L’ENSEIGNEMENT DE PAUL VI

1971

 

AVANT-PROPOS

CATÉCHÈSE DU PAPE DANS LES AUDIENCES GÉNÉRALES DU MERCREDI

 

13 janvier : UN CHRISTIANISME QUI ELEVE

20 janvier : FOI ET CHARITE BASES DE L’ŒCUMENISME

27 janvier : CONNAÎTRE LE CHRIST INTEGRAL

27 janvier : LE SAINT-PÈRE A LA TELEVISION FRANÇAISE

3 février : JESUS : QUEL MESSIE, POUR QUEL ROYAUME ?

10 février : CONNAÎTRE LE CHRIST PAR L’EVANGILE

17 février : TOUTE LA VIE DU CHRIST POUR LE SALUT DES HOMMES

24 février : LE CAREME : TEMPS POUR LA PÉNITENCE

10 mars : ORIENTER SA VIE

17 mars : QUELLE ORIENTATION ?

24 mars : LE MATERIALISME : TENTATION DE NOTRE TEMPS

31 mars : POUR UNE PURIFICATION DE L’ENVIRONNEMENT MORAL

7 avril : LE CHRIST A REPARE L’IRREPARABLE

14 avril : « CHRETIEN, SOIS CHRETIEN »

21 avril : UNE SEMENCE QUI DOIT SE DEVELOPPER

28 avril : POLARISES VERS LE CHRIST EN GLOIRE

5 mai : LE CHRIST LIBERATEUR

12 mai : DES CORPS RESSUSCITES

19 mai : QUE TE RESTE-T-IL DE JESUS ?

26 mai : L’EGLISE DE L’ESPRIT

3 juin : L’EGLISE, LIEU DE L’ESPRIT DE DIEU

9 juin : FETER L’EUCHARISTIE

16 juin : VIVRE DE LA FOI

23 juin : VIVRE SELON L’ESPRIT DANS L’EGLISE

30 juin : LE PAPE EST POUR TOUS

7 juillet : LA FORCE D’ENGAGEMENT DU CHRETIEN SE FONDE DANS L’ABSOLU

14 juillet : LA SAINTETE ETAT NORMAL DU CHRETIEN

21 juillet : VIVRE L’ELAN COMMUNAUTAIRE DU CONCILE

28 juillet : DIGNITE SACREE DE L’HOMME

4 août : L’AMOUR DE L’EGLISE, EXIGENCE DU RENOUVEAU

11 août : CORESPONSABILITE DU LAÏCAT DANS LA MISSION DE L’EGLISE : PAS DE CHRETIEN PASSIF

18 août : LA LIBERTE RELIGIEUSE : MAÎTRISE DE SOI POUVOIR D’OPTION, AUTONOMIE

25 août : DANS L’ESPRIT CONCILIAIRE, AUTORITE EGALE SERVICE

1° septembre : LE PEUPLE DE DIEU

8 septembre : LORSQUE VIENDRA LE TEMPS DE LA RESTAURATION UNIVERSELLE

15 septembre : LE MYSTÈRE DE LA CROIX

22 septembre : LA CATECHESE : TRANSMISSION DE LA FOI

29 septembre : LE SYNODE, SIGNE DE L’UNITE DE L’ÉGLISE

6 octobre : LES EVEQUES, DANS LE PEUPLE DE DIEU

13 octobre : NOS PRÊTRES

20 octobre : EGLISE SAINTE

27 octobre : EGLISE MISSIONNAIRE

3 novembre : L’EGLISE UNE COMMUNAUTE QUI PRIE

10 novembre : L’EGLISE : UN PEUPLE LIBRE ET RESPONSABLE

17 novembre : L’EGLISE : UN APPEL, UN ENGAGEMENT

24 novembre : STRUCTURES ET ESPRIT

1° décembre : LE DIALOGUE DE L’AVENT

15 décembre : LA PRESENCE DU CHRIST DANS LE MONDE CONTEMPORAIN

22 décembre : NOËL : EXHORTATION A LA RECHERCHE DE DIEU

29 décembre : NOËL NOUS INVITE A CHERCHER DIEU

 

 

AVANT-PROPOS

 

Le 8 décembre 1970, dans son « Exhortation Apostolique » adressée aux Evêques, à l’occasion du cinquième anniversaire de la clôture du Concile Œcuménique Vatican II, Paul VI s’exprimait ainsi :

« Attentif à discerner les signes des temps, nous voudrions, en esprit paternel, nous interroger avec vous sur notre fidélité à l’enga­gement que nous avions pris au seuil du Concile, dans notre mes­sage à tous les hommes : «  Nous nous appliquerons à présenter aux hommes de ce temps la vérité de Dieu dans son intégrité et dans sa pureté de telle sorte qu’elle leur soit intelligible et qu’ils y adhèrent de bon cœur ».

L’enseignement de Paul VI, dont ce quatrième volume réunit, pour l’année 1971, les textes les plus importants, est une vivante illustration de l’objectif que le Pape s’assignait, en même temps qu’il l’assignait aux Evêques après le Concile :

Exprimer la foi dans toute sa pureté, sous une forme lui permet­tant d’atteindre le cœur et l’esprit des hommes, en évitant les choix arbitraires mais en faisant droit aux justes requêtes.

Scrutant d’un œil vigilant la scène du monde, les espérances qui s’y profilent comme les drames qui s’y nouent, les générosités qui l’illuminent comme les intrigues qui la ternissent, Paul VI rappelle l’Eglise au devoir de la sainteté, qui est fidélité et amour, humilité et patience, disponibilité et courage. « Ce qui est souvent le plus nécessaire, ce n’est pas tant un surcroît de paroles qu’une parole consonante à une vie plus évangélique. Oui, c’est du témoignage des Saints dont le monde a besoin car «  en eux, — nous rappelle le Concile, — c’est Dieu lui-même qui nous parle : il nous donne un signe de son royaume et nous y attire puissam­ment »  (Ex. Ap. Quinque jam anni) ».

Cet appel à la sainteté se retrouve dans tout l’Enseignement de Paul VI, quelque forme que prenne cet enseignement et quelle qu’en soit l’occasion.

Ce volume, comme ceux qui l’ont précédé, veut prolonger l’écho de la Parole pontificale qui demeure, au milieu des rumeurs con­tradictoires, la référence sûre et obligée de toute authenticité dans l’Eglise.

 

 

 

CATÉCHÈSE DU PAPE DANS LES AUDIENCES GÉNÉRALES DU MERCREDI

 

 

13 janvier

UN CHRISTIANISME QUI ELEVE

 

Chers Fils et Filles,

 

Notre discours, très bref et très simple, s’adresse maintenant aux chrétiens, c’est-à-dire à ceux qui ne refusent pas cette qualification et même la revendiquent comme une note essen­tielle de leur personnalité et de leur culture. Mais dans cette mul­titude de chrétiens nous pouvons remarquer, grosso modo, deux grands courants qui cheminent dans des directions contraires :

Un qui tend à diluer le sens de ce nom, le rend moins accro­ché à la vie personnelle, le vide (aujourd’hui on dit : le démythise) de son contenu originel, religieux et théologique, n’en conserve que quelques aspects devenus des éléments des coutumes civiles, n’en accueille que quelques valeurs générales utiles pour la dé­finition, le développement, l’avantage de l’homme en tant que tel (la dignité, l’intériorité, la liberté, la sociabilité, l’espérance, etc.) c’est-à-dire qu’il se contente d’un christianisme noble et humain si vous voulez, mais vague et sujet à toute interprétation personnelle et occasionnelle. Il a été dit : nous sommes tous chrétiens ; mais nous pourrions ajouter : chacun à sa manière.

L’autre courant, au contraire, tend à reconnaître au nom de chrétien une référence à un engagement envers des réalités im­portantes : une doctrine, une manière de vivre, une religion, une appartenance à l’Eglise, un mystère de communion avec Dieu et, finalement, une relation personnelle de foi, d’espérance, d’a­mour avec le Christ, avec le Christ historique des Evangiles, avec le Christ Sauveur, dont l’Eglise garde et distribue la parole et la grâce, avec le Christ pascal qui associe chaque fidèle authentique à la régénération de sa rédemption, avec le Christ céleste, vivant, présent et invisible, qui se penche sur les destins de chaque hom­me et de l’humanité et qui, un jour, le jour de l’éclatement final de l’histoire, reviendra. C’est dire qu’aujourd’hui, comme tou­jours d’ailleurs, les chrétiens marchent sur un plan incliné : vers un christianisme en baisse, purement nominal et évanescent, d’un côté ; et d’un autre côté, vers un christianisme qui monte dans la direction du Christ vivant, personnel, réel.

Naturellement nous voulons, nous, nous insérer dans ce se­cond courant, même s’il est plus ardu, vers Jésus-Christ, Notre Seigneur, vivant et vrai, Lui qui est nécessaire et suffisant pour donner un sens plein et authentique à notre existence, Lui qui est d’autant plus indispensable pour notre monde moderne que celui-ci cherche à l’oublier, à l’exclure, à le rendre vain.

 

L’image du Christ

 

Et alors surgit en nous, conséquence de l’esprit de sincérité et de cohérence, un désir irrésistible : celui d’approcher ce Jésus, de Le connaître, de Le voir. Il y a dans l’Evangile un épisode, à peine esquissé, mais significatif. C’est l’évangéliste Saint Jean qui le rapporte, lorsqu’il raconte l’entrée de Jésus à Jérusalem, d’une manière intentionnellement publique et populaire, en­touré de joyeuses acclamations de la foule qui reconnaît finale­ment en Lui le fils de David, le Messie. L’épisode est celui-ci : « Parmi ceux qui étaient montés à la fête pour adorer, il y avait des Gentils qui, ayant abordé Philippe (un des apôtres) qui était de Bethsaïde en Galilée, lui firent cette demande : «  Seigneur, nous voudrions voir Jésus » (Jn 12, 20-21). Voir Jésus : c’est le désir constant des hommes de bonne volonté auxquels est ar­rivée quelque connaissance du mystérieux Personnage autour duquel se rassemblent tant de curiosités et tant d’amour.

Si nous pouvions le voir ! Si au moins nous étions capables d’en avoir une image sensible et fidèle! Nous, qui sommes plon­gés dans la soi-disant « civilisation de l’image », nous aurions le grand désir de remplir nos yeux de l’aspect physique de notre Maître, de notre Sauveur. Il nous semble parfois que si nous avions cette chance, cet adjuvant, nous serions plus disposés à le croire, à le suivre, comme il arriva à ceux qui furent les specta­teurs de la scène de l’Evangile. Mais justement de l’Evangile nous vient une parole qui déçoit notre avidité et nous montre la voie, désormais unique et sûre, de la foi : « Bienheureux ceux qui auront cru sans voir » (Jn 20, 29). Oui ; il faudra nous contenter d’approcher Jésus par ce procédé de connaissance, délicat et pas toujours facile, qui s’appelle la foi, qui n’exclut pas, mais mê­me réclame l’étude rationnelle de la révélation. Mais la psycho­logie même de la foi a besoin de quelques images représen­tatives. L’histoire du christianisme nous dit que les fidèles, à peine surpassée la défense juive qui s’opposait à toute re­présentation des êtres vivants par crainte de la contagion, alors facile, de l’idolâtrie, essayèrent de dessiner l’image du Christ, d’abord comme personnage de quelque scène évangélique (le berger, par exemple), puis comme visage humain (voir par exemple dans les catacombes de Commodille), puis dans les aspects hiératiques des figures byzantines, et enfin, selon l’imagination de la piété et de l’art qui, encore aujourd’hui, nous présente les traits de Jésus tels qu’ils correspondent à l’idée que notre esprit se fait de Lui (voir le culte de l’effigie du Christ dite de Véronique ; dante, Par., 31, 103-108). L’image excep­tionnelle du Saint Suaire mériterait peut-être une étude spéciale. Mais c’est un fait que « les sources dignes de foi ne disent abso­lument rien de l’aspect physique de Jésus » (G. ricciotti, Vie de Jésus-Christ, 203 et suiv.). Une bonne iconographie religieuse de l’art nous aide à suppléer au manque d’une représentation sen­sible de Jésus.

Mais nous sommes comme des aveugles devant l’Ami.

 

Beauté de la vérité

 

Mais la pensée travaille : Jésus était-il beau ? était-il difforme ? les questions nous harcèlent tandis que nous interprétons les pa­roles bibliques qui se rapportent à Lui et qui, en exposant tantôt l’un, tantôt l’autre des aspects propres du Messie, nous Le disent « le plus beau d’aspect parmi les enfants des hommes » (Ps 45, 3), et puis nous Le présentent comme « l’homme de douleur qui est sans beauté ni éclat » (Is 53, 2-3). Revenons à l’Evangile et nous Le voyons transfiguré : « Son visage resplendit comme le soleil » (Mt 17, 2), et puis défiguré : « Jésus sortit alors (du prétoire), por­tant la couronne d’épines et le manteau de couleur pourpre. Pilate leur dit : Voici l’homme ! » (Jn 19, 5). Mais alors ? Nous contenterons-nous de passer en revue les diverses scènes de l’E­vangile, de la crèche au calvaire, au jardin des oliviers de l’Ascen­sion, demandant aux maîtres de l’art de rassasier notre faim amou­reuse de ce qui lui ressemble ? Cela se fait, et c’est bien : la « Bi­ble des Pauvres », comme on disait jadis, ne serait-elle pas celle des images artistiques ? Qu’il soit loué Celui qui, par ces images mêmes, aide à faire un pas ultérieur.

Quel pas ? un pas vers le Christ réel, qui est celui de la foi ; le Christ qui, dans sa visibilité, reflète la Divinité invisible. Rappe­lons-nous la préface de la messe de Noël : dum visibiliter Deum cognoscimus, per hunc in invisibilium amorem rapiamur et la parole révélatrice de Jésus Lui-même : « Qui me voit, voit aussi mon Père » (Jn 14, 9). C’est-à-dire que nous sommes autorisés à dé­couvrir Dieu en Jésus ! (voir Jn 1, 18). Nous rendons-nous compte de ce que cela signifie ? Nous sommes au seuil de la beauté su­prême (voir st. augustin, Enarr. in Ps 44 ; PL 36, 495). Qu’est-ce que la beauté (voir st. thomas, I-II, 27, 1, 3). Oh ! quel long discours exigerait la réponse à cette question élémentaire ! Quels vols devrions-nous faire pour dominer les niveaux souvent faux de la beauté dégradée, sensible, purement esthétique pour arriver au niveau de la vérité resplendissante. Telle est la beauté de l’Etre éblouissant, de la forme transparente de la vie pleine et parfaite ! Disons seulement : le Christ est Beauté, Beauté humaine et divine, Beauté de la réalité, de la vérité, de la vie, « la vie était la lumière » (Jn 1, 4). Ce n’est pas une emphase mythique ou mystique qui nous fait donner cette définition du Christ, c’est le témoignage qui nous vient de l’Evangile. Témoi­gnage que nous vous devons, à vous, Frères et Fils, qui, poussés par l’instinct de notre temps, allez à la recherche du « type », du modèle, de l’homme parfait. Le Christ est le « type », l’arché­type, le prototype de l’humanité (voir Rm 8, 29).

Ne l’oubliez pas !

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

20 janvier

FOI ET CHARITE BASES DE L’ŒCUMENISME

 

Chers Fils et Filles,

 

Nous devons nous rappeler aujourd’hui que nous célébrons ces jours-ci la « Semaine de l’Unité ». Nous sommes tous invités à méditer sur le mystère profond d’un aspect fondamental et d’une caractéristique extérieure de l’Eglise du Christ, c’est-à-dire de l’humanité qui vit de la foi et de la grâce du Christ ; cette caractéristique propre à l’Eglise, de ne constituer qu’un seul corps (cf. 1 Co 10, 17), de ne former qu’une seule chose, de n’être animée que d’un seul esprit (2 Co 13, 13), de ne former qu’un tout (cf. Jn 17, 21-22) — aujourd’hui, dans le temps, par l’union visible et sociale dans l’Eglise une et catholique, c’est-à-dire unique et universelle — et demain, dans l’éternité, en com­munion mystique avec le Christ glorieux, toujours conscients de notre propre personnalité, mais participant à la totalité de l’uni­que Homme-Dieu, notre Sauveur, le « Christus-totus » de Saint Augustin, à la fois tête et corps (In Ep. Io. 1 ; PL 3, 1979).

 

Communion partielle mais pas encore parfaite

 

C’est une vision sublime qui embrasse l’humanité entière et son histoire, qui concerne essentiellement le destin de chacun de nous et de nous tous ensemble, et qui nous oblige à définir le rapport vital entre le Christ et l’Eglise comme un rapport qui ne peut être ni incertain, ni équivoque, ni multiple mais unique, tel que le Christ l’a fondé et voulu, et qui comporte une exigence que les terribles événements historiques ont rendue dramatique, une exigence ineffaçable d’union entre ceux qui sont les disciples du Christ, l’Eglise. Nous nous apercevons, nous, Chrétiens, croyants, baptisés, membres de communautés honorées du nom de chrétiennes, qui sommes menacés également par l’irréligiosité moderne, qui aspirons à un même destin eschatologique, nous nous apercevons que nous nous trouvons dans une condition étrange et même absurde : nous sommes encore séparés, désunis, nous sommes souvent méfiants et rivaux, en proie récemment encore à des polémiques brutales et, aujourd’hui, désireux peut-être de nous entendre, de nous pardonner réciproquement, de nous comprendre, de travailler ensemble ; mais nous sommes en­core éloignés les uns des autres, privés de principes essentiels à l’union parfaite, comme l’accord plénier dans la même profession de foi et dans la même cohésion de charité ; nous sommes en com­munion partielle déjà profonde, — et si nous pensons aux véné­rables Eglises orthodoxes orientales — en communion presque totale mais pas encore parfaite. C’est là un des problèmes les plus graves de la chrétienté, et disons même de l’humanité ; et nous avons de la chance, nous, responsables, qui, aujourd’hui en­fin, en avons pris conscience. C’est un problème très ardu : mé­fions-nous de ceux qui croient pouvoir trouver des solutions fa­ciles et rapides en négligeant les données qui le constituent, c’est-à-dire la vérité, à laquelle nous devons adhérer et l’unité ecclésiale à laquelle le Christ veut que nous participions.

Que faire ? la réponse serait très longue ; elle s’exprime dans l’appel annuel à la considération de ce problème et aussi par l’activité des communautés chrétiennes pour le résoudre. Pour notre part, nous exprimons notre satisfaction et notre confiance à notre courageux Secrétariat pour l’union des chrétiens ; le Di­rectoire qu’il a publié sur l’œcuménisme mériterait d’être connu et observé fidèlement par tous les catholiques.

 

S’efforcer de comprendre

 

Limitons-nous, maintenant, à nous adresser aux catholiques. Il se trouvent dans une situation étrange ; ils doivent, avant tout, rester fidèles et sûrs ; ils ne doivent pas douter de leur Eglise, l’Eglise Catholique, même si elle présente dans son histoire et dans son actualité, bien des aspects condamnables ; mais son credo, son rapport avec le Christ, son culte, son trésor sacramen­tel et moral, sa structure institutionnelle, sa définition doctrinale et pratique, ne doivent pas être mis en cause. Nous n’en avons pas le droit. Nous renoncerions à notre responsabilité envers le Christ, envers nos frères séparés, si, pour trouver un terrain d’en­tente, nous mettions en doute notre authentique profession de catholiques ou si nous négligions ces exigences importantes, L’irénisme, l’accord purement pragmatique et superficiel, les simplifications doctrinales et disciplinaires, l’adhésion aux critères qui causèrent les séparations que nous déplorons, ne seraient la source que d’illusions et de confusions. Il ne nous resterait qu’un semblant de notre catholicisme et non pas sa vie, le Christ vivant qu’il porte en soi.

Cette clarté, cette fermeté interrompent-elles le dialogue avant qu’il ne commence ? Non, absolument pas ; bien au contraire, elles le rendent nécessaire et possible : Nécessaire car seule la pos­session d’une foi vraie et indispensable nous rend aptes au dia­logue et représente la condition indispensable à un dialogue fruc­tueux ; possible, car ce zèle pour la foi est une source féconde pour le dialogue qui nous intéresse.

Les autres peuvent, parfois, nous aider à comprendre et à mieux vivre certains aspects de notre foi ; nous sommes à même par conséquent, de modifier notre vieille mentalité fermée et méfiante à l’égard des Frères Séparés ; nous devons nous efforcer de les comprendre, ce que nous n’avons pas toujours fait comme nous l’aurions dû. Nous devons reconnaître ce qu’ils ont de bon, et dans nombre de domaines, nous devons apprendre d’eux à perfectionner notre culture religieuse et humaine, notre éduca­tion à une juste tolérance, à la véritable liberté, à la prompte gé­nérosité. Et nous devons essayer de dissiper les craintes instincti­ves que nombre d’entre eux nourrissent à l’égard de l’Eglise Ca­tholique, surtout en ce qui concerne notre credo. Montrons-leur avec l’exemple plutôt qu’avec le naturel de notre psychologie de fidèles catholiques, que l’adhésion objective aux vérités que l’E­glise propose à notre foi, n’est pas un hommage servile à des for­mulations arbitraires et altérées de la Parole de Dieu mais l’acceptation de propositions authentiques de cette même Parole, de son intégration fondamentale, de son irradiation logique, inspirée de la tradition historique vivante, avec l’effet intérieur de cette lumière, de cette sécurité, de cette paix que la foi diffuse chaque jour dans notre esprit pour nous rendre encore plus ar­dents et heureux dans la recherche de Dieu et du Christ.

Dissipons chez nos frères séparés cette crainte de l’autorité de l’Eglise Catholique qui œuvre en collaboration fraternelle avec tous les évêques élus par Dieu pour nourrir son peuple, et qui est consciente, aujourd’hui plus que jamais d’être un serviteur et non pas un dominateur ; de cette Eglise qui non seulement ac­cepte mais protège les différentes et légitimes expressions spiri­tuelles aussi bien de chaque âme que des diverses communautés ecclésiales. L’autorité au sein de l’Eglise est une institution di­vine; elle est nécessaire afin de maintenir et d’alimenter en son sein l’unité et la charité dans l’obéissance qui est amour.

 

Un chemin difficile et merveilleux

 

La voie vers l’œcuménisme, vers la reconstruction de l’unité des Chrétiens est difficile, disions-nous ? Mais n’est-ce pas mer­veilleux ? Cette voie ne promeut-elle pas au sein même du catho­licisme, un processus de purification généreuse, une recherche de ce que nous sommes vraiment, une étude approfondie, un exercice d’humilité, un amour plus actif et plus grand ? N’offre-t-elle pas l’Espérance, soutenue par les promesses de l’Esprit, plus belles que tout rêve ?

Deux choses encore avant de conclure : tout d’abord adressons un salut respectueux et cordial à nos frères séparés ; que de noms représentant leurs différentes et chères communautés sont ins­crits sur nos lèvres et dans nos cœurs ! Elevons au Seigneur une prière plus ardente, presque impatiente, qui voudrait s’unir hum­blement à la prière du Christ, le dernier soir de sa vie temporelle : Que nous soyons unis en Toi, ô Seigneur ! Que nous méritions de l’être ! Que ton règne arrive !

Et avec l’esprit débordant de ces sentiments, Fils et Frères, proches et lointains, Nous vous bénissons.

 

 

 

27 janvier

CONNAÎTRE LE CHRIST INTEGRAL

 

Chers Fils et Filles,

 

Le Chrétien, celui qui veut être disciple du Christ, celui qui ressent la nécessité de s’unir à Lui par des biens authentiques et profonds, sentira toujours — en tant qu’homme et surtout en tant qu’homme de notre temps, nourri d’images visuelles — le besoin instinctif de Le voir, Lui, Jésus le Christ, tel qu’il était: son vrai visage, son aspect, sa personne.

Nous l’avons déjà dit maintes fois. Mais ce désir demeure et revient lorsque surgissent des problèmes sur l’interprétation au­thentique de son message et sur le devoir de conformer notre con­duite à son enseignement. Cette aspiration n’est-elle pas, du reste, toujours présente dans les personnages de l’Evangile ? Prenons par exemple Zachée, dans le récit de St. Luc : « Il voulait voir Jésus, mais il ne le pouvait à cause de la foule, car il était petit de taille. Il monta alors sur un sycomore et de là le Seigneur l’aper­çut, l’appela et lui demanda de descendre, car il voulait être son hôte, ce jour-là » (19, 1 ss.).

 

Imaginer le visage du Christ

 

Mais nous n’avons pas la chance des contemporains de Jésus qui le virent de leurs propres yeux (cf. 1 Jo 1, 1) et il en est de même pour toute l’humanité venue après lui. Déjà St. Irénée Evêque de Lyon, à la fin du II° siècle, avait pressenti que les images du Christ que l’on voulait divulguer de son temps étaient apocryphes (Adv. Haereses 1-25 ; PG 7, 685). St. Augustin est catégorique : « Nous ignorons totalement quel a pu être l’aspect physique de Jésus et celui de la Vierge » (De Trinit. 8, 5 ; PL 42, 952). Nous devons nous l’imaginer en partant d’éléments com­muns à la nature humaine et des reflets que provoquent en notre esprit la lecture de l’Evangile et la foi en sa parole. Art et piété nous aident dans cette élaboration complexe.

Ce n’est pas une vaine fantaisie ; c’est un effort méritoire et dans un certain sens indispensable pour quiconque veut avoir du Christ une idée concrète et fidèle, sans artifice mythique.

Essayons nous-mêmes de nous demander : Comment nous imaginons-nous Jésus-Christ ? Quel est l’aspect caractéristique que l’Evangile nous donne de lui ? Comment se présente-t-il à première vue ? Une fois encore ses Paroles nous aident : « Je suis doux et humble de cœur » (Mt 11, 29). Jésus veut être vu et re­gardé ainsi. Si nous le voyions, il nous apparaîtrait ainsi, même si la vision que nous offre de Lui l’Apocalypse, entoure de forme et de lumière son image céleste (1, 12ss). Cet aspect doux, bon et surtout humble, s’impose, essentiel. En méditant, on s’aperçoit qu’il manifeste et qu’il cache à la foi un mystère fondamental, relatif au Christ, celui de l’Incarnation, celui de Dieu-humble, mystère qui gouverne toute la vie et toute la Mission du Christ : Le Christus Humilis est le centre de la christologie de St. Augustin (cf. portalié, D. Th. C. 1, II, 2372) ; mystère qui marque tout l’enseignement évangélique. « Qu’a-t-il enseigné d’autre, sinon cette humilité ?... Dans cette humilité nous pouvons nous appro­cher de Dieu », dit encore St. Augustin (Enarr. in Ps 31, 18 ; PL 36, 270).

D’ailleurs St. Paul n’emploie-t-il pas un terme qui a quelque chose d’absolu lorsqu’il dit que le Christ s’est « dépouillé » ; semetipsum exinanivit (Ph 2, 7) ? Jésus est l’homme bon par excellence. Et c’est pour cela qu’il s’est abaissé jusqu’au niveau le plus bas de l’échelle humaine ; il s’est fait enfant, pauvre, patient, victime afin qu’aucun de ses frères humains ne le sentît supérieur ou détaché de lui; il s’est mis aux pieds de tous ; il est pour tous ; il appartient à tous et même à chacun de nous en particulier ; St. Paul le dit : « Il m’a aimé et s’est livré pour moi » (Ga 2, 20).

 

Douceur et violence

 

Il n’y a rien d’étonnant à ce que l’iconographie du Christ ait toujours cherché à interpréter cette douceur, cette bonté suprême. L’interprétation mystique de la personne du Christ est arrivée à le contempler dans son cœur ; pour nous modernes, sentimen­taux et psychologues, qui sommés toujours polarisés sur la méta­physique de l’amour, elle est arrivée à faire du culte au Sacré Cœur le foyer ardent et symbolique de la dévotion et de l’activité chrétienne.

C’est là que s’élève, aujourd’hui en particulier, une objection : cette image du Christ réalisant en lui-même sa propre parole, c’est-à-dire les béatitudes de la pauvreté, de la douceur, de la non résistance (cf. Mt 5, 38) est-elle celle du Christ vrai ? Est-ce le Christ pour nous ? Où est le Christ tout-puissant, le Christ fort, le Roi des Rois, le Seigneur des dominateurs? (cf. Ap 19, 11 ss.). Le Christ réformateur ? (Ego autem dico vobis ..., Mt 5). Le Christ, avec ses contestations (p. ex. Mt 5, 20) et avec ses ana-thèmes (cf. Mt 23) ? Le Christ libérateur, le Christ de la violence ? (cf. Mt 11, 12). Ne parle-t-on pas aujourd’hui du christianisme de la violence et de la théologie de la révolution ? Après tant de paroles sur la paix, la tentation de la violence, comme affirma­tion suprême de liberté et de maturité, comme seul moyen de réforme et de rédemption, est si forte que l’on parle de théologie de la violence et de la révolution. Et souvent, aux théories passion­nées correspondent les faits, ou du moins les tendances à recourir au « désordre établi ». On cherche alors à avoir le Christ de son côté, et à justifier certaines attitudes désordonnées, démagogiques et rebelles, avec les attitudes et les paroles du Christ.

Beaucoup de personnes en parlent. Nous y avons déjà fait allusion par le passé. Un seul conseil pour le moment. Il faudra bien réfléchir sur cette contradiction apparente entre l’image du Christ doux et suave, du Christ bon Pasteur, du Christ crucifié par amour et l’image du Christ viril et sévère, irrité et belliqueux ; il faudra voir comment sont exposées les choses dans les docu­ments originaux, les Evangiles, le Nouveau Testament, la Tra­dition, et dans leur interprétation authentique. Nous estimons opportun d’attirer l’attention en particulier, sur la complexité de l’image du Christ : Il est certainement à la fois doux et fort, de même qu’il est en même temps homme et Dieu ; puis sur la vraie réaction, non pas politique ni anarchique, que la force régé­nératrice dû Christ produit sur le monde déchu et corrompu, c’est-à-dire sur les espérances qu’il propose à l’humanité.

Nous verrons alors que l’image du Christ présente aussi, sans rien altérer à l’enchantement de sa douceur miséricordieuse, une caractéristique grave et forte, formidable — si vous voulez — contraire à la lâcheté, les hypocrisies, les injustices, les cruautés, mais qui n’est jamais séparée d’un suprême rayonnement d’a­mour. Seul l’amour définit le Sauveur. Et c’est seulement par les voies de l’amour que nous pourrons nous approcher de lui, l’imiter, l’insérer dans nos âmes et dans le déroulement toujours dramatique de l’histoire humaine.

Oui, nous pourrons le voir, lui qui a habité avec nous et a partagé notre sort terrestre afin de répandre son évangile de salut et de nous préparer ce salut; nous le verrons « rempli de grâce et de vérité » (Jn 1, 14).

Foi et amour, nous servent maintenant pour le voir.

 

 

 

27 janvier

LE SAINT-PÈRE A LA TELEVISION FRANÇAISE

 

Et maintenant, c’est aux téléspectateurs de la deuxième chaîne de la télévision française que Nous Nous adressons, heureux de cette occasion de vous saluer, de vous dire toute notre affec­tion, et de vous adresser quelques mots dans le cadre de l’émission sur le respect de la vie.

Frères et Amis qui m’écoutez,

Vous le savez : il y a des valeurs qui sont comme la pierre de touche d’une civilisation ; si l’on y porte atteinte, c’est l’homme lui-même qui est menacé. Ainsi, attenter à la vie humaine, sous quelque prétexte que ce soit et sous quelque forme qu’on l’en­visage, c’est méconnaître l’une de ces valeurs essentielles à notre civilisation. Au plus profond de nos consciences — chacun de nous peut l’éprouver —, s’affirme comme un principe incontesta­ble et sacré le respect de toute vie humaine, de celle qui s’éveille, de celle qui ne demande qu’à s’épanouir, de celle qui s’achemine vers son dénouement, de celle surtout qui est faible, démunie, sans défense, à la merci des autres.

Le Concile l’a récemment rappelé avec force : toute vie est sacrée. A l’exception de la légitime défense, rien n’autorise ja­mais un homme à disposer de la vie d’un autre, pas plus que de la sienne propre. A contre-courant, s’il le faut, de ce qu’on pense et de ce qu’on dit parfois autour de nous, répétons-le sans nous lasser : toute vie humaine doit être absolument respectée ; de même que l’avortement, l’euthanasie est un homicide.

Frères et Amis qui m’écoutez, cette vie qui est la vôtre, celle de vos parents, celle de vos enfants, celle de tous les hommes, cette vie fragile et si vite écoulée, demeure, en dépit des épreuves qui la traversent, notre bien le plus précieux. C’est une convic­tion de foi pour ceux d’entre nous qui croient au Christ et aux­quels l’évangile enseigne que notre mort terrestre est un passage vers la vie éternelle.

 

 

 

3 février

JESUS : QUEL MESSIE, POUR QUEL ROYAUME ?

 

Chers Fils et Filles,

 

Il nous suffirait de voir Jésus-Christ pour en avoir une idée réelle, bien à nous, déclarent nombre d’hommes de notre temps. Habitués à tout connaître et à tout résumer en formules brèves, pratiques et frappantes, nous voudrions avoir la satisfac­tion de le connaître directement afin de pouvoir, avec une con­fiance secrète et téméraire, le juger, le mesurer, le définir et enfin décider si nous l’acceptons ou non. Nous serions ainsi à même de déterminer notre position à son égard. Cette attitude, avons-nous dit, a été celle des contemporains de Jésus; cet homme qui fait problème, qui est-il ? Un homme comme les autres ? (cf. Lc 4, 22), un prophète ? (Mt 16, 14 ; 21, 11), un séducteur ? (Mt 27, 63), le fils de David ? (Mt 21, 9). Tous voulaient découvrir son identité sur son visage. Vous souvenez-vous de cet épisode où, Jésus, au commencement de sa vie publique, retourna à la syna­gogue de Nazareth et lut à tous la prophétie d’Isaïe sur le Messie ? « Tous, dit St. Luc, avaient les yeux fixés sur Lui » (Lc 4, 20), tous d’abord émerveillés, puis indignés, enfin méprisants, lors­que Jésus s’exclama : « Cette Ecriture s’est accomplie devant vous ».

 

Ni riche, ni dominateur, ni agitateur

 

Quant à nous, il nous est impossible de le voir, mais d’après ce que nous savons de Lui, quels traits, quels aspects caractéris­tiques nous permettent de nous l’imaginer vivant ? Qui était-il et comment était-il, nous demandons-nous encore ? Commen­çons par éliminer les aspects qui, en général, caractérisent les hommes extraordinaires. Il n’était pas un riche. Le Seigneur dit de lui-même : « Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids. Le fils de l’homme, lui, n’a pas où reposer sa tête » (Mt 8, 20). Ce n’était pas un homme de culture. Ses com­patriotes s’étonnaient de tant de sagesse et d’éloquence : « N’est-ce pas là le charpentier, le fils de Marie ? » (Mt 6, 3 ; 1,27). Ce n’é­tait pas un homme politique, un démagogue, un agitateur. Jésus repousse la tentation du démon qui lui offre, en échange d’un acte d’adoration servile, les royaumes du monde avec leur gloire (Mt 4, 8) ; il s’enfuit après la multiplication des pains, car il se rend compte que la foule enthousiaste veut le faire roi (Jn 6, 15). Ce n’était pas un soldat, un condottiere, un homme de guerre ainsi que beaucoup s’imaginaient le Messie, vengeur et libéra­teur de la nation hébraïque ; ce n’était même pas un zélote, un révolutionnaire, un contestateur du pouvoir romain régnant dans le pays. Il répondra à ceux qui lui demandaient insidieusement s’il était permis de payer le tribut à César : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22, 21 ; cf. O. cullmann, Jésus et les révolutionnaires de son temps, p. 47 ss.). Qui est donc Jésus ? ou du moins : comment apparaît-il ? Quel est son profil, son visage ? Quelle est l’activité qui nous le fait connaître ?

 

Prophète, porteur d’un message

 

A cette question qui nous conduit à l’Evangile, il semble qu’on puisse répondre : Jésus apparaissait comme un prophète (cf. Mt 13, 57 ; 21, 11 ; Lc 7, 16 ; 7, 39 ; Jn 4, 19 ; 6, 14 ; 9, 17 etc.). Vous imaginez-vous un prophète ? C’est un homme qui prononce des oracles sages et mystérieux, des paroles sur les destins cachés ; mais c’est surtout un homme qui écoute et qui annonce des mes­sages divins. Il possède la clé des secrets de Dieu. C’est le héraut d’une Parole qui dépasse sa personne (Jn 7, 16). Penser à Jésus, l’homme de la Parole de Dieu, nous fait pénétrer au sein du mystère de sa Personne : c’est là que devrait s’arrêter notre re­cherche.

Mais une autre question plus simple affleure : quelle est l’an­nonce du prophète Jésus ? Il faut en revenir au début de sa pré­dication qui se rattache à celle du précurseur, Jean-Baptiste ; l’une et l’autre ont le même thème prophétique. « Faites péni­tence, s’exclame Jean, car le royaume des cieux est proche » (Mt 3, 2). « Faites pénitence, prêche aussitôt Jésus, car le royaume des cieux est proche » (Mt 4, 17). Là, nous devrions examiner cette coïncidence de mots et faire une comparaison entre Jean et Jé­sus. Mais, maintenant, un autre thème nous attire: celui du ro­yaume des cieux ou royaume de Dieu ; thème qui constitue le noyau central de la prédication du Christ. Peut-être n’y avons-nous pas pensé suffisamment.

 

Quel royaume annonce-t-il ?

 

Ce n’est certes pas dans ces brefs exposés que nous pourrons donner une idée du « royaume » annoncé par Jésus. L’étude de ce thème nous aiderait pourtant, à comprendre un peu l’histoire d’Israël et de la tension qui animait le peuple hébreu dans l’at­tente ardente et impatiente de l’instauration de ce royaume qui, d’après lui, devait consister en une libération politique puissante et glorieuse, réalisée par un personnage prodigieux, 1’« oint de Dieu », le Messie triomphateur. Royaume et Messie devraient représenter les deux points à étudier pour pénétrer dans le drame de l’Evangile. C’est vous qui devez le faire. Pour le moment, li­mitons-nous à remarquer que Jésus accepte le mot consacré « royaume » et le fait sien ; (comme roi des Juifs, il sera condamné à la croix) (cf. Jn 19, 19) ; mais il en change profondément le sens. Le royaume des cieux que Jésus annonce, inaugure et person­nifie, c’est le merveilleux dessein de Dieu, c’est la nouvelle idée religieuse, c’est le « mystère caché depuis des siècles et des générations », comme dit St. Paul et qui maintenant « vient d’être manifesté » (Col 1, 26) ; c’est le plan de miséricorde et de grâce que le Christ présente aux hommes qui croient en Lui, c’est l’Eglise, signe et instrument du Règne à venir, c’est le début d’une promesse qui portera l’humanité rachetée et élue sur la voie de la rencontre finale avec Dieu dans la vie éternelle. Oh! combien il y aurait à méditer sur cette expression, le Royaume à la fois simple et riche, si proche de la conception humaine, si fécond et innovateur, si important pour l’histoire du monde et pour cha­que conscience, si marqué dans les paroles et l’image du Christ ! Oui, Jésus est le prophète du royaume de Dieu. Il est venu et le royaume est proche. Il est cette personne qui possède, annonce et donne la formule véritable, universelle et incomparable à l’hu­manité. Il est le Maître. Il est le Pasteur. Il est le Sauveur.

Ne vous êtes-vous jamais aperçus que les hommes, plus ils sont évolués, plus ils vont fanatiquement à la recherche de l’hom­me qui renferme en lui l’idéal de l’humanité qui incarne une manière de vivre, les valeurs que l’on estime, l’espérance de nou­veaux destins ? Notre histoire même le prouve ; hélas ! mais avec tant de folles exaltations, d’humiliations, de déceptions tantôt tragiques, tantôt désespérées ! Le vieux rêve continue : je cherche l’homme.

Si nous savons fixer notre esprit sur Jésus, avec une pensée honnête, une foi simple, un amour naissant, son image nous ap­paraîtra grave et lumineuse, libératrice et engageante. Et, aujourd’hui encore, pour nous qui sommes les enfants de ce siècle, à la fois exaltant et déprimant, se répétera la grande découverte des deux premiers disciples : « Nous avons trouvé le Messie, c’est-à-dire le Christ » (Jn 1, 41).

C’est le souhait que Nous formulons pour chacun d’entre vous : trouver le Christ.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

10 février

CONNAÎTRE LE CHRIST PAR L’EVANGILE

 

Chers Fils et Filles,

 

Depuis Noël, au cours de ces conversations hebdomadaires, nous nous sommes promis de réfléchir longuement — non par souci scientifique, mais pour le connaître — sur Jésus, son aspect extérieur et humain, son profil moral. Mais tout devrait encore être dit ; c’est déjà bon signe que nous nous en rendions compte et que nous reconnaissions le profond intérêt de ce thè­me. C’est pourquoi, nous tenons à vous proposer de revenir, d’une manière plus synthétique sur ce sujet, en exhortant chacun de vous à rechercher dans sa conscience chrétienne, formée à l’école de notre foi catholique, une réponse à ces deux questions : Qui était Jésus ? Qu’a-t-il fait ? Personnalité et œuvres : ce sont là des thèmes de très vaste dimension, au-delà de notre mesure, et qui devraient nous attirer au lieu de nous tourmenter. Arrê­tons-nous cette fois, à la première des deux questions : qui était réellement Jésus ?

 

Comment ses contemporains l’ont-ils connu ?

 

Observons tout d’abord que cette question nous place au cœur de l’Evangile. On peut même dire que l’histoire racontée par l’Evangile est construite autour de ce problème : identifier la réalité de Jésus : qui était Jésus ? « N’est-il pas le fils du char­pentier ? » (Mt 13, 55). C’est ainsi que le classe l’opinion publi­que. « N’est-il pas le fils de Marie ? » (Mt 6, 3). Les gens les mieux informés savaient quelque chose de sa famille. Dès l’apparition de Jésus sur la scène publique, Jean le Baptiste le voit venir vers le Jourdain et s’exclame : « Voici l’Agneau de Dieu » (Jn 1, 29) ; une appellation étrange qui fait entrevoir en Jésus une victime prédestinée  à  un  sacrifice  rédempteur.

L’Evangéliste raconte la suite du témoignage du précurseur qui, dès lors, conclut : « Celui-ci est le fils de Dieu » (Jn 1, 34). Jean s’exclamera à nouveau le lendemain : « Voici l’Agneau de Dieu » (Jn 1, 36). Et un des disciples, André, en en donnant la nouvelle à son frère, Simon Pierre, traduira cette exclamation en déclarant : « Nous avons rencontré le Messie » (Jn 1, 41). Désor­mais, un secret plane autour de Jésus : Mais enfin qui est-il, ce jeune et mystérieux prophète ? De sa prison, Jean lui-même — pour éclairer ses disciples et sans doute les céder au nouveau Maître — les envoie enquêter auprès de Jésus : «Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » (Mt 11, 3). La curiosité s’étend, elle devient inquiétude. Jésus la reprend à son compte ; vous rappelez-vous la célèbre conversation de Jé­sus avec ses disciples dans la région de Césarée de Philippe ? C’est Jésus qui les interroge, non certes pour s’informer, mais pour les amener à définir l’idée qu’ils se font de lui en vertu de la nouvelle science, la foi, que Dieu leur a donnée en sa person­nalité mystérieuse : « Au dire des gens, qui est le Fils de l’homme ? » (c’est ainsi que Jésus lui-même se nommait) ; et puis, ayant écouté les réponses diverses, selon les bruits qui couraient sur lui, il pose la grande question : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? » ques­tion suivie immédiatement par la réponse spontanée de Pierre, inspirée par Dieu le Père : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vi­vant » (Mt 16, 13-16). Cette merveilleuse définition, joie des croyants, problème pour les exégètes, tourment et cible des incré­dules, prend un relief souverain grâce à deux confirmations suc­cessives. La première, sceau éternel de la découverte de la vérité, donnée par Jésus lui-même : « Tu es heureux, Simon, Fils de Jonas, car cette révélation t’est venue, non de la Chair et du Sang (c’est-à-dire la voie naturelle de la connaissance) mais de mon Père qui est dans les cieux. Eh bien ! moi je te dis, tu es Pierre » (Mt 16, 17-18). Qu’il est beau le commentaire de St. Léon le Grand lorsqu’il fait dire à Jésus : « De même que mon Père t’a manifesté ma dignité, je te fais connaître ta grande valeur » (cf. Serm. 4, 2 ; PL 54, 150). La seconde confirmation des paroles de Pierre nous est donnée lors de la transfiguration nocturne de Jé­sus, six jours plus tard, sur la montagne, tandis que d’une nuée lumineuse une voix résonne : « Celui-ci est mon fils bien-aimé, qui a toute ma faveur, écoutez-le » (Mt 17, 5 ; cf. 2 P 1, 16 ss.). Ce thème évangélique nous conduit à St. Jean, historien tout comme les autres évangélistes, mais avec un but doctrinal et spi­rituel. Le problème de la définition de la personne et de l’action de Jésus domine tout son récit.

