L’ENSEIGNEMENT DE PAUL VI

1974

 

 

II. DISCOURS ET HOMÉLIES DU PAPE EN DIVERSES CIRCONSTANCES

 

12 janvier : PARTICIPATION ACTIVE, DIRECTE  ET CONCRÈTE DE L’EGLISE À L’ÉQUILIBRE DU MONDE ET À LA SAUVEGARDE DE LA PAIX

27 janvier : THÉRÈSE DE JESUS JORNET IBARS PROCLAMÉE SAINTE PAR PAUL VI

31 janvier : LA MISSION SPIRITUELLE ET MORALE DU JUGE ECCLÉSIASTIQUE

2 février : CÉRÉMONIE DE L’OFFRANDE DES CIERGES À SAINT-PIERRE

25 février : UNE COMMUNAUTÉ ECCLÉSIALE PLUS UNIE POUR UNE ACTION PASTORALE PLUS EFFICACE

3 mars : MESSAGE DU SAINT-PÈRE POUR LE CARÊME 1974

13 mars : RESPECTER L’AMOUR ET LA VIE GOMME PRÉCIEUX DONS DE DIEU

14 mars : IMPORTANCE DES ÉTUDES BIBLIQUES POUR L’ACTIVITÉ ŒCUMÉNIQUE ET MISSIONNAIRE DE L’ÉGLISE

18 mars : PAUL VI À LA COMMISSION POUR LA RÉVISION DU CODE DE DROIT CANON ORIENTAL

24 mars : LA BÉATIFICATION DE LIBOIRE WAGNER

28 mars : ASSURER AUX HOMMES ET AUX PEUPLES UNE VIE PLEINEMENT HUMAINE

7 avril : LE DIMANCHE DES RAMEAUX

8 avril : CONTRIBUTION DE LA RADIO ET DE LA TÉLÉVISION AUX CÉLÉBRATIONS DE L’ANNÉE SAINTE

9 avril : POUR UN NOUVEAU STYLE DE RELATIONS ENTRE PAYS DÉVELOPPÉS ET PAYS SOUS-DÉVELOPPÉS

11 avril : JEUDI SAINT : HOMÉLIE DU SAINT-PÈRE À SAINT-JEAN-DE-LATRAN

12 avril : LE CHEMIN DE LA CROIX AU COLISÉE

14 avril : PÂQUES EST AUSSI LA FÊTE DE NOTRE FUTURE RÉSURRECTION

20 avril : DISCOURS DU SOUVERAIN PONTIFE AUX PARTICIPANTS DU CONGRÈS THOMISTE

28 avril : LA DIMENSION INFINIE DE LA SAINTETÉ

9 mai : POUR LA DÉFENSE ET POUR LA PROMOTION RELIGIEUSE, MORALE, CIVILE, SOCIALE, JURIDIQUE DE LA FAMILLE

16 mai : MESSAGE DU SOUVERAIN PONTIFE POUR LA JOURNÉE MONDIALE DES COMMUNICATIONS SOCIALES

13 juin : L’EUCHARISTIE, POINT CENTRAL DE NOTRE FOI CHRÉTIENNE

22 juin : LA SITUATION DE L’ÉGLISE ET DU MONDE DANS LA PERSPECTIVE DE L’ANNÉE SAINTE

30 juin : PAUL VI A ORDONNÉ SEPT ÉVÊQUES

7 septembre : « NE PAS CONSIDÉRER LE PROBLÊME DES NAISSANCES SEULEMENT SOUS L’ANGLE MATÉRIALISTE »

7 septembre : LETTRE DU SOUVERAIN PONTIFE AU DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’UNESCO

14 septembre : PÈLERINAGE DU PAPE À LA PATRIE DE ST THOMAS D’AQUIN

24 septembre : SEPTIÈME CENTENAIRE DE LA MORT DE ST BONAVENTURE

27 septembre : PRIÈRE DU SAINT-PÈRE À L’OUVERTURE DU SYNODE DES ÉVÊQUES

27 septembre : DISCOURS D’INAUGURATION DU SYNODE DES ÉVÊQJUES

20 octobre : VISITE DU SAINT-PÈRE AU COLLÈGE DE PROPAGANDA FIDE

23 octobre : DROITS DE L’HOMME ET RÉCONCILIATION

26 octobre : UNE IMPULSION NOUVELLE, UNANIME ET GÉNÉREUSE POUR L’ACTION ÉVANGÉLISATRICE DE L’ÉGLISE

9 novembre : DISCOURS DU SOUVERAIN PONTIFE AUX MEMBRES DE LA CONFÉRENCE MONDIALE SUR L’ALIMENTATION

30 novembre : L’ÉDUCATION, LA SCIENCE ET LA CULTURE FACTEURS IRREMPLAÇABLES DE LA FRATERNITÉ ENTRE LES PEUPLES

8 décembre : LA RÉCONCILIATION, CHEMIN VERS LA PAIX

23 décembre : DISCOURS DU PAPE EN RÉPONSE AUX VŒUX DU SACRÉ COLLÈGE

25 décembre : VENEZ, OUI FRÈRES, VENEZ !

25 décembre : MESSAGE DE NOËL DU PAPE PAUL VI

 

 

 

II. DISCOURS ET HOMÉLIES DU PAPE EN DIVERSES CIRCONSTANCES

 

 

 

12 janvier

PARTICIPATION ACTIVE, DIRECTE  ET CONCRÈTE DE L’EGLISE À L’ÉQUILIBRE DU MONDE ET À LA SAUVEGARDE DE LA PAIX

 

Le samedi 12 janvier, à 11 h. du matin, le Saint-Père a reçu, dans la Salle du Consistoire, le Corps Diplomatique accrédité auprès du Saint-Siège qui Lui a présenté ses vœux les plus ardents pour la nouvelle année.

Etaient présents à cette audience solennelle : S. E. Monsieur le Card. Jean Villot, Secré­taire d’Etat ; S. Exe. Mgr Giovanni Benelli, Substitut de la Secrétairerie d’Etat ; S. Exe. Mgr Agostino Casaroli, Secrétaire du Conseil pour les Affaires Publiques ; S. Exe. Mgr Eduardo Martinez-Somalo, Assesseur de la Secrétairerie d’Etat ; Mgr Achille Silvestrini, Sous-Secrétaire du Conseil pour les Affaires Publiques ; tous les Chefs de Mission, ainsi que les Conseil­lers Ecclésiastiques, Conseillers et Secrétaires des chacune des Ambassades, avec le Doyen du Corps Diplomatique près le Saint-Siège : S. Exe. M. Luis Amado-Blanco, Ambassadeur de Cuba. A l’adresse d’hommage du Doyen, le Souverain Pontife, qui avait à ses côtés le Préfet de la Maison Pontificale S. Exe. Mgr Jacques Mar­tin, l’Aumônier Archevêque Mgr Antonio Travia, le Vicaire Général pour la Cité du Vatican S. Exe. Mgr Pierre Canisius Van Lierde et le Prélat d’Antichambre Mgr Oddone Tacoli, a répondu par le discours suivant :

 

Excellences et chers Messieurs,

 

Nous sommes vivement reconnaissant à votre digne interprète de ses paroles si bienveillantes, et nous vous remercions tous cordialement de votre présence ici et de l’hommage déférent que vous tenez à nous rendre ainsi, chaque année, au retour des fêtes de Noël et du Nouvel An.

Ce temps ramène naturellement devant notre esprit le thè­me à la fois ancien et nouveau de la paix ; et la rencontre avec le Corps Diplomatique l’impose à notre réflexion avec plus d’intensité encore : car pour vous, diplomates, il ne s’agit pas seulement d’un mot appelant des souhaits joyeux ou de tristes prévisions ; ni même simplement d’un sujet théorique de méditation et d’étude. C’est, peut-on dire, le centre et le but de votre « mission », avec toute la densité de signification qui s’attache à ce noble terme.

Vous n’êtes pas seulement spectateurs, bénéficiaires ou vic­times des hauts et des bas de la paix dans le monde. Vous êtes, à un titre spécial et avec une responsabilité toute particulière, les protecteurs et les défenseurs de la paix.

Une opinion assez répandue aujourd’hui, basée sur des con­naissances approximatives ou sur des souvenirs d’un passé ré­volu, semble ne vouloir retenir de la diplomatie que quelques aspects extérieurs, plus décoratifs que substantiels, ou certaines manifestations de mauvais aloi, formes dégénérées de la véri­table action diplomatique, qui eurent cours peut-être, hélas ! à certaines époques du passé, mais que répudie aujourd’hui la conscience de ceux qui se consacrent à ce haut service, et qui, d’ailleurs, ne répondraient plus, présentement, aux exigences et aux finalités de ce service lui-même.

De nos jours, en effet, le développement des rapports de forces et d’intérêts a pour effet que le bien ou le mal de telle partie de la communauté internationale ne peuvent être con­sidérés comme le mal ou le bien de telle autre partie ; et le monde se trouve heureusement presque obligé à chercher en­semble l’avantage commun, s’il veut éviter le dommage com­mun ou même la commune catastrophe.

Il est vrai que même parmi les plus hauts responsables de la vie des peuples, tous n’arrivent pas à saisir ou à garder pré­sente à l’esprit, comme ils le devraient, cette vérité fondamen­tale. Et c’est pourquoi il n’est pas rare, surtout chez ceux qui sont ou croient être les plus forts, que l’un ou l’autre cède à la tentation de résoudre en sa faveur, par la force ou la vio­lence, des situations de tensions ou de conflits.

Mais il n’est pas moins vrai que la réalité se venge de ces calculs erronés. Malheureusement, ceux qui en paient le prix sont le plus souvent d’innocentes victimes, parmi lesquelles figurent parfois ceux-là même qui s’étaient employés à en dé­tourner les protagonistes.

Il est donc d’autant plus nécessaire qu’aux raisons de la force — qui sont fréquemment injustes et qui, aujourd’hui plus que par le passé, se montrent impuissantes à assurer l’avantage général et même l’avantage de ceux qui y ont recouru — il faut, disons-nous, qu’à ces raisons de la force, la commu­nauté des nations sache opposer efficacement la force de la raison, de la justice, et d’une équitable et généreuse compré­hension des droits et des intérêts de tous.

Il s’agit là d’un effort d’une telle ampleur, d’une telle no­blesse — d’une telle difficulté aussi — qu’on ne saurait assez en souligner l’importance et qu’on ne peut dissimuler le sé­rieux de l’engagement qu’il requiert : effort dans lequel la di­plomatie digne de ce nom est appelée à jouer un rôle de pre­mier plan.

A ceux qui ont défini la diplomatie « l’art de faire la paix », on a cru pouvoir objecter une simplification excessive. De fait, bien d’autres activités rentrent dans le cadre de la diplomatie. Et comment ignorer celle des hommes politiques et des hom­mes de la pensée, qui contribuent à former la conscience des hommes et l’opinion publique des peuples ? On ne peut nier toutefois que la recherche de la paix ne soit, comme nous ve­nons de le dire, le point central de la mission diplomatique dans la vie internationale. Et ce n’est pas là simplement distri­buer un éloge, qui serait d’ailleurs souvent bien mérité. C’est reconnaître ce qui est pour vous l’essence même de votre mis­sion, votre but, votre programme : faire la paix.

Cela veut dire d’abord la protéger et la défendre là où elle existe : ensuite la rétablir là où elle a cessé d’exister. Cela sup­pose qu’avec beaucoup de sagesse et une patience inlassable, on cherchera à résoudre selon la justice et l’équité les ques­tions qui opposent Etats ou Gouvernements les uns aux autres ; que l’on fera tout pour éviter que les oppositions ne s’accen­tuent, que les positions en conflit n’arrivent à un point de rup­ture ; que l’on étudiera et proposera toutes les formules possi­bles d’honnête conciliation ; que l’on saura joindre à la juste défense des intérêts et de l’honneur de la partie qu’on représente, là non moins juste compréhension et le respect des rai­sons de l’autre partie et les exigences du bien général. Voilà la tâche spécifique — et combien noble ! — de la diplomatie.

Et dans cette tâche, la diplomatie des Etats a comme allié et collaborateur le Saint-Siège : un allié convaincu, chaque fois qu’est en question la sauvegarde ou le rétablissement d’une paix juste et solide ; un collaborateur qui, tout en ayant sa na­ture et ses moyens spécifiques, n’hésite pas à joindre son action à celle des Etats et de leurs représentants, pour favoriser des rapports pacifiques entre les nations, sur la base des principes qui doivent régir une vie en commun bien ordonnée, au plan international.

Nous nous demandions naguère, dans une circonstance ana­logue à celle-ci (Discours au Corps Diplomatique, 12 janvier 1970), si le Saint-Siège avait « raison de se servir de cette forme d’activité qui s’appelle la diplomatie ». Notre réponse, alors comme dans d’autres circonstances, a été affirmative, à condi­tion qu’il s’agisse de la vraie diplomatie : celle qui se propose pour objectif la paix à l’intérieur de chaque peuple et dans ses relations avec les autres.

Cette demande, nous continuons à nous la poser. Et ce n’est pas seulement pour confirmer notre attitude responsable en face des doutes ou des contestations qui peuvent se présen­ter. C’est bien plutôt pour approfondir et préciser toujours davantage les motifs essentiels de la participation du Saint-Siège à la vie des peuples et aux problèmes de leurs rapports mutuels : participation qui entend bien ne pas se borner à renonciation de principes généraux, mais qui, dans les formes qui sont propres à notre mission morale et spirituelle, n’hésite pas à descendre, le cas échéant, à l’action concrète.

Cette attitude, vous le savez comme nous, n’est pas sans attirer des critiques. Certains y voient une sorte de « compro­mission » qui, bien loin d’élever le Saint-Siège, l’abaisserait, au contraire — et l’Eglise avec lui — au rang de « puissance » : une parmi tant d’autres, même si elle conserve ses traits distinctifs particuliers. Sans la détourner tout à fait de sa mission, cette attitude rendrait l’Eglise moins libre, moins « crédible » dans l’exercice de celle-ci, qui serait une mission « prophéti­que » consistant à annoncer et dénoncer, sans avoir peur de rompre avec une réalité mouvante et vieillie, qui doit bientôt céder le pas à un monde nouveau, encore en gestation.

Nous ne sommes pas fermé à ces voix qui nous arrivent de différents côtés, ni offensés par leur ton parfois pressant et quasi impétueux. Nous sommes toujours disposé à réfléchir à nouveau, avec une conscience sérieuse et sereine, sur nos atti­tudes et sur les modalités de notre action, afin qu’elles répon­dent toujours mieux, pour autant que cela dépend de nous, aux exigences du ministère apostolique et aux nécessités an­ciennes et nouvelles des temps où nous vivons.

Mais, si nous ne nous trompons, ce que l’on reproche ici à l’Eglise et au Saint-Siège, c’est de ne pas prendre une attitude nette et active, en proclamant et en accélérant le déclin d’un ordre mondial jugé dépassé et gâté, pour hâter la rapide ins­tauration, à sa place, d’un ordre nouveau, qu’on imagine avec les traits messianiques de la justice, de la liberté, de l’égalité parfaite, sans discrimination de droit ni de fait.

On estime que l’Eglise et le Saint-Siège, dans la mesure où ils appuient des initiatives visant à pacifier des états de tension ou à guérir des plaies sociales, dans la mesure où ils favorisent la cessation des conflits en cours ou cherchent à en prévenir d’autres, font le jeu de la « conservation », empêchent ou re­tardent le jour de la révolution libératrice, que certains n’hé­sitent pas à proposer comme le schème répondant à la matu­ration des temps, aux aspirations des peuples — surtout des peuples opprimés — et même, ajoute-t-on, à la vision chré­tienne de l’histoire, ce pour quoi on se met en quête de dé­monstrations et de preuves même d’ordre théologique.

En face de critiques de ce genre, la première considération qui nous vient à l’esprit, c’est que certains radicalismes non seulement sont bien souvent inexacts et injustes par leur façon partiale ou unilatérale de juger la réalité et les responsabilités qui y répondent, mais qu’ils sont, par surcroît, dangereux, tant par ce qu’ils voudraient voir réalisé que par ce qu’ils ne veu­lent pas voir réalisé ou dont ils réussissent à empêcher la réa­lisation. En d’autres termes, en poussant à des bouleversements radicaux — qui sont loin, bien souvent, de respecter les fron­tières du licite — il n’est pas exclu qu’on n’arrive à des situa­tions moins justes et moins stables que celles qu’on a voulu modifier. Et il arrive facilement, surtout, qu’on gaspille, en des tentatives velléitaires, des énergies et des efforts, qui pouvaient être employés bien plus utilement pour des réalisations moins rapides, peut-être, et moins voyantes, ni entièrement satisfai­santes, sans doute, mais qui représentaient néanmoins un réel progrès au profit de l’humanité.

Ce qui nous semble plus en harmonie avec notre mission, et avec ce que l’Eglise peut et doit faire en faveur du monde, dont, tout en étant distincte, elle partage le cheminement, c’est que l’Eglise soit, certes, une voix prophétique, et comme le cri de la conscience de l’homme ; mais qu’en même temps elle comprenne la réalité humaine, avec ses âpretés, ses insuffisan­ces, ses résistances à se conformer aux idéaux que l’humanité devrait et doit poursuivre avec courage et ténacité, pour être digne d’elle-même et à la hauteur de ses responsabilités devant Dieu et devant l’histoire.

Au lieu de nous borner à déplorer ou à dénoncer des insuf­fisances, nous estimons que notre devoir en ce domaine est de rappeler et de clarifier les principes, d’encourager les hommes à les appliquer fidèlement, et de ne pas refuser notre collabo­ration aux tentatives concrètes de solution des problèmes que cette application comporte : non certes en ce qui concerne les aspects techniques, qui échappent à notre compétence, mais pour ce qui est des aspects moraux et humains de justice et d’équité, qui ne sont pas moins importants que les premiers.

Cet effort de contact avec les problèmes concrets, que les hommes d’Etat et les diplomates affrontent quotidiennement, nous aide à nous rendre toujours mieux compte de la com­plexité des choses et des difficultés à surmonter. Gela ne nous amène certes pas à excuser ce qui n’est pas excusable — abus de pouvoir, excès dans la répression, usage de la torture, pres­sions économiques indues, etc. — ou à nous contenter facile­ment de résultats minimes ou insuffisants; mais cela nous porte à prendre des attitudes conscientes et responsables dans l’ap­préciation, généreuses dans la coopération.

Tout cela vous dit, Excellences et chers Messieurs, l’esprit sur lequel peuvent compter, de notre part et de la part du Saint-Siège, vos personnes et vos Gouvernements, vos peuples et leurs communautés, comme toute la communauté internationale : un esprit d’amitié, qui, même s’il exclut une indul­gence hors de propos, tend toujours à encourager et à aider les responsables dans les justes, nobles et difficiles entreprises que la vie de leurs nations et celle de la famille des peuples présentent comme des défis à leur sagesse et à leur bonne vo­lonté.

Et comme notre parole vise avant tout ce qui constitue plus spécifiquement votre mission, nous voulons dire les relations des peuples entre eux, nous vous dirons que c’est dans cet esprit d’amitié que nous suivons les problèmes de la paix. Et nous concevons celle-ci non seulement, selon son acception pre­mière et plutôt négative, comme absence de conflit, mais dans sa signification plus ample et plus complète de bonnes et ami­cales relations.

L’invocation de la paix revient fréquemment sur nos lèvres, avec l’exhortation à la poursuivre et l’invitation à prier pour l’obtenir. Mais nous n’entendons pas que s’arrête là notre in­térêt pour une cause si grande et si fondamentale. Vous êtes témoins de nos persévérants efforts, vous qui êtes aussi, en quelque sorte, parmi les collaborateurs les plus directs du Saint-Siège en ce domaine. C’est à vous, en effet, qu’il s’adresse le plus souvent — comme il s’adresse à ses propres représentants dans vos pays — pour avoir des informations, pour recueillir et confronter données et opinions, discuter des situations, se concerter avec vous, parfois, pour des initiatives de paix.

Vous connaissez, par exemple, l’intérêt que le Saint-Siège continue à manifester pour un des problèmes essentiels qui sont à la base d’une paix sûre et durable: l’établissement de rap­ports et d’échanges conformes à l’équité entre les pays ayant atteint un haut degré de développement, et ceux qui, avec élan, mais souvent au prix de grands sacrifices, s’efforcent d’y parvenir.

Ce problème a fait l’objet de nos déclarations répétées, en particulier dans l’encyclique « Populorum progressio », et il reste un des points qui retiennent très spécialement l’attention du Saint-Siège. Aussi avons nous suivi avec le plus vif intérêt, à ce sujet, les récentes prises de contacts entre la Communauté européenne des Neuf et les Pays d’Afrique, pour l’élaboration d’un modèle possible de coopération organique ou d’association économique, technique et commerciale. Cette négociation, tant par le nombre et la qualité des Pays participants que par l’am­pleur et l’importance des buts qu’elle se propose, peut vrai­ment constituer un test de ce que la sagesse et le courage des Gouvernements, leur capacité de vision et d’imagination poli­tique, leur esprit de collaboration enfin, sont capables de faire pour répondre à des exigences objectives d’importance capitale pour l’avenir de la famille humaine.

On ne peut manquer de relever le caractère hautement moral d’initiatives de ce genre et souhaiter qu’elles se multi­plient. Que les responsables ne se laissent pas décourager par les difficultés ! Qu’ils sachent harmoniser les raisons de la pru­dence avec celles de la générosité, sans oublier qu’aujourd’hui, plus encore que par le passé, l’avantage général est finalement la condition du vrai et stable bien-être de chacune de leurs nations.

Le Saint-Siège a à cœur, vous le voyez, d’être présent dans le concert de la vie internationale. Il l’est, grâce au ré­seau de relations que le Corps Diplomatique présente et réalise ici même, relations qu’entretient et favorise également le Corps de nos représentants dans vos divers Pays. Laissez-nous vous dire, en terminant, à quoi tend cette présence du Saint-Siège dans la vie internationale. Elle tend d’abord à promouvoir des contacts honorables et pacifiques entre les Peuples à un niveau de responsabilités ; ensuite à encourager la méthode du dialo­gue humain et courtois, à le substituer, si possible, à celui de l’affrontement ruineux et meurtrier des armes et de l’équilibre précaire d’intérêts inconciliables, toujours prêts à surgir avec des revendications unilatérales ; elle tend enfin, cette présence du Saint-Siège, à créer non seulement la trêve dans les con­flits entre nations, mais le goût, l’honneur, la stabilité de la paix, de telle sorte que les insurmontables différences ethni­ques, géographiques, économiques, culturelles, ne soient plus des causes de rivalités et de luttes fratricides, mais deviennent au contraire des motifs d’entente fraternelle et d’activé com­plémentarité, en un hommage unique et supérieur à la justice. En disant cela, nous nous référons — assez clairement, nous semble-t-il — aux situations qui, au seuil de cette année nou­velle, apparaissent comme des cas pathologiques de la concorde entre les hommes, cas qui s’offrent à la sage, à la persévérante, ajoutons encore, à la chrétienne thérapie d’une paix véritable et dynamique.

Si ces abcès douloureux persistent, malgré tant d’efforts dé­ployés au cours de l’année écoulée, s’ils à continuent à retenir l’attention inquiète du monde entier, combien plus la vôtre, Messieurs : les diplomates ne sont-ils pas, en quelque sorte, les médecins du corps social, lorsqu’il est atteint ou menacé par le virus de la discorde et de la guerre ?

Mais nous savons tous que la bonne volonté et les moyens humains ne suffisent pas. Aussi, pour que votre action, celle des diplomates et des hommes d’Etat du monde entier, soit efficace et couronnée de succès au cours de l’année qui s’ouvre, nous invoquerons sur elle, et sur l’aide — modeste, mais gé­néreusement offerte — que le Saint-Siège sera toujours heu­reux de vous apporter, l’abondance des bénédictions du Dieu tout-puissant.

 

 

 

27 janvier

THÉRÈSE DE JESUS JORNET IBARS PROCLAMÉE SAINTE PAR PAUL VI

 

Vénérables Frères et Fils bien-aimés

 

Il y a quelques instants, étreint d’une vive émotion, nous avons, en vertu de notre autorité apostolique, prononcé une sentence solennelle, inscrivant au catalogue des Saints, Sainte Thérèse de Jésus Jornet Ibars, Fondatrice des Petites Sœurs des Vieillards Abandonnés. Nous l’avons déclarée Sainte, c’est-à-dire digne de recevoir le culte de l’Eglise Universelle ; nous nous recommanderons à son intercession et nous pourrons la prendre pour modèle dans notre vie spirituelle.

C’est d’un regard plein d’admiration que nous contemplons le miracle de la mystérieuse prédilection divine que suppose la sanctification d’une âme qui, après sa démarche terrestre éton­nante a su, à l’invitation de Jésus, passer de la souffrance au comble de la gloire.

Nous nous trouvons en présence d’une de ces figures qui laissent, profonde, la propre empreinte de leur passage dans le monde, léguant à l’Eglise et à la Société le secret de leur per­sonnalité toujours vigoureuse et inlassable : servir, s’immoler pour son prochain, voilà la marque distinctive de la spiritualité de Sainte Thérèse Jornet qui, obéissant à un identique amour pour les malheureux, créa un style de vie semblable à celui que conçut la Servante de Dieu Jeanne Jugan, Fondatrice de l’Institut des Petites Sœurs des Pauvres, dont la cause de béa­tification sera, il faut l’espérer, reprise prochainement.

Il est réconfortant de constater la profusion des formes et des nuances spirituelles — miracle de la grâce — que peuvent prendre les nouveaux aspects de la sainteté de l’Eglise. Dans l’œuvre limpide et transparente d’une âme consacrée comme Sainte Thérèse Jornet l’on perçoit, identique à celle de son homonyme, l’ambition d’exprimer la beauté et la richesse iné­galables du dessein du salut. Combien nombreuses et belles sont les pages d’histoire ecclésiale qui nous parlent de ces traits de l’amour divin qui jaillissent du cœur de Jésus comme d’une source éternelle de lumière et de vérité !

Il est difficile de suivre en détail la vie et l’activité de Mère Thérèse. La petite fille de Aytona et de Lerida, l’étudiante et l’institutrice de Fraga et d’Argensola, la jeune fille qui appro­fondit sa vocation parmi les Tertiaires Carmélites et les Clarisses de Briviesca cèdent le pas à la religieuse ardente et sim­ple qui, tandis qu’elle couvre des distances et parcourt les vil­les les plus diverses, a su protéger le secret de son dynamisme : son union avec Dieu. Cette âme qui aimait passer inaperçue, ne refusa pas pour autant de marquer de son empreinte per­sonnelle, forte et douce en même temps, les bases mêmes de son œuvre naissante. Elle sut guider, dès les premier pas, le nouvel Institut fondé à Barbastro, puis à Valence et à Sara-gosse, le développant — dans un irrésistible élan charitable — dans presque toute l’Espagne et l’étendant plus tard jusqu’en Amérique.

Mère Thérèse a quelque chose de mystérieux, si l’on veut, qui nous attire. Près d’elle on sent la présence ineffable de la vie qui la soutient et l’encourage dans ses aspirations de consécration à Dieu et au prochain, et la guide sur le sentier de l’assistance charitable.

Le fruit de l’immense effort déployé par une si humble re­ligieuse a grandi de manière admirable, mais sans bruit exté­rieur. L’action de la grâce sera toujours quelque chose de mystérieux.

Le choix fait dans l’intimité de l’âme bénéficie de la pré­dilection divine, de l’action fécondatrice de l’Esprit. Qui pourra jamais décrire les routes et les embûches qu’a dû franchir Sainte Thérèse pour découvrir son Epoux ? En embrassant un genre de vie d’abnégation, elle a voulu réaliser le programme de sain­teté tracé par le divin Maître : découvrir le vrai bonheur qui se trouve caché comme un précieux trésor dans l’amour et l’aide donnés aux pauvres et aux nécessiteux.

En contemplant la figure de la nouvelle Sainte et de la multitude des religieuses qui, dans l’Institut qu’elle a fondée, immolent leur vie pour les vieillards abandonnés, nous sentons notre cœur déborder d’une affection indescriptible ! Servir les vieillards abandonnés ! Et nous savons qu’on peut compter par milliers et milliers les personnes qui ont bénéficié d’un si merveilleux courant de grâce et de charité. Cela donne une nuance toute particulière au charisme confié à Sainte Thérèse, qui s’insère avec force et logique dans la mission même du Christ et de tous les Apôtres : « ... il m’a envoyé pour évangéliser les pauvres » (Lc 4, 18).

Aujourd’hui plus que jamais, en cette période de gigantes­ques progrès, nous sommes en train d’assister au drame hu­main, parfois si désolant, de tant de personnes arrivant au seuil du troisième âge et qui s’inquiètent de la pauvreté matérielle, de l’indifférence, de l’abandon, de la solitude qui risquent de peser sur elles. Personne ne connaît mieux que vous, bien-aimées filles, Petites Sœurs des Vieillards Abandonnés, ce qui se cache sous cette désolante réalité. Vous avez été et vous êtes les confidentes de cette sorte de vide intérieur que rien ne peut combler, pas même l’abondance de ressources matérielles, parce que ces malheureux ont besoin surtout d’affection hu­maine, de chaleur familiale. Vous avez rendu aux visages angoissés de personnes vénérables par leur âge, la sérénité et la joie d’expérimenter de nouveau les avantages d’un foyer. Vous avez été choisies par Dieu pour rendre témoignage devant le monde de la dimension sacrée de la vie, pour confirmer à la société, grâce à votre travail, inspiré par l’esprit de l’Evangile et non par de simples calculs de rentabilité ou de confort hu­main, que l’homme ne peut jamais être considéré sous la pers­pective exclusive d’instrument rentable ou d’utilitarisme aride, mais qu’il est essentiellement sacré en tant que fils de Dieu et qu’il est toujours digne de tous les égards car il est prédestiné à un destin éternel.

Ah ! Si l’on pouvait pénétrer dans vos communautés et dans vos résidences, combien facilement pourrait-on découvrir ce que ces nombreuses filles de la nouvelle Sainte répandent com­me charité : charité enclose dans un geste de bonté, dans un mot de consolation, dans une compagnie compréhensive, dans le service inconditionnel, dans la solidarité qui demande à au­trui une aide pour les plus nécessiteux. Nous savons bien que votre dévouement pour les vieillards, qui exige de vous des attentions délicates et humainement peu agréables ont un idéal, une base, un soutien : l’amour envers le Christ qui fait suppor­ter tout, dépasser tout, triompher de tout, jusqu’au point où, pour tant d’esprits d’aujourd’hui, débordants d’égoïsme ou pri­sonniers des plaisirs, tout cela est considéré comme pure folie ! Cet amour qui se nourrit de prière et qui trouve un nouveau dynamisme dans l’Eucharistie est jailli de votre Fondatrice et il vous pousse maintenant à voir dans les personnes âgées une prolongation mystique du Christ, à atténuer en elles Ses fati­gues, Ses souffrances ; et ce soulagement se répercute selon l’Evangile sur le Christ lui-même : « C’est à moi-même que vous le faites ». Voilà la réponse de la charité ! Voilà l’expli­cation de ce qui semble humainement inexplicable ! Voilà ce qui doit être répondu à ceux qui voudraient voir mieux em­ployée, dans d’autres domaines ecclésiaux, la vitalité de vos vocations qui vous appellent à adoucir l’existence des vieux. Et cela constitue un appel constant à la conscience des hom­mes d’aujourd’hui, souvent insensibles aux avantages, même sociaux, qu’apporté la charité faite au nom du Christ. Une charité agissante qu’avec tant de finesse Sainte Thérèse devina absolument nécessaire dans les circonstances de l’époque ! Une charité qui se révèle aujourd’hui tout autant nécessaire et tout aussi urgente !

 

Nous allons maintenant réserver ce discours à un hommage de dévotion envers Sainte Thérèse Jornet Ibars. Sa vie demeure en notre mémoire comme un modèle de vertu ; et son œuvre, fièrement poursuivie par les Petites Sœurs des Vieillards Aban­donnés, est une invitation pressante à l’action caritative et so­ciale. Tout en l’invoquant comme Sainte, nous rendons grâce à Dieu qui nous a permis d’être témoins des merveilles de Sa grâce en une de nos sœurs, en qui s’accomplissent admirable­ment les paroles prophétiques : « Il élève les humbles » (Lc 1, 52). Une telle exaltation tourne à l’honneur de tout le Peuple de Dieu, et spécialement à celui d’Espagne, terre de Saints, qui a su en tous temps donner des exemples de piété, de générosité, d’héroïsme, de sainteté. C’est un honneur mérité que nous rendons aujourd’hui à un peuple tant aimé qui, se livrant généreusement aux tâches de l’esprit, nous offre toujours ce qui est essentiel et définitif : sa foi chrétienne foncière et vitale. Honneur donc à l’Espagne, à qui va la reconnaissance de l’E­glise tout entière !

Et, au-delà de toute frontière, honneur à l’Eglise elle-même, qui invoque parmi ses Saints cette Espagnole, universelle par son esprit et par l’ampleur de son œuvre ! Honneur à l’Eglise qui voit circuler parmi ses membres la sève toujours neuve de la charité que son Saint Fondateur lui a infusée comme essence de la mission de salut ! Aujourd’hui elle resplendit plus que jamais, de beauté et de joie, en proclamant la sainteté d’une de ses filles, en proposant son nom et en invoquant son inter­cession pour l’exemple et l’assistance de tous les baptisés.

Nous ne voudrions pas conclure sans consacrer quelques mots à la nombreuse représentation espagnole qui, avec ses dévoués Pasteurs — dont la présence nous réjouit de manière toute particulière — nous apporte le doux et solide témoignage du catholicisme d’Espagne, lié si étroitement à cette Chaire de Pierre. Nos salutations déférentes et spéciales à la Mission Extraordinaire envoyée par le Gouvernement Espagnol, à Mes­sieurs les Cardinaux et à tous nos Frères en l’Episcopat ; nos affectueux souhaits de bienvenue aux prêtres, aux religieux et religieuses et aux pèlerins espagnols et tout particulièrement à vous, Filles de Sainte Thérèse Jornet, et à vos vieux protégés qui, en manière de remerciement ont demandé à assister à cette mémorable cérémonie.

Devant l’exemple de Sainte Thérèse à tous ceux qui sont ici présents et à tous ceux qui, au loin, se sentent spirituelle­ment unis à nous, nous- répétons l’exhortation de Saint Paul : « Donnez-leur donc, à la face des Eglises, la preuve de votre charité et que c’est à juste titre que nous sommes fiers de vous » (2 Co 8, 24). Ainsi soit-il. Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

Il nous semble de notre devoir d’ajouter quelques mots en langue italienne pour faire participer les fidèles présents à qui cette langue est propre à la réflexion que ne peut manquer de susciter l’événement que nous venons de réaliser et que, désor­mais, l’Eglise catholique ne cessera jamais de rappeler et de magnifier comme un événement joyeux. Nous nous limiterons maintenant à indiquer simplement les principaux motifs de joie qui sont les points saillants de ce rite particulier et solennel : cela doit précisément remplir nos âmes d’une sainte allégresse.

Le premier motif est la nature même d’une canonisation. Une canonisation, qu’est-ce que c’est ? C’est une sentence, qui engage le magistère de l’Eglise, au sujet de la sainteté d’une personne dont il est déclaré qu’elle appartient de manière to­tale et glorieuse au Corps mystique du Christ, dans sa condi­tion finale et parfaite d’Eglise céleste. Aussi, est-ce d’abord et avant tout une glorification — qui nous est possible, à nous, membres de l’Eglise terrestre — de la sainteté de Dieu, source de tout notre bien, et du Christ, cause méritoire de notre salut, dans l’effusion animatrice du Saint Esprit. C’est la recon­naissance de la perfection divine, c’est-à-dire de la sainteté de Dieu, réfléchie dans une âme élue, comme la lumière du soleil se reflète dans les choses qu’il illumine de sa splendeur, et qui confère aux choses le rayonnement de la beauté ! Et cette dé­rivation divine de la sainteté, et par conséquent du culte que nous vouons à la sainteté d’une créature, doit être maintenue sans fin comme sauvegarde de notre doctrine catholique qui, tandis qu’elle exalte la sainteté des Saints, la reconnaît et la célèbre comme relative et tributaire de la sainteté unique et suprême du Christ et de Dieu, et suscite en nous, encore pè­lerins vers la patrie céleste, une grande joie, toute vibrante d’admiration et d’espérance, et nous fait clamer toujours : mi­rabilis Deus in sanctis suis (Ps 67, 36).

Parce que c’est cela que signifie le culte des Saints, la re­connaissance des dons de Dieu dans une âme fortunée et heu­reuse qui non seulement a reçu de tels dons mais qui (comme les talents de la parabole évangélique) a su, en soi et hors de soi, les cultiver et les multiplier.

Et voici maintenant le deuxième motif de notre joie ; ad­mirer dans la nouvelle Sainte l’épiphanie, c’est-à-dire la mani­festation des dons divins, soit à leur degré initial de dons naturels ou de charismes surnaturels, soit à leur degré d’expansion, de profession, de développement qui caractérisent la physiono­mie particulière et toujours originale de la Sainte que nous célébrons. Et ici nous ne saurions manquer de faire l’éloge de l’étude des Saints, c’est-à-dire de l’hagiographie. Si l’étude de la vie humaine considérée dans sa phénoménologie existen­tielle, est toujours extrêmement intéressante (et combien de sciences, combien d’arts n’y trouvent-ils pas leur inépuisable aliment) quel intérêt, quelle passion devrait avoir pour nous l’étude de l’hagiographie, c’est-à-dire de la vie des Saints, car chez eux l’étude de ce sujet qu’est le visage humain révèle des secrets de richesses, d’aventures, de souffrance, de sagesse, de drames, en un mot, de vertus que nous ne saurions découvrir à un degré aussi vigoureux d’expérience et d’expression et, fi­nalement, d’optimiste affirmation, dans d’autres êtres vivants, fussent-ils ; eux aussi, dotés de qualités extraordinaires. Le mot « édification » est ici parfaitement approprié ; la connaissance de la vie des saints est par excellence une édification. Puissent nos maîtres de la pensée et de l’humanisme et nos éducateurs du peuple se rappeler ainsi de la prodigieuse efficacité péda­gogique de la recherche, à l’école des Saints, de la vocation et de l’art de vivre comme il le faut en hommes véritables et en vrais chrétiens ! Nous voici donc aujourd’hui convoqués ici, dans notre Eglise, Mère et Docteur, à l’école de la nouvelle Sainte Thérèse de Jésus Jornet Ibars !

Que vous dire ? Nous vous épargnerons en ce moment l’apo­logie, qui serait de règle, de la vie admirable de cette citoyenne de la terre déclarée citoyenne du paradis et, de ce fait, exemplaire sous des aspects nombreux et merveilleux. Le caractère trop bref de ce discours nuirait à la fidélité de l’éloge ; du reste vous connaissez tous l’itinéraire biographique de la Sainte ; il se prête à une synthèse plus dense et plus brève, si nous re­marquons qu’il a suivi une seule trace, aussi difficile que rectiligne, celle de la charité envers son prochain ; et quelle charité ! Nous devrions tous avoir la sagesse de soumettre à notre mé­ditation cette leçon polyvalente de charité, et, sans vouloir nous défendre contre sa surprenante ressemblance avec d’autres — peu rares d’ailleurs aujourd’hui — profils hagiographiques qui nous paraissent presque coïncider dans un même ou analogue dessein de vie dédiée à la reine des vertus, la charité, nous trouverons des sources d’émerveillement et des modèles d’imi­tation dans la figure sereine, douce et forte, de cette Sainte, spécialement sous deux aspects caractéristiques, celui de la charité tournée vers la vieillesse abandonnée, charité qui, sans vouloir minimiser n’importe quelle autre de ses expressions, nous semble héroïque et originale, et celui d’avoir institué dans l’Eglise une nouvelle Famille religieuse, que nous voyons ici admirablement représentée, et qui se consacre entièrement, avec un incomparable dévouement, au même exercice de cha­rité chrétienne et sociale. Frères et Fils, il faut que nous ou­vrions les yeux afin que nos âmes puissent jouir d’aussi admi­rables radiations de l’Evangile immortel, du service, du silence, du sacrifice, de l’amour évangélique que le Christ enseigne et suscite encore aujourd’hui dans son Eglise.

Et pour finir, nous voulons faire état également du troisième motif de notre joie actuelle. Nous n’y ferons qu’une brève allu­sion, bien que lui aussi mériterait une longue dissertation. Nous nous réjouissons de ce que Sainte Thérèse de Jésus Jornet Ibars est un nouveau don que l’Espagne catholique fait à l’Eglise de Dieu et à l’humanité de notre époque. Oui, elle était espa­gnole ; et nous nous réjouissons de ce que cette terre fière et généreuse sache encore faire s’épanouir des fleurs d’une si gran­de beauté spirituelle et des fruits d’une si grande fécondité humaine et sociale.

Nous ne voulons pas nous priver de former le vœu que l’Espagne puisse trouver dans la fidélité à ses traditions reli­gieuses et historiques la source de sa pleine, originale et ma­gnifique expression, pour sa libre, organique et compacte unité intérieure et pour un élan nouveau vers l’accomplissement des grands et difficiles devoirs que l’histoire impose aujourd’hui à toute société civile qui veut progresser.

Que l’humble et grande Fille d’Espagne, que nous élevons aujourd’hui à l’honneur des autels soit une inspiratrice de paix et de prospérité intérieure et extérieure pour son noble et très pieux peuple, qu’elle lui donne la force de puiser dans ses ex­traordinaires énergies ethniques et morales ce renouvellement général et spirituel individuel et social que l’intention de l’Année Sainte propose à toute nation, et en tout premier lieu à notre Sainte Eglise.

Ainsi soit-il, avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

31 janvier

LA MISSION SPIRITUELLE ET MORALE DU JUGE ECCLÉSIASTIQUE

 

Le 31 janvier dernier le Saint-Père a reçu les membres du Tribunal de la S. Rote Romaine à l’occasion de l’ouverture de l’année judiciaire. Il leur a adressé un discours dont voici notre traduction :

 

Très Vénéré Monseigneur le Doyen,

 

Nous avons une fois de plus le plaisir de vous recevoir offi­ciellement à l’occasion de l’ouverture, en pratique déjà faite d’ailleurs depuis un certain temps, de la nouvelle année judiciaire de notre Tribunal de la S. Rote Romaine ; de vous recevoir, disons-nous, en compagnie de l’éminent Collège des Prélats Auditeurs qui le composent, des nombreux Officiels qui y apportent leur concours, des Avocats et des Procureurs qui y exercent leurs fonctions. A la satisfaction que nous procure cette rencontre s’est ajouté le plaisir d’entendre les nobles et franches paroles que vous avez bien voulu, Monseigneur, nous adresser en nous présentant le Saint Tribunal ; elles ont mis en relief, plutôt que les graves, complexes et pressants problèmes que soulève actuellement l’activité judiciaire du barreau cano­nique, l’esprit qui préside à l’exercice de ce ministère, — car c’est bien d’un ministère qu’il s’agit — un ministère accompli avec le souci de la perfection et, malgré la conscience des diffi­cultés et dans l’attente de la révision législative annoncée qui ne fait que rendre l’administration de la justice plus difficile, et, par le fait même, plus méritoire.

C’est sur cet esprit que nous concentrons notre attention, c’est-à-dire nos éloges et nos encouragements, voulant, d’une part indiquer à quel point nous plaît l’expression de ces sentiments et de ces intentions et, d’autre part, désirant exalter la personne même de ceux qui ont voulu consacrer leur propre vie à la magistrature, avant même de considérer les problèmes objectifs de sa profession.

 

Dignité et autorité de la fonction judiciaire

 

Et qu’il nous suffise, en la circonstance présente, de nous attacher à cette considération préalable de l’ordre judiciaire qui concerne la personne même du juge, dans l’intention de rendre hommage au caractère sacré de celui qui en possède l’autorité et en exerce, plus encore que la fonction, la mission, car, dans l’exercice de votre activité, on ne saurait manquer de relever son caractère religieux inhérent. Nous vous disons là des choses que vous connaissez parfaitement et qui ont pé­nétré dans l’intimité et dans les profondeurs de votre cons­cience ; mais, en tout cas, il n’est jamais inutile de le rappeler quand, d’une part, l’origine et la nature d’un tel caractère sa­cré touchent aux frontières du divin, et de ce fait, du trans­cendant et du mystérieux, et que, d’autre part, la mentalité moderne tend à réduire à des dimensions purement rationalis­tes le domaine du droit, et à des tâches purement profession­nelles, nullement différentes de celles des activités normales communes, l’exercice de l’autorité judiciaire.

Votre mission est sacrée parce qu’elle provient de notre autorité apostolique qui vous l’a confiée. C’est de l’investiture de notre pouvoir sacerdotal et pontifical que dérive, pour vous, la magistrature qui vous fait juges, c’est-à-dire, maîtres, gar­diens, interprètes, agents de la loi divine et humaine qui gou­verne l’Eglise, c’est-à-dire le Peuple de Dieu. Si grande est la dignité, si grande l’autorité du juge ecclésiastique, que, comme chacun s’en souvient, Saint Paul, à l’aube de la législation constitutionnelle ecclésiastique, réclame presque avec emphase l’existence et l’action du « saint », c’est-à-dire du membre de la communauté chrétienne appelé à participer à l’autorité même du Christ et de l’Apôtre (1 Co 5, 4) pour juger un membre indigne de la communauté chrétienne, ou, mieux, pour être élevé un jour à la dignité de décider avec le Christ, à qui le Père a donné tout pouvoir de juger (Jn 5, 22 et 27), même sur les anges (1 Co 6, 3). Avoir conscience de cette très haute dignité, de cette association au pouvoir du Christ, Juge su­prême, la méditer, la revivifier, comme chaque ministre « dispensateur des mystères de Dieu » (cf. 1 Co 4, 1 ; 2 Co 6, 4) est invité à le faire pour alimenter sa propre spiritualité, voilà com­ment doit agir le Juge ecclésiastique, non pas par vaine fa­tuité, mais par respect du caractère divin du pouvoir qui lui est confié, et tout en se repliant, pour ainsi dire, dans la plus profonde humilité intérieure, afin d’y puiser la force d’être ensuite égal à la périlleuse grandeur de son mandat surhumain. Du reste, dans tout le processus historique de la civilisation, le sens sacré de la fonction judiciaire n’a jamais fait défaut à ceux qui ont exercé de telles fonctions ou qui en ont sagement discuté. Comme preuve, faisons allusion à une savante citation d’Ulpien — qui certes vous est bien connue — et que notre vénéré Prédécesseur le Pape Pie XII a rappelée dans un mé­morable discours sur la profession de juriste et rapportée, cer­tes, à la jurisprudence, mais avec quelle répercussion religieuse sur ceux qui la cultivent ! Voici : divinarum atque humanarum rerum notifia, iusti atque iniusti scientia (Discours, XI, 261). Et pour fortifier ce sens religieux qui doit s’ancrer dans la conscience du magistrat, nous pouvons nous prévaloir du témoignage d’un maître illustre du barreau civil italien, récemment disparu, Piero Calamandrei : « Je suis de plus en plus convaincu qu’en­tre le rite judiciaire et le rite religieux existe une parenté his­torique infiniment plus étroite que ne l’indique la similitude des mots... A l’origine, la sentence était un acte surhumain, le jugement de Dieu ; les défenses étaient des prières... ». Puis : « Jadis, de l’Université affluaient dans l’ordre judiciaire les ju­ges les meilleurs, attirés non pas par l’espoir de gains impor­tants... mais par la haute considération dont la magistrature jouissait dans l’opinion publique ; et surtout, ils subissaient l’at­trait qu’a toujours exercé sur certains esprits religieux l’austère intimité de cet office dans lequel le pouvoir de juger les autres implique à chaque instant le devoir de faire les comptes avec sa propre conscience » (Elogio, pp. 249-251).

 

Un style de sévérité, de désintéressement et de magnanimité

 

Ces rappels de littérature judiciaire devraient s’accompagner ici de l’apologie de l’intégrité morale superlative qui doit con­ditionner l’exercice de votre office dans chacun de ses actes, sous chacun de ses aspects. Mais nous sommes dispensé de le faire, en vertu de l’estime que nous nourrissons pour vos per­sonnes et pour le Tribunal de la S. Rote tout entier. Nos louanges et nos exhortations soutiennent le témoignage que vous donnez également au sujet de cette part essentielle de votre activité qui implique de multiples vertus spécifiques d’ordre professionnel et qui impose, intérieurement et extérieurement, un style de sévérité, de désintéressement, de magnanimité forte et patiente, auquel votre sensibilité chrétienne ajoute une hum­ble mais rayonnante splendeur.

Vous vous efforcez toujours de personnifier la figure idéale du Juge catholique ; et nous jouissons du prestige — on dit aujourd’hui : de la crédibilité — qui en dérive pour l’Eglise et, particulièrement, pour la Curie Romaine. Nous savons bien que cette ligne spirituelle et morale que représentent vos per­sonnes et votre Tribunal ne résout pas les problèmes anciens et nouveaux de votre noble, mais délicate et complexe, activité judiciaire. Au contraire même, parfois elle les rend encore plus compliqués et plus aigus, comme l’est aujourd’hui, par exemple, celui du rapport entre conscience et légalité, un problème psychologique ; ou encore celui de la relation entre loi en vi­gueur et évolution civile, un problème sociologique ; ou égale­ment celui du rapport entre le jus conditum et le jus condendum, un problème historique.

Mais, éduqués comme vous l’êtes à l’école de la loi, c’est-à-dire du devoir, de l’ordre en fonction des principes généraux du droit, du bien public et du dynamisme juridique tendu vers le bien commun, vous ne tenez pas pour insolubles de tels pro­blèmes, vous rappelant, d’une part, certaines valeurs absolues de l’ordre moral, comme la crainte de Dieu et l’amour évangélique, le respect de la vérité, la dignité de la vie et de la personne humaine, l’inviolabilité de la conscience formée, la paix entre les hommes, et ainsi de suite ; et d’autre part, vous voudrez considérer l’excessive facilité avec laquelle l’homme moderne, qui revendique si fièrement sa propre liberté, se laisse alors intimement tenter et parfois blesser par un relativisme systématique qui le réduit au choix plus facile de la situation, de la démagogie, de la mode, de la passion, de l’hédonisme, de l’égoïsme, de telle sorte qu’extérieurement il essaye de con­tester la « majesté de la loi », et qu’intérieurement, presque sans s’en rendre compte, il substitue à l’empire de la conscience morale, les caprices de la conscience psychologique.

Et juges, comme également vous l’êtes, de la manière d’agir d’autrui, mais non juges de la loi qui vous est simplement con­signée pour son application raisonnable et normale, vous saurez sagement conserver à la loi — à la loi de l’Eglise, pensez-y toujours — l’observance prévoyante et substantielle qui lui est due, tempérant, quand et comme il est possible, son éventuel excès de gravité avec ce sens pastoral humain qui est le propre du juge opérant en vertu du ministère chrétien.

 

Validité de la présente législation canonique sur le mariage

 

Ce que nous vous disons doit renforcer en vous la conscience de la mission que l’Eglise vous a confiée et, par le fait même, la confiance en sa législation, soit parce qu’elle est dictée par des critères supérieurs puisés aux sources théologiques et soit également parce qu’expérimentée par une tradition séculaire fondée sur la profonde et authentique science de l’homme et orientée vers son salut transcendant.

Oui, confiance dans la législation de l’Eglise.

A ce propos, et pour conclure ces simples paroles nous ne pouvons taire la surprise, que nous ne sommes pas seul à avoir éprouvée, causée par l’écho, qui nous est parvenu à nous également, de certaines expressions de critiques, excessives dans la forme et non entièrement fondées dans la substance, au sujet de la présente législation canonique sur le mariage, critiques faites par des personnes influentes, en un lieu et dans des cir­constances cependant dignes d’un langage plus respectueux et plus objectif.

On connaît l’épisode ; et nous n’y faisons qu’une brève allu­sion afin que vous également, experts et intéressés comme vous l’êtes en la matière, sachiez que nous ne pouvons partager certains des jugements qui y ont été prononcés sur la discipline en vigueur de l’Eglise à propos d’un thème si important. Il est vrai qu’aux notes négatives du discours en ont suivi quel­ques autres, positives, dont nous prenons note avec loyale re­connaissance. Mais à nous, il nous semble que les valeurs qui se trouvent affirmées dans cette seconde partie font mieux que confirmer les premières : elles les rectifient ; si bien que le juge­ment qui en résulte sur la loi canonique du mariage actuelle­ment en vigueur mérite encore en soi toute confiance, comme interprète et tutrice de normes sacrées et fondamentales pour l’homme, pour la famille, pour la société, même si, conformé­ment aux doctrines du récent Concile, de telles normes seront — bientôt, nous l’espérons — formulées dans une législation plus complète et plus moderne.

Poursuivez donc avec confiance votre sage et méritoire acti­vité. Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

2 février

CÉRÉMONIE DE L’OFFRANDE DES CIERGES À SAINT-PIERRE

 

Parmi les cérémonies auxquelles la Basilique Vaticane a servi de naturel et incomparable décor au cours des siècles, l’une des plus significatives et des plus pénétrantes est, sans conteste, celle de l’offrande des cierges qui se déroule depuis deux ans, à l’occasion de la fête liturgique de la présentation de l’Enfant Jésus au Temple. C’est l’antique commémoration qui, avant la réforme liturgique, était célébrée sous le nom de Fête de la Purification de la Vierge ou connue selon l’appellation plus populaire, comme fête de la Chandeleur. Une fête célébrée de manière très solennelle dans l’Eglise d’Orient comme dans l’Eglise Latine et qui se conclut par la bénédic­tion, la procession et la distribution des cierges symbolisant la lumière du Christ ressuscité. Cette année, comme l’an dernier, le Saint-Père a voulu que la célébration à Saint-Pierre se déroulât devant une assemblée toute particulière : les religieuses de Rome étaient les invitées de Paul VI. Par milliers elles se pressèrent dans le plus grand temple du monde.

Après la célébration de la Parole, le Saint-Père prononça l’homélie que voici :

 

Cette assemblée d’âmes vibrantes de piété et d’amour en­vers le Christ et la Vierge nous offre des motifs de toute particulière consolation.

