L’ENSEIGNEMENT DE PAUL VI

1975

Suite

 

 

 

 

18 octobre : LES VÉRITABLES ARMES DE LA PAIX

19 octobre : QUATRE NOUVEAUX HÉROS, HUMBLES ET GRANDS, DE LA FOI

20 octobre : L’HOMÉLIE DU SOUVERAIN PONTIFE À LA CANONISATION DE GIUSTINO DE JACOBIS

1er novembre : DES SAINTS D’AUJOURD’HUI, POUR AUJOURD’HUI

9 novembre : LE JUBILÉ DU DIOCÈSE DE ROME

12 novembre : LE PRIMAT DE LA PRIÈRE DANS LA VIE DES RELIGIEUX

14 novembre : « UN AJUSTEMENT AGRICOLE INTERNATIONAL DEMANDE UNE CONVERSION DES ESPRITS À LA SOLIDARITÉ UNIVERSELLE »

16 novembre : L’HOMÉLIE DU PAPE À LA BÉATIFICATION DE GIUSEPPE MOSCATI

23 novembre : LE DISCOURS DU PAPE AU PÈLERINAGE INTERNATIONAL DES MILITAIRES

6 décembre : « VOTRE TÉMOIGNAGE DOIT DEMEURER CELUI DE COMMUNAUTÉS D’EGLISE, D’ŒUVRES D’EGLISE »

8 décembre : MARIE, FIGURE IDÉALE DE L’EGLISE ET CAUSE DE SALUT DU GENRE HUMAIN

8 décembre : DISCOURS DU PAPE À SAINTE-MARIE-MAJEURE POUR LE JUBILÉ DES COMMUNAUTÉS CLOÎTRÉES

8 décembre : L’EVANGELISATION DANS LE MONDE MODERNE

14 décembre : « CONSTRUIRE ENSEMBLE UNE NOUVELLE ÈRE DE CONCORDE FRATERNELLE »

22 décembre : L’EGLISE ET LE MONDE CONTEMPORAIN

24 décembre : LA CIVILISATION DE L’AMOUR L’EMPORTERA SUR LA FIÈVRE DES LUTTES IMPLACABLES

25 décembre : MESSAGE DE NOËL DE PAUL VI

 

 

 

18 octobre

LES VÉRITABLES ARMES DE LA PAIX

 

C’est à vous, les hommes d’Etat !

 

A vous, les représentants et les promoteurs des grandes institutions internationales !

 

A vous les hommes politiques ! A vous, les experts des problèmes communautaires internationaux, à vous, les publicistes, les artisans, les sociologues et les économistes des rapports entre les peuples !

 

A vous, les citoyens du monde, fascinés par l’idéal d’une fraternité universelle, ou déçus et sceptiques quant à la possibilité d’établir des relations d’équilibre, de justice et de collaboration entre les nations !

 

Et à vous pour finir, les disciples de religions génératrices d’amitié entre les hommes ; à vous, les chrétiens, et à vous, les catholiques, qui faites, de la paix dans le monde, un principe de votre foi et un terme pour votre amour universel !

 

C’est a vous qu’en cette année 1976 Nous osons respectueuse­ment Nous présenter comme les années passées, avec notre message de paix.

Une invitation précède ce message : écoutez-le, soyez courtois, soyez patients. La grande cause de la paix mérite votre écoute, votre réflexion, même s’il peut sembler que Nous nous répétons sur ce thème qui revient à l’aube de l’an neuf ; et même si vous, qui en ces choses êtes bien instruits par vos études et peut-être davantage encore par vos expériences, vous pensez tout savoir dé­sormais au sujet de la paix dans le monde.

Il vous intéressera sans doute néanmoins de connaître nos sen­timents spontanés, appuyés sur les leçons de l’histoire dans la­quelle nous sommes tous immergés, à propos de ce thème lancinant de la paix.

Nos premiers sentiments en la matière sont de deux ordres, et ils discordent l’un de l’autre. Par-dessus tout, Nous voyons avec satisfaction et avec espérance progresser l’idée de la paix. Elle grandit en importance et en dimension dans la conscience de l’hu­manité ; avec elle se développent les structures nécessaires à l’orga­nisation de la paix ; les célébrations qui engagent et les célébra­tions plus académiques en sa faveur se multiplient ; les mœurs évoluent dans le sens indiqué par la paix : voyages, congrès, réu­nions, échanges commerciaux, études, amitiés, collaborations, se­cours... La paix gagne du terrain. La Conférence d’Helsinki, en juillet-août 1975, est un événement qui donne des espoirs dans ce sens.

Mais dans le même temps Nous voyons malheureusement se ma­nifester des phénomènes contraires au contenu et au but de la paix. Ces phénomènes progressent eux aussi, même s’ils en restent souvent à l’état latent. Ils recèlent les symptômes indubitables de conflagra­tions naissantes ou à venir. Ainsi renaît par exemple, avec le sens national qui est une expression légitime et souhaitable de la com­munion polyvalente d’un peuple, le nationalisme : en accentuant le sens national jusqu’à des formes d’égoïsme collectif et d’anta­gonisme exclusiviste, il fait ressurgir dans la conscience collective des germes dangereux et même explosifs de rivalités et de compé­titions bien probables.

La dotation en armements de tout genre croît jusqu’à la dé­mesure dans chaque pays, et cet exemple fait frémir. Nous soupçon­nons non sans raison que le commerce des armes arrive souvent au premier rang sur les marchés internationaux, grâce à ce sophis­me obsédant selon lequel la défense, même envisagée comme sim­plement hypothétique et potentielle, exige une course toujours plus disputée aux armements qui, seulement dans leur équilibre d’opposition, peuvent assurer la paix.

Mais cette énumération des facteurs négatifs qui corrodent la stabilité de la paix n’est pas complète. Pouvons-Nous appeler pa­cifique un monde radicalement divisé par des idéologies irréducti­bles, puissamment et férocement organisées, qui se partagent les peuples et, lorsque la liberté leur en est laissée, les subdivisent à l’intérieur de leurs entités en factions, en partis, qui trouvent rai­son d’être et d’agir dans le fait d’intoxiquer leurs troupes par la haine invincible et la lutte systématique à l’intérieur même de ce tissu social ? Le caractère apparemment normal des situations poli­tiques semblables ne parvient pas à cacher la tension exercée par le bras de fer qui est derrière, prêt à briser l’adversaire à peine celui-ci trahira-t-il un signe de faiblesse fatale. Est-ce cela la paix ? Est-ce cela la civilisation ? Est-ce bien un peuple, cet agglomérat de citoyens opposés les uns aux autres jusqu’aux conséquences extrêmes ?

Et où est la paix, dans les foyers de conflits armés, ou de con­flits à peine contenus par l’impuissance d’explosions plus violentes ? Nous suivons avec admiration les efforts en cours pour éteindre ces foyers de guerre et de guérilla, qui depuis des années déso­lent la surface du globe, et qui à tout moment menacent de dé­générer en des luttes gigantesques à l’échelon des continents, des races, des religions, des idéologies sociales. Mais Nous ne pouvons pas Nous cacher la fragilité d’une paix qui n’est qu’une trêve à ces conflits futurs évoqués plus haut, ni l’hypocrisie d’une tran­quillité dont l’aspect pacifique ne se définit que par de froides pa­roles de réciprocité simulée et respectueuse.

La paix, Nous le constatons, dans la réalité historique demande des soins constants ; par nature sa santé est précaire, car il s’agit de l’établissement de rapports entre des hommes violents et volubiles ; elle demande un effort continu et sage de cet art créatif su­périeur que l’on appelle diplomatie, ordre international, dynamique des pourparlers. Pauvre paix ! Quelle sont alors tes armes ? La peur de conflagrations inouïes et fatales qui pourraient décimer, voire anéantir l’humanité ? La résignation à un certain état de domination subie, comme le colonialisme, l’impérialisme ou la révolution qui, de violente, est devenue inexorablement statique et terriblement auto-conservatrice ? Les armements préventifs et secrets ? Une organisation capitaliste, c’est-à-dire égoïste, du monde économique, obligé par la faim à se contenir dans la soumission et la tranquil­lité ? L’enchantement, fait de narcissisme, d’une culture historique présomptueuse et persuadée de la pérennité de son destin triom­phant ? Ou bien les magnifiques structures établies en vue de ra­tionaliser et d’organiser la vie internationale ?

Une paix bâtie uniquement sur de tels fondements est-elle suf­fisante, est-elle sûre, est-elle féconde, est-elle heureuse ?

Il faut plus que cela. Tel est notre message. Il faut avant tout donner à la paix d’autres armes que celles destinées à tuer et à exterminer l’humanité. Il faut surtout les armes morales, qui don­nent force et prestige au droit international, à commencer par l’ob­servation des pactes. Pacta sunt servanda ; cet axiome conserve toute sa valeur pour qui veut la solidité des rapports entre les Etats, la stabilité de la justice entre les nations, la conscience honnête des peuples. La paix en fait son bouclier. Et si les pactes ne re­flètent par la justice ? Voici alors l’apologie des nouvelles Insti­tutions internationales, médiatrices de consultations, d’études, de délibérations, qui doivent absolument exclure ce qu’on appelle les voies de fait, c’est-à-dire le déchaînement de forces aveugles qui entraînent toujours des victimes humaines innocentes et des ruines sans nombre tandis qu’elles atteignent rarement le vrai but : re­vendiquer effectivement une cause vraiment juste. Les armes, les guerres en un mot, sont à exclure des programmes de la civilisa­tion. Le désarmement judicieux est une autre armature de la paix. Comme le disait le prophète Isaïe : « Il exercera son autorité sur les nations et sera l’arbitre de peuples nombreux, qui de leurs épées forgeront des socs, et de leurs lances des faucilles » (2, 4). Ecoutons aussi la parole du Christ : « Rengaine ton glaive; car tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive » (Mt 26, 52).

Utopie ? Pour combien de temps encore ?

Nous entrons ici dans le domaine futuriste de l’humanité idéale, de l’humanité nouvelle à engendrer, à éduquer; de l’humanité dé­barrassée de ses lourdes et meurtrières armatures militaires, mais d’autant plus revêtue de principes moraux qui sont devenus comme une seconde nature et la fortifient. Ces principes existent déjà, à l’état théorique ; mais ils sont pratiquement infantiles, faibles et encore délicats ; ils ne font que commencer à pénétrer dans la con­science profonde et opérante des peuples. Leur faiblesse, qui pa­raît inguérissable au diagnostic dit réaliste des études historiques et anthropologiques, vient spécialement du fait que le désarme­ment militaire devrait être commun et général pour ne pas consti­tuer une erreur impardonnable, conséquence d’un optimisme im­possible et d’une naïveté aveugle, tentation pour la violence d’autrui. Ou bien le désarmement est le fait de tous, ou bien c’est un délit de manque de défense : dans l’exemple de la communauté hu­maine historique et concrète, le glaive n’a-t-il pas sa raison d’être, pour la justice, pour la paix (cf. Rm 13, 4) ? Si, Nous devons bien l’admettre. Mais le monde n’a-t-il pas vu naître en lui une force transformatrice, une espérance qui n’est plus invraisemblable, un progrès nouveau et effectif, une histoire future et rêvée qui peut se faire présente et réelle, depuis que le Maître, le Prophète du Nouveau Testament a proclamé la décadence d’un mode de vie ar­chaïque, primitif, instinctif, et a annoncé, avec des paroles qui ont en elles-mêmes le pouvoir non seulement de dénoncer et d’an­noncer, mais aussi d’engendrer, à certaines conditions, une huma­nité nouvelle : « N’allez pas croire que je sois venu abolir, mais ac­complir... Vous avez appris qu’il a été dit aux ancêtres : Tu ne tueras point ; et si quelqu’un tue, il en répondra au tribunal. Eh bien ! moi je vous dis : Quiconque se fâche contre son frère en répondra au tribunal... » (Mt 5, 17. 21-22) ?

Ce n’est plus une simple utopie, naïve et dangereuse. C’est la nouvelle Loi de l’humanité qui progresse et qui arme la paix d’un principe inouï : « Tous vous êtes des frères » (Mt 23, 8). Si la con­science de la fraternité universelle arrive à pénétrer vraiment le cœur des hommes, auront-ils encore besoin de s’armer au point de devenir assassins aveugles et fanatiques de leurs propres frè­res, innocents en soi, et de perpétrer, en hommage à la paix des massacres d’une violence incroyable comme à Hiroshima le 6 août 1945 ? Notre époque, d’ailleurs, n’a-t-elle pas eu un exemple de ce que peut faire un homme faible, armé seulement du principe de la non-violence, Gandhi, pour faire accéder une nation de centaines de millions d’êtres humains à la liberté et à la dignité de Peuple nouveau ?

La civilisation avance à la suite d’une paix armée seulement d’un rameau d’olivier. Et derrière elle suivent les Docteurs, avec les lourds volumes sur le droit évolutif de l’humanité idéale ; puis les hommes politiques, experts non pas tant dans l’art de calculer les forces armées nécessaires pour gagner des guerres et dominer des hommes vaincus et humiliés, mais experts quant aux ressources de la psychologie du bien et de l’amitié. La justice, elle aussi, suit le cortège serein ; elle n’est plus fière ni cruelle, mais cherche uni­quement à défendre les faibles, à punir les violents, à assurer un ordre, extrêmement difficile certes, mais l’unique qui puisse porter ce nom divin : l’ordre dans la liberté et dans le devoir conscient.

Réjouissons-nous : ce cortège, même s’il est troublé par des at­taques obstinées et par des incidents inattendus, avance sous nos yeux, en ces temps tragiques, d’un pas peut-être un peu lent mais sûr et bénéfique pour le monde entier. C’est un cortège décidé à employer les véritables armes de la paix.

Ce Message doit avoir aussi sa conclusion pour les disciples de l’Evangile, au sens propre et au service de ce dernier. Une con­clusion qui nous rappelle combien le Christ notre Seigneur est ex­plicite et exigeant sur ce thème de la paix, une paix qui se passe de tout instrument, armée seulement de bonté, d’amour.

Le Seigneur en arrive à des affirmations, comme chacun sait, qui semblent paradoxales. N’ayons pas peur de retrouver dans l’Evangile les règles d’une paix que nous pourrions dire « renonciatrice ». Rappelons par exemple : « A qui veut te citer en justice et te prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau » (Mt 5, 40). Et puis, cette interdiction de se venger n’affaiblit-elle pas la paix? Bien plus, n’aggrave-t-elle pas, au lieu de la défendre la condition de l’offensé ? « Quelqu’un te gifle-t-il sur la joue droite, tends-lui encore l’autre » (Mt 5, 39). Par conséquent pas de re­présailles, pas de vengeance (surtout si elles sont accomplies à titre préventif, allant au devant d’offenses non reçues !). Que de fois dans l’Evangile nous est recommandé le pardon, non pas com­me un acte de lâche faiblesse ou d’abdication devant les injusti­ces, mais comme un signe de charité fraternelle, érigée en con­dition du pardon de Dieu, pardon bien plus généreux et pour nous nécessaire (cf. Mt 18, 23 et ss. ; 5, 44 ; Mc 11, 25 ; Lc 6, 37 ; Rm 12, 14, etc.) !

Rappelons l’engagement pris par nous à l’indulgence et au par­don, que nous demandons à Dieu, dans le « Notre Père », en po­sant nous-mêmes la condition et la mesure de la miséricorde dé­sirée : « pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés » (Mt 6, 12).

Ainsi pour nous aussi, qui sommes à l’école du Christ, voilà une leçon à méditer encore, à appliquer avec un courage confiant.

La paix s’affirme seulement par la paix, celle qui n’est pas séparable des exigences de la justice, mais qui est alimentée par le sacrifice de soi, par la clémence, par la miséricorde, par la Charité.

 

 

 

19 octobre

QUATRE NOUVEAUX HÉROS, HUMBLES ET GRANDS, DE LA FOI

 

L’homélie du Souverain Pontife à l’occasion de la béatification de Mgr Charles-Joseph-Eugène de Mazenod, du R. P. Arnold Janssen, du R. P. Joseph Freinademetz et de Marie Thérèse Ledochowska

 

Vénérables Frères, Très chers Fils et Filles,

 

Grande est notre joie, la vôtre et la nôtre, pour la béatification de quatre nouveaux héros, humbles et grands, de la foi : Mgr Charles-Joseph-Eugène de Mazenod ; le Père Arnold Janssen ; le Père Joseph Freinademetz ; Marie-Thérèse Ledochowska !

 

I- Cette nouvelle et lumineuse étape de l’Année Sainte a été intentionnellement placée en cette Journée Missionnaire Mondiale. Et cette circonstance est particulièrement mise en évidence ici par la présence de nombreux Evêques missionnaires qui ont dépensé leur vie entière au service de l’Eglise ; par la présence également de 400 catéchistes des pays de mission. Nous les saluons tous avec un sentiment d’affection toute particulière. Aujourd’hui toute l’Egli­se est unie dans la prière, dans une généreuse ferveur pour la cause missionnaire. C’est l’occasion annuelle où l’Eglise, peuple de Dieu, en pèlerinage, réfléchit sur sa physionomie générale, sur sa mission constitutive. C’est la parole de Jésus qui la définit ainsi, qui la veut ainsi : « Comme le Père m’a envoyé, moi je vous en­voie » (Jn 20, 21). « Allez, et enseignez toutes les nations » (Mt 28, 19).

Le Concile Vatican II a confirmé, dans le Décret sur l’activité missionnaire que « durant son pèlerinage sur la terre, l’Eglise est de nature, missionnaire » (Ad Gentes, 2) et il a poursuivi traçant une large et merveilleuse synthèse théologique qui encadre sa mis­sion dans le plan salvifique du Père : celui-ci, né de « l’amour dans l’envoi du Fils Unique avec Qui Dieu « entre de manière nouvelle et définitive dans l’histoire de l’humanité » (ibid., 3) et se prolonge dans l’effusion, le jour de la Pentecôte, du Saint-Esprit qui insinue en tout temps, « dans le cœur des fidèles le même esprit missionnaire qui avait poussé le Christ lui-même » (ibid., 4). En­voyée par le Christ, l’Eglise poursuit dans le temps et dans l’espace ce devoir fondamental qu’elle ne saurait réduire ou altérer sans trahir sa propre nature constitutive, sa propre vocation originelle.

II- Voilà, Frères et Fils, l’idéal missionnaire qui aujourd’hui, fait vibrer nos cœurs, et c’est précisément cet idéal qui unifie et rend semblables entre elles, bien que si diverses, les figures des quatre nouveaux Bienheureux qu’aujourd’hui l’Eglise propose au culte et à l’imitation de ses fils. Nous allons rappeler brièvement leurs caractéristiques essentielles, nous servant tour à tour de la langue qui fut la leur.

 

Le Saint-Père poursuit en français :

 

1. Nous dirons d’abord aux Fils du Père de Mazenod, aux membres de sa famille, à ses compatriotes d’Aix en Provence, aux diocésains de Marseille à tous les pèlerins venus pour le fêter : soyez très fiers, exultez de joie !

C’était un passionné de Jésus-Christ et un inconditionnel de l’Eglise ! Aux lendemains de la Révolution française, la Provence allait en faire un pionnier du renouveau pastoral. Dès son retour à Aix, après son ordination, l’Abbé de Mazenod est saisi par les urgences du diocèse : les jeunes, le menu peuple, les marginaux, les populations rurales. Il se veut le prêtre des pauvres et gagne des compagnons à son idéal. C’est le début d’une petite société : les Missionnaires de Provence qui deviendront les Oblats de Marie Im­maculée. Nommé Vicaire général puis Evêque de Marseille, Mgr de Mazenod donne sa pleine mesure. Il bâtit des Eglises, crée de nouvelles paroisses, veille avec vigueur et tendresse à la vie de ses prêtres, multiplie les visites pastorales et les prédications percu­tantes, souvent en langue provençale, développe l’instruction catéchétique et les oeuvres de jeunesse, fait appel aux congrégations enseignantes et hospitalières, défend les droits de l’Eglise et du Siège de Pierre. A partir de 1841, les Oblats de Marie embar­quent vers les cinq continents et vont jusqu’au bout des terres habitées. Notre Prédécesseur Pie IX dira d’eux : « Les Oblats, voilà les spécialistes des Missions difficiles ! ». Et le Père de Mazenod voulait qu’ils soient de parfaits religieux !

Ce Pasteur et ce Fondateur, témoin authentique de l’Esprit Saint — comme l’a si bien dit Mgr l’Archevêque de Marseille dans son Bulletin diocésain, — lance à tous les baptisés, à tous les apô­tres d’aujourd’hui un rappel capital : laissez-vous envahir par le feu de la Pentecôte et vous connaîtrez l’enthousiasme missionnaire !

 

Paul VI poursuit son homélie en langue alle­mande. En voici la traduction :

 

2. Dans le nouveau Bienheureux P. Arnold Janssen, l’Eglise honore l’Apôtre inlassable de la Bonne Nouvelle ainsi que le Fon­dateur des Missionnaires de Steyl (Hollande), de la Congrégation des Sœurs Missionnaires de Steyl et des Sœurs Cloîtrées de l’Ado­ration Perpétuelle. Sa vie et son oeuvre, marquées de sa foi pro­fonde, ont tendu avant tout au fidèle accomplissement de la Mission du Christ : « Allez par toute la terre et proclamez la Bonne Nou­velle à toute la création » (Mc 16, 15).

La grande oeuvre missionnaire que le Bienheureux fondateur, le Père Arnold Janssen, a constituée, presque sans ressources humai­nes, est le fruit très précieux de son engagement apostolique per­sonnel et de son inébranlable confiance en la Volonté et en la Pro­vidence de Dieu. C’était un homme livré continuellement à la priè­re, un zélateur de l’apostolat de la prière. Il avait un culte tout particulier pour le Sacré Cœur de Jésus, le Verbe Divin et le Saint-Esprit. En encourageant les exercices spirituels et en inno­vant une intense propagande par la presse, le Père Janssen contri­bua très largement au renouvellement de la vie religieuse dans les foyers. Ses providentielles fondations d’instituts religieux ouvri­rent un large espace à sa féconde action pastorale donnant à sa mission d’apôtre une dimension universelle. Que sa béatification soit célébrée au moment où la Société du Verbe Divin fête son premier centenaire, et en même temps que la béatification du Ser­viteur de Dieu, le Père Joseph Freinademetz, voilà qui témoigne de la faveur des voies divines.

 

3. Ce deuxième pionnier de la foi, le bienheureux missionnaire, formé à Steyl, Joseph Freinademetz, originaire du Sud-Tyrol, la contrée de langue latine au sud des Dolomites qui à l’époque, tant au point de vue civil qu’ecclésiastique, dépendait de l’Au­triche, comme aujourd’hui il fait partie du territoire italien du Haut-Adige, fut le premier missionnaire de son Ordre opérant au milieu de l’immense population chinoise et méritant aujour­d’hui notre amour et notre sollicitude. Il s’est fait Chinois parmi les Chinois pour gagner ceux-ci au Christ. L’idéal si élevé des Missionnaires du Christ qui avait inspiré la fondation de l’Insti­tut missionnaire de Steyl trouva ainsi dès le début sa première expression dans le Bienheureux Joseph Freinademetz. Il est un modèle et un intercesseur pour tous ceux qui proclament la Foi dans les pays lointains, exposés aux mille dangers dont Saint Paul fait état dans II° Epître aux Corinthiens (2 Co 11, 22-23). A cette occasion nous saluons, cordialement et affectueu­sement les nombreux pèlerins de Bolzano-Bressanone qui, avec les vigoureuses et fidèles populations du Haut-Adige, se réjouissent pour l’élévation aux Autels de leur co-diocésain, héroïque exemple de générosité absolue envers Dieu qui appelle.

 

4. Parmi les témoins de la foi qu’en raison de leur action mis­sionnaire nous béatifions à l’occasion de la Journée Mondiale des Missions, il ne manque pas l’exemple lumineux de la colla­boration féminine à l’œuvre missionnaire de l’Eglise. C’est celui de la Bienheureuse Servante de Dieu Marie-Thérèse Ledochowska.

Elle descendait d’une famille noble d’origine polonaise, comme l’indique son nom; elle était toutefois autrichienne de naissance, étant née à Salzbourg ; elle était la nièce du Cardinal Ledochowski, la sœur du très éminent Père Wladimir Ledochowski qui devint Général de la Compagnie de Jésus, sœur également d’une autre âme d’élite, Ursule, fondatrice des Sœurs du Sacré-Cœur de Jésus Agonisant (bien connues ici à Rome, à Primavalle).

La nouvelle Bienheureuse, Marie-Thérèse Ledochowska, accueil­lit le pressant appel du Cardinal Lavigerie en faveur de l’Afrique et mit de tout cœur ses remarquables facultés au service de l’Eglise et de l’Apostolat missionnaire. Elle fonda l’Institut de Saint Pierre Claver pour les Missions Africaines — aujourd’hui « Sœurs Missionnaires de Saint Pierre Claver » — dont le but était et est de soutenir par la prière, l’aumône, les publications religieuses et tous moyens utiles, la tâche apostolique des missionnaires en Afri­que. La Bienheureuse Marie-Thérèse Ledochowska soutenait éga­lement l’idée missionnaire par des conférences, des études, et en diffusant des périodiques qui paraissent encore aujourd’hui. Elle était, selon l’esprit de l’Evangile et par amour du prochain une éminente pionnière des modernes exigences de l’alphabétisation.

 

Le Saint-Père continue en langue italienne :

 

III- Le manque de temps nous empêche de nous arrêter autant que nous le voudrions sur le message spécifique que chacune de ces grandes figures nous propose, à nous, hommes de notre temps. Nous ne manquerons pas toutefois d’accueillir une triple invita­tion que nous adressent tous ensemble les quatre Bienheureux, unis dans un seul concert vocal.

 

a) Avant tout l’invitation à sentir et à voir dans chaque homme un frère qui vit avec nous et comme nous aime, espère, pleure ; à l’aider à s’élever, à parvenir à la plénitude de son développe­ment humain, social, culturel, spirituel. Et tout cela, non pas, évidemment, par simple sympathie — d’ailleurs tout à fait légi­time —, par esprit de bonne entente ou par une sorte de « com­passion » qui naisse de motifs seulement naturels ; non, il faut que ce sentiment soit éclairé d’abord et avant tout par la Révélation qui nous montre mystérieusement présent et caché dans le vi­sage de nos frères, spécialement de ceux qui souffrent, le visage même du Christ (cf. Mt 25, 31-46).

 

b) Ils nous invitent ensuite à cueillir les signes des temps pour témoigner de la présence de l’Eglise dans le monde et la rendre  toujours  plus  actuelle,  en  mettant  en  oeuvre  tous  les moyens que nous offrent soit les circonstances du kairos (redimentes tempus, « profitant du moment » Ep 5, 16), soit les incli­nations du génie propre de chacun. Les nouveaux Bienheureux nous donnent, en effet, l’image de personnes qui, certes, n’étaient pas repliées sur elles-mêmes en un stérile narcissisme ou se bor­nant à résoudre des problèmes ou pseudo-problèmes individuels ; elles se sont mises à travailler sérieusement, et durement, pour le Royaume de Dieu, où, comment et quand elles ont eu l’intuition des énormes possibilités qu’elles avaient de se rendre utiles. Ces Bienheureux apprennent à tant d’esprits inquiets, mécontents ou démoralisés comment se dépenser pour autrui, en agissant plus et en parlant moins, car les ouvrier de la vigne sont attendus à toute heure (cf. Mt 20, 1-16).

 

c) En troisième lieu ils nous invitent à prendre toujours plus nettement conscience du fait que « dans l’ordre actuel des choses, dont découlent de nouvelles conditions pour l’humanité, l’Eglise, sel de la terre et lumière du monde, est appelée de façon plus pressante à sauver et à rénover toute créature, afin que tout soit restauré dans le Christ, et qu’en Lui les hommes constituent une seule famille et un seul peuple de Dieu » (Ad Gentes, 1).

L’aliment irremplaçable de cette oeuvre de suprême importance est la foi ; l’amour ; la prière dans le cœur de valeureux mission­naires.

 

Le Saint-Père a ajouté en langue espagnole :

 

Quelle est la force mystérieuse qui a poussé les nouveaux Bienheureux à suivre leur idéal missionnaire ? Une foi illimitée en Dieu qui s’est traduite en un amour passionné pour le Christ. Foi et amour qui se développent en un désir envahissant de dif­fuser parmi les hommes le message du salut. Aujourd’hui en exal­tant joyeusement l’exemple de sainteté des nouveaux Bienheureux, nous sollicitons également leur aide et leur intercession pour tous ceux qui, animés des mêmes idéaux, vouent leur existence à l’évangélisation du monde.

 

Paul VI a conclu en langue anglaise :

 

Finalement, c’est la prière qui a été le levain secret de l’éton­nante fécondité de l’action de ces âmes. La prière les a soutenus dans les difficultés et les a rendus capables d’accomplir des actions qui surpassent toutes possibilités humaines. Et leur exemple en­seigne à tous les apôtres de la mission — aujourd’hui et à jamais — que la vie intérieure est, et demeure, l’âme de tout apostolat ».

Tout comme ces nouveaux Beati — si différents et cependant si pareils — nous montrent la voie à suivre, puissent-ils à cet effet nous obtenir l’assistance de Dieu. Nous le leur demandons, confiant à leur intercession la réussite fructueuse de nos intentions.

 

 

 

20 octobre

L’HOMÉLIE DU SOUVERAIN PONTIFE À LA CANONISATION DE GIUSTINO DE JACOBIS

 

Vénérables Frères et très chers Fils,

 

Le rite de canonisation que nous accomplissons aujourd’hui est la continuation idéale de la célébration de la Journée Mission­naire Mondiale durant laquelle nous avons proposé les figures exemplaires de quatre nouveaux Bienheureux à la vénération des fidèles. Et en effet, aujourd’hui tout comme dimanche dernier, notre regard se fixe avec admiration sur un insigne représentant du monde missionnaire, l’Evêque Justin De Jacobis qui, pendant une vingtaine d’années fut, au cœur du XIX° siècle, le Préfet et le premier Vicaire Apostolique d’Abyssinie où il exerça jusqu’à la mort un intense et courageux ministère.

Cette antique et noble nation africaine connut la parole chré­tienne dès l’âge apostolique — qui ne se rappelle la suggestive rencontre, sur le chemin de Gaza, entre le dignitaire Ethiopien et le diacre Philippe (cf. Ac 8, 26-40) ? Elle se réjouit aujourd’hui de voir exalté un de ses fils, car le nouveau Saint s’était fait réellement abyssin parmi les Abyssins et avait été, depuis lors, appelé très affectueusement Abuna Yagob. La fête d’aujourd’hui est une grande joie également pour la Congrégation Religieuse de Saint Vincent de Paul à laquelle appartenait notre Saint. Et c’est fête aussi pour la Région lucane où Justin De Jacobis naquit et vécut sa jeunesse dans le chaleureux climat d’une honnête famille nombreuse. Et enfin c’est l’Eglise tout entière qui se réjouit parce qu’en cette année bénie une nouvelle lumière de sainteté s’allume pour elle et en elle en soutien de sa présence salutaire dans le monde et du rayonnement de ses idéaux de renouvellement et de réconciliation qu’elle a proposés pour le présent Jubilé ! L’Année Sainte veut être, doit être une époque de sainteté et les rites fréquents que nous célébrons en l’honneur des nouveaux Saints, des nouveaux Bienheureux, tendent, en vertu du caractère concret des modèles présentés, de l’incarnation existentielle de l’homo novus, ou nova creatura que seule la foi du Christ peut engendrer (cf. Ep 4, 22-24 ; Col 3, 9-10 ; 2 Co 5, 17), et aussi en raison de la certitude de trouver en eux une plus valable protection et un raccord plus direct avec l’Eglise céleste (cf. He 12, 22-23), tendent, disons-nous, à raviver un tel panorama de spiritualité religieuse, à le parsemer d’étoiles, à l’enrichir, à le compléter.

Mais il conviendra, désormais, de préciser, s’appuyant sur des recherches plus complètes, quelles sont les raisons qui justifient aujourd’hui notre joie. Qui était Justin De Jacobis ? Il fut, nous l’avons dit, un apôtre de l’Ethiopie ; il fut un religieux des Prêtres de la Mission ; il fut un homme qui, dans un pays éloigné de sa terre natale, couronna son rêve juvénile et viril de se faire mes­sager de l’Evangile du Christ. Mais cela ne peut suffire ; n’est-ce pas aussi valable pour tant d’autres Religieux et Missionnaires ca­tholiques ? Et alors, qui était réellement notre Saint ? Quels sont les caractères particuliers, ou plus exactement les vertus qui mar­quèrent sa démarche évangélique ? Nous devrions, à ce propos suivre de très près les péripéties de sa vie et soupeser tous les récits, toutes les notes biographiques. Renonçant à de telles recher­ches, nous nous limiterons — selon notre habitude — à mettre en lumière quelques traits saillants et, pensons-nous, tout particu­lièrement dignes d’attention.

Partant pour l’Afrique, en 1839, comme simple Préfet Aposto­lique, Justin De Jacobis, non seulement suivait sa vocation, c’est-à-dire la voix de Dieu murmurée à son esprit et aussitôt écoutée, mais il recueillait également l’invitation de la Congrégation « De Propaganda Fide » de l’époque, acceptant ainsi la, missio canonica qui lui était conférée par l’autorité de l’Eglise. C’est précisément dans cette rencontre entre l’intention personnelle et la charge for­melle que nous trouvons cette conjonction qui, étant expression d’une authentique obéissance et d’une généreuse fidélité, ne saurait que préluder à une action évangélique des plus efficaces. Justin De Jacobis fut un bon et fidèle serviteur (Mt 25, 21 ; Lc 19, 17) qui, envoyé dans la vigne du Seigneur, travailla inlassablement malgré de continuelles tribulations, à la défricher, à la cultiver, à la féconder.

Mais, pour sa part, il s’était préparé avec soin à une si haute mission ; il y était, pour ainsi dire, déjà exercé. Nous rappellerons, à ce propos, l’apostolat qu’il accomplit dans son pays, d’abord dans les Pouilles, puis à Naples où son zèle resplendit pendant une meurtrière épidémie. Le premier trait que nous relevons en lui est donc sa pleine correspondance au mandat missionnaire, vers lequel il sut orienter tout le nécessaire travail de sa préparation et à l’accomplissement duquel il apporta une mûre expérience sa­cerdotale, fortement trempée et capable de tous sacrifices.

Nous devons relever ensuite comment, dans l’apostolat en terre africaine — qui devint bientôt pour lui une seconde patrie — émergèrent nettement deux notes particulières qui nous semblent pouvoir, constituer de très valables lignes directrices pour orienter l’œuvre missionnaire telle qu’elle est conçue à l’époque moderne. Ayant reçu le 8 janvier 1849 l’ordination épiscopale des mains de Mgr Guillaume Massaia, capucin, envoyé par la suite en Ethiopie et, lui aussi, un grand apôtre missionnaire qui sera élu Cardinal, Saint Justin De Jacobis eut, avant tout autre, le constant souci de former le clergé indigène, préfigurant ainsi la ligne de la pastorale de la vocation qui allait, surtout après le Concile Vatican II, être considérée comme définitivement établie au sein de l’Eglise (cf. Décret Ad Gentes n. 16). Travaillant dans le Tigré, à Adoua puis à Gouala, il appliqua les charismes de sa vocation à susciter, à récolter, à éduquer les vocations parmi les fidèles de la naissante communauté chrétienne : pour préparer les prêtres indigènes, il fonda un Séminaire auquel il donna le nom de « Collège de l’Im­maculée ». Il nous plaît aussi d’évoquer ici un de ses prêtres, con­verti et ordonné par lui-même, l’abba Ghébré Michaël (1791-1855) qui, mort après de longs et douloureux mois d’agonie, est vénéré comme Martyr de l’Eglise qui l’a proclamé Bienheureux le 31 oc­tobre 1926. C’est avec la plus vive satisfaction que, dans une lettre à nous adressée par le Président de la Conférence Episcopale d’Ethiopie, nous avons lu ces mots : « Le Bienheureux Justin De Jacobis a été un père pour l’Eglise Ethiopienne ; il a en effet ré­généré l’Ethiopie Chrétienne et l’a rendue à plénitude de cette Foi Catholique qu’elle avait reçue de son premier Apôtre, Saint Frumenzins (du IV° siècle, consacré Evêque par Saint Athanase ; cf. P.L. 21, 473-80).

Pour lui, la seconde ligne directrice fut, l’action œcuménique : opérant dans un milieu d’antique tradition religieuse, il voulut rapprocher les frères séparés, les Coptes, Ethiopiens et, également, les Musulmans ; et même si en agissant ainsi il lui fallait rencon­trer de violentes hostilités et de graves incompréhensions, il n’en voulut pas moins donner plus d’ampleur aux valeurs chrétiennes existantes, visant à l’unité et à l’intégrité de la foi.

Voilà les principaux éléments qu’un regard posé ça et là sur la vie du Saint nous a permis d’y relever et que nous voulons main­tenant suggérer à votre méditation. Aujourd’hui, nous le répétons, toute l’Eglise est en fête parce qu’un autre de ses fils a été promu parmi les Saints ; et la cause missionnaire, toujours essentielle et permanente dans l’Eglise, peut dès maintenant compter sur un autre intercesseur et protecteur. Nous devons donc l’invoquer pour qu’il continue à répandre sa lumière, à inculquer son exemple, à transmettre son héritage spirituel à ses Confrères de Saint Vincent de Paul et à tous les Missionnaires. Et nous l’invoquerons en par­ticulier pour la terre Ethiopienne qui fut témoin de l’ardeur de sa charité et de son rude labeur apostolique : et nous l’invoquerons pour le Continent Africain tout entier, un continent qui, grâce aux progrès réalisés et pour les éléments très purs de sa culture, est désormais en marche sur les voies d’un développement certain et nous voulons l’espérer — d’un progrès non moins certain, con­solant et florissant, de la foi catholique. Qu’il en soit ainsi !

 

 

 

1er novembre

DES SAINTS D’AUJOURD’HUI, POUR AUJOURD’HUI

 

Au cours des cérémonies de béatification des Serviteurs de Dieu Ezéchiel Moreno y Diaz, Gaspard Bertoni, Vincent Grossi, Anne Micbe-lotti et Marie Droste zu Vischering, Paul VI, se servant tour à tour des langues italienne, espagnole, allemande, portugaise et anglaise, a prononcé une homélie dont voici notre tra­duction :

 

I. L’Eglise exulte une fois encore devant cinq de ses fils héroï­ques. Au cours de cette Année, l’aspect de sainteté de l’Eglise brille d’un éclat tout particulier ; « la vocation universelle à la sainteté » mise en relief par le Concile Vatican II (Lumen Gentium, 39-42 et qui intéresse toutes les catégories de l’Eglise — évêques, prêtres, religieux, laïcs de toute condition et de toute situation — se trouve merveilleusement confirmée par ces figures, fortes, humbles, généralement peu connues, et cependant très riches d’admirables exemples qui nous les rendent proches, semblables, imitables et qui nous frappent par leur profond attachement, leur actif dévouement à Dieu et à leurs frères.

Une fois de plus, Dieu est glorifié dans ces Bienheureux. L’Eglise ne cesse d’engendrer des fils qui propagent son Nom grâce à leur témoignage concret et convaincant des vertus théologales. L’Eglise dévoile au monde son secret le plus profond et vital, le courant sanctificateur qui l’imprègne toute entière, un courant jaillissant du cœur même de Dieu Un et Trine. Mais le genre humain, lui aussi en est ennobli, embelli, parce qu’il continue à faire naître dans son sein des modèles d’humanité complète et de fidélité à la grâce ; et ceux-ci nous prouvent que, malgré tout, le bien existe, le bien opère, le bien se diffuse, fut-ce même en silence, et, en fin de compte, avec ses influence bénéfiques, do­mine le bruit assourdissant, mais stérile et déprimant, du mal.

 

II. Nous avons cinq figures qui honorent l’âge moderne ; diver­ses par leur expérience, elles sont cependant semblables entre elles par leur commun dénominateur d’âmes consacrées à Dieu dans le sacerdoce ou dans la vie religieuse. Elles ont toutes quel­que chose à nous dire dans leur vie, ce qui demanderait pour toutes, d’être envisagées séparément, chacune en soi.

