L’ENSEIGNEMENT DE PAUL VI
1969
Suite
7 mai : LES
IMPROVISATIONS SONT NUISIBLES A UNE VERITABLE REFORME DE L'EGLISE
14 mai : L'UNITE
FECONDE DE LA FOI
21 mai : L'HOMME DANS
LE COSMOS
28 mai : LA RELIGION
DEVANT UN MONDE QUI CHANGE
2 juin : LE SENS DE LA
FETE-DIEU ET DE LA FETE DU SACRE-CŒUR
18 juin : REALITES
ACTUELLES DE LA CONDITION OUVRIERE
25 juin : L’AUTHENTICITE DOCTRINALE NE DOIT PAS ETRE ALTEREE
PAR LE DESIR DE SIMPLIFICATION
2 juillet : DONNER AU
CHRISTIANISME AUTHENTIQUE DES REFERENCES NOUVELLES
9 juillet : CHERCHER ET
SUIVRE LES VOIES DE LA LIBERTE, VECUE DANS L'ESPRIT EVANGELIQUE
16 juillet : DIEU
MANIFESTE A TRAVERS LES DECOUVERTES INTERPLANETAIRES
23 juillet : LA DECOUVERTE
DE DIEU A TRAVERS LES DECOUVERTES SPATIALES
30 juillet : DANS SON VOYAGE
EN OUGANDA PAUL VI A EU SANS CESSE PRESENTS LES DRAMES QUI OBSCURCISSENT
L'HORIZON AFRICAIN
6 août : KAMPALA :
EXEMPLE VIVANT DE LA VOCATION MISSIONNAIRE DE L'EGLISE
13 août : LA NECESSITE
DU RETOUR A LA PRIERE PERSONNELLE
20 août : L'ORAISON
ILLUMINE LA VIE, TIENT EN EVEIL LA VIGILANCE, STIMULE LA CONSCIENCE
27 août : LA PRIERE
DANS LE MONDE MODERNE
3 septembre : LA REFORME
LITURGIQUE
10 septembre : LUCIDITE,
SOUFFRANCE MAIS CONFIANCE DEVANT LES TENDANCES DANS L'EGLISE
17 septembre : FAIRE PASSER
LE CONCILE DANS LA VIE
24 septembre : TROIS
FIDELITES PLUS QUE JAMAIS NECESSAIRES
1er octobre : AFFIRMER
LA DIGNITE HUMAINE EN FACE DE L'AGRESSION DU VICE
8 octobre : RENOUVEAU DE
LA PRIERE MARIALE
15 octobre : « UN EFFORT
DE SERENITE, UN ACCROISSEMENT DE PRIERE, SONT NECESSAIRES PENDANT LE SYNODE »
(PAUL VI)
22 octobre : L'EGLISE :
UNE FOI L'ENGENDRE, UNE AUTORITE LA DIRIGE, UN ESPRIT LA VIVIFIE
29 octobre : RENOVATION DE
L'EGLISE ET VIE D'UNION PERSONNELLE AU CHRIST
5 novembre : LA COMMUNION
ECCLESIALE EST AUSSI COMMUNION AVEC LES SIECLES QUI ONT FAIT L'EGLISE
12 novembre : LIBRES, SANS
ETRE SEULS NI AUTONOMES MAIS INSERES DANS UN ORDRE COMMUNAUTAIRE ET
HIERARCHIQUE
19 novembre : LA REFORME
LITURGIQUE : « TEMPS NOUVEAUX » DE LA VIE DE L'EGLISE
26 novembre : LE NOUVEAU
RITE DE LA MESSE : RAISON ET INCIDENCES D'UNE REFORME
3 décembre : LES SYMPTOMES
DE CRISE DOIVENT FORTIFIER LA FOI DANS L'EGLISE
10 décembre : ACTUALITE DU
CONCILE VATICAN I
17 décembre : NOËL : FETE
DES FOYERS CHRETIENS
24 décembre : UN HUMANISME VRAI SANS LE CHRIST N'EXISTE PAS
31 décembre : VIVRE LE
TEMPS QUI PASSE DANS LA CONSCIENCE DU TEMPS QUI VIENT
Chers Fils et Filles,
Notre désir serait de confirmer et d'accroître en vous l'amour envers l'Eglise, envers la Sainte Eglise du Christ, qui est — comme vous le savez — le Corps mystique du Christ, l'extension dans l'humanité et dans le temps du mystère de l'Incarnation ; signe et instrument, d'une part, de l'économie du salut ; ternie et plénitude, d'autre part, de l'œuvre rédemptrice du Christ. L'Eglise est moyen et fin par rapport au règne du Christ. Le Concile nous appelle à l'étude et à la compréhension de l'Eglise. Les fils bons et fidèles de l'Eglise se sont réjouis de cet événement qui leur a donné une connaissance plus riche et plus profonde de la famille spirituelle à laquelle ils ont le privilège — ils s'en sont rendu compte — d'appartenir; ils ont mieux compris comment, en elle, s'accomplit leur union avec le Christ et avec Dieu ; comment, en elle, s'exprime avec sécurité la révélation de la vérité ; comment, en elle, l'espérance est en partie comblée, en partie promise, mais déjà pleine de joie et de paix (cf. Rm 15, 13) ; comment, en elle, la charité circule merveilleusement, de Dieu à nous, de nous aux autres hommes, devenus donc frères ; et comment de la communion ainsi créée, la charité rejaillit, avec un amour nouveau et nôtre — parce que personnel — et plus que nôtre, parce qu'animé de l'Esprit Saint dans sa source divine. L'Eglise est apparue à ses membres conscients, ce qu'elle était vraiment : la chance, la béatitude, la formule de la vraie vie dans le temps, en chemin vers l'éternité.
Mais qu'est-il arrivé ? Au moment même où la vision de l'Eglise est apparue de nos jours dans sa vérité idéale, et réelle aussi, on a ressenti toujours plus fortement le malaise dû à ses imperfections concrètes et humaines. L'Eglise est composée d'hommes imparfaits et limités, pécheurs: c'est une institution sacrée et sainte, mais construite avec du matériel humain toujours inadéquat et périssable ; elle est insérée dans le courant de l'histoire qui passe ; elle est donc sujette dans ses explicitations contingentes aux changements propres au temps. Et alors s'est accentué un grand désir légitime d'« aggiornamento », de réforme, d'authenticité, de «rajeunissement dans l'Eglise» (cf. Card. Siri) ; mais en même temps s'est répandue dans beaucoup de milieux une inquiétude qui a troublé, après le Concile, le dialogue à l'intérieur même de l'Eglise, avec de nombreux échos dans la presse. Ainsi s'est posé, en ternies nouveaux et souvent agressifs, le grand problème de la réforme de l'Eglise dans l'Eglise.
C'est un des thèmes les plus intéressants, les plus graves et les plus urgents de notre temps ; et Nous, qui plus que tout autre désirons la vraie réforme de l'Eglise (cf. Ecclesiam suam), Nous pensons que c'est un signe des temps, une grâce du Seigneur, la possibilité offerte aujourd'hui à l'Eglise de se consacrer à sa propre réforme. Ce travail doit toujours être en mesure de reconnaître la fragilité des hommes, même s'ils sont chrétiens et de corriger leurs éventuelles faiblesses et les déformations ecclésiastiques. Compris dans son sens authentique, nous pouvons faire nôtre le programme d'une réforme continuelle de l'Eglise, Ecclesia semper reformanda (cf. congar, Vraie et fausse réforme dans l'Eglise, 2° éd., pp. 409 ss.).
Mais que se passe-t-il dans l'opinion publique, malheureusement souvent si superficielle, mal intentionnée et avide de découvrir et de créer des impressions sensationnelles, aussi irresponsable que vigoureuse dans ses affirmations sur les devoirs et les manques de la Hiérarchie ? Il advient que l'observation de la grande réalité mystérieuse de l'Eglise s'arrête aux aspects extérieurs, contingents, en y découvrant avec une profonde gravité, mais une trop rapide facilité les défauts évidents. On se plaît à en faire l'objet de scandales, et à reprocher à l'autorité de l'Eglise l'abandon de la foi de tous ceux qui, à bon droit, la voudraient digne et parfaite, spirituelle et sublime dans tout son comportement. La trouvant au contraire inférieure à l'idéal qu'elle ne réussit pas toujours à personnifier dignement, certains en font un prétexte, même parfois un mérite, pour professer un christianisme à leur manière, et en pratique sans engagement aucun, ni doctrinal, ni disciplinaire, ni cultuel, ni communautaire. Et s'ils sont nombreux à avoir la même attitude de libre critique, ils se réunissent et s'affirment en groupes particuliers, qui finissent par donner des préférences à d'autres idéologies soit religieuses (cf. modernisme ancien et récent), soit sociales (cf. marxisme), plutôt qu'à l'authentique foi chrétienne.
Un mot revient continuellement dans ce réformisme polémique : « les structures » qui dans le phénomène actuel de contestation illuministe désignent des organismes canoniques, des institutions juridiques, des institutions ecclésiastiques traditionnelles, des autorités hiérarchiques responsables, des systèmes archaïques déterminés, qui forment l'ossature du corps ecclésial, de doctrines dogmatiques établies, de magistère autorisé, de Curie romaine, etc. Les structures correspondent à ce qu'on appelle « Eglise institutionnelle » par rapport et aussi en opposition, à l'Eglise libre et spirituelle. Elles prennent donc une signification négative, contre laquelle le nouveau christianisme soi-disant charismatique, ou de libre interprétation biblique lance des insinuations corruptrices et revendique un droit arbitraire de jugement ou d'action. Si la religion s'éteint, si l'Eglise est désertée, la faute — dit-on — en est aux structures, l'obstacle est dans les structures : les structures sont sclérosées, les structures ne dérivent pas du Christ : libérons-nous des structures et nous aurons de nouveau un christianisme jeune et authentique.
Que dirons-nous ? Quelle attitude prendra notre amour de l'Eglise ?
Nous ferons avant tout une réflexion sur ce mot « structures », aux sens divers, pour distinguer ainsi les structures constitutionnelles de l'Eglise, auxquelles nous devons rester fermement attachés — et non seulement par résignation —, des structures dérivées, par le chemin de la tradition historique et du développement à partir des racines essentielles du message évangélique et apostolique ; Dans ces structures il peut y avoir des éléments qui ne sont pas nécessaires à l'image et à la vie permanente de l'Eglise ; il peut y avoir aussi des institutions ou des habitudes abusives, ou qui ne sont plus capables de permettre le contact de l'Eglise avec des situations historiques et sociales qui se sont modifiées. Ici la réforme peut, et en certains cas doit, innover ; mais à qui revient le jugement, à qui l'autorité et la responsabilité d'interventions profondes, novatrices ?
Et ceux qui soutiennent trop facilement l'abolition d'usages, de formes, de langage, hérités comme « structures » du passé, ont-ils toujours le sens historique et psychologique pour soutenir certaines transformations arbitraires et iconoclastes, et savent-ils combler le vide qu'ils produisent dans les habitudes légitimes du peuple avec quelque chose qui les égale moralement et religieusement ? Sont-elles vraiment toujours privées de signification spirituelle et de vitalité chrétienne, certaines institutions et coutumes de l'Eglise, que la fièvre d'une modernisation abstraite voudrait, sans plus, détruire ? Certaines d'entre elles ne pourraient-elles pas se moderniser, oui, et — tout en conservant ne serait-ce que la valeur d'un témoignage historique — refleurir dans des activités nouvelles et bénéfiques ?
Nous ne voulons pas nous faire le défenseur de l'immobilisme et du juridisme, car nous cherchons Nous-même à donner à l'Eglise un visage nouveau, un esprit vivant, une authenticité démontrée à ses institutions. La révision des structures actuelles est en plein développement, courageux mais réfléchi, dans toute l'Eglise responsable, mais Nous voulons mettre en garde les auteurs de simplifications improvisées, chirurgicales et parfois destructrices du patrimoine traditionnel de la vie ecclésiale. La modernisation de l'Eglise ne dépend pas toujours du rejet de ses structures traditionnelles, surtout quand celles-ci sont vérifiées par une expérience séculaire et encore capables d'une continuelle vie nouvelle (comme la paroisse, pour donner un exemple). L'authentique jeunesse de l'Eglise ne se fera pas par la sécularisation et la libéralisation de la vie ecclésiale, c'est-à-dire en l'affranchissant de ses structures extérieures, même si celles-ci ont désormais besoin de réformes intelligentes, mais plutôt en ravivant au sein de l'Eglise le souffle vivifiant de l'Esprit, la vie de prière et de grâce, l'exercice de la charité et de l'obéissance, la sainteté. La voix du Prophète que nous avons entendue durant le Carême résonne encore : « Déchirez votre cœur et non vos vêtements » (Jl 2, 13). Ecoutons-la toujours. Avec Notre Bénédiction Apostolique.
Chers Fils et Filles,
Nous avons déjà parlé, dans des audiences générales comme celle-ci, de certaines expressions qui ont eu beaucoup de succès après le Concile : une d'entre elles est celle de « pluralisme ». Ce n'est pas le Concile qui l'a inventée, même si elle fait son apparition dans certains documents conciliaires (cf. Gravissimum educationis, 7 ; Gaudium et spes, 76). On peut dire qu'il en a facilité l'usage, en mettant en évidence le concept et la réalité, et donc en autorisant son application dans des domaines très étendus du savoir et de la vie. Nous rencontrons ce pluralisme dans les variétés sans fin du cosmos ; dans la multiplicité protéiforme des aspects du monde contemporain ; dans l'égalité en dignité et en droits fondamentaux de chaque peuple, de chaque être humain, de chaque conscience ; dans le principe de la liberté reconnue à tous, de professer sa propre religion sans intervention illégale du pouvoir civil et en dehors de la violence raciste ou du milieu; dans la possibilité d'autoriser chaque langue à s'exprimer à sa manière dans la liturgie, et encore, dans l'évaluation positive de la multiplicité de fait des différentes confessions chrétiennes sur la voie de l'œcuménisme ; dans l'honneur attribué à chaque évêque, à chaque église locale, à chaque activité valable du laïcat catholique ; dans la légitimité de formulations diverses des doctrines théologiques relatives à l'unique vérité révélée et définie par le magistère de l'Eglise, et ainsi de suite. Le monde est complexe, chacune de ses visions contient une richesse de réalité et présente une multiplicité d'aspects qui exigent un pluralisme de concepts d'évaluations, de comportement : pluralisme scientifique, politique, linguistique, administratif, etc. Dans le domaine ecclésial également la complexité de ses composantes doctrinales, hiérarchiques, rituelles, morales, ne peut s'exprimer qu'en formes et en langages pluralistes. Le grand respect, ensuite, que notre religion marque pour chaque moment, pour chaque parcelle, pour chaque acte de ses composantes, soit divines, soit humaines, oblige d'éviter toute simplification nivellatrice ou appauvrissante. Notre vie spirituelle se déroule dans un enchaînement très compliqué et très délicat de réalités, de vérités, de devoirs, de vibrations psychologiques et sentimentales, dont il faut tenir compte. La civilisation se mesure à la capacité pluraliste de l'homme. On peut dire que la sainteté se déroule dans une complexité toujours plus grande de rapports spirituels et moraux. Tout est complexe, tout est profond, tout porte la trace de l'indéfini, qui est comme un reflet de l'Infini en qui tout a son origine. Celui qui voit, qui observe, qui réfléchit, qui prie, se sent dominé par la multitude, par la grandeur, par la découverte, par le mystère des choses. Le pluralisme est dans les choses; ensuite dans les mots et les paroles.
Dans le même temps (et cela est aussi une merveilleuse réalité) tout est marqué par un principe d'unité non moins évident. L'être lui-même, dans chacune de ses expressions, est tourné vers une unité mystérieuse et en même temps dévoilée. C'est extraordinaire ! Mais laissons aux maîtres de la pensée de s'avancer davantage sur ce chemin fascinant et tourmenté. Il nous suffit d'un regard qui peut retenir notre esprit dans ce lieu et à ce moment, lieu et moment de foi, de rencontre de nos âmes avec ce monde religieux que nous appelons le christianisme, et sous son aspect concret, l'Eglise catholique.
Sommes-nous pluralistes, nous ? La réponse à cette demande ne peut être que multiple. C'est-à-dire, oui, nous le sommes, comme nous le disions plus haut : nous le sommes parce que catholiques, c'est-à-dire universels ; aucun écran ne met des limites à la considération de la réalité, de la vérité. Notre vocation est pour l'Universel, nous sommes totalitaires dans notre vision du cosmos, de l'humanité, de l'histoire, du monde. Pour ce qui est de l'expérience humaine, nous répétons la célèbre phrase de Térence : « homo sum, et nihil humani a me alienum puto », je suis homme, et rien de ce qui est humain ne m'est étranger. Celui qui craint de perdre la vision complète de la vie et la possession de ce qui vaut la peine d'être possédé, en professant sincèrement la religion catholique, cède à un préjugé irréfléchi. Nous pourrions même dire que seule la religion catholique a la vision du tout, la sagesse supérieure du monde, de l'être humain, des destins du temps et de la vie.
Mais il est nécessaire maintenant de rappeler ici la légitimité et les limites de notre pluralisme religieux. Un mot seulement, plus comme exemple que comme explication. On a fait des objections au pluralisme introduit dans l'Eglise après le Concile dans la liturgie, que nous pourrions comparer, avec S. Augustin dans son commentaire au psaume 44, à l'habit somptueux de la reine biblique : « L'habit de cette reine (l'Eglise), qu'est-il ? — demande S. Augustin —. Il est précieux et varié : ce sont les mystères de la doctrine dans les diverses langues. Il y a une langue africaine, une autre syriaque, une autre grecque, une autre hébraïque, et d'autres encore : ces langues font le tissu bigarré de l'habit de cette reine. Mais comme toutes les variations de l'habit s'accordent dans l'unité, ainsi toutes les langues en une seule foi. Qu'il y ait variété dans le vêtement, mais non déchirure » (Enarr. in Ps 44 : PL 36, 509).
Ainsi pourrait-on parler du pluralisme théologique. Mais ici nos propos doivent être beaucoup plus prudents, à cause des lois mêmes de la vérité révélée, de l'interprétation de la Parole de Dieu. On peut soutenir le caractère inadéquat de toute parole humaine pour exprimer la profondeur insondable du contenu théologique d'une formule dogmatique (cf. Rm 11, 33 ss. ; denz.-sch. 806), et soutenir l'interprétation exacte d'une même vérité dogmatique dans l'annonce kérygmatique, dans l'apologétique, la catéchèse, la prédication, et encore dans la diversité légitime des différentes écoles théologiques et spirituelles. Mais nous ne serions pas fidèles au caractère univoque de la Parole de Dieu, au magistère de l'Eglise, qui en dérive, si nous prenions notre parti d'un « libre examen », d'une interprétation subjective, d'une subordination de la doctrine définie aux critères des sciences profanes, et encore moins aux modes de l'opinion publique, aux goûts et aux déviations (aujourd'hui tellement prononcées) de la mentalité spéculative et pratique dans la littérature courante. Nous savons combien l'Eglise est exigeante sur ce point décisif de nos rapports avec le Christ, avec la tradition, avec notre salut. La foi n'est pas pluraliste. La foi, même en ce qui regarde l'énoncé des formules qui l'expriment, est très délicate et sévère ; et l'Eglise veille et exige que la parole exprimant la foi n'en trahisse pas la vérité substantielle. Doit-on nous faire le reproche d'être vigilant dans l'exigence linéaire de l'Evangile « que votre parole soit oui, oui, non, non » comme disait Jésus (Mt 5, 37; Jc 5, 12) ; c'est-à-dire claire, directe, honnête, univoque, sans sous-entendus, sans réticences, sans incohérences, sans erreurs ?
Chers Fils, soyez ouverts à toute la vérité, immense, très riche, toujours capable d'approfondissements et d'applications nouvelles ; à celle que le Saint Esprit lui-même nous enseigne (Jn 15, 13), et dont l'Eglise éducatrice est gardienne et interprète autorisée (cf. Ga 1, 8) ; mais soyez vous-mêmes fiers jaloux et heureux dans l'unité continue et féconde de la foi en laquelle seule se trouvent vérité et salut. Que vous y réconforte Notre Bénédiction Apostolique.
Chers Fils et Filles,
Nous sommes tous tellement dominés par les images, les nouvelles, l'événement du voyage spatial qui se déroule ces jours-ci, que nous ne pouvons pas ne pas en faire l'objet de notre brève méditation d'aujourd'hui.
Les yeux, ou mieux les pensées du monde suivent, encore une fois, mais peut-être cette fois-ci avec un intérêt encore plus intense, l'itinéraire stupéfiant des astronautes, qui vont à une vitesse impensable explorer de près le satellite de notre terre, la lune, amie silencieuse de nos nuits, aux aspects changeants, froide et argentée. On regarde, on admire, on réfléchit, on espère, on prie. L'horizon devient astronomique, non seulement par notre observation sensible, mais par l'ouverture de notre mentalité. L'astronomie a toujours été une grande maîtresse de la pensée, que les notions communes, pauvres et empiriques, et, de plus, empruntées aux doctrines des autres, remplissaient d'images fantastiques, de rêves invraisemblables, de systèmes scientifiques hypothétiques et discutables, de superstitions innombrables, si bien qu'on peut affirmer que dans la culture courante la science du ciel est pour ainsi dire oubliée et se limite à des notions élémentaires. Les anciens en savaient plus que nous, sinon sur l'astronomie, du moins sur l'astrologie. Une des difficultés pour comprendre, par exemple, la « Divina Commedia », est cette référence constante, que Dante mêle à son poème sublime, aux phénomènes de l'horizon céleste. Nos hommes de science modernes connaissent certainement des choses merveilleuses sur le ciel, le cosmos, ses structures chronologiques et mathématiques, et aujourd'hui, plus que jamais, sur sa composition physique et sur son évolution dynamique ; mais par rapport à la société ils ne sont que des initiés qui étudient, parlent, vivent de leur côté. Les intérêts de l'homme tournent plus que jamais autour de la terre, dans le cadre minuscule de nos jours et dans le bouleversement immédiat de nos expériences.
Et voilà que nous sommes invités, comme si une fenêtre dans la chambre de notre vie habituelle s'ouvrait, à regarder dehors, dans l'espace, dans le ciel, dans le cosmos. Et comme ceci était un phénomène humain, qui a justement pour théâtre le ciel, nos pensées habituelles s'arrêtent presque et se fixent dans le vide qui est devant nous. Nous ne sommes pas étonnés ou intéressés, mais troublés. Un cadre de réalité, immense, mystérieux, que nous croyions pouvoir oublier — parce que n'étant pas astronomes il nous est lointain, insaisissable et inexpérimentable — se présente au contraire devant nous. La vision va très loin, jusque dans les profondeurs de l'espace ; l'univers nous dit au moins qu'il existe. Certaines nuits limpides d'été, peut-être nous aussi avons-nous pensé — en contemplant les innombrables étoiles qui parsèment d'étincelles la voûte immense du ciel — ou essayé de penser au mystère de l'univers ; peut-être la vision merveilleuse et mystérieuse du dehors a-t-elle pris une expression intérieure avec les notes du chant nocturne du berger errant dans les solitudes infinies de l'Asie, dont parle Leopardi ; peut-être le sens écrasant de l'infini, qui domine l'espace et le temps, nous a-t-il donné, à nous aussi, un frémissement métaphysique de l'océan de l'être où se trouve notre vie si limitée, mais qui s'appelle vie, conscience, esprit.
Il ne sera pas inutile de nous laisser envahir un moment par ces impressions du langage muet de la réalité suprême que nous pouvons percevoir, le cosmos, même si la perfection technique qui nous les transmet atténue le sens qui doit en tout cas les dominer : l'émerveillement, la surprise de la découverte, de la conquête et du mystère, toujours plus présent, au sujet des choses, du monde, de l'univers.
Admirer, admirer, nous devons admirer. Et pour que cet effort heureux ne soit pas vain, Nous vous exhortons à l'orienter dans deux directions, Fils très chers. Vers l'homme, premier objet de notre admiration. Qui est l'homme capable de telles œuvres, de les concevoir, de les organiser, de les accomplir, de les mesurer aux difficultés disproportionnées qu'elles présentent, et à la petitesse de son être, limité et vulnérable ? Comment possède-t-il une telle capacité d'étude, de connaissance, de domination scientifique et technique sur les choses, sur le monde ? Et comment, faible et conditionné comme il est, trouve-t-il le courage d'oser de telles entreprises ? Encore plus que la lune, c'est l'homme qui s'illumine devant nous ; aucun autre être que nous connaissions, aucun dans ses instincts vitaux, ne peut être comparé à l'être prodigieux qu'est l'homme. Il y a quelque chose dans l'homme qui dépasse l'homme, il y a un reflet qui a quelque chose de mystérieux, de divin. Les mots bien connus de notre conversation avec Dieu, viennent aux lèvres spontanément : « Quand je contemple les cieux, œuvre de tes mains (ô Seigneur), la lune et les étoiles que Tu y a mises, qu'est donc l'homme pour que tu te souviennes de lui ? Quoique de peu, tu l'as fait inférieur aux Anges, tu l'as couronné de gloire et d'honneur, et tu l'as mis à la tête des œuvres de tes mains; tu as tout mis à ses pieds » (Ps 8> 4-7). Mais comment ? Mais pourquoi ? C'est le psaume qui répond encore: « Tu as répandu au-dessus de nous la lumière de ton visage, ô Seigneur » (Ps 4, 7). Voilà : l'homme porte en lui le reflet de Dieu ! il a été créé à son image : « Dieu créa l'homme à son image... ; il les créa homme et femme. Et Dieu les bénit en disant : croissez et multipliez-vous et peuplez la terre et dominez-la... » (Gn 1, 27-28). Cette origine divine, ce pouvoir dominateur de l'homme s'expliquent pour notre esprit à la lumière des faits ; ces faits que nous sommes aujourd'hui en train de contempler, qui font moins l'orgueil de l'homme que sa dignité! ils ne le glorifient pas en tant que principe, cause en soi, mais ils le glorifient comme chef-d'œuvre et comme collaborateur de Dieu (cf. 1 Co 3, 9). Nous devrions toujours nous en souvenir.
L'autre chemin de notre admiration est Dieu lui-même. Si nous sommes vraiment intelligents, c'est-à-dire si nous ne bornons pas notre attention à l'apparence physique des choses, à leur cadre scientifique, mais que nous y lisions dedans, dans leur secret ultraphysique (c'est-à-dire métaphysique), et que nous cherchions à comprendre quelque chose de ce qu'elles sont, nous comprendrions une vérité évidente : elles ne sont pas à elles-mêmes, leur cause ! Et alors comment se fait-il qu'elles existent ? Comment se fait-il qu'elles sont si grandes, si ordonnées, si belles, si unies ? Une rationalité coercitive nous oblige à arriver au seuil de cette sagesse suprême que nous appelons religion. Une révélation naturelle, et aujourd'hui, à un moment de triomphe scientifique, nous ramène à la source de toute chose, à l'Un nécessaire, au Principe créateur, au Dieu vivant. Ne laissons pas échapper. Fils très chers, une occasion comme celle-ci pour nous retrouver humbles, pieux, religieux, et heureux, devant des signes si évidents, pour qui veut les voir, de Sa présence suprême dans notre monde et dans notre vie. Adorons en silence.
Et tous ensemble, nous croyants, nous chrétiens. Avec Notre Bénédiction Apostolique.
Chers Fils et Filles,
C'est la mentalité de l'homme moderne, la nôtre à tous, pouvons nous dire, d'être persuadés que « tout change ». L'observation de la vie contemporaine nous donne l'impression que toute chose est en voie de transformation, est en mouvement. Rien de ce qui touche notre expérience n'est stable ni sûr ; tout change, tout évolue, tout passe et tout se rénove. Nous sommes marqués par cette instabilité des choses : et si ce sentiment nous cause-tout d'abord une certaine crainte et quelque regret, il devient rapidement un sentiment de satisfaction, parce que nous voyons que ce grand phénomène général de mutation prend des noms suggestifs : évolution, progrès, dynamisme, découverte, conquête, dépassement, développement, renaissance, renouveau, etc.
L'expérience de ce phénomène général devient chaque jour plus impressionnante devant l'accroissement rapide et merveilleux des sciences, spécialement des sciences physiques et mathématiques. On dirait que l'homme apprend maintenant à connaître le monde ; et de l'exploration scientifique, de la recherche, comme on dit aujourd'hui, on tire tant de résultats nouveaux, que l'homme de science en est comme enivré ; et tandis que, d'une part, il continue à perfectionner ses recherches, d'autre part il passe immédiatement à l'application pratique, utilitaire, des nouvelles connaissances ; à la science succède la technique ; et celle-ci se développe, au moyen de machines et d'instruments très nouveaux ainsi que d'organisations puissantes, et devient industrie, avec tout ce qui en découle dans le domaine économique et social, dans la vie de l'homme moderne.
Nous pouvons faire des considérations semblables au sujet des sciences relatives à l'homme, la médecine, la psychologie, la sociologie, la politique. Et c'est également le tour de la religion : qu'adviendra-t-il de la religion du fait de cette transformation générale ? Beaucoup disent : elle est finie ; vous le savez. Mais d'autres disent : non seulement elle n'est pas finie, mais elle s'impose à plus forte raison, car le besoin de dire sur toute chose le premier et le dernier mot — l'alpha et l'oméga — se fait plus prenant ; et le fait d'adorer est aujourd'hui non seulement légitime mais un devoir. La religion se trouve, sinon professée, du moins discutée et, parfois, à la lumière trouble d'événements violents ou d'états d'âme angoissés, avec des termes implorants et désespérés, qui la font regretter et, sous certaines formes, encore désirer. La parole du prophète Jérémie revient à l'esprit : « Ils m'ont abandonné (dit le Seigneur), moi la source d'eau vive, pour se creuser des citernes, citernes lézardées qui ne tiennent pas l'eau » (Jr 2, 13).
La question religieuse se présente donc à nouveau. C'est sur ce point que Nous attirons aujourd'hui votre attention, pour un instant et avec des paroles sans doute trop simples. Le problème est le suivant: la religion ne serait-elle pas elle aussi sujette à quelques changements importants ? Pour maintenir ce discours dans le domaine qui nous concerne, notre religion n'est-elle pas elle aussi en voie de mutation ?
A cet égard Nous vous adressons une première prière : faites attention ! attention à la complexité du problème. On peut considérer la question religieuse sous l'aspect subjectif ; c'est-à-dire celui qui est propre à l'homme, mental, psychologique, philosophique. Et nous savons tous à quelles mutations, à quelles fantaisies, à quelles manipulations, à quels doutes, à quelles négations, en somme à quelle métamorphose l'idée religieuse a été et demeure exposée ces derniers temps. La discussion reste toujours ouverte : mais nous soutenons que notre raison (cf. de lubac, Sur les chemins de Dieu, Aubier 1955), notre expérience (cf. frossard, Dieu existe, Fayard 1969), notre foi (cf. guardini, Von Leben des Glaubens, Grunewald 1934 ; trad. Vie de la Foi, Cerf 1958) sont aujourd'hui plus que jamais, comme dans le passé (cf. S. thomas, Summa contra Gentes), en mesure de s'exprimer avec clarté et de persévérer à travers de nouveaux témoignages de pensée et de vie soutenant le choc, ou la discussion des objections propres aux mentalités philosophiques, littéraires et pratiques d'aujourd'hui (cf. zundel, Recherche du Dieu inconnu, Ed. Ouv. 1949 ; mouroux, le crois en Toi, Cerf. 1965 ; ch. moeller, L'homme moderne devant le salut, Ed. Ouvr. 1964 ; renee casin, Naufrageurs de la foi, Ed. Lat. 1968).
Ainsi l'homme, cet être aux cent visages, peut se présenter sous des aspects et des attitudes très diverses, protéiformes, par rapport à la religion, mais il reste un homme, c'est-à-dire un être fondamentalement tel qu'il est, non seulement capable de Dieu mais ayant besoin de Lui ; disons que plus il est et devient homme, plus se manifeste en lui l'exigence de Dieu ; et donc la religion, comprise comme le rapport avec la divinité, ne change pas, alors que les expressions de la vie humaine se modifient. A cet égard nous n'avons qu'à souhaiter une nouvelle efflorescence d'études et de recherches religieuses, c'est-à-dire de littérature religieuse, philosophique, apologétique, catéchétique, artistique ; c'est une question de langage. Renouvelons le langage religieux.
