« CE  QUE  LES  APOTRES  ONT  ENSEIGNE »

 

Aux origines de la discipline du célibat sacerdotal.

 

INTRODUCTION

 

Les historiens de l'Eglise du XXème siècle écriront sans doute un jour que la crise postconciliaire du célibat sacerdotal a pris fin en 1992, avec la parution de l'exhortation apostolique post-synodale Pastores dabo vobis, du pape Jean-Paul II. Trente ans auparavant, en réponse à des questions déjà nombreuses, les Pères de Vatican II avaient sans ambiguïté confirmé la loi du célibat dans l'Eglise latine pour les candidats au presbytérat, mais, de façon paradoxale, les documents de l'assemblée semblèrent donner le signal d'un débat général dans l'Eglise, qui allait se poursuivre et s'amplifier dans les années qui suivirent le Concile. Ce fut comme si, sur ce point en particulier, un concile de l'opinion publique avait pris le relais du concile oecuménique pour promouvoir un mouvement en faveur de l'abolition du célibat.

 

On assiste ainsi depuis Vatican II à un double phénomène. D'une part, une série d'interventions de l'autorité hiérarchique, dénuées de toute équivoque. L'encyclique Sacerdotalis caelibatus de Paul VI, le 24 juin 1967, après un examen attentif des objections soulevées à l'encontre de la loi, expose longuement les raisons théologiques, historiques et spirituelles qui motivent aujourd'hui encore le maintien de la discipline. Au Synode de 1971, la question est à nouveau discutée, avec une grande franchise, sur l'arrière-fond d'une situation jugée plus critique par certains évêques ; le consensus général de l'assemblée synodale manifeste une fois encore la volonté de rester fidèle à quelque chose d'essentiel. Puis, en octobre 1990, c'est le huitième synode des évêques, sur « la formation des prêtres dans les circonstances actuelles », sous la présidence de Jean-Paul II, dont les 41 « propositions », ou « recommandations », votées à une très forte majorité et soumises au Souverain Pontife fournissent la substance de l'exhortation apostolique Pastores dabo vobis, qui réaffirme avec une nouvelle force l'attachement de l'Eglise latine au célibat des prêtres.

 

Au cours de la même période, on assiste parallèlement à des tentatives de remise en question radicale de la loi du célibat de la part d'un nombre important de prêtres et de théologiens, aux yeux desquels les raisons traditionnelles à l'appui de la discipline paraissent définitivement périmées. On ne compte plus les articles ou les livres, à caractère scientifique ou de simple vulgarisation, qui depuis 30 ans s'efforcent de modeler l'opinion dans un sens opposé à celui des documents du Magistère, pour créer et renforcer un mouvement contestataire qu'on voudrait victorieux d'une institution désuète. L'ouverture au monde préconisée par le Concile se traduit chez certains par l'abandon des formes de vie sacerdotale qui font du prêtre, croit-on, un « séparé ». La loi du célibat est tenue pour responsable de la pénurie des vocations, perçue comme une violation des droits de la personne, si justement revendiqués par les déclarations conciliaires, désignée comme une source de déséquilibres psychiques et génératrice de scandales. Le clergé marié des Eglises d'Orient apparaît comme modèle, la restauration du diaconat permanent d'hommes mariés ou l'admission au sacerdoce de ministres protestants convertis au catholicisme sont perçus comme des signes avant-coureurs infaillibles, tandis que le dialogue oecuménique, indirectement, remet à l'ordre du jour les thèses luthériennes sur le sacerdoce et le mariage des prêtres.

Tout ceci se déroule dans un climat social caractérisé par des bouleversements sans précédent. La sexualité, légitimement mise en valeur par le Concile, se libère avec bonheur de vieux tabous. Mais la période de l'après-concile est aussi celle de la « révolution sexuelle », de la permissivité en matière de mœurs, de la campagne autour des moyens anticonceptionnels, de l'invasion du monde de l'image par l'érotisme et la pornographie, bref d'un ensemble de choses qui concourent à nourrir chez plus d'un l'obsession du sexe. Beaucoup de Chrétiens sont désemparés, et les prêtres ne sont pas toujours les moins vulnérables, précisément parce qu'ils cherchent à bon droit à se rapprocher du monde, à « épouser » leur temps. Si l'on tient compte aussi de l'explosion démographique, et de ce que le nombre des femmes augmente à proportion, au moment même où celles-ci accèdent en masse à la vie professionnelle, on peut parler d'une véritable apparition de la femme sur la scène sociale, et cette présence quotidienne, ce compagnonnage, amène souvent les clercs célibataires à s'interroger sur leur solitude.

L'impact global de tous ces phénomènes est considérable. Une version moderne des tentations de saint Antoine, cent fois plus insidieuse parce que doublée d'une crise d'identité, se joue dans l'âme d'un grand nombre. Tous n'en sortent pas indemnes. Comme par une réaction en chaîne, des prêtres jusqu'alors fidèles, les uns après les autres, quittent le sacerdoce, et ces défections, grossies par les média, réussissent à faire figure d'anticipation, la loi séculaire du célibat perdant du même coup son auréole aux yeux d'un public chrétien désorienté. Des associations de prêtres mariés se forment, créent des groupes de pression. Des théologiens leur prêtent leur concours, essayant de justifier ce qui, il y a peu de temps encore, eût paru inadmissible. La grande majorité des clercs restés fidèles à leur engagement garde le silence, ou ne sont guère entendus, leur voix couverte par les nouvelles à sensation. C'est la crise, à laquelle beaucoup ne veulent voir d'issue que dans la suppression d'une discipline jugée tyrannique et à contre-courant de l'histoire. Le célibat facultatif, oui, le célibat obligatoire, non, carrément non.

 

Nul ne pourra dire que l'autorité ecclésiastique ne prit pas la question au sérieux. Bien que le Concile Vatican II ait tranché clairement pour le maintien de la loi, les évêques et le Souverain Pontife acceptèrent par la suite d'en rediscuter longuement ; l'encyclique de Paul VI sur le célibat, — la première du genre dans toute l'histoire de l'Eglise —, en témoigne, ainsi que les deux synodes de 1971 et 1990, comme nous l'avons vu plus haut. On accueillit les objections, écouta les plaintes, avec une sympathie sincère pour les drames de nombreux frères dans le sacerdoce. La réflexion y gagna en expérience, en étendue comme en profondeur, et le diagnostic sur le malaise général se précisa. Il apparut de plus en plus nettement que la crise du célibat était liée à une crise de l'état sacerdotal lui-même, et qu'on ne pourrait vraiment y remédier aussi longtemps qu'on n'aurait pas répondu à la question fondamentale : qu'est-ce qu'un prêtre ? Vatican II s'y était bien entendu employé, « en se rattachant à l'enseignement des précédents Conciles (1) », notamment dans la magistrale Constitution Lumen Gentium et dans le décret Presbyterorum ordinis, justement appelé la « charte sacerdotale du concile ». Mais, pour les raisons déjà évoquées, beaucoup doutèrent de ces certitudes, et la crise s'installa. Car il y a crise, souvent, lorsqu'une institution doute d'elle-même, ou paraît douter d'elle-même, au point d'autoriser les mises en question les plus radicales. Qu'est-ce qu'un prêtre ? Tel est, en fin de compte, le fond du débat. S'il n'existe pas de différence essentielle entre le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel, la distinction entre laïc et prêtre s'estompe au profit d'une vision purement fonctionnelle des ministères, et on ne voit plus dès lors, avec raison, pourquoi la fonction presbytérale exigerait l'adoption d'un style particulier de vie chrétienne, en l'occurrence le célibat. L'attention de l'Eglise, au cours des trente années qui ont suivi le Concile, s'est donc centrée de plus en plus sur ce point capital, pour aboutir enfin à l'exhortation apostolique Pastores dabo vobis, fruit de la réflexion collégiale des épiscopats du monde entier au synode de 1990.

 

Ce que dit Pastores dabo vobis n'est pas nouveau. Il n'est pas difficile d'y reconnaître l'enseignement traditionnel de l'Eglise sur le sacerdoce. Mais « tirant du neuf en constant accord avec le vieux (2) », Jean-Paul II diagnostique avec sûreté les raisons de la crise et la voie à suivre pour la surmonter :

 

La recherche d'une connaissance exacte et profonde de la nature et de la mission du sacerdoce ministériel est donc la voie à suivre — c'est celle que le Synode (de 1990) a effectivement suivie — pour sortir de la crise de l'identité du prêtre : « Cette crise —comme je l'ai dit dans le discours de clôture du Synode — est apparue dans les années qui ont suivi immédiatement le Concile. Elle est née d'une interprétation erronée, parfois même volontairement tendancieuse, de la doctrine du Magistère conciliaire. Là se trouve indubitablement l'une des causes d'un grand nombre de défections alors subies par l'Eglise ; défections qui ont gravement atteint le service pastoral et les vocations au sacerdoce, en particulier les vocations missionnaires. C'est comme si le Synode de 1990, redécouvrant toute la profondeur de l'identité sacerdotale par tant d'interventions entendues dans cette Aula, était venu apporter l'espérance après les défections douloureuses. Ces interventions ont révélé notre conscience du lien ontologique spécifique qui unit le prêtre au Christ, Prêtre Suprême et Bon Pasteur. Cette identité était sous-jacente à la nature de la formation qui doit être donnée en vue du sacerdoce et ensuite durant toute là vie sacerdotale. C'était le but précis de ce Synode (3).

 

C'est donc parce qu'il ne saurait plus désormais y avoir de doute sur la véritable identité du prêtre, pour quiconque s'attache à l'enseignement du Magistère, qu'on peut considérer la crise postconciliaire du célibat sacerdotal comme virtuellement terminée. Non certes qu'il ne puisse plus y avoir de prêtres quittant le sacerdoce pour se marier ; mais il sera plus difficile de voir dans ces abandons une anticipation prophétique d'un changement de la discipline du célibat ; la conscience avertie du peuple chrétien les percevra, ainsi qu'à toutes les époques, comme une tristesse et un échec, l'occasion d'un examen de conscience pour toute l'Eglise et une invitation à la pénitence. Une certaine théologie continuera aussi sans doute à protester contre la loi dû célibat au nom d'une conception « fonctionnelle » du sacerdoce, mais il sera plus difficile de voir dans ces courants qui se marginalisent une contribution positive à l’aggiornamento de l'Eglise dans le monde moderne, car, en manifestant le « lien ontologique qui unit le prêtre au Christ, Prêtre Suprême et Bon Pasteur », Pastores dabo vobis a indiqué de façon indiscutable la direction de la recherche théologique. Les catégories de théologies « conservatrice » et « progressiste » ne sont plus de mise ici, si elles l'ont jamais réellement été, la condition même du progrès étant de conserver pour lui faire développer toutes ses potentialités le sacerdoce tel que Jésus lui-même l'a institué ; car « le prêtre de demain, non moins que celui d'aujourd'hui, devra ressembler au Christ (4). » En appelant les prêtres du XXIème siècle à vivre, comme leurs prédécesseurs, « le sacerdoce unique et permanent du Christ (5) », Jean-Paul II a dénoué la crise en dissipant les doutes. Il a montré aussi une fois de plus au monde que la preuve des racines était dans la vitalité de l'arbre, et dans sa résistance aux intempéries.

 

NOUVELLES RECHERCHES HISTORIQUES SUR LE CELIBAT SACERDOTAL

 

Les racines évangéliques du célibat sacerdotal manifestent la haute convenance de la loi avec le sacerdoce ministériel. Configuré à Jésus-Christ, Tête et Epoux de l'Eglise, par le Sacrement de l'Ordre, le prêtre est un « alter Christus », et agit désormais « in persona Christi » dans le service spécifique du peuple de Dieu qui le caractérise. A ce titre, l'amour même du Christ qui est devenu le sien le pousse à aimer l'Eglise d'un amour total et exclusif, celui-là même du Christ « qui s'est livré pour elle ». Le célibat sacerdotal, vu dans cette perspective, est d'abord une exigence : intérieure, le mouvement même de l'amour jailli du sein de la Trinité dans le cœur du prêtre pour se donner entièrement à cette épouse sanctifiée par le sang du Christ et confiée à ses soins. Selon le mot de Jean-Paul II, il est « don de soi dans et avec le Christ à son Eglise, et il exprime le service rendu par le prêtre à l'Eglise dans et avec le Seigneur (6). »

 

Ces lignes, qui résument la pensée de l'Eglise depuis toujours sur la nature et la mission du sacerdoce ministériel et sur le « don précieux de grâce » du célibat, ont pris, grâce à Vatican II et plus encore depuis le Concile, un relief nouveau. La crise postconciliaire a fait mûrir la réflexion théologique, et on peut dire qu'avec Pastores dabo vobis une sorte de sommet a été atteint. Ce qui est dit dans l'exhortation post-synodale, brassant la gerbe de trente années de patiente méditation, ne demande plus, semble-t-il, qu'à être exploité et enrichi de considérations secondaires.

 

C'est ici que l'histoire rejoint la théologie. Car une question vient aussitôt à l'esprit. S'il est vrai qu'il existe un lien étroit entre le célibat, — ou la continence parfaite —, et la vie de ceux qui, par un choix privilégié du Seigneur, ont été appelés à lui ressembler par le sacrement de l'Ordre, qu'en a-t-il été des Apôtres ? Ces douze hommes, les premiers choisis, dont l'un au moins était marié, ont-ils perçu et vécu cette exigence profonde de leur appel, ou. « lents à comprendre », en quelque sorte, ne se sont-ils sentis nullement concernés et ont-ils continué librement leur mode d'existence antérieur ? Qu'en a-t-il été ensuite de leurs successeurs immédiats, et de la pratique ecclésiale pendant les premiers siècles ? La continence parfaite des évêques, des prêtres et des diacres était-elle laissée à la libre décision des intéressés, par fidélité à une tradition qu'on estimait remonter aux Apôtres, ou, au contraire, par fidélité à ces mêmes Apôtres, gardait-on dans les Eglises la coutume de n'ordonner au sacerdoce que des hommes acceptant de vivre dans la chasteté parfaite ?

 

On sait que cette question historique, pour secondaire qu'elle soit par rapport à la théologie du sacerdoce, n'en est pas moins importante pour nos esprits modernes qui conçoivent mal comment un mode de vie sacerdotal dont les motivations sont présentées comme homogènes à l'Evangile, et inspirées de l'exemple du Christ, ait pu être considéré comme purement facultatif par les premiers prêtres de la Nouvelle Alliance, ceux-là mêmes dont la mission a été de faire connaître l'Evangile et de montrer, par l'exemple de leur vie, ce qu'était et ce que devait être un « alter Christus ». Pour juger de l'intérêt de cette question, il suffit de lire les nombreux livres ou articles parus depuis le Concile sur la question du célibat dès-prêtres. Il n'en est pratiquement pas un qui ne fasse appel à l'histoire, soit pour critiquer la discipline actuelle en lui assignant une origine tardive, soit au contraire pour la rattacher à une haute antiquité, mettant au jour par là-même de solides fondations.

 

Point de départ de la recherche: le concile de Carthage de 390.

 

J'ai, pour ma part, été sensibilisé  à cette question dès 1964,  à l'époque où je préparais mon doctorat en théologie. Un canon d'un concile tenu à Carthage en l'an 390 attira mon attention, car, d'une façon qui me surprenait, on y rattachait l'obligation de la continence des membres du clergé à une tradition apostolique. En voici le texte :

« Epigone, évêque de Bulle la Royale, dit : Dans un concile antérieur, on discuta, de la règle de la continence et de chasteté. Qu'on instruise donc (maintenant) avec plus de force les trois degrés qui, en vertu de leur consécration, sont tenus par la même obligation de chasteté, je veux dire l'évêque, le prêtre et le diacre, et qu'on leur enseigne à garder la pureté.

L'évêque Geneclius dit : Comme on l'a dit précédemment, il convient que les saints évêques et les prêtres de Dieu, ainsi que les lévites, c'est-à-dire ceux qui sont au service des sacrements divins, observent une continence parfaite, afin de pouvoir obtenir en toute simplicité ce qu'ils demandent à Dieu ; ce qu'enseignèrent les apôtres, et ce que l'antiquité elle-même a observé, faisons en sorte, nous aussi, de le garder.

A l'unanimité, les évêques déclarèrent : Il nous plaît à tous que l'évêque, le prêtre et le diacre, gardiens de la pureté, s'abstiennent (du commerce conjugal) avec leur épouse, afin qu'ils gardent une chasteté parfaite ceux qui sont au service de l'autel (7). »

 

Ce canon, récemment encore peu connu des historiens modernes, joua un rôle important dans l'histoire de la discipline de la continence sacerdotale. Non seulement les quelques Pères réunis à Carthage en 390, mais l'ensemble de l'épiscopat africain, jusqu'à l'invasion musulmane du 7ème siècle, affirma la tradition apostolique de la continence sacerdotale. C'est ainsi qu'en mai 419, un concile général de l'Eglise africaine auquel participèrent 217 évêques (dont saint Augustin), promulgua à nouveau le canon que nous avons lu, auquel fut donné l'approbation officielle de Rome par la voix du légat Faustin (8).

Le décret carthaginois servit de relais à plusieurs reprises, au cours de l'histoire, pour vérifier, ou consolider, le lien traditionnel de la discipline du célibat avec « l’enseignement des apôtres ». Les premiers à y recourir officiellement furent les Pères byzantins du concile Quinisexte in Trullo, de 692, dont nous aurons à reparler. Au 11ème siècle, les promoteurs de la réforme grégorienne lui emprunteront plus d'une fois un argument historique qu'ils jugent décisif (9). Saint Raymond de Penafort, l'auteur des Décrétales de Grégoire IX, au 13ème siècle, se dit également convaincu de l'origine apostolique du célibat, notamment par le canon de Carthage (10). Au concile de Trente, les experts de la commission théologique chargée d'étudier les thèses luthériennes sur le mariage des clercs, le connaissent. Pie IV, quant à lui, ne pense pas pouvoir mieux faire que de le citer, pour expliquer aux princes allemands son refus de renoncer à la loi du célibat. Par la suite, bien des théologiens et historiens de la période post-tridentine le mentionnent dans leurs études (11). Au « siècle des lumières », le jésuite F.A. ZACCARIA, appuie aussi entre autres sur ce texte une solide enquête aboutissant à l'origine apostolique du célibat des clercs (12). De même le bollandiste Jean STILTINCK (13). Augustino de ROSKOVANY et Gustave BICKELL, au 19ème siècle, utiliseront à leur tour le document africain de 390 pour étayer les mêmes conclusions (14). Tous sont intimement persuadés qu'il est légitime et comme nécessaire de passer par Carthage pour se guider avec sûreté dans la recherche historique des origines de la discipline du célibat sacerdotal. Pie XI, dans les temps modernes, y fait encore une référence autorisée dans l'encyclique Ad catholici sacerdotii fastigium, du 20 décembre 1935 (15).

 

I- ANALYSE DES DOCUMENTS

 

Le canon de Carthage s'imposa donc très vite comme le fil conducteur de mes recherches. Il s'agissait de savoir si la revendication à l'apostolicité de la part des Pères africains était crédible, si, en affirmant que l'obligation à la continence parfaite pour les membres supérieurs du clergé remontait aux Apôtres, ces évêques ne nous fournissaient pas une clé de lecture cohérente et d'interprétation sûre des documents de la période patristique relatifs à la question. Pour cela, il devenait nécessaire de procéder à un triple examen : Tout d'abord, faire l'inventaire, aussi complet que possible, des textes de diverse nature sur le célibat des clercs, tant en Occident qu'en Orient, aux premiers siècles de l'Eglise. Vérifier ensuite, — et simultanément —, l'authenticité de ces documents. Tenter enfin un essai de synthèse, et pour cela trouver le principe heuristique le plus approprié à la recherche historique pour l'Eglise primitive.

 

L'inventaire et l'étude des documents nécessitaient un travail de longue haleine. On ne saurait, il va sans dire, en faire l'économie car le premier devoir est de laisser parler les textes. Les négliger, ou se dérober devant eux, comme devant des témoins gênants n'est pas digne de la science, et c'eût été faire preuve d'une étrange capacité, d'abstraction, — chose hélas fréquente aujourd'hui —, que de disserter sur les origines du célibat des clercs en escamotant certains problèmes ou en ignorant les faits. L'analyse est en effet à la synthèse historique ce que la préparation des matériaux est à l'agencement d'un édifice. A la différence de l'architecte, toutefois, l'historien ne choisît pas les éléments qui lui servent à reconstituer le passé ; son rôle est de les découvrir, de les scruter, de les comparer les uns aux autres, bref de se soumettre à un donné, et pour ce faire de ne rien négliger qui puisse entrer de droit dans la construction d'ensemble, en respectant la valeur propre des matériaux et en exigeant d'eux le maximum de garanties.

Les deux principes fondamentaux, à ce stade de l'analyse, sont ceux que connaissent bien tous les historiens : premièrement, tirer des textes tout ce qu'ils contiennent, et ne rien ajouter qu'ils ne contiennent pas ; deuxièmement, éclairer les documents et les faits en les situant autant que possible dans l'ensemble du contexte auquel ils appartiennent. On voudra bien les garder présents à l'esprit en suivant cette enquête.

 

Il n'est évidemment pas question, dans le cadre d'un article, de rouvrir l'ensemble du dossier patristique sur le célibat des clercs, ni de reprendre l'examen critique détaillé de chacune des pièces qui le composent. Qu'on veuille bien me permettre de renvoyer le lecteur qui le désire à l'ouvrage que j'ai publié en 1981, à Paris, quelques années après ma soutenance de thèse à l'Institut Catholique (16). Je me limiterai aux textes les plus importants, et aux problèmes qui posent une difficulté particulière.

 

a) Documents publics

 

Un premier ensemble de documents du 4ème siècle, émanant de la hiérarchie ecclésiastique, font eux aussi dès cette époque, comme le canon de Carthage, remonter aux temps apostoliques la discipline de la continence parfaite du clergé, Ce sont, dans l'ordre chronologique :

 

1 — La décrétale Directa, du 10 février 385, envoyée par le pape Sirice à l'évêque espagnol Himère, métropolitain de la Tarraconaise (17).

2 — La décrétale Cum in unum, envoyée par Sirice aux épiscopats de diverses provinces pour leur communiquer les décisions prises en janvier 386 à Rome par un concile de 80 évêques (18).

3 — La décrétale Dominus inter, en réponse à des questions posées par des évêques des Gaules (19).

 

— La décrétale Directa est une réponse du pape Sirice à une consultation adressée à son prédécesseur Damase par l'évêque espagnol Himère au sujet de la continence des clercs. Aux nouvelles affligeantes qui lui arrivent d'Espagne sur l'état du clergé, le chef de l'Eglise réagit par un rappel du devoir de la continence parfaite, dont le principe est dans l'Evangile du Christ, et ajoute : « C'est par la loi indissoluble de ces décisions que nous tous, prêtres et diacres, nous nous trouvons liés à partir du jour de notre ordination, (et tenus) à mettre nos cœurs et nos corps au service de la sobriété et de la pureté... »

— Un an plus tard, en 386, Sirice envoie à divers épiscopats la décrétale In unum pour leur communiquer les décisions prises à Rome par un concile de 80 évêques. Le document insiste sur la fidélité aux traditions venues des apôtres, car « il ne s'agit pas d'ordonner des préceptes nouveaux, mais de faire observer ceux qui, par suite de l'apathie ou de la paresse de certains, ont été négligés ». Parmi ces diverses choses « établies par une constitution apostolique et par une constitution des Pères », se trouve aussi l'obligation à la continence pour les clercs supérieurs.

— Une troisième décrétale, — la décrétale Dominus inter —, est une réponse de Sirice (ou peut-être de Damase) à une série de questions envoyées par les évêques des Gaules. Le pape annonce d'abord qu'il va reprendre dans l'ordre les questions posées « en faisant connaître les traditions » (singulis itaque propositionibus suo ordine reddendae sunt traditiones), et en vient dans ce contexte à parler des évêques, des prêtres et des diacres, au sujet desquels, dit-il expressément, « les divines Ecritures, et pas seulement nous-même, font une obligation d'être très chastes ».

 

Ces trois décrétales sont d'une importance primordiale pour l'histoire des origines du célibat des clercs. Elle présupposent, comme chose normale et légitime, l'ordination de nombreux hommes mariés. Ceux-ci, à partir du diaconat, sont néanmoins tenus à la continence parfaite avec leur épouse, si celle-ci est encore de ce monde, et l'infraction à cette discipline, fréquente alors dans certaines provinces éloignées de Rome comme l'Espagne ou les Gaules, est blâmée comme étant contraire à la tradition apostolique. Les contestataires de ces régions invoquent l'Ancien Testament à l'appui de leur cause, mais la continence temporaire des lévites d'Israël prouve qu'a fortiori les prêtres de la Nouvelle Alliance doivent observer une continence perpétuelle. Une objection tirée des épîtres pauliniennes paraît à certains décisive : l'Apôtre n'a-t-il pas demandé que l'évêque, le presbyte ou le diacre, soit « l’homme d'une seule femme » (unius uxoris vir), autorisant par là le choix de candidats mariés ? Certes, répond Sirice, mais cette consigne a été édictée propter continentiam futuram, en vue de la continence que ces hommes mariés auraient à pratiquer à partir de leur ordination. S'ils doivent être les hommes d'une seule femme, c'est que l’expérience de fidélité à une même épouse est une garantie de chasteté pour le futur. Cette lecture de 1 Tm 3, 2-12 et Tt 1, 6 a été peu remarquée par les exégètes modernes ; elle est cependant une pierre d'angle de l'argumentation chez Sirice, et chez nombre d'écrivains patristiques, pour asseoir la discipline du « célibat-continence » sur des fondements scripturaires (20).

Si on veut apprécier à leur juste valeur la portée de ces trois décrétales, il faut se rappeler que l'Eglise de Rome a joui très tôt d'une position absolument unique comme témoin, de la Tradition venue des apôtres. Saint Irénée l'a dit dans une formule inoubliable : « Avec cette Eglise, en raison de son origine plus excellente, doit nécessairement s'accorder toute Eglise, c'est-à-dire les fidèles de partout, elle en qui, toujours, au bénéfice de ces sens de partout, a été conservée la Tradition qui vient des apôtres (21). » Admettre cette position privilégiée du Siège « apostolique », c'est du même coup reconnaître que les pontifes romains de cette fin du 4ème siècle se sont portés garants au nom de toute l'Eglise d'une tradition de « célibat-continence » (22) pour le clergé supérieur remontant aux apôtres, et ont engagé dans cette affirmation toute leur crédibilité (23).

