JACQUES JULLIEN

Archevêque émérite de Rennes

 

L'EVEQUE CENTRE DE COMMUNION DANS LES EGLISES PARTICULIERES

" Le concept de communion (Koinonia), déjà mis en lumière dans les textes du Concile Vatican II, convient particulièrement pour exprimer l'intimité du Mystère de l'Eglise et peut certainement être une clé de lecture pour un renouvellement de l'ecclésiologie catholique. L'approfondissement de la réalité de l'Eglise comme communion est, en effet, un défi d'une importance particulière, offrant un vaste champ à la réflexion théologique sur le mystère de l'Eglise ". On ne saurait mieux dire l'intérêt de cette approche du Mystère de l'Eglise que ne le fait la Congrégation pour la Doctrine de la Foi dans sa " lettre aux évêques de l'Eglise catholique sur certains aspects de l'Eglise comprise comme communion " (1).

Communion : un terme ancien et nouveau. Autour de ce concept gravitent des éléments complémentaires ou opposés : individu, société, personne, communauté, etc. qui invitent à un questionnement de type personnaliste.

Ce type d'approche s'avère fécond en théologie et utile pour la pastorale : il permet d'explorer certains aspects de l'inépuisable mystère chrétien et d'expérimenter une fois de plus le Royaume comme " un trésor d'où le maître de maison tire des choses anciennes et nouvelles " (Mt 13, 52). La fécondité de ces interrogations n'est pas étonnante, car le personnalisme lui-même n'existerait sans doute pas s'il n'avait été nourri de sève chrétienne dès ses origines. En effet les concepts de personne, de communion, d'identité, d'altérité, de différence, etc., ont des racines chrétiennes. Sans pour autant en faire des dogmes, ils nous permettent de nous réapproprier plus consciemment notre propre trésor, en mettant davantage en lumière certains aspects de notre héritage. Cette conviction n'est sans doute pas étrangère à la publication de la lettre par la Congrégation de la Doctrine de la Foi.

L'objectif spécifique de la présente étude est l'Evêque comme centre de communion. Mais comment parler de l'évêque et de la communion sans les situer dans le mystère de l'Eglise ? Aussi notre démarche s'articulera autour de deux points : l'Eglise comme communion et l'Evêque comme centre de communion.

 

L'Eglise comme communion

Le terme est ancien. Il est fréquent dans la Bible (2). A l'honneur chez les Pères, surtout les Grecs, et quelque peu mis en sommeil ensuite, il a été comme réveillé par le Concile (3), et, depuis, il a pris du poids, si l'on peut dire, au point que le Synode extraordinaire de 1985, sur le bilan du Concile, 20 ans après, déclare solennellement : " L'ecclésiologie de communion est le concept central et fondamental dans les documents du Concile " (4). Parmi les documents plus récents, il faudrait citer in extenso le n. 20 de Christifideles laici qui présente d'une manière particulièrement heureuse la communion comme une voie d'accès au mystère de l'Eglise. Faut-il rappeler qu'elle n'exclue évidemment pas les autres approches du mystère : l'Eglise comme Corps du Christ, comme Peuple de Dieu, comme sacrement universel du salut (LG 6).

Cette problématique est éclairante pour le mystère chrétien tout entier, depuis le mystère même de la Trinité jusqu'à la communion des baptisés entre eux.

Notre Dieu est lui-même communion : un, mais point seul. Le Père, en engendrant le Fils de toute éternité, vit avec lui dans une communion parfaite. Et c'est le Fils qui, en quelque sorte, fait du Père, le Père, en étant lui-même engendré comme Fils de toute éternité. Cependant que le Fils n'est Fils que dans cette relation d'engendrement par le Père. Et leur amour ne s'exprime pas en un face à face stérile, mais parce qu'il est lui-même un Vivant, leur amour est, dans l'Esprit, ouverture incessante, fécondité jaillissante. L'altérité fonde les personnes, mais leur amour noue l'unité de nature. L'altérité réside seulement dans la relation, mais elle est " fondamentale " pour l'identité de chacune des personnes. Un peu comme dans la génération humaine le père engendre son fils, mais ce fils le fait père ! C'est précisément la conception-naissance de son fils qui le fait accéder à la paternité : le fils engendre son père à la paternité. Unité de nature, distinction des personnes. L'amour des trois personnes n'est pas fusion ni confusion, mais effusion. " Avec ton Fils unique et le Saint-Esprit, tu es un seul Dieu, tu es un seul Seigneur, dans la Trinité des personnes et l'unité de leur nature ", dit la préface de la Trinité.

