L’ENSEIGNEMENT DE JEAN-PAUL II

1979

tome 2 - suite

 

 

 

III - DISCOURS

 

12 janvier 1979 : LE BIEN COMMUN DE L’HUMANITÉ

13 janvier 1979 : PROTÉGER L’ENFANCE POUR LE BIEN DE LA SOCIÉTÉ

8 février 1979 : LA DIGNITÉ DE LA PERSONNE, FONDEMENT DE LA PAIX

17 février 1979 : LA FONCTION JUDICIAIRE DE L’ÉGLISE AU SERVICE DE LA VÉRITÉ ET DE LA CHARITÉ

24 février 1979 : LE PAPE AUX UNIVERSITAIRES CATHOLIQUES

27 février 1979 : LA VIE TRIOMPHERA DE LA MORT

2 mars 1979 : LE PRÊTRE DANS LE MYSTÈRE DU CHRIST

14 mars 1979 : CONGRÈS MONDIAL DE LA PASTORALE DE L’ÉMIGRATION

22 mars 1979 : LE CARACTÈRE SACRÉ DE TOUTE PERSONNE HUMAINE

31 mars 1979 : AVEC L’ÉGLISE, ALLER EN TOUTE CONFIANCE VERS L’HOMME

10 avril 1979 : A SIX MILLE ETUDIANTS VENUS DU MONDE ENTIER

13 avril 1979 : PAR LA CROIX, SOLIDARITÉ AVEC CEUX QUI SOUFFRENT PERSÉCUTION

26 avril 1979 : L’ECRITURE, SOURCE D’EAU VIVE

27 avril 1979 : LA PAROLE ET L’AMOUR POUR UN FRUCTUEUX DIALOGUE

5 mai 1979 : AU CONGRÈS ITALIEN DE LA PASTORALE FAMILIALE

5 mai 1979 : AU PÈLERINAGE DE LA JEUNESSE SALESIENNE

16 mai 1979 : SAINT STANISLAS, TÉMOIN DE LA POLOGNE CATHOLIQUE

14 juin 1979 : AUX MEMBRES DU ROTARY INTERNATIONAL

23 juin 1979 : A LA DÉLÉGATION DE L’ÉGLISE COPTE-ORTHODOXE

22 juin 1979 : AUX PRÊTRES DU SACRÉ-CŒUR DE JÉSUS

30 juin 1979 : PÉNÉTRÉ D’UNE JOIE INTENSE...

30 juin 1979 : CONFESSER LE CHRIST DEVANT LES HOMMES

14 juillet 1979 : L’AMOUR POUR LA TERRE, BASE D’UN RÉEL PROGRES CIVIL

17 septembre 1979 : AU CONSEIL INTERNATIONAL DES ÉQUIPES NOTRE-DAME

21 septembre 1979 : AUX REPRÉSENTANTS DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS

24 septembre 1979 : AUX MEMBRES DE LA IXe CONFÉRENCE MONDIALE SUR LE DROIT

27 octobre 1979 : AUX MEMBRES DE « COR UNUM »

28 octobre 1979 : PERCEVOIR PLUS PROFONDÉMENT LA CONNAISSANCE DU MYSTÈRE DU CHRIST

3 novembre 1979 : LES EXIGENCES ET LES JOIES DU MARIAGE-SACREMENT

5 novembre 1979 : POUR RÉALISER PLEINEMENT VATICAN II

9 novembre 1979 : UNE ÉTAPE IMPORTANTE DE LA COLLÉGIALITÉ

10 novembre 1979 : VOUS ÊTES AUJOURD’HUI LE CHRIST PASSANT AU MILIEU DES FOULES

10 novembre 1979 : PROGRÈS DE LA SCIENCE ET RECHERCHE DE LA VÉRITÉ

12 novembre 1979 : RECHERCHER UN DÉVELOPPEMENT MONDIAL ORGANIQUE

12 novembre 1979 : AU PERSONNEL DE LA F.A.O.

17 novembre 1979 : LA PHILOSOPHIE DE SAINT THOMAS ET LA JEUNESSE D’AUJOURD’HUI

23 novembre 1979 : AUX DÉLÉGUÉS DE COMMISSIONS ŒCUMÉNIQUES NATIONALES

24 novembre 1979 : FAIRE DES ENTREPRISES DES COMMUNAUTÉS DE PERSONNES

26 novembre 1979 : AU CONSEIL DES SUPÉRIEURS GÉNÉRAUX

13 décembre 1979 : LA CONFUSION DES CHARISMES APPAUVRIT L’ÉGLISE

15 décembre 1979 : LE PAPE REÇOIT LA C.I.D.S.E.

15 décembre 1979 : LA THÉOLOGIE EST SCIENCE ECCLÉSIALE

22 décembre 1979 : L’AUJOURD’HUI DE NOËL

 

 

 

III - DISCOURS

 

 

 

12 janvier 1979

LE BIEN COMMUN DE L’HUMANITÉ

 

Discours au Corps diplomatique

Les membres du Corps diplomatique accrédités près le Saint-Siège ont été reçus par le pape Jean Paul II le Vendredi 12 janvier dans la salle du Consistoire pour lui présenter leurs vœux. Le Doyen du Corps diplomatique, S. Exc M. Luis Valladares y Aycinena, ambassadeur du Guatemala a adressé au Souverain Pontife un discours chaleureux d’hommage et de vœux sur le thème « sympathie, solidarité, adhésion » en le précisant ainsi : « Assurément, Très Saint-Père, confirmation de la valeur, du poids du Saint-Siège dans le monde ainsi que le respect et l’admiration portés à Votre Sainteté. Respect et admiration qui, depuis lors à ce jour, ont grandi, s’y ajoutant — avec toute leur importance — l’amour et la vénération. » Le pape a répondu, en français.

 

Excellence, Mesdames, Messieurs,

 

Votre Doyen vient d’interpréter vos sentiments et vos vœux au seuil de la nouvelle année, d’une façon qui me touche profondément. Je le remercie et je vous remercie tous de ce témoignage réconfortant Soyez assurés, en retour, de mes souhaits fervents pour chacun d’entre vous, pour tous les membres de vos ambassades, pour vos familles, pour les pays que vous représentez. C’est devant Dieu que je forme ces vœux, en lui demandant d’éclairer votre route, comme celles des mages de l’Évangile, et de vous donner, au jour le jour, le courage et les joies qui vous sont nécessaires pour faire face à tous vos devoirs. Je le prie de vous bénir, c’est-à-dire de vous combler de ses biens.

Il est normal, en cette circonstance solennelle qui réunit auprès du pape toutes les Missions diplomatiques accréditées auprès du Saint-Siège, d’ajouter à ces souhaits cordiaux quelques considérations sur votre noble fonction et sur le cadre dans lequel elle s’inscrit : l’Église et le monde.

 

1. Je commencerai par regarder avec vous vers le passé tout récent, en renouvelant la gratitude du Siège Apostolique pour les nombreuses délégations qui ont honoré les funérailles du pape Paul VI et du pape Jean Paul Ier,, de sainte mémoire, ainsi que les cérémonies inaugurales du pontificat de mon prédécesseur et du mien.

Cherchons à en saisir la signification : cette participation aux événements les plus importants de la vie de l’Église des représentants de ceux qui ont en main les responsabilités politiques n’est-elle pas une façon de souligner la présence de l’Église au sein du monde contemporain et en particulier de reconnaître l’importance de sa mission — et spécialement de la mission du Siège Apostolique — laquelle, tout en étant strictement religieuse, s’inscrit aussi dans le cadre des principes de la morale qui lui sont liés de façon indissoluble ? Ceci nous reporte à l’ordre auquel aspire tellement le monde contemporain, ordre basé sur la justice et sur la paix ; l’Église, suivant, l’inspiration du concile Vatican II et se conformant à la tradition constante de la doctrine chrétienne, s’empresse d’y contribuer avec les moyens qui lui sont accessibles.

 

Le primat du spirituel

 

2. Naturellement, ces moyens sont des « moyens pauvres » que le Christ lui-même nous a appris à mettre en œuvre et qui sont propres à la mission évangélique de l’Église. Cependant, en cette époque d’énorme progrès des « moyens riches » dont disposent les actuelles structures politiques, économiques et civiles, ces moyens propres à l’Église conservent tout leur sens, gardent leur finalité et acquièrent même un nouvel éclat. Les « moyens pauvres » sont strictement liés au primat du spirituel. Ce sont des signes certains de la présence de l’Esprit dans l’histoire de l’humanité. Beaucoup de contemporains semblent manifester une compréhension particulière pour cette échelle de valeurs : qu’il suffise d’évoquer, pour ne parler que de non-catholiques, le mahatma Gandhi, M. Dag Hammarskj­­­­­­­­­­­öld, le pasteur Martin Luther King. Le Christ demeure pour toujours l’expression la plus haute de cette pauvreté de moyens dans laquelle se révèle le primat de l’Esprit : la plénitude de la spiritualité dont est capable l’homme avec la grâce de Dieu et à laquelle il est appelé.

 

3. Qu’il me soit permis d’apprécier, dans cette perspective, tous les actes de bienveillance manifestés au début de mon pontificat, comme aussi cette rencontre d’aujourd’hui. Oui, considérons ce fait de la présence, auprès du Siège Apostolique, des représentants de tant d’États, si divers par leur profil historique, leur mode d’organisation, leur caractère confessionnel, de ceux qui représentent des peuples d’Europe ou d’Asie connus depuis l’antiquité, ou des États plus jeunes, comme la plupart de ceux d’Amérique dont l’histoire remonte à quelques siècles, et enfin les États les plus récents, nés au cours de ce siècle : une telle présence correspond en profondeur à cette vision que le Seigneur Jésus nous a un jour révélée, en parlant de « toutes les nations » du monde, au moment où il confiait aux Apôtres le mandat de porter la Bonne Nouvelle dans le monde entier (cf. Mt 28, 10 et Mc 16. 15). Elle correspond aussi aux splendides analyses faites par le concile Vatican II (cf. Const. dogm. Lumen Gentium, chap. II, nn, 13-17 et Const. past. Gaudium et Spes, nn. 2, 41, 89, etc.).

 

4. En prenant des contacts — entre autres par le moyen des représentations diplomatiques — avec tant d’États au profil si divers, le Siège Apostolique désire avant tout exprimer sa tradition, sa culture, son progrès en tout domaine, comme je l’ai déjà dit dans les lettres adressées aux chefs d’État à l’occasion de mon élection au siège de Pierre. L’État, comme expression de l’autodétermination souveraine des peuples et nations, constitue une réalisation normale de l’ordre social. C’est en cela que consiste son autorité morale. Fils d’un peuple à la culture millénaire qui a été privé durant un temps considérable de son indépendance comme État, je sais, par expérience, la haute signification de ce principe.

Le Siège apostolique accueille avec joie tous les représentants diplomatiques, non seulement comme porte-parole de leurs propres gouvernements, régimes et structures politiques, mais aussi et surtout comme représentants des peuples et des nations qui, à travers ces structures, politiques, manifestent leur souveraineté, leur indépendance politique et la possibilité de décider de leur destinée de façon autonome. Et il le fait sans aucun préjugé quant à l’importance numérique de la population : ici, ce n’est pas le facteur numérique qui est décisif.

 

Le développement de l’œcuménisme

 

5. Le Siège apostolique se réjouit de la présence de si nombreux représentants ; il serait même heureux d’en voir beaucoup d’autres, spécialement des nations et populations qui avaient parfois à cet égard une tradition séculaire. Je pense surtout ici aux nations qu’on peut considérer comme catholiques. Mais aussi à d’autres. Car, actuellement, de même que se développe l’œcuménisme entre l’Église catholique et les autres Églises chrétiennes, de même qu’on tend à nouer des contacts avec tous les hommes en faisant appel à la bonne volonté, de même ce cercle s’élargit, comme en témoigne la présence ici de nombreux représentants de pays non-catholiques, et il trouve continuellement un motif d’extension dans la conscience qu’a l’Église de sa mission, comme l’a si bien exprimé mon vénéré prédécesseur Paul VI dans son encyclique Ecclesiam suam. De toutes parts — je l’ai noté spécialement dans les messages provenant des pays de l’« Est » — sont parvenus des vœux pour que le nouveau pontificat puisse servir la paix et le rapprochement des nations. Le Siège apostolique veut être, conformément à la mission de l’Église, au centre de ce rapprochement fraternel. Il désire servir la cause de la paix, non pas à travers une activité politique, mais en servant les valeurs et les principes qui conditionnent la paix et le rapprochement, et qui sont à la base du bien commun international.

 

6. Il y a en effet un bien commun de l’humanité, avec de très graves intérêts en jeu qui requièrent l’action concertée des gouvernements et de tous les hommes de bonne volonté : les droits humains à garantir, les problèmes de l’alimentation, de la santé, de la culture, la coopération économique internationale, la réduction des armements, l’élimination du racisme… Le bien commun de l’humanité ! Une « utopie », que la pensée chrétienne poursuit sans se lasser et qui consiste dans la recherche incessante de solutions justes et humaines, tenant compte à la fois du bien des personnes et du bien des États, des droits de chacun et des droits des autres, des intérêts particuliers et des nécessités générales.

 

Liban, Moyen Orient et Irlande du Nord

 

C’est du bien commun que s’inspirent, non seulement l’enseignement social du Siège apostolique, mais aussi les initiatives qui lui sont possibles, dans le cadre du domaine qui lui est propre. C’est le cas, très actuel du Liban. Dans un pays bouleversé par des haines et des destructions, avec des victimes innombrables, quelle possibilité reste-t-il de renouer encore des rapports de vie commune entre chrétiens de diverses tendances et musulmans, entre Libanais et Palestiniens, sinon dans un effort loyal et généreux qui respecte l’identité et les exigences vitales de tous, sans vexation de l’un ou de l’autre ? Et si l’on regarde l’ensemble du Moyen-Orient, tandis que certains hommes d’État essaient avec ténacité d’arriver à un accord et que d’autres hésitent à s’y engager, qui ne voit que le problème de fond est, tout autant que la sécurité militaire ou territoriale, une confiance réciproque effective, celle-ci pouvant seule aider à harmoniser les droits de tous, en répartissant de façon réaliste les avantages et les sacrifices ? Il n’en va pas autrement de l’Irlande du Nord : les évêques et les responsables de confessions non catholiques exhortent depuis des années à vaincre le virus de la violence sous sa forme de terrorisme ou de représailles ; ils invitent à répudier la haine, à respecter concrètement les droits humains, à s’engager dans un effort de compréhension et de rencontre. N’y a-t-il pas là un bien commun où la justice et le réalisme se rejoignent ?

 

La médiation entre l’Argentine et le Chili

 

La diplomatie et les négociations sont aussi pour le Saint-Siège un moyen qualifié de faire confiance aux ressources morales des peuples. C’est dans cet esprit que accueillant l’appel de l’Argentine et:du Chili, j’ai tenu à envoyer dans ces deux pays le cardinal Samorè, afin que, comme diplomate de grande expérience, il se fasse l’avocat de solutions acceptables pour les deux peuples qui sont chrétiens et voisins. Je suis heureux de constater que cette œuvre patiente a déjà abouti à un précieux résultat positif et précieux.

 

Le drame de l’Iran

 

Ma pensée et ma prière se tournent aussi vers tant d’autres problèmes qui agitent gravement la vie du monde, ces jours-ci en particulier, et qui entraînent à nouveau tant de morts, de destructions, de rancœurs, dans des pays qui comportent peu de catholiques mais qui sont également chers au Siège apostolique : nous suivons les dramatiques événements de l’Iran et nous sommes très attentifs aux nouvelles qui nous parviennent au sujet du pays khmer et de toutes les populations de ce sud-est asiatique déjà si éprouvées.

 

Les Droits de l’homme

 

7. Nous voyons bien que l’humanité est divisée de multiples façons. Il s’agit aussi, et peut-être par-dessus tout, de divisions idéologiques liées aux divers systèmes étatiques. La recherche de solutions permettant aux sociétés humaines d’accomplir leurs propres tâches, de vivre dans la justice, est peut-être le principal signe de notre temps. Il faut respecter tout ce qui peut servir cette grande cause, en quelque régime que ce soit. Il faut tirer avantage des expériences réciproques. Par contre, on ne saurait transformer cette recherche multiforme de solutions en un programme de lutte pour s’assurer le pouvoir sur le monde, quel que soit l’impérialisme que recouvre cette lutte. C’est seulement dans cette ligne que nous pouvons éviter la menace des armes modernes, notamment de l’armement nucléaire, qui demeure si préoccupante pour le monde moderne.

Le Siège apostolique, qui en a déjà donné la preuve, est toujours prêt à manifester son ouverture à l’égard de tout pays où régime, en cherchant le bien essentiel qui est le véritable bien de l’homme. On bon nombre d’exigences corrélatives à ce bien ont été exprimées dans la « Déclaration des droits de l’homme» et dans les pactes internationaux qui en permettent concrètement l’application. Là-dessus, on peut grandement louer l’Organisation des Nations unies comme plate-forme politique sur laquelle la recherche de la paix et de la détente, du rapprochement et de l’entente réciproque trouvent une base, un appui, une garantie.

 

Liberté religieuse et liberté de conscience

 

8. La mission de l’Église est, de par sa nature, religieuse, et par conséquent le terrain de rencontre de l’Église ou du Siège apostolique avec la vie multiforme et différenciée des communautés politiques du monde contemporain, est caractérisé d’une façon particulière par le principe, universellement reconnu, de la liberté religieuse et de la liberté de conscience. Ce principe ne rentre pas seulement dans la liste des droits de l’homme admis par tous, mais y occupe un poste-clef. Il s’agit, en effet, du respect d’un droit fondamental de l’esprit humain, dans lequel l’homme s’exprime peut-être le plus profondément comme homme.

Le concile Vatican II a élaboré la déclaration sur la liberté religieuse ; elle comprend aussi bien la motivation de ce droit que les principales applications pratiques, autrement dit l’ensemble des données qui confirment le réel fonctionnement du principe de la liberté religieuse dans la vie sociale et publique.

Respectant les droits analogues de toutes les autres communautés religieuses dans le monde, le Siège apostolique se sent poussé à entreprendre en ce domaine des démarches en faveur de toutes les Églises, rattachées à lui dans une pleine communion. Il cherche à le faire toujours en union avec les épiscopats respectifs, avec le clergé et les communautés de fidèles.

Ces initiatives donnent, pour la plupart, des résultats satisfaisants. Mais il est difficile de ne pas mentionner certaines Églises locales, certains rites, dont la situation, pour ce qui est de la liberté religieuse, laisse tant à désirer, quand elle n’est pas tout à fait déplorable. Il y a même des cris poignants demandant aide ou secours, que le Siège apostolique ne peut pas ne pas entendre. Et il doit en conséquence les présenter, en toute clarté, à la conscience des États, des régimes, de toute l’humanité. Il s’agit là d’un simple devoir qui coïncide avec les aspirations à la paix et à la justice dans le monde.

C’est dans ce sens que la délégation du Saint-Siège à été amenée à élever la voix à la réunion de Belgrade en octobre 1977 (cf. L’Osservatore Romano, 8 octobre 1977, p. 2), en se référant aux déclarations approuvées lors de la conférence d’Helsinki sur la sécurité et la coopération en Europe, en particulier sur le thème de la liberté religieuse.

Par ailleurs, le Siège apostolique est toujours prêt à tenir compte des transformations des réalités et des mentalités sociales qui surviennent dans les différents États ; et il est prêt, par exemple, à accepter de revoir les pactes solennels qui avaient été conclus à d’autres époques, en d’autres circonstances.

 

Le voyage au Mexique

 

9. Très prochainement, je, vais me rendre à Puebla pour rencontrer les représentants de tous les Épiscopats latino-américains, et inaugurer avec eux une réunion très importante. Cela fait partie de ma mission d’évêque de Rome et de chef du Collège des évêques. Je tiens à exprimer publiquement ma joie pour la compréhension et l’attitude bienveillante des autorités mexicaines en ce qui concerne ce; voyage. Le pape espère pouvoir réaliser cette mission également en d’autres nations, d’autant plus que beaucoup d’invitations semblables lui ont déjà été présentées.

Encore une fois je renouvelle mes vœux cordiaux de paix, de progrès pour le monde entier, de ce progrès qui correspond pleinement à la volonté du Créateur : « Soumettez la terre et dominez-la » (Gn 1, 28). Ce commandement doit s’entendre de la maîtrise morale, et non pas de la seule domination économique. Oui, je souhaite à l’humanité toute sorte de bien, afin que tous vivent dans la vraie liberté, dans la vérité, dans la justice et dans l’amour.

 

 

 

13 janvier 1979

PROTÉGER L’ENFANCE POUR LE BIEN DE LA SOCIÉTÉ

 

A des journalistes européens

Dans la matinée du samedi 13 janvier, Jean Paul II a reçu en audience, salle du Trône, les membres du Comité des Journalistes européens pour les droits de l’enfant et ceux de la Commission italienne pour l’Année internationale de l’enfant qui participaient à une réunion de travail à Rome sur le thème : « Rôle des journalistes dans le cadre de l’Année internationale de l’enfant ». Le Saint-Père a répondu en français par le discours ci-dessous aux adresses que les responsables de la rencontre, MM. Lettieri et Waldemar Kedaj, ce dernier en polonais, ont prononcées à son intention.

 

Mesdames, Messieurs,

 

Je suis heureux de recevoir aujourd’hui le « Comité des Journalistes européens pour les droits de l’enfant », accompagné des représentants de la Commission nationale italienne pour l’Année internationale de l’enfant, sous le patronage de laquelle se déroule votre première rencontre, ici, à Rome. Je vous remercie de cette visite et de la confiance qu’elle témoigne. Dans le cadre de l’Année internationale de l’enfant, vous avez voulu prendre des initiatives pour étudier vous-mêmes la situation de certains groupes d’enfants défavorisés et, je le suppose, sensibiliser ensuite vos lecteurs aux problèmes de ces enfants.

Le Saint-Siège ne se contente pas de regarder avec intérêt et sympathie les actions valables qui seront entreprises cette année. Il est prêt à encourager tout ce qui sera projeté et réalisé pour le véritable bien des enfants, car il s’agit d’une population immense, une partie notable de l’humanité qui a besoin d’une protection et d’une promotion particulières étant donné la précarité de son sort.

L’Église, heureusement, n’est, pas la seule institution à faire face à ces besoins ; mais il est vrai qu’elle a toujours considéré comme une part importante de sa mission l’aide matérielle, affective, éducative et spirituelle à l’enfance. Et si elle a agi ainsi, c’est que, sans employer toujours le vocabulaire plus récent des « droits de l’enfant », elle considérait en fait l’enfant, non pas comme un individu à utiliser, non pas comme un objet, mais comme un sujet de droits inaliénables, une personnalité naissante à épanouir, ayant une valeur en soi, une destinée singulière. On n’en finirait pas d’énumérer les œuvres que le christianisme a suscitées dans ce but. C’est bien normal, puisque le Christ lui-même a placé l’enfant au cœur du royaume de Dieu : « Laissez venir à moi, les petits enfants : le royaume des cieux est à ceux qui leur ressemblent » (Mt 19, 14). Et ne valent-elles pas spécialement en faveur de l’enfant démuni, ces paroles du Christ prononcées au nom des humains nécessiteux et qui nous jugeront tous : « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger... ; j’étais nu, et vous m’avez vêtu... ; j’étais malade, et vous m’avez visité » (Mt 25, 35-36). Faim de pain, faim d’affection, faim d’instruction... Oui, l’Église désire participer toujours davantage à cette action en faveur de l’enfance, et la susciter plus largement.

Mais l’Église désire tout autant contribuer à former la conscience des hommes, à sensibiliser l’opinion publique aux droits essentiels de l’enfant que vous cherchez à promouvoir. Déjà la « Déclaration des droits de l’enfant », adoptée par l’assemblée de l’Organisation des Nations Unies voilà vingt ans, exprime un consensus appréciable sur un certain nombre de principes très importants, qui sont encore loin de trouver partout leur application.

Le Saint-Siège pense qu’on peut aussi parler des droits de l’enfant dès sa conception, et notamment du droit à la vie, car l’expérience montre de plus en plus que l’enfant aurait besoin d’une protection spéciale, en fait et en droit, dès avant sa naissance.

On pourrait aussi insister sur le droit de l’enfant à naître dans une véritable famille, car il est capital qu’il bénéficie dès le début de l’apport conjoint du père et de la mère unis dans un mariage indissoluble.

L’enfant doit être également élevé, éduqué dans sa famille, les parents demeurant, ses « premiers et principaux éducateurs », rôle qui, « en cas de défaillance de leur part, peut difficilement être suppléé » (Déclaration conciliaire sur l’éducation Gravissimum educationis n. 3). Ceci est exigé par l’atmosphère d’affection et de sécurité morale et matérielle que requiert la psychologie de l’enfant ; il faut ajouter que la procréation fonde ce droit naturel, qui est aussi « une grave obligation » (ibid.). Et même l’existence de liens familiaux plus larges, avec les frères et sœurs, avec les grands-parents, d’autres proches parents, est un élément important — qu’on a tendance aujourd’hui à négliger — pour l’équilibre harmonieux de l’enfant.

Dans l’éducation à laquelle contribuent, avec les parents, l’école et d’autres organismes de la société, l’enfant doit trouver les possibilités « de se développer d’une façon saine et normale sur le plan physique, intellectuel, moral, spirituel et social, dans des conditions de liberté et de dignité », comme l’affirme le deuxième principe de la Déclaration des droits de l’enfant. A ce sujet, l’enfant a droit également à la vérité, dans un enseignement qui tienne compte des valeurs éthiques fondamentales et qui rende possible une éducation spirituelle, conformément à l’appartenance religieuse de l’enfant, à l’orientation voulue légitimement par ses parents et aux exigences d’une liberté de conscience bien comprise, à laquelle le jeune doit être préparé et formé tout au long de l’enfance et de l’adolescence. Sur ce point, il est normal que l’Église puisse faire valoir ses propres responsabilités.

A vrai dire, parler des droits de l’enfant, c’est parler des devoirs des parents et des éducateurs, qui demeurent au service de l’enfant, de son intérêt supérieur ; mais l’enfant qui grandit doit participer lui-même à son propre développement, avec des responsabilités qui correspondent à ses capacités ; et on ne doit pas négliger non plus de lui parler de ses propres devoirs envers les autres et envers la société.

Telles sont les quelques réflexions que vous me donnez l’occasion d’exprimer, au regard des objectifs que vous, vous proposez. Tel est l’idéal vers lequel il faut tendre, pour le bien le plus profond des enfants, pour l’honneur de notre civilisation. Je sais que vous accordez une attention prioritaire aux enfants dont tes droits élémentaires ne sont même pas satisfaits, dans vos pays comme dans ceux des autres continents. Journalistes européens, n’hésitez donc pas à porter également vos regards vers les régions du globe moins favorisées que l’Europe ! Je prie Dieu d’éclairer et dé fortifier votre intérêt pour ces enfants.

 

 

 

8 février 1979

LA DIGNITÉ DE LA PERSONNE, FONDEMENT DE LA PAIX

 

Aux membres de l’O.T.A.N.

Le 8 février, le Saint-Père a reçu en audience les dirigeants et les élèves du collège de Défense de l’O.TA.N. et leurs familles. Il a adressé à ses visiteurs un discours en langue anglaise dont voici la traduction :

 

Chers amis,

 

Mon prédécesseur Paul VI était heureux de recevoir la visite, qui s’est répétée pendant des années, de la faculté, des dirigeants et des membres du collège de Défense de l’O.T.A.N. Et moi, aujourd’hui, je désire vous souhaiter personnellement et cordialement la bienvenue au Vatican. C’est un plaisir de vous saluer pour la première fois, vous et vos familles, de jouir de la présence des enfants et de considérer brièvement avec vous, le rôle que vous avez le pouvoir d’exercer au bénéfice de la paix dans le monde.

Dans mon message pour la Journée mondiale de la Paix 1979, je me suis efforcé d’attirer l’attention sur l’étroite relation existant entre l’éducation et la paix. Précisément parce que vous appartenez à une institution créée pour l’éducation, vous avez de toutes spéciales possibilités de réfléchir sur la paix, des possibilités toutes particulières d’étudier les conditions préalables de la paix, les éléments de la paix, les exigences de la paix.

Vivant et étudiant dans un climat de solidarité internationale, vous êtes en mesure de méditer les principes de la paix : de consolider les idées et de renforcer les attitudes qui peuvent la promouvoir. Oui, l’état de l’édifice de la paix dépend de la fermeté avec laquelle les principes de sa fondation sont acceptés. Et ainsi, j’aime croire qu’il y a au centre de vos activités une réflexion sur les grands principes relatifs à la paix et de votre part un zèle toujours nouveau pour assurer leur application.

A cet égard, combien nécessaire est pour tous les individus et tous les peuples de cultiver cette confiance mutuelle, une obligation découlant des liens qui nous unissent tous en tant que fils de Dieu ! L’ouverture aux immenses besoins de l’humanité entraîne avec soi un refus spontané de la course aux armements, si peu compatible avec toute lutte extérieure contre la faim, la maladie, le sous-développement, l’ignorance. Réfléchir au caractère sacré de la vie humaine, aux impératifs de la justice, à l’inadmissibilité de la violence sous toutes ses formes — réfléchir à ces thèmes est vraiment nécessaire si l’on veut garantir les bases de la paix. En résumé, la cause de la paix mondiale est vraiment favorisée quand la dignité de la personne humaine est soutenue. L’inviolable dignité de chaque individu et de tous les peuples dans la pleine réalité de leur origine, leur existence et leur destin est un élément capital du maintien de la paix mondiale.

Je vous prie de réfléchir au fait que les idées de paix engendrent de nouvelles attitudes de paix dans les jeunes générations et créent de manière effective et persévérante les conditions qui mènent à la paix. Que Dieu vous donne la paix, dans les cœurs et dans les foyers — aujourd’hui et toujours !

 

 

 

17 février 1979

LA FONCTION JUDICIAIRE DE L’ÉGLISE AU SERVICE DE LA VÉRITÉ ET DE LA CHARITÉ

 

Discours à la Sacrée Rote romaine.

Le 17 février, à l’occasion de l’ouverture de l’année judiciaire, le Saint-Père a reçu en audience les membres du tribunal de la Sacrée Rote romaine et les auditeurs, les promoteurs du Lien, les avocats Consistoriaux, les procurateurs des Saints Palais, les avocats rotaliens et les membres de la Chancellerie. Jean Paul II a prononcé un discours en italien dont voici la traduction :

 

Je vous suis reconnaissant pour cette visite et je remercie particulièrement le vénéré Mgr le Doyen qui s’est fait l’interprète de vos sentiments.

Je vous salue tous du fond du cœur, et je suis heureux de pouvoir rencontrer pour la première fois ceux qui incarnent par excellence la fonction judiciaire de l’Église au service de la vérité et de la charité, pour l’édification du Corps du Christ, et de reconnaître en eux, comme d’ailleurs en tous ceux qui administrent la justice, ou cultivent le droit canonique, les artisans d’une tâche vitale dans l’Église, les témoins inlassables d’une justice supérieure dans un monde marqué par l’injustice et par la violence et, pour cette raison, les précieux collaborateurs de l’activité pastorale de l’Église elle-même.

 

1. Comme vous le savez il entre dans la vocation de l’Église l’engagement et l’effort d’être l’interprète de la soif de justice et de dignité que les hommes et les femmes éprouvent vivement à notre époque. Et dans cette fonction d’annoncer et de soutenir les droits fondamentaux de l’homme à tous les stades de la vie, l’Église a l’appui de la communauté internationale qui a récemment célébré, avec des initiatives particulières, le trentième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme et qui a proclamé 1979 année internationale de l’enfant.

Le XXe siècle qualifiera peut-être l’Église de dernier rempart de défense de la personne humaine tout au long de sa vie terrestre, à partir du moment même de sa conception. Dans l’évolution de la conscience de soi de l’Église, la personne humano-chrétienne trouve non seulement une reconnaissance mais encore et surtout une protection ouverte, active, harmonieuse de ses droits fondamentaux en accord avec ceux de la communauté ecclésiale. Ceci également est une tâche inéluctable de l’Église qui sur le plan des relations entre la personne et la communauté offre un modèle d’intégration entre le développement ordonné de la société et la réalisation de la personnalité du chrétien dans une communauté de foi, d’espérance et de charité (Lumen Gentium, 8).

Le droit canonique remplit une fonction suprêmement éducative, individuelle et sociale, dans le but de créer une coexistence ordonnée et féconde, dans laquelle puisse germer et, mûrir le développement intégral de la personne humaine-chrétienne. Celle-ci, en effet, ne peut se réaliser que dans la mesure où elle refuse de se considérer exclusivement comme une individualité, sa vocation étant simultanément personnelle et communautaire. Le droit canonique admet et favorise ce perfectionnement caractéristique car il mène au dépassement de l’individualisme : de la négation de soi comme individualité exclusive il conduit à l’affirmation de soi comme chargé d’une pure sociabilité, moyennant la reconnaissance et le respect de l’autre comme « personne » dotée de droits universels, inviolables et inaliénables, et revêtue d’une dignité transcendante.

Mais la tâche de l’Église — et son mérite historique — de proclamer et défendre en tout lieu et en tout temps les droits fondamentaux de l’homme ne l’exempte pas et même l’oblige d’être devant le monde un miroir de la justice (speculum justitiae). L’Église a une responsabilité propre et spécifique à cet égard.

Cette option fondamentale qui représente une prise de conscience de la part du « peuple de Dieu » ne cesse d’interpeller et de stimuler tous les hommes de l’Église — et particulièrement ceux qui ont, comme vous, une tâche spéciale à cet égard — pour qu’ils « aiment la justice et le droit » (Ps 33, 5). Et même elle s’adresse surtout aux membres des tribunaux ecclésiastiques, c’est-à-dire à ceux qui doivent « juger avec justice » (Ps 7, 9 ; 9, 8 ; 67, 5 ; 96, 10 et 13 ; 98, 9, etc.). Comme l’affirmait Paul VI, mon vénéré prédécesseur, vous qui vous consacrez au service de la noble vertu de la justice, vous pouvez être appelés du très beau nom, déjà utilisé par Ulpien de Sacerdotes justitiae, car il s’agit en effet d’« un ministère noble et élevé dont la dignité reflète la lumière même de Dieu, Justice primordiale et absolue, source très pure de toute justice terrestre. C’est dans cette lumière divine qu’il faut considérer votre ministerium justitiae qui doit être toujours fidèle et, irrépréhensible ; et l’on comprend que sous cette lumière divine, il doit avoir horreur de la moindre souillure d’injustice afin de conserver à ce ministère son caractère de pureté cristalline » (Insegnamenti di Paolo VI, III, 1965, 29-30 et ORLF n. 4-1965, p. 2).

 

2. Le grand respect dû aux droits de la personne humaine — qui doivent être protégés avec le plus grand soin — doit inciter le juge à observer scrupuleusement les règles de la procédure qui constituent précisément la garantie des droits de la personne.

Puis, le juge ecclésiastique doit non seulement avoir présent à l’esprit que « la justice exige en tout premier lieu le respect des personnes » (cf. L. Bouyer, L’Eglise de Dieu, Corps du Christ et temple de l’Esprit, Paris 1970, p. 599), mais aussi qu’au-delà de la justice il devra tendre à l’équité et au-delà de celle-ci à la charité (cf. P. Andrieu-Guitrancourt, Introduction sommaire à l’étude du droit en général et du droit canonique en particulier, Paris 1963, 22).

Suivant cette ligne, historiquement affermie et expérimentalement vécue, le concile Vatican II a déclaré que « à l’égard de tous il faut agir avec justice et humanité » (Dignitatis humanae, n. 7) et, même pour la société civile, il a parlé d’« un statut de droit positif qui organise une répartition convenable des fonctions et des organes du pouvoir ainsi qu’une promotion efficace des droits, indépendante de quiconque » (Gaudium et Spes, 75). Pour satisfaire à de telles conditions, la constitution Regimini Ecclesiae Universae a établi, à l’occasion de la réforme de la Curie, que soit créée, dans le cadre du tribunal suprême de la Signature apostolique, une seconde section qui aurait pour compétence d’annuler « les différends nés d’un acte du pouvoir administratif ecclésial qui lui sont déférés en appel ou en recours contre la décision d’un dicastère compétent, chaque fois que l’on argue de ce que l’acte lui-même a violé une loi quelconque » (AAS 59,1967,921-22).

Pour rappeler enfin l’image incomparable qu’en a tracé le pape Paul VI : « le juge ecclésiastique est, par essence, cette quaedam justitia animata dont parle saint Thomas en citant Aristote ; il doit donc entendre et accomplir sa mission avec un esprit sacerdotal, acquérant, en même temps que la science (juridique, théologique, psychologique, sociale, etc.) une grande et profonde maîtrise de soi et, grâce à une: étude réfléchie, grandir dans la vertu, afin de ne pas obscurcir éventuellement avec l’écran d’une personnalité défectueuse et déformée, les divins rayons de justice que le Seigneur lui a donnés pour qu’il exerce correctement son ministère. Et ainsi, même en prononçant un jugement, il sera un prêtre et un pasteur d’âmes, solum Deum prae oculis habens » (Enseignement de Paul VI, 1971, p. 202).

 

3. Je désire m’arrêter à un problème qui se présente immédiatement à un observateur de la phénoménologie de la société civile et de l’Église : le problème des rapports qui existent entre la protection des droits et la communion ecclésiale. Il est incontestable que raffermissement et la sauvegarde de la communion ecclésiale sont une tâche fondamentale qui donne de la consistance à tout le système canonique et guide l’activité de tous ses membres. La vie juridique de l’Église (et donc également l’activité judiciaire) est en soi, de par sa nature même, pastorale : « un secours pastoral dont l’Église se sert pour assurer continuellement la paix et la protéger » (Enseignements de Paul VI, 1977, p. 168). Il faut donc que, dans son exercice, elle soit toujours animée profondément par l’Esprit à la voix duquel doivent s’ouvrir les esprits et les cœurs.

D’autre part, la protection des droits et le contrôle relatif des actes de l’administration publique constituent une garantie d’indiscutable valeur pour les pouvoirs publics eux-mêmes. En même temps que les diverses institutions préliminaires (comme l’acquitas, la tolerantia, l’arbitrage, la transaction, etc.), la faculté d’engager une procédure est, dans le contexte de la rupture de la communion ecclésiale et de l’exigence inéluctable de sa recomposition, un fait d’Église en tant qu’instrument permettant de surmonter et de résoudre les conflits. Mieux, dans la vision d’une Église qui protège les droits des fidèles pris individuellement, mais qui veut tout autant promouvoir et défendre le bien commun comme condition indispensable du développement intégral de la personne humaine et chrétienne, la discipline pénale s’insère également de manière positive : de même la peine infligée par l’autorité ecclésiastique (qui ne fait en réalité que reconnaître une situation dans laquelle le sujet s’est placé lui-même), doit en fait être considérée comme un instrument de communion, c’est-à-dire comme moyen de récupération de ces carences de bien individuel et de bien commun que révèle le comportement anti-ecclésial, délictueux et scandaleux, des membres du peuple de Dieu.

Le pape Paul VI nous éclaire encore : « Mais les droits fondamentaux des baptisés ne sont efficaces et ne peuvent s’exercer sans que la personne reconnaisse les devoirs qui sont liés au baptême lui-même, et surtout sans que cette personne soit convaincue que ces droits sont à exercer dans la communion ecclésiale ; bien plus, que ces droits, touchent à l’édification du Corps du Christ qui est l’Église et que, pour cela, l’exercice qu’on en fait doit concourir à l’ordre et à la paix et qu’on ne doit pas permettre qu’ils causent du tort » (ibidem, p. 163).

S’il reconnaît ensuite, sous l’influence de l’Esprit, la nécessité d’une profonde conversion ecclésiologique, le fidèle transformera l’affirmation et l’exercice de ses droits en une prise en charge de ses devoirs d’unité et de solidarité à l’égard de la réalisation des valeurs supérieures du bien commun. Je l’ai rappelé de manière explicite dans le message au Secrétaire général de l’O.N.U. à l’occasion du XXX° anniversaire de la Déclaration des droits de l’homme : « En même temps que l’on insiste — et à bon droit — sur la revendication des droits de l’homme, on ne devrait pas perdre de vue les obligations, les devoirs qui sont associés à ces droits. Chaque individu a l’obligation d’exercer ces droits fondamentaux d’une manière responsable et moralement justifiée. Chaque homme et chaque femme a le devoir de respecter chez les autres les droits qu’il ou elle réclame pour soi. En outre, nous devons tous contribuer pour notre part à la construction d’une société qui rende possible et praticable la jouissance des droits et l’accomplissement des devoirs inhérents à ces droits » (cf. ORLF, n 51, 19-12-78, p. 11).

Dans l’expérience vécue de l’Église, les termes « droit », « jugement » et « justice » évoquent, même au milieu des imperfections et des difficultés de tout système humain, le modèle d’une justice supérieure, la Justice de Dieu, qui se présente comme objectif et comme ferme de comparaison inéluctable. Ceci comporte un engagement formidable de la part de tous ceux qui « exercent la justice ».

Dans la tension historique vers une intégration équilibrée des valeurs, on a parfois voulu souligner plus fortement « l’ordre social » au détriment de l’autonomie de la personne, mais l’Église n’a jamais cessé de proclamer la dignité de la personne humaine « telle que l’a fait connaître la Parole de Dieu et la raison elle-même » (Dignitatis Humanae, n. 2). Elle a toujours lutté pour libérer de toutes formes d’oppression les miserabiles personas en dénonçant les situations injustes, lorsque les droits fondamentaux de l’homme et son salut même l’exigeaient et en demandant — avec respect, mais avec clarté — qu’il soit porté remède à de telles situation qui portent atteinte à la justice.

En conformité avec sa mission transcendante, le « ministère de la justice » qui vous est confié, vous avez spécialement la responsabilité de rendre toujours plus transparent le visage de l’Église speculum justitiae, incarnation permanente du Prince de la Justice, pour entraîner le monde vers une ère bénie de justice et de paix.

Je suis certain que tous ceux qui prennent part à l’activité judiciaire dans l’Église et spécialement les prélats auditeurs, les officiels et tout le personnel du tribunal apostolique, ainsi que MM. les avocats et procureurs sont pleinement conscients de la mission pastorale à laquelle ils participent et heureux de l’accomplir avec zèle et dévouement, suivant l’exemple de tous les éminents juristes et dévoués prêtres qui ont, avec une admirable sollicitude, consacré à ce tribunal leurs qualités d’esprit et de cœur.

J’aime rappeler en ce moment le cardinal Boleslaw Filipiak, rappelé l’an dernier dans la patrie céleste ; et je désire également rendre hommage à l’exemplaire diligence et abnégation du vénéré Mgr Charles Lefebvre qui continue à faire bénéficier le Saint-Siège de sa précieuse expérience après les services que, jusqu’à il y a peu de mois, il a prêtés à la Sacrée Rote romaine.

Je veux également exprimer ma reconnaissance aux prélats auditeurs qui n’ont pu continuer leur service en raison de leur état de santé.

A vous tous, ma vive gratitude et ma sincère satisfaction, avec l’assurance de ma prière : que le Seigneur vous accompagne de son aide et que vous soutiennent mes encouragements et ma bénédiction !

 

 

 

24 février 1979

LE PAPE AUX UNIVERSITAIRES CATHOLIQUES

 

Le 24 février, le pape a reçu en audience les membres de la Fédération internationale des Universités catholiques et les recteurs européens de ces universités. Il leur a adressé, en français, le discours suivant :

 

Chers frères et fils,

 

Est-il besoin de dire combien je suis heureux de me retrouver quelques instants avec vous, membres du Conseil de la Fédération internationale des Universités catholiques ou recteurs des universités catholiques d’Europe ? L’annuaire pontifical de 1978 me nommait encore parmi les membres de la congrégation pour l’Éducation catholique, où je me suis familiarisé avec vos problèmes. J’ai gardé aussi un excellent souvenir de ma participation à cette rencontre de Lublin que vous venez d’évoquer si aimablement. Quant au travail de professeur d’université, je mesure tout naturellement son intérêt et son importance, après les années que j’ai passées à enseigner moi-même à la faculté théologique de Cracovie, la plus ancienne de Pologne, et à l’université catholique de Lublin.

 

1. Vous en êtes certes bien convaincus, mais je tiens à souligner de nouveau que les universités catholiques ont une place de choix dans le cœur du pape, comme elles doivent en avoir une dans toute l’Église et dans les préoccupations de ses pasteurs, au milieu des multiples activités de leur ministère. Vouées à un travail de recherche et d’enseignement, elles ont aussi par là un rôle de témoignage et un apostolat, sans lesquels l’Église ne saurait évangéliser pleinement et durablement le vaste monde de la culture, ni tout simplement les générations qui montent, de plus en plus instruites, et qui seront aussi de plus en plus exigeantes pour faire face, dans la foi, aux multiples questions posées par les sciences et les divers systèmes de pensée. Dès les premiers siècles, l’Église a senti l’importance d’une pastorale de l’intelligence — qu’il suffise d’évoquer saint Justin, saint Augustin — et innombrables ont été ses initiatives en ce domaine. Je n’ai pas besoin de citer les textes du récent concile que vous savez par cœur. Depuis, quelque temps, l’attention des responsables d’Église a été, à juste titre, attirée par les besoins spirituels de milieux sociaux, assez déchristianisés ou peu christianisés : ouvriers, ruraux, migrants, pauvres de toute sorte. C’est bien nécessaire et l’Évangile nous en fait un devoir. Mais le monde universitaire lui aussi a plus que jamais besoin d’une présence d’Église. Et, dans le cadre spécifique qui est le vôtre, vous contribuez à l’assurer.

 

2. M’adressant récemment aux professeurs et étudiants du Mexique, j’indiquais trois objectifs pour les instituts universitaires catholiques : apporter une contribution spécifique à l’Église et à la société, grâce à une étude vraiment complète des différents problèmes, avec le souci de dégager la pleine signification de l’homme régénéré dans le Christ et de permettre ainsi son développement intégral ; former pédagogiquement des hommes qui, ayant réalisé une synthèse personnelle entre foi et culture, soient capables à la fois de tenir leur place dans la société et d’y témoigner de leur foi ; constituer, entre professeurs et étudiants, une véritable communauté qui témoigne déjà visiblement d’un christianisme vivant.

 

3. J’insiste ici sur quelques points fondamentaux. La recherche au niveau universitaire suppose toute la loyauté, le sérieux et, par là-même, la liberté de l’investigation scientifique. C’est à ce prix que vous rendez témoignage à la vérité, que vous servez l’Église et la société, que vous méritez l’estime du monde universitaire, et-ceci dans toutes les branches du savoir.

Mais il faut ajouter ceci lorsqu’il s’agit de l’homme, du domaine des sciences humaines : s’il est juste de tirer profit de l’apport des diverses méthodologies, il ne suffit point d’en choisir une, ni même de faire la synthèse de plusieurs, pour déterminer ce qu’est l’homme en profondeur. Le chrétien ne saurait s’y laisser enfermer, d’autant plus qu’il n’est pas dupe, éventuellement, de leurs présupposés. Il sait qu’il doit dépasser la perspective purement naturelle ; sa foi lui fait aborder l’anthropologie dans la perspective de la vocation et du salut pléniers de l’homme ; elle est la lumière sous laquelle il travaille, l’axe qui guide sa recherche. Autrement dit, une université catholique n’est pas seulement un champ de recherches religieuses ouvert à tous les sens. Elle suppose, chez ses professeurs, une anthropologie éclairée par la foi, cohérente avec la foi, en particulier avec la Création et avec la Rédemption du Christ. Au milieu du foisonnement des approches actuelles qui aboutissent d’ailleurs trop souvent à une réduction de l’homme, les chrétiens ont un rôle original à jouer, au sein même de la recherche et de l’enseignement, précisément parce qu’ils refusent toute vision partielle de l’homme.

Quant à la recherche théologique proprement dite, par définition, elle ne peut exister sans chercher sa source et sa régulation dans l’Écriture et la Tradition, dans l’expérience et les décisions de l’Église consignées par le Magistère au cours des siècles. Ces brefs rappels marquent les exigences spécifiques de la responsabilité du corps enseignant dans les facultés catholiques. C’est dans ce sens que les universités catholiques doivent sauvegarder leur caractère propre. C’est dans ce cadre qu’elles témoignent non seulement auprès de leurs étudiants, mais aussi auprès des autres universités, du sérieux avec lequel l’Église aborde le monde de la pensée, et en même temps d’une véritable intelligence de la foi.

 

4. Face à cette grande et difficile mission, la collaboration entre universités catholiques du monde entier est hautement souhaitable, pour elles-mêmes et pour développer de façon opportune leurs rapports avec le monde de la culture. C’est dire toute l’importance de votre fédération. J’encourage de grand cœur ses initiatives, et notamment l’étude du thème de la prochaine assemblée sur les problèmes éthiques de la société technologique moderne. Thème capital, auquel je suis moi-même très sensible et sur lequel j’espère avoir l’occasion de revenir. Que l’Esprit-Saint vous guide de sa lumière et vous donne la force nécessaire ! Que l’intercession de Marie vous maintienne disponibles à son action, à la volonté de Dieu ! Vous savez que je demeure très proche de vos préoccupations et de votre travail. De tout cœur, je vous donne ma bénédiction apostolique.

 

 

 

27 février 1979

LA VIE TRIOMPHERA DE LA MORT

 

Le 27 février, Jean Paul II a reçu en audience les délégués des Mouvements européens pour la vie ayant participé à leur II° Congrès européen. Le Saint-Père leur a adressé un discours dont voici la traduction :

 

Mesdames et Messieurs,

 

Soyez les bienvenus dans la demeure du pape ! J’ai accueilli bien volontiers le désir d’une audience spéciale que vous avez exprimé à l’occasion de votre second Congrès européen. Cette rencontre m’offre en effet l’occasion de vous rendre hommage à vous et à tous ceux qui adhèrent aux Mouvements pour la vie et de vous encourager à persévérer dans la noble tâche que vous avez assumée pour la défense de l’homme et de ses droits fondamentaux. Vous luttez pour que soit reconnu à tout homme le droit de naître, de grandir, de développer harmonieusement ses propres capacités, de construire librement et dignement son propre destin transcendant.

Ce sont là des buts très élevés, et je me réjouis de voir que, pour les poursuivre, se sont unis non seulement les fils de l’Église catholique mais aussi des disciples d’autres confessions religieuses et des personnes venues de divers horizons idéologiques. Je considère en effet ceci comme une expression du « consentement à s’appuyer sur quelques principes élémentaires mais fermes », ces « principes d’humanité que chaque homme de bonne volonté peut retrouver dans sa propre conscience » auxquels je me référais dans mon récent message pour la Journée mondiale de la Paix.

Fidèle à la mission reçue de son divin Fondateur, l’Église a toujours affirmé — et de manière particulièrement vigoureuse durant le concile œcuménique Vatican II — le caractère sacré de la vie humaine. Qui ne se souvient de ces paroles solennelles : « Dieu, maître de la vie, a confié aux hommes le noble ministère de la vie et l’homme doit s’en acquitter d’une manière digne de lui. La vie doit être sauvegardée avec un soin extrême dès la conception » (Constitution apostolique Gaudium et Spes, n. 51).

Forts de cette conviction, les Pères conciliaires n’ont pas hésité à condamner sans équivoque « tout ce qui s’oppose à la vie elle-même, comme toute espèce d’homicide, le génocide, l’avortement, l’euthanasie et même le suicide délibéré ; tout ce qui constitue une violation de l’intégrité de la vie humaine, comme les mutilations, la torture physique ou morale, les contraintes psychologiques ; tout ce qui est offense à la dignité de l’homme, comme les conditions de vie sous-humaines, les emprisonnements arbitraires, les déportations, l’esclavage, la prostitution, le commerce des femmes et des jeunes ; ou encore les conditions de travail dégradantes qui réduisent les travailleurs au rang de purs instruments de rapport, sans égard pour leur personnalité libre et responsable » (Gaudium et Spes, n. 27).

C’est dans ce contexte que prend place votre engagement. Il consiste en premier lieu en une action, intelligente et assidue, de sensibilisation des consciences au sujet de l’inviolabilité de la vie humaine à tous ses stades, de telle sorte que le droit à la vie soit efficacement reconnu, dans les mœurs et dans les lois, comme une valeur déterminante de toute coexistence qui prétend être civile ; il se manifeste ensuite dans une courageuse prise de position contre toute forme d’attentat contre la vie, sans considérer sa provenance ; il se traduit, enfin, dans l’offre, désintéressée et respectueuse, d’une aide concrète aux personnes qui éprouvent des difficultés à conformer leur propre comportement aux exigences de leur conscience.

Il s’agit d’une œuvre de grande humanité et de généreuse charité qui ne peut que recueillir l’approbation de toute personne consciente des possibilités et des risques qui se présentent à notre société.

Ne vous laissez pas décourager par les difficultés, les oppositions, les insuccès que vous pouvez rencontrer sur votre route. C’est l’homme lui-même qui est en question et quand l’enjeu est tel, nul ne peut se renfermer dans une attitude de résignation passive sans du même coup s’abandonner à lui-même. Comme Vicaire du Christ, Verbe de Dieu incarné, je vous dis : Ayez la foi en Dieu, Créateur et Père de tout être humain ; ayez confiance en l’homme, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu qui l’a appelé à être son fils en Jésus-Christ. La cause de l’homme a déjà eu son verdict définitif dans le Christ, mort et ressuscité. La vie triomphera de la mort !

Avec cette espérance dans le cœur, je vous donne bien volontiers à vous tous, en gage de l’assistance divine, ma bénédiction apostolique.

 

 

 

2 mars 1979

LE PRÊTRE DANS LE MYSTÈRE DU CHRIST

 

Au clergé de Rome

Le 2 mars, le Saint-Père à reçu lé clergé séculier et régulier de Rome, accompagné du cardinal-vicaire Poletti et des évêques auxiliaires. Il leur a adressé un discours dont voici la traduction :

 

1. Nous nous rencontrons au début du Carême. Pendant cette période, chacun de nous doit principalement renouveler — c’est-à-dire retrouver en quelque sorte — son « être chrétien », l’identité qui découle du fait d’appartenir au Christ, d’abord et avant tout par l’effet du baptême. Toute la tradition de la période quadragésimale est orientée dans cette direction et, dans l’ancienne pratique de l’Église, son couronnement était précisément le baptême des catéchumènes.

Rappelons-nous que le substrat fondamental de notre « sacerdoce » est l’« être chrétien » ; notre « identité sacerdotale » plonge ses racines dans l’«i dentité chrétienne » (christianus alter Christus ; sacerdos alter Christus).

En nous préparant avec tous nos frères dans la foi au renouvellement des promesses baptismales lors de la veillée du Samedi Saint, nous nous préparons de manière particulière au renouvellement de la promesse sacerdotale dans la liturgie du Jeudi Saint, la journée des prêtres. Le temps du Carême doit servir tout entier à cette préparation.

 

2. Le concile Vatican II a exposé de manière claire et précise l’essence de la sainteté propre des prêtres (Décret sur le ministère et la vie des prêtres). Nous devons rechercher les formes concrètes de cette sainteté, en exerçant les multiples tâches qui appartiennent à notre vocation et à notre ministère pastoral.

Si l’on se demande quels sont les éléments qui caractérisent la sainteté à laquelle est appelé le prêtre, les éléments qui en constituent, pour ainsi dire, le specificum, il est légitime de les déterminer sous ses deux aspects strictement complémentaires que je formulerais ainsi : a) un homme totalement possédé par le mystère du Christ ; b) un homme qui édifie de manière toute particulière la communauté du peuple de Dieu.

a) Le prêtre est placé au centre même du mystère du Christ, lequel embrasse constamment l’humanité et le monde, la création visible et la création invisible. Il agit en effet, in persona Christi, particulièrement quand il célèbre l’Eucharistie : par son ministère, le Christ continue à accomplir dans le monde son œuvre de salut. C’est donc avec raison que chaque prêtre peut s’exclamer avec l’apôtre Paul : « Qu’on nous regarde donc comme des ministres du Christ et intendants des mystères de Dieu » (1 Co 4, 1).

Il est facile de découvrir les implications d’un tel état de fait. Je me limite à en indiquer quelques-unes :

— Si la fin de son ministère est la sanctification des autres, il est évident que le prêtre doit se sentir obligé à un effet de sainteté personnelle. Il ne peut « se tenir à l’écart », il ne peut se dispenser d’un tel « effort » sans se condamner du fait même à une vie « inauthentique », ou pour user des paroles de l’Évangile, sans se transformer « de bon pasteur » en « berger à gages » (cf. Jn 10, 11-12).

— Il y a ensuite l’implication constituée par le vieux problème théologique des rapports entre opus operatum et opus operantis. L’efficacité surnaturelle des sacrements dépend directement de l’opus operatum ; mais le concile Vatican II a vigoureusement souligné l’importance de l’opus operantis. Vous souvient-il de ce que dit le décret Presbyterorum ordinis ? « La grâce de Dieu, certes, peut accomplir l’œuvre du salut même par des ministres indignes, mais d’ordinaire, Dieu préfère manifester ses hauts faits par des hommes accueillants à l’impulsion et à la conduite du Saint-Esprit, par des hommes que leur intime union avec le Christ et la sainteté de leur vie habilitent à dire avec l’Apôtre : "Si je vis, ce n’est plus moi mais le Christ qui vit en moi" (Ga 2, 20) » (n. 12).

