L’ENSEIGNEMENT DE PAUL VI

1970

 

Suite

 

 

 

DISCOURS ET HOMELIES DU PAPE EN DIVERSES CIRCONSTANCES

 

1° janvier : LA PAIX EST UN DEVOIR, ELLE EXIGE UNE EDUCATION

12 janvier : AU CORPS DIPLOMATIQUE

20 janvier : RECHERCHER DANS L'ECRITURE ET DANS LA THEOLOGIE LES RACINES PROFONDES DU DROIT CANONIQUE

25 janvier : LA SAINTETE : TRANSFIGURATION IMMORTELLE DE NOTRE EXISTENCE MORTELLE

29 janvier : LIBERTE ET AUTORITE, VALEURS QUI SE COMPLÈTENT

9 février : PERFECTIONNER LA VIE SACERDOTALE EN AUGMENTANT L'ESPRIT COMMUNAUTAIRE

20 mars : AU CONSEIL DES LAICS

26 mars : HOMELIE DU PAPE A LA MESSE DU JEUDI-SAINT

29 mars : « QUE NOTRE PAIX AILLE VERS VOUS »

6 avril : NECESSITE D'UNE ETUDE DOCTRINALE SUR LA « COMMUNICATION SOCIALE »

6 avril : MESSAGE POUR LA « JOURNEE MONDIALE 1970 » DES COMMUNICATIONS SOCIALES

11 avril : SIXIEME ASSEMBLEE PLENIERE DE LA CONFERENCE EPISCOPALE ITALIENNE

18 avril : LA CONTEMPLATION ET LA CONQUETE DU COSMOS RENCONTRE DE L'HOMME AVEC L'ŒUVRE DU CREATEUR

24 avril : LE SAINT-PERE EN SARDAIGNE : « NOUS SOMMES VENU POUR TOUS »

3 mai : LA CANONISATION DU BIENHEUREUX LEONARD MURIALDO

4 mai : LE PAPE REÇOIT LES « EQUIPES NOTRE-DAME »

10 mai : LA CANONISATION DE SŒUR THERESE COUDERC

15 mai : « LE CONCILE, PROGRAMME DE NOTRE PONTIFICAT »

17 mai : DEVOUEMENT, COURAGE ET SACRIFICE : CARACTERISTIQUES DE LA MISSION DU PRETRE

28 mai : SEUL JESUS PEUT ENSEIGNER LE SENS PROFOND DE L'AMOUR

1° juin : SAINTE THERESE D'AVILA DOCTEUR DE  L'EGLISE

5 juin : MESSAGE DU PAPE POUR LA JOURNEE MONDIALE MISSIONNAIRE

8 juin : VŒUX DU CORPS DIPLOMATIQUE

23 juin : LE SAINT-PERE AU SACRE COLLEGE : « IL FAUT ANNONCER LA FOI SANS EQUIVOQUE »

23 septembre : PAUL VI ATTIRE SOLENNELLEMENT L'ATTENTION DU MONDE SUR LA GRAVITE DE LA SITUATION EN JORDANIE

26 septembre : AU PREMIER CONGRES MONDIAL DES INSTITUTS SECULIERS

4 octobre : SAINTE CATHERINE DE SIENNE DOCTEUR DE L'EGLISE

4 octobre : POUR LES PEUPLES COMME POUR LES HOMMES PARLER DE DROITS C'EST AUSSI ENONCER DES DEVOIRS

25 octobre : L'EGLISE ET LE MONDE D'AUJOURD'HUI ONT SURTOUT BESOIN DE SAINTS

29 octobre : LE SAINT-PERE PRESIDE LA CLOTURE DE LA PREMIERE ASSEMBLEE DU « PRESBYTERIUM » DE ROME

7 novembre : LE PAPE EVOQUE LES PROBLEMES DU TOURISME ET LEURS IMPLICATIONS PASTORALES

16 novembre : POUR UNE ECONOMIE DE SERVICE ET DE FRATERNITE QUI ELIMINE LE SCANDALE DE LA FAIM ET DE LA MISERE

28 novembre : « NOUS SOMMES LES CONTINUATEURS DES APÔTRES »

28 novembre : AUX REPRESENTANTS DU VIETNAM

28 novembre : VISITE AUX ETUDIANTS DE MANILLE

28 novembre : LA CEREMONIE D'ORDINATION A MANILLE

28 novembre : SALUT A LA CATHEDRALE

29 novembre : MESSAGE MISSIONNAIRE

1° décembre : AUX EVEQUES REUNIS EN CONFERENCE EPISCOPALE

4 décembre : UN SEUL MOT : AMOUR

 

 

DISCOURS ET HOMELIES

DU PAPE EN DIVERSES CIRCONSTANCES

 

 

 

1° janvier

LA PAIX EST UN DEVOIR, ELLE EXIGE UNE EDUCATION

 

Homélie à l’église du Gesù

 

Chers fils et filles,

 

Nous sommes ici réunis pour ouvrir l'année civile nouvelle avec le vœu, avec le propos, avec l'espérance de la paix, avec la prière pour la paix. C'est là un idéal qui, plus que tout autre, devrait se refléter dans la réalité de la vie humaine, pour assumer et favoriser tous les biens auxquels l'humanité peut aspirer, aussi bien dans l'ordre personnel que dans l'ordre familial, social, politique, national et international, terrestre et supraterrestre. Nous avons toujours besoin de paix. Bien plus, au fur et à me­sure que notre civilisation se développe, s'affirme, s'enrichit, et par là même se complique de connaissances, d'instruments, d'ins­titutions, de questions, d'aspirations..., augmente en même temps le besoin d'un ordre, d'une paix, qui assure et élève l'heureuse et juste complexité de notre vie personnelle et collective à tous les niveaux, à commencer par le plan intérieur de notre conscience (comment peut-on bien vivre en homme, en chrétien, sans la paix de la conscience ?), pour s'élever aux autres plans sur lesquels se déroule notre vie. Et cela au milieu de multiples rapports (qui, pour être bons, exigent d'être pacifiques) ; au milieu de tant de problèmes (qui demeurent ouverts et source de tourments, s'ils ne sont pas résolus dans la paix) ; au milieu de mille diffi­cultés (qui demandent toutes à être surmontées dans la paix) ; au milieu de souffrances et de malheurs innombrables (auxquels seule la paix peut apporter un remède juste et efficace).

Nous voulons donner la vision de cette universalité de la paix, comme pour avoir en ce nom béni et grand la synthèse de notre conception optimiste du monde dans lequel nous vi­vons, et du temps qui s'ouvre aujourd'hui à un nouveau cours, à une année nouvelle, selon notre mode Conventionnel qui suit à sa manière la commutation solaire. La paix veut être le signe du temps qui vient, le vœu pour chaque événement futur, le programme de notre histoire.

Aujourd'hui Nous disons une seule chose : la paix est un devoir.

Comme chacun le voit, unir le concept de paix à celui de devoir, donne à notre réflexion un caractère de gravité, et semble enlever à la vision idyllique de la paix une grande part de sa sérénité. Certes cela la dépouille de toute parenté éventuelle et équivoque avec la mollesse et la lâcheté, car chaque devoir com­porte un effort que nous ne sommes pas toujours disposés à accomplir ; exige une vertu, pour laquelle souvent nous manque l'énergie, et souvent aussi le désir. Mais, après avoir compris dans une certaine mesure que la paix est au sommet de la cons­truction humaine, nous répétons : la paix est un devoir, un devoir grave.

Peut-être surgit spontanément dans notre esprit- une réponse qui tend à nous libérer de cette gravité : oui, elle est un devoir, mais qui ne nous concerne pas. Il concerne les chefs, il concerne les responsables de la conduite d'une communauté, spécialement ceux qui sont revêtus d'une responsabilité internationale. C'est au sein des nations et entre les nations que surgissent les conflits contraires à la paix : et nous le voyons bien, disent les personnes privées ; mais que peut un individu à lui tout seul, ou un groupe restreint et étranger, pour mettre la paix dans les rapports inté­rieurs d'un peuple, ou dans les rapports extérieurs entre les peu­ples ? C'est l'affaire des hommes politiques, c'est l'affaire des diplomates, c'est l'affaire des gouvernements, pourrait-on dire, faisant ainsi de la paix le synonyme d'une bienheureuse et égoïste indifférence.

Certes la paix est le devoir des chefs ; mais pas seulement le leur. Aujourd'hui la société qui s'organise démocratiquement attribue des pouvoirs et des devoirs à tous les membres de la communauté. Et même s'il n'en était pas ainsi, il resterait encore vrai que la paix est un devoir pour tous, soit parce qu'elle a non seulement à régner dans la politique, mais aussi en tant d'autres sphères inférieures, qui, en pratique, engagent davantage encore notre responsabilité personnelle ; soit parce que la paix trouve sa source opérante dans les idées, dans les esprits, dans les orien­tations morales, avant que de se déployer dans l'activité extérieure. La paix, avant même d'être une politique, est un esprit. Avant même de s'exprimer, victorieuse ou vaincue, dans les vicissitudes historiques ou dans les relations sociales : elle se forme, elle s'af­firme dans les consciences, dans cette philosophie de la vie que chacun doit se procurer à soi-même comme une lampe pour ses pas sur les sentiers du monde et dans les expériences de la vie.

Cela signifie, très chers frères et fils, que la paix exige une éducation. Nous l'affirmons ici, de l'autel du Christ, pendant que Nous célébrons la sainte Messe, qui commémore sa parole et renouvelle d'une manière non sanglante et sacramentelle son sacrifice, pacificateur du ciel avec la terre ; nous l'affirmons comme disciples, comme des élèves qui ont toujours besoin d'écouter, d'apprendre, de recommencer l'apprentissage de leur « metanoia » (conversion), c'est-à-dire de la transformation de leur mentalité instinctive et malheureusement traditionnelle. Il faut secouer les gonds de préjugés invétérés tels que la force et la vengeance considérées comme critères régulateurs des rapports humains, de sorte qu'à une offense reçue une autre doive cor­respondre, souvent plus grave : « œil pour œil, dent pour dent » (Mt 5, 38) ; que l'intérêt personnel doive prévaloir sur celui d'autrui, sans tenir compte du besoin des autres ni du droit commun... Il faut mettre à la racine de notre psychologie sociale la faim et la soif de la justice, avec la recherche de la paix, qui nous vaut le titre de fils de Dieu (cf. Mt 5, 6-9). Ce n'est pas une utopie, mais le progrès réclamé, aujourd'hui plus que jamais, par l'évolution de la civilisation ; c'est l'épée de Damoclès d'une terreur toujours plus grave et de plus en plus possible, suspendue au-dessus de nos têtes. De même que la civilisation a réussi à bannir, au moins en principe, l'esclavage, l'analphabétisme, les épidémies, les castes sociales..., calamités aussi invétérées et tolérées que si elles eussent été inévitables et inscrites au cœur de la triste et tragique communauté des hommes, de même aussi il faut réussir à bannir la guerre. La civilisation humaine l'exige. Un terrible et croissant danger de conflagration mondiale l'impose. N'avons-nous pas, simples et faibles mortels que nous sommes, des moyens pour conjurer l'hypothèse de catastrophes dévasta­trices aux dimensions de l'univers ? Oui, nous les avons : nous avons le recours à l'opinion publique qui, en cette occurrence, devient l'expression de la conscience morale de l'humanité, et nous savons tous quelle peut être sa puissance salutaire. Et nous avons aussi notre devoir particulier et personnel d'être bons, ce qui ne veut pas dire faibles, mais : promoteurs du bien, généreux, capables de rompre par la patience et le pardon la triste et iné­luctable chaîne du mal ; qui veut dire : aimer, c'est-à-dire être chrétiens. Nous avons, nous, une autre ressource, qui peut avoir la force de remuer les montagnes (cf. Mt 11, 20 ; 21, 21) ; c'est l'insertion de la causalité divine dans le jeu mystérieux de la cau­salité naturelle et de la liberté humaine ; et cette ressource est comme une monnaie à deux faces dont l'une est la prière (cf. Mt 7, 7), et l'autre est la foi (cf. Jc 1, 6). Quel que soit le résultat de la force spirituelle de la prière faite avec foi ; nous ne pourrons pas toujours le mesurer avec les méthodes expérimentales de notre monde sensible et historique. Le prétendre serait en effet concevoir et instrumentaliser l’action divine comme une énergie cosmique livrée à notre disposition arbitraire. Ce n'est pais ainsi que se déroule le dessein de la miséricorde divine pénétrant dans nos vies temporelles. Mais les effets ne manqueront pas ; la prière de la foi ne restera pas déçue ; bien au contraire, elle sera peut-être exaucée dans une mesure surabondante, même si momentanément nous demeurent cachés le quand et le comment. Mais le Seigneur Lui-même nous a exhortés à recourir à cette aide puissante, tandis que nous confessons ainsi à la fois notre insuffisance radicale à atteindre notre salut et la bonté toute-puissante du Père qui peut nous libérer du mal (Mt 6, 13), et changer à notre avantage même nos souffrances (cf. Rm 8, 28) et nos malheurs.

Et c'est finalement cette pensée, qui nous réunit ici mainte­nant pour prier dans la ferveur de notre foi le Christ « notre paix » (Ep 2, 14), le Christ « prince de la paix » (Is 9, 6), le Christ qui, en naissant, fait annoncer par les Anges « la paix sur terre » (Lc 2, 14), le Christ qui, ressuscité, répète aux siens le salut du suprême bonheur : « paix à vous » (Jn 20, 19-21), le Christ qui écoutera, au delà de tout mérite de notre part, notre invo­cation : « dirige nos pas sur la voie de la paix » (Lc 1, 79).

Nous te prions ainsi :

Seigneur, nous avons encore les mains ensanglantées depuis les dernières guerres mondiales, de sorte que tous les Peuples n'ont pas encore pu se serrer fraternellement la main entre eux.

Seigneur, nous sommes aujourd'hui armés à un degré jamais atteint dans les siècles précédents, et nous sommes chargés d'ins­truments meurtriers, capables d'incendier la terre en un instant, et de détruire peut-être l'humanité.

Seigneur, nous avons fondé le développement et la prospérité de nos nombreuses industries colossales sur la capacité démonia­que de produire des armes de tout calibre, et toutes destinées à tuer et à exterminer les hommes nos frères : nous avons ainsi établi l'équilibre cruel de l'économie de tant de nations puissantes sur le marché des armes avec les nations pauvres, privées de charrues, d'écoles et d'hôpitaux.

Seigneur, nous avons laissé renaître en nous les idéologies qui font des hommes les ennemis les uns des autres : le fanatisme révolutionnaire, la haine de classes, l'orgueil nationaliste, l'exclu­sivisme racial, les rivalités tribales, les égoïsmes commerciaux, les individualismes jouisseurs et indifférents aux besoins des autres.

Seigneur, nous écoutons chaque jour, angoissés et impuissants, les nouvelles de trois guerres encore allumées dans le monde.

Seigneur, c'est vrai, nous n'allons pas par un droit chemin.

Seigneur, regarde cependant nos efforts, insuffisants certes, mais sincères, pour la paix dans le monde ! Il y a des institutions magnifiques, sur le plan international. Il y a des projets pour le désarmement et pour les négociations de paix.

Seigneur, il y a par-dessus tout tant de tombes qui nous serrent le cœur, de familles brisées par les guerres, les conflits, les répressions capitales; de femmes qui pleurent, d'enfants qui meurent ; de réfugiés et de prisonniers accablés sous le poids de la solitude et de la souffrance ; et il y a tant de jeunes qui s'insur­gent pour que la justice soit promue et que la concorde soit la loi des nouvelles générations.

Seigneur, Tu le sais, il y a de bonnes âmes qui font le bien dans le silence, avec courage, désintéressement, et qui prient avec un cœur repenti et un cœur innocent. Il y a des chrétiens, et com­bien, Seigneur, dans le monde, qui veulent suivre ton Evangile et pratiquent le sacrifice et l'amour.

Seigneur, Agneau de Dieu, qui enlèves les péchés du monde, donne-nous la paix.

 

 

 

12 janvier

AU CORPS DIPLOMATIQUE

 

Excellences et chers Messieurs,

 

A vous tous Nous présentons notre salut cordial et respectueux, nos vifs remerciements, nos vœux fervents pour l'année 1970. Et Nous remercions particulièrement votre Doyen, qui s'est fait aimablement l'interprète des pensées et des sentiments du Corps Diplomatique accrédité près le Saint-Siège, les exprimant en des paroles si nobles et si déférentes envers notre humble personne.

Votre présence même, qui se renouvelle chaque année en cette circonstance et Nous est particulièrement agréable, constitue à sa manière une reconnaissance hautement qualifiée de la mis­sion de l'Eglise dans le monde. Représentants de nations si nom­breuses et si diverses, vous êtes comme une synthèse du monde, et vous attestez que l'Eglise et le Siège Apostolique ne sont pas étrangers aux multiples et graves problèmes concernant le monde. C'est là, pour Nous, un témoignage précieux qui Nous réconforte dans l'accomplissement de nos devoirs ; un témoignage qui Nous invite à réfléchir avec vous sur une question souvent débattue aujourd'hui : le Saint-Siège a-t-il raison de se servir de cette forme d'activité qui s'appelle la diplomatie ? Celle-ci n'est-elle pas totalement étrangère à la nature et à la fin de l'Eglise ? Ne risque-t-elle pas de l'assimiler aux institutions et aux organismes d'ordre temporel avec lesquels elle ne peut ni ne doit être con­fondue ?

Lorsqu'il s'agit des Etats, une telle question ne se pose pas, car — en dépit des formes nouvelles que revêtent aujourd'hui les rapports internationaux — l'activité diplomatique demeure pour eux un instrument privilégié, consacré par une expérience historique pluriséculaire. Mais pour l'Eglise, dont le rôle est essentiellement religieux, le recours à la diplomatie est-il vrai­ment justifié ?

Vous, Messieurs les Ambassadeurs, pouvez en toute connais­sance de cause répondre à cette question : vous pouvez dire qu'il y a des motifs valables à ce que le Saint-Siège vous reçoive et traite avec vous, à ce qu'il envoie lui-même ses propres repré­sentants pour exercer des fonctions analogues auprès de vos Gouvernements.

L'activité diplomatique du Saint-Siège, en effet, répond, d'une manière très adaptée, aux développements actuels de la vie in­ternationale et aux nécessités présentes de la mission que l'Eglise doit remplir dans le monde contemporain : de cette mission dont a parlé le Concile Vatican II, affirmant solennellement que l'Eglise est appelée à donner une aide déterminante à la société, et qu'elle entend bien le faire de toutes ses forces, en fortifiant et com­plétant l'union de la famille humaine : « Comme, de par sa mission et sa nature — est-il écrit dans la Constitution Gaudium et spes —, l'Eglise n'est liée à aucune forme particulière de culture, ni à aucun système politique, économique ou social, par cette uni­versalité même, elle peut être un lien très étroit entre les diffé­rentes communautés humaines et entre les différentes nations, pourvu que celles-ci lui fassent confiance et lui reconnaissent en fait une authentique liberté pour l'accomplissement de sa mis­sion » (n. 42). Telle est bien l'action qu'entend exercer le Saint-Siège : contribuer à rendre plus étroits les liens entre les na­tions, dans une loyale réciprocité, attentive à reconnaître les droits et devoirs de chacun. Les Pontifes Romains, particulière­ment à l'époque moderne et contemporaine, ont pris une cons­cience de plus en plus vive de cette responsabilité, qui découle directement de leur mission. Et ils ont répondu à cet impératif inhérent à leur mandat : s'intéresser aussi à la société civile, non pour s'ingérer indûment dans un domaine qui n'est pas de leur compétence, mais pour favoriser le respect des principes de base de la vie civile et internationale, la justice envers tous, la concorde mutuelle, la collaboration entre les peuples : en un mot, pour concourir à la recherche pacifique de ce bien commun, dont l'autorité temporelle doit être le garant, pour servir et défendre la paix. Ecoutons encore la Constitution Gaudium et spes : « La paix n'est pas une pure absence de guerre et elle ne se borne pas seulement à assurer l'équilibre de forces adverses ; elle ne pro­vient pas non plus d'une domination despotique, mais c'est en toute vérité qu'on la définit "œuvre de justice" (Is 32, 17). Elle est le fruit d'un ordre inscrit dans la société humaine par son divin fondateur, et qui doit être réalisé par des hommes qui ne cessent d'aspirer à une justice plus parfaite... Toutefois, la paix terrestre qui naît de l'amour du prochain est elle-même image et effet de la paix du Christ qui vient de Dieu le Père » (n. 78).

Le Pape pourrait-il vraiment se désintéresser d'une telle tâ­che, qui part du cœur même de Dieu ? Pourrait-il oublier que la paix, annoncée à la crèche de Jésus-Christ en la sainte nuit de Noël, doit être sur terre le reflet de la paix de Dieu ?

Au regard de quiconque veut bien aborder objectivement les problèmes, il est clair que toute l'activité de l'Eglise dans le monde est au service de la paix.

1. De la paix à l'intérieur des diverses communautés natio­nales tout d'abord, en les aidant « à triompher de l'égoïsme, de l'orgueil et des rivalités, à surmonter les ambitions et les injusti­ces, à ouvrir à tous les voies d'une vie plus humaine, où chacun soit aimé et aidé comme son prochain, son frère » (Populorum progressio), 82).

A cette action quotidienne des chrétiens, les représentants du Saint-Siège, guidés par les pasteurs responsables, apportent, dans l'exercice de leur mission, un concours très efficace, en même temps qu'ils aident les églises locales à resserrer leurs liens avec Nous.

Ainsi peut être fournie une précieuse contribution à la pro­motion humaine sous ses divers aspects : spirituel, moral, cultu­rel, social. Ainsi est favorisé le développement du pays. Ainsi se construit la société de demain, dans l'équilibre dynamique des groupes qui la composent. Dans le domaine qui lui revient et avec un désintéressement évangélique, le représentant du Saint-Siège appuie les initiatives qui tendent à cette éducation des communautés, des familles et des personnes. A cette mission correspond aussi, Messieurs les Ambassadeurs, votre propre activité qui demeure très différente, comme Nous l'avons dit, de l'action diplomatique menée près de tout autre Etat, et qui cher­che elle aussi à établir la paix, en maintenant continuellement avec le Siège Apostolique des contacts étroits qui, soyez-en sûrs, sont toujours hautement appréciés.

2. Cette action au service de la paix s'étend aussi à la paix extérieure, internationale, visant à éliminer les différends de toute sorte entre les peuples. Sur ce point, l'action du Saint-Siège voudrait apporter toute l'aide qu'elle est en mesure de fournir. Elle permet au Pape de ne pas se limiter à des déclarations de principe, à lancer des affirmations solennelles et purement théoriques, mais d'intervenir sur le plan concret de l'action pour la paix, voire même entre les parties en désaccord. C'est ainsi qu'a fait notre Prédécesseur Pie XII dans la tragique guerre mondiale qui a bouleversé le monde ; et les documents actuelle­ment en cours de publication en sont la preuve la plus convain­cante. C'est ce qu'a fait Jean XXIII, de vénérée mémoire, dans les moments de grave tension internationale, en offrant sa très haute médiation. C'est ce que Nous cherchons modestement à faire Nous aussi dans les guerres qui continuent, hélas, d'exercer leurs ravages. Tout ceci a été possible, est possible grâce aux moyens offerts par l'activité diplomatique. Ici encore, quelle aide précieuse le Pape trouve, Messieurs les Ambassadeurs, en votre collaboration qui est parfois le chemin irremplaçable pour attein­dre des buts si nobles et si urgents !

L'activité diplomatique permet donc au Saint-Siège d'inter­venir sur le plan international, en aidant les efforts accomplis pour l'heureux affermissement de la communauté des nations, en contribuant à assurer à de tels efforts ce contenu éthique et spirituel, sans lequel ils seraient voués à la faillite, en se main­tenant à égale distance de toute partialité, de tout excès.

Pour remplir sa mission, l'Eglise emploie aussi des moyens qui revêtent aujourd'hui de nouvelles expressions, en particulier dans ses rapports avec les Organismes internationaux. En pour­suivant toujours sa fin propre, le salut spirituel des hommes, elle travaille aussi à promouvoir la dignité de la personne et le pro­grès des peuples dans la justice et dans la paix. Ses contacts qua­lifiés dans le domaine international permettent au Saint-Siège de mieux faire entendre sa voix, de mieux faire valoir ses suggestions, et de traiter avec ceux qui ont en main le sort des peuples, dans une position de respect mutuel.

Le désintéressement complet, radical, d'une telle activité pour tout ce qui pourrait avoir une fin temporelle et territoriale pro­pre, et son total dévouement aux problèmes de la vie de l'humanité sont mis en valeur, même visiblement, par la nature et la physionomie universelle, catholique et supranationale de l'Egli­se et du Siège Apostolique. Nous voudrions, dans ce domaine, manifester toujours plus clairement cette pauvreté évangélique qui est une loi de notre divin Maître. Et Nous voudrions aussi que vous, Excellences et chers Messieurs, sachiez bien que lors­que le Siège Apostolique agit aux fins que Nous avons indiquées, il est mû non par des considérations calculées et occultes de pro­fit personnel et de puissance, mais par le désir de servir la justice, la paix et la communauté internationale.

Et même lorsqu'il entretient un dialogué loyal avec les Etats, en vue de faire reconnaître les droits et la liberté de l'Eglise, il n'ambitionne nullement des privilèges ou des intérêts égoïstes, mais il agit au service et au bénéfice de l'homme, sujet commun de la société civile et de l'Eglise, comme au profit moral des Etats dans lesquels est à l'œuvre la communauté religieuse fondée par le Christ Seigneur.

Experte en humanité, connaissant bien par conséquent ce qu'il y a dans le cœur de l'homme, promotrice d'un humanisme authentique et ouvert au transcendant, l'Eglise établit des contacts adéquats et féconds avec votre diplomatie, pour aider le monde moderne à résoudre ses contradictions et à réaliser une paix dynamique et constructive, centrée sur la reconnaissance et sur la promotion des valeurs humaines, personnelles et sociales.

Laissez-nous vous dire, au terme de cet entretien, combien Nous apprécions votre noble travail et la collaboration intelligente et généreuse que vous apportez à notre activité, au bénéfice d'abord de vos nations respectives, et aussi de la paix mondiale. De ces efforts communs, si profitables, cette rencontre qui inau­gure l'année nouvelle est certainement un symbole hautement significatif. Volontiers, Nous en recueillons la valeur salutaire : c'est pour Nous un encouragement, et pour vous un heureux présage. Dans ces sentiments, Nous invoquons sur vos person­nes, comme sur vos familles, et sur les nobles Nations que vous représentez, l'aide constante du Dieu tout-puissant, qui ne man­que jamais de nous assister.

Et maintenant, permettez-Nous d'ajouter un mot encore à tout ce que Nous venons de dire en cette circonstance particulière. Les événements douloureux de ces derniers jours qui ont pour théâtre ces terres d'Afrique qui Nous sont si chères appellent tous les hommes de bonne volonté à tenter l'impossible pour éviter que le conflit nigérien — qui semble toucher à son terme — : ne devienne une affreuse tragédie, et ne se termine dans un épilogue plus cruel encore que l'horreur entraînée par tout con­flit.

Nous-même, dans notre récent voyage en Afrique comme en chaque occasion, Nous avons fait tout ce qui était en notre pou­voir pour épargner des vies humaines, et susciter une négocia­tion pacifique. Nous n'avons jamais manqué d'assister et de se­courir, par tous les moyens en notre disposition, les nécessiteux et les affamés. Vous pouvez comprendre avec quelle émotion Nous vous, adressons cet appel, Excellences et chers Messieurs, et par votre intermédiaire, à tous, vos gouvernements, afin que le concours empressé de tous les hommes de bonne volonté réus­sisse à empêcher de nouvelles effusions de sang, et à épargner les vies innocentes dans le respect du droit international.

Nous savons que les Autorités nigériennes ont de nouveau manifesté leur volonté d'assurer à tous, y compris, ceux de la partie adverse, le respect des droits humains et civils, comme déjà elles avaient depuis quelque temps demandé la présence d'Observateurs de diverses nations et d'Organisations interna­tionales : cela représente déjà un bon présage et une heureuse promesse. Puisse l'histoire attester, demain la magnanimité de tous ceux qui auront pris part à ce dénouement décisif. Le Saint-Siège est disposé pour sa part à tout faire afin d'humaniser cette douloureuse situation, et dans ce but il est prêt à mettre en œuvre tous les moyens dont il dispose. Que les armes se taisent, et que très haut se fassent entendre les voix de la solidarité et de la cha­rité. Puissent les efforts des peuples généreux et notre prière au Dieu de la paix attirer sur la terre africaine ces dons précieux.

 

 

 

20 janvier

RECHERCHER DANS L'ECRITURE ET DANS LA THEOLOGIE LES RACINES PROFONDES DU DROIT CANONIQUE

 

Au Congrès International de droit canonique

 

Monsieur le Professeur et Recteur Magnifique de l'Université de Rome,

 

Nous vous remercions des paroles élevées, sincères et amicales que vous venez de prononcer, parmi lesquelles ont été entendues quelques-unes de celles qu'en cette circonstance extraordinaire Nous voudrions adresser aux illustres visiteurs que vous conduisez.

Et Nous remercions en même temps ces mêmes visiteurs qui, par leur présence, par leur qualification et par leur nombre Nous prouvent l'importance, le résultat et l'esprit du Congrès international de droit canonique célébré ces jours-ci à Rome, siège plus que tout autre célèbre et fécond du Droit, aussi bien civil qu'ecclésiastique. Nous les saluons tous et Nous les honorons tous d'un titre que Nous apprécions grandement, celui de la science juridique relative à la vie sociale de l'Eglise, le Droit canonique.

Nous devons tout de suite manifester Notre satisfaction pour la célébration d'un tel congrès et pour le siège qui l'a dignement reçu, l'Athénée civil de Rome. Ce fait est déjà par lui-même une reconnaissance d'un aspect de l'Eglise qui, bien qu'extérieur et historique, est d'un relief indéniable dans la vie spirituelle et dans le progrès civil de l'humanité. Et si cela est pour Nous une cause de satisfaction, c'est pour vous, pour l'Université de Rome et pour tous les autres instituts scientifiques qui sont représentés ici, un signe de noble culture et d'intelligence ouverte.

Et Nous sommes aussi très heureux de l'événement dont vous êtes les protagonistes à cause du sujet qui le caractérise et du mo­ment historique où il se produit : « L'Eglise après le Concile ». L'Eglise et le Concile, comme tous peuvent le comprendre, absorbent Notre attention, Notre intérêt, Notre passion. Pou­vons-Nous penser à autre chose, en raison de Notre charge apostolique et dans l'heure critique que nous traversons, qu'à l'Egli­se et au Concile qui vient d'être célébré ? Voir que des savants renommés comme vous se réunissent en congrès pour étudier avec la compétence qui leur est propre et l'intensité d'une ré­flexion soutenue par vos conversations mutuelles et toujours — Nous n'en pouvons douter — avec une libre et honnête probité scientifique, Nous édifie et Nous console et suscite en Nous l'obli­gation de Nous informer des résultats de vos études : Nous ré­pondrons volontiers à cette obligation, Nous estimant heureux si les nombreux et surabondants soucis de Notre ministère Nous en laissent le temps nécessaire et désiré.

 

Large programme d'étude

 

Les sujets de votre programme large et varié Nous y invitent ainsi que l'autorité de vos noms. Les renseignements peu nom­breux mais importants donnés par la presse sur les discussions et les développements de votre congrès Nous en disent déjà le sérieux et la valeur, de sorte que Nous Nous abstenons, en ces quelques paroles de circonstance, d'entrer dans le fond des matières étudiées. Nous Nous abstenons donc de vous en faire le commentaire. Quelques-uns seraient peut-être nécessaires de No­tre part, quelque approfondissement, quelque réserve. Notons seulement les heureuses formulations des sujets, nées de la grande réflexion que l'Eglise catholique réunie en Concile a faite sur elle-même, telles que sont principalement celles qui concernent la tradition et la rénovation du Droit canonique (traitée magis­tralement par le professeur Orio Giacchi), le droit divin et le droit humain dans l'Eglise, le droit canonique dans les principes conciliaires au sujet du pouvoir dans l'Eglise (dans le clair exposé du professeur Mario Petroncelli) et ainsi de suite.

Nous Nous bornons actuellement à recueillir le témoignage qui résulte de cette manière de votre congrès sur un double ordre de principes, ceux qui concernent les vérités fondamentales relatives à la nature et à la constitution de l'Eglise et ceux qui concernent la rénovation du Droit canonique d'après les enseigne­ments et les vœux du Concile. Des paroles mêmes autorisées du professeur Pietro Agostino D'Avack nous avons entendu tout à l'heure le témoignage que vous donnez avant tout à la légitimité et à la nécessité de l'existence d'un droit canonique dans l'Eglise. Vous avez reconnu que l'Eglise fondée par le Christ est une so­ciété visible. L'idée que l'Eglise puisse être invisible, comme il a été affirmé en d'autres temps par des savants et par des cou­rants d'une interprétation purement spiritualiste et libérale du christianisme, se révèle utopique, pour ne pas dire simplement contradictoire dans les termes. Ainsi la tendance, assez répandue aujourd'hui parmi les personnes et dans les rangs chrétiens, à affirmer leur propre voix charismatique, qui veut se dire libre ou digne de foi, pour affranchir la conscience personnelle et celle des autres, la conduite personnelle et celle des autres du pouvoir de réglementation de l'Eglise, se manifeste comme étrangère à l'authentique conception communautaire et hiérarchique de l'E­glise elle-même et nous rappelle l'énergique raisonnement de saint Paul dispensateur, oui, des mystères de Dieu (1 Co 4, 1), mais en même temps organisateur des premières communautés chrétiennes, comme noyaux bien distincts, gouvernés par l'auto­rité apostolique et appartenant à un unique et même corps social, le corps mystique du Christ. A un certain point il écrit, comme faisant de la polémique : « Est-ce de chez vous qu'est sortie la parole de Dieu ? Est-ce à vous seuls qu'elle est parvenue ? Si quelqu'un se croit prophète ou inspiré par l'Esprit, qu'il recon­naisse en ce que je vous écris un commandement du Seigneur » (1 Co 14, 36-37). L'Eglise est un Peuple constitué, en vertu d'une action et d'un dessein divins, comme corps social organisé, grâce à un ministère de service pastoral qui promeut, dirige, instruit, éduque et sanctifie l'humanité dans le Christ auquel il adhère dans la foi et dans la charité (cf. de lubac, Méditations sur l'Eglise, p. 203).

C'est cela qui résulte du Concile. Le Concile a approfondi la doctrine de l'Eglise, a mis en relief l'aspect mystique qui lui est propre et, par conséquent, a obligé le canoniste à rechercher plus profondément dans la Sainte Ecriture et dans la théologie les raisons de sa propre doctrine. Ce fait l'a secouée dans ses habi­tudes, d'ordinaire portées le plus souvent à fonder son enseigne­ment sur une tradition séculaire et indiscutée et à l'appuyer d'abord par l'apport et par la comparaison du Droit romain (quod ratio scripta est merito nuncupatum, comme disaient les canonistes), puis par celui des peuples vers lesquels l'Eglise a orienté sa mission évangélisatrice. Pour trop de motifs évidents elle continuera à le faire dans sa pensée et dans son histoire, mais fidèle, en cette heure postconciliaire, à l'impulsion doctri­nale et disciplinaire du grand Synode, elle cherchera en elle-même, dans son intime et mystérieuse constitution, le pourquoi et le comment de sa discipline canonique ancienne et renouvelée (cf. Optatam totius, 16).

 

Nécessité d'une « lex fundamentalis »

 

Cela Nous semble être la nouveauté qui entre aujourd'hui dans l'étude et dans la formulation du Droit canonique, nou­veauté d'où germe la révision du code en vigueur. Et ce n'est pas dans un but surtout pratique ad communem et maxime studentium utilitatem (cf. Décrétale de Grégoire IX), comme sont nées dans l'histoire du droit les grandes compilations juridiques, ou, comme Dante fait dire à Justinien : « Je retranchai des lois ce qu'elles offraient d'inutile ; et d'obscur » (Paradis, 6, 12), mais pour faire dériver la loi canonique de l'essence même de l'Eglise de Dieu, pour laquelle la loi nouvelle et originale, la loi évangélique est l'amour, est la gratia Spiritus Sancti, quae datur per fidem Christi (St thomas, I-IIae, 106,1 ; et 108, 1). De la sorte, si c'est là le principe intérieur qui guide l'Eglise dans son action, celui-ci devra se manifester toujours davantage dans sa discipline visible, extérieure et sociale, avec ses conséquences qu'il est plus facile actuellement d'entrevoir que de dire. Nous verrons surgir avant tout de cette introspection mystique et éthique de l'Eglise un besoin qui est celui de l'Eglise elle-même, de se définir dans une « Lex fundamentalis » que la théologie, plus encore que le droit, approfondit et qui, bien qu'elle soit formulée dans des canons explicites, résoudrait, peut-être même susciterait de nom­breuses et graves questions au sujet de la vie catholique de notre temps.

 

Autorité de la tradition

 

Cette parenté plus étroite entre la théologie et le droit canoni­que donnera à celui-ci des caractéristiques nouvelles vers lesquel­les votre congrès a certainement tourné ses regards, reconnaissant dans le droit canonique non seulement une loi dominante, une expression de pouvoir autocentrique, un « iussum » despotique et arbitraire, mais plutôt une règle qui tend surtout à interpréter une double loi, celle qui est supérieure, la loi divine, et celle qui est intérieure, morale, la loi de la conscience. C'est donc une loi qui promeut, qui protège, qui équilibre le mieux possible pour notre condition humaine les droits et les devoirs corrélatifs, la liberté et la responsabilité, la dignité de la personne et, en même temps, l'exigence souveraine du bien commun et — ce qui est propre à l'Eglise — son immuable constitution unitaire et com­munautaire avec sa faculté d'adaptation universelle dans les acti­vités contingentes de langue et de mœurs... les exigences spéciales des diverses civilisations et les conditions historiques particulières de la société humaine. La Tradition aura dans le droit canon, comme toujours, mais maintenant avec un prestige renouvelé, une voix extrêmement influente et appréciée, un titre de sagesse et d'authenticité, et aussi son aliment auquel la communauté ecclésiale demande à participer dans le vrai, dans la perpétuelle et jamais atteinte perfection de la vocation chrétienne.

Que de choses, que de choses suggérerait, même pour un simple discours comme celui-ci, un sujet d'une telle ampleur et d'une telle importance !

Mais Nous conclurons par l'expression de Notre approbation et par Notre exhortation à continuer vos études sur le droit canonique et ecclésiastique, d'autant plus dignes de votre diligence que le Concile en a montré davantage la nouvelle fécondité et les nouvelles références à la vie de l'Eglise et à celle de la so­ciété moderne dans des parties qui ne sont pas de peu d'impor­tance.

 

Eglise et société civile

 

Laissez-Nous, Nous qui avons été mis par la Providence, à Notre confusion mais avec un immense (Nous voudrions pouvoir dire : incomparable : cf. Jn 21, 15) amour comme chef visible de l'Eglise, dont le Christ est le seul et souverain Chef et auteur éternel, laissez-Nous vous inviter à regarder l'Eglise, même dans son aspect extérieur, temporel et juridique, pour ce qu'elle est réellement et pour ce à quoi elle est réellement destinée. Le Concile vous aide, vous oblige presque à cette nouvelle vue plus profonde et plus réaliste. Si les hommes d'Eglise ne devraient plus être coupables de juridisme et de formalisme, même lorsqu'ils doivent légiférer et gouverner, vous voyez que ces accusations retombent sur ces études canoniques qui se conforment aux vieilles positions du positivisme ou de l’historicisme juridiques. Sachez voir aussi dans l'Eglise, au-delà de l'écran de son caractère profane, la « societas spiritus » (Ph 2, 1 ; St augustin, Serm. 71, PL 38, 462). Ne croyez pas que, comparée à la société civile dont elle se sépare ou à laquelle elle s'oppose (cf. Gaudium et spes), ou dans laquelle elle trouve son animation pour la do­miner (cf. Ep. ad Diognetum, V-VI), ou en s'accordant avec elle, l'Eglise veuille encore aujourd'hui concéder ou demander des privilèges ; croyez plutôt que désormais, privée de puissance temporelle et pas ambitieuse d'en récupérer le poids et l'avantage, elle n'a pas d'autre désir que celui d'être effectivement assurée du libre exercice de sa mission spirituelle et morale, grâce à d'équitables, de loyales, de stables délimitations des compétences respectives. Ne craignez pas l'Eglise, aimez-la plutôt vous aussi. Nous vous dirons avec saint Augustin : Amate hanc Ecclesiam, estote in tali Ecclesia, estote talis Ecclesia ! (Serm.  138, PL 38, 769). Et ayez vous aussi la perception de la référence unique, personnelle et vitale que cette mystérieuse institution, que nous pouvons certainement appeler le sacrement du salut (cf. Lumen gentium, 48), a avec chacun de nous, comme intermédiaire obli­gatoire et décisif de la question centrale et inévitable de notre destinée, la question religieuse. C'est pourquoi la parole de Cyprien est toujours vraie et urgente : « Pour avoir Dieu comme Père, il faut d'abord avoir l'Eglise comme mère » (De cath. unitate, c. 6, PL 4, 503).

Que pour tout cela, Messieurs et Fils, Notre Bénédiction Apostolique vous soit propice.

 

 

 

25 janvier

LA SAINTETE : TRANSFIGURATION IMMORTELLE DE NOTRE EXISTENCE MORTELLE

 

Homélie du Saint-Père à la canonisation de Maria Soledad Torres Acosta

 

Vénérés frères et chers fils,

 

En ce moment de tribulations pour l'Eglise et d'amertume pour Nous, voici un moment de grande consolation : Maria Soledad Torres Acosta est reconnue et proclamée sainte, et ins­crite au tableau des saints. Elle est présentée à toute l'Eglise terrestre comme appartenant à l'Eglise céleste, elle est déclarée digne du culte de vénération parce qu'elle est unie totalement et pour toujours au Christ ressuscité et participe à sa gloire. C'est ce que signifie l'acte extraordinaire et solennel que Nous venons d'accomplir. Nous avons canonisé cette bienheureuse fille de l'Eglise et Nous sentons la lumière, le charme, le mystère de la sainteté qui rayonne sur nous, sur cette assemblée remplie d'allégresse, sur la terre qui fut la patrie de la nouvelle sainte, l'Espagne, sur la famille religieuse qu'elle a fondée, les Servantes de Marie, ministres des malades, sur l'Eglise entière, sur le monde. Bénissons le Seigneur, écoutons la voix qui descend des profon­deurs du ciel et faisons-lui écho par la nôtre : « Alléluia ! Car il a pris possession de son règne, le Seigneur, le Dieu Maître-de-tout. Soyons dans l'allégresse et dans la joie, rendons gloire à Dieu, car voici les noces de l'Agneau et son épouse s'est faite belle : on lui a donné de se revêtir de lin d'une blancheur écla­tante. Le lin, c'est en effet les bonnes actions des fidèles » (Ap 19, 6-8). C'est la voix de l'Apocalypse, de la dernière révélation qui dévoile le sens extrême des choses et le destin de notre salut final. C'est une voix mystérieuse mais claire qui nous dit finale­ment le secret, la valeur de la sainteté.

La sainteté se manifeste finalement comme plénitude de vie, comme un bonheur infini, comme une immersion dans la lumière du Christ et de Dieu, comme une beauté incomparable et idéale, comme une exaltation de la personnalité, comme une transfigu­ration immortelle de notre existence mortelle, comme une source d'admiration et de joie, comme un réconfort solidaire de notre pénible pèlerinage dans le temps, comme notre prégustation enivrante de la « communion des saints », c'est-à-dire de l'Eglise vivante qui, soit dans le temps, soit dans l'éternité, est du Seigneur (cf. Rm 14, 8-9).

Un phénomène de cette vision Nous surprend en ce moment, c'est le double aspect de la sainteté : l'aspect qu'elle acquiert dans le paradis et l'aspect qu'elle présente sur la scène du monde actuel.

Ce sont deux aspects d'une même réalité morale, des œuvres de la sainteté, comme nous l'indique le texte de la Sainte Ecriture que Nous avons cité. Les œuvres accomplies dans cette vie gar­dent leur valeur dans l'autre, mais elles revêtent ceux qui les accomplissent d'une manière bien différente ici-bas et là-haut. Là-haut, c'est de splendeur et de gloire, ici-bas, au contraire, comment apparaissent-elles ? comment sont-elles ? C'est l'évan­gile éternel des béatitudes qui le dit dans sa langue dramatique : ici-bas la sainteté est pauvreté, humilité, souffrance, sacrifice, c'est-à-dire imitation du Christ, Verbe de Dieu fait homme, dans sa « kénose », dans sa double humiliation de l'Incarnation et de la Rédemption.

Cette confrontation des deux aspects de la sainteté produit en nous un très vif intérêt, celui de connaître d'abord, d'imiter ensuite la vie temporelle de celui qui, justement par le mérite de celle-ci, jouit maintenant de la vie éternelle. C'est de là que naît l'hagiographie, c'est-à-dire l'étude des biographies des saints, étude que nous ferions bien tous de reprendre avec une grande passion et avec les disciplines modernes de la critique historique, de l'analyse psychologique, mystique et ascétique, de l'art narratif, de l'appréciation ecclésiale. Nous en avons encore tellement be­soin aujourd'hui, et nous pouvons en tirer instruction et réconfort.

 

Vie simple et silencieuse

 

La demande vient alors spontanément : quelle a été la vie de Maria Soledad ? quelle est son histoire ? comment est-elle de­venue sainte ? Il est impossible évidemment pour Nous de répondre à cette demande et de faire ici le panégyrique de Maria Soledad. Vous trouverez dans les livres qui racontent sa vie de quoi satisfaire à cette légitime et louable curiosité. Il s'agit d'ail­leurs d'une vie simple et silencieuse que deux grands mots peu­vent résumer : humilité et charité. Une vie toute tendue dans l'in­tensité de la vie intérieure, dans le travail de la fondation d'une nouvelle famille religieuse, dans l'imitation du Christ, dans la dévotion à la Sainte Vierge, dans le soin des malades, dans la fidélité à l'Eglise.

Mais si la biographie de Maria Soledad ne nous offre pas de singularités aventureuses et prodigieuses, ni la richesse des pa­roles et des écrits qui distinguent d'autres figures de saintes, son doux et pur profil présente quelques caractéristiques auxquelles il Nous semble juste de faire allusion.

Maria Soledad est une fondatrice, la fondatrice d'une famille religieuse très nombreuse et très répandue. Excellente et pro­videntielle famille. De sorte que Maria Soledad s'insère dans cette foule de saintes et de femmes intrépides qui, au siècle der­nier, firent jaillir dans l'Eglise des fleuves de sainteté et d'activité intense. Processions interminables de vierges consacrées à l'uni­que et suprême amour du Christ, et toutes orientées vers le ser­vice intelligent, infatigable, désintéressé du prochain. Vous les connaissez, vous les trouvez partout, il est superflu que Nous vous en décrivions la magnifique expansion. La vitalité de l'Eglise, sa fécondité, son audace, sa beauté, sa poésie, sa sainteté sont splendidement illustrées dans cette floraison de familles reli­gieuses, spécialement féminines, qui font irruption, qui ont tissé l'histoire, si on peut dire, de la vie catholique en ces derniers temps. Parmi ces familles choisies et actives s'inscrit celle des Servantes de Marie de sainte Maria Soledad. Elle s'y inscrit à tel point que nous pouvons considérer en elle le type de cette immense et multiforme expression de vie religieuse qui, malgré les particularités spécifiques de chaque institut, semble calquée sur un modèle commun, une formule substantiellement égale pour toutes les nouvelles fondations du XIX° siècle. C'est ainsi qu aujourd'hui, dans la chaleur et dans l'excitation du renouvel­lement de la vie religieuse et dans la recherche, parfois trop cri­tique et assez fantaisiste, de nouvelles formules de consécration pour suivre le Christ, surgit la question : est-ce que le modèle dont nous admirons un exemple insigne est exact en lui-même et encore valable pour notre temps ?

Devant la figure de sainte Maria Soledad et la légion de ses filles nous sommes heureusement en devoir de répondre affirma­tivement. Sans exclure que l'interprétation de la vocation à suivre le Maître Jésus d'une manière parfaite et totale admet, avec celles qui sont historiques et classiques, qui ont précédé la règle de vie religieuse comme celle que nous avons devant nous, d'autres nouvelles expressions dignes de fleurir dans le jardin de l'Eglise et de se mesurer avec les besoins et dans les formes de notre temps, Nous confirmons Notre suffrage au modèle de vie reli­gieuse réalisé principalement aux XIX° et XX° siècles. Les caractères particuliers qui le décrivent spécifiquement justi­fient et glorifient ce genre de recherche de la perfection chrétien­ne, à savoir : le détachement pratique et ascétique de la vie com­mune séculière à laquelle, au contraire, beaucoup donnent au­jourd'hui la préférence, la vie commune organisée dans l'obser­vance des conseils évangéliques de la pauvreté, de la chasteté et de l'obéissance, la primauté jalousement conservée à la vie inté­rieure, à la prière, au culte divin, à l'amour de Dieu, en un mot le dévouement sans limites et sans calculs égoïstes à quelque œuvre de charité et, finalement, l'adhésion profonde et organique à la sainte Eglise. Ces caractères fondamentaux qui constituent un état de vie qualifié par l'effort vers la perfection chrétienne sont authentiquement conformes aux exigences de l'évangile et sont toujours valables pour définir et donner sa valeur à la vie religieuse pour notre temps. La Congrégation des Servantes des malades, au nom et à l'exemple de sa fondatrice, mérite que nous le reconnaissions comme nous faisons.

 

Un nouveau champ pour la charité

 

Et elle mérite une autre reconnaissance, celle qui la définit spécifiquement comme un institut religieux consacré à l'assistance des malades. C'est ce qui exprime, engage et illustre la charité de Maria Soledad et de sa descendance spirituelle.

On pourra dire : ce n'est pas un choix nouveau, ce n'est pas un but original. Le soin de la souffrance physique et, avec elle, le soin de l'indigence spirituelle qui de soi en découle, a intéressé la charité de beaucoup d'autres institutions religieuses qui ont eu d'immenses mérites dans l'exercice affectueux et généreux des « œuvres de miséricorde ». C'est vrai et, à cause de cela, Nous classerons les personnes qui servent les infirmes dans l'armée héroïque des religieuses consacrées à la charité corporelle et spirituelle, mais nous ne devons pas laisser de côté un caractère spécifique propre du génie chrétien de Maria Soledad, celui de la forme particulière de sa charité, à savoir l'assistance donnée aux malades à leur domicile. Il Nous semble que, avant elle, personne n'avait imaginé cette forme d'assistance d'une manière systématique et que personne avant elle n'avait cru possible de la confier à des religieuses appartenant à des instituts canonique-ment organisés. La formule existait depuis le message évangélique, et laquelle ? simple, lapidaire, digne des lèvres du divin Maître : Infirmus et visitastis me : Moi, dit le Christ, mystiquement personnifié dans l'humanité souffrante, j'étais malade et vous m'avez visité (Mt 25, 36). Voilà la découverte d'un champ nou­veau pour l'exercice de la charité, voilà le programme des âmes totalement consacrées à la visite du prochain souffrant. Ce n'est pas, dans ce cas, le prochain souffrant qui va à la recherche de qui l'assistera et le soignera, ce n'est pas lui qui se laisse transpor­ter dans les lieux et les institutions où le malheureux est accueilli et entouré d'égards médicaux sagement et scientifiquement pré­disposés. C'est au contraire l'ange de la charité, la Servante volontaire qui va à sa recherche, dans sa demeure, dans le foyer de ses affections et de ses habitudes, où la maladie ne l'a pas privé du dernier bien qui lui reste, son individualité et sa liberté. Ce n'est pas là une simple finesse de la charité. C'est une méthode qui indique une compréhension aiguë soit de la nature propre de la charité, qui est de chercher le bien d'autrui, soit de la nature du cœur humain, jaloux, même lorsqu'il reçoit, de sa pro­pre sensibilité, de sa propre personnalité. Il y a là un éclair de sagesse sociale qui précède les formes techniques et scientifiques de l'assistance sanitaire moderne et qui, pour être accordée gratuitement à quiconque a, pour la demander, le titre du besoin et de la douleur, nous prouve encore une fois l'incomparable originalité de la charité évangélique.

 

Précurseur et maîtresse

 

Maria Soledad devient précurseur et maîtresse dans la solli­citude de l'assistance et de la santé la plus accomplie de notre humanisme social. Tous nous devons lui être reconnaissants, tous nous devons bénir le service providentiel qu'elle a inauguré, suivi ensuite par de nombreuses initiatives similaires.

Nous aimerions relever maintenant, dans l'histoire de cette Sainte, un autre trait caractéristique qui est devenu l'héritage commun de sa famille religieuse. Mais il ne nous est pas facile de le définir même s'il nous semble évident. C'est le trésor spi­rituel propre à sa formation espagnole. Son pays glorieux et béni a donné à cette sainte, puis, comme conséquence non sensible mais vitale, à ses filles fidèles, quelque chose de l'« humus » de l'Espagne catholique. Nous pensons ici à la richesse de talent et de sentiment que l'histoire et la littérature nous décrivent quant à l'esprit hispanique, au point d'honneur chevaleresque, au sentiment de grandeur, et à l'extraordinaire passion pour le tragique et l'humour. Nous pensons aussi au propre d'un peuple et de son histoire aventureuse qui est le sentiment religieux, chrétien, catholique ; nous pensons à sa capacité d'ascension mystique jusqu'aux expressions absolues « du tout et du rien » ; nous pensons à sa tendance à l'extrémisme moral, c'est-à-dire à son héroïsme, et à l'extrémisme religieux, la sainteté ; nous pen­sons à son humanité lyrique et profonde, qui méprise toute mesquinerie et milite pour une plénitude de la personnalité morale, prête au combat, à l'amour, au sacrifice. Nous pensons ne pas nous tromper en voyant dans l'humble visage de Maria Soledad cette noblesse naturelle, cette magnanimité vivante qui confère à la Sainte, et par reflet à son Institut, quelque chose de beau et d'universel. En elle l'Espagne et l'Eglise trouvent leur sympathie réciproque, leur gloire commune, leur vocation respec­tive à l'amour de notre Seigneur Jésus-Christ.

Tels sont nos vœux ardents en ce jour.

 

 

 

29 janvier

LIBERTE ET AUTORITE, VALEURS QUI SE COMPLÈTENT

 

Audience de Paul VI au Tribunal de la Sainte Rote Romaine

 

Nous sommes heureux d'être en accord de tout cœur avec les paroles du vénéré Doyen de la S. Rote Romaine, Mgr Boleslao Filipiak, qui a bien interprété vos sentiments et votre esprit en cette circonstance particulière, chers et vénérés Auditeurs et Officiers de ce tribunal. D'après ses paroles s'est présentée très vive à Notre esprit l'image du juge dans l'Eglise d'aujourd'hui, sa conscience, les qualités qui doivent le soutenir dans l'accomplis­sement de ses fonctions, avec l'humilité, le sens du devoir et de la responsabilité qui lui incombe, avec la discrétion, avec la clé­mence unie à la juste rigueur, pour être toujours l'interprète serein et impartial de la loi dans son application aux cas concrets que lui offre la mobilité de la vie.

De là vient l'importance de votre mission. Le service que vous rendez à l'Eglise est d'une importance fondamentale, de sorte que Nous ne pouvons pas ne pas dire à ce sujet des paroles de sincère louange, de vive reconnaissance et de paternel encoura­gement. Et il Nous plaît encore aujourd'hui de répéter (cf. Di­scorso al convegno internazionale dei canonisti : AAS 60, 1968, p. 341), pour le réconfort de votre délicate mission, ces paroles dépouillées mais significatives par lesquelles un juriste du passé qualifiait pour le temps présent et pour la vie future l'activité du maître et du jurisconsulte canonique : « Tout docteur ecclé­siastique doit donc interpréter ou régler les lois de l'Eglise de sorte que tout ce qu'il enseignera et exposera se rapporte au règne de la charité et qu'il ne pèche pas ni ne se trompe ; qu'il ait l'in­tention d'arriver au but qui est dû aux institutions sacrées, en se préoccupant du salut du prochain » (yves de chartres, Pro­logue du Décret, PL 161, 47-48).

Par une exacte application de la règle aux cas concrets, vous complétez l'œuvre du législateur et contribuez au développement vital de l'organisation ecclésiale. Mais ce qui resplendit le plus dans votre mission est précisément la caritas christiana qui rend encore plus noble et plus profitable cette aequitas des jugements dont le droit romain a tiré tant d'honneur et qui est devenue par vous, en vertu de l'esprit évangélique, la « modération sa­cerdotale », selon la belle expression de saint Grégoire le Grand.

Et en même temps que Nous vous disons Notre appréciation pour la sensibilité morale que vous y manifestez, Nous voulons aussi vous adresser Notre encouragement pour l'exercice toujours cohérent et généreux de vos fonctions pratiques.

 

Sensibilité morale et équité

 

1. Nous louons votre sensibilité morale qui est la très haute et indispensable prérogative du juge. Il Nous paraît possible de saisir ici le trait essentiel qui doit vous distinguer, et Nous Nous réjouissons intimement de constater combien vous en êtes pro­fondément pénétrés. En fait le juge, comme tout le monde le sait, est l'interprète du jus objectif, c'est-à-dire de la loi par l'inter­médiaire de l'usage du jus personnel subjectif — soit de cette potestas et libertas dont il doit pouvoir disposer au maximum. Il s'ensuit que le juge doit posséder une grande objectivité dans le jugement et, en même temps, une grande équité pour pouvoir évaluer tous les éléments dont il arrive patiemment et tenacement à être en possession et pour juger en conséquence avec une im­partialité imperturbable. Dans ce but il serait très utile d'appro­fondir le concept auquel Nous avons déjà fait allusion, celui d'aequitas, soit dans le progrès du droit romain, soit dans l'en­semble du droit canonique. Ce concept implique une rigoureuse estimation du sujet soumis au jugement. C'est de là que vient le processus moderne, canonique ou civil, qui tient compte de la psychologie des parties en cause et des éléments subjectifs, esti­mant aussi les circonstances ambiantes, familiales, sociologiques etc. Evidemment, dans l'application de cette objectivité, de cette « aequitas », le juge en viendra toujours aux critères fondamentaux du droit naturel, c'est-à-dire humain, juste et à l'observance de la loi en vigueur, du jus scriptum, qu'on suppose être l'expression de la raison et des nécessités du bien commun. Mais, pour tenir compte de tous ces éléments, il faut chez le juge une intègre droi­ture morale qu'on chercherait en vain à instaurer si, d'avance, il en était privé. Et cela Nous réconforte de savoir que, dans cette noble assemblée de serviteurs de l'Eglise, cette exigence est perçue avec toute son urgence et tout son sérieux.

