L’ENSEIGNEMENT DE PAUL VI

1971

DISCOURS ET HOMÉLIES DU PAPE EN DIVERSES CIRCONSTANCES

 

9 janvier : LA MISSION SPIRITUELLE DE L’EGLISE DANS LE MONDE

28 janvier : LE TRIBUNAL DE LA ROTE REÇU PAR PAUL VI

20 février : COURAGE, ENTHOUSIASME ET ESPERANCE DANS LA MISSION DU SACERDOCE

12 mars : MESSAGE DE PAUL VI POUR LA JOURNEE DES VOCATIONS

15 mars : UN APOSTOLAT, UNE MISSION, UN ACTE DE FOI

18 mars : LE PHÉNOMÈNE DE SÉCULARISATION DANS SON RAPPORT AVEC L’ATHEISME

20 mars : DIALOGUE DANS LE RESPECT DES FONCTIONS, L’HUMILITE, L’ESPRIT DE SERVICE DE L’EGLISE ET DES HOMMES

9 avril : ALLOCUTION DU PAPE AU CHEMIN DE CROIX

11 avril : NOTRE FORCE ET NOTRE CERTITUDE: L’ESPERANCE

14 mai : LETTRE APOSTOLIQUE DE PAUL VI

16 mai : ACTUALITE DE LA DOCTRINE SOCIALE CATHOLIQUE POUR LA DEFENSE ET LA PROMOTION DE L’HOMME

23 mai : MESSAGE DU SOUVERAIN PONTIFE POUR LA JOURNEE MONDIALE DES COMMUNICATIONS SOCIALES

10 juin : VERTU REDEMPTRICE DE LA SOUFFRANCE

24 juin : RECEVANT LE SACRE COLLEGE, PAUL VI FAIT UN TOUR D’HORIZON DES PROBLÈMES ACTUELS DE L’EGLISE ET DU MONDE

25 juin : « LE PEUPLE DE DIEU EST UN PEUPLE MISSIONNAIRE »

27 juin : LETTRE APOSTOLIQUE ETABLISSANT DE NOUVELLES RÈGLES POUR LA COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE

1° octobre : « CONSTRUIRE L’ÉGLISE SUR LE FONDEMENT UNIQUE QU’EST LE CHRIST »

24 octobre : PRENDRE CONSCIENCE DU DEVOIR MISSIONNAIRE

6 novembre : UN SENS PROFOND DE COMMUNION DE FRATERNITE, DE LUMIÈRE ET DE PAIX

23 décembre : PAUL VI BROSSE UN PANORAMA DES PROBLÈMES DE L’EGLISE

25 décembre : PAUL VI RAPPELLE AU MONDE L’ACTUALITE DU MYSTERE DE NOËL

25 décembre : L’HOMELIE DE PAUL VI A LA MESSE DE MINUIT

1° janvier : MESSAGE DE PAUL VI POUR LA CÉLÉBRATION DE LA « JOURNEE MONDIALE DE LA PAIX »

 

 

DISCOURS ET HOMÉLIES DU PAPE EN DIVERSES CIRCONSTANCES

 

 

 

9 janvier

LA MISSION SPIRITUELLE DE L’EGLISE DANS LE MONDE

 

A l’occasion de la présentation des vœux du Corps Diplomatique pour la Nouvelle Année. 

 

Excellences et Chers Messieurs,

Nous sommes heureux de Nous retrouver au milieu de vous en ce début d’année nouvelle pour la cérémonie tradition­nelle des vœux, De tout cœur Nous remercions votre excellent interprète, Monsieur le Doyen du Corps Diplomatique, pour ses expressions si délicates à notre égard. A tous, à vos personnes comme à vos familles, Nous adressons nos meilleurs souhaits, pour que le Seigneur vous donne, au fil des jours et au long des mois, les joies familiales et professionnelles que vous pouvez légitimement espérer.

Cette rencontre annuelle Nous fournit l’occasion de réflé­chir avec vous à la signification de votre présence auprès de Nous. Certains auraient pu croire que la disparition du pouvoir temporel, voici un siècle, entraînerait, par le fait même, la dispari­tion d’un Corps diplomatique accrédité auprès du Saint-Siège. Il n’en est rien. Au contraire, les représentations diplomatiques auprès du Vatican n’ont cessé d’augmenter, soulignant ainsi qu’il s’agissait beaucoup moins de relations avec un Etat qu’avec ce centre du catholicisme qu’est le Saint-Siège. Chacun sait par ailleurs que l’existence du modeste Etat de la Cité du Vatican n’est que le support minimum nécessaire, comme le disait notre grand prédécesseur le pape Pie XI, à l’exercice d’une autorité spirituelle dont la parfaite indépendance est ainsi internationale­ment reconnue et garantie dans l’ordre qui lui est propre. Le Concile du reste a clairement précisé quels sont les rapports entre l’Eglise et l’Etat, dans sa Constitution pastorale Gaudium et Spes.  Il apparaît ainsi à tous que les rapports entre les Etats et le Saint-Siège, loin de contredire la mission spirituelle de celui-ci, sont destinés au contraire à la favoriser et à en faciliter l’accomplis­sement. L’originalité — la singularité, pourrions-Nous dire — de votre présence se manifestent en ce que l’existence d’un Corps diplomatique accrédité auprès du Saint-Siège n’entraîne pas de liens d’ordre temporel, ni de la part du Saint-Siège vis-à-vis des Etats, ni de la part des Etats vis-à-vis du Saint-Siège : ni charges, ni avantages matériels, soit d’ordre économique, ou commercial, ou militaire.

C’est d’un dialogue qu’il s’agit, d’une rencontre permanente et qualifiée, comme le disait si justement notre vénéré prédé­cesseur le pape Pie XII, en parlant du « rôle de la diplomatie : elle constitue une permanente rencontre de la grande famille des nations » (Discours au Corps Diplomatique, le 25 février 1946, dans Discorsi e Radiomessaggi, vol. VII, p, 403) ; une rencontre à un haut niveau : l’Eglise, à travers ces rapports de nature diplomatique, est à l’écoute des responsables officiels, et se fait entendre d’eux de la même manière dans les termes les plus adaptés et les plus authentiques.

Quels sont les thèmes de ce dialogue — outre les problèmes touchant la situation de l’Eglise dans les divers Etats et les fins de sa mission propre et de son service auprès des différents peu­ples — sinon les questions les plus importantes et les intérêts majeurs de l’humanité : par exemple les droits de la liberté reli­gieuse, qui sont ceux de Dieu et de la conscience : les droits de l’homme ; la conscience de l’ordre et du progrès international, la justice et spécialement la paix ?

Il faut le dire : les raisons profondes des interventions du Saint-Siège échappent parfois au regard d’observateurs super­ficiels, parce qu’elles relèvent de motivations spirituelles et morales et parce qu’elles ne se confondent avec aucune action d’ordre temporel. C’est pourquoi il arrive que de telles inter­ventions déconcertent ceux qui voudraient les interpréter en fonction d’une politique ou simplement les juger à l’aune des seuls intérêts nationaux.

Voix de la conscience humaine éclairée par  l’Evangile, le Saint-Siège ne dispose, à l’appui de ses interventions, ni de la force matérielle, ni des moyens habituels de persuasion. Sans autre souci que de rappeler inlassablement les exigences du bien commun, le respect de la personne humaine, la promotion des plus hautes valeurs spirituelles, son action entend être l’expres­sion fidèle de la mission de l’Eglise dans le monde.

Le Saint-Siège certes ne l’ignore pas : les difficultés sont innombrables sur ce chemin et les progrès ne peuvent se faire que par une transformation progressive des esprits et des cœurs. Et, si son action extérieure est plus apparente, elle ne saurait faire oublier pour autant le travail intérieur et quotidien de toute l’Eglise, de chaque chrétien, de chaque communauté chrétienne en dialogue incessant avec le monde. Le Saint-Siège — est-il besoin de le rappeler ? — n’est-il pas, sur le plan juridique inter­national, l’expression d’une communauté spirituelle vivante dont les membres sont engagés les uns et les autres dans le tissu même des nations ? Et les chrétiens, loin de se considérer comme à part dans le monde, sont tout les premiers, qu’ils soient gou­vernants ou gouvernés, et ce malgré les principes supérieurs qu’ils proclament au nom de leur divin fondateur et qu’ils s’effor­cent de mettre en œuvre, sujets à l’humaine faiblesse. Le Saint-Siège, quant à lui, à son niveau, est en contact avec les Etats : les moyens peuvent différer, la mission est la même, et Nous vous remercions, Excellences et chers Messieurs, de la sympathie attentive avec laquelle vous en êtes les témoins autorisés auprès de vos gouvernements respectifs, dans un souci partagé de service désintéressé et d’activé collaboration.

Aussi, nulle part, croyons-Nous, l’exercice de la diplomatie, qui a bien ses vicissitudes, ne peut-il être, de part et d’autre de ses interlocuteurs, plus étranger aux passions et aux intérêts temporels, et plus engagé pour le bien moral des peuples et le témoignage sincère et discret de l’Evangile. Les années où le service diplomatique vous conduit auprès du Saint-Siège sont, pensons-Nous, pour vous, un moment de travail serein et d’in­tense et profonde méditation : sur l’homme, sur la civilisation, sur l’histoire, sur la vie commune amicale des nations entre elles, sur les vrais principes de la civilisation et de la paix. Ici, c’est le droit des peuples qui domine toute la masse des traités et des politiques, des intérêts économiques et de prestige ; ici, c’est une école d’humanité, une école où l’Eglise est tout à la fois disciple et maîtresse (cf. Gaudium et Spes, 11, 3 ; 40, in fine), et où le Corps diplomatique peut entrevoir ce que serait le monde, s’il était gouverné par l’amour qui, dans l’Eglise, veut être le prin­cipe constitutif.

Cette société d’une nature toute particulière qu’est l’Eglise et que le diplomate est en condition d’observer de près, dans son centre — certainement avec indulgence pour les défauts humains, mais avec considération pour les principes qui l’inspirent — ra­mène constamment, croyons-Nous, à la conscience du diplo­mate, les principes idéaux, paradoxaux si l’on veut, qui devraient inspirer la politique idéale de l’humanité et la guider vers un progrès continuel dans la culture et les relations humaines, dans l’unité et la paix universelle. Si la diplomatie tend à préférer aux rapports de force et de pur intérêt égoïste ceux du droit, de la solidarité et de la paix, elle peut trouver, dans cette expression qui s’offre à sa méditation, l’initiation à sa forme meilleure et essentielle.

Ainsi Nous-même, du reste, chercherons-Nous à avoir une conscience plus claire de cette situation, qui Nous met en contact direct avec un Corps diplomatique comme le vôtre : c’est le monde, Nous dirons-Nous à Nous-même, voici les peuples, voici les Etats dans une attitude de dialogue positif ; et Nous n’aurons pas besoin de recourir au langage aulique des temps passés pour exprimer notre éloge et notre apologie en faveur de ce contact humain que Nous offre le Corps diplomatique : incom­parable par sa valeur représentative, extrêmement stimulant pour la recherche de rapports caractérisés par la vérité, la justice, l’estime et la confiance, et continûment tourné vers les principes les plus hauts de la fraternité humaine.

Nous sentirons aussi le besoin — bien plus, le devoir — de défendre votre mission des jugements superficiels de ceux qui se limitent à en regarder les livrées traditionnelles, ou à y voir un jeu, heureusement aujourd’hui passé de mode, de pure et déloyale astuce dans son exercice.

Plus encore, Nous Nous ferons l’obligation de protéger de l’autorité morale de notre voix, — désarmée certes mais expli­cite — l’exercice d’une si haute mission, des attentats criminels, qui se sont dernièrement si indignement répétés, contre l’intégrité et l’immunité des personnes qui sont revêtues du caractère diplomatique. Pour l’honneur et pour l’avenir de la civilisation moderne, de pareils forfaits ne devraient plus se répéter. Les normes sanctionnées par la Convention de La Havane, du 20 février 1928 (cf. société des nations, Recueil des traités et des engagements internationaux enregistrés par le Secrétariat de la Société des Nations, vol. LXXXVI, 1929, n. 1950, pp. 111-382, art. 1,2 et 5), et les décisions prises par les Conventions de Vienne du 18 avril 1961 et du 24 avril 1963 (cf. nations-unies, Recueil des traités, vol. 500 et 596) devraient encore avoir force de loi, non seulement pour les gouvernements, mais encore pour la conscience civile. Convaincu pour notre part de plaider la cause d’une des prérogatives les plus sacrées, les plus antiques, les plus universellement reconnues et les plus nécessaires au déroulement ordonné des relations internationales, Nous déplorons vivement les outrages portés, en ces derniers temps, contre l’inviolabilité personnelle des fonctionnaires diplomates, et Nous le déplorons d’autant plus que ces diplomates et leurs services étaient parfai­tement étrangers aux différends dont — par violente embûche de partisans — leurs personnes sont demeurées les victimes, devenant ainsi l’objet d’un chantage exécrable.

Maintenant, maiora canamus. Elevons notre pensée vers les finalités humaines si sages de votre mission, Messieurs les diplo­mates. Quant à Nous, à vous tous, Nous exprimons notre grati­tude pour la noblesse avec laquelle vous exercez les fonctions qui sont respectivement confiées à chacun d’entre vous. Et en même temps Nous vous présentons nos meilleurs vœux pour vos si dignes personnes et pour les pays que vous représentez. De tout cœur Nous accompagnons notre souhait mutuel d’heu­reuse année et de paix dans la justice de notre Bénédiction Apos­tolique.

 

 

 

28 janvier

LE TRIBUNAL DE LA ROTE REÇU PAR PAUL VI

 

A l’occasion de l’ouverture de l’année judiciaire.

 

Comme chaque année, l’inauguration solennelle de l’activité judiciaire du Tribunal de la S. Rote romaine nous offre la satisfaction d’en recevoir les dignes membres qui ont tant de mérites pour le Saint-Siège : Mgr le Doyen, que nous remercions pour sa noble adresse, le collège des prélats Auditeurs, les Offi­ciers du Tribunal et le Studio de la Rote. A tous nous adressons notre salut, nos éloges, nos encouragements.

Au début de votre année judiciaire vous vous attendez à notre parole : et nous-sommes heureux de réfléchir un instant avec vous sur quelques points que nous rappelle votre présence. D’une manière très simple d’ailleurs et sans aucune prétention docto­rale, même si les controverses actuelles relatives à ces points mériteraient quelques précisions doctrinales.

1. Tout d’abord, l’exercice de l’autorité : dans l’Eglise, avec les pouvoirs précis qui découlent de la volonté même du Christ, dans le cadre de cet amour évangélique par lequel toute mani­festation d’autorité est un engagement envers la volonté du Christ et une responsabilité de service dans la communauté. Effecti­vement, l’ordre de la charité veut que chacun aime son prochain — et tous sont le prochain, d’après le nouveau commandement de Jésus — ; c’est-à-dire que chacun « serve » les autres, soit utile aux autres. Les autres sont l’objet, non l’origine de l’auto­rité établie pour leur service, mais pas à leur service.

 

But du « service »

 

Certains, dans la communauté, ont un devoir et un droit de se rendre utiles aux autres sous des formes déterminées, pour des fins déterminées ; ils sont les « ministres » de la charité, de l’Evangile, de l’Eglise ; ils sont la hiérarchie. Le concept de l’autorité-service se réalise en elle dans la mesure et de la manière la plus complète ; et celle-ci, par un mandat qui vient de la cha­rité de Dieu, se fait charité humaine parce qu’elle est venue du Christ et de Dieu, et c’est pourquoi, par certaines opérations, elle revêt un caractère fonctionnel de supériorité sociale, et parce qu’elle se réalise toujours par le dévouement de soi dans un but et dans un esprit de service, avec un caractère d’exclusivité fondé sur l’appel divin (cf. He 5, 4).

La Constitution Lumen Gentium a bien fait ressortir ce ca­ractère de prééminence dans la richesse et la diversité des pouvoirs et des dons par lesquels l’unique Esprit orne son Eglise : « Parmi ces dons, a dit le Concile Vatican II (cf. Lumen Gentium, 7), la grâce accordée aux Apôtres tient la première place : l’Esprit lui-même soumet à leur autorité jusqu’aux bénéficiaires des cha­rismes (cf. 1 Co 14). Le même Esprit, qui est par lui-même principe d’unité dans le corps où s’exerce sa vertu et où il réalise la connexion intérieure des membres, produit et stimule la cha­rité entre les fidèles ». Même l’ensemble des lois établies par l’autorité de l’Eglise rentre donc dans cette perspective du bien suprême de la société ecclésiale et de ses membres, parce que tout part-de la conception de l’Eglise et du principe — Dieu — et de la fin — le prochain — de l’autorité qui la régit.

Cette conception a été examinée et approfondie par le Concile qui a mis en lumière le caractère mystique de l’Eglise (aspect charismatique) et son aspect visible, l’un et l’autre hiérarchique et communautaire, en accentuant le but de « service » de l’auto­rité de l’Eglise, autorité dont, par ailleurs, il a déclaré les ca­ractères particuliers et irremplaçables, lorsqu’il a dit : « Chargés des Eglises particulières comme vicaires et légats du Christ, les évêques les dirigent par leurs conseils, leurs encouragements, leurs exemples, mais aussi par leur autorité et par l’exercice du pouvoir sacré... Ce pouvoir qu’ils exercent personnellement au nom du Christ est un pouvoir propre, ordinaire et immédiat : il est soumis cependant dans son exercice à la régulation dernière de l’autorité suprême de l’Eglise et, en considération de l’utilité de l’Eglise ou des fidèles, il peut être, par cette autorité, resserré en certaines limites. En vertu de ce pouvoir, les évêques ont le droit sacré, et devant Dieu le devoir, de porter des lois pour leurs sujets, de rendre les jugements et de régler tout ce qui concerne l’ordre du culte et de l’apostolat... Quant aux fidèles, ils doivent s’attacher à leur évêque comme l’Eglise à Jésus-Christ et comme Jésus-Christ à son Père, afin que toutes choses conspirent dans l’unité et soient fécondes pour la gloire de Dieu » (Lumen Gentium, 27).

Il est bien vrai que, de la part de certains, s’est tellement accentué le caractère de « service » de l’autorité de l’Eglise, qu’il peut y avoir deux conséquences dangereuses dans la conception de la constitution de l’Eglise elle-même : celle de donner une priorité à la communauté en lui reconnaissant des pouvoirs cha­rismatiques efficaces et propres, et celle de négliger l’aspect du pouvoir dans l’Eglise, avec un discrédit accentué des fonctions canoniques dans la société ecclésiale ; de là a découlé l’opinion d’une liberté sans discernement, d’un pluralisme autonome, et une accusation de « juridisme » faite à la tradition et à la pratique normative de la hiérarchie.

 

Transmission du pouvoir du Christ aux Apôtres

 

Devant ces interprétations qui ne correspondent pas fonda­mentalement à la pensée du Christ et de l’Eglise, nous voudrions encore aujourd’hui rappeler que l’autorité, c’est-à-dire le pouvoir de coordonner les moyens aptes à atteindre la fin de la société ecclésiale n’est pas contraire à l’effusion de l’Esprit dans le Peuple de Dieu, mais en est bien le véhicule et la garde. Cette autorité a été attribuée à Pierre et aux Apôtres comme à leurs succes­seurs légitimes par le Christ lui-même : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc, de toutes les nations faites des disciples... leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit » (Mt 28, 18-19) ; « Tout ce que vous lierez sur la terre sera tenu au ciel pour lié, et tout ce que vous délierez sur la terre sera tenu au ciel pour délié » (Mt 18, 18) ; « Qui vous écoute m’écoute, qui vous rejette me rejette et qui me rejette rejette Celui qui m’a envoyé » (Lc 10, 16). Ensuite, l’office de lier et de délier a été donné à Pierre personnellement (Mt 16, 19 ; et cf. Mt 18, 18 ; Jn 20, 23) tandis qu’il était constitué la « pierre » de l’édifice ecclésial (Mt 16, 18), c’est-à-dire le « principe et le fondement de l’unité » (Lumen Gentium, 23) et déclaré le Pasteur par excellence de l’Eglise (Jn 16-17). Les propositions de notre humble catéchisme sont toujours vraies et solennelles : il y a une transmission de pouvoir du Christ aux Apôtres avec Pierre comme chef, et des Apôtres aux évêques leurs successeurs avec comme chef l’évêque de Rome, successeur de Pierre ; transmis­sion de pouvoir que, comme nous l’avons vu, le Concile Va­tican II résume dans le droit et le pouvoir devant le Seigneur de « faire des lois, de juger et de régir » ce qui concerne le culte et l’apostolat (loc. cit.). En plus des fonctions de ministerium et de magisterium, le Concile a donc considéré sur un plan délica­tement pastoral, en en donnant les fondements dogmatiques, le triple pouvoir de juridiction et de gouvernement (regimen) que les évêques ont le droit et le devoir, comme nous disions, d’exercer, c’est-à-dire le pouvoir législatif, judiciaire et coercitif (cf. Encycl. Immortale Dei de Léon XIII, 1885, in Acta Sanctae Sedis, 18, p. 165).

2. Arrêtons-nous un instant sur le pouvoir judiciaire qui, pour le moment, nous intéresse davantage, c’est-à-dire sur celui qui met fin aux causes qui ont surgi entre les fidèles ou qui juge un fait qu’on prétend être contre la loi, et ceci dans le but d’y porter remède. Ce pouvoir est tellement lié à celui de faire des lois que, sans lui, le pouvoir législatif n’aurait plus sa force. En effet, c’est en vain qu’on aurait attribué au supérieur l’auto­rité de dicter des lois s’il n’y avait pas ensuite le pouvoir de les faire observer et même, quand il le faut, d’en punir la transgres­sion ou de résoudre les litiges et les controverses dans lesquels il s’agit de définir équitablement le droit. L’autorité législative qui n’aurait pas aussi le pouvoir exécutif et judiciaire serait inutile au point de vue social, n’ayant pas le moyen d’agir pour elle-même et de pourvoir à sa propre stabilité, c’est-à-dire à l’efficacité de l’ordre pour le bien commun, contre l’arbitraire, le despotisme et la violence qui, autrement, sont inévitables (cf. can. 2214).

 

Unité du triple pouvoir

 

Eh bien ! on ne peut refuser à l’Eglise, dotée par une insti­tution divine d’un vrai pouvoir particulier de juridiction, ce qui doit être accordé à toute société bien organisée, même si elle ne ressemble que d’une manière analogique à une société d’ori­gine humaine. L’idée reste substantiellement valable, même si dans la société civile les trois pouvoirs sont exercés par des orga­nismes distincts et si la magistrature, à laquelle est attribué le pouvoir judiciaire, jouit d’une indépendance particulière par rapport aux autres organismes.

Dans l’Eglise l’unité du triple pouvoir est sauvegardée par les personnes auxquelles le Christ l’a confié (le Pape et les évêques) : son exercice est cependant confié ordinairement à des personnes ou à des organismes divers (par exemple les S. Con­grégations, Tribunaux ; Vicaire général, Officialité).

3. Saint Paul, qui est exalté par certains comme le partisan des charismes contre l’institutionnalisme dans l’Eglise, nous donne des exemples évidents de l’exercice du pouvoir judiciaire et coercitif. En principe saint Paul réserve le pouvoir de juger aux « saints », c’est-à-dire à ceux qui appartenaient à la communauté chrétienne, d’autant plus que c’est à eux qu’il revient de juger le monde (cf. 1 Co 6) ; mais, de son côté, saint Paul exerce avec force le devoir de juger et de punir. Nous ne voulons pas rappeler ici les paroles par lesquelles il juge et condamne un fidèle de Corinthe coupable d’inceste (cf. 1 Co 5). Il suffit ensuite de lire la deuxième lettre aux Corinthiens et celle aux Galates qui fut écrite aussitôt après, pour comprendre comment l’apôtre des gentils, le chantre inspiré de la charité (cf. 1 Co 13), exerçait le pouvoir qu’il sentait que le Christ lui avait donné.

On pourrait multiplier les exemples. Mais il vaut la peine de voir comment l’apôtre Paul exerçait son pouvoir de jugement en ce qui concerne les charismes et les charismatiques. Il est bien vrai que l’Esprit est pleinement libre dans son action et saint Paul, en prenant position contre les Thessaloniciens, recommande de ne pas éteindre l’Esprit (cf. 1 Th 5, 19). Mais il est vrai aussi que les charismes sont pour l’utilité de la communauté, que tous n’ont pas les mêmes charismes et que, en raison de la faiblesse humaine, les charismes peuvent être confondus avec les idées et les penchants personnels qui ne sont pas toujours bien ordon­nés. Il est donc nécessaire de juger et de distinguer les charismes pour en contrôler l’authenticité, pour les coordonner avec des critères déduits de la doctrine du Seigneur et d’après l’ordre qui doit être observé dans la communauté ecclésiale. Cette tâche appartient à la hiérarchie sacrée, constituée elle aussi par un charisme particulier, si bien que saint Paul ne reconnaît comme valable aucun charisme qui n’obéit pas à sa charge apostolique (cf. 1 Co 4, 21 ; 12, 4 et suiv. ; Ga 1, 8 ; Co 2, 1-23).

4. Il faut distinguer le pouvoir judiciaire de la manière de l’exercer. Il est évident qu’étant donné la nature particulière de la communauté ecclésiale, la manière d’exercer en elle un tel pouvoir est différente sous de nombreux aspects de celle dont elle est exercée dans la société civile. Les simples remarques suivantes seront utiles à ce sujet :

a) On ne peut nier que l’Eglise, au cours de son histoire, ait pris à d’autres cultures, et pour citer un exemple connu de tous, mais qui n’est pas le seul, au droit romain, quelques règles, même pour l’exercice de son pouvoir judiciaire.

 

Vers la réforme du code de droit canonique

 

Il est vrai, malheureusement, que l’Eglise a pris des législa­tions civiles, dans les siècles passés, de graves imperfections et même de vraies et propres méthodes injustes, au moins « objecti­vement », dans l’exercice du pouvoir soit judiciaire (pour les procès), soit coercitif (pour les peines) (cf. journet, L’Eglise, 1, p. 331 et suiv. ; J. maritain, De l’Eglise du Christ. La per­sonne de l’Eglise et son personnel, 1970, p. 237 et suiv.). Tandis qu’il faut se réjouir du grand progrès qui a été fait à ce sujet en matière de sensibilité et de méthode, il faut reconnaître que l’Eglise — pour ce qui concerne le droit de Rome — a bien fait de s’en inspirer lorsque ce jus s’imposait par la sagesse, par l’équilibre et par une juste appréciation des choses humaines, découvrant dans le corps de l’ancien droit civil positif plus que la volonté d’un habile législateur, cette recta ratio naturae congruens (cf. cicéron, De Rep., III, 22) qui donne à la loi le prestige de la rationalité juste et humaine. Et il ne faut pas oublier que les règles mêmes du droit romain et civil ont subi au cours du temps de profondes modifications, non seu­lement sous l’influence d’autres cultures et d’autres législations mais aussi et peut-être surtout par l’animation qu’en faisait la doctrine chrétienne en vertu de ce phénomène très intéressant du droit commun qui a eu ensuite une si grande influence dans les législations successives canoniques et civiles, jusqu’aux codes des temps modernes, dans la formulation des droits de l’homme proclamés aujourd’hui universellement. Il ne faut donc pas s’étonner que les codificateurs du premier code canonique se soient inspirés d’une certaine manière, même dans la partie qui concerne les jugements, de la sagesse du droit antique et profane.

b) Les principes directeurs de la nouvelle codification ca­nonique, approuvés par la première assemblée générale du Sy­node des évêques, donnent une orientation sûre, même pour la révision du droit concernant les procès et les peines, recomman­dant un style plus conforme à l’esprit pastoral du Concile Va­tican II. La Commission pour la réforme du code travaille dans ce sens et nous pouvons dire qu’une grande partie du travail dans ce secteur est déjà faite dans les groupes d’étude. Les sché­mas déjà préparés prévoient, en plus d’un assouplissement du procès canonique, une sauvegarde plus manifeste des droits personnels des fidèles.

c) Dans le jugement canonique il y a certainement à suivre un sain formalisme juridique : autrement ce serait le règne de l’arbitraire avec un très grave dommage pour les intérêts des âmes ; mais le jugement dépend aussi et surtout de l’appréciation équilibrée des preuves et des indices faite par le juge dont la conscience est particulièrement engagée. Le juge ecclésiastique est par essence cette quaedam justitia animata dont parle saint Thomas, citant Aristote (II-IIae, 60, 1) ; il doit donc entendre et accomplir sa mission avec un esprit sacerdotal, acquérant en même temps avec la science juridique, théologique, maîtrise de soi, avec une étude réfléchie pour croître dans la vertu, de sorte qu’il n’éclipse pas éventuellement par l’écran d’une per­sonnalité défectueuse et déformée les rayons supérieurs de la justice dont le Seigneur lui fait don par un bon exercice de son ministère. Il sera ainsi, même dans la prononciation d’un juge­ment, un prêtre et un pasteur d’âmes, solum Deum prae oculis habens.

 

La figure du juge ecclésiastique

 

Le style pastoral, le souffle de la charité, l’esprit de compré­hension visent précisément à cela. Non pas la loi pour la loi, donc, ni le jugement pour le jugement, mais la loi et le jugement au service de la vérité, de la justice, de la patience et de la charité, vertus qui forment l’essence de l’Evangile et qui doivent ca­ractériser plus que jamais la figure du juge ecclésiastique.

Par ces observations élémentaires nous avons entendu réaffir­mer et honorer en cette heureuse circonstance qui nous offre l’occasion de saluer, à la reprise annuelle de son activité, le tribunal sacré de la Rote romaine et tous les autres tribunaux ecclé­siastiques qui accomplissent une mission analogue, la fonction judiciaire de l’Eglise catholique, et nous en avons tracé, presque sans nous en apercevoir, le processus d’évolution, en attribuant la source à la nature et aux origines de l’Eglise elle-même, établie par le Christ comme société humaine et visible, organiquement structurée, comme un corps animé par l’Esprit-Saint et ayant le Christ pour chef, en voie d’accomplir, comme dit saint Paul, « sa croissance en se construisant lui-même dans la charité » (Ep 4, 16), et en identifiant le point d’arrivée historique pour le moment présent post-conciliaire, dans le sens pastoral qui doit informer plus profondément l’exercice de la fonction judiciaire elle-même. Ainsi s’ouvrirait devant notre regard, tel un présage augurai, la vision de l’administration de la justice ecclésiastique, pénétrée par ce style pastoral, caractérisé par des exigences inti­mes et impossibles à omettre de l’ordre, mais en même temps par cette découverte progressive de la dignité de la personne humaine à laquelle l’Eglise, mère et maîtresse, nous conduit aujourd’hui et à laquelle elle a consacré elle-même la désormais célèbre Constitution du récent Concile Gaudium et Spes, dite justement « pastorale parce que, sur la base des principes doctri­naux, elle entend exposer l’attitude de l’Eglise par rapport au monde et aux hommes d’aujourd’hui » (Ibid., note du début).

Mais nous ne porterons pas notre regard sur l’avenir, heureux comme nous le sommes de l’arrêter aujourd’hui sur le présent. Les paroles qui viennent d’être prononcées par le vénéré doyen de la Sacrée Rote romaine nous obligent et par conséquent nous autorisent à le féliciter et avec lui les habiles et zélés Auditeurs et Officiers du même tribunal sacré. Nous le savons en effet, et nous le voyons s’acquitter de son devoir avec la haute conscience de ses droits et de ses devoirs, avec une intégrité absolue dans l’interprétation et l’application de la loi canonique, avec la sage compréhension des nécessités de l’Eglise et des hommes d’aujourd’hui, avec le désintéressement limpide dans l’offre de ses ser­vices, et même avec une large sollicitude afin que soit accessible à tous, aux moins aisés aussi bien qu’à n’importe quel autre, le suffrage de la justice. C’est là, en plus d’une juste observation des règles judiciaires propres à l’Eglise, un témoignage exem­plaire de sa lumineuse tradition romaine et de la conscience de sa présente vocation de fidélité au Christ et à l’Esprit qui, de Lui, doit couler dans les membres de son Corps mystique.

Voilà, vénérés et doctes prélats, ce que nous avons voulu vous communiquer, avec la simplicité des réflexions, en cette circonstance qui nous est si agréable. Nous ne doutons pas que vous continuerez dans votre action au service de l’Eglise, avec cette conscience de haute responsabilité et de total dévouement qui doivent distinguer les fidèles collaborateurs du Pape et du Saint-Siège que vous êtes. Nous appelons sur vous les dons du Saint-Esprit que vous avez prié ce matin avec ferveur et, en gage de sa continuelle assistance, nous vous accordons de tout cœur notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

20 février

COURAGE, ENTHOUSIASME ET ESPERANCE DANS LA MISSION DU SACERDOCE

 

Dans la chapelle du Grand Séminaire de Rome au Clergé.

 

Vénérés Frères et Fils très chers,

 

Venir dans ce Séminaire Romain et y rencontrer notre Cardinal Vicaire, entouré de ses Vice-gérants, de ses évêques auxi­liaires et des délégués des ministères spéciaux, y trouver des prêtres du diocèse de Rome, spécialement ceux qui ont des charges de curés, de vice-curés dans le soin pastoral, avec leurs prédi­cateurs de Carême, et d’autres prêtres zélés du clergé séculier et religieux, m’y voir entouré des supérieurs et des élèves du séminaire auxquels je dois l’invitation, pour accomplir cette visite le jour béni que cet institut consacre à cette fervente dé­votion de « Notre-Dame de la confiance », sa protectrice, titulaire de cette chapelle, c’est pour moi, votre évêque, un moment très cher, un moment important, significatif et émouvant. Ici, je m’aperçois que je suis à la place et dans la fonction qui précisé­ment me qualifient comme votre Pasteur, responsable du sort religieux de ce diocèse très vénéré, placé au centre de l’Eglise catholique et choisi comme emplacement historique et opéra­tionnel du Siège Apostolique. Ici, je me sens au point central de la communion chrétienne, ici, dans le cénacle de cette « ecclesiae dilectae et illuminatae..., quae et praesidet in loco chori Romanorum, digna Deo, digna decentia, digna beatitudine, digna laude, digne ordinata, digne casta et praesidens in caritate... » (St. ignace d’antioche, Prologue de la Lettre aux Romains), de cette Eglise confiée au successeur de Pierre ; et par conséquent ici, dans le lien le plus plein et le plus fort de mon affection pour vous, dans l’obligation et le besoin d’être votre Père dans le Christ, votre Maître, votre Pasteur, votre Frère, votre compagnon, votre ami, votre serviteur. Ici, notre conver­sation voudrait s’épancher spontanément et tranquillement ; ici, il me plairait de vous écouter et de vous parler avec un accent familial ; ici, vous comprendre et me faire comprendre, vous réconforter et être réconforté moi-même ; ici, parler avec vous du Christ, pour la gloire du Père, dans l’Esprit de vérité ; ici, parler à vos âmes de vos âmes et des nombreux problèmes spi­rituels et pastoraux de ce temps, et particulièrement de cette Ville où toute question du royaume de Dieu acquiert une grande importance et un sens extraordinaire.

Sachez au moins dans quel esprit je suis au milieu de vous.

Mais, pour ce bref entretien, nous devons nous limiter au choix d’un seul point parmi tous ceux qui pressent notre cœur. Et lequel ? Il se présente de lui-même comme un sujet obligatoire aujourd’hui : celui qui est appelé « l’identité propre du prêtre ». C’est un sujet qui vous préoccupe certainement vous, élèves du séminaire, tendus vers la définition de votre avenir, et sujet qui peut se manifester comme un ange de lumière ou comme un spectre nocturne, dans votre conscience à vous, prêtres, dans un acte réfléchi sur votre passé, ou encore sur l’expérience de votre présent. Voici : Qui est le prêtre ? La demande, d’abord naïve et élémentaire, s’alourdit de doutes profonds et gênants : est-ce que l’existence d’un sacerdoce est vraiment justifiée dans l’économie du Nouveau Testament ? quand nous savons que le sacerdoce lévitique est fini et que seul celui du Christ remplit la fonction médiatrice entre Dieu et les hommes et que ceux-ci, élevés au niveau de « genus electum » (1 P 2, 9), sont revêtus d’un sacerdoce qui leur est propre, qui les autorise à adorer le Père « en esprit et en vérité » (Jn 4, 24). Et ensuite, ce processus irrésistible de désacralisation, de sécularisation, qui envahit et transforme le monde moderne, quelle place, quelle raison d’être laisse-t-il au prêtre dans la société, tout entière orientée vers des buts temporels et immanents, au prêtre tourné vers des buts transcendants, eschatologiques et si étrangers à l’expérience propre de l’homme profane ? Le doute harcèle : l’existence d’un sacerdoce est-elle justifiée dans l’intention originelle du christia­nisme ? d’un sacerdoce tel qu’il est fixé dans le profil canonique ? Le doute se fait critique sous d’autres aspects psychologiques et sociologiques : est-il possible ? est-il utile ? peut-il encore galvaniser une vocation lyrique et héroïque ? peut-il encore constituer un genre de vie qui ne soit pas aliéné ou frustré ? Les jeunes comprennent par intuition cette problématique agressive et beaucoup en restent découragés, que de vocations éteintes par ce vent sinistre ! et ils la sentent parfois comme un tourment intérieur, bouleversant même ceux qui sont déjà engagés dans le sacerdoce ; et pour certains elle devient peur qui se fait coura­geuse en quelques-uns, hélas ! seulement pour la fuite, pour la défection : Tune discipuli... relicto Eo, fugerunt ; l’heure de Gethsémani (Mt 26, 56).

On parle de crise du sacerdoce. Le fait que vous soyez ras­semblés ici dit tout de suite qu’elle n’a pas eu prise sur vos âmes : grande chance ! grande grâce ! Cela n’exclut pas que vous aussi vous vous aperceviez du danger, que vous en sentiez la poussée, que vous désiriez une défense. Je voudrais que cette visite agisse sur vous comme une confirmation intérieure et joyeuse de votre choix. C’est pour cela que je suis venu aujourd’hui. Rien n’est actuellement plus nécessaire pour notre clergé que la reprise d’une conscience ferme et confiante de votre vocation personnelle. On pourrait appliquer à la situation présente les paroles de saint Paul : Vedite... vocationem vestram, fratres (1 Co 1, 26). Je ne me perdrai pas en analyses et en discussions. Vous savez que sur ce sujet il existe maintenant une ample littérature. Aux livres qui détruisent la sécurité qui rend sûr le sacerdoce catho­lique, répondent aujourd’hui des livres qui non seulement ren­forcent cette sécurité, mais qui la confirment par de nouveaux arguments, parmi lesquels le plus valable de tous est celui d’une foi plus éclairée et plus convaincue, d’où la vie du prêtre tire une source inépuisable de lumière, de courage, d’enthousiasme et d’espérance. Et vous savez que l’Eglise, en ce moment, s’occupe à un niveau élevé, dans les études théologiques, dans les docu­ments du Magistère (nous citerons par exemple la lettre de l’épiscopat allemand sur l’office sacerdotal) et s’occupera dans le prochain synode des évêques de la vérification doctrinale et canonique de sa propre structure sacerdotale.