Toute réalité humaine, créée à l'image et ressemblance de Dieu est ainsi appelée à vivre pleinement son identité personnelle, mais en relation, en communion avec les autres, portant, chacune à sa manière, la marque de la personne et de la communion. Toute réalité humaine doit honorer en même temps sa différence et son ouverture aux autres, sauvegarder son identité et respecter la différence de l'autre, " l'autre semblable ", comme dit F. Dumas (5). Une communauté ne peut, sous prétexte d'assurer son identité, s'enfoncer dans la solitude. Mais ne pas reconnaître la différence chez l'autre, ne pas reconnaître l'autre de l'autre, c'est dégrader l'unité en uniformité : il nous faut apprendre à " voir dans l'autre un semblable, et, dans le semblable, un autre ", comme écrit F. Dumas.

Le mystère de la communion divine permet de mieux entrevoir la composante " communion " dans nos communautés. Mais, réciproquement, la communion vécue dans nos réalités humaines peut donner à penser quant à la communion au cœur du mystère de Dieu. Dans sa Lettre aux familles, Jean-Paul II va jusqu'à écrire : " La communion des personnes découle en un sens du mystère du "Nous trinitaire", et donc la communion conjugale se rattache elle aussi à ce mystère " (6).

Dans cette communion, chaque homme est appelé à entrer, et chaque baptisé en vit déjà (cf. 1 Jn 1, 1). Cette communion, bien sûr, n'est pas univoque. Elle n'en est pas moins réelle, puisque l'homme créé à l'image et ressemblance de Dieu, devient fils : nous devenons filii in Filio par le don de l'Esprit qui nous apprend à dire " Abba, Père ". Et la salutation de Paul aux Corinthiens (2 Co 13, 13) exprime bien ce mystère : " La grâce du Seigneur Jésus-Christ, l'amour de Dieu et la communion de l'Esprit-Saint soient toujours avec vous ".

" La communion implique toujours une double dimension : verticale (communion avec Dieu) et horizontale (communion entre les hommes). Il est donc essentiel, pour avoir une vision chrétienne de la communion, de la reconnaître avant tout comme don de Dieu, comme fruit de l'initiative divine réalisée dans le mystère pascal. Le nouveau rapport entre l'homme et Dieu, établi dans le Christ et communiqué dans les sacrements, se prolonge aussi par un nouveau rapport entre les hommes " (LCDF 3 §2).

Si le mystère de la communion divine se répercute dans toute réalité humaine, à plus forte raison le mystère sera-t-il éclairant dans l'ordre de la nouvelle Alliance, où agissent les sacrements, et, d'une manière primordiale, quand il s'agit de l'Eglise.

Le baptême n'est pas pure adoption nouant un lien personnel avec le Dieu vivant par le don de l'Esprit. Il nous fait membres vivants du Corps du Christ, il nous intègre à l'Eglise qui vit la double dimension verticale (communion avec Dieu) et horizontale (communion avec les hommes). Si le baptême incorpore les fidèles au Corps du Christ, " l'eucharistie est source et force créatrice de communion entre les membres de l'Eglise précisément parce qu'elle unit chacun d'eux avec le Christ lui-même : " Participant réellement au Corps du Seigneur dans la fraction du pain eucharistique, nous sommes élevés à la communion avec lui et entre nous. " Puisqu'il n'y a qu'un pain, à nous tous nous ne formons qu'un corps, car tous nous avons part à ce pain unique " (1 Co 10, 17) ( LCDF 5).