2. Nous vous exhortons donc, chers fils, à l'exercice droit et fervent de votre fonction de juges. Combien de vertus et quelles vertus cela exige ! Vous le savez bien, vous qui vivez en contact quotidien avec les réalités et les difficultés de votre fonction. L'impartialité qui suppose une profonde et inébranlable hon­nêteté est nécessaire, disions-Nous. Nécessaire aussi le désinté­ressement à cause du danger que des intérêts étrangers au juge­ment, la vénalité, la politique, le favoritisme etc. ne fassent pres­sion sur les tribunaux. La sollicitude qui prend à cœur la cause de la justice est, elle aussi, nécessaire, dans la conscience qu'elle est un haut service de Celui qui est juste et miséricordieux, misericors et miserator et justus (Ps 3, 4), justus judex (2 Tm 4, 8), fidelis et justus (1 Jn 1, 9).

Faites toujours honneur à votre charge, exerçant toujours votre très haute mission en sorte qu'elle se conforme, en se subli­mant, à la justice même de Dieu, dont elle se fait le miroir et le fidèle instrument.

3. Mais ici Nous devons Nous arrêter pour examiner une question de fond. Ces considérations que Nous avons faites, disons cette apologie du juge, semblent impliquer un besoin de défense de sa fonction, c'est-à-dire de l'exercice du pouvoir ju­diciaire, critiqué aujourd'hui, spécialement dans l'Eglise, comme s'il était une « structure » superposée à la spiritualité et à la li­berté du message évangélique. Personne n'ignore la tendance accentuée à déprécier l'autorité au nom de la liberté. Le Concile a souligné dans un document très significatif, justement sur la liberté religieuse, que « nombreux sont ceux qui, sous prétexte de liberté, rejettent toute sujétion et font peu de cas de l'obéis­sance requise » (Dignitatis humanae, 8).

C'est une tendance répandue, soi-disant charismatique, qui devient anti-hiérarchique : on souligne exclusivement la fonction de l'esprit difficile à définir, aux dépens de l'autorité. De cette manière se répand une mentalité qui voudrait présenter la dé­sobéissance comme légitime et justifiée, pour sauvegarder la liberté dont doivent jouir les enfants de Dieu.

Les raisons de cette attitude offriraient l'occasion d'un examen attentif et long parce qu'il s'agit d'un sujet très ample. Mais par de simples allusions, parce que malheureusement cela Nous est imposé par la limite du temps dont Nous disposons, Nous pouvons ramener à trois les objections qui en sont la base.

 

Nécessité d'une organisation juridique

 

a) Avant tout on fait appel ici à la liberté contre la loi, contre n'importe quelle loi. Et, pour cela, on se rapporte à l'évan­gile. Effectivement l'évangile est un appel à la liberté prééminente de l'esprit. On ne peut oublier les sévères condamnations du légalisme pharisaïque prononcées par Jésus en faveur de l'amour et de la liberté des enfants de Dieu : Vous avez entendu qu'il a été dit..., et Moi, je vous dis (cf. Mt 5, 21 et suiv.). Toute sa pré­dication d'ailleurs a été orientée vers la spiritualité intérieure, vers la charité qui libère du joug de la contrainte. Les paroles et l'exemple de Jésus sont orientés en ce sens : « En effet — comme l'a souligné le Concile dans le Décret cité — le Christ, notre Maître et Seigneur, doux et humble de cœur, a invité et attiré les disciples avec patience. Certes, il a appuyé et confirmé sa prédication par des miracles, mais c'était pour susciter et fortifier la foi de ses auditeurs, non pour exercer sur eux une contrainte... Mais, reconnaissant que de l'ivraie avait été semée avec le fro­ment, il ordonna de les laisser croître l'un et l'autre jusqu'à la moisson, qui aura lieu à la fin des temps. Ne se voulant pas Mes­sie politique dominant par la force, il préféra se dire Fils de l'Homme, venu pour "servir et donner sa vie en rançon pour une multitude" (Mc 10, 45)... Enfin, en achevant sur la croix l'œuvre de la rédemption qui devait valoir aux hommes le salut et la vraie liberté, il a parachevé sa révélation » (Dignitatis humanae, 11). De là les déclarations lapidaires de saint Paul dans les épîtres aux Romains et aux Galates et sa doctrine polémique sur la liberté quand, par opposition au légalisme judaïsant, il écrivait : « Si vous êtes conduits par l'esprit, vous n'êtes pas sous la loi », ou quand il dictait le code de l'amour, libéré de toute imposition : « Car un seul précepte contient toute la loi dans sa plénitude : tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Ga 5, 18, 14).

Tout ceci est très vrai. Mais il est vrai aussi que l'enseigne­ment évangélique et apostolique ne s'arrête pas là. Le même Jésus qui prêche l'amour et qui proclame la vie intérieure et la liberté a donné des prescriptions morales et des pratiques qui obligent ses disciples à une fidèle observance, et il a voulu, comme Nous dirons encore, une autorité pourvue de pouvoirs déterminés au service de l'homme.

A ceux qui font appel à l'évangile pour défendre la liberté contre la loi, il conviendra donc de rappeler le sens polyvalent du mot « loi » : la loi mosaïque a été abrogée, la loi naturelle subsiste dans toute sa vigueur innée et est supposée par le Nouveau Testament. Et, comme elle ne prive pas l'homme de sa liberté mais en est le guide intrinsèquement juste, ainsi la loi positive, toujours soutenue ou suggérée par la loi naturelle, protège les biens humains, dispose et suscite le bien commun, garantit contre toute interférence et tout abus éventuels cette autonomie inviolable et responsable de l'individu, en vertu de laquelle cha­que être humain est capable de mettre fructueusement en œuvre sa personnalité. Liberté et autorité ne sont pas des termes qui se contredisent, mais des valeurs qui se complètent. Leur con­cours réciproque favorise en même temps la croissance de la communauté et la capacité d'initiative et de développement de chacun de ses membres.

Le rappel du principe de l'autorité et de la nécessité d'une organisation juridique n'enlève rien à la valeur de la liberté et à l'estime dans laquelle elle doit être tenue. On doit plutôt souli­gner les exigences d'une protection sûre et efficace des biens communs, parmi lesquels celui qui est fondamental, l'exercice de la liberté elle-même que seule une société bien organisée peut garantir d'une manière adéquate. En effet, que vaudrait la liberté pour l'individu si elle n'était pas protégée par des règles sages et opportunes ? Le grand Cicéron affirmait avec raison : « Legum ministri magistratus, legum interpretes iudices, legum denique idcirco omnes servi sumus ut liberi esse possimus » (CICERON, Pro Cluentio, 146).

 

La structure hiérarchique de l'Eglise

 

La loi évangélique enfin se ramène à l'amour de Dieu et du prochain, mais elle se ramifie dans trois directions : dans la cons­cience qui devient plus développée et qui agit dans la liberté liée par la vérité, dans les multiples préceptes et vertus qui ne contraignent pas mais exaltent la liberté personnelle dans le respect de Dieu, de soi-même et du prochain, enfin dans les charismes de l'Esprit chez le fidèle, toujours docile cependant au pouvoir pastoral et à son service pour la construction du corps entier dans la charité (cf. Ep 4, 16).

b) Une seconde objection, qui voudrait justifier l'attitude antihiérarchique actuelle, fait appel à la liberté contre l’autorité. Ici aussi on fait appel à l'évangile. Or non seulement l'évangile n'abolit pas l'autorité, mais il l'institue et la fixe. Il la met au ser­vice du bien d'autrui, non pas parce qu'elle vient de la commu­nauté et dans la mesure où elle en vient, comme si elle était sa servante, mais parce qu'elle vient d'en haut pour gouverner et juger, tirant son origine d'une intervention positive du Seigneur. En effet Jésus a voulu que son enseignement ne soit pas sujet à l'interprétation de chacun, mais qu'il soit confié à un pouvoir qualifié (cf. Mt 28, 16-20 ; Mc 16, 15 ; Lc 24, 45-48 ; Jn 20, 21-23). Il a voulu que sa communauté soit structurée et assemblée dans l'unité, constituée par des organismes hiérarchiques, qu'elle soit un organisme social, spirituel et visible, une seule réalité complexe résultant d'un double élément, humain et divin (cf. Lumen gentium, 8). C'est pourquoi l'Eglise, étant aussi un fait social, exige et postule des structures et des règles extérieures avec les caractères propres du droit : ubi societas, ibi ius.

Si donc la primauté appartient à l'esprit et à la vie intérieure, l'insertion organique dans le corps ecclésial avec la soumission à l'autorité reste toujours un élément impossible à supprimer, voulu par le Fondateur même de l'Eglise. Le Concile a rappelé cela : « L'Eglise que notre Sauveur, après sa résurrection, remit à Pierre pour qu'il en soit le pasteur, qu'il lui confia, à lui et aux autres apôtres, pour la répandre et la diriger, et dont il a fait pour toujours la "colonne et le fondement de la vérité" (1 Tm 3, 15). Cette Eglise, comme société constituée et organisée en ce monde, c'est dans l'Eglise catholique qu'elle se trouve, gouvernée par le successeur de Pierre et les évêques en communion avec lui... » (Lumen gentium, 8). Le Droit canonique consacre la primauté de l'esprit comme sa propre suprema lex, mais répond également à la nécessité inhérente à l'Eglise comme communatué organisée. Il gravite autour des valeurs spirituelles, protège et sauvegarde scrupuleusement l'administration des sacrements qui sont au centre de ses règles, interdit de donner le baptême à un adulte qui ne soit pas « sciens et volens » (can. 752), il ne veut pas qu'entre et reste parmi les ministres sacrés celui qui n'a pas choisi librement l'état sacerdotal (canons 214, parag. 1 ; 1994, parag. 2), il ne considère pas comme valide le sacrement de mariage contracté sans libre consentement (can. 1087, parag. 1). Mais en même temps il ne tolère pas que le dépôt de la révélation soit altéré (canons 1322-1323), que les pouvoirs dans l'Eglise tombent dans la confusion, sans distinction des ordres et des fonctions ministérielles (canons 108, parag. 1-3 ; 948), que la libre initiative de chacun bouleverse l'ordre établi par le Christ et que les règles de la communia fidei, sacramentorum et disciplinae soient l'héritage et l'objet de pourparlers humains organisés par les seules initiatives de groupes qui n'ont aucune responsabilité qualifiée (canons 109, 218, 329). Le Droit canonique obéit à un précepte de fond qui, comme le dit saint Clément dans sa première lettre aux Corinthiens, part de Dieu et, par l'intermédiaire de Jésus-Christ, est confié aux apôtres qui « ensuite ont fixé la règle de succession en sorte qu'à leur mort d'autres hommes sûrs en recueillent le ministère » (1 Co 42-44, 2). La structure organique et hiérarchique marque donc l'organisation canonique comme loi constitutionnelle de l'Eglise voulue ainsi par le Christ pour le bien et le salut des hommes qui, libérés du péché et asservis à Dieu (Rm 6, 22), sont appelés à vivre dans la plénitude de la vie de l'esprit.

 

Légitimité du pouvoir judiciaire

 

c) Une troisième objection fait appel à la liberté contre certaines formes anciennes ou trop discrétionnaires de l'exercice du pouvoir judiciaire. La discussion est ouverte à l'occasion de la révision du Code de Droit canonique. Tout, par exemple, se réfère à des mises en garde, à des condamnations, à des excom­munications et porte la jalouse sensibilité actuelle à penser en termes de refus, comme si on était en face de vestiges d'un pouvoir absolu désormais dépassé. Cependant il ne faut pas oublier que le pouvoir coercitif est lui aussi fondé sur l'expérience de l'Eglise primitive, et déjà saint Paul en faisait usage dans la communauté chrétienne de Corinthe (1 Co 5). Il suffit de la perspective de cette citation pour faire comprendre le sens pastoral d'une me­sure si sévère, prise uniquement en vue de l'intégrité spirituelle et morale de l'Eglise tout entière et pour le bien du coupable lui-même : afin que l'esprit soit sauvé au jour de Notre Seigneur Jésus-Christ (ibid. 5, 5).

Cet exercice, dans la forme et la mesure convenables, est donc au service du droit de la personne comme du bon ordre de la communauté. Il entre donc dans le domaine de la charité et, dans cette lumière, il est considéré et présenté, dans le cas où des circonstances graves et proportionnées l'exigent pour le bien commun, avec la plus grande délicatesse et la plus grande com­préhension envers ceux qui errent. Son application pratique est à l'étude, dans le but de le perfectionner toujours davantage pour l'adapter aux exigences du respect de la personne humaine, devenues aujourd'hui plus sévères et plus attentives, et pour l'insérer ainsi d'une manière plus harmonieuse dans la réalité sociologique moderne. Personne donc ne voudra contester la nécessité, l'opportunité et l'efficacité de cet exercice, inhérent à l'essence même du pouvoir judiciaire parce que, Nous l'avons dit, il est lui aussi l'expression de la charité qui est la loi suprême dans l'Eglise et, comme par la charité il agit pour la sauvegarde de la communauté ecclésiale, ainsi la charité en fait comprendre la nécessité à celui qui en est l'objet, lui en fait accepter avec une fructueuse humilité les pénibles conséquences médicinales.

Nous voudrions donc, non seulement pour vous, insignes appréciateurs de la loi et sages interprètes de ses règles, mais aussi pour tous Nos fils, répéter l'invitation du Concile dans le Décret déjà cité sur la liberté religieuse « à former des hommes qui, dans la soumission à l'ordre moral, sachent obéir à l'autorité légitime et aient à cœur la liberté authentique » (Dignitatis humanae, 8). Et Nous sommes très heureux que la rencontre d'aujour­d'hui Nous ait permis de vous entretenir, bien que d'une manière fragmentaire, sur un problème si important et dont on parle tant.

Nous vous répétons, avec Notre satisfaction, l'exhortation paternelle qui jaillit de notre cœur en cette circonstance solennelle et toujours agréable : Remplissez votre office avec une haute conscience chrétienne, faites honneur à l'Eglise en répondant par un absolu dévouement à la confiance qui vous est accordée, servez les âmes avec humilité, avec amour et avec désintéressement. Que la grâce du Seigneur vous accompagne toujours et vous soit chaque jour une lumière, vous infuse la force nécessaire, vous donne une paix profonde.

C'est le souhait, que Nous formons pour vous de tout cœur à l'occasion de l'ouverture de l'année judiciaire, et Nous l'ac­compagnons de Notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

9 février

PERFECTIONNER LA VIE SACERDOTALE EN AUGMENTANT L'ESPRIT COMMUNAUTAIRE

 

Audience de Paul VI aux curés et aux prédicateurs de Carême de Rome

 

Très chers fils et frères en Jésus-Christ,

 

Cette rencontre annuelle Nous semble avoir une importance extraordinaire parce que unique et chargée de tous les désirs, de tous les problèmes, de toutes les expériences qui vou­draient avoir ici leur expression et trouver ici un avis, un récon­fort, une orientation. Chacun des assistants remarquera comment une exigence spontanée, relative à l'heure présente de la vie de l'Eglise, impose à ce discours un changement de perspective : au lieu de porter son attention sur tant de sujets de la prédication de carême et de la préparation pascale qui ne sont certainement pas dépassés, comme le voudrait la coutume dont elle tire son origine et sa raison d'être, Notre parole se sent obligée de se fixer sur les personnes présentes, sur vous-mêmes, sur les minis­tres plutôt que sur les problèmes de leur ministère. Le discours devient une conversation. La confiance voudrait le qualifier, l'affection l'animer. Nous Nous sentons pénétré de cette présence comme de ce qui Nous intéresse le plus, des questions relatives à Notre excellent clergé en ce moment, au domaine dans lequel s'exercent ses fonctions sacerdotales et pastorales. La même modification s'est produite l'an dernier, si Nos souvenirs sont exacts, lorsque, en cette même occasion, quelque chose fut dit à propos de la controverse sur la position sociologique du prêtre dans le monde contemporain. Ainsi cette année, Frères et Fils bien aimés, Nous ne saurions parler d'autre chose que de ce qui vous concerne directement. Et si Nous cédons à cette invita­tion intérieure, ce n'est certes pas pour simplifier le sujet de ces simples paroles ni pour alléger le poids de Notre ministère, mais plutôt pour Nous en sentir davantage responsable et pour vous donner une preuve de la place que vous occupez dans Notre esprit et dans Notre charité.

 

Fierté de la vocation

 

Choisissant parmi tant de choses qui s'offrent à Notre consi­dération, Nous ne parlerons que d'une seule : l'esprit communau­taire. Nous devons augmenter l'esprit communautaire, l'esprit communautaire dans notre communauté qui est le diocèse de Rome. Nous parlons d'augmenter : bien volontiers Nous recon­naissons que cet esprit existe déjà, mais il faut le développer, il faut l'approfondir, il doit caractériser notre spiritualité, il doit s'exprimer dans notre activité pastorale, il doit devenir confiance, collaboration, amitié.

Des rapports communautaires extérieurs existent déjà : l'ha­bitation commune, l'appartenance d'état civil à l'Eglise de Rome, l'insertion canonique dans l'ensemble organisé, ministériel, hiérarchique. La communauté ecclésiale existe, mais est-elle toujours égale à une parfaite communion des esprits, des intentions, des travaux ? Ne sommes-nous pas parfois des solitaires au milieu d'une multitude qui devrait être de frères et constituer une fa­mille ? Ne préférons-nous pas parfois être isolés, être nous-mêmes, distincts, différents et même séparés, et même peut-être parfois dissociés, jusqu'à être antagonistes au milieu de notre équipe ecclésiastique ? Nous sentons-nous vraiment ministres solidaires du même ministère du Christ ? Est-elle toujours vivante entre nous cette affection fraternelle qui nous rend soucieux et heureux du bien de nos confrères et humblement et saintement fiers de notre vocation dans les rangs du clergé romain ?

 

Unité fraternelle

 

La révision en cours de la vie sacerdotale, provoquée par le Concile, nous présente ces demandes, rendues plus pressantes par le fait qu'il y a dans notre communauté diocésaine beaucoup de membres hétérogènes qui sont très différents les uns des autres par leur origine, leur formation, leur office, leur qualification spirituelle et leur culture. Il faut fondre ensemble le plus pos­sible ces groupes de prêtres, de religieux, de prélats si nous voulons être « église », c'est-à-dire assemblée, famille, corps du Christ, multitude animée par la même foi, par la même charité, comme le fut celle des premiers croyants « un seul cœur et une seule âme » (Ac 4, 32).

Parce qu'il est hors de doute que c'est la pensée du Christ : « l'unum sint » est au sommet de ses désirs (Jn 17) ; et avant de diffuser ce désir messianique (cf. Jn 11, 52) et divin (1 Tm 2, 4) sur toute l'humanité, Jésus s'adresse directement à ses disciples (Jn 13, 34) : avant l'unité œcuménique de l'Eglise, le Seigneur nous demande l'unité fraternelle, communautaire dans l'Eglise. Et il Nous semble qu'une des orientations les plus claires du récent Concile est justement de mettre en évidence le caractère communautaire de toute l'humanité, rendu spécialement manifeste dans l'intention du plan divin surnaturel (cf. Gaudium et spes, 23-24). L'Eglise catholique réalise déjà, par la force du Saint-Esprit, ce projet constitutionnel de son Fondateur, mais nous sommes encore en devoir d'en perfectionner la mise en œuvre.

 

Communion hiérarchique

 

Deux facteurs, Nous semble-t-il, viennent en aide à ce per­fectionnement communautaire de l'unité et de la charité de la vie sacerdotale. Le premier est le relief donné par le Décret conciliaire « sur le ministère et la vie du prêtre » à la participation subordonnée de l'ordre presbytéral à la mission de l'ordre épiscopal. Vérité connue mais mise en lumière par le Concile, en sorte que « dorénavant qui voudra savoir ce qu'est le prêtre ne pourra pas ne pas s'en rapporter au sacerdoce épiscopal auquel le prêtre participe et qu'il partage, à l'exercice duquel il est destiné à apporter sa collaboration » (Presbyterorum ordinis, 2, 6, 7 ; Card. garrone, Le Concile, p. 78). La communion dans l'Eglise est hiérarchique et ce caractère en constitue un des principes de cohésion les plus étroits et les plus vitaux. Le second facteur est la notion renouvelée et claire de la solidarité qui unit l'ordre sacerdotal à l'ordre épiscopal, solidarité à laquelle a été redonné un nom, le « presbytérium » et, avec le nom, une structure et une fonction : « Les prêtres, dit le Concile, coopérateurs avisés de l'ordre épiscopal dont ils sont l'aide et l'instrument, appelés à servir le peuple de Dieu, constituent avec leur évêque un seul presbytérium aux fonctions diverses » (Lumen gentium, 28). Sous la configuration d'association et de juridiction que le groupe ecclésiastique arrive ainsi à prendre, on voudra reconnaître une plus évidente et plus agissante animation spirituelle qui ne fait pas monter démocratiquement l'autorité ecclésiastique des bases au sommet, ni ne tend à imposer les raisons du nombre ou du pluralisme d'opinion, en paralysant l'exercice charismatique et responsable, mais vise à rendre vitales, conscientes, concordantes la communion et la coopération entre l'évêque et ses prêtres et la cohésion entre ceux-ci.

 

Pastorale d'ensemble

 

Il Nous semble que le moment opportun s'oit venu de donner à l'esprit communautaire ecclésial sa meilleure conscience, sa meilleure efficacité, spécialement entre ceux qui sont honorés du sacerdoce, et encore plus entre ceux, du clergé diocésain ou religieux, qui sont engagés dans l'exercice d'un ministère pastoral. Ces jours-ci on a désigné à Rome le groupe des prêtres qui com­posent le conseil presbytéral : Nous donnons importance, sens, efficacité à ce nouvel organisme. Nous pensons que c'est aussi l'idée de Notre vénéré et zélé Cardinal Vicaire. Que ce groupe de prêtres ne soit pas séparé des autres confrères, qu'il soit encore moins le représentant d'un courant qui divise le clergé en des tendances antagonistes, mais plutôt le signe et l'organe de l'ac­cord et de la collaboration, de la solidarité et de l'amitié de nos prêtres entre eux; qu'il soit l'aliment de cet esprit communau­taire, de cette unité et de cette charité dont Nous parlons. Nous serons Nous-même content de favoriser cette fusion des esprits et des travaux dans la mesure où il Nous sera donné de con­naître et d'approuver vos projets communs et de subvenir à vos besoins. Il devra résulter de cette concorde spirituelle et active un certain programme d'action pastorale combinée et solidaire (la pastorale d'ensemble, comme on dit maintenant) avec une meilleure économie et utilisation des personnes, des initiatives et des moyens, et avec plus d'efficacité dans les résultats.

 

Les vocations ecclésiastiques

 

Soudain viennent à Notre esprit quelques-uns des sujets de cette action pastorale simultanée et concertée : tout d'abord celui des vocations ecclésiastiques. Nous ne Nous résignons pas à penser que Notre domaine pastoral soit stérile d'âmes jeunes et adultes capables d'entendre l'appel au service héroïque du royaume de Dieu.

Nous pensons que la rareté des vocations dans les grandes villes dépend en grande partie de l'atmosphère familiale et so­ciale qui rend la conscience des nouvelles générations réfractaire à l'impulsion de la voix du Christ, mais Nous avons toujours la confiance qu'un prêtre, un vrai prêtre, ni bigot ni sécularisé, mais vivant intensément son sacerdoce dans la sagesse et le sacrifice au contact de la communauté, spécialement des jeunes, aura la vertu ou mieux la grâce d'allumer dans d'autres âmes la flamme de l'amour total du Christ Seigneur qui brûle en lui. Nous croyons que la présentation de la vie sacerdotale vécue dans la plénitude de l'immolation, avec le célibat consacré à l'unique amour de Jésus Maître et Seigneur, de Jésus souverain Prêtre et unique Agneau rédempteur, et en même temps à la poursuite complète et exclusive de l'exemple du Christ dans le service pastoral du peuple de Dieu, exerce une plus grande attraction pour embrasser l'état ecclésiastique qu'une formule humaine­ment plus naturelle et apparemment plus facile, dans laquelle le dévouement au Christ et le sacrifice de soi n'ont plus la parfaite et exaltante correspondance que .nous connaissons. Tout tient dans la compréhension. C'est là le charisme qui conditionne le reste. Devons-nous douter que le Saint-Esprit ne puisse le don­ner aux fils les plus généreux de notre génération ? La force morale, le don de soi, l'amour du Christ, saint et surhumain mais très vrai, très vif et très doux, détaché de tout autre amour même légitime (cf. Mt 19, 29), la croix enfin pour le salut de soi-même et des autres ont plus d'incidence efficace dans le cœur humain, spécialement des jeunes, que cette invitation au sacer­doce qui serait facilitée par le mélange de l'amour naturel avec le surnaturel. En sorte que, même dans le besoin obsédant de vocations ecclésiastiques, Nous pensons que le célibat, spirituel­lement transfiguré et transfigurant, est une meilleure incitation à leur recrutement qualitatif et quantitatif qu'un fléchissement de la loi canonique. Car ce célibat consacré, complet et ferme, constitue l'épilogue de fidélité au royaume de Dieu, l'épilogue d'amour de l'expérience historique et du combat ascétique et mystique de notre Eglise latine. Vous le savez et, avec Nous, vous le voulez, Fils et Frères. Soyez bénis !

 

Le séminaire

 

Avec le problème des vocations nous devons reprendre l'étude et la solution, dans un propos communautaire, de celui du sé­minaire. Le séminaire aussi doit être plus que jamais un centre de convergence de notre communauté ecclésiale par l'affection, par la confiance, par le soutien de chacun et de tous. Une tradi­tion qui ne doit pas s'éteindre a fait de notre séminaire un foyer du cœur pour tant de très dignes ecclésiastiques qui y furent élèves et maîtres, encore plus qu'une école scientifique et qu'un centre pédagogique. Il fut et il est la maison de notre mère in­comparable, notre Eglise, la maison des affections qui ne meurent pas, des souvenirs qui revivent toujours, des résolutions qui sou­tiennent la vie. Ainsi doit-il en être encore et toujours pour votre fidélité cordiale et collective. Vous aussi, religieux, vous en aurez le mérite et l'avantage.

Et puis tant et tant de problèmes attendent de l'esprit com­munautaire une étude plus systématique et plus organisée, une solution plus moderne et plus large : les conditions économiques du clergé, la vie commune des prêtres, la régénération de la prédication, l'instruction religieuse de la jeunesse et des adultes, l'action catholique, les nouvelles églises, l'assistance aux quartiers pauvres, le journal catholique, la mise en œuvre méthodique de la réforme liturgique, l'art sacré, les exercices spirituels etc. Le mo­ment est venu d'une reprise concordante et vigoureuse de toute forme d'apostolat, de tout exercice du ministère, de toute sollicitude pastorale. Tous doivent le faire ; Nous disons maintenant: tous doivent collaborer. L'orchestre a de nombreux instruments différents, chacun donne sa note particulière, mais là musique est unique, elle doit être une harmonie, une somme de forces com­munes. Vous voyez comment Notre Vicariat, malheureusement considéré par certains sous le seul aspect bureaucratique et dis­ciplinaire, peut devenir le centre de la ferveur, de la concorde, du zèle, de la charité diocésaine.

 

Spiritualité personnelle

 

Nous ne finirions pas comme il convient cette exhortation à l'esprit communautaire si Nous ne vous rappelions la relation intrinsèque qu'il suppose et qu'il développe avec la spiritualité personnelle. Nous tomberions dans les apparences, dans le calcul purement sociologique, dans le juridisme, si nous ne faisions pas correspondre à l'accroissement de l'esprit communautaire une intense, intime, précise vie religieuse intérieure. L'apostolat per­drait ses racines intérieures, ses expressions les meilleures et les plus originales, ses plus hautes finalités si l'apôtre n'était pas un homme d'oraison et de méditation. L'équipe du peuple éduqué à la participation liturgique manquerait de vraie cohésion spi­rituelle et de vrai fruit de communion avec les mystères divins célébrés si le ministre et chaque fidèle ne retiraient pas du rite et n'y apportaient pas leur propre ferveur religieuse. L'Eglise ne serait plus l'Eglise si, dans la mise en œuvre de la charité fraternelle, elle n'apportait pas d'abord la charité divine. Or celle-ci exige le colloque silencieux de l'âme qui écoute et con­temple au dedans d'elle-même. Il est dit par le Christ qu'il s'est rendu présent à l'âme et dans l'âme par ses paroles, enfantines et exceptionnelles, balbutiantes et gémissantes, suppliantes, rem­plies d'allégresse et chantantes, mais les siennes, secrètes et compréhensibles pour Dieu, prononcées d'une manière ineffable « gemitibus inenarrabilibus » (Rm 8, 26) avec le seul Esprit et peut-être par l'Esprit lui-même en nous et pour nous. La vie intérieure n'a pas de succédané ; pour nous spécialement, ministres du Seigneur, elle ne peut pas, elle ne doit pas manquer.

Laissez-Nous terminer par cette « liturgie de la parole ». La parole est de saint Paul aux Philippiens (2, 1-5). Fils et Frères : « Je vous en conjure par tout ce qu'il peut y avoir d'appel pressant dans le Christ, de persuasion dans l'Amour, de communion dans l'Esprit, de tendresse compatissante, mettez le comble à ma joie par l'accord de vos sentiments ; ayez le même amour, une seule âme, un seul sentiment ; n'accordez rien à l'esprit de parti, rien à la vaine gloire, mais que chacun par l'humilité estime les autres supérieurs à soi ; ne recherchez pas chacun vos propres intérêts, mais plutôt que chacun songe à ceux des autres. Ayez entre vous les mêmes sentiments qui furent dans le Christ Jésus ». Qu'il en soit ainsi avec Notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

20 mars

AU CONSEIL DES LAICS

 

Nous sommes heureux de vous accueillir au terme de vos tra­vaux, chers fils et amis, Membres et Consulteurs du Conseil des Laïcs ; heureux d'entendre arriver jusqu'à Nous, par votre voix, l'écho du magnifique apostolat du peuple de Dieu à travers le monde. Vous êtes en quelque sorte nos « experts » en ce do­maine, nos conseillers, et c'est pourquoi Nous avons accepté bien volontiers que plusieurs d'entre vous prennent la parole devant Nous au cours de cette audience. Aussi adressons-Nous un merci particulier à Monseigneur Derek Worlock, à Madame Branca Alves, à Monsieur Rienzie Rupasinghe, qui viennent d'être auprès de Nous vos porte-parole.

Ils ont fort bien dit votre fierté et votre joie pour la grande tâche que l'Eglise vous a confiée, et ils n'ont pas dissimulé non plus les difficultés rencontrées : ces « tensions » qui semblent devenues une caractéristique de notre époque et qui n'épargnent pas le champ de l'apostolat : tension entre Eglise et monde, entre foi et vie, entre clergé et laïcs, et ainsi de suite. Mais il Nous sem­ble percevoir à travers votre triple témoignage, une volonté ré­solue de dominer ces tensions en les transformant en dialogue, pour les faire servir au bien, et Nous applaudissons à votre déter­mination de poursuivre, sans cesser de la mûrir et de l'approfon­dir, l'œuvre entreprise. Bien volontiers Nous vous donnons l'as­surance que, dans votre précieux travail au service de l'Eglise, les encouragements et la bénédiction, que vous êtes venus Nous demander, ne vous manqueront pas.

Nous voudrions maintenant profiter de votre présence ici pour réfléchir avec vous à ce que sont les laïcs dans l'Eglise.

Qu'est-ce qu'un laïc ? qu'est-ce qu'un laïc catholique ? qu'est-ce que l'Eglise attend de votre Conseil pour aider à promouvoir l'apostolat des laïcs en notre temps ? Il y a là un enseignement qu'il vous appartient de méditer pour assurer sa mise en œuvre au sein du Peuple de Dieu, selon trois dimensions essentielles.

 

Triple dimension du laïcat

 

1. D'abord la personne humaine. Toute personne, faut-il le rappeler, est créée à l'image de Dieu, est supérieure à tout l'univers visible, et a un destin éternel.

Mais cette personne humaine, sous le caractère spécifique de laïc où Nous la considérons, est appelée à accomplir son destin au cœur du monde profane, à partager les souffrances et les joies de la communauté humaine, à assumer en son sein des solidarités sociales et culturelles qui lui créent des droits et des devoirs, et lui donnent aussi des possibilités d'action multiformes sur l'organisation et la marche du monde.

C'est dire le rôle éminent et la dignité de la personne humaine et l'obligation pour toute société de la respecter tant dans son être individuel que familial et social.

2. Puis la personne chrétienne : cet autre titre ajoute à la gran­deur de la personne humaine celui que lui ouvre la porte du baptême. C'est l'entrée dans un monde nouveau, aux horizons infinis: le monde de la foi, le monde de la grâce.

 

Comparaison constante avec l'Evangile

 

Le laïc apparaît ici dans sa dignité supérieure de membre du peuple de Dieu, élevé au plan surnaturel, en puissance déjà citoyen du ciel, et riche dès ici-bas de nouveaux droits et de nouveaux devoirs, auxquels l'homme naturel ne pouvait pré­tendre ni parvenir par ses propres forces.

3. Enfin le laïc catholique, membre de l'Eglise, corps mystique du Christ, et plus spécialement, comme vous l'êtes tous, chers amis, le laïc qui a pris conscience de sa place, de son rôle dans ce corps mystique — si un et si divers à la fois — : c'est le laïc considéré comme sujet non plus seulement passif, comme ce fut trop souvent le cas dans le passé, mais comme sujet actif dans l'Eglise, selon l'enseignement formel du Concile Œcuménique Vatican II.

Ce n'est certes pas à vous qu'il est besoin de le rappeler : la Constitution Lumen gentium, après avoir énoncé le devoir d'obéis­sance et de prière des fidèles, demande aux pasteurs de « reconnaître et promouvoir la dignité et la responsabilité des laïcs dans l'Eglise, utiliser volontiers leurs avis prudents, leur assigner des postes de confiance au service de l'Eglise, leur accorder la li­berté d'action et un champ où ils puissent l'exercer, et même les encourager à entreprendre des œuvres de leur propre initia­tive », en leur reconnaissant bien sûr « la juste liberté dont chacun doit jouir dans la cité terrestre » (n. 37).

Qui ne voit le vaste champ d'action ainsi ouvert au Conseil des laïcs dans le sillage de l'enseignement conciliaire ? Dans quel sens va-t-il œuvrer pour que se réalisent les grandes perspectives de l'apostolat des laïcs dessinées dans les divers décrets ou cons­titutions de Vatican II ? Son rôle, Nous semble-t-il, aura un dou­ble pôle : il s'exercera par rapport aux laïcs et par rapport à la Hiérarchie.

Vis-à-vis des premiers, votre Conseil doit se tenir dans une attitude d'écoute et de dialogue, sensible à discerner dans leurs milieux de vie les besoins et les possibilités de salut. Ainsi il s'efforcera de susciter, en liaison avec les épiscopats des diverses parties du monde, les formes d'apostolat qui respectent le génie et le caractère de chaque culture, mais se rejoignent toutes dans la communion de l'Eglise par l'affirmation claire de leur identité catholique. Ce sera votre rôle, ce faisant, de rappeler et de té­moigner que le zèle, le dévouement ne suffisent pas. Il y faut aussi la réflexion, la méditation, la confrontation constante avec l'Evangile et le Magistère de l'Eglise,

Dans une telle perspective s'impose le confiant échange entre prêtres et laïcs qui, dans le regard qu'ils portent ensemble sur les mêmes situations, sur les mêmes événements, sur les mêmes besoins du monde, s'entraînent mutuellement à réaliser leur vocation et leur mission respectives.

Telle Nous apparaît être, chers Fils, la première responsabilité du Conseil des Laïcs. La seconde n'est pas moins importante : elle concerne l'articulation de l'apostolat des laïcs avec celui de la Hiérarchie, deux forces que la constitution même de l'Eglise ne permet pas d'imaginer divergentes. Là encore votre propre témoignage doit être exemplaire.

Aux écoutes des voix du monde, vous pouvez vous considé­rer comme les interprètes qualifiés des innombrables fils que le Père commun voudrait pouvoir entendre mais, comme Nous vous le demandions déjà l'an passé, Nous comptons sur vous aussi pour être auprès d'eux les fidèles porte-parole de Nos préoccu­pations pastorales à leur endroit. De plus la place que le Conseil des laïcs est appelé à occuper désormais dans les organes centraux de l'Eglise l'autorise à rechercher les meilleurs moyens de con­juguer, d'harmoniser son rôle avec celui des divers dicastères, secrétariats ou commissions de la Curie romaine, dans le respect des compétences de chacun. Acquérant ainsi le sens de l'ensem­ble, vous y découvrirez à la fois votre fonction avec ses limites et aussi votre responsabilité dans toute son étendue et sa spéci­ficité. De cette manière également se développera en vous de plus le sens de l'Eglise hiérarchique où tout doit se traiter, en termes de confiance, de service et de communion.

 

Le monde a besoin de la bonne nouvelle

 

Pour la tâche que Nous venons de dessiner à grands traits, Nous savons que Nous pouvons compter sur votre fidélité au Siège de Pierre comme sur la maturité de votre réflexion. L'une et l'autre s'imposent plus que jamais en cette période tourmentée pour l'Eglise et pour le monde.

Si diverses que soient vos provenances, vos formations, vos en­gagements, unique doit être votre souci : prêcher Jésus-Christ, annoncer dans la joie la bonne nouvelle du salut. Le monde a besoin de cette bonne nouvelle, comme il a besoin de nourriture : un de vos interprètes nous l'a fort bien dit tout à l'heure. On peut même dire que rarement dans l'histoire est apparue aussi clairement qu'aujourd'hui l'urgente nécessité de christianiser le monde, ce monde agrandi et inquiet, devenu capable d'explorer le cosmos, et aussi de se détruire lui-même. Plus que jamais c'est l'heure de l'Evangile, l'heure de la pénétration du levain chrétien dans toute la société. Soyez, à la place spécifique et im­portante qui est la vôtre, celle du Conseil des Laïcs, les bons ar­tisans de cette œuvre immense, chers Fils, et que Notre béné­diction vous y encourage et vous y accompagne.

 

 

 

26 mars

HOMELIE DU PAPE A LA MESSE DU JEUDI-SAINT

 

Vénérés frères et vous tous, très chers fils,

 

Obligé par notre ministère de prendre la parole dans ce lieu sacré, magnum stratum, grand et orné, cénacle par excel­lence de l'Eglise romaine et catholique ; en ce moment chargé entre tous de pensées et de sentiments religieux et humains, alors que nous aimerions écouter dans le silence intérieur les grandes voix qui montent de la sublime liturgie que nous célé­brons ; nous offrirons à votre bienveillante attention quelques indications élémentaires qui puissent stimuler votre réflexion sur les aspects évidents et fondamentaux de ce rite, et mettre nos âmes en harmonie dans un chœur spirituel commun.

La première indication est relative justement à la commu­nion ecclésiale qui nous réunit ici et acquiert en ce moment une plénitude singulière, une signification propre. C'est un moment particulier de communion entre nous, entre tous ceux qui ont accueilli notre invitation et nous ont fait don de leur présence. Une occasion heureuse, comme elle ne nous est jamais offerte, qui réalise la parole du Seigneur : « Lorsque deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis là au milieu d'eux » (Mt 18, 20), en ce mo­ment où son nom, et seulement son nom, polarise notre assistance et émerge parmi nous comme si le Seigneur Lui-même était là, et comme il le sera en effet sous peu sacramentellement. Dès à présent il remplit nos âmes de Lui et les unit dans la foi, dans la concorde, dans la paix, dans la joie de nous savoir et de nous sentir « église », c'est-à-dire union, unique troupeau, son corps mystique. Entre nous tombe en ce moment toute distance, toute défiance, toute indifférence, toute extranéité ; en ce moment tombe toute rancœur, toute rivalité. Que chacun goûte comme « il est bon et doux pour des frères d'habiter ensemble » (Ps 132, 1) et éprouve au-dedans de soi que le bonheur d'être comme la première communauté chrétienne, « un seul cœur et une seule âme » signifie la réalisation de notre qualification de chrétiens catholiques. La charité au-dedans de l'Eglise, la charité qui la réunit et la compose, la charité qui la spécifie comme « corps mystique » et rend frères tous ceux qui en acceptent la socia­bilité organisée (Mt 23, 8 ; Lc 10, 16), la charité humble, amie et solidaire, entre nous fidèles et disciples et ministres du Christ, est la première condition requise pour s'asseoir à là table du Jeudi-Saint (cf. Lc 22, 24 ss).

 

« Faites ceci »

 

Ensemble donc, plus que jamais, vivons cette heure fugitive. Mais quel en est le but ? quelle en est l'intention ? Pourquoi sommes-nous réunis ? Et voici alors une seconde indication, bien connue également. Nous sommes ici pour une commémoration. Ce rite est une mémoire. Une messe, c'est toujours cela, mais en ce jour nous voulons faire ressortir son caractère commémoratif. Nous célébrons le mémorial du Seigneur, obéissant à ses paroles, que l'on peut dire testamentaires : « Faites ceci en mé­moire de moi » (Lc 22, 10 ; 1 Co 11, 25). Tout notre esprit se remplit maintenant du souvenir de Jésus ; nous voudrions pou­voir nous le représenter tel qu'il était : son aspect, son visage, le son de sa voix, la lumière de ses yeux, les gestes de ses mains... Aucune image sensible ne nous en est parvenue. Nous pensons avec stupeur à celle du saint Suaire, si impressionnante et si profonde; nous pensons, chacun selon nos goûts, aux pieuses effigies des grands artistes, aux descriptions des savants et des saints, mais c'est toujours avec cette insatisfaction propre à nous modernes, trop favorisés par la civilisation de l'image, parce que la sienne n'apparaît jamais à nos regards, mais seulement à notre désir eschatologique : « Viens, ô Seigneur Jésus ». (Ap 22, 20). Notre mémoire doit se contenter d'une autre présence, celle de sa parole ! Alors tout l'Evangile passe devant notre esprit qui s'arrête aux mots que le Christ prononça à la dernière cène et qu'il recommanda à notre souvenir. Quelle parole ? Oh! nous le savons bien : « Prenez et mangez : ceci est mon corps ; prenez et buvez : ceci est le calice de mon sang ».

 

Agape et mystère

 

Le banquet pascal, parce que telle était bien cette cène rituelle, devait être objet d'inoubliable souvenir, mais sous un aspect nouveau: non plus celui de l'occision et de la manducation de l'agneau, signe et gage de l'ancienne alliance, mais celui du pain et du vin changés au corps et au sang de Jésus. A ce point l'agape se fait mystère. La présence du Seigneur se fait vivante et réelle. Les apparences sensibles restent ce qu'elles étaient : pain et vin, mais leur substance, leur réalité est intimement changée ; les apparences restent seulement pour signifier ce que les a définies la parole toute-puissante et divine de Jésus : corps et sang. Nous sommes stupéfaits, car ce prodige est justement ce que le Sei­gneur nous demande de rappeler ou, mieux, de renouveler. Il a dit aux Apôtres : « faites ceci », leur transmettant ainsi la vertu de répéter son acte consécratoire : non seulement de le repenser, mais de le refaire. Le sacrement de l'Eucharistie et celui de l'Ordre, qui en est la garde et la source, ont été institués ensemble, en ce soir unique. Nous restons stupéfaits et tout de suite tentés : Est-ce vrai ? réellement vrai ? Comment expliquer ces syllabes sacrées : Ceci est mon corps ; ceci est mon sang ? Peut-on trouver une interprétation qui ne fasse pas violence à notre mentalité élémentaire ? à notre réflexion métaphysique habituelle ? Il monte même à nos lèvres le commentaire répulsif des Capharnaïtes : « Cette doctrine est dure ; qui peut l'entendre ? » (Jn 6, 61). Mais le Seigneur n'admet pas de doutes ni d'exégèse évadée de la réalité authentique de ses paroles textuelles. Il en fait une question de confiance ; il laisserait se disperser le groupe bien-aimé de ses disciples plutôt que de les exempter de l'adhésion à ses paroles paradoxales mais véridiques, leur proposant en un langage non moins dur : voulez-vous, vous aussi, vous en aller ? (ibid, 68).

C'est donc une heure décisive, l'heure de la foi, l'heure qui accepte dans son intégrité la parole de Jésus, serait-elle incom­préhensible ; c'est l'heure où nous célébrons le « mystère de la foi », l'heure où nous répétons même avec un abandon sage et aveugle la réponse de Simon Pierre : « Seigneur, à qui irions-nous ? Toi seul as les paroles de la vie éternelle. Et nous croyons et nous savons que tu es le Saint de Dieu » (Jn 6, 69-70).

Oui, chers Frères et chers Fils, cette heure est celle de la foi, qui absorbe et consume l'obscur et immense nuage d'objections que d'une part notre ignorance et de l'autre la dialectique raffinée de la pensée accumulent au-dessus et au-dedans de notre esprit. Mais humblement et heureusement il se laisse foudroyer par le verbe lumineux du Maître et lui dit en tremblant, comme l'implorateur évangélique : « Je crois, Seigneur, mais augmente ma foi » (Mc 9, 24).

 

Corps et sang dans le Sacrifice

 

Et alors la foi interroge encore : mais que signifie, cette manière de rappeler le Seigneur ? Quel est le sens, quelle est la valeur de ce mémorial ? De ce sacrement de présence ? De ce mystère de foi ? Quelle est l'intention dominante du Seigneur, celle qu'il voulait imprimer dans la mémoire des siens dans cette rencontre conviviale ?

Il en est qui ne se posent même pas la question, pour ne pas, en quelque sorte, découvrir quelque vérité nouvelle et surpre­nante. Mais nous, nous ne pouvons nous y arrêter sans recueillir l'ultime trésor du testament de Jésus. Tout nous oblige à le faire, parce que ce soir ultime de sa vie temporelle est extrêmement intentionnel et dramatique : il suffirait d'observer cet aspect de la dernière cène pour ne plus mettre de terme à notre extatique méditation. La tension spirituelle ôte presque le souffle. L'aspect, la parole, les gestes, les discours du Maître débordent de la sen­sibilité et de la profondeur que donne l'approche de la mort. Il la sent, Il la voit, Il l'exprime. Deux notes dominent les autres dans cette atmosphère de tension rendue silencieuse par les actes et les présages du Maître : amour et mort. Le lavement des pieds est un exemple impressionnant d'humble amour, le mandat, le mandat ultime et nouveau : aimez-vous comme je vous ai aimés. Et cette angoisse pour la trahison imminente, cette tristesse qui transparaît dans les paroles et l'attitude du Maître, et cette effu­sion mystique et prenante des discours ultimes, presque un soli­loque, un soliloque du Christ débordant d'un cœur qui s'ouvre aux suprêmes confidences, tout se concentre dans l'action sacra­mentelle que nous venons de rappeler : corps et sang ! Oui, amour et mort y sont représentés : une seule parole les exprime : sacrifice. La mort y est signifiée, la mort sanglante, la mort qui séparerait du corps du Christ son sang ; une immolation, une victime. Et victime volontaire, victime consciente, victime par amour, victime donnée pour nous, et à rappeler comme annonciatrice de la mort de Jésus, de son sacrifice pour toujours, jusqu'à ce qu'il revienne, à la fin du monde (1 Co 11, 26). Le Christ a scellé en un rite renouvelable par ses disciples faits apôtres et prêtres, l'offrande de Lui-même au Père comme victime pour notre salut, pour notre amour. C'est la messe. C'est l'exemple et la source de l'amour qui se donne jusqu'à la mort.

C'est le Jeudi-Saint que nous rappelons et célébrons. C'est le cœur et le modèle de la vie chrétienne. C'est le mandat et le mémorial, c'est la passion, c'est la charité du Christ qui se trans­fuse dans son Eglise, en nous, afin que nous puissions vivre de Lui et par Lui et comme Lui (Jn 6, 57), nous offrir nous aussi en sacrifice pour nos frères, pour le salut du monde (cf. 10, 12, 24 ss) et un jour ressusciter en Lui (cf. Jn 6, 54-58).

 

 

 

29 mars

« QUE NOTRE PAIX AILLE VERS VOUS »

 

Message de Pâques

 

Frères humains,

 

Quelle autre salutation pourrions-Nous vous présenter en cette joyeuse journée de Pâques sinon celle-là même que le Christ ressuscité adressa à la communauté de ses disciples encore sous l'emprise de l'incertitude et de la peur: Paix à vous !

Oui, Nous osons faire nôtre cette annonce sereine et forte, comme si notre voix était l'écho fidèle de la sienne ; et au nom de Jésus toujours vivant dans la réalité de notre histoire et déjà vivant dans la réalité bienheureuse et éternelle de la posthistoire, nous vous répétons : Paix à vous !

A vous qui êtes réunis en cette place des peuples et qui dans une certaine mesure connaissez d'expérience sa présence cachée, à qui la promesse a été faite de pouvoir vous réunir partout en son nom ; à vous, très chers fidèles de Rome, à vous, pèlerins et hôtes de cette Ville où tout citoyen du monde peut se sentir chez lui ; à vous qui êtes ministres avec Nous de ce Siège Apos­tolique ; à vous, illustres Représentants des peuples, messagers et collaborateurs avec Nous de l'amitié que Nous voulons faire régner sur terre ; à tous Nous exprimons notre vœu le plus sin­cère et le meilleur : Paix à vous !

Et, élevant la voix de notre cœur, Nous étendons ce souhait serein de Pâques aux cercles les plus larges de notre cher audi­toire : à la toute proche Nation italienne, à toutes, à toutes les Nations du monde, à l'humanité tout entière ; et Nous voudrions que notre souhait de paix se fasse pénétrant et efficient là où sé­vissent encore les guerres locales, et là où les négociations cherchent sans se lasser à écarter et à résoudre les conflits, afin que la concorde et la collaboration se réinstaurent dans la justice et dans la liberté pour le progrès de tous : Paix, Paix à vous !

A vous, les jeunes de la génération montante, qui, en même temps que vous mettez en accusation les inadaptations de la so­ciété actuelle, en cherchez les futurs développements dans des ensembles humains plus authentiques ; à vous, hommes du monde ouvrier, sans cesse en quête d'une meilleure justice sociale, non dans le bouleversement mais dans l'équilibre du bien commun ; à vous, travailleurs du monde scientifique et technique ; à vous, spécialistes de la culture ; à vous, hommes politiques, promoteurs et arbitres du bien public : à vous tous, artisans du monde mo­derne, que parvienne notre souhait de paix.

Aux familles, aux écoles, aux usines, aux casernes, aux hô­pitaux et aux cliniques, à tous les lieux où l'on souffre, partout Nous voulons proclamer : Paix !

Beaucoup, peut-être, de ceux qui Nous écoutent Nous de­manderont de quel droit Nous Nous faisons le héraut de cette voix pacifique. Nous répondons tout de suite : tous nous devons être des annonciateurs de paix, parce que cette bonne nouvelle doit concerner tout le monde ; et pour ce qui Nous regarde, Nous l'avons déjà dit : cet appel ne vient pas de Nous, mais, tel que Nous l'avons entendu du Christ, tel, devenu l'instrument de sa voix, Nous vous le redisons : c'est sa Paix que Nous vous annon­çons à tous.

Et si quelqu'un Nous demande le sens particulier du mot Paix en cette circonstance, Nous pouvons lui répondre tout sim­plement que cette Paix de Pâques signifie une grande certitude, une grande sécurité. Ne voyez-vous pas, frères humains, que tous nous avons particulièrement besoin de certitude dans la pensée, de sécurité dans l'action ? Il se produit en effet ceci : plus l'homme cherche, étudie, pense, découvre et construit sa gigantesque tour de la culture moderne, moins il se sent sûr de la valeur de la raison, de la vérité objective, de l'utilité existentielle du savoir, de sa propre immortalité ; le doute l'envahit, le trouble, le secoue, l'abat ; il se réfugie dans l'évidence de ses merveilleuses conquê­tes, il s'alimente de la sincérité de ses expériences, il se fie au crédit des grandes paroles sonores à la mode, mais en réalité la peur lui donne le vertige quant à la valeur de toute chose.

Eh bien, Nous, avec ce souhait de Pâques, Nous sommes en mesure d'offrir à l'homme, qui sombre dans l'océan de son propre humanisme, un fondement sûr. Et ce n'est pas un fondement de notre fabrication, qui serait en concurrence avec tant d'autres que le monde moderne offre à l'incertitude humaine ; car, dans notre petitesse et notre faiblesse, Nous n'avons pas la présomption de compter sur un pouvoir quelconque de notre part. Mais il est certain que Nous possédons un fondement so­lide sur lequel on peut construire la vie, entendons la vie reli­gieuse, dans l'incomparable certitude que donne d'ici, depuis vingt siècles, le témoignage de Pierre : le Christ est ressuscité (cf. Ac 2, 24). C'est là l'événement nouveau et prodigieux, vrai et irréfutable, sur lequel tout est fondé ; c'est là désormais et pour toujours  « la pierre angulaire, méprisée par les bâtisseurs. Et le salut ne se trouve en aucun autre » (cf. Ac, 4, 11-12). Mais même la vie de ce monde peut ressentir les avantages d'une telle assurance vitale. Le Concile dit :

« Constitué Seigneur par sa résurrection, le Christ... agit désormais dans le cœur des hommes par la puissance de son Esprit ; il n'y suscite pas seulement le désir du siècle à venir, mais par là même anime aussi, purifie et fortifie ces aspirations généreuses qui poussent la famille humaine à améliorer ses con­ditions de vie et à soumettre à cette fin la terre entière » (Gaudium et spes, 38).

Nous avons cette conviction, et Nous vous la transmettons avec la Paix. Nous la transmettons comme un humble et fraternel rappel :

— Si vous, hommes de notre siècle, ne voulez pas être trom­pés par votre propre sagesse, si vous ne voulez pas transformer en instrument de destruction votre propre progrès, rappelez-vous le caractère prioritaire de ce règne de Dieu que le Christ a pro­clamé comme souveraine justice du monde ;

— si vous voulez attribuer son domaine le plus étendu à la liberté, personnelle ou sociale, afin qu'elle ne fasse pas dominer l'être inférieur sur l'homme supérieur qui est en nous, ou qu'elle ne provoque pas l'écrasement des puissances petites et faibles par celles qui sont plus riches et mieux armées, rappelez-vous le grand promoteur de la conscience responsable devant l'inexorable loi de l'amour évangélique, rappelez-vous le Christ défenseur des pauvres, des petits, des faibles, de ceux qui souffrent ;

— si vous voulez vraiment conduire le monde vers son unité organique, rappelez-vous les principes d'où cette unité tire sa logique et sa possibilité : la fraternité que le Christ nous a ensei­gnée et dont il nous a fait un devoir tout en la rendant facile ;

— si vous voulez donner au monde moderne son émancipa­tion complète et adulte, n'oubliez pas la racine dont notre civi­lisation tire son génie et la sève de sa maturation, la conception de l'homme racheté.

Et en gage d'espérance, Nous vous transmettons, à vous et au monde, la certitude, une certitude de foi, la sécurité, une sécurité faite d'amour, qui résultent pour nous du message pascal. Oui, qu'en termes de confiance et d'espérance aille vers vous notre Paix, aube d'une journée toujours nouvelle et sereine dans l'histoire du monde.

Paix et bénédiction !

 

 

 

6 avril

NECESSITE D'UNE ETUDE DOCTRINALE SUR LA « COMMUNICATION SOCIALE »

 

Grande est la satisfaction que Nous procure cette rencontre avec vous, Membres et Consulteurs de Notre Commission pour les Communications sociales, réunis au Vatican pour votre Session Plénière annuelle. Vous êtes venus pour Nous confirmer votre adhésion et votre collaboration, et Nous, Nous vous disons notre gratitude, Notre approbation, Notre encouragement.

L'assistance que vous Nous prêtez concerne un secteur par­ticulièrement vaste et complexe, lourd de problèmes et d'affaires urgentes de Notre responsabilité pastorale : un secteur nouveau, moderne, aux exigences toujours croissantes, proportionnées au puissant dynamisme d'une réalité sociale et technique particu­lière, un secteur énorme et irréversible. C'est pourquoi votre aide, qui facilite Notre lourde tâche de présence apostolique et active dans le domaine des communications sociales, au service de Nos Frères dans l'Episcopat, des fidèles confiés à leurs soins et aux Nôtres, et des nommes de bonne volonté, mérite toute Notre estime, toute Notre reconnaissance.

Nous voulons souligner deux circonstances qui caractérisent d'une manière positive le moment actuel de la Commission Pon­tificale pour les Communications Sociales, et desquelles Nous pouvons tirer d'heureux présages. Avant tout, et votre présence en est l'illustration, la Commission se présente renouvelée dans sa composition et prête à affronter les activités d'un nouveau quinquennat. En outre, elle est sur le point de mener à bon port l'Instruction Pastorale pour l'application du décret con­ciliaire « Inter mirifica » dont la préparation lui a déjà demandé beaucoup de temps et coûté beaucoup de fatigue.

Cet important document, que vous approuverez ces jours-ci, sera ensuite soumis à l'examen des Conférences Episcopales de tous les pays. De cette manière se réalisera une autre forme de collaboration, — très sage et très féconde, celle-là aussi — ex­pression ultérieure et plus vaste de la collégialité épiscopale déjà en acte dans Notre Commission par la présence de nombreux Evêques. En même temps, sera dûment reconnue la compétence des organismes locaux, dont la fonction est vraiment nécessaire, même pour ce qui regarde le secteur qui nous intéresse.

Dans le champ de la communication sociale, l'Eglise est donc présente avec des structures centrales et périphériques suffisam­ment adaptées, bien qu'évidemment susceptibles de dévelop­pements nouveaux. Présente, l'Eglise le sera aussi, bientôt, avec des normes mises à jour et complètes, portant ainsi à maturité l'un des multiples et précieux fruits de Vatican II.

Les instruments sont donc prêts ; et prête est Notre Commis­sion : Nous le disons dans un sentiment de satisfaction paternelle et avec des souhaits fervents. Maintenant il faut agir, et bien user des moyens structuraux et normatifs dont on dispose.

Que proposons-Nous à votre considération, en ce moment exigeant et prometteur, pour vous stimuler dans l'exercice éclairé et diligent de votre mission ?

