L’ENSEIGNEMENT DE JEAN-PAUL II

1979

tome 2 - suite

 

 

II - HOMELIES

 

1er janvier 1979 : « JE VOUS LAISSE LA PAIX, JE VOUS DONNE MA PAIX »

6 janvier 1979 : L’EPIPHANIE, GRANDE FÊTE DE LA FOI

7 janvier 1979 : LES VŒUX A CRACOVIE ET A LA POLOGNE

2 février 1979 : LE CHRIST ÉCLAIRE LE MYSTÈRE DE L’HOMME

10 février 1979 : TRANSPARENCE DU CŒUR DE MARIE

11 février 1979 : A SAINT PIERRE, AVEC LES MALADES : « VOUS M’AVEZ VISITÉ »

28 février 1979 : LA SIGNIFICATION DES CENDRES

13 mars 1979 : LES OBSEQUES DU CARDINAL JEAN VILLOT

30 mars 1979 : LE CHRIST INCONNU EST LA GRANDE TRAGÉDIE DE L’HISTOIRE

31 mars 1979 : LE PAPE AUX ANCIENS ÉLÈVES DU COLLÈGE BELGE À ROME

1er avril 1979 : LE RÔLE DE LA FAMILLE DANS LA SOCIÉTÉ ET DANS L’ÉGLISE

5 avril 1979 : AUX UNIVERSITAIRES ROMAINS

8 avril 1979 : DANS LA CROIX SE RÉALISE LE DESSEIN DE L’AMOUR

12 avril 1979 : LA FÊTE DES PRÊTRES

12 avril 1979 : LA DERNIÈRE CÈNE, SUPRÊME TÉMOIGNAGE D’AMOUR

14 avril 1979 : LA VIE NOUVELLE DANS LA LUMIÈRE DU CHRIST

28 avril 1979 : MARIE, MÈRE DE L’ÉGLISE, GRÂCE AU DIVIN AMOUR

29 avril 1979 : QUEL EST LE SECRET DU ZÈLE MISSIONNAIRE ?

13 mai 1979 : DEMEURER EN JÉSUS-CHRIST

20 mai 1979 : CONCÉLÉBRATION DU PAPE AVEC DES ÉVÊQUES  POLONAIS

22 mai 1979 : CE DONT LE MONDE A LE PLUS GRAND BESOIN C’EST L’AMOUR

31 mai 1979 : LA VISITATION DE MARIE, MYSTÈRE DE JOIE

14 juin 1979 : AUX NOUVEAUX PETITS COMMUNIANTS

17 juin 1979 : L’EUCHARISTIE : TRIPLE SIGNE DE LA GRATITUDE, DE L’ALLIANCE, DE L’ADORATION

20 juin 1979 : RÉALISONS ENSEMBLE LE CONCILE

24 juin 1979 : CONSTRUISEZ L’ÉGLISE AVEC VOTRE SACERDOCE

29 juin 1979 : « TU ES LE MESSIE, LE FILS DU DIEU VIVANT »

1er juillet 1979 : L’ÉGLISE COMME SIGNE DE LA VOLONTÉ SALVIFIQUE DE DIEU

6 août 1979 : « FIDÉLITÉ AU SERVICE DE L’ÉGLISE »

15 août 1979 : « LE PUISSANT FIT POUR MOI DES  MERVEILLES »

8 septembre 1979 : QUE LA TERRE DEVIENNE LA MAISON DES FAMILLES !

16 septembre 1979 : « LA  FOI SANS LES ŒUVRES EST UNE FOI MORTE »

29 septembre 1979 : A SAINT-PIERRE, LE PAPE ÉVOQUE JEAN PAUL Ier

14 octobre 1979 : L’IMAGE TOUJOURS ACTUELLE DU PRÊTRE

15 octobre 1979 : « L’INTELLIGENCE EST LE FRUIT DE LA FOI »

20 octobre 1979 : L’ÉGLISE EST ESSENTIELLEMENT MISSIONNAIRE

14 novembre 1979 : UNE VIE RELIGIEUSE PROFONDE ET CONFORME À NOTRE TEMPS

25 novembre 1979 : AUX LAÏCS DE ROME

8 décembre 1979 : PRIÈRE DU PAPE À L’IMMACULÉE, PLACE D’ESPAGNE

8 décembre 1979 : MARIE, MÈRE DE NOTRE AVENT

24-25 décembre 1979 : HOMÉLIE DU PAPE POUR LA MESSE DE MINUIT 1979

31 décembre 1979 : DANS LE MESSAGE DE NOËL LA  MANIFESTATION DE L’ESPÉRANCE

 

 

 

 

II - HOMELIES

 

 

 

1er janvier 1979

« JE VOUS LAISSE LA PAIX, JE VOUS DONNE MA PAIX »

 

Le 1er janvier 1979, fête de la Sainte Mère de Dieu, XII° Journée Mondiale de la Paix, le Saint-Père a célébré la sainte messe en la basilique Saint-Pierre au Vatican.

 

1. Année 1979. Le premier jour du mois de janvier ; le premier jour du Nouvel An.

En franchissant aujourd’hui les portes de cette basilique je voudrais, avec vous tous, très chers frères et sœurs, saluer cette année, je voudrais lui dire : sois la bienvenue !

Je le fais le jour de l’octave de la Nativité. Nous sommes aujourd’hui au huitième jour de cette grande fête qui, suivant le rythme de la liturgie, marque le terme et le début de chaque année.

L’année est la mesure humaine du temps. Le temps nous parle de « passage », ce qui est le destin de toute la création. L’homme sait qu’il ne fait que passer. Non seulement il ne fait que passer dans le temps, mais il « mesure aussi le temps » de ce passage : un temps fait de jours, de semaines, de mois et d’années. Dans ce transit humain il y a toujours la, tristesse du congé pris du passé et, en même temps, l’ouverture sur le futur.

Ce sont précisément ce congé du passé et cette ouverture sur le futur qui, au moyen du langage et au rythme de la liturgie de l’Église, sont inscrits dans la fête solennelle du Noël du Seigneur.

La naissance parle toujours d’un commencement, du commencement de ce qui naît. Le Noël du Seigneur parle d’un commencement tout particulier. En premier lieu, il parle du commencement qui précède n’importe quel temps, du commencement qui est Dieu lui-même, sans commencement. Durant cette octave nous avons été chaque jour nourris du mystère de l’éternelle génération en Dieu, du mystère du Fils, engendré éternellement par le Père « Dieu de Dieu, Lumière de Lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré non créé » (Profession de foi).

Nous avons été de manière particulière, témoins, ces jours-ci, de la naissance terrestre de ce Fils. En naissant à Bethléem de la Vierge Marie, comme homme, Dieu-verbe, il accepte le temps. Il entre dans l’histoire. Il se soumet à la loi du transit humain. Il clôt le passé : avec lui prend fin le temps de l’attente, c’est-à-dire l’Antique Alliance. Il ouvre l’avenir : la Nouvelle Alliance de la grâce et de la réconciliation avec Dieu. Il est le nouveau « Commencement » du Temps Nouveau. Chaque nouvel-an participe de ce Commencement. C’est l’Année du Seigneur. Bienvenue à toi, année 1979 ! Dès le commencement même, tu es la mesure du temps nouveau, inscrit dans le mystère de la naissance de Dieu !

 

2. En ce premier jour de l’année nouvelle, l’Église tout entière prie pour la paix. C’est le grand Pontife Paul VI qui, du problème de la paix, a fait pour toute l’Église le thème de la prière du nouvel an. Aujourd’hui, fidèles à sa noble tradition, nous reprenons ce thème avec pleine conviction, ferveur et humilité. En ce jour qui inaugure le nouvel an , il n’est pas possible en effet de formuler un souhait qui soit plus fondamental que, précisément, ce souhait de paix : « Délivre-nous du mal ». Quand on récite ces mots de la prière du Christ, on ne pourrait que difficilement entendre ce mot « mal » autrement que comme ce qui s’oppose à la paix, qui la détruit, qui la menace. Prions donc : « Délivre-nous de la guerre, de la haine, de la destruction des vies humaines ! Ne pas permettre que l’on tue ».

« Ne pas permettre le recours à ces moyens qui sont au service de la mort et de la destruction et dont le rayon d’action, la précision dépassent toutes les limites connues jusqu’à présent. Ne pas permettre qu’on les utilise jamais ! » « Délivre-nous du mal ! » Défends-nous de la guerre ! De n’importe quelle guerre ! Père qui es aux cieux, Père de la vie, Donneur de la Paix, Te supplie le Pape, fils d’une nation qui, au long de l’histoire, et tout particulièrement durant notre siècle, a été l’une des plus éprouvées par l’horreur, par la cruauté, par le cataclysme de la guerre. Je te supplie pour tous les peuples du monde, pour tous les pays et pour tous les continents. Je te supplie au nom du Christ, Prince de la Paix.

Combien significatives sont les paroles de Jésus-Christ que, chaque jour, nous rappelons dans la liturgie eucharistique : « Je vous laisse la paix ; je vous donne ma paix ; je ne vous la donne pas comme le monde la donne » (Jn 14, 27).

C’est là la dimension de la Paix, la dimension la plus profonde que le Christ seul peut donner au monde. C’est la plénitude de la Paix, enracinée dans la réconciliation avec Dieu lui-même. La Paix intérieure que nous partageons avec nos frères au moyen de la communion spirituelle. C’est cette paix que nous implorons avant tout. Mais, conscient que « le monde », à lui seul, — le monde d’après le péché originel, le monde du péché — ne peut nous donner cette paix, nous l’implorons en même temps pour tout le monde. Pour tous les hommes, pour toutes les nations, de langue, de culture, de races différentes. Pour tous les continents. La paix est la condition sine qua non du véritable progrès. La paix est indispensable si l’on veut que les hommes et les peuples vivent dans la liberté. La paix est, en même temps, conditionnée —comme nous l’ont enseigné Jean XXIII et Paul VI — par la garantie qu’à tous les hommes soit assuré le droit à la liberté, à la vérité, à la justice et à l’amour.

« La coexistence entre les êtres humains — enseigne Jean XXIII — est ... ordonnée, féconde et correspond à leur dignité de personne quand elle se fonde sur la vérité. Ceci demande que soient reconnus les droits réciproques et les devoirs mutuels. Et, de plus, elle est une coexistence qui se réalise selon la justice ou dans le respect effectif de ces droits et dans le loyal accomplissement des devoirs respectifs ; qui est vivifiée et imprégnée par l’amour, un comportement d’âme qui fait ressentir comme les siens propres les besoins et les exigences d’autrui, qui fait participer autrui à ses propres biens et vise à rendre toujours vive la communion dans le monde des valeurs spirituelles ; qui est réalisée dans la liberté d’une manière adaptée à la dignité d’êtres que leur nature raisonnable même porte à assumer les responsabilités de leur propre façon d’agir » (Encycl. Pacem in Terris, n. 16 ; cf. Paul VI, Encycl. Populorum Progressio, n. 44).

La paix donc, il faut toujours l’apprendre. Il est nécessaire, en conséquence, de s’éduquer à la paix, comme dit le Message pour le premier jour de l’an 1979. Il faut l’apprendre honnêtement et sincèrement à différents niveaux et dans les divers milieux, en commençant par les enfants des classes élémentaires jusqu’à ceux qui gouvernent. A quel stade de cette éducation universelle nous trouvons-nous ?

 

3. Aujourd’hui, l’Église vénère particulièrement la maternité de Marie. C’est comme un ultime message de l’octave du Noël du Seigneur. La naissance parle toujours de la Mère, de Celle qui donne la vie, de celle qui donne l’homme au monde. Le premier jour de l’an est le jour de la Mère.

Nous la voyons donc — comme dans tant de tableaux et de sculptures — l’Enfant dans les bras, ou l’Enfant au sein. Mère. Celle qui a engendré et nourri le Fils de Dieu. Mère du Christ. Il n’est d’image plus connue ou parlant de manière plus simple du mystère de la nativité du Seigneur que celle de la Mère avec Jésus dans les bras. Cette image n’est-elle pas la source de notre toute particulière confiance ? N’est-ce pas précisément elle qui nous permet de vivre au milieu de tous les mystères de notre foi et, en les contemplant comme « divins », de les considérer en même temps comme « humains ? »

Mais il y a encore une autre image de la Mère avec le Fils entre les bras. Elle se trouve dans cette basilique : c’est la « Pietà », c’est Marie avec Jésus descendu de la Croix ; avec Jésus qui a expiré devant ses yeux, sur le Golgotha, et qui retourne entre ces bras qui, à Bethléem, Pont offert comme Sauveur du monde.

Je voudrais donc aujourd’hui lier notre prière pour la paix à cette double image. Je voudrais la lier à cette Maternité que l’Église vénère dé manière particulière en l’octave du Noël du Seigneur.

C’est pourquoi, je dis : « Mère, Toi qui sais ce que signifie serrer dans ses bras le corps mort de son Fils, de Celui à qui tu as donné la vie, épargne à toutes les mères de ce monde la mort de leurs fils, les tourments, l’esclavage, la destruction de la guerre, les persécutions, les camps de concentration, les prisons ! Conserve-leur la joie de la naissance, de la subsistance, du développement de l’homme et de sa vie. Au nom de cette vie, au nom de la naissance du Seigneur, implore avec nous la paix, la justice dans le monde. Mère de la Paix, dans toute la beauté, toute la majesté de ta maternité que l’Église exalte et que le monde admire, nous te prions : Sois avec nous en ce moment ! Fais que cette Année Nouvelle soit une année de paix, en vertu de la naissance et de la mort de ton Fils ! ». Amen !

 

 

 

6 janvier 1979

L’EPIPHANIE, GRANDE FÊTE DE LA FOI

 

Homélie du pape à l’ordination épiscopale de l’archevêque de Cracovie

Le 6 janvier, fête de l’Epiphanie le Saint-Père a procédé, en la basilique vaticane, à l’ordination épiscopale de son successeur au gouvernement de l’Église de Cracovie.

 

1. « Dresse-toi (Jérusalem), brille, car ta lumière survient et la gloire du Seigneur se lève sur toi » criait le Prophète Isaïe (60, 1) huit siècles avant le Christ ; et aujourd’hui, au XX° siècle nous écoutons sa parole et nous admirons, nous admirons vraiment l’éclatante lumière qui en jaillit. A travers tes siècles, Isaïe s’adresse à Jérusalem qui allait devenir la ville du Souverain Oint, du Messie : « Les nations marcheront à ta lumière, et les rois à la clarté de ton aurore... tes fils viennent de loin et tes filles sont portées sur le flanc... L’afflux des chameaux te submergera, les jeunes dromadaires de Madian et d’Eypha ; tous ceux de Saba viendront, ils apporteront l’or et l’encens et publieront les louanges du Seigneur » (Is 60, 3-4, 60). Nous avons devant nous — comme le dit la tradition — ces trois Rois Mages qui, de loin, viennent en pèlerinage à dos de chameau et apportent avec eux non seulement de l’or et de l’encens mais aussi de la myrrhe : les dons symboliques avec lesquels ils sont allés à la rencontre du Seigneur qui était également attendu au-delà des frontières d’Israël. Ne nous étonnons, donc pas si, dans son dialogue prophétique avec Jérusalem, mené à travers tes siècles, Isaïe dit à un certain moment : « ... ton cœur sera frémissant et s’épanouira » (60, 5). Il parle à la cité comme si elle était un homme vivant.

 

Pèlerinage à Bethléem

 

2. « Ton cœur sera frémissant et s’épanouira ». La nuit de Noël me trouvant avec ceux qui participaient à la célébration de minuit en cette basilique, je leur ai demandé, à tous, d’être, de la pensée et du cœur là-bas plus qu’ici ; plus à Bethléem, au lieu de la naissance du Christ, dans cette grotte-étable en laquelle « le Verbe s’est fait chair » (Jn 1, 14). Et, aujourd’hui, c’est à vous que je le demande, parce que c’est là, proprement là, en ce lieu, au sud de Jérusalem, que sont venus de l’Orient ces étranges pèlerins, les Rois Mages. Ils ont traversé Jérusalem. Ils étaient guidés par une étoile mystérieuse. L’étoile, une lumière, extérieure qui, se déplaçait au firmament. Mais plus encore ils étaient conduits par la foi, une lumière intérieure. Ils arrivèrent. Et ils ne furent nullement étonnés par ce qu’ils trouvèrent : ni la pauvreté, ni l’étable, ni le fait que l’Enfant était couché dans une mangeoire. Ils arrivèrent, se prosternèrent et « ils l’adorèrent ». Puis ils ouvrirent les écrins et à l’Enfant-Jésus ils firent don de l’or et de l’encens dont Isaïe a précisément parlé, mais ils lui offrirent également de la myrrhe. Et après avoir accompli tout ceci, ils retournèrent chez eux.

Par ce pèlerinage à Bethléem, les Rois Mages d’Orient sont devenus l’avant-garde et le symbole de tous ceux qui, par leur foi, rejoignent Jésus, l’Enfant enveloppé de langes et couché dans la crèche, le Sauveur cloué à la Croix, Celui qui, crucifié sous Ponce-Pilate, déposé de la Croix et enseveli dans un tombeau au pied du Calvaire, ressuscita le troisième jour. Ces hommes-là, les trois Mages venus d’Orient — trois comme le veut la tradition sont proprement l’avant-garde et la préfiguration de tous ceux qui, d’au-delà des frontières du Peuple élu de l’Ancienne Alliance ont, animés par la foi, rejoint et continuent à rejoindre le Christ.

 

Le défi de Dieu

 

3. « Tout cœur sera frémissant et s’épanouira », dit Isaïe à Jérusalem. En effet, il fallait que s’épanouisse le cœur du Peuple de Dieu pour qu’il puisse contenir de nouveaux hommes, de nouveaux peuples. Ce cri du Prophète est précisément le mot-clé de l’Épiphanie. Il fallait sans cesse ouvrir toujours plus grand le cœur de l’Église quand y entraient des hommes toujours nouveaux ; quand, dans le sillage des bergers et des Rois Mages, à Bethléem arrivaient d’Orient d’autres peuples. Et aujourd’hui il faut continuer à ouvrir ce cœur toujours plus grand, à la mesure des hommes, et des peuples, à la mesure des époques et des temps. L’Epiphanie est la fête de la vitalité de l’Église. L’Église vit avec conscience la mission de Dieu qui s’accomplit à travers elle. Le Concile Vatican II nous a aidé à mieux comprendre que la « mission » est proprement le nom de l’Église et que, d’une certaine façon, elle en constitue la définition. L’Église est elle-même quand les hommes — à l’exemple des bergers et des Rois Mages d’Orient — rejoignent Jésus, par leur foi. Quand, dans le Christ-Homme et par le Christ, ils retrouvent Dieu.

L’Epiphanie est donc la grande fête de la foi. A cette fête participent autant ceux qui sont déjà parvenus à la foi, que ceux qui se trouvent en chemin pour venir à lui. Ils y participent en remerciant Dieu pour le don de la foi, tels les Rois Mages qui, au comble de la gratitude, se sont prosternés devant l’Enfant. A cette fête participe l’Église qui, chaque année, devient plus consciente de l’ampleur de sa mission. Combien nombreux sont les hommes à qui il faut encore porter la foi ! Et combien nombreux, sont également ceux qu’il faut ramener à la foi qu’ils ont perdue, et ceci est parfois bien plus difficile que la première conversion à la foi. Mais, consciente de ce grand don, le don de l’Incarnation de Dieu, l’Église ne peut jamais s’arrêter, jamais se lasser. Elle doit continuellement chercher l’accès à Bethléem pour chaque homme et pour chaque époque. L’Epiphanie est la fête du défi de Dieu.. ...

En ce jour solennel les représentants de la population et de l’Archidiocèse de Cracovie sont venus à Rome pour offrir un don à l’Enfant-Jésus, un don qui s’exprime dans l’ordination épiscopale du nouvel Archevêque de Cracovie. C’est un don de la foi, de l’amour et de l’espérance. Qu’il me soit-permis de leur parler en ma langue maternelle.

 

Le salut aux polonais

 

4. Jean Paul II rappelle brièvement, en langue polonaise, l’essentiel de son exposé précédent, soulignant notamment le caractère exceptionnel du fait qu’après 1000 ans d’histoire chrétienne l’Église de Pologne voit le Pape, qu’elle-même a donné à l’Église Universelle, conférer l’ordination épiscopale à son successeur au siège archiépiscopal de Cracovie. Il termine la partie polonaise de son discours par une invitation à poursuivre sur le chemin de la foi, du témoignage chrétien, et il ajoute, s’adressant au nouvel élu : « Toi, surtout, François, nouvel archevêque métropolitain de Cracovie, transmets la foi aux générations futures ». Après quoi, Jean Paul II reprend son homélie en langue italienne.

 

Sous cette lumière

 

5. Dresse-toi, Jérusalem ! « Ton cœur sera frémissant et s’épanouira ! » Là-bas, près de la crèche de Bethléem où nous sommes allés par la pensée et le cœur, nous nous sommes recueillis avec ceux qui sont venus d’Orient, avec les Rois Mages, témoins admirables de la foi en Dieu Incarné ; et nous nous retrouvons dans cette basilique ici. Ici, où de manière particulière, la prophétie d’Isaïe s’est accomplie au cours des siècles. D’ici, la lumière de la foi s’est répandue sur tant d’hommes et sur tant de peuples ! Ici, grâce à Pierre et à son Siège, une multitude innombrable est entrée et entre toujours dans cette grande communauté du Peuple de Dieu, dans l’union de la Nouvelle Alliance, dans les tabernacles de la Nouvelle Jérusalem.

Et aujourd’hui, que peut souhaiter de mieux à cette basilique, à sa nouvelle chaire, le successeur de Pierre, sinon qu’elle serve à l’Epiphanie ? Qu’en elle et par elle, les hommes de notre temps et de tous les temps, les hommes provenant de l’Orient et de l’Occident, du Nord et du Sud, parviennent à Jérusalem, arrivent au Christ par la foi.

Alors, une fois de plus donc, j’emprunte à Isaïe ses paroles pour formuler mes vœux Urbi et orbi et dire : « Dresse-toi, ton cœur sera frémissant et s’épanouira ! ».

Dresse-toi ! Et sème la force de ta foi ! Que le Christ t’illumine sans cesse ! Que les hommes et les peuples marchent sous cette lumière !

Amen !

 

 

 

7 janvier 1979

LES VŒUX A CRACOVIE ET A LA POLOGNE

 

A la Sixtine, homélie du Pape

Le 7 janvier, en la chapelle Sixtine, le pape a célébré la messe en langue polonaise, qui était ainsi la première à être retransmise par Radio Vatican. Voici la traduction de l’homélie prononcée à cette occasion par le Saint-Père.

 

Très chers Frères et Sœurs en le Christ.

 

Avec vive émotion je célèbre l’Eucharistie dans ma langue natale. Je le fais en la chapelle Sixtine, en ce lieu où le 16 octobre 1978 j’ai entendu le nouvel appel du Seigneur, où je l’ai accepté dans un esprit d’obéissance et de foi envers mon Sauveur et de pleine confiance, envers la Vierge, Mère de Dieu et Mère de l’Église. Aujourd’hui au même endroit, je célèbre pour la première fois l’Eucharistie dans ma langue maternelle, profitant de l’invitation de la Radio Vaticane qui, dorénavant, transmettra chaque dimanche la Sainte Messe en langue polonaise à l’intention de tous ceux qui éprouvent des difficultés à participer à la Messe. J’exprime donc ma grande joie et mes remerciements à Dieu pour cette initiative qui satisfait au désir depuis longtemps manifesté par mes compatriotes en Pologne et dans le monde entier. On sait que dans les différents pays du monde la langue de nos pères n’a pas cessé d’être celle de la prière pour de nombreuses personnes. Je suis heureux de pouvoir aujourd’hui, grâce aux ondes radiophoniques, les rejoindre, avec tous les fidèles ici présents, dans l’unité du sacrifice eucharistique. Je crois, en toute confiance, que je pourrai de la même manière, me rencontrer et m’unir avec mes frères et mes sœurs également dans les autres langues. Cette unité dans l’Eucharistie, dans la liturgie de la Parole, dans la liturgie du sacrifice fait du corps et du sang du Christ, je la considère comme essentielle et fondamentale pour le Successeur de Pierre, pour cet Apôtre à qui le Seigneur a dit : « Toi, donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères » (Lc 22, 32). Quand aujourd’hui, en célébrant le sacrifice du Christ, je vous rencontre, mes très chers compatriotes, je me souviens de ces rencontres annuelles où, comme archevêque de Cracovie, je considérais comme un honneur de me retrouver avec les représentants de toutes les paroisses de notre cité royale. Cette rencontre avait toujours lieu le jour de la fête des Rois Mages, au cours de la Messe célébrée le soir en la Cathédrale de Wavel. A ce moment nous échangions également les vœux pour l’Année, Nouvelle. Aujourd’hui, en cette circonstance si particulière, je veux répéter ces vœux. Voilà qu’en ce moment se trouvent réunis en la chapelle Sixtine les représentants de l’Archidiocèse de Cracovie et des Polonais résidant à Rome qui, hier, sont, venus ici pour participer à la consécration épiscopale de mon successeur au siège archiépiscopal de Cracovie. A eux tous, et particulièrement au Métropolitain de Cracovie, j’adresse tous mes vœux que je prends au cœur même de l’Eucharistie.

Je suis content de votre présence, très chers frères et sœurs qui êtes venus de ma bien-aimée ville de Cracovie, et de l’Archidiocèse ; permettez-moi de donner beaucoup plus d’extension à ces vœux et de les adresser à notre chère patrie tout entière, à tous nos compatriotes, à tous ceux qui m’écoutent en ce moment, puis aussi à tous ceux qui ne peuvent m’écouter. J’adresse ces vœux à toutes les familles, à toutes les générations, aux personnes âgées, aux souffrants, aux malades, aux hommes en pleine vigueur, aux parents et aux éducateurs ; en même temps, à toute la jeunesse et à tous les enfants ; aux hommes, qui travaillent durement, physiquement, aux hommes de science et de culture. Ces vœux, je les adresse à toutes les professions sans exception. Chaque année, au mois de janvier, entre groupes divers, à l’occasion de l’ « oplatek » (note du traducteur l’oplatek est le pain bénit que les familles se partagent en signe d’unité). Aujourd’hui je romps en esprit l’oplatek en présence de vous tous. Par ce geste au début de l’an, par ce geste de la main et du cœur, je veux rejoindre toute l’Église de Pologne, tous les diocèses et toutes les paroisses, les religieux et les religieuses, tous les prêtres, tous mes frères en l’Episcopat avec, premier de tous, notre bien-aimé Primat. Je me rends en esprit près de tous les centres catholiques d’études supérieures, près de tous les séminaires, près de toutes les associations de jeunesse, recueillies dans leurs retraites spirituelles, dans le travail pour former l’homme nouveau en Jésus-Christ.

L’année 1979 est celle du jubilé de saint Stanislas : le neuvième centenaire de son martyre. En vue du jubilé de ce patron des Polonais, au début de cette année jubilaire, je forme avant tout des vœux pour l’unité spirituelle. Saint Stanislas, par son sacrifice d’abord, sa canonisation ensuite, est devenu la source et l’inspiration de cette unité pour nos ancêtres. Aujourd’hui nous avons besoin de la même unité spirituelle de notre patrie, après toutes les épreuves qui ont marqué son histoire. Nous avons besoin de l’unité de l’esprit et de la force de l’esprit. Ce sont là mes vœux les plus chaleureux. Je désire que ces vœux parviennent à tous. Je souhaite que ceux qui sont au pouvoir puissent bien servir pour le bien commun de toute la nation. La nation pour laquelle de tout mon cœur je désire la paix ; pour laquelle, en tant qu’un de ses fils, je désire tout le bien ; elle mérite d’être respectée dans la grande famille des nations. Pendant un millénaire, cette Église a fidèlement et tenacement servi la nation et encore aujourd’hui elle sert la nation.

Dans la liturgie d’aujourd’hui le Prophète Isaïe parle du futur Messie, du Christ :

« Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu en qui mon âme se complaît. J’ai mis mon esprit en lui. Il fera connaître aux nations un jugement. Il ne criera pas, il n’élèvera pas la voix, il ne fera pas entendre sa parole dans la rue. Il ne brisera pas le roseau ployé et n’éteindra pas la mèche qui faiblit. Il fera connaître le jugement selon la vérité. Il ne faiblira pas, il ne ploiera pas, jusqu’à ce qu’il ait imposé sur la terre le jugement et les îles entendront son enseignement » (Is 42, 1-4).

Je souhaite que le Christ Jésus-Christ soit avec vous tous pendant l’année qui vient de commencer, l’année 1979 après sa naissance. Anno Domini ! Amen !

 

 

 

2 février 1979

LE CHRIST ÉCLAIRE LE MYSTÈRE DE L’HOMME

 

Homélie pour la fête de la Présentation

A l’occasion de la fête de la Présentation du Seigneur, Jean Paul II a célébré en la basilique Saint-Pierre de Rome une messe pour les religieux et les religieuses.

 

1. « Lumen ad revelationem gentium » (Lumière pour éclairer les nations).

La liturgie de la fête de ce jour pour nous rappelle avant tout les paroles du Prophète Malachie : « Et soudain arrivera dans son Temple le Seigneur que vous réclamez... voici qu’il arrivé ». De fait ces paroles se réalisent en ce moment : pour la première fois, entre dans son Temple Celui qui en est le Seigneur. Il s’agit du Temple de l’Ancienne Alliance, qui constituait la préparation de la Nouvelle Alliance. Dieu rétablit cette nouvelle Alliance avec son peuple en Celui qu’il a oint et envoyé dans le monde, c’est-à-dire son Fils. Le temple de l’ancienne Alliance attend ce « Oint », le Messie. Cette attente est pour ainsi dire sa raison d’être.

Et voici qu’il entre. Porté dans les mains de Marie et de Joseph. Il entre comme un enfant de 40 jours, afin de satisfaire aux prescriptions de la loi de Moïse. Ils le portent au Temple comme tant d’autres enfants Israélites : l’enfant de pauvres. Il entré donc, inobservé et — presque en contradiction avec les paroles du Prophète Malachie — sans que personne l’attende. « Deus absconditus » (le Dieu qui se cache, cf. Is, 45, 15). Caché dans la chair humaine, né dans une étable dans les environs de Bethléem. Soumis à la loi du rachat comme sa Mère l’est à celle de la purification.

Alors que tout semble indiquer qu’à ce moment personne ne l’attend, que personne ne le découvre, en réalité il n’en est pas ainsi. Le vieux Siméon va à la rencontre de Marie et de Joseph et prend l’enfant dans les bras ; et il prononce les paroles qui sont un écho vivant de la prophétie d’Isaïe : « Maintenant, Seigneur, tu peux, selon ta parole, laisser ton serviteur s’en aller en paix ; car mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé à la face de tous les peuples, lumière pour éclairer les nations et gloire de ton peuple Israël (Lc 2, 29-32 ; cf. Is 2, 2-5 ; 25, 7).

Ces paroles sont la synthèse de toute l’attente, la synthèse de l’Ancienne Alliance. L’homme qui les prononce ne parle pas de lui-même Il est prophète : il parle du fond de la Révélation et de la foi d’Israël. Il annonce l’accomplissement de l’Ancien Testament et le début du Nouveau.

 

2. La lumière.

Aujourd’hui l’Église bénit les cierges qui donnent de la lumière. En même temps, ces cierges sont le symbole de l’autre lumière, de celle qu’est proprement le Christ. Il a commencé à l’être dès le moment de sa naissance. Il s’est révélé comme lumière aux yeux de Siméon le quarantième jour après sa naissance. Puis, pendant trente années, il est resté comme lumière dans le secret de Nazareth. Ensuite, il a commencé à enseigner, et le temps de son enseignement a été bref. Il a dit : « Je suis la lumière du monde ; qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres mais aura la lumière de la vie » (Jn 8, 12). Lorsqu’il fut crucifié « les ténèbres s’étendirent sur toute la terre » (Mt 27, 45 et pass.), mais le troisième jour les ténèbres ont cédé la place à la lumière de la résurrection.

La lumière est à nous !

Qu’éclaire-t-elle ?

Elle éclaire les ténèbres des âmes humaines. Les ténèbres de l’existence. Éternel et immense est l’effort de l’homme pour s’ouvrir la voie et parvenir à la connaissance : lumière de la connaissance et de l’existence. L’homme a souvent besoin de longues années pour s’éclairer sur quelque événement, pour trouver la réponse à une question déterminée. Et nous devons, chacun de nous, exercer un immense effort sur nous-mêmes, si nous voulons, à travers tout ce qu’il y a en nous d’« obscur », de ténébreux, à travers notre pire « ego », à travers l’homme dominé par la concupiscence de la chair, des yeux, par l’orgueil de la richesse (cf. 1 Jn 2, 16), si nous voulons, donc, dévoiler ce qui est lumineux : l’homme de simplicité, d’humilité, d’amour, de sacrifice désintéressé ; les nouveaux horizons de la pensée, du cœur, de la volonté, du caractère. « Les ténèbres s’en vont et la vraie lumière brille déjà » (1 Jn 2, 8).

Si nous nous demandons ce qu’éclaire cette lumière que Siméon a reconnue en l’enfant de 40 jours, voici la réponse. C’est la réponse de l’expérience intérieure de tous ceux qui ont décidé de suivre cette lumière. C’est la réponse de votre vie, mes chers frères et sœurs, religieux et religieuses qui participez aujourd’hui à la Liturgie de cette fête, tenant à la main le cierge allumé. C’est comme un avant-goût, de la vigile de Pâques, quand l’Église, c’est-à-dire chacun de nous franchira le seuil du Temple, tenant bien haut le cierge allumé et chantant Lumen Christi. C’est tout spécialement en profondeur que le Christ éclaire le mystère de l’homme. Il pénètre particulièrement et profondément et en même temps avec une immense délicatesse, dans le secret des âmes et des consciences humaines. Il est le Maître de la vie, au sens le plus profond. Il est le Maître de nos vocations. Et c’est vraiment Lui, Lui l’Unique, qui nous a révélé à chacun de nous et ne cesse de révéler à de nombreux autres la vérité que « l’homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même » (cf. Lc 17, 33) (Constit. pastorale Gaudium et Spes, 34).

Rendons grâces aujourd’hui pour la lumière qui est parmi nous. Rendons grâces pour tout ce qui, par le Christ, est devenu lumière en nous-mêmes ; qui a cessé d’être « l’obscur et l’inconnu ».

 

3. Pour finir, Siméon dit à Marie, d’abord au sujet de son Fils : « Vois ! cet enfant doit amener la chute et le relèvement d’Israël ; il doit être un signe en butte à la contradiction ». Et à l’égard de Marie il ajouta : « ... toi-même, un glaive te transpercera l’âme ! — afin que se révèlent les pensées intimes d’un grand nombre » (Lc 2, 34-35).

C’est aujourd’hui la fête de Jésus-Christ, au quarantième jour de sa vie, dans le Temple de Jérusalem où il fut porté pour satisfaire aux prescriptions de la loi de Moïse (cf. Lc 2, 22-24). Mais c’est aussi la fête de Marie.

Elle porte l’enfant dans les bras. Mais, même tenu dans les mains, Jésus est la lumière de nos âmes, la lumière qui éclaire les ténèbres de la connaissance et de l’existence humaines, de l’intelligence et du cœur.

Ces « pensées intimes d’un grand nombre » sont révélées quand les mains maternelles de Marie soutiennent cette grande Lumière Divine, quand elles la rapprochent de l’homme.

Ave Maria, Toi qui est devenue Mère de notre lumière au prix du grand sacrifice de ton Fils, au prix du sacrifice maternel de ton cœur !

 

4. Et enfin, permets-moi aujourd’hui, au lendemain de mon retour du Mexique de te remercier, ô Vierge de Guadalupe, pour cette Lumière que ton Fils est pour les fils et les filles de ce pays et de ceux de toute l’Amérique Latine. La troisième Conférence Générale de l’Épiscopat de ce Continent, inaugurée solennellement à tes pieds, ô Marie, dans ton Sanctuaire de Guadalupe, déroule depuis le 28 janvier à Puebla ses travaux sur le thème de l’évangélisation de l’Amérique Latine, aujourd’hui et à l’avenir ; elle s’efforce de montrer les voies par lesquelles la lumière du Christ doit atteindre la génération contemporaine de ce grand Continent si prometteur.

Recommandons ces travaux dans la prière, aujourd’hui, en regardant Jésus porté dans les bras de sa mère et en écoutant les paroles de Siméon : « Lumen ad revelationem gentium ».

 

 

 

10 février 1979

TRANSPARENCE DU CŒUR DE MARIE

 

A la Sixtine, messe en français

Le 7 janvier, le pape célébrait en polonais une messe, la première dans cette langue à être retransmise par Radio Vatican. Il souhaitait alors que d’autres messes en langue vernaculaire soient également organisées par Radio Vatican. Le samedi 10 février, en la chapelle Sixtine, le pape a célébré l’Eucharistie en langue française. De nombreux francophones ont participé a cette Messe dont les chants étaient assurés par la chorale du Séminaire français. LLEE. les cardinaux Jean Villot et Gabriel-Marie Garrone étaient présents ainsi que plusieurs évêques francophones en résidence à Rome ou s’y trouvant de passage, les Ambassadeurs près du Saint-Siège de Côte d’Ivoire, de France, Haïti, Sénégal et Zaïre et les Conseillers de Belgique et du Canada.

 

Je vous salue Marie...

 

1. Je voudrais aujourd’hui être en esprit dans ce coin de France, où, depuis cent vingt et un ans, ces paroles ne cessent d’être murmurées par les lèvres de milliers, de millions d’hommes et de femmes, depuis le jour où, en ce lieu précisément elles furent prononcées par une enfant remplie d’étonnement L’enfant s’appelait Bernadette Soubirous, elle avait quatorze ans, elle était la fille de modestes travailleurs de Lourdes.

Je vous salue, Marie…

C’est par ces paroles que, toujours et partout, nous saluons Celle qui les a entendues pour la première fois à Nazareth. En recevant cette salutation, elle fut appelée par son nom ; c’est comme cela que l’appelaient sa famille et tous ceux qui la connaissaient dans le voisinage ; c’est avec ce nom aussi qu’elle fut choisie par Dieu. L’Éternel l’appela par ce nom : Marie ! Myriam !

Cependant, quand Bernadette lui demanda son nom, elle ne répondit pas « Marie », mais « Que soy era Immaculada Councepciou », « Je suis l’Immaculée Conception ». Ainsi, à Lourdes, elle s’appela du nom que Dieu lui a donné de toute éternité ; oui, de toute éternité, il la choisit avec ce nom et il la destina à être te Mère de son Fils, le Verbe éternel. Cette appellation, « Immaculée Conception », est finalement bien plus profonde et bien plus importante que celle dont se servaient ses parents ou les gens de sa connaissance et qu’elle entendit au moment de l’Annonciation : « Ave Maria ! ».

 

2. Arrêtons-nous à cette salutation. Des millions de lèvres humaines la répètent, chaque jour, en toutes sortes de langues et de dialectes, en de multiples lieux du globe. Entre la grotte de Massabielle et le torrent du Gave, ce sont aussi des millions de pèlerins qui la répètent au cours de l’année. Aujourd’hui, je veux redire cet « Ave Maria » avec tous, en me faisant pèlerin par l’esprit et le cœur, en attendant l’occasion de me trouver en personne en ce lieu. Je désire appeler la Mère du Christ par ce nom qu’elle avait sur la terre, je désire la saluer par cette salutation qu’on peut qualifier d’« historique », en ce sens qu’elle est liée à un moment décisif de l’histoire du salut. Ce moment décisif est en même temps celui de son acte de foi, de sa réponse de foi : « Bienheureuse, toi qui as cru ! » (Lc 1, 45).

Oui, Marie, c’est ce jour, cette heure qui compte, au moment où tu as entendu cette salutation, avec ton nom : Myriam, Marie ! Car l’histoire du salut est inscrite dans le temps des hommes, marqué par les heures, les jours, les années. Cette histoire prend aussi une dimension de foi, dans la réponse donnée au Dieu vivant par le cœur humain. Parmi ces réponses, celle qui suit l’« Ave Maria » de l’Ange, à Nazareth, marque un sommet : Fiat ! « Qu’il me soit fait selon ta parole ! ».

 

3. Bienheureuse, toi qui as cru !

C’est Elisabeth qui adresse à Marie cette bénédiction. Non pas au moment de l’Annonciation, mais plusieurs semaines après, quand Marie vint à Aïn-Karim. Et ces paroles d’Elisabeth, qui lui était spirituellement la personne la plus proche, provoquèrent en Marie une nouvelle réponse de foi : « Magnificat ! ».

Nous sommes habitués aux termes de ce cantique. L’Église les a faits siens. Elle les répète à la suite de la Mère du Christ, pour exprimer ses plus grandes allégresses ou simplement pour remercier :

« Le Puissant a fait en mot de grandes choses,/ Saint est son nom. Sa miséricorde s’étend d’âge en âge... Il a renversé les puissants de leurs trônes, / il a élevé les humbles ;/ il a comblé de bien les affamés, / il a renvoyé les riches les mains vides… » (Lc l, 49-50, 52-53).

Nous entendons souvent ces paroles ! Nous les répétons si souvent ! Essayons un jour, au moins une fois, pourquoi pas aujourd’hui, de nous arrêter devant l’admirable transparence de ce Cœur de Marie ; c’est en lui et à travers lui que Dieu parle. Il parle à un niveau qui transcende les paroles quotidiennes de l’homme, et peut-être même les paroles dont se servait chaque jour Myriam, cette jeune fille de Nazareth, parente d’Elisabeth et de Zacharie, fiancée depuis peu à Joseph. En réalité, Marie n’est-elle pas comme l’épouse de l’Esprit Saint ?

C’est bien l’Esprit qui donne une telle transparence à son cœur — ce cœur simple et humble d’une enfant de Nazareth — grâce aux promesses faites à Abraham et a sa descendance à jamais » (Lc 1, 55).

Dieu est aussi mystérieusement présent à toute l’histoire des hommes, des générations qui se succèdent, des peuples, capable d’y susciter, de façon merveilleuse, une transparence, une espérance, un appel à la sainteté, une purification, une conversion. En ce sens, il est présent dans l’histoire des humbles... et des puissants ; oui, dans l’histoire des affamés, des opprimés, des marginaux, qui se savent aimés de Lui et retrouvent avec Lui courage, dignité, espérance ; dans l’histoire aussi des riches, des oppresseurs, des hommes rassasiés de tout, qui n’échappent pas au jugement de Dieu et sont conviés eux aussi à l’humilité, à la justice, au partage, pour entrer dans son Royaume. Dieu est présent dans l’histoire des responsables et des victimes de la civilisation de consommation qui se répand : il veut libérer l’homme de l’esclavage des choses et le remettre sans cesse sur le chemin de l’amour des personnes — de Dieu et de ses frères — avec l’esprit de pureté, de pauvreté, de simplicité.

Ces paroles admirables du Magnificat, je veux aujourd’hui les méditer avec tous ceux qui participent à ce sacrifice eucharistique, avec tous les pèlerins de Lourdes, avec toute l’Église.

Certains s’interrogent aujourd’hui sur la mission de l’Église. Mais l’Église de nôtre temps ne peut-elle pas entrevoir dans ces paroles de Marie la vérité sur sa mission ? Ne contiennent-elles pas ce que nous pouvons, ce que nous voulons, ce que nous devons annoncer, proclamer et réaliser en ce vaste domaine où sont liées « évangélisation » et « promotion humaine », où la première appelle la seconde ? Le Magnificat ne permet-il pas de répondre à la question de savoir de quel progrès, de quelle, promotion il s’agit de savoir, aussi ce que signifie « évangéliser », annoncer la Bonne Nouvelle aux hommes d’aujourd’hui ? Car cet « aujourd’hui » avec ses misères et ses signes d’espérance constitue, dans tous les pays, un défi à la mission « prophétique » de l’Église, et en même temps à sa mission « maternelle ». Il s’agit d’ouvrir les cœurs et les mentalités au Christ, à l’Évangile, à son échelle de valeurs, pour contribuer à l’élévation de tout l’homme, et de tous les hommes, aménager un monde moins indigne de l’homme et du dessein de Dieu sur lui, et préparer en même temps le Royaume des cieux.

 

4. Chers Frères et Sœurs, c’est avec une profonde émotion que je célèbre aujourd’hui cette messe en langue française, dans la chapelle Sixtine. Je puis ainsi m’unir spirituellement, dans la liturgie eucharistique, avec tous ceux qui parlent cette langue et ils sont nombreux !, répandus en beaucoup de pays, et représentés ici, à Rome et dans cette assemblée. Je puis, en particulier, réunir en esprit tous les fils et les filles de l’Église de cette grande nation française, dont l’histoire est liée, d’une manière spéciale, à l’histoire de l’Évangile en Europe et dans le monde entier.

Nous avons l’impression de nous trouver à Lourdes, où affluent continuellement des pèlerins de France et de tous les pays :

— à Lourdes qui fête cette année, avec Nevers, le centenaire de la mort de Bernadette ;

— à Lourdes où le message de Marie, transmis par Bernadette, invite sans cesse les âmes à la prière, à la pénitence, à la conversion, à la purification, à la Joie de l’assemblée chrétienne, en un mot à une foi plus vigoureuse ;

— à Lourdes où tant de malades trouvent, sinon la guérison corporelle, du moins un sens chrétien à leurs souffrances, la paix de l’amour de Dieu et l’accueil empressé de leurs frères ;

— à Lourdes où chaque année se retrouvent en réunion plénière les évêques français, que je suis heureux de saluer très cordialement, de ce Siège de l’Apôtre Pierre ;

— à Lourdes qui prépare le Congrès eucharistique de 1981. Nous avons déjà commencé à préparer ensemble la célébration de ce centenaire du premier Congrès eucharistique international qui eut lieu à Lille en 1881.

Je voudrais surtout répéter, en me tournant vers la terre de France, vers toute l’Église qui est en France : heureuse es-tu, d’avoir reçu la foi dès l’origine. Ne laisse pas ta foi s’amoindrir, ou se dissoudre ! Fortifie ta foi ! Et rayonne-la !