 

Les titres donnés à Jésus

 

A ce propos, il serait très intéressant de faire une liste des titres de Jésus dans les Evangiles. Chacun pourrait être l’objet d’une étude et surtout d’une profonde méditation. Jésus, le Maître, le Fils de David, est appelé l’eau qui seule désaltère (Jn 4, 10), le Pain du ciel (Jn 6, 41), la Lumière du monde (Jn 8, 12), la Porte du Salut (Jn 19, 9), le Bon Pasteur (Jn 10, 11), la Résurrec­tion et la Vie (Jn 11, 25), la Voie, la Vérité, la Vie (Jn 14, 6), etc. (cf. L. de grandmaison, Gesù Cristo, IV : La persona di Gesù ; L. sabourin, Les noms et les titres de Jésus, Desclée de Brouwer ; O. cullmann, Christologie du N. T., 1955).

 

Homme et Dieu

 

Et nous arrivons ainsi à l’épilogue de la vie temporelle de Jé­sus et précisément à l’instant décisif de son procès religieux : Jésus est condamné à mort (Mt 26, 66) après avoir répondu « Tu l’as bien dit » à la question du Grand Prêtre Juif qui l’adjure par le Dieu vivant de dire « qu’il est le Christ, fils de Dieu » (Mt 26, 63).

Il faudrait recueillir bien d’autres affirmations (cf. Mt 11, 27 ; Jn 8, 52-58 ; Jn 17, 1-6) et de témoignages (cf. Mt 27, 43 ; 27, 54 ; Jn 20, 28) si un fait dominant, la résurrection, ne les contenait pas tous et les confirmait, en donnant à l’Eglise naissante et à la tradition qui a suivi, la foi en la divinité du Christ. La foi dans l’adhésion rigoureuse au fait historique, mais animée par la clair­voyance de l’esprit et le courage de l’amour, réussira finalement à donner une réponse définitive à la question implacable : « Qui est Jésus ? » Ecoutons encore une fois une des voix les plus auto­risées du N.T., celle de Jean : « Au commencement était le Verbe... et le Verbe était Dieu... et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » (Jn 1, 1 ss.). Il est Dieu, le Fils de Dieu, avec nous. Ecoutons St. Paul : « Il est l’image du Dieu invisible » (Col 1, 15). Et dans la joie d’avoir atteint le sommet de la définition du Christ, nous éprouverons une sorte de vertige comme si nous étions aveuglés et que nous ne comprenions plus rien : n’est-ce pas Jé­sus que nous acceptons comme le Christ, et que nous confessons comme Fils de Dieu, Dieu comme le Père, qui nous a donné les preuves de son infériorité déconcertante ? Oui, car c’est lui qui a dit : « Le Père est plus grand que moi » (Jn 14, 28). Ne rencon­trons-nous pas continuellement dans l’Evangile, Jésus qui prie (cf. Lc 6, 42), n’écoutons-nous pas, angoissés, son gémissement sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu ; pourquoi m’as-tu abandon­né ? » (Mt 27, 46) et ne le voyons-nous pas mort, oui, mort comme tout autre mortel ? C’est-à-dire, ne voyons-nous pas en Lui un Etre qui réunit en Lui divinité et humanité ? Oui ; il en est ainsi. La définition du Christ, à laquelle ont abouti les conciles de l’E­glise primitive, Nicée, Ephèse et Chalcédoine, nous donnera la formule dogmatique infaillible ; une seule Personne, un seul « Moi », vivant et agissant dans une double nature, divine et hu­maine (DENZ.-SCHON., 290 ss.). Est-ce là une formulation difficile ? Oui. Disons plutôt ineffable, adaptée à notre capacité de recevoir par de simples mots et des concepts analogiques, c’est-à-dire, exacts mais toujours inférieurs à la réalité qu’ils expriment, le mystère enivrant de l’Incarnation.

Heureux, pleins de courage, liés à la vérité, arrêtons ici notre discours ; l’Eglise et le Siège de Pierre que nous, indignes, occu­pons, jouissent du charisme infaillible de cette vérité. Engageons-nous à vivre le mystère de l’Incarnation, dans lequel le Baptême et la Foi nous ont déjà insérés, à le vivre en croyant, en priant, en agissant, en espérant, en aimant et en déclarant : « Pour moi, la vie, c’est le Christ » (Ph 1, 21) prêts à explorer, prêts à expérimenter, avec la grâce de Dieu, l’autre mystère du Christ qui nous concerne totalement : la Rédemption.

 

Recherches sur le Christ dans la prudence

 

Impassibles, laissons se déchaîner contre notre foi catholique la tempête des christologies opposées, du siècle passé surtout et d’aujourd’hui, de ce siècle à la fois lumière et ténèbres. Nous admirerons l’effort de grande érudition que la culture moderne a fait porter sur le Christ, sa personne, son histoire, tout ce qui le concerne ; nous apprendrons nous aussi à y réfléchir davantage. Mais nous serons prudents et même méfiants en voyant les explications se succéder, en constatant que dans l’érudition de tant de maîtres, s’insinuent habituellement une hypothèse, un préjugé, une philosophie discutable, qui, combinés avec le trésor scientifique accumulé, portent souvent leurs conclusions au nau­frage dans le doute invincible ou la négation radicale et irration­nelle (cf. M. joseph lagrange, Le sens du Christianisme ; G. ricciotti, Vita di G. Cristo, par. 104-224 ; L. de grandmaison, Gesù Cristo ; S. zedda, I vangeli e la critica oggi, Treviso 1965 ; et pour les récentes théories négatives G. de rosa, La secolarizzazione del cristianesimo, « Civiltà Cattolica » 1970, 2877-78).

Prudents et confiants : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? » (Rm 8, 35). Chantons notre Credo ! Avec notre Béné­diction Apostolique.

 

 

 

17 février

TOUTE LA VIE DU CHRIST POUR LE SALUT DES HOMMES

 

Chers Fils et Filles,

 

Depuis les fêtes de Noël (que suivront bientôt le temps de Ca­rême et les fêtes de Pâques), nous nous interrogeons sur notre connaissance du Christ, nous limitant à arrêter notre attention sur certains aspects extérieurs de sa personnalité très complexe. Aujourd’hui, au terme de cette recherche élémentaire, nous vou­lons essayer de répondre — en n’utilisant que des notions à la portée de tous — à une question importante : Quel a été le but de la vie de Jésus ? Cette vie a-t-elle été dirigée vers un objectif, un dessein spécial ? Qu’a fait Jésus, Fils de Dieu et de Marie, par sa venue et son action dans le monde ? Ce problème revêt des proportions immenses et mystérieuses si nous avons une cer­taine connaissance de l’Etre de Jésus, si nous savons ce qu’il était. La question surgit dans toute sa spontanéité : Pourquoi ?

 

L’annonce de la parole

 

Si nous jetons un regard d’ensemble sur l’histoire du Sei­gneur, nous sommes à même de répondre ceci : La raison de la vie du Christ, la première et la plus évidente, est l’annonce de sa Parole. Il est venu pour prêcher l’Evangile. La présence du Christ dans le monde est caractérisée par la vérité qu’il proclame. Sa vie est la Parole de Dieu à l’Humanité. Cette Parole fonde sa vérité sur les miracles accomplis par le Christ; elle demeure et se répand au cours des siècles, grâce au choix des Apôtres, chargés de gui­der et d’instruire les disciples du Christ, de constituer l’Eglise, développement humain et historique, nouveau Peuple de Dieu.

Est-ce assez ? Avons-nous bien regardé ? Avons-nous bien écouté ?

 

Jésus prévoyait sa mort

 

Tout d’abord, nous ne pouvons oublier la fin tragique de la vie terrestre du Christ, le drame de sa mort sur la croix ; nous ne pouvons non plus oublier un fait extraordinaire qui donne à ce drame une signification exceptionnelle: Jésus savait qu’il devait mourir ainsi. Aucun héros ne peut prévoir le sort qui l’attend. Aucun mortel ne peut connaître la date de sa mort ni les souffran­ces qu’il devra endurer. Mais Jésus, lui, savait. Pouvons-nous imaginer l’état d’âme d’un homme qui prévoit parfaitement un martyre moral et physique semblable à celui qu’a subi Jésus ? Sa conscience voit clairement et il prédit maintes fois sa passion à ses disciples ; les récits évangéliques renferment beaucoup de ces confidences prophétiques qui mettent en relief la prescience déchirante de Jésus, quant au destin qui l’attendait (cf. Mc 8, 31 ; 9, 31 ; 10, 33 ss.). Il connaissait « son heure » ; une méditation à ce propos nous aiderait sans doute à pénétrer quelque peu dans l’âme du Christ ; St. Jean y consacre de précieuses indications (cf. Jn 2, 4 ; 7, 30 ; 12, 23 ; 13, 1 ; 17, 1) ; le Christ a sans cesse de­vant lui le déroulement du futur comme celui du présent selon les cycles mystérieux des événements vus par Dieu ; les prophéties du passé et de l’avenir sont un livre ouvert à son regard divin (cf. Mt ; Jn 13, 18 ; 15, 25 ; Lc 24, 25 ; etc.).

 

Il acceptait sa mort

 

Jésus voulait. Il a voulu sa passion, nombre de témoignages évangéliques le prouvent. Lorsqu’il annonce à ses disciples qu’il faut aller à Jérusalem pour souffrir et y mourir, Pierre proteste et veut l’en détourner. Jésus lui adresse alors de sévères reproches (Mt 16, 21-23) et lui redit son mécontentement à Gethsémani, lorsque Pierre essaiera encore de le protéger avec le glaive : « Mets ton glaive dans le fourreau ; la coupe que m’a donnée le Père, ne la boirai-je pas ? » (Jn 18, 11 ; He 9, 14). Rappelons encore les paroles de St. Marc : « Le Fils de l’homme lui-même n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude » (Mc 10, 45 ; Is 53, 10 ss.).

Si nous réfléchissons à cette vocation de Jésus, une vocation de douleur et de sacrifice, nous pouvons nous imaginer quelques traits de son visage. Un apocryphe devina peut-être : Jésus n’a jamais ri dit-il (cf. Lettre de Lentulus). Il a quelquefois pleuré (cf. Jn 11, 35 ; Lc 19, 4) ; et c’est avec joie que nous le voyons sourire aux enfants (Mc 9, 36 ; 10, 16). Mais la scène de Gethsémani nous laisse entrevoir les souffrances profondes que Jésus porta dans son cœur tout au long de sa vie, attendant sereinement sa passion (Lc 22, 43) ; il n’était pourtant ni stoïque, ni triste ; il était en communion totale avec le Père (cf. Jn 12, 27-28).

Nous pouvons par là connaître un peu son aspect moral, ses sentiments : Jésus était bon, d’une bonté divine (cf. Mc 10, 17-19-21).

 

« L’homme pour les autres »

 

Il comprenait la douleur et les angoisses d’autrui (Mt 11, 28) ; il savait pardonner et relever ; ses entretiens avec les pécheurs nous sont bien connus. Jésus a été admirablement compris dans la Christologie contemporaine qui le définit : « l’homme pour les autres ».

Oui, et St. Paul, c’est-à-dire toute la théologie du Nouveau Testament et la Tradition Catholique, comprend le secret de la vie terrestre de Jésus, la raison, le but de son incarnation et nous apprend jusqu’à quel point il a vécu pour les autres : « Le Christ est mort pour nos péchés, d’après les Ecritures » (1 Co 15, 3).

Jésus est venu au monde pour nous et pour notre salut. Jésus nous a sauvés. Il s’appelait en effet ainsi, Jésus, qui veut dire Sauveur. Et il nous a sauvés en s’immolant pour notre rédemption : mystère de la soumission de l’homme-Jésus, uni à celui de la sublimation de l’homme-Jésus qui est l’Incarnation et qui prend place dans les vérités les plus importantes du sys­tème théologique chrétien, pour faire connaître l’amour de Dieu pour nous, dans le dessein éternel que seulement le Christ nous a révélé, dans le dogme obscur mais indispensable (pascal, Pen­sées, 434) — car sans lui, nous ne pouvions rien savoir de nous-mêmes —, dans la valeur sacrificielle de la passion du Seigneur, pour tous, en remplacement d’une expiation pour nous néces­saire mais impossible à nos forces.

Nous arrivons à la dernière action du Christ : la Rédemption qui permet à chacun d’entre nous, de parvenir librement à un dialogue souhaitable avec Notre Seigneur Jésus-Christ : « Il nous a aimés, proclame St. Paul, et il s’est immolé pour moi » (Ep 5, 2 ; Ga 2, 20). Pour moi : c’est ici, Chers Frères, que commence pour chacun de nous, la vie Chrétienne, vie d’amour, qui nous apporte la lumière, le feu, le sang du Christ, dans l’Esprit : Amour qui, avec toutes nos forces, va vers le Christ, à la recherche des frères dans l’Esprit-Saint, toujours.

Ainsi soit-il !

Amen !

 

 

 

24 février

LE CAREME : TEMPS POUR LA PÉNITENCE

 

Chers Fils et Filles,

 

Nous devons accepter cette invitation, grave et salutaire que l’Eglise, cette éducatrice, nous adresse en ce début de Ca­rême. Nous pouvons le considérer à bon droit, comme le chemin classique de notre salut, célébration du mystère de la Rédemption effectuée par le Christ crucifié et ressuscité.

Quelle est cette invitation ? C’est le « mémento » rappelé à chacun de nous par le rite impressionnant de l’imposition des cendres sur nos têtes.

 

« Mémento »

 

Un « mémento » ! L’invitation, c’est clair, veut attirer notre attention et nous amener à formuler un jugement sur nous-mêmes. Nous sommes suffisamment habitués à des actes de ré­flexion, à des examens de conscience, à des retours sur notre vie intérieure : la grande et éternelle leçon de l’ascétique dans l’E­glise est ainsi confirmée par le développement des études psycho­logiques et des analyses introspectives sur les phénomènes de la conscience instinctive ou rationnelle qui nous habitue à cette rétrospection et nous demande de dialoguer silencieusement avec nous-mêmes.

Mais il est rare que ce dialogue, ou plutôt ce soliloque, prenne en considération toute notre existence et s’aventure dans les pro­fondeurs ambiguës de nos destins existentiels. En général, nous sommes enclins à ignorer notre vraie nature ; nous ne savons pas qui nous sommes, sinon grâce à quelque événement phénomé­nal ou à quelque indication extérieure. Et quand, difficilement, nous nous interrogeons sur notre être, sans la lumière d’une sa­gesse supérieure, nous sommes déconcertés.

Nous feuilletons par la pensée le livre de nos souvenirs et im­médiatement nous en découvrons le vide ; souvenirs inscrits dans le temps que le temps même condamne. Que reste-t-il de leur réalité ? La mémoire, leur histoire, mais quelle valeur a pour nous, pour notre être une telle constatation ? Quelle valeur ? La vie hu­maine saisit l’insuffisance de ces trésors de la mémoire, l’oubli les ronge, le regret, tout en nous les rendant doux et instructifs, dénonce la perte de ce qu’ils renferment, la nullité de leur con­tenu. Quelle expérience amère que le bilan de nos souvenirs ! Plus amère et désespérée si cette enquête s’adresse à tout ce qui nous entoure, personnes et choses ; elle fait ressortir cette froide solitude de notre être.

Le lien qui nous unit avec ce qui est en dehors de nous, dé­voile son inexorable précarité ; il est inutile et peut-être même insensé, de nous accrocher à ce que nous possédons, à ce que nous connaissons, à ce que nous aimons et que nous appelons nôtre (cf. Lc 12, 15). Que nous reste-t-il ? Notre âme, c’est-à-dire notre personne, notre vie intime ? Oui, mais même à ce propos, quelle obscurité ! Que sommes-nous, que reste-t-il de nous ? Qu’est-ce que la mort ? Le vide, l’océan du néant, ou la mystérieuse survie du noyau central de notre être, l’âme ?

 

Double prospective de la vie humaine

 

C’est à ce propos que nous revient à l’esprit la parole du Sei­gneur : « Que servira donc à l’homme de gagner le monde entier s’il ruine sa propre vie ? Ou que pourra donner l’homme en échan­ge de sa propre vie ? » (Mt 16, 26). Ces paroles nous font méditer longuement sur la dévaluation de toutes choses, dans le jugement chrétien sur notre propre vie ; une réflexion qui remplit les pages de l’Evangile, les sermons et les traités de spiritualité, les vies des Saints, les exercices spirituels ? etc., au point que celui qui considère le christianisme sous certains aspects particuliers, peut l’accuser d’être l’ennemi des valeurs temporelles et d’être inca­pable d’apprécier la vie présente. Le Concile a corrigé cette vision restreinte et a reconnu les aspects qui rendent dignes les biens de la création, de la nature, de l’œuvre humaine de l’épo­que actuelle (cf. Apostolicam Actuositatem, 7 ; Gaudium et Spes, 6-9 ; Lumen Gentium, 36).

Le christianisme n’est pas pessimiste. L’œuvre de Dieu et celle de l’homme, à un niveau bien inférieur, sont l’objet d’un très grand intérêt dans l’évaluation chrétienne ; mais quand la vie de l’homme est vue dans sa double prospective finale, c’est-à-dire mesurée par le temps et par un critère moral, alors, d’un côté, elle est réduite en cendres, destinée à la mort, et de l’autre, elle est surévaluée dans son être spirituel et dans son destin im­mortel, c’est-à-dire, engagée à décider de son avenir d’outre-tombe.

Cette conception de la vie humaine n’est certes pas à la mode. Tout aujourd’hui s’efforce de la faire oublier. On vit avec une mentalité toute tournée vers le moment actuel, comme si celui-ci était permanent et non-irrémédiablement bouleversé par le mo­ment à venir ; mentalité qui souvent tente de se soustraire à la responsabilité d’un critère moral et d’un jugement dernier. Nous vivons ainsi, plongés dans une double illusion, comme si nous étions les maîtres du temps et comme si nous pouvions vivre dans un indifférentisme moral, sans aucun devoir fondé sur une norme extérieure à notre jugement et à notre conscience libre. Nous connaissons certains effets pratiques et sociaux de cette manière de vivre aveugle, comme si nous étions exemptés du dessein réel et moral dans lequel est insérée inexorablement no­tre vie. Et comme nous sommes habituellement poussés à accor­der une importance souveraine aux biens temporels dans lesquels se déroule notre existence terrestre et dont elle tire sa vie, voici que l’Eglise nous rappelle à la réalité : Souvenez-vous. Faites attention. Soyez attentifs, vigilants ! Vérifiez la direction de votre route. L’Eglise nous le dit, par ce rite des cendres, rite sérieux, austère mais salutaire et au fond optimiste, car il nous place de­vant notre condition misérable d’êtres mortels, d’êtres pécheurs, d’êtres en état de mort par rapport à la vraie vie ; cette vie qui dépend de notre communion avec Dieu, unique, dernier, miséri­cordieux principe de vie. L’Eglise nous avertit ainsi, que nous avons besoin de salut, pour nous dire immédiatement que nous ne le trouverons que dans le Christ.

 

Le temps de la réflexion

 

Et voici qu’alors, ce temps devient plus précieux ; et c’est justement ce temps que nous allons commencer à vivre ; c’est le « tempus acceptabile », le temps propice (2 Co 6, 2). Pourquoi ? pour une nouvelle réflexion, pour le repentir, la pénitence. C’est à la pénitence que nous invite la liturgie de l’Eglise par ce rite austère des cendres, très antique, aux origines bibliques et évangéliques (cf. 1 Mc 4, 39 ; Mt 11, 21) et qui est inséré dans l’histoire de la liturgie depuis les origines du christianisme (cf. DACL 2, 2 ; cabrol, 2134 ss. ; 3040 ss.).

Nous devons nous convaincre que ce rite, accompli avec un sentiment sincère et conforme, à la vénérable tradition de l’Eglise, aura encore pour nous, la même efficacité qu’il a eu pour nombre de générations de chrétiens : faire surgir des cendres de la péni­tence, symbole de notre mortalité et de la condamnation de nos péchés, la nouvelle étincelle de l’espérance et de la vie que le Christ Pascal renouvelle dans le monde.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

10 mars

ORIENTER SA VIE

 

Chers Fils et Filles,

 

Où vont les hommes, où veulent-ils arriver et où arrivent-ils ? C’est la question que nous nous posons, nous qui observons l’humanité avec le plus grand intérêt, l’intérêt du Pasteur, du responsable, l’intérêt de l’amour.

Le monde actuel est sans cesse en mouvement et l’activité humaine s’accélère de plus en plus. Agir, changer, bouger sans cesse, c’est là l’objectif commun des peuples de notre temps.

 

Dans un monde tendu vers l’efficacité

 

Les mérites d’une personne, d’une société ne se mesurent désormais que par l’intensité de leur travail, de leur productivité, de leurs œuvres. Parmi toutes les choses qu’un homme peut désirer, c’est l’énergie qui a la primauté : la puissance, la vitesse, la nouveauté et la révolution sont en tête dans l’échelon des éva­luations courantes. La ronde frénétique des événements attire toute notre attention ; l’opinion publique recherche ardemment l’excitation que lui procure cette avalanche de faits qui ne prend jamais fin. La psychologie des hommes est sans cesse tournée vers l’avenir immédiat ; les espoirs d’événements grandioses et imprévus remplissent les rêves d’une science-fiction qui laisse entrevoir les formes imaginaires et hyperboliques de la vie fu­ture ; mais l’incertitude, la crainte, l’angoisse dominent les esprits, car on ignore le sort de cette humanité menacée par les engins de destruction qu’elle a elle-même inventés et construits, menacée par le désespoir caché qui l’envahit.

L’homme va, court, mais dans quelle direction ? Il ne le sait pas. L’activité se suffit à elle-même. Elle organise, elle se perfec­tionne, mais en réalité elle ne trouve pas sa raison d’être. Elle crée une civilisation, mais pour contester aussitôt son œuvre. Elle voudrait tout bouleverser et se détruire. Il manque l’essentiel. L’action s’est libérée de ses chaînes ; la loi extérieure a été réduite pour pouvoir maintenir un minimum d’ordre conven­tionnel. La liberté d’action est la règle que l’on préfère, car elle entraîne l’abolition des normes obligatoires : c’est une perfection, une plénitude, un anthropocentrisme, un personnalisme qui vou­drait justifier tout notre système d’action. La conscience demeu­rera seul juge, seul responsable. Mais cette responsabilité, mot magique et terrible, rompt l’enchantement, car elle appelle l’élé­ment absent : le devoir, l’objectif, l’objectif transcendant l’action, l’élan de la volonté libre, la conception et l’existence du Bien, ce Bien qui est Dieu (et. st. thomas, I-II, 1, 1).

 

Au risque d’oublier l’essentiel

 

Nous constatons que l’activité humaine, aujourd’hui si intense, si complexe, si avancée peut entraîner des distorsions, car quelque chose d’essentiel fait défaut, c’est-à-dire le but, la raison de son mouvement ; et encore ces marques qui donnent à l’action un caractère vraiment humain et qui ne sont autre que la moralité, la science du devoir, la science du bien, la science des vrais objectifs. Parler de quelque chose d’humain et parler de quel­que chose de moral, c’est dire la même chose. Les instru­ments et les moyens d’activité n’ont presque plus de secrets de nos jours : mais à quelle fin les utiliser ? L’homme est très incertain à ce sujet. Et cette fin, ce but, étant intimement liés à la religion, le processus de désintégration de la pensée re­ligieuse et de la vie a engendré une certaine confusion dans la conscience et dans l’activité de l’homme. Dieu est l’axe de la vie humaine, de cette vie guidée par le sens moral qui en est la fin ; et la cause finale, nous dit St. Thomas, est première entre toutes.

Il est par conséquent très important que cet axe soit bien dé­terminé dans le domaine de notre activité selon cette rectitude qui rend la vie de l’homme, bonne, parfaite et heureuse.

 

Donner un sens à sa vie

 

Il faut rectifier l’orientation de notre vie. C’est la recomman­dation du prologue du Salut : « Aplanissez le chemin du Seigneur » (Jn 1, 23). Cette recommandation est extrêmement opportune, non seulement pour cette période liturgique qui précède Pâques, mais pour la planification de toute l’activité de notre vie. Il est facile de nous rendre compte de notre rectitude, de voir si nous conduisons notre existence contre la logique et la vérité ; il suffit de nous poser, au fond du cœur, ces questions simples mais signi­ficatives : Qu’est-ce que je désire le plus dans ma vie ? Sur quoi sont fondés mes choix ? Quelle est pour moi la chose la plus importante ? Vers quoi est tourné mon amour ? Qu’est-ce qui influe davantage sur ma conscience ? Qu’est-ce qui me tient le plus à cœur ? Le premier précepte de ma vie ? Nous pouvons même dire par métaphore : quelle direction, ma vie, voyageant dans le temps, prend-elle ? Nous pouvons aussi employer un terme biblique que la liturgie a actualisé pour cette période : la « métanoia », c’est-à-dire la rectification de la mentalité, con­formément à la véritable interprétation de la vie qui est le salut vers lequel elle nous conduit. Ne nous laissons pas emporter par le tourbillon du monde qui nous entoure : choisissons un point de référence, un pôle d’orientation, donnons un sens à notre vie afin qu’elle soit vraiment humaine, chrétienne.

Et voici que Jésus, le Maître, nous avertit : « Tu aimeras Dieu de tout ton cœur, et par dessus tout. Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (cf. Mt 22, 37-39).

Telle est aujourd’hui et surtout aujourd’hui l’orientation que nous devons donner à notre vie. Que chacun la fasse sienne.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

17 mars

QUELLE ORIENTATION ?

 

Chers Fils et Filles,

 

Situons notre vie dans le droit chemin. En cette période qui précède Pâques, l’Eglise nous exhorte à méditer sur l’orientation que nous devons donner à notre vie. C’est en sa qualité de guide des consciences qu’elle nous invite à une profonde réflexion et à un sérieux examen de notre conduite.

 

Vivre dans la rectitude

 

Notre vie doit poursuivre un idéal, aspirer à un but bien pré­cis ; et cet idéal, ce but, ne sont autre que la recherche de Dieu auquel le Christ nous conduit et nous unit. Ce chemin que nous avons à parcourir doit être marqué par un réel désir de perfection et, lorsque nous serons à même de reconnaître le sens de notre être et de notre destin, cette perfection deviendra la règle de notre vie tel un musicien qui sait savourer une mélodie et n’en tolère pas les fausses notes. « Au sein de l’Eglise, nous sommes tous appelés à la Sainteté », nous dit le Concile (Lumen Gentium, 39).

Cette manière de vivre doit être l’une de nos règles fondamen­tales. L’homme doit vivre dans la rectitude, la justice, le droit, c’est-à-dire dans l’honnêteté et la moralité. Si nous réfléchissons quelques instants à ce qui vient d’être dit, nous nous trouvons face à un des problèmes les plus importants, à un problème qui se pose à toute conscience et qui domine la pensée du monde dans lequel nous vivons : notre liberté personnelle. Ceux qui en nient l’existence, au nom d’un déterminisme psychologique qui voudrait transformer l’homme en robot, sont bien rares de nos jours.

 

Liberté et vérité

 

L’analyse de ces impulsions instinctives et de ces états psy­chologiques qui influent sur le travail de l’homme, est certaine­ment très avancée mais pas toujours admissible. Heureusement, tous savent reconnaître que, dans des conditions normales, l’hom­me est intérieurement l’arbitre de sa propre personne : il est li­bre. L’existentialisme, littéraire ou artistique, aboutit à des af­firmations extrêmes, par exemple «... je suis un homme, et tout homme doit inventer son propre chemin... l’homme s’engage à vivre sa vie, il dessine sa propre personne et au-delà de sa per­sonne, il ne découvre que le néant » (cf. J. M. aubert, Sartre, Monographie : « Pour une redécouverte du sens du péché »). Nous l’acceptons, oui, mais en affirmant et en revendiquant même, si nécessaire, la liberté propre de l’homme. Mais quelle liberté ? la liberté physique, la liberté de la volonté humaine proprement dite. C’est là une des prérogatives qui font de l’homme « causa sui », le maître de ses choix, de ses propres actions et qui reflète sur son visage l’image de Dieu. Mais la liberté est intérieurement liée par la vérité : nous « ne sommes pas libres de violer les lois de la pensée sous peine de déformer notre personne ; c’est la volonté qui est libre, pas l’intelligence, qui, par nature est faite pour la vérité. Or, dans le dynamisme de l’agir humain, l’intelligence propose à la volonté une vérité ; celle-ci passe du domaine spé­culatif à la pratique et devient un « devoir » qui nous engage morale­ment mais pas physiquement. Ce n’est pas une contrainte. L’in­telligence nous ordonne un choix, mais notre volonté peut accepter ou refuser. Si elle accepte, c’est l’ordre, la grandeur, la beauté de l’organisme spirituel et vital de l’homme ; si, par contre, elle refuse, c’est le désordre, une distorsion de l’homme en lui-même, qui le trouble, l’afflige, le conduit à la folie ou au mépris de sa personne.

Mais attention : Si la vérité proposée à la libre volonté nous est ordonnée par une pensée extérieure, supérieure à l’homme-sujet, c’est-à-dire si cette vérité est loi, un refus volontaire de notre part, entraînerait un désordre allant au-delà même de l’homme-sujet, une violation, une faute contre le législateur. S’il s’agit de la loi civile, nous aurons une faute sociale que l’autorité civile jugera et punira. C’est là que s’arrête aujourd’hui le juge­ment moral du monde.

Mais si cette loi était divine ? Sa non-observation serait dans ce cas, une offense à l’Auteur de la loi divine ; si ce refus de l’observer est conscient, voulu, inhérent à quelque chose d’important, nous commettons là une faute grave, terrible, nous com­mettons un péché.

 

On ne parle plus de péché

 

Chose effrayante, dramatique ! L’Eglise ne cesse d’employer ce mot qui, comme une fâcheuse hérédité, frappe la nature hu­maine d’un malheur fatal dont elle n’est pas personnellement responsable : le péché originel. Mais sa responsabilité personnelle apparaît lorsque ce péché est commis délibérément et avec cons­cience. C’est une doctrine que nous connaissons tous, mais, victimes de cette sécularisation qui est fin en soi, nous avons tendance à l’oublier. Nous avons déjà traité ce sujet (Insegnamenti II, 1171, etc.).

On ne parle plus de péché, car cette triste condition de l’hom­me pécheur, implique l’idée de Dieu, l’idée de l’offense faite à Dieu. Elle entraîne une rupture des rapports vivifiants et réels que nous avons avec Lui, la prise de conscience d’un désordre intolérable chez l’homme coupable, la crainte d’une sanction, d’une punition éternelle, l’Enfer ! Elle implique le besoin absolu du Salut et surtout d’un Sauveur.

 

La loi divine parle au cœur de chaque homme

 

Si la foi vient à manquer, avec elle, nous perdrons le sens du péché et des conséquences désastreuses que ce dernier entraîne. L’édifice moral du christianisme s’écroulera. Mais la vérité de­meure. L’absence de foi ne détruit pas le plan divin, elle pourra fausser les répercussions qu’il aura sur notre destin et les aggra­ver si la foi est volontairement refusée ou éteinte ; elle les remettra au mystère de la bonté de Dieu si la foi est involontairement ignorée. Mais, disons-le encore : le plan réel divin demeure ; c’est une réalité absolue à laquelle nous ne pouvons échapper. Et nous ne le pouvons, car nous ne sommes que des hommes et la loi divine, dans ses exigences inéluctables, parle au cœur de chaque homme conscient, avec la logique du droit naturel et l’impératif de l’obligation morale. Nous ne pouvons y échapper, nous, Chré­tiens, à qui est offerte la lumière de l’Evangile où le péché et la rédemption tissent une trame dont nous ne pourrons jamais sé­parer le fil.

Frères et Fils très chers, nous devons penser, par conséquent, à la signification profonde de notre existence dans le temps : c’est une épreuve, un examen auquel nous devons nous soumet­tre. Prenons garde, ne commettons pas d’erreurs ; notre vie éter­nelle est en jeu. Voilà la raison de l’ordre moral, de la rectitude de notre agir. Voilà la nécessité d’un examen de conscience, le sens du bien et du mal, de l’honnêteté et du péché. Et de là le besoin urgent du Christ Sauveur, mort sur la Croix, instrument de notre Salut et signe d’un amour infini et miséricordieux. De là, la sagesse d’une pénitence qui corrige, qui relève. Voilà le but du Sacrement de pénitence, la confession qui, chez les hommes humbles et sincères, est la célébration du Mystère Pascal, de notre résurrection.

Que personne ne demeure exclu de cette offre si grande de grâce et de béatitude !

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

24 mars

LE MATERIALISME : TENTATION DE NOTRE TEMPS

 

Chers Fils et Filles,

 

Nous sommes dans la période du Carême, c’est-à-dire du temps de l’année liturgique qui nous prépare à la célébration de Pâques, la fête de la Rédemption, cette fête qui commémore la mort et la résurrection du Christ et qui célèbre cet événement historique et mystique aussi bien dans son origine évangélique que dans son application actuelle à l’humanité, à l’Eglise, à nos âmes, c’est-à-dire dans son fait évangélique et dans son devenir ecclésial. Portons notre attention sur ce second aspect, son de­venir dans l’humanité, son rayonnement, son actualité pour nous, croyants, hommes vivants dans l’histoire présente. Pensons à nous-mêmes par rapport au mystère pascal qui doit être notre fait, qui doit réfléchir sur chacun de nous, à partir du Christ, sa lumière, son salut. Cherchons maintenant à nous mettre dans la condition de reproduire en nous le mystère pascal qui est tout entier œuvre du Christ, œuvre de sa grâce, mais qui exige cepen­dant que nous soyons disposés à accueillir sa vertu rédemptrice, que nous nous mettions dans la trajectoire de son action salva­trice ; en d’autres termes, que nous nous « convertissions » au dessein divin dans l’ordre de notre salut, que nous retournions sur la voie authentique de notre vrai destin sur laquelle passe la divine miséricorde, la vie nouvelle, qui nous est promise, qui est notre seule chance. Il faut alors que nous nous réformions nous-mêmes pour être aptes à recevoir le salut du Christ.

 

L’éternelle tentation

 

Dans cet ordre d’idées se range tout le système de la vie mo­rale chrétienne qui comporte deux phases, l’une qui est une con­dition qui précède la rencontre vivifiante avec le Christ, l’infusion de son Esprit, de sa grâce ; l’autre qui est un résultat qui suit une telle rencontre. La première est caractérisée par la pénitence, la seconde par la cohérence et toutes les deux le sont par la foi. Si, maintenant, respectueux de la pédagogie liturgique, nous nous plaçons dans la première phase, dans celle qui est prépara­toire et spécifiquement ascétique, quels devoirs rencontrons-nous ? Cette demande s’ouvre elle aussi sur une réponse sans limite : les devoirs relatifs à notre réforme morale sont en effet innom­brables. Mais nous pouvons les ramener à quelques catégories générales qui nous sont suggérées par l’évangile du premier di­manche de Carême, l’évangile des tentations du Christ dans lesquelles nous pouvons voir d’une certaine manière figurées et résumées nos propres tentations. Et avant tout autre discours il faudrait faire justement celui qui concerne la tentation, c’est-à-dire sur la trompeuse apparence du bien. Decipimur a specie recti : nous nous laissons tromper par des aspects faux, c’est-à-dire apparents, partiels, du bien, soit du bien en soi, soit du bien par rapport à nous-mêmes « imagini di ben seguendo false » (suivant de fausses imagés du bien) (dante, Purg. 30, 131) : psychologie et morale se confondent ici et donnent un motif inépuisable à l’analyse et à la description du drame humain.

Quelle est la première, l’éternelle, l’universelle, la moderne tentation ? C’est-à-dire quel est le premier obstacle général à l’obtention du salut pascal, de la rédemption du Christ ? Vous rappelez-vous la première tentation du démon à Jésus dans le désert ? Ce n’est point tant celle de la faim qui est un besoin na­turel de la vie que celle — complexe et insidieuse — de définir ce besoin qui semble impérieusement premier et unique ; celle d’établir les aliments proportionnés à la faim de l’homme, qui semblent être seulement le pain matériel ; celle d’employer fina­lement toutes les énergies supérieures de l’homme, spéciale­ment les spirituelles, pour transformer les pierres en pain, c’est-à-dire le monde extérieur, inerte et matériel, en nourriture adaptée et suffisante pour les désirs et la vie de l’homme lui-même. Disons, en ce qui concerne notre temps: c’est la ten­tation matérialiste.

 

Vérité incomplète

 

Qui peut, par des allusions si brèves et aussi élémentaires que celles-ci, en donner une définition adéquate, une descrip­tion au moins approximative, qui ne soit pas artificielle ni d’un effet oratoire trop facile ? Mais cette tentation matérialiste est tellement répandue et invétérée dans le monde contemporain qu’il ne convient sans doute pas d’en rappeler le concept moral fondamental. Il suffit d’un principe-clef pour indiquer le système auquel nous faisons allusion : être satisfaits de ce monde, qui est la réalité, qui est la vie, qui est la plénitude de l’homme, qui est la richesse qui suffit ou du moins qui doit avoir la première place dans les aspirations humaines ; c’est là qu’est ton royaume ; le reste est illusion, aliénation, opium, mythe. C’est là la tentation caractéristique de notre temps, tantôt plus séduisante, tantôt plus vaste, plus féconde, dont on peut jouir, qui est apparue à celui qui étudie et à celui qui agit ; le monde accessible à l’expérience. La conscience individuelle et encore plus la conscience collective s’est imprégnée de cette certitude, de cette foi : tout se réduit à la nature, et la nature à la matière. De cette racine exclusive sont nées les idées qui ont constitué les forces de la pensée, de la po­litique, de la sociologie, de l’économie, de la vie vécue dans notre dernière période historique, et en grande partie de la culture moderne. Cette conception matérialiste s’est nourrie d’indiscu­tables études, de formidables énergies, de hauts idéaux : la science, la richesse, la justice, l’espérance, toutes choses vraies sous cer­tains aspects, mais limitées, incomplètes, insuffisantes, plus aptes à susciter des aspirations insatiables qu’à satisfaire les aspirations profondes et décisives des destins humains. Egoïsme et lutte, légalisme et utopie, intérêt et idéalisme s’entremêlent dans les événements historiques, sociaux et politiques de notre temps, mais pour arriver à cette conviction : la solution des plus grands problèmes humains peut être atteinte par les forces propres de l’homme, grâce à la conquête de la maîtrise extérieure des choses de ce monde, et il n’y a pas d’autre avenir au delà du temps qui est accordé à notre existence biologique. La vie présente est tout. Voilà quelle est notre tentation.

 

Pour l’homme intégral

 

Il ne suffira pas, pour la dominer, d’observer comment cet essai d’humanisme matérialiste abaisse en réalité la taille de l’homme à un niveau temporel et animal, nie à l’individu sa personnalité originelle, excite les égoïsmes exigeants, qu’ils soient individuels ou collectifs, élargit énormément la sphère de la puis­sance humaine mais la prive des raisons transcendantes de la justice et de l’amour et, au milieu de tant de lumières de théories artificielles, tente d’éteindre celles du soleil du Dieu vivant, per­sonnel, sauveur. Est-ce que la vie présente est tout ?

Ecoutons les paroles du Maître, Notre Seigneur : « L’homme ne vit pas seulement de pain... » (Mt 3, 4). Et puis : « Bienheureux les pauvres en esprit... », les non rassasiés de cette terre, mais « ceux qui ont faim et soif de la justice... » (Mt 5, 3-6). Et encore : « Mon royaume n’est pas de ce monde... » (Jn 18, 36).

Et ainsi tout l’Evangile, qui introduit dans la courte logique humaine une conception plus ample, plus ouverte, plus sûre des destins de l’homme et de la réalité métaphysique de l’univers et de l’histoire. Il introduit une sagesse supérieure, une espérance inépuisable, un salut surnaturel. Ce n’est pas que l’Evangile mé­connaisse l’existence présente, la nécessité multiple qui lui est pro­pre, le devoir d’une justice toujours meilleure, d’un développe­ment, c’est-à-dire la fonction du temps présent, de l’ordre ter­restre, des biens économiques, de la vraie paix dans le monde, mais il considère l’homme intégral et il élargit les limites de la vie temporelle, conteste la valeur absolue du bonheur présent, donne une fin à chaque chose, même si elle est reconnue légitime et autonome dans son domaine spécifique, pour un royaume su­périeur, « le royaume des cieux », pour la vie surnaturelle et éter­nelle, pour le vrai salut.

La vie pascale est à gagner dans le temps pour en jouir dans l’éternité. L’horloge des années marque aussi le présent comme une heure de réveil à la lumière, à la rédemption, à la vie. Y pen­sons-nous ?

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

31 mars

POUR UNE PURIFICATION DE L’ENVIRONNEMENT MORAL

 

Chers Fils et Filles,

 

Si notre étude est, spécialement pendant cette période du Ca­rême, de chercher la rectitude morale de notre conduite, l’attention aux déviations possibles de cette rectitude retient la réflexion de notre conscience. Celle-ci se tourne maintenant vers les déviations majeures, plus faciles et plus fréquentes qui por­tent l’homme hors de sa route et le privent de la rencontre avec la grâce pascale à laquelle nous voulons arriver. Nous avons fait allusion à certaines de ces déviations possibles. Une autre, fa­tale à cause de sa facilité et de sa gravité, est celle qu’on appelle de la chair.

Elle se présente comme une tentation congénitale et ambiante, comme un attrait propre de ce monde. « N’aimez pas le monde..., écrit l’Apôtre saint Jean dans sa première lettre. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est pas en lui. Car tout ce qui est dans le monde est convoitise de la chair, convoitise des yeux, et orgueil de la vie » (Jn 15-16). C’est là le trio connu des tenta­tions qui conduisent les pas de l’homme hors de la route qui mène vers Dieu. On les appelle ordinairement les passions (cf. Jc 1, 14).

 

L’ambiance

 

Nous nous occupons maintenant de la première, si forte au­jourd’hui, celle de la chair. Parce que, si chaque tentation est le résultat de deux impulsions, une interne et l’autre externe, nous devons noter que l’impulsion interne se fait plus urgente si elle n’est pas modérée par un vouloir précis, avec le développement de la psychologie personnelle ; et l’impulsion externe, celle de l’ambiance, s’est faite plus que jamais insistante, séduisante, ex­citante, envahissante : pensez à la presse licencieuse et pornogra­phique, diffusée avec toutes les ruses de la publicité commerciale ; pensez aux spectacles équivoques, aux divertissements licencieux, à certaines coutumes privées ou publiques libérées des règles qui les modéraient, aux tendances divulguées par la soi-disant « mo­ralité » (ou immoralité) permissive et qui consentent à toutes les bassesses et dépravations.

L’ambiance, si chacun ne cherche pas à s’immuniser par une résolution réfléchie, offre de tous côtés des excitations à la fra­gilité de la « chair », spécialement celle qui est jeune et sans ex­périence. On sait très bien ce qu’on entend par « chair » dans le langage moral : on entend tout ce qui se rapporte à l’indiscipline de la sensualité, c’est-à-dire à ce jeu intérieur dangereux de la sensibilité physique en opposition, ou en complicité, avec la sen­sibilité spirituelle, au plaisir animal, à la volupté, au corps pas­sionnel qui attire l’âme à lui et l’abaisse à ses propres instincts, la capture et l’aveugle, au point que, comme dit saint Paul : « l’homme psychique n’accueille pas ce qui est de l’Esprit de Dieu » (1 Co 2, 14). Nous ne croyons pas qu’il soit besoin d’explications à ce sujet. On en parle tant aujourd’hui, trop peut-être.

Il est rare qu’un écrivain d’aujourd’hui ne paye pas son triste tribut, au moins par quelques pages, à certaines folies sensuelles ou à quelque ivresse dionysiaque dont le monde déjà culture lit­téraire est envahi, ou à la dissolution joyeuse, en même temps qu’angoissée. Les études psychanalytiques sur les instincts hu­mains, et spécialement sur la neuropathologie et sur la sexualité, ont donné un langage scientifique à l’expérience commune empi­rique des passions érotiques ; certains les ont exaltées comme de nouvelles et vraies découvertes de L’homme.

 

Une éducation limpide et chaste

 

On parle aussi d’éducation sexuelle avec une louable intention pédagogique, mais on oublie parfois certains aspects de la réa­lité humaine, pas moins objectifs que ceux qui sont offerts par l’observation naturiste, tels que l’exigence de la pudeur, l’attention due à la différence des deux sexes, masculin et féminin, et surtout la délicatesse requise par le trouble passionnel introduit dans le complexe éthico-physico-psychologique de tout être hu­main par le péché originel ; en même temps qu’elles réclament une éducation sexuelle, ces choses suggèrent de nombreuses et délicates précautions, spécialement dans l’éducation des jeunes, et recommandent aux parents et aux maîtres une intervention sage et opportune, avec un langage gradué, limpide et chaste (cf. concile vatican II, Déclaration Gravissimum Educationis, 1 ; pie XII, Discours XIII, p. 257 ; Ratio Fund. Inst. sacerdotalis, 48 ; les œuvres de saint Ambroise sur la virginité, sur la pénitence, etc.). Mais, dans cette chaire, il nous suffit, encore une fois, de pro­poser à votre réflexion, au sujet de cette tentation — qui est « légion » (cf. Mc 5, 9) — c’est-à-dire extrêmement variée et in­sistante, deux affirmations et une recommandation.