Je voudrais maintenant vous dire seulement deux choses. La première : n’ayez pas peur de cette problématique sur le sa­cerdoce. Elle peut être providentielle si vraiment nous savons en tirer un stimulant pour renouveler la conception authentique et l’exercice mis à jour de notre sacerdoce ; mais malheureuse­ment elle peut aussi devenir ruineuse si elle attribue une valeur plus grande qu’ils ne méritent à des lieux communs, vulgarisés aujourd’hui avec une grande facilité sur la crise du sacerdoce, qu’on voudrait fatale, soit à cause de la nouveauté des études bibliques tendancieuses, soit à cause de l’autorité des phéno­mènes sociologiques étudiés par le moyen d’enquêtes statisti­ques ou par l’observation des phénomènes psychologiques et moraux. Données très intéressantes si vous voulez, qui méritent une sérieuse considération dans des groupes compétents et responsables, mais jamais telles qu’elles puissent bouleverser notre conception sur ce qu’est le sacerdoce, pourvu que celle-ci coïncide avec son authenticité, telle que la parole du Christ et la tradition éprouvée de l’Eglise la livrent intacte et même, après le Concile, approfondie à notre génération. Cette authenticité se soutient, comme vous le savez, même en face du monde areligieux moderne qui, justement parce qu’il est tel, et parce qu’il a fait d’énormes progrès dans l’exploration et dans la conquête des choses accessibles à notre expérience, s’aperçoit et s’apercevra encore plus du mystère de l’univers qui l’entoure et de l’illusion de sa propre autosuffisance exposée au danger d’être asservie et desséchée par son développement même et par son effort exaspérant pour arriver à l’ultime vérité et à la vie qui ne meurt pas. Dans un monde comme le nôtre, il n’a pas été annulé, il s’est accru le besoin de celui qui accomplit une mission de vérité transcendante, de bonté motivée supérieurement, de salut eschatologique, le besoin du Christ. Et ne désespérons pas de la jeu­nesse de notre temps, comme si elle était allergique et réfractaire à la vocation plus audacieuse et plus engagée, celle du royaume de Dieu. Prions, agissons et espérons : potens est Deus de lapidibus istis suscitare filios Abrahae (Le 3, 8).

Nous avons confiance en vous, jeunes élèves de l’école de l’Eglise et en vous, nos frères dans le sacerdoce et nos collabo­rateurs dans le ministère, nous avons confiance que vous saurez déduire de la sagesse toujours vraie de la foi catholique les forces vives et les formes nouvelles pour reprendre la conversation avec le monde moderne : le Concile vous offre son volume que vous ne garderez pas en vain. Et vous tous fils et frères, ayez confiance en votre évêque ! il n’a rien à vous promettre de tout ce qui peut rendre la vie attrayante pour qui aime cette vie ; mais pour qui aime le Christ, pour qui aime l’Eglise, pour qui aime les frères, il offre ce qui réconforte cet amour : la foi, le sacrifice, le service ; bref, la croix et, avec elle, la force, la joie et la paix ; et puis l’hori­zon eschatologique des espérances éternelles. Et tout cela uni ensemble dans la recomposition de ce presbytérium romain, de cette communauté ecclésiale qui nous donne la préoccupation et le présage de réaliser dans une continuelle et patiente tension la prière testamentaire de Jésus : que tous soient un (Jn 17, 21). La seconde chose à vous dire est celle qui retentit toujours dans cette salle, de piété préparatoire au sacerdoce : Maria, mater mea, fiducia mea. C’est la fête de Notre-Dame, si vénérée ici, qui nous réunit maintenant et qui, sans aucun artifice de dévotion ou de convention, met en lumière la conversatio, c’est-à-dire la relation, l’intimité, disons simplement le dialogue qui doit exister entre tout ecclésiastique, qu’il soit élève, diacre ou prêtre et la Vierge Mère de Dieu. La fête familiale de ce séminaire reporte la pensée de notre anxieuse controverse et de notre confiante apologie à celle de Marie, Mère du Christ. Ce n’est pas que nous puissions attribuer à Notre Dame les prérogatives du sacerdoce, ni au sa­cerdoce celles qui sont propres à Notre Dame, mais il y a des analogies et des rapports entre la somme ineffable des charismes propres à Marie et à l’office sacerdotal dont nous ferons toujours bien d’étudier la correspondance et d’en profiter. Et de cette harmonie qui peut édifier notre formation, toujours en voie de perfectionnement : donec formetur Christus in vobis (Ga 4, 19) et notre expérience sacerdotale. C’est cette harmonie qui avant tout nous transporte par voie existentielle, presque par enchan­tement, dans le cadre évangélique où a vécu Notre Dame et par elle Jésus: elle est pour nous tout de suite maîtresse de ce retour aux sources scripturaires dont on parle tant aujourd’hui et qui éveille aussitôt en nous cette vie profonde, cette activité très personnelle qu’est notre conscience intérieure, la réflexion, la méditation, la prière. Nous devons penser et modeler notre exis­tence d’une manière réduplicative : nous ne pouvons pas avoir une action extérieure, pour bonne qu’elle soit, de ministère, de parole, de charité, d’apostolat vraiment sacerdotale, si elle ne naît pas de sa source et de son débit intérieur et n’y retourne pas. La recherche de Marie nous éduque à cet acte de réflexion indispensable à un double titre; parce qu’il nous conduit à l’évangile qui nous inspire et nous juge, et parce que nous rencontrons Notre Dame en cette attitude identique de repenser les événe­ments de sa vie : cogitabat qualis esset ista salutatio (Lc 1, 29) ; conferens in corde suo (Lc 2, 9) ; Mater Ejus conservabat omnia verba haec in corde suo (Lc 2, 51). Marie découvre en tout ce qui la concerne un ministère ; et il ne pouvait pas en être autrement pour elle, si proche du Christ. Peut-il en être diversement pour nous, qui sommes si proches du Christ que nous sommes auto­risés à « dispenser ses mystères » (cf. 1 Co 4, 1), et à les célébrer au nom du Christ ?

Introduits dans ce sentier de la recherche de l’exemple de Marie, toute notre vie trouve sa « forme » (cf. Ph 2, 7), la forme spirituelle, la forme morale et spécialement la forme ascétique. La vie de Marie n’est-elle pas toute pénétrée de foi ? Beata, quae credidisti ! (Lc 1, 45), lui dit Elisabeth. Aucun éloge plus haut ne peut se faire de celle dont la vie tout entière se déroule dans la sphère de la foi. Le Concile l’a reconnu (cf. Lumen Gentium, 53, 58, 61, 63, etc.). Et notre vie à nous, n’a-t-elle peut-être pas le même programme, ne doit-elle pas être une vie qui puise dans la foi sa raison d’être, sa qualification, son espérance eschatologique ? Ensuite, son titre privilégié tremble sur nos lèvres : la Vierge. Le Christ a voulu naître d’une Vierge, et celle-là ! l’imma­culée ! Est-ce que ce rapprochement de l’Immaculée ne dit rien à notre choix de l’état ecclésiastique qui doit être non réprimé mais exalté, transfiguré, rendu plus fort par le célibat sacré ? Nous en entendons aujourd’hui critiquer le côté négatif, jusqu’à le dire inhumain et impossible : c’est-à-dire le renoncement à l’amour des sens et au lien conjugal, normal, très haute et sainte expression de l’amour humain. Proches de Marie, n’en aper­cevons-nous pas la triple valeur positive supérieure qui convient extrêmement au sacerdoce: d’abord la parfaite possession de soi (rappelez-vous saint Paul : castigo corpus meum et in servitutem redigo... : 1 Co 9, 27), possession de soi indispensable pour qui traite des choses de Dieu et est maître et médecin des âmes et signe de direction pour le peuple chrétien et profane des voies vers le royaume de Dieu. En second lieu, la disponibilité totale pour le ministère pastoral ; c’est évident. Troisièmement, l’amour unique, immolé, incomparable et inextinguible pour le Christ Seigneur qui, du haut de la croix confie sa Mère à son disciple Jean dont la tradition affirme qu’il est resté vierge : Ecce filius tuus ; ecce mater tua... (Jn 19, 26-27). Et dites ainsi de l’obéis­sance absolue de Marie qui la fait entrer dans le dessein divin : Ecce ancilla Domini (Lc 1, 38) ; dites ainsi de l’humilité du ser­vice du Christ : tout en Marie est exemplaire pour nous. Dites ainsi de son magnanime courage, supérieur à toute figure classi­que de l’héroïsme moral : Elle se tenait juxta crucem Jesus (Jn 19, 25), pour nous rappeler que, comme participants à l’unique sacerdoce du Christ, nous devons être aussi participants de sa mission rédemptrice, c’est-à-dire être avec Lui victimes, entièrement consacrés et offerts au service et au salut des hommes pour pouvoir méditer la prophétie qui a fait peser sur le cœur de Marie, pendant toute sa vie, la menaçante et mysté­rieuse épée de la passion du Seigneur (cf. Lc 2, 35) et pour pou­voir nous appliquer à nous-mêmes les paroles de l’Apôtre : « adimpleo ea quae desunt passionum Christi in carne mea pro corpore Ejus, quod est ecclesia, cujus factus sum ego minister » (Col 1, 24).

Il est facile, il est doux, il est réconfortant de répéter alors la belle oraison jaculatoire : Maria, mater mea, fiducia mea. Aujour­d’hui et toujours dans notre vie sacerdotale.

 

 

 

12 mars

MESSAGE DE PAUL VI POUR LA JOURNEE DES VOCATIONS

 

L’âme pleine de joie et d’espérance, nous nous adressons, comme chaque année, à tous nos fils de la grande famille catholique, pour demander leur participation spirituelle, unanime, fervente, toute de bonne volonté, à la Huitième Journée Mon­diale de prière pour les Vocations. Et nous saisissons cette occa­sion pour les inviter à réfléchir non seulement sur la grandeur de la vocation, mais aussi sur le devoir qui leur incombe d’en favoriser de toute manière l’épanouissement. C’est un colloque que nous aimons reprendre annuellement avec chacun de nos Evêques, de nos prêtres, de nos fidèles, pour qu’ensemble nous disposions nos cœurs à l’effusion de la grâce divine, qui nous appelle tous à l’engagement, comme nul autre noble et sacré, de prier le Maître de la moisson, afin qu’il envoie des moisson­neurs en nombre suffisant pour les besoins accrus de l’Eglise et du monde (cf. Mt 9, 38). Ce colloque nous est facilité par l’atmos­phère particulière à la célébration liturgique de ce jour. De fait, la Journée de prière coïncide avec le dimanche qui offre à notre méditation l’image vivante du Bon Pasteur.

1. Quand Jésus se présentait lui-même comme Bon Pasteur, il renouait avec une longue tradition biblique déjà familière à ses disciples et aux autres auditeurs. Le Dieu d’Israël, en effet, s’était toujours manifesté comme le bon Pasteur de son peuple. Il avait entendu le cri de sa douleur (Ex 3, 7), il l’avait délivré de la servitude en terre étrangère (Dt 5, 6), et ce peuple qu’il avait sauvé, il l’avait, dans sa bonté, guidé (Ex 15, 3) tout au long de son dur cheminement à travers le désert, vers la terre pro­mise (Ps 78 [77], 52 ss.). Par l’Alliance conclue sur le Mont Sinaï, il en avait fait son peuple à lui, sa propriété, un royaume sacerdotal, une nation sainte (Ex 19, 5 s.). Siècle après siècle, le Seigneur avait continué de le conduire, le portant dans ses bras comme le pasteur porte les agneaux (Is 40, 11). Il le portera encore après le châtiment de l’exil, il l’appellera de nouveau, il le ras­semblera comme on rassemble des brebis dispersées, pour le ramener dans la terre de ses pères (Is 49, 8 ss. ; Za 10, 8).

C’est la raison pour laquelle les croyants de l’Ancienne Alliance s’adressaient à Dieu filialement, et l’appelaient leur Pasteur : « Le Seigneur est mon pasteur ; je ne manquerai de rien. Dans de verts pâturages il me fait étendre, près des eaux du repos il me mène ; il restaure mon âme. Il me conduit dans les droits sentiers » (Ps 23 [22], 1 ss. ; cf. 80 [79], 2). Ils savaient que le Seigneur était un pasteur plein de bonté, patient, sévère parfois, mais toujours miséricordieux envers son peuple, envers tous les hommes.

 

L’appel du Seigneur

 

Le Seigneur avait aussi appelé des hommes pour qu’ils fussent les pasteurs de son troupeau et le guident en son nom et selon son cœur : hommes choisis, hommes de grande foi, comme Moïse et Aaron (Ps 77 [76], 21), Josué (Nb 27, 15 ss.), David (2 Sam 5, 2) et bien d’autres chefs de son peuple.

Mais ces hommes, avec toutes leurs faiblesses humaines, n’étaient que des figures, une anticipation des temps à venir. En outre, ils ne pouvaient donner cette sécurité et cette paix qui était l’aspiration profonde des âmes ; c’est pourquoi le peuple élu ne trouva pas qui dirigeât vraiment ses pas dans la voie de la vérité, dans l’accomplissement de la justice, dans le respect de la Parole divine. Finalement, le Seigneur annonça par la bouche des prophètes la venue d’un nouveau David, de l’Uni­que Pasteur, qui guiderait son peuple avec une fidélité absolue (Ez 34) et répondrait à son attente anxieuse.

En effet, lorque Jésus vint, à la plénitude des temps, Il trouva son peuple « comme un troupeau sans pasteur, et Il fut ému de compassion » (Mt 9, 36). En Lui s’accomplissaient les prophéties et s’achevait l’attente. Avec les paroles mêmes de la tradition biblique (cf. Ez 34, 11-16), Jésus s’est présenté comme le Bon Pasteur, qui connaît ses brebis, les appelle par leur nom, et donne sa vie pour elles (Jn 10, 11 ss.). Et ainsi « il n’y aura plus qu’un seul troupeau et un seul pasteur » (Jn 10, 16). De cette manière Jésus révèle son plan d’action dans les âmes, qu’il n’appliquera pas par la violence ou la contrainte, mais par la douceur, la per­suasion et l’amour (Mt 11, 28-30).

Les Apôtres, fidèles à la mémoire de Jésus, se réjouissaient avec les nouveaux croyants, parce qu’ils avaient trouvé en Lui le Pasteur de leurs âmes (P 2, 25), mieux, le Prince des Pas­teurs (1 P 4, 4).

 

Pour le bien du troupeau

 

Lorsque fut venue l’heure de retourner vers son Père, avant de laisser ce monde, il voulut se choisir et appeler d’autres pas­teurs selon son cœur. Il le fit par un libre choix (Mc 3, 13), afin qu’ils continuent sa propre mission dans le monde entier, jusqu’à la fin des siècles (Mt 28, 18 ss.). Ils seront ses envoyés, ses mes­sagers, ses apôtres. Ils ne seront pasteurs qu’en son Nom, pour le bien du troupeau et en vertu de son Esprit, auquel ils devront rester fidèles : Pierre, le premier d’entre eux, qui, après sa triple profession d’amour pour Jésus, est nommé pasteur de ses brebis et de ses agneaux (Jn 21, 15-17) ; puis tous les apôtres ; et après eux, d’autres encore, mais tous dans le même Esprit. Et tous, en tout temps, devront guider le troupeau du Seigneur, à eux confié non comme à des dominateurs mais comme à des modèles, avec un désintéressement total et avec tout l’élan de leur cœur (1 P 5, 2 ss.). Ce n’est qu’ainsi qu’ils pourront mériter le prix, qu’ils recevront lorsque réapparaîtra le Prince des Pasteurs (1 P 5, 4).

2. Donc, la mission de Jésus continue. Il reste toujours avec nous (Mt 28, 20b) : les cieux et la terre passeront, mais ses pa­roles ne passeront pas (Mt 24, 35). Jésus, le Bon Pasteur, continue par conséquent à appeler ceux qui veulent collaborer avec Lui à sa propre mission. Tous nous avons reçu le Baptême de Jésus. Dans cette commune vocation de chrétiens, chacun de nous est appelé à exercer une fonction particulière, pour l’application du dessein de Dieu (Rm 12, 4-7 ; 1 Co 12, 4 ss.). Nous devons donc nous approcher tous du Christ avec confiance, pour redécouvrir dans sa vie, dans ses paroles, la volonté de Dieu sur nous, et mettre au service d’autrui, de l’Eglise, de l’humanité, les dons que chacun de nous a reçus (1 P 4, 10 ss.).

Or, Jésus a voulu que son Eglise ait jusqu’à la fin des temps des pasteurs qui participent en Lui au sacerdoce, de sorte que son acte sauveur devienne présent et efficace dans toute l’huma­nité et pour toutes les générations (cf. Lumen Gentium, 28). De nos jours, où les hommes cherchent leur voie dans l’obscurité et sont « comme des brebis errantes » (1 P 2, 25 ; cf. Mt 9, 36), le Cœur du Christ est plus que jamais proche d’eux, pour pré­venir les dangers qui les menacent, les faux pas qui pourraient leur être fatals, et éperonner leur générosité.

C’est pourquoi chacun doit mesurer sa propre responsabi­lité et se rendre attentif à découvrir en soi et accueillir les signes possibles de l’appel à une mission « pastorale » plus intimement unie à l’action du souverain Pasteur, dans sa parole et dans son sacrifice.

La vie doit être consacrée à quelque chose de grand. On ne peut rester inerte et insensible lorsque des cinq continents tant de mains se lèvent vers ceux qui, représentant le Christ au milieu des hommes, peuvent répondre à leur espérance et combler leur attente. Ce sont des mains d’enfants et de jeunes qui demandent qu’on leur enseigne la voie de la vérité et de la justice ; des mains d’hommes et de femmes à qui la dureté de la vie quotidienne fait sentir d’une manière plus aiguë le besoin de Dieu ; des mains de vieillards, de souffrants, de malades ; qui attendent que l’on s’intéresse à eux, qu’on se penche sur leurs tribulations, que l’on adoucisse leurs amertumes, qu’on ouvre leurs âmes fati­guées à l’espérance du ciel ; des mains d’affamés, de lépreux, de parias, qui appellent au secours. Il faut pour cela des prêtres et des religieux, il faut des religieuses, il faut des âmes consacrées dans les Instituts Séculiers.

Mais souvent, hélas ! les uns et les autres manquent juste­ment là où les besoins sont plus urgents et se font de jour en jour plus tragiques. C’est pourquoi nous faisons appel au peuple de Dieu : à chacun le Seigneur peut faire entendre sa voix; et les ouvriers de la dernière heure seront rétribués comme ceux de la première par le même salaire d’amour éternel (Mt 20, 9-16).

 

Appel aux jeunes

 

Mais c’est surtout aux jeunes que nous nous adressons, parce que, aujourd’hui comme hier, ce sont eux que Jésus choisit de préférence et appelle à être prêtres selon son Cœur, auxquels il parle comme à « ses amis » (Jn 15, 9-15) ; il les choisit et les appelle dans les divers états de la vie religieuse et de la spiri­tualité consacrée, pour être les témoins de sa charité altérée du salut des âmes. Le monde actuel, qui a besoin de pasteurs, a tout autant besoin de ces symboles vivants dans lesquels brille d’une plus vive lumière le dessein de Dieu sur l’humanité : il a besoin de ces vies, telles que l’Esprit-Saint en a suscité dès l’origine de l’Eglise et qui, en vertu d’une consécration totale au Seigneur et d’une totale immolation de soi à son service et au service de leurs frères, manifestent aux yeux de tous ce que Dieu attend de chacun et ce qu’il prépare pour tous: son règne d’amour. Notre époque difficile a aussi besoin de religieux et de religieuses. Tous les jeunes au cœur généreux doivent s’interroger pour savoir si le Seigneur Jésus n’est pas « en train de parler justement à leur propre cœur » (cf. Os 2, 16). Il n’y a pas de limites à cette générosité et à ce don de soi : au delà de la patrie de chacun, s’ouvrent à l’évangélisation les champs immenses où croissent les moissons du Seigneur (cf. Lumen Gentium, 44 ; Perfectae Caritatis, 1 ; Ad Gentes, 3).

A vous, donc, jeunes gens et jeunes filles qui avez la foi, nous voulons répéter la parole de la parabole : « Pourquoi rester là sans rien faire ? ». Ce n’est point de paroles, mais d’œuvres, que l’on a besoin aujourd’hui; non de velléités, mais de générosité concrète ; non de contestations stériles, mais de sacrifice per­sonnel qui, par un engagement direct, transforme ce monde en désagrégation. Seuls les jeunes peuvent comprendre cette né­cessité : et aux meilleurs d’entre eux peut s’ouvrir le champ incommensurable de l’apostolat sacerdotal, missionnaire, caritatif, assistentiel dont nos frères ont besoin. Ecoutez la voix du Christ qui vous appelle, qui vous appelle parmi ses ouvriers : donnez un sens à la vie en faisant vôtres les sollicitudes de l’Eglise pour l’élévation et le progrès des peuples. L’Eglise, en effet, comprend vraiment les exigences de vos cœurs généreux, et elle seule ne les décevra pas, ne les instrumentalisera pas à des fins secondaires, ne les rendra pas vaines.

 

Nécessité de la prière

 

Mais c’est aussi tout le peuple chrétien qui est invité à con­tribuer, chacun pour sa part, à offrir au Seigneur ces pasteurs et ces âmes consacrées; dont le même peuple chrétien a besoin pour vivre et pour croître. Ils ont tous le devoir de coopérer à l’édification du Corps Mystique du Christ. Le IIe Concile du Vatican a souligné vigoureusement ce devoir : « Si donc, dans l’Eglise, tous ne marchent pas par le même chemin, tous, ce­pendant, sont appelés à la sainteté et ont reçu une foi qui les rend égaux dans la justice de Dieu (cf. 2 P 1, 1). Même si certains, par la volonté du Christ, sont institués docteurs, dispensateurs des mystères et pasteurs pour le bien des autres, cependant, quant à la dignité et à l’activité commune à tous les fidèles dans l’édification du Corps du Christ, il règne entre tous une véritable égalité. Car la différence même que le Seigneur a mise entre les ministres sacrés et le reste du peuple de Dieu comporte en soi union, étant donné que les pasteurs et les autres fidèles se trouvent liés les uns aux autres par une communauté de rapports : aux pasteurs de l’Eglise qui suivent l’exemple du Seigneur, d’être au service les uns des autres et au service des autres fidèles ; à ceux-ci de leur côté d’apporter aux pasteurs et aux docteurs le concours joyeux de leur aide. Ainsi, dans la diversité même, tous rendent témoignage de l’admirable unité qui règne dans le Corps du Christ » (Lumen Gentium, 32). D’où la nécessité de l’apostolat, de la collaboration missionnaire, surtout de la prière pour les vocations.

C’est tout le peuple chrétien qui doit préparer, dans ses fa­milles exemplaires, la bonne terre où la semence pourra germer et produire. C’est tout le peuple chrétien qui doit manifester son attente et son estime envers le prêtre, le religieux, la reli­gieuse, et créer ainsi le climat favorable à l’ouverture des jeunes à l’égard des choses de Dieu. C’est tout le peuple chrétien qui doit demander à Dieu humblement ce que Dieu seul peut donner, en priant, selon le commandement du Maître pour qu’il envoie des ouvriers dans son champ (Mt 9, 38). Tout le peuple : mais d’abord, tout les premiers, les prêtres eux-mêmes et les religieux, à l’exemple, à la ferveur, à la fidélité desquels est suspendu tout l’avenir de l’Eglise.

Nous sommes certains que nos paroles trouveront un écho dans le cœur de nos fils et de nos filles de toute l’Eglise catholique, y suscitant un besoin plus ardent de la prière, une offrande plus intense dans le sacrifice, une correspondance plus fidèle à la volonté divine qui nous appelle tous à nous livrer à l’amour pour l’édification de l’Eglise. Que personne ne recule devant ce devoir ; et afin que les bonnes dispositions ne fassent pas défaut, nous vous donnons de tout cœur notre Bénédiction Apostolique, et, d’une manière particulière à ceux qui suivent leur sainte voca­tion, aux familles qui les ont offerts au Seigneur, et à tous ceux qui, par la prière, par la souffrance, par une aide concrète les soutiennent dans ce chemin ardu et joyeux.

Du Vatican, le 12 mars de l’année 1971, la VIIIe de notre Pontificat.

 

paulus PP. VI

 

 

 

15 mars

UN APOSTOLAT, UNE MISSION, UN ACTE DE FOI

 

A la Commission des Moyens de Communications Sociales.

 

Nous remercions Monseigneur Martin O’Connor des nobles paroles qu’il nous a adressées et qui témoignent des dispo­sitions et des intentions de cette congrégation plénière annuelle de la Commission Pontificale pour les Moyens de Communica­tions Sociales. Nous saluons les membres qui y ont participé : les cardinaux Gray, Gouyon, Araujo Sales et Guerri, nos confrères évêques, les consulteurs de la commission et les repré­sentants du « Catholic Media Council », qui sont venus à Rome au nom des Organisations Internationales Catholiques de la Presse, de la Radio-Télévision et du cinéma, et au nom des organismes internationaux et nationaux catholiques qui financent l’apostolat des communications sociales dans les pays en voie de dévelop­pement.

Nous connaissons les thèmes importants sur lesquels ont été centrées ces fécondes journées de travail et d’études ; et nous sommes heureux qu’une équipe aussi valable et aussi préparée, consacre ses forces et ses expériences au domaine si vaste et si délicat des communications sociales qui, d’une part permettent à l’homme moderne de s’exprimer et de l’autre conditionnent sa vie. Nous ne pouvons taire notre satisfaction pour la pré­paration de l’Instruction Pastorale qui a été réalisée grâce à de larges consultations et à un travail commun intense. Son succès mérite un éloge et un encouragement de notre part et est motif de grandes espérances pour l’activité de l’Eglise dans ce secteur multiple, complexe et fuyant.

 

Pour un engagement fructueux

 

Ce beau document n’est cependant qu’un point de départ ; pour vous, maintenant une nouvelle période d’activité peut et doit commencer; pour appliquer d’une part les normes de cette Instruction et d’autre part les conclusions auxquelles est arrivée cette Congrégation Plénière. Laissez-nous donc vous donner à ce propos, en souvenir de notre rencontre et comme couron­nement de vos travaux, quelques conseils pour votre action future. Ces conseils nous sont suggérés par la sollicitude avec laquelle nous suivons votre très précieuse activité au sein de l’Eglise.

1. Il nous semble que votre premier devoir est d’approfondir la conscience du rôle des moyens de communication sociale dont nous disposons. Ils s’insèrent faiblement dans l’océan des com­munications sociales modernes : si bien que leur voix semble submergée et impuissante. Peut-être ne doit-on pas se laisser abattre : nos moyens sont nécessaires, ils sont indispensables ! Ils sont un acte de présence dans le monde de l’opinion publique, vis-à-vis duquel nous avons un devoir à accomplir, un rôle à jouer et que nous devons aimer. Ils sont comme les porteurs de la Parole de Dieu et du message évangélique dans le contexte souvent catholique et contradictoire de la parole humaine et des idéologies modernes. Le décret Inter Mirifica a réaffirmé so­lennellement que l’Eglise « en vertu de sa mission de porter le salut à tous les hommes et parce qu’elle est poussée par l’obli­gation de prêcher l’Evangile, estime de son devoir d’une part d’employer aussi les moyens de communication sociale pour annoncer le Message du salut et d’autre part, d’enseigner aux hommes le bon usage de ces moyens. L’Eglise a donc — con­tinue le Concile — le droit inné d’utiliser et de posséder ces moyens sans exception, dans la mesure où ils sont nécessaires ou utiles à la formation chrétienne et à toute autre action pasto­rale » (Inter Mirifica, 3, cf. 17).

Voilà le point central : c’est un apostolat, une mission, un acte de foi. Il faut donc poursuivre avec confiance ce travail important et bénéfique, car il est la condition indispensable pour que la vérité et la lumière chrétienne pénètrent dans le monde d’aujour­d’hui ; celui-ci a besoin d’être orienté par les principes solides de la Révélation. Et si nous ne faisons pas cela, qui le fera à notre place ? Si sal evanuerit in quo salietur ? (Mt 5, 13).

 

Témoigner la vérité

 

2. C’est là que surgit le problème de la méthode. Nous devons savoir utiliser les moyens dont nous disposons, les accroître si possible en stimulant la charité et l’apostolat dont fait preuve l’œuvre du « Catholic Media Council ». Dans ce sens, les initia­tives de Bogota, de Radio Veritas de Manille, de Radio Vatican, de la Presse Catholique, rendent des services précieux mais nécessitent un soutien continu et en même temps peuvent et doivent servir d’exemple et exploiter les possibilités offertes à la juste cause par la collaboration des organisations Radio-TV nationales. Mais il faut surtout bien employer ces moyens et éviter les faux pas qui parfois coûtent cher !

Nous devons demeurer fidèles à deux principes : la vision du monde à la lumière de la pensée catholique et les objectifs spi­rituels et apostoliques auxquels ces moyens doivent aboutir, c’est-à-dire le bien des frères et du peuple, selon l’enseignement du Concile. L’information, la culture, les affaires, ne sont pas de notre ressort. Notre but est la formation, il est apologétique, pédagogique ! Notre activité ne peut par conséquent oublier d’être un témoignage à la vérité de l’information. C’est là la raison de la probité professionnelle requise : nous devons être crus même si notre voix est faible.

 

Edifier et non désorienter

 

3. Passons maintenant à un problème très délicat qui nous tient particulièrement à cœur et qui mériterait d’être examiné plus longuement. Mais nous essaierons toutefois, dans la limite du temps disponible, de vous le présenter. Essayons de réfléchir à l’esprit qui devrait toujours accompagner l’activité de ceux qui consacrent leur talent et leur savoir à la diffusion des moyens de communications sociales dans le cadre de l’Eglise. Ils n’auront d’autre but que l’édification et non les désorientations, les trou­bles, la corruption de l’unité, de la confiance, de la charité, ca­ractéristiques primordiales de la famille ecclésiale. Mais, hélas, nous constatons que certains groupes qui se consacrent à cette activité ne sont pas toujours guidés par un esprit authentiquement catholique; ils en appellent aux droits de l’information objective: mais cette objectivité, existe-t-elle réellement ? Cette information n’est-elle pas souvent partiale. Ils en appellent à la critique bé­néfique au sein de l’Eglise ; c’est possible oui, mais cette critique est du ressort de qui ? Est-elle toujours honnête bien que faite de manière subjective ou avec une connaissance limitée des événements ? Est-elle toujours bénéfique ? Si, a priori, elle se laisse influencer par la contestation, peut-elle vraiment être con­sidérée comme fidèle à la vérité et à la charité ? De quel côté lui parviennent les éloges et les approbations ? Peut-être des jeunes désireux de renouveau? Bien, mais est-ce ainsi que doit être alimentée leur faim légitime ? Est-ce là de la bonne péda­gogie ? Si les éloges proviennent d’un autre côté, tout à fait hostile à l’Eglise et à la rectitude de son enseignement, n’est-ce pas plutôt un blâme qu’un honneur ? Nous pensons donc au danger des publications ou de la diffusion de nouvelles corrosives qui créent une désorientation fâcheuse, une stupeur douloureuse, une incer­titude au sein des milieux catholiques. Ces derniers, doivent, aujourd’hui plus que jamais, demeurer unis pour faire face à la confusion d’idées et à l’état actuel des coutumes qui caracté­risent notre temps et auxquelles contribuent largement les moyens de communication sociale.

Ce sont là des épisodes qui nous affligent profondément. Mais nous sommes convaincus que les responsables méditeront sur la gravité d’un comportement qui risque d’entraîner des dommages déplorables dont ils auront à répondre non seule­ment devant la communauté ecclésiale mais devant Dieu.

Voilà Frères vénérés et Fils très chers, ce que nous voulions vous dire en cette occasion. En vous voyant ici, petit groupe qui représente ce qui se réalise du côté catholique dans les divers continents et dans le secteur des communications, nous pensons à une caractéristique essentielle de l’Eglise sur cette terre, l’Eglise militante. Oui, vous êtes l’armée de la Vérité, vous êtes un geste d’amitié et de charité pour ce monde qui est l’opinion publique ; vous êtes les semeurs de la Parole qui enseigne, qui forme, qui fait naître les bonnes pensées et les bonnes intentions ; veuille le Ciel que la bonne semence trouve toujours le terrain prêt à rendre cent pour un !

Persévérez dans votre travail, avec méthode, avec sacrifice, avec espoir !

C’est le souhait avec lequel Nous vous accompagnons dans votre tâche, en vous assurant de nos prières.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

18 mars

LE PHÉNOMÈNE DE SÉCULARISATION DANS SON RAPPORT AVEC L’ATHEISME

 

Au « Secrétariat pour les non-croyants ».

 

Frères bien-aimés et chers Fils,

 

Nous sommes heureux de cette rencontre avec tous les mem­bres de l’organisme désigné jusqu’ici sous le nom de « Se­crétariat pour les non-croyants ». Vous êtes plus spécialement chargés dans l’Eglise de promouvoir le dialogue avec tous les hommes qui vivent dans un athéisme idéologique ou pratique, et d’abord d’étudier objectivement les multiples formes, les causes et les conséquences de cet athéisme. Tâche immense, certes, complexe et difficile, mais qu’il est urgent et nécessaire d’accomplir, selon la juste remarque du Père de Lubac : « Aucun sujet n’est à la fois plus grave et plus actuel, en même temps que plus multiforme. Aucun ne requiert davantage l’attention de quiconque, dans l’Eglise, détient une part de la responsabilité commune. Aucun ne s’impose avec plus de poids à la conscience chrétienne de notre temps » (Préface à : Des chrétiens interrogent l’athéisme, t. 1, vol. 1, L’athéisme dans la vie et la culture contem­poraine, Paris, Desclée et Cie 1967, p. 7).

Vous venez de faire le bilan de ces cinq années : expérience tâtonnante, qui a déjà porté des fruits indéniables, suscité de nombreuses initiatives, et posé aussi beaucoup de questions. Nous examinerons avec soin l’apport de cette Congrégation plénière, aussi bien en ce qui concerne les objectifs et les tâches à poursuivre ou à entreprendre, que par rapport aux structures de ce Secrétariat dont Nous voudrions faire un instrument toujours mieux adapté à la recherche, à l’étude et au dialogue.

 

Instrument de recherche, d’étude et de dialogue

 

Aujourd’hui, c’est une réalité du monde moderne fort com­plexe et diversement appréciée qui retiendra notre attention: le phénomène de la sécularisation dans son rapport avec l’athéisme.

Le processus de sécularisation qui affecte nos sociétés de façon radicale peut sembler irréversible. Ce n’est pas seulement le fait que des institutions, des biens, des personnes soient sous­traits au pouvoir ou au contrôle de la hiérarchie de l’Eglise : quoi de plus normal en effet, si l’on pense aux tâches humaines de suppléance que l’Eglise a été amenée a assumer dans le passé ? Mais le phénomène, vous le savez, va beaucoup plus loin, aux plans culturel et sociologique. Non seulement les sciences, y compris les sciences humaines, les arts, mais l’histoire, la philo­sophie et la morale ont tendance à prendre comme unique source de référence l’homme, sa raison, sa liberté, ses projets terrestres ; en deçà d’une perspective religieuse qui n’est plus partagée par tous. Et la société elle-même, désirant rester neutre face au plu­ralisme idéologique, s’organise indépendamment de toute reli­gion, reléguant le sacré dans la subjectivité des consciences indi­viduelles.

 

Le danger du naturalisme

 

Cette sécularisation, qui comporte une autonomie croissante du profane, est un fait marquant de nos civilisations occidentales. C’est dans cette situation qu’est apparu le sécularisme, comme système idéologique : non seulement il justifie ce fait, mais il le prend comme objectif, comme source, et comme norme de pro­grès humain, et il va jusqu’à revendiquer une autonomie absolue de l’homme devant son propre destin. Il s’agit alors, pourrait-on dire, d’« une idéologie, une nouvelle conception du monde, sans ouverture et qui fonctionne tout comme une nouvelle religion » (cf. harvey COX, La cité séculière, trad. S. de Trooz, « Cahiers de l’actualité religieuse » 23, Paris, Casterman 1968, p. 50). Cette forme de naturalisme est une vision des choses qui exclut toute référence à Dieu et à la transcendance et tend dès lors à s’iden­tifier avec l’athéisme et à apparaître comme un ennemi mortel du christianisme, qu’une conscience chrétienne ne saurait accepter sans se renier, tant il est vrai que l’« athéisme véritable se situe, par définition, au plan d’une immanence close sur soi, de l’homme et du monde » (G.M.M. cottier, O.P., Horizons de l’athéisme « Cogitario Fidei » 40, Paris, Cerf 1969, p. 180). Cela est bien clair. Mais les esprits attachés à la foi montrent davantage de perplexité devant les chances ou les dangers de la sécularisation elle-même.

 

Une double question

 

S’il n’est pas nécessaire de rappeler la légitimité d’une cer­taine autonomie des réalités terrestres et des sociétés elles-mêmes, qui ont leurs lois et leurs valeurs propres, et se distinguent par conséquent du Royaume de Dieu (cf. Gaudium et Spes, 36, § 2), il nous faut par contre rejeter sans équivoque deux confusions ruineuses entre ces deux domaines. La première est désastreuse : elle propose du christianisme une version séculière, qui englobe toute la foi chrétienne dans un humanisme où le terme de divin, s’il figure encore, n’est plus qu’une façon de désigner des qua­lités immanentes à l’homme. On en viendrait ainsi à vider le message du Christ de toute sa portée théocentrique et à promou­voir ce qu’il ne resterait plus qu’à appeler, sans se soucier de la contradiction des termes, un « athéisme chrétien ». Une certaine théologie de la mort de Dieu n’a pas échappé, hélas! à cette étrange absurdité.

A l’opposé, certains croyants sont tentés de nier toute possi­bilité de philosophie humaine, de solution humaine aux problè­mes de ce monde en dehors de la foi de l’Eglise et des applications des principes chrétiens. A la limite, ne serait-ce pas nier la respon­sabilité humaine qui fait précisément partie de la grandeur de l’homme créé à l’image de Dieu, et refuser toute collaboration sincère avec les hommes de bonne volonté qui ne partagent pas notre foi ? Ce monolithisme confond trop le Royaume de Dieu et le monde d’ici-bas.

Maintenir la distinction entre les deux n’est pas pour autant les opposer à outrance, comme si les réalités temporelles étaient finalement sans aucun rapport avec le royaume de Dieu, comme si les œuvres d’ici-bas importaient peu à la foi qui attend le salut de Jésus-Christ. Cette incompatibilité a séduit des âmes nobles de croyants, parce qu’elle paraît sauvegarder la transcendance de Dieu. En réalité, elle aboutit trop souvent à le rejeter de la vie humaine. La doctrine catholique s’est toujours méfiée de cet excès, car n’est-ce pas le même Dieu qui est Créateur, Rédemp­teur et Sanctificateur ?

Une double question en tout cas se pose à nous avec force : est-il possible de fonder un humanisme authentique, à partir de perspectives pratiquement athées, c’est-à-dire d’un monde désacralisé et sécularisé, sans référence à Dieu, tout en laissant la possibilité de reconnaître, pour ceux qui le peuvent ou le veu­lent, un Dieu transcendant et personnel ? Est-il souhaitable par ailleurs d’en venir là dans le processus de sécularisation, pour purifier et valoriser, comme on le dit parfois, la foi des croyants ?