 

1. Le premier des nouveaux Bienheureux est Ezéchiel Mo-reno, religieux et évêque, une gloire en plus pour l’Espagne Ca­tholique. Né à Alfaro (Logrono) en 1848, il fit son entrée chez les Augustin Récolets, mais déploya son zèle loin des frontières de sa patrie : d’abord aux Philippines où il reçut l’ordination sacerdotale et exerça son apostolat à Manille, dans les îles Palaivan et à Imus ; puis au Collège-Noviciat de Monteaguro (Na­varre) ; comme premier Vicaire Apostolique de Casamare (Colom­bie) et comme Evêque de Pasto, également en Colombie. Il dé­montra toujours un zèle infatigable dans la proclamation de la Parole de Dieu, dans le ministère du Sacrement de la Pénitence, dans l’assistance des malades de jour comme de nuit, dans la vigoureuse défense de son troupeau contre les erreurs du temps, faisant toujours preuve, toutefois, d’un grand amour et de beau­coup de délicatesse envers ceux qui s’étaient trompés. Mériterait un discours à part cet amour envers la Croix, tel qu’ils se révéla au cours de la douloureuse maladie qui le conduisit à la mort en 1906. Exemple vivant de sainteté pour les Evêques qui « ont reçu la grâce sacramentelle pour que, par la prière, le sacrifice, la prédication, par toutes les formes de la charge et du service épiscopal, ils exercent en perfection la charge de la charité pasto­rale ; qu’ils ne craignent pas de donner leur vie pour leurs brebis, en étant le modèle de leur troupeau (cf. 1 P 5, 3) que par leur exemple ils poussent aussi l’Eglise à une sainteté toujours plus grande (Lumen Gentium, n. 41).

 

2. Gaspard Bertoni, prêtre de Vérone, fondateur des Stigmatins (1777-1853) ! Jeune prêtre formé à l’école de Saint Ignace, il se prodigua pour le bien de ses concitoyens en soignant les plaies laissées par la guerre franco-autrichienne ; il avait ressenti l’urgente nécessité de s’occuper de la jeunesse qui se voyait abandonnée à elle-même, privée de formation, à la dérive; sans moyens financiers et dans l’humilité la plus absolue il recueillit des enfants et des adolescents dans son premier oratoire, créé sous le nom de « Cour Mariale ». L’institution se répandit au nom de Marie afin de donner à la jeunesse une formation complète scolaire, huma­niste et surtout spirituelle — usant des moyens irremplaçables de la direction spirituelle et de la piété eucharistique et mariale. C’est ainsi qu’en 1816 naquit, près de l’Eglise des Stigmates, la Congrégation des Missionnaires apostoliques (appelés précisément les Stigmatins) qui, à une époque plutôt mal disposée à l’égard des Ordres religieux, devait s’appliquer à l’œuvre d’éducation de la jeunesse par le moyen de l’école gratuite. Confesseur expert, il apporta des soins tout particuliers aux vocations, soutint de ses encouragements des oeuvres naissantes, parmi lesquelles celles de la Marquise de Canossa, et de Naudet ; sa vie fut une continuelle im­molation, jusqu’à la purification ultime par la maladie : « J’ai besoin de souffrir » furent ses dernières paroles. Nous voyons en cette humble et clairvoyante figure l’apôtre des jeunes qui, aujourd’hui encore, indique le chemin à suivre pour un avenir sûr de la société.

 

3. Vincent Grossi, prêtre de Crémone, fondateur des Filles de l’Oratoire (1847-1917) : voici un autre apôtre de la jeunesse et un exemple serein et convaincant pour les prêtres engagés directe­ment dans les soins pastoraux, nos excellents curés et vicaires des paroisses du monde entier ; ils trouveront en lui un nouveau modèle de sanctification et de dévouement. En effet, pendant 44 années il eut charge de paroisse, avec toutes les obligations qu’une telle vie comporte, de la prédication opportunément mise à jour et pleine de ferveur à la délicate sollicitude à l’égard des malades, des soins spirituels aux nécessités administratives. Le dévouement, qu’une foi profonde animait en lui, le poussa surtout à se pencher sur l’enfance et sur les adolescents, auxquels il consacra tous ses soins et pour lesquels il fonda l’Institut des Filles de l’Oratoire destinées tout spécialement à l’enseignement du catéchisme dans les paroisses : un apostolat simple et grand, irremplaçable, sans lequel il n’est pas possible d’assurer des bases solides à la vie chrétienne ! L’abbé Grossi était ainsi : homme aux solides et généreuses vertus, cachées dans le silence et purifiées par le sacrifice et les mortifi­cations affinées par la soumission, il a laissé une trace profonde dans l’Eglise qui,  aujourd’hui,  le propose comme modèle et le prie comme intercesseur.

 

4. Un appel mystérieux, incessant à la souffrance : voilà, syn­thétisée, la vie brève et intense de Anne Michelotti, Jeanne-Fran­çoise de la Visitation, née à Annecy en 1843 et morte à Turin, en 1888, à l’âge de 44 ans. La spiritualité salésienne l’accompagna durant ce court trajet marqué par la pauvreté, par l’humilité, par les incompréhensions, par les croix. Eduquée par les Petites Servantes du Sacré-Cœur de Jésus elle se signala dès sa plus tendre enfance par sa prédilection pour le saint-tabernacle et pour les pauvres. C’est en faveur de ceux-ci qu’elle fonda sa Congrégation. C’est une lumière d’amour qui a brillé et a éclairé les taudis de la ville qui trop souvent ignore ceux qui souffrent ; cette lumière est pour nous tous l’indication du pur amour envers Dieu qui s’immole pour les plus pauvres et pour les abandonnés.

 

5. Et en conclusion, aujourd’hui l’Eglise honore également une autre jeune religieuse, Marie Droste zu Vischering, en religion Sœur Marie du Divin Cœur. Elle est une gloire pour l’Allemagne où elle naquit à Munster en 1863 et pour le Portugal où, à l’âge de 36 ans, en 1899, elle mourut à la tâche. Supérieure du Couvent des Sœurs du Bon Pasteur à Porto, elle accomplit avec le plus grand dévouement une tâche rendue plus difficile par les circons­tances. Née d’une famille aristocratique des plus honorées elle aspira cependant à un honneur plus élevé en accueillant la grâce extraordinaire que Dieu lui donne en partage : sa dévotion fervente envers le Sacré-Cœur de Jésus, l’amour qu’elle lui portait, inspi­rèrent sa volonté de se dévouer à la jeunesse en péril et aux pauvres. Ce sont les mêmes sentiments qui inspirèrent son inlassable zèle apostolique à encourager les vocations sacerdotales. Par ses lourdes souffrances endurées avec joie pour le salut des âmes, Sœur Marie, elle-même image de l’éternel Bon Pasteur, mérita d’être l’humble ambassadrice du Cœur Divin, porteuse d’un message que notre pré­décesseur Léon XIII allait confirmer en consacrant le genre humain au Sacré-Cœur de Jésus. Cette consécration eut lieu quelques jours avant la mort de notre nouvelle Bienheureuse, lorsque, le 28 mai 1899 fut publiée l’Encyclique Annum Sacrum. L’ambassade de cette honorable Servante de Dieu prend ainsi, de même que celle de la Bienheureuse Michelotti, une signification profonde en l’ac­tuelle Année Internationale de la Femme, et montre la place que la femme peut prendre dans l’Eglise comme collaboratrice active dans le plan divin du salut.

Il faut parler également du Portugal et évoquer de manière toute particulière la figure de la nouvelle Bienheureuse Marie du Sacré-Cœur Droste zu Vischering.

Aux nombreux pèlerins venus, avec leurs Evêques, du Portugal, la patrie adoptive de la nouvelle Bienheureuse, une patrie qu’elle a tant aimée et où, elle aussi est tant aimée, et spécialement aux pèlerins venus de Porto où la Sœur Marie du Sacré-Cœur passa une partie de sa vie et où repose son corps, a tous, donc, nos félicitations les plus cordiales, au milieu de la joie de cette assem­blée et de l’Eglise toute entière.

 

III. Le message que nous adressent les nouveaux Bienheureux est le même que celui que nous font parvenir tous ceux qui ont pris l’Evangile au sérieux : « aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit » (Mt 22, 37) et aimer son prochain comme soi-même et plus que soi-même. C’est la voie royale vers la sainteté et hors de celle-ci on ne peut construire rien de valable pour le royaume de Dieu. Les Bienheureux Moreno, Bertoni, Grossi, Michelotti et Droste ont vraiment aimé de cette manière le Seigneur et leurs frères : et dans les manifestations — cependant si diver­ses — de leur piété comme de leur vie, nous retrouvons les traits communs de la sainteté chrétienne. Mais, ensemble, ceux-ci nous disent aussi quelque chose de particulier : ils nous parlent du souci des jeunes de l’amour envers la Croix et ceux qui souffrent ; de l’amour pour la Vierge.

 

1. Le souci des jeunes : dans la diversité des initiatives et des oeuvres, ces bienheureux ont tous perçu, avec une clairvoyance qui nous frappe, la nécessité de suivre les jeunes, parce qu’ils étaient certains que ces jeunes portent l’avenir de l’Eglise et de la société. Avertissement sérieux pour notre temps ! Il doit faire ré­fléchir les Evêques, les prêtres, les religieux et religieuses Il invite à se consacrer davantage et toujours mieux aux merveilleuses éner­gies de la jeunesse, capables d’assurer la vitalité de la communauté chrétienne, la santé des familles, la continuité des vocations, l’enga­gement généreux pour un avenir meilleur.

 

2. Nos nouveaux Bienheureux nous parlent aussi de l’amour pour la Croix, spécialement ceux qui ont souffert et désiré souffrir même jusqu’au plus haut sommet de l’héroïsme. Et cet héroïsme était d’autant plus grand qu’il restait invisible dans l’isolement, dans la pauvreté, dans les difficultés, dans les incompréhensions, dans la maladie et dans une vie cachée — exactement comme le grain qui tombe en terre et meurt afin de produire de nombreux fruits (cf. Jn 12, 24). Et c’est avec le même dévouement qu’ils ont aimé tous ceux qui, plus que les autres, ont été marqués par la Croix : le pauvre et le malade ; ils ont découvert en ceux-ci l’image souffrante du Christ. Il y a dans tout cela une très grande leçon pour notre temps, lorsque le courant de l’hédonisme, la recherche du confort à tout prix et l’insouciance pour les besoins d’autrui sont en voie de faire oublier au monde que la plus grande partie de l’humanité souffre de disette matérielle et spirituelle. La civi­lisation d’un peuple se mesure à sa sensibilité face aux souffrances et à sa capacité d’y porter remède.

 

3. Puis les nouveaux Bienheureux nous parlent également de leur amour pour la Très Sainte Vierge Marie qui a sans cesse animé leur Apostolat et les a toujours accompagnés comme un exemple lumineux. Mère de Dieu et Mère de l’Eglise, Marie « coo­père, par amour maternel, à la naissance et à l’éducation des fi­dèles » (Lumen Gentium, n. 63). Aussi est-elle présente d’une ma­nière toute particulière dans la vie cachée des Saints. Nous voulons indiquer pat là que nous devons tourner nos pensées vers Elle. Elle est la Reine de tous les Saints que nous fêtons en ce jour de Toussaint, et la gloire du Paradis, dans la beauté virginale de son corps transfiguré, qui est devenu le Temple du Verbe fait chair, ainsi que dans l’éclat de l’incomparable sainteté de son âme pleine de grâce.

En élevant aujourd’hui notre pieuse pensée vers la Très Sainte Vierge, guidé par l’exemple des nouveaux Bienheureux nous ne pouvons nous empêcher de mettre en relief une curieuse coïnci­dence. Il y a exactement vingt-cinq ans, le même jour et en ce même lieu, notre Prédécesseur Pie XII proclamait solennellement l’Assomption de Marie dans les deux, provoquant une explosion de joie dans l’Eglise : « toutes les générations m’appelleront Bienheureuse » (Lc I, 48).

A Marie, nous recommandons nos existences, les vicissitudes variées du monde actuel, puis l’Eglise tout entière. Que Marie nous assiste, nous guide ; qu’elle nous dispose, comme les nouveaux Bienheureux, à nous consacrer docilement, avec Elle et avec eux, comme Elle et comme eux, à la gloire du Père, du Fils, de l’Esprit Saint.

 

 

 

9 novembre

LE JUBILÉ DU DIOCÈSE DE ROME

 

Le dimanche 9 novembre, Paul VI, Evêque de Rome, a participé en la Basilique Saint-Jean-de-Latran, à la célébration du Jubilé de son dio­cèse. A cette occasion il a prononcé une homélie dont voici la traduction :

 

Vénérables Frères ! Très chers Fils !

 

C’est aujourd’hui un jour de grande fête pour l’Eglise de Rome.

Nous célébrons en effet la fête de la Dédicace de cette vénérable Basilique du Saint-Sauveur où l’on rend également un culte parti­culier à Saint Jean-Baptiste, Précurseur du Christ, et à Saint Jean l’Evangéliste ; l’édifice a pris le nom de la famille romaine des Laterani, dont la demeure, devenue maison de l’impératrice Fausta, épouse de Constantin, fut le siège du premier Evêque de Rome officiellement reconnu, Sylvestre.

Ceci est donc une fête qui nous réunit dans la Cathédrale de Rome, dans la double intention liturgique d’honorer la première Eglise, comme édifice sacré, et comme communauté locale catholi­que de l’Urbs, premier temple matériel et premier temple spirituel du Christ dans notre ville.

Nous trouvons extrêmement agréable le devoir de saluer en par­ticulier chacun des membres de cette communauté dont la Provi­dence a voulu que nous, très humble serviteur de l’Eglise de Dieu soyons appelé à être l’Evêque, le Pasteur, le Pontife. Nous saluons donc tous les assistants, presque en les passant un à un en revue pour penser à la charge que chacun est, lui aussi, appelé à exercer dans cette merveilleuse et mystérieuse société qui s’appelle Eglise, l’Eglise de Dieu, notre Eglise de Rome.

Salut à toi, vénérable Cardinal Ugo Poletti, notre Vicaire pour l’assistance pastorale à assurer à tout le Peuple Romain, une mission qui a une place prioritaire dans notre cœur et dans nos devoirs.

Salut à vous, Evêques Auxiliaires, salut à vous Evêques-Délégués, salut à vous, Membres du Chapitre de la Basilique. Puis, et de manière toute spéciale, à vous, Curés et Vicaires de la Rome chré­tienne et moderne. A vous aussi, Religieux et Religieuses dont les Maisons sont les jardins du Royaume du Christ. Et de grand cœur, à vous également, Fidèles, citoyens de la Ville historique et spirituelle qui en constituez le corps ethnique et mystique et qui reflétez encore, dans la mémoire plus que dans la réalité juri­dique, la figure du Senatus Populusque Romanus, du S.P.Q.R. Et permettez-moi de rappeler également ici tous ceux qui ont une figure spécifique dans la phalange citadine :

— les Magistrats de la Ville à qui nous adressons nos défé­rentes salutations et nos vœux pour la prévoyante validité de leur fonction publique ;

— les Professionnels de toutes fonctions, arts ou métiers ;

— les Travailleurs des bureaux, des services, des chantiers, des champs. En donnant une préférence, que nul ne voudra contester : aux Femmes, de la sensibilité et de la générosité desquelles nous attendons beaucoup dans la recherche d’une façon d’être et d’agir de cette société, une façon qui soit plus en harmonie avec les nobles et profondes exigences du cœur humain ;

— les Enfants, notre joie, notre sollicitude et notre espérance ;

— les Pauvres, ceux qui souffrent, qui sont abandonnés et que nous tenons au premier plan de notre intérêt pastoral ;

— les Pèlerins et les Etrangers, auxquels, dans la topographie spirituelle de Rome, patrie universelle, ils trouveront toujours un lieu de fraternel accueil.

Et nous évoquons la mémoire de nos Défunts, les anciens pro­tagonistes de notre histoire qui ne sont pas pour nous des choses dénuées d’existence, fantastiques et terrifiantes, mais des âmes vivantes dans le mystère de la Communion des Saints, en attendant la résurrection de la chair et l’instauration universelle dans le Christ du Royaume de Dieu.

Aujourd’hui, disions-nous, c’est un jour de grande fête pour l’Eglise de Rome.

Faisons attention, avons-nous dit également, au double sens de ce terme : « Eglise ». « Eglise » signifie tout d’abord, en l’espèce, l’édifice sacré devant lequel nous nous trouvons. Cet édifice est honoré du titre de Basilique, c’est-à-dire édifice royal. Titre attri­bué dès les premiers temps du christianisme aux constructions des­tinées au culte sacré, pour la communauté hiérarchiquement cons­tituée. Il importe de noter cette fonction essentielle de l’édifice religieux dans le christianisme, celle donc d’accueillir à l’intérieur le peuple en prière, à la différence des édifices sacrés païens où seuls pouvaient entrer ceux qui étaient destinés à des fonctions sacerdotales, tandis que la foule restait à l’extérieur ; d’où vient la qualification de « profane », c’est-à-dire désignant les gens qui n’étaient pas admis à l’intérieur du temple et devaient au contraire, quand se déroulait un rite sacré, rester devant le temple, dans le fanum, une sorte de hall destiné au peuple, un petit édifice consacré à une divinité (d’où le célèbre vers d’Horace : « odi profanum vulgus, et arceo »). Pour les chrétiens, qui ne trouvaient plus dans les synagogues juives un endroit adapté et accueillant, les premiers lieux de culte furent, comme on le sait, les maisons privées où, dans la salle des repas, le triclinium, les fidèles se réunissaient. La maison privée fut le premier « domus ecclesiae », la maison des assemblées chrétiennes, c’est-à-dire de « l’église » ; et dans de nombreux cas elle prit le nom classique de basilique, nom qui fut par la suite réservé aux insignes lieux de réunion et de prière du peuple chrétien (cf. DACL 2, 1, p. 525 et ss. ; p. 551 et ss.) ; ce nom fut aussi donné à des lieux que rendaient sacrés et so­lennels la présence des tombes les plus vénérées de martyrs célèbres.

Et maintenant, il faut que nous expliquions comment l’édifice sacré prit couramment le qualificatif d’« église », c’est-à-dire de communauté chrétienne qui avait en cet édifice son centre de réunion et de culte. L’honneur ainsi rendu à l’édifice — un honneur tout particulier dès les premières années de la vie publique reconnue à la religion chrétienne (cf. M. Righetti, Manuale di Storia liturgica, IV, p. 376) — se réverbéra sur la communauté qui l’avait construit ; et l’une et l’autre furent appelés, et sont appelés encore aujourd’hui : église ; église l’édifice, église la communauté ; l’une et l’autre ; mais à cette dernière, la communauté, reste attachée la plénitude du sens et de la finalité.

Dans la Basilique du Saint-Sauveur appelée couramment Saint-Jean-de-Latran, en souvenir de sa destination première, c’est-à-dire de son affectation au culte catholique et au premier logement de l’Evêque de Rome, le Pape, successeur de l’Apôtre Pierre et, de ce chef, Pasteur de l’Eglise, nous honorons, Frères et Fils bien-aimés notre sainte Eglise romaine : sainte par son origine apostolique et par sa vocation missionnaire et sanctificatrice ; sainte pour le témoignage d’héroïsme et de foi qu’elle nourrit et propose au monde comme exemple et comme réconfort ; sainte, pour sa ferme et éter­nelle adhésion à l’Evangile et à la mission du Christ dans l’histoire et dans la vie de ce Siège Apostolique qui est à Rome et de toutes les Eglises, sœurs et filles, qui lui furent unies dans la foi et dans la charité ; sainte par sa destination eschatologique de guide de ses fils catholiques et de tous les hommes qui en accueillent la parole de vérité et d’amour et connaissent ainsi la voie des destins ultimes de l’humanité sur terre ; et sainte parce qu’elle veut être la première, également et célébrant ce Jubilé, à reconnaître son pro­pre devoir de pénitence et son propre besoin d’humble réconciliation avec Dieu et avec les hommes.

O fidèles de cette patrie commune qu’est pour nous notre Dio­cèse de Rome, notre communauté ecclésiale et locale, nous vou­drions que s’allume dans nos âmes et flamboie d’une lumière nou­velle, que brûle d’une chaleur plus vive, l’amour pour notre Eglise Romaine. Nous voudrions que, en célébrant nous-mêmes cette solennité liturgique et jubilaire devant cette cathédrale, omnium Ecclesiarum mater et caput, s’accroisse notre amour envers Rome, notre mère et notre guide dans la foi; notre expression ecclésiale vivante et tourmentée.

Nous devons attribuer à une faveur de la Bonté divine le fait qu’il nous a été concédé de vivre dans cette Ville du destin et d’appartenir à ce siège béni de la sainte Eglise romaine. Nous pouvons faire nôtres ces paroles que notre Prédécesseur Sixte-Quint fit inscrire sur l’autel voisin de l’« Acheropita » « non est in toto sanctior orbe locus » — il n’y a pas dans le monde de lieu plus saint — pour éprouver dans nos âmes ce sens religieux de gravité, de responsabilité, qui est le propre du droit de cité spirituel romain et qui doit purifier et absorber tout autre éventuel sentiment d’orgueil, ou d’intérêt, ou d’ironie qui peut facilement jaillir dans un climat comme celui-ci.

Tâchons donc tous de comprendre les devoirs caractéristiques de l’esprit romain compris de manière chrétienne : la dignité de la vie, la perfection exemplaire des mœurs, la noblesse des cœurs. Soyons des catholiques romains ! en tant qu’étude et en tant que goût pour l’unité des pensées, pour la concorde des âmes, pour la discipline de l’action ; Rome est une école d’harmonie et d’affection ecclésiale ! Et nous devons comprendre comment cet esprit, ce style romain d’empreinte évangélique, nous rend aptes à une con­science civique supérieure, loyale dans toutes les relations de la coexistence sociale, et toujours cordialement attentive à nos devoirs, spécialement aux besoins de nos concitoyens, et sans cesse poussés à rechercher dans l’histoire et dans la culture de Rome ce qu’il y a de plus sur, de plus permanent et s’en inspirer, s’en servir sur le plan de la vie moderne; pourquoi devrions-nous puiser à d’autres sources, souvent douteuses l’eau toujours limpide et fraîche que continuent à nous offrir les fontaines de l’humanisme romain et chrétien ?

Nous avons fait allusion aux besoins qui nous pressent; nous répétons l’exhortation devant cette Basilique qui, parce que con­sacrée à notre Divin Sauveur, est le domicile de sa charité et doit être pour nous, dans la majesté même de sa masse et de son art, un stimulant à nous pencher avec humble et incessante sollicitude sur nos frères abandonnés, sur ceux qui souffrent, sur ceux qui pleurent. Puissent, dès cette célébration de l’Eglise Romaine, re­prendre vigueur la piété, le zèle, la cohérence, l’abnégation que notre Cardinal-Vicaire ne cesse de prêcher avec pastorale sagesse et sollicitude : soit en vous mettant en garde — comme il le fit récemment — contre des formes inadmissibles pour les membres de la communauté ecclésiale, soit en vous invitant à une nouvelle effusion de fraternité et d’amoureuse activité pour le bien de tous.

Dio adjuvante, en hommage à l’Année Sainte qui est proche de sa conclusion, nous serons à ses côtés dans cet effort de majeure et meilleure assistance à la jeunesse, aux pauvres, aux nécessiteux ; quant à vous, Membres des clergés paroissiaux, sachez que nous nous trouverons toujours près de vous et à tous les fidèles nous répétons : votre Evêque et votre Pape sera avec vous ! Comme il l’est maintenant avec sa pastorale et apostolique bénédiction.

 

 

 

12 novembre

LE PRIMAT DE LA PRIÈRE DANS LA VIE DES RELIGIEUX

 

Parmi les nombreux pèlerins étrangers qui rem­plissaient la Salle des Audiences, se trouvaient les participantes à la réunion de l’Union Inter­nationale des Supérieures Générales, sur le thème « Congrégation et mission ». Le Saint-Père leur a adressé en français le discours suivant :

 

Nous voulons saluer tout d’abord les très nombreuses Supé­rieures générales, actuellement réunies pour l’Assemblée de leur Union. Une partie importante des espérances de l’Eglise repose sur la vie religieuse, sur son développement, sur son authen­ticité. C’est vous dire, très chères Filles, que l’avenir et le présent dépendent de toutes celles que vous représentez, mais aussi de la manière dont vous vous acquittez actuellement de vos lourdes responsabilités.

Nous vous félicitons du thème choisi pour votre rencontre : « Consécration et mission ». Il doit vous permettre de situer tou­jours mieux ce qui constitue l’essence même de vos différents Ordres, Instituts, Congrégations, au-delà de leur riche diversité, par rapport à Dieu, à l’Eglise, au monde. Puisque la Providence a permis que vous soyez les guides des Instituts religieux et de toutes vos Sœurs, ayez toujours présentes à l’esprit les convictions claires et fondamentales concernant la consécration religieuse, qui doit être le principe de votre identité et l’âme de votre activité. Ce sont les trois vœux ou promesses qui donnent a votre vie, grâce à l’orientation radicale qu’ils lui communiquent, en vous distinguant des autres sans vous en séparer, cette cohérence supé­rieure, assurément très exigeante, mais qui exprime justement la fidélité à votre vocation.

Or cette vocation vous a consacrées d’abord à Dieu, dans le Christ. Nous voulons insister sur ce point : soyez des âmes de prière. D’ailleurs un renouveau se dessine en ce sens chez de très nombreux fidèles. Pour vous, ne craignez pas de rappeler fréquem­ment à vos Sœurs qu’un temps de véritable adoration a plus de valeur que l’activité la plus intense, même apostolique. Oui, il ap­partient à votre vocation de contester une société où l’on ne mise que sur l’efficacité apparente. Vos communautés doivent être par excellence des centres de prière, de solitude pour Dieu, de commu­nion aimante à Jésus-Christ. Et que votre prière liturgique soit ardente, digne et simple, qu’elle soit un modèle d’adhésion aux directives de l’Eglise, au moment où certains cherchent le renou­veau dans des fantaisies abusives et illusoires qui ne favorisent ni la communion ecclésiale, ni la profondeur de la prière. Ce sens de la prière est inséparable du sens de l’ascèse. Sachez réagir quand se manifeste une mésestime et un abandon sans discernement des moyens ascétiques traditionnels, et particulièrement de ce que l’on nomme si bien les « observances religieuses », car elles sont une forme importante de l’obéissance qui ouvre le cœur à Dieu et lui donne son élan d’amour. Tout en étant insérées dans le monde, vous devez témoigner que « vous n’êtes pas du monde », comme les disciples du Seigneur.

Consacrées à Dieu, vous êtes unies au Christ et à son Eglise d’une façon spéciale. Chez vous, Filles de l’Eglise, on doit trouver, plus que chez d’autres, une estime de l’Eglise, un amour de l’Eglise, un service de l’Eglise, une disponibilité confiante envers ceux que l’Esprit Saint a institués Pasteurs de l’Eglise. Tous les laïcs chrétiens qui assistent à cette audience pourraient vous dire combien ils comptent sur votre témoignage, sur votre aide de religieuse authen­tique. Et vos Evêques, vos prêtres misent beaucoup sur les forces vives que vous représentez : leur mission, au plan national, dio­césain, paroissial et au niveau des instances apostoliques ne peut se passer de votre contribution spécifique de femmes consacrées.

Reliées au Seigneur, Filles de l’Eglise, vous pouvez alors, selon vos diverses vocations, vous tourner vers le monde pour être, à votre manière, le sel, la lumière, le ferment, dont parle l’Evangile, les témoins de la Joie de Dieu, les missionnaires de la charité et de la réconciliation. En cette Année Sainte, qui est aussi l’Année de la Femme, que votre regard se tourne vers toutes ces femmes exem­plaires que nous avons déclarées Bienheureuses ou Saintes, comme Elisabeth Ann Seton pour ne citer qu’un nom. Dieu trouve sa gloire dans de telles âmes ; le monde lui-même estime et attend de tels témoignages. Vous avez par-dessus tout comme modèle la Vierge Marie. Elle est comme nous l’avons rappelé dans notre Exhortation Marialis Cultus, la Vierge qui écoute, la Vierge qui prie la Vierge qui engendre le Christ et le porte au monde. Puisse-t-elle aider à accomplir parfaitement votre vocation, à y guider vos Sœurs.

D’une façon particulière, en signe de notre confiance et de notre affection, nous vous assurons toutes de notre paternelle Bénédiction Apostolique.

 

 

 

14 novembre

« UN AJUSTEMENT AGRICOLE INTERNATIONAL DEMANDE UNE CONVERSION DES ESPRITS À LA SOLIDARITÉ UNIVERSELLE »

 

Dans la matinée du 14 novembre, le Saint-Père a reçu en audience les délégués et observateurs participant à la XVIII° session de la Conférence de la F.A.O. Ils étaient conduits par le Pré­sident élu au cours de la Conférence, M. Mansour Rouhani, Ministre de l’Agriculture de l’Iran.

Etaient également présents les hauts fonction­naires de la F.A.O. conduits par le Directeur Général en Fonction Dr Addeke Boerma et du Directeur Général récemment élu, Dr Edouard Saouma, qui entrera en fonction à la fin de l’année.

Le Saint-Père a adressé au groupe le discours suivant :

 

Monsieur le Président, Monsieur le Directeur Général, Mesdames, Messieurs,

 

C’est toujours avec une joie particulière que nous accueillons les membres de l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture. Nous avons une si vive conscience de l’importance de ces travaux qui réunissent des responsables politiques et des experts du monde entier, sur des problèmes cru­ciaux qui conditionnent la vie des hommes ! Cette session coïncide d’ailleurs avec le trentième anniversaire de la F.A.O. : nous sommes heureux de renouveler à cette Organisation les vœux fervents et les espoirs confiants que nous sommes venu lui exprimer, à son siège même, voilà cinq ans.

L’idée d’un ajustement agricole international, thème central de cette dix-huitième session, appartient à l’intuition même qui a présidé à la naissance de votre Organisation. Si elle agit désormais chez beaucoup avec la force tranquille d’une nécessité et d’une évi­dence, n’est-ce pas le plus bel hommage qui puisse être rendu à la qualité du travail déjà accompli ? Et n’est-ce pas aussi le meilleur stimulant pour vous, à l’heure où des alertes successives drama­tiques, le sentiment de la précarité de la situation alimentaire mondiale et de l’équilibre économique général vous confèrent une responsabilité nouvelle ?

En l’espace de peu de temps, toute une série de Conférences internationales au plus haut niveau ont insisté sur la nécessité de rapports économiques internationaux plus équitables. Vous avez contribué à cette prise de conscience. Il vous revient maintenant de la développer et de l’aider à déboucher sur des réalisations concrètes cohérentes dans le domaine qui est le vôtre. Vos statuts et l’expérience acquise vous mettent dans une position de premier plan pour travailler à cette tâche.

En effet, dans les recherches en cours, vous vous intéressez directement à la partie la plus nombreuse et trop souvent la plus méprisée et la plus oubliée de l’humanité : le monde rural, en par­ticulier celui du Tiers-Monde. Ensuite, et ceci peut paraître pa­radoxal, la tâche économique élémentaire qui consiste à nourrir les hommes constitue un précieux régulateur pour la vie écono­mique tout entière : elle met l’accent sur le scandale des gaspillages dont les consciences perçoivent mieux le caractère intolérable à l’heure où d’innombrables êtres humains meurent de faim ; elle oriente les efforts vers les besoins vrais, là où trop souvent l’éco­nomie est stimulée et dévoyée par des besoins factices ; elle invite à instaurer des rapports nouveaux dans la perspective d’un vérita­ble service de l’homme, de tout l’homme et de tout homme, dans son développement intégral.

Nous nous réjouissons sincèrement de ces nouvelles perspectives qui s’ouvrent devant vous. Nous vous félicitons du travail déjà accompli. L’histoire des rapports confiants qui n’ont cessé de se développer entre votre Organisation et le Saint-Siège illustre de manière significative le souci de l’Eglise de reconnaître avec joie et gratitude tout service rendu aux hommes, surtout dans un do­maine aussi fondamental que celui du pain quotidien.

A son tour, l’Eglise apporte les lumières et les énergies de l’Evan­gile à toute l’activité humaine. Son enseignement sur l’unité de la famille humaine, dont tous les membres viennent de Dieu, sont créés à son image et appelés à une seule et même fin qui est Dieu lui-même (cf. Gaudium et Spes, n. 24), éclaire et fortifié ce que votre expérience vous fait découvrir avec toujours plus d’évidence : les problèmes humains comme l’ajustement agricole international et, plus largement, la réalisation de rapports plus équitables entre les nations, ne peuvent trouver de solution que si on les pose dans le cadre de la solidarité effective de toute la famille humaine.

Cela ne signifie pas qu’un cadre universel doive s’imposer en niant les solidarités plus particulières et en cherchant à enfermer l’effort humain dans un modèle unique de développement. La solida­rité universelle vivante se construit de proche en proche à partir des solidarités plus immédiates où les hommes et les peuples dé­veloppent leur personnalité selon leur créativité propre, dans l’en­vironnement dont ils ont plus particulièrement la responsabilité, dans le mouvement d’une histoire qui leur permet de recueillir l’hé­ritage culturel des générations passées et de l’investir dans des constructions neuves. Vous êtes tout particulièrement sensibles à cet enracinement dans un terroir et dans une histoire : le respect des hommes et le souci de l’efficacité se rejoignent pour exiger que les peuples se voient reconnaître la responsabilité première de leur développement et d’abord une autonomie croissante de leurs productions alimentaires. Mais il importe d’ouvrir inlassablement les groupes particuliers sur l’horizon de solidarités plus larges, afin de libérer toutes leurs énergies, de multiplier les échanges de toute nature, d’assurer, aux efforts de tous, cohérence et efficacité. Les populations agricoles gagneront à s’insérer dynamiquement dans le mouvement général de l’économie et de la culture.

Le « cadre conceptuel mondial », dont parlent vos documents, est donc d’abord une question de mentalité, un dynamisme inté­rieur aux hommes et aux peuples qui élargit leur horizon et leur fait concevoir et réaliser leurs objectifs dans le milieu porteur de la solidarité universelle. Ce mouvement venu de l’intérieur exige une véritable conversion des esprits, et l’Eglise y travaille pour sa part. Mais il se dote d’énergies nouvelles pour se développer lorsque la solidarité universelle réussit à prendre corps dans des institu­tions communes, avec des orientations communes. Vous êtes l’une de ces institutions qui exprime déjà quelque chose de l’unité de la famille humaine. Nous souhaitons que les travaux de votre dix-huitième session vous permettent de dégager des orientations capables de faire progresser la solidarité humaine dans la lutte commune contre la faim et pour le développement. Ce sera notre précieuse collaboration à l’édification de la communauté humaine. Elle exige que la recherche de structures plus justes s’inscrive à l’intérieur d’une volonté politique de paix et de fraternité, toutes deux étant nourries et guidées par des convictions affermies sur l’incommensurable dignité de la personne humaine, car celle-ci mé­rite nos efforts tenaces et elle recèle, quand on la respecte dans sa liberté, une créativité capable de maîtriser les grands problèmes de notre temps.

Quant à nous, nous vous offrons pour cette grande oeuvre hu­maine les ressources inépuisables de l’Evangile. Elles ont développé au cours de cette Année Sainte de nouvelles forces de réconcilia­tion : en enracinant davantage les chrétiens en Dieu et en leur faisant faire une expérience renouvelée de leur fraternité en Dieu, l’expé­rience spirituelle qui se vit ici et à travers le monde prépare des hommes plus aptes à situer leurs efforts dans la perspective de l’unité de la famille humaine réconciliée en Nôtre-Seigneur Jésus-Christ.

Telle est la contribution de l’Eglise, tel est le sens de notre prière. A ce Dieu et Père de tous les hommes, nous demandons de vous assister dans la lourde tâche qui vous revient au service de l’humanité : afin que la terre produise son fruit en abondance et que ce fruit soit à la portée de tous.

 

 

 

16 novembre

L’HOMÉLIE DU PAPE À LA BÉATIFICATION DE GIUSEPPE MOSCATI

 

Durant la Messe concélébrée sur la Place Saint-Pierre le dimanche 16 novembre dernier le Saint-Père a adressé aux nombreux pèlerins et fidèles qui assistaient à la cérémonie de la béatification de Joseph Moscati, un discours dont voici la traduction :

 

Vénérables Frères,

Fils et Filles, Pèlerins, tous bien-aimés !

 

Aujourd’hui, grande joie pour l’Eglise qui, pèlerine et militante dans le monde, est également « Mère des Saints, image de la Cité divine » !

Grande joie pour l’Italie, qui trouve encore une fois sa cou­ronne, son réconfort, son stimulant dans la glorification d’un de ses Fils, presque notre contemporain et qui, pour en honorer la mémoire dans cette solennelle cérémonie de Béatification peut se féliciter de la présence de M le Président de la République Italienne Giovanni Leone, à qui nous voulons sans tarder dire toute notre satisfaction pour un si noble témoignage de foi et de vénération rendu à un très digne concitoyen et collègue dans le domaine des études académiques ; que Monsieur le Président veuille agréer dès maintenant nos vœux les plus pieux pour son illustre personne et pour sa haute mission civile !

Une grande joie également pour Naples, dont nous saluons tout particulièrement les pèlerins venus ici avec le Cardinal-Archevêque, Naples qui exulte pour l’élévation aux autels de « son » médecin !

Une grande joie pour nous aussi, nous à qui le Seigneur accorde, parmi les indicibles consolations spirituelles de l’Année Sainte, celle de joindre à la phalange des valeureux champions de la vertu chrétienne la figure noble, simple, radieuse du Professeur Joseph Moscati !

Qui est-il, lui qui est aujourd’hui proposé à l’imitation et à la vénération de tous ?

C’est un laïc qui a fait de sa vie une mission poursuivie de ma­nière authentiquement évangélique, dépensant admirablement les talents reçus de Dieu (cf. Mt 25, 14-30 ; Lc 19, 11-27).

C’est un médecin qui a fait de sa profession un tremplin d’apos­tolat, une mission de charité, un instrument d’élévation de lui-même et de conquête des autres au Christ-Sauveur !

C’est un professeur d’université qui a laissé parmi ses élèves un sillage de profonde admiration, non seulement pour sa très haute doctrine, mais aussi et spécialement pour l’exemple de droi­ture morale, de limpidité intérieure, de dévouement total donné à sa chaire !

C’est un homme de science de très grande école, célèbre pour ses apports scientifiques de niveau international, pour ses publi­cations et ses voyages, pour ses diagnostics clairvoyants et assu­rés, pour ses interventions et sa hardiesse de précurseur !

Son existence toute entière tient en ceci, il l’a vécue en faisant du bien à l’exemple du divin Médecin des âmes (cf. Ac 10, 38) ; il a parcouru son itinéraire en sacrifiant tout à autrui — lui-même, ses affections familiales, sa propre fortune — dans le seul désir d’accomplir son propre devoir et de répondre très fidèle­ment à sa propre vocation ; sa vie a été droite et sublime, quo­tidienne et extraordinaire, ordonnée et cependant tendue en un rythme fiévreux d’activité qui commençait chaque jour en Dieu avec l’élévation eucharistique de la communion matinale et puis se répandait comme une source pleine et inépuisable dans la charité pour ses frères. Et voici donc : nous avons un Homme de notre temps — et plus d’un se souvient de lui — ; un Homme relativement jeune : il mourut en 1927, à 47 ans, en pleine maturité professionnelle et scientifique, humaine et chrétienne ; ci­toyen d’une grande cité, Bénévent où il était né, il était allé se fixer bientôt à Naples où, jusqu’à la fin de ses jours, il vécut, aimé de tous et spécialement des pauvres qu’il visitait dans leurs misérables taudis, leur apportant lumière, espérance, réconfort, assistance concrète. Voilà l’homme qui parvient aujourd’hui à la Béatification, qui parvient donc à la reconnaissance solennelle par l’Eglise de ses vertus héroïquement pratiquées et qui, dans un contraste victorieux avec la nature humaine blessée par le péché, avec le milieu parfois hostile, avec les difficultés quotidien­nes, qui étaient devenues pour lui comme une seconde nature.