Nous désirons d’abord adresser nos saluts aux vénérés Frè­res les Cardinaux Paolo Marella, Archiprêtre de cette Patriar­cale Basilique Vaticane, Arturo Tabera Araoz, Préfet de la S. Congrégation pour les Religieux et les Instituts Séculiers et Ugo Poletti, notre Vicaire Général pour le Diocèse de Rome, qui, par leur présence très significative, nous donnent un nouveau témoignage de leur sensibilité pastorale et de leur esprit de service ecclésial.

Nous saluons et remercions également les membres des Cha­pitres des quatre Basiliques Romaines qui, suivant l’antique tra­dition, nous offrent, le cierge, symbole de cette foi qui brûle et resplendit, et dont le rayonnement se propage tout autour des temples qu’ils représentent ; le cierge, signe également de leur pur attachement à la Chaire et au Successeur de Pierre.

Nous retrouvons aujourd’hui la joie d’une importante ren­contre spirituelle avec la grande famille des Religieuses de Rome, en ce jour de la Présentation du Seigneur qui a tant de points de contact, tant d’affinités spirituelles avec votre vo­cation d’âmes consacrées à Dieu... C’est pour cela que nous avons voulu célébrer avec vous cette fête de lumière et d’amour, accentuant le caractère que nous avons déjà voulu lui impri­mer l’année dernière : si, à ce moment vous avez occupé une place privilégiée dans la chaleureuse rencontre traditionnelle, nous avons voulu, cette année-ci, vous la dédier principalement et quasi-exclusivement à vous, très chères Sœurs.

Pourquoi ? Vous le savez pourquoi, et nous ne voudrions pas répéter ce que nous avons eu l’occasion de vous dire il y a un an (cf. L’Osser. Rom., édit. en langue franc., du 9 février 1973, n. de la rédact.). Et tout autant, parce que cela peut être résumé en peu de paroles, ces grandes, splendides, consolantes paroles du Concile Vatican II, adressées à tous les Religieux : « Puisque les conseils évangéliques, par la charité à laquelle ils conduisent, unissent ceux qui les suivent d’une façon spé­ciale à l’Eglise et à son mystère, il faut que la vie spirituelle de ceux-ci soit consacrée aussi au bien de toute l’Eglise » (Lu­men Gentium, 44). Oui, Filles bien-aimées dans le Christ : vous êtes consacrées au bien de toute l’Eglise ! Voilà votre définition, voilà votre mérite, voilà votre sacrifice quotidien, voilà votre objectif, voilà votre couronne ; il n’y a rien d’autre, il n’y a aucun autre motif qui vous ait poussé à donner votre vie à Jésus-Christ, entre les mains de Marie, rien que ceci : servir, servir les âmes, servir l’Eglise, toute l’Eglise. Laissez dire ceux qui ne connaissent pas, ou ont oublié, cette réalité ; laissez qu’ils mettent en cause votre état, qu’ils le critiquent, qu’ils le discutent, qu’ils le méprisent même ; votre vocation est ici, elle est tout entière ici, dans ce don total à l’Eglise, soit que vos vies se passent dans le secret laborieux et crucifiant de la clô­ture, soit qu’elles se déroulent sur les innombrables voies de la charité où vous vous démontrez infatigables et disponibles pour le service de toutes les nécessités humaines. Votre virgi­nité — nous employons les paroles mêmes du Pape Jean XXIII de vénérée mémoire, prononcées à l’occasion de la clôture du Synode de Rome — votre virginité « est consacrée aux mala­des, aux personnes âgées, aux pauvres, aux orphelins, aux veu­ves, aux adolescents, aux petits enfants : elle passe comme un ange lumineux et bienfaisant dans les couloirs des hôpitaux et des hospices, elle se penche pleine de bonté sur les élèves des écoles et sur la solitude de ceux qui souffrent, elle essuie des larmes que le monde ignore et fait briller des sourires et des regards reconnaissants. Virginité sainte qui trouve le chemin sûr et irrésistible des cœurs pour éclairer les illettrés, conseiller les hésitants, enseigner les ignorants, réprimander les pécheurs, consoler les affligés, rappeler les égarés, soulever des enthou­siasmes de coopération apostolique et missionnaire » (29 jan­vier 1960, cf. Discorsi, II, p. 183).

C’est cette réalité que nous voulons mettre en évidence de­vant la communauté ecclésiale de Rome, et, au-delà d’elle, de­vant toute l’Eglise qui doit trouver en vous, Religieuses, l’exem­ple vivant d’une existence consacrée à Dieu sans fléchissement et sans regret, avec une ferveur qui, chaque matin, se renou­velle avec joie. Mais tout en louant cette réalité, nous voulons vous encourager, vous qui en êtes les protagonistes, afin que, si jamais la tentation du doute, du découragement de la fai­blesse, de l’imitation de mauvais exemples venait vous effleurer, ou (que Dieu veuille l’empêcher) affaiblir vos premières inten­tions, vous sachiez vous confronter sans cesse avec la grandeur des tâches que vous avez librement choisies et retrouver cha­que jour les énergies nécessaires.

La liturgie du jour nous amène à tourner nos regards, nos pensées vers Celui qui est le centre, non seulement de l’épisode évangélique d’aujourd’hui, mais de tout l’Evangile, et mieux : de toute l’histoire humaine et divine, Jésus-Christ, qui s’offre au Père dans l’acceptation totale et déterminante de sa Vo­lonté : son attitude est celle de la disponibilité totale : « Vous n’avez plus eu pour agréables ni holocaustes ni sacrifices pour le péché ; alors j’ai dit : Me voici — car il est question de moi dans le rouleau de la Bible — je viens, ô Dieu, pour faire votre volonté » (Ps 40, 7-9 ; Hb 10, 5-7). Le Christ qui s’avance dans le Temple du Père, porté dans les bras de Marie — accueilli par l’amour en éveil, animé par l’Esprit-Saint, par des âmes grandes et humbles comme le vieux Siméon et la prophétesse Anne — est le modèle, le type, l’inspirateur de toute consécration. Lui, il vous attire avec force et avec douceur à vous conformer à l’offrande constante que demande votre vocation ; Lui, il vous soutient ; Lui, il vous donne la force ; Lui, il vous encourage ; Lui, il vous stimule ; Lui, si c’est nécessaire, il vous réprimande. Et à côté du Divin Modèle de toute sainteté, « fait pour nous sagesse, justice, sainteté, rédemption» (1 Co 1, 30), la Liturgie nous montre la Vierge de la Présentation, Celle qui, étroitement unie au sacrifice du Fils, est devenue pour toutes les âmes virginales un exemple de don de soi conscient et gé­néreux, de collaboration étroite au dessein de Dieu, de pré­sence silencieuse et efficace pour le salut du monde, aux côtés du Sauveur. Dans les premières lueurs matinales de l’épisode évangélique qui est comme l’offertoire du grand acte sacrificatoire et rédempteur de la vie de Jésus, Marie est à côté du Fils, rendue consciente de son rôle douloureux par la prophé­tie, et déjà membre précurseur de la Passion. C’est donc elle qui vous interpelle toutes, très chères Filles, qui vous invite à faire vôtre son attitude intérieure ; à imiter, vous aussi, cette disponibilité totale ; à ne jamais vous laisser aller, mais à pro­gresser joyeusement sur la voie que vous avez prise. Et ainsi, le cierge que vous portez, dans son profond et multiple sym­bolisme, sera même le signe visible de votre affiliation à Jésus et à Marie ; c’est tout un fourmillement de petites flammes, alimentées aux sources mêmes de la sainteté et de la grâce, qui forme un cortège joyeux et interminable dans le sillage du Seigneur et de sa Sainte Mère, faisant resplendir dans le monde, souvent avide et égoïste, la lumière de la charité désintéressée et pure, de l’immolation sans contrepartie, de la fidélité aux graves responsabilités de la vie, avec le « témoignage évangé­lique » de la propre existence élevée très haut pour donner lumière et chaleur, comme la flamme du cierge.

Nous sommes très près de vous, Religieuses de Rome et du monde, dans votre engagement de tous les jours, pour lequel nous élevons notre humble prière ; nous vous remercions pour la place que vous tenez dans l’Eglise, pour l’exemple que vous donnez, pour le rayonnement des plus grandes valeurs humai­nes et chrétiennes ; et nous souhaitons que ces idéaux vous trouvent toujours prêtes et bien exercées, toujours désireuses de mieux faire, toujours sincères dans la recherche de l’au­thentique esprit évangélique qui qualifie et soutient votre vie consacrée.

Que la Bénédiction Apostolique soit pour vous le gage de notre grande, de notre paternelle bienveillance ! Nous reten­dons à toutes vos Consœurs, aux personnes et aux œuvres auxquelles vous vous consacrez afin qu’il y ait en vous toutes, la paix et la joie de Dieu.

 

 

 

25 février

UNE COMMUNAUTÉ ECCLÉSIALE PLUS UNIE POUR UNE ACTION PASTORALE PLUS EFFICACE

 

La rencontre annuelle d’avant-Carême de l’évêque de Rome avec tous ceux qui sont quotidiennement engagés, dans la pastorale diocésaine a réuni le 25 février dernier en la Chapelle Sixtine un nombre exceptionnel de prêtres et de laïcs : curés, vicaires, prêtres diocésains et religieux, collabo­rateurs paroissiaux ainsi que prédicateurs de l’imminent Carême, Chefs des offices et officiels du Vicariat, élèves des Séminaires diocésains et étrangers, tous groupés autour de S. E. M. le Cardinal Vicaire Ugo Poletti, accompagné de ses Evêques Auxiliaires.

Paul VI a adressé à ses visiteurs un discours dont voici la traduction :

 

Monsieur le Cardinal,

Vénérés Frères et Très chers Fils,

 

Cette rencontre marque un moment important pour notre vie spirituelle autant que pour la vie ecclésiale. Il doit être vécu dans toute sa plénitude, plénitude de conscience, de propos, de prière. Il est le seul de l’année qui nous rassemble tous, Evêques, Curés et Prêtres diocésains, Religieux, Profes­seurs, Etudiants et Hôtes ; il fut un temps, vous le savez, où il réunissait les Prédicateurs du proche Carême ; puis, le nom­bre de ces Ministres qualifiés de la Parole de Dieu s’étant ré­duit, à ceux-ci se sont joints, pour leur dignité et par affinité de ministère, les Pasteurs et leurs Coadjuteurs ; et finalement, comme aujourd’hui, tout le Clergé de Rome, s’il le veut et s’il le peut, est invité à cette réunion. Elle conserve son caractère de simplicité, dépouillé de tout cérémonial ; elle garde son in­tention ascétique en vue de la préparation pascale ; et elle reste pour nous et pour vous l’occasion unique de se retrouver en­semble, et d’avoir le sentiment — intérieurement et extérieurement — d’être communauté et mieux encore, d’être commu­nion, d’être Eglise, et « Eglise Romaine ». Et, tout au moins pour nous, ceci fait de ce moment, si bref et simple soit-il, un instant de bonheur spirituel. Cela nous rappelle, un peu de la même manière, l’humble, la mélancolique parole du Seigneur : « Combien de fois n’ai-je pas essayé de réunir tes fils, (Jésus adressait à Jérusalem sa douloureuse apostrophe), comme la mère-poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et tu n’as pas voulu » (Mt 23, 37) ; et cette rencontre nous donne une im­pression contraire, aussi consolante pour nous que fut amère et dramatique celle de Jésus, Messie refusé, Messie méconnu. Une autre image évangélique, très belle, très heureuse, se mon­tre à notre esprit, celle du bercail où les brebis se serrent au­tour du pasteur qui ainsi les connaît, et ainsi les guide et les protège, prêt à donner sa vie pour elles. Aussi ce moment, s’il revêt pour vous, comme nous le croyons, une grande impor­tance, s’il est plein d’adhésion, d’affection pour votre Evêque, pour nous aussi il représente une occasion d’effusion dans la confiance et dans la charité envers chacune de vos personnes et pour toute la classe ministérielle que vous composez et re­présentez dans cette Eglise locale, sainte, humaine et toujours pèlerine, la nôtre et la vôtre, qui s’appelle Rome Nous aime­rions vous saluer tous, un à un, honorer et encourager la vo­cation particulière de chacun de vous, exprimer à tous notre reconnaissance pour le ministère sacré que vous exercez et faire à chacun le don du charisme de certitude qui, conféré par Jé­sus à Pierre, est venu de l’apôtre jusqu’à notre infime personne, se maintenant toutefois intact, puissant, toujours et plus que jamais aujourd’hui, opportun : « Confirme tes frères » (Lc 22, 32). Il faut que chacun de vous se rende compte que c’est à lui personnellement que s’adresse notre tonifiant salut.

Mais ceci étant dit, dans nos esprits naît une question : Quel sera le sujet du bref discours de circonstance ?

Nous répondrons sur-le-champ, avec une intention de syn­thèse ; le thème est le binôme : union et action. Vous le voyez, il n’énonce rien qui soit nouveau et original : n’est-ce d’ailleurs pas là le programme ordinaire et traditionnel du sacerdoce ministériel ? Certes ! Mais faites attention à l’intensité que nous entendons donner à ce binôme, une intensité qui découle du caractère urgent de la charité (cf. 2 Co 5, 14), spécifiquement nécessaire aujourd’hui, soit pour la grande méditation théolo­gique, que le Concile a déployée devant nous en parlant du mystère de l’Eglise et de notre salut ; soit pour la situation cri­tique, ambivalente, négative et positive, de l’humanité de nos jours. Le ministère de l’Eglise ne peut pas se dérouler au ryth­me, relativement uniforme et tranquille, des temps passés ; s’il veut être efficace, il doit être, nous le répétons, assidu, fort, souffert, plein de ce sens pastoral que Jésus a voulu pénétré d’un immanent esprit de sacrifice : « Le bon pasteur donne sa vie pour son propre troupeau » (Jn 10, 11).

Union et action, sous l’impulsion d’une double force con­vergente : la grâce du Seigneur, dont nous devons être toujours les adeptes jaloux et confiants (cf. Ph 1, 20), et notre pauvre et modeste mais vigilante et nouvelle bonne volonté.

Union. Nous nous abstiendrons pour l’instant de jeter un regard rétrospectif sur les conditions de la vie pastorale ro­maine : était-elle unie, organique, fraternelle ? Jetons plutôt un regard sur le nouveau programme diocésain, accordant une particulière attention aux organes nouveaux — si riches de vertus spirituelles — qui viennent compléter les anciens afin de faciliter de manière harmonieuse l’union, la collaboration, la co-responsabilité (dans une certaine mesure) dans la vie dio­césaine : nous parlons du Conseil presbytéral et de l’Office pastoral.

Vous avez ensuite deux autres organismes, le Collège des Curés et les Préfectures qui ont déjà fait longuement et heu­reusement leurs preuves et qui peuvent être intégrés parfaite­ment dans le réseau tendu vers l’unification de la communauté ecclésiale. Il existe de nombreuses autres institutions pour l’as­sistance méthodique à des secteurs particuliers, toutes destinées au perfectionnement de la communion unitaire de l’Eglise Ro­maine où existe toujours cette Action Catholique qu’ont si vi­vement recommandée et encouragée nos sages et vénérés Prédécesseurs et à laquelle fut confiée la mission (ante litteram, mais actuelle plus que jamais) d’appeler le laïcat catholique, hom­mes et femmes de tout âge et de toutes conditions, à la coopé­ration directe et responsable à la mission pastorale propre de la Hiérarchie, accomplie en faveur du Peuple de Dieu.

Nous espérons que cette forme qualifiée — mais libre — d’apostolat recommencera à développer son organisation et re­trouvera sa vigueur agissante.

Union. Mais la mention de ce point d’appui de la vie ecclésiale exige, nous le savons tous, la pratique d’une vertu que l’on n’apprécie plus aujourd’hui comme il se doit, alors qu’elle figure toujours dans les canons qui règlent la continuité et l’imitation du Christ et assurent la cohésion indispensable, his­torique et sociale, du Corps mystique — l’Eglise — durant son pèlerinage dans le temps : nous parlons de l’obéissance. La pra­tique de cette vertu, empreinte de l’esprit du Concile et de l’Evangile, justifiée dans l’exercice du pouvoir qui l’exige, n’entraîne pas un esprit de domination, mais de service ; il faut que nous revenions tous humblement et fidèlement à la prati­que de cette vertu, si nous désirons vraiment l’authenticité de la vie chrétienne et la possibilité de tendre vers le but suprême que le Christ laissa en testament à ses disciples, au moment de prendre congé au début de la Passion : « Soyons tous un » (Jn 17, 21). Puisse cette simple invitation suppléer l’apologie, à la fois libératrice et directrice, qu’une telle vertu exigerait de nous. Et avec l’union, l’action.

Chacun le sait, l’action constitue un des chapitres fondamen­taux de la « somme » des devoirs du Clergé à l’heure actuelle. Le récent Congrès diocésain, consacré à la responsabilité des chrétiens en matière de promotion de la justice sociale et de la charité, a mis en évidence la nécessité pour le ministère pas­toral de perfectionner son activité cultuelle et culturelle en y intégrant des formes nouvelles d’assistance charitable et sociale. Nous constatons que c’est devenu extrêmement urgent et nous apprécions les efforts qui s’exercent déjà. La charité doit être prévenante et faire preuve d’imagination ; la justice doit être courageuse et conclusive. Les besoins sont encore nombreux, et nous qui, en celui qui souffre, voulons voir le Christ qui attend de nous d’être reconnu et servi, nous devons multiplier notre dévouement et nos aptitudes pour ne pas manquer aux impé­ratifs modernes de notre action généreuse et efficace.

Aussi, et précisément dans la perspective de cette fin hu­maine et chrétienne, permettez-nous de faire quelques remar­ques que nous estimons importantes et actuelles.

Première remarque : il ne faut pas que notre sollicitude cha­ritable et sociale s’exerce au détriment de notre activité pro­prement religieuse, aussi bien dans notre vie personnelle, que dans notre vie communautaire. L’annonce de la Parole de Dieu et le ministère de la Grâce doivent garder toujours la priorité soit pour la réalité de leurs valeurs religieuses soit pour éviter le péril que leur carence fasse tarir la véritable inspiration et l’énergie morale dont l’activité sociale chrétienne ne peut être privée.

Seconde remarque : cette « primauté du spirituel » nous est nécessaire pour nous maintenir dans les limites de notre com­pétence religieuse (souvenez-vous : « Donnez à Dieu..., donnez à César... », Mt 22, 21 ; Rm 13, 7), par respect de l’ordre tem­porel constitué auquel nous devons appui et collaboration, mais que nous ne pouvons prétendre remplacer quand les besoins du prochain ne réclament pas notre assistance de bons Samari­tains. Nous ne pouvons admettre non plus que l’activité reli­gieuse soit exploitée à des fins temporelles ou pour des objec­tifs utilitaires.

Laissez-nous poursuivre et présenter à votre conscience sa­cerdotale une double recommandation, à l’observance rigou­reuse de laquelle se trouve aujourd’hui liée, dans quelques cas, votre fidélité authentique au Christ et à l’Eglise : sachez être vraiment détachés de l’argent et des avantages économiques que vous pourriez retirer de l’activité religieuse grâce à d’ha­biles et injustes manœuvres ; sachez être sévères avec vous-mê­mes afin de maintenir transparente la pureté de vos mœurs, tant intérieurement qu’extérieurement (cf. Mt 5, 28), ne cé­dant jamais dans votre comportement à cette incohérente et presque fatale permissivité dont on ne parle que trop, malheu­reusement.

Puis, il faudra que nous parlions encore de l’esprit de con­testation qui devient presqu’une forme endémique, anti-ecclésiale, de critique acide et pleine de préjugés, désormais habituelle, qui ne réussit qu’à favoriser un opportunisme démolis­seur, qui n’est orientée ni vers la vérité, ni vers la charité. Com­ment pourrait se développer une action positive, cohérente, chrétienne à partir d’un pluralisme idéologique, qui a un aspect de libre-examen, et qui est, par conséquent, destructeur de la cohésion de la communion de foi, d’amour, de service, d’unité évangélique? Ne dispersons pas les forces de l’Eglise, ne pre­nons pas pour modèles de renouvellement chrétien les princi­pes pseudo-libérateurs qui ont tenté de déchirer la « tunique sans couture du Christ », et qu’un laborieux œcuménisme s’ef­force de recomposer. Veritas libera vos (Jn 8, 22) a dit le Sei­gneur : la vérité, celle que l’Eglise garde et enseigne, et non pas les profonde vocum novitates, les opinions courantes, souvent d’origine hostile, auxquelles certains se conforment obséquieu­sement au lieu d’adhérer à la foi authentique et pure.

Nous voudrions que l’Année Sainte, dans le rayon de lu­mière de laquelle nous nous trouvons désormais placés, nous aide à surmonter cette situation psychologique et morale, qui attriste l’Eglise ; et qu’elle nous fasse don de ce renouvellement et de cette réconciliation qui sont tellement souhaitables, éga­lement dans la perspective de ce douloureux phénomène. Nous avons confiance dans le Seigneur qui voudra recréer la joie d’une voix unique, fraternelle, solidaire dans notre communion ecclésiale. Et nous avons aussi confiance, tant de confiance en vous, qui tous aurez à cœur de nous aider à atteindre ce but réellement prophétique.

L’Union et l’Action, c’est-à-dire l’Evangile vivant et agis­sant dans l’Eglise de Dieu, feraient tressaillir de joie l’Eglise de Rome ; elle se sentirait plus vigoureuse, plus pénétrée en conscience de sa mission de service et de modèle envers l’Eglise catholique tout entière, envers ces Eglises et ces communautés qui, encore séparées de nous, se trouvent sur le seuil du seul et unique bercail du Christ, et envers le monde contemporain qui, le sachant ou non, attend de nous ce témoignage.

Ainsi soit-il : avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

3 mars

MESSAGE DU SAINT-PÈRE POUR LE CARÊME 1974

 

Chers Fils et Filles,

 

Voilà dix mois environ, nous annoncions l’Année Sainte. « Renouvellement » et « réconciliation » demeurent les mots-clefs de cette célébration ; ils désignent les espoirs que nous mettons en elle. Mais ils n’iront pas, avons-nous dit, sans que s’opère en nous une rupture (cf. Allocution du 9 mai 1973).

Or, voici le temps du Carême, le temps par excellence du renouveau de nous-mêmes dans le Christ, de la réconciliation avec Dieu et avec nos frères. Nous y sommes associés à la mort et à la résurrection du Christ, moyennant une rupture avec les situations de péché, d’injustice, d’égoïsme.

Permettez-nous donc d’insister aujourd’hui sur une rupture exigée par l’esprit du Carême, celle d’un attachement trop exclusif à notre avoir matériel, qu’il soit abondant comme chez le riche Zachée (cf. Lc 19, 8) ou maigre comme chez la pauvre mère louée par Jésus (cf. Mt 12, 43). Dans le langage imagé de son époque, Saint Basile prêchait déjà à ceux qui sont dans l’aisance : « Le pain qui demeure inutile chez vous, c’est le pain de celui qui a faim ; la tunique suspendue dans votre garde-robe, c’est la tunique de celui qui est nu ; la chaussure qui demeure inutile chez vous est celle du pauvre qui va nu-pieds ; l’argent que vous tenez enfoui, c’est l’argent du pauvre : vous commettez autant d’injustices que vous pourriez répandre de bienfaits » (Hom VI in Lc, XII, 18, PG XXXI, col. 275).

De telles paroles donnent à réfléchir en un temps où haine et conflits sont provoqués par l’injustice de celui qui accapare quand l’autre n’a rien, de celui qui préfère le souci de son propre lendemain à l’aujourd’hui de son prochain, de celui qui, par ignorance ou par égoïsme, refuse de se priver du su­perflu en faveur de ceux qui manquent du nécessaire (cf. Ma­ter et Magistra).

Et comment ne pas évoquer ici le renouvellement et la ré­conciliation exigés et assurés par la plénitude de notre unique repas eucharistique ? Pour communier ensemble au Corps du Seigneur, il faut sincèrement vouloir que nul ne manque du nécessaire, fut-ce au prix de sacrifices personnels. Autrement, nous ferions affront à l’Eglise, Corps Mystique du Christ, dont nous sommes les membres. Saint Paul, admonestant les Co­rinthiens, nous met tous en garde contre le danger d’un com­portement déplorable à cet égard (cf. 1 Co 11, 17 ss.).

Ce serait pécher contre cette unanimité que de refuser au­jourd’hui à des millions de nos frères ce que comportent les exigences de leur promotion humaine. De plus en plus, en ce temps du Carême, l’Eglise et ses institutions caritatives sollici­tent les chrétiens pour cette immense entreprise. Prêcher le Jubilé, c’est prêcher le dépouillement à la fois joyeux et pro­fond qui nous restitue à la vérité de nous-mêmes et à la vérité de la famille humaine telle que Dieu la veut. C’est alors que le présent Carême peut apporter dès ici-bas, outre le gage de la récompense céleste, le centuple promis par le Christ à celui qui donne à cœur ouvert.

Sachez tous écouter dans notre appel un double écho : celui de la voix du Seigneur qui vous parle et vous exhorte, et celui du gémissement de l’humanité qui pleure et qui vous prie. Tous, évêques et prêtres, religieuses et religieux, laïcs adultes et enfants, à titre individuel et en communauté, nous sommes appelés à faire œuvre de partage, dans l’amour, car c’est un commandement du Seigneur.

A chacun de vous, nous donnons notre Bénédiction Apos­tolique, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Amen.

 

 

 

13 mars

RESPECTER L’AMOUR ET LA VIE GOMME PRÉCIEUX DONS DE DIEU

 

Après l’audience générale du 13 mars dernier, le Saint-Père a reçu le Comité pour la Famille institué par lui-même le 11 janvier 1973 et chargé d’étudier au niveau pastoral les problèmes spirituels, moraux et sociaux de la vie familiale. Le Pape a adressé le discours suivant à ses visiteurs :

 

Chers Frères et chers Fils,

 

Membres et Consulteurs de notre Comité pour la Famille, experts appelés à se joindre à leur travail, vous êtes heureux de Nous rencontrer au terme de cette deuxième As­semblée générale. Croyez-le bien, pour Nous aussi, votre pré­sence constitue une joie. Nous bénissons le Seigneur de rece­voir votre témoignage et tous les témoignages positifs dont vous êtes porteurs, de bénéficier de votre travail intense de réflexion, de pouvoir compter sur votre expérience et sur votre engage­ment, dans une fidélité totale à l’Eglise. Oui, votre ferveur à promouvoir les valeurs de la famille, à un moment où elles sont fortement ébranlées, Nous apporte réconfort et espérance.

Nous avons pris connaissance du vaste programme de votre Assemblée. Vos questionnaires ont voulu cerner toutes les di­mensions du rayonnement de la famille, sans esquiver les problèmes brûlants auxquels elle est affrontée. Votre perspective globale était pastorale, avec tout ce qu’une pastorale suppose de regard sur la vie des personnes et de leurs milieux, d’écoute du Magistère, de considérations théologiques, éthiques et spi­rituelles, de souci éducatif et d’efficience sociale à long terme.

Nous vous laissons le soin d’en présenter la synthèse, où plutôt d’en prolonger les avenues que vous avez ouvertes. Le premier résultat semble être déjà le lien de communion pro­fonde que vous avez constitué, dans l’analyse et la recherche. Cette communion est marquée par deux caractères qui, à nos yeux, lui donnent un grand prix. Au-delà du travail très sé­rieux réalisé par maints catholiques dans leur pays, il s’agit ici d’une rencontre universelle dans son esprit, et qui veut le devenir dans les faits.

Mais évidemment, le Comité ne saurait en rester là: il doit trouver des moyens d’action, au niveau qui est le sien. Il doit d’abord être un éveilleur : faire prendre conscience aux communautés chrétiennes de l’enjeu énorme des problèmes fami­liaux, susciter des centres de réflexion et d’action : certaines régions commencent à en être pourvues ; en d’autres, tout reste à créer. Il faut encore inviter au partage des découvertes, en­courager les initiatives, contribuer à les confronter, à les com­pléter, à les coordonner.

Le Comité doit en même temps être un témoin privilégié de la conception chrétienne des relations familiales. Il doit faire apparaître clairement toutes les valeurs humaines essentielles que la famille est appelée à développer en chacun des ses mem­bres, toutes le richesses chrétiennes qu’elle peut mettre en œu­vre dans leur vie chrétienne, toutes les chances qu’elle repré­sente pour leur vie en société. Et à partir de là, il faut évidem­ment souligner les conditions exigeantes qui sont requises pour une telle réussite. En ce domaine, il s’agit de répondre aux besoins de la situation actuelle, non pas par des pratiques dis­cutables, mais à la lumière des exigences les plus profondes de la nature humaine personnelle et sociale, à la lumière aussi des perspectives qui ont été ouvertes par le Christ et par l’Eglise animée de l’Esprit du Christ. C’est ce qui permet de dégager les axes prioritaires de la pastorale familiale dont vous devez être, au premier chef, les promoteurs.

Ce matin, Nous pouvons tout juste évoquer quelques-uns de ces axes, sans prétendre être exhaustif.

D’abord, le foyer est le lieu privilégié de l’amour, de la communion intime des personnes, de l’apprentissage d’un don continuel et progressif entre époux, qui doit pouvoir s’appuyer fermement sur l’unité et l’indissolubilité de leur union. Un tel amour suppose nécessairement tendresse, maîtrise de soi, com­préhension patiente, fidélité et générosité sans cesse renouvelées aux sources surnaturelles du sacrement de mariage.

Le foyer est le lieu d’accueil à la vie. Une tâche urgente est de former les époux à une paternité et à une maternité responsables, de les aider surtout à la vivre. Une telle responsabilité apparaît aujourd’hui très difficile à exercer : il n’est pas question en effet de détourner artificiellement de sa fin l’acte procréateur, encore moins d’ôter la vie à l’être humain qui a été conçu : les chrétiens doivent demeurer très fermes sur ces points. Heureux ceux qui s’efforcent ainsi de respecter l’amour et la vie, comme des dons de Dieu ! Nous félicitons vivement les médecins, les éducateurs, les prêtres qui aident les foyers à suivre ce chemin exigeant.

Le foyer est aussi le premier lieu de l’éducation. Cette œuvre complexe demande aujourd’hui une concertation des parents, des éducateurs, de toute la société ; elle requiert aussi une coopération active de l’enfant et du jeune, dont vos rapports soulignent la capacité humaine et évangélique.

Le foyer est encore un lieu d’ouverture à toutes les autres communautés, où se forgent les énergies capables de tisser les liens de la vie sociale, de transformer ce monde en communauté de frères. Un foyer digne de ce nom ne saurait rester égoïstement fermé sur lui-même. Mais aussi, malheur à une société qui n’honorerait pas l’institution familiale : très vite, elle serait vouée à devenir une poussière d’individus déracinés et anonymes, en proie à un isolement tragique ou à une dicta­ture sans âme.

Le foyer est par-dessus tous le lieu où se déploie la grâce du Seigneur, selon la vocation baptismale. Beaucoup d’exigen­ces énumérées jusqu’ici sont vraiment inscrites dans la nature humaine, qui est bonne, mais qui est blessée : pour cette raison, elles apparaissent parfois impossibles aux non-chrétiens. Il faut redire ici le prix inestimable du sacrement de mariage qui seul permet aux époux de vivre leur amour conformément à l’al­liance du Christ et de l’Eglise, et d’initier leurs enfants, dès le plus jeune âge, à la foi de l’Eglise et à l’apostolat.

Un tel foyer se prépare, et vous avez raison de chercher comment offrir au plus grand nombre de fiancés une formation solide, réaliste, spirituelle. Un tel foyer doit pouvoir aussi comp­ter sur l’appui des autres foyers, sur les communautés chré­tiennes, sur tout l’environnement humain et moral de la société.

Les mœurs sont tributaires de la noblesse de cœur ou de la faiblesse des hommes ; elles le sont aussi de leurs conditions sociales et des lois qu’ils se donnent. Sur ce dernier point, les chrétiens ne sauraient abdiquer leurs responsabilités. Voilà une autre perspective offerte à votre action, auprès des instances nationales ou internationales. En cette année de la Population, dont Nous suivons les travaux avec attention, Nous vous avons chargés de coordonner la réflexion, de façon à préparer et à y porter le témoignage très clair de l’Eglise sur la famille.

Nous arrêtons là nos propos. Ils suffisent à vous exprimer la confiance que Nous mettons en vous, et, au-delà de vos per­sonnes, à tous ceux qui travaillent, avec lucidité humaine et fidélité chrétienne, à promouvoir les valeurs familiales. De tout cœur, Nous vous encourageons et Nous vous bénissons, avec notre Autorité Apostolique.

 

 

 

14 mars

IMPORTANCE DES ÉTUDES BIBLIQUES POUR L’ACTIVITÉ ŒCUMÉNIQUE ET MISSIONNAIRE DE L’ÉGLISE

 

Le 14 mars dernier, le Saint-Père a reçu les membres de la Commission Biblique Pontificale actuellement présents à Rome pour assister à une réunion plénière.

Le groupe des spécialistes appartenant à divers Ordres Religieux et à divers pays était guidé par M. le Cardinal Franjo Seper, Président de ladite Commission, et Préfet de la S. Congrégation pour la Doctrine de la Foi : Après l’adresse d’hommage du Cardinal Seper, le Saint-Père a prononcé le discours suivant :

 

Monsieur le Cardinal Président,

Monseigneur le Secrétaire,

et vous tous, Membres éminents et vénérés de la Commission Biblique renouvelée,

 

C’est pour Nous une grande joie de vous rencontrer à l’oc­casion de la première réunion de la Commission Biblique Pontificale au début d’une nouvelle phase de son existence. Nous avons pris soin de nommer tous ses membres — chacun d’entre vous — non seulement à titre de représentants de di­verses écoles et de diverses nations, mais aussi et surtout comme des savants dont Nous connaissons la compétence autant que l’attachement à l’Eglise et à son Magistère. En cette circons­tance, Nous considérons comme un devoir de rappeler avec reconnaissance les travaux accomplis par cette Commission, en particulier par ses Présidents et ses Secrétaires, depuis qu’elle fut fondée en 1902, par notre Prédécesseur Léon XIII ; et Nous tenons aussi à dire la confiance que Nous mettons dans vos travaux futurs. Ceux-ci devront permettre de réaliser un dou­ble objectif : la promotion efficace du progrès des études bibliques dans l’Eglise, et la maintien de l’interprétation de la Sainte Ecriture selon une ligne sûre, fidèle à la Parole de Dieu à la­quelle nous sommes soumis et répondant aux exigences des hommes auxquels elle est adressée.

Vous n’ignorez pas que la Sainte Ecriture, et en particulier le Nouveau Testament, ont pris forme au sein de la commu­nauté du peuple de Dieu, de l’Eglise rassemblée autour des apôtres : ce sont ces derniers qui, formés à l’école de Jésus et devenus témoins de sa résurrection, en ont transmis les actions et les enseignements, expliquant la signification salvifique des événements dont ils avaient été témoins. Il est donc juste de dire que, si la Parole de Dieu a convoqué et engendré l’Eglise, c’est aussi l’Eglise qui a été en quelque sorte la matrice des Saintes Ecritures, cette Eglise qui a exprimé ou reconnu en elles, pour toutes les générations futures, sa foi, son espérance, sa règle de vie en ce monde.

Les études des dernières décennies ont contribué de façon importante à mettre en valeur le rapport étroit et le lien qui unissent indissolublement l’Ecriture à l’Eglise, Elles en ont mis en lumière la structure essentielle, le milieu vital (Sitz im Leben), la prière, l’adhésion ardente au Seigneur, la cohésion au­tour des apôtres, les difficultés par rapport au monde qui l’en­tourait, la tradition orale et littéraire, l’effort missionnaire et catéchétique ainsi que les premiers développements dans des sphères religieuses et culturelles différenciées. Il semble même que la note distinctive et dominante de l’exégèse contempo­raine soit la réflexion sur les relations profondes qui relient l’Ecriture et l’Eglise de la première heure. Les recherches sur l’histoire des traditions, des formes, de la rédaction (Tradition-Form-Redaktiongeschichte) que Nous avons encouragées, avec les corrections méthodologiques nécessaires, dans la récente ins­truction Sancta Mater Ecclesia sur la vérité historique des Evan­giles (AAS 56, 1964, pp. 712-718), n’entrent-elles pas dans cette perspective ? Et les requêtes contemporaines sur la nécessité d’intégrer une lecture « diachronique », c’est-à-dire attentive aux développements historiques du texte, à une considération « synchronique » qui donne leur place propre aux connexions littéraires et existentielles de tout texte par rapport au com­plexe linguistique et culturel dans lequel il s’insère, n’introduisent-elles pas clairement dans la vie de l’Eglise ? Le discours même sur la « pluralité des théologies » ou mieux, sur les as­pects divers et complémentaires sous lesquels sont présentés et illustrés divers thèmes fondamentaux du Nouveau Testament tels que le salut, l’Eglise et le mystère lui-même de la personne du Christ, ne rappelle-t-il pas de nouveau la symphonie cho­rale de la communauté vivante, avec ses voix multiples qui professent toutes la foi dans l’unique mystère ? La fonction her­méneutique enfin, qui depuis environ une décennie s’est im­posée en s’adjoignant à l’exégèse historico-littéraire, n’invite-t-elle pas l’exégète à dépasser la recherche du « pur texte pri­mitif » et à se souvenir que c’est l’Eglise, communauté vivante, qui en « actualise » le message pour l’homme contemporain ?

Il Nous semble voir se refléter, dans ces orientations de l’exégèse contemporaine, les grandes convictions de la tradition chrétienne qui, de saint Paul aux enseignements de notre grand prédécesseur Pie XII, en passant par l’âge patristique et mé­diéval, ont été exprimées solennellement dans la grande affir­mation de Vatican II : Sacra Traditio et Sacra Scriptura unum Verbi Dei sacrum depositum constituunt Ecclesiae commissum, oui inhaerens tota plebs sancta Pastoribus suis adunata in doctrina Apostolorum et communione... perseverat, ita ut in traditafide tenenda, exercenda, profitendaque singularisat Antistitum et fidelium conspiratio (Dei Verbum, 10).

Cette connexion essentielle entre la Bible et l’Eglise ou, si vous préférez, cette lecture de la Sainte Ecriture in medio Ec­clesiae, confère aux exégètes de l’Ecriture Sainte, et tout particulièrement à vous, Membres qualifiés de la Commission bi­blique pontificale, une fonction importante au service de la Parole de Dieu. Aussi Nous sentons-nous encouragé à regarder avec sympathie, bien plus, à soutenir et à donner vigueur à ce caractère ecclésial de l’exégèse contemporaine. Votre travail ne consiste donc pas simplement à expliquer des textes anciens, à rapporter des faits de manière critique ou à remonter à la forme primitive et originelle d’un texte ou d’une page sacrée. C’est le devoir primordial de l’exégète de présenter au peuple de Dieu le message de la révélation, d’exposer la signification de la Parole de Dieu en elle-même et par rapport à l’homme contemporain, de donner accès à la Parole, au-delà de l’en­veloppe des signes sémantiques et des synthèses culturelles, parfois éloignés de la culture et des problèmes de notre temps. Quelle grande mission vous incombe vis-à-vis de l’Eglise comme de toute l’humanité ! Quelle contribution à l’évangélisation du monde contemporain ! Pour illustrer cette responsabilité et pour vous défendre des fausses pistes dans lesquelles l’exégèse risque souvent de se fourvoyer, Nous allons emprunter les paroles d’un grand maître de l’exégèse, d’un homme dans lequel ont brillé de façon exceptionnelle la sagacité critique, la foi et l’at­tachement à l’Eglise : Nous voulons dire le Père Lagrange. En 1918, après avoir tracé le bilan négatif des diverses écoles de l’exégèse libérale, il dénonçait les racines de leur échec et de leur faillite dans ces causes : opportunisme doctrinal, caractère unilatéral de la recherche et étroitesse rationaliste de la mé­thode. « Dès la fin du XVIII° siècle, écrivait-il, le christia­nisme se mettait à la remorque de la raison ; il fallut plier les textes à la mode du jour. Cet opportunisme inspira les com­mentaires des rationalistes ». Et il continue : « Tout ce que nous demandons de cette exégèse indépendante, c’est qu’elle soit purement scientifique. Elle ne le sera tout à fait qu’en se corrigeant d’un autre défaut commun à toutes les écoles que nous avons énumérées. Toutes ont été einseitig, ne regardant que d’un seule côté ». (M. J. lagrange, Le sens du Christianisme d’après l’exégèse allemande, Paris, Gabalda 1918, pp. 323, 324, 328). Le Père Lagrange mettait en cause un autre caractère des critiques : le dessein arrêté de ne pas accepter le surnaturel.

Ces remarques conservent, aujourd’hui encore, un carac­tère d’urgence et d’actualité. On peut y ajouter aussi, pour les expliciter, une invitation à ne pas exagérer ni à transgresser les possibilités de la méthode exégétique adoptée, à ne pas en faire une méthode absolue comme si elle permettait, et elle seulement, d’accéder à la Révélation divine. Il faut se garder également d’une remise en question systématique visant à af­franchir toute expression de la foi d’un solide fondement de certitude.

Ces chemins aberrants seront évités si l’on suit la règle d’or de l’herméneutique théologique énoncée par le Concile Vati­can II : celui-ci demande d’interpréter les textes bibliques « en prêtant attention au contenu et à l’unité de l’Ecriture tout en­tière, compte tenu de la Tradition vivante de toute l’Eglise et de l’analogie de la foi » (Dei Verbum, 12). « On ne saurait retrouver le sens du christianisme — c’est encore le Père Lagrange qui parle — par un groupement de textes, si l’on ne pénètre pas jusqu’à la raison d’être du tout. C’est un organisme dont le principe vital est unique. Or il est découvert depuis longtemps, et c’est l’incarnation de Jésus-Christ, le salut assuré aux hommes par la grâce de la rédemption. En cher­chant ailleurs on s’exposerait à faire fausse route » (Op. cit., p. 325). Exprimer le message signifie donc avant tout recueillir toutes les significations d’un texte, et les faire converger vers l’unité du Mystère, qui est unique, transcendant, inépuisable, et que nous pouvons par conséquent aborder sous de multiples aspects. A cette fin, la collaboration de beaucoup de personnes sera nécessaire pour analyser la processus d’insertion de la Pa­role de Dieu dans l’histoire, — ce que saint Jean Chrysostome a désigné sous le terme de sunkatabasis ou condescensio (Hom 17, 1, in Gn 3, 8 ; PG 53, 134) —, selon la variété des langages et des cultures humaines : cela permettra de saisir en chaque page le sens universel et immuable du message, et de la proposer à l’Eglise, pour une intelligence véritable de la foi dans le con­texte moderne et une application salutaire aux graves problè­mes qui tourmentent les esprits réfléchis à l’heure actuelle. Il vous revient, à vous exégètes, d’actualiser, selon le sens de l’Eglise vivante, la Sainte Ecriture, pour qu’elle ne demeure pas seulement un monument du passé mais qu’elle se trans­forme en source de lumière, de vie et d’action. C’est seulement de la sorte que les fruits de l’exégèse pourront servir à la fonc­tion kérygmatique de l’Eglise, à son dialogue, s’offrir à la ré­flexion de la théologie systématique et à l’enseignement moral, et devenir utilisables pour la pastorale dans le monde moderne. On voit nécessairement se profiler ainsi, vous le comprenez, une réelle continuité entre la recherche exégétique et celle de la théologie dogmatique et morale. De même, on voit se des­siner concrètement l’exigence de « l’interdisciplinarité » entre le bibliste, le spécialiste de la théologie dogmatique, celui de la théologie morale, le juriste et l’homme engagé dans la pas­torale et dans la mission. En disant cela, Nous ne faisons que rappeler et graver dans les esprits les directives de Vatican II qui, après avoir dit que « l’étude de la Sainte Ecriture doit être comme l’âme de la théologie » (Dei Verbum, 24 ; Optatam totius, 16), a invité à apporter « un soin particulier à l’enseignement de la théologie morale », de sorte que « l’exposé scientifique de cette matière soit davantage nourri de la doc­trine de la Sainte Ecriture » (Optatam totius, 16), c’est-à-dire des « paroles de Dieu, où — comme le dit la Constitution Gaudium et Spes — on puise les principes de l’ordre religieux et moral » (n. 33). Sans un fondement biblique clair, la théologie morale risque de se dessécher en des schématisations philoso­phiques et de devenir étrangère à l’homme dans sa réalité his­torique concrète de créature de Dieu, blessée par le péché mais sauvée dans le Christ qui lui a conféré son esprit d’amour et de liberté, « pour vivre en ce siècle présent avec modération, justice et piété, dans l’attente de la bienheureuse espérance » (Tt 2, 12).

Le bibliste est appelé à rendre un service analogue à la tâche oecuménique et missionnaire de l’Eglise. Non seulement la Bible est le terrain privilégié de la rencontre avec les Eglises et les communautés ecclésiales en communion imparfaite avec l’Eglise catholique, mais tous les chrétiens doivent apprendre, par un ressourcement opéré dans le message et dans l’exemple du Christ, à se purifier et à se réconcilier d’une manière qui prépare et favorise la réalisation de l’unité espérée. Et Nous voulons encore rappeler que le Concile, dans le Décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise, a demandé instamment d’exa­miner de nouveau (novae investigationi subiciantur) « les faits et les paroles de la Révélation contenus dans la Sainte Ecriture » dans le contexte des cultures et des religions du monde, afin de comprendre ces dernières, dans toute la mesure du possible, de façon chrétienne, et de « les harmoniser avec le style de vie préconisé par la Révélation chrétienne » (Ad Gentes, 22). De grandes tâches attendent l’exégète dans la vie et dans l’avenir de l’Eglise. Pour cela, il s’attachera à conserver et à alimenter en soi chaque jour une relation vivante au mystère du Dieu d’amour, qui envoya parmi nous son Fils pour faire de nous ses enfants d’adoption. Ce mystère, avec les œuvres divines qui l’accompagnent, est difficilement reconnu par ceux qui s’attachent avant tout à des valeurs terrestres, fussent-elles très nobles en elles-mêmes, comme le progrès de la culture ou de la science. Jésus-Christ n’a-t-il pas parlé de sages et de pru­dents auxquels demeure cachée la Révélation accessible aux petits et aux humbles (cf. Mt 11, 25 ; Lc 10, 21) ? Une réelle ouverture existentielle au mystère du Dieu d’amour, sans la­quelle notre exégèse, toute savante qu’elle soit, demeure né­cessairement enténébrée, ne peut se maintenir en nous sans la lumière de la grâce divine que nous devons toujours hum­blement demander. Saint Augustin nous en avertit : « A ceux qui s’adonnent à l’étude des Saintes Lettres, dit-il, il ne suffit pas de recommander qu’ils soient versés dans la connaissance des particularités du langage... mais en outre, et c’est à la fois primordial et souverainement nécessaire, il importe qu’ils prient pour comprendre (orent ut intelligant) » (De doctrina christiana, 3, 56 ; PL 34, 89).

Chers Fils et vénérés Frères, ce que Nous vous avons dit sur les tâches modernes de l’exégèse dans la vie de l’Eglise et sur son ouverture aux autres disciplines théologiques, et réciproquement de la nécessité de lire la Bible dans la Tradition de l’Eglise, explique la décision que Nous avons prise, dans notre Motu Proprio Sedula Cura (cf. AAS 63, 1971, pp. 665-669), de rattacher désormais la Commission Biblique à la Sa­crée Congrégation pour la Doctrine de la Foi, à laquelle aussi se rattache, bien que d’une autre manière, la Commission Théologique Internationale. Comme le prouvent les Normes établies dans la même Lettre, il n’est pas question d’un nivel­lement qui porterait atteinte au caractère spécialisé de vos recherches, à vos initiatives propres et au service irremplaçable qu’il vous appartient de rendre au Siège Apostolique. Il s’agit plutôt de maintenir la tâche essentielle assignée à votre Com­mission par notre Prédécesseur Léon XIII, tout en favorisant, à l’intérieur des organismes du Saint-Siège, une saine collabo­ration — Nous dirions volontiers une certaine « interdisciplinarité » — entre les spécialistes de l’exégèse et ceux des autres disciplines théologiques, dans un service commun de notre Magistère.

En terminant cette petite allocution, Nous nous plaisons à vous rappeler tout ce que nous attendons de vos travaux et Nous implorons sur vos personnes et sur votre tâche la lumière du Saint-Esprit, avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

18 mars

PAUL VI À LA COMMISSION POUR LA RÉVISION DU CODE DE DROIT CANON ORIENTAL

 

Lors de la célébration solennelle inaugurant les travaux de la Commission pour la révision du Code de Droit Canon Oriental (18 mars 1974) Paul VI a prononcé un discours en langue latine, dont voici la traduction.

 

Vénérables Frères et bien-aimés Fils,

 

Quand nous voyons réunis en notre présence nos Vénérables Frères les Patriarches qui président aux Eglises Orien­tales, les Métropolites et les Hiérarchies les plus élevées des communautés orientales, unis en une communion parfaite avec ce Siège Apostolique, comment pourrions-nous ne pas ressentir une joie intense face à ce spectacle nouveau et magnifique d’unité catholique dans la diversité !

 

Rome centre de l’unité

 

Ici, près de la Tombe du Prince des Apôtres, les Eglises d’Orient et d’Occident se sont rejointes pour contempler, comme Saint Ignace d’Antioche, la Famille de Dieu réunie dans le banquet mystique auquel préside cette Eglise de Rome « qui préside ceux qui sont unis dans la charité » (προχαθημέη τής άγάπης) et dont le ministère a pour objet de « présider en la région des Romains » (cf. st ignace d’antioghe, Ep. ad Romanos, Inscr.; M. guardini, L’iscrizione di Abercio e Roma dans « Ancient Society » 2 [1971], 174-203 ; v. pp. 198-199).

C’est pourquoi, le ministère de cette Eglise de Rome, source de l’unité sacerdotale (ST cyprien, Ep. 59, c. 14, 1) a pour mis­sion de porter aide à ses Frères partout où la charité l’exige, cette même charité qui, ensemble avec le Christ, gouverna l’Eglise de Syrie lorsque son vieil évêque se fut laissé joyeuse­ment conduire au martyre (cf. St. ignace d’antioghe, Ep. ad Rom., 9, 1). Gela ne signifie ni domination, ni souveraineté, mais primauté dans le service, dans le témoignage de sollici­tude, dans l’offre d’assistance, dans la profession d’une Foi in­changée, et manifestant tout cela en union avec les successeurs des Apôtres.

Tenant compte de cela, Saint Ephrem, le justement célè­bre Diacre d’Edesse, dont on a commémoré récemment le XVI° centenaire de la mort, chantait avec des accents lyri­ques : Oh toi Bienheureux (Simon Pierre) qui fut comme la tête et la langue du corps de tes frères ! Ce corps était formé par les disciples et les fils de Zébédée étaient ses deux yeux ! Comme ils étaient heureux ceux qui demandèrent chacun un trône au Maître après qu’ils eurent vu son Trône à Lui ! Mais la révélation du Père, ce fut Simon qui la reçut, lui qui est le roc inébranlable » (St. ephrem, Hymni de Virginitate, XV, 7, éd. I. E. rahmani, 1906, p. 45).

Aujourd’hui, unis à vous dans la profession de la seule Foi du Christ, nous nous réjouissons dans le Christ ressuscité, et en union avec vous, Vénérables Frères et Fils bien-aimés, nous proclamons cette Foi indivisible pour le monde et pour les temps à venir.

En montrant l’admirable unité de sa structure, la Sainte Mère Eglise manifeste clairement la volonté du Christ et, en même temps, montre le chemin sûr qui conduit à la contem­plation de la gloire du Père.

 

Les glorieuses Eglises d’Orient

 

Lorsque nous vous voyons ici, chers et vénérables Frères, il nous plaît de vous répéter les paroles qui font résonner l’an­tique voix de la Didascalia Apostolorum : « Vous, Evêques, cons­titués pour votre peuple ; vous êtes prêtres, prophètes, les pre­miers... intermédiaires entre Dieu et les fidèles. Vous êtes les propagandistes et les prédicateurs. Et vous, Laïcs, Eglise élue de Dieu, Eglise Catholique, écoutez et honorez les Evêques comme vous honorez Dieu, parce qu’ils sont là pour vous à la place du Dieu Tout-Puissant » (Didascalia Apostolorum VIII, 7 ; IX, 26, 1 ; in Fontes Codificationis Orientalis, Série II, fasc. p. 126).

Aujourd’hui, en cette époque d’aspiration effrénée à la li­berté et à la nouveauté, où ce qui appartenait au passé n’est plus jugé digne d’intérêt, nous constatons avec satisfaction que les illustres Eglises d’Orient conservent fidèlement les traditions des Pères ; ce sont des traditions qui font partie du patrimoine commun de l’Eglise de Dieu tout entière. C’est pourquoi notre Prédécesseur Agapet I, écrivant sur cette matière à Pierre, Evêque de Jérusalem, l’exhortait à conserver intactes des tra­ditions, disant : « Nous avons certainement, bien-aimé Frère, en raison de la charité qui nous unit, désiré trouver tous les prêtres du Seigneur irréprochables dans leur conformité aux traditions apostoliques sans qu’il en soit un seul qui ait dévié des canons ecclésiastiques, par crainte ou par intérêt » (Fontes Codificationis Orientalis, série III, vol. I, p. 430).

Et c’est avec raison que les Pères du Vilenie Concile Œcu­ménique estimèrent opportun de déclarer : « Nous chérissons et gardons dans le cœur les canons sacrés, nous réjouissant comme celui qui a trouvé un riche trésor... ; c’est-à-dire tout ce qui a été proclamé, au son des trompettes du Saint Esprit, par les vénérables et glorieux apôtres, comme tout ce qui a été promulgué par les six saints Conciles Œcuméniques et par les Synodes locaux pour expliquer ces décrets ; et enfin tout ce qui a été montré comme émanant de nos Saints Pères. En effet, éclairés par le seul et même Esprit, ils ont indiqué ce qui convient ».

Nous lisons ce qui précède dans le premier canon du Con­cile précité, où se trouve condensée la tradition que les Eglises Orientales ont pour la plupart toujours eue et continuent à avoir en partage, même s’il s’est révélé quelques différences dues à des circonstances diverses. La fidélité à ce patrimoine sacré de la discipline ecclésiastique a fait que, malgré les mul­tiples revers essuyés au cours des temps, même récents, les Eglises Orientales ont su conserver intacte leur propre physio­nomie: certainement pour le plus grand profit des âmes.

