L’ENSEIGNEMENT DE PAUL VI

1972

 

II. DISCOURS ET HOMÉLIES DU PAPE EN DIVERSES CIRCONSTANCES

1° janvier : UNE NOUVELLE JUSTICE POUR UN ORDRE VRAI

10 janvier : RÔLE DE L’ÉGLISE POUR L’AVÈNEMENT DE LA PAIX ET DE LA JUSTICE DANS LE MONDE

28 janvier : AUDIENCE DE PAUL VI AU TRIBUNAL DE LA SACREE ROTE ROMAINE

13 février : PAUL VI CONFÈRE L’ORDINATION A DIX-NEUF NOUVEAUX EVEQUES

17 février : LA DEFINITION DE L’IDENTITE DU SACERDOCE RESIDE EN JESUS-CHRIST

2 avril : PAIX, JOIE ET COURAGE A TOUTE L’HUMANITE

7 avril : MESSAGE DU SOUVERAIN PONTIFE A LA TROISIEME CONFERENCE DE L’UNCTAD

21 avril : LES MOYENS DE COMMUNICATION SOCIALE AU SERVICE DE LA VERITE

23 avril : MESSAGE DE PAUL VI POUR LA JOURNEE DES VOCATIONS

13 mai : " L’EGLISE A CONFIANCE EN VOUS ; AYEZ CONFIANCE EN ELLE "

5 juin : MESSAGE DE PAUL VI A LA CONFERENCE DE STOCKHOLM SUR L’ENVIRONNEMENT

23 juin : CONFIANCE ET ESPERANCE

4 septembre : V° JOURNEE MONDIALE DE L’ALPHABETISATION

16 septembre : ALLOCUTION DU SOUVERAIN PONTIFE AUX PRÊTRES, RELIGIEUX, RELIGIEUSES, AU CONSEIL PRESBYTERAL, AU CONSEIL PASTORAL ET A L’ACTION CATHOLIQUE

16 septembre : HOMELIE DU SAINT-PERE A LA MESSE DU CONGRES EUCHARISTIQUE D’UDINE

20 septembre : UNE AILE AVANCEE DE L’EGLISE DANS LE MONDE

22 octobre : LA COOPERATION MISSIONNAIRE, UN DEVOIR POUR TOUS LES CHRETIENS

29 octobre : UN DISCIPLE, UN IMITATEUR, UN MODELE

12 novembre : UNE VOCATION ET UNE MARTYRE AU SERVICE DE CEUX QUI SOUFFRENT

8 décembre : LA PAIX EST POSSIBLE

9 décembre : PAUL VI DEFEND LE DROIT A LA NAISSANCE CONTRE LA PLAIE SOCIALE DE L’AVORTEMENT

18 décembre : UNE MOBILISATION DE L’OPINION PUBLIQUE EST NECESSAIRE POUR CONTENIR LA TERRIBLE DIFFUSION DE LA DROGUE

22 décembre : LA PASSION DE L’EGLISE POUR LA PAIX S’ETEND LA OU LA PAIX EST EN PERIL

25 décembre : LA NUIT DE NOËL DE PAUL VI PARMI LES TRAVAILLEURS

25 décembre : MESSAGE DU PAPE POUR NOËL

 

 

 

II. DISCOURS ET HOMÉLIES DU PAPE EN DIVERSES CIRCONSTANCES

 

 

1° janvier

UNE NOUVELLE JUSTICE POUR UN ORDRE VRAI

Paul VI a célébré, le 1° Janvier 1972, la cinquième " Journée de la Paix " en se rendant à la " Città dei ragazzi " de Rome où il a célébré la sainte Messe. A l’homélie, le Pape a attiré comme suit l’attention des assistants sur le thème de la Journée : " Si tu veux la paix, travaille pour la justice ".

Aujourd’hui, premier jour de l’année civile, nous parlons de paix, nous célébrons la paix parce que la paix est le plus grand bien de la civilisation et parce que, au début de notre action, nous devons regarder la ligne d’arrivée, le but dernier que nous voulons atteindre. Aujourd’hui est le jour des programmes, le jour des résolutions. Nous voulons être maîtres du temps ; nous voulons bien l’employer. Nous voulons donner un sens à notre vie. La vie vaut par le sens que nous lui donnons, par la direction que nous lui imprimons, la destination, le but vers lequel nous l’orientons. Quelle destination ? Quel but ? La paix.

Et la paix, qu’est-ce que c’est ? Nous l’avons dit : c’est le bien qui, en cette vie présente, la vie temporelle, comprend tous les autres, c’est l’ordre, l’ordre vrai, pas seulement celui de la discipline extérieure, mais l’ordre qui fait se tenir bien tous les hommes et tout l’homme ; un ordre qui suppose que tous ont ce qui est utile à la vie, la nourriture, le vêtement, la maison, l’école, le travail, le repos, la sécurité ;... ou mieux une société libre, d’accord, ordonnée, honorée en elle-même ; et, en plus, consciente du destin de la vie et par conséquent cultivée et surtout religieuse (parce que la religion est la lampe qui éclaire la vie ; elle et elle seule, si elle est la vraie religion, ce qu’est la religion chrétienne, nous donne la lumière, nous révèle le sens de notre existence et nous offre les moyens pour bien vivre et pour nous sauver même au-delà de la fin du temps qu’il nous est donné de vivre). On voit tout de suite que la paix est une chose très belle mais une chose difficile, oui ; très difficile même ; mais c’est une chose possible, une chose qui fait partie de notre devoir. Ce qui veut dire qu’il faut travailler beaucoup pour obtenir la paix. On ne l’atteint pas de soi. Elle ne se maintient pas d’elle-même. Elle est le fruit de grands efforts, de grands programmes. Et, avant tout, elle est le fruit de la justice : Si tu veux la paix, travaille pour la justice. Et faisons attention : nous devons tous la vouloir ; nous devons tous la mériter. Souvent nous pensons qu’à ce grand programme, celui de mettre l’ordre et la paix dans le monde, de bien organiser la société, doivent penser ceux qui dirigent le monde et la société ; certainement, mais pas exclusivement. La paix est un bien de tous ; et tous doivent collaborer pour la maintenir, pour la faire progresser. Et, d’une certaine manière, tous et chacun nous le pouvons dans quelque mesure, nous le devons.

 

Un appel aux jeunes

Mais ici se pose une question : pourquoi un discours si élevé et si difficile est-il fait ici à des garçons, à des jeunes gens comme vous qui vivez déjà dans un milieu ordonné et pacifique ?

Voici la réponse. La réponse d’ailleurs exige une autre question : comment atteint-on la paix ? La vraie paix, nous le répétons ; celle qui résulte de l’ordre vrai ? Parce qu’il peut y avoir un ordre faux ; comment ? Un ordre imposé par la force, par la violence, par la peur, par lai menace, par le chantage, par l’abus de la faiblesse d’autrui, par l’habitude établie de maintenir des situations où les gens souffrent, où on ne peut pas non plus s’élever et améliorer sa propre existence... est-ce l’ordre vrai ? L’esclavage est-il un ordre vrai ? La misère sociale, est-ce un ordre vrai ? La pauvreté sans remède et sans assistance, est-ce un ordre vrai ? L’ignorance voulue du peuple pour le tenir plus facilement assujetti, est-ce un ordre vrai ? La domination et l’exploitation des faibles par les forts, des pauvres par les riches, est-ce un ordre vrai ? L’imposition lourde des idées de certains sur celles des autres, la peine de dommages, de répressions, de châtiments, est-ce un ordre vrai ? Et l’incurie des responsables, face à l’inobservance des droits d’autrui, à l’immoralité scandaleuse, ou la tolérance d’une licence nocive pour le bien de la société, est-ce un ordre vrai ? Quand n’existe pas ou quand on ne respecte pas une loi raisonnable et efficace, y a-t-il un ordre vrai ? etc. Nous voulons dire : il y a des ordres apparents, faux, contraires au bien commun, à la liberté légitime, à la promotion de ceux qui sont dans le besoin etc. qui ne peuvent mériter le beau et authentique nom de paix. Ce sont plutôt des désordres tolérés ou établis que des ordres vrais, équilibrés et favorables au bien-être et au progrès commun. Ce sont des conditions qui peuvent donner une certaine stabilité à la vie publique, une coutume invétérée, une adaptation résignée, mais qui ne peuvent engendrer une vraie paix.

C’est clair. Désormais tous en ont quelque expérience ; et maintenant la conviction se répand qu’il ne peut y avoir de vraie paix sans... Dites-le, vous ! sans justice.

Mais ici vient une seconde demande, difficile celle-là ; mais une demande à laquelle vous, garçons, vous, jeunes gens spécialement vous savez répondre tout de suite, instinctivement, intuitivement. Qu’est-ce que la justice ?

 

Le droit et le devoir de l’homme

Vous avez déjà dans l’esprit deux réponses : il y a une justice du mien et du tien qui est défendue par le fameux commandement " ne pas voler ". Personne ne veut être appelé voleur. Et il y a une autre justice qui concerne la nature même de l’homme ; la justice qui veut que chaque homme soit traité en homme. Vous le comprenez tout de suite. Les hommes sont-ils tous égaux ? En substance, oui. Tout homme a sa dignité. Dignité inviolable : malheur à qui la touche ! petit ou grand ! pauvre ou riche ! blanc ou noir ! Chaque homme a sa charge de droits et de devoirs qui lui valent d’être traité comme une personne. Même nous, chrétiens, nous disons que chaque homme est notre frère. Il doit être traité comme un frère, c’est-à-dire aimé (L’année dernière, pour la journée de la paix, nous savons justement médité cette vérité : tout homme est notre frère). Et nous pouvons aussi dire davantage : plus l’homme est petit, pauvre, souffrant, sans défense, déchu aussi et plus il mérite d’être assisté, soulagé, soigné, honoré ! c’est ce qu’enseigne l’Evangile ; mais même celui qui ne croit pas à l’autorité de l’Evangile a l’intuition que cette parole divine a raison : c’est cela la justice ! c’est cela la voie de l’ordre, c’est-à-dire des droits et des devoirs de l’homme, qui est la justice, qui est la paix !

 

La paix ne peut être statique

Et voici-alors l’explication de notre choix qui nous a fait préférer de venir ici, parmi vous, garçons, jeunes gens, pour célébrer la journée de la paix : c’est parce que vous, avant et plus que les autres, vous avez le sens de la justice. Vous, sains, beaucoup de raisonnements, vous comprenez que dans le monde, même dans notre monde moderne, il y a encore besoin de justice. Plus que jamais vous le comprenez parce que justement vous êtes modernes, c’est-à-dire que le développement social et culturel auquel nous sommes arrivés aujourd’hui a éveillé une conscience humaine qui ne peut pas rester insensible aux désordres congénitaux de notre organisation sociale, qui ne peut pas ne pas s’apercevoir que le progrès lui-même produit des malheurs auxquels il faut porter remède ; il produit des frustrations, il produit des inégalités, il produit des injustices, il produit des conflits, il produit des dangers de catastrophes, de conflagrations, de pollution... contre lesquels il faut réagir : il n’est pas juste qu’il en soit ainsi ! Vous le comprenez et vous, à votre manière, vous le dites, et vous le dites avec une menace qui peut être fatale : il ne peut y avoir de paix sans une nouvelle justice.

Vous, fils de la nouvelle génération, vous saisissez tout de suite la nécessité intrinsèque de ce binôme : la justice et la paix ; elles marchent ensemble. Il ne peut y avoir de vraie paix sans vraie justice. Et, comme la justice qui doit progresser selon ries légitimes aspirations explose dans la conscience évoluée de l’homme moderne, ainsi la paix ne peut être statique, ne peut confirmer un état de choses qui ne tient pas compte du développement de l’homme, de ses anciennes et nouvelles nécessités. Difficile équation que celle de la justice et de la paix ; elle requiert sagesse, prudence, patience, gradation, non la violence, non la révolution (qui sont d’autres injustices), mais devra être poursuivie avec ténacité, avec esprit de sacrifice, avec un amour sincère et élevé pour l’humanité.

Vous, jeunes, avec votre détachement naturel du passé, avec votre facile esprit critique, avec votre don instinctif de prévoyance, avec votre hardiesse pour les entreprises humaines, nobles et grandes, vous pouvez être à l’avant-garde prophétique de l’union, de la justice et de la paix.

Et sachez que ces Messieurs qui ont voulu être présents à notre et votre célébration de la Journée de la Paix et qui sont des représentants illustres et qualifiés du monde des responsables, — ce sont des diplomates, ce sont des autorités politiques et civiles, ce sont des évêques et des dignitaires de l’Eglise, ce sont des laïcs de valeur consacrés à la mission du bien — ils sont avec vous !

En même temps que nous vous remercions, vous, garçons et jeunes gens de cette cité idéale pour votre accueil, nous remercions tous les présents pour leur adhésion significative et, avec le vœu de la Justice et de la Paix, nous vous bénissons de tout cœur.

 

 

10 janvier

RÔLE DE L’ÉGLISE POUR L’AVÈNEMENT DE LA PAIX ET DE LA JUSTICE DANS LE MONDE

Le lundi, 10 janvier, le Saint-Père a reçu, à 11 h., dans la Salle du Consistoire, le Corps Diplomatique accrédité auprès du Saint-Siège qui Lui a présenté ses vœux respectueux pour le Nouvel An, au nom aussi des Pays et Gouvernements respectifs représentés. A l’adresse d’hommage de Son Excellence Monsieur Luis Amado Blanco y Fernandez, Ambassadeur de Cuba et Doyen du Corps Diplomatique, le Souverain Pontife a répondu en ces termes :

Nous vous remercions, Monsieur l’Ambassadeur, des paroles si sages et si bonnes qu’en votre nom et au nom de tous les membres du Corps Diplomatique accrédité auprès du Saint-Siège, vous Nous avez aimablement adressées en votre qualité de Doyen. Vous avez résumé les lignes maîtresses du document par lequel Nous avons voulu commémorer le quatre-vingtième anniversaire de l’Encyclique " Rerum novarum " de notre prédécesseur Léon XIII, et vous avez bien souligné l’action que l’Eglise déploie pour éveiller la conscience des hommes — au niveau individuel et international — à la responsabilité de s’engager pour faire de la société un monde plus juste et plus vrai, dans le respect de la liberté d’autrui, en se prodiguant " pour construire des solidarités actives et vécues " (Octogesima adveniens, 47).

De cela Nous vous sommes reconnaissant, comme Nous le sommes à vous tous, Messieurs, pour cette rencontre annuelle qui Nous est singulièrement agréable.

Comme vous le savez l’Eglise a célébré le 6 janvier la solennité de l’Epiphanie. Cette fête Nous paraît bien apte à montrer la valeur de cette visite annuelle que vous Nous faites, à Nous qui Nous sentons si inférieur à la mission de représenter le Christ, Dieu et Homme, Prince de la Paix, Auteur de la justice. Et cette circonstance nous offre la possibilité de vous entretenir, Messieurs, sur un thème qui émerge parmi les raisons justifiant la présence de diplomates des différents Etats auprès du Vicaire du Christ : de définir, en d’autres termes, les rapports qualifiés de l’Eglise avec la société civile, ou, pour Nous servir d’une phrase usuelle, de dire quelle est la prétendue " politique de l’Eglise ". Et ici Nous vient aussitôt en aide ce qu’a dit le Concile à ce sujet, en des affirmations si claires et si lumineuses qu’elles dissipent dès l’abord tous les malentendus, disons même tout le malaise que cette expression pourrait faire naître dans l’âme extrêmement sensible des hommes de notre temps.

La politique de l’Eglise ? La voici, selon les paroles de Vatican II : " L’Eglise, fondée dans l’amour du Rédempteur, contribue à étendre le règne de la justice et de la charité à l’intérieur de chaque nation et entre les nations. En prêchant la vérité évangélique et en éclairant tous les secteurs de l’activité humaine par sa doctrine et par le témoignage que rendent les chrétiens, elle respecte et promeut aussi la liberté politique et la responsabilité des citoyens... Il est juste qu’elle puisse partout et toujours prêcher la foi avec une authentique liberté, enseigner sa doctrine sociale, accomplir sans entraves sa mission parmi les hommes, et porter un jugement moral, même en des matières qui touchent le domaine politique, quand les droits fondamentaux de la personne ou le salut des âmes l’exigent " (Gaudium et Spes, 76).

A ces paroles ont fait écho, l’automne dernier, les Evêques réunis en Synode. Comme vous le savez bien, ils ont choisi précisément pour un des sujets sur lesquels ont porté les votes qu’ils nous ont soumis, la " Justice dans le monde " comme fruit de la présence de l’Eglise, en souhaitant que " tout peuple, en qualité de membre actif et responsable de la société humaine, puisse collaborer à l’obtention du bien commun, avec un droit égal aux autres peuples " (III, Actio internationalis, 8 c).

 

Une valeur d’engagement général

La justice, Messieurs, est une valeur qui pénètre tous les rapports de la vie en société en tous domaines : économique, social, politique, culturel, religieux : c’est une valeur qui oblige tout le monde : individus, familles, groupes sociaux — quelle que soit la raison pour laquelle ils existent et agissent —, Pouvoirs publics, Institutions à rayonnement continental et mondial. Tous, par conséquent, sont appelés à contribuer à sa réalisation, qui s’identifie avec la réalisation de la vraie paix. Chacun toutefois y apporte ce qui répond à sa nature et à sa vocation, et cela revêt une grande importance et est aussi une exigence de justice.

Or, devons-nous nous demander, quel rôle a l’Eglise dans ce champ immense qui met en cause toutes les forces politiques du monde ? Quelle est la tâche qu’elle a le devoir d’accomplir ? Quelles en sont les caractéristiques ?

a) Extranéité.

Avant tout — et cela pourra sembler un paradoxe, après la fonction que nous avons revendiquée pour l’Eglise dans le champ international — avant tout il faut affirmer nettement que l’Eglise est étrangère à l’action politique en tant que telle. La mission de l’Eglise est différente: elle est essentiellement spirituelle. Elle n’exerce d’action politique active en aucune manière, elle reste distincte, étrangère à ce domaine : " Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu " (Mt 22, 21). Comme l’a rappelé le Concile Vatican II, " l’Eglise, qui, en raison de sa charge et de sa compétence, ne se confond d’aucune manière avec la communauté politique et n’est liée à aucun système politique, est à la fois le signe et la sauvegarde du caractère transcendant de la personne humaine. Sur le terrain qui leur est propre, la communauté politique et l’Eglise sont indépendantes l’une de l’autre et autonomes. Mais toutes deux, quoique à des titres divers, sont au service de la vocation personnelle et sociale des mêmes personnes humaines " (Gaudium et Spes, 76).

De même, l’Eglise est étrangère à toute action de violence, car elle regarde comme son unique modèle le Christ " doux et humble de cœur " (Mt 11, 29) ; elle s’inspire de la loi évangélique de l’amour ; elle vise à la persuasion, étant porteuse d’une immense espérance, présente et eschatologique, et sachant que la loi du vrai progrès n’est pas la révolution, mais l’évolution et la transformation, celle-ci supposant un changement par le dedans, source de fruits durables, parce qu’ils naissent de la liberté intérieure, de la vigueur renouvelée de résolutions qui viennent d’" un amour qui transcende l’homme " et, par là même, d’une " effective disponibilité au service " (cf. Octogesima adveniens, 45). Il est donc évident que cette abstention politique de l’Eglise ne signifie pas inaction et refus des citoyens, des laïcs fidèles à la vie ecclésiale ; elle ne signifie pas en particulier absence de participation à la vie nationale.

 

La place des Laïcs

Bien au contraire, ces laïcs veulent être le levain dans la pâte (cf. Mt 13, 33) : la lettre à Diognète les définit comme l’âme du monde : " quod est in corpore anima, hoc sunt in mundo christiani " (Ep. ad Diogn., 6, 1 ; PG 2, 1173). Les laïcs vivant de la communauté ecclésiale sont appelés, le Concile l’affirme, en vertu de leur fonction prophétique et royale, à un rôle de premier plan pour contribuer " efficacement à ce que les biens créés soient cultivés dans l’intérêt de tous les hommes indistinctement selon les fins du Créateur et l’illumination de son Verbe, grâce au travail de l’homme, à la technique et à la culture dans la cité, que ces biens soient mieux distribués entre les hommes et qu’ils acheminent, selon leur nature, à un progrès universel dans la liberté humaine et chrétienne " (Lumen gentium, 36).

b) Présence.

Ainsi donc voici que l’Eglise, tout en étant étrangère en elle-même et pour elle-même à l’action politique, revendique pourtant une présence dans la société civile. D’abord parce qu’elle est faite pour les hommes, et faite d’hommes, auxquels, par sa profession de foi religieuse, par sa pédagogie régénératrice et sanctificatrice, par sa réaffirmation du primat des réalités spirituelles, elle inculque le respect de droits respectifs et l’accomplissement de devoirs respectifs pour l’instauration d’une organique et vraie fraternité. Ensuite et surtout parce qu’elle est appelée à cette mission par le mandat, reçu de son Fondateur, de sauver l’homme, de lui communiquer la Parole qui libère et la Vie qui sanctifie, et de collaborer ainsi à l’élévation intégrale de l’homme.

 

L’éducation à la justice dans les documents synodaux

Il est normal, par conséquent, que l’Eglise ne puisse pas ne pas se sentir obligée à apporter sa contribution propre pour que règne dans le monde la paix dans la justice et la justice dans la paix. Et cette contribution, comme l’observe la Constitution " Gaudium et Spes ", elle l’apporte avant tout " en projetant la lumière qui vient de l’Evangile, et en mettant à la disposition des hommes la puissance salvatrice que, sous la conduite de l’Esprit-Saint, elle reçoit de son Fondateur " (Gaudium et Spes, 3).

Voilà le motif pour lequel Nous avons voulu, en 1968, que fût célébrée dans le monde entier, et spécialement au sein de l’Eglise, la Journée de la Paix, comme témoignage concret de la contribution à l’édification de la tranquillité de l’ordre, à laquelle l’Eglise se sent strictement obligée. Il nous est agréable de saisir l’occasion pour exprimer, ici devant vous, notre reconnaissance émue pour l’attention que les Chefs, les Autorités et les populations de vos Etats accordent chaque année à cette initiative, et qu’ils ont accordée spécialement cette année à notre appel : " Si tu veux la paix, travaille pour la justice ", qui constitue, comme vous le savez, le motif dominant de notre message pour la célébration de la cinquième journée mondiale de la paix. Nous devons tous travailler dans ce but, en pleine loyauté au service de l’homme. Car les exigences de la justice, Messieurs, on ne peut les saisir que dans la lumière de la vérité, de cette vérité qu’est l’homme : lequel se découvre dans ses composantes essentielles, dans toutes, ses dimensions, dans ses légitimes aspirations, quand on le voit dans le Christ, vrai Dieu et vrai Homme, dans lequel l’humanité s’exprime et s’affirme en plénitude.

L’apport de l’Eglise à la réalisation de la justice se concrétise en premier lieu en une action éducative sur ses propres membres. Cette action incessante et multiforme vise non seulement à rendre les hommes toujours plus conscients des objectifs de la justice, dans leur ampleur croissante mais encore à faire naître, à développer et à renforcer la résolution de traduire ces exigences en termes concrets de vie quotidienne : en triomphant, par la force de l’amour, des étroitesses de notre égoïsme et de celui d’autrui ; en agissant pour les humaniser en les transformant sur des structures légales qui seraient devenues instrument d’injustice.

C’est pourquoi, quand c’est nécessaire, cette présence de l’Eglise, qui normalement s’exprime sous des formes positives, en stimulant et en exhortant, peut devenir aussi salutairement critique: comme une pierre de touche, qui invite à vérifier continuellement si les conditions atteintes sont réellement en harmonie avec l’idéal de justice et de paix. Les Evêques réunis au Synode ont eu conscience de ce devoir quand ils ont déclaré que l’éducation à la justice peut susciter" aussi " la faculté critique qui porte à réfléchir sur la société dans laquelle nous vivons et sur ses valeurs", et quand ils ont reconnu que dans certains cas la mission épiscopale " impose le devoir de dénoncer, courageusement et avec charité, les injustices " (III, Institutio ad justitiam).

 

Les dépenses excessives pour les armements

A ce sujet permettez-nous, Messieurs, d’attirer un instant votre attention sur le fait peut-être le plus troublant de notre époque : la course aux armements. C’est un fait épidémique, à la contagion duquel aucun peuple ne semble désormais pouvoir se soustraire. Les sommes dépensées pour les armements aujourd’hui dans le monde atteignent déjà des chiffres astronomiques, et tous y contribuent : aussi bien les grandes et les moyennes Puissances que les nations faibles ou appartenant à ce qu’on appelle le " Tiers Monde ".

Et le plus troublant c’est que cela se produit au moment où les hommes, étant devenus plus conscients de leur dignité, sentent plus vivement qu’ils sont membres de la même famille humaine ; au moment où s’intensifie chez les individus et chez les peuples l’aspiration à la paix dans la justice, et tandis que dans la génération des jeunes — pour beaucoup desquels la famille humaine est déjà une unité vivante la protestation contre la course aux armements se répand toujours davantage.

Comment expliquer une contradiction aussi profonde, aussi déchirante, au sein de la famille humaine : contradiction entre une croissante et sincère aspiration à la paix, d’une part, et l’effrayante et croissante production d’instruments de guerre, d’autre part ?

Il ne manque pas de gens qui voient dans les armements, au moins en ce qui concerne les grandes et moyennes Puissances, comme une nécessité du système économique fondé sur leur production, pour éviter des déséquilibres économiques et un chômage de masse. Mais c’est là une explication à laquelle s’opposent radicalement l’esprit humain et encore plus l’esprit chrétien : comme s’il était admissible qu’on ne puisse trouver de travail pour des centaines de milliers de travailleurs qu’en les employant à construire des instruments de mort ?

D’autant plus que nous vivons à une époque où, en de nombreux domaines, il est urgent d’entreprendre bien d’autres travaux constructifs et bienfaisants sur une échelle continentale et mondiale : d’abord pour venir à bout des fléaux de la faim, de l’ignorance, de la maladie, pour lesquels, hélas ! en dépit de la générosité de beaucoup, on n’a pas fait encore tout ce que requiert la tragique condition humaine de tant de nos frères ; et puis pour sauvegarder des biens indispensables à la vie de tous, tels que par exemple la défense du milieu contre les divers facteurs de pollution.

Il faut noter en outre que beaucoup continuent à être persuadés que la politique des armements, si elle ne peut être justifiée en elle-même, peut cependant s’expliquer par le fait que si aujourd’hui une paix est possible, ce ne peut être que la paix fondée sur l’équilibre des forces armées.

" Quoi qu’il en soit de ce procédé de dissuasion — déclare la Constitution Gaudium et Spes — on doit néanmoins se convaincre que la course aux armements, à laquelle d’assez nombreuses nations s’en remettent, ne constitue pas une voie sûre pour le ferme maintien de la paix, et que le soi-disant équilibre qui en résulte n’est ni une paix stable, ni une paix véritable " (Gaudium et Spes, 81).

 

Un désarmement progressif pour la réalisation de la paix

La réalisation de la paix dans la justice demande donc — comme déjà tentent de le faire de hardies et sages initiatives — qu’on suive la voie opposée : celle du désarmement progressif. Pour sa part l’Eglise, peuple de Dieu, ne peut pas ne pas raviver sa volonté d’éduquer l’homme à avoir confiance dans l’homme, c’est-à-dire à voir dans les autres non de probables agresseurs, mais de possibles collaborateurs futurs, rendus efficaces pour le bien, pour la construction d’un monde plus humain.

c) Service.

Enfin, cette présence de l’Eglise dans la société civile ne se borne pas à être seulement une présence. Là où c’est nécessaire, où c’est possible, où c’est requis — et étant sauves toujours les exigences de la nature de l’Eglise — elle devient aussi service : service fraternel, humble, empressé. Car l’Eglise, dans l’exercice de son activité dans le monde, n’est pas poussée par l’ambition, par des vues terrestres. Elle n’a qu’un but : " continuer, sous l’impulsion de l’Esprit Consolateur, l’œuvre même du Christ, venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité, pour sauver, non pour condamner, pour servir, non pour être servi ", comme l’a déclaré la Constitution conciliaire, plusieurs fois citée sur l’Eglise et le monde d’aujourd’hui (Gaudium et Spes, 3). L’image sous laquelle aujourd’hui l’Eglise se présente au monde est essentiellement celle d’une Eglise au service des hommes, ouverte au monde pour l’aider dans la solution de ses problèmes (cf. Y. M.-J. congar, Eglise et monde dans la perspective de Vatican II, in L’Eglise dans le monde de ce temps, T. III, réflexions et perspectives, Paris 1967, pp. ; 32 ss.).

 

Formation des consciences

Elle sert la communauté des peuples en se consacrant avant tout, comme c’est sa tâche essentielle et spécifique, à l’éducation des consciences, à la formation des cœurs des hommes qui accueillent l’annonce du salut. Se sentant aimés de Dieu, orientés vers Lui comme vers le soutien de leur propre vie, ceux-ci sont, de ce fait, unis en Lui et par Lui dans l’amour de leurs frères, de tous leurs frères, créés à son image et rachetés par son Fils unique. Cette œuvre de formation est, pour l’Eglise, une tâche d’une ampleur universelle, générale, qui, en vertu de l’ordre divin, ne connaît de frontières ni de peuples, ni de temps, ni d’espace (cf. Mt. 28, 18-20).

L’Eglise offre ensuite sa collaboration plus particulière au service de l’humanité pour la solution des problèmes les plus urgents dans des moments historiques donnés. Aujourd’hui, elle sait que cette action doit être orientée spécialement sur le plan de la culture et de l’assistance sociale, où se manifestent davantage les situations douloureuses ou les conséquences tragiques des fléaux de l’humanité mentionnés tout-à-l’heure. Elle stimule donc le progrès de la culture, en particulier parmi les minorités des différentes nations (CONGAR, op. cit., 59 ; cf. 53-62), notamment par l’impulsion donnée à l’alphabétisation, car " l’éducation de base est le premier objectif d’un plan de développement " (Populorum Progressio, 35). Elle s’emploie pour que les soins les plus assidus soient donnés à l’école, afin que celle-ci éduque tout l’homme aux responsabilités professionnelles, morales, sociales de la vie. Le service, en outre, s’étend, autant qu’il est possible, aux diverses formes d’assistance (lutte contre la faim, contre le chômage, contre les maladies, contre l’insécurité sociale).

A l’exemple de son Fondateur, l’Eglise ne peut pas ne pas sentir l’exigence de contribuer à la réalisation de la paix à travers ces innombrables et bienfaisantes initiatives : initiatives prises en de très nombreux pays, à l’avant-garde souvent ou en complément de celles que promeut la société civile, surtout pour le soulagement et l’élévation des pauvres, de ceux qui souffrent ou qui se débattent dans la misère et l’abandon, ou qui sont, de façon ou d’autre, des handicapés. Certes, parmi tant d’activités, il peut y avoir quelques défauts, peut-être même quelques abus et quelques déviations. Mais on ne peut qu’être surpris et attristé en voyant que parfois on prend prétexte de ces aspects négatifs, tout à fait marginaux, pour jeter le discrédit sur l’ensemble de ces initiatives, qu’un jugement sereinement objectif révèle pour ce qu’elles sont vraiment: le témoignage d’un amour agissant, l’expression d’une authentique noblesse humaine, digne d’être guidée et soutenue, bien plutôt que frappée d’un discrédit généralisé.

Conclusion

Voilà, chers Messieurs, dans quel sens Nous parlons d’une " politique " de l’Eglise : ce n’est autre chose qu’un sens aigu, une exigence sentie à vivre son engagement, son mandat, sa vocation pour l’annonce de l’Evangile et le service des autres. Tels ont été aussi le sens et la valeur du récent Synode au sujet de la justice : et comme Nous l’avons dit, la célébration de la Journée de la Paix n’a pas eu, n’a pas et n’aura pas d’autre intention.

 

Pour l’élévation des peuples

L’Eglise est aux côtés de toutes les Nations qui œuvrent sincèrement pour l’élévation des peuples; elle l’est au prix de persévérants services et aussi de sacrifices. A toutes elle offre sa collaboration, afin que l’ardeur qu’on remarque aujourd’hui, à tous les niveaux, pour un plus grand respect de l’homme, ne reste pas une vague et vaine aspiration utopiste mais se traduise en réalité concrète. Nous invitons tous les hommes à travailler sincèrement dans ce but. Et Nous formons des vœux pour qu’à cette offre de l’Eglise corresponde toujours la bonne volonté et l’engagement de tous les Etats, tandis que Nous prions le Seigneur de suppléer par son aide là où les forces humaines ne peuvent arriver.

Par ces vœux, Nous attestons à toutes et chacune de vos Nations notre grande estime et notre paternelle bienveillance, souhaitant que chacune d’elles voie s’accomplir ses plus chers désirs: et sur toutes Nous invoquons les bénédictions de Dieu, sans lequel, en fin de compte, la faiblesse humaine n’arrive à rien. Qu’il daigne réaliser nos communes aspirations pour la prospérité du monde, et accorder à tous vos peuples de vivre dans la justice et dans la paix.

 

 

28 janvier

AUDIENCE DE PAUL VI AU TRIBUNAL DE LA SACREE ROTE ROMAINE

Dans la matinée de vendredi, 28 janvier, le Saint-Père a reçu en audience, dans la Salle du Consistoire, le Tribunal de la Sacrée Rote romaine, à l’occasion de l’ouverture de l’année judiciaire. Répondant à une adresse du Doyen, S. Exe. Mgr Filipiak, Paul VI a prononcé le discours suivant :

C‘est toujours pour nous un motif de hautes pensées que la rencontre personnelle avec notre Tribunal de la Sacrée Rote romaine, à l’oCcasion de l’inauguration officielle de la nouvelle année judiciaire. Rencontre disposée en trois moments : d’abord avec le vénéré Doyen dans un entretien privé, puis avec le Collège des Juges et ensuite avec tous les membres du Tribunal, y compris les Officiers et les Avocats dans la réunion plénière telle que nous l’avons devant nous. Cette manière même de présentation montre l’importance attribuée dans la Curie romaine à cet organe par lequel le Siège Apostolique exerce son pouvoir judiciaire ; et nous, en recevant la visite qu’il nous rend, en même temps que nous remercions de l’hommage qui nous est exprimé par une présence si considérable et par les nobles paroles de Monseigneur le Doyen, nous voulons honorer le Tribunal de la Sacrée Rote romaine, manifester notre estime pour les personnes qui le composent, confirmer notre confiance dans la fonction qui lui est propre, revendiquer la compétence que la constitution de l’Eglise lui reconnaît, aux termes de la loi canonique et témoigner, par l’importance que nous lui attribuons, du culte de la justice que c’est un devoir, un amour, spécialement de notre part, de professer dans le sein de la société ecclésiastique.

 

Le juste rapport entre l’Eglise et le Droit canonique

Oui, nous honorons votre magistrature. La Sainte Ecriture, par les paroles constitutives de saint Paul, nous en fait une obligation (1 Co 6, 1-11 ; et cf. Mt 18, 15-17) ; la tradition, qui remonte à celle qui est antérieure au Nouveau Testament, nous rend les gardiens jaloux et les exécutants du service que, dans l’Eglise organisée et visible, telle qu’est notre Eglise catholique, l’autorité responsable, la hiérarchie, doit rendre pour la sauvegarde du droit de chaque membre de la communauté de l’amour, telle qu’est justement l’Eglise, comme aussi pour l’observance de tout devoir respectif. Et nous avons l’intention aujourd’hui de donner précisément à cette Audience cette reconnaissance du juste rapport entre l’Eglise et le Droit canonique même si ici nous en restreignons la considération à votre domaine, le judiciaire réaffirmant la légitimité, la dignité, l’importance de votre fonction, non pas tellement pour l’analogie étroite et parallèle que l’administration de la justice ecclésiastique a avec celle de la justice civile que pour sa dérivation originelle du dessein constitutionnel divin de l’Eglise, Corps Mystique du Christ, animé par l’Esprit de liberté, d’amour, de service et d’unité, dessein que le récent Concile nous a rappelé par sa doctrine ecclésiologique.

 

La diffusion de la moralité permissive

Si on a tant discuté sur l’existence d’un Droit canonique, c’est-à-dire d’un système législatif dans le sein de l’Eglise, jusqu’à qualifier, non sans quelque blâme et quelque ironie, de " juridisme " sa sollicitude normative, à disqualifier par conséquent cet aspect de la vie ecclésiastique, comme si les expressions défectueuses de l’activité législative dans l’Eglise justifiaient la réprobation et l’abolition de cette activité, en vertu d’interprétations inexactes de certains passages scripturaires (cf. Ga 2, 16-18 ; Rm 4, 15). On ne réfléchit pas que " une communauté sans loi, loin d’être ou de pouvoir être en ce monde la communauté de la charité, n’a jamais été et ne sera jamais autre chose que la communauté de l’arbitraire " (L. bouyer, L’Eglise de Dieu, p. 596). Et ensuite on ne remarque pas le fait que jamais peut-être comme en notre temps si mal disposé envers le Droit canonique, en raison d’une certaine interprétation abusive du récent Concile, comme s’il avait desserré les liens juridiques et hiérarchiques essentiels dans l’Eglise, ne s’est manifestée une tendance législative prolifératrice, à tout niveau ecclésial, par un besoin impérieux de sceller dans des canons d’une nouvelle facture les innovations les plus variées et quelquefois même illogiques. Ce fait qui contient aussi sans doute des intentions de saines réformes et d’aggiornamento souhaitable, que l’Eglise aujourd’hui non seulement consent et guide, mais encore promeut, ne nous laisse pas sans appréhension pour les incohérences possibles de ces nouveautés juridiques avec la doctrine et avec la règle en vigueur dans renseignement de l’Eglise ; et encore plus parce que cette tendance à changer, suivant des principes nouveaux et discutables, la pratique ecclésiale, passe facilement du domaine juridique au domaine moral et l’envahit et le trouble par des ferments dangereux ; attaquant d’abord le concept évident du droit naturel puis l’autorité de la loi positive, qu’elle soit religieuse ou civile, parce qu’extérieure à l’autonomie personnelle ou collective ; et, affranchissant de cette manière la conscience d’une connaissance claire et d’une admission honnête de l’obligation morale objective, la rend, disons, libre et seule, oui, mais critère aveugle hélas ! de l’agir humain, abandonnée ainsi à la dérive et exposée à l’opportunisme des situations particulières ou aux impulsions instinctives, psychosomatiques, sans plus d’ordre authentique ni frein personnel, justifiées au contraire par un faux idéal de libération et par une attestation sophistique de la soi-disant envahissante moralité permissive. Que reste-t-il du sens du bien et du mal ? Que reste-t-il de la noblesse et de la grandeur de l’homme ? Comme il est vrai que l’homme sans loi n’est plus un homme ! Et comme il est vrai, pratiquement, que la loi, sans une autorité qui l’enseigne, l’interprète et l’impose, s’obscurcit facilement, s’énerve et s’affaiblit ! Et comme notre liberté chrétienne doit se distinguer de celle qui est stigmatisée par l’Apôtre Pierre : " Libres, oui, mais pas en hommes qui font de la liberté un voile pour cacher leur malice, mais comme serviteurs de Dieu ! " (1 P 2, 16). Cela ne vaut rien d’en appeler à nous contre la nécessité d’une loi à la liberté de l’Esprit ou à " cette liberté (de la loi judaïque) dont le Christ nous a libérés " (Ga 5, 1). Parce que c’est justement Lui, le Christ, qui nous a dit : " N’allez pas croire que je sois venu abolir la loi ou les Prophètes ; je ne suis pas venu abolir, mais accomplir " (Mt 5, 17) ; et l’accomplissement en sera l’assimilation et l’exaltation du précepte qui les résume tous, l’amour de Dieu et l’amour du prochain (Mt 22, 37-40), et ce sera le commandement nouveau, testament du Christ : " Aimez-vous les uns les autres comme Je vous ai aimés " (Jn 13, 34). Nous faisons écho, vous le voyez, aux sages affirmations qui ont été prononcées par le vénéré Doyen de la Sacrée Rote romaine.

 

Le principe évangélique de la charité

Nous sommes arrivés aux sources du Droit canonique qui devra se justifier par la référence à ce principe évangélique dont toute la législation ecclésiastique devra être imprégnée, même si l’ordre de la communauté chrétienne et la suprématie de la personne humaine auxquelles s’adressa tout le Droit canonique, exigent l’expression rationnelle et technique propre au langage juridique. Vous en êtes les maîtres.

Et il ne serait pas besoin d’y ajouter, après la défense de règle que nous avons à peine esquissée pour le Droit canonique auquel est consacrée votre austère fonction, si le Concile ne nous rappelait pas une note qui doit s’insérer, sinon dans la lettre, dans l’esprit de son exercice, la note pastorale qui a caractérisé cet événement et en a pénétré le grand tome de ses documents.

Même le Droit canonique, dans sa formulation, dans son interprétation, dans son application, devra, après le Concile, porter le caractère de cette note pastorale qui nous semble devoir imprimer à la loi de l’Eglise un signe plus humain ou, s’il en était besoin, plus manifestement sensible à la charité que cette loi doit promouvoir et défendre dans la communauté ecclésiale et dans les confrontations avec la société profane : nous souvenant plus clairement de la nature de l’autorité ecclésiastique, c’est-à-dire qu’elle est un service, un ministère, un amour ; et plus explicitement orientée vers la défense de la personne humaine et vers la formation du chrétien à la participation communautaire à la vie catholique.