Dans cet esprit de foi, nous approchons maintenant de l’autel pour célébrer le Sacrifice du Christ : le Sacrifice du Pain que nous consacrons et que nous rompons pour la vie du monde (cf. 1 Co 10, 16 ; Jn 6, 51). C’est le thème du Congrès eucharistique auquel ensemble nous nous préparons : Pour la vie du monde, pour le salut du monde ! Amen !

 

 

 

11 février 1979

A SAINT PIERRE, AVEC LES MALADES : « VOUS M’AVEZ VISITÉ »

 

Hommage à Notre Dame de Lourdes

Il est de tradition à Rome de fêter avec solennité et dans l’allégresse le 11 février. A la basilique Saint-Pierre le pape a présidé la concélébration, entouré du cardinal Ugo Poletti, Mgr Henri Donze, évêque de Tarbes et de Lourdes, et de nombreux évêques et prêtres.

 

Très chers Frères et Sœurs,

 

1. Je vous salue, vous tous qui êtes ici présents aujourd’hui. Je vous salue d’une .façon particulièrement cordiale et avec grande émotion. Précisément aujourd’hui, 11 février, jour où la liturgie de l’Église rappelle tous les ans l’apparition de la Vierge Marie à Lourdes, je vous salue, vous qui avez l’habitude de vous rendre en pèlerinage, à ce sanctuaire et vous qui aidez les pèlerins malades : prêtres, médecins, infirmières membres du service de santé, des transports, de l’assistance. Je vous remercie parce qu’aujourd’hui vous avez rempli, la Basilique Saint-Pierre, et par votre présence vous faites honneur au Pape, le rendant presque participant de vos pèlerinages annuels à Lourdes, de votre communauté, de votre prière, de votre espérance et aussi de chacun de vos renoncements personnels et de ces réciproques donation et sacrifice qui caractérisent votre amitié et solidarité. Cette basilique et la Chaire de Saint-Pierre ont besoin de votre présence. Votre présence est nécessaire à toute l’humanité. Pour cela le Pape vous est reconnaissant, immensément reconnaissant. En effet, la rencontre d’aujourd’hui est sans aucun doute marquée par la joie qui surgit d’une foi vivante, mais aussi par la fatigue et des sacrifices réels.

 

2. Dans l’Évangile du jour il est dit que le Seigneur Jésus rencontre un homme gravement malade, un lépreux qui l’interpelle : « Si tu veux, tu peux me guérir » (Mc 1, 41). Et tout de suite après, Jésus lui interdit de divulguer le miracle accompli, c’est-à-dire de parler de sa guérison. Et, bien que nous sachions que « Jésus allait... prêchant l’Évangile du Royaume et guérissant toute maladie et infirmité » (Mt 9, 35), toutefois la restriction, « la réserve » du Christ au sujet de la guérison qu’il a effectuée est significative. Peut-être y a-t-il là une lointaine prévision de cette « réserve », de cette précaution avec laquelle l’Église examine toutes les soi-disant guérisons miraculeuses, par exemple celles qui depuis plus de cent ans se sont vérifiées à Lourdes. On sait à quels sévères contrôles médicaux chacune d’elle est soumise.

L’Église prie pour la santé de tous les malades, de tous les souffrants, de tous les incurables, humainement condamnés à une invalidité irréversible. Elle prie pour les malades et elle prie avec les malades. Avec la plus grande reconnaissance, elle accueille chaque guérison même si elle est partielle et progressive. Et en même temps elle fait comprendre par toute son attitude — à l’exemple du Christ — que la guérison est quelque chose d’exceptionnel, qui du point de vue de l’« économie » divine du salut est un fait extraordinaire et presque « supplémentaire ».

 

3. Cette économie divine du salut — comme l’a révélé le Christ — se manifeste sans doute dans la libération de l’homme de ce mal qu’est la souffrance « physique ». Cependant, elle se manifeste encore plus dans la transformation intérieure de ce mal qu’est la souffrance spirituelle dans le bien « salvifique », le bien qui sanctifie celui qui souffre et le prochain à travers lui. Et pour cela le texte de la liturgie du jour, sur lequel nous devons surtout nous arrêter, n’est pas : « Je le veux, sois guéri, sois purifié », mais-les paroles : « Soyez mes imitateurs ». C’est saint Paul qui par ces mots s’adresse aux Corinthiens : « Soyez mes imitateurs, comme je le suis moi-même du Christ » (1 Co 11, 1). Avant lui, le Christ avait dit bien des fois : « viens et suis-moi » (cf. Mt 8, 22 ; 19, 21 ; Mc 2, 14 ; Lc 18, 22 ; Jn 21, 22).

Ces paroles n’ont pas la forte de guérir, elles ne délivrent pas de la souffrance. Elles ont cependant une force transformatrice. Elles sont un appel à devenir un homme nouveau, spécialement à devenir semblable au Christ pour retrouver dans cette ressemblance, à travers la grâce, tout le bien intérieur dans ce qui en soi est un mal, qui fait souffrir, qui limite, qui peut être humilié ou met dans la gêne. Le Christ qui dit à l’homme souffrant « viens et suis-moi » est le même Christ qui souffre : le Christ de Gethsémani, le Christ flagellé, le Christ sur le chemin de la croix, le Christ en croix... Crest le même Christ qui a bu jusqu’au bout le calice de la souffrance humaine « donné par le Père » (cf. Jn 18, 11). Le même Christ qui a assumé tout le mal de la condition humaine sur la terre sauf le péché, pour en retirer le bien salvifique ; le bien de la rédemption, le bien déjà purification et de la réconciliation avec Dieu, le bien de la grâce.

Si le Christ dit à chacun de vous, chers Frères et Sœurs : « Viens et suis-moi » il vous invite et vous appelle à participer à la même rénovation, à la même transformation du mal de la souffrance en bien salvifique : de la rédemption, de la grâce, de la purification, de la conversion... pour soi et pour les autres.

Justement pour cela saint Paul, qui voulait être si passionnément imitateur du Christ, affirme, dans un autre endroit : « Je complète dans ma chair ce qui manque aux souffrance du Christ » (Col 1, 24).

Chacun de vous peut faire de ces paroles l’essence de sa propre vie et de sa propre vocation.

Je vous souhaite une telle transformation qui est « un miracle intérieur », encore plus grand que le miracle de la guérison ; cette transformation qui correspond à la voie normale de l’économie salvifique de Dieu comme nous l’a présentée Jésus-Christ. Je vous souhaite cette grâce et je l’implore sur chacun de vous, chers Frères et Sœurs.

 

4. « J’étais malade — dit Jésus de lui-même — et vous m’avez visité » (Mt 25, 36). Selon la logique de l’économie elle-même du salut, Lui qui s’identifie à chaque souffrant, attend — en cet homme — que d’autres hommes « viennent le visiter ». Il attend que se dégage la compassion humaine, la solidarité, la bonté, l’amour, la patience, la sollicitude, sous toutes ses diverses formes. Il attend la manifestation de ce qu’il y a de noble, d’élevé dans le cœur humain : « Vous m’avez visité ».

Jésus qui est présent dans notre prochain souffrant veut être présent en chacun de nos actes de charité et de service qui s’exprime même dans le don d’un verre d’eau « en son nom » (cf. Mc 9, 41). Jésus veut que de la souffrance et autour de la souffrance, croisse l’amour, la solidarité d’amour, c’est-à-dire la somme de ce bien qui est possible dans notre monde humain. Bien qui ne s’évanouira jamais.

Le Pape qui veut être serviteur de cet amour baise le front et baise les mains de tous ceux qui contribuent à la présence de cet amour et à sa croissance dans notre monde. Il sait, en effet, et croit baiser les mains et le front du Christ Lui-même, qui est mystiquement présent en ceux qui souffrent et en ceux qui, par amour, servent ceux qui souffrent.

Avec ce « baiser spirituel » du Christ, préparons-nous, chers Frères et Sœurs, à célébrer ce sacrifice et à y participer, sacrifice dans lequel de toute éternité est inséré celui de chacun de vous. Et peut-être, aujourd’hui, convient-il d’une façon spéciale de rappeler que selon la Lettre aux Hébreux, en célébrant ce sacrifice et en priant « cum clamore valido » (He 5, 7), le Christ est exaucé par son Père :

Christ de nos souffrances,

Christ de nos sacrifices,

Christ de notre Gethsémani,

Christ de nos difficiles transformations,

Christ de notre service fidèle au prochain,

Christ de nos pèlerinages à Lourdes,

Christ de notre communauté, aujourd’hui dans la Basilique Saint-Pierre,

Christ notre Rédempteur,

Christ notre Frère !

Amen.

 

 

 

28 février 1979

LA SIGNIFICATION DES CENDRES

 

Homélie de Carême du pape à Sainte-Sabine

Au cours de la liturgie pénitentielle du mercredi des Cendres, célébrée en l’église Sainte-Sabine le pape a prononcé l’homélie suivante :

 

1. « Revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne...

Retournez au Seigneur votre Dieu... » (Jl, 2, 12-13).

Voilà qu’aujourd’hui nous annonçons le Carême avec les paroles, du Prophète Joël et nous le commençons avec toute l’Église. Nous annonçons le Carême de l’année 1979 avec le rite qui est encore plus éloquent que les paroles du Prophète. L’Église bénit aujourd’hui les cendres tirées des rameaux du Dimanche des Rameaux de l’an dernier, et les impose sur chacun de nous. Courbons donc la tête et, dans le symbole des cendres, reconnaissons toute la vérité des paroles que le Seigneur a adressées au premier homme : « Souviens-toi ! Tu es poussière et tu retourneras en poussière » (Gn 3, 19).

Oui ! Rappelons-nous cette réalité, surtout durant le temps de Carême dans lequel la liturgie de l’Église nous introduit aujourd’hui. C’est un « temps fort ».

Pendant cette période, les vérités divines doivent parler à nos cœurs avec une force toute particulière. Elles doivent venir en contact avec notre expérience humaine, avec notre conscience. La première Vérité proclamée aujourd’hui rappelle à l’homme sa faiblesse, lui rappelle sa mort qui pour chacun de nous est la fin de la vie terrestre. L’Église insiste aujourd’hui vivement sur cette vérité illustrée par l’histoire de tout homme : « Rappelle-toi que tu retourneras en poussière ». Rappelle-toi que ta vie sur la terre a une limite.

 

2. Mais le Message du Mercredi des Cendres ne s’arrête pas ici. Toute la liturgie d’aujourd’hui nous avertit : Souviens-toi de cette limite ; et en même temps : ne t’arrête pas à cette limite ! La mort n’est pas seulement une nécessité « naturelle ». La mort est un mystère. Voici : nous entrons dans le temps particulier où, plus que jamais, toute l’Église veut réfléchir sur la mort comme mystère de l’homme dans le Christ Le Christ-Fils de Dieu a accepté la mort comme une nécessité de la nature, comme faisant inévitablement partie du destin de l’homme sur la terre. Jésus a accepté la mort comme conséquence du péché. Dès le début, la mort a été liée au péché : la mort du corps (« tu retourneras en poussière ») et la mort de l’esprit humain à cause de la désobéissance à Dieu, à l’Esprit-Saint. Jésus-Christ a accepté la mort en signe d’obéissance à Dieu afin de restituer à l’esprit humain la plénitude du don de l’Esprit Saint Jésus-Christ a accepté la mort pour vaincre le péché. Jésus-Christ a accepté la mort pour vaincre la mort dans l’essence même de son mystère éternel.

 

3. C’est pourquoi le message du Mercredi des Cendres trouve son expression dans les paroles de saint Paul : « Nous sommes donc en ambassade pour le Christ ; c’est comme si Dieu exhortait pour nous. Nous vous en supplions au nom du Christ : laissez-vous réconcilier avec Dieu. Celui qui n’avait pas connu le péché, il l’a fait péché pour nous, afin qu’en lui nous devenions justice de Dieu » (2 Co 5, 20-21). Collaborez avec Lui !

La signification du Mercredi des Cendres ne s’épuise pas en nous rappelant la mort et le péché ; il constitue également un vibrant appel à vaincre le péché, à se convertir. L’un et l’autre expriment la collaboration avec le Christ. Durant le Carême nous avons devant les yeux toute la divine « économie » de la grâce et du salut ! Rappelons-nous, en ce temps de Carême, de « ne pas recevoir en vain la grâce du Christ » (2 Co 6, 1).

Jésus-Christ lui-même est là plus grande grâce du Carême. C’est lui-même qui se présente devant nous, dans l’admirable simplicité de l’Évangile, avec sa parole et avec ses œuvres. Il nous parle avec la force de, son Gethsémani, du jugement devant Pilate, de la flagellation, du couronnement d’épines, du chemin de la Croix, de sa crucifixion ; il nous parle avec tout ce qui peut émouvoir le cœur de l’homme.

L’Église tout entière désire, en cette période quadragésimale, être particulièrement unie au Christ, afin que sa prédication et son service soient encore plus féconds. « Le voici maintenant le temps favorable, le voici maintenant le jour du salut » (2 Co 6, 2).

 

4. Pénétré du sens profond de la liturgie d’aujourd’hui, moi, Jean Paul II, évêque de Rome, avec tous mes frères et toutes mes sœurs dans l’unique foi de ton Église, et avec tous les frères et sœurs de l’immense famille humaine, je Te dis, à Toi ô Christ : « Pitié pour moi, ô Dieu, en ta bonté, en ta grande tendresse efface mon péché. O Dieu, crée pour moi un cœur pur, restaure en ma poitrine un esprit ferme ; ne me repousse pas loin de ta face, ne retire pas de moi ton Esprit Saint » (Ps 51 [50]).

« Or le Seigneur s’émut de jalousie pour son pays et eut compassion de son peuple » (Jl 2, 18)

Amen !

 

Le pape s’adresse aux sœurs Camaldules

 

Le Mercredi des Cendres 28 février le Saint-Père après, avoir célébré la Messe à Sainte-Sabine, a visité les sœurs Camaldules cloîtrées qui habitent à proximité. Le Saint-Père leur a parlé en italien. Voici la traduction de son discours :

 

Je suis heureux, très chères sœurs dans le Christ, de cette rencontre chez vous, si désirée. En vous adressant un affectueux salut, je veux vous rappeler comment et combien l’Église regarde avec une maternelle sollicitude votre engagement de prière, de contemplation et de sacrifice.

Se consacrer aux « affaires » de Dieu est considéré par les maîtres de la vie spirituelle, comme la forme d’activité la plus noble et la plus élevée de l’être humain, par le fait qu’il se concentre tout lui-même dans l’adoration et dans l’écoute de l’Être Infini, qui veut le salut de toute l’humanité. On comprend bien, alors, comment à une telle prière de louange se joint la prière de propitiation et de demande afin que ce divin vouloir se réalise.

Et cette prière est d’autant plus agréable à Dieu que l’âme qui la présente est innocente et pure. Voici donc la précieuse forme de collaboration que vous, cloîtrées de vie éminemment contemplative, vous offrez à l’Église pour le bien des âmes.

Non seulement je vous demande de persévérer dans vos généreuses résolutions, mais je vous exhorte à progresser toujours plus dans l’amitié avec Dieu, à raviver continuellement la flamme de l’amour, comme des volcans recouverts de neige. Dans l’heure présente si difficile à cause des nombreuses difficultés qu’elle manifeste, que votre prière nourrie du sacrifice dans la solitude et le silence attire sur la terre là bonté miséricordieuse de Dieu. Et avec ce souhait, j’invoque sur la communauté entière l’assistance divine et je vous bénis paternellement.

 

Le Saint-Père à un groupe d’étudiantes américaines du Trinity College

 

C’est avec joie que je saisis l’occasion de saluer un groupe d’étudiantes venues à Rome pour y étudier l’art. L’Église est toujours heureuse de redire son amour et son estime pour les jeunes. L’Église de Rome, en particulier, est heureuse de vous souhaiter la bienvenue et de vous rendre concrète cette tradition d’art dont elle est la fidèle gardienne et la plus ancienne promotrice.

Et l’Église espère qu’à travers la beauté de cette ville et de son art, vous serez amenées à porter un plus grand intérêt au mystère de l’homme qui est le centre de toute chose sur la terre (cf. Gaudium et Spes, 12). En même temps, l’Église contient et professe le Christ, et l’offre à chacun comme « la clé, le centre et le but de toute l’histoire humaine » (ibid.  n. 10).

Chères jeunes filles, je prie pour que dans vos études vous rencontriez le Christ, dans toute son humanité, dans toute sa divinité. Que Dieu vous bénisse toutes !

 

 

 

13 mars 1979

LES OBSEQUES DU CARDINAL JEAN VILLOT

 

Le 13 mars, en la Basilique Saint-Pierre ont eu lieu les obsèques du cardinal Jean Villot, Secrétaire d’État, en présence d’une foule nombreuse de fidèles, de cent cinquante archevêques et évêques, des membres de la Curie, de prêtres, de religieux et religieuses.

 

Frères et Fils très chers,

 

1. Nous sommes réunis ici autour du cercueil de notre frère. Il s’en est allé d’une manière si inattendue. Il y a encore une semaine il était difficile de prévoir qu’il nous aurait laissés;, que son heure serait si proche. Il était imprévisible de le penser. Il paraissait encore plein de vie et de forces — à la mesure de son âge, naturellement — mais il en semblait plein... Nous avons été très affligé lorsque les docteurs nous ont dit que malgré ces apparences, l’organisme était épuisé et sans défense. Il nous a laissés. Le Seigneur de la vie l’a rappelé. « Deus, cui omnia vivunt. »

En ce moment, devant son cercueil, nous nous serrons autour de l’autel. Nous célébrons le Saint Sacrifice. Nous qui avons vécu chaque jour si proche de lui. Notre actuelle liturgie, cette concélébration est, dans un certain sens, une continuation de tous les jours vécus ensemble avec Lui, de toutes les rencontres, des conversations, de la collaboration.

 

2. Moi et les Cardinaux nous conservons encore bien vivant dans la mémoire ce que, en qualité de Camerlingue de la Sainte Église romaine, il nous dit en deux circonstances solennelles, au cours de la célébration de la Messe Votive au Saint-Esprit « pro eligendo Pontifice ». Deux fois : d’abord, après la mort du Pape Paul VI et ensuite, à peine passées quelques semaines, après la mort du Pape Jean Paul Ier. Il a parlé là dans ce même lieu. Rappelons ce qu’il disait : « En ce moment, grave et délicat, Pères très éminents, la liturgie sacrée nous réunit tous ensemble et nous fait prier pour l’élection du Pape, qu’avec l’aide du Seigneur, nous allons commencer. Nous savons que, selon son ineffable promesse, Jésus est au milieu de nous... Il vient spontanément à l’esprit, Pères très éminents, que Jésus s’adresse particulièrement à nous, en cette heure solennelle du Conclave comme aux apôtres réunis au Cénacle. — qu’il nous regarde dans les yeux, un par un, nous demandant une conformité totale (dans les limites, bien sûr, de notre faiblesse humaine) à Sa Volonté, à Son amour prévenant, par une plus profonde union à Lui, une charité fraternelle plus vraie entre nous, et surtout une fidélité convaincue dans l’exercice du devoir qui nous est assigné ».

Et encore, le 14 octobre suivant, commentant la parole de Jésus : « Il n’y a pas d’amour plus grand que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15, 13). Il disait : « Réfléchissons, mes Frères, que nous tous certes, mais d’une façon spéciale celui que nous élirons, nous devons donner notre vie pour la multitude de ceux qui ont été rachetés, « ut amici Christi efficiantur ».

Toute la mission mystique de l’Église est contenue dans ce concept, et parce que Dieu se sert des hommes comme instruments ordinaires, on voit bien quel est l’esprit qui doit animer ceux qu’il choisit pour exercer un office de pasteur, de guide, comme pour faire connaître pour la première fois le message évangélique. Nous-mêmes, dans la mesure où nous voulons nous considérer — avec toutes nos défaillances — comme ses amis, nous sommes tels seulement et exclusivement en vertu de sa Mort. »

Il a préparé deux fois le Conclave, avec tout le Collège des cardinaux. Il fut le Secrétaire d’État du Pape Paul VI et par la suite de Jean Paul Ier. Après mon élection, il m’a exprimé sa disponibilité à laisser cette charge. Je lui demandai cependant de rester au moins pour un certain temps, et il est resté. Il a servi l’Église avec son expérience par son conseil, par sa compétence. Pour cela je lui suis reconnaissant. Et je ne puis qu’exprimer mon regret de l’interruption si imprévue de cette coopération.

 

3. En ce moment il est difficile de considérer toute la vie du défunt. Nos fréquentes rencontres remontent au temps du concile Vatican II où en qualité de sous-secrétaire il était très actif. Après la mort de son prédécesseur, il fut appelé au siège, archiépiscopal de Lyon et entra dans le Collège des Cardinaux. A la suite du Concile, il fut appelé par le Pape Paul VI au service direct du Saint-Siège en qualité de Préfet de la Sacrée Congrégation pour le Clergé, puis en mai 1969, comme son Secrétaire d’État.

A ce poste-clé, il apporta son expérience pastorale d’Évêque et avant tout de prêtre, expérience mûrie par de longues années de service à l’Église de France, qui se vante du titre de « fille aînée de l’Église universelle ».

Les biographes nous révéleront à l’avenir la vie et l’œuvre du Cardinal Jean Villot dans toute leur étendue. Aujourd’hui, qu’il me soit permis de redire seulement les paroles de l’Évangile « si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où je suis, là aussi sera mon serviteur et si quelqu’un me sert mon Père l’honorera » (Jn 12, 26). C’est exactement cela. Cette unique chose est seule importante, bien plus, elle est la chose essentielle. Il a suivi le Christ. Il fut toujours là où il l’appela. Il a servi. La dimension de toute sa vie est dans ce service.

 

4. La mesure de la vie. Oui. Cette vie a déjà sa mesure. Elle est maintenant réalisée, elle est arrivée à son terme. Nous nous trouvons en face de cet accomplissement. Et en cela consiste la grandeur du moment que nous vivons actuellement ; la dignité de cette rencontre où se réalisent, pour notre Frère, les paroles du Seigneur : « Si la semence tombée en terre... meurt, elle produit beaucoup de fruit » (Jn 12, 24). Alors seulement ! Lorsqu’elle meurt... Il faut mourir afin que la vie de l’homme donne pleinement son fruit Elle est arrivée l’heure, où la vie du Cardinal Jean Villot peut produire pleinement son fruit en Dieu. Aucune vie d’homme dans ses dimensions terrestres ne peut porter un fruit semblable, et c’est un fruit qui surpasse la vie en proclamant : « Je le sais que mon Rédempteur est vivant », comme s’écriait Job dans son épreuve (cf. Jb 19, 25).

 

5. La mort est toujours l’ultime expérience de l’homme et elle est inéluctable. Elle est une expérience difficile, en face de laquelle l’âme éprouve de la peur. Le Christ lui-même n’a-t-il pas dit : « Maintenant mon âme est troublée : et que dois-je dire ? Père sauve-moi de cette heure » ? Et il a ajouté bien vite : « Mais pour cela je suis arrivé à cette heure ! Père glorifie ton nom » (Jn 12, 27-28).

Père, glorifie !

Il reste ce dernier cri de l’âme, si contrastant avec l’expérience de la mort, avec l’expérience de la destruction du corps, où « toute la création gémit et souffre jusqu’à ce jour » (Rm 8, 22) ! Cependant, en gémissant et souffrant les douleurs de la mort» elle ne cesse d’attendre « avec impatience la révélation des fils de Dieu » (Rm 8, 19). Et nous savons « que les souffrances du monde présent ne sont pas comparables à la gloire future qui devra être révélée en nous » (Rm 8, 18).

Nous aussi, alors, devant ce cercueil, dans l’esprit de cette communion spéciale qui nous unissait, selon ces désirs nous disons :

Père, pardonne ! Père, absous ! Père purifie ! Purifie dans la mesure de la sainteté de ton visage.

Et enfin : Père, glorifie !

Avec toute humilité, mais en même temps avec tout le réalisme de notre foi et de notre espérance, nous élevons cette prière près du cercueil de notre frère, le Cardinal Jean Villot, Secrétaire d’État.

 

 

 

30 mars 1979

LE CHRIST INCONNU EST LA GRANDE TRAGÉDIE DE L’HISTOIRE

 

Le pape au personnel de la Tipografia Poliglotta Vaticana et de L’Osservatore Romano.

Le 30 mars, le Saint-Père a célébré la sainte messe en la Chapelle du « Governatorato », pour le personnel de l’Imprimerie Polyglotte et de L’Osservatore Romano.

 

Chers frères et amis dans le Seigneur

Comme déjà les années précédentes, vous, les membres du personnel de l’Imprimerie Polyglotte Vaticane et de « L’Osservatore Romano», vous vous êtes préparés à l’accomplissement du « Précepte pascal » par quelques journées d’Exercices spirituels, et vous êtes rassemblés ici ce matin pour vous rencontrer communautairement et personnellement avec Jésus, avec l’Agneau de Dieu qui efface les péchés du monde, avec Celui qui est notre Pâque.

Quant à moi, j’ai accueilli bien volontiers l’invitation de venir parmi vous et de prendre part à ce rite mystique et solennel, pour rendre toujours plus cordiales et personnelles les relations entre le Vicaire du Christ et le personnel des différents organismes du Vatican.

Vous êtes ici pour célébrer la « Pâque », selon le commandement pressant et maternel dé l’Église et, désireux de vous laisser en souvenir quelques paroles qui alimenteront votre réflexion et soutiendront vos intentions sérieuses et constantes, je saisis l’occasion que m’offre la lecture de la liturgie de ce jour.

 

1. Au chapitre VII du quatrième Évangile, saint Jean note soigneusement la perplexité de nombreuses personnes de Jérusalem à propos de la véritable identité de Jésus. C’était la « fête des Tentes » en souvenir du séjour des Juifs au désert, il y avait un grand mouvement de foules dans la Ville Sainte, et Jésus enseignait dans le Temple. Cependant des gens de Jérusalem disaient : « n’est-ce pas lui que les chefs religieux veulent tuer ? Le voilà qui parle en toute liberté et ils ne lui disent rien ! Est-ce que vraiment les autorités, auraient reconnu qu’il est le Christ ? Nous savons, pourtant d’où il est, celui-ci, tandis que le Christ, quand il viendra, personne ne saura d’où il est ».

Ce sont des affirmations qui indiquent la perplexité des Juifs de ce temps-là : ils attendent le Messie, ils savent que le Messie aura quelque chose de secret, de mystérieux ; ils pensent que ce pourrait bien être Jésus, vu les prodiges qu’il accomplit et la doctrine qu’il enseigne ; mais ils n’en sont pas certains, du fait que l’autorité religieuse lui est hostile et voudrait même le supprimer.

Et Jésus explique alors le motif de leur perplexité, de leur ignorance de sa véritable identité : ils se basent uniquement sur son signalement extérieur, civil, familial, mais ne vont pas au-delà de sa nature humaine ; ils ne pénètrent pas sous l’enveloppe des apparences : « Oui, vous me connaissez, leur dit-il, et vous savez d’où je suis. Cependant je ne suis pas venu de moi-même, mais il m’envoie vraiment celui qui m’a envoyé. Vous, vous ne le connaissez pas. Moi, je le connais parce que je viens d’auprès de lui et c’est lui qui m’a envoyé » (Jn 7, 28)

C’est un événement historique raconté par l’Évangile, mais c’est aussi le symbole d’une réalité permanente : nombreux sont ceux qui ne savent pas ou ne veulent pas, savoir qui est Jésus, et demeurent perplexes, déconcertés. Bien plus, comme jadis au Temple, après son discours, ils cherchent à l’arrêter et d’aucuns parfois le contestent et le combattent. Vous, par contre, vous savez qui est Jésus ; vous savez d’où il vient et pourquoi il est venu ! Vous savez que Jésus est le Verbe. Incarné, qu’il est la Deuxième Personne de la Sainte-Trinité qui a pris un corps humain, qu’il est le Fils de Dieu fait homme, mort sur là Croix pour notre salut, ressuscité dans la gloire et toujours présent parmi nous dans l’Eucharistie.

Ce que Jésus disait aux Apôtres au cours de là dernière Cène est également valable pour tous les chrétiens éclairés par le magistère de l’Église : « La vie éternelle c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et ton envoyé Jésus-Christ... J’ai manifesté ton nom aux hommes que tu as tirés du monde pour me les donner... Maintenant ils savent que tout ce que tu m’as donné vient de toi ; car les paroles que tu m’as données, je les leur ai transmises, et ils savent vraiment que je suis sorti de toi et ils ont cru que tu m’as envoyé... Père juste, le monde ne t’a pas connu mais moi je te connais et ceux-ci savent que tu m’as envoyé » (Jn 17, 3-9 et 25).

La grande tragédie de l’histoire est que Jésus n’est pas connu et donc qu’il n’est pas aimé, qu’il n’est pas suivi.

Vous connaissez le Christ ! Vous savez qui il est. C’est un immense privilège que vous avez là ! Sachez en être toujours dignes et conscients !

C’est de là que proviennent votre joie « pascale » et votre responsabilité chrétienne. Que la rencontre pascale avec Jésus-Eucharistie vous donne la force d’approfondir cette connaissance du Christ, de faire de votre foi un point de référence fixe, en dépit de l’indifférence ou de l’hostilité d’une grande partie du monde dans lequel nous devons vivre.

 

2. Analysant dans son deuxième chapitre les caractéristiques du juste et celles du méchant, le Livre de la Sagesse considère de manière pratique ce que doit être le témoignage du chrétien conscient et cohérent. Le juste, dit le Livre de la Sagesse, déclare avoir la science de Dieu et il se nomme le fils du Seigneur : il se vante d’avoir Dieu pour Père !

Avoir la science de Dieu ! Avoir Dieu pour Père ! Voilà d’énormes affirmations qui mettent les philosophes en crise ! Et pourtant, le chrétien sait et témoigne qu’il connaît Dieu comme Père, comme Amour, comme Providence.

Dieu est le Seigneur de la vie et de l’histoire, et le chrétien s’abandonne en toute confiance à son amour paternel.

La vie du juste est différente de celle des autres, et entièrement différentes sont ses voies, et il finit ainsi par être un sujet de réprobation et de condamnation pour ceux qui ne vivent pas de manière juste, qui sont aveuglés par la malice et qui refusent de connaître « les secrets de Dieu ».

Le chrétien en effet est dans le monde, mais il n’est pas du monde (cf. Jn 17, 16) ; sa vie doit nécessairement être différente de celui qui n’a pas la foi, comme différentes sa conduite, ses habitudes, sa manière de penser, de choisir, d’évaluer les choses et les situations, car elles sont vécues à la lumière de la Parole de Dieu qui est un message de vie éternelle.

Enfin, toujours selon le Livre de la Sagesse, il proclame sa mort heureuse, alors que les impies « n’espèrent pas le salaire de la sainteté ni reconnaissent la récompense des âmes pures » (Sg 2, 22).

Le chrétien doit vivre dans la perspective de l’éternité. Parfois sa vie authentiquement chrétienne peut susciter même des persécutions, ouvertes ou sournoises : « Voyons si ses paroles, sont vraies : mettons-le à l’épreuve en l’abreuvant d’insultes et de tourments pour connaître la douceur de son caractère et mesurer sa résignation ». La certitude de la félicité éternelle qui nous attend rend le chrétien fort contre les tentations et patient dans les tribulations. « S’ils m’ont persécuté, a dit le Divin Maître, ils vous persécuteront aussi » (Jn 15, 20).

Je forme des vœux pour que la rencontre pascale avec Jésus vous apporte la joie et la force du témoignage, dans la conviction qu’après la terrible douleur du Vendredi Saint jaillira la joie glorieuse du Dimanche de la Résurrection !

 

3. Enfin, la liturgie nous fait aussi méditer sur la faiblesse et la fragilité humaines, et sur la nécessité de se fier totalement à la miséricorde de Dieu : « Le Seigneur est proche de ceux qui ont le cœur blessé, il sauve ceux qui ont l’esprit désemparé. Celui qui se réfugie en Lui ne sera pas condamné » (Ps 33, 19).

Le chrétien ressent toujours — mais spécialement dans la société moderne si perturbée et si violente — le besoin de recourir à Dieu par la prière et la fréquentation des sacrements.

Alors, continuez, Vous aussi, à puiser force et lumière dans les sacrements de la Pénitence et de l’Eucharistie dans lesquels Dieu a mis « le remède de notre faiblesse » ; accueillez avec joie les fruits de la Rédemption et manifestez-les dans votre vie quotidienne, à la maison, au travail, durant vos loisirs, dans vos diverses activités, convaincus que celui qui reçoit le Christ doit se transformer en lui : « Qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui. De même qu’envoyé par le Père qui est vivant, moi je vis par le Père, de même celui qui me mange vivra lui aussi par moi » (Jn 6, 56-57).

Un grand honneur ! Un engagement sublime !

Avec ces vœux, et demandant à la Très Sainte Vierge Marie son assistance particulière, je vous souhaite à tous que dans votre vie et celle des êtres qui vous sont chers, vous puissiez toujours jouir et faire jouir de la joie de la Pâque chrétienne.

Avec ma bénédiction apostolique !

 

 

 

31 mars 1979

LE PAPE AUX ANCIENS ÉLÈVES DU COLLÈGE BELGE À ROME

 

Chers Amis,

 

L’Eucharistie que nous célébrons ensemble aujourd’hui est le signe d’une unité particulière avec le Christ, Prêtre unique et éternel, qui « a pénétré une fois pour toutes dans le sanctuaire... avec son propre sang » (He 9, 12). Le même Christ est toujours présent dans l’Église « jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20). Il demeure en elle, rassemblant le peuple de Dieu autour de la table de la Parole et de l’Eucharistie. Il demeure en elle par notre service sacerdotal.

Lorsque nous nous trouvons ainsi aujourd’hui autour de l’autel, dans cette communion que nous avons formée autrefois au Collège belge à Rome, nos cœurs sont alors remplis de gratitude pour le don de la vocation sacerdotale, parce qu’il nous a choisis pour que nous allions et que nous portions du fruit (Jn, 15, 16), parce que, en nous confiant ses mystères, il nous a confié des hommes qui, ont « la rédemption par son sang » (Ep 1, 7). En regardant tout cela avec les yeux de la foi, nous ressentons notre indignité et nous sommes toujours prêts à répéter : « Nous sommes des serviteurs inutiles » (Lc 17, 10)... Nous ressentons toujours aussi la grandeur du Don et remercions Dieu de ce Don. « Rendons grâces au Seigneur, car il est bon » (Ps 105, 1).

Aujourd’hui, nous, désirons nous adresser les uns aux autres cette gratitude. Le Seigneur veut que nous sachions être reconnaissants envers les hommes, que nous regardions notre vie sous l’aspect des dons, reçus par l’intermédiaire des hommes, de nos frères. C’est ainsi que je voudrais, aujourd’hui, avec vous, tourner le regard vers ces années qui nous ont réunis entre les murs du vieux Collège belge situé au 26 de la Via del Quirinale, au voisinage de l’église de Saint-André où mourut et repose saint Stanislas Kostka, Patron de la jeunesse.

Une trentaine d’années nous séparent de ce temps-là. On pourrait céder aux lois du temps qui nous portent entre autres à l’oubli. Mais la voix du cœur est plus forte qui nous demande de garder les choses à la mémoire et d’y repenser avec gratitude. Nous remercions aujourd’hui le Christ qui nous a fait la grâce d’être ensemble, en cette période importante de notre vie, lorsque nous étions encore dans les premières années de notre sacerdoce ou que nous nous y préparions. « Ecce quam bonum et quam jucundum habitare fratres in unum » : « qu’il est bon et doux pour des frères d’habiter ensemble » (Ps 132, 1).

Nous remercions Dieu de nous avoir permis d’être frères les uns des autres, et notre gratitude est aussi réciproque entre nous. Il nous a permis de vivre cette fraternité qui unit les hommes provenant de diverses familles, de diverses nations, de divers continents, car c’est bien ainsi qu’il nous réunissait alors. Nous disons : merci de ce que chacun de nous a été pour les autres en ce temps-là et de ce que tous ont été pour tous. Merci de la façon dont nous avons partagé avec les autres les qualités de l’intelligence, du caractère, du cœur. Merci de la place qu’ont tenue, dans cet échange réciproque, les études alors en cours, comme aussi les expériences apostoliques et pastorales auxquelles se livrait déjà chacun d’entre nous. Merci de ce qu’était pour nous la Rome sacrée que noue apprenions à connaître de façon systématique comme capitale de l’antiquité et capitale de la chrétienté. Merci de ce qu’était l’expérience de l’Europe, du monde, de chacune de nos Patries qui se relevaient alors des souffrances déjà seconde guerre mondiale.

Pensons enfin à ce qu’étaient pour nous nos Supérieurs : notre vénéré Recteur, le cardinal de Furstenberg, qui est aujourd’hui présent au milieu de nous ; et aussi nos évoques qui venaient nous trouver, qui nous rendaient visite au Collège, de même que d’autres hommes d’Église, les apôtres de leur temps comme l’abbé Cardijn, sans compter les doctes professeurs, les prédicateurs des retraites, les directeurs de conscience : qu’ont-ils été pour nous ?

De tout cela, nous voulons d’abord parler au Christ lui-même, en commençant par cette concélébration, par cette liturgie. Et cette concélébration nous permet aussi de nous exprimer les uns aux autres. Nous désirons également renouveler cet esprit que nous avons reçu par l’« imposition des mains » (cf. 1 Tm 1, 6), et cette union des cœurs dont le Seigneur lui-même connaît le secret. Amen !

 

 

 

1er avril 1979

LE RÔLE DE LA FAMILLE DANS LA SOCIÉTÉ ET DANS L’ÉGLISE

 

A la paroisse Saint-Bonaventure-de-Bagnorea

Le 1° avril le Saint Père s’est rendu en visite pastorale dans la paroisse romaine Saint-Bonaventure-de-Bagnorea. Au cours de la sainte messe il a prononcé l’homélie suivante :

 

1. « Seigneur, nous voudrions voir Jésus » (Jn 12, 21).

C’est ce que dirent à Philippe, qui était de Bethsaïde, les gens de différentes régions venus à Jérusalem. Lorsqu’ici en ce lieu, aux confins de la grande ville de Rome où alors régnait seulement la campagne, arrivèrent des personnes de différentes régions d’Italie, celles-ci semblaient, dire la même chose : « Nous voulons voir le Christ parmi nous ! Nous voulons qu’il habite avec nous ; qu’ici s’élève sa maison ! Nous nous connaissons peu entre nous. Nous voulons qu’il nous fasse connaître les uns aux autres, qu’il nous rapproche les uns des autres, afin que nous ne soyons plus des étrangers mais devenions une communauté. Ainsi ont parlé les hommes venus des différentes régions d’Italie. Et c’est ainsi que vous-mêmes vous avez parlé, chers paroissiens de cette jeune paroisse Saint-Bonaventure-de-Bagnorea. Et ces discours, ou d’autres semblables, sont toujours d’actualité : on les entend encore aujourd’hui.

Votre paroisse est très jeune. Elle est née ici de votre foi, sur ce terrain, naguère encore inculte.

Elle est née de votre ferme volonté de faire demeurer le Christ parmi vous.

Elle est née de l’initiative que vous avez manifestée devant les autorités ecclésiastiques et devant les autorités civiles. Grâce à quoi a surgi cette église qui sert déjà à votre communauté chrétienne. Et les autres instruments nécessaires à la vie paroissiale ont été mis en œuvre.

Je sais que beaucoup de travail a déjà été réalisé avec méthode et abnégation, malgré les nombreuses difficultés rencontrées, et que vous avez l’intention de poursuivre la belle œuvre suivant un plan d’accroissement progressif qui se développe chaque jour et finira par couvrir tous les besoins de cette famille paroissiale. Le Pape vous accompagne de sa bienveillance et de ses souhaits paternels : Nous voulons voir Jésus !

 

2. Je viens aujourd’hui chez vous avec d’autant plus de joie que j’accomplis comme évêque de Rome ma première visite canonique. Je me réjouis de pouvoir la faire aujourd’hui, en ce cinquième dimanche du Carême ; et je suis tout particulièrement heureux de la présence du Cardinal-Vicaire de Rome et de l’évêque auxiliaire, Mgr Salimei, qui effectuera cette semaine une visite pastorale plus détaillée dans votre paroisse. Je salue cordialement tous les paroissiens. Je vous félicite pour ce bon et courageux début. Je salue vos pasteurs, les Pères franciscains conventuels que j’ai eu l’occasion de rencontrer et d’interroger sur les problèmes de la vie paroissiale. Je désire louer et encourager les nombreux groupes qui opèrent avec zèle et dévouement dans les différents secteurs de l’apostolat, leur souhaitant une activité toujours plus prospère et riche en tout bien.

Je veux également exprimer ma vive reconnaissance et ma sincère bienveillance aux Pères Carmes de la paroisse voisine, S. Maria Regina Mundi, qui ont eu le mérite d’inaugurer au milieu de compréhensibles et lourdes difficultés, la cure pastorale de cette zone qui se peuplait de plus en plus.

 

3. Et maintenant, permettez-moi de me référer de nouveau à la lecture liturgique de ce dimanche. Dans la première lecture, le prophète Jérémie nous parle de l’alliance que Dieu voulait conclure encore une fois avec la maison d’Israël. Comme le peuple d’Israël n’a pas maintenu la précédente alliance, Dieu veut en constituer une autre, plus solide et plus intime : « Je mettrai ma loi dans leur sein et je l’écrirai sur leur cœur, et je deviendrai leur Dieu et, eux, ils deviendront mon peuple » (Jr 31, 33).

Chers Frères et Sœurs ! Dieu a conclu avec nous la nouvelle et définitive alliance en Jésus-Christ qui, comme nous le dit aujourd’hui saint Paul : « est devenu pour tous ceux qui lui obéissent principe de salut éternel » (He 5, 9).

Cette alliance est basée sur la parfaite obéissance du Fils à l’égard de son Père. En vertu de cette obéissance « il a été exaucé » (He 5, 7) et il continue à être exaucé ; il maintient ininterrompue cette union de l’homme avec Dieu qui s’est établie sur sa Croix. Comme l’affirme le Concile Vatican II « L’Église est le sacrement, c’est-à-dire le signe et l’instrument de l’union avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (Lumen Gentium, 1).

Vous qui avez donné forme ici à une parcelle vivante de l’Église, c’est-à-dire à votre paroisse, vous avez exprimé de manière particulière cette alliance avec Dieu dans laquelle vous voulez persévérer avec la grâce de Jésus-Christ.

Si quelqu’un vous demandait pourquoi vous l’avez fait, vous pourriez répondre ainsi, comme le dit aujourd’hui le prophète : nous voulions qu’il soit notre Dieu, et nous son peuple ; nous voulions que sa loi soit inscrite dans notre cœur.

Vous cherchez un appui pour votre cœur et pour votre conscience. Vous cherchez un soutien pour vos familles. Celles-ci, vous voulez qu’elles soient stables, qu’elles ne se dissolvent pas ; qu’elles constituent ces foyers vivants de l’amour près desquels l’homme peut se réchauffer chaque jour. Persévérant dans le lien sacramentel du mariage vous voulez transmettre la vie à vos enfants et, en même temps que la vie, l’éducation humaine et chrétienne. Chacun de vous, chers parents, ressent profondément cette grande responsabilité liée à la dignité de père et de mère. Sachez que de ceci dépend votre propre salut et celui de vos enfants. Comment est-ce que je remplis mes devoirs de père ? Quelle mère suis-je ? Voilà ce que vous vous demandez bien souvent. Vous vous réjouissez, et moi avec vous, de tout bien qui se manifeste en vous, dans vos familles, chez vos enfants ; je me réjouis avec vous de leurs progrès à l’école, du développement de leur jeune conscience. Vous voulez qu’ils deviennent vraiment des « hommes ». Et ceci dépend en grande mesure de ce qu’ils ont acquis au foyer paternel. Dans cette œuvre, il n’est personne qui puisse vous remplacer. La société, la nation, l’Église se construisent sur les fondations que vous avez jetées.

Je regarde vos enfants, la jeunesse de votre paroisse. Ils sont ici présents en grand nombre. Elle est vraiment jeune cette paroisse ! les adolescents, la jeunesse, que d’espoir ils mettent dans la vie! Et combien grande est l’espérance que nous mettons en eux.

C’est précisément pour cela que nous devons appuyer fortement notre vie, et surtout notre vie familiale, sur Jésus-Christ Car lui, qui est « principe de salut éternel pour tous... » (He 5, 9), nous indique chaque jour les voies de ce salut. Par la parole et par l’exemple, il nous apprend comment vivre. Il nous montre le sens profond et ultime de la vie humaine.

Et si l’homme acquiert ce sens de la vie, alors tous les problèmes, même les plus ordinaires, ceux de tous les jours, se résolvent en harmonie avec celui-ci. Et dans ce cas, la vie se développe en même temps sur le plan humain et sur le plan divin.

Aujourd’hui nous avons entendu le Seigneur annoncer sa mort. Nous sommes déjà au cinquième dimanche du Carême ; nous nous approchons rapidement de la Semaine Sainte, du Triduum Sacré qui, de nouveau, nous rappellera de manière particulière sa passion, sa mort et sa résurrection. C’est pourquoi les paroles du Christ qui annoncent sa fin prochaine parlent également de sa glorification... « La voici venue l’heure où le Fils de l’homme doit être glorifié (...) Maintenant mon âme est troublée. Et que dire ? (...) Père, glorifie ton nom » (Jn 12, 23 et 27-28). Et Jésus prononce enfin les paroles qui manifestent si profondément le mystère de la mort rédemptrice : « C’est maintenant le jugement de ce monde (...) et moi, quand je serai élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jn 12, 31 et 32). Cette élévation de terre du Christ est antérieure à son élévation dans la gloire, élévation sur le bois de la Croix, élévation de martyr, élévation mortelle.