 

1. Et voici maintenant la première pensée que suggère cette très heureuse cérémonie : la figure du Professeur Moscati confirme que la vocation à la sainteté est l’apanage de chacun, mieux, cette vocation est possible à tout le monde. Elle est une invitation qui part du cœur de Dieu le Père, qui nous sanctifie et nous divinise par la grâce que nous a méritée le Christ, que soutient le don de son Esprit, qui se nourrit des sacrements, et que nous transmet l’Eglise. Plongés dans ce courant divin, nous sommes tous, sans exception, appelés à la perfection, invités à nous faire saints : « Et voici quelle est la volonté de Dieu :  C’est votre sanctification » écrit Saint Paul (1 Th 4, 3). Et Dieu nous appelle tous à ces sommets en quoi se définit, de manière simple et sublime, l’iden­tité des chrétiens, des membres du Peuple de Dieu : « Soyez saints parce que Je suis saint » (Lc 11, 44 et ss.) « Soyez parfaits, comme est parfait votre Père céleste » (Mt 5, 48). Et jamais l’Eglise ne s’est lassée au cours des siècles de répéter cette invitation et elle nous l’a également répétée avec fermeté, à nous hommes du XX° siècle : « Il est donc clair pour tous — a dit en effet le Concile Vatican II — ... que tous les fidèles, de quelque état ou rang qu’ils soient, sont appelés à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité; cette sainteté procure, même dans la société terrestre, un mode de vie plus humain. Pour atteindre cette perfection, les hommes doivent mettre en oeuvre les forces qu’ils ont reçues, à la mesure des dons du Christ, pour que, suivant sa trace, et devenus conformes à son image, obéissant en tout à la volonté du Père, ils se dévouent de toute leur âme à la gloire de Dieu et au service du prochain » (Lumen Gentium, 40).

Ceci est un point ferme dont il faudra certainement se souvenir comme conclusion de l’Année Sainte — qui fut et continue à être toute entière une solennelle invitation à la sanctification et à la réconciliation avec Dieu et avec nos frères ; un point ferme en couronnement des nombreux rites de glorification des diffé­rents Saints et Bienheureux dont l’exemple nous a réjouis, con­fondus, éperonnés, enthousiasmés, seulement à les connaître, à les exalter, à les vénérer. La vie chrétienne peut et doit être vécue saintement !

 

2. Comme nous l’avons dit, le nouveau Bienheureux a été un médecin, un professeur d’université, un homme de science. Cette qualification de Joseph Moscati nous offre un aspect particulier, par lui vécu et réalisé dans le difficile climat culturel de son épo­que et qui pour nous, hommes des générations successives, garde toute sa valeur apologétique : cet aspect le voici : l’harmonie entre foi et science. Nous savons parfaitement qu’entre ces deux termes il y eut une opposition irréductible au XIX° siècle, et au début du nôtre, l’époque de Joseph Moscati, précisément, même si, au cours de cette période il y eut, comme lui, des figures d’hommes de science croyants, de niveau très élevé (cf. A. Eymieu, Science et Religion, dans D.A.F.C., IV 1250-1252). L’équilibre entre la science et la foi fut certes pour Moscati une conquête dans le climat où un étudiant en médecine devait en ce temps-là modeler sa propre préparation; mais ce fut également et surtout une cer­titude, possédée intimement, qui guida ses recherches et illumina ses soins. Il a même été possible de relever dans les qualités exceptionnelles de son art de médecin et de chirurgien une certaine étincelle d’illumination surnaturelle, charismatique due certaine­ment à la brillante synthèse qu’il avait accomplie entre les acquits de la science humaine et les « richesses insondables » (cf. Ep 3, 8) de la foi et de la grâce divine. Pour atteindre ce but suprême, ce but réconciliateur, le professeur Moscati ne s’abaissa jamais au moindre compromis, ne s’inclina jamais devant les moqueries : « Aime la vérité — écrivait-il le 17 octobre 1922 : lignes qu’il s’adressait à lui-même et qui figurent parmi les rares écrits de ce genre qu’il nous a laissés — montre-toi tel que tu es, sans faux-semblant, sans crainte et sans égards. Et si, à cause de la vérité on te persécute, accepte-le ; si on te tourmente, supporte-le. Et si tu devais sacrifier ta vie pour défendre la vérité, sois fort dans le sacrifice » (Positio super viritutibus, Rome 1972 ; cf. D. Mondrone, La Civiltà Cattolica, 1975, IV, p. 263, fasc. 3009).

Le même problème se présente encore aujourd’hui parfois de manière aiguë et dramatique ; le savent parfaitement les illustres médecins et savants venus assister aujourd’hui à la glorification de leur collègue et que nous saluons avec grand respect. Mais il est également vrai que l’opposition se fait aujourd’hui plus cir­conspecte, à cause de la crise philosophique de la science et parce que l’on s’est rendu compte que les deux ordres de connaissance sont distincts et non opposés. Il se forme ainsi une conception des deux ordres de la connaissance — science et foi — qui non seulement les distingue, mais les rend complémentaires et convergentes dans la recherche transcendante de la vérité (cf. J. M. Malarmé, La science en question, dans Revue Thomiste — Tou­louse — T. 75, 3, 1975, pp. 9-65).

Ce caractère complémentaire et cette convergence sont confir­més par l’expérience vécue : par les hommes de science croyants et par les croyants, hommes de science en ce temps-là comme aujourd’hui. Et ceci nous démontre, comme l’a fait notre Bienheu­reux, que la science n’exclue pas la foi, qu’au contraire elle a besoin d’en être complétée. Comme l’a souligné le Concile Va­tican II, il y a exactement 10 ans : « la recherche méthodique, dans tous les domaines du savoir, si elle est menée d’une manière vraiment scientifique et si elle suit les normes de la morale, ne sera jamais réellement opposée à la foi : les réalités profanes et celles de la foi trouvent leur origine dans le même Dieu. Bien plus, celui qui s’efforce, avec persévérance et humilité de péné­trer le secret des choses, celui-là, même s’il n’en a pas conscience, est comme conduit par la main de Dieu » (Gaudium et Spes, 36). Et le professeur Moscati fut vraiment ainsi « conduit par la main de Dieu » dans l’exercice d’une activité dévorante qui l’a trouvé collaborateur attentif et docile adorateur de Dieu pour la Santé physique des corps martyrisés comme pour la santé spirituelle des âmes blessées. Puisse-t-il communiquer des certitudes iden­tiques au ciel à toutes ces âmes nobles et droites qui craignent cependant de perdre quelque chose de leur autonomie en recon­naissant ce qui est dû à Dieu.

 

3. Cet accord vécu entre science et foi nous laisse finalement entrevoir quelque chose de la « religion » qui fut celle de Joseph Moscati, celle qui nous incite à le proposer à l’imitation et à l’ému­lation de nos contemporains. Elle fut simple, assurée, réfléchie et étudiée, professée avec droiture et dévotion, mais sagement, comme avec une âme d’enfant abritée dans la complexité de son esprit aussi grand que cultivé.

Mais cette religion fut surtout vivante, parce que professée dans l’exercice de la charité ! La renommée du professeur Mos­cati s’illumine de cette floraison continue, secrète, héroïque de charité, dans laquelle il s’est dépensé sans réserve en faveur d’autrui, en favorisant les pauvres, en soignant les corps, en élevant les âmes, sans jamais rien demander pour lui-même, dévoué jus­qu’à son dernier souffle, si bien que la mort le frappa durant les visites à ses malades préférés. On a recueilli d’innombrables épisodes de cette charité surhumaine, faite de petites choses, dans une continuelle et heureuse oblation, si bien qu’à Naples on com­mença à l’appeler « le saint médecin » dès le jour de sa mort. Ce sont les « fioretti » d’un Bienheureux de notre siècle ! Quels hauts sommets la profession médicale peut donc atteindre dans un homme comme Joseph Moscati ! Et comme il faut souhaiter qu’une telle profession, humaine et prévoyante plus que toute autre, soit toujours animée et idéalisée par la charité ! Afin de répandre de la chaleur, de la bonté, de l’espérance dans les salles d’hôpitaux, dans les studios austères des médecins, dans les amphithéâtres de la science ! Pour nous défendre de l’égoïsme, du froid, de l’ari­dité qui menacent la société, souvent plus soucieuse des droits que des devoirs. Et de la même manière il faut que toute autre profession honnête et civile soit elle aussi animée aujourd’hui par la charité ! La douce figure du Bienheureux le répète par son exem­ple suave et efficace : « Pietas ad omnia utilis est : la piété est utile à tout » (1 Tm 4, 8).

Frères et Fils !

Le Concile Vatican II a parlé de la figure et du rôle des laïcs dans l’Eglise comme de personnes qui, vivant dans le siècle « sont appelés par Dieu pour que, en exerçant leur fonction propre, con­duits par l’esprit évangélique, ils contribuent comme du dedans, à la manière d’un ferment, à la sanctification du monde et qu’ainsi, d’abord par le témoignage de leur vie, rayonnant de foi, d’espé­rance, de charité, ils rendent le Christ visible pour les autres » (Lumem Gentium, 31). Avec l’extraordinaire autorité qui lui vient de sa stature morale, de son exemple vécu et de la glorification de l’Eglise, la figure du professeur Moscati rappelle aujourd’hui que cela est vrai, que cela est possible, que cela est nécessaire. L’Eglise en a besoin, le monde aussi. C’est la consigne toute spé­ciale que dans cette cérémonie de l’Année Sainte, l’Eglise trans­met au Laïcat !

Voilà la raison de notre grande joie : qu’elle reste vive en nous, qu’elle nous fasse accomplir des oeuvres fructueuses et qu’elle puisse jaillir jusqu’à la vie éternelle, dans la rencontre face à face avec Dieu, à la lumière des Saints !

 

 

 

23 novembre

LE DISCOURS DU PAPE AU PÈLERINAGE INTERNATIONAL DES MILITAIRES

 

Le dimanche 23 novembre, le Saint-Père a pré­sidé à une commémoration solennelle, Place Saint-Pierre où s’étaient rassemblés plus de 16.000 militaires, appartenant à une vingtaine de pays, venus à Rome pour le pèlerinage inter­national des armées. Paul VI a adressé à ces pèlerins en uniforme, un discours en diverses langues : italien, français, allemand, anglais et espagnol. En voici la traduction :

 

Votre présence ici est vraiment exceptionnelle et très signifi­cative dans le contexte de l’Année Sainte ! Nous voyons en vous la nombreuse représentation de Militaires de diverses armées et spécialités, et de pays divers et lointains, et nous considérons comme parfaitement approprié à notre mission apostolique de vous adresser quelques mots affectueux et mûrement réfléchis : pour vous exhorter à faire vôtres, au même titre que les autres fidèles, les idéaux du renouvellement spirituel et de la réconcilia­tion ; pour vous stimuler au courage du témoignage chrétien ; pour vous rappeler, également, que votre présence « sous les armes », dans l’accomplissement de vos diverses fonctions ne peut et ne doit jamais écarter votre existence d’une vision religieuse et mo­rale cohérente, virile et stable.

Nous voulons avant tout saluer les personnes : Officiers et Sous-officiers de tous grades, Soldats, Marins, Aviateurs et, avec vous, tous ceux qui, dans la complexité des tâches que le service militaire a assumées dans le monde moderne, se trouvent enrôlés dans les activités des forces armées. Puis, notre salut s’adresse à vos glorieux drapeaux, vivants symboles de la patrie en même temps qu’invitation constante à la fidélité, au devoir, à l’honneur.

 

1. Mais pourquoi êtes vous venus ici, à Rome ? Pourquoi avez-vous été invités ? Il y a en cela quelque chose d’apparemment pa­radoxal

 

a) vous êtes des soldats ; et il n’est pas douteux que l’image que vous présentez comme tels se définit en termes de force, d’en­gagement, de discipline, de prestance, de courage et de valeur. Mais ce n’est pas une raison pour que le soldat soit un être ca­pable de se suffire à lui-même (autosufficiente), faisant fond sur sa hardiesse juvénile : peut-il prier ? demander pardon à Dieu ?

 

b) vous êtes des hommes d’armée ; vous êtes entraînés à la discipline. Mais comment un tel homme peut-il se trouver devant le Christ qui est doux et humble de cœur (Mt 11, 29) ? Devant le Christ qui, au cours des sombres heures de la Passion, a donné un ordre précis à Pierre, c’est-à-dire de remettre au fourreau l’épée qu’il avait dégainée (cf. Jn 18, 10-11) ?

 

c) vous êtes les représentants de nations différentes. Mais dans la réalité des persistantes tensions qui affligent les peuples, cette représentation ne serait-elle pas une sorte d’opposition ? de confrontation  entre des mondes qui semblent irréductiblement adversaires ?

 

Mais, nous le répétons, il s’agit de paradoxes seulement en ap­parence. La réalité est que vous êtes venus ici animés d’un désir commun de prière et de renouvellement intérieur ; et que vous êtes ici, réunis fraternellement dans le chant, dans la participation réfléchie et active à la liturgie, devenus « un seul cœur et une seule âme » (Ac 4, 32) malgré la diversité des mentalités, des langues, des coutumes, fondus en une seule palpitation de foi et d’amour.

 

2. Voici qu’alors le paradoxe se dénoue et il apparaît ce que vous êtes, ce que cette présence signifie pour vous tous.

 

a) Vous êtes venus parce que vous aussi vous êtes des hom­mes ; et l’homme a besoin de Dieu, du Christ, de la religion, du salut ; et il ressent l’urgence de satisfaire sa soif au contact avec le Fils de Dieu !

 

b) Vous  êtes  venus  ici,  parce que  plus  que d’autres  vous avez besoin de paix ; et pour la paix, vous voulez et vous devez vous engager à fond. Puis, ici ; le souvenir des guerres récentes — les deux guerres mondiales et les rencontres incessantes sur plan local — se fait douloureux et cuisant à cause des victimes qu’elles ont provoquées, des jeunes vie tronquées à cause de ce trop de sang innocent qui fut versé ! Que reste fidèle et respec­tueux notre souvenir de tous ceux qui sont tombés, et que leurs âmes immortelles aient trouvé la paix dans la miséricorde du Christ Sauveur ! Puis : pour vous les armes ne sont pas destinées à l’attaque, mais seulement, et toujours et partout à la défense ; une défense — plaise à Dieu — qui n’ait nul besoin du recours aux armes, mais tende uniquement à donner force et puissance à la justice et à la paix (cf. Rm 13, 4 ; Lc 3, 14 ; 14, 31) : c’est-à-dire dans la prévention, dans l’entente loyale, dans la composition ma­gnanime, dans le pardon généreux.

 

3. Voici alors, voici enfin que votre présence ici devient une grande apologie : vous êtes venus pour célébrer la justice, garante de la civilisation, de l’ordre, du respect réciproque entre les po­pulations, entre les nations. Que vos armes soient le symbole et le soutien de cette justice dont la paix est le fruit ; et sous cet éclairage, votre fonction dans une société civilisée, révèle sa pleine signification. Vous êtes en effet les hommes du devoir, de la dis­cipline et, s’il le faut, du sacrifice pour le bien commun ; c’est-à-dire des sommets de l’amour (« il n’y a pas d’amour plus grand que celui-ci : donner sa vie pour ses propres amis » — a dit Jésus ; Jn 15, 13).

La paix, c’est tout cela : ici nous nous découvrons frères, amis, chrétiens. Généreux et joyeux, comme on l’est à votre bienheureux âge, vous avancez vers l’avenir, garantissant des temps meilleurs. Cette paix trouve sa racine la plus vraie, uniquement dans le Christ Jésus : et comme le Centurion, comme les soldats de l’Evan­gile, c’est avec de tels sentiments que vous le rencontrez ce matin, dans l’esprit de pénitence de l’Année Sainte, puisant en lui la force voulue pour dominer les passions génératrices de guerre et pour rétablir l’harmonie de l’amour.

A chacun de vous, à vos Supérieurs, aux Aumôniers Militaires, à tous vos parents ainsi qu’à la communauté des Peuples à la­quelle vous appartenez, nous renouvelons notre respectueux salut, en joyeux augure de sérénité et de concorde !

 

Soyez les bienvenus ! Nous vous accueillons comme Jean-Baptiste accueillait les soldats en recherche de la volonté de Dieu, comme Jésus accueillant le centurion croyant. La Bonne Nouvelle de l’Evangile est aussi pour vous ! Ce qui vous rassemble ici par-dessus les frontières, c’est que vous partagez la même foi de l’Eglise catho­lique, c’est que vous voudriez la vivre à travers le métier et le service particuliers que vous accomplissez. Dieu vous apporte la certitude de l’amour et l’espoir de la paix dont vos vies ont be­soin, et la lumière qui éclaire vos consciences. Le Christ fortifie votre soif de justice vous appelle à être, dans la défense de vos concitoyens, des artisans de paix ; il élargit votre charité. Heureux êtes-vous d’avoir ce Sauveur et ce Guide ! Aidez vos frères sol­dats, aidez vos familles à s’ouvrir à cet idéal, à cette foi, pour servir la marche de l’humanité vers le bien, vers la paix, vers la fraternité !

 

Notre appel au renouvellement et à la réconciliation a été en­tendu par l’Eglise de Dieu tout entière. Et vous, chers Fils et Filles, membres de l’armée avez ouvert vos cœurs pour répondre généreusement et joyeusement à cet appel : vous êtes venus célé­brer ici l’Année Sainte. Oui, vous vous êtes rassemblés sous le signe de la Croix — étendard glorieux du Christ vainqueur res­suscité, Roi de l’Univers. Vous êtes venus ici pour exprimer votre foi en Jésus, le Fils de Dieu et Seigneur de la vie, et pour mani­fester devant le monde votre étroit attachement à l’Eglise. Vous êtes venus pour témoigner de votre profonde conviction que le Royaume est un Royaume de vérité et de vie, un Royaume de sainteté et de grâce, un Royaume de justice, d’amour et de paix. Quant à nous, au nom du Christ nous vous convions aujourd’hui à ne quitter ce centre de l’unité que renouvelés dans ces idéaux et réconciliés dans le sacrifice du Christ afin de donner au monde un vigoureux témoignage commun : proclamer par l’authenticité de vo­tre vie chrétienne que Jésus Christ est Seigneur et Roi, et Sauveur du monde.

 

Pourquoi êtes-vous venus ici ? Vous êtes venus en fidèles jeu­nes et croyants, parfaitement convaincus que Dieu est la véritable voie de la Vie, Lui qui nous donne l’être et la vie et que sans Lui, nous ne pouvons rien. Comme vous êtes des soldats vous vous dévouez pour la Justice et la Paix dans le monde. Le Concile Vatican II dit en effet : « Quant à ceux qui se dévouent au service de la patrie dans la vie militaire, qu’ils se considèrent eux aussi comme les serviteurs de la sécurité et de la liberté des peuples ; s’ils s’acquittent correctement de cette tâche, ils concourent vrai­ment au maintien de la paix » (Gaudium et Spes, n. 79).

Soyez tous les bienvenus ! Animés d’un esprit de pénitence et d’un désir de renouvellement et de réconciliation vous êtes venus ici pour proclamer votre foi ferme et courageuse dans les idéaux d’une humanité nouvelle fondée dans le Christ, notre Seigneur et notre Sauveur. Dans l’accomplissement quotidien de votre devoir, défense et garantie de la paix entre les hommes et entre les na­tions, vous trouverez un puissant stimulant dans la pensée que, de par le Baptême, vous êtes des soldats de l’Evangile, disposés à se sacrifier même en donnant la vie pour les frères, à l’imitation du Christ.

 

 

 

6 décembre

« VOTRE TÉMOIGNAGE DOIT DEMEURER CELUI DE COMMUNAUTÉS D’EGLISE, D’ŒUVRES D’EGLISE »

 

Recevant les représentants des Organisations Catholiques Internationales qui tiennent leur Conférence à Rome, sous la présidence de Mon­sieur André Schafter, le Saint-Père a prononcé l’allocution suivante, à l’issue de l’audience du samedi 6 décembre :

 

Chers Filles et Fils, membres des Organisations  Internationales Catholiques,

 

Nous vous disons tout d’abord notre vive satisfaction de vous ren­contrer, à l’occasion de l’Assemblée générale de la Conférence qui réunit vos organisations, dans le cadre de l’Année Sainte et au centre de l’Eglise, dans cette ville de Rome fécondée par le témoignage suprême de la foi des premiers apôtres Pierre et Paul.

C’est bien aux sources de cette foi que vous venez puiser la force spirituelle nécessaire à votre apostolat et c’est auprès du Siège apostolique que vous venez chercher la lumière susceptible de l’éclairer.

Nous ne pouvons manquer, en raison même de notre mission de Pasteur, de répondre à votre démarche filiale.

Nous vous félicitons et vous remercions en premier lieu de mettre vos travaux sous le signe de l’Année Sainte dans les pers­pectives de renouveau intérieur et de réconciliation que nous avons proposés à tous nos Fils membres de l’Eglise catholique.

Comment ne pas souligner en effet combien il est heureux que se conjuguent dans votre session à Rome d’une part la réflexion que vous entreprenez sur l’engagement et les activités des O.I.C. dans la vie internationale et dans les relations humaines, d’autre part la préoccupation que vous manifestez de développer cette réflexion en esprit d’Eglise en lien avec nos orientations pastorales.

Ce sont là en effet deux exigences indissociables pour les O.I.C. : agir dans le monde pour le transformer en une société plus juste et plus humaine et en même temps témoigner que cette action s’inspire de la mission spirituelle et transcendante de l’Eglise.

Les unes en effet, ont pour raison d’être immédiate une mis­sion de présence et d’action au sein des réalités temporelles, qu’il s’agisse du domaine de la culture, de l’enseignement, de la santé, de la justice sociale et internationale, des relations humaines et de la compréhension entre les peuples. Les autres sont directe­ment engagées dans un apostolat d’évangélisation. L’Eglise par la voix de ses Papes et du Concile Vatican II a souvent encouragé ses fils à assumer cette dimension de présence chrétienne au monde. Elle a particulièrement souligné l’importance des asso­ciations ou groupes internationaux de catholiques qui oeuvrent à l’édification de la communauté internationale des peuples selon les exigences de l’Evangile,

Nous en confirmions nous-même la valeur quand, nous adres­sant il y a quelques années aux responsables de votre Conférence, nous les encouragions dans leur entreprise « si conforme au ca­ractère universel du message de l’Evangile et en même temps si bien en harmonie avec l’évolution des structures et des rythmes de la société moderne » (O.R. 13 nov. 1963).

Mais vous le savez par expérience dans cette insertion de vos organisations dans les réalités du monde, vous êtes amenés très souvent à rencontrer des mentalités ou des conceptions sociales imprégnées d’idéologies sans doute animées d’intentions philan­thropiques et humanistes respectables, mais porteuses d’une phi­losophie de l’homme qui nie son destin transcendant et ne con­çoit son bonheur qu’en fonction d’un progrès social collectif basé sur une vision matérialiste et immanentiste de l’existence hu­maine.

La tentation peut être grande pour des chrétiens et des ca­tholiques d’emprunter à ces philosophies ou à ces idéologies leurs moyens d’analyse et d’action pour lutter contre les injustices d’une société qui progresse si lentement sur les voies d’un aménagement plus humain des conditions de vie de tant d’hommes et de peuples.

Sans se dérober à cet objectif, il importe pourtant que des or­ganisations qui se réclament du nom de catholique sauvegardent à tout prix la spécificité de leur vocation et de leur mission dans le monde.

Nous vous le demandons instamment, au nom de la responsabilité pastorale qui nous a été confiée à l’égard de tous nos fils dans l’Eglise et en vertu des liens de communion qui vous atta­chent à notre mission apostolique: votre témoignage doit de­meurer celui de communautés d’Eglise, d’œuvres d’Eglise.

En premier lieu, un témoignage de la foi inspirée, nourrie et affirmée en référence à l’Evangile du Seigneur et aux enseigne­ments du Magistère de l’Eglise. C’est en puisant sans cesse aux sources du message évangélique que nous tous pouvons conformer notre apostolat à la pensée du Christ : « Je ne demande pas que tu les retires du monde, mais que tu les gardes du Mauvais. Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde ». C’est aussi en s’appuyant sur le Magistère de l’Eglise qu’un ca­tholique s’assure contre toute utilisation arbitraire de l’Evangile et en reçoit la lumière sur les problèmes que la vie ne cesse de faire surgir.

Que votre témoignage soit aussi celui de l’unité à l’intérieur de l’Eglise. C’est la prière ardente du Seigneur : « qu’ils soient un comme toi Père et moi, nous sommes un ».

Unité entre vous, certes, qui communiez à la même foi ; unité avec le siège de Pierre ; unité avec vos pasteurs. Dans une action qui se caractérise comme collaboration à l’apostolat hiérarchique et participation à la mission même de l’Eglise, il importe que se conjuguent les charismes et les fonctions qui sont propres aux Evêques : sanctifier, gouverner, enseigner, et aux laïcs qui ont mission de faire passer et incarner dans la réalité quotidienne, même temporelle, le message du Christ. « Une telle conjonction, disions-nous récemment, devra toujours respecter le caractère spé­cifique des charismes et fonctions précités, non moins que leur ordre respectif : ce n’est que dans cette harmonie que se trouve le secret de la fécondité de l’action apostolique » (O. R. langue française 24 janvier 1975).

Troisième note du témoignage que nous attendons de toutes les Organisations internationales catholiques : porter les valeurs évangéliques dans tous les domaines de la vie, chacune selon sa mission spécifique. Et cela implique que soient inscrits en toute clarté dans vos programmes, vos publications et vos activités les motivations et les perspectives ecclésiales qui spécifient vos or­ganisations. On ne témoigne pas d’une cause que l’on tait. Le Seigneur lui-même n’a-t-il pas invité ses Apôtres à se faire reconnaître : « On vous reconnaîtra comme mes disciples si vous vous aimez les uns les autres » ? Dans ce contexte, la collaboration que vos associations peuvent être amenées à promouvoir avec les autres groupes chrétiens ne peut que gagner à s’opérer dans la clarté de leur identité respective.

Oui, chers amis, gardez le souci de présenter vos associations dans l’intégrité et dans la vérité de ce qu’elles veulent annoncer. Elles doivent être des communautés de vie d’Eglise ouvertes, ac­cueillantes, respectueuses des autres qui n’ont pas la même ré­férence. Quelle signification prophétique auraient-elles si elles n’apparaissaient plus que comme des organisations de type huma­nitaire ou social assimilables à n’importe quelle autre ? Ne ris­queraient-elles pas de ne plus offrir à des âmes apostoliques le lieu de rencontre et de soutien qu’elles souhaiteraient trouver pour leur foi et leur engagement ?

Nous vous renouvelons, chers amis des O.I.C., nos encourage­ments et nos vœux. Que cette Assemblée qui vous réunit vous permette de prendre l’exacte mesure de votre rôle dans l’Eglise et dans la société. Vous ne pouvez vraiment servir celle-ci qu’en étant pleinement d’Eglise. Dans un monde qui est à la recherche, non pas seulement d’une organisation adaptée à ses problèmes, mais surtout d’une âme internationale — si nous pouvons utili­ser cette expression vous pouvez être pour votre part, à travers vos associations et l’esprit catholique qui les anime, une source d’espérance et une référence pour un monde plus fraternel con­forme au dessein du Seigneur.

C’est le message que nous vous confions avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

8 décembre

MARIE, FIGURE IDÉALE DE L’EGLISE ET CAUSE DE SALUT DU GENRE HUMAIN

 

A l’occasion de la fête de l’Immaculée Concep­tion et du dixième anniversaire de la clôture de Vatican II, le Saint-Père invoque l’affectueu­se protection de la Vierge sur le chemin post-conciliaire qu’il souhaite animé d’une volonté générale de continuité et de progrès dans l’unité étroite et laborieuse de toute la communauté ecclésiale.

Homélie du Saint-Père durant la concélébration dans la Basilique St-Pierre

 

Vénérables Frères et Fils très chers, et vous tous spécialement invités à cette pieuse cérémonie, Maîtres, Chercheurs, Etu­diants des Universités Pontificales Romaines, vous Elèves de nos Séminaires, vous membres des Collèges Ecclésiastiques et Religieux de la Ville, ou agrégés aux Instituts séculiers. ,

Et vous, chères Filles dans le Christ, Religieuses, Novices, Pos­tulantes et élèves des Maisons féminines de formation de Rome. Et vous aussi, nos fidèles Romains, et vous Pèlerins de l’Année Sainte et Visiteurs de cette Ville Sacrée. Enfin vous, nous tous, nous voulons concentrer sur la multiple valeur de la cérémonie que nous accomplissons, vous, disions-nous, ex membres et protago­nistes du Concile Oecuménique Vatican II convoqués ici pour commémorer avec nous la maturation de ces dix années.

Tous écoutez-nous ! et permettez que nous invitions vos âmes à un instant de contemplation spirituelle et presque visible, comme si l’apparition de Celle dont nous célébrons aujourd’hui la fête très singulière, se présentât dans le fond de cette Basilique et planant dans la splendeur unique qui lui est propre (bien que réfléchie de la source divine de la lumière) ; et nous La voyions avec les yeux prophétiques de l’Evangéliste de l’Apocalypse : Voici ! « Un prodige apparut dans le ciel : une femme vêtue de soleil ; avec la lune sous les pieds et sur la tête une couronne de douze étoiles » (Ap 12, 1 ; cf. Ct 6, 4, ss.). Qu’est-ce ? qui est-ce ? Nous restons stupéfaits et absorbés par la vision biblique, et dans notre fou­droyante stupeur, nous perdons le sens de la réalité. Ne renonçons pas à traduire dans une signification accessible la valeur de cette image mystérieuse, et sans dépasser pour le moment le déroule­ment de la scène apocalyptique nous sommes heureux de connaître le double nom que les maîtres de la Sainte Ecriture attribuent à cette céleste figure, exclamant presque en réponse à notre anxieuse curiosité : c’est Marie c’est Marie, cette femme vêtue de soleil, avec la lune sous les pieds et la couronne mystérieuse autour de la tête ! C’est l’Eglise, c’est l’Eglise ! nous disent les savants, cher­cheurs des secrets du langage figuratif et symbolique du monde apocalyptique. In en sera ainsi. Pour nous, il nous plaît d’honorer Marie et l’Eglise, Mère du Christ selon la chair la première ; Mère de son Corps mystique, et elle-même partie de ce mystique Corps la seconde.

Frères et Fils tous ! arrêtons un instant notre pensée éblouie et heureuse, sur le premier sens de cette vision fantastique, et di­sions-nous, avec l’intention de célébrer le mystère de l’Immaculée Conception : Marie est ainsi ! son aspect est céleste et triomphal, mais à y voir de près, il est celui d’une femme « humble et élevée plus que toute créature » (Par 33, 2) ; bien plus : tellement hum­ble qu’elle dissipe notre regard agité (cf. Lc 1, 48), et nous in­vite presque à voir en elle une sœur très chère, à qui au mo­ment même où nous oserions lui adresser une parole confiante nous vient spontanément aux lèvres la parole évangélique : O Toi bienheureuse : (Lc 1, 45 et 48). Oui, bienheureuse ! et à com­bien de titres !

Aujourd’hui nous voulons célébrer l’un de ces titres, nous vou­drions mettre au sommet de notre culte à Marie : son Immacu­lée Conception ! c’est-à-dire la pensée préférée que Dieu a eue pour cette créature, l’intention de revoir en elle l’innocence primitive d’un être créé « à image et ressemblance » propre de Lui-même, de Dieu (Gn 1, 26-27), d’un être non troublé ni contaminé d’au­cune tache ou imperfection, comme excepté le Christ et Elle, la Vierge, le sont tous les fils d’Eve et tout le genre humain. Une idée, un rêve divin, un chef-d’œuvre de beauté humaine, non recherchée pour le seul modèle formel, mais réalisé dans l’intrin­sèque et incomparable capacité d’exprimer l’Esprit dans la chair, la ressemblance divine dans un visage humain, la Beauté invi­sible dans une figure corporelle.

Tota pulchra es, Maria ! Tu es la beauté, la vraie, la pure, la Sainte beauté, ô Marie ! Cette image réelle et idéale de la Vierge devrait aujourd’hui se réfléchir lumineuse et éclairante, dans cha­cune de nos âmes, ô fidèles ; comme synthèse de notre admiration et de notre dévotion à la Vierge dont nous célébrons la fête, émi­nemment théologique et éminemment ecclésiale. Théologique parce que nous l’empruntons à la Révélation et à la plus attentive et affectueuse réflexion avec laquelle la piété candide et virginale osa, par son inspiration, fixer le regard enivré sur son visage hum­ble et pur, le visage parfait de la beauté sainte et humaine. Ecclé­siale, car, miroir de la divine perfection, speculum iustitiae, elle s’offre aussi à nous comme le miroir de la perfection humaine que l’Eglise en vénérant la Vierge « contemple en elle, avec joie, comme une image très pure, (c’est le Concile qui parle ainsi : Sacr. Conc., n. 103) de ce que l’Eglise entière désire et aspire à être » ; une beauté nuptiale, que Paul, comme nous nous en souvenons, décrit d’une façon merveilleuse « toute glorieuse, sans tache ni ride, ou autre chose semblable, mais sainte et immaculée (Ep 5, 27) : la sainteté en puissance de l’Eglise a son modèle, son type en Marie, comme dira Saint Ambroise (in Lucam 11-7), et Saint Augustin commentera : « figurant in se sanctae Ecclesiae demonstravit » (De Symbolo, I ; PL 40, 661), Marie a représenté en elle-même la figure de la Sainte Eglise. Modèle exemplaire, fi­gure idéale de l’Eglise ; est-ce suffisant ? la vérité théologique va plus loin et pénètre dans les confins de cette causalité subalterne qui dans le dessein divin du Salut associe de façon inséparable la créature, Marie, la servante du Fiat, au mystère de l’Incarnation, et selon Saint Irénée fait d’elle, « une cause de salut pour soi-même et pour tout le genre humain » (Adv. haereses, III, 22, 4). Nous nous réjouirons ensuite d’avoir trouvé en Saint Augustin la conclusion que nous avons faite nôtre au terme de la III° session du Concile, en reconnaissant explicitement à la Vierge très sainte, le titre incontestable de « Mère de l’Eglise » : si en effet Marie est Mère du Christ selon la chair, et le Christ est la tête de l’Eglise son Corps, Marie est spirituellement Mère de ce Corps, auquel elle-même appartient, à un niveau éminent comme fille et sœur (cf. Saint Augustin, de Sancta Virginitate, V et IV P.L. 40, 399 ; cf. H. De Lubac, Méd. sur l’Eglise, c. IX).

Et ce sera avec cette particulière mention du Concile Vatican II qu’aujourd’hui, en acclamant Marie Mère de l’Eglise et en invo­quant son efficace et maternelle protection, nous donnerons à la présente célébration, le sens commémoratif du dixième anniver­saire de la clôture du Concile lui-même, heureux très heureux et honoré d’avoir avec nous, pour offrir le Saint Sacrifice, un digne Membre de la Présidence du Concile, le Cardinal Etienne Wyszynski, venu à Rome pour cette heureuse circonstance, accompagné de l’Episcopat polonais ; trois Modérateurs, LL.EE. les Cardinaux Lercaro, Suenens et Doepfner ; le Secrétaire. S.E. M. le Cardinal Pericle Felici ; et l’un des Membres de la Secrétairerie, maintenant notre Cardinal Secrétaire d’Etat, Jean Villot.

Et de plus, avec ces derniers, comme pour exprimer symboli­quement, en ce dixième anniversaire, une volonté de continuité et de progrès dans l’authentique ligne conciliaire, il est pour nous d’un grand réconfort, de voir la présence du Préfet de la Con­grégation pour les Religieux et les Instituts Séculiers, et celle du Secrétaire de la Congrégation pour l’Education Catholique, repré­sentants des Universités, Athénées et Collèges Romains. A tous ces Frères vénérés et Fils très chers, notre merci pour leur présence à cette concélébration et pour leur adhésion à l’unité étroite et fructueuse de la Sainte Eglise de Dieu.

Mais à vous, Maîtres, chercheurs et Etudiants de nos Athénées, à vous jeunes Séminaristes, à vous Religieux, à vous Religieuses, d’une manière spéciale le cri de notre cœur : aimez, invoquez, imi­tez Marie Immaculée, la Mère du Christ et la Mère de l’Eglise, et sachez faire fructifier pour les générations présentes et futures, le trésor de sagesse qu’a été et reste le Concile oecuménique Va­tican II :

 

Le Pape a continué en langue française :

 

En apparaissant à Lourdes à l’humble Sainte Bernadette la Vierge confirmait pour ainsi dire la solennelle proclamation de son Immaculée Conception par le magistère de l’Eglise. C’est une in­vitation pour les chrétiens d’aujourd’hui à ne jamais séparer l’amour de la Vierge de l’amour de l’Eglise ; à trouver en Marie l’exemple de la parfaite obéissance, et dans l’Eglise, dans les en­seignements que le Concile — dont nous célébrons aujourd’hui le dixième anniversaire de la clôture — a donnés pour notre temps, le vrai chemin pour réaliser la volonté du Seigneur.

 

 

 

8 décembre

DISCOURS DU PAPE À SAINTE-MARIE-MAJEURE POUR LE JUBILÉ DES COMMUNAUTÉS CLOÎTRÉES

 

Dans l’après-midi du 8 décembre, à la suite du traditionnel hommage à la statue de l’Immaculée sur la Place d’Espagne, le Saint-Père s’est rendu à Sainte-Marie-Majeure pour renouveler la prière mariale qu’il avait déjà récitée le ma­tin à Saint-Pierre et célébrer le Jubilé « Invisi­ble » des communautés cloîtrées de Rome et du monde entier. Au cours de la cérémonie le Saint-Père a prononcé le discours suivant :

 

Frères et Fils très chers !

 

Nous sommes réunis dans cette basilique patriarcale de Sainte-Marie-Majeure pour rendre à la Vierge immaculée un hom­mage particulier de dévotion. Nous y associons non seulement le vôtre, à vous qui êtes présents, mais aussi celui de toutes les communautés cloîtrées, celles de Rome et celles du monde catho­lique entier, qui ont été invitées à s’unir à ce moment par la prière, pour former un chœur de louange, d’oblation et d’invo­cation à Marie très sainte.

Nous dirons la même chose des Sanctuaires épars sur la face de la terre, dédiés spécialement au culte de la Vierge, avec leurs foules de pèlerins priant et méditant ; eux aussi, ces Sanctuaires, sont conviés à ce rendez-vous spirituel et jubilaire international.

Nous voulons nous adresser spécialement à ces âmes religieuses.

Avec les yeux de la foi plus clairs et plus perçants que ceux du corps, nous vous voyons réunies ce soir autour de nous, comme pour une audience invisible mais vraie, vivante et vibrante, sous le regard maternel de la Mère de Dieu, pour gagner le Saint Jubilé.

La fête de l’Immaculée Conception que nous célébrons aujour­d’hui ainsi que le souvenir du second Concile oecuménique du Vatican dont c’est le dixième anniversaire de la clôture solennelle, confèrent à ce pèlerinage mystique une note particulièrement suggestive, riche de signification spirituelle. Il nous plaît d’en relever quelques aspects, pour votre réconfort et notre édification com­mune.

Renouvellement et réconciliation, tels sont les thèmes qui défi­nissent le programme de l’Année Sainte, et que nous avons cher­ché à développer tout au long des nombreux discours adressés aux pèlerins réunis pour les audiences de chaque semaine. Peut-être un tel programme est-il étranger ou superflu pour vos esprits, voués à la vie contemplative ? Bien au contraire ! Vous aspirez à la sainteté par un engagement de tout votre être, à travers un genre de vie fait tout entier de prière liturgique et privée de pra­tique des conseils évangéliques de discipline monastique sévère et de pénitence. Cette sainteté ne requiert-elle pas aussi de vous, religieux et religieuses voués à la vie cloîtrée, et même de vous à un degré plus intense, un renouvellement progressif du vieil homme que chacun porte en soi, toujours affligé par les consé­quences du premier péché, en vue de la nouvelle vie, réconciliée avec Dieu, avec les anges, avec nos frères et avec toutes les créatures, en pleine conformité avec le divin modèle, Jésus-Christ, en qui le Père s’est réconcilié le monde (cf. 2 Co 5, 19) ? C’est en vous, en vérité, que se réalise plus facilement la mystérieuse nouvelle naissance décrite par l’Apôtre des nations : « Bien que l’homme extérieur s’en aille en ruine, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour. Notre tribulation, momentanée et de peu de poids nous procure un poids sans mesure et éternel de gloire, parce que nous ne nous attachons pas aux choses visibles, mais aux choses invisibles ; car les choses visibles sont éphémères, mais les invisibles sont éternelles » (2 Co 4, 16-18).