Mais il faut considérer l'aspect objectif de la religion, c'est-à-dire sa vérité, son contenu, sa réalité. Pour nous croyants, pour nous catholiques à la foi univoque, conservée, exposée, défendue par cette institution providentielle qu'est le magistère ecclésiastique, toujours prêt à répéter la parole de Jésus « Ma doctrine n'est pas la mienne, mais celle de Celui qui m'a envoyé » (Jn 7, 16), cette religion est ce qu'elle est, et ne change pas avec les modifications d'époque et de mœurs ; et elle doit être acceptée dans sa formulation authentique, originelle, et autorisée, même si elle est difficile, même si elle est différente de la mentalité de l'auditeur, même si elle est mystérieuse (cf. S. thomas, Summa contra Gentes, 4, 76). Vous, rappelez-vous comment se conclut, dans l'Evangile, la discussion sur l'eucharistie à Capharnaüm ? Les auditeurs trouvaient la parole du Seigneur absurde : « Ce langage-là est trop fort ; qui peut l'écouter ? » (Jn 6, 60) et Jésus, abandonné de la foule de ses auditeurs s'adresse aux disciples, eux aussi déconcertés et indécis : « Voulez-vous partir vous aussi ? » (6, 67).
Cela est grave. Aujourd'hui spécialement, quand l'homme ne veut accepter que ce qu'il comprend (et ce n'est même pas exact, car l'homme moderne est plus que jamais dépendant des autorités dans le domaine scientifique). Mais nous devons vivre de foi, c'est-à-dire en faisant confiance à la Parole de Dieu, même si elle dépasse notre intelligence. Avec deux remarques : la foi est obscure mais non aveugle ; c'est-à-dire elle a des raisons qui la justifient, extérieurement et intérieurement. Nous l'avons déjà dit plusieurs fois avec saint Augustin : « habet namque fides oculos suos » la foi a des yeux (Ep 120 : PL 33, 456). De plus : elle demande d'être étudiée, approfondie, confrontée avec le savoir naturel, appliquée ; et, Nous voudrions ajouter : vérifiée dans l'expérience vitale. Vécue, la foi devient une lumière ; aimée, elle devient une force ; méditée, elle devient esprit. Et donc, on peut très bien, en la gardant dans son intégralité et sa pureté, la mettre en contact avec toutes les grandes transformations, honnêtes et nouvelles, de la vie moderne, elle s'y révélera pour ce qu'elle est : principe de vie éternelle.
Nous vous souhaitons, Fils très chers, d'en faire l'expérience béatifiante, avec Notre Bénédiction Apostolique.
Chers Fils et Filles,
Nous profitons de l'occasion fournie par les deux prochaines fêtes liturgiques, la Fête-Dieu et celle du Sacré Cœur, pour vous faire réfléchir à un aspect fondamental de la révélation chrétienne, c'est-à-dire de la compréhension que nous pouvons avoir de ce que le Christ a manifesté sur le plan divin. Nous parlons avec la simplicité et la brièveté habituelles, mais c'est un sujet de très grande importance.
La révélation des vérités religieuses surnaturelles (et d'autres vérités naturelles liées à elles) est survenue d'une façon bien différente de la présentation d'un texte de doctrines théologiques déjà claires et formulées. Elle a été progressive, résultat de Paroles et de faits, de manière à inviter les hommes à connaître Dieu, quelque chose de Dieu, pour les unir à Lui et ainsi pourvoir à leur salut (cf. Dei Verbum, 2). La révélation est une ouverture sur des Réalités mystérieuses. Citons, parmi tant d'autres, la parole de saint Paul : « Il m'a été accordé... de mettre en pleine lumière la dispensation (en grec : economia ; en latin : dispensatio) du "mystère", du "sacrement" caché depuis des siècles en Dieu » (Ep 3, 9). Cette exposition, cette présentation alors qu'elle est ouverte, sûre, très claire, n'est pas contraignante, n'est pas comparable à une démonstration scientifique, mais est offerte de manière à respecter la liberté de l'homme auquel la révélation est présentée. Elle n'est pas impénétrable, elle n'est pas équivoque, mais elle est encore voilée. Voilée par la nature ineffable et transcendante, propre à la pensée divine, elle est voilée également à cause de la manière dont elle a été présentée. Jésus lui-même le fera remarquer à propos de ses propres enseignements, donnés en paraboles (cf. Mc 4, 11 ; cf. pascal, Pensées, 194). La vérité, la réalité divine nous est manifestée par la voie des signes. Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet.
Mais maintenant une chose nous suffit : pour bénéficier de la Révélation, il faut aussi un acte de la part de l'homme. Pour voir, il faut ouvrir les yeux. Pour recevoir la révélation, il faut croire. Croire, sous cet aspect, signifie non seulement accepter passivement et paresseusement, mais découvrir; c'est-à-dire chercher à pénétrer le sens de la Parole de Dieu, le monde, le voile, qui la présente et la contient, et en même temps la soustrait à la curiosité de notre connaissance spontanée et naturelle.
Un autre chapitre immense de la vie chrétienne ! Arrêtons-nous sur une page de ce chapitre, que nous pouvons considérer comme le résumé des questions religieuses fondamentales. Cette page est celle-ci : quelle découverte le fidèle arrive-t-il à faire en cherchant le sens total et profond de la révélation divine ? La découverte est celle de l'Amour. Dieu s'est surtout révélé Amour. Toute l'histoire du salut est Amour. Tout l'Evangile. Nous pourrions citer bien des paroles de la Sainte Ecriture à cet égard. Une de ces paroles qui Nous vient aux lèvres fait partie de l'Ancien Testament : « De loin Yahvé lui est apparu. D'un amour éternel je t'ai aimé, aussi, t'ai-je conservé ma faveur » (Jr 31, 3). Toute l'épopée de la rédemption est Amour, miséricorde, effusion de la charité de Dieu envers nous. Et l'histoire du Christ est résumée dans la célèbre synthèse de saint Paul : « Je vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et s'est livré pour moi » (Ga 2, 20). Il faut comprendre ! Nous recommandons aux esprits attentifs une autre phrase merveilleuse de l'Apôtre : « Vous recevrez la force de comprendre avec tous les saints ce qu'est la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur (aujourd'hui nous dirions les dimensions, et ici il y en a quatre !), vous connaîtrez l'Amour du Christ qui surpasse toute connaissance et vous entrerez par votre plénitude dans toute la plénitude de Dieu » (Ep 3, 17-19).
Arrêtons-nous là. Cela suffit pour que nous puissions célébrer les deux fêtes que Nous avons rappelées, l'Eucharistie et le Sacré Cœur, et qui nous conduisent à ce point de convergence qui nous les offre et nous fait goûter, sinon comprendre, quelque chose de leur vrai sens religieux, de leur réalité profonde : « Ainsi Dieu a aimé... » (cf. Jn 3, 16).
Cela nous touche, nous émeut, nous bouleverse. Si quelqu'un comprend qu'il a été aimé, aimé jusqu'à un point suprême et impensable, jusqu'à la mort, silencieuse, gratuite, cruelle et subie jusqu'à la consommation totale (Jn 19, 30), par quelqu'un que nous ne connaissons même pas, et après l'avoir connu, que nous avons nié et offensé ; si quelqu'un — disions-Nous — a compris qu'il est l'objet d'un tel amour, de tant d'amour, il ne peut plus rester indifférent. Dante le disait également : « amor che a nullo amato amar perdona » (Inf. 5, 103) ; l'hymne liturgique le dit : « Quis non amantem redamet ? ». Voilà l'origine du culte au Sacré Cœur de Jésus, quand nous savons que le mot « cœur » est symbole, signe, synthèse de notre Rédemption, vue dans l'intériorité divine et humaine du Christ (cf. l'Encyclique de pie XII, Hatirietis aquas, de 1956 ; cf. à propos de l'aumônier puritain de Cromwell, Thomas Goodwin : bremond, Hist sent, rel., III, 641).
Jésus nous a aimés, dit le Concile, aussi « avec un cœur d'homme » (Gaudium et spes, 22). Et comment ! Voici le thème de Notre dialogue aujourd'hui. Fils très chers, savez-vous cela ? Y pensez-vous ? Comment comptez-vous y répondre ?
Que Notre Bénédiction Apostolique vous aide à y répondre avec amour.
Chers Fils et Filles,
Il Nous semble lire dans vos esprits une question: dites-nous quelque chose de votre voyage à Genève, de votre rencontre avec cette grande institution internationale qui s'occupe depuis cinquante ans, au plus haut niveau, des problèmes du travail. Ce voyage du Pape à l'Organisation Internationale du Travail fut une chose extraordinaire : comment a-t-il été accueilli ? Quelle signification doit-on lui reconnaître ? Quels résultats cette rencontre peut-elle avoir ? Quels engagements en dérivent pour l'Eglise et le monde catholique ? etc. Fils très chers, Nous comprenons votre curiosité et Nous Nous réjouissons de l'intérêt que vous montrez pour ce voyage, Nous apprécions par-dessus tout l'importance que vous attachez à cette institution qui se caractérise par la promotion du monde du travail et le contact que l'Eglise sent le devoir d'avoir avec celui-ci. Mais Nous ne répondrons pas à vos demandes. Nous ne sommes pas habitué à donner des interviews. Et puis il y a déjà eu tant de publicité autour de cet événement que Nous ne voulons pas en faire plus encore. Laissons parler les faits qui méritent d'être rappelés et sur lesquels il faut réfléchir.
Nous vous dirons seulement deux choses. La première : Nous avons été accueilli avec une courtoisie extrême ; et de la manière qui Nous plaît : avec simplicité et avec respect, non seulement envers notre modeste personne mais encore plus envers notre parole et notre mission, si proches et si convergentes, l'une et l'autre, par tant d'aspects de la haute fonction de cette organisation. Nous Nous sentons obligé de renouveler publiquement notre reconnaissance pour l'accueil qui Nous a été fait, à Nous et aux personnalités qui Nous accompagnaient, comme Nous voulons répéter également les vœux exprimés en cette circonstance pour l'œuvre de cette institution si méritante.
La seconde chose : l'impression générale que de cet observatoire, certainement un des plus élevés, Nous avons eue du monde du travail. Vous savez tous combien ce monde est complexe, combien il est marqué par les transformations sociales, économiques, spirituelles qui en dérivent, agité hier comme aujourd'hui, de contrastes idéologiques, d'intérêts divergents, de conceptions opposées, sociales et politiques. Vu de haut, dans une vision panoramique, quelle a été notre impression ? Elle fut optimiste !
Non pas que soient résolues toutes les questions, qui font encore du monde du travail un domaine de phénomènes tumultueux et de besoins immenses : le ferment que le travail moderne produit dans notre société que l'on appelle technocratique ; on découvre encore des situations criantes d'angoissantes nécessités humaines. Le réveil inquiet de la conscience des classes laborieuses est toujours une source d'appréhension ; la crainte augmente d'une orientation fausse de la mentalité moderne vers la possibilité pour le progrès économique de satisfaire tous les besoins, même spirituels de l'homme, et ainsi de suite.
Mais, en même temps, Nous devons prendre note avec satisfaction qu'un ordre meilleur se fait jour dans l'histoire de l'humanité, justement en fonction du travail. Il serait très long et difficile d'en donner une notion adéquate, surtout au cours d'un entretien, court et familier, comme celui-ci. Qu'il Nous suffise d'observer un des aspects les plus évidents de cette orientation prometteuse. C'est celui que Nous pourrions appeler « dépassement » idéologique, qui semblait impossible et qui se manifeste maintenant, non seulement comme possible, mais aussi profitable et déjà en voie de réalisation.
La conception qui fait du monde du travail celui des égoïsmes fatals et irréductibles est dépassée, du moins théoriquement, et c'est déjà beaucoup. Que l'égoïsme soit la tentation continuelle et le péché caractéristique du domaine économique, dérivant du travail productif, là où sont des biens temporels, c'est-à-dire des richesses à distribuer, est compréhensible ; le besoin est naturel, la cupidité est innée à l'homme (cf. 1 Tm 6, 10 ; Lc 12, 15 ; etc.), le sens de la justice distributive est également enraciné et aujourd'hui il est devenu puissant dans le cœur du peuple, alors que le contraste des intérêts est toujours présent et parfois explosif. Les égoïsmes des structures économiques et les égoïsmes de classe sont inhérents à la vie sociale, mais non pas insurmontables, voilà la nouveauté. Ils peuvent être dominés par un sens plus vif du bien commun et de la justice sociale, c'est-à-dire par une raison supérieure qui prend le dessus et engendre une civilisation plus ordonnée et pacifique. Ce premier dépassement en apporte un autre, celui qui place l'homme en tant que tel au premier rang dans la hiérarchie des valeurs du monde du travail. Le travailleur vaut plus que son œuvre, même si celle-ci constitue la fin spécifique du travail. Nouveau dépassement : le travail produit non seulement une richesse extérieure à l'homme mais encore une richesse intérieure : solidarité, amitié, fraternité. Et ainsi se dégage un double aspect de la personnalité, celui d'être quelqu'un au sein de l'activité commune, et celui de reconnaissance pour celui qui a procuré par son travail les agréments de la vie. C'est aussi une idée qui fait son chemin dans le monde technique, privé par lui-même de valeurs sentimentales et psychologiques. Ainsi se vérifie le dépassement du concept pragmatique de progrès, comme bénéfice suprême et immédiat de celui qui le crée et en jouit, alors que le progrès est considéré comme un service pour le bien commun, toujours tourné vers l'accroissement de la dignité humaine.
Et finalement le dépassement de la vision matérialiste du travail : qu'on le veuille ou non, il devient révélateur des lois du cosmos, c'est-à-dire des intentions mystérieuses et précises que la pensée créatrice de Dieu y a infusées, et immédiatement révélateur de l'intarissable capacité de penser et d'agir de. l'homme, qui sait lire dans les choses qu'il n'a pas faites mais qu'il domine. La pensée de Dieu rencontre la pensée de l'homme, engagé dans le travail moderne, plein d'intelligence et de puissance. Une lumière nouvelle, une étreinte nouvelle. La rencontre peut être merveilleuse, d'abord comme un dialogue normal, puis comme une interrogation naissante, finalement comme un chant extatique. Le dépassement de l'irréligiosité, propre au matérialisme moderne, ouvre de nouveaux horizons à l'esprit ankylosé du travailleur. Il n'est plus vrai que la religion est morte à cause du triomphe de la science et de la technique ; elle passe à un plan supérieur : celui du besoin intérieur incoercible, du langage, toujours balbutiant et insuffisant, mais vivant, libre, reconstituant. C'est celui d'une liberté intérieure retrouvée, d'un amour suprême possible. Le travailleur et le droit. Et si le Christ, le compagnon par excellence de l'humanité qui peine et qui cherche ; le prend par la main, son esprit s'ouvre, sa langue se meut, sa prière se délie : voici l'Homme naissant du siècle nouveau.
Ce discours se fait long ; Nous le terminons ici. Mais non sans nous exhorter tous à aimer ce monde du travail, à comprendre les richesses humaines spirituelles, chrétiennes qu'il cache encore et peut révéler (cf. La Civiltà Cattolica : alfaro, Tecnopolis e cristianesimo, juin 1969). Nous en étions déjà persuadé, mais Notre visite à l'Organisation Internationale du Travail Nous en a donné une impression nouvelle et heureuse. Nous vous en faisons part avec Notre Bénédiction Apostolique.
Chers Fils et Filles,
Il Nous semble que notre devoir est encore de réfléchir sur le Concile au cours de ces brèves conversations que sont les audiences générales. Et maintenant Nous le faisons sans remonter à ses enseignements divers et spécifiques, mais en faisant quelques observations de caractère très général. Celle-ci, par exemple, que tous peuvent faire par eux-mêmes : le Concile a créé dans le peuple chrétien une mentalité, sa mentalité propre. Il est clair qu'à l'origine de cette mentalité on trouve une conviction très forte, un postulat, une idée fondamentale que les uns considèrent comme déjà acquise ; d'autres, plus prudents, comme à acquérir. Et cette conviction est que le Concile demande un engagement chrétien plus sérieux, plus authentique, plus vrai. Un approfondissement dans la sincérité. Cette idée, avons-nous dit, est très juste. Nous pouvons et devons la faire nôtre, parce que c'est d'elle qu'est parti le Concile, de même que de cette aspiration à une interprétation parfaite de la vie chrétienne, aussi bien dans la pensée que dans l'action, surgit sans cesse l'action enseignante, sanctificatrice et pastorale, de l'Eglise. Mais, après le Concile, comment s'exprime cette nouvelle mentalité ? Vers quoi va sa recherche d'un christianisme authentique, vivant et adapté à notre temps ? Elle s'exprime de différentes manières. L'une d'elles est de croire désormais facile l'adhésion au christianisme, et donc de tendre à le rendre facile.
Un christianisme facile : cela nous semble une des aspirations plus évidentes et plus répandues, après le Concile. Facilité: la parole est séduisante ; elle est acceptable, dans un certain sens, mais elle peut être ambiguë. Elle peut constituer une très belle apologie de la vie chrétienne, si on la comprend bien ; elle pourrait également être un déguisement, une conception de laisser-aller, un « minimisme » fatal. Il faut bien prendre garde.
Il est hors de doute que le message chrétien se présente dès le début, dans son essence, dans son intention salvatrice, dans les dessein miséricordieux qui le pénètre, comme facile, heureux, acceptable et supportable. C'est une des certitudes les plus fermes et les plus réconfortantes de notre religion. Oui, bien compris, le christianisme est facile. Il faut le penser, le présenter, le vivre comme tel. Jésus lui-même l'a dit : « Mon joug est doux, et mon fardeau léger » (Mt 11, 30). Il l'a répété, dans ses reproches aux Pharisiens, méticuleux et intransigeants : « Ils lient de pesants fardeaux et les imposent aux épaules des gens » (Mt 23, 4; cf. Mt 15, 2 et ss.). Et une des idées maîtresses de saint Paul ne fut-elle de libérer les nouveaux chrétiens de l'observance difficile, compliquée et désormais superflue, des prescriptions légales de l'ancienne alliance, avant le Christ ?
Il faudrait quelque chose de semblable pour notre époque, qui est orientée vers des conceptions spirituelles simples et fondamentales, synthétiques et accessibles à tous : le Seigneur n'a-t-il pas condensé dans le suprême commandement de l'amour de Dieu et dans celui, qui le suit et en dérive, de l'amour du prochain, « toute la loi et les prophètes » (Mt 22, 40) ? La spiritualité de l'homme moderne l'exige, celle des jeunes surtout ; une exigence pratique d'apostolat et de pénétration missionnaire le réclame. Simplifier et spiritualiser, c'est-à-dire rendre facile l'adhésion au christianisme, telle est la mentalité qui semble jaillir du Concile : pas de juridisme, pas de dogmatisme, pas d'ascétisme, pas d'autoritarisme, diton avec beaucoup trop de désinvolture: il faut ouvrir les portes à un christianisme facile. On tend ainsi à émanciper la vie chrétienne de ce qu'on appelle les « structures » ; on tend à donner aux vérités mystérieuses de la foi une possibilité d'expression dans le langage courant et compréhensible à la mentalité moderne, en les libérant des formulations scolastiques traditionnelles et sanctionnées par le magistère autorisé de l'Eglise ; on tend à assimiler notre doctrine catholique à celle des autres conceptions religieuses ; on tend à défaire les liens de la morale chrétienne, qualifiés vulgairement de « tabous » et de ses exigences pratiques de formation pédagogique et d'observance disciplinaire pour donner au chrétien — même s'il est un ministre des « mystères de Dieu » (1 Co 4, 1 ; 2 Co 6, 4) ou appelé à la perfection évangélique (cf. Mt 1, 21 ; Lc 14, 33) — une soi-disant intégration au mode de vie commun. On veut, Nous le répétons, un christianisme facile, dans la foi et dans les mœurs.
Mais ne dépassons-nous pas les limites de l'authenticité à laquelle tous aspirent ? Ce Jésus, qui nous a apporté la Bonne Nouvelle de la bonté, de la joie et de la paix, ne nous a-t-il pas exhorté à passer par « la porte étroite » (Mt 7, 13) ? et n'a-t-il pas demandé la foi en sa parole, au-delà de la capacité de notre intelligence (cf. Jn 6, 62-67) ? N'a-t-il pas dit que « celui qui est fidèle en peu de choses, l'est également en beaucoup » (Lc 16, 10) ? N'a-t-il pas fait consister l'œuvre de sa rédemption dans le mystère de la Croix, folie et scandale (1 Co 1, 23) pour ce monde, en ajoutant qu'il faut y participer pour être sauvé ?
Ici la leçon devient longue et difficile. Une question se pose : mais alors le christianisme n'est pas facile ? Alors il n'est pas acceptable par les hommes de ce temps, il ne peut être offert au monde contemporain ? Nous renonçons maintenant à résoudre valablement cette grave difficulté. Nous rappelons seulement que les choses faciles, si elles sont belles, parfaites, et rendues telles en surmontant des obstacles formidables, coûtent toujours cher. Nous pensons par exemple à cette loi qui préside à tous les efforts de la culture et du progrès, quand nous avons l'occasion de voyager en avion : voler, comme c'est facile ! Mais combien d'études, de fatigues, de risques, de sacrifices, cela a coûté !
Et puis, pour rester dans notre thème, demandons-nous si le christianisme est fait pour les tempéraments faibles et les personnes à la conscience trop large ? Pour les hommes lâches, tièdes, conformistes, et peu soucieux des exigences austères du Règne de Dieu ? Nous nous demandons aussi parfois s'il ne faut pas chercher parmi les causes de la diminution des vocations à la généreuse suite du Christ, sans réserves et sans retour, celle de la présentation superficielle d'un christianisme édulcoré, sans héroïsme et sans sacrifice, sans la Croix, privé donc de la grandeur morale d'un amour total. Et nous nous demandons encore si parmi les motifs des objections soulevées par l'encyclique « Humanae Vitae » il n'y a pas celle d'une pensée secrète : abolir une loi difficile pour rendre la vie plus facile (Mais si c'est une loi, qui a son fondement en Dieu, que faire ?).
Nous répéterons : oui, le christianisme est facile ; et il est sage, et c'est un devoir d'aplanir tous les chemins qui y conduisent, avec toutes les facilités possibles. Et c'est ce que l'Eglise, après le Concile, essaie de faire de toute manière, mais sans trahir la réalité du christianisme. Celui-ci est vraiment facile à certaines conditions: pour les humbles, qui recourent à l'aide de la grâce, par la prière, par les sacrements, par la confiance en Dieu « qui ne permettra pas — dit saint Paul — que vous soyez tentés au-delà de vos forces. Avec la tentation il vous donnera le moyen de la supporter » (1 Co 10, 13) ; pour les courageux, qui savent vouloir et aimer, aimer surtout. Disons avec saint Augustin : le joug du Christ est suave pour qui aime, dur pour qui n'aime pas, « amanti suave est ; non amanti, durum est » (Serm. 30 : PL 38, 192).
Fils très chers, tâchez de faire cette expérience heureuse: rendre la vie chrétienne facile par l'amour ! Avec Notre Bénédiction Apostolique.
Chers Fils et Filles,
C'est notre désir d'accueillir les grandes paroles du Concile, celles qui en définissent l'esprit et qui, dans leur synthèse dynamique, forment la mentalité de ceux qui, dans l'Eglise et en dehors d'elle, s'y réfèrent. Une de ces paroles est celle de « nouveauté ». C'est un mot simple, très employé, fort sympathique aux hommes de notre temps. Mis dans un contexte religieux, il est merveilleusement fécond ; mais, mal comprise, cette parole peut devenir explosive. Cependant c'est une parole qui nous a été donnée comme un ordre, un programme. Elle nous fut annoncée comme une espérance, et nous vient de l'Ecriture sainte : « Voici, dit le Seigneur, que je ferai des choses nouvelles ». C'est le prophète Isaïe qui parle ainsi ; S. Paul lui fait écho (2 Co 5, 17) et puis l'Apocalypse : « Voici que je fais toutes choses nouvelles » (21, 5). Et Jésus, le maître, ne fut-il pas un innovateur ? « Vous avez entendu ce qui a été dit par les anciens... Mais moi je vous dis » (Mt 5), répète-t-il dans le discours de la montagne. Le baptême, c'est-à-dire le début de la vie chrétienne, n'est-il pas lui aussi une régénération ? « Nous vivons nous aussi dans une vie nouvelle » (Rm 6, 4). Il en est ainsi dans toute la tradition du christianisme, en marche vers sa perfection. Il reprend sans cesse l'idée de nouveauté, quand il parle de conversion, de réforme, d'ascèse, de perfection. Le christianisme est comme un arbre toujours au printemps, avec de nouvelles fleurs, de nouveaux fruits ; sa conception est dynamique, à la vitalité inépuisable, dans la beauté.
Voici comment le Concile s'est présenté exactement. Deux termes l'ont défini : renouvellement (cf. Lumen gentium, 8, à la fin ; Optatam totius, introd.) et « aggiornamento ». Cette dernière expression, que le Pape Jean XXIII a lancée, est entrée désormais dans le langage courant, et pas seulement en Italie (cf. AAS 1963, p. 750) ; ce sont deux termes qui parlent de nouveauté, l'un par référence plutôt au domaine intérieur, spirituel ; l'autre, à l'aspect extérieur, canonique, institutionnel.
Il nous plaît beaucoup que cet « esprit de renouveau » (c'est ainsi que s'exprime le Concile dans Optatam totius, à la fin) soit compris par tous et soit vivant. Il répond à un aspect dominant de notre époque, qui est tout entière en transformations rapides et énormes, c'est-à-dire en mesure de produire des nouveautés dans tous les secteurs de la vie. L'objection surgit immédiatement à l'esprit: tout change mais pas la religion ? Ne se produit-il pas alors entre la réalité de la vie et le christianisme, surtout le catholicisme, une différence, une coupure, une incompréhension réciproque, une hostilité mutuelle ? L'une court, l'autre reste immobile : comment peuvent-ils être d'accord ? Comment le christianisme peut-il influencer aujourd'hui la vie ? Et voilà la raison de la réforme entreprise par l'Eglise, spécialement après le Concile ; voilà l'Episcopat occupé à promouvoir le renouveau correspondant aux besoins présents (cf. par exemple le message de l'Episcopat du Trentin et du Haut Adige au clergé 1967) ; voilà les ordres religieux prêts à réformer leurs statuts ; voilà le laïcat catholique en train de s'insérer dans la vie de l'Eglise ; voilà la réforme liturgique, dont tous connaissent l'extension et l'importance ; voilà l'éducation chrétienne qui réexamine les méthodes de sa pédagogie ; voilà toute la législation canonique en révision rénovatrice.
Et combien d'autres nouveautés consolantes et prometteuses germent dans l'Eglise en attestant sa vitalité nouvelle, qui montrent en ces années si difficiles pour la religion l'assistance continue de l'Esprit Saint. Le développement de l'œcuménisme, guidé par la foi et la charité, suffit à montrer à lui tout seul un progrès quasi imprévisible sur le chemin et dans la vie de l'Eglise vers l'avenir, emplit son cœur, et le montre en attente. L'Eglise n'est pas vieille, elle est ancienne ; le temps ne la plie pas, au contraire ; si elle est fidèle aux principes intrinsèques et extrinsèques de sa mystérieuse existence, il la rajeunit. Elle ne craint pas la nouveauté, elle en vit. Comme un arbre aux racines fécondes, elle tire de chaque époque historique un nouveau printemps.
Vous vous rappellerez sans doute ce que le cardinal Suhard écrivait en 1947 dans une lettre pastorale, restée célèbre », « Essor ou déclin de l'Eglise ? » : « La guerre n'est pas un intermède, mais un épilogue... l'ère qui commence après, prend figure d'un prologue... ». Nous pouvons en dire autant du Concile. Il a ouvert un nouveau cycle. Aujourd'hui personne ne peut croire qu'il manque d'aspects nouveaux, comme Nous le disions. Mais ici l'examen des nouveautés Nous oblige à Nous demander si tous les phénomènes nouveaux post-conciliaires sont bons.
Nous pourrons Nous limiter à vous inviter à tenter cet examen. Certains ont observé que la nouveauté n'apporte pas toujours du progrès. Par elle-même la nouveauté signifie changement. Le changement doit être jugé, non pas tellement en lui-même, mais pour son contenu, sa fin. Est-ce que le nouveau nous porte aujourd'hui à un christianisme vraiment meilleur ? Quels critères peuvent nous aider à juger de la valeur de ce qui est nouveau dans l'Eglise ? Il y en a qui observent des phénomènes, non de progrès, mais de décadence ! Il y en a qui parlent, non d'évolution mais de révolution, non d'augmentation mais de décomposition.
La question de la nouveauté dans la vie catholique est extrêmement complexe. Limitons-Nous à une seule remarque, qui est la suivante : la nouveauté ne peut se produire dans l'Eglise par une rupture avec la tradition. La mentalité révolutionnaire est parfois entrée dans la mentalité de beaucoup de chrétiens, de bons chrétiens. La rupture qui nous est permise est celle de la conversion, de la rupture avec le péché, et non d'avec le patrimoine de foi et de vie, dont nous sommes héritiers responsables et fortunés. Les innovations nécessaires et opportunes, celles auxquelles nous devons aspirer, ne peuvent venir du détachement arbitraire de la racine vivante que nous a transmise le Christ au moment où il est apparu dans le monde et où il a fait de l'Eglise, « un signe et un instrument » de l'authenticité de notre union à Dieu (Lumen gentium, 1). En fait la nouveauté consiste essentiellement pour nous, justement dans un retour à la tradition authentique et à sa source, qui est 1'Evangile. « Le renouveau de la vie religieuse comprend le continuel retour aux sources », enseigne le Concile (Perfectae caritatis, 2) et ce qui vaut pour les religieux vaut pour tout le peuple de Dieu. Qui le remplace par sa propre expérience spirituelle, le sentiment de la foi subjective, l'interprétation personnelle de la Parole de Dieu produit certainement une nouveauté, mais aussi une ruine. Ainsi celui qui méprise l'histoire de l'Eglise, dans son rôle charismatique pour la tutelle et la transmission de la doctrine et des mœurs chrétiennes, peut créer des nouveautés intéressantes, mais qui manquent de valeur vitale et salvatrice ; notre religion, qui est la vérité, qui est la réalité divine dans l'histoire de l'homme, ne s'invente pas, et même, à proprement parler, ne se découvre pas ; on la reçoit, et pour ancienne qu'elle soit, elle demeure toujours vivante, toujours nouvelle ; toujours capable de fleurir en expressions nouvelles et originales. « Il est clair, dit le Concile, que la sainte tradition, la sainte écriture et le magistère de l'Eglise sont, par une très sage disposition de Dieu, tellement liés entre eux qu'ils ne peuvent subsister indépendamment l'un de l'autre » (Dei Verbum, 10).
Quelque contestataire impatient, qualifiera sans doute d'immobilisme une telle attitude. Voilà bien la sclérose qui cristallise le christianisme en formules rigides et dépassées. Nous voulons un christianisme vivant. Oui, un christianisme vivant et Nous le voulons aussi, et plus que tous les autres. Et Nous ne voulons pas vous parler ici, ce serait trop long, des méthodes, par lesquelles on peut vivifier, et ressusciter, si besoin est, notre christianisme. Enumérons seulement quelques étapes de cette opération, qui peut être humble et modeste, ou gigantesque et étonnante. Le premier renouveau, rappelons-le bien, est intérieur, est personnel (cf. Lumen gentium, 7-15 ; Unitdtis redintegratio, 4, 7, 8). Renouvelez-vous par une transformation spirituelle, recommandait St Paul (Ep 4, 23) : voilà la vraie nouveauté chrétienne, la première, la nôtre ; nous devons y tendre tous et chacun. Puis, si vous voulez y réfléchir, la nouveauté de la vie chrétienne, et de l'Eglise, peut apparaître par purification. C'est une opération en cours, toujours en cours, d'approfondissement : qui peut dire avoir tout compris, avoir tout valorisé dans le trésor de mots, de grâces, de mystère, que nous portons avec nous ? Comme le christianisme peut encore grandir en suivant cette voie ! Et aussi par application : il ne s'agit pas tant d'inventer un christianisme nouveau pour des temps nouveaux que de donner au christianisme authentique les références nouvelles dont il est capable et dont il a besoin. Ne vous semble-t-il pas ? A vous Notre Bénédiction Apostolique.
Chers Fils et Filles,
Nous voulons encore, au cours de ces entretiens familiers, Nous réclamer du Concile, en observant, comme Nous l'avons déjà rappelé, la mentalité qu'il a engendrée : une mentalité ouverte sur certains aspects de la vie chrétienne, dont nous ferions bien de prendre conscience en les déterminant dans leurs justes limites, sans les isoler comme des concepts abstraits, comme des formes vivant par elles-mêmes, mais en les considérant dans le dessein harmonieux de la conception authentique, renouvelée et globale du catholicisme.