L'Eglise elle-même vit dans cette dynamique : par le Christ enracinée dans la Trinité, il lui faut " rassembler dans l'unité les enfants de Dieu dispersés " (Jn 11, 51). Dispersés dans l'espace et le temps, différents par la culture, l'histoire, le tempérament, le sexe, la race, les talents, les charismes, les vocations, les options pastorales, les classes sociales, l'Eglise doit les rassembler dans l'unité, en respectant leur identité personnelle et collective. " L'Eglise du Christ, proclamée une, sainte, catholique et apostolique dans le Symbole, est l'Eglise universelle, c'est-à-dire la communauté universelle des disciples du Seigneur, qui devient présente et agissante dans la particularité et la diversité des personnes, des groupes, des époques et des lieux. Chaque homme en effet est une personne unique, " l'homme est la seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même ", répète à plaisir la Lettre de Jean-Paul II aux familles (n. 9 ; 3, 5, 6, 9, etc.). Chacun est appelé par son nom. Chacun reçoit dans l'Eglise une mission propre, mais sous la mouvance de l'Esprit dans la communion avec toute l'Eglise : " C'est lui, le Christ, qui a donné aux uns d'être apôtres, à d'autres d'être prophètes ou encore évangélistes... organisant ainsi les saints pour l'œuvre du ministère en vue de la construction du Corps du Christ, jusqu'à ce que nous parvenions tous ensemble à l'unité dans la foi... ". (Ep 4, 12-13). Ici, c'est le thème du Corps qui est développé, mais l'évocation de l'unité dans la foi nous renvoie à la communion.

" Parmi les multiples expressions particulières de la présence salvifique de l'unique Eglise du Christ, on trouve dès l'époque apostolique des expressions qui sont en elles-mêmes ‘Eglises’, parce que, bien qu'elles soient particulières, l'Eglise universelle est présente en elles avec tous ses éléments essentiels. Elles sont par conséquent constituées " à l'image de l'Eglise universelle ", et chacune d'entre elles est " une portion du peuple de Dieu confiée à un évêque pour qu'avec l'aide de son presbyterium il en soit le pasteur " (LCDF 7).

Nous voilà donc invités à approfondir le lien entre l'Eglise particulière et son Evêque.

 

L'Evêque, centre de communion

" L'Evêque est principe et fondement de l'unité visible de l'Eglise particulière confiée à son ministère pastoral... ". (LCDF 13). Sacrement du Christ-Episcope (2 P 2, 25), sacrement du Christ-Tête (7), à ce titre, il est le serviteur de la communion dans toutes ses dimensions : verticale, horizontale, intérieure à l'Eglise et extérieure, etc.

Dans son diocèse, l'Evêque doit promouvoir la communion, car on peut voir dans l'Eglise une communauté de communautés. Une communauté toujours à parfaire, car si la grâce, constamment, permet la construction du Corps du Christ, les forces de dissolution sont aussi à l'action. L'Evêque doit vivre la communion dans toutes les dimensions de sa tâche épiscopale.

Et d'abord avec son presbyterium. L'exhortation apostolique Pastores dabo vobis donne un concentré de cette approche où nous retrouvons une bonne partie des thèmes déjà abordés. " C'est à l'intérieur de l'Eglise, comme mystère de communion trinitaire en tension missionnaire que se révèle toute identité chrétienne, et donc aussi l'identité spécifique du prêtre et de son ministère. En effet, le prêtre, en vertu de la consécration qu'il a reçue par le sacrement de l'Ordre, est envoyé par le Père, par Jésus-Christ, à qui il est configuré de manière spéciale comme Tête et pasteur de son peuple, pour vivre et agir, dans la force de l'Esprit-Saint, pour le service de l'Eglise et pour le salut du monde ".

" On peut comprendre ainsi le caractère essentiellement ‘relationnel’ de l'identité du prêtre : par le sacerdoce naissant de la profondeur du mystère ineffable de Dieu, c'est-à-dire de l'amour du Père, de la grâce de Jésus-Christ et du don de l'unité dans l'Esprit-Saint, le prêtre est intégré sacramentellement dans la communion avec l'évêque et avec les autres prêtres, pour servir le Peuple de Dieu qui est l'Eglise, conformément à la prière du Seigneur : " Père saint, garde-les dans ton nom que tu m'as donné pour qu'ils soient un comme nous... Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu'eux aussi soient en nous, afin que le monde croie que tu m'as envoyé " (Jn 17, 11-21) (PDV 12 ; 2, 3, 4).