 

Le risque d'aliénation

 

Deux pensées suffiront : deux indications directrices.

Avant tout, il Nous semble d'une importance fondamentale que soit suscitée, promue, une étude doctrinale rigoureuse et approfondie de cette réalité qu'en termes désormais classiques nous appelons la « communication sociale ». Une réalité aux di­mensions gigantesques : grande comme les moyens dont elle se sert, comme les collectivités auxquelles elle s'adresse et dans le tissu desquelles elle pénètre irrésistiblement pour entrer dans sa constitution même. Une réalité qui intéresse les sciences de l'homme et les sciences de la nature : donc, une réalité aux di­mensions mondiales, et par conséquent énormément suggestive. Une réalité qui met en cause tout l'homme : son individualité et sa sociabilité ; une réalité qui, au sein du binôme vital, « société et personne », crée des tensions dramatiques en raison de son ambivalence, alors qu'elle devrait promouvoir le développement harmonieux de la personne, dans ses valeurs les plus intimes comme dans ses valeurs sociales, lesquelles dérivent de la personne elle-même et se reflètent sur elle. Une réalité qui comporte un risque grave d'aliénation, de conformisme, de réception passive et incontrôlée de modèles de pensée et de comportement, en même temps qu'elle est capable de favoriser l'égalité et la fra­ternité, l'enrichissement commun et réciproque des idées et de la conduite, l'intérêt simultané et convergent de tous les hommes ou de larges secteurs de l'humanité pour les problèmes de la vie et de l'histoire ; une réalité capable de promouvoir la « commu­nion » précisément à travers la « communication ». Une réalité, encore, différenciée selon qu'elle concerne la famille, ou l'école, ou les jeunes, ou qu'elle prévient ; les moyens traditionnels et toujours irremplaçables d'éducation et de formation ; différen­ciées, d'autre part, selon qu'elle est créée par la presse, le cinéma, la radio ou la télévision.

 

Phénomène à explorer

 

La communication sociale est donc un phénomène à explorer, à connaître dans ses composantes, dans ses mécanismes, dans ses lois formelles.

Et puis, il y a le grave problème des contenus : contenus réels, qu'il est donné de relever avec certitude par les méthodes pro­pres de l'enquête sociologique, mais dont les résultats sont souvent, hélas, si affligeants ; et contenus qui « devraient être », spécialement quand la communication sociale pénètre des milieux déterminés, comme la famille et l'école, ou s'adresse à des caté­gories bien définies, comme la jeunesse. En effet, il est toujours merveilleusement surprenant que l'homme fragile et éphémère, et cependant si puissamment revêtu et presque accablé de la réalité qui l'entoure, soit capable de surmonter cette réalité pour la juger et la diriger. Dès lors le phénomène de la communication sociale s'offre à notre réflexion philosophique, à notre critique, et devient l'objet d'une déontologie qui, au-dessus du simple fait de ce qu'elle est à un moment donné, enseigne et indique com­ment elle doit se conformer à l'impératif moral par l'usage cor­rect de ses méthodes comme des contenus dont les méthodes et les instruments sont les porteurs. Et cette réflexion s'ouvre sur les horizons illimités de la théologie, la communication sociale pouvant et devant être assumée dans le mystère du salut.

Mais pour le moment qu'il nous suffise de quelques indications. Nous voulons seulement ajouter que le problème de la commu­nication sociale se présente avec des caractéristiques particulières lorsqu'il est considéré en milieu d'Eglise. Ici la doctrine a besoin d'un approfondissement rigoureux si l'on veut, comme il se doit, éviter l'application inconsidérée et fallacieuse de concepts nés dans un milieu différent. Mais il n'en résulte pas pour autant de limitations mortifiantes de la « communication sociale » ecclésiale. On devra, en particulier, étudier le problème de l'opi­nion publique dans l'Eglise, thème délicat et point facile, lourd de conséquences positives ou négatives selon qu'il est ou non situé et résolu correctement.

Mais l'on ne peut se contenter de promouvoir l'étude doctri­nale de la communication sociale au niveau scientifique, spé­cialisé, suivant attentivement tout ce qui paraît à ce sujet et don­nant soi-même ou suscitant de nouveaux apports. Il est nécessaire en effet, de diffuser aussi et de vulgariser cette doctrine, c'est-à-dire de la rendre accessible, en sorte que même la masse, et en particulier les catégories et milieux dont nous venons de parler prennent conscience du phénomène pour en user avec rectitude et sens critique. Il faut, en un mot, promouvoir un vaste mou­vement d'opinion — d'opinion droite — sur la communication sociale.

 

Usage responsable

 

Le travail à accomplir dans le secteur de la doctrine exige votre engagement à tous, Membres et Consulteurs de la Commis­sion Pontificale pour les Communications Sociales ; et votre secrétariat central, constitué près de Nous en permanence, devra encourager et coordonner votre réflexion, recueillir vos rensei­gnements et vos propositions, et, à son tour, informer et donner des orientations. De l'attention méthodique que vous consacrerez à la doctrine de la communication sociale et à son opportune dif­fusion pour la formation des consciences, devront bénéficier d'une manière spéciale les Conférences Episcopales Nationales. Ainsi la Commission Pontificale leur rendra un utile service et solli­citera leur nécessaire collaboration, celle-ci d'autant plus pro­fitable et appréciable qu'elle émane de zones culturelles diffé­rentes et variées. Autres bénéficiaires qualifiés de cet enseigne­ment conjoint : les experts, les critiques, les dirigeants, les tech­niciens, tous ceux, en somme, qui agissent dans le secteur de la communication sociale avec quelque responsabilité particu­lière.

La seconde pensée, le second encouragement concerne le terrain plus strictement opérationnel, c'est-à-dire l'action qu'il est nécessaire et urgent d'intensifier pour obtenir un bon emploi de la presse, de la radio, du cinéma, d'autres formes de specta­cles, de la télévision, relativement à la transmission de contenus humainement valables et positifs, relativement au message que le Christ a confié à son Eglise pour le salut de tous les hommes.

 

Emploi pastoral direct

 

Il s'agit des moyens de communication sociale, comme les journaux, les émetteurs et les salles de cinéma, que les catholi­ques possèdent ou devraient posséder, et sur la nécessité desquels (spécialement leur journal) on n'insistera jamais assez. Il s'agit de la présence de professionnels catholiques dans tous les do­maines de la production et de la distribution ; de l'apostolat de milieu et de l'apostolat plus général — de tous les mouvements d'apostolat des laïcs — qui ne peut manquer, dans le réveil consolant et prometteur qui le caractérise aujourd'hui, de con­sacrer une attention très spéciale aux problèmes des mass-media, par une coordination efficace et opportune des efforts et des initiatives. Il s'agit encore d'écoles et de centres de formation comme les cinéforums. Ces activités et d'autres encore, qui se déroulent sur les plans diocésain, national ont besoin du soutien de la Hiérarchie, c'est-à-dire de notre Commission et des Com­missions Episcopales Nationales pour les moyens de communica­tion sociale, en collaboration avec d'autres Dicastères du Saint-Siège (par exemple celui de l'Education Catholique et le Consilium de Laicis) et avec d'autres organismes locaux des divers Episcopats.

Il ne faut pas non plus perdre de vue la possibilité, de plus en plus vaste et évidente, de l'emploi pastoral direct des moyens de communication sociale. Nous souhaitons avant tout que soit encouragée toute initiative apte à renforcer et à rendre efficace la présentation du visage de l'Eglise et de son action constante dans le monde, et cela par la diffusion rapide et précise des nou­velles qui la concernent. Mais ensuite nous devons envisager aussi des problèmes nouveaux ou affrontés jusqu'à présent d'une manière trop restreinte. Par exemple, l'emploi des moyens audio­visuels pour la catéchèse, pour la formation liturgique, pour l'évangélisation, pour l'éducation religieuse catholique. Là aussi nous devons progresser dans l'étude, dans l'effort, dans la col­laboration.

Nous savons que ces brèves indications trouvent dans vos âmes un accueil généreux et parfait, dans vos âmes, déjà habi­tuées à méditer et à hâter la solution des graves problèmes de la communication sociale, sous l'angle de la mission humaine et divine qui Nous a été confiée. Le champ est immense et malaisé. Mais Nous avons confiance dans votre œuvre et surtout dans l'aide du Seigneur, dont Nous vous donnons comme gage et de tout cœur Notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

6 avril

MESSAGE POUR LA « JOURNEE MONDIALE 1970 » DES COMMUNICATIONS SOCIALES

 

Chers frères et fils,

Vous tous, hommes de bonne volonté,

Vous surtout, jeunes du monde entier,

 

La Journée mondiale des communications sociales rejoint cette année, Nous en sommes sûr, une de vos préoccupations essentielles : « Les communications sociales et la jeunesse ». Qui, en effet, ne prend conscience de notre immense responsabilité à tous, devant l'histoire et devant Dieu, dans l'usage des possi­bilités extraordinaires que ces moyens nous donnent pour aider les jeunes à s'informer, à se former, à découvrir les vrais problè­mes du monde, à rechercher les valeurs authentiques de la vie, à assumer leur vocation d'hommes et de chrétiens ?

Oui, c'est vraiment une interpellation brûlante pour tous les hommes de bonne volonté, pour les organisations privées, natio­nales et internationales, pour l'Eglise aussi : hommes, quelle jeu­nesse surgira demain dans cet univers que vous lui construisez aujourd'hui ? Jeunes, quelle société allez-vous réaliser lorsque vous prendrez en mains à votre tour les destins du monde ?

Frères et fils, à tous Nous voulons dire, dans la conscience aiguë de notre responsabilité pastorale : demain sera ce que Nous l'aurons fait, avec la grâce de Dieu.

 

Or, est-il besoin de le rappeler encore, alors que le phénomène prend chaque jour une plus vaste ampleur, presse, radio, cinéma, télévision tendent à recouvrir, voire à supplanter ce que les contacts familiaux, scolaires et paroissiaux, ce que l'enseignement des maîtres et des éducateurs, bref, tout ce que les moyens tra­ditionnels de la culture, permettaient aux générations d'hier de transmettre à leurs héritiers. Aujourd'hui ce sont de nouvelles sources de savoir et de culture qui jaillissent, avec leur puissant pouvoir d'imprégnation sur les sensibilités comme sur les intel­ligences, et tout ce cortège de résonances imaginaires et idéolo­giques qu'entraînent les images sonores et visuelles.

Merveilleux moyens en vérité, d'ouverture, de contact, de communication, de participation. Mais, qui ne le voit, à condition précisément de rester des moyens au service d'une fin, le seul qui soit digne de ce nom : le service de l'homme, de tout homme et de tout l'homme (cf. Populorum Progressio, 14), au contraire, l'on constate trop souvent l'utilisation des jeunes et des enfants, comme autant de consommateurs faciles à entraîner sur les pentes de l'érotisme et de la violence, ou sur les chemins périlleux de l'incertitude, de l'anxiété et de l'angoisse. Il n'est pas trop de l'entente de tous les honnêtes gens pour pousser enfin un cri d'alarme, et mettre un terme à des entreprises qu'il faut bien, appeler : corruptrices.

Qui ne saisit dès lors l'urgence d'utiliser les moyens de com­munication sociale et leur langage émotionnel, à travers le son, l'image, la couleur et le mouvement, pour en faire les modernes instruments des échanges humains, capables de répondre à l'at­tente de la jeunesse ? Chance inouïe que cette profusion de nour­riture, si elle est saine, si l'organisme est préparé à la recevoir, s'il peut l'assimiler aussi et n'en pas être intoxiqué ! Oui, sans aucun doute, merveilleuse possibilité pour tant de jeunes : trouver une détente de choix, acquérir une information étendue et pour certains une première formation à la lecture et à l'écriture — Nous tenons à le rappeler en cette année mondiale de l'éducation, voulue par les Nations-Unies à l'aube de la deuxième décennie du dé­veloppement —, accéder à une culture de qualité, éprouver le goût des valeurs authentiques de fraternité, de paix, de justice, de bien commun.

Tâche immense, exaltante en vérité, pour tous ceux qui met­tent en œuvre ces moyens gigantesques au service des jeunes. Mais à quoi servirait tout cela si parents et éducateurs n'aidaient ces jeunes à choisir, à juger, à intégrer ce qui leur est proposé, pour devenir hommes et chrétiens à part entière ; et si les jeunes eux-mêmes demeuraient passifs, comme fascinés par ces puis­santes sollicitations, englués dans le désir, et incapables de le dominer avec maîtrise ?

 

Qui saura enfin apporter aux jeunes ce message de vie au­thentique, loyal et courageux que plus ou moins consciemment ils attendent ? Des centaines de millions d'hommes ont communié au même enthousiasme devant les images étonnantes des premiers pas de l'homme sur la lune. Qui saura unir ces hommes dans la même ferveur autour du Dieu d'amour qui est venu marcher d'un pas d'homme sur notre terre, pour « nous appeler tous à participer en fils à la vie du Dieu vivant, Père de tous les hom­mes ? » (cf. Populorum Progressio, 21).

A tous les pasteurs, à tous ceux qui, nombreux, Nous le sa­vons, prêtres, religieux, religieuses et laïcs, s'emploient avec ardeur à chercher à travers les mass-media ce nouveau langage qu'il faut trouver pour annoncer aux jeunes cette bonne nouvelle, qui demeure toujours une nouvelle étonnante, Nous disons notre encouragement le plus vif. Qui douterait en effet que les jeunes d'aujourd'hui ne soient en attente de cette annonce, qu'ils n'aient soif de ce témoignage, et qu'ils ne sachent reconnaître eux aussi avec une joie profonde, celui qui est lui-même la réponse à leurs interrogations les plus radicales et les plus déconcertantes, lui qui est « devenu pour nous sagesse, justice et sanctification, ré­demption? » (1 Co 1, 30).

« Jeunes, cherchez le Christ pour rester jeunes » (saint au­gustin, Ad fratres in eremo, sermo XLIV) : c'est notre vœu, c'est notre prière.

Que parents, éducateurs, producteurs, réalisateurs, utilisa­teurs des moyens de communication sociale, mettent à profit cette journée mondiale qui leur est consacrée, pour une utile réflexion et de fécondes résolutions pour le plus grand bien de la jeunesse ! Nous vous adressons à tous notre affectueuse et confiante Bénédiction Apostolique.

Du Vatican, le 6 avril 1970

En la fête de l'Annonciation de Notre Seigneur.

paulus PP. VI

 

 

 

11 avril

SIXIEME ASSEMBLEE PLENIERE DE LA CONFERENCE EPISCOPALE ITALIENNE

 

Nous souhaitons la bienvenue à la sixième assemblée géné­rale de la Conférence épiscopale italienne. Nous le faisons comme évêque de Rome et donc comme membre de droit de cette Conférence, ce qui veut dire avec un sentiment de frater­nité, de solidarité, de communion. Nous le faisons comme suc­cesseur de Pierre, sensible au rapport de collégialité et de fonc­tion pastorale qui, « principe visible et fondement de l'unité, lie entre eux soit les évêques, soit la multitude des fidèles », comme dit le Concile (Lumen gentium, n. 23), principe qui Nous unit à vous tous et à chacun de vous, et voudrait exprimer dans une sollicitude sans limite (cf. 2 Co 11, 28 ; Rm 12, 3) l'amour infini que nous devons au Christ en considération du sien pour nous (Lc 22, 32).

Nous serions tenté de consacrer à ce juste et affectueux in­térêt pastoral un moment, un long moment d'analyse, de réfle­xion, de contemplation : votre présence Nous offre un cadre très vaste et global de la vie de l'Eglise en Italie, un cadre histo­rique et plus traditionnel que tout autre et, en même temps, frais et nouveau, marqué par ces structures modernes qui n'a­vaient jamais existé auparavant et qui, dès maintenant, promet­tent une vitalité organique rajeunie ; Combien d'aspects ne fau­drait-il pas admirer, examiner, commenter ! Que de critères inspirateurs de la nouvelle organisation ecclésiale seraient à déter­miner et à encourager : l'union, l'organisation, la collaboration, la rénovation, le style évangélique et social et ainsi de suite ! et combien de noms parmi ceux qui ont bien mérité dans ce pro­cessus évolutif Nous devrions déjà mentionner pour notre sou­venir et notre reconnaissance! Nous n'en retiendrons qu'un, celui du regretté Cardinal Jean Urbani, patriarche de Venise et président de la Conférence épiscopale, qui, il y a peu de mois, nous a précédés d'une manière inattendue « dans le signe de la foi... et dans le sommeil de la paix ». Et puis, que de questions, de problèmes, d'événements, de commentaires et de suggestions Nous aurions dans le cœur pour vous, à la vue de cette assemblée.

Mais Nous ne céderons pas au désir d'un discours adéquat aux thèmes que vous Nous offrez. Par devoir de discrétion, et aussi parce que vous avez déjà traité et discuté largement et sagement ces questions. Nous en prenons note et Nous Nous ré­servons de reprendre ce propos, le cas échéant. Qu'il Nous suf­fise pour le moment d'adresser un éloge sincère aux rapporteurs de cette assemblée et de leur dire un vif remerciement pour le sérieux de leurs travaux. Nous voulons recommander à l'atten­tion de tous l'ample et profond discours d'inauguration du Card. Poma. Ce discours constitue, à Notre avis, un texte important par la synthèse qu'il nous offre des questions étudiées et par l'orientation qu'il indique pour la solution de nos problèmes.

Qu'une seule parole de Notre part marque cette rencontre, la parole que Nous tirons de l'exhortation de Jésus à Pierre : « Confirme tes frères » (Lc 22, 32) : et c'est la confiance.

 

Présages d'un heureux renouvellement

 

Oui, la confiance. La confiance qui n'ignore pas les difficultés du temps présent, ni les déceptions qui peuvent abattre notre optimisme. Nous n'oublions pas l'avertissement du même apô­tre : « In timore incolatus vestri tempore conversamini », conduisez-vous avec crainte pendant le temps de votre exil (1 P 1, 17), et parfois Nous faisons référence pour nos affaires à la note auto­biographique désolée de saint Paul : « forts pugnae, intus timores », au dehors des luttes, au dedans des craintes (2 Co 7, 5). Mais ce serait ignorer ou mal interpréter tous ces « signes des temps », en oubliant la confiance que nous devons à la Providence qui conduit les destinées du monde et, certainement avec une par­ticulière miséricorde, celles de l'Eglise d'Italie. Ce serait négli­ger tant de ferments généreux et nobles de la génération pré­sente que de ne pas reconnaître dans le tumulte des inquiétudes et des agitations actuelles certaines aspirations, certaines pro­messes qui nous semblent des présages et des facteurs d'un heureux renouvellement. Et nous ne serions pas de fidèles disciples du Maître si nous ne savions pas élever notre confiance jusqu'à « l'espérance contre toute espérance » (Rm 4, 18), dans toutes les situations, pour ne pas mériter Son reproche d'être des gens de peu de foi (Mt 8, 26).

Confiance donc ! Le discours passe ainsi des choses aux per­sonnes. Il renonce intentionnellement à se prononcer en termes précis sur les questions de cette assemblée et il passe très rapi­dement et simplement à la sphère « pneumatique », c'est-à-dire spirituelle qui s'élève au-dessus d'elle.

 

Caractère ecclésial et autonomie séculière du laïcat

 

La première catégorie des personnes présentes auxquelles Nous adressons Notre invitation à la confiance est celle des Laïcs. Nos confrères évêques Nous permettent de leur donner cette priorité. Nous les voyons cette fois aussi représentants officiels dans l'assemblée générale de cette Conférence épiscopale. C'est une nouveauté dont Nous voulons tirer pour Nous-même des motifs de confiance. Si vraiment le laïcat catholique, comme l'attend depuis plus de cent ans l'Eglise hiérarchique et comme le Concile l'enseigne et y exhorte, veut répondre à la vocation propre de tout le peuple de Dieu, vocation qui lui reconnaît la dignité et la fonction du sacerdoce baptismal commun, le des­tine à la perfection chrétienne, l'unit organiquement au corps ecclésial, l'appelle avec autorité à la diffusion du royaume du Christ et à l'exercice actif de l'apostolat, l'engage à l'obéissance et à la collaboration avec les pasteurs responsables de la conduite des fidèles, alors l'Eglise verra des temps nouveaux : elle se verra elle-même modelée sur la tradition chrétienne primitive et sur les exigences théologiques de sa constitution ; elle verra l'authen­ticité de la prière et des mœurs chrétiennes se faire évidente et exemplaire ; elle verra se fortifier son organisation d'ensemble dans la concorde fraternelle et dans la charité agissante; elle verra son rayonnement dans le monde devenir plus large et plus bénéfique.

Nous avons confiance dans le laïcat catholique. L'humble témoignage personnel de Notre vie sacerdotale le dit, l'exercice de Notre magistère pastoral le confirme. Et Nous désirons que vous, laïcs catholiques, ayez confiance en l'Eglise. Vous lui de­vez ce double don généreux et cordial : confiance et fidélité. La confiance et la fidélité n'imposent pas une adhésion passive, elles ne sont pas une paresse docile, comme certains le croient peut-être. Soutenue par la confiance, la fidélité est cohésion, est cohé­rence, est défense, est collaboration. Et elle est aussi participa­tion relative et coresponsabilité ; elle est en outre stimulant de l'initiative, tant directe que disciplinée, entraînant la liberté per­sonnelle du chrétien adulte et mûr qui a éduqué sa conscience à la lumière de la doctrine authentique de l'Eglise, spécialement lorsqu'elle agit dans le domaine de l'activité temporelle. A ce sujet on peut dire que le Concile a, d'un côté, mis en honneur le caractère « ecclésial » du laïc catholique et, de l'autre, lui a reconnu une autonomie « séculière » qui distingue sa responsa­bilité de celle de l'Eglise dans la sphère qui lui est propre. C'est ce qui devrait inspirer au laïc lui-même la confiance dont Nous parlons.

Certainement il ne faut pas croire que le pouvoir de l'Eglise, tant dans la doctrine que dans l'action, dérive des pasteurs de la communauté ecclésiale agissant démocratiquement : ce serait céder à une fausse opinion. Mais, en rappelant que dans l'Eglise les pasteurs, par la volonté du Christ et par l'investiture sacra­mentelle, sont constitués docteurs et dispensateurs des mystè­res divins au service de toute la communauté et aussi pour le bien de ceux qui y sont étrangers, et en rappelant en outre que cela comporte une organisation ecclésiale originale, non copiée sur les schémas conventionnels de la société temporelle, il sera facile et beau d'établir entre la hiérarchie et le laïcat catholique de nouveaux rapports organiques qui donnent au laïcat la dignité, et le caractère fonctionnel qui lui a été reconnu par le Concile. Ayez donc confiance !

D'une manière analogue, Nous vous dirons à vous, prêtres, à tous ceux qui sont ici, à tous vos confrères, que vous repré­sentez moralement : ayez confiance !

Confiance en qui ? en quoi ? et pourquoi ? Ici la réponse est plus complexe.

Mais disons tout de suite : confiance dans le Christ. Oui, en Lui, confiance immense, personnelle, totale. Nous devons avoir une grande confiance dans le Christ. Il le veut (cf. Jn 14, 1 ; 16, 33 ; Mc 6, 50). Il vous a appelés (Mc 3, 13), vous a assimilés à Lui, vous a aimés de façon absolue, divinement. Votre spiri­tualité doit se baser sur cette confiance, sur cette théologie, d'où émerge la causalité divine prédominante dans votre qualification comme ses disciples, ses élus, ses amis, ses témoins, ses minis­tres, ses apôtres. Vous connaissez cette histoire ineffable qui descend dans la profondeur de votre psychologie et s'exprime dans les événements extérieurs de votre vie, dans l'humilité de votre service, souvent épuisant et héroïque. Relisez la page auto­biographique de saint Paul et faites vôtre son extrême confiance : « Scio cui credidi », je sais en qui j'ai cru (2 Tm 1, 7-12).

 

Une crise aggravée d'une manière artificielle

 

Et donc, confiance en vous-mêmes, Nous voulons dire dans la définition canonique de votre identité ecclésiale et sociale. Nous connaissons bien Nous aussi les multiples et graves motifs de l'inquiétude ecclésiale présente, Nous en pesons la validité devant le Seigneur, écartant de nos yeux le voile de la coutume commode, et Nous nous arrêtons avec une affectueuse intensité d'esprit à considérer la soi-disant « crise » qui, aujourd'hui, tour­mente tant de couches du sacerdoce catholique et intéresse tant l'opinion publique qui souvent dramatise les épisodes et cons­truit des fantasmes en exagérant et en déformant les cadres de la réalité. Nous souffrons nous aussi en observant cette situation dans les rangs du clergé, et d'autant plus qu'elle Nous semble aggravée parfois d'une manière artificielle. Mais Nous Nous demandons si on ne crée pas de lourds problèmes qui pourraient être évités par un plus grand respect de la tradition dont nous avons hérité et dont nous recevons ce trésor intangible du fa­meux « depositum » qui n'est pas un boulet à traîner mais une réserve de certitudes et d'énergies pour l'Eglise vivante dans l'histoire.

Ce qui Nous afflige sur ce point, c'est la supposition qui a plus ou moins pénétré dans certaines mentalités qu'on puisse choisir dans l'Eglise telle qu'elle est, dans sa doctrine, dans sa constitution, dans son déroulement historique, évangélique et hagiographique et qu'on puisse en inventer et en créer une nou­velle, suivant des données schématiques idéologiques et sociologiques, changeantes elles aussi et non appuyées sur des exi­gences ecclésiales intrinsèques. C'est ainsi que nous voyons ac­tuellement que ce ne sont pas tellement ses ennemis de l'exté­rieur qui attaquent et affaiblissent l'Eglise à ce sujet, mais quel­ques-uns de ses fils, quelques-uns qui prétendent être ses libres partisans de l'intérieur. Et que dirons-nous de ces cas, très rares heureusement, mais sensationnels, de prêtres et de religieux qui affichent une rupture ouverte et sacrilège des engagements so­lennels pris envers le Christ et l'Eglise ? « Il est fatal qu'il arrive des scandales, mais malheur à l’homme par qui le scandale arrive » (Mt 18, 7). De quel courage, de quel amour nouveau n'avons-nous pas besoin pour dominer avec force et dans la charité des coups si douloureux !

Nous ne voudrions pas qu'une accentuation problématique de ce genre ait envahi vos esprits. Nous vous disons à vous, prê­tres, à vous, religieux : « Soyez sobres et veillez... » (1 P 5, 8). Ayez confiance : la définition essentielle de votre figure de mi­nistres de l'Eglise catholique ne doit pas être mise en discussion. Soyez forts et soyez heureux d'être ce que vous êtes, comme le Christ donnés à l'Eglise et, par cela même, élevés à cette excep­tionnelle fusion du double amour du Christ et de l'Eglise qui confère à votre personnalité une incomparable plénitude inté­rieure de charité et de bonheur, et qui fait de votre existence sacrifiée, au milieu de la communauté des frères et au milieu du monde profane, un signe de feu du royaume de Dieu que seul le célibat, librement choisi avec le sacerdoce, peut réaliser.

Ayez confiance en votre vocation. La vie du prêtre demande, en plus de celui-là, beaucoup d'autres sacrifices. Vous les con­naissez ; son genre de vie est un genre à part. Tout cela concerne aussi la position du prêtre dans la société contemporaine : par elle-même elle vous distingue et en elle-même elle vous ratta­che, comme le sel de la terre. Elle ne vous interdit aucune con­naissance de la culture et de la vie ; elle vous soustrait à beau­coup d'expériences inutiles, ou nuisibles à votre ministère. Elle vous dispense de tant de soins qui, devenus des droits-devoirs, auraient pour effet de vous détourner de l'unique nécessaire, c'est-à-dire du service pastoral de la « meilleure part » de votre cœur et de votre temps.

Cependant, Nous le répétons, ayez confiance dans l'Eglise.

Elle traverse une heure de tension et de recherche, mais elle a le Concile pour la conduire : ce grand événement ne sera pas enseveli dans le passé, mais donnera ses fruits pour l'avenir, et vous, prêtres, vous en expérimenterez les nouvelles exigences et les nouveaux avantages. Les perspectives sont pour la recon­naissance de votre personnalité, pour l'assistance à chacun de vos besoins légitimes, pour votre plus étroite collaboration et votre coresponsabilité appropriée au soin pastoral de l'évêque, pour le renouvellement des structures qui ont été dépassées et des méthodes surannées et trop empiriques, en vue d'une plus grande efficacité de votre ministère.

 

« Soyez forts et soyez heureux d'être ce que vous êtes »

 

Et maintenant à vous, vénérés Confrères, Notre souhait de confiance.

Nous remarquons tous les jours, dans l'exercice de Notre charge apostolique, combien le ministère de l'évêque est devenu grave et difficile. Vraiment la fonction épiscopale n'est plus un titre d'honneur temporel mais un devoir de service pastoral. Et quel service ! Tout le poids des sollicitudes ecclésiales retombe sur l'évêque ; il peut dire avec saint Paul : Qui est faible, que je ne sois faible ? Qui vient à tomber, qu'un feu ne me brûle ? (2 Co 11, 29). Cet aspect essentiel du sacerdoce ministériel, remis au­jourd'hui en pleine lumière par le Concile (cf Lumen gentium, n. 24, 32), et réclamé par la conjoncture historique de l'Eglise, purifie la dignité épiscopale de toute naissance possible de va­nité extérieure et de pouvoir terrestre, caractérise spirituellement et pratiquement la figure du pasteur tel que le veut, conformé­ment à son exemple, le divin Maître, lui assigne son indispen­sable, grande et vraie fonction dans, la communauté ecclésiale, multiplie ses forces jusqu'au don de soi complet. Nous sommes en effet les serviteurs de l'Eglise, nous dirons-nous à nous-mêmes avec saint Augustin (De opere monachorum, XXIX ; PL 40, 577 ; et nous serons reconnaissants au Gard. Pellegrino du florilège augustinien qu'il nous offre dans le bel opuscule intitulé : Verus sacerdos, Fossano, 1965). Nous ne sommes donc pas surpris de noter souvent, dans l'exercice de Notre charge apostolique, comment des évêques en fonction, pas toujours infirmes ou âgés, et des candidats appelés à l'épiscopat, cherchent à écarter cet office qui, aujourd'hui, semble être devenu insupportable non seule­ment par ses exigences intrinsèques, mais aussi pour tant de difficultés extrinsèques.

Cela Nous dit combien vous aussi, Confrères in passione socii, vous avez besoin de réconfort et d'exhortation à la confiance.

 

Vocation et sacrifices

 

Nous pourrions tirer argument de la constitution et de l'effi­cacité croissante de cette Conférence épiscopale qui impose beaucoup de nouveaux devoirs aux évêques, mais qui leur offre beaucoup de nouveaux secours avec un admirable progrès. Nous accordons volontiers à qui en a le mérite Nos applaudissements et Notre encouragement. Mais plutôt une allusion Nous semble due aux deux grandes difficultés que rencontre aujourd'hui le ministère épiscopal.

 

Efficacité croissante de la C.E.I.

 

La première difficulté est celle de l'exercice du magistère. Ne perdons pas le temps à d'inutiles paroles pour éclairer ce dont nous faisons tous l'expérience avec appréhension et dou­leur. La fermeté et la pureté de la foi sont menacées aujourd'hui, non seulement par l'implacable opposition de la pensée et des mœurs du monde, mais aussi par une certaine « fatigue de la vé­rité catholique » et par un certain pluralisme excessif et souvent imprudent qui se répandent même à l'intérieur de l'Eglise. Nous ferons bien d'observer, avec respect et prudence, ces phénomè­nes qui diminuent dans son contenu substantiel l'orthodoxie de la doctrine de la foi, mais en y apportant la sagesse responsable et courageuse propre à notre office de témoins, de gardiens, de maîtres. Le magistère ecclésiastique est aujourd'hui parfois atta­qué précisément par ceux qui devraient le défendre, ne serait-ce que pour authentifier ce qui lui est propre. Mais nous ne devons pas avoir peur : les premiers à jouir des charismes du Saint-Esprit sont ceux auxquels ils ont été promis principalement. Et les premiers à qui appartient le droit-devoir d'enseigner les vérités de la révélation chrétienne sont les Apôtres, et par consé­quent aussi leurs successeurs : « Allez, enseignez » (Mt 28, 19 ; Lc 10, 16 ; Mt 10, 27 ; etc.).

 

Etudes ecclésiastiques et renouvellement de la catéchèse

 

Nous pouvons tirer aussi un motif de réconfort pour l'exer­cice de notre magistère de quelques faits concrets et récents tels que l'institution de la Commission théologique pontificale, fait qui par lui seul démontre comment l'Eglise enseignante appré­cie et favorise les études théologiques, comment elle accepte d'atteindre par leurs recherches éprouvées l'accroissement de son intelligence de la vérité révélée, et, encore plus, de celle de la spéculation humaine, et comment elle entend profiter de leur science pour donner à son propre langage une expression plus adaptée à la compréhension et à la' diffusion de son enseigne­ment. Nous souhaitons une nouvelle et florissante période aux études ecclésiastiques et Nous avons confiance que le rayonne­ment de la foi en recevra une nouvelle splendeur.

Un autre fait pour lequel la Conférence épiscopale mérite un éloge est la publication de votre document pastoral sur le renou­vellement de la catéchèse. C'est un document qui marque un moment historique et décisif pour la foi catholique du peuple italien. C'est un document dans lequel se reflète l'actualité de l'enseignement doctrinal tel qu'il ressort de l'élaboration doctrinale du récent Concile. C'est un document qui s'inspire de la charité du dialogue pédagogique, qui montre le désir et l'art de parler, d'une manière appropriée, influente et simple, à la mentalité de l'homme moderne. Nous ferons bien de lui donner une grande importance et d'en faire le point de départ d'un grand renouvellement, concordant et infatigable, pour la caté­chèse de la génération présente. Cela exige le caractère fonc­tionnel du magistère de l'Eglise : nous lui devons honneur et confiance.

La seconde difficulté est l'exercice de l'autorité.

Pour quantité de raisons, l'obéissance qui lui est due est moins reconnue à l'autorité ; au contraire, des contestations irré­vérencieuses et épuisantes lui sont adressées. Personne n'osera dire qu'il soit facile aujourd'hui d'être évêque. Mais sur ce point capital aussi, Nous répétons : confiance ! Confiance dans l'incon­testable pouvoir de notre mandat (Nous parlons à des maîtres et Nous n'en disons pas davantage). Confiance dans la bonté de la très grande majorité du Peuple chrétien envers la hiérar­chie. Confiance dans l'exigence de l'autorité inhérente aux né­cessités de la communauté des croyants. Confiance enfin dans le renouvellement sage et patient que nous-mêmes, pasteurs du Peuple de Dieu, imprimerons à notre art d'exercer l'autorité qui nous appartient à nous, évêques, dans la sainte Eglise.

C'est sur ce point que nous entendons la contestation répé­tée et monotone : ce n'est pas l'autorité, dit-on, qui est refusée (bien qu'il y en ait qui l'attaquent radicalement), c'est la manière de l'exercer qui doit être changée. L'observation peut être considérée, au moins tant qu'elle ne cache pas cette conclusion sophistique : la manière, c'est celle qui fait du frère supérieur le docile exécuteur de ce que les frères subordonnés désirent et décident.

 

Style ecclésial dans le dialogue

 

Mais non. Acceptons humblement de revoir nos manières d'exercer l'autorité. Pour simplifier, Nous dirons qu'il y a deux manières dans l'exercice de l'autorité : la première est celle de peser sur les autres et de freiner, habituellement par la crainte, la liberté et l'activité des autres; la seconde, c'est celle qui aide les autres à donner d'eux-mêmes une expression bonne, libre et responsable (cf. 2 Co 1, 24). De potestate nostra, quam dedit nobis Dominus in aedificationem, et non in destructionem vestram, non erubescam : De ce pouvoir que le Seigneur nous a donné pour votre édification et non pour votre ruine, je ne rougirai pas (cf. 2 Co 10, 8). Choisissons la seconde manière (cf. 1 P 5, 1-3). Elle est plus conforme à la nature et au but de l'autorité dans l'Eglise. Les deux systèmes ont leurs inconvénients : le second les manifeste davantage et les supporte ; mais le premier, s'il les cache, les augmente.

Nous sommes au « dialogue » dont on parle trop et dont on abuse parfois. Mais par lui-même, s'il est utilisé quand et comme il se doit, il nous semble offrir la bonne expression de l'autorité pastorale. Tous, vous en connaissez les difficultés et les ressources, et tous vous savez y trouver ce style ecclésial, cet esprit évangélique qu'actuellement l'Eglise et le monde attendent des hom­mes d'Eglise.

Voici le Conseil presbytéral, qui devient la salle d'exercice amical de ce nouveau style du pouvoir épiscopal. Voici le nou­veau statut de l'Action Catholique, qui vient sagement adapter la nécessité de la coordination des laïcs militants avec la direc­tion personnelle de l'Evêque, et la maturité des laïcs eux-mêmes qui aspirent à agir avec une autonomie pratique et à offrir libre­ment la contribution de leur collaboration.

Nous pourrions continuer. Mais que ces simples allusions suffisent à fortifier en vous ce que Nous sommes en train de vous souhaiter : la confiance sereine, apostolique.

Nous aurions beaucoup, beaucoup de choses à vous dire : « Adhuc multa habeo vobis dicere ! » (cf. Jn 16, 12). Il y aurait tous les sujets qui ont fait l'objet de vos discussions : les nouvelles cir­conscriptions diocésaines, la famille, le mouvement des travail­leurs, les œuvres missionnaires, les vocations, la réforme litur­gique, etc. Il Nous suffit que vous ayez présents tous ces sujets ; qu'il vous suffise que Nous aussi Nous les ayons présents et vous sommes uni dans la prière, dans la patience, dans la charité.

 

 

 

18 avril

LA CONTEMPLATION ET LA CONQUETE DU COSMOS RENCONTRE DE L'HOMME AVEC L'ŒUVRE DU CREATEUR

 

Aux membres de l’Académie Pontificale des Sciences

 

Excellences et chers Messieurs,

 

Nous vous remercions de tout cœur des sentiments si délicats que le Révérend Père O'Connel vient de Nous exprimer au nom de ses illustres collègues. C'est toujours une joie pour Nous, vous le savez, d'accueillir les membres de notre Académie Ponti­ficale des Sciences, en présence du Corps Diplomatique et de personnalités distinguées, et aussi une certaine émotion de voir réunis des représentants aussi qualifiés de tout l'univers, vérita­ble Sénat de savants, à la pointe de la recherche scientifique et de la réflexion qu'elle suscite dans l'esprit humain. Le thème de vos travaux, consacrés aux « noyaux des galaxies », n'en est-il pas le signe éclatant ?

1. Votre Session plénière marque un temps fort dans la vie de l'Académie, et Nous Nous en réjouissons. Car cette institu­tion, qui a pu connaître un certain ralentissement d'activité au cours de ces dernières années, demeure hautement significative : elle peut apporter à notre monde un concours appréciable par la compétence et l'universalité de son témoignage, et fournir aussi à la réflexion des croyants une base solide pour un dialogue fructueux avec la pensée scientifique. Que de chemin parcouru depuis la fondation de l'Académie des « Lincei » en 1603, sa restauration par Pie IX, son élargissement sous Léon XIII, et surtout sa reconstitution par les soins éclairés de notre grand prédécesseur Pie XI, avec le Motu proprio du 28 octobre 1936 In multis solaciis, sous la forme de l'Académie pontificale des sciences, constituée de soixante-dix Académiciens pontificaux, « veluti doctorum hominum Senatus, seu "scientificus Senatus", ... ad scientiarum progressionem fovendam », sous la présidence du regretté Père Agostino Gemelli (cf. AAS, 28 [1936], pp. 423 et 424).

D'illustres savants n'ont cessé d'honorer l'Académie de leur présence et de leurs travaux, et Nous avions Nous-même, hier, la joie d'adjoindre à ce Cénacle choisi douze nouveaux membres, qui permettent de mieux représenter l'ensemble des maîtres qui cultivent les disciplines scientifiques avec succès à travers le monde.

 

Unité de l'esprit humain

 

Vos études de sciences mathématiques et expérimentales, me­nées avec la liberté qui convient à la culture, ont certainement apporté leur contribution au progrès de la science pure et préparé le progrès des sciences appliquées. Mais un tel développe­ment n'appelle-t-il pas aujourd'hui d'autres prolongements ? Tout en continuant les recherches qui sont les vôtres dans une spécialité dont l'importance ne cesse de croître — les expériences des vo­yages spatiaux, dont nous avons suivi la plus récente ces jours derniers avec angoisse et, à la fin, avec une joie et une admiration émues, le démontrent suffisamment —, ne serait-il pas désirable et opportun de promouvoir, en d'autres Académies, d'autres disciplines, essentielles elles aussi à l'esprit humain, telles que les lettres et les arts, la philosophie, le droit, l'histoire, l'écono­mie, la sociologie et les sciences humaines qui marquent si pro­fondément les hommes de notre temps ? Nous aimons ce matin vous confier cette pensée que Nous méditons depuis longtemps déjà, et qui, dans notre esprit, est plus qu'un rêve : un véritable désir qu'il Nous plairait de réaliser.

2. La nature même de votre travail Nous amène à souligner deux principes dont vous êtes déjà bien convaincus, que votre propre expérience, Nous pourrions dire : votre personnalité, at­teste tous les jours.

C'est que le savoir humain, si développé qu'il soit, n'est pas, et ne saurait être en opposition avec celui de la foi : « Scientia, quae vera rerum cognitio sit, numquam christianae fidei veritatibus répugnat » (Motu proprio, In multis solaciis, ibid., p. 421).

Bien plus, l'un et l'autre peuvent être intégrés dans l'unité de l'esprit humain, tout en gardant leur autonomie propre, comme l'enseigne le premier Concile du Vatican : « Fides et ra­tio... opem quoque sibi mutuam ferunt » (H. denzinger-a. schônmetzer, Enchiridion symbolorum, definitionum et declarationum de rebus fidei et morum ; 34e éd., Fribourg en Brisgau, 1967, n. 3019 [1799]).

 

L'Eglise encourage la découverte de l'univers

 

Qu'on Nous entende bien en effet. Selon la Constitution pas­torale Gaudium et spes, qui « reprend à son compte l'enseignement du premier Concile du Vatican », l'Eglise « affirme l'autonomie légitime de la culture et particulièrement celle des sciences » avec «leurs principes et leur méthode propre en leurs domaines respectifs» (VATICAN II, Gaudium et spes, 59 § 3). Mais ces dis­ciplines, qui peuvent si bien « contribuer à ouvrir la famille humaine aux plus nobles valeurs du vrai, du bien et du beau, et à une vue des choses ayant valeur universelle » (ibid., 57, § 3), peuvent aussi préparer l'homme à reconnaître et accueillir la vérité en sa plénitude, pourvu qu'elles ne considèrent pas « à tort les méthodes de recherche qui leur sont propres comme rè­gle suprême pour la découverte de toute vérité » (ibid., § 5). C'est le même Dieu qui a créé le monde avec ses lois que vous scrutez — « toutes choses dans les cieux et sur la terre, les visi­bles et les invisibles » (Col 1, 16) — et qui se révèle aux hommes et leur apporte le salut en Jésus-Christ. C'est le même esprit humain qui est apte à scruter les secrets de la création et à « do­miner la terre » (cf. Gn 1, 28), et en même temps à reconnaître et à accueillir, « sous l'impulsion de la grâce », le don que Dieu lui fait de Lui-même : « le Verbe de Dieu qui, avant de se faire chair pour tout sauver et récapituler en lui, était déjà dans le monde » comme la « vraie lumière qui éclaire tout homme » (Jn 1, 9-10. Cf. Gaudium et spes, 57 § 4). Comment l'Eglise n'encou­ragerait-elle pas l'investigation, la découverte et la conquête de cet univers qui, dans sa merveilleuse et admirable richesse, nous conduit, de l'infiniment petit à l'infiniment grand, vers l'invisible qui est la source du visible ? (cf. Rm 1, 20).

3. Mais le thème que vous venez d'aborder — « Les noyaux des galaxies » — mérite une attention particulière. Notre imagi­nation se trouve confondue et nous laisse remplis de stupeur, comme débordés, écrasés presque par l'immensité des perspectives entrevues, « ce silence des espaces infinis » cher à Pascal. Nous suivons avec un profond respect et un grand intérêt votre patient travail d'observation, de coordination d'expériences, de formulation d'hypothèses scientifiques sur la genèse ou l'évolution des mondes astraux.

Est-ce à dire que la pensée humaine épuise toutes ses pos­sibilités au niveau de ces investigations ?

 

« Les noyaux des galaxies »

 

Derrière elles, il y a le problème de l'être même de ce cosmos, de cet univers : la question de son existence. Vous demeurez, en effet, dans l'observation expérimentale scientifique, d'ordre mathématique et cosmologique. Mais qu'est-ce qui empêche de reconnaître à l'esprit, sur le terrain philosophique, la possibilité de remonter au principe transcendant, au Créateur, « causa subsistendi et ratio intelligendi et ordo vivendi ? » (S. augustin, De Civ. Dei, 1. VIII, c. IV). Trop souvent aujourd'hui, on doute de ce pouvoir. « Plus la science, perfectionnant ses méthodes, assujettit le monde à l'homme, plus, en revanche, l'être, qui ne se laisse pas assujettir, se dérobe... vient alors la tentation de l'agnosticisme » (R. P. henri de lubac, Sur les chemins de Dieu. Paris, Aubier 1956, p. 84). Mais on ne saurait s'en tenir à pa­reille attitude. « L'intelligence ne peut absolument pas abdiquer; elle ne peut renoncer à sa loi formelle, qui est de juger, c'est-à-dire toujours d'affirmer » (ibid.). C'est pour l'esprit humain com­me un « besoin irrépressible de posséder en chaque moment de son aventure temporelle et en chaque état de ses connaissances une idée explicative de l'ensemble des choses » (pierre-henri simon, Questions aux savants. Paris, Seuil 1969, p. 41).

On parle souvent de la « mort de Dieu » ; mais ne serait-ce pas plutôt la mort de l'homme et de sa pensée en sa forme su­périeure ? Sans ce recours à Dieu, source de l'Etre, en effet, elle semble s'engloutir dans l'opacité et l'incompréhensibilité des choses, l'ignorance d'une unité qui y préside, et d'une finalité d'un ordre mystérieux qui en sont inséparables, l'amenant à trouver une absurdité qui n'est que dans sa propre démarche. Peut-être êtes-vous mieux préservés que d'autres contre ce qu'il faut bien appeler une véritable maladie de l'esprit, vous qui scrutez objectivement les sciences de la nature, de l'astrophysi­que, de la physique ? (cf. C. tresmontant, Comment se pose aujourd'hui le problème de l’existence de Dieu. Paris, Seuil 1966, p. 349). Car l'intelligence, par son mouvement même, si elle n'en reste à l'écorce de la réalité, s'élève au niveau de sa cause transcendante, l'Absolu véritable, qui donne consistance à toute la création et d'abord à l'esprit humain, sans se confondre jamais avec eux. Comme on l'a dit si heureusement, l'intelligence est « nécessairement, en même temps qu'un pouvoir d'assimilation, un pouvoir de remontée... Elle saisit en toutes réalités ce par quoi elles sont, c'est-à-dire sont ouvertes vers l'illumination de l'acte. Et ainsi, à juste titre, on peut dire qu'elle est le sens du divin, la faculté avide et habile à reconnaître les traces de Dieu » (cf. ch. de MORÉ-PONTGIBAUD, Du fini à l'infini. Introduction à l'étude de la connaissance de Dieu. Paris, Aubier 1957, p. 65).

 

La vraie science prépare à la rencontre avec Dieu

 

Il y a là, il faut le redire, un développement naturel de la pensée, dans sa logique fondamentale, et non pas un saut indu comme le prétend une mentalité antimétaphysique abusivement qualifiée de scientifique. La vraie science, bien loin d'arrêter l'élan de la pensée, constitue un tremplin qui lui permet de s'éle­ver, dans cet élan même, vers Celui qui lui fournit généreuse­ment son aliment. Car « l'esprit lui-même est un chemin qui marche... On ne peut faire l'économie de Dieu » (R. P. henri de lubac, op. cit., p. 78).

 

Beauté mystérieuse de la création

 

Nous demeurons comme stupéfaits, disions-Nous, devant vos études sur les noyaux des galaxies. Le système solaire paraissait déjà si vaste et si mystérieux à nos devanciers ! Mais nous ne som­mes pas déconcertés pour autant, sachant que « Dieu préfère plutôt créer les êtres dans leurs germes pour les conduire ultérieurement à leur éclosion » (Gard. ch. journet, L'Eglise du Verbe incarné, t. 3, Essai de théologie de l'histoire du salut. Paris, Desclée de Brouwer 1969, p. 114). Le temps et l'espace, la ma­tière et la forme peuvent se développer de façon démesurée, quasi indéfinie.

Tout en écoutant votre enseignement, nous trouvons certitude dans notre foi. Et à notre esprit, à nous qui sommes à l'école de la foi, reviennent les paroles de la sainte Ecriture : « Dieu créa le ciel et la terre... Et Dieu vit que cela était bon... Dieu vit tout ce qu'il avait fait, et tout cela était très bon » (Gn 1, 1, 21-31). Cette joie que Dieu a éprouvée devant ses créatures, comment ne l'aurions-nous pas, nous, pour notre Créateur ?

A notre tour nous contemplons cette beauté et cette bonté mystérieuses de la création : tous ces êtres nous crient, comme à saint Augustin : nous ne sommes pas Dieu, mais c'est lui qui nous a faits. « Ecce caelum et terra clamant quod facta sint » (Confessions, 1. XI, c. 4, n. 6 ; PL 32, 811. Cf. In Ioannem tract. 106, c. 17, n. 4 ; PL 35, 1910. Cf. Sagesse, 13, 1 et 9). Et Lui, nous l'adorons ! La rencontre avec Dieu s'opère devant la gran­deur quasi illimitée de ses œuvres — n'est-ce pas une grâce d'y être initié ? —, dans la joie, dans l'admiration, dans la prière, dans l'adoration de Celui qui « en répandant mille grâces... est passé à la hâte par ces forêts, et en les regardant... les a laissées revêtues de sa beauté » (saint jean de la croix, Cantique Spi­rituel, strophe 5).

 

Extraordinaire entreprise spatiale

 

Au terme de cette contemplation des suprêmes réalités du cosmos dans leur rencontre avec les suprêmes vérités de l'esprit humain, Nous ne pouvons pas taire notre émotion, notre admiration, notre satisfaction, qui sont celles mêmes du monde entier, pour l'heureuse conclusion — oui, heureuse, très heureuse, même si le but principal n'a pas été atteint — du vol aventureux de l'Apollo 13. Tous certainement vous avez suivi, avec appré­hension puis avec joie, le déroulement de cette entreprise extraor­dinaire. Et vous aurez sans nul doute à cœur de saluer chaleureu­sement avec Nous les valeureux astronautes qui ont échappé aux périls de ce grand vol, et de rendre hommage à tous ceux qui, par leurs études, leur action, leur autorité, ont une fois de plus manifesté aux yeux du monde la puissance illimitée des sciences et de la technique moderne. Avec Nous aussi, vous ferez monter une hymne ardente de reconnaissance à Dieu, Créateur de l'uni­vers et Père des hommes, qui par ces voies aussi veut être cher­ché et trouvé par l'homme, adoré et aimé par lui.

Telles sont les pensées que Nous suggère, Excellences et chers Messieurs, cette rencontre qui Nous est très agréable. De tout cœur, Nous vous encourageons à poursuivre vos savants travaux, à les mettre en commun, de façon désintéressée, par delà les frontières, et à aider tous vos frères à répondre aux ques­tions que la science ou plutôt ses applications ne cesseront de poser. Vous le pouvez, et le devez, à la lumière de la foi que vous portez en vous. C'est notre vœu le plus cher. Nous l'accompa­gnons à votre intention d'une large Bénédiction Apostolique.

 

 

 

24 avril

LE SAINT-PERE EN SARDAIGNE : « NOUS SOMMES VENU POUR TOUS »

 

Voici l'instant précieux de la double rencontre qui a motivé notre venue de Rome jusqu'à votre sanctuaire de la Madone de Bonaria. Double rencontre : la première est celle de notre hum­ble personne, du Pape, avec le peuple sarde ; la seconde est notre et votre rencontre avec la Mère du Christ, la très sainte Vierge Marie, qui en ce lieu historique et sacré est vénérée, depuis six siècles, comme la Patronne spéciale de la ville de Cagliari et de l'île de Sardaigne.

Voici donc que Nous célébrons la première rencontre, avec vous, chers Sardes. Voici le salut que Nous vous adressons dans le Seigneur. Nous devrions l'adresser en premier lieu à votre Archevêque, le Cardinal Sebastiano Baggio, dont Nous avons reçu l'irrésistible invitation à faire ce pèlerinage; à lui va notre salut cordial et respectueux ; Nous devrions aussi adresser notre salut aux autres Confrères Evêques ici présents, aux Autorités civiles et militaires de tout grade, qui assistent, à notre grand contentement, à cette cérémonie ; et aussi aux autres Personnalités et aux divers groupes qualifiés de la communauté ecclésiale de l'île, au clergé, aux religieux et religieuses, aux séminaristes, au laïcat catholique, aux amis et aux fidèles de l'Eglise de Cagliari et de toute la Sardaigne. Mais toutes ces catégories de personnes voudront bien accepter que Nous leur réservions un autre mo­ment pour un entretien approprié, et que Nous donnions mainte­nant la préférence au peuple qui est présent et qui, avec tous ses groupes et sa multitude, Nous offre un tableau merveilleux, une vision réelle et représentative de toute la population de la Sardaigne : à vous Sardes, à vous, fils de cette île vers laquelle, du polygone méditerranéen, ont convergé les générations ethni­ques et historiques les plus anciennes et les plus variées, mais dont vous constituez une synthèse on ne peut plus caractéristique et relativement uniforme ; à vous, chers fils de la Sardaigne s'adres­se notre premier et affectueux salut. C'est pour Nous un grand plaisir que de vous rencontrer et de vous imaginer encore sous votre physionomie ancestrale de peuple simple, laborieux, austère, taciturne, farouche et triste, mais aux mœurs humaines et pieuses, un peuple accoutumé aux privations et à la peine, un peuple isolé du monde comme l'est sa terre ; un peuple aux passions fières et tenaces, mais aussi aux sentiments ingénus et délicats, capables de s'exprimer en fantaisies légendaires et en chants graves et calmes, comme des échos enchanteurs qui portent en­core la voix de siècles lointains. Peut-être ne vous connaissons-Nous pas suffisamment, mais ce que Nous savons de vous suffit à remplir notre esprit d'affection, de sympathie, d'estime. Nous sommes très heureux d'être parmi vous, chers Sardes, et Nous vous saluons tous de grand cœur. Etes-vous contents, vous aussi, que le Pape soit venu vous trouver ?

Nous sommes venu pour tous. Mais Nous aimons tourner particulièrement notre pensée vers vous, pasteurs de la Sardaigne. Vous, les pasteurs, vous semblez être encore les représentants typiques de la population rurale de l'île. Nous connaissons, comme tout le monde, la vie dure et rupestre que vous menez, cette vie pauvre, primitive et solitaire, toujours solidaire, comme celle des Patriarches bibliques, du sort de vos troupeaux. On Nous a dit que quelques-uns d'entre vous voulaient venir à cette rencontre avec Nous en amenant ici leurs brebis : vous Nous auriez re­présenté d'une manière vivante la scène évangélique du bon Pasteur, Nous rappelant ainsi notre premier devoir, le devoir pastoral ! Que cela vous dise, chers pasteurs sardes, la sympathie avec laquelle Nous vous saluons et la compréhension que Nous avons pour la souffrance humble, continuelle et silencieuse qui caractérise votre existence. Nous voudrions consoler et améliorer cette existence. Et c'est pourquoi Nous sommes reconnaissants à tous ceux qui s'occupent de vous et cherchent à soulager vos misérables conditions matérielles, économiques et sociales. Nous sommes réconforté de savoir que la plaie jusqu'ici inguérissable de la malaria a été finalement vaincue, et que, au splendide et sauvage décor de vos monts et de vos plaines a été finalement accordé le don de la salubrité : c'est une première et grande conquête, que d'autres certainement suivront pour améliorer les conditions de votre habitat, de votre instruction, de votre travail. Souhaitons donc que l'élevage demeure une profession honorable, rénovée et prospère de la population sarde, et maintienne celle-ci dans la simplicité et la pureté des mœurs.

Nous voulons ensuite saluer les mineurs de la Sardaigne. Votre travail aussi représente une tradition séculaire du peuple sarde. Le sol de cette île, rude et avare en superficie, cache des trésors dans les profondeurs de ses entrailles. Depuis le début de son histoire, la Sardaigne est connue comme une île minière ; et c'est à cause de cette richesse cachée que le Pape saint Pontien, l'uni­que Pape qui avant Nous ait mis les pieds sur le sol de Sardaigne, y fut déporté et condamné peut-être lui aussi au travail éreintant qui est le vôtre — et qui était alors plus rude encore — au temps des Empereurs romains Alexandre Sévère et Maximin, il y a plus de dix-sept siècles (235) ; ce qui est certain, c'est qu'ici il mourut martyr « adflictus, maceratus fustibus », accablé, torturé par les coups (Lib. Pont.) jusqu'à en mourir, martyr du Christ et de l'Eglise romaine.

Vous, mineurs, avez ainsi un collègue, le Pape mineur, victime, pour la foi chrétienne, de la dureté de votre peine et de la cruauté de ses persécuteurs. Comment ne vous regarderions-Nous pas avec une compassion et une affection particulières ? Aujourd'hui, c'est certain, le travail dans les mines n'est plus aussi inhumain qu'autrefois ; mais il n'en demeure pas moins un travail très pesant et risqué. Nous vous regardons, chers mineurs, avec admi­ration et avec le regret intime de vous être si inférieur dans le domaine de la souffrance qui devrait être le nôtre en tant que fidèle et héraut de la Croix. Vous êtes pour Nous un avertissement et un exemple. C'est pourquoi Nous vous accueillons avec un honneur particulier, avec un amour particulier. Et pour vous aussi Nous sommes reconnaissant, au nom du Christ, à ceux qui cherchent à améliorer vos conditions, à ceux qui vous aident, qui vous rappellent que vous aussi êtes fils de Dieu ; et parce que, plus que les autres, vous êtes astreints à une peine aussi rude et socialement indispensable, plus que les autres aussi vous méritez l'estime générale et l'affection chrétienne. A vous donc, mineurs, va notre cordial salut.