 

b) Auteurs patristiQues

 

A côté de ces documents publics, plusieurs auteurs patristiques, toujours au 4ème siècle, font également état d'une discipline de continence parfaite pour les clercs des ordres supérieurs. Nous retiendrons ici quatre témoignages plus représentatifs :

 

— Saint Epiphane de Salamine (v. 315-403) : Dans son Panarion, l'évêque de Chypre réfute les montanistes qui discréditaient le mariage ; rien de plus contraire à l'intention du Seigneur, en effet, qui a choisi ses apôtres non seulement parmi les vierges, mais aussi parmi les monogames. Toutefois, ajoute Epiphane, ces apôtres mariés pratiquèrent ensuite la continence parfaite, et suivant la ligne de conduite que Jésus, la règle de la vérité, leur avait ainsi tracée, fixèrent à leur tour la norme ecclésiastique du sacerdoce (24). Plus loin, il reconnaît que, dans certaines régions, il y a des clercs qui continuent à avoir des enfants, mais cela ne se fait pas conformément aux véritables canons ecclésiastiques (25). Dans la postface du même Panarion, on peut encore lire une allusion très claire à la discipline générale de l'époque :

« ... à défaut de vierges (le sacerdoce se recrute) parmi les moines ; s'il n'y a pas de moines en nombre suffisant pour le ministère, (il se recrute) parmi les époux qui gardent la continence avec leur épouse, ou parmi les ex-monogames veufs ; mais chez elle (i.e. dans l'Eglise), il n'est pas permis d'admettre au sacerdoce l'homme remarié ; même s'il garde la continence ou s'il est veuf, (il est écarté) de l'ordre des évêques, des prêtres, des diacres et des sous-diacres. »

 

— L'Ambrosiaster (v. 366-384) : Cet auteur inconnu traite à deux reprises de la continence des clercs. Dans un commentaire de la 1ère épître à Timothee (27), il développe une argumentation semblable à celle de Sirice, et que nous retrouverons chez Ambroise et Jérôme : en demandant que le futur diacre, ou le futur évêque, soit unius uxoris vir, l'Apôtre ne leur a pas pour autant reconnu la liberté du commerce conjugal ; au contraire « qu'ils sachent bien qu'ils pourront obtenir ce qu'ils demandent, si par ailleurs il s'abstiennent désormais de l'usage du mariage ». La même idée est exposée dans les Quaestiones veteris et novi Testamenti. Il faut citer, dans ce second texte, un passage qui montre bien quelle était la pensée théologique de l'auteur, et des Pères dans leur ensemble, sur la hiérarchie de valeurs entre la continence parfaite des ministres du Christ et le mariage chrétien :

« On dira peut-être : s'il est permis et bon de se marier, pourquoi n'est-il pas permis aux prêtres de prendre femme ? Autrement dit, pourquoi les hommes ordonnés ne peuvent-ils plus s'unir (à une épouse) ? C'est qu'en effet il y a des choses qui ne sont permises à personne, sans aucune exception ; il en est, d'autre part, qui sont permises aux uns, mais non aux autres, et il en est qui sont permises à certains moments, mais non à d'autres... C'est pour cela que le prêtre de Dieu doit être plus pur que les autres ; en effet, il passe pour son représentant personnel, et il est effectivement son vicaire ; en sorte que ce qui est permis pour les autres ne l'est pas pour lui... Il doit être d'autant plus pur qu'elles sont saintes, les choses de son ministère. En effet, comparées à la lumière des lampes, les ténèbres sont non seulement obscures, mais sordides ; comparée aux étoiles, la lumière d'une lampe n'est que brouillard, tandis que, comparées au soleil, les étoiles sont obscures, et que, comparé à la clarté de Dieu, le soleil n'est qu'une nuit. Ainsi, les choses qui, par rapport à nous, sont licites et pures, sont comme illicites et impures par rapport à la dignité de Dieu ; en effet, toutes bonnes qu'elles soient, elles ne conviennent cependant pas à la personne de Dieu. C'est pourquoi les prêtres de Dieu doivent être plus purs que les autres, étant donné qu'ils tiennent la place du Christ... » (28)

 

Ce texte témoigne d'une saine vision de la sexualité ennoblie par le Créateur, contrastant avec le pessimisme manichéen ou la méfiance encratiste de « l’œuvre de chair ». Les exigences requises du sacerdoce sont exceptionnelles, parce que fondées sur le caractère exceptionnel de ses fonctions. Ministre du Christ, dont « il tient chaque jour la place », il est voué à « la cause de Dieu », et doit pouvoir « vaquer à la prière » et à son ministère de façon constante. L'anthropologie sous-jacente, d'inspiration paulinienne, est une anthropologie que l'on peut légitimement qualifier d'intégrale, tout entière dominée par un sens aigu de la transcendance de Dieu.

 

— Saint Ambroise de Milan (v. 333-397) commente lui aussi l’Unius uxoris vir de saint Paul de la même manière que Sirice :

« Ce n'est pas à engendrer des enfants pendant (sa carrière) sacerdotale que l'invite l'autorité apostolique ; (l'Apôtre) a en effet parlé d'un homme qui a (déjà) des enfants, non de quelqu'un qui en engendre (d'autres) ou qui contracte un nouveau mariage. » (29)

 

Dans un autre texte, il répond à l'objection tirée des lévites de l'Ancien Testament, en justifiant par un a fortiori, comme ses contemporains, la continence parfaite requise des prêtres de la Nouvelle Alliance (30).

 

— Saint Jérôme (v. 347-419) revient plusieurs fois sur le problème de la continence des clercs.

C'est avant tout la polémique contre les détracteurs de la chasteté sacerdotale qu'étaient Jovinien et Vigilance, qui nous vaut de sa part des réflexions particulièrement appropriées. Dans l'Adversus Jovinianum, nous le voyons ainsi commenter à son tour l’unius uxoris vir de la première épître à Timothée dans le même sens que Sirice : Il s'agit d'un homme qui a pu avoir des enfants avant son ordination, non de quelqu'un qui continuerait ensuite à engendrer (31). La lettre à Pammachius, pour sa part, souligne le lien de dépendance entre la continence des clercs et celle du Christ et de sa Mère vierges :

« Le Christ vierge, la Vierge Marie ont pour chaque sexe consacré les débuts de la virginité ; les apôtres furent ou vierges, ou continents après le mariage. Evêques, prêtres et diacres sont choisis vierges, ou veufs ; en tout cas, une fois reçu le sacerdoce, ils observent la chasteté parfaite. » (32)

 

L'Adversus Vigilantium, enfin, est justement célèbre par la référence à de vastes régions de l'empire :

« Que feraient les Eglises d'Orient ? Que feraient celles d'Egypte et du Siège apostolique, elles qui n'acceptent les clercs que s'ils sont vierges ou continents, ou (s'ils ont eu) une épouse, que s'ils ont renoncé à la vie matrimoniale. » (33)

 

La discipline prohibant le mariage après l'ordination, et la discipline de la continence parfaite, imposant aux clercs mariés avant leur ordination l'abstention des rapports conjugaux, sont donc, comme on vient de le voir, largement attestées dès le 4ème siècle par les meilleurs représentants de l'époque patristique. Plusieurs documents affirment l'origine apostolique de l'une comme de l'autre. Certains en termes explicites, comme les décrétales de Sirice, ou les conciles africains ; d'autres, comme Epiphane, l'Ambrosiaster, Ambroise ou Jérôme, de façon indirecte, mais non moins certaine. Nous n'avons aucun texte relatif à cette obligation du célibat pour les trois premiers siècles, mais nous n'en avons pas non plus qui en infirme valablement l'existence. C'est pourquoi il est tout à fait légitime, et conforme aux principes d'une bonne méthode historique, de prendre en compte la revendication d'une origine de la loi remontant aux apôtres, telle qu'elle s'exprime au 4ème siècle.

 

c)  Examen de quelques problèmes particuliers:

 

Par manière de contre-épreuve, il convient d'examiner quelques documents de la même période qui soulèvent un problème particulier.

 

Le concile d'Elvire

 

Le premier est le 33ème canon du concile d'Elvire, dont la date incertaine est généralement située dans les premières années du 4ème siècle. Relisons ce texte bien connu :

« Il a paru bon d'interdire absolument aux évoques, aux prêtres et aux diacres, soit (encore) à tous les clercs employés au ministère, d'avoir des relations (conjugales) avec leur épouse et d'engendrer des enfants ; si quelqu'un le fait, qu'il soit exclu de la cléricature. » (34)

 

Certains auteurs modernes, à la suite de Funk (35), veulent y voir la première tentative officielle pour inaugurer une discipline de continence parfaite pour le clergé. Or, un examen tant soit peu attentif du document manifeste à l'évidence une pré-histoire. En effet, rien n'est dit de la liberté d'user du mariage qu'auraient eu jusqu'alors les clercs mariés. Pour qui réfléchit à la nature des exigences posées, le silence des législateurs sur ce point se comprend plus facilement dans le cas où ils réitèrent et confirment une pratique déjà en vigueur, que dans le cas contraire. On n'impose pas brusquement à des époux la rude ascèse de la continence parfaite, sans dire pourquoi ce qui était jusqu'alors permis devient tout à coup défendu. Surtout, comme c'est le cas ici, si on prévoit des peines canoniques pour les contrevenants. En revanche, s'il s'agissait de remédier à des infractions à une règle déjà ancienne, on comprend que les évêques espagnols n'aient pas éprouvé le besoin de justifier une mesure aussi sévère (36). En supposant même que le décret d'Elvire soit le premier, chronologiquement parlant, cela ne signifie pas que la pratique antérieure de l'Eglise ait été différente. Un assez grand nombre de points touchant à la doctrine et à la discipline n'ont pas fait à l'origine l'objet d'une explicitation. Ce n'est qu'avec le temps, et sous la pression de circonstances inédites, que des vérités de foi d'abord admises par tous firent l'objet de définitions dogmatiques et que des traditions observées depuis les origines de l'Eglise revêtirent une forme canonique. Ce principe bien connu de méthodologie générale sur la formation des normes juridiques de l'Eglise peut éclairer de façon juste l'histoire antérieure du concile d'Elvire. (37)

 

Le concile de Nicée

 

Un autre texte d'interprétation parfois controversée est un canon du concile oecuménique de Nicée (325). Convoqué pour juger l'arianisme, ce concile nous a laissé une liste de vingt canons disciplinaires, dont le troisième, intitulé « Des femmes qui cohabitent avec des clercs », aborde un sujet qui intéresse l'histoire du célibat ecclésiastique :

« Le grand concile a défendu absolument aux évêques, aux prêtres et aux diacres, et en un mot à tous les membres du clergé d'avoir avec eux une femme « co-introduite », à moins que ce ne fût une mère, une sœur, une tante, ou enfin les seules personnes qui échappent à tout, soupçon. » (38)

 

On remarque  que  le concile ne  mentionne pas  les épouses parmi les femmes que les membres du clergé sont autorisés à garder sous leur toit, ce qui est peut-être un signe indiquant que l'arrière-plan de la décision de Nicée est la discipline de la continence parfaite. Ceci est d'autant plus plausible que les premiers nommés, les évêques, y ont toujours été soumis, tant en Orient qu'en Occident, sans aucune exception. Un autre indice de grande portée est que ce Sème canon du premier synode général, dont les décisions furent « la règle fondamentale qui servit de modèle aux conciles locaux et oecuméniques ultérieurs dans les dispositions qu'ils prirent (39) », a été, par la suite constamment interprété par les papes et les conciles particuliers dans le même sens : mettre les évêques, les prêtres et les diacres, tenus à la continence parfaite, à l'abri des tentations féminines et garantir leur réputation. Quand ils évoquent le cas de l'épouse, c'est généralement pour l'autoriser à vivre avec son mari ordonné, mais à la condition expresse qu'elle ait fait elle aussi profession de continence. Elle entrait par là dans la catégorie des femmes « qui échappent à tout soupçon ».

 

Il faut nous arrêter un instant sur un épisode qui, selon l'historien grec Socrate, se serait déroulé au concile de Nicée, et auquel certains, aujourd'hui encore, continuent de faire confiance sans esprit critique.

D'après ce récit, les Pères du synode auraient voulu interdire aux évêques, prêtres et diacres d'avoir des relations avec leur épouse ; sur quoi, un Père du nom de Paphnuce, évêque de la Haute-Thébaïde, serait intervenu avec chaleur pour dissuader l'assemblée de voter une pareille loi, nouvelle assurait-il, et qui ferait tort à l'Eglise. Le concile aurait donc abandonné le projet et laissé chacun libre d'agir comme il le voudrait (40).

La première question que se pose l'historien moderne, au sujet de cet épisode est celle de sa provenance. « D'où vient-il ? quel en est l'auteur ? quelle en est la date ? » A aucune de ces questions, il n'est possible de trouver une réponse satisfaisante. Socrate, qui achève son Histoire ecclésiastique vers l'an 440, soit plus de cent ans après le premier concile oecuménique, est le premier (et pratiquement le seul) à mentionner cette anecdote ; lui, d'ordinaire soucieux de références, ne cite ici aucune source, alors qu'il s'agit d'un fait extrêmement important. Il en faut bien moins, en général, pour susciter la méfiance des critiques.

Ce récit tardif a d'autre part contre lui le témoignage de nombreux représentants de l'époque postnicéenne. Pour toute la période allant de 325 à 440, on cherche en vain, dans l'immense littérature patristique, une allusion à l'intervention de Paphnuce. Les gens qui auraient dû savoir et qui auraient eu tout intérêt à parler ne manquaient pourtant pas. Qui plus est, nous voyons des personnalités bien informées sur le concile de Nicée et sur la vie de l'Eglise, et dont la sincérité ne peut être a priori mise en doute, non seulement ignorer le fameux épisode, mais attester la haute antiquité de la discipline de la continence parfaite pour le clergé, en témoignant toujours d'un respect inconditionnel pour la règle fondamentale qu'était à leurs yeux le premier concile oecuménique. C'est notamment le cas pour Ambroise, Epiphane, Jérôme, Sirice et Innocent I. C'est aussi et surtout le cas pour l'épiscopat africain, au temps même de saint Augustin : avec la volonté d'agir en pleine conformité avec les décisions de Nicée, comme nous l'avons vu, il vote et reconduit de synode en synode un décret sur la continence parfaite des clercs en affirmant qu'il s'agit là d'une tradition venue des apôtres. On ne peut imaginer de démenti plus net à l'encontre de la véracité de l'histoire de Paphnuce.

Un autre important argument de critique externe a été développé récemment, tendant à démontrer de façon assez décisive que le personnage de Paphnuce mis en vedette dans le récit de Socrate est « le produit d'une affabulation hagiographie progressive ». Il a été exposé en 1968 par le professeur F. Winkelmann, partant de la constatation que le nom de Paphnuce ne figure pas parmi les évêques signataires du concile de Nicée sur les meilleures listes de souscriptions qui nous sont parvenues. Ces conclusions du professeur Winkelmann sont aujourd'hui généralement admises dans les milieux scientifiques (41).

Il importe en outre de remarquer que, contrairement à ce qu'on a parfois soutenu, l'anecdote de Socrate n'est nullement en harmonie avec la pratique de l'Eglise grecque au sujet du mariage des clercs. Aucun concile antérieur à Nicée n'a jamais autorisé les évêques et les prêtres à contracter mariage, ni à user du mariage qu'ils pouvaient avoir contracté avant leur ordination. Le concile Quinisexte qui, quant à lui, fixera de façon définitive la législation byzantine, maintiendra strictement la loi de continence parfaite pour l'évêque, tandis que les autres membres du clergé supérieur, autorisés à vivre avec leur femme, seront tenus à la continence temporaire. Il n'est pas surprenant, dans ces conditions, que le concile de 691, tout en citant par ailleurs le 3ème canon de Nicée, ne fasse aucune allusion à la décision que les Pères de 325 auraient prise sur la proposition de Paphnuce, car cette décision laissait les évêques libres d'user du mariage, au même titre que les prêtres et les diacres, et ne réclamait d'aucun d'entre eux une continence temporaire. L'histoire de Paphnuce est si peu en harmonie avec la discipline orientale que les Byzantins ont continué à l'ignorer, — ou à l'écarter comme légendaire —, longtemps encore après la fin du 7ème siècle. Dans la polémique qui, au 11ème siècle, opposa le moine Nicetas Pectoratus et les Latins, la question du célibat occupe une place importante. Néanmoins, Paphnuce n'est pas mentionné (42). Même silence, plus remarquable encore, dans les grands commentaires du Syntagma canonum (composé à Byzance au 12ème siècle) par les canonistes Aristène, Zonaras et Balsamon, « dont les décisions ont fait loi pendant longtemps et continuent à être prises en considération (43) ». Même lorsqu'ils commentent le 13ème canon du concile in-Trullo par lequel, disent-ils, on a voulu corriger « quod ea de causa fit in Romana Ecclesia », les trois érudits byzantins se taisent sur l'histoire de Paphnuce (44). Tout ceci ajoute au nombre des arguments qui réfutent l'authenticité de la prétendue intervention de Paphnuce au concile de Nicée, et c'est pourquoi les critiques sont quasi unanimes aujourd'hui pour rejeter comme un faux, dans la forme où nous le connaissons, l'épisode rapporté par Socrate.

 

Les clercs mariés aux premiers siècles de l'Eglise

 

— La question du mariage des Apôtres

 

Un autre problème qui mérite l'examen est celui qui est posé par l'existence de nombreux clercs mariés aux premiers siècles de l'Eglise. Et tout d'abord par la situation de Pierre, et peut-être d'autres Apôtres, qui avaient une épouse lorsque le Christ les a appelés à le suivre. Question d'un intérêt primordial, c'est évident, dès lors qu'il s'agit de vérifier si la loi de la continence parfaite pour les ministres sacrés peut remonter à une origine apostolique, comme l'affirment les documents du 4ème siècle que nous avons rencontrés. Quand les Pères africains de 390 assurent vouloir observer « ce que les Apôtres ont enseigné », ils se réfèrent non seulement à un enseignement oral mais avant tout à l'exemple que, selon eux, les Douze ont laissé à la postérité. Car on peut être assuré que cet exemple, quel qu'il fût, joua un rôle déterminant dans la vie de l'Eglise et dans l'organisation de sa discipline. Le Nouveau Testament ne nous fournissant qu'un seul renseignement sûr: le mariage de Pierre, c'est à la Tradition des origines qu'il faut demander des indications supplémentaires.

Une enquête aussi complète que possible à travers la littérature chrétienne de l'époque conduit aux conclusions suivantes : 1- Hormis le cas de Pierre, il n'existe pas de tradition assez générale et constante sur laquelle on pouvait se fonder pour affirmer, de tel apôtre qu'il avait eu femme et enfants, ou de tel autre qu'il était célibataire. Deux exceptions cependant : l'apôtre Jean, qu'une tradition assez unanime reconnaît avoir été vierge ; et l'apôtre Paul, qu'une majorité de Pères estiment n'avoir jamais été marié, ou, en tout cas, avoir été veuf. 2- Concernant le genre de vie des Apôtres au lendemain de leur vocation, les Pères affirment tous, avec la même assurance, que ceux d'entre eux qui pouvaient avoir été mariés ont ensuite cessé la vie conjugale et pratiqué la continence parfaite. Ce remarquable consensus des Pères sur un point aussi important constitue une herméneutique autorisée des passages d'Evangile où il est fait allusion au détachement des disciples : « Alors, prenant la parole, Pierre dit à Jésus : "Eh bien ! nous, nous avons tout quitté et nous t'avons suivi..." (Mt 19, 27) Il leur dit : "En vérité, je vous le dis, nul n'aura quitté maison, femme, frères, parents ou enfants, à cause du Royaume de Dieu, qui ne reçoive bien davantage en ce temps-ci et dans le temps à venir la vie éternelle » (Lc 18, 28-30). Le sentiment commun des Pères, sans exception, était donc que les Apôtres avaient été les premiers à tout quitter, y compris éventuellement leur femme, pour le Royaume de Dieu. Nous avons là un écho de la prédication officielle des premiers siècles dans les grands centres chrétiens (dès la fin du 2ème siècle et le début du Sème, par exemple, à Alexandrie, avec Clément, et en Afrique, avec Tertullien). Il est l'expression de la mémoire collective des Eglises apostoliques regardant l'exemple laissé par les Apôtres aux générations futures, et constitue un solide argument de tradition.

 

— Exemples de clercs mariés aux quatre premiers siècles

 

Il y eut, aux premiers siècles de l'Eglise, de très nombreux évêques, prêtres et diacres ayant eu femme et enfants. Les Communautés chrétiennes de l'époque, qui vivaient intensément du souvenir des Apôtres, considéraient en effet comme une chose normale d'admettre au ministère sacerdotal des hommes mariés. C'était là un hommage rendu à la sainteté du mariage, en même temps qu'au choix du Seigneur qui avait appelé Pierre, et peut-être d'autres hommes mariés, à tout quitter pour le suivre. Les documents publics et les textes patristiques que nous avons lus attestent indirectement l'existence de ces clercs monogames. Mais il y a plus, car les récits du temps et l'épigraphie nous ont conservé le souvenir d'un bon nombre et souvent plus d'une information utile à leur sujet. Leurs noms figurent de plein droit dans le dossier des origines du célibat sacerdotal, car la vérité et la science historiques ont tout à gagner à la connaissance des faits de ce genre. Aussi me suis-je efforcé de répertorier, à travers les sources disponibles, une liste de clercs mariés pouvant offrir une base de réflexion suffisamment large (45). Me limitant ici aux quatre premiers siècles, je me bornerai aussi à présenter ces personnages, sans surcharger la lecture de références bibliographiques qui ne sont pas nécessaires. C'est au total une liste de soixante et onze clercs, soit quarante six évêques, dix-sept prêtres et huit diacres.

 

- Exemples de clercs mariés au premier siècle : Indépendamment du cas des Apôtres, nous ne connaissons pour le premier siècle que deux exemples de clercs mariés, ce qui reflète la rareté de la documentation dans tous les domaines pour cette période. L'un est le diacre de Jérusalem Nicolas, dont parlent les Actes des Apôtres (6, 5) ; l'autre, un évêque anonyme du Pont, qui fut le père de l'hérétique Marcion. Une fois ordonnés, ces deux hommes ont-ils continuer à mener la vie conjugale, ou ont-ils vécu dans la continence parfaite ? L'histoire ne le dit pas, et il faut se garder de conclure, dans un sens comme dans l'autre, pour les raisons que nous connaissons.

 

- Exemples de clercs mariés au deuxième siècle : Deux noms aussi seulement pour cette période : un prêtre de Philippos en Macédoine, nommé Valens, dont parle saint Polycarpe dans sa lettre aux Philippiens ; et un diacre anonyme d'Asie, dont la femme, au dire de saint Irénée, s'était laissée séduire par Marc le magicien. Comme pour le premier siècle, il est évident que ces deux brèves notices n'autorisent par elles-mêmes aucune conclusion concernant la façon dont ces époux consacrés vivaient leur vie conjugale, et encore moins sur la discipline de l'époque.

 

- Exemples de clercs mariés au troisième siècle : Nous connaissons, pour le troisième siècle, cinq évêques qui étaient (ou avaient été) mariés : Chérémon, évêque de Nilopolis, en Egypte, qui s'enfuit « avec sa compagne » dans la montagne d'Arabie pour échapper à la persécution de Dèce ; Démétrien, évêque d'Antioche, père de l'évêque Domnus, son successeur ; Demetrius, l'évêque d'Origène, dont l'élection ne fut acceptée par la communauté chrétienne d'Alexandrie que lorsqu'on apprit qu'il avait toujours gardé la continence avec son épouse ; Irénée, jeune évêque de Sirmium, en Pannonie, qui, sans céder aux larmes de sa femme et de ses enfants, alla, au martyre en déclarant qu'il avait accompli le précepte du Seigneur : « Celui qui aime son père, sa mère, ou sa femme, ou ses enfants, ses frères ou ses parents plus que moi, n'est pas digne de moi », et Martial, évêque de Merida, en Espagne, qui avait plusieurs fils.

Chérémon de Nilopolis et Démétrien d'Antioche usaient-ils du mariage ou pratiquaient-ils la continence parfaite ? Les notices d'Eusèbe de Césarée, qui mentionnent ces deux personnages, ne permettent pas de répondre. On doit faire la même remarque à propos de Martial de Merida, dont parle saint Cyprien dans une de ses lettres. Le récit sur Demetrius d'Alexandrie a été sans doute enjolivé par la légende, mais il reste néanmoins un renseignement intéressant à noter. Quant à Irénée de Sirmium, son esprit de détachement total à l'heure du martyre montre que, malgré sa jeunesse, il avait fort bien pu pratiquer la continence parfaite si telle était la discipline à son époque. Le récit des Actes de son martyre ne dit rien sur sa vie conjugale.

Cinq noms de prêtres mariés figurent également dans l'histoire du troisième siècle. Ils appartiennent tous à l'Afrique : Cécilien, prêtre de Carthage, ami intime de saint Cyprien, auquel avant de mourir il confia sa femme et ses enfants ; Novatus de Carthage, sinistre individu qui, entre autres forfaits, brutalisa sa femme et la fit avorter ; Numidicus de Carthage, martyr, qui assista « avec joie » au martyre de sa fidèle épouse ; Saturnin d'Abitina, qui subit le martyre avec ses quatre enfants ; et Tertullien, du moins si l'on veut en croire saint Jérôme qui nous assure qu'il était prêtre.

Ici encore, l'examen de chaque cas laisse entière la question de savoir quel genre de vie ces hommes avaient mené avec leur femme après l'ordination, ou quelle était la discipline de leur temps. On peut toutefois observer que tous sont prêtres d'une Eglise qui affirmera au siècle suivant, par la voix de ses évêques, que la continence parfaite des membres supérieurs du clergé est une tradition d'origine apostolique. Ces Pères du 4ème siècle, qui connaissaient leur histoire au moins aussi bien que nous, semblent ainsi nous indiquer que la discipline de l'Eglise d'Afrique, du temps de Cécilien de Carthage et des autres, comportait également l'observation de la continence parfaite. Dans le cas contraire, ils n'auraient pu prétendre que leur décision était conforme à l'enseignement des Apôtres sans qu'on leur opposât justement ces exemples notoires de leur propre Eglise.