 

Victoire possible

 

La première affirmation soutient que la victoire sur la tenta­tion de la chair est possible. C’est une persuasion courante, qui trouve comme complice la nature même de cette tentation, qu’il est possible de la dominer, que la chasteté est une utopie, que l’expérience de la domination de la tentation sur notre esprit, sur notre équilibre moral honnête et pur est tolérable et peut-être même instructive. Il n’en est pas ainsi, frères et fils très chers ! Si on le veut, on peut garder purs son propre corps et son propre esprit.

Le Maître divin ne propose pas une chose impossible, lui qui se prononce en cette matière avec une si grande sévérité (cf. Mt 5, 28). Pour nous chrétiens, régénérés par le baptême, s’il ne nous est pas donné d’être affranchis de cette sorte de faiblesse humaine, la grâce nous est accordée de la dominer avec une rela­tive facilité. L’Esprit peut être agissant en nous, justement dans l’ordre de la maîtrise de nous-mêmes, de la continence, de la chasteté (Ga 5, 23 ; Ph 2, 3 ; etc.).

 

La pureté est une libération

 

La seconde affirmation est celle-ci : qu’il est très beau d’être purs. Ce n’est pas un jeu, c’est une libération ; ce n’est pas un complexe d’infériorité, c’est une élégance, une force de l’esprit ; ce n’est pas une source d’angoisse et de scrupules, c’est une ma­turité du jugement et de la maîtrise de soi ; ce n’est pas une igno­rance de la réalité de la vie, c’est une connaissance désinfectée de toute contagion possible, plus brillante et plus pénétrante que l’opacité particulière à l’expérience passionnelle et animale.

La pureté sera innocente, oui ; peut-être inexpérimentée de la phénoménologie pathologique de la vie corrompue ; mais elle n’ignorera pas les profondes réalités du bien et du mal auquel l’homme est candidat. Elle aura même le regard transparent au point de pouvoir discerner dans le fond des bassesses du péché les ressources du repentir et de la réhabilitation. La pureté est la condition appropriée à l’amour, à l’amour vrai, qu’il s’agisse de l’amour naturel ou de l’amour surhumain consacré uniquement au royaume des cieux.

Et la recommandation vient d’elle-même : nous la disons au Père dans notre prière habituelle : « ne nous laissez pas succomber à la tentation » ! Appliquons-la à nous-mêmes, comme un exau­cement de cette prière suprême. Il faut que nous nous défendions de la puissante tentation de la chair si nous voulons vivre le mys­tère pascal. A l’intérieur et à l’extérieur. Dans le cœur avant tout, d’où viennent le bien et le mal dont nous sommes capables (cf. Mt 15, 19 ; 2 Tm 2, 22). Et dans l’ambiance, autour de nous : si aujourd’hui on s’y occupe d’écologie, c’est-à-dire de purifier le milieu physique dans lequel se déroule la vie de l’homme, pour­quoi ne nous préoccuperions-nous pas aussi d’une écologie mo­rale où l’homme vive en homme et en fils de Dieu ? C’est cela que nous vous recommandons, avec notre Bénédiction Aposto­lique,

 

 

 

7 avril

LE CHRIST A REPARE L’IRREPARABLE

 

Chers Fils et Filles,

 

Vous qui considérez comme des jours spéciaux ceux de cette semaine pascale que nous appelons la semaine sainte ; vous qui en ces jours fréquentez nos églises pour assister aux grands rites particuliers qui les distinguent de tous les autres du calen­drier liturgique ; vous qui profitez des vacances accordées pour cette courte période à laquelle une tradition séculaire de notre civilisation reconnaît un caractère spécial pour faire un dépla­cement touristique ou qui saisissez l’occasion spirituelle d’un voyage vers quelque but où la dignité des rites aura un meilleur développement ou un sens plus éloquent ; vous tous, chers visi­teurs de ce « mercredi saint », prélude de l’intense et dramatique évocation du mystère pascal, ne dédaignez pas de vous arrêter un instant pour réfléchir sur une double pensée sans laquelle nos âmes ne pourraient pas être en accord avec la célébration du mystère pascal même.

 

L’homme a besoin de guérison

 

Voici la première pensée : l’homme a besoin de rédemption. Dire cela et dire la substance de la philosophie de l’homme et de la théologie de la vie, c’est la même chose. L’homme a besoin de rédemption, ce qui signifie que non seulement il manque un complément à sa perfection et à son bonheur, mais qu’il a be­soin d’une réparation, d’une libération, d’une régénération. Il a besoin d’une guérison, d’une récupération, d’une réhabilitation. Il a besoin d’un pardon. Il a besoin de redevenir homme ; d’ac­quérir de nouveau sa dignité, sa vraie personnalité. Et puis, il retrouvera la paix, la joie, la saine envie de vivre, l’espérance. Ensuite il acquerra de nouveau une vision claire sur le monde, sur les, hommes, sur l’histoire, sur la mort, sur l’au-delà. Mais maintenant, par lui-même, le sort humain se trouve dans une condition imparfaite, malheureuse. Les efforts mêmes que l’hom­me fait pour donner forme, ordre, progrès, conscience à sa vie finissent par montrer avec une plus grande évidence l’état d’in­suffisance et de dégradation dans lequel il se trouve. Et si l’expé­rience humaine ne suffit pas à démontrer qu’il y a quelque chose qui ne va radicalement pas dans l’ensemble de notre destin, la parole du Seigneur, tirée de l’enseignement de l’Eglise, nous persuade que nous nous trouvons dans la nécessité d’une rédemp­tion, d’un salut.

Si nous avons la sagesse, humble et pénétrante, de reconnaî­tre cette nécessité, nous sommes sur le seuil du temple, comme le publicain de l’Evangile (cf. Lc 18, 10 et suiv.), où la première, la fondamentale, l’indispensable réparation de notre misère s’ac­complit.

 

L’irréparable rupture

 

La seconde pensée, complémentaire de la première, nous fait réfléchir sur l’impossibilité des forces humaines pour s’assurer la rédemption dont l’homme a besoin. Besoin et impossibilité personnelle de rédemption, c’est la double persuasion dans la­quelle nous devons aborder la célébration des rites liturgiques qui évoquent et renouvellent intérieurement le mystère pascal. Ce sens d’impossibilité est lui aussi indispensable dans l’écono­mie de notre pédagogie religieuse, de notre mentalité chrétienne (rappelons-nous, parmi tant d’autres, la voix de Manzoni dans le célèbre cantique : « quai masso che dal vertice, »... etc.). On met en rapport cette doctrine avec la nature du péché et de ses conséquences : la rupture des relations avec Dieu qui est juste­ment le péché, comparable à la rupture du câble d’un téléphérique, ou à la brisure d’un cristal ; qui pourra la réparer de lui-même ? Un mort (parce que en ce qui concerne le rapport avec la vie de Dieu, c’est cela qu’est un homme en état de péché mortel) qui ne pourra jamais dire les invraisemblables paroles : « Je viendrai et je le guérirai » ? (Mt 8, 7 ; cf. He 10, 6-7).

Pourtant ce sont là les paroles de Jésus. Ceci est le message et, encore plus qu’un message, l’impensable réalité apportée par le Christ à l’humanité. Il est venu et il a réparé l’irréparable. C’est cela la Rédemption ; c’est cela le mystère pascal accompli par Nôtre-Seigneur Jésus-Christ qui, comme l’écrit saint Paul, « a été immolé pour nos fautes et ressuscité pour notre justifi­cation » (Rm 4, 25), c’est-à-dire pour notre salut.

Ceci étant compris, nous voulons dire qu’en croyant ceci, nous comprenons quelque chose du sacrifice de Jésus, victime pour chacun de nous (Ga 2, 20) et quelque chose du dessein de misé­ricorde et d’amour qui gouverne toute notre religion chrétienne (cf. bouter, Le rite de l’homme, c. 8).

Et nous comprenons pareillement quelque chose, qui nous suffit peut-être pour notre chance et pour notre bonheur, ce que vaut, avant de prendre part à la cène pascale, de s’approcher du sacrement de Pénitence, qui est le sacrement pour les âmes mor­tes ou qui, de toute façon, ont besoin de vie divine, c’est-à-dire le sacrement qui est l’application de la vertu de la passion et de la résurrection du Christ à chacune de nos personnes. C’est notre Pâque qui trouve ensuite dans la sainte communion avec Lui sa plénitude dans notre pèlerinage terrestre, sa promesse pour l’éternité (Jn 6, 51).

C’est cela qui est notre souhait pascal pour chacun d’entre vous, avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

14 avril

« CHRETIEN, SOIS CHRETIEN »

 

Chers Fils et Filles,

 

En ces jours de Pâques une pensée domine notre esprit : elle est suggérée par l’essence du mystère célébré ; elle est sug­gérée par l’exigence des sacrements de Pâques par l’intermédiaire desquels l’efficacité de la Rédemption nous a été prodiguée ; elle est suggérée par la liturgie avec toutes ses célébrations et ses ex­hortations ; elle est suggérée enfin par la logique des choses, c’est-à-dire la nécessité de conformer notre conduite à la dignité de notre nature.

Les anciens scolastiques enseignaient que operari seguitur esse ; l’action dérive de l’être. Nous voulons dire que nous qui sommes devenus chrétiens grâce à la foi et au baptême, ou qui sommes redevenus des chrétiens vivants par le sacrement de pé­nitence, nous devons vivre en chrétiens. Que chacun de nous dise dans le for intérieur de sa propre conscience : « Chrétien, sois chrétien ».

 

Chrétiens cohérents ?

 

La formule est très simple et résume toute la règle morale de notre existence. Mais, nous le savons bien, ce n’est pas une rè­gle facile. Qui peut s’accorder à lui-même le brevet d’une parfaite cohérence avec cette obligation fondamentale de réaliser l’idéal chrétien dans notre propre vie ? Nous aurons toujours quelque motif de nous accuser d’être pécheurs et d’implorer la miséricorde divine. Mais malgré cela l’obligation subsiste : il faut être des chrétiens authentiques.

Notre vie vécue ne doit pas démentir le caractère chrétien dont le baptême, sacrement pascal, nous a revêtus. Et pendant la grande cérémonie nocturne du samedi saint qui célèbre déjà le passage du Christ de la mort à la vie nouvelle et qui se reflète dans le sacrement régénérateur du baptême des fidèles, chacun de nous est invité à renouveler publiquement et collectivement les promesses solennelles sur lesquelles se fonde le choix de notre manière de vivre ; nous avons rappelé les engagements principaux de notre style de vie ; nous avons confirmé de nouveau notre li­bre et absolue volonté : nous voulons vivre en chrétiens, c’est-à-dire en fils de Dieu, dans un entretien affectueux avec le Père ; en frères de Jésus-Christ, comme ses disciples et les participants de sa vie ; en hommes habités par l’Esprit Saint, illuminés, fortifiés et animés par Lui ; en membres vivants du Corps mystique du Christ qui est l’Eglise. Notre vie doit être modelée par notre baptême. Le Concile a confirmé cent fois cette règle fondamentale. Etre baptisés, c’est-à-dire être chrétiens, ce n’est pas un moment qui passe, c’est un état permanent ; ce n’est pas une chose indif­férente, c’est une chance incomparable et, Dieu le veuille, déci­sive pour notre salut. Elle ne concerne pas seulement la classifi­cation religieuse dans laquelle nous pouvons être mis, elle con­cerne notre conception de la vie et l’interprétation et l’exécution de nos devoirs.

Vue ainsi la formule que nous avons dite « Chrétien, sois chré­tien » apparaît si grande qu’elle semble difficile, peut-être même impossible à certains.

 

Chrétiens aujourd’hui ?

 

Impossible ou difficile par elle-même, et encore plus dans les temps que nous vivons. C’est alors que se présente la troublante question : est-il possible aujourd’hui d’être vraiment chrétien ? Vous devinez déjà notre réponse : oui, c’est possible ! Du haut de cette chaire, quelle autre réponse pourrions-nous donner à la formidable question ? Nous vous parlons de la tombe de l’Apô­tre Pierre, du cœur de l’Eglise catholique qui porte avec elle dans le cours de l’histoire et encore aujourd’hui la parole du Christ : « Et moi, je suis avec vous pour toujours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20). Oui, fils et frères très chers, il est possible, même maintenant, d’être chrétiens ! et de bons chrétiens, des chrétiens fidèles, des chrétiens forts, disons même des chrétiens saints. Et nous ajoutons: non seulement c’est possible, mais c’est relative­ment facile.

Comment cela ? Pour deux sortes de motifs ou mieux de forces qui agissent dans notre vie.

La première force est la grâce, c’est-à-dire l’aide qui découle du fait même qu’on est chrétien. Le fait d’être chrétien n’est pas un poids insupportable. Jésus l’a bien dit : « Mon joug est doux et mon fardeau léger » (Mt 11, 30). Qu’est-ce que la grâce ? voilà un chapitre de notre doctrine que nous devrions mieux connaî­tre, un chapitre immense. Disons pour le moment que la grâce est une présence sanctifiante et agissante de Dieu dans notre âme. C’est l’Amour surnaturel de Dieu à l’intérieur de nous-mêmes ; c’est le commencement d’une communion de notre vie avec la vie divine (cf. st. thomas, I-II, 110 ; et II-II, 23, 2). Ce qui veut dire que nous disposons d’une énergie spirituelle et morale gratuite et infuse à laquelle nous pouvons toujours puiser quand nous voulons tout ce qu’il faut pour agir et vivre chrétiennement. Nous devons faire davantage attention à ce fait qui nous concerne personnellement et profondément, pour savoir en profiter d’une manière convenable et efficace.

 

Notre liberté vers Dieu, dans l’amour

 

L’autre force est notre volonté. L’économie chrétienne, c’est-à-dire l’ordre dans lequel se déroule notre vie religieuse et mo­rale, donne une grande importance à la volonté, c’est-à-dire à l’exercice de notre liberté orientée vers Dieu. Notre loi, la rè­gle et le stimulant de notre conscience chrétienne, c’est avant tout l’amour. Rappelons-nous que le Christ a condensé dans le plus grand précepte qui est celui de l’amour de Dieu et dans celui qui en dérive de l’amour du prochain, la synthèse de la règle mo­rale. Or l’amour est une loi possible, c’est une loi facile, c’est une loi très belle. S’il en est ainsi, vivre chrétiennement n’est pas impossible ni trop difficile. Cela reste certainement un grand programme qui porte en tête le signe héroïque de la croix, le signe du suprême amour (cf. Jn 15, 13).

Ajoutons maintenant : vivre en chrétiens n’est pas un ana­chronisme parce que ces principes, la grâce et notre cœur, ne sont pas des principes vieillis et éteints ; ils sont très actuels et peuvent se mesurer avec les circonstances les plus variées et les plus nouvelles dans lesquelles notre existence arrive à se trouver. Les changements et les nouveautés de notre temps peuvent même constituer un magnifique terrain d’exercice pour la morale chré­tienne et offrir à chacun de nous l’occasion de donner à notre vocation chrétienne une réponse originale.

Dans un récent document pastoral, les évêques d’Italie ont donné une excellente leçon sur la manière de « vivre la foi au­jourd’hui ». Le document conclut sagement en affirmant que « le processus actuel de transformation qui entoure la vie religieuse de notre temps, s’il est bien considéré et courageusement ; affronté, ne met pas en danger la vraie foi dans le Dieu vivant et peut même la rendre plus pure et plus efficace ».

Nous en faisons notre souhait que nous vous transmettons avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

21 avril

UNE SEMENCE QUI DOIT SE DEVELOPPER

 

Chers Fils et Filles,

 

Celui qui a compris quelque chose de la vie chrétienne ne peut plus faire abstraction de sa constante aspiration au renou­vellement. Ceux qui attribuent à la vie chrétienne un caractère de stabilité, de fidélité, d’immobilisme voient juste, mais ils ne voient pas tout.

Il est certain que la vie chrétienne est ancrée sur des faits et des engagements qui n’admettent pas de changements, comme la régénération baptismale (cf. 1 Co 6, 11), la foi (cf. 1 P 5, 9 ; Ep 6, 10-11) l’appartenance à l’Eglise (cf. 1 Tm 3, 15), l’anima­tion de la charité (cf. Rm 8, 35). C’est par sa nature une acquisi­tion permanente et qu’il ne faut jamais compromettre, mais c’est, comme nous le disons, une vie, et par conséquent un principe, une semence qui doit se développer, qui exige une croissance, un perfectionnement et, en raison de notre faiblesse et des consé­quences inguérissables du péché originel, qui exige réparation, réfection, renouvellement.

Si nous pensons ensuite que la vie chrétienne n’est pas un concept immobile et abstrait, mais une réalité vécue, plongée dans les événements historiques en continuel changement, on comprend comment elle doit tenir compte des conditions sociales dans lesquelles elle se déroule et doit par conséquent surveiller continuellement le rapport qui l’unit au moment ambiant, c’est-à-dire qu’il doit veiller et voir où il faut « se mettre à jour ».

 

« Se mettre à jour »

 

Comme vous le savez, ce critère de la mise à jour a été un des buts qui ont inspiré le Concile, une de ses idées dynamiques, qui agit toujours et qui s’applique principalement aux lois et aux structures de l’Eglise, dans l’intention et dans l’effort pour réani­mer dans son intérieur la vraie conscience de son être et de sa mission et pour introduire dans ses traditions soit la permanence qui est due pour garder certaines valeurs inaliénables, soit la ré­forme qui fera refleurir la continuité des bonnes traditions dans une vitalité nouvelle.

Chacun voit la nécessité, la connaturalité d’un tel processus réformateur dans l’Eglise qui, en tant que société composée d’hommes faibles et pécheurs, doit faire continuellement son autocritique et recommencer sa conversion et, comme porteuse de trésors à jamais inépuisables, doit être toujours tendue dans un travail de féconde dispensation des richesses de ses vérités et de ses charismes. Chacun verra aussi le danger de cette attitude ré­formatrice de l’Eglise quand elle n’est pas surveillée et est suggé­rée non par le Saint-Esprit mais par la relation à l’histoire qui passe, à la mode du siècle et à la mentalité éphémère du monde, c’est-à-dire à des valeurs qui ne sont pas appuyées sur des rai­sons compatibles avec la vérité divine et avec la dignité humaine authentique. Et chacun sait comment une certaine intolérance réformatrice s’adresse aujourd’hui à ce qu’on appelle les struc­tures de l’Eglise, comme s’il était permis à tous de concevoir, d’après leur propre inclination, un nouveau modèle historique, social, spirituel de l’Eglise même. Il faudra veiller (cf. Ep 4, 14). Mais nous n’avons pas l’intention de vous parler maintenant de cet hypothétique renouvellement structurel de la communauté ecclésiale.

 

Renouvellement intérieur

 

Nous voudrions au contraire faire appel à votre réflexion sur l’aspect positif et dynamique de la morale chrétienne, c’est-à-dire sur son exigence congénitale de renouvellement intérieur, sur le devoir et sur le besoin de modeler notre conscience sur le fait que nous sommes chrétiens. Continuons ainsi un discours qui a déjà été engagé d’autres fois et qui nous semble important. Et pour cela nous devons encore nous référer au dualisme si expressif de la catéchèse apostolique de l’homme ancien et de l’homme nou­veau : l’homme nouveau, comme vous savez, c’est le chrétien qui, par le baptême, a été enseveli avec le Christ dans une mort mystique libératrice du péché et s’est élevé avec le Christ ressus­cité, à une nouvelle vie surnaturelle (cf. Rm 6, 2-11). Et combien de fois revient alors la parole et même la doctrine, et avec elle la vérité et la réalité, de l’Apôtre à propos de la « nouveauté » de la vie chrétienne ! Trois fois, par exemple, il parle de cette nouveauté dans l’épître aux Romains : « nouveauté de vie » (Rm 6, 4) avec un sens très dense de régénération surnaturelle et de réforme morale ; « nouveauté d’esprit » (Rm 7, 6), pour indiquer l’anima­tion nouvelle de la grâce et la moralité originale du chrétien ; et « nouveauté de mentalité » (Rm 12, 2), avec référence à la manière de sentir et de penser qui doit distinguer le fidèle du Christ, tout entier tourné vers l’étude amoureuse de la volonté de Dieu. On pourrait multiplier les citations analogues extraites des épîtres de saint Paul au sujet du mot « se renouveler » (cf. 2 Co 4, 16 ; Col 3, 10 ; Ep 4, 23).

 

Suivre la trace du Concile

 

Ce qui nous porte à réfléchir sur le retour psychologique et ascétique que le chrétien est invité à accomplir régulièrement sur lui-même pour vérifier si sa mentalité est imprégnée de ce principe réformateur : je dois conformer ma manière de penser à l’Evangile et par conséquent à la doctrine qu’en tire l’Eglise maîtresse, et je dois être convaincu que cette ouverture au Christ ne me procure pas seulement l’imposition de préceptes très di­gnes, mais graves et exigeants, mais elle me donne plutôt la force mystérieuse qui émane de Lui : lumière pour voir, énergie pour agir, confiance pour oser, joie pour goûter la vie rendue conforme et unie à la sienne. La célèbre et amère exclamation du poète païen : « video meliora, proboque ; deteriora sequor », qui confesse l’impuissance radicale de l’homme à observer sans la grâce toute la loi morale (OVIDE, Met., VII, 19), ne sera pas celle du chrétien vivant du Christ.

Réformisme donc et dynamisme moral dans le Christ, inté­rieur et personnel : c’est là le premier renouvellement que chacun doit chercher, sûr de suivre ainsi la trace du Concile qui est celle de l’actuelle et perpétuelle vraie vie chrétienne.

Que le Seigneur vous aide ainsi ! Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

28 avril

POLARISES VERS LE CHRIST EN GLOIRE

 

Chers Fils et Filles,

 

La Pâque récemment célébrée offre un thème fondamental à la réflexion de ceux qui ont compris l’importance détermi­nante de ce mystère dans notre vie : il réclame une cohérence, un style chrétien dans la conduite, disions-nous ; il impose et suscite un renouvellement dans la mentalité intérieure et dans le comportement extérieur ; et le thème est celui-ci : pourquoi et quelle est l’influence du drame du Christ mort et ressuscité sur la conception de notre existence et sur la moralité de notre vie qui en découle ?

 

Ensevelis et ressuscites avec le Christ

 

Parce que le drame du Christ envahit notre destinée; nous vivons ce drame initialement par le baptême et avec tout ce qui le suit : nous avons été mystiquement ensevelis et ressuscites avec Lui (Rm 6, 4). Nous sommes associés au « passage » du Christ de cette vie naturelle au nouvel état mystérieux et surnaturel dans lequel Il est entré, même corporellement. Pâques veut dire en effet passage (cf. Ex 12, 11). Et nous sommes destinés en puis­sance, si nous sommes fidèles et persévérants, à Le rejoindre dans sa nouvelle et ineffable condition d’existence. A présent, comme l’écrit saint Paul : « nous-mêmes qui possédons les pré­mices de l’Esprit, nous gémissons nous aussi intérieurement dans l’attente de l’adoption, c’est-à-dire de la rédemption de notre corps. C’est par mode d’espérance que nous sommes sauvés » (Rm 8, 23-24). Un mystère de communion nous relie déjà au Christ (cf. Ep 2, 5). Et c’est pour cela que non seulement notre spiritualité mais aussi notre mentalité, notre conception de la vie, notre calcul à propos de notre sort futur sont transférés au-delà du temps, au-delà de l’horizon présent ; nous sommes pola­risés vers le Christ ressuscité, dans son état de gloire. Nous de­vons vivre « eschatologiquement », c’est-à-dire tendus vers la fin dernière, ultra-terrestre. « Nous n’avons pas ici-bas de cité per­manente, mais nous recherchons celle de l’avenir » (He 13, 14). C’est encore saint Paul qui nous exhorte : « Du moment donc que vous êtes ressuscites avec le Christ (voici notre célébration pascale) recherchez les choses d’en-haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu (c’est-à-dire associé même comme Hom­me à sa gloire et à sa puissance). Ayez le goût des choses d’en haut, non de celles de la terre » (Col 3, 1-2).

 

Destinée eschatologique de l’homme

 

Cette conception de la vie donne une empreinte spirituelle, mentale, pratique au chrétien. C’est sa philosophie. C’est sa sa­gesse. Elle a une grande importance doctrinale. Pouvons-nous dire, comme certains, que cet enseignement apocalyptique, escha­tologique, c’est-à-dire sur l’au-delà, est un pur langage symboli­que pour nous faire comprendre la nouveauté de la doctrine évangélique, déjà réalisée et utilisée par le Christ pendant son séjour dans le temps ? ou pouvons-nous croire avec d’autres que c’est seulement dans ce monde eschatologique que se réalise ob­jectivement notre salut ? Deux manières de penser, une de la réa­lité future, l’autre de la réalité présente à propos de l’économie du salut, qui ne tiennent pas compte de notre doctrine de la foi et qui peuvent produire de fatals déséquilibres dans l’interpréta­tion et dans l’application du christianisme authentique.

Le premier et le plus commun déséquilibre est celui de ne pas penser, et souvent de ne plus croire à notre vie future, à celle qui suit après notre mort corporelle. La vie présente serait la seule dont il nous soit donné de jouir ou de souffrir. La réduction ra­dicale de notre existence actuelle aux limites du temps, comme le sécularisme aujourd’hui à la mode nous habitue à le faire, vient en pratique à nier l’immortalité de l’âme, à insinuer l’indif­férence sur notre sort futur, à affirmer l’importance exclusive du temps présent, de l’instant qui passe. On conclut par l’accepta­tion, si même on l’accepte, de ce qui dans l’Evangile sert immédia­tement pour les intérêts terrestres de l’humanité et par laisser enfin le doute et le découragement étouffer la vraie espérance, la « vraie lumière qui éclaire tout homme qui vient en ce monde » (Jn 1, 9).

 

Le Christ juge

 

On n’écoute plus ce qui est dit sur le paradis et sur l’enfer. Que devient et que peut devenir la scène du monde sans cette référence obligatoire à une justice transcendante et inexorable ? (cf. Mt 25). Et que serons-nous si, au lieu du Christ frère, maître et pasteur de nos jours mortels, celui-ci s’érige comme juge im­placable sur le seuil du jour immortel ?

Voici une des règles fondamentales de la vie chrétienne : elle doit être vécue en fonction de sa destinée eschatologique, future et éternelle. Oui, il y a de quoi trembler. C’est encore la voix de l’Apôtre qui nous avertit : « travaillez avec crainte et tremblement à accomplir votre salut » (Ph 2, 12). De cette considération sur la gravité et sur la problématique de notre sort final, la moralité ou mieux la sainteté de la vie chrétienne a tiré une très large mé­ditation et des énergies sans égales.

Mais il est bon de conclure par deux considérations : celle de la « puissance de la résurrection du Christ » (Ph 3, 10), qui en­vahit le croyant qui pense au mystère pascal et à son attrait enivrant et salvifique. Et celle de la surélévation, non de la dépré­ciation, comme beaucoup le supposent, de la vie présente par le fait qu’elle est ordonnée à la vie future : si celle-ci représente la plénitude de notre heureux destin, quelle importance, quelle valeur acquiert notre pèlerinage présent qui y conduit ? Rappe­lez-vous la parabole des talents (Mt 25, 14-30).

Avec  notre  Bénédiction  Apostolique.

 

 

 

5 mai

LE CHRIST LIBERATEUR

 

Chers Fils et Filles,

 

Nous allons maintenant à la recherche des aspects caractéristi­ques de la vie chrétienne dans laquelle est célébré et pénétré le mystère pascal. Ce point focal de l’œuvre rédemptrice du Christ nous oblige toujours à refléter l’effet que le mystère pascal, c’est-à-dire le mystère de la mort et de la résurrection du Seigneur, a dans notre vie. Il s’y répercute, il s’y répète sacramentellement et y produit un renouvellement, une manière d’être, de penser et d’agir qui représente d’une manière exacte notre vie chrétienne même par des connotations spéciales.

Une de celles-là est la liberté. Quelle liberté ?

Le mot liberté est polyvalent. Il acquiert un sens en rapport avec les diverses formes de contrainte auxquelles nous pouvons être soumis.

 

L’homme est libre

 

Cependant : nous savons bien que la doctrine chrétienne ad­met et défend l’existence de la liberté de l’homme contre les par­tisans d’un déterminisme intérieur invétéré (soit naturel, psycho­logique ou biologique, soit conséquence de la nature déchue de l’homme) et nous enseigne que l’homme est doué de la faculté de choisir; le rapport entre l’intelligence liée à la vérité et la vo­lonté capable de se déterminer par elle-même n’est pas contrai­gnant. Nous avons le pouvoir de choisir ce que nous voulons faire, nous sommes libres et maîtres, et donc responsables, de nos actes, même si ce choix, c’est-à-dire cette liberté, peut être sujet à diverses influences, tant intérieures qu’extérieures. Nous sommes libres par don de nature. Mais — nous enseigne encore notre doctrine — la nature humaine est déchue, est viciée ; l’influence de l’intelligence éclairante et de la volonté agissante est détraquée, en sorte que justement lorsque nous usons de notre liberté, souvent, très souvent nous nous trompons par défaut de lumière, c’est-à-dire de vérité au sujet du bien à choisir, nous sommes faillibles ; ou bien, par défaut d’énergie, nous ne savons pas accomplir le bien que nous connaissons pourtant, ou encore par défaut de rectitude, c’est-à-dire que nous voulons le vrai bien, mais un bien incomplet et faux, autrement dit nous péchons : hélas ! nous péchons parce que nous sommes libres ! Terrible per­version du don divin de la liberté ! (cf. Rm 7, 15-24).

A ce point de notre analyse très élémentaire se présente la li­berté nouvelle qui nous a été procurée par le Christ Rédempteur, et c’est la liberté par rapport au péché et à sa fatale conséquence qui est la mort (cf. Rm 8, 2).

 

Le péché originel

 

Ici nous devrons rappeler la fameuse doctrine, aujourd’hui tant mise en cause du péché originel, un péché non personnel mais par délit de la faute et de la peine hérité d’Adam par le fait de naître dans sa descendance. Tel est l’enseignement biblique et théologique des conséquences universelles transmises par voie de génération, à cause de la transgression du premier homme « en qui tous ont péché » (cf. Rm 5, 12), conséquences qui sont, d’a­bord, l’inimitié de Dieu : « nous étions par nature, dit saint Paul dans une forte expression, fils de la colère » (Ep 2, 3), puis le désordre dans notre équilibre humain (cf. Rm 6, 20) et enfin la perte de l’immortalité qui était un privilège conféré à l’homme mortel quand il se trouvait dans l’état d’innocence et élevé à un niveau plus élevé que celui qui lui était naturel, c’est-à-dire l’état surnaturel (cf. DENZ.-SCHON., 3705).

 

Le Christ rédempteur et libérateur

 

Nous étions esclaves, soumis à un triste sort de séparation de Dieu, d’infirmité morale et de mort. Eh bien ! le Christ nous a libérés de ces maux par le baptême, c’est-à-dire par notre participation au mystère de sa mort et de sa résurrection — le mystère pascal — du péché originel. Il nous a donné la grâce pour nous libérer, c’est-à-dire pour nous préserver et même ensuite pour nous relever du péché personnel et actuel et en plus nous a fait la promesse de vaincre un jour la mort par la résurrection. Vé­rités connues par un chrétien, mais vérités profondes, dramati­ques, assez importantes, et heureuses, que nous n’avons jamais suffisamment méditées et qui nous obligent à reconnaître dans le Christ notre souverain libérateur (cf. prat, Saint Paul, 1, 252 et suiv.).

Mais l’œuvre libératrice du Christ ne s’arrête pas là. Elle s’étend, dans le cadre de la vie présente et de l’histoire de l’homme à une autre libération, et c’est la libération de la loi, De quelle loi ?

Cette demande exigerait aussi de longues réponses ? Mais ici nous ne pouvons les aborder que dans de très brèves allusions. Nous nous contenterons pour le moment de dure que le Christ nous a libérés de la loi mosaïque, de l’Ancien Testament. Ce sujet trouve un développement très large et répété dans les écrits du Nouveau Testament, au point que nous sommes habitués à ap­peler ces deux phases des rapports religieux de l’homme avec Dieu : l’ancienne loi et la loi nouvelle.

Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que dans le Christ a été accomplie et achevée l’économie religieuse instaurée par la première libération du Peuple élu de l’esclavage des pharaons et par la promulgation de la loi du Sinaï (dans laquelle sont unies la loi naturelle et la loi positive) ; cette loi qui était bonne mais insuffisante : c’était un commandement, un enseignement, mais pas une force suffisante, pas un nouveau principe d’animation, surnaturel, pour vivre dans la vraie justice de Dieu.

Il fallait un autre système pour rendre l’homme bon, juste et reconnaissant envers Dieu ; il fallait la loi de la grâce, la loi de l’Esprit, laquelle nous a justement été obtenue et conférée par le Christ mort et ressuscité pour nous (cf. Rm 4, 25) ; voilà la libé­ration qui nous est venue par le mystère pascal.

On pourrait multiplier ici les citations scripturaires. « Où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté » (2 Co 3, 17), Cette liberté se rapporte à l’exonération des observances hébraïque et pharisaïque (cf. Ga 2, 4 ; 4, 31 ; 5, 13). Elle se rapporte au progrès de la vie morale : depuis le respect des règles extérieures et formelles à celui des règles intérieures et personnelles. Rappelons-nous le discours fondamental de l’enseignement évangélique : « N’allez pas croire que Je sois venu abolir la loi ou les prophètes, a dit Jésus : je ne suis pas venu abolir mais accomplir... Vous avez entendu ce qui a été dit aux ancêtres, Il le répète... Eh bien ! moi Je vous dis... » (Mt 5, 17 et suiv.). Elle se rapporte à la concentra­tion de nos devoirs dans ce sommet : l’amour de Dieu et du pro­chain (Mt 22, 37 et suiv.). Elle se rapporte à vivre la charité, vertu, qui dérive de l’Esprit Saint (Rm 5, 5), se manifeste dans l’amour du prochain (cf. Jn 13, 35 ; 1 Co 13, 4 et suiv. ; 1 Jn  2 ; 4, 20 ; etc.) et subsiste pour la vie éternelle (1 Co 13, 13). Elle se rapporte au code de la vie chrétienne qui consiste dans l’imitation du Christ, modèle de la vie ascétique et parfaite et dans le fait de vivre du Christ (Ga 2, 20 ; Ph 1, 21), principe de la vie mysti­que, consommation initiale de notre fusion éternelle dans la vie divine : libération suprême.

 

Libres serviteurs de Dieu

 

Mais faisons attention. Justement à cause de cette exigence suprême de la loi de l’Esprit, le mot « liberté » pourrait nous don­ner l’illusion que nous n’avons plus aucune obligation, ni envers nous-mêmes, ni envers les autres, ni envers la vie en commun ordonnée dans la communauté ecclésiale : oui, nous devons nous sentir libres, comme portés par le flot de l’Esprit ; mais saint Pierre (1 P 2, 16) nous avertit, sans nous faire de la liberté un prétexte pour couvrir la malice ; nous sommes toujours les ser­viteurs de Dieu. Le chrétien est plus que jamais lié à la volonté de Dieu, au respect des lois naturelles et civiles, à l’obéissance à ceux qui ont dans l’Eglise une fonction hiérarchique et pastorale, justement parce qu’il est chrétien. Et cette expérience de l’har­monie entre la bienheureuse liberté qui nous a été obtenue par le Christ et la joie de la fidélité à l’ordre voulu par Lui est parmi les plus belles, les plus authentiques, les plus précieuses de no­tre élection chrétienne.

Qu’il en soit ainsi pour nous.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

12 mai

DES CORPS RESSUSCITES

 

Chers Fils et Filles,

 

Le mystère pascal que nous avons célébré récemment est ex­trêmement important pour la conception de notre vie et pour notre comportement moral qui doit en être la conséquence. Le caractère religieux de notre moralité en résulte évidemment. Si la règle fondamentale de la vie chrétienne est celle que pro­clame saint Paul : « L’homme juste vit de la foi » (Rm, 1, 17), cette règle trouve sa pleine et caractéristique application là où la foi a son point focal, c’est-à-dire dans le Christ et dans sa résurrection (Rm 10, 9). Voici comment l’Eglise nous a mis sur les lèvres la prière qui exprime cette manière logique d’unir l’éthique et la religion : « O Dieu... accorde à tes serviteurs de manifester tou­jours dans leur vie le mystère de la Résurrection qu’ils ont reçu par la foi » (Collecte du Mardi de Pâques ; cf. guéranger, Le temps pascal, 1, 33). Ce principe moral-religieux ne doit jamais être oublié : nous ne pouvons pas bâtir l’homme bon, l’homme vrai, le chrétien en somme, sans compléter les principes de l’hon­nêteté naturelle par les doctrines de la foi surnaturelle.

 

Imitation du Christ

 

La célébration du mystère pascal ne nous a pas seulement re­mis en mémoire le fait de la mort et de la résurrection du Christ, comme à des spectateurs, à des témoins, mais il nous a fait participer d’une certaine manière, encore incomplète, mais pour le moment réelle, vitale et profonde, au grand événement rédemp­teur qui s’est reflété sacramentellement et même reproduit en nous qui sommes morts et ressuscites mystiquement avec Lui.

Relisons notre nouvelle vocation : « Du moment donc que vous êtes ressuscites avec le Christ, recherchez les choses d’en-haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu. Songez aux choses d’en haut, non à celles de la terre. Car vous êtes morts et votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu... Mortifiez donc vos membres terrestres, c’est-à-dire la fornication, l’impu­reté, la passion coupable, les mauvais désirs, etc. » (Col 3, 1-5). C’est là notre destinée, à cause de laquelle nous nous appelons chrétiens, histoire déjà accomplie en partie et en partie à achever; la transformation, opérée par la grâce, comporte sa propre loi morale. La participation au mystère du Christ exige et facilite l’imitation du Christ.

 

Le message de la Résurrection

 

Concentrons notre attention sur l’aspect caractéristique du Christ ressuscité : la vivante réalité de son corps. Son vrai corps, né de la sainte Vierge (cf. Ga 4, 4) a repris vie ; ou mieux une nouvelle forme de vie ; « nuova creatura », comme dit l’Apôtre (2 Co 5, 17) ; non un corps sujet aux lois biologiques et animales, mais un corps incorruptible, immortel, glorieux, soutenu et dirigé par des lois spirituelles supérieures (cf. 1 Co 15, 42-44). Les apparitions de Jésus ressuscité nous le manifestent. Cette transformation, cette transfiguration, cette élévation dans la gloire (cf. 1 Tm 3, 16) du corps humain du Seigneur, ne nous dit-elle rien au sujet de cette assimilation commencée de notre vie à la sienne ?

Il est clair que la vie corporelle du Christ, même avant la ré­surrection, était très sainte, immaculée dans l’équilibre originel de toutes les facultés et de toutes les passions humaines (cf. st. thomas, III, 15, 4) ; celles-ci étaient parfaites, non corrompues comme dans notre nature déchue, fille d’Adam (cf. st. thomas, I, 95, 2 ad 2 ; 97, 2 ; I-II, 25). Mais il est clair aussi que le corps du Christ, grâce à la résurrection, fut envahi d’une manière nou­velle par son âme et par l’Esprit-Saint (1 P 3, 18), dont il fut conçu et par qui il était conduit (cf. Mt 4, 1). Répétons alors : qu’est-ce que nous offre et qu’est-ce que nous enseigne cette divine allotropie (modification), cette nouvelle condition du corps du Seigneur revenu à la vie ?

 

Une nouvelle pureté

 

L’Eglise et ses enfants fidèles le savent: la résurrection du Seigneur répercutée en nous par la célébration du mystère pas­cal, nous offre, nous enseigne et nous demande une nouvelle conception, une nouvelle élévation, une nouvelle sanctification de ce qui est notre corps. En d’autres termes : une nouvelle pureté.

Oui, la Pâque doit être pour nous un nouveau sens de la di­gnité de cette chair qui est nôtre, si sensible et si fragile. Elle est l’œuvre de Dieu. Elle est le temple de l’Esprit-Saint (1 Co 5, 19). La mentalité courante voit toujours dans la règle chrétienne une dépréciation du corps humain, comme s’il n’était pas autre chose que la source des tentations et des péchés, de la faim, des douleurs, des maladies et enfin de la mort. Et c’est vrai, mais cette disposition d’esprit ne voit qu’un aspect de la réalité cor­porelle de l’homme, de laquelle naît précisément un dualisme dans notre psychologie compliquée, un dualisme dangereux et souvent coupable. Personne comme saint Paul, le héraut de la liberté du chrétien (cf. Ga 4, 31) n’a insisté sur ce point drama­tique de la vie de l’homme : « la chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair » (Ga 5, 17 et suiv. ; cf. Rm 8, 1 ; etc.). Nous sommes, au dedans de nous-mêmes, possédés par une tentation permanente. Nous avons continuellement besoin de nous re­porter à la conscience de notre dignité d’êtres élevés à la conver­sation et à la communion avec Dieu, besoin donc de la maîtrise de l’homme spirituel sur l’homme animal (1 Co 2, 14). Nous avons toujours besoin d’implorer du Père qu’il nous préserve de la tentation et qu’il nous donne la force et la joie de notre transfiguration chrétienne.

 

Notre corps racheté

 

Nous devons ancrer dans le Christ ressuscité notre purifica­tion physique et spirituelle, notre moralité intransigeante mais humaine : d’esprit, de cœur, d’habitudes. Notre corps aussi est racheté et rendu en Lui digne du plus grand respect et des soins les plus attentifs.

Prenons garde à l’agressivité des mauvaises mœurs qui nous entourent, qui voudraient nous persuader qu’il n’y a aucun mal dans la licence qui aujourd’hui envahit tout : les vêtements, les livres, les spectacles, l’éducation, les coutumes. Et réfléchissons toujours à notre vocation chrétienne qui soumettant la chair à l’esprit, prépare même pour nos membres corporels caducs, souf­frants et mortels le sort le meilleur, celui d’être au service de notre vie temporelle et d’être ensuite destinés à la plénitude de la vie céleste.

C’est ce que nous enseigne le mystère pascal.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

19 mai

QUE TE RESTE-T-IL DE JESUS ?

 

Chers Fils et Filles,

 

Le fait de la résurrection de Jésus est si grand en lui-même, si important pour nous, que, de même que l’Eglise prolonge pendant quelques semaines sa méditation sur Lui et reconnaît dans l’événement de la passion et de la mort du Seigneur et de la reprise de sa nouvelle vie corporelle le mystère par excellence, le mystère pascal, ainsi nous, chrétiens renouvelés et émerveillés par sa récente célébration, nous nous arrêtons encore une fois sur la réflexion qu’il nous impose comme à des hommes vivants et mortels de notre temps, pour nous demander quel est le rapport entre le Christ ressuscité et nous, quelle est sa présence, ou bien son absence, en ce qui nous concerne. En somme, qu’est-ce qui nous reste de Lui après avoir trouvé, comme les saintes femmes en ce matin de Pâques, son tombeau vide, et après avoir su et cru par ses diverses apparitions « non à tout le peuple, mais aux té­moins que Dieu avait choisis d’avance » (Ac 10, 41) ?

La question n’est pas une vaine curiosité, ni un simple doute d’exégèse ; c’est une demande essentielle pour notre foi et pour notre vie religieuse. Elle nous presse, chacun personnellement : que te reste-t-il de Jésus ? Un souvenir historique fané ? Un pur concept idéalisé ? Sa seule Parole lointaine, même si elle est tou­jours vive ? L’association de ses fidèles, qui se traduit dans une tradition, historique et sociale appelée l’Eglise ? Mais Lui, Lui ressuscité, où est-il ? Ne nous reste-t-il qu’à attendre son retour spectaculaire, annoncé d’avance par Lui, lorsqu’il viendra «dans la gloire de Dieu, sur les nuées du ciel » ? (cf. Mc 14, 62). Ou bien, même maintenant, même pour chacun de nous, est-Il encore présent, et comment ? Les dernières paroles de Jésus ressuscité, rapportées dans l’Evangile de saint Matthieu, nous attestent une réalité merveilleuse, mais elle est aussi mystérieuse. Au moment de disparaître de la vue de ses disciples et de la scène sensible de ce monde, Lui, le ressuscité, Il a dit et prophétisé : « Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde (Mt 28, 20). Ainsi donc encore aujourd’hui, Il est présent, mais comment, mais où ?

 

Le Christ présent, mais où ?

 

Nous nous sommes demandés d’autres fois quel genre de pré­sence, quelle forme d’actualité a le Christ au milieu de nous, et comment nous pouvons Le chercher et Le trouver au delà et en deçà de ce double diaphragme qui sépare les hommes entre eux : l’espace et le temps. Et toujours nous nous demandons et nous nous confirmons dans la foi que l’abîme insondable et impéné­trable de la mort est surmontable ; il est surmonté par le contact qui subsiste et que nous conservons avec le Christ et avec tous ceux qui, dans le royaume eschatologique, c’est-à-dire au delà de la tombe ; sont dans sa paix.