Jésus annonce également sa mort dans ces mystérieuses paroles : « En vérité, en vérité je vous le dis, si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul ; s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 24). Sa mort est le gage de la vie, elle est la source de la vie pour nous tous. Le Père Éternel a prédisposé cette mort dans l’ordre de la grâce et du salut, de même que dans l’ordre de la nature est établie la mort du grain de froment sous terre, afin que de lui puisse jaillir la tige, qui portera un fruit si abondant. Puis, de ce fruit, qui deviendra pain quotidien, l’homme pourra se nourrir. Et de même, le, sacrifice, qui s’accomplit dans la mort du Christ est devenu nourriture de notre âme sous les apparences du pain.

Préparons-nous à vivre la Semaine Sainte, le Triduum Sacré, la mort et la Résurrection ! Acceptons cette vie dont la source est le sacrifice de Jésus. Vivons cette vie en nous nourrissant du corps et du sang du Rédempteur : grandissons dans cette Vie pour arriver à la vie éternelle.

 

 

 

5 avril 1979

AUX UNIVERSITAIRES ROMAINS

 

Le 5 avril, en la basilique Saint-Pierre, Jean Paul II a célébré la messe pascale pour les universitaires romains. Aux quelques 15000 étudiants présents, le Saint-Père a adressé l’homélie suivante :

 

« J’ai désiré avec ardeur manger cette Pâque avec vous » (Lc 22, 15).

 

1. Ces paroles du Christ me viennent à l’esprit aujourd’hui que nous nous rencontrons : près de l’autel de la Basilique Saint-Pierre pour participer à la célébration de l’Eucharistie, Dés le début, depuis le moment où il m’a été accordé de prendre place à cet autel, j’ai désiré rencontrer la jeunesse qui fréquente l’Université et les Écoles supérieures de cette ville. J’avais le sentiment que vous me manquiez, vous-, universitaires du diocèse du Pape. J’avais le désir — permettez que je le dise — de vous sentir proches. Depuis de nombreuses années je suis habitué à ces contacts. Bien souvent, il m’était donné, durant la période du Carême — de l’Avent également, de me trouver au milieu des étudiants universitaires à Cracovie, à l’occasion de la clôture des exercices spirituels qui mobilisaient des milliers de participants. Aujourd’hui, c’est vous que je rencontre. Je vous salue, vous tous ici présents, et, en vous, je salue tous vos compagnons et compagnes d’étude, vos professeurs, les chercheurs, vos facultés, les organisations, les responsables de votre milieu. Je salue toute la Rome « académique ».

En cette période où, chaque année, le Christ nous parle de nouveau avec sa « Pâque », on découvre dans le cœur des hommes, des jeunes particulièrement, le désir d’être avec lui. Le temps du Carême, la Semaine Sainte, le Triduum Sacré ne sont pas seulement une commémoration des événements survenus if y a presque deux mille ans ; ils constituent aussi une invitation toute particulière à y participer.

 

2. « Pâque » signifie « Passage ».

Dans l’Ancien Testament, la Pâque signifiait l’exode de la « maison d’esclavage » et le passage de la Mer Rouge, sous la toute particulière protection de Jahvé, la marche vers la « Terre Promise ». Un pèlerinage qui dura 40 ans. Dans le Nouveau Testament cette Pâque historique s’est accomplie dans le Christ durant les trois jours : du jeudi soir au dimanche matin. Et elle signifie le passage à travers la mort vers la Résurrection, et en-même temps l’exode de l’esclavage du péché vers fa participation à la vie de Dieu au moyen de la grâce. Dans l’Évangile d’aujourd’hui, le Christ dit : « Si quelqu’un observe ma parole, il ne verra jamais la mort » (Jn 8, 51). Ces paroles indiquent en même temps ce qu’est l’Évangile. Il est le livre de la vie éternelle, vers laquelle courent les innombrables chemins du pèlerinage terrestre de l’homme. Chacun de nous marche sur l’un de ces chemins. L’Évangile contient des enseignements pour chacun d’eux. C’est précisément en cela que consiste le mystère de ce livre sacré. De là vient le fait qu’il est beaucoup lu ; en cela réside son caractère actuel. A la lumière de l’Évangile, notre vie acquiert une dimension nouvelle. Elle acquiert son sens définitif. C’est pour cela que la vie se révèle comme un passage.

 

3. La vie humaine est un passage.

La vie n’est pas un tout contenu entre la date de la naissance et la date de la mort. Elle est ouverte sur l’ultime accomplissement en Dieu. Chacun de nous ressent douloureusement la fin de le vie, la limite que lui fixe la mort. Chacun de nous est de quelque manière conscient que l’homme n’est pas entièrement contenu dans ces limites et qu’il ne peut mourir définitivement. Au moment de la mort de chaque homme, se trouvent bloqués trop de demandes non exprimées, trop de problèmes non résolus — sinon dans la dimension de la vie personnelle individuelle, au moins dans celle de la vie de la communauté humaine : de la famille des nations, de l’humanité. En effet nul ne vit seul. A travers chaque homme passent différents cercles. Saint Thomas a même dit, : « Anima humana est quodammodo omnia » (Comm. in Arist. De Anima, III, 8, lect 13). Nous portons en nous le besoin d’« universalisation ». A un moment déterminé la mort interrompt tout cela...

Qui est le Christ ? Il est le Fils de Dieu qui a assumé la vie humaine dans son orientation temporelle vers la mort. Il a accepté la nécessité de la mort. Avant qu’elle ne le frappe, la mort Fa plusieurs fois menacé. L’Évangile nous rappelle une de ces menaces : «... ils ramassèrent alors des pierres pour les lui jeter » (Jn 8, 58).

Le Christ est celui qui a accepté toute la réalité de la mort humaine. C’est précisément pour cela qu’il est Celui qui a accompli un renversement fondamental dans la manière de comprendre la vie. Il a montré que la vie est un passage, non seulement au seuil de la mort, mais également à une vie nouvelle. La Croix est ainsi devenue pour nous la Chaire suprême de la vérité de Dieu et de l’homme. Nous devons tous, directement ou indirectement, être élèves de cette chaire. Nous comprendrons alors que la Croix est également le berceau de l’homme nouveau.

Ceux qui sont ses élèves considèrent la vie ainsi, la perçoivent ainsi. Et ils enseignent ainsi les autres. Ils impriment un tel sens de la vie dans toute la réalité temporelle : dans la moralité, dans la créativité, dans la culture, dans la politique, dans l’économie. On a si souvent affirmé — comme le soutenaient par exemple dans l’antiquité les disciples d’Épicure et comme le font aujourd’hui, pour d’autres raisons, les disciples de Marx — qu’une telle conception de la vie éloigne l’homme de la réalité temporelle et que d’une certaine manière elle annule celle-ci. La vérité est bien différente. C’est uniquement une telle conception de la vie qui donne leur pleine importance à tous les problèmes de la réalité temporelle. Elle ouvre la possibilité de les situer pleinement dans l’existence de l’homme. Une chose est certaine : Une telle conception de la vie empêche d’emprisonner l’homme dans les affaires temporelles, de le subordonner complètement-à elles. Elle décide de sa liberté.

 

4. La vie est une épreuve.

En donnant à la vie humaine cette signification « pascale » c’est-à-dire qu’elle est un passage, qu’elle est un accès à la liberté, Jésus-Christ nous a enseigné, par la parole et plus encore par son propre exemple, qu’elle est une épreuve. L’épreuve correspond à l’importance des forces qui s’accumulent dans l’homme. L’homme est créé « pour » l’épreuve ; il y est appelé dès le début. Il faut penser profondément à cet appel, déjà en méditant les premiers chapitres de la Bible, particulièrement les trois premiers. L’homme y est défini non seulement comme un être créé « à l’image de Dieu » (Gn 1, 26-27), mais aussi, en même temps, comme un être soumis à l’épreuve. Et, si nous analysons bien le texte, on se rend compte que c’est l’épreuve de la pensée, du « cœur » et de la volonté, l’épreuve de la vérité et de l’amour. En ce sens, elle est en même temps l’épreuve de l’Alliance avec Dieu. Quand cette première Alliance a été rompue, Dieu l’a conclue de nouveau. Les lectures d’aujourd’hui nous rappellent l’Alliance avec Abraham qui a été une voie de préparation à la venue du Christ.

Le Christ confirme cette signification de la vie : elle est la grande épreuve de l’homme. Et c’est précisément pour cela qu’elles un sens pour l’homme. Elle n’a, par contre, aucun sens si nous estimons que l’homme, doit seulement tirer profit de la vie, s’en servir, « prendre » et même lutter avec acharnement pour le droit de profiter, d’utiliser, de « prendre »...

La vie a son vrai sens uniquement si elle est considérée et vécue comme une épreuve de caractère éthique. Le Christ confirme ce sens et en-même temps il définit la juste dimension de cette épreuve qu’est la vie humaine. Relisons attentivement le Discours sur la Montagne, par exemple, et, de même, au chapitre 25 de l’Évangile de saint Matthieu, le portrait du juge. Il suffit de cela pour renforcer profondément en nous la conscience chrétienne du sens de la vie.

Le concept d’épreuve est étroitement lié au concept de responsabilité. Ils s’adressent tous deux à notre volonté et à nos actes. Acceptez, chers amis, ces deux concepts, — ou plutôt l’une et l’autre de ces réalités — comme éléments de la propre humanité de chacun. En vous, cette humanité est déjà mûre et en même temps elle est encore jeune. Elle se trouve dans une phase de formation définitive du projet de la vie. Cette formation s’opère précisément au cours des années « académiques », durant la période des études supérieures. Peut-être en ce moment ce projet de vie est-il hésitant devant de multiples inconnues. Peut-être ne possédez-vous pas encore une exacte vision de votre place dans la société, du travail auquel vous vous préparez par vos études. Il est certain que cela présente une grande difficulté ; mais les difficultés de ce genre ne peuvent paralyser vos initiatives. Elles ne peuvent engendrer seulement l’agression. L’agression ne peut résoudre. Elle ne changera pas la vie en mieux. L’agression ne peut que la « rendre pire, d’une autre façon ». Dans votre langage si franc, je perçois la dénonciation du caractère sénile des idéologies, de l’idéal insuffisant de la « machine sociale ». Eh bien, pour promouvoir la vraie dignité — intellectuelle, également — de l’homme, et ne pas se laisser prendre au piège des différents sectarismes, n’oubliez pas qu’il est indispensable d’acquérir une profonde formation basée sur l’enseignement que le Christ nous a laissé avec ses paroles et l’exemple de sa propre vie. Les difficultés qu’il vous faut affronter, tâchez de les accepter comme partie intégrante de ‘l’épreuve qu’est la vie. Il faut assumer cette épreuve avec pleine responsabilité. Celle-ci est, en même temps, une responsabilité personnelle : à l’égard de la vie, de son déroulement futur, de sa valeur, et une responsabilité sociale : à l’égard de la justice et la paix, à l’égard de l’ordre moral de son propre milieu originel et de toute la société : elle est une responsabilité à l’égard du bien commun authentique. L’homme qui est ainsi conscient du sens de la vie ne détruit pas le futur : il le construit. C’est ce que nous enseigne le Christ.

 

5. Et le Christ nous enseigne également que la vie humaine a le sens d’un témoignage à la vérité et à l’amour. Il y a quelque temps, m’adressant à la jeunesse universitaire du Mexique et de nombreux pays latino-américains, j’ai eu l’occasion de m’exprimer à ce sujet. Je me permets de citer quelques idées développées dans ce discours qui forcément intéresse aussi, les étudiants européens, et romains. Ont acquis aujourd’hui une dimension mondiale les engagements, et, les craintes, mais aussi les espérances, la manière de penser et de juger qui caractérisent votre jeune monde. À cette occasion j’ai souligné notamment qu’il est nécessaire de promouvoir « une culture intégrale qui tende au développement complet de la personnalité en qui prédominent les valeurs d’intelligence, de volonté, de conscience et de fraternité, valeurs qui ont toutes leur fondement en Dieu-Créateur et qui ont été admirablement exaltées dans le Christ (cf. Gaudium et spes, n. 61). Il importe donc de compléter la formation scientifique par une profonde formation morale et chrétienne qui soit intimement vécue, de sorte que se réalise une synthèse toujours plus harmonieuse entre la foi et la raison, entre la foi et la culture, entre la foi et la vie. Réunir en un tout cohérent le dévouement à une rigoureuse recherche scientifique et le témoignage d’une vie chrétienne authentique, c’est à cela que doit se consacrer avec enthousiasme, tout étudiant universitaire. Et je vous redis, à vous aussi, ce qu’en février dernier j’ai écrit aux étudiants des écoles d’Amérique latine : « les études doivent aboutir non seulement à une quantité déterminée de connaissances acquises au cours de la spécialisation, mais aussi à une caractéristique maturité spirituelle, consciente de sa responsabilité à l’égard de la vérité : de la vérité dans la pensée et dans l’action ».

Ces quelques citations me paraissent suffisantes.

Il existe une grande tension dans le monde contemporain. Il s’agit, tout compte fait, d’une recherche sur le sens de la vie humaine, sur la signification qui peut et doit être attribuée à cette vie si on veut qu’elle soit digne de l’homme, si on veut qu’elle vaille la peine d’être vécue. Il existe aussi d’évidents symptômes d’éloignement de ces dimensions ; en effet le matérialisme sous ses diverses formes, héritage des derniers siècles, est capable de détourner de ce sens de la vie. Mais le matérialisme n’a pas formé la moindre racine ni de la culture européenne ni de la culture mondiale. Il n’est en rien une expression pleine ou corrélative du réalisme épistémologique ni du réalisme éthique.

Le Christ —permettez-moi de le dire ainsi — est le plus grand réaliste de l’histoire de l’homme. Je vous exhorte à réfléchir quelque peu sur cette formule. Méditez ce qu’elle peut signifier.

C’est proprement en vertu de ce réalisme que le Christ rend témoignage au Père et rend témoignage à l’homme. Il sait lui-même en effet « ce qu’il y a dans l’homme » (Jn 2, 25). Il le sait, lui ! Je le répète sans vouloir offenser personne de ceux qui, à n’importe quelle époque ont cherché — ou qui cherchent encore aujourd’hui — à comprendre ce qu’est l’homme et veulent l’enseigner.

Et c’est précisément sur la base de ce réalisme que le Christ nous enseigne que la vie humaine a un sens en tant que témoignage de la vérité et de l’amour.

Pensez-y, vous qui, comme étudiants, devez être particulièrement sensibles à la vérité et au témoignage de la vérité. Vous êtes pour ainsi dire des « pratiquants » de l’intelligence du fait que vous vous appliquez à l’étude des disciplines humanistes et scientifiques dans le but de vous préparer à l’emploi qui vous attend dans la société.

Pensez-y, vous qui, ayant le cœur jeune, ressentez quel besoin d’amour naît en lui. Vous qui cherchez une manière d’exprimer cet amour dans la vie. Il en est qui trouvent ce moyen d’expression dans un don total d’eux-mêmes à Dieu. En grande majorité sont ceux qui trouvent l’expression de cet amour dans le mariage, dans la vie familiale. Faites l’effort de vous y préparer sérieusement. Rappelez-vous que, comme noble sentiment, l’amour est un don du cœur, et qu’il est aussi, en même temps, un engagement qu’on assume à l’égard de l’autre, en faveur de l’époux, en faveur de l’épouse. Le Christ attend de vous un pareil amour. Il désire être avec vous quand il naît dans vos cœurs et quand il mûrit dans le serment sacramentel. Et après, et toujours...

 

6. Le Christ dit : « J’ai désiré avec ardeur manger cette pâque avec vous » (Lc 22, 15). Quand il la mangea, pour la première fois, avec ses disciples, il prononça des paroles particulièrement cordiales, mais aussi particulièrement importantes : « Je ne vous appelle plus mes serviteurs (...) je vous appelle mes amis... » (Jn 15, 15) ; « Voici mon commandement : aimez-vous les uns les autres » (Jn 15, 12). Rappelez-vous ces paroles du discours d’adieu de Jésus que nous lisons dans l’Évangile de saint Jean, durant cette période de la Passion du Seigneur. Méditez-le de nouveau.

Purifiez vos cœurs dans le Sacrement de la Réconciliation. Ils mentent, ceux qui accusent l’Église de « mentalité répressive » lorsqu’elle invite à la Pénitence. La confession sacramentelle ne constitue pas une répression mais une libération ; elle n’exaspère pas le sens de culpabilité, mais efface la faute, rachète du mal commis et accorde la grâce du pardon. Les causes du mal ne sont pas à chercher en dehors de l’homme, mais au fond de son cœur ; et le remède part lui aussi du cœur. Alors, par la sincérité de leur propre effort de conversion, les chrétiens doivent s’élever contre l’abaissement de l’homme et proclamer par leur propre vie la joie de la véritable libération du péché grâce au pardon du Christ, L’Église n’a pas son projet propre d’école universitaire, de société, mais elle a un projet d’homme, d’homme neuf, né à nouveau dans la grâce. Retrouvez la vérité intérieure de vos consciences. Que l’Esprit Saint vous accorde la grâce d’un sincère repentir, d’une ferme intention de rachat, d’une confession honnête des fautes.

Qu’il vous accorde une profonde joie spirituelle !

Il s’approche le « Jour fait par le Seigneur » (Ps 117-118, 24).

Soyez préparés pour ce jour !

 

 

 

8 avril 1979

DANS LA CROIX SE RÉALISE LE DESSEIN DE L’AMOUR

 

Homélie du pape le dimanche des Rameaux

Des  dizaines  de  milliers  de pèlerins, et quelque 35000 jeunes se sont rassemblés le 8 avril place Saint-Pierre à Rome pour participer à la liturgie du dimanche des Rameaux. Durant la sainte messe qu’il a célébrée sur le parvis de la basilique, Jean Paul II a prononcé l’homélie suivante :

 

1. Durant la prochaine semaine la liturgie s’adaptera strictement au déroulement des événements qui eurent lieu il y a presque deux mille ans, qui établissent que cette semaine est la Semaine Sainte, la Semaine de la Passion du Seigneur.

Ce dimanche-ci est étroitement lié a l’événement qui eut lieu quand Jésus s’approcha de Jérusalem pour y accomplir tout ce qu’avaient annoncé les Prophètes. Ce jour-là précisément les disciples, obéissant au Maître, lui amenèrent un petit âne qu’ils avaient demandé en prêt pour quelque temps. Et Jésus s’assit dessus pour que se réalise également ce détail particulier des écrits prophétiques. Le prophète Zacharie dit en effet : « Jubile grandement, fille de Sion, exulte fille de Jérusalem : voici que ton roi vient vers toi, il est juste et victorieux, humble et monté sur un ânon, petit d’ânesse » (Za 9, 9).

Et les gens qui se rendaient également à Jérusalem à l’occasion de la fête — des gens qui regardaient les actes accomplis par Jésus et écoutaient ses paroles — manifestant la foi messianique qu’il avait réveillée, criaient : « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Béni soit le Royaume qui vient de notre Père David ! Hosanna au plus haut des cieux ! » (Mc 11, 10-12).

Ces paroles, nous les répétons à chaque Messe, quand vient le moment de la transsubstantiation.

 

2. Et voici donc que sur le chemin de la Cité Sainte, près de l’entrée à Jérusalem, surgit devant nous une scène de L’enthousiasmant triomphe :

« Et beaucoup de gens étendirent leur manteau sur le chemin : d’autres, des jonchées de verdure qu’ils coupaient dans les champs » (Mc 11, 8)

Le peuple d’Israël regarde Jésus avec les yeux de sa propre histoire ; c’est cette histoire qui, par toutes les voies de sa spiritualité, de sa tradition, de son culte, menait le peuple élu directement vers le Messie. Mais en même temps, c’est une histoire difficile. Le règne de David représente le point culminant de la prospérité et déjà gloire terrestre du peuple qui, depuis les temps d’Abraham, avait à plusieurs reprises retrouvé son alliance avec Dieu-Jahvé, mais plus d’une fois aussi l’avait brisée.

Et va-t-il maintenant nouer cette alliance de manière définitive ? Ou perdra-t-il de nouveau le fil de la vocation qui a depuis le début, marqué le sens de son histoire ?

Jésus entre à Jérusalem assis sur l’ânon reçu en prêt. La foule se croit proche de l’accomplissement de la promesse pour laquelle tant de générations avaient vécu. Les cris « Hosanna, béni celui qui vient au nom du Seigneur ! » semblent vouloir exprimer que la rencontre des cœurs humains, avec l’éternelle Élection est désormais proche. Au milieu de cette joie qui précède les solennités pascales, Jésus est recueilli, silencieux. Il est pleinement conscient que cette rencontre des cœurs humains avec l’éternelle Élection ne se réalisera pas à travers les « Hosanna ! » mais par la Croix.

Avant sa venue à Jérusalem en compagnie de la foule de ses compatriotes, pèlerins pour les fêtes de la Pâque, un autre l’avait introduit et avait défini sa place au milieu d’Israël : Jean Baptiste, sur les rives du Jourdain. Mais quand il avait vu Jésus qui attendait, Jean n’avait pas crié « Hosanna ! » : le montrant du doigt, il avait dit : « Voici l’Agneau de Dieu, celui qui ôte le péché du monde ! » (Jn 1, 29).

Au jour de son entrée à Jérusalem, Jésus entend le cri de la foule, mais sa pensée est fixée sur les paroles de Jean au bord du Jourdain : « Voici celui qui enlève le péché du monde » (Jn 1, 29).

 

3. Aujourd’hui, nous lisons le récit de la passion du Seigneur dans l’Évangile selon saint Marc. On y trouve la description complète des événements qui se sont succédé au cours de cette semaine. En un certain sens, il constitue le programme de la semaine.

Recueillons-nous devant ce récit. Il serait difficile de connaître ces événements d’une autre manière. Bien que nous tes connaissions tous par cœur, nous les écoutons chaque fois avec le même recueillement. Je me souviens que lorsqu’encore jeune prêtre, je racontais la Passion du Seigneur aux enfants, ceux-ci m’écoutaient avec la plus profonde attention ! Cela a toujours été une catéchèse complètement différente de toutes les autres. L’Église ne cesse donc pas de relire le récit de la Passion du Christ, et elle désiré que cette description se fixe dans notre conscience et dans notre cœur.

Cette semaine, nous sommes appelés à une toute particulière solidarité avec Jésus-Christ : « l’Homme des douleurs » (Is 53, 3).

 

4. Ainsi donc, en même temps que l’image de ce Messie qu’attendait l’Israël de l’Ancienne Alliance, et qu’au moment de l’entrée à Jérusalem il avait presque rejoint grâce à sa foi, la liturgie d’aujourd’hui nous présente en même temps une autre image, celle décrite par les prophètes et tout particulièrement par Isaïe :

« J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient…

... sachant que je ne serais pas déçu » (Is 50, 6).

Jésus vient à Jérusalem pour que ces paroles s’accomplissent en lui, afin de réaliser la figure du « Serviteur de Jahvé » par laquelle le Prophète avait, huit siècles auparavant, révélé l’intention de Dieu. Le « Serviteur de Jahvé » : le Messie, le descendant de David, celui en qui s’accomplit l’« Hosanna » du peuple, celui qui est soumis à l’épreuve la plus terrible :

« Ceux qui me voient se moquent de moi...

... qu’Il le libère, s’il est son ami » (Isaïe).

Au contraire, ce n’est pas grâce à la libération de l’opprobre, mais par l’obéissance jusqu’à la mort, à travers la Croix, que devait se réaliser l’éternel dessein de l’amour. Et voilà, maintenant, ce n’est plus le prophète mais l’Apôtre qui parle, saint Paul en qui « la parole de la Croix » a trouvé une voie toute particulière. Paul, conscient du mystère de la Rédemption, rend témoignage à celui qui «... possédant la nature divine... s’est dépouillé lui-même, prenant condition d’esclave... il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort et à la mort sur une croix ! » (Ph 2, 6-8).

Voilà la véritable image du Messie, du Oint, du Fils de Dieu, du Serviteur de Jahvé. C’est là l’image de Jésus entrant à Jérusalem, lorsque les pèlerins qui l’accompagnaient sur son chemin chantaient : « Hosanna ! » et étendaient leurs manteaux ou des jonchées de verdure sur fa voie qu’il parcourait.

 

5. Et nous, aujourd’hui, nous tenons en main des rameaux d’olivier. Nous savons que ces rameaux sécheront bientôt. De leurs cendres nous nous couvrirons la tête l’an prochain, pour rappeler que le Fils de Dieu devenu homme a accepté la mort humaine pour nous mériter la Vie.

 

 

 

12 avril 1979

LA FÊTE DES PRÊTRES

 

A la messe chrismale.

Jeudi Saint 12 avril, le Saint-Père préside la concélébration solennelle en la basilique Saint-Pierre. 22 cardinaux, de nombreux évêques présents à Rome et près de 3.000 prêtres se trouvent avec le pape. Des fidèles, venus en très grand nombre, participaient à la cérémonie.

 

1. Aujourd’hui, au seuil de ce Triduum Sacré, nous désirons professer de manière spéciale notre foi dans le Christ, en Celui dont nous devons, dans l’esprit de l’Église, renouveler la Passion, afin que tous « regardent celui qu’ils ont transpercé » (Jn 19, 37), et que la génération actuelle des habitants de la terre se lamente sur lui (cf. Lc 23, 27).

Voici le Christ : Celui en qui Dieu vient à l’humanité comme Seigneur de l’histoire : « C’est moi l’Alpha et l’Oméga... Celui qui est, qui était et qui vient » (Ap 1, 8).

Voici le Christ « qui m’a aimé et s’est livré pour moi » (Ga 2, 20), le Christ qui est venu pour « nous obtenir par son propre sang une rédemption éternelle »(He 9, 12).

Le Christ, le « Oint », le Messie.

Un jour, à la veille de sa libération de l’esclavage d’Egypte, Israël marqua du sang de l’agneau les portes de ses maisons (Ex 12, 1-14). Voici, l’Agneau de Dieu est parmi nous, celui que son Père lui-même a « oint de l’Esprit Saint et de puissance » et envoyé dans le monde (cf. Jn l, 29 ; Ac 10, 36-38).

Le Christ, le « Oint », le Messie.

Durant ces jours-ci, avec la force de l’onction de l’Esprit Saint, avec la force de la plénitude de la sainteté qui est en lui, et en lui seul, il clamera vers Dieu « en un grand cri » (Lc 23, 46), d’une voix d’humiliation, d’anéantissement, de Croix : « Seigneur, ma force, Seigneur, mon rocher, ma forteresse et mon libérateur ; mon Dieu mon rocher en qui je m’abrite ; mon bouclier, ma citadelle de salut » (Ps 17 (18), 2 et suiv.).

Ainsi clamera-t-il pour lui-même et pour nous.

 

2. Nous célébrons aujourd’hui la liturgie du Saint-Chrême par laquelle l’Église veut, à la veille de ces jours saints, renouveler le signe de cette force de l’Esprit qu’elle a reçue de son Rédempteur et Époux.

En recevant les Sacrements de la foi, les hommes participent, au prix de la passion et de la mort, à cette force de l’Esprit, grâce et sainteté, qui est en Lui. Et ainsi se construit sans cesse le peuple de Dieu et, comme l’enseigne le Concile Vatican II, «... les fidèles, en vertu de leur sacerdoce royal, concourent à l’offrande de l’Eucharistie, et exercent ce sacerdoce par la réception des sacrements, par la prière et l’action de grâces, le témoignage d’une vie sainte, l’abnégation et une charité active » (Lumen Gentium, n.10).

Cette Sainte Huile, l’Huile des catéchumènes, servira à l’onction des catéchumènes durant le baptême pour être ensuite oints avec le Saint Chrême. Ils recevront une deuxième fois cette onction dans le sacrement de la Confirmation. Et la recevront encore lors de leurs ordinations ceux qui y sont appelés : les diacres, les prêtres, les évoques. Dans le sacrement des malades, ceux-ci recevront Ponction avec l’huile des malades (cf. Gn 5, 14).

Aujourd’hui, nous voulons préparer l’Église au nouvel an de grâce, à l’administration des sacrements de la foi qui ont leur centre dans l’Eucharistie. Tous les sacrements, ceux qui ont l’onction comme signe, et ceux qui sont administrés sans ce signe, comme la pénitence et le mariage, signifient une participation efficace à la force de celui que le Père lui-même avait oint et envoyé dans le monde (cf. Lc 4, 18).

Aujourd’hui, Jeudi-Saint, nous célébrons la liturgie de cette force qui a atteint sa plénitude dans les faiblesses du Vendredi Saint, dans les tourments de sa passion et de son agonie, car c’est par tout cela que le Christ a mérité la grâce pour nous : « Grâce et paix vous soient données... par Jésus-Christ, le témoin fidèle, le Premier-né d’entre les morts, le Prince des rois de la terre » (Ap 1, 4-5).

 

3. Par son abandon à son Père, et son obéissance jusqu’à la mort, il a fait de nous une « Royauté de prêtres » (Ap 1, 6). Il l’a proclamé le jour solennel où il a partagé avec les Apôtres le pain et le vin, comme son corps et son sang, pour le salut du monde. Aujourd’hui précisément, nous sommes appelés à vivre ce jour : la fête des prêtres. Aujourd’hui parlent de nouveau à nos cœurs les mystères du Cénacle où, avec la première Eucharistie, le Christ a dit : « Faites ceci en mémoire de moi » (Lc 22, 19) instituant ainsi le sacrement du sacerdoce. Et s’accomplit ce que bien longtemps auparavant avait dit le prophète Isaïe : « Vous serez appelés prêtres du Seigneur, on vous nommera officiants de notre Dieu » (Is 61, 6).

Aujourd’hui, nous éprouvons très vivement le désir de nous trouver près de l’autel pour cette célébration eucharistique et rendre grâces au Seigneur pour ce don particulier qu’il nous a conféré. Conscients de la grandeur de cette grâce, nous désirons en outre renouveler les promesses que le jour de notre propre ordination chacun de nous a faites au Christ et à son Église en les déposant entre les mains de l’évêque. En les renouvelant nous demandons la grâce de la fidélité et de la persévérance. Nous demandons également, que la grâce de la vocation sacerdotale tombe sur le terrain d’un grand nombre de jeunes âmes et qu’elle y plonge des racines comme germe d’où sortiront des fruits centuplés (cf. Lc 8, 8).

Comme cela a été prévu, les évêques du monde entier font aujourd’hui de même dans leurs cathédrales. Avec leurs prêtres, ils renouvellent les promesses faites le jour de l’ordination. Unissons-nous à eux encore plus ardemment, par le lien de la fraternité dans la foi et dans la vocation que nous avons tirée du Cénacle comme héritage particulier qui nous a été transmis par les Apôtres. .....

Persévérons dans cette grande communauté sacerdotale, comme serviteurs du Peuple de Dieu, comme disciples aimants de celui qui s’est fait obéissant jusqu’à la mort, qui est venu au monde, non pour être servi, mais pour servir ! (Mt 20, 28).

 

 

 

12 avril 1979

LA DERNIÈRE CÈNE, SUPRÊME TÉMOIGNAGE D’AMOUR

 

A la messe « in coena domini »

Ce même Jeudi Saint, en fin d’après-midi, en sa cathédrale de St-Jean, le pape a commémoré l’institution de l’Eucharistie, en rappelant la dernière Cène du Seigneur. Fidèle à la tradition, reprise en chaque cathédrale dans le monde, l’évêque de Rome a lavé les pieds à douze personnes parmi les plus pauvres de son diocèse : des handicapés physiques et mentaux.

 

1. L’Heure de Jésus est venue. L’heure où il passe de ce monde à son Père. Commence le Triduum Sacré. Le mystère pascal revêt comme chaque année son aspect liturgique et débute par cette messe, la seule qui dans l’année, porte le nom de « Coena Domini ».

Après avoir aimé les siens qui étaient dans le monde, « il les aima jusqu’à la fin » (Jn 13, 1). La Dernière Cène est précisément le témoignage de cet amour avec lequel le Christ, l’Agneau de Dieu, nous a aimés jusqu’à la fin.

Ce soir-là, les fils d’Israël consommaient l’agneau, selon l’antique usage imposé par Moïse, la veille de la libération de l’esclavage d’Egypte. Jésus fit la même chose avec ses disciples, fidèle à la tradition qui était seulement « l’ombre des biens avenir » (He 10, 1), une préfiguration de la Nouvelle Alliance, de la Loi nouvelle.

 

2. Que signifie : « Il les aima jusqu’à la fin » ?

Cela signifie : jusqu’à cet accomplissement qui adviendra le lendemain, le Vendredi Saint. Ce jour-là allait manifester combien Dieu a aimé le monde et comment il a poussé cet amour jusqu’à l’extrême limite du don, c’est-à-dire jusqu’à donner son Fils unique » (Jn 3, 16).

Ce jour-là, Jésus a démontré qu’« il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15, 13). L’amour du Père s’est révélé dans la donation de son Fils. La donation dans la mort !

Le Jeudi Saint, le jour de la Dernière Cène, est en quelque sorte le prologue de cette donation : il en est l’ultime préparation. Et d’une certaine manière ce qui s’accomplît ce jour-là va déjà au-delà de ce don. C’est vraiment le Jeudi Saint, durant la Dernière Cène, que se manifeste ce que veut dire : aimer jusqu’à la fin.

Nous pensons, avec raison, qu’« aimer jusqu’à la fin » veut dire jusqu’à la mort, jusqu’au dernier souffle. Mais la Dernière Cène nous montre que, pour Jésus, « jusqu’à la fin », signifie « au-delà du dernier souffle. Au-delà de la mort ».

 

3. Telle est en effet la signification de l’Eucharistie. La mort n’est pas sa fin, mais son commencement. L’Eucharistie part de la mort comme nous, le dit saint Paul : « Chaque fois en effet que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne » (1 Co 11, 26).

L’Eucharistie est fruit de cette mort. Elle la rappelle constamment. Elle la renouvelle sans cesse. Elle la signifie toujours. Elle la proclame. La mort qui est devenue le commencement de la nouvelle Venue : de la Résurrection à la Parousie, « Jusqu’à ce qu’il vienne ». La mort, qui est le « substrat » d’une vie nouvelle.

Aimer jusqu’à la fin signifie donc pour le Christ : aimer moyennant la mort et au-delà de la barrière de la mort : aimer jusqu’aux extrêmes de l’Eucharistie !

 

4. C’est exactement ainsi que Jésus a aimé, ce soir-là, ce dernier soir. Il a aimé « les siens » —ceux qui étaient alors avec lui, et tous ceux qui devaient hériter leur ministère.

— les paroles qu’il a prononcées sur le pain ;

— les paroles qu’il a prononcées sur la coupe pleine de vin ;

— les paroles que nous répétons aujourd’hui avec particulière, émotion et que nous répétons toujours, quand nous célébrons l’Eucharistie, constituent vraiment la révélation de cet amour par lequel il s’est une fois pour toutes, pour tous les temps et jusqu’à la fin des siècles, distribué lui-même.

Avant même de se donner sur la Croix, comme « Agneau qui ôte les péchés du monde », il s’est distribué lui-même comme aliment et comme breuvage : pain et vin, afin « que nous ayons la vie, et l’ayons en abondance » (Jn 10, 10).

C’est ainsi qu’« il nous a aimés jusqu’à la fin ».

C’est pourquoi il n’a pas hésité à s’agenouiller devant ses apôtres pour leur laver les pieds. Quand Pierre voulut s’y opposer, il le convainquit de laisser faire. C’était là, en effet, une exigence particulière de la grandeur du moment. Ce lavement des pieds, cette purification, étaient nécessaires pour la Communion à laquelle ils allaient participer dès ce moment Désormais, en se distribuant lui-même dans la communion eucharistique n’allait-il pas continuellement s’abaisser au niveau de cœurs humains si nombreux ? N’allait-il pas les servir toujours de cette manière ?

« Eucharistie » veut dire « remerciement ».

« Eucharistie » signifie également servir, se tendre vers l’homme, servir les cœurs humains.

«Je vous ai donné l’exemple, pour que vous agissiez comme j’ai agi envers vous » (Jn 13, 15).

Nous ne saurions être dispensateurs de l’Eucharistie, sinon en servant !

6. Voici, c’est la Dernière Cène. Le Christ se prépare à partir en passant par la mort, et en passant par la mort, il s’apprête à demeurer.

Ainsi sa mort est devenue le fruit mûr de l’amour ; il nous a aimés « jusqu’à la fin ».

Le contexte de la Dernière Cène ne suffirait-il pas à lui seul pour donner à Jésus le droit de nous dire à tous : « Ceci est mon commandement : que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 15, 12) ?

 

 

 

14 avril 1979

LA VIE NOUVELLE DANS LA LUMIÈRE DU CHRIST

 

Homélie du pape pour la veillée pascale.

Le samedi 14 avril, la nuit ou les chrétiens sont appelés à veiller en prière pour célébrer la résurrection du Christ, le Saint-Père a présidé en la basilique Saint-Pierre du Vatican la liturgie de la lumière ainsi que la célébration eucharistique à laquelle assistèrent de nombreux cardinaux, archevêques, évêques et prêtres, le Corps diplomatique accrédité et une foule immense. Après la liturgie de la Parole, Jean Paul II prononça l’homélie, conféra le baptême et la confirmation a divers néophytes du Tiers-Monde, parmi lesquels trois Malgaches.

 

1. La parole « mort » se prononce avec un nœud dans la gorge. Bien que durant d’innombrables générations, l’humanité se soit en quelque sorte accoutumée à la réalité de la mort, à son caractère inéluctable, elle n’en est pas moins chaque fois, quelque chose de bouleversant. La mort du Christ était entrée profondément dans le cœur de ses voisins les plus proches et dans les consciences de tout Jérusalem. Le silence qui s’abattit ensuite sur la ville régna durant toute la soirée du vendredi et toute la journée du samedi. Ce jour-là, conformément aux prescriptions juives, nul ne s’était rendu aux lieux de la sépulture. Les trois femmes dont nous parle l’Évangile d’aujourd’hui se souviennent bien de la lourde pierre qui obturait l’entrée du sépulcre. Cette pierre, à laquelle elles pensaient, et dont elles auraient parlé le lendemain, symbolisait également le poids qui avait broyé leur cœur. La pierre qui avait séparé le Mort des vivants, la pierre limite de la vie, le poids de la mort. Les femmes qui, après le jour du sabbat, allèrent visiter le sépulcre alors que le premier jour de la semaine commençait à poindre, ne parlèrent pas de la mort, mais de la pierre. Arrivées sur place, elles constatèrent que la pierre ne barrait plus l’entrée du sépulcre. Elle avait été déplacée. Elles n’ont pas trouvé Jésus dans le sépulcre. Elles l’ont cherché en vain ! « Il n’est pas ici, car il est ressuscité comme il l’avait dit » (Mt 28, 6). Elles doivent retourner en ville et annoncer aux disciples que Jésus est ressuscité et qu’ils le trouveront en Galilée. Les femmes sont incapables de prononcer le moindre mot. La nouvelle de la mort s’annonce d’une voix sourde. Mais chez elles, les paroles de la résurrection étaient elles-mêmes difficiles à capter. Difficiles à répéter, tant il est vrai que la réalité de la mort a influencé la pensée, et le cœur de l’homme.

 

2. Cette nuit-là, et plus encore la matinée qui l’a suivie, a appris aux disciples de Jésus à prononcer le mot de résurrection. Dans leur langage il est devenu le mot le plus important, le terme central, la parole fondamentale. Tout prend, depuis, origine de ce mot. Tout se trouve confirmé et se construit à nouveau : « La pierre qu’avaient rejetée les bâtisseurs est devenue tête d’angle, c’est par le Seigneur que cela s’est fait, c’est merveille à nos yeux ! Voici, le jour que le Seigneur a fait, exultons et réjouissons-nous en lui ! » (Ps 117-118, 22-24).

C’est précisément pour cela que la vigile pascale — le jour qui suit le Vendredi Saint — n’est plus seulement le jour où l’on murmure d’une voix sourde le mot « mort », celui où l’on se rappelle les derniers moments de la vie du Mort : il est le jour d’une grande attente. Il est la vigile pascale : le jour et la nuit de l’attente du « Jour que le Seigneur a fait ».

Le contenu liturgique de la vigile est exprimé par les différentes heures du bréviaire, pour concentrer ensuite toute sa richesse dans la liturgie de la nuit qui, après la période du Carême, atteint son sommet dans le premier Alléluia !

Alléluia ! le cri qui exprime la joie pascale.

L’exclamation qui résonne encore au milieu de la nuit et apporte déjà la joie du matin. Qui apporte la certitude de la résurrection. Ce qu’à un premier moment les lèvres des femmes ou la bouche des apôtres n’ont pas eu le courage de prononcer devant le sépulcre, maintenant, grâce à leur témoignage, l’Église l’exprime dans son Alléluia !

Ce chant de joie, chanté vers minuit, nous annonce le Grand Jour. « Dans quelques langues slaves, Pâques s’appelle la « Grande Nuit » ; après la Grande Nuit arrive le Grand Jour ; « le Jour que le Seigneur a fait ».

 

3. Et nous voilà prêts à aller à la rencontre de ce Grand Jour, le feu pascal allumé ; à ce feu nous avons allumé le cierge — lumière du Christ — et dans le chant de l’Exultet nous avons proclamé, près de ce cierge, la gloire de la Résurrection.

Puis par une suite de lectures, nous sommes entrés dans le processus de la grande annonce de la création du monde, de l’homme, du Peuple de Dieu ; nous sommes entrés dans le temps ou toute la création se prépare à ce Grand Jour, au jour de la victoire du bien sur le mal, de la vie sur la mort. On ne saurait saisir le mystère de la Résurrection sinon en retournant aux origines et en suivant ensuite tout le développement de l’histoire de l’économie du salut jusqu’à ce moment. Jusqu’au moment où, s’arrêtant sur le seuil du tombeau vide, les trois femmes ont entendu le message d’un jeune homme vêtu d’une robe blanche : « Ne vous effrayez pas. C’est Jésus de Nazareth que vous cherchez, le Crucifié : il est ressuscité, Il n’est pas ici » (Mc 16, 5-6)

 

4. Ce grand Moment ne nous permet pas de rester hors de nous-mêmes ; il nous force à entrer dans notre propre humanité. Le Christ ne nous a pas seulement révélé la victoire de la vie sur la mort : avec sa Résurrection il nous a également apporté la Nouvelle Vie. Cette vie nouvelle, il nous l’a donnée.

Voici comment s’exprime saint Paul : « Ou bien ignorez-vous que, baptisés dans le Christ Jésus, c’est dans sa mort que nous avons tous été baptisés ? Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions nous aussi une vie nouvelle » (Rm 6, 3-4).

Les paroles : « C’est dans sa mort que nous avons été baptisés » disent beaucoup. La mort est Peau dans laquelle se reconquiert la Vie : l’eau qui « jaillit pour la vie éternelle » (Jn 4, 14). Il est nécessaire de « se plonger » dans cette eau ; dans cette Mort, pour émerger ensuite comme Homme Nouveau, comme créature nouvelle, comme être nouveau, c’est-à-dire vivifié par la puissance de la Résurrection du Christ !

Ceci est le mystère de l’Eau que nous bénissons cette nuit, que nous faisons pénétrer de la « lumière du Christ », que nous faisons imprégner de la Vie Nouvelle ; elle est le symbole de la puissance de la Résurrection !

Dans le sacrement du Baptême, cette eau devient le signe de la victoire sur Satan, sur le péché ; le signe de la victoire que le Christ a remportée au moyen de la Croix, au moyen de la mort et qu’il remporte ensuite sur chacun de nous : « notre vieil homme a été crucifié avec lui, pour que soit détruit ce corps de péché, afin que nous cessions d’être asservis au péché » (Rm 6, 6).

 

5. Voici la nuit de la Grande Attente. Nous attendons dans la foi, nous attendons de tout notre être humain Celui qui à l’aube a brisé la tyrannie de la mort et révélé la divine Puissance de la Vie : Lui, il est notre espérance !

 

 

 

28 avril 1979

MARIE, MÈRE DE L’ÉGLISE, GRÂCE AU DIVIN AMOUR

 

Le pape visite le sanctuaire du « Divin Amour »

Le 28 avril durant la Sainte Messe qu’il a célébrée au sanctuaire mariai du Divin Amour, le Saint-Père a prononcé l’homélie suivante :

 

Je suis heureux de me trouver parmi vous, chers frères et sœurs, dans une union de foi et de prière sous le regard de la Très Sainte Vierge du Divin Amour qui, de ce sanctuaire suggestif, cœur de la dévotion mariale du diocèse de Rome et des environs, veille fidèlement sur tous les fidèles qui, durant leur pèlerinage ici-bas, se confient à sa protection et à sa garde.

 

1. En ce premier jour du mois de mai j’ai voulu, moi aussi, venir avec vous tous en pèlerinage en ce lieu béni pour m’agenouiller aux pieds de l’image miraculeuse qui, depuis des siècles, ne cesse de dispenser grâces et réconfort spirituel ; j’ai voulu venir également pour inaugurer solennellement le mois de Marie qui trouve, dans la piété populaire, des expressions on ne peut plus délicates de vénération et d’affection envers notre très douce Mère. La tradition chrétienne qui nous fait offrir des fleurs, des « fioretti » et de pieux propos à la Toute-Belle à la Toute-Sainte, trouve dans ce Sanctuaire qui s’élève au beau milieu de la campagne romaine, riche de lumière et de verdure, le point de référence idéal en ce mois qui lui est consacré. D’autant plus que l’image qui la représente assise sur un trône, l’Enfant Jésus entre les bras, avec la colombe qui descend sur elle pour symboliser l’Esprit Saint, c’est-à-dire précisément le Divin Amour, nous remet en mémoire les liens doux et purs qui unissent la Vierge Marie à l’Esprit Saint et au Seigneur Jésus, Fleur jaillie de son sein, dans l’œuvre de notre rédemption : admirable tableau autrefois contemplé par le plus grand poète italien qui a fait dire à saint Bernard : « Dans ton sein s’est allumé l’amour dont la chaleur dans l’éternelle paix a fait germer cette Fleur » (Dante, le Paradis, XXXIII, 7-9).