Il n’y a aucun doute : votre vocation est sublime, et toujours actuelle et nécessaire pour l’Eglise et pour le monde. Vous êtes confirmés et soutenus en elle par la promesse, éternellement vraie, faite par le Divin Maître : « Une seule chose est néces­saire ! Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera point en­levée » (Lc 10, 41).

Vous aussi cependant, à l’image des disciples dans le jardin des oliviers, vous expérimenterez plus d’une fois l’amère vérité des paroles du Christ : « L’esprit est prompt, mais la chair est faible » (Mt 26, 41). Mais ne perdez pas courage ! Que votre vie soit soulevée par une pleine confiance et par une dévotion très ardente à l’Esprit du Christ, esprit de force et de piété, âme du Corps mystique ! Et qu’elle trouve aussi la douceur que procure une dévotion filiale et sans limite envers Marie temple de l’Esprit Saint et, parce qu’elle est Mère de Dieu et Mère de l’Eglise, mo­dèle insurpassable d’amour contemplatif et de toutes les vertus chrétiennes.

C’est à elle, la Mère de l’Eglise, que nous recommandons avec une prédilection particulière chacun et chacune d’entre vous, ainsi que toutes vos familles religieuses. En Marie, imitez surtout « la charité, avec laquelle elle coopéra à la naissance des fidèles dans l’Eglise » (Const. dogm. Lumen Gentium, 53). En la con­templant assidûment, vous dilaterez aussi vos âmes aux dimen­sions de la charité, vous sentant unis tous et toutes à l’Eglise et à l’humanité tout entière, afin que votre vie, séparée en appa­rence par les murs de vos couvents et de vos monastères, s’ouvre en vérité et soit féconde en prières, en mérites, en expiations, en bons exemples, pour le bien de tout le Corps mystique du Christ et du monde entier.

Fils et Filles très chers ! l’Année Sainte a voulu être d’abord un acte solennel de charité, envers Dieu et envers le prochain comme le fut le Concile Vatican II. C’est l’amour de Dieu, en effet, qui est la source première et inépuisable de tout renouveau spirituel et de la réconciliation universelle, car « l’amour est vain­queur de tout ». De ce triomphe de l’amour de Dieu, nous at­tendons aussi le triomphe de la véritable paix entre les hommes de bonne volonté. Soyez parmi les premiers à jouir de la béatitude évangélique proclamée par le Christ : « Bienheureux les pacifi­ques, car ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5, 9).

A l’approche des saintes fêtes de Noël, nous vous adressons d’un cœur plein d’affection paternelle le souhait que : « La paix de Dieu qui surpasse toute intelligence, garde vos cœurs et vos esprits dans le Christ Jésus » (Ph 4, 7).

Récitons maintenant ensemble l’invocation à la très sainte Vierge Marie, pour renouveler notre confiance filiale envers elle, et pour demander, par son intercession auprès du Christ Jésus, son Fils et notre frère, les dons qu’il nous a promis, les grâces nécessaires pour notre salut.

 

 

 

8 décembre

 

Exhortation Apostolique de S.S. le Pape Paul VI sur

L’EVANGELISATION DANS LE MONDE MODERNE

 

Vénérables Frères et chers Fils, Salut et Bénédiction Apostolique

 

ENCOURAGEMENT PARTICULIER À L’EVANGELISATION

 

1. L’effort pour annoncer l’Evangile aux hommes de notre temps, exaltés par l’espérance mais en même temps travaillés sou­vent par la peur et l’angoisse, est sans nul doute un service rendu à la communauté des chrétiens, mais aussi à toute l’humanité.

C’est pourquoi le devoir de confirmer les frères, que Nous avons reçu du Seigneur avec la charge de Successeur de Pierre (Cf. Lc 22, 32), et qui est pour Nous une « préoccupation quotidienne » (2 Co 11, 28), un pro­gramme de vie et d’action, et un engagement fondamental de no­tre pontificat, ce devoir Nous paraît encore plus noble et néces­saire lorsqu’il s’agit d’encourager nos frères dans la mission d’évangélisateurs pour que, en ces temps d’incertitude et de désarroi, ils l’accomplissent avec toujours plus d’amour, de zèle et de joie.

 

A L’OCCASION DE TROIS ÉVÉNEMENTS

 

2. C’est bien ce que Nous voulons faire ici, au terme de cette Année Sainte au long de laquelle l’Eglise, « tendue de tout son effort vers la prédication de l’Evangile à tous les hommes » (Concile oecuménique Vatican II, Décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise Ad Gentes, n. 1 : AAS 58, 1966, p. 947), n’a voulu rien d’autre qu’accomplir son office de messagère de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ, proclamée à partir de deux consignes fondamentales : « Revêtez l’homme nouveau » (Cf. Ep 4, 24 ; 2, 15 ; Col 3, 10 ; Ga 3, 27 ; Rm 13, 14 ; 2 Co 5, 17) et « Lais­sez-vous réconcilier avec Dieu » (2 Co 5, 20).

Nous voulons le faire en ce dixième anniversaire de la clôture du Concile Vatican II dont les objectifs se résument, en défini­tive, en un seul : rendre l’Eglise du XX° siècle encore plus apte à annoncer l’Evangile à l’humanité du XX° siècle.

Nous voulons le faire un an après la III° Assemblée générale du Synode des Evêques — consacrée, on le sait, à l’évangélisation —, d’autant plus que cela Nous a été demandé par les Pères synodaux eux-mêmes. En effet, à l’issue de cette mémorable As­semblée, ils ont décidé de remettre au Pasteur de l’Eglise univer­selle, avec beaucoup de confiance et de simplicité, le fruit de tout leur labeur, déclarant qu’ils attendaient du Pape un élan nou­veau, capable de créer, dans une Eglise encore plus enracinée dans la force et la puissance immortelles de la Pentecôte, des temps nouveaux d’évangélisation (Cf. Paul VI, Allocution pour la clôture de la troisième Assemblée générale du Synode des Evêques (26 octobre 1974) : AAS 66, 1974, pp. 634-635, 637).

 

THÈME SOUVENT SOULIGNÉ AU COURS DE NOTRE PONTIFICAT

 

3. Ce thème de l’évangélisation, Nous en avons souligné l’im­portance à plusieurs reprises, bien avant les journées du Synode. « Les conditions de la société — disions-Nous au Sacré Collège des Cardinaux, le 22 juin 1973 — nous obligent tous à réviser les méthodes, à chercher par tous les moyens à étudier comment faire arriver à l’homme moderne le message chrétien dans lequel il peut trouver la réponse à ses interrogations et la force pour son engagement de solidarité humaine » (Paul VI, Allocution au S. Collège des Cardinaux (22 juillet 1973) : AAS 66, 1973, P. 383). Et Nous ajoutions que pour donner une réponse valable aux exigences du Concile qui nous interpellent, il faut absolument nous mettre en face d’un patrimoine de foi que l’Eglise a le devoir de préserver dans sa pureté intangible, mais le devoir aussi de présenter aux hommes de notre temps, autant que possible, d’une façon compréhensible et persuasive.

 

DANS LA LIGNE DU SYNODE DE 1974

 

4. Cette fidélité à un message dont nous sommes les serviteurs, et aux personnes à qui nous devons le transmettre intact et vi­vant  est l’axe central de l’évangélisation. Elle pose trois questions brûlantes, que le Synode de 1974 a eues constamment devant les yeux :

 

— Qu’est devenue, de nos jours, cette énergie cachée de la Bonne Nouvelle, capable de frapper profondément la conscience de l’homme ?

— Jusqu’à quel point et comment cette force évangélique est-elle en mesure de transformer vraiment l’homme de ce siècle ?

— Suivant quelles méthodes faut-il proclamer l’Evangile pour que sa puissance soit efficace ?

Ces interrogations explicitent, au fond, la question fondamen­tale que l’Eglise se pose aujourd’hui et que l’on pourrait traduire ainsi : après le Concile et grâce au Concile qui a été pour elle une heure de Dieu en ce tournant de l’histoire, l’Eglise se trouve-t-elle, oui ou non, plus apte à annoncer l’Evangile et à l’insérer dans le cœur de l’homme avec conviction, liberté d’esprit et efficacité ?

 

INVITATION À LA RÉFLEXION

 

5. Nous voyons tous l’urgence de donner à cette question une réponse loyale, humble, courageuse, et d’agir en conséquence.

Dans notre « sollicitude pour toutes les Eglises » (2 Co 11, 28), Nous vou­drions aider nos frères et fils à répondre à ces interpellations. Puissent nos paroles, qui voudraient être, à partir des richesses du Synode, une réflexion sur l’évangélisation, inviter à la même réflexion tout le Peuple de Dieu rassemblé dans l’Eglise, et servir d’élan nouveau à tous, spécialement à ceux « qui peinent à la pa­role et à l’enseignement » (1 Tm 5, 17), afin que chacun d’eux soit « un fidèle dispensateur de la Parole de vérité » (2 Tm 2, 15), fasse oeuvre de prédicateur de l’Evangile et s’acquitte à la perfection de son ministère.

Une telle Exhortation Nous est apparue capitale, car la présen­tation du message évangélique n’est pas pour l’Eglise une contribution facultative : c’est le devoir qui lui incombe, par mandat du Seigneur Jésus, afin que les hommes puissent croire et être sauvés. Oui, ce message est nécessaire. Il est unique. Il ne sau­rait être remplacé. Il ne souffre ni indifférence, ni syncrétisme, ni accommodation. C’est le salut des hommes qui est en cause. C’est la beauté de la Révélation qu’il représente. Il comporte une sagesse qui n’est pas de ce monde. Il est capable de susciter, par lui-même, la foi, une foi qui repose sur la puissance de Dieu (Cf. 1 Co 2, 5). Il est la Vérité. Il mérite que l’apôtre y consacre tout son temps, toutes ses énergies, y sacrifie au besoin, sa propre vie.

 

I. Du Christ évangélisateur à une Eglise évangélisatrice

 

TÉMOIGNAGE ET MISSION DE JÉSUS

 

6. Le témoignage que le Seigneur donne de lui-même et que Saint Luc a recueilli dans son Evangile — « Je dois annoncer la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu » (Lc 4, 43) — a sans doute une grande portée, car il définit d’un mot toute la mission de Jésus : « Pour cela j’ai été envoyé » (ibid.). Ces paroles prennent toute leur signification si on les rapproche des versets antérieurs où le Christ venait de s’appliquer à lui-même le mot du prophète Isaïe : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres » (Lc 4, 18 ; cf. Is 61, 1).

Proclamer de ville en ville, surtout aux plus pauvres qui sont souvent les plus accueillants, la joyeuse annonce de l’accomplissement des promesses et de l’Alliance proposées par Dieu, telle est la mission pour laquelle Jésus se déclare envoyé par le Père. Et tous les aspects de son Mystère — l’Incarnation elle-même, les miracles, l’enseignement, le rassemblement des disciples, l’envoi des Douze, la croix et la résurrection, la permanence de sa présence au milieu des siens — font partie de son activité évangélisatrice.

 

JÉSUS, PREMIER EVANGÉLISATEUR

 

7. Bien souvent au cours du Synode, les Evêques ont rappelé cette vérité : Jésus lui-même, Evangile de Dieu (Cf. Mc 1, 1 ; Rm 1, 1-3), a été le tout premier et le plus grand évangélisateur. Il l’a été jusqu’au bout : jusqu’à la perfection, jusqu’au sacrifice de sa vie terrestre.

Evangéliser : quelle signification cet impératif a-t-il eue pour le Christ ? Il n’est certes pas aisé d’exprimer, dans une synthèse complète, le sens, le contenu, les modes de l’évangélisation telle que Jésus la concevait et l’a réalisée. D’ailleurs une telle syn­thèse ne pourra jamais être terminée. Qu’il Nous suffise de rap­peler quelques aspects essentiels.

 

L’ANNONCE DU RÈGNE DE DIEU

 

8. Evangélisateur, le Christ annonce tout d’abord un Règne de Dieu, tellement important que, par rapport à lui, tout devient « le reste », qui est « donné par surcroît » (Cf. Mt 6, 33). Seul le Règne est donc absolu et il relativise tout ce qui n’est pas lui. Le Seigneur se plaira à décrire sous mille formes diverses le bonheur d’ap­partenir à ce Règne, bonheur paradoxal fait de choses que le monde rejette (Cf. Mt 5, 3-12) ;  les exigences du Règne et sa charte (Cf. Mt 5-7), les hérauts du Règne (Cf. Mt 10), ses mystères (Cf. Mt 13), ses enfants (Mt 18), la vigilance et la fidélité demandées  à quiconque  attend son avènement définitif (Cf. Mt 24-25).

 

L’ANNONCE DU SALUT LIBÉRATEUR

 

9. Comme noyau et centre de sa Bonne Nouvelle, le Christ an­nonce le salut, ce grand don de Dieu est libération de tout ce qui opprime l’homme mais qui est surtout libération du péché et du Malin, dans la joie de connaître Dieu et d’être connu de lui, de le voir, d’être livré à lui. Tout cela commence durant la vie du Christ, est définitivement acquis par sa mort et sa résurrection, mais doit être patiemment conduit au cours de l’histoire, pour être pleinement réalisé au jour de l’Avènement définitif du Christ, dont nul ne sait quand il aura lieu, sauf le Père (Cf. Mt 24, 36 ; Ac 1, 7 ; 1 Th 5,1-2).

 

AU PRIX D’UN EFFORT CRUCIFIANT

 

10. Ce Règne et ce salut, mots-clés de l’évangélisation de Jé­sus-Christ, tout homme peut les recevoir comme grâce et misé­ricorde, et pourtant simultanément chacun doit les conquérir par la force — ils appartiennent aux violents, dit le Seigneur (Cf. Mt 11, 12 ; Lc 16, 16) — par la fatigue et la souffrance, par une vie selon l’Evangile, par le renoncement et la croix, par l’esprit des béatitudes. Mais, avant tout, chacun les conquiert moyennant un total renversement in­térieur que l’Evangile désigne sous le nom de metanoia, une con­version radicale, un changement profond du regard et du cœur (Cf. Mt 4, 17).

 

PRÉDICATION INFATIGABLE

 

11. Cette proclamation du Royaume de Dieu, le Christ l’accomplit par la prédication infatigable d’une parole dont on dira qu’elle ne trouve d’égale nulle part ailleurs : « Voilà un enseignement nouveau, donné avec autorité » (Mc 1, 27) ; « Et tous lui rendaient témoignage et étaient en admiration devant les paroles pleines de grâce qui sortaient de sa bouche » (Lc 4, 22) ; « Jamais homme n’a parlé comme cet homme ! » (Jn 7, 46). Ses paroles dévoilent le secret de Dieu, son dessein et sa promesse, et changent par là le cœur de l’homme et son destin.

 

AVEC DES SIGNES ÉVANGÉLIQUES

 

12. Mais il réalise également cette proclamation par d’innombrables signes qui font la stupeur des foules et en même temps les entraînent vers lui pour le voir, l’écouter et se laisser transformer par lui : malades guéris, eau changée en vin, pain multi­plié, morts qui reviennent à la vie. Et entre tous, le signe auquel il donne une grande importance : les petits les pauvres sont évangélisés, deviennent ses disciples, se réunissent « en son Nom » dans la grande communauté de ceux qui croient en lui. Car ce Jésus qui déclarait : « Je dois annoncer la bonne nouvelle du Royaume de Dieu » (Lc 4, 43), est le même Jésus dont Jean l’Evangéliste disait qu’il était venu et devait mourir « pour rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11, 52). Ainsi achève-t-il sa révélation, en la complétant et en la confirmant, par toute la manifestation qu’il fait de lui-même, par paroles et oeuvres, par signes et miracles, et plus particulièrement par sa mort, par sa résurrection et par l’envoi de l’Esprit de Vérité (Cf. Concile oecuménique Vatican II, Constitution dogmatique sur la Révé­lation divine Dei Verbum n. 4 : AAS 58, 1966, pp. 818-819).

 

POUR UNE COMMUNAUTÉ ÉVANGÉLISÉE ET ÉVANGÉLISATRICE

 

13. Ceux qui accueillent avec sincérité la Bonne Nouvelle, par la force de cet accueil et de la foi partagée, se réunissent donc au Nom de Jésus pour chercher ensemble le Règne, le construire, le vivre. Ils constituent une communauté qui est à son tour évangélisatrice. L’ordre donné aux Douze — « Allez, proclamez la Bonne Nouvelle » vaut aussi, quoique d’une façon différente, pour tous les chrétiens. C’est bien pour cela que Pierre appelle ces derniers « un peuple acquis en vue d’annoncer les merveilles » de Dieu (1 P 2, 9), ces mêmes merveilles que chacun a pu écouter dans sa propre langue (Cf. Ac 2, 11). Du reste, la Bonne Nouvelle du Règne qui vient et qui a com­mencé est pour tous les hommes de tous les temps. Ceux qui l’ont reçue, ceux qu’elle rassemble dans la communauté du salut, peuvent et doivent la communiquer et la diffuser.

 

EVANGÉLISATION, VOCATION PROPRE DE L’EGLISE

 

14. L’Eglise le sait. Elle a une vive conscience que la parole du Sauveur — « Je dois annoncer la bonne nouvelle du Royaume de Dieu » (Lc 4, 43) — s’applique en toute vérité à elle. Elle ajoute vo­lontiers avec Saint Paul : « Pour moi, évangéliser ce n’est pas un titre de gloire, c’est une obligation. Malheur à moi si je n’évangélise pas ! » (1 Co 9, 16). C’est avec joie et réconfort que Nous avons en­tendu, au terme de la grande assemblée d’octobre 1974, ces paroles lumineuses : « Nous voulons confirmer une fois de plus que la tâche d’évangéliser tous les hommes constitue la mission essen­tielle de l’Eglise » (Déclaration des Pères du Synode, n. 4 : L’Osservatore Romano, 27 octobre1974, p. 6), tâche et mission que les mutations vastes et profondes de la société actuelle ne rendent que plus urgentes. Evangéliser est, en effet, la grâce et la vocation propre de l’Eglise, son identité la plus profonde. Elle existe pour évangéliser, c’est-à-dire pour prêcher et enseigner, être le canal du don de la grâce, réconcilier les pécheurs avec Dieu, perpétuer le sacrifice du Christ dans la sainte messe, qui est le mémorial de sa mort et de sa ré­surrection glorieuse.

 

LIENS RÉCIPROQUES ENTRE L’EGLISE ET L’EvangElisation

 

15. Quiconque relit dans le Nouveau Testament les origines de l’Eglise suit pas à pas son histoire et la regarde vivre et agir, voit qu’elle est liée à l’évangélisation par ce qu’elle a de plus intime.

— L’Eglise naît de l’action évangélisatrice de Jésus et des Douze. Elle en est le fruit normal, voulu, le plus immédiat et le plus visible : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples » (Mt 28, 19). Or, « ceux qui accueillirent la Parole furent baptisés et environ trois mille se sont réunis à eux... Et le Seigneur augmen­tait tous les jours ceux qui embrassaient le Salut » (Ac 2, 41.47).

— Née par conséquent de la mission, l’Eglise est à son tour envoyée par Jésus. L’Eglise reste dans le monde lorsque le Sei­gneur de gloire retourne au Père. Elle reste comme un signe à la fois opaque et lumineux d’une nouvelle présence de Jésus, de son départ et de sa permanence. Elle le prolonge et le continue. Or, c’est avant tout sa mission et sa condition d’évangélisateur qu’elle est appelée à continuer (Cf. Concile oecuménique Vatican II, Constitution dogmatique sur l’Eglise Lumen Gentium, n. 8 : AAS 57, 1965, p. 1 ; Décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise Ad Gentes, n. 5 : AAS 58, 1966, pp. 951-952). Car la communauté des chré­tiens n’est jamais close en elle-même. En elle la vie intime — vie de prière, écoute de la Parole et de l’enseignement des Apôtres, charité fraternelle vécue, pain partagé (Cf. Ac 2, 42-46 ; 4, 32-35 ; 5, 12-16) — n’a tout son sens que lorsqu’elle devient témoignage, provoque l’admiration et la con­version, se fait prédication et annonce de la Bonne Nouvelle. C’est ainsi toute l’Eglise qui reçoit mission d’évangéliser, et l’œuvre de chacun est importante pour le tout.

— Evangélisatrice, l’Eglise commence par s’évangéliser elle-même. Communauté de croyants, communauté de l’espérance vé­cue et communiquée, communauté d’amour fraternel, elle a be­soin d’écouter sans cesse ce qu’elle doit croire, ses raisons d’espé­rer, le commandement nouveau de l’amour. Peuple de Dieu im­mergé dans le monde, et souvent tenté par les idoles, elle a toujours besoin d’entendre proclamer les grandes oeuvres de Dieu (Cf. Ac 2, 11 ; 1 P 2, 9) qui l’ont convertie au Seigneur, d’être à nouveau convoquée par lui et réunie. Cela veut dire, en un mot, qu’elle a toujours besoin d’être évangélisée, si elle veut garder fraîcheur, élan et force pour annoncer l’Evangile. Le Concile Vatican II a rappelé (Cf. Décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise Ad Gentes, nn. 5, 11-12 ; AAS 58, 1966, p. 951-952, 959-961) et le Sy­node de 1974 a fortement repris ce thème de l’Eglise qui s’évangélise par une conversion et une rénovation constantes, pour évangéliser le monde avec crédibilité.

— L’Eglise est dépositaire de la Bonne Nouvelle à annoncer. Les promesses de l’Alliance Nouvelle en Jésus-Christ, l’enseigne­ment du Seigneur et des Apôtres, la Parole de vie, les sources de la grâce et de la bénignité de Dieu, le chemin du salut, tout cela lui a été confié. C’est le contenu de l’Evangile, et donc de l’évangélisation, qu’elle garde comme un dépôt vivant et précieux, non pour le tenir caché mais pour le communiquer.

 

Envoyée et évangélisée, l’Eglise elle-même envoie des évangélisateurs. Elle met dans leur bouche la Parole qui sauve, elle leur explique le message dont elle-même est dépositaire, elle leur donne le mandat qu’elle-même a reçu et les envoie prêcher. Prê­cher non leurs propres personnes ou leurs idées personnelles (Cf. 2 Co 4, 5 ; St Augustin, Sermo XLVI, De Pastoribus :  CCL XLI, pp. 529-530), mais un Evangile dont ni eux ni elle ne sont maîtres et propriétaires absolus pour en disposer à leur gré, mais dont ils sont mi­nistres pour le transmettre avec une extrême fidélité.

 

L’EGLISE, INSÉPARABLE DU CHRIST

 

16. Il y a donc un lien profond entre le Christ, l’Eglise et l’évangélisation. Pendant ce « tempus Ecclesiae », c’est l’Eglise qui a la tâche d’évangéliser. Cette tâche ne s’accomplit pas sans elle, encore moins contre elle.

Il convient certes de le rappeler à un moment où, non sans douleur, Nous pouvons entendre des personnes, que Nous vou­lons croire bien intentionnées mais certainement désorientées dans leur esprit, répéter quelles prétendent aimer le Christ mais sans l’Eglise, écouter le Christ mais non l’Eglise, être au Christ mais en dehors de l’Eglise. L’absurde de cette dichotomie apparaît net­tement dans cette parole de l’Evangile : « Qui vous rejette, me rejette » (Lc 10, 16 ; cf. St Cyprien, De unitate Ecclesiae, 14 : PL 4, 527 ; St Augustin, Enarrat. 88, sermo. 2, 14 ; PL 37, 1140 ; St Jean Chrysostome, Hom. de capto Eutropio, 6 : PG 52, 402). Et comment vouloir aimer le Christ sans aimer l’Eglise, si le plus beau témoignage rendu au Christ est celui de Saint Paul : « Il a aimé l’Eglise, il s’est livré pour Elle » ? (Ep 5, 25).

 

II. Qu’est-ce qu’évangéliser ?

 

COMPLEXITÉ DE L’ACTION ÉVANGeLISATRICE

 

17. Dans l’action évangélisatrice de l’Eglise, il y a certainement des éléments et des aspects à retenir. Certains sont tellement im­portants que l’on aura tendance à les identifier simplement avec l’évangélisation. L’on a pu ainsi définir l’évangélisation en termes d’annonce du Christ à ceux qui l’ignorent, de prédication, de ca­téchèse de baptême et d’autres sacrements à conférer.

Aucune définition partielle et fragmentaire ne donne raison de la réalité riche, complexe et dynamique qu’est l’évangélisation, sinon au risque de l’appauvrir et même de la mutiler. Il est impossible de la saisir si l’on ne cherche pas à embrasser du regard tous ses éléments essentiels.

Ces éléments fortement soulignés au cours du Synode, on les approfondit souvent encore, ces temps-ci, sous l’influence du tra­vail synodal. Nous nous réjouissons de ce qu’ils se situent, au fond, dans la ligne de ceux que le Concile Vatican II nous a transmis, surtout dans les constitutions Lumen Gentium, Gaudium et Spes et dans le Décret Ad Gentes.

 

RENOUVELLEMENT DE L’HUMANITÉ

 

18. Evangéliser, pour l’Eglise, c’est porter la Bonne Nouvelle dans tous les milieux de l’humanité et, par son impact, transformer du dedans, rendre neuve l’humanité elle-même : « Voici que je fais l’univers nouveau ! » (Ap 21, 5 ; cf. 2 Co 5, 17 ; Ga 6, 15). Mais il n’y a pas d’humanité nouvelle s’il n’y a pas d’abord d’hommes nouveaux, de la nouveauté du baptême (Cf. Rm 6, 4) et de la vie selon l’Evangile (Cf. Ep 4, 23-24 ; Col 3, 3-10). Le but de l’évangélisation est donc bien ce changement intérieur et, s’il fallait le traduire d’un mot, le plus juste serait de dire que l’Eglise évangélise lorsque, par la seule puissance divine du Message qu’elle proclame (Cf. Rm 1, 16 ; 1 Co 1, 18 ; 2, 4), elle cherche à convertir en même temps la conscience personnelle et collective des hommes, l’activité dans laquelle ils s’engagent, la vie et le milieu concrets qui sont les leurs.

 

ET DES ZONES D’HUMANITÉ

 

19. Des zones d’humanité qui se transforment : pour l’Eglise il ne s’agit pas seulement de prêcher l’Evangile dans des tranches géographiques toujours plus vastes ou à des populations toujours plus massives, mais aussi d’atteindre et comme de bouleverser par la force de l’Evangile les critères de jugement, les valeurs déter­minantes, les points d’intérêt, les lignes de pensée, les sources ins­piratrices et les modèles de vie de l’humanité, qui sont en con­traste avec la Parole de Dieu et le dessein du salut.

 

EVANGÉLISATION DES CULTURES

 

20. Nous pourrions exprimer tout cela en disant : il importe d’évangéliser — non pas de façon décorative, comme par un ver­nis superficiel, mais de façon vitale, en profondeur et jusque dans leurs racines — la culture et les cultures de l’homme, dans le sens riche et large que ces termes ont dans Gaudium et Spes (Cf. n. 53 ; AAS 58, 1966, p. 1075), partant toujours de la personne et revenant toujours aux rapports des personnes entre elles et avec Dieu.

L’Evangile, et donc l’évangélisation, ne s’identifient certes pas avec la culture, et sont indépendants à l’égard de toutes les cul­tures. Et pourtant le Règne que l’Evangile annonce est vécu par des hommes profondément liés à une culture, et la construction du Royaume ne peut pas ne pas emprunter des éléments de la culture et des cultures humaines. Indépendants à l’égard des cul­tures, Evangile et évangélisation ne sont pas nécessairement in­compatibles avec elles, mais capables de les imprégner toutes sans s’asservir à aucune.

La rupture entre Evangile et culture est sans doute le drame de notre époque comme ce fut aussi celui d’autres époques. Aussi faut-il faire tous les efforts en vue d’une généreuse évangélisation de la culture, plus exactement des cultures. Elles doivent être ré­générées par l’impact de la Bonne Nouvelle. Mais cet impact ne se produira pas si la Bonne Nouvelle n’est pas proclamée.

 

IMPORTANCE PRIMORDIALE DU TÉMOIGNAGE DE VIE

 

21. L’Evangile doit être proclamé d’abord par un témoignage. Voici un chrétien ou un groupe de chrétiens qui, au sein de la communauté humaine dans laquelle ils vivent, manifestent leur capacité de compréhension et d’accueil, leur communion de vie et de destin avec les autres, leur solidarité dans les efforts de tous pour tout ce qui est noble et bon. Voici que, en outre, ils rayon­nent, d’une façon toute simple et spontanée, leur foi en des va­leurs qui sont au-delà des valeurs courantes, et leur espérance en quelque chose qu’on ne voit pas, dont on n’oserait pas rêver. Par ce témoignage sans paroles, ces chrétiens font monter, dans le cœur de ceux qui les voient vivre, des questions irrésistibles : Pourquoi sont-ils ainsi ? Pourquoi vivent-ils de la sorte ? Qu’est-ce — ou qui est-ce — qui les inspire? Pourquoi sont-ils au milieu de nous ? Un tel témoignage est déjà proclamation silencieuse mais très forte et efficace de la Bonne Nouvelle. Il y a là un geste initial d’évangélisation. Les questions que voilà seront peut-être les premières que se poseront beaucoup de non chrétiens, qu’ils soient des gens à qui le Christ n’avait jamais été annoncé, des baptisés non pratiquants, des gens qui vivent en chrétienté mais selon des principes nullement chrétiens, ou des gens qui cherchent, non sans souffrance, quelque chose ou Quelqu’un qu’ils devinent sans pouvoir le nommer. D’autres questions surgiront, plus profondes et plus engageantes, provoquées par ce témoignage qui comporte présence, participation, solidarité, et qui est un élé­ment essentiel, généralement le tout premier, dans l’évangélisation (Cf. Tertullien, Apologeticum, 39 : CCL I, pp. 150-153 ; Minucius Félix, Octavius, 9 et 31 ; CSLP, Turin 1963, pp. 11-13, 47-48).

A ce témoignage, tous les chrétiens sont appelés et peuvent être, sous cet aspect, de véritables évangélisateurs. Nous pensons spécialement à la responsabilité qui revient aux migrants dans les pays qui les reçoivent.

 

NÉCESSITÉ D’UNE ANNONCE EXPLICITE

 

22. Et cependant cela reste toujours insuffisant, car le plus beau témoignage se révélera à la longue impuissant s’il n’est pas éclairé, justifié — ce que Pierre appelait donner « les raisons de son espérance » (1 P 3, 15) —, explicité par une annonce claire, sans équi­voque, du Seigneur Jésus. La Bonne Nouvelle proclamée par le témoignage de vie devra donc être tôt ou tard proclamée par la parole de vie. Il n’y a pas d’évangélisation vraie si le nom, l’enseignement, la vie, les promesses, le Règne, le mystère de Jésus de Nazareth Fils de Dieu ne sont pas annoncés.

L’histoire de l’Eglise, depuis le discours de Pierre le matin de Pentecôte, s’entremêle et se confond avec l’histoire humaine, l’Egli­se, constamment travaillée par le désir d’évangéliser, n’a qu’une hantise : qui envoyer annoncer le mystère de Jésus ? Dans quel langage annoncer ce mystère ? Comment faire pour qu’il retentisse et arrive à tous ceux qui doivent l’écouter ? Cette annonce — kérygme, prédication ou catéchèse — prend une telle place dans l’évangélisation qu’elle en est souvent devenue synonyme. Elle n’en est cependant qu’un aspect.

 

POUR UNE ADHÉSION VITALE ET COMMUNAUTAIRE

 

23. L’annonce, en effet, n’acquiert toute sa dimension que lorsqu’elle est entendue, accueillie, assimilée et lorsqu’elle fait surgir dans celui qui l’a ainsi reçue une adhésion du cœur. Adhésion aux vérités que, par miséricorde, le Seigneur a révélées, oui. Mais plus encore, adhésion au programme de vie — vie désormais  transformée — qu’il propose. Adhésion, en un mot, au Règne, c’est-à-dire au « monde nouveau », au nouvel état de chose, à la nouvelle manière d’être, de vivre, de vivre ensemble, que l’Evangile inaugure. Une telle adhésion, qui ne peut pas demeurer abstraite et désincarnée, se révèle concrètement par une entrée palpable, visible, dans une communauté de fidèles. Ainsi donc, ceux dont la vie s’est transformée pénètrent dans une communauté qui est elle-même signe de la transformation, signe de la nouveauté de vie : c’est l’Eglise, sacrement visible du salut (Cf. Concile oecuménique Vatican II, Constitution dogmatique sur l’Eglise Lumen Gentium, nn. 1, 9 et 48 : AAS 57, 1965, pp. 5, 12-14, 53-54 ; Constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et Spes, nn. 42 et 45 : AAS 58, 1966, pp. 1060-1061, 1065-1066 ; Décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise Ad Gentes, nn. 1 et 5 : AAS 58 1966, pp. 947, 951-952). Mais à son tour, l’entrée dans la communauté ecclésiale s’exprimera à travers beaucoup d’autres signes qui prolongent et déploient le signe de l’Eglise. Dans le dynamisme de l’évangélisation, celui qui accueille l’Evangile comme Parole qui sauve (Cf. Rm 1, 16 ; 1 Co 1, 18) le traduit normalement en ces gestes sacrements qui manifestent et soutiennent cette adhésion, par la grâce qu’ils confèrent.

 

ENTRAÎNANT UN NOUVEL APOSTOLAT

 

24. Finalement, celui qui a été évangélisé évangélise  à  son tour. C’est là le test de vérité, la pierre de touche de l’évangéli­sation : il est impensable qu’un homme ait accueilli la Parole et se soit donné au Règne sans devenir quelqu’un qui témoigne et annonce à son tour.

Au terme de ces considérations sur le sens de l’évangélisation, une dernière observation, que Nous estimons éclairante pour les réflexions qui suivent, doit être formulée.

L’évangélisation, avons-Nous dit, est une démarche complexe, aux éléments variés : renouveau de l’humanité, témoignage, annonce explicite, adhésion du cœur, entrée dans la communauté, accueil des signes, initiative d’apostolat. Ces éléments peuvent apparaître contrastants, voire exclusifs. Ils sont en réalité complémentaires et mutuellement enrichissants. Il faut toujours envisager chacun d’eux dans son intégration aux autres. La valeur du récent Synode a été de nous avoir constamment invités à composer ces éléments, plutôt qu’à les opposer entre eux, pour avoir la pleine compréhen­sion de l’activité évangélisatrice de l’Eglise.

C’est cette vision globale que Nous voulons maintenant expo­ser, en examinant le contenu de l’évangélisation, les moyens d’évangéliser, en précisant à qui s’adresse l’annonce évangélique et qui en a aujourd’hui la charge.

 

III. Le contenu de l’évangélisation

 

CONTENU ESSENTIEL ET ÉLÉMENTS SECONDAIRES

 

25. Dans le message que l’Eglise annonce, il y a certes beau­coup d’éléments secondaires. Leur présentation dépend fortement des circonstances changeantes. Ils changent aussi. Mais il y a le contenu essentiel, la substance vivante, qu’on ne pourrait modi­fier ni passer sous silence sans dénaturer gravement l’évangéli­sation elle-même.

 

TÉMOIGNAGE RENDU À L’AMOUR DU PÈRE

 

26. Il n’est pas superflu de le rappeler : évangéliser est tout d’abord témoigner, de façon simple et directe, du Dieu révélé par Jésus-Christ, dans l’Esprit Saint. Témoigner que dans son Fils il a aimé le monde ; que dans son Verbe Incarné il a donné l’être à toute chose et a appelé les hommes à la vie éternelle. Cette at­testation de Dieu rejoindra peut-être pour beaucoup le Dieu inconnu (Cf. Ac 17, 22-23) qu’ils adorent sans lui donner un nom, ou qu’ils cher­chent par un appel secret du cœur lorsqu’ils font l’expérience de la vacuité de toutes les idoles. Mais elle est pleinement évangélisatrice en manifestant que, pour l’homme, le Créateur n’est pas une puissance anonyme et lointaine : il est Père. « Nous som­mes appelés fils de Dieu, nous le sommes effectivement » (1 Jn 3, 1 ; cf. Rm 8, 14-17) et nous sommes donc frères les uns des autres en Dieu.

 

AU CENTRE DU MESSAGE : LE SALUT EN JÉSUS-CHRIST

 

27. L’évangélisation contiendra aussi toujours — base, centre et sommet a la fois de son dynamisme — une claire proclamation que, en Jésus-Christ, le Fils de Dieu fait homme, mort et res­suscité, le salut est offert à tout homme, comme don de grâce et miséricorde de Dieu (Cf. Ep 2, 8 ; Rm 1, 16. Cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Declaratio ad fidem tuendam in mysteria Incarnationis et SS. Trinitatis a quibusdam recentibus erroribus (21 février 1972) : AAS 64, 1972, pp. 237-241). Et non pas un salut immanent, à la mesure des besoins matériels ou même spirituels s’épuisant dans le cadre de l’existence temporelle et s’identifiant totalement avec les dé­sirs, les espoirs, les affaires et les combats temporels, mais un salut qui déborde toutes ces limites pour s’accomplir dans une communion avec le seul Absolu, celui de Dieu : salut transcendant, eschatologique, qui a certes son commencement en cette vie, mais qui s’accomplit dans l’éternité.

 

SOUS LE SIGNE DE L’ESPÉRANCE

 

28. L’évangélisation par conséquent ne peut pas ne pas con­tenir l’annonce prophétique d’un au-delà, vocation profonde et définitive de l’homme à la fois en continuité et en discontinuité avec la situation présente : au-delà du temps et de l’histoire, au-delà, de la réalité de ce monde dont la figure passe, et des choses de ce monde dont une dimension cachée se manifestera un jour ; au-delà de l’homme lui-même dont le véritable destin ne s’épuise pas dans son visage temporel mais sera révélé dans la vie future (Cf. 1 Jn 3, 2 ; Rm 8, 29 ; Ph 3, 20-21. Cf. Concile oecuménique Vatican II, Constitution dogmatique sur l’Église Lumen Gentium, nn. 48-51 : AAS 57, 1965, pp. 53-58). L’évangélisation contient donc aussi la prédication de l’espérance dans les promesses faites par Dieu dans la nouvelle alliance en Jésus-Christ ; la prédication de l’amour de Dieu envers nous et de notre amour pour Dieu ; la prédication de l’amour fraternel pour tous les hommes — capacité de don et de pardon, de re­noncement, d’aide aux frères — qui, dérivant de l’amour de Dieu, est le noyau de l’Evangile ; la prédication du mystère du mal et de la recherche active du bien. Prédication, également, et celle-ci est toujours urgente, de la recherche de Dieu lui-même à travers la prière surtout d’adoration et d’action de grâces, mais aussi à tra­vers la communion avec ce signe visible de la rencontre de Dieu qu’est l’Eglise de Jésus-Christ, et cette communion s’exprime à son tour par la mise en oeuvre de ces autres signes du Christ vi­vant et agissant dans l’Eglise que sont les sacrements. Vivre de la sorte les sacrements, de façon à mener leur célébration à une véritable plénitude, n’est pas, comme certains le prétendraient, mettre un obstacle à l’évangélisation ou en accepter une déviation, c’est lui donner toute son ampleur. Car la totalité de l’évangéli­sation au-delà de la prédication d’un message, consiste à implanter l’Eglise, laquelle n’existe pas sans cette respiration qu’est la vie sacramentelle culminant dans l’Eucharistie (Cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Dedaratio circa Catholicam Doctrinam de Ecclesia contra nonnullos errores hodiernos tuendam (24 juin 1973) : AAS 65, 1973, pp. 396-408).

