donnait la mort : « Alors un de ses disciples, Judas Iscariote, qui devait le trahir, dit : Pourquoi n'a-t-on pas vendu ce parfum trois cents deniers, » etc. — S. AUG. Les autres évangélistes disent que les disciples murmurèrent également à la vue de ce parfum répandu, saint Jean ne parle que de Judas, on peut donc dire que saint Matthieu et saint Marc ont voulu désigner Judas sons le nom des disciples en général, en mettant le pluriel pour le singulier. On peut encore dire que les disciples eurent la même pensée que Judas, ou qu'ils l'exprimèrent, ou que Judas leur fit partager sa manière de voir, et que saint Matthieu et saint Marc ont exprimé ce qu'ils pensaient intérieurement. Mais Judas parle ainsi parce que c'était un voleur, et les autres par intérêt pour les pauvres, et Jean n'a cru devoir ici mentionner que celui dont il voulait faire apparaître l'habitude de voler : « Il dit cela, non qu'il se souciât des choses, mais parce qu'il était voleur, et qu'ayant la bourse, il portait ce qu'on y déposait. » — ALCUIN. Son devoir était de la porter, son crime de la voler.

 

S. AUG. La perversion de Judas ne date pas seulement du jour où il reçut des Juifs la somme d'argent pour leur livrer Nôtre-Seigneur, bien auparavant il avait la passion du vol, il était déjà perdu, et suivait Jésus, non de cœur, mais de corps seulement. Le Seigneur voulut nous apprendre ainsi à supporter les méchants pour ne point diviser le corps de Jésus-Christ. Celui qui vole l'Eglise en quelque chose, est semblable au traître Judas. Si vous êtes bon, tolérez les mauvais pour obtenir la récompense des bons, et ne point partager le supplice des méchants. Prenez exemple sur la conduite du Seigneur, lorsqu'il vivait sur cette terre ; pourquoi lui qui avait les anges pour le servir, voulût-il que ses disciples eussent une bourse à son usage, sinon pour nous apprendre qu'il serait aussi permis à son Eglise d'avoir de l'argent en réserve ? Pourquoi permit-il qu'il y eût un voleur dans sa compagnie, si ce n'est pour enseigner à son Eglise à supporter les voleurs qu'elle aurait dans son sein ? Remarquez cependant que celui qui avait contracté l'habitude de voler son maître, n'hésita pas à vendre le Seigneur pour une somme d'argent.

 

S. CHRYS. (hom. 65.) Jésus lui confia, quoiqu'il fût un voleur, la bourse des pauvres, pour ôter tout prétexte, toute excuse à sa trahison, car il ne peut alléguer que c'est le désir d'avoir de l'argent qui l'avait porté à cet excès, puisqu'il trouvait dans la bourse qu'il portait de quoi satisfaire abondamment ce désir. — THEOPHYL. Il en est qui pensent que Judas fut chargé de l'emploi et de la distribution de l'argent, comme le dernier des apôtres, car l'administration de l'argent est inférieure à la prédication de la doctrine, selon ce que disent les Apôtres eux-mêmes : « Il n'est pas juste que nous abandonnions la parole de Dieu pour le service des tables. » (Ac 6, 2.)

 

S. CHRYS. Cependant Jésus-Christ fait preuve de la plus grande bonté à l'égard de Judas, il ne lui reproche pas les vols qu'il a commis, il donne à l'action de cette femme une excuse générale : « Jésus lui dit donc : Laissez-la réserver ce parfum pour le jour de ma sépulture. »ALCUIN. Nôtre-Seigneur prédit ainsi qu'il doit mourir et que son corps doit être embaumé avec des parfums, et comme Marie, malgré tout son désir, ne pourrait embaumer son corps après sa mort qui devait être suivie d'une résurrection si prompte, il lui permet de lui rendre cet hommage pendant sa vie. — S. CHRYS. En rappelant le souvenir de sa sépulture, il veut encore donner un avertissaient à son traître disciple, et il semble lui dire : Je vous suis à charge, ma présence vous pèse, mais attendez un peu, et je m'en irai ; c'est ce que signifient ces paroles : « Vous avez toujours des pauvres avec vous, mais vous ne m'aurez pas toujours. » — S. AUG. Il parlait ici de sa présence corporelle, car sous le rapport de sa puissance divine, de sa providence, de sa grâce ineffable et invisible, il accomplit cette promesse qu'il a faite à ses disciples : « Voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles. » Ou bien encore, Judas est la figure de tous les méchants ; si vous êtes bon, vous jouissez de la présence de Jésus-Christ par la foi dans son sacrement, et vous en jouirez toujours, car vous ne sortirez de cette vie que pour aller trouver celui qui a dit au bon larron : « Aujourd'hui vous serez avec moi dans le paradis. » Mais si votre conduite est mauvaise, vous paraîtrez jouir de la présence de Jésus-Christ pendant cette vie, parce que vous avez reçu son baptême, parce que vous vous approchez de son autel, mais votre vie criminelle vous la fera bientôt perdre, Jésus ne dit pas : Tu as, mais : « Vous avez, » parce que dans un seul homme mauvais, il voit la figure de tous les méchants. « Une grande multitude de Juifs surent qu'il était là, et ils vinrent, non à cause de Jésus seulement, mais pour voir Lazare qu'il avait ressuscité d'entre les morts. » C'est la curiosité qui les amène et non la charité. — THEOPHYL. Ils désiraient voir celui qu'il avait ressuscité, dans l'espérance d'apprendre de Lazare quelque nouvelle des enfers.

 

S. AUG. (Traité 30.) Ce miracle que Nôtre-Seigneur avait opéré, portait avec lui un caractère si éclatant d'évidence, il avait reçu d'ailleurs une si grande publicité, qu'ils ne pouvaient ni le dissimuler, ni le nier, que firent-ils donc ? Ils formèrent le projet de faire mourir Lazare. Projet insensé, cruauté aveugle ! Est-ce que le Seigneur, qui a pu ressusciter un homme mort, ne pourrait le ressusciter s'il était tué ? Voici qu'il a fait l'un et l'autre : Il a ressuscité Lazare qui était mort, et il s'est ressuscité lui-même, après que les Juifs l'eurent fait mourir de mort violente. — S. CHRYS. (hom. 66.) Aucun miracle de Jésus-Christ ne leur causa une si grande fureur, il était un des plus éclatants, il avait été fait devant un grand nombre de témoins, et c'était un spectacle vraiment extraordinaire que de voir marcher et parler un mort de quatre jours.  On peut dire encore que dans d'autres circonstances, ils croyaient pouvoir détacher la multitude de Jésus, en l'accusant de violer la loi du sabbat, mais comme ici ils ne pouvaient formuler contre lui aucune accusation, ils tournent tous leurs efforts contre Lazare ; c'est ce qu'ils eussent fait à l'égard de l'aveugle-né, s'ils n'avaient cru pouvoir accuser Jésus d'avoir violé la loi du sabbat. Peut-être encore, comme l'aveugle-né était de condition obscure, se contentèrent-ils de le chasser du temple, Lazare, au contraire, était d'une famille distinguée, comme on le voit par le grand nombre de ceux qui étaient venus pour consoler ses sœurs. Ce qui les blessait encore profondément, c'est que tout le monde quittait la fête qui commençait pour se rendre à Béthanie.

 

ALCUIN, Dans le sens mystique, Jésus, en venant à Béthanie six jours avant la Pâque, nous apprend que celui qui avait fait tout l'univers en six jours, et créé l'homme le sixième jour, était venu racheter le monde au sixième âge du monde, le sixième jour de la semaine et à la sixième heure. Le festin que l'on prépare au Seigneur, c'est la foi de l'Eglise qui opère par la charité. (Gal 5, 7) Marthe sert le Seigneur dans toute âme fidèle qui offre à Jésus l'hommage de sa piété et de sa dévotion. Lazare, qui était un de ceux qui étaient assis à table avec lui, est la figure des pécheurs qui, après être morts au péché, sont ressuscites à la justice, se réjouissent de la présence de la vérité avec ceux qui ont persévéré dans la justice, et se nourrissent avec eux des dons de la grâce céleste. C'est à Béthanie que se célèbre ce festin, et avec raison, car Béthanie veut dire maison de l'obéissance, et l'Eglise est vraiment la maison de l'obéissance. — S. AUG. Le parfum que Marie répandit sur les pieds de Jésus, est le symbole de la justice, et c'est pour cela qu'il y en avait une livre. C'était un parfum de nard pur d'un grand prix, car le mot pistici, veut dire foi. Vous cherchiez à opérer la justice ? Rappelez-vous que le juste vit de la foi. Couvrez de parfums les pieds de Jésus par une vie sainte, suivez les traces du Seigneur, essuyez ses pieds avec vos cheveux, c'est-à-dire, si vous avez du superflu, donnez-le aux pauvres, et vous aurez essuyé les pieds du Seigneur, car les cheveux sont comme une partie superflue du corps. — ALCUIN. Remarquez que la première fois elle n'avait répandu ses parfums que sur les pieds de Jésus; ici elle les répand à la fois sur les pieds et sur la tête ; d'un côté ce sont les commencements de la vie pénitente, de l'autre c'est la justice des âmes parfaites, car la tête du Seigneur figure la hauteur sublime de sa divinité, et ses pieds l'humilité de son incarnation ; ou bien encore la tête, c'est Jésus-Christ lui-même, les pieds ce sont les pauvres qui sont ses membres. — S. AUG. La maison fut remplie de l'odeur du parfum, c'est-à-dire, que le bruit de cette action s'est répandue dans le monde entier comme un parfum d'agréable odeur.

 

Vv. 12-19.

 

S. CHRYS. La loi ordonnait que le dixième jour de la lune du premier mois, chacun prît un agneau ou un chevreau, et le gardât dans sa maison jusqu'au quatorzième jour de ce mois, au soir duquel on devait l'immoler (Ex 12) ; voilà pourquoi l'Agneau véritable, l'Agneau sans tache, choisi dans tout le troupeau, et qui devait être immolé pour la sanctification du peuple, se rendit à Jérusalem cinq jours avant son immolation, c'est-à-dire, le dixième jour de la lune. — S. AUG. (Traité 51 sur S. Jean.) Voulez-vous juger du fruit de la prédication du Sauveur et du grand nombre de brebis (parmi celles qui avaient péri de la maison d'Israël), qui avaient entendu la voix du pasteur, considérez ce que dit l'Evangéliste : « Le lendemain, une foule nombreuse qui était venue pour la fête, ayant appris que Jésus venait à Jérusalem, prit des rameaux de palmiers, » etc. Les rameaux de palmier sont les louanges et l'emblème de la victoire que le Seigneur devait remporter sur la mort en mourant lui-même, et du triomphe qu'il devait obtenir par le trophée de la croix sur le démon, le prince de la mort.

 

S. CHRYS. (hom. 66.) Cette multitude témoignait à haute voix qu'elle voyait eu lui beaucoup plus qu'un prophète : « En effet, dit l'Evangéliste, ils allèrent au-devant de lui, en criant : hosanna, » etc. — S. AUG. Le mot hosanna est une parole de supplication, qui exprime plutôt un sentiment du cœur qu'une pensée déterminée, comme sont les mots qu'on appelle dans la langue latine interjections. — BEDE. Ce mot est composé d'une abréviation et d'un mot entier, osi veut dire sauvé, et anna est une interjection suppliante. Le mot osi est abrégé, anna est entier, « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, » peut être entendu dans ce sens : « Béni soit celui qui vient an nom de Dieu le Père, » bien qu'on puisse aussi l'entendre de son propre nom, puisqu'il est aussi le Seigneur ; mais le sens le plus vraisemblable de ces paroles nous est indiqué par ces autres du Sauveur : « Je suis venu au nom de mon Père. » (Jn 10) Il ne perd pas sa divinité en nous enseignant l'humilité.

 

S. CHRYS. Un des plus puissants motifs qui porta la multitude à croire en Jésus-Christ, c'est qu'il n'était pas contraire à Dieu, et ce qui frappait le plus l'esprit du peuple, c'est qu'il disait qu'il venait du Père. De ces paroles nous tirons cette conclusion qu'il était Dieu. En effet, le mot hosanna signifie sauvé. Or, l'Ecriture n'attribue qu'à Dieu la puissance de sauver. Nous concluons encore qu'il était vrai Dieu, parce qu'il vient et qu'il n'est pas conduit par un autre ; car être conduit, indique qu'on est sous la dépendance de quelqu'un tandis que venir soi-même, n'appartient qu'au Maître. Ce qu'ils ajoutent : « Au nom du Seigneur, » exprime la même vérité ; car ils ne disent pas qu'il vient au nom du serviteur, mais « au nom du Seigneur. »

 

S. AUG. Qu'était-ce pour le Roi éternel des siècles de devenir le roi des hommes ? Jésus-Christ ne fut pas roi d'Israël pour imposer des tributs, pour lever et armer des troupes, mais pour gouverner les âmes et les conduire dans le royaume des cieux. Si donc il a voulu être roi d'Israël, ce n'est point pour s'élever lui-même, mais par bonté pour nous, c'est un témoignage de sa miséricorde, plutôt qu'une marque de sa puissance ; car celui qui s'est appelé sur la terre le roi des Juifs, est dans le ciel le roi des anges. — THEOPHYL. Les Juifs le proclamaient roi d'Israël dans un sens conforme à leurs rêves sur la royauté temporelle de leur Messie. Ils espéraient, en effet, voir s'élever du milieu d'eux un roi dont la puissance surpasserait celle des rois de la terre, et qui les affranchirait de la domination des Romains.

 

L'Evangéliste décrit ensuite l'entrée du Sauveur dans la ville de Jérusalem : « Et Jésus trouva un ânon, » etc. — S. AUG. Saint Jean ne raconte que d'une manière abrégée ce fait qui se trouve complètement développé dans les autres évangélistes. Ce petit de l'ânesse sur lequel personne encore ne s'était assis, suivant la remarque des autres évangélistes, est la figure du peuple des Gentils qui n'avait pas encore reçu la loi du Seigneur, l'ânesse (puisque l'un et l'autre furent amenés au Seigneur) était le symbole du peuple fidèle qui se forma au milieu du peuple d'Israël. — S. CHRYS. En montant sur cet ânon, Nôtre-Seigneur nous enseigne figurativement qu'il doit s'assujettir le peuple immonde des nations, et il accomplit en même temps une prophétie. — S. AUG. L'Evangéliste joint au récit de ce fait un oracle prophétique pour faire voir que les princes des Juifs, aveuglés par leur méchanceté, ne comprenaient point que les prophéties qu'ils lisaient s'accomplissaient en Jésus-Christ : « Selon ce qui est écrit : Ne craignez point, fille de Sion, voici votre Roi qui vient, assis sur le petit d'une ânesse. » C'est dans le peuple juif que se trouvait la fille de Sion, la ville de Jérusalem est elle-même cette Sion, à qui il est dit : « Ne craignez point. » Reconnaissez celui qui est l'objet de vos louanges, et ne soyez point effrayée lorsque vous le verrez souffrir, car le sang qui est répandu doit effacer vos crimes et racheter votre vie. — S. CHRYS. Ou bien encore, comme les rois des Juifs avaient été injustes pour la plupart, et avaient jeté leurs peuples dans des guerres sans fin, le prophète dit ici : Ce roi ne leur est pas semblable, il est plein de douceur et de mansuétude, comme le prouve l'âne qu'il choisit pour monture ; car il n'entre pas à la tête d'une armée, il entre assis sur son ânon.

 

Voyez l'humilité de l'Evangéliste, il ne rougit pas de faire connaître l'ignorance où ils étaient alors : « Ses disciples ne comprirent pas ceci d'abord, mais quand Jésus fut glorifié, alors ils se souvinrent, » etc. — S. AUG. Lorsque Nôtre-Seigneur eut fait éclater la vertu de sa résurrection, ils se souvinrent alors que ces choses étaient écrites de lui, et que ce qu'ils avaient fait à son égard en était l'accomplissement, c'est-à-dire qu'ils n'avaient fait autre chose que ce qui était prédit de lui. » — S. CHRYS. Leur ignorance venait de ce que Jésus ne leur avait pas révélé qu'il allait accomplir cette prophétie ; car il les eût scandalisés en leur faisant connaître qu'il soumettrait sa royauté à cette humiliation, ils n'eussent point compris tout d'abord quel était le royaume dont il leur parlait, et ils auraient cru qu'il s'agissait d'un royaume temporel.

 

THEOPHYL. Considérez ici l'enchaînement des faits qui amenèrent la passion du Sauveur. Il ressuscita Lazare, réservant ce miracle pour le dernier, et la vue et le bruit de ce miracle déterminèrent nu grand nombre de Juifs à croire en lui : « C'est ainsi que lui rendait témoignage la multitude qui était avec lui, lorsqu'il appela Lazare du tombeau, et le ressuscita d'entre les morts. » C'est pour cela aussi que le peuple vint en foule au-devant de lui, parce qu'il avait appris que Jésus avait fait ce miracle. De là l'envie haineuse et les embûches des pharisiens : « Les pharisiens se dirent donc entre eux : Vous voyez que nous ne gagnons rien, voilà que tout le monde court après lui. » — S. AUG. (Traité 51.) Cette multitude trouble une autre multitude. Mais pourquoi cette multitude aveugle se laisse-t-elle aller à la jalousie ? parce que le monde s'empresse autour de celui par qui le monde a été fait. — S. CHRYS. Le monde ici est pris pour la multitude. Ces paroles, du reste, me paraissent venir de ceux qui étaient animés de bons sentiments à l'égard de Jésus, mais qui n'osaient les faire connaître, et qui s'efforçaient par cette considération de détourner les autres de leur projet comme d'une chose dont l'exécution était impossible. — THEOPHYL. Ils semblent leur dire : Plus vous cherchez à lui tendre des embûches, plus vous le grandissez, et rendez sa gloire éclatante. Quel fruit donc retirez-vous de tant d'efforts ?

 

Vv. 20-26.

 

BEDE. Le temple élevé à Dieu dans la ville de Jérusalem avait une si grande célébrité, qu'aux jours de fête, non-seulement ceux qui étaient voisins, mais une nombreuse multitude accourue des points les plus éloignés de l'univers encombrait la ville ; comme les Actes des Apôtres nous l'apprennent de l'eunuque de Candace, reine d'Ethiopie. (Ac 8) C'est d'après cet usage que les Gentils, dont il est ici question, étaient venus pour adorer Dieu : « Or, parmi ceux qui étaient venus pour adorer en ces jours de fête, il y avait quelques Gentils. » — S. CHRYS. Ils étaient sur le point de se faire prosélytes. Attirés par la réputation du Sauveur, ils désirent le voir : « Ils s'approchèrent donc de Philippe qui était de Bethsaide, de Galilée, et le prièrent disant : Seigneur, nous voudrions voir Jésus. » — S. AUG. Voici que les Juifs veulent le mettre à mort, tandis que les Gentils désirent le voir, et aux Gentils se joignent ceux d'entre les Juifs qui criaient : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » Ainsi les uns viennent du peuple de la circoncision, les autres, du peuple des incirconcis, comme deux murailles qui ont un point de départ différent, et se réunissent par un baiser de paix dans la même foi de Jésus-Christ.

 

« Philippe le vint dire à André. » — S. CHRYS. Comme étant plus ancien que lui dans l'apostolat. Ils avaient, en effet, entendu dire au Sauveur : « N'allez pas dans la voie des nations. » (Mt 10) Philippe croit donc, devoir soumettre la question à André avant d'en référer à leur divin Maître : « Et André et Philippe le dirent à Jésus. » — S. AUG. (Traite 51) écoutons donc la réponse de la pierre angulaire : « Jésus leur répondit : L'heure est venue que le Fils de l'homme doit être glorifié. » Quelqu'un pourrait penser peut-être que Jésus annonce qu'il va être glorifié, parce que les Gentils désirent le voir ; non il n'en est pas ainsi. Jésus prévoyait que les Gentils de toutes les parties de l'univers croiraient en lui après sa passion et sa résurrection. Il prend donc occasion de ces Gentils qui désirent le voir, pour prédire la conversion future de toute la Gentilité, et il annonce la venue prochaine de l'heure de sa glorification dans les cieux, qui devait être suivie de la conversion à la foi de tous les Gentils. C'est ce que le Roi-prophète avait prédit : «  Soyez exalté, ô Dieu, au-dessus des deux, et que votre gloire éclate par toute la terre. » (Ps 56, 12 ; 107, 6.) Mais cette haute élévation dans la gloire a dû être précédée par les humiliations de la passion. Aussi le Sauveur ajoute : « En vérité, en vérité, je vous le dis : Si le grain de froment qui tombe dans la terre, ne meurt, il demeure seul ; mais s'il meurt, il produit beaucoup de fruits. » Ce grain de froment c'était lui que l'incrédulité des Juifs devait faire mourir, et qui devait se multiplier par la foi des peuples. — BEDE. Il est, en effet, ce grain qui a été semé de la semence des patriarches dans le champ du monde, c'est-à-dire qui s'est incarné pour mourir et ressusciter en se multipliant au centuple. Lui seul est mort, mais il est ressuscité avec un grand nombre d'autres.

 

S. ghrts. Comme les paroles du Sauveur ne portaient pas toujours la persuasion dans les cœurs, il a recours à cette comparaison, parce que le froment est une des graines qui produit le plus de fruit lorsqu'elle est morte. Or, si ce phénomène se manifeste dans les semences, à plus forte raison se produira-t-il en moi. Nôtre-Seigneur devait dans la suite envoyer ses disciples vers les Gentils, et il les voit déjà venir d'eux-mêmes avec ardeur pour embrasser la foi, il annonce donc que le moment est venu pour lui de souffrir le supplice de la croix ; car il n'envoya point ses Apôtres vers les nations avant que les Juifs se fussent brisés eux-mêmes contre la pierre, avant qu'ils l'eussent crucifié : Et, comme il prévoyait que sa mort devait jeter ses disciples dans une profonde tristesse, il expose pleinement la doctrine de la croix, et semble dire à ses disciples : Il ne suffit pas que vous supportiez ma mort avec patience ; si vous ne mourez vous-mêmes, vous n'avez aucun fruit à espérer de ma mort : « Celui qui aime son âme, la perdra. » — S. AUG. On peut entendre ces paroles de deux manières : la première, « celui qui aime son âme, la perdra ; » c'est-à-dire, si vous l'aimez véritablement, n'hésitez pas à la perdre ; si vous désirez obtenir la vie, qui est en Jésus-Christ, ne craignez pas de souffrir la mort pour Jésus-Christ. Ou bien : « Celui qui aime son âme, la perdra. » N'aimez donc point votre âme dans cette vie, pour ne point la perdre dans la vie éternelle. Cette seconde interprétation est plus conforme à l'ensemble du texte évangélique, où nous lisons ensuite : « Et celui qui hait son âme dans ce monde, » etc. Donc, dans le membre de phrase précédent : « Celui qui aime, » il faut sous-entendre : En ce monde. — S. CHRYS. (hom. 67.) Or, aimer son âme en ce monde, c'est satisfaire ses désirs criminels ; haïr son âme, c'est résister à ses désirs coupables. Et remarquez que Nôtre-Seigneur ne dit pas : Celui qui ne se rend pas aux désirs de son âme, mais : « Celui qui la hait. » Lorsque nous avons de la haine contre quelqu'un, nous ne pouvons entendre sa voix, sa présence nous est désagréable ; ainsi lorsque notre âme nous suggère des pensées contraires à la loi de Dieu, nous devons la repousser avec horreur. — THEOPHYL. Comme cette obligation de haïr son âme pouvait paraître bien dure, le Sauveur adoucit cette dure obligation en ajoutant: « En ce monde, » paroles qui annoncent la brièveté de l'épreuve; il ne nous commande pas de haïr notre âme pour toujours, et il nous fait savoir quel sera le prix de ce sacrifice : « Il la conservera pour la vie éternelle. » — S. AUG. Mais prenez garde de vous laisser aller à la pensée de vous donner la mort à vous-même par une fausse interprétation de ce précepte : « Qu'il faut haïr son âme eu ce monde. » C'est ainsi que l'entendent certains hommes pervers et mal inspirés, qui se rendent coupables d'homicide et trouvent la mort en se jetant dans les flammes, en s'étouffant dans les eaux, en se précipitant d'un lieu élevé (1). Ce n'est pas ce que Jésus-Christ a enseigné ; au contraire, lorsque le démon lui eut conseillé de se jeter du haut du temple, il lui répondit : « Retire-toi, Satan. » Lors donc que vous vous trouvez dans cette alternative ou d'enfreindre un précepte divin, ou de sortir de cette vie sous la menace de mort d'un persécuteur, c'est alors que vous devez haïr votre âme eu ce monde, pour la conserver dans la vie éternelle.

 

S. CHRYS. (hom. 67.) Cette vie présente paraît pleine de douceur à ceux qui en sont violemment épris, mais celui qui jette les yeux vers le ciel et qui considère les biens qui l'y attendent, n'aura que du mépris pour la vie présente ; car, en présence d'un plus grand bien , le bien qui est moindre n'a plus de valeur. Or, Jésus-Christ nous conseille ce mépris, lorsqu'il nous dit : « Si quelqu'un veut être mon serviteur, qu'il me suive ; » c'est-à-dire, qu'il marche sur mes traces. Le Sauveur veut parler ici de la mort et de l'imitation par les œuvres, car le serviteur doit nécessairement suivre celui qu'il sert. — S. AUG. Nôtre-Seigneur nous apprend lui-même ce que c'est que le servir, en nous disant : » Si quelqu'un veut être mon serviteur, qu'il me suive, » etc. Servir Jésus-Christ, c'est donc ne pas chercher ses intérêts, mais ceux de Jésus-Christ. C'est ce que signifient ces paroles : « Qu'il me suive, » c'est-à-dire, qu'il marche dans mes voies, et non dans les siennes ; qu'il ne se contente pas des œuvres extérieures de miséricorde, mais qu'il fasse tontes ses bonnes œuvres pour Jésus-Christ, jusqu'à cette oeuvre de charité héroïque qui consiste à donner sa vie pour ses frères. Mais quel en sera le fruit, quelle en sera la récompense ? « Et où je suis, là sera aussi mon serviteur. » Que le serviteur de Jésus-Christ l'aime d'un amour désintéressé, afin que la récompense du dévouement à son service soit d'être avec lui. — S. CHRYS. (hom. 67.) Nôtre-Seigneur nous apprend ainsi que la mort sera suivie de la résurrection : il dit : « Là où je suis, » parce qu'avant même sa résurrection, il était dans ciel ; c'est donc là que nous devons transporter nos pensées et nos affections.

 

« Si quelqu'un me sert, mon Père l'honorera. — S. AUG. C'est l'explication de ces paroles : « Où je suis, là sera aussi mon serviteur. » Car, quel plus grand honneur pour le fils adoptif, que d'être là où est le Fils unique ? — S. CHRYS. Il ne dit point : C'est moi qui l'honorerai, mais : « Mon Père l'honorera. » Car, ils n'avaient pas encore des idées convenables sur le Sauveur, et ils regardaient le Père comme lui étant supérieur.

 

Vv. 27-33.