Et Nous saluons ensuite les pêcheurs. Voilà encore un autre métier que le Seigneur a voulu indiquer comme un exemple de notre charge apostolique. Les premiers disciples du Seigneur étaient des pêcheurs, pêcheur également Simon, appelé ensuite Pierre par le Christ sans que pour autant fût changé le symbole de l'activité à laquelle devait être dédiée la mission de Pierre, et celle de son frère André, et donc la nôtre aujourd'hui encore : « Venez à ma suite, et je vous ferai pêcheurs d'hommes » (Mt 4, 19). C'est donc aussi à vous, pêcheurs, que va notre sympa­thie et que s'adresse aujourd'hui notre invitation à cette rencontre spirituelle. Et Nous voudrions dire la même chose à ceux qui travaillent dans les toutes proches et célèbres exploitations salines de la Sardaigne. Le répertoire des analogies évangéliques con­tient aussi celle du sel : « Vous êtes, dit le Seigneur à ses apôtres en leur conférant un charisme, une charge, une responsabilité spéciale, vous êtes le sel de la terre » (Mt 5, 13). Ce symbole de notre fonction hiérarchique Nous permet de penser aussi à vous comme à des amis.

Mais il y a une autre catégorie de personnes que Nous voulons saluer expressément : ce sont ceux qui ont émigré de la Sardaigne, et qui sont ici représentés aujourd'hui; ce sont aussi et spéciale­ment les immigrants de la Sardaigne, qui est en train de devenir terre ouverte à l'activité de tout genre des travailleurs et ouvriers venant du continent : tous, vous pouvez trouver ici le pays ami auquel vous donnez et duquel vous recevez, en plus des biens temporels, les biens spirituels, du cœur et de la foi.

Et, enfin, Nous saluons les gens de la mer ici réunis : d'où venez-vous, marins, ici présents devant ce sanctuaire ? Et pourquoi venez-vous ? Quels horizons illimités n'ouvrez-vous pas à notre pensée ! L'horizon de la mer, l'horizon des ports et des cités maritimes, l'horizon de l'humanité qui confie aux ondes son propre destin, pour naviguer, travailler, commercer, explorer, et pour tisser entre les habitants de la terre des relations de toutes sortes. Vous faites de la mer, qui semble un élément infranchis­sable et qui sépare les hommes, une voie de communication, et même la voie la plus largement et la plus fébrilement parcourue. Vous avez pour demeure votre navire, pour champ de travail, la mer, pour patrie, le monde. La séparation, intermittente mais continuellement répétée, d'avec vos familles est votre sort ; la solitude du cœur, la fréquentation des étrangers, la nostalgie de la maison, la fréquence du péril, la sévérité de la discipline sont les conditions normales de votre vie. Lorsque vous êtes lancés sur la mer vers des pays lointains et étrangers, qui pense à vous ? qui vous assiste ? qui vous aide à vous reposer, à penser, à prier ? Oh ! il y a, dans l'Eglise, quelqu'un qui vous aime, comme marins, comme hommes, comme chrétiens : l'ensemble des œuvres de l'« Apostolat de la mer », actuellement répandues dans nombre de ports de la terre, ne vous laissent pas seuls, vous attendent, vous assistent; vous le savez bien. Votre présence ici même l'affirme, car cette cérémonie veut être aussi pour vous ; et Nous sommes heureux de vous ren­contrer à cette occasion, pour vous offrir, à vous aussi, marins, le réconfort de vous sentir en communion avec la grande famille des croyants, l'Eglise, et de vous savoir confiés à une sublime et rassurante protection, celle de la Madone.

Et nous voici tous, frères et fils très chers, devant Marie pour la seconde et principale rencontre qui nous a fait venir aujourd'hui vers ce sanctuaire de la Madone de Bonaria. Nous devons non seulement confirmer à nouveau le culte qui, pendant six siècles, a fait de ce sanctuaire un lieu, et même un point de contact spi­rituel de la population sarde et des hommes de la mer avec la créature bénie entre toutes, la très sainte Vierge Marie, Mère du Christ, selon la chair et notre Mère spirituelle (cf. S. augustin, De S. Virg. ; 2 ; PL 40, 397). Nous devons surtout, Nous semble-t-il, chercher à comprendre les raisons de notre vénération et de notre confiance en la Madone. En avons-nous besoin ? Oui, tous nous en avons besoin. Le besoin et le devoir. Cet instant précieux doit marquer pour tous le point de départ d'une re­prise illuminée de notre vénération envers Marie, de cette parti­culière vénération catholique envers la Mère du Christ, véné­ration qui lui est due et qui constitue une protection spéciale, un sérieux réconfort, une espérance singulière de notre vie reli­gieuse, morale et chrétienne.

Pourquoi aujourd'hui ? Qu'est-il arrivé ? Il est arrivé, parmi tant de bouleversements spirituels, ceci : la dévotion à la Madone ne trouve plus toujours, comme autrefois, nos esprits aussi bien disposés, aussi enclins, aussi heureux d'en faire profession au fond de nos cœurs. Sommes-nous aujourd'hui aussi dévots à Marie que l'étaient jusqu'à hier le clergé et le bon peuple chrétien ? Ou ne sommes-nous pas aujourd'hui plus tièdes, plus indifférents ? Une mentalité profane, un esprit critique n'ont-ils pas rendu moins spontanée, moins convaincue, notre piété envers la Madone ?

Notre intention n'est pas de rechercher maintenant les motifs de cette éventuelle diminution, de cette dangereuse hésitation. Nous voulons plutôt rappeler les motifs qui nous obligent au culte envers la très sainte Vierge Marie, et qui restent valables aujourd'hui comme hier, et même plus qu'hier. Nous ne parlons pas ici des formes de ce culte, mais plutôt des raisons qui le justifient et qui doivent nous le faire plus que jamais apprécier et mettre en pratique : c'est ce qu'a fait, à ce sujet, en des pages magnifiques, le récent Concile œcuménique. Mais Nous devons ici simplifier cet exposé et le réduire à deux demandes fonda­mentales.

La première est celle-ci : quelle est la question qui, aujourd'hui, absorbe toute la pensée religieuse, toutes les études théologiques, et qui, consciemment ou inconsciemment, tourmente l'homme moderne ? C'est le problème du Christ. Qui est-il, comment est-il venu parmi nous, quelle est sa mission, sa doctrine, son être divin, son être humain, son insertion dans l'humanité, sa relation et son rôle dans les destinées humaines ? Le Christ domine la pensée, domine l'histoire, domine la conception de l'homme, domine la question capitale du salut de l'homme. Et comment le Christ est-il venu parmi nous ? Est-il venu de lui-même ? Est-il venu sans aucune relation, sans aucune coopération de la part de l'humanité ?

Peut-il être connu, compris, considéré en faisant abstraction des rapports réels, historiques, existentiels, que son apparition dans le monde comporte nécessairement ? Il est clair que non. Le mystère du Christ est inséré dans un dessein divin de parti­cipation humaine. Il est venu parmi nous en suivant la voie de la génération humaine. Il a voulu avoir une mère ; il a voulu s'incarner moyennant le concours vital d'une femme, de la Femme bénie entre toutes. L'Apôtre qui a décrit la structure théologique fondamentale du Christianisme, dit : « Quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d'une femme... » (Gal 4, 4). Et le Concile nous rappelle que « Marie apporta au salut des hommes non pas simplement la coopération d'un instrument passif aux mains de Dieu, mais la liberté de sa foi et de son obéis­sance » (Lumen Gentium, 56). Il ne s'agit donc pas d'une circons­tance occasionnelle, secondaire, négligeable ; elle est au contraire partie essentielle et, pour nous autres hommes, très importante, d'une beauté et d'une douceur remarquables, du mystère du salut : le Christ est venu à nous par Marie ; c'est d'elle que nous l'avons reçu; nous le rencontrons comme la fleur de l'humanité épanouie sur la tige immaculée et virginale qu'est Marie ; « ainsi a germé cette fleur » (cf. dante, Par., 33, 9). Comme sur la statue de la Madone de Bonaria, le Christ nous apparaît dans les bras de Marie ; c'est d'elle que nous le tenons, dans sa toute première relation avec nous ; il est un homme comme nous, il est notre frère grâce à l'œuvre maternelle de Marie. Si nous voulons être chrétiens, nous devons être mariais, c'est-à-dire que nous de­vons reconnaître le rapport essentiel, vital, providentiel, qui unit la Madone à Jésus, et qui nous ouvre le chemin qui mène jusqu'à lui.

Ce chemin est double : celui de l'exemple et celui de l'inter­cession. Voulons-nous être chrétiens, c'est-à-dire imitateurs du Christ ? Regardons Marie; elle est la figure la plus parfaite de la ressemblance au Christ. Elle est le « type ». Elle est l'image qui, mieux que toute autre, reflète le Seigneur ; elle est, comme dit le Concile, « l'exemplaire admirable dans la foi et dans la charité » (Lumen Gentium, 53, et 61, 65, etc.). Oh ! qu'il est doux et con­solant d'avoir Marie, son image, son souvenir, sa douceur, son humilité et sa pureté, sa grandeur devant nous qui voulons suivre les pas du Seigneur ! Comme il est proche de nous l'Evangile dans les vertus que Marie personnifie et qu'elle irradie d'une splendeur humaine et surhumaine ! Et combien disparaît — s'il en était besoin — la crainte que, en donnant à notre spiritualité cette empreinte de dévotion mariale, notre sens religieux, notre vision de la vie, notre énergie morale ne deviennent amollis, efféminés, presque infantiles, alors qu'en nous approchant d'elle, poétesse et prophétesse de la rédemption, nous entendons de ses lèvres angéliques l'hymne la plus forte et la plus innovatrice qui ait jamais été prononcée, le Magnificat. C'est elle qui révèle le dessein transformateur de l'économie chrétienne, le résultat his­torique et social qui, encore maintenant, tire du christianisme son origine et sa force : Dieu, chante-t-elle, « disperse les super­bes..., il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les hum­bles » (Lc 1, 51-52).

Et ici la Madone nous ouvre la seconde voie pour atteindre notre salut dans le Christ Seigneur : sa protection. Elle est notre alliée, notre avocate. C'est en elle que mettent leur confiance les pauvres, les humbles, ceux qui souffrent. Elle est même « le refuge des pécheurs ». Elle a une mission de pitié, de bonté, d'intercession pour tous. Elle est la consolatrice de toutes nos douleurs. Elle nous apprend à être bons, à être forts, à être compatissants pour tous. Elle est la reine de la paix. Elle est la mère de l'Eglise.

Souvenez-vous de tout cela, fils de Sardaigne et hommes de la mer ; et n'oubliez jamais de tourner vos regards vers la Ma­done comme vers votre plus puissante protectrice.

 

 

 

3 mai

LA CANONISATION DU BIENHEUREUX LEONARD MURIALDO

 

Voici un moment de joie pleine pour l'Eglise qui pérégrine au milieu des difficultés de la vie présente vers la plénitude du royaume de Dieu. La joie vient du fait qu'un membre de l'Eglise, un homme de ce monde, un de nos frères, est reconnu saint et proclamé comme tel, honoré et invoqué. Et qu'est-ce que cela veut dire, Saint ? Cela veut dire parfait, dans le sens de cette perfection si facile à concevoir pour qui est élève de l'Eglise maî­tresse, mais aussi difficile à définir dans sa réalité parce que la sainteté est la synthèse de coefficients multiples et merveilleux tels que, avant tout, un charisme divin extraordinaire, et même une quantité de charismes, c'est-à-dire une abondance de dons de Dieu (Ep 3, 19) qui envahissent une vie humaine jusqu'à devenir en elle, dans une certaine mesure, exubérants et transpa­rents. Et puis, la sainteté demande une stature morale exception­nelle dans l'homme que nous appelons saint, au point qu'on veut trouver en lui la vertu à un degré héroïque. Par conséquent la sainteté demande une conformité, toujours originale, au pre­mier né de la famille humaine (cf. Rm 8, 29 ; Col 1, 15) à l'ar­chétype de l'humanité, au « Fils de l'homme », au Christ, notre maître et notre modèle (cf. Jn 13, 15). Finalement, la sainteté exige et offre une exemplarité ou bien une singularité telle qu'elle mérite d'être imitée ou au moins admirée par ceux qui entrent dans le milieu social de la personnalité du saint.

 

Le charme de la sainteté

 

C'est ordinairement ce dernier aspect qui conquiert le plus facilement notre commune attention. Nous sommes si avides de rencontrer le grand homme, l'homme exceptionnel, le faiseur de miracles, le héros, le champion, la vedette, le « leader », que nous ne pouvons pas nous soustraire au charme du saint qui person­nifie justement un être supérieur, et encore moins si nous pou­vons, nous petits, lui attribuer ce titre exaltant : il est nôtre ! L'hagiographie est une étude d'anthropologie exceptionnelle due au facteur religieux qui, bien qu'il procède d'un principe iden­tique et tende vers une même fin, engendre une richesse indéfinie de types humains, distincts les uns des autres dans une merveil­leuse variété de visages humains transfigurés chacun par un charisme particulier (cf. 1 Co 12, 27 et suiv.).

Le saint : objet par conséquent de connaissance, d'intérêt, de légitime et louable curiosité. Qui était donc Leonardo Murialdo auquel Nous conférons aujourd'hui ce très haut titre de saint ? Jusqu'à présent il était bien peu connu. Nous-même avons fait la même demande lorsque, en Novembre 1963, Nous avons eu la joie de proclamer sa béatification. Un ami vénéré, éminent et regretté, Mgr Giuseppe De Luca, a souhaité donner une ré­ponse lorsqu'il a écrit, en 1950, au cinquantième anniversaire de la mort de notre saint : « Murialdo est un des foyers de cet incendie chrétien qui fait la gloire du siècle dernier, gloire comme celle d'une étoile dans la nuit... il mérite la reconnaissance et, d'abord, la connaissance. Eloges, louanges, célébrations, tout est bien, mais auparavant et surtout, je crois, la connaissance ». Ce n'est pas le moment de donner la-.notice biographique du saint, d'en raconter la vie, ni d'en faire le panégyrique. Finalement, nous avons maintenant une très ample documentation sur la vie de Leonardo Murialdo, vie entourée d'humilité et de discrétion autant que riche et prodigue d'activités infatigables. Trois gros volumes réunissent tout ce qu'on sait de lui, de sorte que ceux qui le désirent peuvent savoir du nouveau Saint tout ce qui est possible et désirable: vie, œuvres, écrits, commentaires, tout. C'est l'œuvre méritante de Armand Castellani qui, après Reffo, le premier biographe historique de Murialdo, et tant d'autres qui firent connaître sa vie, a mis sur un piédestal de documents, de témoignages, de renseignements, la figure de Leonardo Murialdo pour en faire ressortir cette authentique grandeur que la canonisation d'aujourd'hui entoure de l'auréole de la sainteté.

 

Imitation et dévotion

 

Nous avons donc l'histoire du saint et aussitôt nous en re­gardons la figure, nous en admirons la sainteté. Tous, nous devenons des observateurs, des admirateurs et, plaise à Dieu, de pieux imitateurs, c'est-à-dire que la connaissance du saint ne nous suffit pas, nous voulons un jugement, nous voulons voir son visage, en recueillir les lignes caractéristiques, celles qui le définissent. Ce désir spontané de synthèse, Nous ne pouvons pas non plus le satisfaire maintenant. Nous voulons seulement indiquer les chapitres qui, à Notre avis, peuvent nous donner la clef pour mieux comprendre le nouveau saint et pour nous aider à le classer et à le distinguer en quelque manière de la « gran­de foule, comme la définit le voyant de l'Apocalypse, que per­sonne ne réussit à dénombrer » (7, 9).

Le premier chapitre est celui du cadre historique dans lequel la figure du saint nous apparaît, nous pouvons même dire dont il résulte et d'où il sort vivant. Cadre du temps : le XIX° siècle, cadre du lieu : Turin. Ici Nous ne pouvons pas Nous dispenser d'adresser à l'heureuse ville de la naissance et du milieu de vie du saint Notre très vif applaudissement. Turin Nous apparaît, spécialement au siècle dernier, comme une ville élue et bénie, une ville de saints, pensons à Don Bosco ! tanto nomini..., pen­sons à Cottolengo, pensons à Cafasso, pensons à Dominique Savio, pensons à Mazzarello et à d'autres figures resplendissantes de vertus chrétiennes issues des racines de sainteté de la noble terre piémontaise. Nous sommes dans un sillon de traditions catholiques qui nous font remonter jusqu'à saint Maxime et nous rappellent le Saint-Suaire. On dirait qu'on respire là-bas une atmosphère de spiritualité favorable à la floraison de la sainteté. Là-bas s'est formée une école de robustes vertus morales d'où sont sortis les élèves et les maîtres d'un christianisme renouvelé et moderne. Nous ne voulons pas négliger les autres coefficients qui caractérisent, spécialement au siècle dernier, l'ambiance pié­montaise, notamment politique, rendue vive et dramatique par de grands courants d'idées, par de grandes figures et de mé­morables événements, comme aussi l'ambiance industrielle desti­née à d'extraordinaires développements, avec des influences évi­dentes et encore aujourd'hui répandues dans le domaine écono­mique et social. L'ambiance a des répercussions puissantes sur qui en vit. Nous ne pouvons pas supposer que notre saint soit resté étranger à son milieu. Au contraire, son activité nous prouve qu'il a tiré de celle-ci son souffle et son inspiration et, dans une certaine mesure, sa force et son succès.

 

Un insigne fils d'Italie

 

Nous devons féliciter Turin, dignement présente ici par le représentant de Monsieur le Maire, Nous devons féliciter l'Italie, de cette prérogative, qui n'est certainement pas tombée en désuétude, de donner à l'Eglise et au monde des hommes bons, prévoyants et typiques, comme celui dont Nous exaltons la figure et dont Nous rendons la mémoire impérissable.

Avec vous, Monsieur le Cardinal archevêque de l'heureuse ville où naquit, agit et mourut le Père Murialdo, Notre joie se fond dans une communion spirituelle; à vous, pour tout l’archidiocèse et pour toute l'Eglise du Piémont, s'adressent Nos reli­gieuses et cordiales félicitations.

Et sachant la présence à cette cérémonie solennelle de S. E. Monsieur Mariano Rumor, Président du Conseil des Ministres d'Italie, Nous exprimons Notre satisfaction émue et reconnais­sante de sa participation officielle, avec d'autres personnages représentant le gouvernement et le pays, à la célébration de la mémoire, des vertus, des travaux et de la gloire d'un fils insigne de l'Italie. Nous formons le souhait que cela contribue à renforcer les meilleures traditions religieuses et morales du peuple italien, à soutenir dans le pays tous les efforts généreux pour son progrès civil et à lui mériter par la vertu de ses citoyens, avec l'appui de ce citoyen céleste, la prospérité, la concorde et la paix.

Et cette référence de la figure du Père Murialdo au pays qui fut le sien Nous conduit à aborder le second chapitre, très dense, de l'action dans la société à laquelle il consacra les énergies inépuisables de son génie d'homme d'action. Qui pourrait résumer en une formule ce que fut cette action ? Il est bien difficile d'en faire la simple description, si bien que, parmi les nombreux titres dans lesquels elle se manifesta et s'affirma, Nous n'en indi­querons que deux, bien dignes d'un souvenir spécial : d'abord, la fondation d'une Congrégation religieuse de Saint-Joseph, ins­titut sacerdotal et laïc, ayant « pour but d'éduquer, à la piété, et de donner une formation culturelle et technique aux jeunes gens pauvres, orphelins, abandonnés ou ayant besoin de s'amen­der ». Et c'est là le second titre qui a exalté et fait connaître dans le monde le nom béni de Leonardo Murialdo.

 

Petite armée de volontaires

 

Cette Congrégation : une autre petite armée (elle compte environ 850 membres, dont plus de la moitié sont prêtres, avec une centaine de maisons en Italie et dans le monde), une petite armée complétée par la branche féminine des sœurs Murialdines, de volontaires consacrés entièrement et pour toute la vie aux divers travaux du ministère ecclésiastique, mais spécialement à l'assistance et à l'éducation des enfants du peuple, avec une pré­férence pour les plus pauvres et pour les enfants de travailleurs, d'ouvrières ; ce qui prouve le haut intérêt de l'Eglise pour le monde de la jeunesse et du travail.

Le Père Murialdo fut parmi les premiers à ressentir l'urgence et à créer la possibilité d'aller au-devant de la jeunesse destinée au travail. C'est un pionnier de l'éducation spécialisée des jeunes travailleurs. C'est lui qui tenta les premières expériences de l'or­ganisation ouvrière. C'est un promoteur des premières Unions catholiques d'ouvriers. C'est lui qui commença à Turin à orga­niser un bureau catholique de placement pour les ouvriers en chômage, qui institua un « Jardin de fête pour les ouvriers », qui ouvrit des colonies agricoles, des écoles techno-pratiques d'a­griculture, des maisons de famille pour jeunes ouvriers et suscita cent autres initiatives du même genre. Le Père Murialdo a l'in­tuition prévoyante des formes pédagogiques, professionnelles, associatives, législatives, qui devront donner à la nouvelle popu­lation industrielle l'instruction, la préparation, la solidarité qu'en­suite la société moderne insérera dans ses propres programmes et qui devront faire de masses dispersées, pauvres, sans défense, inquiètes et excitées par des voix révolutionnaires pour la lutte des classes, un peuple nouveau, conscient de ses droits, capable de remplir ses devoirs, fondé sur le développement progressif de la légitime justice sociale, libre et responsable, comme l'exige l'organisation démocratique moderne. Qu'il suffise de dire que, dès décembre 1869, le Père Murialdo envoya au gouvernement Lanza-Sella une pétition pour une législation réglant le travail des femmes et des enfants dans les usines. Il a la passion pour les besoins de la jeunesse et des humbles, lui, fils d'une famille aisée, prêtre cultivé, distingué et toujours disposé à affronter des entreprises bienfaisantes qui le tourmentent et le rendent souvent plus pauvre que ses pauvres.

Cet aspect de la figure du saint Nous paraît devoir intéresser l'étude de la vie catholique en Italie et du développement des mouvements sociaux plus qu'elle ne le fait maintenant : nous oublions facilement cette tradition du catholicisme militant dans le domaine social et dans l'accroissement et la maturation de la conscience nationale. Les événements politiques du Risorgimento et les courants anticléricaux de l'époque ont peut-être contribué à freiner le succès des actions sociales des catholiques qui, en­core plus que les discussions passionnées dans l'opinion publique ou dans la politique, visaient à offrir des contributions concrètes, positives, importantes d'un service organisé que seul le dévoue­ment de personnes vouées à des institutions spécifiques concernant cette action pouvait fournir. Et cela prouverait que le caractère confessionnel de ces institutions n'empêche pas leur naissance mais l'engendre. Cela nous rappellerait aussi à nous, qui sommes habitués aujourd'hui à distinguer et même séparer le domaine religieux du domaine temporel, que l'inspiration religieuse réel­lement agissante dans le champ des activités sociales, loin de freiner leur expansion, leur confère l'énergie la plus intime, la plus généreuse, la plus féconde, l'énergie incomparable et inépui­sable de la charité. L'histoire des œuvres auxquelles le Père Mu­rialdo a mis la main et a consacré sa vie le démontre et l'enseigne toujours.

 

« Il fut extraordinaire dans l'ordinaire »

 

Et ici la conclusion Nous amène au troisième chapitre, qui essaie de pénétrer dans la vie intérieure de cet homme de Dieu. Mais nous devons nous arrêter sur le seuil. La vie spirituelle personnelle du Père Murialdo nous est pour le moment moins connue que son activité multiforme extérieure. La publication de ses écrits et de sa correspondance rendra l'investigation pos­sible, mais peut-être n'offrira-t-elle pas à nos recherches psycho­logiques ces aspects particuliers et pour ainsi dire anormaux dont, nous, modernes, sommes plus avides dans le domaine de l'hagiographie que les anciens, qui avaient, au contraire, le goût de la recherche et même certains, très imaginatifs, celui de l'in­vention embellissante d'épisodes merveilleux et miraculeux. Nous répéterons cependant ce qui a été dit de lui : il fut extraordinaire dans l'ordinaire, c'est-à-dire que sa personnalité sacerdotale se présente à nous sous le profil commun d'un bon prêtre de cette époque et de ce milieu. Et ce jugement est à la louange de la formation ecclésiastique alors en vigueur (et encore digne de haute appréciation) qui savait former un saint par l'observation régulière et fervente de la règle canonique, comme type ordinaire d'un prêtre extraordinaire. On revendique ainsi la sagesse de la pédagogie ecclésiale d'après le Concile de Trente, à la manière de saint Charles, à la manière de « Saint-Sulpice », de Monsieur Olier (le Père Murialdo fut l'hôte de Saint-Sulpice, à Paris, pendant quelque temps), dans laquelle la pédagogie où l'équi­libre et même la complémentarité de la vie intérieure et de la vie extérieure sont une précieuse caractéristique. Ni l'une ni l'autre n'est portée à des singularités charismatiques, ascétiques ou pastorales, mais l'une et l'autre sont fortes, sérieuses, persévé­rantes et marquées moins par l'affirmation de la propre person­nalité que par l'austère abnégation personnelle dans l'amour du Christ et dans l'humble conformité à la discipline canonique.

Mais cette recherche d'une vie ordinaire, et normale, ne sera jamais privée de l'originalité des âmes vivantes. Il suffit de rap­peler combien intense fut la spiritualité du Père, et comment ses dévotions, c'est-à-dire les expressions préférées de sa vie reli­gieuse, furent orientées avec une ferveur toute personnelle vers les vérités principales et centrales de la foi : la Sainte Trinité, l'Eucharistie, la Croix, le Saint-Esprit, l'Eglise, la sainte Vierge et, avec elle, saint Joseph (qui donna son nom à la Congrégation des fils du Père Murialdo...).

Et pour porter avec nous quelque chose de cette sainteté si simple, si vraie, si silencieuse et si féconde, et pour sentir le Père Murialdo non seulement vivant et glorieux dans le ciel, mais comme notre compagnon et notre modèle dans notre pèlerinage sur la terre et dans le temps, Nous Nous arrêterons, comme adieu, sur ses paroles, dans l'admiration de sa sainteté et dans la confiance en elle : « Ne pas rendre la religion, disait-il seulement surnaturelle ou seulement humaine, mais surnaturelle et humaine. Ajoutez à la vertu la bonté, la douceur, l'esprit d'amitié, le naturel, l'aisance, la joie... » (castellani, II, 756).

Il Nous semble le voir, l'entendre et l'avoir encore avec Nous, saint Leonardo Murialdo : tout près. Ainsi soit-il !

 

 

 

4 mai

LE PAPE REÇOIT LES « EQUIPES NOTRE-DAME »

 

Chers fils, chères filles,

 

Tout d'abord, Nous vous remercions du fond du cœur pour vos paroles de foi, pour votre prière nocturne à nos inten­tions, pour votre engagement aussi au service des vocations. Et Nous voulons vous dire quelle grande joie est la nôtre de vous accueillir ce matin, et aussi de Nous adresser, par-delà vos per­sonnes, aux 20.000 foyers des Equipes Notre-Dame, dont vous Nous disiez à l'instant le rayonnement à travers le monde et la préoccupation de vivre avec le Christ et de tisser avec lui la trame quotidienne de votre amour conjugal. Entre couples chrétiens, vous constituez de petites équipes d'entraide spirituelle soutenues dans leur effort par une présence sacerdotale. Comme ne pas Nous en réjouir ? Chers fils et chères filles, de grand cœur le pape vous encourage et appelle la bénédiction de Dieu sur vos recher­ches. Trop souvent l'Eglise a paru, bien à tort, suspecter l'amour humain. Aussi voulons-Nous clairement vous le dire aujourd'hui : non, Dieu n'est pas l'ennemi des grandes réalités humaines, et l'Eglise ne méconnaît nullement les valeurs quotidiennement vécues par des millions de foyers. Bien au contraire, la bonne nouvelle apportée par le Christ sauveur est aussi une bonne nouvelle pour l'amour humain, lui aussi excellent dans ses origines — « Et Dieu vit que cela était très bon » (Gn 1, 31) —, lui aussi corrompu par le péché, lui aussi racheté au point de devenir, par la grâce, moyen de sainteté.

2. Comme tous les baptisés, vous êtes en effet appelés à la sainteté, selon l'enseignement de l'Eglise solennellement réaffir­mé par le concile (cf. Lumen Gentium, 11). Mais il vous appartient d'y tendre à votre manière propre, dans et par votre vie de foyer (ibid., 41). C'est l'Eglise qui nous l'enseigne : « Les époux sont rendus capables par la grâce de mener une vie sainte » (Gaudium et spes, 49 § 2), et de faire de leur foyer « comme un sanc­tuaire de l'Eglise à la maison » (Apostolicam actuositatem, 11). Ces pensées, dont l'oubli est si tragique pour notre temps, vous sont certes familières. Nous voudrions les méditer avec vous quelques instants pour renforcer encore en vous, s'il en était besoin, la volonté de vivre généreusement votre vocation humaine et chrétienne dans le mariage (cf. Gaudium et spes, 1, 47-52), et de collaborer ensemble au grand dessein d'amour de Dieu sur le monde, qui est de se former un peuple « à la lou­ange de sa gloire » (Ep 1, 14).

 

Le mariage grande réalité terrestre

 

3. Comme la sainte Ecriture nous l'enseigne, le mariage, avant d'être un sacrement, est une grande réalité terrestre : « Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa » (Gn 1, 27). Il faut toujours en revenir à cette première page de la Bible, si l'on veut comprendre ce qu'est, ce que doit être un couple humain, un foyer. Les analyses psy­chologiques, les recherches psychanalytiques, les enquêtes sociologiques, les réflexions philosophiques pourront certes apporter leurs lumières sur la sexualité et l'amour humain, elles nous aveugleraient si elles négligeaient cet enseignement fondamental qui nous est donné dès l'origine : la dualité des sexes a été voulue par Dieu, pour qu'ensemble l'homme et la femme soient image de Dieu, et comme lui source de vie : « soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la » (Gn 1, 28). Une lecture at­tentive des prophètes, des livres sapientiaux, du Nouveau Testa­ment, nous montre du reste la signification de cette réalité fonda­mentale, et nous apprend à ne pas la réduire au désir physique et à l'activité génitale, mais à y découvrir la complémentarité des valeurs de l'homme et de la femme, la grandeur et les fai­blesses de l'amour conjugal, sa fécondité et son ouverture sur le mystère du dessein d'amour de Dieu.

4. Cet enseignement garde aujourd'hui toute sa valeur et nous prémunit contre les tentations d'un érotisme ravageur. Ce phénomène aberrant devrait du moins nous alerter sur la détresse d'une civilisation matérialiste qui pressent obscurément en ce domaine mystérieux comme un dernier refuge d'une valeur sacrée. Saurons-nous l'arracher à l'enlisement de la sensualité ? Sachons du moins, devant un envahissement cyniquement pour­suivi par des industries cupides, en juguler les néfastes effets auprès des jeunes. Sans barrage ni refoulement, il s'agit de fa­voriser une éducation qui aide l'enfant et l'adolescent à prendre progressivement conscience de la force des pulsions qui s'éveil­lent en eux, à les intégrer à la construction de leur personnalité, à en maîtriser les forces montantes pour réaliser une pleine ma­turité affective aussi bien que sexuelle, à se préparer par là au don de soi dans un amour qui lui donnera sa véritable dimen­sion, de manière exclusive et définitive.

 

Indissolubilité irrévocable

 

5. L'union de l'homme et de la femme diffère en effet radica­lement de toute autre association humaine, et constitue une réa­lité singulière, à savoir le couple fondé sur le don mutuel de l'un à l'autre : « et ils deviennent une seule chair » (Gn 2, 24). Unité dont l'indissolubilité irrévocable est le sceau apposé sur l'engage­ment libre et mutuel de deux personnes libres, qui, « dès lors, ne sont plus deux, mais une seule chair » (Mt 19, 6) : une seule chair, un couple, on pourrait presque dire un seul être, dont l'unité prendra forme sociale et juridique par le mariage, et se manifestera par une communauté de vie, dont le don charnel est l'expression féconde. C'est dire qu'en se mariant les époux expriment une volonté de s'appartenir pour la vie, et de con­tracter dans ce but un lien objectif, dont les lois et les exigences, bien loin d'être une servitude, sont une garantie et une protection, un véritable soutien, comme vous l'éprouvez vous-mêmes dans votre expérience quotidienne.

 

Amour exclusif et fécond

 

6. Le don n'est pas une fusion, en effet. Chaque personnalité demeure distincte, et loin de se dissoudre dans le don mutuel, s'affirme et s'affine, grandit à longueur de vie conjugale, selon cette grande loi de l'amour : se donner l'un à l'autre pour se don­ner ensemble. L'amour est en effet le ciment qui donne sa solidité à cette communauté de vie, et l'élan qui l'entraîne vers une plé­nitude toujours plus parfaite. Tout l'être y participe, dans les profondeurs de son mystère personnel, et de ses composantes affectives, sensibles, charnelles aussi bien que spirituelles, jusqu'à constituer toujours mieux cette image de Dieu que le couple a mission d'incarner au fil des jours, en la tissant de ses joies comme de ses épreuves, tant il est vrai que l'amour est plus que l'amour. Il n'est aucun amour conjugal qui ne soit, dans son exultation, élan vers l'infini, et qui ne se veuille, dans son élan, total, fidèle, exclusif et fécond (cf. Humanae vitae, 9). C'est dans cette perspective que le désir trouve sa pleine signification. Moyen d'expression autant que de connaissance et de commu­nion, l'acte conjugal entretient, fortifie l'amour, et sa fécondité conduit le couple à son plein épanouissement: il devient, à l'image de Dieu, source de vie.

Le chrétien le sait, l'amour humain est bon de par son ori­gine, et s'il est, comme tout ce qui est dans l'homme, blessé et déformé par le péché, il trouve dans le Christ son salut et sa rédemption. Au reste, n'est-ce pas la leçon de vingt siècles d'his­toire chrétienne ? Que de couples ont trouvé dans leur vie con­jugale le chemin de la sainteté, dans cette communauté de vie qui est la seule à être fondée sur un sacrement !

 

Sacrement de la nouvelle alliance

 

7. Œuvre de l'Esprit-Saint (cf. Tt 3,5), la régénération baptis­male fait de nous des créatures nouvelles (cf. Ga 6, 15), « ap­pelées à mener, nous aussi, une vie nouvelle » (Rm 6, 4). Dans cette grande entreprise du renouvellement de toutes choses dans le Christ, le mariage, lui aussi purifié et renouvelé, devient une réalité nouvelle, un sacrement de la nouvelle alliance. Et voici qu'au seuil du Nouveau Testament comme à l'entrée de l'Ancien se dresse un couple. Mais, tandis que celui d'Adam et Eve fut la source du mal qui a déferlé sur le monde, celui de Joseph et de Marie est le sommet d'où la sainteté se répand sur toute la terre. Le Sauveur a commencé l'œuvre du salut par cette union virginale et sainte où se manifeste sa toute-puissante volonté de pu­rifier et sanctifier la famille, ce sanctuaire de l'amour et ce berceau de la vie.

 

Cellule de l'organisme ecclésial

 

8. Dès lors tout est transformé. Deux chrétiens désirent se marier; saint Paul les prévient : « vous ne vous appartenez plus » (1 Co 6, 19). Membres du Christ, l'un et l'autre « dans le Sei­gneur », leur union aussi se fait « dans le Seigneur », comme celle de l'Eglise, et c'est pourquoi elle est « un grand mystère » (Ep 5, 32), un signe qui, non seulement représente le mystère de l'union du Christ avec l'Eglise mais encore le contient et le rayonne par là grâce de l’Esprit-Saint, qui en est l'âme vivifiante. Car c'est bien l'amour même qui est propre à Dieu que celui-ci nous communique pour que nous l'aimions et qu'aussi nous nous aimions de cet amour divin : « aimez-vous les uns les autres com­me je vous ai aimés » (Jn 13, 34). Les manifestations mêmes de leur tendresse sont, pour les époux chrétiens, pénétrées de cet amour qu'ils puisent au cœur de Dieu. Et, si la source humaine risquait de se tarir, sa source divine est aussi inépuisable que les profondeurs insondables de la tendresse de Dieu. C'est dire vers quelle communion intime, forte et riche tend la charité conjugale. Réalité intérieure et spirituelle, elle transforme la communauté de vie des époux « en ce qu'on pourrait appeler, selon l'enseigne­ment autorisé du concile, l'Eglise domestique » (Lumen Gentium, 11), une véritable « cellule d'Eglise », comme le disait déjà notre bien-aimé prédécesseur Jean XXIII à votre pèlerinage du 3 mai 1959 (Discorsi, messaggi, colloqui del Santo Padre Giovanni XXIII, I, Tip. Pol. Vat., p. 298), cellule de base, cellule germinale, la plus petite sans doute, mais aussi la plus fondamentale de l'orga­nisme ecclésial.

9. Tel est le mystère dans lequel s'enracine l'amour conju­gal, et qui illumine toutes ses manifestations. Mystère de l'In­carnation, qui exhausse nos virtualités humaines en les pénétrant de l'intérieur. Bien loin de les mépriser, l'amour chrétien les porte en effet à leur plénitude, avec patience, générosité, force et douceur, comme saint François de Sales aimait le souligner en faisant l'éloge de la vie conjugale de saint Louis (Introduction à la vie dévote, IIIe Partie, ch. 38, Avis pour les gens mariés, dans Œuvres, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Nrf, Gallimard 1969, p. 237). Car, si la fascination de la chair est dangereuse, la tenta­tion d'angélisme ne l'est pas moins, et une réalité méprisée ne tarde guère à revendiquer sa place. Aussi, conscients de porter leurs trésors en des vases d'argile (cf. 2 Co 4, 7), les époux chré­tiens s'efforcent-ils, avec une humble ferveur, de traduire dans leur vie conjugale les recommandations de l'apôtre Paul : « vos corps sont membres du Christ..., temples de l'Esprit-Saint... ; glorifiez donc Dieu dans votre corps » (1 Co 6, 13-20). « Mariés dans le Seigneur », les époux ne peuvent dès lors s'unir qu'au nom du Christ à qui ils appartiennent et pour qui ils doivent travailler comme ses membres actifs. Ils ne peuvent donc disposer de leur corps, notamment en tant qu'il est principe de généra­tion, que dans l'esprit et pour l'œuvre du Christ, puisqu'ils sont membres du Christ.

10. « Collaborateurs libres et responsables du Créateur » (Hum. Vitae, n. 1), les époux chrétiens voient leur fécondité charnelle acquérir par là une noblesse nouvelle. L'élan qui les pousse à s'unir est porteur de vie, et permet à Dieu de se donner des enfants. Devenus père et mère, les époux découvrent avec émer­veillement, aux fonts-baptismaux, que leur enfant est dès lors enfant de Dieu, « rené de l'eau et de l'Esprit » (Jn 3, 5), et qu'il leur est confié pour qu'ils veillent certes sur sa croissance physi­que et morale, mais aussi sur l'éclosion et l'épanouissement en lui de « l'homme nouveau » (Ep 4, 24). Cet enfant n'est plus seulement ce qu'ils voient, mais tout autant ce qu'ils croient, « une infinité de mystère et d'amour qui nous éblouirait si nous le voyions face à face » (Emmanuel Mounier à sa femme Paulette, le 20 mars 1940, dans Œuvres, t. IV, Paris, Seuil 1963, p. 662). Aussi l'éducation devient-elle véritable service du Christ, selon sa parole même : « ce que vous faites à l'un de ces tout-petits, c'est à moi que vous le faites » (Mt 25, 40). Et s'il arrive que l'adolescent se ferme à l'action éducative des parents, ceux-ci participent alors douloureusement, en leur chair même, à la passion du Christ devant les refus de l'homme.

 

Les époux collaborateurs du Créateur

 

11. Chers parents, Dieu ne vous a pas confié une tâche si importante (cf. Gravissimum Educationis) sans vous faire un don prodigieux, son amour de père. A travers les parents qui aiment leur enfant en qui vit le Christ, c'est l'amour du Père qui s'épan­che en son Fils bien-aimé (cf. 1 Jn 4, 7-11). A travers leur auto­rité, c'est son autorité qui s'exerce. A travers leur dévouement, sa providence de «Père, de qui toute paternité tire son nom, au ciel et sur la terre » (cf. Ep 3, 15). Aussi bien le petit baptisé, à travers l'amour de ses parents, fait-il la découverte de l'amour paternel de Dieu, et, nous dit le concile, « la première expérience de l'Eglise » (Grav. Educationis, 3). Sans doute n'en prendra-t-il conscience qu'en grandissant, mais déjà l'amour divin, à travers la tendresse de son père et de sa mère, fait éclore et s'épanouir en lui son être de fils de Dieu. C'est dire quelle est là splendeur de votre vocation, que saint Thomas rapproche justement du ministère sacerdotal : « Certains propagent et maintiennent la vie spirituelle par un ministère uniquement spirituel : c'est l'affaire du sacrement de l'Ordre ; d'autres le font par un ministère à la fois corporel et spirituel : ce que réalise le sacrement de mariage, qui unit l'homme et la femme pour qu'ils engendrent une descen­dance et l'élèvent en vue du culte de Dieu » (Contra Gentiles IV, 58, trad. Bernier-Kerouanton, Paris, Lethielleux 1957, p. 313).

12. Les foyers qui connaissent la dure épreuve de ne pas avoir d'enfants sont appelés cependant eux aussi à coopérer à la croissance du peuple de Dieu, de multiples manières. Nous voudrions seulement ce matin attirer votre attention sur l'hospi­talité qui est une forme éminente de la mission apostolique du foyer. La recommandation de saint Paul aux Romains : « Pratiquez l'hospitalité avec empressement » (12, 13), n'est-ce pas d'abord aux foyers qu'elle s'adresse, et lui-même ne pensait-il pas, en la formulant, à l'hospitalité du foyer d'Aquila et Priscille dont il avait été le premier bénéficiaire, et qui par la suite devait accueil­lir l'assemblée chrétienne ? (cf. Ac 18, 2-3 ; Rm 16, 3-4 ; 1 Co 16, 19). En nos temps, si durs pour beaucoup, quelle grâce d'être accueillis « en cette petite Eglise, selon le mot de saint Jean Chrysostome (Homélie 20 sur Ephésiens 5, 22-24, N. 6 ; PG 62, 135-140), d'entrer dans sa tendresse, de découvrir sa maternité, d'expérimenter sa miséricorde, tant il est vrai qu'un foyer chrétien est « le visage riant et doux de l'Eglise » (Expression d'un foyer des Equipes Notre-Dame citée par H. Caffarel, dans l’Anneau d'Or, n. 111-112 ; Le mariage, ce grand sacrement, Paris, Feu nouveau 1963, p. 282). C'est un apostolat irremplaçable qu'il vous appartient de remplir généreusement, un apostolat du foyer pour lequel la formation des fiancés, l'aide aux jeunes ménages, le secours aux foyers en détresse constituent des domaines pri­vilégiés. Vous soutenant l'un l'autre, de quelles tâches n'êtes-vous pas capables dans l'Eglise et dans la Cité ? Nous vous y appelons avec une grande confiance et beaucoup d'espérance : « la famille chrétienne proclame à haute voix la puissance actuelle du Royaume de Dieu et l'espérance de la vie bienheureuse. Ainsi, par son exemple et par son Témoignage, elle convainc le monde de péché et illumine les hommes en quête de vérité (Lumen Gentium, 35).

 

Surmonter les tentations, les épreuves, les difficultés

 

13. Chers fils et chères filles, vous en êtes bien convaincus, c'est en vivant les grâces du sacrement de mariage que vous cheminez « d'un amour inlassable et généreux » (ibid. 41) vers cette sainteté à laquelle nous sommes tous appelés par grâce (cf. Mt 5, 48 ; 1 Th 4, 3 ; Ep 1, 4), et non point par exigence arbi­traire, mais par amour d'un Père qui veut le plein épanouisse­ment et le bonheur total de ses enfants. Au reste, pour y parve­nir, vous n'êtes point livrés à vous-mêmes, puisque, le Christ et l'Esprit-Saint, « ces deux mains de Dieu », selon l'expression de saint Irénée, sans cesse travaillent pour vous (cf. Adversus Haereses IV, 28, 4 ; PG 7, 1, 200). Ne vous laissez donc pas dé­router par les tentations, les difficultés, les épreuves qui surgissent sur le chemin, sans crainte d'aller, quand il le faut, à contre-courant de ce que l'on pense, et dit dans un monde aux com­portements paganisés. Saint Paul nous en prévient : « Ne vous conformez pas à ce monde, mais transformez-vous par le renou­vellement de votre esprit » (Rm 12, 2). Ne vous découragez pas non plus, à l'heure des défaillances : notre Dieu est un Père plein de tendresse et de bonté, rempli de sollicitude et débordant d'amour pour ses enfants à qui il arrive de peiner dans leur marche. Et l'Eglise est une mère qui entend vous aider à vivre à pleine vie cet idéal du mariage chrétien dont elle vous rappelle, avec la beauté, toutes les exigences.

 

L'assistance des prêtres

 

14. Chers fils, aumôniers des Equipes Notre-Dame, vous le savez par une longue et riche expérience : votre célibat consacré vous rend particulièrement disponibles, pour être auprès des foyers, dans leur cheminement vers la sainteté, les témoins agis­sants de l'amour du Seigneur dans l'Eglise. Au fil des jours, vous les aidez à « marcher dans la lumière » (cf. 1 Jn 1, 7), à penser juste, c'est-à-dire à apprécier leur conduite dans la vé­rité ; à vouloir juste, c'est-à-dire à orienter, en hommes respon­sables, leur volonté vers le bien ; à agir juste, c'est-à-dire à mettre progressivement leur vie, à travers les aléas de l'existence, à l'unisson de cet idéal du mariage chrétien qu'ils poursuivent généreusement. Qui ne le sait ? Ce n'est que peu à peu que l'être humain arrive à hiérarchiser et intégrer ses tendances multiples jusqu'à les ordonner harmonieusement en cette vertu de chasteté conjugale, où le couple trouve son plein épanouissement humain et chrétien. Cette œuvre de libération, car c'en est une, est le fruit de la vraie liberté des enfants de Dieu, dont la conscience demande à la fois à être respectée, éduquée et formée, dans un climat de confiance et non d'angoisse, où les lois morales, loin d'avoir la froideur inhumaine d'une objectivité abstraite, sont là pour guider le couple dans son cheminement. Quand les époux s'efforcent en effet, patiemment et humblement, sans se laisser décourager par les échecs, de vivre en vérité les exigences pro­fondes d'un amour sanctifié que les règles morales sont là pour leur rappeler, celles-ci ne sont plus rejetées comme une entrave, mais reconnues comme un puissant secours.

15. Le cheminement des époux, comme toute vie humaine, connaît bien des étapes, et les phases difficiles et douloureuses — vous l'éprouvez au fil des ans — y ont aussi leur place. Mais il faut le dire hautement : jamais l'angoisse ni la peur ne devraient se trouver chez des âmes de bonne volonté, car enfin, l'évangile n'est-il pas une bonne nouvelle aussi pour les foyers, et un mes­sage qui, s'il est exigeant, n'en est pas moins profondément libérateur ? Prendre conscience que l'on n'a pas encore conquis sa liberté intérieure, que l'on est encore soumis à l'impulsion de ses tendances, se découvrir quasi incapable de respecter, dans l'instant, la loi morale, en un domaine aussi fondamental, suscite naturellement une réaction de détresse. Mais c'est le moment décisif où le Chrétien, dans son désarroi, au lieu de s'abandonner à la révolte stérile et destructrice, accède, dans l'humilité, à la découverte bouleversante de l'homme devant Dieu, un pécheur devant l'amour du Christ Sauveur.

 

Le chemin vers la sainteté

 

16. A partir de cette prise de conscience radicale, s'amorce tout le progrès de la vie morale, le couple se trouvant ainsi « évangélisé » en ses profondeurs, les époux découvrant « avec crainte et tremblement » (Ph 2, 12), mais aussi avec une joie émerveillée, qu'en leur mariage, comme dans l'union du Christ et de l'Eglise, c'est le mystère pascal de mort et de résurrection qui s'accomplit. Au sein de la grande Eglise, cette petite église se connaît alors pour ce qu'elle est en vérité : une communauté faible et parfois pécheresse et pénitente, mais pardonnée, en marche vers la sain­teté, « dans la paix de Dieu qui surpasse toute intelligence » (Ph 4, 7). Loin d'être pour autant à l'abri de toute défaillance — « que celui qui se flatte d'être debout prenne garde de tomber » (1 Co 10, 12) ni dispensés d'un effort persévérant, parfois en des con­ditions cruelles que seule la pensée de participer à la passion du Christ peut faire supporter (cf. Col 1, 24), les époux savent du moins que les exigences de vie morale conjugale que l'Eglise leur rappelle ne sont pas des lois intolérables ni impraticables, mais un don de Dieu pour les aider à accéder, à travers et par delà leurs faiblesses, aux richesses d'un amour pleinement humain et chrétien. Dès lors, loin d'avoir le sentiment angoissant de se trouver comme acculés à une impasse, et, suivant les cas, de s'enliser peut-être dans la sensualité en abandonnant toute pratique sacramentelle, voir en se révoltant contre une Eglise con­sidérée comme inhumaine, ou de se raidir dans un impossible effort au prix de l'harmonie et de l'équilibre, voire de la survie du foyer, les époux s'ouvriront à l'espérance, dans la certitude que toutes les ressources de grâce de l'Eglise sont là pour les aider à s'acheminer vers la perfection de leur amour.

 

Foyers fidèles, espérance du monde

 

17. Telles sont les perspectives dans lesquelles les foyers chrétiens vivent, en plein monde, la bonne nouvelle du salut dans le Christ, et progressent vers la sainteté dans et par leur mariage, avec la lumière, la force, la joie du Sauveur. Telles sont aussi, du même coup, les orientations majeures de l'aposto­lat des Equipes Notre-Dame, à partir du témoignage de leur propre vie, dont la force de persuasion est si grande. Inquiet et fiévreux, notre monde oscille entre la peur et l'espoir, et nom­bre de jeunes abordent en titubant la route qui s'ouvre devant eux. Que ce soit pour vous un stimulant et un appel. Avec la force du Christ, vous pouvez, et donc vous devez réaliser de gran­des choses. Méditez sa parole, recevez sa grâce dans la prière et dans les sacrements de pénitence et d'eucharistie, confortez-vous les uns les autres, en témoignant avec simplicité et discré­tion de votre joie. Un homme et une femme qui s'aiment, un sourire d'enfant, la paix d'un foyer: prédication sans parole, mais si étonnamment persuasive, où tout homme peut déjà pressentir, comme par transparence, le reflet d'un autre amour, et son appel infini.

18. Chers fils, l'Eglise, dont vous êtes les cellules vivantes et agissantes, donne à travers vos, foyers comme une preuve expé­rimentale de la puissance de l'amour sauveur, et porte ses fruits de sainteté. Foyers éprouvés, foyers heureux, foyers fidèles, vous préparez pour l'Eglise et le monde un nouveau printemps dont les premiers bourgeons déjà nous font tressaillir d'allégresse. En vous voyant, en rejoignant par la pensée les millions de foyers chrétiens répandus à travers le monde, nous sommes emplis d'une irrépressible espérance, et, au nom du Seigneur, nous vous di­sons avec confiance : « Qu'ainsi brille votre lumière aux yeux des hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et glorifient votre Père qui est dans les deux » (Mt 5, 16). En son nom, nous appe­lons sur vous et sur vos enfants bien-aimés, sur tous les foyers des Equipes Notre-Dame, et leurs aumôniers, tout particulière­ment sur le cher abbé Caffarel, l'abondance des divines grâces, en gage desquelles nous vous donnons de grand cœur une large Bénédiction Apostolique.

Avant de vous donner la Bénédiction, nous voudrions dire avec vous une prière, un Pater noster, que nous réciterons en­semble à toutes les intentions de votre Mouvement :

— pour tous les foyers des Equipes Notre-Dame, ainsi que pour les veufs et les veuves qui lui appartiennent également ;

— pour leurs enfants, afin que Dieu les protège et suscite parmi eux des vocations ;

— pour les foyers qui souffrent ou sont dans l'épreuve ;

— enfin pour qu'un nombre toujours plus grand d'époux et d'épouses découvrent les richesses du mariage chrétien. Pater noster...

 

 

 

10 mai

LA CANONISATION DE SŒUR THERESE COUDERC

 

Qu'il nous soit permis d'adresser d'abord un mot de bienvenue, dans leur langue, à nos chers Fils de France, venus nombreux pour assister à la glorification de leur humble et glorieuse compatriote.

Nous avons le plaisir de saluer Monsieur Marcellin, Ministre de l'Intérieur, et les autres Membres de la Mission spéciale en­voyée par le Gouvernement Français pour cette circonstance.

Nous saluons le Cardinal Renard, Archevêque de Lyon, et les Evêques de France qui l'entourent, parmi lesquels Monseigneur Jean Hermil, Evêque de Viviers, Diocèse d'origine de la nouvelle Sainte.

Nous accueillons avec une satisfaction toute spéciale — est-il besoin de le dire ? — les nombreuses Filles de Sainte Thérèse Couderc et leur Supérieure générale.

Enfin nous avons l'honneur et la joie d'avoir aujourd'hui parmi nous un Visiteur exceptionnel, le « Catholicos » suprême de tous les Arméniens, Vasken Ier, venu de la sainte Etchmiadzine pour apporter à l'Eglise de Rome le salut de la glorieuse Eglise armé­nienne, si riche en Saints et en Martyrs. Nous bénissons la Provi­dence, qui a permis qu'une cérémonie de Canonisation se déroule durant cette visite historique, et permette ainsi d'associer nos hôtes arméniens et leur très digne Chef spirituel à la joie de toute l'Eglise.

La solennité de ce moment et de ce lieu suggérerait un long discours de louange à Dieu, « qui nous console dans toutes nos afflictions, pour que, par cette même consolation reçue de lui, nous puissions à notre tour consoler les affligés » (2 Co 1, 4), par l'intermédiaire de l'apparition de ses Saints dans notre pè­lerinage sur terre ; un discours de vénération de la nouvelle Sainte Marie Victoire Thérèse Couderc ; d'allégresse avec la Congrégation de Notre-Dame du Cénacle dont elle fut la fon­datrice ; d'exhortation à l'Eglise, qui de cette fille élue tire exem­ple, aide et protection ; de comparaison avec notre époque, qui en hérite l'expérience et l'œuvre ; de louange et de souhait enfin à la France, pays d'origine et d'action de cette Sainte.

Mais nous devons maintenant nous limiter à quelques mots, suffisants pour rendre hommage à la Sainte, qui vient d'être canonisée, et à proposer une plus ample réflexion sur sa vie et sur l'institution qu'elle fonda.

Ces quelques mots sont plutôt des questions qu'une notice historique sur cette nouvelle Fille céleste de l'Eglise terrestre. Les voici : quelle est la physionomie, quelle est l'œuvre de Sainte Thérèse Couderc ? Nous aimerions avoir les réponses des Reli­gieuses présentes, filles et disciples de la Sainte, certainement très informées, comme il est de leur devoir et de leur privilège, mais maintenant curieuses de connaître notre pensée.

Quelle est la physionomie de votre Sainte ? Nous disons phy­sionomie, non histoire, pour être concis et nous contenter d'un simple aperçu de la question.

L'Eglise possède une bonne légion de Saintes Religieuses, de Saintes Fondatrices, de Saintes du XIX° siècle, de Saintes issues de la terre féconde de France, bouleversée par la Révolution, et ensuite labourée, pour ainsi dire, par l'épopée napoléonienne : quels sont les traits caractéristiques qui peuvent identifier celle que nous honorons aujourd'hui ?

Pour Thérèse vaut aussi le portrait de la Religieuse du XIX° siècle : portrait traditionnel d'une vie ardemment aimante, mais détachée de la forme ordinaire, quoique honnête et digne, de l'amour familial ; c'est celui d'une vie totalement consacrée au Seigneur; d'une vie angélique et pauvre ; d'une vie insérée dans une communauté strictement organisée et disciplinée ; d'une vie caractérisée par quelque activité de charité. Cette vie n'est plus claustrale, mais elle se déroule toujours à l'écart : à la moniale a succédé la sœur ; non plus exclusivement statique et contempla­tive, c'est-à-dire consacrée uniquement à la prière, mais égale­ment active. Conscience et volontarisme, liberté de choix, par conséquent, et abnégation vécue confèrent à cette forme de vie religieuse intensité intérieure et dévouement extérieur, idéal de piété, de générosité, de sainteté, qui a formé un type admirable de femme vouée au Christ, accueilli par des myriades d'âmes vierges, et fortes, et qui est toujours florissant, par la grâce de Dieu, dans l'Eglise catholique. On peut comprendre comment cet idéal a exercé un puissant attrait.

Eh bien ! Face à ce genre d'existence, quelle est l'attitude de Marie Victoire avant de devenir Sœur Thérèse ? On connaît la diversité d'attitudes prises par celles qui s'orientent vers ce genre de vie ; la phénoménologie des vocations est très riche et complexe, elle décrit les histoires intérieures les plus diverses, incertaines, lentes, douloureuses, parfois dramatiques. Le cas de la jeune Couderc, au contraire, est le cas le plus droit et le plus simple, celui d'une vocation que nous pourrions presque dire innée. Elle a eu, dès l'âge le plus tendre, un désir unique, fort précoce, celui de la vie religieuse, sans que celle-ci lui fût encore spécifiée et facilitée. Cette inclination presque congénitale, qui précède l'ex­périence de la vie et la formation culturelle, même si elle doit retarder la réalisation de son idéal à l'âge de la pleine conscience, n'a pas de doutes pour elle, n'a pas de taches, n'a pas de condi­tions ; c'est une vocation innocente et sûre. Le milieu familial, rural et montagnard, modeste et honnête, pieux et laborieux plutôt austère et patriarcal, en a le plus grand mérite ; la France rurale de ce temps témoigne des fortes vertus chrétiennes, restées dans le cœur de son peuple.

Voici, à notre avis la caractéristique de Sainte Thérèse Cou­derc : sa vocation. Pourquoi aujourd'hui, à l'exemple de cette âme simple et élue, qui, plutôt que de choisir elle-même, se sent choisie pour la vie religieuse, la Providence, pour le bien de la Sainte Eglise, qui se trouve aujourd'hui dans des conditions historiques et sociales bien différentes, et a tant besoin de nouvel­les vocations, ne pourrait-Elle pas multiplier ce prodige ?

Mais ensuite, comment se réalise et se développe cette vo­cation ?