— Trouve également sa place ici le problème du « style » de la vie intérieure du prêtre en charge d’âmes. Le concile Vatican II l’a affronté avec courageuse clarté : « Les prêtres — est-il écrit dans le Presbyterorum Ordinis déjà cité — sont engagés dans les multiples obligations de leur fonction, ils sont tiraillés, et ils peuvent se demander, non sans angoisse, comment faire l’unité entre leur vie intérieure et les exigences de l’action extérieure. Cette unité de vie ne peut être réalisée ni par une organisation purement extérieure des activités du ministère, ni par la seule pratique des exercices de piété qui, certes, y contribue grandement. Ce qui doit permettre aux prêtres de la construire, c’est de suivre, dans l’exercice du ministère, l’exemple du Christ-Seigneur, dont la nourriture était dé faire la volonté de celui qui l’a envoyé et d’accomplir son œuvre » (n. 4).

Ce paragraphe constitue une réinterprétation spécifique des nombreuses et précieuses réflexions, mûries au cours des siècles, sur le rapport entre vie active et vie contemplative. Une chose est certaine : si la conscience du prêtre est pénétrée de l’immense mystère du Christ, si elle en est totalement possédée, alors toutes ses activités, même les plus absorbantes (vie active) trouveront racine et nourriture dans la contemplation des mystères de Dieu (vie contemplative), dont il est l’« intendant ».

b) Le second aspect de la vocation à la sainteté du prêtre, je le relève dans sa tâche d’édifier la communauté du peuple de Dieu. Cela pourrait sembler un aspect « extérieur », lié à la dimension institutionnelle de l’Église et donc peu important du point de vue de la sainteté personnelle. Et cependant tout l’enseignement de Vatican II, remontant du reste aux sources les plus pures de l’ecclésiologie, y voit également le proprium de la sainteté sacerdotale. Le prêtre, conquis par le mystère du Christ, est appelé à conquérir les autres à ce mystère ; cette dimension « sociale » de son sacerdoce, il la vit entre les structures de l’Église-institution. Le prêtre n’est pas seulement l’homme « pour les autres » ; il est appelé à aider « les autres » à devenir une communauté, à vivre donc la portée sociale de leur foi. De telle sorte, le zèle qu’il met à « rassembler » (et à ne pas « disperser » — cf. Mt 12, 30), le zèle qu’il met à « édifier » l’Église, deviennent la mesure de sa sainteté.

Le salut par lequel il commence la liturgie eucharistique : « la communion de l’Esprit-Saint soit avec vous tous ! » devient son programme ; le prêtre est le porte-voix et l’intermédiaire de cette communion. Il est donc tenu à cultiver en lui-même une attitude de fraternité et de solidarité, il doit apprendre l’art de la collaboration, de la mise en commun des expériences, de l’aide mutuelle. Partie vivante du presbytère qui se serre autour de son propre évoque, il doit se sentir continuellement appelé a une projection missionnaire vers ceux qui sont loin, qui ne font pas encore partie de l’« unique bercail » (cf. Jn 10, 16).

Et enfin, comme les croyants s’avancent dans le temps, soutenus par l’espérance de la rencontre définitive avec le Christ dans sa gloire, le prêtre édifie la communauté des frères en s’y plaçant comme témoin de l’espérance eschatologique. Les fidèles à qui il est envoyé attendent de lui, comme sceau définitif de sa mission, un témoignage clair et sans équivoque de la vie éternelle et de la résurrection de la chair. C’est également sous ce jour qu’il faut considérer rengagement au célibat qui apparaît alors comme une contribution très importante à l’édification de l’Église et, par conséquent, comme élément caractérisant la spiritualité du prêtre.

 

3. Très chers fils, je me suis attardé à situer les principaux traits de notre identité sacerdotale parce que la période du Carême, est vraiment le « moment favorable » (2 Co 6, 2) pour une opportune révision de vie en présence du don extraordinaire de la vocation. C’est une révision que chacun doit conduire à l’intérieur de la communauté, tant presbytérale que paroissiale, de manière qu’elle se traduise, de la part de tous, en un nouvel effort de vie chrétienne. Le Carême a toujours donné une impulsion nouvelle à l’activité pastorale au sein de la paroisse : autrefois on faisait des missions paroissiales, des pratiques de piété spéciales, des exercices de pénitence communautaires. Aujourd’hui, avec la transformation des conditions, il faut donner d’autres formes à l’effort de renouvellement de la vie chrétienne.

Les rencontres que j’ai déjà pu avoir avec les responsables du clergé diocésain ont permis que je me rende compte de la prometteuse floraison d’initiatives mises au programme de ce Carême dans les divers domaines de la catéchèse, des célébrations liturgiques, des réalisations caritatives. Je désire profiter de la présente circonstance pour vous exprimer ma sincère satisfaction et mes encouragements les plus cordiaux. Travaillez, très chers fils, sans vous laisser abattre par les difficultés et par les insuccès. Tirez profit de l’expérience pour mettre au point de nouvelles initiatives, pour chercher de nouvelles voies sur lesquelles aller à la rencontre des hommes nos frères et leur porter la « Parole qui sauve ». Parole dont ils sont affamés, peut-être sans le savoir. Comme pasteur, le prêtre doit toujours imiter le Christ-Pasteur qui cherche.

Une telle recherche, menée avec le Bon Pasteur, de manière désintéressée, et souvent pénible, confère à son sacerdoce ce caractère d’authenticité, si nécessaire tant au point de vue de sa personnalité sacerdotale que de sa personnalité plus simplement humaine, qui s’impose au respect et à l’estime de tous ceux qui l’approchent.

Il faut que nous évitions avec soin de « scinder » notre personnalité de prêtres. Nous devons aussi empêcher, scrupuleusement que notre sacerdoce cesse d’être pour nous la chose « la plus essentielle », l’élément d’« unification » de tout ce dont nous nous occupons. Il ne doit jamais devenir quelque chose de « secondaire », de « supplémentaire ».

 

4. C’est là l’objet fondamental de notre action sur nous-mêmes, de notre vie intérieure, en un mot, de la formation sacerdotale permanente considérée selon son triple aspect : spirituel, pastoral, intellectuel.

Nous nous formons « pour » exercer l’activité sacerdotale et nous nous formons « par » l’activité sacerdotale. Nous devons, en ce domaine, avoir une authentique et saine ambition. Nous devons avoir à cœur de réaliser de la manière la plus efficace le service de la parole (Comment est-ce que je prêche, que je fais la catéchèse ?) Nous devons avoir l’affectueux souci d’arriver aux âmes pour assister les hommes dans leurs problèmes de conscience : confession, direction spirituelle, particulièrement à l’égard des personnes consacrées à Dieu (on entend parfois des plaintes sur le manque de bons directeurs de conscience).

Certes, nous devons toujours demeurer avec ceux qui souffrent, qui sont dans le besoin. Être de leur côté. Mais nous nous devons d’être avec eux toujours « en tant que prêtres ».

 

5. C’est depuis quelques mois seulement que je suis évêque de Rome et je commence peu à peu à connaître mon nouveau diocèse. Mais je me rends compte de ce que ma mission « universelle » est basée sur ma mission « particulière » et c’est la raison pour laquelle je cherche à me consacrer autant que je peux à cette dernière, profitant de l’aide précieuse du cardinal-vicaire, de Mgr le vice-gérant et des évêques auxiliaires. Durant ces mois, j’ai eu l’occasion de visiter quelques paroisses après avoir pris d’abord contact avec les pasteurs de chacune d’elles.

Ce furent des expériences très belles où j’ai trouvé la confirmation de la sympathie spontanée de la population, de la disponibilité franche et confiante des prêtres, de la généreuse vivacité des laïcs et surtout des jeunes. A ce propos, je saisis volontiers l’occasion pour remercier M. le cardinal-vicaire, leurs Excellences les évêques des zones, le clergé et les fidèles pour la cordialité et la chaleur de leur accueil.

Je compte beaucoup sur ces rencontres que j’ai l’intention de faire autant que possible coïncider avec les visites plus approfondies de chacun des évêques des différentes zones pastorales. Il me paraît très utile, dans de telles circonstances, de prendre directement contact avec les groupes de laïcs, apostoliquement engagés dans la paroisse. Parmi ceux-ci je voudrais souligner en particulier les groupes catéchistiques formés tant de parents que de jeunes dont l’action se révèle toujours plus nécessaire, spécialement aujourd’hui où les prêtres sont trop peu nombreux. Ce n’est qu’avec l’engagement de groupes choisis et bien préparés, qui sachent entraîner également les familles des enfants dans cet effort de maturation de la foi que dort être la catéchèse, que l’on pourra faire face .aux graves problèmes que pose une société sécularisée.

C’est sur la base de la collaboration avec les familles et dans le contexte d’un dialogue approfondi avec les jeunes que doit se développer la pastorale de la vocation d’une urgence telle qu’elle y me dispense d’y insister. Naturellement, il n’y a pas de quoi s’étonner si cette action pastorale spécifique se révèle des plus difficiles dans une ville qui compte des millions d’habitants. Toutefois, si elle est menée avec zèle et méthode, cette action pourrait à la longue se démontrer encore plus efficace dans un milieu au souffle si ample. J’insisterais donc surtout sur la nécessité pour les prêtres de demander au Maître des moissons de les aider à être dans cette œuvre de promotion des vocations, d’efficaces intermédiaires grâce à leur propre vie et leur propre enseignement.

 

6. Au moment de conclure cette rencontre avec vous, ma pensée court vers le Jeudi-Saint, le jour où tout le presbyterium romain se trouvera de nouveau réuni autour de son évêque, le jour qui est celui de notre unité sacerdotale. Il faut que nous cherchions à donner une forme concrète à cette unité, surtout ici à Rome où, comme il est notoire, le clergé est particulièrement différencié. Nous devons penser à ce qui peut servir au renforcement de cette unité et, de même, à ce que l’on peut faire pour déterminer ce qui pourrait y faire obstacle.

Le rapport présenté à votre assemblée du 15 février dernier consacrée au thème : « Le clergé de Rome face aux exigences du diocèse », m’a permis de me rendre compte de l’effort que vous exercez pour raviver et développer les structures de participation et de collégialité et pour renforcer les liens de solidarité et de communion. C’est un programme qui mérite tous les encouragements, car il répond de manière responsable à cette exigence de fraternité qui découle de la commune ordination sacerdotale, du service commun, de la mission commune. Cultivez-comme attitude habituelle et consciente de votre esprit, un véritable affectus collegiatis, comme je l’appellerais par analogie avec le lien de collégialité qui unit les évêques. Ceci fait également partie de votre spiritualité spécifique.

En prenant congé de vous, je vous serre tous contre moi dans une étreinte spirituelle et je vous bénis de grand cœur. Lorsque, durant la période pascale, vous visiterez les familles de vos paroisses, portez-leur le salut et la bénédiction de l’évêque de Rome, de l’humble successeur de saint Pierre, le pape Jean Paul II.

 

 

 

14 mars 1979

CONGRÈS MONDIAL DE LA PASTORALE DE L’ÉMIGRATION

 

Du 12 au 17 mars 1979, s’est tenu au Vatican, salle du Synode, le congrès mondial de la pastorale de l’émigration, organisé par la commission pontificale des Migrations et du Tourisme. Le cardinal Sebastiano Baggio en est le président et Mgr Emanuele Clarizio le pro-président. Le Saint-Père est venu saluer les congressistes le mercredi 14 mars et leur a adressé le message suivant :

 

Chers frères, chefs fils et filles, chers amis,

 

Je vous remercie de votre invitation. J’ai pris connaissance du thème de votre congrès et des diverses interventions prévues. Ai-je besoin de vous dire que je demeure très sensible aux problèmes pastoraux que vous étudiez : comment assurer aux communautés catholiques d’émigrés l’aide ecclésiale, et en particulier le ministère sacerdotal dont elles ont besoin ? Vous le savez, j’ai visité assez souvent des communautés polonaises à l’étranger : il y a là toute une pastorale intéressante et délicate à promouvoir. Et plus généralement, il nous faut nous demander : quelle attitude doit prendre l’Église locale vis-à-vis des migrants quels qu’ils soient ?

 

1. Car l’émigration est un phénomène massif de notre temps, un phénomène permanent, qui prend même de nouvelles formes, qui touche tous les continents et presque tous les pays, Elle soulève de graves problèmes humains et spirituels. C’est une épreuve, c’est-à-dire un risque et une chance pour les immigrants comme pour ceux qui les accueillent. Oui, elle comporte pour les premiers un risque sérieux de déracinement, de déshumanisation et, le cas échéant, de déchristianisation ; pour les seconds, un risque de fermeture, de raidissement Mais elle implique aussi une chance d’enrichissement humain et spirituel, d’ouverture, d’accueil des étrangers et de renouvellement réciproque à leur contact. Et pour l’Église, c’est une invitation à être plus missionnaire, à aller au-devant du frère étranger, à le respecter, à témoigner dans ce contexte, de sa foi et de sa charité, et à accueillir l’apport positif de l’autre. L’Église sait-elle saisir cette chance ? Dès les premiers siècles, l’hospitalité caractérisait profondément toutes les communautés ecclésiales. L’Église, qui se veut catholique, c’est-à-dire universelle, retrouve là une note fondamentale de sa mission.

 

2. Il faut donc sans se lasser sensibiliser aux besoins des migrants les Églises d’origine et les Églises d’accueil. Les Églises d’origine se soucient-elles assez d’accompagner leur « diaspora », d’y préparer des « missionnaires », de les soutenir ? Et les Églises d’accueil, parfois débordées, prêtent-elles assez d’attention à la présence des migrants ? Prennent-elles les moyens exigés par cette pastorale ? Veillent-elles notamment à ce que des prêtres, des religieuses, des laïcs, se consacrent en priorité à ces milieux qui demeurent souvent en marge ?

 

3. Entendons-nous bien : la pastorale des migrants n’est pas seulement l’œuvre de ces « missionnaires »détachés : c’est l’œuvre de toute l’Église locale, prêtres, religieuses et laïcs ; c’est toute l’Église locale qui doit tenir compte des migrants, être en état d’accueil, d’entraide, d’échanges réciproques. En particulier, lorsqu’il s’agit de favoriser l’insertion des étrangers, de pourvoir à leurs besoins humains et à leur promotion sociale, de leur permettre d’exercer leurs responsabilités temporelles, les prêtres n’ont pas à prendre la place des laïcs du pays d’accueil, ni d’ailleurs ceux-ci la place des immigrants. Mais les « missionnaires » gardent un rôle capital, précisément pour éduquer les uns et les-autres à leur rôle et ils ont une contribution spéciale à apporter pour la vitalité religieuse des communautés de migrants. Leur tâche est d’ailleurs difficile et votre congrès mondial a eu raison d’insister sur la formation et les devoirs de ces « missionnaires ».

 

4. En effet, ils doivent d’abord rejoindre la sensibilité et le langage des migrants. S’ils sont leurs compatriotes, c’est évidemment plus facile, mais ils ne peuvent se contenter non plus de transplanter purement et simplement les méthodes et les moyens d’apostolat de leur pays d’origine ; pas davantage d’en faire table rase. Il faut une continuité et une adaptation. Leur cœur de pasteur doit considérer les émigrés dans les différentes dimensions de leur vie complexe. D’une part, ils doivent les aider à sauvegarder, disons plutôt à fortifier leurs valeurs religieuses, familiales, culturelles lorsqu’elles sont le fruit de générations chrétiennes, car elles risquent bien d’être ébranlées, sans être vraiment remplacées. D’autre part, ils ne peuvent oublier que ces émigrés sont désormais marqués aussi par leur pays d’accueil, où ils ont d’ailleurs un rôle à jouer : les rapports qui se nouent entre adultes dans le milieu de travail, plus encore peut-être à l’école et dans les loisirs pour leurs enfants et leurs jeunes, les moyens de communication dont ils usent sur place, comme la télévision, suscitent évidemment en eux de nouvelles questions, voire une nouvelle mentalité, avec un besoin nouveau d’expression ou de participation : la pastorale doit les aider à y faire face, à intégrer harmonieusement le « nouveau » sans négliger l’« ancien ». Le prêtre, ou plutôt les prêtres qui sont appelés à travailler en équipe, avec des religieuses et des laïcs, doivent être à la fois prudents et ouverts à la jonction de ces deux cultures, surtout pour préparer les nouvelles générations qui restent au pays d’accueil. C’est dire la nécessité de l’équilibre de ces missionnaires, équilibre humain, équilibre spirituel, la nécessité aussi de leur préparation, de leur formation permanente. Ils doivent demeurer avant tout des hommes de Dieu et des apôtres, pour permettre aux émigrés de vivre pleinement leur foi, avec toutes ses conséquences. J’arrête ici ces quelques considérations que tout le congrès vous permet d’approfondir avec des pasteurs et des experts très au fait de ces questions. Les méthodes, les moyens ont leur importance, mais ce qui est déterminant, en définitive, c’est l’âme pastorale, c’est le zèle éclairé, c’est la foi, et la charité de tous ceux qui ont une responsabilité auprès des migrants. Ils doivent communier à l’esprit de notre unique Pasteur, le Christ Jésus, que nous cherchons tous à servir. Qu’il vous éclaire et vous fortifie, vous qui, travaillez au sein de la commission pour la pastorale des Migrants et du Tourisme ou en liaison avec elle. Qu’il soutienne le zèle de tous ceux qui, au-delà de ce congrès, travaillent quotidiennement à la base, au service direct des migrants, en se faisant « tout à tous », comme l’apôtre Paul. Au nom du Seigneur, je les bénis et je vous bénis de tout cœur.

 

 

 

22 mars 1979

LE CARACTÈRE SACRÉ DE TOUTE PERSONNE HUMAINE

 

Aux dirigeants de l’Institut international pour les Droits de l’homme

Le jeudi 22 mars, le pape a reçu en audience le comité de présidence de l’Institut international des Droits de l’homme, conduit par M. Edgar Faure. Cet institut a été fonde en 1969 par M. René Cassin sous la forme d’une association créée selon le droit local d’Alsace-Lorraine. Jean Paul II a adressé les paroles suivantes à ses visiteurs :

 

Monsieur le Président, Madame, Messieurs,

 

Soyez cordialement remerciés pour votre visite ! Elle est une marque de déférence rendue au ministère pontifical qui m’a été récemment confié, et une occasion de souligner lés efforts que votre Institut et le Saint-Siège accomplissent, à des niveaux évidemment différents, et selon des compétences spécifiques, pour promouvoir le respect et l’exercice pratique des droits fondamentaux de la personne humaine.

En cette brève rencontre, je suis heureux d’exprimer mon estime à l’Institut international des Droits de l’homme, fondé voici bientôt dix ans par M. René Cassin. Les trois grandes directions fixées à votre patient labeur sont d’une actualité évidente : enseigner avec sagesse et persévérance les droits de l’Homme, faire avancer les recherches en ce domaine, sensibiliser l’opinion publique, avec tact et opportunité.

Votre travail intéresse l’Église catholique et, je dois dire, intéresse tous les chrétiens qui sont bien conscients du caractère sacré de toute personne humaine, si fortement mis en exergue dès les premières pages de la Bible : « Dieu créa l’homme à son image » (Gn 1, 27).

En ces jours du quarantième anniversaire de l’élection de Pie XII au siège de Pierre, il m’est bien permis de souligner que ce pape n’a cessé d’inciter les catholiques à collaborer activement avec les hommes de bonne volonté dans les organisations appelées à protéger les droits de l’homme, comme l’Organisation des Nations Unies et tant d’autres institutions méritantes. Parlant de « la communauté mondiale en formation » aux participants de la XI° assemblée plénière de Pax Romana le 25 avril 1957, il déclarait : « Un chrétien ne peut rester indifférent devant l’évolution du monde... Non seulement il peut, mais il doit travailler à l’avènement de cette communauté ». L’histoire impartiale oblige à constater que Pie XII, en vingt ans, a fait faire un progrès considérable à la réflexion de l’Église sur le caractère inviolable de la personne, la dignité de la famille, les prérogatives et les limites de l’autorité publique, les droits des minorités ethniques, le droit à l’expression publique des opinions, le droit à la liberté politique, le droit des réfugiés, des prisonniers, des persécutés, le droit à une éducation religieuse, le droit au culte de Dieu privé et public (cf. Radio Message de Noël 1942, AAS 35,1943, p. 9). Il ressort de ses messages que la personne humaine ne peut jamais être sacrifiée à un intérêt politique national ou international quel qu’il soit.

Jean XXIII a ensuite largement développé ces thèmes, entre autres dans ses admirables encycliques Mater et Magistra et Pacem in terris. Paul VI les a repris et approfondis dans d’innombrables documents qui caractérisent son pontificat. Qu’il suffise de mentionner son discours au Corps diplomatique du 14 janvier 1978 et aussi le message qu’il a publié le 26 octobre 1974, en union avec les Pères du Synode, et consacré à l’engagement de l’Église dans la défense et la promotion des droits de l’homme. Un tel engagement découle de l’Évangile où l’on trouve l’expression la plus profonde de la dignité de l’homme et le motif le plus pressant des efforts pour promouvoir ses droits. Et l’Église, vous le savez, conçoit cette tâche dans le cadre de sa mission au service du salut plénier de l’homme, racheté par le Christ, comme je viens de l’exposer dans ma première encyclique Redemptor hominis.

Que ces quelques mots soient pour vous lumière et réconfort ! Il est bon de nous redire les uns aux autres que l’attention prioritaire des esprits et des cœurs à la dignité de toute personne humaine, au plan de l’enseignement et de l’action concrète et multiforme, constitue une œuvre qui doit faire de plus en plus l’unanimité de tous les hommes de bonne volonté.

 

 

 

31 mars 1979

AVEC L’ÉGLISE, ALLER EN TOUTE CONFIANCE VERS L’HOMME

 

Audience aux jeunes de « Communion et Libération »

Ils étaient quelque dix mille, tes membres dû mouvement « Communion et Libération » que le pape a reçus-dans la grande salle des audiences Paul VI le 31 mars. Une foule de jeunes gens enthousiastes qui ont accueilli Je pape à son entrée dans le vaste amphithéâtre en chantant : « Sto lat, sto lat • niech zyje, zyje nom • Jeszcze raz, jeszczeraz • niech zyje, zyje nam • niech zyje nam ! » ce qui signifie : « Cent années, cent années, puisses-tu vivre, pour nous encore une fois, puisses-tu vivre cent années pour nous ».

 

Très chers amis,

 

Soyez les bienvenus ! Cet enthousiasme spontané et joyeux qui a salué mon entrée dans cette salle est un témoignage d’affection sincère et également une expression bien claire de votre foi profonde dans le ministère ecclésial que le Christ m’a confié.

Votre présence ici aujourd’hui est pour moi une très grande joie. Et je ne puis dire que nous nous rencontrons pour la première fois ; je ne sais combien de fois nous nous sommes déjà rencontrés auparavant. Je me souviens de toutes les rencontres en Pologne. Et je dois dire que ces rencontres ont porté leurs fruits car, en entrant ici aujourd’hui je ne savais qui j’allais trouver dans ce hall : « est-ce une jeunesse italienne ou polonaise ? » me suis-je demandé !

Tant de rencontres déjà ! Je me rappelle bien celles de Kroscienko puis, une fois aussi, celle de Cracovie.

Mais il faut parler maintenant de votre pèlerinage. Je me suis toujours cru un pèlerin assez fidèle, fidèle à Czestochowa et à Jasna Gôra, mais j’ai rencontré ici des personnes qui ont fait, même deux fois, le pèlerinage de Varsovie à Czestochowa, et à pied. Moi, par contre, je ne l’ai fait qu’une seule fois, et non pas de Varsovie, mais de Cracovie, donc un chemin bien plus court. Quant à vous, vous avez été si souvent pèlerins en Pologne, vous êtes venus à Kroscienko, vous êtes venus un peu partout durant l’été, au moment où se faisaient les oasis, comme on les appelle, les assemblées, les exercices spirituels des jeunes Polonais. Vous veniez volontiers et vous aimiez vous mêler à eux. Puis vous êtes venus participer aux grands pèlerinages de Varsovie à Czestochowa, parcourant deux cent cinquante kilomètres de route, si je ne m’abuse, une route qui n’est guère facile. L’an dernier, le nombre des participants a été le plus élevé, et je crois que la plupart de ces pèlerins étaient des jeunes de votre mouvement.

Il me souvient d’une fois — et c’est bien que je m’en souvienne car je ne lis pas — une fois donc, et ce sera pour le moment le dernier souvenir, je me rappelle qu’un groupe italien est venu me trouver à Cracovie après ce pèlerinage de Varsovie à Czestochowa ; il est venu me trouver dans la chapelle de l’archevêché et il a chanté en polonais. Je ne pouvais discerner si c’étaient des membres de « Communion et Libération » ou de notre Mouvement pour l’Église vivante. Ainsi donc, ce n’est pas la première fois que nous nous rencontrons.

Je vous répète que cette rencontre pour moi est surtout une très grande joie et j’espère qu’une telle joie, une joie semblable, se renouvellera toujours.

 

Tout le monde fait confiance aux jeunes

 

Je désire vous manifester le réconfort et la satisfaction que me procure cette rencontre avec vous. La confiance que je nourris dans les jeunes, j’ai déjà eu l’occasion de l’exprimer souvent et partout : en Pologne, au Mexique, en Italie. Confiance en leur enthousiasme généreux pour toute cause grande et noble, en leur disponibilité désintéressée, prête au sacrifice pour les idéaux auxquels ils croient. L’attestation de cette confiance je vous la renouvelle ici ce matin, à vous qui croyez en Jésus en qui le monde a placé toute son espérance, parce qu’ « il est la lumière véritable qui éclaire tout homme » (Jn 1, 9). Vous vous êtes proposés de porter de message rénovateur de la foi dans tous les milieux où vous êtes appelés à vivre, à servir, à aimer, parce que vous êtes convaincus que dans l’Évangile on peut trouver une réponse satisfaisante à toutes les interrogations qui assaillent l’homme. Votre intention a été généralement bien accueillie, encore qu’elle ait suscité des désaccords et des oppositions et je sais aussi que vous en avez souffert.

Mais en dépit de ces accords et de ces oppositions, vous avez vu converger sur vous et prendre place à vos côtés d’autres jeunes auxquels votre exemple a ouvert de nouveaux horizons d’oblation, de réalisation personnelle et de joie.

Vous avez donc pu toucher du doigt combien notre monde a besoin du Christ. Il est important que vous continuiez, avec un humble courage, à annoncer sa parole salvatrice. En effet, c’est seulement de celle-ci que peut venir la véritable libération de l’homme. Saint Jean l’a exprimé de manière incisive : « Le Verbe a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jn 1, 12). C’est dans le Christ qu’est la source de la force qui transforme intérieurement l’homme, le principe de cette vie nouvelle qui ne disparaît ni ne passe, mais qui dure pour la vie éternelle (cf. Jn 4, 14).

C’est seulement dans la rencontre avec lui que peut trouver apaisement cette inquiétude, dans laquelle, comme je l’ai noté dans ma récente encyclique « palpite tout ce qui est profondément humain : la recherche de la vérité, l’insatiable nécessité du bien, la faim de la liberté, la voix de la conscience » (Lettre encyclique Redemptor hominis, n. 18). Il est donc logique que « l’Église, cherchant à regarder l’homme comme avec les yeux du Christ, prenne toujours davantage conscience d’être la gardienne d’un grand trésor qu’elle n’a pas le droit de gaspiller » (ibidem).

Tout chrétien est appelé à en prendre également conscience et à participer aux devoirs qui en découlent. Vous aussi, par conséquent, mes très chers jeunes, qui avez choisi d’appeler votre mouvement « Communion et Libération » (je dois dire que ce nom me plaît beaucoup, qu’il me plaît pour plusieurs raisons : une raison théologique et une raison ecclésiologique. Ce nom est tellement lié à l’ecclésiologie du concile Vatican II ! Puis il me plaît pour les perspectives qu’il nous ouvre : la perspective personnelle, intérieure et la perspective sociale. Communion et Libération : par son caractère très actuel, ce nom définit ce qu’est aujourd’hui la tâche de l’Église : une tâche qu’exprimé très justement « Communion et Libération ».) Le choix de ce nom montre que vous êtes parfaitement conscients des expectatives les plus profondes de l’homme moderne. Vous vous êtes dit que c’est le Christ, la libération à laquelle le monde aspire ; le Christ vit dans l’Église ; la véritable libération de l’homme se réalise donc dans l’expérience de la communion ecclésiale ; et, par conséquent, édifier cette communion est la contribution essentielle que les chrétiens peuvent apporter à la libération de tous.

C’est une intuition profondément vraie et je ne puis que vous exhorter à en tirer avec cohérence toutes les conséquences logiques. L’Église est essentiellement un mystère de communion : je dirais qu’elle est une invitation à la communion, à la vie dans la communion. Dans la communion, disons, verticale et dans la communion horizontale ; dans la communion avec Dieu lui-même, avec le Christ, et dans la communion avec autrui. C’est la communion qui explique une pleine relation de personne à personne. L’Église est essentiellement un mystère de communion : communion intime et toujours renouvelée avec la Sainte Trinité qui est la source même de la vie, communion de vie, d’imitation de Jésus-Christ, Rédempteur de l’homme, qui nous unit très étroitement à Dieu ; de qui jaillit l’authentique et agissante communion d’amour entre nous, en vertu de notre ressemblance ontologique avec lui.

Invitation à la communion. Vivez avec un généreux élan les exigences qui découlent de cette réalité. Cherchez donc à réaliser, dans les pensées, dans les sentiments et dans les initiatives, l’unité avec le clergé de vos paroisses et, par ceux-ci, avec votre évêque qui est « le principe visible et le fondement de l’unité dans l’Église particulière » (cf. la constitution dogmatique Lumen gentium. n. 23). Grâce à la communion avec votre évêque, vous pourrez acquérir la certitude d’être en communion avec le pape qui vous aime, qui a confiance en vous et attend beaucoup de votre action au service de l’Église et de ces nombreux frères que le Christ n’a pas encore touchés avec la lumière de son message.

Parmi les critères d’authenticité des mouvements ecclésiaux que mon prédécesseur citait dans son exhortation apostolique Evangelii nuntianti, il en est un particulièrement digne d’être médité : « Les communautés de base, disait Paul VI, seront des lieux d’évangélisation » et « une espérance pour l’Église universelle » si « elles restent fermement attachées à l’Église locale dans laquelle elles s’insèrent et à l’Église universelle, évitant ainsi le danger — trop réel — de s’isoler en elles-mêmes, puis de se croire l’unique authentique Église du Christ et donc d’anathématiser les autres communautés ecclésiales » (n. 58).

Ce sont des paroles dictées par une vaste expérience pastorale et vous êtes en mesure d’en apprécier toute la sagesse. Habituez-vous à confronter avec elles chacune de vos initiatives concrètes : de ce constant souci de contrôle dépend l’efficacité apostolique de votre activité, qui sera une expression authentique de la mission salvatrice de l’Église dans le monde.

 

Une perspective intérieure et sociale

 

J’ai dit que, ce nom, « Communion et Libération », nous ouvre une perspective intérieure et en même temps une perspective sociale. Intérieure parce qu’elle nous fait vivre dans la communion avec les autres, avec les plus voisins ; qu’elle nous fait chercher cette communion dans notre voie personnelle, dans notre amitié, dans notre amour, dans notre mariage, dans notre famille. Puis dans les divers milieux : il est extrêmement important de maintenir ce niveau de communion dans nos relations avec les hommes, avec les personnes, ce niveau de la communion dans les relations entre les hommes, entre les personnes. Il nous permet de créer une libération authentique, parce que l’homme se libère dans la communion avec les autres, non pas dans l’isolement ; pas individuellement, mais avec les autres, par les autres, pour les autres. Voilà le plein sens de la communion dont jaillit la libération. Et la libération, comme je l’ai déjà dit dans un discours du mercredi dans ce lieu, la libération revêt différentes significations. Beaucoup dépendent du milieu social et culturel : libération veut dire des choses diverses. Elle est autre chose en Amérique latine, autre chose en Italie, autre chose en Europe, et même autre chose en Europe occidentale ou en Europe orientale, autre chose dans les pays africains, etc. Nous devons chercher quelle incarnation de la liberté est juste dans le contexte particulier où nous vivons, nous. Mais la libération s’obtient toujours dans la communion ou moyennant la communion.

Chers amis, pour conclure cette rencontre et ce discours — qui n’a pas, je le sais, abordé tous, les sujets possibles ; il a touché, dirais-je, uniquement les points les plus essentiels : le sens de votre appellation, ; mais espérons que d’autres occasions se présenteront pour aller de l’avant et plus à fond ; on ne saurait tout dire en une seule fois ; il vaut mieux que les auditeurs restent un peu sur leur faim — eh bien, donc, pour conclure cette rencontre, je désire vous laisser une consigne : avec l’Église, allez en toute confiance vers l’homme. Dans mon encyclique, j’ai indiqué précisément dans l’homme la voie principale sur laquelle doit marcher l’Église « parce que l’homme — tout homme sans aucune exception — a été racheté par le Christ, parce que le Christ est en quelque sorte uni à l’homme, à chaque homme sans exception, même si ce dernier n’en est pas conscient » (Lettre encyclique Redemptor hominis, n. 14). C’est de cette certitude que votre témoignage chrétien doit se nourrir et tirer chaque jour un nouvel élan et une nouvelle fraîcheur.

Et maintenant, un petit intervalle pour donner la bénédiction apostolique. Je suis certain qu’il n’y a rien d’autre à dire, qu’il reste seulement à accueillir cette bénédiction et à l’écouter dans nos cœurs. Mais avant la bénédiction je veux encore m’adresser à votre Père spirituel. Et je veux également m’adresser à votre Président qui m’a parlé au début de l’audience, qui m’a introduit et m’a offert ce beau tableau brésilien. Je vous remercie pour ce don, et je remercie l’artiste, le peintre. Je suis très reconnaissant au peintre qui l’a fait. Et maintenant nous pouvons prier, donner la bénédiction. Puis nous viendront quelques idées, quelques paroles.

... (suit, la prière.)

... Maintenant quelques idées qui nous sont venues durant la prière.

Première idée : Je veux vous remercier pour un fait qui date du début de mon pontificat : le premier jour vous êtes venus, porteurs également d’une inscription en polonais. Mais j’ai pensé aussitôt : ils ne sont pas Polonais ceux qui la portent, parce que — je vous dis pourquoi — parce qu’il y avait une erreur, une faute d’orthographe. La première parole qui nous est venue dans la prière.

La seconde : alors, les choses étant ce qu’elles sont, nous devons chanter maintenant Otojes gen. Nous devons chanter ensemble car ce que ce chant exprime est vrai.

... (suit le chant).

Il y a encore une idée, une parole. Pour quel motif vais-je vous laisser ainsi, un peu affamés, ne touchant pas tous les sujets ? Parce que j’ai prévu, pour la semaine prochaine, jeudi, une rencontre avec les étudiants de Rome pour un rassemblement pascal, pour une célébration eucharistique dans la basilique Saint-Pierre, une célébration pascale. Le cardinal-vicaire a dit : « Pâques avec les étudiants ». Alors il ne faut pas que j’en dise trop aujourd’hui pour qu’il me reste quelque chose à dire la semaine prochaine.

Et ainsi, cela suffît.

 

 

 

10 avril 1979

A SIX MILLE ETUDIANTS VENUS DU MONDE ENTIER

 

Le 10 avril, le Saint Père a reçu en audience un groupe de quelque six mille étudiants du monde entier, réunis à Rome à l’occasion du Congrès international organisé par l’Institut pour la Coopération internationale (I.C.U.) et qui s’est tenu sous la présidence du professeur Jean-Luc Chabot. Un public incroyablement enthousiaste auquel le Saint-Père a finalement réussi à parler après un quart d’heure d’applaudissements et de cris « Vive le Pape» lancés en toutes langues. Voici la traduction du discours de Jean Paul II :

 

Très chers frères et sœurs,

 

Par le discours du président de votre Congrès, vous m’avez donné un clair aperçu des objectifs de votre séjour à Rome et vous m’avez parlé des aspirations et des idéaux qui animent votre ardeur.

Je vous remercie sincèrement pour les témoignages d’affection que vous m’avez adressés à moi et à mon ministère universel de successeur de Pierre.

Je sais qu’ici vous représentez deux cent dix-huit universités, au moins, du monde entier, et déjà ceci est un signe positif de l’universalité de la foi chrétienne, même si elle n’a pas la vie toujours facile. Je connais bien, en effet, les inquiétudes du monde universitaire, mais je connais aussi votre dévouement juvénile à assumer la responsabilité que le Christ vous a confiée : être ses témoins dans les milieux où s’élaborent, par l’étude, la science et la culture.

Vous réfléchissez, ces jours-ci, sur les efforts qui se font dans le monde afin de développer l’unité et la solidarité entre les peuples. Vous vous demandez avec raison sur quelles valeurs il faut baser ces efforts si l’on veut échapper au danger de la rhétorique des paroles stériles. Et, en même temps, vous vous demandez quels sont les idéaux au nom desquels if est vraiment possible de rapprocher fraternellement des cultures et des peuples si différents, comme par exemple ceux que je vois représentés ici par vous-mêmes.

Pour moi, il est déjà réconfortant de découvrir dans votre regard le désir de chercher à cet effet dans le Christ la révélation de ce que Dieu dit à l’homme et de la manière dont l’homme doit répondre à Dieu.

Voici ici point central, très chers amis : nous devons fixer toute notre attention sur le Christ Nous savons que le dessein de Dieu est de « ramener toutes choses sous un seul Chef, le Christ » (Ep 1, 10), grâce au caractère unique de sa personne et de son destin salvifique de mort et de vie. Véritablement, ces jours où nous revivons sa sainte passion, tout ceci se fait plus évident : en effet, le Christ se présente à nous, sous des traits encore plus semblables à ceux de notre faible nature d’homme. L’Église nous montre le Christ élevé sur la Croix « un homme de douleurs qui connaît bien la souffrance » (Is 53, 3), mais aussi ressuscité d’entre les morts et « toujours vivant pour intercéder en notre faveur » (He 7, 25).

Voici donc celui que le pape vous invite à regarder : le Christ crucifié pour nos péchés et ressuscité pour notre salut » (cf. Rm 7, 25) et devenu un point de convergence universelle et irrésistible : « Et moi, élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jn 12, 32).

Je sais que vous placez toutes vos espérances dans cette Croix devenue pour nous tous « étendard royal » (Hymne liturgique de la Passion). Ne cessez pas d’être chaque jour et en toutes circonstances imprégnés de la sagesse et de la force qui nous viennent uniquement de la Croix pascale du Christ. Tâchez de puiser dans cette expérience une énergie purificatrice toujours neuve. La croix est le point fort sur lequel s’appuyer pour servir l’homme et transmettre à tant et tant d’autres l’immense joie d’être chrétiens.

Ces jours-ci, quand je contemple le Christ élevé et cloué sur la croix, il me vient à l’esprit une expression utilisée par saint Augustin pour commenter le passage de l’Évangile de saint Jean que je viens de citer : « Le bois de la croix sur lequel furent cloués les membres de l’Agonisant est devenu la chaire du Maître qui enseigne » (in Jo. 119, 2). Pensez-y ; quelle voix, quel maître de la pensée pourrait instaurer l’unité entre les hommes sinon celui qui, en donnant sa propre vie, a obtenu pour nous tous d’être adoptés comme fils du même Père ? Cette filiation divine que par sa mort sur la croix le Christ nous a conquise et qu’il a réalisée dans nos cœurs par l’envoi de son Esprit est vraiment le seul fondement solide et indestructible de l’unité d’une humanité rachetée.

Mes fils, durant votre congrès, vous avez relevé les souffrances et les contradictions dont se montre affectée une société quand elle s’éloigne de Dieu. Puisse la sagesse du Christ vous rendre capables de pousser vos recherches jusqu’à découvrir la source la plus profonde du mal existant dans le monde ; puisse-t-elle aussi vous stimuler à proclamer à tous les hommes, à vos compagnons d’étude aujourd’hui, et de travail demain, la vérité que vous tenez des lèvres du Maître, c’est-à-dire que le « mal provient du cœur des hommes » (Mc 7, 21). Il ne suffît donc pas d’analyses sociologiques pour apporter la justice et la paix. C’est au-dedans de l’homme que se trouve la racine du mal. Le remède doit, par conséquent, venir également du cœur. Et — j’aime à le répéter — la porte de notre cœur ne peut être ouverte autrement que par cette grande et définitive parole de l’amour du Christ pour nous qu’est sa mort sur la croix.

C’est ici que le Seigneur veut nous conduire : au-dedans de nous-mêmes. Le temps qui précède Pâques est tout entier une constante invitation à la conversion du cœur. Voici la vraie sagesse : « initium sapientiae timor Domini — la crainte de Dieu est le commencement de la sagesse » (Si 1, 16).

Très chers amis, ayez donc le courage du repentir ; ayez également le courage de puiser la grâce de Dieu dans la confession sacramentelle. C’est cela qui vous rendra libres, qui vous donnera la force dont vous avez besoin pour les entreprises qui vous attendent, dans la société et dans l’Église, au service des hommes. En effet, l’authenticité du service du chrétien se mesure à la présence de la grâce de Dieu qui agit en lui et par lui. Puis, la paix du cœur est inséparablement unie à la joie qui, en grec (charà) est étymologiquement semblable à la grâce (charis). Tout l’enseignement du Christ, y compris sa croix, a précisément comme but : « pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite ». (Jn 15, 11). Quand d’un cœur chrétien elle se propage dans les autres cœurs, cette joie y fait germer l’espérance, l’optimisme, des élans de générosité dans la peine quotidienne et elle se répand dans toute la société.

Mes fils, c’est uniquement si vous avez en vous cette grâce divine, joie et paix, que vous pourrez construire quelque chose de valable pour les hommes. Considérez donc votre vocation chrétienne sous cette magnifique perspective. Aujourd’hui l’étude, demain la profession deviendront pour vous le chemin où trouver Dieu et servir les hommes vos frères : c’est-à-dire qu’elles deviennent des voies de sainteté, comme s’exprimait le cardinal Luciani peu avant d’être appelé à ce siège de Pierre, sous le nom de Jean Paul Ier : « Là, au beau milieu de la rue, au bureau, à la fabrique, on se fait saint, à condition d’accomplir son devoir avec compétence, pour l’amour de Dieu et joyeusement ; de manière que le travail quotidien devienne, non pas le "tragique quotidien" mais presque "le sourire quotidien" » (Il gazzettino 25-7-1978).

Et pour terminer, je vous recommande à la Très-Sainte Vierge Marie, « Siège de la Sagesse » que nous trouvons, ces jours-ci juxta crucem Jesus — près de la croix de Jésus (Jn 19, 25), pour qu’elle vous aide à rester toujours à l’écoute de cette sagesse qui vous donnera, à vous et au monde, la joie immense de vivre avec le Christ.

Et que toujours, partout où vous vous trouverez vivant et témoignant l’Évangile, vous accompagne ma paternelle bénédiction apostolique.

 

 

 

13 avril 1979

PAR LA CROIX, SOLIDARITÉ AVEC CEUX QUI SOUFFRENT PERSÉCUTION

 

Le 13 avril à 20 h 30, Jean Paul II a commencé face au Colisée le chemin de croix. C’était la première fois qu’il accomplissait cette démarche comme pape. Le ciel s’est montré clément : pas de pluie, pas de vent. Une foule innombrable s’est déplacée pour participer à cet événement du soir du Vendredi Saint cependant que les télévisions et les radios transmettaient au monde entier le déroulement de cette cérémonie, lui permettant de s’y associer « directement ».

 

1. Quand nous parcourons le chemin de croix d’une station à l’autre, nous sommes toujours présents en esprit sur les lieux « historiques » de cet itinéraire : là où il s’est déroulé, le long des rues de Jérusalem, depuis le prétoire de Pilate jusqu’à la hauteur du Golgotha, c’est-à-dire du Calvaire, hors des murs de la ville.

Ainsi nous sommes-nous rendus par l’esprit, aujourd’hui encore, dans la ville du « grand Roi », de celui qui, comme signe de sa royauté, a choisi la couronne d’épines au lieu de la couronne royale, et la croix au lieu du trône.

Pilate n’a-t-il pas eu raison lorsque, en le montrant au peuple qui attendait sa condamnation devant le prétoire « pour ne pas se souiller et pouvoir ainsi manger l’agneau pascal » (Jn 18, 28), il ne dit pas « Voici le roi », mais « Voici l’homme » (Jn 19, 5) ? Le Christ révéla de cette manière le programme de son règne, qui veut être libre des attributs du pouvoir terrestre pour dévoiler les pensées d’un grand nombre (cf. Lc 2, 35) et pour leur rendre plus proches la vérité et l’amour qui proviennent de Dieu.

« Mon royaume n’est pas de ce monde.... / Je ne suis né, je ne suis venu dans le monde / que pour rendre témoignage à la vérité » (Jn 18, 36-37).

Ce témoignage est resté aux angles des rues de Jérusalem, aux détours de la via crucis, là où il marchait, où il est tombé trois fois, où il a accepté l’aide de Simon de Cyrène et le voile de Véronique, là où il a parlé à quelques femmes qui se lamentaient sur lui.

Aujourd’hui encore, nous sommes avides de ce témoignage. Nous voulons en connaître tous les détails. Nous suivons les traces du chemin de croix à Jérusalem et, en même temps, en tant d’autres lieux du globe, et chaque fois nous avons le sentiment de répéter à ce Condamné, à cet Homme des douleurs : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle » (Jn 6, 68).

 

2. En faisant le chemin de croix au Colisée de Rome, nous sommes encore sur les traces du Christ, dont la croix s’est trouvée dans le cœur de ses martyrs et de ses confesseurs. Ceux-ci annonçaient le Christ crucifié comme « puissance de Dieu et sagesse de Dieu » (1 Co 1, 24) Avec le Christ, ils prenaient chaque jour la croix (cf. Lc 9, 23), et si nécessaire, ils mouraient comme lui sur la croix, ou ils mouraient dans les arènes de la Rome antique, déchirés par les fauves, brûlés vifs, torturés. La puissance de Dieu et la sagesse de Dieu révélées dans la croix se manifestaient ainsi plus fortement dans la faiblesse humaine. Non seulement ils acceptaient de souffrir et de mourir pour le Christ, mais ils choisissaient avec lui d’aimer leurs persécuteurs et leurs ennemis : « Père ! pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34).

C’est pour cela que la croix se dresse sur les ruines du Colisée.

En regardant cette croix, la croix des débuts de l’Église dans cette capitale et la croix de son histoire, il nous faut ressentir et exprimer une solidarité particulièrement profonde avec tous nos frères dans la foi qui, à notre époque aussi, font l’objet de persécutions et de discrimination en divers endroits du monde. Pensons surtout à ceux qui sont condamnés, en un certain sens, à la « mort civile » parce qu’on leur refuse le droit de vivre selon leur foi, leur rite, selon leurs conditions religieuses. En regardant la croix dans le Colisée, demandons au Christ que ne leur manque pas — pas plus qu’à ceux qui autrefois ont subi ici le martyre — la puissance de l’Esprit dont ont besoin  les martyrs et les confesseurs de notre temps.

En regardant la croix dans le Colisée, nous éprouvons une union encore plus profonde avec eux, une solidarité encore plus forte.

De même que le Christ occupe en nos cœurs une place particulière en raison de sa Passion, de même eux-aussi. Nous avons le devoir de parler de cette passion de ses confesseurs d’aujourd’hui, et de leur rendre témoignage devant la conscience de toute l’humanité, qui proclame la cause de l’homme comme objectif principal de tout progrès. Comment réconcilier de telles affirmations avec la blessure infligée à tant d’hommes qui, en regardant la croix du Christ, confessent Dieu et annoncent son Amour ?

 

3. Christ-Jésus ! Nous sommes sur le point de conclure ce saint jour du Vendredi Saint au pied de ta croix. Comme jadis à Jérusalem au pied de la croix, se tenaient ta Mère, Jean et Madeleine, et d’autres femmes, nous voici là nous aussi. Nous sommes profondément émus par la gravité de l’instant. Les paroles nous manquent pour exprimer tout ce que ressentent nos cœurs. Ce soir, alors qu’après t’avoir descendu de la croix, ils t’ont déposé dans un tombeau au pied du Calvaire, nous voulons te prier afin que tu restes avec nous par ta croix : toi qui, par la croix, t’es séparé de nous. Nous te prions pour que tu restes avec l’Église, pour que tu restes avec l’humanité ; pour que tu ne te heurtes pas si beaucoup peut-être passent dans l’indifférence près de ta croix, si certains s’éloignent d’elle et si d’autres n’y arrivent pas.

Il peut se faire aussi, toutefois, que jamais plus qu’aujourd’hui l’homme n’a eu besoin de cette force et de cette sagesse que tu es toi-même, toi seul : par ta croix !

Alors, reste avec nous en ce pénétrant mystère de ta mort, dans lequel tu as révélé combien Dieu a aimé le monde (cf. Jn 3, 16). Reste avec nous et attire-nous à toi (cf. Jn 12, 32). Toi qui es tombé sous cette croix, Reste avec nous par ta Mère à qui, du haut de la croix, tu as confié chaque homme d’une façon spéciale (cf. Jn 19, 27).

Reste avec nous !

Stat Crux, dum volvitur orbis ! Oui, « la croix se teint bien droite, tandis que le monde tourne ! »

 

 

 

26 avril 1979

L’ECRITURE, SOURCE D’EAU VIVE

 

Le 26 avril, le pape a reçu en audience les membres de la Commission Pontificale biblique, réunis  à  l’occasion  de  la première réunion de leur nouveau mandat de cinq ans. En présence du cardinal Franjo Seper, président, et de Mgr Albert Descamps, secrétaire, Jean  Paul II a adressé aux membres  le discours suivant :

 

Monsieur le Cardinal, Monseigneur le Secrétaire, mes chers Amis,

 

Il y a cinq ans, mon vénéré prédécesseur le pape Paul VI avait voulu vous adresser ses encouragements, lors de la première session plénière que vous avez tenue après qu’il vous eût donné de nouvelles normes d’organisation par le motu proprio Sedula cura. C’est aussi pour moi une joie très particulière de vous accueillir à mon tour aujourd’hui à l’occasion de la première réunion de ce nouveau quinquenium et de saluer surtout vos nouveaux membres.

Ce n’est pas ici le moment de développer votre responsabilité envers Dieu et l’Église : vous en êtes bien conscients. En effet, malgré la technicité et la complexité croissantes des études bibliques, leur but demeure toujours d’ouvrir au peuple chrétien les sources d’eau vive contenues dans les Écritures et le sujet que vous étudiez cette année, qui traite de l’insertion culturelle de la révélation, en donne un nouveau témoignage.

Le thème que vous traitez est d’une grande importance ; il concerne en effet la méthodologie même de la révélation biblique dans sa réalisation. Le terme « acculturation », ou « inculturation » a beau être un néologisme, il exprime fort bien l’une des composantes du grand mystère de l’Incarnation. Nous le savons, « le Verbe s’est fait chair et il a demeuré parmi nous » (Jn 1, 14) ; ainsi, en voyant Jésus-Christ, « le fils du charpentier » (Mt 13, 55), on peut contempler la gloire même de Dieu (cf. Jn 1, 14). Eh bien, la même Parole divine s’était faite auparavant langage humain, assumant les façons de s’exprimer des diverses cultures qui, d’Abraham au Voyant de l’Apocalypse, ont offert au mystère adorable de l’amour salvifique de Dieu la possibilité de se rendre accessible et compréhensible, pour les générations successives, malgré la diversité multiple de leurs situations historiques. Ainsi, « à maintes reprises et sous maintes formes » (He 1, 1), Dieu a été en contact avec les hommes et, dans sa bienveillante et insondable condescendance, il a dialogué avec eux par l’intermédiaire des prophètes, des apôtres, des écrivains sacrés et surtout par le Fils de l’Homme. Et toujours Dieu a communiqué ses merveilles en se servant du langage et de l’expérience des hommes. Les cultures mésopotamiennes, celles d’Egypte, de Canaan, de Perse, la culture hellénique et, pour le Nouveau Testament, la culture gréco-romaine et celle du judaïsme tardif, ont servi, jour après jour, à la révélation de son mystère ineffable de salut, comme le montre bien votre actuelle session plénière.

Ces considérations toutefois, vous le savez, font surgir le problème de la formation historique du langage biblique, qui est en quelque sorte lié aux changements survenus durant la longue succession de siècles au cours desquels la parole écrite a donné naissance aux Livres saints. Mais c’est justement ici que s’affirme le paradoxe de l’annonce révélée et de l’annonce plus spécifiquement chrétienne selon laquelle des personnes et des événements historiquement contingents deviennent porteurs d’un message transcendant et absolu. Les vases d’argile peuvent se briser, mais le trésor qu’ils contiennent demeure intégral et incorruptible (cf. 2 Co 4, 7). Et de même que dans la faiblesse de Jésus de Nazareth et de sa croix s’est déployée la puissance rédemptrice de Dieu (cf. 2 Co 13, 4), de même dans la fragilité de la parole humaine se révèle une efficacité insoupçonnée qui la, rend « plus incisive qu’aucun glaive à deux tranchants » (He 4, 12). Voilà pourquoi nous recevons des premières générations chrétiennes l’ensemble du Canon des saintes Écritures, devenues le point de référence et la norme de la foi et de la vie de l’Église de tous les temps.

Il appartient évidemment à la science biblique et à ses méthodes herméneutiques d’établir la distinction entre ce qui est caduc et ce qui doit toujours garder sa valeur. Mais c’est là une opération qui requiert une sensibilité extrêmement aiguë, non seulement sur le plan scientifique et théorique, mais aussi et surtout sur le plan ecclésial et de la vie.

Deux conséquences découlent de tout cela, qui sont à la fois différentes et complémentaires. La première concerne la grande valeur des cultures : si celles-ci, dans l’histoire biblique, ont déjà été jugées capables d’être les véhicules de la Parole de Dieu, c’est parce que se trouve inséré en elles quelque chose de très positif, qui est déjà une présence en germe du Logos divin. De même, aujourd’hui, l’annonce de l’Église ne craint pas de se servir des expressions culturelles contemporaines : ainsi sont-elles, par une certaine analogie avec l’humanité du Christ, appelées pour ainsi dire à participer à la dignité du Verbe divin lui-même. Il faut toutefois ajouter, en second lieu, que l’on voit se manifester ainsi le caractère purement instrumental des cultures qui, sous l’influence d’une évolution historique très marquée, sont soumises à de fortes mutations : « L’herbe sèche, la fleur se fane, mais la parole de notre Dieu demeure toujours » (Is 40, 8). Préciser les rapports existant entre les variations, de la culture et la constante de la révélation est justement la tâche, ardue mais exaltante, des études bibliques comme de toute la vie de l’Église.

Dans cette tâche, vous avez indubitablement, frères et fils très chers de la Commission biblique pontificale, une part prépondérante, et vous y êtes étroitement associés au magistère de l’Église. Ceci me conduit à appeler particulièrement votre attention sur un point. Le motu proprio Sedula cura précise, lorsqu’il traite de la finalité de votre commission, qu’elle doit apporter le concours de son travail au Magistère de l’Église. Je souhaite très spécialement que vos travaux soient l’occasion de montrer comment la recherche la plus précise, la plus technique, ne demeure pas enfermée en elle-même, mais peut être utile aux organes du Saint-Siège qui se trouvent affrontés aux si difficiles problèmes de l’évangélisation, c’est-à-dire aux conditions concrètes de l’insertion du ferment évangélique dans des mentalités et des cultures nouvelles.

Dans cette perspective, l’obligation fondamentale de fidélité au Magistère prend toute son ampleur. « Dieu a confié l’Écriture Sainte à son Église et non pas au jugement privé des spécialistes » (cf motu proprio Sedula cura, par. 3). Il s’agit en effet de la fidélité à la fonction spirituelle donnée par le Christ à son Église ; il s’agit de la fidélité à la mission. Les exégètes sont parmi les premiers serviteurs de la Parole de Dieu. Je suis certain, mes chers amis, que votre exemple manifestera de manière éminente l’union de la compétence scientifique que vous reconnaissent vos pairs et de ce sens spirituel affiné qui fait voir dans l’Écriture la Parole de Dieu confiée à son Église.

Que le Seigneur guide lui-même vos efforts ; que l’Esprit-Saint vous éclaire ! Pour moi, en vous disant ma confiance, et combien l’Église compte sur vous, je vous donne de grand cœur la bénédiction apostolique.

 

 

 

27 avril 1979

LA PAROLE ET L’AMOUR POUR UN FRUCTUEUX DIALOGUE

 

Au Secrétariat pour les non-chrétiens

Le 27 avril, le Saint-Père a reçu en audience les cardinaux, archevêques et évêques ainsi que les experts qui participent à l’assemblée plénière du Secrétariat pour les non-chrétiens qui s’est déroulée à Rome du 24 au 27 avril.