 

S. CHRYS. (hom. 67 sur S. Jean.) Aux exhortations que Notre-Seigneur faisait à ses disciples, de ne craindre ni les souffrances ni la mort ; ils auraient pu répondre qu'il lui était facile, à lui, qui était placé en dehors des douleurs de notre humanité, de philosopher sur la mort et de les engager à supporter des épreuves dont il était affranchi ; il prévient cette objection en leur faisant voir qu'il est lui-même exposé aux mêmes dangers, et que cependant, à cause du bien qui doit en résulter, il ne craint pas la mort. C'est ce qui lui fait dire: « Et maintenant mon âme est troublée. » — S. AUG. (Traité 52.) J'entends ces paroles : « Celui qui hait son âme en ce monde, la garde pour la vie éternelle ; » et je me sens enflammé d'un saint mépris pour le monde, et la vapeur légère de cette vie, quelque prolongée qu'elle soit, n'est rien à mes yeux, l'amour des biens éternels me fait paraître viles toutes les choses de la terre ; et voilà que j'entends de nouveau le Seigneur me dire : « Maintenant mon âme est troublée. » Vous commandez à mon âme de vous suivre, mais je vois que la vôtre est dans le trouble ; sur quel fondement m'appuyer, si la pierre elle-même succombe ? Je reconnais, Seigneur, votre miséricorde ; c'est votre charité qui est la cause de votre trouble, et vous voulez ainsi consoler et sauver du désespoir, qui les perdrait, les membres si nombreux de votre corps, qui sont troublés par suite des faiblesses nécessaires de leur nature. Notre chef a donc voulu ressentir en lui toutes les affections de ses membres. Son trouble ne vient donc point d'une cause étrangère, mais comme l'Evangéliste l'a remarqué plus haut, il s'est troublé lui-même. — S. CHRYS. (hom. 67.) Aux approches de sa croix, il fait paraître les sentiments qui sont propres à notre humanité, une nature qui a horreur de la mort, et qui s'attache à la vie présente, et Il prouve ainsi qu'il n'était point étranger aux fassions de notre humanité ; car ce n'est pas plus un crime de désirer conserver la vie présente que ce n'est un crime d'éprouver le besoin de la faim. Le corps de Jésus-Christ était pur de tout péché, mais il n'était pas affranchi des infirmités de notre nature ; c'était l'effet et la suite non de sa divinité, mais de son incarnation.

 

S. AUG. (Traité 52.) Enfin que l'homme qui désire suivre le Sauveur, apprenne à quel moment il doit marcher à sa suite, voici peut-être une heure terrible ; on vous donne le choix, ou de commettre l'iniquité, ou de souffrir la mort, votre âme faible se trouble ; écoutez ce que Jésus ajoute : « Et que dirai-je ? » — BEDE. C'est-à-dire, que dirai-je que ce qui peut être une leçon pour mes membres ? « Père, sauvez-moi de cette heure. » — S. AUG. C'est ainsi qu'il vous montre celui que vous devez invoquer, celui à la volonté duquel vous devez subordonner la vôtre ; ne regardez donc pas comme une chute pour lui l'acte par lequel il veut vous tirer de votre misère, il a pris sur lui nos infirmités, pour enseigner à ceux qui sont dans la tristesse, à dire : « Non ce que je veux, mais ce que vous voulez. » C'est ce que signifient les paroles suivantes : « Mais c'est pour cela que je suis arrivé à cette heure. » — S. CHRYS. C'est-à-dire, je n'ai rien à dire pour me dérober à la mort qui me menace, « car c'est pour cela que je suis arrivé à cette heure ; » langage dont voici le sens : Malgré le trouble et l'agitation auxquels vous êtes en proie, ne cherchez pas à vous soustraire à la mort, puisque moi-même, malgré le trouble où mon âme est plongée, je ne demande pas d'y échapper (car il faut supporter ce qui doit arriver) ; je ne dis pas : Délivrez-moi de cette heure, mais au contraire : « Mon Père, glorifiez votre nom. » Il montre ainsi qu'il meurt pour la vérité, ce qu'il appelle la glorification du nom de Dieu. C'est en effet ce qui s'est vérifié, puisqu'après le supplice de la croix, l'univers entier devait se convertir, connaître et adorer le nom de Dieu, ce qui était autant la gloire du Fils que du Père, mais Jésus ne dit rien de ce qui lui était personnel.

 

« Et une voix vint du ciel : Je l'ai glorifié, et je le glorifierai encore. » — S. GREG. (Moral., 28, 2.) C'est par le ministère d'un ange que Dieu fit entendre ces paroles, puisque rien ne parait aux yeux, et qu'on entend seulement une voix qui vient du ciel. Comme en parlant du haut des cieux, Dieu, voulant être entendu de tous, s'est servi pour cela de l'intermédiaire d'une créature raisonnable. — S. AUG. (Traité 52.) « Je l'ai glorifié, » avant la création du monde, « et je le glorifierai encore » lorsqu'il ressuscitera d'entre les morts ; ou bien encore, je l'ai glorifié, lorsqu'il est né d'une Vierge, lorsqu'il a fait une multitude de miracles, lorsque l'Esprit saint est descendu sur lui sous la forme visible d'une colombe ; et je le glorifierai de nouveau lorsqu'il ressuscitera d'entre les morts, lorsqu'il sera exalté comme Dieu an-dessus des cieux, et que sa gloire éclatera sur toute la terre.

 

« Or, la foule qui était là et qui avait entendu, disait : C'est le tonnerre. » — S. CHRYS. Cette voix était claire, et le sens de ces paroles facile à comprendre, mais elle ne fit qu'une impression fugitive sur des esprits grossiers, charnels et indolents. Les uns ne firent attention qu'au son de la voix, les autres avaient bien remarqué que c'était une voix articulée, mais ils n'en savaient pas encore le sens, et c'est d'eux que l'Evangéliste ajoute : « D'autres disaient : Un ange lui a parlé. »

 

« Jésus répondit : Ce n'est pas pour moi que cette voix est venue, c'est pour vous. » — S. AUG. Cette voix n'apprenait donc point au Sauveur ce qu'il savait déjà, mais elle donnait cette connaissance à ceux qui en avaient besoin. De même donc que ce n'est point pour lui, mais pour nous que cette voix se fit entendre ; ainsi ce n'est point pour lui, mais pour notre instruction qu'il permit que sou âme fût troublée. — S. CHRYS. (hom. 67.) La voix du Père se fait entendre ici pour répondre à ce qu'ils ne cessaient de dire : que Jésus ne venait pas de Dieu, car comment Dieu pourrait-il glorifier celui qui ne viendrait pas de Dieu ? Vous voyez que toutes les actions empreintes d'un caractère plus humble, sont faites pour les hommes et non pour le Fils, qui n'en avait nul besoin. Le Père a dit : « Je le glorifierai. » Voici de quelle manière : « C'est maintenant le jugement du monde. » — S. AUG. (Traité 52.) Le jugement que nous attendons à la fin des siècles, sera le jugement des récompenses et des châtiments éternels. Il y a encore un autre jugement, non de condamnation, mais de discernement, c'est ce discernement que Jésus appelle jugement, aussi bien que l'expulsion du démon des âmes, qu'il a rachetées : « Maintenant le prince du monde sera jeté dehors. » Gardons-nous de croire que le démon soit appelé le prince du monde dans ce sens qu'il exerce un empire absolu dans le ciel et sur la terre ; le monde ici, c'est l'ensemble des hommes méchants qui sont répandus sur toute la surface de la terre. Le prince de ce monde, c'est donc le prince des méchants qui habitent le monde. Le monde est pris aussi quelquefois pour les bons qui sont également répandus par tout l'univers ; c'est dans ce sens que l'Apôtre dit : « Dieu était en Jésus-Christ, se réconciliant le monde. » (2 Co 7) C'est de leurs cœurs que le prince du monde devait être chassé, car le Seigneur prévoyait qu'après sa passion et sa glorification, un grand nombre de peuples répandus dans tout l'univers croiraient en lui. Le démon était dans leur cœur, et il est chassé dehors quand ils renoncent an démon en embrassant la foi. Mais est-ce donc que le démon n'a pas été chassé du cœur des justes de l'ancienne loi ? Pourquoi donc le Sauveur dit-il ici : « Maintenant le prince du monde va être jeté dehors ? » C'est-à-dire que ce qui ne s'est fait qu'en faveur d'un très-petit nombre, doit se réaliser pour une multitude innombrable de peuples. Mais dira-t-on encore : De ce que le démon a été chassé dehors, s'ensuit-il que tous les fidèles soient à l'abri de ses tentations ? Tout au contraire, il ne cesse de tenter les hommes, mais il y a une grande différence entre attaquer extérieurement et régner dans l'intérieur de l'âme.

 

S. CHRYS. Mais quel est ce jugement par lequel le démon est chassé ? La comparaison suivante le fera comprendre : supposez un créancier impitoyable qui maltraite ses débiteurs et les jette dans les fers, et qui, emporté par sa fureur insensée, fait jeter dans le même cachot celui qui ne lui doit rien. Ce dernier lui fera expier l'injustice des mauvais traitements qu'il a soufferts et de ceux qu'il a fait souffrir aux autres. C'est ce qu'a fait Jésus-Christ ; il a tiré vengeance du joug tyrannique que le démon a fait peser sur nous, et de son entreprise insolente contre Jésus-Christ lui-même. Mais comment sera-t-il jeté dehors, s'il triomphe du Sauveur lui-même ? Il répond à cette objection, en ajoutant : « Et moi, quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai tout à moi. » Comment, en effet, celui qui entraîne les autres pourrait-il être vaincu ? Dire : « J'attirerai tout à moi, » c'est dire plus que : « Je ressusciterai ; » car de la prédiction qu'il ressusciterait, il ne s'ensuivait pas nécessairement qu'il attirerait tout à lui, mais l'expression : « J'attirerai tout à moi, » supposait les deux choses. — S. AUG. Or quelles sont toutes ces choses qu'il doit attirer à lui, si ce n'est celles dont le démon doit être chassé ? Remarquez qu'il ne dit pas : Je les attirerai tous, car tous les hommes n'ont pas la même foi. Ces paroles ne se rapportent donc pas à l'universalité des hommes, mais à l'ensemble de la nature humaine, c'est-à-dire, à l'esprit, à l'âme, au corps, à ce qui est en nous la cause de la pensée, de la vie, et à ce qui fait de nous des créatures visibles. Ou bien, s'il faut entendre des hommes cette expression : « Toutes choses, » il faut l'appliquer aux prédestinés ou à toutes les espèces d'hommes séparés entre eux, à l'exception du péché, par d'innombrables différences. — S. CHRYS. Mais comment expliquer ce que Nôtre-Seigneur dit plus haut, que : « Son Père nous attire ? » Parce que c'est le Père qui attire, lorsque le Fils lui-même attire. Il dit : « J'attirerai, » expression qui signifie qu'il délivre les captifs de la tyrannie, et qu'il rend la liberté à ceux qui ne peuvent venir d'eux-mêmes et briser les chaînes de leur servitude. — S. AUG. Mais « si une fois je suis élevé de terre, » c'est-à-dire, « lorsque je serai élevé, » car il n'a aucun doute sur la réalisation prochaine du mystère qu'il doit accomplir, et c'est sa mort sur la croix qu'il désigne sous le nom d'élévation. C'est pour cela que l'Evangéliste ajoute : « Ce qu'il disait, pour marquer la mort dont il devait mourir. »

 

Vv. 34-36.

 

S. AUG. (Traité 47.) Les Juifs ayant compris que Nôtre-Seigneur avait parlé de sa mort, lui demandent comment il pouvait dire qu'il devait mourir : » Le peuple lui répondit : Nous avons appris par la loi que le Christ demeure éternellement, comment dites-vous donc : Il faut que le Fils de l'homme soit élevé ? » Ils avaient conservé dans leur mémoire que le Seigneur se disait continuellement le Fils de l'homme, car le Sauveur n'avait point employé ici cette dénomination : Lorsque le Fils de l'homme sera élevé, comme précédemment : « L'heure vient où le Fils de l'homme sera glorifié. » Ils avaient donc présent à l'esprit ce nom qu'il se donnait, lorsqu'ils lai font cette question : « Si le Christ demeure éternellement, comment sera-t-il élevé sur la terre ? » c'est-à-dire, comment mourra-t-il de la mort de la croix ? — S. CHRYS. Nous voyons ici qu'ils comprenaient un grand nombre des choses que le Sauveur leur disait dans un sens parabolique; il leur avait prédit plus haut sa mort, et ils entendent dans ce sens ce qu'il dit de son élévation. — S. AUG. Ou bien ils comprirent qu'il leur parlait de ce qu'ils avaient l'intention de faire, ce ne fut donc point une lumière reçue d'en haut, mais leur conscience agitée par le remords qui leur révèle l'obscurité de ces paroles. — S. CHRYS. Voyez quelle malice dans cette question ; ils ne s'expriment pas de cette manière : Nous avons appris par la loi que le Christ doit être exempt de souffrances (car dans une foule d'endroits, les saintes Ecritures annoncent en même temps sa passion et sa résurrection), mais ils disent : « Nous avons appris que le Christ demeure éternellement. » Et il n'y avait en cela aucune contradiction, car la passion du Sauveur n'est point devenue un obstacle à son immortalité. Mais les Juifs s'imaginaient qu'ils prouveraient par là qu'il n'était pas le Christ, parce que le Christ doit demeurer éternellement. Ils ajoutent : « Quel est ce Fils de l'homme ? » question également pleine de malice et dont voici le sens : N'allez pas dire que nous vous faisons cette question par un sentiment de haine, car nous ne savons pas de qui vous voulez parler. Nôtre-Seigneur leur répond en leur démontrant que sa passion n'est pas un obstacle à ce qu'il demeure éternellement : « Jésus leur dit : La lumière est encore pour un peu de temps au milieu de vous. » Il leur apprend par là que la mort n'est qu'un passage, de même que la lumière du soleil ne s'éteint pas, mais se retire un peu de temps pour reparaître bientôt. — S. AUG. Ou bien encore, la lumière qui vous fait comprendre que le Christ demeure éternellement est pour un peu de temps au milieu de vous ; marchez donc à cette lumière, tandis que vous en jouissez, en d'autres termes : Approchez, comprenez la vérité tout entière, c'est-à-dire, que le Christ doit mourir et vivre éternellement. — S. CHRYS. Il veut parler ici du temps de cette vie tout entière, de celui qui devait précéder sa croix comme de celui qui devait la suivre, car un grand nombre crurent en lui après la passion : « De peur que les ténèbres ne vous surprennent. » — S. AUG. Si vous ne voulez croire l'éternité du Christ, qu'en niant l'humiliation de sa mort.

 

« Et celui qui marche dans les ténèbres ne sait où il va. » De quels crimes énormes les Juifs se rendent maintenant coupables ! Ils ne savent ce qu'ils font, mais tout en marchant dans les ténèbres, ils s'imaginent suivre le droit chemin, tandis qu'ils s'égarent dans une fausse voie, et c'est pour cela que le Sauveur ajoute : « Pendant que vous avez la lumière, croyez en la lumière. » — S. AUG. C'est-à-dire, tandis que vous retenez encore quelque parcelle de la vérité, croyez en la vérité, pour que vous puissiez renaître à la vérité : « Afin que vous soyez des enfants de lumière. » — S. CHRYS. (hom. 68.) C'est-à-dire, mes enfants. Au commencement de son Evangile, saint Jean dit qu'ils sont nés de Dieu, c'est-à-dire, du Père ; ici, d'après ses paroles, c'est lui-même qui les engendre, pour vous faire comprendre que le Père et le Fils ont une seule et même action.

 

« Jésus dit ces choses, puis il s'en alla et se cacha d'eux. » — S. AUG. Il ne se cacha pas de ceux qui avaient commencé à croire en lui et à l'aimer, mais de ceux qui, témoins de ces merveilles, nourrissaient contre lui une noire envie. En se dérobant ainsi à ses ennemis, il a égard à notre faiblesse, il ne déroge pas à sa puissance divine. — S. CHRYS. Mais pourquoi se cacher, alors qu'ils ne cherchaient pas à le lapider, et qu'ils ne proféraient aucun blasphème ? Il pénétrait le fond de leurs cœurs, il y voyait la fureur dont ils étaient animés contre lui, et il n'attendit pas qu'elle se traduisît en excès sacrilèges. Il se cache donc pour calmer ainsi leur jalousie.

 

Vv. 37-43.

 

S. CHRYS. (hom. 67 sur S. Jean.) Notre-Seigneur connaissait la haine furieuse des Juifs, qui méditaient sa mort, et c'est le motif qui le porte à se cacher, comme l'Evangéliste semble l'indiquer par ces paroles : « Mais, quoiqu'il eût fait tant de miracles devant eux, ils ne croyaient point en lui, » etc. — THEOPHYL. Ils furent grandement coupables de ne pas croire à de si grands miracles. Ces miracles sont ceux dont il a été parlé plus haut. — S. CHRYS. Et, pour qu'on ne pût excuser leur incrédulité, en disant qu'ils ne savaient pas l'objet de la mission du Christ, l'Evangéliste apporte le témoignage des prophètes qui ont connu cet objet : « De sorte que cette parole d'Isaïe fût accomplie : Seigneur, qui a cru à votre parole, et à qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé ? — ALCUIN. Le Prophète dit : « Qui a cru ? » pour exprimer le petit nombre de ceux qui ont cru à ce que les sainte prophètes avaient appris de Dieu et annoncé au peuple. — S. AUG. (Traité 53 sur S. Jean.) Il fait assez entendre que ce bras du Seigneur c'est le Fils de Dieu lui-même, non pas que Dieu le Père ait une forme humaine, mais il l'appelle le bras de Dieu, parce que toutes choses ont été faites par lui. (Jn 1) Si un homme, en effet, avait une puissance assez grande pour exécuter ce qu'il veut sans aucun mouvement de son corps, sa parole serait pour ainsi dire son bras. Cette expression ne peut nullement appuyer l'erreur de ceux qui prétendent qu’il n'y a que la personne du Père, si le Fils est son bras, puisque l'homme et le bras ne forment qu'une seule personne. Ils ne comprennent pas qu'une expression puisse être détournée de sa signification naturelle pour être appliquée à un genre de choses tout différent, à cause de certains points d'analogie et de ressemblance.

 

Il en est d'autres qui demandent, en murmurant, en quoi les Juifs ont été coupables, s'il fallait que la prophétie d'Isaïe fût accomplie ? Nous répondons que Dieu, dans la connaissance qu'il a de l'avenir, a prédit l'incrédulité des Juifs, sans en être l'auteur ; car Dieu ne force aucun homme à pécher, par là même qu'il prévoit les péchés que commettront les hommes. Ce sont leurs péchés qu'il prévoit, et non les siens. Les Juifs se rendirent donc coupables d'un crime qui avait été prévu et prédit par celui à qui rien ne peut être caché. — S. CHRYS. Dans cette locution : « Afin que la prophétie d'Isaïe fut accomplie, » la particule afin que n'indique pas la cause, mais l'effet ; car, si les Juifs n'ont pas cru, ce n'est point parce qu'Isaïe l'avait prédit, mais e'est, au contraire, parce qu'ils devaient être incrédules, qu'Isaïe a prédit leur incrédulité. — S. AUG. Cependant les paroles qui suivent soulèvent une difficulté plus grave ; en effet, l'Evangéliste ajoute : « C'est pour cela qu'ils ne pouvaient croire ; » parce qu'Isaïe a dit encore « Il a aveuglé leurs yeux, et il a endurci leur cœur, de peur qu'ils ne voient des yeux, et ne comprennent du cœur, » etc. Or, s'ils ne pouvaient croire, quel est le crime d'un homme qui ne fait point ce qui lui est impossible de faire ? Et, ce qu'il y a de plus grave ici, c'est que Dieu paraît être la cause de leur incrédulité, puisque c'est lui qui a aveuglé leurs yeux et endurci leur cœur ; car ce n'est point au démon, mais à Dieu, que l'Evangéliste attribue cet aveuglement. Mais pourquoi donc ne pouvaient-ils croire ? Je réponds : Parce qu'ils ne le voulaient pas ; car, de même que c'est la gloire de la volonté divine que Dieu ne puisse se démentir lui-même, ainsi c'est la faute de la volonté humaine de ne pouvoir croire à la parole divine. — S. CHRYS. Cette manière de parler est passée en usage ; c'est ainsi que l'on dit : Nous ne pouvons l'aimer, en rejetant sur l'impuissance de la volonté ce qui est l'effet d'une violente antipathie. L'Evangéliste se sert de cette expression : « Ils ne pouvaient pas, » pour montrer qu'il était impossible que le Prophète ait fait une fausse prédiction ; mais ce n'est point cette prédiction qui leur rendait la foi impossible, car Isaïe ne l'eût point faite s'ils avaient dû croire.

 

S. AUG. Mais, direz-vous, le Prophète indique une autre cause que leur volonté, quand il ajoute : « Il a aveuglé leurs yeux, » etc. Je réponds que c'est leur volonté qui a mérité cet aveuglement, car Dieu aveugle et endurcit, en abandonnant et en refusant son secours, ce qu'il peut faire par un jugement secret, mais qui ne peut jamais être injuste. — S. CHRYS. Dieu, en effet, ne nous abandonne que lorsque nous le voulons, selon ces paroles du prophète Osée : « Vous avez oublié la loi de votre Dieu, je vous oublierai moi-même. » (Os 4, 6.) Il parle ainsi pour nous apprendre que c'est nous qui commençons nous-mêmes l'œuvre de notre réprobation, et qui devenons la cause de notre perte. De même que le soleil blesse une vue malade, bien que cet effet ne soit point dans sa nature, ainsi arrive-t-il pour ceux qui ne font nulle attention aux enseignements divins. Or, ces paroles de l'Ecriture: « Il a aveuglé et endurci, » sont propres à jeter l'effroi dans l'âme des auditeurs.— S. AUG. Dans celles qui suivent : « Et que venant à se convertir, je les guérisse, » faut-il sous-entendre la particule négative ne (c'est-à-dire que ne se convertissant pas), car la conversion est un effet de sa grâce ? Ou bien n'est-ce point par un effet de la bonté de ce divin Médecin que les Juifs, pour avoir voulu établir leur justice orgueilleuse (Rm 10), aient été abandonnés et aveuglés pour un temps, afin qu'ils viennent heurter contre la pierre de scandale (Rm 9, 32), que leur face soit couverte de confusion (Ps 82, 17), et qu'ainsi humiliés, ils cherchent non plus celte justice personnelle qui enfle le superbe, mais la justice de Dieu, qui justifie l'impie ? Car, ce châtiment a été une cause du salut pour un grand nombre d'entre eux qui, repentants de leur crime, ont cru ensuite en Jésus-Christ. l'Evangéliste ajoute : « Isaïe a dit ces choses lorsqu'il a vu sa gloire et qu'il a parlé de lui. » Il a vu sa gloire non telle qu'elle est en elle-même, mais sous une forme symbolique, comme il convenait que Dieu la révélât à un prophète. Ne vous laissez donc point induire en erreur par ceux qui enseignent que le Père est invisible, et que le Fils seul est visible, et qui soutiennent qu'il est une simple créature ; car le Fils est également invisible dans sa nature divine, qui le rend égal au Père. Il s'est revêtu de la forme du serviteur pour se rendre visible. Mais avant même son incarnation, il s'ost manifesté aux yeux des hommes sous une forme créée et non tel qu'il est. — S. CHRYS. La gloire dont il parle ici est celle qui se révéla aux yeux du prophète, lorsqu'il vit Celui qui était assis sur un trône élevé, il tout ce qui est rapporté en cet endroit. l’Evangéliste ajoute : « Et qu'il a parlé de lui. » Qu'a-t-il dit de lui ? « J'ai vu le Seigneur assis, et j'ai entendu la voix qui me disait : Qui enverrai-je, et qui ira, » etc. « Néanmoins plusieurs des sénateurs eux-mêmes crurent en lui ; mais à cause des pharisiens, ils n'osaient le reconnaître publiquement, de crainte d'être chassés de la synagogue ; car, ils ont plus aimé la gloire des hommes que la gloire de Dieu. » — ALCUIN. La gloire de Dieu, c'est de confesser publiquement le Christ : la gloire des hommes, c'est de se glorifier dans les vanités du monde. — S. AUG. L'Evangéliste condamne donc ceux qui auraient pu s'élever, par l'amour, au-dessus de ce premier degré de la foi, et triompher ainsi des tentations de la gloire humaine.

 

Vv. 44-50.

 

S. CHRYS. (hom. 69 sur S. Matth.) Comme l'amour de la gloire, humaine empochait les princes du peuple d'avouer qu'ils croyaient en Jésus-Christ, le Sauveur s'élève avec force contre cette passion : « Jésus s'écria et dit : Celui qui croit en moi, ne croit point en moi, mais en celui qui m'a envoyé. » Comme s'il leur disait : Pourquoi redoutez-vous de croire en moi ? Votre foi arrive jusqu'à Dieu par moi. — S. AUG. (Traité 52 sur S. Jean.) Les hommes ne voyaient que son humanité, qui voilait sa divinité, et pouvaient penser qu'il n'était que ce qu'il paraissait à leurs yeux. Le Sauveur, qui voulait que l'on crût sa nature et sa majesté égales à la nature et à la majesté de son Père, dit aux Juifs : « Celui qui croit en moi, ne croit point en moi, » c'est-à-dire, en ce qu'il voit de ses yeux, mais en celui qui m'a envoyé ; c'est-à-dire, en mon Père. Car, s'il pense que mon Père n'a que des fils selon la grâce, et qu'il n'a point de Fils qui lui soit égal et coéternel, il ne croit point au Père, qui l'a envoyé, parce que tel n'est point le Père, qui l'a envoyé. Et, comme il ne veut pas laisser supposer que son Père a bien engendré un grand nombre d'enfants par la grâce, mais qu'il n'est point le Père d'un Fils qui lui soit égal, il ajoute aussitôt : « Et celui qui me voit, voit celui qui m'a envoyé. » C'est-à-dire, il est si vrai qu'il n'y a point de différence entre mon Père et moi, que celui qui me voit, voit celui qui m'a envoyé. Certainement c'est le Seigneur qui a envoyé les Apôtres, jamais cependant aucun d'eux n'a osé dire : « Celui qui croit en moi ; » car, nous croyons à l'apôtre, mais nous ne croyons pas en l'apôtre. Le Fils unique au contraire peut dire avec raison : « Celui qui croit en moi, ne croit pas en moi, mais croit en celui qui m'a envoyé. » Non pas qu'il repousse la foi de celui qui croit en lui, mais il ne veut pas que cette foi s'arrête à la forme du serviteur.

 

S. CHRYS. Ou bien encore, ces paroles : « Celui qui croit en moi, ne croit point en moi, mais en celui qui m'a envoyé, » doivent être entendues dans ce sens : Celui qui reçoit l'eau d'un fleuve, ne reçoit pas l'eau du fleuve, mais l'eau qui sort de la source. Or, le Sauveur voulant montrer qu'on ne peut croire en Dieu le Père sans croire en lui, ajoute : « Celui qui me voit, voit celui qui m'a envoyé. » Quoi donc, est-ce que Dieu est un corps ? Non, sans doute ; mais le Sauveur donne ici le nom de vision à la considération du vrai, qui se fait par l'intelligence. Il explique ensuite ce qu'est la connaissance du Père, en ajoutant : « Et moi, qui suis la lumière, je suis venu en ce monde. » Comme le Père est appelé la lumière, le Sauveur emploie et s'applique partout ce nom. Il s'appelle ici la lumière, parce qu'il nous délivre de l'erreur et dissipe les ténèbres de l'intelligence ; c'est pour cela qu'il ajoute : « Afin que tous ceux qui croient en moi, ne demeurent pas dans les ténèbres. » — S. AUG. Il nous fait assez comprendre par là qu'il a trouvé tous les hommes plongés dans les ténèbres ; mais, s'ils veulent sortir des ténèbres au milieu desquelles il les a trouvés, il leur faut croire dans la lumière qui est venue dans le monde. Dans un autre endroit, il dit à ses disciples : « Vous êtes la lumière du monde. » Il ne leur dit pas, toutefois : Vous êtes venus dans le monde comme étant la lumière, afin que tout homme qui croit en vous ne demeure pas dans les ténèbres. Tous les saints sont donc des lumières ; mais c'est en croyant en Jésus-Christ qu'ils sont éclairés par lui, dont on ne peut se séparer sans retomber dans les ténèbres.