A la première question, la réponse sur le plan pratique n’est peut-être pas très aisée, et il faut sans doute se méfier d’une apo­logétique trop facile, illustrant la thèse selon laquelle, comme on l’a dit en termes lapidaires, « un peuple se déshumanise dans la mesure où il se déchristianise » (François Mauriac à la Semaine des intellectuels catholiques de novembre 1954, repris dans Le chrétien Mauriac, « Recherches et Débats » 70, Paris, Desclée de Brouwer 197.1, p. 65) et, sans Dieu tout va à la dérive sur le plan humain, le vrai, le bien, le respect des personnes, leur bonheur, leur espoir. Et cependant, après avoir assisté, depuis plus d’un siècle, aux efforts émouvants des divers humanismes athées, ne s’aperçoit-on pas effectivement que c’est maintenant le sens de l’homme qui paraît mal assuré, au point que certains n’osent plus parler d’humanisme ? En tous cas, pour nous croyants, cette conviction ne fait pas de doute : un humanisme clos, exclusif de Dieu, se révélera tôt ou tard inhumain (cf. Populorum Progressio, 42). Pourquoi ? Parce que Dieu demeure la source et le terme des valeurs suprêmes sans lesquelles l’homme ne peut vivre. Parce que les réalités du péché et de la mort et les questions qu’elles posent, pour chaque homme comme pour l’histoire, ne reçoivent pas de solution radicale et définitive en dehors de la foi (cf. Gaudium et Spes, 21, § 3).

 

Un terrain fertile pour l’athéisme

 

Et nous retrouvons ici la deuxième question que nous avions posée : une sécularisation radicale de la société a-t-elle des chances de rendre la foi plus pure, plus consciente et plus responsable, parce que moins sociologique, tout en assurant mieux le service de l’homme ? De toute notre conviction, Nous ne le pensons pas. C’est d’abord un fait d’histoire qu’une telle sécularisation s’est développée en opposition au christianisme. Mais il faut encore ajouter : la sécularisation en elle-même, à côté de la distinction légitime et nécessaire entre les réalités terrestres et le Royaume de Dieu, pèse en fait de tout son poids dans le seul sens de l’immanentisme et de l’anthropocentrisme, auquel on ne saurait réduire la foi chrétienne. Pratiquement une sécularisation radicale, éva­cuant de la cité humaine la référence à Dieu et les signes de sa présence, vidant les projets humains de toute recherche de Dieu, supprimant les institutions proprement religieuses, crée un climat d’absence de Dieu. Si c’est une chance possible pour la matura­tion religieuse de quelque élite, c’est d’abord en fait un terrain fertile pour l’athéisme, pour tous ceux qui — et ils seront toujours le plus grand nombre — gardent une foi faible, qui survit mal au défaut d’appuis extérieurs. Il faudrait faire fi de la nature de l’homme et de sa nécessaire expression sociale, pour s’en étonner.

 

Un risque grave

 

Aussi notre responsabilité de pasteur Nous fait-elle un devoir de mettre en garde contre ce risque grave. Comme le déclarait justement le cardinal François Marty : « Si le monde se sécularise, il ne faut pas que les chrétiens se sécularisent... Sécularisation ne veut pas dire qu’on va vers une vie chrétienne sans éléments religieux... La contestation des idoles et de tout faux sacré ne peut se faire qu’au nom de Jésus-Christ... Les chrétiens ne peu­vent se configurer au Christ sans structures et sans les actes propres de la « religion ». Le catholicisme, en raison même de son institution hiérarchique et sacramentelle, ne peut admettre n’importe quelle sécularisation. L’Eglise n’a pas à s’effacer devant le monde, mais seulement à être toujours plus véritablement elle-même » (Rencontre européenne du Secrétariat pour les non-croyants, à Vienne, 9 septembre 1968, dans Documentation catholique, Paris, Bonne Presse, t. LXVI, 1969, p. 799).

Disons-le sans ambages : devant une certaine sécularisation de fait de ce monde, les croyants ont une mission prophétique à exercer : celle de contester la tendance de l’homme sécularisé à se fermer sur lui-même, à trouver dans ses propres forces le salut et la libération de tous ses maux, y compris ceux du péché et de la mort (cf. G. de rosa, S.J., La secolarizzazione del cristianesimo, II, dans « La Civiltà Cattolica », Roma 1970, n. 2878, pp. 338-339).

Cela n’empêche nullement les chrétiens de reconnaître loya­lement ce qu’il y a de valable — et souvent d’une manière no­table — dans les efforts réalisés par leurs frères incroyants pour bâtir un monde plus humain, car rien de véritablement humain ne saurait les laisser indifférents : « Tout ce que vous ferez à l’un de mes frères, c’est à moi que vous l’aurez fait » (cf. Mt 25, 40). Mais ils se gardent bien d’oublier — même s’ils demeurent impuissants à faire partager cette conviction de foi dont ils ne peuvent que témoigner dans le respect des autres — que le Fils de l’Homme est venu sauver les hommes pour en faire des fils de Dieu.

Tel est le champ immense qui s’ouvre aux catholiques de ce siècle sécularisé, dans leur dialogue avec le monde athée : « Croire en Dieu doit signifier vivre de telle manière que la vie ne pourrait pas être vécue si Dieu n’existe pas » (J. maritain, La significa­tion de l’athéisme contemporain, Paris, Desclée de Brouwer 1969, p. 42).

Vous voyez dès lors, Frères bien-aimés et chers Fils, l’impor­tance de la mission de ce Secrétariat pour promouvoir un tel dialogue avec loyauté et ténacité, pour aider les pasteurs et les fidèles à le vivre avec droiture et sincérité. C’est sur ce propos que Nous implorons de grand cœur la lumière et la force de l’Esprit-Saint, en gage desquels Nous vous donnons une large Bénédiction Apostolique.

 

 

 

20 mars

DIALOGUE DANS LE RESPECT DES FONCTIONS, L’HUMILITE, L’ESPRIT DE SERVICE DE L’EGLISE ET DES HOMMES

 

Au « Conseil des Laïcs » à l’occasion du Symposium.

 

Chers Fils et chères Filles,

 

Nous sommes heureux de l’occasion que Nous offre le Sym­posium organisé par le Conseil des Laïcs sur le « dialogue », pour vous accueillir et converser quelques instants avec vous.

Dès notre première encyclique Ecclesiam Suam, Nous avons souligné la nécessité et les exigences du dialogue dans l’Eglise et hors de l’Eglise. Et Nous Nous réjouissons de voir largement mise en œuvre dans l’Eglise cette dynamique du respect et de l’amour mutuel qui renforce singulièrement le témoignage per­sonnel et communautaire des chrétiens.

Quant à votre fonction spécifique de laïcs, le Concile l’a exprimée de façon fort claire, particulièrement dans la Consti­tution Lumen Gentium et dans le Décret Apostolicam Actuositatem. Il n’est donc pas besoin de rappeler la distinction entre les deux aspects complémentaires que doit revêtir l’activité du laïcat catholique, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Eglise.

Le caractère séculier est le propre de votre vocation de laïcs chrétiens, et celle-ci consiste, vous le savez, à « chercher le règne de Dieu... à travers la gérance des choses temporelles... engagés dans toutes et chacune des affaires du monde, plongés dans l’ambiance où se meuvent la vie de famille et la vie sociale dont leur existence est comme tissée » (Lumen Gentium, 31).

Comment pourriez-vous remplir cette mission dans un dia­logue permanent qui suppose votre présence quotidienne au sein de ces réalités profanes et une compétence éprouvée, jointe à un accueil plein d’humilité, dans un esprit de collaboration fraternelle ? Cet effort exige un engagement généreux et coura­geux, où l’exemple de votre droiture humaine et le témoignage de votre vie évangélique, le rayonnement de votre foi et de votre espérance, ainsi que l’action multiforme de votre charité, doivent agir à la manière d’un ferment. C’est ainsi que vous contribuez à animer de l’intérieur tout l’ordre temporel, selon le dessein du Créateur et du Rédempteur, et pour le meilleur service de tous nos frères auprès desquels vous voulez être d’ardents apôtres de Jésus-Christ.

Mais Nous voudrions souligner davantage aujourd’hui l’autre aspect de votre activité propre qui apparaît d’une actualité brû­lante : comment les laïcs vont-ils se situer et œuvrer à l’intérieur de l’Eglise ? Ici encore la vie n’a pas attendu la réflexion pour se manifester au cours de la déjà longue et riche histoire du peuple de Dieu. Mais il Nous est bon, à la lumière même de cette histoire, d’éclairer cette place et cette action du laïcat dans l’Eglise.

Bien des ambiguïtés viennent, Nous semble-t-il, de ce que l’on dissocie ou de ce qu’à l’inverse on confonde les deux ca­ractères inséparables de l’Eglise visible. D’une part elle est dans son être profond, et elle doit se manifester de plus en plus, comme une communion, avec tout ce que cette réalité vivante implique d’égalité foncière entre ses membres, de fraternité, d’union, d’appel commun à la sainteté, de reconnaissance de la même di­gnité d’enfants de Dieu régénérés dans le Christ, notre unique Chef à tous (Lumen Gentium, 32, § 1 et 2). Et d’autre part l’Eglise est un organisme structuré, un Corps avec des membres diffé­rents, qui ont des fonctions différentes. Gardons-nous bien d’ou­blier ce double caractère de l’Eglise (Ibid., 13 et 33 ; cf. Ep 4, 12).

Oui, un esprit de profonde communion doit régner entre tous les membres du Christ, comme entre des frères très chers. Appliquons-nous à « garder l’unité de l’esprit par le lien de la paix, dit St. Paul. Il n’y a qu’un Corps et qu’un Esprit... Il n’y a qu’un Seigneur, une foi, un baptême ; il n’y a qu’un Dieu et Père de tous, qui est au dessus de tous, agit en tous, est en tous » (Ep 4, 3-6). Comme saint Augustin l’exprimait en termes incom­parables : « Jésus-Christ est la tête de l’Eglise, l’Eglise est son corps, et la santé de ce corps, c’est l’unité des membres et le lien de l’amour » (Serm 137, 1 ; PL 38, 754, trad. dans Saint Augustin, Le visage de l’Eglise « Unam Sanctam » 31, Paris, Cerf 1958, p. 97). C’est à cette profondeur de réalité de grâce vécue, que s’enracine l’esprit de communion, marque des vrais croyants. Il s’agit là d’un fondement objectif, surnaturel et sacramentel ; nous sommes tous fils du Père qui est dans les cieux, frères dans le Christ, temples du Saint-Esprit, membres de l’Eglise. Aucun laïc ne peut donc en parler comme d’une entité qui lui serait en quelque manière extérieure : vous lui appartenez à part entière, vous êtes l’Eglise.

Ah ! puissions-nous voir cette conscience communautaire s’approfondir chez tous les catholiques, avec une note d’affection fraternelle, avec la fierté — pourquoi ne pas le dire ? — d’être les uns les autres membres du Corps mystique du Christ qui est l’Eglise, et comment ne pas aimer son propre Corps ?, avec cette solidarité profonde dans la joie, comme dans la souffrance ; bref avec cette marque de vitalité qui fait de tous des membres actifs et coresponsables, chacun à sa place, de toutes les tâches de l’Eglise, avec une conscience aiguë des droits et des devoirs mu­tuels à l’intérieur de ce grand corps social. N’est-ce pas d’abord à ce niveau que le dialogue, dont on se prévaut tant à l’extérieur de l’Eglise, doit trouver sa place ? Vous en savez les formes, du reste, par votre expérience de chaque jour : apprendre à se con­naître entre membres et portions d’Eglise, à se reconnaître et à s’estimer, et pour cela s’écouter, se regarder avec respect et amitié ; se savoir proches dans le Christ malgré les différences sociales ou des orientations politiques divergentes ; ne pas hésiter à se retrouver côte à côte dans les réunions ecclésiales, à plus forte raison dans les assemblées liturgiques ; exprimer toujours avec franchise notre pensée sur les idées ou les moyens — un corps sans solidarité et sans tension serait un corps mort ! — mais toujours avec des égards pour les personnes, avec humilité, pa­tience, douceur, et promptitude au pardon (cf. Rm 12, 10 et Ep 4, 2-3) ; bref s’aimer effectivement et en vérité dans le Christ.

Mais, hélas ! Nous connaissons aussi les multiples contrefa­çons du dialogue : l’inertie, l’isolement individualiste, le cloison­nement de groupes refermés sur eux-mêmes et qui prétendent se suffire et réinventer l’Eglise à leur manière, à l’encontre de toute la Tradition scripturaire et patristique ; les critiques dures et parfois déloyales, un style de contestation négative ; une oppo­sition sourde à l’intérieur de l’Eglise ou une violence tapageuse qui puise ses méthodes en dehors de l’esprit chrétien, grisée qu’elle est par l’apparence d’une efficacité immédiate... Souve­nons-nous de l’avertissement de l’apôtre Paul aux chrétiens de Corinthe qui allaient prendre des infidèles pour juger de leurs litiges internes ! (cf. 1 Co 6, 4). Il y va du premier témoignage que l’Eglise doit donner au monde selon la prière du Christ à son Père : « Qu’ils soient parfaitement un, pour que le monde croie que c’est toi qui m’as envoyé » (Jn 17, 20 et 23).

Alors, dans un tel climat de communion loyale et sereine, chacun pourra accomplir la tâche qui lui revient, dans le respect des responsabilités singulières de chacun des autres membres, en esprit de collaboration généreuse et désintéressée. On doit toujours se sentir solidaire des tâches de l’Eglise, jamais cette soli­darité n’implique pas qu’on puisse par là-même juger de tout ce qui a été confié à la compétence et au charisme des autres. Ce n’est certes pas à vous qu’il est nécessaire de rappeler ce que soulignait à bon droit le Décret Apostolicam Actuositatem (cf. nn. 23, 24, 25) : il appartient à ceux que l’Esprit-Saint a constitués pasteurs pour paître l’Eglise de Dieu (cf. Ac 20, 28), de veiller à la coordination harmonieuse des initiatives apostoliques des divers membres du Corps, de juger éventuellement de leur fidé­lité à l’Esprit du Seigneur, parfois même de confier plus directe­ment une charge ou un « mandat » à tel ou tel d’entre eux, tout ceci pour le bien de l’ensemble. Là encore, dans la hiérarchie des responsabilités, c’est le dialogue qui doit régner aujourd’hui, ce qui suppose chez les uns et les autres le respect des fonctions, la confiance réciproque, l’humilité profonde, l’esprit de service de l’Eglise et des hommes.

Vous êtes vous-mêmes les témoins de la confiance que l’Eglise accorde aux laïcs qui lui sont fidèles. Les Associations catholiques jouissent de plus en plus d’une autonomie d’action et d’une gestion propre, dans la mesure même où elles font preuve, avec maturité, d’un esprit d’adhésion à l’Eglise. Il s’agit ici d’une conséquence pratique du « sens de la foi », dont nous parle le Concile, aux textes duquel Nous renvoyons pour l’étude d’un thème d’ecclésiologie si beau et si délicat (cf. Lumen Gentium, 12 et Dei Verbum, 10). Depuis le Concile, les Conseils pastoraux sont en train de prendre une place importante dans les diocèses qu’ils font bénéficier de leurs conseils et de leur collaboration généreuse. Cet apport capital du laïcat s’exerce aussi, et de plus en plus, est-il besoin de le souligner, dans des domaines très variés où il s’accomplit en harmonie avec la doctrine et l’orien­tation responsable de l’Eglise, qu’il s’agisse de l’école, de la ca­téchèse, du journalisme, de l’activité artistique, de l’administra­tion des biens temporels et de l’exercice de certaines fonctions cultuelles.

Puisse votre symposium encourager partout, à tous les éche­lons, un tel esprit ecclésial. Nous souhaitons vivement que ce soit l’un des fruits majeurs de la révision de vie des catholiques en ce temps privilégié du Carême. Notre vœu, notre prière, c’est que toutes les forces vives de l’Eglise — les enfants de Dieu trop souvent dispersés (cf.Jn 11, 53 ; et Prière eucharistique, 3) — célè­brent la Pâque du Seigneur, comme les premiers chrétiens, in corde uno et in anima una (cf. Ac 4, 32). De grand cœur, Nous vous donnons à cette intention, pour vous-mêmes comme pour tous ceux que vous représentez à nos yeux, notre paternelle Bénédiction Apostolique.

 

 

 

9 avril

ALLOCUTION DU PAPE AU CHEMIN DE CROIX

 

Le Vendredi Saint.

 

Ce chemin avec la Croix et vers la Croix pourrait ne plus finir, si nous voulions suivre le fil des réflexions formidables auxquelles il nous conduit ; et nous devrions rester, la tête baissée, plongés dans nos pensées pour chercher à comprendre ce qu’est la tragédie, ce qu’est l’héroïsme, ce qu’est le péché, ce qu’est le sacrifice, ce qu’est la douleur, ce qu’est la mort, ce qu’est le duel entre le mal et le bien, ce qu’est la rédemption, ce qu’est mourir pour vivre... ce qu’est la Croix du Christ.

Comme conclusion à notre Chemin de Croix, choisissons la pensée la plus simple. Plus qu’une pensée, c’est un sentiment : la compassion, dont nous venons de chanter dans l’hymne « Stabat Mater » les strophes douloureuses.

On dirait que la Croix — sa scène atroce, son histoire désho­norante eût à faire le vide autour d’elle, à repousser les hommes de sa contemplation. Tandis que, comme les commentaires aux pénibles Stations de ce triste et pieux pèlerinage l’ont laissé entendre, la Croix nous attire. Jésus lui-même avait prédit cela : « Quand je serai élevé de terre, j’attirerai tout à moi » (Jn 12, 32 ; 8, 28). Jésus crucifié exerce un charme mystérieux sur celui qui ne dédaigne pas de tourner son regard vers Lui (cf. Jn 19, 37). Nous devons, ce soir, garder de ce charme le souvenir expéri­menté, l’attraction secrète.

Pourquoi Jésus crucifié nous attire-t-il ?

Oh! Comme elle descend profonde cette question dans nos esprits !

Il nous semble que le premier motif soit la solidarité, la pa­renté, la sympathie, que Lui, en souffrant et en mourant sur la Croix, a établi avec tout homme qui souffre. En Le regardant, il nous semble écouter de nouveau son invitation très humaine : « Venez à moi, vous tous qui peinez et portez un fardeau acca­blant: je vous soulagerai » (Mt 11, 28). L’entendons-nous cette voix, qui sort des lèvres mourantes du Christ ? Nous sommes tous, de manière et en mesure différentes, nous sommes tous souffrants ; n’entendons-nous pas l’invitation de l’« Homme qui connaît la souffrance » (Is 53, 3) nous appelant à Lui ? La dou­leur — qui nous isole dans le monde naturel — pour Jésus, elle est un point de rencontre, elle est une communion. Y pensez-vous, Frères ? Vous malades, vous malheureux, vous moribonds ? Y pensez-Vous, vous hommes accablés par la fatigue, par le travail ? Vous, rendus opprimés et solitaires par les épreuves et par les responsabilités de la vie ? Tous peuvent vous manquer, Jésus en Croix non, Il est avec vous, Il est avec nous.

Bien plus : Il est pour nous ! Pourquoi Jésus agonise-t-il et meurt-il ? Réfléchissons ! C’est le grand mystère de la Croix; Jésus souffre pour nous ! Il expie pour nous. Il est victime. Il partage le mal physique de l’homme pour le guérir du mal moral, pour effacer en Lui nos péchés.

Hommes sans espérance ! Hommes, qui avez l’illusion de recouvrer la paix de la conscience en suffoquant en elle vos re­mords inextinguibles (nous en avons, nous tous pécheurs ; nous devons en avoir, si nous sommes de vrais hommes), pourquoi tournez-vous le dos à la Croix ? Ayons tous le courage de nous tourner vers elle, et de nous reconnaître coupables en elle ; ayons la confiance de soutenir la vision de sa figure mystérieuse : elle nous parle de miséricorde, elle nous parle d’amour, de résur­rection ! Elle émane pour nous le salut !

A ce point, Frères et Fils, nous voudrions prendre congé de vous, si précisément le souvenir, l’image presque sensible du Calvaire, ne nous suggérait de rappeler à votre esprit et à votre prière le lieu béni, où le Christ consomma son sacrifice rédempteur, la terre de Jésus, où ne souffle pas encore le vent propice de la paix.

La prédication du Seigneur, vous le savez, et les actes par lesquels Il a racheté le monde se sont déroulés en cette terre que, en s’incarnant, Il choisit entre toutes comme sa patrie. C’est pourquoi nous parlons de Terre Sainte et considérons Jérusalem comme Cité Sainte, c’est-à-dire la cité de la Pâque, de la Passion, de la Mort et de la Résurrection du Christ et de la Pentecôte.

C’est dans cette Terre Sainte que se rendront toujours des hommes d’étude, des ascètes, des pèlerins et des pénitents pour apaiser leur soif d’amour et de savoir. Car elle est étroitement unie à la personnalité même du Sauveur et rend ses enseignements plus vivants et plus clairs.

Voici quelques paroles de Jésus à ce propos : « ... et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1, 8). Ainsi Jérusalem est établie comme première étape du témoignage des Apôtres et de l’appel du Seigneur adressé à l’humanité.

Aujourd’hui nous devons être pleins d’égards affectueux pour les communautés chrétiennes de cette Terre Sainte, déjà telle­ment éprouvées au cours de l’histoire, pour ces Frères, qui vivent là où vécut Jésus, et qui, autour des Lieux Saints, sont les suc­cesseurs de la toute première Eglise ancienne, qui a donné nais­sance à toutes les autres Eglises.

Nous désirons leur envoyer un salut et les assurer de notre affection et de la sympathie des chrétiens répandus dans le monde. Ces Frères continuent à avoir besoin, plus que jamais, de notre soutien spirituel, moral et matériel. Les secours, que le monde chrétien n’a jamais laissé manquer à ses Frères de Jérusalem et de la Palestine, ne servent pas seulement à maintenir les édifices matériels, qui rappellent les grands mystères de la Rédemption, mais à soutenir aussi les œuvres religieuses et sociales, néces­saires pour animer la vie communautaire et subvenir aux besoins des indigents qui sont assistés sans discrimination.

Nous avons un exemple à imiter : celui de Saint Paul ; en écrivant aux Corinthiens, il se préoccupait des conditions de vie des « saints » de Jérusalem (1 Co 16, 1-4).

Puissent notre souvenir, notre salut et notre aide réconforter nos Frères de la Terre Sainte.

Et à eux, à vous ici présents, et à tous ceux qui écoutent en ce moment notre voix, nous allons donner la Bénédiction Apos­tolique.

 

 

 

11 avril

NOTRE FORCE ET NOTRE CERTITUDE: L’ESPERANCE

 

Message pascal de Paul VI.

 

Frères et Fils qui attendez de Nous le message pascal, écoutez: tandis que, en vertu de notre ministère apostolique, Nous vous parlons du haut de cette tribune et Nous regardons le panorama du monde, Nous avons l’impression d’avoir devant Nous la vision d’une mer agitée, avec menace de plus grandes tempêtes encore. Que prépare l’homme pour lui-même et pour les générations futures en étant d’une façon trop fréquente et trop flagrante infidèle aux grands principes de solidarité, de justice et de paix que lui-même, instruit par les terribles expé­riences subies, a proclamés pour la civilisation actuelle comme pour la civilisation future ? Ne voyons-nous pas sans cesse de nouvelles guerres, et même des signes avant-coureurs de plus terribles encore, des armements terrifiants, des révolutions inces­santes, des luttes sociales institutionnalisées, des contestations endémiques, une lente décadence morale, un recours déplorable, sur le plan professionnel et bureaucratique, aux succédanés du véritable amour, un oubli aveugle et orgueilleux de la religion irremplaçable ? L’Eglise elle-même n’est-elle pas, ça et là, se­couée, sur le plan doctrinal et disciplinaire, par des courants perturbateurs, qui cherchent en vain à se réclamer du souffle authentique de l’Esprit vivifiant ?

Mais en même temps, Nous sentons que l’humanité éprouve un besoin douloureux et, en un certain sens, prophétique d’espé­rance, comme on sent le besoin de respirer pour vivre. Sans espoir, il n’y a pas de vie possible. L’activité de l’homme est plus con­ditionnée par l’attente du futur que par la possession du présent. L’homme a besoin d’un but, d’un encouragement, il a besoin de goûter à l’avance des joies futures. L’enthousiasme, qui est le ressort de l’action et du risque, ne peut être suscité que par une espérance à la fois forte et sereine. L’homme a besoin d’un optimisme sincère, non illusoire.

Eh bien ! sachez-le, amis qui Nous écoutez : Nous sommes en mesure aujourd’hui de vous adresser un message d’espoir. Non seulement la cause de l’homme n’est pas perdue, mais elle est en situation avantageuse et sûre. Les grandes idées, qui sont comme les phares du monde moderne, ne s’éteindront pas. L’unité du monde se fera. La dignité de la personne humaine sera réelle­ment reconnue, et pas seulement pour la forme. Le caractère inviolable de la vie, depuis le sein maternel jusqu’à l’ultime vieillesse, sera admis par tous d’une manière effective. Les injustes inégalités sociales seront supprimées. Les rapports entre les peuples seront fondés sur la paix, la raison et la fraternité. Ce ne seront plus l’égoïsme, la violence, l’indigence, la licence des mœurs, l’ignorance, les si nombreuses déficiences dont souffre encore la société contemporaine, qui empêcheront d’instaurer un véritable ordre humain, un bien commun, une civilisation nouvelle. On ne pourra pas abolir la faiblesse humaine, pas plus que la déception des buts atteints, pas plus que la douleur, le sacrifice, la mort temporelle. Mais chaque misère humaine pourra bénéficier d’assistance et de réconfort ; elle connaîtra aussi cette super-valeur que notre secret peut conférer à toute décadence humaine. L’espérance ne s’éteindra pas, en vertu même de ce secret, qui n’est d’ailleurs plus un secret pour aucun de ceux qui nous écoutent. Vous, vous le comprenez : c’est le secret et aussi la Bonne Nouvelle pascale.

Toute espérance se fonde sur une certitude, sur une vérité, qui dans le drame humain, ne peut être seulement expérimentale et scientifique. La véritable espérance, qui doit soutenir l’homme dans son cheminement intrépide, se fonde sur la foi. Celle-ci justement, dans le langage biblique « est le fondement des choses que l’on espère » (He 11, 1) ; et, dans la réalité historique, c’est l’avènement, c’est Celui qu’aujourd’hui nous célébrons : Jésus-Christ !

Il ne s’agit pas d’un songe, ni d’une utopie, ni d’un mythe : c’est le réalisme évangélique. Et sur ce réalisme, nous, croyants, nous fondons notre conception de la vie, de l’histoire, de la civi­lisation terrestre elle-même, que notre espérance transcende, mais en même temps encourage dans ses conquêtes hardies et confiantes.

Ce n’est pas le moment de vous expliquer les raisons solides de ce paradoxe, c’est-à-dire comment nous, hommes de l’espé­rance transcendante et éternelle, nous pouvons encore soutenir, et avec quelle vigueur, l’espérance qui concerne l’horizon tem­porel et présent. Le Concile en a d’ailleurs parlé avec sagesse et abondamment (cf. Gaudium et Spes). Mais c’est ici le moment où notre voix se fait l’écho de celle du vainqueur, le Christ Sei­gneur : « Ayez confiance, j’ai vaincu le monde » (Jn 16, 33) ; et de celle de l’interprète évangéliste : « La victoire qui est vainqueur du monde, c’est notre foi » (1 Jn 5, 4) ; en entendant ici par monde tout ce qui, caduc et pervers, a comme cadre naturel l’existence humaine.

Nous regardons encore de ce podium, de là hauteur que nous permet notre humble ministère apostolique, le panorama qui s’ouvre à notre regard, et Nous vous voyons, hommes qui travaillez et sourirez, vous qui vous appliquez dans tous vos efforts à guider la société vers la justice et la paix, vous jeunes, avides d’authenticité et de dévouement, vous, innombrables cohortes de gens honnêtes et bons, qui, dans le silence, par la prière et par l’action, avec fidélité et esprit de sacrifice, donnez un sens au déroulement du temps, vous qui souffrez et qui. êtes déçus d’un bien-être désormais dépassé, et surtout vous, croyants comme nous dans le Christ ressuscité et consacrés à Lui. Et alors, notre âme se remplit de joie et d’espérance, et vous annonce à tous : « Soyez heureux dans le Seigneur, toujours, je le répète, soyez heureux ! » (Ph 4, 4). Christ est ressuscité !

 

 

 

14 mai

LETTRE APOSTOLIQUE DE PAUL VI

 

A monsieur le cardinal maurice roy, président du conseil des laïcs et de la commission pontificale « justice et paix » ; a l’occasion du 80e anniversaire de l’encyclique « rerum novarum »

 

Introduction

 

Monsieur le Cardinal,

 

1. Le 80e anniversaire de la publication de l’Encyclique Rerum Novarum, dont le message continue à inspirer l’action pour la justice sociale, Nous incite à reprendre et à prolonger l’enseignement de nos prédécesseurs, en réponse aux besoins nouveaux d’un monde en changement. L’Eglise, en effet, che­mine avec l’humanité et partage son sort au sein de l’histoire. Tout en annonçant aux hommes la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu et du salut dans le Christ, elle éclaire leur activité à la lumière de l’Evangile et les aide par là à correspondre au dessein d’amour de Dieu et à réaliser la plénitude de leurs aspirations,

 

l’appel universel À plus de justice

 

2. Avec confiance, Nous voyons l’esprit du Seigneur pour­suivre son œuvre au cœur des hommes et rassembler partout des communautés chrétiennes conscientes de leurs responsabilités dans la société. Dans tous les continents, parmi toutes les races, les nations, les cultures, au sein de toutes les conditions, le Sei­gneur continue à susciter d’authentiques apôtres de l’Evangile.

Il Nous a été donné de les rencontrer, de les admirer, de les encourager au cours de nos récents voyages. Nous avons approché les foules et entendu leurs appels, cris de détresse et d’espérance à la fois. En ces circonstances, les graves problèmes de notre temps Nous sont apparus avec un nouveau relief, comme parti­culiers certes à chaque région, mais pourtant communs à une humanité qui s’interroge sur son avenir, sur l’orientation et la signification des mutations en cours. Des écarts flagrants sub­sistent dans le développement économique, culturel et politique des nations ; à côté de régions fortement industrialisées, d’autres en sont encore au stade agraire ; à côté de pays qui connaissent le bien-être, d’autres luttent contre la faim; à côté de peuples de haut niveau culturel, d’autres s’emploient toujours à éliminer l’analphabétisme. De partout monte une aspiration à plus de justice et s’élève le désir d’une paix mieux assurée, dans un respect mutuel entre les hommes et entre les peuples.

 

LA DIVERSITÉ DES SITUATIONS DES CHRÉTIENS DANS LE MONDE

 

3. Certes, bien diverses sont les situations dans lesquelles, de gré ou de force, les chrétiens se trouvent engagés, selon les régions, selon les systèmes socio-politiques, selon les cultures. Ici, ils sont réduits au silence, soupçonnés et pour ainsi dire tenus en marge de la société, encadrés sans liberté dans un sys­tème totalitaire. Là, ils sont une faible minorité dont la voix se fait difficilement entendre. En d’autres nations, où l’Eglise voit sa place reconnue et parfois de façon officielle, elle se trouve elle-même soumise aux contrecoups de la crise qui ébranle la société, et certains de ses membres sont tentés par des solutions radicales et violentes dont ils croient pouvoir espérer une issue plus heureuse. Tandis que d’aucuns, inconscients des injustices présentes, s’efforcent de prolonger la situation existante, d’autres se laissent séduire par des idéologies révolutionnaires qui leur promettent, non sans illusion, un monde définitivement meilleur.

4. Face à des situations aussi variées, il Nous est difficile de prononcer une parole unique, comme de proposer une solution qui ait valeur universelle. Telle n’est pas notre ambition, ni même notre mission. Il revient aux communautés chrétiennes d’analyser avec objectivité la situation propre de leur pays, de l’éclairer par la lumière des paroles inaltérables de l’Evangile, de puiser des principes de réflexion, des normes de jugement et des directives d’action dans l’enseignement social de l’Eglise tel qu’il s’est élaboré au cours de l’histoire et notamment, en cette ère indus­trielle, depuis la date historique du message de Léon XIII sur « la condition des ouvriers », dont Nous avons l’honneur et la joie de célébrer aujourd’hui l’anniversaire. A ces communautés chrétiennes de discerner, avec l’aide de l’Esprit-Saint, en com­munion avec les évêques responsables, en dialogue avec les autres frères chrétiens et tous les hommes de bonne volonté, les options et les engagements qu’il convient de prendre pour opérer les transformations sociales, politiques et économiques qui s’avèrent nécessaires avec urgence en bien des cas. Dans cette recherche des changements à promouvoir, les chrétiens devront d’abord renouveler leur confiance dans la force et l’originalité des exi­gences évangéliques. L’Evangile n’est pas dépassé parce qu’il a été annoncé, écrit, vécu dans un contexte socio-culturel diffé­rent. Son inspiration, enrichie par l’expérience vivante de la tradition chrétienne au long des siècles, reste toujours neuve pour la conversion des hommes et le progrès de la vie en société, sans que pour autant, on en vienne à l’utiliser au profit d’options temporelles particulières, en oubliant son message universel et éternel (cf. Gaudium et Spes, 10 ; AAS 58 [1966], p. 1033).

 

le MESSAGE SPÉCIFIQUE DE L’EGLISE

 

5. Dans les perturbations et les incertitudes de l’heure pré­sente, l’Eglise a un message spécifique à proclamer, un soutien à donner aux hommes dans leurs efforts pour prendre en main et orienter leur avenir. Depuis l’époque où Rerum Novarum dé­nonçait de manière vive et impérative le scandale de la condition ouvrière dans la société industrielle naissante, l’évolution histo­rique a fait prendre conscience, comme le constataient déjà Quadragesimo anno (AAS 23 [1931], p. 209 sq.) et Mater et Magistra (AAS 53 [1961], p. 429), d’autres dimensions et d’autres applications de la justice sociale. Le récent Concile s’est employé, pour sa part, à les dégager, en particulier dans la Consti­tution pastorale Gaudium et Spes. Nous-même déjà avons pro­longé ces orientations par notre encyclique Populorum Progressio : « Aujourd’hui, disions-Nous, le fait majeur dont chacun doit prendre conscience est que la question sociale est devenue mondiale » (Populorum Progressa, 3 ; AAS 59 [1967], p. 258). « Une prise de conscience renouvelée des exigences du message évangélique fait un devoir à l’Eglise de se mettre au service des hommes pour les aider à saisir toutes les dimensions de ce grave problème et pour les convaincre de l’urgence d’une action soli­daire en ce tournant de l’histoire de l’humanité » (Ibidem, 1 ; AAS 59 [1967], p. 257).

Ce devoir, dont Nous avons une vive conscience, Nous incite aujourd’hui à proposer quelques réflexions et suggestions suscitées par l’ampleur des problèmes posés au monde d’aujourd’hui.

6. Il reviendra par ailleurs au prochain Synode des Evêques d’étudier lui-même de plus près et d’approfondir la mission de l’Eglise devant les graves questions que pose aujourd’hui la justice dans le monde. Mais l’anniversaire de Rerum Novarum Nous fournit aujourd’hui l’occasion, Monsieur le Cardinal, de vous confier nos soucis et nos pensées devant ce problème, en votre qualité de Président de la Commission «Justice et Paix» et du Conseil des Laïcs. Nous voulons par là aussi encourager ces organismes du Saint-Siège dans leur action d’Eglise au service des hommes.

 

ampleur des mutations actuelles

 

7. Ce faisant, notre but — sans oublier pour autant les pro­blèmes permanents déjà abordés par nos prédécesseurs — est d’attirer l’attention sur quelques questions qui, par leur urgence, leur ampleur, leur complexité, doivent être au cœur des préoccu­pations des chrétiens pour les années à venir, afin qu’avec les autres hommes, ils s’emploient à résoudre les difficultés nouvelles mettant en cause l’avenir même de l’homme. » Il faut situer les problèmes sociaux posés par l’économie moderne — condi­tions humaines de production, équité dans les échanges de biens et la répartition des richesses, signification des besoins accrus de consommation, partage des responsabilités — dans un con­texte plus large de civilisation nouvelle.  Dans les mutations actuelles, si profondes et si rapides, chaque jour l’homme se découvre nouveau, et il s’interroge sur le sens de son être propre et de sa survie collective. Hésitant à recueillir les leçons d’un passé qu’il estime révolu et trop différent, il a néanmoins besoin d’éclairer son avenir — qu’il perçoit aussi incertain que mou­vant — par des vérités permanentes, éternelles, qui le dépassent certes, mais dont il peut, s’il le veut bien, retrouver lui-même les traces (cf. 2 Co 4,  17).

 

Nouveaux problèmes sociaux

 

l’urbanisation

 

8. Un phénomène majeur attire notre attention : l’urbanisa­tion, aussi bien dans les pays industrialisés que dans les nations en voie de développement.

Après de longs siècles, la civilisation agraire s’affaiblit. Apporte-t-on, du reste, une attention suffisante à l’aménagement et à l’amélioration de la vie des ruraux, dont la condition économi­que inférieure et parfois misérable provoque l’exode vers les tristes entassements des banlieues, où ne les attendent ni emploi ni logement ?

Cet exode rural permanent, la croissance industrielle, la pous­sée démographique continue, l’attrait des centres urbains con­duisent à des concentrations de population dont on a peine à imaginer l’ampleur, puisque déjà l’on parle de mégapolis re­groupant plusieurs dizaines de millions d’habitants. Certes, il existe des villes dont la dimension assure un meilleur équilibre de la population. Susceptibles d’offrir un emploi à ceux que les progrès de l’agriculture auraient rendus disponibles, elles per­mettent un aménagement de l’environnement humain de nature à éviter la prolétarisation et l’entassement des grandes agglo­mérations.

9. La croissance démesurée de ces cités accompagne l’expan­sion industrielle, sans se confondre avec elle. Basée sur la re­cherche technologique et la transformation de la nature, l’indus­trialisation poursuit toujours son chemin, faisant preuve d’une créativité incessante. Tandis que certaines entreprises se déve­loppent et se concentrent,  d’autres meurent ou se déplacent, créant de nouveaux problèmes sociaux : chômage professionnel ou régional, reconversion et mobilité des personnes, adaptation permanente des travailleurs, disparité des conditions dans les diverses branches industrielles. Une compétition sans mesure, utilisant les moyens modernes de la publicité, lance sans cesse de nouveaux produits et essaie de séduire le consommateur, tandis que les anciennes installations industrielles, encore en état de marche, deviennent inutiles. Alors que de très larges couches de population ne peuvent encore satisfaire leurs besoins primaires, on s’ingénie à créer des besoins de superflu. On peut alors se demander, à bon droit, si malgré toutes ses con­quêtes, l’homme ne retourne pas contre lui-même les fruits de son activité. Après avoir assuré une emprise nécessaire sur la nature (cf. Populorum Progressio, 25 ; AAS 59 [1967], pp. 269 et 270), ne devient-il pas maintenant esclave des objets qu’il fabrique ?

 

LES CHRÉTIENS DANS LA VILLE

 

10. Le surgissement d’une civilisation urbaine, qui accom­pagne la montée de la civilisation industrielle, n’est-il pas en effet un véritable défi jeté à la sagesse de l’homme, à sa capacité d’organisation, à son imagination prospective ? Au sein de la société industrielle, l’urbanisation bouleverse les modes de vie et les structures habituelles de l’existence : la famille, le voisi­nage, les cadres de la communauté chrétienne eux-mêmes. L’homme éprouve une nouvelle solitude, non point face à une nature hostile qu’il a mis des siècles à dominer, mais dans la foule anonyme qui l’entoure et où il se sent comme étranger. Etape sans doute irréversible dans le développement des sociétés humai­nes, l’urbanisation pose à l’homme de difficiles problèmes : com­ment maîtriser sa croissance, régler son organisation, réussir son animation pour le bien de tous ?