 

MESSAGE CONCERNANT TOUTE LA VIE

 

29. Mais l’évangélisation ne serait pas complète si elle ne lait pas compte des rapports concrets et permanents qui existent entre l’Evangile et la vie, personnelle et sociale, de l’homme. C’est pourquoi l’évangélisation comporte un message explicite, adapté aux diverses situations, constamment actualisé, sur les droits et les devoirs de toute personne humaine, sur la vie fami­liale sans laquelle l’épanouissement personnel n’est guère possi­ble (Cf. Concile oecuménique Vatican II, Constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps, Gaudium et Spes, nn. 47-52 : AAS 58, 1966, pp. 1067-1074 ; Paul VI, Encyclique Humanae vitæ : AAS 60 1968, pp. 481-503), sur la vie en commun dans la société, sur la vie internationale, la paix la justice, le développement ; un message particuliè­rement vigoureux de nos jours sur la libération.

 

UN MESSAGE DE LIBÉRATION

 

30. On sait en quels termes en ont parlé, au récent Synode, de nombreux Evêques de tous les continents, surtout les Evêques du Tiers-Monde, avec un accent pastoral où vibrait la voix de millions de fils de l’Eglise qui forment ces peuples. Peuples en­gagés, avec toute leur énergie, dans l’effort et le combat de dé­passement de tout ce qui les condamne à rester en marge de la vie : famines, maladies chroniques, analphabétisme, paupérisme, injustices dans les rapports internationaux et spécialement dans les échanges commerciaux, situations de néo-colonialisme économique et culturel parfois aussi cruel que l’ancien colonialisme politique. L’Eglise, ont répété les Evêques, a le devoir d’annoncer la libération de millions d’êtres humains, beaucoup d’entre eux étant ses propres enfants; le devoir d’aider cette libération à naître, de témoigner pour elle, de faire qu’elle soit totale. Cela n’est pas étranger à l’évangélisation.

 

EN RAPPORT NÉCESSAIRE AVEC LA PROMOTION HUMAINE

 

31. Entre évangélisation et promotion humaine — développement, libération — il y a en effet des liens profonds. Liens d’ordre anthropologique, parce que l’homme à évangéliser n’est pas un être abstrait, mais qu’il est sujet aux questions sociales et économiques. Liens d’ordre théologique, puisqu’on ne peut pas dissocier le plan de la Rédemption qui, lui, atteint les situations très concrètes de l’injustice à combattre et de la Justice à restaurer. Liens de cet ordre éminemment évangélique qui est celui de la charité : comment en effet proclamer le commandement nouveau sans promouvoir dans la justice et la paix la véritable, l’authentique croissance de l’homme ? Nous avons tenu à le signaler Nous-même en rappelant qu’il est impossible d’accepter « que l’œuvre d’évangélisation puisse ou doive négliger les questions extrêmement graves, tellement agitées aujourd’hui, concernant la justice, la libération, le développement, et la paix dans le monde. Si cela arrivait, ce serait ignorer la doctrine de l’Evangile sur l’amour envers le prochain qui souffre ou est dans le besoin » (Allocution pour l’ouverture de la troisième Assemblée générale du Synode des Evêques (27 Septembre 1974) : AAS 66, 1974, p. 562).

Eh bien, les mêmes voix qui avec zèle, intelligence et courage, ont abordé au cours du Synode ce thème brûlant, ont, à notre grande joie, fourni les principes illuminateurs pour bien saisir la portée et le sens profond de la libération telle que l’a annoncée et réalisée Jésus de Nazareth et telle que l’Eglise la prêche.

 

SANS RÉDUCTION NI AMBIGUÏTÉ

 

32. Il ne faut pas nous cacher, en effet, que beaucoup de chrétiens généreux, sensibles aux questions dramatiques que re­couvre le problème de la libération, en voulant engager l’Eglise dans l’effort de libération, ont fréquemment la tentation de réduire sa mission aux dimensions d’un projet simplement temporel ; ses buts à une visée anthropocentrique ; le salut dont elle est mes­sagère et sacrement, à un bien-être matériel ; son activité, oubliant toute préoccupation spirituelle et religieuse, à des initiatives d’or­dre politique ou social. Mais s’il en était ainsi, l’Eglise perdrait sa signification foncière. Son message de libération n’aurait plus aucune originalité et finirait par être facilement accaparé et ma­nipulé par des systèmes idéologiques et des partis politiques. Elle n’aurait plus d’autorité pour annoncer, comme de la part de Dieu, la libération. C’est pourquoi Nous avons voulu souligner dans la même allocution à l’ouverture de la troisième Assemblée synodale « la nécessité de réaffirmer clairement la finalité spécifiquement religieuse de l’évangélisation. Cette dernière perdrait sa raison d’être si elle s’écartait de l’axe religieux qui la dirige : le Règne de Dieu avant toute autre chose, dans son sens pleinement théolo­gique » (Ibid.).

 

LA LIBÉRATION ÉVANGÉLIQUE

 

33. De la libération que l’évangélisation annonce et s’efforce de mettre en oeuvre, il faut dire plutôt :

— elle ne peut pas se cantonner dans la simple et restreinte dimension économique, politique, sociale ou culturelle, mais elle doit viser l’homme tout entier, dans toutes ses dimensions, jusque et y compris dans son ouverture vers l’absolu, même l’Absolu de Dieu ;

— elle est donc rattachée à une certaine conception de l’hom­me, à une anthropologie qu’elle ne peut jamais sacrifier aux exi­gences d’une quelconque stratégie, d’une praxis ou d’une effica­cité à court terme.

 

AXÉE SUR LE RÈGNE DE DIEU

 

34. C’est pourquoi, en prêchant la libération et en s’associant à ceux qui oeuvrent et souffrent pour elle, l’Eglise — sans ac­cepter de circonscrire sa mission au seul domaine du religieux, en se désintéressant des problèmes temporels de l’homme — réaffirme la primauté de sa vocation spirituelle, elle refuse de remplacer l’annonce du Règne par la proclamation des libérations humaines, et elle proclame-que même sa contribution à la libération est incomplète si elle néglige d’annoncer le salut en Jésus-Christ.

 

SUR UNE VISION ÉVANGÉLIQUE DE L’HOMME

 

35. L’Eglise rapproche mais n’identifie jamais libération hu­maine et salut en Jésus-Christ, car elle sait par révélation, par expérience historique et par réflexion de foi que toute notion de libération n’est pas forcément cohérente et compatible avec une vision évangélique de l’homme, des choses et des événements ; elle sait qu’il ne suffit pas d’instaurer la libération, de créer le bien-être et le développement, pour que le Règne de Dieu arrive.

Bien plus, l’Eglise a la ferme conviction que toute libération temporelle, toute libération politique — même si elle s’efforce de trouver sa justification dans telle ou telle page de l’Ancien ou du Nouveau Testament, même si elle réclame pour ses postulats idéologiques et ses normes d’action l’autorité des données et des conclusions théologiques, même si elle prétend être la théologie pour aujourd’hui — porte en elle-même le germe de sa propre négation et déchoit de l’idéal qu’elle se propose, tant que ses motifs profonds ne sont pas ceux de la justice dans la charité, tant que l’élan qui l’entraîne n’a pas de dimension vraiment spirituelle et que son but final n’est pas le salut et la béatitude en Dieu.

 

COMPORTANT UNE NÉCESSAIRE CONVERSION

 

36. L’Eglise tient certes comme important et urgent de bâtir des structures plus humaines, plus justes, plus respectueuses des droits de la personne, moins oppressives et moins asservissantes, mais elle est consciente que les meilleures structures, les systèmes les mieux conçus deviennent vite inhumains si les pentes inhu­maines du cœur de l’homme ne sont pas assainies, s’il n’y a pas une conversion du cœur et du regard de ceux qui vivent dans ces structures ou les commandent.

 

EXCLUANT LA VIOLENCE

 

37. L’Eglise ne peut pas accepter la violence, surtout la force des armes — incontrôlable lorsqu’elle se déchaîne — et la mort de qui que ce soit, comme chemin de libération, car elle sait que la violence appelle toujours la violence et engendre irrésistiblement de nouvelles formes d’oppression et d’esclavage souvent plus lour­des que celles dont elle prétendait libérer. Nous l’avons dit clai­rement au cours de notre voyage en Colombie : « Permettez enfin que Nous vous exhortions à ne pas mettre votre confiance dans la violence et dans la révolution ; c’est contraire à l’esprit chrétien, et cela peut aussi retarder, et non favoriser, l’élévation sociale à laquelle vous aspirez  à bon droit » (Allocution aux « Campesinos » (23 août 1968) : AAS 60, 1968, p. 623). « Nous  devons dire et réaffirmer que la violence n’est ni chrétienne ni évangélique et que les changements brusques ou violents des structures seraient fallacieux, inefficaces en eux-mêmes et certainement non conformes à la dignité du peuple » (Paul VI, Allocution prononcée à Bogota, pour la « Journée du Développe­ment » (23 août 1968) : AAS 60, 1968, p. 627 ; cf. St Augustin, Epistola 229, 2 : PL 33, 1020).

 

CONTRIBUTION SPÉCIFIQUE DE L’EGLISE

 

38. Ceci dit, Nous nous réjouissons que l’Eglise prenne une conscience toujours plus vive de la façon propre, foncièrement évangélique, qu’elle a de collaborer à la libération des hommes. Et que fait-elle ? Elle cherche de plus en plus à susciter de nom­breux chrétiens qui se donnent à la libération des autres. Elle fournit à ces chrétiens « libérateurs » une inspiration de foi, une motivation d’amour fraternel, un enseignement social auquel le vrai chrétien ne peut pas ne pas être attentif mais qu’il doit poser à la base de sa sagesse et de son expérience pour le traduire con­crètement en des catégories d’action, de participation et d’engagement. Tout cela, sans se confondre avec des attitudes tactiques ni avec le service d’un système politique, doit caractériser l’élan du chrétien engagé. L’Eglise s’efforce d’insérer toujours le combat chrétien pour la libération dans le dessein global du salut qu’elle annonce elle-même.

Ce que Nous venons de rappeler ici émerge plus d’une fois dans les débats du Synode. Nous avions d’ailleurs voulu consacrer à ce thème quelques mots d’éclaircissement dans l’allocution que Nous adressions aux Pères à l’issue de l’Assemblée (Allocution pour la clôture de la troisième Assemblée générale du Synode des Evêques (26 octobre 1974) : AAS 66, 1974, p. 637).

Toutes ces considérations devraient aider, il faut l’espérer, à éviter l’ambiguïté que revêt très souvent le mot « libération » dans les idéologies, les systèmes ou les groupes politiques. La libération que proclame et prépare l’évangélisation est celle que le Christ lui-même a annoncée à l’homme par son sacrifice.

 

LA LIBERTÉ RELIGIEUSE

 

39. De cette juste libération liée à l’évangélisation, qui cher­che précisément à réaliser des structures sauvegardant la liberté humaine, on ne peut séparer la nécessité d’assurer tous les droits fondamentaux de l’homme, parmi lesquels la liberté religieuse tient une place de première importance. Nous avons récemment parlé de l’actualité de ce problème, en relevant « combien de chrétiens, aujourd’hui encore sont étouffés par une oppression systématique parce qu’ils sont chrétiens, parce qu’ils sont catho­liques ! Le drame de la fidélité au Christ et de la liberté religieuse continue, même s’il est camouflé derrière des déclarations caté­goriques en faveur des droits de la personne humaine et de la société » (Allocution à l’Audience générale du 15 octobre 1975 : cf. L’Osservatore Romano du 17 octobre 1975, p. 1).

 

IV. Les voies de l’évangélisation

 

A LA RECHERCHE DE MOYENS ADAPTÉS

 

40. L’importance évidente du contenu de l’évangélisation ne doit pas cacher l’importance des voies et des moyens.

Cette question du « comment évangéliser » reste toujours ac­tuelle parce que les façons d’évangéliser varient suivant les di­verses circonstances de temps, de lieu, de culture, et qu’elles of­frent par là un certain défi à notre capacité de découvrir et d’adapter.

A nous spécialement, Pasteurs dans l’Eglise, incombe le souci de recréer avec audace et sagesse, en toute fidélité à son contenu, les modes les plus adaptés et les plus efficaces pour communiquer le message évangélique aux hommes de notre temps. Qu’il Nous suffise, dans cette réflexion, de rappeler quelques voies qui, pour une raison ou pour une autre, ont une importance fondamentale.

 

LE TÉMOIGNAGE DE LA VIE

 

41. Et d’abord, sans répéter tout ce que Nous avons déjà rappelé plus haut, il est bon de souligner ceci : pour l’Eglise, le témoignage d’une vie authentiquement chrétienne, livrée à Dieu dans une communion que rien ne doit interrompre mais également donnée au prochain avec un zèle sans limite, est le premier moyen d’évangélisation. « L’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres — disions-Nous récemment à un groupe de laïcs — ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins » (Allocution aux membres du Conseil des Laïcs (2 octobre 1974) : AAS 66, 1974, p. 508). Saint Pierre l’exprimait bien lorsqu’il évo­quait le spectacle d’une vie pure et respectueuse, « gagnant sans paroles même ceux qui refusent de croire à la Parole » (Cf. 1 P 3, 1). C’est donc par sa conduite, par sa vie, que l’Eglise évangélisera tout d’abord le monde, c’est-à-dire par son témoignage vécu de fidélité au Seigneur Jésus, de pauvreté et détachement de liberté face aux pouvoirs de ce monde en un mot, de sainteté.

 

UNE PRÉDICATION VIVANTE

 

42. Il n’est pas superflu de souligner, ensuite la portée et la nécessité de la prédication. « Comment croire sans l’avoir entendu? Et comment entendre sans prédicateur ? (...) Car la foi naît de la prédication et la prédication se fait par la parole du Christ » (Rm 10, 14.17). Cette loi posée un jour par l’Apôtre Paul garde encore aujourd’hui toute sa force.

Oui, elle est toujours indispensable, la prédication, cette procla­mation verbale d’un message. Nous savons bien que l’homme mo­derne rassasié de discours se révèle souvent fatigué d’entendre et, pire encore, immunisé contre la parole. Nous connaissons aussi les idées de nombreux psychologues et sociologues, lesquels af­firment que l’homme moderne a dépassé la civilisation du verbe, désormais inefficace et inutile, et qu’il vit aujourd’hui dans la civilisation de l’image. Ces faits devraient nous pousser, certes, à mettre en oeuvre dans la transmission du message évangélique les moyens modernes suscités par cette civilisation. Des efforts très valables, d’ailleurs, ont été déjà accomplis dans cette ligne. Nous ne pouvons que les louer et les encourager pour qu’ils se développent encore davantage. La fatigue que provoquent aujour­d’hui tant de discours vides et l’actualité de bien d’autres formes de communication ne doivent cependant pas diminuer la vertu permanente de la parole ni faire perdre confiance en elle. La parole reste toujours actuelle, surtout lorsqu’elle est porteuse de la puissance de Dieu (Cf. 1 Co 2, 1-5). C’est pourquoi reste lui aussi d’actualité l’axiome de Saint-Paul : « La foi vient de ce qu’on entend » (Rm 10, 17) : c’est la Parole entendue qui conduit à croire.

 

LITURGIE DE LA PAROLE

 

43. Cette prédication évangélisatrice prend plusieurs formes que le zèle inspirera de recréer presque à l’infini. Ils sont effecti­vement innombrables, les événement de la vie et les situations humaines qui offrent l’occasion d’une annonce discrète mais mar­quante de ce que le Seigneur a à dire dans cette circonstance. Il suffit d’avoir une vraie sensibilité spirituelle pour lire dans les événements le message de Dieu. Mais, à un moment où la liturgie renouvelée par le Concile a beaucoup valorisé la « liturgie de la Parole », ce serait une erreur de ne pas voir dans l’homélie un instrument valable et très adapté d’évangélisation. Il faut certes connaître et mettre à profit les exigences et les possibilités de l’homélie pour qu’elle acquière toute son efficacité pastorale. Mais il faut surtout en être convaincu et s’y donner avec amour. Cette prédication singulièrement insérée dans la célébration eucharisti­que, dont elle reçoit force et vigueur particulières, a certainement un rôle spécial dans l’évangélisation, dans la mesure où elle ex­prime la foi profonde du ministre sacré qui prêche et où elle est imprégnée d’amour. Les fidèles rassemblés pour être une Eglise pascale célébrant la fête du Seigneur présent au milieu d’eux at­tendent beaucoup de cette prédication et de fait en reçoivent beaucoup de fruits, pourvu qu’elle soit simple, claire, directe, adaptée, profondément attachée à l’enseignement évangélique et fidèle au Magistère de l’Eglise, animée d’une ardeur apostolique équilibrée qui lui vient de son caractère propre, pleine d’espé­rance, nourrissante pour la foi, génératrice de paix et d’unité. Maintes communautés paroissiales ou autres vivent et se conso­lident grâce à l’homélie de chaque dimanche, lorsqu’elle a ces qualités.

Ajoutons que, grâce au même renouvellement de la liturgie, la célébration eucharistique n’est pas le seul moment approprié pour l’homélie. Celle-ci trouve sa place et ne doit pas être négligée dans la célébration de tous les sacrements, ou encore au cours de para-liturgies, dans le cadre d’assemblées de fidèles. Elle sera toujours une occasion privilégiée pour communiquer la Parole du Seigneur.

 

LA CATÉCHÈSE

 

44. Une voie à ne pas négliger dans l’évangélisation est celle de l’enseignement catéchétique. L’intelligence, surtout celle des enfants et des adolescents, a besoin d’apprendre, moyennant un enseignement religieux systématique, les données fondamentales, le contenu vivant de la vérité que Dieu a voulu nous transmettre et que l’Eglise a cherché à exprimer de façon toujours plus riche, au cours de sa longue histoire. Que cet enseignement doive être donné pour éduquer des habitudes de vie chrétienne et non pour demeurer seulement intellectuel, personne ne contestera. Assuré­ment, l’effort d’évangélisation gagnera beaucoup, au plan de l’en­seignement catéchétique donné à l’église, dans les écoles là où cela est possible, en tout cas dans les foyers chrétiens, si les caté­chèses disposent de textes appropriés, mis à jour avec sagesse et compétence, sous l’autorité des Evêques. Les méthodes devront être adaptées à l’âge, à la culture, à la capacité des personnes, en cherchant toujours à fixer dans la mémoire, l’intelligence et le cœur, les vérités essentielles qui devront imprégner la vie tout entière. Il faut surtout préparer de bons catéchètes — catéchistes paroissiaux, instituteurs, parents — soucieux de se perfectionner dans cet art supérieur, indispensable et exigeant de l’enseignement religieux. D’ailleurs, sans qu’il faille négliger en quoi que ce soit la formation des enfants, on observe que les conditions actuelles rendent toujours plus urgent l’enseignement catéchéti­que, sous la forme d’un catéchuménat, pour de nombreux jeunes et adultes qui, touchés par la grâce, découvrent peu à peu le vi­sage du Christ et éprouvent le besoin de se donner à Lui.

 

UTILISATION DES MASS MEDIA

 

45. Dans notre siècle marqué par les mass média ou moyens de communication sociale, la première annonce, la catéchèse ou l’approfondissement ultérieur de la foi, ne peuvent pas se passer de ces moyens, comme Nous l’avons déjà souligné.

Mis au service de l’Evangile, ils sont capables d’étendre pres­que à infini le champ d’écoute de la Parole de Dieu, et ils font arriver la Bonne Nouvelle à des millions de personnes. L’Eglise se sentirait coupable devant son Seigneur si elle ne mettait pas en oeuvre ces puissants moyens que l’intelligence humaine rend chaque jour plus perfectionnés. C’est par eux qu’elle « proclame sur les toits » (Cf. Mt 10, 27 ; Lc 12, 3) le message dont elle est dépositaire. En eux elle trouve une version moderne et efficace de la chaire. Grâce à eux elle réussit à parler aux masses.

Cependant l’usage des moyens de communication sociale pour l’évangélisation présente un défi : c’est que le message évangélique devrait, à travers eux, arriver à des foules d’hommes, mais avec la capacité de percer la conscience de chacun, de se déposer dans le cœur de chacun comme s’il était unique, avec tout ce qu’il a de plus singulier et personnel, et de recueillir en faveur une adhésion, un engagement tout à fait personnels.

 

INDISPENSABLE CONTACT PERSONNEL

 

46. C’est pourquoi, à côté de cette proclamation de l’Evangile  sous forme générale, l’autre forme de sa transmission, de personne à personne, reste valide et importante. Le Seigneur l’a souvent pratiquée — les conversations avec Nicodème, Zachée, la Samaritaine, Simon le pharisien, par exemple, l’attestent —, les Apôtres aussi. Y aurait-il au fond une autre manière de livrer l’Evangile, que de transmettre à un autre sa propre expérience de la foi ? Il ne faudrait pas que l’urgence d’annoncer la Bonne Nouvelle aux masses d’hommes fasse oublier cette forme d’annonce par laquelle la conscience personnelle d’un homme est atteinte, touchée par une parole tout à fait extraordinaire qu’il reçoit d’un autre. Nous ne saurions dire le bien fait par les prêtres qui, à travers le sacrement de la pénitence ou à travers le dialogue pastoral, se montrent prêts à guider les personnes dans les voies de l’Evangile, à les affermir dans leur effort, à les relever si elles sont tombées, à les assister toujours avec discerne­ment et disponibilité.

 

LE RÔLE DES SACREMENTS

 

47. Par ailleurs, on n’insistera jamais assez sur le fait que l’évangélisation ne s’épuise pas dans la prédication et l’enseigne­ment d’une doctrine. Car elle doit atteindre la vie : la vie natu­relle à laquelle elle donne sens nouveau, grâce aux perspectives évangéliques qu’elle lui ouvre ; et la vie surnaturelle, qui n’est pas la négation, mais la purification et l’élévation de la vie na­turelle.

Cette vie surnaturelle trouve son expression vivante dans les sept sacrements et dans l’admirable rayonnement de grâce et de sainteté qui est le leur.

L’évangélisation déploie ainsi toute sa richesse lorsqu’elle réa­lise la liaison la plus intime, et mieux encore une intercommu­nication jamais interrompue, entre la parole et les sacrements. En un certain sens, c’est une équivoque que d’opposer, comme on le fait parfois, l’évangélisation à la sacramentalisation. Il est bien vrai qu’une certaine façon de conférer les sacrements, sans un solide appui de la catéchèse de ces mêmes sacrements et d’une catéchèse globale, finirait par les priver en grande partie de leur efficacité. Le rôle de l’évangélisation est précisément d’éduquer tellement dans la foi qu’elle conduise chaque chrétien à vivre — et non à recevoir passivement ou à subir — les sa­crements comme de véritables sacrements de la foi.

 

LA PIÉTÉ POPULAIRE

 

48. Ici Nous touchons à un aspect de l’évangélisation qui ne peut pas laisser insensible. Nous voulons parler de cette réalité que l’on désigne souvent aujourd’hui du terme de religiosité populaire.

Aussi bien dans les régions où l’Eglise est implantée depuis des siècles que là où elle est en voie d’implantation, on trouve chez le peuple des expressions particulières de la recherche de Dieu et de la foi. Regardées longtemps comme moins pures, quel­quefois dédaignées, ces expressions font aujourd’hui un peu partout l’objet d’une redécouverte. Les Evêques en ont approfondi la signi­fication, au cours du récent Synode, avec un réalisme pastoral et un zèle remarquables.

La religiosité populaire, on peut le dire, a certainement ses li­mites. Elle est fréquemment ouverte à la pénétration de maintes déformations de la religion, voire de superstitions. Elle reste sou­vent au niveau de manifestations culturelles sans engager une véritable adhésion de foi. Elle peut même mener à la formation de sectes et mettre en danger la vraie communauté ecclésiale.

Mais si elle est bien orientée, surtout par une pédagogie d’évangélisation, elle est riche de valeurs. Elle traduit une soif de Dieu que seuls les simples et les pauvres peuvent connaître. Elle rend capable de générosité et de sacrifice jusqu’à l’héroïsme, lorsqu’il s’agit de manifester la foi. Elle comporte un sens aigu d’attributs profonds de Dieu : la paternité, la providence, la présence amou­reuse et constante. Elle engendre des attitudes intérieures rarement observées ailleurs au même degré : patience, sens de la croix dans la vie quotidienne, détachement, ouverture aux autres, dévotion. En raison de ces aspects, Nous l’appelions volontiers « piété populaire », c’est-à-dire religion du peuple, plutôt que religiosité.

La charité pastorale doit dicter, à tous ceux que le Seigneur a placés comme chefs de communautés ecclésiales, les normes de conduite à l’égard de cette réalité, à la fois si riche et si menacée. Avant tout, il faut y être sensible, savoir percevoir ses dimen­sions intérieures et ses valeurs indéniables, être disposé à l’aider à dépasser ses risques de déviation. Bien orientée, cette religiosité populaire peut être de plus en plus, pour nos masses populaires, une vraie rencontre avec Dieu en Jésus-Christ.

 

V. Les destinataires de l’évangélisation

 

UNE DESTINATION UNIVERSELLE

 

49. Les dernières paroles de Jésus dans l’Evangile de Marc confèrent à l’évangélisation, dont le Seigneur charge les Apôtres, une universalité sans frontières : « Allez par le monde entier, pro­clamez l’Evangile à toutes les créatures » (Mc 16, 15).

Les Douze et la première génération de chrétiens ont bien compris la leçon de ce texte et d’autres semblables ; ils en ont fait un programme d’action. La persécution elle-même, en disper­sant les Apôtres, a contribué à disséminer la Parole et à implan­ter l’Eglise dans des régions toujours plus lointaines. L’admis­sion de Paul au rang des Apôtres et son charisme de prédicateur de l’Avènement de Jésus-Christ aux païens — non juifs — a encore souligné l’universalisme.

 

MALGRÉ TOUS LES OBSTACLES

 

50. Au long de vingt siècles d’histoire, les générations chrétiennes ont affronté périodiquement divers obstacles à cette mission universaliste. D’un côté, de la part des évangélisateurs eux-mêmes, la tentation de rétrécir sous différents prétextes leur champ d’action missionnaire. D’autres part, les résistances souvent humaine­ment insurmontables de ceux à qui s’adresse l’évangélisateur. Par ailleurs, Nous devons constater avec tristesse que l’œuvre évangélisatrice de l’Eglise est fortement contrariée, sinon empêchée, par des pouvoirs publics. Il se trouve, même de nos jours, que des annonciateurs de la Parole de Dieu soient privés de leurs droits, persécutés, menacés, éliminés pour le seul fait de prêcher Jésus-Christ et son Evangile. Mais Nous avons confiance que malgré ces épreuves douloureuses l’œuvre de ces apôtres ne fera finalement défaut en aucune région du monde.

En dépit de telles adversités, l’Eglise ranime toujours son ins­piration la plus profonde, celle qui lui vient directement du Maître : Au monde entier ! A toute créature ! Jusqu’aux extrémités de la terre! Elle l’a fait de nouveau au récent Synode, comme un appel à ne pas emprisonner l’annonce évangélique en la limi­tant à un secteur de l’humanité, ou à une classe d’homme ou à un seul type de culture. Quelques exemples pourraient être ré­vélateurs.

 

PREMIÈRE ANNONCE À CEUX QUI SONT LOIN

 

51. Révéler Jésus-Christ et son Evangile à ceux qui ne les connaissent pas, tel est, depuis le matin de la Pentecôte, le pro­gramme fondamental que l’Eglise a assumé comme reçu de son Fondateur. Tout le Nouveau Testament, et de façon spéciale les Actes des Apôtres, témoignent d’un moment privilégié et en quelque sorte exemplaire de cet effort missionnaire qui jalonnera ensuite toute l’histoire de l’Eglise.

Cette première annonce de Jésus-Christ, elle la réalise par une activité complexe et diversifiée que l’on désigne quelquefois sous le nom de « pré-évangélisation », mais qui est déjà à vrai dire l’évangélisation, quoique à son stade initial et bien incomplet. Une gamme presque infinie de moyens, la prédication explicite, certes, mais aussi l’art, l’approche scientifique, la recherche phi­losophique, le recours légitime aux sentiments du cœur de l’hom­me peuvent être mis en oeuvre dans ce but.

 

ANNONCE AU MONDE DÉCHRISTIANISÉ

 

52. Si cette première annonce s’adresse spécialement à ceux qui n’ont jamais entendu la Bonne Nouvelle de Jésus ou aux enfants, elle s’avère toujours plus nécessaire également, à cause des situations de déchristianisation fréquentes de nos jours, pour des multitudes de personnes qui ont reçu le baptême mais vivent en dehors de toute vie chrétienne, pour des gens simples ayant une certaine foi mais connaissant mal les fondements de cette foi, pour des intellectuels qui sentent le besoin de connaître Jésus-Christ sous une lumière autre que l’enseignement reçu dans leur enfance, et pour beaucoup d’autres.

 

LES RELIGIONS NON CHRÉTIENNES

 

53. Elle s’adresse aussi à d’immenses portions d’humanité qui pratiquent des religions non chrétiennes que l’Eglise respecte et estime, car elles sont l’expression vivante de l’âme de vastes groupes humains. Elles portent en elles l’écho de millénaires de recherche de Dieu, recherche incomplète mais réalisée souvent avec sincérité et droiture de cœur. Elles possèdent un patrimoine impressionnant de textes profondément religieux. Elles ont ap­pris à des générations de personnes à prier. Elles sont toutes par­semées d’innombrables « semences du Verbe » (Cf. St Justin, I Apologia, 46, 1-4 ; II Apologia 1 (8), 1-4 ; 10. 1-3 ; 13, 3-4 : Florilegium Patristicum II, Bonn, 1911, pp. 81, 125, 129, 133 ; Clément d’Alexandrie, Stromata I, 19, 91, 94 : S. Ch 30, pp. 117-118 ; 119-120 ; Concile œcuménique Vatican II, Décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise Ad Gentes, n. 11 : AAS 58, 1966, p. 960 ; Constitution dogmatique sur l’Eglise Lumen Gentium, n. 17 : AAS 57, 1965, p. 21) et peuvent cons­tituer une authentique « préparation évangélique » (Eusèbe de Césarée, Praeparatio Evangelica, I, 1 : PG 21, 26-28 ; cf. Concile oecuménique Vatican  II, Constitution dogmatique sur l’Eglise Lumen Gentium, n. 16 : AAS 57, 1965, P. 20), pour re­prendre un mot heureux du Concile Vatican II emprunté à Eusèbe de Césarée.

Une telle situation suscite, certes, des questions complexes et délicates, qu’il convient d’étudier à la lumière de la Tradition chrétienne et du Magistère de l’Eglise pour offrir aux mission­naires d’aujourd’hui et de demain de nouveaux horizons dans leurs contacts avec les religions non chrétiennes. Nous voulons relever surtout aujourd’hui que ni le respect et l’estime envers ces religions, ni la complexité des questions soulevées ne sont pour l’Eglise une invitation à taire devant les non chrétiens l’annonce de Jésus-Christ. Au contraire, elle pense que ces multitudes ont le droit de connaître la richesse du mystère du Christ (Cf. Ep 3, 8) dans laquelle nous croyons que toute l’humanité peut trouver, dans une plénitude insoupçonnable, tout ce qu’elle cherche à tâtons au sujet de Dieu, de l’homme et de son destin, de la vie et de la mort, de la vé­rité. Même devant les expressions religieuses naturelles les plus dignes d’estime, l’Eglise s’appuie donc sur le fait que la religion de Jésus, qu’elle annonce à travers l’évangélisation, met objecti­vement l’homme en rapport avec le plan de Dieu, avec sa présence vivante, avec son action ; elle fait rencontrer ainsi le mystère de la Paternité divine qui se penche vers l’humanité ; en d’autres termes, notre religion instaure effectivement avec Dieu un rap­port authentique et vivant que les autres religions ne réussissent pas à établir, bien qu’elles tiennent pour ainsi dire leurs bras ten­dus vers le ciel.

C’est pourquoi l’Eglise garde vivant son élan missionnaire, et même elle veut l’intensifier dans le moment historique qui est le nôtre. Elle se sent responsable devant des peuples entiers. Elle n’a pas de repos tant qu’elle n’a pas fait de son mieux pour pro­clamer la Bonne Nouvelle de Jésus Sauveur. Elle prépare toujours de nouvelles générations d’apôtres. Constatons-le avec joie au moment où ne manquent pas ceux qui pensent et même disent que l’ardeur et l’élan apostolique se sont épuisés, et que l’heure de l’envoi missionnaire est désormais passée. Le Synode vient de répondre que l’annonce missionnaire ne tarit pas et que l’Eglise sera toujours tendue vers l’accomplissement de celle-ci.

 

SOUTIEN DE FOI DES FIDÈLES

 

54. Cependant l’Eglise ne se sent pas dispensée d’une atten­tion infatigable également envers ceux qui ont reçu la foi et qui, souvent depuis des générations, sont en contact avec l’Evangile, elle cherche ainsi à approfondir, consolider, nourrir, rendre tou­jours plus mûre la foi de ceux qu’on appelle déjà fidèles ou croyants, afin qu’ils le soient davantage.

Cette foi est presque toujours, aujourd’hui, confrontée au sécularisme, voire à l’athéisme militant : et est une foi en butte aux épreuves et menacée, bien plus, une foi assiégée et combattue. Elle risque de périr par asphyxie ou par inanition si elle n’est pas tous les jours alimentée et soutenue. Evangéliser doit donc être très souvent communiquer à la foi des fidèles — particuliè­rement par une catéchèse pleine de sève évangélique et munie d’un langage adapté aux temps et aux personnes — cet aliment et ce soutien nécessaires.

L’Eglise catholique garde également un vif souci des chrétiens qui ne sont pas en pleine communion avec elle : tout en préparant avec eux l’unité voulue par le Christ, et précisément pour réaliser l’unité dans la vérité, elle a conscience qu’elle manquerait gra­vement à son devoir si elle ne témoignait pas, auprès d’eux, de la plénitude de la révélation dont elle garde le dépôt.

 

NON CROYANTS

 

55. Significative est aussi la préoccupation, présente au Sy­node, à l’égard de deux sphères très différentes l’une de l’autre, très proches cependant par le défi que, chacune à leur façon, elles lancent à l’évangélisation.

La première est ce qu’on peut appeler la montée de l’incroyance dans le monde moderne. Le Synode s’est attaché à décrire ce monde moderne : sous ce nom générique, que de courants de pensée valeurs et contre-valeurs, aspirations latentes ou semences de destruction, convictions anciennes qui disparaissent et convic­tions nouvelles qui s’imposent !

Du point de vue spirituel, ce monde moderne semble se dé­battre toujours dans ce qu’un auteur contemporain a appelé na­guère « le drame de l’humanisme athée » (H. de Lubac, s.j., Le drame de l’humanisme athée, Ed. Spes, Paris, 1945).

D’une part, on est obligé de constater au cœur même de ce monde contemporain le phénomène qui devient presque sa mar­que la plus frappante : le sécularisme. Nous ne parlons pas de cette sécularisation qui est l’effort en lui-même juste et légitime, nullement incompatible avec la foi et la religion, de déceler dans la création, en chaque chose ou en chaque événement de l’univers, les lois qui les régissent avec une certaine autonomie, dans la conviction intérieure que le Créateur y a posé ces lois. Le récent Concile a affirmé, en ce sens, l’autonomie légitime de la culture et particulièrement des sciences (Cf. Constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et Spes, n. 59: AAS 58, 1966, P. 1080). Nous envisageons ici un vé­ritable sécularisme: une conception du monde d’après laquelle ce dernier s’explique par lui-même sans qu’il soit besoin de re­courir à Dieu ; Dieu devenu ainsi superflu et encombrant. Un tel sécularisme, pour reconnaître le pouvoir de l’homme, finit donc par se passer de Dieu et même par renier Dieu.

Des formes nouvelles d’athéisme — un athéisme anthropo­centrique, programmatique et militant — semblent en découler. En liaison avec ce sécularisme athée, on nous propose tous les jours, sous les formes les plus diverses une civilisation de consom­mation, l’hédonisme érigé en valeur suprême, une volonté de puissance et de domination, des discriminations de toute sorte : autant de pentes inhumaines de cet « humanisme ».

Dans ce même monde moderne, d’autre part, paradoxalement, on ne peut pas nier l’existence de véritables pierres d’attente chré­tiennes, de valeurs évangéliques au moins sous la forme d’un vide ou d’une nostalgie. Il ne serait pas exagéré de parler d’un puissant et tragique appel à être évangélisé.

 

NON PRATIQUANTS

 

56. Une seconde sphère est celle des non pratiquants : aujour­d’hui un grand nombre de baptisés qui, dans une large mesure, n’ont pas renié formellement leur baptême mais sont entière­ment en marge de lui, n’en vivent pas. Le phénomène des non pratiquants est très ancien dans l’histoire du christianisme, il tient à une faiblesse naturelle, à une profonde incohérence que nous portons, hélas, au fond de nous-mêmes. Il présente cepen­dant aujourd’hui des traits nouveaux. Il s’explique souvent par les déracinements typiques de notre époque. Il naît aussi du fait que les chrétiens côtoient les non croyants et reçoivent constamment le contrecoup de l’incroyance. D’ailleurs les non prati­quants contemporains, plus que ceux d’autrefois, cherchent à ex­pliquer et justifier leur position au nom d’une religion intérieure, de l’autonomie ou de l’authenticité personnelles.

Athées et incroyants d’un côté, non pratiquants de l’autre, op­posent donc à l’évangélisation des résistances non négligeables. Les premiers, la résistance d’un certain refus, l’incapacité de saisir le nouvel ordre des choses, le nouveau sens du monde, de la vie, de l’histoire, qui n’est pas possible si l’on ne part pas de Dieu. Les autres, la résistance de l’inertie, l’attitude un peu hostile de quelqu’un qui se sent de la maison, qui affirme tout savoir, avoir goûté à tout, ne plus y croire.

Sécularisme athée et absence de pratique religieuse se trouvent chez les adultes et chez les jeunes chez l’élite et dans les mas­ses, dans tous les secteurs culturels, dans les vieilles comme dans les jeunes Eglises. L’action évangélisatrice de l’Eglise, qui ne peut pas ignorer ces deux mondes ni s’arrêter en face d’eux, doit chercher constamment les moyens et le langage adéquats pour leur proposer ou leur reproposer la révélation de Dieu et la foi en Jésus-Christ.

 

AU COEUR DES MASSES

 

57. Comme le Christ durant le temps de sa prédication, com­me les Douze le matin de la Pentecôte, l’Eglise aussi voit devant elle une immense foule humaine qui a besoin de l’Evangile et y a droit, puisque Dieu « veut que tout homme soit sauvé et parvienne à la connaissance de la vérité » (1 Tm 2, 4).

Sensible à son devoir de prêcher le salut à tous, sachant que le message évangélique n’est pas réservé à un petit groupe d’ini­tiés, de privilégiés ou d’élus mais destiné à tous, l’Eglise fait sienne l’angoisse du Christ devant les foules errantes et prostrées « comme des brebis qui n’ont pas de berger » et répète souvent sa parole : « J’ai pitié de cette foule » (Mt 9, 36 ; 15, 32).

Mais elle est aussi consciente que, pour l’efficacité de la pré­dication évangélique, elle doit adresser son message, au cœur des masses, à des communautés de fidèles dont l’action peut et doit arriver aux autres.

 

LES COMMUNAUTÉS ECCLÉSIALES DE BASE

 

58. Le Synode s’est beaucoup occupé de ces petites « commu­nautés de base », parce que dans l’Eglise d’aujourd’hui elles sont souvent mentionnées. Que sont-elles et pourquoi seraient-elles des­tinataires  spéciales  d’évangélisation et en même temps évangélisatrices ?

Fleurissant un peu partout dans l’Eglise, à en croire les dif­férents témoignages entendus au Synode, elles diffèrent beau­coup entre elles, au sein d’un même région et plus encore d’une région à l’autre.