 

S. CHRYS. Le Sauveur veut éloigner la pensée que l'impunité, dont semblent jouir ceux qui le méprisent, vient de sa faiblesse, et il ajoute : « Si quelqu'un écoute mes paroles, et ne les garde pas, je ne le juge pas. » — S. AUG. Il faut entendre : Je ne le juge pas actuellement, puisqu'il dit dans un autre endroit : « Le père a donné tout pouvoir de juger à son Fils. » (Jn 5) Pourquoi ne juge-t-il pas maintenant ? Il en donne lui-même la raison : « Car je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde. » C'est donc maintenant le temps de la miséricorde : viendra ensuite celui du jugement. — S. CHRYS. Mais de peur que ce délai ne devienne une cause de relâchement, il rappelle l'idée de ce terrible jugement : « Celui qui me méprise et ne reçoit pas mes paroles, a quelqu'un qui le jugera. » — S. AUG. Il ne dit pas : Je ne le jugerai pas au dernier jour, ce qui serait en contradiction avec ce qu'il a dit plus haut : « Il a donné tout pouvoir de juger à son Fils. » Les paroles : « Celui qui me méprise, a quelqu'un qui le jugera, » donnaient naturellement lieu à cette question : Quel est celui qui jugera ? Nôtre-Seigneur la prévient, en ajoutant : « Ce sera la parole même que j'ai annoncée qui le jugera an dernier jour. » En s'exprimant de la sorte, il fait assez entendre que c'est lui-même qui doit juger au dernier jour ; car, il s'est affirmé lui-même, il s'est annoncé et fait connaître lui-même. Ceux donc qui n'ont point entendu sa parole, n'auront point le même jugement à subir que ceux qui ne l'ont entendue que pour la mépriser.

 

S. AUG. (De la Trin., 1, 12.) C'est la parole annoncée par le Fils, qui jugera an dernier jour; parce que le Fils n'a point parlé de lui-même. « Car, ajoute-t-il, je n'ai point parlé de moi-même. » Mais je me demande comment nous devons entendre ces paroles : « Ce n'est pas moi qui jugerai, ce sera la parole que j'ai annoncée qui jugera, » puisqu'il est lui-même la parole du Père. On peut les expliquer de la sorte : Je ne jugerai pas en vertu d'un pouvoir humain, parce que je suis le Fils de l'homme, mais je jugerai par la puissance du Verbe de Dieu, parce que je suis le Fils de Dieu. — S. CHRYS. On bien encore : « Je ne le juge pas, » c'est-à-dire, je ne suis pas la cause de sa perte, qui ne doit être imputée qu'à celui qui méprise mes paroles ; car, ces paroles que j'ai dites prendront le rôle d'accusateur, et enlèveront toute excuse. C'est pour cela qu'il ajoute : « La parole que j'ai annoncée, le jugera. » Et quelle est cette parole? Celle que je n'ai point dite de moi-même, mais qui est la parole de mon Père, qui m'a envoyé ; car c'est lui qui m'a prescrit, par son commandement, ce que je dois dire, et comment je dois parler. Toutes les vérités qu'il leur annonçait étaient donc dans leur intérêt, et aussi pour les rendre inexcusables s'ils refusaient d'y croire.

 

S. AUG. Or, le Père n'a point donné au Fils un commandement qu'il n'avait pas auparavant ; car tous les commandements du Père émanent de la sagesse du Verbe, qui est le Verbe du Père. Nôtre-Seigneur dit que ce commandement lui est donné parce que celui à qui il est donné n'existe pas de lui-même. Donner au Fils ce sans quoi il n'a jamais été Fils, c'est engendrer le Fils, qui n'a jamais cessé d'exister. — THEOPHYL. Comme le Fils est le Verbe du Père, et qu'il révèle et qu'il explique dans toute leur vérité ce qui est dans l'intelligence du Père, il dit qu'il a reçu le commandement qui lui prescrit ce qu'il doit dire, et commentai doit parler. C'est ainsi que notre parole, lorsque nous voulons dire la vérité, ne fait qu'énoncer ce que la pensée lui suggère.

 

« Et je sais que son commandement est la vie éternelle. » — S. AUG. Si donc le Fils est la vie éternelle, et que la vie éternelle soit le commandement du Père, quelle conclusion tirer de ces paroles, si ce n'est : Je suis le commandement du Père ? Ainsi lorsqu'il ajoute : « Ce que je dis donc, je le dis selon que mon Père me l'a enseigné, » il ne faut pas l'entendre dans ce sens que Dieu ait adressé une parole extérieure à son Verbe. Le Père a donc parlé au Fils de la même manière qu’il lui a donné la vie, non en lui faisant connaître ce qu'il ignorait, ou en lui donnant ce qu'il n'avait pas, mais en lui donnant ce par quoi il était son Fils. Que signifient ces paroles : « Comme il dit, je parle, » si ce n'est : Je parle comme étant le Verbe ? Le Père parle comme étant essentiellement vrai ; le Fils parle comme étant la vérité. Celui qui est vrai  a engendré la vérité ; que pourrait-il donc dire à la vérité ? Car la vérité n'était point dans cet état d'imperfection qui la rendit susceptible d un accroissement quelconque de vérité

 

CHAPITRE XIII

 

Vv. 1-4.

 

théophyl. Nôtre-Seigneur, sur le point de quitter ce monde, veut nous faire connaître l'amour qu'il avait pour les siens : « Avant la fête de Pâque, dit l'Evangéliste, Jésus sachant que son heure était venue, » etc. — BEDE. Les Juifs avaient plusieurs fêtes, mais la plus célèbre et la plus solennelle était celle de Pâque, comme l'Evangéliste veut le faire remarquer par ces paroles : « Avant la fête de Pâque, » etc. — S. AUG. (Traité 55.) Le mot pâque n'est pas un mot grec, comme quelques-uns le pensent, c'est un mot hébreu, cependant ce mot a dans les deux langues un rapport frappant d'analogie : souffrir se dit en grec πάσχειν, et c'est pour cela que le mot pâque a été considérer comme synonyme de passion, comme s'il tirait de là son étymologie. Dans sa langue propre, au contraire, c'est-à-dire, dans l'hébreu, le mot Pâque signifie passage, et la raison de ce nom, c'est que le peuple de Dieu a célébré pour la première fois cette fête, lorsqu'après s'être enfui de l'Egypte, il eut traversé la mer Rouge. Or, cette figure prophétique a trouvé son accomplissement véritable, lorsque Jésus-Christ a été conduit comme une brebis à la mort. C'est alors que par la vertu de son sang qui a marqué les poteaux de nos portes, c'est-à-dire, par la vertu du signe de la croix empreint sur nos fronts, nous avons été délivrés de la servitude de ce monde, comme de la captivité d'Egypte, et nous accomplissons de nouveau ce passage salutaire, lorsque nous passons du démon à Jésus-Christ, et de ce monde inconstant dans le royaume dont les fondements sont inébranlables. L'Evangéliste semble nous donner cette explication du mot pâque, lorsqu'il dit : « Jésus sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père. Voilà la Pàque, voilà le passage. » — S. CHRYS. (hom. 70 sur S. Jean.) Il le savait auparavant, et non-seulement de ce moment, et ce passage c'est sa mort.

 

Sur le point de quitter ses disciples, il leur donne des marques plus sensibles de son amour, c'est ce que l'Evangéliste veut nous exprimer par ces paroles : « Comme il avait aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu'à la fin, » c'est-à-dire, il n'oublia rien de ce que peut inspirer un grand amour. Il n'avait pas agi de la sorte dès le commencement, mais il avait été progressivement pour augmenter leur affection pour lui, et leur préparer une source de consolation au milieu des épreuves qui les attendaient. Il les appelle siens, à cause de l'intimité qu'il avait avec eux, car dans un autre endroit, il donne ce nom à ceux qui n'avaient avec lui que les rapports de nature : « Les siens ne l'ont point reçu, dit saint Jean. » Il ajoute : « Qui étaient dans le monde, » parce qu'il y en avait aussi des siens parmi les morts (comme Abraham, Isaac et Jacob), mais qui n'étaient pas dans le monde. Il aima donc sans jamais cesser, les siens qui étaient dans le monde, et leur donna des témoignages d'un amour parfait, c'est ce que signifient ces paroles : « Il les aima jusqu'à la fin. » — S. AUG. Ou bien encore : « Il les aima jusqu'à la fin, » pour les faire passer par le moyen de l'amour de ce monde à celui qui était leur chef. Que signifient, en effet, ces paroles : « Jusqu'à la fin ? » Jusque dans Jésus-Christ, car Jésus-Christ est la fin de la loi pour justifier tous ceux qui croient (Rm 10), la fin qui perfectionne et non la fin qui donne la mort. Il me semble qu'on pourrait encore entendre ces paroles dans ce sens trop naturel peut-être, que Jésus-Christ a aimé les siens jusqu'à la mort, mais à Dieu ne plaise, que la mort ait mis fin à l'amour de celui dont elle n'a pu faire cesser l'existence, à moins qu'on ne l'entende de cette manière : Il les a aimés jusqu'à la mort, c'est-à-dire, son amour l'a porté à mourir pour eux.

 

« Et le souper étant fait, » c'est-à-dire, étant complètement préparé et servi sur la table devant les convives, car nous ne devons pas entendre qu'il fut fait en ce sens qu'il fut tout à fait terminé ; le souper durait encore, lorsque Jésus se leva de table pour laver les pieds de ses disciples, puisqu'il se remit ensuite à table, et donna un morceau de pain à son traître disciple. Quant à ces paroles : « Le démon ayant déjà mis dans le cœur de Judas, » etc. ; si vous me demandez ce que le démon mit dans le cœur de ce perfide disciple, je répondrai que ce fut le dessein de le trahir, cette action du démon fut une suggestion intérieure qui eut lieu, non par l'oreille, mais par la pensée, car le démon envoie pour ainsi dire ses suggestions dans les âmes pour les mêler aux pensées de l'homme. Il avait donc déjà mis dans le cœur de Judas le dessein de trahir son maître. — S. CHRYS. L'Evangéliste rapporte avec un profond étonnement, que le Seigneur a lavé les pieds de celui qui était déjà résolu à le trahir, et il fait ressortir la profonde malice de ce traître disciple, qui ne fut point arrêté par cette douce et intime communauté de table et de vie, qui éteint ordinairement tout sentiment de haine.

 

S. AUG. Avant de nous décrire la profonde humilité du Sauveur, l'Evangéliste veut nous remplir de l'idée de ses grandeurs : « Jésus sachant que son Père lui avait remis toutes choses entre les mains, » etc., donc jusqu'au traître lui-même. — S. GREG. (Moral., 6, 11 ou 12.) Il savait que Dieu lui avait remis entre les mains jusqu'à ses persécuteurs eux-mêmes, afin qu'il fît servir à l'accomplissement de ses desseins miséricordieux, tout ce que leur cruauté à qui Dieu avait comme lâché les rênes, pourrait inventer contre lui. — ORIG. (Tr. 32 sur S. Jean.) Le Père lui a remis toutes choses entre les mains, c'est-à-dire, a tout remisa son action, à sa puissance, car mon Père, dit le Sauveur, ne cesse d'agir jusqu'à présent, et moi-même j'agis également. Ou bien encore, son Père a remis tout entre ses mains qui embrassent toutes choses, afin que toutes choses lui soient soumises. — S. CHRYS. Ce tout qui lui est remis entre les mains, c'est surtout le salut des fidèles. Mais que cette expression ne vous fasse soupçonner rien d'humain, elle exprime simplement l'honneur que le Fils rend à son Père, et la parfaite harmonie qui existe entre eux. En effet, de même que le Père lui a remis toutes choses, lui aussi a remis toutes choses à son Père, comme le dit saint Paul : « Lorsqu'il aura remis le royaume à Dieu et au Père. » (1 Co 15) — S. AUG. Sachant qu'il sort de Dieu et qu'il retourne à Dieu, bien qu'il ne se soit pas séparé de Dieu lorsqu'il en est sorti et qu'il ne nous abandonne pas lorsqu'il retourne vers Dieu. THEOPHYL. Comme le Père lui avait remis toutes choses entre les mains, c'est-à-dire, le salut des fidèles, il jugeait convenable de leur enseigner tout ce qui pouvait contribuer à leur salut. Il savait également qu'il était sorti de Dieu et qu'il retournait à Dieu, il ne pouvait donc diminuer sa gloire en lavant les pieds de ses disciples, car cette gloire il ne l'avait point usurpée et il n'y a que ceux qui usurpent injustement les honneurs, qui refusent de s'abaisser dans la crainte de perdre les dignités dont ils se sont emparé sans aucun droit. — S. AUG. Alors que le Père lui avait tout remis entre les mains, il lave non pas les mains, mais les pieds de ses disciples ; et lui qui savait qu'il était sorti de Dieu et qu'il retournait à Dieu, il remplit l'office qui convient, non au Seigneur Dieu, mais à un homme et à un serviteur. — S. CHRYS. Il était en effet digne de celui qui est sorti de Dieu et qui retournait à Dieu, de fouler aux pieds toute enflure et tout orgueil. Ecoutons la suite : » Il se lève de table, il pose ses habits, et ayant pris un linge, il s'en ceignit ; il versa ensuite de l'eau dans le bassin, et il commença à laver les pieds de ses disciples et à les essuyer avec le linge qui était autour de lui. » Voyez quelle profonde humilité, non-seulement dans l'action même de leur laver les pieds, mais dans les circonstances qui l'accompagnent, car ce n'est pas avant de se mettre à table, c'est après que tous sont assis qu'il se lève, et non-seulement il leur lave les pieds, mais il pose ses vêtements, il se ceint d'un linge, et verse de l'eau dans le bassin, sans donner cette commission jà un autre, il veut tout faire lui-même pour nous apprendre avec quel soin nous devons pratiquer les œuvres de charité.

 

ORIG. Dans le sens allégorique, le dîner qui est le premier repas, a été servi à ceux qui ne sont encore qu'initiés avant qu'ils soient arrivés an terme du jour spirituel qui s'accomplit dans cette vie, tandis que le souper est le dernier repas, celui qu'on sert à ceux qui ont atteint une perfection plus grande. On peut dire encore que le dîner c'est l'intelligence des Ecritures anciennes, tandis que le souper, c'est la connaissance des mystères cachés dans le Nouveau Testament. Je pense que ceux qui doivent prendre ce dernier repas avec Jésus et s'asseoir à la même table au dernier jour de cette vie, ont besoin d'être purifiés, non point dans les parties les plus élevées du corps et de l'âme, mais dans les parties extrêmes et qui sont en contact nécessaire avec la terre. L'Evangéliste raconte qu'il commença à laver les pieds de ses disciples (car il acheva plus tard cette opération), parce que les pieds des apôtres avaient été salis selon cette parole : « Vous serez tous scandalisés cette nuit à mon occasion. » Il acheva ensuite ce lavement des pieds, en donnant à ses apôtres une pureté qu'ils ne devaient plus perdre.

 

S. AUG. Il a déposé ses vêtements, lorsqu'il s'est anéanti lui-même, lui qui était Dieu ; il s'est ceint d'un linge, lorsqu'il a pris la forme de serviteur; il a versé de l'eau dans un bassin pour laver les pieds de ses disciples, lorsqu'il a versé son sang sur la terre pour laver toutes les souillures de nos péchés, il a essuyé leurs pieds avec le linge dont il était ceint, lorsqu'il affermit les pas des évangélistes, par la chair mortelle dont il était revêtu ; avant de se ceindre avec le linge, il quitta les habits dont il était revêtu ; mais pour prendre la forme d'esclave dans laquelle il s'est anéanti, il n'a point quitté ce qu'il avait, il a pris seulement ce qu'il n'avait pas. Lorsqu'il fut crucifié, il fut dépouillé de ses vêtements, et après sa mort son corps fut enveloppé dans un linceul, et sa passion tout entière a pour fin de nous purifier.

 

Vv. 6-11.

 

ORIG. (Traite 32 sur S. Jean.) De même qu'un médecin, qui est chargé de plusieurs malades à la fois, commence par ceux dont l'état réclame premièrement ses soins ; ainsi Jésus-Christ, en lavant les pieds de ses disciples, qui étaient couverts de poussière, commence par ceux qui étaient plus souillés, et vient en dernier lieu à Pierre, comme ayant moins besoin d'avoir les pieds lavés : « Il vint donc à Simon Pierre ; » à qui la propreté presque entière de ses pieds conseillait la résistance : « Et Pierre lui dit : Quoi ! Seigneur, vous me laveriez les pieds, » etc. — S. AUG. Que signifient ces paroles : « Vous, à moi ? » Elles demandent à être méditées plutôt qu'expliquées, de peur que la langue ne puisse rendre entièrement ce que l'âme a pu en comprendre dignement. — S. CHRYS. Ou peut dire encore que bien que Pierre fût le premier, il est probable que le traître insensé s'était assis à table avant lui, ce que l'Evangéliste semble avoir voulu indiquer, quand il dit : « Il commença à laver les pieds, » et ensuite : « Il vint à Pierre. » — THEOPHYL. D'où il faut conclure qu'il ne commence point par Pierre, et cependant aucun autre parmi les disciples n'eût osé se placer avant Pierre pour le lavement des pieds.

 

S. CHRYS. On demandera peut-être aussi comment il se fait qu'aucun autre disciple ne se soit opposé à ce que Jésus lui lavât les pieds, à l'exception de Pierre, qui donnait ainsi à Jésus un témoignage éclatant de son amour et de son respect ; et il semble qu'on pourrait conclure de là que le Sauveur n'avait lavé les pieds, avant lui, qu'au seul traître, qu'il vint ensuite à Pierre, et que la leçon qu'il lui donne s'adresse à tous les disciples. En effet, si Nôtre-Seigneur avait commencé à laver les pieds d'un autre disciple, ce disciple l'en aurait empêché par les mêmes paroles que Pierre. — ORIG. Ou bien encore, tous présentaient leurs pieds au Sauveur, en disant que celui qui était si élevé au-dessus d'eux ne leur lavait pas les pieds sans raison ; mais Pierre, ne prenant conseil que de son profond respect pour Jésus, ne voulait point présenter ses pieds pour que Jésus les lavât ; souvent, en effet, l'Ecriture nous montre Pierre plein d'ardeur pour exprimer ce qui lui paraissait le meilleur et le plus utile. — S. AUG. Ou bien encore, nous ne devons point penser que Pierre seul, de tous les disciples, se soit opposé avec un respect mêlé d'effroi à l'action du Sauveur, tandis que les autres eussent souffert que Jésus leur lavât les pieds ; car on ne peut admettre qu'il les eût lavés à d'autres auparavant, et qu'il ne fût arrivé à Pierre qu'en second lieu (car qui ne sait que le bienheureux Pierre était le premier des disciples ?) Il a donc commencé par Pierre. Quand il commença à laver les pieds de ses disciples, il vint d'abord à celui par lequel il commença, c'est-à-dire à Pierre, et c'est alors que Pierre exprima ce sentiment de frayeur et d'étonnement que tous les autres auraient éprouvé également.

 

« Jésus lui répondit : Vous ne savez pas maintenant ce que je fais, mais vous le saurez par la suite. » — S. CHRYS. C'est-à-dire l'utilité de cet enseignement, et comment l'humilité suffit pour conduire jusqu'à Dieu. — ORIG. Ou bien le Seigneur veut nous faire comprendre que cette action cache un mystère ; en effet, en lavant leurs pieds et en les essuyant, il les rendait éclatants de blancheur, comme il convenait à ceux qui devaient évangéliser la vertu (Rm 10 ; Is 52), montrer le chemin de la sainteté, et marcher par celui qui a dit : « Je suis la voie. » (Jn 14) Jésus devait déposer ses vêtements avant de laver les pieds de ses disciples, afin de rendre plus purs encore leurs pieds, qui l'étaient déjà, ou pour recevoir sur son propre corps les souillures de leurs pieds, en ne gardant que le linge dont il était ceint ; car, « il a lui-même porté toutes nos langueurs. » (Is 53) Remarquez encore qu'il ne choisit pas d'autre temps pour laver les pieds de ses disciples que celui où le diable était déjà entré dans le cœur de Judas pour lui inspirer le dessein de livrer le Sauveur à ses ennemis, et où le mystère de la rédemption des hommes allait s'accomplir. Avant ce moment, il n'eût point été opportun que Jésus leur lavât les pieds ; car, qui leur aurait rendu cet office dans le temps qui devait s'écouler jusqu'à sa passion ? On ne pouvait non plus choisir le temps même de la passion ; car il n'y avait point un autre Jésus pour leur laver les pieds ; ni le temps qui la suivit, car alors leurs pieds furent purifiés par l'Esprit saint ; c'est à ce mystère que le Seigneur fait allusion, quand il dit à Pierre : « Vous n'êtes pas capable de le comprendre, mais vous le comprendrez plus tard, lorsqu'une lumière divine vous en donnera l'intelligence. »

 

S. AUG. Cependant Pierre, comme épouvanté de ce que le Sauveur voulait faire, continue de s'opposera une action dont il ignorait le motif ; il ne peut souffrir de voir Jésus-Christ s'humilier jusqu'à ses pieds, et il lui dit : « De l'éternité vous ne me laverez les pieds. » C'est-à-dire, jamais je ne le souffrirai ; car ce qui ne se fait de l'éternité, ne se fait jamais — ORIG. Nous apprenons, par cet exemple, qu'on peut dire dans une bonne intention, mais par ignorance, une chose qui n'est point avantageuse. Pierre, en effet, ignorant combien cette action du Sauveur devait lui être utile, s'en excuse en exprimant un doute plein de respect et de douceur : « Quoi ! Seigneur, vous, me laver les pieds ? » Ensuite il va plus loin : « Jamais vous ne me laverez les pieds ? » et s'oppose ainsi à une action qui devait le faire entrer en communication intime avec le Sauveur. En s'exprimant de la sorte, non-seulement il reprend Jésus de l'inconvenance qu'il y a pour lui de laver les pieds de ses disciples, mais il reproche aussi aux autres Apôtres de céder à ce désir inconvenant en présentant leurs pieds à Jésus. Comme ce refus de Pierre ne pouvait lui être avantageux, Notre-Seigneur ne voulut point lui donner raison : Jésus lui répondit : « Si je ne vous lave point, vous n'aurez point de part avec moi. » — S. AUG. Le Sauveur dit : « Si je ne vous lave, » bien qu'il ne s'agisse que des pieds seuls, comme on dit : Vous marchez sur moi, alors qu'on ne marche que sur les pieds.

 

ORIG. Comment ceux qui refusent d'entendre, dans un sens tropologique ou moral ce passage et d'autres semblables, pourront-ils expliquer que celui qui a dit à Jésus, par un sentiment de respect : « Vous ne me laverez jamais les pieds, » n'ait point de part avec lui pour ce seul fait de n'avoir point eu les pieds lavés par Jésus, comme s'il s'agissait d'un crime énorme ? Nous devons donc présenter à Jésus les pieds, c'est-à-dire les affections de notre âme, afin que nos pieds soient éclatants de blancheur, surtout lorsque nous aspirons à des grâces plus hautes et que nous voulons être du nombre de ceux qui évangélisent les biens du ciel.

 

S. CHRYS. Jésus, au lieu de faire connaître à Pierre les motifs de sa conduite, lui fait des menaces, parce que Pierre n'était point alors en état d'être persuadé ; mais dès qu'il entend le Sauveur lui dire : «Vous le saurez par la suite, » il n'insiste pas et ne lui dit pas : Faites-le moi savoir actuellement pour que j'accède à votre désir; la menace seule qui lui est faite, d'être séparé de Jésus, le détermine à se rendre. ORIG. Nous nous servons de cette parole du Sauveur contre ceux qui prennent la résolution indiscrète de faire des actions qui doivent leur être nuisibles ; car, en leur montrant qu'en persévérant dans ce dessein indiscret et téméraire, ils n'auront point de part avec Jésus, nous leur persuadons d'y renoncer, lors même qu'emportés par la vivacité de leurs désirs, ils auraient donné à leur résolution la sanction du serment.

 

S. AUG. (Traité 56 sur S. Jean.) Mais Pierre, dans le trouble où le jettent à la fois l'amour et la crainte, redoute plus de perdre Jésus-Christ que de le voir s'humilier jusqu'à ses pieds, et Simon-Pierre lui dit : Seigneur, non-seulement les pieds, mais les mains et la tête. » — ORIG. Jésus ne voulait point laver les mains de ses disciples, pour montrer le mépris qu'il faisait de ce que disaient les pharisiens : « Vos disciples ne lavent point leurs mains lorsqu'ils se mettent à table pour manger. » (Mt 15) Il ne voulait point non plus laver la tête, qui reflétait l'image et la gloire du Père, et il lui suffisait que Pierre présentât ses pieds. « Jésus lui répondit : Celui qui est pur n'a plus besoin que de se laver les pieds, et il est pur tout entier. » — S. AUG. Il est pur tout entier, à l'exception des pieds ; ou si ce n'est ses pieds, qu'il a besoin de laver ; car l'homme, dans le baptême, est lavé tout entier, sans excepter même les pieds ; mais lorsque sa vie se trouve ensuite mêlée au commerce humain, il foule nécessairement la terre aux pieds. Les affections du cœur humain sans lesquelles cette vie mortelle ne peut ni exister ni se concevoir, sont comme les pieds ; et les choses de la terre nous affectent et nous impressionnent à ce point que si nous prétendons n'être coupables d'aucun péché, nous nous trompons nous-mêmes (Jn 1, 8) ; mais si nous confessons nos péchés, celui qui a lavé les pieds de ses disciples nous remet nos péchés, et purifie jusqu'à nos pieds, par lesquels nous sommes en contact avec la terre. — ORIG. Je regarde comme impossible que les extrémités de l'âme et ses parties inférieures ne contractent pas de souillures, quelle que soit la réputation de vertu et de perfection dont on jouisse aux yeux des hommes. Il en est même beaucoup qui, après leur baptême, sont couverts des pieds jusqu'à la tête de la poussière de leurs crimes ; mais ceux qui sont ses véritables disciples n'ont d'autre besoin que d'avoir les pieds lavés.