Et c’est là une pensée que Jésus lui-même avait profondément présente dans ces discours de la dernière Cène, après l’institution du sacrement de sa pérennité dans notre histoire et de son ubi­quité dans notre situation terrestre, l’Eucharistie. Ce sont les discours d’adieu, le testament de Jésus qui sait que sa mort est imminente et qui fait allusion aux conséquences qu’elle aura dans les âmes des siens, qui sont plus que des disciples, des amis (Jn 15, 14), comme en cette veille de la séparation naturelle d’avec eux « Je m’en vais, Je m’en vais... ». Que de fois Jésus a répété pendant cette nuit ces paroles d’adieu (cf. Jn 13, 33, 36 ; 14, 3, 5, 12, 28 ; 16, 5, 7, 11, 16, 17, 28, etc.). Et que de fois Jésus a fait allusion à sa permanence, à son retour même pendant la vie tem­porelle de ses fidèles : « Je ne vous laisserai pas orphelins. Je re­viendrai vers vous » (Jn 14, 18, 21, 23, 28, etc.). Et combien Il insiste sur une recommandation, une exigence en cette heure extrême de séparation : « Demeurez en moi, demeurez dans mon amour... » (cf. Jn 15, 4, 5, 6, 7, 9, 10). L’amour est révélé comme le lien le plus parfait de la communion, le complément de la foi. « Hoc est enim credere in Christum, diligere Christum », remar­que saint Augustin, c’est en effet croire au Christ que d’aimer le Christ (ST. augustin, Enarr. in Ps 130 ; PL 37, 1704 ; cf. Ga 5, 6). Et puis c’est l’annonce toute nouvelle : l’envoi de l’Esprit, du Paraclet, l’instauration d’une présence nouvelle, surnaturelle de Dieu dans l’âme de ceux qui ont cru dans le Christ et l’ont aimé (cf. Jn 14, 19-23 ; 15, 26 ; 16, 13-15).

 

Dans l’écoute silencieuse

 

Certainement, pour saisir le sens et même la vertu agissante de ces ineffables promesses du Christ au moment de sa mort temporelle, il faut être initiés à sa silencieuse écoute, à sa conver­sation. Elle est timide, impropre, audacieuse de notre part et pourtant capable de faire naître des paroles du Christ comme celles-ci lorsqu’il fut interrompu par Thomas : « Je suis la voie, la vérité et la vie ; nul ne va au Père que par moi » (Jn 14, 6) ; ou celle-ci, à l’interruption de Philippe : « Qui me voit, voit aussi le Père » (Jn 14, 9). Mais alors les auditeurs fidèles et heureux ne manqueront pas; les âmes privilégiées de ces entretiens transcen­dants ne manqueront jamais dans l’Eglise du Christ.

 

Les sacrements, présence du Christ ressuscité

 

Mais nous tous, en tant que nous sommes chrétiens, nous pouvons savoir et croire que cette communion intime, perpétuelle, multiple avec le Christ comme Dieu et comme Homme, découle du mystère pascal, découle du fait de la résurrection du Christ, grâce à laquelle aussi le bienheureux Corps du Seigneur peut se rendre réellement présent parmi nous dans la célébration de l’Eucharistie, multiplié matériellement dans le signe sacramen­tel, mais toujours intentionnellement unique dans la Réalité si­gnifiée (cf. st. thomas, III, 73, 2 ; billot, DeEccl. Sacramentis, 1, p. 323 ; De la taille, Mysterium Fidei, p. 132). Et ce que nous disons de la présence réelle du Christ dans le sacrement d’Eu­charistie, nous pouvons le dire de sa grâce qui nous est commu­niquée par les autres sacrements (cf. ciappi, De Sacr., p. 98, sd 3), toujours en raison de la Passion et de la Résurrection du Christ, c’est-à-dire du mystère pascal, comme nous le rappelle bien le Concile.

 

La force de l’Esprit

« Par sa résurrection il a été constitué Seigneur, Lui, le Christ, auquel a été donné tout pouvoir au ciel et sur la terre (cf. Ac 2, 36 ; Mt 28, 18), il agit désormais dans le cœur des hommes par la puissance de son Esprit ; il n’y suscite pas seulement le désir du siècle à venir, mais par là même anime aussi, purifie et for­tifie ces aspirations généreuses qui poussent la famille humaine à améliorer ses conditions de vie et à soumettre à cette fin la terre entière » (Gaudium et Spes, 38).

Voilà la raison de notre joie pascale et pourquoi nous devons toujours en avoir l’Alléluia sur les lèvres et dans le cœur.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

26 mai

L’EGLISE DE L’ESPRIT

 

Chers Fils et Filles,

 

Un des enseignements les plus importants, les plus caracté­ristiques, les plus féconds que le second Concile du Vatican ait laissé à l’Eglise est celui du mystère de l’Eglise qui consiste dans l’animation par laquelle elle vit comme Corps mystique du Christ ; et cette animation provient de l’effusion de l’Esprit-Saint, l’Esprit du Christ.

On le savait, peut-on dire, depuis toujours, depuis la Pente­côte, par la doctrine des Pères (citons pour l’Eglise d’Orient saint Athanase, saint Basile, saint Grégoire de Nysse ; et saint Hilaire, saint Ambroise, saint Léon-le-Grand pour l’Eglise d’Oc­cident), par des documents pontificaux récents (de Léon XIII, de Pie XII), et par des études théologiques remarquables (comme celles de Jean Adam Mohler, du cardinal Journet, du Père Congar...) ; mais la catéchèse ordinaire était plutôt orientée à consi­dérer l’Eglise dans son aspect visible et social, revendiqué pour l’Eglise spécialement par le Concile de Trente contre certaines hérésies de la Réforme.

Sans nier cet aspect et même en l’élevant à la considération d’un signe et d’un instrument de salut (cf. Lumen Gentium, 1, 48 ; Sacrosanctum Concilium, 26 ; Gaudium et Spes, 5 et 45), le récent Concile a fixé l’attention sur l’aspect spirituel, mystérieux, divin de l’Eglise, sur la « pneumatologie » de l’Eglise.

 

Connaître le Saint-Esprit

 

Si nous voulons être des disciples fidèles du magistère conci­liaire, nous devons accroître notre connaissance doctrinale sur le Saint-Esprit. Il y a une vaste littérature nouvelle sur ce magnifique et très fécond sujet (nous citerons à l’usage des spécialistes et pour l’orientation des fidèles l’article sur le Saint-Esprit, dans le Dictionnaire du Concile œcuménique Vatican II, du Professeur T. Federici, Unione editoriale, 1969 ; le volume L’Eglise enseignée par l’Esprit-Saint, Mélanges..., Duculot 1970 ; G. philips, L’Eglise, I, p. 87, Desclée 1968, etc.).

Cette littérature ne s’étend pas tant sur les recherches théolo­giques concernant le Saint-Esprit que sur les relations que la troi­sième Personne de la Sainte Trinité a avec l’Eglise et avec les âmes en particulier. Ainsi nous sont rappelés les titres qui qua­lifient les opérations du Saint-Esprit envers l’humanité rachetée et à racheter par le mérite du Christ : Il est par excellence le Saint et le sanctificateur ; Il est le Paraclet, ou notre défenseur et notre consolateur ; Il est le vivifiant ; Il est le libérateur ; Il est l’Amour ; Il est l’Espoir de Dieu, l’Esprit du Christ, la Grâce incréée qui habite en nous comme source de la grâce créée et de la « virtus » des sacrements ; Il est l’Esprit de Vérité et d’Unité, c’est-à-dire le principe de la communion et donc le ferment de l’œcuménisme, la joie de la possession de Dieu ; Il est celui qui donne les sept dons et les charismes, qui féconde l’apostolat, qui soutient les martyrs, l’inspirateur intérieur des maîtres extérieurs ; Il est la voix première du magistère et l’autorité supérieure de la Hiérar­chie ; Il est enfin la source de notre spiritualité : fons vivus, ignis, caritas et spiritalis unctio.

 

Attendre l’Esprit, comme Marie et les Apôtres

 

Pourquoi vous parlons-nous aujourd’hui de cet immense et ineffable sujet ? Nous vous en parlons parce que nous sommes dans la fameuse « neuvaine » préparatoire à la fête de la Pente­côte ; il faut donc s’arrêter sur les dispositions des âmes pour mieux célébrer cette fête centrale de notre culte catholique, metropolim festorum comme l’appelle saint Jean Chrysostome (PG 50, 463), et n’être pas indignes de recevoir le Don par excellence qui est justement le Saint-Esprit, le don effet et signe de l’amour (Sr. thomas, I, 38, 2). Comment reçoit-on ce Don qui est Dieu lui-même dans l’acte de se communiquer ? La préparation la meil­leure nous est indiquée par cette attente que les Apôtres avec Marie et les disciples passèrent dans le Cénacle, attendant l’accomplissement de la dernière promesse du Christ, faite avant l’Ascension ; qu’ils attendent, leur dit-Il, d’être baptisés dans l’Esprit-Saint sous peu de jours (cf. Ac 1, 5). Et ils attendirent: avec confiance dans la parole du Seigneur, réunis ensemble dans le recueillement et la prière. Il faut avoir les âmes ouvertes, c’est-à-dire purifiées par la pénitence (cf. Ac 2, 38) et par la foi ; péné­trées par le sens du temps, de l’heure de Dieu, c’est-à-dire dans le silence et en même temps en communion de charité avec les frères, ayant avec soi Marie, la bienheureuse Mère de Jésus. La dévotion à Notre-Dame commence ici, peut-on dire, lorsqu’est prêt à naître le Corps mystique de son divin Fils, dont elle a en­gendré le Corps physique. Une triple vision est offerte à notre spiritualité : le Saint-Esprit, Notre-Dame, l’Eglise.

Ne les séparez pas. C’est une synthèse d’une merveilleuse com­plémentarité, prévue par le dessein divin, que le Saint-Esprit soit au sommet de votre culte, du culte intérieur spécialement ; un culte qui s’exprimera principalement par une attention vigi­lante, anxieuse à le posséder, à le garder — dulcis hospes animae ; en termes de catéchisme et réalistes : faites attention à être tou­jours, toujours dans la grâce de Dieu (cf. 1 Co 11, 28 ; dante, Purg., 2, 39). Et ne suivez pas ceux qui, sous le prétexte d’écarter des anxiétés inutiles et des scrupules fastidieux de la conscience, vous persuaderaient qu’il n’est pas besoin de remettre l’âme dans la grâce de Dieu avant de se présenter à la table eucharistique ou pour vivre en honnêtes chrétiens !

Ensuite, que ne s’attiédisse pas votre dévotion à Marie, qui a eu le privilège de porter le Christ au monde et d’être la Mère spirituelle de l’Eglise au Cénacle !

Et enfin, ne séparez pas l’Esprit de la Hiérarchie, de l’équipe institutionnelle de l’Eglise, comme s’il s’agissait de deux expres­sions antagonistes du christianisme, où l’une, l’Esprit, pourrait être suivie par nous sans le ministère de l’autre, l’Eglise, instru­ment qualifié de vérité et de grâce ; l’Esprit, oui, « souffle où il veut » (Jn 3, 8) ; mais nous, nous ne pouvons pas présumer qu’il vienne à nous lorsque nous sommes volontairement séparés de ce qui est fixé par le Christ pour nous le communiquer. Qui n’adhère pas au corps du Christ, répéterons-nous avec saint Au­gustin, sort de la sphère animée par l’Esprit du Christ (cf. In Evang. Joh., 27, 6 ; PL 35, 1618).

 

 

 

3 juin

L’EGLISE, LIEU DE L’ESPRIT DE DIEU

 

Chers Fils et Filles,

 

Nous avons célébré la Pentecôte, c’est-à-dire la fête de l’effu­sion du Saint-Esprit dans le monde d’une manière nouvelle et plus pleine : intention divine évidente d’éclairer les hommes dans un dessein particulier qui est celui de former une communion, une communauté, l’Eglise, le corps mystique du Christ.

Il vient tout de suite à l’esprit une question : toute l’humanité est-elle envahie par cette effusion ou simplement une partie ? C’est-à-dire : est-ce un plan divin universel ou particulier ? Tous les hommes y sont-ils associés indistinctement ou seulement quel­ques-uns ? Cette interrogation sous-entend une question person­nelle : sommes-nous compris, nous, dans ce dessein providentiel ou en sommes-nous exclus ? Est-ce un don gratuit ou condition­nel?

 

L’Esprit-Saint pour moi ?

 

Ce sont des questions théologiques très élevées, mais qui nous touchent de près et d’une manière pratique. Elles concernent l’économie du salut, elles concernent la conception du christianis­me, elles concernent notre destin particulier et personnel. Nous ferons bien d’y consacrer notre réflexion qui, ici et en ce moment, se bornera à quelques phrases de réponse. Telle celle-ci : il nous a été manifesté une intention divine de salut pour tous, universel, catholique : « Dieu... veut que tous les hommes soient sauvés » (1 Tm 2, 4 ; Ga 3, 28 ; Rm 10, 12). Le Christ accomplit une œu­vre de rédemption pour toute l’humanité ; et l’Esprit du Christ est envoyé pour « renouveler la face de la terre » (Ps 103, 30). Mais l’application de cette grâce rédemptrice, par elle-même cosmique, universelle, est subordonnée à certaines conditions dont l’étude, c’est clair, est très importante : comment pouvons-nous obtenir ce salut du Père par l’action du Christ dans l’Esprit-Saint ?

Une première réponse nous plonge dans le mystère de la liberté divine : « L’Esprit souffle où il veut » (Jn 3, 8) ; Dieu sauve qui Il veut (Rm 9, 18). C’est le célèbre et impénétrable mystère de la prédestination (Rm 8, 29 ; Ep 1, 5 ; 1, 11 ; 1 Co 2, 7) qui a donné tant de mal à l’esprit des théologiens catholiques (voir st. augustin, De corr. et gr., 8,17 ; PL 44, 925, et st. thomas, 1, 23 et 24) et non catholiques et a tant de fois occupé le magistère de l’Eglise (cf. Concile de Trente, denz.-schôn., 1540 [805], etc.) : toute notre chance nous est accordée gratuitement par Dieu, sans pour cela que l’exercice de notre liberté soit inutile ni qu’il y ait pour nous une prédestination fatale au mal et à la damnation.

 

Parole et accueil

 

Mais il y a d’autres conditions qu’au contraire nous pouvons connaître et même utiliser. La première est la diffusion du plan rédempteur et par conséquent de l’Esprit-Saint par l’annonce, le témoignage, la prédication, l’apostolat, l’activité missionnaire, d’une part et, d’autre part, grâce à l’audition, l’instruction, l’ac­ceptation, la foi. Le plan divin se déroule comme un grand dia­logue (cf. Rm 10, 14), comme un drame de la Parole de Dieu dans la rencontre de l’effort du ministère apostolique et du libre jeu de l’accueil, de la négligence, du refus de l’homme auquel le mi­nistère s’adresse. L’homme peut-il entrer de lui-même dans le rayon lumineux de la grâce ? Ne suffit-il pas du Livre, c’est-à-dire de l’Ecriture Sainte pour le mettre en contact avec l’action salvatrice de l’Esprit du Christ ?

 

Dans l’Eglise

 

Dieu peut tout faire, mais l’économie historico-sociale établie par le Seigneur considère l’Eglise comme une condition vitale : l’Eglise maîtresse de vie, l’Eglise qualifiée dans une fonction spé­ciale de gardienne, d’enseignante, d’interprète de l’Ecriture Sainte, dont la Parole peut être obscure, incertaine et même fausse si elle n’est pas énoncée par des lèvres qui ont le charisme de l’in­carner historiquement et logiquement dans l’authentique Vé­rité qui n’a qu’une seule interprétation.

Paroles difficiles que celles-là ? Nous ne le croyons pas. Vous comprenez bien comment elles se reflètent sur les doctrines et sur les événements qui agitent notre temps et vous en avez peut-être vous-mêmes l’expérience. Le fait religieux, qu’on le veuille ou non, agit sur l’histoire présente du monde dans un sens po­sitif ou négatif ; il se traduit en idéologies qui deviennent des cou­rants, des méthodes pédagogiques, des drames politiques. L’hom­me moderne, peut-être sans toujours s’en rendre compte, s’oriente en se référant pratiquement au pôle extrême des philosophies humaines et des estimations morales, pôle qui est toujours la religion ; religion rendue vaine ou mythe ou gémissement vers le « Dieu inconnu », ou bien la religion voie, vérité et vie qui est celle du Christ, lumière et force et joie du Saint-Esprit dont l’Eglise est l’humble mais indispensable lampadaire et le sanc­tuaire limité mais toujours ouvert.

Heureux êtes-vous, fils et frères très chers, si vous comprenez ces simples mais sublimes choses. Vous partagerez ainsi la passion de l’Eglise en cette heure dramatique (cf. 2 Co 7, 5) dans laquelle naissent dans son sein même d’invraisemblables tribulations (qui ne les voit, qui n’en souffre ?) ; mais aussi vous participerez, et c’est cela qui a le plus de valeur, à son vrai et moderne renouvel­lement et à sa joie spirituelle intérieure inépuisable (2 Co 7, 4).

Avec  notre  Bénédiction  Apostolique.

 

 

 

9 juin

FETER L’EUCHARISTIE

 

Chers Fils et Filles,

 

Demain c’est la « Fête-Dieu », la fête consacrée à l’Eucharistie. Chaque fois que la Sainte Messe est célébrée, on rappelle, on renouvelle, on honore le Sacrement de la présence et du sa­crifice du Christ sous les signes du pain et du vin et dans l’acte de son immolation rédemptrice. Et c’est là un mystère si grand, si évident dans les symboles qui le représentent et si caché dans la réalité qui y est contenue, et si pleinement nôtre, — nourriture pour notre faim de vie, viatique pour notre pèlerinage dans le temps, amitié toujours disponible, centre et principe d’union ecclésiale, merveille religieuse incomparable et inépuisable —, qu’à un moment donné de l’histoire de l’Eglise, le XIII° siècle, et en un pays célèbre par l’intensité de sa vie religieuse, la Flan­dre, que se développa le culte de l’Eucharistie en dehors de la Messe, sur la dévote initiative de la bienheureuse Ida de Louvain, de la bienheureuse Julienne de Liège, tout spécialement, et d’au­tres saintes femmes émules de celles de l’Evangile qui accouru­rent les premières au sépulcre, le trouvèrent vide, connurent ainsi et firent connaître la résurrection du Seigneur.

Le Pape Urbain IV, ancien archidiacre de Liège, institua la fête après le miracle de Bolsène par la Bulle Transiturus (1264), restée célèbre et confirmée plus tard par Clément V, premier Pape d’Avignon (1312). C’est la fête du « Corpus Christi » que nous célébrons maintenant par le magnifique office composé par saint Thomas d’Aquin.

Nous ne devons pas nous étonner du fait de l’institution tar­dive de cette fête par rapport à celles des premiers siècles, et de la diffusion du culte du sacrement de l’Eucharistie : c’est un té­moignage de la conscience progressive que l’Eglise prend des trésors de vérité et de grâce qu’elle porte en elle et de l’amour croissant avec lequel elle répond au grand et mystérieux don divin. Toujours l’Eglise a eu foi en la présence du Christ dans les espèces sacramentelles, même au delà et en dehors du sacrifice eucharistique (cf. l’envoi des sancta ou du fermentum de la messe pontificale aux titres presbytéraux, ou d’une messe précédente à la messe suivante; la conservation de l’Eucharistie pour les ma­lades, etc. Cf. Innoc., PL 20, 556 ; duchesne, Origines..., p. 196 ; denz.-schôn., 835-452, etc.). Et c’est une des preuves que, dans la liturgie de l’Eglise, le contenu prévaut sur le rite, la res sur le sacramentum ; et nous, par conséquent, nous devons honorer l’Eu­charistie pour la Réalité qu’elle nous offre plus encore que pour les formes historiques et rituelles avec lesquelles on la célèbre.

 

La Présence réelle

 

La piété eucharistique a une étendue plus grande que celle du bref moment de la célébration de la Cène sacrificielle du Sei­gneur. Le Seigneur reste dans les espèces sacramentelles, et cette permanence non seulement justifie mais exige un culte qui lui soit propre : spécialement l’adoration, la sainte communion en dehors de la messe si elle n’a pas été possible pendant celle-ci, la procession solennelle, — et c’est le rite particulier de la fête de demain (cf. faber).

Ceci étant, nous arrêterons aujourd’hui notre attention sur un comportement spirituel de vigile : la préparation.

L’accès à l’Eucharistie demande une préparation. Il suffit de penser à ce qu’est la sainte communion à laquelle nous sommes invités d’une manière si pressante par l’Eglise et par le carac­tère particulier de ce sacrement. Toujours l’avertissement de la présence de Dieu inspire à l’homme plus de crainte que d’attrait (cf. Lc 5, 8) ; mais l’Eucharistie, sous les aspects de la nourriture et de la boisson, exerce tout de suite l’attrait plutôt que la crainte ; c’est par la forme la plus familière, la plus invitante qu’elle se présente, et comme si elle nous appelait : « Venez tous à moi... » (cf. Mt 11, 28 ; Imitation de J. C., IV, 1).

Mais cette rencontre ineffable de notre âme avec le Christ vivant et vrai ne peut se produire sans un profond respect, sans un effort de compréhension, sans un hommage à la volonté même de Dieu qui nous attend et nous invite. Qu’est-ce que le Seigneur veut de nous quand nous nous approchons de la sainte Eucha­ristie ?

Oh ! ici les maîtres de la dévotion ont dit tant de très belles choses... Choisissons-en trois que nous ne devrions jamais ou­blier.

 

« Mysterium fidei »

 

La première est la foi. C’est du « mystère de la foi » par excel­lence que nous osons nous approcher ; nous ne devrons jamais oublier la foi, c’est-à-dire la force agissante de la parole de Dieu, avec le témoignage de l’Eglise, alors que nous entrons dans cette sphère des réalités que la parole de Dieu, du Christ, nous révèle présentes et agissantes. Disons avec l’humble personnage de l’Evangile : « Je crois, Seigneur, mais viens en aide à mon incrédu­lité » (Mc 9, 23). Quelles analyses psychologiques, quelles effu­sions spirituelles nous offrent de telles paroles : Et c’est ce que le Christ demande à ceux qui Le cherchent, Lui, comme aliment de vie éternelle. Il enseigne : « L’œuvre de Dieu (que vous devez faire), c’est que vous croyiez en Celui qu’il a envoyé » (Jn 6, 29).

 

Celui qui mange et boit indignement

 

Et puis, il faut un examen de conscience. Saint Paul, juste­ment lorsqu’il développe aux Corinthiens la catéchèse sur l’Eu­charistie, dit gravement : « Quiconque mange le pain ou boit la coupe du Seigneur indignement aura à répondre du Corps et du Sang du Seigneur. Que chacun donc s’examine soi-même avant de manger ce pain et de boire à ce calice, car celui qui mange et boit indignement mange et boit sa propre condamnation, s’il n’y discerne pas le Corps du Seigneur » (1 Co 11, 27-29). Il faut avoir l’âme pure, il faut avoir retrouvé la grâce par la pénitence, le sacrement de la réhabilitation avant de s’approcher du baiser du Christ. Aujourd’hui il en est qui essayent de dispenser les fidèles de cette condition indispensable ; mais sont-ils « fidèles » ceux qui s’en dispensent ?

 

Laisse là ton offrande...

Et finalement une troisième préparation, prescrite elle aussi par le Christ. Il nous déclare dans le Sermon sur la montagne : « Quand tu présentes ton offrande à l’autel, si là tu te souviens d’un grief que ton frère a contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel et va d’abord te réconcilier avec ton frère ; puis reviens, et alors présente ton offrande » (Mt 5, 24). C’est dire que l’on ne peut aspirer à la communion avec Dieu, avec le Christ si l’on n’est pas en communion avec ses frères. Il faut une préparation de charité fraternelle si nous voulons jouir du sacrement de la charité et de l’unité qu’est l’Eucharistie. Là aussi, quelle leçon ! Quelle transformation des cœurs exige notre fréquentation de la sainte communion! Quelle fécondité pratique et sociale peut et doit engendrer notre piété religieuse! la paix, le pardon, la concorde, l’amour fraternel, la bonté ! quelle atmosphère doit entourer l’acte surhumain de la communion avec le Christ ! Choses con­nues, oui ; mais quelles choses ! Nous vous répéterons, pour con­clure, les paroles de Jésus : « Sachant cela, heureux serez-vous si vous le mettez en pratique » (Jn 13, 17).

Que chacun y pense.

Il s’agit de notre préparation à la Fête-Dieu.

Que ce soit valable pour tous, avec notre Bénédiction Aposto­lique.

 

 

 

16 juin

VIVRE DE LA FOI

 

Chers Fils et Filles,

 

Nous ferons bien de revoir continuellement le plan directeur de notre vie. Nous disons « nous », tournant notre pensée vers ceux qui veulent appartenir à la suite du Christ et qui aujourd’hui se montrent exigeants à propos de l’authenticité de la profession chrétienne.

 

La contestation

 

Une série d’influences exerce sur nous une force souvent dé­terminante : la tradition, par exemple, l’habitude, la coutume, l’histoire, et c’est là une des influences que la génération pré­sente supporte le moins. Nous sommes avides de nouveauté, d’ori­ginalité, d’indépendance par rapport à ce qui précède. Les jeu­nes spécialement, s’ils ont toujours essayé de s’affranchir de la sujétion aux anciens et aux vieux, sont aujourd’hui plus que ja­mais rétifs, réfractaires, rebelles à la tradition ; ils sont contes­tataires, ils veulent leur propre liberté, ils veulent se déterminer eux-mêmes, même si cette attitude les porte à se priver d’hérita­ges précieux ; ceux de l’expérience, de la sagesse et parfois du vrai progrès. Et ils cherchent de nouveaux critères et de nouvelles formes de vie.

 

La mode

 

Mais la tradition n’est pas seule à influer sur la vie ; il y a aussi l’actualité, l’ambiance, la mode, le monde extérieur. Cette in­fluence est très forte et tend à réduire les hommes à un type com­mun, à une démocratie dépersonnalisée. Les jeunes se laissent faire assez facilement par le pouvoir anonyme du modèle ambiant, de la majorité prédominante, du type imposé par des facteurs extérieurs qui agissent aujourd’hui avec un extrême sans-gêne et une efficaci­té prépondérante bien que souvent indiscernable. Pensez aux moyens de communication sociale : la presse, la radio, la télévision, le cinéma, le théâtre, la littérature (ce qu’on appelle les « best sellers ») ; pensez aux phénomènes collectifs de l’école, du sport, des courants sociaux, de la politique... L’homme n’est plus une per­sonne ; c’est un individu plus ou moins conscient ; c’est un nu­méro anonyme dans le troupeau tramant de la multitude. On apprécie justement dans ce phénomène quantitatif un fait qua­litatif de première valeur, et c’est la société qui s’assemble d’une manière unitaire, la communauté, l’humanité tournée vers des caractères universels et concordants. Mais la question reste pour le chrétien avide de se modeler selon le vrai, le souverain et l’u­nique archétype de l’humanité qui est le Christ. Est-ce que l’homme moderne, entouré et écrasé par l’organisation domi­nante et agressive du monde présent peut défendre, conserver et promouvoir sa propre personnalité, authentiquement fidèle au modèle évangélique et divin ?

Chacun comprend combien il est difficile de répondre à sem­blable demande, spécialement sur le plan pratique.

 

L’autorité

 

Une autre influence à laquelle aujourd’hui tous cherchent à se soustraire avec une simultanéité qui sent le mimétisme, c’est celle de l’autorité. Jadis elle était considérée avec un immense respect, même avec gratitude. Il est fréquent dans l’histoire et dans la pratique humaine que celui qui commande soit considéré comme bienfaiteur (cf. Lc 22, 25). Et tel est bien le supérieur qui fait de l’exercice de l’autorité un service et non pas un motif de prestige égoïste. Mais le fait est qu’aujourd’hui, même si elle est rendue plus indispensable à cause de la complexité sociale, l’autorité est considérée comme l’ennemie de la liberté person­nelle et collective. La fonction même est une menace d’oppression. De là, la nécessité de vérifier si notre vie suit, par rapport à l’orientation chrétienne, une ligne droite, sa propre règle, une interprétation personnelle et fidèle.

 

« Vivre de l’Esprit »

 

Nous nous limiterons pour cette fois à confier à votre réfle­xion une citation scripturaire qui non seulement est toujours va­lable, mais qui nous semble offrir un critère fondamental pour maintenir et pour perfectionner un vrai caractère chrétien à notre vie assiégée par tant de périls qui peuvent en déformer, comme nous disions, l’authenticité chrétienne. La citation est de saint Paul et la voici : « Puisque nous vivons de l’Esprit, que l’Esprit nous fasse aussi agir » (Ga 5, 25). Nous ne pouvons pas ici don­ner l’exégèse d’une proposition, dans laquelle se condense une grande partie de la doctrine de l’Apôtre. Nous dirons seulement qu’en même temps qu’elle libère de l’observance de la légalité propre à l’Ancien Testament, cette proposition transfère à l’in­térieur de l’homme la racine de la vie morale, dans sa conscience, dans sa liberté, comme le Christ l’avait déjà fait dans l’Evangile, spécialement dans le Sermon sur la montagne ; nous le disions simplement (pourvu qu’on complète ces termes par les explica­tions convenables qui s’y rapportent). Que veut dire « vivre de l’Esprit » ? Ici s’ouvre la théologie de la vie chrétienne qui ne peut se concevoir en dehors du plan de salut instauré par le Christ. Notre vie n’est pas un phénomène isolé, elle n’est pas un fait qui soit sa fin à lui-même. C’est une existence appelée à un destin extraordinaire qui la dépasse et l’enveloppe en même temps, au­quel nous pouvons et nous devons adhérer par un acte capital qui s’appelle la foi ; et la foi nous met au milieu d’une communi­cation vitale divine qui s’appelle la grâce, et la grâce est l’action du Saint-Esprit en nous; c’est une participation à la vie divine (cf. lagrange, Epître aux Galates, p. 147). Tout cela suppose un magistère et un ministère : l’Eglise nous les offre et nous rend possible de « vivre de l’Esprit ». C’est là le principe authentique de la vie chrétienne.

 

Logique, cohérence, fidélité

 

Remarquons une chose très importante : la vie a besoin de principes. Les confusions et les révolutions dont souffre notre vie moderne viennent principalement de ce que celle-ci n’a pas de principes vrais, fermes, féconds. Ils sont faux et changeants ; ou mythiques, gratuits et utopiques, postiches et arbitraires. Ad­mis par occasion, par commodité et nécessité d’action, mais sans vraie racine dans la réalité. Et malheureusement notre époque s’est résignée à ce scepticisme de pensée et de morale. Nous ne savons pas affirmer la vérité objective et stable ; on joue sur les théories et les opinions. N’ayant plus un patrimoine d’idées sûr et valable, nécessaire pour donner à la vie son expression idéale cohérente et organisée, nous y substituons des systèmes provi­soires de volontarismes théoriques ou personnels, dans l’effort pour nous sauver de l’abîme de l’anarchie spéculative et pratique. Une philosophie vraie et humaine est nécessaire. Rappelons-nous encore Pascal : « Travaillons... à bien penser : c’est le prin­cipe de la morale » (Pensées, 347).

Et pour un chrétien, au dessus de l’édifice des vérités ration­nelles doit resplendir la lumière de la foi : l’Esprit.

D’où la grande règle de la vie chrétienne: la logique, la cohé­rence, la fidélité. Une fois admis un principe, il faut avoir la lu­cidité et l’énergie pour en tirer les conséquences. Le chrétien est un homme cohérent, un homme de « caractère ». « L’homme juste dit encore Saint Paul, vit de la foi » (Ga 3, 11). Pas seule­ment avec la foi, mais de la foi.

Cette cohérence qualifie l’authenticité du chrétien. Etre décorés de ce nom sans adhérer aux exigences qu’il comporte, c’est de la duplicité, c’est du pharisaïsme, c’est peut-être de l’utilitarisme et du conformisme.

Si nous voulons édifier un christianisme sincère et fort, il faut nous faire à nous-mêmes une loi de cette droiture logique et mo­rale : ce n’est pas un archaïsme éthique, ce n’est pas une intran­sigeance aveugle de l’histoire, c’est suivre le Christ.

Que le Christ lui-même nous aide : avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

23 juin

VIVRE SELON L’ESPRIT DANS L’EGLISE

 

Chers Fils et Filles,

 

Après Vatican II, nous avons constaté chez un grand nombre d’hommes et surtout parmi les jeunes, le ferme désir d’orien­ter leur vie selon des principes fortement spiritualistes, c’est-à-dire leur volonté de vivre en chrétiens, en chrétiens authentiques.

 

Recherche d’authenticité

 

Cette volonté, cette inspiration nous conduisent à constater que la nouvelle génération dévoile les défauts, les incohérences, les hypocrisies, les désordres, les injustices de la société. Ces pri­ses de position sont ce que l’on appelle aujourd’hui la contes­tation. Ce phénomène renferme une exigence morale, parfois juste et humaine, pas toujours méprisable. C’est là que la cons­cience entre en jeu mais, hélas, tous n’y font pas appel. Limitons-nous à ne considérer que l’aspect positif de ceux qui veulent don­ner à leur vie une orientation sincèrement chrétienne. Cet ap­pel à la conscience ennoblit leur conduite qui mérite d’être en­couragée. C’est ainsi que l’on voit renaître un peu la sympathie pour les héros classiques qui ont préféré sacrifier leur vie plutôt que de trahir leur conscience. Et cette fière attitude est d’autant plus appréciée qu’elle reflète et réalise parfois jusqu’au paradoxe, la présence agissante de l’homme en lui-même, c’est-à-dire l’af­firmation intérieure de sa liberté : la conscience prépare l’homme à son autodétermination, à l’usage de sa liberté ; ce comporte­ment louable enseigne à l’homme à être homme.

 

Dieu, règle suprême

 

Mais la critique, la conscience et la liberté ont besoin d’une lumière intérieure, celle de la raison qui, par un processus par­fois instantané, parfois lent et pénible, introduit dans le développement moral un autre facteur indispensable, l’obligation, le devoir, la nécessité d’établir un rapport avec une exigence, un impératif, une loi, un ordre extérieur ou intérieur qui révèle à son tour un principe supérieur et absolu, notre bien, le Bien infini, transcendant, c’est-à-dire Dieu. L’action humaine acquiert ainsi toute sa valeur morale, elle devient pleinement responsa­ble, bonne ou mauvaise selon le bien vers lequel nous sommes essentiellement mais librement orientés.

Aujourd’hui, les hommes ne poussent pas volontiers leur ré­flexion jusque-là. Ils ne veulent pas entendre parler de sainteté ni de péché ; ils refusent de voir leurs actions mesurées à la règle suprême du bien et du mal : Dieu. Ils préfèrent et s’efforcent de restreindre leur responsabilité à l’horizon personnel et social, au niveau de l’homme.

 

Dans l’Eglise

 

Certains, à la recherche de l’authenticité de la vie chrétienne n’agissent pas ainsi. Souvent ils en appellent à d’autres considé­rations, vraies, mais à condition d’être intégrées dans la pleine réalité chrétienne. Il faut vivre selon l’Esprit, disent-ils. Nous en avons déjà parlé mais il est bon d’approfondir l’examen de ces paroles de St. Paul : « Nous devons vivre selon l’Esprit » (cf. Ga 5, 25). Ce principe, en effet, peut les conduire à des conclusions inexactes : une est inadmissible, celle qui prétend les affranchir du Magistère ecclésiastique, soit dans l’interprétation de l’Ecri­ture Sainte — c’est ce qu’on appelle le « libre examen » — soit dans le refus d’obéir au gouvernement pastoral de l’Eglise et de se conformer à la communion vécue dans la société ecclésiale.

 

La loi nouvelle

 

Nous admettons donc que notre vie chrétienne doit être mo­delée et inspirée par cette chose nouvelle qu’est la grâce, action du Saint-Esprit dans nos âmes, unies à la vie du Christ. Tel est l’aspect essentiel de la « loi nouvelle », celle de l’Evangile, qui passe dans l’Eglise. Ecoutez ces paroles de St. Thomas, elles nous surprennent sur les lèvres du Grand Docteur : « La loi nouvelle consiste principalement dans la grâce du Saint-Esprit, elle est écrite dans le cœur des fidèles... La loi évangélique... est la grâce même du Saint-Esprit » (ST. thomas, I-II, 106, 1 et 2).

Nouveauté, liberté, spiritualité, définissent l’authenticité de la vie chrétienne. Vivre dans la grâce de Dieu, voilà notre premier devoir et nous pouvons l’accomplir en observant le précepte du Christ : « Aimer Dieu et son prochain » (Mt 22, 37). Réfléchissez bien : vivre ne veut pas dire seulement être mais aussi agir ; notre manière de vivre devrait sourdre de la présence mystérieuse et agissante de Dieu en nous (Jn 14, 23), une présence que le chré­tien authentique et fidèle écoute et interroge pour tirer, des pa­roles méditées de la révélation divine, une réponse éclairante et réconfortante (cf. Dei Verbum, 7).

 

Richesse intérieure

 

Cette richesse intérieure, cette force ne sont pas seulement des dons réservés aux âmes contemplatives privilégiées d’une rencontre avec la Parole du Seigneur mais ils sont accessibles à tout chrétien en recherche d’authenticité.

Devrions-nous peut-être nous ranger parmi ces charismatiques modernes qui prétendent puiser leurs inspirations d’une de leurs expériences religieuses intimes ? Nous répondons : Prudence ! C’est ici que s’ouvre l’un des chapitres les plus difficiles de la vie spirituelle, celui du « discernement des Esprits ». Dans ce do­maine, l’équivoque est très facile et l’illusion ne l’est pas moins. Tant de maîtres en ont parlé (cf. st. ignace, scaramelli, card. bona, etc., D. Th. C. IV, 1375, 1415). Nous pouvons nous con­tenter de relire le chapitre 54 du 3ème livre de l’Imitation de Jésus-Christ et apprendre ainsi humblement à distinguer en nous le langage de la grâce. Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

30 juin

LE PAPE EST POUR TOUS

 

Chers Fils et Filles,

 

Cette audience est la première célébrée dans cette nouvelle salle.

Nous inaugurons ainsi ce beau et grand local que nous avons voulu faire construire pour deux raisons : pour libérer la basili­que Saint-Pierre de l’affluence devenue habituelle d’une foule hétérogène et remuante qui assiste à nos audiences générales et pour offrir à nos visiteurs une salle plus accueillante et plus adaptée.

Cette inauguration, comme vous le voyez, n’a pas un caractère officiel ni solennel, mais ordinaire et familier. Nous ouvrons sim­plement la salle qui sera destinée spécialement, à l’avenir, aux audiences nombreuses, à la visite des pèlerins, des fidèles et des touristes qui veulent nous rencontrer. Et nous sommes heureux de vous y présenter, à vous tous, notre premier et cordial salut.

A la fin de l’audience, nous bénirons le nouvel édifice et vous aussi qui êtes les premiers à en expérimenter l’accueil. Mais l’aspect particulier de cette salle, grande et moderne, nous oblige à en faire le sujet de nos paroles qui ne perdront pas cependant leur but religieux habituel.

 

La nouvelle salle d’audience

 

Nous devons en effet exprimer notre satisfaction à l’archi­tecte Pier-Luigi Nervi, auteur de cette construction. Nous-même, en prévoyant les dimensions proportionnées au but, nous l’avons encouragé, au début, à « oser », sachant bien qu’il avait le talent et la capacité pour une telle entreprise. Le voisinage de la basilique Saint-Pierre exigeait, non pas une velléité d’émulation, mais qu’il s’engagerait à tenter une œuvre qui ne soit ni mesquine ni banale, qui tiendrait compte de son emplacement privilégié et de sa destination idéale. Ce n’est pas l’amour de la puissance et du faste qui ont inspiré le plan du nouvel édifice ; vous voyez qu’ici rien ne dénonce un orgueil du monument ou la vanité de son ornementation ; mais l’exigence des choses et encore plus des idées qui se réalisent ici demande des pensées hautes et inspi­rées de qui se tient à cette place et des conceptions non moins grandes et hardies en celui qui devait en exprimer les dimensions.

 

L’humble personne du Pape au service d’un plan immense

 

Nous sommes de petites créatures et d’humbles chrétiens et nous ne devons jamais abandonner la conscience de cela, mais nous sommes au service d’un plan immense et même infini, d’une pensée divine dont nous sommes les ministres pour son expres­sion dans le temps et dans les choses : les destins transcendants de l’humanité, l’unité de la foi dans le monde, l’extension univer­selle de la charité, l’humilité victorieuse de l’Evangile et de la Croix, la gloire de Dieu et la paix du Christ... nous obligent à sentir, comme dit saint Paul « quels trésors de gloire renferme l’héritage de Jésus-Christ parmi les saints et quelle extraordi­naire grandeur sa puissance revêt pour nous les croyants » (cf. Ep 1, 18-19) ; vérités qui doivent fermenter dans nos esprits et leur donner l’audace propre à l’art chrétien de s’exprimer dans des signes grands et majestueux. Nous espérons donc que quel­que stimulant à de telles pensées élevées et mystérieuses sera donné aux visiteurs de cette salle, bien qu’elle ne prétende pas être exactement consacrée au culte de Dieu et à la prière des fi­dèles.

 

Les dépenses du Saint-Siège

 

Cette justification des proportions et de la dignité de la nou­velle salle ne nous fait pas oublier la charge de la dépense qui, au cours de quelques années, a pesé sur les conditions déjà difficiles du Saint-Siège. Nous avons cherché à ne pas en faire souf­frir ni ceux qui servent notre Institution ni les personnes et les œuvres consacrées à la préservation, à la propagation de la foi et au développement que nous cherchons à aider dans chaque région de la terre et spécialement dans le Tiers-Monde. Mais cette dépense, même si elle n’a pas été somptuaire, a dépassé ce qui était prévu et rend plus aigu dans notre âme le sens des be­soins humains, voisins ou lointains, qui sollicitent notre concours ; en sorte que nous chercherons à multiplier — et ce ne sera pas sans sacrifice — nos modestes mais, utiles contributions pour les pauvres et pour ceux qui souffrent. Parmi les premiers sont un groupe de mal logés de cette ville pour lesquels, avec l’accord et l’aide de la Commune de Rome ; nous espérons commencer sous peu la construction d’un petit mais digne quartier avec le produit de la vente d’un immeuble que le Saint-Siège pos­sède dans le centre de Rome ; de même, en outre, nous avons l’intention d’instituer un nouvel organisme du Siège Apostolique pour faciliter une meilleure coordination et une plus large et plus intense promotion de l’activité charitable de l’Eglise dans le monde.

 

L’accueil des plus humbles

 

Mais ce qui domine en nous en cette occasion, c’est de vous faire remarquer, à vous qui entrez les premiers dans cette salle de nos grandes audiences, le but que nous disions et qui vous concerne, vous et tous ceux que nous aurons l’avantage de rece­voir après vous dans cette même salle, le but d’un bon accueil bien ordonné et vénérable. Nous devons dire en outre que c’est vraiment un sens de justice par rapport à la dignité des catégories les plus humbles de nos visiteurs, accueillis jusqu’à présent d’une manière qui n’était pas suffisamment convenable, qui nous a poussé à préparer ce lieu de réunion. Nous nous apercevons que ce devoir de réception occasionnelle et momentanée devient tou­jours plus important pour nous. Jamais, croyons-nous, le Pape n’a reçu tant de gens qui désirent le voir, l’entendre, recevoir sa bénédiction. C’est un phénomène dû en grande partie à la fa­cilité des transports modernes, à l’habitude devenue plus grande de voyager ; au développement des pèlerinages et du tourisme. Cela, on le comprend, nous donne un surcroît de travail, mais qui est compensé par l’immense plaisir que les visites comme la vôtre nous procurent et par la conscience que c’est une correspondance à notre ministère. Le Pape est « le serviteur des serviteurs de Dieu » ; le Pape est pour tous. « Je me dois » à tous (Rm 1, 14). Nous ne désirons rien d’autre que de communiquer à tous notre témoignage de foi et de charité. Nous pouvons faire nôtres et les appliquer au service auquel est destinée cette salle les paroles que saint Paul écrivait aux Romains : « J’ai un vif désir de vous voir, afin de vous communiquer quelque don spirituel pour vous affermir, ou plutôt éprouver le réconfort parmi vous de votre foi commune à vous et à moi » (Rm 1, 11-12).

Voici alors qu’affleuré, à notre grande joie et dans une nouvelle espérance, le mystère d’unité et de charité, constitutif de la Sainte Eglise catholique et distinctif de notre ministère apostolique.