Parmi les personnalités présentes figuraient, avec le président du Secrétariat, cardinal Pignedoli, l’évêque grec-orthodoxe Yannoulatos Anastasios ainsi que le Dr Samartha et le Professeur Mulder du Conseil œcuménique des Églises. Voici, traduit de l’anglais, le texte du discours prononcé par le Saint-Père :

 

Chers et bien-aimés dans le Christ,

 

J’éprouve une très grande joie à vous rencontrer, vous les cardinaux et évêques de différents pays, membres du Secrétariat pour les non-chrétiens et vous, consulteurs, spécialistes des grandes religions du monde, qui participez ensemble à la première assemblée plénière du Secrétariat.

Je sais que vous aviez projeté de tenir cette réunion en automne dernier, mais vous avez été devancés par les dramatiques événements de ces mois. Le regretté Paul VI qui a fondé ce Secrétariat et s’est prodigué avec tant d’amour, tant d’intérêt et de manière si inspirée en faveur des non-chrétiens, n’est hélas plus parmi nous, et je suis sûr que la plupart d’entre vous se demandent si le nouveau pape accordera autant de soin et autant d’attention au vaste monde des religions non-chrétiennes.

Dans mon encyclique Redemptor hominis je me suis efforcé de répondre quelque peu à cette question. Je m’y suis référé à la première encyclique de Paul VI Ecclesiam suam et au concile Vatican II, puis j’ai écrit : « Le Concile œcuménique a donné une impulsion fondamentale pour former l’auto conscience de l’Église en nous présentant, d’une manière adéquate et compétente, la vision de l’ensemble du monde comme étant celle d’une carte de diverses religions (...). Le document conciliaire consacré aux religions non-chrétiennes est, en particulier, plein d’une profonde estime pour les grandes valeurs spirituelles, bien plus, pour le primat de ce qui est spirituel et qui, dans la vie de l’humanité trouve son expression dans la religion, puis dans la moralité qui se reflète dans tous les cultures » (n. 11). Le monde non chrétien se trouve donc constamment sous le regard de l’Église et du pape. Nous sommes réellement mandatés pour le servir généreusement.

Il est également bon de rappeler que bientôt se célébrera le XV° anniversaire de l’annonce solennelle de la création de ce Secrétariat pour les non-chrétiens que Paul VI fit en la basilique Saint-Pierre, le jour de la Pentecôte en 1964. La grâce de Dieu aidant, le grain semé ce jour-là a germé et grandi jusqu’à devenir aujourd’hui un signe clair et bien défini qui, à travers un réseau d’organisations locales, opère pratiquement dans toutes les régions du monde où se trouve l’Église. Le Secrétariat est le symbole et une expression de la volonté de l’Église d’entrer en communication avec chaque personne et, en particulier, avec les multitudes de ceux qui cherchent dans les religions non-chrétiennes de quoi donner à leur vie une signification et une orientation. Un chrétien trouve le plus grand intérêt à observer des gens vraiment religieux, à lire et écouter les témoignages de leur sagesse, à avoir une preuve directe de leur foi, une foi qui fait qu’on se souvient des paroles de Jésus : « Chez personne je n’ai trouvé pareille foi en Israël » (Mt 8, 10). En même temps, le chrétien a l’effrayante responsabilité de parler à ces gens avec simplicité et franchise (la parhesia des Apôtres !) des « merveilles de Dieu » (Ac 2, 11) de ce que Dieu lui-même a fait pour le bonheur et le salut de tous, à un moment particulier et dans un homme particulier, qu’il a ressuscité pour être nôtre frère et notre Seigneur Jésus-Christ « issu de la lignée de David, selon la chair, établi Fils de Dieu avec puissance selon l’Esprit de sainteté » (Rm 1, 4).

Je suis heureux de voir que le Secrétariat a fait sienne cette volonté d’entrer en communication qui est une caractéristique de l’Église tout entière et qu’il a mis en pratique cette entrée en communication au moyen de ce que Paul VI appelait « le dialogue du salut ». En même temps, le Secrétariat a cherché des méthodeset des formes de dialogue bien adaptées au groupe particulier de gens pour qui il est conçu. Il est juste qu’à ce point je fasse mention du travail accompli par le cardinal Marella qui fut le président du Secrétariat durant ses neuf premières années et a guidé ses premiers pas, ce à quoi Paul VI l’avait appelé in nomine Domini. Je suis également heureux de rendre publiquement hommage au cardinal Pignedoli qui, avec le concours de Mgr Rossano et des autres membres d’une équipe dévouée rend témoignage, par une activité soutenue et de cordiaux et respectueux contacts, du profond intérêt de l’Église pour nos frères non-chrétiens.

Ces quelque quinze années d’expérience ont enseigné beaucoup de choses et maintenant votre assemblée plénière est certainement capable de décrire exactement l’état actuel du dialogue avec les non-chrétiens dans les différentes zones culturelles, d’identifier les difficultés, les problèmes et les résultats acquis dans chaque zone et de décider des programmes à court terme et à long terme pour les années futures.

Ce que j’espère et désire est que cette pratique du dialogue du salut se développe vigoureusement dans toute l’Église, y compris les régions où les chrétiens sont en majorité. L’éducation au dialogue avec les disciples des autres croyances doit faire partie de l’entraînement des chrétiens, des jeunes chrétiens tout particulièrement.

Dans son exhortation apostolique Evangelii nuntiandi Paul VI a écrit que la rencontre avec les religions non chrétiennes « suscite, certes, des questions complexes et délicates qu’il convient d’étudier à la lumière de la Tradition chrétienne et du Magistère de l’Église pour offrir aux missionnaires d’aujourd’hui et de demain — et j’aimerais ajouter : et à tous les chrétiens — de nouveaux horizons dans leurs contacts avec les religions non-chrétiennes » (n. 53). Vous êtes conscients de la délicatesse de votre œuvre. Elle doit être poursuivie avec joie et générosité et sans crainte, mais aussi avec la lumineuse conviction que le dialogue est, selon les propres termes de Paul VI, « Une manière d’accomplir la mission apostolique ; un bel exemple de communication spirituelle » (Ecclesiam suam : AAS 56, 1964. p. 644).

Il est essentiel, pour le dialogue, d’être pleins de respect et d’estime « pour l’autre » et ceci au plus profond de son cœur. Il faut ajouter à cela du discernement et des connaissances sincères et profondes, qui ne peuvent être puisées seulement dans les livres. Elles exigent de la sympathie, de la compréhension. Le seul langage vraiment parfait est celui de l’amour. Et c’est précisément parce que le langage ne saurait être efficace sans l’amour qu’il est nécessaire et urgent, comme je l’ai écrit dans mon encyclique,  que la mission et le dialogue, en ce qui concerne les non-chrétiens, soient réalisés par les chrétiens en communion et collaboration avec chacun des autres (cf. Redemptor hominis, 6, 11). Aussi, suis-je particulièrement heureux de savoir que participent à votre assemblée plénière des représentants qualifiés de l’Église grecque orthodoxe et du Conseil mondial des Églises.

Soyez donc les bienvenus et que Dieu vous bénisse pour cette collaboration. A vous tous, chers frères de l’épiscopat, prêtres et collaborateurs du Secrétariat pour les non-chrétiens, j’adresse mes meilleurs vœux et j’invoque sur vous les bénédictions de Jésus-Christ ressuscité de la mort, « le Rédempteur de l’homme... le centre de l’histoire et de l’univers ».

 

 

 

5 mai 1979

AU CONGRÈS ITALIEN DE LA PASTORALE FAMILIALE

 

Le 5 mai, le Saint-Père a reçu en audience les participants au congrès sur la Pastorale familiale organisé par la Conférence épiscopale-, italienne. A ses visiteurs qu’accompagnait S. Exc. Mgr Fiordelli, évêque de Prato et directeur de la commission pour la Famille de la C.E.I., le Saint-Père à adressé un discours dont voici la traduction :

 

C’est avec grande joie que j’adresse un salut particulier aux participants au congrès sur la Pastorale de la famille, actuellement réunis à Rome, et spécialement à mes chers frères de l’épiscopat qui y prennent part.

Je vous remercie, très chers amis, pour cette visite qui, si elle vous offre la possibilité de renouer vos liens de fidélité et de communion avec le successeur de Pierre, me permet à moi de vous adresser brièvement quelques mots concernant un thème d’importance vitale pour la société et pour l’Église de notre époque.

Il est certain que le congrès actuel sur la pastorale familiale regarde un aspect central de la vie et de la responsabilité des baptisés. Son caractère d’actualité est doublement confirmé, tant du point de vue positif que du point de vue négatif. D’une part, en effet, vous devancez au moins partiellement, l’examen du thème d’un important événement ecclésial, celui du futur synode des évêques, qui traite précisément des « fonctions de la famille chrétienne dans le monde contemporain ». D’autre part, une sérieuse réflexion sur ce thème s’impose pour la raison facile à constater que l’actuel climat psychologique, social et idéologique a souvent comme effet de jeter le trouble dans le mariage et dans la vie conjugale.

J’ai donc le devoir de louer et d’encourager toute initiative ayant pour but de sauvegarder, d’éduquer et de promouvoir d’abord la prise de conscience et puis la réalisation pratique des devoirs qui conditionnent les relations mutuelles entre les familles chrétiennes et la communauté ecclésiale. Il me plaît de vous répéter, parce qu’universellement valable, ce que j’ai dit à Puebla aux évêques de l’Amérique latine : « Faites tous vos efforts pour avoir une pastorale de la famille. Consacrez-vous à ce secteur absolument prioritaire, assurés qu’à l’avenir l’évangélisation dépendra en grande partie de l’Église domestique ». C’est ce qu’exprimé bien également le récent document de la Conférence épiscopale italienne sur « Évangélisation et sacrement du mariage » lorsqu’il affirme que « la famille ne doit pas être seulement le terme de l’action responsable des diverses structures de la société civile, mais elle doit devenir une collaboratrice responsable » (n. 117). Pour que cela se réalise, il faut promouvoir une efficace éducation à la maturité intégrale, humaine et chrétienne des époux, de leurs enfants, et des uns et des autres ensemble.

Dans un monde où la fonction portante de nombreuses institutions semble vaciller, où la qualité de la vie, urbaine surtout, se détériore de manière effrayante, la famille peut et doit devenir un lieu d’authentique sérénité et d’harmonieuse croissance, et ceci, non pour s’isoler des autres et vouloir orgueilleusement se suffire à soi-même, mais pour démontrer lumineusement au monde à quel point sont possibles;la récupération et la promotion intégrale de l’homme si celles-ci ont leur point de départ et de référence dans la saine vitalité de la cellule primordiale du tissu civil et ecclésial : la famille.

Il est donc nécessaire que la famille se transforme de plus en plus en une communauté d’amour pour pouvoir surmonter, dans un climat de fidélité et de concorde, les épreuves découlant des préoccupations quotidiennes ; en une communauté de vie, pour engendrer et cultiver joyeusement de nouvelles et précieuses existences humaines à l’image de Dieu ; en une communauté de grâce qui fasse constamment du Seigneur Jésus Christ son propre centre de gravité, de manière à féconder les occupations de chacun et retrouver sans cesse un renouveau d’ardeur dans la démarche de chaque jour.

Et à vous qui, de manière qualifiée, vous consacrez à des problèmes si délicats, j’adresse mes louanges et mes encouragements les plus cordiaux, en souhaitant que vos rudes efforts soient vraiment féconds en vue de réaliser, grâce à l’influence de familles chrétiennes renouvelées dans le Christ, un nouveau dynamisme de l’Église et un bien-être général de la société humaine.

En gage de ces vœux, je vous donne ma paternelle bénédiction apostolique à vous tous et à ceux qui collaborent à votre précieux travail.

 

 

 

5 mai 1979

AU PÈLERINAGE DE LA JEUNESSE SALESIENNE

 

Le 5 mai, Jean Paul II a reçu en audience, place Saint-Pierre, quelque 30000 élèves, garçons et filles, qui fréquentent les écoles et instituts des salésiens et des filles de Marie Auxiliatrice, venus en pèlerinage à Rome pour célébrer le 25° anniversaire de la canonisation de saint Domenico Savio. Voici la traduction du discours que le Saint-Père a adressé aux jeunes pèlerins salésiens :

 

Très chers jeunes,

 

1. Je vous adresse des souhaits de bienvenue paternels et joyeux, chers garçons et filles qui fréquentez les œuvres des salésiens et des filles de Marie Auxiliatrice, venus ici pour rencontrer et écouter le pape et représenter près de lui tous tes jeunes qui font partie des associations religieuses, des écoles, des centres professionnels, des groupes culturels, récréatifs et sociaux, animés et dirigés par les fils de Don Bosco.

A vous tous ici présents, à tous vos amis et compagnons, à toute la jeunesse salésienne qui depuis plus d’un siècle poursuit sa marche ardente et courageuse le long des sentiers du monde, j’adresse un salut affectueux, chargé d’émotion et d’espérance : vous êtes l’espérance, l’attente d’un lendemain plus juste, plus digne, plus pacifique. Le pape regarde vers vous avec une grande confiance qui, à travers vous, s’étend à l’humanité tout entière. Je vous remercie pour cette grande manifestation d’affection et, en échange d’un tel enthousiasme irrépressible, je vous adresse un seul salut : vive la jeunesse salésienne !

Fidèles à l’esprit de Don Bosco, grand saint et éducateur insigne, vous voulez rendre hommage au successeur de Pierre et lui confirmer la fidélité de votre amour et de votre service à l’occasion du XXV° anniversaire de la canonisation de Domenico Savio, un jeune garçon de l’oratoire de Valdocco, élève préféré et fruit précieux de l’œuvre formatrice de « Mamma Margherita ».

Vous êtes, pour toute la durée de cette année, engagés dans une ample série d’initiatives, tant dans les divers centres locaux qu’au niveau national, afin de donner un nouvel et vigoureux élan aux associations juvéniles d’inspiration chrétienne et d’approfondir le système d’éducation de Don Bosco, en appliquant ses principes de base, ses principes-clé aux exigences des temps modernes.

Vous attendez du pape une parole d’orientation et d’encouragement pour cette action juvénile renouvelée dans le cadre de l’Italie et je suis ici avec vous, avant tout pour invoquer les lumières de l’esprit du Seigneur sur cette importante initiative que l’Église et ses pasteurs ont tant à cœur.

 

2. La première indication que je veux vous donner est une invitation à l’optimisme, à l’espérance et à la confiance. Il est vrai que l’humanité traverse un moment difficile et qu’on a souvent la triste et angoissante impression que les forces du mal l’emportent dans de nombreuses manifestations de la vie en association. Trop souvent l’honnêteté, la justice, le respect de la dignité humaine doivent marquer le pas ou en sortent défaits. Et pourtant, nous sommes appelés à vaincre le monde par notre foi (cf. 1 Jn 5, 4) parce que nous appartenons à celui qui, par sa mort et sa résurrection a obtenu pour chacun de nous la victoire sur le péché et sur la mort, et nous a rendus capables, en conséquence, d’une affirmation humble, sereine, mais certaine et assurée du bien sur le mal.

Chers jeunes gens, nous sommes les siens, nous sommes du Christ, et c’est lui qui vainc en nous. Nous devons je croire profondément, nous devons vivre une telle certitude ; autrement les difficultés sans cesse renaissantes parviendront, malheureusement, à glisser dans nos esprits ce ver insidieux qui s’appelle découragement, accoutumance, soumission passive à la domination du mal.

La tentation la plus subtile qui assaille aujourd’hui les chrétiens, et particulièrement les jeunes, est précisément celle de renoncer à l’espérance dans la victorieuse affirmation du Christ. L’inspirateur de toutes embûches, le Malin, s’est employé en tout temps à éteindre dans le cœur de tout homme la lumière d’une telle espérance. La voie de la milice chrétienne n’est pas une voie facile mais nous devons la parcourir, sachant que nous possédons une force intérieure de transformation reçue avec la vie divine qui nous a été donnée dans le Christ Seigneur. En vertu de votre témoignage, vous ferez comprendre que les plus hautes valeurs sont assumées dans un christianisme vécu avec cohérence et que la foi évangélique ne propose pas seulement une vision nouvelle de l’homme et de l’univers, mais qu’elle donne surtout la capacité de réaliser un tel renouvellement.

A ce propos, je vous rappelle les paroles qu’à la conclusion du concile œcuménique, les Pères conciliaires ont adressées à la jeunesse : « L’Église regarde vers vous avec confiance et amour... Elle possède ce qui fait la force et la beauté des jeunes : la capacité de se réjouir pour ce qui commence, de se donner avec générosité, de se renouveler et de repartir vers de nouvelles conquêtes. »

Sans l’espérance et la certitude de la victoire du Christ en vous et dans le monde qui vous entoure, il ne saurait y avoir d’optimisme pour vous, et sans optimisme ne pourrait subsister cette joie sereine qui est propre aux jeunes. Il y a encore aujourd’hui trop déjeunes qui ont déjà renoncé à la jeunesse.

 

3. La seconde suggestion, que vous fait le pape, à vous et à tous ceux qui veillent à votre éducation humaine et chrétienne, concerne l’urgente nécessité d’une renaissance — éprouvée à peu près sous toutes les latitudes — de vigoureuses associations juvéniles catholiques

Il ne s’agit pas de créer des organisations militantes dépourvues d’élan idéal et basées sur la force du nombre, mais d’animer de véritables communautés, imprégnées d’un esprit de bonté, de respect mutuel et de service, et surtout rendues compactes par une même foi, par une unique espérance. Même lorsqu’elles participent à l’aisance que leur offre la civilisation de consommation, les jeunes générations actuelles se rendent compte que toutes ces prodigalités cachent une séduction illusoire et que l’on ne peut pas se contenter de jouir simplement de l’opulence matérialiste.

Vous êtes sans cesse à la recherche — et vivre celle-ci est déjà correspondre à la vocation chrétienne — à la recherche, dis-je, de la véritable valeur de votre vie, de votre responsabilité personnelle. Or, dans une telle recherche, on ne saurait procéder isolément, précisément à cause de la fragilité de l’individu exposé aux attaques les plus variées. Dans l’adhésion à un groupe, dans la spontanéité et l’homogénéité d’un cercle d’amis, dans la confrontation constructive des idées et des initiatives, dans le soutien mutuel, peut s’établir et se conserver la vitalité de ce renouvellement social auquel vous aspirez tous.

Vous, les jeunes, vous, tendez à la réalisation d’un précieux objectif : celui de la contemplation communautaire, de la conversation, de l’amitié, de l’art de donner et de recevoir de l’amour. Les associations de jeunesse recommencent à fleurir. Le pape vous exhorte à être fidèles, perspicaces, riches d’esprit génial dans l’effort de donner un souffle toujours plus ample à ces groupements. C’est un appel pressant que j’adresse à tous les responsables de l’éducation chrétienne de la jeunesse, c’est-à-dire celle des hommes de demain.

 

4. Chers jeunes, chers amis, où trouverez-vous la force de soutenir votre optimisme, de donner une âme à vos associations ? Le 8 décembre 1854, à l’occasion de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception, Domenico Savio, agenouillé devant l’autel de Marie — comme l’atteste Don Bosco — renouvela les promesses de la première communion, disant notamment : « Marie, je vous donne mon cœur, faites qu’il soit toujours vôtre ; Jésus et Marie, soyez toujours mes amis. » Voilà, très chers fils, où puiser la force pour vos programmes de renouvellement: Jésus et Marie. Ils ne sent pas seulement des modèles, ils sont des amis, et, plus encore, ils sont une partie de votre vie. Vous leur appartenez : eux, ils vous appartiennent. Il s’agit de le savoir et d’y croire.

Jésus est le Messie de toute époque, également de cette veille prometteuse des années deux mille ; lui, il est l’Homme de l’espérance, l’Homme-pivot de l’humanité. Il est celui qui dévoile et accomplit en nous les prophéties divines de libération personnelle et sociale. Lui, il est le Libérateur, l’Homme-Dieu de notre salut. Votre juvénile engagement de vie, dans toutes ses expressions, à l’étude et au travail, en famille et en société, doit vous mener à reconnaître intérieurement et à proclamer que Jésus est celui qui fonde la valeur, la joie et l’espérance de chaque homme. Ayez l’intelligence et le courage — l’Église et le pape vous le demandent — de faire de votre vie une proclamation et un témoignage du Christ notre salut.

Un mot encore sur Marie, Mère de Jésus et Mère de l’Église, à la protection amoureuse de laquelle Dieu a voulu confier, en raison de son « oui » obéissant, les destinées de l’humanité tout entière. Le Fils lui a assigné la tâche maternelle d’implorer pour nous un salut individuel et collectif.

Chers jeunes gens, la renaissance à notre époque d’authentiques valeurs chrétiennes, comme la fraternité, la justice et la paix, est confiée encore une fois à l’intervention et à la pédagogie maternelle de Marie. Et pour nos jours également, Marie est Mère de la divine grâce, Reine de la victoire...

 

5. Je termine ce discours en vous invitant à la force chrétienne, une vertu qui s’adapte de manière toute particulière aux jeunes. Soyez d’intrépides témoins du Christ ressuscité ; ne reculez jamais devant les obstacles qui se dressent sur le sentier de votre vie de chrétiens.

Optimisme, union, force : voilà le souhait que je vous adresse en vous exprimant de nouveau ma gratitude pour cette visite qui m’a apporté tant de joie.

Étendant mes salutations à tous ceux qui vous accompagnent et spécialement aux membres du Conseil supérieur des salésiens et des filles de Marie Auxiliatrice, à vos parents et à vos familles, j’invoque pour vous tous l’abondance des faveurs et des joies célestes, pendant que de tout cœur, je vous donne ma bénédiction apostolique.

 

 

 

16 mai 1979

SAINT STANISLAS, TÉMOIN DE LA POLOGNE CATHOLIQUE

 

Aux pèlerins polonais

On imagine facilement l’enthousiasme des quelque six mille pèlerins polonais que le pape a reçus en audience le 16 mai. A l’adresse d’hommage du cardinal Wyszynski, Jean Paul II a répondu par un discours dont voici la traduction :

 

Très chers compatriotes,

 

1. A l’occasion de cette rencontre exceptionnelle, je désire vous saluer avec les paroles du souhait chrétien : Loué soit Jésus-Christ !

Et je désire saluer en même temps que vous le cardinal Stefan Wyszynski, ici présent, primat de Pologne, protecteur de l’assistance pastorale des Polonais de l’émigration en qui nous voyons tous l’exceptionnel et vivant symbole de l’unité des Polonais dans la patrie et dans le monde entier. Avec le cardinal primat je salue les pasteurs de l’Église de Pologne présents à cette audience : Henri Gulbinowicz, archevêque de Wroclaw, Casimir Majdanski, évêque de Szczecin-Kamien, Joseph Glemp, évêque de Warmia, Bronislaw Dabrowski, secrétaire de la Conférence épiscopale de Pologne, Jean Wosinski, évêque auxiliaire de Ploch.

Je salue en particulier, et cordialement, l’évêque Wladislaw Rubin, secrétaire général du synode des évêques, délégué du cardinal primat pour l’assistance pastorale des Polonais de l’émigration et l’évêque Szczepan Wesoly, coadjuteur de l’évêque Rubin dans cette mission.

Je salue tous ceux qui s’occupent de l’assistance pastorale des Polonais dans le monde ; je salue également les religieuses ici présentes avec tous les représentants de la Pologne, venus des cinq continents, de vingt pays du monde.

C’est à l’occasion du grand jubilé de saint Stanislas qu’il a été possible de réaliser cette rencontre exceptionnelle, un grand jubilé célébré tous les cent ans pour commémorer sa mise à mort en 1079 par le roi Boleslas lui-même. La dernière fois, il a été célébré en 1889 à Cracovie, en Pologne et dans le monde entier. La Providence divine a accompli des faits si prodigieux que le jubilé actuel est célébré par la Pologne et par les Polonais de l’émigration avec le pape, un pape qui encore récemment était le successeur de saint Stanislas au siège épiscopal de Cracovie, Le pape même qui, en ce temps-là, préparait avec le cardinal primat, l’épiscopat polonais et les évêques qui sont à Rome le programme des célébrations de ce jubilé tant à Cracovie que dans la Ville éternelle.

 

2. Diverses circonstances établissent que le neuvième centenaire du martyre de l’évêque de Cracovie devait avoir un relief particulier également à Rome. Parmi ces circonstances, celle-ci est spécialement importante : en tant que patron de la Pologne, saint Stanislas est en particulier témoin du millénaire de notre baptême ; ce millénaire a été vécu dans une communion ininterrompue avec la chaire de Pierre à Rome. La canonisation de saint Stanislas a eu lieu à Assise en 1253 et c’est également pour cette raison que nos pensées doivent se tourner vers la « terre Italienne » qui, par des liens culturels et historiques, a démontré tant et tant de fois au cours des siècles qu’elle était très proche de la Pologne. Une autre circonstance particulière est l’anniversaire de l’institution qui porté depuis son origine le nom de saint Stanislas. Je me réfère à l’Hospice polonais de Rome, voisin de l’église Saint-Stanislas, dont nous devons l’origine — il y a quatre cents ans — au serviteur de Dieu le cardinal Stanislas Hozjusz, évêque de Warmia, un des légats pontificaux au concile de Trente. L’église et l’hospice Saint-Stanislas sont un signe particulier de la présence historique de la Pologne à Rome.

 

3. C’est un Signe très important à notre époque. Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, le Centre pour l’assistance pastorale des Polonais à l’étranger a son siège à côté de l’église Saint-Stanislas. C’est dans le centre voisin de cette église que, jusqu’en 1964, a travaillé comme directeur, l’archevêque Joseph Gawlina, auquel a succédé l’évêque Wladislas Rubin. Le cardinal Hozjusz a fondé cet hospice romain pour les pèlerins venant à Rome. C’étaient les temps de la première République de Pologne, les dernières années du siècle d’or de l’histoire polonaise. On peut penser que ce n’est pas seulement les pèlerins qui avaient ici leur hospice, mais proprement la Pologne : cette nation unie depuis tant de siècles à l’Église catholique a eu à Rome une maison qui rendait témoignage de sa présence parmi les autres nations catholiques d’Europe.

A la fin du XIX° siècle, puis au cours du XX°, de douloureux changements sont intervenus dans notre pays et dans notre État, et de nombreux fils de notre Patrie ont dû émigrer. Au début ce fut une émigration politique, idéologique et culturelle. Ce n’est que plus tard qu’elle eut pour cause la recherche de travail ; et alors, des millions de Polonais pauvres, généralement de la campagne, ont émigré pour la plupart outre-océan. A peu près à l’époque de ce grand mouvement migratoire a éclaté le deuxième conflit mondial. La guerre a surpris, loin de leur patrie, de nombreux fils et filles de Pologne et ceux-ci, pour leur patrie et son indépendance, ont offert leur vie sur tous les fronts du monde. Et après la guerre, ils n’ont pu retourner en Pologne, la patrie pour laquelle ils avaient combattu.

Et, ainsi, on recommence de nos jours à écrire de nouveaux livres sur les pèlerinages polonais, comme l’a fait Mickiewick C’est dans cette nouvelle série que nous devons inscrire notre rencontre d’aujourd’hui. Laissons à la divine Providence le soin de donner une signification importante à cette rencontre de compatriotes venus du monde entier avec le pape polonais, car il n’est personne parmi nous qui puisse le faire. Pour lui donner sa pleine signification, nous devrions posséder la connaissance du passé et du futur. La connaissance du futur dépend totalement de la Sagesse et de la Puissance de Dieu.

 

4. Et à présent, arrêtons-nous sur ce point qui nous permet de reparcourir notre histoire et aussi de connaître le présent : de notre rencontre, nous devons tirer des motifs fondamentaux qui nous conduisent directement au grand anniversaire de saint Stanislas. La tradition médiévale nous enseigne qu’il est un exceptionnel patron des Polonais. Cette Pologne des Piast qui a été dispersée devait avoir ce patron de l’unité de la Patrie, non seulement pour rester unie, mais surtout pour avancer sur une voie de progrès. Nous savons que ce développement a débuté à la fin du XIV° siècle, quand l’unité se fit, d’abord autour de la couronne de Wladyslaw Lokietek, puis de celle de Kasimierz Wielki. En ce temps-là commence la période de l’universalisme polonais marquée par d’importants événements comme la fondation de l’université de Cracovie (1364), le début de la dynastie jagellonienne, l’œuvre prévoyante de la bienheureuse reine Jadwiga, l’union polono-lithuanienne, le grand développement de la culture humaniste chrétienne. Ce sont les fruits produits par le baptême de la Pologne, tels qu’ils se sont révélés précisément en ce moment historique.

Universalisme signifie appartenance à la communauté humaine, plus ample que la propre nation. Il signifie aussi la maturité de cette nation qui lui donne un quasi plein droit de cité parmi toutes les nations du monde. L’universalisme a un caractère profondément humaniste et nous y voyons également un exceptionnel reflet chrétien qui tend à unir les hommes en se basant sur le plein respect de leur dignité, de leur être, de leur liberté et de leurs droits. Nous avons tous le même Père.

 

5. Notre rencontre exceptionnelle d’aujourd’hui doit nous faire espérer qu’avec la grâce de Dieu et par l’intercession de Marie, Mère de l’Église, comme l’est Notre-Dame de Jasna Gôra, reine de la Pologne, des saints Stanislas et Adalbert et de tous les saints et bienheureux polonais, jusqu’au bienheureux Maximilien Kolbe et à la bienheureuse Marie-Thérèse Ladochowska, nous réussirons tous, où que nous nous trouvions, à rendre témoignage de la maturité de la Pologne, à rendre plus fort notre droit de citoyens parmi toutes les nations d’Europe et du monde et servir ce noble but : témoigner l’universalisme chrétien.

J’ai souvent eu, par le passé, l’heureuse possibilité de visiter les principaux centres de l’émigration polonaise. Aujourd’hui, chers compatriotes, je vous prie d’agréer la bénédiction de la main du pape, du primat de Pologne et des évêques ici présents, qui représentent l’épiscopat polonais, et de l’apporter à vos familles, à vos communautés, à vos paroisses, dans les milieux de votre travail, comme souvenir de cette rencontre qui demeurera toujours dans mon cœur.

 

 

 

14 juin 1979

AUX MEMBRES DU ROTARY INTERNATIONAL

 

Le pape Jean-Paul II, après avoir écouté l’adresse d’hommage prononcée par le président du « Rotary international », l’australien Clem Renuof, a répondu par un discours en anglais dont voici la traduction :

 

Chers amis,

 

Suivant l’exemple de mon prédécesseur, Paul VI, je suis heureux d’adresser cordialement la bienvenue aux membres du Rotary international. C’est un plaisir pour moi d’avoir l’occasion de poursuivre au plan international la conversation que Paul VI a commencée avec vous il y a des années à Milan et qu’il a poursuivie à Rome. Je suis, moi aussi, désireux de réfléchir avec vous sur l’importance et sur la valeur de vos objectifs et de vos activités.

Votre présence ici aujourd’hui manifeste une grande potentialité de bien faire. Vous venez de nations et de cultures nombreuses et différentes. Vous apportez avec vous une vaste expérience dans le domaine économique, industriel, professionnel, culturel et scientifique. Dans la solidarité de votre association vous trouvez un encouragement réciproque et vous y partagez un engagement en faveur du bien commun. Si l’on vous observe avec grand intérêt et une attention pénétrante il semble que vous offrez, avec sincérité et générosité, vos talents, vos ressources et vos énergies au service de l’homme.

A condition que vous poursuiviez cet idéal élevé qui vous pousse à rejoindre partout les hommes, je suis certain que vous continuerez à y trouver votre satisfaction et votre accomplissement humain. Certainement, dans votre action même de don, d’aide, d’encouragement aux autres dans leur propre développement, vous puisez un enrichissement pour vous-mêmes. En manifestant un engagement toujours plus grand pour la cause de l’homme, vous appréciez toujours plus la dignité inégalée et la grandeur de l’homme en même temps que sa réelle fragilité et vulnérabilité. Aussi pour ce qui est de vos efforts et de vos initiatives pour le bien de l’homme vous pouvez être assurés de la compréhension et de J’estime de l’Eglise catholique.

L’Église est l’alliée volontaire de ceux qui veulent promouvoir le bien-être de l’homme, car elle est irrévocablement engagée en faveur de cette cause en vertu de sa nature et de son mandat. Dans ma première encyclique, j’ai souligné la relation qui existe entre la mission de l’Église et l’homme quand j’ai dit : « L’homme dans la pleine vérité de son existence, de son être personnel, ainsi que dans son existence communautaire et sociale — dans la sphère de sa propre famille, dans la sphère de la société et dans des contextes très divers, dans la sphère de sa nation ou de son peuple... et dans la sphère de l’humanité entière — cet homme est la première voie que l’Église doit parcourir pour remplir sa mission : l’homme est la voie primordiale et fondamentale, voie tracée par le Christ lui-même... » (Redemptor hominis, 14). Du fait de cette sollicitude de l’Église pour l’homme dans sa réalité concrète, permettez-moi d’ajouter un mot d’encouragement particulier pour votre programme actuel qui circonscrit vos préoccupations pour « Health, Hunger, Humanity » (la santé, la faim, l’humanité). Ce programme est conçu comme votre manière spécifique d’engager votre coopération au progrès spirituel et matériel de la société pour la défense de la dignité humaine, l’application des principes d’une conduite droite, et l’exemple de l’amour fraternel. Que ce programme ainsi conçu soit une contribution durable en faveur de l’homme de la part du Rotary international.

Ces trois mots eux-mêmes ouvrent des perspectives étendues et suggèrent beaucoup à l’ingéniosité de votre esprit de service. Alors que le monde moderne produit toujours davantage de médicaments de, qualité, de grands nombres d’hommes sont encore dans un grave besoin de soins médicaux élémentaires. Malgré les magnifiques efforts et les belles réalisations, le domaine de la médecine préventive reste dans une large mesure un pari perdu. La dignité de l’homme demande également un souci compétent et vraiment attentif dans le secteur de la santé mentale — c’est tout un domaine où de nouveau nous nous trouvons en face de la fragilité et de la vulnérabilité humaines et où une action énergique et soutenue en faveur de la grandeur et de la dignité de l’homme est extrêmement nécessaire.

La faim, largement répandue, reste aujourd’hui l’une des expressions patentes de la quête inachevée de l’homme vers le progrès et vers la maîtrise de la création. Des millions d’enfants pleurent aux oreilles du monde et réclament de la nourriture. Et en même temps des millions d’hommes sont forcés de supporter dans leur corps et dans leur esprit le résultat du manque d’une nourriture convenable au temps de leur jeunesse. Ils présentent au témoignage de l’histoire la cicatrice permanente d’une condition physique ou mentale diminuée ou sévèrement handicapée. Pour tous ceux qui veulent regarder la réalité, la faim est très réelle ; et en même temps la faim présente de très nombreux visages. L’homme a faim de nourriture et, cependant, il réalise qu’il ne vit « pas seulement de pain » (cf. Dt 8, 3 ; Mt 4, 4). L’homme est également affamé de la connaissance de son Créateur qui dispense tous les dons ; il est affamé d’amour et de vérité. L’homme a faim d’être compris ; il implore la liberté et la justice, une paix véritable et durable.

Chers membres du Rotary, n’est-ce pas un domaine immense que celui dans lequel vous avez de si nombreuses occasions de vous dépenser pour vos frères humains ? Et quant aux autres paris qui relèvent de la quête pour une avancée humaine — aussi bien dans le domaine du développement que celui de la libération — ils peuvent se regrouper dans votre troisième catégorie : l’humanité — l’amélioration de l’humanité. Travailler pour l’humanité, servir les hommes et les femmes partout, est un but splendide surtout quand c’est par amour.

Ici personne ne sera surpris si dans mes réflexions, j’ajoute un mot en m’adressant spécialement à ceux des membres du Rotary qui sont reliés à moi par la foi chrétienne. Précisément au moment où il parlait du progrès de l’homme et du développement des peuples, Paul VI proclamait sa conviction qui est aussi la mienne et celte des chrétiens de partout : « Du fait de son union au Christ, source de la vie, l’homme atteint à un nouveau développement de sa personne, il accède à un humanisme transcendant qui lui donne sa plus grande perfection possible : ceci est le but le plus élevé du développement de la personne » (Populorum Progressio, 16). Et c’est à ce « nouvel accomplissement » et à cet « humanisme transcendant » que je désire rendre témoignage aujourd’hui, en les présentant comme le complément de tout ce que vous faites dans votre noble et digne programme de service. En considérant l’homme comme « la voie primordiale et fondamentale pour l’Église » (Redemptor hominis, 14) je ne puis que proclamer que « Jésus-Christ est la voie principale pour l’Église » (ibidem, 13).

Enfin, je vous demanderai de bien vouloir porter à tous les membres du Rotary international, à tous vos collègues dans le monde, l’expression de mon estime pour les efforts que vous accomplissez en faveur de l’humanité. Puisse votre généreux service faire honneur à vos pays respectifs et se refléter dans la joie de votre vie quotidienne. Mes salutations spéciales vont à vos enfants et aux personnes âgées qui sont restées chez vous et je prie aux nombreuses intentions que vous portez dans vos cœurs. Que Dieu soutienne le Rotary international dans sa noble cause du service de l’humanité — d’une humanité dans le besoin.

 

 

 

23 juin 1979

A LA DÉLÉGATION DE L’ÉGLISE COPTE-ORTHODOXE

 

Au cours de l’audience accordée fin juin à une délégation de l’Église copte-orthodoxe d’Alexandrie, envoyée par S.S. Shenouda III, pape d’Alexandrie et patriarche du siège de Saint-Marc (Egypte), Jean Paul II a prononcé un discours dont voici la traduction :

 

Mes chers frères en le Christ,

 

C’est avec grande joie que je vous accueille, hôtes distingués et honorables délégués de mon frère, Sa Sainteté le patriarche d’Alexandrie Shenouda III. Je lui suis reconnaissant pour le fait qu’il vous ait envoyés ici et pour les chaleureuses paroles de salutation et d’amour fraternel qu’il m’a adressées par votre intermédiaire. C’est une source de réconfort et d’encouragement.

Comme elles sont admirables les voies du Seigneur ! Elles nous permettent de confesser aujourd’hui notre foi commune en Jésus-Christ, son divin Fils, vrai Dieu et vrai Homme, qui mourut et ressuscita et qui, par son Esprit, vit dans son Église, le Corps dont il est la tête et le guide. Nous nous réjouissons ensemble parce que les doutes et les suspicions du passé ont été surmontés, tant et si bien que nous pouvons proclamer de nouveau ensemble cette vérité fondamentale de notre foi chrétienne.

Dès les tout premiers jours de mon élection comme évêque de Rome, j’ai considéré qu’une de mes tâches principales était de me prodiguer pour réaliser l’unité de tous ceux qui portent le saint nom de chrétien. Le scandale de la division doit être résolument surmonté afin de pouvoir réaliser dans la vie de nos Églises et dans notre service envers le monde la prière du Seigneur de l’Église : « Que tous soient un ». J’ai déjà souligné vivement ceci en de nombreuses occasions. Je vous le répète à nouveau car ce qui est en cause ici est la communion entre deux Églises apostoliques comme les nôtres.

Je sais qu’une des questions fondamentales du mouvement œcuménique est la nature de cette pleine communion que nous cherchons avec chaque autre, ainsi que le rôle que, par dessein de Dieu, l’évêque de Rome doit jouer au service de cette communion de foi et de vie spirituelle, nourrie par les sacrements et exprimée en charité fraternelle. Un grand progrès a été réalisé dans l’approfondissement et l’intelligence de cette question. Il reste beaucoup à faire. Je considère votre visite à moi-même et au siège de Pierre comme une importante contribution à la solution définitive de cette question.

L’Église catholique base ses dialogues de foi et de charité avec l’Église copte-orthodoxe sur les principes proclamés par le concile Vatican II, spécialement dans la constitution sur l’Église Lumen Gentium et le décret sur l’œcuménisme Unitatis Redintegratio. Je suis heureux de prendre à mon compte les énoncés contenus dans la déclaration commune signée en 1973 par mon vénéré prédécesseur le pape Paul VI et par le pape Shenouda III et les encouragements successifs que depuis cette époque le Saint-Siège a donnés à ce dialogue.

Est fondamentale pour ce dialogue la reconnaissance du fait que la richesse de l’unité dans la foi et la vie spirituelle doit s’exprimer sous des formes diverses. Unité — au niveau universel comme au niveau local — ne signifie pas uniformité ou absorption d’un groupe par un autre. Elle est plutôt au service de tous les groupes pour les aider à mieux vivre les propres dons qu’ils ont reçus de l’Esprit de Dieu. C’est un encouragement à aller de l’avant avec confiance et sécurité sous la conduite de l’Esprit-Saint. Quelles que soient, les amertumes héritées du passé, et quels que soient les tensions et les doutes pouvant encore exister actuellement, le Seigneur nous invite à poursuivre avec une confiance et un amour mutuels. Si la véritable unité doit être réalisée, elle sera le résultat de la coopération entre les pasteurs au niveau local, de la coopération à tous les niveaux de la vie de nos Églises, de sorte que nos fidèles puissent progresser dans la compréhension, dans la confiance et l’amour, chacun pour l’autre. Sans que personne tente de dominer l’autre, mais afin de servir l’autre, tous grandiront ensemble dans cette unité parfaite pour laquelle Notre Seigneur a prié la nuit qui précédait sa mort (Jn 17) et pour laquelle l’apôtre Paul nous exhorte à travailler avec diligence (Ep 4, 11-13).

De nouveau, mes remerciements pour votre visite. Mes pensées et mes prières se tournent vers mon frère le pape Shenouda III, vers les évêques, le clergé et les fidèles de votre Église ; et, en union avec mes frères les évêques et les fidèles de l’Église catholique en Egypte, prions et travaillons pour la pleine communion ecclésiale qui sera pour nous tous un don de Dieu.

 

 

 

22 juin 1979

AUX PRÊTRES DU SACRÉ-CŒUR DE JÉSUS

 

Le 22 juin, le Saint-Père a reçu en audience le Chapitre général de la congrégation du Sacré-Cœur de Jésus, réuni depuis près d’un mois. Au groupe où figuraient notamment le nouveau supérieur général, le R.P. Antonio Ponteghini et les membres du conseil général nouvellement élu, Jean Paul II a adressé un discours dont voici la traduction :

 

Très chers frères,

 

1. Je veux vous dire ma joie sincère pour notre rencontre et surtout pour la circonstance particulière qui intéresse l’ensemble de votre congrégation : depuis un mois se déroule votre Chapitre général au cours duquel vous avez élu le nouveau conseil général et le nouveau supérieur général, le R.P. Antonio Panteghini auquel j’adresse mes cordiales et affectueuses félicitations. En outre, soutenus par la prière de tous vos confrères épars dans le monde et animés par votre charisme spécial, vous avez médité sur la vie de votre congrégation qui depuis un siècle donne sa contribution en spiritualité et initiatives apostoliques à la vie de tout le peuple de Dieu.

Mais votre rencontre avec le pape acquiert aujourd’hui une nouvelle et particulière importance parce qu’elle intervient au moment de la fête liturgique du Sacré-Cœur de Jésus qui a donné à votre Institut le nom et l’inspiration. L’Église entière célèbre aujourd’hui l’Amour divin et humain du Verbe incarné et l’Amour que le Père et le Fils nourrissent pour l’homme. C’est la fête de l’Amour infini de Dieu, un et trine dont Jésus, avec le flanc transpercé sur la croix (cf. Jn 19, 31-37) est la Révélation suprême et définitive.

 

2. Vous êtes — et devez être toujours — « Prêtres du Sacré-Cœur de Jésus ». Ainsi l’a voulu votre fondateur, le serviteur de Dieu, le Père Léon-Jean Dehon, qui a voulu instituer une congrégation dédiée entièrement à l’amour et à la réparation du Sacré-Cœur. Comme on le sait, votre fondateur qui a vécu durant une période historique — de 1843 à 1925 — caractérisée par de nombreuses et diverses transformations spirituelles, culturelles, politiques et sociales, a su être un prêtre à la vie intérieure intense et profonde et, en même temps, un apôtre infatigable de l’action sociale, fidèle aux directives des grandes encycliques de mon prédécesseur Léon XIII.

« L’esprit de la congrégation — écrivait le Père Dehon à ses fils dans une de ses Lettres circulaires — est un amour ardent envers le Sacré-Cœur et une fidèle imitation de ses vertus, principalement de l’humilité, du zèle, de la douceur, de l’esprit d’immolation ; et un zèle inlassable à susciter des amis et des réparateurs qui le consolent avec leur propre amour. » Ces paroles sont une admirable synthèse de tout le programme de votre institut et elles ont maintenu intacte toute la charge qui s’y renferme et leur caractère encore parfaitement actuel.

Que Jésus-Christ soit donc au centre de votre vie, de vos idéaux, de vos intérêts, de vos objectifs. Par la parole, par la prédication, par les écrits, par les moyens de la communication sociale, propagez « la Largeur, la Longueur, la Hauteur, la Profondeur » (cf. Ep 3, 18 et suiv.) de l’amour du Christ qui « surpasse toute connaissance » (ibid.) ; mais, tout particulièrement, prêchez-le et répandez-le par l’exemple de votre vie sacerdotale et religieuse, animée par la foi, par la vision surnaturelle de la réalité et corroborée par la fidélité absolue et jalouse aux conseils évangéliques de la pauvreté, de la chasteté et de l’obéissance qui vous font ressembler au Christ Reproduisez dans votre cœur — selon l’heureuse expression du Père Dehon — la « sainteté du cœur de Jésus » !

 

3. En l’heureuse circonstance actuelle j’aimerais vous recommander tout particulièrement deux aspects caractéristiques de la spiritualité de votre fondateur : l’amour fidèle envers le Saint-Siège et la dévotion filiale envers la Vierge. Son obéissance aux directives et aux décisions du Siège apostolique fut toujours inconditionnelle, sans la moindre hésitation, sans subtilités ni commodes distinctions, même — et tout spécialement en ce cas — lorsque ces décisions lui coûtaient des larmes et des sacrifices.

Sa dévotion envers la Vierge très sainte était limpide, sereine, profonde. Je souhaite sincèrement que tous les fils du Père Dehon suivent ces exemples pour inaugurer le deuxième siècle d’existence de leur congrégation avec une ferveur apostolique juvénile et renouvelée, pour la gloire de Dieu et pour l’édification de l’Église.

Au nouveau supérieur général, au conseil général, à vous, Pères capitulaires, à tous vos confrères disséminés dans tous les continents et spécialement à ceux qui œuvrent dans les pays de mission, j’adresse tous mes encouragements et la promesse de mes prières afin que les prêtres du Sacré-Cœur de Jésus soient toujours fidèles à leur charisme d’origine et répètent toujours avec joie et enthousiasme : Vivat Cor Jesu, per Cor Mariae !

Avec ma particulière bénédiction apostolique !

 

 

 

30 juin 1979

PÉNÉTRÉ D’UNE JOIE INTENSE...

 

Discours au Consistoire secret

Le pape Jean Paul II a tenu le samedi matin 30 juin 1979, au palais apostolique du Vatican, puis dans la salle Paul VI, le Consistoire pour la création des cardinaux, la nomination d’évêques et la postulation du saint Pallium. C’est à 10 h 30, dans la salle du Consistoire, que s’est déroulée la première partie de la cérémonie, en présence des seuls cardinaux, ce qui constitue le « Consistoire secret ». Le pape s’est adressé en latin aux cardinaux. Voici la traduction de son discours.

 

Vénérables frères,

 

Nous sommes pénétré d’une joie intense : il nous est donné, après notre accession au siège de Pierre, par un mystérieux dessein de Dieu, de célébrer avec vous ce premier consistoire. Cet acte est d’une grande importance dans la vie de l’Église puisqu’il s’agit de la création de nouveaux pères cardinaux qui désormais appartiennent au Sacré Collège, de ceux qui sont les principaux conseillers et collaborateurs des souverains pontifes dans le gouvernement de l’Église universelle. Et tout particulièrement, selon les normes des statuts, c’est à eux que reviennent le droit et la charge d’élire le pontife romain qui est te successeur de celui que le Christ a constitué « principe et fondement perpétuel et visible de l’unité de la foi et de la communion » (constitution Lumen Gentium, 18).

Bien que le nombre de ceux qui ont choisis aujourd’hui pour faire partie de ce collège, ne soit pas élevé — comme vous le savez, certaines limites sont fixées au sujet de ce nombre de cardinaux — cependant mêmes nos vénérables frères qui en ce moment sont inscrits au nombre des membres du sénat du pontife romain, s’il est permis de s’exprimer ainsi, représentent d’une certaine façon l’Église universelle.

 

1. Le choix de ce jour de la fin de juin où nous réunissons cette assemblée distinguée n’est pas sans cause ni signification : on sait en effet que notre prédécesseur Paul VI, dont il faut rappeler la mémoire, a plusieurs fois reçu publiquement les pères cardinaux à peu près à la même époque pour leur adresser un discours, en termes graves, parfois même à l’occasion de l’élection de nouveaux membres du Sacré Collège. Il avait pris cette habitude du fait de l’occasion que lui offrait l’anniversaire de son élection qui eut lieu le 21 juin, ou celui de l’inauguration de son pontificat, qui eut lieu le 30 juin, ou encore l’anniversaire de son nom personnelle 24 juin. Habituellement il traitait en abrégé de questions qui regardaient surtout les affaires intérieures de l’Église. A la vérité, notre prédécesseur, suivant la coutume des pontifes romains les plus récents, s’adressait à l’assemblée des cardinaux également la veille de la nativité de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ pour traiter des sujets et des questions qui touchaient à l’Église et au monde mais ordinairement il y était amené par d’autres raisons que dans les réunions du mois de juin et souvent il embrassait ces questions d’une façon plus ample. C’est pourquoi nous restons attaché à cette espèce de tradition car nous sommes lié au pontificat de notre prédécesseur à qui nous unissent de nombreux liens, comme nous l’avons exposé plus abondamment dans notre lettre encyclique qui commence par les mots Redemptor hominis. C’est donc d’une lumière plus intense que brille aujourd’hui aux jeux de nos esprits le pontificat de Paul VI dont nous sépare l’intervalle très bref du ministère apostolique de Jean Paul I, comme successeur de saint Pierre.

 

2. Ce temps qui a suivi le concile Vatican II est tellement important — cela n’échappe à personne — que l’Église tout entière doit s’efforcer de porter à leur accomplissement les délibérations de ce synode universel. Or celles-ci ne visent rien d’autre que le renouveau de l’Église elle-même : c’est-à-dire qu’il faut pour reprendre les paroles de notre estimé prédécesseur — qu’elle se conforme à son divin Modèle, car le suivre est, pense-t-elle, son principal devoir » (AAS 55, 1963, p. 850).

Ce renouveau, à accomplir selon l’esprit de ce même Concile, concerne plusieurs secteurs humains et plusieurs domaines : le premier d’entre eux regarde l’effort, qui ne doit jamais cesser, par lequel l’Église tend à vivre de la conscience de sa mission de salut plus profondément comprise : ceci est en même temps le ministère perpétuel par lequel elle est au service de la très grave cause des hommes, des peuples, de toute la famille humaine. Il faut que cette conscience porte avec elle la certitude de sa fonction salvifique qui émane d’une foi ferme et d’une humilité sincère par laquelle nous sommes rendus capables de poursuivre généreusement l’œuvre d’un renouveau de cette nature. Et cette œuvre doit continuellement être mesurée — pour ainsi dire — « à la mesure universelle » du peuple de Dieu qui, en même temps qu’il participe à la mission de salut du Christ lui-même, la remplit en même temps de façon multiple selon le « don » que chacun a reçu dans le but de se diriger lui-même et les autres vers la réalisation du salut.

Certes, il est difficile, à l’aide des seuls moyens d’évaluation humaine de mesurer avec exactitude le processus d’un renouveau si largement compris. En effet, il peut arriver parfois que nous puissions nous tromper quand nous jugeons les événements qui se produisent car la providence de Dieu utilise des voies qui lui sont propres et selon lesquelles elle conduit les hommes, leur communauté, les nations, l’Église. Il s’ensuit, nécessairement, que toute considération selon laquelle nous jugeons de l’état de l’Église, est insuffisante ; nous ressentons le très grand besoin que nous avons de cette pondération surtout en certaines époques comme celle d’aujourd’hui. Il faut donc, quand nous parlons de certains faits et que nous en faisons l’estimation, que nous nous en référions toujours et surtout aux desseins de Dieu qui sont remplis d’amour et à ses saints jugements de l’action de l’homme.

 

3. L’un des principaux instruments de ce renouveau à accomplir et de l’unité qui est le propre de l’Église — aussi bien de l’Église universelle que de l’Église locale — ainsi que du peuple de Dieu, est sans aucun doute d’affirmer la forme collégiale de l’épiscopat. A ce sujet, il faut exalter à juste titre l’assemblée des évêques d’Amérique latine, comme on l’appelle, qui a été célébrée dans la ville de Puebla et dont les fruits — qui concernent raffinement de la conscience de la mission de l’Église et de sa fonction d’évangélisation à exercer en Amérique latine selon les nonnes du Concile et Celles de l’exhortation apostolique Evangelii nuntiandi — sont sensibles dans une certaine mesure et apportent un bon espoir pour l’avenir. Précisément les sujets qui y ont été traités regardent surtout le temps où nous vivons et l’avenir.

A cette assemblée, il nous a été donné de contribuer peut-être en quelque chose puisque nous avons présidé à son début De fait, il nous plaît de répéter les paroles que Paul VI notre prédécesseur a prononcées quand il mettait fin à la troisième session du concile Vatican II, en préconisant la forme collégiale par ces mots : « C’est cette relation intime et essentielle qui fait de l’épiscopat un corps unitaire qui trouve dans l’évêque, successeur de saint Pierre non pas un pouvoir différent et étranger mais son centre et son chef : (AAS 56, 1964, p. 1011).

Il faut ajouter ceci : ces derniers mois, la vie de l’Église a été enrichie d’autres événements de ce genre tel que le symposium du Conseil des conférences épiscopales d’Europe, célébré à Rome et dont le sujet traité a été : « Les jeunes et la foi ». Par ces événements, la conscience du caractère collégial et la fonction du ministère pastoral des évêques et des conférences de ces mêmes pasteurs ont été manifestées d’une manière significative. Cependant aucun, en raison de son importance, ne peut se comparer à l’assemblée qui a eu lieu dans la ville de Puebla. Nous notons avec joie que le Conseil épiscopal d’Amérique latine, qui est appelé C.E.L.A.M. en abrégé, a beaucoup travaillé à la préparation de ce rassemblement et que beaucoup d’évêques y ont participé avec zèle.

 

4. En outre, cette même assemblée qui s’est déroulée à Puebla nous a donné l’occasion d’entreprendre notre premier voyage, depuis notre élévation au souverain pontificat, au Mexique après avoir touché terre en république Dominicaine. Par ce voyage, nous avons pu pendant presque une semaine visiter l’Église qui est constituée dans cette région. C’est avec une très grande reconnaissance dans le cœur que nous pensons encore à tous ceux que nous avons rencontrés pendant cette visite. Nous rendons de très grandes actions de grâces d’abord à Dieu et à sa Mère qui, surtout, au sanctuaire de Guadalupe, qui fui est consacré, est devenue la Mère et la Maîtresse très clémente non seulement du Mexique mais aussi de toute l’Amérique et surtout de l’Amérique latine. Nommément le souvenir du président de la république Dominicaine et celui du président du Mexique restent fixés dans notre esprit ainsi que celui des évêques des deux pays, des prêtres, des religieux appartenant aux institutions masculines et féminines.

La visite de l’Église de Mexico nous a donné l’occasion de rencontrer le peuple catholique de cette ville d’une façon presque continue ; ce peuple poussé par son esprit de foi, partout où nous allions, partout où nous nous-arrêtions, nous entourait avec des sentiments ardents. Nous nous tournons donc avec une très grande reconnaissance vers la divine Providence qui, au début de notre pontificat, nous a accordé par cette visite de pouvoir être témoin de l’amour et du respect par lesquels le siège apostolique est soutenu chez ce peuple qui a éprouvé tant de difficultés pour être fidèle au Christ et à son Église. Au cours de ce voyage au Mexique, nous nous sommes arrêtés et nous avons célébré la messe au lieu où l’évangélisation de l’Amérique a eu son origine et, au retour, nous avons eu la possibilité de rencontrer la communauté chrétienne des îles Bahamas.

 

5. Nous sommes également remplis de sentiments de reconnaissance à cause de notre récent voyage en Pologne par lequel il nous a été donné de revoir notre patrie du 2 au 9 juin. Cette terre, disons-nous, de laquelle le Seigneur, dans son inscrutable dessein, nous a appelé à la chaire de Pierre. La cause principale qui nous a poussé à entreprendre ce voyage a été le jubilé de saint Stanislas : c’est-à-dire le neuvième siècle écoulé depuis que cet évêque préposé au siège de Cracovie (que nous avons nous-même occupé, comme par un héritage transmis, jusqu’à Un passé récent) eut à subir le martyre et fut mis à mort par le roi.