 

Nécessité du renouvellement

 

Cette fidélité au même vénérable patrimoine de vos tradi­tions — fidélité qui doit nécessairement continuer car c’est d’elle que le travail de révision du Droit Canon Oriental qui vous est demandé tire sa force (cf. Décret Orientalium Ecclesiarum, 5-6) — n’empêche d’aucune manière que le travail de révision contribue à l’élan souhaité et imprimé par le Concile Œcuménique Vatican II à la vie chrétienne dans l’Eglise tout entière. En effet, comme l’objectif final de toute loi de l’Eglise est le salut des âmes, les normes ecclésiastiques ne sauraient valablement demeurer inertes, immobiles comme des choses mortes ; elles doivent au contraire tendre à un progrès croissant du Peuple de Dieu et tâcher de satisfaire aux besoins toujours nouveaux qui s’y présentent. Aussi faut-il noter que la disci­pline canonique dont vous avez hérité est source de vie fé­conde, surtout si, en sauvegardant tout ce qui est essentiel et digne de respect, elle répond en même temps aux exigences de la vie actuelle et parvient à s’adapter aux situations réelles de chaque peuple, en évolution rapide et continue.

Il est évident qu’il faut beaucoup de prudence et de sagesse pour mener cette tâche à bien.

C’est, en effet, un travail qui exige d’éliminer des lois anté­rieures tout ce qui est devenu caduc, superflu et qui, en y substituant des lois nouvelles, recherche ce qu’il y a de mieux dans la vérité et non ce qu’il y a de plus neuf; un travail, fina­lement, où l’on ne saurait négliger de prendre dans la consi­dération qu’il mérite le patrimoine traditionnel et encore moins l’ignorer. Tout renouvellement doit témoigner de cohérence et de conformité avec la saine tradition, de manière que les nor­mes nouvelles apparaissent non pas comme un corps étranger inséré de force dans le contexte ecclésiastique, mais comme jaillissant naturellement des lois déjà existantes.

Nous-même, Nous avons tenu à énoncer ce principe au mo­ment d’inaugurer la seconde session du Concile Œcuménique Vatican II lorsque nous avons dit « Le renouvellement que le Concile demande n’est ni un changement radical de la vie ac­tuelle de l’Eglise ni une rupture avec ses traditions... mais un renouvellement qui rende hommage aux traditions elles-mêmes et leur restitue leur originalité et leur efficience en supprimant ce qui caduc et défectueux » (AAS LVI, 1963, p. 851).

La composition et la forme de cette Commission en garan­tissent, autant qu’il est possible, le caractère oriental et l’adhé­sion à la multiplicité des Eglises, et en même temps, elles démontrent clairement notre désir que ce soient les Orientaux eux-mêmes qui aménagent leur propre Code. Ce Code con­duira à cette charité en vertu de laquelle leurs Eglises seront, dans le monde moderne, de plus en plus capables de « s’épa­nouir et de remplir la charge qui leur incombe, avec une nou­velle vigueur apostolique » (Orientalium Ecclesiarum, 1).

D’autre part, en instituant cette Commission pour la révi­sion du Code de Droit Canon Oriental, notre désir a été de satisfaire aux requêtes qui nous ont été faites par de nombreux membres de la Hiérarchie Orientale de même que par la S. Congrégation pour les Eglises Orientales; à savoir que les par­ties du Code de Droit Canonique Oriental déjà publiées aussi bien que celles qui sont encore inédites soient révisées d’accord, tant avec la pensée des Pères du Concile Vatican II, qu’avec la tradition orientale. Ce double objectif, c’est-à-dire assurer la conformité du Code au Concile Vatican II et à la tradition orientale doit être mis en harmonie avec une troisième et très importante considération, qui vaut aussi bien pour la Com­mission pour la révision du Droit Canon que pour la présente Commission. L’une et l’autre de ces Commissions ont été insti­tuées pour aménager un Code, pour l’ordonner judicieusement en y insérant les lois en bon ordre, et non pour créer et instituer des lois elles-mêmes, de leur propre autorité. En effet les nor­mes n’existent que parce qu’elles concrétisent des principes dont l’autorité découle des sources du Droit et, par conséquent, ni les normes ni les principes ne sauraient être changés. En d’autres termes les membres des Commissions sont des ordonnateurs et non des auteurs ou des créateurs de lois.

 

Importance de la réforme du droit canon

 

En faisant cette mise au point, nous n’entendons nullement rabaisser ou déconsidérer le travail confié à la Commission ; nous désirons simplement définir sa nature avec plus de pré­cision. Il s’agit en effet d’un fécond ministère que l’Eglise a confié à la Commission ; il doit être orienté directement vers le bien de l’Eglise et rester fidèlement soumis à l’autorité lé­gitime. Quant à nous, nous avons pleinement confiance en votre aptitude à accomplir cette tâche, et nous sommes certain, connaissant votre amour dévoué envers l’Eglise, que vous sau­rez réaliser un travail bien ordonné, tout complexe et difficile qu’il soit, qui contribuera à renforcer toujours plus l’union et l’harmonie des différentes traditions sans amoindrir toutefois les caractères propres à chaque Eglise.

Un code bien ordonné et acceptable par tous, s’applique avec succès aux actions de la vie quotidienne et constitue un témoignage authentique d’amour et de respect à l’égard de la Loi ecclésiastique; cela rendra également un important service à la société dans laquelle nous constatons souvent une propen­sion à miner l’observance de ces lois qui, en vertu de la suprême vérité du message évangélique et des pures traditions ecclésiastiques elles-mêmes, exigent d’être respectées de ma­nière inéluctable.

 

Les voies pour l’union des Eglises

 

Si l’on veut formuler un code oriental parfaitement adapté, il importe de ne jamais perdre de vue la mission particulière qui incombe aux catholiques orientaux, à savoir : « favoriser l’unité de tous les chrétiens et spécialement des chrétiens orien­taux, selon les principes du Décret de ce Saint Concile : Unitatis Redintegratio » (Orientalium Ecclesiarum, 24). Nous constatons avec la plus vive satisfaction que, sous l’impulsion de l’Esprit Saint, se noue de plus en plus étroitement entre l’Eglise Catho­lique et ses sœurs Orthodoxes le lien de la véritable unité, c’est-à-dire une communion ecclésiale déjà très avancée.

Preuves et témoignages de ce fait : le livre Tomos Agapis et la visite à Rome, non seulement du Patriarche Œcuménique Athénagoras, mais aussi de Leurs Saintetés le Patriarche Su­prême Catholicos des Arméniens, Vasken I de Ecmiadzin, le Catholicos Khoren I de Cilicie, le Patriarche Maris Ignatius Yacub III d’Antioche et du Pape Shenouda III d’Alexandrie, accompagnés de membres des Hiérarchies d’autres Eglises Or­thodoxes.

Nous sommes au courant également d’autres initiatives pri­ses au cours de ces dernières années par les Eglises Orthodoxes en vue d’établir, grâce à des efforts communs, des lois adaptées aux besoins de l’époque actuelle, protégeant intégralement tou­tefois les traditions particulières de chaque Eglise.

Il nous est très agréable aussi de rappeler que nous-même, de commun accord avec le regretté Patriarche Œcuménique Athénagoras, nous avons déjà donné notre approbation à « tout effort de collaboration entre spécialistes catholiques et ortho­doxes en matière d’études qui concernent l’histoire, les tradi­tions ecclésiales, les doctrines patristiques, la liturgie sacrée et l’interprétation de l’Evangile, conformément au véritable mes­sage du Seigneur, aux espoirs et aux besoins du monde actuel » (Déclaration commune, 18 octobre 1967).

Nous sommes extrêmement heureux de ce que les experts de Droit Oriental, aussi bien orthodoxes que catholiques, of­frent actuellement un exemple lumineux d’un fécond travail en collaboration ; c’est pourquoi nous avons créé, en notre In­stitut des Etudes orientales, la Faculté de Droit Canon Orien­tal, ouverte à toutes les Eglises, dans l’espoir de recueillir d’excellents fruits produits grâce à la collaboration avec d’au­tres Instituts.

Comme le dit en effet le Concile, les Eglises particulières « diffèrent partiellement entre elles par ce qu’on appelle les rites, c’est-à-dire la liturgie, la discipline ecclésiastique et le patrimoine spirituel, mais elles sont également confiées au gou­vernement pastoral du Pontife Romain qui, par disposition di­vine, succède à Saint Pierre dans la primauté sur l’Eglise Universelle. Par conséquent elles sont égales en dignité et aucune d’entre elles ne l’emporte sur les autres en raison du rite, elles jouissent des mêmes droits et sont tenues aux mêmes obligations, même en ce qui concerne le devoir de prêcher l’Evangile dans le monde entier (Mc 16, 15), sous la conduite du Pontife Romain » (Orientalium Ecclesiarum, 3), lequel les portant toutes dans son cœur, peut dire, à juste titre, avec Saint Paul, « Je me suis fait tout à tous » (1 Co 9, 22) pour qu’il soit clair qu’à notre ministère incombe avant tout « cette sollicitude que nous avons pour vous devant Dieu » (2 Co 7, 12-13).

Vénérables Frères et bien-aimés Fils, que Notre Seigneur Jésus-Christ — la voie, la vérité et la vie — bénisse votre tra­vail, et puissent les prières de la Très Sainte Vierge Marie et de tous les Saints du Paradis, lui assurer un heureux succès, avec notre paternelle et fraternelle Bénédiction Apostolique.

 

 

 

24 mars

LA BÉATIFICATION DE LIBOIRE WAGNER

 

Au cours de la Chapelle Papale pour la béatifi­cation du martyr allemand Liboire Wagner, Paul VI a prononcé une homélie, mi-partie en italien, mi-partie en allemand. En voici la traduction :

 

Un martyr, un nouveau martyr est aujourd’hui reconnu par l’Eglise et proposé à l’admiration des fidèles. Son nom : Liboire Wagner, prêtre du Diocèse de Wurzbourg, assas­siné à l’âge de 38 ans, le 9 décembre 1631, à cause de sa foi catholique. Différentes causes ont retardé la reconnaissance of­ficielle de son martyre, mais aujourd’hui celui-ci se trouve his­toriquement et canoniquement établi. Et si, donc, comme le révèlent les faits et le dit la renommée de ce serviteur de Dieu, il est un martyr, Liboire Wagner est citoyen du ciel, il est « bienheureux ».

L’impression première et la plus vive qu’une telle annonce produit dans nos âmes est l’émerveillement ; un sentiment qui naît, non pas seulement de ce moment d’approbation générale de l’Eglise, ni de la splendeur ineffable et imprévue de cette étoile nouvelle qui s’allume sous nos yeux au firmament eschatologique de la Cité Céleste, mais aussi de la considération objective de la personnalité d’un Martyr. En ce moment, ce terme acquiert ici sa pleine et splendide signification.

Martyr ! Dans son langage authentique quelle signification l’Eglise attribue-t-elle à cette parole trop souvent galvaudée ? Le Martyr est un disciple du Christ qui Lui rend témoignage avec son propre sang. Il confesse le Christ par le sacrifice san­glant de sa propre vie. Il annonce sa propre foi en mourant pour elle. Il démontre, avec la plus forte des preuves que puisse donner un homme, la fermeté de sa propre conviction ; de plus, le Martyr atteste d’une manière originale la vérité religieuse d’une telle conviction, car, de lui-même, le Martyr n’aurait pas la force d’âme nécessaire pour supporter volontaire­ment l’atrocité du martyre sans essayer d’opposer la violence à la violence, si la puissance du Saint-Esprit ne s’infiltrait pas dans sa faiblesse pour la transformer en pur héroïsme (cf. Mt 10, 19). Il proclame ainsi, et rend étonnamment évidente la réalité d’une valeur, la foi, qui vaut plus que la vie, au point de démontrer que la foi elle-même est la véritable vie.

Nous sommes habitués aux nouvelles de scènes sanglantes et aux histoires où la violence et la méchanceté se manifestent sous des aspects dramatiques et impressionnants et nous trou­blent profondément; mais lorsque ces événements concernent une personne, que nous appelons martyr, nous ne pouvons manquer de relever deux notes saillantes qui, sans atténuer l’horreur pour la cruauté du fait, y ajoutent un étonnement qui confine à l’admiration et à la pitié ; ces notes sont, la pre­mière, le non-résistance du patient qui, à l’arrogance de l’agres­sion, préfère opposer une singulière douceur ; la deuxième note est celle d’une affirmation spirituelle voulue par la victime, une affirmation qui s’exprime dans le sang et dans la mort et qui Confère au tragique épisode le sens et la valeur d’un sacri­fice. La figure de la victime prend l’aspect de l’agneau ; et le symbole de l’« Agnus Dei » qui se présente aussitôt à l’esprit, éveille le souvenir du Christ et suggère l’identification du Mar­tyr au divin Crucifié ; et, comme cela se produit au rappel de la terrible mort de Liboire Wagner, par-delà la douleur et l’in­dignation pour sa cruelle condamnation, c’est la vision de sa force et de son humble bonté qui prévaut. C’est pour cela, comme nous l’avons dit, qu’un sentiment d’émerveillement nous envahit; et nous reviennent en mémoire les paroles de Saint Augustin « dans les Martyrs, le Christ lui-même est témoin » ; et le Martyr est tel, moins en vertu de la peine qu’il a subie, que grâce à là Cause pour laquelle il l’a endurée : martyrem non facit paena, sed causa.

Laissons maintenant l’admiration envahir nos âmes, et avec l’admiration, la joie inhérente à la victoire du martyre. « La victoire qui triomphe du monde, c’est notre foi » (1 Jn 5, 4).

 

Le  Saint-Père poursuit  son  homélie  en  langue allemande :

 

Nous devons nous réjouir avec la vénérable Eglise de Wurzbourg qui voit aujourd’hui sa séculaire tradition religieuse ho­norée par la béatification de son fils Liboire Wagner qui, en tant que Martyr de la foi catholique, est offert à sa vénération et montré en exemple. Nous-même, cette glorification nous emplit d’allégresse, et nous souhaitons que cet événement apporte un renouveau de vie chrétienne, non seulement à l’Eglise qui eut Liboire pour fils, mais aussi à la sainte Eglise catho­lique tout entière.

La trame de cette courte vie qui se conclut sur terre pour s’ouvrir le ciel avec sa mort douloureuse, a une grande impor­tance en chacune de ses parties et maintenant, à la lumière de la présente glorification, elle mérite d’être considérée sous ses différents aspects afin d’inspirer une réflexion nouvelle sur le cadre historique et spirituel dans lequel elle s’est écoulée.

Bien des circonstances, très significatives, de la biographie du Bienheureux Liboire se prêtent à de sérieuses et fructueuses considérations. Sa naissance dans une bonne et exemplaire famille protestante, n’est-ce pas déjà un motif de respectueuse estime pour le patrimoine religieux chrétien conservé par les populations allemandes, malgré les bouleversements de cette époque tourmentée ?

L’adhésion de Liboire à la religion catholique confessée pendant tant de siècles en ces régions, justement renommées pour leur riche floraison de vie chrétienne et de civilisation humaine, n’est-ce pas pour nous un sujet de réflexion histori­que et une raison de croire à une restauration depuis toujours espérée, de la parfaite unité — unité dérivant du Christ et fondée sur le Christ — de l’Eglise qui ne peut pas ne pas souf­frir des divisions qui persistent encore, qui ne peut pas ne pas espérer que les chrétiens retrouvent dans la foi unique et dans une charité ranimée, l’heureuse recomposition de leur unité ?

Qu’il nous soit permis, en cette circonstance, d’adresser à nos Frères Chrétiens qui ne sont pas encore en pleine commu­nion avec se Siège Apostolique, un respectueux et cordial sa­lut, et ceci, précisément au nom du bienheureux Liboire qui semble vouloir intensifier dans nos cœurs l’aspiration à un œcu­ménisme rénovateur de paix et de concorde. Il est, lui le Bienheureux, un exemple, il est, lui, un Martyr, et si nous le célé­brons, ce n’est certainement pas pour en faire un « témoin à charge », c’est-à-dire pour faire de son martyre un sujet de polémique, un chef d’accusation; au contraire, l’exemple du bienheureux Liboire est une invitation à la réconciliation et à la fraternité!

Dans le fait que Liboire ait fréquenté des écoles de grand prestige, puis qu’il ait consacré sa jeune vie au sacerdoce et au ministère pastoral nous découvrons tant de motifs pour manifester notre estime au monde de la culture et pour exprimer notre conviction qu’une profonde harmonie entre la pensée scientifique et la foi chrétienne est, non pas seulement possible, mais nécessaire ! Et comme il nous plairait aussi, en ce mo­ment, de disposer de plus de temps pour adresser une pensée toute spéciale et un salut paternel et fraternel aux prêtres et aux religieux qui, aujourd’hui encore, consacrent leur exis­tence au Christ et à l’Eglise, entièrement et pour toujours ! Nous commencerons par invoquer sur eux, et de manière toute particulière non seulement la lumière de l’exemple, mais aussi la secrète et propice vertu de la protection du bienheureux Liboire Wagner !

Et, confiant que nous le prendrons tous pour modèle de force chrétienne, pour protecteur de notre foi chrétienne, dans une constante adhésion à l’Eglise du Christ, nous bénissons le pasteur de l’Eglise de Wurzbourg et tous les autres Evêques allemands ici présents, ainsi que les Autorités officielles et tous les fidèles qui assistent à cette glorieuse et religieuse cérémonie.

 

 

 

28 mars

ASSURER AUX HOMMES ET AUX PEUPLES UNE VIE PLEINEMENT HUMAINE

 

Le 28 mars dernier, S. E. M. le Cardinal Jean Villot, Secrétaire d’Etat, a reçu MM. Antoine Carrillo-Flores, Secrétaire Général de la Confé­rence Mondiale de la Population, et Raphaël Salas, Directeur Exécutif du Fond des Nations-Unies pour les Activités de la Population et responsable pour le programme de l’Année Mon­diale de la Population.

Au terme d’un cordial entretien au sujet de l’acti­vité de ladite Conférence, le Cardinal-Secrétaire d’Etat a remis à MM. Carrillo-Flores et Salas, une copie du discours que le Saint-Père aurait voulu leur adresser au cours d’une audience privée, qui n’a pu avoir lieu à cause de la légère indisposition du Pape. Voici le texte de cette allocution pontificale :

 

Messieurs,

 

Nous vous remercions tout d’abord d’être venus nous sa­luer. Vous avez désiré cette rencontre pour nous entre­tenir des hautes responsabilités dont l’Organisation des Na­tions Unies vous a chargés en rapport avec l’Année et la Con­férence mondiale de la Population. Nous saisissons l’occasion qui nous est offerte pour vous dire l’intérêt avec lequel le Saint-Siège suit les efforts de la communauté internationale en fa­veur de la justice et de la paix.

Les activités multiples organisées dans le cadre de l’Année de la Population, et autour de la Conférence mondiale de la Population qui se tiendra à Bucarest au mois d’août prochain, ne peuvent pas laisser indifférent le Saint-Siège. Bien que la recherche de solutions aux problèmes posés par l’accroissement de la population demande, pour de longues années encore, un engagement généreux de tous les hommes de bonne volonté, l’Année et la Conférence mondiale de la Population consti­tuent des circonstances particulièrement importantes pouf sensibiliser l’opinion mondiale aux besoins des hommes et des peuples.

Quand l’Eglise s’intéresse aux problèmes de la population c’est avant tout par fidélité à sa mission. Ce souci s’inscrit dans son engagement pour la promotion du bien intégral, matériel et spirituel, de tout l’homme et de tous les hommes. Elle sait que la population, ce sont les hommes, les personnes humaines. Dépositaire d’une révélation dans laquelle l’Auteur de la vie nous parle de l’homme, de ses besoins, de sa dignité, de son destin humain et spirituel, l’Eglise prend à cœur tout ce qui peut servir l’homme, mais elle se préoccupe aussi de tout ce qui peut compromettre la dignité profonde et la liberté de la personne humaine.

Nous savons que le nombre croissant des hommes, dans l’en­semble du monde et dans certains pays en particulier, constitue un défi pour la communauté des peuples, comme pour les gouvernements. Les problèmes de la faim, de la santé, de l’édu­cation, du logement et de l’emploi deviennent plus difficiles à résoudre quand la population s’accroît plus rapidement que les ressources disponibles.

Pour certains, la tentation est grande de se croire enfermés dans une impasse et de vouloir freiner l’accroissement de la population par des mesures radicales, souvent peu conformes aux lois inscrites par Dieu dans la nature de l’homme et peu respectueuses de la dignité de la vie humaine et de la juste liberté des hommes. De telles mesures sont parfois fondées sur une conception matérialiste du destin de l’homme.

Les vraies solutions, et nous dirions, les seules, seront celles qui tiennent compte de l’ensemble des réalités : des requêtes de la justice sociale aussi bien que du respect des lois divines de la vie, de la dignité de la personne aussi bien que de la liberté des peuples, du rôle primordial de la famille aussi bien que de la responsabilité propre des époux (cf. Populorum Progressio, 37 ; Humanae Vitae, 23 ; 31).

Nous ne voulons pas répéter ici en détail les principes qui sont à la base de la position de l’Eglise dans le domaine de la population, et qui ont été exprimés clairement dans la Constitution Gaudium et Spes du Concile Vatican II et dans nos En­cycliques Populorum Progressio et Humanae Vitae. Ces documents, dont vous connaissez la teneur, manifestent combien l’enseigne­ment de l’Eglise en matière de population est ferme et nuancé à la fois, soucieux des principes et en même temps profondé­ment humain dans son approche pastorale.

Aucune pression ne devra faire dévier l’Eglise vers des com­promis doctrinaux ou des solutions à courte vue. Certes, il ne lui revient pas de proposer des solutions d’ordre purement technique. Son rôle est de témoigner de la dignité et du des­tin de l’homme, de permettre à celui-ci de s’élever morale­ment et spirituellement. L’enseignement de l’Eglise, que nous ne cessons de réaffirmer, aide les fidèles à mieux compren­dre leur responsabilité propre et la contribution qu’ils sont ap­pelés à fournir à la solution de ces problèmes. Dans une telle recherche, ils ne doivent pas se laisser influencer par les affir­mations des personnes ou des groupes qui prétendent rendre compte de la position de l’Eglise en omettant certains aspects essentiels de la doctrine du Magistère authentique.

L’Eglise a toujours insisté, et elle le fait encore aujourd’hui, sur la nécessité de traiter des problèmes de la population en considérant avec objectivité leurs aspects multiples, qui sont certes économiques et sociaux, mais surtout humains.

En effet, la discussion des problèmes de la population met en cause la finalité même de la personne humaine. La volonté créatrice et rédemptrice de Dieu sur l’homme peut être reconnue, confirmée ou refusée dans un débat qui touche l’existence même de l’homme. Cette existence de l’homme n’est vraiment humaine que dans la mesure où « maître de ses actions et juge de leur valeur, il est lui-même auteur de son progrès, en conformité avec la nature que lui a donnée son Créateur et dont il assume librement les possibilités et les exigences » (Populorum Progressio, 34).

Tout programme de population doit donc se mettre au ser­vice de la personne humaine, « pour réduire les inégalités, com­battre les discriminations, libérer l’homme de ses servitudes, le rendre capable d’être lui-même l’agent responsable de son mieux-être matériel, de son progrès moral, et de son épanouis­sement spirituel » (ibid., 34). Aussi faut-il écarter tout ce qui s’oppose à la vie elle-même ou qui blesse la personnalité libre et responsable de l’homme.

Toute politique de population doit garantir aussi la dignité et la stabilité de l’institution familiale en assurant les moyens qui permettent à la famille de jouer son vrai rôle. La cellule familiale est au service d’une vie pleinement humaine; elle est au point de départ d’une vie sociale équilibrée, dans laquelle le respect de soi est inséparable du respect d’autrui. Les époux doivent donc exercer leurs responsabilités en reconnaissant plei­nement leurs devoirs envers Dieu, envers eux-mêmes, envers la famille et envers la société, dans une juste hiérarchie des valeurs. La décision relative au nombre des enfants à mettre au monde dépend de leur jugement droit et ne peut pas être laissée à la discrétion de l’autorité publique. Mais comme ce jugement suppose une conscience bien formée, il est important que soient réalisées toutes les conditions qui permettront aux parents d’accéder à un niveau de responsabilité conforme à la morale et vraiment humain qui, sans négliger l’ensemble des circonstances, tienne compte de la loi divine (cf. Humanae Vitae, 10 ; Gaudium et Spes, 50 et 87).

Un des grands thèmes qui doit être examiné est donc celui de la justice sociale. Une vie pleinement humaine, en liberté et en dignité, sera assurée à tous les hommes et à tous les peuples quand les ressources de la terre auront été partagées plus équitablement, quand les besoins des moins privilégiés se ver­ront accorder une priorité effective dans la distribution des richesses de notre planète, quand les riches — individus aussi bien que collectivités — se seront engagés dans un effort nou­veau d’aide et d’investissement en faveur des plus dépourvus.

L’Année de la Population devrait annoncer une renaissance de l’engagement de tous en faveur d’une pleine justice dans le monde, afin d’œuvrer ensemble pour édifier l’avenir commun de l’humanité (cf. Populorum Progressio, 43).

On entend souvent affirmer que, pour rendre possible le développement des pays moins privilégiés et garantir aux gé­nérations futures un environnement sain, une vie digne de l’homme, l’accroissement de la population doit être freiné ra­dicalement et qu’il incombe aux pouvoirs publics de s’en oc­cuper.

Les pouvoirs publics, dans les limites de leur compétence, peuvent certes intervenir en développant une information ap­propriée, et surtout en prenant les mesures adaptées au développement économique et au progrès social, capables de sauve­garder et de promouvoir les vraies, valeurs humaines, indivi­duelles et sociales, dans le respect des lois morales (cf. Mater et Magistra, AAS, 53, 1961 p. 447 ; Populorum Progressio, 37 ; Humanae Vitae, 23).

Messieurs, l’attitude fondamentale de l’Eglise en cette An­née de la Population est une attitude d’espérance. L’histoire du monde prouve — et l’Eglise en a été la témoin au long des siècles — que l’homme peut réussir à trouver des réponses justes aux questions qui se posent quand il engage toute sa créativité, tous ses dons d’intelligence et de cœur dans une collaboration sincère en faveur de ses frères, pour assurer à tous une vie vraiment humaine dans la liberté et la respon­sabilité.

L’espoir de l’Eglise est fait, bien sûr, de réalisme mais aussi de la certitude que le champ du possible peut toujours grandir quand on marche avec Dieu.

 

 

 

7 avril

LE DIMANCHE DES RAMEAUX

 

Frères et Fils ! Et vous amis Jeunes que nous avons spéciale­ment invités aujourd’hui à cette célébration !

 

Vous savez que deux lectures évangéliques sont aujourd’hui offertes à notre attention. La première concerne l’entrée solennelle de Jésus à Jérusalem, quelques jours avant sa passion ; la seconde, au cours de la messe, nous présente le long récit par l’évangéliste Saint Luc de la passion même du Seigneur, que nous .relirons le Vendredi Saint dans la version de l’évangéliste Jean : nous nous arrêtons donc aujourd’hui à la première lecture, dite des rameaux, qui caractérise plus spécialement ce dimanche.

Il est très important de comprendre le sens de cette scène de l’Evangile. Vous vous la rappelez ; vous venez d’en écouter la lecture. Jésus, humble dans sa royauté (Mt 21, 5), assis sur un petit âne, venant de Béthanie et de Bethphagé, monte vers une des portes orientales de Jérusalem. Ce qu’il faut noter, c’est la foule, une foule immense, regroupée à cet endroit. L’affluence s’explique aussi par l’énorme quantité de personnes qui se rendaient à Jérusalem, en provenance de toutes les ré­gions de la Palestine, à l’occasion de la Pâque juive que l’on célébrait justement ces jours-là. Il faut noter également que Jésus, sur sa modeste monture, devient le centre d’une mani­festation extraordinaire. Tous se pressent autour de lui, le Maî­tre, qui par ses miracles et ses enseignements faisait tant parler de lui, après la résurrection de Lazare, surtout pour une ques­tion qui tourmentait beaucoup l’opinion publique et que les chefs religieux de Jérusalem ne voulaient même pas voir posée. La question était celle-ci : qui est ce Jésus de Nazareth ? qui est ce jeune Maître, qui fait tant parler de lui ? qui est-il ? un prophète ? un séducteur du peuple ? qui est-il ?

Le Messie ? Voilà un mot important pour comprendre le sens de cet événement. Le Messie, c’est-à-dire l’oint de Dieu, était un personnage prophétique, dont le nom prestigieux s’in­sère depuis David (cf. 2 S 7) dans l’histoire aventureuse et malheureuse du peuple juif, comme un signe d’espérance, de libération, de grandeur. Cette idée de la venue du Messie s’était imposée à l’opinion publique sous la domination des Romains, précisément a l’époque de Jésus. La prédication de Jean, ce prophète impétueux et rude, au langage vigoureux, qui conférait un baptême de pénitence vers l’embouchure du Jourdain, avait ravivé l’attente du Messie, annonçant la venue de celui-ci comme imminente. La prédication séduisante et la figure surprenante de Jésus avaient fortifié ce pressentiment, mais avaient soulevé en même temps, dans le milieu pharisien qui dominait alors, une sourde opposition à l’hypothèse que Jésus, un ouvrier de Nazareth, dépourvu de tout signe de puis­sance politique et de royauté glorieuse, mais fort de sa parole polémique et de ses miracles troublants, puisse être reconnu comme le Messie. C’était à leurs yeux un personnage équivo­que et dangereux ; il fallait le supprimer (cf. Jn 7, 25 ss.). Or voilà que Jésus, contrairement à son habitude, se faisait connaître ce jour-là, simple et humble, mais pour ce qu’il était : le Fils de David, c’est-à-dire le Messie.

Ici se greffé une circonstance décisive, celle qui nous inté­resse pour le moment : l’acclamation de la foule. La foule en effet, qui devait être immense et animée d’un sentiment una­nime, reconnut et proclama Jésus de Nazareth, l’humble pro­phète, qui se dirigeait vers Jérusalem sur cette monture popu­laire, sans victoires militaires et politiques, pour ce qu’il était vraiment, en tant que « Fils de David », c’est-à-dire comme envoyé de Dieu, comme héritier des espérances séculaires des Hébreux, comme celui qui venait libérer et sauver son peuple et instaurer les temps nouveaux. Authentique fut l’identifi­cation de la Personne, illusoire toutefois l’interprétation du royaume: il ne s’agissait plus du royaume terrestre de David, mais du « royaume des cieux » (Mt), du « royaume de Dieu », prêché par le Christ dans l’Evangile. Cependant, sur la croix de Jésus, la phrase que Pilate fera écrire en trois langues pour énoncer le motif de la condamnation du Seigneur à ce sup­plice effroyable, répétera l’accusation dont il fut l’objet : « Roi des Juifs ». C’est comme tel qu’il fut crucifié.

Mais nous avons à cœur de vous faire remarquer que la proclamation messianique de Jésus, assurément préparée par lui, se fit par la voix du peuple. Et dans le peuple, ce qui fit davantage retentir cette acclamation prophétique, historique et religieuse, ce fut le cri des jeunes, ce fut la voix aiguë des en­fants. Cela, pour Nous, a une valeur symbolique et permanente. Aujourd’hui encore, jeunes qui nous écoutez, nous pou­vons vous répéter : c’est à vous, oui c’est à vous de proclamer la gloire de Jésus-Christ, de révéler sa mission, d’affirmer son identité. Il est le Messie, il est au cœur du destin de l’huma­nité, il est le libérateur, il est le Sauveur. Et nous en compren­drons vite les raisons profondes : il est en même temps Fils de l’Homme, c’est-à-dire l’homme par excellence, et Fils de Dieu, c’est-à-dire le Verbe de Dieu qui s’est fait homme. Il est le Maître, il est le Pain céleste du monde, il est celui sans lequel nous ne pouvons rien faire, il est celui dont nous devons et pouvons tous être les amis. Il nous connaît, il nous aime, il nous sauve. C’est lui la lumière du monde, c’est lui le chemin, la vérité et la vie. L’enthousiasme pour le Christ, lorsqu’on a compris quelque chose de lui, n’a pas de limite. Il est la joie du monde, notre joie !

Jeunes qui nous écoutez, c’est vous spécialement qui devez saisir le message messianique ! Vous devez comprendre le Christ avec une intuition spéciale que nous pourrions appeler charis­matique. C’est votre don et votre sagesse de comprendre le Christ (cf. Mt 11, 25) !

C’est à partir de là que doit naître en vous la conviction que vous devez rendre témoignage au Christ d’une manière ou d’une autre.

Donner un témoignage nouveau et victorieux au Christ, à l’époque actuelle, revient à la nouvelle génération, revient aux enfants, aux adolescents et à tous les jeunes ! Cela leur revient aujourd’hui, pour que demain ils puissent témoigner comme des adultes.

Nous en arrivons à un point compliqué et délicat : comment les jeunes peuvent-ils être témoins du Christ ? Et ce que nous disons pour l’élément masculin vaut aussi pour l’élément fé­minin, les jeunes filles le savent bien. Oui, comment être té­moins du Christ ? Nous pourrions résumer l’immense et difficile étendue de ce devoir en un seul mot : soyez chrétiens, pour de vrai. Vous avez été baptisés. Est-ce que vous y pensez ? Est-ce que vous priez, c’est-à-dire est-ce que vous parlez au Christ et à Dieu notre Père céleste bien-aimé ? Etes-vous sincères et généreux sous le regard du Seigneur ? Aimez-vous vos familles et vos écoles ? Faites-vous quelque chose pour ceux qui souf­frent ? etc. Vous savez tout cela et vous l’accomplissez certai­nement. Eh bien! vous rendez témoignage au Christ, si vous vivez vraiment en chrétiens.

Mais il y a plus encore à faire : le témoignage comporte un acte positif d’adhésion au Christ. Eh bien ! écoutez ! Nous vous indiquons une échelle, qui permet de parvenir rapidement à témoigner du Christ. Le premier échelon consiste à avoir le courage de porter le nom de chrétien (cf. 1 P 4, 16) : avez-vous honte d’être chrétiens ? d’aller à l’église ? Voilà une première lâcheté à surmonter; il ne faut pas avoir honte, ni fuir, lorsque le fait d’apparaître religieux et catholique provoque les moqueries des autres, ou crée quelque danger pour notre nom ou notre propre intérêt (cf. Mc 14, 51-52). Deuxième échelon à dépasser : celui de la critique malveillante et souvent injuste contre l’Eglise, ses institutions, les personnes qui la composent ; elle est devenue à la mode, la contestation, qui engendre l’amer­tume et l’orgueil dans les cœurs ; elle dessèche également la charité, même si elle revêt des formes puritaines qui malheu­reusement finissent souvent par glisser dans la sympathie et même la solidarité avec les ennemis de l’Eglise. Soyez fidèles et humbles et vous serez forts, et vous pourrez donner de bons témoignages, positifs, de votre profession de foi de chrétiens et de catholiques. Enfin, troisième échelon : ayez le désir et la fierté de donner votre nom et votre adhésion active à quelque organisme militant dans le domaine de l’action, de la piété ou de la charité. Aujourd’hui, nous le savons, on ne veut plus mi­liter pour une cause, ou pour une idée qui se présentent comme religieuses, comme catholiques ou chrétiennes, ou même pure­ment et noblement civiques ; on préfère rester libre et exempt de toute obligation liée à une organisation. Ce n’est pas tou­jours un bien : le témoignage est en effet facilité et fortifié par l’union, par l’engagement communautaire et par la fidélité col­lective. De plus, nous ne devons pas donner, dans nos esprits, la préférence aux voies faciles de l’indifférence au point de vue idéologique, spirituel et social. L’individualisme, l’isolement, l’insouciance pour les bonnes causes ne sont pas conformes au style chrétien, spécialement sur le plan qui nous intéresse actuel­lement : le témoignage rendu au Christ Seigneur.

Sachez donc, chers jeunes, que l’Eglise, et peut-être aussi l’histoire, attendent précisément de vous en ce moment une profession de foi chrétienne, qui ne se démente pas, qui ne soit ni simulée ni indifférente, mais franche, cohérente, joyeuse, qui constitue aussi un exemple pour le monde moderne et entraîne sa conviction.

Nous écoutez-vous ? Etes-vous disposés à lever bien haut vos palmes, vos rameaux d’olivier, et à acclamer le Christ avec nous : Vive, vive le Christ Seigneur !

Tous ensemble, brandissons les rameaux de la joie et de la paix, et répétons : vive le Christ Jésus !

 

 

 

8 avril

CONTRIBUTION DE LA RADIO ET DE LA TÉLÉVISION AUX CÉLÉBRATIONS DE L’ANNÉE SAINTE

 

Le 8 avril 1974 le Saint-Père a reçu les diri­geants des organismes de radio et de télévision de 16 pays d’Europe et d’Amérique du Nord, invités à Rome par la Commission Pontificale pour les Communications Sociales.

Le Souverain Pontife a adressé le discours suivant à ses visiteurs :

 

En vous accueillant aujourd’hui, Messieurs, malgré le pro­gramme particulièrement lourd de la Semaine Sainte, nous voulons donner un nouveau témoignage de l’intérêt du Saint-Siège pour les instruments de la Communication Sociale, et vous redire combien nous sommes conscient de leur immense importance pour la formation de la mentalité de l’homme d’aujourd’hui. Nous voulons aussi vous dire notre estime per­sonnelle, notre confiance, et faire un appel à votre responsa­bilité et à votre compétence en vue de la toute proche Année Sainte.

 

Quiconque réfléchit tant soit peu aux transformations du monde moderne ne peut manquer d’être frappé par celle qui saute aux yeux de tous : la place prise, dans la vie des hommes, en quelques années, par les techniques audio-visuelles. Non seu­lement les appareils de radio et de télévision ne sont plus un article de luxe, réservé à un public d’une certaine élévation sociale et culturelle : ils sont devenus le bien de tous, un objet qui fait partie, pour ainsi dire, du mobilier de la famille : de celle de l’ouvrier comme de celle du dirigeant d’entreprise ; un instrument dont le langage est accessible à l’illettré aussi bien qu’à l’homme de haute culture. Dans les vastes zones recouvertes par la civilisation industrielle, ces techniques font partie de la vie, s’y intègrent, influent sur son déroulement. Ceux qui les dirigent sont devenus, en quelque sorte, les docteurs et les maîtres de ce monde de l’audition et de l’image, ils constituent désormais une nouvelle catégorie parmi les « pédagogues » de l’humanité.

Quelle responsabilité cela entraîne, tout le monde le voit sans peine. Nos prédécesseurs immédiats et nous-même y avons insisté dans de multiples documents, dont les principaux vous sont sans doute connus. Mais on peut se demander si cette res­ponsabilité ne se trouve pas devoir faire face aujourd’hui à un fait nouveau. Il semble que l’accélération du rythme des sen­sations audio-visuelles amène une sorte de saturation, engendre une certaine lassitude, aboutit à une certaine déconvenue. L’ex­ploration de toutes les possibilités imaginables en ce domaine fait prendre conscience qu’elles n’apportent pas à l’homme une satisfaction totale, qu’elles n’apaisent pas ses aspirations les plus profondes. C’est qu’elles laissent, hélas ! trop souvent de côté — et parfois offensent gravement — les exigences qui sont le plus enracinées dans l’âme humaine : les exigences morales et religieuses. Et c’est sans doute ce qui explique le succès de certaines émissions où est présenté, dans un relief saisissant, l’aspect tragique de la destinée humaine ; où sont abordés les problèmes fondamentaux pour l’homme : celui de son origine et de sa fin, le mystère du gouvernement du monde — hasard ou Providence —, le problème du mal. L’homme se sent alors concerné, non dans une zone superficielle de son être, mais dans sa réalité profonde.

 

En vous invitant à considérer, au point de vue des « mass-media », la perspective de l’Année Sainte, nous vous suggé­rons, par le fait même, d’être attentifs à cette exigence pro­fonde de l’homme moderne, et aux moyens de la satisfaire. Et nous croyons répondre au véritable bien de l’humanité — qui est, vous le savez, le grand souci de l’Eglise — en vous invi­tant à faire une large place, dans vos émissions, au grand évé­nement social et religieux que va constituer l’Année Sainte 1975.

Vous en étudierez les modalités avec notre Commission Pon­tificale pour les Communications Sociales. Pour notre part, nous voudrions insister seulement sur l’entière disponibilité du Saint-Siège, sur son désir de favoriser au maximum votre travail, sur son intention de vous fournir toute l’aide et la collabora­tion que vous êtes en droit de nous demander.

Il est facile, pensons-nous, de discerner dans cette collabo­ration une convergence d’intérêts : c’est l’intérêt de l’Eglise que les mass média fassent un large écho aux finalités de l’Année Sainte et à ses principales manifestations ; c’est votre intérêt que la collaboration la plus ouverte vous soit assurée dans ce but ; c’est encore et surtout, pensons-nous, l’intérêt de l’homme moderne, en proie à tant d’angoissants problèmes, à tant d’in­satisfactions et d’incertitudes, c’est l’intérêt de toute la société, que lui soient largement ouvertes les sources d’un renouveau spirituel, auquel elle aspire sans en avoir toujours conscience, et que l’Année Sainte se propose de lui apporter.

L’événement, vous le voyez, dépasse de beaucoup, dans no­tre intention, les frontières de l’Eglise catholique. Il concerne et voudrait atteindre le plus grand nombre possible d’hommes de bonne volonté : cela dépendra, après la grâce de Dieu, de l’efficacité des mass média qui sont entre vos mains !

C’est vous dire, Messieurs, de quel cœur nous vous accueil­lons aujourd’hui. En formant des vœux fervents pour qu’en­semble nous puissions travailler utilement au véritable bien de l’humanité, nous invoquons sur vos personnes, sur vos familles, et sur vos activités en vue et au cours de l’Année Sainte l’abon­dance des divines bénédictions.

 

 

 

9 avril

POUR UN NOUVEAU STYLE DE RELATIONS ENTRE PAYS DÉVELOPPÉS ET PAYS SOUS-DÉVELOPPÉS

 

Le 9 avril dernier a été inaugurée à New York la Session Extraordinaire de l’Assemblée Générale des Nations-Unies convoquée pour examiner les problèmes relatifs aux matières premières et au développement.

La Délégation d’Observateurs qui en suit les travaux est présidée par Mgr Jean Chelli, Observateur Permanent du Saint-Siège près les Nations-Unies et comprend le Prof. Philip H. Des Marais, M. l’abbé Joseph Ohieku, et le R. P. Nieckarz, M.M.

Au moment de l’ouverture de la première séance, Mgr Chelli a remis au Secrétaire Général, M. Kurt Waldheim, un message du Saint-Père dont voici la traduction :

 

A son Excellence le Docteur Kurt Waldheim,

Secrétaire Général de l’Organisation des Nations Unies.

 

Nous saisissons avec joie l’occasion de cette Session spéciale pour envoyer un message de soutien à l’Assemblée Gé­nérale au moment où elle aborde l’étude des problèmes concer­nant les matières premières et le développement. Notre pro­fond intérêt pour ces réalités importantes de la vie humaine dérive de notre mission spirituelle au service de tout l’homme et de tous les hommes.

Nous savons toute l’importance et toute l’urgence des pro­blèmes que cette Assemblée Générale s’efforce de résoudre par le réexamen des relations prédominantes existant entre les pays développés et les pays en voie de développement, ainsi ,que par l’effort pour jeter les bases de nouvelles relations qui éli­mineraient les inégalités existant entre les nations riches et puis­santes, et celles dont le véritable développement est empêché par nombre d’obstacles. Il est de toute première nécessité pour la communauté mondiale de combler cet écart toujours croissant et de modifier les situations dans lesquelles les matières premières n’apportent pas aux peuples qui les produisent une juste et équitable mesure de bien-être humain.

Il est évident qu’aucun de ces problèmes ne peut être ré­solu par des politiques qui servent uniquement l’intérêt natio­nal particulier. Souvent, les nations sont aveuglées par l’égoïsme et empêchées de voir comment leurs propres intérêts authenti­ques sont compatibles avec les intérêts des autres États, et coïn­cident avec le bien général de la famille humaine tout entière. Il est donc impérieux que les difficultés existantes puissent être résolues grâce à un dialogue entrepris dans un forum interna­tional où tous peuvent collaborer ensemble. Nous sommes con­vaincu que c’est seulement de cette manière qu’il sera possible de promouvoir les intérêts de la communauté humaine tout entière et de chacun de ses membres; que c’est seulement de cette manière aussi qu’il sera possible, pour le véritable bien de tous, d’aller au-delà des intérêts acquis de nations ou de groupes de nations.

L’Eglise a toujours affirmé fermement sa conviction que toute solution acceptable doit être fondée sur la justice sociale internationale et la solidarité humaine, et doit être la mise en application de ces principes.

Les nations en voie de développement doivent persévérer dans leurs efforts pour promouvoir la véritable prospérité de leurs peuples, en utilisant toutes leurs énergies propres, et en instituant une coopération et un partage entre elles. Mais la justice internationale demande également que les nations riches et privilégiées fournissent un effort équivalent, en éliminant tous les obstacles dus à la domination économique avec les na­tions plus faibles, en rendant possible aux nations en voie de développement la mise en œuvre de leur propre développement et l’exercice de leur rôle authentique dans les décisions qui touchent la vie même de leurs peuples. C’est seulement quand les nations en voie de développement auront les moyens de prendre en main leurs propres destinées qu’elles pourront à leur tour prendre pleinement leurs responsabilités à l’égard de la communauté fraternelle des nations.

Convaincu comme nous le sommes qu’un nouvel ordre dans le développement assurera la promotion de la paix et servira les intérêts authentiques de tous, nous faisons appel aux pays développés afin qu’ils fassent de plus grands efforts pour re­noncer à leurs propres profits immédiats et pour adopter un nouveau style de vie qui exclura à la fois une consommation excessive et ces besoins superflus qui sont souvent créés artifi­ciellement par une petite portion de la société en quête de richesses, qui utilise à cette fin les mass média. De même, il ne faut pas oublier qu’un style de vie fondé sur une consom­mation toujours plus grande a des effets nocifs sur la nature et l’environnement, et finalement sur la trempe morale de l’homme lui-même, et spécialement de la jeunesse.

Tous doivent faire en sorte que les richesses de ce monde servent au vrai profit de tous — selon la destination que leur a donnée le Créateur qui, dans sa généreuse providence, les a mis à la disposition de l’humanité entière (cf. jean XXIII, Mater et Magistra, AAS 53, 1961 p. 430).

En demandant la réalisation de la justice pour chacun, nous estimons que c’est un devoir de lancer un appel spécial en fa­veur des nations les plus dépourvues de ressources naturelles ou des fruits de l’industrie. Méritant à bien des titres im­portants une priorité spéciale, ces peuples doivent recevoir les moyens qui les rendront capables d’accomplir leur destinée humaine.

Tous les pays doivent être conscients de leurs obligations dans ce domaine et des conséquences qu’entraîneront le succès ou l’échec de leurs efforts. Des rapports justes et équitables entre toutes les nations ne peuvent être promus que si toutes acceptent, dans un contexte international, de prendre les mesures nécessaires pour réviser certaines politiques suivies jusqu’à présent. Faute de quoi, il s’ensuivra, de la part des pauvres et des faibles, un désespoir qui les poussera à une re­cherche agressive de méthodes — autres que la coopération internationale — pour conquérir ce qu’ils considèrent comme leurs droits économiques.

A cet égard, nous nous sentons contraint d’affirmer une fois de plus que donner de l’aide — quelque louable et nécessaire que ce soit — n’est pas suffisant pour promouvoir la pleine mesure de la dignité humaine requise par la solidarité de tous les hommes, fils de Dieu. Les nations doivent réussir à créer des structures internationales nouvelles, plus justes et donc plus efficaces dans des domaines comme l’économie, le commerce, le développement industriel, les finances et le transfert des con­naissances technologiques. Nous renouvelons le défi que nous avons lancé il y a trois ans quand nous avons affirmé que « il faut avoir le courage d’entreprendre une révision des rapports entre les nations,... de mettre en question les modèles de crois­sance des nations riches, de transformer les mentalités... » (Octogesima Adveniens, 43, AAS 63, 1971 p. 432).

Quels que soient les efforts inclus dans les exigences d’un tel programme, nous avons confiance dans la bonne volonté de tous. Bien plus, nous sommes convaincu que tous ceux qui croient en Dieu réaliseront de plus en plus que les exigences de leur foi incluent la justice et l’amour fraternel envers tous les hommes. Au premier siècle du christianisme, un illustre re­présentant de la fraternité de tous les hommes, fils de Dieu, a exprimé le défi universel de la solidarité humaine en disant : « Si quelqu’un possède les biens de ce monde et que, voyant son frère dans le besoin, il lui ferme son cœur, comment l’amour de Dieu demeurerait-il en lui ? » (1 Jn 1, 17).

A cause de la profonde conviction que nous avons exprimée personnellement devant l’Assemblée générale des Nations Unies, à savoir que « cette organisation représente le chemin obligé de la civilisation moderne et de la Paix mondiale » (Allocution du 4 octobre 1965, AAS 57, 1965 p. 878), nous n’hésitons pas à répéter l’invitation que nous avons par la suite lancée dans notre Encyclique sur le Développement des Peuples : « Délé­gués aux organisations internationales, il dépend de vous que les dangereux et stériles affrontements de forces fassent place à la collaboration amicale, pacifique et désintéressée pour un développement solidaire de Inhumanité dans laquelle tous les hommes puissent s’épanouir » (Populorum Progressa, 84 ; AAS 59, 1967 p. 298).

Tous ceux qui poursuivent de tels buts, tous ceux qui s’ef­forcent sérieusement de trouver de justes solutions aux problè­mes urgents que rencontre la société d’aujourd’hui, nous les assurons de notre prière et de notre constant soutien.

 

Du Vatican, le 4 avril 1974.

 

PAULUS PP. VI

 

 

 

11 avril

JEUDI SAINT : HOMÉLIE DU SAINT-PÈRE À SAINT-JEAN-DE-LATRAN

 

L’après-midi du 11 avril, Jeudi-Saint, Paul VI s’est rendu à l’Archibasilique Saint-Jean-de-Latran pour y présider à la célébration de la li­turgie in coena Domini propre à ce jour. Après la lecture de l’Evangile, le Saint-Père a prononcé une homélie, dont voici la traduction :

 

Chers Frères et Fils bien-aimés,

 

Ou sommes-nous ? pourquoi nous trouvons-nous ici réunis ? que sommes-nous en train de faire ? La célébration de ce rite nous impose un moment de profonde méditation.

Il est vrai, que, substantiellement cette Sainte Messe ne diffère pas de celle que nous célébrons chaque jour, de celles qui se multiplient en tant de lieux divers. Mais aujourd’hui il s’agit d’une célébration qui doit retrouver sa signification pleine et originelle. Elle est destinée à rappeler, ou mieux, à renouveler les raisons de son institution et elle acquiert pour nous, sous chacun de ses aspects, un relief tout particulier ; nous voulons honorer sa mystérieuse et complexe réalité ; son origine : c’est-à-dire la dernière Cène du Seigneur ; sa nature, qui est le sacrifice eucharistique ; ses rapports avec la Pâque juive, commémoration de la libération du peuple hébreu de l’esclavage et puis signe de la promesse messianique concer­nant les destinées futures de ce peuple ; son aspect novateur c’est-à-dire, l’inauguration d’un Nouveau Testament, d’une nouvelle alliance, soit donc d’un nouveau plan religieux, émi­nemment plus élevé et plus parfait, entre Dieu et l’humanité, moyennant le sacrifice d’une victime unique et nouvelle, Jésus-Christ lui-même...

Nous sommes situés à la croisée des grandes lignes axiales des destins historiques, prophétiques et spirituels de l’humanité ; ici, l’Ancien Testament se conclut et ici le Nouveau commence ; ici, la rencontre avec le Christ, d’évangélique et particulière, se fait sacramentelle et universellement accessible ; ici, l’inten­tion fondamentale de sa présence dans le monde avec la célé­bration des deux mystères essentiels de sa vie dans le temps et sur la terre, l’Incarnation et la Rédemption, se dévoile grâce à des gestes et des paroles inoubliables : « ... sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, comme il avait aimé les siens qui sont en ce monde, il les aima jusqu’à la fin » (Jn 13, 1), c’est-à-dire jusqu’à l’extrême limite, jusqu’au don suprême de Soi.

Ceci est le thème sur lequel nous devons maintenant fixer notre attention. Nous n’en serons pas vraiment capables, de même que nos yeux ne sont pas capables de soutenir la lu­mière directe du soleil.

Mais nos yeux d’hommes et de fidèles ne doivent pas se lasser de contempler ce que, dans son mystérieux éclat, la der­nière Cène fait resplendir devant nous ; les gestes de l’amour qui s’offre et se donne, et qui assume l’aspect et la dimension d’un amour absolu, divin : l’amour qui s’exprime dans le sa­crifice.

L’amour, dans l’expérience humaine, est un terme terrible­ment équivoque, et dont le sens dépend le ce qui en est l’objet ; il peut signifier les passions les plus abjectes ; il peut se déguiser dans l’égoïsme le plus exigeant et le plus malveillant; il peut n’être que l’équilibre d’un échange légitime et se considérer payé de ce qu’il a donné par ce qu’il a reçu ; il peut se donner par calcul, presque sans s’en rendre compte ; et, finalement, il peut se donner gratuitement, réalisé ainsi dans sa définition essentielle : par amour, ne considérant ni le mérite de celui qui le reçoit, ni la compensation qui pourrait lui être due.

Pur, total, gratuit, amour sauveur; tel a été l’amour du Christ pour nous ; et ce dernier soir de sa vie terrestre nous en offre la preuve émouvante et profonde.