 

- Exemples de clercs mariés au quatrième siècle : L'Eglise du 4ème siècle, qui se développe et s'organise à la faveur de la paix constantinienne, nous offre un nombre important d'exemples de clercs mariés. Au total quarante évêques, onze prêtres et six diacres. En voici la liste, classée d'après le cadre géographique :

A)  Préfecture d'Orient

— Dans le diocèse du Pont : Eulalius, évêque de Césarée de Cappadoce, père d'Eusthate de Sébaste ; Grégoire, évêque de Nysse ; Grégoire dit l'Ancien, évêque de Nazianze, père de saint Grégoire de Nazianze ; et Anysius, prêtre de Borille en Cappadoce, aïeul de l'historien grec Philostorge. En Arménie, Grégoire « l’Illuminateur » (*), père de deux fils, Verthanès et Aristakès, qui furent l'un et l'autre ses successeurs sur le siège du catholicos ; Verthanès (*), père du futur catholicos Yousik et de Grégoire, futur évêque d'Ibérie et d'Albanie ; Yousik (*), aïeul de Nersès le Grand ; et Nersès le Grand (*), père du futur catholicos Sahaq le Grand. En Arménie encore, les évêques Khat, Asroug et Pharen (patriarche).

— Dans le diocèse d'Asie : Antonin, évêque d'Ephèse, qui fut condamné par un concile de Constantinople présidé par saint Jean Chrysostome, parce que « après s'être séparé de sa femme, il avait repris la vie commune avec elle, et en avait eu des enfants » ; et six évêques anonymes de la région d'Ephèse.

— Dans le diocèse d'Orient : En Syrie, Ajax (*), évêque de Botolius ; Marcel, évêque d'Apamée ; Pelage (*), évêque de Laodicée ; Philogonius, évêque d'Antioche ; et Apollinaire, prêtre de Laodicée, père d'Apollinaire évêque de la même ville. A Chypre, Spiridon, évêque de Trimithus. En Phénicie, Léonce, évêque de Tripoli.

— Dans le diocèse d'Egypte : Philéas, évêque de Thmuis, qui mourut martyr.

 

B) Préfecture des Gaules

— Dans le diocèse d'Espagne : Cartérius, évêque espagnol d'un siège inconnu ; Pacien (*), évêque de Barcelone, père du préfet du prétoire Dexter ; Symposius, évêque d'Astorga, père de l'évêque Dictinius son successeur.

— Dans le diocèse des Gaules : Artémius (*), évêque d'Auvergne ; Hilaire (*), évêque de Poitiers ; Réticius (*), évêque d'Autun ; Simplicius (*), évêque d'Autun ; Urbicus (*), évêque de Clermont ; et Aper (*), prêtre, ami de saint Paulin de Nole.

— Dans le diocèse de Bretagne: Potitus, prêtre, père du diacre Calpornius, aïeul de saint Patrick ; Calpornius (Kalfurnus), diacre, père de saint Patrick.

 

C) Préfecture d'Italie

— Dans le diocèse d'Italie : Anastase I, pape, père (?) du pape Innocent I ; un évêque anonyme d'un siège inconnu (46) ; Antonius, évêque d'un siège suburbicaire de Rome, père du pape Damase ; Léon, évêque d'un siège inconnu, père du diacre Florentius ; Memor, évêque d'Italie méridionale, père de Julien d'Eclane ; Petronius Dextrus, évêque d'un siège inconnu ; Sévère (*), évêque de Ravenne ; les prêtres Gaudentius, Leontius et Limenius, tous trois de Rome ; le prêtre Pac. Patroclus ; deux prêtres anonymes ; et quatre diacres : Severus, de Rome, et trois anonymes, dont un de Rome et un de Florence (*).

— Dans le diocèse d'Afrique : Victor, évêque d'Ucresium en Numidie.

— Dans le diocèse d'Illyrie : Melon, prêtre de Mélos, et Fl. Julius, diacre de Salone.

 

Les noms suivis d'une astérisque (*) sont les clercs mariés dont les notices biographiques spécifient qu'ils vécurent dans la continence parfaite après leur ordination, quand ce n'était pas plus tôt. Pour trois d'entre eux, — Urbicus de Clermont, Simplicius d'Autun et Sévère de Ravenne —, il est clair que, ce faisant, ils obéissent, à une discipline formelle. Les catholicos arméniens de la lignée grégoride présentent, de leur côté, un exemple remarquable. Grégoire « l’Illuminateur », son fils Verthanès, son petit-fils Yousik et son arrière petit-fils Nersès ont tous vécu dans la continence parfaite. Etait-ce seulement en vertu d'une option personnelle ? Ou faut-il y percevoir l'indice d'une discipline en vigueur dans leur Eglise ? Quand on voit la continence associée de façon aussi régulière, sur plusieurs générations, au choix des catholicos, la question n'est pas vaine. Et si on se souvient que l'Eglise d'Arménie était alors rattachée à Césarée de Cappadoce et en étroite communion avec Rome, on peut se demander si les catholicos arméniens du 4ème siècle ne sont pas les témoins privilégiés, pour cette région d'Orient, d'une règle de continence sacerdotale identique à celle que connaissaient les Eglises d'Occident (47).

Pour les autres clercs de la liste, rien n'est dit souvent de leur épouse. On ignore même si celle-ci était encore de ce monde lors de l'ordination du mari. Il convient de se rappeler que les décrétales de Sirice concernaient l'ensemble des provinces d'Occident, et que, par conséquent, les clercs supérieurs mariés des deux préfectures d'Italie et des Gaules (Espagne, Gaules, Bretagne, Italie, Afrique et Illyrie) connaissaient tous une discipline de continence parfaite. Le contexte législatif éclaire l'histoire.

 

Une liste aussi complète que possible des clercs mariés aux premiers siècles de l'Eglise s'avère ainsi indispensable à la recherche. Elle répond avant tout à l'exigence première de la critique historique, qui est la connaissance des faits. Elle nous confirme ensuite ce que nous apprennent les documents législatifs et patristiques, à savoir l'existence d'un nombreux clergé marié, surtout à partir du 3ème siècle. L'examen de chaque cas fait ressortir l'importance du concept de célibat-continence, — ou de continence parfaite —, pour une évaluation adéquate de la réalité clérogamique aux origines de l'Eglise. La question à laquelle doit s'efforcer de répondre un historien averti est celle-ci : ce clerc marié a-t-il continué à vivre maritalement avec son épouse après son ordination, ou a-t-il vécu dans la continence parfaite ? Ignorer, ou éluder la question, comme on le fait parfois, c'est méconnaître un trait essentiel de la physionomie du sacerdoce à cette période. La liste nous montre qu'il n'existe aucun exemple de clerc marié dont on puisse affirmer qu'il a vécu maritalement avec son épouse après l'ordination en conformité avec une coutume reconnue ou une discipline officielle. Bien plus, les récits nous prouvent que certains vécurent dans la continence parfaite par soumission à une discipline bien établie, comme dans les Gaules ou en Italie. Dans d'autres cas, comme pour l'Arménie en communion avec Rome, on peut le supposer avec raison.

 

La discipline des Eglises d'Orient

 

L'analyse des documents des quatre premiers siècles de l'Eglise relatifs au célibat sacerdotal offre à la synthèse des bases suffisantes pour faire du canon de Carthage de 390 une clé d'interprétation parfaitement valable. En affirmant : « Ce que les Apôtres ont enseigné et ce que l'antiquité a toujours observé, faisons en sorte nous aussi de le garder », les Pères africains, nous pouvons déjà le présumer, ont exprimé la vérité de l'histoire. Non seulement les documents contemporains du Magistère et les témoignages de représentants hautement crédibles de la Patristique le confirment, mais aucune voix autorisée au cours des siècles précédents ne contredit la leur. Le concile de Nicée, contrairement à ce qu'a fait trop souvent supposer le légendaire épisode de Paphnuce, n'a pas laissé les clercs libres d'user du mariage, mais a voté une loi sur les cohabitations féminines qui suppose avec assez de certitude la discipline de la continence parfaite.

Néanmoins, la tradition des Eglises orientales qui admettent à l'ordination des hommes mariés et ne leur demandent par la suite qu'une continence temporaire pose une question de grande actualité à laquelle il est auparavant nécessaire de répondre. A ce sujet, le document essentiel est celui du concile Quinisexte, dit in-Trullo, qui reste, comme on l'a justement souligné, « le dernier mot de la discipline ecclésiastique pour l'Eglise grecque (48) ». C'en est aussi le premier. Car avant ce concile tenu à la fin du 7ème siècle à Constantinople aucun synode oriental, il faut le dire, ne vota une loi contraire aux règlements sur la continence parfaite des membres supérieurs du clergé, tels que nous les connaissons par les textes que nous avons rencontrés dans les siècles antérieurs. L'assemblée byzantine de 691 adopta sept canons relatifs au mariage et à la continence des clercs, en conservant plus d'un usage conforme à ceux de l'Eglise universelle. Elle exigea en particulier la séparation de l'évêque marié d'avec son épouse (c. 12 et 48), et interdit aux prêtres comme aux diacres de contracter mariage après leur ordination (c. 3 et 6). Mais sur le point de la continence requise des prêtres et diacres mariés, les Pères réunis « sous la Coupole » innovent, en autorisant ces clercs à garder leurs épouses et à n'observer qu'une continence temporaire (c. 13). Tout en assurant vouloir se conformer « à l'antique règle de la stricte observation et de la discipline apostolique », ils montrent par les références mêmes qu'ils citent pour justifier leur décision qu'ils s'écartent de la ligne primitive. Deux autorités traditionnelles, en effet, sont invoquées par le canon trullien : le concile de Carthage de 390 et le 6ème des canons dits « apostoliques ». A propos de ces derniers, leur caractère apocryphe ne permet pas de les reconnaître comme un témoin sûr de la discipline. Qui plus est, alors qu'on peut lire dans le 6ème canon : « Qu'aucun évêque, prêtre ou diacre ne renvoie son épouse sous prétexte de piété... », le concile Quinisexte, lui, ne parle plus que des prêtres et des diacres, et cette omission intentionnelle laisse perplexe. D'autre part, la citation du canon de Carthage, empruntée au Codex canonum Ecclesiae Africanae de 419, est, elle aussi, l'objet d'une modification. Là où les Pères africains disent : « Il convient que les saints évêques et les prêtres de Dieu, ainsi que les lévites... observent une continence parfaite », les Byzantins corrigent, et décident « que les sous-diacres,..., les diacres et les prêtres aussi, s'abstiennent de leurs femmes pendant les périodes qui leur sont particulièrement (assignées ) » (kata tous idious orous). Ainsi, la mention des évêques a disparu, et la continence demandée aux clercs « qui touchent aux saints mystères » n'est plus que temporaire. Y a-t-il erreur de traduction, ou truquage ? Il n'est pas facile de répondre. Quoi qu'il en soit, le témoin principal sur lequel s'appuie le Concile in-Trullo pour justifier l'usage du mariage pour les prêtres, diacres et sous-diacres, est en fait un document conciliaire qui, de façon incontestable, demande à ceux-ci la continence parfaite et fait remonter cette obligation aux origines de l'Eglise.

L'objectivité historique ne paraît donc pas pouvoir fonder avec la certitude qui serait nécessaire l'hypothèse selon laquelle les Eglises d'Orient dépendraient d'une tradition apostolique, alors que la discipline de la continence parfaite dans l'Eglise latine serait le fruit d'une évolution tardive. Tout indique plutôt le contraire, comme nous le verrons encore mieux plus loin. C'est l'Eglise latine qui a conservé, sur le point de la continence parfaite pour les évêques, prêtres et diacres, la tradition de l'Eglise indivise, inaugurée par les Apôtres, tandis que les évêques orientaux de la fin du 7ème siècle, en raison de circonstances particulières, s'en démarquent et orientent l'avenir de leur clergé dans une direction nouvelle (49).

En dépit de leurs entorses au canon africain, les Pères byzantins de 691 s'y réfèrent comme à un jalon essentiel pour remonter aux temps apostoliques, et montrent par là toute l'importance du concile de Carthage de 390 pour l'histoire de la loi sur la continence sacerdotale.

 

II- SYNTHESE HISTORIQUE

 

Remarques préliminaires

 

La partie analytique d'une étude sur le célibat des clercs aux origines de l'Eglise comporte, comme on vient de le voir, un inventaire critique et aussi complet que possible des documents qui, d'une manière ou d'une autre, touchent à la question. Les limites de cet article imposent un choix. Mais les textes retenus ici sont les pièces principales du dossier, et permettent de vérifier l'application du principe fondamental de la recherche historique énoncé plus haut : tirer des textes tout ce qu'ils contiennent, et ne rien ajouter qu'ils ne contiennent pas. C'est ainsi qu'on ne peut faire dire au 33ème canon du concile d'Elvire plus qu'il ne contient en affirmant indûment qu'il marque un tournant dans la législation sur la continence des clercs ; et c'est respecter le contenu spécifique des décrétales de Sirice et du concile de Carthage que de prendre en compte la revendication à l'apostolicité qui s'y affirme. C'est également être fidèle aux déclarations du concile Quinisexte de 691 que d'en souligner le lien avec la tradition apostolique par l'intermédiaire des conciles africains, et d'en noter objectivement l'originalité par rapport à la discipline antérieure. Ces quelques problèmes, et bien d'autres encore, — tels l'élimination de pièces suspectes comme la prétendue intervention de Paphnuce au concile de Nicée, ou la détermination du sens authentique des textes par le recours à la philologie ou à l'étude comparative —, attestent la nécessité d'une analyse rigoureuse.

L'historien, comme l'architecte, rassemble ses matériaux en fonction d'un tout. Mais tandis que celui-ci ne perd jamais de vue le plan qu'il a conçu, et procède librement au tri de ce qui est nécessaire à la construction, il n'en va pas tout à fait de même pour l'historien. Le plan d'ensemble n'est pas chez lui un a priori, mais se dégage lentement dans son esprit au fur et à mesure de la découverte et de l'analyse des données que lui fournit l'histoire. Parce qu'il a déjà appartenu à un ensemble, aujourd'hui à reconstituer, le document est par lui-même essentiellement « relatif-à », et c'est la prise de conscience de cette relation qui met le chercheur sur la voie de la synthèse. Ce caractère relationnel du document n'est pas toujours discernable au premier abord, et il nécessite dans tous les cas une vérification ; ce n'est en définitive qu'après un long travail de rapprochement et de comparaison des textes entre eux, et d'ajustement des pièces les unes par rapport aux autres et avec le contexte, que le plan confusément entrevu dans un premier temps de la recherche prend les contours plus précis qui annoncent la synthèse. S'il est vrai que l'histoire est inséparable de l'historien, c'est par ce va-et-vient constant entre le réel qui peu à peu se révèle et l'hypothèse critique d'elle-même qui, à chaque pas, interroge, se reprend et n'a de cesse qu'elle ait rétabli entre tous les témoignages le réseau de relations qui donne sens. La part de subjectivité inhérente à la démarche n'empêche pas une soumission totale à la vérité de cette histoire qui a un jour existé en dehors de l'esprit qui la cherche, elle la favorise même, par l'inquiétude qu'elle entretient et l'insatisfaction foncière jusqu'à l'étape finale. Plus qu'un architecte, pourrait-on dire, l'historien des premiers siècles de l'Eglise est un archéologue. Les fouilles qu'il met au jour et qu'il voit s'organiser sous ses yeux, grâce certes à son travail personnel, sont désormais là, détachées de lui, à la disposition du public qui peut en juger et imaginer pour son propre compte la reconstruction qu'elles suggèrent. Au terme de notre partie analytique, nous pouvons déjà avoir une certaine idée de la façon dont les divers documents étudiés s'agencent mutuellement, et la reconstitution d'une histoire de la continence parfaite des clercs ayant son point de départ au temps des apôtres apparaît déjà comme l'aboutissement normal d'un faisceau de témoignages convergents.

 

La tradition orale

 

Il faut toutefois aller plus loin, et s'efforcer d'acquérir encore plus de certitude. La rareté des documents aux trois premiers siècles de l'Eglise indique qu'il serait vain de partir à la recherche de textes jusqu'ici introuvables prouvant sans conteste possible que la discipline de la continence parfaite remonte bien aux Apôtres, comme le veulent Sirice et les Africains du 4ème siècle. Partant de cette constatation, plusieurs refusent de se prononcer, mais sans toujours se rendre compte que ce refus par lui-même implique une prise de position, puisqu'il équivaut à rejeter dans l'inconnaissable une période capitale de l'histoire de l'Eglise et du célibat et à en inférer que les choses ont seulement commencé d'exister à partir du moment où elles ont laissé des traces écrites dans les documents. Or, il faut se souvenir ici d'un point capital dans le développement du christianisme : à côté de la tradition écrite, qui a fixé dans des livres la prédication des Apôtres, et étroitement liée à elle, existe aussi une tradition orale. Transmise par les Apôtres à leurs successeurs, confiée ensuite par ceux-ci à des hommes également sûrs, et prenant corps parfois dans des institutions qui en restent comme la mémoire permanente, cette tradition non écrite est parvenue jusqu'à nous et se fera entendre de la même manière jusqu'à la fin des temps. L'existence en est attestée par saint Paul dans deux de ses épîtres. Dans la deuxième aux Thessaloniciens, il recommande aux fidèles : « Frères, tenez bon, gardez fermement les traditions que vous avez apprises de nous, de vive voix ou par lettre » (2 Th 2, 15) ; et aux Chrétiens de Corinthe, il adresse ce compliment : « Je vous félicite de ce qu'en toutes choses vous vous souvenez de moi et gardez les traditions, telles que je vous les ai transmises » (1 Co 11, 2). Les écrivains patristiques font souvent référence à ces paroles de saint Paul, et tous expriment la même conviction : c'est demeurer dans l'ordre apostolique que de s'attacher aux traditions reçues « de vive voix. » (50)

 

Si le domaine des traditions non écrites est avant tout celui des vérités de foi, la part qui revient aux usages touchant la discipline et la vie liturgique dans ce dépôt apostolique transmis oralement reste considérable. On a pu aller jusqu'à dire que « l'idée de traditions non écrites paraît surtout être née d'une réflexion sur la discipline et le culte ecclésiastiques. » (51) Certaines de ces traditions ne connurent qu'une brève existence, mais d'autres se renforcèrent avec le temps, un phénomène que l'on observe en particulier pour les usages qui impliquent des positions doctrinales : le baptême des petits enfants, par exemple, lié au dogme du péché originel ; ou encore l'habitude de prier pour les défunts, qui comporte un enseignement implicite sur le purgatoire.

 

C'est à une tradition apostolique de ce type que nous renvoient les témoignages du 4ème siècle et de l'époque patristique dans son ensemble. En effet, les raisons invoquées pour justifier la discipline de la continence parfaite pour le clergé supérieur sont, outre la fidélité à la tradition, des considérations qui touchent à la doctrine : fonction d'intercession du ministère sacerdotal, rapport entre la continence et l'efficacité de la prière, supériorité de la virginité et de la continence sur le mariage. Sur ces divers points, la discipline byzantine qui se définit au concile in-Trullo de 691 est elle-même en parfait accord avec toute la pensée patristique (52).

 

Se demander, comme nous y invitent les Pères, si la discipline de la continence parfaite pour les évêques, prêtres et diacres n'est pas, à l'instar du baptême des petits enfants et de la prière pour les morts, une tradition non écrite d'origine apostolique est une question non seulement légitime mais qu'il n'est pas scientifique d'éluder. Il faut insister sur l'importance de ces traditions orales dans le développement organique de la vie de l'Eglise. En tenir compte n'est pas être infidèle à la méthode historique, comme le craignent certains pour qui seul le document écrit fait loi, mais c'est au contraire doter celle-ci de l'outil de recherche le plus approprié à son objet pour les premiers siècles du christianisme. Les sous-estimer, en revanche, c'est se priver d'un instrument de connaissance utile, — et peut-être unique —, grâce auquel on peut savoir ce qui a été vécu dans l'Eglise avant même d'être dit, et surtout écrit (53).

 

Le recours aux traditions non écrites pour l'élucidation d'un point d'histoire de l'Eglise peut donc être reconnu comme une exigence propre de la méthode historique. Si l'historien, pour ce faire, doit se doubler d'un théologien, ce n'est pas au détriment de la valeur de la méthode, mais c'est la condition même d'une spécificité requise par l'objet de la recherche.

 

Le principe augustinien sur les traditions apostoliques

 

Il est temps de faire un pas de plus, et d'essayer de discerner à quelles conditions il est possible de déterminer si une tradition est vraiment d'origine apostolique. Nul n'a mieux répondu à cette question que saint Augustin, lorsque, dans sa controverse avec les Donatistes, il énonça un principe devenu fondamental en théologie historique :

« Ce qui est gardé par toute l'Eglise et a toujours été maintenu, sans avoir été établi par les conciles, est regardé à très juste titre comme n'ayant pu être transmis que par l'autorité apostolique » (54)

 

La valeur de ce principe augustinien tient essentiellement au fait que la fidélité envers la tradition des origines constitue la règle de vie ecclésiale des premiers siècles. La tendance générale de l'époque patristique est de garder, de conserver le dépôt transmis, et non d'innover ; à telle enseigne que les hérétiques eux-mêmes cherchaient à couvrir leurs nouveautés du manteau des Apôtres. En formulant son principe, l'évêque d'Hippone reconnaît que cette tendance garantit la possibilité de remonter à la source apostolique, tout en précisant les conditions nécessaires pour éliminer les risques d'erreur. Celles-ci sont au nombre de deux : il faut qu'un point de doctrine ou de discipline ait été « gardé par toute l'Eglise », et qu'il « ait toujours été maintenu. »

 

La partie synthétique de notre étude consiste ainsi à vérifier dans quelle mesure la discipline de la continence parfaite des clercs attestée par les documents à partir du 4ème siècle peut être dite avoir été « gardée par toute l'Eglise » et si oui ou non elle a été « toujours maintenue. »

 

Une discipline « gardée par toute l'Eglise »

 

Les principales conditions à remplir pour qu'un point de doctrine ou de discipline puisse être considéré comme « gardé par toute l'Eglise » à une époque donnée de son histoire sont, à mon avis, les suivantes :

 

1) On se demandera d'abord si, pour la période envisagée, un grand nombre d'hommes jouissant d'une grande autorité morale et intellectuelle dans l'Eglise partagent sur le point en question les mêmes sentiments. Pour les premiers siècles, il s'agit des Pères les plus influents, des docteurs les plus célèbres, des évêques les plus en vue, à qui leurs contemporains comme la postérité reconnaissent une valeur exceptionnelle. Il n'est pas nécessaire de recueillir la totalité de leurs témoignages ; on peut se contenter de l'accord représenté par ceux qui ont un rôle de premier plan, comme étant les porte-paroles de beaucoup d'autres.

2) On se demandera également si le point en question est gardé par les Eglises apostoliques, c'est-à-dire avant tout par les Eglises qui ont été personnellement fondées par les Apôtres (Rome, Alexandrie, Antioche, Ephèse...), ou encore par les Eglises qui, sans avoir été fondées par les Apôtres, proviennent des premières par voie de fondation directe ou manifestent une « consanguinité de doctrine » qui les maintient en communion avec elles. C'est à leur sujet que Bellarmin écrit : « On doit croire, sans l'ombre d'un doute, qu'une chose vient d'une tradition apostolique si elle est tenue pour telle dans les Eglises où existe une succession sans faille et continue depuis les Apôtres. » (55)

Sur des points importants de doctrine ou de discipline, il est en effet difficilement pensable que des divergences sensibles se produisent entre les Eglises apostoliques, aussi longtemps qu'elles conservent entre elles le lien de l'unité et la communion avec Rome, comme ce fut le cas pendant les premiers siècles. Certes, cette communion s'accommode fort bien, s'enrichit même, d'une diversité d'usages. Mais il n'en va pas de même pour les questions importantes, comme c'est le cas pour la discipline de la continence parfaite des clercs, considérée à l'époque comme engageant des prises de position scripturaires et doctrinales. L'accord des Eglises apostoliques est donc essentiel pour vérifier les titres de cette discipline à l’apostolicité.

3) On se demandera enfin si le point en question est gardé par l'ensemble des évêques, c'est-à-dire par ceux qui, dans l'Eglise, ont été établis successeurs des Apôtres et détiennent, par la grâce de l'Esprit comme la bouture de la semence apostolique (56). L'unanimité des évêques sur une question de doctrine ou de discipline se constate, dans les synodes et assemblées épiscopales qui se réunissent pour en traiter et où sont prises en commun les décisions jugées conformes à la tradition. Elles se vérifient tout spécialement dans les conciles généraux, ou oecuméniques, lesquels « possèdent le caractère d'infaillibilité dans les décisions dogmatiques et de souveraineté sans appel dans les décisions disciplinaires. » (57) Ceci est d'autant plus vrai que le facteur essentiel qui confère au collège des évêques leur autorité est le lien d'unité avec le Pontife romain. Successeur de Pierre, chef de l'Eglise fondée « par les deux très glorieux apôtres Pierre et Paul » (saint Irénée), l'évêque de Rome est reconnu pour être le gardien par excellence de la tradition apostolique. Non seulement « il n'y a jamais de Concile oecuménique qui ne soit comme tel confirmé, ou au moins reçu par le successeur de Pierre » (58), mais il n'y a pas de question importante intéressant la vie des Eglises qui puisse être tranchée sans qu'on ait pris son avis, comme le constatait l'historien byzantin Socrate au 5ème siècle. L'histoire des nombreux recours au « Siège apostolique », — titre qui, sans autre détermination, désigna très tôt la ville où Pierre avait siégé —, tant de la part des Orientaux que des Occidentaux, aux premiers siècles de l'Eglise, est une illustration de cette prééminence reconnue à l'évêque de Rome et du rôle unique qu'il exerça pour identifier les vraies traditions. C'est donc une valeur particulière qu'il convient d'accorder aux déclarations des évêques collégialement unis à l'évêque de Rome, ainsi qu'à celles du Siège apostolique lui-même, quand elles se réclament d'une tradition remontant aux Apôtres.