Dans cette croissance désordonnée, en effet, de nouveaux prolétariats prennent naissance. Ils s’installent au cœur des villes que les riches parfois abandonnent ; ils campent dans les faubourgs, ceinture de misère qui vient assiéger, dans une pro­testation encore silencieuse, le luxe trop criant des cités de con­sommation et du gaspillage. Au lieu de favoriser la rencontre fraternelle et l’entr’aide, la ville développe les discriminations et aussi les indifférences ; elle prête à de nouvelles formes d’ex­ploitation et de domination, où certains, spéculant sur les besoins des autres, en tirent des profits inadmissibles. Derrière les façades, beaucoup de misères se cachent, ignorées même des plus proches voisins ; d’autres s’étalent où sombre la dignité de l’homme : délinquance, criminalité, drogue, érotisme.

11. Ce sont en effet les plus faibles qui sont les victimes des conditions de vie déshumanisantes, dégradantes pour les cons­ciences et nuisibles à l’institution de la famille: la promiscuité des logements populaires rend impossible un minimum d’inti­mité ; les jeunes foyers, attendant vainement un logement décent et à prix accessible, se démoralisent et leur unité peut même s’en trouver compromise ; les jeunes fuient un foyer trop exigu et cherchent dans la rue des compensations et des compagnonnages incontrôlables. Il est du devoir grave des responsables de chercher à maîtriser et à orienter ce processus.

Il est urgent de reconstituer à l’échelle de la rue, du quartier ou du grand ensemble, le tissu social où l’homme puisse épa­nouir les besoins de sa personnalité. Des centres d’intérêt et de culture sont à créer ou à développer au niveau des communautés et des paroisses, dans ces diverses formes d’associations, ces cercles de loisirs, ces lieux de rassemblement, ces rencontres spirituelles communautaires où chacun, échappant à l’isolement, recréera des rapports fraternels.

12.  Construire aujourd’hui la ville, lieu d’existence des hom­mes et de leurs communautés élargies, créer de nouveaux modes de proximité et de relations, percevoir une application originale de la justice sociale, prendre en charge cet avenir collectif qui s’annonce difficile, c’est une tâche à laquelle des chrétiens doi­vent participer. A ces hommes entassés dans une promiscuité urbaine qui devient intolérable, il faut apporter un message d’espérance, par une fraternité vécue et une justice concrète. Que les chrétiens, conscients de cette responsabilité nouvelle, ne perdent pas cœur devant l’immensité sans visage de la cité mais qu’ils se souviennent de Jonas qui longuement parcourt Ninive la grande ville, pour y annoncer la bonne nouvelle de la miséricorde divine, soutenu dans sa faiblesse par la seule force de la parole du Dieu Tout-Puissant.

Dans la Bible, la ville est souvent le lieu du péché et de l’or­gueil, orgueil d’un homme qui se sent assez assuré pour bâtir sa vie sans Dieu et même s’affirmer puissant contre lui. Mais c’est aussi Jérusalem, la ville sainte, le lieu de rencontre avec Dieu, la promesse de la cité qui vient d’en haut (cf. Ap 3, 12 ; 21, 2).

 

les jeunes

 

13. Vie urbaine et mutation industrielle mettent par ailleurs en vive lumière des questions jusqu’ici mal perçues. Quelle sera, par exemple, dans ce monde en gestation, la place des femmes et celle des jeunes ?

Partout le dialogue s’avère difficile entre une jeunesse porteuse d’aspirations, de renouveau et aussi d’insécurité pour l’avenir, et les générations adultes. Qui ne voit qu’il y a là une source de conflits graves, de ruptures, et de démissions, même au sein de la famille, et une question posée sur les modes d’autorité, l’édu­cation de la liberté, la transmission des valeurs et des croyances, qui touche aux racines profondes de la société ?

 

LA PLACE DE LA FEMME

 

De même, dans beaucoup de pays, un statut de la femme qui fasse cesser une discrimination effective et établisse des rapports d’égalité dans les droits et le respect de sa dignité est l’objet de recherches, parfois de revendications vives. Nous ne parlons pas de cette fausse égalité qui nierait les distinctions établies par le Créateur lui-même et qui serait en contradiction avec le rôle spécifique, combien capital, de la femme au cœur du foyer aussi bien qu’au sein de la société. L’évolution des législations doit au contraire aller dans le sens de la protection de sa vocation propre en même temps que de la reconnaissance de son indépendance en tant que personne, de l’égalité de ses droits à participer à la vie culturelle, économique, sociale et politique.

 

LES TRAVAILLEURS

 

14. L’Eglise l’a solennellement réaffirmé au dernier Concile : « La personne humaine est et doit être le principe, le sujet et la fin de toutes les institutions » (Gaudium et Spes, 25 ; AAS 58 [1966], p. 1045). Tout homme a droit au travail, à la possibilité de développer ses qualités et sa personnalité dans l’exercice de sa profession, à une rémunération équitable qui lui permette, à lui et à sa famille, de « mener une vie digne sur le plan matériel, social, culturel et spirituel » (Ibidem, 67 ; AAS 58 [1966], p. 1089), à l’assistance en cas de besoin, du fait de la maladie ou de l’âge. Si, pour la défense de ces droits, les sociétés démocratiques acceptent le principe du droit syndical, elles ne sont pas, pour autant, toujours ouvertes à son exercice. L’on doit admettre le rôle important des syndicats : ils ont pour objet la représentation des diverses catégories de travailleurs, leur légitime collaboration à l’essor économique de la société, le développement du sens de leurs responsabilités pour la réalisation du bien commun. Leur action ne va pas, cependant, sans difficultés : la tentation peut apparaître, ici ou là, de profiter d’une position de force pour imposer notamment par la grève — dont le droit comme moyen ultime de défense reste, certes, reconnu — des conditions trop lourdes pour l’ensemble de l’économie ou du corps social ou pour vouloir faire aboutir des revendications d’ordre directement politique. Lorsqu’il s’agit en particulier de services publics, nécessaires à la vie quotidienne de toute une communauté, on devra savoir estimer le seuil au-delà duquel le tort causé devient inadmissible.

 

LES VICTIMES DES MUTATIONS

 

15. Bref, des progrès ont déjà été accomplis pour introduire, au sein des rapports humains, plus de justice et de participation aux responsabilités. Mais, en cet immense domaine, il reste encore beaucoup à faire. Aussi faut-il poursuivre activement la réflexion, la recherche et l’expérimentation, sous peine de demeurer en retard par rapport aux aspirations légitimes des travailleurs, aspirations qui s’affirment davantage au fur et à mesure que se développent leur formation, la conscience de leur dignité, la vigueur de leurs organisations.

L’égoïsme et la domination sont chez les hommes des tenta­tions permanentes. Aussi un discernement toujours plus affiné est-il nécessaire pour saisir, à leur racine, les situations naissantes d injustice et instaurer progressivement une justice de moins en moins imparfaite. Dans la mutation industrielle, qui réclame une adaptation rapide et constante, ceux qui vont se trouver lésés seront plus nombreux et plus défavorisés pour faire entendre leurs voix. Vers ces nouveaux « pauvres » — handicapés et ina­daptés, vieillards, marginaux d’origine diverse —, l’attention de l’Eglise se porte pour les reconnaître, les aider, défendre leur place et leur dignité dans une société durcie par la compétition et l’attrait de la réussite.

 

LES DISCRIMINATIONS

 

16. Au nombre des victimes des situations d’injustice — encore que le phénomène ne soit, malheureusement, pas nouveau — il faut placer ceux qui sont l’objet de discriminations, de droit ou de fait, à cause de leur race, leur origine, leur couleur, leur cul­ture, leur sexe ou leur religion.

La discrimination raciale revêt, en ce moment, un caractère de plus forte actualité par la tension qu’elle soulève tant à l’inté­rieur de certains pays qu’au plan international lui-même. Avec raison, les hommes tiennent pour injustifiable et rejettent comme inadmissible la tendance à maintenir ou à introduire une législa­tion ou des comportements, inspirés systématiquement par les préjugés racistes: les membres de l’humanité partagent la même nature et, par conséquent, la même dignité avec les mêmes droits et mêmes devoirs fondamentaux, comme la même destinée sur­naturelle. Au sein d’une commune patrie, tous doivent être égaux devant la loi, trouver un accès égal à la vie économique, culturelle, civique ou sociale et bénéficier d’une équitable répar­tition de la richesse nationale.

 

un droit a l’émigration

 

17. Nous songeons aussi à la situation précaire d’un grand nombre de travailleurs émigrés, dont la condition d’étrangers rend d’autant plus difficile, de leur part, toute revendication sociale, malgré leur réelle participation à l’effort économique du pays d’accueil. Il est urgent que l’on sache dépasser à leur égard une attitude étroitement nationaliste pour leur créer un statut qui reconnaisse un droit à l’émigration, favorise leur intégration, facilite leur promotion professionnelle et leur permette l’accès à un logement décent, où puissent les rejoindre, le cas échéant, leurs familles (cf. Populorum Progressio, 69 ; AAS 59 [1967], pp. 290-291).

A cette catégorie se rattachent les populations qui, pour trouver du travail, fuir une catastrophe ou un climat hostile, quittent leurs régions et se retrouvent déracinées chez les autres.

Il est du devoir de tous — et spécialement des chrétiens (cf. Mt 25, 35) — de travailler avec énergie à instaurer la fra­ternité universelle, base indispensable d’une justice authentique et condition d’une paix durable : « Nous ne pouvons invoquer Dieu, Père de tous les hommes, si nous refusons de nous conduire fraternellement envers certains des hommes créés à l’image de Dieu. La relation de l’homme à Dieu le Père et la relation de l’homme à ses frères humains sont tellement liées que l’Ecriture dit : « Qui n’aime pas ne connaît pas Dieu » (1 Jn 4, 8) (cf. Nostra Aetate, 5 ; AAS 58 [1966], p. 743).

 

créer des emplois

 

18. Avec la croissance démographique, surtout marquée dans les jeunes nations, le nombre de ceux qui n’arrivent pas à trouver du travail et sont contraints à la misère ou au parasitisme ira grandissant dans les prochaines années, à moins qu’un sursaut de la conscience humaine n’entraîne un mouvement général de solidarité par une politique efficace d’investissements, d’organi­sation de la production et de la commercialisation, aussi bien du reste que de formation. Nous savons l’attention qui est portée à ces problèmes au sein des instances internationales et Nous souhaitons vivement que leurs membres ne tardent pas à confor­mer leurs actes à leurs déclarations.

Il est inquiétant de constater en ce domaine une sorte de fata­lisme qui s’empare même des responsables. Ce sentiment conduit parfois jusqu’aux solutions malthusiennes prônées par une pro­pagande active en faveur de la contraception et de l’avortement. Dans cette situation critique, il faut au contraire affirmer que la famille, sans laquelle nulle société ne peut subsister, a droit à l’assistance qui lui assure les conditions d’un sain épanouisse­ment. « Il est certain, disions-Nous dans notre encyclique Populorum Progressio, que les pouvoirs publics, dans les limites de leur compétence, peuvent intervenir, en développant une infor­mation appropriée et en prenant des mesures adaptées, pourvu qu’elles soient conformes aux exigences de la loi morale et res­pectueuses de la juste liberté du couple. Sans droit inaliénable au mariage et à la procréation, il n’est plus de dignité humaine » (Populorum Progressio, 37 ; AAS 59 [1967], p. 276).

19. Jamais à aucune autre époque l’appel à l’imagination sociale n’a été aussi explicite. Il faut y consacrer des efforts d’in­vention et des capitaux aussi importants que ceux qui sont investis pour l’armement ou pour les performances technologiques. Si l’homme se laisse déborder et ne prévoit pas à temps l’émer­gence des nouvelles questions sociales, celles-ci deviendront trop graves pour qu’une solution pacifique puisse être espérée.

 

LES MOYENS DE COMMUNICATTONS SOCIALES

 

20. Parmi les changements majeurs de notre temps, Nous ne voulons pas oublier de souligner le rôle croissant que prennent les moyens de communication sociale et leur influence sur la transformation des mentalités, des connaissances, des organi­sations et de la société elle-même. Certes, ils ont bien des aspects positifs : grâce à eux, les informations du monde entier nous parviennent quasi instantanément, créant un contact par-delà les distances et des éléments d’unité entre tous les hommes ; une diffusion plus étendue de la formation et de la culture de­vient possible. Toutefois, ces moyens de communication sociale, par leur action même, en arrivent à représenter comme un nou­veau pouvoir. Comment ne pas alors s’interroger sur les déten­teurs réels de ce pouvoir, sur les buts qu’ils poursuivent et les moyens qu’ils mettent en œuvre, sur le retentissement, enfin, de leur action, quant à l’exercice des libertés individuelles, aussi bien dans les domaines politique et idéologique que dans la vie sociale, économique et culturelle ? Les hommes qui détiennent cette puissance ont une grave responsabilité morale par rapport à la vérité des informations qu’ils doivent diffuser, par rapport aux besoins et aux réactions qu’ils font naître, par rapport aux valeurs qu’ils proposent. Plus encore, avec la télévision, c’est un mode original de connaissance et une nouvelle civilisation qui s’ébauche : celle de l’image.

Naturellement, les pouvoirs publics ne peuvent ignorer ni l’emprise croissante des moyens de communication sociale ni les avantages ou les risques que leur usage comporte pour le développement et l’avancement véritable de la société civile.

Il leur revient, de ce fait, d’exercer positivement leur fonction de service du bien commun, en apportant leur encouragement aux initiatives constructives et leur appui aux individus et aux groupes dans leur action pour défendre les valeurs fondamentales de la personne et de la communauté humaine. Ils s’emploieront, d’autre part, à éviter, par des mesures opportunes, que ne se propage ce qui serait de nature à léser le patrimoine commun des valeurs sur lesquelles se fonde le progrès authentique de la so­ciété (cf. Inter Mirifica, 12 ; AAS 56 [1964], p. 149).

 

l’environnement

 

21. Tandis que l’horizon de l’homme se modifie ainsi à partir des images qu’on choisit pour lui, une autre transformation se fait sentir, conséquence aussi dramatique qu’inattendue de l’activité humaine. Brusquement l’homme en prend conscience : par une exploitation inconsidérée de la nature, il risque de la détruire et d’être à son tour la victime de cette dégradation. Non seulement l’environnement matériel devient une menace per­manente : pollutions et déchets, nouvelles maladies, pouvoir destructeur absolu ; mais c’est le cadre humain que l’homme ne maîtrise plus, créant ainsi pour demain un environnement qui pourra lui être intolérable. Problème social d’envergure qui regarde la famille humaine tout entière.

C’est vers ces perceptions neuves que le chrétien doit se tourner pour prendre en responsabilité, avec les autres hommes, un destin désormais commun.

 

Aspirations fondamentales et courants d’idée

 

22. En même temps que le progrès scientifique et technique continue à bouleverser le paysage de l’homme, ses modes de connaissance, de travail, de consommation et de relations, s’exprime toujours, dans ces contextes nouveaux, une double aspi­ration plus vive au fur et à mesure que se développent son infor­mation et son éducation : aspiration à l’égalité, aspiration à la par­ticipation ; deux formes de la dignité de l’homme et de sa liberté.

 

avantages et limites des reconnaissances juridiques

 

23. Pour inscrire dans les faits et les structures cette double aspiration, des progrès ont été accomplis dans l’énoncé des droits de l’homme et la recherche d’accords internationaux pour l’application de ces droits (cf. Pacem in Terris ; AAS 55 [1963], p. 261 sq.). Cependant les discriminations — ethniques, cultu­relles, religieuses, politiques... — renaissent toujours. En fait, les droits humains demeurent encore trop souvent méconnus, sinon bafoués, ou leur respect est purement formel. En bien des cas, la législation est en retard sur les situations, réelles. Néces­saire, elle est insuffisante à établir de véritables rapports de justice et d’égalité. L’Evangile, en nous enseignant la charité, nous apprend le respect privilégié des pauvres et leur situation parti­culière dans la société : les plus favorisés doivent renoncer à certains de leurs droits, pour mettre avec plus de libéralité leurs biens au service des autres. Si, en effet, au-delà des règles juri­diques, manque un sens plus profond du respect et du service d’autrui, même l’égalité devant la loi pourra servir d’alibi à des discriminations flagrantes, à des exploitations maintenues, à un mépris effectif. Sans une éducation renouvelée de la solidarité, une affirmation excessive de l’égalité peut donner lieu à un indi­vidualisme où chacun revendique ses droits,  sans se vouloir responsable du bien commun.

Qui ne voit l’apport capital, dans ce domaine, de l’esprit chrétien qui va d’ailleurs à la rencontre des aspirations de l’homme à être aimé ? L’amour de l’homme, première valeur de l’ordre terrestre, assure les conditions de la paix, tant sociale qu’interna­tionale, en affirmant notre fraternité universelle (cf. Message pour la Journée Mondiale de la Paix ; AAS 63 [1971], pp. 5-9).

 

LA SOCIÉTÉ POLITIQUE

 

24. La  double aspiration vers l’égalité et la participation cherche à promouvoir un type de société démocratique. Divers modèles sont proposés, certains sont expérimentés ; aucun ne donne complète satisfaction et la recherche reste ouverte entre les tendances idéologiques et pragmatiques. Le chrétien a le devoir de participer à cette recherche et à l’organisation comme à la vie de la société politique. Etre social, l’homme construit son destin dans une série de groupements particuliers qui appellent, comme leur achèvement et comme une condition nécessaire de leur développement, une société plus vaste, de caractère uni­versel, la société politique. Toute activité particulière doit se replacer dans cette société élargie et prend, par là même, la di­mension du bien commun (cf. Gaudium et Spes, 74, AAS 58 [1966], pp. 1095-1096).

C’est dire l’importance d’une éducation à la vie en société, où, en plus de l’information sur les droits de chacun, soit rappelé leur nécessaire corrélatif : la reconnaissance des devoirs à l’égard des autres ; le sens et la pratique du devoir sont eux-mêmes con­ditionnés par la maîtrise de soi, l’acceptation des responsabilités et des limites posées à l’exercice de la liberté de l’individu ou du groupe.

25. L’action politique — est-il besoin de marquer qu’il s’agit d’abord d’une action et non pas d’une idéologie ? — doit être sous-tendue par un projet de société, cohérent dans ses moyens concrets et dans son inspiration qui s’alimente à une conception plénière de la vocation de l’homme et de ses différentes expres­sions sociales. Il n’appartient ni à l’Etat, ni même à des partis politiques qui seraient clos sur eux-mêmes, de chercher à imposer une idéologie, par des moyens qui aboutiraient à la dictature des esprits, la pire de toutes. C’est aux groupements culturels et religieux — dans la liberté d’adhésion qu’ils supposent — qu’il appartient, de manière désintéressée et par leurs voies propres, de développer dans le corps social ces convictions ultimes sur la nature, l’origine et la fin de l’homme et de la société.

En ce domaine, il convient de rappeler le principe proclamé au Concile Vatican II : « La vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance » (cf. Dignitatis Humanae, 1 ; AAS 58 [1966], p. 930).

 

idéologies et liberté humaine

 

26. Aussi le chrétien qui veut vivre sa foi dans une action politique conçue comme un service, ne peut-il, sans se contre­dire, adhérer à des systèmes idéologiques qui s’opposent radicalement ou sur des points substantiels, à sa foi et à sa conception de l’homme ; ni à l’idéologie marxiste, à son matérialisme athée, à sa dialectique de violence et à la manière dont elle résorbe la liberté individuelle dans la collectivité, en niant en même temps toute transcendance à l’homme et à son histoire, personnelle et collective ; ni à l’idéologie libérale, qui croit exalter la liberté individuelle en la soustrayant à toute limitation, en la stimulant par la recherche exclusive de l’intérêt et de la puissance, et en considérant les solidarités sociales comme des conséquences plus ou moins automatiques des initiatives individuelles et non pas comme un but et un critère majeur de la valeur de l’organisation sociale.

27. Est-il besoin de souligner l’ambiguïté possible de toute idéologie sociale ? Tantôt elle ramène l’action, politique ou so­ciale, à être simplement l’application d’une idée abstraite, pure­ment théorique ; tantôt c’est la pensée qui devient un pur instru­ment au service de l’action comme un simple moyen d’une stra­tégie. Dans les deux cas, n’est-ce pas l’homme qui risque de se trouver aliéné ? La foi chrétienne se situe au dessus et parfois à l’opposé des idéologies dans la mesure où elle reconnaît Dieu, transcendant et créateur, qui interpelle, à travers tous les niveaux du créé, l’homme comme liberté responsable.

28. Le danger serait aussi d’adhérer fondamentalement à une idéologie qui ne repose pas sur une doctrine vraie et organique, de s’y réfugier comme dans une explication dernière et suffisante de tout et de se construire ainsi une nouvelle idole dont on accepte, parfois sans en prendre conscience, le caractère tota­litaire et contraignant. Et Ton pense trouver là une justification à son action, même violente, une adéquation à un désir géné­reux de service ; celui-ci demeure, mais il se laisse absorber par une idéologie qui — même si elle propose certaines voies de libé­ration pour l’homme — aboutit finalement à l’asservir.

29. Si l’on a pu parler aujourd’hui d’un recul des idéologies, ce peut être un temps favorable pour une ouverture sur la trans­cendance concrète du christianisme. Ce peut être aussi le glissement plus accentué vers un nouveau positivisme : la technique universalisée comme forme dominante d’activité, comme mode envahissant d’exister, comme langage même, sans que la question de son sens ne soit réellement posée.

 

LES MOUVEMENTS HISTORIQUES

 

30. Mais en dehors de ce positivisme qui réduit l’homme à une seule dimension — fût-elle importante aujourd’hui — et en cela le mutile, le chrétien rencontre, dans son action, des mouvements historiques concrets issus des idéologies, et, pour une part, distincts d’elles. Déjà notre vénéré Prédécesseur Jean XXIII, dans Pacem in  Terris,  montre qu’il est possible d’opérer une distinction : « On ne peut identifier, écrit-il, de fausses théories philosophiques sur la nature, l’origine et la finalité du monde et de l’homme, avec des mouvements historiques fondés dans un but économique, social, culturel ou politique, même si ces der­niers ont dû leur origine à ces théories et puisent encore leur inspiration en elles. Une doctrine, une fois fixée et formulée, ne change plus, tandis que des mouvements ayant pour objet des conditions concrètes et changeantes de la vie ne peuvent pas ne pas être largement influencés par cette évolution. Du reste, dans la mesure où ces mouvements sont d’accord avec les sains prin­cipes de la raison et répondent aux justes aspirations de la per­sonne humaine, qui refuserait d’y reconnaître des éléments po­sitifs et dignes d’approbation ? » (Pacem in Terris 159 ; AAS 55 [1963], p. 300).

 

l’attrait des courants socialistes

 

31. Aujourd’hui des chrétiens sont attirés par les courants socialistes et leurs évolutions diverses. Ils cherchent à y recon­naître un certain nombre  d’aspirations qu’ils portent en eux-mêmes au nom de leur foi. Ils se sentent insérés dans ce courant historique et veulent y mener une action. Or, selon les continents et les cultures, ce courant historique prend des formes différentes sous un même vocable, même s’il a été et demeure, en bien des cas, inspiré par des idéologies incompatibles avec la foi. Un discernement attentif s’impose. Trop souvent les chrétiens attirés par le socialisme ont tendance à l’idéaliser en termes d’ailleurs très généraux : volonté de justice, de solidarité et d’égalité. Ils refusent de reconnaître les contraintes des mouvements histori­ques socialistes, qui restent conditionnés par leurs idéologies d’origine. Entre les divers niveaux d’expression du socialisme — une aspiration généreuse et une recherche d’une société plus juste, des mouvements historiques ayant une organisation et un but politiques, une idéologie prétendant donner une vision totale et autonome de l’homme —, des distinctions sont à établir qui guideront les choix concrets. Toutefois ces distinctions ne doivent pas tendre à considérer ces niveaux comme complètement séparés et indépendants. Le lien concret qui, selon les circonstances, existe entre eux, doit être lucidement repéré, et cette perspicacité permettra aux chrétiens d’envisager le degré d’engagement possible dans cette voie, étant sauves les valeurs, notamment de liberté, de responsabilité et d’ouverture au spi­rituel, qui garantissent l’épanouissement intégral de l’homme.

 

L’ÉVOLUTION HISTORIQUE DU MARXISME

 

32. D’autres chrétiens se demandent même si une évolution historique du marxisme n’autoriserait pas certains rapproche­ments concrets. Ils constatent en effet un certain éclatement du marxisme qui, jusqu’ici, se présentait comme une idéologie unitaire, explicative de la totalité de l’homme et du monde dans son processus de développement, et donc athée. En dehors de l’affrontement idéologique qui sépare officiellement les divers tenants du marxisme-léninisme dans leur interprétation respec­tive de la pensée des fondateurs et des oppositions ouvertes entre les systèmes politiques qui se réclament aujourd’hui d’elle, cer­tains établissent les distinctions entre divers niveaux d’expression du marxisme.

33. Pour les uns, le marxisme demeure essentiellement une pratique active de la lutte de classes. Expérimentant la vigueur toujours présente et sans cesse renaissante des rapports de domi­nation et d’exploitation entre les hommes, ils réduisent le mar­xisme à n’être que lutte, parfois sans autre projet, lutte qu’il faut poursuivre et même susciter de façon permanente. Pour d’autres, il sera d’abord l’exercice collectif d’un pouvoir poli­tique et économique sous la direction d’un parti unique, qui se veut être — et lui seul — expression et garant du bien de tous, enlevant aux individus et aux autres groupes toute possibilité d’initiative et de choix. A un troisième niveau, le marxisme __qu’il soit au pouvoir ou non — se réfère à une idéologie socia­liste à base de matérialisme historique et de négation de tout transcendant. Ailleurs enfin, il se présente sous une forme plus atténuée, plus séduisante aussi pour l’esprit moderne : comme une activité scientifique, comme une méthode rigoureuse d’examen de la réalité sociale et politique, comme le lien rationnel et expé­rimenté par l’histoire entre la connaissance théorique et la pra­tique de la transformation révolutionnaire. Bien que ce type d’analyse privilégie certains aspects de la réalité au détriment des autres et les interprète en fonction de l’idéologie, il fournit pour­tant à certains, avec un instrument de travail, une certitude préa­lable à l’action, avec la prétention de déchiffrer, sous un mode scientifique, les ressorts de l’évolution de la société.

34. Si à travers le marxisme, tel qu’il est concrètement vécu, on peut distinguer ces divers aspects et les questions qu’ils posent aux chrétiens pour la réflexion et pour l’action, il serait illusoire et dangereux d’en arriver à oublier le lien intime qui les unit radicalement, d’accepter les éléments de l’analyse marxiste sans reconnaître leurs rapports avec l’idéologie, d’entrer dans la pra­tique de la lutte des classes et de son interprétation marxiste en négligeant de percevoir le type de société totalitaire et violente à laquelle conduit ce processus.

 

l’idéologie libérale

 

35. D’autre part,  on assiste à un renouveau de l’idéologie libérale. Ce courant s’affirme, soit au nom de l’efficacité écono­mique, soit pour défendre l’individu contre les emprises de plus en plus envahissantes des organisations, soit contre les tendances totalitaires des pouvoirs politiques. Et certes l’initiative person­nelle est à maintenir et à développer. Mais les chrétiens qui s’enga­gent dans cette voie n’ont-ils pas tendance à idéaliser, à leur tour, le libéralisme qui devient alors une proclamation en faveur de la liberté ? Ils voudraient un modèle nouveau, plus adapté aux conditions actuelles, en oubliant facilement que, dans sa racine même, le libéralisme philosophique est une affirmation erronée de l’autonomie de l’individu, dans son activité, ses motivations, l’exercice de sa liberté. C’est dire que l’idéologie libérale requiert, également, de leur part, un discernement attentif.

 

LE DISCERNEMENT CHRÉTIEN

 

36. Dans cette approche renouvelée des diverses idéologies, le chrétien puisera aux sources de sa foi et dans l’enseignement de l’Eglise les principes et les critères opportuns pour éviter de se laisser séduire, puis enfermer, dans un système dont les limites et le totalitarisme risquent de lui apparaître trop tard s’il ne les perçoit pas dans leurs racines. Dépassant tout système, sans pour autant omettre l’engagement concret au service de ses frères, il affirmera, au sein même de ses options, la spécificité de l’apport chrétien pour une transformation positive de la société (cf. Gaudium et Spes, 11 ; AAS 58 [1966], p. 1033).

 

renaissance des utopies

 

37. Aujourd’hui d’ailleurs, les faiblesses des idéologies sont mieux perçues à travers les systèmes concrets où elles essaient de se réaliser. Socialisme bureaucratique, capitalisme technocra­tique, démocratie autoritaire manifestent la difficulté de résoudre le grand problème humain de vivre ensemble dans la justice et l’égalité. Comment pourraient-ils, en effet, échapper au maté­rialisme, à l’égoïsme ou à la contrainte qui, fatalement, les accom­pagnent ? D’où une contestation qui surgit un peu partout, signe d’un malaise profond, tandis qu’on assiste à la renaissance de ce qu’il est convenu d’appeler les « utopies », qui prétendent, mieux que les idéologies, résoudre les problèmes politiques des sociétés modernes ? Il serait dangereux de le méconnaître, l’appel à l’utopie est souvent un prétexte commode à qui veut fuir les tâches concrètes pour se réfugier dans un monde imaginaire. Vivre dans un futur hypothétique est un alibi facile pour repousser des responsabilités immédiates. Mais il faut bien le reconnaître, cette forme de critique de la société existante, provoque souvent l’imagination prospective, à la fois pour percevoir dans le présent le possible ignoré qui s’y trouve inscrit et pour orienter vers un avenir neuf ; elle soutient ainsi la dynamique sociale par la con­fiance qu’elle donne aux forces inventives de l’esprit et du cœur humains ; et, si elle ne refuse aucune ouverture, elle peut aussi rencontrer l’appel chrétien. L’Esprit du Seigneur, qui anime l’homme rénové dans le Christ, bouscule sans cesse les horizons où son intelligence aime trouver sa sécurité, et les limites où vo­lontiers son action s’enfermerait ; une force l’habite qui l’appelle à dépasser tout système et toute idéologie. Au cœur du monde demeure le mystère de l’homme qui se découvre fils de Dieu au cours d’un processus historique et psychologique où luttent et alternent contraintes et liberté, pesanteur du péché et souffle de l’Esprit.

Le dynamisme de la foi chrétienne triomphe alors des calculs étroits de l’égoïsme. Animé par la puissance de l’Esprit de Jésus-Christ, Sauveur des hommes, soutenu par l’Espérance, le chrétien s’engage dans la construction d’une cité humaine, pacifique, juste et fraternelle, qui soit une offrande agréable à Dieu (cf. Rm 15,16). En effet, « l’attente de la nouvelle terre, loin d’affaiblir en nous le souci de cultiver cette terre doit plutôt le réveiller : le corps de la nouvelle famille humaine y grandit, qui offre déjà quelque ébauche du siècle à venir » (Gaudium et Spes, 39 ; AAS 58 ; [1966], p. 1057).

 

l’interrogation des sciences humaines

 

38. Dans ce monde dominé par la mutation scientifique et technique qui risque de l’entraîner vers un nouveau positivisme, un autre doute se lève, plus essentiel. Après s’être appliqué à soumettre rationnellement la nature, voici que l’homme se trouve comme enfermé lui-même dans sa propre rationalité ; il devient a son tour objet de science. Les « sciences humaines » connaissent aujourd’hui un essor significatif. D’une part, elles soumettent a un examen critique et radical les connaissances admises jusqu’ici sur l’homme, parce qu’elles leur apparaissent ou trop empiriques, ou trop théoriques. D’autre part, la nécessité méthodologique et l’a priori idéologique les conduisent trop souvent à isoler, à travers les situations variées, certains aspects de l’homme et à leur donner pourtant une explication qui prétend être globale, ou du moins une interprétation qui se voudrait totalisante à partir d’un point de vue purement quantitatif ou phénoménologiste. Cette réduction « scientifique » trahit une prétention dangereuse. Privilégier ainsi tel aspect de l’analyse, c’est mutiler l’homme et, sous les apparences d’un processus scientifique, se rendre incapable de le comprendre dans sa totalité.

39. Il ne faut pas être moins attentif à l’action que les « sciences humaines » peuvent susciter, en donnant naissance à l’élaboration de modèles sociaux que l’on voudrait imposer ensuite comme types de conduite scientifiquement éprouvés. L’homme peut alors devenir objet de manipulations, orientant ses désirs et ses besoins, modifiant ses comportements et jusqu’à son système de valeurs. Nul doute qu’il n’y ait là un danger grave pour les sociétés de demain et pour l’homme lui-même. Car si tous s’accordent pour construire une société nouvelle qui sera au service des hommes, encore faut-il savoir de quel homme il s’agit.

40. Le soupçon des sciences humaines atteint le chrétien plus que d’autres, mais ne le trouve pas désarmé. Car, Nous l’écri­vions Nous-même dans Populorum Progressio, c’est là que se situe l’apport spécifique de l’Eglise aux civilisations : « Communiant aux meilleures aspirations des hommes et souffrant de les voir insatis­faites, l’Eglise désire les aider à atteindre leur plein épanouissement, et c’est pourquoi elle leur propose ce qu’elle possède en propre : une vision globale de l’homme et de l’humanité » (Populorum Progressio 13 ; AAS 59 [1967], p. 264). Faudrait-il alors que l’Eglise conteste les sciences humaines dans leur démarche et dénonce leur prétention ? Comme pour les sciences de la nature, l’Eglise fait confiance à cette recherche et invite les chrétiens à y être activement présents (cf. Gaudium et Spes, 36 ; AAS 58 [1966], p. 1054). Animés par la même exigence scientifique et le désir de mieux connaître l’homme, mais en même temps éclairés par leur foi, les chrétiens adonnés aux sciences humaines ouvriront un dialogue, qui s’annonce fructueux, entre l’Eglise et ce champ nouveau de découvertes. Certes chaque discipline scientifique ne pourra saisir,  dans sa particularité,  qu’un aspect partiel mais vrai de l’homme ; la totalité et le sens lui échappent. Mais à l’inté­rieur de ces limites, les sciences humaines assurent une fonction positive que l’Eglise reconnaît volontiers. Elles peuvent même élargir les perspectives de la liberté humaine plus largement que les conditionnements perçus ne le laissaient prévoir. Elles pourraient aussi aider la morale sociale chrétienne, qui verra sans doute son champ se limiter lorsqu’il s’agit de proposer certains modèles sociaux, tandis que sa fonction de critique et de dépassement se renforcera en montrant le caractère relatif des comportements et des valeurs que telle société présentait comme définitives et inhérentes à la nature même de l’homme. Condition à la fois indispensable et insuffisante d’une meilleure découverte de l’humain, ces sciences sont un langage de plus en plus complexe, mais qui élargit, plus qu’il ne comble, le mystère du cœur de l’homme et n’apporte pas la réponse complète et définitive au désir qui monte du plus profond de son être.

 

l’ambiguIté du progrès

 

41. Cette meilleure connaissance de l’homme permet de mieux critiquer et éclairer une notion fondamentale qui demeure à la base des sociétés modernes, à la fois comme mobile, comme me­sure et comme objectif : le progrès. Depuis le XIX° siècle, les sociétés occidentales et beaucoup d’autres à leur contact ont mis leur espoir dans un progrès sans cesse renouvelé, indéfini. Ce progrès leur apparaissait comme l’effort de libération de l’homme à l’égard des nécessités de la nature et des contraintes sociales; c’était la condition et la mesure de la liberté humaine. Diffusé par les moyens modernes d’information et par la sollicitation de savoirs et de consommations plus étendus, le progrès devient une idéologie omniprésente. Un doute aujourd’hui se lève pour­tant et sur sa valeur et sur son issue. Que signifie cette quête inexorable d’un progrès qui fuit chaque fois que l’on croit l’avoir conquis ? Non maîtrisé, le progrès laisse insatisfait. Sans doute a-t-on dénoncé, à juste titre, les limites et même les méfaits d’une croissance économique purement quantitative et souhaite-t-on atteindre aussi des objectifs d’ordre qualitatif. La qualité et la vérité des rapports humains, le degré de participation et de respon­sabilité sont non moins significatifs et importants pour le devenir de la société, que la quantité et la variété des biens produits et consommés. Surmontant la tentation de vouloir tout mesurer en termes d’efficacité et d’échanges, en rapports de forces et d’inté­rêts, l’homme désire aujourd’hui substituer de plus en plus à ces critères quantitatifs l’intensité de la communication, la diffu­sion des savoirs et des cultures, le service réciproque, la concer­tation pour une tâche commune. Le vrai progrès n’est-il pas dans le développement de la conscience morale qui conduira l’homme à prendre en charge des solidarités élargies et à s’ouvrir librement aux autres et à Dieu ? Pour un chrétien, le progrès rencontre nécessairement le mystère eschatologique de la mort : la mort du Christ et sa résurrection, l’impulsion de l’Esprit du Seigneur, aident l’homme à situer sa liberté créatrice et reconnaissante, dans la vérité de tout progrès, dans la seule espérance qui ne déçoit pas (cf. Rm 5, 5).

 

Les chrétiens devant ces nouveaux problèmes

 

dynamisme de l’enseignement social de l’eglise

 

42. Devant tant de questions nouvelles, l’Eglise fait un effort de réflexion pour répondre, dans son domaine propre, à l’attente des hommes. Si aujourd’hui les problèmes paraissent originaux par leur ampleur et leur urgence, l’homme est-il démuni pour les résoudre ? C’est avec tout son dynamisme que l’enseignement social de l’Eglise accompagne les hommes dans leur recherche. S’il n’intervient pas pour authentifier une structure donnée ou pour proposer un modèle préfabriqué, il ne se limite pas non plus à rappeler quelques principes généraux : il se développe par une réflexion menée au contact des situations changeantes de ce monde, sous l’impulsion de l’Evangile comme source de renou­veau, dès lors que son message est accepté dans sa totalité et dans ses exigences. Il se développe aussi avec la sensibilité propre de l’Eglise, marquée par une volonté désintéressée de service et une attention aux plus pauvres. Il puise enfin dans une expérience riche de plusieurs siècles qui lui permet d’assumer, dans la con­tinuité de ses préoccupations permanentes, l’innovation hardie et créatrice que requiert la situation présente du monde.

 

POUR UNE  PLUS  GRANDE JUSTICE

 

43. Une plus grande justice reste à instaurer dans la répar­tition des biens, tant à l’intérieur des communautés nationales que sur le plan international. Dans les échanges mondiaux, il faut dépasser les rapports de forces pour arriver à des ententes con­certées en vue du bien de tous. Les rapports de force n’ont jamais établi en effet la justice de façon durable et vraie, même si à cer­tains moments l’alternance des positions peut souvent permettre de trouver des conditions plus faciles de dialogue. L’usage de la force suscite du reste la mise en œuvre de forces adverses, d’où un climat de luttes qui ouvrent à des situations extrêmes de vio­lence et à des abus  (cf. Populorum Progressio, 56 ss. ; AAS 59 [1967], p. 285 ss.). Mais, nous l’avons souvent affirmé, le devoir le plus important de justice est de permettre à chaque pays de promouvoir son propre développement, dans le cadre d’une coopération exempte de tout esprit de domination, économique et politique. Certes, la complexité des problèmes soulevés est grande dans l’enchevêtrement actuel des interdépendances ; aussi faut-il avoir le courage d’entreprendre une révision des rapports entre les nations, qu’il s’agisse de répartition internationale de la production, de structure des échanges, de Contrôle des profits, de système monétaire — sans oublier les actions de solidarité humanitaire —, de mettre en question les modèles de croissance des nations riches, de transformer les mentalités pour les ouvrir à la priorité du devoir international, de rénover les organismes internationaux en vue d’une plus grande efficacité.