Quel bonheur pour nous si, avides comme nous le sommes de grandeur et d’extraordinaire, nous savons consacrer un moment à l’étude, à la contemplation inépuisable de cet amour du Christ, un peu comme on se laisse charmer à la vue — sen­sible — de l’infini, du ciel profond, de la mer sans rivages, du panorama aux limites inaccessibles ! Et d’autant plus que nous savons, nous, que l’Eucharistie, qui maintenant nous éblouit, est la figure de la Croix, une figure éloquente pour la foi : ce Jésus, qui se trouve maintenant dans toute sa gloire à la droite de son Père, veut que nous le découvrions sans cesse dans l’acte éternel du Sacrifice ; tel est en effet la signification sanglante du Corps et du Sang, immolés sur la Croix, rendus apparents dans le symbole non sanglant des espèces du pain et du vin. Le Crucifix est devant nous. Nous sommes envahis par la dou­leur et l’amour. La scène du Calvaire semble se dérouler de­vant nous. La table est devenue un autel : « Prenez et mangez, ceci est mon Corps ; prenez et buvez, ceci est mon Sang ».

Le prodige continue, prend de l’ampleur : « Faites ceci en mémoire de moi » : le sacerdoce catholique naît de cet amour et pour cet amour : ainsi chaque fidèle chrétien sera invité à cette table ineffable, à cette incomparable communion : « nous, dira l’Apôtre, nous ne sommes qu’un seul corps malgré notre grand nombre, attendu que nous recevons tous notre part du pain unique » (1 Co 10, 17).

Ici, l’esprit, plongé dans l’étude du mystère eucharistique, découvre le profil du « Christ total » : Jésus, la tête formant avec les membres un corps mystique unique, son Eglise, vivant en Lui et animée par l’Esprit-Saint : voilà les mille et mille êtres élus à la participation du sacerdoce du Christ, une souche que le Seigneur a bénie, isti sunt semen eut benedixit Dominas comme nous l’avons lu dans la Missa chrismalis (Is 61, 9) de ce matin ; ils sont nos confrères, ils sont nos collaborateurs ; il leur a été conféré le sacerdoce ministériel, cette sorte de pouvoir prodigieux qui nous identifie, sous certains aspects, au Christ lui-même, qui nous donne le pouvoir de rendre le Christ sacramentellement présent et, en vertu de sa miséricorde agis­sante, de ressusciter les âmes mortes à cause du péché.

C’est à vous Prêtres qui nous assistez dans cette fonction liturgique, à vous et à tous les Prêtres de la Sainte Eglise, ré­partis sur la surface de la Terre, que s’adresse le joyeux et frémissant salut — in osculo pacis — de notre communion en Jésus-Christ, Prêtre Suprême et Unique de la Nouvelle Alliance qu’il a sanctionnée pendant la Cène du Sacrifice et du Souvenir du Jeudi-Saint.

Et c’est ainsi que subitement resplendit l’autre prodige de la multiplication sacramentelle de l’Eucharistie, que notre humble et sublime ministère sacerdotal rend accessible, dans sa plénitude immédiate de communion avec le Christ, à chaque fidèle disposé à l’ineffable rencontre : à tous les fidèles et à chacun d’entre eux nous adressons aujourd’hui le salut joyeux de notre charité et de notre paix.

Que disons-nous donc ? et que célébrons-nous ? L’Eglise tout entière, nourrie du Christ unique, victime immolée pour notre rédemption, une rédemption consumée dans la transfusion ; en nous de sa vie divine et humaine, moyennant la com­munion avec Lui qui s’est fait notre nourriture sacramentelle : « Celui qui me mange, vivra, lui aussi, par moi » (Jn 6, 56-57), proclame Jésus-Christ. En est-il vraiment ainsi ? Nous, nous l’écoutons avec foi, stupéfaits, en extase, vivant presque un songe irréel ; quel bonheur est le nôtre !

Mais le monde, notre monde, peut-il accueillir ce message ? Ne crée-t-il pas une distance infranchissable entre l’Eglise vivante et le monde moderne, séculaire et profane ? Oh ! c’est vrai ! : durus est hic sermo ! ; ce discours est difficile ! (Jn 6, 60). Oui, il est difficile ; mais c’est le discours de l’unité, de l’amour, de la joie, du salut, de la vérité ; n’est-ce donc pas un discours qui doit intéresser également l’homme moderne, l’homme authentique, l’homme éternellement en quête de nouveauté et de vie ? Nous formons des vœux pour que lui aussi, l’homme moderne, puisse, pour son bonheur, le comprendre.

 

 

 

12 avril

LE CHEMIN DE LA CROIX AU COLISÉE

 

Une des célébrations les plus émouvantes de la Semaine Sainte est sans conteste le parcours sym­bolique du Chemin de la Croix dans le cadre historique du Colisée de Rome. Après avoir porté lui-même la Croix en fin de parcours, le Saint-Père a adressé à la foule innombrable qui a pieu­sement suivi la cérémonie, une allocution dont voici la traduction :

 

Nous venons de faire le Chemin de la Croix, nous venons de parcourir cet itinéraire caractéristique de l’ignominie, de la douleur et de la mort, en cherchant et en retrouvant dans la Passion du Christ le mystère de sa souffrance et de notre propre souffrance.

On pourrait dire qu’il y a eu trois moments dans cette mé­ditation si particulière.

Le premier temps est celui de la répugnance, du boulever­sement, de l’horreur. La douleur, surtout lorsqu’elle est con­sciente, humiliée, abreuvée de cruauté, couverte de sang, provoque notre frayeur. Le prophète Isaïe, entrevoyant long­temps à l’avance le visage défiguré du Christ, disait qu’il était « sans beauté et sans éclat ». Nous voudrions ne jamais voir « l’homme des douleurs » (Is 53), Lui, le prototype de ceux qui souffrent ; Lui, et tous ses compagnons de souffrance, les hom­mes méprisés, les hommes atteints de difformités, les hommes qui pleurent, les hommes malheureux. Nous sommes facile­ment des esthètes, des gens avides de beauté et de bonheur ; nous sommes instinctivement jouisseurs et passionnés de vie saine et florissante ; et trop souvent nous oublions nos frères atteints par la misère et la souffrance. La première leçon qui nous vient de ce Chemin de la Croix est un rappel pénible et intense à la compréhension, au respect, au partage de la pro­fonde douleur du Christ et de nos frères humains qui lui sont associés et se trouvent comme représentés par lui dans le mystère de leur existence souffrante.

Par contre, le second moment de notre méditation est celui de la compassion. Si nous avons vraiment suivi avec attention le drame de la passion de Jésus-Christ, le fait de sa parfaite maîtrise de lui-même n’a pu nous échapper. Face à la trahison perfide dont il est victime, face aux accusations, aux injures et aux outrages, ses paroles sont extrêmement mesurées ; il ne réagit pas, il se tait. Le silence de Jésus est rempli de gravité et de mystère. Les quelques mots tombés de ses lèvres sont véritablement très élevés. Il commence à attirer nos esprits. Il l’avait d’ailleurs prédit : « Lorsque je serai élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jn 12, 32). Pourquoi donc ? Parce que nous arrivons précisément à un nouveau mystère : Jésus était innocent. Le mystère de la souffrance innocente est, pour toute la sagesse humaine, une des choses les plus diffi­ciles à comprendre ; c’est tout à fait le cas de la souffrance du Christ. Mais bien avant de découvrir quelque chose de ce grand problème, nous sentons déjà naître en nous un incoer­cible mouvement d’affection pour l’innocent qui souffre ; pour Lui, Jésus, dont Pilate lui-même, le magistrat au jugement facile, avait dit : « moi, je ne trouve en lui rien de mal » (Jn 18, 38) ; mais aussi pour tous les innocents, jeunes ou adultes, qui souffrent sans que nous puissions expliquer le pourquoi de leur souffrance. Le chemin de la Croix nous fait rencontrer celui qui est le premier dans le douloureux cortège des inno­cents qui souffrent.

Et ce modèle de patience nous révèle finalement le secret de sa passion. Elle est un sacrifice. Jésus, assurément, est inno­cent, mais il a pris sur lui le poids écrasant des péchés du monde. Jésus est une victime ; Jésus est la victime qui seule pouvait satisfaire à la dette de l’humanité pécheresse. Jésus, Dieu et homme, aurait pu accomplir notre rédemption à moindre prix, mais pour nous révéler l’énormité du péché et la pro­fondeur de son amour, il a donné à notre rachat le visage hé­roïque de la Croix. La Croix est notre justice; la Croix est notre salut ; la Croix est la révélation de l’amour (cf. Ga 2, 20 ; Ep 2, 4 ; 5, 2, etc.). La Croix est le signe et le gage de notre espérance et de notre résurrection future.

Disons-le à notre âme, disons-le au monde : la véritable source de la résurrection et de la vie (cf. Jn 11, 25) jaillit sans cesse de la Croix.

 

 

 

14 avril

PÂQUES EST AUSSI LA FÊTE DE NOTRE FUTURE RÉSURRECTION

 

Malgré le temps incertain, Paul VI a tenu à cé­lébrer la Messe de Pâques à l’autel dressé sur le Parvis de la Basilique Vaticane, devant une foule de fidèles venus de tous les horizons du monde. Après la Cérémonie le Saint-Père est monté à la Loggia de la Basilique pour lancer le message de Pâques 1974 que nous publions ci-après en tra­duction.

Avant de donner sa Bénédiction Urbi et Orbi, Paul VI a formulé ses souhaits en diverses langues. Voici le texte du Message Pascal :

 

Aujourd’hui, notre message est celui de la joie. A vous, croyants, joie et paix ! Sachez goûter dans la vérité ce jour de bonheur.

A vous, amis, qui, sur le seuil de l’Eglise emplie de chants et de joie, observez notre fête avec étonnement et une cer­taine méfiance, à vous cette invitation chaleureuse et pro­fonde : « Venez et voyez » (cf. Mt 28, 6) ; l’expérience de notre vie religieuse pourra peut-être vous apporter aujourd’hui quel­que lumière.

A vous qui souffrez et expérimentez le poids de l’existence, Nous reprenons pour vous, avec les paroles du Christ ressuscité, la même invitation : mais elle se fait pour vous plus particulière, plus pénétrante : « Venez, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et vous trouverez la consolation » (cf. Mt 11, 28).

Au monde entier, qu’il soit attentif ou qu’il fasse la sourde oreille, dans l’espoir que la Parole du salut (cf. Ac 13, 27) devienne un jour semence de vie Nous crions aujourd’hui notre joie très grande et paradoxale, mais véritable : Jésus-Christ est ressuscité ; oui, il est vivant ; il est vivant aussi pour nous. La pierre de son sépulcre est renversée ; celle du nôtre le sera un jour aussi, et nos cendres reprendront forme et vigueur par une métamorphose qui ira au-delà de notre nature présente. Miracle, oui ; mais c’est vers le miracle de la résurrection de la chair que notre foi nous fait tendre : « Je crois à la résurrection de la chair et à la vie éternelle ».

Voilà notre joie. C’est notre victoire (1 Jn 5, 4 ; cf. 1 Co 15, 55). C’est notre salut, et maintenant l’objet de notre espérance (Rm 8, 24). Elle est fondée sur la réalité de la résurrection du Christ et garantie par la vérité de la Parole de Dieu.

Victoire sur la mort ? Est-elle jamais possible ?

Oui : en ceci consiste notre annonce pascale. C’est le motif de notre joie, joie sans limites et à laquelle rien ne peut être comparé !

Il Nous faut noter deux choses, malgré la brièveté de ce message pascal.

Ce message, en premier lieu, bouleverse notre conception des valeurs du monde présent. Celles-ci ne peuvent pas s’élever au rang de valeurs absolues pour l’esprit humain ; elles demeu­rent relatives à la vie présente qui, nous le savons tous, est éphé­mère et caduque. Fonder la construction de notre existence, de manière fondamentale et exclusive, sur ces valeurs, signifie bâtir sur le sable (cf. Mt 7, 26). Cela signifie, particulièrement pour qui fait du plaisir et du bien-être personnel et égoïste le but suprême de son existence, se tromper soi-même. L’hédo­nisme, qui devient l’évangile erroné de tant d’hommes et de femmes de notre temps, est en définitive la philosophie de l’illusion et de la mort.

En second lieu, ce message est l’évangile de la croix, c’est-à-dire la loi du devoir, du service, de la douleur, de l’amour, du sacrifice, évangile qui nous a préparés à cette célébration du mystère pascal, selon l’exemple et avec la grâce du Christ. Cet évangile est l’interprétation sage et véridique de la vie humaine : si cette dernière s’achève sur la mort temporelle, elle conserve en elle-même la semence immortelle du renouveau, de la résurrection, de la vie éternelle.

C’est pourquoi, à l’école de la foi nous sommes à l’école du vrai bonheur. Et c’est pourquoi aujourd’hui, jour de Pâques, fête de la Résurrection déjà advenue du Christ, c’est aussi la fête de notre future résurrection Oui, c’est ainsi.

Que s’étende aux dimensions du monde ce message pascal de vie et de joie.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

20 avril

DISCOURS DU SOUVERAIN PONTIFE AUX PARTICIPANTS DU CONGRÈS THOMISTE

 

Le 20 avril dernier le Saint-Père a rendu visite aux congressistes réunis à l’Université Saint-Thomas d’Aquin à Rome pour célébrer le VII° centenaire de la mort du saint Docteur. De nombreuses personnalités s’étaient jointes aux congressistes pour rendre hommage à Paul VI et notamment LL. EE. Messieurs les Cardinaux Confalonieri, Marella, Seper, Garrone, Wojtyla, Poletti, Staffa, Philippe, Vagnozzi et Mozzoni. Etaient également présents plusieurs ministres italiens et de nombreux diplomates accrédités près le Saint-Siège.

Paul VI a prononcé, en langue italienne, un discours dont voici la traduction :

 

 

Nous sommes très heureux d’être ici au milieu de vous, alors que vous êtes réunis pour célébrer le souvenir de Saint Thomas d’Aquin, en ce VII° centenaire de sa mort. Nous nous réjouissons pour l’honneur ainsi rendu à ce Saint Docteur et pour la signification qu’un hommage aussi auto­risé, venant de personnes aussi nombreuses, peut revêtir pour l’Eglise de Dieu et pour la culture du monde contemporain. Cette assemblée atteste en effet la grandeur de Saint Thomas sous un triple aspect; son énergie morale totalement consacrée à montrer et faciliter la route qui conduit l’esprit humain jusqu’à Dieu (cf. St. TH., XV, 1, 633) ; sa science philosophique si exaltée par notre grand Prédécesseur Léon XIII dans son Encyclique bien connue Aeterni Patris du 4 août 1879 (cf. Acta, pp. 225-284); sa spéculation théologique qui, selon ce célèbre document pontifical et la confirmation de l’histoire, place l’Aquinate parmi les plus grands maîtres de la pensée religieuse. Notre satisfaction augmente en voyant dans l’hommage rendu au Maître insigne du Moyen-Age, non seulement une recon­naissance de sa personnalité de premier plan et de l’influence profonde et décisive de ses travaux sur la pensée de son temps et des siècles suivants, mais aussi un témoignage clair et signi­ficatif en faveur de l’actualité de Saint Thomas.

Votre présence, chers Messieurs, illustres Professeurs et valeureux hommes de science, prouve que la voix de Saint Thomas d’Aquin n’est pas un simple écho d’outre-tombe, comme celle de tant d’autres penseurs éminents qui font la joie de la culture moderne, soucieuse de les mieux situer dans l’histoire, de déchiffrer l’effort intellectuel qu’ils accomplirent pour pénétrer les secrets de l’univers, de retrouver dans leurs spéculations personnelles des expressions très riches dans leur originalité et leur élégance. Votre présence démontre surtout que cette voix de l’incomparable fils de Saint Dominique parle encore à nos esprits, comme la voix d’un maître vivant, dont il est précieux d’entendre l’enseignement en raison de son contenu toujours valable et actuel. Beaucoup parmi vous en reconnais­sent l’urgent besoin, un besoin qu’on ne saurait laisser dans l’ombre.

En ces brefs moments nous n’avons pas l’intention d’apporter une contribution aux très intéressants et très nombreux rap­ports qui ont été donnés ici grâce à votre culture surabondante et consommée. Nous gardons plutôt l’espérance que ces nombreuses et excellentes études, rassemblées dans une pu­blication adéquate, nous pourrons y accéder, nous aussi, en partie du moins, dans les quelques moments libres de notre lourd ministère. Nous voulons surtout louer et encourager l’intérêt que vous portez à Saint Thomas. Nous estimons en effet d’un grand prix le souci que vous avez de votre travail intellectuel, utile à vos propres personnes, candidates plus que toutes autres à la conquête de cette suprême Sagesse qui coïncide avec la Vie véritable.

Nous ne voudrions pas cependant manquer l’occasion oppor­tune qui nous est offerte de rappeler à vos élèves, sinon à vous-mêmes, artisans qualifiés de la pensée, combien il peut être utile aujourd’hui de s’asseoir à l’école de Saint Thomas, et aussi — en raison de leur commun mérite — à l’école d’autres Scolastiques éminents, pour apprendre, avant toute autre science, l’art de bien penser. Nous nous limitons, en ce moment, à soulever une question de méthode, de pédagogie intellectuelle. « Travailler à bien penser » nous conseille Pascal (cf. Pensées, 347), c’est-à-dire qu’il faut prêter attention à la logique. Nous entendons la logique au sens large et vrai : l’usage rigoureux et honnête de l’intelligence dans la recherche de la vérité des choses et de la vie. Pourquoi cette recommandation ? Parce que nous craignons que les facultés cognitives de la nouvelle génération soient trop tentées de se satisfaire de la facilité et de l’affluence des connaissances sensibles phénoméno-scientifiques, c’est-à-dire extérieures à l’esprit humain et détournées de l’effort systématique et absorbant qui consiste à remonter jusqu’aux raisons supérieures aussi bien du savoir que de l’être. Nous craignons une carence de la philosophie, de l’authentique, capable de soutenir aujourd’hui la pensée humaine, soit dans l’effort scientifique cohérent et progressif, soit surtout dans la formation de l’esprit à percevoir la vérité en tant que telle. C’est elle qui peut donner à l’esprit humain l’ampleur et la profondeur de vues auxquelles il est aussi destiné, avec le danger de ne pas rejoindre les connaissances suprêmes, cependant élémentaires et fondamentales, qui sont susceptibles de l’aider à réaliser son véritable destin et à entrer dans la connaissance du monde divin, indispensable même si elle n’est qu’un com­mencement. Nous sommes certain qu’un exercice correct, honnête et rigoureux de la pensée philosophique prédispose l’esprit à accueillir également le message surnaturel de la lu­mière divine qui s’appelle la foi. Le Seigneur le dit : « Celui qui agit dans la vérité, vient à la lumière » (Jn 3, 21).

L’école de Saint Thomas peut nous servir de propédeutique élémentaire mais providentielle de cet alpinisme intellectuel aussi bien philosophique que théologique, qui exige, certes, le respect des lois de la pensée, dans l’analyse comme dans la synthèse, dans la recherche inductive comme dans la conclu­sion déductive. Ce respect est indispensable pour atteindre les sommets de la vérité et pour épargner à l’esprit humain les vaines expériences de constructions illusoires et souvent fragiles. Il est encore un autre objectif toujours au plan didactique, mais très important dans l’ordre de la pensée. C’est celui qui con­siste a habituer le disciple — et face au savoir, nous sommes tous des disciples — à raisonner en vertu des principes subjectifs de la vérité et des principes objectifs de la réalité et non selon des formules que la culture au goût du jour, souvent favorisée par de nombreux facteurs extérieurs et occasionnels, impose à la mentalité passive d’un milieu donné ou d’un moment de l’histoire. Cela peut paraître étrange, mais c’est ainsi: le grand Maître Saint Thomas, loin de priver l’élève de ses capacités personnelles et originales de connaissance et de recherche, réveille plutôt « l’appétit de la vérité » qui assure à la pensée une fécondité toujours nouvelle et à l’étudiant son authentique personnalité.

Il y aurait trop à dire sur ce sujet. Ces quelques observa­tions suffisent pour vous assurer de notre estime, vous qui avez le culte des études thomistes, et pour encourager votre travail considérable et multiforme: vous y trouverez un approfondis­sement de la pensée, surtout de la pensée philosophique; vous y trouverez aussi un aliment indispensable à la pensée reli­gieuse, à la foi qui ne s’oppose pas à la raison mais a besoin d’elle. Elle reste en effet très juste cette affirmation de Saint Thomas : « Credere est cum assensu cogitare » (II-IIae 2, 1).

A tous, nous accordons notre Bénédiction.

 

 

 

28 avril

LA DIMENSION INFINIE DE LA SAINTETÉ

 

Le 28 avril dernier le Saint-Père a présidé la cérémonie de la béatification de la Servante de Dieu Franziska Schervier, Fondatrice de la Congrégation des Sœurs des Pauvres. Après l’Evangile il a prononce une, homélie pour célé­brer les mérites et les vertus de la nouvelle Bien­heureuse. Paul VI a utilisé successivement la lan­gue allemande, la langue italienne, puis pour terminer, de nouveau la langue, allemande. Voici la traduction de l’homélie :

 

Avant tout, saluons Aix-la-Chapelle, ville historique d’Alle­magne Occidentale, Diocèse qui a donné naissance à la nouvelle Bienheureuse que nous fêtons aujourd’hui, Franziska Schervier. C’est avec une joie immense que nous voyons cette grande figure religieuse honorer sa patrie glorieuse et bénie, où l’histoire impériale et civile de l’Europe médiévale et des périodes successives s’entrelace avec la tradition de l’Eglise catholique et où, dans le symbole sublime de sa merveilleuse double cathédrale, semblent se rencontrer, en une inséparable accolade fraternelle, deux expressions stylistiques originales, deux formes d’art et de spiritualité, le style roman et le style gothique, ou plutôt deux formes ethniques, la latine et la ger­manique, en deux monuments célèbres et magnifiques haute­ment significatifs d’une même civilisation chrétienne.

Saluons ensuite le vénérable Evêque d’Aix-la-Chapelle, notre pieux et dévoué Frère Mgr Jean Pohlschneider et avec lui, le Clergé et les fidèles de son diocèse, ceux de la toute pro­che et très digne Eglise métropolitaine de Cologne et ceux, encore, de toute l’Allemagne Catholique, une multitude, pré­sente ici en personne ou en esprit, et que nous affectionnons de tout cœur ; nos salutations déférentes s’adressent également aux autorités civiles allemandes qui ont voulu participer à cette cérémonie solennelle.

Et enfin nous saluons les Filles de la Bienheureuse, les Sœurs Franciscaines des Pauvres qui ont aujourd’hui, avec nous et avec l’Eglise tout entière, la joie de voir officiellement reconnues les vertus, exaltés les mérites, autorisé le culte de leur Fondatrice, la nouvelle Bienheureuse, Françoise Schervier.

 

Le Saint-Père a poursuivi en langue italienne :

 

Nous devons sans tarder offrir à la nouvelle Bienheureuse le tribut de notre vénération, qui nous impose de faire le récit historique de la vie de Françoise Schervier ; mais nous n’oserions pas tracer en ce moment le profil biographique de la nouvelle Bienheureuse, parce que cela exigerait un trop long discours et parce que nous pensons que sa figure est suffisamment bien connue des auditeurs et auditrices présents à cette cérémonie qui couronne les longues recherches analytiques et hagiographiques toujours requises pour une béatification so­lennelle et officielle.

Nous rappellerons seulement que le cadre historique dans lequel se déroula la vie de Françoise Schervier est celui, si riche et si complexe, du XIX° siècle et précisément la période qui va de 1819, année de sa naissance à 1876, année de sa mort ; cinquante sept années, peu de chose si l’on pense à l’activité qui les a comblées et aux œuvres qui y ont trouvé leur origine ; une période historique d’intense transformation politique et spirituelle qui dériva de la nouvelle configuration de l’Europe après l’épopée napoléonienne et qui aboutit à l’affirmation des deux empires alors rivaux, l’Empire français et l’Empire alle­mand, dont nous nous rappelons tous les aventureuses vicis­situdes. Le cadre géographique, d’autre part, est celui, disions-nous, de l’Allemagne occidentale, le territoire confinant à la Belgique et à la France, à laquelle le diocèse d’Aix-la-Chapelle était resté annexé de 1797 à 1815. Il y aurait beaucoup à dire au sujet de l’influence que les conditions sociales de l’époque et de la région, exercèrent sur la famille Schervier, employée dans les bureaux administratifs d’Aix-la-Chapelle, et sur la formation de notre Bienheureuse, et par conséquent au sujet de son éducation spirituelle et de sa sensibilité sociale. Le nou­veau développement civil et industriel était alors à ses débuts mais déjà en. plein développement: une grande activité, mais de grands besoins ; et ceux-ci étaient d’autant plus ressentis que les premiers progrès économiques et sociaux avaient révélé et mis en évidence de pénibles et intolérables différences de niveau entre les éléments de la population. L’ambiance était catho­lique : pour cette raison on se rendit compte plus rapidement et plus douloureusement de la présence du pauvre dans une société en évolution et qui peu à peu prenait cette conscience d’elle-même qui trouvera, vers le milieu du siècle, ses expres­sion les plus amères, les plus caractéristiques, tant doctrinales qu’activés, dont notre époque ressent encore aujourd’hui les lourdes et colossales conséquences.

Nous avons nommé les pauvres ; et nous nous rappelons aussitôt que la nouvelle Bienheureuse a reçu de ceux-ci son titre le plus caractéristique : elle était appelée « Mère des Pau­vres », cette promotrice audacieuse et forte, cette fondatrice au génie organisateur — caractéristique de son peuple — d’institutions qui avaient pour objet l’assistance, alors inexistante, dans ses prestations les plus humbles et les plus géné­reuses en faveur des pauvres, des nécessiteux de toutes catégo­ries, de ceux qui manquaient totalement d’aide matérielle et spirituelle. Il nous plaît de voir cette figure de femme surgir, jeune et désarmée, parmi d’autres, rayonnantes de vertus semblables, que le siècle dernier donna à l’Eglise, ou mieux : que l’Eglise donna au siècle ; il serait extrêmement intéressant et édifiant d’étudier dans son ensemble cette nombreuse et lumineuse constellation — apparue dans le ciel obscur du XIX° siècle — d’âmes saintes, dédiées à la charité, au point, non seulement de s’immoler elles-mêmes à l’amour du prochain, mais encore d’engendrer une phalange innombrable d’héroïques et silencieux disciples voués au même amour, au même sacrifice. Et à ce point-là, notre réflexion s’oriente spontané­ment vers un sujet immense que nous ne pourrions certainement pas épuiser en ces brèves et simples paroles : la sainteté, c’est-à-dire la perfection qui, admirée dans une vie comme celle de Françoise Schervier, semble devenir attrayante et admirable et révéler, également à un regard rapide comme le nôtre, la richesse de ses secrets. Mais la sainteté, même si on la considère sous l’aspect qui nous est le plus accessible, celui de la charité, c’est-à-dire de son humanité, nous amène à constater aussitôt qu’elle a des dimensions illimitées : qui peut mesurer la sainteté de la charité ? qui peut l’explorer à fond ? et, précisément parce que la sainteté assume ici le profil de la charité, qui osera se croire capable de la définir en tenant compte de la double et mystérieuse source qui la forme ? celle de la charité divine, charisme surnaturel par excellence, qui se fait humaine comme nous le dit Saint Paul : « la charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné » (Rm 5, 5) ; et celle de la charité humaine qui, toujours selon Saint Paul, est décrite en termes sans me­sure : « La charité (vous vous souvenez ?) est patiente, serviable... elle excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout. La charité ne passera jamais... » et ainsi de suite (cf. 1 Co 13, 4 ss.).

Et alors notre curiosité, guidée par notre piété, se demande si la sainteté, rendue aussi humaine par la charité, nous pré­sente encore ces signes religieux qui semblent plus évidents dans d’autres types de sainteté. La sainteté de la pénitence, par exemple, ou celle de la prière, de la contemplation, celle de la souffrance et du martyre ne sont-elles pas plus transparentes dans la révélation de la présence divine demeurant, ou agis­sant dans la sainteté ? C’est une confrontation difficile et, qui ne peut trouver de réponse que dans les faits. Et dans le cas présent, les faits parlent d’eux-mêmes.

Et maintenant, nous aimerions inviter les observateurs et encore plus les dévots de la Bienheureuse Françoise à mettre en relief tant la fréquence des moments et des épisodes surna­turels (divins certainement dans leur cause) enregistrés par sa biographie, que la conversation continue de la Bienheureuse avec Dieu, conversation toujours ardente dans l’expérience spirituelle. Elle ne fut pas distraite du colloque divin mais plutôt attirée vers lui, de manière franciscaine, à travers l’activité caritative extérieure elle-même, comme le Christ nous l’enseigne : « Il se rend présent dans le pauvre et le malheu­reux » (cf. Mt 25, 35 ss.).

Lisez   l’histoire   de   la   Bienheureuse   Françoise   Schervier.

Maintenant, nous nous limitons à la citation d’un seul mais caractéristique témoignage : « Tout ce qu’elle faisait était comme si Dieu était toujours avec elle » (Test. Ap., 34). Que ce soit pour nous une leçon inoubliable !

 

Le Saint-Père a poursuivi en langue allemande :

 

L’amour de la nouvelle Bienheureuse, Franziska Schervier, n’a pas brillé seulement de cette lumière intérieure, mais il a irradié encore une autre lumière, extérieure, qui démontre la sainteté de sa vie. C’est son exemple. C’est sa perfection chrétienne qui entraîne à l’imitation, et non pas seulement ceux qui ont décidé de suivre son exemple, mais aussi les chré­tiens qui veulent réaliser fidèlement leurs promesses de baptême, même s’ils doivent accomplir leur vocation dans le monde. Parfois les Saints sont plus à admirer qu’à imiter. La Bienheu­reuse Franziska, au contraire, s’offre comme un exemple de sainteté franciscaine, comme un modèle parfaitement imitable.

Si la Sainteté consiste fondamentalement à vivre selon la volonté du Seigneur, nous pouvons constater, dans toute la vie de Franziska, et même dès son âge le plus tendre, cette inten­tion permanente d’agir en harmonie avec la volonté de Dieu ; une intention qui a peut-être connu quelques rares moments d’angoisse, mais qui cependant est demeurée toujours ferme et pleine de confiance. Et c’est cela, comme l’écrit un des ses bio­graphes, le trait de caractère dominant de sa! sainteté.

Puis, ne nous indique-t-elle pas, cette vocation franciscaine qui fut la sienne, qu’elle vécut avec un dévouement et un esprit de décision typiquement allemands et qui, plus tard, transférée dans le Nouveau Monde démontra une admirable faculté d’adaptation à la pédagogie américaine moderne — sa vocation, donc, ne nous indique-t-elle pas une fois de plus, par cet exemple, combien est éternellement valable et cependant toujours adap­table, l’idéal évangélique que personnifie le Saint d’Assise, et combien il continue à exercer sa force d’attraction magique. Ne nous apprend-elle pas comment cette vocation franciscaine, avec ses exigences qui semblent presque contradictoires et cependant sont authentiquement chrétiennes, peut être vécue par des âmes sincèrement chrétiennes de manière toujours nouvelle, en tous les temps et chez tous les peuples. Le caractère exemplaire de notre Bienheureuse nous est notamment dé­montré et proclamé par vous, bien-aimées Sœurs Franciscaines des Pauvres, et voilà pourquoi, c’est l’Eglise toute entière qui, par notre voix, veut aujourd’hui publier vos louanges et faire connaître votre dévouement.

Et ainsi, nous pouvons aussi parler de la pauvreté que la Bienheureuse Franziska avait voulu pratiquer avec une coura­geuse rigueur afin de renforcer son action charitable par ses sacrifices et rendre plus convaincant son témoignage évangélique. Cette pauvreté, n’est-elle pas une leçon exemplaire pour nous, catholiques, et principalement pour la société actuelle qui met au premier plan de son programme et de sa vision du monde la possession et la jouissance des biens matériels ?

Et n’allons-nous pas, nous aussi, précisément en ce jour où l’Eglise rend hommage à cette « Mère des Pauvres », prendre à cœur de suivre son exemple, de répondre à son invitation, à son appel en faveur des Pauvres, pour les aimer comme le commande le Seigneur ? Ne découvrons-nous pas aussi dans cette nouvelle défense du Pauvre qui s’impose à l’Eglise et au monde de notre époque, une exhortation convaincante à trouver dans notre profession de foi chrétienne l’impulsion et l’esprit voulus pour élaborer un authentique et fécond programme social tendant à aider tant et tant de nos frères pauvres ou malheureux qui vivent parmi nous (cf. Jn 12, 8) ?

Que la Bienheureuse Franziska nous aide à comprendre et à tirer profit de sa leçon !

A cet effet nous vous donnons à tous très cordialement notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

9 mai

POUR LA DÉFENSE ET POUR LA PROMOTION RELIGIEUSE, MORALE, CIVILE, SOCIALE, JURIDIQUE DE LA FAMILLE

 

Le 9 mai dernier, Paul VI s’est rendu au Centre connu sous le nom de « Domus Aurea », où, il y a quelques semaines, la Conférence Episcopale Italienne a établi son nouveau Siège. Cette visite du Saint-Père inaugurait la nouvelle destination de l’édifice, construit il y a quelques années pour les organisations de l’Apostolat des Laïcs.

Accueilli à son arrivée par le Président, le Car­dinal Antonio Poma, par le Vice-Président et par le Secrétaire de la C.E.I. Mgr Bartoletti, Paul VI s’est rendu à la Salle des Conférences où se trouvaient réunis, le Conseil de Présidence de la C.E.I., les Présidents des Conférences Régionales et le personnel employé dans les ser­vices du Centre National. Le Saint-Père a prononcé un discours dont voici notre traduction :

 

Nous sommes heureux de l’occasion qui nous est offerte aujourd’hui de rencontrer et de saluer le Conseil Per­manent de la Conférence Episcopale Italienne au nouveau siège que celle-ci s’est assignée. Nous remercions cordialement Monsieur le Cardinal Poma, Président de la C.E.I., pour les aimables paroles qu’il vient de nous adresser au nom du Conseil Permanent et de l’Episcopat Italien tout entier ; nous formons des vœux pour que l’hospitalité trouvée dans cet édifice consacré à l’apostolat catholique dès le début, puisse modes­tement, mais pratiquement favoriser l’activité qui lui est propre et dont nous connaissons le croissant développement organique imposé par les nouveaux et complexes problèmes d’un ministère pastoral conçu selon les besoins et selon les critères de notre temps.

Au cours des 20 années qui se sont écoulées depuis l’institution de la C.E.I., et principalement depuis 10 ans, depuis la fin du Concile, l’œuvre que celle-ci a réalisée s’est déjà ré­vélée très sage et féconde dans l’application, d’abord occasion­nelle et expérimentale, puis programmée et organisée, de l’élé­mentaire et grand principe de l’union à l’échelle nationale ; c’est là une manifestation locale — et partant incomplète — de la collégialité universelle de l’Episcopat, à laquelle la récente réflexion doctrinale du Concile a donné un suffrage si ample et si lumineux, tout en réaffirmant la fonction de Pierre comme « principe et fondement perpétuel et visible de l’unité de la foi et de la communion » (Lumen Gentium, 18).

C’est pourquoi, pensons-nous, l’Union des Evêques Italiens peut trouver dans cette demeure, en même temps que son expression symbolique, un centre opérationnel pour un travail efficient et un instrument de concorde facile et exemplaire; une maison de frères, en somme ; un atelier d’activité intense, un cénacle d’ardente spiritualité. Cette union n’enlève certainement rien à l’autorité propre des Evêques dans l’accomplisse­ment responsable et original de leur ministère pastoral ; au contraire, elle invite leur sagesse personnelle à offrir une contribution libre et fraternelle à la préparation préalable des programmes communs, mais elle réclame ensuite, souvent avec un généreux concours et parfois aussi au prix d’un défé­rent et loyal sacrifice des propres vues personnelles, un effort de conformité, de collaboration, de solidarité dans l’exécution des plans d’action élaborés, avec autorité, en commun. Comme dans un concert symphonique, la charité collégiale requiert une harmonie parfaite d’où découlent sa force morale, sa beauté spirituelle, son exemplarité sociale. La charité collégiale, non moins qu’un concert artistique, exige et provoque ce qui lui est souverainement propre, l’union et, plus exactement, au sommet, l’unité. Et ce que nous disons pour nous, Evêques de l’Eglise de Dieu, nous le recommandons à nos bien-aimés Prê­tres, qu’ils soient diocésains ou religieux. Citons encore une fois la célèbre comparaison de Saint Ignace d’Antioche : vestrum presbyterium Deo dignum, sic concordatum est episcopo ut chordae citharae (Ad Ep, IV).

Et, de l’activité qui place ici son centre laborieux, nous voyons se dégager un visage renouvelé de l’Eglise Italienne, où les lignes maîtresses de sa tradition catholique rajeunissent et se revigorent sous le souffle intérieur de l’Esprit conciliaire et sous la pression extérieure de nécessités pastorales toujours nou­velles. C’est tout spontanément que l’on observe combien votre œuvre est en train déjà d’imprimer à cette ancienne et complexe communauté ecclésiale italienne des marques uni­taires et robustes de vitalité nouvelle, grâce à des documents remarquables tant pour leur fidélité au déposition apostolique que pour leur actualité de dialogue avec le monde moderne; rappelons par exemple, votre affirmation au sujet du « droit à la naissance » (3-1-72) ; l’instauration du diaconat perma­nent en Italie (25-2-72) ; la note programmatique sur la caté­chèse (avril 73) ; le plan pastoral pour les vocations (août 73) ; le document préparatoire au prochain Synode des Evêques (24-2-1974) et spécialement ceux concernant l’Année Sainte (1-11-1973) et l’Evangélisation et les Sacrements (12-7-1973) qui promettent une action ample et simultanée, animatrice d’une orientation religieuse très élevée et sûre, prête à répandre sa lumière spirituelle et son énergie fortifiante sur la vie morale du peuple et sur ses aspirations socioculturelles. On verra ainsi, avec l’aide de Dieu, combien la religion catholique, professée avec une parfaite authenticité de foi dans ses charismes intérieurs et avec la simplicité et la virilité des résolutions humaines, peut concourir à conférer à un peuple, travailleur et aimable — comme l’est le peuple italien — mais qui a encore besoin de fraternité intérieure et progressive et de progrès civil et éco­nomique, une physionomie plus franche de forte jeunesse et de naturelle bonté.

Nous nous réjouissons de ce bon travail et nous remercions tous ceux qui en ont le mérite ; nous l’encourageons de tous nos vœux paternels et fraternels et nous l’assistons de nos prières.

Nous ne pouvons en ce moment passer sous silence notre pleine adhésion à la position que — par fidélité à l’Evangile et au constant Magistère de l’Eglise Universelle, — l’Episcopat Italien a prise dans les circonstances actuelles pour la promo­tion religieuse, morale, civile, sociale et juridique de la Fa­mille. L’affirmation que Vous, Pasteurs sages et responsables de toute la communauté ecclésiale italienne, vous avez faite au sujet de l’indissolubilité du mariage, fondée sur la Parole du Christ et sur l’essence même de la société conjugale, exige également de nous, et de nous en premier lieu, une franche confirmation, qui n’est suggérée par aucune considération unilatérale de la question et ne veut avoir aucune résonance polémique, mais prétend reconnaître publiquement l’autorité de votre notification pastorale et veut, en même temps, avec respect et confiance à l’égard de tous ceux qui ont à cœur la plénitude inconditionnelle de l’amour entre les époux, la soli­dité de l’institution familiale, la protection obligatoire et l’édu­cation amoureuse des enfants par leurs parents, reproposer un thème plus important que jamais.

De toute manière, cette question fondamentale de la Fa­mille, nous la recommandons vivement — stimulé aussi par les contingences actuelles — à votre charité pastorale également pour l’avenir, et nous ne mettons pas en doute le fait que les Familles elles-mêmes, les premières, les Autorités publiques et tous ceux qui ont des rapports avec les milieux de l’éducation, de l’assistance sanitaire, juridique et civile, voudront accorder au foyer domestique, principalement à celui qui a le plus besoin d’aide et de soin, l’intérêt le plus sage et le plus empressé.

C’est cela que nous souhaitons pour votre mission comme pour le bien commun public.

Aujourd’hui, chaque question assume de grands et nou­veaux aspects qui, en soi, effrayent notre pauvre et craintive âme humaine ; mais en même temps réveillent cette charité qui « urget nos » et accroît l’humble audace de notre activité pastorale, multipliant en nous cette confiance que le Christ, pour nous mort et ressuscité, nous assure.

Qu’il en soit ainsi, avec notre fraternelle et Apostolique Bénédiction.

 

 

 

16 mai

MESSAGE DU SOUVERAIN PONTIFE POUR LA JOURNÉE MONDIALE DES COMMUNICATIONS SOCIALES

 

Chers Fils et chers Frères,

 

Une nouvelle fois ce nous est une joie de nous adresser à vous à l’occasion de la Journée mondiale des commu­nications sociales, instituée par le Concile Œcuménique Va­tican II (Inter Mirifica, 18).

Nous savons tous l’importance sans cesse croissante que prennent les moyens de communication sociale dans les structu­res de la société d’aujourd’hui, et combien les rapports humains en dépendent de plus en plus. Nous tenons à redire ici notre ferme conviction à cet égard: tous les hommes sont appelés à coopérer dans ce domaine, et tout membre de la société se doit d’être, selon sa juste fonction, un artisan effectif de la com­munication humaine. Cette contribution de chacun peut à la vérité revêtir des formes variées : depuis l’intervention directe dans la programmation ou la production, jusqu’à l’engage­ment de la responsabilité personnelle dans le choix ou l’accep­tation des messages transmis par les mass média, ou encore dans la réserve à leur égard.

Nous estimons que ce phénomène caractéristique de notre époque requiert de la part des chrétiens, plus que de tous autres, une attention toujours éveillée, et qu’ils soient en toutes circonstances prêts à exprimer leur jugement critique à son égard, prêts également à apporter leur concours à la mise en œuvre des orientations positives qu’il appelle. C’est bien, du reste, ce qu’ils entendent faire et développer de manière particulière à travers la réflexion et les manifestations de cette Journée mondiale, qui se célèbre aujourd’hui pour la huitième fois.

Cette année nous vous invitons à porter votre réflexion sur « Les communications sociales et l’évangélisation du monde contemporain », sujet qui rejoint de manière heureuse l’étude menée dans les différents pays en préparation de la prochaine assemblée du Synode des Evêques.

Comme nous le disions dans notre Encyclique Ecclesiam Suam : « Si l’Eglise a vraiment conscience de ce que le Seigneur veut qu’elle soit, elle sent jaillir en elle une plénitude qui demande à se répandre, avec le clair sentiment d’une mission qui la transcende, d’une annonce à communiquer » (AAS, vol. LVI, p. 639).

Cette tâche prend les traits caractéristiques de chaque pé­riode de l’histoire. En notre époque elle doit s’accomplir éga­lement par les moyens modernes de communication sociale. « Nul ne pourra s’estimer fidèle au commandement du Christ s’il néglige ces moyens de transmettre au plus grand nombre possible d’hommes la lumière rayonnante de l’Evangile » (Communio et Progressio, 126).

L’évangélisation fait partie constitutive de la mission de l’Eglise que le Christ a envoyée dans le monde pour annoncer la Bonne Nouvelle à toute créature (Mc 16, 15). Cette mission, l’Eglise l’accomplit en premier lieu dans la liturgie, mais elle s’efforce aussi de la réaliser par toutes les voies et tous les moyens que lui offre sa présence parmi les hommes sur chaque con­tinent.

A bien y réfléchir, toute la vie du chrétien, si du moins elle est conforme à l’Evangile, est proclamation de la Bonne Nou­velle au milieu du monde. En vivant dans la société, en participant aux soucis et aux souffrances du monde, en s’employant à promouvoir les réalités temporelles, en contribuant à l’effort de la recherche et à la confrontation des idées, le chrétien té­moigne à sa manière de l’Evangile et joue un rôle de levain dans le monde, d’artisan de son orientation. Le domaine des communications sociales, offre à un tel comportement chrétien de vastes possibilités pour une action rayonnant l’Evangile.

Dans ce domaine, plusieurs tâches urgentes sollicitent notre attention. En premier lieu, celle de donner à l’information et à l’audiovisuel de notre temps une ligne de développement qui facilite la diffusion de la Bonne Nouvelle, qui favorise l’appro­fondissement du sens de la dignité de la personne humaine, de la justice, de la fraternité universelle. Toutes ces valeurs aident l’homme à comprendre sa vraie vocation. Elles lui ouvrent la voie au dialogue constructif avec les autres et à la communion avec Dieu.

Puis il y a le problème d’un renouvellement des méthodes d’apostolat. Il faut ici savoir utiliser les nouvelles possibilités qu’offrent les moyens audiovisuels et la presse pour la caté­chèse et les activités éducatives, pour la présentation de la vie de l’Eglise, de sa liturgie, de sa finalité, de ses difficultés, mais surtout pour rendre témoignage de la foi et de la charité qui l’animent et la renouvellent constamment.

Enfin il faut prendre en considération le recours que pré­sentent les moyens de communication sociale pour rejoindre les pays, les milieux et les personnes que l’apostolat de la Parole ne peut atteindre directement pour des raisons particulières, comme le manque de ministres, ou encore l’impossibilité pour l’Eglise d’exercer librement sa mission.

Nous savons que de tels efforts et recherches sont pour­suivis aujourd’hui — même si c’est encore dans une mesure insuffisante — par des évêques, des prêtres, des religieux et des laïcs aussi généreux que compétents. C’est également avec attention que nous suivons l’activité de notre Commission pon­tificale des communications sociales, celle des Commissions épiscopales dans les divers pays du monde, ainsi que celle des Organisations internationales catholiques et des professionnels catholiques. Nous connaissons les difficultés que les uns et les autres rencontrent du fait de la nouveauté de ce domaine des communications sociales, des conditions ambiantes et des res­sources encore trop limitées.

Que nos paroles d’encouragement et de réconfort, ainsi que notre Bénédiction Apostolique leur parviennent à tous, de même qu’à tous les hommes de bonne volonté qui se servent des moyens de communication sociale pour promouvoir le progrès de la famille humaine et pour assurer au monde des lendemains meilleurs.

 

Du Vatican, le 16 mai 1974.

 

PAULUS PP. VI

 

 

 

13 juin

L’EUCHARISTIE, POINT CENTRAL DE NOTRE FOI CHRÉTIENNE

 

A l’occasion de la Fête-Dieu qui, en Italie n’est pas seulement une fête religieuse, mais aussi une fête légale, le Saint-Père s’est rendu, comme il le fait chaque année à cette occasion, dans un quartier populaire de la banlieue romaine. Au cours de la Messe à laquelle il a présidé il a prononcé une homélie dont voici notre traduction :

 

Très chers Fils et Frères !

 

Ecoutez-nous ! Nous voulons vous faire part d’un doute qui a effleuré notre âme, quand nous nous sommes pro­posé de venir parmi vous pour célébrer ensemble la fête du Corpus Domini. Ce doute, le voici : notre présence parmi vous allait-elle vraiment être bénéfique pour la célébration d’une solennité religieuse comme celle-ci, centrée tout entière sur le culte on ne peut plus ardent, extérieur et intérieur, personnel et communautaire, de la Sainte Eucharistie, sur le mystère de la présence sacramentelle et sacrificielle de Notre Seigneur Jésus-Christ, ou si, au contraire, ma venue dans ce quartier, dans cette paroisse allait être un motif, oui, de joie mais surtout de distraction et non d’attraction vers l’objet véritable de votre dévotion. C’est-à-dire que, dans le fond du cœur, nous nous sommes demandé si notre présence aurait plus attiré votre at­tention que la présence, seule digne de votre allégresse et de votre adoration, de Jésus caché et manifesté dans le sacrement eucharistique. Deux présences : la nôtre, extraordinaire, vi­sible, humaine, représentative, oui, du Seigneur, mais infini­ment inférieure, négligeable même en comparaison de la pré­sence, habituelle il est vrai, mais prodigieuse, sacrée, divine, incomparable du Christ Seigneur.

Aussi nous sommes-nous proposé, quand nous avons dé­cidé de nous rendre ici aujourd’hui, dans cette paroisse encore jeune dédiée à l’Assomption de la Très-Sainte Vierge Marie, de vous adresser les quelques brèves paroles que nous pro­nonçons en ce moment, non tant sur notre présence person­nelle, la présence du Pape (nous y ferons quelqu’allusion plus tard, à la fin de la cérémonie) que sur la présence réelle, mysté­rieuse mais vraie, de Lui, de Jésus, ici, dans cette communauté naissante ; présence divine du Seigneur, qui mérite tout notre intérêt et qui est le motif principal de cette fête du « Corpus Domini », de cette « Fête-Dieu ».

Et cette invitation à faire converger votre attention sur Jésus, sur le Jésus de l’Evangile, sur le Jésus de la Dernière Cène, sur le Jésus de la Croix, sur le Jésus ressuscité, sur le Jésus actuellement dans la gloire du ciel, « assis à la droite du Père », (comme nous le chantons dans le Credo), découle d’une pre­mière raison très simple, mais décisive : notre personne ne mé­riterait aucune considération spéciale si elle n’était celle d’un Evêque, d’un Pape, c’est-à-dire de quelqu’un qui remplace, d’un Vicaire, d’un représentant, d’un ministre en somme, c’est-à-dire d’un serviteur qui tire toute sa dignité et toute son autorité de Celui qui l’a fait élire et le fait agir en son nom. C’est pourquoi, plus vous vous tournez vers nous, plus vous nous regardez avec filiale affection, avec plaisir, plus vous vous tournez vers Lui, vers le Christ, présent dans notre mi­nistère.

Et fixez votre pensée, aujourd’hui plus que jamais — pour en faire une habitude et un facteur d’inspiration — sur le fait mystérieux et central de toute notre foi, celui justement de la Présence parmi nous du Fils de Dieu fait homme, mystère de l’Incarnation qui nous autorise à répéter le vrai nom de Jésus, né de Marie et habitant à Nazareth, le nom de « Dieu avec nous » (cf. Is 7, 14 ; Mt 1, 23) : Nobiscum Deus ! Et alors nous voyons se grouper sous cette appellation, propre à Jésus, le des­sein, le sens de la venue en ce monde, l’intention orientatrice de son apparition dans l’histoire de l’humanité, parmi nous les hommes : cette histoire se résout en un mot, un nom, si commun et si souvent profané, qui atteint ici les sommets de la divinité; ce nom est : l’Amour. « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils Unique » pour son salut (Jn 3, 16 ; cf. Ep 2, 4 ; 5, 2 ; etc.). Toute notre religion est une révélation de la bonté, de la miséricorde, de l’amour de Dieu pour nous. « Dieu est cha­rité » (1 Jn 4, 16), c’est-à-dire amour qui se répand et se pro­digue ; et tout se résume en cette vérité suprême, qui explique tout et illumine tout. L’histoire de Jésus, il faut la voir sous se jour : « Il m’a aimé » écrivait Saint Paul, et chacun de nous peut et doit répéter après lui et pour soi-même : « Il m’a aimé moi, et il s’est livré pour moi » (Ga 2, 20).

Et alors, nous pouvons comprendre quelque chose égale­ment à l’Eucharistie que nous célébrons publiquement aujour­d’hui. L’Eucharistie est le mystère d’une présence due à l’amour. « Je ne vous laisserai pas orphelins, je viendrai à vous » a dit Jésus en laissant entendre que la fin de sa vie temporelle était proche. Promesse suave qui, après la Résurrection, devient solennelle et marque le destin et la réalité de notre histoire reli­gieuse et humaine : « Voici : Pour moi, je suis avec vous, tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20). Dieu avec nous ; le Christ avec nous ! Tout le christianisme est un fait, un mystère de Présence.

Et ce soir, si nous sommes ici, c’est précisément dans ce but: pour réveiller en nous, en vous, en tous ceux qui percevront l’écho de notre voix, le sentiment de cette réalité, vraie et surnaturelle : ici est Jésus. Là où l’Eucharistie est célébrée, se dé­couvre et se proclame ce « mystère de la foi » : ici est Jésus, le Christ, notre Sauveur, vivant et vrai. Présent !

Lorsque nous laissons pénétrer dans nos cœurs cette suave et écrasante vérité, nous ne pouvons plus demeurer indiffé­rents, impassibles et tranquilles : Il est ici ! notre premier sentiment est d’adoration et d’exaltation ; et presque de confusion : que devons-nous faire ? que devons-nous dire ? chanter ? pleurer ? prier ? ou peut-être nous taire et contempler, comme Marie, la sœur de Marthe toute agitée et anxieuse de servir le Sei­gneur, tandis qu’elle, Marie, « assise aux pieds de Jésus, l’écoutait parler » (Lc 10, 39) ? De ceci est né le culte eucharistique.

Mais un second sentiment nous envahit, celui d’une légi­time curiosité. La doctrine catholique, expression de notre foi, nous affirme : le Christ, vivant, vrai, réel, est présent. Et alors toute une série de questions surgit dans notre esprit : il est pré­sent ? mais comment ? où ? pourquoi ? Et lui, se laisse-t-il voir, approcher, toucher, comme le faisaient les gens de l’Evangile (cf. 1 Jn 1, 1) ? Il est caché ; mais peut-on l’identifier ? et pour­quoi se cache-t-il ? et comment peut-il se trouver simultané­ment en tant d’endroits différents ? ceci serait-il une nouvelle et miraculeuse multiplication des pains, répétée sans cesse ? et comment peut-il être une nourriture pour nous alimenter ? le pain et le vin se transforment en chair et en sang, comme était Jésus sur la Croix ? « ... il est difficile, ce discours ! » (Jn 6, 60). De ceci est née la théologie sur l’Eucharistie.

Oui, ce discours est difficile ! Mais vous savez; que Jésus fut inflexible à vouloir que son grand discours sur le mystère eucha­ristique soit textuellement accepté (cf. Jn 6, 61 ,et ss.). Il faut croire! Croire à la Parole et sur la Parole du Christ. Nous, nous disons maintenant : c’est un mystère de foi. Mais pas entiè­rement incompréhensible, même aux intelligences timides : comme une image unique peut se refléter, toujours identique dans tous les miroirs qui la reprennent ; comme une même voix peut être recueillie par toutes les oreilles qui l’écoutent ; comme une même parole peut se transformer en pensée chez tous ceux qui la comprennent, ainsi un Jésus unique peut être présent dans les nombreux, dans les innombrables signes, sacramentels qui le représentent ; mais non sans un divin prodige, et le pro­dige consiste dans le fait que, par vertu divine, il ne s’agit pas ici d’une simple représentation, d’un simple signe symbolique, d’une figuration sacramentelle; il s’agit du fait qu’en cette même figuration, c’est-à-dire sous les espèces du pain et du vin, une Réalité se cache, une réalité qui se substitue à la substance du pain et du vin et cette Réalité est Jésus lui-même, la substance de son Corps et de son Sang, Lui-même en un mot, revêtu de ces humbles apparences (cf.  St. TH., III, 73, 6).