 

Pour le Synode des évêques

 

Nous devons ajouter ici une autre considération pour expli­quer d’une manière plus exacte la fonction du nouvel édifice. C’est celle qui concerne son usage, spécialement dans les locaux annexes de la salle où nous sommes réunis, pour des réunions importantes, désormais toujours plus nombreuses et fréquentes, organisées par les dicastères de la Curie Romaine, pour les ren­contres de caractère religieux et culturel qui sont une exigence de la vitalité croissante de l’Eglise et que nous avons l’intention d’encourager et de promouvoir, et pour les sessions du Synode des évêques qui, à partir de maintenant, y seront célébrées.

Ne faut-il pas exprimer, cordialement et spirituellement, no­tre remerciement à tous ceux qui ont contribué à l’achèvement de cette œuvre introduite désormais dans la mission du Pontife romain, à l’architecte, à ses fils et à ses collaborateurs, aux cons­tructeurs, à la maîtrise et à vous, chers ouvriers ; aux Chevaliers de Colomb qui ont donné une grande partie du terrain sur lequel s’élève la salle ; à nos bureaux administratifs et techniques, aux services du Gouverneur de la Cité du Vatican, à ceux qui les dirigent avec autorité et compétence et à ceux qui leur apportent un fidèle service ? Oui, nous disons merci à tous, au nom du Christ.

Et au nom du Christ nous vous saluons, vous, chers pèlerins et visiteurs, et à tous, en souhaitant que cette rencontre, symbo­lisée par la salle que nous ouvrons pour vous, soit un encourage­ment spirituel à mieux connaître et à mieux apprécier l’Eglise et son mystère transcendant.

Que notre Bénédiction Apostolique soit propitiatrice de toutes les faveurs divines.

 

 

 

7 juillet

LA FORCE D’ENGAGEMENT DU CHRETIEN SE FONDE DANS L’ABSOLU

 

Chers Fils et Filles,

 

Le Concile a longuement insisté sur les principes fondamen­taux que l’homme doit appliquer dans la conduite de sa vie. Parmi ces principes, il en est un qui, bien qu’à l’ordre du jour, n’en perd pas moins de son originalité au sein du christianisme : c’est l’action, c’est l’activité, c’est l’agir, c’est-à-dire l’usage mo­ral de la volonté.

La volonté d’un homme ne relève pas de son être mais de son agir. C’est là l’un des points les plus évidents, où la pédagogie du Concile s’adapte à l’attitude générale de l’homme moderne qui place toutes ses forces dans le développement de sa personne, dans la connaissance des choses qui l’entourent, pour en devenir le maître, pour aller toujours de l’avant.

Notre époque est caractérisée par l’action. Tout en défendant la liberté et en écartant toute notion du devoir, elle tend à ne se mesurer que par l’emploi des forces humaines et des énergies naturelles, par conséquent d’après les résultats dérivant de l’ac­tivité, scientifique et utilitaire.

 

Effort et fidélité

 

D’une autre manière et dans d’autres buts, l’enseignement de l’Evangile, conscient des méthodes modernes, pousse l’homme à l’action. Nous pouvons dire que l’action est la clef de la lecture évangélique. L’action est le développement de la conscience et de la volonté humaine, c’est par elle que l’homme s’accomplit totalement et qu’il atteint son bonheur (cf. st. thomas, I, 89, 1 ; 1-2, 3, 2). Souvenez-vous des paraboles de l’Evangile ; celle des vignerons : « Pourquoi restez-vous ici, tout le jour sans travailler ? » (Mt 20, 6) demanda le propriétaire à la recherche de main-d’œu­vre pour sa vigne ; celle des talents, ou encore les célèbres paroles du Seigneur : « Ce n’est pas en disant....mais en faisant... qu’on entrera dans le Royaume des Cieux » (Mt 7, 21 ; cf. Lc 11, 28). L’Evangile est un traité sur le développement de l’homme et tout comme l’annonce du Royaume de Dieu, sa trame est tissée de devoirs à accomplir par la voie la plus étroite, la plus ardue (cf. Mt 7, 14), sans rebrousser chemin devant les obstacles (cf. Lc 9, 62), mais en donnant, s’il le faut, sa propre vie (Jn 12, 25). Suivre et appliquer l’Evangile n’est pas chose facile: effort et fidélité sont nécessaires.

Nous pourrions parler ici de ces systèmes qui nous dictent de renoncer à l’effort personnel pour atteindre le Salut et veulent nous convaincre que, sans, discipline morale. systématique, c’est à la foi et à la grâce que nous devons d’être sauvés, comme si la foi et la grâce, dons de Dieu, véritables causes du Salut, ne re­quièrent pas une collaboration libre et responsable de notre part, soit au moment où Dieu agit en nous comme Sauveur, soit après que son action surnaturelle ait renouvelé la force de notre vo­lonté.

Ni le quiétisme, ni le piétisme, ni la simple habitude passive et traditionnelle de certains préceptes religieux ne sont la morale chrétienne.

Nous pourrions rappeler également les systèmes qui préten­dent aboutir à l’efficience active et morale, tel le pragmatisme utilitaire ou le stoïcisme qui, sous une austérité apparemment insensible, cache cette conviction de se suffire à soi-même, sans l’humilité de la pénitence et de la prière et sans avoir recours à l’unique source de perfection et de Salut qui jaillit de la vertu rédemptrice du Christ et de la bonté infinie de Dieu.

Ce ne sont pas des problèmes dépassés car ils survivent dans les questions théologiques et morales posées par notre colla­boration au plan divin de la Révélation et des rapports qui en dérivent, surtout en ce qui concerne l’existence et l’usage de notre liberté.

 

Doute et désengagement

 

Mais aujourd’hui, ce que nous appelons activisme chrétien, se présente différemment. Ne sommes-nous pas envahis par une grande paresse spirituelle qui, dans ses replis les plus intimes, affaiblit le désir de fonder la vie chrétienne sur l’action, de la consacrer à un idéal qui puise sa force d’engagement dans l’ab­solu ? Pourquoi ? Le doute nous étouffe ; un doute systématique et négatif, non celui d’une vraie recherche, mais celui du désen­gagement et de la destruction ; celui de la réduction des certitu­des de la foi et de l’obéissance aux institutions ecclésiales, celui de la sécularisation de toute la pensée, de toute l’attitude pratique et sociale, et non seulement dans le domaine de la raison et de l’ordre naturel.

On constate la survivance de formules nominalistes qui n’osent pas dévoiler leurs principes. On ne veut plus lutter pour sa propre foi ou pour ses propres idées. C’est la crédibilité de la doctrine et de la discipline de l’Eglise qui est mise en question. On cache trop souvent cette carence de pensée et de volonté sous des termes équivoques : pluralisme, libération, autonomie des consciences, moralité permissive, transformation continue du monde contemporain, découverte de nouveaux systèmes, etc.

 

Des attitudes tortueuses

 

Frères et Fils très Chers ! Ce n’est pas par ces attitudes tor­tueuses que nous serons à même de renouveler notre vie morale et religieuse. Ce n’est pas ainsi que nous appliquerons et interpréterons les enseignements du Concile.

Nous nous adressons donc aux fidèles qui aspirent à réaliser leur vie chrétienne d’une manière nouvelle, positive et constructive. Nous les invitons à unir à leur foi l’effort humble et énergique qui, à son tour, implore la foi, comme un don de Dieu, comme son premier don : voici alors la foi qui s’élève, chercher la foi qui vient de l’Esprit-Saint, de son témoignage intérieur ; voici qu’elles se rencontrent et font jaillir cette étincelle de lu­mière et de joie, là même où l’Eglise ajoute son témoignage et confirme : Oui, c’est la Vérité Révélée, la Vérité à laquelle nous pouvons consacrer notre vie, sans crainte d’une déception finale.

Nous les invitons en même temps à la contemplation et à l’action, selon l’enseignement de l’histoire du catholicisme.

Nous les exhortons avec les paroles de St. Paul à la Commu­nauté de Corinthe, déjà tourmentée dès son origine : « Mes frères bien-aimés, montrez-vous fermes, inébranlables, toujours en progrès dans l’œuvre du Seigneur, sachant que votre labeur n’est pas vain dans le Seigneur » (1 Co 15, 58).

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

14 juillet

LA SAINTETE ETAT NORMAL DU CHRETIEN

 

Chers Fils et Filles,

 

Nous vous invitons aujourd’hui encore à réfléchir sur l’un des aspects les plus caractéristiques de la vie chrétienne que le Concile Vatican II nous a rappelé avec insistance : la Sainteté. Vivre en état de sainteté représente pour la plupart un but inac­cessible, une attitude morale et religieuse parfaite que l’on ré­serve à ceux qui réalisent pleinement l’idéal des disciples du Christ, les héros, les martyrs, les ascètes, ou encore l’homme-modèle, différent de ses semblables, qui s’efforce, avec succès, d’imiter le Maître Divin, acquérant ainsi une personnalité humaine supé­rieure, enrichie par l’abondance de charismes et par la commu­nion mystique avec la vie même du Christ. Cet homme, le Saint, peut alors dire à bon droit : « Pour moi, la vie c’est le Christ » (Ph 1, 21). Nous avons fait de l’hagiographie le paradigme de la sainteté.

Le Concile modifie cette conception inexacte de la sainteté et appelle aux origines du christianisme, alors que tous les fidèles étaient appelés « saints » (1 P 1, 15). Il nous rappelle le Baptême et les autres sacrements, sources théologiques de la Sainteté qui répandent en nous la présence surnaturelle et agis­sante de Dieu, la grâce, qui nous fait saints, fils de Dieu, participants de sa nature ineffable et transcendante (2 P 1, 4). La Sainteté est donc un don, elle est à la portée de tous les chrétiens ; nous pouvons même dire qu’elle représente l’état normal d’une vie humaine élevée au surnaturel ; c’est la nouveauté offerte par le Christ à l’humanité qu’il a lui-même rachetée dans la foi et dans la grâce (cf. Rm 6, 4).

 

La sainteté, un engagement

 

La Sainteté n’est pas seulement un don mais un devoir et devient pour les chrétiens une obligation, un engagement. « Cette sanctification qu’ils ont reçue, il leur faut donc avec la grâce de Dieu, la conserver et l’achever par leur vie » (Lumen Gentium, 40).

La Sainteté ne nous permet pas d’être passifs, elle nous appelle à un effort moral continu (cf. denz.-schôn. 2351 [1327] ss.) ; elle jaillit en nous comme une imploration ardente puisque Dieu a fait des hommes Ses Fils : « Soyez parfaits, enseigne Jésus, comme votre Père Céleste est parfait » (Mt 5, 48). « Comme ce qui sied à des Saints », ajoute St. Paul (Ep 5, 3).

Comment expliquer alors, de nos jours cette tendance à in­terpréter le Concile comme une « Libération » de ces devoirs auxquels la tradition chrétienne conférait gravité et contrainte ? Comment est-il possible de considérer les lois de l’Eglise comme de simples lois juridiques que l’on peut modifier à loisir ? Comment osons-nous déclarer « tabous » certaines exigences et règles mo­rales que l’éducation chrétienne avait introduites dans notre mode de vie ?

Nous traversons une époque où règne ce laxisme moral, pas du tout conforme à la juste interprétation du vrai sens chrétien de l’homme.

 

« Faire comme tout le monde »

 

Les instincts et le « tout est permis » ont pris la place de l’hon­nêteté et du devoir. Pansexualisme dégradant, hédonisme, culte de la violence et de la rébellion, fréquence des vols et de l’extor­sion, concussion et encore diffusion de la drogue, avec toutes les conséquences néfastes qu’elle entraîne, au risque de dégrader la moralité des jeunes et de faire oublier aux adultes les terribles expériences des dernières guerres.

Le sens moral est-il perdu à jamais ? Non ! Par ces manifestations déconcertantes, les hommes veulent sans doute réagir contre les fausses conditions imposées par la société, contre les hypocrisies d’un soi-disant ordre moral, contre le vide des ensei­gnements matérialistes et agnostiques. Cherchons, dans ces multiples réactions à découvrir le besoin intime d’une sincérité humaine plus authentique fondée sur de justes principes. Nous, chrétiens, catholiques, avons le devoir d’arrêter cette course au conformisme idéologique et pratique voulu par la société moderne ; nous devons faire disparaître la formule qui dit que pour être à la page, il faut agir comme tout le monde, non seulement dans les choses secondaires mais aussi dans le domaine des exigences voulues par la foi et l’Eglise.

 

Vers la perfection jamais parfaite

 

Le Concile nous invite à multiplier nos contacts avec le monde contemporain mais il ne nous autorise pas pour autant à interpré­ter l’Evangile comme un christianisme facile, sans dogmes, au­torité et sacrifice. « Si votre justice (c’est-à-dire votre perfection morale) ne surpasse celle des Scribes et des Pharisiens (les bien-pensants) vous n’entrerez certainement pas dans le Royaume des Cieux » (Mt 5, 20).

Le Christ n’amoindrit pas la valeur de la loi morale mais il l’enrichit. Il la soustrait au formalisme et en fait une loi plus per­sonnelle, liée à la conscience : relisons le discours de la montagne et nous verrons alors comment la vie chrétienne devient plus profonde, plus religieuse et trouve dans l’amour suprême de Dieu et du Prochain la clef de toute l’éthique chrétienne. Le Christ nous exhorte à aller toujours de l’avant.

Le destin que la vie chrétienne nous offre n’est ni anachroni­que ni impossible. Dans cette existence si tendue, elle nous pousse vers la perfection ; une perfection jamais « parfaite » et, par con­séquent, humble, soutenue par la prière et l’espérance et toujours liée à la grâce.

Et, l’Eglise, avec sa doctrine, ses sacrements, son autorité, nous indique le droit chemin, celui du Christ qui est la Voie, la Vérité, la Vie.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

21 juillet

VIVRE L’ELAN COMMUNAUTAIRE DU CONCILE

 

Chers Fils et Filles,

 

Au cours de cette rencontre hebdomadaire, nous ferons écho brièvement et simplement au Concile. Ce dernier nous en­richit de deux façons : d’une part par ses enseignements qui confirment la doctrine traditionnelle de l’Eglise ; d’autre part par ses avertissements. Il nous instruit, non seulement sur ce que nous devons croire ou penser, mais aussi sur ce que nous de­vons faire. Et sur ce dernier point le Concile nous instruit d’au­tant plus, qu’il est avant tout une éducation à la foi et une édu­cation à la charité.

II nous propose des règles de vie, fait l’éloge de certaines ver­tus, nous apprend à juger et à bien faire, afin de pouvoir discer­ner dans la vie de chaque chrétien et de la société ecclésiale ce que l’on appelle « l’après-Concile », ou fruits de ce grand évé­nement, célébré il y a quelques années, et qui doit souligner les progrès faits dans le domaine historique, théologique et moral de l’Eglise.

Mais sommes-nous en mesure de déterminer certaines idées fondamentales et les vertus que nous propose le Concile et qui doivent apparaître dans notre vie ? La question est assez simple. Sans aucune prétention scientifique, essayons maintenant de por­ter notre attention sur une de ces idées-force qui dérivent de notre conception du Concile. Quel est le point central de Vatican II ? Son idée fondamentale? C’est bien sûr l’Eglise. Au Concile, elle s’est examinée. Et beaucoup l’ont remarqué avec sagacité. Quelle définition en résulte-t-il ? A quoi a-t-elle abouti après vingt siè­cles d’histoire et après d’innombrables expériences ?

 

L’Eglise est une Communion

 

Les réponses son très nombreuses et les aspects multiples dans la réalité complexe et mystérieuse de l’Eglise : on dirait que le Concile a peiné pour réunir en une seule expression le sens de ce terme qui pourtant est habituel : « l’Eglise » : signe et moyen de l’union de l’humanité avec Dieu et avec le Christ, peuple de Dieu, corps mystique du Christ, Royaume naissant du Christ et de Dieu, bercail du Christ, champ de Dieu, construction de Dieu, famille de Dieu, temple de Dieu, ville de Dieu (Lumen Gentium, 4 ; 1-7 ; Unitatis Redintegratio, 2). Mais pour notre façon de penser spirituelle et sociologique, il semble que la définition plus accessible et plus profonde, même si elle est incomplète, serait celle-ci : l’Eglise est une communion (Lumen Gentium, 4 ; Gaudium et Spes, 32 ; J. hamer, L’Eglise est une communion, 1962). Elle est aussi une société liée par ses propres obligations et qui dérive, comme un être vivant, de deux principes : le premier, visible, les fidèles ; le second, invisible, le Saint-Esprit, âme du corps, dont le Christ est la tête, la tête du corps mystique qui est justement l’Eglise (Ep 4, 15-16 ; Co 1, 18).

C’est l’assemblée, un rassemblement d’hommes à la fois réel et mystique. C’est la communion des Saints.

Vous trouverez l’expression de cette doctrine, dans deux do­cuments solennels, l’encyclique « Mystici Corporis » du 29 juin 1943 et, plus important encore, la constitution dogmatique « Lu­men Gentium » du 21 novembre 1964. Telles sont les bases de l’ecclésiologie moderne, qui interprète ainsi les apôtres et la Tra­dition. Laissons les savants parler de ce vaste sujet ; il existe toute une littérature, toute une théologie que les catholiques ne peuvent ignorer.

 

Avec le Christ, avec les frères

 

La communion suppose une double relation : la première avec le Christ, et, par lui, avec Dieu ; la seconde, avec les chrétiens devenus frères par cette communion. L’Eglise est une commu­nauté de foi, d’espérance et d’amour à laquelle on appartient dans l’Esprit-Saint et le respect au magistère établi par le Christ.

La conséquence est immédiate : pour appartenir à l’Eglise, il faut être lié au Christ. Faire abstraction de cette relation com­promet les rapports sociaux, caractéristiques de l’Eglise, destinés à faire son unité dans sa mission salvatrice. Voilà l’exigence de l’œcuménisme : l’unité dé l’Eglise est fondée sur une authentique « communion des saints » (cf. Unitatis Redintegratio, 2, 3, etc.). On pourrait étudier le rapport entre la communion ecclésiale et la collégialité épiscopale, qui en est une manifestation privilégiée.

La communion est un devoir fondamental pour tous les fi­dèles du Christ, elle n’est pas uniquement extérieure et discipli­naire. Le Concile nous l’a rappelé : « Le bon vouloir de Dieu a été que les hommes ne reçoivent pas de sanctification et de salut séparément, hors de tout lien mutuel ; il a voulu au contraire faire un peuple qui le connaîtrait selon la vérité et le servirait dans la sainteté » (Lumen Gentium, 9).

 

Recherches et refus

 

Rien n’est plus opposé à cette vision universelle du salut agissant en chacun et en tous que l’individualisme, l’égoïsme, la division, l’opposition ; rien n’est plus conforme au dernier désir du Christ « qu’ils soient tous un » (Jn 17, 22-23). Nous nous de­mandons si cette recherche de l’unité marque les mouvements spirituels, qui se réclament du Concile. Oui, dans beaucoup de cas : la réforme liturgique, le mouvement œcuménique, l’intérêt porté par les groupes catholiques aux pays du Tiers-Monde. Cette réforme liturgique, qui permet à tous lés peuples de s’ex­primer dans leur propre langue, ne tend pas à éparpiller les fi­dèles, mais à les réunir, dans la même prière, avec au centre l’Eu­charistie, sacrement et sacrifice, dont la réalité est le « corps mys­tique dans son unité » (Sx. thomas, III, 73, 3 ; cf. II-II, 39, 1).

Le véritable esprit communautaire parcourt-il toute l’Eglise ? N’y a-t-il pas une certaine tendance à former de petits groupes exclusifs ? A quoi tend la trop grande importance donnée aux charismes, oubliant qu’ils doivent être au service de la commu­nauté (cf. 1 Co 12, 7), et en les opposant aux institutions authenti­ques de l’Eglise ? Où veut arriver ce pluralisme arbitraire ? Où est la fraternité dans cette critique continuelle du respect dû à l’Eglise et à ses guides ? Où est la charité chrétienne, dans l’exal­tation de l’égoïsme des classes et la lutte économique ? Il faut réfléchir à l’élan communautaire donné par le Concile à l’Eglise. Vivons-le : aimons-nous, pardonnons les torts subis, ouvrons-nous aux autres, dans notre entourage.

Aimons vraiment, dans l’Eglise universelle aux formes si di­verses. Demandons au Seigneur cette grâce. Avec notre Béné­diction Apostolique.

 

 

 

28 juillet

DIGNITE SACREE DE L’HOMME

 

Chers Fils et Filles,

 

Nous recherchons les valeurs fondamentales du Concile. Par ces valeurs nous entendons les biens relatifs, à l’homme et à sa vie. Mais avant tout priment les biens réels, vrais, transcendants. Pourquoi le Concile s’est attaché à considérer les valeurs plutôt que les vérités à connaître et à croire ? Pour deux raisons : la première est de s’approcher davantage de la mentalité moderne, qui n’agit qu’en fonction de valeurs, c’est-à-dire de pensées à l’in­térêt subjectif, intéressant la vie de l’homme comme centre uni­que dominant l’expérience, l’histoire, le monde. Cette conception fait penser à celle de Ptolémée, qui mettait la terre au centre du monde ; ainsi l’humanisme moderne, sécularisé, se libère de toute référence au Principe et à l’Ultime réalité suprême, qui est Dieu.

La seconde raison, qui a conduit le Concile à l’estimation de valeurs plutôt qu’aux recherches objectives et aux définitions dog­matiques, est son but pastoral, le bien des âmes qui est le plus important.

Quelle est la valeur la plus importante que le Concile a voulu considérer ? L’homme, nous l’avions noté dans le discours de clôture.

Il en résulte non seulement un enseignement doctrinal, affirmé à chaque ligne des documents conciliaires ; mais surtout une édu­cation morale, un comportement à appliquer dans notre vie, si nous la voulons humaine et chrétienne.

 

Visions partielles

 

Après le Concile, notre grand devoir est de reconstruire une vision authentique et chrétienne de l’homme, son être, sa vie, ses droits et ses devoirs, son destin. Pour commencer, nous devons admettre que l’homme, dans la profondeur et la complexité de son être, est un mystère (cf. Gaudium et Spes, 22). Seule la foi nous le révélera. Alors que nous sommes distraits, vaniteux de nos expériences souvent réduites à un contact superficiel avec le monde extérieur, aveuglément assurés du langage scientifique qui nous instruit et nous charme, nous croyons nous connaître parfaitement. Mais le vieil adage « Connais-toi, toi-même » con­tinue à nous tourmenter, si nous voulons donner une réponse sa­tisfaisante au besoin de nous connaître entièrement.

Le plus souvent l’homme est aveugle. Car une erreur fonda­mentale corrompt l’anthropologie moderne, qui prétend éclairer l’homme et donner de lui une définition complète ; voilà l’erreur : l’homme, comme nous le savons, est un être extrêmement com­pliqué, et certains croient pouvoir limiter son étude à un seul aspect, en ignorant et même niant tous les autres.

L’homme est corps, et d’aucuns ne verront que sa parenté avec l’animal, la matière et ses lois. L’homme est esprit, et de nombreux savants s’arrêteront à cette noble réalité pour en arriver à un idéalisme unique et idolâtre de la pensée humaine. L’homme est aussi sens et alors on dira que sa vie s’épanouit uniquement dans le domaine des sens. L’homme est un être social, au point que l’on voudra attribuer à une considération sociologique, la clé des solutions aux problèmes de l’existence humaine. Et ainsi de suite.

La conception chrétienne, est-elle aussi unilatérale en s’atta­chant uniquement aux valeurs religieuses ? Est-ce que le Concile considère uniquement le rapport entre l’homme et Dieu ? Non. Car dans son enseignement, il attribue à toutes les valeurs na­turelles, leur propre prix, leur propre rôle.

 

La dignité de l’homme est en Dieu

 

A ce point de vue, l’Eglise a été bienveillante et courageuse. Elle a regardé et donc reconnu tous les aspects de l’homme. Elle a aussi assimilé la connaissance de l’homme qu’a le Christ « Lui qui savait ce qu’il y a dans l’homme » (Jn 2, 25 ; Lc 6, 8 ; Mt 12, 25) ; et elle a donné à la réalité humaine, même profane et terrestre, une estimation exacte (cf. Apostolicam Actuositatem, 7, 29 ; Gaudium et Spes, 4 ; Lumen Gentium, 31, etc.). Elle a proclamé et défendu tous les droits légitimes de l’homme (cf. Gaudium et Spes, 41, etc.).

Mais cette exaltation, le Concile, comme l’Eglise depuis tou­jours, l’a proclamée en vertu d’un principe suprême et inaliéna­ble, celui du rapport de l’homme avec Dieu.

Rappelons-nous cette très belle maxime de St. Irénée (un des Pères de l’Eglise de la fin du IIe siècle) : « L’homme vivant est la gloire de Dieu » (Adv. Haer. IV, 20, 7 ; PG 7, 1037).

 

« Gloria Dei, vivens homo »

 

Dieu cherche sa gloire ; son rayonnement dans l’univers, dans la vie de l’homme. Qui nie Dieu, nie la lumière humaine, nie l’homme dans toutes ses prérogatives. L’homme, à la lumière de Dieu, reflète Son œuvre créatrice et aimante. D’abord, sa dignité. S. Léon le Grand nous le proclame dans une phrase célèbre : « Reconnais, ô chrétien, ta dignité ».

Cette dignité est innée et sacrée, inviolable et transcendante. Les parents, dès la conception de leur enfant, doivent la respecter. Il est horrible de penser qu’ils peuvent être eux-mêmes homicides, lorsqu’ils ne tiennent pas compte d’être entrés dans un système qui les dépasse et les conduit à l’accomplissement héroïque du devoir.

Dignité de l’homme ! Nous ne voulons pas nous étendre sur ce thème, cela nous conduirait à déplorer amèrement les offenses si répandues aujourd’hui à cette dignité ; modes impudiques, spectacles frivoles, immoralité des mœurs, pornographie, anesthésie de la conscience, exploitation de la sensualité, déforma­tion d’une saine éducation sexuelle. Des expériences licencieuses sont admises comme des conquêtes libératrices. Mais de quoi ? Libération de la conscience du bien et du mal, du respect dû à la personne humaine, de l’estime des valeurs les plus précieuses qui conservent l’équilibre entre l’esprit et la chair, pudeur, innocence, domination de soi, choix généreux et conscient de la vérité de l’amour.

Dignité de l’homme ! Nous ne l’aurons jamais assez appréciée sous un double aspect : le premier, positif, qui nous révèle dans le visage humain « l’image et la ressemblance de Dieu » (cf. Gn 1, 26) ; le second, négatif, où la petitesse, la faiblesse, la dégra­dation de l’homme nous laissent voir, divin et souffrant, notre Frère Jésus (cf. Mt 25, 37-40).

 

Une exigence incoercible de dignité

 

D’où l’humanisme chrétien. Le Concile en parle longuement. Citons-en une phrase, comme conclusion : « Aujourd’hui grandit la conscience de l’éminente dignité de la personne humaine, su­périeure à toutes choses, et dont les fruits et les devoirs sont uni­versels et inviolables... Quant au ferment évangélique, c’est lui qui a suscité et suscite dans le cœur humain une exigence incoer­cible de dignité » (Gaudium et Spes, 26).

Pensons-y, si nous voulons donner au Concile une vraie con­tinuation dans notre vie. Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

4 août

L’AMOUR DE L’EGLISE, EXIGENCE DU RENOUVEAU

 

Chers Fils et Filles,

 

L’idée du renouveau est sûrement l’une des plus importantes parmi celles que nous cherchons à détailler et à approfondir dans la doctrine du Concile. Nous devrions relire la Bulle Pontificale par laquelle notre prédécesseur Jean XXIII intima officiel­lement le Concile (25 déc. 1961 ; AAS 1962, p. 5 ss.) et nous devrions réécouter son discours d’ouverture (11 oct. 1962 ; AAS 1962, p. 786 ss.) pour sentir cet espoir qui, par sa voix, a rempli l’Eglise comme une parole prophétique. Pour les profanes ce fut presque un poème de Virgile : « Magnus ab integro saeculorum nascitur ordo » (Ecl 4, 4) ; mais pour les chrétiens elle prit une résonance biblique : « Voici que je fais quelque chose de nouveau, déjà il germe » (Is 43, 19). Ce renouveau paraissait la promesse fondamentale du Concile, un réveil spirituel, « l’aggiornamento », l’œcuménisme tant désiré, le renouveau du christianisme selon les exigences de notre temps, la réforme de la vie et des lois de l’E­glise.

 

Le renouveau est une invitation du Christ

 

Ce sens du renouveau doit rester, et il doit même agir en nous. Il doit être considéré comme une invitation qui nous vient du Christ, seul chef suprême et invisible de l’Eglise qu’il rajeunira, pour lui donner cette certitude de survie après les siècles destruc­teurs et dramatiques de l’existence humaine. Pour réveiller en l’Eglise cette conscience de forces encore cachées, pour lui donner le courage de se montrer capable de suivre l’Evangile et la Croix, pour l’animer dans sa mission de salut de l’humanité. Cette dernière s’exalte dans ses conquêtes temporelles et est accablée, non seulement par le vide profond de ses doutes inexplicables, mais aussi par des misères sociales passées ou présentes.

Ce sens de renouveau doit finalement réconforter l’Eglise dans son défi impitoyable pour affirmer la foi. Une foi théologi­que, parfaite, apparemment anachronique et incompréhensible, mais rayonnante de vérité, s’exprimant dans un langage toujours nouveau, dans le monde sécularisé, immense et tourbillonnant, de notre temps. Et avec la foi, un message d’espérance pour au­jourd’hui et pour toujours. Avec cette espérance propre à l’Eglise, le don gratuit de son amour, confirmé par son humilité et par son œuvre. Vision de nouveauté, de jeunesse, de courage, de joie et de paix, voilà ce que propose le Concile à l’Eglise.

 

Deux attitudes

 

Examinons deux réactions devant le renouveau conciliaire. D’abord la méfiance, comme s’il s’agissait d’un enthousiasme éphémère, presque dangereux et contraire au devoir de l’Eglise, qui doit garder jalousement les trésors de la révélation et de la tradition, et qui doit instruire les fidèles, conformément à ses croyances, à la stabilité de ses lois, au témoignage de sa perfec­tion. Pour les hommes attachés davantage aux coutumes qu’à la nouveauté, le Concile a laissé une impression de malaise. Cette réaction a été d’autant plus inquiète et maladive que certains mi­lieux ecclésiastiques, favorables aux nouveautés, à l’Eglise post­conciliaire, manifestaient une attitude précipitée et radicale. L’at­titude d’un renouveau approprié, selon le « Bon esprit » promis par le Père céleste « à qui l’en prie » (cf. Lc 11, 11) est la nôtre, et sûrement la vôtre. C’est la bonne attitude.

Nous pourrions donner des preuves convaincantes des dispo­sitions prises par le siège apostolique durant toute cette période, par exemple le grand renouveau de la réforme liturgique, les nouvelles structures dans l’Eglise, le Synode des évêques, les conférences épiscopales ; la révision des règles des congrégations religieuses ; la promotion du laïcat catholique, aux niveaux local et international. Nous avons confiance de pouvoir organiser davantage l’activité du Corps mystique si le renouveau procède avec ordre et dans le « sens de l’Eglise » qui est requis.

 

Dangers de la recherche de nouveauté

 

Nous devons faire attention à des dangers produits par là re­cherche du renouveau et qui pourraient amener à des résultats opposés. Nous parlons à ceux qui aiment l’Eglise. Nous nous li­miterons à quelques simples observations qui portent à réfléchir. Renouveler l’Eglise ne peut pas signifier trahir les normes de la foi ; celle-ci ne s’invente pas, elle ne se manipule pas; on la reçoit, on la garde, on la vit. Sinon on offense l’idée de l’Eglise, une, communautaire et hiérarchique, telle que l’a voulue le Seigneur et l’a développée la tradition apostolique (même si l’on reconnaît les droits particuliers de la personne de l’Eglise locale, de la collé­gialité, etc.) « Je suis la vraie vigne, vous êtes les sarments » (Jn 15, 1, 6) ; n’oublions jamais cette étonnante image de l’Evan­gile ; même lorsque la vigne doit être taillée, il faut enlever les sarments stériles afin que les autres soient plus féconds. On ne peut justifier l’attrait de la nouveauté pour la nouveauté, surtout en cédant à la tentation caractéristique de notre époque ; abolir tout respect pour la tradition, l’histoire, l’expérience qui nous ont donné l’Evangile et rendu l’Eglise présente.

Certains voudraient oublier leur patrimoine religieux, partir de zéro pour bâtir à leur façon une impossible Eglise nouvelle et arbitraire. La passion œcuménique, ne nous enseigne-t-elle rien ?

 

Le charisme de la charité

 

A leur façon ? Quand on examine ces tentatives de fondation d’une Eglise nouvelle, d’une chapelle à soi, refusant celle qui existe, on s’aperçoit que ces essais ne sont ni nouveaux ni libérateurs.

Ce sont des concessions à la mentalité profane du temps, à laquelle on voudrait assimiler l’Eglise, avec l’intention, peut-être bonne, de l’intégrer dans la vie moderne ; on supprime ainsi son originalité divine et humaine. On lui attribue, avec ironie, des caractéristiques d’un autre âge : « Constantinienne », néo­hellénique, féodale...

On a beaucoup parlé du renouveau des « structures », en rê­vant d’une constitution nouvelle de l’Eglise, en dévaluant les Conciles précédents ; on retombe alors, sans y faire attention, dans un nouveau juridisme. On voudrait donner une fonction autono­me à l’affirmation charismatique du peuple de Dieu, en oubliant son rôle au service de la communauté ecclésiale (cf. 1 Co 12 à 14) dont la structure ministérielle ne peut être « désintégrée « que tout se passe décemment et dans l’ordre » (1 Co 14, 40).

Frères et fils très chers, nous désirons donner à l’Eglise post­conciliaire un visage nouveau et nous travaillons dans ce but, surtout grâce au renouveau intérieur (Ep 4, 23) dont nous vous avons déjà parlé. L’effort à faire pour tous c’est d’aimer l’Eglise et de rechercher pour nous avec humilité et ferveur le charisme supérieur, celui de la charité (cf. 1 Co 12, 13).

Avec   notre   Bénédiction  Apostolique.

 

 

 

11 août

CORESPONSABILITE DU LAÏCAT DANS LA MISSION DE L’EGLISE : PAS DE CHRETIEN PASSIF

 

Chers Fils et Filles,

 

Le laïcat : voilà encore un mot qui nous vient du Concile, ré­vélateur des structures de l’Eglise. Une définition qui nous concerne tous, un programme faisant partie de la mission aposto­lique de l’Eglise même. On en a tellement parlé ces dernières années, même avant Vatican II, qu’il nous semble superflu de le choisir comme sujet d’un nouveau discours. Il n’est pas inu­tile cependant d’y consacrer un instant de réflexion dans la mesure où il nous intéresse, et d’essayer de tirer des enseignements ca­ractéristiques du Concile, des principes d’action. Le terme « laïc » n’est pas nouveau dans notre vocabulaire, on l’a étudié et on s’en est servi avant le Concile. Par exemple, en 1946, notre prédéces­seur Pie XII, s’exprimait ainsi : « Eux, surtout eux (les laïcs) doivent être conscients, non seulement d’appartenir à l’Eglise, mais d’être l’Eglise, c’est-à-dire la communauté des fidèles sur terre, guidée par un chef commun, le Pape et les évêques en com­munion avec lui. Ils forment l’Eglise » (AAS 1946, p. 149 ; Y. congar, Jalons pour une théologie du laïcat, Unam Sanctam, Pa­ris 1953). Cependant ce mot offre une caractéristique, car Vati­can II a longuement traité cette question et souvent. Il suffit de nous rappeler que la Constitution dogmatique sur l’Eglise Lu­men Gentium, réserve aux laïcs tout le chapitre IV et qu’un Dé­cret spécial a été réservé à l’apostolat des laïcs Apostolicam actuositatem. Si on ne réserve pas une place spéciale au laïcat, on ne peut avoir une idée appropriée, même sommaire de la doctrine du Concile.

 

Attention aux faux sens

 

Mais attention aux divers sens du mot « laïc » ; étymologiquement il faut le comparer à « populaire » ; « laos » en grec, veut dire peuple. Pour nous est laïc celui qui appartient au peuple de Dieu. Le Concile a exalté cette expression au point d’en faire la définition historique, sociale, et spirituelle de l’Eglise à intégrer avec d’autres et tout spécialement avec corps mystique du Christ. Pour l’Eglise, un laïc c’est celui qui s’insère en elle activement par les sacrements de l’initiation chrétienne, le baptême en pre­mier lieu. Un aspect négatif limite le laïc, il n’est pas marqué par l’ordination sacramentelle qui fait du chrétien un ministre doté d’un pouvoir particulier, diaconal ou sacerdotal, ou une ap­partenance officielle à l’état religieux : le laïc n’est ni prêtre, ni religieux. Et cela suffit pour que le terme laïc prît dans le langa­ge commun, le sens profane (rappelons ce vers d’Horace : Odi profanum vulgus et arceo), de séculier, et puis de a-religieux, pire encore de laïciste, souvent anti-religieux ou anti-clérical.

Mais arrêtons-nous sur la définition chrétienne, pour rappeler que être « laïc » veut dire que chacun de nous est un citoyen du peuple de Dieu, membre de l’Eglise, fidèle et chrétien.

Prenons à cœur ce que dit le Concile sur la dignité du laïc et ses droits, la dignité de sa mission, ses devoirs.

 

La dignité du laïcat

 

Nous pouvons trouver la Charte des droits du laïc catholique dans Lumen Gentium et illustrer ses devoirs par le Décret sur l’ac­tivité des laïcs, activité bien noble : elle est apostolat. Ces pages très belles nous enseignent tant de choses à dire, à étudier, à faire.

Nous vous invitons tous à mieux les connaître. La structure du laïcat s’enracine dans la structure sacramentelle de l’Eglise. Le laïcat, dérivé du baptême, fortifié par la confirmation, alimenté par l’Eucharistie, forme les bases d’égalité entre tous ceux qui ont la chance d’être les membres de l’Eglise.

Vous êtes tous des frères (Mt 23, 8). Nous sommes tous ani­més par le même esprit vivifiant et sanctifiant (1 Co 12, 4) et l’unité est le principe et le but de la vie de l’Eglise, son exigence vitale qui engendre et justifie même là pluralité des fonctions hié­rarchiques afin que l’Eglise soit un peuple de prêtres (cf. Ap 1, 6 ; 1 P 2, 4-10), se dévouant au culte divin, à sa propre sanctifica­tion et à celle du monde, formée et gouvernée par un sacerdoce qui participe pleinement à celui du Christ et doté de facultés surhu­maines bien définies pour le ministère des frères (Lumen Gentium, 10, 34). La structure mystique et visible de l’Eglise apparaîtra plus évidente dans ses aspects unitaire et communautaire, orga­nique et hiérarchique, charismatique et institutionnel.

 

La mission des laïcs

 

Voilà un point qui, aujourd’hui, doit retenir toute notre at­tention. Que dirons-nous de l’apostolat des laïcs ? C’est une vo­cation, mais aussi un devoir moral. Une des vérités affirmées avec le plus d’énergie par le Concile est la suivante : la participa­tion à la mission de l’Eglise est demandée à tous les chrétiens ; ouverture mais aussi obligation. C’est pour cela qu’il ne doit pas exister de chrétien passif dans le corps mystique du Christ. Tous et chacun doivent collaborer sous différentes formes, mais avec une coresponsabilité commune, à l’œuvre apostolique de l’Eglise.

On en a tant parlé, mais devant l’indifférence de beaucoup de catholiques, la défiance même que trop d’entre eux montrent envers les associations, le prosélytisme, l’anxiété devant la com­munication aux autres de la foi et de la charité de l’Eglise, on pourrait se demander si l’apostolat actif et organisé est en train de progresser, de stagner, ou bien de s’effriter.

Heureusement cette vitalité et cette charité que nous appelons l’apostolat se manifeste de différentes façons. Ceci nous aide à espérer, mérite toute notre compréhension et tout notre soutien.

Une formule qui reste classique est celle qui établit des rap­ports étroits et organiques entre l’activité apostolique des laïcs et la hiérarchie ecclésiastique ; on l’appelle l’Action Catholique.

Nous ne cessons de la recommander au clergé, pour qu’il la favorise, aux laïcs plus courageux, pour qu’ils y infusent leur connaissance des besoins du temps, leur richesse d’énergie, leur communion à l’Eglise (cf. Lumen Gentium, 10, 34). Notre Béné­diction Apostolique s’adresse à tous les laïcs pour que notre pa­role ne soit pas vaine, à vous tous aussi, qui nous écoutez.

 

 

 

18 août

LA LIBERTE RELIGIEUSE : MAÎTRISE DE SOI POUVOIR D’OPTION, AUTONOMIE

 

Chers Fils et Filles,

 

Nous avons déjà réfléchi ensemble sur les multiples enseigne­ments du Concile; rappelons, aujourd’hui, à votre attention les documents de Vatican II consacrés à la liberté religieuse (Dignitatis Humanae), ce don naturel qui rend l’homme maître et responsable de ses propres actions.

Que de choses ont été dites et écrites à propos de la liberté ! Elle a été tantôt exaltée, revendiquée, tantôt niée, ramenée même à une illusion psychologique, victime d’un déterminisme impla­cable.

Dans tous les domaines de l’activité humaine, et surtout dans les milieux politiques, elle est une valeur inestimable que l’on veut sauvegarder à tout prix, mais que l’on n’hésite pas à réfuter par des systèmes de répression les plus variés. La liberté repré­sente l’un des thèmes les plus prenants de la culture moderne, domaine où les hommes sont censés prendre position, mais où, hélas, ils finissent par se séparer plutôt que de s’unir dans cette marche vers le progrès historique et spirituel de la civilisation.

Quel est en réalité le véritable sens du mot « liberté » ? Il indique : maîtrise de soi, pouvoir d’option, autonomie (Liberum est quod causa sut est. st. thomas, I, 83, 1 ; cf. Eccl 15, 14), et en appelle à la volonté. Tandis que l’intelligence est liée à la con­naissance, la volonté l’est à l’action ; mais, si elle veut être hu­maine et non pas esclave des instincts, c’est dans la raison qu’elle doit motiver son choix et ce dernier sera alors orienté vers le bien (cf. Jn 8, 32 ; st. thomas, 1-2, 17, 1 à 2). La liberté ne constitue pas une fin en soi ; elle nous guide dans la recherche des valeurs essentielles du Bien absolu et de notre bien.

Cette analyse psychologique du rapport raison-volonté revêt une extrême importance et mérite d’être approfondie afin que l’on puisse découvrir l’une des tares dont nous a marqués le pé­ché originel. Le lien étroit entre raison et volonté n’est pas des plus parfaits, notre pensée et notre action ne sont pas toujours cohérentes (cf. Rm 7, 15).

Nous voudrions, ici, analyser le processus par lequel la grâce pénètre mystérieusement dans notre âme, afin d’éveiller notre esprit, nos connaissances, d’orienter et d’affermir notre volonté, tout en gardant le profond respect de la liberté humaine : c’est là l’un des problèmes les plus complexes de la théologie ; St. Augustin lui a consacré des pages admirables.

 

L’usage extérieur de la liberté

 

Mais ce qui retient, aujourd’hui, notre attention, ce n’est pas cette délicate introspection de la liberté ; c’est plutôt l’usage ex­térieur, social et politique que l’on en fait. La liberté est pour certains un dogme, pour d’autres un danger. La marche vers l’épanouissement de cette liberté est parsemée d’obstacles. Un idéalisme noble et courageux — qui est d’ailleurs proche de notre pensée — pousse l’homme à la destruction de tout ce qui est susceptible d’arrêter le développement de sa personnalité et de son activité : esclavage, absence de droits civils, misère, ignorance. Bien des hommes, au courage lucide, luttent de nos jours pour cette cause. Mais il nous est tout aussi facile de constater que, parfois, l’usage de la liberté engendre le désordre : répression, désintégration de la communauté, etc. Si, sous prétexte de li­berté, nous agissons à notre guise, nous verrons alors la déca­dence de la société et l’ordre moral laisser la place à la violence des instincts et des passions. C’est là que surgit, la contestation par l’Eglise des principes du libéralisme, dont elle reconnaît certains aspects positifs. Elle le condamne pour son agnosticis­me à l’égard du transcendant ; pour son optimisme quant à la valeur d’une lutte inévitable, où triomphe trop souvent la vio­lence des forts surtout dans les domaines économiques et sociaux, pour son naturalisme qui, aux dépens de la morale, fa­vorise l’indifférence théorique à l’égard des souffrances du pro­chain. Le Magistère condamne enfin le libéralisme pour son refus instinctif des lois, cause d’agitation sociale et source de révolution et de totalitarisme.