44. Sous la poussée des nouveaux systèmes de production, les frontières nationales éclatent et l’on voit apparaître de nou­velles puissances économiques, les entreprises multinationales, qui par la concentration et la souplesse de leurs moyens peuvent mener des stratégies autonomes, en grande partie indépendantes des pouvoirs politiques nationaux, donc sans contrôle au point de vue du bien commun. En étendant leurs activités, ces orga­nismes privés peuvent conduire à une nouvelle forme abusive de domination économique sur le domaine social, culturel et même politique. La concentration excessive des moyens et des pouvoirs que dénonçait déjà Pie XI pour le 40e anniversaire de Rerum Novarum prend un nouveau visage concret.

 

changement des cœurs et des structures

 

45. Aujourd’hui les hommes aspirent à se libérer du besoin et de la dépendance. Mais cette libération commence par la liberté intérieure qu’ils doivent retrouver face à leurs biens et à leurs pouvoirs ; ils n’y arriveront que par un amour transcendant de l’homme, et par conséquent, par une disponibilité effective au service. Sinon, on ne le voit que trop, les idéologies les plus révolutionnaires n’aboutissent qu’à un changement de maîtres : installés à leur tour au pouvoir, les nouveaux maîtres s’entourent de privilèges, limitent les libertés et laissent s’instaurer d’autres formes d’injustice.

Aussi, beaucoup en viennent à s’interroger sur le modèle même de société. L’ambition de nombreuses nations, dans la compétition qui les oppose et les entraîne est d’atteindre à la puissance technologique, économique, militaire ; elle s’oppose alors à la mise en place de structures où le rythme du progrès serait réglé en fonction d’une plus grande justice, au lieu d’accen­tuer les disparités et de vivre dans un climat de méfiance et de lutte qui compromet sans cesse la paix.

 

signification chrétienne de l’action politique

 

46. N’est-ce pas ici qu’apparaît une limite radicale de l’éco­nomie ? Nécessaire, l’activité économique peut, si elle est au service de l’homme, « être source de fraternité et signe de la Providence » (cf. Populorum Progressio, 86 ; AAS 59 [1967], p. 299) ; elle est l’occasion d’échanges concrets entre les hommes, de droits reconnus, de services rendus, de dignité affirmée dans le travail. Souvent terrain d’affrontement et de domination, elle peut ouvrir des dialogues et susciter des  coopérations. Pourtant elle risque d’absorber à l’excès les forces et la liberté (cf. Gaudium et Spes, 63 ; AAS 58 [1966], p. 1085). C’est pourquoi le passage de l’économique au politique s’avère nécessaire. Certes, sous le terme « politique », beaucoup  de confusions sont possibles et doivent être éclairées — mais chacun sent que, dans les domaines sociaux et économiques — tant nationaux qu’internationaux —, la décision ultime revient au pouvoir politique.

Celui-ci qui est le lien naturel et nécessaire pour assurer la cohésion du corps social, doit avoir pour but la réalisation du bien commun. Il agit, dans le respect des libertés légitimes des individus, des familles et des groupes subsidiaires, afin de créer, efficacement et au profit de tous, les conditions requises pour atteindre le bien authentique et complet de l’homme, y compris sa fin spirituelle. Il se déploie dans les limites de sa compétence qui peuvent être diverses selon les pays et les peuples. Il inter­vient toujours avec un souci de justice et de dévouement au bien commun, dont il a la responsabilité ultime. Il n’enlève pas pour autant aux individus et aux corps intermédiaires leur champ d’activités et leurs responsabilités propres, qui les conduit à con­courir à la réalisation de ce bien commun. En effet, « l’objet de toute intervention en matière sociale est d’aider les membres du corps social et non de les détruire ni de les absorber » (Quadragesimo Anno ; AAS 23 [1931], p. 203 ; cf. Mater et Magistra ; AAS 53 [1961], pp. 414, 428 ; Gaudium et Spes, 74, 75, 76 ; AAS 58 [1966], pp. 1095-1100).

Selon sa vocation propre, le pouvoir politique doit savoir se dégager des intérêts particuliers pour envisager sa responsabilité à l’égard du bien de tous les hommes, en dépassant même les limites nationales. Prendre au sérieux la politique à ses divers niveaux — local, régional, national et mondial —, c’est affirmer le devoir de l’homme, de tout homme, de reconnaître la réalité concrète et la valeur de la liberté de choix qui lui est offerte de chercher à réaliser ensemble le bien de la cité, de la nation, de l’humanité. La politique est une manière exigeante — mais non la seule — de vivre l’engagement chrétien au service des autres. Sans résoudre certes tous les problèmes, elle s’efforce d’apporter des solutions aux rapports des hommes entre eux. Son domaine large et englobant n’est pas exclusif. Une attitude envahissante qui tendrait à en faire un absolu, deviendrait un grave danger. Tout en reconnaissant l’autonomie de la réalité politique, les chrétiens sollicités d’entrer dans l’action politique s’efforceront de rechercher une cohérence entre leurs options et l’Evangile et de donner, au sein d’un pluralisme légitime, un témoignage, personnel et collectif, du sérieux de leur foi par un service efficace et désintéressé des hommes.

 

partage des responsabilités

 

47. Le passage à la dimension politique exprime aussi une requête actuelle de l’homme : un plus grand partage des respon­sabilités et des décisions. Cette aspiration légitime se manifeste davantage à mesure que croît le niveau culturel, que se déve­loppe le sens de la liberté, et que l’homme perçoit mieux comment, dans un monde ouvert sur un avenir incertain, les choix d’aujour­d’hui conditionnent déjà la vie de demain. Dans Mater et Magistra (cf. AAS 53 [1961], pp. 420-422) Jean XXIII soulignait combien l’accès aux responsabilités est une exigence fondamentale de la nature de l’homme, un exercice concret de sa liberté, une voie pour son développement, et il indiquait comment, dans la vie économique et en particulier dans l’entreprise, cette partici­pation aux responsabilités devait être assurée (cf. Gaudium et Spes, 68, 75 ; ,4,4558 [1966], pp. 1089-1090 ; 1097). Aujourd’hui le domaine est plus vaste, il s’étend au champ social et politique où doit être institué et intensifié un partage raisonnable dans les responsabilités et les décisions. Certes les choix proposés à la décision sont de plus en plus complexes ; les considérations à inclure multiples, la prévision des conséquences aléatoire, même si des sciences nouvelles s’efforcent d’éclairer la liberté dans ces moments importants. Pourtant, bien que des limites s’imposent parfois, ces obstacles ne doivent pas ralentir une diffusion plus grande de la participation à l’élaboration de la décision, comme aux choix eux-mêmes et à leur mise en application. Pour faire contrepoids à une technocratie grandissante, il faut inventer des formes de démocratie moderne, non seulement en donnant à chaque homme la possibilité de s’informer et de s’exprimer, mais en l’engageant dans une responsabilité commune. Ainsi les grou­pes humains se transforment peu à peu en communautés de partage et de vie. Ainsi la liberté, qui s’affirme trop souvent comme revendication d’autonomie en s’opposant à la liberté d’autrui, s’épanouit dans sa réalité humaine la plus profonde : s’engager et se dépenser pour construire des solidarités actives et vécues. Mais, pour le chrétien, c’est en se perdant en Dieu qui le libère, que l’homme trouve une vraie liberté, rénovée dans la mort et la résurrection du Seigneur.

 

Appel à l’action

 

nécessité de s’engager dans l’action

 

48. Dans le domaine social, l’Eglise a toujours voulu assurer une double fonction : éclairer les esprits pour les aider à découvrir la vérité et discerner la voie à suivre au milieu des doctrines di­verses qui sollicitent le chrétien ; entrer dans l’action et diffuser, avec un souci réel du service et de l’efficacité, les énergies de l’Evangile. N’est-ce pas pour être fidèle à cette volonté que l’Eglise a envoyé en mission apostolique parmi les travailleurs, des prêtres qui, en partageant intégralement la condition ouvrière, veulent y être les témoins de sa sollicitude et de sa recherche ?

C’est à tous les chrétiens que Nous adressons à nouveau et de façon pressante, un appel à l’action. Dans notre encyclique sur le Développement des Peuples, Nous insistions pour que tous se mettent à l’œuvre : « Les laïcs doivent assumer comme leur tâche propre le renouvellement de l’ordre temporel ; si le rôle de la hiérarchie est d’enseigner et d’interpréter authentiquement les principes moraux à suivre en ce domaine, il leur appartient, par leurs libres initiatives et sans attendre passivement consignes et directives, de pénétrer d’esprit chrétien la mentalité et les mœurs, les lois et les structures de leur communauté de vie » (Populorum Progressio), 81 ; AAS 59 [1967], pp. 296-297). Que chacun s’examine pour voir ce qu’il a fait jusqu’ici et ce qu’il devrait faire. Il ne suffit pas de rappeler des principes, d’affirmer des intentions, de souligner des injustices criantes et de proférer des dénonciations prophétiques: ces paroles n’auront de poids réel que si elles s’accompagnent pour chacun d’une prise de conscience plus vive de sa propre responsabilité et d’une action effective. Il est trop facile de rejeter sur les autres la responsa­bilité des injustices, si on ne perçoit pas en même temps comment on y participe soi-même et comment la conversion personnelle est d’abord nécessaire. Cette humilité fondamentale enlèvera à l’action toute raideur et tout sectarisme ; elle évitera aussi le découragement en face d’une tâche qui apparaît démesurée. L’espérance du chrétien lui vient d’abord de ce qu’il sait que le Seigneur est à l’œuvre avec nous dans le monde, continuant en son Corps qui est l’Eglise — et par elle dans l’humanité entière — la Rédemption qui s’est accomplie sur la Croix et qui a éclaté en victoire au matin de la Résurrection (cf. Mt 28, 30 ; Ph 2, 8-11). Elle vient aussi de ce qu’il sait que d’autres hommes sont à l’œuvre pour entreprendre des actions convergentes de justice et de paix ; car sous une apparente indifférence, il y a au cœur de chaque homme une volonté de vie fraternelle et une soif de justice et de paix, qu’il s’agit d’épanouir.

49. Ainsi, dans la diversité des situations, des fonctions, des organisations, chacun doit situer sa responsabilité et discerner, en conscience, les actions auxquelles il est appelé à participer. Mêlé à des courants divers où, à côté d’aspirations légitimes, se glissent des orientations plus ambiguës, le chrétien doit opérer un tri vigilant et éviter de s’engager dans les collaborations incon­ditionnelles et contraires aux principes d’un véritable humanisme, même au nom de solidarités effectivement ressenties. S’il veut, en effet, jouer un rôle spécifique, comme chrétien en accord avec sa foi — rôle que les incroyants eux-mêmes attendent de lui —, il doit veiller, au sein de son engagement actif, à élucider ses motivations, à dépasser les objectifs poursuivis dans une vue plus compréhensive qui évitera le danger des particularismes égoïstes et des totalitarismes oppresseurs.

 

pluralisme des options

 

50. Dans les situations concrètes et compte tenu des solida­rités vécues par chacun, il faut reconnaître une légitime variété d’options possibles. Une même foi chrétienne peut conduire à des engagements différents (cf. Gaudium et Spes, 43 ; AAS 58 [1966], p. 1061). L’Eglise invite tous les chrétiens à une double tâche d’animation et d’innovation afin de faire évoluer les struc­tures pour les adapter aux vrais besoins actuels. Aux chrétiens qui paraissent, à première vue, s’opposer à partir d’options diffé­rentes, elle demande un effort de compréhension réciproque des positions et des motivations de l’autre ; un examen loyal, de ses comportements et de leur rectitude suggérera à chacun une atti­tude de charité plus profonde qui, tout en reconnaissant les diffé­rences, n’en croit pas moins aux possibilités de convergence et d’unité. « Ce qui unit les fidèles en effet est plus fort que ce qui les sépare» (cf. Gaudium et Spes, 93 ; AAS 58 [1966], p. 1113). Il est vrai que beaucoup, insérés dans les structures et les conditionnements modernes, sont déterminés par leurs habitudes de pensée, leurs fonctions, quand ce n’est pas par la sauvegarde d’intérêts matériels. D’autres ressentent si profondément les solidarités, de classes et de cultures, qu’ils en viennent à partager sans réserve tous les jugements et les options de leur milieu (cf. 1 Th 5, 21). Chacun aura à cœur de s’éprouver soi-même et de faire surgir cette vraie liberté selon le Christ qui ouvre à l’uni­versel au sein même des conditions plus particulières.

51. C’est là aussi que les organisations chrétiennes, sous leurs formes diverses, ont également une responsabilité d’action collective. Sans se substituer aux institutions de la société civile, ils ont à exprimer, à leur manière et en dépassant leur particu­larité, les exigences concrètes de la foi chrétienne pour une trans­formation juste et par conséquent nécessaire de la société (cf. Lumen Gentium, 31 ; AAS 57 [1965], pp. 37-38 ; Apostolicam Actuositatem, 5, AAS 58 [1966], p. 842).

Aujourd’hui plus que jamais, la Parole de Dieu, ne pourra être annoncée et entendue que si elle s’accompagne du témoignage de la puissance de l’Esprit-Saint, opérant dans l’action des chré­tiens au service de leurs frères, aux points où se jouent leur existence et leur avenir.

52. En vous livrant ces réflexions, Nous avons certes cons­cience, Monsieur le Cardinal, de n’avoir pas abordé tous les problèmes sociaux qui se posent aujourd’hui à l’homme de foi et aux hommes de bonne volonté. Nos récentes déclarations — auxquelles s’ajoute votre Message à l’occasion du lancement de la deuxième décennie du Développement, concernant no­tamment les devoirs de l’ensemble des nations dans la grave question du développement intégral et solidaire de l’homme, — de­meurent encore dans les esprits. Nous vous adressons celles-ci dans le dessein de fournir au Conseil des Laïcs et à la Commission Pontificale « Justice et Paix » de nouveaux éléments, en même temps qu’un encouragement,  pour la poursuite de leur tâche « d’éveiller le Peuple de Dieu à une pleine intelligence de  son rôle à l’heure actuelle » et de « promouvoir l’apostolat au plan international » (Catholicam Christi Ecclesiam ; AAS 59 [1967], p. 27 et p. 26).

C’est dans ces sentiments que Nous vous donnons, Monsieur le Cardinal, notre Bénédiction Apostolique.

 

Du Vatican, le 14 mai 1971.

 

paulus PP. VI

 

 

 

16 mai

ACTUALITE DE LA DOCTRINE SOCIALE CATHOLIQUE POUR LA DEFENSE ET LA PROMOTION DE L’HOMME

 

Au cours de la messe du 80e anniversaire de « Rerum novarum ».

 

Les moments de réflexion profonde que nous offre la liturgie sont tout entiers consacrés aujourd’hui à la commémora­tion d’un événement qui a revêtu, en son temps, une grande importance et dont les échos se sont répétés au cours des années qui suivirent : La publication d’un document officiel de portée universelle, c’est-à-dire l’Encyclique Rerum Novarum du Pape Léon XIII, concernant les conditions sociales existant voici près de 80 ans. Cette encyclique examinait plus spécialement le « problème ouvrier », le niveau de vie économique, moral et social des travailleurs, après la première période d’industrialisation. D’une part, la production et la richesse prenaient de l’essor, de l’autre, le nombre des travailleurs pauvres et soumis augmentait. On assista à la formation de classes nouvelles, aux disproportions économiques gigantesques. Travail et Capital, tels étaient les mots-clé de cette situation paradoxale. Un travail en commun, lié à la production et une dissociation des individus et des intérêts, liée à la lutte contre cette production, aboutirent à une collabo­ration inévitable et créèrent, à la fois, une situation de conflit. Le Pape se rendit compte alors que le statut fondamental de cette nouvelle société en formation, cet état de lutte permanente entre les membres d’une même population, était contraire à l’harmonie, à l’entente, à l’équilibre et à la paix. Il n’était fondé que sur l’injustice et imposait à la classe ouvrière des conditions de vie très dures, des souffrances et des malaises sans fin. Réfutant les droits communs, il était à tout travailleur liberté et espoir.

L’Eglise et le Pape avaient maintes fois déjà dénoncé les erreurs sociales, erreurs d’idées surtout, qui avaient engendré de graves inconvénients, en particulier dans le domaine du travail industriel. Mais cette fois-ci leur voix s’éleva, forte et directe, nous pouvons même dire qu’elle fut libératrice et prophétique.

Pourquoi le Pape a-t-il parlé? En avait-il le droit ? Cette dé­cision relevait-elle de sa compétence ? Oui, car il avait le devoir d’agir ainsi. Nous voulons aujourd’hui apporter une justification à cette intervention de l’Eglise et du Pape, à l’égard des malaises sociaux. Ce sont là des problèmes temporels dont ne devraient pas s’occuper ceux qui, dans le Christ, trouvent leur raison d’être, puisque Celui-ci déclara que son royaume n’était pas de ce monde.

Pour le Pape, il ne s’agissait pas de ce monde mais des hommes qui en font partie ; il s’agissait de les amener à s’inspirer des cri­tères de sagesse et de justice. Le Pape se faisait l’avocat du pauvre, contraint à rester pauvre, dans ce processus créateur de nouvelles richesses. Sa voix n’était que l’écho de celle du Christ qui console et soulage les souffrants et les opprimés, proclame bienheureux les pauvres et les assoiffés de justice, veut être présent chez tous les hommes faibles et déshérités, récompensant sans mesure celui qui se penche avec amour et compréhension sur la misère hu­maine. Cet acte était par conséquent à la fois un droit et un devoir pour le Pape qui représente le Christ, pour l’Eglise qui en est le Corps Mystique, pour tout chrétien authentique, frère de tous les hommes. Un droit et un devoir d’autant plus urgents que les conditions du prochain sont graves et pénibles.

L’Eglise est par vocation l’alliée de l’humanité nécessiteuse, car le Salut est l’objectif primordial de sa mission et que tous ont besoin d’être sauvés. Mais sa préférence va vers ceux qui plus que d’autres implorent aide et consolation. C’est vers eux qu’est orienté son amour. Pauvre de par nature, aimant et souffrant en union avec les affamés de pain et de justice, l’Eglise, tout comme le Christ, multiplie en quelque sorte le pain aux foules et dévoile la dignité de chaque homme, aussi misérable et petit soit-il. Elle réagit sévèrement mais non sans amour contre les riches et les puissants, lorsque l’indifférence et l’égoïsme leur font oublier l’égalité et la fraternité des hommes et les conduisent à exploiter les fruits de la terre, résultats du labeur et du sacrifice d’autrui.

Nous aurions beaucoup de choses à dire et à expliquer en ce qui concerne la fidélité ou l’infidélité des hommes d’Eglise à ce sujet. Il nous suffit pour l’instant de recueillir le témoignage de ce document, qui, depuis 80 ans lance avec amour et persévérance son message de justice sociale et de devoir humain et dont les échos résonnent dans les dernières déclarations du Concile Va­tican II, où il est dit que l’unique gloire terrestre que l’Eglise revendique est celle de servir les hommes qu’elle seule peut appeler frères.

Persévérons donc, persévérons dans l’affirmation de la doctrine sociale catholique. La fertilité des principes théologiques, phi­losophiques, anthropologiques d’où elle prend la source et la validité de son enseignement, le commandement évangélique et historique de sa tradition, l’avalanche de théories, d’idéologies, d’événements sociaux et politiques qui s’abat sur nous, l’admis­sion du pluralisme d’opinions et de systèmes de vie en vue d’un nouvel ordre social en progrès, tout cela autorise l’Eglise et oblige ses fils à intervenir par leur doctrine sociale moderne, afin d’être à même d’interpréter, à la lumière de ses vérités éternelles, les expériences des temps nouveaux en vue de la promotion humaine.

Persévérance ! C’est ce que nous avons essayé de faire en rap­pelant le message de Léon XIII, par notre lettre apostolique adressée au Cardinal Roy, président du Conseil des Laïcs et de la Commission Pontificale « Justice et Paix », les deux organismes de l’Eglise chargés aujourd’hui de diffuser, à travers le monde, la doctrine catholique en matière sociale.

Ce ne sont que de simples pages qui veulent vous faire réflé­chir, Chers travailleurs Chrétiens, afin que vous sachiez orienter votre avenir vers les nouvelles conquêtes auxquelles vous aspirez ; afin de vous aider à placer votre confiance dans l’Eglise, non seu­lement comme en un guide qui intervient de temps à autre pour vous préserver d’illusions séduisantes et faciles ou encore d’expé­riences amères et décourageantes, mais comme en une Mère, une éducatrice qui vous soutient, vous défend, vous pousse à de nouvel­les conquêtes économiques, toujours humaines, cependant spi­rituelles et religieuses. Croyez en l’Eglise afin que jamais vous ne soyez portés à penser que ce caractère de chrétien qui vous marque et vous honore soit dépassé et susceptible d’intégrations équivoques. Fidélité, confiance, union dans le progrès des œuvres et dans la joie de l’espérance sont les devises de cette célébration de Rerum Novarum.

 

 

 

23 mai

MESSAGE DU SOUVERAIN PONTIFE POUR LA JOURNEE MONDIALE DES COMMUNICATIONS SOCIALES

 

Chers Frères et Fils,

et vous tous, Hommes de bonne volonté,

 

« Les moyens de communication sociale, au service de l’unité des hommes » : tel est l’objectif que la Journée mondiale des communications sociales propose cette année à votre réflexion, à votre étude, à vos échanges, à votre prière, à votre action.

Qui ne désirerait, de toute son âme, voir plus efficacement promue l’unité de la famille humaine ? Les hommes n’ont-ils pas pris conscience de la solidarité qui les lie, dans la vie quoti­dienne comme dans les moments exceptionnels, devant les exploits scientifiques comme devant les fléaux naturels ? Ils semblent décidés, de toute manière, à élargir sans cesse les cercles où se nouent des collaborations aussi fécondes que pacifiques aux divers plans économique et social, culturel et politique, sans perdre pour autant la richesse de tant de particularités multi­formes. Serait-ce une utopie de former le projet d’une famille humaine universelle, dont chaque homme serait le citoyen fra­ternel ? (cf. Populorum Progressio, 79).

La conviction du chrétien est en tout cas bien assurée : « Dieu... a voulu que tous les hommes constituent une seule famille et se traitent mutuellement comme des frères. Tous, en effet, ont été créés à l’image de Dieu... et tous sont appelés à une seule et même fin qui est Dieu lui-même » (Gaudium et Spes, 24, § 1). La solidarité dans la vocation du premier Adam, puis dans son péché, est désormais vécue et renforcée dans le Christ : par sa croix, il a renversé le mur qui séparait les peuples en les récon­ciliant avec Dieu (cf. Ep 2, 14), et par sa résurrection, il a répandu son Esprit de charité dans le cœur des hommes, en les appelant, ces enfants de Dieu dispersés, à former en lui un seul Peuple, un seul Corps. L’Eglise elle-même, tout en expérimentant elle aussi des tensions, voire des divisions en son sein, n’a de cesse qu’elle ne réalise visiblement cette unité, entre ses fils de toute langue, de toute nation, de tout milieu social et professionnel. Ce faisant, elle a conscience d’être un signe prophétique d’unité et de paix pour le monde entier (cf. Is 11, 12).

Une question, dès lors, surgit : les moyens de communication sociale dont l’importance est croissante, jusqu’à être quasi omni­présents dans la culture moderne, vont-ils, à leur niveau, être des moyens privilégiés pour promouvoir cette unité et cette frater­nité, c’est-à-dire ce respect compréhensif, ce dialogue ouvert, cette collaboration confiante dans un monde où les problèmes deviennent vite planétaires ?

Ce serait se leurrer gravement que de sous-estimer la force des tensions tragiques entre milieux sociaux, entre sociétés et personnes, entre pays industriellement développés et pays du Tiers-monde, entre adeptes de systèmes idéologiques ou poli­tiques antagonistes. Suscitant souvent une résonance accrue à travers le monde, les conflits continuent de créer des fossés dangereux, et se traduisent, hélas, par des actes de violence, et des situations de guerre. Devant ces manifestations d’opposition et de déchirement entre les hommes et entre les peuples, on ne peut certes attendre de la presse, de la radio, de la télévision, du ci­néma, qu’ils les minimisent ou les passent sous silence. Leur rôle n’est-il pas, bien au contraire, de mettre en lumière tous les aspects de la réalité, même les plus tragiques, d’en tenter une approche toujours plus profonde et plus objective : celle où se lit malheureusement la misère, où s’étale le péché d’égoïsme, bref les multiples blessures qui saignent au cœur de la grande famille humaine ; mais aussi celle où apparaissent les réalisations positives, les signes de renouveau, les raisons d’espérer ?

Qui nierait en effet la tentation d’utiliser ces puissants moyens audio-visuels à l’impact si profond, pour aggraver, en les radicalisant, les tensions, les oppositions, et les divisions, allant jusqu’à décourager beaucoup d’hommes de bonne volonté dans leurs tentatives imparfaites certes, mais généreuses, d’union et de fra­ternité ? Ce risque, il nous faut le dénoncer avec force et l’affron­ter avec courage. Qui dira, par contre, les immenses possibilités, trop peu explorées encore, de ces merveilleux moyens de com­munication sociale, pour faire prendre conscience aux lecteurs, aux auditeurs, aux spectateurs, des vrais problèmes des autres ? pour aider les hommes à mieux se connaître et à s’apprécier da­vantage, dans leurs diversités légitimes ? pour dépasser, dans la compréhension et l’amour, ces barrières de toutes sortes ? mieux encore : pour éprouver, par delà tant d’obstacles, la solidarité réelle qui nous met tous, les uns avec les autres, les uns pour les autres, à la recherche du bien commun de la grande com­munauté des hommes ? (cf. Allocution à l’Assemblée Générale de l’ONU à New York, le 4 octobre 1965, dans AAS, 57 [1965] pp. 879-884). Il y va de l’avenir même de l’homme « auquel tout doit être ordonné sur terre, comme à son centre et sommet » (cf. Gaudium et Spes, 12).

Ah oui, artisans et bénéficiaires des moyens de communica­tion sociale, unissez vos efforts pour qu’il en soit ainsi, partout à travers le monde et à tous les niveaux de participation et de responsabilité. Rejetez tout ce qui rompt le véritable dialogue entre les hommes, tout ce qui masque les devoirs comme les droits de chacun, tout ce qui attise l’incompréhension, la haine et tout ce qui détourne de la paix et d’une fraternité toujours plus élargie comme de la vérité recherchée dans la liberté. N’est-ce pas à chacun de nous, finalement, qu’est posée cette grave question : que cherches-tu ? que veux-tu ? Oui ou non, entends-tu être un frère pour ton frère ? Car si la communication n’est pas par elle-même déjà une communion, elle peut en être le chemin privilégié.

Quant à vous, frères et fils chrétiens, Nous vous demandons spécialement de réfléchir et de prier, et aussi de prendre hardi­ment, avec discernement et courage, tous les moyens que votre compétence et votre zèle vous suggèrent pour que, de tant de fils entrecroisés et si souvent emmêlés, vous dégagiez la trame et tissiez un monde de frères et de fils de Dieu. « Dominant toutes les forces dissolvantes de contestation et de babélisation, c’est la cité des hommes qu’il faut construire, une cité dont le seul ciment durable est l’amour fraternel, entre les races et les peuples, comme entre les classes et les générations » (Discours à l’Organisation Internationale du Travail, Genève, 10 juin 1969, n. 21, dans AAS 61 [1969], p. 500). De grand cœur, à tous ceux qui travaillent par les moyens de communication sociale, à réaliser cette aspi­ration de l’homme selon le dessein de Dieu, Nous donnons une large Bénédiction Apostolique.

 

Du Vatican, le 25 mars 1971.

 

paulus PP. VI

 

 

 

10 juin

VERTU REDEMPTRICE DE LA SOUFFRANCE

 

Pendant la messe en la Basilique Saint-Pierre pour 6000 malades.

 

Salut à vous tous, Frères et Fils très chers !

 

A vous prêtres, ouvriers et ministres de l’Eucharistie : aujour­d’hui, solennité du Corps et du Sang du Christ, c’est une grande fête pour votre choix, pour votre médiation, pour votre double identification : avec le Peuple de Dieu auquel vous appar­tenez comme frères et comme serviteurs dans le ministère ; avec le Christ dont vous exercez le prodigieux pouvoir qui vous assi­mile à Lui comme prêtres et comme victimes dans le sacrifice eucharistique ! Méditez et réjouissez-vous en silence : c’est votre fête !

Salut à vous tous, Fidèles, qui représentez ici pour nous la Rome catholique, la Ville centrale de toute l’Eglise, son histoire, sa fidélité, sa vitalité actuelle, et qui voulez être avec nous pour célébrer la rencontre sacramentelle et éternelle avec le Christ vivant dans la foi, dans l’espérance, dans l’amour !

A vous spécialement, chers, très chers malades qui portez à cette célébration l’encens brûlant et parfumé de votre souf­france et qui nous donnez la joie de vous rencontrer, d’être pro­ches de vous pour une heure, de vous exprimer notre affection émue, de partager vos peines et vos prières, salut ! salut ! Oh ! comme nous voudrions qu’il y ait dans ce souhait la force qu’il signifie et désire, cette santé que Jésus, Lui Fils de Dieu et Fils de l’homme, prodiguait aux malades et aux souffrants rencontrés pendant son séjour sur la terre : oui, Lui, il les réconfortait et les guérissait tous : « de Lui, écrit saint Luc, l’évangéliste médecin, sortait une force qui les guérissait tous » (Lc 6, 19). Ce pouvoir miraculeux ne nous a pas été transmis à nous, mais nous avons reçu celui, non moins précieux, de communiquer non la santé physique, mais la santé spirituelle, le salut; et c’est cela qu’en ce moment nous voudrions vous faire goûter d’une certaine manière en célébrant avec vous et pour vous cette fête grandiose et mysté­rieuse du Corps et du Sang du Christ. Vous souffrez de deux maux, l’un physique auquel les médecins et leurs assistants cher­chent avec tant d’habileté et d’empressement à porter remède, l’autre spirituel, qui n’est pas moins grave, senti et compliqué : à celui-là au moins la présente célébration peut apporter un réconfort.

Comment cela ? Ecoutez un peu. Quel est le vrai sens de cette cérémonie ? Qu’est-ce qui va se passer pendant ce rite comme toujours lorsqu’une messe est célébrée ? Il arrivera ceci, c’est que Jésus, Lui-même, Jésus-Christ sera présent, sera ici, sera au milieu de nous, y sera pour vous. Nous rappelons non seule­ment son souvenir mais sa présence, sa présence réelle, voilée, cachée, accessible seulement à ceux qui croient en sa divine parole, répétée et puissante par qui possède son sacerdoce pro­digieux, mais vraie présence, vivante, personnelle. Lui, Jésus béni, sera présent. L’Eucharistie est avant tout un mystère de présence. Pensons-y bien : Jésus tient de cette manière sa parole prophétique : « Moi, je serai avec vous jusqu’à la fin des temps » (Mt 28, 20). « Je ne vous laisserai pas orphelins ; je reviendrai vers vous » (Jn 14, 18). C’est ce qu’il a dit et c’est ce qu’il a fait : Il sera ici pour nous, pour vous, pour chacun de vous. Alors dites, vous qui êtes oppressés par la souffrance, n’est-ce pas la solitude, le sentiment d’être seuls et presque séparés de tous qui aggrave et rend parfois votre souffrance insupportable et déses­pérée ? La douleur est par elle-même isolante, et cela fait peur et augmente la peine physique. Eh bien ! pour qui croit à l’Eucha­ristie, pour qui a la chance de la recevoir, cette terrible solitude intérieure n’existe plus. Lui, Jésus, est avec celui qui souffre. Il connaît la douleur. Il la console, II la partage. Il est le médecin intérieur. Il est l’ami de cœur. Il écoute les gémissements de l’âme. Il parle au fond de l’esprit.

C’est pourquoi écoutez encore ce langage propre de l’Eucha­ristie.

Nous vous avons dit : Jésus sera présent. Mais comment sera-t-il présent ? Il sera présent, mais d’une manière non sanglante, comme « l’homme des douleurs » (cf. Is 53, 3), comme victime, comme « agneau de Dieu » (Jn 1, 29) ; Il sera présent comme Il l’était à l’heure de sa passion, dans son sacrifice, comme crucifié. C’est ce que signifie la double espèce du pain et du vin, figures du Corps et du Sang du même Christ. Jésus s’offre pour nous et à nous comme II était sur la croix, immolé, déchiré, con­sumé dans la douleur portée au plus haut point de la sensibilité physique et de la désolation spirituelle. Rappelez-vous ses affres très humaines : « J’ai soif » (Jn 19, 28) ; et ses tourments indi­cibles : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 27, 46), vous vous rappelez ? Qui a souffert autant que Jésus ? La souffrance est proportionnée à deux mesures : à la sensibilité (et quelle sensibilité serait plus fine que celle du Christ, Homme-Dieu ?) et à l’amour : la capacité d’aimer se mesure à la capacité de souffrir. Comprenez-vous comment Jésus est votre exemple, est votre compagnon, hommes et femmes qui portez ici vos vies endolories ? Comprenez-vous pourquoi justement nous avons voulu célébrer avec vous la solennité du Corps et Sang du Christ ?

Et nous vous dirons en outre : Comprenez-vous maintenant ce qu’est la communion et ce que la réception de l’Eucharistie accomplit en vous ? C’est la fusion de votre souffrance avec celle du Christ. Chacun de vous peut répéter, à plus forte raison que n’importe quel autre fidèle qui communie, les paroles de saint Paul : « ... je trouve ma joie dans les souffrances… et je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ... » (Col 1, 24). Souffrir avec Jésus ! Quel destin, quel mystère ! Voici, voici une très grande nouveauté : la douleur n’est plus inutile ! Si elle est unie à celle du Christ, notre douleur acquiert quelque chose de sa vertu expiatrice, rédemptrice et salvatrice ! Comprenez-vous maintenant pourquoi l’Eglise honore et aime tant ses malades, ses fils malheureux ? parce qu’ils sont le Christ souffrant Qui, justement par sa passion a sauvé le monde. Vous, très chers ma­lades, vous pouvez coopérer au salut de l’humanité si vous savez unir vos douleurs, vos épreuves à celles de Jésus qui maintenant va venir à vous dans la sainte communion.

Et acceptez alors que nous vous adressions une prière, vous suggérant de donner à vos souffrances la même intention qui inspirait à l’Apôtre dont nous vous avons cité les célèbres paroles, ces autres qui complètent sa pensée : « je trouve ma joie, disait-il, dans les souffrances en complétant la passion du Seigneur pour son corps (mystique) qui est l’Eglise» (Col 1, 24). Eh bien ! ce que nous vous demandons, c’est que vous offriez (voyez : souffrir devient offrir !) vos douleurs pour l’Eglise ; oui, pour l’Eglise entière et pour cette Eglise romaine en particulier. Vous en con­naissez peut-être les besoins.

Vous aurez, vous, et nous aurons ainsi célébré dignement ensemble la fête du Corps et du Sang du Christ : fête de douleur, d’amour, de consolation, d’espérance et de salut pour vous et pour tous !

 

 

 

24 juin

RECEVANT LE SACRE COLLEGE, PAUL VI FAIT UN TOUR D’HORIZON DES PROBLÈMES ACTUELS DE L’EGLISE ET DU MONDE

 

A l’occasion de la fête patronale du Pape.

 

Merci à vous, Monsieur le Cardinal, merci à Messieurs les Cardinaux présents et à tout le Sacré Collège, comme aussi à tous les clercs et laïcs de la curie romaine, du diocèse de Rome, de la Cité du Vatican qui s’associent à vous pour Nous exprimer de façon délicate et significative leur cordial dévouement, avec leurs vœux nobles et spirituels, à l’occasion des célébrations annuelles relatives à notre humble personne et se référant à la fonction supérieure qui, par un dessein caché de la divine Pro­vidence, Nous est confiée au service de l’Eglise de Dieu. Si, d’un côté, cette bonté indulgente Nous remplit de confusion et Nous fait trembler, une fois de plus, à la pensée de notre responsabilité et en voyant que nos forces ne sont pas proportionnées pour y répondre de façon adéquate, d’un autre côté elle Nous récon­forte en Nous faisant sentir combien Nous sommes soutenu par votre collaboration loyale et solidaire et par votre précieuse com­munion spirituelle. Fasse le Seigneur, tout en exauçant vos vœux à notre égard, que vous soyez les premiers à bénéficier de l’abondance des divines faveurs qui ne manquera pas de retomber sur vos dignes personnes et sur les organismes qui vous sont confiés, comme aussi sur les personnes qui vous sont chères dans l’amour du Seigneur ; et que la sainte et très aimée Eglise catho­lique, que les chrétiens, pour qui Nous souhaitons le rétablisse­ment de l’union parfaite avec Nous, que le monde entier dans lequel nous vivons, anxieux de le faire participer dans une cer­taine mesure au message du salut chrétien, que tous bénéficient de l’effusion de la Bonté suprême que Nous invoquons.

En cette rencontre, qui se renouvelle chaque année en cette même circonstance et qui se prête à un tour d’horizon sur les conditions présentes de l’Eglise, une question d’ordre général, reflétant notre intérêt affectueux, se présente à nos esprits : com­ment va l’Eglise aujourd’hui ? Cette question est toute naturelle et spontanée, mais elle porte sur des horizons trop variés et trop larges, et peut-être pousse-t-elle notre curiosité au-delà de nos vues humaines, auxquelles peut échapper le dessein de Dieu sur le déroulement de la vie de l’Eglise, dessein qui ne deviendra manifeste que dans les temps futurs et peut-être même seule­ment au delà du temps. Même en limitant notre regard à l’obser­vation immédiate et empirique de la condition présente de l’Eglise, la réponse ne peut embrasser toute la réalité, tant celle-ci est vaste et complexe. Cependant, eu égard à notre devoir de « veiller et prier pour ne pas entrer en tentation » (cf. Mt 26, 41), Nous pouvons nous interroger à chaque instant : comment va l’Eglise aujourd’hui ? « Veilleur, où en est la nuit ? ». C’est la voix de la Bible qui résonne encore à nos oreilles et qui réveille en nos esprits, stimulés en outre par l’esprit moderne d’observation, le désir, le besoin de nous rendre compte de la façon dont vont les choses.

Limitons-nous à quelques simples remarques, qui toutefois Nous semblent à propos, en commençant par ceux qui, plus proches de Nous, se consacrent au service généreux et fidèle de toute l’Eglise.

 

Etroite collaboration entre les Cardinaux

 

Il existe depuis quelque temps, grâce spécialement à notre Cardinal Secrétaire d’Etat, des réunions périodiques des Cardi­naux chefs de dicastères de la curie romaine ; au cours de ces réunions sont exposées les questions principales qui intéressent l’Eglise et spécialement le Saint-Siège, et qui offrent des élé­ments de jugement sur l’actualité ecclésiale. Nous considérons comme un fait très important qu’une collaboration plus étroite et plus habituelle se manifeste entre vous, Messieurs les Cardi­naux, et qu’une information réciproque vous permette de con­naître toujours mieux les nécessités de l’Eglise dans le monde d’aujourd’hui. La plupart d’entre vous, Messieurs les Cardinaux, sont déjà au courant des multiples problèmes concernant la marche présente de nos affaires.