Invité par l’évêque primat de Pologne, le cardinal Stefan Wyszynski, nous avons célébré ce jubilé avec les concitoyens de notre patrie en suivant pour ainsi dire le cours de l’histoire ; en effet, ce cours conduit de Gniezno à Cracovie en passant par le mont Clair, c’est-à-dire « Jasna Gôra ». Nous nous sommes d’abord arrêté à Varsovie qui est maintenant la capitale de la Pologne et, au moment de notre séjour à Cracovie, nous avons offert le sacrifice eucharistique à Oswiecim-Auschwitz qui est comme le Golgotha de notre temps : c’est là que dans la prison barricadée de ceux qui devaient mourir de faim — « le bunker de la faim » comme on l’appelle vulgairement — le Père Maximilien Kolbe est mort après avoir offert sa vie pour l’un de ses compagnons.

C’est donc conduit par l’histoire que, chemin faisant, nous avons rendu grâces au Dieu un et trine pour le don du saint baptême que nos concitoyens ont reçu il y a mille ans. En outre nous avons eu l’occasion de saluer les nations slaves voisines qui ont adhéré à la foi au même moment. Enfin nous avons imploré les dons du Saint-Esprit pour obtenir la persévérance dans la foi et l’espérance.

Dans le souvenir, encore vivant en nous, de, ce service pontifical dans notre patrie, nous voulons de nouveau mettre en lumière le sens de l’invitation que nous ont adressé les autorités publiques : celles-ci, de cette manière, non seulement ont manifesté qu’elles reconnaissaient que nous venions de la même nation qu’eux —nous à qui est échu le service de la très haute charge de l’Église catholique — mais aussi ils ont montré leur dignité et leur force en ce qui concerne le caractère international de notre visite. C’est pourquoi nous sommes très reconnaissant aux autorités de la République et de l’Église d’avoir facilité cette visite et aussi, également à l’égard de l’immense multitude de tous ceux qui, nés de la même race que nous, sont venus au-devant de nous dans un esprit d’unité religieuse.

 

6. Paul VI que nous ne pouvons pas oublier, a entrepris plusieurs de ses voyages pour exercer son ministère pontifical. Plût au ciel que ces mêmes voyages contribuent à l’avenir à manifester l’unité du peuple de Dieu dans lès-différents lieux du monde, en diverses régions et chez différentes nations !

En même temps que ces événements dont nous nous souvenons avec une très grande joie, l’œuvre permanente de l’Église qui est à exécuter, jusqu’au bout avec ordre a progressé et progresse. Il s’agit de ces tâches auxquelles elle s’attache de préférence et que le collège des évêques, sous la conduite du successeur du bienheureux Pierre, se propose de remplir.

Un instrument particulier de cette coopération collégiale en ce qui concerne l’Église universelle, est le synode des évêques. Dans peu de temps, une exhortation apostolique sera publiée dans laquelle sont rassemblés les fruits des travaux de la session ordinaire du synode des évêques célébré en l’an 1977 et qui traitait de la catéchèse. De même la prochaine session est déjà en préparation ; elle aura lieu l’année prochaine en 1980 : elle traitera d’un sujet approuvé selon les normes : « Les fonctions de la famille chrétienne dans le monde d’aujourd’hui ». Le secrétariat général du synode des évêques, après avoir élu son Conseil au cours de la session précédente a attentivement pesé la question et a envoyé partout des « lignes de réflexion » pour recueillir sur ce sujet une vaste consultation des conférences épiscopales.

 

7. En ce qui concerne les universités catholiques de l’ordre académique, un événement particulier s’est produit, à savoir la promulgation de la constitution apostolique qui commence par ces mots Sapientia christiana et qui, au moment qu’elle prescrit, substituera la constitution Deus scientiarum dominus. A partir de cette date, les Normae quaedam, publiées en 1968, qui étaient obligatoires pendant toute la période nécessaire à la préparation de la nouvelle constitution, selon la volonté et l’esprit du concile Vatican II, cesseront d’être en vigueur.

Plusieurs années ont été utilisées à la préparation de cette constitution : en effet d’autres questions ayant été envoyées, les conférences épiscopales et toutes les universités catholiques ont été consultées.

Nous espérons donc que les disciplines sacrées reçoivent une nouvelle impulsion et qu’elles aient la force de consolider la foi, de conformer les mœurs à des raisonnements justes, de dissiper les erreurs en préservant l’obéissance à l’égard du magistère de l’Église.

 

8. Enfin il ne faut pas omettre mais brièvement rappeler l’œcuménisme qui a été l’une des principales propositions du synode universel (cf. Décret Unitatis redintegratio, 1). D’une façon générale, il faut dire qu’au cours de ces mois plusieurs rencontres ont eu lieu avec les représentants des religions chrétiennes qui ne sont pas encore en pleine communion avec nous; en nous réjouissant de-cela, nous exhortons tous les fidèles avec instance — « car le souci de la restauration de l’unité regarde toute l’Église » — de persévérer toujours plus ardemment dans le noble effort de restauration de cette unité voulue par le Christ.

Qu’il nous soit permis d’ajouter que des relations nombreuses ont été nouées avec des non-chrétiens et qu’ainsi nous avons cherché à obéir à ce que demande le concile Vatican II afin que par ce moyen « nous apportions note coopération à la construction du monde dans une paix véritable » (cf. constitution Gaudium et Spes, 92).

Voici donc ce que nous avions à vous dire, vénérables frères, selon l’impulsion de notre cœur. Que les saints apôtres Pierre et Paul dont nous avons célébré hier la fête et qui ont témoigné de leur amour pour le Christ en versant leur sang, protègent cette Église romaine et ce siège apostolique auxquels vous êtes liés par un lien particulier ; nous demandons surtout son aide à la douce Mère de Dieu à qui nous vous recommandons vous et tous nos frères et fils. Pour vous fortifier dans le rang élevé que vous occupez dans la sainte Église nous vous donnons notre bénédiction apostolique avec un grand amour.

Il nous est maintenant agréable de nommer les évêques choisis que nous avons jugés dignes d’être agrégés à votre très digne collège en ce saint Consistoire :

— Agostino Casaroli, archevêque titulaire de Carthage ;

— Giuseppe Caprio, archevêque titulaire d’Apollonia ;

— Marco Cé, patriarche de Venise ;

— Egano Righi Lambertini, archevêque titulaire de Docla ;

— Joseph Marie Trinh Van-Can, archevêque de Hanoï ;

— Ernesto   Civardi,   archevêque   titulaire   de   Sardica ;

— Ernesto Corripio Ahumada, archevêque de Mexico ;

— Joseph Asajiro Satowaki, archevêque de Nagasaki ;

— Roger Etchegaray, archevêque de Marseille ;

— Anastasio Alberto BaHestrero ; archevêque de Turin ;

— Thomas O’Fiaich, archevêque d’Armagh ;

— Gerald Emmet Carter, archevêque de Toronto ;

— Franciszek Macharski, archevêque de Cracovie ;

— Wladislaw Rabin, évêque titulaire de Serta.

 

Ensuite le pape a nommé le nouveau camerlingue du Sacré Collège en la personne du cardinal Egidio Vagnozzi, président de la préfecture des affaires économiques du Saint-Siège. Puis Jean Paul II a annoncé les nominations d’évêques.

 

 

 

30 juin 1979

CONFESSER LE CHRIST DEVANT LES HOMMES

 

L’Église en fête ! Le pape appelle près de lui de nouveaux cardinaux. Image de la vie universelle de l’Église : évêques résidentiels, évêques de curie, les uns et les autres liés étroitement « au risque de leur vie» au siège de Pierre pour confesser la foi. Voici la traduction du discours prononcé par le pape, salle Paul-VI.

 

1. Voilà que la Parole de Dieu s’est adressée à nous avec la force qui convient au moment que nous vivons. Car, tandis que nos vénérés et chers frères dans l’épiscopat, dont les noms sont déjà connus de l’Église et du monde, s’apprêtent à recevoir le signe de la dignité cardinalice, il faut que le sens de cette dignité devienne pour eux et pour nous manifeste et limpide à la lumière de la parole de Dieu lui-même. C’est pourquoi, écoutant avec gratitude ces paroles tirées de la première lettre de saint Pierre et de l’évangile de saint Matthieu, nous méditons un instant ce que le Seigneur veut nous dire par elles en ce moment important et exceptionnel.

 

2. Avant tout, ces paroles de l’Apôtre manifestent sa sollicitude pastorale pour l’Église, c’est-à-dire pour le troupeau. Vraiment ces paroles sont merveilleuses. Elles laissent voir toute l’âme de celui auquel il fut donné « comme témoin de la passion du Christ » de devenir le premier pasteur du troupeau. Dans sa sollicitude pastorale pour l’Église, il a continuellement devant les yeux le Christ qui s’est révélé comme le Bon Pasteur en donnant sa vie pour ses brebis et qui, comme Pasteur suprême, se révélera dans la gloire du Père (cf. Jn 17, 24), vers laquelle il nous conduit tous. Fixant son regard sur le Christ, l’Apôtre, l’« Ancien », l’évêque de Rome, Pierre, partage à son tour sa sollicitude pastorale avec les autres, en leur enseignant comment, comme lui et avec lui, ils doivent se comporter en « anciens et supérieurs » et en même temps leur demandant de le faire. Un accent particulier est mis sur leur exemple personnel, sur leur dévouement désintéressé, sur leur zèle créatif. Être pasteur du troupeau veut dire veiller pour que la bête sauvage n’entre pas dans le bercail. Être pasteur des âmes veut dire veiller pour que celles-ci ne soient pas trompées ni prises au piège, qu’elles ne s’égarent pas en perdant le contact vital avec la source de l’amour et de la vérité. Être pasteur des âmes veut dire finalement avoir confiance : avoir confiance par-dessus tout en Celui qui a acquis un droit divin sur ces âmes immortelles par son propre sang.

Acceptez aujourd’hui ce message du premier évêque de Rome, vous, vénérables et chers frères, qui devez participer d’une façon particulière à la sollicitude pastorale de son indigne successeur. Plus nous puiserons profondément aux sources évangéliques de cette sollicitude, plus celle-ci se révélera efficace et bienheureuse. L’« heure » actuelle (kairos) de l’Église et du monde exige que nous puisions à ces sources mêmes avec une particulière diligence.

 

3. La Parole de Dieu que nous venons d’écouter contient en elle-même un appel au courage et à la force. D’une façon significative, le Christ nous y invite ! Nous l’avons entendu répéter plusieurs fois : « N’ayez pas peur » ; « ne craignez rien de ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l’âme » (Mt 10, 28), « ne craignez pas les hommes» (cf. Mt 10, 26). Et en même temps, à côté de ces appels décisifs au courage, à la force, se fait entendre l’exhortation : « Craignez » ; « craignez plutôt celui qui peut perdre dans la géhenne à la fois l’âme et le corps » (Mt 10, 28). Ces deux appels, apparemment opposés, sont si étroitement liés entre eux que: l’un résulte de l’autre et conditionne l’autre. Nous sommes appelés à la force et en même temps à la crainte. Nous sommes appelés à la force devant les hommes et, en même temps, à la crainte devant Dieu lui-même, et cette crainte doit être la crainte de l’amour, la crainte filiale. C’est seulement quand cette crainte pénètre dans nos cœurs que nous pouvons vraiment être forts de la force des Apôtres, des martyrs, des confesseurs. Forts de la force des pasteurs. L’invitation à là force est liée, de façon particulièrement profonde, à la tradition du cardinalat, lequel, jusque dans la couleur du vêtement, rappelle le sang des martyrs.

 

4. Le Christ nous demande surtout cette force de confesser devant les hommes sa vérité et sa cause, sans se demander si ces hommes seront ou non bienveillants à l’égard de cette cause, s’ils ouvriront leurs oreilles et leurs cœurs à cette vérité ou s’ils les « fermeront » au point de ne pouvoir l’entendre. Nous ne pouvons pas nous décourager devant un certain parti-pris de se fermer les oreilles et l’intelligence. Nous devons confesser et annoncer dans l’obéissance la plus profonde à l’Esprit de Vérité. Il trouvera lui-même les chemins pour atteindre le fond des consciences et des cœurs. Nous, du moins, nous devons confesser et rendre témoignage avec une telle force et une telle capacité que ce ne soit pas nous qui portions la responsabilité du fait que notre génération aura renié le Christ devant les hommes. Nous devons aussi être prudents « comme les serpents et simples comme les colombes » (Mt 10, 16).

Nous devons enfin être humbles, de cette humilité de la vérité intérieure qui permet à l’homme de vivre et d’agir avec magnanimité. Car Dieu « résiste aux orgueilleux mais il donne sa grâce aux humbles » (Jc 4, 6), Cette magnanimité, acquise en coopérant avec la grâce de Dieu, est un signe particulier de notre service dans l’Église.

 

5. Vénérables et chers frères, voilà un programme ! Le programme riche et exigeant que l’Église attache à votre grande dignité.

Acceptez ce programme avec une grande confiance, la confiance même qui l’a fait accepter par ceux qui vous ont précédés sur les mêmes sièges épiscopaux, dans les mêmes postes de la Curie romaine ! Acceptez-le !

Regardez les grands et magnifiques exemples qu’ils nous ont laissés.

Sur cette nouvelle route, que soient avec vous la Mère tant aimée de l’Église et aussi les saints apôtres Pierre et Paul, dont la solennité nous a réjouis hier. En tout cela, que Dieu soit spécialement adoré : le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

Je désire vous renouveler publiquement, vénérés et chers frères dans l’épiscopat élevés à la dignité cardinalice, mon affectueuse estime et vous dire combien j’apprécie le témoignage que vous avez donné à l’Église et au monde, par votre vie sacerdotale et épiscopale, totalement donnée à Dieu et dépensée pour les âmes, dans toutes les tâches qui vous été confiées, au cours de votre vie, par la divine Providence.

J’exprime en outre ma cordiale et déférente salutation aux délégations de vos pays, à ceux qui représentent vos diocèses, à la délégation envoyée à Rome par notre cher frère, le patriarche Dimitrios I° et à tous ceux qui sont venus pour entourer avec joie les nouveaux membres du Sacré Collège.

 

 

 

14 juillet 1979

L’AMOUR POUR LA TERRE, BASE D’UN RÉEL PROGRES CIVIL

 

Le samedi 14 juillet, en fin de matinée Je pape Jean Paul II a reçu en audience les participants à la conférence mondiale sur l’agriculture et le développement rural, organisé à Rome par la F.A.O. Répondant aux vœux qui lui étaient adressés, le Saint-Père a prononcé en anglais le discours dont voici la traduction :

 

Monsieur le Président, chers amis,

 

Votre conférence aborde à Rome un thème d’une extrême importance pour le sort de la famille humaine, et d’un grand intérêt pour l’Eglise qui, en vertu de sa mission, se sent obligée d’apporter une contribution désintéressée, correspondant à sa nature propre, à l’élévation humaine des populations agricoles et rurales.

On ne saurait douter que la réforme agraire et le développement rural — problèmes que vous traitez — marqueront un pas de plus sur le chemin que les organisations internationales spécialisées en ce domaine — et parmi elles, la FAO — ont toujours parcouru depuis leur fondation.

Je suis heureux de saisir la présente occasion pour réaffirmer, à la suite de mes prédécesseurs, combien le Siège apostolique apprécie l’action incisive et efficace que les organisations de la famille des Nations-Unies accomplissent dans le secteur de l’alimentation, de l’agriculture et du développement rural (cf. Jean XXIII, encyclique Mater et Magistra, AAS 53, 1961, p. 439).

Votre rencontre vous offre la possibilité d’échanger des informations sur un large éventail d’expériences d’où ressortiront fort probablement des convergences qui inviteront et stimuleront à de fécondes collaborations dans les domaines qui font l’objet de votre étude. Je souhaite que ces convergences vous amènent à prévoir des solutions concrètement réalisables que les politiques internes puissent adopter,  et qui permettent d’obtenir une meilleure harmonisation sur le plan international, eu égard à l’originalité culturelle, aux intérêts légitimes et à l’autonomie de chaque peuple, et en réponse au droit des populations rurales à la croissance tant dans la vie individuelle que collective.

Il est bien certain que le commandement donné par Dieu de dominer la nature pour servir la vie implique que la valorisation rationnelle et l’utilisation des ressources de la nature tendent à atteindre la fin fondamentale de l’homme (cf. encyclique Redemptor hominis, n. 15, 3e alinéa). Cela est d’ailleurs conforme au principe de base selon lequel les biens de la terre doivent profiter à tous tes membres de la famille humaine. Il n’y a pas de doute qu’il faut réaliser « des transformations audacieuses, profondément novatrices » (Paul VI, encyclique Populorum progressio. n. 32).

Les choses étant ce qu’elles sont, à l’intérieur de chaque pays, on prévoit une réforme agraire qui implique une réorganisation des propriétés foncières et l’attribution du sol productif aux paysans, afin qu’ils en aient la jouissance directe et stable, et que soient éliminées les formes et les structures improductives qui nuisent à la collectivité.

La constitution pastorale Gaudium et Spes du concile Vatican II a déjà rendu justice à de telles exigences (n. 71, par. 6) en insérant la recherche légitime d’une utilisation plus productive de la terre dans la préoccupation encore plus fondamentale que lé travail des cultivateurs se déroule dans des conditions, avec des moyens et pour des objectifs qui soient en harmonie avec leur dignité de personnes humaines. Les paroles que j’ai adressées au Mexique aux Indios de Cuilapan gardent à ce sujet toute leur valeur : « Le monde déprimé des campagnes, le travailleur qui, par sa sueur, irrigue aussi sa tristesse, ne peut rien tant espérer que la pleine reconnaissance de sa dignité qui n’est pas inférieure à celle de n’importe quel autre milieu social. Il a droit à ce qu’on le respecte, qu’on ne le prive pas du peu qu’il a par des manœuvres qui, parfois, équivalent à de véritables spoliations. Et il a droit à ce que l’on n’entrave pas son aspiration à participer à sa propre élévation. Il a droit à ce que tombent les barrières de l’exploitation qui est souvent faite d’égoïsmes intolérables devant lesquels s’épuisent ses meilleurs efforts de promotion. Il a droit à une aide efficace — pas une aumône, pas des miettes de justice — pour pouvoir accéder au développement que mérite sa dignité d’homme et de fils de Dieu » (AAS 71, 1979, p. 209).

Tout droit de propriété de la terres comme je l’ai déjà dit, est grevé d’une hypothèque sociale (cf. Discours à la III° conférence générale de l’Episcopat latino-américain, à Puebla, le 28-1-79, n. III, 4). C’est pourquoi, dans la réforme des structures, je me permettrai de vous inviter à prendre soigneusement en considération toutes les formes de contrats agraires qui permettent une utilisation efficace de la terre par le travail et garantissent les droits premiers des travailleurs (cf. Jean XXIII, encyclique Mater et Magistra, AAS 53, 1961, p. 430).

On se réfère ici non seulement à la possibilité de travailler efficacement la terre, mais aussi à la garantie d’un revenu adéquat provenant du travail agricole.

Il est urgent de réaliser l’objectif du droit au travail, avec toutes les exigences que cela suppose pour élargir les possibilités d’absorption des multitudes disponibles de main-d’œuvre agricole et réduire le chômage. De même, il faut promouvoir une attitude de responsabilité des travailleurs dans le fonctionnement des entreprises agricoles, en vue de créer entre autres, dans la mesure du possible, un rapport particulier entre le travailleur de la terre et la terre qu’il travaille.

Par ailleurs, le droit au travail de la terre doit être garanti en même temps que les conditions les plus étendues et les meilleures de vie humaine et sociale du milieu rural. C’est seulement ainsi que l’on peut favoriser la présence active surtout des jeunes générations dans l’économie de développement agricole, et éviter un exode excessif hors des campagnes.

La réforme agraire et le développement rural requièrent aussi que soient prévues des réformes pour réduire les distances entre la prospérité des riches et l’indigence préoccupante des pauvres.

Il faut penser toutefois que pour surmonter les déséquilibres, et les disparités criantes dans les conditions de vie entre le secteur agricole et les autres secteurs de l’économie, ou entre les groupes sociaux à l’intérieur d’un pays, il est nécessaire que les pouvoirs publics mènent une politique avisée : une politique qui s’engage dans une redistribution des revenus au profit des plus nécessiteux.

Je pense qu’il est bon de réaffirmer ce que j’ai déjà dit dans une autre occasion, à savoir qu’une réforme plus vaste, une distribution plus juste et plus équitable des biens doivent être prévues « aussi bien dans le monde international en général, en évitant que les pays les plus forts utilisent leur propre pouvoir au détriment des plus faibles » (Discours à la III° conférence générale de l’épiscopat latino-américain à Puebla, le 28 janvier 1979, n. III, 4).

La réforme en arrive donc nécessairement à une nouvelle réglementation des rapports entre pays.

Mais, pour atteindre un tel objectif, « il faut faire appel, dans la vie internationale, aux principes de l’éthique, aux exigences de la justice... ; il faut donner le primat à la morale... ; à ce qui naît de la pleine vérité de l’homme » (ibid.).

Il s’agit, en définitive, de redonner à l’agriculture la place qui lui revient dans le cadre du développement en chaque pays et au plan international et, pour cela, de modifier la tendance qui, dans le processus d’industrialisation, conduisait, récemment encore à privilégier les secteurs secondaires et tertiaires.

On se réjouit de constater que, en tenant compte de l’expérience, il apparaît aujourd’hui évident qu’il faut corriger la façon unilatérale d’industrialiser un pays et abandonner l’espoir utopique d’en obtenir, à coup sûr et directement, des effets de développement économique et de progrès social pour tous.

La grande importance de l’agriculture et du monde rural se manifeste déjà par l’apport décisif que l’agriculture offre à la société en mettant à sa disposition les produits les plus nécessaires à son alimentation.

Mais par ailleurs, on note toujours davantage aujourd’hui la fonction importante de l’agriculture comme moyen de conserver le milieu naturel et comme source précieuse d’énergie.

L’amour pour la terre et pour le travail des champs nous invite, non pas à de nostalgiques retours sur le passé, mais à considérer l’agriculture comme la base d’une saine économie dans l’ensemble du développement et du progrès social de chaque pays et du monde.

La collaboration active des milieux ruraux à tout le processus de croissance de la collectivité prend un relief accru.

Il est évidemment toujours préférable et souhaitable que la participation aux choix économiques, syndicaux et politiques se fasse d’une façon personnelle et responsable. Cela constitue sans aucun doute, dans les divers systèmes économiques et politiques, la maturation progressive d’une authentique expression de la liberté qui est un élément indispensable du véritable progrès.

Il faut constater aussi l’importance toujours plus manifeste de diverses formes d’associations qui peuvent conduire à de nouvelles façons d’exprimer la solidarité entre les travailleurs de la, terre et permettre l’insertion de jeunes qualifiés, et aussi de la femme, dans l’entreprise agricole et dans la communauté civile.

Naturellement, il importe de se rappeler toujours que toute proposition et toute réalisation de réformes vraies et efficaces impliquent de la part de tous un changement fondamental de mentalité et de bonne volonté : « Nous sommes tous solidairement responsables des populations sous-alimentées » reconnaissait Jean XXIII, en s’adressant aux dirigeants et fonctionnaires de la FAO le 3 mai 1960 ; aussi faut-il « éveiller les consciences au sens de la responsabilité qui pèse sur tous et sur chacun, spécialement sur les plus défavorisés » (AAS 52, 1960 p. 465, repris par l’encyclique Mater et Magistra, AAS 53, 1961 p. 440).

Je fais appel à vous, responsables des choix et des orientations de politique intérieure et internationale.

Je fais appel à tous ceux qui peuvent être en mesure d’accomplir une tâche, comme experts et fonctionnaires, et pour promouvoir des initiatives afin d’aider au développement.

Je fais appel surtout à quiconque a la possibilité de concourir à l’éducation et à la formation, spécialement en ce qui concerne les plus jeunes.

Qu’ils me permettent d’exprimer la confiance très vive que j’ai de les voir se sentir toujours plus concernés par cet appel à la générosité de chacun.

En terminant, je demande au Dieu Tout-Puissant de vous assister, vous, les membres de cette conférence mondiale réunis au nom de la solidarité humaine et de l’intérêt fraternel. Je prie pour que les efforts que vous êtes en train d’accomplir à la face de l’histoire et devant les défis urgents qui montent de cette génération portent des fruits abondants pour le mieux-être de l’humanité, et des fruits qui demeurent.

 

 

 

17 septembre 1979

AU CONSEIL INTERNATIONAL DES ÉQUIPES NOTRE-DAME

 

Le 17 septembre, le pape a reçu en audience, salle du Trône au Vatican, les membres du Conseil international des équipes Notre-Dame qui tenait session à Frascati. Il leur a adressé l’allocution suivante :

 

Chers frères et sœurs,

 

Je suis heureux de rencontrer les responsables régionaux (ou « super-régionaux ») des « équipes Notre-Dame ». A travers ce premier contact, si bref soit-il, veuillez comprendre l’estime, l’encouragement, la confiance que je voulais exprimer à votre mouvement, dans la ligne de tout ce que vous a déjà dit mon vénéré prédécesseur Paul VI. Je me réjouis de la vitalité des équipes, de leur extension à divers pays, en particulier parmi les jeunes foyers.

Vous voulez vivre l’amour conjugal et l’amour parental à la lumière de l’Évangile et des enseignements de l’Église, dans un climat qui fait grand cas de la prière, du partage entre foyers, des échanges profonds entre époux sur tous les problèmes humains et spirituels. Le levain de l’Évangile doit d’abord imprégner les réalités quotidiennes et fondamentales des relations familiales. Il faut ainsi renouveler, à la base, les cellules de l’Église et de la société. Et le pape compte sur la contribution de votre mouvement de spiritualité matrimoniale.

J’encourage donc les membres des équipes Notre-Dame à chercher toujours davantage la perfection de leur vie chrétienne dans et à travers le sacrement de mariage et je souhaite que beaucoup d’autres époux chrétiens le fassent également. Quelles richesses, quelles exigences, quel dynamisme en surgissent, si ce sacrement est vécu au jour le jour, dans la foi, à l’image du don mutuel du Christ et de son Église ! Quelle force lorsque les époux ont la simplicité de s’entraider, , sous le regard du Seigneur, à progresser dans leur foi, dans leur amour réciproque, au besoin dans leur pardon, dans leur engagement commun au service de leur famille, de la communauté ecclésiale, de l’entourage social ! Quel exemple pour les enfants qui font alors, avec leurs parents, la première expérience du mystère de l’Église ! Vous avez déjà éprouvé vous-mêmes, surtout les foyers depuis longtemps attachés au mouvement, que tout cela est à la fois très exigeant et très réconfortant Oh ! je sais, vous n’êtes pas, vous non plus, à l’abri des tentations, des épreuves que connaissent les autres familles, des contradictions que l’idéal familial rencontre dans la société contemporaine. Mais vous prenez humblement les moyens de les surmonter. Ayez à cœur d’alimenter vos convictions, vos méditations, votre action, aux véritables sources que sont la Parole de Dieu lue en Église, la doctrine et l’éthique chrétiennes rappelées par le Magistère, l’authentique spiritualité du mariage et des autres sacrements, avec l’aide des prêtres que l’Église met à votre disposition.

Je souhaite que vous fassiez bénéficier de vos convictions et de votre expérience la pastorale familiale de l’Église, dans vos pays respectifs, en vous associant, selon les possibilités, aux immenses efforts qui sont accomplis ou qui devraient être accomplis en ce domaine. Il faut en effet faire briller, aux yeux des jeunes générations, le merveilleux plan de Dieu sur l’amour conjugal, sur la procréation, sur l’éducation familiale, et cela ne sera crédible que par le témoignage de ceux qui en vivent, avec toutes les ressources de la foi.

C’est l’Église entière en effet qui doit s’engager dans cet effort. Pour ma part, je saisis actuellement l’occasion des audiences générales du mercredi pour offrir des éléments de réflexion sur la famille. Le prochain synode des évêques abordera « les tâches de la famille chrétienne » : vous êtes invités, non seulement à y prêter intérêt et attention, mais à apporter votre contribution à sa préparation, en faisant connaître, à l’intérieur de vos communautés diocésaines, vos réflexions sur les différents points du programme publiés par le secrétariat du synode. Car les tâches familiales ne pourront être assumées de façon chrétienne que si l’on approfondit la théologie du mariage, avec ses richesses de grâces et sa dimension ecclésiale, et si l’on vit pratiquement de cette spiritualité à l’intérieur des foyers.

C’est dans ces sentiments que je vous exprime ma confiance, ainsi qu’à tous les hommes et femmes des équipes Notre-Dame, à leurs aumôniers, en vous encourageant à continuer de bien situer vos efforts dans l’Église, selon la doctrine de l’Église, en liaison avec les pasteurs de l’Église et les autres mouvements dont l’action est complémentaire de la vôtre. Et de tout cœur je vous bénis, avec tous ceux qui vous sont chers, et particulièrement vos enfants.

 

 

 

21 septembre 1979

AUX REPRÉSENTANTS DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS

 

Le Saint-Père a reçu en audience le 21 septembre les délégués de la Compagnie de Jésus provenant de quatorze pays du monde, réunis à Rome pour examiner divers aspects des services qui incombent aux jésuites dans l’Église. A l’adresse d’hommage du préposé général de la Compagnie, le R.P. Pedro Arrupe, le Saint-Père a répondu par un discours dont voici la traduction :

 

C’est pour moi une grande satisfaction de vous recevoir aujourd’hui et de pouvoir parler à cœur ouvert à une représentation si qualifiée de la Compagnie de Jésus qui, depuis plus de quatre siècles, travaille inlassablement partout dans le monde « pour la défense et la propagation de la foi... sous l’autorité du Pontife romain, vicaire du Christ sur la terre » (Formule de l’Institut).

C’est pourquoi je remercie le préposé général, ses assistants et ses conseillers ainsi que les provinciaux ici présents qui ont voulu, durant leur réunion venir rendre hommage au vicaire du Christ auquel les unit, comme jésuites, un lien particulier d’amour et de service. Quant à moi, il m’est cher de confirmer la bienveillance du Saint-Siège à l’égard de la Compagnie de Jésus qui a su la mériter au cours des siècles par la ferveur de sa vie religieuse et l’ardeur de son apostolat, comme mes prédécesseurs ont eu souvent l’occasion de l’affirmer.

Grâce aux informations qui me viennent de toutes les parties du monde je connais parfaitement tout le bien que font tant de jésuites grâce à leur vie exemplaire, leur zèle apostolique et leur fidélité sincère et sans réserve au pontife romain. Certes, je n’ignore pas — et je le déduis également de nombreuses autres informations — que la crise qui, ces derniers temps, a tourmenté et tourmente la vie religieuse, n’a pas épargné votre compagnie, causant du désarroi dans le peuple chrétien et des préoccupations dans l’Église, à la hiérarchie et personnellement aussi au pape qui vous parle.

Je sais que je m’adresse ici à ceux qui ont les principales responsabilités dans le gouvernement de l’ordre. Je compte sur votre collaboration et, en conséquence, je désire vous recommander vivement de développer de la manière la plus zélée tout le bien fait par et dans la Compagnie, et de porter remède, avec la nécessaire fermeté, aux déplorables déficiences, de sorte que toute la Compagnie continue à vivre et opérer animée par l’esprit ignacien le plus pur.

Le peu de temps disponible ne me permet pas de m’attarder longuement à examiner de manière adéquate tant les initiatives de bien à développer pour répondre aux besoins urgents du monde que les déficiences à corriger pour éviter que ces initiatives soient compromises. Je me limiterai à rappeler quelques-unes des recommandations que mes prédécesseurs immédiats, Paul VI et Jean Paul Ier avaient particulièrement à cœur, en raison de leur grand amour pour la Compagnie. Je les fais entièrement miennes.

C’est pourquoi je. vous dis : soyez toujours fidèles à votre Institut que Paul VI, « comme garant suprême de la formule de l’Institut et comme pasteur de l’Église universelle » (Lettre au Père général, 15 fév. 1975), voulait voir maintenu dans sa pleine intégrité. Soyez également fidèles aux lois de votre Institut, ce que Paul VI et, plus récemment, Jean Paul Ier dans l’allocution préparée peu avant sa mort pour votre congrégation des Procureurs, avaient souligné : spécialement en ce qui concerne l’austérité de la vie religieuse et communautaire, sans céder à des tendances sécularisatrices ; un sens profond de la discipline intérieure et extérieure ; l’orthodoxie de la doctrine, en pleine fidélité au magistère suprême de l’Église et du pontife romain, vivement voulue par saint Ignace, comme chacun le sait ; et l’exercice de l’apostolat qui est le propre d’un ordre de prêtres (Grégoire XII, Ascendete Dominio) que le caractère sacerdotal de leur activité appelle aux entreprises apostoliques les plus variées et même les plus difficiles, accomplies avec l’aide précieuse des chers frères coadjuteurs exerçant leurs propres tâches.

A cet effet, il est, me semble-t-il, nécessaire de recommander d’apporter des soins tout particuliers à la formation des jeunes membres de l’ordre, espoir de la Compagnie de Jésus. Je partage votre joie pour vos nombreux novices, ce qui indique une consolante reprise des vocations. Ces jeunes sont un don de Dieu ; mais justement pour cette raison, vous avez là une grande responsabilité. Vous saurez certainement .leur assurer la formation appropriée : une formation spirituelle correspondant à l’ascétisme ignacien qui a fait ses preuves ; une formation doctrinale basée sur de solides études philosophiques et théologiques suivant les directives de l’Église et une formation apostolique orientée vers les formes d’apostolat qui sont le propre de la Compagnie, ouvertes, sans doute, aux nouvelles exigences des temps, mais toutefois fidèles à ces valeurs traditionnelles qui ont une efficacité éternelle.

Je sais quelle force vive représente la Compagnie et je désire donc, qu’elle croisse et prospère suivant son esprit le plus pur, donnant à tous un exemple de profonde religiosité, de sûreté doctrinale, de féconde activité sacerdotale, de manière à accomplir pleinement la mission que l’Église en attend et à rendre au Siège apostolique les services qu’elle s’est engagée à lui prêter suivant son propre Statut.

Avec ces sentiments, je forme les meilleurs vœux pour les travaux de votre congrès et, de tout cœur, je vous donne la bénédiction apostolique, à vous, à tous les confrères que vous représentez ici et aux œuvres apostoliques de la Compagnie de Jésus tout entière.

 

 

 

24 septembre 1979

AUX MEMBRES DE LA IXe CONFÉRENCE MONDIALE SUR LE DROIT

 

Le pape a reçu le 24 septembre en audience les participants au nombre d’environ quatre cents, de la IXe conférence mondiale, sur le Droit qui s’est tenue à Madrid. Voici la traduction du discours prononcé en anglais par le Saint-Père :

 

Mesdames, Messieurs,

 

Je vous remercie de votre visite au terme de l’importante conférence qui vient d’achever ses travaux à Madrid. Elle m’offre l’heureuse opportunité de vous connaître et de vous exprimer ma profonde estime et mes encouragements pour l’œuvre de paix à laquelle vous consacrez vos exceptionnelles compétences en mettant en commun vos expériences. Le centre de la Paix mondiale par le Droit et les organisations qui y sont affiliées s’honorent ajuste titre d’être « la première association à l’échelle mondiale pour associer les efforts de millions de juges, d’hommes de loi, de professeurs et d’étudiants en droit de toutes les nations du monde dans une volonté effective pour s’intéresser aux problèmes communs de l’humanité, aux processus, procédures, principes et institutions universellement acceptés de la régie de droit ». A cette œuvre, le Saint-Siège veut apporter sa contribution désintéressée dans le cadre et dans l’esprit de la mission que l’Église a reçue du Christ son Seigneur.

Le rapide développement, en extension et en profondeur, des relations entre les hommes et les peuples, appelle un effort sans précédent pour être maîtrisé par l’homme, pour ne pas être emporté par le flot tumultueux des intérêts et des instincts, pour trouver un cadre ordonné qui exprime et promeuve l’unité de la famille humaine dans le respect de la dignité insurpassable de toute personne humaine, de tout groupe humain. Cet effort trouve dans la règle de droit, l’imperium legis, un support indispensable pour assurer sa continuité, sa rectitude et son dynamisme inventif. La règle de droit ne signifie d’aucune manière un fixisme rigide. En se fondant sur une riche tradition et sur les valeurs humaines permanentes qui s’y sont affermies et affinées, elle se rend capable d’affronter d’autant plus résolument les situations toujours changeantes et de leur imprimer la marque de l’homme. Son universalisme traditionnel et constitutif trouve précisément dans l’unification présente de l’humanité un terrain immense et neuf pour imaginer des voies originales et renouveler en même temps les expressions légitimement diverses qu’elle s’est forgées dans les traditions des divers peuples.

La règle de droit, rule of law, n’ignore pas les tensions qui surgissent de la vie, ni la part de vérité que véhiculent les protestations et les revendications de ceux dont un cadre légal donné ne reconnaît pas les légitimes aspirations (cf. Pacem interris, 39 et ss.). Mais elle a assez confiance en elle-même, dans la loi du cœur et de la raison dont elle vit, pour chercher des solutions non dans l’exaspération des tensions mais dans l’appel aux facultés supérieures de l’homme, capable d’imaginer et de réaliser des cadres institutionnels plus appropriés au développement présent de l’humanité. C’est cette conviction qui vous a conduits à affronter à Madrid tout l’éventail des grands défis de notre temps ; les droits de l’homme et les accords d’Helsinki, le droit de la mer, la codification des règlements sur les sociétés transnationales, le, droit de la famille, la technologie de l’informatique et le droit à la vie privée, la réglementation internationale des sources alternatives d’énergies, la réduction progressive du commerce des armes conventionnelles, l’arbitrage international, etc.

Le Saint-Siège participe activement aux conférences internationales qui traitent de ces divers problèmes et sa contribution originale, d’ordre éthique, trouve un terrain d’autant plus propice que les perspectives de règlements juridiques sont plus élaborées, grâce notamment à vos travaux. Il le fait dans une perspective de mouvement et d’évolution qui doit caractériser le droit parce qu’elle caractérise le développement de l’homme et des peuples. Comme je l’ai déjà dit, la déclaration de ces droits et aussi l’institution de l’Organisation des Nations Unies ne se limitaient certainement pas à vouloir rompre avec les horribles expériences de la dernière guerre mondiale, mais elles visaient aussi à créer la base d’une révision continuelle des programmes, des systèmes, des régimes, précisément, à partir de ce point de vue unique et fondamental qu’est le bien de l’homme — disons de la personne dans la communauté — et qui, comme facteur fondamental du bien commun, doit constituer le critère essentiel de tous tes programmes, systèmes et régimes (Encyclique Redemptor hominis, 17, par. 3).

Oui, l’homme est à la base de tout. Il faut le respecter dans sa dignité personnelle et insurpassable. Il faut le respecter dans sa vocation communautaire ; la personne humaine et chrétienne ne peut, en effet, se réaliser que dans la mesure où est rejetée son individualité exclusive, car sa vocation est à la fois individuelle et communautaire. Le droit canonique permet et favorise ce perfectionnement caractéristique car il conduit à surmonter l’individualisme : la négation de soi en tant qu’individualité exclusive conduit à l’affirmation de soi dans une authentique perspective sociale, dans la reconnaissance et le respect de l’autre enfant que « personne » ayant des droits universels, inviolables, inaliénables, et une dignité transcendante (cf. allocution au tribunal de la Rote, 17 fév. 1979).

Les valeurs humaines, les valeurs morales sont à la base de tout. Le droit ne peut en faire abstraction, ni dans ses objectifs, ni dans ses moyens. Sa légitime autonomie méthodologique est intérieure à la loi morale, dans laquelle, du reste, elle trouve non pas vraiment un frein ou une limite mais le terrain nourricier de son développement dynamique et orienté. Vous savez — et je sais avec vous — qu’il est difficile de définir l’homme dans ce qui, à travers les coutumes et les cultures diverses, fait sa permanence et son universalité dans le temps et dans l’espace ; il est difficile aussi de tracer les contours institutionnels qui favorisent la croissance des hommes solidaires en tenant compte de leurs convictions diverses et en misant sur le dynamisme de leur conscience, donc en leur assurant l’indispensable liberté où cette conscience peut se former, se réformer et agir. Mais toute l’histoire du droit montre que la loi perd sa consistance et son autorité morale, qu’elle est alors tentée de faire un appel croissant à la contrainte et à la force physique, ou à l’inverse à démissionner de sa responsabilité — en faveur de la vie commençante ou en faveur de la stabilité du mariage, ou, au plan international, en faveur de populations entières abandonnées à l’oppression — lorsqu’elle renonce à chercher la vérité sur l’homme et se laisse gagner par un relativisme délétère. Recherche difficile, tâtonnante, mais recherche nécessaire à laquelle le juriste moins que quiconque ne saurait se dérober.

Pour l’Église, le fondement ferme de cette recherche est Jésus-Christ Mais, ce que le croyant découvre dans la lumière de la foi, il le croit et l’affirme de tout homme, croyant ou incroyant, car le Christ s’est uni en quelque manière à tout homme, à chaque homme. Bien plus, c’est notre assurance : la vie du Christ parle à nombre d’hommes qui ne sont pas encore en mesure de répéter avec Pierre : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Lui, le Fils du Dieu vivant, il parle aux hommes en tant qu’Homme aussi : c’est sa vie elle-même qui parle, son humanité, sa fidélité à la vérité, son amour qui s’étend à tous (cf. encyclique Redemptor hominis, 7, par. 4).

Mesdames, Messieurs, dans le profond respect de vos convictions, permettez-moi de vous inviter à écouter la parole du Christ, la parole de l’Évangile sur l’homme. Elle ne peut que vous fortifier dans votre volonté de construire la paix mondiale par le droit.

En vous redisant ma profonde estime pour l’œuvre déjà accomplie et en vous encourageant à y persévérer sans trêve, j’appelle sur vous, sur vos familles et sur tout votre travail, la bénédiction du Dieu Tout-Puissant.

 

 

 

27 octobre 1979

AUX MEMBRES DE « COR UNUM »

 

Le samedi 27 octobre, le pape a reçu en audience salle du Trône, les membres du conseil pontifical « Cor Unum » réunis en assemblée générale à Rome sous la présidence du cardinal Bernardin Gantin. Le pape a prononcé en français l’allocution suivante :

 

C’est avec plaisir que, pour la seconde fois déjà, je reçois le conseil pontifical Cor Unum à l’occasion de son assemblée générale. Ayant pu au cours de cette année suivre de plus près votre activité, je suis particulièrement heureux de cet entretien qui me permet un contact plus approfondi avec l’ensemble des membres de votre Conseil.

 

1. Comment ne pas évoquer d’abord avec vous le souvenir de ceux qui sont plus particulièrement présents en ces jours à votre mémoire et à votre prière ? Nous ont successivement quitté le Père John Molloy, religieux montfortain, qui fut un de ces collaborateurs discrets mais précieux qui assurent l’efficacité du travail. Puis le cardinal Jean Villot, votre premier président, si cher à nous tous. Il fut étroitement associé à la fondation et à l’orientation de Cor Unum, et vous savez tous combien il avait à cœur, malgré ses multiples et si lourdes responsabilités, de suivre vos activités et de vous apporter tout le soutien nécessaire. C’est enfin le Père Henri de Riedmatten, O.P., qui a mis sans compter et jusqu’à l’extrême limite de ses forces au service de Cor Unum, c’est-à-dire au service des plus pauvres, des capacités et une compétence hors pair, qui ont marqué les premières années de cette institution et dont vous continuez à bénéficier.

Nous les recommandons au Seigneur, soucieux de poursuivre l’œuvre d’Église à laquelle ils se sont consacrés chacun pour leur part avec fidélité.

 

2. Deux perspectives guidaient mon prédécesseur, le pape Paul VI, lorsqu’il instituait le conseil pontifical Cor Unum. D’abord une vision réaliste des choses : les besoins sont immenses, des appels angoissants montent de toutes parts, les ressources sont limitées, l’amour fraternel et le devoir de partage qu’il appelle sont bien souvent refroidis. Il faut alors rendre possible l’aide du « prochain », l’organiser, éviter les dispersions de forces et de ressources, coordonner les initiatives, grâce à une collaboration des différents organismes voués à l’action caritative. Mais le second aspect, le plus important, consistait en une vive conscience des implications ecclésiales de l’exigence évangélique de la charité envers tous les hommes. Au sens du prochain qui est naturel à tout homme conscient de sa propre nature et de sa propre dignité, l’Évangile apporte une exigence supplémentaire — caritas Christi urget nos ! — et celle-ci comporte une forme de participation à la vie de l’Église qui est essentielle pour donner au partage et à l’aide fraternelle leur pleine signification qui est d’exprimer la charité du Christ. Cette perspective évangélique, spirituelle et ecclésiale constitue la justification la plus profonde de l’existence du conseil Cor Unum. Elle se fonde en effet, en définitive, sur la conscience de l’Église comme Corps mystique du Christ. Cette orientation que mon grand prédécesseur Paul VI a voulu donner à l’ensemble des actions caritatives, je la fais totalement mienne aujourd’hui puisque, en m’appelant au siège de Pierre, le Seigneur m’a appelé à présider, effectivement « à la charité universelle ».

 

3. Depuis huit années, vous vous efforcez d’agir en ce sens. Je ne veux pas, en ces brefs instants, relever, comment cette perspective ecclésiale a inspiré vos relations suivies avec les conférences épiscopales comme vos relations œcuméniques, et également votre action face aux situations de détresse et aux urgences, hélas, si nombreuses, ou les études que vous menez sur la manière proprement chrétienne d’envisager les problèmes de la promotion humaine ou de la santé. Je voudrais plutôt profiter de notre rencontre de ce matin pour envisager avec vous les perspectives d’avenir.

 

4. Dans la ligne que je viens de rappeler, Cor Unum a mis à juste titre au premier plan de ses préoccupations le souci d’une collaboration toujours plus active et plus poussée avec les conférences épiscopales, celles des pays qui fournissent une aide matérielle comme celles des pays qui la reçoivent. Il n’y va pas seulement, je le répète, de l’efficacité dans les réalisations, mais de la conception même de l’Église qui, dans l’exercice de la charité concrète, doit exprimer la charité spirituelle qui l’anime et qui est le fruit de l’Esprit-Saint, Je vous encourage donc à poursuivre dans cette ligne, souhaitant que Cor Unum devienne toujours plus, en particulier à l’occasion des visites ad limina, un lieu où se partage, dans la perspective qui vous est propre, « le souci de toutes les Églises ». Ne peut-on souhaiter que les évoques trouvent normal de venir au siège de Cor Unum, comme ils vont aussi dans les divers organismes de la Curie et comme les représentants de Cor Unum visitent eux-mêmes ces conférences lorsqu’ils vont en mission ?

 

5. Par ailleurs, je sais combien vous-mêmes, responsables d’agences d’aide locales, et tous ceux qui travaillent avec vous, vous êtes accaparés par l’obligation de faire face jour après jour aux urgences de toutes sortes qui vous assaillent. Il vous faut cependant être d’autant plus attentifs à l’authenticité proprement ecclésiale de votre action. L’homme ne vit pas seulement de pain, ce pain qui fait tellement défaut à une grande partie de l’humanité ; il vit aussi de la vérité, il vit de la parole de Dieu. Si le rôle des agences d’aide et des institutions charitables est d’agir, il faut que cette action s’inspire toujours de l’Évangile. Bien que distinctes en soi, la mission proprement évangélique de l’Église et son action caritative découlent de la même source, l’amour du Christ Rédempteur, qui révèle pleinement l’homme à lui-même (cf. Encyclique Redemptor Hominis, n. 10). Elles ne doivent donc jamais donner ne fût-ce que l’impression de puiser leur inspiration à des sources différentes. C’est dire la nécessité de votre collaboration avec les conférences épiscopales de tous les pays concernés. Dans le Corps mystique du Christ, chacun donne et chacun reçoit selon ce que le Seigneur a départi à chacun, mais il n’y a jamais d’échange à sens unique. C’est dire aussi l’exigence d’une analyse proprement chrétienne, évangélique, des événements : c’est elle qui fonde la doctrine sociale de l’Église dans sa spécificité et dans son ampleur ; c’est elle qui guide son action caritative, bien au-delà des perspectives proprement techniques ou politiques qui déterminent trop souvent dans le monde l’évaluation des besoins et la manière d’y répondre.

 

6. Le rôle de coordination que, à la suite du pape Paul VI, je désire voir remplir par votre organisme, se situe dans ces perspectives. Du vicaire du Christ, que le conseil pontifical tient informé de ses problèmes concrets, vous recevez l’animation et l’impulsion qui garantissent cette perspective évangélique qu’il ne faut jamais laisser s’affaiblir ou se dénaturer. C’est elle qui justifie et qui inspire l’œuvre de coordination qui vous est confiée. Elle doit inspirer de même la coordination réciproque de toutes les organisations membres, grâce à un échange d’informations et de consultations sur l’opportunité des actions à entreprendre.

Et que personne ne craigne que l’efficacité technique et matérielle, que le soulagement des souffrances humaines qui sont votre but, puissent s’en trouver diminués. Bien au contraire, c’est le désintéressement des fils de Dieu, c’est la charité même du Christ qui brilleront d’autant plus aux yeux des hommes. Oui, à travers l’action de toutes les œuvres caritatives, que ce soit la compassion du Seigneur pour toutes les foules souffrantes qui se manifeste.

 

7. C’est dans ces sentiments que je vous adresse mes vifs encouragements à approfondir sans cesse les intuitions qui ont conduit mon vénéré prédécesseur à fonder le conseil pontifical Cor Unum. Reprenez et méditez les documents qui sont la charte de votre institution.

En vous remerciant pour tout ce que vous faites, je vous donne de grand cœur la bénédiction apostolique pour vous-mêmes et tous ceux qui collaborent avec vous et que vous représentez.

 

 

 

28 octobre 1979

PERCEVOIR PLUS PROFONDÉMENT LA CONNAISSANCE DU MYSTÈRE DU CHRIST

 

À la Commission théologique Internationale

Le Saint-Père a reçu en audience le vendredi 28 octobre les participants à la session plénière de la Commission théologique internationale que préside le cardinal Franjo Seper et dont Mgr Philippe Delhaye est le secrétaire. Le cardinal Joseph Ratzinger, archevêque de Munich, était présent. Le pape s’est adressé en latin à ses hôtes. Voici notre traduction :

 

1. C’est avec une grande joie que nous vous saluons, vous qui êtes membres de la Commission internationale de Théologie, et en particulier votre président le cardinal François Seper ainsi que le cardinal Joseph Ratzinger, en ce jour où, pour la première fois, vous nous rencontrez au Vatican en notre qualité de pasteur de l’Église universelle.

Il nous plaît de le déclarer tout de suite : nous approuvons fortement, nous estimons grandement votre commission, instituée par notre vénérable prédécesseur Paul VI en 1969, et nous attendons beaucoup d’elle. En même temps, nous vous remercions vivement de l’œuvré multiple que vous avez déjà accomplie, surtout au cours de la période de cinq années qui vient de s’écouler et qui touche déjà à sa fin.

 

2. Vous n’êtes pas seulement occupés à la recherche théologique et, certes, vous y excellez, mais l’autorité suprême de l’Église vous a appelés à apporter au magistère, et avant tout au pontife romain et à la Sacrée Congrégation pour la doctrine de la foi, le concours d’une coopération multiple dans le domaine de la théologie. Votre tâche, en effet, rejaillit également sur les Églises locales qui de nos jours peuvent communiquer entre elles beaucoup plus facilement qu’autrefois.

Toutes ces raisons donnent un éclat important à votre fonction, à la « responsabilité » que vous partagez d’une certaine façon avec le magistère de l’Église. Nous disons « d’une certaine façon » car comme l’a souligné avec sagesse notre prédécesseur, déjà mentionné, Paul VI, l’authentique magistère, dont l’origine est divine, « est doué d’un certain charisme de vérité qui ne peut être communiqué aux autres et auquel rien ne peut être substitué » (discours du 11 oct. 1973, AAS 65).

 

3. D’ailleurs, ce ministère que vous mettez à la disposition du magistère et de l’Église universelle, vous l’avez déjà fort bien expérimenté ces années-ci, conscients de devoir vous insérer dans la vie de l’Église, aujourd’hui pressée par de si nombreuses difficultés, de si nombreuses opinions et de si nombreux dangers. Nous voulons, rappeler certaines questions que vous avez abordées : avec un zèle louable et un profit non négligeable, vous vous êtes penchés sur le sacerdoce ministériel pour peser cette question si discutée en ce moment. Un sujet d’une grande importance a été l’unité de la foi et le pluralisme théologique. Vous vous êtes attaqués également à quelques questions de méthodologie en théologie morale ainsi qu’aux critères de l’acte honnête. Vous avez scruté les relations entré le magistère ecclésiastique et les théologiens. Vous vous êtes tournés vers l’exploration d’un sujet qui intéresse particulièrement des situations très récentes : nous voulons parler de la théologie de la libération, sujet qui éveille l’intérêt de beaucoup surtout dans certaines régions de l’Église catholique et qui est susceptible d’ouvrir la voie à des conclusions que l’on doit, à juste titre, mettre en discussion. Nous ne pouvons pas passer sous silence l’étude que vous avez faite des questions doctrinales se rapportant au sacrement du mariage et qui nécessitent vraiment la réflexion des théologiens de façon que la volonté du Dieu créateur et sauveur soit proposée, d’une manière adaptée et convaincante, aux hommes de notre temps que cela concerné.

Tout ce que vous avez mené à bien est de telle nature que nous en avons une grande estime et que nous vous en remercions. En même temps nous vous exhortons beaucoup à poursuivre avec joie l’œuvre entreprise pour qu’en ce monde si difficile mais accessible à la véritable espérance vous ouvriez à tous les disciples du Seigneur une voie vers la joie et la paix dans la foi (cf. Paul VI, Discours 1, c.p. 557 - cf. Rm 15, 13).

 

4. Nous savons que pendant cette session plénière vous avez examiné un choix de questions sur la christologie et nous espérons que votre travail portera des fruits semblables aux précédents. Déjà nous avons vu d’abondants rapports, des études historiques et théologiques qui se rapportent à cette question et nous lirons attentivement les conclusions que vous établirez dans votre sagesse. On peut dans la christologie découvrir de nouveaux aspects qui sont à exprimer avec soin, cependant toujours à la lumière brillante de vérités qui sont contenues dans les sources de la révélation et qui au cours des siècles ont été énoncées infailliblement par le Magistère.

« Tu es le Christ le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16). Ceci est le témoignage que le premier des Apôtres, illuminé par la grâce et puisant dans sa propre expérience, a donné ouvertement : « Ce n’est, ni la chair ni le sang qui t’ont révélé cela mais mon Père qui est dans les cieux » (ibidem, 17). Par ces paroles il nous offre comme un résumé de toute notre foi. En effet, la foi christologique que confesse l’Église catholique, s’appuie, sous la conduite et avec la force de la grâce, sur l’expérience du Verbe de vie faite par Pierre et les autres Apôtres ainsi que sur celle des disciples du Seigneur qui ont conversé avec Jésus, qui l’ont vu et dont les mains l’ont touché (cf. Jn 1, 1). Ce qu’ils avaient ainsi expérimenté, ils l’ont ensuite interprété à la lumière de la Croix et de la Résurrection et aussi sous la motion de l’Esprit-Saint. De là est née cette première « synthèse » qui se manifeste dans les confessions et les hymnes des épîtres apostoliques. Puis dans la suite des temps, l’Église se réclamant continuellement de ces expériences par son témoignage et en les vivant dans son expérience, a exprimé sa foi par des expressions toujours plus attentives dans les articles de ses grands conciles. En qualité de théologiens de cette commission, vous vous penchez sur l’étude de ces conciles, en particulier les conciles de Nicée et de Chalcédoine. Les formules de ces synodes universels ont une valeur permanente ; il ne faut certes pas négliger les circonstances historiques et les problèmes qui se posaient à l’Église de ces époques et auxquels elle a répondu par les définitions des conciles. Assurément, les problèmes qui sont soulevés actuellement sont liés aux problèmes des premiers siècles et les solutions adoptées alors interfèrent dans les réponses nouvelles ; ainsi les réponses actuelles présupposent toujours d’une certaine manière les énoncés de la tradition bien qu’elles ne puissent s’y réduire complètement.

Cette force permanente des formules dogmatiques s’explique d’autant plus facilement qu’elles sont énoncées en des expressions communes qui sont utilisées dans les usages et les habitudes de la vie quotidienne, même si parfois se présentent des expressions du langage philosophique. Il ne s’ensuit pas que le magistère adhère à une école particulière puisque ces expressions elles-mêmes signifient seulement ce qui se trouve dans toute expérience humaine. Vous avez également étudié comment ces formules se rapportent à la révélation du Nouveau Testament, comme l’Église la comprend.

 

5. Il est évident que l’étude des théologiens n’est pas limitée à la seule répétition, pourrions-nous dire, des formules dogmatiques, mais il faut que leur réflexion aide l’Église à percevoir plus profondément la connaissance du mystère du Christ. Le Sauveur s’adresse aussi, à l’homme de notre temps. En effet, le concile Vatican II nous donne cet enseignement :  « En réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné... ». En vérité, « Le Christ nouvel Adam, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation... Car par son incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme. Il a travaillé avec des mains d’homme, il a pensé avec une intelligence d’homme, il a agi avec une volonté d’homme, il a aimé avec un cœur d’homme. Né de la Vierge Marie, il est vraiment devenu l’un de nous, en tout semblable à nous, hormis le péché » (Gaudium et spes, 22).