Dans certaines régions, elles surgissent et se développent, sauf exception, à l’intérieur de l’Eglise, en étant solidaires de sa vie, nourries de son enseignement, attachées à ses pasteurs. Dans ces cas-là, elles naissent du besoin de vivre plus intensément encore la vie de l’Eglise; ou du désir et de la recherche d’une dimension plus humaine, que des communautés ecclésiales plus grandes peu­vent difficilement offrir, surtout dans les métropoles urbaines con­temporaines favorisant à la fois la vie de masse et l’anonymat. Elles peuvent tout simplement prolonger à leur façon au niveau spirituel et religieux — culte, approfondissement de la foi, cha­rité fraternelle, prière, communion avec les Pasteurs — la petite communauté sociologique, village ou autre. Ou bien encore elles veulent rassembler pour l’écoute et la méditation de la Parole, pour les sacrements et le lien de l’Agapè, des groupes que l’âge, la culture, l’état civil ou la situation sociale rendent homogènes — couples, jeunes, professionnels, etc. — ; des personnes que la vie trouve déjà réunies dans les combats pour la justice, pour l’aide fraternelle aux pauvres, pour la promotion humaine, etc. Ou bien enfin elles réunissent les chrétiens là où la pénurie de prêtres ne favorise pas la vie normale d’une communauté parois­siale. Tout cela est supposé à l’intérieur des communautés cons­tituées de l’Eglise, surtout des Eglises particulières et des pa­roisses.

Dans d’autres régions, au contraire, des communautés de base s’assemblent dans un esprit de critique acerbe de l’Eglise qu’elles stigmatisent volontiers comme « institutionnelle » et à laquelle elles s’opposent comme des communautés charismatiques, libres de structures, inspirées seulement par l’Evangile. Elles ont donc comme caractéristique une évidente attitude de blâme et de re­fus à l’égard des expressions de l’Eglise : sa hiérarchie, ses signes. Elles contestent radicalement cette Eglise. Dans cette ligne, leur inspiration principale devient très vite idéologique, et il est rare qu’elles ne soient pas assez tôt la proie d’une option politique, d’un courant, puis d’un système, voire d’un parti, avec tout le risque que cela comporte d’en devenir l’instrument.

La différence est déjà notable : les communautés qui par leur esprit de contestation se coupent de l’Eglise, dont elles lèsent d’ailleurs l’unité, peuvent bien s’intituler « communautés de base », mais c’est là une désignation strictement sociologique. El­les ne pourraient pas, sans abus de langage, s’intituler commu­nautés ecclésiales de base, même si elles ont la prétention de persévérer dans l’unité de l’Eglise tout en étant hostiles à la Hiérar­chie. Cette qualification appartient aux autres, à celles qui se réunissent en Eglise pour s’unir à l’Eglise et pour faire croître l’Eglise.

Ces dernières communautés seront un lieu d’évangélisation, au bénéfice des communautés plus vastes, spécialement des Eglises particulières et elles seront une espérance pour l’Eglise univer­selle, comme Nous l’avons dit au terme du Synode, dans la me­sure où :

— elles cherchent leur aliment dans la Parole de Dieu et ne se laissent pas emprisonner par la polarisation politique ou par les idéologies à la mode, prêtes à exploiter leur immense potentiel humain ;

— elles évitent la tentation toujours menaçante de la contes­tation systématique et de l’esprit hypercritique, sous prétexte d’authenticité et d’esprit de collaboration ;

— elles restent fermement attachées à l’Eglise locale dans laquelle elles s’insèrent, et à l’Eglise universelle, évitant ainsi le danger — trop réel ! — de s’isoler en elles-mêmes, puis de se croire l’unique authentique Eglise du Christ, et- donc d’anathématiser les autres communautés ecclésiales ;

— elles gardent une sincère communion avec les Pasteurs que le Seigneur donne à son Eglise et avec le Magistère que l’Esprit du Christ leur a confié ;

— elles ne se prennent jamais pour l’unique destinataire ou l’unique agent d’évangélisation — voire l’unique dépositaire de l’Evangile ! — ; mais, conscientes que l’Eglise est beaucoup plus vaste et diversifiée, elles acceptent que cette Eglise s’incarne autrement qu’à travers elles ;

— elles croissent chaque jour en conscience, zèle, engagement et rayonnement missionnaire ;

— elles se montrent en tout universalistes et jamais sectaires.

A ces conditions-là, exigeantes certes mais exaltantes, les com­munautés ecclésiales de base correspondront à leur vocation la plus fondamentale : auditrices dé l’Evangile qui leur est annoncé et destinataires privilégiées de l’évangélisation, elles deviendront elles-mêmes sans tarder annonciatrices de l’Evangile.

 

VI. Les ouvriers de l’évangélisation

 

EGLISE TOUT ENTIÈRE MISSIONNAIRE

 

59. Si des hommes proclament dans le monde l’Evangile du salut, c’est par ordre au nom et avec la grâce du Christ Sauveur. « Comment prêcher si l’on n’a pas d’abord reçu mission ? » (Rm 10, 15), écrivait celui qui fut certainement l’un des plus grands évangélisateurs. Personne ne peut le faire à moins d’avoir été envoyé.

Mais qui donc a la mission d’évangéliser ?

Le Concile Vatican II a répondu avec clarté : « Par mandat divin, incombe à l’Eglise la fonction d’aller dans le monde entier et d’annoncer l’Evangile à toute créature » (Déclaration sur la liberté religieuse Dignitatis humanae, n. 13 : AAS 58, 1966, p. 939 ; cf. Constitution dogmatique sur l’Eglise Lumen Gentium, n. 5: AAS 57, 1965, pp. 7-8; Décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise Ad Gentes, n. 1: AAS 58, 1966, p. 947). Et dans un autre texte du même Concile : « L’Eglise tout entière est missionnaire ; l’œuvre d’évangélisation est un devoir fondamental du peuple de Dieu » (Décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise Ad Gentes, n. 35 : AAS 58, 1966, p. 983).

Nous avons déjà rappelé cette liaison intime entre l’Eglise et l’évangélisation. Lorsque l’Eglise annonce le Règne de Dieu et le construit, elle s’implante elle-même au cœur du monde comme signe et instrument de ce Règne qui est et qui vient. Le Concile a repris cette parole très significative de Saint Augustin sur l’action missionnaire des Douze : « En prêchant la parole de vérité, ils firent naître des Eglises » (Saint Augustin, Enarrat. in Ps 44, 23 : CCI XXXVIII, p. 510 ; cf. Décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise Ad Gentes, n. 1 : AAS 58, 1966, p. 947).

 

UN ACTE ECCLÉSIAL

 

60. Que l’Eglise soit envoyée et mandatée pour l’évangélisa­tion du monde, cette observation devrait éveiller en nous une double conviction.

La première : évangéliser n’est pour personne un acte indivi­duel et isolé, mais c’est un acte profondément ecclésial. Lorsque le plus obscur prédicateur, catéchiste ou pasteur, dans la contrée la plus lointaine, prêche l’Evangile, rassemble sa petite commu­nauté ou confère un sacrement, même seul, il fait un acte d’Eglise et son geste se rattache certainement, par des rapports institution­nels, mais aussi par des liens invisibles et par des racines souter­raines de l’ordre de la grâce, à l’activité évangélisatrice de toute l’Eglise. Cela suppose qu’il le fasse, non pas par une mission qu’il s’attribue, ou par une inspiration personnelle, mais en union avec la mission de l’Eglise et en son nom.

De là, la seconde conviction: si chacun évangélise au nom de l’Eglise, qui le fait elle-même en vertu d’un mandat du Seigneur, aucun évangélisateur n’est le maître absolu de son action évangé­lisatrice, avec un pouvoir discrétionnaire, pour l’accomplir sui­vant des critères et perspectives individualistes, mais en commu­nion avec l’Eglise et ses Pasteurs.

L’Eglise est tout entière évangélisatrice, avons-Nous remarqué. Cela signifie que, pour l’ensemble du monde et pour chaque por­tion du monde où elle se trouve, l’Eglise se sent responsable de la tâche de diffuser l’Evangile.

 

LA PERSPECTIVE DE L’EGLISE UNIVERSELLE

 

61. A ce stade de notre réflexion, Nous nous arrêtons avec vous, Frères et Fils, sur une question particulièrement importante de nos jours. Dans leurs célébrations liturgiques, dans leur té­moignage devant les juges et les bourreaux, dans leurs textes apologétiques, les premiers chrétiens exprimaient volontiers leur foi profonde dans l’Eglise en la désignant comme répandue par tout l’univers. Ils avaient pleinement conscience d’appartenir à une grande communauté que ni l’espace ni le temps ne sauraient limiter : « Du juste Abel jusqu’au dernier élu » (St. Grégoire le Grand, Homil. in Evangelia, 19, 1 : PL 76, 1154), « jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1, 8 ; cf. Didachè, 9, 1 : Funk, Patres Apostolici, 1, 22), « jusqu’à la fin des temps » (Mt 28, 20).

C’est ainsi que le Seigneur a voulu son Eglise : universelle, grand arbre dont les branches abritent les oiseaux du ciel (Cf. Mt 13, 32), filet qui recueille toutes sortes de poissons (Cf. Mt 13, 47), troupeau qu’un seul pas­teur fait paître (Cf. Jn 21, 11). Eglise universelle sans bornes ni frontières sauf, hélas, celles du cœur et de l’esprit de l’homme pécheur.

 

LA PERSPECTIVE DE L’EGLISE PARTICULIÈRE

 

62. Néanmoins cette Eglise universelle s’incarne de fait dans les Eglises particulières constituées, elles, de telle ou telle por­tion d’humanité concrète, parlant telle langue, tributaire d’un héritage culturel, d’une vision du monde, d’un passé historique, d’un substrat humain déterminé. L’ouverture aux richesses de l’Eglise particulière répond à une sensibilité spéciale de l’homme contemporain.

Gardons-nous bien de concevoir l’Eglise universelle comme la somme, ou, si l’on peut dire, la fédération plus ou moins hétéro­clite d’Eglises particulières essentiellement diverses. Dans la pen­sée du Seigneur c’est l’Eglise, universelle par vocation et par mis­sion, qui jetant ses racines dans la variété des terrains culturels, sociaux, humains, prend dans chaque portion du monde des vi­sages, des expressions extérieures diverses.

Ainsi, chaque Eglise particulière qui se couperait volontaire­ment de l’Eglise universelle perdrait sa référence au dessein de Dieu ; elle s’appauvrirait dans sa dimension ecclésiale. Mais par ail­leurs, l’Eglise « toto orbe diffusa » deviendrait une abstraction si elle ne prenait pas corps et vie précisément à travers les Eglises particulières. Seule une attention permanente aux deux pôles de l’Eglise nous permettra de percevoir la richesse de ce rapport entre l’Eglise universelle et Eglises particulières.

 

ADAPTATION ET FIDÉLITÉ DU LANGAGE

 

63. Les Eglises particulières, profondément amalgamées avec les personnes mais aussi les aspirations, les richesses et limites, les façons de prier, d’aimer de considérer la vie et le monde qui marquent tel ou tel ensemble humain, ont le rôle d’assimiler l’es­sentiel du message évangélique, de le transposer, sans la moindre trahison de sa vérité essentielle, dans le langage que ces hommes comprennent puis de l’annoncer dans ce langage.

La transposition est à faire, avec le discernement, le sérieux, le respect et la compétence que la matière exige, dans le do­maine des expressions liturgiques (Cf. Concile oecuménique Vatican II, Constitution sur la sainte liturgie Sacrosanctum Concilium, nn. 37-38 : AAS 56, 1954, p. 110 ; cf. aussi les livres litur­giques et les autres documents publiés ensuite par le Saint-Siège pour réaliser la reforme liturgique voulue par le Concile Vatican II), de la catéchèse, de la formulation théologique, des structures ecclésiales secondaires, des ministères. Et « langage » doit s’entendre ici moins sur le plan sémantique ou littéraire que sur celui qu’on peut appeler an­thropologique et culturel.

La question est sans doute délicate. L’évangélisation perd beau­coup de sa force et de son efficacité si elle ne prend pas en considération le peuple concret auquel elle s’adresse n’utilise pas sa langue, ses signes et symboles, ne répond pas aux questions qu’il pose, ne rejoint pas sa vie concrète. Mais d’autre part, l’évangélisation risque de perdre son âme et de s’évanouir si l’on vide ou dénature son contenu, sous prétexte de le traduire ; si, voulant adapter une réalité universelle à un espace local, on sa­crifie cette réalité et on détruit l’unité sans laquelle il n’y a pas d’universalité. Or, seule une Eglise qui garde la conscience de son universalité et montre qu’elle est en fait universelle peut avoir un message capable d’être entendu par tous, au-delà des li­mites régionales.

Une légitime attention aux Eglises particulières ne peut qu’en­richir l’Eglise. Elle est indispensable et urgente. Elle répond aux aspirations les plus profondes des peuples et des communautés humaines, à trouver toujours davantage leur propre visage.

 

OUVERTURE À L’EGLISE UNIVERSELLE

 

64. Mais cet enrichissement exige que les Eglises particulières gardent leur ouverture profonde à l’Eglise universelle. Il est bien remarquable, du reste, que les chrétiens les plus simples, les plus fidèles à l’Evangile, les plus ouverts au véritable sens de l’Eglise, ont une sensibilité toute spontanée à l’égard de cette dimension universelle, le besoin, ils se reconnaissent facilement en elle, vi­brent avec elle et souffrent au plus profond d’eux-mêmes lorsque, au nom de théories qu’ils ne comprennent pas, on les contraint à une Eglise dépourvue de cette universalité, Eglise régionaliste, sans horizon.

Comme l’histoire le démontre d’ailleurs, chaque fois que telle ou telle Eglise particulière, parfois avec des arguments théolo­giques, sociologiques, politiques ou pastoraux, ou même dans le désir d’une certaine liberté de mouvement ou d’action, s’est cou­pée de l’Eglise universelle et de son centre vivant et visible, elle n’a échappé que très difficilement — si tant est qu’elle y ait échappé — à deux dangers également graves : danger, d’une part, de l’isolationnisme desséchant, et puis, à court terme, de l’effri­tement, chacune de ses cellules se séparant d’elle comme elle s’est séparée du noyau central; et d’autre part danger de perdre sa liberté, lorsque coupée du centre et des autres Eglises qui lui communiquaient force et énergie, elle se trouve livrée, seule, aux forces les plus diverses d’asservissement et d’exploitation.

Plus une Eglise particulière est attachée par des liens solides de communion à l’Eglise universelle — dans la charité et la loyauté, dans l’ouverture au Magistère de Pierre, dans l’unité de la « Lex orandi » qui est aussi « Lex credendi », dans le souci de l’unité avec toutes les autres Eglises qui composent l’universalité — plus cette Eglise sera capable de traduire le trésor de la foi dans la légitime variété des expressions de la profession de foi, de la prière et du culte, de la vie et du comportement chrétiens, du rayonnement du peuple dans lequel elle s’insère. Plus aussi elle sera vraiment évangélisatrice, c’est-à-dire capable de puiser dans le patrimoine universel pour en faire profiter son peuple comme de communiquer à l’Eglise universelle l’expérience et la vie de ce peuple, au bénéficie de tous.

 

L’INALTÉRABLE DÉPÔT DE LA FOI

 

65. Dans ce sens précisément Nous avons voulu prononcer, à la clôture de la troisième Assemblée du Synode, un mot clair et plein de paternelle affection, insistant sur le rôle du Successeur de Pierre comme principe visible, vivant et dynamique de l’unité entre les Eglises et donc de l’universalité de l’unique Eglise (Allocution pour la clôture de la troisième Assemblée générale du Synode des Evêques, (26 octobre 1974) ; AAS 66, 1974, p. 636).

Nous insistions aussi sur la grave responsabilité qui Nous incombe, mais que Nous partageons avec nos Frères dans l’épiscopat, de garder inaltérable le contenu de la foi catholique que le Seigneur a confié aux Apôtres ; traduit dans tous les langages, ce contenu ne doit pas être entamé ni mutilé ; revêtu des symboles propres à chaque peuple, explicité par des expressions théologiques qui tiennent compte des milieux culturels, sociaux et même raciaux divers, il doit rester le contenu de la foi catholique tel que le Magistère ecclésial l’a reçu et le transmet.

 

TÂCHES DIVERSIFIÉES

 

66. Toute l’Eglise est donc appelée à évangéliser et cependant dans son sein nous avons différentes tâches évangélisatrices à accomplir. Cette diversité de services dans l’unité de la même mission fait la richesse et la beauté de l’évangélisation. Ces tâches, Nous les rappellerons d’un mot.

Et tout d’abord, qu’il Nous soit permis de signaler dans les pages de l’Evangile l’insistance avec laquelle le Seigneur confie aux Apôtres la fonction d’annoncer la Parole. Il les a choisis (Cf. Jn 15, 16 ; Mc 3, 13-19 ; Lc 6, 13-16), formés durant plusieurs années d’intimité (Cf. Ac 1, 21-22), constitués (Cf. Mc 3, 14) et man­datés (Cf. Me 3, 14-15 ; Lc 9, 2) comme témoins et maîtres autorisés du message du salut. Et les Douze ont à leur tour envoyé leurs successeurs qui, dans la lignée apostolique, continuent à prêcher la Bonne Nouvelle.

 

LE SUCCESSEUR DE PIERRE

 

67. Le Successeur de Pierre est ainsi, par la volonté du Christ, chargé du ministère prééminent d’enseigner la vérité révélée. Le Nouveau Testament montre souvent Pierre « rempli de l’Esprit Saint » prenant la parole au nom de tous (Ac 4, 8 ; cf. Ac 2, 14 ; 3, 12). C’est bien pour cela que Saint Léon le Grand parle de lui comme de celui qui a mérité la primauté de l’apostolat (Cf. St Léon le Grand, Sermo 69, 3 ; Sermo 70, 1-3 ; Sermo 94, 3 ; Sermo 95, 2 : Sources chrétiennes 200, pp. 50-52 ; 58-66 ; 258-260 ; 268). C’est pourquoi aussi la voix de l’Eglise montre le Pape « au sommet le plus haut — in apice, in specula — de l’apostolat » (Cf. Concile oecuménique de Lyon I, Constitution Ad apostolicae dignitatis : Conciliorum Oecumenicorum Decreta, Ed. Istituto per le Scienze Religiose, Bologna 1973, p. 278 ; Concile oecuménique de Vienne, Constitution Ad providam Christi, éd. cit., p. 343 ; Concile oecuménique Latran V, Constitution In apostolici culminis, éd. cit., p. 609 ; Constitution Supernae dispositions, ed cit., p. 614 ; Constitution Divina disponente dementia, ed. cit. p. 638). Le Concile Vatican II a voulu le réaffirmer en déclarant que « le mandat du Christ de prêcher l’Evangile à toute créature (cf. Mc 16, 15) regarde avant tout et immédiatement les Evêques avec Pierre et sous la conduite de Pierre » (Décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise Ad Gentes, n. 38 : AAS 58, 1966, p. 985).

Le pouvoir plénier, suprême et universel (Cf. Concile oecuménique Vatican II, Constitution dogmatique sur l’Eglise Lumen Gentium, n. 22 : AAS 57, 1965, p. 26) que le Christ confie à son Vicaire pour le gouvernement pastoral de son Eglise, c’est donc spécialement dans l’activité de prêcher et faire prêcher la Bonne Nouvelle du salut que le Pape l’exerce.

 

EVÊQUES ET PRÊTRES

 

68. Unis au Successeur de Pierre, les Evêques, successeurs des Apôtres, reçoivent par la force de leur ordination épiscopale, l’autorité pour enseigner dans l’Eglise la vérité révélée. Ils sont les maîtres de la foi.

Aux Evêques sont associés dans le ministère de l’évangélisation, comme responsables à un titre spécial, ceux qui par l’ordination sacerdotale « tiennent la place du Christ » (Cf. Concile oecuménique Vatican II, Constitution dogmatique sur l’Eglise Lumen Gentium, nn. 10, 37 : AAS 57, 1965, pp. 14, 43 ; Décret sur l’activité mis­sionnaire de l’Eglise Ad Gentes, n. 39 : AAS 58, 1966, p. 986 ; Décret sur le mini­stère et la vie des prêtres Presbyterorum ordinis, nn. 2, 12, 13 : AAS 58, 1966, pp. 992, 1010, 1011), en tant qu’éduca­teurs du Peuple de Dieu dans la foi, prédicateurs, tout en étant ministres de l’Eucharistie et des autres sacrements.

Nous donc, Pasteurs, nous sommes tous invités à prendre cons­cience, plus que tout autre membre de l’Eglise, de ce devoir. Ce qui constitue la singularité de notre service sacerdotal, ce qui donne unité profonde aux mille tâches qui nous sollicitent au long de la journée et de la vie, ce qui confère à nos activités une note spécifique, c’est ce but présent en toute notre action : « an­noncer l’Evangile de Dieu » (Cf. 1 Th 2, 9).

Voici un trait de notre identité, qu’aucun doute ne devrait en­tamer, aucune objection éclipser : Pasteurs, nous avons été choisis par la miséricorde du souverain Pasteur (Cf. 1 P 5, 4) malgré notre insuffi­sance, pour proclamer avec autorité la Parole de Dieu, pour ras­sembler le Peuple de Dieu qui était dispersé, pour alimenter ce Peuple avec les signes de l’action du Christ que sont les sacre­ments, pour le mettre sur la voie du salut, pour le maintenir dans cette unité dont nous sommes, à différents niveaux des ins­truments actifs et vivants, pour animer sans cesse cette com­munauté réunie autour du Christ dans la ligne de sa vocation la plus intime. Et lorsque, dans la mesure de nos limites hu­maines et selon la grâce de Dieu, nous accomplissons tout cela, c’est une oeuvre d’évangélisation que nous réalisons, Nous, com­me Pasteur de l’Eglise universelle, nos frères Evêques, à la tête des Eglises particulières, les prêtres et diacres liés à leurs Evê­ques, dont ils sont les collaborateurs, par une communion qui prend sa source dans le sacrement de l’ordre et dans la charité de l’Eglise.

 

RELIGIEUX

 

69. Les religieux, eux, trouvent dans leur vie consacrée un moyen privilégié d’évangélisation efficace. Par leur être le plus profond ils se situent dans le dynamisme de l’Eglise assoiffée de l’Absolu de Dieu, appelée à la sainteté. C’est de cette sainteté qu’ils témoignent. Ils incarnent l’Eglise désireuse de se livrer au radicalisme des béatitudes. Ils sont par leur vie signes de totale disponibilité pour Dieu, pour l’Eglise, pour les frères.

En cela, ils ont une importance spéciale dans le cadre du té­moignage qui est, Nous l’avons affirmé, primordial dans l’évangélisation. Ce témoignage silencieux de pauvreté et de dépouil­lement, de pureté et de transparence, d’abandon dans l’obéissance, peut devenir, en même temps qu’un appel adressé au monde et à l’Eglise elle-même, une éloquente prédication capable de tou­cher même les non chrétiens de bonne volonté, sensibles à cer­taines valeurs.

Dans une telle perspective, l’on devine le rôle joué dans l’évangélisation par des religieux et religieuses consacrés à la prière, au silence, à la pénitence, au sacrifice. D’autres religieux, en très grand nombre, se donnent directement à l’annonce du Christ. Leur action missionnaire dépend évidemment de la hiérarchie et doit être coordonnée avec la pastorale que celle-ci veut mettre en oeuvre. Mais qui ne mesure la part immense qu’ils ont apportée et qu’ils continuent d’apporter à l’évangélisation ? Grâce à leur consécration religieuse, ils sont par excellence volontaires et li­bres pour tout quitter et aller annoncer l’Evangile jusqu’aux confins du monde. Ils sont entreprenants, et leur apostolat est marqué souvent par une originalité, un génie qui forcent l’admi­ration. Ils sont généreux : on les trouve souvent aux avant-postes de la mission, et ils prennent les plus grands risques pour leur santé et leur propre vie. Oui, vraiment l’Eglise leur doit beau­coup.

 

LAÏCS

 

70. Les laïcs, que leur vocation spécifique place au cœur du monde et à la tête des tâches temporelles les plus variées, doi­vent exercer par là même une forme singulière d’évangélisation.

Leur tâche première et immédiate n’est pas l’institution et le développement de la communauté ecclésiale — c’est là le rôle spécifique des Pasteurs —, mais c’est la mise en oeuvre de toutes les possibilités chrétiennes et évangéliques cachées, mais déjà présentes et actives dans les choses du monde. Le champ propre de leur activité évangélisatrice, c’est le monde vaste et compliqué de la politique, du social, de l’économie, mais également de la culture, des sciences et des arts, de la vie internationale, des mass média ainsi que certaines autres réalités ouvertes à l’évangélisa­tion comme sont l’amour, la famille, l’éducation des enfants et des adolescents, le travail professionnel, la souffrance. Plus il y aura de laïcs imprégnés d’Evangile responsables de ces réalités et clairement engagés en elles, compétents pour les promouvoir et conscients qu’il faut déployer leur pleine capacité chrétienne souvent enfouie et asphyxiée, plus ces réalités, sans rien perdre ou sacrifier de leur coefficient humain, mais manifestant une di­mension transcendante souvent méconnue, se trouveront au service de l’édification du Règne de Dieu et donc du salut en Jésus-Christ.

 

FAMILLE

 

71. Au sein de l’apostolat évangélisateur des laïcs, il est im­possible de ne pas souligner l’action évangélisatrice de la famille. Elle a bien mérité, aux différents moments de l’histoire, le beau nom d’« Eglise domestique » sanctionné par le Concile Vatican II (Constitution dogmatique sur l’Eglise Lumen Gentium, n. 11 : AAS 57, 1965, p. 16 ; Décret sur l’apostolat des laïcs Apostolicam actuositatem, n. 11 : AAS 58, 1966, p. 848 ; St Jean Chrysostome, In genesim Serm. VI, 2 ; VII, 1 : PG 54, 607-608).

Cela signifie, que, en chaque famille chrétienne, devraient se retrouver les divers aspects de l’Eglise entière. En outre, la fa­mille, comme l’Eglise, se doit d’être un espace où l’Evangile est transmis et d’où l’Evangile rayonne.

Au sein donc d’une famille consciente de cette mission, tous les membres de la famille évangélisent et sont évangélisés. Les parents non seulement communiquent aux enfants l’Evangile mais peuvent recevoir d’eux ce même Evangile profondément vécu. Et une telle famille se fait évangélisatrice de beaucoup d’autres familles et du milieu dans lequel elle s’insère.

Même les familles issues d’un mariage mixte ont le devoir d’an­noncer le Christ à leurs enfants avec tout ce qu’impliqué leur baptême commun ; elles ont aussi la tâche difficile de se faire les artisans de l’unité.

 

JEUNES

 

72. Les circonstances nous invitent à une attention toute spéciale aux jeunes. Leur montée numérique et leur présence croissante dans la société, les problèmes qui les assaillent, doivent éveiller en tous le souci de leur offrir avec zèle et intelligence l’idéal évangélique à connaître et à vivre. Mais il faut par ailleurs que les jeunes, bien formés dans la foi et la prière, deviennent toujours davantage les apôtres de la jeunesse. L’Eglise compte beaucoup sur cet apport et Nous-même, à bien des reprises, Nous avons manifesté notre pleine confiance envers eux.

 

MINISTÈRES DIVERSIFIÉS

 

73. Ainsi prend toute son importance la présence active des laïcs dans les réalités temporelles. Il ne faut pas pour autant né­gliger ou oublier l’autre dimension : les laïcs peuvent aussi se sentir appelés ou être appelés à collaborer avec leurs Pasteurs au service de la communauté ecclésiale, pour la croissance et la vie de celle-ci, exerçant des ministères très diversifiés, selon la grâce et les charismes que le Seigneur voudra bien déposer en eux.

Ce n’est pas sans éprouver intimement une grande joie que Nous voyons une légion de Pasteurs, religieux et laïcs, épris de leur mission évangélisatrice, chercher des façons toujours plus adaptées d’annoncer efficacement l’Evangile et Nous encoura­geons l’ouverture que, dans cette ligne et avec ce souci, l’Eglise ac­complit aujourd’hui. Ouverture à la réflexion d’abord, puis à des ministères ecclésiaux capables de rajeunir et de renforcer son pro­pre dynamisme évangélisateur.

Il est certain qu’à côté des ministères ordonnés, grâce auxquels certains sont mis au rang des Pasteurs et se consacrent d’une ma­nière particulière au service de la communauté, l’Eglise recon­naît la place de ministères non ordonnés, mais qui sont aptes à assurer un service spécial de l’Eglise.

Un regard sur les origines de l’Eglise est très éclairant et fait bénéficier d’une antique expérience en matière de ministères, ex­périence d’autant plus valable qu’elle a permis à l’Eglise de se consolider, de croître et de s’étendre. Cette attention aux sour­ces doit cependant être complétée par une, autre: l’attention aux besoins actuels de l’humanité et de l’Eglise. S’abreuver à ces sour­ces toujours inspiratrices, ne rien sacrifier de ces valeurs et savoir s’adapter aux exigences et aux besoins actuels, tels sont les axes qui permettront de rechercher avec sagesse et de mettre en lu­mière les ministères dont l’Eglise a besoin et que nombre de ses membres auront à cœur d’embrasser pour la plus grande vitalité de la communauté ecclésiale. Ces ministères auront une vraie va­leur pastorale dans la mesure où ils s!établiront dans un respect absolu de l’unité, en bénéficiant de l’orientation des Pasteurs, qui sont précisément les responsables et les artisans de l’unité de l’Eglise.

De tels ministères, nouveaux en apparence mais très liés à des expériences vécues par l’Eglise tout au long de son existence — par exemple ceux de catéchèses, d’animateurs de la prière et du chant, des chrétiens voués au service de la Parole de Dieu ou à l’assistance des frères dans le besoin, ceux enfin des chefs de petites communautés, des responsables de mouvements aposto­liques ou autres responsables —, sont précieux pour l’implan­tation, la vie et la croissance de l’Eglise et pour sa capacité d’ir­radier autour d’elle et vers ceux qui sont au loin. Nous devons aussi notre estime particulière à tous les laïcs qui acceptent de consacrer une partie de leur temps, de leurs énergies, et parfois leur vie entière, au service des missions.

Pour tous les ouvriers de l’évangélisation, une préparation sé­rieuse est nécessaire. Elle l’est d’autant plus pour ceux qui s’adon­nent au ministère de la Parole. Animés de la conviction sans cesse approfondie de la grandeur et de la richesse de la Parole de Dieu, ceux qui ont mission de la transmettre doivent porter la plus grande attention à la dignité, à la précision, à l’adaptation de leur langage. Chacun sait que l’art de parler revêt aujourd’hui une très grande importance. Comment les prédicateurs et les ca­téchistes pourraient-ils le négliger ?

Nous souhaitons vivement que, dans chaque Eglise particulière, les Evêques veillent à la formation adéquate de tous les minis­tres de la Parole. Cette préparation sérieuse augmentera en eux l’assurance indispensable mais aussi l’enthousiasme pour annoncer Jésus-Christ aujourd’hui.

 

VII. L’esprit de l’évangélisation

 

PRESSANT APPEL

 

74. Nous ne voudrions pas mettre fin à cet entretien avec nos Frères et Fils bien-aimés, sans un dernier appel concernant les attitudes intérieures qui doivent animer les ouvriers de l’évangélisation.

Oui, au nom du Seigneur Jésus lui-même et au nom des Apô­tres Pierre et Paul, Nous voudrions exhorter tous ceux qui, grâce aux charismes de l’Esprit et au mandat de l’Eglise, sont de véri­tables évangélisateurs, à être dignes de cette vocation, à l’exercer sans céder au doute ou à la peur, à ne pas négliger les con­ditions qui rendront cette évangélisation non seulement possible mais active et fructueuse. Voici, parmi bien d’autres, les condi­tions fondamentales que Nous tenons à souligner.

 

SOUS LE SOUFFLE DE L’ESPRIT SAINT

 

75. Il n’y aura jamais d’évangélisation possible sans l’action de l’Esprit Saint. Sur Jésus de Nazareth, l’Esprit descend au mo­ment du baptême lorsque la voix du Père — « Tu es mon Fils bien-aimé, tu as toute ma faveur » (Mt 3, 17) — manifeste de façon sen­sible son élection et sa mission. C’est « conduit par l’Esprit » qu’il vit au désert le combat décisif et la suprême épreuve avant de commencer cette mission (Mt 4, 1). C’est « avec la puissance de l’Esprit » (Lc 4, 14) qu’il revient en Galilée et inaugure à Nazareth sa prédication, s’appliquant à lui-même le passage d’Isaïe : « L’esprit du Seigneur est sur moi ». « Aujourd’hui, proclame-t-il, cette Ecri­ture est accomplie » (Lc 4, 18. 21 ; cf. Is 61, 1). Aux disciples qu’il est sur le point d’en­voyer, il dit en soufflant sur eux : « Recevez l’Esprit Saint » (Jn 20, 22).

En fait, ce n’est qu’après, la venue du Saint-Esprit, le jour de la Pentecôte, que les Apôtres partent vers tous les horizons du monde pour commencer la grande oeuvre d’évangélisation de l’Eglise, et Pierre explique l’événement comme la réalisation de la prophétie de Joël : « Je répandrai mon Esprit » (Ac 2, 17). Pierre est rempli de l’Esprit Saint pour parler au peuple de Jésus Fils de Dieu (Cf. Ac 4, 8). Paul, lui aussi, « est rempli de l’Esprit Saint » (Ac 9, 17) avant de se livrer à son ministère apostolique, comme l’est Etienne lors­qu’il est choisi pour la diaconie et plus tard pour le témoignage du sang (Cf. Ac 6, 5.10 ; 7, 55). L’Esprit qui fait parler Pierre, Paul ou les Douze, inspirant les paroles qu’ils doivent prononcer, tombe aussi « sur ceux qui écoutent la Parole » (Cf. Ac 10, 44).

C’est grâce à l’appui du Saint-Esprit que l’Eglise s’accroît (Cf. Ac 9, 31). Il est l’âme de cette Eglise. C’est lui qui explique aux fidèles le sens profond de l’enseignement de Jésus et son mystère. Il est celui qui, aujourd’hui comme aux débuts de l’Eglise, agit en cha­que évangélisateur qui se laisse posséder et conduire par lui, et met dans sa bouche les mots que seul il ne pourrait trouver, tout en prédisposant aussi l’âme de celui qui écoute pour le ren­dre ouvert et accueillant à la Bonne Nouvelle et au Règne an­noncé.

Les techniques d’évangélisation sont bonnes mais les plus per­fectionnées ne sauraient remplacer l’action discrète de l’Esprit. La préparation la plus raffinée de l’évangélisateur n’opère rien sans lui. Sans lui, la dialectique la plus convaincante est impuis­sante sur l’esprit des hommes. Sans lui, les schémas sociologiques ou psychologiques les plus élaborés se révèlent vite dépourvus de valeur.

Nous vivons dans l’Eglise un moment privilégié de l’Esprit. On cherche partout à le connaître mieux, tel que l’Ecriture le révèle. On est heureux de se mettre sous sa mouvance. On s’assemble autour de lui. On veut se laisser conduire par lui.

Or, si l’Esprit de Dieu a une place éminente dans toute la vie de l’Eglise, c’est dans la mission évangélisatrice de celle-ci qu’il agit le plus. Ce n’est pas par hasard que le grand départ de l’évangélisation eut lieu le matin de Pentecôte, sous le souffle de l’Esprit.

On peut dire que l’Esprit Saint est l’agent principal de l’évangélisation : c’est lui qui pousse chacun à annoncer l’Evangile et c’est lui qui dans le tréfonds des consciences fait accepter et comprendre la Parole du salut (Cf. Concile oecuménique Vatican II, Décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise Ad Gentes, n. 4 : AAS 58, 1966, pp. 950-951). Mais l’on peut dire également qu’il est le terme de l’évangélisation : lui seul suscite la nouvelle création, l’humanité nouvelle à laquelle l’évangélisation découvre et met en valeur à l’intérieur de l’histoire.

Le Synode des Evêques de 1974, qui a beaucoup insisté sur la place du Saint-Esprit dans l’évangélisation, a exprimé aussi le vœu que Pasteurs et théologiens — et Nous dirons aussi les fidèles marqués du sceau de l’Esprit par le baptême — étudient mieux la nature et le mode de l’action de l’Esprit Saint dans l’évangélisation aujourd’hui. C’est notre vœu aussi, en même temps que Nous exhortons les évangélisateurs quels qu’ils soient à prier sans cesse l’Esprit Saint avec foi et ferveur et à se laisser prudemment guider par lui comme l’inspirateur décisif de leurs plans, de leurs initiatives, de leur activité évangélisatrice.

 

TÉMOINS AUTHENTIQUES

 

76. Considérons maintenant la personne même des évangéli­sateurs. On répète souvent, de nos jours, que ce siècle a soif d’au­thenticité. A propos des jeunes, surtout, on affirme qu’ils ont horreur du factice, du falsifié, et recherchent par-dessus tout la vérité et la transparence.

Ces « signes du temps » devraient nous trouver vigilants. Tacitement ou à grands cris, toujours avec force, l’on demande : Croyez-vous vraiment à ce que vous annoncez ? Vivez-vous ce que vous croyez ? Prêchez-vous vraiment ce que vous vivez ? Plus que jamais le témoignage de la vie est devenu une condition es­sentielle de l’efficacité profonde de la prédication. Par ce biais-là, nous voici, jusqu’à un certain point, responsables de la marche de l’Evangile que nous proclamons.

« Qu’en est-il de l’Eglise dix ans après la fin du Concile ? » — demandions-Nous au début de cette méditation. Est-elle an­crée au cœur du monde et pourtant assez libre et indépendante pour s’adresser au monde ? Fait-elle preuve de solidarité avec les hommes et témoigne-t-elle en même temps de l’Absolu de Dieu ? Est-elle plus ardente dans la contemplation et l’adoration et plus zélée dans l’action missionnaire, caritative, libératrice ? Est-elle toujours plus engagée dans les efforts qui cherchent à rétablir la pleine unité des chrétiens, laquelle rend plus efficace le témoi­gnage commun « afin que le monde croie » ? (Jn 17, 21) Nous sommes tous responsables des réponses que l’on pourrait donner à ces interrogations.

Nous exhortons donc nos Frères dans l’Episcopat, placés par l’Esprit Saint pour gouverner l’Eglise (Cf. Ac 20, 28). Nous exhortons les prêtres et les diacres, collaborateurs des Evêques dans le rassem­blement du peuple de Dieu et dans l’animation spirituelle des communautés locales. Nous exhortons les religieux, témoins d’une Eglise appelée à la sainteté et donc conviés eux-mêmes à une vie qui témoigne des béatitudes évangéliques. Nous exhortons les laïcs: familles chrétiennes, jeunes et adultes, tous ceux qui exer­cent un métier, les dirigeants, sans oublier les pauvres souvent riches de foi et d’espérance, tous les laïcs conscients de leur rôle évangélisateur au service da leur Eglise on au cœur de la société et du monde. Nous leur disons à tous : il faut que notre zèle évangélisateur jaillisse d’une véritable sainteté de vie alimen­tée par la prière et surtout par l’amour de l’Eucharistie, et que, comme nous le suggère le Concile, la prédication à son tour fasse grandir en sainteté le prédicateur (Cf. Concile oecuménique Vatican II, Décret sur le ministère et la vie des prêtres Presbyterorum ordinis, n. 13 : AAS 58, 1966, p. 1011).

Le monde qui, paradoxalement, malgré d’innombrables signes de refus de Dieu, le cherche cependant par des chemins inattendus et en ressent douloureusement le besoin, le monde réclame des évangélisateurs qui lui parlent d’un Dieu qu’ils connaissent et fréquentent comme s’ils voyaient l’invisible (He 11, 27). Le monde réclame et attend de nous simplicité de vie, esprit de prière, charité en­vers tous, spécialement envers les petits et les pauvres, obéissance et humilité, détachement de nous-mêmes et renoncement. Sans cette marque de sainteté, notre parole fera difficilement son che­min dans le cœur de l’homme de ce temps. Elle risque d’être vaine et inféconde.

 

ARTISANS D’UNITÉ

 

77. La force de l’évangélisation se trouvera bien diminuée si ceux qui annoncent l’Evangile sont divisés entre eux par toutes sortes de ruptures. Ne serait-ce pas là l’un des grands malaises de l’évangélisation aujourd’hui ? En effet, si l’Evangile que nous pro­clamons apparaît déchiré par des querelles doctrinales, des pola­risations idéologiques, ou des condamnations réciproques entre chrétiens, au gré de leurs vues différentes sur le Christ et sur l’Eglise et même à cause de leurs conceptions diverses de la société et des institutions humaines, comment ceux à qui s’adresse notre prédication ne s’en trouveraient-ils pas perturbés, déso­rientés sinon scandalisés ?