Un de ces aspects est celui de la liberté. Le Concile a parlé de liberté, en référence à plusieurs sujets. La liberté est une parole magique. Elle doit être étudiée avec une diligence sérieuse et sereine si on ne veut pas éteindre sa lumière et en faire une expression confuse, équivoque et dangereuse. Personne d'entre nous ne désire la confondre avec l'indifférence idéologique et religieuse, encore moins avec l'individualisme érigé en système, avec l'irresponsabilité, le caprice ou l'anarchie. Ce serait un cours bien long sur les distinctions et les réserves à faire à propos d'une parole à la mode, qui semble être très proche de la liberté : la révolution, avec certains de ses dérivés, aujourd'hui très répandus.
Mais considérée dans son concept humain et rationnel, comme autodétermination, comme libre arbitre, Nous serons parmi les premiers à exalter la liberté, à en reconnaître l'existence, à en revendiquer la tradition dans la pensée catholique, qui a toujours reconnu cette prérogative essentielle de l'homme. Il suffit de rappeler l'encyclique « Libertas » du Pape Léon XIII, en 1888. L'homme est libre, parce que doué de raison, et comme tel, juge et maître de ses propres actions. Contre les théories déterministes et fatalistes, aussi bien de caractère intérieur, psychologique, que de caractère externe, sociologique, l'Eglise a toujours soutenu que l'homme normal est libre, et donc responsable de ses propres actions. Elle tient cette vérité, non seulement des enseignements de la sagesse humaine, mais aussi et surtout de ceux de la révélation ; elle a reconnu dans la liberté un des signes les plus fondamentaux de la ressemblance de l'homme à Dieu, se souvenant parmi tant d'autres de cette parole de la sainte Ecriture : « Dieu au commencement a fait l'homme et il l'a laissé à son conseil » (Eccl 15, 14 ; Dt 30, 19). On voit comment de cette prémisse dérive la notion de responsabilité, de mérite et de péché, et comment se relie à cette condition de l'homme le drame de sa chute et de sa rédemption réparatrice. Bien plus, l'Eglise a soutenu que l'abus que le premier homme fit de sa liberté, le péché originel, ne compromet pas de manière totale chez ses héritiers malheureux, la capacité de l'homme d'agir librement comme l'avait dit un moment la réforme protestante (cf. S. augustin, De libero Arbitrio II : PL 32, 1239 sq. ; Retract., ib. 595 sq. ; S. th., I, 83 ; I-II, 109 ; Denz. 1486 [776], 1521 [793], etc.).
De même l'Eglise a toujours défendu la thèse que « personne ne pouvait être obligé par force d'embrasser la foi » (Declar. Dignitatis humanae, 12), et elle a aussi affirmé, durant sa longue histoire, au prix d'oppressions et de persécutions, la liberté pour chacun de professer sa propre religion ; personne a-t-elle déclaré, ne peut être empêché, ne peut être contraint, en ce qui concerne sa propre conscience religieuse (ib., 2).
En simplifiant beaucoup l'immense matière si complexe de la liberté, nous pouvons avant tout observer que le Concile n'a pas en fait découvert ou inventé la liberté : il a revendiqué pour la conscience ses droits inaliénables ; il l'a appuyée de la magnifique théologie du nouveau testament, il l'a proclamée pour tous dans le cadre de la société civile ; c'est-à-dire qu'il a soutenu, non seulement l'existence, mais aussi l'exercice de la liberté dans deux directions principales. D'abord on trouve la direction de la personne, admettant pour chacun un haut degré d'autonomie, reconnaissant le pouvoir de la conscience, règle dernière et irréfutable (cf. Rm 14, 23) de l'action morale; cette conscience qui doit être d'autant plus éclairée par la vérité et soutenue par la grâce (cf. Ga 5, 1; Jn 8, 36) qu'elle tend à se déterminer aujourd'hui davantage par elle-même (cf. Gaudium et spes, 16 et 17). La deuxième direction est la direction sociale, exigeant, comme Nous le disions, une liberté religieuse vraie et publique, dans le respect, naturellement, des droits d'autrui et de l'ordre public (Dignitatis humanae, 7, etc.) et soutenant le « principe de subsidiariété » (Gaudium et spes, 86) qui, dans une société bien organisée, tend à laisser la plus grande liberté possible aux personnes et aux organisations inférieures, et à rendre obligatoire seulement ce qui est nécessaire pour un bien important, qui ne serait pas atteint autrement, et d'une manière générale pour le bien commun (Dignitatis humanae, 7).
La mentalité favorisée par les enseignements du Concile porte le jeu de la liberté, plus que jamais dans le passé, au for interne de la conscience ; elle tend donc à diminuer l'ingérence des lois externes, mais tend à augmenter celle des lois internes, celle de la responsabilité personnelle, celle de la réflexion sur les devoirs suprêmes de l'homme, qui sont la rectitude virile dans la pratique du bien, jusqu'à la perfection de la sainteté, et le sens de la loi naturelle, c'est-à-dire de la rationalité morale ontologique, qu'on admire tant aujourd'hui chez les héros antiques (cf. les personnages principaux des tragédies grecques) et modernes (les champions de la résistance, de la bonté, du sacrifice), alors qu'en même temps on en discute au point de douter de son existence et de sa permanence (on le voit dans des contestations en référence à la loi naturelle qui se trouve rappelée dans notre encyclique Humanae Vitae). Nous savons combien l'Evangile a accentué l'intériorité de l'obligation morale, comme il en a fixé l'incomparable synthèse dans le précepte-clé, trop souvent oublié aujourd'hui, de l'amour total de Dieu, dont dérive, par manière de ressemblance, l'amour du prochain, qui s'étend à tous, parents, amis, étrangers, lointains et ennemis, c'est-à-dire à toute l'humanité. Cette attitude morale en faveur de la personne et de la liberté particulière permet un développement plus ample et plus spontané de la liberté, plus précoce aussi; elle engendre une pluralité de contenus, dans ce qu'elles ont de contingent ; elle favorise la richesse des expressions locales, libres et légitimes, linguistiques, culturelles; elle élargit, même à l'intérieur de l'Eglise, cette liberté d'étude et d'initiatives, dont jouissaient déjà de nombreux fidèles (par exemple la multiplicité des institutions caritatives, religieuses, culturelles, missionnaires, que l'autorité de l'Eglise, même avant le Concile, non seulement permettait, mais aussi favorisait), dont on sent si fort le grand élan aujourd'hui et dans lesquelles Nous voulons voir une promesse authentique de vraie vie catholique.
Nous abordons donc une époque de la vie de l'Eglise, et par conséquent de chacun de ses enfants, où l'on trouvera une plus grande liberté, c'est-à-dire moins d'obligations légales et moins d'inhibitions intérieures. La discipline formelle sera réduite, l'intolérance arbitraire sera supprimée comme tout absolutisme; la loi positive sera simplifiée, l'exercice de l'autorité sera tempéré ; on retrouvera le sens de cette liberté chrétienne, qui fut si chère à la première génération chrétienne, quand elle se sentit libérée de l'observance de la loi mosaïque et des prescriptions rituelles compliquées (cf. Ga 5, 1). Nous devons cependant nous éduquer à l'usage sincère et complet de la liberté chrétienne, soustrait au pouvoir des passions (cf. Rm 8, 21) et de l'esclavage du péché (Jn 8, 34), intérieurement animés de l'impulsion joyeuse de l'Esprit Saint, parce que, comme disait saint Paul, « ceux qui sont guidés par l'Esprit de Dieu, ceux-là sont enfants de Dieu » (Rm 8, 14).
Mais nous devons être en même temps conscients que notre liberté chrétienne ne nous soustrait pas à la loi de Dieu, à ses exigences suprêmes de sagesse humaine, de fidélité évangélique, d'ascèse pénitentielle, d'obéissance à l'ordre de la communauté, caractéristique de la société ecclésiale. La liberté chrétienne n'est pas charismatique dans le sens arbitraire que certains s'arrogent. « Vous êtes libres, nous enseigne saint Pierre, sans faire de la liberté un voile à mettre sur votre malice, mais en serviteurs de Dieu » (1 P 2, 16) ; ce n'est pas un défi, un préjugé contre les normes en vigueur dans la société civile, dont l'autorité, c'est saint Paul qui parle, oblige en conscience (Rm 13, 1-7) ; ce n'est pas non plus un défi contre les normes en vigueur dans la société ecclésiastique, fondée sur la foi et la charité, gouvernée par une autorité revêtue de pouvoirs qui ne proviennent pas de la base, mais qui sont d'origine divine, par l'institution du Christ et par succession apostolique ; ces pouvoirs, indiscutables (Lc 10, 16 ; 1 Jn 4, 6) et graves (1 Co 4, 21), sont nécessaires, même s'ils ont pour but, plus que la domination (cf. 2 Co 1, 23 ; 1 Co 13, 10), l'édification, c'est-à-dire la libération spirituelle des fidèles.
Résumons-Nous donc : notre époque, dont le Concile se fait interprète et guide, réclame la liberté. Nous devons nous sentir heureux et conscients de cette chance historique. Où donc trouverons-nous la vraie liberté, sinon dans la vie chrétienne ? Or la vie chrétienne exige une Communauté organisée, exige une Eglise, selon la pensée du Christ, exige un ordre, exige une obéissance libre mais sincère ; elle exige donc une autorité, qui garde et enseigne la vérité révélée (2 Co 10, 5) ; cette vérité est donc la racine intime et profonde de la liberté, comme a dit Jésus : « La vérité vous fera libres » (Jn 8, 32).
Rappelez-vous cela, Fils très chers, avec Notre Bénédiction Apostolique.
Chers Fils et Filles,
Nous devons nous aussi participer, par l'observation et la réflexion, au grand voyage des astronautes vers la lune, qui commence aujourd'hui. Nous nous rappelons les lectures que nous faisions il y a bien des années, spécialement celle du livre de Jules Verne : « De la Terre à la Lune ». Mais c'était l'époque de la fantaisie, une fantaisie prophétique si vous voulez, mais gratuite, irréelle. Aujourd'hui au contraire nous sommes dans le royaume de la réalité. Laissons de côté pour le moment toute considération sur l'instrument prodigieux et les protagonistes héroïques de cette expédition (qui méritent par eux seuls une autre méditation) ; cherchons à regarder la réalité devant laquelle nous nous trouvons du fait de ce vol transplanétaire.
Et d'abord les astres, l'espace et le temps ; en parlant empiriquement, le monde, l'univers. Nous autres, modernes, nous sommes si souvent pris par l'observation et les intérêts immédiats que nous sommes habitués à ramener notre horizon d'idées à un domaine très limité et fermé sur lui-même. Nous ne prétendons pas nous aventurer dans une dissertation sur l'espace, le ciel, le cosmos. Nous disons seulement que cette entreprise si audacieuse, qui s'impose aujourd'hui à l'attention de tous, nous oblige à regarder en haut, au-delà du domaine terrestre, à nous rappeler la réalité immense et mystérieuse au sein de laquelle notre petite vie se déroule. Lès anciens regardaient le ciel plus que nous ; ils faisaient jouer leur fantaisie, construisaient des mythes inconsistants et des théories arbitraires, attribuaient aux astres une valeur de cause à effet ; ils ne connaissaient pas les lois physiques et mathématiques de la science moderne mais pensaient plus que nous à l'existence de l'univers. Une leçon d'astronomie nous serait salutaire, aussi. Un regard vers en haut qui tente de pénétrer la profondeur de l'espace nous suffira pour nous sentir envahis par l'étonnement, le vertige, le mystère. La comparaison entre les dimensions de l'espace-temps disponibles pour nous, et celles du cosmos nous effraient. Pascal l'avait noté dans ses fameuses « Pensées » (205 et 206, éd. Brunschvig) ; à l'espace et au temps s'ajoute un autre élément qui en accroît le mystère : le silence : « le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie ».
Cette réalité infinie qui nous entoure et que nous sommes invités à considérer en ce moment, nous oblige à reprendre et à répéter quelques pensées fondamentales, non pas tant scientifiques que philosophiques. Deux parmi d'autres. Le cosmos existe, l'univers existe en dehors de l'homme, avant et après lui, qui l'observe, le découvre, l'étudié, l'explore. L'homme n'est pas le principe, l'homme n'est pas la cause du monde. Celui qui veut restreindre la réalité, le tout, à la pensée de l'homme, joue avec l'absurde. Notre vérité ne produit pas les choses. Elle les connaît, les pense, les intériorise, les rend spirituellement siennes, mais ne les crée pas. Une grande humilité est à la base de notre science qui fait notre grandeur. En outre, si ce cosmos existe et s'il se manifeste, d'une part, comme imprégné d'un ordre mystérieux (les sciences nous le disent : la mathématique, la physique spécialement ; les mouvements, les énergies, les lois qu'on y rencontre le confirment), et d'autre part, comme chargé d'une pensée qui n'est pas la sienne mais infuse, réfléchie, agissante, déchiffrable, connaissable, utilisable, cela indique que ce cosmos dérive d'un principe transcendant, d'une pensée créatrice, d'une puissance secrète et supérieure, c'est-à-dire qu'il est créé.
C'est là une brève mais toujours actuelle leçon de catéchisme, qui illumine notre méditation difficile sur le cosmos. Ecoutez, comme une voix profonde qui surgit des abîmes, des espaces et des siècles : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre » (Gn 1, 1). Observez le panorama du ciel et du monde ; mesurez-en — si vous le pouvez — la grandeur ; faites-vous une idée de la densité de réalité, de vérité et de mystère qui y est contenue. Ressentez un frisson d'émerveillement devant la grandeur infinie que nous avons devant nous ; affirmez la distinction irréductible entre le Dieu créateur et le monde créé, et en même temps reconnaissez, confessez, célébrez la nécessité inséparable qui unit la création à son créateur (comment pourrait-elle être un seul instant sans lui ?) ; et rappelez-vous cette parole si étonnante et si souvent répétée de la Bible, toujours au premier chapitre de la Genèse (vv. 12, 18, 21, 25, 31) : Dieu vit que cela était bon ; son œuvre était belle, elle était digne d'être connue, possédée, travaillée, utilisée par nous...
Cette découverte nouvelle du monde créé est fort importante pour notre vie spirituelle. Voir Dieu dans le monde, et le monde en Dieu : qu'y a-t-il de plus extraordinaire ? N'est-ce pas cela la lumière amicale et stimulante qui doit soutenir les veilles scientifiques du chercheur ? N'est-ce pas ainsi qu'il fuit la terreur du vide que le temps démesuré et l'espace infini produisent autour de ce microcosme que nous sommes ? Notre solitude insondable, c'est-à-dire le mystère de notre destinée, n'est-elle pas ainsi comblée par une vague de Bonté vivante et aimante ? Les paroles familières mais toujours grandioses enseignées par le Christ ne nous viennent-elles pas aux lèvres : «Notre Père qui êtes aux cieux » ?
Oui, Fils très chers, elles viennent sur nos lèvres ces paroles très profondes, alors que nous contemplons la grande entreprise des premiers astronautes qui mettront le pied sur le satellite pâle et silencieux de la terre, défiant des difficultés inouïes, comme s'ils cherchaient à honorer l'œuvre immense du créateur, et répétons-le pour eux, pour l'humanité, pour nous.
Avec Notre Bénédiction Apostolique.
Chers Fils et Filles,
On a beaucoup parlé ces jours-ci, dans le monde entier, et de toutes les manières possibles, de l'entreprise lunaire ; Nous-même avons dit notre admiration, si bien qu'il semblerait mieux que maintenant Nous Nous taisions plutôt que d'en parler. Mais, justement demain cette excursion planétaire extraordinaire doit se conclure avec le retour, que Nous souhaitons des plus réussis, des astronautes sur la terre. Cet événement imprègne tellement la psychologie de l'opinion publique qu'il constitue une source de pensées, de questions, de spiritualité, et que Nous commettrions un péché d'omission si Nous ne Nous y arrêtions, au cours de cette rencontre familière, pour le méditer un peu. Il est malheureusement vrai que considérer les choses de façon superficielle est une habitude à la mode. Même les impressions les plus fortes, qui nous sont données par l'expérience de la vie moderne, s'effacent vite ; ou bien elles sont dépassées par d'autres impressions successives, si bien que manquent souvent le temps, le désir, de les approfondir et d'en cueillir le sens, la vérité, la réalité. Mais dans ce cas présent, le choc de la nouveauté et de la merveille est si fort, qu'il serait absurde de ne pas réfléchir sur cette aventure surhumaine et historique — pouvons-Nous dire —, à laquelle nous avons tous assisté, de quelque manière — elle aussi merveilleuse — comme spectateurs étonnés et émerveillés.
Que chacun y pense à sa manière mais qu'il pense ! L'importance des études scientifiques peut être en soi l'objet de considérations interminables. Par exemple, celle qui concerne le développement et le progrès faits par ces études à notre époque, jusqu'à modifier la mentalité humaniste traditionnelle de notre culture et de notre école, c'est-à-dire de notre vie. Ces études positives et scientifiques sont si actives, qu'elles exercent un grand attrait sur une bonne partie des nouvelles générations et qu'un optimisme rêveur sur leurs conquêtes en fait presque une prophétie. Qu'il en soit ainsi. Le domaine scientifique mérite un grand intérêt.
Mais maintenant Nous pourrions observer, en passant, combien est peu à sa place, du moins dans ce domaine, le défaitisme, aujourd'hui à la mode, contre la société et son contexte, et en général contre la vie moderne. Ce défaitisme séduit actuellement même une partie de la jeunesse, et d'autres hommes de pensée et d'action. Ce défaitisme qualifie de progressistes audacieux, riches d'une personnalité supérieure, ceux qui nourrissent des instincts rebelles et du mépris pour notre âge et son effort créateur. La vie au contraire est sérieuse ; c'est ce que nous enseigne l'immense quantité d'études, d'efforts, de labeurs, d'ordre, d'essais, de risques, de sacrifices, qu'une entreprise colossale comme l'entreprise spatiale, a exigés. Critiquer, contester, est facile ; mais il n'en est pas de même de construire, dans cette initiative naturellement, mais également en bien d'autres domaines d'où est issue notre civilisation actuelle. C'est pourquoi il Nous semble que l'événement que nous fêtons nous oblige à repenser et à apprécier les valeurs de la vie moderne. Nous ne nions pas à la critique ses droits, et Nous ne reprochons pas à l'esprit des jeunes son instinct d'émancipation et de nouveauté. Mais Nous jugeons indigne de la jeunesse l'esprit décadent, iconoclaste et sans amour, des contestateurs professionnels. Les jeunes doivent sentir l'impulsion idéale et positive qui leur est offerte par la magnifique aventure spatiale.
Et voici une autre considération. Notre approbation ouverte pour la conquête progressive du monde naturel, grâce aux études scientifiques, aux développements techniques et industriels, n'est pas en contraste avec notre foi et avec la conception de la vie et de l'univers qu'elle comporte. Qu'il suffise de rappeler ce qu'enseigne à cet égard le récent Concile (Gaudium et spes, 37, 58, 59, etc.).
Ici Nous touchons un des points les plus délicats de la mentalité moderne concernant notre religion catholique, c'est-à-dire une religion positive, avec ses doctrines bien déterminées, et ordonnées en système unitaire, centré sur Jésus-Christ, sur son Evangile, sur son Eglise. Or il est facile de rencontrer dans la mentalité de l'homme d'aujourd'hui, spécialement chez celui qui se consacre aux études scientifiques, une double difficulté : la première d'ordre essentiel, l'autre d'ordre historique. Comment l'immense patrimoine des découvertes scientifiques — dit aujourd'hui le chercheur — peut-il entrer dans le schéma dogmatique et rituel de la vie catholique, avec l'utilisation libre et totale de la raison et avec la conception qui en résulte pour le monde et l'existence humaine ? Et le chercheur, en observant les changements continuels, rapides et immenses qui surviennent avec le temps dans la pensée et les mœurs de l'homme moderne se demande, en outre, comment la religion traditionnelle, enfermée dans une mentalité statique et périmée, peut rester intacte.
Il faudrait des livres entiers pour formuler ces objections fondamentales comme pour y répondre. Ce n'est certainement pas ici ni maintenant que Nous le ferons. Mais qu'il Nous suffise de vous rassurer. La foi catholique non seulement ne craint pas cette comparaison énorme de son humble doctrine avec les merveilleuses richesses de la pensée moderne, mais elle la désire. Elle la désire parce que la vérité, même si elle se diversifie dans des ordres différents et si elle se réfère à divers titres, est en accord avec elle-même ; elle est unique ; et parce que l'avantage qui peut résulter de cette comparaison pour la foi et pour la recherche et l'étude de tout domaine connaissable est réciproque.
Ce fut là une des affirmations caractéristiques et des plus documentées de la pensée catholique apologétique du siècle passé et de la première moitié de notre siècle, avec des résultats magnifiques, dont nos universités sont les témoignages glorieux.
Maintenant se fait jour une autre tendance qui suppose, et ne dément pas la précédente ; celle qui se réfère aux fameuses paroles de saint Augustin et que nous pouvons appeler psychologique : « Toi, (ô Seigneur), tu nous as fait pour toi, et notre cœur est inquiet tant qu'il ne repose en toi » (Confess. I, 1). Le besoin de Dieu est inné à la nature humaine, et plus elle progresse, plus elle ressent, jusqu'au tourment, jusqu'à l'expérience dramatique, la nécessité de Dieu. C'est ce que Nous pourrions appeler — pour nous comprendre — la tendance cosmique : qui étudie, qui cherche, qui pense et ne peut se soustraire à une omniprésence objective de Dieu, ancienne vérité que le Saint Livre nous répète toujours : « Où irais-je loin de Ton esprit, (ô Seigneur), et où fuirais-je de Ta face ? » (Ps 138, 7). Il est impossible de se soustraire à cette présence, dont la matière, la nature, est, pour qui sait le comprendre, un livre de lecture spirituelle : En lui (c'est-à-dire en Dieu, dit saint Paul), nous avons la vie, le mouvement, et l'être (Ac 17, 28). Le Dieu inconnu est toujours là ; toute étude des choses est comme un contact avec un voile derrière lequel on perçoit une présence vivante infinie.
C'est ici le moment sublime, l'instant de la révélation, le moment où le Christ soulève le voile et apparaît dans la scène historique et simple de l'Evangile. Qui est le Christ ? Voilà la question décisive. Saint Jean répond, au premier chapitre de son Evangile : il est le Verbe, il est Dieu, il est Celui en vertu duquel toutes les choses ont été créées. Et saint Paul ajoute : « Il est Celui qui est avant toute chose; et toute chose subsiste en Lui » (Col 1, 17) ; et il est Celui qui un jour, le jour final de la restauration de toute chose (de l'« apocatastase », Ac 3, 21) « par sa puissance se conformera à lui toutes les choses » (Ph 3, 21). C'est-à-dire que le Christ est l'alpha et l'oméga, le principe et la fin (cf. Ap 1, 8 ; 21, 6 ; 22, 13), non seulement pour le destin de l'homme, mais pour le cosmos tout entier, qui a son point focal en lui, donc tout sens, toute lumière, tout ordre, toute plénitude.
Ne craignons pas, Fils très chers, que notre foi ne sache pas comprendre les explorations et les conquêtes que l'homme fait du créé, et que nous, disciples du Christ, soyons exclus de la contemplation de la terre et du ciel, et de la joie de leur découverte merveilleuse et progressive. Si nous sommes avec le Christ, nous serons dans la vérité, nous serons dans la vie. Avec Notre Bénédiction Apostolique.
Chers Fils et Filles,
Demain, comme vous le savez, s'il plaît à Dieu, Nous partirons pour l'Afrique. Nous allons à Kampala, en Ouganda, pour la clôture des travaux du symposium des Evêques africains, qui sont réunis dans cette ville; pour la consécration de douze nouveaux évêques indigènes ; pour honorer les martyrs de l'Ouganda, que Nous avons eu le bonheur de canoniser en 1964 et qui sont maintenant honorés dans la construction d'un sanctuaire à leur mémoire et à leur culte (c'est le motif occasionnel de notre voyage) ; et pour conférer les sacrements du Baptême et de la Confirmation à vingt-deux nouveaux chrétiens africains (vingt-deux en souvenir des vingt-deux martyrs). Nous aurons l'honneur de rencontrer divers chefs d'Etat africains et des personnalités, de l'Ouganda comme d'autres pays de ce continent. Nous rendrons visite à des familles, à des écoles, à des hôpitaux, à d'autres institutions de la ville ; Nous aurons aussi une rencontre œcuménique avec les représentants et les communautés des chrétiens qui ne sont pas encore en communion avec l'Eglise catholique mais sont dignes de notre considération particulière, car ils sont eux aussi marqués du sang de leurs victimes au nom du Christ et nos frères par le baptême commun. Nous verrons aussi des représentants de religions non-chrétiennes ; Nous verrons surtout de grandes foules de cette terre, aussi enracinée dans les traditions africaines authentiques qu'elle est ouverte aux rapports et aux conquêtes du progrès moderne. Un vrai contact avec l'Afrique ; le premier qu'un Pape réalise personnellement avec cet immense continent, aux traditions si humaines et aux promesses séduisantes, affranchi, peut-on dire, du colonialisme, qui cependant l'a éveillé à la civilisation moderne, mais qui n'est plus tolérable pour la conscience de ces Peuples nouveaux, même s'ils ne sont pas libérés des très nombreux et graves besoins qui caractérisent ce qu'on appelle le Tiers-Monde. Nous allons en Afrique poussé par le souci particulier, désintéressé et plein d'amour, que l'Eglise nourrit pour ces besoins humains graves, urgents de l'Afrique nouvelle. Nous n'avons pas écrit l'Encyclique Populorum progressio sans assumer les conséquences qu'elles entraînaient quant à Nous ; et avec ce voyage Nous voulons honorer notre signature, mise au bas de ce document qui exhorte à l'aide diversifiée, abondante et positive, dont le « tiers-monde » a actuellement besoin, et à laquelle un nouveau devoir naissant oblige les Peuples et les Associations dotés des moyens autonomes de subsistance suffisants ou abondants.
Une question, qui se fiche comme une flèche dans notre esprit, Nous a été posée : pourquoi le Pape ne va pas aussi, et tout d'abord, dans les régions de l'Afrique où existent de plus grandes souffrances, et spécialement dans celles où, depuis des années, est allumée une guerre terrible que le monde entier suit avec tant d'anxiété et où des populations entières sont menacées par la destruction des armes, et surtout par l'agonie de la faim ? Que le Pape voie de ses propres yeux comment des générations entières d'enfants, d'adolescents, de femmes sont réduites à des conditions de privations inconcevables à cause du manque affreux de vivres, et d'assistance médicale élémentaire, et que le Pape invoque à haute voix pitié, secours, paix ! C'est à cela que Nous exhortait un Evêque, parmi tant d'autres informateurs.
Bien chers Fils ! Combien douloureuse est pour Nous cette suggestion !
Croyez-vous que Nous sommes insensible à tant de calamités, et que Nous préférons aller là où la situation paraît tranquille et ordonnée, et où la fête et l'allégresse des gens Nous accueilleront ? Combien de fois avons-Nous évoqué, pour Nous-même, les deux voyageurs sur les sentiers escarpés de Jérusalem à Jéricho, un prêtre d'abord et un lévite ensuite, qui, dans la parabole évangélique du Samaritain, passent près de l'homme dépouillé et blessé par les assassins, gisant à demi-mort au bord de la route ? Ils passent, regardent et continuent leur chemin, sans se soucier de ce malheureux, qui trouve ensuite secours auprès du Samaritain, étranger mais compatissant. Nous ne voudrions pas, Nous non plus présenter le triste exemple de ces deux ministres du Temple ! Mais Nous voudrions bien imiter, en quelque sorte, le Christ sensible et attentif dans la figure du bon Samaritain !
Eh bien ! Nous vous dirons que, lorsque Nous décidâmes d'entreprendre ce voyage inaccoutumé, l'intention, bien plus, le désir et l'espoir d'être utile, dans une certaine mesure, à l'apaisement de ce Conflit, furent dans notre cœur, et y sont encore. A la veille, chargée de souffrance et de soucis, de ce voyage, Nous avons toutefois multiplié nos efforts, les contacts et les tentatives même sur le plan pratique pour essayer d'ouvrir un chemin à une négociation honorable.
Nous ajouterons qu'aucune partialité politique n'a de place dans notre esprit à cet égard. Et dans l'œuvre de secours, commencée à Noël 1967, en faveur des victimes civiles du conflit et des populations qui en sont tourmentées, entreprise immédiatement par Nous aussi, et accomplie avec une audace admirable, et un courage magnifique par notre « Caritas Internationalis », secondée par plusieurs organisations catholiques de charité de divers pays, notre propos a été d'offrir nos aides aux deux parties adverses indistinctement, Sans aucune discrimination, avec la seule préférence pour les lieux où le besoin était plus grave, plus étendu et plus urgent. Cette activité, qui manifeste vraiment le drame et l'héroïsme, Nous a peut-être procuré quelque impopularité au Nigeria même, qui Nous est si cher ; et elle a peut-être engendré le soupçon que les vols des avions de la « Caritas » transportaient aussi des armes et des informations ; cela n'est pas vrai. Pain, médicaments, habillement et réconfort, oui; mais rien d'autre ; et pour aucune autre cause, que celle de sauver des vies humaines de la population civile, les vies délicates et innocentes des enfants en particulier, et de préparer, si possible, les esprits à des solutions par voie de négociations, non par voie d'effusion de sang fraternel et de souffrances provoquées par la faim.
Dans la région du théâtre du conflit, restée isolée par voies de terre et de mer, l'envoi de secours devint toujours plus nécessaire et toujours plus difficile et coûteux. On a dû recourir aux transports aériens pour éviter que des centaines de milliers de personnes mourussent d'inanition. Alors la « Caritas Internationalis » et d'autres institutions catholiques s'associèrent à des organismes d'assistance confessionnels pour constituer un vrai pont aérien, assez dangereux et coûteux (trois mille vols environ ont été effectués), réussissant à sauver un grand nombre de pauvres gens destinés à mourir de faim. Malgré cela, les secours sont assez inférieurs aux besoins, non tant par manque de produits, provenant aussi de la générosité américaine, que par impossibilités techniques de transport. On espère toujours que soient finalement conclus des accords effectifs, concernant le transport par voie fluviale, et l'organisation de vols diurnes, moyennant certains contrôles et avec la garantie de vie sauve. Nous Nous sommes intéressé personnellement à rendre ce service plus facile à la Croix-Rouge.
Mais la situation demeure tragique.
Une de nos visites dans cette région tourmentée s'annonce impossible, à cause des difficultés logistiques, et à cause des interprétations politiques qu'elle susciterait, et qui rendraient encore plus grave la situation, écartant aussi ce peu d'espoir que notre effort impartial peut encore peut-être consentir.
Nous avons essayé d'autres voies, celles du rapprochement des parties en conflit, non sans espoir de quelque résultat favorable, et sans entraver l'éventuelle médiation — au contraire en l'invoquant, — d'autres personnes, bien plus en mesure que Nous d'exercer une influence d'apaisement. Mais les thèses opposées sur lesquelles se fonde le conflit semblent encore fort éloignées. Nous continuerons à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour convaincre les adversaires qu'il faut aboutir à une trêve, garantie, si c'est nécessaire, par quelque Puissance africaine neutre ; et qu'un « compromis », honorable pour les deux parties, n'offense pas leur prestige, ne lèse pas leurs intérêts, et puisse s'accorder avec leurs légitimes prétentions respectives essentielles. Nous avons entrepris des démarches réitérées dans ce sens, et en beaucoup d'autres sens ; et Nous continuerons à les répéter, dussent-elles rester vaines dans leurs résultats, mais propres à démontrer notre bonne volonté, et à rappeler surtout les esprits des Africains et l'opinion publique mondiale à l'unique idée digne d'être professée par tous, celle de la paix, dans la justice et dans la fraternité.
On vient de Nous annoncer le vœu d'une trêve d'armes durant notre voyage en Afrique. Dieu veuille qu'elle soit vraie et efficace, et qu'elle prélude à des négociations pour la solution désirée, réclamée par les exigences supérieures de la paix civile et chrétienne et par l'exemple que le monde attend de la part de la jeune Afrique libre, indépendante et unie.
Tout ceci vous dit, bien chers fils, comment Notre voyage en Afrique, bien loin d'oublier la plaie, qui la fait saigner, remplit aussi notre cœur d'une douleur profonde et paternelle, tempérée par les espoirs toujours encourageants, et soutenue par les prières communes des gens de bonne volonté. Par les vôtres ! Avec Notre Bénédiction Apostolique.