C’est donc à juste titre que nous avons écrit, dans la lettre encyclique Redemptor hominis : « L’homme qui veut se comprendre lui-même jusqu’au fond... doit, avec ses inquiétudes, ses incertitudes et même avec sa faiblesse et son péché, avec sa vie et sa mort, s’approcher du Christ. Il doit pour ainsi dire, entrer dans le Christ avec tout son être, il doit « s’approprier » et assimiler toute la réalité de l’Incarnation et de la Rédemption pour se retrouver soi-même » (10).

Par conséquent, il apparaît clairement de quelle importance est le travail de ceux qui scrutent ce mystère du Christ pour en avoir une science plus profonde. Voici donc votre tâche, voici l’importance de votre présence dans l’Église ! La théologie, pour ainsi dire depuis le début de l’Église a progressé en même temps que la pastorale ; elle a toujours eu, et elle a actuellement, une grande valeur en vue de cette pastorale, par exemple pour la catéchèse... Ce rôle de recherche qui est le vôtre s’exerce de différentes façons : on sait que déjà autrefois il existait plusieurs écoles de théologie ; et également de nos jours on reconnaît des opinions et des avis différents de sorte que l’on peut parler d’un sain pluralisme. Cependant il faut toujours veiller à ce que le « dépôt de la foi » demeure entier et que le théologien rejette les principes philosophiques qui ne peuvent s’harmoniser avec cette foi.

 

6. On touche ici au passage la question de la relation entre les « sciences humaines » et la Révélation, sujet dont vous avez abondamment traité. Certains qui élargissent trop le domaine propre de ces sciences en arrivent à évacuer le mystère du Christ, selon la plainte de saint Paul, et négligent la folie de la croix pour exalter la sagesse humaine. Heureusement il se trouve que des théologiens beaucoup plus nombreux, à l’exemple de saint Thomas d’Aquin, sont persuadés que la philosophie doit être conduite vers les objectifs de la foi. Toute science est fixée sur des principes propres comme par des racines, il s’ensuit que la théologie juge finalement toutes les questions qu’elle a à résoudre à partir des principes de la foi. Elle agirait contre sa nature si, adhérant à des principes qui lui sont extérieurs, elle consentait à des conclusions qui ne- peuvent s’harmoniser avec ses principes propres.

 

7. Cependant des difficultés naissent aussi en ce qui concerne les relations entre le Magistère et les théologiens eux-mêmes. Comme nous l’avons déjà indiqué ce sujet a été traité par vous dans une de vos sessions spéciales, il y a quelques années. Vous avez développé trois aspects, à savoir les éléments communs, ceux qui appartiennent d’une part au Magistère et d’autre part à la fonction des théologiens, et la différence entre le magistère et la théologie. Nous désirons mettre le premier de ces aspects en lumière car il est d’une très grande importance. Dans le service de la vérité, le magistère et les théologiens sont unis par des liens communs, c’est-à-dire qu’ils sont attachés au Verbe de Dieu par le « sens de la foi » — en vigueur dans l’Église du passé et valable pour l’Église de ce temps — par les documents de la tradition, par lesquels la foi a été proposée au simple peuple, enfin par le souci pastoral et missionnaire dont ils doivent tenir compte.

Si l’on prête une attention convenable à tous ces éléments, les difficultés qui peuvent survenir seront facilement vaincues. En outre, les théologiens qui transmettent leur savoir à des disciples dans des chaires de hautes études, doivent se souvenir qu’ils n’enseignent pas de leur propre autorité, mais en vertu de la mission qu’ils ont reçue de l’Église, comme l’indique la constitution apostolique Sapientia Christiana (cf. art 27, par. 1).

Tout ce que nous venons d’effleurer à peine, illustre l’importance de la théologie et, par suite, l’importance de votre fonction. Faites en sorte que dans l’avenir l’Église soit enrichie par les fruits de votre recherche et de votre service. Et faites en sorte, vous qui êtes des maîtres, de former des jeunes à l’intelligence vive, vos élèves, pour que l’Église ait toujours à sa disposition les théologiens vraiment compétents dont elle a toujours besoin.

 

8. Puisque l’occasion s’en présente, rappelons deux de vos membres, Edouard Dhanis et Otto Semmelroth, qui ont été enlevés du milieu de vous et dont nous recommandons ardemment les âmes à Dieu.

Enfin, en vous embrassant dans une sincère charité, nous demandons au Seigneur, par l’intercession de la bienheureuse Vierge Marie que nous invoquons comme siège de la sagesse, de vous assister toujours, de vous rendre forts, de vous récompenser de vos mérites. Que ces vœux soient confirmés par la bénédiction apostolique que nous vous accordons très volontiers.

 

 

 

3 novembre 1979

LES EXIGENCES ET LES JOIES DU MARIAGE-SACREMENT

 

Le Saint-Père a reçu en audience, dans la salle du Consistoire, le samedi 3 novembre à 11 h 30, les membres du Centre de Liaison des équipes de recherche (C.L.E.R.), venus en pèlerinage à Rome et le Conseil d’administration de la Fédération internationale d’action familiale (F.I.D.A.F.) réuni à Rome pour y tenir session. Auparavant, le Saint-Père s’est entretenu longuement avec le Docteur et Mme Charles Rendu, pionniers de l’action familiale et de la recherche.

Après avoir entendu les adresses prononcées par le Docteur Jean Mutricy, président du C.L.E.R., et par Mme Marie-Paule Doyle, présidente de la F.I.D.A.F., le pape s’est adressé à ses auditeurs en ces termes :

 

Chers amis,

 

1. Je suis particulièrement heureux de rencontrer ici les membres du « Centre de liaison des équipes de recherche » (C.L.E.R.). Dans l’apostolat auprès des foyers — sur lequel a tant insisté le décret conciliaire Apostolican actuositatem (n. 11) — vous avez joué un rôle de pionniers, bien avant le concile Vatican II. Et actuellement vos équipes — où médecins, psychologues, conseillers conjugaux, éducateurs mettent en commun leurs compétences et leurs convictions de chrétiens. — jouent un rôle très appréciable, non seulement pour étudier les questions qui se rapportent à la régulation des naissances et à la fécondité du couple, mais pour aider concrètement les foyers sur tous les problèmes de leur vie conjugale et familiale, et pour contribuer dans le meilleur sens à l’éducation sexuelle des jeunes. Vous avez gardé confiance en l’Église et en son Magistère, sûrs qu’en travaillant ainsi vous, n’étiez pas trompés. Votre pèlerinage est une occasion de remercier le Seigneur, de réfléchir sur l’œuvre accomplie afin de la poursuivre avec toujours plus de courage et de fidélité, de resserrer vos liens avec l’Église que vous voulez servir, au moment ou se prépare le synode des évêques sur les tâches de la famille chrétienne. Je vous exprime, avec le merci de l’Église, mes félicitations et mes vifs encouragements.

 

2. Permettez-moi de saluer, en même temps que vous, les membres du Conseil d’administration de la Fédération internationale d’action familiale (F.I.D.A.F. ou, I.F.F.L.P.) qui va tenir sa réunion à Rome, avec les membres et les conseillers de notre Comité pour la famille ; cette fédération poursuit, même auprès des grandes organisations internationales, un travail similaire, dont le C.L.E.R. continue d’être partie prenante : recherche et promotion des méthodes naturelles de la planification familiale et éducation à la vie familiale. Je me réjouis du sérieux et de l’extension de votre activité et de sa convergence avec l’action pastorale de l’Église catholique en ces domaines.

Avec vous tous, il n’est point besoin que le pape s’étende sur ces considérations qui sont déjà l’objet de fermes convictions de votre part. J’ai d’ailleurs eu très souvent l’occasion de parler des problèmes familiaux ces derniers temps, par exemple aux laïcs réunis à Limerick en Irlande, aux évêques américains, aux familles rassemblées pour la messe au Capitol Mail de Washington. Je soulignerai cependant quelques aspects importants.

 

3. D’abord, pour des chrétiens, il est capital d’élever le débat en envisageant d’emblée l’aspect théologique de la famille, en méditant par conséquent sur la réalité sacramentelle du mariage. La sacramentalité ne peut être comprise qu’à la lumière de l’histoire du salut. Or cette histoire du salut se qualifie comme une histoire d’alliance et de communion entre Yahvé et Israël d’abord, puis entre Jésus-Christ et l’Église, dans ce temps de l’Église, en attendant l’alliance eschatologique. De même, précise le Concile, « le Sauveur des hommes, époux de l’Église, vient à la rencontre des époux chrétiens par le sacrement de mariage » (Constitution Gaudium et spes, n. 48, par. 2), Ce mariage constitue donc à la fois un mémorial, une actualisation et une prophétie de l’histoire de l’alliance. « Ce mystère est grand », dit saint Paul. En se mariant, les époux chrétiens ne commencent pas seulement leur aventure, même entendue au sens de sanctification et de mission ; ils commencent une aventure qui les insère de façon responsable dans la grande aventure de l’histoire universelle du salut Mémorial, le sacrement leur donne la grâce et le devoir de faire mémoire des grandes œuvres de Dieu et d’en témoigner auprès de leurs enfants ; actualisation, il leur donne la grâce et le devoir de mettre en œuvre dans le présent, l’un envers l’autre et envers leurs enfants, les exigences d’un amour qui pardonne et qui rachète ; prophétie, il leur donne la grâce et le devoir de vivre et de témoigner l’espérance de la future rencontre avec le Christ.

 

4. Certes, tout sacrement comporte une participation à l’amour nuptial du Christ pour son Église. Mais, dans le mariage, la modalité et le contenu de cette participation sont spécifiques. Les époux y participent en tant qu’époux, à deux, comme couple, à tel point que l’effet premier et immédiat du mariage (« res et sacramentum ») n’est pas la grâce surnaturelle elle-même, mais le lien conjugal chrétien, une communion à deux typiquement chrétienne parce que représentant le mystère d’incarnation du Christ et son mystère d’alliance. Et le contenu dé la participation à la vie du Christ est aussi spécifique : l’amour conjugal comporte une totalité, où entrent toutes tes composantes de la personne — appel du corps et de l’instinct, force du sentiment et de l’affectivité, aspiration de l’esprit et de la volonté — il vise une unité profondément personnelle, celle qui, au-delà de l’union en une seule chair, conduit à ne faire qu’un cœur et qu’une âme ; il exige l’indissolubilité et la fidélité dans la donation réciproque définitive ; et il s’ouvre sur la fécondité (cf. encyclique Humanae vitae, n. 9). En un mot, il s’agit bien des caractéristiques normales de tout amour conjugal naturel, mais avec une signification nouvelle qui non seulement les purifie et les consolide, mais les élève au point d’en faire l’expression de valeurs proprement chrétiennes. Voilà la perspective à laquelle doivent se hausser les époux chrétiens : c’est là leur grandeur, c’est leur force, c’est leur exigence, c’est aussi leur joie.

 

5. C’est aussi daris cette perspective que doit s’envisager leur paternité responsable. Sur ce plan, les époux, les parents peuvent rencontrer un certain nombre de problèmes qui ne peuvent être résolus sans un amour approfondi, un amour qui comprend aussi un effort de continence. Ces deux vertus, amour et continence, font appel à une commune décision des époux et à leur volonté de se soumettre eux-mêmes à la doctrine de la foi, à l’enseignement de l’Église. Sur ce vaste sujet, je me contenterai de trois observations.

 

6. D’abord, il ne faut pas tricher avec la doctrine de l’Eglise, telle qu’elle a été clairement exposée par le Magistère, par le Concile, par mes prédécesseurs, je pense notamment à l’encyclique Humanae vitae de Paul VI, à son discours aux équipes Notre-Dame du 4 mai 1970, à ses nombreuses autres interventions. C’est sur cet idéal des relations conjugales, maîtrisées et respectueuses de la nature et des finalités de l’acte matrimonial, qu’il faut sans cesse maintenir le cap, et non pas sur une concession plus ou moins large, plus ou moins avouée, au principe et à la pratique des mœurs contraceptives. Dieu appelle les époux à la sainteté du mariage, pour leur propre bien et pour la qualité de leur témoignage.

 

7. Ce point étant ferme, par obéissance à l’Église— et c’est votre honneur d’y tenir coûte que coûte — il n’est pas moins important d’aider les couples chrétiens, et les autres, à fortifier leurs propres convictions en cherchant avec eux les raisons profondément humaines d’agir ainsi. Il est bon qu’ils entrevoient comment cette éthique naturelle correspond à l’anthropologie bien comprise, de manière à éviter les pièges d’une opinion publique ou d’une loi permissives, et même pour contribuer, dans toute la mesure du possible, à redresser cette opinion publique. Bien des éléments de réflexion peuvent contribuer à se forger de saines convictions qui viennent aider l’obéissance du chrétien ou l’attitude de l’homme de bonne volonté. Et je sais que c’est aussi une partie importante de votre tâche éducative. Par exemple, à l’époque où tant de courants écologiques demandent le respect de la nature, que penser d’une invasion de procédés et de substances artificiels en ce domaine éminemment personnel ? Remplacer par des techniques la maîtrise de soi, le renoncement à soi-même pour l’autre, l’effort commun des époux, ne marque-t-il pas une régression de ce qui fait la noblesse de l’homme ? Ne voit-on pas que la nature de l’homme est subordonnée à la morale ? A-t-on mesuré toute la portée d’un refus, sans cesse accentué, de l’enfant sur la psychologie des parents, alors qu’ils portent le désir de l’enfant inscrit dans leur nature, et sur l’avenir de la société ? Et que penser d’une éducation des jeunes à la sexualité qui ne les mettrait pas en garde contre la recherche d’un plaisir immédiat et égoïste, dissocié des responsabilités de l’amour conjugal et de la procréation ? oui, il faut de bien des manières éduquer à l’amour véritable, pour éviter que ne se dégrade, sur ce point capital, à partir de conceptions floues ou faussées, le tissu moral et spirituel de la communauté humaine.

 

8. Le respect de la vie humaine déjà conçue fait évidemment partie, à un titre particulier, des convictions à éclairer et à fortifier. C’est un point où la responsabilité de l’homme et de la femme doit les amener à accueillir et à protéger l’être humain dont ils ont été les procréateurs et qu’ils n’ont jamais le droit d’éliminer : c’est un domaine où l’entourage, la société, les médecins, les conseillers conjugaux, les législateurs ont le devoir de permettre à une telle responsabilité de s’exercer, toujours dans le sens du respect de la vie humaine, malgré les difficultés et en apportant une entraide pour les cas de détresse. C’est un point sur lequel l’Église s’est prononcée de façon unanime dans tous les pays, si bien qu’il n’est pas besoin d’insister. La législation de l’avortement pourra fatalement en amener beaucoup à ne plus ressentir ce respect et cette responsabilité concernant la vie humaine, en banalisant une faute grave. Et il faut même ajouter que la généralisation de la pratique contraceptive par des méthodes artificielles conduit aussi à l’avortement, car les deux se situent, à des niveaux différents certes, dans la même ligne de la peur de l’enfant, du refus de la vie, du manque de respect de l’acte ou du fruit de l’union telle qu’elle est voulue entre l’homme et la femme par le Créateur de la nature. Ceux qui étudient à fond ces problèmes le savent bien, contrairement à ce que certains raisonnements ou certains courants d’opinion pourraient faire croire. Soyez loués de ce que vous faites et de ce que vous ferez pour former les consciences sur ce point du respect de la vie.

 

9. Enfin, il faut mettre en oeuvre tout ce qui est de nature à aider concrètement les couples à vivre cette paternité responsable, et là votre apport est irremplaçable. Les recherches scientifiques que vous poursuivez et mettez en commun pour acquérir une connaissance plus précise du cycle féminin et permettre une utilisation plus sereine des méthodes naturelles de régulation des naissances méritent d’être mieux connues, encouragées et effectivement proposées à l’application. Je me réjouis de savoir qu’un nombre croissant de personnes et d’organismes, au plan international, apprécient ces efforts de régulation naturelle. A ces hommes de science, à ces médecins, à ces spécialistes j’adresse tous mes vœux et mes encouragements, car il y va du bien des familles et des sociétés dans leur souci légitime d’harmoniser la fécondité humaine avec leurs possibilités, et, à condition de faire toujours appel aux vertus d’amour et de continence, il y va du progrès de la maîtrise humaine conforme au dessein du Créateur.

J’encourage de même tous les laïcs qualifiés, tous les foyers qui, comme conseillers, professeurs ou éducateurs, prêtent leur concours pour aider les couples à vivre leur amour conjugal et leur responsabilité parentale d’une façon digne, tout en aidant les jeunes à s’y préparer.

A chacun de vous, à vos collaborateurs, à vos familles, à vos chers enfants, l’assurance de ma prière pour votre magnifique apostolat et ma bénédiction apostolique.

 

 

 

5 novembre 1979

POUR RÉALISER PLEINEMENT VATICAN II

 

Au Sacré Collège

Le lundi 5 novembre, à 17 h, dans la salle du Synode, le pape Jean Paul II a ouvert la réunion du Sacré Collège qu’il avait convoqué. S’adressant en latin, aux cardinaux ainsi rassemblés, le pape a prononcé le discours dont nous donnons ici la traduction (les intertitres de chaque chapitre sont de notre rédaction) :

 

Vénérables frères, membres du Sacré Collège !

 

Le cardinal doyen, par ses paroles toujours si pleines d’amabilité et si concrètes, a voulu m’adresser ses vœux, en votre nom à tous également, pour ma fête. Je me fais un devoir à mon tour de lui présenter les miens, de les lui renouveler publiquement, et de le remercier aussi, sincèrement et affectueusement, non seulement de ce qu’il a tenu à rappeler au sujet de cette première année de mon service comme Pasteur de l’Église universelle, mais aussi de ce que lui-même, en votre nom, a souhaité à moi comme à l’Église et à l’humanité, à savoir que se réalise un renouveau général dans l’adhésion concrète à la doctrine du Christ.

N’est-ce pas là, en synthèse, la finalité spirituelle du concile Vatican II, le grand événement ecclésial de notre siècle, événement dont la mise en œuvre est confiée à la tâche du peuple de Dieu tout entier ? Le cher cardinal Confalonieri a évoqué à juste titre saint Charles Borromée, mon patron céleste. Combien n’a-t-il pas travaillé, combien n’a-t-il pas souffert lui-même pour rendre efficaces dans le vaste archidiocèse de Milan les sages directives de caractère doctrinal, moral, pastoral, liturgique du concile de Trente !

A lui, mon protecteur, en cet instant de grâce et de bénédiction qui nous voit réunis ensemble, j’élève une prière fervente afin qu’il transmette à nos cœurs son ardeur et son dévouement pour l’Église et pour les âmes.

 

I. — le rôle du Sacre Collège

 

1. Au début de notre rencontre, je voudrais surtout exprimer ma joie de voir le Sacré Collège rassemblé ici dans sa totalité, lui dont ta fonction principale est d’élire l’évêque de Rome, comme cela s’est produit pas moins de deux fois au cours de l’année dernière. Le triste devoir de dire un dernier adieu aux papes défunts — d’abord à Paul VI après quinze ans de pontificat, puis à Jean Paul Ier après seulement trente-trois jours de ministère pontifical — nous a réunis à Rome par deux fois en peu de temps. Conformément aux indications de la constitution apostolique Romano Pontifici eligendo, nous avons tenu, pendant les jours qui ont précédé le conclave, les congrégations générales que présidaient le vénérable doyen du Sacré Collège et le cardinal Jean Villot, camerlingue, que le Seigneur a rappelé à lui au début du mois de mars dernier.

Ces fréquentes rencontres de l’ensemble du Collège cardinalice donnèrent l’occasion d’avancer la proposition que le Collège puisse se réunir, au moins de temps en temps, en-dehors de la période du conclave. Acquiesçant à cette proposition, j’ai pensé inviter les vénérables cardinaux à cette réunion que je me permets d’inaugurer et d’ouvrir par ce discours. En vous y invitant, je me rendais compte que votre venue à Rome aurait comporté la nécessité d’abandonner les travaux nombreux et importants qui sont les vôtres dans vos pays et dans vos diocèses. C’est pourquoi je désire vous remercier d’autant plus cordialement tous aujourd’hui de votre présence.

 

2. Notre rencontre est pleinement justifiée par le caractère de la dignité dont vous êtes revêtus et par les fonctions qui reviennent au Collège cardinalice que vous constituez tous : vous avez en effet aussi, vénérables frères, outre la charge d’élire l’évêque de Rome, celle de le soutenir d’une manière particulière dans sa sollicitude pastorale pour l’Église dans ses dimensions universelles. Ceux d’entre vous qui appartiennent à la Curie romaine dans laquelle ils occupent les postes de première responsabilité participent directement, de façon continue et constante, à cette sollicitude. Cependant, à côté de ce groupe de méritants collaborateurs, tous les autres membres du Sacre Collège partagent avec le pape la sollicitude commune pour l’Église. Votre lien avec le Siège romain est particulier et le signe extérieur de cette union se trouve par exemple dans les églises de la Ville éternelle qui jouissent du titre, de la dignité et du patronage de chacun d’entre vous. C’est précisément dans ce lien particulier avec l’Église romaine que réside le motif pour lequel l’évêque de Rome désire vous rencontrer plus souvent, afin de tirer profit de vos conseils et de vos multiples expériences. En outre, la rencontre des membres du Collège cardinalice est une forme par laquelle s’exerce aussi la collégialité épiscopale et pastorale, qui est en vigueur depuis plus de mille ans et dont il convient que nous nous servions aussi à notre époque. Ceci n’affaiblit en aucune manière ni ne diminue les devoirs et la fonction, du synode des évêques, dont la prochaine réunion ordinaire est prévue pour l’automne de l’année qui vient. Les travaux préparatoires de cette réunion sont actuellement en cours ; son thème De muneribus familiae christianae fut encore fixé par le pape Paul VI de vénérée mémoire, conformément aux suggestions de nombreuses conférences épiscopales et de divers milieux.

 

3. Il semble donc que la réunion du Collège cardinalice à l’automne de cette année puisse se livrer avec profit à un examen, au moins sommaire, de quelques problèmes un peu différents de ceux sur lesquels travaille le synode des évêques. Ces problèmes, dont je voudrais au moins tracer les grandes lignes en guise d’introduction, sont importants, étant donné la situation de l’Église universelle, et ils semblent en même temps être plus étroitement reliés au ministère de l’évêque de Rome que ceux qui doivent constituer le thème du synode des évêques. Il va de soi qu’on ne peut parler ici d’une délimitation rigoureuse.

Je désire souligner tout de suite que, outre les questions que je présenterai tout à l’heure de mon côté, je compte sur les propositions que chacun des participants à notre rencontre mettra en avant et développera. Nous devons prévoir pour cela la place nécessaire dans l’ordre du jour de nos séances. Contrairement à ce qui a lieu au synode des évêques, cet ordre du jour n’est fondé sur aucun statut particulier. Il a été préparé « ad hoc », selon les exigences prévues pour la réunion actuelle (un peu sur le modèle des congrégations qui ont eu lieu avant le conclave de l’an dernier). Je voudrais ajouter aussitôt que, en plus des interventions orales au cours des réunions, toutes les observations et propositions écrites seront précieuses. Je me rends compte que l’ensemble de nos travaux ne peut faire perdre trop de temps aux vénérables membres du Sacré Collège et nous avons pris aussi cela en considération en préparant le programme et l’ordre du jour de notre réunion.

 

II. — Une entière réalisation de Vatican II

 

4. Avec la grâce du Dieu Très-Haut et sous la protection de la Mère du Christ et Mère de l’Église, j’ai commencé, le 16 octobre de l’année dernière, l’exercice du service papal universel auquel j’ai été appelé par vos votes, vénérables cardinaux, au cours du dernier conclave. Je m’efforce d’exercer ce service comme je le peux, selon mes forces et avec la meilleure volonté —mais avant tout avec l’aide de la lumière et de la puissance de l’Esprit Paraclet — et je ne cesse de demander à tous, et particulièrement à vous, vénérables et chers frères, de prier à cette intention. Je n’ai pas le projet de vous informer ici en détail des travaux qui ont rempli la première année de mon pontificat, ne serait-ce que parce qu’ils sont bien connus de vous tous. Je désire par contre me référer encore une fois à tout ce qu’il m’a été donné de mettre en relief dès mon premier discours au lendemain de mon élection. Une réalisation cohérente de l’enseignement et des directives du concile Vatican II est et continue à être la tâche principale du pontificat. Tel était, en substance, le contenu de ce discours. En effet, le Concile a élaboré et mis en face de toute l’Église une vision « d’ensemble » des tâches qui doivent être accomplies dans le contexte du lien réciproque et d’une dépendance organique, en se servant évidemment de méthodes multiples et en ayant à sa disposition sa propre perspective théologique et historique.

 

5. Nous lisons dans la constitution Gaudium et spes : « Quand le Seigneur Jésus prie le Père pour que "tous soient un… comme nous sommes un" (Jn 17, 21-22), il ouvre des perspectives inaccessibles à la raison humaine et il nous suggère qu’il y a une certaine ressemblance entre l’union des personnes divines et celle des fils de Dieu dans la vérité et dans la charité » (n. 24). L’aspiration à l’union des hommes comme « fils de Dieu unis dans la vérité et dans la charité » ne cesse d’être une perspective de toute la vie et de toute la mission de l’Église, à l’intérieur de sa propre communion comme en dehors d’elle, dans chacun des « cercles de dialogue », comme les appelle le pape Paul VI dans la première encyclique de son pontificat. Nous nous rendons tous bien compte que cette aspiration à l’union dans la vérité et dans la charité ne cesse d’être l’aspiration à la vérité dans laquelle nous devons nous rencontrer réciproquement tout comme l’aspiration à la charité grâce à laquelle nous devons être unis réciproquement. Il ne peut en être autrement dans l’état de notre existence humaine terrestre. C’est avant tout en ce sens que je me suis permis de mettre en évidence, dans l’encyclique Redemptor hominis, que, toujours mais particulièrement à notre époque par la voix du Concile, le Christ indique le chemin à l’homme, à tout homme, et qu’en ce sens l’homme dans le Christ devient d’une certaine façon le chemin de l’Église.

De cette manière, nous rejoignons toujours plus la perspective historique de la mission de l’Église, qui s’unit pour nous à la perspective théologique de la foi, puisque cette « union dans La vérité et dans la charité » c’est-à-dire l’unité spirituelle liée à la dignité « de fils de Dieu » a été montrée à chaque homme et à tous les hommes. Nous devons donc faire en sorte que cette formule synthétique que le Concile nous a laissée dans sa constitution pastorale, unisse vraiment en elle tous les efforts particuliers qui constituent l’œuvre de la réalisation du Concile. Dans sa réalité la plus profonde, cette œuvre est symbolisée par l’arbre de la vie, avec lequel l’homme autrefois a rompu son lien du fait du péché originel (cf. Gn 3, 1-7), et qui, avec le Christ, a recommencé à se développer vigoureusement dans l’histoire de l’humanité. Le Concile n’a pas tant dévoilé à nos yeux l’éternel mystère de ce développement, qu’il n’a mis en relief, d’une façon particulièrement pénétrante, son étape contemporaine. C’est pourquoi l’obéissance à l’enseignement du concile Vatican II est obéissance à l’Esprit-Saint qui est donné à l’Église afin de rappeler à chaque moment de l’histoire, tout ce que le Christ lui-même a dit pour enseigner toute chose à l’Église (cf. Jn 14, 26). L’obéissance à l’Esprit-Saint, s’exprime dans la réalisation authentique des tâches indiquées par le Concile, en plein accord avec l’enseignement qui y est proposé.

 

6. On ne peut pas traiter de ces tâches comme si elles n’existaient pas. On ne peut pas prétendre, pour ainsi dire, faire remonter à l’Église le cours de l’histoire de l’humanité. Mais on ne peut pas non plus courir présomptueusement en avant, vers des manières de vivre, de comprendre et de prêcher la vérité chrétienne, et finalement vers des modes d’être chrétien, prêtre, religieux et religieuses, qui ne s’abritent pas sous l’enseignement intégral du Concile intégral, c’est-à-dire entendu à la lumière de toute la sainte Tradition et sur la base du Magistère constant de l’Église. Tâche grande et multiple, que celle qui place devant nous l’impératif de la réalisation du Concile ! Elle demande une vigilance continuelle par rapport à l’authenticité de toutes les initiatives dans lesquelles s’articulera cette réalisation.

L’Église, communauté vivante des fils de Dieu unis dans la vérité et dans l’amour, doit faire un grand effort, en ce moment, pour entrer dans la vraie voie de la réalisation de Vatican II et se dégager des propositions contraires, chacune desquelles se révélant, en son genre, un éloignement de cette voie. Cette voie seule — autrement dit l’obéissance honnête et sincère à l’esprit de vérité — peut servir à l’unité et en même temps à la force spirituelle de l’Église.

Elle seule peut, en outre, servir à l’œuvre de l’œcuménisme, c’est-à-dire à l’unité renouvelée que, en une première acception, nous entendons comme l’union par la charité, mais que, plus profondément, nous entendons ensuite comme une rencontre progressive dans la plénitude de la vérité, avec tous ceux qui, comme nous, croient au Christ. Cette voie seule — la voie de l’union interne de l’Église, du peuple de Dieu — peut servir à l’œuvre de l’évangélisation, à savoir à la manifestation effective à tous les hommes de la vérité et de la vie qui est le Christ lui-même. L’union dans la vérité et dans la charité est une exigence particulière de notre temps, parce que nous y rencontrons aussi la négation de cette vérité et la mise en doute radicale de l’Évangile et de la religion en général.

 

7. Ce regard sur l’ensemble de la situation conduit à tirer aussi quelques conclusions importantes, que l’on peut appeler « pratiques » (du fait que le concile Vatican II, se fondant sur l’Évangile et sur la Tradition, n’a tracé que les grandes lignes de toute la praxis chrétienne contemporaine, la manière de vivre du peuple de Dieu).

La conclusion la plus importante concerne la bonne compréhension et le bon exercice de la liberté dans l’Église. Fidèle aux paroles du Seigneur, le Concile désire servir au développement de cette liberté, la liberté des fils de Dieu, qui est chargée de sens surtout aujourd’hui, parce que nous sommes témoins de nombreuses formes de contraintes sur l’homme, y compris les contraintes sur sa conscience et sur son cœur. Il ne faut jamais oublier que le Seigneur a dit : « Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres » (Jn 8, 32). L’Église doit donc garder dans le cœur et dans la conscience de chacun de ses fils et de ses filles, et si possible également dans le cœur et dans la conscience de tout homme, la vérité de la liberté elle-même. Il n’est pas rare que la liberté de la volonté et la liberté de la personne soient comprises comme le droit de faire n’importe quoi, comme le droit de n’accepter aucune règle ni aucun devoir qui engagent pour la vie entière par exemple les devoirs découlant des promesses du mariage ou de l’ordination sacerdotale. Mais le Christ ne nous enseigne ni une telle interprétation, ni un tel exercice de la liberté. La liberté de tout homme crée des devoirs, demandé le plein respect de la hiérarchie des valeurs, est dirigée en puissance vers le Bien sans limites, vers Dieu. Aux yeux du Christ, la liberté n’est pas d’abord « liberté de », mais « liberté pour ». Le vrai fruit de la liberté est l’amour, en particulier l’amour par lequel l’homme se donne lui-même. L’homme en effet, ainsi que nous le lisons dans le même chapitre de Gaudium et spes, ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même » (n. 24).

Tels sont l’interprétation et l’exercice de la liberté qui doivent se retrouver à la base de toute l’œuvre du renouveau. Seul l’homme qui comprend et exerce sa liberté de la façon indiquée par le Christ ouvre son esprit à l’œuvre de l’Esprit-Saint, qui est Esprit de vérité et d’amour. De l’authentique affirmation de la liberté des fils de Dieu, dépend la grande œuvre des vocations sacerdotales, religieuses, conjugales ; dépend le progrès œcuménique effectif; dépend tout le témoignage des chrétiens, c’est-à-dire la participation des chrétiens à la cause de la transformation du monde en un monde plus humain. Telle est la première condition.

 

8. La deuxième condition du renouveau de l’Église dans l’esprit de l’Évangile (et donc dans l’esprit de Vatican II) est constituée par une continuelle croissance de la solidarité, c’est-à-dire de l’amour communautaire (social), aussi bien à l’intérieur de l’Église qu’en considérant tous les hommes, sans distinction de confession ou de convictions. On a fait beaucoup dans ce sens ces derniers temps, comme en témoigne l’activité de la commission Justifia et Pax et aussi celle du conseil Cor Unum. Il est évident que l’Église n’a qu’une possibilité limitée d’offrir une aide financière en face des multiples et très divers besoins matériels dans les différents endroits de la terre. Il faut souligner également ici que cette solidarité ad extra de l’Église requiert une solidarité à l’intérieur. Je me suis efforcé d’attirer l’attention là-dessus surtout dans les discours du mercredi pendant le dernier Carême. L’Église elle-même est une grande communauté à l’intérieur de laquelle il existe des situations diverses dans chaque communauté ; ceux qui souffrent de restrictions matérielles ne manquent pas, non plus que ceux qui subissent oppression et persécution. Dans toute la communauté catholique, dans chacune des Églises locales, doit croître le sens d’une solidarité particulière avec ces frères dans la foi particulièrement avec ceux qui appartiennent à des Églises de rite oriental, là où celles-ci n’ont même pas d’existence légale reconnue.

Dans le monde contemporain, dominé à sa manière par tout le système d’échange d’informations, il est nécessaire — à l’intérieur de l’Église, comme à l’extérieur, devant l’opinion mondiale — d’avoir un échange permanent d’informations concernant ceux qui soutirent de la misère et aussi ceux qui souffrent pour la foi. Ils, doivent sentir d’une façon particulière qu’ils ne sont pas abandonnés dans leurs souffrances, que toute l’Église se souvient d’eux, pense à eux et prie pour eux, qu’ils sont au centre de l’attention de tous et non en marge.

Dans ce domaine, l’Église « riche et libre » (si l’on peut s’exprimer ainsi) a des dettes et des devoirs énormes envers l’Église « pauvre et dans la contrainte » (s’il est permis d’utiliser de tels qualificatifs). Solidarité veut dire surtout compréhension adéquate et ensuite action adéquate, non pas selon ce qui correspond à la conception de celui qui aide, mais selon ce qui correspond aux besoins réels de celui qui est aidé et à sa dignité.

N’oublions pas ce principe fondamental de l’économie du salut selon lequel l’homme qui donne aux autres se sauve lui-même. Peut-être le remède à de multiples difficultés internes dont souffrent certaines Églises locales, certaines communautés chrétiennes, se trouve-t-il justement dans cette solidarité. Les difficultés seront efficacement surmontées lorsque ces Églises — cessant dans un certain sens de se regarder elles-mêmes — commenceront à servir les autres dans la vérité et dans la charité. Ce principe interprète de la manière la plus simple le rôle missionnaire de l’Église et il établit même un postulat stimulant et, en un certain sens, un impératif missionnaire pour notre génération, pour la génération à laquelle la Providence a confié une grande œuvre de renouveau, génération qui parfois se retrouve vacillante et découragée en constatant l’écroulement de certains fronts de la vie traditionnelle de l’Église, la crise des institutions fondamentales et plus encore la crise, que l’on observe dans les hommes, dans leur comportement et dans leurs consciences.

 

9. Le renouveau de l’Église, selon le « programme » splendide que le concile Vatican II a proposé, ne peut être autre chose, dans son ossature fondamentale (et aussi dans ses manifestations concrètes), qu’une authentique conversion à Dieu proportionnée aux exigences de notre temps. L’appel à la conversion (Metanoiete), à savoir à la pénitence, est non seulement là première parole de l’Évangile, mais aussi sa parole constante et irremplaçable. De cette parole découle toute la vitalité de l’Église. L’Église se trouve d’autant plus in statu missionnis, c’est-à-dire qu’elle réalise d’autant plus pleinement sa mission, qu’elle se convertit davantage à Dieu. Et c’est seulement par une telle auto-conversion qu’elle devient plus puissante en tant que centre de la conversion des hommes et du monde au Créateur et Rédempteur.

Il faut donc regarder avec une certaine inquiétude le relâchement diffus de ces efforts fondamentaux qui rendent toujours témoignage de l’esprit de pénitence et de la dynamique de la conversion parmi les confesseurs du Christ. C’est aussi un devoir, par ailleurs, de remercier Dieu avec joie pour tout ce qui manifeste l’authentique « souffle de l’Esprit » ; pour le réveil de la soif de prière, de la vie sacramentelle et spécialement de la participation à l’Eucharistie ; pour le retour sérieux à l’Écriture Sainte ; pour la remontée, au moins en certains endroits, des vocations sacerdotales et religieuses ; pour tout ce qui peut se définir comme « réveil spirituel ». Et tout cela, vénérables frères, nous devons nous efforcer de le conserver avec un soin particulier, en créant les conditions nécessaires à un nouveau développement de ces courants bienfaisants, si indispensables à l’Église et à l’humanité, laquelle se rend compte toujours mieux des résultats auxquels aboutit le matérialisme contemporain dans ses multiples manifestations.

 

III. — De quelques problèmes particuliers

 

10. Dans la partie précédente de mon discours, j’ai évité de traiter directement des problèmes particuliers ; je voulais plutôt mettre en lumière les éléments fondamentaux dont dépend la réalisation de la tâche qui s’offre à toute l’Église dans l’étape présente de l’histoire. J’espère que cela aidera les cardinaux ici réunis à formuler leurs observations et leurs propositions, que nous attendons également au cours de cette rencontre.

Après ce discours d’introduction de nature générale, seront présentés trois rapports de caractère plus particulier. Ils concernent les problèmes concrets sûr lesquels le Siège apostolique estime utile d’informer l’illustre Collège pour en obtenir l’avis responsable.

Pour donner à tous la possibilité de s’exprimer, il a été prévu entre autres,  des rencontres par groupes linguistiques.

Le premier rapport, du cardinal secrétaire d’État, portera sur l’ensemble des structures de la Curie romaine, telles qu’elles ont été réordonnées, à la suite des suggestions du Concile, par la constitution apostolique du pape Paul VI Regimini Ecclesiae Universae. Ces structures présentent une liaison organique avec les multiples directions de l’activité contemporaine de l’Église. La perspective de l’application ultérieure du concile Vatican II dépend pour une bonne part du fonctionnement efficace de ces structures, et de leur coopération programmée avec les structures analogues qui existent dans le cadre des Églises locales et des conférences épiscopales.

Le sujet du deuxième rapport, qui sera présenté par le cardinal préfet de la congrégation pour l’éducation catholique, est un problème plus spécifique mais non moins important. Il s’agit de l’activité des différentes Académies pontificales et en particulier de l’Académie pontificale des sciences.

Cet organisme, institué par le pape Pie XI, a une importance fondamentale dans le domaine des rapports entre la foi et la connaissance, et entre la religion et la science. Là aussi, il convient de réfléchir sur un modèle plus collégial de parvenir à une coopération en ce domaine, qui est important pour l’Église dans sa dimension universelle.

La constitution pastorale Gaudium et spes a consacré un chapitre à part au problème des rapports entre l’Église et la culture. Selon l’esprit de ce document, il conviendrait de chercher ensuite une expression adéquate des rapports de l’Église avec le vaste domaine de l’anthropologie contemporaine et des sciences humaines, comme Pie XI a cherché l’expression des rapports de l’Église avec les sciences mathématiques et naturelles en instituant l’Académie pontificale des sciences.

Et je suis heureux que, dans quelques jours, une session solennelle de cette Académie pontificale ait lieu pour commémorer le centenaire de la naissance d’Albert Einstein, en présence de vous tous, vénérés et chers frères.

Le troisième sujet enfin, qui sera l’objet du rapport du cardinal président de l’administration du patrimoine du Siège apostolique, concerne l’ensemble des problèmes qui furent déjà touchés sommairement au cours des congrégations cardinalices qui précédèrent le conclave du mois d’août de l’année dernière. En ayant à l’esprit les divers secteurs de l’activité du Siège apostolique, qui devaient se développer en relation avec la réalisation du Concile et, avec les charges actuelles de l’Église, dans le domaine de l’évangélisation comme dans celui du service des hommes dans l’esprit de l’Évangile, il est nécessaire de poser la question des moyens économiques. En particulier, le Collège cardinalice a le droit et le devoir de connaître exactement l’état actuel de la question.

 

11. Vénérés et chers frères, voici brièvement décrit un ensemble de problèmes qui doivent constituer le thème de cette rencontre, que j’ai tant attendue. J’espère que le Siège de la sagesse, la Mère de l’Église, implorera pour nous la lumière nécessaire, afin que nous puissions, en un temps relativement court, examiner ces problèmes et leur apporter des solutions efficaces pour le ministère futur de l’évêque de Rome.

 

 

 

9 novembre 1979

UNE ÉTAPE IMPORTANTE DE LA COLLÉGIALITÉ

 

Pour la clôture de la réunion du Sacré Collège

En fin de matinée, le vendre 9 novembre, le pape a prononcé le discours de clôture de la réunion du Sacré Collège. Voici la traduction de son intervention faite en latin.

 

1. « Ecce quam bonum... habitare fratres in unum » (Ah ! qu’il est bon, qu’il est délicieux pour des frères d’habiter ensemble !) (Ps 132, l). Dans la vie de l’Église il y a des circonstances spéciales, dans lesquelles nous saisissons plus à fond la beauté et la vérité de ces paroles. Nous en avons fait l’expérience au cours de deux conclaves que l’an dernier nous avons vécus ensemble, dans une expérience unique de notre vie consacrée au Christ et au peuple de Dieu. Et nous les avons expérimentées également ces jours-ci, dans toute leur richesse intérieure et leur douceur, lorsque nous nous sommes réunis en cette première et historique rencontre. Elle était très désirée par moi et elle fut favorisée par votre présence et votre collaboration. « Fratres in unum. » Nous nous sommes sentis frères, unis par un même lien de vocation et de mission : serrés autour de l’autel, près de la tombe de Pierre, lundi 5 novembre, priant pour les frères du Sacré Collège qui en grande partie étaient à nos côtés l’an dernier, et que le Seigneur a appelés à lui ; unis dans cette salle, où est perçue cette unique passion qui nous consacre tous « à accomplir le ministère, afin d’édifier le Corps du Christ, jusqu’à ce que nous arrivions tous à l’unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu » (Ep 4, sq.).

Frères, nous le ressentons particulièrement aujourd’hui ce lien avec notre Église de Rome à laquelle nous sommes si profondément attachés, moi comme pasteur, vous comme membres authentiques du clergé romain, auquel vos titres et vos diaconies donnent le droit natif d’appartenir. Aujourd’hui, je le répète, en ce jour ou l’Église universelle célèbre la dédicace de la basilique du Latran, mère et tête de toutes les Églises, cathédrale de l’évêque de Rome.

Un reflet de cette joie qui est le propre de la Jérusalem céleste irradie sur chacun de nous qui sommes réunis pour conclure cette rencontre aujourd’hui même, en ce jour sacré de la dédicace de la cathédrale de Rome.

 

2. Animés de ces sentiments, rendons grâce de tout cœur : pour être venus à Rome de tous les continents, laissant pour quelque temps les sollicitudes pastorales qui vous unissent à vos Églises, auxquelles vous êtes liés, dans le Christ, par un amour nuptial ; pour avoir affronté les difficultés du voyage sans autre souci que les exigences du travail. Merci pour les interventions solides et réfléchies, que vous avez fait entendre, pour l’harmonie dans laquelle l’Assemblée et les carrefours ont travaillé, en réponse à l’invitation qui leur était faite, pour la collaboration positive qui s’est manifestée. Nous rendons grâce également pour l’ambiance dans laquelle cette rencontre s’est déroulée, un climat de fraternité un air dé famille, dans un souci de coresponsabilité, dans l’amour : « car l’amour du Christ nous presse » (2 Co 5, 14).

 

3. Je pense que notre rencontre a contribué :

— à franchir en peu de temps une importante étape sur la voie de la collégialité, dans l’esprit du Concile Vatican II ;

— à donner une nouvelle vie à cette merveilleuse institution qu’est le Sacré Collège, conformément à sa nature et à sa tradition.

Tout en rendant grâce, il convient de s’interroger sur quelques aspects tels que l’ampleur des travaux qui semblait dépasser les possibilités du temps disponible à leur consacrer.

Il apparaît donc qu’en un espace de temps relativement bref cette assemblée qualifiée ne pouvait faire plus.

 

4. Les éléments principaux des travaux seront repris dans un communiqué final.

Dans un certain sens, cette rencontre est comme une introduction à un ultérieur échange d’idées et de sollicitude pastorale.

Il n’est pas douteux qu’une telle rencontre a un caractère hautement pastoral, animé par le « souci de toutes les Églises » (cf. 2 Co 11, 28).

 

5. Je n’ai pas l’intention de revenir sur les thèmes soumis à votre réflexion ces jours-ci et pour les mois à venir. Il me suffit de dire qu’en ce qui concerne l’organisation de la Curie romaine, il sera tenu le plus grand compte des suggestions, des conseils, des propositions qu’animés d’un sincère amour pour l’Église universelle, vous avez fait et vous ferez parvenir. Ainsi, au cœur même de l’Église, l’organisme de la Curie romaine, si bien articulée et complexe, aura la possibilité d’accomplir un service toujours plus qualifié, précieux et profitable aux évêques et aux conférences épiscopales du monde entier.

 

6. Vous n’avez pas manqué de noter l’intérêt que personnellement, et avec l’aide de mes collaborateurs directs, j’entends consacrer aux problèmes de la culture, de la science et de l’art. Ils ont fait l’objet d’études spéciales de la part du concile Vatican II et ils attendent un apport de bonne volonté de nous tous, hommes d’Église. C’est le Concile qui dans la constitution pastorale Gaudium et spes a mis en pleine lumière la nécessité de promouvoir le développement de la culture : « les chrétiens, en marche vers la cité céleste doivent rechercher et goûter les choses d’en-haut, mais cela pourtant, loin de la diminuer, accroît plutôt la gravité de l’obligation qui est la leur de travailler avec tous les hommes à la construction d’un monde plus humain. Et de fait, le mystère de la foi chrétienne leur fournit des stimulants et un soutien inappréciables : ils leur permettent de s’adonner avec plus d’élan à cette tâche et surtout de découvrir l’entière signification des activités capables de donner à la culture sa place éminente dans la vocation intégrale de l’homme (G. S., n. 57).

C’est vers ce but que s’orientent les sollicitudes et les prospectives que je me suis permis de vous présenter et qui ont été illustrées par le cardinal rapporteur. Les interventions ont dit clairement quelles sont vos préoccupations pour le développement de ce champ vital, sur lequel se joue l’avenir de l’Église et du monde en cette fin de notre siècle.

C’est pourquoi j’attache une très grande importance aux suggestions que vous me ferez parvenir au sujet de cette question centrale et inéluctable pour moi et pour tous.

En ce qui concerne le troisième thème, « la question économique », il semble opportun de mettre en relief quelques points.

a) Au mois d’août 1978, avant le conclave, vous avez pu, vénérables frères, prendre connaissance de façon précise de l’état des problèmes financiers du Saint-Siège et il convient de poursuivre l’échange des informations sur ce sujet.

b) Ceci est d’une grande importance, car c’est la possibilité de donner une information exacte sur ce sujet à l’opinion publique dans l’Église et toute la société catholique. Les affabulations propagées au sujet des finances du Saint-Siège lui ont causé un grand tort. De nos jours, comme aux temps antiques, surgissent des mythes. Le seul moyen à utiliser en pareilles circonstances est de considérer objectivement les faits en eux-mêmes. A ce sujet, je dois vous exprimer mes vifs remerciements, car vous êtes disposés à collaborer, également dans ce domaine, avec généreuse disposition, selon la tradition apostolique confirmée par l’expérience de toutes les époques de l’Église.

c) Pour servir avec efficacité la mission universelle de l’Église, pour réaliser le programme pastoral du Concile et travailler en faveur de l’évangélisation, le Siège apostolique a besoin de moyens financiers. Ces moyens sont plus que modestes comparés avec ceux que le monde contemporain dépense, par exemple, pour les armements.

En plus de cela, la conservation de ce grand monument de la culture qu’est la basilique de Saint-Pierre, et avec lui d’autres institutions comme les musées, est un de nos devoirs en face de l’Histoire.

En conclusion, je crois pouvoir dire que les buts envisagés lors de la convocation de cette réunion extraordinaire des Pères cardinaux, ont été atteints, Deo adiuvante.

C’est vraiment à lui, au « Père de la lumière » d’où provient « tout don et tout don parfait » (Jn 1, 17) que s’élève la reconnaissance unanime. A lui nous confions nos résolutions et nos travaux, à lui nous demandons la grâce de continuer avec persévérance sur la voie entreprise pour l’élévation de l’homme, pour le véritable progrès des peuples, pour la paix universelle. Aspirando praeveni, et adiuvando prosequere.

Et que Marie, Mère de l’Église, Reine des Apôtres, appuie nos souhaits communs et les féconde de sa protection.

A elle — et je le dis en recueillant le suffrage unanime exprimé en cette salle — je confie encore moi-même et toute notre assemblée de pasteurs.

A vous tous, frères très aimés, ma particulière bénédiction.

 

 

 

10 novembre 1979

VOUS ÊTES AUJOURD’HUI LE CHRIST PASSANT AU MILIEU DES FOULES

 

Le 10 novembre, les participants au II° Congrès mondial de la Pastorale du Tourisme ont été reçus par le Saint-Père. Jean Paul II leur a adressé le discours suivant :

 

Chers frères dans l’épiscopat, Mes chers amis,

 

Merci de m’avoir si aimablement invité à cette rencontre ! Je suis également heureux de saluer les observateurs venus des autres communautés chrétiennes et qui sont aussi affrontés aux problèmes de la mobilité humaine. Je voudrais que ma visite soit, pour tous et pour chacun de vous, le signe du prix que le pasteur universel de l’Église attache à la pastorale du tourisme. Qu’il s’agisse de ceux qui font du tourisme ou de ceux qui l’organisent, c’est une fraction importante du peuple chrétien et de l’humanité. C’est également, et de plus en plus, un moment significatif de la vie de nos contemporains qui a besoin d’une évangélisation spécifique.

Ces journées romaines vous ont permis de survoler beaucoup de « lieux » et de catégories de tourisme à travers les cinq continents, d’écouter des expériences intéressantes et tous ensemble, vous avez fait une prise de conscience plus vive de la mobilité actuelle et de ses besoins pastoraux. Par ailleurs, vous avez exprimé beaucoup d’idées, posé de nombreuses questions, rassemblé une gerbe de souhaits et de résolutions que vous partagerez à votre retour avec vos collègues et tous vos collaborateurs, prêtres, religieux et laïcs concernés par le tourisme.

Permettez-moi de vous laisser quelques suggestions personnelles, en signe de communion profonde à vos préoccupations et d’encouragement chaleureux à poursuivre votre bon travail.

 

Mieux connaître le fait touristique

 

L’extension du phénomène de la mobilité humaine, et plus précisément du tourisme, est un fait. Au lieu de succomber à des impressions de malaise et d’impuissance, parce que vous sentez — mieux que d’autres — combien l’humanité voyageuse d’aujourd’hui, a tendance à échapper aux filets et à l’emprise des institutions traditionnelles, civiles et religieuses, demeurez debout, perspicaces, actifs et inventifs ! Vous êtes l’Église ! L’Église qui doit approfondir sans cesse la réalité croissante et continuellement changeante du tourisme. Avec sympathie et lucidité, il faut aller plus avant dans la connaissance des aspects économiques, politiques, sociologiques, psychosociologiques du tourisme actuel, si vous voulez participer de façon rationnelle et compétente à la promotion des véritables valeurs du tourisme, et accréditer peu à peu dans l’opinion publique une éthique du tourisme. Car le tourisme est fait pour l’homme et non l’homme pour le tourisme. Votre tâche exige autant de tact que de courage et de persévérance. Mais quel bonheur de contribuer à libérer ce monde nouveau du tourisme de ses ambiguïtés nombreuses pour lui donner son visage humain et chrétien !

 

Des personnes préparées

 

Vous l’avez également ressenti au cours de ce congrès ; la pastorale du tourisme exige de plus en plus — à côté de bonnes volontés qui demeurent un appoint précieux — des personnes dûment préparées et formées à ce service très particulier de l’évangélisation. Je pense évidemment aux prêtres, aux religieux et aux religieuses ; mais je songe plus encore aux laïcs chrétiens, qui jusqu’à présent, n’ont pas assez pris, on n’ont pas osé prendre leur place dans un monde qui les concerne au premier chef. Sur ce point précis, je souhaite que certaines universités catholiques s’inquiètent — avant qu’il ne soit trop tard — de donner cette formation appropriée à tous ceux qui veulent bien s’engager, en permanence ou temporairement, dans la pastorale touristique. Ce sont bien ces hommes et ces femmes qui pourront assurer une présence évangélique et ecclésiale au niveau des plus hautes instances du tourisme, comme à celui des agences de voyage et du personnel d’accompagnement. Ce sont eux aussi qui pourront entreprendre une action dans les centres et les régions touristiques, auprès des responsables locaux, du monde hôtelier, et des habitants de l’endroit. Cette formation indispensable et cette action concertée de tous les responsables de la pastorale touristique sont le chemin nécessaire de l’éveil et du développement dans le monde du tourisme d’une mentalité individuelle et collective, faite de respect, d’accueil, d’hospitalité, de confiance, d’honnêteté, de service, d’échanges profonds et même de réalisations communes. Ainsi, ceux qui organisent le tourisme, ceux qui en vivent, et les touristes eux-mêmes, deviendront ce qu’ils doivent être, au plan humain d’abord, et pour ceux qui sont chrétiens, au plan de la foi. Pour préciser encore ma pensée, en ce domaine de la formation et de l’action, j’aimerais que les conférences épiscopales et les Églises locales — déjà si préoccupées de problèmes fondamentaux, tels que la catéchèse, la relève sacerdotale, la pastorale familiale, les mass média, etc. — collaborent davantage entre elles pour rejoindre tous ces migrants du tourisme, et investissent davantage au plan des personnes et des moyens pratiques, dans un secteur qui marque si profondément l’homme moderne, et en particulier les jeunes. La mobilité humaine n’est-elle pas, elle aussi, un lieu de catéchèse ?

 

Ne pas oublier les pauvres

 

Ceci dit, laissez-moi encore attirer votre attention sur un point fort délicat. Vous le savez, l’industrie touristique est principalement un phénomène des pays riches. S’il est un tourisme raisonnable, il existe également des formes de tourisme de luxe ou même simplement de gaspillage, qui sont une insulte et une provocation pour les deux tiers de l’humanité aux prises avec des situations économiques misérables. Sans compter que dans nos pays riches, il y a aussi des exclus du tourisme ou des gens écrasés par cette industrie en expansion. Je vous demande de ne jamais oublier les pauvres. La promotion du tourisme d’une part, et la pastorale touristique d’autre part, seraient incomplètes et se discréditeraient si elles n’incluaient pas en même temps l’éducation à une ouverture et à des engagements en faveur d’une solidarité mondiale réelle et d’envergure.

 

Un esprit évangélique

 

Chers frères et chers amis, un passage de l’évangéliste saint Matthieu (9, 36) me vient à l’esprit : « A la vue de ces foules, (Jésus) en eut pitié, parce qu’elles étaient comme des brebis sans berger ». Que ce soit le leitmotiv de votre congrès ! Les uns et les autres, vous êtes membres du Corps du Christ ! Vous êtes aujourd’hui le Christ passant au milieu des foules et les éveillant à leur dignité humaine, à leur vocation de frères en humanité et de fils de Dieu ! Que votre vie d’intimité avec le Seigneur Jésus soit à la hauteur de votre mission d’Église ! Pour soutenir vos efforts personnels et communautaires, je vous bénis de tout cœur, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

 

 

 

10 novembre 1979

PROGRÈS DE LA SCIENCE ET RECHERCHE DE LA VÉRITÉ

 

En fin d’après-midi, le samedi 10 novembre, le Souverain Pontife a présidé une réunion exceptionnelle de l’Académie pontificale des Sciences en l’honneur d’Albert Einstein, dont on fête le centenaire de la naissance. En présence de cinquante cardinaux et du Corps diplomatique, le pape a adressé le discours suivant aux membres de l’Académie :

 

Vénérables frères, Excellence, Mesdames, Messieurs,

 

1. Je vous remercie vivement, Monsieur le Président, des paroles chaleureuses et ferventes que vous m’avez adressées au début de votre discours. Et je me réjouis aussi avec Votre Excellence comme avec MM. Dirac et Weisskopf, tous deux membres illustres de l’Académie pontificale des Sciences, de cette commémoration solennelle du centenaire de la naissance d’Albert Einstein.

Le Siège apostolique veut lui aussi rendre à Albert Einstein l’hommage qui lui est dû pour la contribution éminente qu’il a apportée au progrès de la science, c’est-à-dire à la connaissance de la vérité présente dans le mystère de l’univers.