 

S. AUG. (Lettr. 108 à Seleuc.) De ce qui est dit ici, nous pouvons conclure que Pierre était déjà baptisé. Nous pouvons admettre, en effet, que les disciples, par le ministère desquels Jésus baptisait, avaient eux-mêmes reçu le baptême, soit le baptême de Jean, suivant l'opinion de quelques-uns, soit (ce qui est plus probable) le baptême de Jésus-Christ, car celui qui a bien voulu remplir l'humble office de laver les pieds à ses disciples, n'a point dédaigné de leur administrer lui-même le baptême, afin que ceux qui devaient être les ministres de son baptême fussent eux-mêmes baptisés. C'est pour cela que le Sauveur ajoute : « Vous êtes purs, mais non pas tous. » — S. AUG. (Tr. 58 sur S. Jean.) L'Evangéliste nous explique lui-même le sens de ces paroles, en ajoutant : « Car il savait quel était celui qui devait le trahir, c'est pour cela qu'il leur dit : Vous n'êtes pas tous purs. » — ORIG. Ces paroles : « Vous êtes purs, » s'adressent donc aux onze disciples, et cette restriction : « Mais non pas tous, » s'applique à Judas, dont la conscience était souillée, premièrement, parce qu'au lieu de prendre soin des pauvres, il dérobait l'argent qui leur était destiné, et en second lieu, parce que le démon était déjà entré dans son cœur pour lui inspirer de trahir Jésus-Christ. Nôtre-Seigneur lave les pieds à ses disciples, quoiqu'ils fussent purs, parce que la grâce de Dieu ne s'arrête pas à ce qui est seulement nécessaire ; et, comme le dit saint Jean : « Celui qui est pur doit encore se purifier. » (Ap 22, 6.) — S. AUG. Ou bien, Nôtre-Seigneur parle de la sorte à ses disciples, parce qu'étant déjà lavés, ils n'avaient plus besoin que de se laver les pieds, car tant que l'homme vit au milieu de ce monde, il foule la terre avec ses affections qui sont comme les pieds de l'âme et contracte des souillures inévitables. — S. CHRYS. Ou bien encore, le Sauveur ne leur dit pas qu'ils sont purs, dans ce sens qu'ils soient purifiés de leurs péchés, puisque la victime qui devait les effacer n'était pas encore offerte, mais il vent parler de la pureté de l'intelligence, car ils étaient déjà délivrés des erreurs judaïques.

 

Vv. 12-20.

 

S. AUG. (Traité 58 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur se rappelle qu'il a promis à Pierre l'explication de ce qu'il venait de faire, lorsqu'il lui a dit : « Vous saurez par la suite (ce que j'ai fait) ; » et il commence à lui en faire connaître la raison : « Après donc qu'il leur eut lavé les pieds, il reprit ses vêtements, et s'étant remis à table, il leur dit : Savez-vous ce que je viens de vous faire ? » — ORIG. Nôtre-Seigneur parle ici, ou d'une manière interrogative, pour leur faire comprendre la grandeur de cette action, ou dans le sens impératif pour réveiller leur attention. — ALCUIN. Dans le sens allégorique, c'est après avoir consommé l'œuvre de notre purification et de notre rédemption par l'effusion de son sang qu'il reprend ses vêtements en ressuscitant et en sortant du tombeau le troisième jour, revêtu de son corps, doué d'immortalité. Et il s'assied de nouveau en montant au ciel, en prenant place à la droite de Dieu son Père, d'où il doit venir pour nom juger.

 

S. CHRYS. (hom. 91 sur S. Jean.) Ce n'est pas à Pierre seul qu'il s'adresse, mais à tous les Apôtres, comme s'il leur disait : Vous m'appelez tous votre Seigneur et votre Maître. Nôtre-Seigneur en appelle ici à leur propre témoignage, et afin que ce témoignage ne pût être soupçonné de flatterie, il s'empresse d'ajouter : « Et vous avez raison, car je le suis en effet. » — S. AUG. Le sage donne à l'homme ce précepte : « Que ce ne soit point ta bouche qui te loue, mais la bouche de ton prochain. » Car la vaine complaisance est dangereuse pour l'homme qui doit éviter l'orgueil. Mais pour celui qui est au-dessus de tout, quelques louanges qu'il se donne, il ne peut s'élever au-dessus de ce qu'il est, et on ne peut légitimement accuser Dieu d'arrogance. En effet, c'est à nous et non pas à lui qu'il importe de connaître Dieu, et personne ne peut le connaître, si celui-là qui seul a cette connaissance, ne daigne nous la communiquer. Si donc il s'abstient de se louer lui-même pour éviter le reproche d'aimer la vaine gloire, il nous prive des leçons de la sagesse. Mais comment la vérité peut-elle craindre la tentation d'orgueil ? Personne ne peut lui reprocher de se donner le nom de maître, même celui qui ne verrait en lui qu'un homme, car il ne fait en cela que ce que font tous les jours les hommes qui enseignent les différentes branches des connaissances humaines, et qui prennent sans se rendre coupables d'arrogance, le nom de professeurs. Toutefois on ne pourrait supporter qu'un homme s'arrogeât le titre de seigneur de ses disciples qui seraient eux-mêmes de condition distinguée suivant le monde. Mais lorsque Dieu parle, ne craignez aucun orgueil d'une si grande élévation, aucun mensonge de la part de la vérité, nous avons tout profit à nous soumettre à cette hauteur, à obéira cette vérité. Vous avez donc raison de m'appeler votre Maître et votre Seigneur, car je le suis en effet, et si je ne l’étais pas, vous auriez tort de tenir ce langage. — ORIG. (Traité 32 sur S. Jean.) Ceux à qui Dieu dira à la fin du monde : « Retirez-vous de moi, vous qui opérez l'iniquité, » ne disent pas comme il le faut : « Seigneur, » mais pour les Apôtres, ils appellent légitimement Jésus, Maître et Seigneur, car ce n'est point l'hypocrisie, mais le Verbe de Dieu qui leur dictait ce langage.

 

« Si donc je vous ai lavé les pieds, moi votre Seigneur et votre Maître, vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres. » — S. CHRYS. Le Sauveur prend le terme de comparaison dans un ordre de choses plus élevé pour nous engager à faire une action qui doit nous coûter beaucoup moins, car pour lui il est notre Maître, tandis que pour nous, c'est à nos frères, serviteurs comme nous, que nous rendons cet office : « Je vous ai donné l'exemple, afin que vous fassiez comme je vous ai fait moi-même. — BEDE. Nôtre-Seigneur a commencé par pratiquer ce qu'il devait ensuite enseigner, selon ces paroles : « Jésus commença par faire. » (Ac 1) Voilà, bienheureux Pierre, ce que vous ne saviez pas, et ce dont le Sauveur vous promettait l'explication.

 

ORIG. Il nous faut examiner s'il est nécessaire que tout disciple qui veut accomplir dans sa perfection la doctrine de Jésus-Christ, doit pratiquer comme une œuvre d'obligation, le lavement extérieur des pieds, d'après ces paroles : « Vous devez vous laver les pieds les uns des autres ; » mais cette coutume ne se pratique plus ou se pratique rarement. — S. AUG. La plupart accomplissent ce devoir d'humilité lorsqu'ils se donnent mutuellement l'hospitalité, et lies chrétiens se le rendent les uns aux autres, même dans ce qu'il a d'extérieur. Sans aucun doute, il est mieux et plus conforme à la vérité, de le rendre extérieurement, en sorte qu'un chrétien ne dédaigne pas de faire ce qu'a fait Jésus-Christ lui-même, car lorsque notre corps s'incline et s'abaisse jusqu'aux pieds de nos frères, le sentiment de l'humilité se trouve on excité dans notre cœur, ou affermi s'il y était déjà. Mais indépendamment de cette interprétation morale, est-ce qu'un frère ne peut purifier son frère de la contagion du péché ? Confessons-nous mutuellement nos péchés, pardonnons-nous réciproquement nos fautes, prions pour les fautes les uns des autres, et nous nous serons en quelque sorte mutuellement lavé les pieds. — ORIG. On peut dire encore que ce lavement spirituel des pieds ne peut avoir pour principal auteur que Jésus seul, et ce n'est que secondairement que les disciples peuvent le pratiquer conformément à ces paroles : « Vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. » En effet, Jésus a lavé les pieds de ses disciples comme Maître, et ceux de ses serviteurs comme Seigneur ; or, le but que se propose le maître, c'est de rendre son disciple semblable à lui, c'est le but que s'est proposé le Sauveur ; il veut que ses disciples deviennent semblables à leur Maître, à leur Seigneur, et qu'ils n'aient point de servitude, mais l'esprit des enfants qui leur fait dire à Dieu : « Mon Père. » (Rm 8) Avant donc qu'ils deviennent comme le Maître et comme le Seigneur, ils ont besoin qu'on leur lave les pieds comme à des disciples qui ne sont point suffisamment instruits, et qui sont encore soumis à l’esprit de servitude. Mais lorsque l'un d'eux s'élève jusqu'au rang de maître et de seigneur, alors il peut imiter celui qui a lavé les pieds de ses disciples, et laver les pieds des autres par la doctrine en qualité de maître.

 

S. CHRYS. Pour les exciter encore davantage à remplir ce devoir, il ajoute : « En vérité, en vérité je vous le dis, le serviteur n'est pas plus grand que le maître, ni l'apôtre plus grand que celui qui l'a envoyé,» c'est-à-dire, si j'ai agi de la sorte, à plus forte raison, vous devez faire de même. — THEOPHYL. Il donne ici aux Apôtres une leçon nécessaire. Ils devaient tous être élevés un jour à des dignités plus ou moins importantes, il s'applique donc à modérer les sentiments ambitieux qui les porteraient à s'élever les uns au-dessus des autres. — BEDE. Et comme la connaissance de ce qui est bien sans la pratique est un titre, non de félicité, mais de condamnation, selon ces paroles : « Celui qui connaît le bien et ne le pratique pas, est coupable de péché ; » le Sauveur ajoute : « Si vous savez ces choses, vous serez bienheureux, pourvu que vous les pratiquiez. » — S. CHRYS. Tous peuvent arriver à savoir, mais tous ne parviennent pas à pratiquer. Le Sauveur condamne ensuite en termes couverts la conduite de son traître disciple : « Je ne dis pas ceci de vous tous. » — S. AUG. C'est-à-dire, il en est un parmi vous qui n'aura point part à ce bonheur et qui ne fera point ces choses : « Je sais ceux que j'ai choisis. » Quels sont-ils ? ceux qui seront heureux, en accomplissant les commandements du Sauveur. Ainsi Judas ne fut pas choisi de la sorte ; comment donc expliquer ce qu'il dit dans un autre endroit : « Est-ce que je ne vous ai pas choisis tous les douze ? » Judas a-t-il donc été choisi pour une œuvre où il était nécessaire, sans être choisi pour cette félicité dont Nôtre-Seigneur vient de dire : « Vous seriez bienheureux si vous les pratiquez ? »

 

ORIG. Voici une autre explication : Je ne pense pas qu'on puisse rattacher logiquement ces paroles : « Je ne dis pas ceci de vous tous, » à ces autres : « Vous serez bienheureux, pourvu que vous pratiquiez ces choses, » car on peut dire avec vérité de Judas, aussi bien que de tout autre : Il sera heureux s'il fait ces choses ; mais je crois qu'il faut les rattacher à la proposition qui précède : « Le serviteur n'est pas plus grand que son maître, ni l'apôtre plus grand que celui qui l'a envoyé, » car Judas n'était ni serviteur de la parole divine, puisqu'il était esclave du péché, ni apôtre, puisque le démon était entré dans son cœur. Le Seigneur donc qui connaît ceux qui sont à lui, ne connaît pas ceux qui lui sont étrangers ; c'est pour cela qu'il ne dit pas : Je connais tous ceux qui sont ici présents, mais : « Je connais ceux que j'ai choisis, » c'est-à-dire, je connais mes élus.

 

S. CHRYS. Toutefois, comme il ne veut point contrister le grand nombre de ses disciples, il ajoute : « Mais il faut que cette parole de l'Ecriture soit accomplie : Celui qui mange le pain avec moi lèvera le pied contre moi. » Il montrait ainsi qu'il n'ignorait pas qu'on devait le trahir, ce qui eût dû suffire pour retenir le perfide Judas. Et remarquez qu'il ne dit pas : Il me trahira, mais : « Il lèvera le pied contre moi, » pour faire ressortir la ruse et les embûches cachées qu'on devait employer contre lui. — S. AUG. (Traité 59.) Que signifient, en effet, ces paroles : « Il lèvera le pied contre moi, » si ce n'est : Il me foulera aux pieds ? Sous cette expression figurée, il veut désigner son traître disciple. — S. CHRYS. Il dit : « Celui qui mange le pain avec moi, » c'est-à-dire, celui que j'ai nourri, celui qui a partagé ma table. Ne soyons donc point scandalisés, si nous essayons quelque injure de nos serviteurs ou de quelqu'un de nos inférieurs, en considérant l'exemple de Judas, qui, malgré les bienfaits infinis dont Jésus l'avait comblé, paya son bienfaiteur par la plus noire des trahisons. — S. AUG. Ceux qui avaient été choisis se nourrissaient du corps du Seigneur ; Judas, au contraire, mangeait le pain du Seigneur contre le Seigneur ; ceux-ci mangeaient la vie, celui-là mangeait son châtiment, car celui qui mange ce pain indignement, dit l'Apôtre, mange sa propre condamnation.

 

« Je vous dis ceci dès maintenant, et avant que la chose se fasse, afin que lorsqu'elle arrivera, vous me reconnaissiez pour ce que je suis, » c'est-à-dire, pour celui que cette prophétie avait pour objet. — ORIG. Jésus ne dit pas aux Apôtres : Afin que vous croyiez en général, comme s'ils ne croyaient point, mais il veut leur dire : Afin que non contents de croire vous arriviez à pratiquer. Il leur recommande de persévérer dans la foi, et de ne s'exposer à aucune des occasions qui pourrait la leur faire perdre. Et en effet, parmi tous les motifs de crédibilité sur lesquels reposait la foi des disciples, ils eurent celui de voir s'accomplir les prophéties qui avaient Jésus-Christ pour objet.

 

S. CHRYS. (hom. 72.) Les Apôtres devaient bientôt partir pour prêcher l'Evangile et pour être exposés à toute sorte d'épreuves, il les console donc par avance de deux manières : d'abord en leur promettant d'être lui-même leur consolateur : « Vous serez heureux, pourvu que vous pratiquiez ces choses ; » puis en leur prédisant que les hommes eux mêmes s'empresseront de leur prodiguer les secours dont ils auront besoin : « En vérité, en vérité je vous le dis, celui qui reçoit, celui que j'ai envoyé, c'est moi-même qu'il reçoit. » — ORIG. En effet celui qui reçoit l'envoyé de Jésus, reçoit Jésus, qui demeure dans celui qu'il a envoyé, et celui qui reçoit Jésus, reçoit son Père ; donc recevoir celui que Jésus envoie, c'est recevoir le Père lui-même. On peut encore donner cette explication. Celui qui reçoit mon envoyé, arrive jusqu'à me recevoir moi-même, mais celui qui me reçoit, non dans la personne d'un de mes envoyés, mais qui me reçoit même lorsque je viens dans les âmes, reçoit mon Père, de sorte que mon Père et moi nous demeurions en lui.

 

S. AUG. (Traité 59.) Les ariens, en entendant ces paroles, s'empressent de recourir à ces degrés, qui au lieu de les élever sur les hauteurs de la vie, les précipitent dans l'abîme de la mort. Autant, disent-ils, l'Apôtre diffère du Seigneur qui l'envoie, autant le Fils diffère du Père. Mais lorsque le Sauveur fait cette déclaration : « Mon Père et moi nous ne sommes qu'un, » il ne permet pas le moindre soupçon de différence entre le Père et le Fils. Comment donc devons-nous entendre ces paroles du Seigneur : « Celui qui me reçoit, reçoit celui qui m'a envoyé ? » Si nous voulons les entendre dans ce sens, que le Père et le Fils ont une même nature, la conséquence naturelle de ces autres paroles : « Celui qui reçoit mon envoyé, me reçoit, » paraît devoir être que le Fils et l'envoyé ont aussi une même nature. On pourrait donc supposer que le Sauveur a voulu dire : Qui reçoit celui que j'ai envoyé me reçoit en tant qu'homme, mais qui me reçoit comme Dieu, reçoit celui qui m'a envoyé. Toutefois, en s'exprimant de la sorte, ce n'est point l'unité de nature qu'il voulait faire ressortir dans la personne de celui qui est envoyé, mais l'autorité de celui qui envoie ; si donc vous considérez Jésus-Christ dans Pierre, vous y trouverez le maître du disciple ; si au contraire vous considérez le Père dans le Fils, vous trouverez le Père du Fils unique.

 

Vv. 21-30.

 

S. CHRYS. (hom. 72 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur venait d'offrir cette double consolation à ses Apôtres, qui devaient bientôt parcourir le monde entier, mais il se trouble à la pensée que le traître disciple devait être privé : « Lorsqu'il eut dit ces choses, Jésus se troubla en son esprit, » etc. — S. AUG. (Traité 60 sur saint Jean.) Ce n'était pas la première fois que cette pensée lui venait dans l'esprit, mais il allait désigner si clairement celui qui devait le trahir, qu'il ne lui serait plus possible de rester caché parmi les autres, et c'est une des causes de son trouble. D'ailleurs, Judas allait bientôt sortir pour amener les Juifs et leur livrer le Sauveur, et Jésus était encore troublé par les approches de sa passion, par les dangers qui le menaçaient, et par la trahison imminente de son perfide disciple, dont il connaissait par avance les intentions. (Traité 6l.) Nôtre-Seigneur « voulu nous apprendre aussi par ce trouble, que lorsque la nécessité force l'Eglise de séparer de faux frères de son sein avant la moisson, ce ne doit jamais être sans un grand sentiment de trouble. Or, il fut troublé, non dans sa chair, mais dans son esprit ; car au milieu de ces scandales, le trouble des hommes vraiment spirituels ne vient pas d'un sentiment répréhensible, mais de la charité qui leur fait craindre qu'en arrachant l'ivraie, on ne déracine en même temps le bon grain. (Mat 13) — (Traité 60.) Que ce trouble ait eu pour cause ou un sentiment de compassion pour Judas, qui allait se perdre, ou les approches de sa mort, ce n'est point par faiblesse d'âme, mais par un acte de sa puissance que Jésus se trouble ; car ce trouble n'est point forcé, il est tout à fait volontaire, il se troubla lui-même, comme il est dit plus haut. Or, ce trouble est une source de consolation pour les membres faibles de son corps, c'est-à-dire, de son Eglise, que Jésus apprend à ne point se regarder comme coupables, si le trouble s'empare de leur âme aux approches de la mort de ceux qui leur sont chers. — ORIG. (Traité 32.) Jésus est troublé en esprit, c'est-à-dire, que ce sentiment humain était produit par la puissance de l'esprit. En effet, si tous les saints vivent, agissent et souffrent en esprit, à combien plus forte raison devons-nous l'assurer de Jésus, le premier et le chef de tous les saints.

 

S. AUG. (Traité 60.) Périssent donc tous les raisonnements des stoïciens, qui prétendent que l'âme du sage doit être complètement inaccessible au trouble ; de même qu'ils prennent la vanité pour la vérité, ils regardent l'insensibilité comme un indice de la force de l'âme. L’âme du chrétien peut donc légitimement être troublée, non par la souffrance, mais par un sentiment de compassion. (Traité 61.) Jésus dit : « L'un de vous, » par le nombre, non par le mérite ; l'un de vous par l'apparence et non par sa vertu.

 

S. CHRYS. Mais comme il n'avait pas désigné le traître par son nom, ils sont tous de nouveau saisis de frayeur : « Les disciples donc se regardaient l'un l'autre, ne sachant de qui il parlait. » Leur conscience ne leur reprochait aucun dessein de ce genre, et cependant cette déclaration du Sauveur l'emportait dans leur esprit sur leurs propres pensées. — S. AUG. (Traité 61.) Leur pieuse tendresse pour leur maître ne les empêchait pas, sous l'impression d'un sentiment de faiblesse naturelle, de concevoir ces soupçons les uns à l'égard des autres. — ORIG. Ils se rappelaient d'ailleurs par l'expérience qu'ils avaient de la faiblesse humaine, que la vertu, chez les parfaits, n'est point à l'abri de la mutabilité, et que les désirs les plus louables peuvent facilement se changer en désirs contraires.

 

S. CHRYS. Tous donc étant saisis de crainte, et Pierre, leur chef, tout tremblant lui-même ; Jean, comme le disciple bien-aimé, inclina sa tête sur la poitrine de Jésus : « Or, un des disciples de Jésus, que Jésus aimait, reposait sur son sein. » — S. AUG. C'était Jean, l'auteur de cet Evangile, comme il le déclare plus loin lui-même. En effet, lorsque les écrivains sacrés racontent un fait où il est question d'eux-mêmes, ils ont coutume d'en parler comme d'une tierce personne. Et en effet, en quoi peut souffrir la vérité du récit, lorsque les choses sont dites telles qu'elles sont, et qu'en même temps l'écrivain échappe au danger de la vanité ?

 

S. CHRYS. Si vous désirez connaître la cause d'une si grande familiarité de la part de Jean, c'était l'amour de Jésus pour lui, c'est pour cela qu'il ajoute : « Celui qu'aimait Jésus. » Jésus aimait tous les autres Apôtres, mais il avait pour celui-ci une affection plus spéciale. — ORIG. Je pense que Jean, reposant sur le sein du Verbe, veut nous apprendre qu'il goûtait, un doux repos dans la considération des mystères secrets du Verbe. — S. CHRYS. Il voulait encore montrer par là qu'il était innocent du crime de trahison, et il s'exprime de la sorte pour ne point vous laisser penser que Pierre lui fit signe comme à quelqu'un qui lui serait supérieur en dignité. En effet, l'Evangéliste ajoute : « Simon-Pierre lui fit signe et lui dit : Qui est celui dont on parle ? » En toutes circonstances, nous voyons Pierre comme emporté par la vivacité de son amour ; comme il en a déjà été repris par le Sauveur, il ne prend plus lui-même la parole, et cherche à savoir ce qu'il désire par l'intermédiaire de Jean, car le saint Evangile nous montre partout Pierre, plein de ferveur, et vivant dans une grande intimité avec Jean.

 

S. AUG. Remarquez ici cette manière de s'exprimer sans parler, et par un simple signe. Il lui fît signe dit l'Evangéliste, et il lui demande, c'est-à-dire, il lui demande par le signe même qu'il faisait ; car si la pensée seule est un véritable langage, comme l'atteste l'Ecriture dans ce passage : « Ils dirent en eux-mêmes, » combien plus peut-on parler par signes, puisqu'alors on manifeste au dehors par une expression quelconque la pensée qu'on a conçue dans son cœur ? — ORIG. On peut dire encore que Pierre commence par faire signe, et que non content de ce signe, il fit cette question : « Quel est celui dont il parle ? »

 

« C'est pourquoi ce disciple s'étant penché sur la poitrine de Jésus, lui dit : Seigneur, qui est-ce ? » Précédemment l'Evangéliste avait dit sur le sein, il dit maintenant sur la poitrine. — ORIG. On peut dire encore qu'il était couché sur le sein de Jésus, et qu'ensuite il monta plus haut et reposa sur sa poitrine. Il semble que s'il ne se fût point reposé sur la poitrine de Jésus, et qu'il fût resté couché sur son sein, le Seigneur ne lui aurait pas fait connaître ce que Pierre désirait savoir. En reposant donc en dernier lieu sur la poitrine de Jésus, il nous apprend qu'il était le disciple privilégié de Jésus, par l'effet d'une grâce plus haute et plus abondante. — BEDE. Ce repos qu'il prend sur le sein et sur la poitrine de Jésus, n'est pas seulement la preuve de l'amour du Sauveur pour lui, mais le présage de ce qui devait arriver, c'est-à-dire, que Jean devait puiser sur la poitrine de Jésus cette voix qui devait retentir et qu'aucun des siècles précédents n'avait entendue. — S. AUG. (Traité 61 sur S. Jean.) Le sein est en effet ici la figure d'un mystère caché, et le sein de la poitrine est comme la source secrète de la sagesse.

 

S. CHRYS. (hom. 72.) Cependant Nôtre-Seigneur ne fait pas encore connaître par son nom le traître disciple : « Jésus lui répondit : C'est celui à qui je présenterai le pain trempé. » Cette manière de le faire connaître avait pour but de lui faire changer de résolution ; et puisqu'il n'avait point rougi de s'asseoir à la même table que son divin Maître, il devait rougir au moins en mangeant le même pain.

 

« Et ayant trempé du pain, il le donna à Judas Iscariote, fils de Simon. » — S. AUG. (Traité 62.) On ne peut admettre, avec quelques lecteurs superficiels, que Judas reçut alors seul le corps du Seigneur; nous devons admettre au contraire que le Sauveur avait déjà distribué le sacrement de son corps et de son sang à tous ses disciples, et que Judas était du nombre, au témoignage de saint Luc (Lc 22). Ce ne fut qu'après la communion que, suivant le récit de saint Jean, le Seigneur fit connaître celui qui devait le trahir en lui donnant un morceau de pain trempé. Peut-être, par ce pain trempé, voulut-il désigner l'hypocrisie du traître disciple, car tout ce qui est trempé n'est point pour cela purifié, et quelquefois une chose est souillée, par cela seul qu'elle est trempée ; si au contraire ce morceau de pain trempé est le symbole d'une grâce particulière, l'ingratitude de Judas, après le nouveau bienfait, rend plus juste encore sa réprobation.

 

« Et quand il eut pris ce morceau, Satan entra en lui. » — ORIG. Remarquez que Satan n'était pas tout d'abord entré dans le cœur de Judas, il lui avait seulement suggéré la pensée de trahir son Maître, ce ne fut qu'après ce morceau qu'il entra dans son âme. Prenons donc bien garde que le démon ne fasse pénétrer dans notre âme quelques-uns de ses traits enflammés, car s'il y réussit, il redouble ses efforts pour entrer lui-même. — S. CHRYS. Tant que Judas fit partie du corps des Apôtres, le démon n'osait s'emparer entièrement de lui, il se contentait de l'attaquer extérieurement, mais lorsqu'il l'eût fait connaître et qu'il l'eût séparé des autres disciples, il se trouva plus libre pour se saisir de sa personne. — S. AUG. Ou bien : « Satan entra en lui, » dans ce sens qu'il prit complètement possession de celui Qui lui appartenait déjà, car il était déjà dans Judas, lorsque ce perfide disciple convint avec les Juifs du prix de sa trahison, comme saint Luc le dit clairement : « Or, Satan entra en Judas, surnommé Iscariote, l'un des douze ; et il s'en alla conférer avec les princes des prêtres et les officiers du temple, sur les moyens de le leur livrer. » Il était donc au pouvoir de Judas, lorsqu'il vint se mettre à table avec Jésus, mais après qu'il eut reçu ce morceau de pain, Satan entra en lui, non plus comme pour tenter un homme qui lui fût étranger, mais pour posséder plus pleinement celui qui lui appartenait déjà. — ORIG. Il était juste, à mon avis, qu'après que ce morceau de pain lui l'ut présenté, il perdit le bien dont il était indigne et qu'il croyait posséder, et qu'ainsi dépouillé de ce bien, le démon pût entrer plus facilement dans son âme.

 

S. AUG. Il en est qui disent : Est-ce qu'un morceau de pain pris sur la table du Seigneur, a pu avoir pour effet de livrer à Satan l'entrée du l'âme de ce perfide disciple ? Nous répondons que nous devons apprendre par là avec quel soin nous devons éviter de recevoir les grâces du ciel dans de mauvaises dispositions, car si Dieu traite si sévèrement celui qui ne discerne pas (c'est-à-dire, qui ne distingue pas des autres aliments) le corps du Seigneur, quelle sera la condamnation de celui qui, sous les dehors de l'amitié, s'approche de sa table avec un cœur hostile ?