 

Les enseignements du Concile

 

Malgré cela, l’Eglise « a choisi la liberté ». Le Concile a voulu reconnaître à l’homme cette prérogative essentielle qu’est la li­berté. La raison profonde de la liberté de l’homme réside encore dans sa dignité : La vraie liberté est en l’homme un signe privi­légié de l’image divine. Car Dieu a voulu le « laisser à son propre conseil (Eccl 15-14) pour qu’il puisse de lui-même chercher son Créateur et, en adhérant librement à lui, s’achever ainsi dans une bienheureuse plénitude » (Gaudium et Spes, 17). Privons l’homme de sa libre adhésion à Dieu et nous ôtons tout sens à sa liberté. De plus, les hommes ne doivent subir aucune contrainte de la part de l’Etat dans leur rapport avec Dieu, le domaine religieux ne relevant pas de la compétence des autorités civiles. C’est, là, le principe fondamental du Décret Conciliaire sur la liberté religieuse. Nous vous exhortons à faire bon usage de cette liberté : depuis toujours et aujourd’hui plus clairement encore, l’Eglise Catholique ne cesse de la prêcher et invite ardemment les chré­tiens à accorder à la foi la place primordiale qui lui revient, en allant, s’il le faut, jusqu’au sacrifice de leur propre vie. Certes, nous savons bien qu’en ce qui concerne cette conception de la liberté, nombre de pages de l’histoire de l’Eglise méritent réserves et explications. Elles relèvent d’un contexte historique plus at­tentif à la mentalité de l’époque qu’aux valeurs de l’Evangile.

 

Conscience et responsabilité

 

Réjouissons-nous d’un nouvel enseignement, plus conforme à l’esprit du Christ. Veillons à ce que la liberté, ce bien si précieux, demeure toujours le reflet de Dieu en nous ; la conscience doit être son guide, il est vrai, mais que cette conscience soit éclairée par les véritables valeurs divines et humaines. La vérité nous rend libres. La liberté elle, doit pouvoir s’exercer sans entraves, mais le bien doit être son but; c’est ce que nous appelons sens de res­ponsabilité et du devoir. La liberté est un privilège personnel mais elle n’en doit pas moins respecter les droits d’autrui. Elle ne peut se séparer de la charité qui, non seulement nous soumet aux pouvoirs civils (cf. Rm 1, 7) mais nous interdit même ce qui est licite, dans la mesure ou il peut porter atteinte à notre prochain. La charité nous dépouille de tout égoïsme et transforme notre li­berté personnelle en offrande à Dieu et en amour d’autrui. Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

25 août

DANS L’ESPRIT CONCILIAIRE, AUTORITE EGALE SERVICE

 

Chers Fils et Filles,

 

Après notre étude sur la liberté, nous voulons vous inviter à réfléchir aujourd’hui, sur un autre terme auquel le Concile a accordé une large place : « Servir ».

« Liberté » et « Service » semblent s’opposer l’un à l’autre ; mais le Concile affirme que tous deux sont liés, et, souvent, dans un même contexte, l’un est le complément de l’autre : Nous de­vons servir librement Dieu, le Christ, l’Eglise, le prochain. Ici, par exemple, « Liberté » et « Service » définissent une même at­titude religieuse et morale.

Quel sens le Concile donne-t-il au mot « Service », à ce con­cept préféré de sa doctrine ? Pour l’expliquer, Vatican II en ap­pelle à l’œuvre de Salut que le Christ a réalisée dans le monde, obéissant à la volonté du Père. Cette dépendance de Dieu exprime l’idée de service et reflète l’image du Christ, préfigurée dans la célèbre prophétie du serviteur de Yahvé, personnification du Messie Rédempteur (cf. Is 49 s., 53), Fils de Dieu et Fils de l’homme, venu dans le monde, ainsi qu’il l’a annoncé, « pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude » (Mc 10, 45).

 

Le Christ serviteur

 

C’est, là, l’idée fondamentale du plan de salut qui révèle deux intentions relatives au service du Christ : l’insertion de la volonté du Christ dans la volonté mystérieuse et miséricordieuse du Père. Jésus est obéissant «jusqu’à la mort » (Ph 2, 8), soumis à la volon­té suprême du Père ; Lui, de condition divine (« in forma Dei esset ») a voulu s’anéantir, en prenant la condition d’esclave et en devenant semblable aux hommes (ibid. 7). Nous pourrions multiplier les témoignages que Jésus a lui-même fournis sur sa dépendance absolue à la volonté du Père : « Je fais toujours ce qui Lui plaît » (Jn 8, 29 ; 14, 31 ; etc.). Rappelons les paroles su­blimes et tragiques que Jésus a prononcées à Gethsémani : « Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Cepen­dant, non pas comme je veux, mais comme tu veux » (Mt 26, 39). Il est impossible de reconstruire l’image du Christ sans se rendre compte de l’importance que revêt pour Lui l’accomplissement de la volonté du Père, c’est-à-dire cette obéissance qui l’abaisse au rang de serviteur et qui l’élève à la gloire de son Père (Ph 2, 9-11). Telle est la condition établie par Dieu et choisie par le Christ ! A ce propos, il faudrait lire et méditer le passage de la lettre aux Hébreux (Jn 5-10) ; il nous rappelle l’intention qui guide cette humilité, ce sacrifice ; c’est l’intention de l’œuvre de Ré­demption. Pourquoi Jésus est-il allé jusqu’à dire de lui-même : « Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir » ? (Mt 20, 28 ; Rm 5, 6 ; 8, 34 ; 1 Tm 2, 6). Pourquoi ? Le « Credo » nous en donne la réponse : « A cause de nous et pour notre salut » ! C’est l’amour qui a conduit le Christ à se faire, ser­viteur et à s’immoler pour nous (cf. Lumen Gentium, 5). « Servir » ne veut plus dire faire outrage à la dignité et à la liberté de l’homme, car si nous songeons dans quel but le Christ a fait sien ce verbe, ce dernier acquiert la plus haute valeur morale : don de soi, héroïsme, sacrifice, amour infini.

 

Autorité, service, ministère

 

Mais dans les textes conciliaires, le terme « service » se réfère spécialement à tous ceux qui, au sein de l’Eglise, sont revêtus d’une certaine autorité, c’est-à-dire à tous ceux qui, pour les au­tres et sur les autres exercent une fonction doctrinale, sanctifica­trice. Pour Jésus, pour le Concile, pour l’Eglise, « autorité » égale « service ». Il s’agit, sans nul doute, d’une affirmation sévère et péremptoire, mais vraie (cf. Lc 22, 25 ; Mc 10, 42-45 ; cf. manzoni : « la supériorité de l’homme sur les hommes n’est justifiée que dans la mesure où ils se rendent service les uns les autres », Ch. XII).

C’est une constitution que le Concile a établie et c’est bien en raison de cela que l’exercice de l’autorité dans l’Eglise s’ap­pelle ministère, que l’autorité de l’Eglise a un caractère pastoral : « Cette charge confiée par le Seigneur aux Pasteurs de son peu­ple, est un véritable service : dans la Sainte Ecriture, il est appelé expressément « diakonia » ou « ministère » (Lumen Gentium, 24).

Dans l’Eglise comme dans la vie civile, l’autorité doit recou­vrer son sens réel et perdre celui que l’expérience passée (union du pouvoir temporel au pouvoir spirituel) et cette tendance ins­tinctive de l’homme à faire du pouvoir un instrument de domina­tion personnelle et une source de mauvais gains, lui ont attribué: non au despotisme, à l’orgueil, à l’égoïsme, au triomphalisme ! Recherchons le bien commun et mettons-nous au service des né­cessiteux, selon l’enseignement de l’Evangile; faisons de cette autorité une pastorale ; qu’elle soit la manifestation des vertus dont le Christ a rayonné, Lui, « Seigneur et Maître » (Jn 13, 13) humilité et amour. Il est venu parmi nous pour nous instruire, nous sanctifier, nous guider et former une société, l’Eglise, une dans la foi et la charité.

 

La source de l’autorité

 

Cette révision de l’autorité de l’Eglise et dans l’Eglise, vue à travers le verbe « servir », peut, surtout aujourd’hui, favoriser d’autres déviations. Certains voudraient que l’autorité ecclésiastique, comme il advient dans de nombreuses sociétés civiles, trouve son origine et qu’ainsi la hiérarchie ne tire pas sa raison d’être et son pouvoir de l’ordre établi par le Christ, mais du man­dat de la communauté. Puisque la hiérarchie a pour but le ser­vice du peuple chrétien, qu’elle soit, par essence, à son service et qu’elle tire son autorité du peuple lui-même, comme il en est dans les démocraties modernes. D’aucuns voudraient même con­tester la nécessité et la légitimité d’une hiérarchie, d’un ministère investi de pouvoirs divins, comme si le rapport avec le Christ n’avait pas besoin d’une médiation pastorale canonique (cf. 1 Co 4,1 ; Ep 3, 7).

 

Collaborer avec amour

 

L’autorité est devenue aujourd’hui une « cible de contradic­tion » (Lc 2, 34). Nous ne voulons pas faire son apologie ni celle de la hiérarchie et de la structure de l’organisation communautaire ; vous en connaissez certainement l’origine divine et le dé­veloppement traditionnel. A ceux qui veulent enrichir leurs con­naissances historiques, nous proposons la lecture de l’ouvrage de Pierre Batifoll : « L’Eglise naissante et le Catholicisme » (Vallecchi, Florence 1971). Ce volume existe aussi en italien et le Gard. Daniélou en a écrit la préface. Vous-mêmes savez que l’acti­vité post-conciliaire tend à s’adapter aux temps nouveaux, tout en respectant les fondements constitutifs de l’Eglise (Conférences Episcopales, Synodes, Conseils presbytéraux et pastoraux), de sorte que le rapport service-autorité soit animé par un seul prin­cipe : la Charité (cf. journet, L’Eglise. 1, 27).

Nous vous invitons à collaborer avec amour (He 13, 17) afin que celui qui est chargé de guider l’Eglise « le fasse avec joie et non en gémissant ».

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

1° septembre

LE PEUPLE DE DIEU

 

Chers Fils et Filles,

 

Parmi les multiples expressions qui définissent cette société mystérieuse et complexe qu’est l’Eglise, il en est une à la­quelle le Concile tient particulièrement : « Peuple de Dieu ».

Nous connaissons tous quelques-uns, au moins, des titres que le langage biblique et la théologie confèrent à l’Eglise. Un rappel à ce sujet permettra de mieux comprendre l’importance et le sens de celui que nous avons choisi, aujourd’hui, comme sujet de réflexion : « Eglise-Peuple de Dieu ».

 

Je serai leur Dieu et eux seront mon peuple

 

L’Eglise est « in Christo », un sacrement, un signe, le moyen par lequel les hommes peuvent communiquer intimement avec Dieu pour leur propre Salut. Elle est l’instrument qui leur permet de s’unir tous dans la création d’une société et même plus, d’une communion. L’Eglise est « la semence et le commence­ment » du Royaume du Christ et de Dieu. C’est le bercail dont le Christ est le Pasteur. Elle est la maison, la famille de Dieu, la Jérusalem messianique, la cité de Dieu. Epouse du Christ, l’E­glise est l’humanité unie à Lui par un lien d’amour suprême. Elle est pilier et fondement de vérité. Elle est surtout le Corps Mystique dont le Christ est le Chef et dont nous sommes les mem­bres, différemment constitués, mais animés d’un seul Esprit (cf. 1 Co 12, 12 ; Col 1, 18 ; Ep 1, 22-23 ; 4, 15-16). Ces expressions font chacune l’objet d’une profonde méditation, mais reprenons celle que le Concile estime davantage. Lisons l’une des très belles pages de la Constitution dogmatique sur l’Eglise (Lumen Gentium, 9) : « A toute époque et en toute nation, Dieu a tenu pour agréable quiconque le craint et pratique la justice (cf. Ac 10-35). Ce­pendant, le bon vouloir de Dieu a été que les hommes ne reçoi­vent pas la sanctification et le Salut séparément, hors de tout lien naturel. Il a voulu, au contraire, en faire un peuple qui le con­naîtrait selon la vérité et le servirait dans la sainteté. C’est pour­quoi, il s’est choisi Israël pour être son peuple avec qui Il a fait alliance et qu’il a progressivement instruit, se manifestant lui-même et son dessein, dans l’histoire de ce peuple et se l’attachant dans la sainteté. Tout cela, cependant n’était que pour préparer et figurer l’alliance nouvelle et parfaite qui serait conclue dans le Christ, et la révélation plus totale qui serait apportée par le Verbe de Dieu lui-même, fait chair. « Voici venir des jours, dit le Sei­gneur, où je conclurai avec la maison d’Israël et la maison de Judas, une alliance nouvelle... Je mettrai ma foi au fond de leur être et je l’écrirai sur leur cœur. Alors je serai leur Dieu et eux seront mon peuple... Tous méconnaîtront, du plus petit jusqu’au plus grand, dit le Seigneur (Jc 31, 31-34). Cette alliance nouvelle, le Christ l’a instituée : c’est la nouvelle alliance dans son sang (cf. 1 Co 11, 25) ; Il appelle la foule des hommes de parmi les juifs et de parmi les gentils, pour former un tout, non selon la chair, mais dans l’Esprit et devenir le nouveau Peuple de Dieu ». C’est, là, une magnifique synthèse historique et théologique des rapports entre Dieu et l’humanité, selon la Révélation.

 

Pas d’antagonisme Peuple-Hiérarchie

 

D’aucuns ont attribué «  une grande importance doctrinale et pratique à la priorité donnée par Lumen Gentium au chapitre II : « peuple de Dieu », sur le chapitre III : « Constitution hiérarchi­que de l’Eglise », comme si cela devait entraîner une modifica­tion profonde du contexte de l’Eglise et l’obliger ainsi à reformer les règles constitutionnelles, établies par le Christ, interprétées et appliquées par la tradition ; changement qui s’effectuerait aux dépens des doctrines dogmatiques du Concile de Trente, de Va­tican I, de l’enseignement théologique et catéchétique, et dont l’idéologie démocratique de notre temps tirerait profit. Mais il n’en est pas ainsi.

Cette priorité revêt une extrême importance de par la vision globale et organique qu’elle nous oblige à contempler. La réalité humaine dont est enveloppé le corps mystique et social de l’Eglise, ainsi que la raison finale de l’Eglise elle-même, c’est-à-dire le Salut de l’humanité, du Peuple, sont placées au premier plan Priores intentiones ; mais la cause instrumentale efficiente, c’est-à-dire le mandat hiérarchique — avec les pouvoirs relatifs à la génération du Peuple de Dieu —, conféré par le Christ aux Apô­tres, garde toute sa valeur prior executione. Ce n’est pas sous cet aspect pseudo-antagoniste du Peuple et de la Hiérarchie que nous devons considérer ce titre de « Peuple de Dieu » reconnu à l’Eglise tout entière, fidèles, évêques et Pape ensemble.

 

Tous voués à un même destin

 

Dans la pensée divine, les hommes sont tous égaux, voués à un même destin ; l’humanité constitue un peuple auquel tous peuvent s’unir. C’était un peuple choisi et pour des raisons ethni­ques et religieuses, selon l’Ancienne Alliance et l’Ancien Testa­ment, c’était un peuple privilégié. Mais avec la venue du Messie, du Christ fondateur d’une « nouvelle et éternelle alliance », un nouveau peuple est né, non pas déterminé par le sang et par la terre, mais comme Pierre l’écrit dans sa première lettre: «race élue, sacerdoce royal, nation sainte, peuple acquis », par la Ré­demption du Christ offerte à toute l’humanité, à un peuple de fils de Dieu (cf. Jn 1, 12), à vous tous « appelés des ténèbres à son admirable lumière, vous qui, jadis, n’étiez pas un peuple et qui êtes maintenant le Peuple de Dieu » (1 P 2, 9-10). Tel est le dessein religieux, le vrai plan du Salut, jailli de la miséricorde divine, de l’amour éternel. Le Concile nous le présente admira­blement dans toute sa réalité historique, essentielle, dans les siè­cles des siècles.

 

Le peuple des croyants

 

Mais, attention ! Conformément aux inscrutables pensées de Dieu (cf. Mt 24, 40) et en hommage à la liberté humaine invio­lable (cf. Rm 10-16 ; Jn 12, 37), ce plan divin, volontairement et essentiellement universel, c’est-à-dire catholique, maintient ce­pendant une ligne de séparation, la foi, avec tout ce qu’elle com­porte sur le plan humain et spirituel (cf. Mc 16, 16 ; He 11, 16) ; cette ligne est la marque du Peuple de Dieu : ce dernier est, en effet, la communauté des croyants, de tous ceux qui ont accueilli l’Evangile, la Bonne Nouvelle, de tous ceux qui ont lié avec le Dieu vivant, un rapport nouveau et ineffable et ont établi avec Lui cette alliance surnaturelle que nous appelons le Nouveau Testament (cf. 1 Co 1, 21).

L’appartenance au Peuple de Dieu revêt une importance dé­cisive : c’est le commencement et le gage du Salut. Elle découle d’un mystère de grâce, de miséricorde, d’amour de la part de Dieu et d’un mystère de liberté humaine de notre part. Elle se greffe sur le drame de notre éternel destin (cf. Jn 3, 18 ; Ap 7, 3 ; 9, 4 ; 14, 1), et d’autres immenses problèmes s’y rattachent, tels que les missions (cf. Ad Gentes, 2-5) et l’œcuménisme (cf. Unitatis redintegratio, 2). Si le Peuple de Dieu est l’Eglise du Christ, appartenir à l’Eglise du Christ devient alors un fait capital.

 

Ceux qui rompent la Communion

 

Ceux qui entrevoient dans l’idée et dans la réalité du terme « Peuple », l’expression suprême de la coexistence humaine, mais qui veulent rester du plan humain, renoncent à l’élévation de cette multitude d’êtres mortels et toujours insatisfaits, au rang supérieur du Peuple de Dieu, du Peuple messianique, voué au destin présent et futur de l’Eglise, Corps du Christ ressuscité et ressuscitant ; c’est un risque dangereux qui peut conduire à de graves erreurs.

Ceux qui croient demeurer chrétiens en désertant les milieux institutionnels de l’Eglise visible et hiérarchique ou rester fidè­les à la pensée du Christ en construisant une Eglise qui ne sied qu’à leur propre personne, sont hors du chemin, rompent et font rompre aux autres la vraie communion avec le Peuple de Dieu; ils perdent ainsi le gage de Ses promesses.

 

Le salut par l’Eglise

 

Il y a lieu de rappeler, ici, le vieil adage : « Hors de l’Eglise, pas de Salut » (cf. DENZ.-SCHON, 2865 ; dublanchy, Dict. Théol. Cath., art. « Eglise », col. 2155) ; ce n’est pas le moment d’en ex­pliquer le sens. Dieu peut sauver quiconque selon sa volonté et nous connaissons tous la grandeur de sa sagesse et de sa miséri­corde; mais en révélant son amour, Il a établi le Christ avec son Eglise, pont que nous sommes obligés de franchir pour atteindre son Salut et sa Béatitude.

Nous devrions alimenter sans cesse et examiner attentivement cette conscience d’appartenir au Peuple de Dieu, à l’Eglise, unis filialement dans la foi, la charité, la communion visible, telle qu’elle est légitimement constituée ; cette conscience devrait re­présenter la source spirituelle de sécurité et de joie, propre au Peuple de Dieu. Que de notre cœur jaillisse toujours l’hymne de l’Eglise en marche :

« Que tes demeures sont agréables, ô Seigneur, Dieu des Ar­mées ! — Mon âme soupire et languit — Après les parvis du Seigneur ! — Mon cœur et ma chair crient de joie — Vers le Dieu vivant » (Ps 83).

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

8 septembre

LORSQUE VIENDRA LE TEMPS DE LA RESTAURATION UNIVERSELLE

 

Chers Fils et Filles,

 

Toujours fidèles à Vatican II, Nous estimons que pour en com­prendre la doctrine générale, il est utile de méditer sur un terme qui revient fréquemment dans les documents conciliaires : Eschatologie. D’origine grecque, ce mot résonne mal à l’oreille d’un profane, peu accoutumé au langage biblique et théologique. Il signifie : science des fins dernières ; en effet, « escatos » veut dire dernier. Toute la conception de la vie chrétienne en est impré­gnée ; son influence est grande sur l’histoire et le temps. Il em­brasse la destinée humaine au-delà ; de la mort, ce que le caté­chisme appelle novissimi, les fins dernières, c’est-à-dire la mort, le jugement, l’Enfer et le Paradis. Mais l’eschatologie domine surtout la conception du dessein de Dieu sur l’humanité, sur le monde, sur l’épilogue glorieux et éternel de la mission du Christ ; cette conception nous rappelle une Eglise en marche vers une autre vie, non pas établie définitivement sur la terre, mais pro­visoire et tendue dans un messianisme qui se réalisera au-delà du temps.

 

Tendus vers l’au-delà

 

La vision de l’au-delà est d’une importance considérable: existe-t-il un au-delà ? Lequel ? Comment pouvons-nous le connaître ? Quelle influence les réponses à ces questions auront-elles sur l’existence terrestre ? Notre vie, s’achève-t-elle ici, sur la terre ou continue-t-elle, en quelque sorte, dans un autre mon­de ? L’évaluation des valeurs humaines et temporelles, c’est-à-dire la philosophie de la vie, dépend de la certitude ou même de la supposition de l’existence d’une vie future (cf. pascal), elle dépend de l’immortalité de l’âme et de sa responsabilité face à un Dieu qui juge. De plus, le sort de chaque vie humaine n’échap­pe pas au dessein général de l’humanité. Et, si Dieu en a pres­senti le but, la réalisation de ce but, c’est-à-dire la fin de la scène humaine dans le temps, devient, de par la curiosité légitime et implacable qu’elle éveille, extrêmement intéressante.

L’au-delà, la réalité eschatologique, revêt donc trois sens : la condition de notre être personnel après la mort ; le royaume de Dieu et du Christ après sa résurrection et la fin du monde ; en troisième lieu la réalité surnaturelle. Voici tout l’intérêt de l’escha­tologie : la fin de l’homme et du temps qui atteint le but ultime de l’humanité et de l’histoire, préétabli par Dieu.

Voyons comment le Concile nous présente les choses. La lu­mière de la foi éclaire l’immense tableau mystérieux du temps présent et de l’au-delà, où l’Eglise n’est autre que le dessein de Dieu tracé dans le champ de l’univers et où Elle révèle son pro­pre caractère eschatologique.

La Constitution conciliaire qui concerne l’Eglise affirme : « L’Eglise, à laquelle nous sommes tous appelés en Jésus-Christ, et, dans laquelle, par la grâce de Dieu, nous acquerrons la sainteté (notre finalité personnelle), ne s’accomplira que dans la gloire du Ciel, lorsque viendra le temps de la restauration universelle (cf. Ac 3, 21) et lorsque, avec le genre humain, le monde, qui est in­timement uni à l’homme et qui, avec lui, atteint son but, sera totalement restauré dans le Christ (cf. Ep 1, 10 ; Col 1, 20 ; P 3, 10-13).

 

Le temps de l’espérance

 

Que de vérités avons-nous donc à apprendre ! Une sagesse gouverne le monde et développe en lui un plan providentiel pour l’humanité. Ce plan devient logique et agissant dans le Christ et, par Lui, dans l’Eglise.

L’Eglise est in fieri, en devenir ; elle n’a pas atteint son état complet et parfait, elle est en marche sur terre et dans le temps. Il existe une vie future. Il existe un règne à venir, où la lumière, la vie, le bonheur seront donnés pleinement et sans limites. Même la création dépassera cet état présent, toujours en processus d’évolution et qui subira une métamorphose pour une nouvelle perfection (cf. Rm 8-22). Nous traversons la phase de notre exis­tence, comprise entre un stade initial et un état supérieur, eschatologique. Nous sommes dans le temps de l’espérance (ibid. 8, 23-25).

Ainsi, nous sommes à même de répondre à ceux qui, dans leur interprétation des événements eschatologiques du Nouveau Testament, soutiennent, qu’avec la venue du Messie, ces derniers sont déjà réalisés et qu’il n’y a rien d’autre à attendre. Le Christia­nisme, disent-ils, concerne le présent, non l’avenir. Nous nous en tenons aux paroles du Seigneur qui nous assurent qu’avec sa venue dans le monde, le Royaume de Dieu est déjà parmi nous (cf. Lc 17-21). Au sein de l’Eglise, animée par le Saint-Esprit, nous possédons les immenses richesses de la vie nouvelle. Mais, ensuite, par l’inspiration prophétique qui anime tout l’Evangile, le Christ nous avertit que sa venue dans l’histoire n’est pas la dernière. La dernière, la venue eschatologique, que nous appelons aussi Parousie, c’est-à-dire présence, avènement, apparition, aura lieu « au jour du Seigneur » (cf. Is 2, 12 ; 13, 6 ; etc.), lorsque le Christ reviendra pour juger les vivants et les morts, pour inau­gurer la théophanie finale, la vision béatifique de l’éternité.

Sur ce thème apocalyptique, nous nous souvenons tous des grands discours du Seigneur dans lesquels les prévisions se su­perposent mystérieusement et sur lesquels un examen attentif et conforme aux interprétations de l’Eglise s’impose.

Nous avons la certitude des catastrophes eschatologiques, mais nous ignorons quand et comment (cf. Mt 24, 36-44 ; Ap 3, 3 ; etc.).

 

Par un châtiment éternel possible

 

Nous ne pourrons jamais nous faire une image, fût-elle fantas­tique, du monde eschatologique ; les prophéties de l’Apocalypse s’expriment dans un langage figuré, difficile à interpréter. Les artistes et les poètes, dans leurs tentatives les plus véhémentes, en restent à des représentations arbitraires (Divine Comédie de Dante et Paradis Perdu de Milton). Cette ombre de mystère, qui cache la vision du monde futur, est à l’origine de théories inacceptables sur le messianisme de Jésus, comme s’il était, se­lon Weiss et Loisy, purement eschatologique et imminent. Cette ombre a donné lieu à des critiques très négatives sur l’interpré­tation de l’Evangile et sur la mentalité des premiers chrétiens. Le monde moderne y trouve prétexte à éluder le problème du destin de l’homme ; on parle peu des fins dernières et peu sont ceux qui osent en parler. Mais le Concile nous rappelle les vérités eschatologiques nous concernant, y compris cette vérité terrible d’un châtiment éternel possible, l’Enfer, dont le Christ a parlé sans réticences (cf. Mt 22, 13 ; 25, 41). Le chapitre VII de Lumen Gentium résume clairement la doctrine eschatologique de l’Eglise, doctrine qui revient également, dans d’autres textes conciliaires (Ad Gentes, Gaudium et Spes, Lumen Gentium) pour nous, expli­quer le dessein divin de notre Salut, dont tout l’enseignement du Concile veut être l’expression.

 

« Viens, Seigneur Jésus »

 

Aujourd’hui, la sécularisation tend à nous faire oublier la peur du risque où se joue notre destin. Un recours facile aux attitudes charismatiques et prophétiques donne à certains l’illusion ambi­tieuse de pouvoir légiférer à leur gré sur toute la morale chrétienne et la destinée de l’homme. Mais, les enseignements du Concile sur les buts eschatologiques de notre existence, dont la réalité nous est garantie par la Parole de Dieu et le Magistère de l’Eglise, guident notre marche dans le temps, tandis que notre cœur soupire : « Viens, Seigneur Jésus » (Ap 27, 20). Répétons, nous aussi, la conclusion eschatologique du Nouveau Testament : « Viens, Seigneur Jésus ».

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

15 septembre

LE MYSTÈRE DE LA CROIX

 

Chers Fils et Filles,

 

L’Eglise a célébré hier l’Exaltation de la Sainte Croix. D’origine très ancienne, cette fête a été instituée, selon les historiens, à Jérusalem, où l’empereur Constantin avait fait cons­truire deux basiliques, l’anastasis et le martyrion qui chaque année accueillaient évêques, ecclésiastiques et fidèles venus de toute part vénérer les reliques de la Croix du Seigneur. Cette cérémo­nie a prévalu sur celle de la consécration et a donné le nom à la fête que nous célébrons encore aujourd’hui. De la Palestine, elle est arrivée jusqu’en Occident et a été célébrée à Rome en la Basi­lique du Sauveur au Latran et à Ste Croix en Jérusalem. L’autre solennité (3 mai), celle de la découverte de la Croix, Inventio, plus récente, d’origine gallicane, a été effacée du Calendrier, réformé après le Concile, réalisant ainsi un projet proposé en vain, voici près de deux siècles, par le Pape Benoît XIV.

Après cet aperçu liturgique, nous voulons faire deux considé­rations conformes au style de nos audiences générales. Sur ce thème aussi, interrogeons le Concile. Que nous dit-il sur la Croix du Christ ? Par cette question même, nous passons du culte de la Croix, instrument de la Passion du Christ, au mystère de la Croix, symbole de la Rédemption, marque de honte pour Jésus crucifié et signe de l’unique et suprême Salut pour nous et pour le monde (cf. st. thomas, III, 25, 4 à 1).

Les documents conciliaires ne parlent pas de la crucifixion et n’énoncent pas les dogmes de la Rédemption ; ils ne constituent pas une histoire et encore moins un catéchisme ou un traité de théologie ; ils sont imprégnés de la doctrine du Salut, d’où leur référence continue à la Croix qui a vu s’accomplir le sacrifice rédempteur, et de laquelle, comme d’un symbole des plus expressifs, rayonnent l’histoire, la mémoire, l’efficacité et le mystère du Christ Sauveur. La Croix est le signe de notre religion, l’image sensible de notre foi.

 

Mystère pascal

 

Le Concile dit que, sur la Croix, s’est accompli un vrai sacri­fice religieux de Jésus, Prêtre et Victime à la fois (c’est, là, un aspect théologique profond), Saint Sacrifice qui, dans la Messe, se reflète et se renouvelle pour nous (cf. Sacrosanctum Concilium, 5, 7, 47 ; Lumen Gentium, 3) ; il répétera, plusieurs fois (Lumen Gentium, ibid. ; Dignitatis Humanae, 11), les Paroles du Seigneur : « Et moi, élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jn 12, 32-33), qui voulaient signifier, par là, de quelle mort il allait mourir. Nous pourrions trouver, dans les textes du Concile, d’autres passages se référant à là Croix, tirés de citations bibli­ques ; Croix, instrument de réconciliation et de paix entre Juifs et Gentils (cf. Ep 2, 16 ; Nostra Aetate, 4), instrument de libéra­tion de l’esclavage du péché (Gaudium et Spes, 2) et de purifica­tion des activités humaines (Gaudium et Spes, 37).

Mais l’œuvre de Rédemption de Jésus, accomplie sur la Croix, devient une idée-force, englobant théologie et spiritualité, dans l’expression « Mystère Pascal » qui synthétise tous les faits com­posant l’œuvre de Salut du Christ : Sa Passion et Sa Mort, la Ré­surrection et l’Ascension au Ciel ; faits accomplis non seulement dans la Sainte Humanité du Seigneur Jésus, mais dans sa vertu de communiquer avec tous ceux qui croient en Lui (cf. Sacrosanctum Concilium, 5 ; Rm 4, 23-25). Mystère Pascal veut donc dire : passage (Pâques, en effet, signifie « Phase », transit, passage du Seigneur; cf. Ex 12, 11) de la mort à la vie, de l’état présent à l’état surnaturel, eschatologique, passage effectué par le Christ à travers Sa Passion et Sa Mort et célébré, ensuite, par Sa Résur­rection et Son Ascension à la Droite du Père. Nous aussi, nous pouvons franchir ce passage par notre foi, par les sacrements, en suivant le Christ.

 

La Croix et la Gloire

 

La Croix ne décrit pas toute la réalité du Salut ; cette dernière comprend aussi cette nouvelle vie qui suit la tragédie du Cal­vaire et constitue la Gloire du Christ. Cette nouvelle vie nous est donnée par la grâce, avec la promesse de nous faire participer à la même Gloire de Notre Seigneur.

C’est le Mystère Pascal, mentionné désormais dans tous les discours religieux. La Croix y occupe une place visible et déci­sive que nous pouvons mieux connaître : c’est l’union de la faute avec l’innocence, la rencontre entre la cruauté et la bonté ; c’est le duel entre la mort et la vie ; c’est aussi la composition de la justice avec la miséricorde ; c’est la rançon de la douleur dans l’espérance ; c’est le triomphe de l’amour dans le sacrifice. Le peuple fidèle comprend toutes ces réalités et d’autres encore, le Vendredi Saint, lorsqu’il suit pieusement le Chemin de la Croix auquel il ne manque qu’une seule station pour compléter le Mys­tère Pascal : la Station de la Résurrection.

 

La Croix nous parle en silence

 

Un examen de conscience s’impose ici : Voyons-nous le reflet de la Croix du Christ sur l’écran de notre vie moderne et le vi­vons-nous dans la pensée et dans l’action ? La Croix est toujours présente dans les esquisses de nos paysages ruraux ; elle n’a pas disparu et orne encore dignement de nombreux établissements civils et les murs de nos maisons. Le Christ est là, présent, mou­rant, et nous parle en Silence, avec son langage de souffrance rédemptrice, d’espérance qui ne s’éteint pas, d’amour qui gagne et qui vit. Ceci est beau, fort. Au moins, par ce signe encore, nous sommes chrétiens.

 

On tente d’abattre la Croix

 

Mais cet arbre tragique et lumineux de la Croix, domine-t-il encore nos consciences ? Le Christ crucifié n’est-il pas devenu, pour nous aussi, « scandale et folie » comme pour les Juifs et les Grecs ? (cf. Co 1, 23-25 ; Ga 5, 11 ; Ep 2, 14-16).

Nous savons, tous, que si nous sommes vraiment chrétiens, nous devons participer à la Passion du Seigneur (cf. Col 1, 24) et porter notre Croix, chaque jour, comme Jésus (cf. Ga 6, 14). Hélas ! aujourd’hui, nous constatons que partout et même dans les milieux chrétiens, on tente d’abattre la Croix, là où elle est nécessaire, dans la conscience du péché auquel, elle seule, peut porter remède. Mais, de nos jours, le remède n’est qu’indifférence morale, absence de préjugés ; le péché n’existe pas, il est « tabou », fruit de la fantaisie des faibles ; il s’annule, ôtant toute sensibilité morale, abolissant tout scrupule, étouffant tout remords. Que reste-t-il alors à l’homme, s’il trompe et dégrade ainsi sa propre personne ? Et tout notre effort de réconcilier l’homme avec le monde imprégné de mal ? (cf. Jn 5, 19). N’est-ce pas, là, une manière hypocrite de faire disparaître la Croix pour rétablir mala­droitement la barrière qu’elle avait dressée aux confins des deux royaumes, de Dieu et du Démon ? Pour nous sentir hommes, nous glissons sur les sentiers équivoques de la sécularisation et croyons sauver le monde en nous confondant avec ses goûts, ses coutumes. Ne risque-t-on pas, ainsi, de réduire à néant la Croix du Christ ?

Réfléchissons, si nous voulons être authentiques. Ne crai­gnons pas que la Croix affaiblisse ou attriste notre vie, si elle porte avec amour les stigmates douloureux et glorieux : « Le Christ cru­cifié est la vertu de Dieu, la Sagesse de Dieu ».

A vous, par le signe de la Croix, notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

22 septembre

LA CATECHESE : TRANSMISSION DE LA FOI

 

Chers Fils et Filles,

 

Vous avez certainement entendu parler ces jours-ci du Congrès International de Catéchèse qui a lieu à Rome. Il s’agit d’un événement très important de par le thème qu’il se propose d’étudier : l’instruction religieuse, c’est-à-dire le ministère didactique et pédagogique de la Parole de Dieu, dans son expression première et élémentaire, absolument claire : la transmission de l’annonce du Salut, ce que les théologiens modernes appellent kerygma, c’est-à-dire proclamation du Royaume de Dieu, de la vérité ré­vélée par le Christ Sauveur dans l’Esprit Saint qui illumine et sanctifie, vérité révélée selon le dessein de Dieu, relatif au mystère des nouveaux rapports entre Dieu le Père et l’humanité (cf. Mt 4, 23 ; Ac 8, 5 ; 1 Co 1, 23 ; etc.). C’est la « catéchèse », l’enseignement indispensable qui, précédant l’orientation de l’homme, la metanoia, la pénitence, permet d’accéder à la foi et à la communion ecclésiale. C’est un premier pas vers la connais­sance objective de la vie chrétienne. Or, nous savons tous que la vie chrétienne est une manière de concevoir et de vivre la vie selon la foi (Rm 1, 17 ; Ga 3, 11 ; He 10, 38). La foi est fondée sur deux principes : l’un intérieur et agissant, c’est-à-dire la vertu de la foi, l’aptitude à croire ce qui vient de l’Esprit-Saint et qui nous est donnée par le Baptême ; l’autre, extérieur et déterminant, c’est-à-dire les vérités auxquelles il faut croire, enseignées par l’Eglise avec le « Credo », « le symbole » (synthèse, résumé des vérités : le catéchisme) (cf. st. thomas, IV, Sent. 4, 2 ; Sol. 3 à 1). Ce Congrès revêt une importance spéciale, car il étudie et examine l’aspect primordial de la vie religieuse aussi bien dans sa phase d’enseignement que dans celle d’étude, toutes deux fon­damentales pour tout chrétien fidèle.

Le Congrès de la Catéchèse a lieu après le Concile, illustra­tion d’un document destiné à renouveler l’enseignement de la doctrine chrétienne : le « Directoire général Catéchétique », pu­blié en avril dernier et précédé d’un autre document analogue, de la Conférence Episcopale italienne sur le « renouveau de la catéchèse » (2 février 1970).

Nous voulons plutôt attirer votre attention sur l’aspect per­sonnel du problème de la catéchèse.

 

Œuvre de toute la Communauté

 

La catéchèse est un enseignement qui, plus que tout autre, nécessite l’intervention des personnes qui y sont intéressées. Elle exige la participation vivante et directe de toute la communauté de l’Eglise. Elle est un témoignage de la foi que tout croyant doit porter par les actes, l’exemple et la parole. On a coutume de dire désormais que tous les membres de l’Eglise doivent être des apôtres, des missionnaires. En tant que participants à la vie de l’Eglise, ils doivent en être les promoteurs, les « Fils de la Lumière » (cf. Mt 5,16 ; 1 P 2, 12 ; Ep 5, 8). Ceci engendre un devoir fon­damental : connaître sa propre foi et les vérités de la religion. Cette nécessité est l’une des exigences les plus constantes dans l’histoire du christianisme. C’est d’elle qu’est née la catéchèse systémati­que, l’apologétique. (Rappelons ici la phrase célèbre de Tertullien sur la religion chrétienne qui a fait l’objet de divergences et de persécutions dans la société païenne : ne ignarata damnetur, qu’elle ne soit pas condamnée par ignorance ; cf. Apologeticum, c. 1). Que de conséquences peut entraîner l’ignorance religieuse ! A ce sujet rappelons l’Encyclique de St. Pie X sur le catéchisme : Acerbo nimis de 1905. Son sujet est encore valable aujourd’hui, en cette époque où la diffusion de la culture, la confusion des systèmes philosophiques et idéologiques obligent à donner à la profession religieuse, tant personnelle que communautaire, un fondement culturel plus solide et moins ancré dans les coutumes et l’habitude.

 

Une connaissance qui doit progresser

 

L’instruction religieuse ne doit pas s’arrêter au plus jeune âge, elle doit progresser avec la vie, jusqu’à l’âge mûr (cf. Christus Dominus, 14), jusqu’au dernier âge. Dans cet acte vital et mysté­rieux qu’est la transmission de la foi, les lectures personnelles et la religiosité privée ne suffisent pas. Il faut savoir écouter la Pa­role de Dieu.

Cette référence à l’aspect personnel de la catéchèse nous in­vite à rendre hommage au ministère de la Parole de Dieu.

 

À tous ceux qui sèment la Parole de Dieu

 

Rendons-le d’abord au ministère de l’Evêque. C’est sa pre­mière tâche dans la causalité du Salut, son charisme apostolique.

Rendons-lui hommage dans l’exercice de sa prédication écrite (Lettres Pastorales) et parlée (Homélies dans les Messes Pontifi­cales), dans la parole la plus belle et la plus sage qu’il adresse aux enfants le jour de leur communion solennelle, de leur confirma­tion. Existe-t-il catéchisme plus vivant ? (cf. st. ambroise, De Sacramentis, De Mysteriis).

Honneur à vous ! Pasteurs d’âmes, Curés, enseignants de re­ligion, à vous qui savez traduire le Verbe de Dieu et le diffuser parmi des auditeurs qui doivent non seulement l’écouter mais le vivre ! Quelle grandeur revêt cette tâche et quelle importance en­core le devoir de l’accomplir dignement ! Ecoutons St. Augustin : « Quidquid narras ita narra ut ille cui loqueris audiendo credat, credendo speret, sperando amet » (De Catechizandis rudibus, c. IV ; PL 40, 316).

Honneur à vous ! Promoteurs de l’enseignement religieux et de la culture catholique, qui donnez à cette tâche la valeur de la charité première, celle de la vérité (cf. Ep 4, 15), offrant à la pen­sée, aux coutumes, à la vie, la lumière qui guide, soutient, béatifie et sauve.

Des paroles de louange aussi à ces mamans, à ces parents qui, avec amour, enseignent à leurs enfants les premières prières et les premières notions de Dieu.

Honneur à vous ! Religieux, Religieuses, à vous, Laïcs qui, par cet engagement à l’enseignement catéchétique, préparez vous-mêmes aux vertus chrétiennes les plus précieuses et apportez à l’Eglise une contribution de fidélité et de vitalité sans prix.

Catéchistes, dans les Paroisses, dans les Missions, Hommes et Femmes, premiers semeurs de la Parole du Seigneur, c’est à vous que les communautés ecclésiales doivent leur fécondité naissante, à vous qu’a été confié ce ministère de promotion humaine. Hon­neur à vous ! donc, et avec la reconnaissance de l’Eglise Catholi­que tout entière, nous vous donnons notre Bénédiction.

Et à tous les présents, à tous ceux qui travaillent à la cause de l’enseignement religieux : la Parole de Dieu.

 

 

 

29 septembre

LE SYNODE, SIGNE DE L’UNITE DE L’ÉGLISE

 

Chers Fils et Filles,

 

A vous qui venez assister à cette audience générale pour y goû­ter les sentiments et la spiritualité de ce foyer de l’Eglise Catholique, nous voulons dire la légitimité que nous reconnais­sons à votre aspiration. Nous voulons orienter vos âmes vers la recherche et la découverte des aspects positifs de l’Eglise ; au­jourd’hui, la soi-disant « supériorité de la mentalité moderne » qui, hélas ! n’est autre qu’une déformation de l’esprit, conduit certains à n’en relever que les côtés négatifs ou du moins réputés comme tels. Elle accentue chez les observateurs de l’Eglise, une tendance à la critique et une intolérance à l’égard de la réalité ecclésiale. Sous prétexte de vouloir s’orienter vers une Eglise idéale, on mésestime l’Eglise telle qu’elle est, et, non seulement pour son caractère humain, juridique, historique, pour les per­sonnes et les institutions concrètes que la représentent, mais bien plus pour sa sensibilité, son côté surnaturel, sacré, mystérieux, incompréhensible, mystique et ascétique. On veut une Eglise purement spirituelle, en tout conforme aux aspirations de chacun. Nous assistons tristement à la diffusion d’un état d’âme critique, contestataire, exigeant, mais à la fois décadent, dépourvu d’en­thousiasme, d’amour et par conséquent privé de joie et de sacri­fice. Que chacun d’entre vous, en s’approchant du tombeau de St. Pierre, puisse faire siennes les paroles du psaume 121 : O ma joie quand on m’a dit : Allons à la maison du Seigneur ! et éprouver dans son cœur le bonheur d’apercevoir presque en transparence, dans les manifestations authentiques de l’Eglise — si humbles ou triomphalistes qu’elles soient — un peu de la présence du Christ et de son Esprit, quelque chose de beau et d’ineffable.

 

Le mystère de l’Eglise, trésor de tout fidèle

 

Que le mystère de l’Eglise, trésor de tout fidèle, soit vôtre, afin que vous éprouviez le bonheur de vous sentir meilleurs.

Nous ne voulons pas faire ici de la spéculation théologique ; quelques observations élémentaires suffiront. Un catholique, cul­tivé et distingué, nous racontait, voici quelque temps, une anec­dote de son voyage en Afrique, à l’occasion d’un Congrès de Laïcs Catholiques : « J’ai été bouleversé, a-t-il dit, par les paroles et les gestes d’une pauvre vieille femme, accroupie par terre et sérieusement absorbée par son humble travail ; tout reflétait sur son visage la joie et l’orgueil de se sentir, elle aussi, catholique et par là, associée au groupe de ces illustres hommes de foi, qui passaient devant elle : Ils sont catholiques, a-t-elle murmuré, ce sont mes amis, mes frères, les fidèles de mon Eglise ! » ; Dans cet esprit, si humble, resplendissait la lumière d’un fait extraordi­naire : la communion catholique.

La semaine dernière, nous nous, réjouissions d’accueillir à Rome les participants à un événement des plus naturels, mais combien merveilleux : le Congrès International de la Catéchèse.