 

2. Dans ce climat spirituel de piété mariale se célébrera dimanche prochain la journée de prière pour les vocations ecclésiastiques, tant sacerdotales que simplement religieuses : une journée à laquelle l’Eglise attache grande importance à un moment où le problème des vocations se trouve au centre des plus vives préoccupations et sollicitudes de la pastorale ecclésiale. Qu’il vous plaise de mettre cette intention dans vos prières, durant tout le mois de mai. Aujourd’hui plus que jamais le monde a besoin de prêtres et de religieux, de sœurs, d’âme consacrées qui viennent à la rencontre des nécessités des hommes : il y a des enfants et des adolescents qui attendent qu’on leur enseigne le chemin du salut ; il y a des hommes et des femmes auxquels le dur labeur quotidien fait éprouver plus vivement le besoin de Dieu ; il y a les vieillards, les malades, ceux qui souffrent, tous ceux qui attendent qu’on se penche sur leurs misères et qu’on leur ouvre l’espérance du ciel. Le peuple chrétien a pour devoir de demander à Dieu, par l’intermédiaire de la Vierge, qu’il envoie de la main-d’œuvre à sa moisson (cf. Mt 9, 38), en faisant entendre à de nombreux jeunes une voix qui stimule leur conscience et les attire vers les valeurs spirituelles, qui leur fasse comprendre et apprécier dans toute sa beauté, le don d’un appel semblable.

 

3. Mais je suis venu non seulement pour inaugurer ici le mois de mai, mais aussi, comme évêque de Rome, pour visiter le centre paroissial qui, à l’ombre de ce Sanctuaire, exerce son activité pastorale parmi les populations environnantes, selon les directives du cardinal Poletti, mon Vicaire général, et de l’évêque auxiliaire Mgr Riva, et à laquelle se dévouent monsieur le curé Silla, les vicaires et les Filles de Notre-Dame du Divin Amour.

Chers prêtres, je connais votre zèle et les difficultés que vous rencontrez dans votre travail apostolique à cause de la distance et de l’isolement des bourgades et des fermes confiées à vos soins pastoraux. Mais soyez intrépides dans la foi et dans la fidélité à votre ministère pour développer toujours plus parmi les âmes le sens de la paroisse comme communauté de vrais croyants ; pour accroître la pastorale familiale et faire ainsi de chaque maison ou groupe de maisons un lieu d’évangélisation, de catéchèse et de promotion humaine ; et pour réserver l’attention voulue aux enfants et aux jeunes qui représentent l’avenir de l’Église. Je vous exprime tous mes encouragements pour cet effort et je vous exhorte « au milieu du Peuple de Dieu qui regarde Marie avec tant d’amour et d’espoir », de recourir à elle dans vos difficultés « avec une espérance et un amour exceptionnels. En effet, vous-devez annoncer le Christ qui est son Fils. Et qui mieux que sa Mère vous transmettra là vérité sur lui ? Vous devez nourrir du Christ le cœur des hommes. Et qui pourra vous rendre plus conscients de ce que vous faites, sinon celle qui l’a nourri ? » (cf. Lettre aux prêtres à l’occasion du Jeudi-Saint, n. 11).

 

4. J’ai déjà parlé de l’attention que cette paroisse réserve aux jeunes : eh bien, c’est précisément aux jeunes qui sous peu recevront le Sacrement de la confirmation que je désire adresser quelques mots de sincère affection et de satisfaction pour la préparation qu’ils ont faite afin de recevoir dignement le don de l’Esprit Saint qui, le jour de la Pentecôte descendit sur les Apôtres pour qu’ils soient parmi les hommes d’intrépides témoins du Christ et de valeureux messagers de la Bonne Nouvelle. Chers enfants, par le sacrement de la confirmation vous, recevrez la vertu de la force et saurez ne pas reculer devant les obstacles qui se dresseront sur te chemin de votre vie chrétienne. Rappelez-vous que l’imposition des mains et le signe de la croix avec le saint-chrême vous font ressembler plus parfaitement au Christ et qu’ils vous donneront la grâce et le mandat de répandre « sa bonne odeur » parmi les hommes (Cf. 2 Co 2, 15).

 

5. Et maintenant que nous nous apprêtons à célébrer le sacrifice eucharistique dans lequel nous saluons sur l’autel « le vrai corps né de la Vierge Marie », nous ne pouvons manquer d’écouter résonner dans nos âmes les douces expressions de la liturgie de la Parole qui ont exalté Marie comme l’épouse parée pour son époux » (cf. Ac 21, 1-5), la « Femme de qui est né le Fils de Dieu » (Ga 4, 4-7) et enfin « la Mère du Fils du Très-Haut » (Lc 1, 26-38).

Vous le savez, la Vierge Marie est liée à Jésus ; elle est pour Jésus ; elle est la Mère de Jésus ; elle introduit Jésus dans le monde ; elle est donc au sommet des destins de l’humanité. C’est elle qui, par la grâce de l’Esprit Saint, c’est-à-dire du Divin Amour, fait de Jésus notre frère en raison de sa maternité divine et, de même qu’elle est la mère du Christ par la chair, elle l’est aussi, par solidarité spirituelle, du Corps mystique, du Christ, c’est-à-dire de nous tous qui sommes ce Corps. C’est pourquoi, tandis que monte vers le Père Céleste le sacrifice de louanges, nous élevons vers notre très douce Mère, devant son Sanctuaire, une prière qui jaillit de notre cœur de fidèles dévots : Je te salue, ô Mère, Reine du monde. Tu es la Mère du Bel Amour. Tu es la Mère de Jésus, source de toutes grâces, le parfum de toute vertu, le miroir de toute pureté. Tu es notre joie au milieu des larmes, notre victoire dans la bataille, notre espérance dans la mort. Quelle douce saveur ton nom sur nos lèvres, quelle suave harmonie dans nos oreilles, quelle ivresse dans nos cœurs ! Tu es le bonheur de ceux qui souffrent, la couronne des martyrs, la beauté des vierges. Nous t’en supplions, guide-nous après cet exil vers la possession de ton Fils Jésus.

 

 

 

29 avril 1979

QUEL EST LE SECRET DU ZÈLE MISSIONNAIRE ?

 

Homélie du pape pour la béatification des pères Lavat et Coll

Le 29 avril, le pape a procédé à la béatification du père Jacques-Désiré Laval, de la Congrégation du Saint-Esprit et du père Francisco Coll, dominicain Catalan. Si la cérémonie de béatification est toujours une occasion de célébration joyeuse dans l’Église, elle revêtait, cette fois-ci, une coloration particulière car c’était la première béatification de Jean-Paul II, Une grande foule emplissait la basilique Saint-Pierre.

Après la lecture de l’Évangile le pape a prononcé une homélie.

 

Chers Frères et Sœurs.

 

1. Alléluia ! Alléluia ! En ce troisième dimanche de Pâques, notre joie pascale s’exprime en écho à la joie débordante des Apôtres qui, dés le premier jour, ont reconnu le Christ ressuscité. Le soir de Pâques, « le Christ se tint au milieu d’eux ». « Il leur montra ses mains et ses pieds». Il les invita à le toucher de leurs mains. Et il mangea sous leurs yeux (cf. Lc 24, 36, 39, 40). Saisis de stupeur et lents à croire, les Apôtres le reconnurent enfin : « Ils furent remplis de joie à la vue du Seigneur » (Jn 20, 20 ; Lc 24 ; 41) ; et désormais personne ne put leur ravir leur joie (cf. Jn 16, 22), ni faire taire leur témoignage (cf. Ac 4, 20). Quelques instants plus tôt, le cœur des disciples d’Emmaüs était aussi tout brûlant au-dedans d’eux pendant que Jésus leur parlait en chemin et leur expliquait les Écritures ; et ils l’avaient reconnu eux aussi à la fraction du pain (cf. Lc 24 ; 32, 35).

L’allégresse de ces témoins, c’est la nôtre, chers frères et sœurs, nous qui partageons leur foi au Christ ressuscité. Glorifié auprès du Père, il ne cesse d’attirer les hommes à lui, de leur communiquer sa vie, l’Esprit, la sainteté, tout en leur préparant une place dans la maison du Père. Précisément, cette joie trouve aujourd’hui une éclatante confirmation, puisque nous célébrons deux admirables serviteurs de Dieu qui, au siècle dernier, ont brillé sur notre terre de la sainteté du Christ et que l’Église est en mesure désormais, de déclarer bienheureux, de proposer au culte particulier et à l’admiration des fidèles : le père Laval et le père Coll, qu’il nous faut maintenant contempler.

 

2. Il est évidemment impossible de relever ici tous les faits saillants de la vie du père Jacques-Désiré Laval, ni toutes les vertus chrétiennes qu’il a pratiquées à un degré héroïque. Retenons du moins ce qui caractérisé ce missionnaire, au regard de la mission actuelle de l’Église.

C’est d’abord son souci d’évangéliser les pauvres, les plus pauvres, et, en l’occurrence, ses « chers Noirs » de l’Ile Maurice, comme il les appelait. Français, il avait commencé par exercer la médecine dans une petite cité de son diocèse natal d’Evreux, mais peu à peu, l’appel à un amour sans partagé du Seigneur, qu’il avait un certain temps refoulé, lui fit abandonner son métier et la vie mondaine : « Devenu prêtre, je pourrai faire plus de bien », expliquait-il à son frère (cf. biographie). Vocation tardive au Séminaire Saint-Sulpice de Paris, il y fut aussitôt préposé au service des pauvres ; puis, comme curé de la petite paroisse normande de Pinterville, il partageait tout son avoir avec les indigents. Mais en apprenant la misère des Noirs d’Afrique et l’urgence de les amener au Christ, il obtint de partir à l’Ile Maurice, avec le Vicaire Apostolique, Mgr Collier. Durant vingt-trois ans, jusqu’à sa mort, il consacra tout son temps, usa toutes ses forces, donna tout son cœur à l’évangélisation des autochtones : sans jamais se lasser il sut les écouter, les catéchiser, leur faire découvrir leur vocation chrétienne. Souvent aussi il intervint pour améliorer leur condition sanitaire et sociale.

L’acharnement qu’il y mit ne cesse de nous étonner, surtout dans les conditions décourageantes de sa mission. Mais, dans son apostolat, il alla toujours à l’essentiel. Le fait est que notre missionnaire a laissé derrière lui d’innombrables convertis, à la foi et à la piété solides. Il n’était point porté vers les cérémonies tapageuses, séduisantes pour ces âmes simples mais sans lendemain, ni vers les envolées oratoires. Son souci éducatif était très inséré dans la vie, il ne craignait pas de revenir sans cesse sur les points essentiels de la doctrine et de la pratique chrétiennes, et il n’admettait au baptême ou à la première communion que des gens préparés par petits groupes et éprouvés. Il prit grand soin de mettre à la disposition des fidèles des petites chapelles disséminées dans l’île. Une autre initiative remarquable qui rejoint le souci de nombreux pasteurs aujourd’hui : il s’adjoignit des collaborateurs, nommes et femmes, comme chefs de prière, catéchistes, visiteuses et conseillères des malades, responsables de petites communautés chrétiennes, autrement dit des pauvres, évangélisateurs de pauvres.

Quel est donc le secret de son zèle missionnaire ? Nous le trouvons dans sa sainteté : dans le don de toute sa personne à Jésus-Christ, inséparable de sa tendresse pour les hommes, surtout pour les plus humbles, qu’il veut faire accéder au salut du Christ. Tout le temps qu’il ne consacrait pas à l’apostolat direct il le passait à prier, surtout devant le Saint-Sacrement, et il joignait continuellement à sa prière mortifications et pénitences qui ont très vivement frappé ses confrères, malgré sa discrétion et son humilité. Lui-même confie souvent le regret, de sa tiédeur spirituelle — disons plutôt le sentiment de sa sécheresse : n’est-ce pas précisément qu’il accorde le plus grand prix au fervent amour de Dieu et de Marie, auquel il veut initier, ses fidèles ? C’est là aussi le secret de sa patience apostolique : « C’est sur le Bon Dieu tout seul et sur la protection de la Sainte Vierge que nous nous appuyons » (Lettre du 6 Juillet 1853, cf. biographie). Quelle magnifique confession ! Sa spiritualité missionnaire s’était d’ailleurs inscrite, dès le début dans le cadre d’un jeune Institut religieux et marial, et il eut toujours à cœur d’en suivre les exigences spirituelles, malgré sa solitude et son éloignement géographique : la Société du Saint-Cœur de Marie, dont il fut l’un des tout premiers membres aux côtés du célèbre père Libermann, et qui sera bientôt fondue avec la Congrégation du Saint-Esprit. L’apôtre, aujourd’hui comme hier, doit d’abord entretenir en lui la vigueur spirituelle : il témoigne de ce qu’il puise continuellement à la Source.

Voilà un modèle pour les évangélisateurs d’aujourd’hui. Qu’il inspire les missionnaires, et, j’ose dire, tous les prêtres, qui ont d’abord la sublime, mission d’annoncer Jésus-Christ et de former à la vie chrétienne !

Qu’il soit, à un titre particulier, la joie et le stimulant de tous les religieux spiritains, qui n’ont cessé d’implanter l’Église notamment en terre africaine, et y œuvrent avec tant de générosité !

Que l’exemple du père Laval encourage tous ceux qui, sûr le continent africain et ailleurs, s’efforcent de bâtir un monde fraternel, exempt de préjugés raciaux ! Que le bienheureux Laval soit aussi la fierté, l’idéal et le protecteur de la communauté chrétienne de l’Ile Maurice, si dynamique aujourd’hui, et de tous les Mauriciens.

A ces souhaits, je suis heureux d’ajouter un salut très cordial à la délégation du Gouvernement de l’île Maurice, comme à celle du Gouvernement français qui sont venues participer à cette cérémonie.

 

3. Le deuxième motif d’allégresse est la béatification d’une autre figure que l’Église entend aujourd’hui exalter et proposer à l’imitation du peuple de Dieu : le père Francisco Coll, nouvelle gloire de la grande famille dominicaine et aussi de la famille, diocésaine de Vich. Religieux et en même temps modèle d’apôtre — durant une grande partie de sa vie — parmi le clergé de Vich.

C’est une de ces personnalités ecclésiales qui, dans la seconde moitié du XIX° siècle, ont enrichi l’Église de nouvelles fondations religieuses. Un fils de la terre espagnole, de la Catalogne, d’où sont sorties tant d’âmes généreuses qui ont laissé à l’Église un fécond héritage.

Cet héritage prend ici la forme d’un travail magnifique et inlassable de prédication évangélique qui a trouvé son apogée dans la fondation de l’Institut appelé maintenant : les religieuses Dominicaines de « La Anunciata », qui sont venues nombreuses aujourd’hui pour célébrer leur Père fondateur, en union avec toutes leurs sœurs travaillant dans les diverses œuvres auxquelles la Congrégation a donné naissance.

Il n’est pas possible de présenter ici un portrait complet du nouveau bienheureux, qui resplendit — comme vous avez pu le constater en lisant sa biographie — de vertus humaines, chrétiennes, religieuses, vécues de façon héroïque et qui le rendent digne d’être loué et imité durant notre pèlerinage terrestre. Limitons-nous à souligner brièvement un trait plus saillant de cette figure ecclésiale.

Ce qui impressionne le plus quand on aborde la vie du bienheureux, c’est sa passion de l’évangélisation. En une période difficile de l’histoire où les bouleversements sociaux et les lois persécutrices contre l’Église l’obligent à vivre hors de son couvent, le Père Coll, se plaçant bien au-dessus des préoccupations humaines, sociologiques ou politiques, se consacre entièrement à une tâche admirable de prédication, Tant dans son ministère paroissial, spécialement à Artés et à Moyâ, que plus tard dans sa tâche de missionnaire apostolique, le père Coll se montre un véritable catéchiste, un évangélisateur dans la ligne la plus pure de l’Ordre des Prêcheurs.

Dans ses innombrables tournées apostoliques à travers toute la Catalogne, dans ses inoubliables missions populaires ou sous d’autres formes de prédication, le père Coll — l’abbé Coll pour beaucoup — transmet la foi, sème l’espérance, prêche l’amour, la paix, la réconciliation entre ceux que les passions, la guerre et la haine maintiennent dans la division. Véritable homme de Dieu, il vit en plénitude son identité sacerdotale et religieuse, c’est elle qui inspire toutes ses activités. A ceux qui ne comprennent pas toujours les raisons de certaines de ses attitudes, il répond avec conviction : « Parce que je suis religieux ». Son labeur incessant est orienté par cette profonde conscience de lui-même.

Cette tâche absorbante qui est la sienne ne manque pas de fondement solide : la prière fréquente, qui est le moteur de son activité apostolique. Sur ce point, le nouveau bienheureux parle de manière éloquente : c’est un homme de prière, et il veut entraîner les fidèles sur ce même chemin (il suffit de voir ce qu’il dit dans ses deux publications La belle rose, et L’échelle du ciel). C’est le chemin qu’il trace dans la Règle écrite pour ses Filles, avec des expressions vibrantes qui sont encore d’une telle actualité que je fais miennes : « La vie des Sœurs doit être une vie de prière (...). C’est pourquoi, je vous recommande et je ne cesserai de vous recommander, chères Filles : n’abandonnez pas la prière ».

Le nouveau bienheureux conseille diverses formes de prière pour, soutenir l’activité apostolique. Mais il y en a une qui a sa préférence et que je veux ici rappeler et souligner : la prière de contemplation des mystères du Rosaire, cette « échelle pour s’élever vers le Ciel » comportant une prière mentale et une prière vocale qui « sont les deux ailes que le Rosaire de Marie offre aux âmes chrétiennes ». C’est une forme de prière que le pape lui-même pratique avec assiduité et à laquelle il vous invite tous à vous unir, surtout pendant ce prochain mois de mai qui est consacré à la Vierge.

En concluant ces réflexions en langue espagnole, je salue les Autorités qui sont venues participer à cette célébration en l’honneur du père Coll. Et si je lance à tous une invitation à imiter les exemples de sa vie, je m’adresse d’une maniéré plus spéciale aux fils de saint Dominique, au clergé, et tout particulièrement à vous, sœurs Dominicaines de « La Anunciata » venues d’Espagne, d’Europe, d’Amérique et d’Afrique où vous exercez avec générosité votre activité religieuse.

 

4. Le souhait que j’exprime ce matin en conclusion est que la double béatification d’aujourd’hui serve à renforcer et à promouvoir l’engagement dans l’action catéchétique de toute l’Église. On sait que le thème de la quatrième Assemblée générale du Synode des évêques, tenue ici à Rome à l’automne 1977, fût précisément celui de la catéchèse. Les Pères synodaux — dont je faisais partie — abordèrent et étudièrent ce sujet de première importance pour la vie et pour l’action de l’Église en tout temps. Ils soulignèrent l’urgence de donner une priorité décisive à la catéchèse par rapport à d’autres initiatives, moins essentielles bien que peut-être plus brillantes, afin que se réalise par la catéchèse l’aspect absolument original de la mission de l’Église. Une mission — répétèrent-ils — qui concerne tous les membres du peuple de Dieu, selon leurs fonctions différenciées, et qui les engage à rechercher continuellement les méthodes et les moyens adéquats pour transmettre toujours plus efficacement le Message.

La pensée des Pères du Synode était tournée surtout vers les jeunes, car ils étaient conscients de leur importance croissante dans le monde d’aujourd’hui : même avec des incertitudes et des embardées, des excès et des frustrations, les jeunes représentent la grande force dont dépend le sort de l’humanité future. La question qui a hanté les Pères synodaux a été précisément celle-ci : comment amener cette multitude de jeunes à faire une expérience vivante de Jésus-Christ, et cela non seulement dans la rencontre éblouissante d’un instant mais à travers une connaissance chaque jour plus complète et plus lumineuse de sa personne et de son message ? Comment faire naître en eux la passion pour le Règne qu’il est venu inaugurer et dans lequel seulement de l’être humain peut trouver une réalisation de lui-même plénière et satisfaisante ?

Le devoir le plus urgent de l’Église aujourd’hui est de répondre à cette question. Il dépendra de l’engagement généreux de tous qu’aux nouvelles générations soit offert un témoignage de la parole du salut capable de conquérir les esprits et les cœurs des jeunes et d’orienter leur volonté vers les choix concrets, souvent coûteux, que requiert la logique de l’amour de Dieu et du prochain. Il dépendra surtout de la sincérité et de l’intensité avec lesquelles les familles et les communautés chrétiennes sauront vivre leur adhésion au Christ, que les jeunes soient efficacement atteints par les enseignements qui leur sont donnés à la maison, à l’école, à l’Église.

Prions donc les nouveaux bienheureux de nous demeurer proches par leur intercession et de nous guider vers une expérience personnelle et profonde du Christ ressuscité, qui porte aussi nos cœurs à « être brûlants au-dedans de nous », comme l’étaient les cœurs des deux disciples sur le chemin d’Emmaüs, tandis que Jésus « conversait avec eux et leur expliquait les Écritures » (cf Lc 24, 32). En effet, celui qui peut dire : « Je le connais » — et saint Jean nous a avertis que ne peuvent pas le dire ceux qui ne vivent pas selon les commandements du Christ (cf. deuxième lecture) —, seul celui qui est parvenu à une connaissance « existentielle » de lui et de son Évangile peut offrir aux autres une catéchèse crédible, incisive et entraînante.

La vie des deux nouveaux bienheureux en est une nouvelle preuve très éloquente. Que leur exemple ne nous soit pas proposé en vain !

 

 

 

13 mai 1979

DEMEURER EN JÉSUS-CHRIST

 

Le pape à Saint Stanislas-des-Polonais

Le 13 mai le Saint-Père a visité l’Église Saint-Stanislas-des-Polonais, paroisse des Polonais résidant dans le monde entier.

Au cours de la messe, Jean-Paul II a prononcé l’homélie suivante :

 

1. « Demeurez... »

Le mot qui revient le plus souvent dans les lectures du cinquième dimanche après Pâques est précisément : « Demeurez ». Par ce terme, le Christ Ressuscité, d’abord crucifié, nous invite à l’union avec lui. Pour nous présenter cette union, il nous propose une parabole tirée de l’ordre de la nature. Les sarments demeurent unis au cep et c’est pourquoi ils portent du fruit. Le sarment ne peut pas de lui-même porter du fruit sans demeurer sur le cep. En effet si vient à manquer ce lien organique, il ne reste plus que des sarments et du branchage desséché qu’on ramasse et jette au feu. Car cela peut encore servir de bois à brûler. Par contre, aussi longtemps que les sarments demeurent unis au cep et en tirent la sève vitale, ils continuent à être de véritables sarments. Tant et si bien que pour désigner ensemble lès sarments et le cep on se sert d’un seul et même mot : « la vigne ». Ils font également l’objet des soins prévenants du maître de la vigne, du vigneron. Celui-ci observe attentivement chaque cep, chaque sarment. S’il porte du fruit, il « l’émonde » pour qu’il en porte encore plus. Mais s’il ne porte pas de fruit il le coupe pour qu’il ne gêne pas, pour que sa présence infructueuse n’alourdisse pas le cep.

Voilà la parabole.

Voilà l’image qui exprime tout ce qui devait être dit pour que les auditeurs de Jésus comprennent : d’abord le mystère de notre demeure spirituelle dans le Christ ; et puis, le devoir de produire des fruits spirituels du fait que nous demeurons en lui. C’est pourquoi le Maître utilise en même temps le langage descriptif en nous montrant le cep qui demeure uni à la vigne, et celui normatif en nous donnant un ordre ; il dit : «Demeurez en moi ».

 

2. En quoi cela consiste-t-il, ce fait de « demeurer » en Jésus-Christ ? Saint Jean lui-même qui a inséré l’allégorie de la vigne dans son Évangile, nous offre une réponse à cette demande dans sa première épître : « Celui qui observe ses commandements demeure en Dieu et Dieu en lui » (1 Jn 3, 24). Ceci est la preuve la plus évidente. L’Apôtre semble presque hésiter à répondre à la demande s’il est possible d’établir et de constater à l’aide de quelque critère vérifiable une réalité tellement mystérieuse : que Dieu demeure dans l’homme et grâce à cela que l’homme demeure en Dieu. Cette réalité est de nature strictement spirituelle. Est-il possible de constater, de vérifier cette réalité ? L’homme peut-il avoir la certitude que ses œuvres sont bonnes, qu’elles plaisent à Dieu et qu’elles servent à ce qu’il demeure dans son âme ? L’homme peut-il avoir la certitude qu’il se trouve en état de grâce ?

L’Apôtre répond à ces questions comme s’il répondait en même temps à lui-même et à nous : « Si notre cœur ne nous condamne pas, nous avons pleine assurance devant Dieu » (1 Jn 3, 21), l’assurance que nous demeurons, en Lui et Lui en nous. Si, par contre nous avons des motifs d’appréhension, c’est de notre amour efficace envers Dieu et envers nos frères que nous pourrons tirer la sécurité intérieure et la paix et, ainsi « devant lui nous apaiserons notre cœur, si notre cœur venait à nous condamner ; car Dieu est plus grand que notre cœur, et il connaît tout » (cf. 1 Jn 3, 20). Même alors nous ne cessons d’être sous le rayon de son amour qui peut transformer en état de péché en état de grâce, et faire de nouveau de notre cœur la demeure du Dieu vivant. Il suffit seulement de répondre à son amour. L’amour est le principe de la vie divine de nos âmes. L’amour est la loi de notre demeure dans le Christ : du sarment dans la vigne.

Aimons donc — écrit saint Jean — aimons « en actes, et véritablement » (1 Jn 3, 18). Que notre amour témoigne par les faits de sa vérité intérieure. Défendons-nous des apparences de l’amour «... n’aimons ni de mots ni de langue, mais en actes, véritablement, A cela nous saurons que nous sommes dans la vérité, et devant Lui, nous apaiserons notre cœur » (1 Jn 3, 18-19). « A ceci nous savons qu’Il demeure en nous : à l’Esprit qu’il nous a donné » (1 Jn 3, 24).

 

3. Nous sommes aujourd’hui réunis, chers frères et sœurs, en l’église Saint-Stanislas de Rome pour inaugurer ici le Jubilé du neuvième centenaire du martyre du Patron de la Pologne. Il a débuté en même temps à Cracovie, conformément à la très ancienne tradition polonaise, le 8 mai, et le dimanche qui vient immédiatement après.

Chaque année, à cette date est solennellement célébrée la fête patronale de l’Église de Pologne ; et celle-ci se rattache à la fête de la Vierge de Jasna Gôra, Reine de Pologne et à celle de Saint Adalbert à Gniezno, le 23 avril.

Cette année 1979 qui, en raison du neuvième centenaire de la mort de Saint Stanislas, a été proclamée Année Jubilaire, les festivités annuelles de Cracovie marquent le début des célébrations religieuses qui auront leur couronnement le dimanche de la Pentecôte et de la Très. Sainte Trinité. La réunion courante des Polonais en l’église Saint-Stanislas de Rome rappelle l’importante initiative du Serviteur de Dieu, le cardinal Stanislaw Hosjusz, évêque de Warmia, un des Légats du pape au Concile de Trente, qui fonda, précisément près de cette église, l’hospice Saint-Stanislas. Le cardinal, né à Cracovie, et de ce fait, spirituellement sensible au culte du saint évêque et martyr, voulut donner le nom de saint-Stanislas à cet endroit de Rome quasi pour rappeler à ses compatriotes polonais que depuis des siècles ils demeurent en union avec le Siège de Pierre et qu’ils doivent demeurer toujours dans cette union. Ce grand homme d’Église, ami intime de saint Charles Borromée, mourut en 1579 et fut enseveli dans l’église Ste-Marie-du-Transtévère, c’est-à-dire dans celle qui, à présent, est l’église titulaire du cardinal primat de Pologne. Le 400e anniversaire de la mort du cardinal Hosjusz coïncide avec le jubilé de saint Stanislas de cette année.

 

4. Chers compatriotes ! Les faits ont une telle éloquence qu’ils nous permettent de comprendre de la manière la plus adéquate et profonde l’Évangile du cep et des sarments de ce dimanche. Nous demeurons dans l’union avec le Christ depuis le jour du baptême de la Pologne et cette union spirituelle trouve son expression visible dans l’union avec l’Église. En l’année de l’anniversaire de la mort de saint Stanislas nous sommes redevables d’une gratitude toute particulière à Dieu qui a accepté le sacrifice du martyre et, par ce martyre, a fortifié notre lien avec le Christ vivant dans l’Église. Et de même que durant l’année du Millénaire nous avons chanté le Te Deum d’action de grâces pour le don de la foi et du baptême, il convient que cette année-ci nous chantions le Te Deum pour le remercier du renforcement de tout ce qui a débuté avec le baptême.

Et en même temps, méditant l’allégorie du cep et des sarments, considérons la figure de ce « vigneron » qui cultive la vigne, qui prend grand soin de chaque sarment et, quand c’est nécessaire, l’émonde pour qu’il porte plus de fruits. Comprenant plus profondément la signification de cette allégorie, prions avec ardeur et humilité, chacun pour soi et tous pour tous, afin que les sarments ne deviennent jamais secs et ne se détachent du Christ qui est le cep.

Prions pour que les forces de l’irréligiosité, les forces de la mort ne soient pas plus puissantes que les forces de la vie, que les lumières de la foi. Nous avons allumé sur la Pologne, et sur les Polonais dans le monde entier, les lumières du Millénaire. Employons-nous tous à faire que jamais elles ne cessent de briller. Qu’elles brillent comme, après dix siècles, brille dans le cœur et la conscience des Polonais la croix de Stanislas de Szczepanow et leur montrent le Christ qui ne cesse jamais d’être « la voie, la vérité et la vie » (Jn 14, 6) des hommes et des nations.

Après avoir résumé son homélie en langue italienne, le Saint-Père conclut en disant : « Loué soit Jésus-Christ ! ».

 

 

 

20 mai 1979

CONCÉLÉBRATION DU PAPE AVEC DES ÉVÊQUES  POLONAIS

 

Le 20 mai le Saint Père a présidé en la basilique Saint-Pierre une concélébration avec les évêques polonais présents à Rome. A la sainte messe ont participé quelque six mille pèlerins polonais.

 

1. La joie de la période pascale dicte à l’Église, dans la liturgie d’aujourd’hui, des paroles de vive gratitude : «... s’est manifesté l’amour de Dieu pour nous » (1 Jn 4, 9) ; l’amour de Dieu s’est manifesté en ceci : « Il a envoyé son Fils unique dans le monde... » (1 Jn 4, 9) ; il l’a envoyé « pour que nous ayons la vie par lui » (1 Jn 4, 9). Il l’a envoyé en « victime de propitiation pour nos péchés » (1 Jn 4, 10),

Le sacrifice offert le Vendredi-Saint sur le Calvaire a été agréé. Et voici que le jour de Pâques nous a apporté la certitude de la Vie. Celui qui a brisé le sceau du sépulcre, a manifesté la victoire sur la mort, et par là nous a révélé la Vie que nous avons « par lui » (1 Jn 4, 9).

Cette Vie, tous les hommes y sont appelés : « Dieu ne fait pas exception des personnes » (Ac 10, 34 ; cf. Ga 2, 6). Et, comme saint Pierre en témoigne dans la liturgie d’aujourd’hui, l’Esprit Saint « descendit sur tous ceux qui écoutaient la parole » (Ac 10, 44).

L’œuvre de rédemption accomplie par le Christ n’a aucune limite, ni dans l’espace, ni dans le temps. Elle embrasse tous et chacun. Sur la croix, le Christ est mort pour tous et pour tous il a obtenu cette Vie divine dont la puissance s’est révélée dans la Résurrection.

A cette grande joie pascale universelle de l’Église, je désire associer aujourd’hui, de manière particulière, la joie de mes compatriotes, la joie de l’Église de Pologne qu’exprimé la présence de l’illustre et bien-aimé Primat de Pologne, le cardinal Stefan Wyszynski avec les archevêques et Métropolitains de Cracovie et de Wroclaw et de nombreux représentants de l’Épiscopat polonais. En célébrant ce saint Sacrifice, nous voulons exprimer à Dieu, qui est « Amour », notre reconnaissance pour le millénaire de la foi de la Pologne, et de son union constante avec l’Église du Christ ; pour le millénaire de la présence de la Pologne, toujours fidèle, près de ce centre spirituel de la catholicité et de l’universalité qu’est la tombe de saint Pierre à Rome, et de même, cette merveilleuse Basilique élevée sûr elle.

 

2. Le motif de notre joie toute particulière cette année est le jubilé de saint Stanislas, évoque de Cracovie et Martyr. Voilà, 900 années se sont écoulées depuis que cet évêque a subi le martyre des propres mains du roi Boleslas. Il s’est exposé à la mort en rappelant le roi à ses devoirs, en lui demandant de changer d’attitude. Le glaive royal n’a pas épargné l’évêque ; il l’a frappé durant le saint Sacrifice de la Messe et du coup lui a enlevé la vie. Est restée comme témoin de ce moment, la très précieuse relique du crâne de l’évêque sur lequel sont encore bien visibles les marques des coups mortels. Cette relique, gardée dans un précieux reliquaire, est depuis plusieurs siècles, portée chaque année de la cathédrale de Wàwel à l’église Saint-Michel à Skalka, lorsque, au mois de mai, la Pologne célèbre la fête solennelle de saint Stanislas. Tout au long des siècles ont participé à cette procession les rois polonais, successeurs de ce Boleslas qui frappa l’évêque à mort et qui, suivant la tradition, termina sa vie en pénitent converti.

L’hymne liturgique en l’honneur de saint Stanislas était chanté comme chant solennel de la nation qui a accueilli le martyr comme son Patron propre. Voici les premiers mots de cet hymne : « Gaudete mater Polonia / Prole fecunda nobili / Summi Regis magnalia / Laude frequenta vigile».

 

3. Aujourd’hui, moi qui dans l’histoire de l’Église suis le premier pape de la souche des Polonais et des Peuples slaves, je célèbre avec gratitude la mémoire de saint Stanislas, car jusqu’il y a quelques mois, j’étais son successeur au siège épiscopal de Cracovie. Et avec mes compatriotes réunis ici j’exprime ma vive reconnaissance à tous ceux qui participent à cette concélébration solennelle. Dans deux semaines j’aurai le bonheur d’aller en Pologne en pèlerinage afin de remercier Dieu pour le millénaire de la foi et de l’Église fondée sur saint Stanislas comme pierre angulaire. Et même si cet événement est surtout un Jubilé de l’Église de Pologne, nous l’exprimons également à la dimension de l’Église universelle, parce que l’Église est une grande famille de peuples et de nations et qu’au moment voulu tous et toutes ont contribué à en faire une communauté, moyennant leur propre témoignage et leurs propres dons, mettant ainsi en relief leur participation à l’unité universelle. Ce don de la Pologne fut, il y a 900 ans, le sacrifice de saint Stanislas.

 

Le Saint-Père poursuit son homélie en langue polonaise. En voici la traduction :

 

4. Chers compatriotes,

Après 900 ans, nous ne pouvons évoquer le grand mystère de saint Stanislas autrement qu’en remontant au mystère Pascal du Christ lui-même. C’est la démarche retenue par l’Épiscopat de Pologne dans sa lettre pastorale qui prépare tous les Polonais à la fête de cette année.

Voici un passage de cette lettre :

« Considérant son martyre dans la prière, nous retrouvons les souvenirs de la Passion de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ au cours du récent Carême. Il a appelé ses disciples à participer à cette Passion, "celui qui veut devenir mon disciple doit prendre la Croix... et me suivre..." ».

Si, partant de la Mort et de la Résurrection, les disciples du-Seigneur au cours des siècles donnent leur propre sang en témoignage de foi et d’amour, c’est toujours avec Lui et en Lui. Il les attire à Son Cœur transpercé, afin qu’ils soient unis à Lui. Tout martyre religieux ne prend son sens et sa valeur, ne devient pleinement compris et ne porte des fruits que dans la Mort du Christ La croix de la vie de saint Stanislas et son martyre étaient dans leur essence très proches de la Croix et de la Mort du Christ sur le Calvaire. Ils avaient la même signification. Le Christ défendait la vérité de son Père, Dieu éternel ; il défendait la vérité de lui-même, Fils de Dieu ; il défendait aussi la vérité de l’homme, de sa vocation, de sa destinée, de sa dignité comme fils de Dieu. Il défendait l’homme, qui en vérité est soumis à des puissances terrestres, mais, d’une manière incomparable, vit sous la puissance divine. Que le fruit de ce saint Jubilé soit notre fidélité au Christ qui a versé son sang sur le Calvaire pour le salut de l’homme, pour le salut de chacun de nous, la fidélité à la Mère Douloureuse du Christ, fidélité au sacrifice jusqu’au martyre de saint Stanislas ».

C’est avec une grande joie que je lis ces paroles. Elles nous permettent de comprendre de la meilleure manière ce que proclame la liturgie de saint Stanislas vivit Victor sub gladio ! En effet, sur la tête de l’évêque de Cracovie, Stanislas de Szczepanow, est tombée en 1079, la lourde épée qui l’a privé de la vie. Et sous cette épée, l’évêque a été vaincu. Boleslas a ôté de sa route son adversaire. Le grand drame s’est clos dans les étroites frontières du temps. Toutefois bien que la force de l’épée ait obtenu sa fin au moment de son sacrifice, la force de l’Esprit, qui est la Vie et l’amour a commencé à se révéler et à croître en même temps. Celle-ci a rayonné des reliques de Stanislas, embrassant les peuples de la terre des Piast et les a unis. Seule la force spirituelle de l’amour peut unir d’une façon durable, tandis que la folie de l’épée et de la force ne peut que tuer et détruire. L’amour au contraire se révèle jusque dans la nuit « lorsque quelqu’un donne la vie pour ses amis » (Jn 15, 13).

Aujourd’hui dans cette Eucharistie nous nous réjouissons de pouvoir louer Dieu pour la révélation de son amour dans la mort de saint Stanislas, serviteur du Peuple de Dieu au siège de Cracovie.

 

5. L’Église de Pologne est reconnaissante au Siège de Pierre qui, en raison du Baptême en 966, a accueilli la nation dans la grande communauté de la famille des peuples.

L’Église de Pologne est reconnaissante au Siège de Saint Pierre parce que, l’évêque et Martyr, saint Stanislas de Szczepanow a été élevé sur les autels et proclamé Patron des Polonais.

L’Église de Pologne confesse, par la commémoration de son Patron, la force de l’Esprit Saint, la force de l’Amour qui est plus fort que la mort.

Et elle désire, avec cette confession, servir les hommes de notre temps. Elle désire servir l’Église dans sa mission universelle dans le monde d’aujourd’hui. Elle désire contribuer au renforcement de la foi, de l’espérance et de la charité non seulement dans son peuple, mais aussi parmi les autres peuples et dans les autres pays d’Europe et du monde entier.

Réunis près déjà Tombe de saint Pierre, prions avec la plus profonde humilité pour que ce témoignage et cette disposition à servir soient agréés moyennant l’Église de Dieu « qui est partout sur la terre ». Prions avec humilité, avec amour et la vénération la plus grande, pour que les agrée le Dieu Tout-Puissant, scrutateur de nos cœurs et Père des siècle futurs.

 

 

 

22 mai 1979

CE DONT LE MONDE A LE PLUS GRAND BESOIN C’EST L’AMOUR

 

A Saint-Pierre, le 22 mai, le pape a conféré l’ordination épiscopale à vingt-six nouveaux pasteurs.

Parmi les élus figurent trois nouveaux archevêques : Mgr Achille Silvestrini, secrétaire du Conseil pour les Affaires publiques de l’Église, Mgr Justo Mullor Garcia, nonce apostolique en Côte d’Ivoire et Mgr Alfio Rapisarda,  nonce apostolique  en  Bolivie. Quant aux autres, ils se répartissent dans les deux catégories : résidentiels et titulaires. Résidentiels, les dix évêques nommés au gouvernement d’un diocèse : titulaires les treize évêques nommés Auxiliaires parmi lesquels Mgr Jean-Marie Lafontaine, élu évêque auxiliaire de Montréal (Canada) :

 

1. « Toi, Seigneur, qui connais le cœur de tous les hommes, montre-nous lequel... tu as choisi » (Ac 1, 24).

C’est ainsi que prièrent les Apôtres réunis au Cénacle de Jérusalem quand ils durent, pour la première fois, combler la place restée vide dans leur communauté. Il fallait en effet que les Douze continuent à rendre témoignage au Seigneur et à sa Résurrection. Le Christ avait, en son temps, institué les Douze. Et voilà qu’alors, avec la perte de Judas, il était nécessaire d’affronter pour la première fois le devoir de décider au nom du Seigneur qui devait occuper la place vacante.

Et alors les Apôtres réunis prièrent ainsi : « Toi Seigneur qui connais le cœur de tous, montre-nous lequel de ces deux tu as choisi pour occuper, dans le ministère de l’apostolat la place... » (Ac l, 24-25).

Ce qui se passa il y a bien longtemps dans l’Église primitive, se répète encore aujourd’hui. Voici qu’ont été choisis ceux qui doivent prendre les différentes places « dans le ministère de l’apostolat ». Ils ont été choisis après une fervente prière de toute l’Église et de chaque communauté qui a besoin d’eux et qu’ils serviront.

C’est ainsi que vous avez été choisis, chers frères. Aujourd’hui vous vous trouvez ici près de la tombe de saint Pierre pour recevoir la consécration épiscopale. Et certainement aujourd’hui comme durant toute la précédente période de préparation à l’ordination épiscopale, chacun de vous répète en cette basilique : « Seigneur, tu connais le cœur de tous. Tu connais également mon cœur : Seigneur, il t’a plu de me choisir. Tu as dit un jour aux Apôtres, après les avoir appelés : "Ce p’est pas vous qui m’avez choisi ; mais c’est moi qui vous ai choisis et vous ai institués pour que vous alliez et que vous portiez du fruit et un fruit qui demeure" » (Jn 15, 16).

 

2. « Autant l’Orient est éloigné de l’Occident... » (Ps 103-103 : 12).

Vraiment, vénérables et chers frères, vous êtes aujourd’hui venus ici des différentes parties du monde, de l’Orient et de l’Occident, du Nord et du Sud. Votre présence exprime la joie pascale de l’Église qui peut déjà attester dans les diverses parties de la terre « que le Père a envoyé son Fils comme Sauveur du monde » (1 Jn 4, 14).

A ce point, il me plairait de décrire dans un beau langage suggestif et simple en même temps et pour ainsi dire de réunir les pays dont vous provenez; en commençant par l’Orient le plus lointain, les Philippines, l’Inde, purs à travers l’Afrique (Soudan et Ethiopie) arriver en Amérique du Sud (Brésil, Nicaragua, Chili) puis en Amérique du Nord (Etats-Unis, Canada) et finir en Europe (Bulgarie, Espagne, Italie, Norvège).

Malheureusement le temps ne le permet pas. La présence parmi vous d’un évêque de Bulgarie m’offre toutefois l’agréable occasion d’adresser une pensée particulière à cette noble nation, chrétienne depuis de nombreux siècles. Je saisis cette heureuse circonstance pour envoyer un salut affectueux à tous mes frères et sœurs catholiques, de rite latin et de rite byzantin qui, malgré leur nombre peu élevé, témoignent de la vitalité de leur foi par leur amour envers la patrie et leur service aux communautés dont ils font partie. J’adresse également un respectueux salut à la vénérable Église Orthodoxe Bulgare et à tous ses fils.

Il y a également parmi les candidats à l’ordination trois archevêques appelés à servir d’une manière particulière la mission universelle du Saint-Siège : lé Secrétaire du Conseil pour les Affaires Publiques de l’Église et deux représentants pontificaux. Leur mandat découle, en tant qu’exigence naturelle et nécessaire, de la fonction spécifique confiée à saint Pierre au sein du Collège Apostolique et de toute la communauté ecclésiale. Leur tâche consiste donc à être ministres de l’unité « catholique », « serviteur des serviteurs de Dieu » avec celui qu’eux-mêmes représentent.

 

3. Et voilà que sous peu vous allez recevoir, grâce à la consécration épiscopale, une participation toute spéciale au sacerdoce du Christ, la participation la plus pleine. Vous deviendrez de cette manière pasteurs du Peuple de Dieu en différents lieux de la terre, investi chacun de sa fonction propre au service de l’Église.

Comme l’a rappelé le Concile Vatican II, c’est le Christ lui-même qui a voulu que « les successeurs des Apôtres, c’est-à-dire les évêques soient jusqu’à l’a fin des temps pasteurs en son Église » (cf. Lumen Gentium, n. 18) . Obéissant à la volonté de leur Maître, les Apôtres « non seulement ont eu divers auxiliaires dans leur ministère, mais (...) ils portèrent cette règle que, par la suite, quand ils auraient disparu, d’autres hommes éprouvés prendraient la succession de leur ministère (...). Ainsi, comme l’atteste saint Irénée, la tradition apostolique est manifestée et gardée dans le monde entier par ceux qui ont été institués évêques par les Apôtres et par leurs successeurs jusqu’à nous ».

Le Concile a défini longuement la fonction essentielle que les évêques remplissent dans la vie de l’Église. Parmi les nombreux textes qui se réfèrent à ce sujet, il suffit de rappeler la vigoureuse synthèse contenue dans ce passage de Lumen Gentium qui, après avoir rappelé cette donnée de la foi que « dans la personne des évêques, le Seigneur Jésus (lui-même) est présent au milieu des croyants », en déduit logiquement que « le Christ par leur ministère privilégié prêche à toutes les nations la parole de Dieu et administre sans cesse aux croyants les sacrements de la foi ; par leur soin paternel (cf. 1 Co 4, 15), il incorpore, par une nouvelle naissance d’en-haut, de nouveaux membres à son Corps ; et enfin par leur sagesse et leur prudence, il dirige et conduit le Peuple du Nouveau Testament dans son pèlerinage vers la béatitude éternelle » (n. 2l) .

Sous l’éclairage de ces riches et limpides affirmations conciliaires, j’exprime la vive joie que j’éprouve à vous conférer aujourd’hui, chers frères, la consécration épiscopale et à vous introduire ainsi dans le collège des évêques de l’Église du Christ : par ce geste je puis en effet démontrer mon estime et mon amour particuliers à l’égard de vos compatriotes, de vos pays, des Églises locales par lesquelles vous avez été choisis et pour le bien desquelles vous êtes institués pasteurs (He 5, 1)

Je médite avec vous les paroles de l’Évangile d’aujourd’hui : « Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ignore ce que fait son maître ; je vous appelle amis car tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître » (Jn 15, 15). Et je désire vous féliciter de tout cœur pour cette amitié. Que pourrait-il y avoir de plus grand ? C’est pourquoi je ne veux pas vous souhaiter autre chose que : « Demeurez en l’amour du Christ » (cf. Jn 15, 10), demeurez en son amitié. Demeurez-y comme Lui demeure en l’amour du Père.