 

« Et Jésus lui dit : Ce que vous faites, faites-le vite. » On ne peut dire avec certitude à qui s'adressent ces paroles, car Notre-Seigneur a pu dire également à Judas ou à Satan : « Ce que vous faites, faites-le vite, » en provoquant, pour ainsi dire, son ennemi au combat, ou en pressant le traître disciple d'aider à l'accomplissement du mystère, qui devait être le salut du inonde, et dont il pressait l'exécution, loin de vouloir la retarder. — S. AUG. Toutefois, il ne commande pas le crime, il le prédit simplement, non point pour hâter la perte de son perfide disciple, que pour accomplir au plutôt l'œuvre du salut des nommes. — S. CHRYS. Ces paroles : « Ce que vous faites, faites-le au plus vite, ne sont ni un ordre ni un conseil, mais un reproche, et une preuve que le Sauveur ne voulait mettre aucun obstacle à la trahison de son disciple : « Aucun de ceux qui étaient à table ne comprit pourquoi il lui disait cela. » Une difficulté assez grande se présente ici, et on se demande comment les disciples qui avaient demandé quel était celui dont Jésus parlait, n'aient pas compris la réponse du Sauveur : « Celui à qui je présenterai un morceau de pain trempé. » Il faut donc admettre que Jésus fit cette réponse à voix basse, de manière que personne ne l'entendit, et que Jean, qui reposait sur son sein, lui fit précisément cette question à l'oreille, pour ne point faire connaître celui qui devait le trahir ; car, si le Sauveur l'eût clairement désigné, Pierre eût pu le mettre à mort. C'est pour cela que l'Evangéliste dit qu'aucun de ceux qui étaient à table ne comprit pourquoi il lui disait cela, pas même Jean, qui ne pouvait penser qu'un disciple de Jésus put se porter à cet excès de scélératesse ; ne pouvant soupçonner dans les autres l'idée d'un crime dont il était si éloigné lui-même. Les Apôtres ne comprirent donc point le véritable motif des paroles de Jésus. L'Evangéliste nous apprend dans quel sens ils les entendirent en ajoutant : « Quelques-uns pensaient que, comme Judas avait la bourse, Jésus lui avait dit : Achetez ce dont nous avons besoin pour la fête, » etc.

 

S. AUG. Nôtre-Seigneur avait donc une bourse, dans laquelle il conservait les offrandes des fidèles destinées à pourvoir aux besoins de ses disciples et au soulagement des pauvres. Telle fut la première institution de la propriété ecclésiastique. Lors donc que le Sauveur nous ordonne de ne point songer au lendemain, (Mt 6) ce précepte n'est pas une défense faite aux fidèles de ne conserver aucun argent, mais un avertissement de ne point servir Dieu en vue de l'argent, et de ne jamais sacrifier la justice par crainte de la pauvreté. — S. CHRYS. Aucun des disciples de Jésus ne lui apportait d'argent ; mais l'Evangéliste nous fait entendre ici que de pieuses femmes fournissaient à Jésus ce qui lui était nécessaire pour son entretien. Or, celui qui ordonne à ses apôtres de ne porter ni sac, ni bâton, ni urgent, portait lui-même une bourse pour subvenir aux besoins des pauvres, afin de nous apprendre que celui même qui embrasse une vie de pauvreté et de crucifiement à tout ce qui est dans le monde, doit cependant avoir une grande sollicitude pour les pauvres ; car, Nôtre-Seigneur a fait beaucoup de choses dans sa vie, uniquement pour notre instruction.

 

ORIG. Le Sauveur avait dit à Judas : « Ce que vous faites, faites-le au plus vite, » et le traître disciple n'obéit que sur ce point à son Maître ; aussitôt qu'il a reçu ce morceau de pain, il se hâte d'accomplir, sans aucun retard, son criminel dessein. « Judas, ayant donc pris ce morceau de pain, sortit aussitôt. » Et, en effet, il sortit, non-seulement en quittant la maison où il se trouvait, mais en se séparant tout à fait de Jésus. Quant à moi, je pense que Satan, qui était entré dans Judas, après qu'il eut reçu ce morceau de pain, ne pouvait supporter d'être plus longtemps dans le même lieu que Jésus ; car il ne peut y avoir aucun point de contact entre Jésus et Satan. Il n'est pas inutile de rechercher pourquoi l’Evangéliste, qui nous rapporte que Judas reçut ce morceau de pain, n'ajoute pas qu'il le mangea. Est-ce qu'eu effet Judas ne mangea point le morceau de pain ? Ne peut-on pas dire que, lorsqu'il eut pris ce morceau de pain, le démon, qui lui avait suggéré la pensée de trahir son Maître, craignant qu'en mangeant de ce pain il ne renonçât à son dessein, se hâta d'entrer en lui aussitôt qu'il l'eut reçu des mains du Sauveur, et le fit sortir aussitôt de la maison ? On peut dire encore, avec autant de raison, que de même que celui qui mange indignement le pain du Seigneur ou boit indignement son calice, le mange et le boit pour sa condamnation ; ainsi Jésus donna ce pain aux uns pour leur salut, et à Judas pour sa perte ; en sorte que Satan entra en lui aussitôt qu'il l'eut reçu.

 

S. CHRYS. L'Evangéliste ajoute : « Or, il était nuit, » pour faire ressortir l'audace téméraire de Judas, que le temps ne dut ni retenir ni détourner de son dessein. — ORIG. Cette nuit extérieure et sensible était d'ailleurs la figure des ténèbres, qui s'étendaient sur l'âme de Judas. — S. GREG. (Moral., 2, 2.) La circonstance du temps fait ressortir la nature et la fin de l'action, et l'Evangile nous fait voir Judas accomplissant dans la nuit son œuvre de trahison, parce qu'il ne devait jamais eu concevoir de repentir.

 

Vv. 31-32.

 

ORIG. (Traité 32 sur S. Jean.) Après les glorieux témoignages qu'avaient rendus au Sauveur les prodiges qu'il avait opérés, et le miracle de la transfiguration, la glorification du Fils de l'homme commença lorsque Judas, avec Satan, qui était entré en lui, sortirent du lieu où se trouvait Jésus. « Lorsqu'il fut sorti, Jésus dit : Maintenant le Fils de l'homme a été glorifié. » Il ne s'agit pas ici de la gloire du Fils unique et immortel, du Verbe de Dieu, mais de la gloire de l'homme qui est né de la race de David. En effet, si dans la mort de Jésus-Christ, qui a glorifié Dieu, nous voyons s'accomplir ces paroles : « Il a dépouillé les puissances et les principautés, il les a menées hautement on triomphe à la face de tout le monde par le bois de sa croix » (Col 2, 15) et ces autres : « Il a pacifié, par le sang qu'il a répandu sur la croix, tant ce qui est sur la terre, que ce qui est dans le ciel ; » (Col 1, 20) la gloire qui en est résultée pour le Fils de l'homme, est inséparable de la gloire du Père, qui a été glorifié en lui ; car, on ne peut glorifier Jésus-Christ sans glorifier en même temps le Père. Mais comme celui qui est glorifié l'est nécessairement par quelqu'un, si vous demandez par qui le l'ils de l'homme a été glorifié, il vous répond lui-même : « Si Dieu a été glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera en lui-même. » — S. CHRYS. C'est-à-dire par lui-même et non par un autre. « Et c'est bientôt qu'il le glorifiera. » Comme il disait : Ce ne sera pas après un long espace de temps, car la croix fera bientôt éclater ces glorieux témoignages ; en effet, le soleil s'éclipsa, les rochers furent brisés, et un grand nombre de ceux qui étaient morts ressuscitèrent. C'est ainsi qu'il relève l'esprit abattu de ses disciples, et qu'il les excite non-seulement à bannir la tristesse, mais à se livrer à la joie.

 

S. Ane. (Traité 63 sur S. Jean.) Ou bien encore : Le disciple impur étant sorti, tous ceux qui étaient purs demeurèrent avec celui qui les avait purifiés. Il arrivera quelque chose de semblable lorsque l'ivraie, étant séparée du froment, les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père. (Mt 13) C'est dans la prévision de cette séparation future que Nôtre-Seigneur, lorsque Judas fut sorti, c'est-à-dire lorsque l'ivraie fut séparée et qu'il ne resta plus que le bon grain, c'est-à-dire les saints Apôtres, dit : « Maintenant, le Fils de l'homme est glorifié. » Il semble dire : Voilà ce qui aura lieu dans ma glorification ; ou n'y verra aucun méchant ; aucun des bons qui s'y trouveront ne périra. Remarquez que Nôtre-Seigneur ne dit pas : C'est maintenant qu'est figurée la glorification du Fils de l'homme, mais : « C'est maintenant que le Fils de l'homme est glorifié ; » de même que l'Apôtre ne dit pas : La pierre signifiait le Christ ; mais : « La pierre était le Christ. » (1 Co 10) Car, les écrivains sacrés ont coutume de donner aux figures le nom des choses figurées. Or, la glorification du Fils de l'homme a pour but que Dieu soit glorifié en lui, comme Nôtre-Seigneur l'ajoute : « Et Dieu est glorifié en lui. » Il donne ensuite l'explication de ces paroles : « Si Dieu a été glorifié en lui (parce qu'il n'est point venu faire sa volonté, mais la volonté de celui qui l'a envoyé), Dieu aussi le glorifiera en lui-même, » en donnant l'immortalité à la nature humaine, à laquelle le Verbe s'est uni. « Et bientôt il le glorifiera, » paroles qui sont une prédiction de sa résurrection, qui ne sera point retardée, comme la nôtre, à la fin du monde, mais qui suivra presque immédiatement sa mort. Ou peut aussi entendre, de cette résurrection prochaine, ce qu'il a dit plus haut : « Maintenant, le Fils de l'homme est glorifié ; » et l'expression : « Maintenant, » s'appliquerait non point à sa passion, qui était proche, mais à sa résurrection, qui devait suivre, et qui regardait comme déjà faite parce qu'elle devait arriver bientôt.

 

S. HIL. (de la Trin., 11) Ces paroles : « Dieu a été glorifié en lui, » se rapportent à la gloire du corps de Jésus-Christ, qui a fait ressortir la gloire de Dieu par celle qu'il empruntait lui-même de son union avec la nature divine. Dieu, en retour de cette gloire que son Fils lui donnait, l'a glorifié en lui-même, en augmentant la gloire que le Fils donnait en lui à Dieu, de telle sorte que celui qui règne dans la gloire (qui est la gloire de Dieu), fût comme transformé dans la gloire de Dieu, en demeurant tout entier Dieu par l'union de son humanité avec la divinité. Il ne veut pas laisser ignorer le temps de cette glorification : « Et bientôt il le glorifiera, » c'est-à-dire, qu'au moment où Judas sort pour le trahir, Jésus prédit la gloire que doit lui procurer bientôt sa résurrection après sa passion, et réserve pour un temps plus éloigné la gloire par laquelle Dieu devait le glorifier en lui-même, en faisant éclater aux yeux de tous la puissance de sa résurrection, tandis que lui-même devait rester en Dieu en vertu de cette mystérieuse disposition qui le soumet à son Père.

 

S. HIL. (de la Trin., 9) La première signification de ces paroles : « Maintenant le Fils de l'homme a été glorifié, » ne peut être douteuse à mon avis, car ce n'est point le Verbe, mais la chair qu'il s'était unie qui était susceptible d'une nouvelle gloire. Mais je me demande ce que signifient les paroles qui suivent : « Et Dieu a été glorifié en lui ; » en effet, le Fils de l'homme n'est point autre que le Fils de Dieu (puisque c'est le Verbe qui s'est fait chair) ; je cherche donc comment Dieu a été glorifié dans ce Fils de l'homme qui est en même temps le Fils de Dieu. Examinons encore le sens de ces autres paroles : « Si Dieu a été glorifié en lui, Dieu le glorifiera en lui-même. » L'homme ne peut être glorifié par lui-même, et d'autre part le Dieu qui est glorifié dans l'homme (bien qu'il reçoive de la gloire), ne peut être autre chose que Dieu ; il faut donc ou que ce soit le Christ qui est glorifié dans la chair, ou le Père qui est glorifié dans le Christ. Si c'est le Christ, il est certain que le Christ qui est glorifié dans la chair, est Dieu ; si c'est le Père (qui est Dieu), le Père est glorifié dans le Fils en vertu du mystère de l'unité. Mais de ce que Dieu glorifie en lui-même, le Dieu qui a été glorifié dans le Fils, comment peut-on encore tirer cette conclusion impie, que le Christ ne soit point vrai Dieu, et n'ait point une même nature avec Dieu le Père ? Est-ce que celui qu'il glorifie en lui-même serait en dehors de lui ? Celui que le Père, glorifie en lui-même partage nécessairement la même gloire, et celui qui doit être glorifié de la gloire du Père, entre nécessairement en participation de toutes les perfections du Père.

 

ORIG. Disons encore que le mot gloire n'a pas ici le sens que lui donnent quelques païens qui définissent la gloire, la réunion des louanges qui sont données par un grand nombre, car il est évident que ce n'est pas là le sens du mot gloire dans l'Exode, où il est dit : « Que le tabernacle fut rempli de la gloire de Dieu ; » (Ex 40, 32) et encore que la figure de Moïse fut resplendissante de gloire (Ex 34, 35). Dans le sens premier et littéral, on doit entendre qu'il y eut comme une apparition plus spéciale de la gloire divine dans le tabernacle aussi bien que sur le visage de Moïse, qui venait de s'entretenir avec Dieu. Mais dans le sens figuré, la gloire de Dieu apparut, parce que l'intelligence déifiée et s'élevant au-dessus de toutes les choses matérielles pour scruter la vision de Dieu, participe à l'éclat de la divinité qu'elle contemple, c'est dans ce sens que le visage de Moïse resplendit de gloire, parce que son intelligence fut comme déifiée ; or, on ne peut établir aucune comparaison entre la prééminence divine de Jésus-Christ et l'éclat qui rejaillissait de l'intelligence de Moïse sur son visage, car le Fils est la splendeur de toute la gloire, divine au témoignage de saint Paul : « Et comme il est la splendeur de sa gloire et l'image de sa substance. » (He 1, 3.) Bien plus, de ce foyer complet de gloire et de lumière partent des rayons éclatants qui se répandent sur la créature raisonnable, car je ne pense pas qu'aucune créature puisse comprendre toute la splendeur de la gloire divine, le Fils seul en est capable. Le Fils n'était donc, pas glorifié dans le monde, alors qu'il n'en était pas connu, mais lorsque le Père eut donné la connaissance de Jésus à quelques-uns de ceux qui existaient dans le monde, le Fils de l'homme fut glorifié dans ceux dont il était connu. Cette connaissance fut une cause de gloire pour ceux qui la possédaient, car ceux qui contemplent à visage découvert la gloire du Seigneur sont transformés en sa ressemblance (2 Co 3, 13) par la gloire de celui qui est glorifié qui rejaillit sur ceux qui le glorifient. Lors donc qu'il vit s'approcher l'accomplissement de ce mystère qui devait le faire connaître au monde et lui mériter cette gloire qui devait se répondre sur ceux qui le glorifieraient, il dit. : « C'est maintenant que le Fils de l'homme est glorifié. » Et comme nul n'a connu le Père, si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils l'a révélé, et qu'il entrait dans le plan de l'incarnation divine que le Fils fit connaître le Père, Dieu fut par cela même glorifié en lui. Pour bien comprendre ces paroles : « Dieu a été glorifié en lui, » vous les rapprocherez de ces autres : « Celui qui me voit, voit aussi mon Père. » (Jn 14) On voit, en effet, le Père, parce que le Verbe est Dieu, et l'image invisible de Dieu le Père qui l'a engendré. On peut encore donner de ce passage une explication plus développée et plus claire. De même que le nom de Dieu est blasphémé par quelques-uns parmi les nations (Rm 2, 24), ainsi ce nom divin du Père est glorifié par les saints, dont les oeuvres parfaites brillent aux yeux des autres hommes. Mais par qui Dieu a-t-il été plus glorifié que par Jésus, qui n'a commis aucun péché, et dans la bouche de qui le mensonge ne s'est point trouvé ? (1 P 2, 22.) C'est donc ainsi que le Fils a été glorifié, et que Dieu a été glorifié en lui ; mais si Dieu a été glorifié en lui, il lui rend une gloire bien supérieure à celle que le Fils lui a donnée, car la gloire que le Père donne au Fils de l'homme, lorsqu'il le glorifie, est incomparablement plus grande que celle qu'il rend lui-même à Dieu le Père qui est glorifié en lui. Il était convenable, en effet, que celui qui était le plus puissant, rendît aussi une gloire plus grande, et comme cette gloire que le Père devait accorder au Fils de l'homme ne devait point tarder, Jésus ajoute : « Et bientôt il le glorifiera. »

 

Vv. 33-35.

 

S. AUG. (Traité 64 sur S. Jean.) Ce que Nôtre-Seigneur venait de dire : « Et bientôt il le glorifiera, » pouvait laisser croire aux disciples qu'après que Dieu l'aurait glorifié, il cesserait de leur être uni et de vivre avec eux sur la terre, c'est pour cela qu'il ajoute : « Mes petits enfants, je ne suis plus avec vous que pour un peu de temps ; » c'est-à-dire, je serai immédiatement glorifié par ma résurrection, mais je ne remonterai pas aussitôt dans les deux, car comme il est écrit dans les Actes des Apôtres : « Il demeura quarante, jours avec eux après sa résurrection, » (chap. 1) et c'est à ces quarante jours qu'il fait allusion, lorsqu'il dit : « Je ne suis plus avec, vous que pour un peu de temps. »

 

ORIG. (Traité 32 sur S. Jean.) Ce nom de petits enfants qu'il leur donne, prouve que leur âme, était encore soumise aux faiblesses de l'enfance, mais ceux qu'il appelle maintenant des petits enfants deviennent ses frères après sa résurrection, de même qu'ils avaient été des serviteurs avant de devenir des petits enfants. — S. AUG. On peut entendre ces paroles dans ce sens : Je suis encore comme vous dans l'infirmité de la chair, c'est-à-dire, jusqu'au temps de ma mort et de ma résurrection. Après sa résurrection, il fut encore présent au milieu d'eux d'une présence corporelle, mais il cessa de partager les faiblesses de la nature humaine. Nous voyons, en effet, dans un autre évangéliste, qu'il tient ce langage à ses Apôtres : « C'est là ce que je vous ai dit, étant encore avec vous, » (Lc 24) c'est-à-dire, alors que j'étais dans celte chair mortelle qui nous est commune. Après sa résurrection, il était encore avec eux dans la même chair, mais il n'était plus comme eux soumis aux conditions de la mortalité. Il est encore une autre présence divine inaccessible aux sens, et dont le Sauveur veut parler quand il dit : « Voici que, je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles. » (Mt 28) Il ne dit pas ici : « Je ne suis avec vous que pour un peu de temps, » car le temps qui doit s'écouler jusqu'à la consommation des siècles n'est pas de courte durée, ou s'il est de courte durée, parce que mille ans sont aux yeux de Dieu comme un seul jour (Ps 89), ce n'est pas cependant cette vérité que le Sauveur a voulu exprimer, puisqu'il ajoute : « Vous me chercherez, et comme j'ai dit aux Juifs : Où je vais vous ne pouvez venir. » Est-ce qu'à la fin du monde il y aurait encore impossibilité d'aller où il allait lui-même, pour ceux à qui il devait bientôt dire : « Mon Père, je veux que là où je suis, ils soient eux-mêmes avec moi. » (Jn 18)

 

ORIG. Dans leur sens le plus simple, ces paroles n'offrent aucune difficulté, parce qu'en effet, le Sauveur ne devait pas rester longtemps avec ses disciples ; mais si l'on veut leur donner une signification plus profonde et plus cachée, ou se demande s'il n'a pas cessé d'être avec eux après un peu de temps, non parce qu'il n'était plus présent corporellement au milieu d'eux, mais parce que peu de temps après s'accomplit celte prédiction qu'il avait faite : « Je vous serai un sujet de scandale cette nuit. » Ainsi il n'était plus avec eux, parce qu'il ne reste qu'avec ceux qui en sont dignes. Mais bien qu'il ne fût pas avec eux, ils savaient cependant chercher Jésus, comme Pierre, qui en répandant tant de larmes, après avoir renié son divin Maître, cherchait évidemment Jésus. C'est pourquoi Nôtre-Seigneur ajoute : « Vous me chercherez, et comme j'ai dit aux Juifs : Où je vais, vous ne pouvez venir. » Chercher Jésus, c'est chercher le Verbe, la sagesse, la justice, la vérité, la puissance divine, toutes choses qui se trouvent dans le Christ. Ils voulaient donc suivre Jésus, non pas corporellement, comme quelques ignorants le prétendent, mais dans le sens spirituel dont parle le Sauveur, quand il dit : « Celui qui ne porte point sa croix et ne me suit pas, ne peut être mon disciple. » (Lc 14, 27.) Et Jésus leur dit : « Là où je vais, vous ne pouvez venir ; » lors même qu'ils eussent voulu suivre le Verbe et le confesser publiquement, ils n'avaient pas la force nécessaire, car l'Esprit saint n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié.

 

S. AUG. Ou bien, Nôtre-Seigneur leur parle de la sorte, parce qu'ils n’étaient pas encore capables de le suivre jusqu'à la mort pour la justice ; car comment auraient-ils pu le suivre, n'étant pas encore mûrs pour la justice ? Ou comment auraient-ils pu suivre le Seigneur jusqu’à l'immortalité de sa chair, eux qui ne devaient ressusciter qu'à la fin des siècles, quelle que fût l'époque de leur mort? Ou bien encore, comment auraient-ils pu suivre le Seigneur jusque dans le sein du Père, alors que la charité parfaite pouvait seule leur donner l'entrée de cette suprême félicité ? Lorsque Jésus s'adressait aux Juifs, il n'ajoutait point : « Maintenant, » car si ces disciples ne pouvaient le suivre actuellement, ils devaient le suivre plus tard, et c'est pour cela que le Sauveur ajoute : « Je vous le dis aussi maintenant. » — ORIG. Et je vous le dis, mais prenant soin de spécifier le temps par celte expression : « Maintenant, » car pour les Juifs qu'il prévoyait devoir mourir dans leurs crimes, ils ne pouvaient suivre bientôt Jésus où il allait, tandis que les disciples, dans un temps fort court, devaient suivre le Verbe.

 

S. CHRYS. Il appelle ses disciples : « Mes petits enfants, » afin qu'ils ne s'appliquent point ces paroles qui semblaient les ranger avec les Juifs : « Ainsi que je l'ai dit aux Juifs, » et il leur donne ce nom pour rendre plus vif l'amour qu'ils avaient pour lui. En effet, c'est lorsque nous voyons une personne qui nous est chère sur le point de nous quitter, que nous sentons notre affection pour elle redoubler, surtout lorsque nous la voyons partir pour des lieux où il nous est impossible de la suivre. Il nous apprend en même temps que sa mort n'est qu'un déplacement, une translation heureuse dans un lieu où les corps mortels ne peuvent avoir d'accès.

 

S. AUG. Nôtre-Seigneur leur enseigne du reste la voie qu'ils devront suivre pour arriver là où il les précédait : « Je vous donne un commandement nouveau, c’est de vous aimer les uns les autres. » (Traité 65) Mais est-ce que ce commandement n'existait pas déjà dans l'ancienne loi, qui avait Dieu pour auteur, et où il est écrit : « Vous aimerez votre prochain comme vous-même ? » Pourquoi donc Nôtre-Seigneur l'appelle-t-il un commandement nouveau ? Est-ce qu'il nous a dépouillé du vieil homme pour nous revêtir du nouveau ? Celui, en effet, qui reçoit ce précepte, ou plutôt qui lui est fidèle, se trouve renouvelé, non point par toute espèce d'amour, mais par cet amour que le Sauveur distingue avec soin de l'affection purement naturelle, en ajoutant : « Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. » Ne vous aimez pas comme s'aiment les hommes qui ne cherchent qu'à corrompre, ni comme ceux qui s'aiment, parce qu'ils ont une même nature, mais aimez-vous comme ceux qui s'aiment mutuellement, parce qu'ils sont dieux, et les fils du Très-Haut, pour devenir ainsi les frères du Fils unique de Dieu, en s'aimant mutuellement de cet amour qu'il a eu pour eux et qui le porte à les conduire à cette fin bienheureuse où il rassasiera leurs désirs dans l'abondance de tous les biens. — S. CHRYS. Ou bien encore ces paroles : « Comme je vous ai aimés, » signifient que l'amour que j'ai eu pour vous, n'a pas été fondé sur vos mérites antérieurs, c'est moi qui vous ai prévenus, ainsi devez-vous faire le bien, sans y être forcés par aucune obligation de reconnaissance.

 

S. AUG. Ne croyez pas que le Sauveur ait oublié ici le commandement qui nous oblige d'aimer le Seigneur notre Dieu ; car, pour qui l’entend bien, chacun de ces deux commandements se retrouve dans l'autre. En effet, celui qui aime Dieu ne peut pas mépriser Dieu, qui lui recommande d'aimer le prochain ; et celui qui aime le prochain d'un amour surnaturel et spirituel, qu'aime-t-il en lui, si ce n'est Dieu ? C'est cet amour que Nôtre-Seigneur veut séparer de toute affection terrestre, lorsqu'il ajoute : « Comme je vous ai aimés. » Qu'a-t-il aimé en nous, en effet, si ce n'est Dieu ? Non pas Dieu que nous possédons, mais Dieu, qu'il désirait voir en nous. Aimons-nous donc ainsi les uns les autres, afin qu'autant que nous le pourrons, nous soyons attirés à la possession de Dieu seul par la force de cet amour mutuel.

 

S. CHRYS. Nôtre-Seigneur laisse de côté les miracles que ses disciples devaient opérer, et veut qu'on ne les reconnaisse qu'à cet amour seul qu'ils auront les uns pour les autres : « C'est en cela que tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez, de l'amour les uns pour les autres. » C'est à ce signe qu'on reconnaît la véritable sainteté, comme c'est à ce signe que le Sauveur reconnaît ses disciples. — S. AUG. Ne semble-t-il pas dire : Ceux qui ne sont pas mis disciples partagent avec vous d'autres grâces, d'autres faveurs ; non-seulement ils ont une même nature, une même vie, une même intelligence, une même raison, et cet ensemble de biens qui sont communs aux hommes et aux animaux, mais encore le don des langues, le pouvoir d'administrer les sacrements, le don de prophétie, la science, la foi, la distribution de leurs biens aux pauvres, le sacrifice de leur corps au milieu des flammes ; mais parce qu'ils n'ont point la charité, ce sont des tymbales retentissantes, ils ne sont rien, et tous ces dons ne leur servent de rien ?

 

Vv. 36-38.