 

En se reportant à la partie analytique de cette étude, on pourra constater que ces conditions se trouvent amplement réalisées ; il est possible de répondre par l'affirmative à la question de savoir si la discipline de la continence parfaite des clercs était « gardée par toute l'Eglise » au 4ème siècle. Nous avons d'une part le témoignage d'hommes jouissant d'une grande autorité morale, comme Eusèbe de Césarée, saint Cyrille de Jérusalem, saint Ephrem, saint Epiphane, saint Ambroise, l'Ambrosiaster, saint Jérôme, et bien entendu le pape Sirice (59). Tous sont d'accord pour voir dans la discipline en question une tradition d'origine apostolique, et aucune voix influente ne leur inflige un démenti (60).

Pour ce qui est des Eglises apostoliques, le témoignage de l'Eglise de Rome est garanti par les décrétales de Sirice ; au dire de saint Irénée, nous pourrions nous en tenir à elle « car avec cette Eglise (de Rome), en raison de son origine plus excellente, doit nécessairement s'accorder toute Eglise, c'est-à-dire les fidèles de partout, — elle en qui toujours, au bénéfice de ces gens de partout, a été conservée la Tradition qui vient des Apôtres. » (61) Mais nous avons aussi le témoignage de saint Jérôme, qu'il n'y a pas lieu de récuser, affirmant à Bethléem que « les Eglises d'Orient, d'Egypte et du Siège apostolique » tiennent fermement la discipline de la continence parfaite pour le clergé. Nous avons encore le témoignage de certaines Eglises, comme l'Eglise d'Afrique, l'Eglise d'Espagne et l'Eglise des Gaules qui, sans avoir été fondées par les Apôtres (sauf peut-être celle d'Espagne), n'en sont pas moins apostoliques au sens défini plus haut, par filiation directe et par « consanguinité de doctrine ». Et enfin il existe, comme je l'ai fait remarquer à propos de la dynastie grégoride, une forte présomption pour penser que l'Eglise d'Arménie, au 4ème siècle, est elle aussi un témoin de l'existence et de l'antiquité de la même discipline pour la préfecture d'Orient. En sens inverse, il n'existe aucune Eglise apostolique dont le témoignage pourrait être invoqué comme attestant une discipline différente, c'est-à-dire la reconnaissance du droit à user du mariage pour les évêques, prêtres et diacres mariés avant l’ordination.

La vérification, en dernier lieu, à partir des décisions conciliaires, apporte une troisième et importante confirmation : le concile d'Elvire, loin de marquer un « tournant », révèle au contraire l'existence d'une discipline antérieure ; le concile de Carthage de 390, pour sa part, montre que l'épiscopat africain, en communion avec Rome, se porte témoin de l'origine apostolique de la tradition de la continence parfaite pour le clergé ; quant au premier concile oecuménique de Nicée, l'interprétation constante de son 3ème canon par les papes et les conciles ultérieurs indique avec assez de certitude, comme nous l'avons vu, qu'en autorisant la cohabitation des clercs avec « les femmes au-dessus de tout soupçon », le concile désignait par là les épouses ayant fait profession de continence parfaite pu celles qui avaient notoirement cessé la vie conjugale avec leur époux ordonné, et atteste ainsi l'ancienneté de la discipline. En sens inverse, il n'est aucun concile particulier de cette période dont on puisse dire qu'il témoigne sûrement de l'existence d'une tradition différente (62).

 

Une discipline qui a « toujours été maintenue »

 

On peut ensuite considérer qu'un point de doctrine ou de discipline a « toujours été maintenu » dans l'Eglise lorsque se trouvent réalisées les conditions suivantes :

 

1) Si, entre le moment où on peut observer avec suffisamment de certitude que ce point est « gardé par toute l'Eglise » et les origines chrétiennes, aucune décision émanant d'une instance hiérarchique autorisée ne prouve l'existence antérieure d'une croyance ou d'une pratique contraire. Cette instance hiérarchique ne pourrait être, dans ce cas, qu'un concile oecuménique, dont « les décisions possèdent le caractère d'infaillibilité dans les questions dogmatiques et de souveraineté sans appel dans les questions disciplinaires », ou, pour les mêmes raisons, le Siège apostolique. Des décisions de conciles particuliers qui seraient éventuellement contraires à ce point de doctrine ou de discipline ne suffiraient pas à affirmer qu'il n'a pas « toujours été maintenu » dans toute l'Eglise, étant donné la portée limitée, dans le temps et l'espace, de ces synodes.

2) Si, au cours de la même période, le point en question n'a jamais fait l'objet d'une contestation au nom d'une tradition contraire de la part d'Eglises apostoliques. S'il y a eu contestation, il faut examiner si celle-ci aboutit à la reconnaissance de deux traditions parallèles, comme ce fut le cas dans la querelle quarto-décimane, qui en l'an 154 opposa Polycarpe de Smyrne et le pape Anicet sur la question de la date de Pâques (63), ou au rejet de l'une des deux, comme ce fut le cas dans la controverse baptismale où se disputa entre Rome et Carthage la question de savoir s'il fallait rebaptiser les hérétiques convertis au catholicisme (64). Quand le point en question n'est contesté que par des particuliers, ou par des groupes séparés des Eglises apostoliques, la possibilité d'une tradition ininterrompue depuis les origines n'est pas mise en cause. Il y a toujours eu, dès les débuts du christianisme, des gens pour refuser tel ou tel aspect du dépôt reçu des Apôtres au nom d'une autre tradition prétendument apostolique, mais leurs assertions n'engageaient qu'eux-mêmes. Helvédius et Jovinien ont contesté le bien-fondé de la continence sacerdotale, mais c'est seulement au cas où une contestation aurait été soulevée de la part d'une Eglise apostolique, au cours des quatre premiers siècles, qu'il conviendrait de mettre sérieusement en doute les témoignages permettant de penser que cette discipline « a toujours été maintenue ». Un raisonnement analogue s'impose pour les Eglises qui furent entraînées dans l'hérésie ou la dissidence, et, de façon historiquement vérifiable, prirent leur autonomie sur le plan doctrinal ou disciplinaire (Eglises novatiennes, ariennes, nestoriennes,... ).

3) Si le point en question ne se trouve pas en contradiction formelle avec un texte de l'Ecriture, car il ne pourrait y avoir tradition apostolique là où il y aurait désaccord avec la Parole de Dieu écrite. Les traditions confiées oralement parles Apôtres à leurs successeurs, alors même qu'elles ne sont pas contenues sous une forme ou sous une autre dans la Sainte Ecriture, sont néanmoins en harmonie profonde avec l'enseignement de l'Ancien et du Nouveau Testaments. Il n'est pas concevable que les Apôtres aient demandé l'observation de quelque chose qui aille à l'encontre des Ecritures, surtout quand il s'agit des Ecritures qui ont fixé une partie de la prédication de ces mêmes Apôtres, comme le sont les livres du Nouveau Testament. En d'autres termes, si une pratique était contredite par l'Ecriture, elle serait contredite par les Apôtres eux-mêmes. Croire que cette pratique « a toujours été maintenue » et lui chercher des titres à l'apostolicité serait une gageure. Il importe également de se rappeler que l'interprétation authentique de l'Ecriture se fait au sein de la Tradition vivante, et qu'en particulier, le sens de certains textes par eux-mêmes susceptibles d'explications diverses et parfois contradictoires ne peut être déterminé avec certitude que le magistère de l'Eglise, exercé par des hommes qui, héritiers de l'enseignement total des Apôtres, sont à même de « lire et (d')interpréter l'Ecriture sainte avec le même Esprit qui l'a fait écrire » (65), et d'élucider sans ambiguïté ce qu'ont voulu dire les auteurs inspirés, et notamment les Apôtres.

 

Nous avons vu que les documents du concile de Nicée, — le seul concile oecuménique du 4ème siècle qui se soit occupé de la chasteté des clercs —, non seulement ne renferment aucune décision permettant de nier l'existence antérieure de la discipline de la continence sacerdotale, mais nous donnent à son sujet, avec le 3ème canon, un indice assez sûr d'ancienneté. Du côté des Eglises apostoliques, nous ne trouvons au cours des quatre premiers siècles aucune trace d'une tradition contraire. Quand on voit que pour la seule question de la date de Pâques, on en vint à un réel affrontement entre les Eglises d'Asie et le Siège apostolique, l'absence de tout désaccord à propos de la continence sacerdotale dans les annales des premiers siècles est à noter. Ceci est particulièrement remarquable lors de la publication des décrétales de Sirice en 385-386, lesquelles ne suscitent aucune protestation de la part des Eglises apostoliques, ni en Occident ni en Orient. L'Eglise d'Afrique, si fermement attachée à ses propres traditions et au concile de Nicée, confirme au contraire par son témoignage indépendant les affirmations du pontife romain. Il faudra attendre la fin du 5ème siècle pour assister à un premier clivage disciplinaire : l'Eglise persane, à partir de 484, autorise le mariage des clercs à tous les degrés de la hiérarchie. Mais, outre que nous sommes déjà au Sème siècle, cette Eglise passée au nestorianisme aux lendemains du concile de Chalcédoine (451) ne peut être considérée comme une Eglise apostolique. Quant à la discipline particulière qui sera légalisée par le concile Quinisexte de 691, la date tardive de ce concile ne permet pas de le faire intervenir dans l'examen des conditions requises pour vérifier si la continence parfaite du clergé a « toujours été maintenue » dans l'Eglise, cet examen portant sur la période allant du 4ème siècle aux origines du christianisme. Nous avons vu par ailleurs que les Pères byzantins de 691 se réfèrent au concile de Carthage de 390, comme à un chaînon essentiel de leur tradition.

 

La troisième condition,  selon laquelle il convient de se demander si le point en question ne se trouve pas contredit par l'Ecriture nous invite à examiner par priorité les objections qui furent soulevées du temps de Sirice, puisque ce sont les premières dont l'histoire ait gardé le souvenir. Elles sont au nombre de deux :

 

1 — Du moment que les Lévites de l'Ancien Testament pouvaient continuer à engendrer des enfants, pourquoi l'interdire aux prêtres de la Nouvelle Alliance ? La réponse de Sirice est basée sur un a fortiori. Le Christ est venu parfaire la Loi, et la chasteté de ses ministres est du même coup devenue plus parfaite. De même, si saint Paul recommande aux époux de s'abstenir l'un de l'autre pour vaquer à la prière, à combien plus forte raison le prêtre, chargé d'une prière continuelle pour le peuple de Dieu, devra-t-il s'abstenir en permanence des rapports conjugaux. La question qui se pose à un esprit moderne est celle de la justesse de cet a fortiori, qui semble trop abonder dans le sens d'une conception judaïsante du sacré et d'une pureté essentiellement rituelle. En fait, il convient d'abord de remarquer qu'il n'y a pas eu solution de continuité entre l'économie vétérotestamentaire et le régime de la Loi nouvelle. Conformément au principe fondamental énoncé par le Seigneur : « Je ne suis pas venu abolir, mais parfaire », les structures de la primitive Eglise se sont édifiées sur les assises institutionnelles de l'Ancien Testament. Si le modèle lévitique exerça une influence sur l'organisation de la hiérarchie ecclésiastique, ce ne fut pas par suite d'une régression à un stade pré-chrétien, mais en vertu d'une logique profonde de continuité qui commença à déployer ses conséquences aux origines mêmes du christianisme. On peut comprendre, dans ces conditions, que les contestataires du 4ème siècle aient pu encore chercher à s'inspirer de ce modèle lévitique, et que les législateurs aient pris au sérieux l'objection. Mais il faut surtout remarquer que la continuité institutionnelle s'accompagne d'un changement qualitatif radical avec la nouveauté du sacerdoce chrétien inauguré par Jésus. Cette nouveauté, mise en pleine lumière par la réflexion théologique de l'épître aux Hébreux (66), entraîne également une vision nouvelle des exigences propres aux ministres associés à la médiation de Celui qui est désormais le Prêtre unique. « Tout grand prêtre, en effet, pris d'entre les hommes, est établi pour intervenir en faveur des hommes dans leurs relations avec Dieu, afin d'offrir dons et sacrifices pour les péchés » (He 5, 1). Nouveau Moïse, le Christ est l'unique et souverain médiateur à qui tous les autres prêtres, associés à sa prière sacrificielle, doivent maintenant prêter le concours de leur intercession, et c'est cette fonction d'intercession qui devient à l'époque patristique la motivation principale (mais non unique) pour réclamer des évêques, prêtres et diacres la continence parfaite (67). L'accent n'est plus mis sur la pureté rituelle, mais sur l'engagement existentiel requis pour l'exercice efficace de la prière salvifique du prêtre de Jésus-Christ. Tout entier à sa fonction, celui-ci ne pourrait que la compromettre en s'adonnant à des activités qui, bonnes en elles-mêmes, ne sont plus de mise dans le dialogue avec le Dieu transcendant. Le mariage est saint, et l'Eglise des premiers siècles ne cessera jamais de défendre ce point de doctrine contre les hérésies qui prétendaient le contraire. Mais elle soutiendra avec la même force que la continence est supérieure à l'usage du mariage dès lors qu'il s'agît de remplir des fonctions d'un tout autre ordre que celles de la génération terrestre. Ces deux points, — la sainteté du mariage et la nécessité de la continence parfaite pour le prêtre chargé « d'intervenir en faveur des hommes dans leurs relations avec Dieu » —, les Pères les tiennent ensemble, sans jamais les séparer, et il faut de notre côté les garder présents simultanément à l'esprit pour éviter de regrettables contresens sur leur pensée, voire sur leurs expressions (68).

 

2 — La deuxième objection scripturaire formulée au temps de Sirice était tirée de la recommandation paulinienne à Timothée et à Tite sur le choix des épiscopes, presbytes et diacres. L'expression « mari d'une seule femme » n'implique-t-elle pas normalement le droit à user du mariage pour les monogames ainsi admis aux ordres ? Nous connaissons la réponse de Sirice, qui sera entérinée par ses successeurs : Paul n'a pas parlé d'un homme qui persisterait dans le désir d'engendrer, mais propter continentiam futuram.

Remarquons d'abord que le pape accepte de répondre à l'objection parce qu'il est bien conscient des conséquences que l'interprétation de ces textes pauliniens pouvait avoir sur la conception à se faire de l'origine de la continence sacerdotale. S'il n'essaye pas d'argumenter à l'aide des passages évangéliques sur le renoncement requis pour s'attacher totalement au Seigneur (Lc 14, 26 ; 18, 29), ou sur les « eunuques » volontaires (Mt 19, 11-12), c'est sans doute parce que la perspective envisagée dans ces textes est celle d'une option libre, faite en fonction d'un charisme personnel. Or, ce que veut montrer le pontife romain, c'est que la continence parfaite dont il rappelle l'obligation n'était pas à l'origine quelque chose de simplement conseillé, mais un mode de vie positivement voulu par l'Apôtre qui, le premier, fixa par écrit les qualités qu'il convenait d'exiger des ministres de l'Eglise. Il concentre donc son raisonnement sur l'exégèse de l'expression « mari d'une seule femme », en y lisant implicitement le devoir de continence pour l'homme marié admis aux ordres.

Cette exégèse joua un grand rôle dans le recrutement du clergé aux premiers siècles de l'Eglise. Elle est reprise par les successeurs de Sirice et d'assez nombreux écrivains patriotiques ; on peut supposer qu'elle était généralement admise à l'époque, car on ne rencontre chez les Pères aucune opinion contradictoire (69).

Que pouvons-nous penser aujourd'hui de cette herméneutique, insolite, il faut bien le dire, pour nos esprits modernes ? Dans leur grande majorité, les exégètes contemporains commentent la consigne de saint Paul à Timothée et à Tite en discutant sur les conditions préalables requises pour l'admission aux ordres : la formule « homme d'une seule femme » vise-t-elle les hommes remariés, ou simplement les polygames ? (70) Mais ces deux types d'interprétation, entre lesquels se partageaient déjà les écrivains patristiques, laissent de côté la question du mode de vie exigé des hommes mariés après leur ordination. En écrivant : « homme d'une seule femme », Paul a-t-il parlé d'un homme « qui persisterait dans le désir d'engendrer », comme on l'objectait au pape Sirice, ou a-t-il parlé « en vue de la continence que cet homme aurait à pratiquer (propter continentiam futuram) ? » La question est généralement passée sous silence parce qu'il va de soi, estime-t-on, qu'en autorisant les hommes mariés à devenir ministres de l'Eglise ; l'Apôtre leur reconnaissait le droit d'user du mariage. Or, toute notre étude sur l'histoire des premiers siècles montre au contraire que le sentiment d'un grand nombre de représentants de l'époque patristique était à l'opposé. Si les législateurs, à partir du 4ème siècle, ont codifié la loi de la continence parfaite pour le clergé, et si des générations de diacres, de prêtres et d'évêques mariés ont accepté de vivre le renoncement aux relations conjugales qui leur était demandé, c'était en particulier parce qu'ils avaient sur ce point la conviction que saint Paul lui-même avait indiqué la direction à suivre. Sirice et ses successeurs étaient conscients qu'il leur appartenait « d’interpréter de façon authentique la parole de Dieu, écrite ou transmise » (71), et on ne peut guère les soupçonner d'avoir émis à la légère une interprétation si grosse de conséquences, ou de l'avoir forgée dans le but de se couvrir d'une autorité scripturaire. Il est raisonnable, au contraire, d'accueillir leur exégèse comme une invitation motivée à soumettre la consigne, paulinienne de 1'unius uxoris vir à un nouvel examen, en se demandant si l'Apôtre n'aurait pas eu effectivement en vue « la continence future » des candidats aux ordres. La réponse à cette question d'herméneutique dépend de la connexion, vivement perçue depuis Vatican II, entre Tradition, Ecriture et Magistère de l'Eglise ; il me paraît certain que, pour avoir joué un rôle important dans l'histoire des origines du célibat sacerdotal, ce texte paulinien peut aussi servir aujourd'hui à se faire de cette histoire une idée plus juste.

Le Père I. de la Potterie a fait ressortir, de façon très éclairante, la richesse biblique et théologique de l'expression « homme d'une seule femme », en montrant qu'il s'agit d'une formule d'Alliance. Le prêtre, comme le Christ, est devenu l'époux de l'Eglise unique, et cette relation sponsale exclut tout autre lien conjugal. Même les relations sexuelles au sein d'un mariage légitime apparaissent comme une « violation du lien matrimonial » avec l'Epouse du Christ pour celui qui, par l'ordination, est devenu « l'homme de (cette) femme unique. » (72)

Notre propos étant ici de vérifier autant qu'il est possible de le faire la justesse de l'exégèse de Sirice, il convient également d'attirer l'attention sur le parallélisme de deux expressions dans la même épître à Timothée. Le « unius uxoris vir » du 3ème chapitre a en effet son exact correspondant dans le règlement concernant les veuves, au chapitre 5ème. Celles-ci doivent être « unius viri uxor ». S'agissant de veuves, il est clair que saint Paul fait allusion à une situation matrimoniale révolue. Le rapprochement avec la consigne pour le choix des épiscopes est suggestif, bien qu'il n'ait pas toujours été souligné comme il le mérite. Saint Paul n'a-t-il pas en vue des situations similaires ? Si ces femmes « épouses d'un seul homme », dont il est ici question, sont bien évidemment des veuves, les « hommes d'une seule femme » ne seraient-ils pas aussi, dans l'esprit de l'Apôtre, des hommes actuellement libérés du lien matrimonial par la mort de leur épouse ? On remarquera aussi le silence des épîtres à Timothée et à Tite sur une éventuelle épouse de l'épiscope. Alors qu'elles insistent sur la bonne conduite de ses enfants, elles ne disent mot de sa conjointe, dont la réputation importe au moins autant, sinon davantage, à celle du chef de la Communauté. Ces divers indices permettent de penser que saint Paul avait probablement envisagé de préférence la sélection de monogames veufs pour l'épiscopat. La tournure grammaticale employée par saint Jérôme dans l’Adversus Vigilantium, — qui unam habuerit uxorem —, et celle utilisée par le Testamentum Domini Nostri Jesu Christi, d'origine syriaque, — qui fuit unius uxoris vir —, vont dans le même sens ; elles peuvent être retenus comme des indications supplémentaires (73). Si l'on favorisait cette interprétation, selon laquelle saint Paul aurait demandé qu'on choisisse pour l'épiscopat les veufs qui ne s'étaient pas remariés après la mort de leur première femme, on comprendrait assez bien comment s'est développée par la suite, de façon cohérente, la discipline relative au mariage des clercs: interdiction d'admettre les hommes remariés, interdiction pour les clercs mariés de se remarier après la mort de leur femme, interdiction pour les clercs célibataires de se marier. La continence parfaite pour les clercs supérieurs mariés aurait été conçue, avec la même cohérence, comme découlant du même principe à partir du moment où, à côté des célibataires et des veufs, la primitive Eglise commença à admettre au sacerdoce des hommes dont la femme était encore de ce monde.

Quoi qu'il en soit, ces remarques suffisent pour nous assurer que les déclarations de Sirice et des conciles africains sur l'apostolicité de la continence parfaite des clercs non seulement ne sont pas en contradiction avec l'Ecriture, mais peuvent y trouver un fondement solide. Les objections faites du temps de Sirice à la loi sur la continence étaient tirées, comme on vient de le voir, soit du Lévitique soit des épîtres pauliniennes à Timothée et à Tite. Et pour répondre à ces objections Sirice s'est limité à l'exégèse de ces textes. Il n'est point besoin d'ajouter que les autres passages du Nouveau Testament, fréquemment cités aujourd'hui, sur la virginité ou la continence volontaires pour le Royaume des deux (Mt 19, 10-12 ; 1 Co 7, 29-31 ; 32-36), ou encore sur le renoncement nécessaire pour marcher à la suite du Christ (Lc 14, 26 ; 18; 29), ne sont pas non plus en contradiction avec les affirmations de Sirice et des législateurs qui, à partir du 4ème siècle, réclament du clergé la continence parfaite. Elles peuvent même servir à les corroborer (74).

 

III- CONCLUSION DE L'ETUDE HISTORIQUE

 

L'ensemble des conditions se trouvent donc réunies, semble-t-il, pour pouvoir affirmer raisonnablement que la discipline de la continence parfaite pour les membres supérieurs du clergé était, au 4ème siècle, « gardée par toute l'Eglise » et avait « toujours été maintenue. » Le principe augustinien permettant de reconnaître si une tradition est vraiment d'origine apostolique trouve ici une application adéquate et justifiée. L'analyse des documents et la synthèse historique que nous venons de faire le démontrent, je pense, avec toute la certitude possible.

Précisons encore seulement qu'il s'agit d'une tradition non écrite. Sa force ne tient pas à une expression canonique (il n'y en aura pas, à notre connaissance, avant le 4ème siècle), mais à l'autorité dont jouissaient dans l'Eglise primitive les traditions de vive voix reçues des Apôtres. On aurait tort de la concevoir comme une loi ; on doit plutôt parler d'un germe. Mais il n'est pas nécessaire de supposer de longs délais pour que ce germe fasse sentir ses effets dans l'organisation ecclésiastique. En fait, c'est toute l'Eglise qui, aux temps apostoliques, est encore à l'état de « grain de sénevé » ; la tradition relative à la continence parfaite des clercs s'est développée et explicitée au rythme de la croissance de l'Eglise, sous l'action de l'Esprit-Saint, car elle était déjà tout entière dans l'exemple et l'enseignement des Apôtres lorsque ceux-ci commencèrent à fonder les premières communautés chrétiennes.

« Ut quod apostoli docuerunt, et ipsa servavit antiquitas, nos quoque custodiamus » « Ce que les Apôtres ont enseigné, et ce que l'antiquité elle-même a observé, faisons en sorte, nous aussi, de le garder ». L'affirmation des Pères de Carthage reste pour nous, comme pour les Pères du 4ème siècle, un témoin sûr des origines du célibat sacerdotal.

 

Il faut le reconnaître. Jusqu'à une époque encore récente, les recherches tendant à établir que le célibat sacerdotal remonte aux Apôtres étaient considérées comme vouées d'avance à l'échec. Une tentative de ce genre ne pouvait être qu'une impasse historique. Le changement de perspective, et de mentalité, que suppose l'idée d'une origine apostolique de cette discipline équivaut, on peut bien le dire, à une sorte de révolution sur le plan de l'histoire, surtout quand on mesure les conséquences que ce changement entraîne pour la théologie et la spiritualité sacerdotales.

Nombreux sont encore ceux chez qui cette idée suscite l'étonnement, quand ce n'est pas l'incrédulité ou une fin pure et simple de non recevoir. Il est entendu aux yeux de beaucoup que le célibat des prêtres n'a pu être introduit dans l'Eglise latine qu'à une date tardive, et, ajoute-t-on généralement, pour des motivations étrangères à l'Evangile. Seule la discipline du clergé oriental peut prétendre à plus d'ancienneté. Adoptant une position plus nuancée, certains théologiens et exégètes soulignent à juste titre les fondements scripturaires de la loi, mais ils écartent toutefois l'hypothèse d'une « tradition apostolique », et ne conçoivent la discipline attestée à partir du 4ème siècle que comme le fruit d'une lente évolution, due à l'action progressive du ferment évangélique dans la société chrétienne du temps.

 

La tradition apostolique du célibat sacerdotal a été soutenue Par beaucoup de théologiens et d'historiens au cours des siècles.

 

Il n'en a pas toujours été ainsi. Au cours des siècles, plus d'un historien et d'un théologien catholiques ont reconnu l'origine apostolique du célibat sacerdotal, et soutenu fermement dans leurs écrits ce qui était pour eux non une simple hypothèse, mais une certitude entièrement fondée. La liste en serait trop longue. Mais on aime se souvenir du nom de quelques-uns parmi les plus célèbres : Au 16ème siècle, c'est le jésuite Robert BELLARMIN qui, dans son grand ouvrage Disputationes de Controversiis Christianae fidei adversus hujus temporis haereticos consacre un chapitre entier à la question, intitulé : Coelibatum jure Apostolico rectissime annexum ordinibus sacris ; ce sont aussi César BARONIUS, l'auteur réputé des monumentales Annales Ecclesiastici, et le cardinal Stanislas HOSIUS, au chapitre LVI de sa Confessio catholicae fidei christiana. Au 17ème siècle, nous trouvons Louis THOMASSIN, l'un des meilleurs théologiens de son époque, auteur de l'Ancienne et nouvelle discipline de l'Eglise catholique touchant les Bénéfices et les Bénéficiers (75) ; ou encore le bollandiste Jean STILTINCK, qui fait paraître dans les Acta Sanctorum deux dissertations critiques sur le sujet. Au 18ème siècle, un nom domine les discussions du « Siècle des lumières », celui du jésuite François-Antoine ZACCARIA, professeur d'histoire ecclésiastique au Collège de la Sapience à Rome, qui publie pour défendre le célibat des prêtres contre les violentes attaques dont il était l'objet deux volumes de polémique, mais d'une haute tenue scientifique : Storia polemica del Celibato sacro da contrapporsi ad alcune detestabili opere uscite a questi tempi, et Nuova giustificazione dei celibato sacro..., où il s'attriste de voir combattue « une discipline si sainte, venue des Apôtres, et qui s'est perpétuée jusqu'à, nous de la manière la plus solennelle par les Pères, les Conciles et les Pontifes de l'Eglise romaine ». Au 19ème siècle enfin, sur une liste exceptionnellement fournie, on retiendra le nom d'un théologien hongrois, Augustino DE ROSKOVANY, auteur d'une vaste compilation qui reste encore, malgré ses limites, un précieux ouvrage de référence : Coelibatus et Breviarium : duo gravissima clericorum officia, e monumentis omnium seculorum demonstrata. Accessit completa literatura ; et également celui de l'orientaliste allemand Gustav BICKELL, avec deux articles dans le Zeitschrift für katholische Theologie en 1878 et 1879.