On a déjà tant écrit et discuté à ce sujet ; et vous aurez déjà certainement reconnu les points qui, en vertu du Concile, peuvent concerner la pratique de votre Tribunal et en général de l’exercice de la fonction judiciaire dans l’Eglise ; comme les perfectionnements législatifs sur le droit matrimonial dont s’occupe principalement la Sacrée Rote, perfectionnements auxquels on a déjà mis la main, comme par exemple avec les nouvelles règles relatives aux mariages mixtes, sans que pour cela aient été aucunement altérées les lois inviolables de la famille qui même, grâce à la sage protection et application de votre influent Tribunal comme de tout autre de l’Eglise catholique, doivent avoir pour le bien de tous un suffrage inaltéré et prévoyant.

Si avec l’intègre probité de votre vie personnelle, avec votre connaissance consommée des sciences canoniques, avec l’intérêt humain et chrétien pour la manière zélée et rigoureuse de traiter les causes qui vous sont confiées, et avec la piété religieuse dont vous entourez ce Siège Apostolique vous continuez à accomplir votre difficile et délicate fonction, vous vous acquitterez d’une mission, vous donnerez un témoignage à la justice et à la charité de cette Eglise Romaine et ce sera pour vous, en plus de l’adhésion et de l’approbation du monde catholique et celles, nous le croyons, du monde du palais, notre confiance, notre reconnaissance, notre Bénédiction Apostolique.

 

 

13 février

PAUL VI CONFÈRE L’ORDINATION A DIX-NEUF NOUVEAUX EVEQUES

Le matin du 13 février, le Saint-Père a, conféré l’Ordination à 19 Evêques originaires de plusieurs continents : 9 sont, en effet, européens ; 4 sud-américains ; 3 asiatiques ; 2 nord-américains et 1 de l’Océanie. Treize font partie du Clergé séculier et six sont Religieux.

Pour cette cérémonie, Paul VI a été assisté par le Cardinal Hollandais Alfrink, Archevêque d’Utrecht, et par le Cardinal irlandais Conway, Archevêque d’Armagh.

L’Ordination Episcopale a eu lieu après la lecture de l’Évangile. Le Cardinal Confalonieri, Préfet de la Congrégation pour les Evêques, a adressé au Souverain Pontife, au nom de l’Eglise, la demande de procéder à l’Ordination. Après avoir prononcé l’homélie sur la fonction importante et irremplaçable de l’Evêque dans l’économie du Salut et de l’Eglise du Christ, le Pape a imposé les mains sur les 19 Elus, et a ensuite oint avec le saint chrême la tête de chacun d’eux en leur remettant les insignes épiscopaux. Trente-sept diacres de presque tous les collèges ecclésiastiques romains ont assisté les nouveaux Prélats au cours de la célébration, tandis que 8 élèves de Propaganda Fide et 4 du Collège irlandais ont servi comme enfants de chœur. Pendant toute la durée de la cérémonie, la Chapelle Musicale Pontificale, dirigée par Mgr Domenico Bartolucci, a exécuté des morceaux choisis de musique polyphonique.

Dans la Basilique Saint-Pierre, une foule immense de fidèles, arrivant de toutes les parties du monde, remplissait la nef. Etaient présents aussi 27 Cardinaux, en plus de ceux qui participaient à la consécration, un très grand nombre d’Evêques, dont quelques-uns ont imposé, avec le Pape, les mains sur les nouveaux consacrés.

Le Corps Diplomatique était présent au complet. Ont assisté également à la cérémonie les membres de la Délégation du Patriarcat Oecuménique Orthodoxe de Constantinople conduite par le Métropolite orthodoxe de Chalcédoine Méliton, qui, le 24 janvier, avaient été reçus en audience par le Pape.

Le rite liturgique se déroule psychologiquement en deux temps : l’un nous amène à exprimer nos sentiments et nos pensées, et nous entraîne à la prière en élevant vers Dieu nos louanges ou en lui adressant nos propres invocations. L’autre impose à notre âme le silence, la met dans le recueillement et la dispose à accueillir la voix intérieure de l’Esprit. Dans le premier cas, on parle à Dieu, dans le second, on l’écoute. Nous en sommes maintenant à ce deuxième temps : on interrompt les prières et les gestes de cette grande cérémonie, et il nous faut être silencieux et immobiles. Le premier temps est actif, le second passif ; mais dans celui-ci, où l’on n’offre à Dieu que la disponibilité la plus attentive, on attend de lui le don de sa présence opérante. De même que le navigateur arrête le travail de ses rames et attend que le vent gonfle la voile et guide son navire, ainsi l’âme de chacun d’entre nous se calme dans un moment de repos intérieur et s’abandonne au souffle du Paraclet pour en entendre le langage silencieux mais pressant.

1) Nous écoutons, Nous écoutons d’abord la voix secrète des choses muettes, devenues capables d’exprimer éloquemment leur signification spirituelle. Nous écoutons ce que dit ce lieu célèbre et cependant toujours mystérieux : c’est le " trophée " d’un sépulcre ; le sépulcre qui conserve les reliques de l’Apôtre Pierre. Nous sommes rassemblés sur la tombe de celui que le Christ a transformé, de l’humble et faible Simon qu’il était, fils de Jona, en Pierre, fondement sur lequel Lui, le Christ, annonça de manière prophétique qu’il construirait son édifice indestructible, " son Eglise".

Ne pensez-vous pas qu’elles nous parlent, les choses que nous voyons ici, qui nous entourent ? N’ont-elles pas un langage éloquent, même dans la matérialité muette de leur présence ? Il n’y aurait pas besoin de notre parole. Ces choses parlent par elles-mêmes : nous le répétons, il suffit d’écouter. Ici parle la Tombe de Pierre, qui recueille la dépouille à la fois pauvre et glorieuse du Pêcheur de Galilée. Ici parle le fait que nous sommes réunis ensemble, membres de l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique, cimentés, malgré les diversités d’origine, de langue, de mentalité, par cette foi que nous exprimons d’un cœur unanime dans le Credo. Dans ces conditions, ne voyez-vous pas qu’il acquiert une évidence historique quasi sensible, le sacrement de la succession apostolique que nous sommes en train de célébrer ? Les Evêques ne sont-ils pas les successeurs des Apôtres, non pas seulement sur le plan juridique, mais leurs héritiers dans une communion toujours vivante d’animation et de ministère ? Et est-ce que le premier d’entre eux, Simon Pierre, ne nous donne pas un enseignement en cette Basilique qui lui est dédiée, si nous avons en mémoire la prédiction de sa première lettre (cf. 2, 4-10), là où il apparaît que sa qualification n’est que le sacrement qui fait vicaire de la vraie et première pierre vivante, le Christ lui-même, Chef suprême de la maison mystique : en elle, chaque élément s’imbrique pour devenir vraiment vivant, race élue, sacerdoce royal, nation sainte, que Dieu s’est acquise dans son dessein lumineux et miséricordieux, à partir duquel est engendré le Peuple de Dieu ? Ne trouve-t-on pas ici un sens organique et harmonieux à la distinction et à la parenté du sacerdoce commun des fidèles, composant avec nous le corps mystique du Christ, l’Eglise, au regard de notre sacerdoce ministériel et épiscopal, dans lequel est infusée en plénitude la puissance des mystères de Dieu, à la fois comme un dépôt et avec sa vertu communicative ?

L’économie de la succession apostolique, c’est-à-dire hiérarchique et ministérielle, revêt presque une évidence historique et sensible pour tous ceux qui sont ici présents, mais elle imprime plus fortement dans nos âmes d’Evêques la conscience de notre être élevé à la vocation apostolique, à la fonction de témoins et de maîtres de la foi, à la mission de coopérateurs de la grâce, à la responsabilité à la fois redoutable et douce de pasteurs. Laissons-nous pénétrer de ce sens supérieur de l’ordination, qui imprime dans notre personne le caractère sacerdotal du Christ.

2) Mais voyons encore ce qui découle comme une conséquence logique et historique, spirituelle et réelle, de cette réalité mystérieuse et irréfutable de la succession apostolique. Ce qui doit surtout attirer notre esprit ce matin, c’est l’union qui en résulte.

L’Eglise, fondée sur les Apôtres, procède d’un dessein éternel de Dieu le Père qui, à travers l’ancienne Alliance, s’est choisi un Peuple, héritier des promesses messianiques, et l’a rassemblé par le sacrifice de son Fils unique, par le rite de la nouvelle Alliance. La succession apostolique est la garantie de cette unité pour laquelle le Christ est mort et est ressuscité (cf. Jn 11, 52) : les évêques en effet gouvernent les Eglises particulières et locales, qui, tout en étant distinctes dans le temps et dans l’espace, n’en constituent pas moins un seul et unique Peuple de Dieu, comme est unique le Dieu qui les appelle et les sanctifie. C’est dans la conscience de l’universalité de l’Eglise qu’est fondée la conscience de son unité : " Il n’y a qu’un Corps et qu’un Esprit, comme il n’y a qu’une espérance au terme de l’appel que vous avez reçu ; un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ; un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, par tous et en tous " (Ep 4, 4-6). Au cours des longs siècles de son histoire, l’Eglise a toujours été guidée par cette conviction, malgré toutes les ruptures, malgré tous les schismes. Eglise universelle et Eglises particulières, Successeur de Pierre et Successeurs des Apôtres : voilà le langage vivant de l’histoire que nous recueillons ici aujourd’hui, dans toute sa vigueur et son authenticité, et qui nous assure à tous réconfort et sérénité.

3) Mais écoutons encore une autre voix mystérieuse, qui se fait entendre dans la ligne de nos précédentes réflexions. Elle est celte du charisme du pouvoir pastoral, conféré aux évêques de l’Eglise de Dieu de par la volonté expresse du Christ et la disposition de l’Esprit Saint (cf. Ac 20, 28) : posuit Spiritus Sanctus regere. Le charisme intérieur et extérieur de l’évêque réside dans le fait qu’il est appelé à la tête de cette portion du troupeau qui lui est confiée et qui appartient à l’unique Eglise. Il s’exprime dans l’exercice de la triple fonction du magistère, du ministère et du gouvernement pastoral. Il ne nous échappe pas comment, particulièrement ces derniers temps, on s’est plu à opposer l’Eglise charismatique à l’Eglise hiérarchique comme s’il s’agissait de deux organismes distincts, et même, bien plus, différents et opposés. En fait, ici, dans le pouvoir pastoral, le charisme et l’autorité coïncident : nous avons reçu l’Esprit Saint qui se manifeste, dans la mission épiscopale, par la symbiose simultanée du magisterium, assisté par la lumière du Paraclet, du ministerium, qui sanctifie par l’intermédiaire de sa grâce, et du regimen, dans la charité du service : ce sont autant de pouvoirs de l’Evêque et de dons de l’Esprit. La parole de saint Paul nous le rappelle et nous le confirme : " Il y a certes diversité de dons spirituels, mais c’est le même Esprit ; diversité de ministères, mais c’est le même Seigneur ; diversité d’opérations, mais c’est le même Dieu qui opère tout en tous " (1 Co 12, 4-6). Dans l’unique Dieu-Trinité prend sa source l’unique Eglise, dont tes Evoques portent la première responsabilité, dans l’unité des attributions charismatique et hiérarchique. Nous ne nions pas, certes, les charismes particuliers des fidèles, bien au contraire ; le même passage de la première épître aux Corinthiens les suppose et les reconnaît, car l’Eglise est un organisme vivant, animé par la vie même de Dieu vie mystérieuse et complexe, imprévisible et mouvante, sanctificatrice et transformante. Mais les charismes accordés aux fidèles, comme le souligne encore saint Paul (1 Co 14, 26-33, 40), sont soumis à la discipline qui, seule, est assurée de jouir du charisme du pouvoir pastoral, dans la charité.

Cette mission, conférée au corps épiscopal, nous oblige à jeter un regard sur l’Eglise et un regard sur le monde au service duquel Dieu nous a placés : dans l’Eglise, nous assurons la vie de la famille de Dieu, appelés à être, comme le Christ, à son imitation et à sa suite (Io 15, 16), des hommes de service et de sacrifice dans l’immolation quotidienne pour le troupeau, lui assurant à la fois la sécurité, la communion, la joie et tous les autres dons de l’Esprit (cf. Ga 5, 22-23). Vision merveilleuse et redoutable, exaltante aussi, de notre place dans l’Eglise, à laquelle nous devons assurer l’union, dans l’obéissance et l’amour, de nos fils bien-aimés ! Pour y parvenir, nous devons nous rappeler que nous avons été, d’une certaine manière, séparés et choisis : " segregatus in Evangelium Dei " (Rm 1, 1).

Les exigences de notre ministère, avec le don total de soi qu’elles impliquent, nous éloignent de tout lien contraignant ou équivoque avec le monde ; mais en même temps, elles nous rappellent que nous avons été établis pour le monde, pour son élévation et sa sanctification, pour son animation et sa consécration. Malheur au Pasteur qui oublierait ne serait-ce qu’une unique brebis, parce qu’il sera demandé compte de toutes ; la tradition biblique, prophétique et évangélique nous rappelle cette redoutable sévérité. La charité du Christ, qui nous a conféré le charisme du pouvoir pastoral, nous l’a conféré pour tous les hommes et, très particulièrement, " pour ceux qui ont dévié en quelque manière du chemin de la vérité ou qui ignorent l’Evangile et sa miséricorde salvatrice " (Christus Dominus, 11).

Frères et Fils bien-aimés

Telles sont les voix qui résonnent aujourd’hui à nos oreilles, dans cette Basilique, près de la Tombe de Pierre, au sein de l’assemblée qui est ici en prière. Nous avons cherché à les entendre, bien que nous ne puissions recueillir qu’une partie des richesses du Message qu’elles nous apportent. Mais la méditation continue. Pour vous spécialement, " nos nouveaux frères, les apôtres des Eglises, la gloire du Christ " (2 Co 8, 23), afin que, pour reprendre encore un mot de saint Paul, "vous sachiez comment vous comporter dans la maison de Dieu qui est l’Eglise du Dieu vivant, colonne et fondement de la vérité " (cf. 1 Tm 3, 15). Mais l’effort pour profiter de cette heure de grâce ne s’interrompt pas ici. C’est notre vœu mutuel. En poursuivant la Messe, unis au Christ Souverain Prêtre et Pasteur, qui nous sanctifie tous et nous présente au Père dans ce renouvellement de l’unique sacrifice rédempteur, nous lui demanderons une intelligence toujours plus pleine d’amour, plus attentive, plus complète. Et avec l’intelligence, qu’il nous donne sa grâce pour vivre, en communion avec le Peuple de Dieu, notre vocation.

LES NOUVEAUX EVÊQUES

4 Italiens : NN.SS. Pecoraio, Casoria, Bugnini et Pagani ;

2 Colombiens : NN.SS. Lotero, Ruiseco ;

2 Indiens : NN.SS. Arulappa, Pawathil ;

2 Américains : NN.SS. Heston, O’Meara ;

1 Argentin: Mgr Collino ;

1 Brésilien : Mgr Krevey ;

1 Philippin : Mgr Limon ;

1 Français : Mgr Brand ;

1 Allemand : Mgr Mayer ;

1 Irlandais : Mgr Ryan ;

1 Ile de Tonga : Mgr Finau ;

1 Hollandais : Mgr Gijsen ;

1 Roumain : Mgr Jakab.

 

 

17 février

LA DEFINITION DE L’IDENTITE DU SACERDOCE RESIDE EN JESUS-CHRIST

Dans la matinée du jeudi ,17 février, le Saint-Père a reçu dans la Chapelle Sixtine les Curés, les Prédicateurs de Carême et les Prêtres chargés du soin des âmes à l’occasion de ce début de Carême.

Après le chant du " Veni Creator " Monsieur le Card. Vicaire a adressé au Souverain Pontife une filiale allocution d’hommage au nom de toutes les personnes présentes et de tous les fidèles du Diocèse de Rome.

Le Saint-Père a ensuite répondu par le discours suivant :

Chers confrères,

Notre rencontre annuelle au début du carême, " in capite ieiunii ", comme le dit la tradition liturgique et ascétique de l’Eglise, nous met dans un état de confiance que j’espère réciproque, même si, dans cette conversation spirituelle et familière, il me revient, à moi votre Evêque, d’être le seul interlocuteur, auquel chacun de vous est invité à répondre dans l’intimité de son cœur ; et je le suis, cet interlocuteur, avec toute la simplicité et l’affection d’un cœur sacerdotal.

Le cœur sacerdotal : je pense que le vôtre aussi est parfois inquiet et troublé par le tumulte de questions et de problèmes qui s’est élevé, en cette période post-conciliaire, même sur le lac habituellement tranquille de notre psychologie personnelle. Qu’est-il donc arrivé ? La recherche des causes et l’examen du phénomène qui marque cet état d’âme inhabituel pour un prêtre, en vertu même de ce qu’il est et de ce qu’il fait, ont suscité, vous le savez, nombre d’études, d’écrits, de discussions, et certainement aussi de nombreuses réflexions en vous-mêmes. La période difficile que nous traversons a poussé jusque dans notre maison ses flots impétueux, providentiels à certains égards, mais dangereux et négatifs sous d’autres aspects. Cela nous a obligés à repenser notre sacerdoce dans ses divers éléments : biblique, théologique, canonique, ascétique, opérationnel ; et parce que cette réflexion s’est affrontée au tourbillon des mutations de la vie moderne, dans le domaine des idées, et surtout dans le domaine concret de l’action et de la vie sociale, nous en sommes venus, nous aussi, à nous demander si la vie sacerdotale traditionnelle ne devait pas être étudiée dans un nouveau contexte historique et spirituel : tandis que le monde change ne restons-nous pas immobiles, comme momifiés canoniquement dans notre mentalité cristallisée et dans nos habitudes traditionnelles, alors que ni le monde qui nous entoure, ni parfois nous-mêmes ne comprenons plus la signification et la valeur de certaines de ces traditions ? Pour nous donner confiance dans le renouveau, il y a eu, outre ces puissantes sollicitations extérieures, le Concile, qualifié et sage : il nous a parlé d’" aggiornamento ", ce que certains ont interprété comme la justification et même l’apologie d’un critère extrêmement délicat, le critère du relativisme historique, de l’adaptation aux temps — aux fameux " signes des temps " dont l’interprétation relèverait de l’intuition et serait l’affaire de chacun — autrement dit, le critère du conformisme au monde, à ce monde dans lequel nous nous trouvons et dans lequel le Concile a exhorté l’Eglise à se plonger pour y accomplir sa mission, au lieu de s’en séparer par principe. L’assaut de cette poussée vers la nouveauté a donné souvent, même à nous autres clercs, une sensation de vertige (cf. Is 19, 14), un certain sentiment de méfiance pour la tradition, une certaine mésestime de nous-même, une manie de changement, un besoin capricieux de " spontanéité créatrice ", etc. Des intentions, subjectivement droites et généreuses, sans doute, se sont greffées sur cette vaste et complexe tentative de transformation de la vie ecclésiastique. Nous vous en signalons deux, pour vous montrer que nous suivons ces phénomènes avec une affectueuse attention.

La première, très répandue, est l’intention de sortir de l’état, comme on dit maintenant, de frustration, c’est-à-dire du sentiment d’inutilité qu’éprouvent certains de leur insertion paralysante dans la discipline de l’organisation ecclésiastique. À quoi sert-il, se demandent-ils, d’être prêtre ? Et la question devient amère et angoissante là où la communauté à laquelle ces prêtres se dévouaient a profondément changé quant au nombre et quant à la façon de vivre, semblant rendre superflu ou inefficace le ministère du prêtre resté attaché à son propre lieu et à ses habitudes. L’objection de l’inutilité de sa propre vie est vraiment une source de tourments, particulièrement aujourd’hui, alors que nous sommes assaillis du désir d’efficacité utilitaire, et elle mérite de notre part au moins une compréhension affectueuse, si nous ne trouvons pas de remède approprié.

L’autre intention, elle aussi certainement inspirée par le désir de bien faire, consiste à vouloir supprimer en soi toute distinction cléricale ou religieuse d’ordre sociologique — et cela concerne les questions d’habit, de profession, d’état — pour s’assimiler à tout le monde, se conformer aux façons de vivre des autres ; il s’agirait, en somme, de se laïciser pour pouvoir ainsi plus facilement pénétrer, comme on dit, dans la société. Cette intention a un caractère missionnaire, si l’on veut, mais combien elle est dangereuse et nocive si elle aboutit à faire perdre cette force spécifique de réaction contre le milieu, qui est un de nos caractères propres de " sel du monde ", et si elle fait tomber le prêtre dans une inutilité bien pire que celle qui a été signalée plus haut. Le Seigneur l’a dit : à quoi sert le sel s’il perd sa saveur ? (cf. Mt 5, 13).

Lisez, chers confrères, l’introduction du document sur le sacerdoce ministériel qui a été discuté au récent Synode des Evêques ; en une synthèse brève, mais dense et vigoureuse, on y décrit les problèmes posés par la condition du prêtre de nos jours ; et vous verrez avec quel regard, avec quel cœur l’Eglise considère la situation présente du clergé : cette étude sérieuse, mais en même temps attentive et optimiste, est pleine de réalisme et d’amour.

Mais maintenant soyons attentifs à une chose importante. Dans toute cette situation complexe, intérieure et extérieure, au sujet de notre sacerdoce, il est une question qui tranche sur les autres et qui les résume toutes en un certain sens ; elle est du reste devenue monnaie courante dans la discussion complexe qui nous concerne. Il s’agit du problème de ce qu’on appelle d’identité du prêtre : qu’est-ce que le prêtre ? Y a-t-il vraiment un prêtre dans la religion chrétienne ? Et s’il existe un ministre de l’Evangile, quelle figure doit-il avoir ? Toutes les tentations des contestations et protestations qui ont caractérisé le XVI° siècle ont resurgi et se sont faites insinuantes ; et peut-être aussi — c’est là un mystère, mais nullement chimérique — des tentations plus profondes, d’origine préternaturelle, celles du doute, considéré non pas comme un chemin vers la recherche, mais comme une réponse insatisfaite de l’absence de vérité, de l’incertitude — poussée jusqu’à l’aveuglement — ressentie comme l’attitude dramatique et aristocratique d’un esprit désormais privé de lumière intérieure. Toutes ces tentations se sont insinuées jusqu’au plus profond de la conscience du prêtre pour étouffer en lui la bienheureuse certitude interne de son état ecclésial : " Tu es prêtre pour l’éternité ", et pour y substituer une demande lancinante : moi, qu’est-ce que je suis ?

Ne suffisait-elle pas, la réponse que l’Eglise a donnée depuis toujours, qui nous a été communiquée dès nos années de séminaire, qui a été allumée comme une lampe inextinguible au plus profond de notre âme, qui a été acquise et parfaitement assimilée par notre mentalité personnelle ? Cette interrogation, à première vue, est aussi superflue que dangereuse. Mais le fait est qu’elle a été lancée, comme une flèche, dans le cœur de nombreux prêtres, particulièrement des jeunes qui sont au seuil de leur ordination, mais aussi de quelques autres confrères arrivés à la plénitude de la maturité. La tendance des confrères qui ont rencontré cet écueil les poussant à douter d’eux-mêmes, de l’autorité de l’Eglise — tendance qui est en soi, hypothétiquement, légitime, mais qui s’est vite transformée en tentation et en déviation par suite de l’impossibilité de trouver une réponse satisfaisante — a été d’aller chercher la définition de l’identité du prêtre dans les registres d’état civil ou en dehors de notre propre maison, dans les manuels de sociologie ou de psychologie, ou en utilisant des comparaisons avec une terminologie chrétienne mais coupée de ses racines catholiques, ou enfin dans les notions d’un humanisme qui nous apparaît comme axiomatique : le prêtre est avant tout un homme, un homme complet, comme tous les autres.

Ne nous attardons pas à cette analyse, sinon pour poursuivre spirituellement les prêtres qui nous ont abandonné, avec un douloureux regret — comment ne pas les aimer encore ? — et sinon pour vous rappeler aussi à vous, frères bien-aimés, la parole du Seigneur Jésus que Nous redisons : " Demeurez avec moi dans mes épreuves " (Lc 22, 28).

L’Eglise a consacré, ces derniers temps, tant d’enseignements uniquement à ses prêtres ; ces enseignements ont été appuyés et vulgarisés par toute une littérature, au plan biblique, théologique, historique, spirituel aussi bien que pastoral. La lecture de quelque bon livre sur le sacerdoce catholique sera un sage appoint non seulement pour votre culture, mais aussi pour la paix et la ferveur de votre esprit. Nous n’en citerons qu’un, à titre d’exemple, de Mgr J. Coppens et divers collaborateurs : " Sacerdoce et célibat ", Louvain 1971.

Nous nous limiterons ici à une affirmation fondamentale : la définition de l’identité du prêtre, nous devons la chercher dans la pensée du Christ. Seule la foi peut nous dire ce que nous sommes et ce que nous devons être. Le reste, ce qu’on peut appeler l’histoire, l’expérience, le contexte social, les nécessités des temps etc., nous le verrons ensuite avec l’aide responsable et sage de l’Eglise, comme dérivation logique pour la confrontation, l’illustration, l’application de la foi. Laissons donc le Seigneur nous parler. Tel est le thème de cet entretien, que chacun de vous pourra ensuite développer dans la rencontre intime avec Dieu.

Ainsi, demandons humblement à notre Maître, Jésus : nous, que sommes-nous ? Ne devons-nous pas essayer de comprendre comment il nous pense et comment il veut que nous soyons ? Quelle est, à ses yeux, notre identité ? Une première réponse nous est aussitôt donnée. Nous sommes des appelés. Notre évangile commence par notre vocation. (Il nous semble licite de reconnaître dans l’histoire des apôtres la nôtre, à nous, prêtres). Ainsi, en ce qui concerne les premiers que Jésus choisit comme siens, l’histoire évangélique est très claire et magnifique. L’intention du Seigneur est manifeste, et, vue dans le cadre messianique et ensuite dans celui de l’économie chrétienne, elle est très importante. C’est Jésus qui prend l’initiative ; Lui-même mous le dit : " Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais moi qui vous ai choisis " (Jn 15, 16 ; 15, 19 ; cf. Jn 6, 70) ; et les scènes simples et délicieuses, qui nous présentent l’appel de chaque disciple révèlent la réalisation précise de choix déterminés (cf. Lc 6, 13), sur lesquels il nous plaira de méditer. Qui appelle-t-il ? Il ne semble pas qu’il ait pris garde à la classe sociale de ses élus (cf. 1 Co 1, 27), et il ne semble pas non plus qu’il ait voulu profiter de celui qui s’offre avec un enthousiasme superficiel (cf. Mt 8, 19-22).

Ce projet évangélique nous concerne personnellement. Je le répète : nous sommes des appelés. La question fameuse de la vocation atteint la personnalité et le destin de chacun de nous. Quelles qu’aient été les vicissitudes qui ont marqué le développement de notre vocation, elle constitue ce qu’il y a de plus intéressant dans l’histoire personnelle de notre vie. Il serait insensé de vouloir la réduire à un ensemble de circonstances banales et extérieures (cf. leo trese, Il sacerdote oggi, c. 1). Il faut plutôt noter le soin toujours plus étudié et plus minutieux avec lequel l’Eglise cultive, sélectionne et aide les vocations sacerdotales. Ceci est un facteur de certitude pour confirmer notre identité, trop facilement disséquée aujourd’hui de façon sophistique en vue de la déclarer inauthentique. Il est, du reste, bien difficile de nos jours qu’une vocation soit fondée sur des motifs, intérieurs et extérieurs que l’on puisse honnêtement attaquer (elle ne vaudrait pas pour nous la sentence de Pascal : " La chose la plus importante dans la vie est le choix d’une profession : le hasard en décide " cf. Pensées, n. 97). Pour nous, ce n’est pas le hasard qui en a décidé.

Nous devons plutôt penser à quelques aspects de cette vocation, qui est venue frapper à notre porte. Elle a marqué le moment le plus caractéristique dans l’usage de notre liberté, qui a pensé, réfléchi, voulu, décidé. Elle a provoqué le grand choix de notre vie ; analogue au " oui " de celui qui contracte un mariage, notre réponse, s’inscrivant à l’encontre de l’inconstance de l’homme qui vit sans idéal supérieur à, lui-même, a engagé notre existence : la forme, la mesure, la durée de notre offrande ; c’est donc la page historique de notre vie, humaine la plus belle, la plus idéale : malheur à qui la dévaluerait !

Et cette réponse a subitement qualifié notre vie, avec son incomparable " oui ", comme celle de quelqu’un qui est mis à part de la voie commune selon laquelle les autres mènent leur vie. Saint Paul le dit de lui-même : " Segregatus in evangelium Dei ". C’est un " oui " qui, en un seul moment, nous a détachés de tout ce qui était nôtre : " relictis omnibus secuti sunt eum" (Lc 5, 11) ; un " oui " qui nous a rangés parmi ceux qui, apparemment, sont des idéalistes, des rêveurs, des fous, des ridicules ; mais aussi, Dieu merci ! parmi les forts, ceux qui savent pourquoi ils vivent, pour qui ils vivent, " scio cui credidi " (2 Tm 1, 12) ; et parmi ceux qui ont formé le projet de servir et de donner leur vie, toute leur vie, pour les autres : jusqu’où ne sommes-nous pas appelés ! Mis à part du monde, oui, mais non pas séparés de ce monde pour lequel nous devons être, avec le Christ et comme le Christ, ministres du salut (cf. Ench. Cler., 104, 860, 1387, etc.).

Il y aurait encore une autre observation à faire au regard de la vocation: nous sommes appelés, disions-nous. Appelés par le Christ, appelés par Dieu ; ce qui veut dire aimés du Christ, aimés de Dieu. Y pensons-nous ? " Je connais, dit le Seigneur, ceux que j’ai choisis " (Jn 13,18). Un dessein divin préétabli s’est arrêté sur chacun d’entre nous ; aussi peut-on dire de nous ce que le prophète Jérémie dit au sujet d’Israël de la part de Dieu : " Je t’ai aimé d’un amour éternel et c’est pourquoi je t’ai étendu ma faveur " (31, 3). C’est une identité enregistrée dans le Livre de Vie du ciel, " in libro vitae " (cf. Ap 3, 5).

Nous sommes donc appelés ! mais dans quel but ? Notre identité s’enrichit d’une autre caractéristique essentielle : nous sommes disciples. Je dirais même par antonomase que nous sommes les disciples. Le mot " disciple " en suppose un autre, qui ne peut manquer : celui de maître. Qui est notre Maître ? C’est bien le cas de le rappeler ici : " Vous n’avez qu’un Maître, et tous vous êtes des frères... Vous n’avez qu’un Docteur : le Christ " (Mt 23, 8-10). Jésus a tenu à ce que lui soit reconnu ce titre de Maître (cf. Jn 13, 13). Après avoir parlé aux foules, à l’intention de tous, Jésus a fait école pour le groupe de ses partisans qualifiés, pour ses disciples, en leur reconnaissant une prérogative de suprême importance : " A vous il est donné de connaître les mystères du Royaume des Cieux, tandis qu’à ces gens-là cela n’est pas donné " (Mt 13, 11) : du fait même que les appelés sont des disciples, ils seront élevés à la fonction de maîtres, non pas maîtres de leur propre doctrine, c’est évident, mais de la doctrine qui leur a été révélée par le Christ ; et malgré l’infinie distance qui les sépare du Christ, on peut leur appliquer, par analogie, ce qu’il disait de lui-même : " Ma doctrine n’est pas de moi, mais de celui qui m’a envoyé " (Jn 7, 16). Et c’est pourquoi, dans la mesure où nous sommes disciples, nous pouvons dire aussi que notre identité sacerdotale comporte un caractère d’enseignement : nous sommes à la fois des disciples et des maîtres ; auditeurs de la Parole du Christ et en même temps annonciateurs de cette même Parole.

Il faudrait une longue et patiente étude pour voir comment l’Evangile décrit cet aspect de notre personnalité. Il sera intéressant pour tous, et c’est un devoir, de se livrer à cette étude, aussi bien pour connaître la pensée du Seigneur sur nous-mêmes que pour prendre pleinement conscience de ce que nous sommes: des élèves qui doivent devenir des maîtres.

Cette qualité de disciple, sur laquelle nous portons notre attention actuellement, nous engage énormément. Elle comporte, vous le savez, chers confrères, un double devoir pour la vie du prêtre en quête d’authenticité : le premier est celui du culte de l’enseignement du Christ, un culte qui se ramifie en plusieurs directions, visant toutes des buts essentiels pour la définition de votre sacerdoce. En bref nous disons : écouter ; écouter la voix de l’Esprit du Christ, c’est-à-dire les inspirations qui portent la marque d’une origine vraiment surnaturelle (cf. Ap 2, 6 et ss. ; Mt 10, 19 ; Jn 14, 26) ; écouter par conséquent la voix de l’Eglise quand elle parle dans l’exercice de son magistère, soit ordinaire, soit extraordinaire (cf. Lc 10, 16) ; écouter l’écho de la voix du Seigneur en celui qui nous parle au nom du Seigneur comme fait l’Evêque, et aussi le directeur spirituel, ou quelque ami bon et bien éclairé ; écouter aussi la voix du Peuple de Dieu, quand il nous rappelle à nos devoirs, ou quand il réclame parfois de nous certains services conformes à notre ministère (mais ceci avec la prudence qui se doit et qui est nécessaire en de tels cas contingents, car on rencontre facilement en ce domaine l’exaltation, l’intention publicitaire, ou la pression d’intérêts ou de méthodes profanes). Ecouter en se livrant à l’étude des sciences sacrées (souvent les professionnels laïcs, dans le domaine qui leur est propre, montrent une plus grande information dans les matières de leur compétence que nous dans les sciences religieuses : cf. Lc 16, 8). Ecouter enfin par la pratique de l’oraison mentale, de la méditation : nous savons bien quel aliment elle constitue pour notre vie spirituelle et personnelle (cf. Jn 8, 31). Vraiment, nous pouvons répéter avec Jésus : " Beati qui audiunt verbum Dei et custodiunt illud " (Lc 8, 21 ; cf. 11, 28). Et puis, pour être vraiment disciples : imiter ! Qu’il y aurait de choses à dire sur cette autre conséquence du fait que nous sommes à l’école du Christ, spécialement en ce temps où nous sommes assaillis par la sécularisation, par la tentation de faire perdre au clergé ce qui le marque extérieurement, et aussi, malheureusement, ce qui le marque intérieurement. Ce qu’on appelle le " respect humain", qui a fait tomber Pierre lui-même, pourrait nous induire nous aussi en tentation de cacher ce que nous sommes, et nous faire oublier l’exhortation de saint Paul : " Nolite conformari huic saeculo " (Rm 12, 2), alors que " l’imitation du Christ " doit être l’inspiration qui guide pratiquement notre conduite. Nous n’en disons pas plus pour l’instant sur un thème aussi connu et aussi lié aux exigences intrinsèques de l’identité sacerdotale.

Il y a encore une note essentielle, dans la pensée du Christ, concernant notre identité. Il a fait de nous des apôtres. Ecoutez, comme la synthèse de ce que nous sommes en train de dire, l’évangéliste saint Luc : le Christ " appela ses disciples et il en choisit douze qu’il appela ses apôtres " (6, 13). L’application, servatis servandis, de ce noble titre d’apôtre aux prêtres ne nous paraît pas abusive ; ni non plus la recherche, dans ce titre lui-même, de la puissance et des fonctions propres du prêtre du Christ.

Chacun de nous peut dire : je suis apôtre. Apôtre, qu’est-ce que cela veut dire ? Cela signifie envoyé, mandaté. Mandaté par qui ? et à qui ? La réponse à l’une et à l’autre de ces questions, Jésus lui-même nous la donne, le soir de sa résurrection : " Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie " (Jn 20, 21). Pensez-y. N’y a-t-il pas de quoi, vraiment, en rester stupéfait: d’où vient mon sacerdoce et où tend-il ? Qu’est-il d’autre qu’un chemin de vie divine, qui sert, pour l’extension de la mission salvifique, divino-humaine du Christ, à communiquer les mystères divins à l’humanité ? Il faut nous considérer, dira saint Paul, comme " les dispensateurs des mystères de Dieu " (1 Co 4, 1). Nous sommes les ministres de Dieu (2 Co 6, 4). Nous sommes les amis du Christ : notre mission instaure pour nous un rapport personnel avec le Christ, rapport unique, différent de celui qu’il entretient avec tout autre : " Je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître. Ce n’est pas vous qui m’avez choisi ; mais c’est moi qui vous ai choisis (Jn 15, 15-16). C est une amitié qui plonge ses racines dans l’amour incréé de la Trinité elle-même : " Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour " (Jn 15, 9). Nous sommes les serviteurs de nos frères ; nous n’aurons jamais donné sa pleine signification à ce terme, relatif à notre personne et encore plus à notre mission, comme le Christ a voulu définir la sienne (cf. Mt 20, 28), et comme il a voulu que soit la nôtre, dans une profonde humilité, dans une parfaite charité : " ... Et vous, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres (Jn 13, 14). Mais en même temps, quelle dignité, quel pouvoir comporte un tel service : celui d’un ambassadeur ! " Pour le Christ... nous sommes envoyés en ambassade ; c’est comme si Dieu exhortait par nous " (2 Co 5, 20). Et cela avec les pouvoirs sacramentels qui feront de nous les instruments de l’action même de Dieu dans les âmes. Ce n’est plus seulement notre activité humaine qui nous caractérise, mais c’est l’investiture de la puissance divine qui opère dans notre ministère. Une fois compris le sens et la valeur sacramentelle de notre ministère, c’est-à-dire de notre apostolat, c’est toute une série d’autres définitions qui pourront donner au prêtre catholique son visage spirituel, ecclésial et même social, de manière que tous puissent le reconnaître comme étant un être à part, à l’extérieur comme à l’intérieur de la société ecclésiale. Il est non seulement le prêtre qui assure la présidence pendant le temps de rassemblée religieuse de la communauté, mais il est vraiment le ministre indispensable et exclusif du culte officiel, accompli in persona Christi et, en même temps, in nomine populi, l’homme de la prière, le seul qui accomplisse le sacrifice eucharistique, celui qui rend la vie aux âmes mortes, le dispensateur de la grâce, l’homme des bénédictions. Lui, le prêtre-apôtre, il est le témoin de la foi, le missionnaire de l’Evangile, le prophète de l’espérance, il est celui qui anime et en qui se récapitule la communauté, il est le constructeur de l’Eglise du Christ fondée sur Pierre. Et voilà enfin son titre propre, à la fois humble et sublime : il est le Pasteur du Peuple de Dieu, l’artisan de la charité, le tuteur des orphelins et des petits, l’avocat des pauvres, le consolateur de ceux qui souffrent, le père des âmes, le confident, le conseiller, le guide, l’ami de tous, l’homme qui est " pour les autres " et, s’il le faut, le héros qui donne sa vie volontairement et silencieusement. A bien considérer la figure anonyme de cet homme solitaire, sans foyer à lui, on découvre un homme qui ne sait plus aimer simplement comme un homme parce qu’il a donné tout son cœur, sans rien retenir pour lui, à ce Christ qui s’est donné lui-même jusqu’à la croix pour lui (cf. Ga 2, 20), et à ce prochain qu’il s’est proposé d’aimer à la mesure du Christ (cf. Jn 13, 15). N’est-ce pas le sens de l’offrande, faite intensément et dans la joie, de son célibat ; en un mot, il est un autre Christ. Telle est, finalement l’identité du prêtre : nous l’avons entendu répéter tant de fois : il est un autre Christ. Alors, pourquoi douter, pourquoi craindre ?

 

 

2 avril

PAIX, JOIE ET COURAGE A TOUTE L’HUMANITE

Frères, vous tous, ici présents, dispersés dans le monde et pourtant près de nous pour l’échange des vœux de Pâques !

Paix à vous! à vous tous, paix !

Par quel autre salut pourrions-nous vous annoncer les bonnes Pâques, si ce n’est par ce même salut, que le Christ ressuscité, se présentant par surprise, le soir du jour bienheureux, à la communauté de ses disciples effrayés et incapables encore de L’imaginer vraiment ressuscité, s’annonça à eux : Paix à vous ! et immédiatement, devant leur stupeur et leur joie, il voulut répéter : Paix à vous ! (Jn 20, 19-21).

Oui, c’est là notre vœu à Toi, Eglise Romaine, qui viens à nous, grouillante de citoyens et de frères en visite, pour cette rencontre annuelle de joie réciproque; paix à Toi, Eglise des Saints Apôtres Pierre et Paul, témoins très fermes dans la parole et dans le sang, de la résurrection du Christ. Paix à Toi, ô Rome bienheureuse !

Et à Toi, Eglise Catholique, c’est-à-dire universelle, qui, en ce Pays bien-aimé et en de nombreux autres non moins chers, bien plus sur toute la terre libre et ouverte à l’Evangile étends tes tentes fraternelles et bénies ! Paix à toute la Sainte Eglise du Christ, heureuse et fière de se sentir unique et unie dans la foi identique et dans la charité commune, et pour cette raison authentique aussi dans les légitimes expressions originales de chacun de tes sièges et de chacune de tes communautés constituées. Paix à vous, Patriarches, Métropolites, Evêques, Curés, Théologiens, Prêtres, Diacres et Fidèles ! Paix à vous, bien-aimés Frères et Sœurs de nos nombreuses Familles Religieuses, qui, à l’imitation du Christ et pour l’expansion de son Règne, consacrez votre vie avec une plénitude austère et joyeuse ! que soit plus que jamais vôtre la paix radieuse de votre dévouement à l’espérance eschatologique, dont le Christ ressuscité est aujourd’hui le garant !