Chers Fils et Filles,
Nous ne pouvons, au moins encore une fois, ne pas vous parler de notre voyage africain, en Ouganda, que nous avons fait la semaine dernière. Nous ne voulons pas vous faire une chronique de ces journées ni une description des lieux visités et des cérémonies célébrées, ou encore des rencontres que nous avons eues. Tout cela a été rapporté par la presse et le sera encore. Si cela vous intéresse vous pourrez y trouver d'abondants comptes rendus et images. Et de même pour l'histoire des martyrs, que nous avons vénérés, au cours d'un pieux pèlerinage, sur les lieux mêmes, actuellement totalement transformés par les constructions de la ville moderne de Kampala, où s'est consommé le drame atroce et glorieux de leur sacrifice pour la foi chrétienne. Lisez vous-mêmes ces comptes rendus, ce ne sera ni difficile, ni inutile.
Il nous semble de notre devoir d'offrir à votre esprit quelques considérations générales sur le fait missionnaire, qui, observé et médité dans ce cadre caractéristique de son déroulement original et essentiel, nous a semblé être plus impressionnant et plus éloquent, et presque révélateur du sens théologique et de la valeur humaine qui le rendent grand, salutaire et moderne. Il est vrai que cela est bien connu. Et nul n'en ignore, pouvons-nous dire, que ce soit grâce aux chroniques écrites ou rapportées par les protagonistes des missions, les missionnaires eux-mêmes. Et cela est assez clair pour vous également.
De plus, le Concile Œcuménique, par son grand décret sur l'activité missionnaire de l'Eglise Ad Gentes, a si bien défini les principes et les normes, qu'en fait il ne resterait plus rien à ajouter ; toutefois tout devrait être relu et reconsidéré.
Mais l'habitude, l'expérience, plus que la lecture, démontre la vérité des enseignements et en met en évidence les idées fondamentales. Eh bien ! nous vous dirons aujourd'hui, pour terminer nos discours sur ce thème, les trois idées qui nous sont venues à l'esprit à l'occasion de notre pèlerinage africain.
La première est celle de la nécessité missionnaire. L'activité missionnaire naît d'une nécessité. Ecoutez bien. Non seulement d'une nécessité d'ordre pratique et historique, qui est aussi importante : comment l'Evangile se répandrait-il, s'il n'y avait pas les missions ? Etrange phénomène, qui mérite une réflexion profonde. Pourquoi l'Evangile, qui est la vérité révélée, merveilleuse et salvifique, ne se répand-il pas tout seul ? Les découvertes scientifiques, d'ordinaire, se divulguent toutes seules. La raison humaine, la curiosité des hommes, les intérêts inhérents à leur divulgation donnent à la science une propagation immédiate et facile. Et ainsi les idées à la mode ouvrent leur chemin à travers l'humanité par l'école, la presse, la politique, et aujourd'hui par les merveilleux moyens que sont les communications par radio et télévision, avec une rapidité étonnante. Pourquoi, au contraire, la foi dans le Christ et dans son salut, notre objectif suprême, n'a-t-elle pas cette vertu de diffusion spontanée ? Parce qu'elle est difficile ? Parce qu'elle comporte un nouveau style de vie ? Parce qu'elle engendre une communion, c'est-à-dire une Eglise ? Oui, pour ces raisons et d'autres semblables. Et la réalité est celle-ci : la foi doit être portée, elle doit être annoncée de vive voix : d'une personne à l'autre. Le réseau de communication de la foi, au commencement et puis ordinairement, doit être l'homme. Le missionnaire est nécessaire, l'homme envoyé par l'autorité apostolique de l'Eglise pour que le message divin arrive à destination, c'est-à-dire atteigne le cœur des hommes. On a dit, avec une efficacité paradoxale : Dieu a besoin de l'homme. C'est-à-dire : pour que le mystère d'amour et de salut de la part de Dieu se répande dans le monde, il est nécessaire qu'il y ait ministère d'amour et de sacrifice de la part de l'homme qui accepte la charge, le risque, l'honneur de communiquer ce mystère aux autres hommes, qui en vertu de cela prennent l'aspect de frères. Cet homme indispensable, c'est le missionnaire. La charité de Dieu met à l'épreuve la charité de l'homme pour que se déploie son plan historique et social dans le monde. Et cette nécessité de service au plan divin n'est pas seulement de nature pratique, historique et extérieure, disions-Nous. Elle est aussi à l'intérieur de la vérité, de la charité même de l'Evangile, qui a été annoncé au monde pour couvrir toute la face de la terre. Ecoutons encore une fois la voix de saint Paul, l'Apôtre des peuples, le missionnaire par élection divine (cf. 1 Tm 2, 7 ; 2 Tm 1, 11 ; Ga 2, 8 ; Ac 9, 15) : « Une nécessité m'incombe ! Malheur à moi si je ne prêchais pas l'Evangile » (1 Co 9, 16).
Cette nécessité intrinsèque, cette impulsion qui jaillit de la nature même de l'Evangile, ce devoir primordial de l'Eglise responsable, qui se définit catholique et apostolique, c'est-à-dire missionnaire (cf. Ad Gentes, 1 et 6), est aussi urgente aujourd'hui qu'hier, comme aux premiers temps du christianisme. Et du fait qu'aujourd'hui, encore plus clairement, l'Eglise « ne rejette rien de ce qui est vrai et saint » dans les religions non chrétiennes, qui « assez souvent reflètent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes, elle annonce cependant et est tenue constamment d'annoncer le Christ, qui est la voie, la vérité et la vie » (cf. Décl. Conc. Nostra aetate, 2). La nécessité missionnaire est permanente. Nous devons tous la soutenir. Un irénisme indifférent quant à cette nécessité, fondé sur l'impossibilité pratique d'étendre à toute la terre l'action missionnaire, et quant à la miséricorde divine, à laquelle on ne peut mettre aucune limite, ne peut être admis par les exigences mêmes du plan divin révélé au monde (cf. Ep 1, 9-10). Nous avons toujours besoin de missionnaires comme le Père Lourdel ; de personnes qui se lancent dans l'aventure de l'évangélisation ; ne serait-ce que parce que la terre est grande, et que la plus grande partie de notre terre ne connaît pas encore ou ne reconnaît pas Jésus-Christ, comme Sauveur et Maître.
Ici jaillit la seconde idée, qui Nous est venue au cours de cette brève mais impressionnante expérience africaine. Le christianisme, et avec lui l'Eglise qui le prêche et le réalise, comme elle le peut, est universel. Il est pour tous. Il n'a ni limites géographiques, ni limites ethniques, ni limites culturelles. Il est unique, rigoureusement unique dans son contenu essentiel (cf. Ep 2 ; 4, 1, 7), mais organique, c'est-à-dire différencié, dans sa composition communautaire. Il peut être adapté et s'exprimer dans toute forme de culture humaine, saine. On parle beaucoup aujourd'hui de ce pluralisme dans l'expression de l'Evangile (cf. Ad Gentes, 22). Il ne s'agit pas de fractionner l'Eglise, de dissocier sa communion intime, de libérer les Eglises locales de l'harmonie avec les Eglises sœurs et de la collégialité qui oblige les Pasteurs de l'Eglise à une solidarité fraternelle et hiérarchique. Il s'agit d'admettre dans le concert des voix de la même unité la catholicité des voix différentes, différentes comme les a faites le Seigneur (1 Co 12, 16-21), la marque de la race, l'histoire locale, la nature particulière, la tradition culturelle. Il est merveilleux de constater comme notre religion catholique est catholique, c'est-à-dire universelle. Non seulement elle peut s'adapter aux diverses conditions de race, de mœurs, de génie des peuples, mais elle est capable de tirer de ces conditions ce qu'elles possèdent de plus original, de plus caractéristique et de plus spécifique, virtuellement ou effectivement. Tous, hommes et peuples, peuvent être catholiques, sans renier les talents qu'ils ont reçus, mais en les développant, et en les portant à un degré supérieur de plénitude d'expression et de beauté humaine. Il est merveilleux d'observer, nous le répétons, comment l'idée d'universalité dans l'Eglise est innée, et comment par conséquent elle a anticipé de bien des siècles l'universalité civile et internationale, vers laquelle se dirige le monde moderne.
Une troisième idée a envahi notre esprit au contact de la jeune Eglise africaine : son humanité. L'Eglise ne s'occupe ni de commerce, ni de politique, ni d'explorations géographiques ou scientifiques, mais d'âmes. Elle s'occupe de la vie de l'homme, de son existence physique, de sa dignité personnelle, de sa perfection morale, de sa liberté sociale, en un mot de l'être humain en tant que tel, dans son intégralité inviolable de fils de Dieu, de frère du Christ, de tabernacle de l'Esprit Saint, de membre d'un seul corps mystique, l'Eglise, et par conséquent de citoyen instruit, travailleur, honnête, conscient, aimant sa famille, son pays, sa patrie, l'humanité. Cette intégralité humaine nous l'avons vue dans son être et dans son devenir. Nous avons vu un Peuple. Et dans la lumière de son christianisme, un Peuple bon, un Peuple ouvert à la vision difficile et sublime de la paix ; de la paix domestique, nationale, mondiale. Et tout ce cadre humain est lié à une parole très simple, héritée des martyrs de l'Ouganda : la prière, donc à la religion, à la foi, à l'Eglise, au Christ. Humanité très belle, simple, vivante, africaine et chrétienne. Nous la saluons encore. Et Nous vous bénissons avec elle.
Chers Fils et Filles,
Dans Notre brève exhortation de dimanche passé, avant la récitation de l'« Angélus », Nous avons rappelé à Nos visiteurs l'opportunité de réserver, durant la période des vacances d'été, quelques moments à la vie de l'esprit, au silence, à la réflexion et à la prière. Durant cette rencontre rapide, mais peut-être importante, nous voulons reprendre ce même motif avec vous, très chers fils, sous un aspect plus général, celui de la nécessité de retourner à la prière personnelle.
Pourquoi retourner ? Parce que Nous avons la conviction, que Nous voudrions voir démentie par les faits (comme elle l'est, heureusement, dans plusieurs cas), qu'aujourd'hui, même les bons, même les fidèles, même ceux qui sont consacrés au Seigneur, prient moins qu'autrefois. Disant cela Nous croyons de Notre devoir d'en donner la preuve et d'en dire le pourquoi. Mais Nous ne Nous acquitterons pas maintenant de ce devoir. Cela exigerait un très long discours. Nous invitons plutôt chacun de vous à faire lui-même cette enquête : Est-ce qu'on prie aujourd'hui ? L'homme moderne sait-il prier ? En sent-il l'obligation ? En sent-il le besoin ? Et même le chrétien a-t-il la facilité, le goût et le besoin de l'oraison ? A-t-il toujours l'affection de ces formes de prière, que la piété de l'Eglise, tout en ne les déclarant pas officielles, a tant enseignées et recommandées, comme le chapelet, le Chemin de Croix etc. et spécialement la méditation, l'adoration du Saint-Sacrement, l'examen de conscience et la lecture spirituelle ?
Personne ne voudra attribuer à la liturgie la diminution de la prière personnelle et surtout de la vie spirituelle, de la vie intérieure, de la « piété » comprise comme expression du don de l'Esprit-Saint par lequel nous nous adressons à Dieu, dans l'intimité du cœur, avec le nom familier et profond de Père (cf. Rm 8, 15-16 ; S. thomas, II-IIae 121, 1), à la liturgie, c'est-à-dire à la célébration communautaire et ecclésiale de la Parole de Dieu et des mystères de la Rédemption (cf. Sacr. Conc., 2). Cette liturgie qui, grâce à un intense et vaste mouvement religieux, a été couronnée et même canonisée par le récent Concile, a assumé un progrès, une dignité, une accessibilité et une participation dans la conscience et la vie spirituelle du Peuple de Dieu. Nous souhaitons qu'elle en assume davantage dans le proche avenir. La liturgie possède, en sa primauté, la plénitude, et de par elle-même, une efficacité que nous devons tous reconnaître et promouvoir. Mais la liturgie, de par sa nature publique et officielle dans l'Eglise, ne remplace ni n'appauvrit la religion personnelle. La liturgie n'est pas uniquement un rite. C'est un mystère. Et, comme telle, elle exige l'adhésion consciente et fervente de ceux qui y prennent part. Elle suppose la foi, l'espérance et la charité, et bien d'autres vertus et sentiments, actes et conditions comme l'humilité, le repentir, le pardon des offenses, l'intention, l'attention, l'expression intérieure et vocale qui disposent le fidèle à se plonger dans la Réalité divine que la célébration liturgique rend présente et opérante. La religion personnelle, selon les possibilités de chacun, est une condition indispensable à la participation liturgique authentique et consciente. De plus elle est le fruit, la conséquence de cette participation qui vise justement à sanctifier les âmes et à corroborer en elles le sens de l'union avec Dieu, avec le Christ, avec l'Eglise et avec les frères de l'humanité entière.
La diminution, s'il en est, de la vie religieuse personnelle devrait être cherchée dans une tout autre direction. Essayez encore de vous demander : pourquoi, aujourd'hui, la vie intérieure. Nous voulons dire la vie de prière, est-elle moins intense et moins facile chez les hommes de notre temps, c'est-à-dire en nous-mêmes ? Cette demande exigerait une réponse extrêmement complexe et difficile, que nous pouvons maintenant synthétiser ainsi : nous sommes éduqués à la vie extérieure qui a pris une fascination et un développement merveilleux, et ne le sommes guère à la vie intérieure, dont nous connaissons peu les lois et les satisfactions. Notre pensée s'exerce principalement dans le domaine du sensible : « civilisation de l'image » : radio, télévision, photographie, symboles et schémas mentaux, etc., et dans le domaine social, c'est-à-dire, dans la conversation et dans les rapports avec les autres, nous sommes tournés vers l'extérieur. Enfin la théologie cède souvent le pas à la sociologie ; la conscience morale elle-même est submergée par la conscience psychologique, et revendique une liberté qui, s'abandonnant à elle-même, la fait errer en dehors de soi, dans la poursuite aveugle de la mode. Où est Dieu ? Où est, le Christ ? Où est la vie religieuse, dont cependant nous sentons encore et toujours un besoin obscur mais insatisfait ?
Vous savez que cet état de choses constitue le drame spirituel et, nous pouvons dire, humain et civil de notre temps. Mais, maintenant, en ce qui nous concerne nous, fils de l'Eglise, il nous suffit de rappeler avec une pensée célèbre de S. Augustin (« Intus eras et ego foras » ; Conf. 10, 27 : PL 32, 795), que le point essentiel de rencontre avec le mystère religieux, avec Dieu, est au-dedans de nous, dans la cellule intérieure de notre esprit, dans cette activité personnelle que nous appelons oraison. C'est dans cette attitude de recherche, d'écoute, de supplication, de docilité (cf. Jn 6, 45) que l'action de Dieu nous atteint normalement, qu'elle nous donne la lumière et le sens des réalités invisibles du royaume céleste, qu'elle nous rend meilleurs, forts, fidèles, qu'elle nous fait comme Lui nous veut.
A vous, frères et sœurs consacrés au Seigneur, Nous disons : vous avez le droit et le devoir d'entretenir une conversation intime avec Lui ; à vous, jeunes, avides de trouver la clef du siècle nouveau ; à vous, chrétiens, qui voulez découvrir la synthèse possible, purifiante et béatifiante de la vie vécue, aujourd'hui, et celle de la foi qui vous est chère ; à vous, hommes de notre temps, lancés dans le tourbillon de vos occupations obsédantes et qui sentez le besoin d'une certitude et d'un réconfort que rien au monde ne vous donne ; à vous tous Nous disons: priez, frères ! orate, fratres ! Ne vous fatiguez pas de faire sourdre du fond de votre esprit, avec votre voix intime ce : Toi ! adressé au Dieu ineffable, à cet Autre mystérieux qui nous observe, qui nous attend et nous aime. Et certainement vous ne serez ni déçus ni abandonnés, mais vous éprouverez la joie nouvelle d'une réponse enivrante : Ecce adsum, Voici, je suis là (Is 58, 9).
Avec Notre Bénédiction Apostolique : priez, Frères !
Chers Fils et Filles,
Notre discours s'adresse aujourd'hui à vous, chers visiteurs, qui, Nous le pensons, venez vers Nous, à cette audience, poussés non par la seule curiosité touristique ni par la seule dévotion filiale, mais par un désir secret, comme un besoin, une espérance de recevoir de Notre part une parole de lumière spirituelle.
Nous disions, dans une précédente rencontre comme celle-ci, qu'il est nécessaire — aujourd'hui comme toujours — mais aujourd'hui en raison des conditions présentes de notre existence, si absorbée par l'enchantement de ce qui nous entoure et si troublée par la profondeur et la rapidité des changements en cours, nous disions donc qu'il est plus que jamais nécessaire de nourrir un esprit et une pratique d'oraison personnelle, intime, continue, prière de foi, de charité, on ne peut pas demeurer chrétien ; on ne peut pas utilement et sagement participer à l'efflorescence du renouveau liturgique, on ne peut pas efficacement donner le témoignage de cette authenticité chrétienne dont on parle si souvent, on ne peut pas penser, respirer, agir, souffrir, espérer pleinement avec l'Eglise vivante et en marche. Il faut prier. C'est par déficience de la prière que viennent sans doute à diminuer en nous et peut-être à manquer soit l'intelligence des choses et des événements soit l'aide mystérieuse mais indispensable de la grâce.
Nous pensons que bien des tristes crises spirituelles et morales de personnes instruites et placées à divers niveaux dans l'organisme ecclésiastique sont dues à la langueur et peut-être au manque d'une vie d'oraison régulière et intense, soutenue jusqu'à hier par de sages coutumes extérieures mais qui, abandonnées, voient s'éteindre l'oraison et avec elle la fidélité et la joie.
Nous voudrions aujourd'hui par ces simples paroles réconforter en vous la vie de prière quel que soit votre âge ou votre situation. Nous supposons que chacun de vous prête attention en quelque manière au problème relatif au devoir et au besoin de la prière. Nous vous pensons tous fidèles à la prière et désireux de la retrouver meilleure en elle-même, spécialement grâce à l'animation provoquée par le Concile, et de nouveau fraternellement associée à la vie profane, honnête et moderne. Mais nous voudrions que chacun de vous se situe de lui-même dans une des catégories qu'une observation banale offre à l'expérience commune.
Il y a une première catégorie, peut-être la plus étendue, celle des âmes spirituellement assoupies. Le feu n'est pas éteint mais il est recouvert de cendres. Le grain n'est pas mort, mais comme dit la parabole évangélique, il est étouffé par la végétation environnante (Mt 13, 7-22) par les « sollicitations du siècle présent » et par « les illusions des richesses ». La tendance à séculariser toute activité humaine exclut graduellement la prière des coutumes publiques aussi bien que des habitudes privées.
Récite-t-on la
prière du matin et du soir avec la conscience d'accomplir par elle un geste de
signification transcendante, une valeur survivant à une journée fugitive ? Nous
voulons bien supposer qu'on fréquente encore l'Eglise, qu'on récite le
bréviaire, qu'on assiste à l'office, mais le cœur où est-il ? Une marque de
cette déficience spirituelle est le poids que la prière inflige à l'observance
privée des choses de dévotion... Sa durée semble toujours trop longue, sa forme
est accusée d'incompréhensibilité et d'étrangeté. La prière manque d'ailes.
Elle n'est plus un goût, une joie, une paix de l'âme. Serions-nous de cette
catégorie ?
Une autre catégorie, accrue en nombre et en anxiété depuis la réforme liturgique conciliaire est celle des soupçonneux, des critiques, des mécontents. Dérangés dans leurs pieuses habitudes ces esprits ne se résignent qu'à contre-cœur aux nouveautés; ils ne cherchent pas à en comprendre les raisons, ils ne trouvent pas heureuses les nouvelles expressions du culte et se réfugient dans leurs plaintes qui enlèvent aux formules d'autrefois leur antique saveur et empêchent de goûter celles que l'Eglise, en ce printemps liturgique offre aux âmes ouvertes au sens et au langage des rites nouveaux, loués par la sagesse et l'autorité de la réforme postconciliaire. Un effort facile d'adhésion et de compréhension donnerait l'expérience de la dignité, de la simplicité, de la « moderne antiquité » des nouvelles liturgies et, à partir de la célébration communautaire, en porterait la consolation et la vigueur dans le sanctuaire de chaque personne.
Une autre catégorie comprend ceux qui se disent en règle avec la charité envers le prochain pour mettre dans l'ombre ou déclarer superflue la charité envers Dieu. Tous savent quelle force négative a accumulée cette attitude spirituelle selon laquelle ce n'est pas la prière mais l'action qui engendrerait une vigilante et sincère vie chrétienne.
Le sens social remplace le sens religieux. Cette objection dévorante se propage par une littérature audacieuse jusqu'à porter préjudice à l'opinion publique, à la mentalité populaire et se répand dans quelques « groupes spontanés » comme on les appelle, qui, chercheurs inquiets d'une religiosité spéciale, plus intense, éloignée de celle habituelle de l'Eglise qu'ils estiment autoritaire et mécanisée, finissent par perdre la vraie religiosité, remplacée par une sympathie humaine, belle et digne en elle-même, mais rapidement vidée de la vérité théologique et de la charité théologale.
Quelle consistance réelle, quel mérite transcendant peut avoir une religiosité dans laquelle la doctrine de la foi, dans son rapport avec l'absolu, avec Dieu Un et Trine, dans laquelle le drame de la Rédemption, et le mystère de la grâce et de l'Eglise sont ordinairement tus ou offerts aux commentaires de la situation sociale et du moment politique et historique ? Il y aurait tant à dire sur ce thème... mais pas maintenant. Il suffit pour le moment de mettre en garde les esprits généreux, avides d'Evangile et de religion personnelle, sur le faux fondement d'une telle tendance et sur les périls qu'elle peut engendrer par des effets totalement opposés, même sur un plan humain, à ceux que l'on cherche et qui sont : la liberté, l'amour, l'unité, la paix, la réalité religieuse infuse dans la société et dans l'histoire.
Cherchons donc à nous classer parmi ceux que Jésus veut porteurs de lampes allumées : « Que vos lampes soient allumées en vos mains » (Lc 12, 35).
Il n'y a rien d'autre : l'oraison illumine la vie, tient en éveil la vigilance, stimule la conscience. Un écrivain célèbre de notre temps fait dire à l'un de ses personnages, un prêtre cultivé et malheureux : « J'ai cru trop facilement qu'on pouvait se dispenser de cette surveillance de l'âme, en un mot, de cette inspection forte et subtile à laquelle nos vieux maîtres donnaient le beau nom d'oraison » (bernanos, L'Impost., p. 64). L'oraison vainc l'obscurité et l'ennui de notre chemin. Ce n'est pas pour rien que le Seigneur nous a laissé ce binôme évangélique : « Veillez et priez » (Mt 26, 41). Ce n'est pas le seul. L'oraison, la vie d'oraison, c'est-à-dire l'habituelle direction de notre esprit vers Dieu, moyennant un entretien filial et une concentration silencieuse avec Lui, porte à cette forme de spiritualité qui est remplie du don de la Sagesse de l'Esprit-Saint, (cf. Rm 8, 14) et que nous pouvons appeler, même pour les simples fidèles, vie contemplative.
Ainsi le maître S. Thomas, avec son habituelle acuité dit que la vie contemplative constitue, en quelque façon, le commencement de la béatitude (« quaedam incohatio beatitudinis », II-IIae, 180, 4). Il se réfère à l'épisode de Marthe et Marie, où cette dernière en dialogue avec le Christ obtint de Lui cette fameuse réponse : « Marie a choisi la meilleure part qui ne lui sera pas ôtée » (Lc 10, 42), jamais plus.
Voici donc la consolation que Nous vous souhaitons à tous : que vous puissiez trouver dans l'oraison, cordialement accomplie, bien proportionnée, toujours éclairée dans son intention (Lc 18, 1), la source de joie et d'espérance dont a besoin notre pèlerinage terrestre.
Avec Notre Bénédiction Apostolique.
Chers Fils et Filles,
Nous vous le demandons : essayez de Nous comprendre. De Nous comprendre dans une des préoccupations majeures de notre ministère : réveiller le sens religieux dans les âmes des hommes de notre temps. Ce que Nous allons dire doit être relié à ce que Nous avons dit dans d'autres audiences, au sujet de l'obligation et du besoin de la prière. Comment amener l'homme moderne à prier ? Et encore avant de prier, comment l'amener à avoir ce sens, vague peut-être, mais profond, mystérieux, stimulant, de Dieu, qui est prémisse de prière ?
La prière est un colloque, de notre être conscient avec Lui, l'interlocuteur invisible, mais reconnu présent ; le Vivant par excellence, qui remplit de crainte et d'amour ; le divin ineffable, que le Christ (cf. Mt 11, 27), en nous faisant le don inestimable de la révélation, nous a appris à nommer Père. C'est-à-dire qu'il est source nécessaire et aimante de notre vie, invisible et immense comme le ciel, comme l'univers où il se trouve, créant tout, pénétrant tout et continuellement agissant. Comment réveiller ce sens religieux fondamental par le seul intermédiaire duquel notre petite voix, si pleine pourtant de signification et de spiritualité, trouve son climat, et peut s'exprimer en criant et en chantant cette parole filiale : Notre Père, qui es aux cieux ? Comment peut-on donc réveiller dans l'homme moderne ce sens religieux ? (cf. guardini, Introduction à la prière).
Nous ressentons la difficulté, énorme et toujours plus grande, que les hommes rencontrent pour parler avec Dieu. Le sens religieux est aujourd'hui comme affaibli, éteint, évanoui. Du moins, c'est l'impression que l'on a. Appelez ce phénomène comme vous le voulez : démythisation, sécularisation, rationalisme, autosuffisance, athéisme, antithéisme, matérialisme. Mais le fait est grave, extrêmement complexe, même s'il se présente en pratique de façon simple. Il envahit les masses, trouve support et adhésion dans la culture et dans les mœurs, s'introduit partout, comme s'il était une conquête de la pensée et du progrès ; il semble caractériser l'époque nouvelle, sans religion, sans foi, sans Dieu, comme si l'humanité s'était émancipée d'une situation dépassée et oppressive (cf. Gaudium et spes, 7).
Cela ne peut être, vous le savez bien; Vous vous rappelez sans doute — pour user d'une comparaison — la parabole du « fil d'en haut » de Jœrgensen, ce fil qui soutient toute la trame de la vie, sans lequel toute la vie s'effiloche et décline, perd sa vraie signification, sa valeur étonnante : ce fil est notre rapport avec Dieu, c'est la religion. Elle nous soutient et nous fait expérimenter, dans une gamme très riche de sentiments, la merveille d'exister, la joie et la responsabilité de vivre. Nous en sommes profondément convaincu. Notre ministère y est profondément engagé, et Nous souffrons, quand Nous voyons comment cette génération a du mal pour conserver et pour alimenter ce sens religieux, sublime et indispensable.
Nous comprenons, enfants de ce temps, vos difficultés, surtout celles d'ordre psychologique, et cela augmente notre intérêt, notre amour pour vous. Nous voudrions vous aider ; Nous voudrions vous offrir ce « supplément d'âme », qui manque dans la gigantesque construction de la vie moderne. Notre office apostolique et pastoral est donc de chercher la solution des grands problèmes pédagogiques de notre temps.
Nous disons pédagogiques, c'est-à-dire relatifs à la formation et au développement intégral de l'homme dans l'interprétation de sa nature véritable et mystérieuse, de ses facultés, enfin de son destin. La pédagogie de la vérité et de la plénitude porte l'homme au seuil de la religion ; au besoin de Dieu, à la réceptivité de la foi.
Et la pédagogie est une science ouverte à tous, un art connaturel à une vie authentique et honnête. Qui possède d'instinct cet art, sinon les parents ? qui devrait en connaître les secrets, sinon les éducateurs ? Et en général, tous ceux qui s'adressent aux hommes politiques ? Chacun de nous ne devrait-il pas être un bon maître de lui-même ? A quoi servent autrement la conscience et la liberté ? La religion est au sommet de l'éducation humaine, plus qu'au sommet, à sa racine ; « fondement et couronnement » comme il est dit dans un texte célèbre (l'art. 36 du concordat avec l'Italie), quand la ligne du développement humain suit la ligne qui correspond à sa finalité (cf. maritain, Pour une philosophie de l'éducation, pp. 157 ss.).
C'est pourquoi Nous vous appelons à notre aide, vous et tous ceux qui aiment vraiment l'homme et ont l'intuition de ses nécessités religieuses. Vous pouvez, à partir de l'expérience même du monde, chercher et trouver les sentiers qui conduisent vers le sens religieux, vers le mystère de Dieu, ensuite vers le colloque et l'union à Dieu.
Prenons un exemple qui est, peut-on dire, celui de tous, l'image fascinante du cinéma, de la télévision. Elle absorbe quasi toute la disponibilité de vie intérieure, dans la jeunesse spécialement. L'image multiforme s'imprime dans la mémoire, et ensuite dans l'esprit ; si elle est recherchée avec une assiduité parfois obsessive, elle remplace la pensée spéculative et peuple l'esprit de vains fantômes (cf. Sg 4, 12), le stimule à l'imitation, l'extériorise, l'abaisse au niveau du monde sensible. Comment la vie spirituelle, la prière, la référence au premier principe qui est Dieu, peuvent-elles trouver place dans une conscience encombrée de cette importation habituelle d'images, souvent futiles et nocives ? Il faut introduire dans cette conscience un moment d'arrêt, de réflexion, de critique. Un « ciné-forum » bien guidé peut être un premier instant de reprise d'autonomie libératrice de la suggestion de l'image ; la pensée surnage du rêve fantastique ; un jugement se forme; si celui-ci ne se limite pas à jauger les impressions reçues à la mesure de la technique et de l'esthétique, mais les confronte avec l'idée de l'homme, avec la vie morale, alors un élan vers le haut, c'est-à-dire vers le domaine spirituel, et ensuite, à certains moments, vers la pensée strictement religieuse, est possible, ou même parfois s'impose, « Les usagers, les jeunes tout particulièrement, dit le Concile (Inter Mirifica, 10), doivent s'entraîner à la modération et à la discipline dans l'usage de ces moyens et chercher en outre à mieux comprendre ce qu'ils voient, entendent et lisent. Ils en discuteront soit avec leurs éducateurs, soit avec des spécialistes en la matière ; ils apprendront ainsi à se former un jugement droit. « Il faut parcourir en montant le chemin de l'expérience sensible, qui par son attraction et son objet nous porte à la descente. Au « divertissement » de sens pascalien (Pensées 11), c'est-à-dire à la distraction, qui nous porte hors de nous et souvent dans une expérience malsaine, il nous faut remédier par un retour en nous-mêmes, et ensuite rechercher la rencontre religieuse, tonifiante et ineffable.
Nous pourrions prendre un autre exemple, celui du travail industriel et bureaucratique, qui réduit l'homme à une « seule dimension », celle de la limitation, de l'uniformité, du mécanisme, du pur physique, déshumanisant et exténuant. Après un tel travail, l'homme est épuisé, et anéanti. Comment peut-il avoir encore le sens de lui-même et celui de Dieu, dont Nous sommes en train de parler ? Le seul repos physique ne suffit pas ; naissent alors des besoins de liberté et de loisirs, qui peuvent être honnêtes et légitimes, mais qui n'arrivent pas toujours à rendre au travailleur fatigué sa dimension d'homme et de chrétien. Il a besoin d'une thérapeutique qui le fortifie : silence, amitié, amour familial, contact avec la nature, réflexion et application au bien. La prière devient alors facile et vivante. Il n'y a pas de meilleur médecin que lui-même, surtout si à son besoin secret et à son attitude d'attente vient en aide l'offrande intelligente et amicale d'un moment religieux : la prière en famille, brève mais douce, la messe des jours de fête, peuvent être d'un grand réconfort. La vie retrouve alors sa dignité, le cœur sa capacité de sentir et d'aimer. Cela pose le gros problème de l'assistance spirituelle aux travailleurs du monde moderne ! Mais chacun peut trouver sa propre voie pour le résoudre ; la voie royale est celle de plonger une heure dans la communauté ecclésiale, où la Parole de Dieu demande la nôtre, par la supplication et l'hymne de joie, et où la présence sacramentelle du Christ nous remplit de foi, d'espérance et d'amour.
Nous renonçons pour le moment à considérer le cas de la mentalité, dérivant de la culture moderne, fondée en général sur les critères du rationalisme scientifique et du pessimisme logique et psychologique, c'est-à-dire privée de ces principes rationnels qui rendent possible la montée métaphysique et l'acceptation de la foi, et donc de la vie chrétienne coordonnée avec la culture moderne. La pédagogie peut servir dans ce cas — c'est celui de la contestation actuelle — dans la recherche sage de raisons de vivre, capables de restituer la confiance dans la pensée spéculative et dans l'avenir de l'ordre social ; ces raisons de vivre postulent facilement le sens religieux et s'épanchent joyeusement dans la découverte du message chrétien.