Observons-la : elle nous semble marquée par deux traits ap­paremment contradictoires : courage et renoncement. Ils se ré­sument dans la conformité à une parole évangélique, qui synthétise l'aspect moral de la vie du Christ, le mystère de sa saintété : « Ce qui plaît à Lui (à mon Père), dit Jésus, je le fais tou­jours » (Jn 8, 29). Jésus est obéissant jusqu'à la mort (Ph 2, 8) ; son héroïsme consiste dans la conformité à la volonté de Dieu ; notre rédemption s'accomplit ainsi (cf. adam, Le Christ notre frère, p. 4). Ainsi de notre Sainte : sa volonté est dans une ten­sion continuelle ; mais l'exercice de sa volonté est un renoncement continuel, total. Il faudrait évoquer l'influence qu'eut sur elle le prêtre qui fut à l'origine de tout, le Père Terme, ardent de ferveur religieuse et de charité, guide extraordinaire dans les sentiers spirituels et les orientations pratiques, peut-être plus généreux et impulsif que réfléchi et éclairé, plein d'énergie et d'enthousias­me, mais le premier sur la voie royale de la volonté de Dieu, avec cet aveugle dévouement qui découvre la lumière de l'Esprit; il disait de lui-même : « Je ne demande qu'à accomplir l'œuvre à laquelle Dieu me destine, sans chercher même à la connaître ». Ainsi naît la nouvelle petite famille religieuse à La Louvesc (où reposent maintenant la dépouille mortelle de la Sainte, à côté de la tombe d'un Saint, lui aussi exemple maître d'énergie extraor­dinaire et de hardiesse apostolique, Saint François Régis).

Le jeu des événements Semble révéler la présence de la main de Dieu, qui guide les hommes et les choses. L'institution nais­sante passe sous l'inspiration et la direction des Pères de la Com­pagnie de Jésus ; elle se modèle et évolue à partir de la spiritualité et la règle de St Ignace. Après s'être détachée du groupe initial de religieuses tourné vers l'apostolat rural par les écoles, et, toujours sous l'impulsion du premier promoteur, le Père Terme, trop vite décédé, elle se distingue par l'œuvre des retraites et des exercices spirituels, en prenant d'un fils distingué de Saint Ignace, le Père Fouillot, bon religieux, son empreinte spirituelle, ses constitutions et son titre : la Congrégation de Notre-Dame du Cénacle.

Mais cette évolution constitue une voie douloureuse pour la Fondatrice ; c'est sur cette voie que Sœur Couderc se révèle principalement Sainte, si vraiment la sainteté se manifeste et se forme par la croix. Pendant quarante-cinq ans Thérèse Couderc la porta. Cette croix que même la vie religieuse peut rendre lourde à qui la professe, et parfois d'une manière plus grave, plus étrange à qui revient le mérite de sa fondation. La mission d'une Fon­datrice devient, dans certains cas, douloureusement dramatique, spécialement lorsque les difficultés surgissent à cause de qui exerce l'autorité dans l'Eglise et de qui partage la vie commune, c'est-à-dire lorsque celui qui fait souffrir est une personne ho­norée et bonne, père spirituel ou fille spirituelle. C'est là une souffrance qui, à première vue, semble impossible : elle marque les rapports établis dans le domaine de la charité ecclésiale, la chose la plus importante et la plus belle que le Seigneur nous ait laissée ; c'est précisément pour cela que toute atteinte à ces rapports, provoque une souffrance plus aiguë. L'amour aug­mente la sensibilité et rend la douleur plus profonde. Mais nous sommes des hommes c'est-à-dire capables de faire souffrir notre prochain, en particulier les personnes chères et bonnes, même avec les meilleures intentions ; c'est pourquoi lorsque nos défauts aggravent le tort de notre mauvaise action et la rendent blessante, l'amertume devient profonde, et provoque des réactions que seule une vertu héroïque peut contenir.

Voilà, pouvons-nous dire, l'histoire de Thérèse Couderc. Peut-être d'impondérables motifs d'ordre social (elle était de modeste origine campagnarde et de culture scolaire limitée), contribuèrent à suggérer des mesures humiliantes à son égard, qui remplirent d'ingratitudes, de rivalités, de reproches, de mortifications l'hum­ble Religieuse : elle fut pratiquement destituée de son rang de Supérieure, son titre de Fondatrice lui fut contesté, on lui confia des places et des charges inférieures à ses capacités et à ses méri­tes (cf. folliet, p. 17). C'est là qu'elle apparaît grande : grande surtout dans l'humilité. Dans l'abnégation, se livrer, comme elle répétait. Le silence, l'obéissance, la patience, dans une immola­tion intérieure consciente et continuelle : telles furent sa conduite, sa défense, l'apologie silencieuse de sa vertu, reconnue seulement au terme de sa vie, et aujourd'hui glorifiée. Sous cet aspect, Thérèse Couderc se présente en âme héroïque, maîtresse extraor­dinaire, Sainte. Ces aspects, dans ce cas, ont le mérite d'établir ce courant de sympathie, de dévotion, d'admiration, de con­fiance que nous devons aux Saints.

Et l'œuvre ? L'œuvre est celle du Cénacle. Nous la connaissons tous. Entre tous, notre vénéré et grand Prédécesseur, le Pape Pie XI, la connut : lorsqu'il fut pendant quarante années, à la Bibliothèque Ambrosienne, il exerça son ministère sacerdotal, caché et sage, au Cénacle de Milan, où nous-même eûmes l'occasion, comme du reste ici à Rome, de nous arrêter. Le Cénacle est un Institut religieux consacré à Notre-Dame, Mère du Christ, qui au milieu de la première communauté chrétienne, attend, invoque et reçoit en nouvelle plénitude l'effusion de l'Esprit Saint, le jour de la Pentecôte. C'est un Institut religieux qui célèbre, en les imitant et en les revivant, les deux attitudes de Jésus dans la vie humaine. La première est intérieure, dans le silence, la prière, la contemplation, le colloque intime avec Dieu, l'exercice sublime, délicat, délicieux et patient de la prière, jus­qu'au point d'en faire sa propre nourriture, son souffle vital, sa plénitude personnelle, sa communion continuelle avec le Christ. La deuxième attitude est extérieure : contemplata aliis tradere, chercher à transmettre à d'autres les trésors de la vérité et de la vertu, et faire de l'apostolat, et par conséquent de l'imitation du Christ, l'exercice de sa propre charité : école de vie et de doctri­ne chrétienne, refuge de silence et de méditation, cure de réha­bilitation pour les forces morales et spirituelles. Le Cénacle a une formule religieuse simple et heureuse : synthèse de vie con­templative et de vie active ; de vie personnelle, communautaire et sociale, de silence et de parole. Ici l'effort ascétique et l'abandon mystique se complètent harmonieusement. Comme il a été dit : « La perfection chrétienne suppose l'union constante, sur des plans différents, de l'ascétique et de la mystique » (bremond, Introd. à la Ph. de la prière, page 338).

Le Cénacle est une institution spécialisée pour un service social d'exercices spirituels. Inspiré par la grande école ignacienne, mais ouvert à tout courant de spiritualité catholique, il cherche de favoriser l'application d'une Encyclique à ne pas oublier, « Mens nostra », du Pape Pie XI, sur les Exercices spiri­tuels, promulguée en décembre 1929 (AAS, 1929, p. 689, ss.). En d'autres termes le Cénacle s'organise de manière à offrir à tant de catégories de personnes, les femmes spécialement, et de toutes les classes de la société, la possibilité de jouir pendant quelques jours, ou quelques heures seulement, de retraite, de recueillement, de silence, de méditation, de prière, de régéné­ration sacramentelle.

Fils du monde moderne, nous sommes en mesure d'apprécier le caractère providentiel d'une semblable institution et de nous sentir obligés de faire de notre reconnaissance à Sainte Thérèse Couderc l'expression meilleure du culte qui lui est dû. Nous sommes absorbés, en effet, par la « chaîne de montage » qu'est l'engagement, le rythme de notre activité extérieure, fascinés par le charme du monde sensible, qui nous entoure et nous attire hors de nous dans un domaine de réalités, de représenta­tions ou d'intérêts, qui ne laissent pas à l'esprit la possibilité d'entrer en lui-même et de réfléchir sur son propre destin. Dès lors nous sentons le besoin, et parfois le devoir, de nous retrouver dans la réflexion et dans la liberté du vouloir, dans la joie spon­tanée ou la souffrance pure de nos sentiments personnels, c'est-à-dire de vivre avec nous-mêmes (secum vivebat, dit-on de Saint Benoît) ; et alors, grâce à la remontée facile vers Dieu, nous sen­tons l'invitation de rechercher le Christ maître intérieur, et de respirer au souffle mystérieux de l'Esprit, en nous répétant les paroles de Saint Pierre Damien : Dedimus corpori annum, demus animae dies,.., nous avons donné au corps (c'est-à-dire à la vie temporelle) l'année entière, donnons à l'âme au moins quelques jours (Serm. 12 ; PL 52, 186). Ce besoin de compenser en inten­sité religieuse et personnelle la vie habituelle dissipée dans la fascinatio nugacitatis (SG 4, 12), dans l'attrait des choses frivoles, ou des intérêts profanes, ne convient qu'aux hommes d'au­jourd'hui qui veulent rester chrétiens et ne pas perdre de vue le vrai but final de notre existence.

Il est beau que cela arrive à l'enseigne du Cénacle, c'est-à-dire là où la suprématie de la contemplation est célébrée par des âmes pures et consacrées, et où est rappelé le fait, bien plus le mystère de l'Eglise dans son intégrité et sa vivacité de Pentecôte, là où elle naquit corps mystique du Christ dans son institution visible et organique, par le moyen de son animation surnaturelle, pour les siècles, vivante, unie, apostolique, en présence de la Mère du Christ, devenue alors Mère spirituelle de l'Eglise.

Beau, consolant, attrayant, prometteur, grâce à cette humble Sainte Marie Thérèse Couderc, Fondatrice du « Cénacle ».

 

 

 

15 mai

« LE CONCILE, PROGRAMME DE NOTRE PONTIFICAT »

 

Au Secrétariat Général du Synode des Evêques

 

Nous sommes vraiment heureux et émus de vous accueillir et nous vous saluons avec une très vive affection. Votre venue nous rappelle les journées de communion fraternelle, d'activité intense, de prière recueillie, durant lesquelles fut célébrée, au mois d'octobre dernier, la session extraordinaire du Synode des évoques: elle dépeint dans notre mémoire les visages pensifs de tous ceux qui « placés par l'Esprit-Saint pour diriger l'Eglise de Dieu » (Ac 20, 28), au nom des Conférences Episcopales du monde entier, furent avec nous, soit dans les élévations spirituel­les des rites sacrés à la Chapelle Sixtine ou à Sainte Marie Ma­jeure, soit dans la salle austère du Synode, pour un travail qui ne connut pas de trêve. Et ce travail s'est révélé d'une très grande importance pour l'approfondissement du principe de la collé­gialité épiscopale, dans ses rapports avec l'humble successeur de Pierre, dépositaire du mandat suprême d'amour et de fidélité au Christ, et dans ses relations avec chaque évêque. Nous voulons simplement rappeler maintenant ces faits bien connus de tous, pour remarquer avec une satisfaction bien sincère que votre pré­sence à Rome est la réponse concrète au vœu des Pères, et cor­respond tout autant à notre ferme volonté d'y donner suite. Dans le discours de clôture du 27 octobre de l'année dernière, nous avions en effet manifesté clairement notre engagement de donner une plus grande efficacité au Secrétariat du Synode : Nostrum esse propositum, disions-nous, ut secretaria Synodi ampliore efficientia donetur (AAS 61, 1969, p. 728).

Le vœu est devenu réalité, et vous êtes ici, très chers Frères, cardinaux et évêques des divers continents, au terme de votre première réunion de travail. Encore une fois se manifestera pour nous l'immense avantage du consensus des évêques au gouver­nement de l'Eglise, selon l'intention clairement exprimée par nous depuis le motu proprio Apostolica sollicitudo du 15 septembre 1965 : tirer toujours plus d'avantages « du réconfort de votre présence, de l'aide de votre expérience, de l'appui de vos conseils et du poids de votre autorité ».

De cette façon se développe pour le plus grand bien de l'Eglise la dynamique du récent Concile œcuménique. En ce qui nous concerne, Nous avons la ferme intention de nous en tenir à ses orientations et de les mettre en pratique infatigablement, jour après jour, dans notre action pastorale au service de toute l'Eglise, sans Nous laisser impressionner par certaines pressions indues, motivées, peut-être, par une connaissance insuffisante des don­nées. En union intime avec vous, chers Frères, qui représentez auprès de Nous, d'un Synode à l'autre, la continuité de l'insti­tution synodale, Nous voulons faire passer progressivement l'en­seignement du Concile dans la vie de l'Eglise. Nous nous ré­jouissons de vous avoir près de nous, vous qui avez été choisis par la confiance de nos frères dans l'Episcopat, et nous avons en vous, est-il besoin de le dire, la même confiance qu'eux. De cette manière, loin de toute publicité bruyante, mais dans un climat de dialogue fraternel et de collaboration féconde au service de toutes les Eglises, vit la collégialité épiscopale affirmée par le Concile et toujours plus appliquée pour le plus grand bien de l'Eglise.

Pour notre part, le Concile reste vraiment le programme de notre Pontificat. Et ce fut un vif réconfort, ces jours-ci, d'appren­dre qu'un membre de votre Conseil, le Cardinal François Marty, archevêque de Paris, en rappelant notre vocation de « rassembleur du Collège apostolique » a voulu parler de notre « ténacité con­ciliaire » (Eglise de Paris, 1er mai 1970). En effet nous tenons grand compte du Concile, comme d'un don très, précieux de l'Esprit Saint et nous cherchons d'être respectueux envers la collégialité de l'épiscopat, contrairement à ce qui, à notre dou­loureux étonnement, a été dit ces jours-ci d'une façon qui ne nous semble pas conforme au style fraternel réclamé par la collégialité elle-même, ni correspondre à la nature et à la gravité des problèmes mis à l'étude d'organes responsables et compétents.

Ces voix qui sembleraient vouloir passer pour la voix du Concile, troublent la concorde conciliaire, s'éloignent de l'har­monie collégiale et ne sont que les interprètes d'une certaine opinion théologique. Une théologie particulière, il faut le rappeler, n'est pas le Concile, encore qu'elle puisse être légitime. Le Pape n'est pas, et il ne pourrait être, ni partisan ni porte-voix, et en­core moins prisonnier d'une école déterminée. A lui, successeur de Pierre, de par la volonté de Jésus-Christ, revient en premier lieu d'être, à la tête de ses frères et en étroite union avec eux, le témoin de la foi de l'Eglise dont la doctrine conciliaire est l'interprète autorisé, en conformité avec toute la tradition. Telle est notre mission, tel est notre service de l'Eglise avec l'assistance de l'Esprit Saint.

Nous voudrions vous dire maintenant, avec la joie que vous nous avez procurée, la grande espérance que nous donne un or­ganisme élargi et représentatif, tel que le vôtre, au sein du Synode des évêques. Il est le signe de la vitalité du Synode lui-même, il est la garantie de l'ordre, de l'approfondissement, de la coordination des problèmes qui seront traités petit à petit au cours des séances qui — si Dieu le veut — se tiendront, comme nous l'avons déjà annoncé, tous les deux ans. Il est une promesse de développement toujours plus harmonieux et fécond des tra­vaux synodaux, afin que l'action des évêques réponde vraiment, en cette époque tourmentée et cependant merveilleuse, par un effort toujours plus grand de fidélité à la volonté du Christ sur son Eglise, à l'amour du Christ pour elle, qu'il veut sancta et immaculata parce que Christus dilexit Ecclesiam, et seipsum tradidit pro ea, ut illam sanctificaret mundans lavacro aquae in verbo vitae (Ep 5, 26-27). Il faut aussi aider les évêques à aller au de­vant des problèmes pour le bien du genre humain.

Nous désirons ardemment que ce travail, qui n'est autre que le prolongement, sur un plan toujours plus vaste et organisé, du souci pastoral des Evêques de l'Eglise de Dieu, se déroule selon deux principes royaux, l'unité et la charité, que nous avons rappelés au début de la même Session extraordinaire du Synode, le 11 octobre 1969 (AAS 61, 1969, p. 719). Nous vous remer­cions de tout cœur pour la collaboration que vous nous offrirez dans ce sens, et nous avons grande confiance en votre expérience, en votre prestige, en votre zèle, en votre amour des âmes.

En vous assurant que le Synode des Evêques et son Secré­tariat trouveront toujours de la part de ce Siège Apostolique l'attention la plus empressée et la plus cordiale, ainsi que l'appui nécessaire et efficace, de tout cœur Nous vous accordons notre Bénédiction Apostolique que Nous étendons dans un même geste à tous nos frères dans l'Episcopat, à leurs prêtres bien-aimés, pupilles de nos yeux, à chacun de leurs diocèses, portion élue de l'unique et sainte Eglise catholique et apostolique.

 

 

 

17 mai

DEVOUEMENT, COURAGE ET SACRIFICE : CARACTERISTIQUES DE LA MISSION DU PRETRE

 

Le Saint-Père a conféré l'ordination sacerdotale, le jour de Pentecôte, à 278 diacres de tous les continents, sur la place Saint-Pierre. Au cours de la messe, il a prononcé l'homélie suivante :

 

Aujourd'hui c'est la Pentecôte, souvenir du fait-mystère, qui anime l'Eglise comme Corps mystique du Christ (car Lui, le Christ, selon sa promesse (Jn 15, 26 ; 16, 7) lui envoya son Esprit et la fait encore vivre et respirer de ce divin Paraclet) ; ce souvenir envahit tellement nos esprits que nous avons l'im­pression non seulement de nous souvenir de cet événement mais encore de le revivre comme si, en répétant cette invocation ha­bituelle « descends sur nous, Esprit Saint », la réalité de sa ré­ponse, de sa présence, répandait en nous une expérience mini­mum mais vivante de sa venue béatifiante, et nous rendait cer­tains que le courant de l'histoire qui ne meurt pas, de l'histoire surnaturelle, passe dans notre être mortel, tandis que l'écho du premier sermon prononcé dans l'Eglise naissante, le sermon prophétique de Pierre, résonne en nous : « Il adviendra, dit le Seigneur, que moi, en ces derniers jours, je répandrai mon Esprit sur toute chair. Alors leurs fils et leurs filles prophétiseront, les jeunes gens auront des visions et les vieillards des songes » (Ac 2, 17).

La Pentecôte tout entière nous prend et nous rend pensifs et émus, tandis que dans nos âmes brille une clarté nouvelle, la « lumière des cœurs », pleine d'amour et de vérité. C'est la fête du Saint Esprit, c'est la fête de l'Eglise naissante et immortelle, c'est la fête des âmes animées par la présence divine. C'est la fête de la sagesse, la fête de la charité, de la consolation, de la joie, de l'espérance, de la sainteté. C'est l'inauguration de la civilisation chrétienne, C'est la Pentecôte.

Deux circonstances rendent particulière et très vivante cette cérémonie. La première est le cinquantième anniversaire de notre ordination sacerdotale. Cinquante ans n'ont pas suffi à éteindre le souvenir de cet épisode simple mais beau de notre humble exis­tence personnelle ; nous aurions préféré y repenser dans le si­lence extérieur et dans le recueillement intérieur. Mais c'est justement la nature même de ce sacerdoce qui nous fut alors conféré, qui nous impose de laisser tous ceux qui ont le droit d'en exiger le ministère — et aujourd'hui c'est notre chère Eglise de Rome, c'est l'Eglise catholique tout entière qui nous est tout aussi chère, à avoir ce droit — de se souvenir de cet anniversaire avec les signes de leur piété et de leur bonté. Cette cérémonie solennelle nous le dit et nous remplit de reconnaissance et de consolation.

 

Le Sacerdoce et la croix

 

Nous nous sentons obligé de vous remercier tous : parents et amis, maîtres et collaborateurs, présents et absents, connus et inconnus ; de vous dire nos sentiments par un seul témoignage personnel, original, mais vrai : il est beau d'être prêtre ! Et si l'expérience, tout au long des années, fait croître le sens de la relation intrinsèque de notre sacerdoce avec la croix du Seigneur, la beauté et la joie du sacerdoce ne tarit jamais, si bien que cha­que jour, chaque année, chaque anniversaire en renouvelle le bonheur et en voudrait une connaissance, une pénétration, tou­jours plus grandes (cf. Jn 7, 38).

Ainsi jaillit de la conscience sacerdotale, à mesure qu'elle mûrit et devient plus profonde, le chant de la Sainte Vierge : « fecit mihi magna Qui potens est ».

Nous nous sentons donc obligés, aujourd'hui comme hier, de célébrer la miséricorde divine. Laissez-nous dire :

Merci à Toi, ô Père, qui ne regardes pas notre petitesse mais en fais plutôt l'objet de ta vertu agissante, toi qui as tourné vers nous la vocation, l'as rendue valable par l'intermédiaire d'un paternel et sage pasteur, l'as réconfortée par la conversation avec des maîtres bons et patients et l'as remplie de joie en lui donnant d'habiter ta maison.

Merci à Toi, ô Christ, qui nous as associé de façon vivante, instrument indigne mais non inutile, à ton ministère de salut et de communion, nous mettant au milieu de nos frères, le cœur tourné vers les humbles, mais nous destinant ensuite à marcher hâtivement à côté de la jeunesse et à prêter notre œuvre modeste à ce Siège Apostolique, tout entier et seulement pour ce qui fut l'objet de ton amour : ton Eglise.

Merci à Toi, ô Esprit vivifiant qui, au cours de notre grave et doux ministère pendant cinquante ans nous as donné inspi­ration et réconfort, et nous secours encore, afin que nous ne trahissions pas notre Maître Jésus, mais en soyons l'image et essayions toujours d'être saint et sanctificateur en Toi.

Et puis, ô Seigneur, ta voix nous appela, nous, timide et in­capable, encore plus près de Toi, de Ta croix, nous disant : qui donne le poids donnera la force pour le porter ; et la réponse nous vint du cœur : en ton nom, Seigneur, qu'il soit fait selon Ta parole.

 

Transmission du pouvoir

 

Voilà, chers Frères et Fils, le témoignage que nous vous devons pour ce qui est de notre sacerdoce, dont vous voulez avec tant de charité commémorer la durée et annoncer ainsi son crépuscule terrestre qui approche.

Mais une autre circonstance, vraiment de Pentecôte, remplit de réalité et de splendeur cette cérémonie ; c'est l'ordination sacerdotale de ces Diacres.

Salut à vous, Fils élus et très chers !

Nous aurions tant de choses à vous dire; mais le temps ne nous permet pas un long discours; et, de plus, nous ne voulons pas faire entrer dans vos esprits de nouveaux raisonnements que ceux dont vous êtes chargés et que vous avez accumulés pour ce moment solennel. Nous essayons de résumer en un seul mot tout ce qu'on peut dire et penser par rapport à l'événement qui va se produire et qui vous concerne. C'est le mot de transmission. Transmission d'un pouvoir divin, d'une capacité d'action prodigieuse, qui en soi revient seulement au Christ. Traditio potestatis. Rappelez-vous que le Christ, par l'imposition de nos mains et les paroles significatives qui confèrent au geste la vertu sa­cramentelle, fait descendre d'en haut et vous insuffle son Esprit, l'Esprit Saint, vivifiant et puissant, qui vient en vous non seule­ment — comme par d'autres sacrements — pour habiter en vous, mais pour vous habiliter à accomplir certains actes déterminés, propres au sacerdoce du Christ, à vous rendre ses ministres efficaces, à faire de vous les véhicules de la Parole et de la Grâce, modifiant ainsi vos personnes de manière qu'elles puissent non seulement représenter le Christ, mais aussi dans une certaine mesure agir comme Lui, par un mandat qui marque vos esprits d'un caractère indélébile, et vous assimile à Lui,,chacun comme « alter Christus ».

 

Caractère indélébile

 

Ce prodige, rappelez-le-vous toujours, se produit en vous mais non pour vous ; il est pour les autres, pour l'Eglise, c'est-à-dire pour le monde à sauver. C'est un pouvoir de fonction, comme celui d'un membre spécial au bénéfice de tout le corps. Vous devenez les instruments, les ministres, les esclaves au service de vos frères.

Vous comprenez par intuition les rapports qui naissent du fait de ce choix : rapports avec Dieu, avec le Christ, avec l'Eglise, avec l'humanité. Vous comprenez quels devoirs de prière, de charité, de sainteté, naissent de votre ordination sacerdotale. Vous entrevoyez comment vous devrez former continuellement votre conscience pour être à la hauteur de la tâche dont vous êtes investis. Vous comprenez avec quelle mentalité spirituelle et humaine vous devez considérer le monde, avec quels sentiments et avec quelles vertus vous devez exercer votre ministère, avec quel dévouement et quel courage vous devez passer votre vie dans un esprit de sacrifice uni à celui du Christ.

Vous savez tout cela, mais vous ne cesserez d'y repenser tout au long de votre pèlerinage terrestre que nous souhaitons long et serein. N'ayez jamais peur très chers Fils et Frères. Ne doutez jamais de votre sacerdoce. Ne l'isolez jamais de votre évêque et de sa fonction dans la Sainte Eglise. Ne le trahissez jamais ! Nous ne vous en dirons pas davantage maintenant. Mais nous répéterons pour vous la prière, que nous avons déjà faite pour d'autres nouveaux prêtres ordonnés par nous.

Aujourd'hui c'est pour vous que nous prions ainsi :

Viens, ô Esprit Saint, et donne à ces ministres, dispensateurs des mystères de Dieu un cœur nouveau, qui renouvelle en eux l'éducation et la préparation qu'ils ont reçue, qui signale d'une surprenante révélation le sacrement qu'ils ont reçu, et qui réponde toujours avec une fraîcheur nouvelle, comme aujourd'hui, aux devoirs incessants de leur ministère envers ton Corps Eucharis­tique et envers ton corps mystique : un cœur nouveau, toujours jeune et joyeux.

Viens, ô Esprit Saint, et donne à ces ministres, disciples et apôtres du Christ Seigneur, un cœur pur, formé à l'amour de Lui seul, qui est Dieu avec Toi et avec le Père, donne-leur en plénitude, la joie, la profondeur, que lui seul peut infuser, quand il est l'objet suprême et vivifiant de l'amour d'un homme vivant de ta grâce ; un cœur pur, qui ne connaît le mal que pour le définir, le combattre et le fuir; un cœur pur comme celui d'un enfant capable de s'enthousiasmer et de désirer ardemment.

Viens, ô Esprit Saint, et donne à ces ministres du peuple de Dieu un cœur grand, ouvert à ta silencieuse et puissante parole inspiratrice, fermé à toute ambition mesquine, étranger à toute compétition humaine misérable, et tout entier rempli du sens de la Sainte Eglise ; un cœur grand et avide d'arriver à celui du Seigneur Jésus, et désireux de faire arriver l'Eglise aux dimensions du monde ; grand et fort pour aimer, servir et supporter tous les hommes ; grand et fort pour soutenir toute tentation, toute épreu­ve, tout ennui, toute fatigue, toute désillusion, toute offense ; un cœur grand, fort, constant, jusqu'au sacrifice, heureux seulement de vibrer au rythme du Cœur du Christ et d'accomplir hum­blement, fidèlement, virilement, la volonté divine.

Telle est notre prière pour vous. Elle s'élargit en bénédiction pour toute l'assemblée présente, à vos compagnons, à vos pro­fesseurs, à votre famille tout spécialement.

Voici le moment de l'action : La Pentecôte est là.

 

 

 

28 mai

SEUL JESUS PEUT ENSEIGNER LE SENS PROFOND DE L'AMOUR

 

L'homélie de Paul VI pendant la messe de la Fête-Dieu

 

Frères et Fils très chers,

 

Nous commençons, selon Notre habitude, par les saluts. Et Notre premier salut respectueux va au Cardinal Angelo Dell'Acqua, Notre Vicaire général pour ce très aimé diocèse de Rome, et Nous entendons saluer avec lui et bénir, en union in­time de foi et de charité, tout Notre diocèse de Rome ici présent ou représenté.

Nous saluons ensuite cordialement votre curé, Don Carlo Bressan, digne fils de Don Bosco qui, avec ses bons confrères, exerce son ministère pastoral en cette nouvelle paroisse désignée sous le beau titre de Sainte-Marie-de-l’Espérance. Salut aussi à toute la paroisse, qui est en train de devenir, avec ses patrona­ges salésiens de garçons et de filles, une communauté nombreuse, vivante et organisée : à tous et à chacun de ses membres, aux familles chrétiennes spécialement, Notre salut affectueux et No­tre bénédiction, que nous étendons aux paroisses voisines, à tout le quartier et à tous ceux qui sont venus à cette cérémonie pour honorer Notre Seigneur Jésus-Christ dans le sacrement de l'Eucharistie. Merci à vous tous de votre présence qui ne sera pas privée d'abondantes bénédictions du Seigneur.

Encore un salut spécial à la jeunesse que Nous savons aidée et animée ici par l'esprit de saint Jean Bosco. Jeunes ! un grand salut pour vous : Nous vous portons dans Notre cœur et au­jourd'hui dans Notre prière de cette messe spéciale. Nous avons confiance dans votre foi au Christ, dans votre fidélité à l'Eglise, dans votre sens de la charité sociale pour le bien de toute cette communauté paroissiale naissante et florissante. Ensuite, notre pensée va à tous ceux qui ont besoin de réconfort et d'aide : à ceux qui souffrent, aux pauvres, aux étrangers, aux enfants, aux malheureux. Pour tous Nous demandons à Notre-Dame de l'Es­pérance, au Christ ami de tous ceux qui sont tourmentés, la consolation du cœur, et l'assistance de la charité de leurs frères qui, Nous l'espérons, ne les laisseront pas manquer du néces­saire.

Nous adressons un grand salut à l'Athénée salésien, tout pro­che, qui ajoute à ses mérites celui d'abriter la paroisse en atten­dant qu'elle ait son église. A toutes les institutions qui dépen­dent de ce nouvel et déjà célèbre Athénée, spécialement à son Recteur Don Luigi Colonghi et à tout l'insigne corps universi­taire, professeurs et étudiants, un souhait très vif de prospérité et d'assistance particulière de la divine Sagesse.

Enfin Nous saluons avec une cordiale dévotion le Cardinal Charles Wojtyla, archevêque de Cracovie, et avec lui les véné­rés frères évêques polonais qui l'accompagnent et qui condui­sent le nombreux groupe des très chers prêtres polonais pèlerins de Rome, ici présents. Ils sont là pour célébrer l'anniversaire de leur ordination. Nous évoquons la grande souffrance que beaucoup d'entre eux, prisonniers et déportés pendant la guerre, ont supportée avec une force invincible et une patience chrétienne ; leur présence Nous rappelle leur patrie, la catholique Pologne, pays qui Nous est très cher, pour la prospérité civile et religieuse de laquelle Nous prierons sincèrement aujourd'hui, vraiment reconnaissant d'avoir avec Nous en ce jour une représentation si importante de ce pays héroïque et chrétien.

Pour bien célébrer la fête qui nous réunit ici, la fête du « Cor­pus Christi », la fête du sacrement de l'Eucharistie, il faut un moment de réflexion comme nous allons le faire maintenant.

 

Communauté vivante

 

Un moment de réflexion. Commençons ainsi: qui sommes-nous ? Nous sommes l'Eglise, une partie de l'Eglise catholique, une communauté de croyants unis dans la même foi, dans la même espérance, dans la même charité, une communauté vi­vante en vertu d'une animation qui nous vient du Seigneur, du Christ lui-même et que son Esprit alimente. Nous faisons partie de son Corps mystique.

L'Eglise possède en elle-même un secret, un trésor caché, un mystère. Elle possède Jésus-Christ lui-même, son fondateur, son maître, son rédempteur. Faites attention : elle le possède pré­sent. Présent ? Oui. Avec l'héritage de sa Parole ? Oui, mais aussi avec une autre présence. Celle de ses ministres ? de ses apôtres, de ses représentants ? de ses prêtres ? c'est-à-dire de sa tradition ministérielle ? Oui, mais il y a plus. Le Seigneur a donné à ses prêtres, à ses ministres qualifiés, un pouvoir extraordinaire et merveilleux : celui de le rendre réellement, personnellement pré­sent. Vivant ? Oui. Vraiment Lui ? Oui, vraiment Lui. Mais ,où, si on ne le voit pas ? Voici le secret, voici le mystère : la présence du Christ est vraie et réelle, mais sacramentelle, c'est-à-dire cachée, mais qui, en même temps, peut être identifiée. Il s'agit d'une présence revêtue de signes spéciaux qui ne laissent pas voir sa figure divine et humaine mais qui nous assurent seule­ment que Lui, le Jésus dans la gloire du ciel, est ici, est dans l'Eucharistie.

Il s'agit donc d'un miracle ? Oui, d'un miracle que Lui, Jésus-Christ, a donné le pouvoir d'accomplir, de répéter, de multi­plier, de perpétuer à ses Apôtres, en les faisant prêtres et en leur donnant ce pouvoir de rendre présent tout son Etre, divin et humain, en ce sacrement que nous appelons l'Eucharistie et qui, sous les apparences du pain et du vin, contient le Corps, le Sang, l'âme et la divinité de Jésus-Christ. C'est un mystère, mais c'est la vérité. Et c'est, cette vérité miraculeuse, possédée par l'Eglise catholique et gardée avec une conscience jalouse et silencieuse, que nous célébrons aujourd'hui et que Nous vouions en un cer­tain sens publier, manifester, faire voir, faire comprendre, exal­ter. L'Eglise, Corps mystique du Christ, célèbre aujourd'hui le Corps réel du Christ, présent et caché dans le sacrement de l'Eucharistie.

 

Vérité miraculeuse

 

Mais n'est-ce pas difficile à comprendre ? Oui, c'est difficile parce qu'il s'agit d'un fait réel et très particulier, accompli par la puissance divine et qui dépasse notre capacité normale et naturelle de comprendre. Il faut croire sur la parole du Christ, c'est le « mystère de la foi » par excellence.

Mais faisons attention ! Le Seigneur se présente à nous dans ce sacrement, non tel qu'il est, mais tel qu'il veut que nous le considérions, comme Il veut que nous l'approchions. Il se présente à nous sous l'aspect de signes, de signes spéciaux, de si­gnes expressifs, choisis par Lui, comme s'il avait dit : regardez-moi ainsi, connaissez-moi ainsi. Les signes du pain et du vin vous disent ce que j'ai voulu être pour vous. Il nous parle par l'intermédiaire de ces signes et Il nous dit : Je suis ainsi, mainte­nant, au milieu de vous.

 

Présence réelle

 

Par conséquent, si nous ne pouvons pas jouir de la présence sensible, nous pouvons et nous devons jouir de sa présence réelle, mais sous son aspect intentionnel. Quelle est l'intention de Jésus lorsqu'il se donne à nous dans l'Eucharistie ? Oh ! cette inten­tion, si nous réfléchissons bien, elle nous est évidente et elle nous dit beaucoup, beaucoup de choses de Jésus. Elle nous dit sur­tout Son amour. Elle nous dit que Lui, Jésus, en même temps qu'il se cache dans l'Eucharistie, se révèle dans l'Eucharistie ; Il se révèle dans l'amour. Le « mystère de la foi » éclôt en « mys­tère d'amour ».

Réfléchissez ; voici le voile sacramentel : pain et vin, qui pré­sente et cache en même temps Jésus, donné pour nous.

Jésus se donne, se donne. Maintenant ceci est le centre, le point focal de tout l'évangile, de l'Incarnation, de la Rédemp­tion : Nobis natus, nobis datus, né pour nous, donné pour nous.

Pour chacun de nous ? Oui, pour chacun de nous. Jésus a multiplié sa présence réelle mais sacramentelle, dans le temps et par le nombre, pour pouvoir offrir à chacun de nous, Nous disons vraiment à chacun de nous, le bonheur, la joie de l'approcher, de pouvoir dire il est pour moi, il est mien. « Il m'aime, dit saint Paul, et Il s'est donné lui-même pour moi ! » (Ga 2, 20).

Et pour tous aussi ? Oui, pour tous. Autre aspect de l'amour de Jésus exprimé dans l'Eucharistie. Vous connaissez les paro­les par lesquelles Jésus a institué ce sacrement et que le prêtre répète à la messe, dans la consécration : «... mangez-en tous, ... buvez-en tous ». Tellement que ce sacrement a même été ins­titué durant un repas, manière, moment familial et ordinaire de se rencontrer et de s'unir. L'Eucharistie est le sacrement qui représente et produit l'unité des chrétiens. C'est là un aspect caractéristique de l'Eucharistie, très cher à l'Eglise, et auquel on prête beaucoup d'attention aujourd'hui. Le Concile dit en des paroles d'un sens très fort : Le Christ « institua dans son Eglise l'admirable sacrement de l'Eucharistie qui exprime et réalise l'unité de l'Eglise » (Unitatis redint, n. 2). Saint Paul, premier historien et premier théologien de l'Eucharistie, l'avait déjà dit : « Nous ne formons qu'un seul corps, nous tous qui participons au même pain » (1 Co 10, 17). Il faut vraiment s'écrier, avec saint Augustin : « O sacrement de bonté ! O signe d'unité ! O lien de charité ! » (In Io., Tr 26 : PL 35, 1613). Voici que de la pré­sence réelle, si symboliquement exprimée dans l'Eucharistie, se répand un rayonnement infini, un rayonnement d'amour, d'a­mour permanent, d'amour universel. Ni le temps ni l'espace ne lui imposent de limites.

Encore une demande : mais pourquoi ce symbolisme exprimé par des espèces alimentaires : le pain-et le vin ? Ici aussi, l'inten­tion est claire: l'aliment pénètre en celui qui s'en nourrit, entre en communion avec lui. Jésus veut entrer en communion avec le fidèle qui reçoit l'Eucharistie, si bien que nous avons l'habi­tude de dire qu'en recevant ce sacrement nous faisons la « com­munion ». Jésus veut être non seulement proche mais en com­munion avec nous : pouvait-Il nous aimer davantage ? Et pourquoi cela ? parce qu'il veut être comme l'aliment pour le corps, principe de vie, de vie nouvelle. Il l'a dit : « Qui mange vivra, vivra de moi, vivra pour l'éternité » (cf. Jn 6, 48-58). L'amour du Christ va jusque-là !

 

Sacrifice et salut

 

Et il v aurait un autre aspect à considérer: pourquoi deux ali­ments, le pain et le vin ? Pour donner à l'Eucharistie le sens et la réalité de la chair et du sang, c'est-à-dire le sens de sacrifice, de figure et de renouvellement de la mort de Jésus sur la croix. Encore une parole de l'Apôtre : « Toutes les fois que vous man­gerez de ce pain et que vous boirez de ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne » (1 Co 11, 26).

Amour extrême de Jésus ! Son sacrifice pour notre rédemp­tion est représenté dans l'Eucharistie afin que le fruit de salut en soit étendu jusqu'à nous.

Amour du Christ pour nous, c'est cela l'Eucharistie. Amour qui se donne, amour qui reste, amour qui se communique, amour qui se multiplie, amour qui se sacrifie, amour qui nous unit, amour qui nous sauve.

Ecoutons, Frères et Fils bien aimés, cette grande leçon. Le sacrement n'est pas seulement ce mystère plein de vérité divine dont nous parle notre catéchisme, c'est un enseignement, c'est un exemple, c'est un testament, c'est un commandement.

Justement, la nuit fatale de la dernière cène, Jésus traduisit en paroles inoubliables cette leçon d'amour : « Aimez-vous les uns les autres comme Je vous ai aimés » (Jn 13, 34). Ce « comme » est terrible ! Nous devons aimer comme Il nous a aimés, Lui ! ni la forme, ni la mesure, ni la force de l'amour du Christ exprimé dans l'Eucharistie ne nous seront possibles ! mais son commandement qui émane de l'Eucharistie n'en est pas pour cela moins exigeant : si nous sommes chrétiens, nous devons aimer : « A ceci tous vous reconnaîtront pour mes disciples, à cet amour que vous aurez les uns pour les autres » (ib. 35).

Nous célébrons le « Corpus Domini ». Réfléchissons: nous célébrons la fête de l'Amour, de l'Amour du Christ pour nous, que tout l'évangile nous explique. Cette fête doit devenir la fête de notre Amour pour le Christ et par le Christ de notre amour pour Dieu, qui est tout ce que nous avons à faire de plus indis­pensable et de plus important en cette vie qui est, précisément, destinée à l'amour de Dieu. Fête ensuite de notre amour entre nous, de notre amour pour nos frères — tous les hommes : des plus proches aux plus lointains, aux plus petits, aux plus pauvres, aux plus besogneux, jusqu'à ceux qui nous seraient anti­pathiques ou ennemis. C'est cela la source de notre sociologie, c'est cela l'Eglise, la société de l'amour et par conséquent de toutes les vertus religieuses et humaines que comporte l'amour du Christ, du don de soi pour les autres, de la bonté, de la jus­tice, de la paix spécialement.

On parle tant de l'amour — hélas ! de quel amour ? — que nous croyons peut-être connaître et comprendre le sens et la force de ce mot. Mais seul Jésus, seule l'Eucharistie peuvent nous en enseigner le sens total, vrai et profond. Et c'est pour cela que nous célébrons, humbles, recueillis, remplis d'allé­gresse, la fête du « Corpus Christi ».

 

 

 

1° juin

SAINTE THERESE D'AVILA DOCTEUR DE  L'EGLISE

 

Nous avons conféré, ou mieux : nous avons reconnu le titre de Docteur de l'Eglise à sainte Thérèse de Jésus. Le seul fait de proférer le nom de cette Sainte, singulière et si grande, en ce lieu et en cette circonstance, soulève dans notre âme un tumulte de pensées, dont la première serait d'évoquer la figure de Thérèse. Nous la voyons apparaître devant nous comme femme exceptionnelle, comme religieuse qui, toute voilée d'humilité, de pénitence, de simplicité, rayonne autour d'elle la flamme de sa vitalité humaine et de sa vivacité spiri­tuelle. Nous la voyons comme réformatrice et fondatrice d'un Ordre historique et insigne ; nous la voyons comme écrivain génial et fécond, nous la voyons comme maîtresse de vie spiri­tuelle, comme contemplative incomparable et inlassablement active... Qu'elle est grande ! unique ! qu'elle est humaine et atta­chante cette figure ! Avant de parler d'autre chose nous serions tenté de parler d'elle, de cette Sainte si intéressante à tant d'égards. Cependant n'attendez pas de nous, en ce moment, que nous vous entretenions de la personne et de l'œuvre de Thérèse de Jésus : la double biographie que contient le volume préparé avec tant de soin par notre Congrégation pour les Causes des Saints suffirait à décourager quiconque voudrait condenser en de brèves paroles l'image historique et biographique de cette Sainte, qui semble déborder les traits descriptifs dans lesquels on voudrait la contenir. Du reste, ce n'est pas sur elle que nous voulons main­tenant fixer notre attention, mais sur l'acte que nous venons d’accomplir, sur le fait que nous gravons en ce moment dans histoire de l'Eglise et que nous confions à la piété et à la réflexion du Peuple de Dieu ; sur l'attribution, disions-nous, du titre de Docteur de l'Eglise à Thérèse d'Avila, à Sainte Thérèse de Jésus, la grande Carmélite.

Et la signification de cet acte est très claire. C'est un acte qui, intentionnellement, veut être lumineux ; qui pourrait avoir pour expression symbolique une lampe allumée devant l'humble et majestueuse figure de la Sainte : acte lumineux par l'éclat que le titre de Docteur de l'Eglise projette sur elle ; lumineux aussi par l'illumination qu'il projette sur nous.

Pour Thérèse, la lumière de ce titre met en évidence en pre­mier lieu des valeurs indiscutables, qui lui étaient déjà ample­ment reconnues. La première de ces valeurs est la sainteté de la vie, officiellement proclamée le 12 mars 1622 — trente ans après sa mort — par notre Prédécesseur Grégoire XV, dans la célèbre canonisation où furent inscrits au canon des Saints, avec notre Carmélite, Ignace de Loyola, François Xavier, Isi­dore Agricola — tous gloires de l'Espagne catholique —, et avec eux Philippe Neri, florentin-romain. En second lieu, le titre de Docteur met très spécialement en évidence « l'éminence de la doctrine » de la Sainte (cf. P. lambertini, puis Benoît XIV, De Servorum Dei beatificatione, IV, 2, c. 11, n. 13).

La doctrine de Sainte Thérèse d'Avila resplendit des charismes de la vérité, de la conformité à la foi catholique, de l'uti­lité pour l'érudition des âmes ; elle resplendit surtout d'un cha­risme de sagesse, qui nous fait penser à l'aspect le plus attirant et le plus mystérieux du doctorat de Sainte Thérèse : l'influx de l'inspiration divine en ce prodigieux auteur mystique. D'où venait à Thérèse le trésor de sa doctrine ? Sans nul doute, de son intelligence, de sa formation culturelle et spirituelle, de ses lectu­res, de sa conversation avec de grands maîtres de la théologie et de la spiritualité ; elle lui venait d'une sensibilité profonde, d'une habituelle et intense discipline ascétique, de sa médita­tion contemplative, en un mot, de la correspondance à la grâce reçue dans une âme extraordinairement riche et préparée à la pratique et à l'expérience de l'oraison. Mais était-ce là l'unique source de sa « doctrine éminente » ? Ou ne devrait-on pas chercher en Sainte Thérèse des actes, des faits, des états qui ne provien­nent pas d'elle, mais qui par elle sont subis, c'est-à-dire soufferts : des actes passifs, mystiques au sens strict du mot, des actes à attribuer à une action extraordinaire de l'Esprit-Saint. Indubitablement, nous sommes devant une âme dans laquelle se ma­nifeste une initiative divine extraordinaire, laquelle est perçue et décrite par Thérèse en un langage littéraire propre, simple­ment, fidèlement, merveilleusement.

Ici les questions se multiplient. L'originalité de l'action mystique est l'un des phénomènes psychologiques les plus dé­licats et les plus complexes, dans lesquels beaucoup de facteurs peuvent intervenir et obliger l'observateur aux plus sévères pré­cautions, mais où les merveilles de l'âme humaine se manifestent d'une manière surprenante. L'une de ces merveilles les plus compréhensives est l'amour : l'amour qui célèbre dans les pro­fondeurs du cœur ses expressions les plus variées et les plus dé­bordantes, amour que, à la fin, nous devrons appeler mariage, parce qu'il est l'union de l'Amour divin inondant, qui descend à la rencontre de l'amour humain tendant de toutes ses forces à monter; c'est l'union à Dieu la plus intime et la plus forte qu'il soit donné à l'âme d'expérimenter sur cette terre ; amour qui de­vient lumière, qui devient sagesse : sagesse des choses divines, sagesse des choses humaines.

Et c'est de ces secrets que nous parle la doctrine de Thérèse : les secrets de l'oraison. Sa doctrine est là. Elle a eu le privilège et le mérite de connaître ces secrets par voie d'expérience : expé­rience vécue dans la sainteté d'une vie consacrée à la contempla­tion et, simultanément, engagée dans l'action ; expérience tout ensemble soufferte et goûtée dans l'effusion de charismes spi­rituels extraordinaires. Thérèse a eu l'art d'exposer ces secrets, au point de se classer parmi les plus grands maîtres de la vie spirituelle. Ce n'est pas en vain que la statue de Thérèse, qui la représente comme Fondatrice, dans cette Basilique, porte l'inscription : Mater Spiritualium.

Elle était déjà admise par consentement unanime, peut-on dire, cette prérogative de Sainte Thérèse, d'être mère, d'être maîtresse des personnes spirituelles. Mère d'une simplicité charmante, maîtresse d'une profondeur admirable. Le suffrage de la tradition des saints, des théologiens, des fidèles, des savants lui était déjà assuré ; nous venons de le confirmer, en sorte qu'or­née de ce titre magistral, elle ait à accomplir une mission plus autorisée, dans sa Famille religieuse, dans l'Eglise orante et dans le monde, avec son message pérenne et présent : le message de l'oraison.

C'est cette lumière-là, rendue aujourd'hui plus vive et plus pénétrante, que le titre de Docteur, conféré à Sainte Thérèse, reflète sur nous. Le message de l'oraison ! Il vient à nous, fils de l'Eglise, en une heure marquée par un grand effort de réforme et de renouveau de la prière liturgique ; il vient à nous, tentés par la rumeur et l'engagement du monde extérieur de céder à l'enfièvrement de la vie moderne et de perdre les vrais trésors de notre âme à la poursuite des séduisants trésors de la terre. Il vient à nous, fils de notre temps, alors que va se perdant non seulement l'habitude du colloque avec Dieu, mais le sens du besoin et du devoir de l'adorer et de l'invoquer. Il vient à nous le message de la prière, chant et musique d'un esprit pénétré de grâce et ouvert à la conversation de la foi, de l'espérance et de la charité. Il vient à nous tandis que l'exploration psychanaly­tique décompose l'instrument que nous sommes : fragile et compliqué, non plus pour ouïr les voix de l'humanité souffrante et rachetée, mais pour ausculter le murmure trouble de son sub­conscient animal, le cri de ses passions désordonnées et de son angoisse désespérée. Il vient à nous le message sublime et simple de l'oraison, où Thérèse nous exhorte à « comprendre l'immense faveur que Dieu accorde à une âme quand il l'incline à s'adonner généreusement à l'oraison... car l'oraison mentale n'est qu'un commerce intime où l'on s'entretient seul avec ce Dieu dont on se sait aimé » (Vie, chap. VIII).

Tel est en bref le message de Thérèse : écoutons-le et faisons le nôtre.

Nous devons maintenant observer deux choses qui nous sem­blent importantes.

Remarquons en premier lieu que Sainte Thérèse d'Avila est la première femme à qui l'Eglise confère le titre de Docteur ; et ce fait ne va pas sans rappeler la parole sévère de saint Paul : Mulieres in Ecclesiis taceant (1 Co 14, 34): ce qui veut dire, encore aujourd'hui, que la femme n'est pas destinée à avoir dans l'Eglise des fonctions hiérarchiques de magistère et de ministère. Le précepte apostolique aurait-il été violé ?

Nous pouvons répondre clairement : non. Il ne s'agit pas, en réalité, d'un titre qui comporterait une fonction hiérarchique de magistère ; mais nous devons souligner en même temps que cela ne signifie nullement une moindre estime de la mission sublime de la femme au milieu du Peuple de Dieu.

Au contraire, la femme, en entrant dans l'Eglise par le bap­tême, participe au sacerdoce commun des fidèles, qui habilite et oblige à « professer devant les hommes la foi reçue de Dieu par l'intermédiaire de l'Eglise » (Lumen Genttum, c. 2, n. 11). Dans cette profession de la foi beaucoup de femmes sont arrivées aux plus hauts sommets, au point que leur parole et leurs écrits ont été lumière et guide pour leurs frères : lumière alimentée chaque jour par le contact intime avec Dieu, jusque dans les formes les plus nobles de l'oraison mystique, pour laquelle elles possèdent une capacité spéciale, affirme saint François de Sales ; lumière faite vie d'une manière sublime, pour le bien et le service des hommes.

C'est pourquoi le Concile a voulu reconnaître la haute col­laboration avec la grâce divine, que les femmes sont appelées à exercer, pour instaurer le règne de Dieu sur la terre et exalter la grandeur de leur mission. Il n'hésite pas non plus à les inviter à coopérer « pour que l'humanité ne déchoie pas », « pour ré­concilier les hommes avec la vie », « pour sauver la paix dans le monde » (Message aux femmes).

En second lieu, nous ne voulons pas négliger le fait que Sainte Thérèse d'Avila était espagnole et qu'à bon droit l'Espagne la considère comme l'une de ses plus grandes gloires. Dans sa personnalité l'on apprécie les caractéristiques de sa patrie : la ro­bustesse d'esprit, la profondeur des sentiments, la sincérité du cœur, l'amour de l'Eglise. Sa figure se situe à une époque glorieuse où tant de saints et de maîtres marquèrent leur temps par le développement de la spiritualité. Elle les écouta avec l'humilité du disciple et sut en même temps les juger avec la perspicacité d'une grande maîtresse de vie spirituelle, et ceux-ci la considérèrent comme telle.

D'autre part, au-dedans comme au-dehors des frontières de sa patrie, s'agitait la violente tempête de la Réforme, opposant entre eux les fils de l'Eglise. Pour l'amour de la vérité et pour son intimité avec le Maître, Thérèse eut à supporter des amer­tumes et des incompréhensions de toutes sortes. Et devant la rupture de l'unité, son esprit ne pouvait trouver de repos : « ... j'éprouvai une peine profonde. Comme si j'eusse pu, ou que j'eusse été quelque chose, je répandais mes larmes aux pieds du Seigneur et je le suppliais d'apporter un remède à un tel mal » (Chemin de la perfection, ch. 1, n. 2 ; BAC 1962, 185).

Ce « sentire cum Ecclesia », expérimenté dans la douleur à la vue de la dispersion des forces, la conduisit, dans son ardent désir d'édifier le règne de Dieu, à réagir de toute l'énergie de son esprit castillan. Elle décida de pénétrer avec une vision ré­formatrice dans le monde qui l'entourait, de lui imprimer un sens, une harmonie, une âme chrétienne. A la distance de cinq siècles, le sillage de Sainte Thérèse d'Avila désigne encore sa mission spirituelle, la noblesse de son cœur assoiffé de catho­licité, son amour dépouillé de toute affection terrestre pour un don total à l'Eglise. Sur le point de rendre son dernier soupir, elle pouvait bien dire, comme épilogue à sa vie : « Enfin, je suis fille de l'Eglise ».

Dans ce soupir d'aise, présage, pour Thérèse de Jésus, de la gloire des Bienheureux, nous voulons voir un héritage spirituel lié à toute l'Espagne. Nous voulons y voir aussi l'invitation, adressée à nous tous, de nous faire l'écho de sa voix, afin de pouvoir redire avec elle : nous sommes fils de l'Eglise.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

5 juin

MESSAGE DU PAPE POUR LA JOURNEE MONDIALE MISSIONNAIRE

 

A tous ceux qui sont nos Frères dans le Christ nous adres­sons cette année encore notre parole à l'occasion de la Journée Missionnaire. Nous ne pouvons pas nous taire, même si nous ne disons rien de nouveau; mais la cause missionnaire est si vitale pour l'Eglise et si importante pour le monde qu'elle nous oblige à intervenir en cette occasion avec toute la force de notre voix.

La Journée Missionnaire est devenue dans la vie de l'Eglise un événement qui mérite un grand relief. Elle engage directe­ment et au premier chef notre ministère apostolique ; c'est l'ordre du Seigneur qui nous oblige à comprendre, en cette occurrence, combien grave et combien grand est notre rôle de prédicateurs de l'Evangile, non seulement à l'intérieur de l'Eglise mais aussi au-delà de ses limites communautaires et géographiques ; et nous ne pouvons pas négliger l'occasion de faire sentir, à notre tour, cette vocation missionnaire à l'Eglise elle-même, à nos Frères dans l'épiscopat, au Clergé, aux Religieux et Religieuses, à tout Catholique.

Après le Concile, le devoir de concourir à la diffusion de la Foi s'impose à tous, quoique de diverses manières, avec la plus grande urgence, parce qu'il a été enseigné, avec une profonde pénétration théologique, que « l'Eglise, durant son pèlerinage sur terre, est missionnaire par nature » (Ad Gentes, 2) ; elle est signe et instrument de l'intention salvifique de Dieu étendue à toute l'humanité (Lumen Gentium, 9) ; et qui veut vivre la vie de l'Eglise doit être attentif à l'urgence intérieure de ce dynamisme ontologique qui est le sien (Ad Gentes, 1, 2, 6), à cette tendance à se répandre qui lui est naturelle, à cette responsabilité intime qu'elle ressent de communiquer la Foi à tous les hommes (cf. Ad Gentes, 28).

Ceci est la mission de l'Eglise en tant que telle. Mais à pré­sent nous pensons à ces institutions particulières dans lesquelles se manifeste, suivant le sens spécifique traditionnel, l'effort d'élargir l'aire humaine de l'annonce évangélique sur la terre, et auxquelles nous donnons le nom béni de Missions catholiques (cf. Ad Gentes, 6).

Nous voulons leur confirmer à nouveau le mandat aposto­lique les qualifiant et les investissant de la vertu de l'Esprit-Saint pour l'accomplissement de leur œuvre incomparable ; et nous voulons que tous ceux qui y consacrent leur vie et qui prient, travaillent, souffrent pour les Missions, sachent qu'ils jouissent à un titre spécial, de notre affection et de notre reconnaissance.

Pourquoi cette préférence ? Parce qu'au devoir, à la néces­sité de diffuser la Parole du salut s'ajoutent aujourd'hui des cir­constances particulières qui nous paraissent « les signes des temps » pour la reprise vigoureuse d'une activité missionnaire rénovée. La parole de Jésus à ses disciples vient à nos lèvres : « ... je vous le dis : levez les yeux et voyez : les champs sont blancs pour la moisson » (Jn 4, 35). Il existe des circonstances qui faci­litent les communications entre les hommes : le monde est ouvert et exploré, les transports sont partout plus rapides et plus ré­pandus, le commerce, la culture, les relations internationales tendent à des contacts entre les différentes civilisations et visent à l'unification... Mais à quel niveau ? au niveau pratique, oui ; au niveau civil, oui ; mais ne voyons-nous pas que ce processus de rapprochement des hommes entre eux révèle des déficiences pouvant se transformer en menaces de conflits nouveaux et plus graves ? Et ne semble-t-il pas en outre, ce monde, espérer avec impatience cette affirmation de principes, cette effusion d'éner­gies spirituelles, cette solution d'idéologies discordantes en une fraternelle et unique vérité supérieure qui du Christ seulement peut découler sur nous, même dans l'ordre temporel ? (cf. Lumen Gentium, 13).

 

Une heure nouvelle

 

Une heure nouvelle est venue pour les Missions. Difficultés nouvelles et facilités nouvelles sont sur les chemins de ceux qui, au nom du Christ, « annoncent de bonnes nouvelles » (Rm 10, 15) ; mais cet état actuel des âmes et des choses offre un champ infiniment plus vaste, plus attirant, mais non assurément plus facile aux sages et nobles hardiesses des pionniers de l'Evangile. Nous voudrions aujourd'hui plus que jamais faire écho à la pa­role pressante du Christ : « Venez à ma suite et je vous ferai pêcheurs d'hommes » (Mt 4, 19). Ne nous attardons pas à des critiques corrosives; ne laissons point passer ce moment histo­rique, qui nous semble décisif pour les orientations futures de l'humanité et qui offre au génie et au courage des jeunes l'occa­sion d'être les sujets et les instruments de nouveaux et exaltants charismes de la foi et de la charité.