Et à vous, très chers Laïcs, guidés et soutenus par le ferme propos d’un témoignage religieux et moral plus ouvert, dans l’engagement intérieur et extérieur de fidélité au Christ et à son Eglise ; paix, joie et courage, aujourd’hui fête de la plénitude du mystère pascal !

Et à vous jeunes, d’un cœur tout plein d’affection et de confiance, vont non seulement le vœu, mais l’invitation également de célébrer avec nous l’avènement d’une vie nouvelle et ressuscitée en Jésus-Christ : Paix !

Encore, encore : Nous adressons nos vœux de Paix à tous ceux qui souffrent, aux malades, aux pauvres, aux opprimés, aux prisonniers, aux orphelins, aux veuves... Ces vœux s’expriment sur nos lèvres tremblantes et nous ne voudrions pas qu’ils soient seulement des mots, mais aide effective, service, réconfort libérateur et régénérateur : Nous bénissons ceux qui, au nom du Christ ressuscité, le rendent tel pour vous.

Regardons autour de nous et nous voyons les Frères chrétiens, en tant de groupes divers, auxquels une communion parfaite ne nous unit pas encore. Notre anxiété œcuménique nous remet au cœur le même vœu le plus ardent, que nous voulons prononcer au nom de ce Christ ressuscité de qui nous avons reçu la mission de témoignage et de représentation : Paix, Paix à vous, Frères encore éloignés et pourtant si proches, dans l’affection : Que le Christ ressuscité nous aide à recomposer entre nous l’unité pour laquelle Lui, notre Paix, a " démoli le mur de la séparation " (Ep 2, 14).

Et notre salut de Paix, arrivera-t-il à nos Eglises du silence, aujourd’hui, fête du Christ ressuscité ? Car, elles existent encore, ou plutôt elles languissent en de nombreuses régions très étendues de la terre, ces humbles communautés intrépides, ou ces unités de fidèles, auxquelles est refusée une légitime existence, qui n’est pas subversive, dans la libre constitution et expression de leur vie religieuse et ecclésiale. Que ces âmes, considérées isolément, que ces Eglises oppressées et opprimées sachent, au cas où l’écho de cette voix pascale leur arrive, qu’elles ne sont pas oubliées: notre solidarité dans la foi et dans l’amour leur est assurée, avec notre prière et avec l’espérance commune en Jésus-Christ ressuscité : le Christ ne meurt pas ! (cf. Rm 6, 9).

Notre Paix va au-delà et veut arriver là où il y a encore des conflits de guerre, haine, sang, ruines et armes toujours plus nombreuses et meurtrières: paix, paix ! Les hommes, qui ont aujourd’hui du talent et des moyens pour donner au monde moderne des spectacles merveilleux de progrès et d’organisation, n’auront-ils pas la sagesse et la force pour défendre et pour recomposer la paix là où elle est blessée, là où l’humanité se trahit elle-même, en même temps que la loi transcendante du Dieu de la paix ? Notre vœu de Paix retentit donc aujourd’hui plus fort et plus affectueux, et sous l’égide du Christ ressuscité et victorieux pour tous, plus confiant.

A tous nos vœux de Pâques, qui sont ceux du Christ ; Paix à vous ! Il semblera à d’aucuns que ces vœux n’ont rien d’original ; ils sont toujours les mêmes !

Oui, ils sont toujours les mêmes, dans l’expression des lèvres et dans le souhait du cœur, car le besoin de la paix est toujours le même en nous et dans le monde. Mais à celui qui en découvre l’inspiration intime et l’aspiration ultime, comme la toujours nouvelle fête de Pâques l’annonce à chaque homme et à toute l’humanité, ces vœux de paix paraîtront ce qu’ils sont réellement ; l’œuvre vraie et nouvelle à créer et à promouvoir toujours ; le printemps nouveau à toujours cultiver, espérer et saluer ; la grâce la plus élevée et la plus nouvelle à invoquer aujourd’hui du Christ Rédempteur et ressuscité sur le monde.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

7 avril

MESSAGE DU SOUVERAIN PONTIFE A LA TROISIEME CONFERENCE DE L’UNCTAD

Le 13 avril, a été inaugurée à Santiago du Chili la III° Conférence des Nations-Unies pour le Commerce et le Développement (UNCTAD) dont les travaux se concluront le 19 mai prochain. Au cours, de la session d’ouverture, le Chef de la Délégation du Saint-Siège, S. E. Mgr Ramon Torrella Cascante, a lu le texte de la Lettre autographe que le Saint-Père a envoyée pour la circonstance au Secrétaire Général de la Conférence, M. Manuel Pérez-Guerrero. Voici le texte de cette Lettre :

A Son Excellence

Monsieur Manuel Pérez-Guerrero

Secrétaire Général de la Conférence des Nations-Unies

sur le Commerce et le Développement

Au moment où s’ouvre, à Santiago du Chili, la troisième Conférence des Nations-Unies sur le Commerce et le Développement, Nous voulons vous exprimer notre profond désir de voir les travaux de cette importante Assemblée connaître une issue favorable et conforme aux espérances qu’ils ont légitimement suscitées.

Nous savons qu’à ce désir, partagé par les hommes et les peuples du monde entier, se mêle l’inquiétude devant la complexité et les vastes dimensions des problèmes de voire ordre du jour, comme devant la diversité et parfois la divergence des positions en présence. Pour notre part. Nous voulons, avec vous, faire fond avant tout sur l’aspiration à la justice et le sens de la fraternité inscrits au cœur de l’homme, auxquels votre Conférence voudrait donner, dans le domaine qui lui est propre, l’occasion de s’exprimer avec autorité, maturité et efficacité.

Certes, comme à la Nouvelle-Delhi, en 1968, votre Conférence se tient dans un contexte de crise internationale de la monnaie, des échanges et même de la coopération en vue du développement. Les résistances inspirées par les intérêts nationaux semblent s’être encore accrues. De nombreuses structures économiques de domination n’ont pas été corrigées par l’accession des peuples à l’indépendance politique ; l’inégalité des revenus et des conditions sociales tend à grandir aussi bien entre peuples qu’à l’intérieur de certains pays.

Votre Conférence est consciente de la portée comme des limites des objectifs auxquels noblement elle s’attache. Vous savez bien que ni la réforme du commerce international ni l’amélioration de l’aide et de la coopération ne sont capables, à elles seules, d’assurer entre les peuples un développement plus solidaire et plus humain. En bien des cas, ce sont les structures mêmes du pouvoir et de la décision qui doivent être changées de façon à réaliser partout, au niveau tant politique et économique que social et culturel, un meilleur partage des responsabilités. N’est-ce pas une exigence de la justice que tous les peuples, quel que soit leur degré de puissance économique, puissent participer, de façon effective, à toutes les négociations de portée mondiale ?

Il est normal que le poids des grandes Puissances ou des Communautés plurinationales suscite l’attente particulière des pays qui participent le moins à la richesse du monde. Mais c’est le souci de votre Conférence d’offrir un lieu où toutes les voix puissent se faire entendre dans la recherche de la solidarité entre nations, du réalisme dans les solutions et de l’équité dans le partage des biens de la terre. Il ne Nous a pas échappé que votre programme accorde une attention spéciale au sort des pays les moins favorisés parmi les pays en voie de développement. Il est en effet souhaitable que la CNUCED s’attache à abolir les systèmes qui font que les privilégiés sont toujours plus privilégiés, que les plus riches commercent toujours plus entre eux et que l’aide internationale elle-même ne profite souvent que très imparfaitement aux populations les plus pauvres.

Nous voudrions, à cet égard, que soit entendue la voix des plus démunis, de ces centaines de millions d’hommes, de femmes et d’enfants vivant en marge de l’économie moderne, souvent affectés par la maladie, la malnutrition, les mauvaises conditions de logement et de travail, le sous-emploi, l’analphabétisme et tous ces autres maux qui les empêchent de participer en plénitude à une même condition humaine.

Nous vous communiquons ce message, Monsieur le Secrétaire Général, conscient de nos propres responsabilités à la tête d’une Eglise universelle qui veut cheminer avec l’humanité et partager son sort au sein de l’histoire. La déclaration du dernier Synode des Evêques témoigne de cette préoccupation et appelle à l’engagement au service d’une plus grande justice aussi bien au sein des communautés nationales que sur le plan international. Soyez assuré que tous les catholiques et tous les hommes qui partagent notre commune aspiration à un univers équitable suivront vos travaux, persuadés qu’aujourd’hui, pour une part, la paix du monde est entre vos mains.

En invoquant sur les participants de la session de la CNUCED réunis à Santiago du Chili l’abondance des bénédictions divines, Nous prions Dieu Tout-Puissant de favoriser le succès de leurs travaux pour le bénéfice de l’ensemble de l’humanité.

Du Vatican, le 7 avril 1972.

PAULUS PP. VI

 

 

21 avril

LES MOYENS DE COMMUNICATION SOCIALE AU SERVICE DE LA VERITE

Frères et sœurs épars à travers le monde,

et vous tous, hommes de bonne volonté,

L’homme d’aujourd’hui peut le reconnaître aisément : dans nombre de ses attitudes, jugements et prises de position, de ses adhésions ou oppositions, il est tributaire des modes de pensée et de comportement que lui proposent journellement les moyens de communication sociale.

La vie actuelle place jeunes et adultes devant un flot presque incessant d’informations et d’opinions, d’images et de sons, de propositions et de sollicitations. Dans cette situation, un esprit réfléchi en arrive à s’inquiéter et à s’interroger : mais où est la vérité ? Comment l’atteindre, comment la discerner dans la masse des communications qui déferlent à tout moment ?

1. Chaque fait comporte sa vérité, avec de multiples aspects qui ne sont pas toujours faciles à saisir dans leur complémentarité. Seul l’effort conjugué et sincère de celui qui le transmet et de celui qui le reçoit peut offrir une certaine garantie que l’événement sera perçu dans son exacte vérité.

Ici apparaît la noblesse de la tâche assumée par l’informateur qui, non content de relever ce qui est directement observable à propos de chaque événement à signaler, se préoccupe encore de connaître le contexte et les éléments d’explication concernant les causes et les circonstances. Ce travail peut être comparé à la " recherche scientifique " par le sérieux et l’attention qu’il exige pour le contrôle et l’évaluation critique des sources, pour la fidélité aux données recueillies, pour leur transmission intégrale.

La responsabilité du communicateur est encore plus engagée lorsque, à la simple relation des faits, il doit, ce qui n’est pas rare, ajouter des éléments de jugement et d’orientation.

2. Ce qui vient d’être dit s’applique également, et avec des caractéristiques particulières, à l’information sur des événements religieux ou sur des événements qui postulent une appréciation selon les valeurs religieuses. Le fait religieux ne peut se comprendre adéquatement si on le réduit à ses dimensions purement humaines — psychologiques ou sociologiques — directement observables. Il faut en montrer la dimension spirituelle, c’est-à-dire son rapport et son intégration au mystère de la Communion de l’homme avec Dieu, plus précisément au mystère du salut.

Ceci invite à lire certains événements en profondeur pour en saisir, autant que faire se peut, la vérité entière, jusqu’à la vérité religieuse. Celle-ci ne peut être perçue fidèlement que si l’on tient compte du contexte spirituel, du phénomène religieux auquel l’événement se réfère, et, outre la compétence professionnelle, de la lumière de la foi qui, seule, peut en donner la pleine intelligence, particulièrement en certaines circonstances.

3. Ce même souci de recherche et de respect de la vérité est également requis de la part de ceux qui recourent aux média pour recevoir des informations et se former un jugement. Il est du devoir de tous les usagers de s’affirmer actifs et coresponsables. Le sens de leur responsabilité et leur formation les disposeront à faire preuve d’esprit critique devant les communications reçues. L’homme, et à plus forte raison s’il est chrétien, ne devra jamais renoncer à la part qui lui revient dans la conquête de la vérité ; il ne s’agit pas ici seulement de la vérité abstraite et philosophique, mais aussi de celle qui nous vient à travers les événements de la vie quotidienne. Abdiquer sur ce point serait compromettre sa propre dignité personnelle.

Nous voulons à ce propos renouveler notre invitation : que chacun se préoccupe de se former un jugement capable d’indépendance devant la multiplicité des messages diffusés par les moyens de communication sociale, de manière à choisir librement dans la diversité des opinions proposées et à suivre celle qui lui paraît la meilleure.

4. La plupart, de nos contemporains prennent contact avec les médias— presse, radio, télévision, cinéma, théâtre et enregistrements divers —, non seulement pour leur information, mais aussi dans un but récréatif et culturel. Ils se plaisent à revivre en esprit des faits et des situations, réels ou fictifs, présentés par la création artistique et aptes à exprimer ou à susciter certaines valeurs, certains sentiments. Devant ce genre de publications et de spectacles, et quel que soit le but recherché — détente et divertissement, ou encore meilleure connaissance de l’homme et du monde qui nous entoure—, la capacité critique de l’individu doit demeurer suffisamment attentive à la conformité au vrai, toujours prompte à en déceler les éventuelles déformations.

Il convient par ailleurs de reconnaître la liberté de l’artiste, qui peut, pour exprimer la beauté du réel, faire appel à l’imagination et créer ainsi une nouvelle œuvre. Cependant la création artistique, sans coïncider nécessairement avec la réalité concrète de la vie ordinaire, ne saurait s’en écarter totalement sans manquer à sa propre vérité et à la vérité des valeurs supérieures. L’art authentique est en effet l’une des expressions humaines les plus nobles de la, vérité. S’il veut donc servir l’homme, et être disciple et chercheur de la vérité, l’artiste doit favoriser la recherche et la jouissance du vrai. Ceci exclut toute exploitation, à des fins purement commerciales ou pour d’autres motifs blâmables, de la faiblesse humaine et de l’insuffisante formation du public.

5. Le message que Nous vous adressons, frères et vous tous hommes du monde d’aujourd’hui, serait incomplet si Nous ne vous indiquions une voie encore plus élevée pour atteindre à la Vérité parfaite. Nous sommes chrétiens, c’est-à-dire que nous avons choisi de suivre le Christ, qui est " la voie, la vérité et la vie " (Jn 14, 6) pour tous, les hommes, même pour ceux qui ne le connaissent pas encore. Il est, lui, le Fils de Dieu venu pour rendre témoignage à la vérité. Il nous assure que seule la vérité nous libérera (Jn 8, 31-36), que seule elle nous affranchira de toutes les formes de servitude (Ga 5, 1) Chrétiens, nous voulons être, au milieu du monde et dans la réalité humaine de chaque jour, les témoins humbles, mais convaincus, de la vérité à laquelle nous croyons.

Les moyens modernes de communication se présentent aussi pour les chrétiens comme des voies nouvelles pour leur mission de témoignage et de service de la vérité. Ces moyens servent avant tout à l’expression et à la diffusion de la parole. Nous avons également une Parole importante à dire et à diffuser, la Parole substantielle que Dieu dit sur lui-même : son Verbe, qui est aussi la Parole suprême et définitive que Dieu dit sur l’homme, tandis qu’il continue de le sauver à travers les mille et mille événements de l’actualité de chaque jour et de l’histoire des siècles.

Chrétiens, nous savons que les faits qui tissent quotidiennement notre vie personnelle et la vie du monde entier ne sont pas que de simples coïncidences fortuites dues à l’arbitraire d’un destin aveugle et inexorable. Nous savons qu’ils constituent la trame d’un dessein mystérieux, à nous encore incomplètement dévoilé, mais par lequel Dieu à chaque instant nous rejoint, nous interpelle et nous sollicite au salut. Ceci nous incite à une acceptation généreuse et joyeuse de tous les événements et à un dévouement plein de charité.

Cette vision profonde des choses est la vérité mystérieuse dont nous voulons être les disciples et les témoins — comme communicateurs ou comme récepteurs —. D’elle jaillira peu à peu la vraie libération que nous cherchons : libération des passions humaines irraisonnées et des préjugés intellectuels ; libération de la peur de l’insuccès et de la défaite ; libération de l’asservissement aux groupes de puissance et de pression qui cherchent à imposer leur interprétation particulière de la vie et de l’actualité, au mépris de la vérité des faits : libération de l’esprit d’arrivisme qui incite à cacher et à brouiller la vérité pour couvrir des desseins gênants et dégradants, voire inhumains.

6. Fils et filles très chers, Nous vous confions ces quelques considérations sur la vérité qui doit, d’un commun accord, régir l’usage des moyens de communication sociale. La suprême Venté, qui est Dieu, est aussi la source de la vérité des choses. La vérité, en venant habiter parmi les hommes, s’est faite modèle de l’agir humain. Le respect de la fin des choses et la fidélité aux normes de l’agir seront garants que nous accomplirons la vérité en toutes circonstances.

Nous exprimons nos plus vifs encouragements aux Pasteurs, aux prêtres, aux religieux et aux laïcs qui se dédient au service de leurs frères à travers les moyens de communication sociale et contribuent par là même à les guider vers " la vraie lumière qui éclaire tout homme " (Jn 1, 9).

Exprimant le vœu que tous — informateurs, techniciens, producteurs, éducateurs et récepteurs — veuillent mettre cette Journée mondiale à profit pour une féconde réflexion sur ces questions importantes. Nous vous accordons de grand cœur et avec confiance Notre Bénédiction Apostolique.

Du Vatican, le 21 avril 1972.

PAULUS PP. VI

 

 

23 avril

MESSAGE DE PAUL VI POUR LA JOURNEE DES VOCATIONS

A l’occasion de la IX° Journée Mondiale de prières pour les Vocations, qui sera célébrée le dimanche 23 avril, Paul VI a adressé, comme d’habitude, un Message aux Evêques, aux Prêtres, aux Religieux et aux Religieuses, aux membres des Instituts Séculiers, aux familles chrétiennes, aux Laïcs et en particulier aux jeunes. Voici le texte du Message :

A vous, vénérables Frères dans l’Episcopat, qui avez été préposés par l’Esprit-Saint à la conduite de l’Eglise de Dieu (cf. Ac 20, 28) ; à vous, prêtres et religieux, dont l’étroite collaboration est indispensable à l’ordre épiscopal ; à vous, religieuses ; à vous, membres des Instituts séculiers ; à vous, familles chrétiennes, qui formez le tissu cellulaire de la Sainte Eglise ; à vous, laïcs catholiques de tout âge et de toute profession ; mais spécialement à vous, jeunes, que le Christ aime d’un amour particulier, nous nous adressons avec un espoir et une confiance immense, à l’occasion de la IX° Journée Mondiale de prière pour les Vocations. Comme Pierre nous voulons, nous aussi, en cette circonstance, remplir notre mission de pêcheur d’hommes et jeter nos filets (cf. Lc 5, 4), nous souvenant du mandat donné par le Seigneur : Allez, enseignez toutes les nations (cf. Mt 28, 19) ; soyez mes témoins jusqu’aux extrémités de la terre (cf. Ac 1, 8). C’est un devoir que nous sentons peser sur notre cœur de Pasteur ; et nous désirons ardemment, cette année encore, vous faire connaître nos préoccupations apostoliques sur ce sujet, sachant que vous les partagez profondément, ainsi qu’en témoigne la réponse donnée chaque fois par la communauté ecclésiale à l’invitation, désormais coutumière, de prier pour les vocations, de réfléchir intensément et en profondeur sur leur signification, sur leur valeur, sur leur nécessité dans l’Eglise et pour l’Eglise.

En ce moment se déploie sous nos yeux l’éventail multiple des vocations au service direct du Christ et de l’Eglise, et auxquelles s’offrent d’immenses possibilités d’application et de travail. Nul n’en est exclu : toute personne de l’un et l’autre sexe, quels que soient son âge et son rang, peut apporter une précieuse contribution dans ce domaine. L’on trouve, et l’on trouvera toujours, des êtres généreux ayant " des oreilles pour entendre " (Mt 19, 12), saisis par la beauté du don total et conscients de la fonction irremplaçable qu’exercé dans le monde le témoignage exclusif d’un amour brûlant pour Dieu et pour les âmes.

Notre pensée va tout d’abord à ceux qui, ayant répondu à la vocation sacerdotale, sont destinés à renouveler dans le monde, d’une manière toute particulière, la présence du Christ Sauveur, et que le Christ a rendus " participants de sa consécration et de sa mission ", c’est-à-dire les Evêques, et ceux auxquels ces mêmes Evêques ont transmis la charge de leur Ministère (Lumen gentium, 28 ; Presbyterorum Ordinis, 2). Mission d’une " ampleur universelle ", comme l’a souligné le Concile Vatican II, car " n’importe quel ministère sacerdotal participe aux dimensions universelles de la mission confiée par le Christ aux Apôtres " (Presbyterorum Ordinis, 10). Et pourrions-nous ne pas penser avant tout à nos chers prêtres ? C’est à eux, à leurs problèmes, que nous avons voulu réserver en premier lieu l’étude de la II° Assemblée générale du Synode des Evêques, au mois d’octobre dernier. Nos Frères dans l’Episcopat, faisant leur notre propre indication, ont médité avec fruit sur ce thème; et c’est à bon droit qu’ils ont écrit dans le document final sur le sacerdoce ministériel, qui nous a été soumis : " Le prêtre est le signe du dessein prévenant de Dieu proclamé aujourd’hui dans l’Eglise avec efficacité. C’est lui qui rend sacramentellement présent parmi ses frères le Christ Sauveur de tout l’homme, et cela aussi bien dans leur vie personnelle que dans leur vie sociale. Il est le garant à la fois de la première proclamation de l’Evangile destinée à rassembler l’Eglise, et de son renouvellement continuel une fois qu’elle est rassemblée. Lorsque manquent la présence et l’action de ce ministère, lequel est reçu par l’imposition, des mains que la prière accompagne, l’Eglise ne peut avoir la pleine certitude de sa fidélité et de sa continuation visible ". (Première partie, 4). Qui ne voit la gravité et l’urgence du problème des vocations sacerdotales, en un moment où les nécessités de l’Eglise et du monde vont croissant, tandis que reste bien en deçà des besoins multiples et si graves le nombre des âmes généreuses qui peuvent y répondre.

Mais, à côté de la vocation sacerdotale, voici toute la gamme des autres vocations : vocations d’hommes et de femmes, dont la vie consacrée par les vœux est celle qui, mieux que toute autre ; " manifeste le Christ aux fidèles comme aux infidèles : soit dans sa contemplation sur la montagne, soit dans son annonce du royaume de Dieu aux foules, soit encore quand il guérit les malades et les infirmes et convertit les pécheurs à une vie féconde, quand il bénit les enfants et répand sur tous ses bienfaits, accomplissant en tout cela, dans l’obéissance, la volonté du Père qui l’envoya " (Lumen gentium, 46) ; vocations aux Instituts séculiers, forme de vie consacrée à Dieu et au perfectionnement du monde, et de laquelle nous espérons tant ; vocations missionnaires, auxquelles est ouvert un champ illimité où les blés mûrs attendent les ouvriers du Seigneur (cf. Jn 4, 34-38) : à ces derniers nous aimons associer dans notre pensée leurs collaborateurs laïques, dont la splendide floraison est destinée à croître : médecins, enseignants, catéchistes, techniciens, ouvriers spécialisés, qui se mettent au service de l’Evangile dans des pays où leur profession est nécessaire, renonçant pour l’amour du Christ crucifié et pour le service de l’Evangile à s’affirmer brillamment dans leur patrie.

Un courant de joie et d’émotion envahit notre cœur à la pensée de tant de personnes qui se donnent sans réserve, à travers toute l’Eglise, dans une mission unique d’exemple et, dirons-nous, de réaction salutaire ; et nous faisons nôtre à leur égard l’exclamation de saint Paul : " Quelles actions de grâces pouvons-nous rendre à Dieu pour vous, dans la joie parfaite que nous éprouvons à cause de vous devant notre Dieu " (1 Th 3, 9).

A nos actions de grâces et à celles de toute l’Eglise doit se joindre la supplication, afin que la voix du Seigneur, qui appelle sans cesse, soit accueillie avec générosité par une jeunesse de plus en plus nombreuse et ardente, et dont une solide piété eucharistique et une dévotion mariale éclairée aideront à mettre en valeur les talents évangéliques (cf. Mt 25, 14 ss.), et à vivre intensément cette vie qu’ils désirent employer à rendre le monde plus juste, en la consacrant à de nobles causes. C’est pourquoi, dès début, nous nous sommes adressé à eux plus particulièrement ; mais, comme chaque année, nous adressons aussi un appel non moins pressant à tous nos fils, car tous sont tenus à collaborer à cette œuvre, chacun à sa place et selon sa propre mission. Le problème des vocations concerne toute la vivante communauté de l’Eglise fondée par le Christ pour le salut du monde. C’est un problème d’Eglise (cf. Gaudium et Spes, 25 ; Optatam totius, 2) et l’un des plus importants comme expression de sa présence visible, confirmation de sa crédibilité, garantie de sa vitalité, assurance de son avenir. En vertu de leur vocation baptismale, tous les chrétiens sont fondamentalement solidaires dans l’Eglise, et coresponsables de son sort : " Les baptisés, en effet, par la régénération et l’onction du Saint-Esprit, sont consacrés pour être une demeure spirituelle et un sacerdoce saint, de façon à offrir, par le moyen des activités du chrétien, autant de sacrifices spirituels, en proclamant les merveilles de celui qui des ténèbres les a appelés à son admirable lumière " (Lumen gentium, 10).

Si le caractère propre de l’Eglise est l’intime communion qui soude en elle toute la société humaine, de nos jours où l’aspiration communautaire est particulièrement vive, ce problème doit être ressenti unanimement, en sorte qu’il ne soit étranger à personne. La vocation est un engagement sérieux, qui exige une disponibilité, une attitude intérieure, disons même un risque, une rupture avec tout calcul, toute humaine prudence, aussi bien de la part des appelés que de leur entourage. Que faisons-nous pour seconder de telles démarches ? Quand le Seigneur appelle, dans le cercle de famille, dans les écoles, dans les paroisses, nous, communauté ecclésiale d’aujourd’hui, sommes-nous disposés à ce que l’un des nôtres se consacre au. service de l’Eglise ? Dans nos conversations, donnons-nous l’impression d’estimer profondément la vocation? Sommes-nous capables de développer chez les adolescents et chez les jeunes l’intimité et la confiance envers le Seigneur, et le désir d’un plus haut service ?

Nous faisons donc appel tout d’abord aux familles, qui sont le " premier séminaire " (Optatam totius, 2) et la réserve irremplaçable de nouvelles vocations pour l’Eglise, lorsqu’elles gardent avec soin les valeurs primordiales de la foi, de la piété, d’une joyeuse fidélité à la Loi divine. Nous faisons de même appel aux éducateurs de tout ordre et de tout degré, car d’eux aussi dépend en grande partie la formation intégrale, humaine et chrétienne, des élèves chez qui se greffera l’appel de Dieu. La famille et l’école constituent un milieu propice à l’écoute du Seigneur, à la docilité à sa voix et à la persévérance. Nous comptons enfin d’une manière générale sur tout le laïcat catholique ; si généreux dans ses engagements au sein de l’Eglise, et sur qui nous fondons tant d’espoir. Mais, surtout, nous demandons, encore et toujours, l’aide des Evêques. Secondés par leurs prêtres, qu’ils veuillent consacrer en tout premier lieu les soins les plus jaloux de leur ministère à la pastorale des vocations. Face aux difficultés qu’ils éprouvent à faire entendre à la société et au monde des jeunes la voix de l’Eglise, certains, tentés par le doute, ou sous l’effet d’une crise, pourraient se décourager. Mais, ayons confiance ! Dieu ne nous trompe pas. Il nous l’a promis, et sa promesse ne peut être vaine : jusqu’à la fin des temps (Mt 28, 20), jusqu’aux confins du monde, Il est à la recherche des âmes de bonne volonté. Son Fils est mort pour elles : pourrait-il les abandonner ? (cf. Rm 8, 32). Lui-même a parlé ; pourrait-il contredire sa parole ?

Il est de notre devoir de seconder l’appel que Dieu fait entendre à ses enfants jusque dans le fracas d’une existence dominée par la technique, jusque dans l’angoisse des hommes qui nous entourent, dans le désir de paix qui les travaille, dans l’aspiration profonde à la fraternité qui tend si péniblement à devenir une réalité. La voix de Dieu cherche peut-être un point de rencontre dans le cœur pur d’un enfant que le monde n’a pas encore terni, et dont les aspirations les plus profondes seront comblées par un plus haut service. Cet appel s’adresse peut-être aussi au cœur d’un jeune homme, d’une jeune fille, égarés à la poursuite d’un idéal dont ils ignorent le nom, et nettement en réaction contre un monde qui leur apparaît si corrompu et si mensonger qu’ils seraient plutôt disposés au don total qu’à une vie commode. S’il était perçu, l’appel divin serait la seule vraie réponse à bien des attentes, par ailleurs cruellement déçues, et qui tendent au désespoir ou au cynisme.

Seule la prière peut obtenir que la Voix soit entendue. Prions donc le Maître d’envoyer des ouvriers à ses moissons (cf. Jn 4, 35). Prions-le afin que nul ne se sente indifférent, mais que chacun, au contraire, s’interroge lui-même et mesure ses propres responsabilités. Prions le Maître pour que l’appel de tous ceux qui sont loin ne reste pas sans réponse, et que l’Eglise ne soit jamais privée de ces hommes, de ces femmes, qui parlent de Jésus-Christ, particulièrement par toute leur vie de consécration et de charité.

Prions tous ; prions ensemble d’un seul cœur autour de l’Autel de l’Eucharistie. Et afin que le Seigneur exauce nos vœux et ceux de toute l’Eglise, nous vous donnons avec grande effusion, et comme gage des grâces que nous implorons pour vous tous, notre Bénédiction Apostolique.

Du Vatican, le 18 Mars 1972, en la fête de Saint-Joseph, la neuvième Année de notre Pontificat.

PAULUS PP. VI

 

 

13 mai

" L’EGLISE A CONFIANCE EN VOUS ; AYEZ CONFIANCE EN ELLE "

A l’occasion du IVe centenaire de l’élévation à la Chaire de Saint-Pierre du Pape Grégoire XIII, les professeurs et les étudiants de l’Université Pontificale Grégorienne ont voulu rendre hommage au Vicaire du Christ en participant à une audience solennelle qui s’est déroulée samedi 13 Mai, en fin de matinée, dans la salle des Bénédictions. Etaient également présents les élèves de l’Institut Biblique Pontifical, de l’Institut Pontifical Oriental et de l’Institut Pontifical Regina Mundi. Monsieur le Cardinal Gabriel Marie Garrone, Préfet de la S. Congrégation pour l’Education Catholique, Grand Chancelier de l’Université Grégorienne, assistait à l’audience ainsi que le Père Pierre Arrupe, Vice Grand Chancelier, Préposé Général de la Compagnie de Jésus, à laquelle sont confiés depuis leur fondation l’Université Grégorienne et les Instituts Biblique et Oriental.

Etaient en outre présents : le Recteur Magnifique de l’Université Pontificale Grégorienne, P. Hervé Carrier, S. J., le Recteur de l’Institut Biblique Pontifical, P. Carlo Martini, S. J., le Recteur de l’Institut Pontifical Oriental, P. Ivan Zuzek, S. J., la Présidente de l’Institut Pontifical Regina Mundi, Mère Mary Ursula Blake, S.H.C.I., l’ancien Recteur, P. Paolo Dezza, Assistant Général de la Compagnie de Jésus, les Doyens des diverses Facultés et les Recteurs des divers Instituts et Collèges Ecclésiastiques de Rome. Au début de l’Audience, le Préposé Général de la Compagnie de Jésus, le Père Arrupe, a adressé au Pape, au nom de la grande famille grégorienne et des autres instituts universitaires dirigés par la Compagnie de Jésus, un discours d’hommage. Il a aussi présenté au Souverain Pontife la collection des publications et des actes de l’Athénée imprimés ces dernières années. Le Saint-Père a adressé aux assistants le discours suivant :

Aujourd’hui s’achève le quatrième centenaire de l’élection au Pontificat du grand Pape Grégoire XIII : et pour rappeler l’événement, le Corps Académique et les Etudiants de l’Athénée qui a pris son nom, ont désiré une rencontre avec le Pape, soulignant ainsi la continuité idéale de fidélité et d’amour qui, pendant ces siècles, a lié l’Université Grégorienne à la Chaire de Pierre. Vous comprenez avec quelle joie nous avons accueilli la proposition ; non seulement parce que nous nous retrouvons au milieu de vous, après plus de huit années depuis que nous sommes venu à la Grégorienne, le 12 Mars 1964, pour visiter cette Alma Mater où nous aussi, en des années désormais lointaines, nous étions comme vous élève et disciple de la Sagesse ; mais aussi parce que nous pouvons Vous dire que nous vous avons suivis et que nous vous suivons avec intérêt, avec inquiétude, avec espérance ; que nous mettons en vous notre confiance ; et que, à cette date — que vous commémorez dans un esprit filialement reconnaissant envers le Pontife qui, avec un engagement clairvoyant et pénétrant, voulut transformer et développer le Collège Romain fondé par saint Ignace de Loyola — nous voyons un sens clair de retour aux sources pour en tirer l’inspiration et la fermeté nécessaires à la tâche actuelle de l’Université.

C’est pourquoi nous saluons avec une vive affection Monsieur le Cardinal Gabriel Marie Garrone, Grand Chancelier ; le Père Arrupe, héritier et successeur de saint Ignace, Vice Grand Chancelier ; le Recteur Magnifique et tout le Corps enseignant qui donne un haut prestige à l’Université ; et vous surtout, très chers jeunes, prêtres et aspirants au sacerdoce des divers diocèses du monde auxquels s’associent aujourd’hui, en nombre croissant, même des laïcs désireux d’acquérir une profonde connaissance théologique.

Mais nous, avons le devoir de saluer aussi les Instituts associés à la Grégorienne — d’ailleurs autonomes dans leur autorité et leur compétence — qui assistent à cette Audience : le Recteur, les Professeurs et les étudiants de l’Institut Biblique Pontifical qui encourage de la manière la plus qualifiée l’étude de la Sainte Ecriture et de toutes les disciplines orientales qui se réfèrent à elle, constituant au sein des Facultés Romaines un centre de réputation internationale et de haut engagement scientifique ; nous saluons de la même manière l’Institut Pontifical Oriental, dans toutes ses composantes, qui se consacre à l’approfondissement, au niveau universitaire d’une valeur reconnue, des Sciences Ecclésiastiques Orientales — Patristique, Liturgie et Histoire — et du Droit Canonique Oriental ; et enfin nous saluons l’Institut Pontifical " Regina Mundi " institué pour la formation théologique et professionnelle des élèves auxquelles il confère l’habilitation ou le titre du " Magistère en Sciences religieuses ".

A tous notre bienvenue !

 

Triple mission de l’Université Grégorienne

Votre présence, avons-nous dit, se réfère au quatrième centenaire du commencement du Pontificat de Grégoire XIII et rend hommage à cette oeuvre énorme et sage de renouvellement, dans tous les champs d’action de l’Eglise de ce temps, qu’il a accomplie dans une sévère conscience de son mandat apostolique. Comme le reconnaissent les historiens, " c’est le mérite durable de Grégoire XIII d’avoir donné une impulsion aux forces régénératrices et d’avoir orienté les forces actuelles d’alors vers les points où leur présence pouvait exercer le maximum d’influence " (K. EDER, Die Geschichte der Kirche im Zeitalter des konfessionnellen Absolutismus, Wien l949, p. 189 et suiv.). A l’image de l’influence qu’eurent saint Ignace et saint Pierre Canisius pour le renouvellement de son temps (cf. ibid.), il comprit le rôle des études théologiques parla fondation de divers collèges et de votre Université, donnant ainsi " le commencement d’une évolution de portée immense : Rome qui, depuis toujours, était le centre de l’administration ecclésiastique, devint alors aussi le centre de la science théologique et de la formation du clergé pour toute l’Eglise " (H. jedin, Handbuch der Kirchengeschichte, IV, Freiburg 1967, p. 527).

L’analogie entre son temps et le nôtre est très remarquable. Aujourd’hui comme alors, à quelques années de la célébration de grands Conciles oecuméniques comme Trente et Vatican II, les nécessités et les devoirs de l’Eglise sont analogues : la foi quelque fois mise en péril : le sacerdoce au premier plan des valeurs à soutenir et à promouvoir ; la nécessité pour la culture théologique d’être élevée à un niveau supérieur, aussi bien que la sainteté et la vie spirituelle des prêtres ; orientations claires à suivre : et, plus que jamais, exigence d’une loyauté à toute épreuve envers le Magistère de l’Eglise et, en premier lieu, envers le Siège de Pierre comme dépositaire de la Révélation, principe et fondement visible de l’unité de la foi et de la communion (cf. Lumen Gentium, 18, 23).

L’Université Grégorienne est née dans un tel contexte ; et dans le même contexte s’explique et se comprend sa mission ; même dans les adaptations successives requises au fur et à mesure des exigences scientifiques et formatrices qui vont se renouvelant aux diverses époques — toujours en transformation jusqu’à la récente réforme des études et de la vie dans le sein de l’Athénée — elle a développé cette mission et est appelée à la développer, en même temps que les Instituts qui lui sont annexés, si elle veut rester fidèle aux intentions pour lesquelles elle a été fondée: et c’est une triple mission — historique, culturelle et pédagogique — celle qu’il nous paraît devoir être caractérisée, et sur laquelle nous voulons retenir votre attention.

 

1. Mission historique

La mission historique de la Grégorienne n’a pas besoin de commentaires : vous la connaissez bien, spécialement ceux d’entre vous qui s’adonnent à l’étude de l’histoire de l’Eglise ; brièvement nous en avons déjà indiqué le contexte dans lequel elle a pris forme et s’est développée. Elle a bien répondu à cette mission dans ces quatre cents années : en font foi les noms de ses illustres maîtres parmi lesquels se détachent un de Tolède, un saint Robert Bellarmin, un de Lugo, un Suarez, un Corneille de La Pierre, un Athanase Kircher, un Segneri et, au XIX° siècle, un Taparelli d’Azeglio, un Patrizi, un Franzelin ; des générations entières confirment le rôle d’hommes qui puisèrent à Rome, à l’école de la Grégorienne, la solidité inébranlable de leur formation ecclésiale et en répandirent les trésors dans leurs hautes attributions : parmi ceux-ci il est juste de rappeler 18 saints, 23 bienheureux, 15 Souverains Pontifes et d’innombrables cardinaux et évêques de toutes provenances et de valeureux missionnaires. Mais nous aurions tort si nous ne rappelions pas les foules d’élèves qui se formèrent à la science et à la piété dans vos murs et furent au cours des siècles des éléments très précieux dans les divers diocèses du monde comme hommes de fidélité éprouvée et de dévouement à l’Eglise, esprits de prière et d’étude, témoins et gardiens de la saine doctrine, formateurs de caractères. Seul le Seigneur en connaît le nombre et les mérites ; et leurs noms sont écrits dans les Cieux.

 

2. Mission culturelle

De la projection de ce panorama historique — appelons-le ainsi — révèle en pleine lumière la mission culturelle que votre Université a eu et a la grande responsabilité de développer. C’est un problème général qui ne concerne pas seulement votre Athénée et les Instituts qui y sont associés, mais aussi tous les autres : celui-ci en effet forme aujourd’hui le point crucial de toute institution scientifique qui, dans l’Eglise, s’attribue le nom de catholique et veut lui rester fidèle dans le creuset des tensions et des problèmes qui naissent plus aigus que jamais, spécialement dans la conscience des hommes cultivés.

Maintenant il nous paraît devoir souligner vivement que le critère général qui doit distinguer cette mission culturelle confiée à chaque Université Catholique ecclésiastique est celle-ci : c’est-à-dire que professeurs et étudiants doivent être en mesure de réaliser toujours plus expressément, avec l’aide de la grâce de Dieu, l’idéal d’une Sagesse animée par un ardent esprit de foi, par une conscience aiguë des problèmes posés à l’Eglise avec tout ce qu’ils exigent de réflexion et de renouvellement, et par un amour fervent pour l’Eglise elle-même et pour Celui qui en porte la terrible charge dans le sentiment de sa propre fragilité humaine. C’est un esprit de foi qui est demandé, c’est une atmosphère de foi qui doit, invisiblement mais fermement conduire tout effort personnel et collectif d’étude et aussi de recherche scientifique libre et honnête. Le caractère d’une Université comme la vôtre n’est pas principalement et nécessairement déterminé par des structures institutionnelles ou par des rapports avec des organismes particuliers ou des personnes ecclésiastiques : l’élément décisif est une vision religieuse du monde, une Weltans-chauung inspirée par la foi catholique ; celle-ci est la haute et indispensable conception de base qui établit et soutient tout l’édifice universitaire ; et cette " atmosphère catholique " découlant de la foi vécue et supportée garantit et respecte dans l’Université le sérieux de la recherche scientifique enracinée dans l’homme et dans le monde humain (cf. N. A. luyten, Pourquoi une université catholique ? in " Recherche et culture ", Fribourg 1965, pp. 13, 27). Dans cette lumière de foi se développent les deux branches dans lesquelles doit s’engager la mission culturelle de l’Université : la scientifique et plus proprement la théologique.

a) Sur le plan scientifique il s’agira non seulement de ne pas rompre, mais de mettre en valeur et de scruter et de comprendre les liens vivants et vitaux avec la tradition : le patrimoine des siècles a sa voix qui doit être écoutée ; c’est la voix de l’Eglise enseignante et priante qui, dans renseignement du Magistère Suprême, dans la pensée de ses Pères et de ses Docteurs, dans la regula fidei vécue de sa Liturgie — lex orandi, lex credendi ! — dans l’humble et glorieuse fidélité du sensus fidei résonne toujours et doit être écoutée, si nous ne voulons pas couper le lien intime qui, par elle, nous relie à la tradition même des Apôtres et, par leur intermédiaire, à renseignement du Christ, Parole du Père.