 

L’ouverture du Synode

 

Nous ne pouvons nous empêcher d’éprouver aujourd’hui, un sentiment religieux d’admiration et de joie spirituelle pour un autre événement bien plus important encore, mais profondé­ment ancré, lui aussi, dans la réalité ecclésiale ; nous voulons parler du Synode Episcopal qui s’ouvrira demain. Nous som­mes habitués désormais aux Congrès internationaux, aux Institutions mondiales, aux dialogues avec les Nations ; le monde mar­che vers l’unité. C’est bien. Mais comment demeurer indiffé­rents à un Congrès des Représentants des Conférences Episcopales de toute l’Eglise, dans lequel existe déjà cette profonde unité de foi et d’amour, si difficile à atteindre sur le plan naturel ! N’y entrevoyons-nous pas les notes caractéristiques qui nous font exclamer : Voilà, c’est là l’Eglise du Christ, Une, Catholique et Apostolique ! Et, en y prenant garde, ne voyons-nous pas dans ces caractéristiques extérieures le reflet d’une propriété intérieure, d’une exigence intrinsèque, d’un charisme surnaturel que l’Eglise, humanité rassemblée au nom du Christ par la vertu mystérieuse de l’Esprit-Saint, possède et donne à ses membres, même s’ils sont issus de la même glaise d’Adam ? N’est-ce pas là un événe­ment canonique, c’est-à-dire juridique qui nous révèle que l’Eglise est un corps : corps visible et mystique du Christ, son chef, qui par l’action de l’Esprit-Saint, vivifie et renouvelle sans cesse la vitalité perpétuelle de l’Eglise ?

 

L’Eglise, un corps vivant

 

Nous avons là une « société dont la composition est aussi par­faite que celle d’un corps, un seul et même corps ». « Corps » ne signifie pas matière proprement dite, mais un « je ne sais quoi » qui la rend perceptible. Dans ce sens, l’Eglise est vraiment un corps, un corps vivant, dont le Christ est la tête, les croyants constituent les membres et l’esprit; c’est l’Esprit « qui procède de Dieu » (fornari, Vie de J. C., III, 15 ; cf. Ep 1 et 5 ; 1 Co 12, etc.).

 

Joie et espérance

 

Cette vision nous mènerait bien loin ; l’Encyclique du Pape Pie XII, Mystici Corporis et la Constitution conciliaire Lumen Gentium attendent peut-être de notre part, une méditation nouvelle, capable de nous révéler que l’Eglise est le signe du Christ, l’instrument par lequel nous devenons vraiment chrétiens (cf. Lumen Gentium, 1). Que cette méditation nous aide à comprendre que notre réforme spirituelle et morale n’est pas un changement arbitraire des fonctions et des structures de l’Eglise, mais la con­dition de notre authenticité chrétienne et de notre attitude à pro­mouvoir l’union des Frères Séparés et l’annonce vivante et éter­nelle du Salut au monde (cf. Unitatis redintegratio, 7, etc.). Nous disions cela pour vous donner joie et espérance et vous inviter à regarder et à voir les aspects positifs de l’Eglise d’aujourd’hui et à ne pas vous abandonner aux critiques imprudentes et aux oppositions stériles. Vous favoriserez ainsi l’aggiornamento de l’Eglise. Rappelons les paroles de Jésus : Il y en a qui ont des yeux gui re­gardent et ne voient pas, et d’autres qui regardent et voient et ils sont bienheureux (cf. Mt 13, 13, 16).

Que cette béatitude soit aussi la vôtre avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

6 octobre

LES EVEQUES, DANS LE PEUPLE DE DIEU

 

Chers Fils et Filles,

 

Absentons-nous quelques instants de la réunion du Synode qui groupe plus de 200 évêques venus de toute part, pour nous consacrer, comme tous les mercredis à cette Audience générale. C’est avec une joie sans cesse renouvelée, que nous accueil­lons, aujourd’hui, cette foule nombreuse de fidèles, représentant le Peuple de Dieu et à laquelle nous voulons rendre hommage. Saluons les religieux, les religieuses, les groupes des jeunes ma­riés, des pèlerins et des touristes de toutes nations, les enfants et les étudiants, sans oublier toutes les personnalités qui nous ho­norent de leur présence. A vous tous, ici réunis, et à tous ceux présents à votre souvenir, notre salut et notre bénédiction.

Nous devinons la question assez simple et cependant assez difficile qui se pose à votre esprit : Qu’est ce synode ? Comment nous sépare-t-il de nos évêques ? Ne sont-ils pas et ne sommes-nous pas les membres d’une même Eglise ? Ne pourrions-nous pas être ensemble ? Que font et que disent ces évêques ?

Nous comprenons parfaitement votre pensée : évêques et fi­dèles sont le Peuple de Dieu. Nous appartenons tous à cette mê­me famille religieuse qui est l’Eglise et formons tous un seul corps, le Corps Mystique du Christ. C’est un bien que d’avoir le sens communautaire, le « sens de l’Eglise », Une, solidaire, unie dans la foi en la Parole du Christ, dans la même grâce et vouée au même destin, le Salut. L’Eglise n’a d’autre but que celui de défendre et de diffuser l’Evangile. Nous ne sommes qu’une seule et mê­me chose, une Communion, un corps, ainsi que le Christ l’a voulu.

 

Différentes fonctions dans l’unité organique

 

Rappelons les paroles de St. Paul : « De même que notre corps en son unité possède plus d’un membre et que ces membres n’ont pas tous la même fonction, aussi nous, à plusieurs, nous ne formons qu’un seul Corps dans le Christ ». L’Eglise est le fruit d’une communion organique. Parmi les différentes fonctions de cette unité complexe, il en est une qui la caractérise le mieux, c’est la fonction hiérarchique, celle que Jésus-Christ lui-même a confiée aux apôtres, en les choisissant parmi une multitude afin qu’ils la dirigent en son nom, l’instruisent, la sanctifient et la protègent. C’est pourquoi les évêques, successeurs des apôtres, composent seuls, aujourd’hui cette assemblée synodale : ils examinent des problèmes qui d’une part, concernent tout le Peuple de Dieu et de l’autre sont inhérents à la fonction pastorale des évêques, « constitués par l’Esprit-Saint pour être les pasteurs de l’Eglise et la gouverner » (Ac 20, 28). La société moderne devrait accorder la plus grande considération à cet aspect organique et hiérarchi­que de l’Eglise dans lequel se reflète, de manière claire et humaine, l’Economie du Salut et par lequel se manifeste le caractère com­munautaire du Peuple de Dieu.

En cette période de Synode, les observateurs portent leur at­tention sur l’exercice de l’un des plus grands pouvoirs de la hié­rarchie ecclésiastique, le pouvoir de juridiction qui est aussi un pouvoir ministériel dont l’autorité remonte au Christ, mais qui s’exerce selon la volonté du ministre, aidé par la Providence di­vine. Donc, si la volonté du ministre est, en ce moment, déter­minante, pourquoi, se demandent certains, ne pouvons-nous pas espérer du Synode (même s’il est doté de pouvoirs subordonnés) des nouveautés radicales, conformes à l’attente de tous ceux qui estiment qu’il n’y aura pas de vrai renouveau dans l’Eglise sans une transformation radicale ? Et ici, cette question mérite une ré­flexion profonde, en raison de son rapport à un autre pouvoir qui peut être inséré parmi ceux de la hiérarchie, le pouvoir d’enseignement.

 

Les vérités confiées aux Apôtres

 

Pouvons-nous supposer que la hiérarchie est libre d’enseigner ce qui lui plaît dans le domaine religieux, ou ce qui est suscepti­ble de répondre aux exigences modernes de certains courants doctrinaux ou mieux encore anti-doctrinaux ? Non. Nous devons nous rappeler que l’Episcopat a un devoir primordial, celui de témoigner et de transmettre fidèlement le message du Christ, c’est-à-dire les vérités révélées et confiées aux Apôtres, en vue du Salut. Le christianisme ne peut modifier ses doctrines consti­tutionnelles. L’évêque doit, plus que tout autre « garder le dé­pôt », comme dit l’apôtre (1 Tm 6, 20 ; 2 Tm 1, 14) et prendre pour lui les dernières paroles de Jésus : « Allez et enseignez à toutes les nations à observer ce que je vous ai prescrit » (Mt 28, 20). Le Concile a repris ces paroles (cf. Dei Verbum, 4 et 7) ainsi que l’avait explicitement demandé Vatican I (Sess. III, cha. IV). Nous ne devrions même pas penser à l’éventualité d’une transfor­mation de l’Eglise dans le domaine de la foi (cf. tertullien, De Praescrip., c. 20 ; PL 2, 36-37). Le « Credo » demeure. Sous cet aspect l’Eglise est très conservatrice et ne vieillira donc jamais.

 

Fidélité doctrinale, compréhension pastorale

 

Nous nous demandons alors : cet enseignement primitif ne peut donc pas se développer ? Oui, mais à condition qu’il soit toujours cohérent avec la Parole que Dieu nous a révélée. Jésus lui-même avait prévu un tel développement (Jn 16, 12-15). Et, la tradition qui s’en est suivie se propage ainsi de l’ordre théolo­gique à l’ordre canonique (cf. 1 Co 11, 23 ; 15, 3 ; Th 2, 15 ; Dei Verbum, 8). Ceux qui, dans l’Eglise, ont reçu le charisme de la vérité, doivent s’efforcer de demeurer fidèles à cette tradition et par leur autorité, la faire respecter (cf. Lc 10, 16). Ce fut, là, le grand problème de Newman (cf. J. guitton, La philosophie de Newman). L’étude de la vérité divine est toujours possible ; la théologie est en marche vers une meilleure « intellegentia fidei ». La foi doit être appliquée à notre vie, à notre expérience en per­pétuelle mutation. Les exigences des temps se renouvellent sans trêve. Par conséquent, les responsables pastoraux de l’Eglise doivent veiller à garder intact le trésor des vérités divines et celui des traditions valables qui l’ont assimilé ou qui en découlent. Ces mêmes responsables doivent en même temps présenter ce tré­sor toujours vivant à toutes les générations dans un langage et sous des formes accessibles et fructueuses. Cet effort continu de fidé­lité doctrinale et de compréhension pastorale est le drame spiri­tuel de ceux que l’Eglise a choisis pour guider les hommes vers le Salut. Priez pour eux.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

13 octobre

NOS PRÊTRES

 

Chers Fils et Filles,

 

Nous voulons, aujourd’hui, poser une question à laquelle vous-mêmes pourrez répondre dans votre for intérieur. Interrogez votre conscience, car vous savez qu’elle se situe sur un plan plus intime et plus réfléchi que celui de votre opinion. Interrogez-la scrupuleusement et n’émettez pas de jugement superficiel. Que pensez-vous du prêtre ?

 

Que pensez-vous du prêtre ?

 

Nous sommes anxieux de connaître votre réponse, car, ces jours-ci, le thème de la prêtrise, devenu dans l’esprit du public le thème du prêtre, c’est-à-dire l’examen de la personne ou des personnes revêtues du sacerdoce, est d’actualité. Vous savez que ce sujet est à l’ordre du jour du Synode des Evêques, réunis à Rome. Tous en parlent avec un vif intérêt comme s’il s’agissait d’une nouveauté et comme si ce Synode concernait — et cela est vrai — non seulement le ministère sacerdotal, mais toute la com­munauté ecclésiale et toute la mission de l’Eglise dans le monde.

Ne vous attendez pas à ce que Nous vous parlions des discus­sions synodales, ni des commentaires faits à ce propos. Ne par­lons pas du Synode, mais de vous qui Nous écoutez. Nous vous demandons encore : Que pensez-vous du prêtre ? Qui est-il ? Que fait-il ? Que devrait-il faire ? Comment voudriez-vous qu’il fût ? Voyez-vous la nécessité de sa présence et de son activité dans la société moderne ou ne la voyez-vous pas ? Cette présence, vous ennuie-t-elle ? Est-ce que sa vue vous dérange ? Voudriez-vous un prêtre exclu et en marge de notre monde profane et sécularisé ? Comment le jugez-vous ? Comment pensez-vous qu’il soit ? Quels sont les aspects du prêtre qui vous irritent ou, au con­traire ceux qui, d’après vous, méritent attention, estime et inté­rêt ? En un mot, comment le voulez-vous ?

Vous voyez que la question se ramifie en plusieurs autres in­terrogations et il se peut que celles-ci vous fassent penser à des problèmes plus grands, par exemple, que nous provenons d’une tradition catholique entièrement tissée d’activité pastorale ; que l’Eglise existe ; que la liberté religieuse est admise — du moins théoriquement — par le Droit moderne ; qu’une grande question se pose encore, en termes inéluctables : l’affirmation « Dieu existe » a-t-elle une raison d’être ? Quel rapport cette Existence Su­prême et transcendante a-t-elle avec nous ? avec notre conscience, avec notre destin? Nous nous interrogeons encore : Que savons-nous et que pensons-nous du Christ ? Est-il vrai que le Christ vit et agit toujours dans l’Eglise par le sacerdoce ministériel, l’une de ses personnifications ?

Sur ce thème théologique et existentiel, les interrogations n’en finiraient plus ! Celles que nous avons posées suffisent à justifier notre première question : Que pensez-vous du prêtre ?

 

La littérature et l’expérience

 

Nous sommes presque certains que cette question vous sur­prendra et que, par conséquent, deux séries d’images de prêtres se présenteront à votre imagination ; tout d’abord celles des ré­miniscences littéraires. La littérature nous a offert toute une ga­lerie de portraits qui, en quelque sorte, sont demeurés imprimés dans la mémoire ; des figures graves et ridicules; des Saints et des caricatures ; le prêtre est un personnage exploité par ces écri­vains qui, dans leurs ouvrages, s’intéressent davantage aux per­sonnages mis en scène qu’à la scène elle-même, c’est-à-dire à la narration des faits ; c’est un personnage dont la richesse de la vie intérieure implique une comparaison entre la réalité extérieure du prêtre et ce qu’il devrait être ; c’est un personnage à double aspect. « Il y a en moi, disait Léo Trese, un côté lion et un côté agneau ; charité et égoïsme ; pénitence et amour des aises ; prière et vie profane ; humilité et orgueil » (Vase d’Argile, p. 139). St. Paul disait de lui-même : « Mais ce trésor (l’Evangile) nous le portons en des vases d’argile, pour qu’on voie bien que cette extraordinaire puissance appartient à Dieu et ne vient pas de nous » (2 Co 4, 7). La littérature s’est plu à dépeindre avec tant de diversités ce dualisme paradoxal que le lecteur est bien em­barrassé pour choisir le type de prêtre qu’il voudrait pouvoir con­damner, bafouer, admirer ou comprendre dans sa vie secrète (citons ici quelques auteurs célèbres : Manzoni, Fogazzaro, Moretti, Barbey d’Aurevilly, Chesterton, Bernanos, Cronin, Greene, Marshall, etc.).

Passons maintenant à la deuxième série, celle très variée, des prêtres qui ont réellement existé : St. Vincent de Paul, Don Bosco, le Curé d’Ars et ajoutons Maximilien Kolbe qui sera béatifié dimanche ; n’oublions pas les autres images chères et mo­destes de bons et saints prêtres que chacun de nous a certaine­ment rencontrés sur son chemin : Curés, religieux, professeurs et aumôniers... qui ont ajouté au don charismatique, ministériel de la Parole de Dieu et de la grâce sacramentelle, leur manière humble et humaine d’inviter, d’accueillir, d’écouter, d’avertir, de compatir, de consoler, de comprendre, de faire le bien... et aussi leur propre mode de vie, pauvre et courageuse, qui nous a fait incliner la tête et murmurer, pensifs : Oui, celui-ci est un vrai prêtre.

Mais revenons à notre question : quelle conception vous faites-vous du prêtre ? Peut-être y avez-vous rencontré des défauts ? Mais pourquoi les défauts des prêtres provoquent-ils tant de réactions, tant de critiques ? Pourquoi êtes-vous portés à les géné­raliser si facilement et à les condamner ? Nous l’avons déjà dit : parce que nous voudrions toujours trouver chez le prêtre, la per­fection. Le prêtre n’est-il pas l’homme de Dieu, son représentant, son ministre ?

 

Un préféré de la miséricorde du Seigneur

 

Certes. Mais nous voudrions que cette considération évidente puisse être approfondie de notre part : si le prêtre est l’homme de Dieu, un « autre Christ », c’est le signe qu’un courant de grâce est passé dans l’histoire de sa vie : il a été un appelé, un élu, un préféré de la miséricorde du Seigneur. Celui-ci l’a aimé d’une façon particulière. Il l’a marqué d’un caractère spécial et l’a ainsi habilité à l’exercice des pouvoirs divins (cf. st. thomas, III, 53,2) ; Il l’a rendu amoureux de Lui jusqu’à faire mûrir en lui l’acte d’amour le plus plein et le plus grand dont le cœur de l’homme soit capable: l’oblation totale, perpétuelle, bienheureuse... Com­me Jésus, il a eu le courage d’offrir sa vie pour les autres, pour tous, pour nous.

Ecoutons parmi tant d’autres, une citation du Concile sur les prêtres : « Par l’Ordination et la mission reçue des Evêques, les prêtres sont mis au service du Christ Docteur, Prêtre et Roi ; ils participent à son ministère qui de jour en jour, construit ici-bas l’Eglise pour qu’elle soit Peuple de Dieu, Corps du Christ, Temple du Saint-Esprit ». C’est pourquoi, « dans une situation pastorale et humaine souvent en pleine mutation, il fallait les aider plus efficacement dans leur ministère et mieux prendre en charge leur vie ». Le Concile nous a invités à méditer sur la na­ture du sacerdoce qui est une surnature et sur sa mission humaine qui est surhumaine.

 

Serviteurs et intendants

 

Qui ne sait ces choses qui offrent les éléments de la définition du prêtre ? Nous le savons tous un peu ; et en réfléchissant, com­bien d’autres choses pourrions-nous ajouter, non seulement pour idéaliser la figure du prêtre, l’essence de sa mission et pour en faire le mythe de notre fantaisie, ou de notre dévotion, mais pour mieux comprendre ce frère que le Christ a voulu pour Lui. Rap­pelons comment St. Paul a répondu à la question que nous nous sommes posée aujourd’hui : « Qu’on nous regarde donc comme des serviteurs du Christ et des intendants des mystères de Dieu » (1 Co 4, 1). Le Prêtre ne mérite-t-il donc pas que nous nous fas­sions une juste conception de sa personne, de sa transfiguration en ministre du Christ, en héraut du Royaume de Dieu, non pour en faire la louange hyperbolique et conventionnelle, mais pour mieux reconnaître sa dignité et sa fonction ? pour compatir à ses déficiences, pour l’aimer davantage, pour le savoir et l’avoir nô­tre ?

Réfléchissez un peu à cela au moins pendant le Synode.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

20 octobre

EGLISE SAINTE

 

Chers Fils et Filles,

 

Nous voulons vous inviter aujourd’hui à réfléchir quelques instants sur la Sainteté de l’Eglise. La récente béatification du Père Maximilien Kolbe, qui a eu lieu dimanche dernier, ici-même, dans cette Basilique, nous fait, méditer sur cet aspect et sur cette propriété de l’Eglise. Nous disons que l’Eglise est Sainte : pourquoi et comment l’est-elle ?

En vous proposant ce thème de réflexion, nous suivons avant tout une ligne méthodologique, celle de l’observation positive, même optimiste si vous voulez, et selon laquelle nous devons découvrir et considérer les valeurs positives, constructives, celles qui nous révèlent l’œuvre de Dieu dans l’Eglise et l’effort des fidèles pour répondre à leur vocation chrétienne.

 

Observer l’Eglise avec amour

 

Nous voudrions, donc, inviter ces fidèles à ne pas tourner sys­tématiquement et à priori leur regard sur les aspects négatifs de l’Eglise ou mieux encore sur la vie de ses membres ; qu’ils aient une perspective réconfortante et édifiante de la vie ecclésiastique ; qu’ils en abandonnent la critique corrosive pour l’observer avec amour (cf. Y. congar, Vraie et fausse réforme de l’Eglise, Intr.). Cette critique se flatte d’être soi-disant réaliste, peut-être, bien intentionnée au départ, elle se veut réformatrice et, par consé­quent, dénonce, désormais outre mesure, les faiblesses et les dé­formations de l’Eglise actuelle dans son engagement évangélique. Elle aspire à l’édification d’une Eglise nouvelle, conçue se­lon ses propres exigences critiques, souvent utopiques et destruc­tives. C’est là un jeu dangereux bien qu’il soit mené par des individus intelligents et dans des milieux animés d’un certain esprit de renouveau. Dangereux, puisqu’il semble ne pas tolérer la communion effective et cordiale des frères et des pasteurs de l’Eglise ; dangereux encore, puisqu’il part d’observations objectives pour aboutir, avec une extrême facilité, à des conclusions subjectives et arbitraires ou dépourvues de tout sens historique et de tout réalisme humain et social. Il refuse la doctrine de l’Eglise pour accepter des théories et des idéologies politiques nuisibles à la foi. Tout en adoptant une attitude des plus sévères et des plus exi­geantes à l’égard de l’Eglise institutionnelle, soit dans le domaine culturel ou spirituel, il finit par se conformer de manière sim­pliste à ces nouveaux courants d’idées qui l’entraînent vers l’abo­lition des plus importantes règles morales. Ce jeu est dangereux, nous ne cesserons de le répéter, car il s’octroie cette auto­rité de jugement qu’il a lui-même contestée à l’Autorité légitime et responsable. Il épuise bien vite les ressources de charité qu’il possédait au départ, poussé par la velléité prophétique de s’en retourner aux origines chrétiennes ; pouf se transformer, hélas ! aussi vite, en accusateur polémique et intempérant ; cet amour humble et vrai fait alors place à une ambition revêche et solitaire.

 

Mais pas d’adulation

 

Cependant, nous ne voudrions pas que les fidèles aient de l’Egli­se une vision conventionnelle, unilatérale et puérilement élogieuse; qu’ils se rendent compte des erreurs et des défauts de la vie ecclésiale ! Nous ne leur demandons pas d’être sans esprit critique ou partiaux, et encore moins passifs et adulateurs. Qu’ils aient de l’Eglise une vision objective, en reconnaissant ses fautes mais aussi ses vertus et ses mérites, en promouvant sans cesse son renouveau et en l’aimant toujours et même davantage selon ses besoins et ses déficiences. C’est dans cette voie que nous voudrions voir s’orienter les fidèles de l’Eglise. Nous-mêmes, nous essayons de trouver ce qu’il y a de bon, de vrai et d’utile dans ces attitudes négatives ; nous acceptons volontiers les reproches adressés à la vie ecclésiale telle qu’elle est, afin de mieux comprendre comment elle devrait être. Nous nous efforçons d’accueillir, dans des sollicitations inquiètes et confuses, le désir caché d’une vie chrétienne authentique, en l’empêchant d’arriver à un compromis avec la nouvelle mytho­logie d’un humanisme économique, érotique et révolutionnaire.

 

En communion ineffable avec le Dieu vivant

 

Notre réflexion est orientée, nous le répétons, vers la Sainteté de l’Eglise et dans l’Eglise. Quiconque a foi en la Parole du Sei­gneur, n’osera contester et oublier que l’Eglise est Sainte. Ici, le terme « Eglise » se réfère au mystère de la définition qu’en a don­née Dieu, c’est-à-dire au plan d’amour et de Salut pour lequel Dieu a conçu une humanité qui puisse l’appeler Père, parce que vivant du Christ, de sa Parole et de son Esprit; l’Eglise est donc Sainte puisqu’elle est élevée à une vie surnaturelle, à une commu­nion ineffable avec le Dieu Vivant, Un et Trine ; elle est elle-même sacrement et instrument de l’effusion divine, la grâce ; par cela même, elle est la « Mère des Saints », c’est-à-dire dotée de pouvoirs de régénération et de sanctification ; Sainte, car dès leur existence terrestre et temporelle, les hommes qui lui appartien­nent sont Saints ; dans une certaine mesure et dans ce régime actuel qui tend à la plénitude de la sainteté, ils sont « peuple élu, sacerdoce royal, nation sainte... peuple de Dieu » (1 P 2, 9-10) ; ils sont consacrés à Dieu.

L’Eglise est le cône de lumière céleste projetée sur le monde ; elle est Sainte dans le dessein de Dieu et dans l’économie de grâce qui l’enveloppe ; c’est la « Sainte Eglise » ; cela devrait nous suf­fire pour en chercher l’idée génératrice, l’image idéale dans son lieu d’origine et de retour qui est justement le Dieu Créateur, le Dieu d’Amour.

Quoi de plus lumineux sur le visage des hommes que la beauté de la Sainte Eglise ! Sainteté de l’Eglise : cela ne suffit-il pas à nous rendre admiratifs, enthousiastes et heureux ? Qu’est la beau­té sinon une révélation de l’Esprit ? Et où trouver révélation plus intuitive et plus béatifiante sinon dans l’humanité devenue Corps du Christ et Temple vivant du Saint-Esprit ? Savons-nous, pour l’Eglise, faire nôtre la joie du psalmiste : « Que tes demeures, Sei­gneur, sont désirables, ô Dieu puissant ! » (Ps 83, 2) ?

 

Eglise en marche

 

Mais voici notre déception : la sainteté dans l’Eglise, vue dans la réalité humaine de ses membres, n’est pas toujours conforme à la sainteté de l’Eglise, vue dans son projet idéal et divin. Même s’ils sont déjà admis dans ce « Royaume de Dieu déjà parmi nous » (Lc 17, 21), les membres de l’Eglise n’en demeurent pas moins des hommes faibles, fragiles et pécheurs ; car pour le posséder vraiment, dit le Seigneur, le Royaume de Dieu doit être conquis par la force et ce sont les violents qui s’en emparent (Mt 11, 12). Il arrive donc que l’incohérence entre la vocation à la sainteté des chrétiens et leur déficience morale, provoque le scandale, un scandale malheureusement fréquent, auquel l’opinion publi­que est aujourd’hui très sensible ; cette incohérence provoque l’indignation de Celui qui nous a invités au banquet : « Mon ami, comment es-tu entré sans la robe nuptiale ? » (Mt 22, 12). Mais nous qui aimons la Sainte Eglise, nous n’y trouvons pas motif de scandale mais nous éprouvons plutôt une douleur, un stimu­lant à l’examen de conscience, à une reprise de la volonté, une compréhension évangélique.

Aussi, cette exigence pressante de conformer notre conduite, notre perfection morale au caractère religieux et mystique de l’Evangile est l’un des principes fondamentaux de la vie chrétienne, tant personnelle que collective; tandis que cette exigence demande que la vie chrétienne soit continuellement soumise à une critique vigilante, une question inexorable se pose à chacun de nous d’abord : Suis-je vraiment fidèle ? Suis-je vraiment chrétien ? Avant de juger les autres, jugeons-nous nous-mêmes. Cette question fait jaillir des énergies morales fécondes qui engendrent sentiments et traditions caractéristiques de l’Eglise. Elles lui font prendre cons­cience de sa condition d’« Eglise en marche », d’humanité en route vers la perfection. Ces énergies morales créent chez quel­ques esprits courageux une tension intérieure qui, tout en déve­loppant leur sens profond d’humilité, les pousse au désir et à l’audace de la sainteté, sous l’impulsion de la grâce qui opère sans cesse dans l’Eglise de Dieu. Nous pouvons observer tout cela dans tant d’existences, peut-être proches de nous, qui, sans at­teindre les hauteurs de la célébrité canonisée par l’Eglise, peu­vent assurément s’appeler Saintes.

Réfléchissons à cela pour jouir de la vision édifiante de la Sain­teté, en accepter l’élan et en utiliser la force réformatrice.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

27 octobre

EGLISE MISSIONNAIRE

 

Chers Fils et Filles,

 

Notre cœur est encore tout ému par la cérémonie célébrée dimanche dernier dans cette basilique, à l’occasion de la Journée missionnaire. Ceux qui parmi vous y ont assisté comprennent certainement et partagent notre sentiment. Mais ceux qui n’ont pas eu la joie d’y participer peuvent facilement ressentir la même émotion en pensant au sens profond de cette cérémo­nie. Car, encore plus que le rite lui-même, c’est sa signification qui mérite l’attention et la réflexion de tous ceux qui, comme vous, ont pour l’Eglise un regard d’amour, pour cette Eglise que nous ne pouvons comprendre que par l’amour, c’est-à-dire par « l’intelligence d’amour » (DANTE, Purg., 24, 51).

Cette Messe ne pouvait avoir d’ailleurs qu’un sens mission­naire de par les notes caractéristiques qu’y ont apportées les par­ticipants. Nous avons admiré particulièrement les costumes fas­tueux des pèlerins des îles Samoa venus rendre la visite que nous leur avions faite l’an dernier. Toute la famille de l’Eglise Catho­lique du monde y était représentée par les évêques du Synode. Il y avait des fidèles de toute race, de toute couleur, provenant de tous pays, un échantillonnage de l’humanité vivant sur notre globe. Nous pensions au chant de l’Apocalypse, « Tu rachèteras pour Dieu des hommes de toute race, langue, peuple et nation » et au récit de la Pentecôte lorsque tous, « remplis de l’Esprit-Saint », annonçaient dans leur propre langue les « merveilles de Dieu» (Ac 2, 11) ; avec la stupeur des païens d’autrefois, nous avons vu la grâce du Saint-Esprit se répandre sur toutes les na­tions (Ac 10, 45). Nous nous demandions si la prophétie s’était accomplie : « Leur voix a retenti par toute la terre, la voix des Apôtres et des Missionnaires, et leurs paroles sont arrivées jus­qu’aux extrémités du monde ? » (Ps 18, 5 ; Rm 10, 18).

 

Belle et pacifique

 

L’Eglise, dans sa diversité humaine, et sociale illimitée était là, extraordinairement belle et pacifique...

Oui, pacifique, car une autre caractéristique plus profonde et encore plus belle et éloquente resplendissait : l’unité. Des person­nes si différentes et si unies, des hommes qui ne se connaissent même pas et se sentent frères; des gens fiers et jaloux de leur propre culture qui abandonnent à une communion totale ce qu’ils ont de plus personnel, leur pensée, leur cœur, dans une seule foi, une seule charité, convaincus d’être un seul corps avec un seul esprit qui les anime, dans la joie d’une solidarité ouverte à tous, dans l’espérance d’exprimer, avec une immense variété de lan­gage, la même voix, la même prière, le même cantique au Dieu Unique, Père de tous les hommes (Ep 4, 3-6). L’unité catholique, phénomène sans pareil, est la plus haute aspiration de l’humanité, mais elle n’est pas encore tout à fait réalisée dans les affaires tem­porelles ; ici, au contraire, nous avons l’unité vraie et réelle au spirituel, au plan visible et organique ; un Seul Peuple, le Peuple de Dieu, un Seul Corps, le Corps Mystique du Christ, l’Eglise, l’Eglise Une et Catholique.

 

Me voici, envoie-moi

 

Est-ce là l’Eglise ? Mais comment ? Comment ce prodige se réalise-t-il? Il s’est révélé à nous dans ses aspects humains, de­venus signes et sacrements de l’élément divin, la grâce christifiante qui appelle et transforme les hommes et les femmes de ce monde dont nous connaissons la grandeur et la misère, la force et la faiblesse, l’héroïsme et la lâcheté, hommes et femmes de ce monde cultivé et corrompu. Pendant la cérémonie, plus de 400 fidèles sont sortis des rangs pour se diriger vers Nous, Servi­teur des Serviteurs de Dieu ; ils sont montés à l’Autel exprimant par cet acte silencieux la parole prophétique : « Me voici, envoie-moi » (Is 6, 8) ; je veux être « mis à part pour annoncer l’Evangile de Dieu » (Rm 1, 1 ; Ga 1, 15 ; Ac 13, 2). C’est la réponse au dou­ble appel du Christ: appel extérieur quand l’Eglise invite et implore ; appel intérieur quand le Christ parle avec douceur et gra­vité au cœur des plus fidèles. Ces hommes et ces femmes sont venus pour que nous les reconnaissions missionnaires. Que leur donnerons-nous sinon le Crucifix qui, dans la main tremblante et courageuse qui le reçoit, laisse entrevoir l’imitation, le dévoue­ment, l’amour, la victoire du missionnaire prêt à partir ? Le sa­crifice du Christ, celui qui sauve le monde, continue.

 

Le charisme du sacrifice

 

Mais le charisme du sacrifice existe-t-il encore de nos jours ? Oui ! Dans toute sa plénitude et sa grandeur ! Notre époque, qui a connu les guerres, le sait bien ; mais, elle le refuse en construi­sant son idéal de vie sur l’égoïsme et les plaisirs. Notre époque connaît le charisme du sacrifice, mais elle l’honore chez les au­tres et l’éloigné de soi. Chacun de nous le repousse ; non, pas chacun de nous à vrai dire; certains l’acceptent même dans son expression la plus authentique, volontaire.

L’honneur se transforme alors en gloire; heureusement cette gloire alimente encore les vertus fondamentales de notre exis­tence. L’exemple d’un Schweitzer n’a-t-il pas tout dit à notre génération ? Nous nous unissons bien volontiers pour rendre l’hommage d’admiration que mérite un tel homme. Mais, sans vouloir faire de comparaison, qu’on nous permette de rendre le même hommage aux très nombreux missionnaires qui ont offert et qui offrent leur vie par un sacrifice humble et illimité, sans at­tendre éloges et récompenses, pour soulager les souffrances phy­siques et morales de leurs pauvres frères (car, ils sont frères dans le Christ) dans les terres de mission, encore au seuil de la culture moderne.

Quel trésor de sacrifice possède, maintenant plus que jamais, cette Eglise de Dieu, Eglise communautaire et hiérarchique, ins­titutionnelle et active, que la Providence nous permet d’appeler nôtre !

Notre apologie de l’Eglise veut aider ceux qui doutent de son authenticité, se soustraient à sa communion vécue, ont honte de militer dans ses rangs. L’Eglise missionnaire nous juge avec sa foi apostolique, son amour, son dévouement total dans le Christ au service et à la libération de nos frères. Elle ne nous enseigne ni la critique stérile, ni la contestation amère, ni les velléités rhé­toriques, ni un spiritualisme éphémère. L’Eglise est une école de réalisme évangélique ; elle nous invite à suivre le Christ dans la joie.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

3 novembre

L’EGLISE UNE COMMUNAUTE QUI PRIE

 

Chers Fils et Filles,

 

Nous parlerons encore du visage de l’Eglise, de l’Eglise telle qu’elle apparaît à nos yeux, pour la connaître et voir ce qu’elle fait dans sa réalité humaine.

Vous savez la raison de cette observation intuitive, de ce re­gard immédiat : c’est le désir de voir son visage rayonnant, sa beauté naturelle, c’est le besoin de réconforter tant d’esprits bons et intelligents, angoissés par la découverte continue et intarissa­ble des défauts, des difformités, des scandales que la critique moderne, intérieure et extérieure, attribue à tous les aspects de l’Eglise. Il en résulte une antipathie à l’égard de cette ancienne institution que beaucoup, hélas ! veulent abandonner ou traiter d’inutile, de dépassée, d’infidèle et pire encore, de squelette des­séché. D’autres encore, et ils sont tout aussi nombreux, se pro­posent, dans un élan de générosité peut-être, mais aussi de pré­somption, de la ranimer et de la réformer dans son dessein cons­titutif et traditionnel. Ils lui attribuent une forme nouvelle et imaginaire qui oscille entre un spiritualisme charismatique raf­finé — dont on ne sait pas exactement en quoi il consiste — et un conformisme humaniste aux réalités présentes et voilées, pro­pres à la société temporelle.

 

Un peuple en prière

 

Cette vision réaliste de l’Eglise ne dit rien de nouveau aujour­d’hui ; au contraire elle se limite à une observation si évidente et empirique qu’elle semble banale. Qu’est-ce que l’Eglise ? C’est une communauté qui prie ; c’est un peuple en prière, un peuple de Dieu ! C’est, là, le signe de sa philosophie, de sa théologie. C’est l’homme qui a besoin de Dieu (2 Co 3, 5) et qui doit tout à Dieu. Son attitude caractéristique et fondamentale est donc cul­tuelle. L’Eglise est avant tout une société religieuse. Ce qui lui tient à cœur, c’est la prière. L’Eglise se propose d’atteindre un but primordial: mettre les hommes en communication, en com­munion avec Dieu (Lumen Gentium, 1). L’Eglise unit les hommes qui lui sont fidèles pour les rendre fidèles à Dieu. Par la Parole, la charité, et les sacrements, elle actualise dans l’histoire, le Christ de l’Evangile, unique médiateur entre Dieu et les hommes. Sa mission première est religieuse. Que de fermes et solides structu­res ne sont-elles pas nécessaires à cette mission collective, inté­rieure et extérieure ! L’Eglise prétend, — et à bon droit, — d’of­frir à l’humanité la solution définitive au problème religieux qui, nous le savons, a énormément intéressé et tourmenté les hom­mes. Face à l’indifférence croissante et à la négation acharnée, caractéristique de notre siècle, l’Eglise estime que la religion a non seulement une raison d’être — et aujourd’hui plus que ja­mais — mais que la formule religieuse qu’elle offre est le « fon­dement et le couronnement » de la vie humaine, du savoir et de l’agir de l’homme ; c’est la lumière, le soutien, le but, la béati­tude de notre existence sur la terre, c’est la première et dernière parole, l’alpha et l’oméga du monde. De par sa conception géné­rale et suprême, humaine et cosmique de la religion catholique, c’est-à-dire de par sa foi, l’Eglise est organisée, elle existe, aime, travaille et souffre tout en dialoguant avec Dieu et les hommes, en priant.

 

La réforme liturgique

 

Que cela plaise ou non, tel est le visage de l’Eglise: le grand chœur ordonné et exaltant de l’humanité qui adore le Père « en esprit et en vérité » (Jn 4, 23). C’est un visage splendide, rayonnant de spiritualité et de sociabilité, de moralité, de bonté charitable, de mystère et de clarté qu’aucune autre institution terrestre ne peut offrir ou prétendre offrir aux hommes de notre temps. Et cette lumière se lève du visage de l’Eglise, tel le reflet de l’image de Dieu (Ps 4, 7). Telle est l’Eglise en prière, magnifiquement exaltée par le Concile et, nous ne pouvons l’oublier, du fait mê­me de la réforme liturgique. Par l’intention qui l’a provoquée, intention pastorale de raviver la prière dans le peuple de Dieu, prière pure et de participation, intérieure et personnelle et en même temps publique et communautaire, cette réforme liturgi­que mérite une grande considération même face aux conditions spirituelles du monde moderne. Il ne s’agit pas d’un simple fait rituel, de sacristie ou d’érudition archaïque et purement liturgi­que ; c’est une affirmation religieuse, pleine de foi et de vie ; c’est une école apologétique pour tous ceux qui cherchent la vérité vivifiante; c’est un défi spirituel lancé au monde athée, païen, sécularisé.

 

Maintenir allumée la flamme de la prière

 

A l’occasion de la récente publication du nouveau Bréviaire, nous avons reçu, parmi tant d’autres, une lettre confidentielle mais très expressive, dans laquelle il est dit combien il serait utile d’exhorter les fidèles « dans les moments de tension générale des âmes, pour rappeler l’excellence de la lecture, de l’exposition, de la méditation de la Parole de Dieu, convaincus qu’une telle ex­hortation serait accueillie salutairement par chaque âme comme un sceau au nouveau livre sacré et un digne rappel en même temps de l’opportunité d’une prière, résultat de siècles et de siècles de travail et dans laquelle les Pères, les Docteurs, les théologiens et les Saints de l’Eglise font sentir leur voix éternelle... ». Cela est vrai et c’est aussi ce que nous faisons avec ces paroles fami­lières, surtout pour le Clergé et pour les religieux, auxquels appartiennent, de façon particulière, l’honneur et l’obligation de maintenir allumée la flamme de la prière au sein de l’Eglise et pour ses fils ardents qui savent que tout renouveau, dans l’Eglise (toute sa vitalité, son dépassement des difficultés et des cri­ses, sa capacité de servir pour délivrer et sauver les frères proches et lointains), est alimenté par la prière ; par la prière intime et personnelle (Mt 6, 4) et aussi par celle communautaire, sacerdo­tale et publique que nous appelons liturgie.

Nous voulons croire que vous en êtes tous persuadés et qu’avec vous, ceux qui recevront l’écho de ces paroles, le seront également ; nous mettons donc aussitôt en pratique la confiance com­mune dans l’oraison en vous demandant de prier pour l’heureuse conclusion du Synode Episcopal, afin que le ministère sacerdotal dans l’Eglise reçoive grâce et joie, force et sainteté, et afin que la justice et la paix dans le monde — thèmes auxquels le synode s’est consacré avec amour et sagesse — reçoivent lumière et ré­confort.

Priez donc. Prions. C’est ainsi que nous devons être l’Eglise.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

10 novembre

L’EGLISE : UN PEUPLE LIBRE ET RESPONSABLE

 

Chers Fils et Filles,

 

Après la clôture des travaux du Synode des Evêques, nous reprenons notre observation des aspects les plus marquants de l’Eglise. Nous entendons parler constamment de cette Eglise et nous nous posons toujours cette même question : qu’est-ce donc que l’Eglise, ce phénomène historique, humain et religieux ? Le Synode pourrait satisfaire notre curiosité en nous fournissant quelques informations supplémentaires et définitives sur les pro­blèmes qu’il a traités. Mais laissons travailler les personnes com­pétentes chargées de classer les documents officiels approuvés et sur lesquels les Pères du Synode ont avancé des propositions dont il faut tenir compte. Ce n’est d’ailleurs pas le moment d’as­souvir cette curiosité, d’autant plus que ce lieu n’est pas des plus indiqués.

Nous vous invitons à réfléchir quelques instants sur la défi­nition empirique de l’Eglise. Qu’est-ce que l’Eglise ? Considé­rons les éléments visibles sans prétendre donner une réponse adéquate. L’Eglise est une société, une société religieuse. Cette observation immédiate mais fondamentale suffit à nous rappeler que nous ne pouvons prétendre appartenir à l’Eglise, professer sa religion, en un mot, être de vrais chrétiens, avoir notre religion, notre manière personnelle d’être d’authentiques chrétiens sans être en même temps les membres de cette société appelée « Egli­se ». Le Christianisme est un fait social. Il n’est pas seulement une idéologie que chacun peut suivre à sa guise ou conserver au plus profond de sa conscience. La religion professée par l’Eglise constitue une communauté, une communion de pensée et de tradition. Elle engendre un peuple, le Peuple de Dieu.

 

Un fait social

 

Ceux qui veulent une Eglise exclusivement spirituelle, invi­sible, aux aspects indéchiffrables n’ont qu’une vision partielle de la réalité du christianisme. L’Eglise n’est pas seulement une âme, mais aussi un corps. Et même les chrétiens qui se sont sé­parés de l’Eglise afin d’en créer une autre, uniquement spirituelle qui ne soit pas soumise à des impératifs sociaux ou liée à des normes juridiques, se sont rendus compte qu’ils ont abandonné un des principes essentiels de la religion fondée par le Christ et ils veulent s’attribuer quand même le titre « d’Eglise ». La logi­que de l’Incarnation veut que l’Eglise soit une société visible, déterminée, réalisée dans un organisme humain promoteur d’uni­té. St. Augustin écrivait aux habitants de Madaure, personnes reli­gieuses mais insensées : « Vous pouvez certainement constater que beaucoup ont été bannis de la société chrétienne qui se développe de par le monde grâce au Siège Apostolique et à la succession des évêques » (Ep 232, PL 33, 1028). St. Thomas nous rappelle que « le Christ, en tant que Dieu et homme a accompli l’œuvre de Salut ; homme, il a souffert pour notre rédemption ; Dieu, il nous a sau­vés par sa passion » (Contra Gentiles). Dieu, religion, Christ, Eglise et Salut, voilà des mots essentiellement placés en ligne des­cendante, ligne que nous pouvons parcourir dans l’autre sens. Si nous voulons le Salut, c’est-à-dire réaliser notre vraie destinée, nous devons trouver dans l’Eglise le ministère qui nous donne le Christ, médiateur de cette religion qui nous conduit à Dieu, Principe ineffable et vivant.

Mais ici, l’aspect personnel de l’Eglise prévaut sur l’aspect social. C’est ce qui distingue la société ecclésiale de la société civile. Nous appartenons à la société civile par naissance, indépendamment de notre volonté, tandis que nous appartenons à la société ecclésiale par le baptême qui exige la foi : chez l’enfant, un acte de foi professé pour lui par les parents, les parrains et la communauté est chez le chrétien adulte, un acte de foi libre et volontaire.

Nous naissons hommes et nous devenons chrétiens. L’Eglise est donc une société, mais c’est une société libre. Ce mot semble une répétition, un terme à la mode. Mais la foi n’est vraie que si elle est libre. Le terme « liberté », appliqué à la religion, n’a pas le sens que nous lui conférons dans la vie. Dans la religion, la liberté est ce qui rend la vie de l’Eglise non seulement digne d’être comptée parmi les droits de l’homme les plus sacrés, mais extrêmement importante pour toute personne et pour la collec­tivité humaine au sein de laquelle se déroule l’exercice de cette liberté dont dépend le destin suprême de l’homme.