Ecoutez un instant ! Précisément à ce point-ci, qui dépasse notre expérience et notre intelligence, nous commençons à comprendre beaucoup de choses merveilleuses qui nous font entendre, sinon comment, du moins pourquoi Jésus a voulu se faire sacrement eucharistique. Pourquoi ? pour être à la dispo­sition de tous. Il s’est multiplié de cette manière extraordinaire afin d’être disponible pour chacun de nous. Et par conséquent pour faire de nous tous une seule chose, son Corps mystique, l’Eglise Une (1 Co 10, 17). Mais la question se fait plus insistante : pourquoi disponible comme aliment ? n’est-ce pas étrange, impensable que le Christ ait voulu se faire aliment pour nous ? Et voilà une autre merveille : le Christ s’est fait nourriture spirituelle pour nous démontrer qu’il nous est né­cessaire : sans aliment, on ne peut vivre; nous démontrer aussi qu’il est, Lui, la véritable nourriture, intérieure et personnelle, de vie éternelle dont nous avons tous besoin et dont nous avons tous, si nous le voulons, le bonheur de pouvoir nous alimenter, de « compénétrer » en communion avec Lui, pour le soutien actuel et la plénitude immortelle de notre existence.

Une autre question surgit : et pourquoi Jésus a-t-il voulu scinder ce sacrement en deux espèces différentes, le pain et le vin, enveloppes sensibles d’un bien différent contenu substan­tiel ? uniquement pour donner, sous cette apparence, nourri­ture et boisson à la faim de notre âme (cf. St. TH., III, 73, 2). Oui ; mais la réponse serait plus longue et plus complexe. Du reste, vous, chrétiens fidèles, vous la connaissez comme ceci : Jésus a voulu donner à ce Sacrement une double signification de sacrifice : l’une, substitutive de la signification de la Pâque juive, se faisant lui-même agneau de la libération ; figurative, l’autre, de celle de sa crucifixion qui, de la chair martyrisée fit jaillir le sang de la rédemption. Dans l’Eucharistie, Jésus est la victime qui reflète en lui-même l’unique sacrifice rédempteur Valable, celui de la Croix ; et lorsque nous y participons par la Communion, nous sommes associés aux fruits de l’immolation salvatrice du Christ.

Que de choses ! Que de mystères convergent dans ce mystère central de notre foi en la présence réelle du Christ dans l’Eucha­ristie ! Comment les rappeler tous ? comment les revivre dans notre vie, individuelle et ecclésiale ? Eh bien : rappelez-vous au moins une parole du Christ ; écoutez sa voix, celle de son invitation évangélique : « Venez à moi ! ». Oui : « Venez à moi, vous tous qui êtes las et opprimés, et je vous consolerai » (Mt 11, 28).

Oui, l’Eucharistie est une présence qui nous invite. Jésus invite comme un ami, s’approchant tacitement, attendant sans trêve, prêt à nous accueillir tous. Il nous invite à une table qui est toute une très douce célébration d’union, de douleur, d’amour. C’est un appel adressé de préférence à celui qui souffre et peine le plus ; à celui qui est pauvre et qui pleure ; à celui qui est seul et sans aide ; à celui qui est petit et innocent. Jésus appelle et invite. Sa voix parvient également aux éloignés, aux utopistes, aux fugitifs hors du bon chemin. Venez, l’entrée est libre pour les repentis et pour les croyants. Venez, Il dit : « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie » (Jn 14, 6).

C’est là sa voix qui aujourd’hui s’élève du sacrement silen­cieux, présent au milieu de nous. Haut dressé, dans cette fête-ci, la sienne, devant tout le Peuple, il clame, Lui, de son accent divin et humain, comme autrefois quand, cheminant sur les ondes, il apparut à ses disciples, dans la bourrasque nocturne de l’Evangile. « Ayez confiance ! c’est moi, n’ayez pas peur » (Mt 14, 27). Venez !

Ainsi soit-il !

 

 

 

22 juin

LA SITUATION DE L’ÉGLISE ET DU MONDE DANS LA PERSPECTIVE DE L’ANNÉE SAINTE

 

Paul VI a reçu le 22 juin dernier Messieurs les Cardinaux résidants à Rome venus lui présenter leurs vœux à l’occasion de la Saint Jean-Baptiste, fête patronymique du Saint-Père. A l’adresse d’hommage du Cardinal Traglia, Doyen du Sacré Collège, le Pape a répondu par un long discours dont voici la traduction :

 

A vous tous, Messieurs les Cardinaux, et tout d’abord à l’interprète de vos vœux, le Cardinal Doyen, nous disons notre merci le plus vif pour la consolation, l’encouragement, la joie que nous procure, comme d’habitude, votre visite à l’occa­sion de notre fête et des anniversaires de notre élection et de notre couronnement. Les années se succèdent au rythme inces­sant du temps. Voici que se termine la onzième depuis l’élé­vation de notre humble personne au Siège de Pierre. Cette année, du reste, l’intensité du souvenir est plus riche et plus émouvante par suite de la coïncidence des dates : comme hier, il y a onze ans, en la solennité du Sacré-Cœur et en la fête de Saint Louis de Gonzague, le Seigneur nous appelait à l’inexpri­mable intimité de l’amour envers Lui et à la terrible responsa­bilité, soutenue par la seule foi, du service ecclésial, comme il avait fait le jour où II appela Pierre sur la rive du lac de Tibériade étincelant d’azur : Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci !... Pais mes agneaux... pais mes brebis (Jn 21, 15-16). La coïncidence des dates fait évoquer avec une plus grande viva­cité ces heures heureuses ; elle fait jaillir aussi plus pleinement du fond du cœur le cantique de reconnaissance envers Celui qui est la force des faibles et le réconfort des humbles, car Il nous a visiblement soutenu pendant ce laps de temps qui, mal­gré tout, a marqué et marque encore une époque de vitalité extraordinaire pour l’Eglise. Cette période s’ouvrait sur le Concile Vatican II, commencé alors depuis un an, avec son vaste programme d’aggiornamento pour toute l’Eglise ; elle s’ouvre aujourd’hui sur les perspectives de renouveau et de réconci­liation de l’Année Sainte. Le Seigneur nous a fait à tous la grâce de vivre à une époque merveilleuse de l’histoire du salut : à nous d’en tirer les conséquences afin que cette heure de grâce ne passe pas en vain.

 

Réflexion commune

 

C’est la première fois aujourd’hui que nous nous rencon­trons avec vous après la proclamation officielle de l’Année Sainte par la Bulle Apostolorum limina du 23 mai dernier. Dans ce document, qui fixe tout un programme, nous écrivions entre autres : « Dix ans après la fin du Concile œcuménique Vatican II, l’Année Sainte nous semble devoir en quelque sorte marquer l’achèvement d’un temps consacré à la réflexion et à la réforme, et inaugurer une nouvelle phase de construction, grâce à un travail théologique, spirituel et pastoral. Cette action doit s’appuyer sur les fondements laborieusement éta­blis et consolidés au cours des années passées, conformément aux principes de la vie nouvelle dans le Christ et de la com­munion de tous en Lui, qui nous a réconciliés avec le Père dans Son sang » (1). Et nous ajoutions : « Alors que depuis plus de dix ans, grâce au Concile Vatican II, une oeuvre impor­tante et salutaire de rénovation a été entreprise dans le mi­nistère pastoral, l’exercice de la pénitence et la liturgie, nous estimons très opportun que cette œuvre soit révisée et reçoive de nouveaux développements. De la sorte, en tenant compte de ce qui a été fermement approuvé par l’autorité de l’Eglise, on pourra discerner et retenir, parmi les multiples expériences faites partout, celles qui ont une véritable valeur et sont légi­times ; on en poursuivra l’application avec encore plus de zèle selon les critères et les méthodes conseillés par la prudence pastorale et inspirés par une vraie piété » (IV).

 

Les maux de la société contemporaine

 

La rencontre d’aujourd’hui offre justement l’occasion d’une première réflexion en commun sur le sens et sur la dynamique du grand événement qui doit polariser la vie de l’Eglise en ce moment exaltant, mais plein de tensions.

Nous ne voulons pas souligner plus qu’il ne faut les maux dans lesquels se débat la société contemporaine. Toutefois, ils existent, et il ne serait pas réaliste de les ignorer par amour de la tranquillité. La condition de l’homme est terriblement aléatoire : la violence, sous toutes ses formes, l’avilit, le réduit au rang de simple pion d’un jeu aveugle, et il n’est pas rare qu’elle le détruise cruellement et sans piété ; l’influence déter­minante des mass média le manœuvre de l’extérieur, le con­ditionne dans ses sentiments et ses pensées, se substitue à lui en le faisant raisonner en sens unique, entraînant un nivelle­ment dangereux de sa personnalité et en contradiction avec elle ; la société de consommation le rend esclave des besoins provoqués à dessein ; une conception aliénante de la vie l’absorbe totalement, le projetant assez fréquemment hors de la vraie dimension humaine qui est liberté, autodétermination, vie intellectuelle et spirituelle, joie de vivre. L’homme est surtout conditionné aujourd’hui par une atmosphère matérialiste dont il ne réussit pas à se libérer : vision de l’histoire, conception de la vie, loisirs, distractions et spectacles sont souvent totalement imprégnés d’hédonisme, de déterminisme, de matérialisme ; il n’est pas rare que même la science se présente d’une manière telle qu’au lieu de libérer l’homme de façon authentique, elle le pousse plus profondément encore dans ce courant matéria­liste dont la force caractérise l’histoire et la culture contempo­raines.

 

L’Eglise au service de l’humanité

 

Et pourtant, les solutions offertes par le nouvel humanisme ne peuvent certainement pas satisfaire l’homme, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, et donc infiniment supérieur à la matière, même évoluée, qu’il transcende par l’esprit qui en lui vit, connaît, veut et aime. L’homme est fait pour le bien, pour le vrai, pour le beau ; il a en lui le commandement, qu’on ne peut supprimer, de « suivre vertu et connaissance » (dante, I, 26, 120) ; et s’il n’atteint pas Dieu, il ne trouve pas la paix à laquelle il aspire : Inquietum est cor nostrum (St. augustin, Conf. 1,1). Or l’Eglise a pour mission de rappeler tout cela à l’homme : en vertu de son caractère religieux et humain, elle est au ser­vice désintéressé de l’humanité, de toute l’humanité, sans di­stinction de mentalité, de race, de religion, de culture ; elle est comme une présence stimulante et bénéfique, comme le lieu privilégié de rencontre des hommes avec Dieu et entre eux pour découvrir ce qui les ennoblit et les unit, faisant d’eux des frères. Tel fut le grand message de la Bonne Nouvelle, que la Consti­tution Gaudium et Spes du Concile Vatican II a voulu appli­quer d’une manière particulière, à l’homme d’aujourd’hui par ces nobles expressions : « En proclamant la vocation su­blime de l’homme et en affirmant qu’un germe divin, est dé­posé en lui, le Concile offre au genre humain la collaboration sincère de l’Eglise pour l’instauration d’une fraternité uni­verselle qui réponde à cette vocation. Aucune ambition ter­restre ne pousse l’Eglise ; elle ne vise qu’un seul but : continuer, sous l’impulsion de l’Esprit consolateur, l’œuvre ; même du Christ, venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité, pour sauver, non pour condamner, pour servir, non pour être servi » (n. 3).

L’Eglise est aujourd’hui plus convaincue que jamais de cette vocation essentielle, qui lui appartient, d’annoncer au monde la « vérité qui rend libre » (cf. Jn 8, 32), de réveiller en l’homme la conscience de sa dignité, dont Dieu même est la source et le garant, d’être le ferment de renouveau salutaire pour l’ensemble de la société et de la civilisation elle-même.

 

Signes de temps

 

Aujourd’hui, grâce à Dieu, l’Eglise donne ce témoignage. En jetant un regard sur l’Eglise de l’après-Concile, nous ne pouvons nous empêcher d’exprimer notre admiration pour la vitalité dont elle fait preuve ; pour les manifestations, nombreuses et authentiques ; de renouveau évangélique qu’elle nous donne ; pour la profonde fidélité des communautés diocé­saines, paroissiales et religieuses dans leur immense majorité ; pour l’abnégation avec laquelle évêques et prêtres poursuivent un ministère devenu, dans beaucoup de pays, si difficile ; pour le témoignage de très nombreuses âmes consacrées, totalement données à Dieu et aux âmes, dans les cités populeuses comme dans la solitude des cloîtres, dans les terres de mission, dans les banlieues issues d’un urbanisme hâtif, où l’homme notre frère pleure et souffre ; enfin pour la marche lente et patiente vers l’unité de tous les chrétiens. On note partout aujourd’hui un grand besoin de prière, qui se manifeste aussi sous des formes particulières d’écoute de la voix de l’Esprit ; malgré nombre de douloureuses réalités que nous n’ignorons pas, les jeunes sont plus assoiffés d’authenticité, ils sont honnêtes, réfléchis, généreux, et ils manifestent d’une manière plus prononcée le besoin de surnaturel qui les anime ; la fréquentation des sacre­ments est consolante ; et le Saint-Siège, en la décennie écoulée depuis la promulgation de la Constitution conciliaire sur la liturgie, a tout fait pour l’alimenter et la favoriser (le récent Ordo Paenitentiae en est le dernier témoignage dans le temps, et il s’ajoute aux innombrables prescriptions concernant l’Eucha­ristie et la communion, sans compter celles qui se réfèrent aux autres sacrements).

C’est tout un mouvement de sanctification, qui se traduit concrètement par l’intérêt porté aux problèmes de nos frères les plus éprouvés et de ceux qui souffrent le plus. Il démontre, même dans sa complexité et dans les divers aspects qu’il revêt selon les pays et le génie des peuples, combien l’Eglise d’au­jourd’hui, a tous les niveaux, est pénétrée de sa mission de té­moin vivant du Christ dans le monde. Mais pour se mettre toujours davantage en mesure de rendre ce service, l’Eglise sent le besoin de s’améliorer. L’élan qui déjà vit en elle a besoin d’être vivifié et mieux canalisé vers ses grandes tâches. Voilà le but et la finalité de l’Année Sainte ! Telle est l’occasion que nous avons voulu saisir pour offrir à l’Eglise universelle un motif de plus de se rendre davantage fidèle à sa vocation et plus Crédible, c’est-à-dire plus apte à exercer dans la société contemporaine, dont nous n’ignorons pas les ombres, son rôle essentiellement prophétique et sanctificateur. Si le matérialisme semble étouffer ici ou là l’élan intérieur de l’homme, l’Eglise sait qu’elle doit rappeler cet homme au sens de sa dignité pre­mière et de son destin eschatologique, et elle veut se rendre toujours plus digne, plus capable et plus engagée dans la réali­sation de cette mission qui est sienne.

 

Motifs de confiance

 

Cette conscience universelle, ce mouvement, sont déjà commencés dans les Eglises locales et se développent avec une grande intensité. Les échos nous en parviennent de toutes les parties du monde et, directement, grâce aux évêques que nous avons la consolation de rencontrer presque chaque jour au cours de leur visite ad limina, dans des moments de communion cordiale, ouverte, confidentielle et dans des conversations ecclésiales qui nous font pour ainsi dire toucher du doigt, dans leur réalité concrète, les difficultés que l’action pastorale rencontre partout. Ils nous donnent aussi la possibilité d’écouter, de la bouche même de ceux qui les vivent, les témoignages nombreux et toujours nouveaux de la vitalité vigoureuse et inépuisable de l’Eglise, dont nous avons parlé. Nous sortons de ces rencon­tres fortifié et édifié par le zèle que nous voyons déployé par les Pasteurs et leurs collaborateurs dans les Eglises locales, par la fidélité généreuse et silencieuse que confèrent souvent à leur fonction le poids et la dignité de la croix, par l’activité pré­voyante, enfin, que nous voyons si bien orientée et animée par les Conférences épiscopales dans tous les continents.

Tout ceci ne peut pas ne pas autoriser la confiance, une grande espérance, un optimisme supérieur. Les problèmes sont graves, certes, nous ne nous les cachons pas et nous ne les avons pas passés sous silence : mais les motifs que nous avons de nous attendre au profond renouveau en vue duquel a été proclamée l’Année Sainte l’emportent. Comme nous vous le disions l’année dernière en cette même occasion, à vous, membres du Sacré Collège, nous considérons les années passées comme « seule­ment une promesse, une préparation pour une nouvelle crois­sance, pour une nouvelle période au cours de laquelle s’accomplira un grand pas en avant... Un nouveau frémissement de vie et de générosité, un nouvel élan de foi et d’activité doivent parcourir la communauté ecclésiale tout entière pour atteindre les buts qui s’ouvrent devant elle » (AAS 65, 1973, pp. 381, 389 ; Doc. Cath. 1973, n. 1636 du 15 juillet 1973, pp. 651, 655). Rempli de cette espérance, soutenu par cette confiance, nous regardons avec un réalisme tranquille les conditions con­tingentes de l’Eglise d’aujourd’hui: aussi bien à l’intérieur d’elle-même, dans les différents secteurs où elle exerce son activité, qu’à l’extérieur, dans ses contacts avec les problèmes que la société civile tourmentée pose aujourd’hui au monde.

 

Regard à l’intérieur de l’Eglise

 

Si nous jetons un regard sur l’Eglise ad intra, nous voyons combien est complexe la réalité qui absorbe toute notre atten­tion.

1. Dans le domaine doctrinal et moral, il ne manque certes pas de périls et de déviations. Nous ne cessons d’appeler sur eux l’attention de tous nos Fils, spécialement par la catéchèse continuelle des audiences générales. Mais même sur ce point, si délicat, il nous semble que doit s’exercer cet effort de réconci­liation qui caractérise la célébration de l’Année Sainte. L’Eglise doit mieux retrouver son identité dans l’unité pour laquelle le Christ a prié à la dernière Cène. Tous les courants qui existent à l’intérieur de l’Eglise doivent faire un effort sincère pour se retrouver dans l’unité univoque et organique, indis­soluble et infrangible de la foi et de la charité.

2. Dans le domaine pastoral, les responsabilités et les problè­mes qui doivent attirer l’attention commune ne sont pas moins grands. Le Synode des Evêques, qui se réunira au moins d’octobre prochain, réfléchira sur le formidable point d’interrogation que pose la manière d’accomplir l’œuvre d’évangélisation dans le monde contemporain. Ce domaine est très vaste. Mais ce qui requiert une attention particulière, c’est le problème de la participation toujours plus vive et plus profonde de toutes les composantes de la communauté ecclésiale à la vie de cette dernière.

Nous parlerons de trois de ces composantes qui nous tiennent particulièrement à cœur : le laïcat, les prêtres, les aspirants au sacerdoce et à la vie religieuse.

 

le laïcat

 

Nous pensons en premier lieu au cher laïcat catholique. Malgré tous les déséquilibres qui révèlent, comme nous voulons le pen­ser, un état de transition, de recherche et de croissance, nous devons nous demander avant tout comment aider les laïcs en les admettant à une participation réelle et toujours plus intense à la vie de l’Eglise. Le Saint-Siège, attentif aux signes des temps, ne laisse passer aucune occasion, par ses mesures de caractère liturgique et doctrinal, à propos du renouveau catéchétique, structurel, social, d’insérer de manière toujours plus active les hommes et les femmes de notre temps dans le dynamisme de la vie de l’Eglise. Les signes consolants de ré­ponse ne manquent pas, même s’il y a encore beaucoup à faire, beaucoup à changer pour que le laïcat catholique participe effectivement à l’effort constant d’évangélisation et de service de l’Eglise.

Il faut évoquer également les problèmes que le Saint-Siège ne cesse de suivre en collaborant attentivement avec les orga­nismes internationaux; il y a là un signe de sa volonté de sensibiliser les laïcs aux problèmes les plus graves de la vie du monde d’aujourd’hui : ces problèmes attendent en fait aussi la colla­boration de tous les membres de l’Eglise, car leur appartenance à celle-ci ne les isole pas et ne le rend pas étrangers au laborieux concert des Nations et des Institutions supranationales, visant à procurer au genre humain une condition toujours plus juste, plus digne et plus sereine dans son existence et dans son travail.

 

LES PRÊTRES

 

Avec le laïcat, notre cher clergé est l’objet de nos soins prin­cipaux. L’Année Sainte appelle tous les prêtres à se confronter avec les exigences de leur vocation ; elle les appelle à suivre de plus près le Christ Crucifié, aujourd’hui encore, comme au temps de Paul, scandale et folie, mais établi par Dieu et pour tous Sagesse, Justice, sanctification et rédemption (cf. 1 Co 1, 18-31) ; elle les appelle à trouver leur propre identité en Lui seul et dans la manière apostolique de vivre. Nous savons comment une recherche parfois torturante de leur situation dans la communauté a conduit certains prêtres à confondre leur mandat personnel avec une destination confusément sociale, politique, pragmatique, qui les ont amenés à calquer leurs attitudes sur celles du monde, à s’immerger dans la sécularisation. Mais nous voudrions dire à tous les prêtres, pour encourager ceux qui sont fervents et éclairer ceux qui sont troublés, que l’unique identité pour nous est celle que nous avons avec le Christ. C’est Lui notre modèle : Lui qui fut pauvre, humble, sacrifié, tendu uniquement vers la gloire du Père et le salut des âmes. Telles sont les réalités qui ont fait brûler le Cœur du Christ : « Je suis venu apporter le feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il fût déjà allumé ! » (Lc 12, 49). Comme Jésus, comme les Apô­tres, les prêtres sont au service total de Dieu et de l’homme : voilà leur destination. D’où par conséquent le devoir de leur formation, qui leur incombe en un continuel « crescendo » : formation spirituelle pour enrichir la vie de l’âme, pour s’affiner dans la piété et l’intimité avec Dieu, par un effort de pénitence et de renouveau intérieur qui, en cette Année Sainte, doit for­tifier l’esprit des prêtres et des séminaristes ; formation pastorale, en cherchant et en se demandant, à la lumière des documents de Vatican II, comment servir de manière plus efficace le monde dans lequel ils sont appelés à vivre et à travailler au nom du Christ ; formation doctrinale, enracinée dans la foi et adaptée à notre époque, qui les aide à mieux comprendre le monde, par une étude non seulement phénoménologique, mais nourrie de la sève vitale de la Révélation et de la Tra­dition, afin d’avoir une pensée solide, d’être ainsi le levain dans la pâte et de porter au monde la lumière du Christ.

 

LES  VOCATIONS  SACERDOTALES  ET  RELIGIEUSES

 

En nous arrêtant, un instant sur la situation du clergé, nous ne pouvons pas passer sous silence un problème que tous les prêtres et la communauté catholique tout entière doivent avoir à cœur, car l’avenir même de l’Eglise en dépend pour une grande part : c’est celui des vocations. La crise qu’elles traver­sent préoccupe beaucoup, avec nous, nos confrères dans l’épiscopat et les responsables des Familles religieuses masculines et féminines. La grande insistance mise, justement pendant l’Année Sainte, sur la nécessité d’une plus grande sainteté de vie — c’est-à-dire d’un retour à la plénitude d’une foi consciem­ment professée et à une manière authentique d’agir en homme et en chrétien, à l’intériorité de la médiation et de la prière qui est la base de l’activité du chrétien — impose avec force à notre responsabilité de réfléchir aux causes profondes d’une situation si largement ressentie.

D’abord les causes plus générales : essentiellement cette « evisceratio mentis » dont parlait déjà Saint Bernard de Clairvaux, qui fait que l’homme d’aujourd’hui manque à la fois de temps et de goût pour la méditation intime, pour ce silence intérieur dans lequel, seulement, il est donné de se connaître vraiment soi-même et d’écouter les appels qui pour certains se traduisent par l’invitation persuasive : « Viens, suis-moi ! ». Ensuite la sécularisation diffuse qui, si facilement, éloigne ou tient éloigné du sacré. Mais également un sens d’incertitude et comme de provisoire, favorisé par une certaine problématique théologique, qui décourage de se lancer dans une vie riche de satisfactions spirituelles, mais aussi de sacrifices et de renonce­ments, et que seul est capable, d’affronter celui qui peut, avec un enthousiasme tranquille et courageux, se donner à la mission de porter à ses frères les certitudes de la foi.

Il est donc nécessaire d’y opposer la réaffirmation sereine de ce qui rend grande, belle et indispensable dans l’Eglise la vocation sacerdotale et religieuse. Aujourd’hui encore, davantage peut-être qu’à d’autres, époques, le peuple chrétien doit prier avec insistance le Maître de la moisson d’appeler des ouvriers en nombre suffisant (cf. Mt 9, 38).

Il appartient ensuite à l’Eglise de faire en sorte que les ger­mes de vocation semés par le Seigneur ne soient pas amenés à se dessécher par manque de nourriture intérieure de piété et d’éducation adéquate, au point de vue humain et surnaturel.

Notre pensée et notre salut vont ici à tous ceux qui s’em­ploient généreusement à faire bien répondre les institutions de formation ecclésiastique et religieuse aux nouvelles exigences du temps, dans la fidélité aux traditions sages et encore valables qui ont été éprouvées par des générations et des générations de prêtres, de religieux et de religieuses saints et zélés.

 

Pour la liberté de l’Eglise

 

Nous ne pouvons pas toutefois taire non plus la blessure qui se rouvre en notre cœur chaque fois que, en pensant à l’Eglise, nous devons rappeler les souffrances, les limitations, les pressions auxquelles elle est encore aujourd’hui soumise en diffé­rentes parties du monde, jusqu’à ne pas être en mesure, par­fois, de rester en contact avec le reste du monde catholique et avec le Siège Apostolique, ne fût-ce que pour communiquer des nouvelles de son existence et de ses problèmes.

Et pourtant même de ces régions, malgré ces oppressions et ces silences, réussit de temps en temps à nous parvenir un témoignage attestant que l’Eglise survit, et même qu’elle vit parfois de manière d’autant plus profondément tenace et authentique que plus grandes sont les ténèbres qui l’envelop­pent et l’héroïsme requis par sa fidélité au Christ et au Siège Apostolique.

En ce qui nous concerne, nous continuons à tenir cette Eglise souffrante dans notre cœur, comme la partie de prédi­lection de la grande famille chrétienne, vers laquelle se porte toute notre affection et à laquelle nous nous efforçons de nous consacrer en la servant humblement mais fidèlement.

Ainsi, nous ne nous lasserons pas de prier ni d’inviter le peuple chrétien à prier pour elle, et nous ne nous lasserons pas non plus de mettre en œuvre tous les efforts possibles pour l’aider et nous attacher à soulager ses malheurs.

Nous confions ces problèmes de l’Eglise particulièrement aux Saints et aux Bienheureux que nous avons eu la grâce de désigner cette année à la vénération de tous ; nous les confions à Celle qui est la Mère très aimante de l’Eglise, la Vierge Ma­rie, et dont nous avons voulu récemment rappeler au monde chrétien les titres qui Lui font mériter notre vénération, notre culte, notre confiance, et qui nous font voir dans son interces­sion la protection sûre de notre vie et du salut de l’humanité.

 

Regard à l’extérieur de l’Eglise

 

C’est aussi notre habitude, en cette circonstance, de jeter un regard sur le monde dans lequel vit l’Eglise et auquel elle doit apporter un intérêt et un service particuliers.

Nous savons que l’humanité, dans son ensemble, connaît une période de mutations et de troubles, dus à l’apparition de force économiques opposées dont le contrôle tend à échapper, à ceux qui voudraient et devraient au contraire les dominer, et à l’épuisante aspiration des peuples à des structures plus justes, sous la poussée d’insatisfactions qui remettent en ques­tion les rapports sociaux, et politiques, soit à l’intérieur des communautés nationales, soit de pays à pays ou de continent à continent.

Nous ne pouvons certes pas énumérer tous les graves pro­blèmes dans lesquels se débat aujourd’hui la société interna­tionale. Qu’il nous suffise de répéter que le Saint-Siège offre son humble collaboration aux hommes de bonne volonté pour résoudre inquiétudes et préoccupations. Mais nous ne pouvons taire le spectre de la faim et de la soif qui semblait disparu ; au contraire il est en train de revenir et de menacer dans son effrayante réalité, en ces mois mêmes, du fait de la sécheresse qui continue à désoler une large tranche du continent africain, de la Mauritanie à l’Ethiopie. Voici un an, notre premier ap­pel à une entraide fraternelle fut accueilli par de nombreuses organisations, surtout catholiques ; nos envoyés ont visité les régions frappées et nous ont rapporté l’écho de leur admira­tion devant le courage avec lequel ces populations, pourtant épuisées et décimées, résistent à la menace quotidienne de mort qui pèse sur les personnes, les animaux et les plantes. Nous voudrions que les espoirs de vie et les efforts courageusement accomplis ne soient pas vains ; et nous adressons un nouvel et pressant appel à la charité de tous les chrétiens, de tous les hommes, pour qu’ils renouvellent le concours de leur assistance concrète, suffisante et opportune.

 

Irlande du Nord et Moyen-Orient

 

Bien qu’il ne soit pas dans nos intentions d’étendre ce dis­cours, comment pourrions-nous ne pas mentionner la tragédie persistante et les explosions de violence en Irlande du Nord, et les autres nombreux points de souffrance sur l’échiquier du monde ? Ainsi nous ne voulons pas passer sous silence la nou­velle lueur d’espoir que l’intense activité et la convergence des communs efforts d’hommes hautement responsables ont allumé pour la paix au Moyen-Orient. Paix si désirée et si difficile !

Le Siège Apostolique, qui a toujours suivi avec le plus cor­dial intérêt et la plus vive participation la succession des évé­nements dans ce secteur, et qui a toujours engagé et mis à la disposition de tous ses possibilités, si modestes soient-elles, de favoriser le commencement d’une solution équitable et paci­fique du long conflit, ne peut pas ne pas exprimer à présent sa propre satisfaction pour ce qui a été accompli, tout en fai­sant des vœux pour ce qui reste à faire.

Pour notre part, nous ne voudrions pas manquer d’encoura­ger tous les responsables à n’omettre aucun effort — de bonne volonté et de sagesse politique — dans la recherche d’un moyen juste et digne pour dénouer le problème tellement difficile et tellement douloureux du sort des populations palestiniennes.

Animé de sentiments de sincère amitié pour tous les peu­ples de cette région glorieuse et tourmentée, également sensible aux droits et aux légitimes aspirations de chacun d’entre eux, participant, sans distinction, à la douleur de l’une et l’autre partie, lorsque la violence vient à les frapper en faisant des victimes même parmi les innocents et les gens sans protection, nous ne pouvons pas ne pas revenir à ce problème et ne pas élever notre voix, écho de la conscience des exigences de justice de l’humanité, en faveur de tant d’êtres humains qui atten­dent, grâce à la paix, la fin d’une situation d’abandon et de souffrances qui se prolonge pour eux depuis trop longtemps.

Il nous faut ajouter un mot au sujet de Jérusalem. Nous souhaitons de nouveau que, grâce à la juste solution que nous espérons, la Cité Sainte ne demeure pas une cause de rivalité persistante et de revendications continuelles pour les trois grandes familles spirituelles qui regardent vers elle comme vers un centre d’affection religieuse et jalouse, mais puisse devenir signe de paix et de concorde.

 

Vœux pour les territoires africains

 

Nous ne pourrions terminer sans faire entendre un autre espoir et un autre vœu ardent que nous portons au fond du cœur. L’un et l’autre ont trait aux territoires africains du Mozambique, de l’Angola, de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert.

Il s’agit de régions et de populations qui nous sont particu­lièrement chères, notamment par la diffusion que le message évangélique y a connu.

Notre position à l’égard des problèmes qui ont surgi en elles et à leur sujet au cours des dernières années a été claire et nette : elle favorisait une évangélisation libre et responsable en même temps que le développement civil des territoires en question, et, dans l’évolution de leur maturation historique, elle s’inspi­rait des principes de justice que nous avons souvent fois pro­clamés, en particulier à l’occasion de notre visite à Kampala pendant l’été 1969, et de la juste prudence qui doit présider à l’application ordonnée et efficace de ces mêmes principes. Ex­primée avec la discrétion que les circonstances exigeaient de nous, cette position était bien connue des sphères les plus res­ponsables. Et nous avons été encouragé en la voyant reconnue et appréciée par des représentants directs et des Chefs d’Etat africains, intéressés plus que d’autres à une situation qui tou­chait l’âme et les exigences de leur continent tout entier, et, en certains cas, les intérêts vitaux de leurs pays respectifs.

Et maintenant nous souhaitons que la bonne volonté, le sens de la justice et des exigences historiques actuelles, la com­préhension des droits des populations des territoires en ques­tion et de leurs intérêts légitimes, communs et supérieurs, con­duisent à cette solution prompte et satisfaisante qui semble correspondre aux désirs et aux résolutions des responsables.

 

Désir ardent d’unité

 

En terminant cet examen, ample mais nécessaire, de la si­tuation générale, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Eglise, nous ne pouvons manquer de relancer notre appel à la néces­sité du renouvellement et de la réconciliation dans l’amour, selon le thème de l’année jubilaire. Nous devons tous nous sentir davantage engagés dans un effort honnête et sincère en faveur de l’unité qu’il s’agit de recomposer, en nous-mêmes, dans les familles, dans les façons dont s’exprime la vie ecclésiale et sociale à tous les niveaux, entre catholiques et non ca­tholiques, entre les diverses nations. De l’unité interne de l’Eglise doit surgir une volonté générale d’union avec tous, d’amour plus vigoureux et plus universel : « Afin que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jn 17, 21).

Etant désormais au seuil de l’Année Sainte concernant l’en­semble de l’Eglise — nous l’ouvrirons dans la nuit de Noël —, nous ne pouvons pas ne pas éprouver une immense gratitude pour les dons que Dieu continue à déverser sur son Eglise. Et nous ressentons l’obligation de prendre en conséquence, avec plus d’ardeur, un nouvel élan de vitalité pour la mission que nous devons tous accomplir dans l’Eglise elle-même, afin d’en accroître, sans jamais nous lasser, la beauté intérieure et exté­rieure. Le Docteur angélique, dont nous célébrons cette année le VII° centenaire de la mort, met bien en relief cette beauté : « La splendeur de l’Eglise réside principalement dans sa vie intérieure. Mais les actes extérieurs contribuent aussi à cette splendeur, dans la mesure où ils procèdent de l’intérieur et entretiennent la beauté intérieure » (cf. St. TH., in IV Sent. d. XV, q. 3, a. 1 sol. ad 4).

Voilà ce qui doit sans cesse dominer toutes nos pensées, afin d’aimer toujours davantage notre Sainte Eglise, pour en promouvoir l’accroissement, pour en respecter l’organisme dans lequel vit l’Esprit Sanctificateur et par le moyen duquel Il agit.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

30 juin

PAUL VI A ORDONNÉ SEPT ÉVÊQUES

 

Le 30 juin, en la Basilique Saint-Pierre, au cours d’une Messe solennelle, Paul VI a commémoré simultanément sa fête patronymique et le XI° anniversaire de son couronnement. Il a voulu, à cette occasion, conférer personnellement l’ordination épiscopale à 7 Evêques récemment élus. Voici, en traduction, l’homélie prononcée par le Saint-Père :

 

Chers Fils,

Vénérables Frères,

et parmi tous, vous, les candidats à la dignité et à la charge épiscopale dans l’Eglise de Dieu !

 

Le rite sacré que nous sommes en train d’accomplir exige, à ce point de son déroulement, une pause ; une pause de réflexion.

De même que, pendant l’ascension fatigante vers le som­met d’une montagne, l’alpiniste arrête un instant sa marche pour reprendre son souffle, étudier sa route et contempler le panorama qui s’offre à ses yeux, suspendons nous aussi pour quelques minutes prières, chants et cérémonies, et essayons de nous rendre compte, dans toute la mesure du possible, de no­tre itinéraire spirituel particulier, et d’en relever les axes re­ligieux; essayons aussi d’éclaircir, pour mettre de l’ordre dans notre esprit, le sens et la valeur de l’ordination épiscopale que nous-mêmes, ministre de ce sacrement, sommes en train de conférer, et que ces Frères, destinés à la plénitude du sacerdoce, sont en train de recevoir.

Quelle immense méditation s’offre à notre esprit ! Nous n’osons certainement pas prétendre la contenir dans le cadre étroit de temps et de réflexion permis pour ces paroles toutes simples, ni la dessiner comme il faut en une rapide synthèse qu’un rite aussi grave, aussi solennel et aussi important suggérerait toutefois de tracer. Nous dirons seulement, par souci de brièveté et de clarté, qu’en ce moment d’attention intérieure intense, une prise de conscience humble et confiante nous est demandée.

Prise de conscience, surtout, de l’élection personnelle, que la collation de ce sacrement met clairement en évidence. Nous qui avons été revêtus déjà d’une si grande grâce, et vous, Frères, qui vous apprêtez à l’être, nous sommes ici parce que nous avons été appelés. Nec quisquam sumit sibi honorent, sed qui vocatur a Deo : « nul ne s’arroge à soi-même cet honneur, on y est ap­pelé par Dieu » (He 5, 4). Qui oserait assumer cette charge de sa propre initiative — même si ses fonctions providentielles peuvent être désirables en elles-mêmes, comme l’écrit Saint Paul à son fidèle disciple Timothée : 1 Tm 3, 1 — s’il n’était sûr que son investiture lui est conférée par la volonté de Dieu ? Et qui pourrait avoir la garantie de sa prodigieuse valeur s’il ne savait qu’elle dérive, par la succession apostolique, de l’insti­tution d’origine, irremplaçable, du Christ lui-même ? Non vos me elegistis, sed ego elegi vos : « ce n’est pas vous qui m’avez choisi, dit le Seigneur, mais c’est moi qui vous ai choisis » (Jn 15, 16). Quels que soient les événements de notre vie passée qui nous ont conduits jusqu’ici, du moment qu’ils reposent sur des bases canoniques, c’est-à-dire sur l’économie légitime de l’Esprit, nous découvrons une intention divine qui porte sur chacun de nous personnellement, une histoire rétrospective, analogue à celle par laquelle la vie nous a été donnée, qui nous révèle un dessein, une élection, un amour du Christ pour chacun de nous. Dans la clarté d’une aube évangélique, raconte l’Evan­gile, après avoir passé la nuit en prière (et quelle prière), Jésus « appela ses disciples et en choisit douze, auxquels il donna le nom d’apôtres » (Lc 6, 13). Cette veillée, pour notre temps, cette prière, pour notre destin, ne sont pas terminées. Comme des phares qui, du cœur divin, rayonnent dans l’obscurité des siècles, se reflètent secrètement et aujourd’hui ouvertement sur chacun de vous, Frères, ainsi l’écho des dernières paroles du Christ à ses disciples parvient maintenant au cœur de cette scène, de ce moment béni : « Je prie, dit-il, pas seulement pour eux (les disciples choisis les premiers, qui étaient présents aux adieux du Seigneur la veille de sa passion), mais pour ceux-là aussi qui, grâce à leur parole, ajouta-t-il, croiront en moi, afin qu’ils soient un ; comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient un en nous, afin que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jn 17, 20-21). Ce message sacerdotal du Christ arrive à présent jusqu’à nous ; un mystère d’unité s’ac­complit ; une mission apostolique en dérive et se prolonge dans le temps et dans l’humanité.

Nous vous disons cela, à vous nos Frères appelés à l’épiscopat, pour qu’une mentalité nouvelle, une psychologie nouvelle, un esprit nouveau se forment en vous et se reforment aussi en nous, comme si tous ensemble nous avions été investis et ma­gnétisés par le rayon de lumière et de vertu qui vient de l’Es­prit Saint pour nous rendre aptes au ministère supérieur de gouverner, tout en la servant, l’Eglise de Dieu (cf. Ac 20, 28). Nous vous disons cela, à vous nos Frères appelés à l’épiscopat, pour que, imprégnés de cette certitude surhumaine, vous soyez joyeux, vous soyez forts, vous soyez toujours confiants (cf. Ph 1, 20), et pour que vous puissiez vous-mêmes être des sources de consolation, dans leurs vicissitudes, pour les autres fidèles (cf. 2 Co 1, 4).

Et voici que l’acuité de cette nouvelle prise de conscience nous ouvre maintenant une vision intérieure : celle d’être nous-mêmes les porteurs qualifiés d’un trésor fragile et précieux (cf. 2 Co 4, 7), confié à nos mains pour le distribuer, l’accroître, le protéger et le défendre. Quel est ce trésor ? C’est l’Evangile vi­vant et éternel du Christ, c’est sa Vérité libératrice et rédemptrice, c’est le fameux « dépôt » de la foi à garder jalousement et à authentifier dans son intégrité toujours vivante, avec l’aide de l’Esprit Saint (cf. 1 Tm 6, 20 ; 2 Tm 1, 14).

Oui, Frères, vous aurez aussi une grande responsabilité, celle du ministère de la Parole qui proclame la vérité divine, celle du magistère autorisé et fidèle dans l’Eglise de Dieu, celle de l’annonce missionnaire de la doctrine chrétienne, celle de la protection et de l’accroissement du patrimoine de la culture catholique. L’exercice d’une telle responsabilité magistérielle sera un des devoirs principaux de votre fonction épiscopale ; il est aujourd’hui d’autant plus grave et utile au salut que plus grands sont la diffusion et le désarroi de la pensée spéculative moderne. La culture humaniste, abandonnant la sagesse expérimentée de la tradition, préfère, et souvent exclusivement, se complaire dans la science du calcul et de l’observation expérimentale, en se limitant à la connaissance, empirique et sen­sible, du monde extérieur, par laquelle il est tellement difficile à l’esprit de l’homme contemporain d’accéder à la connaissance rationnelle et métaphysique, et encore plus à celle, bien que toujours accessible à la raison, de la religion et de la foi. L’art de la pensée vraiment humaine et vitale exigera de votre ministère un effort pédagogique particulier et persévérant. Vous découvrirez vous aussi dans l’exercice du ministère doctrinal auquel vous ne pouvez renoncer, qu’une recherche inquiète et parfois rebelle est préférée à la possession sûre et féconde de la vérité connue, qu’une opinion souvent servile et changeante est préférée à la cohérence positive et dynamique de la raison, qu’une hypothèse gratuite et à la mode est préférée à l’exigence — qui tient toujours — du sens commun, et qu’ainsi une cri­tique a priori et subversive prévaudra facilement sur l’analyse objective de la réalité, comme aussi un état de doute systéma­tique sur l’adhésion équilibrée et féconde de la certitude.

Nous savons bien que la possession et l’étude de la vérité religieuse telle que la révélation chrétienne l’offre à notre esprit s’affirment et se développent, non seulement dans la sphère rationnelle, mais dans le règne du mystère, de ce « pietatis sacramentum » dont parle Saint Paul et qui contient de ma­nière synthétique le dessein transcendant de notre salut (cf. 1 Tm 3, 6 et 9) ; mais nous savons en même temps qu’un tel mystère, loin d’affaiblir notre faculté native et divine de penser « en esprit et en vérité » (cf. Jn 4, 24), l’exige et la fortifie. Grande responsabilité donc que celle de l’Evêque ! Il perçoit dans l’appel urgent de sa conscience le devoir d’être en même temps le disciple le plus fidèle et le maître le plus zélé de la divine doctrine (1 Tm 4, 13 et 16). Mais ce n’est pas tout. Le cheminement de la conscience intime de ce qu’est un Evêque ne s’achève pas à ce niveau subjectif quoique très vaste, mais s’ouvre plutôt sur une nouvelle exigence que nous pourrions dire constitutive de sa personnalité. L’Evêque, comme le prêtre, et à un degré supérieur, n’est pas tel pour lui-même, il l’est pour le peuple de Dieu. L’épiscopat n’est pas une simple di­gnité pour celui qui en est revêtu ; c’est une fonction, un ministère, un service pour l’Eglise. « Tu dois savoir, écrit Saint Cyprien vers le milieu du III° siècle, que l’Evêque est dans l’Eglise et que l’Eglise est dans l’Evêque » (Ep 66, 8 ; cf. Lu­men Gentium, 23, note 31) ; et cela, non seulement pour célé­brer un mystère d’unité, mais aussi pour accomplir une obli­gation, un don de soi, un sacrifice de charité. L’Evêque est pasteur. Or le bon pasteur, comme le Christ le dit de lui-même, en personnifiant et en illustrant par son exemple la vie de tous ceux qui sont appelés à reproduire son image et à as­sumer sa fonction dans l’Eglise de Dieu, le bon pasteur donne sa vie pour son troupeau (Jn 10, 11). Don total, don suprême, don joyeux ! Comme nous le savons, il découle de l’amour : « Si tu m’aimes, dit Jésus à Pierre, pais mon troupeau (cf. Jn 21, 15 ss.) ; assurément une telle consigne vaut pour tout vrai pasteur. Pensez, et pensez toujours aux conséquences d’un tel principe : il faut se dépouiller de tout égoïsme, de tout intérêt personnel, de tout domaine réservé. La charité pastorale s’élève au primat de l’amour : « Personne, dit Jésus, n’a de plus grand amour que celui qui donne sa vie pour ses amis » (Jn 15, 13). Et ce que Jésus a dit à l’intention des Apôtres, vaut pour leurs successeurs, les Evêques.

Qui sont les amis d’un Evêque ? Ils appartiennent à deux catégories, nous le savons tous bien. La première catégorie est celle des Evêques eux-mêmes, c’est-à-dire des membres du Col­lège épiscopal, auxquels, dans la personne des Apôtres, a été donné par excellence le commandement nouveau de s’aimer les uns les autres. « Comme moi, dit encore Jésus, je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. A ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à cet amour que vous aurez les uns pour les autres (Jn 13, 34-35) : unité, solidarité, collaboration feront, en se fondant sur les paroles si explicites et si solennelles du Seigneur, de tous les Evêques de l’Eglise catholique une communion de Frères (cf. Lumen Gentium, 23). L’autre catégorie est composée de tous les hommes. Soit parce que la collégialité, comme l’avait déjà enseigné notre vénéré prédécesseur Pie XII, rend chaque Evêque coresponsable « de la Mission apostolique de l’Eglise, selon les paroles du Christ à ses Apôtres : "Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie" (Jn 20, 21). Cette mission, qui doit embrasser toutes les nations et tous les temps, n’a pas cessé avec la mort des Apôtres : elle demeure permanente en la personne de tous les Evêques en communion avec le Vicaire du Christ » (Fidei donum, 1957). Soit parce que chaque Evêque est mandaté pour le ministère pastoral d’une Eglise déterminée, organisée réelle­ment pour ce qui concerne les sièges résidentiels, symbolique­ment et virtuellement par rapport à l’Eglise entière pour ce qui concerne les sièges titulaires. On ne conçoit pas d’Evêque qui ne soit voué au service et à l’amour du peuple de Dieu dans la plus large acception des termes. L’Evêque est comme un cœur où toute l’humanité trouve accueil. Assurément, cela ne va pas sans l’observance de normes sages dont la Regula Pastoralis de Saint Grégoire le Grand, qui repose lui-même en cette Basilique, nous dicte, avec tant d’autres maîtres, l’unique inspiration dans la charité et l’infinie variété psychologique et pédagogique de son application.

Pauvre cœur de l’Evêque ! Comment fera-t-il pour assumer de si vastes horizons, et comment pourra-t-il s’exprimer avec toute la sagesse requise ? Non, mes Frères, il n’est pas pauvre ! Il est heureux plutôt, le cœur d’un Evêque, destiné à se mo­deler sur celui du Christ et à perpétuer à travers le temps et l’espace les merveilles de la charité du Christ. Oui, ce cœur est heureux ! Puisse-t-il en être ainsi du cœur de chacun d’en­tre vous, nouveaux Evêques de l’Eglise du Christ !

 

 

 

7 septembre

« NE PAS CONSIDÉRER LE PROBLÊME DES NAISSANCES SEULEMENT SOUS L’ANGLE MATÉRIALISTE »

 

Recevant les membres de la 25° Assemblée Géné­rale de la Fédération Internationale Pharmaceutique, le Saint-Père a prononcé une allocution dans laquelle il est revenu sur le problème des naissances. Le Pape s’est exprimé en ces termes :

 

Nous avons volontiers accepté, Mesdames et Messieurs, cette occasion de vous rencontrer au moment où vous achevez à la fois les travaux de la vingt-cinquième Assemblée générale de la Fédération internationale pharmaceutique et du trente-quatrième Congrès international des Sciences pharmaceutiques. Nous vous adressons notre salut cordial, et, sensible à votre confiance, nous vous remercions des sentiments que vous venez d’exprimer.

Vos travaux tirent leur importance non seulement de leur valeur scientifique, et de la contribution qu’ils apportent à une meilleure connaissance des réactions de l’organisme humain aux diverses thérapeutiques, mais surtout parce qu’ils ont pour objectif, à travers vos diverses spécialités, le soulagement de la souffrance, le mieux-être et la guérison des hommes. Cette ren­contre que vous avez voulue Nous est agréable : elle Nous donne l’occasion de vous exprimer notre respect. Le thème particulier de vos travaux et les problèmes qu’ils posent à la conscience Nous engagent aussi à vous proposer quelques-unes de nos con­victions à ce sujet.

Qu’il Nous soit donc permis de vous demander d’abord, à vous qui êtes formés à l’étude et à la réflexion, de prendre le temps nécessaire pour approfondir vraiment la doctrine ferme et constante de l’Église concernant les graves questions relatives à la conception humaine. Les documents ne manquent pas en ce domaine, jusqu’à notre encyclique « Humanae Vitae » qui a explicité cet enseignement sur le point dont vous avez fait un des principaux objets de vos travaux. Cet enseignement déve­loppe en effet la vision globale de l’homme (cf. n. 7), dans sa dépendance du Dieu Créateur comme dans sa vocation surna­turelle: elle seule est vraiment éclairante et sa vérité ne saurait dépendre des réactions de l’opinion. C’est pourquoi Nous encourageons fortement tous ceux qui veulent mettre le souci de l’homme au premier plan de leurs préoccupations, à faire l’effort d’élargir leurs perspectives, de relativiser des points de vue uni­latéralement grossis par la propagande, pour parvenir à un jugement sain et équilibré sur les valeurs en cause. Il s’agit de mettre l’homme sur le chemin d’une paternité responsable. Et dans le message déjà cité (cf. n. 24), comme d’ailleurs l’avait fait le Concile Vatican II, Nous invitions les hommes de science à faire converger leurs études et leurs réalisations pour favoriser une saine régulation de la procréation humaine.

Certes le problème de la limitation des naissances demeure un problème complexe, qu’il faut considérer avec sagesse sous tous ses aspects, humain, éthique, culturel et non pas seulement sous l’angle matérialiste de la quantité. Notre Délégation à la Conférence mondiale de la population qui s’est tenue récem­ment a Bucarest l’a clairement exposé, tout en réaffirmant sans ambiguïté le refus de l’Église d’accepter les pratiques contraires au respect dû à la vie humaine, comme l’avortement, la stérilisation, la contraception par des moyens qui ne respectent pas les lois de la transmission de la vie. Car la mission qui est la nôtre nous impose de défendre sans relâche la vie humai­ne, ce don inestimable de Dieu, et les lois sacrées qui la régissent.

Oui, que ce soit le plan de la recherche scientifique, des réalisations de laboratoire, ou au niveau personnel de la maî­trise de soi des époux, il faut savoir payer le prix d’une vie véritablement humaine, conforme au dessein de Dieu. Sur le Plan économique aussi bien sûr : on ne peut en conscience chercher une source de bénéfices dans la distribution de produits qui avilissent l’homme et l’amour, ou qui tuent la vie.

Les exigences que Nous venons de rappeler demandent aujourd’hui beaucoup de conviction et de courage, dans la si­tuation de compromis où baignent nos contemporains. Mais ces difficultés ne doivent pas vous faire reculer car les orientations prises par la société dépendront en partie de la vigueur de votre sens moral. Nous vous disons notre confiance et demandons au Seigneur de vous éclairer, de vous fortifier de sa grâce, et de bénir votre volonté de service, pour le bien de tous.

 

 

 

7 septembre

LETTRE DU SOUVERAIN PONTIFE AU DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’UNESCO

 

Pour la VIII° Journée Mondiale de l’Alpha­bétisation, le Saint-Père a adressé au Directeur Général de l’Unesco, René Maheu, la lettre suivante :

 

A Monsieur René Maheu

Directeur Général de l’UNESCO

 

Au moment où l’UNESCO, au terme de son programme mondial de dix ans, engage une nouvelle phase de sa lutte contre l’analphabétisme. Nous voulons redire tout l’intérêt que l’Église et le Saint-Siège portent à ce problème mondial, confir­mant ainsi l’action poursuivie au cours des siècles et en bien des régions pour la promotion culturelle des peuples, auprès des adultes comme des jeunes.

L’homme désire naturellement savoir: la connaissance le fait accéder à un rapport nouveau avec la nature ; elle lui donne surtout des possibilités renouvelées de dialogue avec ses sembla­bles. Le diffusion généralisée d’une instruction de base vise donc à remédier aux inégalités et aux discriminations sociales, à per­mettre l’accès aux responsabilités dans la vie privée et collective, à favoriser une meilleure compréhension entre les générations, contribuant ainsi à établir des conditions de communication authentique entre les hommes.

Malgré les efforts déjà accomplis, le problème reste grave et urgent, en raison de la croissance démographique et des charges accrues que les exigences d’une alphabétisation plus poussée imposent aux nations. Certes, le travail important effectué par l’UNESCO au cours des dernières années fournit une base solide de recherches et d’expérimentations. Profitant de l’expérience acquise, il convient de promouvoir maintenant une action plus large, s’adressant sans discrimination à toutes les catégories des populations. La responsabilité de telle entreprise relève alors d’une manière spéciale des autorités nationales : il leur revient de diriger les investissements et les priorités éducatives, tout en demeurant largement ouvertes au concours des initiatives privées qui s’offrent pour contribuer, de manière désintéressée, à l’effort commun. Depuis longtemps, l’Église a su prendre sa part dans ce service des plus déshérités, là en particulier où la pauvreté règne en maître, là où il n’y a pas à espérer de profit matériel, mais où la joie de voir l’homme, « debout », devenir participant de sa propre éducation, améliorer lui-même la qualité de sa vie et en découvrir enfin le sens dernier, est la seule récompense de ceux qui reconnaissent en tout être humain une image du Créateur.