Cela ne veut pas dire que la recherche scientifique soit bridée comme le voudraient certaines objections myopes d’esprits superficiels et prévenus : l’Université qui, par définition, est universitas scientiarium, est le lieu idéal où, dans l’honnête liberté des enfants de Dieu, on recherche dans une ligne pleinement scientifique, où les nouveaux problèmes se comparent, où l’on aborde des ferments qui ébranlent l’apparente sécurité de l’homme techniciste et spatial d’aujourd’hui, et où l’on procède avec une méthode rigoureuse à l’approfondissement et à la promotion des études. L’autorité divine de la Révélation ne freine pas mais oriente cette recherche ; elle ne l’étouffé pas mais en augmente la puissance, parce que le monde infini des réalités divines qui s’ouvrent à nous dans la considération de l’histoire du salut est un stimulant continuel à l’exercice de notre faculté intellective ; et comme chaque branche de la science cherche à atteindre la vérité, ainsi le dogme révélé et défini avec autorité par l’Eglise nous présente la vérité de Dieu, nous inspire le sens de Dieu dont nous devons voir l’action par transparence même à travers l’enchevêtrement des problèmes humains ; il nous guide dans la découverte " de toute la vérité " (cf. Jn 16, 13) pour nous orienter vers les points sûrs dans lesquels la prémisse de la donnée révélée peut exercer toute son influence bienfaisante sur l’élaboration d’une synthèse harmonieuse et stimulante du savoir humain.

A la base de cette prémisse, l’Université doit aider à examiner avec une maturité aiguë les courants modernes de la pensée dans ses rencontres et les combats avec la vérité de Dieu révélateur : elle doit former à la critique (1 Th 5, 21) sans se laisser éblouir par toutes les nouveautés, parfois acceptées sans contrôle comme des découvertes révolutionnaires qui d’ailleurs sont ensuite assez souvent dépassées par de nouvelles opinions qui se présentent continuellement à l’horizon. Le danger du reste n’est pas nouveau et saint Paul en avertissait déjà les chrétiens d’Ephèse : Nous ne serons plus des enfants, nous ne nous laisserons plus ballotter et emporter à tout vent de la doctrine, au gré de l’imposture des hommes et de leur astuce à fourvoyer dans l’erreur. Mais, vivant selon la vérité et dans la charité, nous grandirons de toutes manières vers Celui qui est la Tête, le Christ (Ep 4, 14-15). Ainsi cet habitus critique doit être un signe d’équilibre et de bon sens avant même une juste attache à la vérité qui ne trompe pas, un accès à ce Dieu qui éclaire notre esprit et le nourrit d’une ineffable expérience spirituelle parce que la théologie est par définition " science de Dieu ", gnose savoureuse et exaltante conduite par l’Esprit qui scrute tout et même les profondeurs divines (cf. 1 Co 2, 10).

b) Voici donc que la mission culturelle qui engage une Université comme la vôtre, acquiert sa physionomie plus proprement théologique : et ici nous arrivons au noyau central, à la raison d’être fondamentale qui guide votre travail quotidien. Si l’atmosphère qui doit y régner est, comme nous l’avons dit, celle de la foi, de la Weltanschauung chrétienne et catholique conquise et vécue chaque jour, la sphère théologique de l’Athénée devra être avant tout au service de la foi : l’Université doit assurer l’orthodoxie de la foi dont le Magistère est garant. Dieu a offert à l’homme la connaissance de sa propre vie trinitaire et son Fils Unique nous a introduits dans son dessein d’amour, nous communiquant le salut qui se réalise dynamiquement dans l’Eglise sur le plan de l’histoire. La foi nous ouvre à ce Dieu qui est Père, Sauveur, Ami : elle ne nous met pas en contact avec des concepts purement abstraits, mais, suivant le style de Jésus dans l’Evangile, avec les trois Personnes vivantes dans l’Unité divine, le Père, le Fils et le Saint Esprit, c’est-à-dire avec la Sainte Trinité qui nous aime et pense à nous, créatures créées par elle à sa propre image et ressemblance. La théologie n’est pas autre chose que la foi dans l’ordre conceptuel : comme l’a dit Augustin, c’est la scientia, qua fides saluberrima nutritur, defenditur, roboratur (De Trinitate, XIV, 1). " Il y a une science théologique et il y a aussi des systèmes théologiques. Mais science et systèmes ont le devoir de capter une "histoire sacrée", non un ordre d’essences " (M. D. chenu, La foi dans l’intelligence, Paris 1964, p. 129).

Par conséquent, si le présupposé est la foi, la théologie fournit par sa vocation une aide irremplaçable à l’intelligence de la foi : fides quaerens intellectum, selon le célèbre aphorisme de saint Anselme. La foi offre à l’intelligence humaine toute la richesse des doctrines fondamentales que le Symbole condense comme condition indispensable du salut : ce n’est pas pour rien que les catéchèses à ceux qui devaient être les baptisés de l’Eglise avaient pour objet en premier lieu l’explication de ces doctrines qu’ils devaient recevoir avec la traditio Symboli. Vous en connaissez les célèbres traités: nous citerons seulement les paroles de saint Ambroise, notre prédécesseur sur le siège de Milan qui, au début de son explication, définit ainsi le Symbole : spirituale signaculum, cordis nostri meditatio et quasi semper praesens custodia, certe thesaurus pectoris nostri (Explan Symb., 1 ; Ed. Faller, CSEL, 73, 1955, p. 3). Comme l’abeille se plonge au milieu des fleurs ainsi l’intelligence humaine se nourrit de ces vérités offertes par la foi, les scrute, les approfondit, les rumine continuellement, les creuse intérieurement comme dans une mine : " Perception réaliste de Dieu dans une proposition conceptuelle, la foi est la lumière divine à l’intérieur d’une intelligence humaine. Elle est possédée par l’homme et l’homme pense par elle ". La formule de saint Anselme " rend heureusement compte d’une pensée (c’est la parole d’Augustin reprise par Thomas), dans laquelle entrent en action... toutes les ressources de l’intelligence, individuelle ou collective, suivant les étapes variables et progressives de l’esprit " (chenu, op. cit., pp. 134, 344).

Il est évident que cette propédeutique à l’intelligence de la foi doit être garantie par la voie qui, par l’intervention même de Dieu dans le Christ, a été indiquée à l’homme assoiffé de vérité : disons avant tout, le Magistère suprême de Pierre, qui parle dans ses successeurs ; et, en union intime avec lui, le Magistère vivant des Apôtres par l’intermédiaire des évêques. La théologie est profondément liée avec le Magistère de l’Eglise puisque leur racine commune est la Révélation divine ; la théologie doit se maintenir en étroit rapport avec le Magistère, comme aussi avec la communauté entière des fidèles, puisque elle medium quodammodo obtinet locum inter fidem Ecclesiae atque ejusdem Magisterium, comme nous l’avons dit aux participants au Congrès international de théologie de 1966 (Insegnamenti, 1966, p. 445) ; et, en cette occasion, dans, le relevé des devoirs qui incombent à la théologie, dans ce très délicat domaine, nous avons souligné aussi tout ce dont le Magistère lui-même est redevable aux études de la théologie qui adiutricem dat operant, ut Magisterium pro suo munere fit semper lux et regula Ecclesiae (cf. ibid.). Nous trouvons ici explication et composition de ces rapports mutuels auxquelles une certaine, mentalité voudrait s’opposer d’une manière artificielle, mais qui sont au contraire, dans l’ordre historique, réciproquement complémentaires et auxiliaires, étant sauf le charisme propre du Magistère Suprême de confirmer les frères dans la foi (cf. Lc 22, 32). En suivant cette ligne de mutuelle compréhension, de foi, de coopération, qui ne lèse pas les droits légitimes de la recherche et de la liberté, comme nous venons de le dire, la théologie accomplît une fonction irremplaçable dans l’Eglise.

 

3. Mission pédagogique

Mais, pour revenir à notre Université, on déduit de tout ce qui précède la grande valeur de la mission pédagogique de la Grégorienne : elle exerce une fonction de formation de l’homme dans toutes les branches du savoir, à la lumière de la foi qui, comme le soleil, par le fait qu’il éclaire les choses et les rend visibles dans leur réalité externe, n’en abolit pas l’autonomie, n’en mortifie pas l’existence, n’en efface pas la beauté, mais bien les met en valeur et les ennoblit d’une manière incomparable.

Que cette lumière qui vient de Dieu ne soit donc jamais voilée par personne ! Dans une Université comme la vôtre toute doctrine incompatible ou mal compatible avec la foi doit se sentir dans l’impossibilité d’y subsister comme " per la contradizione che nol consente " (DANTE, I, 27, 120), il ne peut y avoir un maître dont la pensée ne soit pas parfaitement fidèle à la pensée de l’Eglise. Voici donc la nécessité d’une orthodoxie jalousement gardée et enseignée par les professeurs : l’unité de vouloir et de pensée doit être harmonieuse dans un corps académique qui ne saurait admettre des divisions sur les questions fondamentales. Mais en même temps, il y a besoin d’une adaptation aux nécessités didactiques d’aujourd’hui que le progrès moderne des études a énormément accrues : et à ce sujet il nous est agréable de donner acte à la Compagnie de Jésus pour la générosité et le dévouement avec lesquels, après le Concile, et au milieu de réelles difficultés d’ordre matériel et spirituel, elle a su faire face aux demandes qui lui étaient adressées pour que fut organisé un arrangement complexe suivant les nouvelles Règles inspirées par ce même Concile, pour que soit élevé le niveau scientifique de l’Université et qu’il soit adapté à une tâche nouvelle : et cela, on a cherché à le faire en multipliant les professeurs, les assistants, en augmentant la dotation des bibliothèques dans les divers Instituts, en veillant sur les spécialisations rendues nécessaires par le progrès des études, en développant la participation des étudiants à la vie de l’Université. Le grand poids assumé par la Compagnie mérite tous les éloges.

A côté de la parfaite orthodoxie des Maîtres, on demande dans l’Université l’engagement d’un absolu sérieux des études de la part des élèves qui doivent posséder un ensemble complet et mûr de formation générale, être doués d’un bon équilibre humain et être pleinement versés dans les doctrines théologiques fondamentales : c’est seulement en partant de là qu’on pourra procéder aux spécialisations qui, si elles sont étrangères à ce contexte, ne permettent pas la vision globale de la science à la lumière de Dieu et peuvent être un obstacle plus qu’une aide dans la recherche et l’assimilation de la vérité totale ; d’ailleurs c’est la loi commune de toute Université de procéder par degrés et de ne pas commencer les spécialisations en aucun domaine s’il n’y a pas eu d’abord une formation pleine et éprouvée dans les disciplines générales.

En particulier votre Université doit se sentir responsable des prêtres en voie de formation qui, de Rome, doivent porter avec eux une connaissance complète et solide de la foi, bien orientée même au point de vue pastoral. Cette orientation pastorale demande par conséquent une coopération entre l’Université et les Collèges Ecclésiastiques comme aussi entre les divers Athénées qui existent à Rome, afin que cette Ville qui, dans l’intention de Grégoire XIII, devait être le centre de formation pour le clergé mondial, puisse prendre devant l’Eglise le rôle qui lui est dû et auquel les énormes ressources dont elle dispose — Instituts, Bibliothèques etc. — si elles sont coordonnées comme il convient, offrent un instrument incomparable de culture universelle.

Mais surtout que soit toujours vivant en vous l’amour de l’Eglise Catholique Apostolique Romaine : un amour vrai, grand, sincère, qui voit en elle la voie voulue par le Christ pour porter les hommes au salut ; un amour qui jouit de ses joies, qui souffre de ses souffrances et des défections qui la blessent ; un amour qui prie et se donne afin qu’elle soit toujours lumineuse devant Dieu et devant les hommes. In omnibus cupio sequi ecclesiam Romanam, affirmait saint Ambroise (De Sacramentis, III, 1, 5 ; faller, op. cit., p. 40). L’Eglise est la clef de voûte de l’unité et de la communion catholique : Totius orbis Romani caput Romana Ecclesia ;... inde enim in omnes venerandae communionis jura dimanant, a encore écrit ce Pasteur avec les autres évêques réunis au III° Concile d’Aquilée (cf. Ep. Provisum ; Ep. XI, S. Ambrosii [Maur.]; cf. ballerini, V, 270-271).

Dans cette communion on arrive à la possession des richesses impénétrables du Christ (cf. Ep 3, 8) : et de là naît la force pour garantir à la propre foi sa fécondité dans tous les domaines, dans le donné intellectuel comme dans l’engagement quotidien, avec l’assistance du Saint Esprit pour lequel vous comme disciples des sciences sacrées vous devez avoir une dévotion, nous voudrions dire une consécration toute particulière.

 

4. Confiance réciproque

Très chers Frères et Fils. Soyez bien certains que ne nous échappe pas la tâche ample et difficile à laquelle vous, professeurs, vous vous appliquez avec votre compétence doctrinale et à laquelle vous, étudiants, vous consacrez tout l’enthousiasme de votre intelligence en voie de maturation. Nous en sommes profondément conscient. Soyez heureux de vivre en cette heure si délicate mais aussi si grande et si exaltante de la vie de l’Eglise ! L Eglise a besoin de vous : et vous devez être dans les premières lignes de l’Eglise, lui offrant l’ardeur de votre dévouement convaincu.

C’est une confiance réciproque, celle dont nous avons besoin en ce moment : l’Eglise — c’est le Pape qui vous le dit avec une immense espérance — l’Eglise a confiance en vous: dans votre sincérité d’intentions, dans votre sensus fidei, dans votre engagement à scruter le mystère de Dieu et les œuvres admirables de sa Rédemption pour être demain un ferment, un levain, un ressort animateur dans vos communautés ecclésiales : non des semeurs de doute systématique, non des critiques corrosifs du patrimoine reçu, non des expérimentateurs inconsidérés des voies incertaines, non — que Dieu ne le veuille pas — des démolisseurs de la foi dans l’esprit des élèves et des fidèles, mais des éducateurs, des formateurs, des modèles de cette foi intacte et d’une vivacité intellectuelle non inquiète, des colonnes et des soutiens de la foi du Peuple de Dieu dans les charges qui vous seront confiées. L’Eglise a cette confiance en vous, pleine d’une espérance émue et d’une attente ardente.

Mais vous aussi, ayez confiance dans l’Eglise : nous vous le demandons en son nom. Ayez confiance en cette Eglise Mère et Maîtresse qui continue dans le monde sa mission ardue de proclamer la vérité de Dieu, dans un monde qui toujours comme au temps d’Isaïe, comme au temps du Christ, semble se fermer obstinément à toute possibilité d’intervention divine dans l’histoire : auditu audietis et non intellegetis et videntes videbitis et non videbitis (cf. Is 6, 13-15). Malgré tout, l’Eglise ne se lasse pas de se tourner vers les hommes parce que c’est pour eux qu’elle a été fondée par le Christ, c’est pour eux qu’elle est née de son côté ouvert, comme la nouvelle Eve, Mère des vivants (cf. Gn 2, 21 ; 3, 20 ; Jn 19, 34 ; cf. St. augustin, Tract. In Jo., 120 ; PL 35, 1953). En cette œuvre constante qu’elle exerce en faveur des hommes pour leur rendre accessible la vérité de Dieu et communiquer la Rédemption, elle a besoin de vous : elle attend votre contribution d’hommes d’étude et de pasteurs qui vivent et font vivre dans la lumière de la Révélation et en enrichissent continuellement le dépôt sacré : elle vous aime, oui, comme la pupille de ses yeux. Regardez-la ainsi cette sainte Mère, cette Mère souvent dolente, dont l’unique réconfort est le Seigneur Ressuscité : ayez confiance en elle parce qu’en elle vous trouverez toujours l’encouragement, la sympathie, l’espérance. Aimez-la, soutenez-la dans son effort énorme ; ne l’affaiblissez pas, ne séparez pas ses membres, n’amoindrissez pas son unité, parce que — qu’il nous soit permis de citer encore saint Ambroise — quamdiu sententiis discrepamus, quodammodo regnum Christi minoramus ; quia nondum ei subiecta omnia, cujus regnum unitas est (Enarr. in Ps. LXI, 8).

Voilà tout ce que nous avons désiré vous dire en cette commémoration historique en laquelle, comme nous l’avons dit au début, vous avez voulu attester l’authenticité de votre engagement présent en le rapportant à l’idéal des sources d’où est née votre Université. En avant, toujours, au nom du Seigneur ! Et tandis que nous vous remercions encore de la joie que vous nous avez procurée ce matin, nous invoquons sur vous tous — en cette neuvaine du Saint Esprit — la vertu qui descend du Ciel pour qu’elle vous rende témoins du Christ usque ad ultimum terrae (Ac 1, 8).

A vous tous notre Bénédiction Apostolique.

 

 

5 juin

MESSAGE DE PAUL VI A LA CONFERENCE DE STOCKHOLM SUR L’ENVIRONNEMENT

Le lundi 5 juin, s’est ouverte à Stockholm la Conférence Internationale des Nations Unies sur l’Environnement. Le Saint-Siège y a participé avec une Délégation conduite par le Rév. Père Henri de Riedmatten et composée du Rév. Père Edouard Boné S.J. de l’Université de Louvain, de M. le professeur Giorgio Nebbia de l’Université de Bon et de la doctoresse Marie-Thérèse Graber-d’Uvernay. Le Souverain Pontife a envoyé au Secrétaire Général de la Conférence, M. Maurice F. Strong, un message qui a été lu devant l’assemblée dans l’après-midi du 5 juin. Voici le texte du Message de Paul VI :

Monsieur le Secrétaire Général,

A l’occasion de l’ouverture de la Conférence des Nations-Unies sur l’Environnement, dont vous avez assuré avec zèle et compétence la préparation, Nous voudrions dire, à vous-même et à tous les participants, l’intérêt avec lequel Nous suivons cette grande entreprise. Le souci de préserver et d’améliorer le milieu naturel, comme la noble ambition de stimuler un premier geste de coopération mondiale en faveur de ce bien nécessaire à tous, répondent à des impératifs profondément ressentis chez les hommes de notre temps.

Aujourd’hui, en effet, émerge la conscience de ce que l’homme et son environnement sont plus que jamais inséparables ; le milieu conditionne essentiellement la vie et le développement de l’homme ; celui-ci, à son tour, perfectionne et ennoblit son milieu par sa présence, son travail, sa contemplation. Mais la capacité créatrice humaine ne portera de fruits vrais et durables que dans la mesure où l’homme respectera les lois qui régissent l’élan vital et la capacité de régénération de la nature: l’un et l’autre sont donc solidaires et partagent un avenir temporel commun. Aussi l’humanité est-elle alertée d’avoir à substituer à la poussée, trop souvent aveugle et brutale, d’un progrès matériel laissé à son seul dynamisme, le respect de la biosphère dans une vision globale de son domaine, devenu " une seule Terre ", pour reprendre la belle devise de la Conférence.

L’annulation de la distance par le progrès des communications ; l’établissement de liens toujours plus étroits entre les peuples par le développement économique ; la sujétion croissante des forces de la nature à la Science et à la Technologie ; la multiplication des relations humaines par dessus les barrières des nationalités et des races sont autant de facteurs d’interdépendance pour le meilleur ou pour le pire, pour l’espérance de salut ou le risque de désastre. Un abus, une détérioration provoqués en un point du monde ont leur retentissement en d’autres lieux et peuvent altérer la qualité de vie des autres, souvent à leur insu et sans leur faute. L’homme sait désormais avec certitude que le progrès scientifique et technique, malgré ses aspects prometteurs pour la promotion de tous les peuples, porte en soi, comme toute œuvre humaine, sa forte charge d’ambivalence, pour le bien et pour le mal.

Il s’agit d’abord de l’application par l’intelligence de ses découvertes à des fins de destruction, comme c’est le cas pour les armes atomiques, chimiques et bactériologiques et tant d’autres instruments de guerre, grands et petits, pour lesquels la conscience morale ne peut éprouver que de l’horreur. Mais comment ignorer les déséquilibres provoqués dans la biosphère par l’exploitation désordonnée des réserves physiques de la planète, même dans le but de produire de l’utile, comme le gaspillage des ressources naturelles non renouvelables ; les pollutions du sol, de l’eau, de l’air et de l’espace avec leurs atteintes à la vie végétale et animale ? Tout ceci contribue à appauvrir et à détériorer l’environnement de l’homme au point, déclare-t-on, de menacer sa propre survie. Il faut enfin relever avec force le défi lancé à notre génération de dépasser les objectifs partiels et immédiats pour aménager aux hommes de demain une terre qui leur soit hospitalière.

A l’interdépendance doit désormais répondre la coresponsabilité ; à la communauté de destinée doit correspondre la solidarité.

Cela ne se fera pas en recourant à des solutions de facilité. Pas plus que le problème démographique ne se résout en limitant indûment l’accès à la vie, le problème de l’environnement ne saurait être affronté avec les seules mesures d’ordre technique. Celles-ci sont indispensables, certes, et votre Assemblée aura à les étudier et à proposer les moyens propres à redresser la situation. Il est trop évident, par exemple, que l’industrie étant une des causes principales de la pollution, il faut de toute nécessité que ceux qui la gouvernent perfectionnent leurs méthodes et trouvent le moyen, sans nuire, autant que possible, à la production, de réduire, sinon d’éliminer entièrement les causes de pollution. Dans cette œuvre d’assainissement, il est évident aussi qu’un rôle de premier plan revient aux chimistes, et qu’un grand espoir est placé dans leurs capacités professionnelles.

Mais toutes les mesures techniques demeureraient inefficaces si ne les accompagnait une prise de conscience de la nécessité d’un changement radical des mentalités. C’est à la lucidité et au courage que tous se trouvent appelés. Notre civilisation, tentée de pousser ses prodigieuses réalisations par la domination despotique sur le milieu humain, saura-t-elle découvrir à temps la voie de la maîtrise de sa croissance matérielle, de la sage modération dans l’usage des nourritures terrestres, d’une réelle pauvreté d’esprit pour opérer d’urgentes et indispensables reconversions ? Nous voulons le croire, car les excès mêmes du progrès amènent les hommes, et d’une façon bien significative surtout les jeunes, à reconnaître que leur empire sur la nature doit se régler selon les exigences d’une véritable éthique. La saturation provoquée chez certains par une trop grande facilité de vivre et la conscience croissante chez un grand nombre de la solidarité qui lie le genre humain concourent ainsi à la restauration de l’attitude respectueuse qui fonde essentiellement la relation de l’homme avec son milieu. Comment ne pas évoquer ici l’exemple impérissable de Saint-François d’Assise et ne pas mentionner les grands Ordres contemplatifs chrétiens, offrant le témoignage d’une harmonie intérieure gagnée dans le cadre d’une communion confiante aux rythmes et aux lois de la nature ?

" Tout ce que Dieu a créé est bon " écrit l’Apôtre Saint-Paul (1 Tm 4, 4), faisant écho au texte de la Genèse relatant la complaisance de Dieu en chacune de ses œuvres. Régir la création signifie pour la race humaine non la détruire mais la parfaire ; non transformer le monde en un chaos inhabitable mais en une demeure belle et ordonnée dans le respect de toute chose. Aussi bien nul ne peut s’approprier de façon absolue et égoïste le milieu ambiant qui n’est pas une " res nullius " — la propriété de personne —, mais la " res omnium " — un patrimoine de l’humanité, de telle sorte que les possédants — privés ou publics — doivent en régler l’usage pour le bénéfice bien compris de tous : l’homme est bien la première et la plus vraie richesse de la terre.

C’est pourquoi le souci d’offrir à tous la possibilité d’accéder au partage équitable des ressources, existantes ou potentielles, de notre planète doit-elle peser de façon particulière sur la conscience des hommes de bonne volonté. Le développement, c’est-à-dire l’épanouissement intégral de l’homme, se présente comme le thème par excellence, la clé de voûte de vos délibérations, où vous saurez joindre à la recherche de l’équilibre écologique celle d’un juste équilibre de prospérité entre les centres du monde industrialisé et leur immense périphérie. La misère, a-t-on dit très justement, est la pire des pollutions. Est-il utopique d’espérer que les nations jeunes, qui construisent au prix de grands efforts un avenir meilleur pour leurs populations, en cherchant à assimiler les acquisitions positives de la civilisation technique, mais en refusant ses excès et ses déviations, deviennent les pionniers de l’édification d’un monde nouveau dont la Conférence de Stockholm est appelée à donner le départ ? Il serait d’autant plus injuste de leur en refuser les moyens qu’elles ont souvent dû payer une contribution lourde et imméritée à la dégradation et à l’appauvrissement du patrimoine biologique commun. Ainsi, au lieu de voir dans la lutte pour un meilleur environnement la réaction de crainte des riches, y verrait-on, pour l’avantage de tous, une affirmation de la foi et de l’espérance dans sa destinée de la famille humaine rassemblée autour d’un projet solidaire.

C’est dans ces sentiments que Nous prions le Tout-Puissant d’accorder à tous les participants, avec l’abondance de ses Bénédictions, les lumières de la Sagesse et les élans de l’Amour fraternel pour une pleine réussite de leurs travaux.

Du Vatican, le 1er juin 1972.

PAULUS PP. VI

 

 

23 juin

CONFIANCE ET ESPERANCE

Le matin du Vendredi 23 Juin, veille de la solennité liturgique de la nativité de Saint Jean-Baptiste, le Saint-Père a reçu le Sacré Collège des Cardinaux qui Lui ont présenté leurs vœux de fête.

Etaient présents à l’audience tous les cardinaux de Curie et, en outre, Monsieur le Cardinal Giuseppe Parecattil, archevêque de Ernakulam, de passage à Rome. Les sentiments de dévouement et de souhaits de tous les membres du Sacré Collège ont été exprimés, au début de l’audience, par Monsieur le Cardinal Amleto Giovanni Cicognani, Doyen du Sacré Collège et Secrétaire d’Etat émérite.

Le Saint-Père a adresse ensuite à Messieurs les Cardinaux le discours suivant :

Messieurs les Cardinaux,

L‘occasion de notre fête vous a réunis ici selon l’usage pour nous exprimer votre affection d’une manière très courtoise. Et nous, qui voudrions la passer silencieusement, dans l’intimité de la prière et des souvenirs personnels, nous ne pouvons pas nous soustraire aux obligations qui nous lient à vous, ni opposer une résistance à votre intention à laquelle le vénéré et cher Cardinal Amleto Giovanni Cicognani, comme Doyen du Sacré Collège, a donné une interprétation choisie et fervente. Nous le remercions de tout cœur, nous félicitant avec lui pour la première fois en ce lieu de sa fonction et rappelant avec une très profonde et persévérante estime, et une toujours vive reconnaissance la précieuse collaboration qu’il nous a apportée ainsi qu’à notre Prédécesseur dans les fonctions de Secrétaire d’Etat. Avec lui nous remercions tous les Cardinaux de Curie qui participent de si près aux travaux apostoliques, aux joies et aux épreuves de l’humble Vicaire du Christ. Mais comment ne pas évoquer en ce moment celui qui fut pendant de longues années l’interprète des vœux du Sacré Collège, en sa qualité de Doyen : le Cardinal Eugène Tisserant qui, dès les premières années de son sacerdoce, fut au service du Saint-Siège ? Sa compétence dans les charges qui lui ont été confiées par les Pontifes Romains était égale à son ardent amour pour l’Eglise et à son zèle infatigable dont nous avons tous été témoins ; et c’est le souvenir que gardent de lui tous ceux qui l’ont vu à l’œuvre.

L’usage nous amène, en cette occasion, à jeter un regard sur les conditions générales de l’Eglise, à l’intérieur et à l’extérieur, en soulignant quelques aspects qui méritent de retenir notre attention.

Nous sommes reconnaissant pour la synthèse qui nous a été faite et qui peut se résumer en une parole dont tous nous avons besoin : espérance, confiance. Confidite, ego sum, nolite timere (Mc 6, 50), continue à nous répéter le Seigneur ressuscité. Non turbetur cor vestrum : creditis in Deum, et in me credite (Jn 14, 1) : le Christ est présent dans son Eglise ; et celle-ci continue la mission qu’il lui a confiée, indiquant au monde qu’en lui seul est la paix, en lui seul la justice, en lui seul la rémission des péchés ; et ceci fait avec la force, avec la ténacité, avec l’héroïsme avec lesquels l’a montré en ses jours mortels le Précurseur, Jean le Baptiste dont nous portons le nom de baptême. Cette présence du Christ selon sa promesse (cf. Mt 28, 20), cette continuité du témoignage constructif et vrai de l’Eglise doivent nous donner l’espérance et nous inspirer confiance. Malgré tout nous sommes sur la bonne route parce que nous suivons le Christ et nous trouvons en lui la force de continuer dans l’énorme effort de présenter son message au monde. Les forces semblent manquer parfois, les résultats paraissent inférieurs à l’engagement. Mais nous ne devons pas nous décourager pour cela ; avec la force de la prière nous puisons les énergies nécessaires pour le devoir qu’il a imposé sur nos épaules, en l’invoquant avec les paroles de saint Ambroise : " Sequimur te, Domine Jesu ; sed ut sequamur accerse, quia sine te nullus ascendet. Tu enim via es, veritas, vita, possibilitas, fides, praemium. Suscipe tuos quasi via, confirma quasi veritas, vivifica quasi vita " (De bono mortis, 12, 55 ; éd. C. Schenkl, CSEL, 33, 1896, p. 150).

C est là l’espérance, la confiance qui nous soutient parce qu’elle est fondée sur la parole du Christ et sur l’œuvre que l’Eglise, en raison de son mandat, continue à accomplir dans le monde. Nous avons besoin de le confirmer : parce que aujourd’hui, en ce moment que nous vivons, le manque de confiance envers l’Eglise est fort chez un certain nombre de chrétiens et même de prêtres et de religieux ; manque de confiance qui aboutit parfois même à une certaine agressivité, mais qui prend aussi, et plus souvent, la forme du découragement et de la désillusion.

 

1. Phénomènes négatifs

Pour certains ce sentiment naît du fait que l’édifice ecclésial qui représente à leurs yeux un tout fortement cohérent et organisé, leur semble aujourd’hui menacé dans son unité. Ils sont certainement ébranlés par le criticisme, venu à la lumière en ces années, du caractère risqué de certaines initiatives qui ignorent la Tradition de l’abandon des manifestations extérieures ou des formes de piété auxquelles ils étaient attachés : alors ils tendent à se replier sur eux-mêmes et à refuser la part qui leur revient dans la vie et dans les tâches de l’Eglise. Pour d’autres au contraire, le manque de confiance dans l’Eglise tire son origine de la conviction que, d’après eux, elle serait empêtrée dans des institutions qui ont fait leur temps : dans une société sécularisée, ils pensent que l’Eglise devrait abandonner la plus grande partie des formes qui la distinguent et renoncer jusqu’aux certitudes acquises pour se mettre uniquement à l’écoute des besoins du monde ; et ils éprouvent, en face de l’Eglise visible et institutionnelle, une froideur qui en porte certains à s’éloigner d’elle, sensibles, pensent-ils être, aux profonds changements qui caractérisent notre époque, aux nouveautés des situations culturelles et aux possibilités scientifiques et techniques.

De ces tensions opposées dérive un état de gêne que nous ne pouvons pas et ne devons pas nous cacher ; d’abord une fausse et abusive interprétation du Concile qui voudrait une rupture avec la tradition même doctrinale, arrivant au rejet de l’Eglise pré-conciliaire et à la permission de concevoir une Eglise " nouvelle ", presque " réinventée " de l’intérieur, dans la constitution, dans le dogme, dans les coutumes, dans le droit.

Certains ensuite arrivent à subir et à prêcher le charme de la violence, nouveau mythe qui se présente à la conscience moderne inquiète : c’est l’apologie du fait accompli, de la " libération " qui n’est pas toujours l’interprétation de la liberté évangélique, qui naît de la vérité et de la charité (Jn 8, 32 ; cf. Ga 4, 31 ; Rm 1, 21 ; Jc 1, 25), bien difficile d’ailleurs à garder (cf. 1 P 2, 16 ; Ga 5, 13), mais souvent c’est un euphémisme qui couvre des méthodes éversives ; en outre ce charme confirme parfois le mimétisme des sociologies non chrétiennes, réputées seules efficaces, avec une confiance aveugle et sans don de prophétie des conclusions auxquelles elles conduisent ; il ne résiste pas à la séduction du socialisme entendu par certains comme un renouvellement social et une socialité rénovatrice, mais avec l’utilisation d’idées, de sentiments non chrétiens et parfois antichrétiens : lutte de classe systématique, haine et subversion, psychologie matérialiste qui contamine la soi-disant société de consommation.

Les réactions négatives auxquelles nous avons fait allusion semblent aussi viser la dissolution du magistère ecclésiastique : soit en équivoquant sur le pluralisme conçu comme une libre interprétation des doctrines et une coexistence non dérangée de conceptions apposées ; sur la subsidiarité entendue comme autonomie ; sur l’Eglise locale voulue presque comme séparée et libre et se suffisant à elle-même ; soit en faisant abstraction de la doctrine sanctionnée par des définitions pontificales ou conciliaires.

On ne peut pas ne pas voir qu’une telle situation produit des effets assez pénibles et malheureusement dangereux pour l’Eglise : confusion et souffrance des consciences, appauvrissement religieux, défections douloureuses parmi les vies consacrées et dans la fidélité et l’indissolubilité du mariage, affaiblissement de l’œcuménisme, insuffisance des barrières morales contre l’hédonisme envahissant.

 

2. Au service de la justice et de la vérité

Dans un tel cadre, à l’intérieur de l’Eglise, on ne peut oublier les difficultés et les exigences rencontrées par elle dans l’exercice de sa mission qui n’est ni abstraite ni désincarnée mais plutôt descendue dans le concret de situations bien déterminées.

En premier lieu, une difficulté de confiance, comme nous disions, met l’Eglise à l’épreuve ici et là dans ses rapports quand il s’agit de l’exercice de son office " prophétique ", qui n’est pas seulement d’annoncer la vérité et la justice, mais de déplorer, de dénoncer, de condamner les fautes ou les délits accomplis contre la justice et contre la vérité.

En réalité, pour ce qui concerne plus directement ce Siège Apostolique, celui-ci est comme une sentinelle placée sur une montagne où arrivent les clameurs des opprimés, le gémissement étouffé de celui qui n’a pas la liberté de crier fort ses douleurs, la plainte de celui qui se sent frappé dans ses droits ou abandonné dans ses nécessités. Etendant son regard sur la scène du monde, se présentent à lui les nombreuses situations qui dans une mesure plus ou moins grave, parfois très grave, sont contraires à ce respect de la dignité de l’homme et de ces droits fondamentaux — d’abord, entre tous, celui d’une juste liberté religieuse — qui doit ou devrait être à la base de la vie sociale dans les nations et entre les nations.

Nous devons relever d’abord, dans les demandes et les plaintes qui s’élèvent de temps en temps à ce propos, un aspect qui n’est certainement pas exclusif de notre temps mais qui, en celui-ci, comme à toutes les époques de profondes divisions, est davantage ressenti. Et c’est que, habituellement, on réclame la condamnation non pas de toutes les injustices mais seulement de celles — vraies ou parfois supposées ou au moins aggravées — de la partie adverse. Le Saint-Siège est bien conscient dans son devoir d’interpréter la " conscience morale de l’humanité " non seulement quant aux principes mais aussi pour le caractère concret de la réalité. Nous pouvons assurer qu’il ne reste sourd à aucun cri ou plainte qui lui parvient ; il tâche même de savoir ce qu’on voudrait et que si souvent on réussit à tenir caché. Mais sa responsabilité exige naturellement de ne pas se contenter de renseignements qui ne soient pas dûment contrôlés et la plus pleine objectivité des choses, ce qui, l’un comme l’autre, n’est pas toujours facile à obtenir. Son action se propose avant tout, dans les limites des possibilités, d’aller au secours d’une manière efficace de qui souffre et demande compréhension et secours ; c’est une chose qui demande souvent une juste prudence et une réserve dans les manifestations publiques, pour donner la priorité à la tentative de dialogue sérieux et direct avec les responsables des situations déplorées ou pour ne pas provoquer de plus lourdes réactions au détriment de ceux qui attendent une défense.

Notre préoccupation est de servir l’humanité et l’Eglise en particulier ; et notre espérance est que la prévalence des sentiments de justice et les efforts patiemment accomplis puissent conduire aux résultats que nous invoquons.

Nous ne pouvons pas taire cependant que cette espérance est exposée assez fréquemment à de graves épreuves, lorsqu’on remarque la persistance de difficiles tensions ou lorsque la loyale disposition du Saint-Siège à arriver à des accords qui permettent à l’Eglise de disposer au moins de l’espace vital indispensable, conforme à ses exigences élémentaires, sinon à la plénitude de ses droits, se heurte à un manque persistant de réelle volonté positive comme par calcul que l’aggravation de ses conditions de vie pourrait pousser l’Eglise à accepter des ordres qu’elle avait dû déclarer inacceptables.

Nous nous en remettons à la conscience de l’humanité et au jugement de l’histoire pour la responsabilité de telles situations, tandis que la Saint-Siège ne se lassera pas de continuer à agir, même si cela est apparemment " contra spem ", pour les modifier selon la justice, confiant dans l’action et l’aide de la Providence.

 

3. L’Eglise et le monde

Le Saint-Siège suit du reste avec un vif intérêt les développements de la situation mondiale et des problèmes particuliers.

Dans le cours des mois écoulés l’attention du monde s’est polarisée autour de quelques faits nouveaux des rapports internationaux dans lesquels il a cueilli, avec une intuition remplie d’espérance, les signes d’un changement qui va se soulignant.

Parmi les plus importants de ces faits il y a avant tout les contacts, établis aux niveaux les plus élevés de leurs autorités, entre deux grandes nations, les Etats-Unis d’Amérique et la République populaire de Chine, récemment accueillie dans l’Organisation des Nations Unies. En Mai dernier on a enregistré une seconde rencontre de vaste retentissement entre les responsables suprêmes des gouvernements des Etats-Unis et de l’Union Soviétique, avec la stipulation d’importants accords bilatéraux concernant divers problèmes. Dans le même temps, avec une simultanéité qui, si elle n’est pas voulue, semble d’auspices positifs, est arrivée en Europe la signature d’un accord sur la situation de Berlin, ainsi que la ratification des traités entre l’Allemagne Fédérale, l’URSS et la Pologne ; ensemble qui conclut de laborieuses négociations, prolongées pendant des années, dans un contexte de difficultés objectives qui, depuis la fin de la dernière grande guerre, avaient provoqué des alternatives de tensions parfois très graves.

Il n’est pas facile d’évaluer aujourd’hui la portée ni de prévoir les répercussions que pourront avoir de tels événements ou de rechercher dans des initiatives avec des protagonistes divers et des matières d’une discussion si complexe, le rapport logique qui permette de prévoir avec certitude une direction univoque des effets et des développements.

Mais quelque chose de nouveau arrive dans le monde. D’abord déjà le fait qu’il se produise des rencontres qui, jusqu’à il y a peu de temps, étaient même impensables.

Il nous semble donc légitime d’attendre qu’un tel processus, s’il est poursuivi, comme nous le souhaitons, avec loyauté et bonne volonté et dans le respect de l’autonomie, des droits et des intérêts légitimes des autres pays, servira non seulement au bien des peuples respectifs mais à la trame entière des rapports entre les diverses nations (il vient aussi spontanément à la pensée seulement le soulagement qu’une limitation des armements peut produire pour la vie et la paix de tous !). En effet les tensions générales pourront être plus facilement réduites et encouragées et rendues possibles les initiatives de longue haleine, comme le prouve la perspective, maintenant peu éloignée, d’une conférence pour la sécurité et la coopération en Europe. Sera diminué en outre le danger que les conflits particuliers puissent voir impliqués, entre autres, les grands pays, alors qu’une plus grande crédibilité pourra être espérée pour les décisions et les initiatives qui, dans le cadre de l’ONU, sont encore conditionnées dans leur efficacité par des divergences des grands et par des résistances des pays de toute puissance et de toute dimension.

Il nous semble aussi significatif que, tandis que se sont mises en route des négociations entre les pays de responsabilité principale dans l’équilibre mondial, les autres peuples ne sont pas restés inertes, comme cela est prouvé par quelques grandes conférences internationales, telles par exemple que la II° Conférence pour le commerce et le développement de Santiago du Chili, ou la Conférence de Stockholm sur l’homme et son milieu : problèmes d’une importance primordiale pour la vie et pour les rapports des nations. Il est positif, en effet que soient données toujours de plus vastes possibilités à tous les peuples de faire entendre leur propre voix ; que de tels débats concourent à tracer une vision plus unitaire et plus solidaire des problèmes : et que cette solidarité fasse s’élever toujours plus vive la conscience d’un sort commun unique de l’humanité.

Est-ce peut-être une utopie d’espérer que, dans ce nouveau contexte de moindres méfiances, de contacts engagés, de début de coopération peuvent finalement se trouver des solutions équitables et rapides, loyales et courageuses pour les conflits définis chroniques, mais d’une actualité si sanglante comme les guerres du Moyen-Orient et du Vietnam ? Au Vietnam où chaque jour qui retarde la paix est payé par des destructions terrifiantes qui ensevelissent dans une même tombe les hommes et la nature, les forces combattantes et les populations désarmées, la vie et l’espérance de vivre ?