A ces études ex professo, le grand connaisseur des Pères de l'Eglise qu'était John-Henry NEWMAN prête aussi son témoignage : « Il y avait aussi écrit-il, le zèle avec lequel l'Eglise romaine maintenait la doctrine et la règle du célibat, que je reconnaissais comme apostolique, et sa fidélité à bien d'autres coutumes de l'Eglise primitive qui m'étaient chères ; tout ceci plaidait en faveur de la grande Eglise romaine. » (76)

 

La controverse Bickell-Funk de là fin du 19ème siècle:

 

Si tous ces travaux étaient comme tombés dans l'oubli, au point que la seule idée d'une tradition du célibat sacerdotal pouvant remonter aux Apôtres faisait figure d'anachronisme, c'est en grande partie à la suite d'une fameuse controverse qui, à la fin du 19ème siècle, opposa sur cette question deux érudits allemands : Gustav BICKELL, dont je viens de parler, professeur à l'université d'Innsbruck et spécialiste des littératures syriaque et hébraïque, et Frances Xaver FUNK, professeur d'histoire et de théologie à l'université de Tübingen.

Prenant le contre-pied de Bickell, partisan de l'origine apostolique, FUNK soutint que l’Orient avait gardé la tradition primitive, tandis que l'Occident avait à partir du 4ème siècle inauguré une législation jusqu'alors inédite. Bien que la thèse de FUNK n'ait pas fait l'unanimité dans les milieux scientifiques allemands, elle fut diffusée avec beaucoup de succès dans des revues spécialisées, puis dans le grand public, et servit jusqu'à nos jours de référence à la plupart des études historiques sur le célibat des clercs (77). Depuis Vatican II, on s'est de plus en plus rendu compte toutefois que les positions de FUNK étaient loin d'être définitives, comme on avait pu le croire sur la foi de certains, mais qu'elles étaient plus que jamais sujettes à révision (78). Si on prenait le temps en effet de relire honnêtement les longs articles de la controverse Bickell-FUNK, il apparaissait avec évidence que la question ne pouvait être tenue pour tranchée (79). C'est la raison pour laquelle je me suis attaché pour ma part à reprendre entièrement l'examen du dossier patristique sur les origines du célibat, à partir, comme je l'ai dit, de l'orientation nouvelle que le concile de Carthage de 390 me semblait donner à la recherche. Les résultats m'ont convaincu qu'il était nécessaire d'abandonner les idées de FUNK, et de retrouver par-delà le 19ème siècle, sur des bases évidemment plus scientifiques, ce qui avait été la conviction profonde de tant d'érudits catholiques au cours de l'histoire et, à vrai dire, le sentiment commun de toute l'Eglise, Si l'éminent patrologue qu'était FUNK s'est trompé, cela n'enlève rien, il va sans dire, aux mérites que tout le monde s'accorde par ailleurs à lui reconnaître. Mais, amicus Plato, magis amica veritas. Il est peut-être temps de s'apercevoir d'une dérive qui, si elle devait se prolonger, risquerait de compromettre sérieusement l'avenir de la discipline du célibat sacerdotal. Car les erreurs en histoire finissent, tôt ou tard, par se payer cher. La redécouverte des origines apostoliques de cette discipline, en revanche, tout simplement parce que c'est bien ainsi que les choses se sont passées, peut apporter une contribution positive au progrès de la réflexion théologique sur ce sujet de grande actualité et indiquer des voies nouvelles. Changement radical sans doute, mais si on peut parler d'une sorte de révolution, c'est seulement parce qu'il s'agit d'un retour à la source, et de constater que la loi bimillénaire de la continence parfaite des clercs gravite autour d'un centre, d'un foyer de lumière et d'énergie qui n'est autre que le Seigneur Jésus lui-même. Car l'exemple et l'enseignement des Apôtres ne sont naturellement que le reflet et l'écho de ceux du Christ, qui les a appelés à tout quitter pour Le suivre, et a appelé avec eux tous ceux qui, à leur suite, seraient un jour les prêtres de la Nouvelle Alliance. « Il a apporté toute nouveauté, en apportant sa propre personne qui avait été annoncée », disait saint Irénée ; c'est de cette nouveauté que le célibat des prêtres, depuis toujours, tire la sienne, sans craindre les forces de vieillissement qui, à chaque époque, tentent de le réduire.

 

Des origines à nos jours : les principales étapes du développement de la loi du célibat sacerdotal

 

A partir de ce centre, qui est à la fois un point de départ et un point de rayonnement, la chronologie des principales dates de l'histoire de la discipline du célibat sacerdotal peut être précisée de la façon suivante :

 

Au 4ème siècle : Premiers documents législatifs qui, à notre connaissance, témoignent de l'existence d'une discipline de la continence parfaite pour les membres supérieurs du clergé. Ce sont, dans l'ordre :

- Le 33ème canon du concile d'Elvire, de date incertaine, mais généralement situé dans les toutes premières années du 4ème siècle ; ce concile espagnol n'a pas marqué un « tournant », comme on l'a trop souvent répété sans esprit critique à la suite de FUNK, mais atteste au contraire une tradition antérieure, ainsi que le remarquait encore le pape Pie XI dans l'encyclique Ad catholici sacerdotii. (80)

- Les trois décrétales Directa (Sirice, 386), Cum in unum (Sirice, 386) et Dominus inter (Sirice ou Damase), qui rappellent l'obligation de la loi, en garantissant par l'autorité de l'Eglise de Rome, « en qui, toujours, au bénéfice de ces gens de partout, a été conservée la Tradition qui vient des apôtres », qu'il s'agit là d'une norme apostolique.

- Le 2ème canon du concile de Carthage de 390, qui affirme on ne peut plus explicitement : « ce qu'enseignèrent les Apôtres, et ce que l'antiquité elle-même a observé, faisons en sorte, nous aussi, de le garder ». Ce canon, renouvelé ensuite par tous les synodes africains, et notamment par le concile général de l'Eglise d'Afrique de mai 419, auquel participèrent 217 évêques, dont saint Augustin, joua un rôle, de premier plan dans l'histoire du célibat sacerdotal. Il servit de relais à plusieurs reprises pour vérifier, ou consolider, le lien traditionnel de la discipline avec « l’enseignement des Apôtres ». Les premiers à y recourir officiellement furent les Pères orientaux du concile Quinisexte in-Trullo de 691, dans le sens restrictif que nous avons vu. Au 11ème siècle, les promoteurs de la réforme grégorienne lui empruntèrent plus d'une fois un argument historique qu'ils jugent décisif. Saint Raymond Penafort, l'auteur des Décrétales de Grégoire IX, au 13ème siècle, se dit également convaincu, en particulier par le canon de Carthage, de l'origine apostolique du célibat. Au concile de Trente, les experts de la commission théologique chargée d'examiner les thèse luthériennes sur le mariage des clercs, s'y réfèrent. Pie IV, quant à lui, ne pense pas pouvoir mieux faire que de le citer, pour expliquer aux princes allemands son refus de renoncer à la loi du célibat. Par la suite, bien des théologiens et des historiens de la période post-tridentine et du « siècle des lumières » s'appuient sur ce texte comme sur un document majeur pour conclure à l'apostolicité de la discipliné du célibat sacerdotal (81). Et il n'est pas jusqu'à Pie XI, dans les temps modernes, qui, on l'a vu, n'y fasse allusion dans son encyclique sur le sacerdoce (82). Ce canon carthaginois, d'une grande importance pour l'histoire, est aussi remarquable pour la motivation théologique privilégiée qui fonde à ses yeux le devoir de la continence parfaite ; si les évêques, prêtres et diacres sont tenus à s'abstenir des relations conjugales, c'est « afin qu'ils puissent obtenir en toute simplicité ce qu'ils demandent à Dieu » (quo possint simpliciter quod a Deo postulant impetrare).

- En 691, le concile Quinisexte, dit in-Trullo. Ce concile tenu à Constantinople, qui est « le dernier mot de la discipline ecclésiastique pour l'Eglise grecque », est la première assemblée orientale, en communion avec Rome sur le plan doctrinal, à prendre des décisions en partie contraires à la discipline du célibat jusqu'alors en vigueur dans toute l'Eglise. En partie seulement, et ceci est important à souligner. Car on a parfois trop tendance à laisser dans l'ombre les nombreux points communs entre la discipline latine et la discipline d'Orient, pour accuser à gros traits ce qui les sépare. Aussi bien en Orient qu'en Occident, les évêques sont tenus à la continence parfaite, et les prêtres et diacres mariés avant leur ordination ne peuvent se remarier après le décès de leur femme. Le seul point de divergence, qui certes n'est pas négligeable, est l'autorisation reconnue à ces prêtres et diacres mariés de poursuivre les relations conjugales, à ceci près néanmoins qu'il leur est demandé une continence temporaire, les jours où ils se préparent à la célébration eucharistique. Ces dispositions canoniques sont étayées par des raisons théologico-scripturaires communes à toute la période patristique : la continence, parfaite ou temporaire, des ministres de l'autel est requise par leur fonction d'intercession, — le prêtre étant avec le Christ médiateur entre Dieu et les hommes —, et elle se rattache aux origines de l'Eglise. On s'étonne aujourd'hui de ce que les Eglises d'Orient aient conservé pour l'évêque l'obligation de la continence parfaite, et interdisent le remariage des prêtres et des diacres, alors qu'elles ne voient aucune difficulté à l'usage du mariage pour ceux-ci après l'ordination. D'aucuns, parmi les théologiens orientaux, y discernent une anomalie et préconisent des mesures visant à uniformiser la discipline en autorisant également l'admission d'hommes mariés à l'épiscopat, l'usage du mariage inconditionné pour tous les membres du clergé, et l'autorisation de se remarier en cas de veuvage (83). Ce n'est pas voir, je pense, que ce qui est présenté comme une anomalie est au contraire un organe témoin de ce qu'était la discipline générale au temps de l'Eglise indivise. Continence temporaire des prêtres et diacres, interdiction du remariage après l'ordination, célibat pour les évêques, toutes ces pratiques attestent chacune à sa manière que ce qui a précédé était une discipline de continence parfaite pour l'ensemble des membres supérieurs du clergé (84). Ainsi, plutôt que d'imaginer un processus de nivellement des lois orientales dans le sens d'une généralisation du mariage, il est vraisemblable que l'idéal du célibat sacerdotal, tenu en très haute estime par les Eglises d'Orient, fera sentir progressivement ses effets pour que la continence parfaite, de droit ou de fait, s'étende à un nombre plus grand de membres du clergé orthodoxe.

 

- En 1239, le deuxième concile du Latran met en quelque sorte le point final à la longue réforme grégorienne en déclarant invalide le mariage contracté après l'ordination. Voici le texte du décret : « Ut autem lex continentiae et Deo placens munditia in ecclesiasticis personis et sacris ordinibus dilatetur, statuimus quatenus episcopi presbyteri diaconi subdiaconi regulares canonici et monachi atque conversi professi, qui sanctum transgredientes propositum uxores sibi copulare praesumpserint, separentur. Huiusmodi namque copulationem, quam contra ecclesiasticam reffulam constat esse contractam, matrimonium non esse censemus. » (85) Il est difficile de lire dans ce décret autre chose que ce qui y est écrit. Il ne fait que confirmer, par une mesure canonique nouvelle, et qui s'avérera efficace, la discipline traditionnelle. La « lex continentiae », qui date de l'antiquité, reste la même. On se demande vraiment pourquoi certains continuent, aujourd'hui encore, à prétendre que la loi du célibat ecclésiastique a été inaugurée par ce concile du 13ème siècle !

 

- Au 16ème siècle, le concile de Trente restaura la discipline du célibat ecclésiastique qui avait été sérieusement ébranlée par le grand schisme d'Occident (1378-1417) puis par les Réformateurs, en prenant un certain nombre de décisions majeures qui devaient configurer pour les siècles futurs la physionomie du sacerdoce (86). La plus importante fut sans doute l'institution des séminaires, qui assura le recrutement et la formation de jeunes célibataires. Il devint par voie de conséquence moins nécessaire de faire appel à des hommes mariés pour le sacerdoce. Un retournement considérable par rapport à ce qui avait été la situation du clergé au premier millénaire et jusqu'à l'époque même du concile de Trente, s'opéra dans l'Eglise postconciliaire. Le clergé célibataire devint la règle, et le clergé marié (tenu à la continence parfaite) l'exception.

D'autres mesures contribuèrent fortement au succès de la réforme tridentine concernant le célibat, en particulier la restauration du ministère épiscopal et l'insistance sur les responsabilités pastorales du prêtre, celui-ci n'étant pas seulement ministre du culte, mais « l'exemple vivant » proposé à l'imitation du peuple de Dieu (87).

 

- Par la suite, la discipline du célibat sacerdotal dans l'Eglise latine resta telle que le concile de Trente l'avait définie. Les crises successives qui la mirent à l'épreuve aux siècles suivants, notamment la Révolution française, les violentes attaques du « siècle des lumières », et la crise moderniste, ne réussirent pas à la faire abolir, ni à la modifier. Pour mémoire, il suffit d'énumérer ici la suite des principaux documents du Magistère qui traitèrent la question jusqu'à Vatican II :

 

A l'époque moderne :

 

Documents de Pie X (1903-1914) :

 

- 4 août 1908 : exhortation apostolique Haerent Animo au clergé catholique sur la sainteté sacerdotale. (88)

 

Documents de Benoît XV (1914-1922) :

 

- 1917 : Codex Juris Canonici. Canons 132 et 1072. (89)

- 29 janvier 1920 : Lettre au P. François Kordac, archevêque de Prague : « Le Siège apostolique...n'approuvera jamais une abrogation ou une mitigation de la loi du célibat, dont l'Eglise latine se glorifie comme d'un ornement insigne. » (90)

- 16 décembre 1920 : Allocution au Consistoire. Benoît XV approuve la dissolution de l'association sacerdotale Iednota, dont beaucoup de membres militaient pour l'abolition du célibat : « Si l'Eglise latine est vigoureuse et florissante, elle doit en grande partie sa force et sa gloire au célibat des clercs, qui pour cette raison doit être conservé dans son intégrité », le pape cite la lettre de Sirice à Himérius de Tarragone, et affirme « solennellement », que « le Siège Apostolique ne mitigera jamais la loi très sainte et très salutaire du célibat ecclésiastiquet.et moins encore ne l'abolira. » (91)

 

Documents de Pie XI (1922-1939) :

 

- 20 décembre 1935 : Encyclique Ad catholici sacerdotii. Pour la première fois, on sent dans un document pontifical le souci de situer la discipline de l'Eglise latine face à celle de l'Eglise d'Orient. Le pape cite St Epiphane, St Ephrem, St Jean Chrysostome, qui témoignent tous de « l'excellence du célibat catholique », et il n'hésite pas à écrire que « en cette matière également l'harmonie régnait à cette époque entre l'Eglise latine et l'Eglise orientale là où on se conformait à une stricte discipline. » (92) Ainsi, les Pères de l'Eglise orientale eux-mêmes garantissent les raisons du célibat sacerdotal et l'opportunité de la loi. Néanmoins, conclut le pontife, « nous ne voulons pas que ce que nous avons dit pour recommander le célibat, soit interprété comme s'il était dans notre intention de blâmer ou de désapprouver en quelque manière la discipline différente qui est légitimement en vigueur dans l'Eglise orientale. » (93)

Deux autres points sont à remarquer : une référence au concile d'Elvire, lequel « ne fait rien d'autre que donner force et s'ajouter à une certaine exigence, pour ainsi dire, qui tire son origine de l'Evangile et de la prédication des Apôtres. » Puis la citation du concile de Carthage de 390 : « ut quod Apostoli docuerunt, et ipsa servavit antiquitas, nos quoque custodiam us. » (94)

Tout ce passage de l'encyclique, rédigé avec un soin extrême par l'ex-préfet de la Bibliothèque Apostolique Vaticane qu'était Pie XI, montre bien sa perspective : la loi du célibat dans l'Eglise latine, formulée pour la première fois au 4ème siècle, a une préhistoire ; elle remonte aux Apôtres et au Christ lui-même, dont l'exemple et l'estime pour la chasteté ont incité les ministres de la Nouvelle Alliance à « s'imposer spontanément la soumission respectueuse à ce mode de vie », ce qui serait ensuite sanctionne par une loi ecclésiastique. Le témoignage des Pères grecs et syriens va dans le même sens, bien qu'il ne soit pas question de critiquer la discipline « légitime » de l'Eglise orientale. (95)

 

Documents de Pie XII (1939-1958) :

 

- 23 septembre 1950 : Exhortation apostolique Menti Nostrae, sur la sainteté de la vie sacerdotale. A l'instar de son prédécesseur, Pie XII fait dériver l'obligation du célibat de « l'excellente dignité du sacerdoce », qui fait du prêtre un « alter Christus. » (96)

- 25 mars 1954 : encyclique Sacra Virginitas, sur la virginité consacrée. L'exemple du Christ vierge est la raison suprême qui fonde la virginité consacrée, ainsi que la chasteté parfaite du prêtre. En imposant à ses prêtres le célibat, l'Eglise leur permet d'accéder au plus haut degré de liberté spirituelle et de charité, pour se donner entièrement à Dieu et au service du prochain. Même dans les Eglises Orientales, comme le rappelait Pie XI, le célibat est en honneur et les évêques y sont tenus par une loi. L'offrande quotidienne du sacrifice eucharistique, ajoute encore l'encyclique, est aussi une raison essentielle qui justifie le célibat. Enfin, celui-ci ne prive pas le prêtre d'une paternité, il lui donne au contraire d'engendrer à la vie éternelle et par là de vivre une paternité immensément supérieure à la première. (97)

 

Documents de Jean XXIII (1958-1963) :

 

- 1 août 1959 : Encyclique Sacerdotii Nostri primordia, sur saint Jean-Marie Vianney. La chasteté parfaite, qui est « l'ornement le plus excellent de notre Ordre », ne replie pas le prêtre sur lui-même, mais lui fait aimer les autres avec l'amour même de Dieu. (98)

- 26 janvier 1960 : Allocution au synode romain. Jean XXIII fait allusion à des défections retentissantes et à des critiques contre la loi du célibat : « Ce qui nous afflige particulièrement c'est de voir...certains se laisser aller à des chimères (allucinationi cuidam indulgentes), et s'imaginer que l'Eglise catholique a l'intention ou estime opportun de renoncer à la loi du célibat ecclésiastique, qui a été au cours des siècles et reste toujours l'ornement splendide et éclatant du sacerdoce. A n'en pas douter, la loi du célibat sacré et les soins à dépenser pour la faire observer soigneusement, sont toujours un rappel des luttes mémorables, et glorieuses de ces époques, où l'Eglise de Dieu fut appelée à de rudes combats et a remporté un triple triomphe : car c'est un signe de la victoire de l'Eglise du Christ que de lutter pour qu'elle soit libre, chaste et universelle. » (99)

 

De Vatican II à nos jours, les documents du Magistère sur le célibat sacerdotal se sont multipliés. La crise postconciliaire, pour les raisons évoquées au début de cet article, a été l'occasion d'une nouvelle réflexion ecclésiale qui a finalement abouti à l'exhortation apostolique post-synodale Pastores dabo vobis du 25 mars 1992.

 

- Le Concile Vatican II (1962-1965) : Il est question formellement du célibat sacerdotal dans deux documents du Concile :

- Le décret Optatam totius Ecclesiae renovationem, sur la formation sacerdotale (28 oct. 1965). Il est demandé que « les séminaristes qui, selon les lois saintes et fermes de leur rite propre, observent la tradition vénérable du célibat sacerdotal, soient formés avec un soin diligent à cet état. » Suivent un bref énoncé des raisons théologiques justifiant le célibat, l'affirmation de la supériorité de la virginité consacrée et le rappel des « secours humains et divins appropriés » qui aident à assumer le célibat dans la joie et la maturité. (100)

- Le décret Presbyterorum ordinis, sur le ministère et la vie des prêtres (7 déc. 1965). Justement appelé la « charte sacerdotale du concile » ce texte est l'aboutissement de longues discussions qui s'échelonnèrent sur plus de deux ans. Il s'articule en trois paragraphes :

1) La continence parfaite et perpétuelle pour le royaume des cieux, recommandée par le Seigneur, et tenue en haute estime par l'Eglise, n'est pas exigée par la nature du sacerdoce. C'est ce que montrent « la pratique de l'Eglise primitive et la tradition des Eglises orientales. » Le concile « n'entend aucunement modifier la discipline différente qui est légitimement en vigueur dans les Eglises orientales. »

2) Mais le célibat « a de multiples convenances avec le sacerdoce. » (multimodam  convenientiam cum sacerdotio habet) Le concile expose ici les motivations ecclésiologiques, christologiques et eschatologiques qui seront longuement développées en 1967 par Paul VI  dans l’encyclique  Sacerdotalis coelibatus.

3) D’où la loi en vigueur dans l'Eglise latine, et que confirme à nouveau le concile : « C'est donc pour des motifs fondés sur le mystère du Christ et sa mission, que le célibat, d'abord recommandé aux prêtres, a été ensuite imposé par une loi dans l'Eglise latine à tous ceux qui se présentent aux Ordres sacrés. »

 

Si les raisons théologiques justifiant le célibat sacerdotal sont explicitées avec beaucoup de force et de clarté, l'argument historique, en revanche, n'est traité que sommairement. On peut, à ce propos, faire les remarques suivantes :

- En évoquant « la pratique de l'Eglise primitive et la tradition des Eglises orientales », le concile se montre avant tout soucieux, comme l'avait été Pie XI, de favoriser l’œcuménisme avec les communautés ecclésiales d'Orient, dans l'esprit même des deux décrets Unitatis redintegratio et Orientalium ecclesiarum votés l'année précédente. (101) Il reconnaît l'existence d'un clergé marié dès les temps apostoliques, — comme l'indique la référence à 1 Tm 3, 2-5 et Tt 1, 6 —, mais ne se prononce pas sur la question de la continence qui pouvait avoir été exigée des hommes mariés à partir de l'ordination. Il n'est fait non plus aucune allusion à la continence temporaire des prêtres mariés prévue par la législation orientale.

- Le célibat envisagé dans le document conciliaire est celui d'hommes n'ayant jamais été mariés, comme il ressort clairement, à propos du clergé oriental, de la distinction entre « les prêtres qui choisissent, par don de la grâce, de garder le célibat — ce que font les évêques » —... et les « prêtres mariés dont le mérite est grand. » Dans ces conditions, en disant plus loin que « le célibat, d'abord recommandé aux prêtres, à été ensuite imposé par une loi dans l'Eglise latine à tous ceux qui se présentent aux Ordres sacrés », les Pères laissent de côté la question soulevée par les documents pontificaux et les textes conciliaires des premiers siècles sur l'origine apostolique de la loi du « célibat-continence. » Cela ressort également du fait que « cette législation, ce saint Concile l'approuve et la confirme à nouveau... », car ce qui est approuvé et confirmé aujourd'hui n'est autre que le célibat au sens strict, et non une loi de célibat-continence telle qu'on la connaissait jadis. (102)

- Reprenant à peu de chose près les termes de l'encyclique Ad catholici sacerdotii, les Pères tiennent à affirmer qu'ils n'entendent « aucunement modifier la discipline différente qui est légitimement en vigueur dans les Eglises orientales. » Comme chez Pie XI, l'adverbe « légitime » employé ici fait référence à la législation particulière des Eglises orientales, sans précision, et ne saurait être interprété comme une reconnaissance de l'antériorité de leur discipline par rapport à celle de l'Eglise latine.

 

- 24 juin 1967 : encyclique Sacerdotalis coelibatus.

 

Paul VI tient la promesse faite aux Pères du concile deux ans plus tôt. Reconnaissant qu’ « à notre époque caractérisée par une transformation profonde des mentalités et des structures... s'est fait jour entre autres choses la tendance, voire la nette volonté, de presser l'Eglise de remettre en question (le célibat sacré) », le pape examine loyalement les objections soulevées, et expose les raisons théologiques, historiques, spirituelles et autres qui motivent aujourd'hui encore le maintien de la discipline. Nous pouvons souligner ici la continuité profonde de l'encyclique avec la tradition des origines.

Le célibat dont parle le document pontifical est le célibat au sens strict. (103) L'idée qu'une loi de continence parfaite pouvait avoir été en vigueur aux origines de l'Eglise pour les clercs des Ordres supérieurs engagés dans les liens du mariage, est absente des perspectives de l'encyclique.

Paul VI consacre à l'histoire du célibat ecclésiastique dans l'antiquité un assez long, paragraphe, mais, comme il le dit lui-même, ce ne sont que de « brèves indications », invitant à la recherche. (104) Or, certains des écrivains patristiques, comme saint Jérôme et Epiphane, auxquels renvoie le texte pour attester « la diffusion qu'avait prise chez les ministres sacrés, tant en Orient qu'en Occident, la pratique librement assumée du célibat », sont en réalité des témoins d'une discipline générale du « célibat-continence » remontant à la naissance même de l'Eglise. Par ailleurs, il n'est pas fait référence dans le document aux importantes décrétales du pape Sirice, qui interprète 1'Unius uxoris vir des épîtres pauliniennes non dans le sens d'un droit à user du mariage après l'ordination, mais comme un règlement propter continentiam futuram, établissant par là que la loi du « célibat-continence » a son fondement dans l'Ecriture.