Ce qui importe donc est de trouver la voie pour trouver la vie, que seul le contact avec Dieu peut nous donner. Pensez-y vous aussi, avec Notre Bénédiction Apostolique.
Chers Fils et Filles,
Nous parlons depuis quelque temps de la nécessité pour ceux qui veulent rester chrétiens, et progresser devant Dieu (Ep 4, 15), de maintenir toujours vivante en eux la foi surnaturelle et donc d'intensifier dans leur esprit et en pratique leur vie de prière.
Nous sommes convaincu que le culte divin établi et célébré par l'Eglise hiérarchique. C'est-à-dire la liturgie, comme la piété populaire approuvée et encouragée par l'Eglise, peuvent alimenter « en esprit et en vérité », comme le Christ l'a présagé (Ep 4, 15), l'adoration du Père, c'est-à-dire le rapport authentique et efficace avec Dieu. Elles peuvent exprimer ce qu'il y a dans le cœur de l'homme, non moins celui d'aujourd'hui que celui d'hier et lui offrir les expressions les plus élevées et les plus belles. Elles peuvent lui ouvrir aussi bien le sentier de la spéculation spirituelle, satisfaite « dans les pensées contemplatives » (dante, Paradiso 21, 117), que l'art de traduire en prière les voix douloureuses ou heureuses de l'humanité environnante. Elles peuvent lui mettre sur les lèvres les syllabes profondes des heures décisives de la vie.
Nous devrions relire cette grande page du Concile qu'est la Constitution sur la Sainte Liturgie et essayer de comprendre ce en quoi elle est fidèle à la tradition de prière de l'Eglise, ce qu'elle nous propose de nouveau, et aussi combien elle reflète et accomplit pleinement le mystère de l'Eglise en marche dans le temps (cf. n. 2), et combien elle nous veut non seulement spectateurs, mais participants spécialement au divin sacrifice de l'Eucharistie, au rite sacré.
Nous bénissons le Seigneur en constatant que le mouvement liturgique promu par le Concile s'est répandu dans l'Eglise et pénètre la conscience du clergé et des fidèles. La prière en commun se développe et anime tout le peuple de Dieu ; elle devient consciente et communautaire ; la foi et la grâce la pénètrent de plus en plus ; ainsi la foi surnaturelle s'éveille, l'espérance eschatologique conduit la spiritualité de l'Eglise, la charité reprend sa place de choix, vivifiante et agissante, et précisément en ce siècle profane et païen, sourd aux voix de l'esprit.
Nous voulons encourager ceux qui travaillent de tout leur cœur à cet effort immense pour répandre dans toute la communauté catholique un nouveau style de prière. La révision actuellement en cours des formes et des textes liturgiques exige beaucoup d'étude et de labeur de celui qui l'ordonne, beaucoup de patience et d'assiduité de celui qui doit l'exécuter et beaucoup de confiance et de collaboration filiale de ceux qui, modifiant leurs habitudes et renonçant à leurs préférences, doivent s'y conformer.
Mais cette réforme n'est pas sans dangers, en particulier celui de choix arbitraires, susceptibles de désagréger l'unité spirituelle de l'Eglise ainsi que la beauté de la prière et la beauté de la liturgie. L'Eglise, en admettant l'utilisation de langues populaires, certaines adaptations aux désirs locaux, des nouveautés dans les rites, ne veut pas donner à croire qu'il n'existe plus de règle commune, fixe et obligatoire dans la prière de l'Eglise, et que chacun peut l'organiser ou la désorganiser à son gré. Ce ne serait plus du pluralisme dans le domaine du permis, mais de la déformation et parfois non seulement de forme mais de fond, comme par exemple dans les intercommunions avec celui qui n'est pas validement ordonné. Ce désordre, que l'on constate malheureusement ici ou là, cause un grave préjudice à l'Eglise : à cause de l'obstacle qu'il met à la réforme disciplinée, qualifiée et autorisée; à cause des notes fausses ainsi introduites dans l'harmonie spirituelle de la prière commune de l'Eglise ; à cause du subjectivisme religieux qu'il alimente chez le clergé et les fidèles; à cause de la confusion et de la faiblesse qu'il engendre dans l'enseignement religieux des communautés : exemple ni bon, ni fraternel.
Le prétexte pour ce choix arbitraire peut être le désir d'établir une liturgie à son goût, convenant mieux à celui qui y participe. Parfois même on prétend ainsi exprimer un culte plus spirituel. Nous voulons voir dans ces prétentions quelques bons désirs dont la sagesse des pasteurs saura tenir compte. Notre Congrégation pour le Culte Divin a promulgué une Instruction sur la célébration des Messes en des milieux particuliers, hors des édifices consacrés.
Nous voudrions toutefois exhorter les personnes de bonne volonté, prêtres et fidèles, à ne pas se laisser aller à ce particularisme indocile. Celui-ci offense non seulement les prescriptions canoniques mais le cœur, le sens communautaire du culte catholique dont le prêtre, mandaté par l'évêque, est le médiateur : communion avec Dieu, communion entre frères.
Ce particularisme tend à créer de petites Eglises, presque des sectes. Il tend, comme on dit, à ne pas tenir compte des structures institutionnelles. Dans l'illusion de posséder un christianisme libre et charismatique, on aboutit à un christianisme amorphe, évanescent, exposé « au souffle de tout vent » (cf. Ep 4, 14), de la passion ou de la mode, ou de l'intérêt temporel et politique.
Cette tendance à s'affranchir progressivement et obstinément de l'autorité et de la communion de l'Eglise peut malheureusement aller très loin, non pas comme l'ont dit certains, mener dans les catacombes mais mener hors de l'Eglise. Elle peut finalement constituer une fuite, une rupture et donc un scandale, une ruine. Elle ne construit pas, mais démolit.
Rappelons-nous l'exhortation de saint Ignace d'Antioche, le martyr du second siècle : « Un seul autel, comme un seul évêque » (Ad Philad. 4) ; « ne faites rien sans l'évêque » (Ad Troll II, 2) ; car l'évêque est le principe et le fondement de l'Eglise locale, comme le Pape l'est de l'Eglise entière (cf. Denz. 1821-1826).
Ici on voit le rapport entre l'Eglise et la prière. Nous n'en parlons pas maintenant ; mais Nous pensons que ceux qui ont à la fois le sens de l'Eglise et le souci d'une prière valide et vivante, peuvent facilement le comprendre. Il est donc nécessaire, fils très chers, de prier avec l'Eglise et pour l'Eglise.
Et c'est ce à quoi Nous vous exhortons avec Notre Bénédiction Apostolique.
Chers Fils et Filles,
On parle beaucoup aujourd'hui des troubles qui secouent, de l'intérieur, la vie de l'Eglise, après le Concile, d'une manière inattendue et qui ne provient pas certainement du Concile lui-même par une logique fidèle, mais par une logique contraire à l'esprit, aux espérances et aux normes du Concile. Si bien que, parfois, on ose penser — et même déclarer — le Concile insuffisant, dépassé et requérant des compléments qui en réduisent l'autorité et en compromettent l'authentique fécondité. On qualifie aussitôt cet état de choses par des termes désormais conventionnels dans le langage de l'opinion publique, mais peu exacts pour bien définir des faits de l'Eglise : progressisme, contestation, révolution, ou bien réaction, restauration, immobilisme, etc.
Etant habitué à référer chaque chose à Notre évaluation spirituelle plutôt qu'à une évaluation profane Nous préférons considérer les faits et phénomènes qui nous entourent à la lumière d'une autre terminologie, la terminologie spirituelle.
Nous pourrions ainsi, d'une manière générale, qualifier ce trouble actuel de crise de confiance, si on considère ceux chez qui elle naît et fermente. Ou mieux encore, une crise de méfiance, vue sous l'aspect négatif, qui est celui qui nous préoccupe maintenant. Une tentation de méfiance envahit un certain nombre de milieux ecclésiastiques. Méfiance à l'égard des actes mêmes de renouveau de l'Eglise ; et cela devient résistance chez certains, indifférence chez d'autres. Méfiance à l'égard de l'Eglise telle qu'elle est ; et cela devient crise de charité et recours souvent ingénu et servile aux idéologies contraires et aux mœurs profanes. Ici et là se répand le soupçon que l'Eglise est incapable de se soutenir et de se renouveler. On, renonce à l'espérance d'un nouveau printemps chrétien, on fait recours à des théologies arbitraires, ou à des suppositions charismatiques gratuites pour combler le vide intérieur de la confiance perdue : en Dieu, en la conduite de l'Eglise, en la bonté des hommes et même en soi-même.
Devons-Nous vous dire que Nous aussi, et avec Nous des personnes et des organes responsables dans l'Eglise de Dieu, sommes suspectés de méfiance ? Il y a quelques jours un ecclésiastique Nous confiait son impression, partagée d'ailleurs — disait-il — par d'autres personnes sages, sur la vie de l'Eglise, l'impression que l'Eglise en son centre, et le Pape lui-même étaient envahis d'une certaine méfiance quant au cours général de la période postconciliaire, et semblaient timides et incertains, plus que francs et décidés. Cette observation Nous a porté à réfléchir. Serions-Nous Nous aussi pris par la méfiance ? Homo sum ; et en soi il n'y aurait rien d'étonnant. Pierre lui-même ou mieux Simon, fut faible et inconstant, et alterna entre des attitudes d'enthousiasme et de peur. Dans ce cas nous devrions Nous jeter aux pieds du Christ, et lui répéter dans une humilité infinie avec Pierre : « ... homo peccator sum » (Lc 5, 8) ; mais aussi avec un amour infini : « Tu scis quia amo Te » (Jn 21, 15-17) ; et puis faire, face à Nos Frères et à Nos Fils, l'humble examen de Nous-même, dans le seul but d'effacer en eux l'impression éventuelle dont Nous parlions plus haut, et pour leur dire toute la certitude intérieure par laquelle le Seigneur daigne réconforter Notre conscience. Notre ministère. Nous osons donc faire Nôtres les paroles de l'apôtre : « Qui pourra nous séparer de l'amour du Christ ?... Oui, j'en suis sûr... rien ne pourra nous séparer... » (Rm 8, 35-38) ; « ce trésor nous le portons en des vases d'argile, pour qu'on voie bien que cette extraordinaire puissance appartient à Dieu et ne vient pas de nous. Nous sommes pressés de toutes parts, mais non pas écrasés ; ne sachant qu'espérer, mais non désespérés... » (2 Co 4, 7-8).
C'est ainsi. Comment en effet le Pape, et ceux qui avec lui portent la responsabilité de la conduite pastorale de l'Eglise, pourraient-ils ne pas souffrir en voyant que les difficultés les plus grandes naissent aujourd'hui au sein même de l'Eglise, que les plus grandes peines lui sont procurées par l'indocilité et l'infidélité de certains de ses ministres et de quelques-unes de ses âmes consacrées, que les surprises les plus décevantes lui viennent des milieux les plus aidés, favorisés, et aimés ? Comment ne pas éprouver de la douleur devant la dispersion de tant d'énergies, employées non pour faire croître l'Eglise mais pour susciter des problèmes superflus et les rendre complexes, irritants ?
Mais autre chose est le regret et autre chose la méfiance. L'amertume, que Nous pouvons et devons ressentir devant certaines épreuves de l'Eglise à l'heure actuelle, ne diminuent pas notre confiance à son égard. Elles la font grandir peut-être même, quand elles Nous obligent à la fonder davantage sur la sagesse divine, sur l'assistance divine. Nous laissons le Seigneur Nous prendre par la main et Nous gronder : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » (Mt 14, 31) et Nous rappeler le degré incroyable auquel Nous pouvons pousser notre confiance. Celle-ci, bien sûr, trouve dans les ressources inépuisables des réalités surnaturelles mystérieuses un réconfort puissant et doux, jusqu'à le communiquer aux autres, à l'Eglise (cf. 2 Co 1,3 ss.). Le Christ est notre espérance, notre force, notre paix.
Nous vous dirons même davantage. D'autres raisons, toujours d'ordre ecclésial, mais humaines, alimentent notre confiance. Résumons-les sous deux aspects, le premier étant la connaissance que Nous aussi avons des hommes. Nous savons le fond de bonté qui est en chaque cœur, Nous connaissons les motifs de justice, de vérité, d'authenticité, de renouveau, qui sont à la racine de certaines contestations, même quand celles-ci sont excessives et injustifiées et donc répréhensibles ; celles des jeunes, en particulier, naissent, en général de réactions et d'aspirations qui méritent qu'on les prenne en considération et obligent à rectifier le jugement de l'éthique sociale, vicié par les abus invétérés et aujourd'hui insupportables. Et Nous savons combien certains maux, qui font souffrir comme l'ivraie dans le champ de blé, ont eux aussi un rôle providentiel : celui de secouer la somnolence qui en a permis et protégé la naissance, celui de porter à l'exercice de la patience et de la charité, celui de Nous pousser à une prière plus fervente et à une fidélité plus consciente. Les scandales eux-mêmes, dans les desseins mystérieux de Dieu, peuvent être fatalement nécessaires ; Jésus l'a dit, et a fait à qui les provoque les menaces les plus sombres : (cf. Mt 18, 7). Ces considérations, et d'autres semblables Nous libèrent de cette crainte qui rendrait timoré et paresseux notre service à la cause du Christ, et de ce pessimisme qui Nous rendrait juge non autorisé de nos semblables et Nous ferait perdre la confiance dans la possibilité de revirement de toute âme humaine. De plus, beaucoup de situations qui ne sont malheureusement pas conformes aux prévisions légitimes et aux normes établies, n'en sont pas pour autant négatives ; et au lieu de mériter la méfiance pour l'ennui qu'elles causent, elles devraient provoquer une plus grande générosité et plus de prévoyance en faveur de leur processus de décantation responsable.
L'autre raison qui renforce notre confiance, la fait grandir et Nous procure de la joie est de savoir qu'il y a dans l'Eglise d'aujourd'hui, l'Eglise postconciliaire, d'innombrables âmes fortes et fidèles, ardentes dans leur prière, disposées à obéir à tout ordre autorisé, entraînées au sacrifice silencieux et volontaire, fidèles aux lignes de l'Evangile, attentives à toute possibilité de service dans la charité, toujours tournées vers un idéal de perfection chrétienne : des âmes saintes. Et il y en a beaucoup ! Elles sont l'honneur et la joie de l'Eglise. Elles sont la force du Peuple de Dieu. Elles sont notre confiance.
Laissez-Nous à cet égard, Fils très chers, vous faire confiance à vous tous et à ceux qui reçoivent en écoutant Nos paroles paternelles Notre Bénédiction Apostolique.
Chers Fils et Filles,
De quoi l'Eglise a-t-elle besoin aujourd'hui ? C'est la question toujours présente dans l'exercice de Notre ministère apostolique et à laquelle les conditions actuelles de l'Eglise ne permettent pas de donner une réponse facile et unique. L'Eglise a besoin, disions-Nous au cours d'une de Nos dernières audiences, de retrouver la confiance en elle-même. Nous voulons dire dans les promesses et les charismes divins qu'elle porte en elle ; dans le patrimoine de vérité, qui, par la tradition authentique, lui confère sa raison d'être et d'agir; dans son ensemble constitutionnel et mystique auquel le Christ a conféré la véritable authenticité et l'indéfectible pérennité ; dans sa capacité de reconstruire l'unité détruite de l'unique et universelle chrétienté ; dans la validité et la variété de son action pastorale, capable d'insérer dans la tradition chrétienne, ancienne et récente, le renouveau ecclésial que les temps actuels suggèrent et, sous certains aspects, imposent; dans sa propre mission, ouverte au monde d'aujourd'hui et de demain, signe et instrument pour toute l'humanité. L'Eglise a besoin de traduire le Concile en acte ; elle a besoin de se retrouver dans l'unité et la concorde, dans la discipline et la joie ; elle a besoin d'une révision organique de sa liturgie, comme cela se fait déjà; elle a besoin d'un droit nouveau et repensé, ce à quoi l'on est en train de travailler au prix de gros efforts ; elle a besoin d'un engagement renouvelé à sa vocation évangélique de charité et de sainteté ; elle a besoin d'une efficacité nouvelle, pastorale, missionnaire et œcuménique ; elle a besoin — plaise à Dieu que Nous soyons exaucé ! — d'une nouvelle vague alimentée par l'Esprit Saint !
Mais les difficultés sont nombreuses, tous le voient. Le Concile a donné à l'Eglise des impulsions multiples et vigoureuses ; mais toutes ne sont pas allées dans la bonne direction, c'est-à-dire vers l'édification de l'Eglise de Dieu. Ainsi quelques symptômes sembleraient plutôt préluder à des maux graves pour l'Eglise elle-même. Nous en avons signalé Nous-même quelques-uns : comme par exemple une certaine baisse du sens de l'orthodoxie doctrinale dans quelques écoles et chez certains penseurs. Tout le monde voit quel danger présente pour la vérité religieuse et l'efficacité salvatrice de notre religion le fait de la considérer seulement sous l'aspect humain et social au détriment des aspects primordiaux, sacrés et divins, de la foi et de la prière. Ainsi on ne peut constater sans appréhension la facilité avec laquelle on enfreint cette vertu d'obéissance ecclésiale, principe constitutif, dans le dessein établi par le Christ, pour la stabilité et le développement de son corps mystique qu'est l'Eglise. Peut-être est-on allé au-delà des limites permises dans l'effort, en soi louable, d'insérer le prêtre dans le contexte social, en sécularisant en tout son habit, son mode de penser et de vivre, en le poussant sur la voie qui, n'est pas la sienne, des luttes temporelles, affaiblissant ainsi sa vocation et sa fonction de ministre de l'Evangile et de la grâce ; son célibat a été trop mis en libre discussion ; la force de l'ascèse chrétienne et le caractère irréversible des engagements sacrés pris devant Dieu et devant l'Eglise s'affaiblissent trop ; on a trop fait recours à des formes excessives de publicité, d'enquêtes, d'expériences irrégulières, de pressions sur l'opinion publique, pour que puisse être trouvée la juste voie du renouveau avec le sens de la responsabilité et à la lumière de la sagesse catholique.
Il faudra du temps pour extraire ce qu'il y a de bon dans ces expressions instables ou aberrantes de la vie catholique et pour les replacer dans l'harmonie qui lui est propre. On a même parlé de sa décomposition ; Nous ne sommes pas de cet avis, et Nous confirmons encore une fois Notre confiance en l'aide du Christ et des hommes de bonne volonté.
Mais entre-temps, que fait-on ?
Nous voulons faire appel aux bons fils de l'Eglise, à ses Pasteurs surtout ; Nous leur ferions tort si Nous doutions tant soit peu de leur aide. Ainsi Nous attendons beaucoup des Prêtres fidèles à leur vocation et à leur service au sein de l'Eglise de Dieu; des religieux et des religieuses fermes dans leur adhésion à leurs règles et à l'esprit des Saints qui sont la source et l'exemple de leurs Institutions respectives. Nous espérons beaucoup du laïcat catholique qui a été, ces dernières années, le levain généreux et ingénieux de la reprise de l'Eglise dans les terribles épreuves de son histoire récente ; des jeunes spécialement, vers qui se tourne toujours Notre pensée, avec une immense sympathie spirituelle. Et puis Nous avons confiance dans les âmes compréhensives et silencieuses, qui prient, espèrent et souffrent avec leurs évêques et avec Nous, et qui font revivre en elles l'Eglise nouvelle, l'Eglise vivante, l'Eglise sainte. Cela nous console de savoir que ces âmes ne peuvent être comptées, mais qu'elles sont très nombreuses dans le monde entier, qu'elles attendent, de cette attente qui fait avancer l'Eglise dans son pèlerinage eschatologique et dans son ascension difficile vers la sainteté de ses membres, comme vers celle de sa conception par Dieu.
Mais Nous ne voulons pas perdre cette occasion, qui met en face de Nous des groupes d'une valeur apostolique particulière, de leur dire, à eux et à ceux qui ont des aspirations semblables, que Nous espérons beaucoup en eux. Nous voyons reflété en eux la parole du Seigneur : « Nolite timere, pusillus grex... ! » (Lc 12, 32). Le nombre ne compte pas, mais bien la ferveur, le dévouement, l'esprit. Alors que peuvent être discutables, ce qu'on appelle les « groupes spontanés », quand ils sont fermés sur eux-mêmes, arbitraires et peut-être aussi contestataires vis-à-vis de la communauté et de l'autorité responsable, ainsi peuvent être providentielles ces poignées de personnes qui acceptent une préparation sévère et ordonnée à la vie intérieure et à l'apostolat extérieur, et qui se dédient à l'activité missionnaire dans nos régions ou dans celles des missions lointaines, et qui consacrent avec un courage apostolique et une sagesse prophétique leur temps, leur travail, leur cœur à l'annonce du Christ dans les mille formes que la vie moderne leur offre. La parole, le ministère sacré, l'écrit, la charité, ont naturellement le primat dans cette « escalade » de l'apostolat. Mais rappelons-le : cet apostolat doit être d'une certaine manière collectif et organisé, alimenté par la méditation et la fidélité à l'Eglise, vécu dans un sacrifice joyeux et avec une certaine audace.
Nous le disons aussi : l'Eglise a besoin de ces forces décidées et disciplinées. Elle a besoin d'âmes fortes et rayonnant le « kérygme » du salut. Pour elles et pour vous qui Nous écoutez, qui partagez au moins Notre espérance, voici Notre Bénédiction Apostolique.
Chers Fils et Filles,
La rencontre — que Nous procurent ces Audiences hebdomadaires — avec tant de Frères du Peuple de Dieu et de Fils de la sainte Eglise catholique, pousse notre esprit à leur dire une parole, simple comme celle d'un curé, mais bonne et vraie, puisée au trésor de la doctrine du Christ dont il Nous a voulu le gardien et le témoin, et en même temps comme née des besoins de l'Eglise qui sont ceux de vos âmes, Fils très chers.
Quelle est aujourd'hui cette parole ? Quel est le besoin auquel elle répond ? Cette nécessité — il nous semble — c'est la fidélité. D'abord la fidélité pratique et empirique, si vous voulez, à la tradition religieuse et chrétienne dont vous êtes les héritiers. Vos familles, qui sont souvent le cénacle d'une vie authentiquement chrétienne ; vos familles, si bien formées par un souci pastoral constant et sage ; vos diocèses, dont plusieurs sont riches d'histoire, de coutumes, de monuments, d'art, de saints ; vos nations, qui possèdent toutes un patrimoine religieux, culturel et moral — ancien ou récent — dont elles peuvent se glorifier et recevoir nourriture, exemple et simulant pour un renouveau constant : tout vous lègue, à vous et à la génération présente, un héritage précieux ; c'est un devoir de l'accueillir, une folie de le négliger et de l'abandonner.
Nous avons toujours présentes à l'esprit ces belles Paroisses que Nous avons visitées, en tant que pèlerin à l'étranger, comme pasteur à Milan, même là où la population très accaparée par le travail industriel, artisanal ou agricole, est florissante de jeunesse et ouverte aux innovations du progrès, mais encore aujourd'hui empreinte d'une grande plénitude, à la fois ancienne et nouvelle, de vie religieuse et de coutume chrétienne : mais, pensions-Nous en les observant, quelle pourrait être leur nouvelle grandeur si, par amour de la nouveauté, elles se détachaient du cadre de leur propre vie catholique, déjà si communautaire, si conscient et renouvelé ?
Voyez-vous, Fils très chers, le respect que Nous, le premier, avons à l'égard de l'Eglise locale (cf. Lumen gentium, 26 ; Ad Gentes, 22 et 26) quand, dans ses propres particularités, elle vit et reflète l'authenticité de l'Eglise unique et universelle ?
Nous le savons : ce respect de la tradition n'est pas à la mode, et, dans plusieurs cas, il n'est ni permis ni raisonnable. Aujourd'hui la vie change d'une manière si radicale, qu'il n'est pas possible de s'en tenir aux formes qui, hier, la modelaient.
Cela est juste : nous ne pouvons ni ne devons rester attachés au passé ; il est même de notre devoir d'accueillir toute chose bonne que les temps nouveaux nous offrent. Nous dirons même plus, nous devons nous-mêmes promouvoir le progrès, à tous les niveaux, et accélérer le développement que la prodigieuse civilisation moderne offre à l'homme, pour qu'il soit plus homme, et pour que tous puissent jouir des bienfaits d'un monde meilleur. Mais cette course ne nous autorise pas à dévier de la bonne direction que la tradition a donnée à notre cheminement. C'est-à-dire qu'il y a quelque chose dans la tradition, à quoi nous devons rester fidèles si nous ne voulons dégénérer et être malheureux. Et trouver ce « quelque chose » est un des problèmes les plus délicats et les plus complexes dans le processus d'innovation de l'Eglise d'aujourd'hui ; problème double : que faut-il introduire de nouveau ?
Et voici alors la seconde fidélité aujourd'hui nécessaire à l'Eglise, fondée sur l'évaluation autorisée et responsable des éléments constitutifs et historiquement acquis et non arbitrairement séparables de l'Eglise elle-même, aussi bien dans le domaine institutionnel que dans le domaine doctrinal ; cette évaluation ne peut être ni hâtive ni arbitraire. On ne peut inventer une nouvelle Eglise selon son propre jugement ou son propre goût. Il n'est pas rare aujourd'hui que des personnes, même bonnes et religieuses, souvent des jeunes, se croient capables de dénoncer tout le passé historique de l'Eglise, en particulier l'époque qui a suivi le concile de Trente, en le déclarant inauthentique, dépassé et maintenant sans valeur pour notre époque ; ainsi, en des termes devenus conventionnels, mais extrêmement superficiels et inexacts, ils déclarent close une époque (constantinienne, préconciliaire, juridique, autoritaire...), et ouverte une autre (libre, adulte, prophétique...) qu'il faut inaugurer tout de suite, selon des critères et des schémas inventés par ces nouveaux maîtres souvent improvisés. Pour être vraiment fidèles à l'Eglise aujourd'hui, nous devrons nous garder des dangers qui dérivent du propos, de la tentation peut-être, de rénover l'Eglise, radicalement ou catégoriquement, en la bouleversant.
Nous en disons à peine quelques mots. Un de ces périls est la critique présomptueuse et négative, isolée de la vision globale de la réalité ou de la considération totale de la vérité vivante de l'Eglise, ou du sens historique avec lequel certains de ses aspects doivent être pesés. Un grand théologien contemporain dit vrai en affirmant : « ... Quand la fonction critique entre seule en jeu, elle finit vite par tout réduire en poussière » (DE lubac, L'Eglise dans la crise actuelle, dans « Nouv. Revue Théol. », 1969, n. 6, p. 585).
Le prophétisme est un autre danger. Plusieurs, en parlant de l'Eglise, se disent inspirés par un vent prophétique, et affirment des choses risquées, parfois inadmissibles, faisant appel à l'Esprit Saint, comme si le divin Paraclet était toujours à leur disposition ; et ils font parfois cela, malheureusement, avec l'intention cachée de s'affranchir du magistère ecclésiastique qui jouit aussi de l'aide de l'Esprit Saint. Les charismes de l'Esprit Saint son accordés librement par Dieu à tout le Peuple et aussi au simple fidèle (Jn 3, 8 ; 1 Co 12, 11 ; Lumen gentium, 12 ; Apost. actuos., 3) ; mais il revient à l'autorité du ministère hiérarchique de les vérifier et de les appliquer (cf. 1 Co 4, 1 et 14, 1 ss. ; Christus Dominus, 15 ; Lumen gentium, 7; etc.). Que Dieu veuille que la présomption de faire du jugement personnel ou, comme il advient souvent, de l'expérience subjective personnelle, ou aussi de l'aspiration personnelle momentanée, le critère directif de la religiosité ou le canon interprétant la doctrine religieuse (cf. 2 P 1, 20 ; Dei Verbum, 8), comme si c'était un don charismatique ou un souffle prophétique, veuille Dieu que cette présomption ne conduise hors du bon chemin tant d'esprits valables et bien intentionnés. Nous aurions un nouveau « libre examen » qui multiplierait les opinions les plus diverses et les plus discutables en matière de doctrine et de discipline ecclésiastique, qui enlèverait à notre foi sa certitude et sa fonction unificatrice, et ferait de notre liberté personnelle, dont la conscience est, et doit être, guide immédiat (cf. Dignit. humanae, 2 et 3), un usage contraire à sa responsabilité première, celle de chercher la vérité, qui, dans le domaine de la vérité révélée, a pour guide ultime le magistère de l'Eglise (cf. Dei Verbum, 8).
Nous terminons en rappelant une troisième fidélité à l'Eglise, la fidélité de l'amour. L'Eglise, aujourd'hui plus que jamais, a besoin de cette fidélité. Ce n'est pas une adhésion passive, professée par force d'inertie et par paresse spirituelle, c'est-à-dire plus extérieure qu'intérieure, dans la crainte de perdre l'estime d'autrui ou de se trouver devant les critiques d'une sincérité opposée ou traître. L'amour ne cache pas les défauts et les besoins, qu'un œil filial peut rencontrer même dans l'Eglise notre mère ; mais plus il les voit et les observe, plus il en souffre et pense aux remèdes. Ce regard est limpide et amoureux; il voit surtout le bien de l'Eglise. Mais n'y a-t-il plus rien de bien à noter dans l'Eglise, puisqu'il y a tant à contester et à critiquer ? Ne sont-ce pas souvent les frères séparés de nous, qui admirent et envient les trésors si nombreux que l'Eglise catholique et romaine possède et défend ? Peut-être sa tradition, l'aspect aujourd'hui le plus mal compris, ne resplendit-elle pas par ses hommes et ses grandes œuvres ? Peut-être ne nous donne-t-elle plus aujourd'hui des exemples de sagesse et de sainteté ? Aimer l'Eglise ! voilà le besoin d'aujourd'hui, voilà notre devoir ! Critiques et réformes sont utiles et possibles à condition que ce soit le vrai amour qui les promeuve. L'aimer, comme le Christ l'a aimée et parce que le Christ l'a aimée et s'est sacrifié pour elle (Ep 5, 25) ; donc avec notre sacrifice.
Pensons tous ainsi, Fils très chers ; et que vous réconforte dans cette fidélité aimante Notre Bénédiction Apostolique.
Chers Fils et Filles,
De quoi l'Eglise a-t-elle besoin aujourd'hui ? C'est la question que Nous ne cessons de Nous poser et de présenter, comme Nous le faisons en ce moment devant vous, aux fidèles, disposés à partager Notre sollicitude pleine d'amour à l'égard du destin du Peuple de Dieu, et des conditions de l'Eglise après le Concile. Celle-ci se trouve vivre dans une société à laquelle elle veut porter son message de salut et de la part de laquelle, peut-être plus que jamais auparavant, elle subit une influence d'esprit profane, de sécularisation, d'amoralité. D'une part l'Eglise proclame sa vocation à la sainteté, renouvelle son élan missionnaire, se déclare pauvre et en pèlerinage vers les fins supérieures et eschatologiques du Règne de Dieu. Mais d'autre part, dans beaucoup de domaines, elle cherche à se conformer aux formes et aux habitudes du monde laïc ; elle se dépouille de son vêtement particulier et sacré, elle veut se sentir humaine et terrestre et tend à se laisser absorber par la mentalité du milieu social et temporel, elle est prise par un respect humain qui la pousse à ne pas se sentir différente, obligée à un style de pensée et de vie différent du monde ; elle en subit les mutations et les changements avec un zèle conformiste et presque d'avant-garde, qu'on saurait difficilement qualifier de chrétien et encore moins d'apostolique : on le voit, en matière de démagogie et de violence révolutionnaire, de démythisation religieuse, d'acquiescement à l'indécence de la mode, à la sexualité passionnelle et à la diffusion pornographique.
Que doit faire l'Eglise dans cette situation ambiguë ? De quoi le Peuple chrétien a-t-il besoin pour rester tel et pour exercer sa fonction de lumière et de sel de la terre, d'animateur spirituel et moral de l'époque dans laquelle la Providence le fait vivre ?