Nous souhaitons, et nous prions à cette intention, que cette perspective trouve confirmation en faisant taire les armes, en arrêtant le sang qui coule, en arrangeant et en se mettant d’accord pour reconstruire et guérir. Et ce souhait va tout aussi bien à toutes les autres régions de la terre où manque la paix : ainsi dans la très chère Irlande, toujours tourmentée par de douloureuses explosions de violence, que nous exhortons à continuer dans l’effort pour diminuer toujours davantage les violences réciproques et à rechercher dans le dialogue la solution de ses problèmes ; ou doivent être cicatrisées des blessures encore sanglantes, comme dans un autre pays qui ne nous est pas moins cher, le Burundi.

 

4. Eléments positifs de confiance

Les faits internationaux auxquels nous avons fait allusion, malgré les graves ombres qui persistent, nous ont apporté un signe, bien que prudent, de grande espérance. Et en revenant de là à la vie de l’Eglise, nous nous sentons obligé en conséquence à souligner les courants positifs qui aujourd’hui donnent des ailes à son action et à sa présence dans le monde. Pourquoi l’Eglise est-elle vivante, l’Eglise est-elle active, l’Eglise est-elle jeune ? Comme nous l’avons dit au début, à tous ceux qui l’observent avec un œil critique de points de vue opposés, il ne suffit plus désormais de montrer l’insuffisance, le danger et la stérilité de leurs vues partiales pour les faire réconcilier dans une commune fidélité à l’Eglise. Et c’est pourquoi — mais sans mettre en doute la sincérité de personne et sans méconnaître l’utilité des critiques sérieuses et mesurées de la part d’hommes compétents et responsables — nous voulons rappeler que la confiance dont l’Eglise a besoin de la part de ses fils et qu’elle est en droit d’attendre d’eux ne repose pas seulement sur des vues humaines mais bien sur le plan de Dieu. C’est le sentiment qui nous a soutenu dans l’acceptation de la lourde charge du Pontificat, il y a neuf ans ; et, comme nous l’avons dit mercredi dernier à l’Audience Générale : " Nous voudrions ainsi qu’en vous aussi comme dans toute l’Eglise, troublée parfois par les faiblesses qui l’affligent, vienne à prévaloir le sens évangélique de foi-confiance demandé par le Christ à ses disciples et qu’il n’y ait jamais la peur ni le découragement pour affaiblir le courage et la joie de l’action chrétienne " (cf. L’Osservatore Romano, 22 juin 1972).

Oui, là confiance dans l’Eglise et la confiance de l’Eglise en elle-même se fonde sur les promesses et sur les charismes divins qui l’accompagnent ; sur le patrimoine de vérité transmis par la Tradition authentique ; sur sa structure constitutionnelle et mystique ; sur sa capacité de rétablir l’unité brisée de l’unique et universelle famille chrétienne ; sur la valeur et sur la noblesse de son action pastorale, capable d’insérer dans le tissu de la vie chrétienne le renouvellement ecclésial voulu pari le Concile Vatican II et poursuivi par nous, avec l’aide de Dieu, d’une manière infatigable ; sur sa mission de signe et d’instrument pour l’humanité tout entière, ouverte comme elle est au monde d’aujourd’hui et de demain.

Malgré les difficultés, comment ne pas se réconforter aux signes d’espérance qui se discernent dans l’Eglise ? Combien de chrétiens éprouvent un intense besoin de prière et d’union à Dieu ! Combien d’âmes généreuses cherchent un style de vie plus évangélique, fondé sur la contemplation, vécu dans l’amour fraternel ! Combien de prêtres, de religieux et de religieuses, d’apôtres laïcs portent témoignage au Seigneur avec une abnégation et une fidélité qui sont certainement le fruit de l’Esprit-Saint ! La hantise de la justice dans le monde tourmente beaucoup d’âmes, spécialement parmi les jeunes et les pousse à se consacrer courageuse ment et d’une manière désintéressée à l’élévation et au développement des peuples, au soin spirituel et matériel des frères. Un sens plus marqué de la pauvreté, calquée sur celle du Christ et de l’Eglise Apostolique, est aujourd’hui vivant dans la conscience ecclésiale et en pousse beaucoup à l’héroïsme, comme nos très chers Missionnaires. Une plus grande ouverture aux valeurs positives du monde, admirablement encouragée par la Constitution conciliaire Gaudium et Spes, rend l’Eglise d’aujourd’hui ouverte et disponible à tous les secteurs et problèmes de la vie sociale, culturelle, spirituelle de l’humanité qui se cherche elle-même. L’Eglise est " experte en humanité " !

Effectivement elle donne un apport continuel pour répondre toujours mieux aux nécessités présentes du monde : c’est un spectacle consolant que celui qui est donné en ce domaine par l’Episcopat mondial, avec l’aide des organes cohésifs, éprouvés ou de récente institution, dont se sert l’action pastorale, parmi lesquels il nous plaît de rappeler les Conférences Episcopales, les Conseils presbytéraux et pastoraux des divers diocèses, l’Action Catholique, les formes d’apostolat laïc. Le sens social et la charité agissante augmentent : effectivement il y a toute une efflorescence d’initiatives pour la catéchèse, pour l’action sociale, pour le soin des pauvres, pour l’assistance spirituelle des travailleurs, pour le rayonnement chrétien dans les moyens de communication sociale ; un engagement missionnaire renouvelé unit entre elles les diverses Eglises locales sans oublier cependant le soutien prééminent des Œuvres Pontificales Missionnaires ; un élan de générosité et de dévouement imprègne toujours de plus vastes couches du clergé et du laïcat. Dans cette action, les évêques du monde entier sont aux premières lignes et ils se sentent étroitement unis au Saint-Siège qui les soutient. Le Synode de l’automne dernier a été le témoignage le plus considérable de cette mutuelle collaboration pour la solution des problèmes internes, délicats et urgents — tel le sacerdoce ministériel — et externes de l’Eglise — tel la justice dans le monde.

Le Siège Apostolique, de son côté, ne se lasse pas de répondre par ses initiatives, nouvelles ou traditionnelles, et de venir à la rencontre des exigences du monde : qu’il nous soit permis de rappeler les rapports entretenus avec les divers pays du monde son encouragement aux nombreuses manifestations de la vie catholique, sa présence aux Congrès internationaux, son action silencieuse et discrète au sein des Organismes qui unissent les divers peuples dans un effort sincère de paix, de collaboration et de progrès, en particulier dans le domaine de la promotion sociale et économique et de la culture.

L’action du Saint-Siège se développe ensuite, comme de coutume, par l’intermédiaire des divers Dicastères de la Curie Romaine qui s’appliquent à tous les besoins accrus de l’Eglise et du monde avec un zèle délicatement pastoral qui nous est d’un grand réconfort et est un grand exemple pour la communauté ecclésiale par le dévouement, par la compétence, par l’esprit de sacrifice avec lequel il est accompli. A ce sujet il nous plaît de rappeler ici également — comme nous l’avons fait il y a quelques jours dans la séance qualifiée d’une réunion des Cardinaux Chefs de Dicastères — la réforme de la Curie accomplie par nous au moyen de la Constitution Apostolique " Regimini Ecclesiae universae " dont arrivera le 15 Août prochain le cinquième anniversaire : elle a donné un nouveau relief et une nouvelle impulsion à la dimension pastorale du service que le Saint-Siège est appelé à donner aux Eglises locales et au monde entier avec ses problèmes immenses, dans un style plus articulé, plus agile et en même temps plus coordonné qui permet d’atteindre à temps et opportunément les nombreuses questions d’intérêt particulier et général.

Vénérables Frères et fils !

Tous ces éléments choisis parmi beaucoup et à peine abordés sont un signe indubitable de la vitalité de l’Eglise ; et, ce n’est pas une vaine complaisance, nous insistons, mais simplement de nous mettre devant les yeux le mystère de la foi sans lequel le chrétien perdrait son identité et la confiance dans l’Eglise.

Les lenteurs, les échecs, les épreuves sont inhérents au mystère de la Croix et de la Résurrection du Christ. Seule la certitude d’accomplir l’œuvre de Dieu doit nous soutenir. Seule elle donnera la sérénité indispensable pour faire avancer notre mission. Chaque jour il faut recommencer. Après le Concile Œcuménique il s’agit pas de détruire, de contester, mais bien de nous mettre tous au travail pour améliorer, pour guérir, pour planter, pour renouveler, pour construire sur le sentier authentique de l’unité, de la foi, du culte, de la charité, de l’obéissance, de la collaboration. Toute l’œuvre de l’Eglise vient de Dieu et doit conduire à Lui. Elle ne peut se réaliser sans sa grâce. On peut transformer les structures mais c’est l’esprit qu’il faut introduire en vous : et cet Esprit est don de Dieu. Si les tensions sont inévitables, la communion dans la foi, le fait d’être enracinés dans la Tradition vivante, la fidélité à l’enseignement du Magistère restent toujours les garanties indispensables de l’unité et sont en même temps la seule voie dans laquelle puisse être conservée et augmentée la confiance envers l’Eglise.

Prions tous le Seigneur pour qu’il assiste l’Eglise dans cette œuvre énorme de salut en faveur des hommes auxquels elle est destinée ; et à vous, nous demandons l’appui de la charité et de la prière quotidienne pour que le Seigneur qui nous a appelé à la terrible charge d’être son Représentant sur la terre nous donne la force de la remplir avec fidélité.

Tous, donc, en avant ensemble, avec confiance, in Nomine Domini ! Et que le Seigneur nous bénisse tous.

A la fin du discours le Saint-Père a donné la Bénédiction Apostolique et est descendu ensuite au milieu des Cardinaux, adressant à chacun d’eux l’expression de sa vive gratitude et de son paternel remerciement ainsi que sa salutation.

 

 

4 septembre

V° JOURNEE MONDIALE DE L’ALPHABETISATION

Voici le Message adressé par le Saint-Père à M. Maheu, Directeur Général de l’Unesco, à l’occasion de la Cinquième Journée Mondiale de l’alphabétisation :

A l’occasion de la célébration de la Journée internationale annuelle de l’alphabétisation, nous tenons à vous redire tout l’intérêt que nous portons à l’effort si remarquable de l’UNESCO en ce domaine, et à vous renouveler l’assurance de notre appui et du concours que l’Eglise a le souci d’apporter à cette tâche qui répond à l’un des besoins majeurs de notre temps.

Poursuivant avec ténacité, notamment par des projets-pilotes soigneusement évalués, l’amélioration des méthodes de l’alphabétisation et son extension, l’UNESCO, bien loin de se laisser décourager par les difficultés rencontrées, y a trouvé une plus forte détermination dans la lutte contre l’analphabétisme et en a mieux mesuré l’enjeu.

Nous sommes particulièrement attentif à la place que donne l’UNESCO, dans cette, entreprise, à la formation des alphabétiseurs. Elle apparaît de plus en plus une condition essentielle d’efficacité et c’est pourquoi cette préoccupation est de plus en plus partagée, en de nombreux organismes catholiques, par ceux qui œuvrent en faveur de l’alphabétisation.

En cette année du Livre, nous nous plaisons à relever l’importance qu’attache votre Organisation à l’élaboration de textes, tant pour l’alphabétisation elle-même que pour le maintien et le perfectionnement de la lecture des alphabétisés. Nous souhaitons vivement que ces textes, en même temps qu’ils apportent des connaissances utiles, soient aptes, par leur esprit et leur contenu, à contribuer au progrès moral et spirituel des lecteurs.

Nous nous réjouissons aussi de constater que, tout en s’attachant à l’alphabétisation en ce qu’elle a de spécifique, l’UNESCO est de plus en plus soucieuse de la situer et de l’intégrer dans l’ensemble des tâches éducatives. Celles-ci, en effet, constituent un tout dont les éléments doivent être harmonisés en vue, à la fois, d’une plus grande efficacité et de la formation intégrale de l’homme. Nous vous disons donc, Monsieur le Directeur Général, notre appréciation des initiatives récemment prises en ce sens.

En formulant nos meilleurs vœux pour le juste succès que mérite cette grande œuvre de l’alphabétisation, nous appelons de grand cœur, sur ceux et celles qui lui consacrent leur générosité et leur compétence, l’abondance des divines Bénédictions.

Du Vatican, le 4 Septembre 1972.

PAULUS PP. VI

 

 

16 septembre

ALLOCUTION DU SOUVERAIN PONTIFE AUX PRÊTRES, RELIGIEUX, RELIGIEUSES, AU CONSEIL PRESBYTERAL, AU CONSEIL PASTORAL ET A L’ACTION CATHOLIQUE

Frères très chers,

Nous tenons à vous exprimer la joie profonde que Nous éprouvons à l’occasion de cette rencontre avec vous, prêtres, religieux, religieuses, laïcs engagés dans l’apostolat. Pèlerin parmi tant de pèlerins de toute l’Italie, Nous avons adoré le Christ dans l’Eucharistie, source et centre de la vie de l’Eglise, et maintenant, en prenant congé à la fin de cette journée bénie, Nous éprouvons le besoin de vous adresser un mot de salutation, d’encouragement, d’espérance et de confiance.

Tout Congrès eucharistique se veut une manifestation publique et solennelle de la foi, que l’Eglise entière proclame, en la présence réelle de Jésus dans le sacrement de l’Eucharistie, mais il se veut aussi, et il doit être, dans la méditation de ce " mystère de la foi ", une invitation, un stimulant, un engagement à la conversion du cœur et à un renouveau intérieur continuel, incessant, moyennant une constante confrontation avec les exigences du message évangélique, qu’il faut approfondir, vivre et réaliser dans la trame de notre existence quotidienne.

L’Eglise d’Udine, durant la période de fervente préparation à ces journées solennelles, a donné un exemple peu commun de générosité et de sacrifice, afin que le Congrès représente surtout une étape fondamentale de son renouveau intérieur et pastoral, selon les indications et les directives du Deuxième Concile du Vatican. Tous, vous êtes maintenant appelés à donner toujours davantage à l’Italie l’exemple d’une communauté qui, liée à ses pasteurs et par eux rassemblée dans le Saint-Esprit grâce à l’Evangile et à l’Eucharistie, constitue une Eglise particulière en laquelle est vraiment présente et agissante l’Eglise du Christ, une, sainte, catholique et apostolique (cf. Christus Dominus, 11),

Ce renouveau de votre Eglise locale est confié d’une manière toute spéciale à vous prêtres, religieux, religieuses, laïcs des diverses organisations de l’Action Catholique.

Et en tout premier lieu vous, prêtres-séculiers et réguliers, vous êtes, au sein de la communauté chrétienne qui vit de l’Esprit-Saint le gage de la présence du Christ Sauveur, Fils de Dieu et fils de l’homme, qui, à travers l’Eglise, se rend présent dans l’histoire, Vous avez été envoyés parmi les hommes pour annoncer l’Evangile de Dieu (cf. Presbyterorum Ordinis,4), Evangile de salut, d’amour, d’espérance, de paix. Mais pour que votre voix parte des profondeurs de votre cœur, il vous faudra conformer votre vie à celle de Jésus, participer à son intimité, de façon que ce soit son amour qui motive et stimule votre zèle pour les âmes. Cet amour trouve son aliment dans la dévotion envers le mystère de l’Eucharistie puisque la célébration eucharistique demeure le centre de la vie de toute l’Eglise et le cœur de l’existence sacerdotale (cf. Synode des Evêques, Le sacerdoce ministériel, II° partie, 1, 3). Vous répondrez donc généreusement, chaque jour, à l’appel de Jésus, dans un amour inlassable pour les pauvres, pour les malades, pour les humbles; dans le don du célibat, assumé en vue du Royaume des cieux (cf. Mt 19, 12) et vécu dans la prière, dans une joie vigilante et sereine. " Par le célibat — rappelait récemment le Synode des Evêques — le prêtre, suivant son Seigneur, manifeste avec plus de plénitude sa disponibilité, et s’engageant sur le chemin de la croix avec la joie pascale, il désire ardemment être consommé dans une offrande eucharistique " (Synode des Evêques, Le sacerdoce ministériel, II° partie, I, 4).

Ainsi configurés au Christ vous serez les apôtres de l’authentique renouveau de vos paroisses, de vos communautés, de vos groupes, qui deviendront des centres d’animation et de rayonnement du témoignage chrétien.

Vous aussi, religieux et religieuses, en vivant avec amour et fidélité les conseils évangéliques par les vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, unis au Christ par une donation de vous-mêmes qui embrasse toute votre existence, vous contribuerez à rendre plus riche la vitalité de l’Eglise et plus fécond son apostolat (cf. Perfectae caritatis, 1). Au sein d’un monde qui, malheureusement, ne vise de plus en plus que le succès facile, l’argent, l’esprit exaspéré d’indépendance, vous devrez être les témoins du Christ pauvre, chaste, obéissant au Père jusqu’à la mort sur la croix (cf. Ph 2, 8), et les témoins de la réalité des valeurs et des biens qui ne passent pas.

De vous aussi, membres de l’Action Catholique et des autres organisations consacrées à l’animation chrétienne des réalités temporelles, l’Eglise attend beaucoup. Conscients du noble engagement qui est le vôtre de travailler pour que le message divin du salut sort connu et accepté par tous les hommes, agissez, dans vos paroisses, en union étroite avec vos prêtres; donnez votre contribution à toute initiative apostolique ; cultivez constamment le sens de la communauté ecclésiale, et soyez toujours prompts, à l’invitation de vos pasteurs, à unir vos forces dans les diverses initiatives diocésaines (cf. Apostolicam actuositatem, 10).

De cette façon, l’Eglise d’Udine, animée et revivifiée par l’action concordante des prêtres, des religieux, des religieuses, des laïcs, continuera à vivre son Congrès eucharistique. Ayez confiance, fils très chers ; votre Eglise locale connaîtra une nouvelle floraison ; elle est en voie de renouveau, comme nous le dît le zèle de vos pasteurs, qui jusqu’à présent vous ont guidés avec tant de sagesse ; comme nous le confirme votre présence — qui constitue un engagement et une promesse — dans cette cathédrale historique ; comme nous l’assurent aussi l’exemple et la mémoire de ces nombreux hommes doctes et saints que l’Eglise d’Udine a donnés au cours de son histoire, même récente.

A ce sujet, Nous ne pouvons pas ne pas évoquer, en cet instant, les liens de profonde amitié qui, durant notre jeunesse nous lièrent à Mgr Giuseppe Nogara, votre inoubliable Archevêque ; et notre mémoire nous rappelle également, avec des sentiments de vénération, la figure de Mgr Pio Paschini, ce prêtre exemplaire qui a cultivé de façon insigne l’histoire ecclésiastique.

Nous avons voulu fils très chers, vous exprimer en cette rencontre notre affection et nos soucis de Père. En vous saluant, Nous invoquons sur vous tous l’abondance des divines grâces et la protection céleste de la Vierge Marie " Mater Ecclesiae ", tandis que Nous vous donnons de grand cœur la Bénédiction Apostolique.

 

 

16 septembre

HOMELIE DU SAINT-PERE A LA MESSE DU CONGRES EUCHARISTIQUE D’UDINE

Frères vénérés et Fils très chers,

Nous devons avant tout vous exprimer nos salutations. Cela fait partie du mystère qu’ensemble nous voulons célébrer, mystère de charité et d’unité (cf. saint augustin, In Joannem, tract, 26, 13 ; PL 35, 16, 13).

A l’Eglise du Christ, vivant à Udine, quia organisé et accueilli ce XVIII° Congrès eucharistique italien, s’adresse notre premier salut, avec nos acclamations et l’expression de notre joie; aux Eglises de la région des Trois Vénéties ici réunies, avec leurs Pasteurs et la foule considérable de leur clergé et de leurs fidèles ; à l’Eglise d’Italie qui, tout entière, se trouve ici représentée, de façon, hautement qualifiée et par un nombre si important de frères ; à tous ceux enfin qui, de régions proches ou lointaines sont venus ici comme, pèlerins, appelés par la même foi, rivalisant de dévotion: à tous, Nous souhaitons grâce, joie et paix. Nous le faisons en tant qu’Evêque de l’Eglise de Rome, au nom du Dieu vivant, Père du Seigneur Jésus-Christ et le nôtre, dans l’Esprit Saint vivificateur et unificateur.

Nos salutations respectueuses et nos vœux s’adressent également aux Autorités civiles ici présentes et à ceux qui, par leur réflexion et par leur travail, ont favorisé l’heureuse réalisation de ce Congrès, Que nul de ceux qui souffrent, travaillent, prient, ou que nul de ceux qui sont petits, éprouvés, ou qui ont besoin de miséricorde, d’assistance ou de réconfort, ne se croie oublié de Nous et exclu de notre affectueuse bénédiction. Que notre salutation particulière vous rejoigne, émigrants de la Vénétie et du Frioul, rassemblés ici pour cette heureuse circonstance ; et vous aussi, Slovènes, que tant de liens historiques et ethniques unissent à cette région et qui avez tenu, par votre présence ici, à souder de façon spéciale les liens spirituels, qui vous font fraterniser avec la population d’ici. Tous, Nous vous assurons de notre souvenir au cours de cette célébration eucharistique de la présence réelle et sacrificielle du Christ, notre Maître et notre Sauveur.

Il nous faut maintenant vous dire pourquoi Nous sommes venu, et ce sera tout le thème de notre bref discours.

Nous sommes venu pour adorer avec vous ce mystère eucharistique que nous voulons célébrer maintenant avec cette intensité de réflexion intérieure et de solennité extérieure qui doit remuer notre foi et nous faire mieux comprendre, et goûter dans une certaine mesure, " l’abîme de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu " (cf. Rm 11, 33). Cet abîme, manifeste quant au signe, caché quant à la réalité, est contenu dans l’Eucharistie, que l’on ne saura jamais assez explorer, honorer, recevoir.

L’effort, qui a conduit ici les catholiques d’une Nation entière, dans laquelle Nous sommes localement, historiquement et spirituellement inséré, à célébrer le mystère eucharistique avec cœur et dans une adhésion unanime, ne pouvait pas Nous laisser personnellement étranger, même si le vénéré Cardinal Président de la Conférence épiscopale italienne, qui était notre Envoyé spécial à ce Congrès, vous manifestait déjà notre pleine adhésion. Nous devions venir.

Nous devions venir malgré les obstacles que peut imaginer celui qui connaît un peu notre vie de chaque jour, ne serait-ce que celui de ne pas faire tort à d’autres appels semblables et pleins d’attraits mais auxquels, à notre grand regret, Nous ne pouvons matériellement répondre. Il ne Nous était cependant pas possible, chers Fils d’Udine de repousser votre invitation. Au mérite de votre Eglise, en effet, et à l’affection que Nous lui portons, s’ajoutait le thème choisi, parmi tant d’autres possibles pour la méditation et la célébration de ce Congrès. C’est un thème de théologie ecclésiologique qui concerne non seulement l’actualité des études et des discussions postconciliaires, mais qui touche un aspect de notre ministère apostolique, c’est-à-dire le rapport de l’Eglise locale avec l’Eucharistie, qui, à son tour, touche à l’unité de l’Eglise. Or, là où est mise en jeu l’unité dans l’Eglise et de l’Eglise, est mise en cause la charge apostolique confiée à Pierre et par là aussi au dernier de ses successeurs quant au mérite (cf. Lumen Gentium, 23).

Vous savez déjà tout sur ce thème. Des maîtres éminents et pleins de piété vous ont déjà développé ce chapitre immense et essentiel de la doctrine eucharistique. Nous vous exhortons à fixer votre attention et, ensuite votre mémoire, sur la grâce spécifique de l’Eucharistie, sur la " res " de ce sacrement, Comme disent les théologiens, c’est-à-dire sur l’intention fondamentale du Christ lorsqu’il l’institua dans l’excès de son amour pour nous ; la grâce spécifique qu’il nous apporte, est, vous le savez, l’unité de son corps mystique (cf. St. TH., III, 73, 3). La parole de saint Paul, choisie comme point focal de la méditation et de la célébration de ce Congrès, le dit avec une simplicité lapidaire et une profondeur insondable : à un unique et même Pain, c’est-à-dire au Christ qui s’est fait notre nourriture, doit correspondre un unique et même Corps, son corps mystique, l’Eglise. Oui, à l’Eucharistie correspond l’Eglise ; au Corps personnel et réel du Christ — présent sous les espèces du pain et du vin pour figurer et perpétuer son sacrifice salvifique dans le dessein d’amour de se communiquer par le moyen d’une nourriture, d’un aliment sacrificiel, à ceux qui croient en lui — correspond son corps social et mystique, que sont les catholiques, c’est-à-dire l’humanité réunie dans l’unité d’un organisme qui s’appelle l’Eglise. La tête, le Christ, diffuse sa vie dans les membres de son corps mystique. L’Eucharistie est signe et cause de cette nouvelle structure humaine, historique, universelle, vivant de l’Esprit du Christ, parce qu’elle est appelée par le Christ, parce qu’elle lui est unie et intimement associée, et qu’elle est donc sanctifiée dans toutes les expressions de son existence : celui qui me mange, vivra par moi (Jn 6, 57) ; elle est soutenue par l’espérance qui ne déçoit pas (Rm 5, 5) de la résurrection finale (Jn 6, 51-58).

Avec une grande attention, rappelez-vous, en souvenir de ce Congrès, le sens de l’unité, révélation suprême du cœur du Seigneur (cf. Jn 17, 21-22) et expression caractéristique de la foi catholique. Nous devons tous former un seul être, nous devons tous constituer une société unanime, qui ne soit pas seulement assemblée en vertu d’une même manière de penser qui est la foi, et d’une affection communautaire qui est la charité, mais qui soit vivante et surnaturelle, en vertu d’un principe existentiel identique, la grâce unifiante qui émane du Christ eucharistique. Ainsi, nous devons tous former le " corps " du " Christ total " lui, le Christ de l’évangile, étant la tête, et nous, dispersés à travers le monde et à travers l’histoire, les membres (cf. S. augustin, Enarr. in psalm. 17, 51 ; PL 36, 154).

Nous n’oublierons pas, non plu,; comment l’Eucharistie assure la perfection de chaque fidèle qui se nourrit de ce pain divin et combien celui-ci apporte à chacun de nous une plénitude de joie : " omne delectamentum ut se habentem ". Mais ce don n’est pas le terme achevé et définitif de la nourriture eucharistique. En effet, il ne s’agit pais seulement d’un don personnel et individuel ; c’est Un don qui déborde de chaque fidèle et se répand sur ses frères dans la foi, car il est destiné à faire d’eux un organisme spirituel unifié qui est, redisons-le, le Corps mystique du Christ, l’Eglise.

Ce que Nous dirons de chaque fidèle, Nous pourrons le dire, de manière analogue, de chaque partie de l’unique Eglise que nous appelons Eglise locale et sur laquelle s’est concentrée l’attention de votre Congrès. En elle, la célébration sacramentelle et liturgique de l’Eucharistie offre la vision unitaire de l’Eglise, et présente un double aspect, l’un et l’autre du plus grand intérêt. Dans l’Eglise locale — et notre pensée, au-delà du cadre diocésain qui définit par excellence le caractère propre d’une Eglise locale — reconnue constitutionnellement comme telle, s’élargit jusqu’aux multiples ramifications des expressions paroissiales et des autres expressions particulières et légitimes — nous pouvons reconnaître le point de contact effectif où l’homme rencontre le Christ et où lui est ouvert l’accès au plan concret du salut : là il trouve le ministère, la foi, la communauté, la parole, la grâce, là il trouve le Christ lui-même qui s’offre au fidèle inséré dans l’Eglise universelle. L’Eglise locale est ainsi, dans l’économie religieuse catholique, le point de départ et le point d’arrivée ; elle est comme le fruit par rapport aux racines, à l’arbre, aux branches, c’est-à-dire la phase de la plénitude spirituelle offerte à tous. Jésus lui-même semble en décrire la beauté et la fécondité lorsqu’il dit : " Je suis la vigne, et vous, vous êtes les sarments " (Jn 15, 5). C’est là qu’aboutit la structure de son dessein et que commence la maturation promise du règne de Dieu. Ecoutez le Concile : " Le diocèse, c’est-à-dire, l’Eglise locale, est une portion du Peuple de Dieu confiée à un évêque pour qu’avec l’aide le son presbytérium, il en soit le pasteur : ainsi le diocèse, lié à son pasteur et par lui rassemblé dans le Saint-Esprit grâce à l’Evangile et à l’Eucharistie, constitue une Eglise particulière en laquelle est vraiment présente et agissante l’Eglise du Christ une, sainte, catholique et apostolique " (Décr. Christus Dominus, 11 ; et Const. dogm. Lumen Gentium, 26).

Il faut aimer l’Eglise locale, comme doit l’être une mère. Il faut préférer son propre clocher, comme le plus beau de tous. Chacun doit se sentir heureux d’appartenir à son propre diocèse, à sa paroisse, et chacun peut dire de sa propre Eglise locale : ici le Christ m’a attendu et m’a aimé, c’est ici que je l’ai rencontré, c’est ici que j’appartiens à son Corps mystique. C’est ici que je suis dans son unité. Nous tous ici présents, nous devons être insérés dans le Christ, nous devons être, avec lui et entre nous, un seul et même être. Et c’est l’Eucharistie qui nous donne, qui doit nous donner ce sens de la communion. L’Eucharistie est la table du Seigneur : nous nous réunissons autour du même autel, commensaux du Christ et des autres fidèles, qu’il nous faut considérer comme des frères.

Pourquoi nous attardons-Nous à faire l’éloge de l’Eglise locale ? Parce que tel doit être le fruit de ce Congrès : un renouvellement et un accroissement de notre estime pour le diocèse qui est le nôtre, pour notre propre paroisse, ou pour notre communauté légitime, et, par voie de conséquence, pour toute forme de rapport humain honnête. Le Christ, dans l’Eucharistie, Prêtre, victime et nourriture de son repas sacrificiel, est aussi pour nous un maître de charité et d’unité. C’est à l’occasion de son. repas d’adieu qu’il nous a laissé, comme en testament, l’exemple de son humilité si déconcertante : lui, Seigneur et Maître, comme il s’appela lui-même alors, s’incline pour laver les pieds de ses disciples (cf. Jn 13). Il nous a laissé le commandement nouveau de nous aimer les uns les autres; et dans ce commandement, la nouveauté réside, nous semble-t-il, dans le " comme " il nous a aimés, un " comme " sans limite : " Je vous donne un commandement nouveau, dit-il : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ". Un commandement qui doit être un caractère distinctif : " A ceci tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à cet amour que vous aurez les uns pour les autres " (Jn, ib.). Le signe, le gage, le stimulant, la source et la force de cette communion inimaginable entre nous, disciples et élèves, entre nous, chrétiens c’est la communion avec Lui, c’est l’Eucharistie.

Oui, une conscience renouvelée du caractère social de notre communauté ecclésiale : telle doit être la conséquence d’un Congrès eucharistique consacré au thème de la communauté locale. C’est une conséquence qui ne nous permet plus de vivre notre vie chrétienne dans la coquille fermée et confortable de notre propre individualisme, spirituel aussi bien que pratique, ni dans le désintéressement des besoins, des problèmes, des difficultés et des joies de notre propre communauté ; c’est une conséquence qui nous interdit de succomber aux tentations des cercles restreints : antipathies, jalousies, médisances, mépris, contestations, aversions et litiges qui fleurissent souvent même dans nos communautés ; c’est une conséquence qui, au contraire, met l’amour du prochain comme programme réel et universel de notre vie dans la communauté ecclésiale et qui l’applique avec générosité et humilité dans toutes les circonstances de notre vie quotidienne. Elle fait ressentir, à tous et à chacun, comme les siens propres les besoins de la communauté, ceux des pauvres, des personnes sans emploi, ou qui souffrent, ceux de l’enfance et de la jeunesse tout comme ceux de la vie religieuse et de la vie civique. Nous sommes heureux d’avoir aujourd’hui avec nous — et on peut voir là une confirmation de l’amitié dont est capable une Eglise locale à l’histoire et à la population bien déterminées comme celles d’Udine — et d’accueillir comme des hôtes et des frères, les foules de travailleurs qui incarnent les souffrances et les espérances sociales d’une si grande partie du peuple italien, et de leur exprimer notre solidarité chrétienne.

Unité dans l’Eglise locale, Ensuite, unité de l’Eglise, en commençant aussi sur ce point par une prise de conscience réaffirmée de la communion avec l’Eglise universelle et avec l’Eglise qui, par la volonté du Christ, en constitue la base et le centre : l’Eglise de Dieu, l’Eglise Romaine. Ce n’est point par orgueil ou pour notre avantage personnel que Nous parlons. Serviteur des serviteurs de Dieu, investi de la charge pastorale de veiller sur le troupeau du Christ tout entier, Nous parlons selon notre devoir et pour votre honneur, en citant cette parole bien connue de Saint Jean Chrysostome : " Celui qui est à Rome sait que les habitants de l’Inde sont ses membres " (In Jo Hom., 65, 1 ; PG 59, 361) ; Nous parlons dans l’intérêt des Eglises locales pour lesquelles il serait infiniment triste de perdre le sens de la catholicité de l’unique Peuple de Dieu et de céder à la tentation du séparatisme, de l’autosuffisance, du pluralisme arbitraire, du schisme, en oubliant que, pour jouir de l’authentique plénitude de l’Esprit du Christ, il est nécessaire d’être inséré organiquement dans le Corps du Christ (cf. 1 Co 12 ss. ; 1 Col, 9 ; Ga 3, 28 ; Rm 6, 5 ; 11, 17 ss., etc. ; cf. saint Augustin). A partir de l’Eucharistie, l’unité communautaire et hiérarchique, après avoir convergé vers son foyer visible le ministère apostolique, comme vers son foyer invisible, le ministère de l’Esprit du Christ, s’élargit en éventail sans limite dans la catholicité de l’Eglise répandue par toute la terre, dans un élan d’amour missionnaire et œcuménique : tel est l’horizon qui s’ouvre tout grand au-dessus de nous, si du moins, dans l’intime cénacle de notre Eglise locale, nous célébrons le sacrifice eucharistique de Jésus offert " pro mundi vita ", pour la vie du monde (Jn 6, 51),

 

 

20 septembre

UNE AILE AVANCEE DE L’EGLISE DANS LE MONDE

Après l’Audience Générale du mercredi 20 septembre, Paul VI a reçu les participants au Congrès International des Dirigeants des Instituts Séculiers, qui se sont réunis à Nemi pour constituer, au niveau international, un organisme de liaison entre les Instituts Séculiers. Le groupe était conduit par le Cardinal Hildebrand Antoniutti, Préfet de la Sacrée Congrégation pour les Religieux et les Instituts Séculiers. Etaient également présents Mgr Augustin Mayer, Archevêque titulaire de Satriano et Secrétaire de la Sacrée Congrégation, et Mgr Jean-Baptiste Verdelli, Sous-Secrétaire pour les Instituts Séculiers.

Le Congrès, auquel participaient des délégués provenant de 23 nations s’était réuni à l’occasion du XXV° anniversaire de la Constitution Apostolique Provida Mater Ecclesiae du 2 septembre 1947.

Une brève adresse d’hommage au Saint-Père a été lue par la Présidente du Congrès, Mademoiselle Gabrielle Lachouse. A la suite de quoi, Paul VI a adressé aux Congressistes un discours dont voici la traduction.

Bien-aimés Fils et Filles dans le Seigneur, II nous est donné une fois de plus l’occasion de nous rencontrer avec vous, Dirigeants des Instituts Séculiers, qui constituez et représentez, en ce moment de l’histoire, une part florissante et vigoureuse de l’Eglise. La circonstance qui vous a ramenés devant nous est, cette fois, le Congrès que vous êtes sur le point de conclure et qui s’est tenu à Nemi, dans le proche voisinage de notre Résidence estivale de Castel Gandolfo, Congrès au cours duquel vous avez étudié les statuts de la " Conférence Mondiale des Instituts Séculiers ", en voie de constitution (C.M.I.S.).

Nous n’avons pas l’intention d’aborder le sujet de vos travaux, que vous avez certainement menés de manière approfondie et avec application, sous les vigilants auspices et avec la participation du Dicastère compétent, et auxquels nous souhaitons de fructueux résultats en ce qui concerne l’essor de vos Instituts.

Nous désirons nous attarder à quelques réflexions sur ce que pourrait être la fonction des Instituts Séculiers dans le mystère du Christ et dans le mystère de l’Eglise,

Quand nous tournons vers vous nos regards et que nous pensons aux milliers et milliers d’hommes et de femmes dont vous faites partie, nous ne pouvons que nous sentir consolé, tandis que nous envahit et se diffuse au plus profond de nous-même un sentiment de joie et de reconnaissance envers le Seigneur. Combien forte et florissante se montre en vous l’Eglise du Christ ! Cette vénérable Mère, dont certains, aujourd’hui, et même parfois quelques-uns de ses propres fils, font la cible de leurs critiques âpres et impétueuses, dont d’autres se plaisent à décrire de fantaisistes symptômes de décrépitude et à prévoir la ruine ; la voici, bien au contraire, formant sans cesse des bourgeons nouveaux et faisant fleurir d’insoupçonnées initiatives de sainteté. Nous savons qu’il doit en être ainsi, parce que le Christ est l’intarissable source divine de l’Eglise : votre présence nous en offre un nouveau témoignage, et constitue pour nous tous l’occasion d’en reprendre à nouveau conscience.

Mais nous voulons regarder déplus près votre physionomie dans la famille du Peuple de Dieu. Vous aussi, vous réfléchissez une " manière propre ", par laquelle on peut revivre le mystère du Christ dans le monde, et une " manière propre " par laquelle on peut manifester le mystère de l’Eglise.

Le Christ Rédempteur est une telle plénitude, que nous ne parviendrons jamais ni à le comprendre, ni à l’exprimer entièrement. Lui, il est tout pour son Eglise, et ce que nous sommes en celle-ci, nous le sommes exactement par Lui, avec Lui et en Lui. Et pour les Instituts Séculiers, également, Il demeure donc l’ultime exemple, l’inspirateur, la source à laquelle puiser.

Fondés sur le Christ et suivant son exemple, vous accomplissez d’une manière caractéristique, et qui vous est propre, une importante mission de l’Eglise. Mais l’Eglise, elle aussi, est une telle plénitude, est une telle richesse, que jamais personne ne pourra tout seul, que jamais aucune institution ne pourra d’elle-même, la comprendre et l’exprimer de manière adéquate. Et il ne nous serait pas possible d’en découvrir les dimensions parce que sa vie est le Christ, qui est Dieu. Par conséquent, la réalité de l’Eglise, et la mission de l’Eglise ne pourront être exprimées complètement que dans la pluralité des membres. Cela, c’est la doctrine du Corps Mystique du Christ, la doctrine des dons et des charismes de l’Esprit-Saint.

Notre discours nous amène maintenant — vous l’avez compris — à nous interroger sur la manière qui vous est propre d’accomplir la mission de l’Eglise. Quel est votre don spécifique, votre rôle caractéristique, le " quid novum " que vous apportez à l’Eglise d’aujourd’hui ? Ou encore : de quelle manière êtes-vous Eglise, aujourd’hui ? Vous le savez, vous l’avez désormais éclairci pour vous-mêmes et pour la communauté chrétienne. Nous le croyons.

Vous vous trouvez placés au confluent mystérieux de deux courants puissants de la vie chrétienne, recueillant des richesses de l’une et de l’autre. Vous êtes des laïcs, consacrés comme tels par les sacrements du Baptême et de la Confirmation mais vous avez choisi d’accentuer votre consécration à Dieu en professant les conseils évangéliques, assumés comme obligations à la suite d’un engagement stable et reconnu. Vous demeurez des laïcs, engagés dans les valeurs séculières propres et caractéristiques du laïcat (Lumen Gentium, 31), mais votre état est un " état séculier consacré " (paul VI, Discours aux Dirigeants et Membres des Instituts Séculiers pour le XXV° Anniversaire de la "Provida Mater", cf. L’Osservatore Romano, édition italienne du 8 février 1972), vous êtes des " séculiers consacrés " (PAUL VI, Discours aux Participants au Congrès International des Instituts Séculiers, 26 septembre 1970, Insegnamenti, VIII, p. 939).

Et tout en étant " séculiers ", votre position diffère d’une certaine manière de celle des simples laïcs, en ce sens que si vous êtes engagés dans les mêmes valeurs du monde, vous l’êtes, vous, comme consacrés : c’est-à-dire, non tant pour affirmer la valeur intrinsèque des choses humaines en elles-mêmes, mais pour les orienter explicitement selon les béatitudes évangéliques ; d’autre part, vous n’êtes pas des religieux, mais d’une certaine manière votre choix s’accorde avec celui des religieux, parce que la consécration que vous avez faite vous place dans le monde comme des témoins de la prééminence des valeurs spirituelles et eschatologiques, c’est-à-dire du caractère absolu de votre charité chrétienne qui, plus elle est grande plus elle fait apparaître relatives les valeurs du monde, pendant qu’elle en facilite, en même temps, la parfaite concrétisation de votre part et de la part des autres frères.

Aucun des deux aspects de votre physionomie spirituelle ne peut être surévalué au détriment de l’autre. Ils sont essentiels, autant l’un que l’autre.