 

S. CHRYS. (hom. 73 sur S. Jean.) L'amour est quelque chose de grand, il est plus fort que le feu, et nul obstacle ne peut arrêter son élan. Aussi Pierre, sous l'impression de cet ardent amour, entendant le Sauveur lui dire : « Là où je vais, vous ne pouvez venir maintenant, » lui fait cette question : « Seigneur, où allez-vous ? » — S. AUG. (Traité 66 sur S. Jean.) C'est ainsi que le disciple parle à son Maître, disposé qu'il est à le suivre ; c'est pourquoi le Seigneur, qui voit le fond de son âme, lui fait cette réponse : « Là où je vais, vous ne pouvez maintenant me suivre. » Il retarde l'accomplissement de son désir, mais ne lui enlève pas toute espérance ; au contraire il l'affermit, en lui disant : a Vous me suivrez un jour. » Pourquoi donc cet empressement, Pierre? Celui qui est la pierre ne vous a pas encore donné l'appui inébranlable de son esprit; n'ayez donc point cette présomption orgueilleuse. « Vous ne le pouvez pas maintenant. » Ne vous laissez point abattre par le désespoir : « Vous me suivrez plus tard. »

 

S. CHRYS. Malgré cette réponse, Pierre ne peut contenir la vivacité de son désir ; il se laisse emporter à la douce espérance qui vient de lui être donnée, et comme il ne craint pins maintenant de trahir son Maître, il l'interroge avec sécurité au milieu du silence que gardent les autres apôtres. « Pierre lui dit :  Pourquoi ne puis-je pas vous suivre à présent ? Je donnerai ma vie pour vous. » Que dites-vous, Pierre ? Je viens de vous déclarer que vous ne pouvez pas, et vous insistez, en disant : Je le puis. Vous apprendrez donc par votre expérience que votre amour n'est rien sans la présence d'un secours surnaturel qui le dépouille de sa faiblesse. « Jésus lui répondit : Vous donnerez votre vie pour moi ? » — BEDE. Cette proposition peut s'entendre de deux manières : premièrement, d'une manière affirmative, en ce sens : Vous donnerez votre vie pour moi, mais actuellement la crainte de la mort du corps vous fera tomber dans la mort de l'âme ; secondement, dans un sens ironique — S. AUG. C'est-à-dire, vous ferez pour moi ce que je n'ai pas encore fait pour vous ? Vous pouvez me precéder, vous qui n'êtes pas capable de me suivre ? Pourquoi tant de présomption ? Apprenez donc ce que vous êtes : « En vérité, en vérité, je vous le dis, le coq ne chantera pas que vous ne m'ayez renié trois fois, » vous qui promettez de mourir pour moi ? vous renierez trois fois celui qui est votre vie. Pierre voyait bien l'étendue du désir de son âme, mais il ne voyait pas sa faiblesse, malade qu'il était, il vantait bien haut l'ardeur de sa volonté, mais le Médecin connaissait son infirmité. Peut-on admettre, avec, quelques-uns qui, par une condescendance coupable, veulent excuser Pierre, que cet apôtre n'a point précisément renié le Christ, parce qu'à la question que lui fit la servante, il répondit qu'il ne connaissait pas cet homme, comme les autres évangélistes le disent expressément ? Comme si renier Jésus en tant qu'homme ne soit pas le renier comme Christ, et le renier dans ce qu'il a daigné se faire pour notre amour et pour nous sauver de la mort, nous ses créatures. Comment est-il devenu la tête de l'Eglise si ce n'est par son humanité ? Comment donc peut-on faire partie du corps de Jésus-Christ, en reniant Jésus-Christ comme homme ? Mais pourquoi nous arrêter davantage à cette difficulté ? Nôtre-Seigneur ne dit point : Le coq ne chantera pas que vous n'ayez renié l'homme où le Fils de l'homme ; mais : « Le coq ne chantera pas que vous ne m'ayez renié. » Que veut dire ici l'expression moi, si ce n'est ce que Jésus-Christ était alors ? donc tout ce que Pierre a renié dans le Christ, c'est Jésus-Christ lui-même qu'il a renié. En douter, ce serait un crime. Jésus-Christ l'a déclaré, il a prédit les deux choses ; il est donc certain que Pierre a renié Jésus-Christ. N'allons pas accuser Jésus-Christ, en voulant défendre Pierre. Pierre a reconnu pleinement son péché, et l'abondance des larmes qu'il a versées a témoigné de la grandeur du crime qu'il a commis. Si nous parlons de la sorte, ce n'est point pour le plaisir d'accuser le chef des Apôtres, mais la considération de sa chute nous apprend combien l'homme doit se défier de ses propres forces. — BEDE. Que chacun cependant profite de cet exemple. pour ne point se laisser aller au désespoir lorsqu'il tombe dans quelque faute, et qu'il y puise l'espérance assurée d'obtenir son pardon. — S. CHRYS. Nous devons aussi conclure de là que le Seigneur permit la chute de Pierre. Il aurait pu, sans doute, la prévenir tout d'abord ; mais comme cet apôtre persévérait dans ses protestations opiniâtres, le Sauveur ne le poussa point à le renier, mais il l'abandonna à ses propres forces, pour lui faire comprendre sa propre faiblesse, le préserver pour l'avenir d'une si déplorable chute, lorsqu'il serait chargé du gouvernement du monde entier, et lui donner la connaissance de lui-même par le souvenir de sa faiblesse.

 

S. AUG. Ce fut donc l'âme de Pierre qui souffrit la mort qu'il offrait de souffrir dans son corps, mais dans un sens différent de celui qu'il pensait ; car avant la mort et la résurrection du Seigneur, il mourut par son renoncement, et ressuscita par ses larmes. — S. AUG. (De l'Acc. des Evang., 2, 2.) Le renoncement dr Pierre, dont nous venons de parler, nous est raconté non-seulement par saint Jean, mais par les trois autres évangélistes, bien que tous ne le placent pas dans les mêmes circonstances ; car saint Matthieu et saint Marc le rattachent au discours qui suivit la sortie du Sauveur de la maison où il avait mangé la pâque ; tandis que saint Luc et saint Jean le placent avant qu’il en fût sorti : mais il nous est facile de comprendre ou que les deux premiers évangélistes en ont parlé par récapitulation, ou les deux derniers par anticipation. On serait peut-être plus fondé à admettre, en voyant les discours variés et les affirmations différentes du Seigneur, rapportées par les Evangélistes, que sous l'impression de ces paroles, Pierre a fait le serment téméraire de mourir pour son Maître ou avec son Maître, et qu'ainsi il a renouvelé trois fois cet engagement en divers endroits du discours du Sauveur, de même que Jésus lui a répondu, à trois reprises différentes, qu'il le renierait trois fois avant le chant du coq.

 

CHAPITRE XIV

 

Vv. 1-4.

 

S. AUG. (Traité 67 sur S. Jean.) Le Sauveur voulant prévenir la crainte tout humaine que sa mort pouvait produire dans l'âme de ses disciples et le trouble qui devait s'en suivre, cherche à les consoler, en leur déclarant qu'il est Dieu lui-même : « Et il dit à ses disciples : Que votre cœur ne se trouble point, vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi, » c'est-à-dire, si vous croyez en Dieu, par une conséquence nécessaire, vous devez croire en moi, conséquence qui ne serait point légitime, si Jésus-Christ n'était pas Dieu. Vous craignez la mort pour la nature du serviteur, que votre cœur ne se trouble point, la nature divine la ressuscitera. — S. CHRYS. (hom. 73 sur S. Jean.) La foi que vous aurez en moi et dans mon Père qui m'a engendré, est plus puissante que tous les événements qui peuvent arriver, et aucune difficulté ne peut prévaloir contre elle. Il prouve encore ici sa divinité en dévoilant les pensées les plus intimes de leur âme, et en leur disant : « Que votre cœur ne se trouble point. » S. AUG. Comme la prédiction que Jésus avait faite à Pierre, toujours plein de confiance et d'ardeur qu'il le renierait trois fois avant le chant du coq avait aussi rempli de crainte les autres disciples, Nôtre-Seigneur les rassure en leur disant : « Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père. » C'est ainsi qu'il calme le trouble et l'agitation de leur âme, en leur donnant l'espérance assurée, qu'après les périls et les épreuves de cette vie, ils seraient pour toujours réunis à Dieu avec Jésus-Christ. Que l'un soit supérieur à un autre en force, en sagesse, en justice, en sainteté, aucun ne sera exclu de cette maison, où chacun sera placé suivant son mérite. Tous recevront également le denier que le père de famille ordonne de donner à ceux qui ont travaillé à sa vigne. (Mt 20) Ce dernier est le symbole de la vie éternelle, qui n'a pour personne une durée plus longue, parce qu'il ne peut y avoir de durée plus ou moins grande dans l'éternité. Le grand nombre de demeures signifie donc les différents degrés de mérites qui existent dans cette seule et même vie éternelle. — S. GREG. (hom. 16 sur Ezech.) Ou bien ce grand nombre de demeures s'accorde avec l'unité de denier, parce que bien que l'un goûte une félicité plus grande que l'autre,  tous cependant éprouvent un même sentiment de joie dans la claire vue de leur Créateur. — S. AUG. Ainsi Dieu sera tout en tous, car comme Dieu est charité par l'effet de cette charité, ce qui est à chacun sera le partage de tous. C'est ainsi que chacun possède les choses qu'il n'a pas en réalité, mais qu'il aime, dans un autre. La différence de gloire n'excitera donc aucune envie, parce que l'unité de la charité régnera dans tous les cœurs. — S. GREG. (Moral., dern. liv., chap. 14 ou 24.) D'ailleurs les bienheureux n'éprouveront aucun désavantage de cette disparité de gloire, parce que chacun recevra la mesure suffisante pour combler ses désirs.

 

S. AUG. Il faut rejeter comme opposé à la foi chrétienne le sentiment de ceux qui prétendent que cette multiplicité de demeures signifie qu'il y aura en dehors du royaume des cieux un lieu destiné aux âmes innocentes qui seront sorties de cette vie sans avoir reçu le baptême, condition nécessaire pour entrer dans le royaume des cieux. Puisque toute la maison des enfants de Dieu, qui sont appelés à régner, ne peut être que dans le royaume, loin de nous la pensée qu'il y ait une partie de cette maison royale qui ne soit point dans le royaume, car le Seigneur n'a pas dit : Dans la béatitude éternelle, mais : « Dans la maison de mon Père il y a un grand nombre de demeures. »

 

S. CHRYS. On peut encore rattacher autrement ces paroles à ce qui précède. Le Seigneur avait dit à Pierre : «Là où je vais vous ne pouvez me suivre maintenant, mais vous me suivrez par la suite. » Or, les disciples auraient pu regarder cette promesse comme faite exclusivement à Pierre, c'est pour cela qu'il leur dit ici : « Il y a un grand nombre de demeures dans la maison de mon Père, » c'est-à-dire, le palais que je destine à Pierre vous est également destiné, car il y a dans ce palais un grand nombre de demeures, et il n'y a point à objecter qu'elles ont besoin d'être préparées, car il s'empresse d'ajouter : « S'il en était autrement, je vous l'aurais dit, je vais vous préparer une place. » S. AUG. Ces paroles prouvent suffisamment qu'il leur parle de la sorte, parce qu'il y a dans le ciel un grand nombre de demeures, et qu'il n'est pas besoin d'en préparer quelqu'une. — S. CHRYS. Comme Il avait dit à Pierre : « Vous ne pouvez pas me suivre maintenant, » et qu'ils pouvaient craindre d'être pour toujours séparés de lui, il ajoute : « Et lorsque je m'en serai allé, et vous aurai préparé une place, je reviendrai et vous prendrai avec moi, afin que là où je suis, vous soyez aussi. » Quoi de plus propre que ce langage pour leur inspirer une vive confiance en lui ? — THEOPHYL. Ne semble-t-il pas leur dire, en effet : Que les demeures soient préparées ou ne le soient point, vous ne devez point vous troubler, car en supposant qu'elles ne soient point préparées, je vais moi-même vous les préparer avec toute la sollicitude possible ?

 

S. AUG. Mais comment Nôtre-Seigneur peut-il aller nous préparer nue place, puisque d'après lui, il y a déjà un grand nombre de demeures ? C'est qu'elles ne sont pas encore comme elles doivent être préparées, car les demeures qu'il a préparées par la prédestination, il les prépare encore par son action divine. Elles existent donc, déjà dans les décrets de sa prédestination, autrement il aurait dit : J'irai et je préparerai (c'est-à-dire je prédestinerai) une place ; mais comme elles ne sont pas encore l'objet de l'action divine, il ajoute : « Et lorsque je m'en serai allé et que je vous aurai préparé une place. » Or, il prépare maintenant ces demeures, en leur préparant ceux qui doivent les habiter. En effet, lorsque le Sauveur dit : « Il y a un grand nombre de demeures dans la maison de mon Père ; » que devons-nous entendre par cette maison de Dieu, si ce n'est le temple de Dieu, temple dont l'Apôtre dit : « Le temple de Dieu est saint, et c’est vous qui êtes ce temple ? » (1 Co 3, 17.) Or, cette maison est encore en voie de construction et de préparation. Mais pourquoi faut-il qu'il s'en aille pour cette préparation, puisque c'est lui-même qui nous prépare, ce qu'il ne peut faire, s'il le sépare de nous ? Il veut nous enseigner par là, que pour préparer ces demeures, le juste doit vivre de la foi. Si vous jouissez de la claire vue, la foi n'est plus possible. Que le Seigneur s'en aille donc pour se dérober aux regards, qu'il se cache pour devenir l'objet de notre foi, car c'est la vie de la foi qui nous prépare la place. Que la foi nous fasse désirer le Sauveur, afin que les saints désirs nous en mettent en possession. D'ailleurs, si vous l'entendez bien, il ne quitte ni le lieu d'où il paraît s'éloigner, ni celui d'où il est venu jusqu'à nous. Il s'en va en se cachant à nos regards, il vient en manifestant sa présence. Mais s'il ne demeure avec nous pour nous diriger et nous faire avancer dans la voie de la sainteté, le lieu où nous demeurerons avec lui, en jouissant de sa présence, ne nous sera point préparé.

 

ALCUIN. Voici donc le sens de ce qu'il leur dit : « Je m'en vais, » (c'est-à-dire, je m'absente corporellement), mais : « Je reviendrai de nouveau, » (par la présence de ma divinité), ou bien encore, je reviendrai juger les vivants et les morts. Et comme il prévoyait qu'ils lui demanderaient où il irait, et le chemin qu'il suivrait, il les prévient et leur dit : « Où je vais, vous le savez (c'est-à-dire, vers mon Père), et vous savez la voie » (c'est-à-dire, que j'y vais par moi-même). — S. CHRYS. En leur parlant de la sorte, il fait connaître le désir qui était au fond de leur âme et leur offre l'occasion de l'interroger.

 

Vv. 5-7.

 

S. CHRYS. (horn. 73 sur S. Jean.) Si les Juifs, qui ne demandaient pas mieux que de se séparer de Jésus-Christ, l'interrogeaient sur le lieu où il devait aller, combien plus les disciples qui ne voulaient pour rien en être séparés, désiraient savoir où il allait ? aussi lui font-ils cette question dans un sentiment mêlé d'amour et de crainte : « Thomas lui dit : Seigneur, nous ne savons où vous allez. » — S. AUG. (Traité 59 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur venait de leur dire qu'ils savaient où il allait, et qu'ils en savaient aussi la voie ; Thomas, de son côté, déclare ignorer ces deux choses, mais le Fils de Dieu ne peut mentir ; les Apôtres savaient donc, mais ils ignoraient qu'ils savaient, et Nôtre-Seigneur leur prouve qu'ils savaient ce qu'ils croyaient ignorer : « Jésus lui dit : Je suis la voie, la vérité et la vie. » — S. AUG. (Serm. 34 sur les par. du Seign.) C'est-à-dire, où voulez-vous aller ? je suis la voie ; où voulez-vous aller ? je suis la vérité ; où voulez-vous demeurer ? je suis la vie. Tout homme est capable de percevoir la vérité et la vie, mais tout homme ne trouve pas la voie qui y conduit. Que Dieu soit une certaine vie éternelle, et une vérité que l'on peut connaître, c'est ce que les philosophes de ce monde ont eux-mêmes compris, mais c'est le Verbe de Dieu qui, dans le sein du Père, est la vérité et la vie qui est devenu la voie en se revêtant de notre humanité. Marchez par cette humanité, et vous arriverez jusqu'à la divinité ; car il vaut encore mieux marcher en boitant dans la voie,  que de l'aire de grands pas hors de la voie. — S. HIL. (de la Trin., 7) Celui qui est la voie ne vous conduira pas dans des chemins perdus et sans issue ; celui qui est la vérité, ne peut vous tromper, et celui qui est la vie ne vous laissera pas dans l'erreur de la mort. — THEOPHYLACTE. Lorsque vous menez la vie active, Jésus-Christ est pour vous la voie, lorsque vous persévérez dans la vie contemplative, il devient pour vous la vérité. La vie est le fruit de l'action de la vie contemplative, car il faut nécessairement marcher et annoncer l'Evangile pour mériter la vie future et éternelle.

 

S. AUG. (Traité 69.) Ils savaient donc la voie, parce qu'ils le connaissaient, lui qui est la voie. Mais qu'était-il besoin d'ajouter qu'il était la vérité et la vie, alors que la voie étant connue, il restait à savoir quel en était le terme, si ce n'est parce qu'il allait à la vérité et à la vie ? Il allait donc à lui-même par lui-même. Mais, Seigneur, est-ce que pour venir jusqu'à nous, vous vous étiez quitté vous-même ? Je sais que vous avez pris la forme de serviteur, et que vous êtes venu dans une chair mortelle, tout en demeurant où vous étiez d'abord, et vous êtes retourné par cette même chair sans vous séparer de ceux vers lesquels vous étiez venu. Si donc c'est par cette chair que vous êtes venu et que vous êtes retourné, c'est par cette même chair aussi que vous êtes devenu tout à la fois la voie que nous devons prendre pour arriver jusqu'à vous, et la voie par laquelle vous êtes vous-même venu et retourné. Or, lorsque vous êtes retourné vers la vie (qui n'est autre que vous-même), vous avez conduit cette même chair de la mort à la vie. Jésus-Christ est donc allé à la vie lorsque sa chair a passé de la mort à la vie. Et comme le Verbe est la vie, c'est à lui-même que le Christ est venu, car le Christ est un composé de ces deux choses, le Verbe et la chair dans une même personne. Dieu était venu par le moyen de la chair vers les hommes, la vérité était venue trouver le mensonge, car Dieu est la vérité, et tout homme est menteur. (Rm 3, 4.) Lors donc qu'il s'est dérobé aux regards des hommes, et qu'il a élevé sa chair vers ces hauteurs inaccessibles au mensonge. C’est le même Verbe fait chair qui, par lui-même, c'est-à-dire par sa chair, est retourné vers la vérité, qui n'est autre que lui-même ; vérité qu'au milieu même des hommes de mensonge, il a conservée jusque dans la mort. Lorsque moi-même je vous tiens un langage que vous comprenez, je m'avance en quelque sorte vers vous, sans me quitter moi-même, et lorsque je cesse de parler, je reviens comme à moi-même, tout en demeurant avec vous, si vous retenez ce que vous avez entendu. Or, si cela est possible à l'homme, image créée de Dieu, que ne peut point son image substantielle qu'il a engendrée ? Il va donc à lui-même par lui-même, et par lui-même au Père, et par lui, nous allons nous-mêmes à lui et au Père.

 

S. CHRYS. Si j'ai le pouvoir de vous conduire au Père, vous ne pouvez manquer d'y arriver, car il n'est pas possible d'y arriver par un autre chemin. En rapprochant ce qu'il a dit précédemment : « Personne ne peut venir à moi, si mon Père ne l'attire, » de ce qu'il déclare ici que personne ne peut venir à son Père que par lui, il se proclame l’égal de celui qui l'a engendré. Mais comment après avoir dit : « Vous savez où je vais, et vous en savez la voie, » ajoute-t-il : « Si vous m'aviez connu, vous auriez aussi connu mon Père, » c'est-à-dire, si vous connaissiez ma nature et ma dignité, vous connaîtriez aussi la nature et la dignité du Père. Il n'y a point ici contradiction, car ils connaissaient, mais d'une connaissance imparfaite, il était réservé à l'Esprit saint de leur donner cette connaissance dans toute sa perfection. C'est pour cela qu'il ajoute : « Bientôt vous le connaîtrez (il veut parler d'une connaissance tout à fait spirituelle), et vous l'avez déjà vu (c'est-à-dire par moi) ; » il leur apprend ainsi que celui qui le voit, voit son Père, or, ils l'avaient vu, non dans sa nature divine, mais sous le voile de la chair dont il était revêtu.

 

BEDE. Il nous faut examiner maintenant comment Nôtre-Seigneur a pu dire à ses disciples : « Si vous m'aviez connu, » etc. Après leur avoir dit précédemment : Là où je vais, vous le savez, et vous savez le chemin. La réponse à cette difficulté est que parmi les Apôtres, quelques-uns le savaient, et d'autres, du nombre desquels était Thomas, l'ignoraient. — S. HIL. (de la Trin., 7) On peut encore rattacher ces paroles entre elles d'une autre manière. Comme on ne peut aller au Père que par le Fils, il faut examiner si c'est par renseignement de sa doctrine ou par la foi en sa nature divine. La réponse à cette question se trouve dans les paroles qui suivent : « Si vous m'aviez connu, vous auriez aussi connu mon Père. » En effet, le Sauveur a suivi cet ordre dans le mystère de son incarnation, qui avait pour objet de confirmer lu nature divine de son Père, il a distingué le temps de la vision du temps de la connaissance ; celui qu'ils doivent connaître bientôt, ils l'ont déjà vu et ils devaient recevoir par l'effet de la révélation l'intelligence de la nature divine qu'ils avaient déjà contemplée en lui.

 

Vv. 8-11.

 

S. HIL. (de la Trin., 7) La nouveauté de ce langage étonne l'apôtre Philippe, on ne voit en Jésus-Christ qu'un homme, et il se proclame le Fils de Dieu, il déclare qu'en le connaissant on connaît son Père, et que qui le voit voit son Père ; Philippe fait au Sauveur cette question qu'autorisait son titre d'Apôtre : « Seigneur, montrez-nous votre Père, et cela nous suffit. » Il ne nie pas qu'on puisse voir son Père en lui, mais il demande qu'on le lui montre, non pas comme vu spectacle extérieur propre à satisfaire les regards du corps, mais comme une démonstration intellectuelle qui lui fasse comprendre celui qu'il désire voir ; car il avait bien vu le Fils de Dieu sous une forme humaine, mais il ne savait pas comment en le voyant, il pouvait voir le Père. Et comme preuve que cette manifestation qu'il désire est plutôt une démonstration de l'intelligence qu'une vision extérieure, il ajoute : « Et cela nous suffira. » —S. AUG. (de la Trin., 8) Celle joie dont il nous comblera en nous montrant son visage (Ps 15, 11), ne nous laissera plus rien à désirer, et c'est ce qu'avait bien compris Philippe, lorsqu'il disait : « Seigneur, montrez-nous le Père, et cela nous suffit. » Mais il n'avait pas encore compris qu'il pouvait également dire à Jésus-Christ : « Seigneur, montrez-vous à nous, et cela nous suffit, car c'est pour lui faire comprendre cette vérité, que Nôtre-Seigneur ajoute : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas ? » — S. AUG. (Traité 70.) Mais comment le Sauveur peut-il leur faire ce reproche, alors qu'ils savaient bien où il allait, ainsi que la voie qui y conduisait, par cela seul qu'ils le connaissaient lui-même ? Cette question peut facilement se résoudre, en disant que parmi les Apôtres, quelques-uns connaissaient Jésus-Christ, mais que quelques autres ne le connaissaient pas, et que de ce nombre était Philippe.

 

S. HIL. (de la Trin., 7) Le Sauveur fait donc un reproche à cet Apôtre, de ce qu'il ne le connaît point, car la plupart des actions qu'il avait faites, comme de marcher sur la mer, de commander aux vents, de remettre les péchés, de rendre la vie aux morts, étant visiblement les œuvres d'un Dieu ; toute la difficulté venait de ce que sous le voile de l'humanité qu'il avait prise, Philippe n'avait pas compris l'existence de la nature divine. Aussi à la demande que lui fait cet Apôtre, de lui montrer son Père, il répond : « Philippe qui me voit, voit mon Père. » — S. AUG. En effet, lorsque nous parlons de deux personnes parfaitement semblables, nous disons : « Si vous avez vu l'une, vous avez vu l'autre. » C'est dans ce sens que Nôtre-Seigneur dit : « Celui qui me voit, voit mon Père, » non pas que le Père soit le même que le Fils, mais parce que le Fils a une entière et parfaite ressemblance avec le Père.

 

S. HIL. (de la Trin., 7) Nôtre-Seigneur ne veut point parler ici de la vue des yeux du corps, car la chair qui est née de la vierge Marie, ne peut servir à découvrir un Jésus-Christ la nature divine, mais c'est l'intelligence que nous avons du Fils de Dieu, qui nous fait comprendre le Père, car si le Fils est l'image du Père, il a avec lui une même nature, et cette expression signifie simplement qu'il a été engendré. Les paroles du Sauveur ne laissent point supposer, en effet, une seule et unique personne, bien qu'elles expriment l'unité de nature, car en ajoutant : « Voit le Père, » il exclut la supposition d'une personne unique, et nous force d'admettre qu'en vertu de l'unité de nature, le Père est vu dans le Fils. — S. AUG. Mais doit-on faire des reproches à celui qui, voyant une personne parfaitement semblable à une autre, désire voir l'autre terme de la ressemblance ? Nous répondons que le Sauveur reprend son disciple, parce qu'il voyait le fond de son cœur ; Philippe désirait connaître le Père, comme si le Père était supérieur au Fils, et par là-même il ne connaissait pas le Fils, m supposant qu'il existait un être qui lui fût supérieur. C'est pour redresser cette erreur que Nôtre-Seigneur lui dit : « Ne croyez-vous pas que je suis dans mon Père, et que mon Père est en moi ? » C'est-à-dire, si c'est beaucoup pour vous de voir le Père dans le Fils, croyez au moins ce que vous ne voyez pas. — S. HIL. (de la Trin., vu.) Comment pouvait-on encore ignorer le Père, et quelle nécessité de le faire connaître à ceux qui l'ignoraient, alors qu'on pouvait le voir dans le Fils ? Or, on le voyait, parce qu'ils ont une commune nature, et qu'en vertu de cette nature absolument semblable, celui qui engendre et celui qui est engendré ne sont qu'un, selon ces paroles du Sauveur : « Ne croyez-vous pas que je suis dans mon Père, et que mon Père est en moi ? » — S. AUG. (de la Trin., 1, 2.) Le Sauveur voulait qu'il vécût de la foi avant de parvenir à la claire vision, car la contemplation est la récompense de la foi, et c'est la foi qui prépare les cœurs à cette récompense en les purifiant.

 

S. HIL. (de la Trin., 7) Or, le Père est dans le Fils, et le Fils dans le Père, non par la double union de deux natures qui se rencontrent, ni par l'union d'une nature supérieure qui vient s'enter sur une autre nature, parce que les choses intérieures ne peuvent être soumises aux nécessités des dimensions corporelles, et demeurer extérieures aux choses qui les contiennent, mais le Père est dans le Fils, et le Fils dans le Père, en vertu de sa naissance d'une nature vivante sortant d'une autre nature vivante, c'est-à-dire, en vertu de la naissance d'un Dieu engendré par un Dieu. — S. HIL. (de la Trin., 5) En effet, Dieu qui est immuable, agit conformément à sa nature en engendrant une nature immuable, et cette naissance parfaite d'un Dieu immuable qui sort du sein d'un Dieu immuable, lui conserve toute la perfection de sa nature. Nous comprenons donc que la nature divine est en lui, en ce sens que c'est Dieu qui est dans Dieu, et qu'il n'y a point d'autre Dieu en dehors de lui qui est Dieu.