Que cet amour et cette amitié remplissent totalement votre vie et deviennent la source d’inspiration de vos actions dans le service que vous assumerez aujourd’hui. Je vous souhaite des fruits abondants et heureux dans votre ministère : « Que vous alliez et que vous portiez du fruit, et un fruit qui demeure » (Jn 15, 16), et que le Père vous accorde tout ce que vous lui demanderez au nom du Christ (cf. Jn 15, 16) — son Fils éternel.

Que votre mission et votre ministère conduisent au renforcement de l’amour réciproque, de l’amour commun, de l’union du Peuple de Dieu dans l’Église du Christ afin que dans l’amour et dans l’union se révèle, dans toute sa lumineuse simplicité, la face de Dieu : Père et Fils et Esprit-Saint ; Dieu qui est amour (cf. 1 Jn 4,16).

Et ce dont le monde, ce monde auquel nous sommes envoyés, a le plus grand besoin, c’est précisément l’amour !

 

 

 

31 mai 1979

LA VISITATION DE MARIE, MYSTÈRE DE JOIE

 

La conclusion au Vatican du « Mois de Marie ».

Une procession à travers les jardins du Vatican et une messe célébrée par le Saint-Père à la « Grotte de Lourdes » ont conclu, le 31 mai dernier, tard dans la soirée, le mois consacré à la Vierge Marie.

 

1. « Bienheureuse celle qui a cru en l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur » (Lc 1, 45).

C’est par ce salut qu’Elisabeth accueillit et exalta sa jeune parente Marie, venue, humble et discrète, lui offrir ses services. Sous l’impulsion de l’Esprit Saint, la mère de Jean-Baptiste est là première dans l’histoire de l’Église à proclamer la grandeur de l’œuvre que Dieu accomplit en la Vierge de Nazareth et elle voit la béatitude de la foi pleinement réalisée en Marie parce que celle-ci a cru en l’accomplissement de la parole de Dieu.

Chers frères et sœurs, au moment où se conclut le mois de Marie, nous devons réfléchir, durant cette merveilleuse soirée romaine vécue à cet endroit qui nous rappelle la grotte de Lourdes, nous devons réfléchir, dis-je, à ce qui fut l’attitude intérieure fondamentale de la Très Sainte Vierge à l’égard de Dieu : sa foi ! Marie a cru ! Elle a cru aux paroles du Seigneur transmises par l’Ange Gabriel : son cœur très pur, déjà depuis l’enfance donné entièrement à Dieu, s’est dilaté à l’Annonciation dans le « Fiat ! » généreux, sans réserves, par lequel elle a accepté de devenir la Mère du Messie et Fils de Dieu : dès ce moment, s’insérant encore plus profondément dans le plan de Dieu, elle se laissera conduire par la mystérieuse Providence et pendant toute sa vie enracinée dans la foi, elle suivra spirituellement son Fils, devenant son premier parfait disciple, réalisant chaque jour les exigences qui en découlent, conformément aux paroles de Jésus : « Quiconque ne porte pas sa croix et ne marche pas à ma suite, ne peut être mon disciple » (Lc 14, 27) .

Ainsi, pendant toute sa vie Marie « accomplira dans la foi son pèlerinage» (cf. Lumen Gentium, 58), tandis que son Fils, bien-aimé, incompris, calomnié, condamné, crucifié, fui tracera, jour après jour, une voie douloureuse, prélude nécessaire à cette glorification que chante le « Magnificat » : « toutes les générations m’appelleront Bienheureuse » (Lc 1, 48). Mais avant cela, il fallait que Marie gravisse elle-même le Calvaire pour assister, douloureuse, à la mort de son Fils.

 

2. La Visitation que nous fêtons aujourd’hui nous présente un autre aspect de la vie intérieure de Marie : son attitude d’humble service et d’amour désintéressé pour quiconque se trouve dans le besoin. Sitôt qu’elle apprit de l’Ange Gabriel l’état de sa parente Elisabeth, elle se mit sans tarder en route vers la montagne pour gagner « en hâte » une ville de Judée, l’Ain-Karim d’aujourd’hui. La rencontre des deux mères est également la rencontre entre le Précurseur et le Messie qui, par la médiation de sa Mère, commence son œuvre de salut, faisant tressaillir de joie Jean-Baptiste encore dans le sein de sa mère.

« Dieu, personne ne l’a jamais contemplé ; si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous... oui, voilà le commandement que nous avons reçu de Lui : que celui qui aime Dieu aime aussi son frère » (1 Jn 4, 12-21) , dira saint Jean l’évangéliste. Mais qui, mieux que Marie, a actualisé ce message ? Et qui, sinon Jésus qu’elle portait encore dans son sein, la poussait, la pressait, l’inspirait dans cette attitude continuelle de service généreux et d’amour désintéressé à l’égard d’autrui ? « Le Fils de l’Homme… n’est pas venu pour être servi, mais pour servir » (Mt 20, 28), dira Jésus à ses disciples ; mais sa Mère avait déjà parfaitement réalisé cette attitude. Écoutons ce célèbre commentaire, plein d’onction spirituelle, que saint Ambroisie fait du voyage de Marie : « Joyeuse de réaliser son désir, délicate dans son devoir, prévenante dans sa joie, elle se hâte vers la montagne. A quoi devaient tendre, sinon à gagner les sommets, les pas empressés de celle qui déjà était pleine de Dieu ? La grâce du Saint-Esprit ne connaît point d’obstacles qui puissent retarder son pas » (Expositio Evangelii secundum Lucam, II, 19 ; CCL 14 p. 39).

Et si nous réfléchissons de manière particulièrement attentive au passage de l’Épître aux Romains que- nous venons d’entendre, nous nous apercevons qu’il s’y révèle une image du comportement de Marie particulièrement édifiante pour nous : sa charité était sans feinte ; elle aimait profondément les autres ; elle servait le Seigneur d’un esprit fervent ; elle était joyeuse dans l’espérance ; elle était forte dans la tribulation, assidue à la prière, et prenait part aux besoins des frères (cf. Rm 12, 9-13).

 

3. « Joyeuse dans l’espérance » : Le climat qui règne dans l’épisode évangélique de la Visitation est un climat de joie : le mystère de la Visitation est un mystère de joie, Jean Baptiste tressaille de joie dans le sein de sa mère, sainte Elisabeth ; celle-ci, au comble de la joie pour le don de la maternité, se répand en bénédictions au Seigneur ; Marie entonne le « Magnificat », une hymne où éclate la joie messianique.

Mais quelle est la source mystérieuse, secrète de cette joie ? C’est Jésus, que Marie a déjà conçu par l’opération du Saint-Esprit, et qui commence à enlever ce qui est la racine de la peur, de l’angoisse, de la tristesse : le péché, l’esclavage le plus humiliant pour l’homme.

Nous célébrons ensemble ce soir la conclusion du mois de Marie 1979. Mais le mois de mai ne peut prendre fin ainsi : il doit continuer dans notre vie, car l’amour, la dévotion pour la Vierge ne peuvent disparaître de notre cœur ; ils doivent au contraire grandir et s’exprimer dans un témoignage de vie chrétienne, modelé sur l’exemple de Marie « le nom de la belle fleur que toujours j’invoque et matin et soir » comme le chante le poète Dante Alighieri (Paradis, XXIII, 88).

O Vierge très Sainte, Mère de Dieu, Mère du Christ, Mère de l’Église, regarde-nous avec clémence, en ce moment !

Virgo fidelis, Vierge fidèle, prie pour nous ! Apprends-nous à croire comme toi-même tu as cru ! Fais que notre foi en Dieu, en Jésus, dans l’Église, soit toujours limpide, sereine, courageuse, forte, généreuse.

Mater Amabilis, Mère digne d’amour ! Mater pulchra dilectionis, Mère du bel Amour, prie pour nous ! Apprends-nous à aimer Dieu et nos frères comme tu les as aimés toi-même : fais que notre amour pour les autres soit toujours patient, clément, respectueux.

Causa nostrae laetitiae, Cause de notre joie, prie pour nous ! Apprends-nous à savoir choisir, avec foi, le paradoxe de la joie chrétienne qui naît et fleurit de la douleur, des privations, de l’union avec ton Fils crucifié : fais que notre joie soit toujours authentique et pleine, afin que nous puissions la communiquer.

Amen !

 

 

 

14 juin 1979

AUX NOUVEAUX PETITS COMMUNIANTS

 

Au début du mois dé mai le Saint-Père avait annoncé qu’à l’occasion de la Fête-Dieu, journée dédiée à l’Eucharistie, il célébrerait une messe pour les jeunes enfants qui en cette période s’approcheraient pour la première fois de la Sainte Table. Le 14 juin plus de 10.000 petits communiants étaient au rendez-vous à Saint-Pierre accompagnés de leurs parents. Durant le Saint Sacrifice, Jean Paul II a prononcé une homélie.

 

Très chers enfants,

 

Grande est ma joie-a vous voir ici, si nombreux et si fervents pour célébrer avec le Pape la fête liturgique du Corps et du Sang du Seigneur !

Je vous salue tous et chacun en particulier avec la plus profonde tendresse et je vous remercie de tout cœur d’être venus renouveler votre première Communion avec le pape et pour le pape ; de même que je remercie les curés de vos paroisses, toujours dynamiques et zélés, et vos parents et familles qui vous ont préparés et accompagnés.

J’ai encore devant les yeux le spectacle impressionnant des innombrables multitudes rencontrées durant mon voyage en Pologne ; et voici maintenant le spectacle des petits enfants de Rome, voici votre merveilleuse innocence, vos yeux étincelants, vos sourires éclatants !

Vous êtes les favoris de Jésus : « Laissez venir à moi les petits enfants — disait le Divin Maître — ne les empêchez pas ! » (Lc 18, 16).

Vous êtes également mes préférés !

Chers garçonnets et fillettes ! Vous vous êtes préparés à votre première Communion avec tant de sérieux et tant de zèle et votre première rencontre avec Jésus a été un moment d’intense émotion et de profond bonheur. Souvenez-vous toujours de ce jour béni de la première Communion ! Rappelez-vous toujours votre ferveur et votre joie très pure !

Et aujourd’hui vous étés-venus ici pour renouveler votre rencontre avec Jésus. Vous ne pourriez me faire don plus beau, plus précieux !

De nombreux enfants avaient exprimé le désir de recevoir la première Communion de la main du pape. C’eût été, certes, une grande consolation pastorale pour moi de donner pour la première fois Jésus aux garçonnets et fillettes de Rome. Mais ce n’était pas possible, puis il est préférable que chaque enfant reçoive la première Communion dans sa propre paroisse, de la main de son propre curé. Mais il m’est au moins possible aujourd’hui, dans ce vaste et magnifique Cénacle, de donner la Sainte Communion à un groupe d’enfants qui vous représentent, englobant tous les autres dans mon amour. Et ceci est pour moi et pour vous une joie immense que vous n’oublierez jamais plus ! En même temps je veux vous laisser quelques pensées qui pourront vous servir pour maintenir votre foi toujours limpide, votre amour pour Jésus-Eucharistie toujours fervent, votre vie toujours innocente.

 

1. Jésus est présent parmi nous.

Voilà la première pensée.

Jésus est ressuscité, il est monté au ciel ; mais il a voulu rester avec nous et pour nous, en tous lieux de la terre. L’Eucharistie est vraiment une invention divine !

Avant de mourir sur la Croix, offrant sa vie au Père dans un sacrifice d’adoration et d’amour, Jésus institua l’Eucharistie, transformant le pain et le vin en sa propre personne et donnant aux Apôtres et à leurs successeurs, les évêques et les prêtres, le pouvoir de le rendre présent dans la Sainte Messe.

Jésus a donc voulu rester avec nous pour toujours ! Jésus a voulu s’unir intimement à nous dans la Sainte Communion afin de nous démontrer, directement et personnellement, son amour. Chacun peut se dire « Jésus m’aime ! J’aime Jésus ».

Rappelant le jour de sa première Communion, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus a écrit : « Oh, comme il fut doux le premier baiser que Jésus a donné à mon âme... ! C’était un baiser d’amour, je me sentais aimée et je dis à mon tour : "Je vous aime... je me donne à vous pour toujours"... Thérèse avait disparu comme la goutte d’eau qui se perd au sein de l’océan. Restait seulement Jésus ; le maître, le Roi » (Thérèse de Lisieux, Histoire d’une âme, chapitre IV).

Et elle se mit à pleurer des larmes de joie et de consolation, au grand étonnement de ses compagnes.

Jésus est présent dans l’Eucharistie pour être abordé, aimé, reçu, consolé. Partout où il y a le prêtre, là Jésus est présent, parce que la mission et la grandeur du sacerdoce est précisément la célébration de la Sainte Messe.

Jésus est présent dans les grandes villes et dans les petits pays, dans les églises de montagne et dans les lointaines paillotes d’Afrique et d’Asie, dans les hôpitaux et dans les prisons ; même dans les camps de concentration était présent Jésus-Eucharistie !

Chers enfants ! Recevez souvent Jésus ! Demeurez en lui ; laissez-vous transformer par lui !

 

2. Jésus, est votre plus grand Ami.

Voilà la deuxième pensée.

Ne l’oubliez jamais ! Jésus veut être le plus intime de nos amis, notre compagnon de route.

Vous avez certainement beaucoup d’amis ; mais vous ne pouvez pas être toujours avec eux et ceux-ci ne peuvent pas toujours vous aider, vous écouter, vous consoler.

Jésus, par contre, est l’ami qui ne vous abandonne jamais ; Jésus vous connaît un à un, personnellement ; il connaît votre nom, il vous suit, il vous accompagne, il marche avec vous chaque jour ; il prend part à vos joies et vous console dans les moments de tristesse, de douleur. Jésus est l’ami dont on ne peut plus se passer quand on l’a rencontré et que l’on a compris qu’il nous aime et demande notre amour.

Avec Lui, vous pouvez parler ; vous pouvez vous confier à lui, vous adresser à lui avec affection et confiance. Jésus est mort sur la Croix directement par amour pour nous ! Faites un pacte d’amitié avec Jésus et ne le rompez jamais ! Dans toutes les situations de votre vie, tournez-vous vers l’Ami divin, présent en nous avec sa « Grâce » présent avec nous et en nous dans l’Eucharistie.

Et soyez aussi les messagers et les témoins joyeux de l’Ami Jésus dans vos familles, parmi vos compagnons, aux lieux de vos jeux et de vos vacances, dans cette société moderne souvent si triste et insatisfaite.

 

3. Jésus nous attend !

Voilà la dernière pensée.

La vie, longue ou brève, est un voyage vers le Paradis ; c’est là qu’est notre patrie ; c’est là qu’est notre vraie demeure ; là que nous avons rendez-vous !

Jésus nous attend au Paradis ! N’oubliez jamais cette suprême et réconfortante vérité. Et la Communion, qu’est-elle sinon une anticipation du Paradis ? En effet, dans l’Eucharistie, c’est le même Jésus qui nous attend et que nous rencontrerons un jour ouvertement dans les cieux.

Recevez souvent Jésus pour ne jamais oublier le Paradis, pour être toujours en marche vers la maison du Père Céleste et avoir déjà un avant-goût du Paradis !

C’est ce qu’avait compris Domenico Savio qui eut la permission de recevoir la première Communion à l’âge de sept ans et qui ce jour-là mit ses intentions par écrit : « Premièrement, je me confesserai très souvent et ferai la communion toutes les fois que mon confesseur m’en donnera la permission. Deuxièmement je veux sanctifier les jours de fête. Troisièmement : mes amis seront Jésus et Marie. Quatrièmement : la mort mais pas le péché ».

Ce que le petit Domenico écrivait il y a bien longtemps (en 1949) a gardé toute sa valeur aujourd’hui et la gardera toujours.

Très chers petits, je conclus en vous disant, garçons et filles, de demeurer dignes de Jésus que vous recevez ! Soyez innocents et généreux ! Efforcez-vous de rendre la vie belle à tous avec l’obéissance, avec la gentillesse, avec la bonne éducation ! Le secret de la joie est la bonté !

Quant à vous, chers parents et familles, je vous dis avec anxiété et confiance : aimez vos enfants, respectez-les, édifiez-les ! Soyez dignes de leur innocence et du mystère enclos dans leur âme créée directement par Dieu ! Ils ont besoin d’amour, de délicatesse, de bon exemple, de maturité. Ne les négligez pas ! Ne les trahissez pas !

Je vous confie tous à la Très Sainte Vierge Marie, notre Mère du ciel, Étoile de la mer de notre vie : priez-la tous les jours, vous enfants ! Donnez-lui, à la Très Sainte Vierge, la main pour qu’elle vous conduise à recevoir saintement Jésus.

Et j’adresse également une pensée d’affection et de solidarité à tous les enfants souffrants, à tous les petits qui ne peuvent pas recevoir Jésus parce qu’ils ne le connaissent pas, à tous les parents qui ont été douloureusement privés de leurs enfants, ou amèrement déçus dans leurs expectatives.

Dans votre rencontre avec Jésus, priez pour tous, invoquez, grâces et assistance pour tous !

Et priez aussi pour moi, vous qui êtes mes préférés.

 

 

 

17 juin 1979

L’EUCHARISTIE : TRIPLE SIGNE DE LA GRATITUDE, DE L’ALLIANCE, DE L’ADORATION

 

Pour la Fête-Dieu, l’homélie du pape

A l’occasion de la Fête-Dieu, le Saint-Père reprenant une ancienne tradition a parcouru processionnellement la longue avenue Merulana — la via Papale de jadis — qui mène de la basilique Saint-Jean de Latran à la basilique Sainte-Marie-Majeure, portant d’un bout à l’autre l’ostensoir contenant la Sainte Eucharistie.

Après l’Évangile, le pape a prononcé l’homélie suivante :

 

Très chers frères et sœurs !

1. Aujourd’hui, que mes paroles soient brèves. Que nous parle, par contre, la fête même, l’Eucharistie même dans la plénitude de son expression liturgique.

Nous voici sur le parvis de la basilique de Saint-Jean de Latran, de la cathédrale de l’évêque de Rome, pour célébrer le Très-Saint Sacrifice ; à la fin nous irons en procession à la basilique Sainte-Marie-Majeure sur l’Esquilin.

Nous désirons de cette manière réunir en un seul acte liturgique le culte du Sacrifice et le culte de l’adoration, comme nous l’imposent la fête solennelle d’aujourd’hui et la tradition séculaire de l’Église.

2. Nous désirons annoncer Urbi et Orbi l’Eucharistie, c’est-à-dire la Gratitude. Ce sacrement est le signe de la gratitude de toute la création pour la visite du Créateur. Ce sacrement est le signe de la gratitude de l’homme parce que le Créateur est devenu créature ; parce que Dieu est devenu Homme, qu’il a pris son corps humain de la Vierge Marie Immaculée, pour nous élever de nouveau au Père, nous les hommes, pour faire de nous les fils de Dieu.

Nous désirons donc annoncer et chanter de vive voix et encore plus confesser du fond de notre cœur humain, notre gratitude pour le Sacrement du Corps et du Sang de Dieu avec lequel il nourrit nos âmes et renouvelle nos cœurs humains.

3. Puis, nous désirons annoncer Urbi et Orbi l’Eucharistie comme signe de l’Alliance que, de manière irréversible, Dieu a conclu avec l’homme au moyen du Corps et du Sang de son Fils.

Ce Corps a été exposé à la passion et à la mort. Il à partagé le destin terrestre de l’homme après le péché originel. Ce sang a été versé pour sceller la Nouvelle Alliance de Dieu avec l’homme : l’alliance de grâce et d’amour, l’alliance de sainteté et de vérité. Nous prenons part à cette Alliance plus encore que le Peuple de l’Ancienne Loi. Nous voulons donc aujourd’hui en rendre témoignage devant tous les hommes.

En effet, Dieu s’est fait homme pour tous les hommes ; et c’est pour tous les hommes que le Christ est mort et ressuscité. Tous les hommes, enfin, ont été appelés au Banquet de l’éternité. Et ici, sur la terre, le Seigneur Dieu invite chacun de nous en disant : « Prenez et mangez... Prenez et buvez ! ... afin de ne pas vous arrêter en chemin ! »

4. Et enfin, nous désirons annoncer Urbi et Orbi l’Eucharistie comme signe de l’adoration due à Dieu seul. Comme il est admirable, notre Dieu ! Celui qu’aucune intelligence n’est capable d’embrasser et d’adorer à la mesure de sa sainteté ! Celui qu’aucun cœur n’est capable d’aimer à la mesure de son amour !

Comme il est admirable quand il veut que nous l’embrassions, l’aimions et l’adorions selon la dimension humaine de notre foi sous les espèces du Pain et du Vin !

5. Accepte, ô Christ-Eucharistie cet hommage d’adoration et d’amour que l’Église te rend par le ministère de l’évêque de Rome, successeur de Pierre. Sois adoré par la mémoire de tous mes prédécesseurs qui t’ont adoré sous les yeux de la Ville et du Monde.

A la fin de la liturgie de ce jour que te reçoive, portée de nos mains sur le parvis de son temple, ta Très Sainte Mère qui, à Toi Fils éternel du Père, a donné le corps humain :

“Ave verum corpus / natum ex Maria Virgine. / Vere passum immolatum / in cruce pro homine ; / esta nobis praegustatum / mortis in examine ! ». « Salut ô vrai corps né de la Vierge Marie. Toi qui as vraiment souffert, immolé sur la croix pour l’humanité; puissions-nous te savourer d’avance quand viendra l’épreuve de la mort ! »

Amen.

 

 

 

20 juin 1979

RÉALISONS ENSEMBLE LE CONCILE

 

A l’occasion d’un symposium européen des évêques

A l’occasion du Symposium qui réunit à Rome les 70 évêques représentant 24 pays européens le Saint-Père a présidé une concélébration eucharistique à la Chapelle Sixtine, le 20 juin. Participaient notamment à cette concélébration les cardinaux Suenens, archevêque de Malines-Bruxelles, Basil Hume, archevêque de Westminster et Giovanni Benelli, archevêque de Florence. Au cours de la messe le Saint-Père a prononcé en italien une homélie.

 

Chers frères,

 

1. Je vous exprime ma joie cordiale et sincère pour notre rencontre. C’est de la joie principalement parce que la rencontre a lieu dans le cadre du Symposium consacré au thème : Les jeunes et la foi.

Je me souviens du symposium précédent, en 1975, auquel j’ai eu la chance de participer activement, étant un des rapporteurs. Je désire aussi vous exprimer ma joie de vous rencontrer aujourd’hui dans une concélébration eucharistique. J’espère que dans cette communion où s’exprime de la manière la plus pleine et profonde notre unité sacerdotale et épiscopale nous recevrons majeure lumière et force d’Esprit Saint du Christ-Prince des Pasteurs qui, comme unique Prêtre éternel est aussi la source et le fondement unique de cette unité que nous manifestons et vivons dans la concélébration eucharistique.

De cette lumière et force de l’Esprit du Christ nous avons un immense besoin pour accomplir toutes les tâches qui découlent de notre mission — par exemple dans le cadre du thème de votre symposium : la jeunesse, mais pas exclusivement ; le caractère complexe de ces tâches, toute notre mission exigent quelque grâce particulière afin que nous sachions correspondre exactement aux signes des temps qui constituent le salvifique kairos des Européens et du Continent qu’ils représentent et auquel nous sommes envoyés comme successeurs des Apôtres, des messagers de l’Évangile qui sont à l’origine de l’histoire de l’Europe d’après le Christ

2. Votre rencontre — et donc également notre concélébration eucharistique présente — a ses racines dans cette heureuse pensée de Vatican II qui rappelle aux évêques de toute l’Église le caractère collégial du ministère qu’ils exercent. C’est précisément cette pensée exprimée avec la plus grande précision doctrinale dans la Constitution dogmatique Lumen Gentium qui est à l’origine d’une série d’institutions et d’initiatives pastorales qui témoignent déjà à présent de la nouvelle vitalité de l’Église et constitueront certainement à l’avenir la base d’un ultérieur renouvellement de sa mission salvifique, dans la variété des dimensions et des sphères d’action.

En le disant, j’ai encore devant les yeux la merveilleuse assemblée des évêques de l’Amérique latine que j’ai eu le bonheur d’inaugurer le 28 janvier dernier à Puebla au Mexique. Cette assemblée était le résultat d’une collaboration systématique de toutes les Conférences épiscopales de cet immense Continent où vit actuellement la moitié des catholiques de tout le globe. Ce sont des épiscopats de diverses importances numériques, certains extrêmement nombreux comme surtout celui du Brésil qui compte à lui seul plus de 500 évêques. La collaboration méthodique de toutes les Conférences épiscopales d’Amérique latine a son point d’appui dans le Conseil connu sous le nom de CELAM qui permet aux dites Conférences de revoir ensemble les tâches à proposer aux pasteurs de l’Église dans ce grand Continent, si important pour l’avenir du monde.

Le titre lui-même de la Conférence tenue à Puebla du 27 janvier au 13 février dernier l’atteste déjà de manière très nette. Ce titre était : « L’évangélisation dans le présent et dans le futur de l’Amérique Latine », et il permet facilement de comprendre quel bénéfice Puebla a tiré du thème providentiel de la Session ordinaire du Synode des évêques

de 1974 : l’évangélisation.

3. En relation avec un thème si fondamental, chaque évêque du monde pouvait et devait — comme pasteur de son église particulière, de son diocèse — considérer son Église du point de vue de sa contemporanéité. Et comme l’évangélisation exprime la mission de l’Église, une telle considération doit se relier au passé et ouvrir la perspective de l’avenir : hier, aujourd’hui, demain. Et non seulement chaque évêque dans son diocèse, mais aussi les diverses communautés des évêques et surtout tes Conférences épiscopales nationales peuvent et doivent Faire de ce « thème-clé » un objet de réflexion concernant la société qu’ils ont la responsabilité pastorale d’évangéliser. Le thème que Paul VI a proposé au Synode il y a cinq ans contient de multiples possibilités d’application dans différents milieux.

En même temps ce thème pousse à réfléchir de manière fondamentale s’il s’agit de réaliser le Concile même et de traduire sa doctrine en actes. La réalisation basilaire du Concile Vatican Il n’est autre chose qu’une nouvelle prise de conscience de la mission divine confiée à l’Église « parmi toutes les nations » et « jusqu’à la fin du monde ». La réalisation basilaire du Concile Vatican II n’est autre chose que le nouveau sens de responsabilité à l’égard de l’Évangile, de la Parole, du Sacrement, de l’œuvre du salut que le Peuple de Dieu doit assumer de la manière qui lui est conforme. La tâche des évêques est de diriger ce grand processus. C’est en cela que réside leur dignité et leur responsabilité pastorale.

4. Il est de grand poids et de fondamentale importance de réfléchir sur le problème de j’évangélisation concernant le Continent européen. Je tiens ceci pouf un thème complexe, extrêmement complexe. Comme, du reste, également pour tout autre contexte, il faut faire en sorte que de l’analyse de fa situation présente ressorte la vision de l’avenir, étant donné qu’une telle situation est la conséquence du passé, ancien autant que l’est l’Église elle-même et le christianisme tout entier. Dans l’analyse nous devrons insérer chacun des pays, chacune des nations de notre continent, mais aussi comprendre leur situation, gardant l’esprit fixé sur les grands courants de l’histoire qui — spécialement durant le deuxième, millénaire — ont divisé l’Église et le christianisme dans le Continent européen.

Je pense qu’actuellement — en ce temps d’œcuménisme — l’heure est venue de considérer ces questions à la lumière des critères élaborés par le Concile : les considérer dans un esprit de collaboration fraternelle avec les représentants des Églises et des communautés avec lesquelles nous ne jouissons pas encore de la pleine unité ; et, en même temps, il faut les considérer dans un esprit de responsabilité à l’égard de l’Évangile. Et ceci non seulement sur notre Continent, mais aussi en dehors. L’Europe est encore et toujours le berceau de la pensée créatrice, des initiatives pastorales, des structures d’organisation, dont l’influence dépasse les frontières. En même temps l’Europe, avec son passé missionnaire grandiose, s’interroge aux différents points de sa « géographie ecclésiale » et se demande si elle n’est pas sur le point de devenir un continent missionnaire.

Pour l’Europe existe donc, le problème qui, dans, Evangelii nuntiandi, a été défini comme celui de l’« auto-évangélisation ». L’Église doit toujours s’évangéliser elle-même. L’Europe catholique et chrétienne a besoin de cette évangélisation. Elle doit s’évangéliser elle-même. Il est probable que nulle part ailleurs autant que dans notre Continent se précisent avec autant de clarté les courants de la négation de la religion, les courants de la « mort de Dieu », de la sécularisation programmée, de l’athéisme militant. Le Synode de 1974 nous a fourni à ce propos un matériel plutôt abondant.

Il est possible d’examiner tout cela suivant des critères socio-historiques. Le Concile nous a indiqué toutefois un autre critère : celui du « signe des temps » c’est-à-dire d’un défi particulier de la Providence, de celui qui est le « maître de la moisson » (Lc 10, 2).

L’année prochaine sera célébré le mil cinq centième anniversaire de la naissance de saint Benoît que Paul VI a proclamé Patron de l’Europe. Cela pourrait peut-être constituer un moment particulièrement favorable pour une réflexion approfondie sur le problème du « hier et aujourd’hui » de l’évangélisation de notre Continent ou plutôt pour une réflexion sur le défi de la Providence qui, dans son complexe historique, riche et varié, constitue l’« aujourd’hui » de l’Église en ce qui concerne sa responsabilité à l’égard de l’Évangile ; également dans la perspective de l’avenir.

Notre mission est toujours et partout orientée vers le futur. Que ce soit vers le futur dont la foi nous donne la certitude : l’avenir eschatologique ; que ce soit vers le futur dont nous ne pouvons être humainement qu’incertains. Pensons à ceux qui sont venus les premiers sur le Continent européen comme messagers de la Bonne Nouvelle, tels que Pierre et Paul. Pensons à ceux qui tout au long de l’histoire de l’Europe ont aplani le chemin vers de nouveaux peuples comme Augustin ou Boniface ou les frères de Thessalonique : Cyrille et Méthode. Eux non plus n’étaient certains de l’avenir humain de leur mission et mente pas de leur propre sort. Plus puissantes que cette incertitude humaine furent leur foi et leur espérance. Plus puissant fut « l’amour du Christ qui les poussait » (cf. 1 Co 5, 14). Dans cette foi, cette espérance, cette charité se manifestait l’Esprit agissant. Il est nécessaire que nous devenions, nous aussi, des instruments dociles et efficaces de son action à notre époque.

6. Le thème de votre Symposium est : « Les jeunes et la foi ».

C’est très bien qu’il le soit. Je pense qu’il est organiquement et profondément inséré dans le grand thème de réflexion de toute l’Église postconciliaire, le thème de l’évangélisation qui, de longtemps, ne pourra être éloigné de notre attention. Si nous pensons à l’évangélisation en fonction de l’avenir, nous devons tourner l’esprit vers les jeunes : nous devons aller à la rencontre des intelligences, des cœurs, des caractères des jeunes. Ceci est le problème de choix à travers lequel nous parvenons au problème global.

L’échange de vos expériences et suggestions doit être ample, ne peut demeurer « particulier ». Toute pratique de collégialité sert la cause de l’universalité de l’Église. Vous aussi, chers frères, par cette pratique de la collaboration collégiale qui caractérise votre symposium, vous devez, pour ainsi dire, « élargir les espaces de l’amour » (St AUG. de Ep. Joan ad Parthos, X, 5 ; PL XXXV, 2060). Une telle amplification n’écarte jamais de la responsabilité confiée à chacun de nous ; elle la rend, au contraire, plus aiguë. Il faut que les évêques et les Conférences épiscopales de chaque pays et nation d’Europe vivent les intérêts de tous les pays et nations de notre Continent. Et que ceux qui d’entre vous sont absents soient — dirais-je — encore plus intensément présents. Il faut élaborer des méthodes spéciales, efficaces pour « rendre intensément présents » ceux qui sont absents. Leur absence ne peut être passée sous silence ou être justifiée par des lieux communs.

Rappelez-vous que, comme à ce Symposium prennent part, en la personne de leurs représentants, toutes les Conférences épiscopales d’Europe, de la même manière sont réunis autour de cet autel, dans l’eucharistique communion d’amour, de sacrifice et de prière, tous les épiscopats et tous les évêques. Et d’une certaine manière sont encore plus présents ceux qui manquent, ceux qui n’ont pas pu être présents.

A travers tous, l’Église comme Peuple de Dieu de tout notre Continent, « élabore », dans l’union avec le Christ-Prince des pasteurs, avec le Christ-Prêtre éternel, son avenir chrétien.

Amen.

 

 

 

24 juin 1979

CONSTRUISEZ L’ÉGLISE AVEC VOTRE SACERDOCE

 

Ordination sacerdotale à Saint-Pierre

Le 24 juin fête de la naissance de saint Jean-Baptiste, le Saint-Père a conféré l’ordination sacerdotale, au cours d’une cérémonie qui s’est déroulée en la basilique Saint-Pierre, à 88 diacres provenant de 15 pays des divers continents.

 

1. « Et tu puer propheta Altissimi vocaberis ».

« Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut » (Lc 1, 76).

Ces paroles parlent du Saint d’aujourd’hui. C’est par ces mots que le prêtre Zacharie salua son propre fils après qu’il eut retrouvé la faculté de parler. Il salua de ces mots son fils auquel il voulut, à la surprise de tous, donner le nom de Jean. Aujourd’hui l’Église nous rappelle ces événements en célébrant solennellement la fête de la naissance de saint Jean Baptiste.

On pourrait également l’appeler jour de l’appel de Jean, fils de Zacharie et d’Elisabeth de Ain-Karim, pour être le dernier prophète de l’Ancienne Alliance ; pour être le Messager et l’immédiat précurseur du Messie : Jésus-Christ.

Voilà celui qui vient au monde dans des circonstances si insolites, apportant déjà avec soi l’appel divin. Cet appel provient du dessein de Dieu lui-même, de son amour salvifique, et il est inscrit dans l’histoire de l’homme dès le moment de la conception dans le sein maternel. Toutes les circonstances de cette conception, comme ensuite les circonstances de la naissance de Jean à Ain-Karim, indiquent un appel insolite :

« Praebis ante faciem Domini parare vias ejus ».

« ... car tu précéderas le Seigneur pour lui préparer les voies » (Lc 1, 76).

Nous savons qu’à cet appel Jean Baptiste a répondu avec toute sa vie. Nous savons qu’il lui est resté fidèle jusqu’à son dernier soupir. Ce soupir, il le rendit dans la prison, par ordre d’Hérode obéissant à la volonté de Salomé qui agissait à l’instigation de sa vindicative mère Hérodiade.

Mais aujourd’hui la liturgie ne fait pas état de tout ceci, le réservant pour un autre jour. Aujourd’hui la liturgie nous ordonne seulement de nous réjouir pour la naissance du Précurseur du Seigneur. Elle nous ordonne de rendre grâces à Dieu pour l’appel de Jean Baptiste.

2. Et aujourd’hui, mes chers diacres et candidats au sacerdoce, où vous vous présentez en la basilique Saint-Pierre à Rome, nous voulons nous aussi nous réjouir pour votre appel à une prochaine participation au sacerdoce du Christ.

Dieu a inscrit le mystère de cet appel dans le cœur de chacun. Nous pouvons répéter, avec le Prophète : « Je t’ai aimé d’un amour éternel, c’est pourquoi j’ai prolongé ma bienveillance pour toi » (Jr 31, 3).

A un certain moment de la vie, vous avez pris conscience de cet appel divin. Et vous avez commencé à tendre vers lui, vous vous êtes mis en marche vers sa réalisation. Le chemin qui conduit au sacrement de l’Ordre que vous allez recevoir aujourd’hui de mes mains, passe par une série d’étapes et de milieux dont font partie le foyer familial, les années des écoles primaires et secondaires ainsi que les études supérieures, le cercle des amis, la vie paroissiale. Mats sur ce chemin il y a surtout le Séminaire ecclésiastique, où chacun de nous va trouver une réponse définitive à sa demande concernant sa vocation au sacerdoce. Chacun de nous, soucieux d’approfondir cette réponse d’une manière toujours plus mûrie, y va afin de pouvoir se préparer en même temps profondément et systématiquement au sacrement de l’Ordre.

Mais aujourd’hui toutes ces expériences, vous les avez déjà laissées derrière vous. Vous ne demandez plus comme le jeune homme de l’Évangile : « Bon Maître, que dois-je faire... » (Mc 10, 17). Le Maître vous a déjà aidé à trouver la réponse. Vous vous présentez ici pour que l’Église puisse imprimer son sceau sacramentel sur cette réponse.

3. Ce sceau s’imprime par toute la liturgie du Sacrement de l’Ordre. Il est imprimé par l’évêque qui agit avec la force de l’Esprit Saint et en communion avec son Presbyterium.

La force de l’Esprit Saint est indiquée et transmise d’abord par le silence puis par la prière. Comme signe de transfert de cette force dans vos jeunes mains, celles-ci sont ointes avec le Saint-Chrême pour être dignes de célébrer l’Eucharistie. Les mains humaines ne peuvent célébrer d’autre manière que dans la force de l’Esprit Saint.

Célébrer l’Eucharistie veut dire rassembler le Peuple de Dieu et construire l’Église dans sa plus complète identité.

Le moment que nous vivons ensemble ici est de grande importance tant pour chacun de vous que pour l’Église tout entière.

L’Église a prié pour chacun de ces appels qui reçoivent aujourd’hui le sceau sacramentel du sacerdoce. L’Église désire que chacun de vous la construise avec son propre sacerdoce, avec son propre service qui, par la force obtenue du Christ — « ne dissipe pas mais amasse » (cf. Mt 12, 30).

4. L’Église prie encore aujourd’hui et prient aussi vos parents, vos familles, les milieux auxquels votre vie à été liée jusqu’à présent, vos séminaires, vos diocèses, vos congrégations religieuses.

Prions le Seigneur de la moisson qui a appelé chacun de vous comme ouvrier pour sa moisson, afin que vous persévériez dans cette moisson jusqu’au bout.

De même que Jean, fils de Zacharie et d’Elisabeth de Ain-Karim à qui son père dit le jour de sa naissance : « Toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut » (Lc 1, 76), que votre persévérance soit le fruit de la prière que nous levons. Persévérez comme prophètes du Très-Haut ! Persévérez comme prêtres de Jésus-Christ !

Portez des fruits abondants !

Amen !

 

 

 

29 juin 1979

« TU ES LE MESSIE, LE FILS DU DIEU VIVANT »

 

Homélie du pape pour la fête des saints Pierre et Paul

29 juin :L’Église célèbre la fête des saints apôtres, Pierre et Paul, ou plus exactement commémore l’anniversaire de leur martyre.

Au cours de la sainte messe célébrée à cette occasion enfin d’après-midi à la basilique Saint-Pierre, le Saint-Père a prononcé l’homélie suivante :

 

1. La liturgie de ce jour nous mène comme chaque année dans la région de Césarée de Philippe où Simon fils de Jonas cueillit ces paroles sur les lèvres mêmes du Christ « Tu es heureux... car cette révélation t’es venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux » (Mt 16, 17).

Pierre a entendu ces paroles, tombées des lèvres de Jésus après que celui-ci eut demandé : « Au dire des gens, qu’est le Fils de l’homme ? » et que lui-même eut répondu : « Tu es le Messie (Christos), le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 13 et 16).

Cette réponse se situe au centre même de l’histoire de Simon que le Christ a commencé à appeler Pierre.

Le lieu où ces paroles ont été prononcées est un lieu historique. Lors de sa visite en Terre Sainte comme pèlerin, le pape Paul VI a témoigné une attention toute particulière à ce lieu. Chaque successeur de Pierre doit y retourner par la pensée et par le cœur. C’est là qu’a été reconfirmée la foi de Pierre « ... cette révélation t’est venue non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux » (Mt 16, 17).

Le Christ a entendu ce que peu auparavant Pierre a confessé. Le Christ voit dans l’âme de l’Apôtre qui confesse. L’œuvre du Père dans cette âme est parfaite. Elle a touché l’intelligence, la volonté et le cœur, indépendamment de « la chair » et « du sang » ; indépendamment de la nature et des sens. Par le Saint-Esprit elle a atteint l’âme de l’homme simple, du pêcheur de Galilée. La lumière intérieure jaillie de cette œuvre trouve son expression dans cette affirmation : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16).

Ce sont des mots très simples. Mais ils expriment une vérité surhumaine. La vérité surhumaine, divine s’exprime à l’aide de mots simples, de mots très simples. Comme le furent les paroles prononcées par Marie au moment de l’Annonciation. Comme Tétaient les paroles de Jean-Baptiste au Jourdain. Comme le sont les paroles de Simon dans le voisinage de Césarée de Philippe : Simon que le Christ a appelé Pierre.

Le Christ voit dans l’âme de Simon. On dirait qu’il admire l’œuvre que le Père a accomplie en elle par l’intervention du Saint-Esprit : voilà, en confessant la vérité sur l’origine divine de son Maître, Simon participe de la Connaissance divine, de cette science insondable que le Père a du Fils, que de même le Fils a du Père.

Et le Christ dit : « Tu es heureux. Simon fils de Jonas » (Mt 16, 17).

 

2. Ces paroles se trouvent au centre même de l’histoire de Simon Pierre.

Cette bénédiction n’a jamais été retirée. Comme ne s’est jamais estompée dans l’âme de Pierre cette confession qu’il fit en ce temps-là dans les environs de Césarée de Philippe.

Toute sa vie, jusqu’à la dernière heure, il l’a passée avec elle. Avec elle il a passé cette terrible nuit de l’arrestation de Jésus dans le jardin de Gethsémani : la nuit de sa propre faiblesse, de sa faiblesse la plus grande qui l’a amené à renier l’homme... mais qui n’a cependant pas détruit sa foi en le Fils de Dieu. L’épreuve de la croix a été compensée par le témoignage de la Résurrection. A la confession faite dans la région de Césarée de Philippe elle apporta un argument définitif.

Et maintenant, animé par cette foi en le Fils de Dieu, il allait au-devant de la mission que le Seigneur lui avait confiée.

Lorsqu’il se trouva dans la prison de Jérusalem, emprisonné et condamné à mort, sur ordre d’Hérode, il parut que cette mission ne durerait pas longtemps.

Mais Pierre fut libéré par la même force qui l’avait appelé. Il était encore destiné à une longue démarche.

Une démarche qui, selon les indications confirmées d’ailleurs par de scrupuleuses recherches, a pris fin seulement le 29 juin, soixante-huitième année de notre ère conventionnellement calculée à partir de la naissance du Christ.

Au terme de cette démarche, l’Apôtre Pierre, autrefois Simon fils de Jonas, s’est trouvé ici à Rome, ici, en ce lieu où nous nous trouvons, sous l’autel où se célèbre maintenant l’Eucharistie.

« La chair et le sang » ont été totalement détruits ; ils ont été soumis à la mort. Mais ce qu’un jour lui avait révélé le Père (cf. Mt 16, 17)a survécu à la mort de la chair ; c’est devenu le début de la rencontre éternelle avec le Maître auquel il a jusqu’au bout rendu témoignage. Le début de la bienheureuse vision du Fils du Père.

Il est devenu également l’inébranlable fondement de la foi de l’Église : sa pierre ; son roc.

« Tu es heureux, Simon fils de Jonas » (Mt 16, 17).

 

3. Dans la liturgie de ce jour, qui unit la commémoration de la mort et de la gloire des saints Apôtres Pierre et Paul, nous lisons le passage suivant de l’épître à Timothée : « Quant à moi, mon très cher, voici que mon sang va se répandre en libation et que le moment est venu de ramener les voiles. J’ai combattu jusqu’au bout le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai conservé ma foi. Et voici que maintenant pour moi est préparée la couronne de justice qu’en retour le Seigneur me donnera ce jour-là, Lui, le juste Juge, et non seulement à moi, mais à tous ceux qui auront attendu avec amour son Apparition » (2 Tm 4, 6-8).

Parmi tous ceux qui ont aimé la manifestation du Seigneur, Paul de Tarse a certainement été plus que tout autre l’amant singulier, le combattant intrépide, le témoin inflexible.

« Le Seigneur (…) est resté proche de moi » ; souvenons-nous bien de la manière et du lieu où cela s’est passé ; nous souvenons-nous de ce qui s’est passé près des murs de Damas ? « Le Seigneur, lui est venu près de moi et m’a rempli de sa force afin que, par moi, le message fût proclamé et qu’il parvînt aux oreilles de tous les païens » (2 Tm 4, 17).

En un raccourci grandiose, Paul expose l’œuvre de toute sa vie. Il en parle d’ici, de Rome, à son disciple favori, au moment où s’annonce la fin de sa vie toute entière dédiée à l’Évangile.

Et, encore au bout de cette étape, cette conscience du péché et de la grâce, garde toute sa pénétration, la conscience de la grâce qui surmonte le péché et ouvre le chemin à la gloire : « Le Seigneur me délivrera de toute entreprise perverse et me sauvera en me prenant dans son royaume céleste » (2 Tm 4, 18).

L’Église romaine évoque aujourd’hui d’une manière particulière, le souvenir de deux regards tournés vers la même direction : la direction du Christ crucifié et ressuscité. Le regard de Pierre agonisant sur la croix et celui de Paul mourant sous le glaive.

Ces deux regards emplis de foi — de cette foi qui a comblé leur vie jusqu’à la dernière heure et a jeté les bases de la lumière divine dans l’histoire de l’homme sur la terre — subsistent dans notre mémoire.

En ces jours, revivifions avec une force particulière notre foi dans le Christ.

Dans cette perspective, je suis heureux de saluer la délégation envoyée par mon frère bien-aimé, le Patriarche œcuménique Dimitrios Ier pour prendre part à cette célébration des coryphées des Apôtres, les saints Pierre et Paul, prouvant ainsi que les relations entre nos deux Églises s’intensifient de plus en plus dans un effort commun vers la pleine unité.