" Etat séculier " définit votre insertion dans le monde. Cela ne définit pas uniquement, toutefois, une position, une fonction qui coïncide avec une manière de vivre en pratiquant un métier y en exerçant une profession " séculière ". Cela doit signifier, avant tout, une prise de conscience d’être dans le monde comme en " votre propre sphère de responsabilité chrétienne ". Etre dans le monde, c’est-à-dire être engagé dans les valeurs séculières, est votre manière d’être Eglise et de la rendre présente, de vous sauver et d’annoncer le Salut. Votre condition existentielle et sociologique devient votre réalité théologique, elle est votre voie pour réaliser et témoigner le Salut. Vous êtes ainsi une aile avancée de l’Eglise " dans le monde ", vous exprimez la volonté de l’Eglise d’être dans le monde pour le modeler et le sanctifier " presque de l’intérieur, à la manière d’un levain " (Lumen Gentium, 31), ce qui est également une tâche confiée principalement au laïcat. Vous êtes une manifestation particulièrement concrète et efficace de ce que l’Eglise entend faire pour construire le monde décrit et souhaité par Gaudium et Spes.

" Consécration " indique, au contraire, l’intime et secrète structure qui soutient votre être et votre action. Ici, se trouve votre richesse profonde et cachée, que les hommes parmi lesquels vous vivez ne peuvent pas s’expliquer ni même, souvent, soupçonner; La consécration baptismale est devenue ultérieurement plus radicale, à la suite d’une plus grande exigence d’amour suscitée en vous, par l’Esprit-Saint, non pas dans les mêmes formes que la consécration religieuse, mais telles cependant qu’elles vous ont incités à une option fondamentale pour la vie selon les béatitudes évangéliques. C’est ainsi que vous êtes réellement consacrés et réellement dans le monde : " Vous êtes dans le monde, et non du monde, mais pour le monde ", comme nous vous avons décrits nous-même en une autre occasion (PAUL VI, Discours aux participants au Congrès International des Instituts Séculiers, 26 septembre 1970, Insegnamenti, VIII, p. 939). Vous vivez une véritable et propre consécration selon les conseils évangéliques, mais sans la plénitude de " visibilité " qui est propre à la consécration religieuse ; visibilité qui est constituée, outre que des vœux publics, d’une plus stricte vie communautaire et de la marque extérieure de l’habit religieux. Votre consécration, est une consécration nouvelle et originale, suggérée par le Saint-Esprit pour être vécue au milieu des réalités temporelles et pour introduire la force des conseils évangéliques — c’est-à-dire des valeurs divines et éternelles — dans les valeurs humaines et temporelles.

Votre choix de la pauvreté, de la chasteté et de l’obéissance est un mode de participation à la Croix du Christ, parce que vous vous associez à lui dans la privation de biens qui sont d’ailleurs parfaitement licites et légitimes ; mais il est également un moyen de participation à la victoire du Christ ressuscité, en ce qu’il vous protège contre une facile emprise que ces biens pourraient avoir sur la pleine disponibilité de votre esprit. Votre pauvreté enseigne au monde qu’on peut vivre parmi les biens temporels et user des moyens qu’offrent la civilisation et le progrès sans se rendre esclave d’aucun d’eux ; votre chasteté enseigne au monde qu’on peut aimer d’une manière désintéressée et intarissable qui tient du cœur de Dieu, et qu’on peut se dédier joyeusement à tous sans se lier à personne, consacrant ses soins principalement aux plus abandonnées ; votre obéissance enseigne au monde qu’on peut être heureux, même sans se borner à une commode option personnelle, mais en restant pleinement disponible à la volonté de Dieu, telle qu’elle ressort de la vie quotidienne, des signes des temps et des exigences de Salut du monde d’aujourd’hui.

Et ainsi, de votre vie consacrée, votre activité dans le monde — qu’elle soit personnelle ou collective, dans les secteurs professionnels où vous êtes individuellement ou communautairement engagés — reçoit également une orientation plus marquée vers Dieu, restant, de quelque manière, elle-même entraînée et transportée dans votre propre consécration. Et dans cette singulière et providentielle configuration, vous enrichissez l’Eglise d’aujourd’hui d’une précieuse source d’exemples dans sa vie " séculière ", en vivant celle-ci comme consacrés et aussi d’une précieuse source d’exemples dans sa vie " consacrée ", en la vivant comme séculiers.

A ce point, nous voudrions nous arrêter un instant sur un aspect de fécondité tout particulier de votre Institution. Nous voulons faire allusion au groupe nombreux : de ceux qui, consacrés au Christ dans le sacerdoce ministériel et désireux de s’unir à Lui par un nouveau lien, embrassent la profession de conseillers évangéliques et affluent à leur tour dans les Instituts séculiers. Nous pensons à nos frères dans le sacerdoce du Christ, et voulons les encourager, tandis qu’une fois encore nous admirons en eux l’action de l’Esprit, qui s’exerce inlassablement à susciter ta préoccupation d’une toujours plus grande perfection. Tout ce qui à été dit jusqu’ici, vaut certainement pour eux également, mais exigerait d’autres approfondissements, d’autres précisions. Eux, en fait, parviennent à la consécration dans les conseils évangéliques et à l’engagement des valeurs " séculières ", non plus encore comme laïcs, mais bien, déjà comme clercs, c’est-à-dire porteurs d’une médiation sacrée dans le Peuple de Dieu. En plus du Baptême et de la Confirmation, qui constituent la consécration-base du laïcat dans l’Eglise, ils ont reçu une spécification sacramentelle dans les Ordres Sacrés, qui les a constitués titulaires de fonctions ministérielles déterminées au regard de l’Eucharistie et du Corps Mystique du Christ. Ceci a laissé intacte la nature " séculière " de la vocation chrétienne, et ils peuvent donc l’enrichir en la vivant comme " consacrés " dans les Instituts Séculiers, mais alors bien diverses sont les exigences de leur spiritualité, de même que certaines implications externes dans leur pratique des conseils évangéliques et dans leur engagement séculier.

Nous voulons maintenant conclure en adressant à tous une pressante et paternelle invitation : celle de cultiver et d’augmenter, d’avoir à cœur, toujours et avant tout, la communion ecclésiale. Vous êtes les articulations vitales de cette communion, parce que vous êtes Eglise, vous aussi veuillez ne jamais attenter à leur efficience. On ne pourrait ni concevoir, ni comprendre, un phénomène ecclésial en dehors de l’Eglise. Ne vous laissez pas surprendre, ni même effleurer, par la tentation, aujourd’hui trop aisée, d’imaginer qu’une authentique communion avec le Christ soit possible sans une réelle harmonie avec là communauté ecclésiale régie par ses légitimes pasteurs. Ce serait trompeur et illusoire. Sans cette communion, quelle valeur pourrait avoir un individu oui un groupe, même animés des intentions subjectivement les plus hautes et les plus parfaites ? Le Christ nous l’a demandé comme garantie pour être admis à la communion avec Lui, de la même manière qu’il nous a demandé d’aimer notre prochain comme élément probant de notre amour pour Lui.

Vous, êtes donc du Christ et pour le Christ, dans son Eglise ; Eglise est votre communauté locale, est Votre Institut, est votre paroisse, mais toujours dans la communion de Foi, d’Eucharistie, de discipline et de fidèle et loyale collaboration avec votre Evêque et avec la Hiérarchie. Vos structures et votre action ne devront jamais vous conduire — que vous soyez prêtres ou que vous soyez laïcs — à une " bipolarité " de positions, ni à un " alibi " d’attitude intérieure ou extérieure, et encore moins à des positions antithétiques avec vos pasteurs.

C’est à cela que nous vous invitons ; c’est cela que nous vous souhaitons pour que vous puissiez être, au milieu du monde, les ouvriers authentiques de l’unique mission salvatrice de l’Eglise, à la manière qui vous est propre, à quoi vous avez été appelés et invités. Et ainsi, le Seigneur vous aidera à prospérer et à fructifier encore, avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

22 octobre

LA COOPERATION MISSIONNAIRE, UN DEVOIR POUR TOUS LES CHRETIENS

Pour la Journée Missionnaire Mondiale, célébrée le 22 Octobre, le Saint-Père Paul VI a adressé au peuple de Dieu le Message suivant :

A tous nos Frères et Fils de l’Eglise Catholique !

En vous adressant ce message pour la prochaine Journée Missionnaire d’Octobre 1972, nous ne pouvons pas faire moins que rappeler, en en rendant grâce à Dieu, la triple commémoration jubilaire de cette année.

 

Trois anniversaires

Il y a trois cent cinquante ans, en 1622, pendant le Pontificat du Pape Grégoire XV, fut instituée à Rome la Sacrée Congrégation " de Propaganda Fide " qui commençait une nouvelle époque dans l’histoire des missions, époque caractérisée par un sens plus profond de l’unité et de la catholicité dans les directives et dans les structures de l’apostolat missionnaire, par une considérable renaissance apostolique des anciens Ordres religieux, par la fondation de nouveaux Instituts consacrés à l’évangélisation du monde non chrétien et par une croissante coopération populaire en faveur des missions.

De cette renaissance missionnaire commencée par la Sacrée Congrégation de la Propagande, est en grande partie le fruit, la floraison des initiatives de coopération missionnaire tout au long du XIX° siècle.

En 1822 — il y a 150 ans — grâce au zèle missionnaire et à l’amour pour l’Eglise de la jeune française Pauline Jaricot, naissait à Lyon l’Oeuvre appelée de la Propagation de la Foi, avec un programme très clair d’aide spirituelle et matérielle à toutes les missions.

Un siècle plus tard, en 1922 — nous en commémorons aujourd’hui le cinquantenaire — Pie XI faisant sienne l’idée de Benoît XV, transformait l’Oeuvre de la Propagation de la Foi en " organe propre du Siège Apostolique " (Motu Proprio " Romanorum Pontificum ") pour aider toutes les missions catholiques, et déclarait aussi Pontificales (ibid.) l’Oeuvre de Saint-Pierre Apôtre pour le Clergé indigène et l’Oeuvre de la Sainte Enfance, chargeant les évêques de les promouvoir dans leurs diocèses par l’intermédiaire de l’Union Missionnaire du Clergé (ibid.).

En mémoire de ce triple événement, nous désirons que la Journée Missionnaire Mondiale de cette année constitue un acte chaleureux d’admiration, de reconnaissance, d’aide envers la Sacrée Congrégation " de Propaganda Fide ", maintenant appelée pour l’Evangélisation des Peuples ; pour la très large contribution donnée au développement de l’activité missionnaire de l’Eglise et envers les Œuvres Pontificales Missionnaires qui ont développé parmi tout le Peuple de Dieu un esprit vraiment universel et missionnaire, facilitant en grande partie à ladite Congrégation la mise en œuvre de ses plans apostoliques.

Nous souhaitons que cette année la Journée Missionnaire marque pour tout le Peuple de Dieu un pas en avant décisif dans la compréhension de ses devoirs missionnaires et dans sa collaboration à ces Œuvres de portée universelle qui, appelées Pontificales par antonomase, sont aussi d’ailleurs vraiment Episcopales.

Parmi de nombreux catholiques existe le danger de ne pas se préoccuper du tout de l’activité évangélique de l’Eglise parmi les peuples non chrétiens. Pour une telle tâche — c’est ainsi qu’ils s’excusent — le Pape a à sa disposition un Dicastère spécial et il y a en plus les Instituts missionnaires avec leurs collaborateurs et leurs bienfaiteurs.

Il est certain que le précepte ne prescrit pas à tous les chrétiens de partir prêcher l’Evangile aux peuples. Pour une telle tâche le Seigneur choisit un nombre déterminé de prêtres, de religieux et de laïcs qui, ensuite, sont envoyés dans les missions par l’autorité légitime. Mais que l’on tienne bien compte que ceux-ci sont " envoyés " au nom de tout le Peuple de Dieu puisque " ils se chargent comme d’un office propre de la mission d’évangélisation qui appartient à toute l’Eglise " (Ad Gentes, 23).

 

Gravité et urgence du problème

Il ne faut pas oublier les répétées et solennelles affirmations des derniers Pontifes sur la gravité, l’urgence et l’universalité du devoir missionnaire que le Concile Vatican II a souligné d’une manière particulière.

Celui-ci, en effet, affirme que le Peuple de Dieu " constitué par le Christ pour communier à la vie, à la charité et à la vérité, est entre ses mains l’instrument de la Rédemption de tous les hommes et il est envoyé au monde entier comme lumière du monde et sel de la terre " (Lumen Gentium, 9), que l’Eglise est missionnaire par sa nature et par mandat (Ad Gentes, 2, 35), et par conséquent le devoir missionnaire concerne tous et chacun de ses membres et toutes et chacune de ses Eglises et communautés locales (Lumen Gentium, 9).

Ce devoir concerne premièrement et immédiatement le Pape et les évêques (Ad Gentes, 29 ; 38), et d’une manière particulière les prêtres, les religieux et les religieuses en raison de leur consécration au service de Dieu et de l’Eglise (Ad Gentes, 39 ; 40) ; mais aucun fidèle chrétien ne doit se croire dispensé de ce devoir puisque, par le baptême, il a été incorporé à une Eglise essentiellement missionnaire (Ad Gentes, 36). Effectivement tous les chrétiens sont obligés de coopérer aux missions selon leurs propres capacités : certains pouvant le faire par la parole, d’autres par la plume, ceux-ci par l’argent, ceux-là par le travail manuel, d’autres enfin consacreront leur temps aux missions. A tous se présente l’opportunité d’offrir pour les missions leurs prières et leurs tribulations, leurs joies et leurs douleurs.

Et cette universalité du devoir missionnaire est si claire que le Concile, en traitant de l’initiation chrétienne parmi les catéchumènes, dispose que ceux-ci, avant de recevoir le baptême, " doivent apprendre à coopérer activement à l’évangélisation et à la construction de l’Eglise " (Ad Gentes, 14).

 

La situation des jeunes Eglises

En ce qui concerne ensuite les jeunes Eglises qui, en tant que telles, sont généralement très pauvres de personnel et de moyens, le Concile ajoute qu’il est convenable " qu’elles participent effectivement à la mission universelle de l’Eglise ... La communion avec l’Eglise universelle atteindra d’une certaine manière sa perfection lorsque, elles aussi, elles participeront activement à l’action missionnaire auprès d’autres nations " (Ad Gentes, 20).

Ce devoir de coopération à l’œuvre des missions pourrait paraître à quelques-uns — étant donné l’annonce d’une Journée Annuelle des Missions — qu’on doit accomplir son devoir seulement un jour par an. C’est tout différent. Il ne s’agit pas d’une recommandation marginale, mais d’un devoir fondamental du Peuple de Dieu, inhérent à la nature même de l’être chrétien (Ad Gentes, 36) ; le " devoir le plus important et le plus sacré de l’Eglise " (Ad Gentes, 29).

 

Harmonie des membres du Corps Mystique

Comme la respiration ne peut jamais s’interrompre sous peine de mort, ainsi la préoccupation missionnaire ne peut se limiter à une seule journée (annuelle si on ne veut pas courir le risque de compromettre l’avenir de l’Eglise et notre propre existence chrétienne. C’est pour cette raison que, dans le document important post-conciliaire Ecclesiae Sanctae (III, 3), par lequel on applique à la pastorale pratique les règles conciliaires, on affirme que la Journée Missionnaire Mondiale doit être l’expression spontanée d’un esprit missionnaire maintenu vivant tous les jours par les prières et les sacrifices quotidiens. L’asphyxie spirituelle dans laquelle se débattent aujourd’hui tristement dans le sein de l’Eglise catholique tant d’individus et d’institutions, n’aurait-elle pas peut-être son origine dans l’absence prolongée d’un authentique esprit missionnaire?

Des problèmes parfois immédiats, de transcendance très limitée, font oublier le formidable problème de la mission universelle de l’Eglise.

Combien de tensions internes qui débilitent et déchirent certaines Eglises et Institutions locales disparaîtraient en face de la ferme conviction que le salut des communautés locales se conquiert par la coopération à l’œuvre missionnaire pour que celle-ci s’étende jusqu’aux confins de la terre ! (cf. Ad Gentes, 37).

Il y a une affirmation du Concile Vatican II que nous désirons qui soit méditée attentivement : " Les membres de ce corps sont tellement unis et solidaires (dans le Corps mystique du Christ) qu’un membre qui ne travaillerait pas selon ses possibilités à la croissance du corps devrait être réputé mutile pour l’Eglise et pour lui-même " (Apostolicam Actuositatem, 2).

Il y a une circonstance qui rend encore plus urgente et plus grave cette responsabilité missionnaire du Peuple de Dieu. Nous faisons allusion aux multiples possibilités offertes par le monde d’aujourd’hui pour une pénétration universelle et simultanée du Message évangélique. Nous voyons heureusement transformer en réalité la présence historique de l’Eglise parmi tous les peuples. Malgré cela il y a des pays qui se ferment volontairement à l’Evangile. C’est un fait évident que tous les peuples vont toujours se cherchant davantage entre eux et se mettent donc aussi en relation avec l’Eglise.

Cette nouvelle et providentielle situation de l’Eglise dans le monde nous fait comprendre les grands devoirs et avantages qui nous sont offerts aujourd’hui dans le domaine de la coopération missionnaire pour une diffusion sur l’échelle mondiale de l’idéal missionnaire et pour une aide de vastes dimensions à toutes les missions de l’Eglise.

C’est la géniale intuition de ce fait qui a poussé notre prédécesseur Pie XI à instituer en 1926 là Journée Missionnaire Mondiale, initiative qui s’est transformée en une aide puissante et indispensable pour les missions qui dépendent de la Sacrée Congrégation pour l’Evangélisation des Peuples.

 

Les œuvres pontificales

Tous les fils de l’Eglise et toutes ses institutions sont appelés à la préparation de ce grand Jour Missionnaire : les prêtres diocésains, les missionnaires, les religieux et les religieuses et ceux qui appartiennent à toutes les œuvres d’apostolat laïc. Mais ils s’adressent d’une manière particulière aux Œuvres Pontificales que, comme nous l’avons dit, nous pouvons considérer comme vraiment Episcopales, à savoir : l’Œuvre de la Propagation de la Foi, l’Œuvre de Saint-Pierre Apôtre pour le Clergé indigène, l’Œuvre de la Sainte Enfance et l’Union Missionnaire de toutes les âmes consacrées, âme des trois précédentes.

Bien que l’Œuvre de la Propagation de la Foi soit spécialement appelée à promouvoir et à organiser cette Journée, sous la direction du Saint-Siège et des évêques, tout le système missionnaire collabore activement à sa préparation. Les prêtres de l’un et l’autre clergé, les religieuses et les frères laïcs réunis dans l’Union Missionnaire, les enfants associés de la Sainte Enfance, les jeunes étudiants promoteurs de l’Œuvre de Saint-Pierre Apôtre, bien qu’ils célèbrent dans le cours de l’année leurs journées spéciales conformes à leurs propres règles, doivent cependant considérer la Journée Missionnaire Mondiale comme le point culminant de leur constante activité missionnaire.

A cinquante années de l’élévation au rang Pontifical des Œuvres Missionnaires, nous voulons leur témoigner notre très spéciale affection, notre profonde gratitude pour les services rendus au Saint-Siège et à l’Eglise entière et les proclamer encore une fois le principal instrument du Saint-Siège et de l’Episcopat dans le domaine de la coopération missionnaire, " puisque — comme l’a proclamé le Concile — elles ont des moyens pour pénétrer les catholiques, dès leur enfance, d’un esprit vraiment universel et missionnaire, et pour provoquer une collecte efficace de subsides au profit de toutes les missions selon les besoins de chacune " (Ad Gentes, 38). D’ailleurs, au sujet de ces œuvres qui nous sont si chères, nous avons déjà déclaré dans notre premier message pour la Journée Missionnaire de 1963 " bien que nous n’excluions pas d’autres initiatives d’aide aux missions et pour des fins particulières, elles surpassent évidemment toutes les autres Œuvres en ce qu’elles sont une expression plus directe et plus complète de la sollicitude du Pasteur Suprême du troupeau de Dieu pour toutes les Eglises ".

L’exacte organisation de la coopération missionnaire, qui doit être dirigée par les évêques aux niveaux national et diocésain, tiendra compte de la structure spéciale pontifico-épiscopale de ces Œuvres et de la nécessité de coordonner avec elles les droits et les initiatives des Instituts religieux et des œuvres missionnaires particulières.

 

Universalisme missionnaire

Depuis leur naissance, ces Œuvres ont été caractérisées par le plus pur universalisme missionnaire et c’est justement cette qualité particulière qui a été la raison principale qui les a fait choisir pour être converties en " instruments officiels " du Siège de Pierre pour aider toutes les missions (M. P. Romanorum Pontificum).

" Justement parce que nous sommes catholiques — déclarait le premier Président de l’Œuvre de la Propagation de la Foi, il y a 150 ans, l’année même où l’Œuvre était fondée par Pauline Jaricot — nous ne voulons pas soutenir telle ou telle mission en particulier, mais toutes les missions du monde ".

L’universalisme missionnaire doit être aussi le motif dominant qui anime tous les actes organisés autour de la Journée Missionnaire Mondiale que nous annonçons.

Sachez enfin que cette Journée, en vertu du document de sa fondation, est aussi destinée à la promotion des Œuvres Pontificales Missionnaires et en particulier de l’Œuvre de la Propagation de la Foi.

Nous connaissons les difficultés que ces Œuvres rencontrent sur leur route, spécialement de nos jours ; mais c’est d’un grand réconfort pour nous que la pensée que, malgré tout, ces Œuvres Pontificales Missionnaires dans leur ensemble non seulement n’ont pas ralenti leur marche mais, dans certains pays, ont dépassé leurs anciens records.

Nous prions le Seigneur pour que les Œuvres Pontificales Missionnaires rénovées dans leurs structures, conformes aux orientations pastorales du Concile Vatican II, et sous la conduite de l’humble Vicaire du Christ et des évêques, puissent commencer en cette année 1972 une nouvelle ère de plénitude et de développement et réaliser leur programme d’incorporer tout le Peuple de Dieu, d’une manière efficace et consciente, à l’œuvre missionnaire de l’Eglise.

Et dans cet espoir nous accordons à tous Nos Frères dans l’Episcopat, aux prêtres et religieux, aux religieuses et aux fidèles du laïcat catholique, Notre Bénédiction Apostolique, en gage de profonde gratitude et de chaleureux encouragement pour leur généreuse collaboration.

PAULUS PP. VI

 

 

29 octobre

UN DISCIPLE, UN IMITATEUR, UN MODELE

Le dimanche 29 octobre, le Pape a présidé, dans la Basilique Saint-Pierre, la cérémonie
de béatification de Don Rua. Après la lecture de l’Evangile, le Saint-Père a adressé aux milliers de fidèles présents dans la Basilique l’homélie suivante :

Vénérables Frères et très chers Fils, Bénissons le Seigneur !

Voici : nous venons de déclarer Don Rua " bienheureux ! ". Encore une fois, la merveille est accomplie : au-dessus de la foule humaine, soulevé par les bras de l’Eglise, cet homme envahi par une lévitation de grâce reçue et secondée dans un cœur héroïquement fidèle, émerge à un niveau supérieur et lumineux, où convergent sur lui l’admiration et le culte dus à ceux de nos frères qui sont déjà parvenus à la béatitude du royaume des cieux.

Ce profil émacié, cette figure de prêtre tout douceur et bonté, tout devoir et sacrifice, qui se dessine maintenant et pour toujours sur l’horizon de l’histoire, c’est Don Michel Rua, " bienheureux ! ".

Etes-vous contents ? Point n’est besoin de le demander à La triple Famille Salésienne, qui exulte avec nous ici et dans de monde, et communique sa joie à l’Eglise entière. Partout où se trouvent des Fils de Don Bosco, aujourd’hui, c’est fête. C’est fête spécialement pour l’Eglise de Turin, patrie, terrestre du nouveau Bienheureux, laquelle voit insérée dans la phalange moderne de ses élus une nouvelle silhouette sacerdotale, qui illustre les vertus civiles et chrétiennes de sa race et lui promet une nouvelle fécondité.

Don Rua, " bienheureux ". Nous ne retracerons pas maintenant sa biographie, nous ne ferons pas non plus son panégyrique : cette histoire est désormais bien connue de tous. Les excellents Salésiens ne laissent assurément pas leurs héros manquer de célébrité. Car cet hommage est dû à leurs vertus, il élargit en les rendant populaires, le rayonnement de leur exemple et en multiplie l’efficacité bienfaisante : il crée l’épopée pour l’édification de notre temps.

Puis, en ce moment où tant de joyeuse émotion remplit nos cœurs, nous préférons méditer plutôt qu’écouter. Eh bien ! méditons un instant sur l’aspect caractéristique de Don Rua, l’aspect qui le définit, nous le fait comprendre et nous le dit tout entier. Qui est Don Rua ?

C’est le premier successeur de Don Bosco, le saint Fondateur des Salésiens. Et pourquoi maintenant Don Rua est-il béatifié ? c’est-à-dire glorifié ? Il est béatifié et glorifié justement parce qu’il a été vraiment le successeur de Don Bosco, c’est-à-dire son continuateur : son fils, son disciple, son imitateur. Avec d’autres, comme l’on sait, mais le premier entre tous, il a fait de l’exemple du saint Fondateur une école ; de son œuvre personnelle, une institution qui s’étend, peut-on dire, à toute la terre ; de sa vie, une histoire ; de sa Règle, un esprit ; de sa sainteté, un type, un modèle ; de la source il a fait un courant, un fleuve. Rappelez-vous la parabole de l’Evangile : " Le royaume des cieux est semblable à uni grain de sénevé, qu’un homme a pris et a semé dans son champ. C’est la plus petite de toutes les semences ; mais, lorsqu’il a poussé, il est plus grand que les plantes potagères et il devient un arbre, de sorte que les oiseaux du ciel viennent nicher dans ses branches " (Mt 13, 31-32). La fécondité prodigieuse de la Famille Salésienne, qui est l’un des phénomènes les plus grands et les plus significatifs de la perpétuelle vitalité de l’Eglise au siècle dernier et dans le nôtre, a eu son origine en Don Bosco, et sa continuité en Don Rua. C’est ce disciple qui a servi l’œuvre Salésienne dans sa virtualité d’expansion depuis ses humbles débuts de Valdocco ; il a compris le bonheur de la formule, et il l’a développée d’une manière cohérente avec ses origines, et cependant avec une nouveauté géniale. Don Rua a été le plus fidèle des disciples de Don Bosco parce que le plus humble, et en même temps, le plus valeureux.

Tout cela est bien connu; nous ne citerons pas ce que la documentation de la vie du Bienheureux nous offre avec une abondance exubérante ; nous ferons seulement une réflexion que nous croyons très importante, surtout de nos jours, et qui concerne l’une des valeurs les plus discutées, en bien et en mal, de la culture moderne : la tradition.

La tradition, qui trouve des culteurs et des admirateurs dans le domaine de l’humanisme, comme l’histoire et le devenir philosophique, est au contraire peu en honneur dans le domaine de l’action, où la rupture — révolution, transformations précipitées, originalité intolérante d’autres écoles, indépendance du passé, affranchissement de tout lien — paraît être la norme de la modernité et de la condition du progrès. Nous ne contestons pas ce qu’il y a de salutaire et d’inévitable dans cette attitude de la vie tendue en avant, qui progresse dans le temps, dans l’expérience et la conquête des réalités environnantes ; mais nous mettons en garde contre le danger et le dommage d’une répudiation aveugle de l’héritage que le passé transmet aux nouvelles générations à travers une tradition sage et sélective. En ne tenant pas compte de ce processus de transmission, nous pourrions perdre le trésor accumulé par la civilisation, et nous voir obligés de nous reconnaître rétrogrades, de recommencer de fond en comble un travail exténuant. Nous pourrions perdre le trésor de la foi, qui a ses racines humaines en des moments déterminés de l’histoire, et nous retrouver naufragés en haute mer, n’ayant plus la notion du chemin à parcourir ni la capacité de le faire. Discours immense, qui débute aux premières pages de la pédagogie humaine et pour le moins nous avertit du mérite que recèle encore le culte de la sagesse des anciens, nous rappelle à nous fils de l’Eglise, le devoir et le besoin que nous avons de puiser dans la tradition la lumière amie et inextinguible du passé proche ou lointain qui projette ses rayons sur nos sentiers montants. Devant Don Rua, le discours se fait simple et élémentaire, mais non pour cela moins digne de considération. Que nous enseigne Don Rua ? Comment a-t-il pu s’élever jusqu’à la gloire du Paradis et à l’exaltation de l’Eglise en ce jour ? Comme nous l’avons dit, Don Rua nous enseigne à être des continuateurs, c’est-à-dire des disciples, des élèves, — des maîtres, si vous voulez, pourvu que disciples d’un maître plus grand. Amplifions la leçon qui nous vient de lui. Il enseigne aux Salésiens à rester Salésiens, Fils toujours fidèles de leur Fondateur. A nous tous, il enseigne le respect du Magistère qui préside à la pensée et à l’économie de la vie chrétienne. Le Christ Lui-même, comme Verbe procédant du Père, comme Messie exécuteur et interprète de la Révélation qui le concerne, a dit de lui-même : " Ma doctrine n’est pas de moi, mais de Celui qui m’a envoyé " (Jn 7, 16).

La dignité du disciple dépend de la sagesse du maître. Dans le disciple, l’imitation n’est plus passivité ni servilité : elle est ferment, elle est perfection (cf. 1 Co 4, 16). La capacité qu’a l’élève de développer sa personnalité dérive en effet de cet art extractif, qui est le propre du précepteur et qui s’appelle justement éducation, cet art qui guide l’expansion logique, mais libre et originale, des qualités virtuelles du disciple. Nous voulons dire que les vertus desquelles Don Rua est le modèle, et dont l’Eglise a fait la raison de sa béatification, ce sont les vertus évangéliques des humbles adhérents à l’école prophétique de la sainteté, des humbles auxquels sont découverts les plus hauts mystères de la divinité et de l’humanité (cf. Mt 11, 25).

Si vraiment Don Rua s’est qualifié comme le premier continuateur de l’exemple et de l’œuvre de Don Bosco, nous aimerons repenser à lui, le vénérer sous cet aspect ascétique d’humilité et de dépendance ; mais nous ne pourrons jamais oublier le côté actif de cet humble grand homme, et d’autant moins que nous ne sommes pas opposé à la mentalité de notre temps enclin à mesurer la stature des hommes sur leur capacité d’action. Nous avons conscience de nous trouver en présence d’un athlète de l’activité apostolique, ce qui confère à Don Rua, dans le style de Don Bosco mais avec sa mesure propre et croissante, les dimensions spirituelles et humaines de la grandeur. Grande en effet est sa mission. Biographes et critiques ont reconnu en lui l’héroïsme des vertus que l’Eglise exige pour l’issue positive des causes de béatification et de canonisation, et qui suppose et atteste une abondance extraordinaire de la grâce divine, cause première et suprême de la sainteté.

La mission qui fait la grandeur de Don Rua s’oriente sur deux directions extérieures distinctes, mais qui dans le cœur de ce gigantesque ouvrier apostolique s’entrelacent et se fondent, ainsi qu’il advient généralement dans la forme d’apostolat que la Providence lui assigna : la Congrégation des Salésiens et l’Oratoire, c’est-à-dire les œuvres pour la jeunesse et tout ce qui en découle. Ici nos éloges devraient s’adresser à la triple Famille religieuse fondée par Don Bosco et développée par Don Rua dans une succession linéaire : Prêtres Salésiens, Filles de Marie Auxiliatrice, Coopérateurs Salésiens, qui prirent un merveilleux essor sous l’impulsion méthodique et inlassable de notre Bienheureux. Qu’il nous suffise de rappeler que pendant les vingt années de gouvernement de Don Rua le nombre des maisons est passé de 64, à la mort de Don Bosco, à 314. On ne peut que dire avec la Bible, et dans un sens positif : " Le doigt de Dieu est là ! " (Ex 8, 19). En exaltant Don Rua nous rendons gloire au Seigneur qui a voulu manifester par le nombre croissant de ses Confrères et par le développement rapide de l’œuvre salésienne, sa bonté et sa puissance, capables de susciter, même de nos jours, l’inépuisable et admirable vitalité de l’Eglise ; qui a voulu offrir à son labeur apostolique les nouveaux champs de travail pastoral qu’un développement social impétueux et désordonné a ouverts à la civilisation chrétienne. Et nous saluons, exultant avec eux dans la joie et l’espérance, tous les Fils de cette jeune et florissante Famille salésienne qui, sous le regard bienveillant du nouveau Bienheureux, affermissent leur pas sur la voie droite et rude de la sûre tradition de Don Bosco.

Puis, les œuvres Salésiennes, dont l’éclat reçu du saint Fondateur s’allume d’une splendeur nouvelle sous l’action de Don Rua, son continuateur. C’est vers vous que nous nous tournons, jeunes de la grande école salésienne. Nous voyons reflété sur vos visages et resplendissant dans vos yeux l’amour dont saint Jean Bosco, et avec lui Don Rua et tous leurs fils d’hier, d’aujourd’hui, de demain aussi, soyez-en sûrs, vous enveloppe magnifiquement. Que vous nous êtes chers ! et, pour nous, que vous êtes beaux! et combien volontiers nous vous voyons : gais, vifs, modernes, vous qui avez grandi et grandissez dans cette œuvre salésienne providentielle et multiforme. L’émotion nous étreint le cœur devant cette extraordinaire chose que le génie de charité de Don Bosco, du Bienheureux Rua et de leurs mille et mille disciples a su produire pour vous : pour vous, spécialement, fils du peuple ; pour vous, si vous aviez besoin d’assistance et d’aide, d’instruction et d’éducation, de formation au travail et à la prière ; pour vous, si vous étiez fils du malheur, ou relégués en des terres lointaines, attendant que quelqu’un vous approche avec la sage pédagogie préventive de l’amitié, de la bonté, de la joie; quelqu’un qui sût jouer et dialoguer avec vous, qui vous rendît bons et forts en vous faisant sereins et purs, courageux et fidèles ; qui vous découvrît le sens et les devoirs de la vie ; qui vous enseignât à trouver dans le Christ l’harmonie de toutes choses ! Vous aussi, nous vous saluons aujourd’hui; nous voudrions vous appeler tous, petits et grands de la joyeuse et laborieuse et studieuse palestre salésienne: vous et tant de vos camarades des villes et des campagnes ; vous, des écoles et des terrains de sport ; vous, engagés dans le travail, et vous, cloués par la souffrance ; vous de nos salles de catéchisme et de nos églises. Oui, nous voudrions vous appeler tous, un instant, au " garde à vous ! " et vous inviter à tourner vos regards vers le Bienheureux Michel Rua, qui vous a tant aimés, et qui en ce moment, par notre main, au nom du Christ, un à un, et tous ensemble vous bénit.

 

 

12 novembre

UNE VOCATION ET UNE MARTYRE AU SERVICE DE CEUX QUI SOUFFRENT

Le Saint-Père a présidé, le dimanche 12 novembre, dans la Basilique Saint-Pierre, le rite solennel de la béatification de Sœur Agostina Pietrantoni. Après le chant de l’Evangile, le Pape a adressé aux milliers de fidèles présents l’homélie suivante :

Frères, Sœurs !

Notre discours devrait être poésie ! Parole qui cède au silence la plénitude ineffable de son sens.

Puisque l’acte liturgique que nous avons accompli maintenant, celui d’autoriser la Famille religieuse des Sœurs de la Charité, et avec elle l’Eglise Romaine et l’Eglise de Dieu, à célébrer comme Bienheureuse l’humble Sœur Agostina Pietrantoni, nous remplit d’une admiration et d’une émotion qui dépassent la capacité expressive du langage ordinaire, et en racontant une histoire qui paraît être une légende, tant elle est simple, limpide, pure, affectueuse et, à la fin, tant elle est douloureuse et tragique et même encore plus, tant elle est symbolique, la parole voudrait se faire chant, comme celle qui laisse entrevoir le profil d’une jeune fille innocente, d’une vierge candide et parlant peu, d’une épouse vouée à l’Amour absolu, d’une femme forte qui fait don de sa propre vie à la charité pour les pauvres et les malades, d’une victime sans défense de son service héroïque quotidien, qui accomplit, à trente ans seulement, son vœu intime de faire de sa propre vie un martyre pour Jésus, témoignage pour tous ceux qui ont des yeux pour voir, un cœur pour comprendre, pour nous donc, pour nous tous.

Mais nous ne sommes pas poète. Chacun de nous qui connaît le profil biographique de la nouvelle Bienheureuse et chacune de vous, ses Sœurs, spécialement, qui, à tant de titres, en suivez les exemples et en partagez les expériences, peut composer ce pieux et doux cantique.

La première strophe est un rythme géorgique. Il y avait une fois, et il y a encore avec un visage nouveau, un village appelé Pozzaglia, dans les collines de la Sabine, entouré de pauvres champs et d’oliviers d’argent ; il y avait une paroisse, aujourd’hui glorieuse, qui donnait à ce bon peuple la foi et la prière, une âme chrétienne ; et il y avait là une maison bénie, nid plein de voix d’enfants parmi lesquelles, précocement sage, celle d’Olive, appelée ensuite Livia, qui changera son nom familial en son nom religieux d’Agostina, notre Bienheureuse ; une maison où, suivant un témoignage rustique mais expressif, " tous s’appliquaient à faire bien et où on priait souvent ". Ici on aurait plaisir à s’arrêter et à écouter la leçon du paysage et celle du foyer et à la rencontrer, à la voir, à la connaître à l’école de la vie vécue ; cadre idyllique si nous ne savions pas combien il était chargé de soins familiaux et de" lourd travail.

Ensuite le chant se fait à voix basse et ressemble à un souffle secret, à un monologue, à un dialogue d’amoureux. Nous devons l’atteindre dans la Sainte Ecriture pour en deviner quelques mots : " La voix de mon bien-aimé ! Voici qu’il arrive, sautant sur les montagnes, bondissant sur les collines... Mon bien-aimé parle et il me dit : lève-toi, presse-toi, ma bien-aimée, ma belle, viens ! " (Ct 2, 8, 10). Le Cantique des Cantiques nous enseigne certains sentiers de la poésie lyrique de l’amour qui passent de l’horizon des sentiments humains à celui du colloque contemplatif. Livia " réservée, timide et pudique, mais rendue audacieuse par la voix qui parle à l’intérieur, la vocation, se rend : le Christ sera son amour, le Christ sera son Epoux. Ici votre attention se fait plus avide et presque indiscrète ! Livia, Sœur Agostina, nous dit quelque chose de ce secret : Qu’est-ce qu’une vocation ? comment vient-elle, comment l’entend-on, comment une vocation peut-elle tout demander, tout donner ; et remplir le cœur d’une jeune fille pieuse, honnête, travailleuse, mais privée de la culture la plus élémentaire et sans autre assistance spirituelle que celle qui est ordinaire et commune à une fidèle paroissienne, comment la remplir de tant de sécurité, de tant de courage, de tant d’incompréhensible bonheur ?

L’intérêt de ce cas hagiographique éveille en nous celui de tout autre cas semblable, et non plus poétique, mais un intérêt psychologique et scientifique. La vocation religieuse que nous trouvons ici presque comme un pronunciamento spontané, comment s’explique-t-elle ? Enchantement dévot, favorisé par l’extrême simplicité de l’expérience extérieure ? Folie de jeunesse toujours prédisposée à un choix en dehors de la normale intuition de l’Amour absolu qui dépasse le langage inné de l’instinct, de la passion, de l’imitation, de l’intérêt et se pose comme nécessaire et suffisante ? D’où cette magie intérieure et qui pousse en dehors de toute peur, au risque et à l’aventure de l’héroïsme ? Quels sont les liens de l’amour, les funiculi caritatis (cf. Os 11, 4) qui ont brisé les liens de la vanité, les funiculi vanitatis (Is 5, 18) qui semblent impossibles à briser pour le cœur d’une jeune femme ? L’interrogation reste en suspens et attend une réponse érudite appropriée des maîtres de l’esprit ; mais en attendant nous reprendrons notre chant en mentionnant, ne serait-ce que par des notes trop rapides, deux facteurs d’une vocation virginale et généreuse telle que nous l’admirons chez la Bienheureuse Agostina : l’un extérieur, le milieu propice pour Livia Pietrantoni, archaïque et champêtre, dans lequel la tradition chrétienne avait une expression aussi dépouillée des aiguillons modernes qu’ornée des vertus humaines ; l’autre facteur est intérieur et mystérieux, c’est la grâce ; la grâce spécifique de la vocation, un charisme, une voix " que tous ne savent pas accueillir " (Mt 10, 11 ; 1 Co 7, 7).

Aujourd’hui ces deux facteurs s’accordent difficilement : milieu extérieur et voix intérieure ; et leur désaccord est une des causes qui font enregistrer la diminution des âmes courageuses qui offrent leur vie à Dieu et au service du prochain. Mais ne faut-il pas espérer que l’exemple de Sœur Agostina rende sensibles, même au milieu du fracas fébrile et des provocations profanes des coutumes modernes, des âmes neuves à l’appel incessant et incomparable du divin Maître d’une part, du frère nécessiteux de l’autre ?

Livia avait entendu et elle partit. Ici le chant mêle l’élégie au psaume. Livia embrasse la porte de sa maison, y trace un signe de croix et se sauve. Il semble que l’écho des paroles de Jésus résonne dans l’air : Si quelqu’un ne laisse pas " son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs et jusqu’à sa propre vie, il ne peut être mon disciple ". Ce premier moment est le plus profondément senti par qui veut suivre la vocation ; et la plaie de l’arrachement reste calme mais ouverte toute la vie. Et à tant de douleur il n’y a pas pour le moment de remède dans le genre d’existence qui commence et qui ne finira plus, la vie religieuse, avec l’habit impossible, avec l’horaire inflexible, avec l’obéissance implacable, avec la vie commune souvent intolérable, avec le travail humiliant et incessant. Et l’écho continue : " celui qui ne porte pas sa croix et ne marche pas à ma suite ne peut pas être mon disciple " (Lc 14, 26-28).