Je me sens pleinement solidaire de mon prédécesseur Pie XI et de ceux qui lui ont succédé sur la chaire de Pierre, en invitant les membres de l’Académie pontificale des Sciences et tous les savants avec eux, à faire « progresser toujours plus noblement et plus intensément les sciences, sans leur demander rien de plus ; et ceci parce que en cet excellent propos et en ce noble labeur consiste la mission de servir la vérité, dont nous les chargeons... » (Motu proprio in multis solaciis du 28 octobre 1936 sur l’Académie pontificale des Sciences : AAS 28, 1936, p. 424).

 

2. La recherche de la vérité est la tâche de la science fondamentale. Le chercheur qui se meut sur ce premier versant de la science ressent toute la fascination des paroles de saint Augustin : « Intellectum valde ama » (Epist. 120, 3, 13 : PL 33, 459), « aime beaucoup l’intelligence » et la fonction qui lui est propre, de connaître la vérité. La science pure est un bien digne d’être très aimé, car elle est connaissance et donc perfection de l’homme dans son intelligence. Avant même ses applications techniques, elle doit être honorée pour elle-même, comme une partie intégrante de la culture. La science fondamentale est un bien universel, que tout peuple doit pouvoir cultiver en pleine liberté par rapport à toute forme de servitude internationale ou de colonialisme intellectuel.

La recherche fondamentale doit être libre face aux pouvoirs politique et économique, qui doivent coopérer à son développement, sans l’entraver dans sa créativité ni l’asservir pour leurs propres buts. Comme toute autre vérité, la vérité scientifique n’a, en effet, de comptes à rendre qu’à elle-même et à la Vérité suprême qui est Dieu, créateur de l’homme et de toutes choses.

 

3. Sur son second versant, la science se tourne vers les applications pratiques, qui trouvent leur plein développement dans les diverses technologies. Dans la phase de ses réalisations concrètes, la science est nécessaire à l’humanité pour satisfaire les justes exigences de la vie, et pour vaincre les différents maux qui la menacent. Il ne fait pas de doute que la science appliquée a rendu et peut rendre à l’homme... d’immenses services, pour peu qu’elle soit inspirée par l’amour, réglée par la sagesse, accompagnée par le courage qui la défend contre l’ingérence indue de tous les pouvoirs tyranniques. La science appliquée doit s’allier à la conscience, afin que, dans le trinôme science-technologie-conscience, ce soit la cause du vrai bien de l’homme qui soit servie.

 

4. Malheureusement, comme j’ai eu l’occasion de le dire dans mon encyclique Redemptor hominis, « l’homme d’aujourd’hui semble toujours menacé par ce qu’il fabrique... C’est en cela que semble consister le chapitre principal du drame de l’existence humaine aujourd’hui » (n. 15). L’homme doit sortir victorieux de ce drame qui menace de dégénérer en tragédie, et il doit retrouver sa royauté authentique sur le monde et sa pleine domination sur les choses qu’il produit. A l’heure actuelle, comme je l’écrivais dans la même encyclique, « le sens fondamental de cette "royauté" et de cette "domination" de l’homme sur le monde visible, qui lui est assignée comme tâche par le Créateur lui-même, consiste dans la priorité de l’éthique sur la technique, dans le primat de la personne sur les choses, dans la supériorité de l’esprit sur la matière » (n. 16).

Cette triple supériorité se maintient dans la mesure où l’on conserve le sens de la transcendance de l’homme sur le monde et de Dieu sur l’homme. En exerçant sa mission de gardienne et d’avocate de l’une et de l’autre transcendances, l’Église estime aider la science à conserver sa pureté idéale sur le versant de la recherche fondamentale et à s’acquitter de son service de l’homme sur le versant de ses applications pratiques.

 

5. L’Église reconnaît volontiers, d’autre parti qu’elle a bénéficié de la science. C’est à celle-ci, entre autres, qu’il faut attribuer ce que le Concile a dit à propos de certains aspects de la culture moderne : « Les conditions nouvelles affectent enfin la vie religieuse elle-même... L’essor de l’esprit critique la purifie d’une conception magique du monde et des survivances superstitieuses, et exige une adhésion de plus en plus personnelle et active à la foi ; nombreux sont ainsi ceux qui parviennent à un sens vivant de Dieu » (Gaudium et spes, n. 7).

La collaboration entre la religion et la science moderne tourne à l’avantage de l’une et de l’autre, sans violer aucunement leur autonomie respective. De même que la religion exige la liberté religieuse, de même la science revendique légitimement la liberté de la recherche. Le concile œcuménique Vatican II, après avoir réaffirmé, avec le concile Vatican I, la juste liberté des arts et des disciplines humaines dans le domaine de leurs propres principes et de leur propre méthode, reconnaît solennellement « l’autonomie légitime de la culture et particulièrement celle des sciences » (Gaudium et spes. n. 59). A l’occasion de cette commémoration solennelle d’Einstein, je voudrais confirmer à nouveau les déclarations du Concile sur l’autonomie de la science dans sa fonction de recherche sur la vérité inscrite dans la création par le doigt de Dieu. Remplie d’admiration pour le génie du grand savant dans lequel se révèle l’empreinte de l’Esprit créateur, l’Église, sans intervenir d’aucune manière par un jugement qu’il ne lui revient pas de porter sur la doctrine concernant les grands systèmes de l’univers, propose toutefois cette dernière à la réflexion de théologiens pour découvrir l’harmonie existant entre la vérité scientifique et la vérité révélée.

 

6. Monsieur le Président ! Vous avez dit très justement dans votre discours que Galilée et Einstein ont caractérisé une époque. La grandeur de Galilée est connue de tous, comme celle d’Einstein ; mais à la différence de celui que nous honorons aujourd’hui devant le Collège cardinalice dans le palais apostolique, le premier eut beaucoup à souffrir — nous ne saurions le cacher — de la part d’hommes et d’organismes de l’Église. Le concile Vatican a reconnu et déploré certaines interventions indues : « Qu’on nous permette de déplorer — est-il écrit au numéro 36 de la constitution conciliaire Gaudium et spes — certaines attitudes qui ont existé parmi les chrétiens eux-mêmes, insuffisamment avertis de la légitime autonomie de la science. Sources de tensions et de conflits, elles ont conduit beaucoup d’esprits jusqu’à penser que science et foi s’opposaient ». La référence à Galilée est exprimée clairement dans la note jointe-à ce texte, laquelle cite le volume Vita e opere di Galileo Galilei, de Mgr Pio Paschini, édité par l’Académie pontificale des Sciences.

Pour aller au-delà de cette prise de position du Concile, je souhaite que des théologiens, des savants et des historiens, animés par un esprit dé sincère collaboration, approfondissent l’examen du cas Galilée et, dans une reconnaissance loyale des torts de quelque côté qu’ils viennent, fassent disparaître les défiances que cette affaire oppose encore, dans beaucoup d’esprits, à une concorde fructueuse entre science et foi, entre Église et monde. Je donne tout mon appui à cette tâche qui pourra honorer la vérité dé la foi et de la science et ouvrir la porte à de futures collaborations.

 

7. Qu’il me soit permis, Messieurs, de soumettre à votre attention et à votre réflexion quelques points qui me paraissent importants pour replacer dans sa vraie lumière l’affaire Galilée, dans laquelle les concordances entre religion et science sont plus nombreuses et surtout plus importantes que les incompréhensions d’où est résulté le conflit âpre et douloureux qui s’est prolongé au cours des siècles suivants.

Celui qui est appelé ajuste titre le fondateur de la physique moderne a déclaré explicitement que les deux vérités, de foi et de science, ne peuvent jamais se contredire, « l’Écriture sainte et la nature procédant également du Verbe divin, la première comme dictée par l’Esprit-Saint, la seconde comme exécutrice très fidèle des ordres de Dieu », comme il l’a écrit dans sa lettre au Père Renedetto Castelli le 21 décembre 1613 (édition nationale des œuvres de Galilée, volume V, p. 282-285). Le concile Vatican II ne s’exprime pas autrement ; il reprend même des expressions semblables lorsqu’il enseigne : « La recherche méthodique, dans tous les domaines du savoir, si elle est menée d’une manière vraiment scientifique et si elle suit les normes de la morale, ne sera jamais réellement opposée à la foi : les réalités profanes et celles de la foi trouvent leur origine dans le même Dieu » (Gaudium et spes, n. 36).

Galilée ressent dans sa recherché scientifique la présence du Créateur qui le stimule, qui prévient et aide ses intuitions, en agissant au plus profond de son esprit. A propos de l’invention de la lunette d’approche, il écrit au début du Siderrus Nuncius, en rappelant quelques-unes de ses découvertes astronomiques : « Quar omnia ope Perspicilli a me excogitati divina prius illuminante gratia, paucis abhinc diebus reperta, atque observata fuerunt » (Sidereus Nuncius, Venetiis, apud Thomam Baglionum, MDCX, fol. 4). « Tout cela à été découvert et observé ces derniers jours grâce au "télescope" que j’ai inventé, après avoir été éclairé par la grâce divine.»

La confession galiléenne de l’illumination divine dans l’esprit du savant trouve un écho dans le texte déjà cité de la constitution conciliaire sur l’Eglise dans le monde de ce temps : « Celui qui s’efforce, avec persévérance, et humilité, de pénétrer le secret, des choses, celui-là, même s’il n’en a pas conscience, est comme conduit par la main de Dieu » (loc. cit.). L’humilité sur laquelle insiste le texte conciliaire est une vertu de l’esprit nécessaire aussi bien pour la recherche scientifique que pour l’adhésion à la foi. L’humilité crée un climat favorable au dialogue entre le croyant et le savant ; elle appelle l’illumination de Dieu, déjà connu ou encore inconnu mais aimé dans un cas comme dans l’autre par celui qui cherche humblement la vérité,

 

8. Galilée a formulé des normes importantes de caractère épistémologique qui s’avèrent indispensables pour mettre en accord l’Écriture sainte et la science. Dans sa lettre à la grande-duchesse mère de Toscane, Christine de Lorraine, il réaffirme la vérité de l’Écriture : « La sainte Écriture ne peut jamais mentir, à condition toutefois que soit pénétré son vrai sens, lequel — je ne crois pas qu’on puisse le nier — est souventes fois caché et fort différent de celui que semble indiquer la simple signification des mots » (édition nationale des oeuvres de Galilée, volume v, p. 315). Galilée introduit le principe d’une interprétation des livres sacrés qui va au-delà du sens littéral mais est conforme à l’intention et au type d’exposition propres à chacun d’eux. Il est nécessaire, comme il l’affirme, que « les sages qui l’exposent en montrent les vrais sens ».

Le magistère ecclésiastique admet la pluralité des règles d’interprétation de l’Écriture sainte. Il enseigne expressément, en effet, avec l’encyclique Divino afflante Spiritu de Pie XII, la présence de genres littéraires différents dans les livres sacrés et donc la nécessité d’interprétations conformes au caractère de chacun d’eux.

Les concordances diverses que j’ai rappelées ne résolvent pas seules tous les problèmes de l’affaire Galilée, mais elles contribuent à créer un point de départ favorable à leur solution honorable, un état d’âme propice à la solution honnête et loyale de vieilles oppositions.

L’existence de cette Académie pontificale des Sciences, à laquelle Galilée fut en quelque sorte associé à travers l’institution ancienne qui a précédé celle dont font partie aujourd’hui des savants éminents, est un signe visible qui montre aux peuples, sans aucune forme de discrimination faciale ou religieuse, l’harmonie profonde qui peut exister entre les vérités de la science et les vérités de la foi.

 

9. Outre la fondation de votre Académie pontificale par Pie XI, mon prédécesseur Jean XXIII a voulu que l’Église contribue à promouvoir le progrès Scientifique et à le récompenser, en instituant là médaille de Pie XI. Conformément à la désignation faite par le Conseil de l’Académie, je suis heureux de conférer cette haute distinction à un jeune chercheur, le docteur Antonjo Paes de Carvalho, dont les travaux de recherche fondamentale ont apporté une contribution importante au progrès de la science et au bien de l’humanité.

 

(A ce moment, le Saint-Père remet la médaille d’or de Pie XI au docteur Paes de Carvalho.)

 

10. Monsieur le Président et Messieurs les Académiciens, devant les éminentissimes cardinaux ici présents, le Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, les illustres savants et toutes les personnalités qui assistent à cette séance académique, je voudrais déclarer que l’Église universelle, l’Église de Rome unie à toutes celles qui sont dans le monde, accorde une grande importance à la fonction de l’Académie pontificale des Sciences.

Le titre de pontificale attribué à cette Académie signifie, vous ne l’ignorez pas, l’intérêt et le soutien de l’Église, qui se manifeste sous des formes bien diverses, certes, de celles de l’antique mécénat, mais qui ne sont pas moins profondes et efficaces. Comme l’écrivait l’insigne et regretté président de votre Académie, Mgr Lemaître : « L’Église aurait-elle besoin de la science ? Certes non, la croix et l’Évangile lui suffisent. Mais au chrétien rien d’humain n’est étranger. Comment l’Église aurait-elle pu se désintéresser de la plus noble des occupations strictement humaines : la recherche de la vérité ? » (O. Godart, M. Heller, Les relations entre la science et la foi chez Georges Lemaître, Pontificia Aeademia Scientiarum, Commentarii, vol. III, N. 21, p. 7).

Dans cette Académie qui est la vôtre et la mienne, des savants croyants et non croyants collaborent, s’accordant dans la recherche de la vérité scientifique et dans le respect des croyances d’autrui. Qu’il me soit permis de citer ici encore une page lumineuse de Mgr Lemaître : « Tous deux, (le savant croyant et le savant non croyant) s’efforcent de déchiffrer le palimpseste multiplement imbriqué de la nature, où les traces des diverses étapes de la longue évolution du monde se sont recouvertes et confondues. Le croyant a peut-être l’avantage de savoir que l’énigme a une solution, que l’écriture sous-jacente est en fin de compte l’œuvre d’un être intelligent, donc que le problème posé par la nature a été posé pour être résolu, et que sa difficulté est sans doute proportionnée à la capacité présente ou à venir de l’humanité. Cela ne lui donnera peut-être pas de nouvelles ressources dans son investigation, mais cela contribuera à l’entretenir dans ce sain optimisme sans lequel un effort soutenu ne peut se maintenir longtemps » (o.c., p. 11).

Je vous souhaite à tous cet optimisme, sain dont parle Mgr, Lemaître, optimisme qui tire son origine mystérieuse mais réelle du Dieu dans lequel, vous avez mis votre foi, ou du Dieu inconnu vers lequel tend la vérité qui est l’objet de vos recherches éclairées.

Puisse la science dont vous faîtes profession, Messieurs les Académiciens et Messieurs les savants, dans le domaine de la recherche pure comme dans celui de la recherche appliquée, aider l’Humanité, avec l’appui de la religion et en accord avec elle, à retrouver le chemin de l’espérance et à atteindre le but dernier de la paix et de la foi !

 

 

 

12 novembre 1979

RECHERCHER UN DÉVELOPPEMENT MONDIAL ORGANIQUE

 

Dans la matinée du lundi 12 novembre, le Saint-Père s’est rendu au siège de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, la FA.O., à Rome, où se tenait la XX° réunion plénière de cet organisme.

Le Saint-Père a été accueilli à son arrivée par le directeur général de la F.A.O., Ed. Saouma, et le président Jaime Lamo de Espinoza, ainsi que par les nombreuses personnalités présentes, parmi lesquelles S. Exc. Mgr Agostino Ferrari-Toniolo, observateur permanent du Saint-Siège. Voici le texte du discours prononcé en français par le Souverain Pontife.

 

Monsieur le Président,

Monsieur le Directeur général,

Mesdames, Messieurs,

 

1. Ma visite chez vous prolonge en quelque sorte celle que j’ai effectuée au siège des Nations Unies à New York, comme ce fut déjà le cas pour mon prédécesseur Paul VI.

Je me réjouis de ce que l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, née à Québec le 16 octobre 1945, donc peu avant l’Organisation des Nations Unies, s’inspire des mêmes critères de fond que celle-ci, comme aussi de la Déclaration universelle des droits de l’homme, tout en conservant dans son action l’autonomie propre à toute Organisation intergouvernementale.

Votre Organisation a une vocation universelle puisqu’elle est ouverte à l’adhésion de tous les peuples de la terre à son Acte constitutif. C’est ainsi qu’elle a vu le nombre des États-membres passer de quarante-deux, à l’origine, à cent quarante-six représentés à la présente conférence générale. Elle peut donc se livrer à une action commune qui est le fruit d’une réelle convergence entre les pays du monde, quels que soient leurs systèmes économiques et leurs structures politiques.

 

2. La F.A.O. peut se vanter d’exercer une activité spécialisée irremplaçable dans le cadre de la famille des Nations Unies. Elle est affrontée en effet au secteur que l’on peut considérer comme le plus important de l’économie mondiale : l’agriculture qui fournit les aliments indispensables au monde et occupe cinquante pour cent de la population mondiale. C’est aussi un secteur trop longtemps maintenu à l’écart du progrès des niveaux de vie, un secteur que la rapide et profonde mutation socio-culturelle de notre temps atteint d’une manière particulièrement douloureuse, mettant à nu les injustices héritées du passé, déstabilisant hommes, familles et sociétés, accumulant les frustrations et contraignant à des migrations souvent massives et chaotiques.

Selon le préambule de votre Acte constitutif, l’objectif qui est de libérer la famille humaine de la faim, comporte l’engagement des États-membres à élever le niveau de nutrition et à améliorer la situation des populations rurales en augmentant le rendement de la production et en garantissant l’efficacité de la redistribution.

 

3. Mais je voudrais relever aussi que, selon le même préambule, la F.A.O. tend ainsi à « contribuer, par son action spécifique et collective, à l’expansion de l’économie mondiale et au bien-être général ».

Elle est donc en pleine harmonie avec les Nations Unies dans le plan d’ensemble, et dans les lignes fondamentales de la politique de développement et de coopération internationale selon lesquels se réalise le service de l’homme, sur la base des grands principes que j’ai longuement rappelés le 2 octobre dernier devant l’Organisation des Nations Unies.

Ici aussi, nous nous rencontrons « au nom de l’homme pris dans son intégralité, dans fa plénitude et la richesse multiforme de son existence spirituelle et matérielle » (Discours aux Nations Unies, n. 5).

 

Pourquoi une présence du Saint-Siège ?

 

4. C’est avec une particulière satisfaction que je viens établir ce contact direct avec la F.A.O. J’ai accepté l’invitation à parler devant la vingtième conférence générale, en cette année qui marque le trentième anniversaire de la décision prise le 28 novembre 1949 de transférer la F.A.O. de son siège provisoire de Washington à ce siège définitif de Rome, décision qui a pris effet en 1951.

Ainsi se réalisait ce qui a été considéré comme un « retour aux origines romaines » de votre Organisation. Celle-ci a été en effet en quelque sorte précédée par l’Institut international de l’agriculture, fondé en 1905 sous l’inspiration de David Lubin, et absorbé ensuite par la F.A.O. Depuis cette époque, Rome est devenue un des centres de l’agriculture mondiale, et elle trouve aujourd’hui une nouvelle importance en ce domaine, particulièrement après les décisions de la Conférence mondiale des Nations Unies sur l’alimentation du mois de novembre 1974.

 

5. II y a ensuite une tradition de rapports diplomatiques particuliers entre le Saint-Siège et la F.A.O. Celle-ci est la première Organisation intergouvernementale avec laquelle le Saint-Siège a établi des rapports réguliers, inaugurés grâce à l’action prévoyante de celui qui était alors Mgr Montini, substitut de la Secrétairerie d’État. En effet, le vote unanime de là quatrième session de la conférence de la F.A.O accordait au Saint-Siège, le 23 novembre 1948, ce « statut d’observateur permanent, unique en son genre, qui lui garantit le droit, non seulement de participer aux conférences de l’Organisation, mais aussi aux autres domaines de son activité et d’y prendre la parole sur demande, tout en n’ayant pas le droit de vote ». Une telle situation correspond parfaitement à la nature de la mission religieuse et morale de l’Église.

Ainsi a commencé la collaboration du Saint-Siège avec votre Organisation dont Mgr Montini se plaisait alors à relever avec satisfaction les principes moraux et humanitaires élevés qui l’inspiraient (cf. lettre du16 septembre 1968 à M. Norris E. Dodd, directeur général de la F.A.O.).

Tous les travaux et tous les programmes de la F.A.O. montrent en effet avec évidence que chaque activité technique et économique, comme chaque choix politique, implique, en dernière analyse, un problème de morale et de justice.

La visite rendue à votre siège par le pape Paul VI le f 6 novembre 1970, à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de l’institution de la F.A.O. a été un témoignage éclatant rendu au progrès croissant de ces rapports de confiance.

 

6. A ces considérations s’ajoute un autre motif : c’est avec plaisir que je vois dans la F.A.O. un effort pour parvenir à réaliser concrètement dans le domaine de l’alimentation et de l’agriculture, un aspect du programme de développement mondial économique et social. Un tel programme contribue certainement à la promotion de la paix en aidant à surmonter des tensions profondes et en donnant effectivement satisfaction aux revendications premières des peuples, revendications liées aux droits inaliénables de l’homme.

De ce point de vue, votre Organisation spécialisée se réfère plus directement aux droits économiques et sociaux reconnus dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et qui ont été formulés ensuite de manière plus précise et contraignante dans le Pacte international, sur les droits économiques, sociaux et culturels.

Mais le perfectionnement de la personne suppose, comme Pie XII le disait déjà dans son radio-message de Noël de l’année 1942, la réalisation concrète des conditions sociales qui constituent le bien commun de chaque communauté politique nationale comme de l’ensemble de la communauté internationale. Un tel développement collectif, organique et continu, est le présupposé, indispensable pour assurer l’exercice concret des droits de l’homme, aussi bien de ceux qui ont un contenu économique que de ceux qui concernent directement les valeurs spirituelles. Un tel développement requiert cependant, pour être l’expression d’une véritable unité humaine, d’être obtenu en faisant appel à la participation libre et à la responsabilité de tous, dans le domaine public, comme dans le domaine privé, au niveau intérieur comme au niveau international.

De ce point de vue, la F.A.O. apparaît comme une expression concrète de la volonté de passer du plan des déclarations de principe à celui de l’action et des réalisations effectives, en faisant appel à la participation libre et active de tous les États-membres. Il faut souhaiter que la, volonté politique de chacun des États assure à la F.A.O., au bénéfice de l’action commune, un concours qui ne consiste pas seulement à soutenir des projets et des opérations de développement intérieur entrepris à la demande de chaque gouvernement, et qui ne se contente pas non plus d’harmoniser des intérêts nationalistes fermés sur eux-mêmes. L’action commune qui se réalise au sein de la F.A.O. demande une disponibilité toujours plus prompte pour assumer des engagements véritablement, continus, grâce auxquels chacun participe à l’action décidée d’un commun accord.

 

En vue d’un avenir meilleur

 

7. Au cours de son histoire, la F.A.O. a acquis une structure adaptée, comme le montrent ses divers programmes actuels et les documents soumis présentement à votre Conférence. Vous allez en effet devoir non seulement faire le bilan des actions accomplies ces deux dernières années, mais aussi fixer les objectifs à atteindre dans les années qui viennent et faire les choix politiques qui sont nécessaires pour cela. L’an 2000 est en effet à l’horizon de vos perspectives, avec les problèmes spécifiques qui se posent à l’agriculture pour qu’elle puisse faire face aux besoins à prévoir : augmentation accélérée de la production, nécessité de la réglementation des échanges et assistance extérieure aux pays qui en ont besoin pour assurer leur départ économique. Il s’agit donc de prendre les moyens d’assurer à tous cet avenir meilleur dans lequel les droits fondamentaux de chacun se trouveront respectés. En ce sens, votre conférence générale actuelle peut apporter une contribution importante, pour ce qui est du domaine de votre Organisation, à la définition des objectifs urgents et des critères renouvelés qui devraient permettre de mettre en œuvre la nouvelle stratégie internationale pour le développement au cours de la troisième décennie des Nations Unies qui s’ouvre avec les années quatre-vingts.

 

Des pistes concrètes

 

8. Mais le monde ne saurait se contenter de spéculations théoriques. La lutte contre la faim présente chaque jour davantage un visage bien précis et exige des réalisations concrètes de la part des États-membres et de l’Organisation dans son ensemble. Cette lutte ne saurait pas davantage, d’ailleurs, se satisfaire d’appels aux sentiments, de bouffées sporadiques et inefficaces d’indignation : c’est l’honneur et la volonté louable de votre Organisation de chercher avec persévérance à définir les moyens les meilleurs et les méthodes adaptées aux conditions concrètes de chaque pays et d’en prévoir avec prudence les applications.

Il est fini, en effet, le temps des illusions où l’on croyait résoudre automatiquement les problèmes du sous-développement et des différences de croissance entre les divers pays en exportant les modèles industriels et les idéologies des pays développés.

Il est fini le temps où l’on cherchait à garantir le droit de tous à l’alimentation par des programmes d’aide réalisés grâce au don d’excédents ou à des programmes de secours d’urgence dans des cas exceptionnels.

Votre Organisation s’oriente vers une politique dans laquelle l’effort de chaque pays pour son propre développement prend la première place. Ceci comporte, certes, une exigence : pour que chacun de ceux qui en ont besoin reçoive, sans atteinte à sa dignité, l’aide internationale et les investissements convenables tout en gardant le contrôle des éléments nécessaires pour donner à l’agriculture son dynamisme propre dans le développement du pays, il faut toujours davantage dépasser les rapports purement bilatéraux pour un système multilatéral.

Un autre réajustement des critères, et des modèles de développement — que les circonstances de la crise économique actuelle rendent encore plus nécessaire pour les pays pauvres, comme d’ailleurs pour les plus développés — est celui qui vise à satisfaire les besoins humains réels, ceux qui sont vraiment fondamentaux. Ce sont ces besoins qui doivent dynamiser et orienter l’économie, et non les besoins artificiels, en partie provoqués et toujours augmentés par la publicité, par le jeu du marché et par les positions de force acquises dans les domaines économique, financier, politique. Il importe de prévoir et de combattre les dangereuses conséquences sur l’homme de certaines solutions techniques et économiques, de favoriser activement sa participation libre et responsable aux choix et aux réalisations entreprises pour la croissance organique et programmée des conditions générales de sa propre, communauté.

L’expérience contemporaine nous porte à reconnaître que la croissance ordonnée et continue de chaque pays, comme la garantie effective de l’exercice des droits humains fondamentaux des individus et des peuples, appellent nécessairement le développement global et organique mondial. Et je relève avec intérêt comment, dans ce domaine, les divers programmes de coopération technique ou d’assistance, lancés par votre Organisation, la promotion d’un accord international pour assurer les réserves céréalières indispensables, contribuent peu à peu à une transformation de l’économie mondiale.

 

10. Cependant, parmi tous les problèmes qui retiennent votre attention et celle du monde, le plus grave et le plus urgent est celui de la faim. Des millions de personnes sont menacées dans leur existence même ; beaucoup, chaque jour, meurent parce qu’elles n’ont pas le minimum de nourriture nécessaire. Et force est bien de reconnaître, hélas, comme l’expérience actuelle le montre encore cruellement, que la faim dans le monde ne provient pas toujours uniquement de circonstances géographiques, climatiques ou agricoles défavorables, celles auxquelles vous vous efforcez de pallier peu à peu ; elle provient aussi de l’homme lui-même, des déficiences de l’organisation sociale, qui empêche l’initiative personnelle, voire de la terreur et de l’oppression de systèmes idéologiques et pratiques inhumains. La recherche du développement mondial organique que tous souhaitent demande alors que la connaissance objective des situations humaines de détresse prenne sa place dans formation des individus et des groupes au sens de la liberté authentique et à celui de la responsabilité personnelle et collective.

 

11. Les perspectives de la formation humaine totale dépassent certes celles qui sont propres à votre Organisation. Je sais cependant que vous n’y êtes pas indifférents. Vous les favorisez, pour votre part en vous efforçant de diversifier vos modèles techniques d’assistance et de développement, et de les modeler en fonction des conditions particulières non seulement physiques mais socio-culturelles de chaque pays, tenant compte ainsi des valeurs proprement humaines, et donc aussi spirituelles, des peuples.

Parmi celles-ci, les conceptions religieuses ont leur place. Elles expriment une vision de l’homme, de ses véritables besoins, du sens ultime de ses activités : « l’homme ne vit pas seulement de pain » (Mt 4, 4), nous enseigne l’Évangile. Nous reconnaissons par là que le développement technique, aussi nécessaire qu’il soit, n’est pas le tout de l’homme et qu’il doit trouver sa place dans une synthèse plus vaste, pleinement humaine. C’est par là que les réalités proprement spirituelles s’imposent à votre attention. C’est dans ce domaine aussi que l’Église, qui a toujours encouragé vos efforts et qui participe efficacement pour sa part au développement harmonieux de l’homme, veut rencontrer vos efforts et collaborer avec vous pour le bien de l’humanité.

 

Le rôle indispensable de l’homme

 

12. Le travail à accomplir est immense, et nul ne doit se décourager lorsque le but à atteindre semble parfois s’éloigner à la mesure même des efforts entrepris pour l’atteindre. En ce moment de l’histoire mondiale, je me réjouis de voir la F.A.O. orienter toute son activité, dans son domaine qui est essentiel, à promouvoir la coopération internationale pour le développement. Et nous espérons tous que ce développement s’étendra, du niveau technique et économique, au progrès personnel et social de l’homme.

Ce qui ne peut se faire que si l’homme, sa dignité et ses droits sont, des le départ, le critère actif qui inspire et oriente tous les efforts. Pour vaincre les inerties et les découragements, pour créer les conditions susceptibles de renouveler la pensée et de soutenir l’action, ne perdez jamais de vue qu’il y va de l’homme, de l’homme concret, de l’homme qui souffre, de l’homme qui recèle en lui des possibilités immenses qu’il faut libérer.

 

13. J’ajoute que la somme des efforts que vous projetez, entreprenez ou encouragez pour que la terre soit « cultivée » au mieux, pour que ses richesses productives, terrestres ou marines, soient conservées et jamais gaspillées, et mieux encore pour qu’elles fructifient, en multipliant leurs potentialités sans détruire imprudemment l’équilibre naturel qui a servi de berceau à la vie de l’homme, en un mot pour que la nature, à là fois respectée et ennoblie, atteigne son meilleur rendement au service de l’homme, tout cela rejoint, eh un sens, le dessein de Dieu sur la création, que le texte inspiré de la Genèse nous décrit d’une façon archaïque mais suggestive : « Dieu fit l’homme à son image, homme et femme il les créa ; emplissez la terre et soumettez-la... Yahvé Dieu établit l’homme dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder » (Gn 1, 27-28 ; 2, 16). Oui, la terre appartient aux hommes, à tous les hommes, sans oublier les générations qui nous succéderont demain et qui doivent la recueillir de nos mains, habitable et fructueuse. Car elle appartient d’abord à Dieu, le Créateur, le Maître souverain, la source de la vie, qui en a fait le don aux hommes et la leur a confiée comme à de bons intendants. C’est en harmonie avec le dessein de Dieu que vous êtes appelés à travailler.

Tel est le vœu que je forme pour vous en tant que pasteur de l’Église universelle. Et c’est dans cet Esprit que je prie le Seigneur Tout-Puissant de bénir les efforts que vous faites pour servir la famille humaine, de bénir vos personnes et tous ceux qui vous sont chers.

 

 

 

12 novembre 1979

AU PERSONNEL DE LA F.A.O.

 

Après avoir rencontré les représentants des pays à la XX° réunion plénière de la F.A.O., le lundi 12 novembre, le Saint-Père a tenu à s’entretenir en italien avec le personnel de cette organisation internationale. Voici la traduction de son discours.

 

Messieurs et Mesdames, chers amis,

 

C’est pour moi une vraie joie de m’entretenir avec vous, fonctionnaires et employés de différents ordres et de différents degrés, vous qui provenez de différents pays du monde et qui, dans un rapport de sincère collaboration et dans une atmosphère de famille, sous la conduite de vôtre éminent directeur général, accomplissez une œuvre digne d’estime et de respect au service de cette Organisation pour l’alimentation et l’agriculture.

Je suis bien conscient de l’importance du travail que vous fournissez avec compétence et abnégation, comme l’attestent l’ampleur des programmes et la gravité des problèmes qu’affronté la F.A.O. Ces activités trouvent en vous des techniciens efficaces, des experts compétents, des exécuteurs dynamiques, animés d’un généreux empressement et d’un vif esprit de sacrifice.

L’Organisation qui, nous pouvons le dire, est confiée à vos mains expérimentées, à votre intuition et à votre compétence bien orientée, est l’une des initiatives les meilleures — tout le monde en convient — qui soient nées dans la période qui a immédiatement suivi la seconde guerre mondiale. C’est pour ainsi dire une volonté consciente de réparer les si nombreuses blessures ouvertes par cet événement terrible et angoissant, et l’intention, également, d’épargner aux générations futures un déchirement semblable ou plus grand. La sous-alimentation et la faim dont souffrent encore de trop nombreux êtres humains constituent, en effet, l’une des menaces les plus graves pour la paix ; d’une façon déterminante, la contribution de la F.A.O. a permis de rendre le monde entier moralement conscient de ce problème.

D’autre part, la solution du problème de la faim est conditionnée par celui plus vaste et plus difficile du développement des peuples qui se trouvent dans le besoin. A ce propos, l’engagement devient un engagement éducatif : il s’agit de rendre tous les hommes conscients de la nécessité de créer dans les pays actuellement moins favorisés, les conditions techniques et économiques qui puissent leur assurer la possibilité de pourvoir eux-mêmes à leurs propres besoins. Seul un but de cette nature peut assurer une solution définitive au problème de la faim et de la misère dans le monde.

Comme vous pouvez le remarquer, au-delà des urgences matérielles qui angoissent l’humanité se dessine l’engagement moral qui vise à persuader chaque homme de ses responsabilités à l’égard de son frère pour la sauvegarde de sa dignité, dignité qui constitue une valeur inaliénable, spirituelle, évangélique qui ne peut être négligée sans une grave offense à l’égard du Créateur et de soi-même.

Je ne puis m’étendre sur l’analyse des valeurs morales que vous êtes appelés à soutenir et à défendre par une action qui n’est qu’en apparence une action de caractère exclusivement technique, financier et économique. Votre activité a une incidence beaucoup, plus profonde et une résonance beaucoup plus vaste. Je suis certain que, quand vous vous êtes proposés de donner votre concours à cette organisation, aussi bien dans le domaine de l’étude et de la recherche que dans celui de l’administration ou de l’exécution, vous l’avez surtout fait dans la conviction de contribuer par vos efforts, parfois cachés et inconnus, à la sauvegarde des valeurs et des objectifs qui constituent le sens le plus profond de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture. Ce sont ces valeurs et ces objectifs de la défense et de la promotion de la dignité humaine que l’Église, en conformité avec sa mission, ne cesse de soumettre à la considération de tous, en s’inspirant du message dont elle est dépositaire, pour œuvrer en faveur de la fraternité, de la justice et de la satisfaction des besoins fondamentaux de la vie.

Intimement convaincu de la valeur de ces objectifs, je vous félicite et j’admire votre travail qui vise à assurer à tous les hommes une vie digne et heureuse. Il ne vous est sans doute pas possible à chaque instant de la journée d’avoir une perception lucide et nette du rôle si important que vous remplissez, mais dans votre réflexion personnelle vous pourrez souvent tirer un réconfort de la certitude — que je désire confirmer et valoriser en ce moment — de remplir un mandat d’une très haute valeur humaine et sociale.

Je voudrais vous dire encore une parole de paternel encouragement. Les épreuves et les risques que l’humanité aura à affronter sur le plan de l’alimentation dans un avenir prochain, auront un poids et une incidence qu’il est difficile de déterminer en ce moment d’une façon exacte ; cependant leur portée immense peut, à première vue, conduire à un certain découragement. Ne laissez donc pas entrer dans votre cœur la tentation de la méfiance, de l’indifférence, du manque d’amour. Plus grande sera votre générosité, votre foi, et d’autant plus proche sera la solution opportune et le résultat positif qui en découle. Cette foi exige que l’on refuse d’admettre un déterminisme fatal dans l’évolution économique du monde et que l’on croit fermement au succès d’une action coordonnée et surtout suggérée par une compréhension fraternelle et par une volonté d’aide mutuelle.

Cette foi — j’en suis certain — vous la possédez. Vous avez confiance en l’homme, en la société et en la possibilité d’utiliser et de distribuer rationnellement les immenses ressources que le Créateur a mises à la disposition de l’homme. Je vous exhorte à poursuivre et à intensifier vos efforts, avec tout le poids de votre préparation scientifique et surtout avec tout l’élan de votre cœur, avec toute l’ampleur de votre amour, pour assurer à la famille humaine, un bien-être fondamental nécessaire et à vous-mêmes la joie de participer d’une façon responsable au développement de votre très haute mission. Je vous remercie de tout cœur de votre accueil et, en redisant ma satisfaction pour cette rencontre, j’invoque, avec des souhaits de bonheur véritable, les plus abondantes bénédictions du ciel sur vous-mêmes, sur vos familles et sur votre travail pour le succès de l’Organisation pour l’alimentation et pour l’agriculture.

 

 

 

17 novembre 1979

LA PHILOSOPHIE DE SAINT THOMAS ET LA JEUNESSE D’AUJOURD’HUI

Le 17 novembre, Jean Paul II est revenu à l’Université pontificale « Angelicum » qu’il avait jadis fréquentée comme élève. A l’occasion du centième anniversaire de l’encyclique « Aeterni Patris » de Léon X11I, la Société internationale Thomas d’Aquin avait organisé un congrès international auquel ont pris part des spécialistes du monde entier. Le dernier jour des travaux, le Saint-Père a voulu leur porter sa parole. Voici en traduction le discours qu’il leur a adressé :

 

Messieurs les Professeurs et très chers étudiants,

 

1. C’est avec un sentiment d’intime joie qu’après une longue période de temps je me retrouve dans cet amphithéâtre que je connais bien pour y être entré tant de fois durant les années de ma jeunesse quand moi aussi j’étais venu de loin en cette Université pontificale Angelicum pour approfondir la pensée du Docteur commun, saint Thomas d’Aquin.

Depuis cette époque, l’Angelicum a connu d’importantes transformations : il a été élevé au rang d’Université pontificale par mon vénéré prédécesseur Jean XXIII et a été complété par deux nouveaux instituts : aux facultés de Théologie, de Droit canonique et de Philosophie déjà existantes ont été ajoutées en effet celles de Sciences sociales et de l’institut Mater Ecclesiae, destinées aux futurs « docteurs en Sciences religieuses ». Je prends acte avec plaisir de ces signes de vitalité de l’ancienne souche où circule une sève toujours fraîche qui lui permet, grâce à de nouvelles institutions scientifiques de répondre toujours mieux aux exigences culturelles au fur et à mesure qu’elles s’imposent.

Ma joie dans la présente rencontre est particulièrement accrue par la présence d’une élite de savants spécialistes de la pensée de saint Thomas venus ici de toutes les parties du monde pour célébrer le premier centenaire de l’encyclique Aeterni Patris publiée le 4 août 1879 par le grand pontife Léon XIII. Le congrès organisé par la société internationale Thomas d’Aquin se relie idéalement à celui qui récemment s’est tenu aux environs de Cordoba en Argentine, à l’initiative de l’Association catholique argentine de philosophie qui a voulu célébrer la même commémoration, en invitant les principaux représentants de la pensée contemporaine à examiner en commun le thème « La philosophie du chrétien, aujourd’hui ». Plus directement centré sur la figure et sur l’œuvre de saint Thomas, l’actuel congrès, tout en honorant cet insigne centre romain d’études thomistes où, peut-on dire, Thomas d’Aquin se trouve tamquam in domo sua constitue également un juste tribut de reconnaissance envers l’immortel pontife à qui l’on doit en grande partie le renouveau d’intérêt pour l’œuvre philosophique et théologique du Docteur Angélique.

 

2. J’adresse donc mon salut déférent et cordial aux organisateurs de ce congrès, et, en premier lieu, à vous, Révérend Père Vincent de Couesnongle, maître de l’ordre dominicain et président de la société internationale Thomas d’Aquin ; je salue également le recteur de cette Université pontificale, le R.P. Giuseppe Salguero, les chers membres du Corps académique et tous les illustres spécialistes des études thomistes qui ont honoré de leur présence ces assises, et animé son déroulement par l’apport de leur compétence.

Je désire vous adresser également un salut affectueux, étudiants de cette Université, qui, avec généreux élan, vous appliquez aux études de philosophie et de théologie ainsi que d’autres branches scientifiques auxiliaires avec comme maître et comme guide saint Thomas d’Aquin que vous apprenez à connaître grâce à l’œuvre éclairée et diligente de vos professeurs. Le juvénile enthousiasme avec lequel vous abordez saint Thomas pour lui poser les questions que vous suggère vôtre sensibilité à l’égard des problèmes du monde moderne et le sentiment de grande clarté que vous puisez dans les réponses qu’il vous offre avec lucide et calme amplitude sont la preuve la plus convaincante de la sagesse inspirée du pape Léon XIII lorsqu’il promulgua l’encyclique dont on célèbre cette année le centenaire.

 

3. Il est certain que le premier but du grand pontife lorsqu’il accomplit ce pas d’importance historique fut de reprendre et de développer l’enseignement sur les rapports entre la foi et la raison, proposé par le concile Vatican I auquel il avait pris une part active comme évêque de Pérouse. En effet, dans la constitution dogmatique Dei Filius, les Pères conciliaires avaient réservé une toute particulière attention à ce thème brûlant : traitant de « foi et raison » ils s’étaient unanimement opposés aux courants philosophiques et théologiques pollués par le rationalisme dominant ; d’autre part, se basant sur la Révélation divine, transmise et interprétée fidèlement par les précédents conciles œcuméniques, expliquée et défendue par les saints Docteurs et Pères de l’Orient et de l’Occident, ils avaient déclaré que foi et raison, loin de s’opposer entre elles, pouvaient et devaient se rencontrer amicalement (cf. Ench. Symb. D.S. : 3015-3020 ; 3041-3043).

La persistance d’attaques violentes de la part des ennemis de la foi catholique et de la juste raison poussèrent Léon XIII à répéter et, ultérieurement, à développer dans son encyclique la doctrine de Vatican I.

Après y avoir rappelé le graduel et toujours plus vaste apport donné par les esprits les plus éclairés de l’Église, tant en Orient qu’en Occident, à la défense et au progrès de la pensée philosophique et théologique, le pape traite de l’œuvre d’approfondissement et de synthèse accomplie par saint Thomas. Dans, un latin classique qui mérite d’être reproduit mot à mot pour sa limpidité, il n’hésite pas à présenter le Docteur Angélique comme celui qui conduit l’enquête rationnelle sur les données de la foi à des résultats dont la valeur s’est révélée impérissable :

Illorum doctrinas, velut dispersa cuiusdam corporis membra, in unum Thomas collegit et coagmentavit, miro ordine digessit, et magnis incrementis ita adauxit, ut catholicae Ecclesiae singulare praesidium et decus jure meritoque habeatur... Pareterea rationem, ut par est, a fide apprime distinguent utramque tamen amice consocians, utriusque tum jura conserva vit, tum dignitati consuluit, ita quidem ut ratio ad humanum fastigium Thomae pennis evecta, jam fere nequeat sublimius assurgere ; neque fides a ragione fere possit plura aut validiora adjumenta paestolari, quam quae jam est per Thomam consecuta (Leonis XIII, Acta, vol. 1, p. 274-275).

 

4. Affirmations solennelles extrêmement importantes. A nous qui les considérons à la distance d’un siècle, elles offrent avant tout une indication pédagogique pratique. Avec elles en effet, Léon XIII a voulu proposer aux professeurs et élèves, de philosophie et de théologie un modèle de chercheur chrétien.

Or, quelles sont les qualités qui ont valu à Thomas d’Aquin non seulement le titre de Doctor Ecclesiae et de Docteur angelicus que lui attribua saint Pie V, mais aussi celui de Patronus caelestis studiorum optimorum que lui conféra Léon XIII par sa lettre apostolique Cum hoc sit du 4 août 1880, à l’occasion du premier anniversaire de l’encyclique que nous commémorons à présent (cf. Leonis XIII, Acta, vol. II, p. 108-113) ?

La première qualité est incontestablement celle d’avoir professé un plein respect de l’esprit et dû cœur de la Révélation divine ; respect renouvelé sur son lit de mort à l’abbaye de Fossanova, le 7 mars 1274. Comme ce serait avantageux pour l’Église d’aujourd’hui si tous les philosophes et théologiens catholiques imitaient le sublime exemple donné par le Doctor communis Ecclesiae ! Ce respect, Thomas d’Aquin retendit aux saints Pères et Docteurs en leur qualité de témoins unanimes de la Parole révélée, si bien que le cardinal Gaetano n’hésita pas à écrire — et l’encyclique rappelle ce texte — : « Comme il tint en souveraine révérence les saints Docteurs, il hérita, en un certain sens, de leur pensée à tous » (In Sum. Thol. II-II, q. 148, a. 4 c ; Leonis XIII, Acta, vol. I; p. 273).

La deuxième qualité qui justifie la primauté pédagogique de l’Angélique est le grand respect qu’il professa à l’égard du monde visible en tant qu’œuvre et donc vestige et image du Dieu-Créateur. C’est donc à tort que l’on a osé taxer saint Thomas de naturalisme et d’empirisme. « Le Docteur Angélique, lit-on dans l’encyclique, tira les conclusions de l’essence constitutive et des principes des choses dont la virtualité est immense du fait qu’elles contiennent comme dans un giron les germes de vérités quasi infinies que les futurs maîtres ont ensuite fait fructifier au moment opportun » (Leonis XIII, Acta, vol. I, p. 273).

Enfin la troisième qualité qui porta Léon XIII à proposer Thomas d’Aquin comme modèle « studiorum optimorum » aux professeurs et aux élèves est la sincère et totale adhésion qu’il a toujours maintenue à l’égard du magistère de l’Église au jugement duquel, durant sa vie et au moment de sa mort, il a soumis toutes ses œuvres. Qui ne se souvient de l’émouvante profession que, dans sa cellule de l’abbaye de Fossanova, il voulut prononcer, à genoux devant l’Eucharistie, avant de la recevoir comme viatique de vie éternelle ! « Les œuvres de l’Angélique, écrit encore Léon XIII, contiennent la doctrine la plus conforme au Magistère de l’Église » (ivi, p. 280). Il ne résulte pas des écrits du saint Docteur qu’il ait réservé la soumission de son esprit au seul magistère solennel et infaillible des conciles et des souverains pontifes. C’est un fait extrêmement édifiant et il mérite d’être, aujourd’hui, imité par tous ceux qui désirent se conformer à la constitution dogmatique Lumen Gentium (n. 25).

 

5. Ces trois qualités qui ont caractérisé tout l’effort spéculatif de saint Thomas sont également celles qui ont garanti l’orthodoxie de ses résultats. C’est pour cette raison que, voulant « agere de ineunda philosophicorum studiorum ratione, quae et bono fidei apte respondeat, et ipsi humanarum scientiarum dignitati sit consentanea » (Leonis XIII, Acta, vol., I, p. 256), le pape Léon XIII renvoyait surtout à saint Thomas, « inter Scholasticos Doctores omnium princeps et magister » (ibid., p. 272).

La méthode, les principes, la doctrine de Thomas d’Aquin, rappelait l’immortel pontife, ont rencontré au cours des siècles la faveur préférentielle non seulement des érudits, mais celle, également, du Magistère suprême de l’Église (cf. encycl. Aeterni Patris, 1, c., p. 274-277). Encore aujourd’hui, affirmait-il avec insistance, il est nécessaire, pour éviter que la réflexion philosophique et théologique repose sur « un fondement instable » qui la rende « superficielle et oscillante » (ibid., p. 278) qu’elle reprenne à s’inspirer de l’« aurea sapienza » de saint Thomas, afin d’en tirer lumière et vigueur dans l’approfondissement de la donnée révélée et dans la promotion d’un progrès scientifique convenable (cf. ibid., p. 282).

Après cent ans d’histoire de la pensée, nous sommes en mesure de juger à quel point étaient sages et pondérées de telles évaluations. Ce n’est donc pas sans raisons que les souverains pontifes successeurs de Léon XIII et le code de Droit canonique lui-même (cf. Can. 1366, parag. 2) les ont reprises à leur propre compte. Le concile Vatican II a, lui aussi, comme nous le savons, prescrit l’étude et l’enseignement du patrimoine éternel de la philosophie dont las pensée du Docteur Angélique constitue une partie éminente. (Il me plaît de rappeler à ce propos que Paul VI a voulu inviter au Concile le philosophe Jacques Maritain, un des plus illustres interprètes modernes de la pensée thomiste, désirant également exprimer de cette façon sa haute considération pour le maître du XIII° siècle et en même temps pour une manière de « faire de la philosophie » en harmonie avec « les signes des temps ».) Avant de parler de la nécessité de tenir compte dans l’enseignement, des courants philosophiques modernes, « spécialement de ceux qui exercent la plus grande influence dans chaque pays », le décret sur la formation sacerdotale Optatam totius exige que « les disciplines philosophiques soient enseignées de façon à imprimer aux séminaristes tout d’abord une connaissance ferme et cohérente de l’homme, du monde et de Dieu, en s’appuyant sur l’héritage de la philosophia perennis » (n. 15).

La déclaration sur l’éducation chrétienne Gravissimum Educationis souhaite : « ... que grâce à un examen plus attentif des questions et des recherches nouvelles que soulèvent les progrès de l’époque, on reconnaisse et on discerne mieux, en marchant sur les traces des Docteurs de l’Église, et particulièrement de saint Thomas d’Aquin, comment la foi et la science tendent à une unique vérité » (n. 10). Le discours du Concile est très clair ; les Pères conciliaires ont vu dans l’étroite liaison avec l’héritage culturel du passé et principalement avec la pensée de saint Thomas, un élément fondamental de la formation appropriée du clergé et de la jeunesse chrétienne et donc, en perspective, une condition nécessaire du renouvellement convoité de l’Église.

Il n’est pas nécessaire que je confirme ici ma volonté d’assurer l’entière exécution des dispositions conciliaires, du moment que je me suis explicitement prononcé déjà durant mon homélie du 17 octobre 1978, le lendemain de mon élection à la Chaire de Pierre (cf. ORLF n. 43-1978) et de nombreuses fois par la suite.

 

6. Je suis donc très heureux de me trouver ce soir ici parmi vous, qui vous pressez dans les salles de l’Université pontificale Saint-Thomas, attirés par sa doctrine philosophique et théologique comme le furent les innombrables disciples de différents pays qui au XIII° siècle se pressèrent autour de la chaire du frère dominicain lorsqu’il enseignait à l’Université de Paris ou à celle de Naples ou au Studium curiae, même au couvent Sainte-Sabine à Rome.

La philosophie de saint Thomas mérite une étude attentive et une adhésion convaincue de la part de la jeunesse de notre époque en raison de son esprit d’ouverture et d’universalisme, des caractéristiques peu faciles à trouver dans de nombreux courants de la pensée contemporaine. Il s’agit de l’ouverture à l’ensemble des réalités dans toutes ses parties et dimensions, sans réductions ni particularismes (sans absolus à l’égard d’aspects singuliers), telle que l’intelligence l’exige au nom de la vérité objective et intégrale concernant la réalité. Une ouverture qui est également une importante caractéristique de la foi chrétienne dont la catholicité est la marque spécifique. Cette ouverture a son fondement et sa source dans le fait que la philosophie de saint Thomas est la philosophie de l’être, c’est-à-dire de l’actus essendi, dont la valeur transcendantale est la voie la plus directe pour arriver à la connaissance de l’Être subsistant et Acte pur qu’est Dieu. Pour telle raison, cette philosophie pourrait même être appelée philosophie de la proclamation de l’être, l’hymne en honneur de l’existant.

De cette proclamation de l’être, la philosophie de saint Thomas tire sa capacité d’accueillir et d’« affirmer » tout ce qui se présente devant l’intelligence humaine (l’élément d’expérience au sens le plus large), comme existant déterminé dans toute la richesse de son contenu ; elle en tire notamment sa capacité d’accueillir et d’ « affirmer » cet « être » qui est en mesure de se connaître soi-même, de s’émerveiller de soi et surtout de décider de soi et de forger sa propre et unique histoire... C’est à cet « être», à sa dignité que pense saint Thomas quand il parle de l’homme comme de quelqu’un qui est perfectissimum in tota natura (St Thomas I, q. 29, a. 3), une « personne » envers laquelle il postule une attention spécifique exceptionnelle. L’essentiel est ainsi dit au sujet de la dignité de l’être humain, même s’il reste beaucoup à rechercher en ce domaine, avec l’aide des réflexions mêmes offertes par les courants philosophiques modernes.

Dans cette affirmation de l’être, la philosophie de saint Thomas puise également sa propre justification méthodologique à titre de discipline irréductible à n’importe quelle autre science et même capable de les transcender toutes en se situant devant elles comme autonome et en même temps comme les complétant en sens substantiel.

Et de cette affirmation de l’être, la philosophie de saint Thomas trouve aussi la possibilité et en même temps l’obligation d’aller au-delà de tout ce qui nous est offert directement par la connaissance en tant qu’existant (le fait d’expérience) pour parvenir à l’ipsum Esse subsistens et en même temps à l’Amour créateur, dans lequel trouve son explication ultime (et donc, nécessaire), le fait que potius est esse quam non esse et notamment le fait que nous, nous existons... « Ipsum enim esse — déclare l’Angélique — est communissimus effectus, primus et intimior omnibus aliis effectibus ; et ideo soli Deo competit secundum virtutem propriam talis effectus » (QQ. DD. De Potentia, q. 3, a, 7c.).

Saint Thomas engage la philosophie sur les traces de telles intuitions, indiquant en même temps que sur cette voie seule l’intelligence se sent vraiment à l’aise (« comme chez soi ») et que l’intelligence ne saurait par conséquent renoncer à cette voie si elle ne veut pas renoncer à elle-même.

Prenant comme objet propre de la métaphysique la réalité sub ratione entis, saint Thomas fait de l’analogie transcendantale de l’être le critère méthodologique selon lequel formuler les propositions concernant l’entière réalité, y compris l’Absolu. On ne saurait que difficilement surévaluer l’importance méthodologique de cette découverte pour l’enquête philosophique comme, du reste, également pour la connaissance humaine en général.

Il est inutile de souligner ce que la théologie même doit à cette philosophie, du fait qu’elle n’est rien d’autre que fides quaerens intellectum ou intellectus fidei. Donc, la théologie ne saurait, elle non plus, renoncer à la philosophie de saint Thomas.

Serait-il à craindre que l’adoption de la philosophie de saint Thomas puisse compromettre la juste pluralité des cultures et le progrès de la pensée humaine ? Une crainte semblable serait certainement vaine parce qu’en vertu du principe méthodologique susmentionné, selon lequel toute la richesse du contenu de la réalité a sa source dans l’« actus essendi », la « philosophie éternelle » a pour ainsi dire droit d’avance à tout ce qui est vrai par rapport à la réalité. Réciproquement, toute compréhension de la réalité — qui reflète effectivement cette réalité — a pleinement droit de cité dans la « philosophie de l’être », indépendamment de qui a le mérite d’avoir permis ce progrès dans la compréhension et indépendamment de l’école philosophique à laquelle il appartient. Si on les considère selon ce point de vue, les autres courants philosophiques peuvent donc, et même doivent être considérés comme alliés naturels de la philosophie de saint Thomas et comme partenaires dignes d’attention et de respect dans le dialogue qui se déroule en présence de la réalité et au nom d’une vérité non diminuée à son sujet. Voilà pourquoi l’indication que saint Thomas désigne à ses disciples dans l’Epistula de modo studendi : « Ne respicias a quo sed quod dicitur » découle si intimement de l’esprit de sa philosophie. J’apprécie donc vivement le programme:des études de la faculté de philosophie de cette Université qui comprend, avec des cours théorétiques sur Aristoteet saint Thomas des cours de philosophie, histoire de la philosophie moderne, le mouvement phénoménologique, conformément à la récente constitution apostolique Sapientia Christiana : De studiorum Universitatibus et Facultatibus Ecclesiasticis (AAS 71, 1979, p. 495-496).

 

8. Mais il est une autre raison qui assure la validité éternelle de la philosophie de saint Thomas : la préoccupation permanente de rechercher la vérité. « Studium philosophiae —écrit Thomas d’Aquin commentant son philosophe préféré Aristote — non est ad hoc quod sciatur quid homines senserint, sed qualiter se habeat veritas » (De coelo et mundo, I, lect 22, éd. R. Spiazzi, n. 228). Voilà pourquoi la philosophie de saint Thomas excelle pour son réalisme, pour son objectivité : elle est la philosophie « de l’être et non du paraître ». La conquête de la vérité naturelle — qui a sa source suprême dans le Dieu-Créateur, comme la vérité divine a la sienne dans le Dieu-Révélateur — a rendu la philosophie de l’Angélique souverainement apte à être l’« ancilla fidei » sans se déprécier elle-même et sans restreindre ses terrains d’enquête mais acquérant au contraire des développements impensables par la seule raison humaine. C’est pourquoi le Souverain Pontife Pie XI, de vénérée mémoire, publiant l’encyclique Studiorum ducem, à l’occasion du VI° centenaire de la Canonisation de saint Thomas n’hésita pas à affirmer : « In Thoma honorando majus quiddam quam Thomae ipsius existimatio vertitur, id est Ecclesiae docentis auctoritas » (AAS 13 ; 1923, p. 324).