 

 

 

1er juillet 1979

L’ÉGLISE COMME SIGNE DE LA VOLONTÉ SALVIFIQUE DE DIEU

 

Le 1er juillet le Saint-Père a présidé une concélébration eucharistique avec les quatorze nouveaux cardinaux créés lors du Consistoire du 30 juin, à qui il a remis l’anneau cardinalice.

Après la proclamation de l’Évangile le Saint-Père a prononcé l’homélie suivante :

 

Très chers frères  et sœurs,

 

1. Je désire aujourd’hui, contempler avec vous l’Église pleinement « soumise au Christ » (cf. Ep 3, 24), comme une épouse fidèle. Ces dernières journées que nous avons vécues, méditant ensemble le sacrifice des saints Apôtres Pierre et Paul, nous incitent à chercher la manifestation du mystère réalisé dans leur vocation à travers le témoignage de foi et d’amour rendu jusqu’à la mort. Une manifestation que nous trouvons tout au long de l’histoire de l’Église, tout au long des siècles et des générations de ses fils et filles fidèles, des serviteurs et pasteurs, remontant ainsi à cet amour sublime dont notre Rédempteur et Seigneur « a aimé l’Église, et s’est livré pour elle afin de la sanctifier en la purifiant par le bain d’eau... car il voulait se la présenter à lui-même toute resplendissante et sans tache ni ride, mais sainte et immaculée » (Ep 5, 25-27).

A cet amour sublime, à ce Cœur transpercé sur la Croix et ouvert à l’Église, son Épouse, je désire qu’aujourd’hui nous allions spirituellement en pèlerinage tous ensemble, pour en revenir nous-mêmes « purifiés, rafraîchis, sanctifiés ».

Voici l’Église ! Fruit de l’insondable amour de Dieu dans le Cœur de son Fils !

Voici l’Église ! Qui porte les fruits de l’amour des saints Apôtres, des Martyrs, des Confesseurs et des Vierges ! De l’amour d’entières générations !

Voici l’Église : notre Mère et Épouse tout en même temps ! But de notre amour, de notre témoignage et de notre sacrifice. But de notre service et de notre inlassable travail. Église pour laquelle nous vivons afin de nous unir au Christ en un unique amour. Église pour laquelle, vénérables et chers frères, créés cardinaux durant le Consistoire d’hier, vous devez vivre encore plus intensément désormais, en vous unissant au Christ en un unique amour envers elle.

 

2. L’Église est dans le monde. Vous en constituez tous le témoignage vivant dans le monde, vous qui êtes venus ici de tant de lieux distants dans l’espace, mais en même temps spirituellement voisins.

L’Église est dans le monde comme un signe de la volonté salvifique de Dieu lui-même. N’est-elle pas le Corps de Celui que le Père a consacré avec l’onction et envoyé dans le monde ? Il m’a envoyé porter d’heureuses nouvelles aux humbles, panser ceux qui ont le cœur brisé, proclamer la libération aux déportés, et aux captifs le retour à la lumière ; ... consoler tous les affligés... leur donner une couronne au lieu de cendre, un chant de louange au lieu d’un cœur attristé » (Is 61, 1-3).

Ne faut-il pas que l’Église soit tout cela ? Ne doit-elle pas vivre de tout cela s’il lui faut satisfaire à la mission salvifique de celui qui est son Époux et Chef ?

Vous savez, chers et vénérables frères — et les Églises dont vous provenez le savent également — dans quel langage de faits, d’expériences, d’aspirations, de tristesse, de souffrances, de persécutions et d’espérance, il faut traduire ce très ancien texte prophétique d’Isaïe, pour lui faire exprimer, en langage de notre époque, combien profondément l’Église est enracinée dans le monde ; combien elle désire être dans le monde un signe vivant de la volonté salvifique du Père éternel à l’égard de chaque homme et de toute l’humanité ! L’Église de notre difficile époque, de ce second millénaire qui marché vers sa fin ; une époque d’extrêmes tensions et menaces ou de grandes peurs et de grandes aspirations !

 

3. De tout temps cette Église est simple, de cette simplicité même que notre Seigneur et Maître lui inspire avec les paroles de l’Évangile. Comme il faut peu de choses pour que l’Église « commence à exister » parmi tes hommes ! « Que deux ou trois, en effet, se réunissent en mon nom, je suis là au milieu d’eux » (Mt 18, 20) et « si deux d’entre vous, sur la terre, unissent leurs voix pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux » (Mt 18, 19).

Comme il faut peu pour que l’Église existe, qu’elle se multiplie et se répande ! En décident ces deux ou trois personnes réunies au nom du Christ et, par lui, unies au Père dans la prière ! Combien peu est nécessaire pour que cette Église existe partout, même là où, selon les « lois » humaines, elle n’est pas et ne peut être, et va jusqu’à être condamnée à mort ! Combien peu est nécessaire pour qu’elle existe et réalise sa substance la plus profonde.

Et pour que vive sa jeunesse éternelle ! Celle-là même qu’ont vécu les premiers chrétiens qui « se montraient assidus à l’enseignement de Apôtres, fidèles à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières.... Ils rompaient le pain dans leurs maisons, prenant leur nourriture avec joie et simplicité. Ils louaient Dieu et avaient la faveur de tout le peuple » (Ac 2, 42 et 46-47) ; comme nous le lisons aujourd’hui dans la seconde lecture des Actes des Apôtres, lecture qui ne réveille pas seulement les souvenirs, mais aussi les désirs de simplicité de l’Épouse qui vient d’expérimenter le Sacrifice d’amour de son Époux crucifié et jouit de sa fécondité génératrice dans l’Esprit Saint lorsque — comme nous le lisons — « chaque jour, le Seigneur adjoignait à la communauté ceux qui seraient sauvés » (Ac 2, 47).

Cette Église est simple de la simplicité qui lui est propre.

Et elle est forte uniquement de cette force qu’elle a reçue du Seigneur : de cette force unique ! D’aucune autre ! « Tout ce que vous lierez sur la terre sera tenu au ciel pour lié, et tout ce que vous délierez sur la terre sera tenu au ciel pour délié » (Mt 18, 18).

Voilà la qualité propre de cette force de l’Église. Une semblable force, ne la connaissent ni l’homme ni l’humanité dans aucune autre dimension de l’existence individuelle et sociale. Cette force, l’humanité ne la puise à aucun autre domaine de sa propre temporalité et à aucune réserve de la nature... Cette force vient de Dieu seul. Directement de Dieu. Cette force est rachetée par le Sang de son Rédempteur et Époux. C’est la force de l’Esprit Saint.

Et cette force s’allie avec celle qui est ce qu’il y a de plus profond dans l’homme : par la foi, l’espérance et la charité, elle cherche invariablement elle cherche — dans le Ciel les solutions de ce qui ne saurait être pleinement résolu sur la terre.

 

4. Chers et vénérables frères ! Que de joie, du fait que vous, les Cardinaux nouvellement créés, épousez aujourd’hui cette Église, à l’exemple du Christ ! Le signe de ces épousailles est l’anneau que sous peu je vous glisserai au doigt.

Comme nous nous réjouissons pour vos épousailles qui font pénétrer dans la vie du Peuple de Dieu, partout sur la terre, un nouvel afflux d’amour et une nouvelle sécurité d’amour ! Une nouvelle efficacité d’amour, comme nous l’espérons. De cet amour avec lequel nous avons été aimés et dont nous devons nous aimer l’un l’autre. Un amour qui vient de l’Époux et qui est pour l’Époux.

Un amour avec lequel l’Église doit être aimée par chacun de vous avec une nouvelle ferveur.

Un amour dans lequel doit s’exprimer en totalité la simplicité et la force reçues du Seigneur.

Un amour grâce auquel l’Église doit devenir nouvellement Épouse « sans ride ni tache » pour l’Époux. C’est cet amour que je vous souhaite en communion avec tout le Peuple de Dieu, qui est à Rome et dans le monde entier.

Je dépose mes vœux dans les mains de la Mère de l’Église, Épouse de l’Esprit Saint.

Amen !

 

 

 

6 août 1979

« FIDÉLITÉ AU SERVICE DE L’ÉGLISE »

 

L’homélie du Saint-Père aux funérailles du cardinal Ottaviani

Les funérailles du cardinal Ottaviani se sont déroulées le lundi 6 août en la basilique Saint-Pierre où Jean Paul II, interrompant son séjour à Castelgandolfo, a présidé le rite funéraire. Durant la concélébration — 13 cardinaux étaient présents à l’autel — le Saint-Père a prononcé l’homélie suivante :

 

« Ecce Sacerdos magnus, qui in diebus suis placuit Deo et inventus est justus» (cf. Si 44, 16, 17) : voilà les premières paroles qui, spontanément, me montent aux lèvres au moment où nous offrons à Dieu le sacrifice eucharistique et que nous nous apprêtons à faire nos derniers adieux à notre vénéré frère, le cardinal Alfredo Ottaviani. En vérité, il a été un très grand prêtre, remarquable pour sa piété religieuse et son exemplaire fidélité dans le service à la Sainte Église et au Siège Apostolique, plein de zèle dans le ministère et dans l’exercice de la charité chrétienne. Il fut aussi un Prêtre Romain, doté donc de cet esprit typique, peu facile à définir, que celui qui est né à Rome — il y est né dix années avant la fin du XIX° siècle — possède pour ainsi dire par héritage et qui s’exprime par un attachement tout particulier à Pierre et à la foi de Pierre et, également, par une sensibilité très aiguë pour tout ce qu’est, ce que fait, et doit faire l’Église de Pierre.

C’est pour cela que j’ai parlé de fidélité exemplaire ; et maintenant qu’il est mort après une longue et laborieuse journée terrestre, il paraît plus facile de voir dans cette fidélité la caractéristique constante de sa vie tout entière. Sa fidélité a été vraiment une fidélité à toute épreuve ; sans vouloir parcourir les phases de son activité dans les différents ministères auxquels le destina son génie particulier et l’appela la confiance des Souverains Pontifes, on peut dire qu’il s’est toujours distingué par cette qualité morale, une qualité prestigieuse, une qualité qui veut dire cohérence, dévouement, obéissance. Comme substitut de la Secrétairerie d’État, puis assesseur, pro-Préfet et Préfet de ce qui était à l’époque la Congrégation du Saint-Office ; comme prélat, évêque et cardinal, il démontra toujours qu’il possédait cette qualité comme marque distinctive qui l’identifiait aux yeux de ceux — et ils furent nombreux à Rome et ailleurs — qui le connaissaient et l’estimaient. Responsable du Dicastère auquel est institutionnellement confiée la protection du patrimoine sacré de la foi et de la morale catholique, il exprima cette même vertu par un comportement de perspicace attention, dans la conviction — objectivement fondée et de plus en plus mûrie en lui grâce à l’expérience des choses et des hommes — que la rectitudo fidei, c’est-à-dire l’orthodoxie est un patrimoine inéluctable, qu’elle est la condition primordiale de la rectitude morum ou orthopraxie. Son sens juridique élevé, qui lui avait permis d’être, encore jeune, un maître éminent, écouté par de nombreuses phalanges de prêtres, le soutint dans le tenace travail qu’il accomplit en défense de la foi.

Toujours disponible, toujours prêt à servir l’Église, il détecta également dans les réformes les signes des temps de sorte qu’il sut et voulut collaborer avec mes prédécesseurs Jean XXIII et Paul VI, comme il l’avait déjà fait avec Pie XII et, avant lui, avec Pie XI. Il a littéralement dépensé son existence pour le bien de la Sainte Église de Dieu. Notre frère fut toujours et en tout homo Dei, ad omne opus bonum instructus (2 Tm 3, 17) ; et ceci est, certes, une référence, de premier ordre, un paramètre valable pour bien encadrer sa physionomie spirituelle et morale.

Il fut également un homme au grand cœur de prêtre : encore nombreux sont ceux qui se le rappellent dans son ministère quotidien au milieu des enfants et des jeunes gens de l’Oratoire Saint-Pierre qui eurent en lui — à côté d’autres prêtres et prélats romains — un ami et un frère, et je dirai mieux : un père attentif et affectueux. Et sa présence n’était pas un dérivatif, une manière de se reposer des fatigues de ses obligations bureaucratiques et de la manipulation des dossiers ; elle était pour lui un besoin qui découlait spontané, intentionnel et généreux d’un programme sacerdotal : c’était une « prestation commandée » par sa vocation.

Il était né pauvre dans le populaire quartier du Transtévère et il faut rapporter à cette origine son tendre amour et sa sollicitude préférentielle pour les pauvres, pour les petits, pour les orphelins. Et maintenant, ce sont précisément ces âmes innocentes qui, — à côté de tous les prêtres et laïcs qui du cardinal Ottaviani reçurent la lumière de la sagesse, la leçon de la simplicité, le remède de la miséricorde — intercèdent pour lui devant l’autel du Seigneur, afin qu’il obtienne sans tarder la récompense destinée au « serviteur bon et fidèle » (cf. Mt 25, 21).

Par une singulière coïncidence, ce rite funèbre se déroule a l’heure exacte, où, il y a exactement un an, mon bien-aimé prédécesseur Paul VI était sur le point de quitter ce monde. Et il me plaît d’évoquer avec vous la voix forte et émue du cardinal qui le 21 juin 1963 annonçait publiquement l’élévation au pontificat du cardinal Jean-Baptiste Montini. Dans le ton même de ses paroles, qui ne faisaient que répéter l’habituelle formule de l’Habemus Papam, transparaissait la satisfaction de l’ancien maître qui voyait exalté un collègue et ami, si digne d’estime, qui allait ouvrir dans l’Église et pour l’Église une intense et prometteuse époque. L’un et l’autre, dans leurs respectives positions de responsabilité, dans l’évidente distinction de leur propre personnalité, ont désormais conclu le cycle de leur existence terrestre, pour entrer définitivement — comme chacun l’augure dans ses prières — dans ce Royaume où déjà les avait introduits dans l’espérance, leur foi ardente et intrépide.

Que le Seigneur leur accorde maintenant, à l’un et à l’autre, le repos dans sa lumière, dans sa paix. Amen !

 

 

 

15 août 1979

« LE PUISSANT FIT POUR MOI DES  MERVEILLES »

 

Homélie du Saint-Père pour la fête de l’Assomption

Le 15 août le Saint-Père a concélébré la messe en l’église paroissiale de Castel Gandolfo. Il a prononcé l’homélie suivante :

 

1. Nous nous trouvons sur le seuil de la maison de Zacharie à Ain-Karim. Marie y arrive, portant en elle le joyeux mystère. Le mystère d’un Dieu qui s’est fait homme dans son sein. Marie vient chez Elisabeth, une personne qui lui est très proche, à qui elle est unie par un mystère analogue ; elle arrive pour partager avec elle sa propre joie.

Sur le seuil de la maison de Zacharie l’attend une bénédiction qui fait suite à ce qu’elle a entendu des lèvres de Gabriel : « Tu es bénie entre les femmes, et béni le fruit de ton sein !... Oui, bienheureuse celle qui a cru à l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur ! » (Lc 1, 42, 45).

Et à ce moment, du fond de l’intimité de Marie, du fond de son silence, jaillit ce cantique qui exprime toute la vérité du grand mystère. C’est le cantique qui annonce l’histoire du salut et révèle le cœur de la Mère : « Mon âme exalte le Seigneur... » (Lc 1, 46).

 

2. Aujourd’hui, nous ne sommes plus sur le seuil de la maison de Zacharie à Ain-Karim. Nous nous trouvons au seuil de l’éternité. La vie de la Mère de Dieu s’est désormais conclue sur la terre. En elle doit maintenant s’accomplir cette loi que l’Apôtre Paul proclame dans son épître aux Corinthiens : la loi de la mort vaincue par la résurrection du Christ. En réalité, « Le Christ est ressuscité des morts, prémices de ceux qui sont morts... et de même que tous meurent en Adam, tous aussi revivront dans le Christ. Mais chacun à son rang » (1 Co 15, 20, 22, 23).

Dans, ce rang, Marie est à la première place. Qui, en effet, « appartient au Christ » autant qu’elle ?

Et voici qu’au moment où s’accomplit en elle la loi de la mort, vaincue par la résurrection de son Fils, s’élève de nouveau du cœur de Marie le cantique qui est un cantique de salut et de grâce : le cantique de l’Assomption du ciel. L’Église met à nouveau le Magnificat sur les lèvres de la Mère de Dieu élevée au ciel.

 

3. Cette nouvelle vérité résonne dans ces mots que Marie a prononcés un jour durant sa visite à Elisabeth : « mon esprit tressaille de joie en Dieu mon Sauveur… car le Tout-Puissant a fait pour moi de grandes choses » (Lc 1, 47, 49).

Il les a faites dès le début. Dès le moment de sa conception dans le sein de sa mère Anne, quand l’ayant choisie pour être la Mère de Dieu, il l’a libérée du joug de l’hérédité du péché originel. Puis, tout au long des années de l’enfance, quand il l’a appelée totalement à Lui, à son service, comme l’épouse du Cantique des Cantiques. Puis, lors de l’Annonciation à Nazareth, lors de la nuit de Bethléem et durant les trente années de sa vie retirée dans la maison de Nazareth. Et, successivement, par les expériences des années d’enseignement de son Fils le Christ, les horribles souffrances de la Croix et l’aurore de la résurrection... Vraiment « le Tout-Puissant a fait en moi de grandes choses : Saint est son nom » (Lc 1, 49).

En ce moment s’accomplit le dernier acte à dimension terrestre, un acte qui est en même temps le premier à dimension céleste. Au sein de l’éternité.

Marie glorifie Dieu, consciente qu’en vertu de sa grâce toutes les générations allaient la glorifier parce que « la miséricorde de Dieu s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent » (Lc 1, 50).

 

4. Nous aussi, chers frères et sœurs, louons tous ensemble Dieu de tout ce qu’il a fait pour l’humble servante du Seigneur. Nous le glorifions, nous lui rendons grâces. Ranimons notre confiance et notre espérance, prenons notre inspiration de cette merveilleuse fête mariale.

Dans les paroles du « Magnificat » s’exprime tout le cœur de notre Mère. Elles sont aujourd’hui son testament spirituel. Chacun de nous doit, d’une certaine manière, regarder avec les yeux de Marie sa propre vie, l’histoire de l’homme. Saint Ambroise eut à ce sujet de très belles paroles qu’il me plaît de vous répéter aujourd’hui : « que chacun magnifie le Seigneur avec l’âme de Marie, que chacun exulte dans le Seigneur avec l’esprit de Marie ; si, selon la chair, Une seule est la Mère du Christ, selon la foi toutes les âmes engendrent le Christ : chacun en effet accueille en soi le Verbe de Dieu » (Exp. ev. sec. Lucam II, 26).

Et en outre, chers frères et sœurs, ne devrons-nous pas, nous aussi redire comme Marie : « Il a fait de grandes choses pour moi ? » Car ce qu’il a fait en elle, il l’a fait à nous aussi. Pour nous il s’est fait homme, à nous il a apporté la grâce et la vérité. Il fait de nous des enfants de Dieu et des héritiers du Ciel.

Les paroles de Marie nous donnent une nouvelle vision de la vie. Une vision de foi persévérante et cohérente. Une foi qui est la lumière de la vie quotidienne ; de ces jours parfois tranquilles, mais souvent orageux et difficiles. Une foi qui éclaire, enfin, les ténèbres de la mort de chacun de nous.

Que ce regard sur la vie et la mort soit le fruit de la fête de l’Assomption.

 

5. Je suis heureux de pouvoir vivre cette fête avec vous à Castel Gandolfo, parler de la joie de Marie et proclamer sa gloire à tous ceux à qui est cher et familier le nom de la Mère de Dieu et des hommes.

 

 

 

8 septembre 1979

QUE LA TERRE DEVIENNE LA MAISON DES FAMILLES !

 

Au cours de la sainte messe Célébrée en plein air durant son pèlerinage à Notre-Dame-de-Lorette,  le 8 septembre, Jean Paul II a prononcé l’homélie suivante :

 

1. « Ta naissance, ô Vierge Mère de Dieu, a annoncé la joie au monde entier ! »

Voila, c’est aujourd’hui le jour de cette joie. Le 8 septembre, neuf mois après la fête de l’Immaculée Conception de la Mère du Fils de Dieu, l’Église commémore le souvenir de sa naissance. Le jour de la naissance de la Mère incite nos cœurs à se tourner vers le Fils : « De toi est né le soleil de justice, le Christ notre Dieu : il a effacé la malédiction et apporté la grâce, il a vaincu la mort et nous a donné la vie éternelle » (Ant. Benedictus).

Et ainsi, donc, la grande joie de l’Eglise passe du Fils sur la Mère. Le jour de sa naissance est vraiment un préambule et le commencement d’un monde meilleur (origo mundi melioris) comme Paul VI l’a proclamé de manière merveilleuse.

C’est pour cette raison que la liturgie d’aujourd’hui confesse et annonce que la naissance de Marie répand sa lumière sur toutes les Eglises qui sont dans le monde.

 

2. Il semble que la lumière que la fête de la naissance de Marie fait rayonner sur l’Eglise de la terre italienne brille de manière toute particulière ici à Lorette, dans l’admirable sanctuaire qui est aujourd’hui le but de notre pèlerinage commun. Dès le début de mon pontificat, j’ai éprouvé ardemment le désir de venir en ce lieu ; j’ai toutefois préféré attendre ce jour, celui de la présente fête. Me voici ici aujourd’hui, tout spécialement heureux qu’à mon premier pèlerinage participent également des cardinaux et évêques, de nombreux prêtres et religieuses et une foule de pèlerins provenant en majorité des diverses villes de cette région d’Italie. En communion avec tous, je désire apporter ici aujourd’hui les chaleureuses paroles de vénération qui jaillissent de tous les cœurs et, en même temps de la tradition séculaire de cette terre que la Providence a choisie comme siège de Pierre et qui, par la suite a été illuminée par le rayonnement de ce sanctuaire que la profonde piété chrétienne a lié de manière toute particulière au souvenir du mystère de l’Incarnation. Je suis très reconnaissant pour l’invitation qui m’a été adressée, d’abord par le cardinal Mozzoni, président de la Commission cardinalice pour le sanctuaire, puis par l’archevêque Loris Francesco Capovilla dont la personne nous rappelle la figure du Serviteur de Dieu, le pape Jean XXIII et son pèlerinage à Lorette à la veille de l’ouverture du concile Vatican II.

Je ne saurais non plus passer sous silence le fait que dans le voisinage du sanctuaire se trouvent le cimetière où reposent les corps des soldats polonais, mes compatriotes. Durant la seconde guerre mondiale, ils sont morts au combat sur cette terre, en luttant « pour votre liberté, et pour la nôtre » comme l’exprime une antique devise polonaise. Ils sont tombés ici et peuvent reposer tout près du sanctuaire de la Vierge Marie dont le mystère de la naissance répand sa lumière dans l’Église en terre polonaise comme dans l’Église en terre italienne. Eux aussi, ils participent de manière invisible au pèlerinage de ce jour.

 

3. Le culte rendu en cette terre à la Mère de Dieu est, selon une antique et vivante tradition, lié à la Maison de Nazareth. La maison où, comme le rappelle aujourd’hui l’Évangile, Marie vécut après son mariage avec Joseph. La maison de la Sainte Famille. Une maison est toujours et avant tout le sanctuaire de la mère de famille. C’est avec sa maternité que, d’une manière particulière, elle le crée. Il est nécessaire qu’en venant au monde les fils de la famille humaine aient un toit sur la tête. Toutefois, comme nous le savons, la maison de Nazareth ne fut pas le lieu où naquit le Fils de Marie et Fils de Dieu. Tous les prédécesseurs de Jésus qui figurent dans la généalogie présentée dans l’Évangile selon saint Matthieu lu aujourd’hui sont vraisemblablement venus au monde sous un toit. A lui, cela n’a pas été donné. Il est né à Bethléem, comme un exilé, dans une étable. Et il lui fut impossible de venir dans la maison de Nazareth, à cause de la cruauté d’Hérode, Pour cela, il dut fuir Bethléem pour gagner l’Egypte ; ce n’est qu’après la mort du roi que Joseph osa ramener Marie et l’Enfant dans la maison de Nazareth.

Et depuis ce moment cette maison fut le centre de la vie quotidienne, le lieu où se déroula la vie cachée du Messie, la maison de la Sainte Famille. Elle fut le premier temple, la première église sur laquelle, avec sa maternité, la Mère de Dieu fit rayonner sa lumière. Elle l’illumina de la lumière émanant du grand mystère de l’Incarnation, du mystère de son Fils.

C’est sous le rayon de cette lumière que, dans votre pays ensoleillé, croissent les maisons familiales. Il y en a tant ! Des sommets des Alpes et des Dolomites que j’ai pu approcher le 26 août dernier en visitant la terre natale du pape Jean Paul Ier, jusqu’à la Sicile. Tant et tant de maisons ! tant de familles ; grâce à la tradition chrétienne et mariale de votre patrie, chacune d’elle maintient un certain lien spirituel avec cette lumière qui émane de la maison de Nazareth, et particulièrement aujourd’hui : le Jour de la naissance de la Mère du Christ.

Peut-être même cette lumière que répand la tradition de la maison de Nazareth à Lorette réalise-t-elle quelque chose d’encore plus profond ; elle fait que tout ce pays, que votre patrie devienne comme une grande maison familiale. La grande maison, habitée par une grande communauté qui se nomme « Italie ». Il faut remonter bien loin dans la réalité historique et même peut-être jusque dans la préhistoire pour découvrir ses racines les plus anciennes. Un étranger comme moi, conscient de la réalité qui constitue l’histoire de son propre pays, pénètre dans cette réalité avec un respect tout particulier, une attention pleine de recueillement. Comment cette grande communauté humaine dont le nom est « Italie » s’est-elle développée en partant de ces très antiques racines ? Et les hommes qui la constituent aujourd’hui comment sont-ils unis à ces générations qui ont traversé la terre depuis l’époque de la Rome ancienne jusqu’à l’époque actuelle ? Le successeur de Pierre dont la place est fixée en permanence sur cette terre depuis les temps de la Rome impériale, a le droit et le devoir, étant témoin de tant de changements et en même temps de toute l’histoire de votre terre, a le droit et le devoir, dis-je, de poser ces questions.

Et le droit de poser cette question l’a notamment le pape qui est fils d’une autre nation, le pape dont les compatriotes reposent ici à Lorette, dans le cimetière de guerre. Et cependant il sait pourquoi ils sont tombés ici. L’antique adage romain pro aris et focis l’explique de la meilleure des façons. Ils sont tombés pour chaque autel de la foi et pour chaque foyer de la terre natale qu’ils voulaient préserver de la destruction. Parce que, au milieu de toutes les transformations de l’histoire dont les hommes sont les artisans, et surtout les peuples et les nations, la maison reste toujours comme une arche d’alliance des générations, comme la tutrice des valeurs les plus profondes, des valeurs humaines et divines. Aussi, pour préserver ces valeurs, la famille et la patrie n’épargnent pas leurs propres enfants.

 

4. Comme vous le voyez, chers frères et sœurs, je viens à Lorette pour relire le mystérieux destin du premier sanctuaire mariai élevé sur la terre italienne. En effet, la présence de la Mère de Dieu au milieu des fils de la famille humaine et au sein des divers pays de la terre en particulier nous dit tant de choses sur les nations et sur les communautés elles-mêmes.

Et je viens aussi durant la période de préparation d’une tâche importante qu’après l’invitation du Secrétaire de l’Organisation des Nations-Unies il convient que j’assume devant la haute assemblée de l’organisation la plus représentative du monde contemporain. Ici, dans ce sanctuaire, je viens chercher la lumière par l’intercession de Marie, notre Mère. Déjà dimanche dernier durant la rencontre de l’Angélus à Castel Gandolfo, j’ai demandé de prier pour le pape et pour son importante mission devant l’ONU. Cette demande je la répète une nouvelle fois aujourd’hui.

Il s’agit en effet de travailler, de collaborer afin que, sur la terre que la Providence a destinée à l’habitation des hommes, la maison de la famille, symbole de l’unité et de l’amour, triomphe de tout ce qui menace cette unité et l’amour entre les hommes : la haine, la cruauté, la destruction, la guerre. Afin que cette maison familiale devienne l’expression des aspirations des hommes, des peuples, des nations, de l’humanité ; et ceci, malgré tout ce qui lui est contraire, qui l’élimine de la vie des hommes, des nations et de l’humanité ; qui ébranle ses fondements tant socio-économiques qu’éthiques. C’est en effet sur l’unité et sur l’amour qu’est basée toute maison : que ce soit celle que se construit chaque famille ou, également celle qu’avec l’effort d’entières générations se construisent les peuples et les nations : la maison de leur propre histoire ; la maison de tous et la maison de chacun.

 

5. Voilà l’inspiration que je trouve ici à Lorette. Voilà l’impératif moral que je désire emporter d’ici. Voilà, en même temps, le problème que, précisément devant la tradition de la Maison de Nazareth et devant le visage de la Mère du Christ à Lorette, je désire recommander et confier de manière particulière à son cœur maternel, à la toute puissance de son intercession (omnipotentia supplex).

Comme je l’ai déjà fait à Guadalupe au Mexique puis à Jasna Gôra à Czestochowa en Pologne, je désire en cette rencontre de Lorette rappeler cette consécration au Cœur Immaculé de Marie qu’il y a vingt ans, le 13 septembre 1959 les pasteurs de l’Eglise italienne ont faite à Catane, lors de la conclusion du XVI° congrès eucharistique national. Et je désire rappeler les paroles que dans un message radiophonique mon prédécesseur Jean XXIII de vénérée mémoire, adressa aux fidèles à cette occasion : « Nous pensons, plein de confiance, qu’en vertu de cet hommage à la Vierge Très-Sainte tous les Italiens vénéreront en elle, avec une ferveur accrue, la Mère du corps mystique dont l’Eucharistie est symbole et centre vital ; qu’ils imiteront en elle le modèle le plus parfait de l’union avec Jésus notre chef ; qu’ils s’uniront à Elle dans l’offrande de la Victime divine et qu’ils imploreront d’elle pour l’Eglise les dons de l’Unité, de la paix et surtout une plus abondante floraison de vocations sacerdotales. De cette manière la consécration deviendra motif d’un engagement toujours plus sérieux dans la pratique des vertus chrétiennes, un moyen de défense extrêmement efficace contre les maux qui nous menacent et une source de prospérité même temporelle, selon les promesses du Christ » (ASS 51 ; 1959 ; 713).

Tout ce qui a trouvé, il y a vingt ans, son expression dans l’acte de consécration à Marie accompli par les pasteurs de l’Eglise italienne, aujourd’hui, je veux non seulement le rappeler, mais aussi le répéter de tout cœur, le renouveler et en faire d’une certaine manière ma propriété puisque par les insondables décrets de la Providence, il m’est échu d’accepter le patrimoine des évêques de Rome au Siège de Saint-Pierre.

 

6. Et je le fais avec la plus profonde conviction de la foi, de l’intelligence et du cœur tout ensemble. Parce qu’en cette difficile époque et de même au cours des temps qui viennent, seul le véritable grand amour pourra sauver l’homme.

Seulement grâce à lui, cette terre, l’habitation de l’humanité, peut devenir une maison : la maison des familles, la maison des nations, la maison de la famille humaine tout entière. Sans amour, il n’y a pas sur la terre de maison pour l’homme. Même s’il élevait les édifices les plus beaux et les aménageait de la manière la plus moderne, l’homme serait condamné à vivre privé de tout.

Accepte, ô Notre-Dame-de-Lorette, ô Mère de la maison de Nazareth, ce pèlerinage, le mien, le nôtre : il est une grande prière commune pour la maison de l’homme de notre époque : pour la maison qui prépare les fils de toute la terre à la maison éternelle du Père dans le ciel.

 

 

 

16 septembre 1979

« LA  FOI SANS LES ŒUVRES EST UNE FOI MORTE »

 

Chapelle papale à la mémoire de Paul VI

Le 16 septembre a eu lieu en la basilique Saint-Pierre de Rome une messe à la mémoire de Paul VI, à l’occasion du premier anniversaire de sa mort. Déjà le 6 août, à Castel Gandolfo Jean Paul II avait commémoré son illustre prédécesseur, mais une cérémonie solennelle s’imposait à Rome même, pour lui rendre un hommage plus officiel. Voici l’homélie prononcée par le pape :

 

1. Dans l’Évangile d’aujourd’hui saint Marc nous rapporte un événement que saint Matthieu avait, lui aussi, décrit dans son chapitre 16. Dans les environs de Césarée de Philippe, Jésus interroge ses disciples : « Qui suis-je, au dire des gens ? » (Mc 8, 27). Après diverses réponses Pierre prend la parole et dit : « Tu es le Christ » (8, 29), (ce qui signifie le Messie). Dans l’Évangile de saint Matthieu, la réponse de Pierre est celle-ci : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16). A la suite de quoi, Jésus bénit Pierre pour sa foi et lui adresse la promesse qui commence par les mots : « Tu es Pierre » (pierre, roc) (16, 18). Un texte sublime que nous connaissons tous par cœur.

Dans la version de Marc, par contre, immédiatement après que Pierre eut confessé « Tu es le Christ », Jésus passe à l’annonce de sa mort : « Le Fils de l’homme devait beaucoup souffrir, être mis à mort et, après trois jours, ressusciter » (8, 31). Et alors, comme nous le lisons « Pierre se mit à le morigéner » (8, 32). Selon saint Matthieu ce reproche a le sens que voici : « Dieu t’en préserve, Seigneur ! Non, cela ne t’arrivera point ! » (16, 22). Pierre ne veut pas que le Christ parle de sa passion et de sa mort. Avec son cœur qui aime de manière humaine, il n’est pas capable de les accepter. Celui qui aime veut préserver du mal la personne aimée, même en pensée, même en imagination. Le Christ toutefois le reprend, le reprend même sévèrement. Et ce reproche que nous lisons aujourd’hui dans l’Évangile de saint Marc est encore plus significatif dans le texte de saint Matthieu en raison du contraste avec les paroles que le Christ avait prononcées peu avant pour bénir Pierre et lui annoncer sa primauté dans l’Église. C’est précisément la primauté qui ne permet pas de se soustraire au mystère de la Croix, qui ne permet pas de s’écarter, fût-ce d’un pouce, de sa réalité salvifique.

 

2. Nous sommes réunis aujourd’hui en cette basilique Saint-Pierre pour commémorer le premier anniversaire de la mort du pape Paul VI. Nous l’avons déjà fait le jour même de l’anniversaire, le 6 août, fête de la Transfiguration du Seigneur ; nous l’avons fait à Castel Gandolfo, dans, cette demeure où, il y a un an, il a conclu sa journée terrestre. Aujourd’hui nous te faisons de manière solennelle en la basilique vaticane où, depuis plus d’un an, repose dans les grottes la dépouille mortelle du grand pape. Sa grandeur trouve son fondement dans le mystère de la croix du Christ. Comme successeur de Pierre, il a accepté cette bénédiction et tout le contenu de la promesse messianique qui avait été faite dans le voisinage de Césarée de Philippe, et il a accepté dans toute sa plénitude le mystère de la croix. Il a porté cette croix non seulement dans ses mains, en marchant durant toutes ces années le long du « Chemin de la Croix » du Colisée de Rome. Il l’a portée en lui-même, dans son cœur, durant toute sa mission : « ... que jamais je ne me glorifié sinon dans la croix de notre Seigneur Jésus Christ » (Ga 6, 14). Ces paroles de l’Apôtre dont il avait choisi le nom en 1963, au début de son pontificat, ont été confirmées par toute sa vie. Paul VI : apôtre du Crucifié, comme le fut l’Apôtre Paul. Et ainsi, comme l’Apôtre Paul, il aurait pu compléter sa confession de se glorifier dans la croix du Christ en disant : « qui a fait du monde un crucifié pour moi et de moi un crucifié pour le monde » (ibid.). Et ces paroles constituent probablement la clé essentielle pour comprendre la vie de Paul VI, comme elles l’ont constituée pour comprendre la vie et la mission de saint Paul.

 

3. Comme l’insinue, dans la liturgie d’aujourd’hui, le prophète Isaïe puis le psaume 114-115, la croix a sa propre dimension intérieure, et cette dimension intérieure de la croix, Paul VI l’a connue. Même les « insultes » et les « crachats » ne lui furent pas épargnés (cf. Is 50, 6) : il dut; les subir comme maître et serviteur de la vérité. Tout comme à son âme ne furent même pas épargnées cette « tristesse et angoisse » dont parle le psalmiste (Ps 114-115, 3). Tristesse et angoisse qui naissent du sens de responsabilité pour les plus grandes valeurs, pour la grande cause que Dieu a confiées à l’homme : cette tristesse et cette angoisse ne peuvent être surmontées que dans la prière ; elles ne peuvent l’être que par la force d’une confiance sans limite. « Bon et juste est le Seigneur, notre Dieu est miséricordieux. Le Seigneur protège les humbles, j’étais dans la misère et il m’a sauvé » (Ps 114-115, 5-6). Paul VI était l’homme de cette profonde, difficile — et pour cela même — inébranlable confiance. C’est précisément grâce à cette confiance que durant cette période exceptionnelle des grands changements d’après le Concile, il fut la pierre, le roc sur lequel se construisait l’Église.

Aux épreuves internes et externes de l’Église, il répondait avec cette foi, cette espérance et cette confiance inébranlables qui faisaient de lui le Pierre de notre époque. La grande sagesse et l’humilité ont accompagné cette foi, cette espérance et, par là, les ont rendues aussi fermes et inflexibles.

 

4. Par la parole et par les œuvres il nous enseignait cette foi salvifique dont parle aujourd’hui de manière si convaincante, saint Jacques : « La foi sans les œuvres est une foi morte » (Jc 2, 17).

Paul VI nous enseigna donc la foi vivante ; il enseigna à toute l’Église la vie de la foi à la mesure de notre époque. Ses grandes encycliques, en particulier Populorum Progressio et, dans une autre dimension, Humanae vitae ne sont rien d’autre que l’enseignement de cette foi vivante liée aux œuvres. Aujourd’hui on le comprend probablement mieux qu’il y a une dizaine d’années. La cohérence entre la foi et la vie doit filtrer à travers toute œuvre. Elle doit se manifester dans chaque domaine de notre action.

 

5. On ne saurait mieux faire, à l’occasion de cette commémoration du grand pasteur que de réentendre sa voix, d’écouter à nouveau ses paroles toujours pleines de foi et de charité.

« En face de la mort et du total et définitif détachement de la vie présente, j’éprouve le besoin de célébrer le don, le bonheur, la beauté, la destinée de cette fugace existence elle-même : Seigneur, je te remercie de m’avoir appelé à la vie, et plus encore de ce qu’en me faisant chrétien, tu m’as régénéré et destiné à la plénitude de la vie... Maintenant que la journée est à son déclin, et que tout finit et se dissipe de cette merveilleuse et dramatique scène temporelle et terrestre, comment, après le don de la vie naturelle, te remercier encore, ô Seigneur, de la faveur supérieure de la foi et de la grâce dans lesquelles uniquement se réfugie à la fin ce qui de mon être survit ?... Je ferme les yeux sur cette terre douloureuse, dramatique et magnifique en appelant encore une fois sur elle la Bonté divine » (Testament, 30 juin 1965, III° année du Pontificat).

 

6. Quand nous écoutons ces paroles, un an après sa mort, nous avons encore sous les yeux ce trépas. Il s’en va, fatigué, et il nous laisse un grand héritage. La mort l’arrache aux problèmes de ce monde, au ministère du Siège Apostolique. Il semble dire, comme Pierre le dit un jour : « Seigneur, donne-moi l’ordre de venir à toi » (Mt 14, 28). Et le Seigneur le fit venir à lui

Nous tous qui participons à ce sacrifice eucharistique pour recommander son âme au Père éternel, nous remercions Paul VI pour tout ce qu’il a fait et pour tout ce qu’il a été pour l’Église. « Tu es heureux, Simon fils de Jonas » (Mt 16, 17).

 

 

 

29 septembre 1979

A SAINT-PIERRE, LE PAPE ÉVOQUE JEAN PAUL Ier

 

L’Église et le monde se souviennent : au matin du 29septembre-1978, une nouvelle stupéfiante courait Rome puis l’univers. Jean Paul Ier était mort la veille au soir. Aussitôt prélats et fidèles se pressaient autour de la dépouille mortelle du pape pour recueillir son dernier sourire et lui apporter le témoignage de leur reconnaissance.

Le 28 septembre à Saint-Pierre de Rome, son successeur lui rend hommage au jour anniversaire de sa mort au milieu d’une nombreuse assistance profondément recueillie.

 

Messieurs les cardinaux.

Frères et Fils très chers.

 

1. A l’aide des lectures de la liturgie d’aujourd’hui, nous voulons revivre cette journée d’il y a un an, où Dieu rappela à Lui, de façon si inattendue le pape Jean-Paul Ier. Plus que la journée d’aujourd’hui c’est plutôt la nuit du 28 au 29 septembre qui marque le premier anniversaire de la mort de ce successeur sur le siège de saint Pierre sur lequel il resta trente trois jours à peine après son élection. « Magis ostensus quam datus » : il est parti presque avant d’avoir pu commencer son pontificat. Nous avons déjà médité sur son départ inattendu, en visitant son pays natal, Canale d’Agordo, le 26 août, c’est-à-dire le jour anniversaire où, par les votes des cardinaux en conclave, il fut appelé à être l’évêque de Rome.

Il nous revient aujourd’hui de célébrer l’Eucharistie pour le premier anniversaire de sa mort.

 

2. En écoutant les lectures de la liturgie, nous nous trouvons par deux fois devant l’alternative de la vie que le cœur humain semble souvent opposer à la mort.

Marthe s’adresse au Christ par ces mots : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort » (Jn 11, 21). Souvent, près de la dépouille des personnes chères, les hommes disent : « pourtant il aurait pu ne pas mourir ; il aurait pu vivre encore... ». Certes, après la mort inattendue de Jean-Paul Ier, beaucoup disaient, pensaient et sentaient aussi : « pourtant il aurait pu vivre encore... pourquoi est-il parti si vite ? ». Marthe, sœur de Lazare, passe de sa vision humaine « et pourtant il aurait pu... si toi Seigneur tu avait été là... » à l’acte de la plus grande foi et espérance : même en ce moment je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu il te l’accordera (Jn 11, 22). C’est seulement au Christ que l’on peut s’adresser par ces mots ; lui seul a affirmé qu’il a tout pouvoir sur la mort humaine. Toutefois, le cœur humain oppose souvent à la mort — à cette mort qui est déjà devenue un fait, à cette mort que chacun de nous sait, en définitive, qu’elle est inévitable — une alternative de la possibilité de la vie : et pourtant il pouvait encore vivre.

 

3. Alors laissons résonner à nouveau la voix apostolique de saint Paul dans notre méditation. Lui aussi oppose la nécessité de la mort à la possibilité de la vie ; cependant il le fait d’une manière pleinement cohérente avec la lumière de la foi, de l’espérance et de la charité, qui brûlaient dans son cœur : « Je me sens pris dans cette alternative : d’une part, j’ai le désir de m’en aller et d’être avec le Christ, ce qui serait, de beaucoup, bien préférable ; mais, de l’autre, demeurer dans la chair est plus urgent pour votre bien » (Ph 1, 23-24). L’homme qui vit de la foi, comme Paul, qui aime comme lui, devient, d’une certaine façon le maître de sa propre Mort. Celle-ci ne le surprend jamais.

A quelque moment qu’elle survienne, elle sera toujours acceptée comme une alternative de vie, comme une dimension qui prend tout son sens. « Pour moi certes, la Vie c’est le Christ, et mourir représente un gain » (Ph 1, 21). Si le Christ donne à la vie tout son sens, alors l’homme peut penser ainsi à la mort. Il peut l’attendre ainsi ! et il peut l’accepter ainsi !

 

4. Pénétrons en pensée les paroles des lectures liturgiques de ce jour et cherchons à en suivre la signification. Nous percevons qu’elles veulent nous acheminer à la réponse concernant cette mort inattendue, il y a un an, si imprévue et que, non seulement nous nous rappelons aujourd’hui mais, en un certain sens, que nous revivons. Ces lectures veulent nous donner la réponse à la demande : pourquoi donc Jean-Paul Ier est-il mort ?

Alors nous nous posons une deuxième question : qu’eut été cette vie si elle n’avait pas été interrompue la nuit du 28 au 29 septembre de l’an dernier ? C’est dans le texte de Paul que nous trouvons aussi la réponse à cette interrogation : « ... si la vie dans cette chair doit me permettre encore un fructueux travail... » (Ph 1, 22). Ainsi donc, non seulement la vie porte témoignage à la mort, mais aussi la mort à la vie.

 

5. Ce témoignage que la mort de Jean-Paul Ier a donné à sa vie devient en même temps le testament de son pontificat : « ... je vais rester et demeurer près de vous tous pour votre avancement et la joie de votre foi » (Ph 1, 25).

Quel est le mot principal de ce testament ? Peut-être celui qui parle de la « joie de la foi ». Le Seigneur a donné à Jean-Paul Ier trente trois jours sur le siège de saint Pierre, afin qu’il puisse exprimer cette joie, cette joie quasi enfantine.

Cette joie dans la foi est nécessaire pour que puissent s’accomplir les paroles ultérieures de ce testament : que nous combattions unanimes pour la foi de l’Évangile (cf. Ph 1, 27). Nous recevons en effet les deux signes indélébiles : le signe de Fils de Dieu dans le baptême et le signe de confesseur, prêt à combattre pour la foi de l’Évangile, dans la confirmation. Jean-Paul Ier, successeur de Pierre, a témoigné dans sa vie de ces deux signes qu’il portait bien imprimés dans son âme, devant la majesté de Dieu. Comme tout vrai chrétien.