La documentation utilisée par l'encyclique fournissait, pensons-nous, une base solide pour prouver que la pratique du « célibat au sens strict » avait été d'abord librement assumée par un bon nombre de clercs, puis renforcée et développée par l'autorité ecclésiastique à partir du 4ème siècle, avant d'être ensuite « solennellement sanctionnée par le Concile de Trente et finalement insérée dans le Code de droit canonique » (105) ; mais une base historique plus large et plus critique eût sans doute permis de mettre en évidence la loi du « célibat-continence », et de la rattacher aux temps apostoliques. (106)

 

Ce faisant, l'histoire eût aussi manifesté son accord profond avec la théologie du sacerdoce développée par l'encyclique. En effet, « le sacerdoce chrétien, gui est nouveau, ne se comprend qu'à la lumière de la nouveauté du Christ, Pontife suprême et Prêtre éternel, qui a institué le sacerdoce ministériel comme une participation réelle à son sacerdoce unique. » Or, le Christ Médiateur et Prêtre éternel, « est resté durant toute sa vie dans l'état de virginité, qui signifie son dévouement total au service de Dieu et des hommes. » Le lien entre sacerdoce et virginité dans le Christ « se reflète » donc dans les prêtres, qui participent à Sa mission de médiateur et de prêtre éternel. C'est pourquoi, continue l'encyclique, « Jésus, qui choisit les premiers ministres du salut, qui les voulut initiés à l'intelligence des mystères du royaume des cieux... qui les appela ses amis et frères... a promis une récompense surabondante à quiconque aura abandonné maison, famille, épouse et enfants pour le royaume de Dieu... »

 

On ne peut s'empêcher de penser qu'en écrivant ces lignes d'une grande portée théologique, Paul VI a voulu nettement suggérer ce que l'histoire des premiers siècles qui lui servait alors de fil conducteur ne lui permettait pas d'affirmer avec certitude, à savoir que les apôtres, ces premiers « amis et frères » du Christ, remplis de l'Esprit-Saint au jour de la Pentecôte, ont été aussi les premiers à avoir l'intelligence de ce grand mystère de la nouveauté du sacerdoce du Christ et du lien qu'il impliquait avec la chasteté parfaite. Car, s'il est vrai que l'exigence de l'amour propre au sacerdoce ministériel pousse à « participer non seulement à (la) fonction sacerdotale (du Christ), mais à partager également avec lui l'état de vie qui est le sien », peut-on penser un instant que les premiers dépositaires de l'Esprit du Christ, les apôtres, aient été si lents à comprendre que ceux d'entre eux qui pouvaient avoir été mariés n'aient pas tout quitté, y compris leur épouse, pour répondre à l'appel du Maître ? N'ont-ils pas été les premiers à être « totalement et exclusivement appliqués aux affaires de Dieu et de l'Eglise comme le Christ ? » En mettant l'accent sur les fondements christologiques du célibat, l'encyclique de Paul VI vient à la rencontre de l'histoire, et confirme à sa manière ce que l'étude des documents des premiers siècles nous apprend sur les origines du « célibat-continence. »

 

Notons encore le passage sur la législation orientale, qui se réfère de façon précise au concile in Trullo de 691. (107) Pour la première fois dans l'histoire, un document pontifical identifie positivement les sources du droit canonique des Eglises d'Orient. Pas plus que Pie XI, ou les Pères de Vatican II, l'encyclique ne se prononce cependant sur la question des origines de cette législation particulière du droit byzantin ni ne la fait remonter aux temps apostoliques.

 

- Septembre-novembre 1971 : Deuxième Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques, sur « le sacerdoce ministériel » et « la justice dans le monde. »

Six ans après la fin du concile, les évêques réunis en synode à Rome mettent à nouveau à l'ordre du jour le célibat sacerdotal. Ni le décret Presbyterorum Ordinis, ni l'encyclique Sacerdotalis caelibatus n'ont mis en effet un terme aux questions que beaucoup continuent à se poser sur l'opportunité de la loi en vigueur dans l'Eglise latine, ou sur les possibilités d'adaptation. Le concile lui-même, comme le dira Paul VI aux Pères synodaux, en préconisant heureusement une plus grande ouverture au monde, a du même coup fait naître de nouvelles difficultés pour les prêtres, qui se veulent désormais plus proches du peuple de Dieu. (108)

Des interventions faites au Synode, se dégagent surtout deux sujets de discussion : d'une part on constate que l'affinité entre le sacerdoce et le célibat fait l'objet d'une contestation, chez les catholiques eux-mêmes, certains réclamant qu'on n'étende pas l'obligation du célibat à tous ceux qui aspirent au sacerdoce ; d'autre part, différents épiscopats, notamment ceux de Hollande, du Canada et de Belgique, demandent expressément qu'on autorise l'ordination d'hommes mariés.

 

Le consensus général fut-pour le maintien du célibat. (109) Approuvées et confirmées par Paul VI, les conclusions du synode furent publiées par un rescrit du 30 novembre 197l. (110) On y retrouve les grandes idées du concile et de l'encyclique Sacerdotalis caelibatus. A noter toutefois la brièveté de la référence à la discipline des Eglises orientales (111) ; le document du Synode parle de « traditions », et non plus de « législation » de ces Eglises, sans qu'on puisse assurer toutefois qu'il y ait là une intention spéciale. Cette fois encore, rien n'est dit de l'ancienneté de ces traditions par rapport à la discipline de l'Eglise latine.

 

- 25 janvier 1983 : Code de Droit canonique.

Le nouveau Code de droit canonique, qui est, selon le mot de Jean-Paul II, le "Code du Concile", fixe la législation sur le célibat dans l'Eglise latine selon les normes et l'esprit de Vatican II et des documents officiels postérieurs. (112)

 

-         1990-1991 : Code des canons des Eglises orientales.

C'est le premier code de droit canonique à l'usage des Eglises orientales catholiques dans toute l'histoire de l'Eglise. (113) Le pape Jean-Paul II souligne que ce code s'inspire d'une sincère attitude oecuménique propre à favoriser les voies de l'unité avec les « Eglises-sœurs » orthodoxes, déjà « presque en totale communion » avec l'Eglise romaine. (114)

 

- Octobre 1990 : Huitième Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques, sur « la formation des prêtres dans les circonstances actuelles. »

Depuis Vatican II, de nombreux documents pontificaux ou épiscopaux ont été consacrés au sacerdoce, mais la crise qui continue d'affecter le clergé appelle un supplément de réflexion sur la formation sacerdotale dans le monde moderne. Sans être le sujet principal de discussion, le célibat ecclésiastique fait au synode l'objet de maintes interventions.

Beaucoup de rapporteurs font part du désir exprimé par leurs groupes de voir l'Assemblée réaffirmer la valeur du célibat sacerdotal dans l'Eglise latine, à l'aide d'un langage plus positif : il s'agit d'un charisme, d'une manière de se conformer plus complètement, à Jésus, et d'un signe prophétique contrastant fièrement avec la permissivité sexuelle de notre époque. Une minorité d'évoques font remarquer de leur côté que le célibat n'est pas toujours apprécié pour ce qu'il entend représenter par la culture locale, ou encore que la pénurie dramatique de prêtres dans certaines régions devrait faire reconsidérer le problème.

Les 41 « propositions », ou « recommandations », votées à une très forte majorité et soumises à la fin du Synode à Jean-Paul II furent réservées au Souverain Pontife et aux membres de l'Assemblée épiscopale. On sait toutefois qu'elles comportaient une nette réaffirmation du célibat sacerdotal dans l'Eglise latine, les évêques demandant au Saint-Père de confirmer à nouveau la discipline et de la présenter aux candidats à la prêtrise « dans toute la splendeur de son contenu biblique, théologique et pastoral. » Jean-Paul fera droit à cette requête en 1992, par la publication de l'exhortation apostolique Pastores dabo vobis, qui peut être considérée comme l'aboutissement réel de ce Synode auquel le pape a voulu attacher une importance toute particulière en assistant personnellement à toutes les séances générales. Au sujet de l'ordination d'hommes mariés, le Souverain Pontife a tenu à préciser ce qui suit :

« On ne peut prendre cette solution en considération. Il faut répondre à ce problème par d'autres moyens. On le sait, la possibilité de faire appel à des viri probati est trop souvent évoquée dans le cadre d'une propagande systématique hostile au célibat sacerdotal. Cette propagande trouve le soutien et la complicité de certains moyens de communication sociale. »

 

- 25 mars 1992 : Exhortation apostolique post-synodale Pastores dabo vobis.

Cette « Magna Charta » de la théologie du sacerdoce, comme on l'a surnommée, se situe dans la continuité des documents du concile Vatican II sur le sacerdoce et la formation des prêtres, et tout particulièrement des travaux du Synode des évêques d'octobre 1990. Le pape y reprend l'ensemble des réflexions et des orientations synodales pour élaborer une oeuvre collégiale en réponse à la question fondamentale : « comment former des prêtres qui soient vraiment à la hauteur des circonstances actuelles, capables d'évangéliser le monde d'aujourd'hui. » (115)

En manifestant le « lien ontologique qui unit le prêtre au Christ, Prêtre Suprême et Bon Pasteur », le synode a comme redécouvert la profondeur de l'identité sacerdotale. Une juste théologie du sacerdoce est en effet la clé de la formation des prêtres, par la mise en lumière de la nature du sacrement de l'Ordre qui « configure (le ministre) au Christ Tête et Pasteur, Serviteur et Epoux de l'Eglise. » Donné tout entier par l'Eglise au Christ, et par le Christ à l'Eglise, le prêtre assume librement ce don par la « charité pastorale » qui lui fait continuer au milieu des hommes la vie et l'action du Christ lui-même, Epoux de l'Eglise, avec qui, sacramentellement, il ne fait qu'un.

Dans ce contexte, le célibat apparaît comme une exigence de radicalisme évangélique favorisant de manière spéciale le mode de vie « sponsal » qui découle logiquement de la configuration du prêtre à Jésus-Christ par le sacrement de l'Ordre.

Les crises traversées au cours des siècles, la souffrance causée par les défections, mais aussi le fait historique fondamental de fidélités sans nombre, tout comme la constance inébranlable de la hiérarchie dans le maintien d'une discipline qui fait l'honneur de l'Epouse du Christ, donnent à ce texte d'une grande richesse théologique un ton d'une sereine et intense gravité. On y entend la voix de Pierre, par son successeur sur le Siège apostolique, réaffirmer avec assurance, après deux mille ans, la valeur de la continence parfaite pour le sacerdoce catholique.

 

- 22 mars 1994 : Directoire pour le ministère et la vie des prêtres.

Cet important document publié par la Congrégation pour le Clergé est le dernier en date des actes du Magistère de l'Eglise sur le sacerdoce. Un long chapitre y est consacré au célibat sacerdotal. Toutes les considérations développées dans Pastores dabo vobis sont reprises dans une sorte de résumé-synthèse : ferme volonté de l'Eglise pour le maintien de la loi ; motifs théologiques et spirituels du célibat ; examen des difficultés et réponse aux objections. On remarquera le passage sur la tradition venue des Apôtres :

 « Le Seigneur donne ici l'exemple, lui qui, allant à contre-courant de ce que l'on peut considérer comme la culture dominante de son temps, a choisi librement de vivre le célibat. A sa suite, les disciples ont "tout" laissé pour accomplir leur mission (Lc 18, 28-30).

Pour cette raison, l'Eglise, depuis l'époque apostolique, a voulu conserver le don de la continence perpétuelle des clercs, et s'est orientée vers la solution de choisir les candidats à l'Ordre sacré parmi les célibataires (cf. 2 Th 2, 15 ; 1 Co 7, 5 ; 9, 5 ; 1 Tm 3, 2-12 ; 5, 9 ; Tt 1, 6-8). » (116)

 

CONCLUSION

 

Des origines à nos jours, ces vingt siècles de fidélité à une discipline exigeant un renoncement particulièrement difficile à la nature humaine, nonobstant les obstacles parfois gigantesques qui s'y sont opposés, fourniraient à eux seuls la preuve manifeste que le célibat sacerdotal n'est pas le fruit d'une époque, une invention humaine, si généreuse et nécessaire fût-elle à un moment donné de l'histoire, mais qu'il s'enracine dans le sol où se nourrit la sève même de l'Eglise, c'est-à-dire dans l'Evangile. S'il n'était pas vitalement relié aux Apôtres, comme à ceux dont l'exemple et l'enseignement lui ont donné son impulsion, et lui communiqueront jusqu'à la fin des temps son dynamisme, le célibat des clercs aurait depuis longtemps sans doute cédé sous les pressions visant à l'abolir. La prise de conscience de ce lien essentiel a pu parfois s'estomper des études historiques, mais la réalité profonde a toujours été là, et c'est elle qui explique en définitive ce que beaucoup, faute de la reconnaître, ne réussissent pas à s'expliquer, à savoir la pérennité de l'institution à travers les âges. Il en est d'elle comme de cette maison dont parle le Seigneur : « La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont déchaînés contre elle, et elle n'a pas croulé : c'est qu'elle avait été fondée sur le roc. » Sur le roc des Apôtres, — cette pierre scellée sur la pierre qu’est le Christ —, la discipline de la continence parfaite des prêtres de la Nouvelle Alliance continue de s'édifier et d'édifier l'Eglise, car pour qui est convaincu du caractère irremplaçable du ministère sacerdotal pour la vie de l'Eglise et du monde, le célibat qui, selon le mot de Jean XXIII, en est « l’ornement le plus excellent » joue au cœur de l'Eglise un rôle qu'aucun noble superlatif ne suffit à qualifier comme il le mérite. C'est à n'en pas douter la raison pour laquelle on lui fait souvent la guerre, mais c'est aussi pourquoi il fait du prêtre « l'intendant des mystères de Dieu », celui qui, de manière indispensable, peut « intervenir en faveur des hommes » dans leurs relations avec le Maître de l'Histoire.

 

La prière d'intercession est en effet la motivation théologique fondamentale, dans la littérature patristique des premiers siècles, pour justifier la discipline de la continence parfaite pour le clergé. Le concile de Carthage de 390 l'exprime dans une formule précise. Si les évêques, prêtres et diacres doivent s'abstenir des relations conjugales, c'est « afin de pouvoir obtenir en toute simplicité ce qu'ils demandent à Dieu » (quo possint simpliciter quod a Deo postulant impetrare). Ce qui leur vaut cette place privilégiée dans le dialogue avec Dieu, c'est qu'ils sont, toujours selon ce même concile, « qui sacramentis inserviunt » (ceux qui sont au service des sacrements divins), « qui sacramenta contrectant » (ceux qui sont en contact avec les mystères sacrés), « qui altari deserviunt » (ceux qui sont affectés au service de l'autel). Ces expressions qualifient indistinctement les trois degrés supérieurs de la cléricature ; elles indiquent qu'un commun caractère entraîne pour tous les mêmes obligations et que le service des sacramenta et de l'autel, c'est-à-dire le service de l'Eucharistie, est le fondement spécifique de la continence qui leur est demandée. La liturgie eucharistique fait de celui qui est au service des mystères divins un médiateur qui, de par son union intime avec l'unique Médiateur, — per Ipsum, cum Ipso et in Ipso —, présente à Dieu les requêtes de ses frères humains. A ce titre, il doit s'assurer les conditions requises pour une prière d'intercession efficace, et la chasteté parfaite, à l'imitation du Christ, lui est une garantie d'exaucement. Le commentaire du grand canoniste byzantin Jean Zonaras, au 12ème siècle, soulignera parfaitement cette idée maîtresse de la patristique :

« Ceux-ci sont en effet intercesseurs entre Dieu et les hommes, qui, établissant un lien entre la divinité et le reste des fidèles, demandent pour le monde entier le salut et la paix. S'ils s'exercent donc, comme le dit le canon, à la pratique de toutes les vertus et dialoguent ainsi en toute confiance avec Dieu, ils obtiendront tout de go ce, qu'ils auront demandé. Mais si ces mêmes hommes se privent par leur faute de la liberté de parole, de quelle manière pourront-ils s'acquitter de leur tâche d'intercesseurs au profit d'autrui ? » (117)

 

La motivation théologique centrale du célibat sacerdotal est ainsi directement inspirée de l'épître aux Hébreux. En montrant dans le ministre de l'Eucharistie un médiateur au service des hommes, appelé à ce titre à une sainteté de vie caractérisé par la chasteté parfaite, elle situe dans une juste perspective les autres raisons invoquées à cette époque pour justifier le célibat-continence, en particulier le devoir de paternité spirituelle (substitué à celui de la génération charnelle), la nécessité de renoncer à la « chair » pour approcher la « sainteté » de Dieu, l'exemple à donner aux vierges et aux continents, et, dans une certaine mesure, la disponibilité pour les tâches apostoliques. (118) On peut mesurer par là combien il est inexact de parler de « continence cultuelle » ou de « pureté cultuelle », comme on le fait trop souvent pour tenter de dévaluer le motif sous-jacent à la loi du célibat, en lui prêtant des origines de qualité suspecte. (119) Ces expressions sont chargées de résonances païennes ou philosophiques (notamment stoïciennes) qui ne sont pas homogènes à l'esprit du christianisme. En réalité, c'est la liturgie, et. la liturgie eucharistique surtout, qui, actualisant le mystère pascal, entraîne le peuple chrétien, et, à un. titre spécial et permanent, le « serviteur de l'autel », dans une identification au Christ priant, et s'offrant au Père pour le salut du monde. Dans la célébration eucharistique, le Christ lui-même est présent, Dieu-homme qui associe ses ministres à sa personne et à son sacrifice, et non divinité impersonnelle ou abstraite génératrice de tabous irrationnels. Il faut le dire sans ambages : il y a autant de différence entre la « continence cultuelle » et la chasteté parfaite des prêtres de Jésus-Christ qu'il peut y en avoir entre les cultes païens, si respectables soient-ils, et le sacrifice de la Croix.

En nous renvoyant aux Apôtres comme aux promoteurs de la tradition du célibat sacerdotal, les Pères du 4ème siècle nous assurent, au surplus, que cette tradition est homogène à l'Evangile, loin de lui être étrangère comme le voudraient ses détracteurs. L'histoire et la théologie du sacerdoce ne font qu'un dans l'affirmation que la continence des prêtres de Jésus-Christ se modèle sur celle de l'unique Prêtre de la Nouvelle Alliance. C'est par imitation du Christ, et pour que cette imitation se perpétue dans leurs successeurs, que les Apôtres ont vécu et enseigné par leur exemple l'appel à tout quitter pour Le suivre, et devenir ainsi étroitement associés à sa médiation rédemptrice. Car ce qui est dit du Christ dans le Nouveau Testament a depuis toujours été compris comme étant dit aussi de ses prêtres : « Tout grand prêtre, en effet, pris d'entre les hommes, est établi pour intervenir en faveur des hommes dans leurs relations avec Dieu, afin d'offrir dons et sacrifices pour les péchés » (He 5, 1).

Au cours des siècles, l'Eglise n'a jamais perdu de vue cette ligne essentielle, même si l'accent s'est déplacé parfois sur des motivations comparativement secondaires, encore que d'une importance tout aussi incontestable. Même s'il a pu y avoir, de la part de tel ou tel, une tendance à revenir à l'Ancien Testament en « fonctionnalisant » le service sacerdotal et en oubliant qu’en apportant sa propre personne, le Christ « a apporté toute nouveauté. » Car ce serait fausser lourdement le sens de l'a fortiori utilisé par Sirice et les autres écrivains patriotiques, quand ils expliquent le passage de la continence temporaire des Lévites à la continence perpétuelle des prêtres de la Nouvelle Alliance, que d'y voir seulement un saut quantitatif, alors que l'Eucharistie réalise une mutation radicale, faisant de la chasteté de ses ministres une nouveauté elle aussi sans précédent.

 

Pour résumer la pensée de toute la Tradition, nous pouvons ici relire un passage-clé de Pastores dabo vobis :

« La charité pastorale, gui a sa source spécifique dans le sacrement de l'Ordre, trouve son expression plénière et son aliment principal dans l'Eucharistie : "Cette charité pastorale — lisons-nous dans le Concile — découle surtout du sacrifice eucharistique ; celui-ci est donc le centre et la racine de toute la vie du prêtre, dont l'esprit sacerdotal s'efforce d'intérioriser tout ce qui se fait sur l'autel du sacrifice". C'est en effet dans l'Eucharistie qu'est représenté — plus précisément rendu à nouveau présent — le sacrifice de la Croix, le don total du Christ à son Eglise, le don de son corps livré et de son sang répandu, comme témoignage suprême de sa qualité de Tête et Pasteur, Serviteur et Epoux de l'Eglise. C'est précisément pourquoi la charité pastorale du prêtre non seulement naît de l'Eucharistie, mais trouve dans la célébration de celle-ci sa plus haute réalisation. De même, c'est de l'Eucharistie que le prêtre reçoit la grâce et la responsabilité de donner un sens "sacrificiel" à toute son existence (n. 23).

Il est particulièrement important que le prêtre comprenne la motivation théologique de la loi ecclésiastique sur le célibat. En tant que loi, elle exprime la volonté de l'Eglise, même avant que le sujet exprime sa volonté d'y être disponible. Mais la volonté de l'Eglise trouve sa dernière motivation dans le lien du célibat avec l'Ordination sacrée, qui configure le prêtre à Jésus-Christ Tête et Epoux de l'Eglise. L'Eglise, comme Epouse de Jésus-Christ veut être aimée par le prêtre de la manière totale et exclusive avec laquelle Jésus-Christ Tête et Epoux l'a aimée. Le célibat sacerdotal alors, est don de soi dans et avec le Christ à son Eglise, et il exprime le service rendu par le prêtre à l'Eglise dans et avec le Seigneur » (n.29).

 

C'est pourquoi l'identité du prêtre, ce mystère qui dépasse l'homme et le dépasse lui-même, ne peut être mieux exprimée que par la parole de l'épître aux Hébreux qui a servi de motivation théologique à la loi du célibat dès les origines de l'Eglise, et que rappelait encore tout récemment le pape Jean-Paul II :

« L'identité sacerdotale est une question de fidélité au Christ et au peuple de Dieu, auquel nous sommes envoyés. La conscience sacerdotale ne se limite pas à quelque chose de personnel. C'est une réalité qui est constamment examinée et ressentie par les hommes, car le prêtre est "pris d'entre les hommes et établi pour intervenir en faveur des hommes dans leurs relations avec Dieu" (121)

Comme le prêtre est an médiateur entre Dieu et les hommes, de nombreuses personnes s'adressent à lui en demandant ses prières. La prière, en un certain sens, "crée" donc le prêtre, spécialement comme pasteur. Et, en même temps et en permanence, chaque prêtre "se crée soi-même" grâce à la prière. Je pense à la merveilleuse prière du Bréviaire, Officium divinum, dans laquelle toute l'Eglise, par la bouche de ses ministres, prie avec le Christ... (Ibid.) »

 

Ce caractère de médiateur, donné par le sacrement de l'Ordre, confère au prêtre une dignité que les Pères de l'Eglise exaltent sans complexe. Ils ne connaissent pas nos timidités d'hommes modernes, dès lors qu'il s'agit d'une de ces « sublimes réalités » que la parole humaine est impuissante à décrire. Les grands théologiens orientaux donnent le ton de la littérature patristique sur le sacerdoce, avec un Grégoire de Nazianze ou un Jean Chrysostome, l'un et l'autre dans des traités qui servent d'inspiration à des générations d'évêques et de prêtres. (122) On ne peut se faire une meilleure idée du climat théologique dans lequel ces évêques et ces prêtres des premiers siècles, mariés pour la plupart, ont vécu leur sacerdoce qu'en lisant ces pages brûlantes où une authentique humilité, — celle du Magnificat —, célèbre le don reçu de Dieu comme une merveille incomparable. Ceux-là, dira Grégoire en parlant des pasteurs, « s'élèvent au-dessus de la multitude par leur vertu et leur familiarité avec Dieu, tenant le rôle de l’âme par rapport au corps ou de la pensée par rapport à l'âme » ; et Jean Chrysostome, pour qui également le sacerdoce « se place parmi les choses célestes » et imite « le service des anges », a cette envolée qui, en quelques lignes, transporte le lecteur sur un sommet de la pensée chrétienne :

« Un homme qui est l'ambassadeur d'une ville entière, que dis-je d'une ville ? de toute la terre et qui prie Dieu d'être indulgent aux fautes de tous, non seulement des vivants, mais encore de ceux, qui sont partis, quel doit-il être ? Quant à moi je pense que la confiance de Moïse et celle d'Elie ne suffisent pas pour une telle supplication. En effet, comme s'il avait la charge du monde entier et s'il était lui-même le père de tous, ainsi il s'avance devant Dieu, le priant d'éteindre partout les guerres, de mettre fin aux troubles, demandant la paix, l'abondance et une délivrance rapide de tous les maux qui menacent chacun dans le domaine privé et en public. Autant il faut qu'il soit supérieur en toutes choses sur tous ceux pour lesquels il prie, autant il convient que celui qui est à la tête de la communauté l'emporte sur ceux qui forment la communauté. Alors qu'il appelle l'Esprit Saint, qu'il accomplit le sacrifice qui inspire une immense crainte, qu'il est en rapports constants avec le maître commun de tous, où le placerons-nous? dis-moi. Quelle pureté et quelle piété exigerons-nous de lui ? Imagine, en effet, quelles doivent être les mains qui accomplissent un tel service, quelle doit être la langue qui exprime de telles paroles ; sur qui ne doit-elle pas l'emporter en pureté et en sainteté l'âme qui va recevoir cet Esprit ? Alors, les anges se tiennent autour du prêtre et tout le bêma (i.e. le sanctuaire dans son ensemble) et tout l'espace autour de l'autel sont remplis de puissances célestes en l'honneur de celui qui est là. » (123)

 

Non point que, de ces hauteurs, le prêtre soit désormais absent ou ignorant des choses de ce monde. Tout au contraire. Il est « le sel de la terre » et « il faut non seulement qu'il soit pur pour être jugé digne d'un tel service, mais encore qu'il soit très averti et qu'il possède une expérience étendue. Il ne doit pas moins connaître les choses de la vie que ceux qui vivent dans le monde, mais il doit se tenir éloigné de toutes ces choses plus que les moines qui ont gagné les montagnes. Comme il lui faut vivre en compagnie d'hommes qui ont une femme, qui élèvent des enfants, qui possèdent des serviteurs, qui sont environnés de grandes richesses, qui gèrent les affaires de l'Etat, qui ont des charges importantes, il faut qu'il soit divers... (tout cela exige) beaucoup de souplesse et de perspicacité... » (124)

 

Si tant d'hommes mariés, tant de couples chrétiens des premiers siècles, et jusqu'à une époque tardive, ont accepté sans réserve la discipline de la continence parfaite à partir de leur ordination, c'est que la conscience de cette dignité exceptionnelle, accueillie comme un don gratuit, était assez vive pour justifier un sacrifice souvent héroïque. Ces époux, faut-il le souligner, n'étaient pas sans avoir expérimenté les joies de la vie sexuelle et de l'harmonie conjugale. C'est en toute connaissance de cause qu'ils franchissaient le pas de la continence, et qu'ils devenaient ensuite, à leur tour, les « gardiens de la pureté » au sein du peuple de Dieu dont ils avaient la charge. Car ce sont ces mêmes hommes bien entendu qui, très souvent, ont légiféré pour le maintien de la discipline dans les divers conciles ou synodes régionaux. Ils n'étaient pas des « refoulés », à qui la sexualité humaine faisait peur ou inspirait une méfiance morbide, non, c'étaient des hommes choisis parmi les meilleures familles, riches d'une expérience humaine et professionnelle souvent déjà longue, ayant élevé leurs enfants dans les bonnes mœurs et jouissant de l'estime sociale. Ces hommes mûrs, et mûris par tout ce que la vie conjugale peut apporter de plénitude, manifestaient à l'ordination, par leur seule démarche, sans faire de théories, que la révolution anthropologique opérée par le Christ avait créé un monde neuf, dans lequel le corps humain, la sexualité et le mariage prenaient une valeur inestimable, qu'ils n'avaient jamais eue et n'auraient jamais dans aucun autre système de pensée. Même si la vox populi les élisait à leur corps défendant, comme ce fut parfois le cas, il ne leur venait certes pas à l'esprit qu'en leur demandant la continence on leur faisait payer une sorte de droit de péage pour accéder aux honneurs de la cléricature. Hilaire de Poitiers, Pacien de Barcelone, Sévère de Ravenne, Eucher de Lyon, Paulin de Noie, pour ne citer que quelques-uns, tous se fussent indignés que l'idée d'un tel marchandage puisse effleurer l'esprit quand il y va d'une dignité comme celle du sacerdoce. Car « nul ne s'arroge à soi-même cet honneur, on y est appelé par Dieu, absolument comme Aaron », et le choix de Dieu fait de la liberté qui accepte d'y répondre une liberté plus parfaite. Tout ce que Vatican II mettra en pleine lumière sous l’éclairage évangélique : la dignité de la personne, le prix inaliénable de la liberté individuelle, la sainteté du mariage, la supériorité de la virginité et de la continence, les Pères des premiers siècles en avaient une conscience vive et le vivaient spontanément, grâce à leur proximité des temps apostoliques. En se soumettant en particulier à la discipline de la continence parfaite, les époux ordonnés manifestaient concrètement, comme les Apôtres, qu'ils étaient les disciples de Celui qui avait fait « toutes choses nouvelles » ; les disciples de Celui qui, par son exemple et son sacrifice, avait fait naître un peuple de prêtres, renonçant comme Lui aux joies légitimes de la famille pour se donner tout entiers à leur mission de médiateurs.