Nous retrouvons, à propos du presbyterium, la double dimension de la communion horizontale, communion avec les autres prêtres, et verticale : " Il n'y a pas de ministère sacerdotal en dehors de la communion avec le Souverain Pontife et le Collège épiscopal, en particulier avec l'Evêque du diocèse " (PDV 28, 2), comme on le dit à la messe : " Tiens-nous les uns et les autres en communion d'esprit et de cœur avec le pape et notre évêque " (8).

La communion est à réaliser et à parfaire au sein du diocèse avec les multiples groupes qui existent. Ceux-ci demandent à être " reconnus " par l’évêque. A leur manière, ils ratifient par cette démarche la dimension verticale de la communion. Le recours à l'évêque manifeste en principe une communion véritable dans la foi, l'espérance et la charité pour manifester leur appartenance à l'Eglise. Le respect de leur identité impose à l'évêque de promouvoir leur grâce et de ne pas l'éteindre par souci d'intégration dans son plan pastoral. Il doit respecter les charismes propres et promouvoir la grâce de chacun, un peu comme il lui est demandé dans Mutuæ Relationes d'aider les religieux et les religieuses à vivre selon leur grâce propre.

Mais, en même temps, l'évêque doit inviter les différents groupes à se rencontrer entre eux. Cellules ou organes différents, mais complémentaires, d'une Eglise particulière, ils doivent vivre la dimension horizontale. Exemple à Rennes : une laborieuse rencontre des 18 organismes de chrétiens en lien avec les étudiants : reconnaissance et communion. Identité et communion. Altérité et unité. Unité n'est pas uniformité. Bien des groupes font appel à " l'ecclésiologie " de Vatican II pour réclamer le lien vertical avec l'évêque, mais se soucient peu du lien horizontal entre communautés parfois rivales. Une ecclésiologie de communion appelle constamment des échanges vitaux entre la dimension verticale et la dimension horizontale : pour tisser le Corps du Christ, il faut en quelque sorte comme pour tous les tissus, la trame et la chaîne. La trame ne suffit pas. La chaîne non plus. Les deux entrecroisées permettent de tisser.

A l'inverse, certains groupes croient pouvoir faire l'économie des ministères ordonnés, signes et témoins d'une grâce et d'une communion données d'en haut. Une Eglise particulière, pas plus que l'Eglise universelle, n'est création des hommes, mais don de Dieu. Ici encore, c'est la grâce de la communion qui permettra de rétablir les choses dans la lumière de la foi. Elle évite de réduire le mystère de l'Eglise à une quelconque société politique. Les catégories de la démocratie, pas plus d'ailleurs que d'autres modèles politiques, ne peuvent s'appliquer telles quelles à l'Eglise de Jésus-Christ, don gratuit de Dieu. La foi chrétienne ne se met pas aux voix (9).

On peut appliquer ici ce qui sera dit plus loin de la communion entre les Eglises particulières : " ... outre son fondement dans la même foi et dans un baptême commun, l'unité ou la communion (entre les groupes et les communautés du diocèse) plonge surtout ses racines dans l'eucharistie et dans l’épiscopat " (LCDF 11).

 

Avec les autres Eglises particulières

Chaque Eglise particulière est en lien mystique et pratique avec les autres Eglises, les échanges s'imposent à tous les niveaux, depuis la recherche d'une action commune, à l'échelon ou se posent les problèmes, jusqu'au partage des ressources matérielles et spirituelles. Une Eglise particulière, repliée sur ses propres problèmes, fermée à la mission au-delà de ses frontières ne vivrait pas la communion. Le véritable esprit de communion doit promouvoir l'identité de chacun et donc affronter la différence et l'altérité, mais dans un même esprit. La dynamique de l'incarnation demande aux Eglises particulières de s'incarner vraiment dans la culture des peuples qu'elles évangélisent, et qui sont toujours à évangéliser.