La réponse n'est ni facile ni simple. Mais nous pouvons la trouver dans une formule ancienne et nouvelle, chargée de signification. Nous disons: aujourd'hui, l'Eglise, c'est-à-dire le Peuple de Dieu, ou mieux chaque fidèle, doit se répéter à lui-même la parole de Saint Léon le grand : « Agnosce, o christiane, dignitatem tuam », reconnais, chrétien, ta dignité, tu as été élevé à la participation de la nature divine (cf. 2 P 1, 4), ne veuille pas tomber dans ton ancien état. Souviens-toi de quel Chef et de quel corps mystique tu es membre. Réfléchis à ta libération de la puissance des ténèbres et à ton passage à la lumière et au règne de Dieu (Serm. I de Nat., PG 54, 192).
Oui, il faut que chaque chrétien acquière une conscience vive et active de sa propre dignité, de ce qu'il est devenu, par la régénération mystérieuse, merveilleuse et réelle du baptême. On parle tellement de la dignité de la personne humaine, à un niveau naturel (c'est déjà un niveau très haut et très digne que d'être homme ! Ce niveau devrait nous épargner les dégradations animales, barbares et infra-humaines, auxquelles cède encore si facilement notre civilisation, qui n'est plus ou pas encore digne de ce nom). En outre, cette dignité est extraordinairement dépassée au niveau surnaturel. Rappelons-nous les paroles lapidaires du prologue de l'Evangile de Saint Jean : « A tous ceux qui l'ont reçu (le Christ) il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu ; à ceux qui croient en son nom, qui ne sont nés ni du sang, ni du vouloir de la chair, ni du vouloir de l'homme, mais de Dieu » (Jn 1, 12-13).
Nous pourrions multiplier les citations de l'Ecriture qui nous enseignent et nous commandent cette nouveauté vitale, cette métamorphose sublime, cet engagement irréfutable de l'homme devenu chrétien, et qui a comme conséquence inéluctable un devoir général, celui de conformer la mentalité, le style de vie, les habitudes personnelles et sociales à la réalité humaine, rendue surhumaine par le christianisme, par la Parole de Dieu pénétrée dans l'être et la conscience de l'homme, par la grâce, par l'Esprit Saint, par le Dieu d'amour Trine et Un, habitant comme dans un sanctuaire dans l'âme du juste (cf. 1 Co 3, 16-17 ; 6-19 ; 2 Co 6, 16 ; Rm 6, 4 ; 1 Jn 3, 1 ; etc.). L'humanisme ne nous suffit pas, parce qu'il ne reconnaît pas la prééminence de l'homme, qui nous a été révélée et communiquée par le dessein divin (cf. Ep 1, 18-19). Et parce que finalement il se montre incapable de se réaliser lui-même ; dans son effort d'atteindre le niveau auquel il se sent appelé, il échoue (cf. Rm 1, 24 ss.). Il lui manque ce supplément de force et de sagesse que l'on peut seulement trouver dans l'ordre de la Rédemption.
Nous aurions trop de choses à dire sur ce sujet. Contentons-nous d'une seule grave qui nous semble maintenant la plus grave et la plus insidieuse pour cette dignité humaine et chrétienne à laquelle nous devons défense et estime comme à une valeur suprême : c'est la menace, rendue épidémique et agressive, de l'érotisme jusqu'à des formes d'expressions effrénées et rebutantes, publiques et orchestrées. Dans ce triste phénomène également nous trouvons la théorie qui ouvre la voie à la licence, couverte du nom de liberté, et à l'aberration de l'instinct, appelée libération des scrupules conventionnels (cf. Freud, Marcuse, etc.). L'érotisme, par la promiscuité, l'image pornographique, et puis la drogue, l'exaltation et l'abrutissement des sens, jusqu'à des expressions abjectes et maudites par la Parole de Dieu, envahit les milieux les plus sains et les plus fermés, comme la famille, l'école, les loisirs. Toute défense semble s'affaiblir et tomber. La foi (comme cela arrive paraît-il dans certains Pays) en vient à légitimer toute offense à la pudeur publique et au droit sacro-saint des âmes innocentes d'être respectées ; il y a comme une fatalité qui empêche les responsables et les gens de bien de réagir légitimement et efficacement.
Fils très chers ! Ne laissez pas se pervertir votre conscience des valeurs morales. Ne perdez pas la conscience du péché, c'est-à-dire le sens du bien et du mal ; ne laissez pas s'endormir en vous le sens de la liberté et de la responsabilité propre du chrétien, comme celle de l'homme civilisé. Ne croyez pas qu'un soi-disant complexe d'infériorité se cache sous la défense digne et franche de l'honnêteté de la presse, des spectacles, des mœurs. Ne pensez pas que la connaissance du mal doit s'acquérir par l'expérience personnelle. N'appelez pas ignorance et faiblesse la pureté et la maîtrise de soi. Ne doutez pas que l'amour et le bonheur vous manquent si vous les cherchez sur la voie sereine de la vie chrétienne authentique. Sachez reconnaître ensemble les signes les meilleurs de notre temps dans l'affirmation franche et exigeante de la vérité, de la justice, de la loyauté, de la cohérence chrétienne. Sachez rechercher le bien où qu'il se trouve et portez un regard optimiste sur le monde pour l'admirer dans sa magnifique réalité et dans ses merveilleuses conquêtes, ou bien pour le définir, l'aider et si possible le guérir dans ses déficiences et dans ses erreurs ; donnez à l'effort ascétique, à l'héroïsme, au sacrifice, à l'amour fraternel l'importance que le Christ, le Rédempteur crucifié leur a donnée ; et faites de votre énergie morale personnelle un don généreux à l'Eglise ; c'est de ce don qu'elle a besoin aujourd'hui. A qui Nous écoute, Notre Bénédiction.
Chers Fils et Filles,
Encore une fois revient à Notre esprit la question que Nous vous posons : de quoi l'Eglise a-t-elle besoin aujourd'hui ? Nous sentons en effet que l'Eglise en ce moment se trouve soumise à des besoins particuliers et pressants, pour deux motifs opposés, celui des maux intérieurs et extérieurs qui l'affligent, et celui de sa mission à accomplir et des possibilités d'offrir au monde d'aujourd'hui un témoignage chrétien renouvelé. Cette expérience de ses propres nécessités et cette conscience de ses devoirs poussent l'Eglise à chercher de l'aide au-delà du domaine humain et temporel, l'invitent à la prière, à l'invocation de l'assistance divine, à la recherche de cette aide mystérieuse et prodigieuse que Jésus Christ, à la fin de sa vie terrestre, a promise à ses apôtres : « Je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin des siècles » (Mt 28, 20).
Et voici que dans ce recours implorant à l'action immanente du Seigneur, se produit dans l'âme de l'Eglise, dans la psychologie du peuple chrétien, un fait très connu, très commun, quasi spontané pour nous, mais toujours étonnant (au point que beaucoup de nos Frères chrétiens encore séparés de nous sont encore critiques quant à sa légitimité et à son efficacité), le fait de recourir à une intercession, à une médiation, et en termes familiers Nous pourrions dire à une recommandation. A qui recourons-nous, pour arriver à qui ? Nous recourons à Marie pour arriver à Jésus. Pour nous tous, disciples de l'école spirituelle et doctrinale de l'Eglise, ce recours n'a rien d'étrange, rien d'illogique, rien d'inutile. Nous savons très bien qu'« unique est le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même qui s'est livré en rançon pour tous » (1 Tm 2, 5). Seul le Christ est cause de notre salut (He 5, 9) ; mais nous savons aussi que l'économie du salut comprend une coopération humaine « dispositive et ministérielle », comme dit saint Thomas (S. Th. III, 26, 1), laquelle admet une préparation, une introduction à la source de la grâce, une intervention qui ne soit pas la cause mais la facilite, étonnante propriété de la circulation de la charité dans la communion et la solidarité existant dans le plan divin de notre salut.
Nous appelons intercession cette intervention qui a tant de valeur dans le culte des saints et évidemment d'une manière éminente dans le culte rendu spécialement et justement à la Mère du Christ (cf. Lumen gentium, 66), à celle qui plus que n'importe quelle autre créature prit part — et quelle part unique, active, très sainte — à l'incarnation (Ga 4, 4) et à la passion rédemptrice de Jésus (Lc 2, 35 ; Jn 19, 25).
Nous répéterons donc, avec notre grand Prédécesseur Léon XIII, que notre tâche apostolique et « la condition très difficile des temps présents Nous conduisent chaque jour davantage et Nous poussent avec d'autant plus de force à la sauvegarde et à l'intégrité de l'Eglise que ses épreuves sont plus grandes » (Enc. Supremi apostolatus, 1er sept. 1883), que le moment est plus délicat et que plus urgent est le besoin de la paix blessée et menacée dans le monde, comme au Vietnam, en Afrique, au Moyen-Orient, en Irlande et en d'autres points douloureux de la terre. C'est cet ensemble de raisons qui Nous a poussé à adresser à l'Eglise une exhortation, qui a été publiée avant-hier, à invoquer le patronage maternel de Notre Dame, d'une manière spéciale durant le mois d'octobre, au cours duquel on célèbre la fête du Saint Rosaire. Nous devrions parler ici du Rosaire et dire pourquoi une pieuse pratique de dévotion est devenue le motif plus que l'objet d'une fête particulière ; mais ce qu'il importe de rappeler à votre attention et à votre piété est qu'il convient à tous de reprendre en mains le chapelet, que nous avons tous à le réciter avec la simplicité et la ferveur des humbles, des petits, des dévots, des affligés et des âmes confiantes, pour la paix dans l'Eglise et dans le monde. La mise au point autorisée, quatre fois centenaire, de la forme de cette dévotion mariale, faite par le Pape Saint Pie V, nous stimule à la reprise de cette pratique que le Concile lui-même a tacitement recommandée (cf. Lumen gentium, 67) ; de plus, certaines formes de la musique populaire moderne, fondée sur le rythme vibrant, autour d'une parole, d'une pensée, nous font dépasser la difficulté, que rencontre parfois la récitation du chapelet, de la répétition et de la monotonie (cf. senghor, Négritude et humanisme, p. 35).
Nous avons besoin de l'aide de la sainte Vierge. Un auteur célèbre et tourmenté, spiritualiste et réaliste, Charles Péguy, comparait les Pater et les Ave à des navires en route victorieuse vers le Père (cf. Le mystère des Saints Innocents, 1912). Nous devons essayer nous aussi cette entreprise mystique.
Il ne faut pas dire qu'en agissant ainsi nous « instrumentalisons » la prière, le culte à la Vierge, au bénéfice de nos besoins temporels, et que nous cédons à l'utilitarisme, qui pénètre toutes les formes de la vie moderne, en pratiquant ainsi notre religion. D'ailleurs il n'y a rien de mal à faire de la prière une confession de nos limites, de nos besoins ; de notre confiance de recevoir d'en-haut ce que nous ne pouvons obtenir par nos propres forces. Le Christ ne nous l'a-t-il pas enseigné lui-même : « Demandez et vous recevrez, cherchez et vous trouverez, frappez et l'on vous ouvrira ... » (Mt 1, 7).
Mais Nous pouvons ajouter deux choses à propos du chapelet: la prière de demande que le chapelet représente pour celui qui le récite, se fond et se transforme presque en une prière de contemplation, du fait de la présentation au regard spirituel de celui qui prie, de ce qu'on appelle les « mystères du Rosaire » ; ceux-ci font de ce pieux exercice mariai une méditation christologique et nous habituent à étudier le Christ à partir du meilleur point de départ qui soit, Marie elle-même: le Rosaire nous centre sur le Christ, sur le cadre de sa vie et de son enseignement, non seulement avec Marie mais aussi, pour autant que cela nous est possible, comme Marie, qui certainement est celle qui, plus que tout autre, l'a compris, l'a aimé, l'a vécu (cf. Lc 2, 19 ; 2, 51 ; 8, 21 ; 11, 28).
En deuxième lieu, le chapelet, pour qui y est habitué, introduit au dialogue avec Notre-Dame ; met à son niveau, oblige à subir son attrait, son style évangélique, son exemple éducateur et transformant. C'est une école qui nous rend chrétiens. C'est un avantage imprévisible, mais combien précieux, et combien inscrit dans la série de nos besoins fondamentaux.
Ecoutez donc, fils très chers, notre invitation à la prière, qui, par la chaîne de ses invocations répétées et riches de méditation, nous assimile au Christ et nous obtient la patience, la paix, la joie du Christ. Que Notre-Dame veuille exaucer Notre vœu et donner de la valeur à Notre Bénédiction Apostolique.
Première audience
publique depuis l'ouverture du Synode des évêques, l'audience du mercredi 15
octobre a comporté seulement une brève allocution du Saint-Père. Celui-ci en a
donné Lui-même, la raison : un souci de discrétion vis-à-vis des Pères réunis.
Chers Fils et Filles,
Comme vous le savez, ces jours-ci le Synode des évêques est réuni. Nous ne voulons pas être soupçonné de vouloir interférer dans les discussions du Synode lui-même. Nous ne ferons donc pas aujourd'hui le discours familier que nous avons l'habitude d'adresser à nos visiteurs au cours de l'audience générale. Nous renonçons aussi à vous exposer les raisons, que l'on, connaît d'ailleurs, pour lesquelles cette assemblée des évêques a été convoquée, et à vous décrire une réunion aussi particulière qui, plus que par son aspect extérieur forcément spectaculaire, apparaît comme étant très intéressante par ses aspects intérieurs : par les problèmes qui sont traités et par ce qu'on peut y capter du visage mystérieux et merveilleux de l'Eglise une et catholique, sainte et apostolique, corps mystique du Christ, qui continue dans le temps et répand dans le monde la présence et la mission salvifique du Christ.
Mais Nous ne renonçons pas à vous demander à vous, Fils très chers, deux choses par rapport à cet événement qui nous concerne tous et qui peut décider sur tant de questions dans l'Eglise et dans le monde. La première est la sérénité de jugement quant à tout ce qui regarde cet événement. Il ne doit pas diviser les esprits mais les unir. Il ne doit pas diminuer la confiance dans les personnes et les institutions de l'Eglise, mais plutôt nous éduquer pour en voir les mérites et les tendances positives. Il ne doit pas éveiller en nous la psychologie, comme on dit, des « supporters », qui dramatisent les choses en faisant recours à des expressions superficielles et conventionnelles, mais il doit davantage nous porter à considérer, les questions à l'étude, selon la vérité, selon le dessein de Dieu, et non selon la psychologie envahissante et parfois hostile de l'opinion publique. Il vous faudra peut-être faire un effort de sérénité et de sérieux. Même ceux qui sont spectateurs de ce moment historique de l'histoire de l'Eglise, et Nous pensons que tous ses fils fidèles le sont, doivent l'entourer d'amour.
Et alors Nous vous demandons une seconde chose en cette occasion : la prière, une prière plus intense et filiale pour notre « Mère l'Eglise ». De graves problèmes qui la concernent sont à l'étude, comme la spécification de certains de ses éléments constitutionnels, dont peut dépendre sa tranquillité et son efficacité. Voici un moment où on sent combien l'action humaine — même si elle est bien intentionnée et pleine de bonne volonté — est par elle-même insuffisante pour atteindre les fins qu'elle se propose ou qu'elle doit se proposer; l'aide divine est nécessaire, l'intercession des saints est nécessaire. Et de notre part, comme le Seigneur l'a dit une fois à ses disciples, qui n'étaient pas parvenus à réaliser un exorcisme miraculeux : il faut, dans ce cas, prier et jeûner (cf. Mc 9, 28), nous devons invoquer cette intervention transcendante, une effusion de l'Esprit Saint en intensifiant l'invocation adressée à Lui, le Paraclet, à Lui, lumière des cœurs, à Lui, maître de toute la vérité, à Lui vivifiant, à Lui animateur de l'Eglise. Ayons recours aux grands saints, à la Très Sainte Vierge spécialement. Une formule de prière très ancienne pour l'Eglise dit : « Pour la sainte Eglise catholique et apostolique, répandue d'une extrémité du monde à l'autre, prions ; afin que le Seigneur la conserve ferme et à l'abri des flots et la défende jusqu'à la fin des siècles, elle qui est fondée sur la prière » (Const. Apost. VIII, 10 ; 4; funk, 489).
Prions ainsi ; et que Notre Bénédiction soit avec vous.
Chers Fils et Filles,
L'attention de l'Eglise et du monde, la vôtre aussi certainement, est tournée ces jours-ci vers le Synode extraordinaire des évêques qui est réuni à Rome, et qui étudie les relations du Pape avec les évêques regroupés dans les conférences épiscopales entre elles. Le point central des discussions est cet organe de la hiérarchie ecclésiastique qu'est la Conférence épiscopale dans une nation ou un territoire déterminé. C'est une expression relativement nouvelle dans l'organisation de l'Eglise, rendue nécessaire par la pratique (réalités ethniques et géographiques) et destinée à décentraliser par rapport au Siège Apostolique l'exercice du pouvoir hiérarchique et à le concentrer, ou le coordonner, localement et régionalement. C'est un signe d'unité de l'Eglise, manifestée dans les formes légitimes et diverses de sa catholicité ; et c'est donc un thème important et complexe. Comme nous le disions déjà dans l'audience générale, la semaine passée, nous n'en parlerons pas en public pour permettre une plus complète liberté aux discussions synodales.
Mais, considérant en spectateurs cet événement très important dans la vie présente de l'Eglise, Nous pouvons répondre à l'appel, à la confiance qui lui est due. Nous devons avoir confiance dans l'Eglise ; oui, en cette Eglise du Christ, fondée réellement par Lui sur la pierre, et, selon l'image que nous en donne l'histoire, semblable à la barque de Pierre en proie à la tempête. Confiance en l'Eglise telle qu'elle est. Ce n'est pas de l'immobilisme; c'est du réalisme et de la fidélité. L'Eglise nous donne un témoignage de vitalité; un charisme d'indéfectible survivance s'y manifeste et le prouve à l'évidence. Elle nous donne un témoignage d'authenticité : sa fidélité cohérente dans la doctrine, la morale, les institutions fondamentales, le développement historique, en même temps que le désir constant de se réformer, de se renouveler, de se sanctifier nous en donnent une réconfortante assurance. Elle est solide et dynamique. Elle nous donne un témoignage d'actualité : sa présence aujourd'hui le déclare, et laisse même transparaître une sollicitude extrêmement vigilante à interpréter les signes des temps, à accueillir les expériences du progrès, à parler le langage des hommes d'aujourd'hui, à répondre aux besoins anciens et nouveaux de l'humanité. Elle croit, elle espère, elle aime. Le Christ est avec elle. Elle mérite notre confiance, aujourd'hui comme hier, aujourd'hui plus qu'hier. Le fait même du Synode qui se déroule actuellement l'atteste et renforce notre confiance.
Nous avons besoin de cette confiance. Parce que la crise, qui se manifeste dans certains secteurs de l'Eglise et de l'opinion publique — si on doit parler de crise plutôt que d'un travail laborieux — nous semble être due à un manque de confiance. De confiance en l'Eglise telle qu'elle est. Peut-être cette parole magique d'« aggiornamento » a poussé certains trop loin. Un besoin hâtif de révision, honnête et légitime, s'est transformé en une autocritique corrosive, et même en autodestruction qui a fait perdre à certains le sens et le goût de l'apostolat chrétien, de l'apostolat catholique. Ce sont les « structures » de l'Eglise officielle — a-t-on dit — qu'il faut changer, bien plus que les idées erronées et les mœurs décadentes de notre époque ; si bien que la trame qui fait de l'Eglise une communion organique et responsable, le tissu de la charité ecclésiale et de l'obéissance hiérarchique, s'est usé ici et là.
Nous avons besoin de confiance, de confiance mutuelle.
L'Eglise, se demandent quelques-uns, saura-t-elle comprendre les aspirations, les inquiétudes, les attentes, qui sont dans les esprits dans notre génération ? Saura-t-elle écouter ? Il Nous semble que oui ; elle saura dialoguer, comme on dit aujourd'hui ; elle saura également répondre aux attentes. Les faits et les intentions le disent déjà. Tel est son désir. Mais il faut tout de suite faire attention. Si ceux dont les plans particuliers et personnels de réforme de l'Eglise ne sont pas acceptés en éprouvent un sentiment de frustration, ce sentiment ne serait pas justifié, surtout si leurs plans s'écartent délibérément de la norme commune établie. Aujourd'hui il est facile de se soustraire par l'imagination, dans la fantaisie et l'étude, à la règle en vigueur, moyennant un rêve de réforme idéale ; du rêve on passe à l'hypothèse concrète, de l'hypothèse à l'exigence, de l'exigence parfois à la déception, ou encore à la protestation ou à la désobéissance. L'Eglise est une communion d'hommes, libres oui, mais vivant dans une harmonie acquise par une humble soumission. On ne peut faire dépendre l'adhésion à l'Eglise de la réalisation d'un désir personnel. L'Eglise aujourd'hui est prête à considérer les données psychologiques et sociologiques de la communauté (par exemple celle résultant des enquêtes) ; mais elle doit être conduite par d'autres critères plus importants ; ceux de Dieu, de l'Evangile, ceux du Christ, d'où elle tire sa raison d'être et sur lesquels elle doit modeler les règles de sa mission qui est pastorale, c'est-à-dire guide, éducation, élévation à la voie étroite du salut. L'Eglise n'est pas un phénomène historique et social quelconque qui peut se modifier selon le bon plaisir de chacun. C'est un fait spirituel et religieux ; une foi l'engendre, une autorité la dirige, un esprit la vivifie. Elle mérite notre confiance, notre fidélité, notre service, notre amour, l'Eglise. C'est ce que vous dit l'humble successeur de Pierre avec sa Bénédiction.
Chers Fils et Filles,
Vous savez tous que vient d'être célébré le Synode extraordinaire des Evêques. Dans quel but ? Pour étudier comment donner une meilleure forme à l'ordre hiérarchique dans l'Eglise, après que le Concile a mis en relief l'aspect collégial de l'Episcopat ayant à sa tête le Pape, et pour réaliser ainsi, dans le ministère pastoral du peuple chrétien également, une communion plus étroite, plus consciente et plus active. Il faut ainsi reconnaître amplement le caractère universel de l'Eglise, avec ses particularités locales secondaires ; et il faut promouvoir son caractère unitaire et organique, de manière qu'elle soit et qu'elle apparaisse toujours plus, selon le désir du Christ, un corps solidaire et ordonné, graduellement coresponsable dans la diversité des fonctions hiérarchiques et des dons spirituels. Pour dire mieux, il s'agit de donner à la charité qui anime l'Eglise une activité plus intense, plus ordonnée, plus active. Nous espérons ; et nous prions afin que le Seigneur lui-même nous aide à progresser dans cette évolution de la charité ecclésiale. Cet événement, typiquement postconciliaire, ne concerne pas seulement l'ordre épiscopal, il concerne à sa manière tout l'ensemble du peuple catholique.
Après bien des siècles, nous pouvons encore faire nôtre pour vous la parole de saint Paul : « Votre foi est en grand progrès (souvenons-nous-en : la foi est la condition première, la racine de tout) et l'amour de chacun pour les autres s'accroît parmi vous tous » (2 Th 1, 3). La vie de l'Eglise est ainsi faite ; elle refleurit toujours sous de nouvelles formes, puisant sa sève dans la fécondité de ses principes divins : après la foi, le principe à souligner est celui de la charité.
La charité, dans cette application générique et cet aspect moderne contingent, prend le nom de communion. C'est une parole que nous ferions bien de méditer. Elle dit plus que communauté, qui est un fait social extérieur, elle dit plus que congrégation, association, fraternité, assemblée, société, famille, plus que n'importe quelle forme de solidarité de collectivité humaine. Elle indique l'Eglise, c'est-à-dire l'humanité animée par un même principe intérieur ; et ce principe est non seulement sentimental, idéal ou culturel, mais mystique et réel, animé par un Esprit vivifiant, l'esprit du Christ, sa grâce, sa charité, avec le double effet de marquer celui qui vit ce principe sanctifiant d'un style original de pensée et de mœurs que nous appelons chrétien, et de l'encadrer dans un corps social, visible et ordonné, que nous appelons justement l'Eglise.
Tout cela est bien connu, mais acquiert aujourd'hui une signification très forte et très importante. Tout cela doit devenir conscient et conformer davantage notre spiritualité et notre comportement social. Il faut approfondir le « sens de l'Eglise » et se laisser former par lui.
Avant même de nous rendre compte des effets extérieurs qu'il est destiné à produire dans les structures et dans la vie pratique de l'Eglise, Nous voudrions arrêter un instant aujourd'hui notre attention sur la première signification du mot mystérieux de communion. C'est-à-dire sur sa signification de communion avec le Christ.
Réfléchissons-y bien, parce que l'autre signification de communion ecclésiale devrait dépendre de cette première signification individuelle, intérieure, invisible, même si elle a ses caractéristiques théologiques.
Nous dirons donc maintenant : il faut être en communion vitale avec le Christ. Dans cette communion c'est l'aspect personnel qui est souligné. Il faut même dire, l'aspect intime, spirituel, qui se vérifie dans la profondeur de notre être, là où notre conscience n'arrive que par la foi ou grâce à quelques expériences rares et imparfaites. Les mystiques sont dans ce domaine les plus grands maîtres. Mais chacun de nous devrait pouvoir dire : « Ce n'est plus moi qui vis mais le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20). Ce sens de communion intérieure avec le Christ, de vie personnelle avec le Christ, de vie personnelle avec lui, de sa présence dans nos âmes (cf. Ep 3, 17) devrait briller toujours comme une lumière en nous, et devrait modifier beaucoup cette conscience de nous-mêmes que nous appelons notre personnalité, sans pour autant étouffer notre spontanéité, ni s'exprimer dans la bigoterie.
Le Seigneur tient beaucoup à notre communion avec Lui ; il le dit dans une de ses dernières paroles très douces, à écouter dans un silence attentif, la voici : « Demeurez en mon amour ». Ce verbe « demeurer » devait être fréquent sur les lèvres du Seigneur, puisque nous le trouvons tant de fois dans les écrits de saint Jean (67 fois, nous disent les exégètes, dont 40 fois dans son Evangile), avec des significations diverses, parmi lesquelles prévaut le sens spirituel, mystique même, qui nous paraît exprimé pleinement dans la brève phrase : « Demeurez en mon amour » (Jn 15, 9 ; cf. pecorrara, De verbo « manere » apud Ioannem, dans Divus Thomas, 1937, pp. 159-171).
Il faut comprendre ces paroles douces et profondes dans le contexte du discours du Seigneur prononcé après la dernière Cène ; elles manifestent l'intensité de cette heure nocturne, prélude de la Passion et toute empreinte de la gravité pathétique et de l'émotion contenue du suprême salut de Jésus à ses disciples, appelés amis, ce soir-là (Jn 15, 14-15) et rendus dépositaires de ses dernières confidences, de ses dernières volontés : « Demeurez en mon amour ».
Que voulait dire le Seigneur par cette recommandation pleine de tendresse et de force ? Que les disciples devaient persévérer dans le souvenir aimant de sa personne comme, peu auparavant, à l'institution de l'Eucharistie, il avait dit « Faites ceci en mémoire de moi » (Lc 22, 19) ? Ou bien voulait-il dire que les disciples devaient conserver en eux l'amour que le Christ avait eu pour eux ? Ou plutôt Jésus désirait-il que cet amour réciproque perdure intensément ? Peut-être. Mais, dans une mesure intégrale, au-delà des sentiments, et vitale. Saint Jean encore, dans sa première épître, s'exprime ainsi : « Celui qui demeure dans l'amour, demeure en Dieu et Dieu demeure en lui » (1 Jn 4, 16). La réalité est la suivante : Jésus pensait à une union mystique à réaliser dans la profondeur de l'âme entre lui et chacun des siens; il pensait à son amour pour ses disciples et à son amour en ses disciples, en même temps à l'amour des disciples pour lui ; il pensait au mystère de la grâce, c'est-à-dire de la charité qui est « une certaine amitié de l'homme avec Dieu » (S. thomas, II-IIae, 23, 5). Il pensait que ce rapport surnaturel devait demeurer toujours, même après la disparition du Christ, mort et ressuscité, de la scène du monde.
La pensée du Seigneur, sous cet aspect, est très claire : Jésus établit un lien stable entre lui et les siens, un lien que sa mort et sa résurrection n'interrompraient pas ; lien permanent de sa part, il le voulait ainsi, même s'il est libre et personnel de la part des siens.
Concluons. Si nous voulons renouveler la vie de l'Eglise comme communion, nous devons avoir le plus grand soin d'établir en nous-mêmes cette communion personnelle et surnaturelle avec le Christ, en alimentant un amour vivant, soutenu par la grâce et la conversation intérieure avec lui, présent en nous. Ce n'est pas pour rien que la piété catholique appelle « communion » la réception de l'Eucharistie, et consacre à cette rencontre, si simple et ineffable, un moment de silence, de recueillement, d'écoute intérieure, d'incomparable consolation. Beaucoup aujourd'hui négligent cette très précieuse halte. Nous vous exhortons à ne pas la négliger. Avec Notre Bénédiction Apostolique.
Chers Fils et Filles,
La réflexion de l'opinion publique dans l'Eglise se porte aujourd'hui sur le caractère communautaire de l'Eglise elle-même. L'Eglise est le corps mystique du Christ, a-t-on dit ; l'Eglise est le peuple de Dieu ; l'Eglise est une communion, communion vitale, par l'intermédiaire de l'Esprit-Saint, âme de l'Eglise, avec le Christ et avec la communauté des fidèles. C'est une réflexion théologique fondamentale. Il est bon de nous y arrêter. Elle répond, en l'anticipant et en l'intégrant, à la mentalité moderne, si empreinte de sociologie et, sur le plan religieux, elle nous montre encore une fois la supériorité et la valeur de la foi, même dans le domaine social, tandis que sur les plans moral, pédagogique et pratique, cette méditation sur la solidarité, qui constitue les vrais chrétiens en « un seul cœur et une seule âme » (Ac 4, 32), présente des devoirs plus urgents, spécialement dans l'exercice de cette vertu fondamentale qu'est la charité ; ces devoirs tendent à beaucoup modifier nos façons de penser, toujours orientées vers l'égoïsme, et notre comportement ecclésial et social.
Cette vie dans la prière, dans le sentiment communautaire, dans le dialogue avec nos semblables, dans l'intérêt porté aux nécessités d'autrui et au bien commun, cette vie commune spirituelle, cette « societas spiritus », communion dans l'esprit (Ph 2, 1), comme dit S. Paul, est très belle mais elle n'est pas facile. Elle trouve même dans les courants d'idées de notre temps, d'autres conceptions, elles aussi importantes, qui la contredisent et que seule la sagesse de notre système chrétien (appelons-le ainsi) réussit à harmoniser, comme le culte de la liberté, la réhabilitation de la personnalité et de la dignité humaines, la primauté relative de la conscience, la préférence donnée à l'expérience religieuse sur l'observance des règles canoniques, et finalement — peut-être la première — la conception révolutionnaire, appliquée à toute sorte de progrès, de réforme, de renouveau, d'aggiornamento : le terme « révolution » a désormais libre cours dans l'échange d'idées génératrices d'ordre et de paix.
Deux formes, plus accentuées que les autres, de cet esprit d'indépendance et même de rébellion, qui a beaucoup pénétré aussi dans les milieux de vie ecclésiale, semblent exiger une mention particulière, parce qu'elles sont plus en opposition avec cet esprit de communion, que la réalité actuelle de l'Eglise présente à notre conscience comme le souffle vivifiant et actuel de la parole de Dieu : la rupture avec la tradition et la disparition de l'obéissance (mais Nous ne parlerons pas de celle-ci maintenant).
La tradition ! Elle ne dit plus rien aux innovateurs, même bons, de notre époque. Les jeunes, malheureusement (et pour une part Nous le comprenons, justement parce qu'ils sont jeunes) prennent en grippe tout ce qui précède l'actualité, leur vie d'aujourd'hui et leur course vers la nouveauté et vers l'avenir. Mais il ne s'agit pas seulement des jeunes ; les sages aussi parlent de rupture avec le passé, avec les générations précédentes, avec les formes conventionnelles, avec l'héritage des anciens. Une phraséologie superficielle et très imprudente est entrée aussi dans le langage habituel de l'Eglise ; on parle d'ère constantinienne pour disqualifier toute l'histoire séculaire de l'Eglise jusqu'à nos jours ; ou même de mentalité préconciliaire pour dévaluer arbitrairement un patrimoine catholique de pensée et de mœurs, qui aurait tant de valeurs dignes d'être appréciées ; on en arrive à des expressions et à des comportements parfois si négatifs qu'ils engendrent la confusion et la désagrégation au sein de la communauté ecclésiale, et tels qu'ils font croire que les normes en vigueur et les habitudes pacifiques ne tiennent plus. Ce discours pourrait malheureusement continuer ; mais chacun peut le faire pour son compte. Il devient difficile là où l'on doit distinguer ce à quoi il ne faut pas renoncer dans le vaste héritage de la tradition de ce qui est précieux, mais en soi non nécessaire à la consistance constitutionnelle de l'Eglise et à sa vitalité authentique ; et de ce qui est habitude, mais de valeur discutable, et enfin de ce qui provient du passé et est vieux, superflu, nuisible, et donc digne d'être abandonné ou soumis à une réforme courageuse. Cet inventaire de l'héritage ancien exige compétence et autorité ; dans une communauté telle que l'Eglise, aucun particulier ne peut le faire publiquement ou pratiquement par lui-même ; et il peut encore moins, une fois l'inventaire fait, établir seul le choix à faire de ce qui doit rester et de ce qui peut être laissé de côté. L'Eglise, dans ses organismes autorisés, après le Concile, est en train de faire cet inventaire ; et qui lui est fidèle ne doit pas s'arroger le droit d'en anticiper ou d'en contredire le jugement. Rien dans l'Eglise ne doit être arbitraire, téméraire, tumultueux. L'Eglise est comme une symphonie : aucun des instruments, même les plus importants, ne peut jouer dans un orchestre ce qu'il lui plaît et comme il lui plaît.