Dans ce domaine privilégié de la collaboration humaine, les besoins demeurent immenses. Leur satisfaction devrait être l’objectif prioritaire de la politique intérieure comme de la coopération internationale. Comment ne pas s’étonner, alors, en considérant l’importance que tant de pays, — même parmi ceux qui sont en voie de développement — accordent unilatéralement à la recherche d’une croissance économique purement matérielle, ou bien plus encore, de manière désastreuse, à des dépenses militaires qui contribuent si souvent à rendre précaires la paix et la sécurité ? Comment ne pas rappeler surtout la grave obligation morale, pour les dirigeants des nations riches, de faire prendre conscience à leurs compatriotes du grave devoir de se sentir solidaires des peuples défavorisés, de les aider de manière désintéressée et d’inclure cette aide dans leurs programmes éco­nomiques au lieu de chercher constamment, sur le plan national ou international, à tirer le meilleur profit de leurs investissements ?

La coopération internationale doit donc s’effectuer dans un esprit de sincérité, de service désintéressé, dans le respect des spécificités culturelles de chaque peuple, avec la volonté d’évi­ter tout ce qui serait recherche indue d’influence ou forme sub­tile de domination. C’est pourquoi Nous saluons et Nous en­courageons la création envisagée d’une « Fondation internatio­nale pour l’alphabétisation ». Nous espérons qu’elle permettra d’apporter aux moins favorisés, dans le cadre de la deuxième Décennie du développement, l’aide désintéressée dont ils ont besoin, tout en fournissant aux pays les plus riches un moyen d’agir qui évite le plus possible l’esprit de rivalité ou de domi­nation.

Dans ces perspectives, Nous saisissons l’occasion de la célé­bration de la Journée internationale de l’alphabétisation pour formuler de nouveau nos vœux les meilleurs pour le développe­ment de cette grande œuvre de fraternité humaine sur laquelle Nous invoquons, ainsi que sur tous ses ouvriers, l’abondance des divines bénédictions.

 

PAULUS PP. VI

 

 

 

14 septembre

PÈLERINAGE DU PAPE À LA PATRIE DE ST THOMAS D’AQUIN

 

Le Saint-Père s’est rendu le 14 septembre dans la région d’Aquin, patrie de Saint Thomas. Voici la traduction des deux allocutions pro­noncées par le Pape, lors de ce bref voyage, à Fossanova et à Aquin :

 

A Fossanova

 

Frères et Fils très chers,

 

Nous sommes venu à Fossanova pour vénérer Saint Thomas d’Aquin là même où il mourut il y a sept cents ans, le 7 mars 1274, âgé d’environ cinquante ans. Nous pensions faire cette visite, presque furtivement, à titre de dévotion privée ; mais les circonstances l’ont emporté sur notre intention. La présence de si nombreuses personnalités ecclésiastiques, religieuses, civiles, et celle d’une si grande foule désireuse de s’associer à notre acte de piété religieuse, fait que notre humble hommage personnel revêt un caractère public et devient cérémonie commémorative. C’est d’ailleurs bien mieux, en raison de l’hommage collec­tif et significatif qui est ainsi rendu à la mémoire de ce Saint, si digne de notre souvenir et de notre vénération commune ; grâce également à l’occasion qui nous est donnée de vous rencon­trer tous et de vous saluer en tant que fidèles croyants, pénétrés de l’estime due à un si grand Saint et dans tout ce que vous êtes et représentez en ce moment et en ce lieu ; et enfin parce que nous nous sentons obligés de vous adresser une parole, très simple et dénuée de toute prétention d’être à la hauteur du thème si élevé, que la mention du grand Docteur exigerait de nous et pour vous ; une parole liée davantage au caractère liturgique de cette cérémonie qu’à la célébration du Saint que nous voulons honorer et invoquer.

Nous dirons donc seulement quelle est la raison — une des raisons ! — qui semble émerger de l’évocation de la mémoire de Saint Thomas provoquée par notre pieuse excursion, accomplie avec joie en cette fin d’été.

Nous trouvons immédiatement cette raison si nous nous demandons tous nous-mêmes : pourquoi sommes-nous ici ? Etant donné le caractère de cette assemblée, ce n’est certainement pas pour accomplir seulement un geste de vénération religieuse, comme si, à l’évocation intérieure du Saint, nous nous inclinions émus et heureux devant sa grande et hiératique figure. Cette figure, rendue vivante par la communion des saints, toujours réévoquée par un rite religieux comme celui-ci, suscite en nous une demande audacieuse : Maître Thomas, quelle leçon peux-tu nous donner ? A nous, dans un moment bref et intense tel que celui-ci ; à nous, que sept siècles séparent de ton école ; à nous, qui sommes hypnotisés par la culture moderne ; à nous qui sommes fiers de notre savoir scientifique ; à nous, qui sommes distraits par « la fascination de la frivolité », la « fascinatio nugacitatis » dont parle le livre de la sagesse (4, 12) et dont nous expérimentons aujourd’hui, avec la manière dont la con­naissance sensible prévaut sur la connaissance intellectuelle et spirituelle, l’enchantement vertigineux ; à nous, qui sommes soumis à l’anesthésie du laïcisme antireligieux ; à nous, ô Saint Thomas, toi qui domines encore, comme philosophe et théologien, l’horizon de la pensée avide de sécurité, de clarté, de profondeur, de réalité ; à nous, ne serait-ce que par une seule parole, que peux tu nous dire ?

Saint Thomas ne répond pas maintenant par des mots, car il nous en parviendrait trop de ses œuvres, mais avec la lumière de sa figure et de son enseignement, dont il nous sem­ble recevoir une leçon encourageante : la confiance dans la vérité de la pensée religieuse catholique, telle qu’il la défendit, l’exposa, l’ouvrit aux facultés de connaître de l’esprit humain. Il suffira de quelques aspects de son œuvre monumentale pour fortifier en nous cette confiance, que nous voudrions voir demeurer comme le souvenir vital du centenaire du saint Doc­teur. Confiance, parce que son œuvre prend place dans l’histoire de la pensée, aussi bien philosophique que théologique, comme une synthèse de ce que d’autres grands Maîtres ont étudié avant lui et laissé en héritage à la culture universelle. Il a assi­milé le trésor du savoir le plus significatif de son temps (qui fut un temps incomparable par l’ampleur et l’acuité du travail spéculatif) ; il l’a déterminé grâce au plus rigoureux intellectua­lisme, celui d’Aristote qui, sans méconnaître d’autres formes très élevées de la connaissance, comme celui du néoplatonisme augustinien, semble le mettre en harmonie avec notre rigoureuse mentalité scientifique moderne ; il l’a soumis sans préjugé à la discussion dialectique d’une honnête et contraignante rationa­lité ; c’est pourquoi il l’a ouvert à toute acquisition progressive possible, exigée par la découverte d’une vérité ultérieure.

Nous devons encore notre confiance à Saint Thomas, parce qu’il nous aide à résoudre le conflit, si marqué et si exacerbé à notre époque, entre les deux formes de connaissance dont dispose l’esprit du croyant, la foi et la science. Il le fait en par­tant de la parole de Dieu révélée et étayée par des motifs rationnels de crédibilité, puis en poussant l’esprit humain, la science, à étudier cette parole de Dieu selon des principes et des méthodes propres, de telle sorte que la théologie qui en résulte puisse, sans présomption et sans superstition, accéder à un véritable et merveilleux niveau de « science de Dieu ».

Nous avons confiance en définitive dans ce résultat providen­tiel qui jaillit, pour la pensée et même pour la vie de l’homme, de la complémentarité réciproque de la foi et de la science. La foi cherche dans la science, c’est-à-dire dans la connaissance humaine naturelle, non pas encore la certitude qui est don de la grâce, mais sa confirmation, son développement, sa défense, sa satisfaction : « fides quaerens intellectum » ; et l’intellect, « quaerens fidem », reçoit en échange un guide ultime sans pareil : il est assuré, grâce à la foi, de la Vérité divine qui le domine, qui illumine toute la conscience humaine, la préserve de l’inuti­lité de son effort, du doute incurable, du scepticisme final désespéré, c’est-à-dire du « nihilscire » ; elle la préserve aussi du fol orgueil d’un despotisme scientifique aujourd’hui plus que jamais probable, qui peut retourner contre l’homme qui pense, au point de le blesser et de le faire mourir, la conquête de sa propre pensée.

Confiance. Saint Thomas peut être pour nous un des témoins les plus autorisés et les plus convaincants de l’existence pro­videntielle de ce magistère confié par le Christ à son Église, qui ne lui ferme pas les voies du savoir mais les ouvre, les rectifie et les défend, et qui ne retient pas pour les seuls initiés au labeur, aux ascensions, aux acrobaties de la pensée, la lumière de la Vérité vivifiante, mais les offre, selon une catéchèse humble et sublime, à tous ceux qui dans l’Église elle-même se reconnaissent disciples ; et il réserve la révélation des mystères de la foi les plus élevés et les plus salutaires aux petits, aux simples, aux pauvres, au peuple ignorant des spécu­lations difficiles, mais docile et disponible à l’ineffable dialogue de la Parole de Dieu.

Invoquons donc Saint Thomas qui, en nous invitant encore aujourd’hui à son école, nous introduit au colloque, dans l’Esprit Saint, avec le Christ notre Maître.

 

A Aquino

 

Poursuivant sa visite au pays où vécut et travailla le « Docteur Angélique », le Saint-Père a fait une halte à Aquin, où, au cours d’une liturgie de la parole, il a adressé à la foule rassemblée sur la place, devant la Basilique de Saint Thomas, les paroles suivantes :

 

Cette ville est trop célèbre pour que nous puissions négliger d’y faire au moins une courte halte, afin d’honorer Saint Thomas et rencontrer, dans son siège, l’Évêque, les prêtres, les fidèles et aussi les autorités civiles d’Aquin. Nous avons visité avec une grande vénération Fossanova, où est mort Saint Thomas ; main­tenant, nous visitons avec une non moins grande dévotion la ville qui donne son titre à Saint Thomas ; et nous sommes heu­reux aujourd’hui, de pouvoir partager avec vous un moment de prière pour vénérer sa mémoire et pour implorer son inter­cession.

Et à vous, habitants d’Aquin, que pourrais-je dire ? Il est certainement superflu, de vous recommander d’être toujours heureux et fiers d’être les descendants d’un si grand Homme, un Saint, un Docteur de l’Église, qui en a illustré la doctrine comme peut-être, aucun autre, dans son histoire n’a réussi à le faire. Quelle gloire, et quelle chance avez-vous ! Laissez-nous vous féliciter, bien plus, vous recommander, d’en être dignes ! Sept siècles après la mort de Saint Thomas, comment une popu­lation comme la vôtre, absorbée par un contexte historique et social bien différent de celui dans lequel vécut et travailla ce Saint, peut-elle être, de quelque manière, dans la ligne de sa tradition ? Vous ne prétendez pas rivaliser avec sa science ni même suivre sa vocation, religieuse ou intellectuelle. Personne ne peut prétendre être aux côtés d’un tel Maître ! Mais tous, autant que nous sommes, fils fidèles de l’Église, nous pouvons et nous devons, au moins de quelque manière, être ses disciples ! Et nous ferons cela si nous donnons à notre instruction et à notre formation religieuse l’importance qu’elles méritent d’avoir. Où, si ce n’est à Aquin, l’étude de notre religion — même dans sa forme élémentaire elle est nécessaire et sage — sera-t-elle honorée et accomplie par tous avec un engagement particulier ? Voilà maintenant la leçon qui nous vient de votre Saint Maître, Thomas d’Aquin : tâchons de suivre avec assiduité et amour la Doctrine chrétienne, celle qui vous est enseignée par votre Evêque, par votre curé, par vos prêtres et par vos maîtres et maîtresses d’enseignement religieux, soit à l’Église, soit à l’école.

Nous avons reçu en audience, ce matin même, un groupe nombreux de jeunes étudiants, venant de toutes les parties de l’Italie ; ce sont les gagnants du Concours « Veritas », ce libre concours des Jeunes qui se sont consacrés de manière spéciale à l’étude de la religion ; nous ne savons pas si parmi eux, il y a des étudiants venant d’Aquin ; c’aurait été très bien !

Voilà pourquoi nous nous permettons d’insister dans notre recommandation : soyez vraiment conscients de l’honneur que vous avez d’appartenir à Aquin, qui donne son nom au plus grand Théologien de nos Écoles théologiques, non seulement médiévales, mais aussi modernes ; cherchez à être diligents et engagez-vous dans l’étude régulière et persévérante de la re­ligion.

Cette recommandation, nous l’adressons spécialement aux étudiants qui ont choisi par vocation la vie ecclésiastique ou religieuse : honorez Saint Thomas par l’étude de sa pensée ! Tout en admettant comme légitime et juste la connaissance des formes nouvelles et variées de la culture religieuse, l’Église n’a pas cessé pour autant de renouveler, même pendant le ré­cent Concile, une étude préférentielle des œuvres de Saint Thomas. Un tel Maître peut être considéré aujourd’hui comme actuel et, dans la diffusion de tant d’opinion fausses ou discutables, comme providentiel ! Que notre exhortation aille à nos séminaires, à nos Maisons Religieuses, à nos nombreuses Uni­versités !

Et d’Aquin, maintenant, notre voix s’adresse aussi aux pro­fesseurs de philosophie et de théologie, qui, dans l’Église du Christ, accomplissent la grande mission de transmettre la doctrine véritable de l’Église. Nous les considérons avec grande confiance et grande espérance ! Au nom du Christ, nous les prions d’être fidèles au magistère que le Christ a confié à son Église ; d’être comme Saint Thomas, passionnés de vérité reli­gieuse dans son authentique expression ; et que, dans cette cir­constance et de ce lieu béni, notre paternelle exhortation aille vers eux, ainsi que notre encourageante reconnaissance et notre Bénédiction Apostolique !

 

 

 

24 septembre

SEPTIÈME CENTENAIRE DE LA MORT DE ST BONAVENTURE

 

Dans l’après-midi du 24 septembre, le Saint-Père s’est rendu au « Seraphicum » où se tenait un Congrès International réuni à l’occasion du septième centenaire de la mort de Saint Bonaventure.

Au cours de cette visite, le Pape a prononcé l’allocution suivante :

 

Vénérables Frères et chers Fils !

 

C’est bien volontiers que nous avons parcouru le court chemin qui, de notre demeure, nous a conduit ici.

La circonstance qui a motivé cette visite et la sollicitude de Pasteur de tout le Peuple de Dieu — qui toujours guide nos pensées et dirige nos pas — nous font éprouver des sentiments semblables à ceux qui habitaient l’âme de Saint Paul au moment où il se promettait de rendre visite aux premiers chrétiens de Rome : « ... en venant chez vous, je serai accompagné de toutes les bénédictions du Christ » (Rm 15, 29).

1. Nous savons qu’en ce siège, nommé « Seraphicum », des savants de diverses extractions et provenances ont étudié ces jours-ci la personnalité multiforme de Saint Bonaventure de Bagnoregio, en cette commémoration du VII° Centenaire de sa mort, sorte de couronnement de ce qui, de manière ana­logue, a été fait en d’autres lieux et selon d’autres méthodes.

A tous ceux qui, à des titres divers, ont participé à cette commémoration, nous aimons dire toute notre satisfaction. En même temps, nous nous sentons tenus de former le vœu que de pareilles célébrations, à l’occasion du Centenaire de la mort d’un Saint, confluent sur une célébration de vie qui, comme celle de Saint Bonaventure, avec son exemple et son enseignement, soit capable d’intéresser fondamentalement l’Église de notre temps. N’avons-nous pas écrit, le 15 juillet dernier, dans notre Lettre Scientia et virtute praeclarissimus au Ministre Général des trois familles Franciscaines : hunc ipsum doctrinae vitaeque Magistrum adhuc loqui, quamvis abhinc septem saecula mortuum ?

2. Alors, voilà qu’en ce moment de halte parmi vous, fils dévoués du Saint, maîtres en sa doctrine, fidèles de sa pensée et de son œuvre, nous ne pouvons que nous laisser attirer par le titre d’un de ses brefs écrits ; s’il ne figure pas parmi les œuvres majeures de Saint Bonaventure pour sa dimension et pour son contenu, il est certainement parmi les plus connus et les plus commentés ; cet écrit est tellement important qu’il suffit presque, à lui seul, pour situer Saint Bonaventure dans l’histoire de la culture médiévale, à cause de son aspect caractéristique et unique ; cet écrit, vous l’avez deviné, s’intitule l’Itinerarium mentis in Deum composé à La Verne en 1259.

Ce titre d’Itinerarium se présente à nous, les modernes, hé­ritiers lointains et critiques du patrimoine culturel de Saint Bonaventure, de manière très prestigieuse et très captivante — à cause de quelques indications simples, mais linéaires et précieuses — ; celles-ci nous donnent la joyeuse impression d’avoir le maître tout près de nous, comme guide et comme interprète de certaines tendances de notre esprit. Itinéraire : il nous semble découvrir dans ce titre même un mouvement de l’esprit de recherche, conforme au goût inquiet, ambitieux de progresser, de la culture contemporaine ; celle-ci se propose, certes, la re­cherche, mais souvent, cheminant le long des sentiers du savoir spéculatif de la philosophie et de la théologie, se lasse facilement et s’arrête à des lieux déterminés, comme à une limite extrême ; l’Itinéraire, au contraire, orienté vers le but qui seul peut com­penser la fatigue du rude et long chemin, progresse vers le terme suprême de la divine Vérité, laquelle coïncide avec la divine Réalité. L’Itinéraire de Saint Bonaventure reconnaît la valeur des étapes intermédiaires qui marquent l’échelle de notre savoir; il tend toutefois à une ascension plus haute, met­tant en acte toujours l’effort de la pensée, tant expérimental que logique, secondant ainsi les exigences innées d’une pédagogie sensible, rationnelle et spirituelle que même la meilleure école de notre temps peut encore apprécier.

En outre, l’Itinéraire, éclairé par l’illumination augustinienne qui avait encouragé l’ascension du quaere super nos, parvient finalement au seuil du Mystère infini ; il ne s’arrête même pas ici, mais poursuit, non plus en montant, mais dans une autre direction, presque en descente, traçant une nouvelle voie, celle de l’intériorité de l’esprit humain ; là, le Christ, lumière et aliment, précède, dans les régions de l’âme, vers une recherche nouvelle mais non moins ardue, non plus en dehors, dans les créatures, mais au-dedans de nous, orientée toujours, comme elle l’est, vers la Présence ineffable de Dieu ; celui-ci, moyennant la grâce, a fait de l’âme sa nouvelle et mystique demeure.

Voilà le sentier que Frère Bonaventure a heureusement par­couru et que, sagement, il repropose également à l’homme moderne : l’Itinerarium mentis in Deum qui tend à refaire l’homme du dedans et le pousse à une approche renouvelée du Christ Nôtre-Seigneur (cf. paul VI, Allocution du 9 mai 1973 ; AAS 65, 1973, p. 323 ; Bulle Apostolorum limina, 23 mai 1974 : AAS 66, 1974, p. 306).

Nous avons dit : itinéraire parcouru et proposé par Frère Bonaventure. Oui, « Frère Bonaventure » ! Il nous semble que c’est cette appellation, non moins que le titre prestigieux de Cardinal, qui doit qualifier sa vie et son message.

En réalité, à un plus haut degré que d’autres personnages religieux, qui à cette époque s’illustrèrent dans la sainte Église, Saint Bonaventure partage l’aventure de son Ordre, né depuis peu, et auquel il a donné beaucoup, après en avoir beaucoup reçu. Et il sut établir un permanent contact existentiel avec le Fondateur chez qui il puisa son inspiration ascétique, son génie ecclésial et dont il devint pour ainsi dire la conscience pensante. A cette fin, il se rendit dans les endroits où Saint François était né, avait vécu, était mort, pour reconstruire et transmettre la vérité authentique de sa vie (cf. Legenda major, Prol. n. 4 ; Analecta Franciscana, t. X, p. 559). Et « dans les grandes charges toujours », estimant moins la sinistra cura (cf. dante, Paradis, XII, p. 128 ss.) il se retira — en quête de paix — « dans la tranquille solitude du Mont de La Verne » (Itinerarium mentis in Deum, Prol., n. 2 : Opera Omnia, t. V, 295) ; à cause de l’ex­périence unique que Saint François eut du Christ, en ce lieu, des personnes sages et avisées le considèrent encore comme un des « hauts-lieux de l’esprit » (cf. jean guitton, L’Oss. Romano, édition en langue française du 2 novembre 1973).

De Saint François il apprit, en outre, cette manière admira­ble et belle de « louer Dieu dans toutes et par toutes les créa­tures... » de « croire fermement et de professer simplement la vérité de la foi selon ce qu’affirmé et enseigne la sainte Église Romaine » (Legenda Maior, ch. IV, n. 3 ; Analecta Franciscana, t. X, p. 572).

Cette empreinte franciscaine n’est-elle pas à l’origine de deux caractéristiques de Frère Bonaventure : l’intense activité de vie et la sérénité de pensée ? L’une et l’autre ne proclament-elles pas que Dieu est proche de nous dans la nature et qu’il est pré­sent en nous moyennant la foi ?

3. Effectivement l’itinéraire spirituel que Saint Bonaventure propose aux autres, semblable à celui qu’il a parcourut lui-même, n’est pas un voyage solitaire ou qui aurait pour terme une distance totalement inconnue. C’est une démarche en com­pagnie du Fils de Dieu qui, en s’incarnant, s’est rendu conforme à notre image humaine pour nous ramener à sa propre image divine imprimée dans l’homme lorsqu’il fut créé (cf. Vitis mystica, ch. 24, n. 3 : Opera Omnia, t. VIII, p. 189). Dans le Christ, rendu « frère du genre humain » (In Evang. Luc., 22, 26 : Opera Omnia, t. VII, p. 561 a), même la création tanquam pulcherrimum carmen (In I Sent., d. 44, a. 1. q. 3 concl. : Opera Omnia, t. I, p. 786 b), est redevenue la voix qui parle de Dieu, qui nous oblige à en rechercher la présence, à l’honorer et à la glorifier en toutes choses, si l’on ne veut pas que l’univers tout entier s’insurge contre nous. Et comme le Christ, Dieu depuis toujours et homme pour toujours, a, par sa grâce, opéré dans les fidèles une création nouvelle, la recherche de la présence de Dieu devient pour eux contemplation de Lui dans leurs propres âmes « où il habite avec les dons de son irrésistible amour » (Itinerarium, ch. 4, n. 4 : Opera Omnia, t. V, p. 307). Cela se résout, en fait, en itinéraire orienté vers Dieu à l’intérieur de nous-mêmes, où Il a daigné prendre demeure (cf. Jn 14, 23).

Oh, à quelle merveilleuse découverte peut conduire cet iti­néraire à l’intérieur de nous-mêmes ! Il conduit à la redécouverte de la grâce comme « fondement de la droiture de la volonté et de la clarté de la raison » (Itinerarium, ch. 1, n. 8 : Opera Omnia, t. V, p. 298) ; à la redécouverte de la foi comme perfectionnement de nos facultés cognitives et comme participation à la connais­sance que Dieu a de lui-même et du monde ; à la redécouverte de l’espérance comme préparation à la rencontre irréversible avec le Seigneur, en consommation de l’amitié qui dès à présent nous lie à lui ; à la redécouverte de la chanté comme notre association à la vie divine qui nous induit à considérer, selon la volonté divine, tous les hommes comme nos frères.

4. Qu’est, finalement, le message de Saint Bonaventure sinon une invitation faite à l’homme de récupérer intégralement son authenticité et de parvenir à sa plénitude ?

Nous vous confions ce message, à vous qui, par communauté de profession religieuse et par consonance d’idées, êtes les héritiers les plus directs du Docteur, afin que vous en recherchiez les richesses et en diffusiez l’acceptation. Mais nous le recom­mandons tout autant à tous les fidèles de l’Église, exposée au­jourd’hui probablement plus que jamais à un processus de décomposition intérieure, pour qu’en méditant sérieusement ce message, chacun de vous soit aidé à faire de sa vie un témoi­gnage valable et fécond dans l’Église et dans le monde.

Que, dans sa toute-puissance, Dieu vous rende dignes de votre vocation, qu’il accomplisse tous les desseins bienveillants de votre bonté et les œuvres de votre foi (cf. 2 Th 1, 11) ; voilà le vœu que nous confirmons bien volontiers avec notre Béné­diction Apostolique.

 

 

 

27 septembre

PRIÈRE DU SAINT-PÈRE À L’OUVERTURE DU SYNODE DES ÉVÊQUES

 

Une Église vivante, toujours en recherche de sa propre identité et à l’écoute attentive de la Parole de Dieu. Voilà l’image qu’offrait le 27 septem­bre dernier la Chapelle Sixtine où, serrés autour du Vicaire du Christ, se trouvaient réunis tous les Pères Synodaux provenant des cinq continents, venus au Vatican pour célébrer la troisième assem­blée générale du Synode des Evêques et pour affronter en collégialité apostolique les thèmes de l’évangélisation du monde contemporain. Les Pasteurs des Églises locales auront à donner une nouvelle extension à l’annonce de l’Évangile et à la vie de l’Église à notre époque. Dans cette intention ils se sont unis au Saint-Père qui a ouvert le Synode par une prière dont voici le texte :

 

Seigneur Jésus, le thème de cette réflexion précédant le Synode que nous allons commencer, nous ne voyons pas comment l’exprimer sinon en termes de prière.

En abordant nos travaux de réflexion et nos discussions sur l’« évangélisation du monde contemporain », nous serions tentés d’analyser aussitôt les besoins spirituels de ce monde, les possibilités d’apostolat, et de rechercher les méthodes capa­bles d’assurer une présence plus vigoureuse de l’Église. Nous préférons nous tourner avant tout vers Toi, pour confirmer en nous cette première certitude ; que le fait même de l’évangélisa­tion naît de Toi, Seigneur ; comme un fleuve, il a une source, et Toi, Christ-Jésus, Tu es cette source. Tu es la cause historique, Tu es la cause efficiente et transcendante de ce phénomène prodigieux ; l’apostolat vient de Toi, ô Maître ; de Toi, Sauveur; de Toi, principe et modèle ; de Toi, à la fois grand prêtre et victime pour le salut de l’humanité, l’apostolat a jailli, il a été confié aux disciples choisis, appelés par Toi au rang d’Apôtres, et des Apôtres il est arrivé à nous, Évêques, selon une succession ininterrompue. Ta parole, comme une flamme qui se propage dans le temps et dans les relais de l’histoire, arrive à nous, à la fois très douce et impérative, toujours vivante, toujours nouvelle, toujours actuelle : « Comme le Père m’a envoyé, Moi aussi je vous envoie » (Jn 20, 21 ; cf. 15, 22 ; 17, 18).

A tel point, Seigneur, que nous devrons remonter jusqu’au mystère de la Sainte Trinité pour retracer l’origine première du mandat qui nous presse, et pour découvrir, dans les inson­dables profondeurs de la vie divine, le dessein d’amour qui marque de son empreinte, qualifie et soutient notre mission apostolique.

Mais comment cela peut-il se faire ? Nous sommes, nous, de pauvres êtres perdus dans l’océan de l’histoire et dans la foule innombrable de l’humanité, comment pouvons-nous être choi­sis pour une mission de telle nature et de telle importance ?

Voici, Seigneur, que nous résumerons dans cet instant de prise de conscience et de synthèse notre histoire spirituelle. Nous nous rappelons le chant prophétique de Marie : Respexit humilitatem ancillae suae... fecit mihi magna qui potens est : selon une analogie qui nous vient de la grandeur de la bienheureuse Vierge, nous aussi, nous avons été choisis, non certes pour notre stature humaine, mais bien plutôt pour notre petitesse, afin que, dans l’œuvre messianique que Tu as voulu nous confier, aucune ambiguïté ne vienne de notre valeur humaine mais qu’au con­traire, à cause de notre petitesse, il soit plus évident que c’est ton œuvre qui s’opère par l’humble ministère de nos personnes. Que tes paroles, ô Jésus notre Maître, soient encore pour nous un appel à l’humilité et à la confiance : Non vos me elegistis ; sed Ego elegi vos et posui vos ut eatis et fructum afferatis et fructus vester maneat... (Jn 15, 16). O histoire personnelle et intime de notre vocation à Te suivre, Seigneur, de notre vocation à ton service, à ton sacerdoce, auquel nous participons à un titre spécial en vertu de l’ordination épiscopale qui nous infuse cette certitude intérieure qui nous permet d’affronter, jusqu’à la fin de notre vie terrestre, l’aventure singulière et dramatique de la mission qui nous est confiée ! Quelle forte et douce chaîne soutient l’in­guérissable caducité de notre nature humaine, rendue encore plus fragile par l’habitude critique qui caractérise l’intelligence moderne ! Voici quels sont les anneaux de cette chaîne logique et salvatrice qui nous soutient : tout d’abord, l’authenticité de notre sacerdoce ; oui, il est authentique, le sacerdoce catholique ! En second lieu, sa validité ; oui, il est valide, son triple pouvoir de magistère, de ministère, de direction pastorale ! En troisième lieu, l’intimité que non seulement Tu consens à nous donner, mais que Tu nous imposes d’avoir avec Toi, ô Christ ! Toi, le premier et indéfectible ami entre tous, pour adhérer ainsi à ta volonté salvifique et entrer dans ce courant d’Amour que Tu nourris envers les hommes.

Et puis d’autres liens aussi viennent remédier à notre dis­proportion en face du mandat que Tu nous as donné : la con­fiance, particulièrement celle que Tu as souvent communiquée à tes disciples (cf. Lc 12, 32) ; une confiance qui nous impose comme un devoir le courage (cf. Mt 10, 16, 28), une confiance qui nous fait une obligation de l’initiative (cf. Mt 10, 27), de l’annonce de l’Evangile au monde entier (Mt 28, 29), de la persévérance au-delà des calculs d’opportunité : usque in finem (cf. Mt 24, 12-14). Et avec la confiance, l’espérance : spes atttem non confondit (Rm 5, 5). Enfin et toujours, la charité : quis nos separabit a cantate Christi ? Nous nous souvenons, oui, nous nous souvenons de ces paroles enflammées de l’Apôtre, qui nous assurent une garantie sans limite et contre toute diffi­culté, dans l’entreprise difficile que présente l’évangélisation du monde pour nous, hommes parmi les hommes, à nous qui sommes dépourvus de puissance terrestre, à nous qui sommes pauvres de ressources temporelles (Rm 8, 35, ss.).

Seigneur Jésus ! Nous voici prêts à partir pour annoncer encore ton Evangile au monde dans lequel ta Providence mysté­rieuse mais pleine d’amour nous a fait vivre ! Seigneur, prie le Père, comme Tu l’as promis (Jn 16, 26), afin qu’il nous envoie, par ton intermédiaire, l’Esprit Saint, l’Esprit de vérité et de force, l’Esprit de consolation, qui rende notre témoignage clair, bon et efficace. Et sois avec nous, Seigneur, pour nous rendre tous un en Toi et capables, par ta puissance, de transmettre au monde ta paix et ton salut.

 

 

 

27 septembre

DISCOURS D’INAUGURATION DU SYNODE DES ÉVÊQJUES

 

Vénérables Confrères,

 

Après la célébration liturgique de ce matin, nous voici réunis ensemble dans la salle du Synode pour parler encore entre nous et commencer, selon l’ordre fixé, les travaux qui occuperont la présente Assemblée ces jours prochains. Ce que nous avons déjà dit, nous l’avons adressé directement, sous forme de prière, au Seigneur Jésus, convaincu comme nous l’étions, que le thème très grave de l’évangélisation — qui dépend, selon un dessein d’unité, de l’amour du Père, du mandat du Christ et de la mission de l’Esprit Saint — devait d’abord être placé dans cette perspective élevée avant d’être, ensuite, étudié et appro­fondi.

C’est pourquoi nous voulons maintenant, Vénérables Frères, vous saluer affectueusement, vous tous qui, en esprit de sacrifice, avez quitté vos occupations habituelles dans vos sièges respectifs. Mais permettez-nous de saluer tout particulièrement le Coadjuteur du vénéré Archevêque de Hanoi ; ce dernier en effet, n’ayant pu assister au Concile ni aux Synodes précédents, et se trouvant dans l’impossibilité, pour raison de santé, de parti­ciper, également à la présente Assemblée, rend pour la première fois vivante et présente parmi nous, en envoyant son Coadjuteur, Monseigneur Joseph-Marie Trinh-Van-Can, une part choisie et si chère à notre cœur de la Sainte Église, celle du Viêt-Nam du Nord. A chacun d’entre vous, tandis que Nous invoquons à nouveau l’aide du Ciel sur l’entreprise qui com­mence, nous voulons encore une fois affirmer notre confiance, dire merci du fond du cœur et souhaiter toute sorte de bien « in osculo sancto ».

Laissez-nous dire aussi en quelques mots combien nous ré­jouit le spectacle que vous nous offrez: votre présence qualitative, active, attentive aux exigences de l’Église universelle, est déjà en soi une preuve éloquente — s’il en était besoin — de la réalité de la communion ecclésiale. Permettez-nous donc de reprendre l’expression bien connue et toujours significative du psaume : « Qu’il est bon, qu’il est doux d’habiter en frères tous ensem­ble ! » (Ps 132, 1).

Cette communion est telle, en effet, qu’elle associe les esprits et les cœurs pour un service précieux et urgent, et elle constitue d’autre part l’atmosphère la plus adaptée, la condition idéale pour le dialogue fraternel que vous allez entamer sous peu. Ainsi, au niveau de vos personnes réunies ici pour représenter, d’une manière visible et effective, les communautés ecclésiales répandues à travers le monde, « de toute race, langue, peuple et nation » (Ap 5, 9), cette communion s’élève à une relation encore plus intime, une relation de conversatio, et elle devra s’exprimer dans la discussion loyale, respectueuse et — nous voulons l’espérer — fructueuse sur le problème de l’évangélisation dans le monde moderne.

On a dit et répété qu’il s’agit là d’un thème important et très vaste, mais on ajoute aussitôt qu’il est également audacieux et exigeant, parce qu’il nous oblige à étudier quelles sont réellement, dans le tourbillon de ces années, les conditions socio-cul­turelles de l’humanité dans laquelle et pour laquelle vit l’Église ; parce qu’il touche au vif vos responsabilités de Pasteurs ; parce qu’il nous pose, sous une forme brûlante et, dirions-nous, pro­vocante, une question précise sur notre propre raison d’être au sein de la société humaine. Qui sommes-nous ? Que sommes-nous en train de faire ? Que devons-nous faire ? Nous sommes un « petit troupeau » (Lc 12, 32), que ce soit en tant que personnes ici réunies ou en tant qu’expression synthétique de nos Commu­nautés chrétiennes : comment pouvons-nous avoir la prétention de donner une réponse exhaustive à ces interrogations essentiel­les, et d’accomplir ensemble, de manière efficace et adéquate, la mission de salut qui nous a été confiée ?

Dans la rencontre liturgique de ce matin, nous avons déjà exprimé à ce sujet, une première réflexion, qui apporte une orientation et un réconfort, en remontant à l’aspect originaire et théologique, à la cause efficiente de cette mission : nous avons en effet indiqué le « terminus a quo ». « Je vous envoie » (Jn 20, 21 ; cf. Lc 10, 3), nous a confié le Seigneur, comme pour nous rappeler que, si nous sommes encore dans le monde, nous le sommes toujours en qualité d’envoyés, d’ambassadeurs, d’apô­tres et de missionnaires. Nous voulons maintenant compléter l’idée, en proposant le second aspect — celui-là final, ecclésial, humain — de l’évangélisation, en considérant le « terminus ad quem » qui lui est corrélatif: à qui sommes-nous envoyés ? Ces deux termes peuvent nous servir pour préciser avec profit, le cadre de la fonction évangélisatrice dont vous traiterez ensuite durant le Synode.

Sans anticiper évidemment en rien sur le contenu des discus­sions et sur les réponses que nous attendons de vous, nous vous arrêterons maintenant sur le thème en question pour en saisir au moins les caractéristiques générales et fondamentales et offrir ainsi une utile contribution à la discussion imminente.

La première caractéristique de l’évangélisation nous semble être celle de sa nécessité : à la valeur du sacerdoce catholique que nous avons rappelée ce matin, en tant qu’il est émanation et participation directe du sacerdoce du Christ, correspond la valeur de notre mission en rapport avec les nécessités spirituelles croissantes des hommes d’aujourd’hui. Évangéliser n’est pas pour nous une invitation facultative, mais un devoir contrai­gnant, comme le dit l’Apôtre des gentils, avec un avertissement presque menaçant tout en se parlant à lui-même, lui qui fut à la fois maître et serviteur passionné en matière d’évangélisation : « C’est une stricte obligation qui m’incombe : malheur à moi si je ne fais pas œuvre d’évangélisation » (1 Co 9, 16). Ce « mal­heur à moi », si rigide et si dur, peut sembler à première vue en contradiction avec le climat persuasif et plein de douceur qui caractérise l’annonce de l’Évangile, mais, en réalité, il est salu­taire et opportun : il fait réfléchir, il doit faire réfléchir sur l’obligation permanente de l’œuvre d’évangélisation et sur les responsabilités relatives de tous ceux qui, dans la société bien structurée du Peuple de Dieu, participent, de diverses façons, à l’unique et indivisible ministère apostolique. Évangéliser n’est donc pas une œuvre occasionnelle et temporaire, mais un en­gagement stable et une nécessité constitutionnelle de l’Église : du mandat de son Fondateur : « Allez, enseignez toutes les na­tions » (cf. Mt 28, 18-20 ; Mc 16, 15), à la parole incisive de Paul, à celle, également ferme, de Pierre et de Jean (« Nous ne pouvons pas ne pas parler de ce que nous avons vu et enten­du » : Ac 4, 20), le commandement demeure cohérent et con­traignant jusqu’au plus récent Concile. Et nous nous dispensons de citer les textes sans équivoque du Concile, devant vous qui avez été, dans une large mesure, les protagonistes de cet événement.

Il y a aussi une seconde caractéristique, intimement liée à la précédente, et qui est encore mieux capable de définir le terminus ad quem. Nous voulons dire l’universalité de l’évangélisation, ce qui signifie l’exigence de porter le message évangélique à tous les hommes, sans acceptions géographiques de race, de nation, d’histoire, de civilisation, comme il en fut au jour de la Pentecôte : « de toute nation qui est sous le ciel » (Ac 2, 5). Cet aspect répond aussi à une dimension essentielle et constitu­tive de l’Église catholique, la dimension missionnaire, et l’o­riente vers la fin qui lui est assignée dans le texte déjà cité, dans lequel « Allez, enseignez » se rapporte à « toutes les nations ». Là aussi, le magistère conciliaire nous a habitués à cette com­préhension de l’Église, elle qui « en vertu des exigences intimes de sa propre catholicité, et en obéissant au commandement de son Fondateur... est, durant son pèlerinage terrestre, mission­naire de par sa nature » (Ad Gentes, 1, 2). D’autre part, travailler à ce que toute langue confesse que le Christ est le seul Seigneur et Sauveur de tous, à la gloire de Dieu le Père (cf. Ph 2, 11), a toujours constitué l’action constante de l’Église, grâce à laquelle le christianisme a pu s’affirmer aussi rapidement au cours des siècles.

Dans cette perspective de l’universalité de l’évangélisation, nous rencontrerons une question aussi importante que délicate, celle de l’« œcuménisme », question étudiée actuellement par l’Église avec le plus grand intérêt et le regard le plus fraternel. Ce sera une question à étudier selon l’esprit et les normes qui lui sont propres, mais avec une charité renouvelée et une espérance à toute épreuve.

De même, nous ne pouvons omettre une allusion aux reli­gions non chrétiennes ; celles-ci, en effet, ne doivent plus être considérées comme des rivales, ni comme des obstacles à l’évangélisation, mais comme un secteur de vif et respectueux intérêt et d’une amitié future et déjà commencée.

Et que dirons-nous enfin des régions géographiques ou cul­turelles dans lesquelles la religion ne trouve plus de place ? Immense problème ! L’océan de l’incrédulité, de l’indifférence, de l’hostilité, jusqu’où n’arrive-t-il pas aujourd’hui ? Eh bien, nous n’arrêterons pas pour cela notre effort d’évangélisation, mais nous le fortifierons plutôt par l’espérance, par la prière, par la sagesse et par la patience. Où la charité de l’Evangile peut-elle trouver une limite ? « Aquae multae non potuerunt extinguere caritatem » (Ct 8, 7). Si l’Evangile est folie, son témoignage n’en est pas moins invincible. Quels problèmes! Mais que la crainte ne nous paralyse pas ! Pensons de nou­veau aux paroles de Jésus : « Omnia traham ad meipsum » (Jn 12, 32).

Sans aucun doute, la difficulté qui amène à diminuer l’ef­fort à accomplir pour répandre la lumière du Christ dans le monde, ou à renoncer à l’annonce explicite de l’Evangile, s’appuie sur des raisons plus séduisantes que jamais : d’une part, proposer l’Evangile dans des conditions humainement aussi contraires et défavorables pourrait sembler une prétention chimérique ; d’autre part, on ne voit pas comment on pourrait sauvegarder le respect de la liberté et des valeurs religieuses et morales authentiques qui se trouvent aussi chez les peuples non chrétiens, valeurs dans lesquelles on entrevoit pourtant une pré­disposition providentielle à la plénitude de la révélation chré­tienne. C’est pourquoi le Synode aura soin de voir comment on peut concilier ce respect des personnes et des civilisations, ainsi que le dialogue sincère avec elles — qui est une des conditions fondamentales d’une véritable attitude chrétienne — avec l’universalisme de la mission que le Christ a confiée à son Église.

Il y a aussi un troisième élément de l’évangélisation qu’il faut avoir présent à l’esprit : sa finalité spécifique. Il faudra mieux préciser les rapports entre l’évangélisation proprement dite et tout l’effort humain de développement, pour lequel on attend à juste titre l’aide de l’Église, bien qu’il ne soit pas sa tâche spécifique. Nous savons les difficultés objectives que rencontrent de ce point de vue les fils de l’Église qui sont engagés dans le travail apostolique. Très souvent aujourd’hui, ils sont tentés d’oublier la priorité que doit avoir le message de salut, en réduisant leur propre action à une pure activité sociologique ou politique, et l’a mission de l’Église à un message anthropocen­trique et temporel. D’où la nécessité de réaffirmer clairement la finalité spécifiquement religieuse de l’évangélisation. Cette dernière perdrait sa raison d’être, si elle s’écartait de l’axe reli­gieux qui la dirige ; le Règle de Dieu, avant toute autre chose, dans son sens pleinement théologique, qui libère l’homme du péché, lui propose l’amour de Dieu comme commandement suprême et la vie éternelle comme destin ultime.

Cela ne signifie pas toutefois qu’on puisse et qu’on doive, dans l’évangélisation, négliger l’importance des problèmes, aujourd’hui tant débattus, qui concernent la justice, la libéra­tion, le développement et la paix dans le monde. Ce serait ou­blier la leçon qui nous vient de l’Evangile au sujet de l’amour du prochain dans la souffrance et le besoin (Mt 25, 31-46), leçon reprise par l’enseignement des Apôtres (cf. 1 Jn 4, 20 ; Jc 2, 14-28). Nous-même avons fait de ce devoir l’objet de notre Encyclique Populorum Progressio.

En réalité, l’Église, fidèle à l’exemple et à l’enseignement de son divin Sauveur, n’a jamais manqué de promouvoir l’éléva­tion des peuples, auxquels elle porte la foi dans le Christ. Sa doctrine comme sa morale se sont toujours traduites en institu­tions concrètes qui invitent les hommes à s’élever peu à peu dans tous les domaines, depuis le domaine proprement religieux jusqu’aux domaines politique, social et civil. Comme l’affirme le Concile Vatican II, la mission de l’Église « n’est pas d’ordre politique, économique et social : en effet la fin que le Christ lui a assignée est d’ordre religieux. Il est pourtant bien vrai que de cette mission religieuse découlent une fonction, des lu­mières et des forces qui peuvent servir à constituer et à affermir la communauté humaine selon la loi divine » (Gaudium et Spes, 42). Cela, appliqué spécialement aux laïcs, acquiert une grande importance du fait qu’ils sont eux-mêmes appelés à « chercher le Royaume de Dieu en gérant les choses temporelles » ( Lumen Gentium, 31), et qu’ils doivent, « même au milieu de leurs préoc­cupations temporelles, exercer une précieuse activité pour l’évan­gélisation du monde » (ibid., n. 35).

Il n’y a donc point d’opposition ni de séparation entre évangélisation et progrès humain, mais complémentarité ; si ces deux réalités sont distinctes et subordonnées entre elles, elles s’appellent immanquablement en tendant vers le même but qui est le salut de l’homme.

Tout ceci impose sans aucun doute une réflexion approfondie sur les diverses formes que peut revêtir l’action évangélisatrice. Il est certain que le monde actuel pose des problèmes formidables à l’Église, mais il ne faut pas oublier non plus les possibi­lités immenses, autrefois impensables, qu’offre ce monde sur les chemins de ceux qui, au nom du Christ, « apportent l’an­nonce de la bonne nouvelle » (Rm 10, 15). Qui peut dire en effet les vastes horizons ouverts par les moyens de communica­tion sociale à la diffusion universelle et simultanée de la Parole du Salut ? Renoncer à ces occasions favorables, nous attarder à des critiques corrosives, signifierait manquer le rendez-vous avec l’heure de Dieu, non sans dommages incalculables pour l’avenir de la chrétienté.

Cela veut dire que l’action évangélisatrice d’aujourd’hui doit être conçue selon des vues larges et modernes : au plan des méthodes, des entreprises, de l’organisation, et de la formation des ouvriers de l’Evangile. C’est un travail que vous, Vénéra­bles Frères, vous vous apprêtez à effectuer en ce Synode avec un sens profond de votre responsabilité. Puissent vos efforts, avec l’aide de Dieu, correspondre aux espérances !

Il est évident qu’on ne pourra jamais recourir aux méthodes qui sont en contradiction ouverte avec l’esprit de l’Evangile : ni la violence, par conséquent, ni la révolution, ni le colonia­lisme sous quelque forme que ce soit, ne pourront servir de moyens à l’action évangélisatrice de l’Église, et pas davantage la politique en elle-même, même si les chrétiens ont le devoir d’apporter leur contribution à la conduite des affaires publiques.

Par contre, votre zèle consistera à confronter la conception traditionnelle de l’action évangélisatrice avec les ouvertures nou­velles qui se réclament du Concile et avec les nouvelles condi­tions de notre temps. Il y aura assurément un regard de préfé­rence pour les structures et les institutions de l’Église, déjà ex­périmentées depuis des siècles ; mais, sans renier le passé ni détruire les valeurs acquises, on cherchera à demeurer sereine-ment ouvert à tout ce qu’il y a de bon et de valable dans les expériences nouvelles, en conciliant ainsi les « nova et vetera », spécialement quand il s’agit de mouvements qui œuvrent en collaboration avec la hiérarchie. En tout cas, vous ferez vôtre le mot de Saint Paul : « Vérifiez tout, et ce qui est bon, rete­nez-le » (1 Th 5, 21).

Et, pour terminer, maintenez un salutaire optimisme, sou­tenus par une double et ferme confiance sur laquelle votre tra­vail, comme porté par deux ailes, doit s’élancer vers de nouvelles conquêtes évangéliques : confiance dans vos efforts, car vous travaillez pour l’Église ; et confiance par-dessus tout dans le Christ qui est avec vous, qui vit avec vous, qui utilise votre collaboration et votre expérience pour étendre dans le monde les limites de son règne de justice et de sainteté, d’amour et de paix.

Nous confions ce souhait à l’intercession de la Vierge très sainte, que Nous avons déjà proclamée Mère de l’Église, et qui a toujours été honorée, depuis l’âge apostolique, comme Reine des Apôtres, c’est-à-dire de tous les Pasteurs d’hier et d’aujour­d’hui. Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

20 octobre

VISITE DU SAINT-PÈRE AU COLLÈGE DE PROPAGANDA FIDE

 

Le dimanche 20 octobre dernier, le Saint-Père a rendu visite au Collège de Propaganda Fide. La rencontre du Saint-Père avec les Pères Syno­daux, les Professeurs et élèves du Collège a connu deux moments significatifs : une brève liturgie de la Parole et un repas fraternel. Au cours de la liturgie de la Parole, Paul VI a prononcé un discours dont voici notre traduction :

 

Pourquoi les membres du Synode Episcopal se sont-ils réunis ici aujourd’hui ? Nous avons accepté pour eux l’invitation que nous a adressée M. le Cardinal Agnelo Rossi, Préfet de la S. Congrégation pour l’Évangélisation des Peuples, ayant con­science du double motif de notre présence en ce noble et célè­bre édifice qui abrite le Collège Pontifical « Urbano » et l’Université Pontificale, deux institutions de grande importance pour l’Église Catholique, destinées l’une et l’autre à la préparation d’élèves et de maîtres pour l’apostolat missionnaire, c’est-à-dire pour l’Évangélisation d’un des secteurs les plus vastes et les plus qualifiés pour recevoir le Message du Christ, évangélisation vers laquelle se tournent l’esprit, l’étude et l’œuvre de ce Synode. Où trouver un endroit plus indiqué pour célébrer un moment de ses travaux ? Ceci n’est-il pas un édifice érigé il y a une cin­quantaine d’années par notre grand prédécesseur Pie XI, d’im­mortelle mémoire, qui, mû par une intention prophétique, a voulu donner à l’Église Catholique un nouveau centre adapté au temps nouveaux, d’où puissent rayonner une culture, une pédagogie, une ferveur missionnaire correspondant mieux au mandat apostolique que le Christ a confié à l’Église, et mieux proportionné aux besoins de la catholicité et du monde encore ignorant de la vocation évangélique ?

Ici,  vénérables Frères et vous, Maîtres et hôtes de ce foyer missionnaire béni, nous nous sentons tous missionnaires. Les lieux eux-mêmes sont éloquents. Cette évangélisation, dont notre Synode et avec lui toute la hiérarchie catholique, mieux, toute notre sainte Eglise de Dieu, s’efforcent ces jours-ci de com­prendre les devoirs, d’étudier les conditions, de déterminer les moyens, et surtout de vivre en cette heure bienheureuse l’« ur­gente charité » qui s’affirme et resplendit, qui nous investit de son intérêt suprême, qui nous fait rencontrer le Christ ressuscité, un peu comme s’il nous adressait à nous-mêmes ses galvani­santes et impérieuses paroles : Euntes ergo docete omnes gentes — Allez donc, enseignez toutes les nations (Mt 28, 19). Ici, nous ne nous sentons pas seulement stimulés, mais exaltés et, presque oublieux de nos innombrables déficiences, entraînés à oser, sur la parole du Maître et sous l’impact de son Esprit, la noble entreprise d’annoncer, avec un souffle, un langage et un témoignage nouveaux, l’Evangile du salut à l’humanité, au monde. Ici l’Eglise nous a convoqués comme pour faire l’expérience, dans un de ses sanctuaires favoris, de notre vocation spécifique et privilégiée de missionnaires, d’apôtres, de témoins de l’inter­vention salvifique de Dieu le Père, par l’entremise de Jésus, son Fils et notre frère, dans la communication ineffable de l’Esprit Saint, pour ouvrir au monde un nouveau royaume de justice et de vie (cf. 2 Co 13, 13).

Une circonstance particulière développe en nous, aujourd’hui, la conscience de ce dessein divin: la célébration, que l’Eglise a fixée précisément en cette journée dominicale, la célébration de la « Journée Missionnaire ». Une admirable syntonie de pensées, de projets, de prières, qui fait aujourd’hui de l’Eglise Catholique, répandue sur la terre, « un seul cœur et une seule âme » (Ac 4, 32) nous entoure et nous assaille : Pouvons-nous, alors que le Synode a fait de nous des hommes d’étude penchés sur ce difficile et prodigieux phénomène de l’évangélisation actuelle du monde, demeurer étrangers, demeurer indifférents à cette coïncidence inspiratrice ? pouvons-nous ne pas unir, en humbles frères, nos âmes à celles des fidèles du monde entier pour célébrer avec eux, mieux, pour eux, la « Journée Missionnaire » ?

Oh oui ! nous pensons que pour comprendre la grande ques­tion de l’évangélisation sous son jour le plus vrai, notre actuelle présence physique et notre union spirituelle en ce lieu sont vraiment providentielles : ceci est une perspective dont nous pouvons considérer avec une confiance émerveillée la ligne dy­namique et résolutive des principales questions que le thème de l’évangélisation soumet à notre laborieuse réflexion. Citons en une : comment concilier la catholicité de l’Evangile et son unité ? Ici, dans ce centre d’étude et de préparation missionnaires, ne trouvons-nous pas la preuve que la propagation de l’Evangile y est placée en tête de ses statuts ? n’en découle-t-il pas qu’il faut légitimement reconnaître toute civilisation de niveau au­thentiqueraient humain, toute langue digne d’élever vers Dieu la voix d’un peuple, toute structure historique et civile capable, de guider le développement d’une nation dans sa personnalité spécifique et dans la fraternité d’une juste et libre coexistence avec les autres peuples ? Nous avons remarqué, dans les débats de notre Synode, une volonté ferme et précise de diffusion ethnico-géographique, que nous n’appellerons pas centrifuge, mais expansion vive, conforme à la nature et avide de libre uni­versalité, de pluralisme sans équivoque, de promotion pente-costale... Eh bien : ce droit de cité, dans la vocation évangélique, de toute expression humaine n’est-il pas ici sanctifié dès le départ ? Et si l’on respecte comme il se doit la maturité des nombreuses nations nouvelles, faut-il avoir des craintes pour l’unité du monde qui se révèle de plus en plus chaque jour, non seulement comme l’objectif du progrès civil, mais comme la volonté suprême de l’amour, le testament du Christ venu du fond du cœur : unum sint — que tous soient uns ? — (cf. Jn 17, 11 et 19, 21-23). Non, l’unité n’en souffrira pas, parce que la convergence vers l’unité sera d’autant plus vigoureuse et né­cessaire, que le sera la diffusion vers la catholicité ; un double mouvement — si on peut se permettre la comparaison — de diastole et de systole caractérisera toujours plus la circulation de la vie en ce mystique Corps du Christ qu’est l’Eglise, universelle et unique. D’une part, nous sommes envoyé par le Seigneur non seulement pour succéder aux Apôtres Pierre et Paul, en cette ville éternelle qui en garde les reliques, mais pour sauvegarder leur mission centrale et universelle; aussi nous ne craignons pas, mais au contraire nous tentons, avec l’autorité que le Christ nous a conférée, de faire tout ce qui peut favoriser le rayonnement de l’Église sur la face de la terre et dans le drame de l’histoire universelle ; nous sommes assuré d’autre part que ne suscitera ni méfiance ni résistance cette même au­torité qui appelle et accueille dans le même bercail du Christ ces peuples et ces âmes qui ont la chance d’être des siens. Nous sommes Pasteur, nous sommes frère; nous ne sommes ni patron ni seigneur; même dans l’exercice de notre pouvoir — certainement pas inutile — des clés du Royaume, remises entre nos mains par le Christ, notre rôle n’est rien d’autre que celui de réaliser au mieux, malgré notre évidente faiblesse, les paroles de Jésus, notre Seigneur : sint consummati in unum, et cognoscat mundus quia Tu (Pater) me misisti et dilexisti eos (Jn 17, 23).