 

S. CHRYS. (hom. 74 sur S. Jean.) On peut encore donner une autre explication de ce passage. Philippe voulait voir le Père des yeux du corps, parce qu'il pensait avoir vu le Fils de la sorte, peut-être aussi, parce qu'il avait entendu dire aux prophètes qu'ils avaient vu le Seigneur, c'est sous cette impression qu'il dit à Jésus : « Montrez-nous le Père. » Les Juifs lui avaient souvent fait cette question : « Quel est votre Père ? » Pierre et Thomas lui avaient demande oùl il allait, et ni les uns ni les antres n'avaient compris sa réponse. Philippe donc voulant éviter le reproche d'importunité, se contente de lui dire : « Montrez-nous 1e Père, et cela nous suffit, » c'est-à-dire, nous ne demandons rien autre chose. Or, le Sauveur ne lui répond point : « Vous demandez une chose impossible ; » mais il lui fait comprendre qu'il n'a même pas vu le Fils, car s'il avait pu le voir, il aurait vu aussi le Père, et c'est le sens de ces paroles : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas ? Philippe, qui me voit, voit aussi mon Père. » Il ne lui dit pas : Vous ne m'avez pas vu, mais : « Vous ne m'avez pas connu, » c'est-à-dire, vous n'avez pas compris que le Fils demeurant ce qu'est le Père, peut très-bien montrer en lui celui qui l'a engendré. Il distingue ensuite les deux personnes, en ajoutant : « Celui qui me voit, voit aussi mon Père, » pour prévenir cette erreur que le Fils est une même personne avec le Père. Il lui montre maintenant qu'il n'a point vu le Fils des yeux du corps. Si quelqu'un veut donner ici au mot voir la signification du mot connaître, je ne m'y oppose point, et tel serait alors le sens de ces paroles : « Celui qui me connaît, connaît aussi le Père. » Mais ce n'est point la pensée du Sauveur, qui a voulu exprimer sa consubstantialité avec son Père en ces termes : Celui qui a vu ma nature, a vu la nature de mon Père. Il résulte de là qu'il n'est pas une simple créature, car celui qui voit un être créé ne voit pas Dieu. Philippe, d'ailleurs, désirait voir la nature du Père. Si donc le Sauveur avait une nature différente de son Père, il ne dirait pas : « Celui qui me voit, voit mon Père, « car personne ne peut voir la nature de l'or dans celle de l'argent ; une nature ne peut faire voir en elle-même une nature toute différente.

 

S. AUG. Le Sauveur s'adresse ensuite non plus à Philippe seul, mais a tous ses apôtres : « Les paroles que je vous dis, je ne vous les dis pas de moi-même ; » que signifie cette manière de s'exprimer : « Je ne parle pas de moi-même, » si ce n'est : Moi qui vous parle, je ne suis pus de moi-même ? Il attribue ainsi ce qu'il fait à celui de qui lui vient avec l'être le pouvoir d'agir. — S. HIL. (de la Trin., 7) Il ne nie donc pas qu'il soit le Fils, il ne dissimule pas non plus la puissance de la nature paternelle qui est en lui, car lorsqu'il parle, il parle dans sa propre nature, et en déclarant qu'il ne parle pas de lui-même, il atteste en lui la naissance divine qui le fait naître d'un Dieu.— S. CHRYS. Voyez avec quelle abondance de preuves il établit l'unité de la nature divine : « Le Père qui demeure en moi, fait lui-même les œuvres que je fais. » C'est-à-dire, mon Père et moi n'agissons point d'une manière différente, comme il le dit ailleurs : « Si je ne fais point les œuvres de mon Père, ne croyez pas en moi. » Mais pourquoi passe-t-il des paroles aux œuvres ? Il paraissait convenable de dire : C'est lui qui dit les paroles que je prononce, mais il veut donner ici deux preuves différentes empruntées, l'une à la doctrine, l'autre aux miracles ; ou encore, parce que les paroles étaient ici comme des œuvres. — S. AUG. En effet, celui qui édifie son prochain par ses discours, fait une bonne œuvre. Ces deux propositions ont été pour des hérétiques différents, la matière d'une double difficulté. Le Fils n'est point égal au Père, disent les Ariens, puisqu'il ne parle point de lui-même. Le Père est la même chose que le Fils, disent à leur tour les Sabelliens, car que signifient ces paroles : « Le Père qui demeure en moi, fait lui-même les œuvres que je fais, » si ce n'est : Je demeure en moi-même, moi qui fais ces œuvres ? — S. HIL. (de la Trin., 7) Que le Père demeure dans le Fils, cela n'indique pas une seule et même personne ; que d'un autre côté, le Père agisse par le Fils, on ne peut en conclure qu'ils soient d'une nature différente.  Disons encore que celui qui ne parle point de lui-même, prouve par-là même qu'il n'est pas seul, et que celui qui parle par lui n'est pas d'une nature différente. Or, après avoir enseigné que le Père parlait et agissait en lui, il apportait la foi à cette unité parfaite entre lui et son Père, en ajoutant : « Ne croyez-vous pas que je suis dans mon Père, et que mon Père est en moi ? » Tant il veut que nous croyons que le Père parle et agit dans son Fils, non par un effet de sa puissance, mais par l'effet de la génération divine et de l'unité de nature. — S. AUG. Jusque-là Nôtre-Seigneur n'avait adressé de reproches qu'à Philippe, il fait voir maintenant qu'il n'était pas le seul qui les méritât, en disant à tous : « Croyez au moins à cause de mes œuvres ? » — S. CHRYS. Si ce que j'ai dit ne suffit pas pour vous convaincre que je cuis consubstantiel à mon Père, apprenez-le du moins par mes oeuvres. » C'est le sens de ces paroles : « Croyez-le du moins à cause de mes œuvres. » Vous avez vu des miracles faits avec autorité, vous avez vu en moi tous les signes les plus évidents de divinité, les péchés remis, les morts ressuscités, et d'autres prodiges semblables. — S. AUG. Croyez donc au moins à cause de mes œuvres, que je suis dans mon Père et que mon Père est en moi ; car si nous avions une nature distincte, nous ne pourrions nullement agir avec autant d'unité.

 

Vv. 12-14.

 

S. CHRYS. (hom. 74 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur venait de dire à ses disciples : « Croyez du moins, à cause, de mes œuvres ; » il veut leur apprendre maintenant que non-seulement il peut faire des œuvres semblables, mais qu'il peut en faire de plus grandes, et (ce qui est encore plus admirable), qu'il peut communiquer à d'autres ce pouvoir : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera lui-même les œuvres que je fais, et en fera encore de plus grandes. »

 

S. AUG. (Traité 71 sur S. Jean.) Mais quelles sont ces œuvres plus grandes ? Est-ce d'avoir guéri les malades par l'ombre seule de son corps lorsqu'ils passaient ? (Ac 5, 15.) Car c'est une action plus merveilleuse de guérir par l'ombre seule de son corps que par la frange de son vêtement. Toutefois en s'exprimant de la sorte, le Sauveur avait en vue les faits et les œuvres de ses paroles ; en effet, lorsqu'il dit : « Mon Père qui demeure en moi, opère lui-même les œuvres ; » de quelles œuvres voulait-il parler ? évidemment des paroles qu'il disait. Et le fruit de ces paroles, c'était la foi de ses disciples ; mais lorsque ses disciples eux-mêmes prêchèrent l'Evangile, ceux qui se convertirent furent beaucoup plus nombreux qu'ils n'étaient eux-mêmes, puisque les nations elles-mêmes embrassèrent la foi. (Traité 72.) Ne voyons-nous pas ce jeune homme riche se retirer de Jésus plein de tristesse après l'avoir entendu ? (Mt 19) Et cependant le conseil qu'un seul ne put se décider à pratiquer sur la recommandation du Sauveur, un grand nombre l'embrassèrent avec ardeur à la prédication des Apôtres.  Il a donc fait de plus grandes œuvres lorsqu'il a été prêché par ceux qui croyaient, que lorsqu'il parlait lui-même à ceux qui recrutaient. Mais voici une autre difficulté, ces oeuvres plus grandes n'ont été faites que par les Apôtres ; or, ce n'est, pas seulement d'eux que le Sauveur veut parler, lorsqu'il dit : « Celui qui croit en moi. » Ou bien ne doit-on compter parmi ceux qui croient en Jésus-Christ que ceux qui auraient fait des œuvres plus grandes que les siennes ? Cette conséquence serait dure, elle serait même absurde, si on ne comprenait bien ces paroles. L'Apôtre dit : « Lorsqu'un homme, sans faire des œuvres, croit en celui qui justifie le pécheur, sa foi lui est imputée à justice. (Rm 4, 5) En cela nous faisons les œuvres de Jésus-Christ, car c'est faire  l'œuvre de Jésus-Christ que de croire en lui ; c'est une œuvre qu'il fait en nous, non toutefois sans notre concours. Entendez donc bien le sens de ces paroles :  Celui qui croit en moi, fera aussi les œuvres que je fais ; je les fais le premier, et il les fera après moi, parce que je ne les fais le premier que pour qu'il les fasse à mon exemple. Or, quelles sont ces œuvres ? la justification du pécheur, c'est ce que le Christ opère dans le pécheur, mais avec le concours de sa volonté. Or, c'est là une oeuvre plus grande que la création du ciel et de la terre, car le ciel et la terre passeront, mais le salut et la justification des prédestinés demeureront à jamais. Les anges dans les cieux, sont aussi l'œuvre de Jésus-Christ, pouvons-nous dire que celui qui coopère à la grâce de Jésus-Christ pour sa justification, fait une œuvre plus grande que la création des anges ? Que celui qui en est capable, juge si la création des justes estime œuvre plus grande que la justification des pécheurs, si l'une et l'autre de ces deux œuvres annoncent une puissance égale, la seconde exige une plus grande miséricorde. D'ailleurs il n'est nullement nécessaire d'entendre de toutes les œuvres de Jésus-Christ, ces paroes : « Il fera de plus grandes œuvres que les miennes. » Peut-être n'a-t-il voulu parler que des œuvres qu'il opérait alors, et en ce moment il ne faisait qu’enseigner la doctrine de la foi ; or, enseigner la doctrine de la justice (ce que Jésus a fait sans nous), c'est faire moins que du justifier les pécheurs, ce qu'il a fait en nous avec le concours de notre volonté.

 

Nôtre-Seigneur donne ensuite un grand sujet d'espérance à ceux qui lui adresseront leurs prières, lorsqu'il ajoute : « Parce que je vais à mon Père.. » — S. CHRYS. C'est-à-dire, je ne dois point périr, mais je resterai dans la puissance qui m'est propre, et je demeurerai dans les cieux. Ou bien tel est le sens de ces paroles : C'est à vous maintenant de faire des miracles, pour moi je m'en vais à mon Père. — S. AUG. Et afin que personne ne fût tenté de s'attribuer le mérite de ces oeuvres plus grandes, il leur fait voir que c'est lui-même qui en sera l'auteur : « Et tout ce que vous demanderez à mon Père en mon nom, je le ferai. » Il venait de dire : « Il fera, » il dit maintenant : « Je le ferai, » et voici l'explication de cette parole : Ne regardez pas ce que je vous dis comme impossible, celui qui croit en moi ne peut être plus grand que moi ; c'est moi-même qui ferai alors des œuvres plus éclatantes que celles que je fais maintenant, je ferai par celui qui croit en moi ces œuvres plus grandes que celles que je fais actuellement par moi-même, ce qui n'accuse point un défaut de puissance, mais un sentiment de condescendance.

 

S. CHRYS. Nôtre-Seigneur dit : « Tout ce que vous demanderez en mon nom, » c'est ce que proclamaient les Apôtres : « Au nom de Jésus-Christ, levez-vous et marchez ; » (Ac 3, 6 ; 9, 33) car c'est lui-même qui était l'auteur de tous les miracles qu'ils opéraient, et la main du Seigneur était avec eux. — THEOPHYL. Il nous fait connaître ici la véritable théorie des miracles, c'est par la prière et par l'invocation de son nom qu'on peut opérer les plus grands prodiges.

 

S. AUG. Mais que veulent dire ces paroles : « Tout ce que vous demanderez, » lorsque nous voyons tant de fidèles demander sans recevoir ? N'est-ce point parce qu'ils demandent mal ? Dieu refuse dans sa miséricorde ce qu'on ne demande que pour en faire un mauvais usage. Gomment donc faut-il entendre ces paroles : « Tout ce que vous demanderez, je le ferai, » si Dieu, dans leur intérêt, n'accorde point aux fidèles l'objet de leurs prières ? Cette promesse n'a donc été faite qu'aux seuls Apôtres ? Non, sans doute, car le Sauveur avait dit précédemment : « Celui qui croit en moi, fera les œuvres que je fais moi-même. » Si nous considérons l'accomplissement de cette promesse dans les Apôtres eux-mêmes, nous voyons que celui qui a travaillé plus qu'eux tous, a prié trois fois le Seigneur d'éloigner de lui l'ange de Satan, sans avoir pu obtenir l'effet de sa prière. (2 Co 12, 7-9.) Comprenez bien le sens de ces paroles : « En mon nom, » (qui est Jésus-Christ.) Le mot Christ signifie roi, le mot Jésus veut dire sauveur ; donc tout ce que nous demandons contre les véritables intérêts de notre salut, nous ne le demandons pas au nom du suiveur. Cependant il ne laisse pas d’être notre Sauveur, non-seulement quand il nous accorde l'objet de nos prières, mais même quand il refuse de les exaucer, car il se montre justement notre Sauveur, en refusant de nous accorder ce qu'il sait être contraire à notre salut. Le médecin sait bien ce que le malade demande dans l'intérêt ou contre l'intérêt de sa santé, et il refuse d'accorder à ce malade les choses nuisibles qu'il désire, justement pour lui conserver la santé. Disons encore qu'il est des choses que nous demandons en son nom et qu'il ne nous accorde pas au moment même où nous les demandons, mais il les accorde plus tard ; il diffère, mais il ne refuse pas d'exaucer nos prières. Il ajoute aussitôt : « Afin que le Père soit glorifié dans le Fils, si vous demandez quelque chose en mon nom je le ferai. » Le Fils ne fait donc rien sans le Père, puisqu'il n'agit que pour que le Père soit glorifié en lui. — S. CHRYS. En effet, lorsqu'on verra le Fils opérer de grandes choses, la gloire en reviendra à celui qui l'a engendré. Pourquoi répète-t-il de nouveau : « Je le ferai ? » pour confirmer la vérité de ses paroles. — THEOPHYL. Remarquez, par quels degrés le Père est glorifié : c'est au nom de Jésus que sont opérés les miracles en vertu desquels les peuples croyaient à la prédication des Apôtres, et tandis qu'ils parvenaient ainsi à la connaissance, du Père, le Père était glorifié dans le Fils.

 

Vv. 15-17.

 

S. CHRYS. (hom. 74 sur S. Jean.) Les paroles que Notre-Seigneur venait de dire : « Tout ce que vous demanderez, je le ferai, » pouvaient donner aux Apôtres la pensée que toute prière indistinctement devait être exaucée ; il se hâte donc de prévenir cette idée, en ajoutant : « Si vous m'aimez, gardez mes commandements ; » comme s'il leur disait : C'est à cette condition que j'exaucerai vos prières. Ou bien encore, comme la nouvelle qu'il venait de leur apprendre, qu'il allait à son Père, devait naturellement les jeter dans le trouble, il leur dit : « L'amour que vous devez avoir pour moi, ne doit point avoir pour effet de troubler votre âme, mais de vous faire accomplir mes commandements ; car l'amour consista à obéir et à croire à celui qu'on aime. » Il prévoit aussi qu'ils devaient désirer vivement cette présence extérieure et cette, consolation sensible dont ils avaient joui jusqu'à présent, et c'est pour cela qu'il ajoute: « Et moi, je prierai mon Père, et il vous donnera un autre Paraclet. » — S. AUG. (Traîté 74) En parlant ainsi, il fait voir qu'il est lui-même un Paraclet. Le mot Paraclet veut dire, en latin, avocat, et saint Jean dit du Sauveur : « Nous avons pour avocat auprès du Père, Nôtre-Seigneur Jésus-Christ. » (Jn 1) — ALCUIN. Ou bien, le mot Paraclet veut dire Consolateur, et les Apôtres, en effet, avaient eu jusqu'alors un Consolateur, qui les animait et les fortifiait par l'éclat de ses miracles et par la douceur de ses enseignements. — DIDYM. (De l'Eprit saint.) Nôtre-Seigneur appelle l'Esprit saint un autre consolateur, non qu'il ait une nature autre que la sienne, mais parce que son opération est différente. Le Sauveur était venu pour remplir l'office de médiateur et d'ambassadeur, et comme un pontife qui devait prier pour nos péchés, l'Esprit saint reçoit le nom de Paraclet ou de consolateur dans un autre sens, parce que ça mission est de consoler ceux qui sont dans la tristesse. Mais de cette diversité d'opérations, il faut se garder de conclure à la différence de natures, puisque nous voyons dans un autre endroit l'Esprit consolateur remplir près du Père l'office d'ambassadeur. « L'Esprit lui-même, dit saint Paul, demande pour nous par des gémissements inénarrables. » (Rm 8, 20.) Le Sauveur, de son côté, répand la consolation dans les coeurs affligés, car il est écrit : « Il a consolé tous les humbles de son peuple. » (1 M 14, 14)

 

S. CHRYS. Le Sauveur dit : « Je prierai mon Père » pour rendre ses paroles plus dignes de foi : car s'il avait dit simplement : Je vous enverrai un autre consolateur, ils ne l'auraient pas cru aussi facilement. — S. AUG. (Cont.le. Serm. Des Ar, 19) Et cependant pour montrer que ses oeuvres ne sont point distinctes de celles du Père, il dit ailleurs : « Lorsque je m'en serai allé, je vous l'enverrai. » (Jn 16) — S. CHRYS. Qu'aurait-il eu, en effet, plus que les apôtres, s'il avait dû prier son Père pour qu'il envoyât l'Esprit saint, alors que nous voyons les apôtres eux-mêmes le communiquer aux autres, sans avoir recoins à la prière ?— ALCUIN. Je prierai, comme inférieur par mon humanité, mon Père, à qui je suis égal et consubstantiel par ma nature divine. — S. CHRYS. Il leur promet que l'Esprit saint demeurera avec eux éternellement, parce qu'il ne les quittera même pas après leur mort ; et il leur enseigne, indirectement, par là même, que l'Esprit saint ne doit ni souffrir la mort comme lui, ni se séparer d'eux. Et pour éloigner de leur esprit, la pensée d'une nouvelle incarnation qui rendrait le Saint-Esprit visible à leurs yeux, il ajoute : « L'Esprit de vérité, que le monde ne peut recevoir parce qu'il ne le voit point et ne le connaît point. » — S. AUG. Cet Esprit saint est une des personnes de la sainte Trinité, et la foi catholique le proclame consubstantiel et coéternel au Père et au Fils.

 

S. CHRYS. Il l'appelle l'Esprit de vérité, parce que c'est lui qui nous révèle le sens des figures de l'Ancien Testament ; le monde ici, ce sont les méchants ; et voir, c'est connaître avec certitude, parce que la vue est le plus clair de tous les sens.

 

BEDE. Remarquez encore qu'en appelant l'Esprit saint l'Esprit de vérité, il prouve en même temps qu'il est son Esprit. De même encore lorsqu'il enseigne que cet Esprit est donné par le Père, il déclare par là même qu'il est l'Esprit du Père, et que par conséquent l'Esprit saint procède du Père et du Fils.

 

S. GREG. (Moral., 5, 19 ou 20, dans les anc. ex. ) Dès que l'Esprit saint remplit un cœur, il excite en lui un ardent désir des biens invisibles. Mais comme les cœurs des mondains n'ont d'amour que pour les biens extérieurs, le monde ne peut recevoir cet Esprit, parce qu'il est incapable de s'élever jusqu'à l'amour des choses invisibles. En effet, plus les âmes mondaines s'étendent et s'élargissent au dehors par leurs désirs, plus elles se resserrent et deviennent étroites pour recevoir ce divin Esprit.

 

S. AUG. Nôtre-Seigneur déclare que le monde (c'est-à-dire ceux qui aiment le monde), ne peuvent recevoir l'Esprit saint, comme si nous disions : L'injustice ne peut être juste. Le monde donc, c'est-à-dire ceux qui aiment le monde, ne peuvent recevoir l'Esprit saint, parce qu'ils ne le voit point. En effet, l'amour du monde est privé de ces yeux invisibles par lesquels nous ne pouvons voir l'Esprit saint que d’une manière invisible. « Pour vous, vous le connaîtrez, parce qu'il demeurera au milieu de vous. » Et afin qu'ils n'entendent pas ces paroles : « Il demeurera au milieu de vous, » d'une demeure visible, comme celle d'un hôte à qui l'on donne l'hospitalité, il ajoute : « Et il sera en vous. » — S. CHRYS. C'est-à-dire il ne demeurera pas au milieu de vous comme j'y suis demeuré moi-même, mais il habitera dans vos âmes.

 

S. AUG. Il faut d'abord se donner à quelqu'un avant de demeurer ni lui, et Nôtre-Seigneur explique ces paroles : « Au milieu de vous, » par ces autres : « En vous ; » car s'il n'est pas en vous, vous ne pouvez non plus avoir en vous la connaissance de ce divin Esprit. C'est ainsi que vous voyez en vous-même votre propre conscience.

 

S. GREG. (Moral., 2, 28 ou 41 dans les anc. ex. ) Si l'Esprit saint demeure dans les disciples, comment donner encore comme signe distinctif du médiateur que l'Esprit saint demeure en lui, comme il est dit à Jean-Baptiste : « Celui sur qui vous verrez l'Esprit saint descendre et demeurer, c'est lui qui baptise ? » Cette difficulté disparaîtra bientôt, si nous prenons soin de faire une distinction entre les dons de l'Esprit saint. Quant aux dons sans lesquels il est impossible de parvenir à la vie, l'Esprit saint demeure dans tous les élus ; s'il s'agit au contraire des dons qui ont pour objet non de conserver, mais de produire dans les autres la vie surnaturelle, il ne demeure pas toujours ; quelquefois, en effet, il suspend le pouvoir d'opérer des miracles, pour que l'humilité garde plus sûrement les vertus qu'il inspire. Jésus-Christ, au contraire, jouit toujours, et en toutes circonstances, de la présence de l'Esprit saint.

 

S. CHRYS. Par ces seules paroles, Nôtre-Seigneur renverse d'un seul coup deux hérésies contraires. En disant : « Je vous enverrai un autre, » il établit la différence de personnes ; et en lui donnant le nom de consolateur, l'identité de nature. — S. AUG. (contr. le serm. des Ar., chap. 19.) L'office de consolateur, que les hérétiques abandonnent à l'Esprit saint, comme à la dernière personne de la sainte Trinité, l'Apôtre l'attribue à Dieu lui-même, quand il dit : « Dieu qui console les humbles nous a consolés. (2 Co 7, 6) L'Esprit saint qui console les humbles, est donc Dieu. Ou s'ils prétendent que saint Paul veut parler ici du Père et du Fils, qu'ils cessent de séparer l'Esprit saint du Père du Fils, en lui attribuant exclusivement l'office de consolateur.

 

S. AUG. (Traité 64 sur S. Jean.) Mais s'il est vrai que la charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l'Esprit saint qui nous y été donné (Rm 5), comment aimer Jésus-Christ et observer ses commandements pour mériter de recevoir l'Esprit saint, puisque nous ne pouvons sans lui ni aimer ni observer les commandements ? Peut-on dire que nous avons d'abord en nous la charité qui nous fait aimer Jésus-Christ, et que cet amour de Jésus-Christ et l'observation de ses commandements attirent en nous l'Esprit saint qui répand la charité de Dieu le Père dans nos cœurs ? Cette interprétation est tout à fait erronée ; celui qui croit aimer le Fils de Dieu, et n'aime pas le Père, n'aime certainement pas le Fils, il aime le produit de son imagination. La seule manière de résoudre cette difficulté est donc de dire que celui qui aime a déjà l'Esprit saint, et qu'en le possédant, il mérite de le posséder encore davantage et d'avoir ainsi un plus grand amour. Les disciples de Jésus avaient déjà en eux l'Esprit saint que le Sauveur leur promettait, mais ils devaient le recevoir d'une manière plus abondante. Ils le possédaient au dedans d’eux-mêmes, il devait leur être donné d'une manière visible, ce n’est donc point sans raison que ce divin Esprit est promis, non-seulement à celui qui ne l'a pas encore, mais à celui qui le possède déjà. Il est promis à celui qui ne l'a pas, pour qu'il le possède, et à celui qui l'a déjà pour qu'il le reçoive plus abondamment. — S. CHRYS. Lorsque Jésus eut purifié ses disciples par le sacrifice de sa passion, que leurs péchés furent effacés et que le temps fut venu de les envoyer affronter les dangers et les combats, ils eurent besoin de recevoir l'Esprit saint dans toute sa plénitude. Il ne leur fut point donné aussitôt sa résurrection, afin que leurs désirs plus ardents fussent une préparation à recevoir l'abondance de ses grâces.

 

Vv. 18-21.

 

S. AUG. (Traité 75 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur ne veut point laisser croire à ses disciples qu'il leur donne l'Esprit saint pour le remplacer, comme s'il ne devait plus être avec eux, et c'est pour cela qu'il leur dit : « Je ne vous laisserai point orphelins. » Le mot orphelins signifie la même chose que le mot pupilles, l'un est grec, l'autre latin. Ainsi, bien que le Fils de Dieu nous ait donnés à son Père comme des enfants adoptifs, il veut lui-même nous témoigner une tendresse toute paternelle.

 

S. CHRYS. (hom. 75.) Le Sauveur leur avait dit tout d'abord : « Vous viendrez là où je vais ; » mais comme il fallait attendre un long espace de temps, il leur promet l'Esprit saint, et parce qu'ils ne comprenaient pas l'excellence de ce don, il leur promet sa présence dont ils étaient si avides, en leur disant : « Je viendrai à vous. » Mais il ne vent pas qu'ils recherchent sa présence telle qu'ils en ont joui jusqu'à présent, il exclut indirectement ce genre de présence quand il ajoute : « Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus, » c'est-à-dire : Je viendrai à vous, mais non pas comme par le passé, en demeurant chaque jour tout entier au milieu de vous. Et pour prévenir cette objection : Pourquoi donc avez-vous dit aux Juifs : « Bientôt vous ne me verrez plus ? » Il leur dit : « C'est vers vous seuls que je viendrai. » — S. AUG. Le monde le voyait alors des yeux du corps revêtu d'une chair visible, mais il ne voyait pas le Verbe, qui était caché sous l'enveloppe d'un corps sensible, de même qu'après sa résurrection, il a donné cette chair, non-seulement à voir, mais à toucher à ses disciples, tandis qu'il en a dérobé la vue à ses ennemis ; peut-être est-ce pour cela qu'il dit : « Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus, mais pour vous, vous me verrez. » Cependant, comme au jour du jugement, le monde, c'est-à-dire, ceux qui sont exclus de son royaume, le verront de leurs yeux, je crois qu'il a surtout voulu désigner ce temps de la fin du monde où il disparaîtra pour toujours des yeux des réprouvés, et ne sera plus vu que de ceux qui l'aiment. Et s'il se sert de cette locution : « Encore un peu de temps, » c'est que ce qui parait long aux yeux des hommes, est toujours très-court aux yeux de Dieu.

 

« Parce que je vis et que vous vivrez aussi. » — THEOPHYL. C'est-à-dire, bien que je doive souffrir la mort, cependant je ressusciterai : et vous aussi vous vivrez, c'est-à-dire, vous serez dans la joie, lorsque vous me verrez, et dès que j'apparaîtrai, vous ressusciterez comme des morts qui sortent du tombeau. — S. CHRYS. Il veut parler ici non de la vie présente, mais de la vie future, et tel est le sens de ces paroles : La mort de la croix ne me séparera point de vous pour toujours, mais elle ne fera que me cacher un instant à vos yeux.