Nous voudrions maintenant plutôt recommander aux fils conscients et fidèles de revoir leur instinctive antipathie pour la tradition ecclésiastique. Avant tout, elle est le véhicule de la doctrine et de la succession apostolique ; le Christ ne peut être présent aujourd'hui sans la reconnaissance du canal historique et humain qui nous conduit à la source de son apparition évangélique. En outre, la tradition est la richesse, l'honneur, la force de notre maison, l'Eglise catholique. La tradition, dans son contexte historique, contient, bien sûr, beaucoup d'éléments caducs et même répréhensibles ; mais le jugement droit, à donner sur ces éléments discutables ou négatifs, devra justement être « historique », c'est-à-dire évalué en vue des circonstances des temps et des expériences contemporaines et successives des événements, en se souvenant que l'Eglise, sainte dans son institution et dans sa vertu sanctificatrice, de parole, de grâce, de ministère, est composée de la même pâte qu'Adam, et que ses descendants, faibles, trompeurs et pécheurs.
Une connaissance intelligente, une critique juste, une évaluation sagace de la tradition ne seront pas un frein mais un guide pour ceux qui veulent le renouveau ecclésial souhaité pour notre temps ; elles leur insuffleront cette sympathie aimante, presque une sympathie de famille pour les événements du passé de l'Eglise et pour ce qui nous est transmis par ce courant. Nous acquerrons, ce faisant, un enrichissement et une sécurité pour le colloque apostolique avec notre génération, privée par les révolutions actuelles d'une culture éprouvée par les siècles et inébranlable dans les tempêtes de l'histoire, comme celle que la tradition nous donne gratuitement. Nous rappelons que la communion ecclésiale, dont notre spiritualité actuelle veut vivre, comporte une solidarité avec nos frères qui nous ont précédés dans le signe de la foi et dorment du sommeil de la paix. C'est pour eux que nous vivons et que nous sommes ici, pèlerins nous-mêmes vers le Christ à venir. Au nom duquel Nous vous bénissons tous.
Chers Fils et Filles,
Nous dirons encore un mot sur le concept fondamental qui est aujourd'hui dans l'esprit de tous à propos de l'essence de l'Eglise : cette Eglise qui est communion (cf. hamer, L'Eglise est une communion, Cerf 1962) ; une société animée par un seul principe vital mystérieux, la grâce de l'Esprit Saint ; d'où jaillissent plusieurs principes très simples et merveilleux, comme celui de l'égalité entre tous ceux qui composent l'Eglise: « omnes autem vos fratres estis », vous êtes tous frères entre vous (Mt 23, 8) ; comme celui de la distinction du reste de l'humanité non chrétienne, appelée monde, encore que dans le monde l'Eglise soit disséminée (cf. Jn 8, 23 ; 15, 19 ; 17, 14, etc.) ; comme celui, aujourd'hui oublié par beaucoup, de l'originalité morale et caractéristique de la vie chrétienne par rapport à la vie profane et païenne (cf. Rm 12, 2) ; celui de la sainteté, conçue comme une exigence de la conscience personnelle, dérivant de la présence mystérieuse de l'Esprit de Dieu dans chaque âme participant vitalement à la communion ecclésiale (cf. 1 Co 3, 16). Mais pour s'en tenir au caractère social de l'Eglise, nous répéterons avec le Concile que l'Eglise est un Peuple, le Peuple de Dieu (Lumen gentium, 9 etc.), définition qui doit être reliée (congar, L'Eglise que j'aime, p. 37) à celle du Corps mystique du Christ, c'est-à-dire, d'une société vivante en vertu d'un même principe unificateur et animateur, mais d'une société organique, dans laquelle les charismes sont différents, comme les fonctions et les responsabilités (cf. 1 Co 12, 4). A partir de ce principe, la communion s'épanouit en collégialité dans le corps épiscopal ; vous avez dû en entendre parler à l'occasion du récent synode extraordinaire.
Or, si l'Eglise est cette communion spirituelle et visible, ce que le progrès religieux de notre temps semble avoir acquis comme une conquête doctrinale et sociale, nous devons en tirer une conséquence, qui semble être au contraire compromise, pour une partie en théorie et bien davantage en pratique. Cette conséquence est le rapport de cohésion, de solidarité, de concorde et d'harmonie, en un mot de charité, qui doit exister entre chaque membre et chaque groupe appartenant à l'Eglise ; ce rapport s'est fait plus évident, donc plus contraignant, plus étroit, plus familier et plus amical; il devrait être plus fidèle et plus facile. En est-il ainsi en réalité ?
Le rapport constitutif, établi par l'Evangile bien avant que par le Droit canon, entre pouvoir et obéissance, est victime lui aussi de la mode actuelle de la contestation sociologique ; et on veut le changer, le minimiser. On ne peut le nier tant son origine divine est claire ; on peut le changer, c'est-à-dire le corriger, oui, le perfectionner. C'est à ce perfectionnement, selon le souhait du Concile, que le responsable dans l'Eglise, celui qui exerce une autorité quelconque, de direction, de magistère, de pédagogie, d'administration, d'apostolat, se déclare prêt et est déjà sur le chemin d'une exécution loyale. Mais « est modus in rebus » ! On doit se garder de quelques fausses conceptions dans ce domaine. Par exemple, on dit que l'autorité est service. Très juste ; le Seigneur nous le rappelle lui-même à la dernière Cène : « Que celui qui dirige soit comme celui qui sert » (Lc 22, 26). C'est un écho pour nous que cette parole souvent répétée et si sage de Manzoni faisant le portrait de l'évêque idéal, Frédéric Borromée : « Il n'y a pas de juste supériorité d'un homme sur les autres, sinon à leur service » (Promessi Sposi, chap. 22). Saint Grégoire le Grand Nous a laissé de lui-même, comme chef de l'Eglise et pasteur des pasteurs, la définition que Nous, gardons encore aujourd'hui dans notre titre : « Serviteur des serviteurs de Dieu ». Mais cette formulation exacte et prophétique n'annule pas le pouvoir du Pape, comme toute autre formule, du même genre qui se réfère à une autorité légitime : l'autorité dans l'Eglise est pour le service des frères, elle n'est pas à leur service ; c'est-à-dire, le but de l'autorité est le bien des autres ; non que les autres soient la source de l'autorité elle-même ; l'Eglise, dans l'exercice de l'autorité, pour employer un mot courant, est démocratique dans son but, non dans sa raison d'être, non dans son origine, ne faisant pas dériver son pouvoir de ce qu'on appelle la « base », mais du Christ, mais de Dieu, devant lequel seul elle est responsable.
Cela comporte une autre précision importante en ce que le pouvoir dans l'Eglise ne peut pas revêtir les formes historiquement variables qu'il présente dans le gouvernement de la société civile, alors que celui qui y préside a seulement le rôle de rendre légal ce que la communauté a élaboré et décrété ; le pouvoir dans l'Eglise conserve la liberté et l'initiative que le Seigneur a données aux apôtres, à la hiérarchie, non seulement comme garantie de l'ordre extérieur, mais pour le bien de chaque fidèle comme de la communauté ; ce bien qui met au premier plan la dignité, la liberté, la responsabilité et la sanctification de tous et de chacun de ceux qui composent le corps de l'Eglise.
C'est pourquoi, quand on dit, aujourd'hui que l'on ne conteste pas dans l'Eglise l'autorité en tant que telle, mais qu'on critique son mode d'exercice, on parle bien, à condition que la recherche de cette manière de faire idéale n'autorise pas l'affranchissement, c'est-à-dire la désobéissance, du mode réel et légitime avec lequel l'autorité accomplit son mandat.
Ainsi en est-il du dialogue qui aujourd'hui fait les frais de tant de discussions, non seulement entre l'Eglise et ceux qui l'entourent du dehors, mais entre ceux qui, dans l'Eglise, ont des positions et des fonctions différentes. C'est une excellente chose que le dialogue, entendu comme respect et promotion de la personne ou du groupe de la part de celui qui doit prendre une décision dans l'Eglise ou former les consciences et les habitudes conformes au dessein ou à l'esprit du Christ. Eduquer à l'intelligence et à l'amour du commandement est un progrès pédagogique qui exigera une grande patience et un art consommé ; mais ce n'est pas pour cela que le dialogue doit paralyser l'exercice normal d'une direction responsable, ni remplacer normalement le jugement du pasteur ou du maître par le libre examen de chaque fidèle, ni exiger un partage de l'autorité qui la rende lâche et irresponsable.
Nous comprenons que le sujet est délicat, complexe et de grande actualité. Nous n'en dirons pas plus maintenant. Les enseignements du (Concile sont clairs et nombreux sur ce point (cf. Lumen gentium, 27, 32, 37, etc.). Bien des maîtres en parlent (cf. d'avack, in L'Osservatore Romano, 8 nov. 1969 ; T. goffi, Obbedienza e autonomia personale, Ancora 1965 ; C. colombo, De auctoritate et obedientia in Ecclesia ; L. lochet, Autorité et obéissance, Colloque d'Ephrem, Paris 1966 ; rosmini, La società teocratica, Morcelliana, 1963 ; etc.).
Il sera bon, pour chacun, de consacrer à ce problème capital une réflexion attentive et honnête. Mais pour ce qui est de Nous, en ce moment, Nous insistons sur la vision de l'Eglise qui est la vision de notre vie dans la pensée de Dieu, s'actualisant dans notre histoire, sur la vision de l'Eglise — disons-Nous — comme communion, comme communion hiérarchique, comme « science de l'harmonie », consonantia disciplinae, pour employer une expression d'un docteur ancien (origène, Hom. 26).
Dans la formation de la nouvelle mentalité ecclésiale, appelons-la même postconciliaire, nous devons développer le sens de la communion, dans laquelle, comme membres de l'Eglise, nous sommes insérés. Même si la conscience de notre liberté et de notre personnalité doit être vivante, nous ne devons pas oublier que nous ne sommes ni seuls ni autonomes ; et nous devons d'autant plus nous sentir des unités indépendantes, se déterminant elles-mêmes, responsables, qu'en même temps nous nous rendons compte que nous sommes placés dans un ordre communautaire et hiérarchique : les deux prises de conscience se développent ensemble, avec un stimulus mutuel. Cela veut dire être catholiques : uniques et universels. Et c'est dans cette plénitude acquise de notre personnalité par l'adhésion à l'ordre, qui la reconnaît et la transcende objectivement (c'est-à-dire l'obéissance à la volonté de Dieu, et spécialement quand elle est manifestée par un frère autorisé à s'en faire l'interprète), que nous vivons le mystère de la communion hiérarchique, c'est-à-dire que nous vivons l'Eglise et que nous réfléchissons en nous-mêmes le mystère du Christ dont l'apparition comme homme fut tout entière dominée par une adhésion consciente et héroïque à la volonté du Père : factus oboediens usque ad mortem il s'est fait obéissant jusqu'à la mort (Ph 2, 5-8 ; Jn 6, 38 ; Jn 8, 29 ; etc.). On peut relire le chapitre : « Jésus et la vie » dans : adam, Le Christ, notre Frère.
Il en est, de nos jours, qui attendent du progrès de la conscience que l'Eglise a acquise aujourd'hui d'elle-même comme le souhait de la dissolution de ses rapports et de ses liens juridiques, qui la constituent comme un corps mystique, visible et organisé du Christ dans la réalité historique du monde. Il en est aussi qui considèrent ce processus doctrinal comme la disparition des pouvoirs par lesquels l'Eglise se dirige et remplit sa mission au profit des degrés inférieurs par rapport aux degrés supérieurs dans le peuple de Dieu. Nous regarderons plutôt l'Eglise comme une solidarité profonde et organique ; comme cette société, cette communion, « coinonia » dit la parole désormais célèbre de l'Apôtre Jean, communion qui nous fait participants de la vie même de Dieu (2 P 1, 4) et qui nous rend tous frères dans le Christ (cf. 1 Jn 1, 6-7). Que vous aide dans cette étude aimante notre Bénédiction Apostolique.
Chers Fils et Filles,
Nous voulons attirer votre attention sur l'événement qui va se réaliser dans l'Eglise catholique latine et qui aura son application obligatoire dans les diocèses italiens à partir du 30 novembre, premier dimanche de l'Avent de cette année : l'introduction dans la liturgie du nouveau rite de la messe. Celle-ci sera célébrée sous une forme bien différente de celle que, depuis quatre siècles, c'est-à-dire depuis Pie V, après le Concile de Trente, nous sommes habitués à célébrer.
Le changement a quelque chose de surprenant, d'extraordinaire, si on considère la messe comme une expression traditionnelle et intangible de notre culte, de l'authenticité de notre foi. On Nous demande : pourquoi ce changement, et en quoi consiste-t-il ? Quelles conséquences comporte-t-il pour ceux qui assisteront à la sainte messe ? Les réponses à ces questions, et à d'autres de même genre, provoquées par une nouveauté aussi extraordinaire, vous seront données et amplement répétées dans toutes les Eglises, dans toutes les publications de caractère religieux, dans toutes les écoles où est enseignée la doctrine chrétienne. Nous vous exhortons à y prêter attention, afin de préciser et d'approfondir un peu la merveilleuse et mystérieuse notion de la messe.
Mais, en attendant, par ce bref et simple discours, essayons d'effacer de vos esprits les difficultés spontanées soulevées par ce changement et par les trois questions qu'il a fait surgir dans nos esprits.
Pourquoi un tel changement ? Réponse : il est dû à une volonté exprimée par le Concile œcuménique qui vient de se dérouler. Le Concile dit : « Le rituel de la messe sera révisé de telle sorte que se manifestent plus clairement le rôle propre ainsi que la connexion mutuelle de chacune de ses parties, et que soit facilitée la participation pieuse et active des fidèles. Aussi en gardant fidèlement l'essentiel des rites, on les simplifiera ; on omettra ce qui, au cours des âges, a été doublé ou a été ajouté sans grande utilité ; on rétablira selon l'ancienne norme des saints Pères, certaines choses qui ont disparu au cours des âges, dans la mesure où cela apparaîtra opportun ou nécessaire » (Sacr. Concilium, n. 50).
Donc la réforme qui va entrer en vigueur correspond à un mandat autorisé de l'Eglise. C'est un acte d'obéissance ; c'est un acte de cohérence de l'Eglise avec elle-même ; c'est un pas en avant de sa tradition authentique ; c'est une preuve de fidélité et de vitalité à laquelle nous devons tous adhérer avec empressement. Elle n'est pas arbitraire. Elle n'est pas une expérience caduque et facultative. Elle n'est pas l'improvisation d'un amateur. C'est une loi pensée par les spécialistes autorisés de la sainte Liturgie, longtemps discutée et étudiée ; nous devons l'accueillir avec un intérêt joyeux et l'appliquer avec une observance ponctuelle et unanime. Cette réforme met fin aux incertitudes, aux discussions, aux prises de position abusives ; et elle nous ramène à l'uniformité de rites et de sentiment qui est le propre de l'Eglise catholique, héritière et continuatrice de cette première communauté chrétienne qui était toute « un seul cœur et une seule âme » (Ac 4, 32). L'harmonie de prière dans l'Eglise est un des signes et une des forces de son unité et de sa catholicité. Le changement qui va se produire ne doit ni briser ni déranger cette harmonie ; il doit la confirmer et la faire résonner dans un esprit nouveau, un souffle de jeunesse.
Autre question : en quoi consiste le changement ? Vous le verrez, il consiste en de nouvelles prescriptions rituelles, qui exigeront, spécialement au début, attention et soin. La dévotion personnelle et le sens communautaire rendront facile et agréable l'observance de ces nouvelles prescriptions. Mais que cela soit clair ; rien n'est changé dans la substance de notre messe traditionnelle. D'aucuns peut-être peuvent être impressionnés par certaines cérémonies particulières, par quelques rubriques d'importance secondaire, comme si cela était ou cachait une altération ou une diminution des vérités acquises pour toujours et sanctionnées avec autorité par la foi catholique, comme si l'équilibre entre la loi de la prière « lex orandi » et la loi de la foi « lex credendi », en était compromise.
Mais il n'en est pas ainsi. Absolument pas. Avant tout, le rite et la rubrique qui y est liée ne sont pas de soi une définition dogmatique : ils sont susceptibles de recevoir une qualification théologique de valeur diverse, selon le contexte liturgique auquel ils se réfèrent ; ce sont des gestes et des termes qui se réfèrent à une action religieuse vécue et vivante d'un mystère ineffable de présence divine, qui ne se réalise pas toujours sous une seule forme, que seule la critique théologique peut analyser et exprimer par des formules doctrinales logiquement satisfaisantes. Et la nouvelle messe est et reste, mais avec une insistance plus grande sur l'un ou l'autre de ses aspects, celle de toujours. L'unité entre la Cène du Seigneur, le Sacrifice de la croix, la nouvelle représentation de l'une et de l'autre dans la messe est inviolablement affirmée et célébrée dans le nouvel ordo comme dans l'ancien. La messe est et demeure la mémoire de la dernière Cène du Christ, au cours de laquelle le Seigneur, transformant le pain et le vin en son Corps et en son sang, institua le Sacrifice de la nouvelle alliance et voulut que, par la vertu de son sacerdoce, conféré aux apôtres, il fût renouvelé dans sa substance, mais offert de manière diverse, c'est-à-dire non sanglant et sacramentel, en souvenir perpétuel de Lui, jusqu'à son dernier avènement (cf. de la taille, Mysterium Fidei, Elucid. IX).
Et si dans le nouveau rite vous trouvez en plus grande lumière le rapport entre la liturgie de la Parole et la liturgie proprement eucharistique, la seconde constituant comme la réponse réalisatrice de la première (cf. Bouyer), ou si vous observez combien est exigée dans la célébration du sacrifice eucharistique la participation de l'assemblée des fidèles qui, à la messe, sont et se sentent pleinement « Eglise », ou bien si vous voyez illustrées d'autres caractéristiques merveilleuses de la messe, ne croyez pas que c'est l'altération de l'essence authentique et traditionnelle ; sachez plutôt apprécier comment l'Eglise, par ce nouveau langage qu'elle répand, désire donner une plus grande efficacité à son message évangélique, et veut d'une manière directe et pastorale le rendre plus proche de chacun de ses fils et de tout l'ensemble du Peuple de Dieu.
Et Nous répondrons ainsi à la troisième question que Nous Nous sommes posée : quelles conséquences produira la nouveauté dont Nous parlons ? Les conséquences prévues, ou mieux encore désirées, sont la participation plus intelligente, plus pratique plus agréable, plus sanctifiante, des fidèles au mystère liturgique, c'est-à-dire à l'écoute de la Parole de Dieu, vivante et agissante dans les siècles et dans l'histoire de nos âmes, participation aussi à la réalité mystique du sacrifice sacramentel et propitiatoire du Christ.
Ne disons donc pas « nouvelle messe », mais plutôt « temps nouveau » de la vie de l'Eglise. Avec Notre Bénédiction Apostolique.
Chers Fils et Filles,
Aujourd'hui encore Nous voulons vous inviter à réfléchir sur l'innovation que constitue le nouveau rite de la messe, qui sera instauré dans nos célébrations du saint sacrifice à partir du premier dimanche de l'Avent. Un nouveau rite de la messe : voilà un changement qui se fait à partir d'une tradition séculaire vénérable et touche donc notre patrimoine religieux qui semblait devoir jouir d'une permanence intangible et devoir porter sur nos lèvres la prière de nos ancêtres et de nos saints, nous donner le réconfort d'une fidélité à notre passé spirituel que nous actualisions pour le transmettre alors aux générations futures. Nous comprenons mieux dans ces circonstances la valeur de la tradition historique et de la communion des saints. Ce changement touche le déroulement du cérémonial de la messe; et nous nous rendrons compte, peut-être avec une certaine gêne, que ce qui se passe à l'autel ne se déroule plus avec ces paroles et ces gestes auxquels nous étions tellement habitués que nous n'y faisions plus attention. Ce changement touche aussi les fidèles et voudrait intéresser chacun des participants en les détachant ainsi de leurs dévotions personnelles habituelles ou de leur assoupissement habituel.
Nous devons nous préparer à ces nombreux changements d'habitudes, changements qui d'ailleurs sont le fait de toute nouveauté. Et nous pouvons noter que les personnes pieuses seront celles qui seront le plus dérangées ; parce qu'ayant leur manière respectable d'écouter la messe elles se sentiront distraites de leurs pensées habituelles et obligées à suivre les autres. Les prêtres eux-mêmes éprouveront peut-être une certaine gêne à cet égard.
Que faire en ce moment historique particulier ?
Avant tout: se préparer. Ce n'est pas une petite chose que cette nouveauté. Nous ne devons pas nous laisser surprendre par l'aspect, et peut-être par le dérangement, de ces formes extérieures. C'est en personnes intelligentes, en fidèles conscients que nous devons bien nous informer des nouveautés dont il est question. Ceci n'est pas difficile, grâce à tant de bonnes initiatives de l'Eglise et des maisons d'édition. Comme Nous l'avons déjà dit, il serait bon que nous nous rendions compte des motifs pour lesquels ce grand changement a été introduit : l'obéissance au Concile, qui devient, maintenant obéissance aux évêques, chargés d'en interpréter et d'en appliquer les prescriptions. Et ce premier motif n'est pas simplement d'ordre canonique, c'est-à-dire relatif à un ordre extérieur; il se relie au charisme de l'action liturgique, c'est-à-dire au pouvoir et à l'efficacité de la prière ecclésiale qui a dans l'évêque sa voix la plus autorisée, et donc dans le prêtre qui l'aide dans le ministère et qui, comme lui, agit « in persona Christi » (cf. S. ignace, Ad Eph. IV) : c'est la volonté du Christ, c'est le souffle de l'Esprit, qui appelle l'Eglise à cette mutation. Nous devons vous prévenir de ce moment prophétique, qui passe dans le Corps mystique du Christ, qui est justement l'Eglise, et qui la secoue, la réveille et l'oblige à renouveler l'art mystérieux de sa prière, avec une intention qui constitue, comme on l'a dit, l'autre motif de la réforme : associer de manière plus rapprochée et plus efficace l'assemblée des fidèles, eux aussi revêtus du « sacerdoce royal », c'est-à-dire l'associer à la possibilité de la conversation surnaturelle avec Dieu, au rite officiel, soit de la Parole de Dieu, soit du sacrifice eucharistique, qui composent la messe.
On remarquera que la plus grande nouveauté est celle de la langue. Ce n'est plus le latin qui sera la langue principale de la messe, mais la langue parlée. Pour celui qui connaît la beauté, la puissance d'expression sacrée du latin, il est certain que sa substitution par une langue vivante sera un grand sacrifice : nous perdons le langage des siècles chrétiens, nous devenons comme des intrus et des novices dans l'expression littéraire du langage sacré, nous perdons une grande part de ce fait artistique et spirituel, étonnant et incomparable, qu'est le chant grégorien. Nous avons, c'est certain, raison de nous attrister; par quoi allons-nous remplacer cette langue angélique ? C'est un sacrifice d'un prix inestimable. Pour quelle raison le faisons-nous ? Qu'est-ce qui vaut davantage que ces très hautes valeurs de notre Eglise ?
La réponse peut paraître banale et prosaïque, mais elle est valable, parce que humaine, parce que apostolique. L'intelligence de la prière vaut plus que les vêtements anciens de soie dont elle est royalement habillée ; la participation du peuple, de ce peuple moderne, imprégnée de paroles claires, intelligibles, traduites dans son langage de tous les jours vaut bien davantage. Si le latin éloignait de nous les enfants, les jeunes, les ouvriers et les employés, s'il était un écran obscur plutôt qu'un cristal transparent, nous, pêcheurs d'âmes, ferions-nous un bon calcul en lui conservant l'exclusivité dans notre prière et notre religion ? Que disait saint Paul ? Qu'on relise le chapitre XIV de la 1ère lettre aux Corinthiens : « Dans l'assemblée, j'aime mieux dire cinq mots intelligibles pour instruire aussi les autres, que dix mille dans une langue inconnue » (19). Et saint Augustin semblait commenter : « Bien que tous soient instruits, qu'on n'ait pas peur des professeurs » (PL 38, 228, Serm. 37 ; cf. aussi Serm. 299, p. 1371). Mais du reste le nouveau rite de la messe établit que les fidèles « sachent chanter ensemble en latin au moins les éléments de l'ordinaire de la messe, et spécialement le Credo et le Notre Père » (n. 19). Rappelons-nous bien ceci pour notre enseignement et notre réconfort ; ce n'est pas pour autant que le latin disparaîtra dans notre Eglise ; il demeurera la noble langue des actes officiels du Saint-Siège ; il restera comme instrument des études ecclésiastiques et comme clef pour l'accès au patrimoine de notre culture religieuse, historique et humaniste ; et si possible dans une splendeur renouvelée.
Et finalement, à bien y regarder, on verra que le dessein fondamental de la messe reste traditionnel, non seulement dans sa signification théologique mais aussi dans sa signification spirituelle ; celle-ci, dans la mesure où le rite se déroule comme il se doit, manifestera une plus grande richesse, mise en évidence par la plus grande simplicité des cérémonies, par la variété et l'abondance des textes scripturaires, par l'action combinée de divers ministres, par les silences qui marquent le rite à des moments d'intensités diverses, et surtout par l'exigence de deux conditions indispensables : la participation intérieure de chaque assistant, et la communication spirituelle dans la charité communautaire. Ces conditions doivent faire de la messe, plus que jamais, une école d'approfondissement spirituel et un entraînement tranquille mais soutenu aux mystères chrétiens. Le rapport de l'âme avec le Christ et avec ses frères parvient à une intensité nouvelle et vitale. Le Christ, victime et prêtre, renouvelle et offre, à travers le ministère de l'Eglise, son sacrifice rédempteur, par le rite symbolique de sa dernière Cène qui nous laisse, sous les apparences du pain et du vin, son corps et son sang comme nourriture personnelle et spirituelle et pour notre fusion dans l'unité de son amour rédempteur et de sa vie immortelle.
Mais il reste encore une difficulté pratique, que l'excellence du rite sacré ne rend pas négligeable. Mais comment ferons-nous pour célébrer ce rite nouveau, quand nous n'avons pas encore de missel complet, et qu'encore tant d'incertitudes entourent son application ? Il sera bon, pour terminer, que Nous vous lisions quelques indications à ce sujet qui Nous viennent de la S. Congrégation pour le Culte Divin. Les voici :
« Pour le caractère obligatoire du rite :
1° - Pour le texte latin : les prêtres qui célèbrent en latin, en privé, ou aussi en public dans les cas prévus par la législation peuvent employer, jusqu'au 28 novembre 1971, ou le missel romain ou le rite nouveau.
S'ils emploient le missel romain, ils peuvent cependant se servir de trois nouvelles anaphores ou du canon romain avec les modifications prévues dans le dernier texte (omission de saints, des conclusions, etc.). Ils peuvent en outre dire en langue vivante les lectures et la prière des fidèles.
S'ils emploient le nouveau rite ils doivent suivre les textes officiels avec les permissions pour la langue vivante indiquées ci-dessus.
2° - Pour le texte en langue vivante : En Italie, tous ceux qui célèbrent avec le Peuple, à partir du 30 novembre prochain, doivent employer le « Rite de la messe » publié par la Conférence Episcopale Italienne ou d'autres conférences nationales.
Les lectures des jours de fêtes seront tirées ou du Lectionnaire édité par le Centre d'action liturgique ou du Missel Romain utilisé jusqu'à présent.
Les jours ordinaires, on continuera à employer le Lectionnaire férial, publié il y a trois ans.
Pour celui qui célèbre en privé, il n'y a pas de problème, car il doit célébrer en latin. Si, par induit particulier, il célèbre en langue vivante, il doit prendre les textes comme dans la célébration avec le peuple ; pour le rite, il doit suivre le nouvel Ordo, tel qu'il a été publié par la Conférence Episcopale Italienne.
De toute façon et toujours, rappelons-nous « que la messe est un mystère à vivre dans l'anéantissement de l'Amour. Sa réalité divine dépasse toute parole... C'est l'action par excellence, l'acte même de notre rédemption dans le mémorial qui la rend présente » (Zundel). Avec Notre Bénédiction Apostolique.
Chers Fils et Filles,
Nous voudrions lire un moment dans vos cœurs. Nous vous supposons tous bons et fidèles, désireux de considérer l'Eglise authentique, l'Eglise qui est jeune et vivante, qui est belle, qui se présente sous l'aspect d'une mariée, l'épouse du Christ, « sans tache ni ride, sainte et immaculée » (cf. Ep. 5, 27), comme dit saint Paul, et comme le Concile nous l'a fait entendre. Au contraire, il nous semble voir dans vos cœurs un étonnement douloureux : où est l'Eglise que nous aimons, que nous désirons ? Celle d'hier était peut-être meilleure que celle d'aujourd'hui ? Celle de demain, que sera-t-elle ? Un sentiment de confusion semble se répandre aussi parmi les meilleurs fils de l'Eglise, parfois même parmi les plus sages et les plus autorisés. On parle tant d'authenticité : mais où pouvons-nous la découvrir alors que tant de caractères, dont certains sont essentiels, se trouvent mis en question ? On parle tant d'unité : et beaucoup cherchent à cheminer pour leur compte; d'apostolat : où sont-ils les apôtres généreux et enthousiastes, tandis que les vocations diminuent et que dans le laïcat catholique lui-même la cohésion et l'esprit de conquête s'affaiblissent ? On parle tant de charité, et on respire dans quelques milieux même ecclésiaux un air de critique et d'amertume, qui ne peut-être le souffle de la Pentecôte. Et que dire de la marée hostile à la religion, à l'Eglise, qui monte autour de nous ? Un sentiment d'incertitude parcourt, comme un frisson de fièvre, le corps ecclésial ; est-il possible qu'il paralyse dans l'Eglise catholique son charisme caractéristique celui de la sécurité et de la force ?
Chers Fils ! Ce serait un discours bien long que mériterait un thème comme celui-ci, sur le diagnostic spirituel, moral et psychologique du peuple catholique en cette heure violente et agitée pour le monde entier ! Comme en d'autres occasions, et comme il est de notre habitude dans ce bref entretien hebdomadaire, Nous faisons seulement allusion à ce sujet, à seule fin que vous sachiez que le Pape y pense et que vous aussi vous devez y penser. Nous vous dirons avant tout qu'il ne faut pas se laisser trop impressionner et qu'il faut encore moins avoir peur. Même si des phénomènes inquiétants prennent un caractère de gravité, il faut aussi remarquer qu'ils naissent souvent au sein de minorités numériquement faibles, et que le plus souvent aussi ils n'émanent d'aucune source autorisée. Les moyens modernes de diffusion envahissent aujourd'hui avec une facilité énorme et un grand retentissement l'opinion publique, attribuant aux faits les plus minimes des effets disproportionnés. Il reste encore une immense majorité de personnes droites, bonnes et fidèles auxquelles Nous pouvons faire crédit ; c'est en elles que Nous plaçons notre confiance, les invitant par notre exhortation à rester fermes et à devenir plus conscientes et agissantes. Le Peuple chrétien doit s'immuniser et s'affermir lui-même ; silencieusement, mais sûrement. La diffusion de la parole vraie et saine — prédication sacrée, école fondée sur les principes chrétiens, presse catholique ou relative au magistère de l'Eglise — peut être l'antidote opportun contre le tourbillon des trop nombreuses voix bruyantes qui remplissent aujourd'hui les courants de l'opinion publique.