Cela signifie que l'activité missionnaire doit être conçue avec des vues larges et modernes. Une nouvelle planification s'impose ; dans les principes théologiques, la propagande, le recrutement, la préparation, les méthodes, les réalisations et l'organisation. C'est une révision que nous savons être en cours, sur une vaste échelle, de la part de ceux qui ont expérience et compétence en la matière, avec l'encouragement et sous la conduite de l'orga­nisme missionnaire central de l'Eglise, notre valeureuse Con­grégation pour l'Evangélisation du Monde.

 

Deux conceptions

 

Dans cette révision de la vocation missionnaire de l'Eglise, une question domine les autres et met en présence deux con­ceptions différentes touchant l'orientation générale de l'activité missionnaire, conceptions qui se définissent et se distinguent par deux noms: évangélisation et développement... On entend par évangélisation l'action proprement religieuse qui regarde l'annonce du Règne de Dieu, de l'Evangile en tant que révéla­tion du dessein salvifique dans le Christ Seigneur, par l'action de l'Esprit-Saint, qui trouve dans le ministère de l'Eglise son véhicule, dans l'édification de l'Eglise elle-même son but et dans la gloire de Dieu son terme : c'est la doctrine traditionnelle, à laquelle le Concile a donné son approbation autorisée. Et par développement on veut dire la promotion humaine, civile, tem­porelle de ces Peuples, qui, au contact de la civilisation moderne et avec l'aide qu'elle peut donner, trouvent une nouvelle cons­cience d'eux-mêmes et s'acheminent vers des niveaux supé­rieurs de culture, de prospérité : le Missionnaire doit s'intéresser à cette promotion comme à son devoir imprescriptible (cf. Ad Gentes, 11).

La gravité de cette question, qui met en présence ces deux conceptions, vient d'un double danger : celui de les rendre exclu­sives l'une de l'autre et celui d'établir inexactement les rapports qui doivent intervenir entre elles.

Nous voulons croire qu'une telle confrontation ne peut être posée comme un dilemme devant exclure une coordination, une complémentarité, une synthèse entre l'évangélisation et le développement. Nous ne saurions concevoir, nous autres croyants, une activité missionnaire qui ferait de la réalité terrestre son but unique ou principal et perdrait de vue sa fin essentielle: porter à tous les hommes la lumière de la foi, les régénérer par le bap­tême, les unir au Corps mystique du Christ, l'Eglise, leur appren­dre ce qu'est la vie chrétienne, les ouvrir à l'espérance de la vie de l'au-delà. Il est également inadmissible que l'action mission­naire de l'Eglise soit insensible aux besoins et aux aspirations des Peuples en voie de développement et que ses finalités religieuses fassent abstraction des devoirs fondamentaux de la charité hu­maine ; nous ne pouvons oublier la leçon solennelle de l'Evan­gile sur l'amour du prochain souffrant et besogneux (Mt 25, 31-46), leçon reprise par l'enseignement apostolique (cf. 1 Jn 4, 20 ; Jc 2, 14-18) et confirmée par toute la tradition mission­naire de l'Eglise. Nous-même avons fait état, dans notre Ency­clique Populorum progressio), du devoir de favoriser résolument et sagement le progrès économique, culturel, social et spirituel des Peuples, et spécialement de ceux du « tiers-monde » comme on les appelle, où l'activité missionnaire trouve un champ d'action plus étendu pour la réalisation de son programme (cf. Ad Gen­tes, 12).

Il ne doit pas y avoir de dilemme. La question concerne plutôt la priorité des fins, la priorité des intentions et des devoirs ; et il ne fait pas de doute que l'activité missionnaire soit orientée avant tout vers l'évangélisation et qu'elle doive maintenir cette priorité aussi bien dans l'idée qui l'inspire que dans les moyens avec lesquels elle s'organise et par lesquels elle s'exerce. L'activité missionnaire perdrait sa raison d'être si elle s'éloignait de l'axe religieux qui la conduit: le Royaume de Dieu avant toute autre chose ; le Royaume de Dieu entendu dans son sens vertical, théologique, religieux, qui libère l'homme du péché, lui présente comme suprême commandement l'amour de Dieu et comme ultime destin la vie éternelle. C'est-à-dire le kérygme, la Parole du Christ, l'Evangile, la foi, la grâce, la prière, la croix, la vie chrétienne. Et nous devons être convaincus que la fidélité à ce programme principal de l'activité missionnaire peut engendrer de grandes difficultés, capables d'empêcher parfois et son explication et son expansion : « folie et scandale » (cf. 1 Co 1, 18 et sq.) est notre mission. Mais n'est-ce pas égale­ment cela qui de nos jours, non moins qu'au début de la prédi­cation chrétienne, est sa force et sa sagesse ? Aujourd'hui encore, pratiquement, ce qui dans l'économie terrestre fait obstacle à l'évangélisation : c'est-à-dire son caractère spirituel, peut la libérer des liens matériels de l'économie, du soupçon de colo­nialisme, de l'impuissance du naturalisme dans le dialogue avec les différentes civilisations.

 

L'évangélisation fin propre de l'activité missionnaire

 

La question du dualisme: évangélisation-développement, se pose plutôt à propos de la méthode : est-ce l'évangélisation qui doit précéder ou le développement ? La réponse ne peut être univoque, mais doit être dictée par l'expérience, la possibilité, un empirisme attentif et patient, conforme à l'esprit apostolique et aux exigences des situations diverses, en vue toujours de l'efficacité et de la sainteté de l'activité missionnaire (cf. Ad Gentes, 6). Nous pouvons envisager trois moments : avant, pen­dant, après l'évangélisation, laquelle garde toujours sa priorité essentielle et intentionnelle ; le développement, c'est-à-dire l'em­ploi des moyens d'ordre temporel, peut avoir priorité pastorale propre. On parle de pré-évangélisation, c'est-à-dire de l'approche des futurs chrétiens par la charité, l'aide, l'exemple, la vie en commun, la présence. Puis on parle de service : là où arrive l'Evangile arrive la charité ; c'est un témoignage de son efficience sur le plan humain, qui va de pair avec l'évangélisation : les écoles, les hôpitaux, l'assistance sociale, l'éducation profession­nelle ; c'est la récompense qui finalement vient après l'évangé­lisation, c'est-à-dire l'art nouveau de bien vivre.

Pour conclure, nous observerons que si la question du dua­lisme « évangélisation et développement » se pose sur le plan doctrinal, dans la confrontation des fins respectives et dans la hiérarchie des intentions qui s'y rapportent, elle trouve sa ré­ponse dans la définition du Décret conciliaire : « La fin propre de l'activité missionnaire est l'évangélisation et l'implantation de l'Eglise », (Ad Gentes, 6 ; cf. Enc. Fidei donum : AAS., 1957,236).

Mais sur le plan pratique, ceux qui ont pris l'engagement missionnaire doivent être convaincus que l'évangélisation s'ac­complit aussi au moyen des activités orientées vers le dévelop­pement temporel et humain des Peuples, auxquels elle est con­sacrée. De telles activités peuvent se confondre avec l'évangéli­sation quand, élevées au niveau de la charité, elles ont valeur de fin et encore lorsque, ayant valeur de moyen, elles peuvent, en cours d'exécution précéder et aussi parfaire l'œuvre évangélisatrice. C'est cela qui, par rapport aux Laïcs spécialement, ac­quiert une grande importance, appelés comme ils le sont à « cher­cher le Royaume de Dieu en administrant les choses temporel­les » (Lumen Gentium, 31) pouvant et devant, « même lorsqu'ils sont accaparés par des soucis temporels, exercer une action importante eu égard à l'évangélisation du monde ! (ibid., 35).

Il arrive parfois que l'activité pour le développement, coor­donnée avec celle de l’évangélisation, rayonne elle aussi une lu­mière du Christ, celle de l'idée de la dignité humaine, des droits de l'homme, de la liberté, de la responsabilité, du devoir, du tra­vail, de la vie sociale, du bon usage de toute valeur même tem­porelle ; illumine la scène du monde et en révèle la beauté, la richesse, l'honnêteté ; en dévoile aussi les insuffisances, les injusti­ces, les calamités..., que l'homme nouveau, le chrétien, sait alors comment juger et traiter. Et le développement en tire profit pour le progrès, l'unité, la justice et la paix (cf. Ad Gentes, 12 etc.).

L'activité missionnaire annonce l'Evangile et ouvre les voies du développement humain.

Faut-il encore recommander l'évangélisation à vos prières, à votre générosité ? Connue, elle fait d'elle-même son apologie ; mais nous, au nom du Christ notre Seigneur, nous la confions à votre intelligence humaine et chrétienne, à votre charité.

Et à vous tous, Missionnaires et Amis des Missions, nous envoyons, large comme l'horizon du monde, notre Bénédiction Apostolique.

 

Du Vatican, 5 juin 1970.

 

paulus PP. VI

 

 

 

8 juin

VŒUX DU CORPS DIPLOMATIQUE

 

A l'occasion du jubilé du Saint-Père

 

 

Excellences et chers Messieurs,

 

Cette rencontre est pour Nous une très grande joie. Nous avons été vraiment très touché de votre démarche spon­tanée, de votre désir de vous unir à la célébration du cinquan­tième anniversaire de notre ordination sacerdotale, et de la part personnelle que vous avez voulu y prendre.

Une circonstance comme celle-là Nous fait mieux prendre conscience que Nous formons ensemble une famille, qui partage les joies et les peines de tous. Vous n'êtes pas en effet seulement les représentants des intérêts dé vos pays respectifs, mus unique­ment par la préoccupation de présenter au Saint-Siège ce qui les concerne directement, selon les devoirs de votre haute mission diplomatique. Mais vous êtes des hommes de cœur, attentifs à ce qui concerne notre vie, même en ce qu'elle a de plus per­sonnel.

Permettez-Nous de vous en faire, ce matin, la confidence : toutes les activités du Pape, toutes les obligations inhérentes à sa charge pastorale, à son ministère universel, tout cela n'a de raison d'être pour Nous que dans le sacerdoce, qui est le cœur de notre vie la plus intime et la plus profonde.

Et Nous sommes particulièrement sensible au fait que, par-delà les différences d'attitudes religieuses et de croyances, vous l'ayez compris, et que vous ayez tenu à participer à cet événe­ment tout intérieur, à cette joie du prêtre que Nous sommes.

A propos de cette remarque suscitée par notre rencontre particulière de ce matin, Nous serions tenté de répéter les deux critères fondamentaux qui justifient et caractérisent les relations que Nous avons l'honneur d'entretenir avec vous, avec les pays que vous représentez si dignement auprès du Saint-Siège, avec la vie internationale.

Le premier de ces critères, c'est la conviction, humblement mais fermement ancrée dans notre esprit, que Nous pouvons au cours de nos conversations rappeler sans cesse les principes suprêmes sur lesquels doit être fondée la vie de la communauté humaine, pour être bonne et toujours en progrès : nous voulons dire la justice et le droit, qui découlent d'une conception éthique sûre et sacrée de la vie, aussi bien des individus que des peuples. Ces principes, dans la société civile, trouvent leur application au plan temporel, et c'est sur ce plan que se déroule notre dialogue avec vous ; mais pour Nous ils prennent leur source et leur force dans la foi religieuse que Nous portons en notre cœur et que nous avons le devoir — grave et doux en même temps — de pro­fesser comme croyant et comme ministre, comme prêtre, et tout spécialement au poste qui Nous a été assigné dans l'Eglise.

En second lieu, ce caractère religieux qui est le nôtre et que, si aimablement, vous voulez honorer aujourd'hui, vous donne l'assurance que nos rapports aussi bien diplomatiques qu'humains, avec vous et avec vos pays, conservent un aspect tout à fait particulier : ces rapports ne sont pas établis sur le contraste, ni sur des intérêts opposés à vos propres intérêts, ni sur l'émulation ou le prestige ; mais ce sont des rapports de service, et donc d'amour pour vos peuples. Eh effet, c'est au bien de vos peuples que Nous cherchons à collaborer — à leur développement, à leur progrès civil, social et moral —, en réaffirmant ces principes universels dont Nous avons parlé et auxquels Nous ne cessons de faire appel. Ces rap­ports, en un mot, sont faits d'amitié pour la paix ; la paix pour chacun de vos pays, et la paix pour le monde entier. Telles sont les perspectives que Nous ouvre et dont nous fait un devoir notre sacerdoce, ce sacerdoce qu'honoré aujourd'hui votre visite qui Nous est si agréable, et dont Nous vous sommes si recon­naissant.

Nous voulons vous dire aussi combien Nous a touché le choix que vous avez fait en cette circonstance, d'une bourse d'étude pour un jeune prêtre ou séminariste, qui pourra ainsi mieux se préparer à la grave et grande responsabilité qui sera la sienne dans le monde de demain. De par vos fonctions auprès du Saint-Siège, vous êtes en effet mieux à même que quiconque de con­naître de près ses soucis, ses problèmes, ses projets. Et vous savez qu'à l'heure présente de son histoire l'Eglise se préoccupe plus que jamais de ses prêtres, de ses futurs prêtres, de leur for­mation, de leur vie. Aussi sommes-Nous très sensible à votre délicate attention, à ce don collectif qui manifeste votre profonde compréhension humaine de ce qui est au cœur de la vie de l'Eglise, à ce souci que vous avez eu d'y participer pour votre part.

C'est vous dire avec quelle gratitude Nous accueillons votre geste, heureux de voir se resserrer ainsi, par-delà les exigences du protocole et tes devoirs de notre charge, les liens humains et spirituels qui Nous unissent. Vous êtes, Messieurs, des hom­mes de cœur. N'est-ce pas une des qualités les plus éminentes du diplomate, la plus nécessaire peut-être aussi pour l'exercice de ses hautes fonctions au service de son pays, comme aussi de ce bien commun des hommes : la concorde, dans le respect mu­tuel des différents groupes qui constituent la grande famille humaine ? Si l'occasion ne Nous est pas toujours donnée de Nous entretenir avec vous de ce qui fait votre vie personnelle et fa­miliale, de ce qui vous tient le plus à cœur en ce monde, Nous pouvons du moins ce matin vous assurer tous que, dans notre prière sacerdotale, Nous portons vos intentions auprès du Dieu Tout-Puissant, de qui vient « tout don excellent, tout don par­fait » (Jc 1, 17). En recommandant au Très-Haut, avec vos per­sonnes, ceux qui vous sont chers, Nous appelons sur tous l'abon­dance des divines bénédictions.

 

 

 

23 juin

LE SAINT-PERE AU SACRE COLLEGE : « IL FAUT ANNONCER LA FOI SANS EQUIVOQUE »

 

Messieurs les Cardinaux,

 

Nous avons été très ému par l'affection dont vous avez voulu Nous entourer en cette heureuse circonstance et que le cher et vénéré Cardinal Aloisi Masella a exprimée avec tant de délicatesse. Nous aimons voir dans ces égards de votre part le signe de l'unanimité de la foi catholique qui nous unit au nom du Christ et de la ferveur sacerdotale qui, pour Nous depuis un demi-siècle et pour vous depuis tant d'années, anime nos vies passées à annoncer la bonne nouvelle du Christ Sauveur et au service du Saint-Siège.

Il n'y a pas pour Nous de plus grand bonheur que celui de partager avec vous Notre joie sacerdotale et, par vous, avec tous Nos frères dans l'épiscopat, avec tous les prêtres et tous les fidè­les. A tous Nous voulons exprimer Notre satisfaction pour leur affection, Notre gratitude pour leurs prières, Notre joie pour leur généreux apostolat au service de l'Eglise. Cette heure diffi­cile de la vie ecclésiale est cependant une heure bénie de Dieu, une heure riche de grâces, une heure pleine d'espérances. Au­jourd'hui comme hier l'Eglise accomplit sa mission de salut à travers le monde et transmet aux hommes les promesses de la Rédemption et de la vie éternelle. Si elle gémit actuellement c’est, comme le dit saint Paul, en raison des douleurs de l'enfan­tement qui précèdent l'allégresse d'une nouvelle naissance : elle porte en elle l'Esprit de Dieu, l'Esprit créateur, l'Esprit d'amour et de charité.

Si l'esprit de division, comme toujours — nous en sommes d'ailleurs avertis — est à l'œuvre dans le champ du Père de fa­mille pour y semer l'ivraie (cf. Mt 13, 25), ne nous laissons pas attirer par ses ruses, ni décourager par son intrusion : continuons notre travail humble, modeste, fervent, désintéressé, attentif aux signes des temps, dans l'authentique climat d'un dialogue sincère et loyal et dans une conversation fraternelle, inspirée par la prière, nourrie par la charité.

L'Esprit du Seigneur est à l'œuvre lui aussi dans son Eglise: Ce n'est pas du tout un esprit de contestation, mais de rénova­tion et de paix. Il suscite sans cesse de nouvelles initiatives, celles de l'apostolat et de la sainteté. Puisque nous avons célébré la Pentecôte, nous devons être encore plus attentifs à ses appels, plus dociles à ses inspirations, plus intrépides pour répondre à ses impulsions. Il nous pousse au large, c'est-à-dire vers les besoins des temps nouveaux. Affrontons-les avec amour, avec pondération, sans céder à la tendance inconsidérée du monde profane et sans craindre les embûches du Malin, sûrs comme nous le sommes d'être dans les mains de Dieu et portés par son amour.

Aujourd'hui nous devons implorer avec ferveur une grande grâce du Saint-Esprit. L'heure qui sonne au cadran de l'histoire exige effectivement de tous les fils de l'Eglise un grand courage et, d'une manière toute particulière, le courage de la vérité, que le Seigneur en personne a recommandé à ses disciples lorsqu'il a dit : « Que votre oui soit oui, que votre non soit non » (Mt 5, 37).

 

Affronter avec amour les nécessités du temps

 

La vague des contestations, des négations et des violences submerge aujourd'hui les digues les plus sûres, et l'homme aux prises avec son destin ressemble souvent au marin égaré en haute mer, qui a perdu le contact avec la côte, ou à l'alpiniste surpris par l'ouragan pendant une ascension, qui lui fait me­surer la profondeur de l'abîme.

Comment le chrétien pourrait-il ne pas être bouleversé par cette tempête qui semble frapper l'Eglise elle-même ? Au mo­ment où celle-ci implore de l'Esprit les énergies de la croissance spirituelle et apostolique nécessaires pour franchir une nouvelle et difficile étape de son histoire, on voit se soulever jusque dans son sein des énergies destructrices. Certains voudraient alors la faire retourner sur ses pas pour retrouver la sécurité perdue. D'autres, au contraire, se laissent aller à l'exaltation d'un dan­gereux transformisme sans plus savoir, semble-t-il, ce qu'est vraiment le Christ, ce qu'est vraiment l'Eglise, ni la foi qui nous permet de les servir.

 

Le courage de la vérité

 

Que de fois l'Ecriture divine nous avertit à ce sujet ! N'écou­tons pas tous ceux qui prétendent nous apporter un évangile différent (cf. Ga 1, 8-9). Que de gnoses ont disparu au cours des siècles qui semblaient, à leur époque, bien plus intelligentes que le mystère de la Croix et le nom de Jésus Sauveur (cf. 1 Co 1, 18-25) ! Les idoles renaissent toujours. Mais que serait le chris­tianisme si on voulait le réduire à une idéologie, à une sociologie naturaliste ? Que serait l'Eglise si elle se laissait émietter en tant de sectes ? Non. Le Christ est venu pour libérer l'homme de toutes les idoles et avant tout de celles que son esprit se forme de siècle en siècle : « Aucune vérité, quelque sacrée qu'elle soit, ne peut longtemps résister à l'énergie sauvage des passions et au scepticisme dissolvant de l'intelligence humaine en matière de religion... » (Cardinal john henry newman, Apologia pro vita sua. History of my religions opinions. London, Longmans 1902, chap. 5).

Le courage de la vérité s'impose plus que jamais aux chrétiens s'ils veulent être fidèles à leur vocation de donner une âme à ce monde nouveau qui se cherche. Que notre foi au Christ soit sans faille en notre époque marquée, comme celle de saint Augus­tin, par une vraie « misère et pénurie de vérité » (Serm. 11, 11 ; Miscellanea agostiniana, 1930, 256). Que chacun soit disposé à vitam impendere vero (JUVENAL, Sat. IV, 91) !

Le courage de proclamer la vérité est aussi la première et indispensable charité que les pasteurs des âmes doivent pra­tiquer. Nous n'admettons jamais, même sous le prétexte de la charité envers le prochain, qu'un ministre de l'évangile prononce une parole purement humaine. Le salut des hommes ne se fait pas à moitié. Par conséquent, dans ce souvenir encore vivant de la Pentecôte, Nous voulons faire appel à tous les pasteurs respon­sables pour qu'ils élèvent leur voix lorsque c'est nécessaire, avec la force de l'Esprit-Saint (cf. Ac 1, 8), pour clarifier ce qui est trouble, redresser ce qui est tortueux, réchauffer ce qui est tiède, réconforter ce qui est faible, éclairer ce qui est obscur. Plus que jamais cette heure est l'heure de la clarté pour la foi de l'Eglise. Elle nous invite à éclairer l'opacité des réalités humaines par le rayonnement du message évangélique dans la recherche de cette paix spirituelle qui naît de la possession de la vérité et de l'amour de la prière, selon la belle et grande parole de notre prédécesseur, sur le siège de Milan, saint Ambroise : « Est bona pax et necessaria, ut nemo disputationum turbetur incertis neque passionum corporalium tempestate quatiatur, sed simplicitate fidei et tranquillitate mentis quietus circa Dei cultum perseveret affectus » (De Spiritu Sancto, I, 12, 126 : C.S.E.L. éd. Faller 79, 9, p. 69).

 

Les conflits d'Indochine et du Moyen-Orient

 

Cette paix intérieure doit se refléter ensuite à l'extérieur dans la tranquillité de l'ordre : et c'est là l'angoisse quotidienne qui Nous hante dans Notre terrible ministère. Avec l'aide de Dieu, Nous cherchons à apporter pleinement et totalement Nos hum­bles forces pour que s'établisse dans le monde et se renforce toujours davantage la paix, ce don si précieux et si fragile qui, lui aussi, semble plus que jamais compromis en tant de parties de notre monde tourmenté.

Votre Eminence a voulu y faire allusion par des paroles dé­licates dont Nous lui sommes reconnaissant.

En vérité, depuis le début de Notre sacerdoce, l'exclamation qui est aussi une invitation : « Quam pulchri pedes evangelizantium pacem, evangelizantium bonum » (Rm 10, 15) a retenti à Nos oreilles. Et spécialement, depuis que le Seigneur Nous a appelé au service de son Eglise dans le Souverain Pontificat, Nous Nous sommes fermement proposé de consacrer Notre œuvre en même temps au service de la paix. Et maintenant Nous avons le sentiment de pouvoir dire, humblement mais avec une conscience tranquille, que jamais, en ces dernières années, Notre esprit n'a nourri d'autres pensées qui ne fussent de paix et que Nous avons toujours tâché de faire suivre Notre pensée par l'action et l'effort, dans la mesure qui Nous était possible, pour conserver ou rétablir dans la justice et dans l'amour l'harmonie entre les hommes et entre les nations : Nous le faisons sans cesse, sans Nous décourager de nos insuccès ni, de l'incom­préhension des buts qui Nous font agir, sûr de faire Nôtre le désir profond de l'humanité et surtout confiant dans l'aide de Celui qui est appelé le Dieu de la paix.

Malheureusement Nous devons prendre acte de ce que les grands conflits qui, depuis des années, ensanglantent les régions de l'Indochine et du Proche-Orient, loin d'approcher de la solution souhaitée, sont devenus dernièrement plus difficiles et plus complexes. Non seulement les champs des opérations bel­liqueuses s'étendent, mais les peuples directement intéressés et au nom desquels les guerres sont combattues semblent compter de moins en moins. L'accroissement de l'engagement militaire des grandes puissances, en effet, en même temps qu'il rend plus dangereuses les querelles par la menace de plus amples dévelop­pements imprévisibles, en fait dépendre la fin de conditions et de volontés qui dépassent les choix de ceux qui, depuis des années, souffrent de leurs douloureuses conséquences.

En même temps que Nous renouvelons à ces victimes l'expres­sion de Notre vive et paternelle participation à leurs souffrances, Nous désirons réitérer notre pressant appel à tous ceux qui ont quelque possibilité et responsabilité dans l'affaire, parce que Nous voulons engager, d'un côté comme de l'autre, et avec quelque sacrifice si c'est nécessaire, dans la recherche des voies d'une juste et équitable solution négociée, qui tienne compte des droits et des légitimes intérêts de tous les peuples impliqués dans les conflits et des attentes d'une humanité anxieuse de son propre sort.

 

Vaincre les misères et les déséquilibres entre les peuples

 

Cette humanité qui a droit à la paix, a droit aussi à ce que tous s'emploient à supprimer les causes qui alimentent les con­flits à l'intérieur des nations et entre elles. Tâche grande et difficile, mais à laquelle il est juste de se consacrer avec une volonté sincère et tenace.

Pensons aux déséquilibres entre les peuples, à la misère qui actuellement presse une si grande partie de nos frères. Pensons aux injustices anciennes et nouvelles, en cours ou déjà établies, et aux réactions qu'elles provoquent. Pensons aux antagonismes et aux égoïsmes des groupes sociaux ou des Puissances, aux oppressions des plus faibles et de ceux qui sont sans défense.

D'autre part, Nous ne pouvons ne pas déplorer que soient érigées en systèmes de lutté des méthodes de terreur que la con­science civile réprouve à juste titre. Ce n'est pas par de nouvelles injustices que se combattent celles contre lesquelles on s'in­surge, comme ce n'est pas en violant les droits de l'homme qu'on peut rétablir l'ordre troublé par des actes qui sont eux aussi délictueux.

En ce qui Nous concerne, Nous ne Nous lasserons pas d'élever Notre voix, d'exercer Notre action, souvent couverte d'un voile de discrétion pour en assurer une meilleure efficacité et n'offenser l'honneur de personne, afin que les raisons de la justice et — Nous voudrions le souhaiter — les exigences de la fraternité humaine trouvent l'accueil qui leur est dû et soient le fondement de cette paix vraie et solide que Nous désirons. Que le Christ l'entende, Lui qui « est notre paix » !

Voici, vénérables Frères et Fils très chers, ce que Nous avons voulu vous dire en cette circonstance si intime et si chère pour Nous, que vous avez voulu rendre si solennelle par votre pré­sence et votre solidarité. Uni avec vous Nous voulons remercier le Saint-Esprit et Nous le prions de confirmer les bonnes réso­lutions de tous en cette heure de courage et de vérité afin que, selon les paroles de saint Ambroise, « magis in bonis operibus et sensibus ambulantes, repleamur voluntate Dei » (De Spiritu Sancto, I, 7, 89 : op. cit., p. 53).

Amen, amen.

 

 

 

23 septembre

PAUL VI ATTIRE SOLENNELLEMENT L'ATTENTION DU MONDE SUR LA GRAVITE DE LA SITUATION EN JORDANIE

 

Nous ne prononcerons pas aujourd'hui le discours habituel des Audiences Générales : l'état des choses au Moyen-Orient nous semble tellement grave et si menaçant qu'il ne nous permet pas de vous parler d'un cœur tranquille d'autres thèmes. Nous sommes très inquiet au sujet de ce qui se passe dans cette région. Nous n'ayons d'autres nouvelles que celles que tous connaissent, mais celles qui sont diffusées en ces jours sont vraiment tristes. Nous pensons aux milliers de morts et de bles­sés, nous pensons aux otages, encore incertains de leur sort, nous pensons aux nouvelles et nombreuses ruines, aux insup­portables souffrances des populations. Mais le caractère de guerre civile, qui s'ajoute à celui du conflit implacable et interminable, nous afflige davantage encore, et notre peine est accrue par l'aigrissement des esprits, l'aggravation des dangers, qui peuvent pren­dre des proportions énormes et engendrer des catastrophes incalculables.

Nous ne voulons pas dramatiser : par l'interruption que nous imposons à notre entretien hebdomadaire nous voudrions pousser plus efficacement les esprits à la réflexion et à la prière.

Considérons avec confiance les personnes et les organismes de grande importance, qui se prononcent pour la trêve et s'em­pressent à conjurer le pire. Nous aussi, nous les encourageons à œuvrer résolument en faveur de la paix. Admirons ceux qui se prodiguent pour porter secours et pour rappeler dans ces pays et dans le monde le sens de l'humanité et de la sagesse. Quant à nous, nous ne perdrons point l'espoir de la paix, nous ressen­tirons davantage la compassion pour toute souffrance humaine, nous croirons encore en la possibilité d'entente des parties en conflit ; nous aiderons, dans les limites qui nous sont permises, toute tentative de solution raisonnable de la crise, et surtout avec vous, avec l'Eglise, nous invoquerons la miséricorde et l'assistance de Dieu.

 

 

 

26 septembre

AU PREMIER CONGRES MONDIAL DES INSTITUTS SECULIERS

 

Chers fils et filles dans le Seigneur,

 

Soyez les bienvenus ! Nous accueillons votre visite avec une particulière attention, pour la qualité qui vous distingue dans l'Eglise de Dieu, sans que le monde en perçoive les signes extérieurs, votre qualité de représentants des Instituts séculiers réunis en Congrès, et pour les intentions qui ont inspiré cette visite. Vous vous présentez à nous dans une double attitude : de confiance qui s'ouvre en manifestant votre être de personnes consacrées au Christ dans votre vie séculière ; d'offrande qui se déclare fidèle et généreuse pour l'Eglise en interprétant des finalités premières : célébrer l'union mystérieuse et surnaturelle des hommes avec Dieu le Père céleste, union instaurée par le Christ, Maître et Sauveur, et par l'effusion du Saint-Esprit; et instaurer l'union entre les hommes en les servant de toutes manières, pour leur bien-être naturel et leur fin supérieure, le salut éternel.

Combien nous intéresse et combien nous émeut cette ren­contre ! Elle nous fait penser aux prodiges de la grâce, aux richesses cachées du Royaume de Dieu, aux ressources incalculables de vertu et de sainteté dont dispose encore aujourd'hui l'Eglise, plongée, comme vous le savez, dans une humanité profane et parfois profanatrice, exaltée par ses conquêtes temporelles et aussi éloignée, malgré son besoin, de rencontrer le Christ ; l'Eglise, traversée par tant de courants qui ne sont pas tous favorables à sa croissance dans l'unité et dans la vérité, dont le Christ voudrait que ses fils fussent toujours avides et jaloux ; l'Eglise, cet olivier séculaire dont le tronc historique, tourmenté et tordu, qui pour­rait paraître l'image de la vieillesse et de la souffrance plutôt que celle d'une vitalité printanière : l'Eglise de ce temps, ca­pable, au contraire, vous en êtes la preuve, de verdir en de nou­velles frondaisons fraîches et vigoureuses et en de nouvelles promesses de fruits inattendus et abondants. Vous représentez un phénomène caractéristique et très consolant de l'Eglise con­temporaine, et c'est comme tels que nous vous saluons et vous encourageons.

Il nous serait facile et agréable de vous faire la description de vous-mêmes, tels que l'Eglise vous voit et, en ces dernières années, vous reconnaît : votre réalité théologique suivant la ligne définie par le Concile œcuménique Vatican II (Lumen Gentium, 44 et Perfectae caritatis, 11) c'est-à-dire la description canonique des formes institutionnelles qu'assument ces organismes de chré­tiens consacrés au Seigneur et séculiers, l'identification de la place et de la fonction qu'ils prennent dans l'ensemble du Peuple de Dieu, les caractères distinctifs qui les qualifient, les dimen­sions et les formes par lesquelles ils s'affirment. Mais tout cela vous le connaissez très bien. Nous savons les sollicitudes que le Dicastère de la Curie Romaine chargé de vous guider et de vous assister déploie pour vous et nous connaissons assez bien les rapports, très soignés et approfondis, qui ont été exposés pendant votre Congrès. Nous ne voudrions pas reprendre ce qui a été déjà traité avec tant de compétence. Plutôt que de décrire encore une fois ce cadre canonique, si nous devons vous dire une parole en cette circonstance, nous préférons considérer avec discré­tion et sobriété l'aspect psychologique et spirituel de votre enga­gement particulier à suivre le Christ.

Arrêtons pour un instant le regard sur l'origine de ce phé­nomène, l'origine intérieure, l'origine personnelle et spirituelle, sur votre vocation qui, si elle présente beaucoup de caractères communs avec les autres vocations qui fleurissent dans l'Eglise de Dieu, se distingue par certains caractères qui sont propres et qui méritent une considération particulière.

Nous voulons avant tout remarquer l'importance des réflexes dans la vie de l'homme, réflexes très appréciés dans la vie chré­tienne et assez intéressants, spécialement en certaines périodes de la jeunesse parce que déterminants. Nous appelons conscience ces réflexes et chacun sait bien ce que signifie et ce que vaut la conscience. On parle beaucoup sur la conscience dans les con­versations modernes, à commencer par le continuel rappel de son aube socratique, puis de son réveil dû principalement au christianisme sous l'influence duquel, dit un historien, « le fond de l'âme est changé » (cf. Taine, III, 125). Nous arrêtons ici l'attention sur ce moment particulier, connu de vous tous, dans lequel la conscience psychologique, c'est-à-dire la perception intérieure que l'homme a de lui-même, devient conscience mo­rale (cf. Saint Thomas, 1, 79, 13), dans l'acte par lequel la cons­cience psychologique perçoit l'exigence d'agir d'après une loi prononcée à l'intérieur de l'homme, écrite dans son cœur mais obligeant à l'extérieur, dans la vie vécue, avec une responsabi­lité transcendante et, au sommet, en rapport avec Dieu, par quoi elle se fait conscience religieuse. Le Concile en parle : « Dans l'intime de la conscience, l'homme découvre une loi qu'il ne s'est pas donnée mais à laquelle il doit obéir et dont la voix l'appelle toujours à aimer, à faire du bien aux autres et à fuir le mal... En réalité l'homme a dans son cœur une loi écrite par Dieu. L'obéissance à cette loi constitue la dignité même de l'homme, et c'est d'après elle qu'il sera jugé (cf. Rm 2, 14-16). La conscience est le noyau le plus secret et le sanctuaire de l'homme dans lequel il est seul avec Dieu » (Ici le Concile se réfère à un admirable discours du Pape Pie XII, du 23 Mars 1952, Discorsi... 14, p. 19 et suiv.).

En cette première phase du réflexe que nous appelons cons­cience naît dans l'homme le sens de la responsabilité et de la personnalité, l'attention aux principes existentiels et à leur développement logique. Ce développement logique dans le chrétien qui évoque son propre caractère baptismal engendre les concepts fondamentaux de la théologie sur l'homme qui se sait et se sent fils de Dieu, membre du Christ, incorporé à l'Eglise, marqué de ce sacerdoce commun des fidèles dont le Concile a rappelé la féconde doctrine (cf. Lumen Gentium, 10-11) et d'où naît l'engagement de chaque chrétien à la sainteté (cf. ibid. n. 39-40), a la plénitude de la vie chrétienne, à la perfection de la charité.

Cette conscience, cet engagement, à un moment donné, non sans un rayon fulgurant de la grâce, s'éclaire intérieurement et se fait vocation. Vocation à une réponse totale. Vocation à une vraie et complète profession des conseils évangéliques pour les uns, vocation sacerdotale pour d'autres. Vocation à la perfection pour quiconque en perçoit le charme intérieur ; vocation à une consécration par laquelle l'âme se donne à Dieu par un acte suprême de volonté en même temps que d'abandon, de don de soi. La conscience s'érige en autel d'immolation : « Que ma conscience soit ton autel » demande saint Augustin (En. in Ps  49 ; P.L. 36, 578) ; c'est comme le « fiat » de Notre-Dame à l'annonce de l'ange.

Nous sommes encore dans le domaine des réflexes, ce domaine que nous appelons maintenant vie intérieure qui, à ce point, se développe désormais en dialogue : le Seigneur est présent « sedes est (Dei) conscientia piortum », dit encore saint Augustin (En. in Ps  45 ; PL 36, 520). La conversation s'adresse au Seigneur, mais en quête de déterminations pratiques. Comme saint Paul à Damas : « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? » (Ac 9, 5). Alors la consécration baptismale de la grâce se fait consciente et s'ex­prime en une consécration morale voulue, élargie aux conseils évangéliques, tendue vers la perfection chrétienne ; et c'est là une première décision capitale, celle qui qualifiera toute la vie. La seconde ? Ici c'est la nouveauté, ici est votre originalité. Quelle  sera  pratiquement  la seconde  décision ?  Quel  sera  le choix sur la manière de vivre cette consécration ? Laisserons-nous ou pourrons-nous garder notre forme séculière de vie ? Telle a été votre demande. L'Eglise a répondu : vous êtes libres de choisir, vous pouvez rester séculiers. Vous avez choisi, guidés par tant de motifs, certainement bien pesés, et vous avez décidé : restons séculiers,  c'est-à-dire dans la forme commune à tous, dans la vie temporelle. Par le choix suivant dans le domaine du pluralisme consenti aux Instituts séculiers,  chacun s'est décidé d'après sa préférence personnelle. C'est pourquoi vos instituts s'appellent séculiers, pour les distinguer des instituts religieux. Et il n'est pas dit que votre choix, en rapport avec la fin de perfection chrétienne qu'il se propose lui aussi, soit facile parce qu'il ne vous sépare pas du monde, de cette vie profane dans laquelle les valeurs préférées sont temporelles et dans laquelle souvent la règle morale est exposée à de continuelles et formi­dables tentations. Votre discipline morale devra par conséquent être toujours en état de vigilance et d'initiative personnelle et devra tirer à toute heure du sens de votre consécration la recti­tude de votre action : l’abstine et sustine des moralistes devra s'exercer continuellement dans votre spiritualité. Voici un nouvel et habituel réflexe, un état par conséquent de vie intérieure per­sonnelle qui accompagne le déroulement de la vie extérieure.

Et vous avez ainsi un champ immense dans lequel se déve­loppera votre double action : votre sanctification personnelle, votre âme, et cette consecratio mundi dont vous connaissez l'engagement délicat et attirant. Et c'est cela le domaine du monde, du monde humain tel qu'il est, dans son inquiète et éblouissante actualité, dans ses vertus et ses passions, dans ses possibilités de bien et dans son entraînement vers le mal, dans ses magnifi­ques réalisations modernes, dans ses déficiences secrètes et ses souffrances inévitables : le monde. Vous marchez sur un plan incliné qui attire les pas à la facilité de la descente et qui les sti­mule à l'effort de la montée.

C'est un cheminement difficile d'alpinistes de l'esprit. Mais dans votre programme hardi, rappelez-vous trois choses : votre consécration ne sera pas seulement un engagement, elle sera un secours, un soutien, un amour, une béatitude auxquels vous pourrez toujours recourir, une plénitude qui compensera tout renoncement et qui vous habilitera à ce merveilleux paradoxe de la charité : donner, donner aux autres, donner au prochain pour avoir dans le Christ. Et voici la seconde chose que vous devez vous rappeler : soyez dans le monde et non du monde, mais pour le monde. Le Seigneur nous a enseigné à découvrir sous cette formule qui semble un jeu de mots sa mission de salut et la nôtre. Rappelez-vous, justement parce que vous appartenez à des Instituts séculiers, que vous avez une mission de salut à accomplir pour les hommes de notre temps. Aujourd'hui le monde a besoin de vous, vivant dans le monde, pour ouvrir au monde les sentiers du salut chrétien.

Et nous vous dirons alors la troisième chose dont vous devez vous souvenir : l'Eglise. Elle aussi fait partie de cette réflexion que nous avons abordée. Qu'elle devienne le thème d'une mé­ditation habituelle que nous pouvons appeler le sensus Ecclesiae, présent en vous comme une respiration intérieure. Vous avez certainement déjà éprouvé l'ivresse de cette respiration, son inspiration inépuisable dans laquelle les motifs de la théologie et de la spiritualité, spécialement après le Concile, versent leur souffle tonifiant. Qu'un de ces motifs vous soit toujours présent : vous appartenez à l'Eglise à un titre spécial, votre titre de con­sacrés séculiers. Eh bien, sachez que l'Eglise a confiance en vous. L'Eglise vous suit, vous soutient, vous considère comme siens, comme des fils d'élection, comme des membres actifs et conscients, fidèles ; d'une part, souplement entraînés à l'apostolat ; d'autre part, disposés au témoignage silencieux, au service et, s'il le faut, au sacrifice. Vous êtes des laïcs qui font de leur pro­fession chrétienne personnelle une énergie constructive disposée à soutenir la mission et les structures de l'Eglise, les diocèses, les paroisses, spécialement les institutions catholiques et à en animer la spiritualité et la charité. Vous êtes des laïcs qui, par une expérience directe, pouvez mieux connaître les besoins de l'Eglise terrestre et peut-être aussi êtes-vous dans la condition d'en découvrir les défauts. N'en faites pas une raison de critique corrosive et sans générosité ; n'en tirez pas prétexte pour vous séparer et pour rester égoïstement et dédaigneusement à l'écart, mais faites-en un stimulant à une aide plus humble et plus filiale, à un plus grand amour. Vous, Instituts séculiers de l'Eglise d'aujourd'hui ! Eh bien ! Portez notre salut d'encouragement à vos frères et à vos sœurs et recevez tous notre Bénédiction Apos­tolique.

 

 

 

4 octobre

SAINTE CATHERINE DE SIENNE DOCTEUR DE L'EGLISE

 

La joie spirituelle qui a rempli notre âme en proclamant Docteur de l'Eglise l'humble et sage vierge dominicaine, Catherine de Sienne, trouve sa référence la plus haute et, dirons-nous, sa justification dans la joie très pure éprouvée par le Sei­gneur Jésus lorsque, comme le rapporte l'évangéliste saint Luc, « il tressaillit de joie sous l'action du Saint Esprit » et dit : « Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux habiles et de l'avoir révélé aux tout petits. Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir » (Lc 10, 21 ; cf. Mt 11, 25-26).

En vérité, en remerciant le Père d'avoir révélé les secrets de sa sagesse divine aux humbles, Jésus ne pensait pas seulement aux Douze qu'il avait choisis dans un peuple sans culture et qu'il enverrait un jour comme ses apôtres pour instruire toutes les nations et pour leur enseigner ce qu'il leur avait prescrit (cf. Mt 28, 19-20), il pensait aussi à tous ceux qui croiraient en lui, parmi lesquels, innombrables, ceux qui seraient les moins doués aux yeux du monde.

Et l'Apôtre des gentils se plaisait à observer cela en écrivant à la communauté grecque de Corinthe, ville où pullulaient les gens infatués de sagesse humaine : « Considérez votre appel. Il n'y a pas beaucoup de sages selon la chair, ni beaucoup de puis­sants, ni beaucoup de gens bien nés. Mais ce qu'il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre les sages ; ce qu'il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre la force ; ce qui dans le monde est sans naissance et ce que l'on méprise, voilà ce que Dieu a choisi ; ce qui n'est pas, pour réduire à rien ce qui est, afin qu'aucune chair n'aille se glorifier devant Dieu » (cf. 1 Co 1, 26-29).

Ce choix préférentiel de Dieu, dans la mesure où il est insi­gnifiant ou même méprisable aux yeux du monde, avait déjà été annoncé par le Maître lorsque, en nette contradiction avec les estimations terrestres, il avait proclamé heureux et candidats à son Royaume les pauvres, les affligés, les doux, les affamés de justice, les purs de cœur, les artisans de la paix (cf. Mt 5, 3-10).

Certes, dans la vie et dans l'activité extérieure de Catherine les Béatitudes évangéliques ont resplendi de vérité et d'une beauté exceptionnelle. Tous, d'ailleurs, vous vous rappelez combien elle a été libre en esprit de toute convoitise terrestre ; com­bien elle a aimé la virginité consacrée au céleste époux, Jésus-Christ ; combien elle a été affamée de justice et envahie jusqu'aux entrailles de cette miséricorde qui la pousse à porter la paix au sein des familles et dans les villes déchirées par des rivalités et des haines atroces ; combien elle s'est prodiguée pour réconcilier la république de Florence avec le Souverain Pontife Grégoire XI, exposant sa propre vie à la vengeance des rebelles. Nous ne nous arrêterons pas à admirer les grâces mystiques exceptionnelles dont le Seigneur a voulu la gratifier, parmi lesquelles le mariage mystique et les saints stigmates. Nous croyons aussi que ce n'est pas le moment de rappeler l'histoire des efforts magnanimes accomplis par la sainte pour persuader le Pape de revenir à Rome, son siège légitime. Le succès qu'elle a finalement obtenu fut vraiment le chef-d'œuvre de son intense activité qui restera dans les siècles sa grande gloire et constituera un titre tout spécial à l'éternelle reconnaissance de l'Eglise.

Par contre nous croyons opportun en ce moment de mettre brièvement en lumière le second titre qui justifie, en conformité avec le jugement de l'Eglise, l'attribution du titre de Docteur à la fille de l'illustre ville de Sienne, c'est l'excellence particu­lière de la doctrine.

Quant au premier titre, celui de la sainteté, son approbation solennelle fut exprimée amplement et dans un style unique d'humaniste par le Pontife Pie II, son compatriote, dans la bulle de canonisation Misericordias Domini, dont il fut lui-même l'auteur (cf. M. H. laurent, O.P., Proc. Castel., pp. 521-530). La cérémonie liturgique spéciale eut lieu dans la basilique Saint-Pierre le 29 Juin 1461.

Que dirons-nous donc de l'éminence de la doctrine de sainte Catherine ? Certainement nous ne trouverons pas dans les écrits de la sainte, c'est-à-dire dans ses Lettres, conservées en nombre considérable, dans le Dialogue de la divine Providence ou Livre de la doctrine divine et dans les « orationes », la vigueur apolo­gétique et les hardiesses théologiques qui distinguent les œuvres des grandes lumières de l'Eglise ancienne de l'Orient et de l'Occi­dent. Nous ne pouvons pas non plus exiger de la vierge peu cul­tivée de Fontebranda les hautes spéculations propres à la théolo­gie systématique, qui ont rendu immortels les docteurs du Moyen Age scolastique. Et, s'il est vrai que se reflète dans ses écrits, et d'une manière surprenante, la théologie du Docteur angélique, elle y apparaît dépouillée de tout revêtement scientifique. Ce qui frappe plus que tout, au contraire, dans la sainte, c'est la science infuse, c'est-à-dire l'assimilation brillante, profonde et enivrante de la vérité divine et des mystères de la foi contenus dans les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament : une assimilation favorisée, assurément, par des dons naturels très particuliers et évidemment prodigieux, assimilation due à un charisme de sagesse du Saint Esprit, un charisme mystique.

Catherine de Sienne offre dans ses écrits un des plus brillants modèles de ces charismes d'exhortation, de parole de sagesse et de parole de science que saint Paul nous a montrés agissant en chaque fidèle dans les communautés chrétiennes primitives et dont il voulait que l'usage fût bien réglé, faisant remarquer que ces dons ne sont pas tant à l'avantage de ceux qui en sont favorisés que plutôt à celui du Corps tout entier, de l'Eglise : en effet, explique l'Apôtre, « c'est le seul et même Esprit qui distribue ses dons à chacun comme il l'entend » (1 Co 12, 11), de même sur tous les membres de l'organisme mystique du Christ doit retomber le bénéfice des trésors spirituels que son Esprit prodi­gue (cf. 1 Co 11, 5 ; Rm 12, 8 ; 1 Tm 6, 2 ; Tt 2, 15).

« Doctrina eius (scilicet Catharinae) non acquisita fuit ; prius magistra visa est quam discipula » (Proc. cast. 1, c) ; c'est ce qu'a déclaré le même Pie II dans la Bulle de canonisation. Et, en vérité, que de rayons de sagesse surhumaine, que d'appels pressants à l'imitation du Christ dans tous les mystères de sa vie et de sa Passion, que d'invitations à la pratique des vertus propres aux divers états de vie sont épars dans les œuvres de la sainte ! Ses lettres sont comme autant d'étincelles d'un feu mystérieux allumé dans son cœur brûlant de l'Amour infini qu'est le Saint-Esprit.

Mais quelles sont les lignes caractéristiques, les thèmes prin­cipaux de son enseignement ascétique et mystique ? Il nous semble qu'à l'imitation du « glorieux Paul » (Dialogo c. XI, par G. Cavallini, 1968, p. 27) dont elle reflète parfois le style vigou­reux et impétueux, Catherine soit la mystique du Verbe incarné et surtout du Christ crucifié. Elle a exalté la vertu rédemptrice du sang adorable du Fils de Dieu, répandu sur le bois de la croix avec la prodigalité de l'amour, pour le salut de toutes les géné­rations humaines (cf. Dialogo, chap. CXXVII, éd. citée, p. 325). Ce sang du Sauveur, la sainte le voit couler d'une manière continuelle au sacrifice de la messe et dans les sacrements, grâce au ministère des ministres sacrés, pour la purification et l'embellis­sement du Corps mystique du Christ tout entier. Nous pouvons donc dire que Catherine est la mystique du Corps mystique du Christ, c'est-à-dire de l'Eglise.

D'autre part, pour elle, l'Eglise est la mère authentique à laquelle il est juste de se soumettre et de rendre révérence et assistance. Elle ose dire : « L'Eglise n'est rien d'autre que le Christ lui-même » (Lettre 171, par P. Misciatelli, III, 89).

Quels ne furent donc pas le respect, l'amour passionné que la sainte nourrissait pour le Pontife romain ! Aujourd'hui, nous, personnellement, serviteur des serviteurs de Dieu, nous devons à Catherine une immense reconnaissance, non certes pour l'hon­neur qui peut retomber sur notre humble personne, mais pour l'apologie mystique qu'elle fait de la charge apostolique du successeur de Pierre. Qui ne se le rappelle ? Elle contemple en lui « le doux Christ de la terre » (Lettre 196, éd. citée, III, 211), auquel on doit amour filial et obéissance parce que : « qui déso­béit au Christ sur la terre, qui tient la place du Christ qui est au ciel, ne participe pas au fruit du sang du Fils de Dieu (Lettre 207, éd. citée, III, 270). Et, comme anticipant non seulement sur la doctrine, mais sur le langage même du Concile Vatican II (Lumen gentium, 23), la sainte écrit au Pape Urbain VI : « Père très saint... sachez la grande nécessité, qui est la vôtre et celle de la sainte Eglise, de garder ce peuple (de Florence) dans l'obéis­sance et le respect envers Votre Sainteté parce que c'est là qu'est le chef et le principe de notre foi » (Lettre 170, éd. citée, III, 75).

Puis, aux cardinaux, à beaucoup d'évêques et de prêtres, elle adresse de pressantes exhortations et n'épargne pas les reproches sévères, mais toujours en toute humilité et tout respect pour leur dignité de ministres du sang du Christ.

Et Catherine ne pouvait pas oublier qu'elle était la fille d'un Ordre religieux, un des plus glorieux et des plus actifs dans l'Eglise. Elle nourrissait donc une singulière estime pour ce qu'elle appelle « les saintes religions » qu'elle considère comme un lien d'union dans le Corps mystique, constitué par les représentants du Christ (selon une qualification qui lui est propre) et le corps universel de la religion chrétienne, c'est-à-dire les simples fidèles. Elle exige des religieux la fidélité à leur sublime vocation par l'exercice généreux des vertus et l'observation de leurs règles respectives. Dans sa maternelle sollicitude, les laïcs ne sont pas les derniers. Elle leur adresse de nombreuses et vives lettres, les voulant prompts dans la pratique des vertus chrétiennes et des devoirs de leur état, animés d'une ardente charité pour Dieu et pour le prochain puisque eux aussi sont des membres vivants du Corps mystique. Or, dit-elle, « elle (c'est-à-dire l'Eglise) est fondée dans l'amour et elle est même l'amour » (Lettre 103, par G. Gigli).

Et comment ne pas rappeler l'action intense développée par la sainte pour la réforme de l'Eglise ? C'est principalement aux Pasteurs de l'Eglise qu'elle adresse ses exhortations, dégoûtée et saintement indignée de l'indolence de beaucoup d'entre eux, frémissante de leur silence tandis que le troupeau qui leur était confié s'égarait et tombait en ruine. « Hélas, ne plus se taire ! Criez avec cent mille voix, écrit-elle à un haut prélat. Je vois que, parce qu'on se taît, le monde est déréglé, l'Epouse du Christ est pâle, on lui a enlevé sa couleur parce qu'on lui suce le sang c'est-à-dire le sang du Christ » (Lettre 16 au Cardinal d'Ostie, par L. Ferretti, I, 85).

Et qu'est-ce qu'elle entendait par le renouvellement et la réforme de l'Eglise ? Certainement pas le renversement de ses structures essentielles, ni la rébellion contre les Pasteurs, ni la voie libre aux charismes personnels, ni les innovations arbitraires dans le culte et dans la discipline, comme certains le voudraient de nos jours. Au contraire, elle affirme maintes fois que la beauté sera rendue à l'Epouse du Christ et qu'on devra faire la réforme « non par la guerre, mais dans la paix et le calme, par des prières humbles et continuelles, dans les sueurs et les larmes des ser­viteurs de Dieu » (cf. Dialogue, chap. XV, LXXXVI, éd. citée, pp. 44, 197). Il s'agit donc pour la sainte d'une réforme avant tout intérieure puis extérieure, mais toujours dans la communion et l'obéissance filiale envers les représentants légitimes du Christ.

Fut-elle aussi politique notre très pieuse Vierge ? Oui, sans aucun doute, et d'une manière exceptionnelle, mais dans un sens tout spirituel. En effet elle repoussait avec dédain l'épithète de politicienne que lui adressaient certains de ses concitoyens, en écrivant à l'un d'entre eux : « … Et mes concitoyens croient que par moi ou par la compagnie que j'ai avec moi il se fait des traités : ils disent la vérité, mais ils ne la connaissent pas et ils prophétisent, puisque je ne veux faire autre chose et ne veux pas que ceux qui m'accompagnent fassent autre chose que vain­cre le démon, lui enlever la domination de l'homme qu'il a prise par le péché mortel, arracher la haine du cœur humain et le mettre en paix avec le Christ crucifié et avec son prochain » (Lettre 122, éd. citée, II, 253).

Donc la leçon de cette femme politique « sui generis » con­serve encore son sens et sa valeur, bien qu'aujourd'hui on sente davantage le besoin de faire la distinction entre les choses de César et celles de Dieu. L'enseignement politique de la sainte trouve sa plus authentique et sa plus parfaite expression dans ce jugement lapidaire qu'elle a porté : « Aucun Etat ne peut se conserver en état de grâce dans la loi civile et dans la loi divine sans la sainte justice » (Dialogo ; chap. CXIX, éd. citée, p. 291).

Non contente d'avoir développé un enseignement intense et très vaste de vérité et de bonté par la parole et par les écrits, Catherine voulut le sceller par l'offrande finale de sa vie pour le Corps mystique du Christ, qui est l'Eglise, alors qu'elle n'avait que 33 ans. De son lit de mort, entourée de fidèles disciples, dans une petite cellule voisine de l'église de Saint-Marie sopra Minerva à Rome, elle adressa au Seigneur cette émouvante prière, vrai testament de foi et d'amour reconnaissant et très ardent : « O Dieu éternel, reçois le sacrifice de ma vie en (faveur de) ce Corps mystique de la sainte Eglise. Je n'ai rien d'autre à donner que ce que tu m'as donné. Prends donc mon cœur et tiens-le sur la face de cette épouse » (Lettre 371, éd. L. Ferretti, V, pp. 301-302).

C'est donc le message d'une foi très pure, d'un amour ardent, d'une consécration humble et généreuse à l'Eglise catholique en tant que Corps mystique et Epouse du divin Rédempteur : c'est le message typique du nouveau Docteur de l'Eglise, Catherine de Sienne, pour l'illumination et l'exemple de tous ceux qui se glorifient de lui appartenir. Recueillons-le, ce message, avec un esprit reconnaissant et généreux pour qu'il soit la lumière de notre vie terrestre et le gage de l'appartenance future à l'Eglise triomphante du ciel. Ainsi soit-il !

 

 

 

4 octobre

POUR LES PEUPLES COMME POUR LES HOMMES PARLER DE DROITS C'EST AUSSI ENONCER DES DEVOIRS

 

Message à l'O.N.U.

 

Au moment où l'Organisation des Nations-Unies fête ses vingt-cinq ans d'existence, Nous sommes heureux de lui apporter, par votre haute entremise, avec nos vœux confiants, l'assurance de Notre sympathie, comme de Notre adhésion à sa vocation universelle. Aujourd'hui encore Nous tenons à redire ce que Nous avions l'honneur de proclamer le 4 octobre 1965 à la tribune de votre Assemblée : « Cette organisation représente le chemin obligé de la civilisation moderne et de la paix mon­diale » (cf. AAS, t. LVII, 1965, p. 878).

Un tel anniversaire n'est-il pas l'occasion propice d'un bilan et d'une réflexion sur les résultats qui ont pu être atteints au cours de ce premier quart de siècle ? Si les attentes et les espé­rances qu'avait suscitées la naissance de votre institution n'ont pu être toutes comblées, du moins doit-on reconnaître que c'est au sein de l'Organisation des Nations-Unies que s'élabore le plus sûrement la volonté des gouvernements et des peuples à collaborer efficacement à la construction de leur fraternelle unité. Où donc d'ailleurs les uns et les autres pourraient-ils mieux trouver un pont pour les relier, une table pour se réunir, une barre pour y plaider la cause de la justice et de la paix ? Si les foyers de violence couvent toujours, jaillissant ici ou là en de nouveaux brasiers, la conscience de l'humanité ne s'affirme pas moins toujours plus fort sur ce forum privilégié où, par-delà les antagonismes et les particularismes, les hommes retrouvent cette part inaliénable d'eux-mêmes qui les réunit tous : l'humain dans l'homme.

N'est-ce pas pour en assurer toujours mieux le respect que votre assemblée s'est justement préoccupée d'établir dans des textes appropriés, pactes ou déclarations, les conditions de dignité, de liberté, de sécurité qui devraient être garanties « par tous, partout et pour tous » ? (cf. Message à la Conférence de Téhéran, dans AAS, t. LX, 1968, p. 285). Plus que jamais, en cette heure tourmentée de leur histoire, les peuples ressentent vivement l'écart qui sépare ces généreuses résolutions de leur mise en œuvre efficiente. Devant tant de situations inextricables, d'intérêts contradictoires, de préjugés tenaces, devant l'enchaîne­ment tragique des conflits, le découragement guette les meil­leurs qui voient s'écrouler l'espoir d'une pacifique coexistence entre des forces obstinément hostiles. Osons-le dire : la paix sera éphémère tant qu'un nouvel esprit ne poussera pas à une vraie réconciliation les hommes, les groupes sociaux et les peu­ples. Et c'est pourquoi il faut inlassablement s'efforcer de substi­tuer aux relations de force des relations de compréhension profonde, de respect mutuel, de collaboration créatrice.