 

Ainsi, la vraie réponse aux objections soulevées à toutes les époques contre la loi du célibat ecclésiastique, ce sont ces hommes qui la détiennent, et avec eux la foule immense des évêques, prêtres et diacres qui, dès les temps apostoliques et à chaque génération, jusqu'au seuil du Sème millénaire, ont prouvé par leur fidélité quotidienne, sans tapage médiatique, que cette manière de vivre était dans la logique de leur sacerdoce ; non un fardeau inhumain imposé de façon arbitraire sur leurs fragiles épaules, mais le don de leur liberté répondant à un don divin sans commune mesure, qui ne les élevait que pour élever par là-même leurs frères humains vers les hauteurs de la divinité. C'est de ce fait incontournable qu'il faut avant tout tenir compte quand on retrace l'histoire du célibat à travers les siècles, et feindre de l'ignorer ou le taire, pour n'en grossir que davantage à des fins trop évidentes le triste bilan des défections, ne serait que tentative infructueuse et impardonnable abstraction.

 

Les nombreux exemples de clercs mariés,.tout particulièrement, sont une sorte de « lieu théologique » fournissant à la réflexion sur la spiritualité et la théologie du célibat sacerdotal un ensemble de faits et une base empirique d'une richesse inappréciable. Il faudrait un livre pour exploiter la mine d'enseignements que renferme l'histoire de ces innombrables évêques, prêtres ou diacres qui, avec leur épouse, ont pratiqué fidèlement la continence parfaite avec l'assurance que leur donnait l'ancrage sur une tradition qui remontait aux Apôtres. Car, et c'est là sans doute la conclusion la plus sûre de l'enquête historique sur les origines du célibat sacerdotal, la conviction de se soumettre à une discipline qui repose non sur des décisions contingentes, fût-ce de l'autorité ecclésiastique elle-même, mais sur une volonté positive des fondateurs du christianisme, par imitation de l'exemplaire virginité du Christ, est un facteur d'équilibre psychologique et de stabilité en profondeur qui a fait ses preuves aux premiers siècles de l'Eglise et a solidement structuré à toutes les époques la personnalité des prêtres célibataires.

 

Les clercs des premiers siècles fidèles à la continence parfaite ne se sentaient nullement frustrés du droit à l'exercice de la sexualité que leur avait donné un mariage légitime. Bien au contraire. Parce que le sacerdoce avait fait d'eux, selon le mot du concile de Carthage, des « gardiens de la pureté » (pudicitiae custodes), ils vivaient désormais cette sexualité à un niveau supérieur, libérés pour un amour sans condition de leur Eglise et pour leur mission de pasteurs du troupeau, responsables devant Dieu de la sainteté des époux, comme de la vie religieuse des vierges et des continents de leur communauté.

 

Ceci nous amène à dire un dernier mot sur les rapports entre la discipline de la continence parfaite pour les membres supérieurs du clergé et le mouvement qui, surtout à partir du Sème siècle, suscita dans l'Eglise de nombreuses vocations à la virginité et à la vie monastique. Il est certain que ces deux phénomènes réagirent l'un sur l'autre, et que l'estime de la virginité, directement inspirée des conseils évangéliques, exerça pour sa part une influence marquante sur l'idée qu'on se faisait des obligations propres au. clergé, favorisant ainsi le développement de l'institution du célibat. Il convient de souligner cet aspect comme il le mérite. Mais cela ne signifie pas pour autant que le mouvement en faveur de la virginité soit antérieur, et moins encore soit la cause directe de la discipline de la continence parfaite pour les évêques, prêtres et diacres. S'il en avait été ainsi, on aurait plus rapidement abouti à une loi exigeant des candidats aux ordres qu'ils ne fussent pas mariés, et on n'aurait pas favorisé le recrutement d'hommes encore liés à une épouse, comme on continua de le faire pendant des siècles. On ne voit pas bien pourquoi les législateurs du 4ème siècle insistèrent tant pour montrer le rattachement de la discipline aux origines mêmes du sacerdoce chrétien, si le climat général de l'époque, l'estime croissante de la virginité avaient suffi à franchir un nouveau seuil. Le climat général du 4ème siècle est marqué au contraire par une violente crise qui secoue la vie religieuse et le clergé. Sous l'influence des théories jovinianistes, des couvents se vident, bien des nonnes et des moines se marient. Les jeunes Eglises de Gaule ou d'Espagne, ces pays de mission plus vulnérables au paganisme ambiant, connaissent des difficultés particulières. Les historiens soulignent aussi à juste titre le relâchement des mœurs qui s'introduisit dans l'Eglise au lendemain des persécutions, par suite de l'accroissement numérique des convertis. Le statut des évêques connut quant à lui une transformation sensible grâce à la conversion des empereurs au christianisme. De candidats prioritaires au martyre, beaucoup devinrent de hauts personnages jouissant d'honneurs, de privilèges, et bien souvent de grandes richesses. Une carrière faite pour tenter les ambitieux, à qui la porte ne fut pas toujours fermée, si l'on en juge par les lettres de Sirice et d'Innocent I se plaignant que, dans les provinces d'Occident, on choisissait mal les évêques. (125) Au total, c'est rien moins qu'un mouvement propice à la continence parfaite pour le clergé qui se propage, mais plutôt un ralentissement de l'élan primitif. C'est pour tenter d'y remédier que les législateurs du 4ème siècle invitent à un retour aux sources, conscients qu'il est de leur devoir de rester fidèles malgré tout à la tradition reçue.

 

Notons encore une réflexion de Sirice dans la décrétale aux évêques des Gaules : « Comment un évêque ou un prêtre oserait-il prêcher à une veuve ou à une vierge la continence ou l'intégrité, ou encore (comment oserait-il) exhorter les époux à la chasteté du lit conjugal, si lui-même s'est plus préoccupé d'engendrer des enfants pour le monde que d'en engendrer pour Dieu ? » L'idée que les pasteurs de l'Eglise sont responsables de la chasteté, sous toutes ses formes, — de la chasteté conjugale des époux comme de la chasteté parfaite des vierges —, peut aussi aider à comprendre pourquoi la discipline de la continence sacerdotale à pu être conçue dès les origines comme une priorité d'où dépendait la perfection du peuple chrétien. Ce n'est pas un hasard si la plupart des traités patristiques sur la virginité, qui ont tant fait pour l'essor de la vie religieuse, ont été composés par des évêques (saint Cyprien, Méthode d'Olympe, saint Athanase, Basile d'Ancyre, saint Augustin...). « Gardiens de la pureté », les chefs de l'Eglise avaient la conviction qu'ils devaient prêcher d'exemple et exhorter sans cesse (126), afin d'entraîner les fidèles sur la voie royale, mais étroite, qui conduit au Christ. Exactement comme l'avaient fait les Apôtres : « Ut quod Apostoli docuerunt, et ipsa servavit antiquitas, nos quoque custodiamus. »

 

 

Christian Cochini S.J.

Tokyo, 6 janvier 1996

en la fête de l'Epiphanie de Nôtre-Seigneur

 

 

 

 

NOTES

 

1. Cf. Lumen Gentium, 1.

2. Cf. Vatican II, Dignitatis humanae, 1.

3. Pastores dabo vobis, 11.

4. Pastores dabo vobis, 5.

5. Ibid.

6. Pastores dabo  vobis, 29.

7. Corpus Christianorum 149, p. 13. C'est moi qui souligne.

8. Voici le texte voté au cours de ce concile de 419 : can. 3 : L'évêque Aurèle dit : Dans un concile antérieur, où il était question de normaliser les règles de la continence et de la chasteté, (on s'occupa) des trois Ordres qui, en vertu de leur consécration, sont associés par une sorte de lien de chasteté, J'ai nommé : les évêques, les prêtres et les diacres. On fut d'avis, comme il convient (à leur état), que les très saints pontifes, les prêtres de Dieu, et tout autant les lévites, c'est-à-dire ceux qui sont au service des sacrements divins, observent une continence parfaite, afin de pouvoir obtenir en toute simplicité ce qu'ils demandent à Dieu ; ce qu'enseignèrent les apôtres, et ce que l'antiquité elle-même a observé, faisons en sorte, nous aussi, de nous y tenir. can. 4 : Faustin, évêque de l'église de Potenza, dit : Il nous plaît que les évêques, les prêtres et les diacres, ceux qui, en d'autres termes, touchent aux mystères sacrés, gardiens de la chasteté, s'abstiennent (du commerce conjugal) avec leurs épouses. Tous les évêques déclarèrent : Nous sommes d'accord ; qu'ils gardent une chasteté parfaite, tous ceux qui sont affectés au service de l'autel. JOANNOU, P.P., Discipline générale antique, vol I, 2 : Les canons des synodes particuliers, Grottaferrata. 1962, p. 216-218.

9. Cf. Manegold de Lautenbach. Ad Gebehardum liber. XXII : MGH, libelli de lite, I, 351 ; Bernold de Constance, De prohibenda sacerdotum incontinentia : MGH, o.c.,II, 7.

10. Voir à ce sujet A.M. cardinal STICKLER, Der Kleriker zölibat, seine Entwicklungsgeschichte und seine theologischen Grundlagen, Kral Verlag, 1993, p. 35-36.

11. Ainsi par exemple : Stanislas HOSIUS, Robert BELLARMIN, César BARONIUS, Louis THOMASSIN. Voir plus loin. p.... la référence à leurs ouvrages.

12. ZACCARIA F.A., Storia polemica del Celibato sacro da contrapporsi ad alcune detestabili opere uscite a questi tempi, Rome, 1774 ; Nuova giustificazione del celibato sacro dagli inconvenienti oppostogli anche ultimamente in alcuni infamissimi libri dissertazioni quattro. Fuligno, 1785.

13. Acta Sanctorum Septembris, t. III, Venise. 1761, p. 784-787.

14. ROSKOVANY Augustino de, Coelibatus et Brevlarium : duo gravissima clericorum officiam e monumentis omnium seculorum demonstrata. Accessit completa literatura. t. I-IV Pestini 1861 ; t. V-VIII, Nitrae 1877 ; t. IX-X, Nitrae 1881 ; Supplementa ad collectiones monumentorum et literaturae. t. III-IV, Nitrae 1888. BICKELL Gustav, Der Cölibat eine apostolische Anordnung, in Zeitschrift fur katholische Theologie, 1878, p. 26-64. Der Cölibat dennoch eine apostolische Anordnung, 1n Zeitschrift fur katholische Theologie, 1879, p. 792-799.

15. AAS 28 (1936), p.26.

16. C. Cochini, Origines apostoliques du célibat sacerdotal. Ed. Lethielleux, Paris Le Sycomore, 1981. Trad. ang. : The apostolic originis of priestly celibacy, Ignatius Press San Francisco, 1990.

17. PL 13. 1131b-1147a.

18. PL 13, 1138a-1139a.

19. PL 13, 1181a-1194c.

20. Cette exégèse de Sirice restera pendant longtemps l'interprétation officielle des pontifes romains, et sera largement diffusée par les grandes collections canoniques occidentales. Dans ses lettres à Victrice de Rouen (404), puis à Exupère de Toulouse (405), Innocent I reprendra mot pour mot 1'explicatton de son prédécesseur pour réclamer des monogames admis à l'ordination la continence parfaite.

Plusieurs écrivains patristiques commentant aussi dans le même sens la consigne paulinienne de l’unius uxoris vir :

- Eusèbe de Césarée, La démonstration évangélique. I, 9 (QCS 23, 43).

- Epiphane, Panarion, hérésie 59 ; - Expositio fidei, 21    (GCS 31, 367 ; 37, 522).

- Saint Jean Chrysostome, Commentaire sur la première épître à Timothée, cap. III, hom. 10 (PG 62, 547-549).

- Ambrosiaster, Commentaire sur la première épître à Timothée. 111, 12 (PL 17, 497).

- Saint Ambroise, Ep. 63. Lettre à l'Eglise de Vercell. 62-63 (PL 16, 1257-1258).

- Saint Jérôme, Adversus Jovinianum. I, 34 ; Ep. 49, Apologeticum ad Pammachium, 10 et 21 ; Adversus Vigilantium. 2 (PL 23, 257 ; CSEL 54, 365 et 386-387 ; PL 23, 340-341).

- Saint Isidore de Séville. De ecclesiasticis officiis. II, 5, 8 (PL 83, 783, 790).

21. Adversus Haereses, III, 2, 2. SCh 211, 33. (C'est moi qui souligne)

22. Par l'expression célibat-continence. je désigne ici la loi de continence parfaite pour les évêques, prêtres et diacres mariés, pour la distinguer de la loi qu'on peut appeler du « célibat au sans strict », restreignant l'admission aux Ordres aux seuls célibataires. Dans la suite de cet article, les deux expressions « loi de continence parfaite » et « loi de célibat-continence » sont généralement identiques.

23. Ces documents romains étant de quelques années seulement antérieurs au concile de Carthage de 390, on pourrait se demander si les Pères africains, en affirmant vouloir observer « ce que les Apôtres ont enseigné », ne se sont pas purement et simplement contentés de leur faire écho. La fidélité notoire dé l'Afrique chrétienne à ses traditions, et à la Tradition universelle de l'Eglise, prouve toutefois le contraire. L'affaire d'Apiarius de Sicca, en particulier, est éclairante. Ce prêtre de la province proconsulaire, excommunié par son évêque, avait été réhabilité par le pape Zosime qui avait fait valoir en sa faveur de prétendus canons du concile de Nicée. Les évêques africains, qui possédaient dans leurs archives les actes authentiques du premier concile oecuménique, protestèrent qu'ils n'y trouvaient pas ces décisions qu'on voulait leur opposer. Qui plus est, ils se procurèrent à Alexandrie et à Constantinople d'autres verissima exemplaria du concile de Nicée, qui confirmèrent les leurs. Il se révéla finalement que les canons litigieux invoqués par Rome n'étaient pas de Nicée, mais d'un concile particulier tenu à Sardique, et le pape donna raison aux Africains. On peut difficilement témoigner d'une plus grande fidélité à la Tradition que l’Eglise d'Afrique ne l'a fait dans cette affaire. Affirmer une chose oui eût été contraire à l'autorité indéniable du concile oecuménique de Nicée est tout simplement impensable de leur part. En déclarant que la discipline du « célibat-continence » remonte aux apôtres, ils ne se contentent pas d'avaliser les décrétales romaines, ils garantissent au nom de leur propre tradition, en accord complet avec les canons de Nicée, que telle était bien la réalité de l'histoire.

24. Panarion (Adv. Haer.). Haer.48, 9. GCS 31 ; 219-241.

25. Panarion (Adv. Haer.). Haer.59, 4. GCS 31, 367.

26. Expositio de fide, 21. GCS 37, 522.

27. PL 17, 497.

28. CSEL 50, 414-415.

29. Ep.63, 62-63. PL 16, 1257a.

30. De officiis ministrorum. PL 16, 104-105.

31. PL 23, 257.

32. CSEL 54, 365 et 386-387.

33. PL 23, 340-341.

34. BRUNS, H.T., Canones Apostolorum at Conciliorum saeculorum IV-VII. 2 vols., Berolini 1839, II, 6. L'original latin comporta une double négation, qui fait dire aux Pères espagnols le contraire du sens obvie.

35. Funk déclare tout de go : « Le synode d'Elvire de l'an 300 marque un tournant. Le c. 33 de ce synode impose en effet aux clercs supérieurs... une continence absolue, tandis qu'il avait été jusqu'alors permis de poursuivre la vie matrimoniale même après l'ordination si le mariage avait été contracté avant cette dernière » (Cölibat und Priesterehe im christlichen Altarium. Paderborn, 1897, p. 121-122). Comme l'a justement fait remarquer un éminent canoniste, Funk fait preuve ici d'une confusion regrettable entre droit et loi écrite (Alfons Maria Kardinal Stickler, Der Kleriker Zölibat, Seine Entwicklungsgeschichte und seine theologischen Grundlagen, Kral Verlag, Abensberg 1993, p. 13).

36. Il faut aussi se rappeler que les archives des églises ont été souvent détruites au cours des persécutions : par là s'explique en grande partie la rareté des documents que nous ont laissés les premiers siècles de l'Eglise. En 303, l’édit de Dioclétien ordonna de « raser au sol les églises et de jeter au feu les Livres sacrés. » A Rome, le dépôt déjà considérable des archives et de la bibliothèque pontificales disparut dans les flammes. Des scènes analogues se produisirent dans toutes les provinces de l'empire, y compris en Espagne. Dans ces conditions, on peut seulement dire que le canon d'Elvire sur le célibat-continence est le premier de ce genre « qui nous ait été conservé. » Il n'est pas du tout impossible qu'un ou d'autres canons semblables se trouvaient dans les archives incendiées durant les persécutions.

37. II est d'autre part remarquable que personne, à l'époque, ne semble avoir accusé le concile de nouveauté. Or, s'il s'était agi d'une nouveauté, la lourde obligation de la continence parfaite aurait paru odieuse à plus d'un, et les Pères d'Elvire n'auraient pu l'introduire sans soulever un tollé de protestations et s'attirer des démentis au nom de la tradition authentique. C'est sans heurt que le 33ème canon d'Elvire fait son entrée dans l'histoire, et ceci confirme encore l'impression que, loin d'être un « tournant » à partir duquel on aurait commencé à imposer aux clercs la continence parfaite, le concile d'Elvire est au contraire un témoin privilégié de la fidélité de l'Eglise d'Espagne à une antique tradition.

38. P.P. JOANNOU, op. cit., I, 1, 25-26.

39. Ortiz de Urbina, Nicée et Constantinople, Paris, 1963, p. 117.

40. SOCRATE, Histoire ecclésiastique, I, 11. PG 67, 101b-104b.

41. F.WINKELMANN, Paphnutios, der Bekenner und Bishof. Probleme der koptischen Literatur — wissenshaftliche Beitrage der Martin-Luther-Universitat Halle-Wittenberg, 1968/1 (K2), p. 145-153.

42. PQ 120, 1019s.

43. E. AMMAN. J. Zonaras. in DTC 15, 3705s.

44. PG 137, 562. Le premier à rapporter 1'anecdote de Paphnuce en Orient est Matthaeus Blastares, au 14ème siècle, l'auteur du « Syntagma Alphabeticum », qui l'avait très probablement remarquée dans le Décret de Gratien.

45. Voir C. Cochini, o.c., pp. 112-147 ; liste augmentée dans « The apostolic origins of priestly celibacy », San Francisco, 1990, pp. 87-123.

46. II s'agit peut-être de l'évoque Léon, père du diacre Florentius.

47. Les témoignages contemporains de Jérôme et d'Epiphane mentionnés ci-dessus peuvent être aussi une indication en ce sens.

48. E. Vacandard, Les origines du célibat ecclésiastique, Paris, 1913, p. 101.

49. Au cours de la longue période qui va du 4ème au 7ème siècle, marquée par l'écroulement de l'Empire romain d'Occident, les invasions barbares et la poussée de l'arianisme, la dissidence nestorienne, l'apparition de l'Islam et la fin tragique de l'Afrique chrétienne, —période de bouleversements s'il en fût —, la discipline du célibat se maintient en Occident, grâce en particulier à l'action des conciles et des papes. Il n'en va pas de même en Orient, où la Syrie, la Palestine, la Mésopotamie et l'Egypte tombent l'une après l'autre, de 835 à 642, aux mains des chefs musulmans. Des quatre patriarcats orientaux, seul Constantinople résiste encore. Mais sur les frontières du nord, Byzance fait face aux invasions slaves et bulgares, qui eurent une profonde influence sur la civilisation hellénique. Ces bouleversements politiques, ont leurs répercussions sur la vie intellectuelle et morale. Les historiens de Byzance parlent d'une « décadence intellectuelle profonde... Il semble que le monde chrétien soit à la veille de succomber, emporté par la formidable tempête de l'Islam » (cf. Ch. Diehl-G. Marçais, Histoire du Moyen-Age, III, Le monde oriental de 390 à 1081, Paris, 1936, p. 211-249 ; A.A. Vasiliev, Histoire de l'empire byzantin, I, Paris, 1932, p. 255 s.).

En même temps, Byzance connaît des difficultés croissantes avec Rome. Le point de départ en avait été l'affaire du 28ème concile de Chalcédoine, en 451, qui reconnaissait à la « nouvelle Rome » une autorité patriarcale sur les métropolitains des diocèses du Pont, de l'Asie proconsulaire et de la Thrace, et avait été pour cette raison rejeté par le pape saint Léon comme étant « en opposition avec les canons de Nicée » et « contre les droits des églises particulières. » La mésentente ne fit que s'aggraver par la suite, malgré des périodes de relative accalmie. Tout ceci explique pourquoi le concile Quinisexte s'ouvrit dans une certaine atmosphère d'hostilité vis-à-vis de Rome et prit ses distances par rapport aux traditions latines. L'orthodoxie resta sauve, mais sur les questions de discipline cléricale et liturgique, les 215 Pères grecs, orientaux ou arméniens réunis « sous la Coupole » du Palais impérial (in-Trullo) s'opposèrent plus d'une fois à Rome. Le pape Serge (687-701), syrien d'origine, déclara de son côté « préférer la mort » à la reconnaissance de « certains canons (qui) étaient contre l'ordre de l'Eglise » (Mansi, XII, 3).

50. Voici par exemple ce que dit saint Basile, dans un texte célèbre : « Parmi les "doctrines" et les "définitions" conservées dans l'Eglise, nous tenons les unes de l'enseignement écrit et nous avons recueilli les autres, transmises secrètement, de la tradition apostolique. Toutes ont la même force au regard de la piété, nul n'en disconviendra, s'il a tant soit peu l'expérience des institutions ecclésiastiques ; car, si nous essayions d'écarter les coutumes non écrites comme n'ayant pas grande force, nous porterions atteinte, à notre insu, à l'Evangile sur les points essentiels eux-mêmes... » (Traité du Saint-Esprit, 28 ; SCh 17, pp. 232-233).

51. D. Van den Eynde, Les normes de l'enseignement chrétien dans la littérature patristique des trois premiers siècles, Gembloux-Paris, 1933, p. 275.

52. En effet, c'est aussi en tant que « serviteurs des mystères divins » et médiateurs du peuple par la prière que les clercs des ordres majeurs sont notamment tenus dans les Eglises d'Orient à s'abstenir des relations sexuelles : continence parfaite pour les évêques, continence temporaire pour les prêtres et diacres mariés.

53. Qu'on me permette de citer ce que le P. Stickler a souligné dans la préface de mon livre : « L'évaluation historique (de l'auteur) se trouve appropriée à l'ensemble des phénomènes du développement doctrinal et disciplinaire dans l'Eglise primitive, un domaine où, le plus souvent, on manque pour établir la vérité, de témoignages explicites et écrits. Pour autant, on ne peut refuser d'admettre l'existence de ce qui ne se trouve pas explicitement affirmé, ou aller jusqu'à se croire obligé de nier cette réalité. Prenons une comparaison : on nierait qu'un arbre ait existé parce que, dans la semence ou dans la frêle plante à peine issue d'elle, il était encore impossible de l'identifier ou de le reconnaître. La méthode correcte, au contraire, consiste à dire que précisément à partir de l'arbre actuel, auquel il a fallu du temps pour se développer jusqu'à la forme qui permet de le bien connaître, on peut conclure à l'existence originelle, dans la semence et dans la plantule, de la même nature de l'arbre. » (C. Cochini, o.c., 8).