Mais où est-elle arrivée cette naïve fugitive ? Oh ! qui ne le sait ? Elle est arrivée parmi les Sœurs de la Charité de sainte Jeanne Antide Thouret. Et là le chant résonne de vivacité, d’enthousiasme et de joie. Ce sont les Sœurs que nous connaissons bien, de la Charité, qui elles aussi, au nom de saint Vincent de Paul, émules et sœurs de Filles de la Charité, ont, comme on l’a bien dit, " l’intelligence du Pauvre ! ". Parole du Psaume : " Bienheureux celui qui a l’intelligence du malheureux et du Pauvre " (Ps 40, 2). Vaticination qui précède les béatitudes de l’Evangile et en prolonge à travers les siècles la résonance, suscitant dans l’Eglise du Christ des œuvres comme celle d’Antide Thouret éducatrice de ses Religieuses par le cri de " Dieu seul ! " à une proposition paradoxale : voler ! " Les Sœurs — disait la sainte Fondatrice — voleront au secours de l’indigence de tout leur pouvoir ! ".

Et voici que naît une des plus florissantes familles religieuses du catholicisme en ces derniers temps qui, avec le bien-être de la nouvelle société lui ont dévoilé et aussi ont produit d’innombrables souffrances, des malheureux, des délaissés, des petits et des vieillards à assister, à hospitaliser, à soigner, à aimer et, comme le déclare l’engagement des Sœurs de la Charité, à glorifier. Le programme n’était pas nouveau dans l’Eglise ; l’hôpital du Saint-Esprit, le premier dans son genre, l’atteste ; et ici, héritières d’une tradition séculaire, les Sœurs de la Charité trouvèrent un champ de travail extrêmement fécond de douleur humaine, d’habileté médicale et d’amour évangélique. Là, Agostina eut ce qu’elle désirait : se consumer dans le sacrifice de soi pour le bien du prochain souffrant; ici, elle partagea avec ses malades tuberculeux leur condamnation alors inguérissable ; ici, pendant sept ans, elle se prodigua, humble, gentille, inlassable, avec le pressentiment et même l’annonce par avance de sa fin perfide et tragique : le 13 Novembre 1894.

Vous connaissez la barbare histoire qui éteignit, sous un coup de couteau, sa jeune vie candide et tressa sur sa tête la double couronne de vierge et de martyre.

Il nous revient à l’esprit les paroles célèbres de saint Ambroise en l’honneur de sainte Agnès : " (Aujourd’hui) est le jour de naissance d’une vierge : suivons-en la pureté. C’est le jour de naissance d’une martyre : offrons notre culte au Seigneur " (De virginibus, 2). Rome alors s’émeut, retrouve sa ferveur épique et rend à l’inconnue Agostina, victime de son devoir, de son amour pour le Christ et pour la souffrance des autres, un triomphe inattendu. Aujourd’hui, l’Eglise le ratifie et le célèbre et, en autorisant le culte de l’humble et intrépide Agostina Pietrantoni, elle présente en elle ce qu’est la Sœur de Charité. Oui, c’est le jour de la Sœur de Charité, votre jour, suite de sainte Jeanne Antide, et avec vous de tant de Religieuses avec une égale piété religieuse, qui s’immolent avec un semblable cœur généreux jusqu’au sacrifice total de soi, pour la vie et pour la mort sur l’autel du Christ, avec sa propre formule évangélique : servir par amour, se sacrifier pour le bien d’autrui, ne rien demander pour soi, sinon ce centuple que seule la vie au-delà de celle-ci garantit pour l’éternité.

Honorons Agostina ! Saluons toutes ses Sœurs et tant de filles de la sainte Eglise qui, par une oblation analogue, font le sacrifice d’elles-mêmes pour le réconfort de la douleur humaine. Nous invitons le peuple à reconnaître en ces pauvres et grandes femmes, si souvent dépréciées et méprisées, les plus pures, les plus valables, les meilleures filles de notre terre rendue encore par leur " piae hostiae castitatis " (St. Ambroise, 94), l’autel de la foi et de la charité.

Au terme de l’Homélie, prononcée en langue italienne, Paul VI a adressé aux Religieuses, Filles de Sainte Jeanne Antide Thouret, présentes à la cérémonie, ce bref discours en langue française :

Aux Filles de sainte Jeanne Antide Thouret, qui se réjouissent aujourd’hui de voir l’une des leurs élevée sur les autels, sont venus se joindre aujourd’hui des religieuses de divers instituts — que nous encourageons avec affection à suivre la voie des conseils évangéliques — et de nombreux pèlerins que nous tenons également à saluer. Nous savons leur souci de fidélité à la foi catholique, à l’Eglise, au Siège de Pierre. Aussi est-ce de grand cœur que nous les invitons à rejoindre, parmi leurs frères et sœurs catholiques et en collaboration confiante avec leurs Evêques — qui gardent la responsabilité de l’ensemble de la pastorale — l’immense effort conciliaire auquel toute l’Eglise est invitée. Celui-ci doit s’accomplir dans la vérité et la charité, avec une volonté de ressourcement spirituel et de témoignage apostolique, pour redonner sans cesse à l’Eglise son authentique visage et lui permettre d’annoncer la Bonne Nouvelle du Sauveur à ceux qui sont proches d’elles comme à ceux qui sont loin (cf. Ac 2, 39).

 

 

8 décembre

LA PAIX EST POSSIBLE

Nous nous adressons à vous, hommes responsables de l’humanité, gouvernants, diplomates, représentants des nations, politiques, philosophes et hommes de science, publicistes, industriels, syndicalistes, militaires, artistes, à vous tous qui œuvrez pour le sort des relations entre les peuples, entre les Etats, entre les tribus, entre les classes, entre les familles humaines.

A vous, aussi, citoyens du monde, jeunes de la génération montante, étudiants, professeurs, travailleurs, hommes et femmes; à vous, qui réfléchissez, qui espérez ou désespérez, qui souffrez ; à vous pauvres, orphelins, victimes de la haine, de l’égoïsme et de l’injustice qui prévaut encore.

Oui, Nous voulons encore une fois vous faire entendre notre voix, humble et forte, comme prophète d’une Parole qui nous dépasse et qui nous pénètre comme votre avocat et non comme celui de quelque intérêt qui serait nôtre, comme frère de toute personne de bonne volonté, samaritain se tenant aux pieds de quiconque pleure et attend un secours, serviteur, comme Nous nous définissons, des serviteurs de Dieu, serviteur de la vérité, de la liberté, de la justice, du développement et de l’espérance. Nous voulons vous parler encore, en ce nouvel An 1973, de la paix. Oui, de la paix ! Ne refusez pas de Nous écouter, même si, sur ce thème, vous connaissez tout, ou du moins croyez tout connaître.

Notre message est simple comme un axiome : la paix est possible. Un chœur de voix Nous assaille, pour Nous dire : nous le savons. Bien plus, Nous sommes comme harcelé et couvert par ces voix qui proclament : elle n’est pas seulement possible, elle est réelle. La paix est déjà établie, nous répond-on. Sans doute, nous portons encore le deuil de ces innombrables victimes des guerres, qui ont ensanglanté, plus encore que les siècles passés, ce siècle qui se présente comme le sommet du progrès. Le visage de notre génération adulte est encore sillonné des cicatrices horribles des derniers conflits militaires et civils. Et les dernières plaies restées ouvertes renouvellent encore dans les membres du peuple nouveau le frisson de frayeur, lorsque se présente l’hypothèse trop habituelle d’une nouvelle guerre. Mais la sagesse a finalement triomphé : les armes se taisent et rouillent dans les dépôts, comme des instruments désormais inutiles de la démence surmontée. Des institutions officielles et universelles garantissent à tous la sécurité et l’indépendance ; la vie internationale est organisée selon des documents désormais indiscutables, et avec des moyens d’une efficacité immédiate, pour résoudre, avec les tables rondes du droit et de la justice, toute controverse possible. Le dialogue entre les peuples est quotidien et loyal. Et par-dessus tout, un réseau formidable d’intérêts communs rend les peuples solidaires entre eux. La paix est désormais acquise à la civilisation. Ne troublez pas la paix, Nous répond-on, en la soumettant à la discussion. Nous avons d’autres questions neuves et originales à traiter ; la paix est réelle, la paix est sûre ; désormais, elle est hors de discussion.

Est-ce bien vrai ? Puisse-t-il en être ainsi !

Mais ensuite, la voix de ceux qui affirment la victoire de la paix sur toute réalité qui lui est contraire se fait plus timide et incertaine : elle, admet qu’en réalité, et malheureusement, il y a, ici et là, des situations douloureuses ou la guerre fait rage encore avec sa cruauté. Hélas ! Il ne s’agit pas de conflits enfouis dans les annales de l’histoire mais de conflits actuels ; ce ne sont pas des épisodes éphémères, puisque ces conflits durent depuis des années. Ils ne sont pas superficiels, car ils ont une répercussion profonde dans les rangs des unités militaires très bien armées comme dans les foules sans défense des populations civiles. Ils ne sont pas faciles à régler, car tout l’art des tractations et des médiations s’y est épuisé sans résultat. Ils ne sont pas inoffensifs pour l’équilibre général du monde, car ils couvent un potentiel croissant de prestige blessé, de vengeance implacable, de désordre endémique et organisé. Ils ne s’avèrent pas négligeables, comme si le temps y apportait un remède naturel, puisque leur élément toxique pénètre les esprits, corrompt les idéologies humanitaires, devient contagieux et se transmet aux plus jeunes générations, en les entraînant dans la secousse, d’une façon quasi fatale et héréditaire. La violence redevient à la mode et va jusqu’à se revêtir de la cuirasse de la justice. Elle se propage comme une habitude, favorisée par tous les ingrédients de la délinquance traîtresse et par toutes les astuces de la bassesse, du chantage, de la complicité ; et elle se profile comme un spectre apocalyptique armé d’instruments inouïs de destruction meurtrière.

On voit renaître les égoïsmes des collectivités, des familles, des sociétés, des tribus, des nations, des races. Le délit ne fait plus horreur. La cruauté devient fatale, comme la chirurgie d’une haine déclarée légitime. Le génocide s’annonce comme le monstre pouvant résulter du remède radical. Et derrière ces horribles fantasmes se planifie selon des proportions gigantesques, impassiblement et avec des calculs infaillibles, l’économie des armements, et des marchés qui entraînent la faim. La politique reprend alors ses programmes de puissance auxquels elle ne peut renoncer.

Et la paix ?

Oh ! Oui, la paix ! Elle peut également, dit-on encore, survivre et coexister dans une certaine mesure, même dans les conditions les plus défavorables du monde. Même dans les tranchées de la guerre, ou dans les périodes calmes de la guérilla, bu dans les ruines de tout ordre normal, il y a des recoins et des moments de tranquillité ; la paix aussitôt s’y adapte et, de quelque manière, y fleurit. Mais ce reste de vitalité, pouvons-nous le nommer la vraie paix, l’idéal de l’humanité ? Cette capacité modeste et prodigieuse de récupération et de réaction, cet optimisme désespéré, peuvent-ils apaiser l’aspiration suprême de l’homme à l’ordre et à la plénitude de la justice ? Donnerons-nous le nom de paix à ses contrefaçons ? " Ubi solitudinem faciunt, pacem appellant ! " (Tacite). Ou bien donnerons-nous le nom de paix à une trêve, à un simple armistice ? à une prépondérance érigée en droit ? à un ordre extérieur fondé sur la violence et sur la crainte? ou encore à un équilibre précaire de forces divergentes ? à un bras de fer constitué par les tensions bloquées de puissances opposées ? Hypocrisie nécessaire dont l’histoire est remplie. Certes, bien des choses peuvent prospérer pacifiquement même dans les situations précaires et injustes. Il faut être réaliste, disent les opportunistes : là se trouve la seule paix possible ; elle est une transaction, un accommodement partiel et fragile. Les hommes ne seraient pas capables d’une paix meilleure.

Ainsi, à la fin du vingtième siècle, l’humanité devrait se contenter d’une paix résultant d’un jeu d’équilibre diplomatique et d’intérêts antagonistes qui se contrebalancent, et de rien de plus ?

Nous pensons qu’une parfaite et stable " tranquillitas ordinis ", c’est-à-dire une paix absolue et définitive entre les hommes, même s’ils sont parvenus à un niveau élevé et universel de civilisation, ne peut être qu’un rêve, non pas faux mais qui ne se vérifie pas, un idéal, non pas irréel, mais à réaliser ; parce que tout est changeant dans le cours de l’histoire et parce que la perfection humaine n’est ni univoque, ni fixée. Les souffrances humaines ne disparaissent pas. L’égoïsme est un mal radical qu’on ne réussit jamais à déraciner complètement de la psychologie humaine. Dans celle des peuples, il prend couramment la forme et la puissance des raisons d’exister, il fait fonction de philosophie idéale. C’est pourquoi nous nous trouvons devant la menace d’un doute qui peut être fatal : la paix est-elle jamais possible ? Et le doute se transforme facilement chez certains en une désastreuse certitude : la paix est impossible !

Une nouvelle, ou plutôt une antique conception de l’homme resurgit : l’homme est fait pour combattre l’homme : " homo homini lupus ". La guerre est inévitable. La course aux armements, comment l’éviter ? C’est une exigence primordiale de la politique. C’est donc une loi de l’économie internationale.

C’est une question de prestige.

D’abord l’épée ; ensuite la charrue. Il semble que cette conviction prévale sur toute autre, même pour certains peuples en voie de développement, qui s’insèrent péniblement dans la civilisation moderne et qui s’imposent d’énormes sacrifices pris sur le budget indispensable aux besoins élémentaires de la vie ! En lésinant chez eux sur l’alimentation, les soins médicaux, l’instruction, les communications, l’habitat et, en définitive, sur la véritable indépendance économique et politique, afin d’être armés, d’inspirer la crainte et d’imposer la servitude à leurs propres voisins, souvent ils ne pensent plus à offrir leur amitié, leur collaboration, leur bien-être, mais seulement un aspect farouche de supériorité dans l’art de l’offensive et de la guerre. La paix, beaucoup le pensent et l’affirment, est impossible, aussi bien comme idéal que comme réalité.

Au contraire, voici notre message ; le vôtre, ô hommes de bonne volonté, le message de l’humanité universelle : la paix est possible ! Elle doit être possible.

Oui, car tel est le message qui monte des champs de bataille des deux guerres mondiales comme de ceux des autres conflits armés récents qui ont ensanglanté la terre ; c’est la voix mystérieuse et formidable des soldats morts au champ d’honneur et des victimes des conflits passés ; c’est le gémissement douloureux qui monte des tombes innombrables des cimetières militaires et des monuments sacrés dédiés aux Soldats Inconnus : la paix, la paix, et non la guerre. La paix est la condition et la synthèse de la coexistence humaine.

Oui, car la paix a vaincu les idéologies qui lui sont opposées. La paix est, par dessus tout, une condition de l’esprit. Finalement elle a pénétré, comme une nécessité logique et humaine, dans la conscience d’un grand nombre et spécialement dans celle des jeunes générations : il doit être possible, disent-ils, de vivre sans haïr et sans tuer. Une pédagogie nouvelle et universelle s’impose, la pédagogie de la paix.

Oui, car la maturité de la sagesse des citoyens a exprimé ce projet obvie : au lieu de confier la solution des contestations humaines au duel irrationnel et barbare de la force aveugle et homicide des armes, nous fonderons des institutions nouvelles où la parole, la justice, le droit s’expriment et réalisent une loi sévère et pacifique pour régir les rapports internationaux. Ces institutions, et la principale d’entre elles, l’Organisation des Nations Unies, ont été fondées ; un humanisme nouveau les soutient et les honore : un engagement solennel rend solidaires les membres qui y adhèrent ; une espérance positive et universelle les reconnaît comme des facteurs d’ordre international, de solidarité et de fraternité entre les peuples. La paix y trouve son lieu propre et son propre creuset.

Oui, répétons-le, la paix est possible, car dans ces institutions elle retrouve ses caractéristiques fondamentales, qu’une conception erronée fait facilement oublier : la paix doit être rationnelle et non passionnelle, magnanime et non égoïste ; la paix ne doit être ni inerte, ni passive, mais dynamique, active et progressive, selon que les justes exigences des droits équitables de l’homme, tels qu’ils ont été définis, en réclament de nouvelles et meilleures expressions ; la paix ne doit pas être faible, inapte et fragile mais forte, aussi bien à cause, des raisons morales qui la justifient, qu’à cause de l’adhésion massive des nations qui doivent la soutenir. C’est là un point extrêmement important et délicat ; si ces organes modernes, qui donnent raison et soutien à la paix, n’étaient pas à la hauteur de leur fonction propre, quel serait le sort du monde ! Leur inefficacité pourrait engendrer une désillusion fatale dans la conscience de l’humanité ; la paix en sortirait vaincue et avec elle le progrès de la civilisation. Notre espérance, notre conviction : la paix est possible, serait étouffée d’abord par le doute, par la raillerie, ensuite par le scepticisme, enfin par la négation : quelle fin ! Il répugne d’imaginer un tel écroulement ! On a besoin au contraire de renouveler l’affirmation fondamentale de la possibilité de la paix à l’aide de ces deux affirmations complémentaires :

— la paix est possible si elle est vraiment voulue ;

— et si la paix est possible, elle est objet de devoir.

Cela signifie découvrir les forces morales qui sont nécessaires pour résoudre positivement le problème de la paix. Il faut avoir, nous le disions ailleurs, le courage de la paix. Un courage d’une très haute qualité, non point celui de la force brutale, mais celui de l’amour : répétons-le, tout homme est mon frère, il ne peut y avoir de paix sans une nouvelle justice.

Oh ! hommes forts et conscients qui, grâce à votre collaboration, avez le pouvoir et le devoir de construire et de défendre la paix ! Vous spécialement, les guides et les responsables des peuples ! Si jamais l’écho de ce message cordial parvient à vos oreilles, qu’il descende aussi dans vos cœurs et affermisse en même temps vos consciences par la certitude renouvelée de la possibilité de la paix. Ayez la sagesse de fixer votre attention sur cette certitude paradoxale, consacrez-y votre énergie, accordez-y, en dépit de tout, votre confiance, traitez-en, avec vos ressources de persuasion, devant l’opinion publique, non pour affaiblir les esprits des jeunes générations, mais pour fortifier en elles un sentiment plus humain et plus viril ; fondez, construisez la paix pour les siècles à venir, dans la vérité, la justice, la charité et la liberté, en commençant, à partir de 1973, à la revendiquer comme possible et à la saluer comme réelle. C’était le programme tracé par notre prédécesseur Jean XXIII dans son encyclique " Pacem, in terris ", dont ce sera le dixième anniversaire en avril 1973 : et, de même qu’il y a dix ans vous en avez accueilli avec respect et gratitude la voix paternelle, de, même nous avons confiance que le souvenir de cette grande flamme qu’il a allumée dans le monde encouragera les cœurs à de nouvelles et plus fermes résolutions de paix. Nous sommes avec vous.

Et à vous, Frères et Fils dans la communion catholique, comme à ceux qui nous sont unis dans la foi chrétienne, Nous répétons l’invitation à réfléchir sur la possibilité de la paix, en indiquant les chemins qui permettent d’approfondir grandement une telle réflexion : ce sont les chemins d’une connaissance réaliste de l’anthropologie humaine, dans laquelle les raisons mystérieuses du bien et du mal dans l’histoire et dans le cœur de l’homme nous dévoilent pourquoi la paix est un problème toujours posé, toujours menacé de solutions pessimistes, et en même temps toujours éclairé positivement par le devoir, mais aussi par l’espérance de solutions heureuses. Nous croyons qu’une Bonté infinie, que nous appelons Providence et qui domine le destin de l’humanité, conduit le monde d’une manière souvent indéchiffrable, mais réelle ; nous savons que, d’une façon étrange mais merveilleuse, toute vicissitude humaine peut être transformée en une histoire de salut (cf. Rm 8, 28) ; nous avons, gravée dans la mémoire, la septième béatitude du Discours sur la montagne : " Bienheureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu " (cf. Mt 5, 9) ; nous écoutons, enracinés dans une espérance qui ne déçoit point (cf. Rm 5, 5), le message de Noël qui annonce la paix pour les hommes de bonne volonté (cf. Lc 2, 14) ; nous avons continuellement la paix sur les lèvres et dans le cœur, comme un présent, comme un salut et comme un souhait biblique venant de l’Esprit parce que nous possédons la source secrète et intarissable de la paix, qui est " le Christ, notre paix " (cf. Ep 2, 14) et, si la paix existe dans le Christ et par le Christ, elle est possible entre les hommes et par les hommes.

Ne laissons pas déchoir l’idée, ni l’espérance, ni la recherche, ni l’expérience de la paix ; mais renouvelons toujours son désir dans les cœurs, à tous les niveaux : dans le domaine secret de la conscience, dans la vie de famille, dans la dialectique des contrastes sociaux, dans les rapports entre classes et entre nations, en soutenant les initiatives et institutions internationales qui ont la paix pour emblème. Rendons-la possible, cette paix, en prêchant l’amitié et en pratiquant l’amour du prochain, la justice et la pardon chrétien ; ouvrons-lui les portes, là où elle est écartée, par des négociations loyales et orientées vers des conclusions sincèrement positives ; ne refusons pas tout sacrifice qui, sans porter atteinte à la dignité de celui qui se montre généreux, rendrait la paix plus rapide, plus cordiale et plus durable.

Face aux démentis tragiques et insurmontables qui semblent constituer la réalité impitoyable de l’histoire contemporaine, aux séductions de la force combative, à la violence aveugle qui frappe les innocents, aux embûches cachées tendant à spéculer sur les grands marchés de la guerre, à opprimer et asservir les petits, face enfin à la demande angoissée qui se fait toujours pressante, la paix entre les hommes n’est-elle jamais possible ? une paix véritable ? Faisons jaillir de notre cœur, plein de foi et fort d’amour, la réponse simple et victorieuse : Si ! Une réponse qui nous pousse à être des artisans de paix, dans le sacrifice, par l’amour sincère et persévérant pour l’humanité.

En vous bénissant et en vous offrant nos vœux au nom du Christ, nous espérons que tel soit l’écho donné à notre réponse : Si, la paix est possible !

Du Vatican, le 8 décembre 1972.

PAULUS PP. VI

 

 

9 décembre

PAUL VI DEFEND LE DROIT A LA NAISSANCE CONTRE LA PLAIE SOCIALE DE L’AVORTEMENT

Le 9 décembre dernier, le Saint-Père a reçu en audience les participants au XXIII° Congrès national de l’Union des Juristes Catholiques Italiens, qui s’est tenu à Rome récemment. Le groupe nombreux des congressistes était conduit par le Président de l’Union, Maître François Santoro Passarelli et par le Conseiller Ecclésiastique, R. P. Clément Riva.

Paul VI a adressé à ses visiteurs le discours suivant :

Très chers Fils,

Nous saluons avec un paternel sentiment d’affection et d’estime votre aréopage qui a participé ces jours-ci au XXIII° Congrès National de l’Union des Juristes Catholiques Italiens. Cette visite nous offre l’heureuse occasion de reprendre une fois encore contact avec votre association, si riche de mérites, et de nous réjouir avec vous qui, dans vos congrès nationaux et daris vos réunions locales, dans votre revue Iustifia et vos bulletins mensuels, suivez et traitez les problèmes du monde contemporain avec un profond esprit chrétien et une haute Compétence scientifique.

Le désir que vous avez exprimé de recevoir du Pape une parole qui vous guide et vous illumine dans vos travaux et dans votre tâche, est une preuve de la vive conscience que vous avez des devoirs que vous impose votre profession de juristes et, plus encore, des devoirs qui découlent de votre foi chrétienne.

Nous agréons d’autant plus volontiers votre désir que le problème de l’avortement que vous avez choisi cette année comme thème de votre congrès revêt un caractère d’immense intérêt et de grande actualité. Il s’agit d’un sujet qui est, aujourd’hui, fort discuté, mais assez souvent mal présenté et mal traité ; vous avez, quant à vous, situé très exactement le problème en vous attachant à la défense du droit à la naissance.

Vous savez comment l’Eglise a toujours condamné l’avortement, si bien que les enseignements de notre prédécesseur de vénérée mémoire, Pie XII (Discours du 29 octobre 1951) et du Concile Vatican II (Const. Gaudium et Spes, n. 27 et 51) ne faisaient que confirmer une doctrine morale qui n’a jamais varié et ne variera jamais. Vous n’êtes certes pas sans savoir que, contre les lois ou les propositions de lois que la libéralisation de l’avortement — comme on l’appelle — provoquent ou tentent de provoquer, l’Episcopat du monde entier s’est dressé sans exception, proposant les remèdes les plus aptes à éliminer ou à contenir au maximum une plaie sociale aussi étendue.

" Tant l’avortement que l’infanticide — a reconfirmé le Concile — sont des crimes abominables " (loc. cit. 51). La raison théologique en fut clairement précisée par Pie XII, dans le Discours que nous avons rappelé ci-dessus : " Chaque être humain, y compris l’enfant dans le sein maternel, a reçu le droit à la vie immédiatement de Dieu, et non des parents ou de n’importe quelle société ou autorité humaine. Par conséquent, il n’est aucun homme, aucune autorité humaine, aucune science, aucune " indication " médicale, eugénique, sociale, économique, morale, qui puisse exhiber ou donner un titre juridique valable justifiant la disposition délibérée, directe, d’une vie humaine innocente, c’est-à-dire, une disposition qui vise à sa destruction, que celle-ci soit le but réel, ou qu’elle serve à atteindre un autre but, même si ce dernier n’est en rien illicite ".

S’adressant à tous les hommes et non pas aux seuls chrétiens, le Concile apporte encore, dans la Constitution Gaudium et Spes, des raisons de droit naturel et de droit social. Avant tout, la dignité de la personne humaine, qui se trouve lésée, non seulement dans l’innocente victime du meurtre, mais dans la mère elle-même qui se prête volontairement à ces manœuvres, et en tous ceux qui, — médecins ou infirmiers — coopèrent à 1’avortement volontaire. Ensuite, les raisons de droit social, aujourd’hui particulièrement valables et de plus stricte compétence des juristes que vous êtes, ces raisons donc, ne sont pas moins graves. Si, comme prévient le Concile " Dieu, Maître de la vie, a confié aux hommes le noble ministère de la vie, l’homme doit s’en acquitter d’une manière digne de lui " (loc. cit. 51), et cette mission, qui est en même temps pouvoir et devoir engage chaque communauté intermédiaire (à commencer par la famille) et, principalement, la communauté politique. Si l’Etat social contemporain prend chaque jour davantage à charge cette mission de protection et de promotion de la vie humaine, en parfaite concordance avec la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et de l’Enfant, il n’y a aucun doute que cette protection doit commencer, non pas au moment de la naissance ou de l’âge majeur de la personne humaine, mais bien à partir de la conception, car celle-ci marque effectivement le début d’un seul et unique processus vital qui parviendra à sa conclusion avec la naissance d’un nouvel être humain.

Dans la civilisation occidentale, cette protection de l’enfant qui n’est pas encore né a commencé assez tôt, pour des raisons particulières, il est vrai. Autant que les institutions aménagées depuis longtemps en sa faveur, comme le " curator ventris ", la mutation et la révocation des donations, les dispositions actuelles prévoyant un traitement de faveur accordé aux femmes enceintes en cas d’arrestation ou de condamnation pénale, non seulement démontrent l’intérêt public porté à la vie de l’enfant conçu, mais prouvent également que le droit positif lui-même lui réserve des droits. Comment pourrait-on nier alors qu’il soit, dès le premier instant de vie, titulaire de droits — absolument distincts de la simple capacité d’agir — qui coïncident aujourd’hui avec le concept juridique de la personne elle-même ? Or, le premier et le principal des droits de l’homme est le droit à la vie, ou, mieux encore, le droit à la protection de sa vie ; et il n’est personne qui puisse avoir un droit contraire, quand il s’agit d’un innocent. Plus grande est la faiblesse d’un être, plus grand est son besoin de protection et plus nettement incombe à chacun le devoir de le protéger, principalement à la mère, aussi longtemps qu’elle le porte en son sein.

Sont absolument fausses et insensées les discriminations faites à cet égard et qui inspirent certaines revendications des défenseurs de l’émancipation féminine et de ce qu’ils appellent " liberté sexuelle ", revendications qui heurtent non seulement la morale catholique, mais même l’éthique humaine universellement admise. Alors que le problème de l’avortement ne peut, comme il a été dit, être envisagé du seul point de vue individuel de la femme, mais qu’il doit l’être sous le profil du bien commun et, avant tout, sous celui de la personnalité de l’enfant qui va naître, la véritable émancipation féminine ne réside; pas dans une égalité formaliste et matérialiste avec l’autre sexe, mais dans la reconnaissance de ce que la personnalité féminine a d’essentiellement spécifique, c’est-à-dire la vocation de la femme à être mère. Dans une telle vocation se trouve, en effet, implicite et destiné à se concrétiser, le premier et le plus fondamental des rapports constitutifs de la personnalité : le rapport intime entre cet être humain nouveau et cette femme qui est sa propre mère. Or, qui dit rapport dit droit ; qui dit rapport fondamental dit corrélation entre un droit et un devoir également fondamental ; qui dit rapport fondamental humain dit aussi valeur humaine universelle, digne d’être protégée comme part intégrante du bien commun justement universel, puisque chaque individu est avant tout, et de par sa constitution, né de la femme.

Dans cette ligne, les juristes ont la tâche, à nulle autre inférieure, de défendre dans la société cette valeur humaine universelle qui est à la source même de la vie, qui se trouve à la racine de la civilisation, non seulement chrétienne, mais simplement et universellement humaine.

Telle est du reste la ligne, que vous vous efforcez de suivre ; et nous nous en réjouissons avec vous, faisant des vœux pour que les résultats de votre Congrès puissent apporter aux questions posées les réponses adéquates, équilibrées, éclairantes, celles qu’attendent aujourd’hui les personnes honnêtes et soucieuses du véritable bien de la nation.

C’est avec ces sentiments que nous invoquons avec confiance l’assistance divine pour vos efforts, afin que la grâce du Seigneur les fasse fructifier pleinement, tandis que, de tout cœur nous vous accordons, à vous qui êtes ici présents, et à tous ceux que vous représentez, la Bénédiction Apostolique.

 

 

18 décembre

UNE MOBILISATION DE L’OPINION PUBLIQUE EST NECESSAIRE POUR CONTENIR LA TERRIBLE DIFFUSION DE LA DROGUE

Un groupe de 150 personnes qui s’occupent de la prévention contre la drogue dans les écoles du Latium et de la Campanie, a été reçu par le Saint-Père enfin de matinée du 18 décembre. Le groupe était composé d’une représentation considérable de la délégation du Midi de la " Fondation Carlo Erba " et de divers représentants de la Commune de Rome avec le Docteur Marcello Sacchetti, Assesseur à l’Hygiène et à la Santé, alors que le groupe de la Fondation Erba était conduit par le Président, Professeur Carlo Sirtori, directeur aussi de l’Institut Gaslini et expert auprès de l’O.M.S. avec lequel se trouvaient les opérateurs du groupe lui-même, les Professeurs Verde, Loscalzo, Nocerino, Coppola, Dotti, Sciadone, Ortolani et Caiola. Avec l’Assesseur de la Commune de Rome étaient le coordonnateur, Doct. Rubino et Don Mario Picchi, plusieurs enseignants, médecins, experts, pharmacologues et une représentation des jeunes animateurs sociaux.

Après une adresse d’hommage du. Professeur Sirtori, le Pape a dit :

Nous Vous donnons notre paternelle bienvenue, distingués délégués de la " Fondation Carlo Erba " et nous vous remercions parce que, par cette rencontre, vous nous offrez la possibilité de vous exposer, à vous, très experts en la matière, nos préoccupations qui sont aussi les vôtres à propos d’un problème qui nous tient à cœur à nous aussi : le problème des stupéfiants. Nous en avons déjà traité en parlant aux participants au Congrès de toxicologie, le 6 septembre 1970, et aux promoteurs de la Journée du Médecin, le 19 octobre suivant, mais aujourd’hui nous ne voulons pas laisser l’occasion d’associer notre voix à la vôtre pour attirer l’attention, publique sur un fait de mœurs qui ne peut être négligé. C’est un appel que nous adressons à tous les hommes de bonne volonté.

La préoccupante diffusion de l’usage de la drogue parmi les jeunes et les très jeunes est pour nous un motif de profonde tristesse, surtout pour cette compromission d’énergie spirituelle et intellectuelle qu’elle provoque dans leur existence et qui finira assez vite, si le phénomène n’est pas arrêté de quelque manière, par se retourner contre la communauté lorsque les nouvelles générations, fatalement troublées dans leur idéal et leurs énergies, seront à leur tour aux postes de responsabilité.

Il est certain en effet, vous l’enseignez, qu’au-delà de ses effets les plus immédiats, déjà assez graves par eux-mêmes, de la distorsion de perceptions sensorielles, de l’affaiblissement des fonctions psychiques centrales, de longues traînées d’apathie et de dépression, avec des formes de déséquilibre qui peuvent arriver jusqu’à des manifestations du type de psychose, la drogue porte avec elle à brève échéance, et tout droit une dépendance psychique qui accroche le sujet à la drogue comme à la solution la plus savoureuse et la plus simple de ses difficultés au début, dramatique par la suite. De là le passage à la complète aridité spirituelle, à la perte de tout, idéal, au contact successif avec des drogues toujours plus fortes et avec le monde de sa complicité tacite est assez bref. Dans les milieux de la recherche scientifique on a déjà affleuré l’hypothèse que certaines drogues peuvent laisser de douloureuses traces même dans les enfants engendrés. Vous savez bien tout cela.

En face d’un danger de si insidieuses et si colossales proportions, à vous, Animateurs sociaux qui avez choisi avec une intelligente opportunité ce domaine spécifique comme expression de charité chrétienne et de solidarité humaine ; à tous ceux qui, directement ou indirectement, par l’étude, l’assistance, les propositions de lois, les initiatives de prévention ou de réhabilitation veulent s’engager dans la lutte contre cette nouvelle plaie sociale, nous voudrions confier quelques-unes de nos réflexions évidentes.

Laissons de côté l’analyse de l’attraction hédoniste, c’est-à-dire la tentation du plaisir et la curiosité de l’expérience que la drogue, comme les autres choses sensiblement agréables et défendues peuvent exercer sur les esprits sans expérience de la jeunesse.

Voyons plutôt le phénomène de la drogue : aujourd’hui, grandi jusqu’à atteindre des proportions préoccupantes, il a certainement été préparé et favorisé depuis longtemps par des motifs profonds qui peut-être avaient échappé à l’enquête pédagogique dans leur pouvoir d’incidence, comme il arrive parfois pour des symptômes lointains des maladies graves.

Il semble que les causes les plus vraies soient à rechercher dans le mécontentement et la défiance des jeunes en présence de la génération adulte, accusée de se permettre des choses qui leur sont interdites (cf. " interdit aux mineurs "), et de mettre en avant de fausses valeurs, des incohérences de vie, des préoccupations exclusives de gain, une tolérance et une insensibilité en face de leur propre hédonisme et des injustices envers les autres. Dans ces conditions de dégoût, dans l’impossibilité de changer le système par eux seuls, peut-être après avoir cherché le dialogue et des réponses dans le milieu familial, ils ont choisi la fuite et le dégagement de tout, ils ont cherché des groupes dans lesquels ils puissent se reconnaître et auxquels ils puissent appartenir. Et c’est laïque facilement ils se rencontrent avec la drogue, érigée comme un symbole de refus, utilisée comme un facteur de dédommagement ou un moyen de camaraderie. Une bonne dose de curiosité et d’exhibitionnisme accélère ce phénomène de détachement.

Cet appel des jeunes aux responsabilités de la génération adulte n’est pas toujours objectif ; mais indubitablement il pousse à un réexamen de notre conduite, de nos systèmes d’éducation, de nos idéaux, de nos idées. Peut-être ici s’est-on trop préoccupé de donner aux enfants le bien-être et, la possibilité d’études et assez peu de les former pas à pas à la responsabilité de la vie et de les passionner pour les idéaux et les intérêts opérationnels depuis les toutes premières années. Aujourd’hui la rencontre du jeune avec la réalité exige un entraînement, des engagements de valeurs et une certaine aptitude au sacrifice.

Peut-être aussi s’est-on trompé en établissant le dialogue entre parents et enfants à l’époque de l’adolescence. Peut-être les parents n’ont-ils pas su offrir aux enfants la possibilité de poser des questions avec une liberté franche et sereine ni leur offrir leurs propositions morales tonifiantes, en se défendant alors de l’entretien moral comme s’ils étaient attaqués. Il en est résulté une situation de défiance qui a porté au détachement affectif du jeune vis-à-vis de ses parents jusqu’à le pousser à la recherche souvent incontrôlée d’un groupe étranger à la famille, où se trouvant à son aise, la possibilité de se soustraire à ses influences négatives a diminué.

Le phénomène de la drogue cependant n’existerait pas encore, au moins dans les proportions actuelles, si n’existait pas aussi tout un réseau de conspirateurs responsables : les producteurs clandestins et les trafiquants des nouvelles substances, dont les gains, dit-on sont incalculables. Ce sont ceux-là les premiers responsables des centaines de milliers d’existences qui sont irrémédiablement minées. Et il est presque incroyable que ces trafiquants paient des courriers et des distributeurs pour faire connaître et essayer les substances gratuitement, dans la perfide conviction que les jeunes, après les premiers essais de la drogue, deviendront des consommateurs habituels.

Ce qui en outre réussit à donner dans le monde des jeunes une certaine justification idéale et une saveur d’aventure au recours à ces substances est ensuite un ensemble d’idées du contenu philosophiquement apparent et même mystique : l’homme, dit-on, est pour être entraîné par son technicisme et par son inquiétude intérieure ; la seule voie pour sortir de cet état d’insatisfaction, pour retrouver des horizons plus personnels et plus authentiques est le recours à la drogue qui dilate la conscience, creuse dans les profondeurs et porte vers des horizons intérieurs rendus inaccessibles par la vie moderne ; arriverait alors la rencontre avec les mondes supérieurs qui mettent le sujet en contact onirique de ce qu’il sait de divin.

Il n’est personne qui ne voie le piège subtil de ces autosuggestions. A ce sujet il suffirait de rappeler ce que la science affirme à propos de l’action biochimique de la drogue introduite dans l’organisme. Nous voudrions connaître par vous, assez bien informés, la description de ces phénomènes. On nous dit que c’est comme si le cerveau était frappé violemment : toutes les structures de la vie psychique restent troublées sous le choc de ces stimulants exceptionnels et désordonnés. Le sujet sort de ces expériences avec les capacités mentales encore en état de confusion ; il se rappelle seulement quelque composition absurde et fantastique qui disparaît ensuite assez vite comme il arrive pour le rêve. Pour l’instant il est impossible de penser qu’un sujet dans ces conditions presque habituelles puisse demain dicter les lignes d’une nouvelle société et encore moins offrir sa collaboration dans les secteurs de l’engagement.

Quant au caractère religieux et mystique que prendrait l’expérience de la drogue, jusqu’à porter, d’après quelques théoriciens, à l’écoute de Dieu, nous voulons mettre en garde contre l’énorme équivoque sur laquelle se fonde cette affirmation. L’expérience authentiquement religieuse et le contact spirituel avec Dieu, sont des fruits de lucidité et d’activité mentales en pleine conscience ; ce sont des tensions et des ascensions dans les voies de la connaissance intuitive qui le plus souvent coûtent des sacrifices et souvent exigent un exercice de contrôle de soi. Au contraire, comme nous le disions dans le discours du 19 octobre 1970 que nous avons cité, le recours aux hallucinogènes " touche profondément l’esprit humain et en compromet la très délicate réceptivité à la mystérieuse influence intérieure de l’Esprit divin " (cf. Insegnamenti, VIII, 1970, p. 1047). Si, dans les cultures archaïques et préscientifiques on attribuait des pouvoirs extasiants à certaines drogues, c’est que n’étaient pas encore connus les principes psycho-actifs de certaines plantes ; aujourd’hui on sait que ces exaltations sensorielles et psychiques n’étaient que des modifications des, centres nerveux, produits par des stimulants chimiques ; c’est pourquoi il n’est plus possible aujourd’hui, pour soutenir la thèse de la capacité ascético-mystique de la drogue, de se rapporter à l’usage qui en était fait par des peuples primitifs avant et pendant la prière à la divinité.

Ici il nous vient spontanément une remarque. En admettant que les jeunes arrivent à ces formes de fuite pour manifester leur opposition à la société, nous remarquons que la route qu’ite ont choisie est absolument inadaptée pour sortir de la présente situation sociale. A cause de la drogue ces jeunes s’appauvrissent toujours davantage d’idéal et d’énergies ; leur attitude se borne à une critique hostile et inerte d’une société qui devrait déjà savoir par elle-même qu’elle est malade ; ils sont dans l’impossibilité de proposer des alternatives et des remèdes. Il s’agit donc d’un dissentiment misérable et presque cruel, dont la communauté ne peut certainement attendre rien de constructif.