 

6. Nous célébrons l’Eucharistie : la liturgie de la mort et de la résurrection du Christ. Elle devient particulièrement éloquente quand nous la célébrons à l’occasion de la mort d’un homme, durant ses funérailles ou à l’anniversaire de sa mort. A ce sujet je ne peux pas ne pas me rappeler des paroles du vénéré cardinal doyen, interprète de l’émotion universelle, au cours de la cérémonie funèbre de l’an dernier, place Saint-Pierre : « Nous nous demandons : pourquoi si vite ? L’Apôtre nous rappelle dans une exclamation connue, admirable et adorante : "Que les décrets de Dieu sont insondables et ses voies incompréhensibles ! Qui, en effet, a jamais connu la pensée du Seigneur ?" (Rm 11, 33-34) L’insondable mystère de la vie et de la mort nous est ainsi reproposé dans toute sa grandeur immanente et presque opprimante. » (L’Osservotore Romano, 6 octobre 1978, p. 1).

Face à ce mystère, qui, pour la raison humaine, est vraiment impénétrable et insoluble, aucune réponse ne peut être donnée de l’homme à l’homme. C’est pourquoi nous ne pouvons entendre rien d’autre que ce que Marthe a entendu de la bouche même du Christ : « Ton frère ressuscitera. Je suis la résurrection et la vie ; celui qui croit en moi, même s’il est mort vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra pas pour l’éternité. Crois-tu ceci ? » (Jn 11, 23-26).

Le pape défunt a répondu à cette question avec la foi de toute l’Église : Je crois dans la résurrection des morts ; je crois dans la vie du monde à venir ! Et en même temps il a confessé avec la foi personnelle de sa vie : « ... Le Christ sera glorifié dans mon corps, soit que je vive, soit que je meure » (Ph 1, 20).

« Je sais, moi, que mon Défenseur est vivant... Après mon éveil, il me dressera près de lui et, de ma chair, je verrai Dieu » (Jb 19, 25-26).

 

 

 

14 octobre 1979

L’IMAGE TOUJOURS ACTUELLE DU PRÊTRE

 

Le dimanche 14 octobre, le Saint-Père a présidé au rite de béatification du prêtre espagnol Enrique Osso y Cervello. Après l’Évangile, il a prononcé en espagnol l’homélie suivante :

 

Loué soit Jésus-Christ !

Vénérables frères et bien-aimés fils et filles,

 

1. Ce matin, l’Église entonne une hymne de joie et de louanges au Seigneur. C’est le chant de la Mère qui célèbre la bonté et la miséricorde divine en proclamant Bienheureux un fils insigne qui s’est distingué par sa pratique éminente des vertus chrétiennes : le prêtre Enrique de Osso y Cervello, gloire de la chère Espagne terre de saints.

Pour assister à la glorification du nouveau Bienheureux, nous voyons rassemblés en cette basilique de Saint-Pierre, un grand nombre de ses compatriotes. Soyez tous les bienvenus, évoques, prêtres, religieux et fidèles espagnols ici présents, et tous ceux qui proviennent des lieux où a rayonné le bien semé par le Bienheureux Enrique de Osso et où a germé vigoureusement une juste reconnaissance et appréciation de sa personne et de son œuvre.

Mais vous surtout, soyez les bienvenues, religieuses de la Compagnie de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus venues avec vos élèves, actuelles et anciennes, en des divers lieux et pays d’Europe, d’Afrique et d’Amérique pour offrir un chaleureux hommage de dévotion à votre Père fondateur et pour lui confirmer votre fidélité.

Permettez-moi toutefois de réserver un salut tout particulier aux représentants du diocèse de Tortosa et plus concrètement à ceux de la petite population de Vinèbre, berceau natal de cette admirable figure d’homme et de prêtre que l’Église propose aujourd’hui à notre imitation.

 

2. Oui, le bienheureux Enrique de Osso nous offre une vivante image de prêtre fidèle, persévérant, humble et courageux devant les oppositions, méprisant tous les intérêts purement humains, animé de zèle apostolique pour la gloire de Dieu et le salut des âmes, actif dans l’apostolat et contemplatif dans son extraordinaire vie de prière.

Elle n’était certes pas facile l’époque qu’il dut vivre dans une Espagne écartelée par les guerres civiles du XIX° siècle et secouée par les mouvements laïques et anticléricaux qui visaient à la transformation politique et sociale non sans provoquer parfois de sanglants épisodes révolutionnaires. Lui, il sut cependant rester ferme et intrépide dans sa foi ; il y trouvait force et inspiration pour projeter la lumière de son sacerdoce sur la société de son temps. Ayant clairement conscience de sa propre mission comme homme d’Église, d’une Église qu’il aimait de tout son cœur, sans chercher jamais à s’imposer dans des domaines étrangers à sa condition, il était ouvert à tous, sans distinction, pour les rendre meilleurs et les mener au Christ. Il réalisa son projet : « Je serai toujours avec Jésus, son ministre, son apôtre, son missionnaire de paix et d’amour ».

Les trente années à peine de sa vie sacerdotale donnèrent lieu à un continuel développement d’entreprises apostoliques bien méditées et réalisées avec abnégation, avec une impressionnante confiance en Dieu.

Sa vie fut une prière continuelle qui alimentait sa vie intérieure et modelait toutes ses œuvres. A l’école de la grande sainte d’Avila, il apprit que la prière, ce « traité d’amitié » avec Dieu est le moyen nécessaire pour connaître et vivre la vérité, pour croître dans la conscience d’être un fils de Dieu, pour croître dans son amour. Elle est aussi un moyen efficace de transformation du monde. C’est pourquoi le Bienheureux Enrique de Osso sera également un apôtre et un maître enseignant de la prière. A tant et tant d’âmes il apprit à prier avec son œuvre : Le quart d’heure de prière !

Ce fut le secret de sa : grande vie sacerdotale, ce qui lui donna la joie, l’équilibre et la force ; ce qui fit que lui, prêtre, serviteur et ministre de tous, souffrant avec tous, les aimant et les respectant tous, se sentait heureux d’être ce qu’il était. Il avait conscience de tenir en ses mains, des dons reçus du Seigneur pour la rédemption du monde, tout petit et indigne qu’il se sentait. Il savait que ces dons lui étaient offerts par la supériorité infinie du mystère du Christ et ils remplissaient son âme d’une joie ineffable. Un témoignage et une leçon de vie ecclésiale toujours valables pour le prêtre d’aujourd’hui qui, dans l’exemple des saints et dans l’enseignement ou les normes de l’Église — et non dans des suggestions ou théories étrangères — peut trouver son identité pour se réaliser avec une orientation sûre pour conserver plénitude.

Je voudrais une fois de plus, en cette splendide occasion, vous exhorter, mes bien-aimés frères prêtres, à l’abandon total au Christ, joyeusement vécu dans le célibat, pour le royaume des cieux et pour le service généreux en faveur de nos frères, surtout les plus pauvres, et à mener une vie centrée sur leur propre ministère pastoral — qui est la mission spécifique de l’Église et caractérisée par ce style évangélique que j’ai défini dans ma lettre du Jeudi saint, et dont j’ai parlé de nouveau dans mes rencontres avec les prêtres durant mon récent voyage apostolique.

 

3. Si nous voulons dégager maintenant un des traits les plus caractéristiques de la physionomie apostolique du nouveau Bienheureux, nous pourrions dire qu’il fut un des plus grands catéchistes du XIX° siècle, ce qui le rend des plus actuels en ce moment où l’Église réfléchit — comme ce fut le cas lors de la dernière session du Synode des évêques — sur le devoir de catéchiser qui incombe à tous ses fils. Comme catéchiste génial, il se distingua par ses écrits et par son travail pratique, attentif à faire connaître, de manière adéquate et conforme au Magistère de l’Église, le contenu de la foi et à le vivre. Ses méthodes pratiques en firent un devancier des conquêtes pédagogiques ultérieures. Mais, par-dessus tout, l’objectif qu’il se proposa fut de faire connaître et réanimer l’amour envers Dieu et envers l’Église ce qui est au cœur de la mission du véritable catéchiste.

Et cette mission lui fit aborder tous les milieux : celui des enfants avec ses inoubliables catéchèses à Tortosa, (« par les enfants au cœur des hommes ») ; celui du monde des jeunes, avec ses associations de jeunesse, qui finirent par avoir la plus ample diffusion ; celui de la famille, avec ses écrits de propagande religieuse et particulièrement la Revista Teresiana ; celui des travailleurs avec l’objectif de leur faire connaître la doctrine sociale de l’Église ; celui de l’enseignement et de la culture où, tenant compte de la mentalité de l’époque, il lutta pour assurer la présence de l’idéal catholique dans les écoles à tous les niveaux jusqu’à celui des universités. Il se dévoua inlassablement au ministère de la parole parlée par ses prédications et à celui de la parole écrite, au moyen de la presse comme voie d’apostolat.

 

4. Toutefois, dans son effort de catéchiste, son œuvre de prédilection — celle qui mobilisa la plus grande partie de ses énergies — fut la fondation de la Compagnie de sainte Thérèse de Jésus.

Pour étendre son rayon d’action dans le temps et dans l’espace, pour pénétrer au cœur des familles, pour servir la société à une époque où les capacités culturelles commençaient à être indispensables, il appela autour de lui des femmes qui puissent l’aider dans sa mission, et il entreprit la tâche de les former avec soin. Il commença avec elles le nouvel institut qui se distingua par ces traits : comme filles de leur époque, l’estime pour les valeurs de la culture ; comme religieuses consacrées à Dieu, un engagement total au service de l’Église ; comme propre style de spiritualité, l’assimilation de la doctrine et des exemples de sainte Thérèse de Jésus.

Nous pourrions dire que la compagnie de sainte Thérèse fut et est pareille à la grande catéchèse organisée par le bienheureux Osso pour toucher la femme et à travers elle, infuser une nouvelle vitalité à la société et à l’Église.

Filles de la compagnie de sainte Thérèse, laissez-moi vous dire qu’il me plaît de voir que vous restez fidèles à votre charisme au sein du renouvellement que demande l’époque actuelle à la lumière des directives du concile Vatican II et de l’exhortation apostolique Evangelica testificatio de mon prédécesseur Paul VI. D’accord avec l’héritage de votre fondateur et avec l’esprit de la grande sainte d’Avila, soyez généreuses dans votre don total au Christ afin de donner beaucoup de fruit dans les pays de mission. Que toute votre conduite reflète la richesse d’une vie intérieure dans laquelle le renoncement est amour ; le sacrifice, efficacité apostolique ; la fidélité, acceptation du mystère que vous vivez ; l’obéissance, élévation surnaturelle ; la virginité, donation joyeuse au prochain pour le royaume des cieux. Soyez devant le monde, également par les signes extérieurs, de vivants témoins des grands idéaux devenus réalité, en catéchisant, en évangélisant toujours par la parole et par l’action apostolique ; soyez une preuve convaincante de ce qu’aujourd’hui comme hier cela vaut la peine de ne pas couper les ailes à son propre esprit, afin de pouvoir donner au monde actuel — qui en a bien besoin et les cherche parfois même sans le savoir — la sérénité dans la foi, la joie dans l’espérance, le bonheur dans le véritable amour. Oui, cela vaut la peine de vivre pour cela : de vivre ainsi sa propre vocation de femme et de religieuse. A l’imitation de la Vierge envers qui votre Fondateur professait une tendre dévotion.

 

5. Au chrétien d’aujourd’hui, plongé, dans un milieu de recherche haletante d’un nouvel idéal d’homme, le bienheureux Enrique de Osso, l’éducateur chrétien, a laissé lui-même un héritage. Cet homme nouveau qui se cherche ne pourra jamais être authentiquement tel sans le Christ, le Rédempteur de l’homme. Il faudra le cultiver, l’éduquer, le dignifier de plus en plus dans ses multiples facettes humaines, mais il faudra également toutefois, le catéchiser, lui ouvrir les horizons spirituels et religieux où il découvrira son destin d’éternité, comme fils de Dieu et citoyen d’un monde qui va au-delà du présent Quel ample champ s’ouvre au dévouement généreux des pères et des mères de famille ! aux responsables et professeurs des collèges et instituts d’enseignement — surtout ceux de l’Église qui doivent continuer à être, avec le respect dû à tous, des centres d’éducation chrétienne — ; à chacune de vous, anciennes élèves des collèges de la compagnie de sainte Thérèse qui vous trouvez aux côtés, de vos éducatrices d’autrefois ; à toutes les autres âmes qui, à divers postes, publics ou privés, peuvent contribuer à l’élévation culturelle et humaine des autres, et à leur formation dans la foi ! Soyez conscients de vos responsabilités et de vos possibilités de faire le bien .

 

6. Je termine ces réflexions en adressant un cordial salut aux membres de la mission spéciale envoyée à cette cérémonie par le gouvernement espagnol. Je demande à Dieu que la tradition catholique de la nation espagnole, au sujet de laquelle le nouveau bienheureux a tant écrit et parlé, soit un stimulant dans la phase actuelle de son histoire et puisse tendre à des objectifs supérieurs, visant décidément le futur, sans oublier toutefois de conserver et de renforcer les choses essentielles du passé, afin qu’ainsi le présent soit une époque de paix, de prospérité matérielle et spirituelle, d’espérance en le Christ Sauveur.

 

 

 

15 octobre 1979

« L’INTELLIGENCE EST LE FRUIT DE LA FOI »

 

Aux professeurs et étudiants des Universités et Collèges pontificaux

Les recteurs, professeurs et élèves des universités pontificales et des collèges ecclésiastiques de Rome se sont réunis le 15 octobre en la basilique vaticane pour participer à une concélébration eucharistique présidée par le Saint-Père à l’occasion de l’inauguration de la nouvelle année académique.

 

1. Je trouve un motif de joie sincère dans le fait de présider ici, aujourd’hui, cette, solennelle liturgie eucharistique où nous voyons réunis autour de l’autel du Seigneur, avec M. le cardinal Préfet de la S. Congrégation pour l’Éducation catholique et les Recteurs des Universités pontificales et des Collèges romains, les professeurs, les élèves et le personnel auxiliaire de ces centres d’étude.

Nous sommes réunis ici, très chers fils, en raison d’une circonstance très importante : nous voulons inaugurer officiellement, par cette concélébration, l’Année académique 1979-1980. Nous voulons l’inaugurer sous les yeux de Dieu. Nous avons le sentiment qu’il est juste d’agir ainsi. Qu’est, en effet, une nouvelle année d’étude sinon la reprise d’une ascension idéale qui, par des sentiers souvent rigides et escarpés, conduit le chercheur toujours plus haut, le long des pentes de cette montagne mystérieuse et passionnante qu’est la vérité ? La fatigue du chemin est amplement compensée par la beauté des panoramas toujours plus suggestifs qui s’offrent au regard extasié.

L’ascension, toutefois, n’est pas sans risques ; il y a des passages difficiles et des points d’appui insidieux ; il y a le danger des brouillards imprévus ; il y a la possibilité des perspectives illusoires et des obstacles imprévus. La métaphore est transparente : la conquête de la vérité est une entreprise ardue, non privée d’inconnues et de risques. La personne responsable qui s’y aventure ne peut manquer de ressentir le besoin d’invoquer, sur son difficile labeur, la bienveillance de Dieu, le secours de sa lumière, l’intervention fortifiante de sa grâce. Si ceci est valable pour toute forme de recherche scientifique, c’est d’autant plus vrai pour l’enquête théologique qui se cimente avec l’infini mystère de Dieu qui se communique à nous personnellement par la parole et l’œuvre de la Rédemption ; et cela se démontre également vrai pour toutes les autres branches des études ecclésiastiques qui, si elles nous orientent vers les divers domaines de la recherche biblique, de la science philosophique, de l’histoire, etc., se ramènent à ce seul facteur qui les unifie toutes et fait de vous les « spécialistes » de Dieu et de son mystère de salut manifesté à l’homme. C’est pourquoi l’étudiant des Facultés ecclésiastiques n’est pas confronté avec une vérité impersonnelle et froide, mais avec l’Ego même de Dieu qui, dans la Révélation s’est fait « Tu » pour l’homme et a ouvert avec lui un dialogue dans lequel il manifeste quelque aspect de l’insondable richesse de son être.

 

2. Quelle sera donc l’attitude appropriée d’un homme appelé à une impensable intimité grâce à l’amour prévenant de Dieu ? Il n’est pas difficile de répondre. Ce ne pourra être qu’une attitude de profonde reconnaissance, unie à une sincère humilité. Si faible est notre intelligence, si limitée notre expérience, si courte notre vie que tout ce qu’on réussit à dire de Dieu a l’apparence d’un balbutiement enfantin plutôt que la dignité d’un discours exhaustif, conclusif. Sont bien connues les paroles de saint Augustin qui avouait combien il tremblait lorsqu’il se préparait à parler des mystères divins : « suscepi enim tractanda divina homo, spiritatia carnalis, aeterna mortalis (J’ai pris l’engagement de traiter de choses divines, moi qui suis un simple être de chair ; de choses éternelles, moi un simple mortel, (In Ioan. Ev. Tr. 18, n. 1).

C’est avec cette conviction fondamentale que le théologien doit prendre contact avec son travail ; il doit se rappeler sans cesse que dans tout ce qu’il pourra dire sur le compte de Dieu, il ne s’agira jamais que de paroles d’un homme, et donc d’un petit être fini qui s’est aventuré dans l’exploration du mystère insondable du Dieu infini.

Rien de surprenant donc si les résultats auxquels sont parvenus les plus grands génies du christianisme ont semblé à ceux-ci mêmes absolument inadéquats par rapport au Terme transcendant dé leur enquête. C’est encore saint Augustin qui confesse : Deus ineffabilis est ; facilius dicimus quid non sit, quam quid sit » — Dieu est ineffable ; nous disons plus facilement ce qu’il n’est pas que ce qu’il est — (Enarr. in Ps 85, n. 12), et il expliquait : « Quand de notre abîme on s’élève pouf respirer à cette altitude, ce n’est pas science négligeable de savoir ce que Dieu n’est pas, avant de savoir ce qu’il est » (De Trin. 8, 2, 3). Et comment ne pas rappeler à ce propos la réponse de saint Thomas à son fidèle secrétaire fra’Reginaldo de Piperno qui l’exhortait à poursuivre la composition de la Somme, interrompue après une expérience mystique particulièrement bouleversante. Ses biographes nous rapportent qu’à l’insistance de son ami, il opposa seulement un laconique refus : « Frères, je ne peux plus ; tout ce que j’ai écrit me semble de la paille ». Et la Somme resta inachevée.

Et l’humilité dont les plus grands maîtres de la théologie nous donnent un si bel exemple va de pair avec une profonde gratitude. Comment ne pas être reconnaissants quand un Dieu infini s’est abaissé jusqu’à parler à l’homme dans sa propre langue humaine ? Dieu en effet « après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parte jadis aux Pères par les Prophètes, en ces jours qui sont les derniers, il nous a parlé par son Fils » (Hb 1, 1-2). Comment ne pas être reconnaissants quand, de cette manière, la langue humaine et la pensée humaine ont été visitées par la Parole de Dieu et par la Vérité divine et ont été appelées à y participer, à en porter témoignage, à l’annoncer et, également, à l’expliquer et à l’approfondir de façon correspondante aux possibilités et aux exigences de la connaissance humaine ? C’est précisément cela qu’est la théologie et proprement cela qu’est la vocation du théologien. Au nom de cette vocation nous nous réunissons aujourd’hui pour commencer la nouvelle Année académique qui se déroulera dans tous ces chantiers de travail scientifique que sont les Universités et Collèges de Rome.

 

3. L’humilité est le caractère qui distingue tout savant qui a d’honnêtes relations avec la vérité cognitive. Avant tout, elle ouvre la voie à l’enracinement dans son esprit de la disposition fondamentale, nécessaire pour toute recherche théologique digne de ce nom : cette disposition fondamentale qui est la foi.

Réfléchissons : la Révélation consiste en l’initiative de Dieu qui est allé personnellement à la rencontre de l’homme afin de nouer avec lui un dialogue de salut. C’est Dieu qui a commencé le discours, et c’est lui qui le mène. L’homme écoute et répond. Toutefois, la réponse que Dieu attend de l’homme ne se réduit pas à une froide évaluation intellectualiste d’un contenu d’idées abstraites. Dieu va à la rencontre de l’homme et lui parle, parce qu’il l’aime et veut le sauver. La réponse de l’homme doit donc être avant tout une acceptation reconnaissante de l’initiative divine et un confiant abandon à la force prévenante de son amour.

Entreprendre un dialogue avec Dieu signifie se laisser séduire et conquérir par la figure lumineuse (doxa) de Jésus Révélateur et par l’amour (agapè) de Celui qui l’a envoyé. C’est précisément en cela que consiste la foi. En elle, l’homme, intérieurement éclairé, et attiré par Dieu, transcende les limites de la connaissance purement naturelle et fait de Dieu une expérience dont il serait, autrement, exclu. Jésus a dit : « Nul ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire » (Jn 6, 44), « Nul… » et, donc, même pas le théologien.

L’homme, alors qu’il est in statu viae, fait remarquer saint Thomas, peut parvenir à quelque intelligence des mystères surnaturels en usant de sa raison, mais seulement dans la mesure où celle-ci s’appuie sur la base indestructible de la foi qui est participation à la connaissance même de Dieu et des Saints qui jouissent de la vision béatifique : Fides est in nobis ut perveniamus ad intelligendum quae credimus (in Boeth, de Trin., q 2, a 2, Ad 7). C’est la pensée de la tradition théologique tout entière et en particulier la position de saint Augustin : « En croyant on devient capable de comprendre… si l’on ne croit pas, on ne parviendra jamais à comprendre… La foi te purifie, afin qu’il te soit possible d’arriver à la pleine intelligence » (In Io. Evang. Tr. 36, n. 7). Ailleurs il remarque à ce propos : « Habet fides oculos suos, quibus quodammodo videt venim esse quod nondum videt » (Ep 120 ad Consentium, n. 2, 9), et c’est pourquoi intellectui fides aditum aperit, infidelitas claudit (Ep 137 ad Volusianum, n. 4, 15),

La conclusion à laquelle parvient l’évêque d’Hippone est devenue classique : « L’intelligence est le fruit de la foi. Il ne faut donc pas chercher à comprendre pour croire, mais croire pour comprendre » (In Io. Evang. Tr. 29, N. 6). Cet avertissement donne à réfléchir à quiconque « fait de la théologie » ; il existe en effet, aujourd’hui également, le risque d’appartenir au clan des garruli ratiocinatores (De Trin. 1, 2, 4), que saint Augustin invitait « a cogitatianes suas carnales non dogmatizare » (Ep 187 ad Dardanum, n. 8, 29). Seule « l’obéissance de la foi » (cf. Rm 16, 26), par laquelle l’homme se livre tout entier à Dieu, en pleine liberté, peut le faire pénétrer dans la compréhension profonde et savoureuse de la vérité divine.

 

4. Il y a, pour le théologien, un autre avantage qui découle de l’humilité : elle constitue l’humus dans lequel prend racine et germe la fleur de la prière. Comment, en effet, un esprit orgueilleux pourrait-il prier avec des accents sincères ? Et la prière est indispensable pour grandir dans la foi. Le Concile Vatican II l’a rappelé dans sa Constitution Dei Verbum où il a souligné que pour accepter l’« obéissance de la foi » à la Révélation divine « l’homme a besoin de la grâce de Dieu qui fait les premières avances et qui aide », et il a besoin du secours du Saint-Esprit « qui touche son cœur et le tourne vers Dieu, ouvre les yeux de son âme, et donne à tous la joie profonde dans l’acceptation de la vérité et de la foi » (n. 5).

Il faut donc tenir pour un élément essentiel de l’engagement théologique la constance dans la prière : seule une prière humble et assidue peut obtenir l’effusion des lumières intérieures qui conduisent l’esprit à la découverte de la vérité. Deus semper idem, noverim me noverim te priait saint Augustin dans ses Soliloques (2, 1, l), et dans ses exposés catéchistiques il invitait, sans se lasser, ses auditeurs à prier pour obtenir la lumière et il l’invoquait lui-même dans les moments d’obscurité : « Dieu notre Père, toi qui nous exhortes à prier et nous donnes ce que nous te demandons dans la prière (...) exauce-moi qui tremble dans ces ténèbres et tends-moi ta droite. Pais-moi voir ta lumière, fais-moi sortir des erreurs et fais que, sous ta conduite, elle revienne en moi et moi en toi. Amen. » (Solil. 2 ,6, 9 ; cf. 1,2-6).

Et comment ne pas mentionner ici la célèbre prière que saint Anselme plaça au début de son Proslogio ? C’est une prière si simple et si belle qu’elle peut constituer un modèle d’invocation pour tous ceux qui s’apprêtent à « étudier Dieu » : « Dieu, apprends-moi à te chercher et montre-toi à moi qui te cherche, car je ne puis ni te chercher ni te trouver si tu ne te montres pas toi-même » (Proslog. 1).

Un authentique engagement théologique ne peut — disons-le avec franchise — ni commencer ni se conclure sinon à genoux, au moins dans le secret de la cellule intérieure où il est possible d’adorer le Père « en esprit et en vérité » (cf. Jn 4, 23).

 

5. L’humilité, enfin, suggère au théologien l’attitude voulue à l’égard de l’Église. Il sait que c’est à l’Église qu’a été confiée la « Parole » pour être annoncée au monde, l’appliquant à chaque époque et la rendant ainsi toujours vraiment actuelle. Il le sait et il en jouit.

C’est pourquoi il répète après Origène : « Quant à moi, j’aspire à être vraiment ecclésiastique » (Il Lucam hom. 16), à être en pleine communion de pensée, de sentiment, de vie avec l’Église dans laquelle le Christ se fait, contemporain, des successives générations humaines. En véritable homo ecclesiasticus, il aime même le passé de l’Église, médite son histoire, vénère et explore sa tradition. Mais qu’il ne se laisse pas renfermer dans un culte nostalgique de ses particulières et contingentes expressions historiques, sachant parfaitement que l’Église est un mystère vivant et en marche sous la conduite du Saint-Esprit. Qu’il refuse, de même, des propositions de rupture radicale avec ce qui a été, en faveur du mythe fascinant d’un nouveau commencement ; qu’il croie que le Christ est toujours présent dans son Église, aujourd’hui comme hier, pour continuer sa vie, non pour la recommencer.

En outre, le sensus Ecclesiae qui est en lui, rendu vif et vigilant par l’humilité, le maintient dans une constante attitude d’écoute à l’égard de la voix du Magistère, qu’il accepte de bon gré comme garant, par volonté du Christ, de la vérité salvifique. Et qu’il reste également à l’écoute des voix qui lui proviennent de tout le Peuple de Dieu, toujours prêt à cueillir dans la docte parole de l’expert, mais aussi dans la parole simple, mais pas nécessairement moins profonde du fidèle commun, un écho éclairant du Verbe éternel qui « s’est fait chair et est venu habiter parmi nous » (Jn 1, 14).

 

6. Voilà très chers frères et fils, quelques sujets de réflexion pour ce début d’année scolaire et académique. Je vous vois ici rassemblés autour des reliques de saint Pierre auquel le Christ a dit : « Tu es Pierre et sur cette pierre j’édifierai mon Église » (Mt 16, 18). En tant que votre évêque, évêque de Rome, et en même temps successeur de saint Pierre, je désire vous adresser à tous un ardent appel à participer à cette édification de l’Église qui a son origine dans le Christ lui-même. Cet appel je l’adresse tant aux professeurs et enseignants qu’à tous les étudiants de chacune des Universités et Académies romaines. Le travail que vous entreprenez ensemble est comme un grand laboratoire de la mission de l’Église à notre époque. Il doit donner du fruit non seulement aujourd’hui mais aussi à l’avenir. Beaucoup dépend des résultats que vous obtenez ici. Ils doivent devenir le levain de la foi et de la vie chrétienne d’une multitude d’hommes dans tous les lieux de la terre. Vous êtes venus ici, près de cette Chaire, sachant parfaitement qu’elle a tout particulièrement le devoir d’unir dans la vérité et l’amour les fils de Dieu sur cette terre, eux qui proviennent des divers lieux, nations, pays et continents.

Je recommande votre rencontre avec la Vérité et l’Amour divin à la Patronne du jour, à la grande Thérèse de Jésus qui a mérité, la première parmi les femmes, le titre de Docteur de l’Église. Surtout, j’invoque sur vous la protection assidue de celle que l’Église salue comme Sedes Sapientiae. Que sa maternelle sollicitude accompagne vos pas et, vous guidant à la recherche de nouveaux aspects du mystère passionnant du Christ, vous aide à grandir dans l’amour pour Lui. Si cognovimus, amemus, car — nous ne devons pas l’oublier — cognitio senza cantate non salvos facit, « une connaissance privée d’amour ne nous sauve pas » (Augustin, In 1 Ep. Io, Tr. 2, n. 8).

 

 

 

20 octobre 1979

L’ÉGLISE EST ESSENTIELLEMENT MISSIONNAIRE

 

Le pape et la journée missionnaire mondiale

Le 20 octobre en la basilique vaticane, le Saint-Père a célébré, avec la communauté diocésaine de Rome une messe solennelle à l’occasion de la « Journée missionnaire mondiale ». Durant la liturgie de la Parole, le pape a prononcé l’homélie suivante :

 

Très chers frères et sœurs dans le Seigneur !

Très chers jeunes !

 

Avec une grande et profonde joie je préside à la liturgie eucharistique en cette veille de la Journée missionnaire mondiale. En me rencontrant ainsi avec vous, fidèles du diocèse de Rome, en une occasion si importante et significative, je me sens lié plus intimement non seulement à tous les diocèses du monde mais encore et surtout à tous les missionnaires, prêtres, religieux et religieuses — qui, répandus partout sur la terre annoncent aux hommes, avec grande fatigue, mais aussi avec joie, l’Évangile du salut.

Oui, très chers frères et sœurs, c’est une circonstance très importante pour votre vie spirituelle et pour le diocèse. Ici, au centre de la chrétienté, en cette basilique, nous entendons les échos de l’Église universelle, nous percevons les besoins de tous les peuples, nous prenons part au travail de ceux qui, avec une inlassable ardeur, se prodiguent au nom du Christ, témoignent, annoncent, convertissent, baptisent, fondent de nouvelles communautés chrétiennes.

Méditons brièvement et cherchons ensemble, suivant les Lectures de la Liturgie de ce jour la raison, la condition et la stratégie de l’activité missionnaire de l’Église.

 

1. Quelle est la raison primordiale et ultime de cette œuvre ?

Voilà la première question. La réponse est simple et péremptoire : l’Église est missionnaire parce que telle est la volonté expresse de Dieu.

A de nombreuses reprises, Jésus parle aux Apôtres de leur tâche, de leur mission, de la raison de leur choix : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi ; mais c’est moi qui vous ai choisis et vous ai institués pour que vous alliez et que vous portiez du fruit, et un fruit qui demeure » (Jn 15, 16).

Avant de monter au ciel, Jésus donne, de manière officielle et déterminante, aux Apôtres — et par eux à toute l’Église — la mission d’évangéliser : « Allez par le monde entier, proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création » (Mc 16, 15). Et l’Évangéliste ajoute : « Alors ils s’en allèrent prêcher en tout lieu » (Mc 16, 20).

Depuis lors, les Apôtres et les disciples du Christ ont commencé à parcourir tous les chemins de la terre, à surmonter désagréments et fatigues, à rencontrer des gens et des tribus, des peuples et des nations, à souffrir et même à donner leur vie pour annoncer l’Évangile, parce que telle est la volonté de Dieu et qu’à l’égard de Dieu il n’y a d’autre décision que celle de l’obéissance et de l’amour.

Saint Paul écrivait à son disciple Timothée : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1 Tm 2, 4).

Et la vérité qui sauve, c’est uniquement Jésus-Christ, le Rédempteur, le Médiateur entre Dieu et les hommes, le Révélateur unique et définitif du destin surnaturel de l’homme. Jésus a donné à l’Église la mission d’annoncer l’Évangile ; une mission à laquelle participe chaque chrétien. En raison même de sa nature, tout chrétien est missionnaire. Dans son Exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi, Paul VI de vénérée mémoire écrivait : « La présentation du message évangélique n’est pas pour l’Église une contribution facultative, c’est le devoir qui lui incombe par volonté du Seigneur Jésus afin que tous les hommes puissent croire et être sauvés. Oui, ce message est nécessaire. Il est unique. Il ne saurait être remplacé. Il ne souffre ni indifférence ni syncrétisme, ni accommodation. C’est le salut des hommes qui est en cause. C’est la beauté de la Révélation qu’il représente. Il comporte une sagesse qui n’est pas de ce monde. Il est capable de susciter, par lui-même, la foi, une foi qui repose sur la puissance de Dieu. Il est la vérité. Il mérite que l’apôtre y consacre tout, son temps, toutes ses énergies, y sacrifie au besoin sa propre vie (n. 5). « Évangéliser est, en effet, la grâce et la vocation propre de l’Église, son identité la plus profonde. Elle existe pour évangéliser... » (ibid., n. 14).

Certains affirment parfois que l’on ne peut imposer l’Évangile, qu’on ne peut forcer la liberté religieuse, qu’il est même inutile et illusoire d’annoncer l’Évangile à ceux qui, par la droiture de leur cœur, appartiennent déjà au Christ. Paul VI y a déjà clairement répondu : « Ce serait certes une erreur d’imposer quoi que ce soit à la conscience de nos frères. Mais c’est tout autre chose de proposer à cette conscience la vérité évangélique et le salut en Jésus-Christ en pleine clarté et dans le respect absolu des options libres qu’elle fera : loin d’être un attentat à la liberté religieuse, c’est un hommage à cette liberté à laquelle est offert le choix d’une voie que même les non-croyants estiment noble et exaltante... Cette façon respectueuse de, proposer le Christ et son Royaume, plus qu’un droit, est un devoir de l’évangélisation. Et c’est aussi un droit des hommes ses frères de recevoir de lui l’annonce de la Bonne nouvelle du salut » (Evangelii Nuntiandi, n. 80).

Ce sont, des paroles très sérieuses, qui éclairent, encouragent et précisent encore une fois ce que sont la volonté positive de Dieu et notre responsabilité de chrétiens.

 

2. Mais posons-nous une deuxième question : quelle est la condition essentielle pour l’œuvre missionnaire ? C’est l’unité dans la doctrine.

Avant de quitter le monde Jésus a prié ainsi : « Je ne prie pas pour eux seulement, mais pour ceux-là aussi qui, grâce à leur parole, croiront en moi. Que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient un en nous, afin que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jn 17, 20-21).

Et saint Paul écrivait anxieusement à son disciple Timothée : « Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même, qui s’est livré en rançon pour nous » (1 Tm 2, 5-6).

En effet, si l’unité dans la foi fait défaut, qui annonce et qu’annonce-t-on ? Comment pourrait-on être crédible, surtout quand la doctrine est si mystérieuse et la morale si exigeante ? Les différences et les contradictions doctrinales ne font que créer de la confusion et finalement la désillusion. Dans une matière si essentielle et délicate comme l’est le contenu de l’Évangile, on ne peut être effronté, superficiel ou « possibiliste », inventant des théories et exposant des hypothèses. L’évangélisation doit avoir comme caractéristique l’unité dans la foi et dans la discipline et, par conséquent, l’amour de la vérité.

Méditons les paroles équilibrées et profondes de Paul VI : « De tout évangélisateur on attend qu’il ait le culte de la vérité, d’autant plus que la vérité qu’il approfondit et communique n’est autre que la vérité révélée et donc, plus que tout autre, parcelle de la vérité première qu’est Dieu lui-même. Le prédicateur de l’Évangile sera donc quelqu’un qui, même au prix du renoncement personnel et de la souffrance, recherche toujours la vérité qu’il doit transmettre aux autres. Il ne trahit jamais ni ne dissimule la vérité par souci de plaire aux hommes, d’étonner ou de choquer, ni par originalité ou désir d’apparaître. Il ne refuse pas, la vérité. Il n’obscurcit pas la vérité révélée par paresse de la rechercher, par commodité, par peur. Il ne néglige pas de l’étudier. Il la sert généreusement sans l’asservir » (Evangelii Nuntiandi, n. 78).

Remercions Paul VI pour ces indications si claires et, en même temps prions intensément pour que tous étudient, connaissent, annoncent la vérité et rien que la vérité, dociles au Magistère authentique de l’Église parce que la certitude et la clarté sont les qualités indispensables de l’évangélisation.

 

3. Et enfin, voici la dernière interrogation : quelle est la stratégie de l’œuvre missionnaire ?

La réponse à cette interrogation est également toute simple : l’amour.

L’unique et indispensable stratégie pour l’œuvre missionnaire est seulement l’amour intime et personnel, convaincu, ardent à l’égard de Jésus !

Rappelons-nous l’exclamation joyeuse de sainte Thérèse de Lisieux : « Ma vocation est l’amour !... Dans le cœur de l’Église, ma Mère, je serai l’amour... et ce sera tout ! » (Man. B).

Il doit en être de même pour nous !

— L’amour est intrépide et courageux : pour les trois quarts de l’humanité Jésus est encore un inconnu ! C’est pourquoi l’Eglise a besoin de tant de volontaires missionnaires, hommes et femmes, pour annoncer l’Évangile ! Vous jeunes gens, jeunes filles : soyez attentifs à la voix de Dieu qui appelle !

Un merveilleux idéal de charité, de dévouement de générosité se présente à vous, vous invite ! La vie est grande et belle dans la mesure où on la donne ! Soyez intrépides ! La joie suprême se trouve dans l’amour sans prétentions, dans une pure donation de charité aux frères.

— L’amour est docile et a confiance dans l’action de la « grâce ». C’est le Saint-Esprit qui pénètre dans les âmes et transforme les peuples. Les difficultés sont immenses et, particulièrement aujourd’hui, les fidèles eux-mêmes, impliqués dans l’histoire actuelle, sont tentés par l’athéisme, par le sécularisme, par l’autonomie morale. Une confiance absolue en l’opération du Saint-Esprit (Evangelii Nuntiandi, n. 75) est donc nécessaire. Aussi dans son œuvre missionnaire, l’amour est-il patient et joyeux, même s’il doit semer dans les larmes, en acceptant la croix et maintenant l’esprit des Béatitudes.

— Enfin, l’amour est ingénieux et constant, s’exerçant aux différents genres d’apostolat missionnaire : apostolat de l’exemple, de la prière, de la souffrance, de la charité, mettant en oeuvre toutes les initiatives et moyens proposés par les Œuvres Missionnaires Pontificales, si pleines de mérites et si actives à Rome et dans tout le diocèse.

 

4. Je ne saurais toutefois oublier quelques états de fait qui rendent aujourd’hui plus pressant le devoir missionnaire de toute l’Église et de nous tous qui la formons. Il existe différentes formes d’anti-évangélisation qui tentent de contrecarrer radicalement le message du Christ : l’élimination de toute transcendance et de toute responsabilité ultra-terrestre ; l’autonomie éthique détachée de toute loi morale naturelle et révélée ; l’hédonisme considéré tomme l’unique manière de vivre satisfaisante ; et chez tant de chrétiens, un relâchement de la ferveur spirituelle, un consentement à la mentalité mondaine, une adhésion progressive aux opinions erronées du laïcisme et de l’immanentisme social et politique.

Gardons toujours présent le cri de saint Paul : « Caritas Christi urget nos » (L’amour du Christ nous presse : 2 Co 5, 14).

L’ardente exclamation de l’Apôtre acquiert une particulière éloquence et détermine une particulière sollicitude de nos jours. C’est l’impératif missionnaire qui doit animer tous les chrétiens, les diocèses, les paroisses, les diverses communautés : l’amour du Christ nous pousse à témoigner, à annoncer, à proclamer la Bonne Nouvelle, à tous et malgré tout !

C’est vraiment en ce moment que vous devez être témoins et missionnaires de la vérité : ne craignez point ! L’amour du Christ doit vous inciter à être forts et décidés, car « si Dieu est avec nous, qui sera contre nous ? » (Rm 8, 31). En effet nul ne peut nous séparer de l’amour du Christ (Rm 8, 35).

Mais nous devons également porter notre attention sur ces territoires et ces nations du monde où, par malheur, l’Évangile ne peut être prêché, où l’activité de l’Église est prohibée. L’Église veut seulement annoncer la joie de la paternité divine, la consolation de la rédemption opérée par le Christ, la fraternité de tous les hommes ! Les missionnaires ne veulent qu’annoncer la paix vraie et juste, celle de l’amour du Christ et dans le Christ, notre frère et sauveur. Des peuples entiers attendent l’eau vive de la vérité et de la grâce et en sont assoiffés ! Prions pour que la Parole de Dieu puisse se répandre librement et rapidement (Ps 147, 15) vers tous les peuples de la terre.

 

5. Pour cela, l’Église missionnaire a besoin avant tout d’âmes missionnaires par la prière : tenons-nous proches des évangélisateurs avec nos prières ! Pour les missions tout spécialement, nous devons prier sans jamais nous lasser. Prions tout d’abord par le moyen de la Sainte Messe en nous unissant au sacrifice du Christ pour le salut de tous les hommes : que l’Eucharistie maintienne ferme et fervente la foi des chrétiens !

Mais prions aussi avec constance et confiance la Très sainte Vierge Marie, Reine des Missions, pour qu’elle fasse éprouver aux fidèles un désir croissant d’évangélisation et un sens toujours plus profond de leur responsabilité dans l’annonce de l’Évangile. Prions-la, en particulier, en récitant le Rosaire pour rejoindre et aider ceux qui peinent au milieu de difficultés et d’épreuves afin de faire connaître et aimer

Marie qui était présente le jour de la Pentecôte, au début de la vie de l’Église, avec les Apôtres, les disciples et les femmes pieuses, reste toujours présente dans l’Église, Elle, la première missionnaire, Mère et soutien de tous ceux, qui annoncent l’Évangile !

 

 

 

14 novembre 1979

UNE VIE RELIGIEUSE PROFONDE ET CONFORME À NOTRE TEMPS

 

La pape aux religieuses

La V° assemblée générale de l’Union internationale des  Supérieures générales (UISG) vient de se tenir à Rome sur le thème : « Spiritualité apostolique pour les religieuses aujourd’hui ».

 

Chères sœurs dans le Seigneur,

 

C’est pour moi une grande joie de vous rencontrer aujourd’hui, vous qui êtes les représentantes particulièrement autorisées de la grande richesse que constitue la vie religieuse dans l’Église. En effet, grâce à la vie religieuse, ce que signifie le don total à l’amour et au service de Dieu est offert en un témoignage particulièrement évident. Je suis heureux, en même temps, de voir et de saluer en vous comme l’image de l’Universalité de l’Église : vous représentez ici tous les continents, les différentes cultures, vous manifestez toutes ensemble la réalisation multiforme de la réponse à l’appel du Seigneur. Par votre intermédiaire, je désire affirmer de nouveau à toutes les religieuses l’estime et la confiance que l’Église ressent pour elles, non seulement à cause de leur apostolat intelligent, constant, généreux, mais plus encore pour leur vie de consécration et de dévouement souvent caché, pour leur acceptation joyeuse et courageuse des épreuves et des difficultés inévitables. Je vous demande de transmettre ma bénédiction très spéciale à toutes les sœurs éprouvées ou fatiguées dans leurs corps ou dans leur esprit, aux sœurs âgées, aux malades dont la vie d’abnégation et de sacrifice est pour l’Église, pour le pape et pour le peuple de Dieu d’une valeur très précieuse, irremplaçable, unique.

Je voudrais encore que cette célébration eucharistique avec le pape constitue pour chacune de vous un moment salutaire d’encouragement et de réconfort dans l’accomplissement d’une tâché toujours exigeante, souvent accompagnée par le signe de la croix et d’une douloureuse solitude, et qui réclame de votre part un sens profond de la responsabilité, une générosité sans faiblesses ni égarements, un constant oubli de vous-mêmes. En effet, vous devez soutenir et guider vos sœurs en ce temps post-conciliaire qui, assurément est riche de nouvelles expériences, mais également exposé aux erreurs et aux déviations que vous vous efforcez d’éviter et de corriger. L’évolution positive de la vie religieuse au cours de ces dernières années est bien connue : elle est comprise dans un esprit plus évangélique, plus ecclésial et plus apostolique. Toutefois on ne peut ignorer que certains choix concrets, même s’ils sont inspirés par une intention bonne mais pas toujours éclairée, n’ont pas permis d’offrir au monde l’authentique image du Christ que la religieuse doit rendre présente parmi les hommes.

Réunies ici autour de l’autel pour renouveler l’offrande du Christ au Père, vous vous sentez intimement invitées à répéter, également au nom de toutes vos sœurs, la consécration de vous-mêmes qui, déjà inaugurée au baptême, a été rendue définitive et parfaite par le moyen des vœux religieux.

 

1. Accueillez donc ma première exhortation à une prière fervente et persévérante, pour que l’importance de la vocation religieuse devienne toujours plus évidente ainsi que la nécessité d’en approfondir la valeur essentielle dans la vie de l’Église et de la société. La vie personnelle, en effet, de chaque religieuse est centrée sur un amour d’épouse du Christ. Modelée par l’esprit du Christ, la religieuse lui donne toute sa vie, s’approprie ses sentiments, son idéal et sa mission de charité et de salut. Comme je le disais aux religieuses d’Irlande : « Aucun mouvement de la vie religieuse n’a de valeur s’il n’est pas simultanément un mouvement vers l’intérieur, vers le centre profond, de votre existence, là où le Christ a sa demeure. Ce n’est pas ce que vous faites qui a le plus d’importance, mais ce que vous êtes comme femmes consacrées au Seigneur » (Discours aux prêtres, religieux et religieuses d’Irlande, 1er octobre 1979).

— Priez pour que chaque sœur, en vivant dans la joie et la fidélité sa relation unique au Christ, trouve dans sa consécration l’accomplissement le plus élevé de sa réalité spécifique de femme, tout entière orientée vers le don de soi.

— Priez, avec confiance pour que chaque Institut puisse facilement surmonter ses difficultés de croissance et de persévérance et pour que votre réunion annuelle contribue au perfectionnement toujours amélioré des Congrégations particulières auxquelles vous appartenez.

— Priez enfin sans arrêt pour les vocations religieuses : que l’idéal de la vie consacrée, don immense et gratuit de Dieu, exerce toujours une attraction plus grande sur de nombreux jeunes qui se tournent vers les réalisations les plus hautes et les plus nobles.