Le testament spirituel du Seigneur nous dit que l’unité entre ses disciples n’est pas seulement la preuve que nous sommes siens, mais aussi la preuve qu’il est envoyé du Père, test de crédibi­lité des chrétiens et du Christ lui-même. Evangélisateurs, nous devons offrir aux fidèles du Christ, non pas l’image d’hommes divisés et séparés par des litiges qui n’édifient point, mais celle de personnes mûries dans la foi, capables de se rencontrer au delà des tensions réelles grâce à la recherche commune, sincère et désintéressée de la vérité. Oui, le sort de l’évangélisation est certainement lié au témoignage d’unité donné par l’Eglise. Voilà une source de responsabilité mais aussi de réconfort.

Sur ce point, Nous voudrions insister sur le signe de l’unité entre tous les chrétiens comme voie et instrument d’évangélisation. La division des chrétiens est un grave état de fait qui parvient à entacher l’œuvre même du Christ. Le Concile Vatican II affirme avec lucidité et fermeté qu’elle « nuit à la cause sacrée de la prédication de l’Evangile à toute créature, et pour beau­coup elle ferme l’accès à la foi » (Décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise Ad Gentes, n. 6 : AAS 58, 1966, pp. 954-955 ; cf. Décret sur l’œcuménisme Unitatis redintegratio, n. 1 : AAS 57, 1965, pp. 90-91). Voilà pourquoi, en annon­çant l’Année Sainte, Nous avons cru nécessaire de rappeler à tous les fidèles du monde catholique que « la réconciliation de tous les hommes avec Dieu, notre Père, présuppose, en effet, le rétablissement de la communion entre ceux qui ont déjà, dans la foi, reconnu et accueilli Jésus-Christ comme le Seigneur de la miséricorde qui libère les hommes et les unit dans l’Esprit d’amour et de vérité » (Bulle Apostolorum Limina, VII : AAS 66, 1974, p. 305).

Aussi est-ce avec un fort sentiment d’espérance que Nous re­gardons les efforts qui se font dans le monde chrétien pour ce rétablissement de la pleine unité voulue par le Christ. Saint Paul nous en donne l’assurance : « L’espérance ne déçoit pas » (Rm 5, 5). Tandis que Nous travaillons toujours pour obtenir du Seigneur la pleine unité, Nous faisons nôtre le vœu exprimé par les Pères de la III° Assemblée générale du Synode des Evêques, à savoir que l’on collabore plus résolument avec nos frères chrétiens aux­quels nous ne sommes par encore unis par une communion par­faite, en nous fondant sur le baptême et sur le patrimoine de foi qui nous est commun, de façon à pouvoir dès maintenant, dans le même travail d’évangélisation, témoigner ensemble et plus lar­gement du Christ dans le monde. Nous y sommes poussés par le commandement du Christ, c’est une exigence de l’œuvre de pré­dication et du témoignage à rendre à l’Evangile.

 

SERVITEURS DE LA VÉRITÉ

 

78. L’Evangile dont nous avons la charge est aussi parole de vérité. Une vérité qui rend libres (Cf. Jn 8, 32) et qui seule donne la paix du cœur, c’est ce que les gens viennent chercher lorsque nous leur annonçons la Bonne Nouvelle. Vérité sur Dieu, vérité sur l’homme et sa mystérieuse destinée, vérité sur le monde. Difficile vérité que nous recherchons dans la Parole de Dieu et dont nous ne sommes, encore une fois, ni les maîtres ni les propriétaires, mais les dépositaires, les hérauts, les serviteurs.

De tout évangélisateur on attend qu’il ait le culte de la vérité, d’autant plus que la vérité qu’il approfondit et communique n’est autre que la vérité révélée et donc, plus que tout autre, parcelle de la vérité première qu’est Dieu lui-même. Le prédicateur de l’Evangile sera donc quelqu’un qui, même au prix du renonce­ment personnel et de la souffrance, recherche toujours la vérité qu’il doit transmettre aux autres. Il ne trahit jamais ni ne dis­simule la vérité par souci de plaire aux hommes, d’étonner ou de choquer, ni par originalité ou désir d’apparaître. Il ne refuse pas la vérité. Il n’obscurcit pas la vérité révélée par paresse de la rechercher, par commodité, par peur. Il ne néglige pas de l’étudier. Il la sert généreusement sans l’asservir.

Pasteurs du Peuple fidèle, notre service pastoral nous presse de garder, défendre et communiquer la vérité sans regarder les sacrifices. Tant d’éminents et saints Pasteurs nous ont laissé l’exemple de cet amour, en beaucoup de cas héroïque, de la vé­rité. Le Dieu de vérité attend de nous que nous en soyons les dé­fenseurs vigilants et les prédicateurs dévoués.

Docteurs, que vous soyez théologiens, exégètes, historiens, l’œuvre de l’évangélisation a besoin de votre infatigable labeur de recherche et aussi de votre attention et de votre délicatesse dans la transmission de la vérité, dont vos études vous rappro­chent mais qui est toujours plus grande que le cœur de l’homme, car c’est la vérité même de Dieu.

Parents et maîtres, votre tâche, que les multiples conflits actuels ne rendent pas facile, est d’aider vos enfants et vos élèves dans la découverte de la vérité, y compris de la vérité religieuse et spirituelle.

 

ANIMÉS PAR L’AMOUR

 

79. L’œuvre de l’évangélisation suppose, dans l’évangélisateur, un amour fraternel toujours grandissant envers ceux qu’il évangélise. Ce modèle d’évangélisateur qu’est l’Apôtre Paul écrivait aux Thessaloniciens cette parole qui est un programme pour nous tous : « Telle était notre tendresse pour vous que nous aurions voulu vous livrer, en même temps que l’Evangile de Dieu, notre propre vie, tant vous nous étiez devenus chers » (1 Th 2, 8 ; cf. Ph 1, 8). Quelle est cette affection ? Bien plus que celle d’un pédagogue, elle est celle d’un père ; et plus encore: celle d’une mère (Cf. 1 Th 2, 7-11 ; 1 Co 4, 15 ; Ga 4, 19). C’est cette af­fection que le Seigneur attend de chaque prédicateur de l’Evan­gile, de chaque bâtisseur de l’Eglise. Un signe d’amour sera le souci de donner la vérité et d’introduire dans l’Unité. Un signe d’amour sera également de se dévouer sans réserve ni retour à l’annonce de Jésus-Christ. Permettez-Nous de faire mention de quelques autres signes de cet amour.

Le premier est le respect de la situation religieuse et spirituelle des personnes qu’on évangélise. Respect de leur rythme qu’on n’a pas le droit de forcer outre mesure. Respect de leur conscience et de leurs convictions, à ne pas brusquer.

Un autre signe de cet amour est le souci de ne pas blesser l’autre, surtout s’il est faible dans sa foi (Cf. 1 Co 8, 9-13 ; Rm 14, 15), avec des affirmations qui peuvent être claires pour les initiés, mais qui pour les fi­dèles peuvent être source de perturbation et de scandale, comme une blessure dans l’âme.

Un signe d’amour sera aussi l’effort de transmettre aux chré­tiens, non pas des doutes et des incertitudes nés d’une érudition mal assimilée, mais des certitudes solides, parce que ancrées dans la Parole de Dieu. Les fidèles ont besoin de ces certitudes pour leur vie chrétienne ; ils y ont droit, en tant qu’enfants de Dieu qui, entre ses bras, s’abandonnent entièrement aux exigences de l’amour.

 

AVEC LA FERVEUR DES SAINTS

 

80. Notre appel s’inspire de la ferveur des plus grands pré­dicateurs et évangélisateurs dont la vie fut donnée à l’apostolat : parmi eux il Nous plaît de relever ceux que Nous avons au cours de l’Année Sainte, proposés à la vénération des fidèles. Ils ont su dépasser bien des obstacles à l’évangélisation.

Notre époque connaît également de nombreux obstacles, parmi lesquels Nous nous contenterons de mentionner le manque de ferveur. Il est d’autant plus grave qu’il vient du dedans ; il se manifeste dans la fatigue et le désenchantement, la routine et le désintérêt, et surtout le manque de joie et d’espérance. Nous exhortons donc tous ceux qui ont à quelque titre et à quelque échelon la tâche d’évangéliser à alimenter en eux la ferveur de l’esprit (Cf. Rm 12, 11).

Cette ferveur exige tout d’abord que nous sachions nous sous­traire aux alibis qui peuvent nous détourner de l’évangélisation. Les plus insidieux sont certainement ceux pour lesquels l’on pré­tend trouver appui dans tel ou tel enseignement du Concile.

C’est ainsi qu’on entend dire trop souvent, sous diverses for­mes : une vérité, fût-elle celle de l’Evangile, imposer une voie, fût-elle du salut, ne peut être qu’une violence à la liberté religieuse. Du reste, ajoute-t-on, pourquoi annoncer l’Evangile puis­que tout le monde est sauvé par la droiture du cœur ? L’on sait bien d’ailleurs que le monde et l’histoire sont remplis de « semences du Verbe » : n’est-ce pas une illusion de prétendre porter l’Evangile là où il est déjà dans ces semences que le Seigneur lui-même y a jetées ?

Quiconque  se  donne la peine  d’approfondir,  dans  les  documents conciliaires, les questions que ces alibis y puisent trop su­perficiellement, trouvera une toute autre vision de la réalité.

Ce serait certes une erreur d’imposer quoi que ce soit à la cons­cience de nos frères. Mais c’est toute autre chose de proposer à cette conscience la vérité évangélique et salut en Jésus-Christ en pleine clarté et dans le respect absolu des options libres qu’elle fera — en évitant « toute forme d’agissements qui ont un re­lent de coercition, de persuasion malhonnête ou peu loyale » (Cf. Concile oecuménique Vatican II, Déclaration sur la liberté religieuse Dignitatis humanae, n. 4 : AAS 58, 1966, p. 933) — : loin d’être un attentat à la liberté religieuse, c’est un hommage à cette liberté à laquelle est offert le choix d’une voie que même les non croyants estiment noble et exaltante. Est-ce donc un crime contre la liberté d’autrui que l’on vient d’apprendre par la miséricorde du Seigneur ? (Cf. ibid., nn. 9-14, l. c. pp. 935-940). Et pourquoi seuls le mensonge et l’erreur, la dégradation et la pornographie, auraient-ils le droit d’être proposés et souvent, hélas, imposés par la propagande des­tructive des mass média, par la tolérance des législations, par la peur des bons et la hardiesse des méchants ? Cette façon res­pectueuse de proposer le Christ et son Royaume, plus qu’un droit, est un devoir de l’évangélisateur. Et c’est aussi un droit des hommes ses frères de recevoir de lui l’annonce de la Bonne Nouvelle du salut. Ce salut, Dieu peut l’accomplir en qui II veut par des voies extraordinaires que lui seul connaît (Cf. Concile oecuménique Vatican II, Décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise Ad Gentes, a. 7 : AAS 58, 1966, p. 955). Et ce­pendant, si son Fils est venu, ce fut précisément pour nous ré­véler, par sa parole et par sa vie, les chemins ordinaires du salut. Et il nous a ordonné de transmettre aux autres cette révélation avec la même autorité que lui. Il ne serait pas inutile que chaque chrétien et chaque évangélisateur approfondisse dans la prière cette pensée : les hommes pourront se sauver aussi par d’autres chemins, grâce à la miséricorde de Dieu, même si nous ne leur annonçons pas l’Evangile; mais nous, pouvons-nous nous sauver si par négligence, par peur, par honte — ce que Saint Paul appelait « rougir de l’Evangile » (Cf. Rm 1, 16) — ou par suite d’idées fausses nous omettons de l’annoncer ? Car ce serait alors trahir l’appel de Dieu qui, par la voix des ministres de l’Evangile, veut faire germer la semence ; et il dépendra de nous que celle-ci devienne un arbre et produise tout son fruit.

Gardons donc la ferveur de l’esprit. Gardons la douce et ré­confortante joie d’évangéliser, même lorsque c’est dans les larmes qu’il faut semer. Que ce soit pour nous — comme pour Jean-Baptiste, pour Pierre et Paul, pour les autres Apôtres, pour une multitude d’admirables évangélisateurs tout au long de l’histoire de l’Eglise — un élan intérieur que personne ni rien ne saurait éteindre. Que ce soit la grande joie de nos vies données. Et que le monde de notre temps qui cherche, tantôt dans l’angoisse, tantôt dans l’espérance, puisse recevoir la Bonne Nouvelle, non d’évangélisateurs tristes et découragés, impatients ou anxieux, mais de ministres de l’Evangile dont la vie rayonne de ferveur, qui ont les premiers reçus en eux la joie du Christ, et qui acceptent de jouer leur vie pour que le Royaume soit annoncé et l’Eglise implantée au cœur du monde.

 

Conclusion

 

LA CONSIGNE DE L’ANNÉE SAINTE

 

81. Voilà donc, Frères et Fils, le cri qui monte du fond de notre  cœur,  en écho  à la voix de nos  Frères  réunis  pour la troisième Assemblée générale du Synode des Evêques. Voilà la consigne que Nous  avons voulu donner à la fin d’une Année Sainte qui Nous a permis de percevoir plus que jamais les be­soins et les appels d’une multitude de frères chrétiens  et non chrétiens, qui attendent de l’Eglise la Parole du salut.

Que la lumière de l’Année Sainte, qui s’est levée dans les Eglises particulières et à Rome pour des millions de consciences réconciliées avec Dieu, puisse rayonner également après le Ju­bilé à travers un programme d’action pastorale, dont l’évangélisation est l’aspect fondamental, pour ces années qui marquent la veille d’un nouveau siècle, la veille aussi du troisième millénaire du christianisme !

 

MARIE, ETOILE DE L’EVANGeLISATION

 

82. Tel est le vœu que Nous nous  réjouissons de déposer entre les mains et dans le cœur de la Très Sainte Vierge Marie, l’Immaculée, en ce jour qui lui est spécialement consacré, au dixième anniversaire de la clôture du Concile Vatican II. Au matin de la Pentecôte, elle a présidé dans la prière au début de l’évangélisation sous l’action de l’Esprit Saint : qu’elle soit l’Etoile de l’évangélisation toujours renouvelée que l’Eglise, docile au man­dat de son Seigneur, doit promouvoir et accomplir, surtout en ces temps à la fois difficiles et pleins d’espoir !

Au nom du Christ, Nous vous bénissons, vous, vos commu­nautés, vos familles, tous ceux qui vous sont attachés, avec les paroles qu’adressait Saint Paul aux Philippiens : « Je rends grâce à mon Dieu chaque fois que je fais mémoire de vous, en tout temps dans toutes mes prières pour vous tous, prières que je fais avec joie, car je me rappelle la part que vous avez prise à l’Evangile (...). Je vous porte en mon cœur, vous qui (...) dans la défense et l’affermissement de l’Evangile, vous associez tous à la grâce qui m’est faite. Oui, Dieu m’est témoin que je vous aime tendrement dans le cœur du Christ Jésus » (Ph 1, 3-4, 7-8).

Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 8 décembre 1975, en la solennité de l’Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge Marie, treizième année de notre Pontificat.

 

 

 

14 décembre

« CONSTRUIRE ENSEMBLE UNE NOUVELLE ÈRE DE CONCORDE FRATERNELLE »

 

Le dimanche 14 décembre le Saint-Père a célébré la messe dans la Chapelle Sixtine, en présence d’une délégation officielle du Patriarcat de Constantinople, à l’occasion du dixième anniver­saire de la rencontre oecuménique entre les Eglises de Rome et de Constantinople. A l’adres­se qui fut lue par le Métropolite Meliton, le Saint-Père a répondu en ces termes :

 

Nous venons d’écouter avec une vive émotion le Message que nous adresse en ce jour Sa Sainteté Dimitrios Ier, Patriarche de Constantinople. Oui, ces mots suscitent en nous beaucoup de joie et d’espérance, et nous prions Votre Eminence qui avez eu l’honneur de nous porter ce Message, d’exprimer à notre Frère bien aimé, le Patriarche de Constantinople, toute notre reconnais­sance et notre affection particulière dans le Seigneur. Puisse la rencontre d’aujourd’hui marquer une nouvelle étape sur la route de l’unité !

« Grandes et admirables sont tes oeuvres, Seigneur Tout-Puis­sant. Justes et véritables sont tes voies, Roi des Nations. Qui ne craindrait, Seigneur, et ne glorifierait ton nom ? Car toi seul es saint. Toutes les nations viendront et se prosterneront devant Toi, car tes jugements se sont manifestés (Ap 15, 3-4). C’est là le cantique de l’Agneau que chantent sur les harpes divines ceux qui ont vaincu le mal.

Soyez les bienvenus parmi nous, Frères très chers, envoyés par la vénérable Eglise de Constantinople afin de rendre avec nous honneur, gloire et grâces au Dieu Tout-Puissant pour les grandes et merveilleuses actions qu’il a accomplies de nos jours pour son Eglise. Soyez les bienvenus parmi nous, Frères très chers, venus pour vous unir à nous dans la prière et pour vous prosterner avec nous devant la Sainteté de Dieu qui nous a rendu manifestes ses jugements et nous a indiqué ses justes et véritables voies.

C’est pourquoi notre cœur est aujourd’hui plein de joie. Et nous sommes également heureux qu’une délégation envoyée par nous se trouve aujourd’hui en prière avec le Patriarche oecumé­nique dans l’église Saint-Georges du Phanar.

Oui, il est encore présent de façon vivante à nos yeux le spec­tacle magnifique de la célébration au cours de laquelle, il y a dix ans, dans la basilique Saint-Pierre, parallèlement à ce qui s’ac­complissait dans l’église Saint-Georges du Phanar, nous avons posé l’acte ecclésial solennel et sacré de la levée des anciens ana-thèmes, acte par lequel nous avons voulu ôter pour toujours de la mémoire et du cœur de l’Eglise le souvenir de ces événements.

L’enthousiasme et la piété avec lesquels cette action a été reçue dans la basilique Saint-Pierre par l’assemblée en prière nous a montré clairement que cet événement était vraiment voulu par le Seigneur. En effet se trouvaient alors présents les Pères du concile qui achevaient, avec la bénédiction de Dieu, leurs tra­vaux conciliaires ; les familles religieuses étaient également pré­sentes, ainsi qu’une multitude immense de laïcs venant de diver­ses parties du monde.

La conscience des fidèles de l’Eglise a vu là un signe de répa­ration pour des gestes mutuels regrettables et la manifestation d’une volonté de construire ensemble, dans l’obéissance au Sei­gneur, une nouvelle ère de fraternité, qui devra conduire l’Eglise catholique et l’Eglise orthodoxe, « Dieu aidant, à vivre de nou­veau, pour le plus grand bien des âmes et l’avènement du règne de Dieu, dans la pleine communion de foi, de concorde fraternelle et de vie sacramentelle qui exista entre elles au cours du premier millénaire de la vie de l’Eglise » (Déclaration Commune du 7 dé­cembre 1965 : AAS 58, 1966, p. 21 ; « Tomos Agapis » n. 127).

Dix ans après cet événement, nous renouvelons au Seigneur notre fervente et humble gratitude, enrichie maintenant de raisons nouvelles et plus importantes encore. En effet cet acte a libéré tant de cœurs jusqu’alors prisonniers de leur amertume et noués par une méfiance réciproque. La charité mutuelle a retrouvé son intensité et elle est redevenue active. Tous, au même moment, nous avons entendu la voix du Seigneur demandant à chacun de nous : « Où est ton frère ? » (Gn 4, 9. Nous nous sommes alors mis à la recherche l’un de l’autre et nous nous sommes rencontrés comme frères, deux nouvelles fois avec le vénéré Patriarche Athénagoras de sainte mémoire, que nous avons tellement estimé et aimé, et bien d’autres fois avec tant de dignes pasteurs des Eglises d’Orient et d’Occident. Ces nouvelles dispositions d’esprit se sont répandues de plus en plus par l’action de l’Esprit Saint au sein du peuple chrétien.

Ainsi, une purification intime de la mémoire se fraie un che­min de plus en plus large. C’est dans cette perspective que le deuxième concile du Vatican avait clairement déclaré que « c’est du renouveau de l’âme, du renoncement à soi-même et d’une libre effusion de charité que partent et mûrissent les désirs de l’unité » (Décret Unitatis Redintegratio, n. 7).

Le Saint-Esprit a illuminé nos intelligences et nous a conduits à voir avec une lucidité accrue que l’Eglise catholique et l’Eglise orthodoxe sont unies par une communion tellement profonde qu’il lui manque bien peu pour qu’elle atteigne la plénitude autorisant une célébration commune de l’Eucharistie du Seigneur « qui ex­prime et réalise l’unité de l’Eglise » (ibid n. 2). Se trouve ainsi mis en meilleure lumière le fait que nous avons en commun les mêmes sacrements, signes efficaces de notre communion avec Dieu, et particulièrement le même sacerdoce qui célèbre la même Eu­charistie du Seigneur, ainsi qu’un même épiscopat reçu dans la même succession apostolique pour diriger le peuple de Dieu ; et aussi que « durant des siècles, célébrant ensemble les conciles oecuméniques qui ont défendu le dépôt de la foi contre toute al­tération », nous avons vécu « cette vie d’Eglises-soeurs » (Bref Anno Ineunte AAS 59, 1967, p. 853 ; « Tomos Agapis » n. 176).

C’est la charité qui nous a permis de mieux prendre conscience de la profondeur de notre unité. Au cours des récentes années, nous avons aussi vu se développer un sentiment de responsabilité commune envers la prédication de l’Evangile à toute créature, à laquelle nuit gravement la division qui persiste entre les chrétiens (Cf. Décret Unitatis Redintegratio, n. 1).

Aujourd’hui les relations entre nos Eglises entrent dans une nouvelle étape avec la création de nouveaux instruments de dia­logue, qui, se fondant sur les grandes acquisitions de ces dix dernières années, sont appelés à faire croître jusqu’à sa plénitude la communion entre nos deux Eglises.

Frères très aimés, vous nous apportez la bonne nouvelle que les Eglises orthodoxes, sur l’initiative du Patriarcat oecuménique, ont décidé d’établir une commission pan-orthodoxe pour préparer le dialogue théologique avec l’Eglise catholique, et en outre que ce même Patriarcat de Constantinople a constitué sa propre com­mission spéciale pour converser avec l’Eglise de Rome. Nous ap­précions vivement cette initiative et nous vous déclarons que nous sommes pleinement disposé à faire de même de notre côté afin que nous puissions approcher de la pleine communion en pro­gressant ensemble « sur cette voie infiniment supérieure » (1 Co 12, 31), celle de la charité mutuelle.

Nous espérons que ces nouveaux instruments seront porteurs de fraternité chrétienne et de communion ecclésiale, et inspirés d’un amour sincère de la vérité totale. Il nous vient à l’esprit ce que nous écrivions à notre bien-aimé Frère Athénagoras, de vénérable mémoire : « Il faut en premier lieu qu’au service de notre sainte foi nous travaillions fraternellement à trouver ensem­ble les formes adaptées et progressives pour développer et actua­liser dans la vie de nos Eglises, la communion qui, bien qu’impar­faite, existe déjà » (Cf. Bref Anno Ineunte AAS 59, 1967, p. 854 ; « Tomos Agapis » n. 176).

De cette façon, nos cœurs étant « enracinés et fondés dans l’amour » (Ep 3, 17), professant « les dogmes fondamentaux de la foi chrétienne » tels qu’ils « ont été définis dans les conciles oecu­méniques tenus en Orient » (Cf. Décret Unitatis Redintegratio, n. 14), vivant de la vie des sacrements que nous avons en commun et dans l’esprit de la communion de foi et de charité qui jaillit de ces dons divins et s’y renforce, armés de puissance, par son Esprit, pour que se fortifie l’homme intérieur (Cf. Ep. 3, 16), puissions-nous ensemble progresser dans l’identification des di­vergences et des difficultés qui séparent encore nos Eglises, et finalement les surmonter par une réflexion de foi et une docilité aux impulsions de l’Esprit.

Ainsi, dans le respect d’une légitime diversité liturgique, spiri­tuelle, disciplinaire et théologique (Cf. Décret Unitatis Redintegratio, nn. 14-17), puisse Dieu nous accorder de construire, de façon stable et sûre la pleine unité entre nos Eglises !

Un tel dialogue, bien avant d’atteindre son objectif final, doit viser à influencer la vie de nos Eglises, revivifiant la foi commu­ne, augmentant la charité réciproque, resserrant les liens de com­munion, donnant un témoignage commun que Jésus-Christ est Seigneur et qu’il n’y a « sous le ciel aucun autre nom offert aux hommes qui soit nécessaire à notre salut » (Ac 4, 12).

C’est l’Esprit divin lui-même qui nous demande d’accomplir cette tâche. Et l’incroyance qui paraît se répandre dans le monde et tenter même les fidèles de nos Eglises n’exige-t-elle pas aussi que nous rendions un meilleur témoignage de foi et d’unité ? Cette situation ne doit-elle pas nous pousser à faire tout notre possible pour atteindre au plus vite cette unité que le Christ a demandée à son Père pour ceux qui croient en lui afin que le monde croie. (Cf. Jn 17, 21) ?

Nous sommes ainsi appelés à communiquer aux autres l’espé­rance qui est en nous et à en rendre compte (Cf. 1 P 3, 15).

Encore une fois, Frères très aimés, nous vous souhaitons la bienvenue à cette prière commune avec nous et à nouveau nous vous remercions avec chaleur pour les bonnes nouvelles apportées au nom du Seigneur.

Alors qu’arrivent à leur terme les célébrations de l’Année Sainte, au cours de laquelle l’Eglise catholique a chaque jour demandé au Seigneur le renouveau et la réconciliation, nous rendons grâces au Seigneur pour ce nouvel acte de fraternité entre nos Eglises et pour notre engagement à continuer ensemble la recherche com­mune de la plénitude de l’unité.

Au Seigneur « soit la gloire dans l’Eglise et en Jésus-Christ pour toutes les générations aux siècles des siècles. Amen » (Cf. Ep 3, 21).

 

 

 

22 décembre

L’EGLISE ET LE MONDE CONTEMPORAIN

 

Le 22 décembre dernier Paul VI a reçu en audience, pour la traditionnelle présentation des vœux, les membres du Sacré Collège, de la Famille Pontificale, la Curie et la Prélature Romaine.

Le doyen du Sacré Collège, M. le Cardinal Luigi Traglia a adressé au Saint-Père un respectueux discours pour lui rendre hommage et le remercier pour tout ce que cette Année Sainte a produit de fruits. Le Pape a ensuite prononcé un discours dont voici la traduction :

 

Vénérables Frères du Sacré Collège,

 

Nous vous sommes reconnaissant pour la bonté qu’avec votre délicatesse habituelle vous nous démontrez à l’occasion de la présentation de vos vœux de Noël, en union avec la Prélature et la Curie Romaine ; bonté qui transparaît si parfaitement dans les nobles paroles du vénéré Cardinal Doyen. Nos cœurs vibrent à l’unisson dans l’attente, toujours douce et pacifique, de la sainte fête de Noël ; et dans cette lumière les vœux acquièrent toute leur véritable valeur, celle d’un élan de nos âmes vers le Christ qui nous vient. La liturgie de l’Avent donne la dernière touche à cette préparation; et un tel climat, incomparable, rend plus in­tense et plus chargée de sens la présente rencontre. Merci donc pour ce geste qui nous réjouit et nous réconforte.

Mais nous ne pouvons oublier que va se conclure le merveilleux événement, catalyseur de notre attention spirituelle, qui restera certainement comme un fait capital dans l’histoire religieuse de notre siècle : l’Année Sainte, vraiment sainte parce qu’elle a été telle dans la mémoire de tous. Nous ne saurions oublier votre présence et votre assistance dans les étapes fondamentales de sa célébration ; c’est pourquoi nous vous remercions également pour la collaboration que vous nous avez apportée à des titres divers pour assurer la parfaite réussite d’un événement si absorbant. Nous n’ignorons pas l’énorme surcroît de travail que l’Année Sainte a imposé dans les différents secteurs où se déploient l’activité de la Curie Romaine et la vie pastorale de Rome, et particulièrement dans certaines administrations ; aussi notre pensée reconnaissante et notre sincère éloge s’adressent à tous et à chacun.

En ce moment si important nous éprouvons le besoin de faire halte un moment pour réfléchir sur le dessein du salut que, dans le temps où nous vivons, Dieu poursuit dans le Christ par le moyen de son Eglise, une, sainte, catholique et apostolique ; et, parvenus au crépuscule de l’année qui désormais touche à sa fin, nous ne pouvons nous soustraire au désir de dresser comme deux bilans, tout au moins sommaires, de ce que fut la vie de l’Eglise durant la période extraordinaire que nous avons eu la grâce de vivre ensemble: le premier bilan, en considérant l’Eglise dans ses rapports avec les différents Etats, le second en réfléchissant sur la vie de l’Eglise en elle-même. Ce sont les deux pôles sur les­quels nous voulons attirer votre attention.

 

I. La vie de l’Église dans ses rapports avec les États

 

Nous venons de rappeler l’Année Sainte, cet événement gran­diose et sacré.

Mais si consolant soit-il pour l’esprit religieux, cet événement n’a pas manqué de nous laisser quelqu’amertume : car il n’a pas toujours été possible à tous ceux qui, d’un bout à l’autre de la terre, le désiraient, d’y participer personnellement. Et ce n’est pas uniquement pour des raisons de santé, de distance, de pau­vreté ou de difficultés dérivant de la crise économique, des obli­gations professionnelles ou familiales qu’ils en furent empêchés, mais à cause de l’hostilité — parfois absolue ou dans d’autres cas moins directe mais non moins efficace — de leur milieu. Nous sommes certains que nos fils qui en furent victimes n’auront pas bénéficié moins abondamment des fruits de l’Année Sainte, des grâces et bénédictions qu’ils auront mérité par leur sacrifice et que toute l’Eglise, se souvenant comme nous de ces frères qui subissent des pressions ou des amputations de leurs droits, a in­voqués et continue à invoquer pour eux.

En ce moment même ils sont ici présents, vivement et doulou­reusement présents. Seuls ceux qui ne savent pas de quel cœur nous participons à leurs épreuves, de quel esprit nous admirons leur fidélité, avec quelle volonté nous nous employons pour leur venir en aide (et parfois en insistant dans nos efforts « contra spem » mais toujours plein de confiance dans l’aide divine), seuls, donc, ceux qui ignorent cela, ou veulent l’ignorer, peuvent at­tribuer le silence prudent que nous devons bien souvent nous imposer pour des raisons faciles à comprendre, à l’oubli ou, pis encore, à l’insouciance et à l’indifférence.

 

Le dialogue avec les États

 

Bien au contraire, le sort de l’Eglise, de la religion, de la lé­gitime liberté des croyants y compris les non-catholiques et les non-chrétiens est également la préoccupation, le but principal des contacts que notre Siège Apostolique et nous personnellement entretenons et, plus encore, continuons à multiplier avec les res­ponsables de la vie publique dans les diverses nations.

Nous aimerions nous limiter à rappeler — comme particulière­ment significatives — les rencontres que nous avons eues au cours de cette année avec les Souverains de Belgique, de Lichtenstein, du Luxembourg ; avec les Présidents de Bulgarie, des Etats-Unis d’Amérique, de France, du nouvel Etat de Guinée-Bissau, d’Italie, de Malte, de l’Ouganda et du Portugal ; avec les Premiers Mini­stres de Belgique, du Canada, de Grèce, de Hongrie, d’Irlande, de Libye, du Luxembourg ; avec la Secrétaire Général de l’ONU et avec les Ministres des Affaires Etrangères de divers Pays.

Ces rencontres et d’autres que nous ne mentionnons pas en particulier, nous ne les citons que pour souligner combien le Saint-Siège continue à se démontrer ouvert au dialogue avec des représentants venus de toutes les parties du monde et de toute tendance politique et idéologique : décidé toujours — comme il est de son inéluctable devoir — à maintenir dans toute leur clarté l’affirmation des principes que, par mission divine, elle est tenue d’annoncer dans le domaine des vérités religieuses et morales ; mais le Saint-Siège est également soucieux, non seulement des in­térêts catholiques, partout et dans n’importe quelle situation, mais également des causes — communes à tout le monde — de la paix, de la justice, de la coopération internationale, du progrès moral, culturel, social et économique des peuples.

Si dans certains cas, les résultats du dialogue paraissent mini­mes, insuffisants, ou s’ils tardent à venir, et si certains peuvent voir en cela une raison valable pour l’interrompre, nous estimons, au contraire, qu’il est sérieusement de notre devoir de le pour­suivre, de manière constante et éclairée, sur une voie qui nous semble, en premier lieu, éminemment évangélique : celle de la lon­ganimité, de la compréhension, de la charité sans cacher, certes, l’amertume et les soucis que nous causent la persistance ou l’ag­gravation des trop nombreuses situations contraires aux droits de l’Eglise et de la personne humaine et en mettant en garde contre une mauvaise interprétation de notre comportement responsable comme s’il s’agissait d’acquiescement ou d’acceptation résignée de semblables situations.

Et la participation elle-même du Saint-Siège à la conférence au sommet d’Helsinki où, au nom des Etats Européens, des Etats-Unis d’Amérique et du Canada ont été souscrites de décisives résolutions relatives à la sécurité et à la coopération en Europe, a eu ce mo­bile et ces préoccupations : non seulement de donner notre appui moral à des résolutions d’une si grande portée et de telle impor­tance mais aussi d’avoir au sein de la Conférence une représen­tation qui puisse se rendre plus directement et efficacement inter­prète et porte-parole des impératifs du respect de la conscience religieuse — dans le cadre des droits fondamentaux de la personne humaine — pour assurer à l’Europe (mais le discours va bien au-delà de l’Europe) une paix véritable, juste et par conséquent plus stable, ainsi que des perspectives équilibrées d’une coopération mu­tuelle, respectueuse de tous et profitable à chacun.

En union avec tous ceux qui, légitimement attendent des con­clusions d’Helsinki une amélioration substantielle, progressive, des conditions internes de la vie des peuples et de leurs relations, le Saint-Siège se propose d’agir pour que tant de résolutions solen­nelles et positives ne tombent pas dans l’oubli ou restent inobser­vées. Il veut espérer que la lettre et l’esprit d’Helsinki — comme on a pris l’habitude de le dire — aident à déterminer de commun accord dans l’intérêt des fidèles des solutions acceptables également là où depuis longtemps les attendent quelques situations de plus grand malaise. Nous nous bornerons à rappeler la Tchécoslovaquie, la Roumanie et certaines régions de l’Union Soviétique, sans toute­fois restreindre notre pensée à ces seuls Pays.

 

Le Saint-Siège et les problèmes du monde

 

L’attention primordiale que, par devoir, nous consacrons au ser­vice de l’Eglise et aux intérêts religieux des peuples ne nous em­pêche pas d’en réserver une non moins cordiale au sort et aux problèmes temporels des nations dans les différents continents, satis­faisant ainsi à ce devoir d’amour pour l’homme — dans sa dimen­sion totale — qui fait partie de notre ministère apostolique. Com­bien souvent, devant les petites et les grandes tragédies qui sans cesse frappent des parties plus ou moins grandes de la famille humaine — guerres, famine, calamités naturelles — arrive-t-il que résonne dans notre cœur et que nous fassions nôtre la voix du Divin Maître : « Miserior super turbas » ! Tout comme nous faisons nôtres les joies, les espérances, les efforts décidés de progrès de tous les peuples et de l’humanité tout entière.

L’année qui se termine a vu, entre autres, au cours de la Vile Assemblée des Nations Unies, la communauté des Etats engagée dans l’approfondissement plus positif des thèmes proposés par la Déclaration et par le Plan d’action pour l’instauration du nouvel ordre économique international ; thèmes adoptés déjà l’an dernier au cours de la VI° Session Extraordinaire de l’ONU.

Ce fait nous réjouit parce que, malgré les difficultés objectives de l’entreprise et les résistances intervenant, pour des raisons d’intérêts particuliers, souvent mal compris, l’humanité semble vou­loir progresser sur le plan de la coopération économique, au-delà de la simple réaffirmation de principes ou de la confrontation idéo­logique, et emprunter la voie des solutions concrètes grâce à de vraies et propres négociations multilatérales.

C’est dans une telle perspective que nous avons suivi attenti­vement les travaux de la récente Conférence Nord-Sud de Paris qui devrait marquer une étape nouvelle — bien que de portée moins universelle — dans le dialogue entre pays industrialisés et pays en voie de développement, fondé sur l’interdépendance, sur la co-responsabilité dans la gestion de l’économie mondiale et sur l’harmonisation.

Nous ne pouvons pas ne pas souligner les conditions nécessaires et les implications de caractère moral qui, non moins que celles d’ordre technique, politique et économique, commandent et doivent guider de semblables efforts et tentatives.

Dieu veuille que les peuples se mettent toujours plus généreu­sement et sagement sur cette voie, abandonnant, par contre, celle, périlleuse et moralement répréhensible, de la production et du com­merce (même sous la forme de « dons », mais tellement onéreux !) des armes destructrices ! Dieu veuille aussi que les négociations pour le désarmement, soit général soit qualifié comme celui du SALT (Strategic Arms Limitation Talks), ne s’arrêtent pas et ne continuent pas à trop marquer le pas à cause des obstacles ren­contrés sur leur chemin: obstacles graves, sans aucun doute, mais que la bonne volonté, la ténacité et la sagesse politique des hom­mes d’Etat responsables doivent permettre de trouver le moyen de surmonter.

Si dans le grand scénario de la communauté internationale dans son complexe, nous passons aux différents points du monde qui, au cours de cette année, ont été le théâtre d’événements di­gnes de relief, nous ne pouvons manquer d’en rappeler particu­lièrement trois : l’indépendance acquise par les territoires por­tugais d’Afrique, la fin de la guerre au Viêt-Nam, la persistance du conflit au Moyen-Orient.

 

Vœux pour l’Afrique

 

Aux peuples d’Afrique, élevés à la dignité de Nations souve­raines et accueillies avec satisfaction parmi les membres de la Communauté des Etats, nous avons fait parvenir l’expression de notre participation à leurs sentiments et nos vœux sincères. Dans les capitales du Mozambique et de l’Angola réside déjà depuis quelque temps un Représentant du Saint-Siège en qualité de Dé­légué Apostolique. Et récemment nous avons pu recevoir et échan­ger des expressions de cordiale déférence venant de la part de M. le Président de la République du Cap Vert et de M. le Président de la Guinée-Bissau, à l’occasion de la visite que nous avons mentionnée.

Il est très encourageant de voir comment le grand et cher Continent africain, où subsistent encore de difficiles problèmes de rapports raciaux et où d’autres problèmes, nombreux et non moins hérissés de difficultés, naissent de la nécessité même d’un dé­veloppement que le retard passé oblige à accélérer, s’avance ré­solument et malgré tout sur la voie d’une complète indépendance.

Nous formons des vœux pour que ce processus puisse se poursuivre rapidement et sans être troublé : non troublé, en par­ticulier, par des interférences étrangères qui pourraient tenter de remplacer le vieux colonialisme par de nouvelles formes de do­mination dans un but de puissance ou d’influence idéologique; et pas troublé non plus par des divisions internes capables de pa­ralyser et de détruire de précieuses énergies dont les populations africaines ont .un pressant besoin pour pouvoir construire leur avenir grâce à la participation paritaire de toutes les composantes ethniques et culturelles.

Nous adressons particulièrement nos vœux aux grandes et pro­metteuses terres de l’Angola, où l’Eglise occupe de larges espa­ces, afin qu’une honnête et loyale entente puisse y instaurer, à la place du conflit menaçant, cette paix juste et laborieuse qu’attendent ces bonnes populations.

La conclusion des hostilités au Viêt-Nam, après trente années de guerres et de luttes, ouvre pour l’Indochine et tout le Sud-Est asiatique un nouveau chapitre, non dépourvu toutefois l’inconnues.