Aucun de ces drogués en effet ne semble avoir pu sortir de ses expériences hallucinantes, fortifié par l’idéal du bien, enrichi par des programmes par exemple contre la misère et la faim. Aucun d’entre eux n’est parti pour le Tiers-Monde pour se donner tout entier à ces peuples qui sont dans le besoin ; on n’a jamais trouvé des jeunes gens adonnés à la drogue à côté des spasmodiques, des phocomèles, des vieillards, en attente de donner assistance et réconfort.

A ce sujet il est assez significatif de les comparer avec une autre catégorie de jeunes : ceux qui sont riches d’idéal spirituel et humain, qui, justement parce qu’ils désirent corriger les erreurs et les injustices de la communauté dans laquelle ils se trouvent insérés comme parties responsables, sentent le besoin de posséder la clarté des buts, idéaux de compréhension et d’engagement ; leur critique est une critique constructive, faite de propositions et de coûts personnels. La drogue réussira difficilement à planter ses racines parmi ceux-ci.

Ces considérations étant faites, on en vient toujours à se demander : que faut-il faire pour contenir et réduire cette terrible diffusion des toxiques ? D’abord il est indispensable de mobiliser, comme on est en train de le faire, par vous spécialement, l’opinion publique grâce à une information claire et;précise sur la nature et sur les conséquences vraies et mortelles de la drogue, contre les malentendus qui circulent sur son innocuité présumée et sur ses effets bienfaisants.

Ce devoir de l’information est surtout celui de ceux qui dirigent des écoles et des associations de jeunes de quelque genre que ce soit ; il s’agit de recourir à tout moyen de communication sociale particulièrement adapté pour mettre en garde le monde des jeunes. On ne devrait pas négliger les leçons de préparation pour les parents afin qu’ils sachent prévenir opportunément les situations de détachement familial et aider les cas éventuels d’enfants drogués ; des cours de toxicologie devraient être rendus obligatoires pour ceux qui se préparent à l’enseignement ; dans les écoles moyennes et les cours moyens-supérieurs ne devraient pas manquer les notions de mise à jour sur ce problème.

Des transmissions de radio et de télévision bien conçues pourraient être utiles ou aussi des imprimés de petit format, faciles et adaptés à l’intuition et au goût des jeunes lecteurs. Le recours périodique aussi dans les cercles de jeunes ou dans les réunions de parents et d’enseignants à des rencontres " d’aggiornamento " avec des experts en la matière serait utile pour les tenir constamment informés sur l’évolution du phénomène et sur les modalités avec lesquelles la drogue s’insère dans nos milieux de vie.

Nous ne sommes pas de l’avis de certains qui disent que ce genre d’information précoce et programmée, même faite avec beaucoup de jugement, peut devenir une forme de propagande et un stimulant en faveur de la drogue. En face d’un phénomène avec lequel le jeune devra fatalement se rencontrer un peu plus tôt ou un peu plus tard, le remède le plus constructif est de le lui signaler en temps opportun, le mettant en même temps dans des conditions de clarté et de volonté pour pouvoir accomplir son autodéfense responsable. Le résultat de l’information dépendra aussi certainement du savoir-faire de l’informateur. Il pourra toujours y avoir, comme il arrive pour tout autre genre d’indication préventive, quelqu’un qui profite de l’information alléchante par curiosité ou par aventure. Mais il sera au moins évité que le jeune tombe dans le monde de la drogue presque sans s’en rendre compte.

Un apport décisif dans ce programme de limitation et de régression du phénomène devrait venir ensuite des règles législatives rédigées d’après les diverses drogues qui sont assez différentes entre elles quant à leur nature et à leurs effets, et d’après les manières dont elles sont répandues parmi les jeunes. Nous souhaitons en outre qu’à côté d’une action concordante de contrôle et de répression contre les producteurs et les trafiquants clandestins soit prévue une action moderne dûment et aussi localement organisée de prévention et de soins grâce à des centres de repérage des intoxiqués, grâce à des détachements de médecins spécialisés distincts des hôpitaux psychiatriques, ou grâce à des soins à domicile ou ambulants. Il faudra peut-être prévoir quelques règles d’assistance spéciale aux jeunes intoxiqués, règles qui cependant, en même temps qu’elles assurent à l’autorité sanitaire la possibilité de commencer et de conduire à terme un traitement sérieux de désintoxication, ne constituent pas pour le jeune un motif d’échapper au traitement nécessaire. Les spécialistes en la matière sauront y pourvoir.

Dans ce but il sera opportun d’orienter les règles de manière que, tant en reconnaissant une certaine responsabilité même au consommateur occasionnel de drogues, se révèle avec clarté la différence importante qu’il y a entre lui et le trafiquant qui agit pour le profit. Dans le premier, très souvent, domine un état de maladie physique-psychique, dont il doit être délivré ; dans le second, c’est la volonté de répandre le mal tout en sachant que sont en jeu de très hautes valeurs personnelles et sociales.

Voilà ce que nous avons voulu vous confier, — même si vous connaissez déjà toutes ces choses, — dans le désir pastoral ardent qui nous met comme une épine dans le cœur à la pensée d’un fléau maintenant si étendu et menaçant.

Nous avons confiance de vous avoir, par nos réflexions, confirmé dans la volonté d’engagement et de secours qui vous distingue ; et tandis que nous nous félicitons avec vous pour l’attention que vous consacrez au problème, nous battons avec vous le rappel de toutes les forces valables pour élever une barrière à un mal, qui met en danger la très chère jeunesse et la société de demain.

Que tous soient encouragés dans ce noble effort par notre particulière Bénédiction Apostolique.

 

 

22 décembre

LA PASSION DE L’EGLISE POUR LA PAIX S’ETEND LA OU LA PAIX EST EN PERIL

Le matin du vendredi 22 décembre, le Saint-Père a reçu, à 10h 30, dans la Salle du Consistoire, le Sacré Collège des Cardinaux, la Famille Pontificale Ecclésiastique et Laïque, ainsi que la Prélature Romaine à l’occasion des vœux de Noël et du Jour de l’An.

A l’audience, avec le Doyen du Sacré Collège, Monsieur le Card. Giovanni Amleto Cicognani et le Sous-Doyen, Monsieur le Card. Traglia, étaient présents : 33 Cardinaux de Curie appartenant aux 3 Ordres cardinalices des Evêques, des Prêtres et des Diacres ; le Substitut de la Secrétairerie d’Etat Mgr l’Archevêque Benelli avec les Officiels de la Secrétairerie d’Etat ; le Secrétaire du Conseil pour les Affaires Publiques de l’Eglise Mgr l’Archevêque Casaroli ; le Pro-Vicaire de Rome Mgr l’Archevêque Poletti, avec les Evêques Auxiliaires et Délégués, les Secrétaires des S. Congrégations avec les Officiels, les membres des Secrétariats et des Commissions Pontificales.

Le Souverain Pontife, répondant à l’adresse d’hommage de Monsieur le Card. Cicognani, a prononcé le discours suivant :

Nous accueillons avec une reconnaissance émue, Monsieur le Cardinal, les vœux aimables et pieux que la proximité de la sainte fête de Noël vous inspire. Ils veulent interpréter aussi ceux du Sacré Collège qui Nous honore encore une fois, en cette heureuse occasion, propice à l’effusion des sentiments qui rendent notre collaboration solidaire, forte et religieuse, et qui remplissent d’espérance notre commun labeur. Nous vous remercions de grand cœur pour ce précieux témoignage de communion spirituelle et, en retour, de grand cœur aussi Nous vous présentons le nôtre ; que de fois, pensant à votre travail, rendu plus intense et plus lourd par les conditions présentes de l’Eglise et du monde, Nous voudrions sur-le-champ vous manifester notre gratitude et encourager votre activité, alors que le harcèlement de nos obligations ne Nous en laisse ni le temps nécessaire ni la tranquillité convenable. Nous confions alors au colloque intérieur avec le Seigneur la parole du cœur que mériterait un aussi généreux service. Un moment d’entretien confidentiel comme celui-ci paraît donc tout indiqué pour dire au Sacré Collège, ainsi qu’à ses divers collaborateurs des Dicastères et des bureaux de la Curie romaine, combien. Nous apprécions hautement l’état d’esprit et l’œuvre qui soutiennent notre humble et difficile mission pour le bien de la sainte Eglise comme pour celui de l’humanité où nous sommes insérés. Le moment présent serait favorable pour porter notre attention sur quelques considérations touchant les conditions actuelles de l’Eglise et le cours général des choses, vues de cet observatoire du Vatican, comme Nous avons cru déjà devoir le faire d’autres foie en pareille circonstance. Aujourd’hui, cependant, pénétré comme Nous le sommes d’un souci prédominant qui est celui de la paix, notre discours se limitera à ce dernier, et regroupera, condensera autour de lui, comme autour d’un point focal, diverses observations qu’il Nous paraît bon de vous exposer à vous, Messieurs les Cardinaux, et à tous ceux que peut atteindre l’écho de notre voix. Oui, c’est ce thème dominant que Nous traitons, la paix : d’une part la fête de Noël en pénètre le monde et les cœurs comme d’un message céleste, et d’autre part notre charge apostolique lui donne un relief particulier et une urgente actualité.

Que la paix soit donc, avant tout, notre souhait cordial pour vos âmes, et pour tous ceux, Frères et Fils, qui célèbrent avec une foi pleine d’amour la sainte fête de Noël : avec la gloire de Dieu, elle apporte à l’humanité l’annonce de la paix. Ce saint charisme de la paix, fruit du rétablissement d’un rapport vital entre nous et Dieu, conformément au dessein surnaturel de miséricorde et de bonté (cf. Ep 2, 4-7), émanation intérieure de l’Esprit (cf Ga 5, 22), expérience qui surpasse toute connaissance (cf. Ph 4, 7), Nous pouvons l’espérer comme un trésor privilégié si, en véritables disciples du Christ, nous lui confions le soin de la faire jaillir en nos cœurs (cf. Col 3, 15). Il y a ici et là, dit-on, et Nous en avons Nous-même des témoignages, une renaissance de vie contemplative et religieuse dans l’Eglise et aussi à côté d’elle : voilà déjà un signe du règne de la paix qui prend forme et se répand à l’intérieur et autour de la communauté mystique du Christ qu’est l’Eglise priante et vivante, Nous saluons avec joie, et de tous nos vœux, ce phénomène consolant.

Mais un autre phénomène bien différent s’est affirmé ces dernières années au sein de l’Eglise, comme chacun le sait : celui de la contestation. Ce n’est pas le moment d’en faire l’analyse. Il suffit de dire qu’il s’agit là avant tout, Nous semble-t-il, d’un phénomène provenant d’un processus contagieux de l’insatisfaction générale, on peut dire pathologique, qui a envahi la génération présente. Historiquement, un phénomène analogue arrive toujours comme un fait naturel dans la succession des cycles des divers âges, au niveau pédagogique et mental : le nouvel âge se détache du précédent moyennant la contestation et en se dirigeant vers de nouvelles formes de pensée et de mœurs. Ce phénomène a causé dans l’organisation de l’Eglise nombre de situations spirituelles et pratiques tout autres que pacifiques, et réductibles lé plus souvent à une catégorie unique et générique : une crise de l’obéissance. La formule, si chère à notre prédécesseur, le Pape Jean XXIII : " oboedientia et pax ", s’est rompue, en de nombreux cas et plus ou moins profondément, au préjudice, non seulement du premier terme, l’obéissance, mais aussi du second, la paix.

Mais, sur ce point, Nous trouvons un soutien dans l’admiration et le réconfort que Nous éprouvons à voir désormais réalisé ce binôme de l’obéissance et de la paix chez la grande majorité, aujourd’hui plus consciente, des ecclésiastiques, des religieux et des fidèles : à ceux-là, l’obéissance, imprégnée de l’esprit pastoral que le Concile a suscité de nouveau avec abondance, restitue — avec ce sens de la communion que la foi et la charité font coïncider avec le désir suprême du Christ, l’unité — la joie et de la paix (cf. Col 3, 15).

Cette traité et cette paix selon le désir suprême du Christ, qui, il est vrai, visait directement et principalement le monde transcendant de l’esprit, doivent être aussi un bien et une conquête des membres de la famille humaine au cours de leur existence terrestre : tous frères, fils d’un même Père qui est aux cieux, participant à la même vocation naturelle et surnaturelle, en marche avec les menues droits et les mêmes devoirs d’aide mutuelle vers leur commune maison paternelle.

La mission, la " passion " de paix de l’Eglise déborde ainsi ses propres limites et s’étend, comme d’un mouvement spontané et nécessaire, à la société civile, dans chacune des nations et dans leurs rapports entre elles.

Passion de paix, avons-Nous dit ; passion surtout, au sens propre du terme, là où la paix, après laquelle soupirent les peuples, se trouve frappée et en péril : parfois à cause de situations conflictuelles objectivement graves, parfois aussi, au moins partiellement, à cause d’un manque d’effort — Dieu veuille que ce ne soit pas par manque de sincérité et de bonne volonté — de la part de ceux qui en portent la responsabilité.

A qui conserve le souvenir des conflagrations encore toutes proches, dont les cicatrices douloureuses qui en sont la conséquence sont aujourd’hui encore gravées dans la chair des peuples, il apparaîtra comme un résultat déjà suffisamment précieux que l’humanité ou des continents entiers aient été préservés, pendant un nombre désormais notable d’années, de la répétition d’aussi inhumaines tragédies.

Cette considération n’est certes pas négligeable. Qui ne se rend compte, cependant, que cette paix, appuyée en grande partie sur un équilibre de forces réel ou présumé, a un fondement trop fragile et périlleux ? Et qui ne tremble à la pensée que la prédominance des passions ou un calcul erroné peuvent mettre de manière imprévisible à la disposition d’une attaque l’arsenal que la peur conduit actuellement à accumuler pour se défendre ?

De cette anxiété, notre voix s’est encore fait l’écho dans notre récent message pour la prochaine journée mondiale de la paix. Message qui, dans son inspiration fondamentale d’optimisme positif, ne pouvait pas cependant ne pas regarder en face la complexité d’une réalité et d’une problématique riches de trop d’ambiguïtés, mais d’une évidence dramatique et sanglante.

Si Nous avons tenu cependant à rappeler au monde que la paix est toujours possible, ce n’est pas seulement pour donner quelques lueurs d’espérance aux souffrances actuelles ou aux angoisses qui se font jour, mais pour rappeler tous les hommes, ensemble, au sens de leurs responsabilités ; pour que personne ne soit tenté de rechercher dans une prétendue fatalité historique un alibi moral qui dispenserait de la recherche pleine de bonne volonté et inlassable des chemins, difficiles mais non point bouchés, qui conduisent à la paix.

De ce point de vue il Nous plaît, et c’est pour Nous un devoir, de rendre de nouveau témoignage à tous ceux qui, à la tête des différents Etats ou de grandes Organisations internationales, mettent leurs efforts, souvent bien pénibles et pas toujours suffisamment reconnus, ni toujours couronnés des succès souhaitables, au service de la grande cause de la paix.

Nous leur adressons notre cordiale reconnaissance et nos encouragements ; pour eux aussi monte notre prière afin que le Seigneur leur donne la sagesse et la fermeté nécessaires à cette noble et difficile entreprise.

Limitation et contrôle des armements, et particulièrement des moyens de guerre plus dangereux et qui répugnent davantage à ce sens de l’humain, qui ne devrait jamais manquer même au cours des conflits les plus âpres ; préparation et réalisation progressive d’un désarmement véritable et généralisé ; recherche de nouvelles formes, mondiales ou régionales, pour prévenir et régler les différends qui mettent en péril la paix et la sécurité des peuples : tous ces efforts ne peuvent pas ne pas recueillir l’approbation, l’appui et — dans la mesure consentie par leur nature et notre mission — la collaboration du Saint-Siège et de l’Eglise.

Ne croyons pas qu’il soit permis de céder au sentiment de désespérance qui envahit l’humanité chaque fois que, voyant se faner les espérances de paix stable qui surgissent après la fin de chaque conflit, on assiste à la résurgence graduelle de nouvelles rivalités et de nouvelles tensions, annonciateurs de périls plus menaçants encore.

C’est un devoir, en outre, pour ceux qui en ont la responsabilité et les moyens, même dans une modeste mesure, de ne négliger aucun effort pour que les situations conflictuelles puissent, trouver, au fur et à mesure qu’elles se présentent et lorsqu’elles sont encore limitées, une solution juste et rapide : ceci implique la prise en considération et le respect des droits et intérêts légitimes réciproques, en recherchant toujours, en même temps, l’intérêt universel et supérieur de la paix.

Et là notre discours doit s’arrêter un peu, ou mieux doit revenir sur quelques situations de ce genre au sujet desquelles, si souvent ces dernières années, nous avons dû parler et qui finissent, aussi pour cette raison, par donner l’impression qu’il n’y a plus pour elles de possibilité de solution, sauf peut-être celle, déplorable et illusoire, de la force.

Conscient des difficultés qui s’interposent et reconnaissant avec équité la somme des efforts déjà accomplis, Nous ne voudrions pas toutefois qu’un sentiment dangereux de mécontentement et d’impuissance fasse diminuer, chez les parties en cause, le courage et la volonté de recourir aux voies de la négociation loyale et tenace.

Si nos paroles, humbles mais sincères et sans passion, peuvent servir à quelque chose, que ce soit à stimuler et à encourager tous ceux qui portent sur leurs épaules, devant les peuples et devant l’histoire, le poids d’aussi difficiles décisions. L’attention et la compréhension des hommes de bonne volonté les poussent à ne pas se donner pour battus dans la noble bataille de la paix.

Nous avons manifesté ces sentiments tout dernièrement, quand l’attente de la suspension tant souhaitée des hostilités au Viêt-nam s’est trouvée déçue, sans que soient apparus de manière suffisante les motifs de l’interruption des négociations ; et Nous avons exprimé le souhait et l’espoir que ce retard douloureux serve, non pas à mettre en danger la réalisation de la paix dans ces régions martyrisées, mais à l’ancrer sur un fondement plus stable et plus solide.

La précipitation imprévue des événements a ensuite aggravé dans l’opinion mondiale l’amertume et la préoccupation. C’est pourquoi notre prière s’élève encore plus fervente pour que le dur conflit puisse trouver au plus vite une conclusion juste e satisfaisante.

La prolongation de fait de la suspension quasi complète des hostilités au Moyen-Orient doit être reconnue sans aucun doute comme un fait positif. Mais cette prorogation de l’état de guerre, sans progrès effectifs vers la recherche de solutions pacifiques, tandis que reste inchangé l’effort direct pour, augmenter le potentiel militaire de guerre respectif, constitue dans une zone aussi sensible et délicate, un danger permanent et grave qui menace, outre la tranquillité et la sécurité de ces populations, des valeurs chères, pour divers motifs, à une grande partie de l’humanité. Sans compter que le renforcement progressif de situations privées d’un fondement juridique clair, internationalement reconnu et garanti, ne pourra que rendre plus difficile ensuite, au lieu de le faciliter, un compromis équitable et acceptable qui tienne dûment compte des droits de tous : nous pensons ici en particulier à la Cité Sainte, Jérusalem, vers laquelle se dirige plus intensément ces jours-ci le souvenir des disciples du Christ et où ils doivent pouvoir, eux aussi, se sentir pleinement " citoyens ".

Nous renouvelons par conséquent notre souhait, notre exhortation fervente à un effort sincère et volontaire pour une paix juste et rapide. C’est ce que demandent entre autres avec Nous, mais avec une urgence encore plus grande et plus justifiée, les fils du peuple palestinien qui attendent depuis tant d’années et qui revendiquent la juste reconnaissance de leurs aspirations, non pas en opposition, mais dans l’harmonie nécessaire avec les droits des autres peuples.

Notre pensée affectueuse et profondément douloureuse se tourne maintenant vers une autre région qui ne Nous est pas moins chère : l’Irlande du Nord. Fasse le Seigneur que les sentiments de compréhension entre citoyens et de charité chrétienne l’emportent finalement chez tous — comme Nous savons que c’est déjà le cas pour la majeure partie de ces laborieuses et fidèles populations — sur les ressentiments, même justifiés, et sur les tentations de rancœur et de vengeance. Qu’une fois dépassés tous les motifs issus des vieilles rivalités, apparaissent à tous avec clarté quelles sont aujourd’hui les exigences de la justice — fondement irremplaçable de toute paix véritable — et d’une vie en commun pleine de respect et de cordialité.

D’autres situations, hélas, se présentent à Nous, dans le vaste panorama de la vie internationale, qui ne sont pas des situations de paix, même si elles ne semblent pas constituer un péril imminent de conflits plus larges ; elles sont toutes douloureuses, pourtant, et déplorables, à la fois parce qu’elles sont causes de deuils et de souffrances sans nombre, et parce qu’elles sont le fruit pour la plupart de conditions injustifiables d’oppression, de rivalités raciales, politiques, tribales, ou du manque de reconnaissance dû aux légitimes aspirations des individus ou des peuples.

Nous ne voudrions pas cependant laisser de côté sans y faire au moins allusion, les signes réconfortants et prometteurs qu’il Nous est donné de relever ici et là, consacrés à panser les blessures laissées par les conflits ou à rétablir les rapports interrompus. Nous voudrions rappeler, à titre d’exemple, les conversations entreprises au cours de l’année écoulée entre les Croix-Rouge des deux Corées, celle du Nord et celle du Sud, ainsi que les récents échanges de prisonniers — militaires ou civils — entre le Pakistan d’une part, l’Inde et le Bangladesh d’autre part. Il s’agit de gestes encore limités, mais qui démontrent une bonne volonté au sujet de laquelle Nous exprimons notre satisfaction. Veuille Dieu qu’ils soient aussi le prélude au prompt retour des milliers et des milliers de personnes qui demeurent encore éloignées par force de leur propre terre ! Nous savons que le problème est complexe, mais Nous faisons confiance à la magnanimité et à la générosité de ces peuples, auxquels la géographie aussi bien que tant de liens anciens conseillent d’avancer ensemble sur le chemin du bien-être et du progrès.

Annonciatrice de paix, toujours prête à encourager et à donner, en toute loyauté, sa propre collaboration à l’œuvre de paix, l’Eglise peut bien demander la paix pour elle-même, aux Etats sur le territoire desquels elle vit et travaille. Une paix qui lui assure, non des privilèges, mais le respect des droits qui lui appartiennent par nature, et aussi de ceux qui — même en vertu des principes sanctionnés par des actes solennels des pouvoirs civils, telle que la Déclaration universelle des Nations Unies sur les Droits de l’Homme — doivent être reconnus aux citoyens qui se proclament ses fils. Une paix qui lui permette de mener une existence sereine, dans une légitime liberté, d’enseigner sa doctrine, d’exercer ses activités qui ne visent que le bien. Une paix qui la fasse considérer et traiter, non comme une étrangère et comme une ennemie à laquelle il faudrait s’opposer, ou un péril à combattre, mais comme une force alliée pour tout ce qui est bon, noble et beau.

Pour sa part, le Siège Apostolique s’emploie depuis longtemps à mener une action loyale, patiente, mettant sa confiance dans l’assistance divine et dans la force de la vérité et du droit, pour établir ou rétablir partout — même au milieu des difficultés créées par certains systèmes particuliers d’idéologie ou de gouvernement — des rapports clairs et honnêtes, qui garantissent à l’Eglise, comme on dit, l’espace vital suffisant.

Nous n’avons pas l’intention de dresser ici des bilans. Nous ne pouvons cependant passer sous silence telle ou telle partie de l’Eglise du Christ, à laquelle semble encore aujourd’hui réservée la paix, non pas seulement de la souffrance silencieuse, mais, pourrait-on dire, de la mort.

Laissez-Nous vous ouvrir notre cœur sur la désolation que Nous éprouvons en pensant à une Nation, petite quant au territoire, mais riche de glorieuses traditions, civiles et religieuses, notre voisine par la géographie et plus encore par le respect affectueux que Nous lui portons, mais tenue à distance de Nous par des barrières qui la font apparaître comme séparée par l’immensité de l’océan : l’Albanie. Nous n’en avions jamais donné publiquement le nom ; non par oubli, mais plutôt, comme il arrive pour d’autres situations analogues, à cause d’un sentiment d’égard pénétré d’amour, et pour ne pas aggraver peut-être les conditions de vie qui y sont déjà extrêmement pénibles, pour l’Eglise catholique comme du reste pour les autres confessions religieuses. Les Pasteurs étant frappés et le troupeau dispersé, on ne voit pas quelle espérance humaine reste encore là-bas à l’Eglise. Mais Nous voulons espérer encore, même " contre toute espérance ", tandis qu’au peuple albanais, confiné sur le territoire de sa patrie ou vivant au dehors, Nous désirons exprimer le respect, l’admiration, l’amitié que Nous dictent, son histoire et les présentes vicissitudes. Nous voulons l’assurer aussi que Nous sommes toujours prêt à reprendre également avec leurs Pays de bons rapports d’amitié et que Nous sommes impatient de pouvoir le faire.

Il y a aussi d’autres régions immenses où la vie de l’Eglise catholique est pratiquement étouffée, non seulement parce qu’elle y serait représentée par des minorités statistiquement faibles, qui ne sont pas pour autant négligeables, mais parce qu’elle est effectivement empêchée d’exercer sa mission religieuse et de se maintenir en relation avec sa propre communion hiérarchique. Nous préférons toutefois ne pas insister aujourd’hui sur ces situations : elles sont suffisamment éloquentes en elles-mêmes, et elles non plus n’éteignent pas en Nous la confiance dans la profonde richesse spirituelle de ces populations et dans leur immortelle vocation à la vérité universelle du christianisme.

Nous avons parlé de la passion de la paix. L’insistance avec laquelle Nous revenons sur des thèmes qui n’ont, semble-t-il, aucun rapport direct avec l’objet et la responsabilité de notre charge apostolique pourra même paraître excessive à certains.

N’est-ce pas là, pourtant, une manifestation essentielle de cette Charité du Christ qui, comme autrefois saint Paul, Nous pousse et Nous presse, et ne Nous laisse aucun répit tant que l’un de nos frères — et le Christ à travers lui — souffre dans son esprit et dans son corps ? Ne répond-elle pas à la volonté du Seigneur qui a voulu marquer du souhait de la paix aussi bien le commencement que l’achèvement de sa vie terrestre ?

L’obéissance à une Volonté qui est pour nous une loi et un exemple Nous rend inébranlable, qu’il s’agisse de parler ou de travailler en faveur de la paix ou d’espérer qu’elle peut devenir une réalité, en surmontant les obstacles multiples et tenaces qu’elle rencontre sur son chemin.

Telle est l’espérance, patiente et active, que Nous voudrions donner à l’Eglise et au monde, en cette anxieuse vigile de Noël.

Avec notre Bénédiction.

 

 

25 décembre

LA NUIT DE NOËL DE PAUL VI PARMI LES TRAVAILLEURS

Dans la nuit de Noël, le Saint-Père a célébré la Sainte Messe parmi les ouvriers du chantier de S. Oreste, sur le penchant du Mont Soratte. Au cours du Sacrifice Divin, Il leur a adressé l’homélie suivante:

Maintenant j’adresse principalement mes paroles à vous, hommes du chantier, à vous travailleurs, mineurs, ouvriers, manœuvres, et à tous ceux qui sont associés avec vous dans le labeur ardu, surtout physiquement, qui impose à vos membres effort, tension, fatigue, et qui engourdit l’esprit.

Je veux réveiller un moment votre attention et rompre le sommeil auquel vous avez bien droit, pour vous dire avant tout pourquoi je suis venu cette nuit parmi vous. Pourquoi je suis venu ? Parce que j’ai une nouvelle à vous apporter à vous aussi. Voyez : je suis un messager ; disons le mot exact : je suis un apôtre. Apôtre veut justement dire messager, c’est-à-dire un homme envoyé, un porteur de nouvelles ; dans mon cas, le porteur d’une annonce extraordinaire, envoyé spécialement pour vous communiquer une bonne nouvelle, qui en terme propre s’appelle un " évangile ", une communication très belle qui nous concerne tous et qui vous concerne vous aussi.

Je sens que vous allez me poser deux questions. La première : " Qui t’envoie ? et de la part de qui viens-tu ? N’es-tu pas le Pape, qui est le chef des autres ? Qui peut commander au Pape et lui donner une mission comme à un envoyé quelconque " ? Eh bien, vous savez comment les choses se sont passées : c’est Jésus-Christ, le Verbe de Dieu fait homme (dont nous allons parler à l’instant), qui a choisi ses douze disciples et qui les a spécialisés dans une fonction très particulière ; celle justement d’être les porteurs de sa Parole et de ses ordres, et à cause de cela il les a appelés " apôtres " (Lc 6, 13). Pour être le premier des apôtres, Jésus choisit Simon, dont il changea le nom : " Tu t’appelleras Pierre ! " (Jn 1, 42 ; Mt 16, 18), pour signifier la solidité et la perpétuité de la fonction qu’il lui avait confiée. Eh bien, qui est le successeur de Pierre ? Vous le savez, c’est le Pape. Vous voyez donc alors qui m’envoie : c’est le Seigneur Jésus-Christ, dont effectivement je suis l’apôtre et le vicaire, mais dont je suis en même temps le serviteur; bien plus, en vertu même du ministère, c’est-à-dire du service qui m’est confié, je suis aussi le serviteur de tous, votre serviteur. Un serviteur qui n’a d’autre but que le bien de tous, votre bien, en ce moment même.

Et voici maintenant votre deuxième question : " Alors, quelle nouvelle nous apportes-tu ? Nous le savons déjà : c’est la nouvelle que tout le monde connaît, la nouvelle que c’est aujourd’hui Noël ". C’est vrai, fils et frères très chers : voilà la nouvelle, la grande nouvelle que je vous apporte ; et c’est pour elle que l’on est en fête. Mais il s’agit d’une telle annonce qu’elle est toujours nouvelle, parce que jamais assez comprise ; bien plus, beaucoup n’y pensent même pas, et beaucoup peut-être ne voudraient même pas qu’on la rappelle. Et pourtant, elle concerne un fait tellement extraordinaire qu’il surpasse en importance tous les événements passés et futurs de l’histoire ; et le fait est celui-ci : le Verbe de Dieu, c’est-à-dire la Pensée de Dieu, qui est Dieu lui-même, s’est fait homme, homme comme nous, notre semblable, notre frère, naissant de Marie, Vierge et Mère, et venant au monde, comme aujourd’hui nous en évoquons le souvenir, dans une étable, pauvre comme personne ne le fut jamais à sa naissance, Lui le maître du monde, humble, petit, faible, et aussitôt disponible pour se laisser approcher par les pauvres gens ...

A cette pensée, la tête nous tourne, d’émerveillement et de bonheur, parce qu’il en est bien ainsi, et parce que — autre aspect stupéfiant — Jésus (il s’est appelé ainsi, Jésus, le Christ, c’est-à-dire le Messie) vint au monde pour sauver le monde ; Jésus est le Sauveur du monde. Tout tourne autour de lui, tout converge vers lui : il est le Seigneur, il est le Maître, il est la vie ...

Combien, oui combien de choses il faudrait dire ! Mais maintenant je suis obligé de faire vite et de répondre à une autre question, que peut-être vous avez en tête : " Oui, oui, il en est peut-être ainsi : mais il s’agit là d’un fait ancien, survenu il y a 1972 ans, dans un pays lointain, au milieu d’autres gens... ; mais nous, qu’avons-nous à y faire ? C’est peut-être un événement unique et important, mais il ne nous regarde pas ; pourquoi le Pape, l’apôtre de ce Seigneur Jésus, vient-il ici, chez nous, pour nous raconter cet événement perdu au fond des siècles ? Nous, qu’en savons-nous ? Et finalement quel intérêt a-t-il pour nous ? ".

Eh bien, c’est justement cela que j’ai hâte de vous dire, de vous faire comprendre de quelque façon. Il faudrait un long discours ; mais vous comprenez aussitôt si je vous répète les paroles par lesquelles l’Ange annonça aux bergers cette naissance prodigieuse ; il dit, en effet, cet être splendide apparu dans l’obscurité de cette nuit : " Aujourd’hui un Sauveur est né pour vous..." (Lc 2, 11). Et je vous répète ici : Jésus-Christ est né pour vous, pour chacun de vous ... Comment cela peut-il se faire ? Il en est ainsi parce que la venue de Dieu dans la chair humaine est un fait tel que nous devons le dire universel : il touche tout le genre humain ! Et ce Jésus, en entrant sur la scène de l’histoire humaine, a voulu se rencontrer de préférence avec les hommes simples, humbles, pauvres ; et en particulier avec les travailleurs, car plus tard, ayant grandi, il fut lui-même un homme de peine ; il fut appelé " le fils du charpentier " (Mc 6, 3). Joseph, en effet, son père légal, putatif, était charpentier.

Tout homme peut dire : le Christ est venu pour moi, précisément pour moi (cf. Ga 2, 20). Chacun de vous peut d’autant plus le dire : Dieu est venu au monde pour moi, pour me rencontrer, pour me visiter, pour me sauver ... Peut-être n’avez-vous jamais clairement réfléchi à ce but premier de Noël : celui que je tente actuellement de vous faire comprendre, de graver dans votre mémoire ? Le Christ s’est fait comme l’un d’entre vous pour vous révéler un secret qui vous concerne : vous êtes aimé de lui ! Vous êtes l’objet, le vrai but de sa venue du ciel. Vous n’êtes pas n’importe qui ; vous n’êtes pas oubliés dans le cœur du Christ, vous n’êtes pas des " marginaux ", vous n’êtes pas un simple numéro parmi des millions d’autres numéros ; vous êtes l’Homme, comme Lui, vous êtes la personne avec laquelle il veut se trouver. N’en doutez pas : il en est ainsi, c’est la vérité. N’ayez pas peur : il vous connaît, il vous aime, il vous appelle par votre nom ; il est venu à votre recherche. Et si vous étiez des pauvres fils de ce monde ayant perdu le sentier du bien et ne sachant pas comment retourner à la maison de Dieu, le Père lui, si vous le voulez, vous prend par la main ; bien plus, comme il est représenté dans la parabole de la brebis perdue (Lc 15, 5), il est prêt à vous prendre sur ses épaules et à vous porter dans le bercail de sa justice et de son bonheur.

Je voudrais que vous arriviez à comprendre votre dignité, qui dérive précisément du Noël du Christ. " Il est la lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde " (Jn 1, 9). Vous êtes au premier rang.

Vous comprenez alors quel réconfort, avant tout, peut naître en votre cœur à cette pensée : quelqu’un (et c’est le Christ) m’a aimé, quelqu’un a un souvenir affectueux pour moi personnellement, quelqu’un m’estime, quelqu’un (c’est toujours le Christ) reconnaît le respect, la justice, le droit, qui me sont dus... C’est le Christ. C’est le Maître, c’est le Libérateur, c’est le Sauveur ; et c’est mon Sauveur !

Et vous pouvez alors comprendre comment, de ce rapport qui s’est établi entre vous et le Christ, ce rapport qui naît de son amour et qui vous associe à la grande famille humaine aimée et sauvée par lui, l’Eglise, peut et doit naître une nouvelle manière d’être des hommes : nous devenons tous des fils de Dieu, tous des frères... Il ne doit pas y avoir besoin de recourir à la haine, à la guerre, à la violence, à l’intrigue, pour instaurer un ordre meilleur dans les mœurs humaines, c’est-à-dire dans la société. Si vraiment le Christ pénètre cette dernière et la cimente de son amour, nous devons et nous pouvons espérer qu’un monde meilleur naîtra finalement. Quand ? Comment ? Il n’est pas facile de répondre, et ce n’en est d’ailleurs pas le moment ; mais nous pouvons affirmer ceci : aujourd’hui cela commence, aujourd’hui cela recommence.

Nous vous le disons à vous, parce que Nous vous considérons comme les représentants du monde du travail, de ceux qui ont faim et soif de justice, de ceux qui sont pauvres, qui souffrent, qui pleurent, qui espèrent, qui croient et qui prient.

A vous, à tous, et spécialement à ce monde avide de salut et de renouveau qu’aujourd’hui, à travers vos personnes, Nous voyons présent devant nous, oui, devant le vicaire du Christ (un vicaire, comme vous le voyez, lui aussi homme misérable et qui a besoin de miséricorde et d’amitié), Nous annonçons (cf. Lc 4, 18 ss.) " Voici le jour que le Seigneur a fait ; exultons et réjouissons-nous " (cf. Ps 117, 24). C’est Noël !

 

 

25 décembre

MESSAGE DU PAPE POUR NOËL

Fils de Rome et du monde catholique !

Frères de la terre entière !

Bon Noël ! Bon Noël !

Vous ne vous attendez pas à un autre salut de notre part aujourd’hui, vous ne vous attendez pas à un autre message. Bon Noël ! L’événement que nous commémorons et que nous fêtons porte en lui-même une signification telle, une vertu telle qu’il vaut pour tous comme une annonce compréhensible par tous, précieuse à tous. C’est l’annonce qui fait jaillir dans les cœurs les sentiments humains les plus simples et les plus instinctifs, et en même temps les plus profonds et les plus inexprimables : les sentiments de la bonté, de l’amour, du bonheur et de la paix. Jamais autant qu’à Noël l’homme n’a conscience de ce qu’il est, de sa propre nature, de sa propre vie. C’est l’heure de la vérité pour l’homme. Ce n’est pas pour rien que l’enfant, la mère, la famille ont les premières places dans cette fête très humaine. La propre maison, la propre table, la propre terre, les propres mœurs remplissent les âmes de leur douce intimité. C’est une heure de contemplation naturelle : Noël, pour qui sait goûter son authentique douceur, révèle le monde intérieur de l’homme, habituellement assourdi ou assoupi, le réveille et l’incite à entonner un chant spontané bien à lui ; et ce chant — phénomène singulier et admirable — accorde en une émouvante harmonie les voix humbles et familières avec les voix cosmiques et lointaines qui l’atteignent du monde extérieur. L’esprit et la nature forment ensemble un seul chœur. C’est la célébration de l’humanisme le plus vrai et le plus beau, joint à l’expression de sa maturité consciente.

Est-ce cela, est-ce vraiment cela, Noël : l’enchantement de la vie humaine finalement rejoint dans sa réalité ? Oui, réjouissons-nous en tous, mais ne refusons pas d’accueillir les requêtes, humaines elles-aussi, que ce doux moment suscite. Noël, même goûté avec un palais naturaliste, pose des doutes, des demandes, des questions, qui poussent l’homme sensible et intelligent à une réflexion plus profonde qui ne soit pas seulement la jouissance naturelle qu’il porte avec lui.

Qui donc a idéalisé l’humanisme de Noël dans celte perspective interprétant si bien la réalité humaine, qui donc l’a présenté, cet humanisme, lequel, aussi bien dans ses lignes admirables et authentiques que dans ses lignes déficientes et maladives, nous parle à son sujet d’une double transcendance dépassant l’homme : transcendance d’image et ressemblance de Dieu, tout d’abord, puis de présence suppliante et mystérieuse du Christ ?

C’est le Christ, le Christ lui-même, frères ; lui, le Christ, le Fils de Dieu, lui le Fils de l’homme ; lui dont aujourd’hui encore nous célébrons la naissance sur notre terre et l’insertion dans notre histoire ; lui, l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier de tous, le modèle du véritable humanisme. " Le premier-né d’une multitude de frères " (Rm 8, 29 ; cf. Col 1, 15) ; lui, l’image mystérieuse et rayonnante de la divinité qui s’est révélée Paternité céleste pleine d’amour (cf. Jn 14, 9-11) ; lui, non seulement le point de référence auquel il faut se reporter et qu’il faut regarder pour avoir la juste norme d’imitation et de comparaison, le maître, c’est-à-dire le guide, mais plus encore le mystérieux principe engendrant et faisant surgir en chacun de nous un supplément de vie ; lui, le pain de vie transfusant des énergies intellectuelles, morales, sociales en celui qui le reçoit ; lui, en somme, le chef de l’humanité devenue son corps mystique.

Il est si proche de nous, ce Messie et Sauveur, que tous, aujourd’hui, nous sommes comme contraints de nous mettre à sa recherche, même ceux qui le tiennent pour mort et oublié, avides et pleins d’illusions qu’ils sont de pouvoir le remplacer et de pouvoir engendrer un humanisme nouveau, privé de sa lumière, privé de son amour. L’humanisme vrai et complet ne peut être que chrétien.

Oh, hommes de bonne volonté, n’ayez pas peur aujourd’hui de vous dire chrétiens ! Ne vous rendez-vous pas compte qu’en promouvant la justice et la paix vous allez à la recherche du Christ ? Ne voyez-vous pas qu’en aspirant à la libération qui ne doit pas être ennemie de la liberté, c’est à lui que vous rêvez, c’est lui que vous invoquez ? Ne sentez-vous pas, tandis que peut-être vous cherchez comment l’éviter et comment le fuir, qu’il ne cesse de vous suivre ? Croyez-vous, en tournant vos regards vers lui, le découvrir aujourd’hui courroucé et hostile, au lieu de trouver en lui le Bon Pasteur, fascinateur grave et doux jusqu’à vous remplir de larmes de joie, prêt à s’asseoir à vos côtés, avec ceux qui vous sont chers, vivants et défunts, pour célébrer avec vous un bon Noël ?

Oh! que cette hypothèse pleine de candeur devienne un souhait, devienne une assurance ! En Nous, en tout cas, elle se fait prière, espérance, bénédiction.

C’est ainsi qu’en cet instant vous êtes présents, vous Romains, à nos yeux et dans notre cœur. C’est aussi l’Eglise entière, qui s’y trouve présente, c’est le monde entier ! Et notre regard se tourne particulièrement vers ces lieux où sévit encore la guerre, partout où existent la faim, la souffrance et l’angoisse, partout où encore est attendu l’avènement de la justice et de la paix.