A cet égard, il Nous apparaît comme un devoir de relever combien cet organisme que nous appelons la curie romaine est aujourd’hui en bonne forme et animée d’un profond esprit de service. Son internationalisation progressive nous permet de compter désormais, parmi nos collaborateurs quotidiens, des prélats provenant de presque tous les continents, de cultures, de formations et d’expériences très diverses, dont la présence nous rend encore plus attentif aux multiples exigences des églises locales. La décentralisation, opérée pendant et après le Concile, concernant de multiples affaires réservées jusqu’alors aux dicastères romains, n’a nullement diminué la quantité et la pression des affaires auxquelles ils doivent se consacrer. C’est un phéno­mène que l’on ne peut attribuer seulement à l’augmentation, commune dans tous les domaines, de la correspondance, mais plutôt à notre préoccupation de consulter largement nos frères dans l’épiscopat, comme aussi à l’augmentation et à l’accéléra­tion des rapports des églises locales avec la curie romaine, signe que dans les diocèses aussi et les nouvelles conférences épiscopales l’activité a augmenté et que, malgré la plus grande extension des diverses compétences propres aux organismes ecclésiastiques locaux, le besoin pratique, et même, spirituel, d’une référence au centre visible de l’Eglise se fait tellement sentir que Nous devons souvent résister à diverses propositions visant à l’institution de nouveaux organismes au service de l’unité intérieure et de l’orga­nisation fonctionnelle de l’Eglise elle-même. Vous savez quelles compétences nouvelles ont assumées les dicastères de la curie romaine, vous connaissez tous les Secrétariats et bureaux, comme aussi les nouvelles initiatives et l’augmentation des relations avec les divers pays, qui se sont ajoutés au cadre préexistant de l’orga­nisation du Saint-Siège. Nous le notons, non par vaine complai­sance, mais plutôt avec une certaine appréhension du point de vue administratif, et aussi avec une confiance stimulante dans le signe d’unité, de collégialité, d’amitié, d’espérance que représente ce phénomène.

 

Le travail post-conciliaire

 

Ce dernier Nous semble rassurant à un autre point de vue également: le bilan de notre travail post-conciliaire apporte, en effet, à notre conscience et au jugement objectif d’autrui, la confirmation que Rome a voulu et veut conserver une grande fidé­lité dans l’application du Concile ; et cela, non seulement en ce qui concerne les normes, mais bien plus sous l’aspect religieux, spirituel et rénovateur de la vie ecclésiale. Nous Nous faisons un devoir d’exprimer nos remerciements, et de citer à la reconnais­sance de l’Eglise l’œuvre énorme accomplie par les dicastères romains en cette période tourmentée mais féconde, comme aussi de reconnaître en ce labeur généreux, sage, moderne, un signe de vitalité et d’à-propos historique qui ne manque pas de faire penser à une assistance miséricordieuse de l’Esprit-Saint. L’Eglise, Nous semble-t-il, n’a pas perdu le rythme de la marche du monde contemporain. L’Eglise romaine accomplit, par suite d’un effort admirable et émouvant, la synthèse — ou tout au moins une tentative prudente et courageuse — de la tradition avec les exi­gences des temps nouveaux, dans la conviction que c’est seule­ment dans la fidélité à ses racines historiques, canoniques, doctri­nales, spirituelles, c’est-à-dire à sa propre tradition séculaire, apostolique et évangélique, que l’Eglise romaine, et avec elle l’Eglise catholique, peut conserver son identité authentique, et bien plus encore sa vitalité perpétuelle et toujours jeune : « Tes fils sont comme des plants d’olivier... » (Ps 127, 3). Le vieil olivier se couvre de feuilles et porte des fruits.

 

Vigilance et tempérance

 

Mais la question nous talonne encore: comment va l’Eglise ?

Oh, frères, ne la posez pas à Nous, cette nouvelle question, si elle se réfère à d’autres aspects de l’Eglise, romaine ou uni­verselle ; Nous voulons dire aux aspects qui mettent en évidence certains phénomènes de sa composition humaine et de sa fragilité terrestre. Vous les connaissez et les approchez peut-être plus que Nous. Oui, notons tous que l’Eglise ressent beaucoup, chez les hommes qui la composent, spécialement chez ceux qui étu­dient et chez les jeunes, l’influence de la culture et des mœurs qui caractérisent le monde profane, à tel point que l’adhésion, souvent excessive, à la mode du temps en fléchit les tendances vers un relativisme qui réclame vigilance et tempérance. Nous ne voulons pas méconnaître tout ce que l’expérience très riche, et à certains points de vue merveilleuse, de notre temps offre de vrai, de juste, de beau, à l’Eglise qui poursuit son pèlerinage à travers le temps; Nous ne voulons pas non plus décourager l’angoisse apostolique de ceux qui cherchent à se faire « tout à tous » (cf. 1 Co 9, 22) pour les attirer tous au Christ : aujourd’hui, l’uniformité des usages et la compréhension du langage ont une grande importance pour établir des contacts avec le monde auquel nous voulons porter notre message. Il y a cependant un risque que cette attitude, louable dans ses intentions, se traduise dans un conformisme superficiel, c’est-à-dire par l’abandon de ri­chesses de notre patrimoine culturel et moral, et entraîne la ten­tation de rendre indûment facile le christianisme, pour nous comme pour tous ceux à qui nous le voudrions communiquer, en le dépouillant de ce à quoi il ne peut renoncer : le mystère de ses dogmes, le scandale de sa croix, l’exigence fondamentale de sa communion hiérarchique.

Ainsi, en même temps que des progrès constants dans sa propre vie intérieure et dans sa force expansive et missionnaire, la marche présente de l’Eglise accuse quelques fléchissements douloureux et préoccupants, de pénibles difficultés, qu’elles soient externes ou (et Nous le disons avec plus de regret) internes. Mais cherchons aussitôt à comprendre le secret providentiel qui se cache en ces épreuves ; autrement dit, cherchons à comprendre quel stimulant de purification, de pénitence, de ferveur elles contiennent pour nous tous ; essayons d’entendre le rappel bé­néfique à une plus grande foi, à une plus grande espérance, à une plus grande charité qu’elles représentent pour tous ceux d’entre nous qui veulent vraiment aimer le Seigneur et servir dans l’amour le prochain tel que notre temps le présente à nos soucis pastoraux. « La puissance se déploie dans la faiblesse... Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2 Co 12, 9-10).

 

Circonstances difficiles qui ralentissent le pas

 

Certains chemins, du reste, sont ouverts à la bonne marche de l’Eglise, même dans les circonstances difficiles qui ralentissent le pas. Nous devons, par exemple, nous souvenir toujours de l’exigence de faire participer les hommes d’aujourd’hui, dans la mesure du possible, à l’œuvre salvifique de l’Eglise. Nous devons également être attentifs aux efforts qui tendent, même d’une façon encore balbutiante, à porter au monde d’aujourd’hui un témoignage authentique de l’amour du Christ. « N’éteignez pas l’Esprit. Ne méprisez pas les prophéties. Eprouvez tout, retenez ce qui est bon. Gardez-vous de toute espèce de mal » : ce sont des paroles de saint Paul (1 Th 5, 19-22).

Sauf illusion, Nous croyons avoir suivi ce critère apostolique dans quelques actes récents de notre ministère, comme par exemple la lettre apostolique Octogesima Adveniens, comme aussi Nous Nous proposons de le faire dans une exhortation sur la vie religieuse que Nous ne tarderons pas à publier, après Nous être livré à des consultations nombreuses et réfléchies.

Nous ne voulons pas oublier non plus que la vie de l’Eglise sera marquée, dans les prochains mois, par l’Assemblée générale du Synode des Evêques. Le Seigneur Nous a déjà donné la joie de présider deux Synodes. Celui que nous célébrerons en automne Nous semble revêtir une importance capitale, en raison des argu­ments qui formeront l’objet de ses travaux. Nous souhaitons que sa préparation—soutenue par la prière — continue partout avec un sens profond de responsabilité.

La demande que Nous Nous sommes faite : « comment va l’Eglise ? », Nous obligerait à considérer un autre groupe d’élé­ments concernant «  la vie présente de l’Eglise elle-même, Nous voulons dire les questions pendantes, qui font l’objet d’une étude approfondie de nos bureaux.

Les questions pendantes sont multiples et graves : telles sont celles relatives au prochain Synode des Evêques dont Nous par­lions à l’instant, à la réforme liturgique, aux séminaires, à l’œcu­ménisme ; les questions concernant l’Eglise en Italie, en Espagne, dans les territoires portugais en Afrique, les relations avec les pays de l’Est de l’Europe, etc. Nous n’avons pas l’intention de parcourir tous les domaines ; Nous n’en finirions pas. Nous Nous contentons d’une brève allusion, pour recommander à votre attention et à vos prières ces problèmes si nombreux et com­pliqués.

 

Que la paix et l’amour remplacent la discorde et la violence

 

Nous ne voulons pas toutefois passer sous silence une situation dont la gravité Nous oblige à renouveler nos instances.

La tragique situation qui est devenue récemment celle de la population du Pakistan oriental, et le phénomène, de propor­tions gigantesques, déterminé par l’exode de millions de citoyens qui ont cherché refuge ailleurs, ont douloureusement affecté le monde et ont suscité en notre esprit des sentiments de peine profonde.

Nous avons déjà voulu lancer un appel public pour que la paix et l’amour remplacent la discorde et la violence, et tandis que Nous Nous sommes hâté d’apporter notre modeste mais très affectueuse contribution à l’œuvre de secours aux réfugiés et à leurs frères restés sur le sol de la patrie, Nous avons, de façon pressante, exhorté les organisations catholiques d’assistance à ne pas manquer d’apporter leur aide à ceux qui sont dans un si grave besoin.

Nous voulons ici manifester à nouveau notre angoisse, et renouveler notre appel en faveur de l’amour et de la paix, adressant cet appel de façon particulière à ceux qui détiennent les pouvoirs publics, afin que pour ces populations soit rétablie une communauté de vie humaine et civique, dans la paix, dans un climat de compréhension et de collaboration d’où soit exclu tout sentiment d’hostilité et de méfiance.

Et que dire des deux autres points douloureux sur la face du globe, où la guerre, bien qu’en sommeil, n’est pas encore éteinte ni dépouillée de ses terribles menaces ? Un mot seulement à ce sujet.

Le Vietnam : à quand la paix ? On le sait, Nous sommes étran­ger au conflit et aux tractations qui devraient aboutir aune entente. Mais Nous ne sommes pas étranger aux souffrances que com­porte ce conflit, tant dans la zone nord que dans la zone sud. Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir, et tout ce qui était au pouvoir de nos institutions caritatives catholiques des divers pays, pour apporter quelques secours ; mais il ne fut pas possible jusqu’à présent — et Nous voulons espérer que cela le soit dans un proche futur — d’arriver jusqu’au Nord. Sans fruit non plus malheureusement est demeurée notre tentative, discrète mais sincère, en vue de hâter la réconciliation et la fin de la guerre ; Nous ne cesserons, à cet égard, de saisir toute occa­sion favorable pour que la paix, la liberté, la concorde et une nouvelle prospérité soient accordées à ces régions tourmentées, et si chères à notre cœur.

Il y a aussi le Proche-Orient, où se trouve, en plein centre du conflit, cette Terre Sainte que Nous ne pouvons pas ne pas regarder avec un intérêt passionné, et à laquelle Nous souhaitons, comme pris d’un instinct prophétique, la paix, la véritable paix. Tous savent que cette dernière ne peut être le fruit d’une victoire militaire, ni ne peut se réduire à une formule trop simple. C’est la complexité de la situation, qui la rend extrêmement délicate et difficile.

Quoi qu’il en soit, Nous redisons que seul un intérêt et une méthode de paix guident notre comportement dans cette affaire enchevêtrée. Nous guide aussi dans l’exercice de nos droits et devoirs pour la sauvegarde des Lieux Saints, le fait que Nous savons bien que, non seulement la catholicité, mais toute la chrétienté partage cette inaliénable exigence. A cette sauvegarde s’ajoute celle de la population chrétienne, — et l’intérêt aussi pour celle qui n’est pas chrétienne, arabe et hébraïque — de la région, afin que, malgré son caractère composite, elle puisse vivre librement et normalement. Et il y a aussi la question de Jérusalem : il Nous semble, répétons-le, que ce soit l’intérêt, et donc le devoir de tous que cette ville, au destin unique et mystérieux, soit protégée par un statut spécial, garanti par une protection juridique internationale, et puisse ainsi, dans de meilleures conditions, devenir, non plus un objet de controverses implacables et d’interminables contestations, mais un centre de convergence pour la concorde, la paix et la foi. Nous cherchons dans ce but à faire, en tout respect et amitié, œuvre de persuasion.

Pour le moment, Nous mettons fin à notre discours, en chan­geant la question qui l’a inspiré : « comment va l’Eglise ? », en celle-ci dont la réponse est plus facile mais non moins intéressante : où va l’Eglise ? Dans le temps et au sein de l’humanité, elle va vers le Christ, plus consciente que jamais, après le Concile, de ne pas avoir d’autre but à atteindre ; elle va, joyeuse et patiente, alternant progrès et difficultés, et toujours soutenue par son eschatologique espérance : elle va vers le Seigneur Jésus.

Merci à vous tous qui marchez à nos côtés ; et que notre Bénédiction Apostolique vous réconforte au long de la route.

 

 

 

25 juin

« LE PEUPLE DE DIEU EST UN PEUPLE MISSIONNAIRE »

 

Message pour la Journée Missionnaire Mondiale.

 

Fils bien-aimés,

Chers Frères dans le Christ,

Chers Collaborateurs dans la Mission,

 

C’est ainsi que la Pape s’adresse à vous, reconnaissant avec un respect émerveillé la dignité apostolique qu’il a plu à Notre Seigneur Jésus-Christ de conférer à chacun de ses disciples, du plus grand au plus petit.

Quand ce Message vous parviendra, pour la Journée Mon­diale des Missions, vous comprendrez certainement qu’il n’émane pas du Pape seul, comme d’un personnage isolé qui doit porter, à lui seul, la responsabilité missionnaire qui, depuis le commen­cement, a été « imposée à l’Eglise » (Ad Gentes, 5). En effet, le mandat du Christ « d’aller dans le monde entier, prêcher l’Evan­gile à toute créature » (Mc 16, 1.5) « a été hérité des Apôtres par l’Ordre des évêques, assisté par les prêtres, en union avec le suc­cesseur de Pierre » (Ad Gentes, 5).

C’est pourquoi, en cette Journée des Missions, ce n’est pas en notre nom personnel seulement que nous nous adressons à vous, mais aussi en tant que porte-parole de nos frères dans l’épiscopat du monde entier, avec lesquels c’est notre joie d’être uni par les liens les plus étroits de la charité et par une heureuse solidarité collégiale.

Les pasteurs du troupeau des chrétiens, serviteurs de tous les serviteurs de Dieu, désirent que vous partagiez avec eux, en ce jour, cette merveilleuse pensée : eux et vous, vous êtes les membres d’une Eglise missionnaire, d’une Eglise dont la raison d’être est de faire connaître à toute l’humanité l’Evangile du salut.

Le Peuple de Dieu est un peuple missionnaire.

Le Christ aurait pu demander à son Père, et il en aurait immé­diatement obtenu, « plus de douze légions d’anges » (Mt 26, 53) pour annoncer au monde la rédemption. Au lieu de cela, c’est à nous que le Christ a donné cette tâche et ce privilège, à nous « les derniers de tous les saints » (Ep 3, 8), qui sommes vraiment indignes d’être appelés apôtres (cf. 1 Co 15, 9). Volontairement, c’est à notre seule voix qu’il s’en est remis pour annoncer à l’hu­manité la bonne nouvelle. C’est à nous qu’est donnée cette grâce de « prêcher aux païens les insondables richesses du Christ » (Ep 3, 8).

Et nous avons à prêcher l’Evangile dans cette extraordinaire période de l’histoire humaine, comme on n’en a certainement jamais connue, où les réalisations ont atteint pour la première fois des sommets qui n’ont d’égaux que les abîmes, sans précé­dents également, du bouleversement et du désespoir. S’il y eût jamais un temps où les chrétiens ont été provoqués, plus qu’en tout autre, à être une lumière qui illumine le monde, une ville située sur la colline, un sel qui donne de la saveur à la vie des hommes (cf. Mt 5, 13-14), c’est bien aujourd’hui ! Car nous pos­sédons l’antidote contre le pessimisme, les présages sinistres, le découragement et la peur qui affligent notre temps.

Nous avons la Bonne Nouvelle.

Et chacun de nous, de par sa qualité même de chrétien, doit se sentir poussé à diffuser cette bonne nouvelle jusqu’aux extré­mités de la terre. « Nous ne pouvons pas ne pas dire ce que nous avons vu et entendu » (Ac 4, 20).

Aucun de nous, Chrétiens, — qu’il soit Pape, Evêque, prêtre, religieux ou laïc, — ne peut renoncer à sa responsabilité en ce qui concerne ce devoir essentiellement chrétien. Vous vous rap­pelez certainement l’insistance avec laquelle le récent Concile œcuménique a rappelé : « A tout disciple du Christ incombe pour sa part la charge de répandre la foi » (Ad Gentes, 23). « Tous les fils de l’Eglise doivent avoir une vive conscience de leur respon­sabilité à l’égard du monde... et dépenser leurs forces pour l’œuvre de l’évangélisation » (Ibid., 36).

Soulignons clairement ce point : Le Christ a donné à ses apôtres un ordre qui est si concret et si explicite, que toute pos­sibilité de doute sur ses intentions est exclue. Ils devaient aller dans le monde entier (sans omettre aucune de ses parties) et prê­cher l’Evangile à toute créature (sans exception de race ou de temps).

La Bonne Nouvelle consiste en ceci : Dieu nous aime; il s’est fait homme pour partager notre vie et pour que nous partagions la sienne ; il marche avec nous, à chaque pas de notre chemin, faisant siens tous nos soucis, car il prend soin de nous (1 P 5, 7) ; et c’est pourquoi les hommes ne sont pas seuls, car Dieu est présent dans leur histoire, celle des peuples et celle des indi­vidus ; il nous conduira, si nous n’y mettons pas obstacle, à un bonheur éternel qui dépasse les bornes de toute attente humaine.

Vous entendrez sans doute faire cette objection, qui part d’une bonne intention : Mais qu’en est-il de ceux qui ont faim, des économiquement faibles, des victimes de l’oppression et de l’injustice ? Est-ce raisonnable, est-ce même vraiment charitable, n’est-ce pas plutôt leur faire affront, que de leur parler d’un bonheur à venir? Ne vaudrait-il pas mieux, pour le christianisme, les aider à se rapprocher d’une vie vraiment humaine, plutôt que de leur parler d’une vie future au Ciel ?

Mais le Christ, qui fut lui-même « consacré par l’onction pour prêcher la Bonne Nouvelle aux pauvres... et rendre la liberté aux opprimés » (Lc 4, 18), n’a pas voulu que nous puissions exclure les pauvres et les malheureux — pas plus que tout homme de quelque race, couleur, tribu, ou condition qu’il soit — de la joie d’entendre la Bonne Nouvelle de l’Evangile.

Fidèles à son esprit, nos missionnaires n’ont jamais songé à séparer l’amour de Dieu de l’amour de l’humanité, et encore bien moins à opposer l’un à l’autre. Quand ils édifient le Royaume de Dieu, ils travaillent toujours en même temps à améliorer la condition terrestre de l’homme. Et il faut affirmer bien haut que le doux message de l’Evangile n’a jamais, au cours de l’expérience de l’Eglise, été regardé comme un affront par les pauvres ou les opprimés.

Sans prétendre intervenir « pour proposer un modèle préfa­briqué » de civilisation (Octogesima Adveniens, 42), les propaga­teurs de la Bonne Nouvelle apportent à tous les peuples (dans la fidélité au patrimoine de l’enseignement du Christ et le respect de leurs diverses cultures) ce qu’ils croient être « l’unique, la véritable, la plus haute interprétation de la vie humaine dans le temps et au-delà du temps : l’interprétation chrétienne » (Discours au Parlement de l’Ouganda, 1er août 1969, AAS 61 [1969], p. 582). C’est qu’ils croient que «le Christ, qui est mort et ressuscité pour tous, peut grâce à son Esprit offrir à l’homme lumière et force à la mesure de sa destinée suprême » (Gaudium et Spes, 10). L’Evangélisation, qui répond aux plus nobles aspirations de l’homme, devient ainsi un ferment de développement.

Nous constatons ainsi le besoin permanent de prêcher l’Evan­gile, afin d’offrir à l’homme la raison dernière de ses efforts vers le développement : « la reconnaissance par l’homme des valeurs suprêmes, et de Dieu qui est leur source et leur objet... la foi, don de Dieu accepté par la bonne volonté de l’homme, et l’unité dans la charité du Christ, qui nous appelle tous à participer comme fils à la vie du Dieu vivant, Père de tous les hommes » (Populorum Progressio, 21).

Peut-être le monde n’a-t-il jamais senti auparavant un tel besoin des valeurs spirituelles et, nous en sommes convaincu, n’a-t-il jamais été aussi disposé à accueillir leur proclamation ? En effet, les régions du monde les mieux pourvues découvrent rapidement que, pour ce qui les concerne, le bonheur ne consiste pas dans la possession des biens ; elles apprennent, par une amère « sensation de vide », combien sont vraies les paroles du Sei­gneur : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui procède de la bouche de Dieu » (Mt 4, 4).

Nous devons dire aux hommes, et leur redire sans cesse, que « la clé, le centre et la fin de toute histoire humaine se trouve en son Seigneur et Maître » (Gaudium et Spes, 10). Nous devons leur dire que cela n’est pas vrai seulement pour les croyants, mais s’applique aussi à tous et à chacun, pour qui le Christ est mort et dont la vocation, en définitive, est de correspondre au dessein de Dieu : « réunir toutes choses dans le Christ, tout ce qui existe aux cieux et sur la terre » (Ep 1, 10).

Nous devons inviter tous les hommes à se joindre au Peuple de Dieu, à son Eglise, cette société d’espoir toujours en expan­sion, qui est en mesure de tenir ses regards tendus vers l’avenir sans fermer les yeux sur le présent ; qui, en vérité, estime que le présent n’a de sens, de valeur et de prix qu’en conséquence de sa relation avec le futur, et qui, par conséquent, peut s’engager dans le présent avec d’autant plus d’énergie et de conviction. Non « nous ne rougissons pas de l’Evangile » (Rm 1, 16). Non, ni le Pape ni les Evêques ne rougissent de mendier les moyens qui peuvent faire connaître l’Evangile. Si donc, en cette Journée des Missions, vous les voyez tendre la main et vous demander l’aumône pour l’amour de Dieu et du prochain, que cela ne vous surprenne ni ne vous scandalise.

Le Christ lui-même n’a-t-il pas sollicité ceux qui l’entouraient pour obtenir les moyens qu’il avait choisis pour faire le bien ? N’a-t-il pas nourri la foule avec les quelques pains que lui a fournis un jeune garçon ? N’a-t-il pas emprunté la barque d’un pêcheur pour s’en servir afin de distribuer au peuple la parole de vie ? N’a-t-il pas accepté, pour lui et ses disciples, l’assistance que les saintes femmes lui procuraient sur leurs propres ressour­ces ? N’est-ce pas sur une ânesse empruntée qu’il a chevauché vers le lieu de sa Passion ? Et n’a-t-il pas dépendu d’un homme riche jusque pour la tombe où s’est accomplie sa Résurrection ?

Nous devons vous confier, à vous qui constituez le corps entier des fidèles catholiques et qui êtes nos collaborateurs dans la tâche que Dieu nous a assignée de faire connaître la Bonne Nouvelle, une chose qui nous remplit d’embarras et de confu­sion. Nous sommes incapables de pourvoir convenablement à l’entretien des missionnaires de l’Eglise et d’apporter une aide suffisante aux œuvres de religion et d’amour qu’ils ne cessent d’entreprendre.

Ces missionnaires se sont engagés « à vie » au service de l’Evan­gile. C’est à notre place qu’ils partent vers les nations. C’est en notre nom qu’ils exécutent l’ordre du Maître « de prêcher l’Evan­gile à toute créature » (Mc 15, 16). Rien de ce que nous pour­rions leur offrir ne pourrait satisfaire aux obligations que nous avons envers ces hommes et ces femmes, mais nous devons au moins leur procurer le pain quotidien et pourvoir aux nécessités qui découlent de leurs œuvres diverses.

Pour ceux d’entre nous — et ils sont nombreux — qui ne peuvent aller en personne porter la Bonne Nouvelle aux peuples de la terre, c’est souvent la seule façon qui se présente de remplir l’indispensable devoir missionnaire incombant à tous les chré­tiens. Notre prière incessante attire la grâce divine sur les entre­prises de nos missionnaires, nos sacrifices offerts librement et nos souffrances acceptées avec joie leur ouvrent bien des portes.

A ces subsides spirituels, nous devons ajouter de généreuses aumônes car, dans le concret de notre condition terrestre, l’assis­tance matérielle est aussi nécessaire.

Depuis bientôt un siècle et demi, l’organisation de ce soutien apporté par les fidèles catholiques a été confiée à un organisme charitable appelé Œuvres Pontificales Missionnaires (ou encore : Assistance Pontificale aux Missions). C’est par le moyen de ces Œuvres Pontificales dans chaque pays, sous la conduite de Di­recteurs Nationaux zélés proposés par lés évêques, que les aumônes du Peuple de Dieu sont recueillies chaque année, principalement dans les quêtes paroissiales du Dimanche des Missions.

Dès que ces dons ont été centralisés, ils sont distribués aux missions. Ainsi vos contributions, accordées avec générosité et de bon cœur en réponse à l’appel annuel du Pape, sont affectées sans retard aux besoins ordinaires des pays de mission : construire des églises, des écoles, des hôpitaux, des séminaires, des novi­ciats... nourrir les affamés, soulager ceux qui souffrent, porter des secours d’urgence aux victimes des cataclysmes...

Il est malheureusement certain que les Œuvres Pontificales se trouvent actuellement incapables de satisfaire plus qu’une fraction des demandes totales. Ce n’est pas parce que vos offran­des sont devenues moins généreuses; mais plutôt c’est une con­séquence de la rapidité avec laquelle l’évangélisation a procédé et de l’extension considérable des œuvres de développement social entreprises par les missionnaires.

Néanmoins, nous croyons devoir presser tous et chacun des fidèles catholiques de faire encore de plus grands sacrifices pour la Foi, et non seulement ceux qui appartiennent à des sociétés plus prospères, mais même ceux qui, comme la veuve louée par le Christ, devraient « prendre sur leur pauvreté » (Mc 12, 44). Ce faisant, nous ressemblerons davantage à la première commu­nauté chrétienne, dont il est dit que « nul n’appelait sien ce qui lui appartenait » (Ac 4, 32).

De même que, dans ce printemps de l’Eglise, « la multitude des croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme », ainsi doit-il en être de la multitude des croyants d’aujourd’hui : société non seulement d’espérance, mais aussi de foi et de charité. Certaine­ment, nous ne devons faire qu’un avec nos missionnaires, ces apôtres de notre temps, quand ils se hâtent en notre nom vers les extrémités de la terre, afin de « faire voir à tous les hommes le plan de ce Mystère tenu caché en Dieu depuis l’origine des siècles » (Ep 3, 9) et pour « révéler les trésors inouïs de sa grâce par sa bonté pour nous dans le Christ Jésus » (Ep 2, 7).

Nous ne devons faire qu’un avec eux, dans une solidarité instamment chrétienne et apostolique, de sorte qu’ils puissent recevoir « beaucoup de force » pour « rendre témoignage à la résurrection du Seigneur Jésus » (Ep 4, 33). Et nous ne manque­rons pas d’accomplir ainsi ce que des cœurs chrétiens doivent toujours désirer pour leurs frères humains : leur faire « connaître l’amour du Christ qui défie toute connaissance », de sorte qu’ils « puissent être remplis de la plénitude même de Dieu » (Ep 3, 19).

En vous exposant ainsi nos pensées, à vous tous, chers fils et chères filles, nous invoquons sur vous la grâce et la force du Seigneur, afin que vous puissiez être fidèles à votre vocation dans son Eglise missionnaire. Et à vous, nos missionnaires bien-aimés à travers le monde, nous adressons, avec une profonde affection, un salut très spécial en Jésus-Christ, que vous servez dans l’amour, le sacrifice et la joie. A vous tous, qui collaborez avec lui pour l’édification de son Royaume — « royaume de vérité et de vie, de sainteté et de grâce, de justice, d’amour et de paix » (Préface de la Fête du Christ-Roi) — nous vous accordons de tout cœur, en cette Journée Mondiale des Missions, notre Bénédiction Apostolique.

 

Du Vatican, le 25 juin 1971.

 

paulus PP. VI

 

 

 

27 juin

LETTRE APOSTOLIQUE ETABLISSANT DE NOUVELLES RÈGLES POUR LA COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE

 

Le soin attentif avec lequel l’Eglise s’est toujours efforcée d’acquérir une intelligence de plus en plus profonde des Saintes Ecritures, pour en nourrir sans cesse ses fils (cf. Dei Verbum, 23) ; est particulièrement évident de nos jours, où le second Concile Œcuménique du Vatican, dans le but dé promouvoir une vie chrétienne plus intense, a prescrit d’ouvrir plus large­ment et avec plus d’abondance aux fidèles les très amples riches­ses de la Parole-de Dieu.

L’excellence et l’importance de ce devoir, auquel l’Epouse du Christ s’adonne aujourd’hui avec une ardeur renouvelée, lui fait un devoir de faire tout son possible pour promouvoir l’étude des Saintes Ecritures. C’est pourquoi lé même Concile Œcumé­nique a déclaré ajuste titre : « Il faut que les exégètes catholiques et tous ceux qui s’adonnent à la théologie sacrée, unissant acti­vement leurs forces, s’appliquent, sous la vigilance du magistère sacré, et en utilisant des moyens adaptés, à si bien scruter et à si bien présenter les divines Lettres, que le plus grand nombre possible de serviteurs de la parole divine soient à même de fournir utilement au peuple de Dieu l’aliment scripturaire » (Ibidem).

Toutefois, comme les progrès actuels du savoir soulèvent chaque jour, dans ce domaine, des problèmes nouveaux et diffi­ciles à résoudre, la tâche de ceux qui s’adonnent à l’étude de l’Ecriture Sainte devient sans cesse plus ardue. Ces derniers, tout en cultivant ces études selon des méthodes conformes aux récentes recherches scientifiques, savent cependant que Dieu a confié la Sainte Ecriture à son Eglise et non pas au jugement privé des spécialistes, et qu’elle doit donc toujours être interprétée selon les règles de la tradition et de l’herméneutique chrétiennes, sous la direction et la vigilance du magistère ecclésiastique (cf. conc. vat. I, sess. III, cap. II, De revelatione ; conc. vat II, Dei Verbum, 12).

C’est pourquoi, stimulés par le désir de contribuer d’une manière plus efficace au progrès de la saine doctrine en matière biblique, de défendre l’interprétation de l’Ecriture contre toute opinion téméraire, et de mieux coordonner la collaboration des exégètes et des théologiens avec le Saint-Siège et entre eux-mêmes, Nous avons jugé opportun de porter d’une façon spéciale notre attention et notre sollicitude sur la Commission Bi­blique Pontificale, qui fut instituée par notre prédécesseur Léon XIII par Lettre apostolique Vigilantiae Studiique, en date du 30 octobre 1902, avec mission propre de développer l’étude de la Sainte Ecriture. Les avantages qui ont résulté de l’activité de cette Commission, depuis sa création jusqu’à maintenant, pour le patronage et l’accroissement des études bibliques, con­firment notre conviction de son utilité et de son importance. Rien ne Nous a donc paru plus indiqué et plus efficace, pour que l’Eglise puisse bénéficier toujours plus de ces avantages, que de réorganiser cette Commission Biblique Pontificale sur la base de lois nouvelles et plus adaptées, de façon que, pour ce qui con­cerne son fonctionnement, les questions à proposer et à traiter, la répartition des différentes fonctions, le nombre enfin et le choix de ses membres, elle puisse poursuivre sa tâche de façon plus rapide et conformément aux exigences accrues de la communauté chrétienne (cf. Dei Verbum, 12 et 23).

C’est pourquoi, après avoir mûrement délibéré, de notre propre mouvement et en vertu de notre autorité apostolique, Nous décidons et décrétons les nouvelles normes qui suivent concernant l’organisation de la Commission Biblique Pontificale.

1. La Commission Biblique,  qui  conserve comme fonction propre de promouvoir les études bibliques et d’apporter le con­cours de son travail au magistère de l’Eglise pour l’interprétation de la Sainte Ecriture, est réorganisée selon de nouvelles normes et est rattachée à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.

2. Le Cardinal Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la Foi exerce la fonction de président de la Commission Bi­blique. Il pourra être aidé par un vice-président, choisi parmi les membres de la Commission.

3. La Commission Biblique est composée de spécialistes en sciences bibliques de diverses écoles et pays, remarquables par leur science, leur prudence et leur sens catholique du magistère de l’Eglise.

4. Les membres de la Commission Biblique sont nommés pour cinq ans par le Souverain Pontife, sur proposition du Car­dinal Président après consultation des Conférences épiscopales. Après ces cinq années, ils peuvent être confirmés dans leur charge. Le nombre des membres ne doit pas dépasser vingt.

5. Le Secrétaire de la Commission Biblique est nommé pour cinq ans par le Souverain Pontife sur proposition du Président de la Commission et est adjoint aux consulteurs de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Après cinq années, il peut être confirmé dans sa charge. Il convient cependant que le Cardinal Président, dans la mesure du possible, fasse une consultation parmi les membres de la Commission avant de soumettre au Souverain Pontife les noms des personnes aptes à remplir cette charge.

6. L’assemblée plénière de la Commission Biblique est con­voquée au moins une fois par an.

7. Si l’étude de questions particulières l’exige, le Cardinal Président peut établir des sous-commissions spéciales constituées de membres spécialement compétents sur le sujet. Une fois cette étude achevée, ces sous-commissions cessent leur fonction. Les sous-commissions, avec l’accord du Président, peuvent consulter aussi d’autres experts et, à l’occasion, même des non-catholiques. Ceux qui sont appelés à une telle consultation n’acquièrent pas la qualité de membre.

8. Les membres de la Commission Biblique peuvent être consultés aussi par écrit.

9. Les questions et points à étudier sont indiqués par le Sou­verain Pontife ou par le Président de la Commission, sur propo­sition de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, ou du Synode des évêques, ou des Conférences épiscopales, ou de la Commission Biblique elle-même d’après les suggestions de ses membres, ou enfin des Universités catholiques et des Sociétés bibliques, de­meurant sauf ce qui est prescrit au n. 136 de la Constitution apos­tolique Regimini Ecclesiae universae.

10. Les conclusions auxquelles la Commission Biblique sera parvenue en session plénière, après intervention, le cas échéant, des commissions spéciales, seront soumises au Souverain Pontife et mises à la disposition de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.

11. Il appartient à la Commission Biblique de mener à bien des études, de préparer décrets et instructions qui peuvent être publiés par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, en faisant mention spéciale de la Commission Biblique, avec l’approbation du Souverain Pontife, à moins que ce dernier n’en décide lui-même autrement dans des cas particuliers.

12. La Commission Biblique aura soin de se tenir en rapport avec les différents Instituts d’études bibliques, catholiques ou non.

13. La Commission Biblique doit être consultée, avant que ne soient données de nouvelles normes en matière biblique.

14. La Commission Biblique continue, jusqu’à ce qu’il en soit décidé autrement, à conférer les grades académiques en ma­tière biblique, selon des normes spéciales qui devront être revues de manière convenable.

15. Les membres de la Commission Biblique garderont fidè­lement le secret sur les questions qu’ils ont à traiter pour la Com­mission, selon leur nature et leur importance, en observant les normes en vigueur sur le secret.

Nous ordonnons que tout ce que Nous avons décrété dans ce Motu proprio soit ferme et ratifié, et obtienne plein effet à partir du 8 juillet de cette année, nonobstant toutes choses contraires, même dignes de mention spéciale.

 

Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 27 juin 1971, neuvième année de notre pontificat.

 

paulus PP. VI

 

 

 

1° octobre

« CONSTRUIRE L’ÉGLISE SUR LE FONDEMENT UNIQUE QU’EST LE CHRIST »

 

A l’occasion de l’ouverture du Synode.

 

Chers et vénérés Frères,

 

Dieu notre Père et Jésus Christ notre Seigneur vous donnent la grâce et la paix » (Rm 1, 7 ; 1 Col, 3). Par ces paroles de l’Apôtre Paul, Nous vous saluons et Nous vous accueillons à ce Synode, sur lequel se concentrent l’atten­tion et l’espoir de la sainte Eglise de Dieu, et aussi le vif intérêt du monde.

Nous vous saluons et Nous vous accueillons avec un cœur fraternel et ouvert, unissant aussitôt notre prière à la vôtre : ainsi doit commencer chacune de nos actions, en offrant à Dieu notre adoration filiale et en implorant de lui son assistance prévoyante et miséricordieuse. Nous vous saluons et Nous vous accueillons en ce lieu sacré et historique, on ne peut plus évocateur aussi bien par ses représentations bibliques des destins suprêmes de l’humanité, que par les assemblées si importantes qui s’y déroulent et où se font les choix décisifs pour le pontificat romain. Nous vous saluons et Nous vous accueillons en cette heure chargée de questions si graves en ce qui concerne le sacerdoce ministériel et la justice à promouvoir dans le monde. Nous le faisons sous cette forme nouvelle du synode, qui tire son esprit et son organi­sation du récent Concile œcuménique, de sorte que, peut-on dire, toute l’Eglise catholique est ici canoniquement représentée et spirituellement présente.

Et voici que pour rendre plus évidente et plus émouvante cette présence universelle, se trouve parmi nous, arrivé ces jours-ci à Rome après tant d’années d’absence forcée, notre vé­néré Frère le Cardinal Jôzsef Mindszenty, Archevêque d’Esztergom, en Hongrie. Il est notre hôte très attendu, associé aujourd’hui à notre célébration religieuse, témoin glorieux, pour ainsi dire, de l’union millénaire de l’Eglise magyare avec le Siège apostolique, comme un symbole du lien spirituel qui toujours, nous unit tous à nos frères qui ne peuvent avoir avec les autres frères et avec Nous des rapports normaux et comme un exemple d’intrépide fermeté dans la foi et d’infatigable service d’Eglise, d’abord par son œuvre généreuse, puis par son amour vigilant, sa prière et sa souffrance prolongée. Bénissons le Seigneur, et souhaitons à l’insigne Pasteur exilé, tous ensemble, avec respect et cordialité, la bienvenue, au nom du Seigneur.

Mais maintenant, abandonnant toute autre pensée, nous nous concentrons sur le rite, toujours auguste et mystérieux, que nous sommes en train de célébrer fraternellement. C’est la sainte messe, que Nous célébrons avec les prélats auxquels Nous avons confié la charge de présider les travaux du Synode qui s’ouvre aujourd’hui. C’est la sainte Messe, la cène, à la fois mémorial et sacrifice du Christ lui-même, instituée pour établir, de la manière la plus pleine et la plus forte qui puisse nous être accordée durant notre voyage dans le temps, la double communion voulue et instaurée par lui : la communion avec le Christ lui-même, et la communion entre nous qui participons ensemble à ce repas mystique. C’est en effet l’Eucharistie qui est le « sacrement de l’unité » ; ainsi, en participant à un si grand sacrement, nous po­sons l’acte le plus apte à unir notre vie au Christ et à tous ceux avec qui nous avons le bonheur de manger du même pain, qui le représente et le contient.