Quant à nous, nous ne pouvons que souhaiter que la situation qui s’est ainsi créée, et celle qui suivra la réunification prévue d’un pays pour lequel nous n’avons jamais caché notre intérêt passionné et paternel, se développe dans un ordre fructueux et attentif aux légitimes aspirations de ce peuple, dans la recherche d’une entente et d’une concorde qui permettent de guérir, dans le respect des droits de chacun, les profondes blessures provo­quées par le long conflit.

Le Saint-Siège a cherché à se mettre et à rester en contact avec les Autorités du Viêt-Nam. Il espère que de cette manière il pourra agir, à l’avantage mutuel de l’Eglise et de l’Etat, dans un esprit d’amicale participation à l’œuvre de reconstruction du pays, et en souhaitant qu’à cette communauté catholique, une des plus florissantes du grand monde asiatique, berceau d’antiques et très nobles civilisations, il soit laissé un suffisant espace de vie et d’activité dans le domaine religieux qui est proprement celui de l’Eglise mais ne manque pas d’exercer une bénéfique influence sur le développement tranquille et ordonné de l’entière collecti­vité nationale. A nos fils au Viêt-Nam, à leurs chers Pasteurs, et à tous ceux qui collaborent avec eux dans les champs de l’aposto­lat, nous adressons nos salutations, notre souvenir et notre bénédiction.

 

Le problème du Moyen-Orient

 

Puis, que dire du grave et toujours pendant problème du Moyen-Orient ? Nous faudra-t-il encore répéter combien et pour quels puissants et très particuliers motifs il nous tient à cœur et nous préoccupe ? Ou devrons-nous de nouveau rappeler les lignes fon­damentales qui, selon l’avis du Saint-Siège, devraient en condi­tionner et rendre possible la solution équitable et stable ?

Du moins voudrions-nous, à la lumière des imminentes célé­brations de Noël, inviter encore une fois le monde chrétien tout entier à fixer sa pensée sur la Terre de Jésus : sur les lieux qui ont vu sa naissance, sa vie cachée d’ouvrier et celle, laborieuse et lumineuse, de Maître, sa mort et sa victoire sur celle-ci : sur la Ville qui continue d’être un centre spirituel d’amour et de dé­votion pour les disciples du Christ comme pour les fils du peuple hébreu et pour les fidèles de l’Islam ; et inviter tout le monde à répéter l’ancienne acclamation suppliante : « Fiat lux in virtute tua ! ».

Cette paix, dont il semble parfois qu’on s’approche laborieu­sement, lentement, puis qui est continuellement refoulée bien loin, cette paix doit faire l’objet non seulement des vœux, mais aussi des efforts vifs et infatigables de toutes les parties intéressées. Evitant les stériles et dangereuses positions extrêmes, et, en faisant taire, particulièrement, la voix du terrorisme et des représailles qui y répondent de manière indiscriminée, les intéressés doivent chercher à poursuivre le dialogue selon les modes et aux sièges appropriés.

Bien que nous soyons, nous aussi, convaincu de la nécessité d’une solution globale juste et sagement équilibrée et plus exacte­ment parce que nous en sommes persuadé, nous nous permet­tons d’exhorter les responsables des différentes parties à ne pas négliger les possibilités concrètes, quoique encore modestes, qui s’offrent d’entamer les négociations et d’établir le climat favorable et les conditions indispensables à la poursuite de la conclusion tant souhaitée.

Et tout en étant conscient des tragédies pas tellement lointaines qui ont poussé le peuple hébreu à rechercher un établissement sûr et protégé dans un propre Etat Souverain et indépendant, ou mieux, précisément parce que nous en sommes conscients, nous voudrions inviter les fils de ce Peuple à reconnaître les droits et les aspirations d’un autre Peuple qui, lui aussi, a longuement souf­fert : le Peuple palestinien.

 

Sollicitude pour le Liban

 

En parlant du Moyen-Orient nous ne saurions certes ne pas rappeler, avec une émotion lourde de préoccupations mais qui ne voudrait pas rester fermée à l’espérance, ce qui a été qualifié, bien à raison, de tragédie du Liban. Notre particulière sollicitude s’est révélée clairement au peuple libanais et au monde dans la mission que nous avons confiée à notre envoyé spécial, Monsieur le Cardinal Paolo Bertoli, à qui nous désirons exprimer de nou­veau, en la présente circonstance, la gratitude méritée par le zèle, la compétence, l’esprit de sacrifice avec lesquels il a su accomplir sa tâche délicate.

Malgré des tentatives de trêve rejetées, la situation continue, malheureusement à être dangereusement incertaine et menaçante.

Ceux qui ont pu connaître et admirer de près l’exemple de coexistence pacifique offert pendant si longtemps par la popula­tion, chrétienne et musulmane, du Liban sont presque naturelle­ment portés à considérer que les explosions de violente hostilité dont il est actuellement devenu le théâtre ne peuvent trouver d’explication valable que dans l’intervention de forces étrangères au Liban et à ses véritables intérêts.

Aussi nos souhaits, nos avertissements ne peuvent être que ceux-ci : qu’on ne veuille pas, qu’on ne permette pas que pour d’obscurs motifs soit détruite une tradition de tolérante coexistence de bonne collaboration qui doit, tout au contraire, rester un exem­ple pour d’autres formes — plus étendues — de coexistence ci­vile et religieuse au Moyen-Orient, si Ton veut, comme il se doit qu’une paix vraie, une paix certaine et stable y règne et rende à cette terre une tranquillité à laquelle les peuples voisins sont également intéressés.

Pour le Liban, en ces heures tourmentées nous invitions par­ticulièrement les chrétiens à prier pour que Dieu concède à toutes ses populations de savoir retrouver, dans un esprit de fraternité la voie de la concorde et de la réconciliation nationales.

 

Problèmes d’Europe

 

Nous n’avons pas l’intention de nous référer à toutes les au­tres situations (comme à celle, si douloureuse, de la très chère Irlande), qui, en ce moment présentent des problèmes dans le monde. Mais comment pourrions-nous nous empêcher de faire au moins mention de pays comme l’Espagne et le Portugal, tous deux importants pour l’Europe et, à nous, très chers, qui sont en train de vivre un moment particulièrement important dans leur respec­tive, et bien diverse, démarche pluriséculaire ? A ces pays, à leurs destinées nous souhaitons qu’ils sachent répondre comme il est nécessaire à leurs responsabilités.

Une pensée encore pour l’Italie, si proche du Saint-Siège et de notre cœur : ne serait-ce que pour souhaiter à sa population que dans le responsable exercice autonome de ses droits démocra­tiques, elle sache conserver intégralement sa fidélité aux valeurs civiles et chrétiennes de ses anciennes traditions afin de réaliser, dans la justice, dans l’ordre et dans le respect de ces valeurs mo­rales qui sont en même temps devoir et protection de la dignité et des intérêts véritables de l’homme et de la nation, de réaliser, donc, les progrès et la fertile tranquillité auxquels tous dans tous les domaines aspirent légitimement. Sur cette voie elle trouvera toujours dans l’Eglise, non pas un obstacle, mais une aide.

On a souvent évoqué, encore ces derniers temps, la question du rapport juridique entre l’Etat et l’Eglise en Italie, régi comme il est par le Concordat de 1929. Nous voudrions de nouveau as­surer que, tandis que nous considérons comme très utile, même aujourd’hui, à la paix religieuse du peuple italien le maintien d’une solide base bilatérale de distinction des champs d’action res­pectifs et de la reconnaissance des droits et devoirs réciproques le Saint-Siège reste disposé à réexaminer et à modifier, de commun accord avec le Gouvernement et toujours dans le juste respect des exigences essentielles et légitimes des parties, les points qui sem­blent ne plus répondre aux situations nouvelles.

 

II. La vie de l’Église en elle-même

 

Tournant maintenant les yeux vers la vie de l’Eglise en elle-même, nous devons reconnaître que nombreux sont les éléments qui nous remplissent d’espérance lorsque notre regard scrute l’ho­rizon de l’Eglise et du monde et y cueille, malgré tout, in spem contra spem (cf. Rm 4, 18), les signes d’une vigoureuse vitalité religieuse. Oui, vénérables Frères et Fils bien-aimés, malgré tous les démentis qui peuvent ci et là nous venir de points particuliers, nous avons confiance. L’Eglise est vivante ! Nous le savons, oui, comme nous le révèlent les principes fondamentaux de notre foi qui nous attestent que le Christ est présent dans l’Eglise et le sera jusqu’à la fin des temps (cf. Mt 28, 20 ; 8, 26 ; 14, 27) et nous parlent de l’Esprit Saint qui l’anime et la soutient dans sa dé­marche, principalement quand le chemin est plus un chemin de la Croix qu’une course triomphale (cf. Lc 12, 12 ; Jn 16, 13 ; Ac 9, 31 ; 1 Co 12, 11 ; 2 Co 1, 22 ; Ep 4, 4, etc.). Mais s’il fallait, de cette réalité profonde, une confirmation puisée dans l’expérience quotidienne, voici qu’alors vient à notre secours celle que nous venons de vivre et dont nous avons été les témoins pleins d’admi­ration, parfois émus jusqu’aux larmes : l’Eglise est plus que ja­mais vivante parce que nous l’avons vue ainsi! En cette Année Sainte un courant de renouvellement, de sainteté, de grâce l’a en­vahie dans tous ses éléments, signe éloquent du sérieux avec lequel a été accueillie notre invitation au renouvellement et à la réconciliation, et très consolante promesse du nouvel élan qui, avec l’aide de Dieu, y fera suite au cours de ces futures années de cette fin du Ile millénaire après Jésus-Christ.

 

Déroulement et caractéristique de l’Année Sainte

 

Sous cet aspect, le Jubilé fut extrêmement significatif, caracté­risé par une physionomie toute particulière qui l’a profondément qualifié : il a été avant tout un événement religieux, une manière de se mettre à la recherche de Dieu et de sa grâce dans le con­tact de la prière, de l’union avec Dieu, de la pénitence, de la vie eucharistique. Par millions, les foules venues de tous les con­tinents ont surtout prié comprenant aussitôt, avec l’intuition pro­pre au Peuple de Dieu, le caractère décidément dépouillé de tout rappel d’extériorité que nous avons voulu donner aux cérémonies du Jubilé, les pèlerins sont allés à l’essentiel. Comme nous le di­sions durant l’audience au Sacré Collège, en juin dernier, « nous pensons que ce sens retrouvé de la prière est une grande et vala­ble richesse du Jubilé ; et nous nous réjouissons en voyant qu’ainsi se réalisent les conditions que le Sacré Collège avait fixées avec tant d’espérance, inaugurant vraiment une ère nouvelle dans la vie de l’Eglise de notre temps » (23 juin 1975 : AAS 67, 1975, p. 457). L’Année Sainte fut ensuite un événement populaire : ce sont en effet les humbles, les gens simples ceux qui vivent dans de modestes conditions économiques qui ont donné une preuve magnifique de leur foi et de leur pleine consonance avec la vie de l’Eglise. Nous avons encore devant les yeux les grands pèle­rinages diocésains de tous les continents ; et tout particulièrement ceux venus des pays du Tiers-Monde au prix de sacrifices et de désagréments parfois très graves, mais démontrant une constance et une générosité telles qu’ils nous ont fait réentendre dans toute leur force les paroles de Jésus : Je vous dit que beaucoup vien­dront du levant et du couchant prendre place au festin avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des Cieux » (Mt 8, 11). L’Année Sainte a été, ensuite, un événement ordonné : même au moment où dans tant de pays du monde la violence fauche sou­vent des victimes innocentes, ici, à Rome où jamais encore on n’avait vu un afflux aussi nombreux de groupes de fidèles, tout s’est déroulé, grâce à Dieu, dans un ordre exemplaire ; rien n’est venu troubler le déroulement normal des Audiences, des cérémo­nies, des rencontres ; et profitant de cette occasion, nous voulons dire quelques paroles de louange à la chère population de notre Diocèse de Rome qui, a supporté avec sa dignité innée les iné­vitables désagréments (et nous pensons surtout à la difficulté du trafic) que la présence simultanée de tant de fidèles procuraient parfois à la Cité. Il s’agissait toutefois d’un ordre non seulement extérieur, mais aussi d’un ordre bien plus profond : la pacifique possession de la foi, dans la charité et dans la joie a évité toute contestation, tout esprit de critique, toute forme d’opposition ; tant et si bien que si tel comportement a pu parfois se constater ce ne fut jamais que là où l’un ou l’autre a voulu demeurer dans son isolement obstiné, loin du climat serein, spirituel, constructif du Jubilé romain : nous voulons penser qu’en effet certaines po­sitions, d’ailleurs extrêmement rares, n’étaient réellement dues qu’à ce manque d’expérience directe.

 

Documents et enseignements Pontificaux

 

Dans ce cadre unique, dont nous conserverons tous, pendant toutes les années à venir, le souvenir enfoui au fond du cœur, prennent un relief particulier des actes que nous voulons et de­vons rappeler ici, serait-ce même brièvement. Avant tout, l’en­seignement de notre Siège Apostolique : en juin dernier nous fai­sions allusion aux documents qui, jusqu’à ce moment, avaient été publiés à l’occasion du Jubilé, à commencer par la Bulle Apostolorum Limina du 23 juin 1974 (AAS 1974, p. 289-307) à laquelle ont suivi : l’Exhortation Apostolique sur la réconciliation à l’inté­rieur de l’Eglise, du 8 décembre 1974 (AAS 67, 1975, pp. 5-23) ; celle sur la joie chrétienne du 9 mai dernier (ibid. pp. 289-322). Nous voulons citer encore l’Epistula Lumen Ecclesiae, à l’occasion du Vile Centenaire de la mort de Saint Thomas d’Aquin (AAS 66, 1974, pp. 672-702) ; ces derniers mois, il s’y est ajouté la Consti­tution Apostolique Romano Pontifia eligendo du 1er octobre der­nier et l’Exhortation Apostolique Evangelii nuntiandi du 8 décem­bre, dans laquelle, recueillant les remarquables indications pasto­rales de la Troisième Assemblée Générale du Synode des Evêques, nous avons voulu donner comme une Summa ample, complète, mise à jour, des problèmes et des impératifs que la très im­portante mission de l’Evangélisation dans le monde contemporain soumet aujourd’hui à l’Eglise, au pasteurs, aux prêtres, aux familles et aux laïcs dans les différentes formes qui caractérisent leur vie. Mais ces documents qui marquent comme autant d’étapes saillantes, les plus incisives, ne peuvent faire passer sous silence la trame d’autres enseignements que cette Chaire Romaine, cons­ciente de la mission que le Christ a confiée à Pierre de confirmer les frères (cf. Lc 22, 32) n’a pas manqué d’énoncer en toute oc­casion : et voici les Lettres adressées à différents Congrès Eu­charistiques, à des célébrations commémoratives des diverses Egli­ses locales, lors d’anniversaires de fondations de diocèses, d’Eglises cathédrales, de Familles religieuses. Et ainsi, il nous plaît de rap­peler les moments particulièrement intenses de l’Année Sainte qui ont fait appel respectivement aux jeunes, aux catéchumènes, aux jeunes époux dont nous avons béni les noces, les centaines de nouveaux prêtres que nous avons ordonnés nous-même, les très chers malades à qui nous avons administré le sacrement des Malades ; puis le Congrès Mariologique-Marial le Congrès des Oeu­vres Missionnaires Pontificales ; celui des Organisations Interna­tionales Catholiques; le Congrès Missionnaire, pour n’en citer que quelques uns ; puis encore les rencontres avec les Représentants des Conférences Episcopales, avec les organisations diverses, des professeurs, des hommes de science et de culture, des membres d’associations d’apostolat. En parcourant à nouveau, par la pensée, toutes les occasions de grâce que nous avons vécues avec les différents secteurs du monde catholique nous ne pouvons retenir un mouvement de profonde reconnaissance émue au Seigneur, le « Père des lumières » de qui proviennent « tout don excellent, toute donation parfaite » (Jc 1, 17), qui nous a permis de voir, de nos propres yeux, de toucher de nos propres mains ce que, non sans motifs, nous avons appelé, au début de notre allocution, la vigoureuse vitalité religieuse de notre temps.

 

Béatifications et Canonisations

 

Dans cet inventaire que nous faisons à gros traits évocateurs, ne peut certainement manquer le souvenir de ces véritables heures de grâce, ces heures célestes que nous avons vécues ensemble à l’occasion des béatifications et des canonisations que nous avons célébrées durant cette Année Sainte. Treize béatifications : celles de Marie Eugénie de Jésus Milleret de Brou, d’Henri Charles Steeb, de Charles-Eugène de Mazenod, d’Arnold Janssen, de Joseph Freinademetz, de Marie Thérèse Ledochowska, d’Ezéchiel Moreno, de Gaspard Bertoni, de Vincent Grossi, d’Anne Michelotti, de Marie Droste zu Vischering, de Joseph Moscati. Et, nous nous en souvenons tous, il y eut six canonisations : celles de Saint Jean-Baptiste de la Conception, de Sainte Vicenta Maria Vicuna, de Sainte Elisabeth Anne Seton, de Saint Jean Macias, de Saint Olivier Plunkett, de Saint Justin de Jacobis. La seule énumération de ces noms nous remet en mémoire les vies remarquables de ces Evêques, de ces Fondateurs d’ordres religieux, de ces Mission­naires, de ces champions de la charité, parmi lesquelles l’extraor­dinaire figure d’un laïc, le médecin Moscati ; et leur exemple, tel­lement complexe dans les diverses expériences, mais toutefois égales dans leur dénominateur commun de l’amour de Dieu et de leurs frères, nous dit que l’Eglise est vivante surtout parce que la sainteté imprègne ses membres : une sainteté authentique, souf­ferte, éprouvée par des difficultés semblables à celles dont nous faisons l’expérience aujourd’hui ; et de ce fait, nous avons la preuve que la sainteté est possible, qu’elle est réelle et présente dans les hommes et les femmes de la plus récente génération tout comme elle l’est, nous n’en doutons pas, dans ceux de la généra­tion actuelle et de la génération future. Dans cette magnifique floraison que nous avons présentée à l’Eglise Universelle, il nous plaît de voir la nette confirmation de cette vocation universelle à la sainteté dans l’Eglise que le Concile Vatican II a nettement rappelée.

 

Œcuménisme

 

Mais un autre signe particulièrement prometteur pour la vie de l’Eglise en elle-même est donné également par le ton particuliè­rement oecuménique qu’a eu cette Année Sainte 1975. Nous nous rappelons encore, avec une joie trépidante, le rite de prière célébré le 25 juin dernier en la Basilique de Saint-Paul-hors-les-murs pour implorer de Dieu la reconstitution de l’unité avec les Eglises qui ne se sont pas encore jointes à la nôtre. Si, à ce moment-là, nous avons dû faire état du sentiment le tristesse que nous éprouvions en constatant que « cette unité ne s’est pas encore refaite » (AAS 67, 1975, p. 113) pour de nombreuses raisons, nous avons cru de notre devoir, également, de parler de la profonde espérance que nous gardons dans le cœur, basée principalement sur cet argu­ment suprême selon lequel il y va de la crédibilité du christianisme devant le monde : « Aujourd’hui — disions-nous —, avec vous, nous remercions le Seigneur qui nous a permis de voir que les relations entre chrétiens deviennent plus intenses et plus profon­des. La recherche de la réconciliation entre les chrétiens, qui est oeuvre de l’Esprit Saint et expression de cette sagesse et patience avec laquelle le Seigneur « poursuit le dessein de sa grâce envers nous pécheurs » (Unitatis redintegratio, 1) devient de plus en plus un sujet d’attention et de soins croissants de la part de l’Eglise Catholique et des autres Communions Chrétiennes » (AAS 67, 1975, p. 116).

De cette attention, nous avons de continuelles, de très heureuses attestations : la dernière, la plus proche dans le temps, celle que nous avons eue dans l’Assemblée générale du Conseil Mondial des Eglises qui s’est conclue tout récemment à Nairobi et à la­quelle nous avons eu l’honneur d’envoyer notre Message qui, nous le savons, a été accueilli avec un sincère respect ; nous y avons envoyé également une délégation de l’Eglise Catholique dont la présence a été vivement appréciée et qui, selon les informations que nous avons reçues, a été demandée et désirée dans diverses phases des travaux. Béni soit le Seigneur qui nous fait voir com­me le mouvement oecuménique, sans gestes sensationnels mais avec des pas plus constructifs, plus incisifs, poursuit calmement, sans arrêt, sa voie, comme le cours d’un fleuve suit son lit. Et ici à Rome également nous en avons eus continuellement, précisément pour rester dans le sujet qui nous occupe, durant les célébrations de l’Année Sainte : c’est avec émotion que nous nous souvenons encore de la très récente cérémonie célébrée simultanément à Rome et à Constantinople, à l’occasion du dixième anniversaire de l’abrogation d’une page douloureuse dans l’histoire de nos re­lations réciproques. Retournons ensuite par la pensée vers les différents groupes de Frères séparés qui sont, peut-on dire, pré­sents à chaque Audience générale, remarquables par leur dignité et leur recueillement; ils sont venus de partout dans le monde pour nous dire comment les diverses communautés auxquelles ils appartiennent, regardent avec une sincère admiration vers Rome et vers le Successeur de Pierre. Et nous savons également qu’un flot ininterrompu de pèlerins de diverses dénominations chrétiennes — se mettant opportunément en contact avec notre Secrétariat pour l’Union des Chrétiens et, par celui-ci, sagement et respectueusement guidés — viennent à Rome pour mieux connaître la vie de l’Eglise Catholique et pour revivre, dans des moments de prière, les grandes leçons de générosité, de grâce, de lumière qui viennent des souvenirs historiques de l’Eglise Romaine des premiers siècles, mère de Saints, nourrice de Martyrs, inspiratrice d’œuvres de charité et d’assistance.

De même, nous ne voulons pas oublier, au moins en le men­tionnant, l’intérêt que l’Année Sainte a suscité chez de nombreux et très distingués représentants des Religions non-chrétiennes, ve­nus de divers points du monde pour vivre, eux aussi, l’expérience — pourtant si lointaine de leur monde religieux — du saint Jubilé.

 

Difficultés et espérances

 

Vénérables Frères et très chers Fils ! Malgré le consolant exposé que nous avons fait, il y a cependant de nombreux motifs d’ap­préhension qui, en cette fin d’année, occupent notre cœur et par­fois l’écrasent de leur poids : nous avons parfois l’impression d’un refus glacial, voulu, catégorique, dédaigneux venant de si nom­breux responsables, de manipulateurs de l’opinion publique avec les moyens de la communication sociale, d’hommes de science, de culture et d’art ; un refus devant la mission de l’Eglise, ou plutôt, devant le nom même de Dieu et de Jésus-Christ : de ce Dieu qui est Amour (cf. 1 Jn 4, 16), de ce Jésus aux bras largement ouverts sur les branches de la Croix et qui ne nous offre qu’amour et pardon. Une marée de violence préméditée, destructrice, souvent inspirée par une facile, périlleuse et incroyable soif d’argent, sem­ble, dans les diverses nations, vouloir submerger la coexistence ci­vile bien ordonnée dont dépendent la sérénité, le progrès, l’édification de la société. Nous ne pouvons à ce propos taire notre ferme et triste réprobation au sujet de ce nouvel acte de violence ignoble qui, hier précisément, a été perpétré à Vienne. Une répugnante perversion, une vraie dégradation morale semble parfois, au nom d’une liberté mal comprise qui veut se détruire elle-même submerger le cri indigné des consciences droites en ce moquant des valeurs sacrées, en bafouant le sens du bien, de la pudeur, de la dignité, de la beauté que Dieu a imprimée dans l’âme et dans le corps de l’homme ; et les victimes les plus expo­sées en sont les petits, les jeunes, les faibles.

Mais, répétons-le, nous voulons fixer le regard sur le futur in spem contra spem, comme nous l’avons dit. Nous ferions tort à l’interminable théorie de pèlerins du Peuple de Dieu qui, durant toute cette année, sont venus à Rome et ont franchi la Porte Sainte dans une idéale démarche de prière et de pénitence, si nous nous laissions impressionner par ces accès, malheureusement évidents, de violence et de corruption. Ces fidèles nous ont dit que l’Eglise est consciente que sa vie venue du cœur du Père, germée dans le sang du Christ Crucifié et guidée par son Esprit sanctificateur, est imprégnée des éléments d’unité, de sain­teté, de catholicité et d’apostolicité, qu’elle est engagée déci­dément sur les voies de la pénitence et de la charité. Le sens de la prière, le contact retrouvé avec Dieu, la création d’œuvres sociales et philanthropiques au bénéfice des frères qui souffrent, nous disent que le bien est supérieur au mal, même si l’opinion de la majorité n’en est pas touché ; cela nous dit que, malgré les attentats dont elles sont l’objet de différents côtés, les familles sont saines, qu’elles sont formatrices de christianisme vécu, et nous rappelle que l’Eglise peut et doit être présente avec sa charge puissante de grâce et de renouvellement dans le monde, comme le levain dans la pâte (cf. Mt 13, 33) ; tout cela nous dit que si les problèmes sont encore et toujours extrêmement graves, les énergies, les ressources de l’Eglise, elles, sont vastes et énormes. Il est donc permis, et c’est un devoir, de regarder vers l’avenir avec confiance et optimisme.

Nous offrons la collaboration sincère et décidée de l’Eglise à tous les hommes de bonne volonté à qui incombe la lourde res­ponsabilité d’élever le monde dans lequel nous vivons : les Chefs d’Etats, les économistes, les politiciens, les écrivains et les artis­tes, les journalistes, et tous ceux qui ont le devoir de faire bien fructifier leurs talents. En ce dixième anniversaire du Concile Va­tican II nous voudrions faire réentendre le message qu’il a adressé précisément aux gouvernants, aux hommes de pensée, aux hommes de science, aux artistes, aux femmes, aux travailleurs, aux pauvres, aux malades, à tous ceux qui souffrent..., ainsi qu’aux jeunes, et rendre ainsi témoignage de sa volonté de collaboration ; également pour inviter chacun à prendre conscience de ce que la doctrine de l’Eglise, reproposée par le Concile ne veut rien d’autre que d’« aider tous les hommes de notre temps, qu’ils croient en Dieu ou qu’ils ne le reconnaissent pas explicitement, à percevoir avec une plus grande clarté la plénitude de leur vocation, à rendre le monde plus conforme à l’éminente dignité de l’homme, à re­chercher une fraternité universelle, appuyée sur des fondements plus profonds, et, sous l’impulsion de l’amour, à répondre gé­néreusement et d’un commun effort aux appels les plus pressants de notre époque » (Gaudium et Spes, 91).

Voilà, voilà, vénérables Frères et très chers Fils ! voilà le mes­sage du Concile, et c’est là le fruit du Jubilé qui, même si, chro­nologiquement, il prend fin avec la fermeture de l’Année Sainte, ne manquera pas de porter des fruits tout au long des années qui vont suivre.

Nous déposons ce vœu dans la pauvre mangeoire du Fils de Dieu fait homme dans l’extrême dénuement de Bethléem. Il est venu pour sauver le monde, non pour le juger (cf. Jn 3, 17). Venez à Lui, hommes qui pensez, qui travaillez, qui souffrez, qui aimez: II est, Lui, le Sauveur ; Lui, le Rédempteur, « car il n’y a d’autre nom, par lequel nous pouvons être sauvés » (Ac 4, 12). Il écoutera nos prières ; et les écoutera la Très Sainte Vierge Marie qui l’enroula dans de pauvres linges pour le présenter aux pasteurs et aux Mages, et, également, à nous, hommes d’aujourd’hui, afin de nous attirer tous à Lui. Elle, la Mère de Dieu et Mère de l’Eglise, gardera et fera croître les fruits du Jubilé.

C’est avec ces vœux ardents que nous vous remercions tous, et que, de tout notre cœur, nous vous donnons notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

 

24 décembre

 

à la clôture de la Porte Sainte à minuit

 

LA CIVILISATION DE L’AMOUR L’EMPORTERA SUR LA FIÈVRE DES LUTTES IMPLACABLES

 

L’homélie du Saint-Père

 

Fils de l’Eglise !

Frères du monde entier !

 

Ecoutez maintenant la parole de conclusion de l’Année Sainte. Nous l’avons commencée en invoquant la miséricorde de Dieu sur nous, sur l’Eglise, sur le monde.

Nous avons donné au rite d’ouverture de la Porte Sainte une double signification symbolique — mais terriblement réelle — ; celle, tout d’abord, de la nécessité d’obtenir un pardon, sans le­quel une barrière de désespoir empêcherait notre entrée dans le temple de Dieu. Nous avons en effet reconnu la nécessité an­goissante et existentielle que nous éprouvons de rétablir des rap­ports normaux et heureux avec le Dieu vivant. Nous avons ainsi expérimenté spirituellement notre incapacité absolue de renouer tout seuls sur le plan d’une amitié vitale ces rapports indispen­sables. Nous avons frôlé, non sans en éprouver du vertige, l’abîme d’une ruine fatale. Nous avons anxieusement et courageusement osé, nous hommes de ce siècle splendide, de ce siècle de Babel, frapper à la porte — que nous avions pourtant délaissée — de la maison paternelle : il s’agissait de revivre selon le dessein de l’Evangile, de la réconciliation avec l’harmonie première, avec Toi, ô Dieu de justice et de bonté !

Nous nous en souviendrons toujours : un acte, un pacte de re­ligion a cherché, avec succès à relier notre vie dite moderne, no­tre vie actuelle, historique, civile, quelle qu’elle soit — avec ses négations, son scepticisme, ses aberrations, son indifférence, ou au contraire avec sa piété et sa fidélité — à la relier à Toi, Dieu, Toi la première, la véritable, l’unique, l’ineffable source de la Vie qui ne s’éteint pas et qui resplendit partout. A tous égards, ô Dieu, tu es l’Etre nécessaire. Aujourd’hui, tu es à nous, ô Dieu, mystère de paix et de béatitude.

Nous le reconnaissons : nous avons courbé nos fronts fous d’or­gueil, de suffisance et de sottise, et nous avons rénové nos con­sciences dans une sage et sincère humilité, devant les exigences du message du Royaume de Dieu. La metanoia chrétienne qui, à la bifurcation des routes de l’existence, guide les pas de l’homme vers le salut, a déterminé notre choix. Ce choix, déjà décidé depuis le baptême pour ceux d’entre nous qui sommes chrétiens, est maintenant confirmé, et il l’est pour toujours. Nous sommes chrétiens convertis.

Et voici l’autre signification que l’Année Sainte a revêtue pour nous : la Foi et la Vie. Nous disons la Vie, parce qu’il s’agit de Te rejoindre, même sur la rive-limite de notre capacité de con­naître et d’aimer ; Toi, l’océan de l’Etre, plénitude qui surpasse et qui domine toute existence, ciel de l’insondable profondeur, pas seulement de la terre et du cosmos, mais qui n’est comparable qu’à Toi-même, infini au-delà de l’espace, Père de tout ce qui existe. La Vie, c’est Toi, ô Dieu, suspendu comme une lampe irradiant le bonheur au-dessus de la pénombre de notre expérience balbutiante, en contact avec le monde, avec l’histoire, même avec notre mystérieuse solitude intérieure, qui a d’autant plus besoin de cette lumière souveraine qu’apparaît plus vaste et plus lourd d’inconnu le panorama ouvert par la science et la civilisation à notre regard avide et toujours aussi myope. Et cela aussi restera. Nous puiserons dans la Foi — dont le Christ, Parole du Père, est la source —, la lumière supplémentaire dont le savoir hu­main a besoin pour avancer dans la liberté et la confiance sur le chemin du progrès, heureux de pouvoir faire alterner l’étude ra­tionnelle et expérimentale, guidée par ses principes autonomes, avec ce gémissement, ce chant de l’âme qui confirme ces princi­pes, les intègre et les sublime. L’homme nouveau de cette Année Sainte n’oubliera donc pas la prière et il ramènera sa mémoire d’enfant à ce langage innocent des fils de Dieu. L’Eglise l’ac­compagnera en chœur et lui servira de guide.

Et où irons-nous maintenant, dans l’ivresse d’un bonheur re­trouvé et toujours jaillissant, dans l’ivresse de cette paix, qui est tout entière énergie et qui tend sans cesse à se répandre de façon plus prodigue et plus fraternelle ? O Christ, Toi qui t’es fait pasteur devant nous qui marchons à ta suite, pressés d’atten­dre dès maintenant — dans ce laps de temps si bref et fugitif que tu réserves à l’expérience de tes disciples authentiques — un but qui soit à la fois digne et concret: comprendrons-nous le « signe des temps », qui n’est autre que l’amour dû au prochain? Dans la définition de ce prochain, tu as inclus tout homme qui a besoin de compréhension, d’aide, de réconfort, de sacrifice, même s’il nous est personnellement inconnu, même s’il nous en­nuie, s’il est hostile, car il est toujours revêtu de l’incomparable dignité de frère. La sagesse de l’amour fraternel, qui a caractérisé le cheminement historique de l’Eglise en s’épanouissant en vertus et en oeuvres qui sont à juste titre qualifiées de chrétiennes, explosera avec une nouvelle fécondité, dans un bonheur triom­phant, dans une vie sociale régénératrice. Ce n’est pas la haine, ce n’est pas la lutte, ce n’est pas l’avarice qui sera sa dialectique, mais l’amour, l’amour générateur d’amour, l’amour de l’homme pour l’homme. Ce n’est pas quelque intérêt provisoire et équi­voque qui l’inspirera, ni une condescendance imprégnée d’amer­tume et d’ailleurs mal tolérée, mais l’amour même que nous te portons, à Toi, ô Christ, découvert dans la souffrance et dans le besoin de notre semblable quel qu’il soit. La civilisation de l’amour l’emportera sur la fièvre des luttes sociales implacables et don­nera au monde la transfiguration tant attendue de l’humanité finalement chrétienne.

Qu’ainsi, oui, qu’ainsi se conclue cette Année Sainte, Seigneur ! Et qu’ainsi, frères humains, nous reprenions avec courage et joie notre cheminent dans le temps, vers la rencontre finale, qui met dès maintenant sur nos lèvres l’invocation suprême : « Viens, ô Seigneur Jésus ! » (Ap 22, 20).

 

 

 

25 décembre

MESSAGE DE NOËL DE PAUL VI

 

Frères et Fils de Rome et du monde !

 

Voici que je vous annonce une grande joie, qui est celle du monde entier : aujourd’hui est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur (cf. Lc 2, 10).

Nous faisons nôtre cette voix de l’ange qui a résonné dans la nuit décisive de la naissance de Jésus à Bethléem, et nous la re­lançons dans le monde. Oui, le Noël du Christ se renouvelle per­pétuellement dans le temps; et depuis que l’événement incompa­rable, mûri depuis des siècles dans la pensée de Dieu (cf. Ep 1, 4), est apparu sur l’écran de l’histoire, en lui l’humanité y atteint son dessein universel, découvre sa signification permanente, cher­che son destin final. Dans le plan global du genre humain, la naissance du Seigneur marque une date éternelle; et l’Eglise fait bien de célébrer, à chaque cycle solaire, non seulement le sou­venir lointain de cet événement singulier et ineffable, de la venue du Verbe vivant de Dieu parmi les hommes, homme lui-même, c’est-à-dire l’Incarnation, mais elle fait bien aussi de rappeler son actualité désormais acquise : la terre est toujours la patrie du Christ, du Fils de Dieu qui s’est fait Fils de l’homme. Tout en n’étant plus en rapports sensibles avec nous, il n’en demeure pas moins, silencieusement, humblement, mais réellement comme à la crèche, avec nous et pour nous, afin qu’il y ait de notre part inlassable recherche, bonheur sans limites, indéfectible attente eschatologique. Il l’a dit d’une manière catégorique au moment de prendre congé de la scène expérimentale de ce monde, lorsqu’il a promis : « Et moi, je suis avec vous pour toujours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20).

Noël, le mystère admirable de l’Incarnation, la fête de l’Em­manuel, de « Dieu avec nous » (Mt 1, 23), marque la nouvelle naissance de l’histoire. Notre foi y trouve son point d’appui; notre conception de l’énigme de l’homme y trouve son unique explica­tion ; et pour nous, fils d’un siècle enclin à faire prévaloir l’anthropologie, c’est-à-dire l’intérêt humain, sur la théologie, c’est-à-dire sur la contemplation de l’Etre divin, cela représente une étape légitime dans notre itinéraire spirituel, cela représente la formule satisfaisante et définitive : dans la venue du Christ sur terre se trouve le salut ; son nom est Jésus, qui signifie Sauveur (cf. Mt 1, 21). Et voici alors que resplendit comme un étendard déployé sur la face de la terre, et pour tous les temps de la vie humaine, le nom de Jésus-Christ, Sauveur du monde (cf. Ac 3, 15). Laissons encore, à Saint Pierre le soin de proclamer depuis ce carrefour des peuples qui, à juste titre, porte son nom : en dehors de Jésus-Christ, « il n’y a pas sous le ciel d’autre nom donné aux hommes, par lequel il nous faille être sauvés » (Ac 4, 12).

Jésus, Jésus ! Tel est le cri qui jaillit le l’esprit de tous ceux qui ont accueilli, qui ont compris Noël : Jésus, tu es le Christ, toi, le salut, la vérité, la force, la béatitude, la gloire, toi la vie du monde ! « Tu solus Sanctus. Tu solus Dominus. Tu solus Altissimus. Iesu Christe ! » Telle est notre exclamation, comme celle que chante le Peuple de Dieu en célébrant les saints mystères de la Messe.

Mais ici notre joyeux message de Noël suscite un nouveau drame. Un drame dans lequel nous sommes tous impliqués, comme Saint Paul nous le rappelle avec vigueur : qui croit à notre prédication (cf. Rm 10, 16) ? Qui accueille notre évangélisation ?

Le vacarme assourdissant des mille voix qui remplissent l’atmos­phère de la vie moderne, avec les puissants haut-parleurs des fameux moyens de communication sociale, ou l’enchantement sug­gestif des images et des sons qui déplacent le langage du royaume de la pensée à celui des sens, ou encore le narcotique impondé­rable, mais formidable d’une certaine pression de l’opinion pu­blique et de la propagande politique qui, insensiblement, empê­che la liberté personnelle de s’exercer activement pour y substi­tuer une attitude passive sous la domination d’autrui, tout cela vous permet-il encore Frères et Fils, de distinguer et de saisir la vraie résonance de l’Esprit, à la fois souple et douce, la voix vibrante de l’Evangile du Christ, l’écho du cri prophétique qui monte du désert (cf. Mt 3, 3) ? Ou, au contraire le Verbe mystérieux qui, si on l’écoute bien, murmure dans le silence intérieur du cœur, n’est-il plus perçu ? N’est-il pas redouté et étouffé comme le rappel d’une vérité qu’on préfère ignorer ?

C’est là qu’on enregistre un fait nouveau, qui Nous semble, précisément en cette année de grâce, à la fois authentique et con­solant : quelques-uns écoutent ! Quelques-uns savent accueillir l’an­nonce de la bonne nouvelle comme un message révélateur et ré­novateur. Qui sont ces auditeurs inattendus, et pourtant prédes­tinés, du Verbe secret qui détient la vraie solution ? Ce sont les jeunes, Nous semble-t-il. C’est vous, jeunes gens : dans votre génération s’est manifestée, on pourrait dire avec une fureur sub­versive, la déception devant la fausseté ou du moins l’insuffi­sance de la sagesse des générations qui vous ont précédés, elles qui vous ont inculqué la folie de la guerre pour la puissance, du matérialisme présenté comme la seule justice, du plaisir comme aveuglement malhonnête sur les devoirs et la destinée supérieure de la vie humaine. Le vide a causé en vous, les jeunes, de grands ravages, et une aspiration intime et puissante vous a ramenés presque inconsciemment dans le cadre d’une invitation qu’on ne peut repousser : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai » (Mt 11, 28).

Le drame est là, à ce point précis du oui ou du non de la gé­nération qui monte, et qui a manifestement l’intuition d’une ren­contre possible et heureuse avec le Christ. Il parle, même du fond de sa crèche, avec un accent unique, à la fois pénétrant et doux : « Heureux ceux qui écoutent la Parole de Dieu et la met­tent en pratique ! ».

Fasse Dieu que la nouvelle jeunesse, et que nous tous, fils de l’Eglise et citoyens du monde, nous accueillions comme fruit de l’Année Sainte cette Parole d’un inépuisable « Bon Noël » !