Voilà ce que nous voulons dire : que la lumière rayonne de ce foyer sur les réalités de notre vie religieuse et temporelle, des réalités qui deviennent souvent des problèmes enchevêtrés et sans réponse plausible si nous les considérons hors du cadre où les situent l’effort de fidélité au Christ et de sagesse humaine, comme ils le sont ici, pour ainsi dire, dans leur expression em­blématique et dans une expérience toujours potentielle de pro­grès croissants. Viennent à l’esprit, par exemple, certaines ques­tions caractéristiques du thème soumis à l’étude du Synode, comme celle de l’identité indiscutable de la foi, laquelle, selon le langage apostolique et missionnaire, diffuse et invente une flexi­bilité de formes incarnées dans la phénoménologie ethnique et historique la plus variée. Il en résulte naturellement qu’autour d’un centre comme celui-ci, un centre de foi unique, s’ouvre com­me un grand éventail couvrant le monde, une scène aux multi­ples nuances d’une humanité régénérée par le Christianisme.

L’homme nouveau, nous enseigne Saint Paul — qui est ici chez lui, tout comme Saint Pierre — ressemble à l’image de son Créateur, « là où il n’est plus ni Juif, ni Grec, ni circoncis, ni incirconcis, ni Barbare, ni Scythe, ni esclave, ni homme libre, mais où seul le Christ est tout en tous » (Col 3, 11 ; Ga 3, 28). La vérité immuable de la foi « opérant par la charité » (cf. Ga 5, 6), ouvre à l’apostolat, au missionnaire, la voie vers tous les points cardinaux de la géographie terrestre, non pas pour im­poser partout une uniformité contre nature, mais pour qu’il sache tirer de toutes les voix de la civilisation humaine un chœur de louanges à la « grandeur de Dieu » (Ac 2, 11).

C’est ce que nous pourrons dire de l’œcuménisme là où la restauration de l’harmonie unitaire se démontre la moins fa­cile : nous pensons que dans ce laboratoire de communion, on peut trouver d’heureuses formules d’union catholique retrouvée grâce à une complémentarité critique et juste de valeurs reli­gieuses et spirituelles toujours authentiques. Puis, un autre résultat d’intégration complémentaire peut avoir ici sa justifica­tion et sa discipline : la vraie religion et la vraie libération ; on en parle beaucoup aujourd’hui, mais déjà les formules pratiques de sa réalisation sont appliquées de manières diverses, mais efficaces.

Et alors, voici deux conclusions, vénérables Frères : la première est une bénédiction que nous devons tous donner à cette maison, à ceux qui ont le mérite de sa création, de son développement, de sa fonction. Supérieurs et élèves d’hier et d’aujourd’hui, cette Bénédiction est pour vous. Pour vous, bienfaiteurs et Professeurs ; pour vous, membres des différentes Œuvres Missionnaires rat­tachées à notre valeureuse Congrégation pour l’Évangélisation des Peuples ; pour Vous, spécialement pour vous, vénéré M. le Cardinal Agnelo Rossi.

L’autre conclusion est que nous élevions vers le ciel notre humble et fervente prière pour tout notre monde missionnaire catholique. Dans le Christ, ainsi soit-il.

 

 

 

23 octobre

DROITS DE L’HOMME ET RÉCONCILIATION

 

Message du Pape et des Pères Synodaux au monde

 

Deux anniversaires riches d’une particulière signification pour l’Eglise et pour le monde se sont produits depuis le Synode de 1971 : dixième anniversaire de Pacem in Terris, En­cyclique du Pape Jean XXIII (1963) ; vingt-cinquième anni­versaire de la Déclaration des Droits de l’Homme des Nations-Unies (1948). L’un et l’autre de ces documents nous rappellent que la dignité humaine exige la défense et la promotion des droits de l’homme.

Nous voici réunis en un nouveau Synode dont le thème est l’évangélisation : proclamation de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. S’il est vrai que les vérités concernant la dignité de l’homme et ses droits sont un bien commun de tous les hommes, nous en trouvons, quant à nous, l’expression la plus complète dans l’Evangile. Et nous puisons aussi dans l’Evangile le motif le plus pressant de nous engager à la défense et à la promotion des droits de l’homme.

Au cours de ce Synode, l’étroite relation entre cet engage­ment et le ministère de l’Eglise s’est présentée avec évidence dans l’échange que nous avons fait de nos expériences pasto­rales, reflétant le caractère universel de l’Eglise, sa présence à l’intime de la conscience des peuples et sa participation à leur souffrance partout où les droits sont bafoués ou violés.

Réfléchissant sur ces expériences à la lumière de l’Evangile, nous voulons lancer un appel concernant les droits de l’homme et la réconciliation. Nous adressons ce message à l’Eglise et au monde entier, très spécialement à tous ceux qui sont en position de responsabilité. Nous voulons élever la voix au nom de tous les hommes sans voix qui souffrent d’injustices.

La dignité humaine a sa racine dans l’image et le reflet de Dieu qui sont en chacun des hommes. Par là, toutes les personnes sont essentiellement égales entre elles. Le développement per­sonnel intégral est manifestation de cette image de Dieu en nous. Dans le moment que nous vivons, l’Eglise a pris une plus vive conscience de cette vérité. Elle croit aussi très fermement que la promotion des droits de l’homme est une requête de l’Evangile, et qu’elle doit occuper une place centrale dans son ministère.

Dans le désir de se convertir pleinement à son Seigneur et de mieux accomplir son ministère, l’Eglise entend manifester res­pect et souci des droits de l’homme à l’intérieur d’elle-même. Et l’Eglise a aussi acquis une conscience renouvelée de la place de la justice dans son ministère. Les progrès déjà réalisés en ce sens nous encouragent à poursuivre notre effort pour nous conformer sans cesse davantage à la volonté du Seigneur.

L’Eglise sait d’expérience que le ministère de la promotion des droits de l’homme dans le monde l’oblige à un constant examen et à une incessante purification de sa propre vie, de sa législation, de ses institutions, de ses plans d’action. Le Synode de 1971 disait : « Quiconque ose parler aux hommes de justice doit d’abord être juste à leurs yeux ». Conscients de nos propres limitations, de nos déficiences et de nos échecs, nous pouvons mieux comprendre les manques des autres, institutions aussi bien que personnes. Dans l’Eglise comme dans les autres insti­tutions ou groupements, il faut travailler à purifier les modes d’agir, les procédures ; il faut purifier aussi les relations que l’on peut avoir avec des structures et systèmes sociaux fauteurs de violations des droits de l’homme qui doivent être dénoncées.

Aucune nation n’est aujourd’hui sans reproche en ce qui con­cerne les droits de l’homme. Il ne revient certes pas au Synode de spécifier des cas particuliers de violations ; cela relève plutôt du niveau local. Mais nous désirons, par nos paroles comme par nos actes, encourager tous ceux qui œuvrent en faveur des droits de l’homme, inviter ceux qui détiennent l’autorité à promouvoir les droits de l’homme, donner aussi de l’espoir aux hommes qui souffrent violation de leurs droits. Nous voulons ici attirer l’at­tention sur quelques droits plus menacés aujourd’hui.

Droit de vivre. C’est un droit fondamental et inaliénable. Il subit aujourd’hui de graves violations : contraception, stérilisa­tion, avortement, euthanasie, pratique répandue de la torture, violences exercées sur des innocents, fléau de la guerre, géno­cides, campagnes massives contre le droit à la vie. La course aux armements est une folie coûteuse pour le monde ; elle crée aussi les instruments susceptibles de provoquer une destruction en­core plus massive de la vie.

Droit de manger. Il est étroitement lié au droit de vivre. Des millions d’hommes sont actuellement menacés de mourir de faim. Il faut que nations et peuples entreprennent une action concertée de solidarité à la très prochaine Conférence des Na­tions-Unies pour l’Alimentation. Nous invitons les gouverne­ments à une profonde conversion de leur attitude envers les victimes de la faim; nous leur demandons d’accueillir les impé­ratifs de justice et de réconciliation, et de trouver rapidement le moyen de nourrir ceux qui sont sans nourriture.

Droits socio-économiques. La réconciliation requiert la justice. Les inégalités massives de pouvoir et de richesse qui existent dans le monde, souvent aussi au sein des nations, sont un grave obsta­cle à la réconciliation. La concentration de puissance économi­que entre les mains d’un petit nombre de nations et de groupes multinationaux, le déséquilibre structurel des relations commer­ciales, les disparités dans l’évolution des prix auxquels les na­tions industrielles et non industrielles échangent leurs produits, l’impuissance à conjuguer croissance économique et juste dis­tribution dans les nations comme au plan international, le chô­mage, les discriminations en matière d’emploi, les niveaux glo­baux de consommation des ressources, tout ceci appelle des ré­formes si l’on veut que la réconciliation soit possible.

Droits politiques et culturels. La réconciliation au sein de la société et les droits de la personne exigent que chaque homme puisse jouer un rôle effectif dans la détermination de son destin. Chacun a le droit de participer à la vie politique avec liberté et responsabilité. Il a droit également d’accéder librement à l’information. Droit de parole ; droit à la liberté de la presse ; droit à une opinion différente. Les hommes ont droit à être éduqués et à déterminer comment seront éduqués leurs enfants. Nul, ni individu ni groupe, ne doit avoir à redouter d’être ar­rêté, torturé, emprisonné pour des motifs politiques ou idéolo­giques. Et à tous dans la société, y compris aux travailleurs mi­grants, doit être garantie une protection juridique de leurs droits personnels, sociaux, culturels et politiques. Nous condamnons tout déni ou limitation des droits pour motif de race. Nous supplions les nations et les groupes contestataires de rechercher la réconciliation, en renonçant à toute forme de persécution et de violence, et en amnistiant avec miséricorde et équité les pri­sonniers et exilés politiques.

Droit à la liberté religieuse. Ce droit reflète très particulièrement la dignité personnelle telle qu’elle nous est connue par la Parole de Dieu et par la raison elle-même. Cette liberté est aujourd’hui refusée, ou bien elle est affectée de limitations, dans divers systèmes politiques qui mettent des obstacles au culte, à l’édu­cation religieuse et au ministère à signification sociale. Nous invitons tous les gouvernements à reconnaître le droit à la li­berté religieuse en paroles et à l’assurer dans les faits, éliminant toutes les formes de discrimination et accordant à tous la sauve­garde de leurs convictions religieuses, la plénitude des droits de citoyens, sans ramener au contraire les croyants au rang de ci­toyens de seconde classe.

Nous célébrons en ce moment une Année Sainte de renouvel­lement et de réconciliation. Elle nous rappelle la grande année du Pardon (Lv 25) ainsi que le don et pouvoir de réconciliation que le Christ nous a remis (Lc 4, 18-19 ; Ep 2, 13-17). Nous réaf­firmons ainsi que l’Église doit être signe et source de réconci­liation parmi les peuples. Les hommes ont droit à l’espoir ; l’Eglise doit être aujourd’hui signe et source d’espoir.

En conséquence, elle entend pardonner à tous ceux qui l’ont persécutée ou calomniée ; et elle promet ouverture, sympathie et compréhension à tous ceux qui la mettent en question, la défient ou s’attaquent à elle. Nous invitons finalement chaque homme, chaque femme à reconnaître la responsabilité qu’il a, ou qu’elle a, en conscience, par rapport aux droits d’autrui. A la lumière de ce que nous percevons de notre devoir d’évangélisation et avec la force de notre obligation de proclamer la Bonne Nouvelle, nous affirmons notre propre détermination de promouvoir les droits de l’homme et la réconciliation partout dans l’Église et dans le monde aujourd’hui.

 

 

 

26 octobre

UNE IMPULSION NOUVELLE, UNANIME ET GÉNÉREUSE POUR L’ACTION ÉVANGÉLISATRICE DE L’ÉGLISE

 

Le Synode s’est achevé le samedi 26 octobre par une séance commencée à 9 heures, sous la prési­dence du cardinal Zoungrana et en présence du Saint-Père.

Après une allocution adressée au Saint-Père et aux Pères du Synode par le cardinal König, doyen des trois cardinaux présidents, le Saint-Père a prononcé un discours de clôture dont nous publions le texte ci-dessous.

 

Vénérables Frères,

 

Nous voici parvenus à la fin du Synode des Évêques. Avant de clore cette importante réunion, chacun ressent instinc­tivement le besoin de porter sur elle un jugement, de faire un bilan. Pendant que nous nous recueillons intérieurement de­vant le Christ qui scrute les cœurs, pour faire ensemble ce compte-rendu final, nous ne pouvons pas ne pas sentir notre âme enva­hie par un sentiment de sincère satisfaction, d’optimisme réa­liste. En effet, comment ne pas apprécier l’expérience que nous avons faite pour la quatrième fois, poursuivant avec une volonté claire et unanime, le désir du Concile Vatican II que nous avons ratifié en instituant le Synode ? Encore une fois, les Évêques, forts du mandat du Euntes docete omnes gentes (Mt 28, 19), et con­vaincus que ses paroles sont esprit et vie (Jn 6, 63), se sont réu­nis avec nous, in nomine Domini, pour étudier les problèmes les plus urgents de l’Eglise : cette année, ceux de l’évangélisation. Où trouver dans l’Eglise un lieu plus adapté pour un échange fécond entre les responsables des Eglises locales ou leurs délé­gués, au sujet de questions aussi vitales pour toute l’Eglise catholique, échange qui s’est fait de plus dans une climat aussi fraternel, aussi simple, aussi authentique, comme l’a été celui des jours passés ? Le Synode a démontré que les Évêques dési­rent approfondir la connaissance des problèmes, en étudiant l’aspect et le contenu des différentes questions, et se sentir ainsi capables de répondre à leur mission avec amour, humilité, avec un sens des limites mais aussi avec une profonde sagesse.

Certes, l’ampleur et la complexité du sujet ne permettait pas de l’épuiser en si peu de temps, ni d’en tirer entièrement les conclusions souhaitables. Mais, dans l’état présent de l’Eglise, ce quatrième Synode a de nouveau permis d’écouter la voix des Eglises locales, de mieux estimer les situations, de repérer les éléments importants pour l’évangélisation, d’étudier les accents qu’elle doit mettre et les modes qu’elle doit revêtir pour s’adresser aux hommes de notre époque. C’est pourquoi nous estimons que le bilan est positif. Le Synode met dans les mains du Successeur de Pierre, ou mieux de toute l’Eglise, un ensemble riche et valable de réflexions, de suggestions, de propositions. Nous confions cette richesse doctrinale et pastorale à la grâce de Dieu : Deus est enim, qui operatur in vobis et velle et perficere pro bona voluntate (Ph 2, 13). Et nous ne pouvons pas ne pas louer le Seigneur pour les choses nombreuses et excellentes que ce Synode nous laisse.

Nous garderons dans notre cœur le souvenir de tout ce que nous avons pu vivre comme expérience quotidienne et concrète de la réalité de l’Eglise, de ses étonnantes possibilités et aussi de ses redoutables responsabilités. Comme pour la communauté primitive de Jérusalem réunie autour de Pierre et des Apôtres, nous avons été « assidus à la doctrine des Apôtres, fidèles à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières » (Ac 2, 42). Nous avons réfléchi sur la responsabilité que nous portons d’approfondir et de répandre l’enseignement des Apôtres que l’Eglise conserve intact au cours de son développement séculaire, à travers le changement des idéologies et des modes ; nous avons éprouvé le sentiment puissant de la Koinonia, dans la fraternité étonnante des multiples échanges et rencontres, dans le déroulement ordinaire des Sessions, dans la richesse multi­forme des présences qui on fait retentir ici les voix des diverses civilisations, fondues dans la réalité de l’unique Eglise catholique ; nous nous sommes rassemblés pour la fractio panis dans la concélébration solennelle d’ouverture; nous avons prié ensemble d’un cœur unanime au début de chaque réunion, et au cours de la grande et émouvante rencontre de Propaganda Fide, éprouvant réellement la vérité de la promesse du Christ : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Mt 18, 20).

C’est pourquoi nous pensons pouvoir dire, dans cette affec­tueuse réunion de congé, que nous avons vécu une expérience nettement positive. Positive, avant tout, parce que les Episcopats se sont montrés conscients de leur devoir d’accomplir le mandat apostolique qui leur a été confié, devoir qui n’admet pas de retard, de prêcher « Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié » (1 Co 2, 3 ; cf. 1, 23) ; conscients aussi de l’urgence avec laquelle nous voulons répondre aux besoins du monde.

Le Synode a aussi été positif particulièrement par le consensus manifesté sur un certain nombre de points assez importants : 1) On a clarifié le rapport de distinction, d’intégration et de subordination qui existe entre la promotion humaine et l’an­nonce du mystère du Christ qui implique la connaissance de la Trinité, la participation de la nature divine, le salut éternel du monde présent et futur ; 2) On a souligné la responsabilité de l’évangélisation, confiée par le Christ aux Apôtres, et maintenant à leurs successeurs, les Evêques, en communion avec le Pontife Romain, lesquels avec le mandat spécial qui leur a été confié, ont reçu une plus grande effusion des dons du Saint-Esprit. Les prêtres leur sont associés, comme collaborateurs directs et subordonnés ; mais on a également bien mis en valeur que les religieux et les laïcs, parmi lesquels les jeunes et de manière plus particulière les parents, sont responsables de l’évangéli­sation ; 3) On a enseigné le rapport entre l’évangélisation et la formation des sujets, insistant sur la nécessité et l’importance de la préparation spirituelle et doctrinale et d’une vie vraiment chrétienne, cohérente avec le message évangélique, pour le rendre crédible et ne pas mettre d’obstacle à l’adhésion des non-croyants ; 4) On a manifesté un respect unanime pour les va­leurs humaines et religieuses qui existent dans les religions non-chrétiennes et dans les confessions non-catholiques, reconnais­sant comme il se doit ce qui est valable en elles et comment il est opportun de les intégrer dans l’objet de l’évangélisation ou dans la prière, tout en rappelant en même temps la nécessité de maintenir la pureté et l’unité de la foi catholique et de la doctrine de l’Eglise ; 5) On a vu comment l’Eglise du Christ, qui subsiste dans l’Église catholique, est tout à la fois objet et sujet de l’évangélisation. En dehors d’elle aussi il peut y avoir, s’il plaît à Dieu, une illumination de la part du Verbe de Dieu, mais l’intégrité du message évangélique, avec tous les moyens de salut qu’il comporte — sacrements, liturgie, explicitation pleine et sans erreur de l’Evangile du Christ — ne se trouve que dans l’Eglise catholique hiérarchique, c’est-à-dire en communion avec le Pasteur Suprême Successeur de Pierre, principe perpé­tuel et visible et fondement de l’unité, aussi bien des Évêques que des fidèles ; cette Église est pleinement « dans le Christ, comme un Sacrement ou un signe et un instrument de l’union intime et de l’unité de tout le genre humain » (Lumen Gentium, 1 ; 6) On a justement conclu que les Églises locales sont coresponsables de la mission évangélisatrice, en communion avec l’Eglise universelle, parce que toute l’Église est en état de mission, est toute missionnaire ; 7) On a mis en lumière l’action du Saint-Esprit dans l’œuvre d’évangélisation, parce qu’il est, Lui, « l’âme de l’Église », celui qui répand la grâce et la charité dans le cœur des croyants, spécialement des Apôtres, des Evê­ques et des prêtres. Ce sont de grands motifs de réflexion, qui rendent très positif ce Synode épiscopal.

Mais il faut dire aussi que le Synode est positif en ce sens que les Évêques, eu égard à l’énormité de ces travaux, ont franche­ment reconnu la difficulté d’exprimer dans un document im­médiat tous les aspects et les obligations de l’évangélisation. Il nous peine de penser que certains aient voulu interpréter cet épisode comme un signe que le Synode ne soit pas réussi, alors que, au contraire, cela n’entame en rien la richesse énorme et la valeur réelle du travail accompli. Le fait a eu par ailleurs l’avan­tage de mettre en évidence l’opportunité de perfectionner la méthode de travail de ce nouvel organisme post-conciliaire : chose que nous ferons volontiers, après avoir tiré profit de vos réflexions et avec l’aide du nouveau Conseil du Synode, ré­cemment élu.

Et puis le Synode a été positif parce que les Evêques ont cherché à écouter, réunis autour de Pierre, avec Marie, Mère de Jésus (Ac 1, 14), comme en un nouveau Cénacle, la voix et la motion de l’Esprit Saint ; et, dans la certitude que, en accom­plissant leur tâche d’enseignement, ils sont autorisés à recevoir son assistance, ils se sont mis « sub umbra alarum suarum » (cf. Ps 16, 8 ; cf. 46, 2) pour réfléchir et prendre des décisions. On ne peut donner aux autres ce qu’on ne possède pas : « Nulla ars doceri praesumitur, nisi intenta prius meditatione discatur » (St. grég. magn., Regula Past. 1, 2 ; PL 77, 14).

Ce Synode a été positif parce que l’Eglise y a été sensibilisée par tant de courants de pensée, sains, qui intéressent évidemment le munus docendi de l’Episcopat étroitement uni au Magistère suprême de cette Chaire Apostolique.

Positif encore parce qu’il a réaffirmé la priorité du devoir de communiquer aux hommes le joyeux message de la Parole de Dieu, l’heureuse annonce de la vie éternelle qui introduit dans le Mystère pascal et dont nous, Pasteur, nous sommes l’humble intermédiaire, inadéquat, mais authentique : « Ce qui était dès le commencement... — nous rendons témoignage et nous vous annonçons la Vie éternelle qui était auprès du Père et qui nous fut manifestée — ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons afin que vous aussi vous soyez en communion avec nous, et nous sommes, nous, en communion avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ... afin que vous soyez dans la joie et que votre joie soit complète » (1 Jn 1, 1, 2-4).

Positif, parce qu’il existe aujourd’hui dans l’Eglise une cons­cience, un sens aigu et éprouvé du devoir d’employer tous les moyens extérieurs que l’art, la vie et la technique met­tent aujourd’hui à notre disposition, pour répandre le joyeux message.

En un mot, il y a eu un appel à une plus grande responsabi­lité de la part de tous, à plus de prière, à plus de vie intérieure, à un plus grand esprit de pauvreté, d’abnégation, d’amour authentique de l’Eglise et des âmes, à plus de fidélité à la Parole de Dieu. Il y a eu. en chœur une glorification de la Très Sainte Trinité, qui, dans le Christ, appelle tous les hommes à la con­naissance et à la participation de sa propre vie intime, comme aussi une exaltation de la personne et du mandat du Sauveur. C’est pourquoi le sentiment prédominant en ce moment est celui d’une profonde joie spirituelle, qui se traduit dans un hymne de reconnaissance à Dieu.

Par ailleurs, nous ne serions pas objectifs si nous ne notions que certains points demandent quelque précision. Dans la mul­tiplicité des sujets traités, nous louons la spontanéité et la sincé­rité qui se sont manifestées. Mais tous les éléments ne sont pas pour autant à maintenir : certains d’entre eux, soulignés d’ail­leurs à juste titre pour tel ou tel aspect, ont besoin d’être rela­tivisés. Certains, surtout parmi ceux qui viennent des Circoli mi­nores, ont besoin d’être mieux délimités, nuancés, complétés, approfondis. Nous en citons quelques-uns sur lesquels nous ne pourrions nous taire.

Et d’abord les rapports entre les Eglises particulières et le Siège Apostolique. Nous nous réjouissons sincèrement de la vitalité croissante des Eglises particulières, et de leur volonté toujours plus manifeste d’assumer toutes les responsabilités qui leur reviennent. En même temps cependant, nous souhaitons que l’on mette autant de soin à éviter que l’approfondissement de cet aspect essentiel de la réalité ecclésiale nuise de quelque façon à la solidité de la « communio » avec les autres Eglises particulières et avec le Successeur de Saint Pierre, auquel le Seigneur a confié la charge grave, toujours durable, pleine d’amour, de « faire paître les agneaux, les brebis » (Jn 21, 13-17), de « confirmer ses frères » (Lc 22, 32), d’être fondement et signe de l’unité de l’Eglise (cf. Mt 16, 18-20). Son interven­tion ne peut donc être réduite à des circonstances extraordi­naires. Non, nous le disons en tremblant à cause de la respon­sabilité qui nous incombe, il est et demeure le Pasteur ordinaire de l’ensemble, du tout : « En vertu de sa charge de Vicaire du Christ et de Pasteur de toute l’Eglise, il a un pouvoir plénier, suprême et universel qu’il peut toujours exercer librement » (Lumen Gentium, 22, 2). Ce n’est pas une dialectique de pouvoirs qui est ici enjeu : il s’agit d’un unique désir, celui de correspon­dre à la volonté du Seigneur, avec un amour parfait, chacun avec la contribution que procure l’accomplissement fidèle de sa propre charge.

De même nous voulons ajouter un mot sur la nécessité de trouver une meilleure expression de la foi, en correspondance avec le milieu racial, social, culturel. Il y a là certes une exigence de l’authenticité et de l’efficacité pour l’évangélisation ; il serait cependant périlleux de parler de théologies diversifiées, selon les continents et les cultures. Ou le contenu de la foi est catholique ou il disparaît. D’ailleurs, nous tous, nous avons reçu la foi par une tradition constante : Pierre, Paul ne l’ont pas tra­vestie pour l’adapter au monde judaïque, grec ou romain, mais ils ont veillé sur son authenticité, sur la vérité de l’unique message, présenté dans la diversité des langages (Ac 2, 8).

La libération humaine, d’autre part, a été à juste titre mise en relief. Elle fait partie de l’amour que les chrétiens doivent à leurs frères. Mais la totalité du salut ne se confond jamais avec l’une ou l’autre libération, et la Bonne Nouvelle devra conserver toute son originalité : celle d’un Dieu qui nous sauve du péché et de la mort et nous introduit dans la vie divine. On né peut donc donner un accent excessif, sur le plan temporel, à la promotion humaine, au progrès social, etc., au détriment de la signification essentielle que revêt pour l’Église du Christ l’évangélisation, l’annonce de toute la Bonne Nouvelle.

Nous avons encore noté avec satisfaction l’espérance que re­présentent les petites communautés et leur référence à l’œuvre de l’Esprit Saint ; mais cette espérance serait vraiment tronquée si leur vie ecclésiale, dans l’ensemble organique de l’unique Corps du Christ, devait venir à manquer, affranchie de la légitime Autorité ecclésiastique et laissée à l’impulsion arbitraire de chacun.

Sur tous ces points, comme sur d’autres moins importants que nous n’avons pas maintenant le temps de rappeler, le Synode a déjà donné avec lucidité des éléments adéquats de réponse. Mais il faut les rassembler, les approfondir. Si nous signalons les plus importants, c’est que notre devoir est celui de la sentinelle, qui veille à l’entrée des chemins où s’engage l’Église à la re­cherche d’une expression toujours plus incisive de sa propre doctrine. Nous ne pouvons permettre qu’on prenne de fausses directions. Nous manquerions à cette obligation fondamentale de confirmer nos frères.

Un fait domine ces observations particulières. C’est la vo­lonté, unanime de faire pénétrer dans l’Église une impulsion nouvelle, générale, concordante, généreuse, en ce qui concerne l’évangélisation. L’Église, dans une mesure et avec une clarté peut-être jamais atteintes, prend conscience de ce devoir fonda­mental qui est le sien. Il semble que ce soit vraiment un moment digne du récent Concile, attitude conforme à la vocation essen­tielle de l’Église, répondant aux besoins du monde, capable de résoudre certains phénomènes négatifs que nous connaissons bien.

Frères vénérés et très aimés !

L’Église se remet en route avec joie et espérance, avec humi­lité et courage, avec la fermeté de la foi, avec confiance dans l’aide du Christ et dans l’intercession de Marie, avec une im­mense charité, avec un engagement de conversion et de récon­ciliation dans l’esprit de l’Année Sainte, du Jubilé universel.

Notre pensée fidèle et reconnaissante va par conséquent à tous les Évêques qui, dans le monde, s’appliquent à cette œuvre de régénération ; elle va à leurs collaborateurs, prêtres, religieux, religieuses, instruments de valeur pour porter l’évangélisation au monde moderne. Mais elle s’étend aussi aux parents, premiers collaborateurs de l’Église évangélisatrice dans leur « Église do­mestique » (Lumen Gentium, 11) ; aux femmes exemplaires, pieu­ses et fidèles collaboratrices ; aux jeunes et aux enfants, espé­rance d’un lendemain lumineux ; aux intellectuels, en parti­culier, que l’Eglise regarde avec grande sympathie, attente et espérance.

Nous saluons avec un paternel encouragement les Églises lo­cales, toutes engagées dans l’évangélisation ; les ministres de l’Évangile, spécialement ceux qui souffrent pour le nom du Christ dans plus d’une région ; « mais la Parole de Dieu n’est pas enchaînée » (2 Tm 2, 9). Nous adressons notre encourage­ment aux chers et valeureux catéchistes, et particulièrement aux missionnaires, héros cachés de l’évangélisation : « Réjouis­sez-vous et exultez, car votre récompense est grande dans les cieux » (Mt 5, 12). Nous embrassons tous nos fils, les invitant à être des instruments et des collaborateurs conscients de l’Église missionnaire : que la Parole de Dieu, avec l’aide de tous, « pour­suive sa course et soit honorée » (2 Th 3, 1), « afin que le monde croie » (Jn 17, 21) et que « Dieu soit tout en tous » (1 Co 15, 28).

Au moment de nous quitter, nous voulons faire résonner, pour notre commun réconfort, l’invitation du Christ : « Allez, ensei­gnez toutes les nations » (Mt 28, 19) ; « levez les yeux et regar­dez les campagnes : elles sont déjà blanches, prêtes pour la moisson » (Jn 4, 35). Nous devons accomplir la volonté de Dieu qui nous a envoyés. Le monde, si vaste et si étonnant, attend l’annonce de la libération du péché et des maux qu’il com­porte, l’annonce du salut dans la Croix du Christ. C’est vrai, « le langage de la croix... est une folie » (1 Co 1, 18) ; mais « il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédica­tion » (ibid. 1, 21) ; voilà pourquoi nous mettons uniquement notre confiance dans l’aide du Seigneur. Les difficultés sont énormes, les attentes sont multiples, les responsabilités formida­bles, mais « ayez confiance, j’ai vaincu le monde » (Jn 16, 33). Le Christ est avec nous, il est en nous ; il parle en nous et par nous, et il ne nous laissera pas sans l’aide nécessaire.

Christ Jésus, Parole du Père, Sauveur crucifié, nous nous adressons à Toi, en cette heure qui clôt le Synode, comme nous T’avons invoqué lorsqu’il a commencé. Nous T’avons eu pré­sent au milieu de nous, et « notre cœur était tout brûlant au-dedans de nous, tandis que Tu nous parlais en chemin et que Tu nous expliquais les Ecritures » (cf. Lc 24, 32). Tu garde­ras nos résolutions, Tu raviveras notre service de l’Eglise, Tu donneras lumière à nos esprits et vigueur à nos paroles, Tu nous soutiendras dans nos fatigues, Tu guideras nos pas dans la recherche des voies les plus aptes à annoncer ton Evangile, et Tu pardonneras nos déficiences. Nous sommes tes pauvres serviteurs, et seule nous soutient la certitude de ta promesse. Soutiens Pierre, soutiens tes Evêques, redonne du courage à leur peuple. Vois, notre pauvreté est grande; mais nous ne mettons pas notre confiance en nous-mêmes, nous la mettons en Toi seul: notre richesse est cette confiance. Donne-nous ton courage, ton assu­rance, donne-nous ta bénédiction. Toi qui, avec le Père et l’Esprit Saint, vis et règnes en nous et dans ton Église, pour les siècles des siècles. Amen.

 

 

 

9 novembre

DISCOURS DU SOUVERAIN PONTIFE AUX MEMBRES DE LA CONFÉRENCE MONDIALE SUR L’ALIMENTATION

 

Le 9 novembre, Paul VI a reçu dans la Salle des Audiences du Vatican, les participants à la Conférence Mondiale sur l’Alimentation orga­nisée par les Nations-Unies, elle se déroule au Palais des Congrès à Rome. 130 Pays ont envoyé une Délégation pour participer aux travaux. Le Saint-Père a été accueilli par le Président de la Conférence. M. Giuseppe Medici, par le Secrétaire Général M. Marei et le Vice-Président M. D. Cordovez.

Après l’adresse d’hommage de M. Giuseppe Medici, le Pape a prononcé un discours en français, dont voici le texte intégral :

 

Monsieur le Président,

Monsieur le Secrétaire général,

Mesdames et Messieurs,

 

Nous sommes heureux de vous saluer, vous les participants à la Conférence mondiale de l’Alimentation réunie à Rome sous les auspices des Nations-Unies. Est-il besoin de vous dire que nous communions intensément à vos préoccupations, car notre mission est de prolonger l’enseignement et l’action du Christ auquel le spectacle d’une foule affamée suggérait l’émouvante exclamation : « J’ai pitié de cette foule... ils n’ont pas de quoi manger. Les renvoyer à jeun, je ne le veux pas : ils pourraient défaillir en route » (Mt 15, 32) ?

1. Au cours de ces dernières années, la situation que nous décrivions dans l’Encycl. Populorum Progressio a atteint des pro­portions encore plus alarmantes et ce que nous disions alors a gagné en actualité : « Personne ne peut plus l’ignorer, sur des continents entiers, innombrables sont les hommes et les femmes torturés par la faim, innombrables les enfants sous-alimentés, au point que nombre d’entre eux meurent en bas âge, que la croissance physique et le développement mental de beaucoup d’autres en sont compromis, que des régions entières sont de ce fait condamnées au plus morne découragement » (n. 45). La documentation préparée pour votre Conférence décrit les divers aspects de la faim et de la malnutrition, en détecte les causes et s’efforce d’en prévoir les conséquences en recourant aux statistiques, aux études de marché, aux indices de production et de consommation. Dans leur rigueur, ces indications prennent une éloquence tragique ; qu’en est-il alors quand on entre, sur le terrain même, en contact avec les réalités qu’elles recou­vrent ? Des catastrophes récentes de tout ordre, sécheresse, inon­dations, guerres, engendrent immédiatement des cas pathétiques de pénurie alimentaire. De façon moins spectaculaire mais éga­lement pénible, s’imposent à tous les dures situations créées dans les classes démunies par la hausse des denrées, signe de leur raréfaction, et par la diminution toujours plus accentuée de l’aide alimentaire internationale qui, avait pourtant puissam­ment contribué, après la dernière guerre, au relèvement et au progrès des peuples.

Le défaut d’alimentation a des effets éloignés et parfois im­prévisibles ; il a de graves conséquences sur les générations à venir, et présente des dangers ambiants et sanitaires qui opèrent sur les populations des lésions plus profondes que les maladies apparentes. Il est vraiment douloureux d’en venir à une telle constatation, et de confesser que la société humaine semble jusqu’à maintenant incapable d’affronter la faim dans le monde, alors qu’un progrès technique sans précédent a été atteint dans tous les domaines de la production, tels que ceux des fertilisants et de la mécanisation, ou de la distribution et des transports. Il y a bien peu d’années en effet, on espérait que, d’une façon ou d’une autre, la rapidité de la transmission des informations et des biens ainsi que les progrès technologiques seraient en me­sure d’éliminer rapidement les risques de l’ancien fléau de la famine frappant pour une longue durée une nation ou une large région dans sa totalité. Ces espoirs ne sont pas réalisés, d’où l’atmosphère de gravité dans laquelle se déroulent vos travaux ; d’où aussi l’espérance mêlée d’anxiété qui les entoure de la part des peuples de la terre. Pour reprendre les paroles que nous adressions en 1965 à l’Assemblée mondiale de la Jeunesse réu­nie sous le signe de la campagne mondiale contre la faim : « C’est un drame de vie et de mort pour l’humanité qui doit s’unir pour survivre et donc apprendre d’abord à partager le pain de chaque jour », celui dont le Seigneur nous apprend qu’il est nôtre, c’est-à-dire, à chacun et à tous (Allocution du 15 octobre 1965, AAS 57, 1965, p. 910).

A vous qui êtes engagés dans une tâche si lourde mais si riche de promesses, nous proposons deux principes pour guider vos travaux : d’une part voir en face les données du problème sans vous laisser égarer dans leur appréciation par la panique ou par trop de pusillanimité ; et d’autre part vous sentir suffi­samment stimulés par l’urgence et la priorité absolues des besoins en cause pour ne vous satisfaire en aucun cas de délais ou de demi-mesures. Cette Conférence ne résoudra pas tout d’elle-même, il n’est pas dans sa nature de le faire, mais, ou bien, par la clarté et l’énergie de ses conclusions, elle donnera le départ à une série d’engagements efficaces et loyalement acceptés, ou bien, contre l’attente mise en elle et malgré la bonne volonté de ses membres, elle aura été tenue en vain. Pour vous supplier d’éviter une telle issue, nous n’hésitons pas à reprendre, en le transformant, l’appel que nous lancions de la tribune des Nations-Unies « Jamais, plus jamais la guerre », et nous vous disons : « Jamais, plus jamais la faim ! ».

Mesdames et Messieurs, cet objectif peut être atteint. La menace de la faim et le poids de la malnutrition ne sont pas une fatalité inéluctable. La nature n’est pas, en cette crise, in­fidèle à l’homme. Son potentiel de production sur la terre et dans les mers reste immense et est encore largement inexploité. Tandis que, selon l’opinion généralement acceptée, cinquante pour cent des terres cultivables ne sont pas encore mises en valeur, le fait s’impose du scandale d’énormes excédents ali­mentaires que certains pays détruisent périodiquement, faute d’une sage économie qui en aurait assuré une consommation utile. Et ce ne sont là que des illustrations d’un fait que personne ne conteste dans sa réalité brute, même si certains doutent qu’il soit possible de tirer assez vite de ce potentiel le nécessaire pour assouvir la faim d’une humanité en expansion. Et par « assou­vir la faim », nous tombons tous d’accord pour dire qu’il s’agit de davantage que de prolonger une existence biologique mini­male et infra-humaine. Ce qui est en question c’est de « donner à chaque homme de quoi manger pour vivre, ce qui s’appelle vivre une véritable vie d’homme capable par son travail d’as­surer la subsistance des siens, et apte, par son intelligence, à participer au bien commun de la société par un engagement librement consenti et une activité volontairement assumée » (Discours à la FAO, le 16 novembre 1970, AAS 62, 1970, p. 831). C’est bien en vue de ce niveau de vie que sont formulés les cal­culs de vos rapports, selon lesquels une action capable de nour­rir l’humanité en croissance est possible sur le plan technique, mais demande un effort considérable.

4. La crise présente apparaît en effet surtout comme une crise de civilisation et de solidarité. Une crise de civilisation et de méthode, qui se manifeste lorsque le développement de la vie en société est affronté d’un point de vue unilatéral, en consi­dérant seulement le modèle de société qui aboutit à une civili­sation industrialisée, c’est-à-dire en mettant une confiance excessive dans l’automatisme des solutions purement techni­ques et en oubliant les valeurs humaines fondamentales. Crise qui apparaît quand s’accentue la recherche du seul succès économique dérivant des grands profits de l’industrie, avec pour conséquence l’abandon quasi total du secteur de l’agriculture, et la négligence concomitante de ses valeurs humaines et spiri­tuelles les plus hautes. Une crise de solidarité aussi, qui main­tient et parfois accélère les déséquilibres existant entre les indi­vidus, entre les groupes et entre les peuples, et qui est malheu­reusement le résultat — la chose est de plus en plus évidente — de la volonté insuffisante de contribuer à une meilleure distri­bution des ressources disponibles, spécialement aux pays plus défavorisés et aux secteurs humains qui vivent essentiellement d’une agriculture encore primitive.

Nous touchons ainsi au paradoxe de la situation présente : l’humanité dispose d’une maîtrise inégalée de l’univers : elle dispose des instruments capables de faire rendre à plein les ressources de celui-ci. Les détenteurs mêmes de ces instruments resteront-ils comme frappés de paralysie devant l’absurde d’une situation où la richesse de quelques-uns tolérerait la persistance de la misère d’un grand nombre ? où la consommation alimen­taire hautement enrichie et diversifiée de quelques peuples se satisferait des minimums vitaux octroyés à tous les autres ? où l’intelligence humaine pourrait soustraire à leur sort tant de grands malades, mais se déroberait à la tâche d’assurer une alimentation adéquate aux populations les plus vulnérables de l’humanité ?

5. On ne saurait en arriver là sans avoir commis de graves erreurs d’orientation, ne serait-ce parfois que par négligence ou par omission ; il est grand temps de découvrir en quoi les mécanismes sont faussés, afin de rectifier, ou plutôt de redresser de bout en bout la situation. Car il faut enfin satisfaire le droit de chacun à manger à sa faim selon les requêtes spécifiques de sa condition d’âge et d’activité. Ce droit se fonde sur la desti­nation première de tous les biens de la terre à un usage universel et à la subsistance de tous les hommes, avant toute appropriation particulière. Le Christ a basé sur le respect de ce droit le juge­ment de toute vie humaine (cf. Mt 25, 31 ss.). Or, à l’examen des données du problème, quelques constatations s’imposent d’emblée: une des causes les plus manifestes du désordre actuel réside dans la hausse des prix des denrées alimentaires et des matières requises à leur production, tels les engrais dont la cherté et la rareté sont peut-être en train d’amenuiser les effets bienfaisants qu’on attendait à bon droit de la « Révolution verte ». Cela n’est-il pas en étroite relation avec les fluctuations d’une production réglée plus selon les perspectives de bénéfi­ces à réaliser que sur les besoins de l’humanité à satisfaire ? La diminution des stocks alimentaires, qui est elle aussi à l’origine des préoccupations du moment, est, partiellement en tout cas, due à certaines options commerciales dont le résultat est de ne laisser disponible aucune réserve pour les victimes de disettes brusques et imprévues. On enregistre une crise alimentaire générale et on en prévoit l’aggravation, alors que, dans cer­taines régions particulièrement bien placées pour assurer des excédents et des réserves d’urgence, on a réduit de façon im­pressionnante les surfaces arables. Nous voilà devant des con­tradictions qui dénotent cette crise aiguë de civilisation. Tou­jours est-il que, puisque tous ces phénomènes sont le fruit d’actions malavisées, une correction et un redressement doivent être possibles à condition qu’on y mette la sagesse et le courage voulus.

Nous venons d’évoquer la quantité des biens alimentaires nécessaires à la vie de chacun des hommes. Mais le problème de la qualité a également son importance et relève aussi d’un choix économique. Là, les nations plus industrialisée sont parti­culièrement concernées : comment, dans une atmosphère tendant à être polluée et devant la frénésie de créer des succédanés arti­ficiels, de production plus rapide, arrivera-t-on à sauvegarder avec prudence une alimentation saine, ne comportant pas de risques graves pour la santé des consommateurs, notamment des enfants et des jeunes ? Et comment rompre, dans ces mêmes na­tions, avec une consommation excessive par la richesse et l’abon­dance des denrées, ce qui s’avère nuisible aux intéressés et laisse les autres démunis ? Sur ce terrain aussi, la situation demande vigilance et courage.

6. D’autres observations concernent le flux des ressources qui permettraient de porter remède à la situation actuelle. Tous conviennent que l’assistance multilatérale et bilatérale au sec­teur agricole a été notoirement insuffisante. En vue de votre Conférence, on a chiffré avec grand soin les exigences que com­porteraient l’intensification de la production alimentaire dans les pays en voie de développement, la mise au point des politi­ques et programmes visant à améliorer la nutrition, les mesures pour renforcer la sécurité alimentaire mondiale. Les sommes auxquelles ces supputations sont parvenues pour les dix pro­chaines années dépassent sans doute de beaucoup l’effort con­senti jusqu’aujourd’hui, mais elles restent bien modestes au regard des budgets nationaux des pays nantis ou disposant des liquidités internationales ; une crise récente a modifié la répar­tition de ces liquidités, mais n’a pas diminué leur volume. En 1964 déjà, à l’occasion de notre voyage en Inde, nous lancions un appel aux Nations, afin que soit constitué par un engage­ment de véritable ampleur — fruit notamment d’une réduction des dépenses pour les armements — un Fonds destiné à donner une impulsion décisive à la promotion intégrale des parties les moins favorisées de l’humanité. Aujourd’hui, l’heure à sonné d’une décision énergique et sans échappatoire dans la même direction. Ce que le sens de la solidarité ou plutôt une élémentaire justice sociale, qui ne consiste pas seulement à ne pas « voler » mais aussi à savoir partager, n’ont pas encore obtenu, les périls de l’heure finiront-ils par l’imposer ? Ou bien les hom­mes s’aveugleront-ils obstinément sur leur propre sort et se chercheront ils des alibis, par exemple une action irraisonnée et unilatérale contre la croissance démographique, faute d’aller à l’essentiel ?

Il est inadmissible que ceux qui ont le contrôle des biens et des ressources de l’humanité cherchent à résoudre le problème de la faim en interdisant aux pauvres de naître, ou en laissant mourir de faim les enfants dont les parents n’entrent pas dans le cadre de plans théoriques fondés sur de pures hypothèses concernant l’avenir de l’humanité. Autrefois, dans un passé que nous espérons révolu, des nations ont fait la guerre pour s’emparer des richesses de leurs voisins. Mais n’est-ce pas une nouvelle forme de guerre que d’imposer une politique démo­graphique limitative à des nations, afin qu’elles ne réclament pas leur juste part des biens de la terre ?

Nous renouvelons notre plein appui moral à ceux qui ont déclaré à plusieurs reprises dans les assises internationales, non seulement être disposés à reconnaître le droit de tout homme à jouir des biens nécessaires à la vie, mais être également disposés, en consentant volontairement un sacrifice proportionnel au ressources et aux capacités qui sont les leurs, à mettre effective­ment ces biens à la portée des individus et des peuples qui en ont besoin, sans aucune exclusive ni discrimination. La perspec­tive s’impose donc de réformes courageuses pour éliminer les obstacles et les déséquilibres dérivant aussi des structures dé­suètes, perpétuant des injustices insoutenables, ou empêchant le dynamisme de la production et l’élan requis par une circu­lation adéquate des biens nécessaires à la vie.

7. Mais l’assistance internationale la plus large, le rythme accru de la recherche et des applications de la technologie agraire, la planification la plus étudiée de la production alimentaire n’auront guère d’effet si l’on ne pare pas au plus vite à une des lacunes les plus graves de la civilisation technique. On ne résoudra pas la crise alimentaire mondiale sans la participation des agriculteurs, et celle-ci ne saurait être pleine et fructueuse si on ne révise pas radicalement la sous-évaluation de l’importance de l’agriculture par le monde contemporain. Car l’agri­culture est facilement subordonnée à la domination des intérêts immédiats des autres secteurs de l’économie, même dans ces pays qui sont pour le moment en train de tenter le décollage de leur processus de croissance et d’autonomie économique.

Notre prédécesseur Jean XXIII, qui a consacré un chapitre de son Encyclique Mater et Magistra à l’agriculture, le relevait en ces termes : « Le secteur agricole, à peu près partout, est un secteur déprimé : qu’il s’agisse de l’indice de productivité de la main d’œuvre, ou du niveau de vie des populations rurales » (Mater et Magistra, III° partie, 3e par. : cf. AAS 53, 1961, p. 432). De cette dépression, ne relevons que deux indices: le recul du nombre des agriculteurs et parfois aussi des terres cultivées dans les pays industrialisés; le fait que dans le monde en voie de dé­veloppement, bien que la grande majorité des habitants tra­vaillent la terre, l’agriculture constitue le plus sous-développé des secteurs du sous-développement. Quelle que soit la valeur des moyens techniques mis en œuvre, rien ne sera atteint sans la véritable réforme que représentent la réhabilitation de l’agri­culture et le retournement des mentalités à son endroit.

C’est la dignité des agriculteurs, celle de tous ceux qui tra­vaillent aux différents niveaux de la recherche et de l’action dans le domaine du développement agricole, qu’il faut pro­clamer et promouvoir sans relâche. Nous le disions en recevant en 1971 la Conférence de la F.A.O. : « Il ne suffit plus d’en­rayer la distorsion croissante de la situation des ruraux au sein du monde moderne, il s’agit de les y insérer à part entière, de faire en sorte que les générations montantes n’éprouvent plus ce sentiment débilitant d’être comme des laissés pour compte, des marginaux tenus à l’écart du progrès moderne dans ce qu’il a de meilleur » (AAS 63, 1971, p. 877).

On y parviendra par un processus global et équilibré du développement, soutenu par une volonté politique des gouver­nements de faire sa juste place à l’agriculture. Il s’agit d’en finir avec la pression des secteurs économiques plus forts, qui vide la campagne de ces énergies mêmes qui seraient en mesure d’assurer une agriculture de haute productivité; il faut instaurer une politique qui garantisse aux jeunes du monde rural le droit fondamental de la personne à un choix délibéré d’une profession valable, à égalité de termes et d’avantages avec celle que seul l’exode vers la ville et l’industrie semble pouvoir lui garantir aujourd’hui.

8. Sans aucun doute, ici encore les réformes ne vaudront que si les individus se les approprient. C’est pourquoi l’éducation et la formation tiennent une place fondamentale afin que ne vienne pas à manquer la préparation des personnes. « Le con­cours de la population rurale est nécessaire... il faut que les agriculteurs soient fidèles à la profession qu’ils ont choisie et qu’ils   l’estiment ;... qu’ils  suivent  les  programmes d’élévation culturelle qui sont indispensables pour que l’agriculture sorte de son immobilité atavique et empirique et adopte les nouvelles, formes de travail, les nouvelles machines, les nouvelles méthodes » (Allocution à des agriculteurs italiens, 13 nov.  1966 : l’Osservatore Romano des 14-15 nov. 1966 ; traduit dans La Documentation Ca­tholique, 1966, col. 2131).

Ce qui importe donc particulièrement à l’humanité qui souffre de la faim, c’est que les gouvernement offrent à tous les agriculteurs la possibilité d’apprendre comment on cultive la terre, comment on améliore les sols, comment on évite les ma­ladies du bétail, comment on peut accroître le rendement ; c’est que finalement, dans le cadre d’une préparation adé­quate, on concède aux agriculteurs les crédit dont ils ont besoin. En un mot, il faut transformer la masse paysanne en artisan responsable de sa production et de son progrès. Ainsi se trouve-t-on ramené à la notion d’un développement intégral qui em­brasse tout l’homme et tous les hommes ; nous n’avons pas, pour notre part, cessé d’exhorter l’humanité à tendre vers lui.

9. Telles sont, Mesdames et Messieurs les pensées que nous vous livrons comme notre contribution propre à vos travaux. Elles dérivent de la conscience que nous avons de notre devoir pastoral et sont inspirées par la confiance en Dieu qui ne néglige aucun de ses enfants, et la confiance en l’homme, créé à son image et capable de réaliser ces prodiges d’intelligence et de bonté. Devant les foules affamées, le Seigneur ne s’est pas con­tenté d’exprimer sa compassion ; il a ordonné à ses disciples : « Donnez-leur vous-mêmes à manger » (Mt 14, 16), et sa puis­sance n’est venue en aide qu’à leur impuissance, et non à leur égoïsme. Cet épisode de la multiplication des pains comporte donc, face aux graves exigences de l’heure, de multiples leçons. Nous voulons retenir principalement aujourd’hui cet appel à l’action efficace. Il faut viser à créer à long terme la possibilité, pour chaque peuple, d’assurer correctement sa subsistance de la manière la plus adaptée, et il ne faut pas omettre non plus, dans l’immédiat, de subvenir par le partage aux besoins urgents qui sont ceux d’une grande partie de l’humanité. Le travail doit s’unir à la charité.

Une telle réorientation progressive de la production et de la distribution implique aussi un effort qui ne doit pas être seule­ment une contrainte imposée par la crainte de la pénurie, mais aussi une volonté positive de ne pas gaspiller inconsidérément des richesses qui doivent servir au bien de tous. Après avoir libéralement nourri les foules, le Seigneur recommanda à ses disciples, nous dit l’Evangile, de recueillir ce qui restait, afin que rien ne soit perdu (cf. Jn 6, 12). Quelle belle leçon d’écono­mie, au sens le plus noble et le plus plein du terme, pour notre époque éprise de gaspillage ! Elle porte en elle la condamnation de toute une conception de la société dans laquelle la consom­mation tendrait à devenir à elle-même sa propre fin, au mépris de ceux qui sont dans le besoin, et au détriment, en définitive, de ceux-là mêmes qui s’en croiraient les bénéficiaires, incapa­bles qu’ils seraient devenus de percevoir que l’homme est ap­pelé à une destinée plus haute. Que notre appel s’adresse donc à la fois à la lucidité et au cœur. Si le potentiel de la nature est immense, si celui de la maîtrise de l’esprit humain sur l’univers semble presque illimité, que manque-t-il trop souvent pour que nous agissions dans l’équité et dans la volonté du bien-être de tous nos frères en humanité, sinon cette générosité, cette in­quiétude que suscite la vue des souffrances et des misères des pauvres, cette profonde conviction que toute la famille pâtit quand un de ses membres est en détresse ? C’est cette solidarité que nous souhaitons voir présider à vos travaux et surtout à vos décisions, et nous demandons avec instance au Père de toute lumière de vous en accorder la grâce.