 

9. En réalité, saint Thomas a su, avec sa « ratio fide illustrata » (Conc. Vatican I, constit. dogm. Dei Filius, chap. 4, DS 3016), éclairer également les problèmes concernant le Verbe Incarné « Sauveur de tous les hommes » (Prologue de la troisième partie de la Somme théologique). Ce sont les problèmes auxquels j’ai fait allusion dans ma première encyclique Redemptor hominis, où j’ai présenté le Christ comme « Rédempteur de l’homme et du monde, centre du cosmos et de l’histoire... voie principale de l’Église » pour retourner à « la maison du Père » (nn. I, 8, 13). Il s’agit d’un thème de tout premier ordre pour la vie de l’Église et pour la science chrétienne. La christologie n’est-elle pas le fondement et la condition première de l’élaboration d’une anthropologie plus complète, selon les exigences de notre époque ? Il faut en effet qu’on n’oublie pas que c’est seulement le Christ qui « révèle pleinement l’homme à l’homme » (cf. Constit. pastorale Gaudium et Spes, n. 22).

Saint Thomas a également inondé de lumière rationnelle, purifiée et rendue sublime par la foi, les problèmes concernant l’homme : sa nature créée à l’image et ressemblance de Dieu, sa personnalité digne de respect dès le moment de sa conception, le destin surnaturel de l’homme dans l’heureuse vision de Dieu Un et Trine. Ici nous devons à saint Thomas une définition précise et toujours valide de ce en quoi consiste la substantielle grandeur de l’homme : ipse est sibi providens (cf. Contra Gentes, III, 81).

L’homme est patron de lui-même, il peut pourvoir à soi et projeter son propre destin. Toutefois, considéré en soi ce fait ne décide pas encore de la grandeur de l’homme et ne garantit pas la plénitude de son « auto-réalisation » personnelle. Est seul décisif le fait que dans son action, l’homme se soumet à la vérité qu’il ne détermine pas lui-même, mais découvre seulement dans sa nature qui lui a été donnée en même temps que son être. Dieu est celui qui posera réalité en tant que Créateur et la manifeste toujours mieux comme révélateur en Jésus-Christ et dans son Église. En qualifiant cette « auto-providence » de l’homme sub ratione veri du nom de munus regale (ministère royal), le concile Vatican II a atteint cette intuition dans toute sa profondeur.

C’est cette doctrine que dans l’encyclique Redemptor hominis j’ai voulu rappeler et adapter aux besoins de l’époque en indiquant que l’homme est « la voie première et fondamentale de l’Église » (n. 14).

 

10. Au terme de ces considérations nécessairement sommaires, un dernier mot s’impose. La parole par laquelle Léon XIII terminait l’Aetemi Patris : « Exempla sequarum Doctoris Angelici », comme il le recommandait (Leonis XIII, Acta, c. p. 283). C’est ce que je vous répète également ce soir. En effet, l’exhortation est pleinement justifiée par le témoignage de sa vie dont saint Thomas a renforcé l’enseignement donné du haut de sa chaire. Sa méthodologie, avant d’être celle, technique, d’un maître, a été celle d’un saint qui vit pleinement l’Évangile dans lequel la charité est tout. Amour de Dieu, source suprême de toute vérité ; amour du prochain, chef-d’œuvre de Dieu ; amour des choses créées, elles aussi écrins précieux remplis des trésors que Dieu y a versés.

Voici ce qui a été la force inspiratrice de tout son effort de studieux et quel a été le stimulant secret de sa donation totale de personne consacrée. « A caritate omnia procedunt sicut a principio et in caritatem omnia ordinantur sicut in finem », a-t-il écrit (in Joh, Ev. XV, 2). Et en effet le gigantesque effort intellectuel de ce maître de la pensée fut stimulé, orienté, soutenu par un cœur débordant d’amour pour Dieu et pour le prochain. « Per ardorem caritatis datur cognitio veritatis » (ibid., V, 6). Ce sont des paroles emblématiques qui, derrière le penseur capable des envolées spéculatives les plus audacieuses, font entrevoir le mystique habitué à puiser directement à la source même de toute vérité, la réponse aux invocations les plus profondes de l’esprit humain. N’a-t-il pas avoué lui-même qu’il n’avait jamais écrit ni donné des leçons sans avoir eu, d’abord, recours à la prière ?

Celui qui aborde saint Thomas ne peut ignorer ce témoignage qui jaillit de sa vie ; il doit, par contre, s’engager courageusement sur ses traces dans l’effort d’en imiter les exemples s’il veut réussir à goûter les fruits les plus secrets et savoureux de son enseignement. C’est ce que nous rappelle la prière que la liturgie place sur nos lèvres le jour de sa fête : « O Dieu qui, en saint Thomas as donné à l’Église un modèle de sainteté et de doctrine, donne-nous la lumière pour comprendre son enseignement et la force pour imiter son exemple. »

C’est ce que nous aussi nous demandons ce soir au Seigneur, confiant notre prière à l’intercession de « maître Thomas » lui-même, un maître profondément humain parce que profondément chrétien et, justement parce que profondément chrétien, profondément humain.

 

 

 

23 novembre 1979

AUX DÉLÉGUÉS DE COMMISSIONS ŒCUMÉNIQUES NATIONALES

 

Le 23 novembre, le Saint Père a reçu en audience les délégués des Commissions œcuméniques nationales qui prenaient part au congrès organisé par le Secrétariat pour l’Unité des chrétiens sur le thème : « L’œcuménisme comme priorité pastorale dans l’activité de l’Église ». Aux 62 délégués — évêques pour la plupart— représentant 59 pays, aux 6 consulteurs et aux 3 hôtes appartenant à l’Église orthodoxe, à la Communion anglicane et à la Fédération  luthérienne mondiale, le Saint-Père a adressé un discours dont voici la traduction :

 

J’éprouve une joie toute particulière à pouvoir souhaiter la bienvenue à un si grand nombre d’évêques et de prêtres qui se sont réunis afin dé promouvoir ta grande œuvré de l’unité chrétienne dans de nombreuses parties du monde. Vous êtes venus à Rome, invités par le Secrétariat pour l’Unité dés chrétiens, pour donner une expression vivante à l’étroite collaboration qui doit exister entre les Églises locales et le Saint-Siège dans ce domaine comme dans tant d’autres.

Il y a quelques années, dans son document sur la collaboration œcuménique, le Secrétariat insistait sur la nécessité, d’une part, pour les Églises locales de prendre des initiatives dans les limites de la doctrine et de la discipline de toute l’Église catholique. Ces principes sont clairement reflétés par le caractère et la composition de votre rencontre actuelle.

Je suis certain que vous qui provenez de si nombreux pays aurez, tout comme l’équipe du Secrétariat, tiré un immense profit de ces journées de discussions et de prière. Votre tâche est difficile et parfois solitaire : c’est pourquoi il est bon de se trouver parmi des frères. Je suis heureux également de la présence de trois hôtes venant de l’Église orthodoxe de la Fédération luthérienne mondiale. Je leur souhaite avec joie la bienvenue comme frères en le Christ.

Comme vous le savez, je ferai sous peu une visite à Sa Sainteté le patriarche œcuménique Dimitrios Ier. « La restauration de l’unité entre tous les chrétiens était l’un des buts principaux du deuxième concile du Vatican (cf. Unitatis Redintegratio, 11) et, dès mon élection, je me suis engagé formellement à promouvoir l’exécution de ses normes et de ses orientations, considérant que c’était pour moi un devoir primordial » (Discours au Secrétariat pour l’unité des chrétiens, 18 novembre 1978). Mon, premier voyage œcuménique qui donnera une solide expression à cet engagement me conduira au premier Siège de l’Église orthodoxe. J’espère avoir encore d’autres occasions de rencontrer d’autres pasteurs et leaders chrétiéns en vue de coopérer avec eux et d’intensifier notre effort commun vers l’unité.

L’aspect positif et prometteur de l’activité œcuménique semble ressortir de chacun des mots du thème choisi pour votre réunion « Œcuménisme et priorité pastorale dans l’activité de l’Église ». J’aimerais, pendant un bref instant, vous faire part des idées que ce thème me suggère cette semaine où nous célébrons le 25° anniversaire de trois importants documents du concile Vatican II : Lumen Gentium, Orientalium Ecclesiarum et Unitatis Redintegratio.

Vous êtes ici pour parler d’œcuménisme. Ce mot ne doit pas évoquer ce prétendu souci des ajustements nécessaires pour tout véritable renouvellement dans l’Église (cf. Directoire œcuménique, I). Et l’œcuménisme est encore moins un passeport pour l’« indifférentisme » ou pour négliger tout ce qui est essentiel pour notre tradition sacrée. C’est plutôt un appel, une invitation à travailler sous la conduite du Saint-Esprit afin de réaliser la parfaite et visible unité dans la foi et l’amour, dans la vie et l’action, de tous ceux qui professent la foi en notre seul Seigneur Jésus-Christ. Malgré les rapides progrès de ces dernières années, il reste encore beaucoup à faire.

A cet égard, il importe de poursuivre le dialogue théologique et la collaboration avec d’autres Églises et communautés. D’ailleurs, il n’est guère de régions où l’Église catholique ne collabore pas avec d’autres chrétiens dans les domaines de la justice sociale, des droits de l’homme, du développement et de l’assistance : « La collaboration de tous les chrétiens exprime vivement l’union déjà existante entre eux et elle met en plus lumineuse évidence le visage du Christ Serviteur » (Unitatis Redintegratio, n. 12).

Votre oeuvre a encore un autre aspect, d’ailleurs tout aussi vital : « Le souci de parvenir à l’union concerne l’Église tout entière, fidèles autant que pasteurs » (ibid., n. 5). Une des principales tâches à tous les niveaux des commissions œcuméniques est de promouvoir l’unité en faisant connaître aux catholiques les objectifs de l’œcuménisme et de les aider à répondre à cet urgent appel qu’ils doivent considérer comme faisant un tout avec leur vocation baptismale. Cette vocation est un appel au renouvellement, à la conversion, à la prière qui seuls peuvent nous rapprocher du Christ et de chaque autre et que le Concile appelle à bon droit « œcuménisme spirituel » et 1’« âme du mouvement œcuménique » (ibid., 8). Chaque chrétien est appelé au service de l’unité de l’Église. Deux tâchés sont particulièrement urgentes aujourd’hui. L’une est celle d’aider les prêtres et les séminaristes à apprécier la dimension œcuménique de leur mission et à y faire participer les fidèles confiés à leurs soins. L’autre, comme je l’ai dit dans ma récente exhortation Catechesi Tradendae, concerne la dimension œcuménique de la catéchèse : « La catéchèse aura une dimension œcuménique… si elle suscite et alimente un vrai désir de l’unité ; davantage encore si elle inspire des efforts sérieux — y compris l’effort pour se purifier dans l’humilité et la ferveur de l’Esprit afin de désencombrer les chemins — non pas en vue d’un irénisme facile, mais en vue de l’unité parfaite, quand le Seigneur le voudra et par les voies qu’il voudra » (Catechesi Tradendae, n. 32).

C’est pour cette raison qu’il faut considérer la tâche de promouvoir l’unité comme une tâche essentiellement pastorale. Elle est pastorale en ce sens que les évêques sont les principaux ministres de l’unité au: sein des Églises locales et que, par conséquent, leur incombe « la principale responsabilité de promouvoir le mouvement œcuménique » (Directoire œcuménique. II, 65). Elle est pastorale également en ce sens que tous ceux qui sont engagés dans cette tâche doivent considérer avant tout qu’il faut l’orienter vers l’édification du Corps du Christ et le salut du monde. Tant que persistera la division des chrétiens, la tâche d’annoncer l’Évangile se trouvera gênée : les divisions entre chrétiens affectent la crédibilité de l’Évangile, la crédibilité du Christ lui-même (cf. Evangelii Nuntiandi, 77). Servir ainsi l’unité c’est servir le Christ, l’Évangile et toute l’humanité. C’est donc un très authentique service pastoral.

Et cette très réelle tâche pastorale à un caractère hautement prioritaire. Le concile Vatican II a très clairement établi l’urgence de la tâche œcuménique. Le manque d’unité est un scandale, un obstacle à la propagation de l’Évangile : nous avons le devoir de lutter, aidés par la grâce de Dieu, pour surmonter autant que possible cette situation. Le renouveau intérieur de l’Église catholique est une contribution indispensable à l’œuvre de l’unité des chrétiens. Nous devons donc placer cet appel à la sainteté et au: renouvellement au centre de la vie de l’Église. Il ne faudrait pas s’imaginer que l’action en faveur de l’unité de la foi est de façon ou d’autre secondaire, facultative, périphérique, quelque chose qui peut être remis indéfiniment. Notre fidélité nous presse à faire plus, à prier plus, à aimer plus. Le chemin peut être long et demande beaucoup de patience ; nous devons prier afin que « le besoin naturel de patience pour atteindre l’heure de Dieu n’occasionne pas une complaisance dans le statu quo de la division dans la foi » (Discours œcuménique prononcé aux États-Unis le 7 octobre 1919). Vous donc qui, dans vos propres pays, êtes chargés d’une responsabilité particulière dans l’œuvre œcuménique de l’Église, vous devez toujours considérer celle-ci comme une des priorités essentielles de la mission de l’Église.

Car cela, c’est la tâche de l’Église, la mission que le concile Vatican II a confiée à l’Église ; œuvrer en faveur de l’œcuménisme a été fréquemment réaffirmé tant par Paul VI que par moi-même. Mais, cette action pour l’unité ne consiste pas simplement à suivre chacun sa propre fantaisie, ses préférences personnelles ; cela signifie être un fidèle et sincère représentant de la position de l’Église catholique. Le Concile nous a rappelé que « l’activité œcuménique ne peut être que pleinement et sincèrement catholique, c’est-à-dire fidèle à la vérité reçue des Apôtres et des Pères et conforme à la foi que l’Église a toujours professée : elle tend à cette plénitude en laquelle, au cours des âges, le Seigneur veut que son Corps grandisse » (Unitatis Redintegratio, n. 24). Ceci vous charge d’une lourde responsabilité : mais rappelez-vous toujours que cela vous vaudra de grandes grâces.

Vous savez bien que votre vocation exige le travail et j’espère que durant cette semaine vous aurez été encouragés en apprenant tout le travail qui a été réalisé dans de nombreuses parties du monde et tout ce qui est fait chaque jour par le Secrétariat, ici à Rome. Mais, finalement, tout ce travail est l’œuvre de Dieu. Il compte sur notre coopération et nous, nous devons mettre toute notre confiance en lui, car lui seul peut nous conduire à cette unité qu’il veut, une unité qui reflète l’unité existant entre les Personnes divines. Car l’Église du Christ n’est-elle pas « un peuple uni de l’unité du Père, du Fils et de l’Esprit-Saint » ? (cf. St Cyprien, De orazione dominica, 23 ; PL 4, 553 rappelé dans Lumen Gentium, 4) »

C’est à la lumière de cette profonde et pieuse confiance dans le pouvoir de Dieu que je vous engage à faire face avec courage, foi et persévérance, aux difficultés et aux obstacles inévitables dans votre activité. Nulle difficulté ne saurait nous détourner des choses de Dieu. La voie de la vérité et de la fidélité portera toujours la marque de la croix : comme l’a dit l’Apôtre : « Il faut passer par bien des tribulations pour entrer dans le royaume de Dieu » (Ac 14, 22).

Pour terminer je vous remercie tous d’être venus à la réunion du Secrétariat et d’y avoir contribué. Lorsque vous serez rentrés dans vos différents pays pour reprendre votre travail avec une vision et un zèle renouvelés, je vous confié, vous et tous ceux qui collaborent avec vous, à l’intercession de Marie, Mère de notre Seigneur Jésus-Christ et Mère de l’Église. Je lui demande de vous soutenir dans la grande cause de l’unité chrétienne pour la gloire de la Très Sainte Trinité : le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

 

 

 

24 novembre 1979

FAIRE DES ENTREPRISES DES COMMUNAUTÉS DE PERSONNES

 

Aux chefs d’entreprises chrétiens

Quelque deux mille membres de l’Union chrétienne (italienne) des chefs d’entreprise ont été reçus le 24 novembre par le Saint-Père qui leur a adressé un discours dont voici la traduction :

 

Chers Messieurs,

 

Je suis heureux de vous accueillir dans cette grande salle des Bénédictions, vous qui appartenez au Conseil national de l’Union chrétienne des chefs d’entreprises. En vous, je salue les principaux représentants du monde vaste et complexe des organisateurs d’entreprises industrielles, agricoles et commerciales, de ceux, en somme, qui assurent le travail, l’emploi, l’apprentissage professionnel.

En particulier, je salue le cardinal Siri, votre Conseiller moral national, qui, depuis quelque trente ans, vous assiste et vous encourage dans votre noble effort, certes délicat et difficile, d’animation chrétienne du monde de l’économie. Je salue également votre Président qui, en votre nom, a manifesté le désir de me rencontrer pour m’exprimer — comme vous l’avez fait en de nombreuses occasions à l’égard de mes vénérés prédécesseurs Pie XII, Jean XXIII et Paul VI — les sentiments de foi et de dévot attachement au siège de Pierre qui ont toujours inspiré et continuent à inspirer votre Union depuis sa création en 1947.

 

1. M’a première pensée pour vous ne peut qu’être une pensée d’estime, d’éloge et d’encouragement pour la significative présence que, sans ostentation, vous faites effectivement sentir dans la société. Vous avez une tâche dans laquelle je vois reflété un propre et vrai « service » social et civil : service en faveur de tous ceux qui sont employés dans les différents champs d’activité de l’entreprise. Je ne suis pas en mesure, naturellement, de vous parler des caractéristiques spécifiquement techniques de ces activités ; et je ne pense pas que ce soit là ce que vous attendez de moi à qui le Seigneur a confié la charge pastorale d’indiquer dans toutes les formes laborieuses de la vie humaine la norme suprême qui conduit au salut éternel. Dans cette perspective qui n’est pas d’ordre économique, sans toutefois être étrangère à n’importe quelle réalité qui touche l’homme, j’ai lu avec l’attention voulue la note d’information que lors de sa demande d’audience, M. le Président m’a aimablement adressée en même temps qu’une abondante documentation. Je vous félicite pour cette activité qui dans le sillage lumineux des méritants fondateurs de votre Association poursuit un discours destiné à faire connaître aux dirigeants économiques et à leur faire accepter et appliquer dans les entreprises les directives de la doctrine sociale de l’Église et à trouver en celle-ci les raisons capables de justifier et, mieux, de promouvoir cet ordre nouveau de la société, basé sur le respect de la personne humaine et sur la promotion, harmonieuse et efficace, du bien commun, qui répond aux exigences de l’Évangile, et auquel aspirent les peuples, déçus par tant de promesses et tant d’expériences étrangères ou contraires aux inspirations de la foi qui est la vôtre. C’est à cela que tend l’activité quotidienne de votre Union, soutenue en ceci par les conseillers moraux, qui ont, parmi les membres, une fonction discrète et active, d’animateurs, et de guides spirituels.

J’ai pris connaissance également, avec plaisir, de votre précieux apport en matière d’analyse des transformations technologiques, économiques, politiques et culturelles en cours en Italie, afin d’y promouvoir une vision chrétiennement orientée. Tout ceci, vous le réalisez grâce à des congrès, des réunions, des débats et des publications très appréciées. J’aime rappeler parmi celles-ci, votre Operare dont Paul VI, de vénérée mémoire loua l’esprit perspicace qui lui a permis de surmonter de nombreuses difficultés ; publications remarquables par « la compétence de ses collaborateurs, la patience de ses recherches sous tous les aspects de la réalité contemplée, la sincérité de ses opinions, la modération de ses affirmations et, enfin, sa largeur de vue » (cf. Discours à l’UCID, 7 fév. 1966). J’ai appris avec non moins de satisfaction votre zèle à promouvoir la recherche méthodique pour la qualification des futurs dirigeants ou pour la requalification de ceux-ci, organisant à cet effet des cours d’« aggiomamento » dans les entreprises, des séminaires et des activités avec la collaboration des universités. Cette noble intention est destinée à ouvrir les esprits à la conception moderne de la société et à tremper les forces morales de vos associés et d’autres encore, non seulement pour leur assurer une rigoureuse préparation technique, mais aussi pour leur apprendre à être des hommes chrétiennement honnêtes, loyaux et généreux. Elle mérite donc, l’appréciation et la reconnaissance publiques. Soyez donc assurés de ma sincère gratitude et de ma paternelle bienveillance.

Mais tout cela ne vous suffit pas ! Vous considérez comme un devoir également de devancer les légitimes aspirations des travailleurs de vos entreprises. Il faut que les industriels et les chefs d’entreprise fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour accueillir — pour accueillir comme il se doit — la voix du personnel, employés et ouvriers, et pour comprendre, leurs exigences légitimes de justice et d’équité, surmontant toute tentation égoïste à faire de l’économie leur propre norme. Vous saurez et pourrez rappeler à tous que toute inattention en ce domaine est coupable. Tant de conflits et d’antagonismes entre travailleurs et dirigeants ont leurs racines dans le terrain infécond du manque d’écoute, du dialogue refusé ou indûment différé. Ce n’est pas temps perdu celui que vous consacrez à un colloque avec votre personnel, celui qui vous permet de rendre plus humains les rapports avec eux, plus « à la mesure de l’homme » vos entreprises. Vous n’ignorez pas la situation de nombreux ouvriers de fabrique qui risquent de se sentir atrophiés dans leur spontanéité intérieure s’ils, sont obligés de vivre comme au milieu d’un réseau de barbelés. La machine, avec ses automatismes rigides, est ingrate, avare de satisfactions. Même les relations entre collègues de travail ne sont pas capables d’apporter le réconfort ou le soutien nécessaires quand elles sont dépersonnalisées ; et les appareils de production, de distribution et de consommation contraignent les ouvriers à se perdre dans la masse, sans initiative, sans possibilité de choix. On arrive à ce niveau de déshumanisation, quand l’échelle des valeurs est inversée, que la productivité devient le paramètre unique du phénomène industriel, quand la dimension intérieure des valeurs est perdue de vue, quand le perfectionnement de la production l’emporte sur l’épanouissement de ceux qui la réalisent, faisant passer l’œuvre avant l’ouvrier, l’objet avant le sujet. Ce discours, qui vous est d’ailleurs familier, tend, à ce point, à prendre de l’ampleur et à nous faire parler du problème plus général et universel des droits de l’homme. Mais cela nous mènerait trop loin ; je me limite donc au rappel d’un bref passage de ma première encyclique où j’affirme que la violation des droits humains fondamentaux « ne peut en aucune manière s’accorder avec quelque programme que ce soit qui se définisse "humaniste". Et quel programme social, économique, politique, culturel pourrait renoncer à cette définition ? » (cf. Redemptor hominis ,n. 17).

Quant à vous, vous êtes absolument certains que c’est uniquement dans cette perspective que l’homme — tout homme, qu’il soit chef d’entreprise ou directeur, ou collaborateur dans les divers secteurs, employé ou ouvrier — peut trouver sa profonde signification étant ainsi mis en mesure d’exprimer ses talents, de collaborer, de participer et de coopérer au bon fonctionnement de l’entreprise de laquelle ils sont, tous ensemble, collaborateurs et artisans.

De cette manière, le temps destiné au travail retrouve son importante signification, non moindre que celle du temps réservé au repos. L’un et l’autre permettent à l’homme de se découvrir et de découvrir en même temps ces valeurs supérieures de l’amour et de la solidarité qui lui donnent la possibilité de réaliser un développement intérieur qui le met à l’abri d’éventuelles frustrations toujours imminentes.

Voilà, chers frères, quelques indications qui peuvent vous être utiles dans l’accomplissement responsable de vos difficiles devoirs professionnels. Pour conclure, j’aime à reprendre à mon propre compte les vœux que mon grand prédécesseur Paul VI a exprimés dans le dernier discours qu’il vous a adressé et qui est le testament qu’il vous, a laissé : « Que votre témoignage chrétien contribue vraiment à répandre dans les milieux de l’entreprise la conviction que les biens créés ont une destination universelle, "Qu’ils doivent équitablement, affluer entre les mains de tous, selon les règles de la justice, inséparable de la charité" (Gaudium et spes, 69, 1). Puisse votre exemple inciter à un emploi ni arbitraire ni égoïste des revenus disponibles : puisse surtout l’orientation que vous donnez à vos entreprises faire de celles-ci une communauté de personnes dans laquelle chacun se sente valorisé dans sa propre dignité grâce à une participation responsable à l’œuvre commune » (Discours à l’UCID, 12 fév. 1977 ; cf. ORLF du 22 fév. 1977).

Ces vœux, je désire les valoriser par la prière et, invoquant l’aide du Seigneur pour vos personnes, pour tous ceux qui vous sont chers, pour tous les membres de votre Union et leurs familles, de tout cœur je vous donne à tous ma bénédiction apostolique.

 

 

 

26 novembre 1979

AU CONSEIL DES SUPÉRIEURS GÉNÉRAUX

 

En fin de matinée, le 26 novembre, le Saint-Père a reçu en audience les membres du Conseil des supérieurs généraux, accompagnés du cardinal Eduardo Pironio, préfet de la congrégation, pour les religieux et les instituts séculiers. Le pape leur a adressé un discours en italien dont voici la traduction :

 

Frères et fils très chers,

 

1. Permettez que je vous dise ouvertement ma joie de vous recevoir aujourd’hui, dans cette maison, vous qui êtes les membres qualifiés du Conseil de l’Union des supérieurs généraux et qui, de ce fait, représentez un grand nombre de religieux dispersés dans le monde. Je vous remercie d’avoir manifesté le désir de cette rencontre qui me donne la possibilité dé m’adresser cordialement à vous.

L’organisme dont vous êtes l’expression et que vous représentez, non seulement favorise une plus grande communion entre les différentes familles religieuses, mais elle facilite également une action mieux concertée dans le cadre et pour l’édification de l’Église. Je souhaite qu’il en soit toujours ainsi.

Mon intention, ici et maintenant, est seulement de rappeler avec vous certains des grands aspects de la vie religieuse qui, de par leur nature, sont aussi la source d’un comportement vécu. Le décret conciliaire Perfectae caritatis sur le renouveau de la vie religieuse comporte déjà dans son introduction l’affirmation suivante : « Tous ceux qui, appelés par Dieu à la pratique des conseils évangéliques, en font fidèlement profession... vivent toujours davantage pour le Christ et pour son Corps qui est l’Église (cf. Col 1, 24). Et donc plus grande est la ferveur de leur union au Christ par ce don d’eux-mêmes qui embrasse toute leur vie, et plus riche est la vitalité de l’Église et plus vigoureusement fécond son apostolat » (n. 1).

 

2. Chers amis, vous représentez dans l’Église un état de vie qui remonte aux premiers siècles de son histoire et qui d’étape en étape a toujours porté, dans le cadre des différentes familles religieuses, d’abondants et savoureux fruits de sainteté, de remarquables témoignages chrétiens, d’apostolat efficace, et même d’une contribution non négligeable dans la formation d’un riche patrimoine de culture et de civilisation.

Or, tout ceci a été et sera toujours possible précisément sur la base de cette totale et fidèle union au Christ dont parle le Concile et qui non seulement vous est demandée mais qui est favorisée dans sa réalisation par votre condition particulière de religieux consacrés au Seigneur.

Le charisme propre à chacun des instituts que vous représentez est un signe éloquent de votre participation à la richesse multiforme du Christ dont « la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur » (Ep 3, 18) surpassent toujours de beaucoup ce que nous pouvons réaliser en puisant à sa plénitude. L’Église, qui est le visage visible du Christ dans le temps, accueille et nourrit dans son sein des ordres et des instituts, de styles très différents pour que tous ensemble contribuent à révéler la nature diversifiée et le dynamisme polyvalent du Verbe de Dieu, incarné et de la communauté de ceux qui croient en lui.

 

3. Mais il y a surtout un autre motif qui justifie et exige l’état religieux. En un temps et en un monde dans lesquels le risque est imminent de construire l’homme selon une seule dimension, ce qui se réduit inévitablement à la dimension historique et immanente, les religieux sont appelés à estimer hautement la valeur et le sens:de la prière d’adoration sans la séparer mais en l’unissant à l’engagement actif d’un généreux service des hommes, engagement qui tire précisément ses possibilités et son élan de cette prière.

Il s’agit d’un programme de vie dont le déroulement et l’incarnation conviennent particulièrement aux religieux, encore plus qu’au clergé séculier, selon leur fidèle et joyeuse observance des conseils évangéliques et selon une accentuation particulière de la communion immédiate avec « celui qui habite une lumière inaccessible et qu’aucun homme n’a jamais vu ni ne peut voir » (1 Tm 6, 16). C’est de vous que les hommes doivent apprendre à « lui rendre ;honneur et puissance pour toujours » (ibid.), sans que cela crée un désaccord stérile avec leurs engagements temporels mais au contraire de façon à ce qu’ils y trouvent un encouragement salutaire et une orientation féconde pour s’élever vers le Christ auquel également « toutes les choses ont été soumises, celles du ciel et celles de la terre » (Ep l, 10).

Aujourd’hui la société veut voir dans vos familles religieuses toute l’harmonie qui existé entre l’humain et le divin, entre « les choses visibles et les choses invisibles » (2 Co 4, 18) et combien les secondes surpassent les premières, sans jamais les banaliser ou les humilier, mais en les vivifiant et en les élevant à la dimension du plan éternel du salut. Prière et travail, action et contemplation : ce sont des binômes qui, dans le Christ, ne se détériorent jamais en oppositions antithétiques, mais qui mûrissent dans une complémentarité mutuelle et dans une féconde intégration. Aussi est-ce précisément le rôle du témoignage des religieux de montrer au monde d’aujourd’hui à quel point l’humanité fait partie du mystère du Christ (cf. Tt 3, 4) et en même temps tout le transcendant et le surnaturel qui est exigé de ceux qui s’engagent parmi les hommes (cf. Ps 127, l).

 

4. Cette synthèse harmonieuse constitue en définitive le véritable motif de votre influence et de l’attraction que vous exercez sur les hommes et en particulier sur les jeunes d’aujourd’hui. C’est également sur la base d’un équilibre sain entre les valeurs humaines et les valeurs chrétiennes que la vie religieuse peut se renouveler, se purifier et resplendir toujours davantage, comme c’est le désir de tous. Certes, les difficultés ne vous manqueront pas, ni les risques et les tensions que vous connaissez bien. Mais on ne doit pas se faire l’illusion de résoudre les inévitables épreuves selon une optique purement mondaine ou, au contraire, désincarnée. La mesure la plus adéquate de notre comportement ne peut être autre que l’exemple de Jésus et notre foi très pure en lui. C’est, en effet, de l’Évangile que nous vient le sens d’une adhésion inébranlable à la volonté du Père et en même temps une audace sans témérité dans nos décisions, le sens d’une courageuse projection vers l’avenir liée à une conservation avisée du riche patrimoine spirituel acquis dans le passé.

Aucun pas  en avant n’est possible et dans aucune direction sinon en partant de ce qui a déjà été accompli. Mais par contre, s’arrêter aux réalisations passées est un signe de stérile piétinement. D’autre part, avancer au sens évangélique se réalise assurément au niveau de la sainteté individuelle, mais aussi par un témoignage public rendu au Christ. Or, le Christ est le Seigneur de l’histoire humaine tout entière, non seulement de l’histoire passée mais aussi de l’histoire présente et de celle qui est encore devant nous. Il exige donc une adhésion toujours totale mais toujours adaptée. L’apôtre Paul rappelait aux Galates que « dans le Christ Jésus ni la circoncision ni l’incirconcision n’ont de valeur mais la foi qui opère selon la charité » (Ga 5, 6) ; il donnait ainsi à tous les chrétiens un principe d’herméneutique fondamental pour leur existence dans le monde et qui doit valoir évidemment encore plus pour les religieux : quand on est tenacement « attaché à la tête » qui est le Christ (Col 2, 19) alors on ne craint aucun changement ou conditionnement historique, aucune inculturation et aucun obstacle car tout, au contraire devient matière valide pour un progrès intérieur, pour un témoignage d’ouverture et d’efficacité apostolique. Pourvu qu’en toute chose se « multiplie l’hymne de la louange à la gloire de Dieu » (2 Co 4, 15).

C’est là que nous devons tous puiser notre courage et notre confiance, L’Église attend beaucoup de vous en particulier : un exemple provenant d’une communion radicale avec le Christ et qui fructifie naturellement en un généreux engagement parmi les hommes.

 

5. Voici les réflexions que je vous propose à vous et à tous ceux que vous représentez, en vous invitant instamment à les méditer et à les avoir présentes à l’esprit non seulement dans les moments de prière proprement dite, mais aussi et surtout dans l’accomplissement même concret de vos différentes activités éducatives, d’entraide, de culture, de mission et de promotion en général, qui vous spécifient si distinctement. C’est vraiment dans les consacrés, plus que chez tout autre baptisé, que doit briller une parfaite symbiose, comme en Jésus, entre les moments de la transfiguration (cf. Lc 9, 28-36) et les moments d’insertion profonde au milieu d’une foule exigeante qui attend au pied de la montagne (cf. ibid. 9, 37-43).

Cette tâche n’est pas facile, elle requiert un grand effort d’ascèse et encore davantage la grâce abondante et indispensable de Dieu : soyez certains que ma paternelle participation ne vous manquera pas ni le réconfort de ma pauvre mais constante prière pour que « le Seigneur fasse briller son visage sur vous » (Nb 6, 25) et que les hommes « voient en vous la splendeur du glorieux Évangile du Christ » (2 Co 4, 4).

A ces vœux et à ces souhaits, il m’est agréable d’ajouter une particulière bénédiction apostolique de propitiation et je l’étends avec autant de bienveillance à tous vos chers et méritants confrères.

 

 

 

13 décembre 1979

LA CONFUSION DES CHARISMES APPAUVRIT L’ÉGLISE

 

Aux aumôniers des O.I.C.

Le jeudi 13 décembre, à midi, le Saint-Père a reçu en audience les assistants ecclésiastiques des Organisations Internationales Catholiques, réunis près de Rome par le Conseil pontifical des laïcs pour une session de travail. Le cardinal Opilio Rossi, président de ce Conseil, les permanents et les consulteurs du Conseil ont participé activement aux travaux de cette session. Le pape s’est adressé aux participants, une soixantaine de personnes, de la manière suivante :

 

1. Je vous souhaite la bienvenue à vous, Monsieur le Cardinal, à vos collaborateurs permanents, aux consulteurs du Conseil pontifical pour les laïcs, et à vous tous, assistants ecclésiastiques de nombreuses Organisations et Associations internationales catholiques réunis à Rome pour la première fois à l’initiative du Conseil.

J’espère que ces quelques jours d’une rencontre bien réussie produiront de bons fruits pour chacun de vous et pour les Organisations auxquelles vous donnez le meilleur de vos talents et de votre dévouement sacerdotal.

 

2. Je vous rappellerai d’abord une considération de la lettre que je vous ai adressée le Jeudi Saint de cette année 1979, considération qui doit nous apporter constamment joie, espérance et réconfort spirituel.

Lorsqu’un prêtre, au cours de sa vie, s’arrête un moment et jette un regard sur son sacerdoce, il ne peut s’empêcher de s’émerveiller devant l’ampleur de la grâce qui lui a été donnée avec le sacrement de l’Ordre. Les prêtres qui se dépensent dans le labeur qui leur a été confié, quel qu’il soit : ministère paroissial, enseignement, formation, tous, s’ils gardent la conscience de leur vocation de prêtres et s’efforcent d’agir en tout et partout en prêtres, peuvent constater, dans l’immense variété de leurs champs d’action, la fécondité surnaturelle de la grâce sacerdotale qui passe par eux.

 

3. Quant à vous, chers frères, le Seigneur vous appelle pour te moment à exercer votre ministère de prêtres, à plein temps ou à mi-temps, dans le champ très spécial de l’assistance ecclésiastique aux Organisations et Associations internationales catholiques.

Je n’ai pas besoin de vous dire l’estime sincère de l’Église pour les O.I.C. Ces Organisations, très diverses, rassemblées depuis plus de cinquante ans dans une Conférence, revêtent un double aspect qui fait leur richesse : d’une part, grâce à leurs buts apostolique, spirituel ou caritatif, elles permettent à l’Église d’accomplir sa mission salvifique dans le monde ; d’autre part, grâce au statut dont jouissent plusieurs d’entre elles, elles assurent une forme particulière de présence de l’Église là où se joue de façon décisive le jeu, complexe, délicat et important, de la vie internationale à ses différents niveaux.

Ces Organisations et les autres Associations qui portent un témoignage identique sont formés pour la plupart de laïcs qui doivent y trouver la possibilité de croître dans leur foi et dans leur engagement apostolique en même temps que le moyen de participer à la vie et à la mission de l’Église.

 

4. Voilà, chers amis, un champ où la grâce de votre sacerdoce peut s’exercer de façon admirable si vous vous montrez capables d’y vivre avec authenticité et intensité votre vocation de ministres de Jésus-Christ.

L’authenticité signifie accepter votre condition de prêtres sans retour ni réserve, cette condition dont vous avez rêvé lorsque vous étiez jeunes, à laquelle vous vous êtes préparés avec amour et que vous avez accueillie dans l’enthousiasme le jour où l’évêque et le presbyterium vous ont imposé les mains. Cette condition de prêtres vous donne une identité claire et précise au sein de l’Église et au milieu du peuple de Dieu : il ne faut pas diluer cette identité, l’estomper ou l’échanger par d’autres identités. Il faut, au contraire, l’éclairer et la montrer aux yeux de tous. Dans les organisations et associations auxquelles vous rendez service — ne vous y trompez pas ! — l’Église vous veut prêtres et les laïcs que vous y rencontrez vous veulent prêtres et rien que prêtres. La confusion des charismes appauvrit l’Église ; elle ne l’enrichit en rien. Prêtres, soyez donc au sein de ces groupements les artisans de communion, les éducateurs dans la foi, les témoins de l’Absolu de Dieu, les vrais apôtres de Jésus-Christ, les ministres de la vie sacramentelle, spécialement de l’Eucharistie, les animateurs spirituels dont les laïcs ont besoin soit pour leur formation, soit pour les éclairer dans leur engagement souvent très difficile, voire risqué.

 

5. L’intensité n’est autre chose que la ferveur d’esprit avec laquelle vous devez vivre votre vocation à l’égard de ceux et celles dont vous êtes pasteurs en tant qu’assistants ecclésiastiques d’importantes Organisations et Associations internationales catholiques. Est-il besoin de vous le rappeler la vitalité et le dynamisme apostoliques, la capacité d’engagement, l’efficacité de l’action de ces communautés ou groupements dépendent en définitive en très grande partie de la valeur humaine et évangélique dont témoignera votre vie sacerdotale.

 

6. Vous n’êtes pas seuls. Sachez que le pape suit vos activités qui sont très proches des soucis, des projets, des activités du Saint-Siège en tant que celui-ci est une expression majeure de la catholicité de l’Église. Restez unis à vos évêques, à vos supérieurs majeurs et, à travers eux, avec vos familles spirituelles. Tâchez d’intéresser à votre travail les autres prêtres que vous rencontrez ; partagez avec eux vos soucis et vos réalisations. Sachez trouver auprès des laïcs polir qui vous travaillez un renouveau d’énergie spirituelle pour votre sacerdoce et pour votre vie. Et j’ajoute, enrichissez tout cela en cherchant à vous retrouver aussi entre vous chaque fois que cela vous sera possible, pour vous éclairer mutuellement sur votre tâche, pour vous aider à croître, dans votre spiritualité et votre ferveur missionnaire, pour vous encourager les uns les autres. Ces rencontres peuvent être déterminantes pour l’authenticité et l’intensité de votre sacerdoce. Le Conseil pontifical pour les laïcs ne refusera pas, j’en suis certain, de vous aider à vous retrouver ainsi.

Que le Christ Prêtre, dont découle la grâce immense de notre sacerdoce, soit, toujours avec vous et vous assiste dans votre ministère. Qu’il vous bénisse. En son nom, je vous donne, en gage d’abondantes grâces divines, la bénédiction apostolique.

 

 

 

15 décembre 1979

LE PAPE REÇOIT LA C.I.D.S.E.

 

En fin de matinée, le samedi 15 décembre, le pape a reçu en audience les membres du Comité directeur de la Coopération internationale pour le Développement socio-économique (C.I.D.S.E.) qui tenait session à Rome. Le Président de cette organisation, M. Menotti Bottazzi  conduisait la délégation avec Mgr Mc Grath, archevêque de Panama, modérateur de la rencontre. Voici le texte du discours de Jean Paul II :

 

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

 

1. Je suis heureux de vous recevoir aujourd’hui, à l’occasion de la réunion du Comité directeur qui rassemble à Rome toute l’équipe dirigeante de votre organisation de Coopération internationale pour le développement socio-économique, la C.I.D.S.E., qui participe à l’effort des chrétiens pour rendre témoignage à la charité du Christ envers tous les hommes en travaillant principalement à la promotion collective.

 

2. Comment ne pas fixer d’abord notre regard, au commencement de cette rencontre, sur cette charité du Seigneur, qui nous unit et qui nous inspire ? C’est elle qui ne passera pas, nous dit saint Paul ; c’est elle, qui chaque jour, nous presse pour que notre action soit vraiment le miroir de la sollicitude du Seigneur pour tous les hommes, et particulièrement pour ces foules qui ont provoqué sa pitié et auxquelles il veut dévoiler encore, mais cette fois par notre entremise, la splendeur et les richesses infinies de l’amour de Dieu !

De cette source spirituelle inépuisable découlent toutes les formes d’assistance et de partage authentiquement chrétiennes. Elles ont, été. innombrables au cours des siècles, s’efforçant de s’adapter aux besoins, et c’est ainsi qu’elles fleurissent encore de nos jours, dans leur diversité. J’évoque toujours avec joie ces œuvres multiples et toutes ces associations catholiques dont les membres se dévouent chaque jour, dans des activités très différentes, mais dans la fidélité à l’Église et à un seul et unique Esprit, celui qui est à l’œuvre dans le monde pour que tous les hommes se reconnaissent comme frères et puissent dire un jour ensemble : « Notre Père qui es aux cieux... ».

 

3. Ce n’est pas sans raison, chers amis, que j’estime nécessaire, aujourd’hui où j’ai la joie de vous recevoir pour partager vos préoccupations, de remettre devant vos yeux et de méditer en quelque sorte un instant avec vous la réalité spirituelle qui est le cœur même de notre christianisme : cet amour de Dieu qui nous est donné et qui doit être la source et l’inspiration de notre action. Et j’en tire immédiatement la première conclusion qui s’impose d’elle-même : ni les personnes, ni les organisations, ne peuvent jamais considérer leur qualité de « catholiques » et le lien avec l’Église qui en découle comme quelque chose de surajouté et, d’extérieur. Le lien spirituel avec le Seigneur et avec son Église est au contraire si profond qu’il est le vrai fondement de l’action du chrétien, ce qui lui donne sa valeur ultime : il faut toujours se renouveler dans cette conviction.

 

4. Vous vous engagez dans l’aide au développement. Elle détermine vos perspectives, plus directement en rapport avec la complexité des réalités économiques et sociales actuelles, avec tout ce que cela comporte de considérations techniques et de contacts humains. Vous savez aussi qu’on ne travaille pas efficacement sans assurer le financement indispensable et sans gérer efficacement les ressources. Dans ces tâches complexes et difficiles, vous mettez toute votre compétence et votre souci de servir, vous efforçant de marcher sur les traces de l’intendant fidèle loué par le Seigneur, et je saisis cette occasion pour vous remercier de tout le savoir et de tout le dévouement que vous déployez au service de cette cause.

 

5. Pour répondre à l’exigence que je soulignais il y a un instant, il faut aussi que le même souci d’efficacité et de réalisme, réalisme chrétien, inspire votre action à tous les niveaux, vous donne le sens de la complémentarité des tâches, vous conduise à coordonner vos efforts avec ceux des autres organismes, tout ceci étant requis par le souci d’une meilleure efficacité comme par le devoir de rendre réellement présente l’unique charité du Christ. Cette exigence de cohérence chrétienne ne peut vous échapper. Dans l’Église, les Conférences épiscopales à leur niveau et les évêques dans leurs diocèses répondent pour leur part à ce besoin en étant dans chaque pays les garants de la cohérence de la vie chrétienne non seulement au plan de l’unité dans la foi, mais aussi à celui des divers engagements. De même, dans le domaine de la charité, et de l’aide au développement, mon prédécesseur le pape Paul VI a voulu assurer une telle cohérence, celle du témoignage plus encore que celle de l’efficacité pratique, en fondant le Conseil pontifical Cor Unum dont la C.I.D.S.E. est membre. Chacune à sa manière, ces institutions permettent aux initiatives diverses de manifester réellement l’universalité de l’amour du Christ pour tous les hommes. Il ne faudrait jamais que la recherche de l’autonomie ou de l’efficacité technique ou financière fasse négliger la collaboration avec elles.

 

6. Il convient que là C.I.D.S.E. et les différents organismes nationaux qui la composent soient réellement et toujours davantage en relation avec les Conférences épiscopales de leurs propres pays où vous exercez vos activités, ainsi qu’avec le Conseil pontifical Cor Unum dont le rôle est, comme l’indique si bien son nom, d’assurer l’unité d’orientation des organismes catholiques avec le pape et avec son souci de pasteur universel. En vous exprimant ce désir, et puisque vous êtes membre de Cor Unum, je vous renvoie aux directives très précises que j’ai eu l’occasion de donner récemment lors de la dernière assemblée générale de cet organisme.

Dans ce domaine, les réflexions que vous avez déjà entreprises avec le Conseil Cor Unum demandent à être poursuivies pour porter tous les fruits qu’on est en droit d’en attendre. Je vous encourage de tout cœur à approfondir les motivations proprement spirituelles qui doivent guider vos engagements personnels et collectifs, fidèles, comme je l’ai déjà demandé à « une analysé proprement chrétienne, évangélique, des événements..., qui fonde la doctrine sociale de l’Église... et guide son action caritative, bien au-delà des perspectives proprement techniques ou politiques qui déterminent trop souvent dans le monde l’évaluation des besoins et la manière d’y répondre » (Discours à l’assemblée générale de Cor Unum, le 27 octobre 1979).

 

7. Je vous remercie de la disponibilité dont votre présence ici aujourd’hui est la preuve. Que le Seigneur, en ces temps qui nous rappellent que nous devons toujours préparer sa venue, soit votre force avant d’être votre récompense. De grand cœur je lui recommande toutes vos intentions et je lui demande de vous bénir, vous et vos familles, ainsi que tout ce que vous faites pour son service et celui de vos frères dans le besoin.

 

 

 

15 décembre 1979

LA THÉOLOGIE EST SCIENCE ECCLÉSIALE

 

Le pape à l’Université grégorienne

Le samedi 15 décembre, dans l’après-midi, le Saint-Père s’est rendu à l’Université grégorienne à Rome. Il y a prononce en italien le discours dont voici là traduction :

 

Vénérés frères et fils très chers,

 

1. C’est avec un sentiment de joie intime que je me trouve ici ce soir au milieu de vous pour une rencontre à la fois solennelle et familière, et qui me permet de prendre officiellement contact avec le corps enseignant de cet illustre centre d’études ecclésiastiques, avec les étudiants qui y poursuivent leur formation intellectuelle, avec les administrateurs et le personnel auxiliaire qui en assurent avec compétence le bon fonctionnement.

J’ai accueillit de bon gré l’invitation qui m’a été adressée en son temps par les autorités académiques, non seulement parce que j’y ai reconnu le louable témoignage de votre dévouement et de votre fidélité à l’égard du successeur de Pierre, mais aussi parce que j’ai ainsi l’occasion de manifester par un geste significatif, en ce cinquantième anniversaire de l’inauguration du nouveau siège de la place de la Pilotta, la haute considération que je porte à cette Université et aux Instituts qui lui sont adjoints.

Je salue donc, avec une affection fraternelle, les cardinaux Gabriel M. Garrone, grand chancelier et Pablo Munoz Vega, ancien recteur de cette université ; le père Pedro Arrupe, préposé général de la Compagnie de Jésus et vice-chancelier ; le recteur magnifique, le père Carlo Martini et les éminents professeurs dont j’ai le plaisir de connaître personnellement quelques-uns tandis que j’ai pu en approcher et apprécier d’autres par les livres ou les articles qu’ils ont publiés.

Je vous salue ensuite avec effusion vous, très chers jeunes, qui êtes venus vers cette Alma Mater, en provenance de toutes les parties du monde, poussées par le désir d’enrichir vos esprits des trésors de la doctrine catholique et de tremper vos cœurs par un séjour prolongé en des lieux rendus sacrés par le sang des apôtres et des martyrs et illustrés par les traces admirables de glorieuses traditions humaines et chrétiennes.

Mon désir est d’adresser également un salut particulièrement cordial au recteur, au corps enseignant et aux élèves de l’Institut pontifical pour les études orientales dont la fonction dans l’Église a même été mise davantage en évidence par les récents développements du dialogue œcuménique, aussi bien qu’à ceux de l’Institut biblique pontifical qui célèbre cette année le soixante-dixième anniversaire de sa fondation avec la bonne conscience d’avoir rendu et de rendre actuellement un important service à l’Église, dans la ligne des tâches qui lui ont été fixées par la lettre apostolique Vinea electa du pape saint Pie X, à la date désormais lointaine du 7 mai 1909.

Le Biblicum est devenu depuis un « centre d’études supérieures sur les Livres saints » capable de promouvoir, selon les désirs exprimés par le Souverain Pontife « efficaciore, quod liceat, modo doctrinam biblicam et studia omnia eidem adjuncta, sensu Ecclesiae catholicae » (de la manière la plus efficace possible la doctrine biblique et toutes les études qui lui sont conjointes, selon la pensée de l’Église catholique) (cf. AAS 1, 1909, p. 447 s.). Au cours de ces, décennies de très nombreux élèves s’y sont « perfectionnés et exercés » et se sont rendus capables de développer l’investigation de la Parole de Dieu « aussi bien en privé qu’en public, aussi bien par leurs écrits que par leur enseignement... recommandés par leur sérieux et par l’authenticité de leur doctrine » (ibidem, p. 448). Si l’on tient compte, en outre, de la série de publications scientifiques, abondantes et qualifiées, qui ont été publiées « au nom et sous l’autorité de l’Institut » (cf. ibidem p. 448) au cours de ces soixante-dix années, on ne peut pas être étonné de la haute considération dont jouit le Biblicum dans les milieux scientifiques de toutes les parties du monde. Le pape est heureux, en cette circonstance, de prendre acte devant vous, responsables et enseignants, du bon travail qui a été accompli.

 

2. Ma présence au milieu de vous, très chers fils de l’université pontificale grégorienne, veut être l’expression et le témoignage de l’intérêt avec lequel je suis votre activité, de la confiance que je fais reposer sur votre engagement, de l’espérance avec laquelle j’attends les fruits de votre labeur dont l’Église doit pouvoir tirer de grands avantages.

En effet, la communauté chrétienne attend de vous une authentique contribution dans le domaine de la réflexion raisonnée et systématique sur la foi, réflexion qui est la fonction spécifique de la théologie. Ceci a, du reste, été la tâche qui, dans la pratique, a qualifié depuis ses débuts le « Collège romain » qui a providentiellement germé, il y a plus de quatre siècles, du zèle apostolique de saint Ignace de Loyola et qui s’est développé ensuite petit à petit pour atteindre les imposantes dimensions de l’actuel complexe universitaire, articulé en différentes facultés et spécialisations.

Quelle noble succession de maîtres, souvent d’une stature nettement supérieure, a honoré votre Institution au cours des longues années de son histoire ! Leur préoccupation constante a été de scruter avec intelligence et amour, la profondeur de la Parole révélée et la richesse de la tradition vivante de l’Église. Et ils ont accompli cette tâche — il me plaît de le souligner comme un légitime motif de satisfaction pour votre université — soutenus par un double engagement d’une importance fondamentale pour toute recherche théologique. L’engagement avant tout, d’une constante ouverture, loyale et docile, aux indications du Magistère en harmonie avec l’esprit propre de la Compagnie de Jésus qui est l’animatrice de ce Centre d’études ; et ensuite, l’engagement d’une attention toujours plus vive à l’égard des sciences qui, progressivement, présentaient des liens possibles avec la théologie.

C’est cette dernière attitude qui mérite d’être relevée. En effet, l’histoire de votre université montre que dans son sein la théologie n’a jamais été conçue comme une discipline isolée. Elle a toujours été insérée dans un ensemble d’enseignements, soigneusement déterminés par l’antique « Ratio studiorum » qui se proposait d’assurer ainsi l’intégration de la recherche et du savoir théologiques dans l’ensemble des connaissances qui caractérisaient cette époque. On tendait de cette manière à la constitution de cette « sagesse chrétienne » que la récente constitution apostolique sur les universités et facultés ecclésiastiques décrit comme une réalité qui stimule « à rassembler les expériences et les activités humaines en une unique synthèse vitale, en lien avec les valeurs religieuses sous la direction desquelles toutes les choses sont coordonnées entre elles pour la gloire de Dieu et pour le développement intégral de l’homme, développement qui comporte les biens du corps et ceux de l’esprit » (Constitution apostolique Sapientia christiana. préambule, I).

 

3. C’est un point sur lequel il convient de s’arrêter. La théologie, au cours de son histoire millénaire, a toujours recherché des « alliés » qui puissent l’aider à pénétrer toutes les richesses du plan divin, selon qu’il se dévoilé dans l’histoire de l’homme et se reflète dans la magnificence du cosmos. Ces « alliés » ont été reconnus petit à petit dans les sciences et dans les disciplinés qui émergeaient, Sous la poussée du désir d’une connaissance plus profonde du mystère de l’homme, de son histoire, de son milieu de vie.

Les responsables du Collège romain se sont montrés conscients de cette réalité depuis les débuts. Si l’on parcourt les événements de la vie de ce centre d’études, on reste stupéfait de voir comment ont été cultivés, à côté de la théologie, non seulement la philosophie et les lettres, mais également les arts, l’archéologie et l’étude des monuments anciens et des plus anciennes cultures, les sciences physiques et mathématiques, l’astronomie et l’astrophysique. De toute évidence, on ressentait le besoin de se tenir en contact étroit avec toutes les recherches qui, d’année en année, modifiaient la vision que l’homme avait de lui-même et du monde qui l’entoure. Et si nous devons reconnaître que les savants n’étaient pas exempts des conditionnements culturels de leur milieu, nous pouvons aussi constater que ne manquèrent pas les précurseurs de génie, comme saint Robert Bellarmin dans le cas de Galilée, qui souhaitaient que l’on évite des tensions inutiles et des raidissements nuisibles dans les rapports entre la foi et la science.

Les sciences de la nature cultivées au cours des siècles se sont spécialisées de plus en plus, et nombreuses sont celles qui sont sorties du domaine de la recherche propre à une université ecclésiastique. Cependant, aujourd’hui encore, un principe fondamental reste valide : tenir compte de tous les progrès de la science qui touchent l’homme et son milieu de vie. A cette lumière il est souhaitable — disons-le entre parenthèses — qu’une relation existe aussi entre l’université ecclésiastique, les universités civiles et les centres de recherche organisés par la société moderne. De fait « la séparation entre foi et culture constitue un empêchement à l’évangélisation alors qu’au contraire la culture imprégnée d’esprit chrétien est un instrument de valeur pour la diffusion dé l’Évangile » (Constitution apostolique Sapientia christiana, préambule I).

 

4. Du point de vue institutionnel et administratif, votre Université a pourvu à cette recherche, constante « d’alliés » de la théologie par l’institution successive de chaires dans les différentes disciplines qui émergeaient ; puis celles-ci se sont développées, ensuite en instituts et facultés juridiquement reconnues. La plus ancienne de ces facultés, à côté de la faculté de théologie et sa contemporaine, est la faculté de philosophie.

Ici, je voudrais dire un mot particulier sur les études philosophiques en général, car une longue expérience d’enseignement et de recherche m’attachent à elles. Il est important que la philosophie dans une université ecclésiastique remplisse son mandat traditionnel, qu’elle fasse une investigation méthodique des problèmes qui lui sont propres et qu’elle en cherche la solution sur la base du patrimoine philosophique toujours valide à la lumière naturelle de la, raison (cf. Const. apost. Sapientia christiana, normes spéciales, art. 79 par. 1).

Mais il est également important de remarquer que la référence au patrimoine du passé ne doit pas être entendue comme un empêchement à l’étude et à la valorisation critique des courants modernes et contemporains. La parole que j’ai prononcée au début de mon ministère pastoral, sur la chaire de Pierre, en criant à tous de ne pas avoir peur d’ouvrir grandes les portes au Christ, nous devons pouvoir la répéter aussi aux grands mouvements de la pensée contemporaine en valorisant leurs attentes et leur tension vers la vérité toute entière.