 

S. AUG. Pourquoi dit-il de lui au présent : « Parce que je vis, » et d'eux au futur : « Et que vous vivrez ? » C'est parce qu'il leur promettait pour l'avenir la vie de la chair ressuscitée, telle qu'il devait bientôt la manifester le premier dans sa personne. En effet, sa résurrection devait suivre presque immédiatement sa mort, et c'est pour cela qu'il dit au présent: « Je vis, » pour exprimer le terme prochain de sa résurrection. Mais comme la résurrection des siens devait être différée jusqu'à la fin des siècles, il ne leur dit pas : Vous vivez, mais : « Vous vivrez. » Nous vivrons en vertu de sa vie, car si c'est par un homme que la mort est entrée dans le monde, c'est aussi par un homme qu'aura lieu la résurrection des morts. Et dans ce jour (où s'accomplira cette promesse de vie), vous connaîtrez (par intuition, ce dont la foi nous donne ici la connaissance), que je suis dans mon Père, et vous en moi, et moi en vous, » parce qu'en effet, lorsque nous vivrons de cette vie qui aura complètement détruit la mort, nous verrons alors s'accomplir ce qu'il a commencé lui-même, c'est-à-dire, qu'il soit en nous et que nous soyons en lui. — S. CHRYS. Ou bien encore, au jour de ma résurrection, vous connaîtrez, parce que leur foi devint pleine de certitude lorsqu'ils le virent ressusciter et revenir au milieu d'eux ; car la puissance de l'Esprit saint, qui leur enseignait toutes choses était grande. Quant à ces paroles : « Je suis dans mon Père, » c'est le langage de l'humilité, et quand il ajoute : « Et vous en moi, et moi en vous, » il veut parler de son humanité, du secours qui vient de Dieu, car l'Ecriture emploie très souvent des mots semblables, mais qu'elle entend dans un sens différent, suivant qu'elle les applique à Dieu ou aux hommes. — S. HIL. (de la Trin., 8) Ou bien en s'exprimant de la sorte, il veut que nous croyions qu'il est dans son Père par sa nature divine, que nous sommes en lui par sa naissance corporelle, et qu'il est encore en nous par le mystère de son sacrement, comme il l'atteste lui-même : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui. » (Jn 6)

 

ALCUIN. Or, c'est par l'amour et par l'observation de ses commandements que s'accomplira cette union parfaite qu'il a commencée lui-même, et en vertu de laquelle il est en nous, et nous en lui. Et ce n'est pas seulement à ses Apôtres qu'est promis ce bonheur, mais à tous les hommes : « Celui qui a mes commandements et qui les garde, » etc. — S. AUG. Celui qui les a dans sa mémoire et les garde dans sa vie ; celui qui les a dans ses discours et qui les garde dans ses œuvres ; celui qui les a par son attention à les écouter et qui les garde par sa fidélité à les pratiquer ; celui qui les a en les observant et qui les garde par une constante persévérance : voilà celui qui m'aime véritablement, la preuve de l'amour doit être dans les œuvres, ou alors il n'est plus qu'une dénomination stérile. — THEOPHYL. Voici, en effet, le vrai sens de ces paroles : vous pensez me donner un témoignage d'amour en vous attristant de ma mort, mais pour moi la preuve de l'amour véritable, c'est l'observation de mes commandements. Or, quelle sera la récompense de cet amour ? « Celui qui m'aime sera aimé de mon Père, et je l'aimerai aussi. » — S. AUG. Mais qu'est-ce à dire : « Je l'aimerai, » comme s'il n'avait pas aimé jusque-là ? Il répond à cette difficulté en ajoutant : « Et je me manifesterai à lui, » c'est-à-dire, je l'aimerai pour me manifester à lui et lui donner la claire vision comme récompense de sa foi. Maintenant Jésus nous aime pour nous amener à la foi, il nous aimera alors pour nous conduire à la vision des cieux ; et nous aussi nous aimons maintenant en croyant ce que nous verrons un jour, et nous aimerons alors en voyant ce qui est l'objet de notre foi.

 

S. AUG. (Lett. 112 à Paulin., chap. 10) Or, il a promis de se manifester à ceux qui l'aiment comme un seul Dieu avec son Père, et non corporellement comme il a été vu dans ce monde par les méchants eux-mêmes. — THEOPHYL. Ou bien encore, comme il devait leur apparaître après sa résurrection dans un corps glorieux et plus rapproché de la divinité, il leur fait cette prédiction afin qu'ils ne le prennent point pour un esprit ou pour un fantôme, et que bannissant tout sentiment de défiance, ils se rappellent qu'il se manifeste à eux pour les récompenser d'avoir observé ses commandements, et qu'ils persévèrent dans cette observance pour jouir toujours de celte manifestation.

 

Vv. 22-27.

 

S. AUG. (Traité 76 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur venait de dire : « Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus, mais pour vous, vous me verrez. » Judas, non pas le traître surnommé Iscariote, mais celui dont l'Epître est au rang des Ecritures canoniques, Judas lui demande l’explication de ces paroles : « Judas, non pas l'Iscariote, lui dit : Seigneur, d'où vient que vous vous manifesterez à nous et non au monde ? » Il lui demande donc la raison pour laquelle il doit se manifester, non pas au monde, mais à ses disciples, le Seigneur lui donne cette raison, c'est qu'il est aimé des uns et qu'il n'est pas aimé des autres. Jésus lui répondit : « Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera, » etc. — S. GREG. (hom. 30 sur les Evang.) La preuve de l'amour ce sont les œuvres ; l'amour de Dieu ne peut jamais être oisif, dès qu'il existe, il opère de grandes choses, s'il refuse d'agir, ce n'est qu'un simulacre d'amour.

 

S. AUG. L'amour qui distingue et sépare les saints des partisans du monde, est cet amour qui inspire un même esprit à ceux qui habitent (Ps 68, 7) dans la maison où le Père et le Fils font leur demeure, en répandant leur amour sur ceux à qui ils doivent se manifester un jour. Il y a donc une certaine manifestation intérieure de Dieu, complètement inconnue des impies, à qui Dieu le Père ne se manifeste jamais. Quant au Fils, ils ont pu le voir, mais seulement dans sa chair, cette manifestation ne ressemble nullement à l'autre, elle ne peut d'ailleurs leur être toujours présente, elle ne dure qu'un peu de temps, et loin d'être pour eux une cause de joie et de récompense, elle est bien plutôt un principe de jugement et de condamnation : « Et nous viendrons à lui. » Le Père et le Fils viennent à nous, lorsque nous venons nous-mêmes à eux ; ils viennent à nous en nous secourant, nous venons à eux en obéissant à leur inspiration, ils viennent à nous en nous comblant de leur lumière, nous venons à eux en la contemplant, ils viennent à nous en nous remplissant de leurs dons, nous venons à eux en les recevant. Cette vision n'a aucun rapport avec les sens extérieurs, elle est tout intérieure, et cette demeure n'est point passagère, elle est éternelle : « Et nous ferons en lui notre demeure. » — S. GREG. Dieu vient dans certaines âmes et n'y demeure pas, parce que si le repentir leur fait tourner les regards vers Dieu, elles oublient ce repentir aux approches de la tentation, et retombent dans leurs anciens péchés, comme si elles ne les avaient jamais pleurés. Celui donc qui aime Dieu d'un amour véritable, voit le Seigneur venir en lui et y établir sa demeure, parce qu'il est tellement pénétré de l'amour de Dieu, qu'il lui reste fidèle dans le temps même de la tentation, et il aime véritablement Dieu, parce que le plaisir criminel ne peut triompher de son âme en lui arrachant son consentement.

 

S. AUG. Mais devons-nous admettre que l'Esprit saint reste étranger à cette demeure que le Père et le Fils font dans l'âme de celui qui les aime ? Alors que signifieraient ces paroles que le Sauveur a dites précédemment de l'Esprit saint : « Il demeurera au milieu de vous, et il sera en vous, » à moins qu'on ne pousse l'absurdité jusqu'à penser que lorsque le Père et le Fils arrivent, le Saint-Esprit s'éloigne comme pour laisser la place à ceux qui lui sont supérieurs ? La sainte Ecriture va du reste au-devant de cette grossière objection, lorsqu'elle dit : « Afin qu'il demeure en vous éternellement. » L'Esprit saint sera donc éternellement dans la même demeure avec le Père et le Fils, parce qu'il ne peut venir sans eux, et qu'ils ne peuvent venir sans lui. C'est pour établir la distinction des personnes de la sainte Trinité, que quelques opérations sont attribuées nominativement à chacune des personnes, mais il ne faut jamais en exclure les autres personnes, parce qu'il n'y a qu'une seule et même nature dans la Trinité.

 

S. GREG. Plus on se livre aux plaisirs bas et terrestres, plus on s'éloigne de l'amour des biens célestes. « Celui qui ne m'aime pas, poursuit Nôtre-Seigneur, ne garde point mes commandements. » L'amour du Créateur exige donc le concours de la langue, du cœur et de la vie. — S. CHRYS. (hom. 75 sur S. Jean.) On peut encore donner cette explication : Judas pensait qu'ils ne verraient le Sauveur que comme nous voyons les morts pendant notre sommeil, et c'est pour cela qu'il lui fait cette question : « D'où vient que vous vous manifesterez à nous et non au monde ? » Langage qui revient à celui-ci : Malheur à nous ! Vous allez mourir, et vous ne nous apparaîtrez plus que comme les morts ont coutume d'apparaître. C'est pour détruire ce soupçon que Nôtre-Seigneur leur dit : « Mon Père et moi, nous viendrons à lui, » c'est-à-dire, je me manifesterai de même que mon Père. « Et nous ferons en lui notre demeure ; » ce qui éloigne toute idée de sommeil et de songe ; il ajoute : « Et la parole que vous avez entendue n'est pas de moi, mais de mon Père, qui m'a envoyé. » C'est-à-dire, celui qui n'écoute pas ma parole, n'aime ni mon Père, ni moi. Le Sauveur s'exprime de la sorte, parce qu'il ne dit rien qui soit en dehors de son Père, ou qui ne soit conforme à son bon plaisir. — S. AUG. Peut-être est-ce pour établir une distinction, que lorsqu'il s'agit de ses propres paroles, le Sauveur parle au pluriel : « Celui qui ne m'aime pas, ne garde pas mes commandements ; » tandis que lorsqu'il parle au singulier de sa parole, c'est-à-dire du Verbe du Père, il ne dit point que c'est sa parole, mais celle du Père, c'est-à-dire lui-même. En effet, il n'est point son Verbe, mais le Verbe du Père ; de même qu'il n'est point son image, mais l'image du Père ; de même qu'il n'est point son Fils, mais le Fils du Père. C'est donc avec raison qu'il attribue à l'auteur de son être ce qu'il fait comme étant son égal, puisque c'est de lui qu'il a reçu ce qui lui donne cette parfaite égalité.

 

S. CHRYS. Parmi les choses que le Sauveur vouait de leur dire, les unes étaient claires, les autres étaient restées incomprises ; il ajoute donc, pour calmer le trouble de leur âme : « Je vous ai dit ceci, demeurant avec vous. » — S. AUG. (Traité 77) Cette demeure qu'il vient de promettre pour l'avenir, est toute différente de celle qu'il déclare exister actuellement. La première est toute spirituelle, et se réalise au dedans de l'âme ; l'autre est extérieure ut accessible aux yeux du corps comme au sens de l'ouïe. — S. CHRYS. Or, pour les préparer à supporter plus patiemment la privation de sa présence corporelle, il leur promet que son départ sera pour eux la cause des biens les plus abondants, car tant qu'il restait au milieu d'eux d'une manière visible, sans que l'Esprit saint vint en eux, ils ne pouvaient comprendre aucune vérité importante. Aussi Nôtre-Seigneur ajoute : « Mais le Paraclet, l'Esprit saint, que mon Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et vous rappellera tout ce que je vous ai dit. » — S. GREG. Le mot grec παράχλητος veut dire en latin avocat ou consolateur. L'Esprit saint est appelé avocat, parce qu'il intercède auprès de la justice du Père en faveur des pécheurs qui se sont égarés, et en inspirant l'esprit de prière à ceux qu'il remplit de ses dons. On lui donne aussi le nom de consolateur, parce qu'il délivre de l'affliction et de la tristesse les âmes que la pensée de leurs crimes plongent dans une mer d'amertumes, en leur faisant entrevoir l'espérance du pardon. —S. CHRYS. Il leur représente encore l'Esprit saint comme consolateur, en vue des tribulations dont ils allaient être assaillis.

 

DIDYME. (De l'Esprit saint, liv. 2) Le Sauveur affirme que l'Esprit saint est envoyé par le Père en son nom, et le nom du Sauveur est celui de Fils, qui exprime à la fois l'unité de nature et la distinction des personnes. En effet, il est exclusivement le propre du Fils de venir au nom du Père, en conservant les relations qui existent du Père le Fils ; aussi nul autre n'est venu au nom du Père, mais plusieurs sont venus au nom du Seigneur Dieu tout-puissant. De même donc que les serviteurs qui viennent au nom de leur maître rappellent le souvenir de leur maître, par cela seul qu'ils sont ses serviteurs et ses subordonnés ; ainsi le Fils qui vient au nom de son Père porte et rappelle son nom par cela seul qu'il est reconnu pour le Fils unique de Dieu. Par cela donc que l'Esprit saint est envoyé par le Père au nom du Fils, il montre les liens étroits qui l'unissent au Fils ; aussi est-il appelé l'Esprit du Fils, et par la grâce de l'adoption, il donne à ceux qui veulent le recevoir le titre et les droits d'enfants de Dieu. Or, ce divin Esprit, qui est envoyé par le Père et qui vient au nom du Fils, enseignera toutes choses à ceux dont la foi eu Jésus-Christ est parfaite, c'est-à-dire tous les mystères et les secrets spirituels de la vérite et de la sagesse, et il les enseignera non comme les hommes enseignent les arts et la sagesse, à force d'étude et d'habilité , mais cet Esprit de vérité les enseignera comme étant lui-même par essence la doctrine et la sagesse, et répandra invisiblement dans les âmes la science des choses divines.

 

S. GREG. La parole de celui qui enseigne demeure nécessairement infructueuse si l'Esprit saint n'est présent dans le cœur de celui qui reçoit ses enseignements. Que personne donc n'attribue à celui qui enseigne l'intelligence des vérités qui sortent de ses lèvres, car sans la présence de ce maître intérieur, la langue de celui qui enseigne travaille inutilement à l'extérieur. Le Créateur lui-même ne parle point à l'homme pour son instruction, à moins que l'Esprit saint ne lui parle on même temps par son onction. — S. AUG. Mais est-ce donc que le Fils parle et que l'Esprit saint enseigne, de manière que nous entendions les paroles du Fils, et que l'enseignement de l'Esprit saint nous en donne l'intelligence ? C’est donc la Trinité tout entière qui parle et qui enseigne ; mais si l'action de chacune des divines personnes ne nous était présentée comme distincte et séparée, la faiblesse humaine ne pourrait en aucune manière la comprendre.

 

S. GREG. (hom. 30.) Examinons encore pourquoi le Sauveur dit de l'Esprit saint : « Il vous suggérera toutes les choses, » etc., ce qui parait indiquer un ministère inférieur. Mais il faut nous rappeler que le mot suggérer a quelquefois le sens de fournir, de donner, et on dit de l'Esprit invisible qu'il suggère, non qu'il nous inspire la science puisée dans les régimes inférieurs, mais parce qu'il la tire des profondeurs cachées aux yeux des hommes. — S. AUG. Ou bien encore ces paroles : « Il vous suggérera, » c'est-à-dire il vous rappellera, doivent nous faire comprendre que c'est pour nous un devoir de ne jamais oublier que ses salutaires enseignements ont pour objet et pour fin la grâce que l'Esprit nous remet en mémoire. — THEOPHYL. L'Esprit saint a donc tout ensemble enseigné et remis en mémoire ; il a enseigné les vérités que Jésus-Christ n'avait pas voulu faire connaître à ses disciples, parce qu'ils n'étaient pas capables de les comprendre ; et il les a fait ressouvenir de celles que le Sauveur leur avait enseignées, mais dont ils avaient perdu la mémoire par suite de l'obscurité des choses elles-mêmes ou de la lenteur de leur intelligence.

 

S. CHRYS. Ces discours du divin Maître jetaient le trouble dans leur âme, en leur représentant les persécutions elles combats qu'ils auraient à soutenir après que Jésus les aurait quittés ; il les console donc le nouveau en leur disant : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. » — S. AUG. Il nous laisse la paix dans ce monde, afin qu'elle nous serve à vaincre nos ennemis et à nous aimer les uns les autres ; il nous donnera sa paix dans le siècle futur, où nous régnerons sans avoir à craindre ni les attaques des ennemis, ni les dissentiments avec nos frères. Or, c'est lui-même qui est notre paix, et lorsque nous croyons qu'il est et lorsque nous le verrons tel qu'il est. Mais pourquoi, lorsqu'il dit à ses disciples : « Je vous laisse la paix, » ne dit-il point : Ma paix, tandis que dans la proposition suivante il dit : « Je vous donne ma paix ? » Devons-nous sous-entendre ce pronom ma dans la phrase où il n'est pas exprimé ? Ou bien y a-t-il ici quelque vérité cachée ? Par sa paix, il veut que nous entendions celle dont il jouit lui-même. Quant à la paix qu'il nous laisse pendant cette vie, c'est plutôt notre paix que la sienne. Le Sauveur n'a en lui aucun élément de guerre intérieure, parce qu'il n'y a en lui aucun péché ; tandis que la paix que nous pouvons avoir en ce monde ne nous empêche pas de dire : « Pardonnez-nous nos péchés. » De même encore la paix règne entre nous, parce que nous croyons à l'amour mutuel que nous avons les uns pour les autres ; mais cette paix n'est point parfaite, parce que nous ne pouvons pénétrer réciproquement les pensées secrètes de nos cœurs. Je sais toutefois que l'on peut entendre ces paroles du Sauveur dans le sens d'une simple répétition de la même pensée. Il ajoute : « Je ne vous la donne pas comme le monde la donne ; » c'est-à-dire, je ne la donne pas comme la donnent les hommes qui aiment le monde. Ils s'accordent mutuellement la paix, afin de pouvoir jouir des biens de ce monde sans inquiétude et sans crainte ; et s'ils laissent la paix aux justes en ce sens qu'ils ne les persécutent pas, ce ne peut être une paix véritable, parce qu'il ne peut y avoir de véritable entente là où les cœurs sont séparés. — S. CHRYS. D'ailleurs, la paix qui n'est qu'extérieure est souvent très-dangereuse, et n'est d'aucune utilité pour ceux qui la possèdent.

 

S. AUG. (serm. 59 sur les par. du Seign.) La paix, c'est la sérénité de l'âme, la tranquillité de l'esprit, la simplicité du cœur, le lien de l'amour, l'union intime de la charité ; celui qui n'aura point voulu observer ce divin testament de la paix, ne pourra parvenir à l'héritage du Seigneur, et il ne peut espérer d'être en paix avec Jésus-Christ, s'il est en guerre avec un de ses frères en Jésus-Christ.

 

Vv. 27-31.

 

S. chkys. (hom. 75 sur S. Jean.) Ces paroles du Sauveur à ses disciples : « Je vous laisse ma paix, » leur faisaient pressentir son départ et pouvaient leur inspirer un sentiment de trouble ; il se hâte donc de sur dire : « Que votre cœur ne se trouble point et ne s'effraie point. » Ce double sentiment était produit en eux l'un par l'amour, l'autre par la crainte.

 

S. AUG. (Traité 78 sur S. Jean.) Ce qui pouvait être pour eux une cause de trouble et d'effroi, c'est que Jésus les quittait (quoiqu'il dût revenir), et que pendant cet intervalle, le loup pouvait profiter de absence du pasteur pour fondre sur le troupeau : « Vous avez entendu, leur dit le Sauveur, que je vous ai dit : Je m'en vais et reviens à vous. » Il s'en allait en tant qu'homme, et il restait en tant que Dieu. Mais pourquoi ce trouble et cet effroi, puisqu'en se dérobant à leurs regards, Jésus n'abandonnait pas leur cœur ? Or, pour leur faire comprendre que c'était comme homme qu'il leur avait dit : « Je m'en vais et je reviens à vous ; » il ajoute : « Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je m'en vais à mon Père, » etc. C'est en tant qu'il n'était pas égal au Père, que le Fils devait aller à son Père, d'où il devait revenir juger les vivants et les morts. Mais en tant qu'il est égal à celui qui l'a engendré, il ne se sépare jamais de son Père, mais il est tout entier avec lui en tout lieu en vertu de cette divinité qu'aucun lieu ne peut limiter. Aussi le Fils de Dieu, égal à son Père dans la forme de Dieu (car il s'est anéanti  lui-même sans  perdre la forme de Dieu, mais en prenant la forme de serviteur), (Ph 2), est plus grand que lui-même, puisque la forme et la nature de Dieu qu'il n'a point perdues, sont plus grandes que la forme et la nature de serviteur qu'il a prises. A ne considérer que cotte forme de serviteur, le Fils de Dieu est inférieur, non-seulement au Père, mais à l'Esprit saint ; sous ce rapport Jésus-Christ enfant était inférieur à ses parents, puisqu'il leur était soumis dans son enfance, comme l'Evangile nous l'apprend. (Lc 2) Reconnaissons donc en Jésus-Christ deux natures, la nature divine, qui le fait égal au Père, et la nature humaine, qui le rend inférieur au Père. Or, ces deux natures ne font point deux Christs, mais un seul Christ ; de sorte qu'il n'y a pas en Dieu quaternité, mais trinité. Or, Nôtre-Seigneur dit : « Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez dr ce que je m'en vais à mon Père. » Félicitons, en effet, la nature humaine, de ce que le Fils unique de Dieu a daigné la prendre pour la placer dans les cieux, au sein de l'immortalité, de ce que la terre a été élevée si haut, et de ce que la poussière, devenue incorruptible, s'est assise à la droite le Dieu le Père. Qui ne se réjouirait, s'il aime Jésus-Christ, qui ne 'applaudirait de voir sa nature revêtue de l'immortalité dans la personne du Christ, et d'espérer obtenir lui-même un jour cette immoralité par les mérites de Jésus-Christ ?

 

S. HIL. (de la Trin., 9) Ou bien encore, si le Père est plus grand que moi, en vertu de l'autorité de celui qui donne, est-ce que le Fils ne lui est pas inférieur, par-là même qu'il reconnaît avoir reçu de son Père ? Oui, celui qui donne est plus grand, mais le Fils n'est pas inférieur, puisque son Père lui donne d'être un seul et même Dieu avec lui. — S. CHRYS. On peut encore donner cette explication : Les Apôtres ne savaient pas en quoi consistait cette résurrection qu'il leur avait prédite, en leur disant : « Je m'en vais et je reviens à vous, » et ils l'avaient pas encore de lui une idée convenable, tandis qu'ils regardaient le Père comme infiniment plus grand et plus élevé. Il leur dit donc : « Vous craignez que je ne sois pas assez puissant pour me secourir moi-même, et vous ne pouvez croire que je revienne vous voir près ma mort sur la croix ; mais au moins vous devriez vous réjouir de m'entendre dire que je vais à mon Père qui est plus grand que moi, et qui est assez puissant pour renverser tous les obstacles. » Il accommodait ainsi son langage à la faiblesse de ses disciples, et c'est pour cela qu'il ajoute : « Et je vous le dis maintenant, avant que cela arrive, afin que quand ce sera arrivé, vous croyiez. »

 

S. AUG. (Traité 79 sur S. Jean.) Que veulent dire ces paroles ? Est-ce que l'homme ne doit pas croire bien plutôt ce qui lui est proposé comme l'objet de sa foi avant son accomplissement ? Le véritable mérite de la foi, c'est de croire ce qu'on ne voit point, car cet Apôtre à qui Jésus a dit : « Vous avez cru parce que vous avez vu, » il a vu une chose et en a cru une autre, il a vu en Jésus-Christ un homme, et il a cru qu'il était Dieu. On dit bien, il est vrai, qu'on croit ce que l'on voit, qu'on en croit à ses propres yeux, mais ce n'est point là cette foi qui s'établit dans nos cœurs ; les choses que nous voyons ne sont que le moyen par lequel nous croyons celles que nous ne voyons pas. Ces paroles : « Quand cela sera arrivé, » signifient donc qu'après qu'il sera mort, ils le verront de nouveau plein de vie, et qu'en le voyant ils croiront fermement qu'il était le Christ, fils de Dieu, qui a pu opérer un tel prodige et le prédire avant de l'accomplir. Et ils le devaient croire, non d'une foi nouvelle, mais d'une foi plus complète, ou si l'on veut, d'une foi qui avait faibli au moment de sa mort, mais qui s'était ranimée lors de sa résurrection.

 

S. HIL. (de la Trin., 9) Nôtre-Seigneur leur fait connaître ensuite ce qui devait lui mériter la gloire qui devait suivre sa mort : « Je ne vous parlerai plus guère. » — BEDE. Il s'exprime de la sorte, parce que le moment approchait où on allait se saisir de sa personne et le mettre à mort : « Car le prince de ce monde vient. » — S. AUG. Quel est ce prince du monde si ce n'est le démon ? Il n'est point toutefois le prince de toutes les créatures, mais seulement des pécheurs. Aussi lorsque l'Apôtre nous dit : « Nous avons à combattre..... contre les princes de ce monde, » (Ep 6, 12) il ajoute : « De ce monde de ténèbres, » c'est-à-dire, du monde composé des hommes impies, « et il n'a rien en moi, » parce que le Fils de Dieu était venu sans péché, et la très-sainte Vierge n'avait pas conçu et enfanté sa chair d'une source empoisonnée par le péché. Mais alors, pouvait-on lui dire : Pourquoi devez-vous souffrir la mort, si vous êtes sans péché, puisque la mort est la peine du péché ? Il prévient cette objection en ajoutant : «Mais afin que le monde connaisse que j'aime mon Père, et que selon le commandement que mon Père m'a donné, ainsi je fais ; levez-vous, sortons d'ici. » En effet, il était encore à table avec ses disciples, lorsqu'il leur adressait le discours qui précède ; il dit : « Allons, » en se dirigeant vers le lieu où on devait se saisir de sa personne pour le livrer à la mort, bien qu'il n'eût aucunement mérité la mort ; mais son Père lui commandait de mourir, et il voulait donner l'exemple de l'obéissance par amour.

 

S. AUG. (contr. le disc. des Ar., 2) L'obéissance du Fils, à la volonté et aux ordres de son Père, n'est point une preuve même parmi les hommes, de la diversité et de l'inégalité de nature entre le Père qui commande et le Fils qui obéit, et il y a ici quelque chose de plus, c'est que Jésus-Christ n'est pas seulement Dieu, en quoi il est égal à son Père, mais il est homme aussi, et par conséquent d'une nature inférieure à celle de son Père. — S. CHRYS. (hom. 76 sur S. Jean.) On peut dire encore que ces paroles : « Levez-vous, sortons d'ici, » sont le commencement d'un autre ordre d'idées. Le temps, comme le lieu, étaient pour les disciples une cause naturelle de crainte et d'effroi. Ils étaient dans un endroit connu et ouvert de toutes parts ; la nuit était profonde, et ils ne prêtaient qu'une médiocre attention aux paroles du Sauveur, tournant les yeux de côté et d'autre, et s'imaginant toujours voir entrer ceux qui devaient les attaquer. Ce que le Sauveur venait de leur dire : « Je ne vous parlerai plus guère, car le prince de ce monde est venu, » ajoutait à leur frayeur. Jésus les voyant sous cette impression en entendant ses paroles, les conduit dans un autre lieu, où la pensée qu'ils étaient plus en sûreté leur laisserait plus de liberté d'esprit pour écouter attentivement les grandes vérités qu'il avait à leur révéler.