Proclamée voici plus de vingt ans par votre assemblée, la charte des droits de l'homme en demeure à nos yeux l'un des plus beaux titres de gloire. Demander pour tous, sans acception de race, d'âge, de sexe, de religion, le respect de la dignité humaine et les conditions nécessaires à son exercice, n'est-ce pas traduire haut et clair l'aspiration unanime des cœurs et le témoignage universel des consciences ? Aucune violation de fait ne pourra entamer la reconnaissance de ce droit inaliénable. Mais dans les situations d'oppression prolongée, si contraires aux exigences ainsi proclamées, qui évitera aux humiliés de céder aux tentations de ce qui leur apparaît être la solution de dé­sespoir ?

Malgré d'inévitables échecs et tant d'entraves imposées par sa complexité même à un aussi vaste organisme, ce doit être l'honneur de votre assemblée de prêter sa voix à ceux qui n'ont pas le moyen de se faire entendre, de dénoncer, sans souci des idéologies, toute oppression, d'où qu'elle vienne, et de faire en sorte que les cris de détresse soient entendus, les justes requêtes prises en considération, les faibles protégés contre la violence des forts, et la flamme de l'espérance ainsi entretenue au sein de l'humanité la plus humiliée (cf. Discours à VOIT, dans AAS, t. LXI, 1969, pp. 497 et 499). Inlassablement, c'est au cœur de chaque homme —« car le vrai péril se tient dans l'homme » (cf. Discours à l'ONU, dans AAS, t. LVII, 1965, p. 885) — qu'il faut redire : « Qu'as-tu fait de ton frère ? » (cf. Gn 4, 10), ce frère qui, pour tant de croyants à travers le monde, est marqué de l'empreinte indélébile du Dieu vivant, Père de tous les hommes (cf. Gn 1, 26).

Pour les peuples comme pour les hommes, parler de droits, c'est aussi énoncer des devoirs. Nous vous le disions déjà, voici cinq ans : votre vocation, est de vous reconnaître les uns les autres, de cheminer les uns avec les autres, de vous refuser à ce que les uns dominent les autres, de faire en sorte que jamais plus les uns ne luttent contre les autres, mais que tous travaillent les uns pour les autres. Vaste entreprise, bien digne de réunir toutes les bonnes volontés en une immense et irrésistible conspi­ration pour ce développement intégral de l'homme et ce déve­loppement solidaire de l'humanité, auquel Nous avons osé les convier, au nom d'un « humanisme plénier », dans notre ency­clique Populorum Progressio (cf. n. 42).

A l'aube de la deuxième décennie dû développement, qui saura, mieux que l'ONU et ses agences spécialisées, relever le défi lancé à toute l'humanité ? Il s'agit de faire en sorte que les peuples, tout en conservant leur identité et leur manière de vivre originale, s'accordent du moins sur les moyens à prendre pour assurer leur commun vouloir-vivre, et à quelques-uns d'entre eux, leur survie. Reconnaissons-le : le bien commun des peuples, petits ou grands, exige des Etats le dépassement de leurs seuls intérêts nationalistes, pour que les plus beaux projets ne de­meurent pas lettre morte et que les structures de dialogue les mieux agencées ne se disloquent pas dans des calculs capables de mettre en péril l'humanité.

N'est-ce pas la livrer à un destin obscur et peut-être fatal que de continuer à stériliser en budgets de guerre les possibi­lités de progrès les plus étonnants qu'elle ait jamais connues ? L'heure n'a-t-elle pas sonné d'un sursaut de raison devant l'ave­nir terrifiant que tant d'énergies gaspillées risquent de préparer au monde ? « Ils fondront leurs épées pour en faire des charrues et leurs lances pour en faire des faux » (cf. Is 2, 4). Puisse votre inlassable obstination, mise au service de toutes les initiatives de désarmement réciproque et contrôlé, assurer en notre ère industrielle la réalisation de l'annonce de l'ancien prophète des temps agraires et employer les ressources rendues ainsi dispo­nibles au progrès scientifique, à la mise en œuvre des immenses ressources des terres et des océans, et à la subsistance de tous les membres de la famille humaine en perpétuel accroissement : que jamais le travail des vivants ne soit utilisé contre la vie, mais au contraire tourné à l'alimenter et à la rendre vraiment humaine ! Avec imagination, courage et persévérance, vous per­mettrez ainsi à tous les peuples de prendre pacifiquement la place qui leur revient dans le concert des nations.

Ce dynamisme nouveau à promouvoir requiert, il faut le dire, un changement d'attitude radical, pour « penser d'une ma­nière nouvelle les chemins de l'histoire et les destins du monde » (cf. Discours à l'ONU, dans AAS, t. LVII, 1965, p. 884). Le progrès spirituel ne sort pas, est-il besoin de le souligner, du progrès matériel, auquel seul pourtant il donne son véritable sens, comme l'effet de sa cause. Les réalisations techniques, pour admirables qu'elles soient, ne suscitent par elles-mêmes aucune ascension morale. Alors que la science bondit de succès en succès, son utilisation exige toujours plus de conscience chez l'homme qui la met en œuvre. Travaillé, en ses forces les plus vives et les plus jeunes, par la plus grave des questions qui l'ait jamais se­coué, celle de son salut, le monde moderne oscille entre la peur et l'espoir, et cherche désespérément un sens à donner à sa montée laborieuse, pour la rendre authentiquement humaine.

Aussi est-il d'une importance capitale que votre organisation ait reconnu, parmi les droits fondamentaux de la personne hu­maine, ce que notre vénéré prédécesseur Jean XXIII appelait « le droit d'honorer Dieu suivant la juste règle dé la conscience, et de professer sa religion dans la vie privée et publique » (cf. Pacem in terris, dans AAS, t. LV, 1963, p. 260) : cette liberté religieuse dont l'Eglise a réaffirmé tout le prix au Concile œcu­ménique (cf. Dignitatis Humanae, 2). Mais, hélas, ce droit sacré entre tous se trouve impunément bafoué pour des millions d'hom­mes, victimes innocentes d'intolérables discriminations reli­gieuses. Aussi Nous tournons-Nous avec confiance vers votre noble assemblée, dans l'espoir qu'elle saura promouvoir, en un domaine si fondamental de la vie des hommes, une attitude conforme à la voix irrépressible de la conscience, et proscrire des comportements incompatibles avec la dignité du genre humain.

C'est dire de quelle espérance votre organisation est porteuse, pour réaliser cette communauté d'hommes libres qui demeure l'idéal de l'humanité, et de quelles énergies il lui faut disposer pour remplir un tel programme. Mais, selon la si juste remarque d'un grand penseur contemporain : « Plus cette immense tâche est difficile, plus elle doit tenter les hommes. Les peuples n'en­trent en mouvement que pour les choses difficiles » (cf. J. maritain, Christianisme et Démocratie, Paris, éd. Hartmann 1947, p. 71).

Il existe en effet un bien commun des hommes, et il appar­tient à votre organisation, de par sa vocation à l'universalité qui est sa raison d'être, de le promouvoir inlassablement. Malgré les tensions permanentes et les oppositions sans cesse renais­santes, l'unité de la famille humaine s'affirme toujours plus dans un même refus de l'injustice et de la guerre, et dans le même espoir d'un monde fraternel où personnes et communautés puissent s'épanouir librement selon leurs virtualités matérielles, intellectuelles et spirituelles. Au cœur des pires affrontements jaillit plus forte encore l'aspiration vers un monde où la force — celle des plus puissants tout spécialement — ne domine plus de son poids égoïste et aveugle, mais soit l'expression d'une responsabilité plus grande et plus haute au service d'une libre et féconde coopération entre tous les groupes humains, dans le respect mutuel de leurs valeurs propres.

La vocation des Nations-Unies n'est-elle pas de prémunir les Etats contre les tentations qui les assaillent, de donner consistance à toutes les bonnes volontés, et d'aider les peuples à cheminer vers une société où chacun soit reconnu, respecté, et soutenu dans son effort de croissance spirituelle, vers une plus grande maîtrise de lui-même, dans une authentique liberté ? Oui, le travail de l'homme et les conquêtes du génie humain rejoignent le dessein du Dieu créateur et rédempteur, pourvu que son intel­ligence et son cœur se haussent au niveau de sa science et de sa technique, et sachent extirper les forces de division, voire de dissolution, toujours à l'œuvre dans l'humanité.

Aussi renouvelons-Nous Notre confiance que votre organi­sation saura répondre à l'immense espoir d'une communauté mondiale fraternelle où chacun puisse mener une vie vraiment humaine. Disciples de Celui qui a donné sa vie pour réunir les enfants de Dieu dispersés, les chrétiens pour leur part, portés par l'espérance puisée dans le message du Christ, entendent travailler avec énergie en collaboration avec tous les hommes de cœur, à ce grand œuvre. Puissent les Nations-Unies, à la place hors de pair qui est la leur, s'y employer résolument, et aller de l'avant avec confiance et intrépidité. Sur cet avenir généreux au service désintéressé de tous les hommes et de tous les peuples, Nous appelons de grand cœur les bénédictions du Tout-Puissant.

Du Vatican, le 4 octobre 1970.

paulus PP. VI

 

 

 

25 octobre

L'EGLISE ET LE MONDE D'AUJOURD'HUI ONT SURTOUT BESOIN DE SAINTS

 

La canonisation solennelle des Quarante martyrs de l'Angle­terre et du Pays de Galles que nous venons d'accomplir nous offre l'heureuse occasion de vous parler, bien que briève­ment, du sens de leur existence et de l'importance que leur vie et leur mort ont eus et continuent d'avoir non seulement pour l'Eglise d'Angleterre et du Pays de Galles, mais aussi pour l'Eglise Universelle et pour tout homme de bonne volonté.

Notre temps a besoin de saints et, d'une manière spéciale, de l'exemple de ceux qui ont donné le suprême témoignage de leur amour pour le Christ et pour l'Eglise : « Personne n'a un amour plus grand que celui qui donne sa vie pour ses amis » (Jn 15, 13). Ces paroles du divin Maître, qui se rapportent en premier lieu au sacrifice que Lui-même accomplit sur la croix en s'offrant pour le salut de toute l'humanité valent aussi pour la grande foule choisie des martyrs de tous les temps, depuis les premières persécutions jusqu'à celles de nos jours, peut-être plus cachées mais pas moins cruelles. L'Eglise du Christ est née du sacrifice du Christ sur la croix et elle continue à croître et à se développer en vertu de l'amour héroïque de ses fils les plus authentiques. « Semen est sanguis christianorum » (tertullianus, Apologeticus, 50 ; PL 1, 534). De même que l'effusion du sang du Christ, l'oblation que les martyrs font de leur vie devient, en vertu de leur union avec le sacrifice du Christ, une source de vie et de fécondité spirituelle pour l'Eglise et pour le monde tout entier. « C'est pourquoi, nous rappelle la Constitu­tion Lumen gentium, 42, le martyre dans lequel le disciple est assimilé au Maître acceptant librement la mort pour le salut du monde et dans lequel il devient semblable à Lui dans l'effusion de son sang, est considéré par l'Eglise comme une grâce éminente et la preuve suprême de la charité ».

Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur cet être mysté­rieux qu'est l'homme : sur les ressources de son esprit, capable de pénétrer dans les secrets de l'univers et de soumettre les cho­ses matérielles en les utilisant pour arriver à leurs buts ; sur la grandeur de l'esprit humain qui se manifeste dans les œuvres admirables de la science et de l'art ; sur sa noblesse et sur sa fai­blesse, sur ses triomphes et sur ses misères. Mais ce qui caracté­rise l'homme, ce qu'il y a de plus intime dans son être et dans sa personnalité, c'est la capacité d'aimer, d'aimer jusqu'au fond, de se donner avec cet amour qui est plus fort que la mort et qui se prolonge dans l'éternité.

Le martyre des chrétiens est l'expression et le signe le plus sublime de cet amour, non seulement parce que le martyr reste fidèle à son amour jusqu'à l'effusion de son propre sang, mais aussi parce que ce sacrifice est accompli pour l'amour le plus haut et le plus noble qui puisse exister, à savoir pour l'amour de Celui qui nous a créés et rachetés, qui nous a aimés comme Lui seul sait aimer, et qui attend de nous une réponse de don total et sans conditions, c'est-à-dire un amour digne de notre Dieu.

 

Signe d'amour

 

Dans sa longue et glorieuse histoire, la Grande Bretagne, île des saints, a donné au monde beaucoup d'hommes et de femmes qui ont aimé Dieu de cet amour pur et loyal : c'est pour cela que nous sommes heureux d'avoir pu aujourd'hui compter quarante autres fils de cette noble terre parmi ceux que l'Eglise reconnaît publiquement comme saints, les proposant ainsi à la vénération de ses fidèles, et parce que ces saints représentent par leurs existences un exemple vivant.

A celui, qui, ému et saisi d'admiration, lit les actes de leur martyre, il est clair, nous voudrions dire évident, qu'ils sont les dignes émules des plus grands martyrs des temps passés, en raison de la grande humilité, de l'intrépidité, de la simplicité et de la sérénité avec lesquelles ils ont accepté leur sentence et leur mort et même plus encore avec une joie spirituelle et une charité admirable et radieuse.

C'est justement cette attitude profonde et spirituelle qui groupe et unit ces hommes et ces femmes qui, par ailleurs, étaient très différents entre eux par tout ce qui peut différencier un ensemble nombreux de personnes, à savoir l'âge et le sexe, la culture et l'éducation, l'état de vie et la condition sociale, le ca­ractère et le tempérament, les dispositions naturelles et surnaturelles, les circonstances extérieures de leur existence. Nous avons en effet, parmi les quarante saints martyrs, des prêtres séculiers et réguliers, nous avons des religieuses de divers ordres et de rangs divers, nous avons des laïcs, des hommes de très noble descendance et aussi de condition modeste, nous avons des femmes qui étaient mariées et mères de famille : ce qui les unissait tous, c'est cette attitude intérieure de fidélité inébran­lable à l'appel de Dieu qui leur demanda, comme réponse d'a­mour, le sacrifice même de leur vie.

Et la réponse des martyrs fut unanime : « Je ne peux pas m'empêcher de vous répéter que je meurs pour Dieu et à cause de ma religion — c'est ce que disait saint Philip Evans — et je me sens si heureux que si jamais je pouvais avoir beaucoup d'autres vies, je serais très disposé à les sacrifier toutes pour une cause aussi noble ».

 

Loyauté et fidélité

 

Et, comme par ailleurs de nombreux autres, saint Philip Howard, comte d'Arundel, affirmait aussi : « Je regrette de n'avoir qu'une vie à offrir pour cette noble cause ». Et sainte Margaret Clitherow exprimait synthétiquement, avec une simplicité émou­vante, le sens de sa vie et de sa mort : « Je meurs pour l'amour de mon Seigneur Jésus ». « Quelle petite chose, en comparaison de la mort bien plus cruelle que le Christ a soufferte pour moi », s'écriait saint Alban Roe.

Comme beaucoup de leurs compatriotes qui moururent dans des circonstances analogues, ces quarante hommes et femmes de l'Angleterre et du Pays de Galles voulaient être et le furent à fond, loyaux, envers leur patrie qu'ils aimaient de tout leur cœur. Ils voulaient être et ils furent en fait de fidèles sujets du pouvoir royal que tous, sans aucune exception, reconnurent jusqu'à leur mort comme légitime en tout ce qui appartenait à l'ordre civil et politique. Mais ce fut là justement le drame de l'existence de ces martyrs, à savoir que leur honnête et sincère loyauté envers l'autorité civile se trouva en désaccord avec la fidélité envers Dieu et qu'ainsi, suivant les préceptes de leur conscience éclairée par la foi catholique, ils surent conserver les vérités révélées, spécialement sur la sainte Eucharistie et sur les prérogatives inaliénables du successeur de Pierre qui, par la volonté de Dieu, est le pasteur universel de l'Eglise du Christ. Placés devant le choix de rester fermes dans leur foi et donc de mourir pour elle ou d'avoir la vie sauve en reniant la foi, sans une minute d'hésitation et avec une force vraiment surnaturelle, ils se rangèrent du côté de Dieu et affrontèrent le martyre avec joie. Mais leur esprit était si grand, si nobles étaient leurs senti­ments, si chrétienne était l'inspiration de leur existence que beau­coup d'entre eux moururent en priant pour leur patrie tant aimée, pour le roi et pour la reine et même pour ceux qui avaient été les responsables directs de leur arrestation, de leurs tortures et des circonstances ignominieuses de leur mort atroce.

Les dernières paroles et la dernière prière de saint John Plessington furent précisément celles-ci : « Que Dieu bénisse le roi et sa famille et daigne accorder à Sa Majesté un règne prospère en cette vie et une couronne de gloire en l'autre. Que Dieu accorde la paix à ses sujets en leur donnant de vivre et de mourir dans la vraie foi, dans l'espérance et dans la charité ».

 

Activité et sacrifice

 

Voici comment pria saint Alban Roe peu de temps avant d'être pendu : « Pardonnez-moi, ô mon Dieu, mes innombra­bles offenses comme je pardonne à mes persécuteurs » et, comme lui, saint Thomas Garnet qui, après avoir nommé particulière­ment ceux qui l'avaient livré, arrêté et condamné, supplia Dieu en disant : « Puissent-ils tous obtenir le salut et avec moi attein­dre le ciel ».

En lisant les actes de leur martyre et en méditant la riche matière qui a été recueillie avec tant de soin sur les circonstances historiques de leurs vies et de leur martyre, nous restons frappés surtout par ce qui brille sans équivoque dans leur existence. Cela, par sa nature même, peut traverser les siècles et par con­séquent rester toujours pleinement actuel et, spécialement de nos jours, d'une importance capitale. Nous nous rapportons au fait que ces héros, fils et filles de l'Angleterre et du Pays de Galles, ont pris leur foi vraiment au sérieux : cela veut dire qu'ils l'accep­tèrent comme l'unique règle de leur vie et de toute leur conduite, en retirant une grande sérénité et une profonde joie spirituelle. Avec une fraîcheur et une spontanéité non séparées de ce don précieux de l'humour, typiquement particulier à leur peuple, avec un attachement à leur devoir fuyant toute ostentation et avec la pureté typique de ceux qui vivent avec des convictions profondes et bien enracinées, ces saints martyrs sont un exemple rayonnant du chrétien qui vit vraiment sa consécration baptismale, croît en cette vie qui lui a été donnée par le sacrement de l'ini­tiation et que celui de la confirmation a renforcée de telle manière que la religion n'est pas pour lui un facteur marginal mais bien l'essence même de tout son être et de son action, faisant en sorte que la charité divine devient la force inspiratrice, active et agissante d'une existence toute tendue vers l'union d'amour avec Dieu et avec tous les hommes de bonne volonté, qui trouvera sa plénitude dans l'éternité.

L'Eglise et le monde d'aujourd'hui ont extrêmement besoin de tels hommes et de telles femmes, de toutes conditions et de tous états de vie, prêtres, religieux et laïcs, parce que seules les personnes de cette stature et de cette sainteté seront capables de changer notre monde tourmenté et de lui rendre, en même temps que la paix, cette orientation spirituelle et vraiment chrétienne à laquelle tout homme aspire intimement — même parfois sans s'en rendre compte — et dont nous avons tous tant besoin.

Que notre gratitude monte vers Dieu qui a voulu dans sa prévoyante bonté susciter ces saints martyrs dont l'action et le sacrifice ont contribué à la conservation de la foi catholique en Angleterre et dans le Pays de Galles.

Que le Seigneur continue à susciter dans l'Eglise, des laïcs, des religieux et des prêtres qui soient de dignes émules de ces hérauts de la foi.

Dieu veuille dans son amour que fleurissent et se dévelop­pent même aujourd'hui des centres d'étude, de formation et de prière, aptes à préparer, dans les conditions modernes, de saints prêtres et des saints missionnaires tels que furent en ces temps les vénérables collèges de Rome et de Valladolid et les glorieux séminaires de Saint-Omer et de Douai, des rangs desquels sortirent justement beaucoup des quarante martyrs. Ainsi, comme le disait l'un d'entre eux, saint Edmond Campion, une grande personnalité : « Cette Eglise ne s'affaiblira jamais tant qu'il y aura des prêtres et des pasteurs à veiller sur leur troupeau ». Que le Seigneur veuille nous accorder la grâce qu'en ces temps d'indifférentisme religieux et de matérialisme théorique et pratique qui sévit toujours davantage, l'exemple et l'interces­sion des saints quarante martyrs nous réconfortent dans la foi et raffermissent notre amour authentique pour Dieu, pour son Eglise et pour tous les hommes.

 

 

 

29 octobre

LE SAINT-PERE PRESIDE LA CLOTURE DE LA PREMIERE ASSEMBLEE DU « PRESBYTERIUM » DE ROME

 

Nous avons accueilli avec plaisir l'invitation que nous a adres­sée notre vénéré Cardinal Vicaire d'assister à la conclusion de cette assemblée pastorale. Nous nous en réjouissons avant tout pour l'occasion qui nous est offerte de nous trouver au milieu de vous, Prêtres et Religieux romains, chargés du soin des âmes; de vous rencontrer, de sentir et de montrer que je suis votre Evêque. Qu'est-ce qui pourrait mieux répondre aux désirs et aux sentiments d'un Evêque, que d'être au milieu de ses prêtres, de les savoir près de lui, de leur manifester, même sensiblement, que ne leur fait pas défaut l'intérêt, l'assistance, la communion vécue avec lui ? Et puis, c'est la première fois qu'il nous est donné de rencontrer et de saluer le clergé romain constitué en Presbytérium, conformément aux récentes prescriptions conciliaires (cf. Christus Dominus, 28), et nous jouissons sincèrement de voir cette nouvelle institution s'engager sans retard dans des thèmes d'un haut intérêt commun. Nous pouvons ainsi exprimer en personne et de vive voix notre complaisance pour ce genre d'ini­tiatives, destinées à prouver et à promouvoir une plus grande communion de sentiments et d'action parmi le clergé diocésain, comme nous l'enseigne le Concile. Cette circulation d'études et d'idées, cette accélération de l'activité pastorale, cette confron­tation et cet échange d'expériences, cette commune formulation de nouveaux programmes et l'émulation qu'elle suscite est, croyons-nous, l'un des meilleurs résultats du Concile. Ce n'est pas une ostentation de vaines paroles aux dépens de l'action effective, mais un effort médité et partagé pour dépasser la pra­tique routinière devenue, avec le temps, paresseuse et super­ficielle, et pour infuser à la charité pastorale, c'est-à-dire au mi­nistère, la vivacité nécessaire, pour remonter aux raisons et aux exigences théologiques du ministère même, pour appliquer avec une ponctualité unanime et confiante les nouvelles normes que l'autorité ecclésiastique est en train d'élaborer, et profiter avec un talent tout apostolique de la marge de liberté discrétionnaire laissée par la loi au zèle du pasteur d'âmes pour adapter l'exer­cice du ministère aux nécessités, aux aspirations et aux circonstan­ces locales.

Voici donc notre salut, nos encouragements et notre béné­diction. Mais peut-être nous demanderez-vous : et une parole sur ce thème ne nous la dites-vous pas ?

Nous hésitons à entrer dans le vif du thème spécifique de cette assemblée, thème que l'on nous a dit être la « nouvelle mentalité pour le renouveau de la célébration des sacrements ». Nous hésitons à cause de l'ampleur même du thème, et en raison des développements que vous avez déjà entendus sur ce sujet, lesquels ont été dictés, nous en sommes convaincu, par une science et une compétence auxquelles il nous plaît de rendre honneur, plutôt que d'ajouter d'autres considérations aux leurs.

Si vous voulez que nous exprimions une simple appréciation sur le titre que propose l'objet de cette rencontre, nous dirons qu'il nous plaît. Dans la brièveté de son énonciation il exprime par deux fois le concept de nouveauté. Cette parole est à double tranchant, à cause de son double aspect. L'un, positif, signifie croissance, développement vital, signe caractéristique des va­leurs authentiquement chrétiennes, toujours égales à elles-mêmes et toujours fécondes — comme il advient pour l'arbre, toujours identique, mais croissant, fleurissant et fructifiant à chaque printemps. L'autre aspect est négatif : il répudie ce que la tra­dition nous offre, même en ce qu'elle a d'intangible, se fie au changement en tant que tel, introduit dans le cadre doctrinal et moral de l'Eglise des éléments arbitraires, hétérogènes, qui dé­forment son enseignement authentique et ses lignes constitu­tives. Dans ce thème, au contraire, le concept de nouveauté est positif, légitime et même obligé. Obligé en tant qu'il se réfère à notre mentalité, qui, dit-on, doit être nouvelle. Rappeler à des hommes d'Eglise qu'ils doivent renouveler leur mentalité semble, à première vue, offensant, comme s'ils avaient en quel­que sorte dévié du droit chemin, ou comme s'ils pliaient sous le poids de la sénilité morale. Cette injonction semble même dan­gereuse, comme si elle laissait sous-entendre que le renouveau souhaité autorise à dénoncer comme faussée la formation reçue et à s'abandonner à des pensées et à des expériences capricieuses. Non. Le renouveau de mentalité dont il est parlé ici, secoue l'inerte habitude de s'en tenir à des formules de pensée et de conduite commodes et désuètes, de négliger l'effort de réflexion sur les vérités théologiques, lesquelles, vu la densité et la profondeur de leur contenu, ne devraient jamais laisser en paix la contemplation, la recherche, la célébration de ceux qui en ont fait la lumière de leur vie spirituelle. Ce renouveau appelle de même à la réflexion sur les réalités extérieures, c'est-à-dire les besoins pastoraux et les conditions du monde : réalités, comme nous le savons tous, en voie de continuel et profond changement. Par mentalité nouvelle, nous entendons l'intelligence ouverte et éveillée ; nous entendons l'observance du précepte de vigi­lance souvent réitéré par le Christ ; nous entendons le fait de se garder jeune, dont-parle saint Paul quand il nous exhorte « à ne jamais perdre courage, car si notre homme extérieur dépérit, notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour » (cf. 2 Co 4, 16) ; et qu'il précise, presque textuellement pour notre cas : « renouvelez-vous dans votre esprit et dans vos pensées » (cf. Ep 4, 23).

Or, il nous plairait vraiment que le Clergé romain, après le Concile, dont nous n'avons peut-être pas mesuré toute l'impor­tance en soi et toute la responsabilité pour nous, assumât une mentalité proportionnée à l'heure présente : il ne s'agit pas de s'affranchir à la légère du patrimoine de bonnes pensées et d'usa­ges locaux que nous avons hérités de notre éducation, ni d'accepter les yeux fermés, dans une adhésion servile, les idées et les inno­vations de provenance étrangère et de tendance discutable ; il s'agit de puiser dans notre romanité une spiritualité nouvelle et authentique, où la foi avec ses certitudes et son appel à une mé­ditation continuelle, où la charité avec son urgence et son uni­versalité, infusent dans l'âme sacerdotale, dans l'âme du prêtre, spécialement de celui qui a charge d'âmes, une manière de penser, une mentalité que nous pourrions dire caractéristique, par le fait d'être formée sur la « matrice et sur la racine de l'Eglise ca­tholique », comme dit saint Cyprien (Ep 48, 3). Et cette racine est précisément l'Eglise romaine, sur laquelle repose mystique­ment et historiquement un dessein divin qui, loin d'inspirer orgueil ou vanité, égoïsme banal et intérêt terrestre, doit nous rendre de plus en plus conscients, nous, clergé romain, de notre devoir d'exemple, de service, de zèle et d'amour incomparable envers le Christ Nôtre-Seigneur et envers son Eglise ; Oui, efforçons-nous de donner une spiritualité profonde à notre con­dition de vie, qui nous ente dans le mystère de Rome catholique.

Ainsi persuadés, il nous est facile de réfléchir sur l'autre forme de nouveauté énoncée dans votre thème : celle de la nouvelle pastorale des Sacrements. A cet égard, la nouveauté est imposée principalement par la réforme liturgique. Vous savez ce qu'elle est. Mais au-delà de la simple application rituelle, deux obser­vations la justifient; l'une regarde sa cohérence, l'autre, sa fé­condité pastorale. Qu'une réflexion théologique soit opportune, voire nécessaire, cela est évident tout d'abord pour le concept même de sacrement qui est une action divine accomplie par une action humaine : la première étant cause principale de la grâce, et la seconde, condition et instrument de sa venue (cf. A. ciappi, O.P., De sacramentis in communi, Berruti 1957).

Cette rencontre mystérieuse entre l'action transcendante de Dieu et l'acte ministériel de l'homme est une chose telle, qu'elle mérite une réflexion continuelle, un étonnement renaissant, une constante ferveur de sentiments, ne serait-ce que pour son ca­ractère existentiel. Et sa répétition incessante exige cette attention toujours en éveil, cette découverte toujours nouvelle, si nous voulons que l'action sacramentelle ne déchoie pas en un forma­lisme extérieur et presque superstitieux. En second lieu cette réflexion doctrinale est réclamée par la nature du sacrement, dont nous savons qu'il est un symbole, le signe d'une interven­tion et d'un octroi efficace de la grâce divine. Etre signe veut dire être langage, et veut dire que le sacrement offre jusque dans son élément sensible le thème, choisi par le Christ, de l'inépuisable méditation qui conduit à la rencontre d'une pensée divine selon laquelle le Christ veut nous faire comprendre quelque chose du mystère auquel il veut nous associer. Cela veut dire par conséquent que notre mentalité à l'égard de la vie sacramen­telle doit être continuellement tendue dans l'effort pour pénétrer la signification du symbole sacramentel. Pensez au baptême ; saint Paul nous exhorte à passer de l'expérience extérieure du signe sensible à la compréhension de sa signification, significa­tion qui se réalise dans une communion spécifique de la grâce, c'est-à-dire de mystérieuse Vie divine dans notre humble vie humaine : « L'ignoreriez-vous ? écrit-il aux Romains (6, 3, 4), nous tous qui avons été baptisés dans le Christ, c'est en sa mort que nous avons été baptisés. Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême en cette mort pour que, tout comme le Christ est ressuscité d'entre les morts par la gloire du Père, pareille­ment nous marchions nous aussi dans le renouveau d'une autre vie ».

Et à combien de profondes et merveilleuses vérités surna­turelles nous fait penser le symbole eucharistique du pain et du vin, dont la première est l'unité du Corps mystique (S. th. 73, 3) ? à quelle plénitude d'amour, le mariage, devenu le signe de la charité qui unit le Christ et l'Eglise pour laquelle il s'im­mola (Ep 5, 25) ! Et ainsi de suite.

Ce qui veut dire que la mentalité nouvelle avec laquelle nous devons célébrer les sacrements consiste, outre qu'en un style de célébration extrêmement digne où transparaisse la foi trépidante et heureuse du ministre (en pratique, en est-il toujours ainsi ?), consiste, disions-nous, en une catéchèse appropriée, relative à chaque sacrement. Dans nos habitudes religieuses on peut dire que seule la première communion est entourée de cette solli­citude.

La pastorale renouvelée doit étudier et appliquer des méthodes beaucoup plus soignées aussi pour la célébration des autres sa­crements. La pédagogie sacramentelle doit être plus développée dans la vie pastorale. La cause efficiente de la grâce est toute et principalement de Dieu opérant dans l'acte sacramentel (ex opere operato, comme disent les théologiens) : mais l'efficacité instrumentale et conditionnant cette mystérieuse action divine dépend de l'homme (ex opere operantis), du ministre du sacre­ment et de celui qui le reçoit, comme de la communauté ecclésiale qui participe à la célébration et à l'administration des sa­crements (cf. Presbyterorum ordinis, 13).

Qu'y a-t-il donc à désirer pour que la pastorale des sacrements soit renouvelée ? Il y a à désirer une meilleure préparation catéchétique et spirituelle, une plus parfaite célébration rituelle et communautaire soit de la part des ministres soit de la part des fidèles, et une plus consciente insertion du fait sacramentel dans la vie vécue. Le sacrement tend à des effets permanents et moraux. Toutes choses que vous connaissez bien.

Mais ce sera, pour ce Congrès, un fruit excellent si votre pastorale se perfectionne au sujet du ministère sacramentel. Vous voulez, cette année, porter votre attention sur le sacrement de mariage, comme sur un vaste et nouveau champ de ministère, celui de la famille chrétienne : spécialement avant sa fondation, puis dans son inauguration religieuse, et enfin dans son déve­loppement successif ! La pastorale de la famille se présente aujour­d'hui comme la plus opportune, la plus importante et aussi la plus féconde en résultats bénéfiques et durables. Elle peut, oui, donner au pasteur d'âmes beaucoup de délicat travail, mais aussi lui apporter les satisfactions les meilleures et les plus grands mérites.

Nous le souhaitons de tout cœur.

 

 

 

7 novembre

LE PAPE EVOQUE LES PROBLEMES DU TOURISME ET LEURS IMPLICATIONS PASTORALES

 

Frères bien aimés et chers fils !

 

C'est avec grand plaisir que Nous recevons ce matin les Dé­légués des Conférences épiscopales pour la pastorale du tou­risme. Votre symposium se situe en effet dans le cadre de cette « Commission pontificale pour la pastorale de l’émigration et du tourisme », que Nous avons tenu récemment à créer, près de la Congrégation pour les Evêques (Motu Proprio Apostolicae caritatis, du 19 mars 1970, AAP, vol. LXII, p. 193), comme cor­respondant à un besoin particulier de notre temps. Sans empiéter sur les dispositions concrètes que les Conférences épiscopales nationales mettent en œuvre avec tant de zèle, Nous avons voulu cet organisme de collaboration pour traiter avec celles-ci de toutes les questions pastorales relatives à ceux qui, de nos jours, sont de plus en plus nombreux à se déplacer (cf. ibid., n. 2).

Le caractère vraiment international de votre groupe mani­feste bien l'universalité, l'ampleur et l'urgence des problèmes posés par le mouvement de ces centaines de millions de touristes, qui passent d'une région, d'un pays ou d'un continent à l'autre, pour des raisons de détente, de culture ou d'affaires. Il vous revient d'étudier ensemble toutes les données de ce qui est devenu un véritable événement social, d'en découvrir les réper­cussions qu'il entraîne sur les touristes comme sur les personnes qui les accueillent et d’œuvrer ensemble pour que le zèle inventif des pasteurs saisisse à bon escient ces occasions nouvelles d'an­noncer la parole de Dieu. Bien des mutations sont à prévoir, surtout dans les régions en voie de développement, qui connaissent l'afflux des touristes. Pour les uns comme pour les autres, c'est une épreuve et une chance : le risque d'un abandon des meilleures traditions, de conditions de travail irrégulières, de comparaisons traumatisantes ; mais aussi de nouvelles possibi­lités d'éducation, d'élévation sociale, de dialogue fraternel, de compréhension mutuelle, d'ouverture à d'autres civilisations et cultures. Ayons assez d'imagination créatrice, d'audace aposto­lique et d'espérance pour faire face à ce phénomène de masse, afin que, avec la grâce de Dieu, ces migrations de plus en plus complexes et importantes deviennent la source d'une fraternité nouvelle entre les hommes et d'un témoignage évangélique élargi aux dimensions du monde.

La pastorale doit en effet s'adapter à cette dynamique de la vie moderne. L'Instruction de la Congrégation des Evêques sur la pastorale des migrants (22 août 1969, AAS, vol. LXI, p. 614) avait souligné la responsabilité première des Eglises d'accueil, mais celles-ci ne pourront répondre à des besoins sans cesse croissants et diversifiés qu'en s'assurant des collaborations de plus en plus larges et qualifiées. Il y va de la présence de l'Eglise au sein de ces masses mouvantes. Toutes les commu­nautés chrétiennes doivent donc se sentir concernées. Concrètement, de multiples possibilités pastorales s'ouvrent devant nous : il faut mettre à la disposition des migrants au moins durant les temps forts du tourisme, un clergé préparé à cette tâche ; aménager des lieux de culte facilement abordables ; s'employer à ce que, dans l'accueil comme dans la prédication, le catholique se sente partout chez lui, reçu comme un enfant de Dieu dans une communauté de frères ; promouvoir des centres de rencontre, d'échange, de dialogue et d'activité qui permettent aux loisirs d'être féconds en même temps que reposants ; assurer aux laïcs chrétiens une solide formation personnelle, pour qu'ils soient des témoins et des « messagers itinérants du Christ » (Apostolicam actuositatem, 14), selon l'un des thèmes de votre sympo­sium ; s'appuyer sur la responsabilité des mouvements d'action catholique dont les militants auraient beaucoup à faire dans l'ani­mation spirituelle des centres de tourisme ; accorder un soin particulier à ce qu'on pourrait appeler le tourisme religieux, la visite des sanctuaires qui pourrait et devrait être l'occasion pro­videntielle d'une découverte de l'Eglise à travers le riche patrimoine artistique suscité au cours de son histoire bimillénaire. C'est dire quel champ illimité s'ouvre au zèle des pasteurs : à vous de réfléchir aux initiatives à prendre et à soutenir, à vous de mettre en commun vos expériences et vos suggestions, à vous de sensibiliser vos pays respectifs à ces graves problèmes, et de vous concerter sur les grandes lignes d'une pastorale commune. Sans doute, la mise en œuvre sera longue, les difficultés nom­breuses et vos moyens limités. Mais, comme l'apôtre, « l'amour du Christ nous presse » — (2 Co 5, 14) et nous pousse sur tous les chemins de l'apostolat à proclamer la Bonne Nouvelle de l'Evangile et à ne laisser aucun groupe de brebis sans pasteur (cf. Mt 9, 36). C'est dans ces sentiments que Nous vous assurons de nos paternels encouragements, et vous donnons de grand cœur une particulière Bénédiction Apostolique.

 

 

 

16 novembre

POUR UNE ECONOMIE DE SERVICE ET DE FRATERNITE QUI ELIMINE LE SCANDALE DE LA FAIM ET DE LA MISERE

 

Visite à la conférence de la F.A.O.

 

Monsieur le Président, Monsieur le Directeur général, Messieurs,

 

C'est pour Nous une joie profonde — un honneur aussi — de venir porter à notre tour à cette tribune la dette de gra­titude et le cri d'angoisse et d'espérance de millions d'hommes, en ce vingt-cinquième anniversaire de la FAO. Quel chemin parcouru depuis ce lointain 16 octobre 1945 où les représentants de quarante-quatre Etats étaient invités à signer l'acte consti­tutif de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture. Les historiens relèveront les réalisations remar­quables accomplies par la FAO, son rayonnement progressif, son dynamisme constant, la hardiesse de ses vues, la variété et l'ampleur de son action — car « elle est avant tout une institu­tion faite pour agir » (cf. FAO, son rôle, sa structure, ses activités, Rome, Publ. FAO 1970) — le courage de ses pionniers, l'amour de l'homme enfin et le sens de la fraternité universelle qui sont les moteurs de ses entreprises. Ils souligneront aussi l'extraordi­naire défi qui vous est lancé aujourd'hui : au fur et à mesure que vos efforts progressent et s'organisent, les hommes se mul­tiplient, la misère de beaucoup s'accroît, et, tandis qu'un petit nombre regorge de ressources sans cesse croissantes et diver­sifiées, une portion toujours plus considérable de l'humanité continue d'avoir faim de pain et d'éducation, d'avoir soif de dignité. La première décennie du développement, il serait vain de se le dissimuler, a été marquée par un certain désenchante­ment de l'opinion publique devant des espérances frustrées : faudrait-il donc, comme Sisyphe, se fatiguer de rouler le rocher, et se laisser aller au désespoir ?

2. Un tel mot ne saurait être prononcé dans cette enceinte, en cette réunion d'hommes tournés vers l'avenir pour l'aménager au service des hommes, quels que soient les obstacles, qui se dressent sur le chemin. Notre prédécesseur le Pape Pie XII, au reste, dès sa première rencontre avec la FAO, louait hautement l'ampleur de vues « de votre institution spécialisée pour l'alimentation et l'agriculture, la largeur d'âme qui en caractérise l'économie et l'application, la sagesse enfin et la méthode avisée qui président à sa réalisation » (cf. Allocution du 21 février 1948, Discorsi e Radiomessaggi di S. S. Pio XII, t. IX, Tipografia Poliglotta Vaticana, p. 461). Son successeur le bon Pape Jean XXIII saisirait à son tour chaque occasion de vous exprimer sa sincère estime (cf. en particulier, Encyclique Mater et Magistra, 15 mai 1961, AAS, 53, 1961, p. 439). Quant à Nous, Nous avons d'abord connu l'Institut international d'agriculture dans sa modeste résidence de la villa Borghese, avant de voir la FAO « parcourir tout le chemin qui l'a conduite aux magnifiques développements qu'elle connaît aujourd'hui » (cf. Allocution du ,23 novembre 1963 à la 12e Conférence internationale de la FAO : Insegnamenti di Paolo VI, t. I, Tip. Pol. Vaticana 1963, p. 343 ; cf. Do­cumentation catholique, t. 61, Paris 1964, col. 19). Nous n'avons cessé depuis lors de suivre avec sympathie vos initiatives géné­reuses et désintéressées, en particulier la campagne contre la faim, de rendre hommage à votre activité polyvalente et d'ap­peler les catholiques du monde entier à y collaborer généreuse­ment, en union avec tous les hommes de bonne volonté (cf. en particulier, Encyclique Populorum Progressio, 26 mars 1967, n. 46, AAS, 59, 1967, p. 280). Aujourd'hui, Nous sommes heureux de venir au siège de votre Organisation, sur le territoire même de notre diocèse de Rome, et de rendre ainsi à la FAO les si nombreuses visites faites au Vatican par les participants à vos sessions de travail.

Comment l'Eglise, soucieuse du véritable bien des hommes, pourrait-elle en effet se désintéresser d'une action aussi visible­ment dirigée comme la vôtre vers le soulagement des plus grandes détresses et engagée dans un combat sans merci pour donner à chaque homme de quoi manger pour vivre, ce qui s'appelle vivre une véritable vie d'homme, capable, par son travail, d'as­surer la subsistance des siens, et apte, par son intelligence, à participer au bien commun de la société, par un engagement librement consenti et une activité volontairement assumée ? (cf. par exemple, R. P. L.-J. lebret, O.P., Développement - Révolution solidaire, Paris, Editions Ouvrières 1967). C'est à ce plan supérieur que l'Eglise entend vous apporter son adhé­sion désintéressée pour l'œuvre grandiose et complexe que vous réalisez : stimuler une action internationale pour fournir à cha­cun les aliments dont il a besoin, tant en quantité qu'en qualité, et faire ainsi progressivement reculer, avec la famine, la sous-alimentation et la malnutrition (cf. par exemple, josué de castro, Le livre noir de la faim, Paris, Ed. Ouvrières 1961), éliminer la cause de mainte épidémie, préparer une main-d'œuvre qualifiée et lui procurer les emplois nécessaires, afin que la croissance économique s'accompagne de ce progrès social sans lequel il n'est pas de véritable développement.

 

Utilisation plus rationnelle des ressources physiques de base

 

3. Ces buts que Nous approuvons de tout cœur, par quelles méthodes entendez-vous les atteindre ? L'étude passionnante, Nous pouvons bien le dire, des nombreux dossiers qui Nous ont été remis sur votre activité multiforme, Nous a révélé la prodigieuse et croissante complexité de votre effort organisé à l'échelle du monde entier. Une utilisation plus rationnelle des ressources physiques de base, une exploitation mieux conçue des terres et des eaux, des forêts et des océans, une productivité accrue des cultures, de l'élevage, de la pêche, fournissent certes des denrées en plus grande quantité et de meilleure qualité. Mais tout aussitôt les besoins alimentaires augmentent, sous la double pression d'une montée démographique parfois galopante et d'une consommation dont la courbe suit la progression des revenus. L'amélioration de la fertilité des sols, l'aménagement rationnel de l'irrigation, le remembrement des parcelles de ter­rain, la mise en valeur des marécages, l'effort de sélection végétale, l'introduction de variétés de céréales à haut rendement semblent presque accomplir la prévision de l'ancien prophète des temps agraires : « Le désert refleurira » (cf. Is 35, 1). Mais la mise en œuvre de ces possibilités techniques à un rythme accéléré ne va pas sans retentir dangereusement sur l'équilibre de notre milieu naturel, et la détérioration progressive de ce qu'il est convenu d'appeler l'environnement risque, sous l'effet des retombées de la civilisation industrielle, de conduire à une véritable catastrophe écologique. Déjà nous voyons se vicier l'air que nous respirons, se dégrader l'eau que nous buvons, se polluer les rivières, les lacs, voire les océans, jusqu'à faire craindre une véritable « mort biologique » dans un avenir rap­proché, si des mesures énergiques ne sont sans retard coura­geusement adoptées et sévèrement mises en œuvre. Perspective redoutable qu'il vous appartient d'explorer avec soin, pour éviter l'engloutissement du fruit de millions d'années de sélection naturelle et humaine (cf. Cérès, Revue FAO, vol. 3, n. 3, Rome mai-juin 1970 : Environnement : les raisons de l’alarme). Bref, tout se tient, et il vous faut être attentifs aux conséquences à grande échelle qu'entraîné toute intervention de l'homme dans l'équilibre de la nature mise dans sa richesse harmonieuse à la disposition de l'homme, selon le dessein d'amour du Créateur (cf. par exemple, Ps 64, 10-14).

4. Ces problèmes vous sont certes familiers, Nous n'avons voulu les évoquer brièvement devant vous que pour mieux sou­ligner l'urgence et la nécessité d'un changement presque radical dans le comportement de l'humanité, si elle veut assurer sa survie. Il a fallu des millénaires à l'homme pour apprendre à dominer la nature, « à soumettre la terre » selon le mot inspiré du premier livre de la Bible (cf. Gn 1, 28). L'heure est mainte­nant venue pour lui de dominer sa domination, et cette entre­prise nécessaire ne lui demande pas moins de courage et d'in­trépidité que la conquête de la nature. La prodigieuse maîtrise progressive de la vie végétale, animale, humaine, la découverte des secrets même de la matière aboutiraient-elles à l'antimatière, et à l'explosion de la mort ? En cette heure décisive de son histoire, l'humanité oscille, incertaine, entre la crainte et l'espoir. Qui ne le voit désormais ? Les progrès scientifiques les plus extraordi­naires, les prouesses techniques les plus étonnantes, la croissance économique la plus prodigieuse, si elles ne s'accompagnent d'un authentique progrès social et moral, se retournent en défi­nitive contre l'homme.

 

Jamais plus les uns contre les autres

 

5. Le bonheur est entre nos mains, mais il faut vouloir le construire ensemble, les uns pour les autres, les uns avec les autres, et jamais plus les uns contre les autres. Par delà les réali­sations magnifiques de ces vingt-cinq années d'activités, n'est-ce pas l'acquisition essentielle de votre Organisation : la prise de conscience, par les peuples et leurs gouvernements, de la solida­rité internationale ? N'êtes-vous pas, parfois sans le savoir, les héritiers de la compassion du Christ devant l'humanité en dé­tresse : « J'ai pitié de cette foule » ? (cf. Mt 15, 32). Ne constituez-vous pas, par votre seule existence, un puissant démenti à la pensée désabusée de la sagesse antique : « Homo homini lupus » ? (cf. plaute, Asinaria, II, 4, 88). Non, l'homme n'est pas un loup pour l'homme, il est son frère, son frère compatissant et bienfaisant. Jamais, au long des millénaires de l'émouvante aven­ture humaine, tant de peuples, tant d'hommes n'avaient délégué tant de représentants, avec une seule mission : aider les hommes, tous les hommes, à vivre, à survivre. C'est là pour Nous, au mi­lieu de tant de menaces qui pèsent sur le monde, un des meil­leurs motifs d'espoir. Ceux qui porteront en l'an 2000 la respon­sabilité du destin de la grande famille humaine, naissent dans un monde qui a, tant bien que mal, découvert son interdépen­dance, sa solidarité dans le bien comme dans le mal, son devoir de s'unir, pour ne pas périr, bref « d'œuvrer ensemble pour édifier l'avenir commun de l'humanité » (cf. appel à Bombay, le 3 décembre 1964, AAS 57, 1965, p. 132 ; repris par Populorum Progressio), n. 43, AAS, 59, 1967, pp. 278-279). Puisse un jour prochain votre cercle de famille s'élargir, et les peuples qui manquent encore au rendez-vous s'asseoir eux aussi à votre table, pour que les hommes, enfin, contribuent, tous ensemble, à ce même but désintéressé.

 

Multiplier le pain partagé plutôt que de diminuer le nombre des convives

 

6. Certes la tentation est grande, devant les difficultés à sur­monter, de s'employer avec autorité à diminuer le nombre des convives plutôt qu'à multiplier le pain partagé. Nous n'ignorons rien des opinions qui, dans les organismes internationaux, prô­nent un contrôle des naissances planifié, de nature, croit-on, à apporter une solution radicale aux problèmes des pays en voie de développement.

Nous le répétons aujourd'hui : l'Eglise, pour sa part, en tout domaine de l'agir humain, invite au progrès scientifique et technique, mais en revendiquant toujours le respect des droits inviolables de la personne humaine, dont les pouvoirs publics sont au premier chef les garants. Fermement opposée à un con­trôle des naissances, qui, selon la juste expression de notre vé­néré prédécesseur, le pape Jean XIII, se ferait par « des méthodes et des moyens qui sont indignes de l'homme » (cf. Mater et Magistra, AAS, 53, 1961, p. 447), l'Eglise appelle tous les responsables à œuvrer avec audace et générosité pour un déve­loppement intégral et solidaire, qui, parmi d'autres effets, favori­sera sans nul doute une maîtrise raisonnée de la natalité par des couples devenus capables d'assumer librement leur destin (cf., par exemple, J.-M. albertini, Famine, contrôle des naissances et responsabilités internationales, dans Economie et Humanisme, n. 171, Lyon 1966, p. 1-10 ; P. praverdand, Les Pays nantis et la limitation des naissances dans le Tiers-Monde, dans Déve­loppement et Civilisation, 39-40, Paris 1970, p. 1-40). Quant à vous, c'est l'homme que vous secourez, c'est l'homme que vous soutenez. Comment pourriez-vous jamais agir contre lui, puisque vous n'existez que par lui et pour lui, et ne pouvez réussir qu'avec lui ?

7. C'est en effet l'une des constantes les mieux assurées de votre action : les plus belles réalisations techniques comme les plus grands progrès économiques sont impuissants à provoquer par eux-mêmes le développement d'un peuple. Pour nécessaires qu'ils soient, le plan et l'argent ne suffisent pas. Leur apport indispensable, comme celui des techniques qu'ils mettent en œuvre, demeurerait stérile, s'il n'était fécondé par la confiance des hommes, et leur conviction progressivement établie qu'ils peuvent peu à peu sortir de leur condition misérable par un tra­vail dont la possibilité leur est fournie, avec des moyens à leur portée ; l'évidence immédiate des résultats suscite, avec une légitime satisfaction, l'engagement décisif dans la grande œuvre du développement. En définitive, si l'on ne peut à long terme rien faire sans l'homme, on peut, avec lui, tout entreprendre et tout réussir, tant il est vrai que ce sont d'abord l'esprit et le cœur qui remportent les vraies victoires. Dès lors que les intéressés ont la volonté d'améliorer leur sort, qu'ils ne doutent pas de leur capacité d'y parvenir, ils se donnent à cette grande cause, avec tous les trésors d'intelligence et de courage, toutes les vertus d'abnégation et de sacrifice, tous les efforts de persévérance et d'entraide dont ils sont capables.

 

Galvaniser les énergies des jeunes

 

8. Les jeunes en particulier sont les premiers à se donner avec tout l'enthousiasme et l'ardeur de leur âge à une entreprise qui est à la mesure de leurs forces et de leur générosité. Jeunes des pays riches qui s'ennuient faute d'un idéal digne de susciter leur adhésion et de galvaniser leurs énergies, jeunes des pays pauvres qui désespèrent de ne pouvoir œuvrer d'une manière utile, faute de connaissances adaptées et de la formation pro­fessionnelle requise : nul doute que la conjonction de ces forces juvéniles ne soit de nature à changer l'avenir du monde, si les adultes que nous sommes savent les préparer à ce grand œuvre, leur en montrer l'enjeu, leur fournir les moyens de s'y consacrer avec succès. N'y a-t-il pas là un projet de nature à susciter l'adhé­sion unanime de tous les jeunes, riches et pauvres, à transformer leurs mentalités, à surmonter les antagonismes entre les peuples, à remédier aux divisions stériles, à réaliser enfin l'instauration d'un monde nouveau, fraternel, solidaire dans l'effort, parce qu'uni dans la poursuite d'un même idéal : une terre féconde pour tous les hommes ?

9. Il y faudrait, certes, beaucoup d'argent. Mais le monde comprendra-t-il, enfin, qu'il y va de son avenir ? « Quand tant de peuples ont faim, quand tant de foyers souffrent de la misère, quand tant d'hommes demeurent plongés dans l'ignorance, quand tant d'écoles, d'hôpitaux, d'habitations dignes de ce nom demeurent à construire, tout gaspillage public ou privé, toute dépense d'ostentation nationale ou personnelle, toute course épuisante aux armements devient un scandale intolérable. Nous Nous devons de le dénoncer. Veuillent les responsables Nous entendre avant qu'il ne soit trop tard » (cf. Populorum Progressio, 53, AAS, 59, 1967, p. 283). Comment se défendre en effet d'un sentiment de profonde tristesse devant la tragique absurdité qui pousse les hommes — des nations entières — à consacrer des sommes fabuleuses à des armes de guerre, à entretenir des foyers de discorde et de rivalité, à réaliser des opérations de pur prestige, alors que les sommes d'argent prodigieuses ainsi gaspil­lées auraient, bien employées, suffi à tirer nombre de pays de la misère ? Triste fatalité qui pèse si lourdement sur la race humaine, pauvres et riches pour une fois engagés sur un même chemin ! Nationalisme exacerbé, racisme fauteur de haine, appétit de puissance illimité, soif de domination intempérante : qui con­vaincra les hommes de sortir de pareils errements ? Qui osera le premier rompre le cycle de la course aux armements, toujours plus ruineuse, toujours plus inutile ? Qui aura la sagesse de mettre un terme à des pratiques aussi aberrantes que le frein apporté parfois à certaines productions agricoles, à cause du manque d'organisation des transports et des marches ? L'homme qui a su domestiquer l'atome et vaincre l'espace saura-t-il enfin maîtriser son égoïsme ? L'UNCTAD — Nous voulons l'espé­rer — réussira à faire cesser ce scandale de l'achat, à des prix minimes, de la production des pays pauvres par les pays riches, qui vendent eux-mêmes bien cher leurs produits à ces mêmes pays pauvres. C'est toute une économie, trop souvent marquée par la puissance, le gaspillage et la peur, qu'il faut convertir en une économie de service et de fraternité.

 

Nécessité de solutions au plan international

 

10. Devant les dimensions mondiales du problème, il ne peut y avoir de solution adaptée qu'au plan international. Ce disant, Nous n'entendons nullement bannir les nombreuses et généreuses initiatives privées et publiques — qu'il nous suffise de citer notre inlassable Caritas internationalis — dont l'éclosion spontanée tient en éveil et stimule tant de bonnes volontés dé­sintéressées, bien au contraire. Mais, Nous le disions déjà à New York, avec la même conviction que notre vénéré prédé­cesseur Jean XXIII dans son encyclique Pacem in terris : « Qui ne voit la nécessité d'arriver ainsi progressivement à instaurer une autorité mondiale en mesure d'agir efficacement sur le plan juridique et politique ? » (cf. Allocution à l'Assemblée générale de l'ONU, le 4 octobre 1965, AAS, 57, 1965, p. 880). Vous l'avez du reste compris, en vous engageant dans ce Plan indicatif mondial pour le développement agricole (PIM) dont le projet intègre l'ensemble des perspectives en ce domaine dans une prospective aux dimensions mondiales (cf. Une stratégie de l'abondance, Collection FAO, L'alimentation mondiale, Cahier n. 11, Rome 1970). Nul doute que des accords librement consentis entre Etats n'en favorisent la mise en œuvre. Nul doute aussi que le passage d'économies de profit égoïstement cloison­nées à une économie solidaire des besoins volontairement assu­més ne requière l'adoption d'un droit international de justice et d'équité, au service d'un ordre universel vraiment humain (cf. M. F. perroux, De l’avarice des nations à une économie du genre humain, dans 30e Semaine Sociale de France, Richesse et Misère, Paris, Gabalda 1952, p. 195-212.).

Il faut donc oser, avec audace et persévérance, hardiesse et alacrité. Tant de terres sont encore en friche, tant de possibi­lités inexplorées, tant de bras inoccupés, tant de jeunes désœu­vrés, tant d'énergies gaspillées. Votre tâche, votre responsa­bilité, votre honneur, seront de féconder ces forces latentes, de réveiller leur dynamisme et de l'orienter au service du bien commun. C'est dire l'ampleur de votre rôle et sa grandeur, c'est dire son urgence et sa nécessité. Auprès des hommes d'Etat responsables, des publicistes, des éducateurs, des hommes de science comme des fonctionnaires, auprès de tous, il vous faut inlassablement promouvoir l'étude et l'action, à l'échelle du monde, cependant que tous les croyants y ajoutent la prière à « Celui qui donne la croissance, Dieu » (cf. 1 Co 3, 6-7). Déjà d'importants résultats apparaissent, hier encore inespérés, mais aujourd'hui garants d'un solide espoir : qui, ces derniers jours, n'a salué comme un symbole l'attribution du prix Nobel de la paix à Norman Borlaug, « le père de la révolution verte », comme on l'appelle ? Ah certes, si toutes les bonnes volontés se mobilisaient à travers le monde dans une pacifique conspiration, la tentation tragique de la violence pourrait alors être surmontée !