Que le sujet choisi par la Congrégation pour les religieux et les Instituts séculiers pour sa prochaine réunion plénière : « dimension contemplative de la vie religieuse » soit une occasion privilégiée pour approfondir la valeur fondamentale de la prière. A ce propos, je désire, adresser une pensée fervente et une bénédiction aux sœurs contemplatives que je remercie de grand cœur de leur prière intense et constante qui est une aide irremplaçable dans la mission d’évangélisation de l’Église.

 

2. Dans une seconde exhortation, je voudrais maintenant vous inviter à vous engager dans un témoignage religieux qui corresponde à notre temps.

Après les années d’expérience en vue d’un aggiornamento de la vie religieuse, selon l’esprit de chaque Institut, le moment est venu d’évaluer objectivement et humblement les efforts accomplis, pour y discerner les éléments positifs, les déviations éventuelles, et pour préparer une Règle de vie, stable, approuvée par l’Église et qui devra constituer pour toutes les sœurs un stimulant pour une connaissance plus approfondie de leurs engagements et pour une vie de joyeuse fidélité.

Que votre premier témoignage soit celui d’une adhésion filiale et d’une fidélité à toute épreuve à l’Église, épouse du Christ. Ce lien avec l’Église doit se manifester dans l’esprit de votre Institut et dans ses tâches apostoliques, car la fidélité au Christ ne peut jamais être séparée de la fidélité à l’Église. « Votre généreuse et fervente adhésion au Magistère authentique de l’Église est une garantie pour la fécondité de chacune de vos tâches apostoliques et pour l’exactitude de votre interprétation des signes des temps » (Discours aux religieuses des États-Unis, 8 oct. 1979).

A l’imitation de Marie Vierge au cœur toujours disponible à la parole de Dieu, vous devez trouver votre sérénité intérieure, votre joie, dans la disponibilité à la parole de l’Église et de celui que le Christ a établi comme son vicaire sur la terre.

En second lieu que votre témoignage soit celui de la vie communautaire. C’est, en effet, un élément important de la vie religieuse. C’est une caractéristique qui, depuis les origines, a été vécue par les personnes religieuses, car les liens spirituels ne peuvent se créer, se développer et se perpétuer que par le moyen de contacts quotidiens et prolongés. Cette vie communautaire, dans la charité évangélique, est étroitement liée au mystère de l’Église qui est un mystère de communion et de participation ; elle donne la preuve de votre consécration au Christ. Efforcez-vous avec grand soin de faire que cette vie communautaire soit facilitée et aimée, de façon qu’elle devienne un précieux moyen d’aide réciproque et de réalisation personnelle.

Enfin, comme j’ai déjà eu d’autres occasions de le dire, l’habit religieux donne aussi un témoignage particulier. En effet, il constitue un signe évident de consécration totale à l’idéal du royaume des cieux, en tenant dûment compte de toutes les circonstances, comme par exemple de la tradition, des différents domaines de l’engagement apostolique, du milieu, etc. D’autre part l’habit est un signe de détachement définitif des intérêts uniquement humains et terrestres ; il est encore un signe de pauvreté joyeusement vécue et aimée dans un confiant abandon à l’action de la providence de Dieu.

Très chères supérieures générales, vous devez assumer la tâche délicate et parfois difficile, mais aussi très précieuse de promouvoir parmi les religieuses tout ce qui peut contribuer à l’union des esprits et des cœurs. Une vie fraternelle, fervente et authentique est indispensable pour que les religieuses puissent surmonter d’une façon durable les obligations, les fatigues et les difficultés que comporte une vie de consécration et d’apostolat dans le monde d’aujourd’hui.

Votre tâche, dans l’heureuse réalisation de cette vie profondément enracinée sur les valeurs de l’Évangile, revêt une importance de premier plan. L’exercice de l’autorité, dans un esprit de service et d’amour à l’égard de toutes les sœurs, est une tâche vitale, même si elle est ardue et si elle demande beaucoup de courage et de dévouement. La supérieure a le devoir d’aider la religieuse à réaliser toujours plus parfaitement sa vocation. Elle ne peut se soustraire à cette obligation qui certainement est ardue mais indispensable.

L’accomplissement de ce devoir requiert une prière constante, de la réflexion, des consultations, mais aussi de courageuses décisions, dans une conscience de la responsabilité personnelle devant Dieu, devant l’Église et devant les religieuses elles-mêmes qui attendent, ce service. La faiblesse aussi bien que l’autoritarisme constituent des déviations également nuisibles au bien des âmes et à l’annonce du royaume.

 

3. En conclusion, je vous exhorte avec affection : ayez confiance. Soyez toujours courageuses dans votre dévouement religieux, ne vous laissez pas abattre par les difficultés éventuelles, par la diminution du personnel, par les incertitudes qui peuvent peser sur l’avenir. Ne doutez pas de la validité des formes reçues de l’apostolat dans le domaine de l’éducation de la jeunesse, à l’égard des malades, des enfants, des personnes âgées et de tous ceux qui souffrent.

Soyez certaines que si vos Instituts s’engagent sincèrement à promouvoir chez les religieuses une fidélité constante, généreuse et dynamique aux exigences de leur vie consacrée, le Seigneur qui ne se laisse pas vaincre en générosité vous enverra les vocations que vous désirez, que vous attendez pour l’avènement de son règne.

Attentives aux suggestions et aux paroles de la Sagesse, comme il convient à des personnes appelées à remplir une haute responsabilité de gouvernement et reconnaissantes à Dieu, avec toutes vos sœurs, de la vocation particulière que vous avez reçue, avancez avec une confiance paisible dans la voie de votre engagement de totale consécration au Christ et aux âmes. Que Marie la très sainte Mère et le modèle de toutes les personnes consacrées vous réconforte et vous soutienne, et que ma bénédiction apostolique vous accompagne avec ma particulière bienveillance.

 

 

 

25 novembre 1979

AUX LAÏCS DE ROME

 

Le témoignage est la mesure de la vie

Le 25 novembre, Fête du Christ-Roi, le Saint-Père a présidé en la basilique Saint-Pierre une concélébration eucharistique.

 

1. Aujourd’hui dans la basilique Saint-Pierre résonnent les échos de la liturgie d’une fête exceptionnelle. Dans le calendrier liturgique post-conciliaire la fête de notre Seigneur Jésus-Christ, Roi de l’Univers, coïncide avec le dernier dimanche de l’année ecclésiastique. Et c’est très-bien ! En effet, la vérité de la foi que nous voulons manifester, le mystère que nous voulons vivre, contiennent, en un certain sens chaque dimension de l’histoire, chaque étape du temps humain, et en même temps elles ouvrent la perspective « d’un ciel nouveau et d’une terre nouvelle » (Ap 21, 1), la perspective d’un royaume « qui n’est pas de ce monde ». (Jn 18, 36). Il se peut que l’on comprenne mal ce que signifie la déclaration concernant le « Royaume » que le Christ fit devant Pilate — ce « Royaume » qui n’est pas de ce monde. Mais le contexte de l’événement et le climat dans lequel ces paroles ont été prononcées ne permettent pas de se tromper. Nous devons admettre que le Royaume du Christ grâce auquel s’ouvrent devant l’homme des perspectives supra-terrestres, les perspectives de l’éternité, se forme dans le monde, dans le temporel. Il se forme donc dans l’homme même moyennant « le témoignage à la vérité » (Jn 18, 37) que le Christ a rendu en ce moment dramatique de sa mission messianique : devant Pilate, devant la mort sur la Croix que ses accusateurs demandaient à son juge. Ainsi donc, il faut que notre attention se porte non seulement sur le moment liturgique de la célébration solennelle de ce jour, mais aussi sur la surprenante synthèse de vérité qu’il exprime et proclame. C’est pourquoi je me suis permis, avec le Cardinal Vicaire de Rome, d’inviter aujourd’hui les collaborateurs des différents secteurs de l’apostolat des laïcs de toutes les paroisses de notre ville — c’est-à-dire tous ceux qui, se joignant à l’évêque de Rome et aux pasteurs d’âmes de chaque paroisse, acceptent de se faire les témoins du Christ-Roi et cherchent à établir son Royaume dans leur cœur et à le répandre parmi les hommes.

 

2. Jésus Christ est « le témoin fidèle » (cf. Ap 1, 5)comme dit l’auteur de l’Apocalypse. Il est le témoin fidèle de la domination de Dieu dans la création et surtout dans l’histoire de l’homme. Dieu en effet, comme Créateur et en même temps comme Père, a formé l’homme dès l’origine. Et donc il est toujours présent dans son histoire comme Créateur et comme Père. Il est devenu non seulement le Commencement et la Fin de toute la création, mais il est devenu également le Seigneur de l’histoire et le Dieu de l’Alliance : Je suis l’Alpha et l’Oméga, dit le Seigneur Dieu. Celui qui est, qui était et qui vient, « le Maître-de-tout » (Ap 1, 8).

Jésus-Christ, le « Témoin fidèle » est venu au monde précisément pour en rendre témoignage.

Sa venue dans le temps ! Combien concrètement-et de manière suggestive l’avait annoncée le prophète Daniel, dans sa vision messianique, parlant de la venue du « Fils de l’homme » (Dn 7, 13), et décrivant la dimension spirituelle de son règne en ces termes : « A lui furent donnés la domination, la gloire et le règne et tous les peuples, les nations et les langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle qui ne passera pas, et son royaume ne sera pas détruit » (Dn 7, 14). C’est ainsi que le prophète Daniel vit le royaume du Christ plusieurs siècles avant que Jésus ne vînt au monde.

 

3. Ce qui se passa devant Pilate le vendredi avant Pâques nous permet de débarrasser l’image prophétique de Daniel de toute association impropre. Il se fait que « le Fils de l’homme » lui-même répond à la question que pose le gouverneur romain. Et voici cette réponse : « Mon royaume n’est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, les miens auraient combattu pour que je ne fusse pas livré aux Juifs. Mais mon royaume n’est pas d’ici-bas ». Pilate, représentant du pouvoir exercé sur le territoire de la Palestine, au nom de la puissance romaine, un homme qui pense selon les catégories temporelles et politiques, ne comprend rien à cette réponse. Il interroge donc une seconde fois : « Tu es donc roi ? » (Jn 18, 37).

Et le Christ lui aussi, répond pour la seconde fois. Comme il a, la première fois, expliqué en quel sens il n’est pas roi, cette fois, de même, pour répondre pleinement à la demande de Pilate et, en même temps, à la demande de toute l’histoire de l’humanité, de tous les gouvernants, et de tous les politiciens, il répond ainsi : « Tu le dis ! Je suis roi, et je ne suis né, je ne suis venu dans le monde que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité, écoute ma voix » (cf. Jn 18, 37).

Associée à la première, cette réponse exprime toute la vérité sur son royaume : toute la vérité sur le Christ-Roi.

 

4. Cette vérité contient également les paroles de l’Apocalypse par lesquelles le Disciple favori complète d’une certaine manière, à la lumière du dialogué du vendredi saint, en la résidence de Pilate à Jérusalem, ce qu’en son, temps avait écrit le prophète Daniel. Saint Jean note : « Le voici, qui vient, escorté des nuées (c’est ainsi que s’était exprimé Daniel) ; chacun le verra, même ceux qui l’ont transpercé... oui, Amen ! » (Ap 1, 7).

Précisément : Amen ! Ce seul mot scelle, pour, ainsi dire la vérité sur le Christ-Roi, qui n’est pas seulement « le Témoin, fidèle », mais aussi le « Premier-né d’entre les morts » (Ap 1, 5). Et s’il est le Prince de la terre et de ceux qui la gouvernent « le Prince des rois de la terre » (Ap 1, 5), il l’est pour ceci, surtout pour ceci, et définitivement pour ceci, parce qu’« il nous aime et nous a lavés de nos péchés par son sang ; il a fait de nous une royauté de prêtres pour son Dieu et Père » (Ap 1, 5-6).

 

5. Voilà la pleine définition de son royaume ; voilà toute la vérité sur le Christ-Roi. Nous nous sommes rassemblés aujourd’hui dans cette Basilique pour accueillir encore une fois cette vérité, les yeux de la foi grand ouverts et le cœur prêt à donner sa réponse. Car c’est là une vérité qui exige tout particulièrement une réponse. Et pas seulement la compréhension. Et pas seulement l’adhésion de l’intelligence, mais une réponse qui émerge de toute la vie.

Cette réponse, l’Épiscopat de l’Église contemporaine l’a donnée de manière merveilleuse au Concile Vatican II. On aurait même envie en ce moment de tendre la main à ces textes de la Constitution Lumen Gentium qui éblouissent par la simple profondeur de la vérité, aux textes chargés de la plénitude de la « praxis » chrétienne contenus dans la Constitution pastorale Gaudium et Spes — et à tant d’autres documents qui tirent de ces fondements les conclusions concrètes pour les divers domaines de la vie ecclésiale. Je pense notamment au Décret Apostolicam actuositatem sur l’Apostolat des laïcs. Il est une chose que je demande au laïcat de Rome et du monde, c’est de ne jamais perdre de vue ces merveilleux documents de l’enseignement de l’Église contemporaine. Ils traduisent dans son sens le plus profond ce que signifie « être chrétien ». Ces documents méritent beaucoup plus qu’une simple étude et méditation : si l’on ne cherche pas en eux un appui, il est impossible de comprendre et de réaliser notre vocation et, en l’espèce, la vocation des laïcs, leur apport particulier à l’édification de ce royaume qui, même si « il n’est pas de ce monde » (Jn 18, 36), existe toutefois ici-bas, parce qu’il est en nous. Et en particulier, en vous, laïcs !

 

6. Le Christ est monté sur la Croix comme un Roi unique : comme l’éternel témoin de la vérité. « Je ne suis né et ne suis venu que pour cela : pour rendre témoignage à la vérité » (Jn 18, 37). Ce témoignage est la mesure de notre œuvre. La mesure de la vie. La vérité pour laquelle le Seigneur a donné sa vie — et qu’il a confirmée par sa résurrection — est la source fondamentale de la dignité de l’homme. Ce royaume du Christ, comme l’enseigne le Concile Vatican II, se manifeste dans la « royauté » de l’homme. Il faut que, à cette lumière, nous sachions participer à tous les secteurs de la vie contemporaine et les modeler. A notre époque, il ne manque pas, en effet, de propositions adressées à l’homme, il ne manque pas de programmes qu’on invoque pour son bien. Sachons les revoir selon la dimension de la pleine vérité sur l’homme, de la vérité confirmée par les paroles et par la Croix du Christ ! Apprenons à bien les discerner ! Ce qu’ils déclarent est-ce à la mesure de la vraie dignité de l’homme ? La liberté qu’ils proclament sert-elle la royauté de l’être créé à l’image de Dieu, ou, au contraire, prépare-t-elle sa privation ou sa contrainte ? Par exemple : Servent-ils la vraie liberté de l’homme ou expriment-ils sa dignité : l’infidélité conjugale, même sanctionnée par le divorce ; ou le manque de responsabilité à l’égard de la vie conçue, même si la technique moderne enseigne les méthodes pour s’en débarrasser ? Il est certain que le « permissivisme » moral ne se base nullement sur la dignité de l’homme et qu’il n’éduque pas à celle-ci.

Comment ne pas rappeler ici le diagnostic que dans le contexte socio-religieux de notre ville le cardinal vicaire a présenté à votre assemblée du 10 novembre dernier ? Il a indiqué les principales « souffrances » qui tourmentent la ville de Rome : le manque de sécurité sociale des familles pour le logement, le travail, l’éducation des enfants ; le désarroi spirituel et social des immigrés des zones rurales ; l’incommunicabilité entre les familles qui habitent les grands immeubles populaires, sans se connaître et sans avoir le courage de la solidarité ; le délit organisé, particulièrement au service de la drogue ; la violence démente et gratuite et le terrorisme politique ; et il faut y ajouter les multiples manifestations d’immoralité et d’irréligiosité dans la vie privée et dans la vie sociale.

Les causes de ces maux ont été relevées notamment, dans la baisse d’intérêt à l’égard des problèmes de l’éducation et de l’école abandonnés à la merci de forces minoritaires fort perturbatrices ; et dans la désagrégation de la famille soumise à l’action corrosive de multiples facteurs d’environnement et de mœurs. Mais, comme l’a dit M. le cardinal-vicaire, la racine la plus profonde de ce mal se trouve « dans la constante dépréciation de la personne humaine, de sa dignité, de ses droits et devoirs » et du sens religieux et moral de la vie. Le cardinal-vicaire vous a également demandé de prendre courageusement vos responsabilités et de vous engager dans quelques initiatives concrètes, et exactement : la construction d’une authentique communauté chrétienne capable d’annoncer l’Évangile de manière crédible ; l’engagement culturel de recherche, et de discernement critique, en constante fidélité au Magistère, en vue d’un dialogue correct entre l’Église et le monde ; l’engagement à contribuer à l’accroissement du sens de responsabilité sociale, stimulant dans le clergé et chez les fidèles la, solidarité en vue du bien commun, tant de la communauté ecclésiale que de la communauté civile ; l’engagement, enfin, dans la pastorale des vocations, aujourd’hui particulièrement urgente, et dans celle des communications sociales.

Voilà, très chers frères et sœurs, quelques lignes d’action pastorale sur lesquelles chacun de vous est invité à se mesurer, adhérant ainsi courageusement et avec cohérence aux exigences issues du baptême et de la confirmation et confirmées, par la participation à l’Eucharistie. Je demande à tous et à chacun de vous de ne pas reculer devant ses propres responsabilités. Je le demande au cours de cette célébration liturgique du Christ-Roi.

En un certain sens, le Christ se trouve devant le tribunal dés consciences humaines, comme autrefois il s’est trouvé devant le tribunal de Pilate. Il nous révèle toujours la vérité, de son royaume. Et ,de partout et toujours lui est posée la même demande : « Qu’est-ce que la vérité ? » (Jn 18, 38).

Qu’il soit pour ceci encore plus proche de nous. Que son royaume soit toujours plus en nous. Donnons-lui en échange l’amour auquel il nous a appelé — en Lui aimons toujours plus la dignité de chaque homme !

Alors nous prendrons véritablement part à sa mission. Nous deviendrons les apôtres de son royaume.

 

 

 

8 décembre 1979

PRIÈRE DU PAPE À L’IMMACULÉE, PLACE D’ESPAGNE

 

AVE !

 

Aujourd’hui nous venons Te saluer, Marie, qui as été élue pour être Mère du Verbe éternel.

Nous venons en ce lieu, conduits par une tradition particulière, et nous Te disons : Ave ! tu es bénie, ô pleine de grâce (Ave Maria gratia plena).

Nous empruntons les paroles prononcées par Gabriel, Messager de la Sainte Trinité.

Nous nous servons de ces paroles, prononcées par toutes les générations du Peuple de Dieu qui, depuis bientôt deux mille ans, accomplit son pèlerinage sur cette terre. Nous nous servons de ces paroles dictées par nos cœurs : « Ave Maria, gratia plena » : pleine de Grâce. Nous venons aujourd’hui, le jour où l’Église, avec la plus grande vénération, rappelle la plénitude de cette Grâce, dont Dieu T’a comblée dès le premier moment de Ta conception.

Elles nous remplissent de joie, les paroles de l’Apôtre : « là où le péché a abondé, la grâce a surabondé » (Rm 5, 20).

Nous sommes heureux de cette particulière abondance de la grâce divine en Toi, qui portes le nom d’« Immaculée Conception ».

Nous venons aujourd’hui en ce lieu, surtout nous Romains, habitants de cette ville que la Providence divine a choisie pour être le siège de Pierre et de ses successeurs. Nous venons nombreux depuis que Pie XII commença ce geste de filial hommage, quatre-vingts ans après que Pie XI eût béni ce monument à l’Immaculée. Nous venons tous ; même si nous ne sommes pas tous présents physiquement, nous le sommes cependant par l’esprit Anciens et jeunes, parents et enfants, en bonne santé et malades, représentants des divers milieux et professions, prêtres, religieux et religieuses, autorités civiles de la ville de Rome, nous considérons tous comme un privilège spécial le fait d’être ici aujourd’hui avec l’évêque de Rome, près de cette Colonne pour T’entourer, Mère, de notre vénération et de notre amour.

Accueille-nous, ainsi, comme nous sommes, là près de Toi, dans cette rencontre annuelle !

Accueille-nous ! Regarde dans nos cœurs ! Accueille nos sollicitudes et nos espérances !

Aide-nous, Toi, pleine de Grâce, à vivre dans la Grâce, à persévérer dans la Grâce et, s’il était nécessaire, à retourner à la Grâce du Dieu vivant, qui est le plus grand et surnaturel bien de l’homme.

Prépare-nous à la Venue de Ton Fils !

Reçois-nous ! avec nos problèmes quotidiens, nos faiblesses et déficiences, nos crises et nos fautes personnelles, familiales et sociales.

Ne permets pas que nous perdions la bonne volonté ! Ne permets pas que nous perdions la sincérité de la conscience et l’honnêteté de la conduite !

Par ta prière, obtiens-nous la justice. Sauve la paix dans le monde entier !

Sous peu nous nous éloignerons de ce lieu. Nous désirons cependant retourner chez nous avec, cette joyeuse certitude que tu es avec nous, Toi, Immaculée, Toi, choisie depuis les siècles pour être la Mère du Rédempteur. Tu es avec nous. Tu es avec Rome, Tu es avec l’Église et avec le monde. Amen.

 

 

 

8 décembre 1979

MARIE, MÈRE DE NOTRE AVENT

 

Le Saint-Père a conclu les cérémonies en l’honneur de l’Immaculée Conception à Rome en présidant le 8 décembre, en la basilique Sainte-Marie-Majeure, une concélébration eucharistique au cours de laquelle il a prononcé l’homélie suivante :

 

1. « Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ qui nous a bénis par toutes sortes de bénédictions spirituelles,... dans le Christ C’est ainsi qu’il nous a choisis, dès avant la création du monde pour être saints et immaculés en sa présence » (Ep 1, 3-4).

Dans ce passage de son Épître aux Ephésiens, saint Paul trace l’image de l’Avent. Et il s’agit de cet Avent éternel qui trouve son origine en Dieu lui-même « dès avant la création du monde » car déjà la « création du monde » fut le premier pas de la Venue de Dieu à l’homme, le premier acte de l’Avent. En effet tout le monde visible a été créé pour l’homme comme l’atteste le livre de la Genèse. Le début de l’Avent en Dieu est son éternel projet de création du monde et de l’homme, un projet né de l’amour. Cet amour est manifesté par l’éternel choix de l’homme en le Christ, Verbe incarné. « ... Il nous a élu en lui, dès avant la création pour être saints et immaculés en sa présence. »

Marie est présente dans cet éternel Avent. Parmi tous les hommes que le Père a élu dans le Christ, Marie l’a été de manière toute particulière et exceptionnelle parce qu’elle a été élue dans le Christ pour être la Mère du Christ. Et ainsi, mieux que n’importe lequel parmi les hommes « prédestinés par le Père » à la dignité de « fils et filles adoptifs de Dieu » Marie a été prédestinée de manière tout à fait spéciale « à la louange de gloire de sa grâce » dont le Père « nous a gratifiés dans son Fils bien-aimé » (cf. Ep 1, 6).

La gloire sublime de sa grâce toute spéciale devait être sa divine maternité : Mère du Verbe éternel ! Dans le Christ, elle a reçu également la grâce de l’Immaculée Conception. De cette manière, Marie est insérée dans ce premier Avent éternel de la Parole, prédisposé par l’amour du Père pour la création et pour l’homme.

 

2. Le deuxième Avent à un caractère historique. II s’accomplit dans le temps entre la chute du premier homme et la Venue du Rédempteur. La liturgie d’aujourd’hui nous parle également de cet Avent et nous montre comment Marie y est insérée dès les origines. En effet, quand s’est manifesté le premier péché, avec la honte inattendue de nos premiers parents, alors également Dieu révéla pour la première fois le Rédempteur du monde, annonçant aussi sa Mère. Il l’a fait en disant lés paroles dans lesquelles la tradition voit « le proto Évangile » c’est-à-dire comme l’embryon et la « pré-annonce » de l’Évangile lui-même, de la Bonne Nouvelle.

Voici ces paroles : « J’établirai une inimitié entre toi et la femme, entre ta race et sa race : celle-ci t’écrasera la tête, et, toi, tu la viseras au talon » (Gn 3, 15).

Ce sont des paroles mystérieuses. Tout archaïques qu’elles soient, elles révèlent le futur de l’humanité et de l’Eglise. Ce futur est vu dans la perspective d’une lutte entre l’Esprit des Ténèbres, celui qui est « menteur et père du mensonge » (Jn 8, 44) et le Fils de la Femme qui doit venir parmi les hommes comme « la voie, la vérité et la vie » (Jn 14, 6).

C’est ainsi que dès les origines Marie est présente dans ce deuxième Avent historique. Elle a été promise, en même temps que son Fils, Rédempteur du Monde. Et attendue également avec lui. Le Messie-Emmanuel (« Dieu avec nous ») est attendu comme Fils de la Femme, Fils de l’Immaculée.

 

3. La venue du Christ ne constitue pas seulement l’accomplissement du deuxième Avent : elle constitue également, en même temps, la révélation du troisième Avent, de l’Avent définitif. Par l’ange Gabriel que Dieu lui avait envoyé à Nazareth, Marie entendit les paroles suivantes :

« Voici que tu concevras, et enfanteras un fils et tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand et on l’appellera Fils du Très-Haut... ; il régnera sur la maison de Jacob à jamais et son règne n’aura jamais de fin » (Lc 1, 31-33).

Marie est le commencement du troisième Avent parce qu’elle a mis au monde celui qui réalisera ce choix éternel dont il nous a été donné lecture dans l’épître aux Ephésiens. En le réalisant, il en fera le fait culminant de l’histoire de l’humanité. Il lui donnera la forme concrète de l’Évangile, de l’Eucharistie, de la Parole et des Sacrements. Et ainsi ce choix éternel pénétrera la vie des âmes humaines et la vie de cette communauté particulière qui se nomme l’Église.

L’histoire de la famille humaine et l’histoire de chaque homme mûriront par l’opération de Jésus-Christ, à la mesure des fils et des filles d’adoption. « C’est en lui encore que nous sommes devenus les héritiers désignés d’avance selon le plan préétabli de Celui qui mène toutes choses au gré de sa volonté » (Ep 1, 11).

Marie est l’origine de ce troisième Avent, et elle s’y maintient en permanence, toujours présente (comme l’a si merveilleusement exprimé le Concile Vatican II au huitième chapitre de la Constitution sur l’Église Lumen Gentium). De même que le deuxième Avent nous rapproche de Celle dont le Fils devait « écraser la tête du serpent », ainsi le troisième Avent nous éloigne d’Elle tout en nous permettant de demeurer sans cesse en présence du Fils, tout proches d’elle. Cet Avent n’est autre que l’attente de l’accomplissement définitif des temps : il est simultanément le temps de la lutte et des contrastes, poursuivant ainsi la prévision originelle : « J’établirai une inimitié entre toi et la femme... » (Gn 3, 15).

La différence consiste dans le fait que nous connaissons déjà le nom de la Femme. Elle est l’Immaculée Conception. On la connaît pour sa virginité et pour sa maternité. Elle est la Mère du Christ et de l’Église, Mère de Dieu et des hommes : Marie de notre Avent.

 

4. Durant ma rencontre avec les cardinaux au début du mois de novembre dernier, il a été exprimé le désir de confier à la Mère de Dieu le Sacré Collège et toute l’Église, les mettant sous sa protection.

J’accueille bien volontiers le vœu qui a été manifesté, interprétant les sentiments communs. Je ressens moi-même profondément le besoin de satisfaire à l’invitation implicite exprimée dès les origines par le Proto-Évangile lui-même : « J’établirai une inimitié entre toi et la Femme ». En cette difficile époque qu’est la nôtre, ne sommes-nous pas témoins de cette « inimitié » ? Que pouvons-nous faire, que pouvons-nous désirer sinon tout ce qui nous unit plus et mieux au Christ, au Fils de la Femme ?

L’Immaculée est la Mère du Fils dé l’Homme. Ô Mère de notre Avent, sois avec nous et fais qu’il demeure avec nous en ce difficile Avent de luttes pour la vérité et pour l’espérance, pour là justice et pour la paix : Lui seul, l’Emmanuel !

 

 

 

24-25 décembre 1979

HOMÉLIE DU PAPE POUR LA MESSE DE MINUIT 1979

 

1. Voici de nouveau arrivée l’heure de ce merveilleux avènement : « Alors... le temps où Marie devait enfanter se trouva révolu. Elle mit au monde son fils premier-né, l’enveloppa de langes et le coucha dans une mangeoire » (Lc 2, 6-7). Et nous nous demandons : est-ce un événement habituel ou insolite ? Il y a tant d’enfants qui naissent sur la terre en vingt-quatre heures, tandis qu’il fait jour dans une partie du monde et nuit dans l’autre ! Certes, chacun de ces moments a quelque chose d’insolite, quelque chose d’unique, pour un père et surtout pour une mère, particulièrement lorsqu’il s’agit du premier enfant, du fils premier-né.

Ce moment est toujours une grande chose. Et cependant, étant donné qu’il s’accomplit toujours en quelque endroit du monde, à toute heure du jour et de la nuit, la naissance de l’homme, du point de vue statistique, est aussi quelque chose de commun et de normal.

La naissance du Christ semble entrer elle aussi dans cette dimension statistique, d’autant plus que le récit de saint Luc y joint la mention d’un recensement qui eut lieu dans tous les pays gouvernés par l’empereur romain César Auguste ; et l’Évangéliste précise que dans le pays où Marie et Joseph habitaient, l’ordre de recensement fut donné par le gouverneur de Syrie, Quirinus.

Chaque année, nous faisons mémoire de cet événement, comme aujourd’hui, en nous réunissant à minuit dans cette basilique. S’il y a quelque chose d’inaccoutumé dans cet événement, cela vient peut-être du fait qu’il ne s’est pas accompli dans les conditions humaines habituelles, sous le toit d’une maison, mais bien dans une étable qui n’abrité ordinairement que des animaux. Le premier berceau du Nouveau-né, en effet, est une mangeoire.

Cette nuit nous sommes réunis dans cette splendide basilique de la Renaissance, pour tenir compagnie à l’enfant d’une pauvre femme, né dans une étable et déposé dans une mangeoire.

 

2. Personne, certainement, parmi les habitants ou les nouveaux venus qui étaient alors à Bethléem, ne pouvait penser qu’à ce moment même et dans cette étable se réalisaient les paroles du grand prophète, souvent relues et continuellement méditées par les fils d’Israël.

Isaïe avait écrit en effet des paroles qui exprimaient une grande attente et une inflexible espérance :

« Tu as multiplié leur allégresse, / tu as fait éclater leur joie ; / ils se réjouissent devant toi / comme on se réjouit à la moisson... / Car un enfant nous est né, / un fils nous a été donné, / il a reçu l’empire sur les épaules... / Étendu est l’empire dans une paix infinie, / pour le trône de David et sa royauté, / qu’il établit, et qu’il affermit / dans le droit et la justice / dès maintenant et pour toujours » (9, 2, 5-6).

Personne, parmi ceux qui étaient présents à Bethléem, ne pouvait penser que les paroles du grand prophète se réaliseraient précisément cette nuit-là, ni que cela s’accomplirait dans une étable, où sont habituellement les animaux, « parce qu’il n’y avait pas de place pour eux à l’hôtellerie » (Lc 2, 7).

 

3. Il y a cependant un passage, un point des paroles d’Isaïe qui semble déjà se réaliser à la lettre au cours de cette nuit. Isaïe avait écrit :

« Le peuple qui marchait dans les ténèbres / a vu une grande lumière ; / sur les habitants du sombre pays / une lumière a resplendi » (9, 1).

Or, en ce moment, tout Bethléem et toute la terre de l’homme sont un « sombre pays » dont les habitants sont endormis. Mais hors de la ville — comme nous le lisons dans l’Évangile de Luc —, « il y avait dans la contrée des bergers qui vivaient aux champs et qui la nuit, veillaient tour à tour à la garde de leur troupeau » (2, 8). Les bergers sont fils de ce peuple « qui marche dans les ténèbres » et ils sont en même temps ses représentants choisis pour ce moment ; choisis « pour voir la grande lumière ». C’est exactement ce que saint Luc écrit des bergers de Bethléem :

« L’Ange du Seigneur leur apparut et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa clarté, et ils furent saisis d’une grande frayeur » (2, 9).

Du plus profond de cette lumière qui leur vient de Dieu, et dans la profondeur de cette crainte qui est la réponse des cœurs simples à la lumière divine, leur parvient cette parole :

« Rassurez-vous, car voici que je vous annonce une grande joie... Aujourd’hui, dans la cité de David, un Sauveur vous est né, qui est le Christ Seigneur » (Lc 2, 10-11).

Ces paroles durent produire une grande joie dans le cœur de ces hommes simples, formés et nourris comme tout le peuple d’Israël par une grande promesse, dans la tradition de l’attente du Messie. Et le messager dit avec justesse que cette joie « sera celle de tout le peuple » (Lc 2, 10), c’est-à-dire précisément de ce peuple de Dieu, qui « marchait dans les ténèbres », mais qui ne se lassait pas de la promesse.

 

4. Il était nécessaire, cette nuit-là, qu’un messager porte la « grande lumière » de la prophétie d’Isaïe à l’étable et à la mangeoire de Bethléem. Cette lumière, cette « apparition de la gloire » (Tt 2, 13) — comme l’écrit saint Paul — étaient nécessaires pour qu’on puisse bien lire le signe. « Vous trouverez un nouveau-né enveloppé de langes et couché dans une crèche » (Lc 2, 12). Et les bergers de Bethléem, hommes simples et illettrés, ont vraiment bien lu le signe. Ils furent les premiers de tous ceux qui l’ont lu par la suite et qui le relisent encore maintenant. Ils furent les premiers témoins du mystère. Nous qui, cette nuit, remplissons la basilique Saint-Pierre, et tous ceux qui partout assistent à une messe de minuit nous devenons participants de leur témoignage. Ce n’est pas sans raison que cette messe de minuit est appelée dans certaines régions « la messe des bergers ».

 

5. Rappelons-nous que cette nuit est celle du mystère, même si on peut trouver d’autres interprétations de l’événement dans lequel s’est manifestée « l’apparition de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur » (Tt 2, 13), par la naissance de l’enfant, quand il naquit de la Vierge, et quand, la nuit de sa naissance, il n’eut même pas le toit d’une maison au-dessus de sa tête, mais seulement une étable et une mangeoire !

Puisque nous sommes réunis ici pour participer au témoignage que les bergers de Bethléem ont rendu les premiers à ce mystère, cherchons à réfléchir sur celui-ci.

« Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes qu’il aime » (Lc 2, 14).

Ces paroles viennent de la lumière même qui brilla, en cette nuit-là, dans le cœur d’hommes de bonne volonté.

Dieu met sa complaisance dans les hommes !

Cette nuit est un témoignage particulier de la complaisance divine pour l’homme. Dieu ne l’a-t-il pas créé à son image et à sa ressemblance ? Les images et les ressemblances sont créées pour y voir le reflet de soi-même. C’est pourquoi on les regarde avec complaisance.

Dieu aurait-il pu ne pas se complaire en l’homme puisque, après l’avoir créé, il vît que « cela était très bon » (Gn 1, 31) ?

Et voici qu’à Bethléem nous sommes au sommet de cette complaisance. Ce qui s’est produit alors, est-il possible de l’exprimer autrement ?

Est-il possible de comprendre d’une autre manière le mystère par lequel le Verbe s’est fait chair, le Fils de Dieu assume la nature humaine et naît, Enfant, du sein de la Vierge ? Est-il possible de relire ce signe d’une autre manière ?

 

6. C’est pour cela que, au milieu de la nuit de Noël, peuples et nations entonnent un grand cantique. Il part chaque année de l’étable même de Bethléem. Il est chanté par des hommes de tant de terres et de si nombreuses races. C’est le grand cantique de la joie, et qui résonne, et qui prend tant de formes. On le chante en Italie, on le chante en Pologne, on le chante dans toutes les langues et dans tous les dialectes, dans tous les pays et dans tous les continents.

Dieu a manifesté sa complaisance en l’homme !

Dieu se complaît en l’homme !

Les hommes alors se réveillent ; l’homme s’éveille, « berger de son propre destin » (Heidegger).

Que de fois l’homme est écrasé par ce destin. Que de fois il en est prisonnier. Que de fois il meurt de faim, il est proche du désespoir, il est menacé dans la conscience qu’il a du sens de son humanité. Que de fois, malgré toutes les apparences qu’il se crée, l’homme est loin de trouver son bonheur en lui-même !

Mais, aujourd’hui il s’éveille et il entend cette annonce :

Dieu naît dans l’histoire humaine !

Dieu se complaît dans l’homme.

Dieu est devenu homme.

Dieu se complaît en toi !

Amen.

 

 

 

31 décembre 1979

DANS LE MESSAGE DE NOËL LA  MANIFESTATION DE L’ESPÉRANCE

 

Renouvelant une antique tradition, le Saint-Père s’est rendu le 31 décembre dernier en l’église du Gesù pour le Te Deum traditionnel de fin d’année.

Au cours de la célébration de l’Eucharistie le pape a prononcé l’homélie suivante :

 

1. « Petits-enfants, voici venue la dernière heure... » : c’est par ces mots que commence la première lecture de la liturgie d’aujourd’hui, extraite de l’épître de l’Apôtre saint Jean (1 Jn 2, 18). Cette lecture est prévue pour le 31 décembre, septième jour de l’octave de Noël. Comme ils sont actuels ces mots !

Et comme efficacement nous percevons leur éloquence, nous qui nous trouvons réunis ici, en, l’église romaine du Gesù, au moment où sonnent les dernières heures de cette année qui va finir. Chaque heure du temps humain est en un certain sens la dernière, parce qu’elle est toujours unique et ne peut être répétée. Chaque heure, quelque parcelle de notre vie passe, une parcelle qui ne reviendra plus. Et, même si l’on ne s’en rend pas toujours compte, cette, parcelle nous projette vers l’éternité.

Il se peut que les dernières heures de ce jour — quand l’Année du Seigneur 1979 et, avec elle, la huitième décennie de notre siècle touchent à leur fin — nous en parlent mieux que n’importe quelle autre même heure. C’est pourquoi nous éprouvons d’autant plus le besoin de nous trouver, dans ces dernières heures de l’année, devant Nôtre-Seigneur, devant Dieu qui, par son éternité, embrasse et absorbe notre temps humain ; le besoin de nous trouver en sa présence, de lui parler avec tout ce que notre existence contient de plus profond. Ce sont les moments qui s’adaptent le mieux à une profonde méditation sur nous-mêmes et sur le monde ; les moments voulus pour « faire les comptes » avec soi-même et avec la génération à laquelle nous appartenons. C’est le moment propice pour une prière afin d’obtenir le pardon, d’une prière de reconnaissance et de supplication.

 

2. « Le Verbe était dans le monde » (cf. Jn 1, 10). C’est précisément maintenant qu’est revenue l’époque où l’Église devient plus particulièrement consciente de la vérité qu’expriment ces paroles de l’Évangile de saint Jean. Le Verbe était dans le monde — ce Verbe qui « au commencement était avec Dieu » et « tout fut fait par lui et sans lui rien ne fut fait de tout ce qui existe » (cf. Jn 1, 1-3). Ce « Verbe s’est fait chair et il a demeuré parmi nous » (1, 14). Il est venu demeurer parmi nous, même si « les siens ne l’ont pas reçu » (1, 11).

Le calcul des années dont nous nous servons nous indique que mil neuf cent soixante dix-neuf années se sont écoulées depuis qu’eurent lieu ces événements. Le temps témoigne non seulement du passage du monde et du passage de l’homme dans le monde ; il rend témoignage également à la naissance du Verbe éternel, né de la Vierge Marie, à la naissance qui, comme la naissance de tout homme, est déterminée par l’année, le jour, l’heure.

Toutefois en ce moment, durant cette rencontre, notre attention est attirée avant tout sur la phrase suivante de l’Évangile de saint Jean : « Oui, de sa plénitude nous avons tout reçu et grâce pour grâce » (Jn l, 16). N’y a-t-il pas là également une clé pour comprendre l’année qui va finir ? Ne faut-il pas penser a elle dans la perspective de chaque grâce que nous avons reçue de la plénitude de Jésus-Christ, Dieu et Homme ? Ne sommes-nous pas réunis ici pour remercier de chacune de ces grâces et, simultanément, de toutes ensemble ?

Certainement oui.

La grâce est une réalité intérieure. Elle est une pulsation mystérieuse de la Vie divine dans l’âme humaine. Elle est un rythme intérieur de l’intimité de Dieu avec nous, et, de ce fait, également de notre intimité avec Dieu. Elle est la source de tout vrai bien dans notre vie. Elle est le fondement du bien qui ne passe pas. Par la grâce nous vivons déjà en Dieu, dans l’unité du Père, du Fils et de l’Esprit Saint, bien que notre vie se déroule toujours dans ce monde. Elle donne une valeur surnaturelle à chaque vie, bien qu’humainement et selon les critères de la temporalité, cette vie soit très pauvre, peu voyante et difficile.

Il faut donc remercier aujourd’hui pour chacune des grâces que Dieu a communiquée à n’importe quel homme : non seulement à chacun de nous ici présents, mais à chacun de nos frères et sœurs partout sur la terre.

De cette manière notre hymne de reconnaissance lié au dernier jour de l’année qui va finir deviendra comme une grande synthèse. Dans cette synthèse toute l’Église sera présente car elle est, comme nous l’enseigne le Concile, un sacrement du salut humain (cf. Const. dogm. Lumen Gentium, 1, 1). Le Christ « de la plénitude de qui nous avons tout reçu » est « le Christ de l’Église » ; et l’Église est ce Corps mystique que revêt constamment le Verbe éternel né dans le temps de la Vierge Marie.

Orientant nos cœurs vers ce mystère, la liturgie d’aujourd’hui devient la source de notre plus sincère prière de remerciement.

 

3. Toutefois cette même liturgie nous rappelle également l’existence du mal dans l’histoire de l’homme et de l’humanité. Et si tout bien modèle cette histoire sous la formé du Corps du Christ, le mal, au contraire, comme contradiction du bien, assume dans le langage de l’Apôtre Jean le nom d’« antéchrist ». C’est en ce sens qu’il écrit dans son épître : « ... déjà maintenant beaucoup d’antéchrists sont survenus ; à quoi nous reconnaissons que la dernière heure est là » (1 Jn 2, 18).

Alors cette dernière heure de l’année ne peut passer sans une réflexion sur le thème du mal, sur le thème du péché, auquel chacun sent qu’il prend part du fait que lui en parle sa propre conscience.

La dernière heure se rattache de manière particulière à la perspective du jugement qui résonne dans la voix de la conscience humaine et en même temps à la perspective du jugement de Dieu, du Seigneur qui vient juger la terre comme l’annonce le psaume, de la liturgie d’aujourd’hui (cf. Ps 95/96, 13). Il poursuit : « Il jugera le monde avec justice et avec vérité toutes, les nations » (ibid.).

La réflexion même sur le mal, dont la dernière heure de l’année nous offre l’occasion, nous demande d’aller en un certain sens au-delà des limites de notre conscience et de la responsabilité morale personnelle. Le mal qui existe dans le monde, qui nous entoure et qui menace l’homme, les nations, l’humanité semble bien plus grand que le mal dont chacun de nous se sent responsable. C’est comme s’il grandissait selon sa propre dynamique immanente et dépassait les intentions de l’homme; comme s’il sortait de nous mais n’était pas nous pour utiliser encore une fois les paroles de l’Apôtre.

Notre, vie ne nous manifeste-t-elle pas de semblables dimensions du mal ? Cette année ne nous a-t-elle pas démontré que sa menace a pris de telles proportions qu’on finit par se demander si elle est encore à la mesure de l’homme, à la mesure de sa volonté et de sa conscience ?

Et, à part le reste, que dire de toutes les manifestations de haine et de cruauté qui se cachent sous le nom de terrorisme international ? ou sous la forme du terrorisme dont l’Italie est victime ?

Et que dire des gigantesques et menaçants arsenaux militaires qui, spécialement durant la dernière période de l’année, ont attiré l’attention du monde entier, et en particulier de l’Europe, d’Orient en Occident ?

On aurait envie de dire comme l’Apôtre que ce mal qui se profile sur l’horizon « est sorti de nous, mais il n’était pas de nous », il n’est pas de nous. Et justement. Dans l’histoire de l’homme ce n’est pas seulement le Christ qui opère, mais aussi l’antéchrist. Il est pourtant nécessaire, certes, et d’autant plus nécessaire que l’homme, tout homme qui se sent de quelque manière responsable de ces menaces surhumaines qui pèsent sur l’humanité se soumette au jugement de sa propre conscience, se’ soumette au jugement de Dieu.

 

4. Dans le monde était le Verbe...

De tout être il était la vie / et la vie était la lumière des hommes ; / et la lumière luit dans les ténèbres / et les ténèbres n’ont pu l’atteindre. (Jn 1, 4-5).

Nous terminons ainsi notre méditation à l’occasion de la fin de l’année par une affirmation de l’Évangile de saint Jean. Elle contient le message de Noël ; elle contient la Manifestation de l’espérance, la voix de l’optimisme Chrétien.

Le Verbe est dans le monde. La lumière resplendit dans les ténèbres. Il faut seulement que nous tendions l’oreille à ce Verbe. Il faut se rapprocher de cette lumière. Il faut que nous nous pressions autour du Christ, que nous adhérions à lui de toute notre âme, en toute notre vie.

Alors nous pouvons marcher avec confiance vers n’importe quelle époque, quelle que soit sa physionomie. « La grâce et la miséricorde nous sont venues par Jésus-Christ » (Jn 1, 17) et elles ne cessent d’être la source du triomphe de l’homme sur le mal. Et même en cette époque la quantité de faits — de faits concrets — qui le démontrent ne fait qu’augmenter. Des faits qui parfois nous étonnent par leur éloquence. Chaque année prend fin dans la splendeur de l’octave de Noël et dans cette splendeur commence chaque armée.

Ceci est un signe évident de l’immuable présence de la grâce et de la vérité dans notre temps humain.