54. De baptismo contra Donatistas,. 1, VII, IV, 31 ; CSEL 51, 259.

55. Prima controversia generalis de Verbo Dei, lib. IV, cap. IX, dans Opera omnia, I, Paris, 1870, p. 218.

56. Vatican II, Lumen Gentium, III, 20.

57. P.P. Joannou, Discipline générale antique, I, 2, p. 525.

58. Vatican II, Lumen Gentium, III, 22.

59. Voir plus haut, pp....... ; pour Eusèbe de Césarée, saint Cyrille de Jérusalem et saint Ephrem, voir mon livre, pp. 204-209, 234-237, 244-245.

60. Au 3ème siècle, Tertullien et Origène sont hautement favorables de la continence parfaite pour le clergé. Pour l'interprétation de certains passages de saint Ignace d'Antioche, Clément d'Alexandrie, saint Athanase et saint Grégoire de Nazianze, on voudra bien se reporter à mon livre, pp. 163-165, 171-176, 237-243 et 267-272.

61. Adversus Haereses, III, 2 ; SCh 211, p. 33.

62. La décision qui a pu être prise au concile d'Ancyre de 314 (si elle l'a été) en faveur d'une certaine catégorie de diacres, les autorisant à se marier s'ils le voulaient, est précisément une innovation par rapport à la règle générale qui reste en vigueur. Voir mon livre, pp. 194-202. Quand au concile de Gangres de 340, l'anathème qu'il porte contre les eusthatiens refusant la communion des mains d'un prêtre marié n'est pas, tant s'en faut, l'attestation indirecte que ces prêtres mariés continuaient à mener la vie conjugale. Id° pp. 227-229.

63. Le désaccord éclata à nouveau à la fin du 2ème siècle entre le pape Victor et les évêques d'Asie conduits par Polycrate d'Ephèse, et connut un règlement pacifique grâce à 1'entremise de saint Irénée.

64. L'histoire donna finalement raison au pape Etienne contre saint Cyprien.

65. Vatican II, Dei Verbum, II, 10, 12. Saint Jérôme, Commentaire sur l'épître aux Galates, II, 5 ; PL 26, 417.

66. Sur l'importance de l'épître aux Hébreux dans la réflexion théologique néotestamentaire sur le sacerdoce du Christ, on pourra voir notamment A. Vanhoye, Prêtres Anciens, prêtre nouveau selon le Nouveau Testament, Paris, 1980.

67. Les autres raisons invoquées par les Pères sont notamment le devoir de paternité spirituelle, la nécessité de renoncer à la « chair » pour approcher la « sainteté » de Dieu, l'exemple à donner aux vierges et aux continents, et, dans une certaine mesure, la disponibilité pour les tâches apostoliques. Voir à ce sujet H. Crouzel, Le célibat et la continence ecclésiastique dans l'Eglise primitive : leurs motivations, dans J. Coppens, Sacerdoce et célibat, Gembloux-Louvain, 1971, pp. 333-371. Crouzel n'a cependant pas dégagé avec assez de relief le rôle primordial joué par la théologie du sacerdoce ministériel dans la hiérarchie des motivations en faveur de la continence.

68. Lorsque, par exemple, le synode romain de la décrétale Dominus inter déclare : « Si la commixtion est une souillure (si commixtio pollutio est), il est évident que le prêtre doit se tenir prêt à remplir ses fonctions célestes, lui qui va avoir à supplier pour les péchés d'autrui... », on serait tenté au premier abord d'y voir une dépréciation du mariage et des relations conjugales légitimes. Mais le contexte théologique de toute la pensée patristique sur le mariage, comme on vient de le rappeler, s'oppose nettement à une vue aussi négative. On peut remarquer alors que le sens premier du mot commixtio n'est pas « union sexuelle », mais plus simplement « mélange » de deux ou plusieurs choses. Le synode n'entend pas qualifier de « souillure » l'acte conjugal (ce qui, à proprement parler, serait une hérésie de type encratiste ou montaniste), mais il met l'accent sur l'incompatibilité de deux fonctions différentes qui ne sauraient se « mélanger », les unes qualifiées de « célestes », c'est-à-dire la prière sacrificielle d'intercession, les autres définies par « le service de la génération humaine. » On trouve par exemple cet emploi du mot commixtio dans l'antienne des Laudes de l'office du 1 janvier : « Mirabile mysterium declaratur hodie : innovantur naturae, Deus homo factus est ; id quod fuit permansit, et quod non erat assumpsit, non commixtionem passus neque divisionem. »

69. Voici les principaux auteurs patristiques chez lesquels on trouve un commentaire semblable à celui de Sirice :

. Eusèbe de Césarée, La démonstration évangélique, I, 9. GCS 23, 43.

. Saint Epiphane, Panarion, hérésie 59 ; Expositio fidei, 21. GCS 31, 367 ; GCS 37, 522.

. Saint Jean Chrysostome, Commentaire sur la première épître à Timothée, cap, III, hom. 10. PG 62, S47-549.

. L'ambrosiaster, Commentaire sur la première épître à Timothée, III, 12. PL 17, 497.

. Saint Ambroise, Ep. 83, Lettre à l'Eglise de Verceil, 62-63. PL 16, 1257-1258.

. Saint Jérôme, Adversus Jovinianum, I, 34 ; Ep. 49, Apologeticum ad Pammachium, 10 et 21 ; Adversus Vigilantium, 2. PL 23, 257 ; CSEL 54, 365 et 386-387 ; PL 23, 2340-341.

. Saint Isidore de Séville, De ecclesiasticis officiis, II, 5, 8. PL 83, 783, 790.

On peut adjoindre à cette liste les Canons ecclésiastiques des saints apôtres qui mettent dans la bouche de saint Pierre la recommandation de choisir pour évoque, à défaut d'un célibataire, le « mari d'une seule femme », en utilisant une tournure grecque qui paraît bien impliquer le veuvage. (Pitra, Juris ecclesiastici Graecorum historia et monumenta, I, Rome, 1864, pp.619-638).

70. Voir l'excellente étude de Ignace de la Potterie, « Mari d'une seule femme » Le sens théologique d'une formule paulinienne, in Paul de Tarse, apôtre de notre temps, Roma 1979, pp. 619-638.

71. Vatican II, Verbum Dei, 10.

72. I. de la Potterie, Il fondamento biblico del celibato sacerdotale, in Solo per amore, rifflessioni sul celibato sacerdotale, prefazione di S.E. Card. José T. Sanchez, ed. Paulina, 1993, pp. 11-26.

73. Cette interprétation est aussi celle de l'exégète anglican bien connu A. Plumer, dans son livre The pastoral epistles, chap. XI, Londres, 1883. Elle est, à son avis, l'interprétation « prédominante », car « tous ces passages se réfèrent à un second mariage après que le premier mariage a été dissous par la mort. »

74. Les paroles de Jésus sur les « eunuques » volontaires pour le Royaume des Cieux proposent un idéal de vie à choisir en toute liberté. C'est sans doute, à mon avis, la raison pour laquelle Sirice et les législateurs des premiers siècles ne s'y réfèrent pas directement. Néanmoins, ces paroles de Jésus peuvent âtre déjà perçues comme une exigence non facultative pour ceux qui dans l'Eglise sont appelés à un service plus grand, entraînant un don de soi complet au Royaume. J. Galot a justement fait remarquer que « si la situation initiale des Apôtres ne nous est pas connue avec certitude au moment de leur appel, il est certain par contre que le Christ leur a demandé le renoncement à la vie de famille et au mariage. C'est lui qui a uni l'appel au célibat et l'appel au ministère sacerdotal. » (J. Galot, Le sacerdoce catholique, cb. XI : l'état de vie du prêtre, dans Esprit et Vie, n. 29 (21 juillet 1983), p. 424.)

75. Henri BREMOND a dit de Louis THOMASSIN qu'il était « l’honneur éternel de l'Oratoire, de l'érudition française et de l'Eglise. » Une citation montrera comment Thomassin concevait les origines de la loi sur le célibat des prêtres : « Cette Loi, par rapport aux Ecclésiastiques, qui sont dans les Ordres majeurs, est aussi ancienne que l'Eglise ; le Pontife éternel qui a voulu naître d'une Vierge, et qui a été lui-même une hostie virginale, dont il a voulu qu'il se fit une immolation éternelle dans son Eglise par ceux qu'il a appelés à son divin sacerdoce, a voulu aussi que ses sacrificateurs fussent ses imitateurs, et offrissent leurs corps avec le sien, comme une victime chaste, pure et innocente. C'est dans ce dessein qu'il choisit des apôtres ou vierges pour toujours, ou continents à l'avenir : c'est pour cela que les apôtres n'élurent pour être dépositaires et successeurs de leur royauté sacerdotale, que des vierges, ou au défaut des vierges, des personnes dévouées à un célibat éternel ; enfin c'est pour cela que ces divins disciples bannirent à jamais du sacerdoce virginal de l'Eglise ceux dont l'incontinence avait éclaté par un double mariage » (o.c., p. 886).

76. Apologia pro vita sua, being a history of his religious opinions, edited with an introduction and notes by Martin J. Svaglic, Oxford, at the Clarendon Press, 1967, p. 58.

77. Pour une présentation plus complète de cette controverse, on pourra se reporter à mon livre, pp. 54-57.

78. Il faut citer notamment les 'remarquables études du cardinal Alfons M. STICKLER, La  continenza dei diaconi specialmente nel primo millenio della, chiesa, dans Salesianum 26 (1964), pp. 275-302 ; Tratti salienti nella storia del celibato, dans Sacra Doctrina 15 (1970), pp. 585-620 ; et surtout, Der Kleriker Zölibat, Seine Entwicklungsgeschichte und seine theologischen Grundlagen, Kral Verlag, 1993. Voir aussi l'excellent livre de Roman CHOLIJ, Clerical celibacy in East and West, Fowler Wright Books, 1988.

79. II y a cela trois motifs principaux, fait remarquer le cardinal STICKLER : « Avant tout, parce que le débat avait pris un tour trop polémique pour permettre une appréciation sereine des arguments avancés de part et d'autre ; ensuite, parce qu'on n'avait pas suffisamment distingué... entre norme écrite et tradition orale, avec tout ce qu'impliqué cette dernière, notamment dans les premiers siècles de l'Eglise ; enfin, parce qu'on n'avait pas suffisamment mis au point le concept de célibat propre à ces premiers siècles (et pas seulement à eux). Celui-ci ne consiste pas seulement, comme le croit trop souvent le profane, dans l'interdiction de se marier, mais encore dans la continence, c'est-à-dire dans le renoncement à l'usage du mariage chez ceux qui étaient mariés avant 1'ordination, cas très fréquent, sinon commun, dans les premiers temps de l'Eglise. » On peut ajouter que FUNK n'a pas fait état de certains documents de première importance pour l'histoire de la tradition orientale, comme le Corpus Juris Civilis de Justinien, et surtout le célèbre Concile in-Trullo (691) qui montre comment les Byzantins eux-mêmes concevaient l'origine et le fondement de leur tradition. Qui plus est, ainsi que le souligne justement le cardinal STICKLER dans son dernier livre, FUNK fait preuve d'un manque d'esprit critique surprenant à propos de la prétendue intervention de Paphnuce au concile de Nicée.

80. AAS 28 (1936), p. 25.

81. Voir plus haut, p.

82. AAS 28 (1936), p. 26.

83. Cf. Demetrius CONSTANTELOS, Mariage et célibat du clergé dans l'Eglise orthodoxe,  in Concilium 1972 (78), p. 35.

84. R. CHOLIJ l'a très bien montré dans son livre, et aucune autre explication avancée jusqu'ici ne s'impose avec autant de force que la sienne.

85. Concilium Lateranense II, Canones, n. 7. in Norman P. TANNER s.j., Decrees of the Ecumenical Councils, vol. one Nicaea I to Lateran V, Sheed 7 Ward and Georgetown University Press 1990, p, 198. C'est moi qui souligne.

86. La première de ces décisions est le 9ème des canons sur le sacrement de mariage, votés au cours de la Session 24 du 11 novembre 1563 :

« Si quelqu'un prétend que les clercs constitués dans les ordres sacrés, ou les religieux qui ont fait vœu solennel de chasteté, peuvent contracter mariage, et que ce contrat est valide, nonobstant la loi ecclésiastique ou le vœu ; que soutenir le contraire n 'est rien d'autre que condamner le mariage ; et que tous ceux qui ne pensent pas avoir le don de chasteté (même s'ils en ont fait le vœu) peuvent se marier : qu'il soit anathème. » (N. P. TANNER, op. cit., p. 755).

Le 10ème de ces canons sur le sacrement de mariage souligne la supériorité du célibat sur le mariage : « Si quelqu'un prétend que l'état conjugal est préférable à l'état de virginité ou de célibat, et qu'il n'est ni meilleur, ni plus profitable de demeurer dans la virginité ou le célibat que de se marier, qu'il soit anathème. »

Les autres textes du concile de Trente ayant trait directement ou indirectement à la question du célibat sacerdotal sont les suivants : Session 21, Décret sur la réforme, can.6 (id° p. 730) ; Session 22, Décret sur la réforme, can. 1 (id° p.737-738) ; Session 23, Décret sur la réforme, can.14, 17, 18 (id° p.749, 750-753) ; Session 25, Décret sur la réforme générale, cap. 14, 15 (id° p.792-794).

87. Voir surtout Session 22, Décret sur la réforme, can. I (P. N. TANNER, op. cit., pp. 681- 683 et pp. 744-746).

88. Pii X Acta, 4, 242-244,

89. En voici le texte : can. 132-§ 1 : Clerici in maioribus ordinibus constituti a nuptiis arcentur et servandae castitatis obligatione ita tenentur, ut contra eandem peccantes sacrilegii quoque rei sint, salvo praescripto can. 214,§.1.

§ 2. Clerici minores possunt quidem nuptias inire, sed, nisi matrimonium fuerit nullum vi aut metu eisdem incusso, ipso iure e statu clericali decidant.

§ 3. Coniugatus qui sine dispensatione apostolica ordines maiores, licet bona fide, suscepit, ab eorundem ordinum exercitio prohibetur.

can. 1072 : Invalide matrimonium attentant clerici in sacris ordinibus constituti. On peut, noter également le canon 133 qui traite de la cohabitation des clercs avec les femmes.

90. AAS 12 (1920), pp. 57-58,

91. AAS 12 (1920), pp. 585-588.

92. « Hac etiam de re inter Latinam Orientalemque Ecclesiam tunc temporis consensionem iis in locis viguisse, in quibus severiori disciplinae obtemperaretur. » p.26.

93. « Nihilo socius quae adhuc, ecclesiasticum caelibatum commendantes, verba fecimus non idcirco intellegi volumus, ac si Nobis in mente esset absimilem illam disciplinam quoda.mmd.odo improbare ac redarguere, quae in Orientalem Ecclesiam legitime invecta est », op.cit, p. 28.

On sait que la restauration de l'unité avec les Chrétiens orientaux fut l'une des préoccupations majeures du pontificat de Pie XI. Benoît XV avait institué en 1917 la Congrégation pour l'Eglise orientale, et fondé la même année l'Institut pontifical d'Etudes orientales. Pie XI leur donna un élan nouveau, encourageant de toute son autorité les Catholiques à mieux connaître leurs frères d'Orient. Il consacra deux encycliques au problème de l'Unité avec les Eglises d'Orient : Ecclesiam Dei, sur saint Josaphat, le 12 nov. 1923 (AAS 15 (1923), 573-582), et Rerum Orientalium, sur la promotion des études orientales, le 8 sept. 1928 (AAS 20 (1928), 277-288).

94. op. cit. p. 26.

95. En employant l'adverbe « legitima », Pie XI ne prend pas position sur les origines de la discipline orientale ; il ne la rattache pas non plus explicitement aux décisions du concile in Trullo. Voir à ce sujet R. CHOLIJ, op. cit., p. 188-189.

96. AAS 32 (1950), 663s.

97. AAS 46 (1954), 161-191.

98. AAS 51 (1959), 554s.

99. AAS 52 (1960), 226.

100. Optatam totius Ecclesiae renovationem, n. 10.

101. Le 21 novembre 1964.

102. L'absence d'allusion quelconque à ces documents essentiels pour l'histoire du célibat ecclésiastique que sont les décrétales du pape Sirice, la législation conciliaire des premiers siècles et les témoignages des écrivains patristiques montre bien également l'intention du concile de ne pas traiter pour elle-même la question des origines de la loi du célibat.

103. Cela ressort nettement du paragraphe où est accueillie 1'objection tirée du Nouveau  Testament : « La première (objection) semble venir de la source la plus autorisée : le Nouveau Testament, où nous est gardée la doctrine du Christ et des apôtres, n'exige point le célibat des ministres sacrés, mais le propose comme libre obéissance à une vocation spéciale, à un charisme spécial (cf. Mt 19, 11-12). Jésus lui-même n'en a pas fait une condition préalable au choix des Douze, ni non plus les apôtres à l'égard des hommes qui étaient préposas aux premières communautés chrétiennes (cf. 1 Tm 3, 2-5 ; Tt 1, 5-6) ». De même, l'emploi fréquent du mot « virginitas », dans l'encyclique, comme synonyme de « caelibatus » est lui aussi significatif. Ainsi, par exemple : « Certes... la virginité n'est pas exigée par la nature même du sacerdoce... » (n. 17) ; « la virginité consacrée des ministres sacrés, manifeste eh effet l'amour virginal du Christ pour l'Eglise... » (n. 26) ; « la virginité pour Dieu est un don spécial... » (n. 44) ; etc.

104. n. 35.

105. n.36

106. Comme nous l'avons fait remarquer, plus haut, l'influence des théories de Funk, véhiculées par Leclercq et Vacandard, reste prédominante jusqu'à l'époque du concile Vatican II, et constitue la toile de fond historique qui s'impose encore bon gré mal gré à l'opinion.

107. n. 36 : « Si la législation de l'Eglise orientale en matière de discipline du célibat ecclésiastique est différente, selon ce qui fut finalement établi par le Concile In Trullo de 692 (can. 6, 12, 13, 48) et ouvertement reconnu par le second Concile du Vatican (décr. Presbyterorum Ordinis, n.16), cela est dû aussi à des circonstances historiques différentes et propres à cette partie très noble de l'Eglise : à cette situation spéciale, le Saint-Esprit a providentiellement et surnaturellement adapté son assistance. » Doc. Cath. t. LXIV, 16 juillet 1967, n. 1498, p. 1261. Voir aussi R. CHOLIJ, op. cit., p. 191-192.

108. AAS 63 (1971), p.899.

109. « Lex caelibatus sacerdotalis in Ecclesia Latina vigens integre servari debet. » Il y eut 168 Placet, 10 Non placet, 21 Placet iuxta modum et 3 abstentions. AAS 83 (1971), p. 917, n.2.

En ce qui concerne l'ordination d'hommes mariés, les évêques eurent à choisir entre les deux formules suivantes :

- Formule A : « Le droit du Souverain Pontife demeurant toujours sauf, l'ordination sacerdotale des hommes mariés n'est pas admise, pas même dans des cas particuliers. »

- Formule B : « Il appartient au seul Souverain Pontife, dans des cas particuliers, en raison des nécessités pastorales, et compte tenu du bien de l'Eglise universelle, de permettre l'ordination sacerdotale d'hommes mariés, d'âge mûr et d'une probité éprouvée. »

La première formule recueillit .107 suffrages ; la seconde 87, avec 2 abstentions et 2 bulletins nuls.

110. AAS 63 (1971), p.897s.

111. « Caelibatus in Ecclesia Latina servandas. Salve maneant Ecclesiarum Orientalium traditiones, prout nunc vigent in variis territoriis. » AAS 63 (1971), p. 916.

112. Can. 277-§ 1. Les clercs sont obligés à observer la continence parfaite et perpétuelle pour le Royaume des cieux, et sont donc tenus au célibat, lequel est un don spécial de Dieu, par lequel les ministres sacrés peuvent adhérer plus facilement au Christ d'un cœur sans partage et peuvent se consacrer plus librement au service de Dieu et des hommes.

§ 2. Que les clercs se conduisent avec prudence avec les personnes dont la fréquentation pourrait mettre en péril l'observation de la continence à laquelle ils sont tenus où devenir une cause de scandale pour les fidèles.

§ 3. Il appartient à 1'évêque diocésain d'édicter des normes plus spécifiques sur cette matière et de juger les cas particuliers concernant l'observation de cette obligation.

Aux canons 1394 et 1395 sont prévues des sanctions canoniques pour les clercs qui violent la loi de célibat par une tentative de mariage, même seulement civil, qui vivent en concubinage, causent un scandale public ou persistent dans une autre faute extérieure contre le sixième commandement de Dieu.

113. Voici la liste de ces 21 Eglises, classées suivant les Eglises-mères d'où elles tirent leur origine : I) Alexandrie : 1. Eglise copte (patriarchat) ; 2. Eglise éthiopienne (patriarchat) ; II) Antioche : 3. Eglise malankar ; 4. Eglise maronite (patriarchat) ; 5. Eglise syrienne (patriarchat). III) Constantinople (ou Byzance) : 6. Eglise albanaise ; 7. Eglise biélorusse ; 8. Eglise bulgare ; 9. Eglise grecque ; 10. Eglise hongroise ; 11. Eglise italo-albanaise ; 12. Eglise melkite (patriarchat) ; 13. Eglise roumaine ; 14. Eglise russe ; 15. Eglise ruthène ; 16. Eglise slovaque ; 17. Eglise ukrainienne ; 18. Eglise yougoslave. IV) Arménie : 19. Eglise arménienne (patriarchat). V) Chaldée : 20. Eglise chaldéenne (patriarchat) ; 21. Eglise malabar.

114. Voici les canons relatifs au célibat et au mariage des clercs :

Canon 180- Pour qu'un sujet soit reconnu apte à l'épiscopat, il est requis qu'il soit non lié par un mariage (vinculo matrimonii non ligatus).

Canon 373- Le célibat des clercs, choisi à cause du royaume des cieux, et qui a une si grande convenance avec le sacerdoce, doit être partout tenu en très grande estime (ubique permagni faciendus est), comme le montre la tradition de l'Eglise universelle ; de même, le statut des clercs engagés dans le mariage, sanctionné par la pratique de l'Eglise primitive et des Eglises orientales à travers les siècles, doit être honoré (in honore habendus est).

Canon 374- Les clercs célibataires et mariés doivent briller de l'éclat de la chasteté ; c'est au droit particulier qu'il appartient de statuer sur les moyens opportuns à adopter pour atteindre ce but.

Canon 376- Il faut favoriser, autant que faire se peut, la vie commune louable entre les clercs célibataires, afin qu'ils s'aident mutuellement dans l'exercice de la vie spirituelle et intellectuelle et puissent être plus aptes à coopérer dans le ministère.

Canon 758- (Des conditions requises chez les candidats à l'ordination sacrée) §3: Pour ce qui est des hommes mariés admis aux ordres sacrés on observera le droit particulier de sa propre Eglise ou les normes spéciales fixées par le Siège Apostolique.

Canon 782- (Des empêchements à recevoir ou à exercer les ordres sacrés). §1 Contracte un empêchement à recevoir les ordres sacrés... . 3°. celui qui a fait une tentative de mariage, même simplement civil, soit que lui-même est sous le coup d'un empêchement à la célébration d'un mariage du fait d'un lien matrimonial, d'un ordre sacré ou d'un vœu public perpétuel de chasteté, soit (qu'il ait tenté de se marier) avec une femme validement mariée ou liée par le même vœu.

Canon 769-§1. L'Autorité qui admet un candidat à l'ordination sacrée doit obtenir : 2° si le candidat est marié, un certificat de mariage et le consentement de l'épouse donné par écrit.

115. Cf. Synode des évoques sur la formation des prêtres dans les circonstances actuelles –« Lineamenta » (1989) , n.5-6. Cité par Pastores dabo vobis, n. 10.

116. Cf. Doc. Cath., 17 avril 1894, n, 2092, p. 375.

117. PG 138, 32.

118. Cf. H. CROUZEL, Le célibat et la continence ecclésiastique dans l'Eglise primitive : leurs motivations, dans J. COPPENS, Sacerdoce et célibat, Gembloux-Louvain, 1971, pp. 333-371.

119. Voir par exemple B. VERKAMP, Cultic Purity and the Law of Celibacy, dans Review for Religions (30) n. 2, March 1971, p. 215.

120. On aimera se rappeler ici les admirables pages du P. DE LUBAC sur le rapport entre les deux Testaments : « Pour que l'Ancien Testament pût être compris dans son "vrai" sens, dans son sens "absolu", il fallait donc, de toute nécessité, que les temps fussent révolus et que le Christ fût venu. Seul celui-ci pouvait "rompre le mystérieux silence des énigmes prophétiques", seul il pouvait ouvrir le livre scellé des sept sceaux... » (Catholicisme, pp. 144 s.).

121. Discours pour le Trentième anniversaire de « Presbyterorum ordinis », 27 octobre 1995. O. R. éd. fr., n.46 14 nov.1995, p. 5).

122. On sait que le Discours de saint Grégoire de Nazianze « sur sa fuite », où il traite de la grandeur du sacerdoce, a été imité par saint Grégoire le Grand dans sa célèbre « Règle pastorale. »

123. Dialogue sur le sacerdoce, VI, 4. SC 272, p. 317.

124 Ibid., p. 319-321.

125. Sirice, ep. I, 12 ; PL 13, 1141 ; ep. VI, 3 ; PL 13, 1164-1165. Innocent I, ep. III, 7 ; PL 20, 490.

126. Cette responsabilité des pasteurs, c'est-à-dire du collège des évêques uni au Souverain Pontife, à l'égard de la vie religieuse (cf. C.I.C., can. 590, par. 1) s'est toujours exercée et continue de s'exercer sous de multiples formes. On remarquera que ce sont justement les évêques, unis au pape, qui ont élaboré, en vertu de cette responsabilité, le document de Vatican II sur la rénovation et l'adaptation de la vie religieuse (Perfectae caritatis), tout comme ce sont eux qui ont pris l'initiative du récent synode sur la vie religieuse et ont réfléchi, avec les Supérieurs d'Instituts religieux, à « la vie consacrée et sa mission dans l'Eglise et le monde. »