11. Plus d'un, peut-être, hochera la tête devant pareilles perspectives. Permettez-Nous pourtant de le dire sans ambages, au plan humain, moral et spirituel qui est le nôtre : aucune stra­tégie, d'ordre mercantile ou idéologique, n'apaisera la plainte qui monte, de tous ceux qui souffrent « d'une misère immé­ritée » (cf. Populorum Progressio, 9, AAS, 59, 1967, p. 261), comme des jeunes dont « la protestation retentit comme un signal de souffrance et comme un appel de justice » (cf. Discours pro­noncé à Genève, pour le 50e anniversaire de l'OIT, le 10 juin 1969, AAS, 61, 1969, p. 502). Si la nécessité, si l'intérêt sont pour les hommes des mobiles d'action puissants, souvent déter­minants, la crise actuelle ne saurait être surmontée que par l'amour. Car, si « la justice sociale nous fait respecter le bien commun, la charité sociale nous le fait aimer (cf. R. P. J.-T. delos, O.P., Le bien commun international, dans 24e Semaine Sociale de France, Le désordre de l’économie internationale et la pensée chrétienne, Paris, Gabalda 1932, p. 210). « La charité, c'est-à-dire l'amour fraternel, est le moteur de tout le progrès social » (cf. Cardinal P.-E. léger, dans Le pauvre Lazare est à notre porte, Paris Montréal, SOS-Fides 1967, p. 13). Jamais des préoccupations d'ordre militaire ni des motivations d'ordre économique ne permettront de satisfaire aux graves requêtes des hommes de notre temps. Il y faut l'amour de l'homme : parce qu'il le reconnaît comme son frère, comme le fils d'un même Père, — le chrétien ajoute : comme une image du Christ souffrant, dont la parole ébranle l'homme en ses profondeurs les plus secrètes : « J'ai eu faim et vous m'avez donné à man­ger... » (cf. Mt 25, 35). Cette parole d'amour est la nôtre. Nous vous la livrons humblement comme notre trésor le plus cher, la rampe de la charité dont le feu brûlant dévore les cœurs, dont la flamme ardente éclaire le chemin de la fraternité et guide nos pas sur les sentiers de la justice et de la paix (cf. Ps 85, 11-14).

 

 

 

28 novembre

« NOUS SOMMES LES CONTINUATEURS DES APÔTRES »

 

Discours aux Evêques d'Asie.

 

Vénérables Frères,

 

A vous, Evêques des Philippines, à vous Evêques de l'Asie, à tous, salut dans le Christ notre Seigneur ! Salut à toi, Cardinal Rufino Santos, Archevêque de cette Eglise de Manille qui reçoit cette réunion extraordinaire. Pour chacun de vous, Frères, Nous avons le salut de la foi et de la charité. A vos Eglises, à vos terres, vont nos vœux pleins de respect, d'amitié et de paix.

Nous voici enfin réunis. Nous sommes heureux de cette ren­contre. C'est une nouveauté, mais qui répond à la nature pro­fonde de l'Eglise. Celle-ci a toujours été ainsi : c'est la famille de ceux qui croient au Christ, et qui sont « de toutes les nations qui sont sous le ciel » (Ac 2, 5). La scène de la Pentecôte se présente à notre mémoire, et l'invocation à l'Esprit-Saint monte de notre cœur à nos lèvres : Veni, Sancte Spiritus ! Pour jouir avec vous de cet instant qui Nous semble historique et mysté­rieux, Nous avons accompli le long voyage de Rome à Manille : pour vous rencontrer, Frères très chers, pour mieux vous con­naître, pour rendre honneur à votre assemblée, pour encourager votre travail, pour appuyer vos résolutions. Vous êtes le but de notre présence. Vous êtes le thème de nos paroles et, pour Nous qui sommes venu dans cet immense continent, le premier objet de notre amour.

Plus encore que le caractère nouveau et singulier de cette rencontre, c'est la signification théologique qu'elle manifeste et le mystère qu'elle réalise, qui Nous semble devoir attirer immédiatement notre attention : le Christ est ici. Il est ici par le simple fait, qui toujours se répète, d'une réunion en son nom (Mt 18, 20). Il est ici également du fait de l'intervention de notre humble personne, à laquelle, comme infime successeur de Pierre, revient par antonomase le titre de Vicaire du Christ. Et il est ici, le Christ notre Seigneur, par le ministère apostolique confié à chacun de nous (cf. Lumen Gentium, 21), et par la relation collégiale qui nous unit ensemble (ib., 22) nous, successeurs des Apôtres, nous, Pasteurs de l'Eglise de Dieu, nous sommes investis du pouvoir non seulement de représenter, mais de rendre présentes sur la terre et dans le temps sa voix (Lc 10, 16) et son action salvatrice (Mt 28, 19). Le Christ est ici.

Rendons-nous bien compte, par un acte de foi conscient et fort, de cette mystérieuse réalité. C'est vrai : nous croyons fer­mement que la promesse du Seigneur : « Voici que moi, je vais être avec vous toujours jusqu'à la fin du monde » (Mt 28, 20) se réalise maintenant, historiquement, d'une manière singulière et surprenante. Le Christ est avec nous.

Comment se réalise cette promesse en ce moment ? Elle se réalise dans le visage de l'Eglise, qui est elle-même « signe et sacrement » du Christ (cf. Lumen Gentium, 1 ; R. P. de lubac, Méditation sur l’Eglise, p. 157 sq.), ce visage qui, ici, semble rayonner avec une lumineuse évidence les notes caractéristiques de l'Eglise : une, sainte, catholique et apostolique. Cette dernière note, l'apostolicité, nous concerne actuellement d'une façon particulière. Réfléchissons-y un moment.

Nous tous ici réunis, nous sommes les continuateurs des Apôtres, qui ont reçu du Christ lui-même le mandat, le pouvoir, avec son Esprit, de perpétuer et d'étendre sa mission. Nous sommes les héritiers des Apôtres ; nous sommes le Christ agissant dans l'histoire et dans le monde ; nous sommes les ministres de son gouvernement pastoral de l'Eglise ; nous sommes l'organe institutionnel « dispensateur des mystères de Dieu » (cf. 1 Co 4, 1 ; 2 Co 6, 4 ; Lumen Gentium, 20).

Vous savez que le Concile, a clairement proclamé cette doctrine, qui fait partie de la constitution divine et perpétuelle de l'Eglise ; et vous savez aussi qu'autour de cette doctrine ont surgi de nom­breuses discussions, pas toutes utiles pour la confirmer ou la clarifier comme elles le devraient, parfois même pour la combattre et l'affaiblir. Il Nous semble que cette occasion est bonne pour réaffirmer notre ferme adhésion à la doctrine de l'apostolicité de l'Eglise. Voyez. Cette doctrine établit la permanence et l'authenticité de la fondation de l'Eglise par le Christ ; elle précise les limites de la communion ecclésiale (cf. Lc 10, 16 ; 11, 23 ; Unitatis redintegratio, 2) ; elle qualifie, en leur conférant un caractère sacramentel, nos personnes en fonction du mi­nistère qui nous est confié ; elle nous insère dans un unique Collège apostolique, présidé par Pierre, établissant entre nous clés liens d'unité, de charité, de paix, de solidarité et de colla­boration ; elle insiste sur l'importance et la fidélité de la tradition, et en même temps démontre la vitalité actuelle et la jeunesse toujours renaissante de l'Eglise ; elle explique la raison de son organisation hiérarchique et du caractère vital du Corps mystique ; elle protège l'existence et l'exercice des pouvoirs ministé­riels propres du sacerdoce chrétien, qui participe à l'unique sacerdoce du Christ ; elle est la source première, autorisée et responsable, de l'activité missionnaire (cf. journet, L'Eglise..., II, 1208, n. 2) elle ne constitue pourtant pas l'épiscopat comme une caste privilégiée, car son autorité ne vient pas de la « base » mais du Christ, tout en étant un organe pour le bien, pour le service de toutes les églises particulières, et de l'Eglise catholique tout entière, agissant par amour, jusqu'au sacrifice (cf. Christus Dominus, 6).

Si Nous vous rappelons tout cela, Frères, c'est pour qu'aug­menté votre confiance dans l'assistance du Christ, sur vos per­sonnes, sur vos fatigues, sur vos souffrances, sur vos espoirs. Vous devez avoir conscience de votre vocation, de votre élection, de votre responsabilité. Vous devez toujours entendre résonner au fond de vos âmes les paroles de saint Paul : « Prenez garde à vous-mêmes et à tout le troupeau dont l'Esprit Saint vous a institués surveillants pour paître l'Eglise de Dieu, cette Eglise qu'il s'est acquise de son propre sang » (Ac 20, 28). Soyez forts, soyez patients. Vous avez devant vous un champ immense d'apostolat ; il suffirait de l'immensité géographique et de la multitude démesurée de ses habitants pour exalter votre énergie aposto­lique.

Ici, Nous devrions donner un regard sur ce panorama humain, dans lequel doit se dérouler votre ministère ; mais Nous savons que vous êtes déjà engagés et experts, aussi bien dans l'étude que dans l'action.

Vous avez devant vous un immense champ d'apostolat. Il est difficile de parler, comme d'un tout, de cette Asie où vit plus de la moitié de l'humanité. L'on peut cependant y retenir quelque réseau d'intérêts communs, quelque parité dans la con­ception de la vie, quelque concordance dans les aspirations. Jeune par sa population mais riche de civilisations parfois mil­lénaires, l'Asie est poussée comme par une volonté irrésistible à occuper la place qui lui revient dans le monde et son influence va effectivement croissant. L'attrait pour le changement, le désir de progrès sont présents partout et Nous y voyons une chance nouvelle pour l'homme d'aujourd'hui.

Certes, sauf en certaines régions comme les Philippines, l'Eglise, malgré une histoire déjà longue, n'est représentée en Asie que par de faibles minorités. Et cependant, qui dira la somme de dévouement héroïque, de foi en l'homme asiatique qui a présidé, dès les débuts, aux destinées de la mission dans ce continent ? Qui dira les péripéties souvent douloureuses et tragiques — et jusqu'en nos temps — d'un apostolat mission­naire que seul un appui, venu d'en-haut, pouvait soutenir ! Nous devons à cet effort missionnaire le témoignage de la reconnais­sance et de la louange de toute l'Eglise. Aussi notre espérance est grande, fondée qu'elle est sur l'ordre du Seigneur d'aller à toutes les nations, et sur ses promesses traduites dans les para­boles du grain de sénevé et du levain dans la pâte (Lc 13, 18-2).

Nous Nous limitons à mentionner quelques points de votre présente mission qui Nous paraissent capitaux. Vous n'ignorez rien de ce que Nous vous disons : mais il vous sera agréable de trouver dans notre parole la confirmation de vos pensées et de vos résolutions.

Voici la première chose que Nous vous proposons : ayons soin de prendre pour guide l'enseignement du récent Concile œcuménique. Celui-ci résume et affermit le patrimoine de la tradition catholique, et il ouvre la voie à un renouveau de l'Eglise selon les nécessités et les possibilités des temps modernes. Cette adhésion à la doctrine du Concile peut stabiliser une magnifique harmonie dans toute l'Eglise. Et cette harmonie décuple l'effi­cience de notre action pastorale et nous protège des erreurs et des faiblesses de ce temps. En un domaine, tout spécialement : celui de la foi. Il Nous semble que c'est à la défense et à la diffu­sion de la foi que doivent aller notre première préoccupation spirituelle, notre premier souci pastoral. Nous évêques, nous sommes les prédicateurs, nous sommes les promoteurs de l'en­seignement de la foi. Ceci est pour nous un devoir primordial. Tout ce que nous faisons pour promouvoir l'étude de la foi, la catéchèse, la connaissance et la méditation de la parole de Dieu, la culture et l'école catholiques, notre presse, l'usage des moyens de communication sociale, le dialogue œcuménique, tout cela relève de ce devoir. Nous ne pouvons pas nous taire. Nous ne devons pas fourvoyer la vérité et l'unité de la foi. Nous devons faire de la foi le principe original et agissant de la vie chrétienne de nos communautés.

Permettez-Nous d'ajouter à cette recommandation pour l'affir­mation et l'orthodoxie de la foi, celle de la prière, Nous assistons à la décadence de la prière en notre temps, et vous en connaissez les causes. Mais nous avons en faveur de la prière deux grandes ressources (encore que bien différentes l'une de l'autre) : l'une est la réforme liturgique, promue par le récent Concile, qui n'a pas seulement renouvelé les expressions rituelles — et toujours selon certaines normes traditionnelles —, mais a ravivé les sour­ces doctrinales, sacramentelles, communautaires et pastorales de la prière eucharistique. Nous devons profiter de cet enseignement traditionnel, si nous voulons que la prière soit toujours l'expression vive et sincère des fidèles et maintienne dans l'Eglise le primat des valeurs religieuses. L'autre ressource pour la prière, c'est la prédisposition naturelle de l'esprit asiatique. Nous de­vons honorer et cultiver ce sens religieux originel et profond, qui caractérise l'âme du monde oriental. Nous devons défendre la spiritualité propre de ces peuples et empêcher que leur contact, avec la civilisation moderne profane et matérialiste n'en étouffe la respiration intérieure. Nous sommes sûr que l'Eglise possède le secret de la vraie rencontre avec Dieu. Vous devez donc ouvrir l'âme de vos fidèles à l'écoute de la parole mystérieuse et authen­tique de Dieu et à l'expression intense et filiale du dialogue re­ligieux, auquel le Christ nous a autorisés, et que l'Esprit nous rend aptes à établir avec le Père céleste.

A ce sujet se pose un autre problème fondamental, qui regarde non seulement la langue de l'oraison et de l'enseignement religieux, mais le génie et le style de l’évangélisation, qui, comme le dit le Concile, doit « s'adapter au mode particulier de penser et d'agir » des peuples auxquels elle s'adresse (cf. Ad Gentes, 16-18, etc.).

Si, dans le passé, une connaissance insuffisante des richesses cachées des diverses civilisations a pu gêner la diffusion du mes­sage évangélique et donner de l'Eglise un certain visage étran­ger, il vous appartient de manifester que le salut apporté par Jésus-Christ est offert à tous, sans distinction de condition, sans lien privilégié avec une race, un continent ou une civilisation et que, loin de vouloir étouffer « les germes de bien dans le cœur et la pensée des hommes ou dans leurs rites! propres et leur cul­ture », l'Evangile a pour effet de les guérir, de les élever, de les achever pour la gloire de Dieu ! (cf. Lumen Gentium, 17 ; Ad Gentes, 22). A l'exemple de Jésus-Christ qui a partagé la con­dition des siens, l'homme d'Asie peut être catholique et demeurer pleinement asiatique. Comme Nous l'avons déclaré il y a un an en Afrique, si l'Eglise doit avant tout être catholique, un pluralisme d'expressions dans l'unité de la substance est légitime, et même souhaitable dans la manière de professer une commune foi en un même Jésus-Christ.

Et ceci fonde également, Frères, votre responsabilité parti­culière dans la poursuite de l'annonce de Jésus-Christ aux hom­mes de l'Asie. Nul mieux qu'un asiatique ne peut parler à un asiatique. Nul mieux que lui ne devrait savoir puiser dans les trésors de vos cultures si riches les éléments de l'édification en Asie d'une Eglise une et catholique, fondée sur les apôtres et pourtant diverse en ses styles de vie. Ne devons-Nous pas noter à la louange de vos peuples et pour le réconfort de votre action pastorale la disposition naturelle des Orientaux pour le mystère religieux et qui semble un signe prophétique de leur appel à la révélation chrétienne ?

Il manquerait certainement un aspect essentiel de la matu­rité de vos églises particulières si ne s'y développaient des voca­tions missionnaires. C'est aux évêques d'Asie, à leurs prêtres, à leurs religieux et religieuses, à leurs laïcs engagés dans l'aposto­lat, d'être les premiers apôtres de leurs frères d'Asie, aidés par les missionnaires étrangers, dont les mérites sont si grands et dont Dieu fasse que l'effort se poursuive et croisse, au nom de l'inaltérable solidarité qui s'impose à toute l'Eglise en ce do­maine !

L'un des aspects de l'adaptation actuelle de l'activité mis­sionnaire, que Nous avons souligné dans notre dernier Message pour la journée Missionnaire, est l'importance qu'elle accorde à l'action de développement. L'Evangile, qui est la Bonne Nou­velle annoncée aux pauvres (Lc 4, 18), n'est-il pas source de déve­loppement ? Consciente des aspirations humaines à la dignité et au bien-être, souffrant des inégalités injustes qui subsistent et souvent s'accentuent entre les nations et à l'intérieur des na­tions, l'Eglise, tout en respectant la compétence des Etats, doit offrir son aide pour promouvoir un « humanisme plénier », c'est-à-dire « le développement intégral de tout l'homme et de tous les hommes » (Populorum Progressio, 42). C'est une conséquence logique de notre foi chrétienne. La hiérarchie des Philippines le rappelait tout récemment : « Le christianisme et la démocratie ont en commun un principe de base : le respect pour la dignité et pour la valeur de la personne humaine, le respect des moyens requis afin que l'homme puisse de lui-même parvenir à la plé­nitude de son humanité » (9 juillet 1970). C'est au nom de ce principe que l'Eglise doit favoriser de son mieux la lutte contre l'ignorance, la faim, la maladie et l'insécurité sociale. Se plaçant à l'avant-garde de l'action sociale, elle doit tendre tous ses efforts pour appuyer, encourager, pousser les initiatives qui travaillent à la promotion intégrale de l'homme. Témoin de la conscience humaine et de l'amour divin pour les hommes, elle doit prendre la défense du faible et du pauvre contre les injustices sociales.

Nous savons que beaucoup a été fait par vous en ce sens, tant sur le plan des études que sur celui de l'action. Nous sommes convaincu que vous contribuez par là au maintien de la paix : « La foi chrétienne, aussi bien que le rapport intime qui existe entre la promotion des droits de l'Homme et son progrès socio-éco­nomique, constitue la base véritable d'une paix authentique et durable » déclarait encore l'épiscopat philippin (mai 1968).

Comment à ce nom de paix ne pas élever à nouveau notre âme pour implorer du Seigneur que les populations si douloureu­sement et si longuement touchées par la guerre puissent enfin, dans la justice et la dignité mener une vie heureuse et paisible !

Nous prions enfin le Christ de faire que ce voyage soit la confirmation à tous les peuples de l'Asie de l'invitation qu'il leur adresse de recevoir son Message, chargé de vérité et d'amour, divinement conçu pour eux, pour chacun d'eux, dans sa langue et en harmonie avec sa civilisation, comme l'a reçue et continue à l'accueillir le peuple philippin.

Que Marie, la mère du Verbe fait chair, la mère des apôtres, préside encore à cette Pentecôte !

 

 

 

28 novembre

AUX REPRESENTANTS DU VIETNAM

 

Vénérables Frères,

Chers Fils et amis du Vietnam,

 

Bien souvent, au Vatican, Nous avons accueilli des groupes de vos compatriotes. Et voici qu'aujourd'hui il Nous est donné de venir en personne dans l'Extrême-Orient et d'y ren­contrer des représentants nombreux et qualifiés du Vietnam. Nous vous accueillons avec joie et désirons avant tout vous manifester notre paternelle affection pour vous et pour votre chère Patrie, que Nous aimerions considérer comme tout entière présente devant Nous en ce moment.

Celle-ci, depuis tant d'années ne connaît plus les bienfaits de la paix ! Soyez sûrs que Nous partageons les peines, et aussi les espoirs et les aspirations des Vietnamiens. Ils désirent, comme tout le monde, vivre en paix, dans la concorde et la tranquillité : c'est la condition d'un développement social et économique normal, auquel ont droit tous les peuples du monde. Et il faut malheureusement constater que, depuis trop longtemps, ils sont privés de ces bienfaits. Laissez-Nous vous dire d'abord que Nous admirons la patience, la constance, la force d'âme des populations vietnamiennes : sans se laisser abattre, d'un côté, par les opérations belliqueuses — qui, malheureusement, se poursuivent ces derniers jours encore — ni décourager, de l'autre, par les actes de terrorisme qu'entraîné cette guerre interminable, elles reconstruisent, elles pansent les plaies, elles préparent des lendemains meilleurs pour leurs fils et leurs filles.

Qu'elles continuent à garder les yeux fixés sur l'avenir heu­reux qu'il faut assurer au Vietnam, sur le bien commun de leur Pays, aujourd'hui dans l'épreuve, mais qui, demain, grâce à l'union de toutes les forces, de toutes les énergies pourra con­naître, Nous en sommes sûr, des jours meilleurs.

Qu'elles aient par-dessus tout ce souci du bien commun. Ceux qui servent utilement leur Patrie, ce sont ceux qui lui appor­tent leur contribution de probité morale, de sens des responsa­bilités, de solide préparation culturelle et professionnelle. Et en ce moment surtout, la contribution peut-être la plus néces­saire, c'est celle qui s'exerce au plan social, à tout ce qui peut et doit être fait en faveur des plus malheureux. Ceux qui laissent courageusement de côté tout individualisme qui pourrait nuire en ce domaine au bien de la communauté, ceux-là travaillent efficacement à l'avènement de la paix tant désiré.

Mais, direz-vous, que fait le Pape pour nous aider à attein­dre cette paix à laquelle tous aspirent ? Nous faisons, chers fils et amis, tout ce qui est en notre pouvoir. En particulier, Nous ne cessons d'exhorter à poursuivre la négociation honnête et loyale, qui Nous paraît non seulement le chemin le plus sûr, mais encore le seul digne de l'homme pour conduire à une paix juste et du­rable.

Cette rencontre d'aujourd'hui Nous fournit l'occasion de re­nouveler notre pressant appel à tous les responsables : qu'ils aient à cœur d'éviter tout acte qui puisse nuire à un climat d'en­tente si nécessaire pour le succès des pourparlers en cours. Que le spectacle de tant de douleurs et de larmes d'innocentes victi­mes leur soit un constant stimulant à surmonter les difficultés, à vaincre les obstacles et à travailler à l'avènement de la paix.

En travaillant à la paix du Vietnam, ils travaillent par le fait même à la paix du monde et au bien-être de toute l'humanité, pour laquelle il n'y a de salut que dans la paix et la fraternité.

Que Dieu bénisse ces efforts, chers fils et amis, qu'il bénisse vos personnes et vos familles, Nous le Lui demandons de tout cœur, tandis que Nous vous donnons Nous-même à tous notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

28 novembre

VISITE AUX ETUDIANTS DE MANILLE

 

Chers amis,

 

Nous saluons en vous le monde universitaire des Philippines ! Nous disons d'abord notre grande estime pour l'Université Pontificale Saint-Thomas qui Nous accueille, l'une des plus prestigieuses par la richesse de son histoire, l'une des plus impor­tantes pour le nombre de ses étudiants, l'une des plus réputées par son souci d'un enseignement de valeur !

A Vous, Messieurs les Professeurs, Nous disons notre salut avec l'hommage qui est dû aux hommes de science et aux édu­cateurs. N'êtes-vous pas engagés dans cette recherche de la vérité, si chère au cœur des hommes ? Nous reconnaissons qu'il faut aujourd'hui beaucoup de sagesse pour distinguer les diffé­rentes voies par lesquelles on poursuit la recherche de la vérité totale ; la voie — pour tout dire en un mot — de la raison humaine, la voie de la science, qui jouit de la liberté et de l'autonomie propres à la pensée naturelle, et la voie de la foi, don d'une lu­mière de l'Esprit, et réponse de notre âme à la Parole de Dieu révélateur. La distinction et la synthèse exigent une opération délicate, mais possible, magnifique et vitale ; et ensuite il faudra un certain courage pour affirmer et défendre toute la vérité. Que le Christ soit votre modèle, lui qui a donné sa vie en té­moignage de la vérité (cf. Jn 18, 37). Tout progrès vers la vérité tourne d'ailleurs à la gloire de Dieu ; ne mène-t-il pas à la ren­contre du Maître par excellence, dont la parole est libératrice de l'erreur et du mensonge ? (cf. Mt 23, 8 ; Jn 8, 32). Vous ré­pondez à l'attente de vos frères en poursuivant votre tâche.

Quelle magnifique responsabilité que la vôtre et quelle contribution valeureuse à la marche de l'humanité dans sa décou­verte de celui qui s'est défini « le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14, 6), à travers sa quête laborieuse d'une cité terrestre où régneraient la justice et la liberté !

Chers étudiants, Nous vous saluons avec la plus profonde sympathie et avec toute notre paternelle affection. Aujourd'hui, c'est votre heure ! Vous êtes l'aile marchante de votre pays ; votre res­ponsabilité d'intellectuels est capitale pour l'avenir de votre nation !

Nous comprenons votre aspiration à vous engager plus acti­vement dans la vie de votre peuple et Nous savons que votre dynamisme, au service de votre sensibilité particulière, a contribué à une plus profonde prise de conscience des adultes vis-à-vis des problèmes à résoudre.

La jeunesse des Philippines, comme celle de toute l'Asie, est en mouvement. Permettez-Nous à ce propos quelques questions : Savez-vous dans quelle direction aller ? Avez-vous la claire cons­cience des buts de votre marche ? Vous attachez-vous à la re­cherche des vraies valeurs ? Votre Volonté de servir vos frères se traduit-elle par des choix pratiques qui vous préparent à pro­mouvoir efficacement le progrès du grand nombre ? Etes-vous convaincu que l'on ne peut être vraiment libre que dans la me­sure où l'on est responsable ?

Votre âge est celui de la critique — et elle peut être bénéfique à la société toujours perfectible, — il est aussi celui du généreux don de soi — et le peuple philippin l'attend de vous : c'est l'al­liance équilibrée de ces deux attitudes qui est requise de vous. Votre nombre considérable dans les universités plaide en faveur de votre intelligence et de votre soif de culture, il vous crée aussi, par là même, des obligations dont le poids se rencontre rarement dans l'Histoire.

L'Eglise veut vous aider à répondre à ces questions vitales, pour vous comme pour vos frères. Elle a reçu mission de diffuser au monde l'Evangile du salut. Ce Message, qui nous vient de Dieu, est la réponse ultime aux aspirations de l'homme vers son épanouissement total. Mais qui croira à cet Evangile, s'il n'est porté par des témoins convaincus ? Qui s'ouvrira à sa force libé­ratrice, si ses hérauts ne sont pas eux-mêmes libérés de l'égoïsme, du mensonge ; de l'esprit de division, du péché sous toutes ses formes ?

Amis étudiants, cet Evangile est vôtre : voulez-vous en être les porteurs avec vos chefs religieux, avec vos éducateurs, avec tous les chrétiens engagés, afin de bâtir sur cette terre, qui en est si avide et si digne, une société fraternelle ?

Voilà notre message : Dieu est lumière (1 Jn 1, 5), Jésus-Christ est « la lumière du monde », qui le suit ne marche pas dans les ténèbres (cf. Jn 8, 12).

Que Dieu vous bénisse, qu'il illumine vos esprits pour la découverte de la vérité ; qu'il réchauffe vos cœurs pour l'exer­cice de la charité !

 

 

 

28 novembre

LA CEREMONIE D'ORDINATION A MANILLE

 

Fils et Frères très chers,

Nouveaux prêtres de l'Eglise de Dieu,

 

Nous ne vous dirons qu'un mot très bref car la cérémonie est déjà longue et elle parle d'elle-même ; d'ailleurs vous êtes fort bien renseignés sur le sacrement que vous avez reçu.

Nous Nous limiterons à vous recommander de méditer tout au long de votre vie le fait de votre ordination. Aujourd'hui commence pour vous un thème de pensée, de prière, d'action que vous devrez toujours vous rappeler, examiner, explorer, chercher à comprendre. Ce thème devra s'imprimer dans votre conscience, comme déjà il est imprimé par le caractère sacramentel, dans votre âme, dans votre être humain, dans votre être chrétien. Pensez-y : aujourd'hui vous êtes devenus prêtres ! Essayez de donner une définition de vous-mêmes, et les mots deviendront pénibles et difficiles ; et la réalité qu'ils voudraient exprimer apparaîtra encore plus difficile, mystérieuse et ineffable. Ce qui est intervenu en vous donne véritablement le vertige ! Quid retribuant Domino pro omnibus quae retribuit mihi (Ps 115, 12) ? peut dire chacun en se sentant envahi par l'action transfor­mante de l'Esprit-Saint. Vous devenez pour vous-mêmes objet d'émerveillement et de vénération. Ne l'oubliez jamais. Ce ca­ractère sacré que le monde ne connaît pas et dont beaucoup cherchent à dépouiller la personnalité du prêtre, vous devrez le garder présent à l'esprit et dans votre conduite, parce qu'il dérive d'une nouvelle présence qualifiante de l'Esprit-Saint dans vos âmes ; et si vous vous montrez vigilants dans l'amour, vous en aurez aussi une expérience intérieure (cf. Jn 14, 17; 14, 22-23). Ne mettez jamais en doute votre identité sacerdotale ; cherchez plutôt à la comprendre.

Vous pourrez comprendre quelque chose de votre sacerdoce en cherchant à saisir deux sortes de relations qu'il établit. La première concerne les relations que vous avez acquises avec le Christ par votre ordination sacerdotale. Vous savez que dans l'économie religieuse du Nouveau Testament il n'existe qu'un seul vrai sacerdoce, celui de Jésus-Christ, unique médiateur entre Dieu et les hommes (1 Tm 2, 5) ; mais, en vertu du sacre­ment de l'Ordre, vous êtes devenus participants du sacerdoce du Christ, de sorte que non seulement vous représentez le Christ, non seulement vous exercez son ministère, mais vous vivez le Christ. Le Christ vit en vous ; et vous, ainsi associés à lui à un degré aussi haut et aussi plein de participation à sa mission de salut, vous pouvez dire ce que disait Saint Paul de lui-même : « Je vis, mais non pas moi, c'est le Christ qui vit en moi ! » (Ga 2, 20). Une telle réalité ouvre au prêtre la voie ascendante de sa spiritualité la plus haute qui soit ouverte à l'homme, et qui arrive aux sommets de la vie ascétique et de la vie mystique. Si par hasard un jour vous vous sentiez seuls, si un jour vous vous sen­tiez des-hommes fragiles et profanes, si vous étiez tentés d'aban­donner l'engagement sacré dei votre sacerdoce, rappelez-vous que vous êtes « par lui, avec lui et en lui », vous êtes chacun « un autre Christ ».

La deuxième sorte de relations qui à partir de maintenant vous relie à l'Eglise concerne celles qui s'établissent avec votre Evêque (ou avec votre Supérieur), avec le Peuple de Dieu, avec les âmes, et aussi avec le monde. Le prêtre n'existe plus pour lui-même mais pour le ministère dans le corps mystique du Christ. Il est un serviteur, un instrument de la Parole et de la grâce. L'annonce de l'Evangile, la célébration de l'Eucharistie, la rémission des péchés, l'exercice de l'activité pastorale, la vie de foi et de culte, le rayonnement de la charité et de la sainteté, constituent son devoir; dès aujourd'hui, c'est un devoir qui aboutit au sacrifice de soi, comme Jésus, sur la croix. C'est un fardeau pesant. Mais Jésus le porte avec celui qu'il a élu, et il lui fait comprendre la vérité de ses paroles : « mon joug est doux et mon fardeau léger » (Mt 11, 30). C'est qu'en effet, comme l'enseigne Saint-Augustin, « pondus meum, amor meus » (Conf. XIII, 2, 9). L'amour du Christ, devenu principe unique et su­prême de la vie sacerdotale, rend tout facile, tout possible, tout heureux.

Nous voudrions que la conscience de cette destination pasto­rale au service du prochain ne s'éteigne jamais en vous, et vous rende toujours sensibles aux maux, aux besoins, aux souffrances qui entourent la vie d'un prêtre ; chaque catégorie de personnes semble tendre les bras vers lui et invoquer sa compréhension, sa compassion, son assistance : les enfants, les jeunes, les pauvres, les malades, les affamés de pain et de justice, les malheureux, même les pécheurs..., tous ont besoin de l'aide du prêtre. Ne dites jamais que votre vie est aliénée et inutile. « Qui est faible, dit S. Paul, que je ne sois faible avec lui ? » (2 Co 11, 29). Et si vous avez cette sensibilité aux déficiences physiques, morales, sociales des hommes, vous éprouverez en vous-mêmes une autre sensibilité, et celle-là à l'égard du bien potentiel qui toujours se trouve dans l'être humain : pour un prêtre, toute vie est digne d'amour. Cette double sensibilité, au bien comme au mal humain, est le battement du Cœur du Christ dans celui du prêtre fidèle ; et ce n'est pas pour rien que l'on peut parler de miracle, psycho­logique, moral, et mystique si vous voulez, et en même temps très social : un miracle de la charité dans le cœur sacerdotal.

Vous en ferez l'expérience. C'est le vœu que nous faisons pour vous en ce jour de votre ordination sacerdotale, et Nous l'accompagnons de notre Bénédiction Apostolique.

 

Et à vous, très chers enfants qui faites aujourd'hui votre pre­mière communion, que vous dirons-Nous ?

La parole la plus belle serait celle-ci : restez toujours, pour toute la vie, comme vous êtes aujourd'hui : bons, religieux, inno­cents et amis de ce Jésus qui maintenant vient dans votre cœur. Vous savez sans doute que Jésus a eu une grande prédilection pour les petits enfants, et qu'il a dit à tout le monde : « Si vous ne devenez comme des enfants, vous ne pourrez entrer dans le royaume des cieux », c'est-à-dire vous ne pourrez être de vrais chrétiens et aller au paradis. Il faut toujours être comme des enfants. Mais comment cela peut-il se faire, alors que l'on de­vient grand et que la vie change ?

Qu'une chose, du moins, ne change jamais pour vous, chers fils : gardez toujours le souvenir de ce jour, et promettez à Jésus que vous serez toujours ses amis, avec humilité, avec simplicité, avec confiance. Ses amis, même lorsque vous aurez grandi ; tou­jours amis de Jésus. La faites-vous cette promesse ? Vous verrez qu'elle sera acceptée de Jésus qui, lui, restera votre Ami pour toujours.

Nous le prierons ensemble pour qu'il en soit ainsi.

Avec notre affectueuse Bénédiction.

 

 

 

28 novembre

SALUT A LA CATHEDRALE

 

Paul VI à Djakarta.

 

Chers fils et chères filles,

 

Nous n'aurions pas satisfait à notre désir de rencontrer les grands peuples de l'Asie si Nous n'avions inscrit cette étape à Djakarta, capitale de l'Indonésie. Nous avons été heureux de saluer à notre arrivée à l'aéroport le peuple indonésien. Nous voulons Nous adresser plus spécialement à vous, chers fils et chères filles, dans cette cathédrale qui est votre temple de prières. C'est dans cette montée commune de nos âmes pour une action de grâces à Dieu que nous sommes rassemblés, animés par une même foi, une même volonté de porter aux hommes la Bonne Nouvelle du salut.

Nous sommes venu de loin. Vous savez que notre souci est celui de toutes les églises et que, de Rome, notre pensée, soutenue par la prière, ne cesse d'aller avec affection vers chacun de nos frères dans la foi. Aujourd'hui, la joie Nous est donnée de nous adresser à vous, nos frères dans l'Episcopat, et aussi à vous, prêtres, religieux et religieuses, qui représentez d'une manière privilégiée cette mission de l'évangélisation confiée à tout disciple du Christ (cf. Lumen Gentium 17). Nous connaissons votre amour de Jésus-Christ et de son Eglise ; Nous apprécions votre zèle pour l'Evangile ; Nous vous disons notre espoir de voir la vérité du salut s'étendre encore plus dans cette Asie, à laquelle elle est également destinée, car l'Evangile doit être prêché à toute créa­ture (cf. Mc 16, 16). Que le Seigneur soutienne votre courage, qu'il accroisse sans cesse votre charité !

Vous, les prêtres, appréciez la grandeur de votre sacerdoce, qui vous configure au Christ, prêtre suprême et éternel (cf. He 5, 1-10). Comme lui, passez en faisant le bien, pressés par son amour (2 Co 5, 14), annonçant la Parole, sanctifiant vos fidè­les et présentant à Dieu les besoins et les prières de tous (cf. He 5, 1-10).

Vous, religieux et religieuses, vivez dans la foi et dans la joie votre donation de vous-mêmes pour le bien de toute l'Eglise. Que Dieu vous fortifie pour travailler, chacun selon ses forces et selon la forme de sa propre vocation, pour enraciner et ren­forcer le règne du Christ dans les âmes et le répandre à tous (cf. Lumen Gentium 44).

Nous saluons avec une paternelle affection le peuple chrétien. Vous êtes, à la face du monde, le vivant témoignage de l'uni­versalité du message évangélique : l'Eglise, qui a la mission de le diffuser, n'est liée ni à une race ni à une culture : chaque peuple y trouve les principes de son élévation, car l'Eglise, dans l'accom­plissement de sa mission, concourt et stimule l'œuvre civilisa­trice (Gaudium et Spes, 58, 3 et 4).

Que Dieu vous comble de sa grâce ! De tout cœur, Nous vous accordons notre paternelle bénédiction apostolique.

Semoga tuhan selalu melindungi saudara. Saudara sekalian ! (Dieu vous protège tous et toujours !).

 

 

 

29 novembre

MESSAGE MISSIONNAIRE

 

Paul VI à Pago Pago.

 

Chers fils et chères filles,

 

Me voici au milieu de vous. Je viens de loin, de Rome où sont les tombes des grands apôtres Pierre et Paul et de tant d'autres saints et martyrs, et je vous apporte leur bénédiction.

Ce n'est ni le goût des voyages ni un intérêt quelconque qui m'ont attiré chez vous : je viens parce que nous sommes tous frères ; ou bien parce que vous êtes mes fils et mes filles et qu'il convient qu'en tant que père de famille, de cette famille qu'est l'Eglise Catholique, je montre à chacun qu'il a droit à une égale affection. Savez-vous ce que veut dire « Eglise Catholique » ? Cela signifie qu'elle est pour l'univers entier, qu'elle est pour tous, qu'elle n'est étrangère nulle part : chaque homme, quelle que soit sa nation, sa race, son âge ou son instruction, a place chez elle.

Comment puis-je vous dire une chose si étonnante ? Parce que c'est ainsi que l'a voulu Jésus-Christ, le premier-né de tous les hommes. Il est le fils de Dieu, notre Père du ciel, et en même temps le fils de Marie, notre sœur par la race humaine. C'est lui qui nous sauve, c'est lui notre maître. C'est lui qui m'a envoyé, comme Il a envoyé vos missionnaires.

C'est de la part de Jésus-Christ, que ces hommes et ces fem­mes de Dieu sont venus dans vos îles: ils vous ont enseigné la même doctrine que celle que je vous porte ; ils étaient poussés par la même affection que la mienne.

L'œuvre missionnaire, au nom de laquelle je me trouve parmi vous, qui a commencé le jour de la Pentecôte, se poursuit encore de nos jours. Elle est toujours nécessaire et toujours urgente. Il reste dans le monde beaucoup d'hommes qui n'ont pas trouvé la vérité ; la semence que Dieu a mise dans leurs cœurs n'a pas trouvé, faute de quelqu'un pour le leur enseigner, le terrain où pousser et s'épanouir totalement.

Aussi ai-je une faveur à vous demander, et c'est celle-ci : envoyons ensemble un message, c'est-à-dire une lettre, une invi­tation, à tous les catholiques du monde entier, pour dire qu'il y a encore beaucoup d'hommes, beaucoup de peuples, qui n'ont pas encore reçu de missionnaires ou qui en ont reçu trop peu. Et disons qu'il faut envoyer en ces endroits, et dans toutes les îles, et dans toutes les parties de la terre qui ne connaissent pas encore Jésus-Christ, de nouveaux missionnaires, hommes et femmes. Pour prêcher l'Evangile, pour baptiser tous ceux qui veulent se faire chrétiens. Et pour instruire les populations, pour faire l'école aux enfants, pour enseigner à la jeunesse ce qui est beau et ce qui est bon, pour le travail et pour donner à votre vie le moyen de croître et se développer ; et pour annoncer à tous qu'il faut respecter chaque être humain, pour apprendre aux hommes à bien vivre, dans la justice et dans la paix, et leur rappeler qui est Jésus Ressuscité, et comment nous devons aimer Dieu et aimer tous les hommes.

Vous plaît-elle, cette proposition ?

Je vous présente cette feuille, sur laquelle est écrit le message missionnaire. Nous la signerons tous. Ce sera le message catho­lique envoyé par les missions de Samoa en faveur des missions du monde entier. Le monde entier vous écoutera.

Nous Paul VI, — avec la communauté catholique — de l'Ile d'Upolu groupée autour de son Evêque, Pio Taofinu'u, et son clergé, — avec nos collaborateurs, les Cardinaux Eugène Tisserant et Agnelo Rossi, les Archevêques Giovanni Benelli, Agostino Casaroli et Sergio Pignedoli, l'Evêque Jacques Martin, — Nous lançons un appel qui veut être comme un cri à toute l'Eglise dispersée aux quatre horizons, de cette terre privilégiée, perdue dans l'immensité de l'Océan Pacifique, mais déjà ouverte de longue date au Message évangélique ; — En réponse aux accents angoissés des âmes avides de lumière qui nous interpellent : « Passe chez nous et viens à notre aide » (cf. Ac 16, 9) — Saisis de pitié pour la foule qui a faim du pain de la Parole et du pain de l'Eucharistie et qui n'a personne pour les lui dispenser ; — Remplis d'admiration devant la richesse que Dieu a mis au cœur des hommes et les promesses merveilleuses de moisson évangélique, — Nous renouvelons l'invitation adressée, depuis le fond des âges, par Dieu aux âmes généreuses : « Quitte ton pays, ta famille et la maison de ton père, et va dans le pays que je te montrerai » (cf. Gn 12, 1).

— A vous, évêques de la Sainte Eglise Catholique, qui, en vertu de la collégialité de l'épiscopat, partagez la sollicitude pour le bien de toute l'Eglise, (cf. Lumen gentium, 23) étendez votre ardeur apostolique à la sainte cause de la diffusion de l'Eglise dans le monde entier; (cf. Enc. Fidei Donuni) — A vous, prêtres, dont la foi aspire à se communiquer sur de plus larges espaces, venez porter le feu de votre zèle à ceux dont la simpli­cité de vie a sauvegardé la sensibilité aux valeurs de l'esprit ; — A vous, religieux et religieuses, dont la vie est toute tournée vers l'imitation du Seigneur, rejoignez les vaillantes générations des missionnaires qui, depuis des siècles, se sont faits, à sa suite, les messagers de la foi, de la paix et du progrès, en annonçant le Christ, le Maître, le Modèle, le Libérateur, le Sauveur (cf. Ad Gentes, 8).

— A vous, jeunes gens et jeunes filles, dont l'âme assoiffée de vérité, de justice et d'amour, cherche de nobles causes à dé­fendre dans l'effort et le désintéressement, nous disons : entendez l'appel à devenir les hérauts de la Bonne Nouvelle du Salut; venez, riches de votre foi et de votre enthousiasme juvénile, apprendre aux hommes qu'il est un Dieu qui les aime, qui les attend, qui les veut près de Lui comme des fils groupés autour du chef de famille, venez soigner les corps, éclairer les intelli­gences, enseigner à vivre mieux et à croître en humanité, édifier l'Eglise pour la plus grande gloire de Dieu.

— Vous qui êtes riches, offrez du bien dont Dieu vous confie la gérance, pour que vive l'apôtre et prospèrent ses initiatives pastorales ; — Vous qui êtes pauvres, offrez votre lutte et votre sueur pour le pain quotidien ; afin qu'à tous ce pain soit partagé ; — Vous qui souffrez, vous qui pleurez et êtes persécutés, offrez votre souffrance pour que croisse le corps du Christ dans la justice et l'espérance (cf. Co 1, 24).

A toute la chrétienté catholique, Nous disons : « Elargis l'espace de ta tente, déploie les tentures sans contrainte » (cf. Is 54, 2). A un monde en marche vers son unité, fournissez l'aliment de l'indispensable harmonie ! Car si la recherche en commun de la vérité rapproche les hommes, seule la rencontre des cœurs ci­mente leur unité. De ce corps géant et mystique qu'est l'Eglise en formation, soyez les constructeurs dans l'Esprit de Jésus-Christ !

Il dépend de vous que demain la paix et la fraternité dissipent les ombres de mort. Dieu a besoin de vous pour qu'autour du Christ-Sauveur, monte et se lie à l'unisson (cf. Ep 2, 21) l'hymne au Créateur, Dieu et Père de tous (cf. Ep 4, 6).

Frères et sœurs inconnus, écoutez notre voix !

Et la grâce du Seigneur soit avec vous ! Amen !

 

 

 

1° décembre

AUX EVEQUES REUNIS EN CONFERENCE EPISCOPALE

 

Paul VI en Australie.

 

Ce n'est pas seulement pour vous parler que Nous sommes venus parmi vous, mais aussi et spécialement pour vous écouter. Et Nous vous avons écoutés volontiers, portant particulièrement notre attention sur les conclusions de votre assemblée. Nous nous ferons un agréable devoir de Nous rappeler vos discours et de réfléchir sur vos discussions et délibérations, enregistrant pour Nous et pour l'Eglise entière votre expérience et votre sagesse, tant dans le domaine de la doctrine qu'en celui du gouvernement pastoral de l'Eglise ; et c'est pourquoi Nous Nous abstenons pour le moment de commenter les thèmes que vous avez traités au cours de cette réunion.

Nous ne voulons pas, toutefois, Nous priver du plaisir ni Nous dispenser du devoir de vous adresser, en une occasion aussi particulière et favorable, un mot fraternel, en revenant sur le thème de l'unité dans l'Eglise et de l'Eglise. Cette rencontre même est une célébration aussi bien de cette note extérieure et distinctive de l'Eglise du Christ, que de la propriété intérieure et mystérieuse de cette même Eglise que le Christ, de toute évi­dence et selon la plus haute manifestation de sa volonté « ut sint unum» (Jn 17, 11-21-22-23), a fondée dans l'unité.

Ensemble, réfléchissons un moment sur l'unité de l'Eglise. Nous ferons bien de remarquer combien la pensée théologique s'est intéressée à ce thème durant les siècles : depuis les expres­sions inoubliables et prophétiques de la Didaché (cf. IX, 4 ; X, 5) et des lettres de saint Ignace d'Antioche (cf. Philad. 4 ;Ep 2 ; Smyr 1, 2 ; etc.), jusqu'au traité de saint Cyprien (de catholicae Ecclesiae unitate), à la pensée de saint Ambroise (cf. Ep 11, 4 ; PL 16, 986), de saint Augustin spécialement, de saint Léon ; et aux grands théologiens médiévaux (cf. S. th. III, 8), à ceux de la Renaissance (cf. Cajetan, Bellarmin, Suarez...), pour en arriver aux modernes (cf. J. Adam Moehler surtout, ainsi que Newman, Scheeben, Perrone, Clérissac, Congar, Hamer, le cardinal Journet dans sa grande synthèse sur L'Eglise du Verbe incarné) et finalement aux théologiens postconciliaires (parmi bien d'autres, cf. Philips, etc.). Nous n'oublierons pas la grande encyclique Mystici Corporis, du pape Pie XII, et nous aurons toujours présents à l'esprit les documents du Concile Vatican II, en particulier les deux Constitutions Lumen gentium et Gaudium et spes, dans lesquelles est exprimée d'une manière incomparable la conscience doctrinale de l'Eglise sur elle-même et sur sa po­sition historique et concrète dans le monde contemporain.

Nous Nous permettons de vous rappeler ce grand fait cul­turel de l'Eglise contemporaine à cause de son importance pri­mordiale dans la vie ecclésiale, à cause aussi de l'obligation qui en découle pour nous, évêques, témoins de la foi et pasteurs du peuple de Dieu, d'assumer une position sûre quant à la doctrine concernant l'Eglise, et spécialement quant à l'unité, qui doit donner au visage de l'Eglise son reflet divin, le sceau de son authenticité, son caractère symboliquement exemplaire même pour le monde contemporain, qui cherche son unification tem­porelle dans une civilisation pacifique.

A vous, vénérés Frères, d'accueillir cette claire recommanda­tion, et d'approfondir une étude aussi attirante, aussi vaste, aussi complexe, que celle qui concerne notre Eglise catholique bien-aimée, pour laquelle le Christ versa son sang (cf. Ep 5, 25).

A Nous, au contraire, de mentionner rapidement deux aspects de cette communion intime de l'Eglise au-dedans d'elle-même.

Le premier aspect de cette communion, la première unité, c'est celle de la foi. L'unité dans la foi est nécessaire et fonda­mentale, vous le savez. Nous ne pouvons transiger sur cette exigence. Pour différentes que soient les conditions subjectives du croyant, nous ne pouvons admettre l'incertitude, le doute, l'équivoque au sujet de tout ce que la Révélation nous a commu­niqué sur Dieu Père tout puissant, Créateur de toute chose, Principe immanent de tout ce qui existe, Etre transcendant et ineffable, digne d'une adoration et d'un amour sans limites de notre part à nous qui avons l'indescriptible chance d'avoir été élevés du rang de créatures à celui de fils. De même, nous ne pouvons hésiter à reconnaître en Jésus-Christ le Verbe fait homme, le Maître des vérités suprêmes sur les destins humains, le Sauveur, offert en sacrifice et ressuscité, de l'humanité, et qui rassemble toutes choses en lui-même (cf. Ep 1, 10), qui, par sa croix, attire à lui toute l'humanité (Jn 12, 32) et fait des hommes fidèles son unique corps mystique (cf. Ep 4, 5). Nous ne pou­vons douter de l'Esprit Saint, qui donne la vie et qui rend té­moignage de lui-même en nos cœurs (cf. Jn 15, 26 ; 16, 16 ; Rm 8, 16 ; etc.), et qui donne à l'Eglise des ministres qualifiés pour témoigner de manière décisive des vérités religieuses (cf. 2 Co 10, 5-6). Nous ne pouvons faire abstraction du grand fait qui émane du Christ, sa continuation, son corps social et historique, visible et mystique, son Eglise, signe et instrument du salut de l'humanité, ni oublier les paroles incisives de saint Augustin à ce sujet : « il n'est rien que le chrétien doive craindre autant que d'être séparé du corps du Christ » (In Io. Tr. 27, 6 ; PL 35, 16-18). En un mot, le « Credo », notre Credo est pour nous ina­liénable. Il est notre vie.

Fort de cette sécurité — que Nous, humble mais authentique successeur de Pierre, avons reçu mission de confirmer en vertu d'un pouvoir spécial venant du Christ Seigneur (Lc 22, 32) —, Nous tournons notre regard vers la réalité humaine du catholi­cisme : celui-ci, par sa définition même, est fait pour tous, pour tous les peuples, pour toutes les nations, pour toute la terre. Comment ce catholicisme, aussi ferme et aussi jaloux de son unité, pourra-t-il embrasser tous les hommes, si différents entre eux ? Exige-t-il donc l'uniformité absolue dans toutes les manifestations de la vie ? N'y a-t-il qu'une seule manière pratique et historique d'interpréter la vraie et unique foi du Christ ?

Vous savez, Frères, combien est facile et claire la réponse à cette question troublante. Et cette réponse, l'Esprit Saint lui-même l'a donnée le jour de la Pentecôte, lorsque ceux qui avaient reçu l'effusion du Souffle et du Feu divin envoyé du ciel par le Christ, parlaient, comme enivrés, « chacun en sa propre langue » (Ac 2, 6), bien qu'ils appartinssent à des races différentes. Cette réponse est encore donnée, amplement et à maintes reprises, par le récent Concile, spécialement dans le décret, désormais célèbre, Ad Gentes, dans lequel l'unité propre au catholicisme est mise en harmonie avec son apostolicité : cette dernière, loin d'étouffer ce qu'il y a de bon et d'original dans toute forme de culture humaine, accueille au contraire, respecte et valorise le génie de chaque peuple, et elle revêt de variété et de beauté l'unique vêtement sans couture (Jn 19, 23) de l'Eglise du Christ (cf. Ps 44, 10 ; Ad Gentes, 22, etc.).

Faut-il donc, dira-t-on, admettre un « pluralisme » ? Oui, mais il faut bien s'entendre sur la signification de ce mot. Celle-ci ne saurait être en contradiction avec l'unité substantielle du christianisme (cf. Ep 4, 3-6). Vous savez les dangers qui se ca­chent dans le pluralisme lorsqu'il ne se limite pas aux formes contingentes de la vie religieuse mais ose autoriser des inter­prétations individuelles et arbitraires du dogme catholique, ou lorsqu'il érige en critère de vérité la mentalité populaire, ou encore fait abstraction, dans l'étude théologique, de la tradition authentique et du magistère responsable de l'Eglise.

Le deuxième aspect de la communion catholique est celui de la charité. Vous savez l'importance souveraine qu'a la charité dans tout le dessein divin de la religion catholique, et la place qu'elle tient dans le tissu conjonctif de l'unité ecclésiale. Nous devons en arriver à une charité plus consciente et plus active dans les divers aspects de la vie ecclésiale que le Concile a mis en relief : le Peuple de Dieu doit être éduqué toujours davantage à l'amour mutuel de chacun de ses membres ; la communauté entière de l'Eglise doit se sentir, grâce à la charité, unie, sans divisions, solidaire et, par conséquent, distincte en elle-même ; les rapports hiérarchiques, pastoraux — c'est évident —, col­légiaux, ceux des diverses fonctions ministérielles, les rapports sociaux, domestiques, doivent tous être animés par un courant toujours efficace de charité, qui a pour effets directs le service (c'est-à-dire le sacrifice et le don de soi) et l'unité : l'Eglise est charité, l'Eglise est unité.

Telle est, Nous semble-t-il, la vertu principale qu'exigé de l'Eglise catholique l'heure présente, si agitée dans le domaine spirituel qu'elle en arrive à insinuer la crainte de grands et rui­neux bouleversements. L'Eglise sera ferme et forte si elle est en elle-même unie dans la foi et par la charité. Beaucoup se deman­dent ce que doit faire l'Eglise pour attirer à elle le monde hostile et incroyant : l'unité dans la foi et dans l'amour sera le témoi­gnage qui agira d'une manière efficace sur le monde, comme Jésus nous l'a dit (Jn 17, 21).

Tel est, vénérables Frères, le message qu'au nom du Christ Nous vous laissons en souvenir de cette rencontre : « ut omnes unum sint ». Avec notre fraternelle Bénédiction Apostolique.

 

 

 

4 décembre

UN SEUL MOT : AMOUR

 

Paul VI à Hong-Kong

 

Fils et frères très chers,

 

C'est avec joie que Nous avons accepté la courtoise invita­tion que Nous a adressée votre Pasteur zélé, Notre frère l'évêque Hsu.

Il Nous est agréable de saisir l'occasion du voyage aposto­lique, qui Nous a conduit en Asie et en Australie pour Nous rencontrer avec les Conférences Episcopales de ces régions, pour faire une brève visite au plus grand Diocèse chinois du monde. Nous sommes très heureux d'être parmi vous, chers fils et filles de Hong-Kong. Nous voulons vous remercier person­nellement pour l'affection et le dévouement que vous avez ma­nifestés au Saint-Siège de plusieurs et diverses manières ; Nous voulons vous féliciter pour les multiples réalisations de votre communauté catholique qui fonctionne si bien ; Nous voulons vous encourager à persévérer fermement dans la foi de votre Baptême et de votre Confirmation, et vous exhorter à un engagement de plus en plus grand dans la recherche des moyens les plus conformes pour rendre le message chrétien d'amour plus compréhensible dans le monde où vous vivez ; de cette manière vous contribuerez effectivement à démontrer à tous vos frères et sœurs la jeunesse éternelle et l'éternelle capacité rénovatrice de l'Evangile du Christ et leur donner ainsi une espérance pour construire dans l'amour une société plus fraternelle.

Nous sommes actuellement en prière.

Que chacun de nous prenne conscience du double rapport que cette prière, notre messe, établit pour nos âmes : nous sommes en rapport avec le Christ, et nous sommes en rapport avec nos frères les hommes.

Oui, nous qui sommes réunis ici au nom du Christ, nous sommes avec lui. Bien plus, lui est avec nous. Lui-même nous l'a affirmé : là où vous serez réunis en mon nom, a-t-il dit, je serai au milieu de vous (cf. Mt 18, 20). En outre, à notre humble personne est confié le ministère de le représenter, lui Jésus-Christ, Chef unique, mais maintenant invisible, de l'Eglise (cf. S. th. III, 8, 1), suprême « Pasteur et gardien » de nos âmes (cf. 1 P 2, 25) ; et Nous sommes heureux que notre rôle de Vicaire du Christ rende en ce moment plus vif le sens de sa présence au milieu de cette assemblée, plus efficace sa vertu divine, plus immédiate sa consolation spirituelle. Mais le rite que Nous célébrons sera tout à l'heure plus réaliste et plus mysti­que, lorsqu'il deviendra la cène-sacrifice, instituée par le Christ lui-même pour appeler et renouveler sacramentellement sa pas­sion rédemptrice, et lorsque lui-même se donnera à nous comme nourriture de vie éternelle.

Frères, donnons tous ensemble à cette célébration toute la richesse de signification qu'elle contient ; apportons-lui, tous et chacun, notre adhésion la plus complète, et en perpétuel souvenir de ce moment heureux et extraordinaire accordons-lui notre profession de foi, humble, ferme, totale. Nous dirons dans quel­ques instants : mystère de foi !

Tel est le premier rapport dans lequel cette action liturgique doit nous établir de façon permanente : la foi ; cette foi qui est nôtre et que Nous vous annonçons et confirmons à tous.

Il est un second rapport, vous le savez, qui est établi, d'abord dans nos consciences, dans nos cœurs, puis dans notre vie exté­rieure, par la célébration que nous sommes en train d'accomplir.

L'Eucharistie est un signe, un lien d'unité (cf. S. th. III, 73, 2 et 3). Elle est un sacrement de communion. Au moment même où l'Eucharistie nous met en communion réelle avec le Christ, celui-ci nous met en communion spirituelle, mystique, morale et sociale avec tous ceux qui se nourrissent du même pain (cf. 1 Co 10, 17). C'est le sacrement de l'unité ecclésiale. C'est le principe suprême de cohésion de la communauté des fidèles. C'est le sacrement qui contient le corps réel du Christ et tend à produire le Corps mystique du Christ, qui est l'Eglise.

Arrêtons-nous ici et concluons : l'Eglise est donc un effet de l'action unitive de l'amour du Christ pour nous, et elle peut-être considérée elle-même comme un signe efficace, un sacrement d'unité et d'amour. Aimer est sa mission. Or, tandis que Nous disons ces paroles simples et sublimes, Nous avons autour de Nous — et Nous le sentons presque — tout le peuple chinois, en quelque lieu qu'il se trouve.

Pour la première fois dans l'histoire, l'humble apôtre du Christ que Nous sommes vient en cette terre de l'Extrême Orient ; et que dit-il ? et pourquoi vient-il ? Pour dire un seul mot : amour. Le Christ est aussi pour la Chine un Maître, un Pasteur, un Rédempteur qui aime. L'Eglise ne peut taire cette bonne parole : amour, qui restera.