 

 

 

30 novembre

L’ÉDUCATION, LA SCIENCE ET LA CULTURE FACTEURS IRREMPLAÇABLES DE LA FRATERNITÉ ENTRE LES PEUPLES

 

Le samedi 30 novembre, le Pape a procédé à la remise officielle du Prix Jean XXIII attribué

à l’UNESCO.

La cérémonie s’est déroulée dans la Salle du Consistoire, en présence du Cardinal Confalonieri, Vice-Doyen du Sacré-Collège et des membres du Corps Diplomatique. Etaient également présents Mgr Benelli, Substitut de la Secrétairerie d’Etat, Mgr Casaroli, Secrétaire du Conseil pour les Affaires Publiques de l’Eglise, Mgr Martinez, Assesseur de la Secrétairerie d’Etat, Mgr Silvestrini, Sous-Secrétaire du Conseil pour les Affaires Publiques, Mgr Conti, Observateur Permanent du Saint-Siège auprès de l’UNESCO ainsi que Mgr Martino, de la Secrétairerie d’Etat.

On notait également la présence des représentants des divers dicastères de la Curie romaine. Ce fut d’abord le Cardinal Garrone, Préfet de la Congrégation pour l’Education Catholique qui donna lecture de l’allocution que devait prononcer le Cardinal Villot, Secrétaire d’Etat et Président de la fondation « Prix Jean XXIII », empêché pour raison de santé.

Monsieur De Habicht, membre du Conseil de la Fondation, donna ensuite lecture des motivations qui ont fait décerner ce prix à l’ UNESCO. A la suite de quoi, le Saint-Père procéda à la remise du Prix entre les mains de Monsieur Amadou Mahtar M’Bow, Directeur Général de l’UNESCO, qui était accompagné de son prédécesseur Monsieur Maheu. Le Président de l’Académie Pontificale des Sciences adressa alors un discours de remerciements au Saint-Père.

Voici le texte de l’allocution que le Pape Paul VI a prononcée en remettant le Prix au Directeur Général de l’UNESCO.

 

Messieurs les Cardinaux,

Messeigneurs,

Mesdames et Messieurs,

 

Nous sommes d’autant plus heureux et honoré de votre présence, d’autant plus reconnaissant de vous avoir non seulement comme spectateurs, mais comme témoins actifs du geste que nous venons d’accomplir, que cette Audience revêt pour nous une signification particulière, bien plus précieuse selon nous que le prix lui-même, dont la valeur, en vérité, est plus symbolique que substantielle. En mémoire de notre vé­néré et regretté prédécesseur Jean XXIII et dans son esprit, nous avons remis ce prix, consacré à la promotion de la Paix, à l’UNESCO, c’est-à-dire à l’Organisation des Nations-Unies pour l’Education, la Science et la Culture, dans la personne des deux illustres Directeurs de cette désormais célèbre et méri­tante institution mondiale, le Directeur sortant et son succes­seur. Le premier, Monsieur René Maheu, nous est bien connu. Durant les douze années pendant lesquelles il a exercé ses hau­tes fonctions, nous avons eu l’occasion de le rencontrer per­sonnellement, de l’écouter au cours de conversations fructueuses sur des thèmes d’intérêt commun, d’admirer l’ampleur et la noble inspiration de son activité ; le second, Monsieur M’Bow, est le bienvenu : ancien ministre de l’Instruction Publique dans son pays, le Sénégal, il donne le témoignage apprécié et attendu, dans le contexte de la civilisation internationale, de l’originalité foncière et de la maturité culturelle du jeune et grand conti­nent africain.

La signification particulière de la remise de ce prix nous semble provenir de la rencontre de deux organismes, le Siège Apostolique et l’UNESCO, sur le chemin de la Paix. Suivant l’un et l’autre leur propre itinéraire, voici qu’ils se retrouvent pour célébrer ensemble ce très haut idéal, la Paix, qui apparaît toujours davantage comme un phare orientant la civilisation.

Que le Siège Apostolique soit orienté d’une manière origi­nale, connaturelle et constitutionnelle à la promotion de la Paix dans le monde, ne peut être un objet d’étonnement pour personne, pensons-nous, si l’on se rappelle d’où l’Église catho­lique et son centre, « principe et fondement perpétuel et visi­ble » de son unité, tirent leur élan. Ils le tirent en effet du Christ, dont la venue en ce monde fut saluée par l’annonce céleste de la Paix, d’une Paix nouvelle. Cette Paix, en rapport fécond et inépuisable avec une Paternité divine transcendante, est fondée sur le principe messianique, paradoxal mais désormais invin­cible, d’une fraternité universelle. Elle s’affirme et se régénère sans cesse au souffle mystérieux et ineffable, mais souveraine­ment humain, d’un Esprit qui permet aux langues les plus di­verses de s’exprimer et de se comprendre dans une conversation amicale et cordiale. Telle est, on le sait, la manifestation de l’Église catholique dans le monde : réalité ancienne et dyna­mique, elle se sent doublement appelée à se montrer vivante et présente. Le premier appel lui vient de sa propre histoire au cours du récent Concile, elle a repris une conscience plus vive de sa vocation originelle à être maîtresse de Paix universelle ; il ne faut pas tarder à proclamer celle-ci aux hommes, parce qu’ils sont des hommes, c’est-à-dire qu’ils sont tous membres d’une même famille, l’humanité. Le second appel provient de l’anxiété que les hommes eux-mêmes éprouvent lorsqu’ils doi­vent résoudre le problème capital de vivre ensemble dans le monde, en une harmonie concordante et organique : cette vie ensemble a d’autant plus besoin d’un effort inlassable de mise en œuvre que, d’une part, la maturité de son progrès démontre la logique et la nécessité de la Paix, comme le caractère criminel et absurde de la guerre, et que, d’autre part, demeure toujours instable et fragile la « tranquillitas ordinis » qui justement dé­finit la Paix.

La Paix, disions-nous, est nécessaire : la Paix est possible; voilà en quelque sorte des dogmes humains qui finalement ré­sultent à l’évidence, de la Religion dont l’Église tire sa raison d’être.

La Paix, surtout depuis les Messages de Noël du Pape Pie XII et l’Encyclique Pacem in terris du Pape Jean XXIII, est donc devenue le programme de notre présence apostolique dans le monde ; et la voix avec laquelle nous l’annonçons veut être d’autant plus claire et persuasive, que cette présence est plus libre et dégagée de toute entrave dans ses rapports avec le monde, même dans le jeu toujours renaissant, fébrile et contrastant des intérêts humains. Etranger que nous sommes et que nous de­vons être à l’ordre temporel et politique, nous osons, tel un humble prophète et un poète persuasif, faire de la Paix notre habituelle salutation cordiale à vous tous, hommes de la terre : la Paix soit avec vous !

Et voici alors la rencontre. C’est une rencontre à un niveau idéal très élevé. Et c’est précisément à cette hauteur idéale que nous avons rencontré l’UNESCO, par notre adhésion et notre admiration pour le principe sur lequel se fonde et dont dérive son activité multiforme et prévoyante, c’est-à-dire que « la Paix doit être établie sur le fondement de la solidarité intellectuelle et morale de l’humanité ».

Mais disons-le tout de suite : lorsque la rencontre d’aujour­d’hui a été fixée, on ne prévoyait pas l’événement qui a ému ces jours-ci une si grande partie du monde de la culture, à savoir certaines délibérations de la récente Conférence géné­rale de l’UNESCO. Nous voici alors par surprise en face d’un fait qui trouble dans l’opinion publique la sérénité de cet heu­reux moment. C’est pourquoi nous exprimons d’autant plus le souhait que ce cas imprévu puisse trouver une solution rapide, confiant comme nous le sommes dans le commun désir de justice et de paix des parties en cause. Et nous le souhaitons en pensant que les premiers à s’en réjouir seront les hôtes illustres que nous avons aujourd’hui l’honneur de compter parmi nous, les Diri­geants, et donc les représentants de l’UNESCO, à cause du caractère universel et pacifique de cette Organisation et, comme on l’a dit, de l’esprit de tolérance qui est le sien, étrangère qu’elle est aux compétitions politiques et toujours cohérente avec ses buts propres, pédagogiques, scientifiques et culturels, comme en témoigne son intérêt pour les valeurs historiques, artistiques et religieuses d’un territoire qui est pour nous tous très cher et sacré.

Et nous voici ramenés par cette évocation — à laquelle il faudrait joindre avec une mention spéciale le rappel par exem­ple des interventions de l’UNESCO en faveur de la Nubie et de Venise —, nous voici ramenés, disions-nous, aux mérites authentiques de l’activité de l’UNESCO en faveur de la paix, non seulement en ce qui concerne des lieux géographiques, mais, et bien davantage encore, des situations morales, dans lesquelles les besoins de l’humanité réclament et reconnaissent comme sage et providentielle l’œuvre de cette grande institution qui vise, nous le savons, la promotion de l’éducation, de la science et de la culture: qu’il suffise de citer la campagne mondiale en faveur de l’alphabétisation.

Mais de ces mérites de l’UNESCO, qui la qualifient aussi à notre regard avide de rencontrer dans le panorama humain les signes des efforts œuvrant pour la Paix, il a déjà été abondamment parlé par notre zélé collaborateur, Monseigneur Giovanni Benelli, ancien Observateur du Saint-Siège auprès de l’UNESCO, qui s’est rendu récemment à Paris pour annoncer à la Conférence générale de l’UNESCO réunie en Assemblée plénière, l’attribution du Prix de la Paix, qui porte le nom du Pape Jean XXIII, précisément à l’UNESCO, en reconnais­sance de son œuvre. Vous n’êtes certainement pas sans en avoir tous recueilli vous-même l’écho.

On pourrait donc penser que tout ce qui a été dit — au moins à grands traits — suffit à justifier notre geste amical : ce que vous êtes par rapport à la Paix, vous les illustres et valeureux représentants de l’UNESCO, ce que vous faites et ce que vous avez déjà accompli en sa faveur, tout cela mérite à nos yeux reconnaissance et donc que vous soit décerné le prix por­tant le nom de notre éminent et vénéré Prédécesseur, le Pape Jean XXIII. Non seulement son nom nous autorise à considérer votre passé et votre présent pour le trouver digne de vous con­férer cette distinction significative, mais ce nom béni nous in­cite en outre à regarder plus loin, à voir votre avenir, qui cons­titue pour nous et pour ceux qui vous connaissent une promesse tout aussi digne de félicitations et d’encouragements que le sont les années déjà écoulées. Vous êtes un motif d’espoir pour la Paix de l’humanité et de la civilisation futures : la charte constitutive de votre Organisation en témoignage. Vous êtes projetés, tels des hérauts de Paix, dans l’histoire future. Vous faites de l’éducation, de la science et de la culture, des éléments de poids et d’une importance étonnante pour la fusion spiri­tuelle et universelle des peuples. La politique, que vous laissez à d’autres organismes le soin de promouvoir — spécialement à l’ONU, dont vous tirez inspiration et force pour votre entreprise — réussira, nous l’espérons, à établir une cohésion pacifique, des relations juridiques et économiques organiques, une coha­bitation équilibrée et ordonnée entre les Nations; oui, mais vous cherchez à former une communion, vous travaillez pour la frater­nité des peuples sur la terre. Vous essayez de donner une pensée commune à l’humanité : vous vous faites les promoteurs d’une sociologie uniforme de la culture: vous rendez possible un lan­gage civil identique entre les hommes : « l’UNESCO — écrit Monsieur Maheu — est une entreprise d’organisation de rap­ports internationaux concernant les activités de l’esprit en vue de promouvoir les droits de l’homme et de concourir à l’éta­blissement d’un régime de paix juste et durable » (cf. Dans l’esprit des hommes, UNESCO, 1971, p. 313). En agissant ainsi, vous accomplissez un travail de sensibilisation silencieuse mais prodigieuse des esprits, qui semblent par ailleurs, à cause du progrès même de la civilisation, s’armer psychologiquement et techniquement pour une guerre formidable et apocalyptique, qui ne devrait jamais éclater mais qui, hélas, demeure encore possible et terriblement plus facile. Vous dissipez, pour votre part, le cauchemar d’une aussi déplorable et impensable fata­lité. Vous rendez plus serein l’horizon de l’histoire à venir, vous redonnez aujourd’hui la Paix au monde en la lui assurant pour demain.

Est-il un mérite plus grand dans le concert des peuples ? Et peut-il y avoir un titre meilleur pour rapprocher votre orga­nisme du nôtre, qui s’appelle assemblée de frères ? Telle est en effet l’étymologie du nom même de l’Église, et nous espérons et nous œuvrons de toutes nos forces pour qu’elle le soit en réa­lité. Notre chemin est-il parallèle au vôtre ? Oui, sur des plans divers, en cet instant, nous le constatons. Parallèle, dans le sens de l’indépendance réciproque, de la communauté respec­tive de finalité, et, nous pouvons aussi le dire, dans l’heureuse possibilité de s’intégrer l’un l’autre à certains moments, sans se confondre. Notre religion est une religion de Paix. Votre œuvre est une œuvre au service de la Paix.

Nous conclurons sur cette observation pour expliquer la raison de ce Prix qui veut avoir, malgré sa modestie au regard de la cause à laquelle il est destiné, une haute signification, comme une réminiscence biblique, celle de la célébration d’une idée-lumière, d’une idée-force, la Paix : celle de la proclamation d’un devoir impérieux et universel, la Paix ; celle de l’annonce d’une espérance positive et ineffable, la Paix.

Permettez-nous par conséquent de laisser la parole à celui dont ce prix porte le nom bon et prophétique, au Pape Jean XXIII, qui dans son Encyclique Pacem in terris nous a donné comme en testament cet avertissement : « A tous les hommes de bonne volonté incombe une tâche immense, celle de rétablir les rapports de la vie en société sur les bases de la vérité, de la justice, de la charité, et de la liberté ; rapports des particuliers entre eux, rapports entre les citoyens et l’Etat, rapports des Etats entre eux, rapports enfin entre individus, familles, corps intermédiaires et Etats d’une part et communauté mondiale d’autre part. Tâche noble entre toutes, puisqu’elle consiste à faire régner la paix véritable, dans l’ordre établi par Dieu » (AAS 55, 1963, pp. 301-302).

 

 

 

8 décembre

LA RÉCONCILIATION, CHEMIN VERS LA PAIX

 

A tous les hommes de bonne volonté !

Voici notre message pour l’année 1975.

Vous le connaissez désormais, et il ne saurait être autre que :

Frères, faisons la paix !

 

Notre message est très simple, mais en même temps il est si grave et si exigeant qu’il pourrait sembler offensant : la paix n’existe-t-elle pas déjà ? Que peut-on faire d’autre pour la paix, que peut-on faire de plus que ce qui a déjà été fait et se fait encore ? L’histoire de l’humanité n’est-elle pas déjà en mar­che, par sa propre force, vers la paix universelle ?

Oui, il en est ainsi ; ou plutôt, il semble en être ainsi. Mais la paix doit être « faite », elle doit être continuellement engendrée et produite; elle résulte d’un équilibre instable que seul le mou­vement peut assurer et qui est proportionnel à la vitesse de ce mouvement. Les institutions mêmes qui, sur le plan juridique et dans le concert des nations, ont pour rôle — et ont le mérite — de proclamer et de conserver la paix, n’atteignent le but prévu que si elles sont continuellement à l’œuvre, si elles savent à chaque instant engendrer la paix, faire la paix.

Cette nécessité résulte principalement du devenir humain, de l’incessant processus d’évolution de l’humanité. Les hommes succèdent aux hommes, les générations aux générations. Même si aucun changement ne se produisait dans les situations juridi­ques et historiques existantes, il faudrait quand même œuvrer continuellement pour éduquer l’humanité à rester fidèle aux droits fondamentaux de la société : ces derniers doivent demeurer et guideront l’histoire pendant un temps indéfini, à condition que les hommes, changeants, et que les jeunes qui viennent remplacer les anciens disparus, soient sans cesse formés à la di­scipline de l’ordre nécessaire au bien commun et à l’idéal de la paix. Faire la paix, sous cet angle, signifie éduquer à la paix. L’entreprise n’est pas mince, ni facile.

Mais nous savons tous que les hommes ne sont pas les seuls à changer sur la scène de l’histoire. Les choses aussi changent, c’est-à-dire les questions dont la solution équilibrée conditionne la coexistence pacifique entre les hommes. Nul ne peut soutenir que désormais l’organisation de la société civile et du contexte international soit parfaite. De nombreux, de très nombreux problèmes restent encore potentiellement ouverts : ceux d’hier demeurent, de nouveaux surgissent aujourd’hui, d’autres sur­giront demain ; tous attendent une solution. Cette dernière, Nous l’affirmons, ne peut pas, ne doit jamais plus découler de conflits égoïstes ou violents, encore moins de guerres meurtrières entre les hommes. Cela a été dit par les hommes sages, spécia­listes de l’histoire des peuples et experts en économie des nations. Nous aussi, sans armes au milieu des querelles du monde, et fort d’une Parole divine, Nous l’avons dit : tous les hommes sont frères. Finalement toute la civilisation semble avoir admis ce principe fondamental. Si donc les hommes sont frères, mais s’il existe encore entre eux et s’il surgit toujours des causes de con­flit, il faut que la paix devienne opérante et sage. Il faut faire la paix, il faut la produire, il faut l’inventer, il faut la créer avec un génie toujours vigilant, avec une volonté toujours neuve et inlassable. Nous sommes par conséquent tous persuadés du prin­cipe qui inspire la société contemporaine: la paix ne peut être ni passive, ni oppressive; elle doit inventer, prévenir, agir.

Nous sommes heureux de constater que ces critères directeurs de la vie collective dans le monde sont aujourd’hui, au moins dans leur principe, universellement accueillis. Et Nous nous sentons le devoir de remercier, de louer, d’encourager les respon­sables et les institutions actuellement destinées à promouvoir la paix sur la terre qui ont su choisir, comme premier article de leur action, cet axiome fondamental : seule la paix engendre la paix.

Laissez-nous vous répéter à tous de manière prophétique le message du récent Concile œcuménique jusqu’aux confins de l’horizon : « Nous devons tendre à préparer de toutes nos for­ces ce moment où, de l’assentiment général des nations, toute guerre pourra être absolument interdite... La paix doit naître de la confiance mutuelle entre peuples au lieu d’être imposée aux nations par la terreur des armes... Les chefs d’Etat, qui sont les répondants du bien commun de leur propre nation et en même temps les promoteurs du bien universel, sont très dépen­dants des opinions et des sentiments de la multitude. Il leur est inutile de chercher à faire la paix tant que les sentiments d’hos­tilité, de mépris et de défiance, tant que les haines raciales et les partis-pris idéologiques divisent les hommes et les opposent. D’où l’urgence et l’extrême nécessité d’un renouveau dans la formation des mentalités et d’un changement de ton dans l’opi­nion publique.

« Que ceux qui se consacrent à une œuvre d’éducation, en particulier auprès des jeunes, ou qui forment l’opinion publi­que, considèrent comme leur plus grave devoir celui d’inculquer à tous les esprits de nouveaux sentiments générateurs de paix.

« Nous avons tous assurément à changer notre cœur et à ouvrir les yeux sur le monde, comme sur les tâches que nous pouvons entreprendre tous ensemble pour le progrès du genre humain » (Gaudium et Spes, 82).

C’est là que notre message se centre sur le point caractéris­tique qui l’inspire, en affirmant que la paix a d’autant plus de valeur lorsque, avant d’être extérieure, elle cherche à être in­térieure. Il faut désarmer les esprits si nous voulons empêcher efficacement le recours aux armes qui atteignent les corps. Il faut donner à la paix, c’est-à-dire à tous les hommes, les racines spirituelles d’une manière commune de penser et d’aimer. Elle ne suffit pas, écrit Saint Augustin, le maître théoricien d’une Cité nouvelle, elle ne suffit pas, pour associer les hommes entre eux, l’identité de leur nature ; encore faut-il leur enseigner à parler un même langage, c’est-à-dire à se comprendre, à pos­séder une culture commune, à partager les mêmes sentiments; autrement, « l’homme aimera mieux se trouver avec son chien qu’avec un homme étranger » (cf. De Civitate Dei, XIX, VII ; PL 41, 634).

C’est dans cette intériorisation de la paix que résident le vé­ritable humanisme, la véritable civilisation. Heureusement, elle est déjà en train de se réaliser. Elle mûrit avec le progrès du monde. Elle trouve sa force persuasive dans les dimensions uni­verselles des rapports de tout genre que les hommes sont en train d’établir entre eux. C’est un travail lent et compliqué, mais qui, à beaucoup d’égards, s’impose de soi : le monde marche vers son unité. Toutefois, Nous ne pouvons pas nous faire illu­sion : tandis que s’étend au milieu des hommes la concorde pa­cifique — grâce à la découverte progressive de la complémen­tarité et de l’interdépendance des pays, aux échanges commer­ciaux, à la diffusion d’une même vision de l’homme, toujours respectueuse cependant de l’originalité et de la spécificité des diverses cultures, grâce encore à la facilité des voyages et des moyens de communication sociale, etc. —, Nous devons remar­quer que se manifestent aujourd’hui de nouvelles formes de nationalismes jaloux, braqués sur des manifestations hargneuses de revanche pour des raisons de race, de langue, de tradition ; que subsistent des situations vraiment tristes de misère et de faim ; que surgissent de puissantes expressions économiques mul­tinationales, chargées d’antagonismes égoïstes ; que s’organisent socialement des idéologies exclusivistes et dominatrices ; que des conflits territoriaux éclatent avec une impressionnante fa­cilité ; et surtout que les engins meurtriers capables d’engendrer des destructions catastrophiques s’accroissent en nombre et en puissance, jusqu’à imposer à la terreur le nom de paix. Oui, le monde marche vers son unité alors que, d’un autre côté, se font plus nombreuses les hypothèses terrifiantes qui laissent prévoir comme plus possibles, plus faciles et plus périlleux des affronte­ments fatals considérés, sous certains aspects, comme inévita­bles et nécessaires, voire même réclamés par la justice. Faut-il qu’un jour la justice ne soit plus sœur de la paix, mais de la guerre (cf. saint augustin, ibid.) ?

Nous ne jouons pas à formuler des utopies, ni optimistes, ni pessimistes. Nous voulons nous en tenir à la réalité qui, par cette phénoménologie d’espérance illusoire et de désespoir regrettable, nous avertit encore une fois que quelque chose ne fonctionne pas bien dans le char monumental de notre civili­sation. Cette dernière pourrait éclater en une conflagration indescriptible par un défaut de construction. Nous disons défaut, et non manque ; défaut du coefficient spirituel, que Nous ad­mettons toutefois comme déjà présent et opérant dans l’écono­mie générale du développement pacifique de l’histoire contem­poraine, et comme digne de toute reconnaissance favorable et de tout encouragement : n’avons-nous pas attribué Nous-même à l’UNESCO notre prix qui porte le nom du Pape Jean XXIII, auteur de l’Encyclique Pacem in terris ?

Mais Nous osons dire qu’il faut faire davantage, qu’il faut valoriser et appliquer le coefficient spirituel, pour le rendre ca­pable non seulement d’empêcher les conflits entre les hommes et de prédisposer ceux-ci à des sentiments pacifiques et civilisés, mais de produire la réconciliation entre les hommes eux-mêmes, c’est-à-dire d’engendrer la paix. Il ne suffit pas de contenir les guerres, de suspendre les luttes, d’imposer trêves et armistices, de définir frontières et rapports, de créer des sources d’intérêts communs ; il ne suffit pas de paralyser les possibilités de contes­tations radicales par la terreur de destructions et de souffrances inouïes ; une paix imposée ne suffit pas, non plus qu’une paix utilitaire et provisoire ; il faut tendre vers une paix aimée, libre, fraternelle, et donc fondée sur la réconciliation des esprits.

Nous savons que c’est difficile, plus difficile qu’aucune autre méthode. Mais ce n’est pas impossible, ce n’est pas inconceva­ble. Nous croyons en la bonté fondamentale des hommes et des peuples. Dieu a fait salutaires les créatures (Sg 1, 14). L’ef­fort intelligent et persévérant pour la compréhension mutuelle des hommes, des classes sociales, des Cités, des peuples, des civi­lisations, n’est pas stérile.

Nous nous réjouissons, spécialement à la veille de l’Année internationale de la Femme, proclamée par les Nations-Unies, de la participation toujours plus étendue des femmes à la vie de la société : elles y apportent une contribution spécifique de grande valeur grâce aux qualités que Dieu leur à données. In­tuition, créativité, sensibilité, aptitude à la pitié et à la compas­sion, large capacité de compréhension et d’amour, permettent en effet aux femmes d’œuvrer, d’une manière tout à fait parti­culière, à la réconciliation dans les familles et dans la société.

Nous éprouvons également une grande satisfaction à constater que l’éducation des jeunes à une nouvelle mentalité universelle de la vie en société, mentalité qui n’est ni sceptique, ni vile, ni inepte, ni oublieuse de la justice, mais généreuse et pleine d’a­mour, est déjà commencée et déjà bien avancée ; elle renferme des ressources imprévisibles pour la réconciliation, et elle peut tracer le chemin de la paix dans la vérité, l’honneur, la justice, l’amour, et donc dans la stabilité, pour la nouvelle histoire de l’humanité.

La réconciliation ! Hommes jeunes, hommes courageux, hom­mes responsables, hommes libres, hommes bons, y pensez-vous ? Ce mot magique ne pourrait-il entrer dans le vocabulaire de vos espérances, de vos succès ?

Voilà notre message et notre souhait pour vous tous : la ré­conciliation est le chemin vers la paix.

 

A vous maintenant, hommes d’Eglise !

Frères dans l’épiscopat, prêtres, religieux et religieuses.

A vous, membres de notre laïcat militant

et à tous les fidèles !

 

Le Message sur la réconciliation comme chemin vers la paix exige un complément, même s’il vous est déjà connu et présent à l’esprit.

Ce n’est pas seulement une partie intégrante, mais une partie essentielle de notre message, vous le savez. En effet, il nous rap­pelle à tous que la première et indispensable réconciliation à réaliser est la réconciliation avec Dieu. Il ne peut y avoir pour nous croyants d’autre chemin vers la paix que celui-là ; bien plus, dans la définition de notre salut, la réconciliation avec Dieu et notre paix coïncident, sont cause l’une de l’autre. C’est l’œuvre du Christ. Il a réparé la rupture que le péché opère dans nos rapports vitaux avec Dieu. Souvenons-nous, parmi beaucoup d’autres, d’une parole de Saint Paul à ce propos : « Et le tout vient de Dieu qui nous a réconciliés avec Lui par le Christ » (2 Co 5, 18).

L’Année Sainte que nous allons commencer veut nous ren­dre attentifs à cette première et heureuse réconciliation: le Christ est notre paix ; il est le principe de la réconciliation dans l’unité de son corps mystique (cf. Ep 2, 14-16). Dix ans après la conclusion du Concile Vatican II, nous ferons bien de méditer plus profondément le sens théologique et ecclésiologique de ces vérités fondamentales de notre foi et de notre vie chrétienne.

Surgit alors une conséquence logique, normale, et même fa­cile si nous sommes vraiment dans le Christ: nous devons per­fectionner le sens de notre unité ; unité dans l’Église, unité de l’Église; la première est une communion mystique, constitutive (cf. 1 Co 1, 10 ; 12, 12-27) ; la seconde, une recomposition oecu­ménique de l’unité entre tous les chrétiens (cf. Unitatis redintegratio) ; l’une et l’autre exigent un travail particulier de récon­ciliation qui doit apporter à la communauté chrétienne cette paix, qui est fruit de l’Esprit, résultant de sa charité et de sa joie (cf. Ga 5, 22).

En ces domaines aussi nous devons « faire la paix » ! Le texte de notre « Exhortation sur la réconciliation à l’intérieur de l’Église », publié ces jours-ci, vous arrivera certainement en mains ; Nous vous supplions, au nom de Jésus-Christ, de bien vouloir méditer ce document, de bien vouloir en tirer des réso­lutions de réconciliation et de paix. Que personne ne pense pouvoir éluder les exigences inévitables de la communion avec le Christ, la réconciliation et la paix, en demeurant sur ses ha­bituelles positions contestataires face à son Église ; tâchons au contraire de faire en sorte que tous et chacun apportent une nou­velle et loyale contribution pour édifier cette Église de façon filia­le, humble, positive. Ne devrons-nous pas nous rappeler la parole ultime du Seigneur, pour l’apologie de son Évangile : « Qu’ils soient parfaitement un, et que le monde sache que tu m’as en­voyé » (Jn 17, 23) ? N’aurons-nous pas la joie de revoir des frè­res aimés et lointains revenir à la joyeuse harmonie d’autrefois ?

Nous devrons prier pour que cette Année Sainte donne à l’Église catholique l’ineffable expérience de la reconstitution de l’unité de quelques groupes de frères déjà si proches de l’unique bercail, mais qui hésitent encore à en franchir le seuil. Et nous prierons aussi pour les croyants sincères d’autres religions, afin que se développe le dialogue amical que nous avons commencé avec eux, et qu’ensemble nous puissions collaborer pour la paix mondiale. Nous devrons surtout demander à Dieu pour nous-mêmes l’humilité et l’amour, afin de donner à la claire et cons­tante profession de notre foi la capacité d’entraîner la réconci­liation et le charisme fortifiant et joyeux de la paix.

« Alors — c’est là notre souhait — la paix de Dieu, qui sur­passe toute intelligence, prendra sous sa garde vos cœurs et vos pensées, dans le Christ Jésus » (Ph 4, 7).

 

Du Vatican, le 8 décembre 1974.

 

PAULUS PP. VI

 

 

 

23 décembre

DISCOURS DU PAPE EN RÉPONSE AUX VŒUX DU SACRÉ COLLÈGE

 

Le 23 décembre Paul VI a reçu, dans la Salle du Consistoire, le Sacré Collège venu lui présenter ses vœux pour la fête de Noël.

Après l’adresse d’hommage du Cardinal Traglia, le Pape a prononcé un discours, dont voici la traduction :

 

Messieurs les Cardinaux,

 

A vos vœux, toujours inspirés par la noblesse de vos esprits et par la ferveur religieuse à l’approche de la fête, douce et solennelle, de Noël, répondent nos propres vœux, qui trou­vent dans la reconnaissance pour la collaboration que vous nous apportez dans l’accomplissement de notre tâche apostolique, un motif particulier d’intensité. Et de la fête de Noël ils tirent argument pour demander au Seigneur, qu’ensemble nous aimons et servons, ces « charismata meliora » par lesquels l’insertion de notre vie dans le corps mystique du Christ — l’Église — re­çoit la plénitude de grâce et d’efficacité. Un motif nouveau, comme l’a si bien noté la voix qui s’est faite le digne interprète de vos sentiments communs, ajoute une signification et une valeur spéciales à l’échange de vœux en cette heureuse circons­tance: c’est le début imminent d’une célébration périodique, mais toujours rare et fort importante, à laquelle est dédiée la prochaine année, appelée non sans raison « sainte ». Oh ! que de pensées, que d’espoirs suscite en notre esprit cette circons­tance qui correspond si bien à notre conscience religieuse et intéresse tant notre expérience pastorale.

C’est justement en référence, et même à la lumière, de cet événement religieux — dont le courant vivifiant a déjà parcouru l’Eglise de Dieu et maintenant la secoue, la réconforte et la ra­nime en son centre romain, le centre non seulement géographique et canonique, mais surtout le centre spirituel, le cœur — que nous nous permettons, en guise de complément à nos vœux de Noël, de soumettre à votre considération, en une très brève synthèse, quelques aspects actuels de notre sainte Église catho­lique et apostolique.

Le premier aspect est justement celui de son histoire, sur la­quelle l’échéance périodique de l’Année Sainte nous invite à réfléchir. Mille neuf cent soixante-quatorze ans d’existence ! De nombreuses et graves observations se présentent à notre esprit. La première, sous forme de la demande habituelle et superfi­cielle : l’Église est-elle vieille ? Le temps a-t-il imprimé sur son visage quelque tache, quelque ride ou autre chose de ce genre dont parle Saint Paul à propos de l’Église qui, en tant qu’Épouse du Christ, doit se présenter à lui, comme dans une beauté ju­vénile, « sainte et immaculée » (cf. Ep 5, 25-27) ? Le rapport de toute institution humaine avec le temps est-il un rapport de fatalité : rapport de vie et de mort, la première étant limitée dans son efficience et sa durée, la seconde étant désastreuse et perpétuelle ? Est-ce le sort réservé à l’Église ? Et si cette dernière survit encore, son existence n’est-elle pas anachronique ? Sa forme de vie n’est-elle pas dépassée ? Et pour lui redonner de l’actualité, l’heure n’est-elle pas venue d’un retournement ra­dical qui bouleverse ses dogmes, ses structures ? Ne doit-elle pas aussi puiser sa raison d’être dans la conformité aux mœurs des temps ? Comment le monde peut-il tirer sagesse et vigueur d’un organisme constamment freiné par une exigeante tradition ?

Tradition, voilà le mot-clé : alors qu’il tente de renfermer l’Église dans son sépulcre, à nous il ouvre au contraire, s’il est bien compris, le secret de sa mystérieuse vitalité. L’Église, bien qu’elle soit incarnée dans l’histoire, n’est pas une institution humaine quelconque, et l’on ne peut donc évaluer sa vie avec les mesures adaptées aux choses purement terrestres. La tradition tient lieu pour l’Église de racine vivante et cohérente, qui va jusqu’à la source originelle de son institution historique et divine, jusqu’au dépôt authentique de sa doctrine surnaturelle, dépôt que l’Église transmet fidèlement, vital et fécond, comme la lymphe jusqu’aux frondaisons d’un arbre vivant, toujours plus vivant, au long des âges successifs, pour un printemps toujours immanent et possible. La tradition garantit la fidélité de l’Église, son histoire qui ne vieillit pas, sa perpétuelle jeunesse qui, alimentée par un continuel retour aux sources, traverse les siè­cles, impassible dans la lutte et la souffrance, dans l’attente eschatologique qui apporte l’heureuse solution. Tel est l’ensei­gnement qu’avec tant d’autres nous apporte une page du récent Concile : elle nous parle du renouveau de la vie religieuse, qui découle de l’inspiration originelle, s’adapte en toute sagesse aux conditions et aux nécessités des temps, et aborde l’avenir avec une confiance qui vient d’en-haut et avec une énergie inépui­sable (cf. Perfectae caritatis, 2). Puissent en faire l’expérience tant d’institutions méritantes et vénérables, qui, confrontées aux mutations des temps, sont éprouvées par le doute sur leur propre identité ; et puisse aussi la sainte Église tout entière avoir vraiment conscience d’elle-même, ou mieux de la promesse finale du Christ qui défie l’usure dévorante du temps : « Et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20). Si elle est fidèle à l’Esprit vivifiant, qui doit tou­jours l’assister et la guider, l’Église ne craint pas la fatigue, ne craint pas l’hostilité du monde ; mais au contraire elle ressent toujours la nouveauté et la puissance de sa vocation à suivre le Christ et à servir l’humanité ; et elle découvre — c’est mer­veilleux quand on y pense — que du développement même de la civilisation profane, tandis que d’un côté celle-ci semble affir­mer son autosuffisance, rendant vaines la parole et l’action de l’Église, d’un autre côté voici que justement sont offerts à l’hé­ritière de l’Évangile de nouveaux moyens inattendus tout à fait adaptés à elle pour son œuvre de diffusion de la vérité et de la vie; et en même temps elle est invitée, d’une manière tacite mais logique à soutenir avec les énergies, morales et spirituelles, de la foi chrétienne, les énergies humaines et naturelles qui, elles, sont entravées, parfois même épuisées et dégénérées, par le poids et la masse du développement même qui leur a donné naissance. Le monde sans le Christ ne se tient pas jusqu’au bout par lui-même; sa prospérité, sa puissance, son organisation théorique et sociale requièrent un supplément qui le transcende et qui l’anime, dont notre religion est la source.

Et voici dès lors un nouvel aspect de l’Église dans le monde, un moment nouveau et décisif pour l’histoire de l’humanité : tandis que celle-ci atteint des hauteurs inouïes de progrès économique, scientifique et technique, en son propre sein naissent des fantasmes de terreur et croît le tournant des conséquences absurdes d’une culture qui se débat au bord du néant, des mœurs qui tombent dans les dégradations de la délinquance criante et de la passion aveugle. Mais alors réapparaît le Christ humble, doux, crucifié sur les sentiers du monde ; et l’Église le redonne à nouveau dans son mystère d’amour et de salut.

Vous comprenez, Frères vénérés, que, le cœur transporté par de telles pensées qui n’ont rien de vain, nous nous reposons sur une grande espérance, un grand événement, l’Année Sainte, dont l’Église sur la terre a déjà goûté plus d’un fruit spirituel et dont le déroulement béni et tant attendu va commencer la nuit de Noël, à Rome, plus ouverte que jamais à ceux qui cherchent une patrie de la foi et de la charité.

Nous devons reprendre le « tome » sérieux et plein de sa­gesse du Concile Vatican II et, en nous livrant à un courageux examen de conscience, en feuilleter les pages admirables pour reprendre et intégrer les bonnes résolutions qu’il a mises au cœur d’une Église avide de renouvellement et de réconciliation.

Nous devons rallumer le feu, le génie de la charité du Christ, réveiller dans le monde le sens de la fraternité et par conséquent d’une justice plus dynamique et plus effective.

Nous devons, comme déjà la réforme ou plutôt la renaissance liturgique est en train de le réaliser de façon heureuse, rendre à la prière son primat, sa façon idéale et béatifiante d’interpréter la vie, son importance, son efficience, l’engagement qu’elle su­scite, sa dignité simple et solennelle comme il convient au culte du vrai Dieu et au colloque filial avec le Père, par le Fils, dans l’Esprit Saint, en union avec le chœur de la communion des saints, en tête desquels vient Marie comme Mère et type de l’Eglise et avec lesquels nous célébrons le règne de la charité.

Nous devons renouveler aux Frères qui ne sont pas encore, en pleine communion avec nous l’invitation à reprendre la place qui les attend, avec la force persuasive de notre conversa­tion humble et patiente.

Nous devons restituer à l’Église sa paix intérieure (nous avons déjà à ce propos adressé une pressante exhortation publiée ces jours derniers). Est-il admissible que la contestation intérieure devienne une habitude dans l’Église ? Elle finirait, comme une force centrifuge, par se dissiper dans la vanité et la velléité d’un effort qui serait non seulement éphémère mais aussi dangereux pour l’authenticité de l’Église une et véritable, et qui nuirait au travail progressif du rapprochement œcuménique. Même au prix du renoncement à des formes excessives et arbitraires de pluralisme, et même si cela demandait le sacrifice libérateur d’individualismes égoïstes, nous devrions tous favoriser cette union décisive des esprits, des volontés, des œuvres, qui est le propre et la caractéristique de la « communion dans l’Esprit... agissant de concert et d’un cœur unanime » (cf. Ph 1, 27 ; 2, 1), telle que doit être l’Eglise du Christ.

En restant ainsi unie en elle-même — et voici un autre re­gard d’ensemble sur la scène du monde contemporain — l’É­glise sera aussi mieux à même d’offrir sa contribution à la fa­mille humaine tout entière, afin que cette dernière sache retrou­ver et conserver l’unité dans la paix, qui est justement le fruit de la victoire sur les égoïsmes de peuple et de classe, et dans l’effort généreux et coordonné pour le progrès commun.

L’humanité a aujourd’hui autant besoin qu’en d’autres temps — sinon plus — d’une telle collaboration, alors que la dispari­tion progressive du souvenir du dernier et épouvantable conflit menace d’affaiblir dans le monde l’horreur de la guerre et la volonté de concorde.

Sans vouloir en cette rencontre de Noël faire un discours par­ticulier sur le sujet toujours actuel de la paix — nous le réservons pour notre message désormais habituel de Nouvel An —, com­ment pourrions-nous ne pas exprimer au moins notre angoisse devant les difficultés qu’elle rencontre, cette paix, pour s’affer­mir là où l’on pouvait espérer qu’elle était rétablie, comme au Viêt-Nam, ou pour trouver péniblement sa voie ?

Comment ne pas rappeler, à la veille de l’ouverture de l’Année Sainte, en cette Ville, « mère et tête » de l’univers catholique, une autre Ville, Jérusalem, la « Cité sainte » du monde chrétien ; le centre à la fois de l’amour et des nostalgies séculaires de ce peuple que Dieu avait mystérieusement choisi, en désignant à l’avance en lui « son » peuple dans lequel nous nous recon­naissons ; la Cité si chère, par ailleurs, à la grande famille reli­gieuse de l’Islam ? Combien nous voudrions qu’au lieu d’être un objet de querelles continuelles, elle devienne carrefour de rencontres fraternelles pour tous ceux qui adorent le Dieu unique, et symbole de paix pour les habitants de la Terre Sainte et pour les peuples du Proche-Orient !

A cette région généreuse et tourmentée, et à toutes les autres parties du monde où — comme en Irlande, qui nous est toujours très chère et sans cesse présente à notre esprit — conflits et vio­lences continuent à troubler la société humaine, nous souhaitons la paix, une paix juste, une paix qui soit le fruit d’esprits récon­ciliés, apaisés, établis dans une concorde généreuse et mutuelle, une paix qui œuvre pour la libération et la collaboration so­ciale ; une paix qui devient un devoir plus profondément ressenti en l’Année de renouveau spirituel et de réconciliation qui va commencer.

Tels sont nos sentiments. Tels sont nos vœux. Nous les con­fions à votre réflexion, Frères vénérés, à celle de l’Église et de l’humanité, et surtout nous les offrons en prière à la toute puis­sante et bienveillante miséricorde du Seigneur, afin qu’ils puis­sent se transformer en heureuse réalité. Avec notre Bénédiction !

 

 

 

25 décembre

VENEZ, OUI FRÈRES, VENEZ !

 

Le Saint-Père, au cours de la Messe de minuit dont la célébration suivit l’ouverture de la Porte-Sainte a prononcé l’homélie suivante :

 

Notre parole, qui ose maintenant interpréter la voix de Noël et le langage symbolique de ce rite jubilaire, est simple et unique : venez ! Oui, Frères, venez !

Mais c’est une parole polyvalente! Veuillez en écouter la résonance au fond de vos cœurs ; veuillez essayer de la com­prendre.

Parce que, tout d’abord, elle se veut parole universelle. A tous nous lançons, comme un cri de rappel, cette invitation jaillie du cœur : Venez ! Le mot résonne dans cette basilique ; mais il est adressé à tous les fidèles, à toute l’Eglise ici réunie des quatre points cardinaux ; venez, « d’un seul cœur et d’une seule âme » (Ac 4, 32), célébrer ensemble la nativité du Christ et accomplir ensemble le Jubilé du renouveau et de la réconciliation dans la merveille et la joie de l’unité de foi et d’amour que le Seigneur nous a laissée comme son commandement et son héritage ; venez !

Cette même parole, pleine de respect et d’espérance, s’étend ensuite partout où le nom du Christ définit une fraternité et en appelle une heureuse plénitude : venez ! Nous gardons toujours disponible, autour de notre et votre unique Seigneur et Maître, la place d’honneur et d’amour qui vous est due en ce Noël de nouveauté et de réconciliation : venez ! C’est l’invitation œcuménique !

L’invitation s’élargit aussitôt aux grands cercles de l’huma­nité non chrétienne, avec la même résonance mais avec un accent différent bien que tout aussi respectueux et cordial : vous aussi, amis, vous êtes invités, vous aussi, vous êtes attendus à cette rencontre de fraternité. Notre voix tremble d’émotion — non d’incertitude — en affirmant que l’appel est aussi et, en un certain sens, spécialement pour vous qui, en Abraham, êtes avec nous solidaires de notre foi, et toujours fils de la promesse, qui se réalise déjà en nous.

Notre appel ne s’en tient pas là. Il veut s’étendre à ceux qui sont loin, aux esprits vagabonds, solitaires, découragés aux cœurs fermés, et jusqu’à ceux qui se sont rendus réfractaires à la religion et à la foi : venez ! Sera-ce une parole jetée aux vents ? En tout cas, elle ne manquera pas d’une certaine force secrète qui ne vient pas de notre faible voix mais du fait irréfu­table auquel elle rend témoignage : le Christ vous attend ! Il vous attend, vous aussi, et peut-être avec une impatience pleine d’amour : venez !

Vous nous demandez, vous tous nos Frères, vous tous Hom­mes auxquels parvient notre invitation, pressante et si confiante : d’où vient-elle ? Quels motifs la mettent sur nos lèvres ?

Ne nous demandez pas en ce moment une réponse adéquate : nous vous donnerons seulement celle qui surgit de vous-mêmes. Et la voici : venez, parce que c’est la voie où sont déjà engagés vos pas. Venez, parce que vous en avez inconsciemment le dé­sir et vous en avez absolument besoin. Venez, parce que le che­min de l’homme porte la marque de la direction vers laquelle nous vous appelons. Disons le grand mot qui résume tout : la fin de la vie humaine est Dieu ! Venez ; et nous vous ferons ren­contrer ou redécouvrir ce Dieu vivant que vous n’avez jamais cessé de chercher. Vous êtes en train de le chercher quand la ligne de votre vie est simple et naturelle, car, comme par une attraction naturelle, nous sommes tous orientés vers le pôle d’ori­gine et le pôle final de notre existence. C’est la synthèse de Saint Augustin qui brosse en ces termes bien connus le destin qui est nôtre : « Toi ô Dieu, Tu nous as fait pour Toi, et notre cœur n’aura pas de paix tant qu’il ne reposera pas en Toi » (Cong 1, 1). Et aujourd’hui encore où la vie pour nous n’est plus simple, mais compliquée dans le développement de sa pensée et de son progrès, la vérité est toujours celle-là, plus que jamais ; où dé­bouchent en effet la pensée et le progrès dans leurs conclusions extrêmes, quand ils ne veulent pas se perdre dans la nuit du néant sinon dans une aspiration suprême et dans un hymne extatique), adressé à l’Etre absolu et nécessaire, le Dieu de la lumière et de la vie ?

Nous vous le répétons encore : venez ! Parce que, disons-le avec une humble mais salutaire franchise, nous sommes pécheurs ; ce qui veut dire que, si le prodige de Noël, n’était pas réellement advenu, nous ne pourrions même pas cheminer dans l’espérance et notre sort serait désespéré. Nous n’avons pas la capacité de rejoindre Dieu, mais Dieu a eu l’infinie bonté de venir à notre rencontre, bien plus d’arriver Lui-même jusqu’à nous, des espaces insondables de son royaume qui est mystère. Il est venu à notre rencontre au point de se faire l’un de nous, au point de se faire homme ; et c’est ainsi qu’il « est apparu sur terre et s’est mis à converser avec les hommes » (Ba 3, 38). Voilà l’Évan­gile, voilà Noël. Noël ! Le point de contact vital du Verbe de Dieu — qui est Dieu lui-même avec le Père et l’Esprit Saint — avec nous, gens de cette petite planète qu’est la terre; Emmanuel est son nom, qui justement veut dire : Dieu avec nous (Mt 1, 23 ; Is 7, 14).

Mais alors, il semble qu’il faille dire que rien d’autre n’est nécessaire ; nous n’avons pas à aller à Lui, si Lui est venu à nous. La solution ultime de nos problèmes ne serait-elle pas déjà at­teinte ? Le salut déjà assuré ?

Ecoutez une dernière fois notre invitation, Frères et Hommes de bonne volonté, invitation que nous répétons encore pour les pas qui nous restent à faire, afin que la rencontre se réalise et s’achève dans l’étreinte, bien plus dans la communion avec le Christ, le Dieu-homme, notre Sauveur, notre régénérateur dans l’ordre de la vie surnaturelle qui nous est destinée. Venez ! Les pas qui nous reviennent sont au nombre de deux, insignifiants par rapport à la distance que Jésus, le Messie divin, a comblée pour s’approcher de nous ; mais pour nous ils sont extrêmement im­portants, et ils ne manquent pas de difficultés dramatiques en ce qui nous concerne.

Le premier pas, le grand pas, qui humilie notre orgueil fermé, notre autosuffisance présomptueuse, mais qui élargit notre esprit aux dimensions immenses et exaltantes de la Parole révélatrice de Dieu, est la foi. Au seuil de la crèche, de l’Evangile, du salut, il y a la foi. De notre côté, il faut la foi ; nous devons croire au royaume de Dieu qui est ouvert devant nous, et dire avec le personnage anonyme de l’Évangile : « Je crois, Seigneur, mais Toi, viens en aide à mon incrédulité » (Mc 9, 24).

Puis le second pas que la célébration du Jubilé veut signifier, avec sa discipline spirituelle simple mais profonde, et avec l’ou­verture symbolique de ses portes de miséricorde et de pardon, le pas de la métamorphose intérieure, le pas courageux de la vérité morale, le pas évangélique du fils prodigue qui retourne à la maison paternelle, le pas que le Père attend et que du dedans il inspire et rend joyeux : le voilà, c’est le pas de la conversion du cœur : « Je me lèverai et j’irai ».

Chacun de nous peut le faire, ce pas, il le doit. C’est, au fond, si facile. C’est si beau. C’est si doux. C’est le pas que nous som­mes en train de faire. Le pas de Noël pour l’Année Sainte, qu’ensemble nous avons inaugurée cette nuit.

L’Église est avec nous ! Que le monde le soit de même ! Le cœur rempli de ces souhaits, nous reprenons maintenant notre prière.

 

 

 

25 décembre

MESSAGE DE NOËL DU PAPE PAUL VI

 

A l’issue de la Messe qu’il a célébrée à 11 heures, le Jour de Noël, dans la Basilique Saint-Pierre, le Saint-Père a adressé à l’Église son traditionnel message de Noël.

 

Frères et Fils

de Rome et du monde entier !

 

Qu’il est beau, qu’il est grand, qu’il est prophétique de répéter, en cette heure bénie et de ce lieu choisi l’heureuse annonce de l’ange : « Ne craignez pas, car voici que je vous communique une bonne nouvelle — l’Évangile par excellence ! —, une bonne nouvelle qui est une grande joie pour tout le peuple : aujourd’hui dans la cité de David — à Bethléem — un Sauveur vous est né qui est le Christ Seigneur ! » (Lc 2, 10-11). Annonce joyeuse, annonce historique, annonce libératrice, annonce messia­nique, qui ouvre le ciel, en dégage la route, en laisse entrevoir la profondeur mystérieuse et surnaturelle ; annonce incomparable aussi, qui inonde la terre de paix et d’allégresse ! De même que, pour nous, le ministère apostolique qui nous fait répéter non seulement l’écho, mais les magnifiques paroles de ce message prophétique, est un motif de joie intime et mystique, de même nous voudrions qu’il soit pour vous — pour vous tous, fidèles ou appelés à la foi — une source de bonheur et d’espérance. C’est la liturgie inaugurale, cosmique et ineffable, qui célèbre par ce chant la nouvelle alliance entre le Dieu de l’éternité et les hommes de l’histoire, entre le ciel et la terre, entre la gloire du royaume — pour nous encore invisible et à venir — et la scène du monde, splendide et tourmentée, dans laquelle, nous qui sommes tous vivants et pèlerins dans le temps, nous sommes, pendant un instant fugitif, les protagonistes responsables et heureux.

Nous devons imprimer en nos cœurs ce moment béni, qui révèle la vérité religieuse et existentielle de notre vie, et qui, tel un éclair lumineux, nous permet de découvrir le panorama de l’authentique situation humaine et le but offert à notre destinée.

Frères, nous tous qui participons à une même vocation trans­cendante, nous devons donc, de cette clairvoyante et providen­tielle vision de Noël, fixer en nous la sage leçon : Noël est la première, la grande page de la pensée chrétienne. Nous le de­vons pour fuir les ténèbres de la nuit dans laquelle nous sommes fatalement plongés malgré les innombrables efforts — dont beaucoup sont valables et louables — pour allumer quelque lueur d’intelligence et d’intuition sur le chemin obscur et pé­rilleux de nos pas.

Mais voici Noël. Le Messie, c’est-à-dire le guide, le Maître, est venu : voici Jésus, le Sauveur, qui nous révèle le Père. Le Père, c’est-à-dire la Bonté vigilante, sage et pleine d’amour, le Dieu vivant. Et voici alors une seconde révélation — person­nifiée dans le Christ Jésus — portant sur l’humanité, sur l’his­toire, sur la société, sur chacune de nos existences. Combien, combien en fin de compte est étendu notre savoir ! Nous ne sa­vons pas tout, certainement ; mais peut-être en savons-nous trop. Théologie et humanisme sont des registres de sagesse incomparable qui, pour celui qui sait les découvrir, forment le berceau dans lequel repose l’Enfant Jésus.

Voilà ce que nous voulons aujourd’hui rappeler à votre mé­ditation, à votre dévotion : c’est là et c’est comme cela qu’est le christianisme ; c’est là et c’est comme cela qu’est notre science de la vie ; c’est là et c’est comme cela qu’est notre foi !

Heureux sommes-nous, si nous savons résoudre la difficulté toujours pressante qui oppose la figure fantastique et hyper­bolique caractérisant l’idée grandiose, que nous nous faisions et que nous nous faisons peut-être encore aujourd’hui, de la divinité faite humanité, à la figure humble, pauvre, désarmée, silencieuse du Fils de Dieu qui s’est fait Fils de l’homme.

Heureux sommes-nous donc, nous surtout, membres d’une société néo-humaniste, comme on dit, dans laquelle, avec des contrastes flagrants qui érigent en formules rigidement institutionnalisées les conflits de nations, de races, de classes, de per­sonnes ou d’intérêts particuliers, s’affirment toutefois les idéaux dynamiques des droits humains, de l’égalité, de la solidarité et de la paix. Heureux sommes-nous si nous savons découvrir dans la petitesse de Jésus Enfant, demain crucifié, l’homme par ex­cellence, le « premier-né de toute créature » (Col 1, 15), le frère de tous, le défenseur des pauvres, l’ami de petits, le compagnon de ceux qui souffrent, le rédempteur des pécheurs, en un mot notre Sauveur. Rappelons-le : il est le modèle et le maître. C’est donc à Lui que, en vertu de notre ministère apostolique, nous demandons, pour l’Année Sainte qui vient de commencer, une bénédiction régénérante.