Le problème de l'inculturation se pose donc toujours et partout, avec une intensité variable évidemment. Il est clair que, plus les différences culturelles accentuent l'altérité entre les Eglises voisines, plus il faut, pour garder l'unité, intensifier les échanges et les recherches communes en intégrant, bien sur, le facteur " temps ", car il faut une égale connaissance de la foi, de la théologie et de la culture du pays concerné pour opérer ce discernement dans le respect de la vérité des choses. Les légitimes différences doivent être reconnues. Mais ce n'est pas simple, car les tensions sont inévitables dans l'appréciation des necessariis où règne l'unité et des dubiis ou règne la liberté. Ceci s'impose encore plus dans les sociétés comme les nôtres qui connaissent des nomadismes d'origines différentes depuis les déplacements massifs de populations jusqu'aux déplacements quotidiens ou hebdomadaires au travail dans les pays en mutation économique et sociale. Bien des problèmes se posent à une échelle qui dépasse la compétence d'une Eglise particulière: les problèmes de relation difficile, par exemple, avec la TV ou les media, les débats avec les pouvoirs publics ont besoin d'être traités au niveau qui est le leur, mais concernent par exemple les Conférences épiscopales.

Derrière ces nécessités pratiques se profile une réalité mystique, fruit de la communion : " L'ecclésiologie de communion offre le fondement sacramentel de la collégialité "(10). Membres du collège épiscopal, même s'ils sont " placés à la tête de chacune des Eglises particulières " (LG 23, 1-2), les évêques ont à assumer ensemble le souci de l'Eglise toute entière, responsabilité qui se traduit concrètement par les institutions, comme " le Synode des Evêques, les Conférences épiscopales, la Curie romaine, les Visites ad limina, etc. ". Cette responsabilité des évêques étant évidemment exercée cum Petro et sub Petro (11).

 

Avec l'Eglise qui préside à la charité

Les liens de communion d'Eglise particulière à Eglise particulière sont une réalité et une réalité vitale en progrès depuis le Concile. On ne saurait trop s'en réjouir. Mais cette communion n'est que la manifestation de la dimension horizontale d'Eglise à Eglise. Or celle-ci vit aussi la dimension verticale dans son lien avec l'Eglise qui préside à la charité. Le refus de cette dimension verticale représente une menace pour l'unité même de l'Eglise particulière, au préjudice de l'Eglise universelle.

On ne peut opposer en effet l'Eglise particulière à l'Eglise universelle, car, si l'Eglise particulière n'est pas ouverte à l'Eglise universelle, elle perd quelque chose de sa substance, et elle risque de ne plus pouvoir se considérer comme l'Eglise, au plein sens du mot. " Pour comprendre le vrai sens de l'application analogique du terme communion à l'ensemble des Eglises particulières, il faut avant tout considérer que ces Eglises, en tant que " parties de l'unique Eglise du Christ, ont avec le tout, c'est-à-dire avec l'Eglise universelle, un rapport particulier " d'intériorité mutuelle ", parce que, dans chaque Eglise particulière, est vraiment présente et agissante l'Eglise du Christ une, sainte, catholique et apostolique " (LCDF 9). " L'Eglise universelle ne peut être conçue ni comme la somme des Eglises particulières, ni comme une fédération d'Eglises particulières " (LCDF 11). " Elle n'est pas le résultat de leur communion, mais elle est, dans son mystère essentiel, une réalité ontologiquement et chronologiquement préalable à toute Eglise particulière singulière ".

C'est pourquoi, " de même que, l'idée de " Corps des Eglises " réclame l'existence d'une Eglise Tête des Eglises, qui est précisément l'Eglise de Rome qui " préside à la communion universelle de la charité ", de même l'unité de l'épiscopat comporte l'existence d'un évêque Tête du " Corps ou collège des évêques, qui est le Pontife romain " (12).

Cette dimension mystique d'une richesse insondable s'exprime nécessairement dans des réalisations humaines imparfaites en raison même de la nature sacramentelle de l'Eglise. Serviteurs de l'Eglise, nous ne sommes pas à l'abri des blessures infligées à la communion: un souci d'efficacité peut conduire, si l'on n'y veille, à sacrifier de légitimes différences. Au contraire une crispation sur son droit à la différence peut porter atteinte à l'unité véritable.