Nous n’avons pas le temps maintenant de passer en revue, chacune des facultés ni de rappeler le moment de leur institution. Cependant je ne puis manquer de remarquer comment, à l’origine de chacune d’entre elles, il y a une prise de conscience, de la part des responsables de l’Université d’une croissante différenciation dans le domaine des études religieuses et de la nécessité d’une constante attention aux recherches les plus récentes sur l’homme. Chaque faculté ou institut se présente ainsi comme une nouvelle étape dans le développement des sciences ecclésiastiques autour de la théologie.

 

5. Je suis heureux de vous apporter, ce soir, très chers fils, une parole d’encouragement à poursuivre dans cette voie. Vous le ferez, évidemment, avec la prudence nécessaire et le discernement indispensable. En effet, la théologie doit choisir ses « alliés » selon les critères qui lui sont dictés par la méthodologie qui lui est propre. Il y a des courants de pensée qui, soit par leurs positions fondamentales, soit par les développements qui leur sont imprimés par leurs promoteurs, ne présentent pas les conditions nécessaires pour entrer utilement en collaboration avec la recherche théologique. Dans ces cas, il sera indispensable de faire preuve de lucidité et de sens critique pour évaluer les contributions offertes par l’un ou l’autre système philosophique ou scientifique, et pour accueillir ce qui peut favoriser le progrès de la connaissance théologique en refusant au contraire ce qui s’oppose à ce progrès. Ici également c’est le principe de saint Paul qui vaut : « éprouvez toutes choses, retenez ce qui est bon » (1 Th 5, 21).

Il y a, en effet, des optiques, des vues, des langages philosophiques nettement insuffisants ; il y a des systèmes scientifiques si pauvres ou si clos qu’ils rendent impossibles une traduction et une interprétation satisfaisante de la Parole de Dieu. Assumer d’une façon acritique ces systèmes comme des alliés signifierait, pour la théologie, se mortifier elle-même et s’exposer à des mutilations irréparables. L’histoire des développements déviants suivis par certaines tendances philosophiques, au cours des dernières décennies, est instructive.

Il est donc nécessaire de cultiver en soi-même la capacité de « discerner ». Pour cela une solide formation théologique est requise ; grâce à elle, le chercheur qui maîtrise la méthode et les instruments propres à la recherche théologique, pourra sonder les richesses cachées de la Parole de Dieu. Celle-ci deviendra alors entre ses mains « plus incisive qu’une épée à deux tranchants » ; capable de « pénétrer jusqu’au point de division de l’âme et de l’esprit, des articulations et des moelles, elle peut scruter les sentiments et les pensées du cœur » (cf. He 4, 12).

Avec de tels présupposés, une confrontation avec les autres disciplines se révélera vraiment féconde ; elle favorise un échange créateur, sans risques de compromissions hybrides ou de transformations dangereuses. C’est dire que l’on évitera de se retrouver, selon le langage de saint Paul, dans la situation « d’enfants ballottés par les courants et emportés à tout vent de doctrine, au gré de l’imposture des hommes et de leur astuce à fourvoyer dans l’erreur » (Ep 4, 14).

 

6. A propos de l’ouverture que la théologie doit cultiver à l’égard des autres disciplines, je pense spontanément à rappeler une autre ouverture, encore plus essentielle : l’ouverture aux problèmes des hommes concrets, l’ouverture au service de la communauté ecclésiale.

La théologie est une science d’Église parce qu’elle croît dans l’Église et qu’elle agit sur l’Église. Elle n’est donc jamais une affaire privée de spécialiste isolé dans une sorte de tour d’ivoire. Elle est au service de l’Église et doit donc se sentir dynamiquement insérée dans la mission de l’Église, en particulier dans sa mission prophétique.

Cela ne veut pas dire que la théologie doive se substituer à la prédication ; pourtant, en approfondissant et en étendant l’intelligence de la révélation, elle apporte une aide importante à la prédication ecclésiale et devient, d’une certaine manière, la base de l’activité liturgique et pastorale.

Cette perspective pastorale doit être devant vos yeux, très chers fils, dans votre travail universitaire, non pour mortifier le sérieux des études, mais au contraire pour stimuler la générosité de votre engagement, à la vue de l’importance de votre labeur pour l’actualisation du dessein de salut de Dieu. La pensée théologique et l’action pastorale ne s’opposent pas, mais elles se fortifient réciproquement ; recherche scientifique et évangélisation cheminent ensemble : l’une porte et soutient l’autre.

Très chers fils, nous devons servir tes hommes et les femmes de notre temps. Nous devons les servir dans leur soif de vérité totale, suscitée en eux par le Christ rédempteur de l’homme : soif de droit et de justice, de moralité et de spiritualité ; soif de vérité ultime et définitive ; soif de la Parole de Dieu ; soif d’unité entre les chrétiens.

Souvenez-vous en bien, très chers enseignants et étudiants, et vous aussi tous les collaborateurs de l’université, les réalités qui sont approfondies ici, le service pédagogique et la formation qui est assurée, les doctrines qui se diffusent à partir d’ici ne sont pas quelque chose de marginal, comme un luxe par rapport aux problèmes réels de notre monde. Elles touchent aux aspects les plus profonds de l’existence, ceux que le Christ lui-même est venu illuminer par sa vie, sa mort et sa résurrection. Ce sont des réalités dont tout homme et toute femme de notre temps ont besoin pour s’ouvrir à l’amour et à l’espérance. Sans cet amour et sans cette espérance, l’humanité ne pourra pas survivre.

 

7. J’ai fait allusion à la fonction pédagogique et formatrice de l’université. Ceci me conduit à vous adresser une parole particulière à vous, étudiants et étudiantes, qui venez de toutes les parties du monde. Je ressens profondément votre présence comme une force vive de l’Église et je perçois en vous — comme je l’ai écrit dans l’encyclique Redemptor hominis — le désir de « vous approcher du Christ et de "vous approprier" et d’assimiler toute la réalité de l’incarnation et de la rédemption pour vous retrouver vous-mêmes » (cf. n. 10). Je confirme ici encore ma conviction que si vous contentez ce désir et si vous actualisez ce processus profond, alors chacun de vous « produira des fruits non seulement d’adoration de Dieu, mais aussi d’émerveillement profond de soi-même » et il naîtra en lui « cette profonde admiration en face de la valeur et de la dignité de l’homme exprimée dans le mot évangile qui veut dire Bonne Nouvelle » (cf. ibidemn. 10).

Dans ce but, il est nécessaire que chacun de vous devienne un membre actif du processus d’acquisition des connaissances qui s’accomplit dans 1’Uriiversité afin que cette « profonde admiration » mûrisse en vous en une réflexion raisonnée et en une conviction scientifiquement renforcée. Je désire, par conséquent, stimuler chez vous tous une participation active, pleine et cordiale, dans cette pénétration du mystère révélé et des réalités qui y sont liées. Vous devez vous sentir engagés à collaborer d’une façon responsable au processus d’acquisition des connaissances. Ne soyez pas de simples assimilateurs de notions : soyez des chercheurs, appelés à apporter avec vos professeurs et sous leur conduite, votre contribution au progrès de la science théologique,

Il est donc important que vous ne vous limitiez pas seulement à l’étude : vous devez surtout maîtriser la méthode selon laquelle doit être menée la recherche de façon à être en mesure de poursuivre, en temps voulu, ce cheminement par vous-mêmes. Les grades académiques veulent être la reconnaissance officielle d’une maturité scientifique désormais acquise. Par ailleurs, il est immédiatement évident que cette maturité aura des retentissements utiles sur le plan de la pastorale en vous rendant capables d’entrer en dialogue, demain, avec la mentalité, les exigences, les attentes, le langage de l’homme de notre temps.

Il va de soi que cette participation active au processus d’acquisition des connaissances qui se déroule dans l’université doit s’actualiser d’une manière progressive, et s’adapter à la nature des différents cycles selon l’ordre de votre curriculum d’études. Le premier cycle, en effet, est destiné à donner une information générale par une exposition coordonnée de toutes les disciplines avec une introduction à l’usage de la méthode scientifique. Dans les cycles, successifs, par contre, on entreprend l’étude d’un secteur particulier des disciplines et, en même temps, on offre aux étudiants un exercice plus complet de la méthode de recherche pour arriver progressivement à une maturité scientifique (cf. Const. Apost. Sapientia Christiana, normes comm. art. 40).

Je tiens à rappeler ici la nécessité, « dans l’accomplissement de la fonction didactique, spécialement dans le cycle initial, de dispenser surtout les enseignements qui concernent le patrimoine acquis par l’Église » (ibidem, normes spéciales, art 70). C’est en effet seulement sur la base d’une assimilation responsable de ce patrimoine que peuvent être stimulés chez les étudiants la créativité et l’esprit de recherche, dans une communion des esprits et des intentions, soutenue par une tension vers l’unique vérité, qui doit constituer l’une des principales caractéristiques de la vie universitaire. C’est, ainsi que s’accomplira, avec l’apport loyal de tous, le grand effort de connaissance qui doit engager l’Université tout entière, avec chacun de ses membres, dans la tâche de pénétration de la vérité révélée grâce à l’usage de toutes les méthodes de recherche.

 

8. Qui ne voit l’importance fondamentale que cet effort représente pour la vie de l’Église et, en particulier, pour son unité ? C’est, du reste, ce à quoi pensait saint Ignace quand il posait les bases du Collège romain. Il avait conçu l’idée d’une « universitas omnium gentium » qui, située à Rome près du vicaire du Christ et étroitement liée à sa personne par un lien de fidélité, puisse être au service de toutes les Églises de toutes les parties du monde pour favoriser, par le moyen d’une réflexion profonde sur la foi, une juste prédication de l’Évangile selon un vif sentiment de l’unité catholique. De cette façon, il contribua d’une manière notoire à maintenir l’unité du monde chrétien, menacé par de profondes divisions internes.

Depuis ce temps-là, dans les structures de ce centre d’études, ont vécu dans une harmonieuse collaboration des professeurs et des étudiants de nationalités et de cultures différentes qui ont appris à se connaître entre eux et qui, sur la base d’un patrimoine commun de foi, ont porté à maturité les liens d’une unité permanente. C’est cette unité catholique qui a été vigoureusement proclamée dans le mondé entier, par la doctrine et par la vie, et souvent par le martyre, des dix-neuf saints et des vingt-quatre bienheureux qui ont été formés dans cette université. C’est cette même unité qu’ont servie les seize Souverains Pontifes et les innombrables cardinaux, évêques, prêtres et, depuis quelque temps, un nombre toujours grandissant de religieuses et de laïcs qui ont approfondi leur foi dans ces salles de cours.

A la lumière de si nobles traditions, je vous dis à vous tous qui m’écoutez : une grande mission au service de l’Eglise vous attend. Vous qui apprenez à vous estimer et à fraterniser dans un travail commun et dans la recherche de l’unique vérité. Les connaissances que vous acquérez ici et les expériences que vous faites, vous les utiliserez en faveur de l’Église du monde entier. Il est en effet nécessaire que chaque Église locale développe ses forces d’expression et exploite ses propres traditions religieuses et culturelles. Mais précisément à cause de cela il est nécessaire que ces expériences soient confrontées entre elles, évaluées, échangées, dans une atmosphère de compréhension commune et d’attention réciproque, pour que soit conservée la communion des intelligences et des volontés.

Voici donc le rôle très important d’un Centre comme celui-ci, d’une « universitas omnium gentium » au cœur de Rome, et auprès du pape. Cette université, jouissant de sa séculaire tradition de collaboration, aussi bien au niveau des étudiants qu’à celui des enseignants, entre les cultures, les langues et les mentalités diverses, peut et doit contribuer à maintenir et à accroître ce sens de la fraternité, de l’écoute mutuelle, de la capacité de se comprendre, sans laquelle on ne peut sauvegarder l’unité ni tendre vers elle.

Le pape compte sur vous pour la poursuite de cette tradition de service de l’unité. Vous, étudiants et étudiantes, quand vous retournerez dans vos églises, vous devrez assumer différentes responsabilités de ministère et de service. Sachez apporter, dans toutes les responsabilités et dans tous vos contacts, le vif sentiment de la catholicité et l’ouverture universelle qui est comme la respiration de l’Église. Soyez des promoteurs d’union et de fraternité, des éléments d’ouverture et de dialogue entre les différentes langues et cultures. Apportez votre contribution à l’harmonieuse fusion des caractéristiques individuelles de chaque culture avec tous les éléments qui sont une source permanente d’unité catholique.

 

9. Et à vous, les enseignants, qui travaillez à cela dans une situation qui exige des sacrifices particuliers et un effort continuel d’attention et d’ouverture à tout ce qui vient de toutes les parties du monde catholique et de la famille humaine tout entière, je dis mon merci reconnaissant et j’exprime mon encouragement.

On exige de vous une recherche de la vérité courageuse et ouverte, libre de tout préjugé et de tout particularisme, le regard fixé sur te mystère central qui est le Christ ; lui qui opère et se manifeste dans son Église et qui a voulu placer dans l’Église de Rome le signe visible de l’unité de son Corps, en confiant à Pierre et à ses successeurs la tâche de garantir l’intégrité de la proclamation de la vérité catholique, au service de l’Église et de toute l’humanité.

Que croisse en vous avec l’étude, la passion pour le Christ de sorte que votre enseignement puisse transmettre aux jeunes une vivante expérience de sa personne : il ne faut pas oublier, en effet, que le but fondamental de votre labeur demeure celui de « former » des chrétiens et en particulier des prêtres capables de porter demain une contribution valable à l’action pastorale par le témoignage de la parole et surtout celui de la vie.

Très chers professeurs, le pape qui lui aussi a été un homme d’étude et d’université, comprend très bien les difficultés de votre travail, le poids pesant que celui-ci comporte, les difficultés qui s’opposent à votre tâche et à votre idéal. Ne vous laissez pas décourager par les tensions quotidiennes. Sachez être, chaque jour, créatifs, ne vous contentez pas trop facilement de ce qui vous a été utile dans le passé. Ayez le courage d’explorer de nouvelles voies, sans négliger la prudence. La constitution apostolique Sapientia christiana vous reconnaît « une juste liberté de recherche et d’enseignement pour que l’on puisse arriver à un authentique progrès dans la connaissance et dans la compréhension de la vérité divine » (Normes communes, art 39, par. 1, 1).

Pour cela vous seront nécessaires un équilibre intérieur, une fermeté de l’intelligence et de l’esprit et surtout une profonde humilité du cœur qui vous rendra disciples attentifs de la vérité, dans une écoute docile de la Parole de Dieu, authentiquement interprétée par le Magistère. Les orgueilleux, nous avertit saint Thomas, « en se délectant de leur propre excellence, méprisent l’excellence de la vérité » (Somme théologique II-II, q. 162 ; a 3, ad 1).

 

10. Très chers enseignants, étudiants et collaborateurs, la Providence nous a donné de réaliser cette rencontre dans le climat empreint de la douceur de Noël qui approche maintenant. Dans quelques jours nous revivrons le mystère ineffable de la naissance dans le temps du Verbe éternel de Dieu. Dieu vient à la rencontre de l’homme qui le cherche sous les traits, avec la voix, les gestes d’un être humain. Le Dieu invisible est devenu dans le Christ. l’Emmanuel, le Dieu avec nous.

Les paroles de la préface de Noël nous viennent à l’esprit : « Dans le mystère du Verbe incarné une nouvelle lumière de la gloire est apparue à nos yeux ; car maintenant nous connaissons Dieu qui s’est rendu visible et nous sommes entraînés par lui à aimer ce qui demeure invisible ». N’y a-t-il pas ici, en une synthèse, le sens profond de votre engagement universitaire ? Le Christ est le véritable « methodos » de toute recherche théologique car il est la « voie » (cf. Jn 14, 6) par laquelle Dieu est venu à nous et par laquelle nous pouvons atteindre Dieu. C’est lui qui soutient vos études, c’est lui le centre de votre vie et de vôtre prière. Marchez avec élan sur cette « voie », soutenus par la foi et par l’amour !

En invoquant sur vous et sur votre labeur l’abondance des lumières célestes, je confie votre université et les instituts qui lui sont rattachés à la protection vigilante de celle qui est la Mère de la Sagesse car elle est la mère du Christ. Que Marie soit à vos côtés dans votre labeur quotidien.

A vous tous, ma bénédiction apostolique avec les souhaits les plus cordiaux d’un joyeux et saint Noël.

 

 

 

22 décembre 1979

L’AUJOURD’HUI DE NOËL

 

Aux cardinaux et à la Curie

Le 22 décembre, le Saint-Père a reçu en audience, pour la présentation traditionnelle des vœux de Noël, le Sacré Collège des cardinaux, la Famille pontificale, la Curie et la Prélature romaine. Après les paroles d’hommage du cardinal Confalonieri, doyen du Sacré Collège, Jean Paul II a adressé un discours dont voici la traduction :

 

Messieurs les cardinaux, très chers frères !

 

1. Je suis très reconnaissant au cardinal-doyen pour les souhaits qu’il m’a adressés ; dans ses paroles j’ai senti vibrer son noble cœur et celui de vous tous, ici présents. Le Seigneur saura récompenser tant de délicatesse. Dans cette circonstance particulière qui revient chaque année, nous nous rendons plus vivement compte de la signification et de la richesse du proche Noël. Jésus vient, il est désormais à nos portes. Il est le don que nous fait le Père céleste, le don par excellence dans lequel nous avons reçu tous les dons, dans l’ordre de la nature et de la grâce : lui qui « après avoir, à maintes reprises et sous différentes formes, parlé jadis... en ces jours il nous parle par le Fils qu’il a établi héritier de toutes choses et pair qui aussi il a fait le monde » (cf. He 1,1 et ss.). Et Marie, sa Mère immaculée, le porte dans son sein pour nous l’offrir à nous, représentés par les pasteurs de Bethléem et dans les Mages d’Orient ; elle l’offre pour le salut de tous lés hommes. Cette heure que nous vivons ensemble, dans un harmonieux climat d’affection et de prière, le regard tourné vers la Sainte Grotte, est une heure de joie et d’encouragement, pour moi comme pour vous, mes très chers collaborateurs. Et je vous en remercie de tout cœur.

 

2. Mais avec vous je sens que toute l’Église est présente ici : avec ses pasteurs, mes vénérés frères dans l’épiscopat, avec les prêtres, avec les religieux et religieuses, avec tous les fidèles. L’Église tout entière se prépare à Noël et ce jour elle le vivra dans le merveilleux et mystérieux lien des saints Mystères. Et mon salut s’adresse aujourd’hui à toute Église, de même que mon sincère « merci » pour les vœux qui me sont venus de cinq continents. L’an dernier, dans les mêmes circonstances — c’était le premier Noël que je passais avec vous en ce Siège de Pierre — j’ai parlé de la mission que j’assumais par mandat divin, en faveur de toute l’Église : « une mission de dévouement et d’amour » (AAS 71, 1979, p. 50). Et maintenant que désormais l’année touche à sa fin, je crois pouvoir dire que j’ai tâché humblement, simplement, mais de toutes mes forces et me servant de toutes possibilités offertes, j’ai tâché, dis-je, de rester fidèle à cette mission, bien conscient de mes responsabilités devant Dieu.

J’adresse également un salut et mes vœux aux frères des communautés chrétiennes qui ne sont pas encore en pleine communion avec nous. Et de même aux membres des religions non chrétiennes, particulièrement à celles qui adorent le Dieu unique et tout-puissant. J’envoie mes vœux aux chefs d’État du monde entier, aux responsables des destins de l’humanité, aux hommes politiques. Et à chaque homme qui vit, travaille, qui est heureux ou malheureux sur toute la surface du globe.

 

Il est né, le « Rédempteur de l’homme »

 

3. L’annonce essentielle de Noël est l’Incarnation du Fils de Dieu. Le Verbe du Père s’est fait chair et il vient habiter parmi nous (cf. Jn 4, 14). Il vient pour l’homme. Pour chaque homme : « Quand, vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme... afin de nous conférer l’adoption filiale » (Ga 4, 4). Comme l’ont souvent relevé les Pères et les théologiens anciens, Dieu s’est fait homme pour que l’homme devînt Dieu. Le prochain Noël sera cet « aujourd’hui » où advint cet « admirable échange ». Un « aujourd’hui » qui ne connaîtra plus jamais de couchant tant que sur la terre naîtra un homme qui porte imprimé en sa personne, au-delà de sa fragilité intrinsèque de créature terrestre, la royale image et ressemblance avec Dieu, la dignité de fils du Père, de racheté par le Christ. C’est pour cela que le Christ est né en cet « aujourd’hui » de Noël qu’a si bien commenté un écrivain oriental : « Ce jour-ci est né le Seigneur, vie et salut des hommes. Aujourd’hui s’est opérée la réconciliation de la divinité avec l’humanité, de l’humanité avec la divinité... Aujourd’hui commence la mort des ténèbres et la vie de l’homme. Aujourd’hui une voie s’est ouverte des hommes vers Dieu et une voie de Dieu vers l’âme... Auparavant, en effet, toute la création a lancé un cri, entraînée vers la corruption par la chute d’Adam qui était le roi de cette réalité. Mais le Seigneur est venu, lui, pour rénover comme il convient la véritable image de Dieu et la recréer... Aujourd’hui s’accomplit l’union, la communion et la réconciliation entre les réalités célestes et les réalités humaines : Dieu et homme » (Ps, Macaire, hom. 52, 1 ; Macarii Anedocta. éd. G.L. Marriott Cambridge 1928, p. 24 et ss.).

Il est né « le Rédempteur de l’homme ». L’humanité naît avec lui. Et avec lui naît l’Église, comme l’a souligné saint Ambroise, commentant la naissance du Christ : « Voyez les débuts de l’Église qui surgit : le Christ naît, et les pasteurs (c’est-à-dire les évêques) commencent à veiller pour rassembler dans l’atrium du Seigneur les troupeaux des Gentils » (Exp. Ev. sec. Luc 2, 50 : PL 15, 1571). Il incombe à l’Église, comme mission primordiale, née avec le Christ né, et reçue de lui par mandat solennel, de défendre la dignité de l’homme : « de chaque homme — comme je l’ai écrit dans ma première encyclique — parce que chacun a été inclus dans le mystère de la Rédemption et Jésus-Christ s’est uni à chacun, pour toujours, à travers ce mystère. Tout homme vient au monde en étant conçu dans le sein de sa mère et en naissant de sa mère, et c’est précisément à cause du mystère de la Rédemption qu’il est confié à la sollicitude de l’Église. Cette sollicitude s’étend à l’homme tout entier, elle est centrée sur lui d’une manière toute particulière. L’objet de cette profonde attention est l’homme dans sa réalité humaine unique et impossible à répéter » (Redemptor hominis, 13).

 

La voix de l’Église et l’homme

 

4. Cette perspective, en même temps théologique et existentielle, a été, Dieu aidant, le motif conducteur de ma première année de pontificat ; cette ligne, annoncée dans mon allocution du 22 octobre 1978 lors du début solennel du pontificat, s’est concrétisée dans l’encyclique que je viens de citer, dans une trajectoire qui passe par l’homélie tenue à Drogheda en Irlande et va, dans ses applications à la vie et aux problèmes internationaux jusqu’à mon discours à la trente-quatrième assemblée des Nations Unies le 2 octobre 1979 à New York. En effet, comme je me suis permis de le rappeler aux illustres représentants du monde entier : « C’est dans ce rapport que trouve son motif toute l’activité politique, nationale et internationale qui, en dernière analyse vient de l’homme, s’exerce par l’homme et est pour l’homme. Si cette activité prend ses distances par rapport à cette relation et à cette finalité fondamentales, si elle devient d’une certaine manière une fin en elle-même, elle perd une grande partie de sa raison d’être. Bien plus, elle peut aller jusqu’à devenir source d’une aliénation spécifique ; elle peut devenir étrangère à l’homme ; elle peut tomber en contradiction avec l’humanité elle-même » (Discours à l’O.N.U.; 2 oct. 1979,n. 6).

J’évoque tout ceci dans l’attente vigilante qui caractérise cette dernière période de l’Avent dans le but de rappeler une fois de plus la mission salvifique confiée par le Christ à l’Église et par elle perpétuée le long des siècles et, en même temps la dignité intrinsèque de l’homme qu’il faut servir à fond. Et si, durant cette rencontre qui s’ouvre principalement sur les problèmes de toute l’humanité, remettant à une autre occasion — vers le milieu de l’an prochain — de traiter les problèmes de l’Église « ad intra », je me suis permis de citer quelques passages de l’encyclique et du discours à New York, c’est parce que je constate — et nous le constatons tous — que l’on ne respecte pas toujours comme il se doit la grandeur sacrée de l’homme, de tout homme notre frère.

 

5. Lors de ma rencontre à New York avec les représentants de toutes les nations du monde, j’ai rappelé du haut de cette tribune la nécessité de proclamer et de défendre « les droits inaliénables » des personnes et des communautés des peuples. Il y a des problèmes qui nous interpellent dans toute leur gravité ; et l’Église a le droit et le devoir d’intervenir si elle veut rester fidèle à sa mission qui, dans le Christ né pour nous, vise le salut de tout l’homme et de chaque homme. La seule chose que l’Église demande est de pouvoir collaborer avec tous les régimes et tous les peuples, de n’importe quelles tendances et idéologies, en vue de la constante élévation de l’humanité.

En effet, les divers voyages que la Providence du Seigneur m’a permis d’accomplir cette année, ont clairement manifesté également cette dimension, cette vocation primordiale de l’Église dans le monde contemporain. Il ne s’est pas agi, en effet, de seuls contacts avec le Peuple de Dieu, avec cette merveilleuse réalité qui constitue et prolonge sur la terre le royaume des cieux et en prépare le rayonnement définitif ; mais ces pèlerinages dans des nations et chez des peuples si différents dans leurs traditions, leur culture, leur formation intellectuelle et sociale, dans la forme de leurs gouvernements m’ont donné l’occasion de saluer les illustres représentants de ces nombreux États au cours d’entretiens riches de chaleur et de signification humaine et sociale. Ce fut une expression absolument positive qui, plus et mieux que toute parole, a favorisé un rapprochement réel et concret, mieux, a créé une fraternité universelle entre les peuples et permis de réduire toujours plus les barrières par lesquelles les divisent les différents systèmes.

Et de même, c’est sous cet aspect que trouvent leur raison d’être les denses relations que le Saint-Siège entretient dans le monde, que ce soit par l’intermédiaire de ses propres représentations pontificales, au service des Églises locales et des nations près desquelles elles opèrent, soit par les contacts du pape avec les chefs d’État et les représentants qualifiés des gouvernements et de vie politique des différents peuples. Et il me plaît de rappeler les nombreux ambassadeurs accrédités près le Saint-Siège et notamment tous ceux que j’ai reçus en audience ces derniers jours pour la présentation de leurs lettres de créance.

 

Les tensions internationales

 

6. Dans cette optique si ample de ses possibilités effectives d’instaurer un dialogue constructif avec les forces qui gouvernent le monde, l’Église sent qu’elle a le devoir d’élever la voix pour la défense des droits humains : Ce n’est certainement pas une ingérence dans les affaires internes des États, ni une appropriation illégitime de tâches qui ne sont pas siennes, moins encore une pure évocation rhétorique en paroles mais non en fait.

Les droits de l’homme que j’ai voulu rappeler devant les Nations Unies tels que les énonce la « Déclaration universelle des droits de l’homme » de 1948 se heurtent trop souvent dans le monde à divers dangers qui les limitent ou les paralysent quand ils ne les violent pas ou même les suppriment. On n’a jamais autant entendu exalter la dignité de l’homme et le droit de l’homme à une vie faite à la mesure de l’homme, mais il n’a jamais été fait, autant qu’aujourd’hui, de si évidents outrages à ces Déclarations.

Je me réfère aux tensions internationales qui malheureusement existent toujours. Aux guerres et aux bouleversements qui entraînent avec eux un douloureux cortège de: morts et de destructions, tout en provoquant de très graves malaises économiques. Je pense aux luttes intestines qui tourmentent quelques nations. Aux violations d’indiscutables principes de droit international d’où résultent de très graves souffrances pour les personnes intéressées et leurs familles.

Je pense aux sombres et terribles complots du terrorisme qui menacent la coexistence de pays qui nous sont chers comme la bien-aimée Italie et qui, sans être proprement et véritablement une guerre, en sont le substitut unique et féroce. Je rappelle avec horreur les rapts de personnes, les extorsions, les cambriolages ; je pense aux séquestrés qui souffrent indiciblement parfois depuis de longs mois.

Je ne saurais manquer de rappeler dans ce contexte les régions du monde les plus chargées de danger : la crise persistante au Moyen-Orient ; la situation en Afrique méridionale ; les rivalités dans la péninsule indochinoise ; et, ici, la pensée se tourne vers les misérables caravanes humaines errant sur la mer immense où en quête d’un asile, politiciens réfugiés, exilés, prisonniers dont la situation ne cesse d’être douloureuse par manque de vivres, de vêtements, de travail et surtout de quelque sécurité pour les lendemains ; les réfugiés sont les vrais, pauvres d’aujourd’hui sur le plan international, ceux auxquels doit aller la solidarité de tous les peuples parce que tous ont en partage un destin meilleur et ne peuvent fermer les yeux sur leur tragique situation.

Comme je l’ai déjà dit au Siège des Nations Unies, également le problème des armements revêt toujours une impressionnante gravité parce qu’ « être prêts à la guerre veut dire être en mesure de la provoquer » (Discours aux Nations Unies, n. 10) : c’est un gaspillage croissant de moyens socialement improductifs qui a de funestes conséquences psychologiques dans les rapports entre les États et dans la vie interne des États eux-mêmes. Dans ce contexte on ne saurait passer sous silence de justes préoccupations toutes les installations de plus en plus perfectionnées qui, même conçues comme instrument de défense, peuvent devenir source de destruction et de ruine.

 

L’honnête recherche du bien et du vrai

 

Dans mon récent message pour la Journée de la Paix, inspiré par le principe que la vérité est une source de paix, j’ai fait état de différentes formes de « non-vérité » qui mortifient l’homme et rendent toujours plus difficile et problématique la concorde fraternelle. Tout ce que j’ai rappelé ci-dessus entre également dans ce cadre de recherché de tout ce qui peut aujourd’hui nuire à la paix universelle précisément parce que faisant obstacle à la recherche honnête du bien et du vrai, même dans les rapports entre les peuples. C’est pourquoi, dans ce message de Noël, je désire souligner la nécessité de « creuser assez profond en nous-mêmes pour rencontrer ces zones où, par-delà les divisions que nous constatons en nous et entre nous, nous pouvons fortifier la conviction que les dynamismes constitutifs de l’homme, la reconnaissance de sa vraie nature, le portent à la rencontre, au respect mutuel, à la fraternité et à la paix. Cette laborieuse recherche de la vérité objective et universelle sur l’homme formera, par sa démarche et par son résultat, des hommes de paix et de dialogue, à la fois forts et humbles d’une vérité dont ils percevront qu’il faut la servir, et non s’en servir pour des intérêts partisans » (Message pour la Journée de la Paix, n. 4).

 

L’Église avec l’homme qui souffre

 

7. Les situations que je viens de rappeler sont des situations de malaise ; elles sont source de douleur. Aujourd’hui les hommes souffrent. Combien, combien de douleur dans le monde quand on oublie que l’homme est notre frère ! Eh bien, quand l’Église considère le mystère du Fils de Dieu fait homme, que l’injustice des hommes a exposé lui aussi, à la souffrance et à la faim, à la pauvreté, à l’exil — celle-ci ne peut se dispenser d’intervenir, de se prodiguer, de s’engager à fond pour aider les hommes, pour épargner aux hommes la souffrance.

Partout où il y a un homme qui souffre, le Christ est là qui attend à sa place (cf. Mt 25, 31-46). Partout où un homme souffre, l’Église doit s’y trouver, à son côté.

Ce que j’ai dit à propos des menaces et situations de guerre, du terrorisme, du problème des réfugiés, présente à notre esprit une somme terrible de douleurs humaines.

Il faut y ajouter tout ce qui dans le monde est source de déséquilibre et de malaise, et qui est une offense à la dignité intrinsèque de l’homme parce qu’il en est humilié et blessé et qu’il souffre pour lui-même et pour ceux qui lui sont chers. Je me réfère aux criantes inégalités sociales qui existent encore aujourd’hui. Si, comme l’a dit le concile Vatican II « l’homme... est l’auteur, le centre et le but de toute la vie économico-sociale » (Gaudium et Spes, 63), alors persistent dans toute leur gravité les « sujets d’inquiétude » que le Concile a dénoncés de manière absolument sincère quand il a parlé franchement de « régression de la condition sociale des faibles et du mépris des pauvres. Alors que des foules immenses manquent encore du strict nécessaire, certains, même dans les régions moins développées, vivent dans l’opulence ou gaspillent sans compter ». (ibid.). En conséquence, dans certains pays on meurt de faim. Ces victimes « blanches », ces victimes innocentes, c’est par millions qu’on les compte chaque année. Devant des souffrances si atroces, tellement inconcevables, comment peut-on arrêter sa pensée sur la joie du prochain Noël ? Un tel fléau entraîne, comme nous le savons, toute une gamme de maux qui minent le développement futur d’entières populations : dénutrition, maladies endémiques, inactivité, misère, désespoir… Comment ne pas faire appel à une coopération volontaire à l’échelle internationale ? Il est nécessaire que tous les peuples — qui souvent détruisent leurs produits en raison d’inconcevables lois de marché — se coalisent pour aider, fut-ce au prix de sacrifices, nos frères, qui souffrent la faim. Je rappelle ici, avec une intensité accrue, ce que j’ai eu l’occasion de dire à la F.A.O. — l’Organisation des Nations Unies qui a pour objectif primordial l’examen et la solution des problèmes de l’alimentation et du développement dans le monde — de dire, donc, au cours de l’audience, de juillet 1979, à l’occasion de la conférence pour la Réforme agraire, puis durant la visite que je lui ai faite le 11 novembre dernier On ne peut rester insensible en présence d’un champ d’action de si grande gravité qui intéresse d’immenses régions entières de la terre.

Puis, nous ne pouvons en ce moment oublier les chômeurs complets ou partiels qui peinent à supporter le fardeau de la vie et tous ses problèmes toujours plus nombreux dans un moment économique aujourd’hui si délicat : tant de papas, de mamans ont le cœur serré en pensant à ce Noël tout proche parce qu’à leurs enfants manquera la joie, je ne dis pas de dons superflus, mais, simplement de la sécurité matérielle, sinon de la survivance. Je pense à la souffrance payée par la foule anonyme des humbles de chaque pays et due aux variations soudaines des relations commerciales internationales, à l’exagération des prix de certains approvisionnements qui font augmenter le prix des choses les plus élémentaires de la vie, et provoque de très graves malaises dans la vie familiale et dans la vie sociale.

 

Les vraies dimensions de la liberté religieuse

 

8. Mais il y a des sources de souffrance plus intime que ne peuvent détecter les enquêtes statistiques et qui portent profondément atteinte à la grandeur et à la noblesse intérieure de l’homme, car elles l’empêchent de réaliser ses droits inaliénables les plus élevés. J’ai énuméré les plus importants de ces droits dans mon discours aux Nations Unies, citant notamment : le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne ; le droit à l’alimentation, au logement, à la santé, au repos et aux loisirs ; le droit à la liberté d’expression, à l’éducation et à la culture ; le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, individuellement ou en commun, tant en privé qu’en public » (Discours à l’O.N.U., n. 13). Aujourd’hui je voudrais souligner particulièrement ce droit à la liberté religieuse, un droit sacré pour tout homme auquel le concile Vatican II a fait un solennel appel : « Cette liberté — précisait la déclaration Dignitatis humanae — consiste en ce que tous les hommes doivent être soustraits à toute contrainte de la part soit des individus soit des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience » (n. 2).

Je dois dire que ceci est malheureusement un problème réel, un très grave problème pour la vie des différents peuples du monde. Il y a des pays où manquent les vraies dimensions de la liberté religieuse ; on comprend difficilement par exemple pourquoi il faudrait concevoir aujourd’hui les possibilités du développement scientifique et social comme liées à l’application forcée d’un tel programme de tendance athée : ceci perdure dans des pays déterminés, créant en fait, comme je l’ai également souligné dans mon discours aux Nations Unies « une structuration de la vie sociale dans laquelle l’exercice de ces libertés fondamentales condamne l’homme sinon au sens formel, du moins pratiquement, à devenir un citoyen de seconde ou troisième catégorie » (n. 19). Ceci cause de profondes souffrances, d’inguérissables blessures, des gémissements impossibles à étouffer dans la conscience de millions de personnes droites et justes, qui se voient frustrées dans les aspirations les plus profondes de leur être spirituel. Avec toute sa sympathie, son affection, ses prières, le pape se tient tout près de ces frères et sœurs qui souffrent : il voudrait les assurer qu’il ne laisse passer aucune occasion de parler de leur situation aux responsables qu’il rencontre dans son ministère. Et aujourd’hui il rappelle à tous la juste et impérieuse nécessité de laisser l’Église et le Saint-Siège user pacifiquement du droit d’aider partout dans le monde les prêtres et les fidèles : et ceci parce que seule les anime la volonté d’assister l’homme, de lui faciliter le chemin de la vie, d’en élever la personne entière aux horizons de la dignité humaine et surnaturelle à laquelle, dans l’exercice libre et cohérent de ses propres convictions, Dieu l’a appelé. L’Église devrait être en mesure d’exercer sa mission sous tous les cieux, dans le respect des libertés réciproques mais aussi du caractère absolu des droits propres, imprescriptibles tels qu’ils sont proclamés dans l’Évangile. A ce propos, ma pensée se tourne avec particulière affection vers le grand peuple chinois que j’ai déjà évoqué le dimanche 19 août, à la récitation de l’Angélus : à l’occasion de la sainte fête de Noël toute proche, j’envoie mon salut et mes vœux aux fils de 1’Église catholique comme à toute la population de cette grande nation, et, comme je l’ai dit « de tout cœur je forme le souhait de développements positifs qui manquent pour nos frères et sœurs du continent chinois, la possibilité de jouir d’une pleine liberté religieuse » (cf. ORLF du 21 août 1979).

 

L’Année internationale de l’Enfant

 

9. Bientôt va finir l’Année internationale de l’Enfant qui a vu au centre de l’intérêt universel l’homme de demain, l’homme des années 2000 qui se présente aujourd’hui à la vie avec toutes ses promesses encore en germe et avec toutes ses aspirations qui ne peuvent être déçues. De magnifiques initiatives ont fleuri un peu partout et ceci permet d’espérer que le problème trouvera de larges échos à tous les niveaux, dans les programmes et les sollicitudes des politiciens, des sociologues, des psychologues et des pédagogues, des médecins, des enseignants et hommes de culture, des responsables des mass média. Nombreux sont ceux qui se sont voulus promoteurs d’initiatives appropriées. Le pape ne saurait certes oublier l’œuvre inlassable, amoureuse, intelligente de personnes et institutions bienfaisantes qui s’accomplit au sein de l’Église, souvent avec des moyens inadaptés auxquels supplée la préoccupation à laquelle « nous presse l’amour du Christ » (2 Co 5, 14) ; et je pense surtout à l’action des missionnaires qui dédient leur œuvre évangélisatrice — sous ses aspects éducatifs et d’assistance — précisément à l’élévation et à la préparation des générations montantes. Et je loue tout ce que, dans le monde, des hommes et des femmes de tout credo, de toutes convictions religieuses accomplissent d’un effort généreux et avec les meilleures intentions en faveur de, l’éducation et de l’assistance des enfants.

Mais comment pourrais-je ne pas réaffirmer solennellement que la vie de l’être humain est sacrée dès qu’il s’est dégagé, sous le cœur de la mère, au moment de la conception. Comment oublier que précisément cette année, consacrée à l’enfant, le nombre des vies détruites dans le sein de la mère ont atteint des sommets effrayants. C’est une hécatombe muette qui ne peut laisser indifférents, je ne dis pas seulement nous, hommes d’Église, nous chrétiens et chrétiennes du monde entier, mais aussi tous les responsables de la chose publique, les personnes soucieuses de l’avenir des nations. Au nom de Jésus « vivant en Marie » (vénér. Olier), elle qui le portait dans son sein au milieu d’un monde indifférent et hostile — à Bethléem on refusa de l’accueillir et dans le royaume d’Hérode on trama sa mort — au nom de cet Enfant, Dieu et Homme, je supplie les hommes conscients de la dignité inéluctable de ces hommes non encore nés, de prendre une position digne de l’homme pour que cette sombre période qui menace d’envelopper de ténèbres la conscience humaine puisse être finalement surmontée.

 

Dans la jeunesse, l’espérance de demain

 

10. Parmi les objectifs de l’Année internationale de l’Enfant figure également la promotion humaine jusqu’au seuil de la jeunesse des enfants et adolescents, garçons et filles. C’est pourquoi j’adresse en ce moment une pensée aux légions, vivantes et joyeuses, de ces chers garçons et filles qui, dans le monde entier constituent l’espérance la plus heureuse des lendemains. Et en plus de ceux-ci, suivant les générations qui montent, j’embrasse également les innombrables légions de jeunes gens et jeunes filles du monde entier, structure fondamentale de tout genre de société et réserve d’énergie pour l’édification d’un lendemain plus juste et plus serein. Dans ses différents stades qui vont de l’adolescence au seuil du mariage, cette jeunesse est droite, elle est généreuse, cite est assoiffée de vérité et de justice ; ce qu’elle demande aux adultes c’est d’être écoutée, avec générosité et bonne volonté dans les milieux d’action et dans les centres de direction ; elle se tourne vers l’Église avec un renouveau d’intérêt, avec le profond désir d’en recevoir une réponse claire aux « pourquoi » fondamentaux de la vie. Encore aujourd’hui le Christ fixe sur eux, comme sur le jeune homme de l’Évangile, un regard plein de sympathie (cf. Mc 10, 21).

Dans sa recherche de certitude, cette jeunesse ne peut pas, ne doit pas être déçue. Je lui répète ce que j’ai clamé au début de mon pontificat : « ouvrez, ouvrez tout grand la porte au Christ ! » (22 oct. 1978). Je sais que je trouve bon accueil ! Me le confirment mes contacts joyeux et exaltants avec des multitudes de jeunes à qui, cette année et sous toutes les latitudes du monde j’ai parlé, serré la main, avec qui j’ai échangé un regard affectueux. Je leur répète : « L’Église ne vous trahira jamais. L’Église ne vous décevra jamais. l’Église vous respectera toujours dans votre personnalité humaine intégrale. Ne craignez point ! »

Mais je pense aussi aux sombres réalités qui menacent ce très riche potentiel de vie constitué par les adolescents et les jeunes d’aujourd’hui et qui peuvent le réduire en matériel amorphe et même en potentiel destructif. Comment pourrait-on ignorer toutes les requêtes de travail, de formation culturelle, d’occupation professionnelle qui restent sans réponse et laissent forcément inactifs tant de jeunes qui ont peiné à l’étude, qui ont acquis une préparation désormais digne d’être utilisée pour le bien commun de la société ? Et comment ne pas crier haut et fort contre ceux qui, dans l’ombre de manière ignoble, avec des intentions perverses, essayent de corrompre cette merveilleuse richesse avec d’affreux succédanés des valeurs trahies, par de mortels allèchements qui, dans une existence en proie aux désillusions et parfois vidée d’idéal, trouvent un piège facile ? Peut-on oublier les victimes, désormais innombrables, de la drogue offerte déjà dès les premières années de d’adolescence et devenant ensuite la chaîne d’acier d’un ignoble esclavage ? Comment oublier les ravages moraux qu’une industrie non moins ignoble ou une mentalité permissive et hédoniste — qui par l’image contamine une partie de l’édition et des instruments de la communication sociale — ont provoqués dans l’âme de nombreux jeunes en incitant ceux-ci à un hédonisme sans frein proposé comme norme d’existence ? Comment oublier l’adultération de la personnalité de l’homme en formation au moyen des mass média, de l’endoctrinement idéologique, de la présentation partiale et tronquée de la vérité, de la pornographie?

Sur tous ces préoccupants symptômes de décadence morale vient se greffer le facteur de la violence à tous ses niveaux qui obéit uniquement à une logique de destruction et de mort qui pourrait — Dieu ne le veuille ! — paralyser l’aspiration commune au progrès ordonné, à la concorde constructive, à la paix active. Devant ces jeunes qui, aujourd’hui, n’ont pas peur de tuer ou de blesser d’autres jeunes, d’autres hommes, je me mets à genoux, comme mon prédécesseur Paul VI, pour leur lancer le cri d’espérance et l’invitation à laquelle j’ai fait écho à Drogheda : « J’en appelle aux jeunes qui ont pu être entraînés dans des organisations engagées dans la violence. Je vous le dis, avec tout l’amour que j’ai pour vous, avec toute la confiance que je place dans les jeunes : n’écoutez pas la voix de ceux qui parlent le langage de la haine, de la revanche, des représailles... Vous ne serez véritablement courageux qu’en travaillant pour la paix. Vous ne serez véritablement forts qu’en vous unissant aux jeunes hommes et femmes de votre génération pour construire une société juste, humaine et chrétienne par les moyens de la paix. La violence est l’ennemie de la justice. Seule la paix peut mener à la vraie justice » (Discours à Dragheda, n. 12 ; cf. ORLF du 9 oct. 1979).

 

Les immenses valeurs de la famille

 

11. La formation de la jeunesse est inséparablement liée au correct engrenage de la vie familiale. La famille « cellule première et vitale de la société » comme l’a définie le concile Vatican II (Apostolicam Actuositatem), est la réserve du succès ou des mésaventures de la société de demain : elle a en effet d’incessantes et déterminantes interférences, dans un sens négatif comme dans un sens positif, dans la vie des jeunes. Elle ne peut donc manquer d’avoir sa placé dans l’ordre de pensée de ce message de Noël, et d’autant moins que Noël est, par excellence, la fête de la famille chrétienne, réunie autour de la crèche dans le climat de joie simple que crée la véritable et profonde fusion des cœurs. La Sainte Famille que célèbre le premier dimanche après Noël est la clé qui permet de percevoir toutes les valeurs à proclamer aux familles d’aujourd’hui : amour, dévouement, sacrifice, chasteté, respect de la vie, travail, sérénité, joie. Les sources de déséquilibre auxquelles nous avons fait allusion font au contraire de la famille, la première victime et, avec celle-ci, elles mettent la jeunesse en déroute. Si nombreux sont les errements moraux, et si nombreux les actes de violence qui naissent précisément du laisser-aller de la famille devenue, malheureusement le point de mire d’une coalition de forces de destruction qui se servent de tous les moyens à leur disposition.

Si j’ai pu, au cours des voyages que j’ai accomplis cette année, voir autour de moi tant de bien, il est certain que cela est dû à la présence et à l’œuvre des familles chrétiennes qui se maintiennent comme la structure fondamentale et base portante de la vie civile et ecclésiale partout dans le monde. J’en rends grâces au Seigneur et je remercie avec lui les si nombreux pères et mères de tous les continents du globe.

Quant à la défense des valeurs relatives à la famille, je n’ai jamais négligé la moindre occasion pour y intéresser les personnalités que, cette année, j’ai eu la faculté de rencontrer, des plus hautes autorités responsables de la vie des nations à leurs représentants diplomatiques et aux autorités civiles et politiques. En ce qui concerne la famille et les problèmes aussi divers que complexes qu’elle soumet à la conscience et à la société je n’ai jamais manqué de parler en leur faveur dans mes discours et mes appels : au Mexique, dans l’homélie à Puebla de Los Angeles, en Pologne à Jasna Gôra dans l’appel et le discours aux ouvriers, puis à Nowy Targ, ensuite en Irlande à Limerick et au Capitol Mail aux États-Unis. Je n’ai pas manqué non plus de faire allusion dans l’exhortation Catechesi tradendae (n. 68) à l’action catéchistique confiée à la famille ; et je me permets de rappeler que je développe actuellement ce sujet dans les audiences générales, une préparation à la session du Synode des évêques qui se déroulera l’année prochaine et aura pour sujet la famille. Ce sera une occasion privilégiée, que j’attends vivement et qui permettra à toute l’Église, par les représentants de ses épiscopats nationaux, de méditer et approfondir la merveilleuse dignité de la famille, la richesse de ses valeurs, l’importance irremplaçable de sa mission.

 

La rencontre avec le Christ, l’Église et l’homme

 

12. Vénérables Frères ! Nous trouver réunis à l’approche de Noël a été l’occasion de jeter un regard d’ensemble sur les problèmes actuels les plus urgents. Je sais que le devoir imprescriptible du Souverain Pasteur de l’Église est d’indiquer la voie à suivre. Et cette voie, c’est le Christ (cf. Jn 14, 6). Lui seul, toujours lui ! « Christus heri et hodie, ipse et un saecula » (He 13, 8).

Durant cette année de pontificat « mon obsession quotidienne, le souci de toutes les Églises » (2 Col 1, 28) ont été uniquement ceux de rencontrer l’homme, pour faire rencontrer l’homme avec le Christ ; les foules qui se sont pressées de manière ininterrompue aux audiences du mercredi, celles que j’ai rencontrées durant mes pèlerinages et au cours des visites hebdomadaires aux paroisses de mon diocèse de Rome m’ont permis d’établir ce contact vivant et de développer une catéchèse constante du Magistère suivant les lignes que j’ai tracées dans le récent document Catechesi tradendae qui résumé les vœux émis par le Synode des évêques. Ce furent des relations directes avec tous : avec des hommes vivants et non des masses amorphes ; avec les enfants et les jeunes ; avec les hommes politiques ; avec les ouvriers des différents secteurs que j’ai été voir également sur les lieux de leur travail ; avec la population des champs et de la montagne ; avec les représentants du monde scientifique — physiciens, juristes, enseignants, universitaires — avec les membres des instituts de caractère culturel et touristique ; avec les marins ; avec les aviateurs et les équipages aéronautiques qui m’ont transporté sous les cieux de divers continents ; avec les différents, secteurs des Forces armées, etc. Ce fut véritablement une rencontre directe, personnelle avec l’homme de chaque pays.

 

13. Il y a eu en même temps la rencontre avec l’Église. Celle-ci a, en effet, été instituée par le Christ pour le salut de l’homme, de tout homme, dans les situations concrètes de la vie. Aujourd’hui, l’Église connaît un moment de vitalité vraiment exaltant ; et elle est un centre d’orientation et d’intérêt pour tout le monde.

Ma rencontre cette année avec les épiscopats d’une grande partie des différents continents a été pour moi une expérience extrêmement riche ; et si le charisme de Pierre et de ses successeurs est de « confirmer les frères » (cf. Lc 22, 32), non moins grand est le réconfort que j’ai reçu de la foi de ces frères qui viennent « videre Petrum » et échanger avec lui le baiser de paix dans l’accolade fraternelle, dans un constant et rigoureux exercice de la collégialité épiscopale que j’ai tant à cœur. Ma rencontre avec les membres du Sacré Collège a surtout été l’expression de cette collégialité. Elle a suscité une grande joie, provoqué intérêt et participation et d’abord parmi vous, vénérables frères qui le composez, et ce en considération du caractère exceptionnel de l’événement.

Et maintenant une grande joie envahit mon esprit à la pensée qu’un évêque de l’Église de Dieu, le vénéré Mgr Tchidimbo, a retrouvé cette année sa pleine liberté après une longue période de souffrance.

Je ne saurais non plus oublier les rencontres et les concélébrations avec mes très chers frères dans le sacerdoce que j’aime comme la pupille de mes yeux. Je considère véritablement comme « ma joie et ma couronne » (Ph 4, 1) leur adhésion joyeuse, totale, irrévocable au Christ, Souverain Prêtre éternel.

J’ai, gravées dans le cœur, mes rencontres avec les religieux de différents instituts et congrégations et, parmi eux, avec les religieux laïcs et je me réjouis de leur témoignage particulier d’amour au Christ et à l’Église.

Et de même je me rappelle mes rencontres avec les religieuses et je leur dis à nouveau toute la confiance et tout l’espoir que l’Église met en elles, dans l’exercice d’une maternité spirituelle d’offrande et de dévouement dont la source et l’inspiratrice est la Vierge très sainte, appelée dans le silence vigilant de Nazareth, du Calvaire, du Cénacle, à la dignité suprême de Mère de Dieu et de l’Église, et prévoyante Reine des Apôtres.

Le temps me manquerait pour rappeler les foules de fidèles rencontrées tout au long de l’année, durant mes voyages apostoliques comme dans les audiences et dans mes visites à Rome et en Italie.

 

Sur la voie de l’unité

 

Je désire aussi faire brièvement allusion aux efforts exercés pour intensifier les liens qui unissent l’Église catholique aux Églises-sœurs de l’Orient chrétien, dans une recherche d’entente et de compréhension fondée sur la charité du Christ et dans la commune exaltation de la Gloire divine. Les consignes que le concile Vatican II a données dans ce domaine délicat, difficile et prometteur de l’œcuménisme comme une de ces principales intentions pour « le rétablissement de l’unité à promouvoir entre tous les chrétiens » (Unitatis redintegratio, n. 1) demeurent parmi les engagements principaux de mon pontificat. Dans cet esprit acquiert une toute particulière signification le baiser échangé récemment avec le patriarche de Constantinople, Dimitrios Ier, et je voulais ainsi embrasser tous les pasteurs et frères des Églises chrétiennes.

 

Un service d’amour et de vérité

 

14. La fonction du Magistère suprême dans l’Église, en ce moment de grandes tensions, mais d’espérances encore plus grandes, est d’offrir à l’homme un service d’amour et de vérité. C’est dans cet esprit que j’ai accompli mes voyages ; et c’est lui qui présidera à ceux que, Dieu aidant, j’affronterai l’année prochaine pour satisfaire à des invitations que m’ont adressées les Conférences épiscopales et les Autorités civiles de nombreux pays. Et tout en les remerciant de tant de délicatesses, je veux les assurer que j’y répondrai autant que je le pourrai. Je demande au Seigneur de me donner la force et l’aide nécessaires pour aller de l’avant sur la voie tracée par mes inoubliables prédécesseurs : de l’invincible espérance de Jean XXIII, à la patience et fermeté héroïque et prévoyante de Paul VI qui resplendira toujours pour tout ce qu’il a réalisé en faveur de l’Église en application du concile Vatican II ; jusqu’au sourire de Jean Paul Ier dont le rapide passage a laissé une trace profonde ce qui nous rappellera toujours que « les voies de Dieu ne sont pas les nôtres » (Is 55, 8).

L’Église poursuit son chemin le long de cette ligne, aujourd’hui alors qu’une nouvelle année est proche, comme à l’avenir. Le Christ est avec nous, ne craignons pas, n’hésitons pas : « Et moi, je suis avec vous pour toujours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20).

 

Je confie l’Église à Marie

 

15. Tout ceci, per Mariam. Je lui ai confié les débuts de mon pontificat et au cours de l’année écoulée je lui ai apporté l’expression de la piété filiale que j’ai apprise de mes parents. Marie a été l’étoile de ma route, dans ses sanctuaires les plus célèbres ou les plus silencieux : la Mentorella et Sainte-Marie-Majeure, Guadalupe et Jasna Gôra, Knock et le sanctuaire national de l’Immaculée à Washington, Lorette, Pompéi, Ephèse. Je me confie à elle. Je lui confié toute l’Église au versant d’une année qui désormais touche à sa fin et à l’aube d’une nouvelle année. Ensemble, prenons avec Marie le chemin de Bethléem.

Considérant l’avenir, si les motifs d’anxiété ne manquent pas, les raisons de confiance et d’espérance sont plus forts, prédominants. Soutenue par cette espérance, l’Église poursuit son œuvre. Elle demeure fidèle au Christ, à son Évangile, à son invitation à la conversion « parce que le Royaume de Dieu est proche » (Mc 1, 15). Elle ne se lassera jamais d’intercéder devant Dieu en faveur de l’humanité, ni de s’interposer, de payer de sa personne pour la défense et l’élévation de l’homme. De l’homme intégral, âme et corps. De tout homme, depuis sa naissance parce que chaque homme est couronne de la création (cf. Gn 1, 27 et ss.), chaque homme est vivante gloire de Dieu (cf. Ep 1, 12-14 ; St Irénée, Adv. Haer. IV, 20, 7).

L’Église continue, à annoncer au monde cette extraordinaire réalité : et sans se lasser, sans se décourager, elle rassemble ses forces et s’avance dans le monde en proclamant la sainteté, l’honneur, les droits de Dieu et la grandeur de l’homme. Elle marche dans la lumière de Dieu, dans la joie de Dieu. Nous sommes tous concernés dans ce pèlerinage. Nous allons de l’avant, nous marchons et nous chantons, comme nous le dit saint Augustin : « Non pas pour satisfaire sa tranquillité, mais pour soutenir l’effort. Nous agissons comme les pèlerins qui ont l’habitude de chanter : Chante, mais marche ! console-toi de ta fatigue par le chant et ne te complais pas dans l’oisiveté ; chante et marche... Avance dans le bien, avance dans la vraie foi, avance dans la bonne vie : canta et ambula » (Sermon 256, 3 PL 38, 1193)

Que dans cette démarche nous guide toujours l’Étoile de Noël qui conduit à Jésus, Fils de Dieu et Fils de Marie ; à Jésus, Rédempteur de l’homme.

Avec ma plus large bénédiction.