Nous voudrions que cette double communion, avec le Christ notre Chef et notre Sauveur, et entre nous ses disciples et ses ministres, non seulement soit toujours présent à notre esprit, pendant tout ce Synode, comme il est de règle lorsque nous célé­brons ce saint rite, mais également que nous en ayons une expé­rience intérieure et vivante, qui traduise en nous-mêmes les pa­roles de l’Apôtre : « Je vous en conjure par tout ce qu’il peut y avoir d’appel pressant dans le Christ, de persuasion dans l’Amour, de communion dans l’Esprit, de tendresse compatissante, mettez le comble à ma joie par l’accord de vos sentiments : ayez le même amour, une seule âme, un seul sentiment ; n’accordez rien à l’esprit de parti, rien à la vaine gloire, mais que chacun par l’humilité estime les autres supérieurs à soi ; ne recherchez pas chacun vos propres intérêts, mais plutôt que chacun songe à ceux des autres » (Ph 2, 1-4). Que le bien commun et suprême de l’Eglise, et celui de l’humanité dans laquelle se déroule sa mis­sion, soient donc en cette heure si remplie et si importante, non seulement l’objet de nos aspirations, mais encore notre réconfort et notre joie dans nos recherches pour en trouver le présage et la réalité, au cours même de cette présente réunion synodale.

Elle s’ouvre par cette célébration, et nous savons tous pour­quoi : tout principe vital nous vient en effet de Dieu notre Père, par le Christ Fils du Dieu vivant et Fils de l’homme, notre Chef unique et suprême, invisible mais ici présent (cf. Mt 18, 20), notre Maître et notre Rédempteur, auteur de notre salut, qui consiste dans l’animation de l’Esprit-Saint infusé en chacun de nous comme dans tout le Corps mystique du Christ, qu’est l’Eglise. Nous attendons et nous appelons cette action illumi­nante et sanctifiante du Paraclet. L’assistance de l’Esprit du Christ nous est particulièrement nécessaire en cette heure importante pour la vie de l’Eglise, pour notre vie.

Avant tout autre problème, c’est celui-là qui nous intéresse.

Comment pouvons-nous obtenir cette assistance ? Par la foi et par la prière. Il n’est pas nécessaire de vous en dire long sur la nécessité de développer en nous ces attitudes indispensables. Vous savez bien que la foi est le commencement du salut, et que sans la foi il est impossible de plaire à Dieu (cf. DENZ.-SCHON., 1532, 3008). Vous savez aussi que ce n’est pas se livrer à un dia­gnostic hâtif des malaises qui affectent la vie de l’Eglise, et des tristes conditions spirituelles de la société, que d’en rechercher l’origine et la cause principale dans une crise de foi qui est une malgré sa variété. Nous devons donc intérieurement raffermir notre acceptation, convaincue et joyeuse, de la révélation divine, par un grand acte de foi ; nous devons nous mettre, devant Dieu et le Christ, dans l’attitude d’humilité et d’attente confiante qui est propre au croyant, si nous voulons que l’Esprit nous parle au cœur et nous donne les charismes propres à qui exerce des fonctions de responsabilité dans la conduite de l’Eglise : la science, le conseil, l’intelligence, spécialement la sagesse, surtout la charité.

A cet état de disponibilité, passive pourrait-on dire, il nous faut joindre, et raviver sans cesse, un état de disponibilité active : c’est la prière, que le Seigneur a tant recommandée comme condition correspondant à sa bienfaisante et miséricordieuse causa­lité (cf. Mt 7, 8 ; Lc 11, 13 ; Jn 16, 24). Nous devrons ces jours-ci nous maintenir dans cette attitude d’imploration continuelle, afin que l’Esprit-Saint trouve libre accès en nos âmes (Ac 1, 14 ; 2, 42) : notre prière et l’action de la grâce doivent se rencontrer, afin que notre oreille puisse entendre « ce que dit l’Esprit aux églises » (Ap 2, 7).

Laissez-Nous, Frères vénérés, attirer votre attention sur un danger spécifique qui peut entourer notre réunion synodale, et qui, par diverses voies, honnêtes ou frauduleuses, peut troubler la sérénité de notre jugement, et peut-être même la liberté de nos délibérations. Ce danger est celui des pressions : opinions d’une conformité douteuse avec la doctrine de la foi ; tendances qui négligent des traditions autorisées et conformes à l’authentique vocation de l’Eglise; attraits pour l’adaptation à la mentalité profane et séculière; craintes des difficultés soulevées par les changements de la vie moderne ; publicité tentatrice ou impor­tune ; accusation d’anachronisme et de juridisme paralysant le développement spontané, dit « charismatique », d’un nouveau christianisme, etc. La pression : son visage est multiple, sa puis­sance est insinuante et dangereuse. Veillons à nous en affranchir, sous l’impulsion de notre conscience qui est responsable vis-à-vis de notre mission de Pasteurs du Peuple de Dieu, et devant le jugement divin du dernier jour. Cherchons au contraire à con­server le calme et la force d’esprit pour savoir tout connaître et juger comme il faut, selon l’esprit du Christ et selon les vrais besoins de l’Eglise et des temps (cf. 1 Th 5, 21). Libres d’ingé­rences indues et de suggestions étrangères à l’exercice de nos devoirs en ce Synode, nous devons au contraire nous sentir liés par ces devoirs. Parmi ces derniers, il faut rappeler la fidélité au mandat reçu par les Conférences épiscopales respectives ou les Synodes des divers rites ou l’Union des Supérieurs Généraux.

Vous, membres du Synode, vous en avez amplement préparé les travaux, avec le clergé — ici représenté par un groupe de prêtres que Nous saluons affectueusement — et aussi avec des religieux, des religieuses et des laïcs qui participent activement à la vie de l’Eglise dans vos pays. Vous avez ensuite étudié et discuté avec nos frères dans l’épiscopat l’apport que vous êtes maintenant appelés à donner. Vous ne parlerez donc pas à titre personnel (à moins de le déclarer expressément, comme le prévoit l’Ordo Synodi), mais vous serez le porte-parole qualifié de votre Eglise pour toute l’Eglise.

Il est superflu de vous dire combien elle est importante pour elle, notre sainte Eglise, une et catholique, cette voix qui fait écho à la voix apostolique, et combien grave est notre coresponsabilité ; vous le savez bien. Faisons en sorte de ne pas rendre vain le vœu de tous que cette même Eglise, par la vertu de l’Esprit de Dieu « qui parle en Vous » (Mt 10, 20), et par l’intercession de Marie, celle qui fut mère du Christ selon la chair, et mère, peut-on dire, de son Corps mystique selon l’Esprit au jour de la Pente­côte, que cette Eglise puisse être « édifiée » (cf. Ep 4, 12) par le Synode qui, aujourd’hui, s’inscrit dans son histoire séculaire.

L’image de l’« édification », si souvent utilisée par la sainte Ecriture, nous invite aujourd’hui à travailler ensemble de toutes nos forces pour la grande œuvre qui constitue le but unique de notre vie : construire l’Eglise sur le fondement inébranlable qu’est le Christ lui-même, qui est le chemin, la vérité, la vie.

Ne nous laissons d’aucune manière dévier de cette route : elle est la seule. Ne nous laissons attirer par aucune autre voix : la vérité est une. Ne nous laissons entraîner vers aucune autre source qui ne soit Celle du Dieu vivant et vivifiant.

Notre devoir de pasteurs est là, clairement tracé : que le Sei­gneur nous accorde d’y être fidèles, selon l’exemple des saints pasteurs qui, tout au long des siècles du cheminement tourmenté de l’Eglise sur cette terre, surent la guider avec courage et sa­gesse, à travers les écueils, vers le large, où le Christ l’appelle pour porter à tous la bonne nouvelle du salut.

Et Nous-même, combien plus faible et infirme que Simon, Nous qui avons reçu du Seigneur lui-même le nom et la tâche de Pierre, Nous sommes avec vous pour donner une nouvelle croissance à l’édifice mystique et visible, afin qu’aujourd’hui encore il ouvre ses portes solides et lumineuses au Peuple de Dieu qui, actuellement, plus que de toute autre chose, a besoin de la vraie foi qui ne ment pas, de l’espérance sûre qui ne trompe pas, de l’amour renaissant qui ne s’éteint pas.

 

 

 

24 octobre

PRENDRE CONSCIENCE DU DEVOIR MISSIONNAIRE

 

Pendant la messe pour la Journée Missionnaire Mondiale.

 

Frères !

 

Aujourd’hui, journée missionnaire, résonne dans cette basi­lique, dédiée à la tombe de l’Apôtre Pierre, et résonne dans toute l’Eglise en communion avec lui, la voix du Christ Seigneur ressuscité, la parole qui conclut ainsi son Evangile : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc ! De toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et voici que moi, je vais être avec vous toujours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 18 ss.).

Il Nous semble que c’est là non seulement la conclusion, mais bien plus la synthèse du dessein divin dans l’histoire de l’huma­nité : le Verbe de Dieu s’est fait homme, il a vécu sur la terre, il a parlé par le fait même de sa présence dans le temps et dans le monde, par des signes miraculeux pour appuyer son action et spécialement sa Parole, expression extérieure et sensible de sa Vérité intérieure, de sa Personne, de son mystère humano-divin de pérennité dans les siècles (Mt 24, 35) et de communication aux hommes (cf. Ba 3, 38), se plaçant ainsi à la croisée des che­mins de la décision qui déterminera leur sort, selon qu’ils accueil­lent cette Parole, la font leur et en vivent, ou qu’ils la repoussent délibérément. Le Christ, en effet, a mis un sceau à son message, selon l’évangéliste Marc, écho du témoignage de Pierre : « Allez dans le monde entier, proclamez l’Evangile à toute la création. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé, celui qui ne croira pas sera condamné » (Mc 16, 15-16). Question capitale, question de vie ou de mort : ce qui sauve, c’est l’Evangile, c’est la Vérité mystérieuse du Christ, c’est la foi, avec tout ce qu’elle requiert et comporte en soi.

Telle est l’annonce du destin de chacun des hommes, comme de la communion des croyants, constitués en Eglise, peuple de Dieu, corps social et mystique du Christ. Annonce quasi confidentielle au début, puis, par la volonté du Christ lui-même, annonce puissante, à prêcher « par-dessus les toits » (Mt 10, 27), c’est-à-dire avec la force la plus expansive dont le héraut soit capable. Qui est le héraut ? C’est l’Apôtre, c’est le missionnaire, c’est le maître, le catéchiste, c’est tout chrétien qui a conscience — et capacité — d’être le témoin, d’être le chemin de l’annonce explosive et vivifiante de l’Evangile, et de la foi qu’il a allumée en son cœur.

Car il faut le noter aussi avec la plus grande attention : la Parole de Dieu doit être communiquée au moyen de la parole humaine; le « système », établi par le Christ Seigneur, exige un réseau institutionnel, un magistère, pour répandre le message salvifique de sa Parole qui procède du Père et du Fils dans l’Esprit-Saint (cf. Jn 6, 64) ; le « système » exige un fil conducteur, une « tradition », comportant le maximum de fidélité et de cohérence, un organe humain, un « prédicateur » (Rm 10, 1.4), un mission­naire, qui révèle le plan divin, tenu caché aux siècles (cf. Col 1,26), et ouvre les âmes aux révélations intérieures de l’Esprit (cf. Ep. 1, 17 ; Jn 14, 26 ; 16, 13). Et si dans ce ministère — dans ce service — de la transmission de la Vérité qui libère (cf. Jn 8, 32), qui sauve et sanctifie (cf. Jn 17, 17), le Christ a voulu qu’il y ait un corps d’hommes promoteurs et responsables — les Apôtres (Lc 10, 16) —, il a voulu également que d’autres collaborateurs qualifiés leur soient associés — tels sont les prêtres et les diacres, tels sont les missionnaires (cf. Lc 10, 1, 17) ; et même il a voulu que toute son Eglise diffuse le Christ d’une manière ou d’une autre, et donc se dilate elle-même, parce qu’elle est missionnaire de sa nature, parce qu’elle vit tout entière de lui, le Christ, et est animée de son Esprit, parce qu’elle est destinée à tout le genre humain, parce qu’elle est universelle, c’est-à-dire catholique (cf. Jn 10, 16 ; 11, 51-52). Le Concile a mis en évidence cet aspect dynamique de toute l’Eglise, ce devoir de tous les fidèles de coopé­rer à l’expansion du Corps du Christ (cf. Ad Gentes, 2, 6, 28, 36, etc.). Parmi les nombreuses expressions par lesquelles le Concile insiste sur ce devoir, rappelons-en une : «... à tout disciple du Christ incombe pour sa part la charge de répandre la foi » (Ibid.,23).

Aussi, Frères, que cette journée ne passe pas sans que, tous et chacun, nous reprenions conscience de notre devoir mission­naire.

Ne nous laissons pas distraire par les déformations antimis­sionnaires suscitées par tant d’idées courantes, parfois excellentes, mais impuissantes à satisfaire l’authentique et inaliénable vocation missionnaire du vrai disciple du Christ. Cette allusion doit suffire. Il y en a qui blessent la vocation missionnaire au plus profond de son cœur — la nécessité du salut par le Christ — puis­que la miséricorde divine ne manquera pas de pourvoir au sort de la partie de l’humanité — et c’est la plus grande — à qui n’est pas encore arrivé en fait le message évangélique. Nous espérons vivement qu’il en sera ainsi; mais c’est justement Dieu qui nous a fait savoir que la foi catholique était une condition de salut (cf. Mc 16, 16  1 Th 1, 9). D’autres offensent la vocation mis­sionnaire dans son caractère de priorité, la faisant passer de droit après la libération temporelle et les nécessités économiques, ou bien en faisant un instrument en vue du développement sociaL Oui, nous devrons souvent, en fait, libérer l’homme de la servi­tude et de la faim avant de lui enseigner des thèmes religieux ; mais ces thèmes ne peuvent-ils pas remonter au premier plan, pour respecter justement l’échelle des valeurs évangéliques : « cher­chez d’abord le royaume de Dieu » (Mt 6, 33) ? et à cause de la valeur reconnue aux déficiences humaines par le discours des béatitudes ? et à cause du respect que le précepte de l’amour — découlant de celui que nous devons avoir envers le Christ et envers Dieu — impose au missionnaire, comme premier exer­cice de son ministère, envers nos frères qui souffrent (cf. 1 Jn 6, 18) ? Du reste, l’évangélisation est aussi en soi un élément de suprême importance pour le développement des peuples et pour la promotion de la justice dans le monde : si, en effet, elle venait à perdre son inspiration religieuse originelle, ne serait-elle pas exposée à épuiser ses énergies morales et tentée insensiblement de glisser vers un néo-colonialisme ?

Soyons fidèles, Frères, à la conception missionnaire de l’Eglise.

Laissons-nous fasciner par ce grand idéal qui doit nous amener à nous préoccuper des conditions de l’Evangile de nos jours dans le monde : de nombreuses frontières lui sont encore inter­dites, malgré les proclamations récentes des droits de l’homme, de la liberté de penser, et nonobstant les garanties de loyauté civique que les Missions offrent aux pays qui les accueillent, et aussi les mérites qu’ils y acquièrent. Beaucoup de voies, au con­traire, sont encore aujourd’hui ouvertes au missionnaire, et attendent son pas intrépide et plus que jamais pressé, souvent encore tourné vers les aventures les plus étranges et les plus ardues, et toujours vers l’aventure sublime du sacrifice et de l’amour. Ces voies sont aussi ouvertes au chrétien indigène, qui, de disciple de sa propre Eglise, commence à devenir un maître dans sa propre région et dans les voisines.

Aussi saluons-nous, avec un enthousiasme ancien et toujours nouveau, le fait missionnaire dans l’Eglise de Dieu. Nous vou­lons accomplir aujourd’hui, en concélébrant cette messe, un double devoir : celui de remercier, saluer et bénir tous ceux qui consacrent leur vie et leur action à la causé missionnaire : Nous pensons à vous, valeureux missionnaires, évêques, prêtres, re­ligieux et religieuses, catéchistes, laïcs volontaires ; à vous, évê­ques apôtres des missions ; à vous, généreux bienfaiteurs, à vous qui, de toutes sortes de façons, les aidez et les défendez, à vous qui écoutez la vocation charismatique, à vous qui souffrez, offrez et priez pour les missions. Notre reconnaissance veut être l’inter­prète de celle du Christ : tout ce que vous faites pour les missions, vous le faites pour lui ; en son nom, Nous vous disons merci, et Nous vous répétons les promesses de ses récompenses pré­sentes et futures.

Notre deuxième devoir est d’encourager tous ceux qui aiment et servent l’idée missionnaire. Courage, oui ; elle mérite notre intérêt, notre amour préférentiel.

Nous sommes encouragé à le faire par la présence de ces frères très chers, les pèlerins d’Apia, l’île de l’archipel des Samoa, qui sont venus Nous rendre la visite que Nous avons voulu leur faire, avec tant d’amour et d’espérance, et avec une grande émotion et joie spirituelle, justement pour honorer nos missions. Soyez les bienvenus !

Ainsi Nous, dernier des serviteurs du Christ, conscient de notre mandat de pasteur de l’Eglise universelle, premier respon­sable de l’immense troupeau du Christ, témoin dans l’Esprit-Saint de son Evangile pour toute la terre, Nous vous remercions, Nous vous exhortons, Nous vous bénissons.

 

 

 

6 novembre

UN SENS PROFOND DE COMMUNION DE FRATERNITE, DE LUMIÈRE ET DE PAIX

 

Allocution à la clôture du Synode.

 

Vénérables Frères et chers Fils,

 

Ce que nous commencions il y a quelques semaines, dans la prière et d’un cœur confiant, nous l’achevons maintenant dans la joie, au nom du Seigneur, notre confiance s’étant accrue avec l’expérience au cours de ce temps. Il convient, à la fin de cette œuvre, d’y revenir un peu par la pensée et de mesurer brièvement quel impact ce Synode des Evêques peut avoir sur la vie de l’Eglise.

En toute vérité, ce Synode fut une assemblée de frères, dans laquelle les Evêques qui nous sont chers, se souvenant de leur caractère collégial, représentant l’Eglise universelle, reliés entre eux par les liens de la charité, se sont réunis autour de Nous, pour traiter de questions d’une particulière importance qui préoccu­pent aujourd’hui un grand nombre de personnes. Aussi le Sy­node, par lequel les Evêques apportent au Pontife Romain le concours de leur prudence, de leur expérience, de leur conseil, exprime un avis de poids dont il faut tenir grand compte.

Oui, Nous pouvons avouer que ces réunions synodales, qui vous ont demandé beaucoup de travail et de fatigue, se sont révélées fructueuses et salutaires pour l’Eglise. En effet, les souffrances, les joies, les espoirs, les besoins, qui marquent aujourd’hui la vie chrétienne dans les diverses régions de l’uni­vers, ont été mis en lumière par vous, ouvertement, et presque aux yeux de tous. Vous n’avez certes pas toujours eu les mêmes avis, même en ce qui concerne la manière et les moyens de ré­soudre les questions proposées. Cependant le même zèle reli­gieux vous a conduits, le même amour de l’Eglise, et, la doctrine du Concile Vatican II étant fidèlement maintenue, le même désir d’ouvrir au monde de nouveaux chemins pour l’annonce de l’Evangile, et de les adapter aux nécessités spirituelles de notre époque. Quant à Nous, Nous voulons dès maintenant vous assurer que, de même que Nous avons jusqu’ici suivi vos discussions avec attention, de même Nous tiendrons dûment compte de vos avis lorsqu’il faudra décider de ce qui touche au bien de l’Eglise uni­verselle. Nous aurons également soin de faire en sorte que, à l’avenir, le règlement du Synode, qui en fixe les travaux, soit amélioré. C’est pourquoi, si les normes posées en ce domaine vous semblent moins correspondre à cet objectif, Nous vous exhortons à faire connaître vos remarques au Secrétariat gé­néral du Synode.

Pour l’instant, qu’il nous soit permis d’exprimer notre gra­titude à tous ceux qui, pour mener à bien ce Synode, se sont associés au travail et ont apporté leur aide. Et tout d’abord Nous remercions nommément le Conseil du Secrétariat de ce Synode qui, au cours de ces dernières années, s’est appliqué sagement et diligemment à préparer ces réunions synodales. Nous remer­cions également les Conférences épiscopales qui se sont occupées avec beaucoup de zèle des questions qui étaient proposées; les Cardinaux Présidents délégués; l’efficient Secrétaire général du Synode, Monseigneur Ladislas Rubin ; les Rapporteurs, Secré­taires spéciaux, et ceux qui les ont aidés, et tous ceux qui sont ici présents, cardinaux, évêques, prêtres, religieux, religieuses, laïcs, qui ont pris part aux travaux du Synode. Et enfin, il n’est pas permis de passer sous silence les autres fils de l’Eglise qui, bien qu’absents, apportèrent cependant une aide appréciable aux Conférences épiscopales, grâce à leur conseil et à leur inter­vention en ce domaine, et qui, par leur prière, ont bien servi la cause du Synode. Sur cette œuvre si grave et si importante, accomplie généreusement pour l’utilité de l’Eglise, que Dieu daigne répandre en retour l’abondance de ses grâces.

Qu’il nous soit maintenant permis de vous ouvrir notre cœur sur les deux questions de très grande importance qui ont été proposées à ce Synode. D’abord, pour ce qui concerne le sacerdoce ministériel, il fut, durant longtemps et de toute part, la source et l’objet d’abondantes discussions. Nous savons certes, comme vous et par une expérience quasi quotidienne de pasteurs, combien complexe est la question de la vie sacerdotale dans la société actuelle tellement transformée et continuellement soumise aux transformations. On n’ignore pas les difficultés spirituelles, psychologiques, sociales, matérielles, qui pèsent sur tant de prêtres aujourd’hui. Nombre d’entre eux s’interrogent anxieuse­ment et avec sérieux sur la place qui doit leur être attribuée dans le monde de ce temps.

A bon droit, vous avez réfléchi attentivement à ce qui con­cerne les prêtres dans la charge apostolique du Corps épiscopal, ainsi que la nature du ministère sacerdotal, cependant que vous avez porté une attention particulière à la prédication de l’Evan­gile par laquelle le prêtre annonce aux hommes de notre époque le Christ, Sauveur du monde.

De vos discussions il ressort que les Evêques de tout l’univers catholique veulent garder intégralement ce don absolu par lequel le prêtre se consacre à Dieu ; de ce don une part non négligeable — dans l’Eglise latine — est le célibat consacré.

C’est pourquoi les Pères de ce Synode, avec l’expérience re­marquable que le Concile Vatican II a permis d’avoir en cette matière, ont parfaitement réaffirmé la doctrine de ce Concile qui enseigna : « Le célibat a de multiples convenances avec le sacerdoce... ». En gardant ce « célibat pour le Royaume des cieux, les prêtres se consacrent au Christ d’une manière nouvelle et privilégiée, il leur est plus facile de s’attacher à lui sans que leur cœur soit partagé, ils sont plus libres pour se consacrer, en lui et par lui, au service de Dieu et des hommes, plus disponibles pour servir son royaume et l’œuvre de la régénération surnatu­relle, plus capables d’accueillir largement la paternité dans le Christ » (Presbyterorum Ordinis, 16).

Ce dont le Synode a donc pris conscience, Nous le confir­mons, restant sauve la discipline des vénérables Eglises d’Orient toujours chères à notre cœur. En le promulguant, Nous tournons notre esprit vers tous les prêtres qui sont concernés. Combien d’entre eux, même au prix de grandes difficultés, s’appliquent, avec une fidélité inébranlable, à servir le Seigneur et à procurer le salut des âmes. Combien, travaillant dans le secret et suppor­tant souffrances et persécutions, donnent à l’Eglise le maximum de forces ! Oui, il faut, à la fin de ce Synode, louer publiquement tant de prêtres qui portent vraiment bien ce nom ! Qu’ils sachent, tous et chacun, que le Pape leur est présent, qu’il les aime d’un amour sincère, qu’il prie pour eux.

Aussi avons-Nous confiance que les prêtres, conduits par un esprit surnaturel et dociles à l’enseignement de l’Eglise, per­sisteront avec ardeur dans cette remarquable voie qu’ils ont choisie librement par vocation divine. A tous, Nous adressons notre salut de tout cœur.

Un, autre sujet très important confié à l’examen du Synode concerne l’instauration de la justice dans le monde d’aujourd’hui. Les discussions que vous avez eues au cours de la réunion ont fait ressortir clairement l’immensité de ce champ d’activité et les difficultés innombrables qu’il comporte. Le Concile œcu­ménique Vatican II a, certes, traité abondamment de cette ques­tion ; Nous-même Nous sommes penché souvent sur ce problème, particulièrement dans notre encyclique Populorum Progressio. En abordant ce même problème, vous n’avez évidemment pas eu l’intention de régler complètement, en si peu de temps, des questions si ardues ; mais vous avez témoigné que l’Eglise, dans les circonstances particulièrement difficiles de notre époque, avait conscience de devoir aborder la question sociale d’une façon renouvelée, pour que la justice entre les hommes soit établie d’une manière plus parfaite, que ce soit en ayant une connais­sance plus approfondie des besoins les plus pressants de ce monde, ou en donnant elle-même l’exemple, en exerçant sa sollicitude envers les pauvres et les opprimés, en éduquant les consciences humaines à agir pour la justice sociale, ou enfin en utilisant et développant toute sorte de moyens pour le soulagement des misères, donnant ainsi au monde le témoignage visible de sa charité et invitant les autres à suivre le même chemin. Il n’est pas superflu toutefois de rappeler que la mission propre confiée par le Christ à son Eglise n’est pas d’ordre politique, économique ou social, puisque la fin qui lui a été assignée est d’ordre reli­gieux (cf. conc. vat. II, Gaudium et Spes, 42) ; cette fin peut toutefois, et doit contribuer à l’instauration de la justice même temporelle. Tout cela n’est pas, certes, la fin pleine et absolue de l’Eglise, mais doit servir à l’établissement du Royaume de Dieu sur terre, selon la déclaration du Christ Seigneur : « Cher­chez d’abord le Royaume de Dieu » (Mt 6, 33).

Si l’action de l’Eglise était privée de ce souffle religieux originel et nécessaire, elle s’écarterait sans aucun doute des pré­ceptes évangéliques et elle perdrait peu à peu sa force et son rôle de promotrice du bien de la société terrestre. Le Concile œcumé­nique nous le dit clairement, en effet : « De cette mission reli­gieuse (de l’Eglise) découlent une fonction, des lumières et des forces qui peuvent servir à constituer et à affirmer la commu­nauté des hommes selon la loi divine (Gaudium et Spes, 42).

Parvenus maintenant au terme de cette réunion, où tous ensemble nous avons éprouvé les effets magnifiques d’une authen­tique fraternité que nous n’oublierons jamais, nous voulons nous saluer mutuellement en toute paix et charité. Unis par un même amour pour le Christ et pour l’Eglise, nous avons compris que nous étions stimulés par cette même charité que le Christ, à l’heure de son sacrifice suprême, nous a demandé de conserver : « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 13, 34). Vous qui allez regagner vos demeures, réchauffez et fortifiez en vous ces sentiments de communion, d’amitié fraternelle, d’harmonie des volontés, de concorde, de lumière et de paix. Même séparés par l’espace, ne manquons pas de poursuivre des échanges tels que ceux que nous venons de vivre et où nos esprits étaient fondus comme en un même chœur.

Nous nous mettrons aussi, et très fermement, au service de la communion universelle de nos frères, avec une ardeur renouvelée et une volonté inébranlable, menant une vie digne de l’appel que nous avons reçu (cf. Ep 4, 1). Ainsi sommes-nous poussés à donner l’exemple au clergé et aux fidèles confiés à nos soins : ils nous regardent en effet, et attendent de nous un esprit qui les aide à vivre vraiment l’Evangile. Soyons pour notre troupeau comme un levain qui nous incite à mener une vie pleine de vertu et à répondre aux impulsions de l’Esprit-Saint. Il nous faut donc tirer notre force de la prière et de la méditation de la Parole de Dieu, afin de nous conformer totalement à l’esprit évangélique.

Dans cette tâche, qui dépasse les forces humaines, nous ne sommes pas seuls : le Christ est avec nous. Sachons mettre en lui toute notre confiance, car « nous pouvons tout en celui qui nous rend forts » (cf. Ph 4, 13). Le Christ, en effet, qui nous a choisis malgré notre faiblesse, ne peut nous priver du secours nécessaire à l’accomplissement fidèle de notre tâche pastorale.

Nous sommes saisis par lui, comme Paul (cf. Ph 3, 12) ; confor­mons notre vie à la sienne, afin que toute notre façon d’agir soit remplie de sa grâce. C’est le prêtre éternel, modèle et type même de vie apostolique. Selon l’expression de saint Ambroise, l’admi­rable pasteur d’âmes : « Que resplendisse donc son image dans notre profession de foi, qu’elle resplendisse dans notre amour, qu’elle resplendisse dans tout ce que nous faisons et opérons ; ainsi, dans toute la mesure du possible, tout son être transpa­raîtra en nous. Qu’il soit notre chef, car « le chef de tout homme, c’est le Christ » (1 Co 11, 3) : « qu’il soit notre œil, afin que par lui nous voyions le Père ; qu’il soit notre voix, par laquelle nous parlons au Père ; qu’il soit notre main, par laquelle nous offrons notre sacrifice à Dieu le Père » (De Isaac et anima, 8, 75). Pour ce faire, nous avons l’aide de la Vierge Marie, Mère de l’Eglise, elle qui, comme jamais personne, a réalisé en elle l’image de son Fils ; ayons une confiance ferme et inébranlable en elle qui avec nous, comme jadis avec Pierre et les disciples (cf. Ac 1, 14), prie sans cesse pour que descende sur la sainte Eglise une nou­velle Pentecôte.

Enfin, aimons l’Eglise, et le monde où elle est présente comme le sacrement du salut ! La sainte Eglise, qui est le Peuple de Dieu en marche vers le ciel, gardienne de la Parole de Dieu révélée et des instruments de la Rédemption, Epouse du Christ purifiée par son sang précieux, attend de nous ce témoignage de totale fidélité. Notre devoir est de la servir, de la protéger, de la porter au monde ; elle nous réunit en un seul corps, nous qui vivons dans des conditions données du temps et de l’histoire ; elle est donc affectée par nos faiblesses, par nos doutes, par nos craintes, de sorte qu’elle ne resplendit pas autant que le Christ l’a voulu, lui qui pourtant « a aimé l’Eglise et s’est livré pour elle, afin de la sanctifier en la purifiant par le bain d’eau qu’une parole accom­pagne » (Ep 5, 25-26). Il nous faut donc toujours tendre à la perfection, pour que nous fassions honneur à cette perfection qui a besoin de notre concours. N’omettons aucun sacrifice pour qu’elle soit vraiment un signe dressé pour les nations lointaines (cf. Is 5, 26).

Ayant ainsi aimé l’Eglise, nous aimerons également le monde comme notre vocation nous y engage. Les hommes de notre temps attendent la parole qui libérera leurs esprits des peines et des angoisses : ils regardent l’Eglise pour savoir si elle est encore capable de répondre à leur attente ou s’ils doivent mettre leur confiance ailleurs. De toutes nos forces nous devons faire en sorte que les hommes aient foi en nous, surtout en les aimant d’un amour de père et de frère.

Vénérables Frères et fils très chers, en cette heure, où Nous vous saluons, que ces mots de concorde, de force, de confiance envers le Christ et sa mère, ces mots d’amour envers l’Eglise et le monde, soient pour nous comme une force qui nous pousse sur le chemin. Veillez à ce que vos prêtres soient toujours plus conscients de leur fonction que nulle autre ne peut remplacer; apportez à vos fidèles la sérénité et la joie, joie de se sentir une part vivante de l’Eglise ; assurez-les de notre affection ; avec vous, Nous les bénissons. Et que le secours et l’amour du Dieu tout-puissant soient toujours avec nous tous. Amen.

 

 

 

23 décembre

PAUL VI BROSSE UN PANORAMA DES PROBLÈMES DE L’EGLISE

 

A l’occasion des vœux du Sacré Collège pour Noël et le Nouvel An.

 

Messieurs les Cardinaux,                                                 :

Vénérables Frères et Fils, Prélats et membres de la Curie romaine,

 

Nous vous saluons, dans le Christ Jésus, dans l’amour du Père et la communion de l’Esprit.

L’attente de la fête imminente de Noël nous trouve réunis en cette rencontre toujours chère à notre cœur. Nous attendons la venue du Fils de Dieu qui emplit le monde de sa lumière et de sa grâce ; et en cette foi en lui, foyer de l’histoire humaine, centre des deux Testaments, attente de tous les peuples, il Nous est agréable de nous arrêter ensemble, pour sentir d’une façon plus vive et stimulante sa présence au milieu de nous, et pour recevoir énergie et encouragement afin de vivre de lui et d’être les apôtres de son message de salut : « car il est la sagesse — dit saint Ambroise — il est la Parole, la Parole de Dieu... C’est lui que tou­jours nous devons annoncer. Lorsque nous parlons de la sagesse, c’est de lui qu’il s’agit ; quand nous parlons de la vertu, c’est lui; quand nous parlons de la justice, c’est lui ; quand nous parlons de la paix, c’est lui ; quand nous parlons de la vérité, de la vie et de la rédemption, c’est lui » (Explan, Psalmi 36, 65 ; Ed. Petschenig ; CSEL, LXIV, pp. 123 s.). Notre bouche veut être pleine de lui, parce qu’en est rempli notre cœur, qui veille dans la prière et dans l’attente : et c’est pourquoi il est beau de nous retrouver chaque année en cette avant-veille de Noël.

Nous savons gré au vénérable Cardinal Cento de nous avoir introduits dans cette atmosphère grâce aux paroles ferventes par lesquelles il a voulu nous remettre en mémoire les faits et les événements de l’année qui arrive à son terme ; Nous lui sommes reconnaissant de tant de bonté, et surtout de la promesse de prières, sur lesquelles Nous comptons tant ; et Nous adressons des vœux déférents et affectueux au Cardinal Tisserant, Doyen du Sacré-Collège, comme aux autres Cardinaux dont nous res­sentons aujourd’hui l’absence, avec une pensée particulière pour le Cardinal Mindszenty que Nous avons réembrassé cette année avec tant d’émotion.

Le but de la présente allocution est de jeter ensemble un coup d’œil sur l’Eglise et sur le monde, en nous référant spécia­lement au Concile Vatican II et aux conditions générales de l’humanité : Nous le faisons d’autant plus volontiers qu’il nous est donné de noter ensemble les « signes des temps », pour en tirer les réflexions opportunes pour nous et pour l’Eglise entière.

 

Sous le signe du Concile

 

I. La vie de l’Eglise est encore et toujours sous le signe du Concile, de cet événement fondamental dont le Seigneur nous a donné la grâce de vivre l’expérience enthousiasmante et solen­nelle. Il a marqué une étape de grande importance dans la doc­trine, dans l’organisation, dans la pastorale, en un mot dans l’« aggiornamento » de l’Eglise, tel que Dieu l’a voulu. Le renou­veau liturgique, les responsabilités collégiales de tout le corps épiscopal uni à Pierre, la vie sacerdotale et religieuse, la prise de conscience du laïcat catholique ont reçu du Concile un nouvel élan, et c’est à lui qu’ils se réfèrent continuellement; en lui aussi a pris naissance un fécond travail de recherche et d’approfondis­sement théologique, dont nous voyons déjà quelques fruits que nous espérons toujours plus abondants et positifs, dans l’enri­chissement et la méditation de l’immuable depositum fidei ; il y a eu, dans le domaine des sciences bibliques, de la théologie, de la morale, de la vie spirituelle, une efflorescence d’études et de con­tributions qui resteront comme un témoignage non équivoque de la ferveur des études de cette époque conciliaire et postcon­ciliaire. Ce grand événement a été vraiment une intégration logique, cohérente, et fidèle du « dépôt » sacré, et une adaptation nouvelle et adéquate de l’action pastorale de l’Eglise aux besoins des temps.

Il est vrai — Nous voulons, comme toujours, être objectif et réaliste — qu’est apparue de part ou d’autre une certaine ambi­guïté dans l’interprétation générale du Concile ; et même, pour certains, il autoriserait des changements profonds dans l’ordre théologique et des modifications subversives de constitution. Les aspects principaux de cette ambiguïté, qui a parfois troublé le sensus fidei du Peuple de Dieu, ont été les suivants : rejet de la tradition ; contestation de l’autorité, qui, tout en partant de prin­cipes excellents, — tels le service, l’égalité, la solidarité et l’amour —, envisage cette autorité comme si elle dérivait de la volonté de la communauté ; la conformité aux courants démocratiques de la société profane ; tendance à éliminer les devoirs et à mettre l’accent sur une interprétation plus commode et plus facile de l’enga­gement chrétien. En face de ces attitudes, demeure aujourd’hui la nécessité, comme l’a voulu le Concile, de coordonner la con­ception de la liberté chrétienne —se faire « tout à tous », ne pas rendre difficile la vie chrétienne — avec l’exigence de la foi et de la croix.

Malgré ces facteurs d’ambiguïté, Nous restons ouvert à la plus grande confiance, Nous avons la plus ferme espérance — Noël n’est-il pas la fête de l’espérance ? — que, comme le font pressentir des signes certains et réconfortants, l’amour vrai, profond, capable de souffrance, envers l’Eglise saura conduire à des résultats constructifs et positifs, avec la coopération de tous, clergé, religieux et laïcs, sous la sage conduite de nos frères dans l’épiscopat, les successeurs des Apôtres.

 

Un événement heureux

 

II. Un fait saillant et récent de cette volonté de renouveau dans l’ordre et le sérieux a été donné par le Synode des Evêques, dont la deuxième Assemblée générale s’est terminée en novembre dernier. Elle a été préparée par une large consultation, un choix judicieux des thèmes, suggérés par le Secrétariat du Synode à la suite des indications provenant des Conférences épiscopales, et présentés à la discussion par des documents préparés sous la responsabilité de ce Secrétariat. L’expérience, certes, — comme Nous l’avons déjà dit à la fin du Synode — pourra suggérer des perfectionnements dans le règlement et la procédure. Mais, après un premier examen des travaux effectués, il faut recon­naître loyalement le grand esprit fraternel et la liberté avec les­quels le Synode s’est déroulé. Félicitations et reconnaissance aux Présidents délégués, au Secrétaire et à tous ceux qui leur sont venus en aide dans cette tâche difficile !

Tous en ont sous les yeux les résultats, qui parlent d’eux-mêmes : Nous avons jugé convenable, en effet, que les deux do­cuments synodaux, bien que destinés directement à Nous comme une réponse à la consultation que Nous avons faite auprès des Pères, soient publiés dans l’Eglise entière, en raison des effets bénéfiques qui en seraient certainement résultés.

Ces deux documents, en effet, représentent à nos yeux le fruit d’une étude intense qui, à travers les Conférences épiscopales, Nous a apporté la voix, les désirs, les attentes, les vœux des Eglises locales ; celles-ci Nous ont apporté leur collaboration sur des sujets d’importance vitale, et il Nous a été agréable de les accueillir, comme une réponse méditée et responsable à notre action pastorale universelle au service de l’Eglise, dans deux secteurs d’une importance particulière, ressentie par tous : le sacerdoce ministériel et la justice dans le monde.