Celle-ci tend aussi aujourd'hui à se manifester au moyen d'une méthode que nous pourrions dire nouvelle, celle de l'enquête sociologique. C'est à la mode : elle se présente avec la rigueur de la méthode qui apparaît tout à fait positive et scientifique, et avec l'autorité du nombre ; si bien que le résultat d'une enquête tend à devenir décisif, non seulement dans l'observation d'un fait collectif, mais aussi dans l'indication d'une norme à adapter au résultat. Le fait devient loi. Quand bien même il s'agirait d'un fait négatif, l'enquête tend également à le justifier comme normatif, sans tenir compte que l'objet d'une enquête est, en général, partiel et presque isolé du contexte social et moral où il est inséré, sans tenir compte qu'il concerne souvent l'aspect uniquement subjectif, c'est-à-dire celui de l'intérêt privé et psychologique, du fait observé et non celui de l'intérêt général et d'une loi à appliquer. L'enquête peut alors engendrer une incertitude morale, socialement très dangereuse. L'enquête sociologique sera toujours utile en tant qu'analyse d'une situation particulière ; mais pour nous, disciples du royaume de Dieu, elle devra soumettre ses résultats à des critères différents et supérieurs, comme ceux des exigences doctrinales de la Foi et de la conduite pastorale sur le chemin de l'Evangile.
Ceci nous amène à nous demander si les maux dont souffre aujourd'hui l'Eglise, ne sont pas dus surtout à la contestation, tacite ou manifeste, de son autorité : c'est-à-dire à une crise de la confiance, de l'unité, de l'harmonie, du contexte de vérité et de charité selon lesquels le Christ a conçu et institué l'Eglise, et selon lesquels la tradition l'a développée et nous l'a transmise.
Nous voudrions alors que votre visite, pieuse et confiante, au tombeau de l'Apôtre, sur lequel le Seigneur a fondé son Eglise, soit récompensée par la vision, idéale et céleste de l'Eglise, de l'Eglise une et sainte, catholique et apostolique, et aussi par la vision terrestre de l'Eglise réelle, humaine et toujours imparfaite, mais tendue, aujourd'hui spécialement, dans un effort admirable, douloureux et joyeux à la fois, pour s'adapter à la pensée du Christ en rayonnant Sa parole et Sa lumière et en faisant siens tous les dons, tous les besoins, toutes les douleurs du monde présent. Pierre ne change pas ; que cela vous donne le réconfort dont vos cœurs ont maintenant besoin, la sécurité. Et Pierre est toujours vivant, vivant de ce Christ qui de sa venue à Bethléem à sa venue au dernier jour dans les siècles, se présente toujours semblable et grandissant comme un arbre vivant, petite semence d'abord, qui donne, chaque saison, une nouvelle floraison. C'est un ancien maître (celui qui nous a donné la formule doctrinale de la tradition ecclésiastique authentique : « dans l'Eglise catholique il faut avoir grand soin de conserver ce qui partout, toujours et par tous a été cru »), c'est S. Vincent de Lerin, Père de l'Eglise, moine érudit du V° siècle, qui nous offre aussi la formule de l'accroissement doctrinal du christianisme. « ... La doctrine de la religion chrétienne — dit-il — doit se consolider avec les années, se développer avec les temps, s'élever avec l'âge... hoc idem floreat et maturescat..., proficiat et perficitur » (Commonitorium : PL 50, 668). C'est la formule qui n'admet pas les changements substantiels, mais explique les développements vitaux de la doctrine et de la règle ecclésiastique ; c'est la formule que Newman fera sienne et qui le conduira à l'Eglise de Rome. Nous pourrons la méditer nous aussi pour comprendre certaines nouveautés importantes dans l'Eglise d'aujourd'hui, qui excluent toute fissure de son orthodoxie intacte et en expliquent la vitalité éternelle et florissante. Avec Notre Bénédiction Apostolique.
Chers Fils et Filles,
Nous avons commémoré, le jour de l'Immaculée Conception, le centenaire de l'ouverture du premier Concile du Vatican, que Pie IX, après quelques années de réflexion et de préparation, avait convoqué officiellement par la Bulle « Aeternis Patris » du 29 juin 1868. Ce Concile eut une histoire assez brève parce que, après Sedan et l'annexion de Rome à l'Italie (9 octobre 1870), Pie IX le suspendit et le prorogea « sine die » (20 octobre 1870). En raison des discussions qui en ont caractérisé le déroulement, ce rut, comme vous le savez, une histoire fort mouvementée et fort importante, pour deux raisons. D'abord le fait de sa convocation : depuis trois siècles, après le Concile de Trente (1545-1563), il n'y avait plus eu de concile œcuménique ; ensuite et surtout à cause de la doctrine qui fut, à Vatican I, traitée et définie dogmatiquement, c'est-à-dire par un acte solennel et extraordinaire du magistère ecclésiastique, et déclarée ainsi vérité de foi de l'Eglise. Cet événement mérite-t-il d'être rappelé ? Certainement, comme fait historique. Mais il le mérite encore plus à cause de son actualité, c'est-à-dire en raison de l'importance que le premier Concile du Vatican conserve aujourd'hui non seulement par sa connexion avec le deuxième Concile du Vatican, comme chacun le sait, mais aussi à cause des enseignements proclamés et qui ont encore de nos jours une importance agissante. C'est l'actualité du premier Concile du Vatican que Nous voudrions vous rappeler aujourd'hui, sans aucune prétention académique.
Ce Concile est actuel, pourquoi ? Pour ses doctrines. Il faut rappeler que les dogmes de l'Eglise peuvent être actuels sous un double aspect. Le premier est relatif à leur contenu de vérité révélée, dans la mesure où ils sont des définitions autorisées d'un enseignement divin contenu dans la S. Ecriture, ou transmis jusqu'à nous, à partir de la prédication apostolique, par la voie de la Tradition (cf. Dei Verbum, 8 et 9) ; les dogmes sont la foi pensée, vécue, célébrée par l'Eglise en tant que Peuple de Dieu animé par l'Esprit Saint et instruit par un témoignage autorisé et qualifié, celui du Pape. Sous cet aspect, les dogmes de l'Eglise sont toujours actuels, c'est-à-dire ils sont toujours vrais, de cette vérité divine et surnaturelle à laquelle ils se réfèrent. La vérité divine ne change pas, c'est pourquoi les dogmes de la foi sont toujours actuels, sont toujours vrais.
Les dogmes peuvent encore être actuels sous un autre aspect, contingent, relatif au temps et aux conditions historiques qui en ont provoqué la définition, qui ont prêté à la définition même leur langage et en ont justifié l'opportunité. Cet aspect peut s'effacer avec le changement des conditions historiques et culturelles, auxquelles les dogmes, au moment précis de leur formulation, apportaient la splendeur de la vérité et les solutions canoniques de l'autorité. C'est pourquoi ils peuvent être classés selon le développement historique qui les a portés à la conscience subjective de l'Eglise, et qui les appelle chronologiquement anciens ou modernes, selon le moment où ils ont été insérés dans la vie temporelle de l'Eglise.
Il Nous semble que les enseignements du premier Concile du Vatican conservent non seulement l'actualité éternelle de leur vérité objective, mais conservent tout autant l'actualité contingente de leur opportunité relative à notre temps. On pourrait penser que le deuxième Concile du Vatican a relégué dans le passé, dans les archives de l'érudition ecclésiastique, Vatican I ; et que ce Concile de Pie IX n'a plus rien à apprendre, en matière d'actualité subjective ou d'opportunité contingente, à notre sensibilité spirituelle et à notre maturité culturelle. Il n'en est pas ainsi, au contraire.
Il n'en est pas ainsi parce que, comme on l'a expliqué, les deux Conciles du Vatican, le premier et le deuxième, sont complémentaires. Le premier devait être complété ; il fut brusquement interrompu; et il se place logiquement et historiquement à la base du second qui se rattache au premier. Les faits le démontrent clairement. Donc, si Vatican II est actuel, et il l'est, le premier doit l'être également, même si l'un diffère beaucoup de l'autre pour bien des motifs.
L'actualité du Concile Vatican I n'a pas décliné, pour une autre raison plus importante : les vérités affirmées par ce Concile sont très présentes dans les esprits de nos contemporains, elles sont combattues, discutées, mises en œuvre, professées en pleine conscience, de nos jours
Quelles sont ces vérités héritées de Vatican I ? Nous allons les schématiser, en raison de la simplicité de ce discours familier : ces vérités regardent trois domaines de la connaissance religieuse. La première vérité concerne la foi, la « problématique » de la foi, C'est un thème très vaste, très délicat, très actuel. Nous pouvons dire : un thème décisif non moins pour les hommes du vingtième siècle que pour ceux du dix-neuvième. C'est le thème traité et défini dans la constitution qui, suivant la coutume pour les documents pontificaux, tire son nom de ses premières paroles : « Dei Filius », votée à l'unanimité par les 667 membres du Concile Vatican I, présents à la troisième session publique le 24 avril 1870 ; dans la Basilique de S. Pierre (cf. aubert, Le Pontificat de Pie IX, p. 337 ; DTC XV-II, 2555 ss.). Comme l'a rappelé le cardinal Parente dans son discours commémoratif, dans cette constitution « est confirmée la doctrine traditionnelle sur Dieu Un et Trine, sur la création libre ex nihilo, sur la Providence qui œuvre dans le monde. On y réaffirme la valeur surnaturelle de la révélation comme Parole de Dieu contenue dans la Bible et dans la Tradition. On défend le caractère rationnel et surnaturel de la foi, comme adhésion raisonnable à Dieu et à sa parole sous l'impulsion de la grâce. Finalement on définit la supériorité de la révélation et de la foi sur la raison et ses capacités, déclarant cependant qu'aucune contradiction ne peut apparaître entre des vérités de foi et des vérités rationnelles, car Dieu est la source de l'une et de l'autre... La Constitution « Dei Filius » définit que la raison, avec ses seules forces, peut atteindre la connaissance certaine du Créateur à travers les créatures. L'Eglise défend ainsi, au siècle du rationalisme, la valeur de la raison ».
Comme vous le voyez, ce sont toutes des questions encore très actuelles. Elles nous invitent à une réflexion profonde sur les crises religieuses de notre temps, à l'intérieur et à l'extérieur de l'Eglise ; la question de la foi en est la base et elle se répand d'une part à travers toute l'organisation ecclésiastique et d'autre part à travers toute la mentalité philosophique et spirituelle du monde moderne. Dans la grande tempête la parole du Concile Vatican I est une planche de salut.
lies deux autres vérités, sanctionnées par ce Concile, concernent la Papauté, à laquelle, suivant l'Evangile, la parole des Pères et des Docteurs, et suivant l'histoire de l'Eglise, sont reconnues deux prérogatives suprêmes, l'une relative au gouvernement de l'Eglise, la primauté pontificale, l'autre relative au magistère de l'Eglise, l'infaillibilité pontificale. La définition de ces deux dogmes se fit par la promulgation de la constitution « Pastor Aeternus » du 18 juillet 1870 votée à l'unanimité des 535 Pères présents — 83 étaient absents, — après de longues discussions, violentes et agitées (cf. U. betti, La Cost. Domm. Pastor Aeternus, Roma 1961). C'est une page dramatique de la vie de l'Eglise, qui n'en est pour autant ni moins claire ni moins définitive. Nous n'avons pas l'intention d'en parler. Nous voulons simplement faire noter que les deux dogmes que Vatican I a fait entrer dans le patrimoine de la foi de l'Eglise revêtent eux aussi une actualité très grande. Celui de la primauté se réfère à l'unité de l'Eglise, à cette unité dont l'évêque de Rome, successeur de saint Pierre, est non seulement le sommet et l'expression, « le centre personnifié de cette unité » comme disait G. A. moehler (Die Einheit in der Kirche, par. 67, Tubingen 1825), mais aussi le « principe et fondement perpétuel et visible de l'unité de la foi et de la communion », comme l'affirme Vatican II (LG 18), faisant sienne la doctrine de Vatican I (cf. Denz. Sch. 3050 ss.). La grande question, douloureuse et actuelle, de la réunion de tous les chrétiens dans l'unité voulue par le Christ émerge de cette vérité de Vatican I. Vatican II le dit : «Tous les hommes sont appelés à cette unité catholique du Peuple de Dieu, qui préfigure et promeut la paix universelle... » (LG 13).
L'autre dogme, celui de l'infaillibilité, touche de façon analogique un point décisif de la vie de l'Eglise, de tous les chrétiens et du monde, celui de la Vérité révélée. Aujourd'hui plus que jamais, nous y sommes tous intéressés. Que le Christ veuille nous éclairer à ce propos, en nous montrant comment ce dogme, bien compris dans ses limites précises et dans ses termes consolants, n'est pas un obstacle auquel se heurte la pensée moderne à l'intérieur et à l'extérieur de l'Eglise, mais un phare bienfaisant qui l'oriente vers cette conquête à laquelle il ne peut renoncer, celle de la Vérité du salut. O Fils très chers, ne regardez pas l'homme qui vous parle, mais le pauvre et humble Vicaire du Christ qui vous bénit.
Chers Fils et Filles,
Il Nous vient spontanément aux lèvres, en ces jours proches de Noël, le vœu qui lui est propre : bon Noël.
Oui, chers visiteurs, bon Noël à tous et à chacun de vous ! Que de pensées, que de souvenirs, que d'émotions, que de désirs, que d'espérances suscite, en Notre cœur, cette sainte et douce fête de Noël ! Nous prierons pour vous, pour que cette fête ne passe pas comme un jour quelconque, mais qu'elle soit remplie pour vous de ces expériences spirituelles, qui font goûter les réalités profondes de la foi et de la vie.
De la foi et de la vie. C'est sur ces objectifs, qui ne sont autres que les réalités dans lesquelles nous sommes plongés, que Nous invitons votre attention à être particulièrement vigilante à l'occasion de cette fête. C'est-à-dire que Nous appuyons notre vœu d'une exhortation : célébrez bien la fête de Noël.
La première condition pour bien célébrer la fête de Noël est de lui conserver son authenticité religieuse. Nous ne voulons pas parler ici du danger d'étouffer la vraie signification de Noël par les manifestations extérieures et profanes, auxquelles cette fête donne l'occasion, en leur donnant la priorité et en en transformant le caractère. Chacun sait comment peut survenir cette transformation de Noël, même en partant de formes innocentes et sympathiques du folklore ou d'habitudes familiales ou populaires; la crèche elle-même peut devenir un spectacle centré sur des finalités esthétiques et fantaisistes plus que sur le rappel de la représentation de l'humble et sublime fait de la naissance du Sauveur. Ce cadre de fête, artistique, peut aussi avoir son utilité poétique et pratique. Mais ne nous arrêtons pas au cadre : regardons le tableau, et dans le tableau voyons le mystère.
Essayons de voir, de contempler le tableau, c'est-à-dire la scène de Bethléem, en transparence. Ce moment d'attention est tout à fait conforme à l'attitude mentale de notre époque, avide de connaître la signification réelle des faits et des choses, de connaître la réalité d'un événement aussi important et central que la naissance de Celui qui s'appelle Sauveur. Jésus veut dire Sauveur ; Christ veut dire Messie, c'est-à-dire Celui sur lequel se centrent et dans lequel s'accomplissent les desseins divins relatifs à la destinée de l'humanité. Le regard contemplatif devient théologique, (c'est-à-dire révèle la vérité divine et les finalités, les buts de ce que nous contemplons). Nous devons alors considérer Noël comme une apparition. C'est une révélation. Quelle apparition ? Saint Paul nous le dit : « Il apparut la bonté, l'amour de Dieu notre Sauveur envers les hommes » (Tt 3, 4). C'est le secret de Dieu : Dieu est Bonté, Dieu est Amour. Nous comprenons que saint François tombât en extase devant la Crèche ; et que nous-mêmes nous puissions nous sentir transformés devant une découverte qui nous émerveille et nous émeut; nous sommes aimés, aimés de Dieu ! Nous comprenons Pascal : « Joie, joie, joie ; pleurs de joie ! » car « le Verbe de Dieu s'est fait homme et est venu habiter parmi nous » (Jn 1, 14). Voilà Noël ! Le Noël de la Foi.
Cela compris, nous pouvons comprendre quelque chose de très beau aussi sur l'autre aspect : le Noël de la vie, de notre vie. La naissance virginale du Christ dans le monde répand sur toute l'humanité une vague régénératrice : toute la vie humaine est atteinte par cette présence, même sur le plan naturel. Un Frère comme le Christ illumine d'une lumière divine le visage de chaque être mortel : chaque homme reflète le visage du Christ. La génération humaine reçoit cette dignité sublime de devenir le véhicule d'une vie appelée à devenir humanité du Christ. La Famille trouve dans la fête de Noël sa propre fête. Si la Famille est chrétienne, c'est un fleuve de grâce, de joie, de paix, qui l'envahit. Oui, soyez en fête, soyez en fête, Familles chrétiennes, le jour où Jésus-Christ est venu habiter dans une famille humaine, former un foyer, le sanctifier par sa présence. Exaltez dans la conscience de son être, de son rôle, de son destin, le concept de Famille, communauté d'amour, source de la vertu créatrice de Dieu, signe et effusion de la charité, par laquelle le Christ aima et aime l'humanité rachetée, l'Eglise.
Nous répéterons ce que Nous avons déjà écrit, quand Nous étions Chargé du soin pastoral de l'Eglise Ambrosienne, à propos de la Famille (1960). Aujourd'hui, ce discours est de nouveau opportun. Noël Nous le permet.
Le rêve et l'effort de l'Eglise est toujours d'aspirer à une humanité nouvelle, rendue à son dessein primitif, tournée vers un développement ordonné et harmonieux, qui célèbre la vie dans son ascension progressive et l'éduque à sa vocation surnaturelle, qui soit si conforme à son modèle, le Christ Seigneur, qu'elle résolve en Lui ses problèmes, valorise en Lui ses efforts et ses douleurs, et trouve enfin en Lui sa plénitude et son bonheur. Ce n'est pas un rêve, mais un programme, que la caducité humaine ralentit et bouleverse, mais que la mission de l'Eglise reprend continuellement — et donc aussi en cette heure critique de l'histoire —, et avec confiance.
Pratiquement Nous voudrions adresser aux familles chrétiennes une parole d'exhortation et de réconfort : qu'elles reprennent conscience de leur dignité et de leur mission, qu'elles s'engagent résolument à professer les vertus particulières qui caractérisent le foyer, qu'elles retrouvent dans les sources purifiées de l'amour chrétien leur force et leur bonheur, qu'elles ne craignent pas de servir les lois de la vie qui les rendent ministres de l'œuvre créatrice de Dieu, qu'elles comprennent le rôle régénérateur qu'elles ont dans la vie civile, et qu'elles sentent combien dans l'Eglise elles peuvent occuper une place d'une beauté admirable.
Cette invitation s'adresse en particulier aux jeunes qui pensent à la famille comme à l'état de vie qui leur est destiné. Nous voudrions que le concept de famille prenne dans leur âme une splendeur idéale ; Nous voudrions qu'ils mettent toute leur force limpide à la réalisation de cet idéal ; Nous voudrions qu'ils comprennent la vocation qui se cache et s'annonce dans l'attrait de fonder une famille ; Nous voudrions que pensées impures et habitudes incorrectes ne dévastent pas la veille de leur mariage ; Nous voudrions que des calculs égoïstes n'attristent pas les desseins de leur futur foyer ; Nous voudrions que la science du véritable amour leur vienne du Christ, qui donne sa vie pour la grâce de son épouse, destinée à s'étendre à toute l'humanité ; et que la grâce du sacrement jaillisse comme une fontaine intarissable, en chaque jour de leur vie conjugale. Nous Nous attendons à un nouveau genre de famille de la part de la génération des jeunes, auxquels les terribles expériences de l'histoire actuelle doivent avoir enseigné que seul un christianisme authentique et fort possède la formule de la vraie vie.
Bon Noël, ainsi ! avec Notre Bénédiction Apostolique.
Texte du message de Noël 1969
Salut à vous tous, hommes, auxquels arrive l'écho de Notre voix ! Salut à vous, Romains, qui Nous écoutez ici !
Salut à vous, hommes proches et lointains !
A vous, hommes responsables, qui dirigez le monde ; et à vous tous Peuples de la terre !
A vous, les anciens, les hommes d'hier ; à vous, les jeunes, les hommes de demain !
Salut à vous, les Pauvres ! à vous les souffrants ! à vous tous, Nos amis ! à vous, chrétiens et non-chrétiens !
Salut, au nom de Jésus-Christ, en la fête de sa naissance, qui aujourd'hui est notre fête, la fête de tous, la fête de Noël.
Bon Noël à tous !
Aujourd'hui nous exprimons et recevons ce souhait, qui semble un cri de joie de toute l'humanité, pour toute l'humanité : Bon Noël ! Pouvons-nous tous le faire nôtre ?
Sommes-nous tous chrétiens ? Un philosophe de renom affirmait il y a quelques années — certains d'entre vous s'en souviendront peut-être — que nous, modernes, nous pouvons tous nous dire chrétiens. Eh bien, qu'est-ce que cela signifie, être chrétien ? Voilà la demande, voilà la parole que Nous vous adressons en cette heure sereine, pour faire jaillir la réponse de vos consciences. Chacun doit se ménager aujourd'hui un moment d'intimité avec lui-même, pour répondre à la question capitale sans laquelle Noël n'aurait pas de sens : est-ce que je suis chrétien ?
Chacun explore à sa manière la signification d'une parole aussi dense. Bienheureux ceux qui peuvent l'accueillir sans réserve et qui ambitionnent de la posséder dans sa plénitude et de jouir de la naissance du Christ comme de leur propre naissance à la vie nouvelle, à la vie vraie et éternelle qui nous est communiquée par lui: oui, bienheureux ceux-là !
Mais regardons le monde comme il est. Tous ne répondent pas avec le même enthousiasme, avec la même foi, au nom de chrétien. Beaucoup le refusent. Beaucoup le vivisectionnent, le privant de sa signification mystérieuse, de son contenu religieux.
Aujourd'hui, beaucoup veulent un Christ sans Dieu ; bien plus : un homme sans Christ, même si l'on veut conserver en cet homme certains caractères supérieurs que le Christ lui a conférés : son droit à la vie, son visage incomparable de personne, sa dignité humaine, sa conscience inviolable, sa liberté responsable, sa beauté spirituelle. Beaucoup, peut-être même tous, veulent reconnaître dans l'homme déformé par la fatigue, par la pauvreté, par l'esclavage, par la faiblesse, un sujet de prédilection du droit, de la solidarité, de l'assistance, proprement comme le Christ l'avait enseigné.
On parle aujourd'hui d'humanisme. C'est à ce mot moderne que l'on semble vouloir réduire le christianisme. C'est le Noël de l'homme que l'on voudrait célébrer aujourd'hui, et non celui du Verbe qui s'est fait chair, ni celui de Jésus qui s'est fait chair, ni celui de Jésus qui est venu vers nous comme Sauveur, Maître, Frère ; c'est le Noël de l'homme qui se sauve par lui-même, de l'homme qui progresse par sa seule sagesse et sa seule force, de l'homme principe et fin à lui-même.
Voici, chers Fils et Frères, ce que Nous devons vous dire en ce jour bienheureux: un humanisme vrai sans le Christ n'existe pas. Nous supplions Dieu et Nous vous demandons à tous, hommes de notre temps : épargnez-vous la fatale expérience d'un humanisme sans le Christ. Une simple réflexion sur l'expérience historique d'hier et d'aujourd'hui suffirait à nous convaincre que les vertus humaines développées sans le charisme chrétien peuvent dégénérer en vices opposés. L'homme qui se fait géant, s'il n'est pas animé d'un souffle spirituel, chrétien, retombe sur lui-même de son propre poids. Il lui manque alors la force morale qui le fait vraiment homme ; il lui manque la faculté de juger la hiérarchie des valeurs ; il lui manque les raisons transcendantes qui fournissent en permanence un motif et un soutien à ses vertus ; il lui manque, pour tout dire, la vraie conscience de soi, de la vie, de ses raisons d'être, de ses destins : l'homme, par lui-même, ne sait pas qui il est. Il lui manque le prototype authentique de l'humanité ; il se crée des idoles, qui sont fragiles et parfois indignes de lui. Il lui manque le vrai Fils de l'homme — Fils de Dieu : modèle efficace de l'homme vrai.
Le véritable humanisme doit être chrétien. C'est notre premier devoir. C'est notre intérêt suprême.
Quel espoir de nouveauté vraie et constructive pourrait vous être donné, à vous les jeunes, sans la parole — qui ne trompe pas et qui est toujours vivante — de Celui qui, en venant au monde, peut dire : « Voici que toute chose est renouvelée » (2 Co 5, 17) ?
Quelle libération de l'oppression provoquée par la fatigue et les inégalités sociales pourra être offerte au monde du travail — qui la cherche dans le bouleversement des systèmes économiques — si la voix du Christ ne l'élève pas à un niveau humain et spirituel supérieur, en lui rappelant que « l'homme ne vit pas seulement de pain » (Mt 4, 4) ?
Et vous, sages et patients artisans de la paix entre les peuples, entre les classes sociales, dans les conflits de races et de tribus, dans les rivalités de toute sorte qui rendent souvent les hommes avides, égoïstes et méchants les uns envers les autres, où trouverez-vous la force de poursuivre votre interminable et salutaire labeur, si vous n'êtes assistés par Celui qui peut dire avec une certitude triomphante : songez, hommes, que « vous êtes tous frères » (Mt 23, 8).
Notre pensée se tourne enfin, avec un souhait spécial et une Bénédiction particulière, vers tous ceux qui souffrent : pour le conflit du Nigeria, en cette terre africaine qui nous est si chère ;
pour celui du Vietnam, où Nous voulons encore espérer que la trêve de ces jours-ci se prolonge et se résolve enfin honorablement dans la réconciliation ;
et finalement pour le conflit du Moyen-Orient, là où se trouve Bethléem et où la paix fut annoncée du Ciel, avec l'hymne de gloire à Dieu, en ce jour sacré de la naissance du Christ Seigneur : oh ! oui ! la paix aux hommes de bonne volonté.
Et ainsi de suite. Le message du Christ est vaste et ouvert à tous.
Ecoutez-le, chers Fils et Frères. Et que chacun de vous puisse se dire à lui-même — et ait la volonté d'en porter témoignage par sa propre vie — : moi aussi, je suis chrétien.
C'est cela, Noël. C'est le bon Noël que Nous vous souhaitons, avec Notre Bénédiction Apostolique.
Chers Fils et Filles,
Nous sommes au dernier jour de l'an. Notre réflexion se porte instinctivement et intensément sur ce mot très employé et indéfinissable qu'est le temps, avec cette observation banale et si mystérieuse : que le temps passe ! Et voici l'aspect original de cette remarque : nous mesurons continuellement la mobilité et la contingence des choses, avec nos montres, avec nos calendriers, avec nos calculs chronométriques et astronomiques très exacts, sans prêter assez d'attention à l'inexorabilité, indépendante de notre volonté et de notre pouvoir, du phénomène chronologique. « Le temps s'en va, et l'homme ne s'en rend pas compte » (dante, Purg. 4, 9) ; et quand on fait attention à cette loi cosmique et historique, un sentiment de peur devant l'irréversibilité de ce phénomène pénètre notre esprit; le temps ne revient jamais en arrière ». « Pense que ce jour ne reviendra jamais ! » (encore dante, Purg. 12, 84). Cette méditation est troublante si elle tient seulement compte de son obscurité et de sa fatalité en référence à notre vie personnelle, à notre destin, qui dans le temps trouve son bonheur et sa ruine (cf. machiavelli, chap. VII, le Prince, qui avait pensé à tout sauf au cas d'une mort soudaine). C'est un thème sur lequel on peut réfléchir sans fin : les philosophes et les hommes de lettres y ont consacré leur vue éblouie et jamais lasse.
Et nous chrétiens, nous ferions aussi fort bien d'y porter grande attention parce que c'est un thème qui concerne essentiellement notre être fragile et éphémère, qui nous oblige à revoir dans l'échelle des valeurs, quelles sont celles qui sont vraies, qui méritent ou non de l'importance. Rappelons-nous l'Evangile, là où Jésus, montrant l'homme riche et satisfait de ses biens, dit cette phrase terrible : « Malheureux, cette nuit même ta vie te sera enlevée; et tout ce que tu as accumulé, à qui cela appartiendra-t-il » (Lc 12, 10). Donc la considération de la précarité de la vie, du pouvoir de Saturne qui dévore ses enfants, peut être la source d'orientations morales décisives, soit dans un sens hédoniste (cf. le « carpe diem » d'Horace), soit dans un sens spiritualiste ; « pensons encore à la parole du Christ « marchez tant que vous avez la lumière... » (Jn 12, 35). Mais ce sont des pensées qui ont difficilement leur place en ces heures trépidantes qui marquent la fin de l'année civile et l'inauguration de la première page d'un nouveau calendrier : c'est l'heure des fêtes sans réflexion qui prévaut généralement. Une pieuse et bonne pensée, au contraire, le dernier jour de décembre, est celle du remerciement ; on chante le Te Deum et se rappelant les événements qui se sont déroulés durant douze mois, on se rend compte que « tout est grâce », que tout a été pénétré et dirigé par une influence mystérieuse et bénéfique, celle de la Providence divine, dont la conduite ou la permission, mène au bien toutes choses (cf. Rm 8, 28) ; c'est là une observation, parmi les plus belles et les plus sages, que nous pouvons faire aujourd'hui sur le passé, et qui nous fait rencontrer à ce niveau la Paternité ineffable de Dieu, de qui vient, par qui se fait, vers qui va notre pèlerinage dans le temps. C'est là une attitude chrétienne.
Si nous voulons compléter à ce point de vue la manifestation de nos sentiments chrétiens nous devons faire un nouveau pas. Il ne suffit pas de regarder en arrière, il faut regarder en avant. Non seulement avec les prévisions pour l'année nouvelle, certainement pas avec des horoscopes fantaisistes sur l'avenir, mais plutôt d'un regard tourné vers le dessein essentiel de notre vie projetée dans le futur, temporel ou éternel, que notre foi nous annonce, même si c'est durant notre vie seulement « in aenigmate », comme dit S. Paul (1 Co 13, 12), d'une manière confuse. C'est là une exigence fondamentale de notre foi : la pensée de la vie future ne doit jamais nous abandonner. Elle pénètre tout le message évangélique.
La vision, qu'on appelle eschatologique, c'est-à-dire des réalités dernières, est toujours présente dans l'enseignement de Jésus, au point de constituer un élément essentiel et final de son message de salut.
C'est une vision trop souvent oubliée, même dans la mentalité de nombreuses personnes qui se proclament chrétiennes. L'actualité nous absorbe. Le présent seul semble avoir de l'importance, soit comme temps, soit comme cadre de la vie qui se déroule dans le temps ; c'est une des conséquences de la sécularisation, de l'horizontalisme, de l'incrédulité. Ici il faut faire bien attention : le chrétien, lui aussi, vit dans le temps ; il est du temps, avec tous ses devoirs et ses valeurs, il doit en faire grand cas, même plus que les autres. C'est dans le temps que s'accomplissent l'expérience, l'examen, qui fixent le sort de son destin futur et éternel, c'est dans le temps qu'il doit édifier la cité terrestre développée, juste et humaine, dans son progrès et dans son histoire, y engageant l'activité des croyants, citoyens de la terre. Mais c'est d'autre part dans le temps que s'annonce et que commence le règne de Dieu qui aura sa plénitude au-delà du temps. Il faut avoir toujours à l'esprit cette ambivalence du temps pour le chrétien : don présent et promesse pour le futur; et l'attention à cette promesse fait que le don n'est pas dévalué, si on s'y engage intensément et si on en jouit sagement (cf. Gaudium et spes, 39, 40).
Une expression est en usage dans notre langage spirituel, qui vient bien à propos dans cette exhortation de fin d'année, celle qui nous représente tous comme l'« Eglise en pèlerinage ». C'est extraordinaire. C'est vrai. Le Concile l'emploie très souvent dans ses documents, et dans une de ses pages les plus inspirées, remplie de références scripturaires, il parle justement de l'Eglise en pèlerinage sur la terre, dans le monde et dans le temps, mais aussi dans l'infatigable tension de la manifestation finale des fils de Dieu (Lumen gentium, 48 et 49).
Cette évaluation du temps et cette vision des chrétiens en marche vers un but qui les transcende et qui se réalise au-delà de cette frontière terrible qu'est pour nous la mort temporelle, doivent être continuellement devant notre conscience ; qu'elles nous aident à purifier par des souvenirs salutaires la vie passée, et à accueillir comme un don d'en haut, le temps qui vient, celui qui nous est encore concédé dans notre passage sur cette scène fugace du monde (1 Co 7, 31).
Bonne année donc dans le Seigneur, avec Notre Bénédiction.