 

Liberté et responsabilité

 

L’Eglise se présente comme la société où l’homme peut exer­cer pleinement sa liberté car la foi, c’est-à-dire notre rapport avec Dieu, ne subit aucune contrainte, aucune entrave. Nous pourrions faire ici l’historique de l’obéissance et de la violation de cette loi fondamentale. Mais nous préférons nous arrêter sur un autre problème qui est partie intégrante de la liberté religieuse et qui a son importance puisqu’il nous aide à trouver la défini­tion que nous cherchions. Il s’agit de la responsabilité. Liberté et responsabilité caractérisent profondément les membres de cette société unique que nous appelons l’Eglise. Nulle part nous ne trouvons une responsabilité comportant de telles exigences psychologiques et morales, une responsabilité qui fait se déclen­cher cet acte spirituel, essentiellement humain que nous appelons conscience. C’est une chose connue et vécue dans la culture chrétienne. L’enfant devine sa conscience, l’homme la vit. C’est là la source du drame de tous les temps. Tandis qu’aujourd’hui on a tendance à éteindre la conscience religieuse et à endormir la conscience morale en effaçant mais sans pouvoir l’annuler la notion de péché, c’est-à-dire la notion de responsabilité totale devant Dieu, devant la société et devant la personnalité propre, et de rendre ainsi la liberté irresponsable devant ses instances suprêmes, l’Eglise s’appuie sur ce sens de responsabilité qui jaillit de sa foi et la rend capable d’agir dans l’amour, la fermeté, le dynamisme de l’emploi de tout talent dont peut être riche la vie de l’homme. L’Eglise est donc une société religieuse, tout à fait libre et responsable.

Essayons d’appliquer à nous-mêmes cette définition, car chacun de nous est membre de l’Eglise. Il s’agit d’une initiation pédagogi­que, mais elle nous fait comprendre que nous sommes l’Eglise.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

17 novembre

L’EGLISE : UN APPEL, UN ENGAGEMENT

 

Chers Fils et Filles,

 

Notre attention est encore tournée vers l’Eglise, source intaris­sable de curiosités. Qu’est-ce que l’Eglise ? Nous nous con­sacrerons spécialement aujourd’hui à la signification étymologique du terme. Dans le langage biblique — et depuis l’Ancien Testament il en a toujours été ainsi — Eglise veut dire « rassem­blement à caractère religieux ». Le Christ a fait sienne cette paro­le et lui a attribué son sens propre : « Mon Eglise » (Mt 16, 18). Etymologiquement, Eglise veut dire convocation, appel. L’origine de ce mot nous aide à mieux saisir sa valeur expres­sive. L’Eglise est une vocation. Ce sens intime et originel du nom et de l’être de l’Eglise nous dît beaucoup de choses utiles, non seulement pour une théologie exacte mais aussi pour une compréhension spirituelle, féconde et correcte de l’Eglise.

 

Appel, appel de Dieu

 

L’Eglise implique un appel, mais attention, c’est un appel divin. Cette observation offre, au premier abord, la règle de l’orthodoxie que nous ne devrons jamais oublier : la voix qui appelle à ce rassemblement n’est pas une voix humaine, c’est une voix transcendante qui monte des profondeurs divines pour nous dire que l’Eglise est un mystère que seule la révélation nous rend accessible; un mystère dans le double sens du terme qui signifie vérité cachée et réalité surnaturelle (cf. Co 2, 2 ; Co 1, 26 ; Rm 16, 25) ; c’est le mystère du dessein divin relatif au nouveau rapport que Dieu a voulu établir avec les hommes par l’intermé­diaire du Christ, pour le Salut de toute l’humanité (cf. Ep 1, 3-14). La vie et l’histoire de l’Eglise sont liées à cette première interprétation de son nom, c’est-à-dire de son origine et de sa réalité. Elle n’est pas une fondation humaine, mais le fruit d’une initiative divine.

Et, ici, nous profitons de cette doctrine fondamentale pour y trouver une première consolation : l’orthodoxie de l’Eglise, au­trement dit sa fidélité à l’appel dont elle est le ministre et à la vérité de cet appel qui est exigeante et béatifiante. Exigeante, car elle n’admet ni arbitraire, ni équivoque, ni incertitude; béatifiante parce qu’elle ouvre la porte du Royaume de Dieu, de la découverte de la Vérité et de l’Amour, de la conversation avec Dieu, de la chance de la vraie Vie.

 

« Viens et suis-moi »

 

Nous disions que l’Eglise naît d’une vocation, une vocation divine. La Parole que Dieu nous adresse, le Verbe de Dieu qui est venu nous parler (cf. He 1, 2). Nous devons par conséquent, écouter (cf. He 2, 1-14). La première génération chrétienne, celle du Nouveau Testament, a eu la vive conscience de cet appel, à commencer par les Apôtres. Le groupe des Apôtres s’est formé après que Jésus eût demandé à chacun d’eux de le suivre : « Viens et suis-moi » (cf. Mt 4, 19-22 ; 9, 9 ; Jn 21, 19). Les Apôtres ne se sont pas rassemblés d’eux-mêmes ; ils ont été choisis par le Christ qui leur a dit : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis » (Jn 15, 16-19 ; Lc 6, 13). C’est sur cette idée de vocation que St. Pierre et St. Paul fonderont la consti­tution de l’Eglise primitive (cf. Rm 8, 30 ; Ga 1, 6 ; 1 Th 2, 12 ; 1 P 1, 10 ; 2, 9 ; 5, 15 ; 2 P 1, 3). Ainsi la vocation marque la trajectoire de la Parole invitante de Dieu qui frappe le monde et blesse les consciences. Ceux qui reçoivent cette Parole sont appelés à s’unir aux autres, tout aussi fidèles, et ensemble, ils forment une communauté, l’Eglise, la société des « appelés de Jésus-Christ » (Rm 1, 6). Celui qui est appelé ne demeure pas seul, livré à lui-même, autonome, mais il est inséré ipso facto dans un Corps, le Corps Mystique du Christ, l’Eglise (cf. Co 2, 19 ; 3, 15 ; Ep 4, 16).

Cette assemblée, formée d’êtres humains répondant à un des­sein organique et surnaturel, constitue un aspect de l’Eglise qui nous fait découvrir que les hommes qui ont la chance d’y appartenir, y trouvent leur propre destin, leur raison d’être, une invi­tation qui leur confère une valeur pour une mission et les rend conscients d’un devoir et d’une espérance, conscience souvent absente chez ceux qui n’ont pas reçu l’appel mystérieux.

 

« Personne ne nous a appelés »

 

En effet, l’homme, par lui-même, n’a pas une connaissance claire de sa propre raison de vivre. Plus il réfléchit, plus les doutes l’assaillent et il devient la victime de la tentation aristocratique du scepticisme (à quoi bon vivre ?) ou de la tentation empirique du pragmatisme (agir pour agir, mais pourquoi ?) ou encore de la tentation plus grave de l’hédonisme (jouir de la vie : carpe diem !). C’est, là, une angoisse qui croît avec la culture et la civi­lisation : le sens du non-sens, de l’inutilité de la vie. C’est la rai­son du pessimisme qui se dégage de la littérature ; voilà pourquoi l’homme semble voué au désespoir : « Personne ne nous a appelés ». Rappelons la parabole évangélique des désœuvrés, engagés à travailler dans la Vigne du « père de famille » (Mt 20).

 

Quelque chose à faire

 

L’Eglise, au contraire, est le fruit de l’engagement à un tra­vail adéquat et exaltant qui donne un but et du mérite à la vie, le « Royaume des Cieux ». Par cela même, l’Eglise est la Mère des vocations, disons le bureau de placement pour les hommes à la recherche d’une raison de vivre, d’aimer, de travailler, de souffrir, de mourir. Rien, ni personne n’est désœuvré ou inutile dans l’Eglise : le néant, la fatigue vaine, le désespoir et la crainte n’exis­tent pas. Et bien souvent, grâce à la vocation chrétienne les exis­tences les plus malheureuses — les petits, les pauvres, les souf­frants — deviennent les plus dignes et les plus précieuses. L’Eglise offre à chacun de nous « quelque chose à faire », ce quelque chose qui confère sens, valeur, dignité et espoir à la vie humaine. Chacun est appelé, chacun est mis en valeur pour la vie présente si celle-ci l’est pour la vie future. Quelle richesse d’idéaux et d’énergie est ainsi répandue dans le monde !

Nous qui essayons de voir l’aspect positif de l’Eglise, son visage éclairé par le soleil divin, nous devons donc lui accorder une grande importance puisqu’elle représente l’appel, l’invitation authentique au Royaume de Dieu; c’est Elle, l’Eglise, qui nous transmet la Parole de Dieu, qui la protège, l’enseigne et l’interprète avec une jalouse objectivité ; c’est Elle qui incite à écouter et à approfondir cette Parole qui, pour nous tous, doit être l’écho de la vocation à suivre le Christ et qui, pour certains, devient un charisme, ce don de l’Esprit qui réclame en réponse le don de celui qui écoute. C’est l’Eglise qui commande cette vocation intime et qui décide si elle peut en tirer un ministère ou une oblation pour l’édification communautaire.

 

La voix mystérieuse du Christ

 

On en parle beaucoup aujourd’hui et on constate une dimi­nution soit des vocations communes à une intégrité consciente et agissante de vie chrétienne, soit des vocations sacerdotales ou religieuses. Oui, l’oreille de l’homme moderne est assourdie par le fracas du progrès ou extasiée devant la loquacité magique de notre culture ; elle ne sent ni n’écoute la voix mystérieuse du Christ. Et si cette oreille profane perçoit l’écho de l’Evangile, elle veut souvent l’interpréter à sa guise; elle s’y écoute elle-même plus qu’elle n’écoute l’appel authentique de l’Esprit. Et alors, que de richesses sont ainsi gaspillées et combien de destinées humaines, même dans le domaine religieux, ne parviennent pas à matu­ration !

Parmi les événements les plus graves de l’histoire, nous ne pouvons oublier celui que le Christ en larmes a prévu sous la muraille de Jérusalem, cette Jérusalem qui est demeurée sourde à son appel prophétique et aveugle à sa venue messianique : « Ah ! si en ce jour tu avais compris, toi aussi, le message de paix ! Mais, hélas ! il est demeuré caché à tes yeux... » (Lc 19, 42).

Mais l’Eglise, l’humanité appelée par le Christ, est toujours là et continue de poursuivre sa mission. Au nom du Christ, Elle appelle et invite : Viens !

C’est cette voix que nous devons entendre, c’est le but qu’elle nous indique que nous devons comprendre.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

24 novembre

STRUCTURES ET ESPRIT

 

Chers Fils et Filles,

 

Que pensez-vous de l’Eglise ? Telle est la question qui se pose encore à notre génération. Dans notre civilisation dite occidentale, le processus historique a non seulement distingué mais aussi séparé la société religieuse de la société civile : d’où la nécessité, en quelque sorte, de situer l’Eglise hors des affaires de l’Etat qui s’est octroyé le droit d’organiser la coexistence humaine. Quels sont le visage, la fonction et quelle est la raison d’être de l’Eglise dans le monde moderne, sécularisé, autosatisfait, agnosti­que à l’égard des différentes expressions de la religion ?

L’histoire nous a montré qu’au cours des siècles et en tous lieux, l’épisode évangélique de Césarée de Philippe n’a cessé de se ré­péter. En ce temps-là, Jésus lui-même, par un dialogue presque socratique, demanda à ses disciples qui était, au dire des gens, le Fils de l’homme ; et parmi une si grande variété de jugements, quelle était leur opinion à son égard : « Mais pour vous, qui suis-je ? » (Mt 16, 15).

C’est ainsi que cette question revient aujourd’hui et que nous nous interrogeons encore sur l’Eglise, Corps Mystique du Christ. Le Concile et, avant lui, les grands enseignements et les études théologiques ont fait surgir cette question : Qu’est-ce que l’Eglise ? Un phénomène religieux voué, comme tant d’autres, à être effacé par le progrès scientifique ? Une tradition spirituelle, une croyance populaire qui a survécu grâce à son riche héritage culturel et artistique ? Une entité sociale encombrante et prétentieuse, désormais dépassée, qui peut tout au plus stimuler l’adaptation de quelques adages évangéliques précieux pour la vie humaine ?

Vous avez certainement entendu parler de ces problèmes propres à notre temps et votre sensibilité de fidèles vous laisse entrevoir la manière dont ces différentes conceptions de l’Eglise tendent à en décréter la fin ou à en contester l’existence. Vous sentez qu’aucune définition scientifique ou empirique que lui attribuent, même inconsciemment, ceux qui sont hors de l’Eglise, ne pénètre dans sa vraie réalité, dans son mystère. Pour con­naître vraiment l’Eglise, il faut y vivre, y participer, avoir la chance d’être admis à partager son expérience surnaturelle. En un mot, il faut la foi.

Mais aujourd’hui, et ce n’est pas la première fois, l’Eglise est l’objet d’une controverse intérieure, à laquelle l’opinion publique s’intéresse vivement. Celle-ci, sous prétexte de ramener l’Eglise à ses origines, à ses valeurs spirituelles authentiques, détermine deux principes fondamentaux : la structure et l’Esprit; nous pour­rions dire : le corps humain organique et l’animation divine de l’Eglise. Jusque-là, aucune objection. Les difficultés surgissent lorsqu’on accuse la structure d’être abusive, difforme, précaire, nuisible, en d’autres termes, inutile. Elle nécessiterait des chan­gements radicaux, pour répondre aux critiques ou même la disso­lution pure et simple. La structure serait une dérivation illé­gitime — ou du moins non nécessaire — de l’ancienne formule de l’Eglise apostolique. Ce serait une structure autoritaire, ju­ridique, formaliste, anti-évangélique, anti-historique, profanée par la course au pouvoir, à la richesse, au conservatisme et desti­née à se séparer du monde.

 

Les charismes de l’Esprit

 

Au contraire, l’Esprit est charismatique, prophétique, libre et libérateur. Nous ne pouvons que nous réjouir de la priorité accordée ici à l’Esprit-Saint qui, par sa grâce, fait vivre, illumine, guide et sanctifie l’Eglise. Parmi tant de lourdeurs qui éloignent les esprits des réalités spirituelles, cet intérêt prioritaire, accordé aux charismes de l’Esprit, est digne de la plus haute considéra­tion : vue sous cet aspect, l’Eglise devient de manière subjective, la réalité religieuse par excellence, personnelle, intérieure, libre et heureuse ; en même temps, elle devient une réalité qui résulte objectivement d’une communication transcendante et mysté­rieuse avec l’Esprit divin, vrai et vivifiant. Mais cette réalité ne doit pas être confondue avec la pathologie religieuse, la supersti­tion, le subjectivisme spirituel ou avec l’excitation collective ; elle doit être ramenée à la communauté de la foi et servir à son édification. Cette réalité ne peut faire abstraction du dessein di­vin qui offre à l’Eglise, aux communautés des croyants, le don polyvalent de l’Esprit et qui en organise l’effusion par un minis­tère complexe et qualifié (1 Co 4, 1 ; 12, 1 ss. ; 14, 37-40 ; 1 P 4, 10 ss.). On ne peut isoler l’économie de l’Esprit — même si Celui-ci, comme dit le Seigneur, souffle où il veut (Jn 3, 8) — des structures, tant ministérielles que sacramentelles, instituées par le Christ, germées comme une plante de sa semence, de sa Parole.

 

L’Eglise signe et instrument de l’Esprit

 

Aujourd’hui, nous essayons de trouver le juste rapport entre la structure visible, humaine, sacramentelle de l’Eglise et le mys­tère de l’Esprit dont elle est signe et instrument et dont nous tirons notre vie chrétienne. Nous verrons comment ce rapport est inhérent au dessein de l’Incarnation et de la Rédemption, comment il confère un caractère sacré à tout chrétien, sacerdoce royal commun à tous, et comment il a créé un sacerdoce minis­tériel qui rend organique et unitaire la communauté du peuple de Dieu; sacerdoce qui fait resplendir une dignité christiforme incomparable (le dialogue de St. Jean Chrysostome sur le sacer­doce met en évidence cet aspect sublime) ; sacerdoce doué de pouvoirs pastoraux, riches de magistère (cf. Lc 10, 16 ; Jn 15, 26-27 ; 16, 13 ; Mt 28,19 ; etc.), de sanctification (1 Co 11, 24 ; Jn 20, 23) ; sacerdoce totalement voué à la charité qui devient un service (Mt 20, 28), un service d’autorité (1 Co 4, 21 ; 1 P 4, 11) mais si généreux, si humain, si paternel et si fraternel, conforme à celui du Christ, le bon Pasteur par excellence, qui sacrifie sa vie pour son troupeau (Jn 10, 11, 12).

C’est un bien que ce rapport entre structures de l’Eglise et Esprit du Christ ait été l’objet d’une étude approfondie de la part de penseurs et de théologiens fidèles et surtout de notre Com­mission théologique. Le problème du sacerdoce a été examiné à un niveau élevé dans les documents de l’Episcopat et du Concile. Le dernier Synode des évêques en a fait une synthèse qui sera publiée prochainement et nous avons confiance qu’elle servira à l’édification de toute l’Eglise et de nos prêtres, chers et vénérés.

Une fois de plus, nous verrons ce qu’est cette Eglise in fieri, c’est-à-dire en marche vers une Eglise dominée exclusivement par la hiérarchie de la sainteté. Elle est la manifestation du témoi­gnage au Christ de l’apostolat humain (dans des structures hié­rarchisées à tous les échelons du Peuple de Dieu) et de l’Esprit de Pentecôte, Epiphanie du Corps Mystique, structuré apostoliquement et animé spirituellement (CONGAR, Esquisse du mys­tère de l’Eglise, p. 129, etc.).

Encore une fois, fils très chers, essayons de comprendre et d’aimer l’Eglise.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

1° décembre

LE DIALOGUE DE L’AVENT

 

Chers Fils et Filles,

 

Le temps de l’Avent ramène le grand problème de notre ren­contre personnelle avec Dieu : c’est cela le problème religieux. Nous en connaissons tous la solution : c’est Noël, c’est le Christ, la foi, la vie catholique. Mais en réalité, chacun de nous a-t-il résolu ce problème ? Le résultat en est-il satisfaisant, vécu ? Nous ne répondrons pas maintenant à ces questions susceptibles d’éveil­ler notre inquiétude et nos doutes. L’Eglise, grande éducatrice des âmes, nous propose chaque année, en des termes toujours objectifs, les mêmes réflexions ; c’est son calendrier qui le veut ainsi, c’est le retour annuel de sa liturgie qui célèbre régulière­ment les mêmes fêtes et répète les mêmes thèmes doctrinaux et spirituels. « Répète » n’est pas le mot exact. Nous devons dire « renouvelle ». Imaginons une courbe qui, au lieu de se boucler sur elle-même, monte en spirale. C’est ainsi que la liturgie, telle une spirale, s’élève pour ces fidèles qui en accueillent la méthode pédagogique, toujours égale dans son programme et nouvelle dans sa recherche. Nous voulons dire par là que nous ne partici­pons pas de la même manière aux célébrations religieuses. Notre attitude et notre intérêt peuvent varier selon notre état d’âme. La façon de percevoir les « choses » religieuses change avec l’âge. « Lorsque j’étais enfant, écrit St. Paul, je parlais en enfant, je pen­sais en enfant, je raisonnais en enfant ; une fois devenu homme, j’ai fait disparaître ce qui était de l’enfant » (1 Co 13, 11). Avec l’âge, c’est aussi notre monde qui change, ce monde qui nous marque, ne cesse de débiter formes et mesures et nous accapare de plus en plus.

 

Le monde de l’expérience sensible

 

L’« extérieur » nous provoque et nous n’avons plus un ins­tant de paix. Ajoutons à cela l’effet néfaste de notre milieu de travail; journées laborieuses et souvent exténuantes qui altèrent notre état psychologique sans cesse soumis aux troubles exté­rieurs. Voir et écouter, tel est le slogan de cette civilisation dite de sons et d’images. L’écran de notre psychologie est sans cesse occupé par les sens. Ceux-ci fournissent à la pensée un matériel d’élaboration toujours nouveau ; ils l’aident de leurs voix et de leurs modèles. Ainsi notre vie tend à s’enfermer dans une sphère sensible où elle puise sa nourriture et s’épuise. L’homme devient naturaliste et positiviste sans qu’il s’en aperçoive. S’habituant à cette forme concrète de connaissance, il ne va pas chercher plus loin. C’est l’image de l’homme moderne. Sa formation et sa cul­ture sont à ce niveau : le monde de l’expérience sensible. Monter plus haut ? Oui, mais toujours par l’escalier des sens, celui des quantités si possible, puisque son usage est fréquent dans le domaine scientifique. La tentation vient et triomphe : tout s’arrête là. Réfléchir davantage ? Chercher la raison des choses ? Comment sont-elles et pourquoi ? Chercher la vérité ? Le fondement, la cause transcendante ? Chercher l’amour ? La finalité des choses ?

 

La voie qui monte

 

Voilà alors que l’homme hésite entre deux tendances oppo­sées : la première l’arrête : c’est la pesanteur, la crainte, la paresse surtout qui le poussent à se contenter de ce royaume de l’expé­rience et du sensible dont il a fait sa demeure naturelle. La seconde, plus naturelle encore, l’invite à monter : c’est la ten­dance à une recherche plus élevée, à un effort suprême.

C’est ici qu’entrent enjeu pensée et intelligence; comprendre le mouvement métaphysique de toute chose ; rien n’est stable ; aucune chose n’explique par elle-même sa nature et son sens, son origine et son but. Chaque chose, comprise dans ce qu’elle a de plus profond, ne se suffit pas. Elle renvoie à un principe, à une fin qui la dépassent. C’est une « voie », une montée. Elle est auréolée de mystère, un mystère, c’est-à-dire un royaume qu’on ignore mais qui, en fait, est bien connu de celui qui le franchit : c’est le mystère de Dieu, le mystère religieux. Ce voyage pénible et bienheureux qu’un instant suffit à entreprendre et que les années ne parviennent pas à achever, c’est la religion. Religion naturelle si nous y arrivons par nous-mêmes, puisque nous som­mes préparés à ce début de rencontre encore obscure. Religion surnaturelle si, à l’appel de l’homme qui cherche, du pèlerin as­soiffé, répond une voix vivante, infiniment vivante : « Je suis » ! La voix de Dieu qui vient de ce mystère un peu moins obscur; la voix qui ouvre le dialogue avec l’homme, le dialogue de la foi, de la supervie, le dialogue du Royaume de Dieu. Le dialogue de l’A vent, de la venue parmi nous et pour nous du Dieu vivant; le dialogue du Verbe qui s’est fait homme afin de parler aux hommes, communion ineffable et vivifiante.

 

Le silence qui écoute

 

Vous savez cela. Vous êtes tous « enseignés par Dieu » (docibiles Dei : Jn 6, 45). Mais afin que ces choses soient présentes à notre esprit et agissent dans notre vie, il faut le silence, condition indispensable. Autrement dit, pour réfléchir et comprendre, notre esprit doit être libre au moins un instant (in se reversus, Lc 16, 17).

Mettons-nous à l’écoute de l’écho tumultueux, puis apaisé, de notre conscience, de notre personnalité propre que l’on n’ex­plore jamais assez. Notre conscience se fait à son tour l’écho d’une autre voix, celle de la conscience religieuse, la voix de l’esprit de Dieu qui « enseigne toute vérité ».

C’est le premier exercice que nous proposons pour ce temps liturgique pour vivre en hommes, en chrétiens l’expérience quo­tidienne. Le silence qui écoute. Faites l’essai. Ecoutez attentivement. Quel est ce souffle prophétique qui, comme d’un désert sans fin, nous apporte ce message suggestif à peine murmuré : préparez la voie du Seigneur ? (Is 40, 3-5).

Hommes modernes, reconstruisons notre vie intérieure, pro­tégeons-la du tumulte extérieur et écoutons la voix de Dieu qui vient.

Avec  notre  Bénédiction  Apostolique.

 

 

 

15 décembre

LA PRESENCE DU CHRIST DANS LE MONDE CONTEMPORAIN

 

Chers Fils et Filles,

 

Frères, Fils, pèlerins, visiteurs, pour vous tous Noël approche. Noël qui porte la joie dans les cœurs. Mais en ces jours, nous ne saurions oublier les soucis qui hantent notre esprit. Pensons à la nouvelle guerre du Pakistan qui menace d’en dé­clencher d’autres bien plus graves encore, à la guerre du Moyen et de l’Extrême-Orient, apaisée en apparence, mais qui reste en éveil, aux tristes conditions de l’Irlande. Nous pourrions dire beaucoup de choses sur la paix dans le monde et par exemple sur le dernier synode des évêques. Nous vous demandons vive­ment de vous souvenir de tous ces problèmes dans vos prières. Mais aujourd’hui, au cours de cette brève audience, parlons de Noël qui se manifeste à tous sous le signe de la paix et de la joie.

Disons : sous le signe du Christ. Est-ce un sermon, vous de­manderez-vous ? Non, il s’agit plutôt d’une question que nous voulons vous poser : quel intérêt le monde porte-t-il au Christ ? Ceci nous rappelle Jésus s’adressant à ses disciples à Césarée de Philippe : « Au dire des gens qu’est le Fils de l’homme ? » (Mt 16, 13). La première réponse qui vient à l’esprit s’exprime ainsi : intérêt pour le Christ, aujourd’hui? Aucun. Et hélas ! pour beau­coup, c’est celle qui semble la plus vraie. Mais, après une courte réflexion, cette même réponse se transforme: le Christ suscite tout de même quelque intérêt. Il est évident qu’au sein de l’Eglise, cet intérêt est des plus vifs. L’Eglise n’est-elle pas la continua­tion historique, la personnification permanente du Christ ? N’est-elle pas son Corps Mystique ? « Nous sommes tous Un dans le Christ, nous sommes le Corps du Christ » (St. au­gustin, Enarr. In Ps 26 ; PL 36, 211), puisque Lui est la tête de ce corps qui est l’Eglise, à laquelle nous avons la chance d’appartenir. Réjouissons-nous d’être conscients de cette union qui existe entre le Christ et l’Eglise puisque de nos jours certains contestataires osent estimer que le Christ est un Etre à part et non la communauté, la tradition, la religion, le christianisme qui réclament de Lui leur principe propre. On ne peut concevoir l’Eglise sans son origine historique, authentique et vitale qu’elle tire du Christ, sans Sa présence dans l’Eglise qui se manifeste par Sa grâce, Son autorité pastorale et sacra­mentelle, Sa communion ecclésiale dont l’Eucharistie est l’expression la plus caractéristique et nous fait tous Un avec Lui et parmi nous (cf. 1 Co 10, 17). L’Eglise est la mémoire mystique et vi­vante du Christ; partout où se trouve l’Eglise, il existe une actua­lité palpitante du Christ (Mt 28, 20). Cette réalité historique et eschatologique de notre foi devrait suffire à nous faire aimer en même temps le Christ et l’Eglise.

Donc, le Christ a encore une place dans notre monde mo­derne qui bien souvent le nie et l’oublie. Cet intérêt se mani­feste d’une façon bizarre : les revues américaines ont reproduit des photos de jeunes « hippies » vêtus de tricots sur lesquels on lisait : « J’aime Jésus » (I love Jésus). Comment se fait-il ? Nous ne saurions l’expliquer; mais que d’attitudes de la jeunesse actuelle ne peuvent s’expliquer ! Et pourtant, elles se manifestent si ouvertement qu’elles finissent par créer une mode, un mimé­tisme qui, tout en ne déposant pas en faveur de l’autonomie des jeunes, constitue toutefois un fait et lance un slogan, un aphorisme qui se propage avec la rapidité d’une épidémie. Le moment du slogan Jésus, est-il donc venu ? Dans le monde contemporain d’autres signes marquent l’actualité du Christ, ne serait-ce que pour le nier : le cauchemar du Christ est toujours présent dans le monde de la culture. Il en résulte que les négations les plus fermes des milieux culturels dernier cri engendrent questions et réponses d’où le Christ, frappé à mort par la plus élégante des critiques, ressuscite plus réel et plus vivant que jamais. Toutes les thèses qui se dégagent du domaine extérieur à l’Eglise, là où se trouve le Christ vivant, ne sont pas tout à fait négatives. L’affirmation de Benedetto Croce garde toute sa valeur puisqu’elle est vraie : Nous ne pouvons nous dire chrétiens tant que notre esprit n’aura pas assimilé tout ce que le Christ nous a enseigné. Notre cher et inlassable Jean Guitton a écrit ré­cemment : «... Je me souviens que mon vieil ami Couchoud qui avait philosophé toute sa vie sur l’Evangile, me disait : J’admets tout le Credo sauf Sub Pontio Pilato. Il aurait accepté tous les dogmes à condition qu’ils soient tous révélés et sans aucun rapport avec l’histoire. Jésus n’avait pour lui aucune existence historique ». Cette affirmation nous fait douter de l’objecti­vité dépensée de l’illustre ami de Jean Guitton. Il est trop diffi­cile d’effacer le rôle de Pilate, réalité historique, dans la vie de Jésus. Jésus est présent parmi nous. Si nous tournons vers Lui notre regard, il nous éclaire ; il nous persécute si nous nous dé­tournons de Lui. Tout connaisseur de littérature contemporaine sait que le Christ ou son message se dégage toujours, comme mû par une logique inexorable, de la scène du monde qu’elle soit profane et même son ennemie. Pourquoi cette logique ? Pourquoi l’homme ressent-il ce besoin de rencontrer Jésus ? Peut-être parce que Jésus est présent à la fois sur deux voies : celle qui conduit à l’homme et celle qui conduit à Dieu. Il est, en effet, le Fils de l’Homme et le Fils de Dieu. Ainsi lorsque nous nous intéressons à l’homme, qu’il s’agisse de l’homo sapiens des savants et des philosophes, ou de l’homme malheureux, du pauvre, de l’enfant, du pécheur, nous cherchons toujours Jésus, l’homme vrai, l’homme type, l’homme bon, libre, notre Homme. Et Dieu veuille que nous sachions mettre en pratique la profonde vérité de Sa Parole, chez tout homme qui implore aide et salut. C’est moi, Jésus (Mt 25, 40). Et lorsque nous voudrons découvrir la Vérité Suprême qui enve­loppe et dépasse la sphère humaine et le domaine des connais­sances naturelles, lorsque nous voudrons percevoir la lumière éblouissante du visage de Dieu, nous devons nous arrêter sur cette image invisible de Dieu (Col 1, 15) et confesser la vérité de la Parole de Jésus « qui me voit, voit aussi mon Père » (Jn 14, 9).

Par conséquent, celui qui s’intéresse aux choses suprêmes, doit s’intéresser au Christ. Chaque intérêt de notre vie, temporel et extérieur, tourmenté et intérieur peut représenter la voie vers l’intérêt suprême, le Christ Seigneur.

Tout ce qui est droit, honnête, implorant, « en recherche », conduit à Jésus. Tout conduit à Noël.

C’est là notre souhait. Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

22 décembre

NOËL : EXHORTATION A LA RECHERCHE DE DIEU

 

Chers Fils et Filles,

 

Noël nous engage à la recherche de Dieu. Nous savons très bien qu’il s’agît là d’un problème complexe qui se pose toujours sous des formes nouvelles, même si on a tendance à le considérer désormais dépassé. Pourquoi ? Les réponses sont si nombreuses qu’elles laissent des doutes sur leur valeur. Dieu est mort, ose-t-on dire. Comment cela se fait-il ? on l’a écrit. Dit et écrit par d’autres ; qu’en pensez-vous ? Nous ne savons pas très bien mais... on peut s’en passer. Qui peut s’en passer ? Le monde, le cosmos, l’être des choses sont-ils une raison suffi­sante de leur existence ?

Il est tout à fait absurde de penser cela sans sombrer dans le panthéisme. On admet alors que le problème est insoluble et qu’il est par conséquent inutile dé se le poser. On finit par conclure que la folle déclaration sur la mort de Dieu se réfère non pas au monde dans lequel nous vivons et dont nous ignorons comment et pourquoi il existe, mais à notre esprit dans lequel la pensée de Dieu n’est plus. Nous, modernes, nous ne serions plus capables d’exercer notre intelligence sur cet Objet impos­sible à atteindre ; nous nous contentons de l’expérience sensible, aujourd’hui si favorisée par la technique des sons et des images et par le plaisir des sens et des sentiments. Nous nous conten­tons de la connaissance scientifique qui, de nos jours, envahit notre pensée et dont les applications en ont fait la dominatrice du monde. Cela vous suffit-il ? Oui, nous n’en demandons pas davantage ; telle est actuellement la réponse la plus commune.

Mais, nous, nous disons que ce n’est pas suffisant. Et pour soutenir cette conviction, nous avons le témoignage de ceux-là mêmes qui la réfutent. Le discours serait long et peut-être polé­mique mais il peut conduire à cette conclusion : l’athéisme, dans sa logique propre, doit parvenir à une nouvelle affirmation ou au moins à la recherche d’un Principe, immanent ou transcendant, mais être en soi et cause de soi, que nous devrons appeler à nou­veau, Dieu. C’est la nécessité intrinsèque de la rationalité qui exige que l’on dépasse cet arrêt de l’esprit. Cela est d’autant plus vrai que nous sommes convaincus que plus l’homme avance dans le progrès, l’expérience, la connaissance, l’usage des choses, plus il sera contraint de terminer son effort dans l’adoration. Car, de tout ce qui est conquis par cet effort, jaillit, impératif et doux, le besoin religieux. Plus les choses sont connues, plus elles parlent et « annoncent la gloire de Dieu » ; elles se déclarent d’elles-mêmes les effets d’une Cause supérieure, démontrent d’être les signes d’une Pensée dominante, nous rapprochent de l’Etre Suprême et Unique qui, selon la synthèse de St. Augustin est « la cause de l’existence, la raison de la connaissance et l’ordre de l’action » (cf. st. augustin, De Civ. Dei, VIII, 4 ; PL 41, 228). Dieu lui-même « a mis sa lumière dans nos cœurs pour nous montrer la grandeur de ses œuvres; nous louerons son Saint Nom racontant la grandeur de ses œuvres » (cf. Eccl 17, 8).

Victoire de Dieu ? Triomphe de la religion ? Attention : toute cette étude sublime et tourmentée, connaissance et amour, concerne la rationalité naturelle qui arrive à la certitude de l’existence de Dieu mais demeure encore nébuleuse, disons même ignorante quant à l’essence de Dieu (ST. thomas, Summa Contra Gent., 1, III). Dieu est mystère. Nous ne pouvons avoir de Lui qu’une notion indirecte ; nous le connaissons comme principe par le rapport que toute chose doit avoir avec Lui. Dieu en lui-même ne peut être l’objet d’une science purement naturelle. Ce fait peut expliquer pourquoi tant de penseurs reculent devant les conclusions insuffisantes de cette religion, construite avec les seules forces de la raison humaine. Parfois ils retombent dans le doute ou dans le scepticisme ou même dans la négation. La re­ligion devient alors pour les savants, les esprits rationnels, pour tant d’hommes de notre temps, un tourment, une inquiétude, un problème non résolu et marginal, plutôt qu’une paix de l’âme.

C’est le premier point dont nous voulions vous parler à l’appro­che de Noël. Il existe dans l’esprit humain une aspiration pro­fonde, une nostalgie mystique, une certaine disposition innée à comprendre Dieu davantage ; il existe un espoir de pouvoir l’atteindre. L’esprit humain a l’intuition que la plus petite goutte de la connaissance du Dieu vivant le remplirait d’une joie inef­fable. Les mystiques connaissent bien cette insomnie de l’âme humaine. Nous pourrions en citer quelques-uns : rappelons par exemple deux juifs, Bergson (Les deux sources) et Simone Weil (Attente de Dieu) ; et tous les hommes au cœur pur sont, dans un certain sens, mystiques, car comme le Christ l’a proclamé, ils sont appelés à « voir Dieu ». En ce Noël, nous devrions tous avoir le cœur pur, nous faire humbles et petits, afin de jouir du don tant soupiré et inattendu de la Révélation du Dieu fait Homme. Savoir attendre, savoir vouloir, savoir recevoir.

Nous arrivons au deuxième point qui nous tient à cœur. Oui, Dieu s’est révélé. Dieu s’est manifesté, Dieu est venu vivre et demeurer parmi nous. C’est là le prodige. C’est Noël. C’est la vie chrétienne, commencement et gage de notre union à la vie de Dieu. Depuis des siècles, tout au long de l’Ancien Testa­ment, Dieu avait commencé à chercher l’homme. Nous étions des chercheurs myopes et incapables « d’escalader » le Royaume de Dieu. Le Royaume de Dieu est venu avec le Christ à notre recherche, recherche universelle de l’humanité, recherche per­sonnelle de chacun de nous.

C’est Noël, soyons présents à cette rencontre.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

29 décembre

NOËL NOUS INVITE A CHERCHER DIEU

 

Chers Fils et Filles,

 

Nous sommes dans le temps liturgique qui prolonge la fête de Noël. Par conséquent, nous vous parlerons aujourd’hui encore de la Nativité.

Nous y sommes invités par le mystère de l’Incarnation qui, à Noël, manifeste son avènement, s’insère dans l’histoire, se situe dans un lieu déterminé de la terre, à Bethléem, foyer des prophéties messianiques, source de la tradition chrétienne qui s’est répandue dans le monde et est arrivée jusqu’à nous. Ajoutons à cela les richesses théologiques spirituelles, folkloriques qui font de cette fête de Noël l’une des plus belles et des plus solennelles de l’année.

Mais comprenons-nous réellement son sens doctrinal si com­plexe ? Après nous avoir ravis par là beauté de la scène évangélique où simplicité, pauvreté, poésie, terre et ciel, lumières et ténèbres se rencontrent, Noël nous pose de graves problèmes tant pour sa compréhension doctrinale que pour les bienfaits dont il comble tous ceux qui osent timidement s’en approcher, leur offrant même un motif de distraction : manifestations profanes qui définissent Noël dans les coutumes populaires et même mon­daines.

Au cours de cet entretien, notre intention n’est pas de donner une preuve d’érudition ou encore moins de vous apprendre quel­que chose de nouveau ou d’original. Nous voulons vous parler brièvement des trois aspects principaux de Noël qui peuvent être classés dans trois périodes de l’histoire de l’Eglise.

Pendant les trois premiers siècles du christianisme, — c’est la première période — Noël n’avait pas une célébration litur­gique propre, sa date variait et son seul but n’était pas d’exalter la naissance du Christ mais de remplacer la fête païenne du soleil (« soleil invincible » en l’honneur duquel l’Empereur Aurélien fit édifier à Rome un temple magnifique 274 a. J.C.) par celle du Christ, Soleil de l’humanité. Mais, assez rapidement, l’idée doctri­nale mise en valeur par la naissance du Christ est celle de Sa divinité ; c’est l’apparition du Fils de Dieu fait Homme qui attire l’attention. L’Eglise contemple le mystère de l’union hypostatique, c’est-à-dire de la double nature du Christ, divine et humaine, vivant dans l’Unique Personne du Verbe. Ainsi ont fait St. Jean Chrysostome, St. Augustin et St. Léon Le Grand. Noël est défini par une théophanie : Le Christ dans l’humilité c’est Dieu avec nous (cf. st. augustin, Sermones in Natale Domini ; PL 38, 995 ss. ; Humilis Deus, de cath. rud. IV ; PL 40, 366). Les paroles de tendresse pour l’Enfant Jésus ne manquent pas dans cette littérature magnifique, par exemple St. Ambroise s’exprime ainsi en commentant l’Evangile de St. Luc : « Me illius infantiae vagientis abluunt fletus, mea lacrymae illae delicta laverunt », les larmes de cet enfant en pleurs lavent mes fautes (PL 15, 1649). La célébration de Noël est fondée entièrement sur la divinité du Christ : le Concile de Nicée (325) affirme contre les Ariens, la divinité du Christ ; ceux de Constantinople (381), d’Ephèse (431) et de Chalcédoine (451) offrent le tableau théologique de la divinité (Dieu, Un et Trine), celui de la Maternité humaine et divine de la Vierge, celui de la christologie dans sa formule essentielle et complète. C’est la source principale de la liturgie de Noël.

La piété médiévale, sans rien ôter au contenu doctrinal est caractérisée par l’attraction envers l’humanité du Christ, de l’enfant Jésus ; cette théologie éclaire la personnalité humaine du Sau­veur, une affectivité plus grande caractérise Noël. La scène de la crèche éveille l’intérêt des fidèles. Déjà St. Jérôme, dans l’éloge funèbre de Paule, veuve romaine établie en Palestine, décrit la piété de la pèlerine qui visite Bethléem, entre dans la grotte de la Nativité « in specum Salvatoris », regarde avec les yeux de la foi « oculis fidei » et imagine « infantem pannis involutum, vagiantem in praesepi », l’enfant Jésus enveloppé dans ses langes qui vagit dans la crèche (Ep 108, 10 ; PL 22, 834 ; a. 404). Le modèle de la crèche déjà esquissé par St. Luc, s’impose. La crèche n’est pas un élément figuratif de la liturgie mais une représen­tation populaire qui manifestera toujours la foi, la piété, l’art et le sentiment du peuple chrétien et fera la joie des enfants, des pauvres, des humbles, des familles et des Saints.

Qui peut oublier que c’est dans la nuit de Noël 1223 à Greccio, que St. François a mis dans une grotte un bœuf, un âne, un peu d’avoine, composant ainsi la première crèche où il ne manquait que les personnages de l’Evangile. La messe a été célébrée près de la grotte (cf. tommaso da celano 1, 84-87). La dévotion à la crèche a des antécédents historiques importants : le Pape Sixte III, constructeur de Sainte Marie Majeure, dite Sancta Maria ad praesepe, en a reproduit une dans un oratoire et son successeur, Sixte V l’a faite transporter par Fontana dans la Chapelle du St. Sacrement où, du reste, elle se trouve encore. Il existe toute une tradition d’écrivains et de Saints séduits par l’enfance de Jésus et parmi eux St. Bernard (cf. Sermones ; PL 183, 87-152 ; 383, 398). Ce sentiment de cordialité à l’égard du Christ, de l’Enfant Jésus, caractérise notre piété actuelle. C’est bien. C’est un sentiment plein de sympathie, de familiarité, de poésie et cela fait honneur à l’humanité du Christ. Pensons à l’Enfant Jésus de Prague et ici, à Rome, à celui de l’Aracoeli.

La dévotion à l’enfance du Christ marque la troisième pé­riode, la nouvelle spiritualité qui se dégage du mystère de la crèche. Le Cardinal Pierre de Bérulle (1575-1629), grand maître spirituel, fidèle à son principe d’associer le dogme à la piété, mettra en valeur la dévotion au Verbe Incarné et fondera l’école spirituelle, enseignant ainsi à contempler « les états » de Notre Seigneur dans sa vie temporelle et éternelle, bien avant ses actions. L’un de ces premiers états est l’enfance qui dans l’âme chrétienne doit être le reflet de la contemplation et de l’assimila­tion de cet état de vie. Nous savons que « tous Ses jours et tous Ses moments sont adorables », mais désormais, la dévotion à l’Enfance de Jésus a trouvé chez Bérulle son promoteur. D’autres disciples l’ont suivi (cf. H. brémond, Histoire litt. du Sent. Rel., volume III).

Disons maintenant un mot de celle qui a su nous enseigner « l’esprit d’enfance », Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. L’en­fance spirituelle représente l’un des courants les plus vivants de la religiosité de notre temps. Il n’a rien de puéril ni d’affecté. Il s’exprime simplement, d’une manière innocente selon la pa­role paradoxale mais toujours divine de Jésus :  « Si vous ne devenez comme de petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux » (Mt 18, 3). Et Jésus a donné d’autres paroles d’apologie de l’enfance (Mt 11, 25 ; 18, 4 ; 19, 14 ; 25, 40). Le fondement évangélique de cette spiritualité ne saurait être plus autorisé et celle-ci se développe dans une humilité non seulement morale mais théologique et métaphysique, semblable à celle de la Vierge (Lc 1, 38-48) ; humilité de la sagesse qui a le sens de la transcendance de Dieu et de la dépendance absolue de la créature envers son Créateur; humilité d’autant plus justifiée que nous sommes une chose, puisque tout dépend de Dieu et que la com­paraison de toute chose avec l’Infini nous oblige à baisser la tête. Et cette école spirituelle unit la confiance à l’humilité car Dieu nous a donné d’innombrables signes de sa bonté et de son amour. Si Dieu veut être appelé Père, notre esprit doit se remplir de sens filial, d’une filiation, d’une enfance pleine de foi et d’aban­don. C’est l’enfance spirituelle qu’à l’Ecole de la Tradition, Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus résume ainsi : « C’est le chemin de la confiance et de l’abandon total ».

Retenons ces paroles comme fruits de Noël.

Nous avons contemplé le mystère de Noël, mystère de bonté et d’humanité. Nous déplorons d’autant plus les événements du monde qui en ces jours nous offre le triste spectacle de conflits irréductibles, de vengeances, de bombardements, de violence, comme si cela pouvait servir à préparer la paix.

Face à cette misère de l’humanité à tant de menaces de dépra­vation de la valeur des biens suprêmes, face à cette souffrance des populations innocentes, nous devons élever vers Dieu de nouvelles prières pour la concorde et la recherche de voies paci­fiques de réconciliation, sans jamais oublier la Loi du Christ « Bienheureux les doux car ils posséderont la terre » (Mt 5, 4).

Avec notre Bénédiction Apostolique.