Les réflexions des Pères ont avant tout rappelé la position traditionnelle de la doctrine, de la spiritualité, de la pratique de l’Eglise au sujet du sacerdoce. Elles ont confirmé substantiellement la conception de l’Eglise et celle du Concile sur ce thème. Quelle invitation à la fidélité courageuse ressort de cet approfon­dissement, pour notre sacerdoce, pour nous et pour tous nos confrères qui se sont engagés à suivre et à servir le Christ par l’ordination sacramentelle au sacerdoce ministériel ! Comme est clairement définie l’« identité » du prêtre catholique ! Quel bien­fait assuré, aujourd’hui encore, à l’économie de la Parole de Dieu, à la dispensation de la grâce, à la conduite pastorale du Peuple de Dieu ! Avec quelle plénitude de conscience nous pouvons adhérer généreusement et joyeusement à cette conception de notre marche à la suite du Christ : elle est certes paradoxale, parce que évangélique, sainte, c’est-à-dire mystique et ascétique, à la fois simple et humaine dans la réalité concrète et prophé­tique ; elle est caractérisée par un don d’amour total, qui est double : pour le Christ lui-même et, en lui et par lui, pour nos frères et pour le monde !

Dans ce cadre, l’engagement spontané et complet du célibat consacré, traditionnel dans l’Eglise latine, ne pouvait pas ne pas trouver dans le Synode l’expression que nous connaissons et qui constitue non seulement une confirmation pleine de conviction, mais un renouveau actuel et historique. Les Pères, tout en n’igno­rant pas les difficultés présentes de la vie du clergé, n’ont pas trouvé anachronique cette façon de répondre à l’exigence de l’amour du Christ, retenant pour le ministère sacerdotal unique­ment ceux qui, par charisme de vocation et de grâce, choisissent en toute liberté, et pour la liberté de leur service total et exclusif, le célibat sacré. Ils ont vu dans le célibat non un obstacle à la mission du prêtre dans le monde moderne, l’isolant de ce monde, mais un élément de qualification — qui provoque une réaction en même temps qu’il est une force pénétrante — pour dialoguer avec le monde moderne, avec la vigueur évangélique du sel et de la lumière (cf. Mt 5, 13). Nous sommes certain que l’actuelle, et plus encore la jeune et future génération du clergé, accueille­ront volontiers cette discipline, et la vivront avec une humble splendeur. Il l’appréciera, celui qui aime, avec un cœur ouvert à l’Esprit-Saint et qui se sacrifie pour un meilleur rendement du service qu’il a voué à l’Eglise et au Peuple de Dieu. Les voca­tions fleuriront si la Croix en constitue la force attractive.

L’autre résultat du Synode est celui qui concerne la justice, et il nous engage à approfondir le concept de justice sociale et à étudier comment l’Eglise peut en défendre les exigences et en favoriser le développement, avec le courage et avec la douceur de l’Evangile. On en a tellement parlé ces derniers temps ! Mais on n’a pas fini d’en parler, et surtout d’agir en ce domaine. On attend la voix et l’action de l’Eglise en faveur de tous ceux qui subissent, dans le monde, oppressions, pauvreté, discriminations, violences. Et l’Eglise continue son œuvre, dans la ligne de sa doctrine sociale, proclamée par les Pontifes romains, pour don­ner cette réponse.

 

Réponse consolante à « Octogesima Adveniens »

 

III. Ce Synode a été certainement un heureux événement ; tel est le souvenir qu’il doit nous laisser. Mais il y a dans l’Eglise tellement d’autres faits nouveaux qui méritent une mention particulière et que Nous voulons rappeler : l’intensité de l’activité missionnaire ; l’étude approfondie, scientifique, des problèmes de la catéchèse, pour répondre à la vocation fondamentale de l’Eglise ; le renouveau de la formation dans les séminaires ; l’im­pulsion donnée à la vie religieuse, réserve extrêmement féconde de forces saintes pour la vie intime et pour le rayonnement exté­rieur de l’Eglise ; le cheminement silencieux mais si profitable du travail œcuménique, avec les contacts qui ont eu lieu à Rome — parmi lesquels est particulièrement saillant, comme vous l’avez rappelé, Monsieur le Cardinal, celui que Nous avons eu avec Sa Béatitude le Patriarche Syro-orthodoxe Jacob III — et les nom­breux échanges en dehors de Rome, grâce à notre Secrétariat pour l’unité des chrétiens ; le développement des activités d’apos­tolat et de témoignage des laïcs, que le Saint-Siège cherche à promouvoir dans le monde par le Conseil des Laïcs; les réformes liturgiques réalisées graduellement, parmi lesquelles, cette année, ressort la parution et l’entrée en vigueur de la splendide Liturgie des Heures qui, entre les mains de nos prêtres, donnera un essor nouveau à leur prière pour l’Eglise, avec l’Eglise et au nom de l’Eglise ; la législation sur les mariages mixtes et sur l’action judiciaire en matière matrimoniale ; l’institution d’un organisme de coordination de l’activité caritative de l’Eglise, appelé « Cor Unum ». Nous ne voulons pas oublier non plus l’afflux croissant des masses de fidèles qui, de toutes les parties du monde, viennent à Rome, continuant le très antique pèlerinage aux saints trophées des Apôtres, et en particulier à celui de Pierre, pour Nous apporter l’expression de leur foi authentique, et avec lesquels Nous pour­suivons un dialogue pastoral que Nous inscrivons parmi les con­solations et les responsabilités les plus hautes de notre ministère. Mais Nous voulons spécialement profiter de l’occasion qui Nous est donnée aujourd’hui pour remercier nos frères dans l’épiscopat, les Gouvernements, les organismes internationaux, le clergé, le laïcat, pour l’accueil qu’ils ont réservé à la lettre Octogesima Adveniens que Nous avons envoyée au Cardinal Roy à l’occasion du 80e anniversaire de l’encyclique Rerum Novamm. Ce fut une réponse si consolante pour notre cœur ! Et, par-dessus tout, l’écho de nos fils de l’Eglise a donné le témoignage d’une ferme volonté de réexaminer, à la lumière des enseignements chrétiens, exposés par notre prédécesseur Léon XIII, les nouveaux problèmes sociaux que la transformation radicale et la continuelle évolution en cours dans le monde moderne ont susci­tés ; et cet écho Nous a clairement manifesté la volonté de con­sidérer, avec une compréhension intelligente, les inquiétudes et les aspirations de nos contemporains, pour y donner la réponse qui prend sa source dans l’Evangile. De cette convergence de bonnes dispositions et d’intentions, Nous tirons un très heureux présage pour l’année nouvelle.

Comme Nous l’écrivions dans la lettre mentionnée ci-dessus, « que chacun s’examine pour voir ce qu’il a fait jusqu’ici et ce qu’il devrait faire. Il ne suffit pas de rappeler des principes, d’affirmer des intentions, de souligner des injustices criantes et de proférer des dénonciations prophétiques : ces paroles n’auront de poids réel que si elles s’accompagnent pour chacun d’une prise de conscience plus vive de sa propre responsabilité et d’une action effective » (Octogesima Adveniens, 48 ; cf. AAS 63 [1971], pp. 437 ss.). C’est à cette prise de conscience de leurs propres devoirs, de­vant la société et devant l’Eglise — prise de conscience à laquelle le Synode a fait fidèlement écho dans son deuxième document — que Nous invitons tous les chrétiens, et même tous les hommes de bonne volonté, afin qu’ils approfondissent toujours davantage leur responsabilité dans ce domaine et passent humblement, mais résolument, à l’action. C’est l’heure des volontés fortes, des grandes décisions : la voix du Christ nous appelle tous à nous engager à fond pour nos frères. Que personne ne s’abstienne, mais que chacun apporte sa collaboration, selon ses forces et sa vocation propre. Dieu bénira et encouragera ! En avant, au nom du Seigneur.

 

La paix troublée et menacée

 

IV. Le thème de la justice a été également proposé par Nous à la réflexion et à l’engagement du monde, et en particulier de l’Eglise, pour la prochaine Journée de la Paix, qui sera un appel, lancé à nouveau à tous les hommes et aux communautés humaines, à méditer ensemble sur le thème : « Si tu veux la paix, agis pour la justice ».

Une paix que nous voyons encore, ici ou là, profondément troublée, ou, ailleurs, menacée ; et c’est un sujet de grave préoccupation pour ceux qui, comme Nous, voient en elle « un bien essentiel et fondamental pour l’humanité en ce monde », et en particulier pour les hommes plus faibles et sans défense, qui sont plus que d’autres atteints par ces bouleversements ou ces menaces.

Une paix que Nous-même, à un titre tout spécial découlant de notre ministère, avons le devoir de défendre ou de rétablir.

a) La prolongation du conflit au Viêt-Nam ; son extension à d’autres zones du sud-est asiatique ; la récente explosion d’hosti­lités entre l’Inde et le Pakistan, avec ses suites et ses traînées de sang et de souffrances que, dans les limites modestes de nos moyens mais avec toute la richesse de notre cœur, Nous Nous sommes efforcé de prévenir, et que Nous Nous employons, à adoucir : tout cela est source de peine et d’angoisse pour ceux qui nourrissent des sentiments de fraternité humaine envers ces populations et qui s’inquiètent, en tournant leurs regards vers les plus vastes horizons du monde, des nouvelles tragédies que peuvent réserver à l’humanité les passions partisanes et la défi­cience d’autorité des organismes internationaux, impuissants à éviter et à régler les situations de conflits.

Et tout cela pousse à examiner sérieusement jusqu’à quel point des mobiles plus ou moins avoués d’intérêts particuliers, politiques ou idéologiques, l’emportent — là comme ailleurs — sur les raisons de la justice et de l’équité internationale, alors que sur ces dernières seules il est possible de fonder un équilibre qui ne soit pas seulement le fruit, amer et sans sécurité, de la violence ou de la prépondérance.

b) Notre pensée se tourne ici vers une région d’Europe qui Nous est particulièrement chère: l’Irlande du Nord, où, même en cette veille de Noël, on a assisté à une succession de manifestations pénibles de violence, qui font tellement contraste avec le caractère chrétien de ces populations. Nous le rappelons à nouveau: telle n’est pas la voie selon laquelle il est permis de revendiquer la reconnaissance et le juste respect de droits trop longtemps foulés aux pieds, et d’autre part, le fait de répondre à des manifestations déplorables par la vengeance ou par une plus dure répression constitue ou peut constituer une source de maux encore plus grands, en exacerbant et en élargissant les oppositions, au lieu de rétablir un ordre civil. La réconciliation ne pourra être le fruit que d’un effort voulu, dans la sagesse, de toutes les parties en cause, tendant à éliminer les raisons pro­fondes d’un malaise, qui ne saurait se cacher sous l’apparence d’oppositions religieuses.

Notre souhait paternel est que la bonne volonté réciproque se manifeste, généreuse et efficace, qu’elle fasse taire le cri de la violence qui appelle la violence, et qu’elle fasse entendre l’invi­tation à cette paix civile et chrétienne, qui caractérise la fête de Noël.

c) Nous n’avons pas oublié, dans ce contexte, le Proche Orient, en particulier la terre que nous, chrétiens, nous nous plaisons à appeler la Terre Sainte, et dont le souvenir, ces jours-ci, nous est rappelé de tant de façons : le Pays de Jésus.

Certes, il y a une raison d’être satisfait lorsqu’on note que, depuis un an et demi, le fracas des armes se tait presque totale­ment dans cette région du monde, mais nous trouvons un motif d’angoisse, qui n’est pas sans justification, dans la crainte de voir l’armistice incertain prendre fin de façon inopinée, sans avoir donné le résultat pour lequel, principalement, il fut, en son temps, proposé et accepté : la volonté de rechercher un accord de paix, ou du moins un solide commencement d’entente, au moyen de négociations loyales, qui tiennent dûment compte des droits et des légitimes intérêts de toutes les parties; et il faut comprendre parmi celles-ci, à la place qui leur revient, les popu­lations que les vicissitudes des dernières décades ont contraintes à abandonner leurs terres.

Pour notre part, dans les rencontres que Nous avons eues avec les responsables des Nations intéressées, Nous n’avons pas manqué d’encourager, avec insistance, tout effort noble en faveur du prolongement de la trêve et tendant à Une entente juste et honorable. Nous sommes convaincu de l’urgente nécessité d’une solution pacifique et sagement équilibrée de la question complexe du Proche Orient; solution qui ne pourra pas, c’est certain, être imposée par le recours à d’autres guerres ou au prix de victoires militaires.

Pour ce qui regarde, en particulier, Jérusalem, Nous n’avons pas l’intention d’ajouter aujourd’hui d’autres considérations à celles que Nous avons déjà exposées, bien des fois, dans le passé : en confirmant la nécessité d’un statut spécial, garanti de façon internationale, qui tienne justement compte du caractère pluraliste et tout à fait spécial de la Cité sainte, comme des droits des diverses Communautés qui y ont leur siège et qui la regar­dent comme leur centre spirituel et leur foyer de convergence.

d) Si la justice est une base irremplaçable de la paix dans les rapports entre les pays et les diverses communautés qui y vivent, elle se révèle non moins nécessaire pour la tranquillité et la sérénité de la vie de chacune des nations.

Nous ne pensons pas seulement à la justice sociale à laquelle Nous avons déjà fait allusion.

Il ne serait en effet ni juste ni suffisant de limiter à cet aspect l’exigence de justice qui commande et conditionne la vie en commun pacifique, dans les Etats et entre les Etats. Comment passer sous silence, de cette Chaire de moralité et de paix qu’est le Siège de Pierre, les atteintes aux droits et à la dignité de la personne humaine que l’on continue à perpétrer dans un certain nombre de pays, qui pourtant proclament solennellement la reconnaissance et le respect de ces droits et de cette dignité dans leurs Constitutions et dans les Déclarations ou Traités souscrits en qualité de membres de la Communauté internationale ? Com­ment oublier, par exemple, les restrictions imposées à l’exercice des droits politiques et les abus de pouvoir — déplorés si souvent, bien que la plupart du temps unilatéralement, selon les divers intérêts — commis par des autorités publiques, à l’encontre d’individus ou de groupes sociaux, même si on leur donne comme motif de défendre l’ordre établi, de réprimer ou de prévenir des tentatives contraires à cet ordre ? Et comment oublier les limita­tions, sans cesse dénoncées, qui portent atteinte à la liberté de la culture ?

Nous ne pourrions pas non plus, aussi bien par amour de la justice et du respect dû aux droits humains fondamentaux que par considération pour le droit divin de l’Eglise, taire ici les pressions injustes et les répressions qui sont encore exercées, en di­verses régions du monde, contre la libre manifestation de la foi, la vie religieuse, l’organisation normale et l’activité bénéfique de l’Eglise ; ne vont-elles pas jusqu’à supprimer ou limiter à leur endroit la possibilité d’enseigner — Nous pensons avant tout à la jeunesse — la Vérité qui éclaire et sauve la vie en même temps qu’elle constitue pour la vie pacifique en société une source incomparable de principes et d’énergies sur le plan moral, cul­turel et social ?

Ainsi donc, tandis que Nous déplorons, encore une fois, toutes ces situations iniques, et manifestons notre solidarité avec tous ceux qui en sont les victimes, Nous désirons adresser spécialement notre salutation affectueuse à ceux de nos frères dans l’épiscopat et dans la foi qui souffrent toujours dans des conditions d’oppression et de « légalité » illégale, si facilement passées sous silence : ils donnent ensemble, à la chrétienté et au monde, l’exemple d’une fidélité et d’une force d’âme dont nous ne pouvons que leur être reconnaissants.

Pour eux nous prions, et avec eux nous souhaitons l’avène­ment de jours meilleurs.

Notre souhait — un souhait de paix véritable, totale et du­rable, fondée solidement sur la justice, sincère et profonde, comme Noël nous en donne l’annonce et l’assurance — s’adresse à tous les hommes ; il les invite tous à travailler pour cette paix. Et en même temps Nous demandons aux fils de l’Eglise, en par­ticulier, de s’affirmer dans la foi, d’agir avec ferveur et concorde, d’avoir une confiance sans limite dans le Seigneur, ce qui leur donnera la ténacité dans la patience et l’enthousiasme dans l’action.

Sur eux comme sur l’humanité entière, que descende abon­damment la Bénédiction du Très-Haut, et que celle que Nous vous donnons maintenant en soit le gage.

 

 

 

25 décembre

PAUL VI RAPPELLE AU MONDE L’ACTUALITE DU MYSTERE DE NOËL

 

Message de Noël au monde entier.

 

Ecoutez notre voix, vous tous, fidèles qui êtes venus ici pour recevoir la bénédiction de Noël ; écoutez notre message vous tous qui, en cet heureux moment, êtes en communication avec la parole qui sort de nos lèvres ; écoutez l’écho fidèle du message de la naissance de Jésus, le Christ, vous tous, habitants de cette terre qui a reçu la première annonce d’une paix nou­velle ! Que tende l’oreille tout homme en ce monde, et qu’il accueille la bienheureuse nouvelle qui de siècle en siècle, et encore aujourd’hui, en ce Noël 1971, s’exprime ainsi :

« Ne craignez pas ! Car voici que je vous apporte une bonne nouvelle, je vous annonce une grande joie, qui sera celle de tout le peuple, celle de toute l’humanité : aujourd’hui, le Sauveur vous est né, qui est le Christ Seigneur » (cf. Lc 2, 10).

Cette annonce, toujours extraordinaire, ne vient pas de nous autres, mortels ; aucun homme ne l’a inventée, aucune idéologie ou institution terrestre ne l’a engendrée. Cette annonce, que Nous faisons retentir à nouveau, est la voix des anges : elle éveille dans la nuit les humbles bergers de Bethléem de Judée, la cité de David, et les appelle, les premiers, à aller à la rencontre du Messie qui vient. Nous portons le témoignage prophétique, qui se répète, sans plus jamais se taire, dans l’histoire de l’humanité et qui, aujourd’hui encore, se répand aux quatre vents de l’hori­zon, en tout lieu habité de notre planète privilégiée, la terre des hommes.

Le Sauveur est né ! Le Christ est venu dans le monde, du sein de notre humanité ! C’est Jésus ! Ne craignez pas ! Ne craignez plus ! Comme le lever du soleil fait fuir les ténèbres de la nuit, ainsi cette merveilleuse nouvelle, venue du Ciel mystérieux, un ciel plus profond et plus élevé que celui des astres (cf. Ep 3, 18), chasse les doutes, apaise les craintes, dissipe l’anxiété, purifie l’atmosphère obscure et pesante dans laquelle soupire plus qu’il ne respire l’homme tourmenté, dans la brève et pénible étape de son expérience naturelle, par suite de l’incertitude et des pro­blèmes qui l’assiègent de, toute part. Ce Ciel, l’homme, avide de vérité et de vie, le cherche désespérément et a vaguement l’intuition qu’il doit être son propre destin.

Ecoutez ! Ecoutez, hommes de pensée; écoutez, hommes d’action ! Et vous, hommes de la pauvreté, de l’esclavage, et de la douleur, écoutez : le Sauveur est venu parmi nous et pour nous ! Croyez-le, c’est le Sauveur du monde qui est venu.

Nous ressentons, jusqu’à en interrompre notre discours, le crépitement des objections et des interrogations, qui surgissent de toutes parts dans le monde comme dans les esprits : que signifie « Sauveur » ? Quel est celui qui s’arroge ce titre hyperbo­lique ? Comment pourrait jamais sortir de la crèche de Bethléem un homme, un être assez prodigieux pour savoir révéler le secret de notre existence, guérir la série infinie de nos misères, qui ait la puissance de faire en lui-même la synthèse de tous les aspects contrastants de notre existence, et de satisfaire enfin nos insa­tiables espoirs ? Quel, est-il ? Un songe ? Un mythe ? Oh non, il ne peut en être ainsi ! Mais est-ce bien la réponse de la foule des hommes, à l’annonce du salut ? Au contraire, aujourd’hui plus que jamais, elle se révolte, elle insiste et s’écrie : nous n’avons pas besoin de ce salut, nous ne connaissons pas ce Sauveur, nous ne voulons pas le reconnaître ! (cf. Lc 19, 14). N’est-ce pas ainsi que se manifeste notre radical sécularisme contemporain ? Notre orgueilleuse et intolérante autosuffisance ? Elle n’a pas suffi, la voix des Apôtres, ni le sang des martyrs, ni la sagesse d’une civi­lisation entière qui se dit chrétienne ; elle n’a pas suffi, une histoire entière, parée de sainteté, de beauté, et imprégnée de nos mœurs chrétiennes pleines d’humanisme, pour garder au Christ, dans la cité moderne, non point une royauté temporelle qu’il n’ambi­tionne pas, mais un accueil affectueux et spirituel pour Lui, Christ de tous les temps. Comme à l’heure de sa naissance, à la Vierge Marie qui le portait dans son sein, de nos jours encore, à l’Eglise notre Mère qui l’enfante pour la société contemporaine, on dé­clare : « Il n’y a pas de place pour lui. Qu’il reste en marge ! » (cf. Lc 2, 7).

Vous tous, Frères, pensez-y. Ce n’est pas le moment, pour Nous, de faire l’apologie de notre Sauveur, Jésus, le Christ. Mais, Nous le croyons, vous devriez être en mesure de la faire vous-mêmes et de transformer en témoignage pour lui la conscience de l’insuffisance fondamentale de l’homme à atteindre une sta­ture digne de lui, comme aussi le souvenir de l’héritage chrétien que nous devrions encore revendiquer comme nôtre, avec fierté et humilité à la fois, puisque nous en sommes responsables (cf. Mt 11, 21).

Frères, le Christ est venu, aujourd’hui il est notre Sauveur, demain il sera notre Juge. Ne le repoussons pas ! Ne l’ignorons pas ! Comme les pasteurs après l’annonce de l’ange, disons-nous les uns aux autres : Allons et voyons ce qui est arrivé (cf. Lc 2, 15). Ouvrons pour lui, le Christ, la porte de notre conscience, de notre vie personnelle, familiale, sociale. Il ne vient pas pour prendre, mais pour donner ! Il ne vient pas encombrer l’espace de notre liberté, de notre activité, de notre humanité. Il vient plutôt pour l’illuminer, l’agrandir, mettre sa joie dans notre vie qui, à bien y regarder, a tant besoin, dans tous les domaines, de cet hôte mystérieux, l’Enfant-Jésus.

Ouvrez-lui la porte : ouvrez-lui votre cœur; venez et écoutez sa parole. Que dit-il ? Encore aujourd’hui il nous dit : « Bienheu­reux celui qui n’aura pas rougi de moi ! » (Mt 11, 6). « Bienheu­reux... celui qui écoute les paroles de cette prophétie » dit le Christ Sauveur (cf. Ap 1, 3). Bienheureux ! Avez-vous entendu ?

Et c’est ce bonheur que veut vous apporter, en son nom et à vous tous, notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

25 décembre

L’HOMELIE DE PAUL VI A LA MESSE DE MINUIT

 

En présence des membres du Corps Diplomatique.

 

Chers Frères et Fils, Chers amis,

 

L’heure qui nous trouve rassemblés ici est une heure d’intense méditation. Tout ce qu’elle évoque nous le rappelle avec force : l’heure nocturne, l’objet de la célébration — la naissance du Sauveur — l’incidence de cette fête sur nos habitudes fami­liales et sociales. Veiller est en ce moment un devoir et nous sommes tous invités à l’attention. L’obscurité de la nuit devient lumière pour l’esprit.

Qu’est-ce que nous méditons ? Nous méditons la naissance de Jésus-Christ dans le monde, il y a dix-neuf cent soixante et onze ans, à Bethléem de Judée, la cité de David, dans les circonstances que nous connaissons tous. Nous avons devant les yeux de l’imagination le tableau de l’événement. Il se reflète, se renouvelle, comme une image dans un miroir, en chacune de nos âmes ; et il se renouvellera dans un instant sous une forme mystique et sacramentelle, avec un mystérieux réalisme, sur cet autel. Ici le Christ sera avec nous. Un attrait spécial arrête notre attention et nous invite à contempler.

Notre attention peut prendre ici deux voies. L’une est celle de la scène historique et sensible, évoquée par l’Evangile de Saint Luc (lequel, probablement, en entendit le récit de Marie elle-même, la Mère, la protagoniste du fait commémoré) ; c’est la scène de la crèche, la scène idyllique du pauvre logement de for­tune choisi par les deux pèlerins, Marie et Joseph, pour l’évé­nement imminent, une naissance. Tout ici nous intéresse : la nuit, le froid, la pauvreté, la solitude. Et puis, le Ciel qui s’ouvre, l’incomparable message angélique, l’arrivée des bergers. L’imagination reconstruit les détails ; c’est un paysage arcadien, qui nous semble familier, qui encadre une histoire enchanteresse. Ici nous redevenons tous enfants et goûtons un moment délicieux.

Mais notre esprit est attiré par une autre voie de réflexion: la voie prophétique. Qui est Celui qui est né ? L’annonce qui ré­sonne en cette nuit même le dit avec précision : « ... aujourd’hui est né pour vous un Sauveur, qui est le Christ Seigneur... ». L’événement revêt aussitôt une qualité merveilleuse : celle d’un but qui est atteint. Ce qui est devant nous n’est pas seulement un fait, si grand et émouvant soit-il : celui d’un nouvel homme qui entre dans le monde (cf. Jn 16, 21) ; c’est une histoire, c’est un dessein qui traverse les siècles, qui comprend des événements disparates et espacés, heureux et malheureux, qui décrivent la formation d’un peuple et surtout la formation en lui d’une cons­cience caractéristique et unique, celle d’une élection, d’une vocation, d’une promesse, d’un destin, d’un homme unique et souverain, d’un Roi, d’un Sauveur : c’est la conscience messia­nique.

Soyons bien attentifs à cet aspect de Noël. C’est un point d’arrivée, qui révèle et atteste une ligne qui le précède, une pensée divine, un mystère qui opère dans la succession des temps, une espérance indéfinie et grandiose, gardée par une petite frac­tion du genre humain, mais une espérance telle, qu’elle donne un sens à la marche inconsciente de tous les peuples (cf. Is 55, 5). La nativité du Christ marque sur le cadran des siècles le moment fatidique de l’accomplissement de ce plan divin, qui domine sereinement le torrent tumultueux de l’histoire humaine ; elle indi­que la « plénitude des temps » dont parle St Paul (Ga 4, 4 ; Ep 1, 10) et où on voit converger les destins de l’humanité; la loin­taine prophétie d’Isaïe se réalise : « Voici qu’un enfant nous est né, qu’un fils nous a été donné ; la souveraineté repose sur ses épaules, et il se nomme Conseiller merveilleux, Dieu fort, Père éternel, Prince de la Paix. L’empire sera grand et la paix sans fin, sur le trône de David et dans son royaume. Il l’établira et le maintiendra dans le droit et la justice, dès maintenant et pour toujours » (Is 9, 5-6).

Oui, à cet enfant qui est Fils de Dieu et fils de Marie, né sous le régime de la loi mosaïque (Ga 4, 4), aboutit toute la tradition transcendante dont Israël était porteur: en Lui elle se régénère, se transforme et se répand sur le monde. Ce petit Jésus de Be­thléem est le point central de l’histoire humaine ; en lui se con­centrent tous les cheminements humains, qui viennent rejoindre la ligne droite de l’élection des enfants d’Abraham : Abraham qui vit de loin, dans la nuit des siècles, ce futur point lumineux et, comme le Christ lui-même nous l’a confié, « le vit et exulta » (Jn 8, 56).

Et le prodige continue. Comme il advient des rayons qui se fondent au foyer d’une lentille, et qui en repartent pour un nou­veau faisceau de lumière, ainsi l’histoire religieuse de l’huma­nité, c’est-à-dire l’histoire qui donne unité, sens et valeur aux générations qui se succèdent, s’agitent et avancent, tête baissée, sur la terre, cette histoire a sa lentille dans le Christ, qui absorbe toute l’histoire passée et éclaire toute l’histoire future, jusqu’à la fin des temps (cf. Mt 28, 20).

Cette vision de Noël, qui est la vraie, vaut spécialement pour nous, pour vous, diplomates, Représentants des peuples, ras­semblés ici cette nuit pour célébrer le mystère de Noël : elle est pour tous une invitation à réfléchir sur la destinée de l’humanité. Cette destinée, dont vous êtes les artisans à un titre hautement qualifié, elle est liée à la très humble crèche où est couché le Verbe de Dieu fait chair; bien plus, elle en dépend : là où arrive cette irradiation chrétienne dont nous parlions, et qui s’appelle l’Evangile, là arrive la lumière, là arrive l’unité, là arrive l’homme, non plus la tête basse, mais dressé de toute sa stature, là arrive la dignité de sa personne, là arrive la paix, là arrive le salut.

Messieurs, amis et frères qui cherchez et découvrez le Christ, soyons attentifs à ce moment singulier. Il est probable qu’un double sentiment se fait jour dans les cœurs ; l’un, de défiance et de crainte en face du nouveau Roi qui, aujourd’hui encore, naît dans le monde. C’est une puissance, ce Roi : et, qu’est-ce que les Puissants de ce monde craignent plus qu’une nouvelle puissance ? Et s’il est bien une puissance, ce Jésus, qui déclare que son royaume n’est pas de ce monde, mais appartient à une sphère transcendante, peut-être le craignons-nous et le rejetons-nous encore davantage aujourd’hui, jaloux comme nous le som­mes de notre souveraine autonomie, agnostique, laïciste ou athée, qui n’admet pas un royaume de Dieu.

L’autre sentiment, au contraire, c’est la confiance. La puissance qu’est le Christ, n’est-elle pas toute pour nous, pour notre avantage, pour notre salut, pour notre amour ? Non eripit mortalia, qui regna dat caelestia : il ne nous enlève pas nos royaumes temporels, Celui qui est venu pour donner son royaume cé­leste » (Hymne de l’Epiphanie). Il est venu pour nous, non contre nous. Ce n’est pas un émule, ce n’est pas un ennemi ; c’est un guide pour notre chemin, c’est un ami. Et cela pour tous; chacun peut bien dire : pour moi.

Certes, une fois qu’il est venu parmi nous, un drame peut commencer, une lutte : pour ou contre le Christ. L’histoire humaine se déroule désormais autour de lui ; l’Evangile est le terrain de la rencontre, ou de l’affrontement (cf. Lc 2, 34).

Mais en cette nuit, en ce lieu, en cette rencontre, le choix est facile, il est doux, il est fort ; et chacun peut dire, d’un cœur exultant de joie : il est venu pour moi ! (cf. Ga 2, 20 ; Ep 9, 2 ; Jn 3, 16 ; 15, 9 ; ...).

 

 

 

1° janvier

MESSAGE DE PAUL VI POUR LA CÉLÉBRATION DE LA « JOURNEE MONDIALE DE LA PAIX »

 

Hommes de pensée !

Hommes d’action !

Vous tous qui vivez en cette année 1972, accueillez encore une fois notre invitation à célébrer la Journée de la Paix !

 

Nous reprenons la réflexion sur la Paix, parce que Nous avons de la Paix une conception très haute, celle d’un bien essentiel et fondamental de l’humanité en ce monde, celle de la civilisation, du progrès, de l’ordre, de la fraternité.

Nous croyons que l’idée de la Paix est et doit être encore do­minante au milieu des vicissitudes de la vie humaine, et qu’elle devient même plus urgente aux époques et dans les lieux où elle serait contredite dans la pensée ou dans les faits. C’est une idée nécessaire, c’est une idée impérative, c’est une idée inspiratrice. Elle polarise les aspirations humaines, les efforts, les espérances. Elle tient lieu de fin ; et comme telle, elle demeure à la base et au terme de notre activité, aussi bien individuelle que collective.

Aussi pensons-Nous qu’il est d’une extrême importance d’avoir de la Paix une idée exacte, en la dépouillant des pseudo-con­ceptions qui trop souvent la revêtent, la déforment et la travestissent. Nous commencerons par le dire aux jeunes : la paix n’est pas une condition statique de la vie, qui trouverait dans cette paix à la fois sa perfection et la mort. Car la vie est mouvement, croissance, travail, effort, conquête... En est-il donc ainsi de la paix ? Oui, pour la raison même qu’elle coïncide avec le bien suprême de l’homme toujours voyageur en ce monde, et ce bien n’est jamais totalement conquis, mais toujours en voie de pos­session nouvelle et jamais achevée : la paix est donc l’idée centrale et motrice du dynamisme le plus actif.

Mais il n’est pas question pour autant que la Paix coïncide avec la force. Et ceci, Nous le dirons spécialement aux hommes responsables, car pour eux, dont c’est l’intérêt et le devoir de maintenir un régime de rapports entre les membres d’un groupe donné — famille, école, entreprise, communauté, classe sociale, cité, Etat — la tentation est constante d’imposer par la force un tel régime de rapports, qui prend le visage de la paix. L’ambi­guïté de la communauté de vie se transforme alors en tourment et en corruption des esprits, tout comme se change en imposture vécue l’atmosphère issue tantôt d’une victoire sans gloire, tantôt d’un despotisme irrationnel, d’une répression écrasante, ou encore d’un équilibre de forces dont l’opposition permanente va en général croissant jusqu’à l’explosion violente qui mani­feste, sous forme de ruines de toute sorte, combien était fausse une Paix imposée par le seul prestige de la puissance et de la force.

La paix n’est pas un piège (cf. Jb 15, 21). La paix n’est pas un mensonge établi (cf. Jr 6, 14). Encore moins une tyrannie totalitaire et impitoyable, et surtout pas une violence ; du moins la violence n’ose plus s’approprier le nom auguste de Paix.

Même si c’est difficile, il est indispensable de se faire une conception authentique de la Paix. C’est difficile pour celui qui ferme les yeux à son intuition première, qui nous dit que la Paix est une chose très humaine. Voilà la bonne voie pour arriver à la découverte authentique de la Paix. Si nous cherchons d’où elle vient vraiment, nous nous apercevons qu’elle plonge ses racines dans le sens loyal de l’homme. Une Paix qui ne résulte pas du culte véritable de l’homme n’est pas elle-même une véri­table Paix. Et comment appelons-nous ce sens loyal de l’homme ? La Justice.

Mais la Justice n’est-elle pas elle-même comme une déesse immobile ? Si, elle l’est dans ses expressions que nous appelons droits et devoirs, et que nous codifions dans nos fameux codes, c’est-à-dire dans les lois et dans les pactes, qui produisent cette stabilité de rapports sociaux, culturels, économiques, qu’il n’est pas permis d’enfreindre : c’est l’ordre, c’est la Paix. Mais si la Justice, autrement dit ce qui est et ce qui doit être, suscitait d’autres expressions meilleures que celles que nous avons pré­sentement, qu’arriverait-il ?

Avant de répondre, demandons-nous si cette hypothèse, c’est-à-dire celle d’un développement de la conscience de la Justice, s’avère admissible, ou probable, ou souhaitable.

Oui. C’est là le fait qui caractérise le monde moderne et le distingue du monde antique. Aujourd’hui la conscience de la Justice progresse. Personne, croyons-nous, ne conteste ce phé­nomène. Nous ne nous arrêtons pas présentement à en faire l’analyse. Mais nous savons tous qu’aujourd’hui, grâce à la diffu­sion de la culture, l’homme, tout homme, a de lui-même une conscience nouvelle. Tout homme aujourd’hui sait être une Personne, et il s’éprouve comme Personne, autrement dit un être inviolable, égal aux autres, libre et responsable, disons-le : sacré. Il s’ensuit qu’une attention nouvelle et meilleure, c’est-à-dire plus complète et plus exigeante, pour ce qu’on pourrait appeler la « diastole » et la « systole » de sa personnalité, Nous voulons dire son double mouvement moral au rythme du droit et du devoir, pénètre la conscience de l’homme : une Justice, non plus statique, mais dynamique, surgit de son cœur. Ce n’est pas un phénomène simplement individuel, ni réservé à des groupes choisis et restreints. C’est un phénomène désormais collectif, universel. Les pays en cours de développement le proclament à haute voix; c’est la voix des Peuples, la voix de l’humanité ; elle réclame une nouvelle expression de la Justice, une nouvelle base pour la Paix.

Pourquoi alors, convaincus comme nous le sommes tous de cette affirmation irréfutable, nous attardons-nous à donner à la Paix une autre base que celle de la Justice ? Comme l’a souligné la récente Assemblée du Synode des Evêques, ne reste-t-il pas encore à instaurer une plus grande justice, aussi bien au sein de la communauté nationale que sur le plan international ?

Est-il juste, par exemple, qu’à des populations entières ne soit pas accordée l’expression libre et normale du droit le plus jalousement revendiqué par l’esprit humain, le droit religieux ? Quelle autorité, quelle idéologie, quel intérêt historique ou civil peut s’arroger le pouvoir de réprimer, d’étouffer le sentiment religieux dans son expression légitime et humaine (nous ne disons pas superstitieuse, ni fanatique, ni fautrice de troubles) ? Et quel nom donnerons-nous à la Paix qui prétend s’imposer en foulant aux pieds cette Justice primordiale ?

Là où d’autres formes indiscutables de Justice — au plan national, social, culturel, économique... — auraient été blessées ou bafouées, pourrions-nous être sûrs qu’il s’agisse d’une vraie Paix si elle résultait d’un tel processus de violence ? Serait-elle stable ? Et quand bien même elle serait stable, serait-elle juste et humaine ?

Et ne fait-il pas partie également de la Justice, le devoir de mettre tout pays en état de promouvoir son propre développe­ment dans le cadre d’une coopération exempte de toute intention ou calcul de domination, aussi bien économique que politique ?

Le problème devient extrêmement grave et complexe. Et il ne Nous appartient pas de le rendre plus aigu, pas plus que de le résoudre pratiquement. Telle n’est pas la compétence de celui qui parle de ce Siège Apostolique.

Mais justement, d’ici, notre invitation à célébrer la Paix retentit comme une invitation à pratiquer la Justice. Opus iustitiae pax. L’oeuvre de la justice, c’est la paix (cf. Is 32, 17). Nous le répétons aujourd’hui sous une formule plus incisive et dyna­mique : « Si tu veux la paix, agis pour la Justice ».

C’est une invitation qui n’ignore pas la difficulté de pratiquer la Justice, et tout d’abord de la définir, puis de l’actualiser; et ce n’est jamais sans quelque sacrifice de son propre prestige ou de son propre intérêt. Il faut peut-être une plus grande magnani­mité pour obtempérer aux raisons de la Justice et de la Paix que pour lutter et imposer son propre droit, authentique ou présumé, à l’adversaire.

Et Nous avons une si grande confiance de voir les idéaux conjoints de la Justice et de la Paix trouver par eux-mêmes le moyen d’engendrer dans l’homme moderne les énergies morales qui assureront leur propre réalisation, que Nous sommes con­vaincu de leur victoire progressive. Bien plus, Nous sommes d’autant plus confiant que l’homme moderne a désormais en lui-même l’intelligence des voies de la Paix, au point de se faire lui-même le promoteur de cette Justice, qui lui ouvre ces chemins et les lui fait parcourir avec une espérance ardente et prophé­tique.

Voilà pourquoi Nous osons, encore une fois, lancer l’invita­tion à célébrer la Journée de la Paix ; et, en cette année 1972, ce sera sous le signe austère et serein de la Justice, avec le désir

ardent de susciter des œuvres qui expriment, de façon conver­gente, une sincère volonté de Justice et une sincère volonté de Paix.

 

A nos Frères et Fils de l’Eglise catholique, Nous recomman­dons cette invitation. Il faut porter aux hommes d’aujourd’hui un message d’espérance, grâce à une fraternité vécue et à un effort honnête et persévérant pour une plus grande Justice, pour une réelle Justice. Notre invitation rejoint logiquement la décla­ration du récent Synode des évêques sur la « Justice dans le monde ». Et elle prend sa force dans la certitude que « Lui, le Christ, est notre Paix» (cf. Ep 2, 14).

 

8 décembre 1971.

 

paulus PP. VI