La communion entre les évêques et Pierre avec les instances supra diocésaines, par exemple les services de la Curie ou encore les Ordres religieux exempts ne vont pas sans nuages. Mais ces difficultés sont précisément autant d'appels au dépassement dans la communion et l'amélioration des structures de dialogue et de communication dans la foi.

L'évêque, centre de communion dans l'Eglise particulière : Le concept de communion est une clé précieuse, comme dit la Lettre de la Congrégation. Elle ouvre bien des portes et permettra des explorations nouvelles. Ce qui en ressort à propos de la mission des évêques est déjà bien parlant. Témoin et acteur de la communion dans l'Eglise qui lui est confiée, l'évêque la vit et la réalise sous la mouvance de l'Esprit-Saint, dans la communion avec les autres Eglises particulières et leur évêque, et, d'une manière toute particulière, avec l'Eglise de Rome et son pasteur. L'enracinement du mystère de l'Eglise dans le mystère de la Trinité est d'une extrême fécondité. Nous aurions pu évoquer d'autres domaines dans lesquels joue cette dynamique de la communion, par exemple à propos de l'œcuménisme ou encore de la co-responsabilité au sein de l'Eglise (13).

Mais ce bref parcours nous rend capables d'entendre plus distinctement le message de Jésus : " Nous vous l'annonçons... afin que vous aussi, vous soyez en communion avec nous ; et nous sommes, nous, en communion avec le Père et avec son Fils, Jésus-Christ " (1 Jn 1, 3).

 

NOTES

1. Documentation Catholique 2 et 16 août 1992, n. 2055. On le désigne ici sous le sigle LCDF.

2. " Communion " : 131 fois dans l'A. T. (surtout " sacrifice de communion "), 16 fois dans le N.T. mais dans une perspective beaucoup plus large, d'une densité particulière chez saint Jean : " Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons à vous aussi, afin que vous aussi, vous soyez en communion avec nous ; et nous sommes, nous, en communion avec le Père et avec son Fils Jésus Christ, et nous vous écrivons ceci pour que notre joie soit complète " (1 Jn 1, 3-4)

3. Lumen Gentium, n. 4, 8, 13-15, 18, 21, 24-25 ; Dei Verbum, n. 10 ; Gaudium et Spes, n. 32 ; Unitatis Redintegratio, n. 2-4, 14-15, 17-19, 22.

4. Cf. Rapport final du Synode extraordinaire 20 ans après le Concile, II,C 1, Doc. Cath. 1, 1986, p. 39. Cf. aussi la synthèse de Pastores dabo vobis : infra p. 5.

5. Delachaux et Niestlé 1967.

6. n. 8 §2, D.C., 20 mars 1994, p. 255. Déjà, au titre de la création, " la paternité et la maternité humaines ont en elles-mêmes d'une manière essentielle et exclusive une ressemblance avec Dieu sur laquelle est fondée la famille entendue comme communauté de vie humaine, comme communauté de personnes unies dans l'amour. A la lumière du N.T., il est possible d'entrevoir que le modèle original de la famille doit être cherché en Dieu même, dans le mystère trinitaire de sa vie " n. 6 § 2-3.

7. Pastores dabo vobis n. 13.

8. Prière Eucharistique I pour la Réconciliation.

9. Cf. Veritatis Splendor n. 101, 1.

10. Synode de 1985, II C 4, cf. Doc. Cath. 1986, p. 40.

11. Synode de 1985, II C 4, cf. Doc. Cath. 1986, p. 40.

12. LCDF 12 ; Cf. Lumen Gentium 1 13, 3 citant Ignace d'Antioche aux Romains : " Prologue " (Foi Vivante p. 185) quant à la primauté de l'Eglise de Rome. Cf. aussi Irenée, Adversus Haereses III 3, 2, Cerf 1984, p. 279.

13. Cf. par exemple Documentation Catholique sur le Synode, n. 6 et 7, D.C. 1986, pp. 40-41.